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Métiers www.revue-eps.com 16 / novembre-décembre 2015 #368 Entraînement ÉTIREMENTS ET ACTIVITÉ SPORTIVE Utilisés à bon escient, les étirements sont importants pour la pratique sportive... et au-delà ! Le panorama des connaissances actuelles dans les différentes dimensions de l'activité sportive ouvre des perspectives pour l'entraînement et l'EPS. L es étirements ont d'abord été pratiqués dans le cadre de rééducations, puis été utilisés dans la pratique sportive. Il a longtemps été considéré que leurs ef- fets étaient bénéfiques dans de nom- breux contextes, ce qui a incité à les introduire de manière quasi-systéma- tique avant ou après les cours d'EPS, entraînements ou compétitions. Les travaux scientifiques ont ensuite per- mis de mieux comprendre les effets physiologiques/biomécaniques des étirements, et discuté de leur appli- cabilité dans la pratique sportive. En particulier, depuis le début des an- nées 2000, on sait que les étirements peuvent avoir des effets délétères sur la force maximale (Fowles et al., 2000) et dès 2003, Cometti pointait du doigt que les étirements peuvent induire une diminution de la perfor- mance. 12 ans après, il nous semble nécessaire de mettre à jour les don- nées rapportées dans cet article, qui se focalisait sur les limites des étirements. Pour mieux comprendre la place que doivent prendre au- jourd'hui les étirements dans la pra- tique sportive, nous pensons qu'il est nécessaire d'avoir une vision globale de leurs effets. Cet article vise donc à faire une courte analyse de la biblio- graphie portant ce thème. Il ne s'agit pas d'une revue de la littérature ex- haustive, car le nombre de publica- tion portant sur les étirements est devenu très important depuis ces 20 dernières années, mais nous expo- sons notre interprétation, à la vue des connaissances actuelles, que nous espérons la plus objective possible. Cet article ne traite pas spécifique- ment de « comment s'étirer ». Il existe différentes techniques d'étirements (passifs ou actifs, statiques ou dy- namiques/balistiques, contractés- relâchés, étirements globaux…), et les effets de ces différents proto- coles peuvent sensiblement différer. Dans le cas de résultats similaires entre ces techniques, pour simpli- fier le propos, les effets des étire- ments sont ici abordés de manière globale. Cependant, lorsque la litté- rature montre des différences impor- tantes dans les effets de ces proto- coles, cela est précisé dans le texte. Afin de déterminer si les étirements peuvent servir la pratique sportive, il semble essentiel de comprendre en quoi ils pourraient être utiles. Nous listons ainsi 6 raisons qui pourraient amener le sportif à s'étirer et distin- guons, comme le suggère la littéra- ture, les effets d'étirements aigus (i. e., effets « courts termes » d'une séance) des effets chroniques (i. e., effets « longs termes » de plusieurs séances). La conclusion tente de fournir des recommandations pour la réalisation des étirements, dans le cadre de la pratique sportive ou de cours d'EPS. Les effets des étirements dans la pratique sportive Étirements et souplesse La souplesse (ou flexibilité) est consi- dérée comme étant une qualité intrin- sèque qui se mesure le plus souvent comme l'amplitude maximale de mouvement qu'une articulation, ou un groupe d'articulation(s), est ca- pable d'atteindre lors d'une mobili- sation (Alter, 2004). Effets aigus Il y a consensus dans la littérature pour affirmer que la souplesse d'une articulation est augmentée immé- diatement après un protocole d'éti- rements musculaires (Magnusson, 1998 ; Gajdosik, 2001 ; Alter, 2004 ; Enoka, 2002). Il semble donc évident que les étirements sont importants à utiliser dans l'échauffement lorsque la souplesse est le principal détermi- nant de la performance d'un groupe musculaire pour un sport donné (is- chio-jambiers et abducteurs en gym- nastique, danse ou escalade). Afin de maximiser les gains de souplesse à l'échauffement, il semble intéressant d'utiliser des étirements en contrac- tés-relâchés (Sharman et al., 2006 ; Gajdosik, 2001 ; Enoka, 2002), mais ceux-ci doivent être réalisés avec précautions. Effets chroniques Il est également admis dans la litté- rature que les étirements chroniques permettent d'augmenter la souplesse (Harvey et al., 2002 ; Decoster et al., 2005) et s'avèrent donc encore une fois être essentiels dans tous les sports pour lesquels cette qualité est un déterminant de la performance. De plus, les étirements sont un com- plément essentiel des entraînements de la force qui induisent des hyper- trophies musculaires et des pertes de souplesse (Magnusson, 1998). Il semble que les séances d'étirements n'ont pas besoin d'être longues, à condition d'être répétées fréquem- ment (Bandy et al., 1994, 1997). Ces études montrent par exemple que 30 s d'étirements répétées tous les jours sur le même groupe musculaire sont efficaces pour gagner en sou- plesse. Toutefois, la littérature ac- tuelle ne permet pas encore d'établir de consensus sur le protocole d'étire- ment optimal à mettre en place pour maximiser les gains de souplesse sur le long terme (Decoster et al., 2005). Photo : A. Nordez © Éditions EP&S 2015. Tous droits de reproduction et de représentation réservés. Reproduction interdite.

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www.revue-eps.com16 / novembre-décembre 2015 #368

Entraînement

étirements et activité sportive

Utilisés à bon escient, les étirements sont importants pour la pratique sportive... et au-delà ! Le panorama des connaissances actuelles dans les différentes dimensions de l'activité sportive ouvre des perspectives pour l'entraînement et l'EPS.

Les étirements ont d'abord été pratiqués dans le cadre de rééducations, puis été utilisés dans la pratique sportive. Il a

longtemps été considéré que leurs ef-fets étaient bénéfiques dans de nom-breux contextes, ce qui a incité à les introduire de manière quasi-systéma-tique avant ou après les cours d'EPS, entraînements ou compétitions. Les travaux scientifiques ont ensuite per-mis de mieux comprendre les effets physiologiques/biomécaniques des étirements, et discuté de leur appli-cabilité dans la pratique sportive. En particulier, depuis le début des an-nées 2000, on sait que les étirements peuvent avoir des effets délétères sur la force maximale (Fowles et al., 2000) et dès 2003, Cometti pointait du doigt que les étirements peuvent induire une diminution de la perfor-mance. 12 ans après, il nous semble nécessaire de mettre à jour les don-nées rapportées dans cet article, qui se focalisait sur les limites des

étirements. Pour mieux comprendre la place que doivent prendre au-jourd'hui les étirements dans la pra-tique sportive, nous pensons qu'il est nécessaire d'avoir une vision globale de leurs effets. Cet article vise donc à faire une courte analyse de la biblio-graphie portant ce thème. Il ne s'agit pas d'une revue de la littérature ex-haustive, car le nombre de publica-tion portant sur les étirements est devenu très important depuis ces 20 dernières années, mais nous expo-sons notre interprétation, à la vue des connaissances actuelles, que nous espérons la plus objective possible.Cet article ne traite pas spécifique-ment de « comment s'étirer ». Il existe différentes techniques d'étirements (passifs ou actifs, statiques ou dy-namiques/balistiques, contractés-relâchés, étirements globaux…), et les effets de ces différents proto-coles peuvent sensiblement différer. Dans le cas de résultats similaires entre ces techniques, pour simpli-fier le propos, les effets des étire-ments sont ici abordés de manière globale. Cependant, lorsque la litté-rature montre des différences impor-tantes dans les effets de ces proto-coles, cela est précisé dans le texte.Afin de déterminer si les étirements peuvent servir la pratique sportive, il semble essentiel de comprendre en quoi ils pourraient être utiles. Nous listons ainsi 6 raisons qui pourraient amener le sportif à s'étirer et distin-guons, comme le suggère la littéra-ture, les effets d'étirements aigus (i. e., effets « courts termes » d'une séance) des effets chroniques (i. e., effets « longs termes » de plusieurs séances). La conclusion tente de fournir des recommandations pour la réalisation des étirements, dans le cadre de la pratique sportive ou de cours d'EPS.

Les effets des étirements dans la pratique sportiveÉtirements et souplesseLa souplesse (ou flexibilité) est consi-dérée comme étant une qualité intrin-sèque qui se mesure le plus souvent

comme l'amplitude maximale de mouvement qu'une articulation, ou un groupe d'articulation(s), est ca-pable d'atteindre lors d'une mobili-sation (Alter, 2004).Effets aigusIl y a consensus dans la littérature pour affirmer que la souplesse d'une articulation est augmentée immé-diatement après un protocole d'éti-rements musculaires (Magnusson, 1998 ; Gajdosik, 2001 ; Alter, 2004 ; Enoka, 2002). Il semble donc évident que les étirements sont importants à utiliser dans l'échauffement lorsque la souplesse est le principal détermi-nant de la performance d'un groupe musculaire pour un sport donné (is-chio-jambiers et abducteurs en gym-nastique, danse ou escalade). Afin de maximiser les gains de souplesse à l'échauffement, il semble intéressant d'utiliser des étirements en contrac-tés-relâchés (Sharman et al., 2006 ; Gajdosik, 2001 ; Enoka, 2002), mais ceux-ci doivent être réalisés avec précautions.Effets chroniquesIl est également admis dans la litté-rature que les étirements chroniques permettent d'augmenter la souplesse (Harvey et al., 2002 ; Decoster et al., 2005) et s'avèrent donc encore une fois être essentiels dans tous les sports pour lesquels cette qualité est un déterminant de la performance. De plus, les étirements sont un com-plément essentiel des entraînements de la force qui induisent des hyper-trophies musculaires et des pertes de souplesse (Magnusson, 1998). Il semble que les séances d'étirements n'ont pas besoin d'être longues, à condition d'être répétées fréquem-ment (Bandy et al., 1994, 1997). Ces études montrent par exemple que 30 s d'étirements répétées tous les jours sur le même groupe musculaire sont efficaces pour gagner en sou-plesse. Toutefois, la littérature ac-tuelle ne permet pas encore d'établir de consensus sur le protocole d'étire-ment optimal à mettre en place pour maximiser les gains de souplesse sur le long terme (Decoster et al., 2005).

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Étirements et performanceLa performance sportive est multi-factorielle incluant des déterminants sociologiques, psychologiques, phy-siologiques/biomécaniques et tech-niques. Nous nous focalisons dans ce paragraphe sur les déterminants physiologiques et biomécaniques.Effets aigusDe très nombreuses études montrent une diminution de performance im-médiatement après des étirements statiques (voir les revues de littérature Cometti, 2003 ; Behm et Chouachi, 2011 ; Kallerud et Gleeson, 2013 ; Kay et Blazevich, 2012 ; McHugh et Cosgrave, 2010 ; Rubini et al., 2007 ; Simic et al., 2013 ; Shrier, 2004). Ces travaux montrent que la diminution est particulièrement marquée pour les actions explosives tels que les sauts, le sprint, la force maximale volontaire. Elle est également pos-sible pour des sports d'endurance, d'endurance de force. Deux moyens sont avérés si on veut limiter cet ef-fet négatif. Tout d'abord, il faut limiter le temps de l'étirement. La diminu-tion de force maximale n'est plus si-gnificative pour des protocoles d'éti-rements statiques inférieurs à 45-60 s (Kay et Blazevich, 2012 ; Simic et al., 2013). Ensuite, il faut laisser une phase de repos après les étirements, la chute de performance s'atténuant au cours du temps. La littérature ne montrant pas d'effets positifs immé-diats des étirements statiques sur la performance, bien au contraire, ils sont à proscrire des échauffements lorsque la force, la puissance, la vi-tesse, l'endurance ou l'endurance de force sont des composantes impor-tantes de la performance.En revanche, la littérature récente montre que les étirements dyna-miques/balistiques n'ont pas d'effets

négatifs sur la performance, et qu'ils pourraient même avoir des effets positifs (Behm et Chouachi, 2011 ; Kallerud et Gleeson, 2013). Ces éti-rements sont donc à privilégier pour les échauffements, même s'il faut être vigilant quant à leur utilisation, car les étirements dynamiques né-cessitent une expertise et une vigi-lance plus marquées que les étire-ments statiques.Effets chroniquesAucune étude n'a montré d'effets délétères d'étirements chroniques sur la performance (Kallerud et Gleeson, 2013). Au contraire, cer-taines études mettent clairement en évidence que la pratique régulière d'étirements (statiques, dynamiques ou contractés-relâchés) peut à elle seule induire des améliorations de performance en saut, sprint ou force maximale (Kallerud et Gleeson, 2013 ; Shrier, 2004 ; Rubini et al., 2007). Par exemple, Kokonen et al. (2007) ont montré des gains significatifs de force, de détente verticale et horizon-tale, d'endurance et de vitesse sur un sprint de 20 m après 30 séances (ré-parties sur 10 semaines) de 40 mi-nutes d'étirements statiques de tous les muscles du membre inférieur. Il est donc particulièrement intéressant de noter que les effets aigus et chro-niques des étirements statiques sont totalement différents. Il est ainsi per-tinent d'ajouter des étirements aux entraînements des sportifs qui pour-raient ainsi bénéficier d'amélioration de la performance.Certains auteurs suggèrent toutefois que les pratiquants de sports d'en-durance tels que la course à pied ne

devraient pas réaliser d'étirements. Ce propos s'appuie sur des résultats mettant en évidence des corréla-tions négatives entre performance en course à pied et la souplesse (Gleim et al., 1990 ; Craib et al., 1996 ; Jones, 2001). Cependant, il n'est pas pos-sible d'établir de lien de cause à ef-fet entre étirements et performance à partir de ces études. De plus, ces propos ne sont pas supportés par d'autres études, comme celle Nelson et al. (2001) qui ne montre pas d'ef-fets négatifs de 10 semaines d'étire-ments sur la performance en course de fond ou demi-fond.Au-delà des gains de souplesse qui sont le plus souvent recherchés, les étirements sont donc un bon complé-ment à l'entraînement pour amélio-rer la performance de manière chro-nique, quelle que soit la pratique sportive (Kallerud et Gleeson, 2013 Jenkins et Beazell, 2010 ; Rubini et al., 2007 ; Shrier, 2004).

Étirements et récupérationL'entraînement induisant une per-turbation de l'équilibre biologique et une fatigue, il est nécessaire d'amé-nager des phases de récupération. Différentes techniques permettent d'optimiser la récupération (voir pour revue Hausswirth, 2013) et la place des étirements dans ce contexte reste à positionner.Effets aigusLes étirements statiques induisant une chute aiguë de performance, il ne semble pas opportun de s'étirer pour tenter de mieux récupérer (Rabita et al., 2013). Certaines études mon-trent ainsi que les étirements peuvent

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même freiner la récupération et ne doivent donc pas être réalisés après un effort fatiguant lorsque l'objectif est de récupérer rapidement (Mika et al., 2007 ; Beckett et al., 2009). Par exemple, lors de l’épreuve de 3 x 500 m en cours d'EPS, les élèves ne devraient pas réaliser d'étirements dans les phases de récupération entre les courses.Effets chroniquesÀ notre connaissance, aucune étude n’a cherché à déterminer le rôle poten-tiel des étirements dans la récupéra-tion à plus long terme.

Étirements et courbaturesLes courbatures sont des douleurs musculaires induites par des lésions

musculaires qui surviennent le plus souvent à la suite d'un effort inhabi-tuel, et en particulier lorsque celui-ci comprend des contractions excen-triques (Proske et Allen, 2005). Ces lésions et douleurs sont réversibles dans un intervalle de temps pouvant aller de 2 jours à 2-3 semaines. Toute personne subissant des courbatures a ressenti l'envie, voire le besoin de s'étirer.Effets aigusPourtant, il a été clairement montré dans la littérature que les étirements ne permettent pas de réduire les dou-leurs musculaires associées aux cour-batures (Herbert et de Neurona, 2011). L'envie de s'étirer s'explique donc pro-bablement par un effet antalgique des étirements à très court terme, mais celui-ci disparaît quasi immédiate-ment, et n'est donc pas efficace. On pourrait même penser que la pratique d'étirements pourrait augmenter les lésions musculaires (Cometti, 2003). Toutefois, aucune étude scientifique n'a montré une augmentation des dommages musculaires du fait d'éti-rements. Il ne semble donc pas utile de pratiquer des étirements pour ré-duire les courbatures ou les lésions musculaires.Effets chroniquesEn revanche, plusieurs études mon-trent que la pratique régulière d'étire-ments permet de limiter les dommages musculaires à la suite d'un exercice excentrique. En effet, lors d'une même séance de contractions excentriques,

les sujets les moins souples subis-sent plus de dommages musculaires que les sujets plus souples (McHugh et al., 1999). De plus, il a récemment été mis en évidence qu'un protocole d'étirements chronique préalable permet de réduire les dommages musculaires induits par une séance de contractions excentrique (Chen et al., 2011 ; La Roche et al., 2006). Ces auteurs proposent que les éti-rements puissent produire un effet protecteur, certes moins efficace, mais comparable à l'effet protecteur de l'entraînement excentrique. En ef-fet, les dommages musculaires sont beaucoup moins importants à la suite d'une seconde séance excentrique qu'à la suite de la première séance, et ce phénomène est appelé effet pro-tecteur dans la littérature (Proske et Allen, 2005 ; Chen et al., 2011).

Étirements et risque de blessureLe potentiel lien entre blessure et éti-rement est complexe à mettre en évi-dence, et les études cliniques/épidé-miologiques sont peu nombreuses. Cela s'explique probablement par la complexité et l'aspect multifac-

toriel de la blessure, ainsi que par la difficulté d'isoler l'effet des étire-ments dans ces facteurs (McHugh et Cosgrave, 2010).Effets aigusIl est très compliqué de mettre en place par un protocole standardisé pour déterminer les effets d'étire-ments sur le risque de blessure dans la séance qui va suivre. En effet, afin de comparer un nombre suffisant de blessés dans un groupe qui a prati-qué des étirements et un autre groupe qui n'en a pas pratiqué, il faudrait soit réaliser une étude sur un nombre ex-trêmement important de sportifs, soit réaliser une séance induisant volon-tairement beaucoup de blessures, ce qui n'est éthiquement pas envi-sageable. Les effets aigus des étire-ments sur le risque de blessure res-tent donc mal connus.Effets chroniquesEn revanche, ce type d'étude a été réalisé pour des étirements chro-niques, puisque le nombre de blessés va progressivement augmenter dans le temps. Deux études robustes sur ce thème ont été réalisées par Pope et al. (1998, 2000) sur des cohortes de nouvelles recrues de l'armée (plus de 1000 participants dans chaque étude). Pour une même activité phy-sique (APS et activités militaires) dans les deux groupes (l’un pratiquant des étirements et l'autre n'en pratiquant pas), la prévalence des blessures était la même dans les deux groupes de mi-litaires. En revanche, d'autres études

synthèse des effets aigus et chroniques des étirements

aigu chronique

souplesse + + + +

performance Statiques : – Dynamiques : = + +

récupération – ?

courbatures = +

risque de blessure ? = +

santé = + +

+ + : effets très positifs + : effets positifs = : aucun effet avéré - : effets négatifs

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tendent à montrer que la pratique d'étirements pourrait réduire spéci-fiquement les blessures musculaires (McHugh et Cosgrave, 2010 ; Small et al., 2008, Stojanovic et Ostojic, 2011). Ces trois revues de la littérature s'ac-cordent toutefois pour dire que ces résultats doivent être confirmés par de nouvelles études plus robustes. De plus, d'autres études montrent qu'une faible souplesse des ischio-jambiers, quadriceps et adducteurs pourrait être facteur de risque pour la survenue de blessures muscu-laires (Witvrouw et al., 2003) et tendi-neuses (Witvrouw et al., 2001). Le lien entre étirements et risque de blessure reste donc complexe et mal compris (Witvrouw et al., 2004). Il est toutefois sûr que les étirements chroniques ne peuvent pas augmenter le risque de blessure, et qu'il est important de ne pas devenir trop raide, par exemple du fait d'un entraînement orienté sur la force, en réalisant régulièrement des étirements.

Étirements et santé / bien-êtreLes étirements peuvent être consi-dérés comme un « habitus de santé » pour différentes raisons.Effets aigusLes étirements peuvent provoquer une sensation de bien-être et induire un relâchement musculaire. Ce relâ-chement musculaire est très souvent recherché par les kinésithérapeutes en cas de pathologies musculo-sque-lettiques, par exemple des douleurs lombaires ou cervicales.Effets chroniquesIl est bien connu que la pratique spor-tive intensive, l'immobilisation, la ma-turation et le vieillissement indui-sent des diminutions de souplesse (Gajdosik, 2001 ; Magnusson, 1998 ; Offenbächer et al., 2014) pouvant entraîner des pathologies musculo-squelettiques. Les étirements doi-vent donc être réalisés afin de main-tenir une souplesse importante, et donc une capacité à mobiliser ses ar-ticulations sur toute leur amplitude de mouvement possible. Par exemple, il semble que certaines lombalgies puissent être, au moins en partie, causées par une raideur trop impor-tante au niveau des ischio-jambiers (Panayi, 2010). Le moyen le plus effi-cace utilisé par les cliniciens pour lut-ter contre ce type de pathologies reste la pratique d'étirements. Toutefois, on peut penser que dans de nombreuses situations, l'intervention de cliniciens ne serait pas nécessaire si les pa-tients ou sportifs avaient pris par eux-mêmes l'habitude de pratiquer des étirements. Par exemple, une étude réalisée sur des travailleurs au bureau,

a montré que la pratique d'étirements associée a des exercices de renfor-cement a permis de diviser par deux les douleurs cervicales (Sihawong et al., 2014).

recommandationsLa synthèse (tableau) nous donne à penser que les effets chroniques des étirements doivent principale-ment être recherchés par les spor-tifs, éducateurs sportifs, entraîneurs et enseignants d'EPS et donc qu'ils doivent être considérés comme une « pratique sportive » à part entière. Réalisés de manière régulière (plus de 2 à 3 fois par semaine) et pendant une période suffisante (supérieure à 3-4 semaines), ils permettent en effet d'augmenter la souplesse, d'amélio-rer la performance et potentiellement de limiter le risque de blessures ainsi que les courbatures qui peuvent être induites par une séance intense. De plus, nous pensons qu'ils participent à un « habitus santé » que les éduca-teurs sportifs, entraîneurs et ensei-gnants d'EPS se doivent de donner à la population. Étant entendu que les pratiques réalisées jeune sont mieux assimilées et intégrées, et que les étirements peuvent être un outil pédagogique intéressant pour l'en-seignant, cette pratique devrait être débutée dès le collège. Le dévelop-pement musculaire induit par la pu-berté provoque en effet une diminu-tion de la souplesse contre laquelle il est intéressant de lutter. La puberté pourrait donc être un repère pour le début d'une pratique régulière des éti-rements. De manière plus générale, nous militons pour la réalisation d'éti-rements de manière régulière à tout âge, qu'ils soient connectés ou non aux séances de pratiques sportives.Il semble également évident que les étirements statiques ne doivent pas être réalisés lors des échauffements puisqu'ils ne permettent pas d'amélio-rer la performance de manière aiguë, bien au contraire. Nous apportons toutefois deux nuances importantes à ce propos.Tout d'abord, lorsque la haute per-formance n'est pas forcément re-cherchée. Par exemple lors d'un en-traînement, est-ce qu'une chute de performance de 5 à 10 % pendant 5 à 10 min (en cas d'étirement statique prolongé) est problématique ? Par exemple lors d'une séance d'EPS, est-ce problématique si les élèves sont légèrement moins performants en tout début de séance ? Il est ainsi probablement plus simple de réaliser des étirements en début d'une séance d'EPS, lorsque la concentration est

plus importante.Ensuite, lorsque la souplesse est plus importante que la force pour le groupe musculaire considéré. Par exemple dans le cas de l'escalade, activité dans laquelle il est important d'être souple au niveau du membre inférieur et de produire des forces musculaires importantes au niveau du membre su-périeur, il semble important d'étirer les muscles du membre inférieur avant la pratique mais pas ceux du membre supérieur. Un autre exemple pourrait être les ischio-jambiers lors du sprint sur plat ou pire en haies. En effet, ce groupe musculaire peut être mobilisé sur des amplitudes de mouvement im-portantes. Il semble donc opportun d'étirer ces muscles avant un sprint, par exemple avec des étirements dy-namiques dont les effets ne sont pas délétères pour la force musculaire. De manière plus générale, la pratique des étirements dynamiques peut s'avérer être une alternative intéressante pour maintenir des étirements dans les échauffements, lorsque la souplesse du groupe musculaire est mise en jeu dans l'activité.

Q

Cette analyse de la littérature scienti-fique permet donc de dégager diffé-rentes recommandations pour tirer le meilleur profit de la pratique des étire-ments, dont les effets sont essentiels pour la pratique sportive et la santé de la population. En revanche, d'un point de vue plus fondamental, les méca-nismes permettant d'expliquer les ef-fets constatés (effets chroniques ou aigus sur la performance ou la sou-plesse) restent aujourd'hui largement en débat. Étant donné l'effort intensif de recherche sur les étirements, les prochaines années devraient toutefois permettre de produire des réponses intéressantes sur ce thème.

Antoine Nordez 1,Maître de Conférences, HDR

Ricardo Andrade 1, 2,Kinésithérapeute, doctorantGuillaume Le Sant 1, 3,Kinésithérapeute, doctorant

1 EA 4334 « Motricité, Interactions, Performance », UFR STAPS, Université de Nantes2 Universidade de Lisboa, Faculdade de Motricidade Humana, CIPER, P-1100 Lisbon, Portugal3 Institut Régional de Formation aux Métiers de la Rééducation et de la Réadaptation des Pays de la Loire (IFM3R), St-Sébastien/Loire, France.

Pour en savoir Plussur revue-eps.com, dans les compléments au n° 368 de la

Revue EP&S, retrouvez toute la bibliographie citée dans cet article.

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