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    tienne Souriau

    Les diffrentsmodes d'existence

    suivi deDu mode d'existence de l'uvre faire

    PrsentationIsabelle Stengers et Bruno Latour

    llh rry, F.tttn ttth,Wilh lltllhttttu tt ilttd Cruly,n

    Presses Universitaires de France

  • CttnprtRe PRur,neR

    Position du problme

    Monisme ontique et pluralisme existentiel. Pluralisme ontique et monismeexistentiel.

    - Leurs rapports, leurs combinaisons.

    - Consquences philoso-

    phiques : richesse ou pauvret de l'tre; les exclusions souhaites. -

    Aspectsmtaphysiques, moraux, scientihques et pratiques du problme. Questions demthode.

    $ 1. La pense existe-t-elle, en elle-mme et par elle-mme ?La matire existe-t-elle, et de la mme manire ? Dieu existe-t-il ?Hamlet, la Primavera, Peer Gynt ont-ils exist, existent-ils, et enquel sens ? Les racines carres des nombres ngatifs existent-elles ? La rose bleue existe-t-elle ?

    Rpondre chacune de ces questions (par oui, par non, oupar quelque sorte ; et ce n'est pas dj si ais) cela suffit-il ? assu-rment non. Par leur accumulation mme, ces questions enposent une autre, plus vaste et qui les contient toutes : y a-t-ilplusieurs manires d'exister ? L'exister est-il multiple, non dansles tres o il s'actualise et s'investit, mais dans ses espces ?

    $ 2. Cette question, la philosophie l'a toujours tenue ouverte.Mais les rponses des philosophes sont tendancieuses. En mmetemps qu'ils affirment, ils dsirent. Et selon ce qu'ils dsirent onvoit I'existence tantt s'panouir en modes multiples, tanttredevenir une.

    Si, lorsqu'on parle de l'tre, I'espoir est de le voir sigernumriquement seul, aussitt la multitude des tres que croyaitdistinguer le sens commun devenant fantmale, ces prtendustres, pour se runir l'tre et se fondre en lui, s'assemblent partribus, qui suivent chacune la bannire d'un genre particulier

  • 8l80 Les dffirents modes d'existence Position du problme

    alterne les deux mouvements dont il vient d'tre question. Aprsavoir suivi la voie des atomistes, rduit I'existence au typemonadique, et fait de Dieu mme une monade parmi les mona-des il repart en sens contraire. Parmi les monades, il se prend considrer une diffrence profonde entre celles qui sont cres,qui n'existent que par dieu, et la monade incre, l'Etre nces-saire. Puis, outre ces tres crs, qui n'ont qu'une existence defait ou contingente, il discerne des essences et des vrits, ter-nelles et immuables. Et quel est leur statut d'existence ? Toutesensemble, elles font le rgne du possible, lequel doit avoir aussiquelque ralit. Au reste, I'Etre ncessaire, < il suffit d'trepossible pour tre actuel >>, et

    .la possibilit fonde l'existence,donc la possde minemment. A la lueur rpandue par lui surle monde, on distingue (( un monde moral dans le mondenaturel >>, un rgne des causes efficientes et un rgne des causesfinales, un rgne physique de la nature et un rgne moral de lagrce, qui font comme deux ontologies distinctes reposant surdes principes diffrents. Ainsi, lorsqu'il partait de la multitudedes tres, Leibniz tendait affirmer l'unicit de leur genred'existence, dont la seule monade humaine pouvait trel'exemple. Mais lorsque inversement il part de l' > (Monadologie, $ 47), aussitt commence le clivage du relselon des genres diffrents d'existence. Bref, il prsente luiseul, comme un balancement double, les deux mouvements depense entre lesquels se rpartissent gnralement les philoso-phes, dont les uns tendent reconnatre, les autres nier lapluralit existentielle en mme temps qu' nier ou reconnatreen raison inverse la pluralit des existants.

    $ 6. On voit donc quelle profonde diffrence il y a entre unpluralisme ontique (posant la multiplicit des tres) et un plura-lisme existentiel (posant la multiplicit des modes d'existence).Le monisme ontique peut, comme le panthisme nous l'atteste,s'accommoder d'un pluralisme existentiel. Et le pluralismeontique peut s'efforcer de valoriser un monisme existentiel,comme le font les atomistes.

    $ 7. Mais s'il y a quelque apparence d'opposition et d'inver-sit entre cette pluralit existentielle et cette pluralit ontique, onvrifiera aussitt que cette opposition, bien que frquente, n'estpas ncessaire. Il peut exister, rare la vrit, un monisme int-

    d'existence. Ainsi s'assemblent entre eux tous les corps, puis tou-tes les ides. Ou bien, les possibles, les contingents, les ncessai-res. Et l'tre unique, poui englober cette multitude' se fait syn-thse de tous ls genres d'existence, unit en lui tous cesrayonnements. Spinoia Plotin, qui n'admetpas I'homottymie du verbe tre, appliqu I'Un ou aux tres quile suivent, compte neuf genres d'exister.

    $ 4. Il est, inversement, des philosophes qui, loin de. poserI'unicit de l'tre, reconnaissent une multitude d'tres rellementsubstantiels. Mais plus ceux-ci deviennent multitude, plus aussileur statut d'existence devient semblable et unique. Voyez lesatomistes, que ce soient picure ou Gassendi, ou mme. cer-tains gardi, Leibnir. Ils divisent l'tre jusqu'aux dernires limi-tes de -la division. Mais ces tres sont semblables, fonds, parexemple, sur I'antitypie et f inscabilit' Et, malgr son apparentericheise et sa complexit, I'assemble innombrable de ces tresne tmoigne enfin que pour un seul genre d'existence, dont onpeut prsenter comme type unique un seul atome. Tout au pluspeut-n reconnatre encore, de ce point de vue (et c'est ce queiait Leibniz), comme deux manires diffrentes d'exister, celle dessimples et celle des composs.

    $ S. L.itniz, d'ailleuri, est ici bien intressant' On vient de levoii cit comme atomiste. Mais loin de l'tre uniquement, il

  • 8382 Les dffirents modes d'exislence

    gral qui proclame la fois I'unit de l'tre et l'unicit de l'exis-tence : c'st le cas des lates, et surtout des Mgariques.

    Et d'autre part, il est un pluralisme en quelque sorte hyperbo-lique, reconnaissant la fois diffrents tres et diffrents genresd'existence, sans lien entre eux. C'est ce qu'on nomme polyra-lisme. Tels sont certains fidismes qui posent, comme celui deSchleiermacher, une sphre sentimentale de la religion et unesphre rationnelle de la science, parfaitement indpendantes I'unede l'autre.

    $ 8. Ides de derrire la tte ! Aspirations secrtes ! Qu'esp-rent les atomistes, qui sont < libertins >>, sinon d'abolir les trespour lesquels il n'est plus ainsi de genre d'existence

    - ceux de

    l'exprience seulement morale ou de I'esprance seulement mta-physique. Et les tenants du pluralisme existentiel se donnent aucontraire un univers deux ou trois tiroirs, un univers doublefond, pour restaurer les tres ainsi contests. Pour les pluralistesintgraux, les polyralistes, leur espoir est de montrer existantesles choses de la religion, sans avoir offusquer celles de lascience ; comme les monistes intgraux, les Elates veulent abolirle mouvement, le devenir, sans tre obligs de nier le monde.

    $ 9. On voit alors comme notre problme est au centre de laphilosophie en ce qu'elle a non seulement de plus vivant, maispeut-tre de plus tendancieux. Sur cette seule proposition : < il ya plus d'un genre d'existence )) ; ou inversement : < le mot d'exis-tence est univoque >>, s'affronteront non seulement les concep-tions mtaphysiques, mais, comme il est juste, les conceptionspratiques de I'existence les plus opposes. Selon la rponse, toutl'univers et la destine humaine changent d'aspect ; surtout si onles combine en les croisant avec ces deux propositions : < Il y aplus d'un tre >>, ou bien < l'tre est unique >>. Portes de bronzeouvrant et fermant, de leur battement fatidique, dans la philo-sophie de grands espoirs, dans I'univers de vastes rgions.

    $ 10. C'est que le monde entier est bien vaste, s'il y a plusd'un genre d'existence ; s'il est vrai qu'on ne l'a pas puis,quand on a parcouru tout ce qui existe selon un de ses modes,celui par exemple de l'existence physique, ou celui de l'existencepsychique ; s'il est vrai qu'il faille encore pour le comprendreI'englober dans tout ce qui lui confre ses significations ou sesvaleurs ; s'il est vrai qu'en chacun de ses points, intersections

    Position du problme

    d'un rseau dtermin de relations constituantes (par exemplespatio-temporelles) il faille aboucher, comme un soupirailouvrant sur un autre monde, tout un nouvel ensemble de dter-minations de l'tre, intemporelles, non spatiales, subjectives peut-tre, ou qualitatives, ou virtuelles, ou transcendantes ; de cellespeut-tre o l'existence ne se saisit qu'en des expriences fugaces,presque indicibles, ou qui demandent I'intelligence un effortterrible pour saisir ce quoi elle n'est pas encore faite, et qu'unepense plus large pourrait seule embrasser ; s'il est vrai mmequ'il faille, pour apprhender l'univers dans sa complexit, nonseulement rendre la pense capable de tous les rayons multico-lores de l'existence, mais mme d'une lumire nouvelle, d'unelumire blanche les unissant dans la clart d'une surexistence quisurpasse tous ces modes sans en subvertir la ralit.

    $ 11. Et inversement, le monde est bien intelligible et bienrationnel, si un seul mode d'existence peut rendre raison de toutce qu'il contient, s'il est possible de le mettre en ordre selon uneseule dtermination fondamentale, ou un seul rseau relationnel.Mais qu'on ne s'y trompe pas : pour que cette simplificationmthodique devienne illgitime, il suffit d'un seul craquement dece rseau. Il suffit, par exemple, si tous les tres ont t dcrits enrelations quantitatives, que le qualitatif s'avre indispensablepour rendre raison d'existants vritables, ou de variations dansles degrs de leur existence.

    $ 12. Et la ralit humaine aussi deviendra bien riche, s'ilapparat qu'elle implique plusieurs genres d'existence ; qu'unhomme pour exister pleinement, pour conqurir toute sa vritd'tre, doit occuper aussi bien (pour suivre l'analyse biranienne)son existence biologique que son existence sensitive, perceptive etrflexive, puis enfin son existence spirituelle. Elle apparatra aucontraire bien simple et bien rationalisable si, de ces genresd'existence, un seul est rel ; si, par exemple, une dialectiquematrialiste suffit poser l'existence totale ; ou si l'individu n'a se composer qu'une existence temporelle, sans se proccuper des< points f infini > (pour ainsi parler) de son tre ; s'il n'y a pourlui aucune existence hors du temps que son ignorance cet gardpuisse mconnatre ou laisser vacante. Et une seule petitephrase :

  • 8584 Les dffirents modes d'existence

    $ 13. J'ai observ, dit le physicien ou l'astronome, des posi-tons et des neutrons, des lectrons reprsentables par intermit-tence, et qui dansaient le Ballet des Quanta sur la scne del'espace et du temps, en rentrant parfois dans les coulisses deI'Indtermin; j'ai vu des galaxies en expansion, de dimensionspouvantables ma petite pense humaine. Mais tout ceciavait-il une existence physique, objective et cosmique ; ou uneexistence de raison et de reprsentation; ou enfin une exis-tence microscopique et tlescopique ; je dis, qui soit substan-tiellement lie celle de la chose microscope ou de la chosetlescope ?, J'ai rv de toi, disent Goethe Ennoia-Hlne ou Vigny Eva. Mais (devront-ils dire encore), y a-t-il place pour toi dans lemonde rel, ou bien l'tre qui t'incarnerait ne serait-il pas, par samanire essentielle d'tre, indigne de toi ? Es-tu, dans ta subs-tance, un tre de rve, et < fait de l'toffe dont sont faits lesrves >>, comme dit Shakespeare, donc labile et prcaire ; ou bien,procdant en moi de causes profondes et de raisons vritables,es-tu un tre ncessaire ? Est-ce simplement une fermentationphysiologique qui te soutient ? Es-tu I'Eternel Fminin, l'EternelIdal, ou l'Eternel Mensonge ? Es-tu une ncessaire et constanteprsence, ou faut-il te chercher du ct de ce que jamais on neverra deux fois ?

    J'ai rv de moi, meilleur que moi-mme, plus sublime. Etcependant c'tait moi, moi plus rel. Ce moi sublime est-il untre de vrit ou d'illusion ; de vie objective transcendante ou devie psychique contingente et subjective ? Une essence, une ent-lchie ; ou l'extrapolation illgitime d'une tendance ? Et de quellemanire serai-je le plus sage et le plus positif ; en disant : celan'existe pas ; ou en m'attachant cela pour en vivre ?

    $ 14. Tel est le problme. Ou plutt telles sont les questionsauxquelles une droite discussion du problme devrait permettreau philosophe de rpondre avec tranquillit.

    Question cl, disions-nous tout I'heure ; point crucial oconvergent les plus grands problmes. Quels tres prendrons-nous en charge par l'esprit ? La connaissance devra-t-elle sacri-fier la Vrit des populations entires d'tres, rayes de toutepositivit existentielle ; ou devra-t-elle, pour les admettre, ddou-bler, dtripler le monde ?

    Position du problme

    Question pratique aussi. Tant il est de grande consquencepour chacun de nous de savoir si les tres qu'il pose ou qu'il sup-pose, qu'il rve ou qu'il dsire, existent d'une existence de rveou de ralit, et de quelle ralit ; quel genre d'existence est pr-par pour les recevoir, prsent pour les soutenir, ou absent, pourles anantir ; ou si, n'en considrant, tort, qu'un seul genre, sapense laisse en friche et sa vie en dshrence de riches et vastespossibilits existentielles.

    Question, d'autre part, remarquablement limite. Elle tientbien, nous le voyons, dans celle de savoir si ce mot : exister, a ounon le mme sens dans tous ses emplois ; si les diffrents modesd'existence qu'ont pu signaler et distinguer les philosophes mri-tent pleinement et galement ce nom d'existence.

    Question positive enfin. L'une des plus importantes, par sesconsquences, que puisse se proposer la philosophie, elle se pr-sente sous forme de propositions prcises, susceptibles de critiquemthodique. Recenser les principales de ces propositions. dansl'histoire de la pense humaine ; en ordonner le tableau ; cher-cher de quel genre de critique elles sont justiciables ; c'est l unetche substantielle.

    $ 15. Faut-il y introduire en prsentant exemplairement uneglane de distinctions existentielles ramasses au hasard : tre enacte et tre en puissance ; existences explicite, implicite et compli-cite ; modes de l'asit et de l'abalit, de I'ipsit et de l'altrit ;exister formellement, objectivement, minemment ; existence ansich, ftir sich, bei sich (Hcgel) ; existence immdiate primaire(Urerlebnis), ou mdiate et de ralit apprcie (Reininger);existence cognitive-relle et motive-imaginaire, divisible enaffective et volitionnelle (H. Maier) ; Dasein, Zuhandensein, Vor-handensein, etc. (Heidegger) ? Qu'importent de telles distinctionssi on ne sait de quels points de vue elles rsultent, lesquelles sontcompatibles ou non entre elles, quelle porte exhaustive ellespeuvent avoir ?

    IJne revue historique des positions successives du problmeserait plus utile ; mais les proportions de ce petit livre la rdui-raient un raccourci insupportable ; et l'essentiel s'en retrouveraultrieurement. Elle nous montrerait du moins : comment lapense des primitifs, ou du moins la pense antrieure la philo-sophie, fut surtout sensible des distinctions existentielles axio-

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  • 8',786 Les dffirents modes d'existence

    logiques, qui s'inscrivent souvent dans des tmoignages philolo-giques (profane et sacr ; genres < fort >> et de la languedes Masai, anim et inanim, fictifs, de l'algonquin; principesyin et yang de la pense chinoise). Comment, au stade philoso-phique, la distinction ionienne du paratre et de l'tre aboutit(partant de l'opposition existentielle du phnomne la subs-tance) au monisme latique, bas sur la valeur ontologiqueaccorde au principe du tiers exclus. Comment Platon renouvellela question par cette ide gniale : le non-tre, ce n'est pas priva-tion d'existence, c'est, par rapport tout mode dtermin d'exis-tence, l'tre-autrement. Comment il en rsulte un pluralisme exis-tentiel auquel Aristote a donn certains thmes essentiels (tre enacte et tre en puissance ; problme du statut des imaginaires ;du statut des futurs contingents...), et qui se dveloppe auMoyen ge, dans un consentement ,nuni-e une piralitextrme des modes d'existence (qu'on songe l'importance duseul problme de l'existence du singulier et de celle de l'univer-sel), auquel la seule dissidence importante est celle de Duns Scot,soutenant l'univocit de l'tre contre la thorie thomiste de l'ana-logie. Comment, entre Aristote et la scolastique, s'interpose uneimportante action de Plotin, proposant d'une part I'unificationdes modes d'existence, au-del de I'existence mme ; d'autre partI'ide de degrs intensifs de l'tre, qu'il estime omis par les pri-patticiens, ide qui se retrouvera tant chez les gnostiques (Basi-lide) que chez les chrtiens (Origne, saint Augustin, Nmsius,Ene de Gaza, Denys l'Aropagite) et jusqu' nos jours (Bradleyou Marvin, degrs ou niveaux) aprs avoir pris une significationparticulire la Renaissance avec G. Bruno (thorie d'un mini-mum et d'un maximum de chaque existence singulire). Com-ment Descartes a voulu rduire autant que possible les modesd'existence, et a dfi pourtant reconnatre la non-univocit dessubstances cres et incres, la diffrence du principe existentielde l'union des deux substances et de chacune d'elles isolment.Comment Berkeley, tout spcialement, a pris parti contre la pos-sibilit d'une < ide gnrale de l'tre >>, et a signal certaines deses espces (les mes et les ides, la relation et la signification)comme irrductibles et radicalement htrognes ; les corps enfinn'existant < que dans un sens secondaire et relatif >. CommentKant a non seulement propos le thme : existence phnomnale

    Position du problme

    et existence noumnale ; mais reconnu quantit d'autres modes,plus ou moins traditionnelsl. Comment Hegel a transform lesmodes les plus importants de la tradition en moments dialecti-ques successifs. Comment enfin la continuit du mouvement quipasse par Krause, Lotze, Meinong, Baldwin, aboutit aux colesphnomnologiques et existentialistes, dont les principales carac-tristiques sont d'une part, de postuler le droit de considrerI'existence part de ses investissements, provisoirement mis entreparenthses ; d'autre part de tendre multiplier presque indfini-ment ses modes, en intgrant indissolublement l'un l'autre, l'at-tribut et la copule ; si bien que : tre homme, tre dans le monde,tre pass, tre prsent, tre futur, tre appartenant, tre dispo-nible, tre lointain, etc. ; autant de manires d'tre, moins ausens faible de l'expression (modes de dtermination d'un suppt)qu'au sens fort : moyens d'exister, conditions spcifiquesd'existence, voies parcourues ou parcourir pour obtenir accs l'tre, modes de l'intentionnalit constituante.

    $ 16. Une telle revue historique mettrait surtout en vidence :d'abord la solidarit d'un butin qui unit les plus rcentes instan-ces aux expriences incartables de la philosophia perennis;ensuite, I'urgence de classer, d'ordonner tout cela, de cherchers'il se dispose en tableaux complets, d'o I'on puisse tirerquelque vue d'ensemble, quelque coup d'il synoptique surI'existence dans sa totalit ; enfin, la division du problme entrois questions principales.

    La premire est celle des modes intensifs de I'existence. Avantde demander : ceci existe-t-il, et de quelle manire ; il faut savoirs'il peut tre rpondu par oui ou non, ou si l'on peut exister

    - un

    peu, beaucoup, passionnment, pas du tout...La seconde, celle des modes spcifiques proprement dite, est

    domine par I'opposition de deux mthodes. On peut considrer

    1. Rien que dans la discussion des paralogismes de la raison pure, Kant fait interve-nir successivement ces distinctions : existence comme sujet et existence comme prdicat ;existence propre du moi et existence des choses hors du moi; existence a priori et exis-tence dtermine au point de vue sensible; existence diversifie selon la modalit (exis-tence de fait, ou possible, ou ncessaire), diffrente de l'existence comme catgorie. Enfinexistence intensive, considre comme ).

    *

  • 88 Les dffirents modes d'existence

    I'existence investie, et prendre en charge le contenu ontique totalde la reprsentation humaine, pour en classer les modes et ensoupeser la teneur existentielle positive ; ou bien (considrantque l'existence peut se trouver, non seulement dans les tres,mais entre les tres) partir d'une donne ontique aussi restreinteque possible, et chercher par quels glissements, par quelles liai-sons (reprsentant des modes nouveaux d'existence) on peutpasser du mme l'autre.

    Ces deux mthodes donnent des rsultats diffrents. L'une etI'autre sont galement valables. Nous verrons qu'on peut encoordonner les rsultats, et reconnatre dans l'existence, tant lesmanires d'tre des divers tants que les modulations diverses dufait d'exister, ses chos et ses appels de proche en proche ; distin-guant ainsi (pour user d'une comparaison philologique), des< smantmes >> et des < morphmes > de l'existence (voir plusloin $ 73 et 76).

    La dernire question est celle de la recherche des unifcationspossibles, mettant en cause la notion de surexistence.

    Ce triptyque fournira ses cadres au plan gnral de notreenqute.

    Crnptrnp II

    Les modes intensifs d'existence

    Esprits durs et esprits tendres. Tout ou Rien. -

    Le devenir et le possiblecomme degrs d'existence.

    - Entre l'tre et le non-tre : niveaux, distances et

    effets de perspective. -

    L'existence pure et I'existence compare. -

    L'occupationontique des niveaux.

    - Existence pure et asit.

    - Existence et ralit.

    $ 17. Exister pleinement, intensment, absolument, quel idal !Sortir de cette incertitude de soi-mme o l'on se cherche en vaindans un brouillard d'irralit, aux rives du nant ! Siger, en toutarroi de I'acte d'tre ! Quel idal ; mais aussi, comme tout idal,peut-tre quelle rverie ! Peut-tre quelle absurdit ! Est-il vraiqu'on peut n'exister qu' moiti ? Toutes choses, aussi bien cettepierre que cette me, ds qu'elles existent, ne sont-elles pas galesdans l'existence ? Est-il des existences fortes et faibles ? L'existerest-il susceptible de plus ou de moins'?

    Oui, rpondront ceux qui ont prouv ou qui savent imaginerfortement cette impression de demi-existence ; ceux aussi pourqui le mot d'existence reprsente moins un fait qu'une valeur ;

    1. D'un point de vue philologique on pensera aux deux ( genres >, faible et fort, dela langue des Masai, dont il vient d'tre question ($ l5). D'un point de vue logique, onpensera l'opposition des classifications par classes et des classifications par types, cesdernires, sous leur aspect logistique, visant saisir < les proprits graduables des choses,c'est--dire les qualits qui ne sont pas propres ou non un certain objet, mais qui luisont propres un degr plus ou moins lev ). Cf. C. G. Hempel et P. Oppenheim, DerTypusbegriff im Lichte der neuen Logik, Leide, 1936. V. leurs conclusions sur le remplace-ment de < l'opposition statique ou-ou >> pat < l'opposition dynamique p/us ou moirts >> ; etappliquer cela l'ide de l'existence comme (( proprit graduable >. C'est BennoErdmann que remontent principalement ces spculations.

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  • 9L90 Les dffirents modes d'existence

    ceux pour qui I'existence est un acte, susceptible de tensronsdiversesl.

    Non ! rpondront au contraire certains esprits rigoureux etmme rigoristes, dresss ds l'enfance fonder la vertu de vra-cit sur une stricte sparation de la chose qui est d'avec la chosequi n'est pas. mes iudes, peu enclines l'indulgence pour ceslimbes intermdiaires o se jouent confusment l'insincrit et lamythomanie aussi bien que le vague l'me et les aspirationsexistentielles troubles et confuses. On a l'existence, ou on ne I'apas, diront-ils. On est dans l'tre, ou au dehors. Et ft-on che-val sur la limite, moiti dans l'tre et moiti au dehors, il ne fau-drait pas dire qu'on existe d'une existence faible ; il faudrait direqu'une partie de soi existe, pleinement, rellement, totalement, etque l'autre n'existe pas.

    $ 18. Donnons d'abord la parole ces rigoristes.Ils reconnatront qu'une existence peut tre plus ou moins

    riche ; qu'elle peut assembler en soi beaucoup d'tre. Mais,diront-ils, ce quantitatif est extensif. On peut occuper des dimen-sions cosmiques troites ou vastes, comprendre en soi peu oubeaucoup d'ides ou d'atomes ; embrasser plus ou moins d'es-pace ou de temps ; enfermer une plus ou moins grande multipli-cit. Un genre sera riche d'existence qui rassemble un grandnombre d'individus. De mme une pense parat intense qui en

    1. Dans les philosophies auxquelles on attribue, un peu trop globalement, l'tiquetted'existentialistes, on observe cet gard deux attitudes fort opposes. L'une (la plus authen-tique peut-tre, en tant que l'existenrialisme se rclame de Kierkegaard) prend l'existencecomme possde en fait, antrieurement tout effort (vain peut-tre, dit Jaspers;v. Vernunft u. Existenz) pour en prendre connaissance philosophique. Cf. Berdiaeff, CinqMdit. sur I'exist., h. fr.,p.62-64; ou S. Frank, La Connais. et l'tre, tr. fr., p. 127.L'attre,issue de la phnomnologie et teinte de romantisme, considre I'existence comme lait facilepeut-tre connatre, mais toujours atteindre, accomplir et conqurir, et toujourslointain. C'est I'attitude de Heidegger. On observera que G. Marcel, qui semble d'accordavec Berdiaeff dans tre et Avoir (p. 227) ou dans la Premire Partie du Journal mta-physique, o l'ide d'existence est troitement lie au type de l'existence corporelle, tend versla seconde attitude dans la Deuxime Partie, o I'ide d'existence est identifie celle desalut. Chez cet auteur, l'opposition de l'tre et de l'existence est marque au point de luilaire dire que < l'expression l'tre > est elle-mme dtestable et vide de sens (.ibid., p. 181 ; propos de la question du < vouloir tre >). Quant L. Lavelle, dont la situation est pluscomplexe, on rapprochera avec intrt, de tel passage d'un ouvrage plus ancien (ex. Pr-sence totale, p. 88) une longue note sur l'univocit dans un article rcent (< De l'insertion dumoi dans l'tre par la distinction de l'opration et de la donne >, Tijdschrift voor Philos.,nov. 1941,p.728).- VoirenfinMauriceBlondel, L'Etreetlestres,p. ll,23,102,etc.

    Les modes intensifs d'existence

    ralit est multiple, parce qu'elle forme en peu de temps beau-coup d'idest.

    Ou bien encore cette richesse s'appuiera sur une quantit, nonontologique, mais logique. Un genre biologique paratra plusriche d'existence, plus rel, parce qu'il renferme beaucoup d'esp-ces (sans tenir compte du nombre des individus)2 ; une penseparutra existentiellement pleine, et fortement relle, parce qu'ellese module travers des formes trs diverses3.

    Mme en ce qui concerne les valeurs, le bien et le mal (cedomaine privilgi, selon une certaine tradition, de la privationou de la plnitude) nos rigoristes rcuseront toute possibilit deles interprter en degrs d'tre ; et ne leur accorderont d'existencerelle qu'autant qu'on peut les rduire au : ceci est ; par exempleen les considrant comme des jugements, ayant une plus oumoins grande extension comme fait sociala.

    De mme en ce qui touche le devenir. On se refusera parexemple considrer dans l'enfant l'bauche d'un adolescent,dans I'adolescent l'bauche d'un homme, bauches plus oumoins loignes d'une acm, c'est--dire del'tat de l'tre parfaitqui leur sert de terme. On nous conviera voir dans I'enfantde 3, de 7, de 12 ans, autant de ralits prendre telles quelles,comme se sulfisant elles-mmes ; et sans rien de virtuel, sansrien qui soit mi-chemin entre le nant et cet tre parfait auquelon prtend le rfrer.

    l. Rien n'est plus lrappant que la manire.dont Spinoza tend rduire les intensitsexistentielles des questions de pluralit. Cf. Ethique,I, prop. IX ; IV, prop. XXXVIII,V, prop. XI, XIII, XXXUII, XXXIX; etc.

    On sait d'autre part que Bergson veut substituer aux intensits des diversits, maisqualitatives, o la pluralit ne joue que d'une manire presque indfinissable. On peutregretter certains gards pour sa philosophie que sa critique initiale de la notion dequantit intensive l'ait conduit se dtourner des problmes de l'existence intensive. Pourlui, en somme, il est deux modes d'existence, I'existence < en position serre >> et I'exis-tence (comme parlent les harmonistes). Par ailleurs, tout < plusou moins > est extensiL

    2.Y.p. ex. . Rabaud, >, Rev. phq., lg37,ll, p. 28 sq.3. Cf. textes, notamment d'Amiel, rassembls dans C. Saulnier, Le Dilettantisme,

    p. 123, etc.4. C'est ainsi que la question d'existence, sous la forme de la modalit assertorique

    du jugement, oppose l'optatif ou l'impratif, est la base des ides de L. Lvy-Bruhlsut La Morale et la science des meurs. On peut en rapprocher certaines ides de Calliclsou de Thrasymaque dans Platon, quant au problme de savoir si la morale est, notam-ment comme fait naturel.

  • 9392 Les dffirents modes d'existence

    Point de vue qui, niant l'acheminement graduel du nant l'existence, postule plus ou moins l'accomplissement complet detout tre, l'impossibilit d'un arrt mi-chemin. < I1 n'est pas aupouvoir du non-tre d'empcher l'tre de se constituer toutentier ; il n'est pas au pouvoir de l'tre, de faire qu'il y ait ici ou1 plus ou moins d'existence > (Parmnide, v. 103 sq.).

    Une loi du Tout ou Rien oblige alors poser sous la formede l'oppositio medio carens tous les problmes d'existence. AinsiPascal nous presse : Dieu est, ou il n'est pas. En vain le libertin,contemporain de Pascal ou futur renaniste, voudra s'vader versl'ide d'un Dieu existant plus ou moins, ou en quelque sorte ;par exemple titre d'idal' ; ou de donne rflexive immanente;ou parce qu'on identifiera son existence douteuse une sorte defaiblesse d'existence. Non, dit Pascal, il faut parier. Croix ouPile.

    $ 19. Qu'ils sont plus souples, plus nuancs, plus aimables, cesphilosophes qui reconnaissent bien des intermdiaires entre l'treet le non-tre ; pour qui le possible, l'en-puissance, f infini mme(comme chez Aristote)2 s'approchent seulement de l'tre et fontmilieu entre le non-tre et lui ; ou encore ces hommes de sciencequi, tudiant une volution, y discerneront sous le prsent lefutur dj moiti route de l'tre, et n'ayant besoin, pour mer-ger, que d'un peu de maturation3.

    1. Nous pensons Renan, parce que cette me tendre, ironique, fuyante, s'est expres-sment leve contre l'ide de faire tenir dans le Tout ou Rien existentiel le problme reli-gieux. Cf. Drames philosophques, p. 78 : < Tout ce qui est idal non substantiel n'existepas pour le peuple. Quand i1 dit: ceci n'existe pas, tout est fini. Je tremble pour lejour ocette terrible faon de raisonner touchera Dieu. >

    2. < Puis donc qu'on ne peut se passer de I'infini, et qu'il ne peut non plus exister ausens plein, il faut lui reconnatre une existence infrieure l'existence pleine, et cependantdistincte du nant. Ce mode intermdiaire d'existence qu'Aristote reconnat d'une maniregnrale et dont la solution du problme de l'infini n'est qu'une application particulire,c'est la puissance > (Hamelin, Systme d'Aristote, p. 28\.

    3. V. sur la notion d'mergence, en rapport avec l'ide de dveloppement: Newman;avec les degrs de ralit : Bradley ; d'un point de vue raliste : Whitehead, Hobhouse,Broad. Songer l'< volution mergente > de Lloyd Morgan ; et son rle dans la cons-truction de I'univers selon Alexander. D'un point de vue biologique et psychologiqueexprimental, consulter p. ex. les documents qu'on trouvera runis dans I'Anne psycholo-gique, p. ex., 1926, n" 576 sq. ; 1931, no' 269 sq.; etc. ; tudes de Coghill, Carmichael,Shephard et Breed sur la maturation des schmes de compofiemenl (maturing behaviourpatterns) et sur leur mergence successive et spontane divers stades de dveloppement.-

    Bergson a employ la notion de maturation (cf. Evol. cr., p.3l).

    Les modes intensifs d'existence

    Soit. Mais n'y a-t-il pas l une cote mal taille, une idetrouble voquant la fois, dans un statut btard, deux idesentre lesquelles il faudrait savoir choisir ? C'est d'une part, l'idede genres diffrents d'existence

    - le possible, I'en-puissance, le

    prt merger tant ct de l'actuel, du rel, et comme vus entransparence travers lui dans un autre ordre de ralit. C'estd'autre part l'ide d'une sorte d'existence faible, balbutie en des-sous du seuil intgre de l'trel.

    La vrit est qu'il y a, c'est certain, quelque chose d'implexedans ces ides de possibilit, de futurit prte l'mergence, dontse contamine facilement le problme des degrs d'existence. Maisce n'est point dire que celui-ci soit un faux problme. La diffi-cult est de bien voir sur quel juste terrain il se pose, et dedblayer ce terrain de toutes sortes de vgtations parasites. Poury parvenir, il faut suivre le mouvement dialectique qui l'engendre partir d'une affirmation existentielle.

    Aussi bien, jusqu'ici, en opposant les deux thses extrmesqui s'y affrontent, nous avons trouv surtout deux attitudesspontanes de pense, qu'on peut rfrer l'opposition chre James des esprits durs et des esprits tendres. Nous sommesencore dans le domaine de I'opinion, de la doxa.

    ***

    $ 20. Je pense, j'existe. Cela peut tre donn d'un coup,comme indissoluble et tout fait. Mais ds que l'existence se dis-tingue tant soit peu de la pense, qui lui sert de preuve et detmoignage, la possibilit du doute et la ncessit de modulationsintensives s'introduisent avec f ide de mesure : j'existe dans lamesure o je pense.

    l. On sait que la critique bergsonienne de l'ide de possible (La Pense et Ie mouvant,p. 115 sq.) outre f ide d'une non-impossibilit pratique, sur laquelle nous reviendrons

    -

    consiste surtout y montrer une illusion venant du rejet sur le pass d'un prsent djfait, et qui alors apparat rtrospectivement comme ayant t antrieurement possible,puisque elfectivement advenu. Spinoza avait prsent I'ide du possible comme relative notre ignorance de la dtermination des causes produire ou non une chose (v. Ethique,d. Appuhn, p.93,427 et 447). Comme tude rcente mettant l'ide de possible surtout enrapport avec la pluralit des genres d'existence, v. dans le vol. XVII (Possibility) des Uni-versity of California PublicaTions in Philosophy, particulirement l'tude de G. P. Adams.

    -

    Sur ce qu'il peut y avoir de positil dans l'ide de possible, sans que cela en fasse pourtantun vritable mode d'existence, v. plus bas $ 60.

  • 9594 Les dffirents modes d'existence

    Descartes hsite. S'il prend, sans dfrer I'attitude rflexive,la pense et I'existence comme donnes ensemble fie suis, jepense, je suis pensant ; c'est tout un), I'existence lui parat suffi-sante, et le problme mme du tout ou rien ne se pose pas : letout est seul donn. Je suis dans l'existence, initialement et com-pltement. Puis-je mme concevoir mon nant ? En fait, aucuneffort n'a t fait pour cela. Le Cogito n'est pas une vrit qui sertablit, qui s'instaure, aprs un instant tragique de totale disso-lution dans le doute universel. Il n'a pas t compromis, mmepar I'hypothse du malin gnie. C'est une vrit qu'on trouvesubsistante, seule inatteinte par le doute. Un pilier de marbreintact aprs I'incendie ; non une colonne construire.

    La conception corrlative du nant et de I'existence intgrale,et mon statut intermdiaire entre les deux, viennent de larflexion sur les rapports de I'existence et de la pense, rflexionqui spare les deux termes en saisissant leur rapport. Je suis pen-sant. Mais que suis-je ? Qu'est-ce Je ? C'est une chose qui pense.Et qu'est-ce que penser ? Car ce Je n'existe, pensant, que si c'estici une vraie pense.

    Du coup, mon existence n'est plus absolue ; elle est rfre autre choser. L'essence de Ia pense devient I'origine d'une abs-cisse, son existence complte celle d'une ordonne. Autant mapense actuelle est loigne de la perfection absolue de la pense,autant je suis loign de la perfection absolue de I'existence. L'unest fonction de l'autre.

    D'o toute une construction. L'existence se mesure. Elle ason zro et son infini ; et j'y occupe une position. C'est une gran-deur, et une grandeur mesurable.

    Mesurable ? assurment cela manque de prcision. Quesignifie au juste cette distance de ma pense l'archtype ?S'agit-il d'une diffrence de nature, ou de valeur ? S'agit-ild'une ressemblance plus ou moins grande ? Et cet archtypemme est-il un talon abstrait, notionnel , une pure essence de lapense ; ou s'agit-il d'une autre pense, servant de type ; pense

    1 . Il y a accord sur ce point entre le cartsianisme et la thse phnomnologique-exis-tentialiste brivement rappele plus haut ($ 15) : insparabilit du prdicat et de la copuledans les jugements de subsomption. tre homme, c'est exister dans la mesure ou I'on estvraiment homme. A rapprocher de la thorie thomiste de Ia veritas in essentlo.

    Les modes intensifs d'existence

    substantiellement diffrente de la mienne, mais galementactuelle ? Ou enfin, s'agit-il d'autres moments de ma pense,compare elle-mme en ses instants divers, plus ou moins luci-des, plus ou moins achevs ? Enfin, cette double distance de moi I'archtype de la pense et de moi l'existence complterpond-elle deux ordres distincts de faits, ou s'agit-il d'un seulet mme fait, considr sous deux points de vue diffrents ?

    Autant de questions auxquelles on peut rpondre diverse-ment ; auxquelles historiquement on a diversement rpondu.Lorsque Kant reprend la question, lorsque, dans son importantediscussion dr Phdon de Mendelssohn, il introduit cette ide :pour un tre conscient, les degrs de conscience impliquent desdegrs d'existence ; il conoit ces degrs de conscience commeintrospectivement saisissables par I'observation. L'loignement dela pense sa perfection est conu sur la base d'une comparaisonentre les divers moments d'une mme pense, entre les divers tatsde lucidit d'une mme monade. Lorsque l'existentialisme phno-mnologique rfre cette distance celle d'une pense mondainepar rapport une pense transcendantale, il s'agit d'un archtypeinactuel, situ dans un autre genre d'existence que ce qui s'y ta-lonne, bien qu'il n'en soit pas substantiellement distinct.

    Mais Descartes lui-mme avail pris parti. Pour lui, I'archtypeest transcendant, mais substantiel et actuel. C'est Dieu qui sert determe de rfrence. Quant ma distance lui, elle est question deressemblance. Par ma volont je suis fait son image, et vraimentson gal ; par mon intelligence, I'image est imparfaite. Il y a desdegrs de ressemblance. Ma ressemblance intellectuelle Dieu est la fois positive et mdiocre. Corrlativement, entre le zro etI'infini de l'existence, ma situation est intermdiaire. Elle est fonc-tion de cette ressemblance imparfaite, et se mesure elle. Toute-fois, bien que ma distance Dieu et ma distance l'tre soient dis-tinctes en raison, en tant que I'une mesure l'autre, d'autresgards elles reprsentent un seul et mme fait, puisque c'est parDieu que j'ail'tre, et que j'en suis substantiellement dpendant'.

    l. < Lorsque je considre que je doute, c'est--dire que je suis une chose incomplteet dpendante, l'ide d'un tre complet et indpendant, c'est--dire de Dieu, se prsente mon esprit... Je suis comme un milieu entre Dieu et le nant... Si je me considre commeparticipant en quelque sorte du nant ou du non-tre, c'est--dire en tnt que je ne suis

  • 9796 Les dffirents modes d'existence

    Le dernier point rintgre certains gards le degr d'exrs-tence au sujet mme, en tant qu'il trouve en lui un certain degrd'asit, une puissance forte ou faible de se soutenir dans l'tre etd'exister en soi et par soi. Mais Descartes nie en somme cetteasit, et pose que je n'ai par moi-mme aucune puissance de mesoutenir. On peut donc, au moins provisoirement, faire abstrac-tion de ce point de vue immanentiste entrouvert et aussittreferm et considrer les deux distances, chez Descartes, commesi elles taient deux ordres distincts de faits.

    $ 21. Qu'en rsulte-t-il?Une chose bien importante.On peut se demander en effet si Descartes ne dpasse pas

    pour ainsi dire le but; si, dans la construction o il s'arrte, sub-sistent encore vraiment des degrs intensifs d'existence.

    Les degrs de ressemblance avec Dieu s'apparentent cettegrande vision du monde en degrs hirarchiques qui appartientgnralement au courant platonicien, et qui reste en son fondbien distincte de I'ide d'un monde en degrs d'existence. ChezBasilide, ne de Gaza, saint Augustin, Origne, Denys 1'Aro-pagite (cf. plus haut $ 15) nous trouvons de mme un monde parchelons, avec des degrs d'loignement par rapport Dieu. Parexemple cet loignement se marquera par une diminution pro-gressive des effets de la bont divine (Bonum sui diffusivum),rsultat de sa justice distributive'.

    Le bien et le mal seront ainsi quantitativement rpartis, etchaque crature en participera plus ou moins, en recevra une part

    pas moimme le souverain tre... je me trouve expos une infinit de manquements >Descartes, Mditations, IV, 1-3. Voir aussi Rponses aux premires objections. L'interpr-tation de cette participation comme constituant effectivement des < degrs de ralit > estformellement affirme dans Rp. aux secondes obj., ax. IV et VI.

    Il est intressant de rapprocher de tout cela les ides exprimes par Pascal dans lefragment des Deux lnfnis (Penses, d. Brunschvicg, n' 72). Pascal y prsente le< milieu > entre l'tre et le nant comme nous tant < chu en partage >. Le rang de f in-telligence dans l'ordre des choses y est spcifi par < le rang de notre corps dans l'tenduede la nature >. Et pour celui-ci, le nant est la limite de l'infiniment petit, l'tre est l'inhnien grandeur. La ncessit de considrer ces rapports comme existentiels est nettementaffirme. < Le peu que nous avons d'tre nous drobe la connaissance des premiers prin-cipes, qui naissent du nant. > Mais l'infini d'en haut quivaut pour nous un nant, lesextrmes tant vis--vis de nous dans une mme situation : < Nous ne sommes point leur gard. > En Dieu seul se retrouvent et se runissent les deux extrmits.

    1. Denys Ar., De div. nom.,lY,20.

    Les modes intensifs d'existence

    valuable. Corrlativement, l'tre et le non-tre leur seront quan-titativement mesurs et doss. Tel l'chanson mesure le vin etl'eau dans le cratre ; tel le potier mesure le sable et l'argile pourfaire sa pte ; tel le Dmiurge mesurera chacun la part d'tre etde non-tre qui lui revient. Recette (si l'on ose dire) pour unepierre : trois quarts de non-tre, un quart d'tre. Pour un buf :half and half. Pour un homme, un quart de non-tre, trois quartsd'tre. Homo duplex. Une double nature lui est impartie, en justeproportion. Cela n'a rien d'intensif, cela est purement du domainede la quantit arithmtique et partant extensive. Le non-tre, ici,c'est bien toujours, selon la vraie tradition platonicienne, I'Autre.La quantit de non-tre qu'enferme la nature humaine, c'est laquantit d'Autre qu'il renferme. Au lieu de mettre d'abord en pr-sence le tout et le zro, puis d'engendrer l'homme en raison pro-portionnelle, on peut bien se placer d'abord en face de l'homme,comme le feront Nmsius, et puis Pascal, et le soupeser en tre.S'il parat vide et creux, peu dense en tre, c'est qu'on ne consi-dre momentanment que ce qu'il contient d'tre. Mais la raisonest toujours proportionnelle. Elle fait I'homme avec du mme etde l'autre, qui I'un et l'autre contribuent sa nature, la plni-tude totale accomplie par les deux principes.

    Descartes, dans le texte cit plus haut, s'exprime bien seloncette forme de pense. Et dans la mesure o, algbriste et go-mtre, il pense un peu autrement, dans la mesure o il conoitplutt la situation humaine entre l'tre et le nant comme unedistance sur un axe, cette valuation, pour tre gomtrique, n'enreste pas moins du domaine de la quantit extensive.

    22.8t tout cela, qu'on ne I'oublie pas, reste valable pour lesconceptions kantiennes, husserliennes ou heideggriennes, entant qu'elles valuent les degrs d'existence de l'tre conscient, del'tre pensant ou de l'tre humain comme des distances par rap-port une conscience lucide, ou une essence de pense, ou unaccomplissement des intentions ; et partant, qu'elles conoiventla distance de l'tre qui s'interroge et de l'tre pleinement exis-tant comme un loignement de lui par rapport lui-mme; loi-gnement mtaphysique, gnosologique ou mme simplementtemporel. Combien de temps me faut-il, ou quelles dmarchesdois-je faire, et quelles apories dialectiques dpasser, pour metrouver et m'instaurer moi-mme dans mon existence plnire ?

  • 9998 Les dffirents modes d'existence

    Les trois degrs que doit franchir l'homme, selon Maine deBiran (le passage de l'existence biologique l'existence psy-chique, puis, l'existence spirituelle) sont un passage par troisplans, par trois grades existentiels qui sont la fois trois genresd'existence, et trois degrs hirarchiques ; pour un hglien, ceseront trois moments dialectiques. Mais aucun n'est en soi plusou moins rel qu'un autre. Et f intensit d'existence n'apparatpour ainsi dire que comme un effet de perspective, comme l'loi-gnement d'un tre, donn dans un statut d'existence, par rapportau mme tre dans un autre statut d'existence, auquel on lerfre. loignement soit qualitatif (c'est une perspectivearienne), soit quantitatif et mme mesurable ; nombrable par lesmoments dialectiques ou les genres diffrents d'existence tra-verser pour I'atteindre.

    ***

    $ 23. Nous venons d'tre mis, par cette analyse, en prsencede faits dont la porte est difficilement rcusable. Le plus sou-vent, sinon toujours, les thories philosophiques qui font appa-ratre des degrs intensifs d'existence ne les trouvent pas imma-nents une existence considre en elle-mme. Ils les font sortird'un effet de perspective qui les situent entre des modes diff-rents. Ils sont relatifs, non l'existence pure (en un genre donn)mais l'ordre, del'existence compare. Ils sont au-del de l'exis-tence pure, pour laquelle l'instance latique reste valable. Ilssont dans l'intervalle entre deux plans ou modes d'existence.C'est mme exactement le passage de l'un I'autre qui les faitapparatre. Pris chacun part, ou dans leur rapport statique, cequi s'actualisait comme intensif dans l'tape dynamique peut sersoudre en considrations extensives.

    Car si les deux genres compars entre eux peuvent finalementapparatre comme pleinement rels, l'tape de passage, le lientransitif est rel aussi ; et se manifeste par l'exprience positive deI'intensit existentielle.

    $ 24. On hsite pourtant annuler, pour ainsi dire, tout para-mtre d'intensit dans un seul mode d'existence ; refuser uneexistence pure toute possibilit de plus ou de moins. Faut-ilaccepter intgralement dans ce domaine f instance latique ? Et

    Les modes intensifs d'existence

    si oui, d'o viendrait une telle diffrence de traitement entrel'existence pure et l'existence compare ? L'une des deux mrite-rait-elle plus ou moins que l'autre le nom d'existence ? Problmes creuser.

    $ 25. Toutefois, une ressource s'offre encore, et dont il faut direau moins un mot, pour donner consistance I'intensit modalepure : c'est la thse du peuplement ontique de l'intervallel.

    Entre moi et Dieu, la distance serait concrte et substantielle,non par le nombre des nuits d'ascse et de purification, mais parla ralit d'une < hirarchie cleste )), par la prsence, en chaquedegr, d'tres spirituels ou mystiques qui en seraient les para-digmes (thse leibnizienne). Entre moi et la cellule originelle,au-del de laquelle il n'y aurait plus que nant biologique, unesrie positive de vivants me soutient, et donne plnitude etconsistance I'intervalle qui me spare du nant (thse biolo-gique et volutionniste)2.

    Positions historiquement considrables, mais qui, il est peine besoin de le dire, ne modifient en rien les positions djacquises. Illustrer, concrtiser des degrs perspectifs et des inter-

    1. On sait que L. Lavelle a fortement insist (cf. notamment L'Acte pur, p. 200 sq.) surcette notion d'intervalle. Nous insistons, quant nous, sur l'impossibilit de le concevoirautrement que comme intervalle mtaphysique entre deux modes d'existence. PourM. Lavelle, < I'intervalle absolu serait I'intervalle mme qui spara le nant de l'tre >(ibid., p. 202). Mais, si ce qui prcde est vrai, il n'y a d'intervalle entre l'tre et le nant quedans ces constructions qui mettent en jeu le mme et l'autre, en tant que modes d'existence.

    On sait d'autre part l'effort fait par Heidegger pour existentialiser le nant(cf . Qu'est-ce que la mtaphysique ?, trad. Corbin, p. 27): L'angoisse en est la rvlation. Tout cela est intres-sant comparer, dans la littrature flranaise, avec les prcises propositions du pote dunant, Leconte de Lisle:

    < L'angoisse du nant te remplira le cur...... Ce qui n'est plus n'est tel que pour avor t,Et le nant final des tres et des chosesEst I'unique raison de leur ralit... >, etc.

    2. Remarquer la tendance des divers esprits considrer comme plus rel soit l'inter-valle d'en dessous soit I'intervalle d'en dessus (et aussi, par contamination, le pass etl'avenir) selon le genre de ralit attribu aux tres qui en lont le peuplement etI'Erfiillung. Consulter les pages importantes de Bergson (vol. cr., p. 350-354) sur ces phi-losophes grecs pour qui toute position de ralit implique la ralit des degrs inlrieurs(ou antrieurs). Comparer ces pages avec la curieuse discussion de H. G. Wells (Dcou-verte de I'ayenir, confr. la Royal Institution, avr. 1902) sur la ralit des tres du futur.Rapprocher cela du problrne des rapports existentiels du grand et du petit, voqu plusbas ($ 9s).

  • 100 Les diffrents modes d'existence

    valles thortiques par la considration des tres concrets (imagi-naires ou rels) qui leur servent de paradigmes, c'est encore pas-ser d'un mode un autre ; c'est substituer mon intensit propreune sorte d'chelle extrieure, un escalier aux marches duquelsigent, anges ou animaux, des cratures d'un statut existentielabsolument diffrent de celui qui me fait, moi, pleinement ou demi existant. Ce n'est pas mon existence propre, c'est celle deces tres que je mets alors en discussion, et qui prte illusoire-ment sa consistance la mienne. Il y a toujours circuit de lapense travers d'autres modes, d'un caractre ici purementexemplaire.

    $ 26. Il faudrait donc, pour prouver vritablement l'intrin-sque de cette plnitude existentielle au sein d'un seul moded'existence, arriver se dbarrasser dfinitivement de tous cessystmes de rfrence, de tous ces circuits par d'autres plans. 11faudrait se mettre en face ou au sein de I'existence spcifiqued'un tant ; l'prouver pour savoir jusqu' quel point, dans cestatut isol, elle se soutient elle-mme et se manifeste intensive.

    Mais ce n'est pas sans une assez difficile ascse de pense quenous pouvons raliser cette puret existentielle.

    Le Cogito lui-mme, disions-nous tout I'heure, n'y est pasparvenu, n'ayant pas ralis un vritable motif de doute existen-tiel. Il faudrait plutt se mettre dans la perspective ouverte parG. Bruno lorsqu'il parle de l'oscillation d'un tre entre son maxi-mum et son minimum. Mais c'est l tout le problme : commentle mode moyen pris comme point de dpart sera-t-il assur den'tre pas un donn pleinement ralis ; comment sentira-t-ondes oscillations relles autour de ce mdium ? Il faudrait lesprendre dans un doute rel de I'homme sur sa propre existence,doute fond sur I'examen direct de celle-ci ; sur une interrogationsi tremblante, si vraiment pntre de perplexit, que posant laquestion : suis-je ? elle accepte la possibilit de rpondre non.

    Insistons. I1 ne faut pas soumettre la question : suis-je ; laquestion : que suis-je ? Il ne faut pas que la rponse : je ne suispas, ou, je suis peine ; signifie : je ne suis pas moi-mme ; oubien : ce n'est pas moi qui suis, mais quelque chose est, et je nefais qu'y participer. C'est Dieu, par exemple qui est ; ou (trans-position du lch denke au ,Es denkt in mir) c'est le Denken qui est.Il faut que la rponse : non ; ou : peine ; signifie : il n'y a, l o

    Les modes intensifs d'existence

    je regarde, l o j'prouve l'existence, que peu ou pas du toutd'existence. Ailleurs et pour autre chose, il n'importe.

    Pour bien concevoir cette interrogation terrible, mettant vrai-ment en question l'existence, faudra-t-il voquer le mourant, surun champ de bataille, reprenant un instant conscience et sedemandant si vraiment il existe ? Tolstoi a t hante, littraire-ment, par cette donne. Mais ou bien elle est trop littraire, oubien indicible et par trop tragique en sa ralit. Nous prfreronsemprunter au folklore une affabulation quelconque et pluscommode.

    27. .

    Le voici nouveau existant ; et, par exemple, marchant surune route, au bord de la mer, au crpuscule. Il est comme unhomme sortant d'amnsie. Il a de vagues souvenirs, commed'une existence antrieure. Exist-je vraiment ? Il se pose la ques-tion : o suis-je ? Comment suis-je ? Ces questions, ne peut-onles renvoyer plus tard? Tout cela se clarifiera, s'ordonnera, seconsolidera. Mais voici des indices. Ce chemin creux. Cela mnequelque part... Pressentimentsl.

    Ceci serait-il un songe ? question mal pose. Si c'tait unsonge, il y aurait quelque part un homme dans un lit, et dor-mant. Il me semble, dit-il, que je suis un homme qui marche'Sable o mes pieds peinent. Lueurs l'horizon. Vent hagard ettide. C'est l'arbitraire de cette donne qui met en droute monesprit, et qui pourtant me confrme, m'empche de croire aunant... I1 y a quelque chose. Un monde peine dtermin parquelques indices, imparfaits et prcaires. Je ne suis pas compris,pour m'y consolider, dans quelque ensemble norme et indubi-table, que je sache et qui rponde pour moi. Il faut que jerponde moi seul, si faible et dpouill que je me sente, pour cemonde poser, peu peu, autour de moi. Et en moi, qu'y a-t-il ?Cet amour, ce dsir de vengeance. Une mission. J'ai t envoyici pour quelque chose. Je suis un homme qui va vers quelque

    1. Naturellement, le lecteur gn par la fantasmagorie peut supposer qu'il s'agit enra1it d'un amnsique. Mais si celui-ci se pose rellement ainsi son problme. cela revientau mme et ce que nous cherchons : la question est pose sous les espces concrtes d'undoute rel.

    101

    fi'

  • iltr02 Les dffirents modes d'existence

    uvre accomplir....Je_suis, en tant que cet Envoy. Je suis ins_trument dans la main d,un Dieu, qui m'a accord Ia vie en medonnant mission; mais ce Dieu'aussi avait besoin e moi _ ilavait besoin d'un tel Envoy. Je le suis, si je trouve Ln

    -oi, ,urn-samment forte, la volont qui lgitime ma prsence ici, maichantvers une maison que j'aperois, que je devais apercevoir...

    Ne poursuivons pas trop longuemnt la fable. f-ugin"r, ,ui_vant la lgende, le fantme danJ la maison, urrirtunl Inuiribt. u.,repas de la femme et du petit enfant de I'autre, ,.niuni, a

    ".spectacle, peu peu fondre en lui et s'anantir l; dsi;-J. u"n-geance et s'vanouissant lui-mme, au chant du coq, mesureque s'vanouit en lui ce dsir de vengeance qui tait sa raisond'tre la fois et son tre..

    $ 28. Pourquoi raconter cette histoire de fantme ? parce quechacun de nous est, plus^ou moins, ds qu'il r'i"tiiog. iiirurr-ment sutr, son tre, ce fantme. parce que lui aussl, au lieu,comme de coutume, de se_ sentir compris et embarqu Jun, ,r'monde qui rpond pour lui et le soutient, qui f"ilnt.Jit O.poser la question suis-je, ne vient se poser cette question quepour quelque raison. Et laquelle ? c'est qrr'un instani iL a acceptde rpondre pour le mond, au lieu gue'le *;";;;;o.0. po.,.lui. Et aussitt ses forces dfaillent. tl un naufrag a o;aoro etlongtemps nag, rageusemnt, tranquillem""t, Jtru, ".ffort,rythmiques de ses bras.et de ses jamtes, par instint, pui

    "rrt.uinement, parce qu il tait pris et soutenu par r'ran et l ralit dela catastrophe. Et puis, tout coup, se rend compte qu,il estseul, dans le vaste o9.1n, la nage. bu coup il perd toiies sesforces, au moment o il prend con"science ; et ne peut que se lais-ser coulerr.

    L est tout le drame ; dans ce renversement du point de vue,toujours possible en droit, toujours effectuable en fait, tl torrtl:=oment, II ne s'agit pas de l,homme dans le monde (vitons delancer re lecteur sur une fausse piste) ou hors du monde. Il ne

    l Notons ici un point dont l'importance se vrifiera par la suite : c'est qu,une partiede ce sentimenr de vacillement, de dirninutior a. iti.., tient precisement- i. lp""il"-ment, cette rduction un genre d'existence. Nous ie retrouverons, ce sentiment, tantchaque mode d'tre, rduit ie qu"il est intrinsquement, apparat tnu et rragile. pourqui s'est habitu surtout ra considration a. "opr.*es d,existence; d,tres tablis lafois dans plusieurs modes, s'y correspondant .il.ri.r.-Ufunt en soi_

    Les modes intensifs d'existence 103

    s'agit pas non plus de l'objectif ou du subjectif, de l'idalisme oudu ralisme. Ce ne sont l que des aspects partiels ou technique-ment spciaux du problme gnral et fondamental. Il s'agit(pour parler comme les scolastiques) de l'asit ou de l'abalitcomme de deux genres d'existence : tre en soi et par soi, ou treen et par quelque autre chose. Dans ce rapport du mme et deI'autre, qu'on peut discerner en tout tre et que je peux discerneren moi-mme, la responsabilit existentielle peut tre porte soitpar I'un soit par ['autre, et se reporter toute d'un ct ou del'autre, changeant l'quilibre de l'tre.

    Cet autre, quel est-il? Avec I'asit, il s'agit d'existencepropre, indpendante, absolue en son mode ; avec I'abalit,d'existence rfere.

    Notre fantme de tout l'heure existait en tant que mission-naire d'une mission de vengeance, en tant qu'envoy. Tel hommese sentira constitu existentiellement et consolid par un appel,une vocation. Envoy d'un Dieu, ce Dieu rpond pour lui, cer-tains gards ; ou encore, c'est le monde qui rpond pour lui, lemonde sur lequel il se sent appel donner tmoignage. Maisqui nous assure que Dieu rpond pour nous ? Qui rpondra pourlui, affirmant que je n'usurpe point cette mission, et qu'il laconfirme ? N'est-il pas vrai qu'au fond, il restera toujours quec'est moi, certains gards, et moi seul qu'il est donn, enm'interrogeant sur moi-mme, de sentir si je rponds pour Dieuou Dieu pour moi'. Rpondre pour Dieu, ou rpondre Dieu ?Je rponds Dieu, si je rponds I'appel et la vocation dudehors par une vocation du dedans, par une ralit intrieure dela vocation. Et si j'y rponds mal et faiblement, Dieu d'autrepart cesse de rpondre pour moi, pour mon existence. Il m'aban-donne, et le fantme nouveau se dissipe, parce qu'en tantqu'instrument, il n'est qu'un mauvais et faible instrument. S'iltrahit tout fait, il s'anantit tout fait, en tant qu'il n'tait quecela.

    1. Penser au problrne de la prire. Cf. p. ex. Mngoz: d'un certain point de vue, lecroyant se suspend Dieu par la prire ; il croit en Dieu. D'un autre point de vue, il posele divin par sa prire; il croit Dieu. De mme pour l'intentionnalit husserlienne. D'uncertain point de vue, l'intentionnalit d'une pense rlre cette pense son transcendant,l'intention acheve. D'un autre point de vue, cette pense pose et contient l'intention,comme immanente I'acte de penser.

    t

  • 104 Les dffirents modes d'existence

    Mais d'autre part, je rponds pour Dieu, ou pour le monde,ou pour l'objet de ma pense, en tant que Dieu avait besoin demoi, pour cette mission ; en tant qu'il avait besoin d'un fort etnon d'un faible en cela ; en tant qu'il est en moi de le dcevoir,ou non, par cette force ou cette faiblesse personnelle. Et ramenainsi moi-mme, je n'ai que moi pour me soutenir. Est-ceassez ? En tout cas, il faut que cela seul y subvienne

    - cela qui

    est ici, peu importe que je l'appelle ou non moi ; - que cela ysubvienne tant bien que mal ; ou rien n'y subviendra.

    Assurment, sous le premier aspect, j'tais la fois jug etsoutenu. Mais cela ne me dispensait pas du terrible pouvoir derenverser la question, de me considrer comme faisant moi seulma quiddit propre, et certains gards de supporter, de sou-tenir Dieu en tant que Dieu a besoin de moi. Par moi-mme,suis-je de force supporter ma mission ? En tant que rfr maraison d'tre, j'tais faible, compar l'accomplissement, laperfection en soi de cette raison par rapport laquelle je suisjug. En tant que je pse ma force

    - la force avec laquelle je

    rponds cette raison -

    suis-je fort o faible ? A la fois l'un etl'autre. J'ai cette force. Est-elle vraiment force ou faiblesse ? Quile dira ? Cela mme a-t-il un sens ? Je suis cette force telle qu'elleest, elle-mme en elle-mme.

    M'assurerai-je d'tre sur I'intensit de ma joie ou de ma dou-leur ? J'ai cette douleur ; elle m'assure d'tre. Je puis (comme cefou de Cardan) me dlecter me faire souffrir pour m'assurerd'tre. J'existe ; je le sais par ma poignante douleur. O vosomnes qui transitis per viam, attendite et videte si est dolor sicutdolor meus /

    - Insens, enfant, qu'appelles-tu douleur ? Que

    viens-tu nous montrer tes souffrances puriles ? As-tu perdu desenfants bien-aims, et refuses-tu toute consolation, commeRachel ou comme Niob ? As-tu vu s'vanouir toute esprance,et se dfaire tout ton orgueil ? As-tu vu renverser Jrusalempour toujours ? Pleures-tu, comme Jsus au Jardin des Oliviers,les larmes de toute l'humanit, et pour toute humanit ? Tadouleur sera toujours faible, si tu la compares la Douleurmme, au terme et l'essence mme de toute douleur. Oui,mais cette douleur est la mienne, elle est, pour moi et en cetinstant, toute la souffrance. Qui sera douleur, si ceci n'en estpas une ? Ne rend-je pas, tmoignage pour la douleur mme,

    Les mocles intensifs d'existence 105

    ensonessence,sifaiblesoitlamienne?Neserait-ceiciqu'un;il*ti; '."1"t, il est, avec sa force ou sa faiblesse ; et sa forceot iu faiblesse rsident en lui, et le constituent'

    ***

    $ 29. Nous en savons peut-tre assez pour rpondre' et dfini-tivernent cette fois, la question pose'- U; douleur relle, rfre l'essence de la douleuf, sera tou-iours faible. Mais considre elle-mme en elle-mme' aprs cei;l;;;'.*iii."ti.t, encore relatif, qui lui vient de ce dtache-*..rt . l,autre, de sa'rduction elle-mme ; sa force ou sa fai-tl.rrc intrinsques deviennent constitutives. Elles ne sont plusforce ou faiblesse d;existence, elles sont force ou faiblesse exis-i;;i;r, t--i'interieur d'une. existence qu'elles. accomplissent ou"urfont Dour

    ce qu'elle est. titre d'lments intgrants ou ana-il;i;;'o

    ".ti. .iirt.rr"., elles ne divisent pas l'existence, qui ne

    ;;it.-q". . leur assemblement dans une mme prsence.Lt*l.t.nt. ce n'est pas analysable' Ce qui parat

    -lments deIt"irt.r"., appelons-le d'un autre nom. AppelonsJe, parexemple, ralit. L,

    --^ -SiO. L-bas, I'horizon, se propose une vapeurtnue' rose p.ii. r"r i.-ciet Uteute du'soir. Fut-il y vgil l'existence faible

    t- rroug. ros, ou l'existence d'un nuage-faiblement r.os?C'est, ,.t turqoons-le, tout le problm de la perception' Soit

    un arbr, vu tiavers le brouillard, ou un paysage travers unevitre embue, ou des lunettes mal appropries' < Quoi donc !s,crie assez naTvement Cournotr, on inierpose entre notre il eti"r-oi"tt uiribl.r, selon I'excellente compraison de Bacon' desu.rt'q"i tordeni ls lignes, dforment lei images ; et ce q,i tait;i;rl julier, bien oronn, devient embrouill et confus : en"i iit.tposition des verres peut-elle rappeler une participa-tion au nant ? > videmment, ii nous nous donnons dans une"ri"i. "bjective l,arbre, notre rtine et le verre, nulle

    interven-ilorr, O'unr lur rapport, d'une existence diminue. C'est notre;;pt a;i, rfrT un vision type, claire et distincte, se met ;;;ii"-ip.i du neant. Et cette partiipation est une chose positive,

    L Considrations, 2" d. L l, P' 260'

  • r06 Les difJrents modes d'existence

    en tant que notre perception confuse ne va pas sans gne, sansapptition d'un opiimum de vision ; sans apper vers 'rrchtype.u$ q son tour, ce percepr cesse de particiier d;;;;l s,il esrpris lui-mme en lui-m-e, comme vue constitutivement floue etindistincte, accompagne 'une ttte appetition. TouJ au ptusdira-t-on que, comme- percept, il n,est pas trs rel, en ce sensqu'il est constitu d'rments

    -u oion"e, .i-o.rr'.rr, .upportmal dfini avec une.intention ou3""1iuu.rte. Donc, trois tableauxou trois donnes:,I'existence_pure du percept lui-mme; exis_tence indcomposable, prendie telle quelle, ;;i;;;; seule_ment scrurer la plus o.T.oin, grande ralit. a"A.f, i" ote O.|archtvpique ou de l'idal, u modJle . *;n*iitinct",dont une autre perception (celle qu on aurait avec des verresappropris) peut servii d'exempre. t .n de, du cotJde'exis-,"":..p4lrique objecrive, les ihores *it

    ", "rfi. , -orrt onpeut d'ailleurs, en ranr.qu'exisranrs physiu"r. ubprJ.i.i leurite(elle sera nulle oour t'{1br.e" pur .i.pr, ,i tfii"r'coriectionslaites il n'rait q'urr. iffurio"i o" Oiiun mirage, etc.). Sans uneanalyse aussi srricte, aulli pousse, ii ",t;;;?;;;;i [i:iOot*de la confusion, et probles

    -u po..r.g 31. Mais revenons notre n,11e. Existence faible d,un nuagerosq disions-nous ; ou existence d,rin nuage faiblemenir.rt fDang^Je premier cas, nous sommes dais le d";;ir.^;-l,exis_tence rfre. compare. Nous voquons typiquement la plni_tude solide et iilumine d'r"-;u;;ffirue er parfair, groire d,unbeau soir, et nous y comparoni ceci qui ,r,e' e;t-;i;;^;;,rr"bauche inchoarive r, q,r'n ,ouprr. u; i;r;;; iu, iir,uettp1e1 de ce. qui esr, et nn d,un .tnetyp. id.i ;;;;sentatif.Mais aussi, ce qui est, est ; et occupe ntirement son existencepure. Si nous_pouvons y discern"r'd., faiblesses, ;;; ;;;qr"_ments et des flous dlicats, tout cela le dtermine'"i iacclmpritp,oul 9e qu'il est. Ce dont je peux pader alors, ";.ri a .",t.tnuit ou de ce flou comm li constituunt urr. n ,ri, r,.ispcialement une < chosalit >) peu ilri;i;; X"m ,e.rmaintenant, il le sera. davantag qiand-' ,. ,.ru

    "on".e't,^.orrro-lid et constiru en rverbr. Jrn"i". e lumire. Mais la modifi-cation de ces condirions de ralit ne ie fera t", ;;;;1". uun-tage. Ne confondons pas facreurs de ralit ( u;it;"; pourchaque mode d'existene) et prtendu; i;r.;;r';.#i;#;

    Les modes intensifs d'existence r07

    Ajoutons que la prcarit et la brivet de certaines existen-ces, vite construites et presque aussitt dtruites (notammentdans I'ordre psychique) donnent facilement l'illusion d'une exis-tence faible ; tandis qu'on accorde aisment un niveau suprieur des existences longues et stables. Et bien tort'.

    $ 32. Il ne serait pas utile d'insister davantage. C'est proposde chaque mode de l'exister que nous aurons considrer sesfacteurs spcifiques de ralit. Il n'est pas non plus propos dediscuter le plus ou moins de convenance de ce vocabulaire. Quecelui-ci, conforme l'usage de certains penseurs, non de tous(rien de plus flottant que l'usage des mots d'existence et de ra-lit)2 serve seulement distinguer le plan des lments intgrantsde cette intgration qui seule constate la possession indivisible deI'existence, nous ne lui demandons pas davantage. Ce qu'il nousfaut, c'est avoir des mots pour bien dcrire ce fait essentiel, objetfoncier de ce point de notre tude : les variations anaphoriquesd'un tre s'levant peu peu vers son maximum de prsence.

    $ 33. Un tas de glaise sur la sellette du sculpteur. Existencerique indiscutable, totale, accomplie. Mais existence nulle del'tre esthtique qui doit clore.

    Chaque pression des mains, des pouces, chaque action del'bauchoir accomplit l'uvre. Ne regardez pas l'bauchoir,rcgardez la statue3. A chaque nouvelle action du dmiurge, lastatue peu peu sort de ses limbes. Elle va vers I'existence

    - vers

    cette existence qui la fin clatera de prsence actuelle, intense etaccomplie. C'est seulement en tant que la masse de terre estdvoue tre cette uvre qu'elle est statue. D'abord faiblementexistante, par son rapport lointain avec I'objet final qui luidonne son me, la statue peu peu se dgage, se forme, existe.

    1. On reviendra sur ces ides, ainsi que sur I'erreur d'attribuer une existence plusforte ce qui est simplement plus grand, plus vaste spatialement, aux $ 53 et 95. Enfincette valeur plus haute qui souvent donne l'illusion d'un exister plus intense sera traite au$ e3.

    2. L'usage que nous en laisons ainsi est du moins assez conforme au vocabulairekantien. Nous aurons I'occasion de revenir sur la diffrence de l'existence et de la ralitpour Mac Taggart. Cf . Nature of Existence,liv. I, chap. I"', sect. 4'. Reality does not admitof degrees ?

    3. Ce n'est pas en vain que Spinoza, lorsqu'il veut apprendre au philosophe la distinc-tion entre deux des qnae re qui se distinguent les uns des autres, dans les cratures,I'envoie < chez quelque statuaire ou sculpteur en bois >> (Cogit. mt., I" p., chap. II in calce).

  • 108 Les dffirents modes d'existence

    Le sculpteur d'abord la pressent seulement, peu peu l'accom-plit par chacune de ces dterminations qu'il donne la glaise.Quand sera-t-elle acheve ? Quand la convergence sera complte,quand la ralit physique de cette chose matrielle et la ralitspirituelle de l'uvre fire se seront rejointes, et conciderontparfaitement ; si bien qu' la fois dans l'existence physique etdans l'existence spirituelle, elle communiera intimement avecelle-mme, l'un tant le miroir lucide de l'autre ; quand la dialec-tique spirituelle de l'uvre d'art imprgnera et informera lamasse de glaise de faon la faire clater I'esprit ; quand laconfiguration physique en la ralit matrielle de la glaise int-grera l'uvre d'art au monde des choses, et lui donnera prsencehic et nunc dans le monde des choses sensibles.

    $ 34. Insistons encore ; car nous sommes la clef mme duproblme, et nous aurons revenir par la suite sur cette impor-tante exprience du mouvement anaphorique, dont le sommet estune prsence existentielle intense, par rapport laquelle des tresou des tats antrieurs ne sont qu'bauche et prparation.

    Instaurer, btir, construire -

    faire un pont, un livre ou unestatue

    - ce n'est pas simplement et bonnement intensifier peu

    peu une existence d'abord faible. C'est apporter pierre sur pierre,crire une page aprs une page... Faire uvre de pense, c'estfaire clore mille ides, et les soumettre des rapports, des pro-portions ; c'est inventer de grands thmes dominateurs, et impo-ser leur matrise aux ides, monstres rebelles qu'il faut redomptersans cesse. C'est aussi choisir, trier, jeter au panier. Et chacun deces actes comporte un jugement, la fois cause, raison et exp-rience de cette anaphore, de chaque moment du rapprochementprogressif de deux modes d'existence. Chaque information nou-velle est la loi d'une tape anaphorique. Chaque gain anapho-rique est la raison d'une information nouvelle propose. Car lasuccession des oprations de la dialectique instaurative comporte chaque tape l'apport d'une dtermination formelle nouvelle.Mais si celle-ci modifie concrtement la masse physique en saralit, elle n'augmente nullement, cela est vident, l'existencephysique de celle-ci. Elle n'augmente non plus nullement I'exis-tence de cet tre purement idal ou virtuel : l'uvre idalementdtermine par l'ensemble des lois de cette dialectique. Et ce quis'ordonne sur le fil de cette progression anaphorique, c'est pour-

    Les modes intensifs d'existence 109

    tant la marche vers une prsence intense, vers cette existencetriomphante que manifestera l'uvre acheve. Mais cette exis-tence croissante est faite, comme on voit, d'une modalit doubleenfin coi'ncidente, dans l'unit d'un seul tre progressivementinvent au cours de ce labeur. Souvent nulle prvision : l'uvreterminale est toujours jusqu' un certain point une nouveaut,une dcouverte, une surprise. C'est donc cela que je cherchais,que j'tais destin faire ! Joie ou dception, rcompense ou ch-timent des essais ou des erreurs, des efforts, des jugements justesou faux. Nullement donc un simple panouissement ou unesimple intensifcation d'existence. Cela, tous les vrais crateurs lesavent bien, qui savent tout ce qu'il y a de jugements, de dci-sions de la volont, de reprises aussi dans cette marche vers l'treterminal, repos et rcompense de la cration. C'est par rapport cet tre terminal, dont I'existence plurimodale est ainsi peu peuralise par I'approche mutuelle de ces deux modes, et n'estrelle, n'est existante qu' la fin (puisque son instauration estinvention), que chaque stade prliminaire, parfaitement rel etexistant en soi, devient bauche et prfiguret.

    Conclusion : cette exprience anaphorique, o nous voyonsen effet variations intensives existentielles, est entirement rela-tive une construction architectonique, o interviennent dansleur relation plusieurs modes purs de l'existence. Elle est dusecond degr par rapport I'existence pure.

    Nous aurons voir ultrieurement si les problmes du seconddegr peuvent tre ramens des problmes d'existence, ou s'ilsne comportent pas ncessairement l'intervention d'une notion desurexistence. En tout cas, au premier degr, o nous trouvonsdes existences pures et spcifiquement diffrentes, nous sommesbien dans le domaine de l'existence, parfaitement prononce. Ellecorrespond cette mise au point d'un tre sur un plan dtermind'existence ; sans laquelle il n'y a pas vritablement existence,nous le vriferons ultrieurement. Et dans ce domaine de l'exis-tence pure, l'instance latique est parfaitement valable.

    L De l parfois ce regret du style de l'bauche, qui peut se traduire par la volont dela considrer comme ceuvre parfaite. De l Rodin ou van Dongen. D'o peut-tre aussi ceregret qu'ont manifest quelques commentateurs de Pascal:l'Apologtique acheve et-elle valu, en intensit et en mordant, les bauches que reprsententles Penses?

  • 111110 Les dffirents modes d'existence

    Et ceci rpond cette difficult : d'o vient qu'il y a lieu detraiter autrement I'existence, enferme dans son premier degr, etles sous-existences ou surexistences qu'on peut supposer au-des-sous ou au-dessus : celles-ci mettent en cause (ce qui dfinit lesecond degr) l'existence plurimodale ; la combinaison complexequi met en rapport diffrents modes distincts d'existence. Lesecond degr suppose et exige le premier, et non inversement. Etc'est ce que nous tenions montrer.

    $ 35. Cette valabilit de l'instance latique explique encoreautre chose : c'est que nous ne saisissions pas l'entre ou la sortiedans I'existence pure. Mais au fond, cela est heureux. Celaimplique que pour un tre, pour nous hommes particulirement,I'effort vers l'intensit de ralit tienne dans les limites de ce quinous concerne, sans qu'il y ait s'attarder sur cette difficult :pour exister, il faut agir, mais pour agir, il faut exister. Lesdieux, comme dit Paul Valry, nous donnent gratuitement le pre-mier vers. C'est ce qui fait la vrit de ce grand fait : tout tre setrouve initialement dans une situation donne, qu'il ne dpendpas de lui de refuser ou d'accepter. Cela est constitutif de l'exis-tence. Mais il reste encore quelque chose faire.

    $ 36. Si tu veux avoir l'tre, dit Mphistophls Homuncu-lus, existe par tes propres forces.

    Soit. Mais on peut aussi exister par la force d'autrui. Il estcertaines choses * pomes, symphonies ou patries

    - qui ne poss-

    dent pas par elles-mmes I'accs l'existence. Il faut quel'homme se dvoue pour qu'elles soient. Et peut-tre en cedvouement peut-il d'autre part trouver une vritable existence.Quoi qu'il en soit, I'exister dsigne et constate ce succs (de l'treou de son soutien) en tant qu'il est atteint.

    Nous aurons nous occuper ultrieurement des problmesrelatifs la rgion o se promeut, au-dessus d'elle-mme l'exis-tence, problmes relatifs au second degr d'existence, et quedomine la question : d'o vient qu'un tre puisse tre le mme etse correspondre travers les diffrents modes d'existence, les dif-frents plans sur lesquels, pour exister, il est ncessaire qu'il soitmis au point et ralis. Actuellement, il nous faut reprer et tu-dier ces diffrents plans, ces diffrents modes d'existence sans les-quels il n'y aurait du tout point d'existence

    - pas plus qu'il n'y

    aurait d'Art pur sans les statues, les tableaux, les symphonies, les

    Les modes intensifs d'existence

    pomes. Car l'art, c'est tous les arts. Et l'existence, c'est chacundes modes d'existence. Chaque mode est soi seul un art d'exis-ter. Et il en va de chacun d'eux comme des diffrents arts dansI'ordre esthtique. Il n'est pas exclu qu'il en soit des synthses (lethtre peut faire collaborer posie, danse et mimique, peinturemme avec le dcor). Les existentiels n'infirmentpas non plus les tentatives de synthse. Mais l'existence pure sesuffit, malgr l'apparence de vacillement et de tnuit o ellenous rduit lorsqu'on s'y rduit. Quant l'exprience mme desvariations intensives, elle atteste inluctablement, en l'impli-quant, la pluralit des modes d'existence.

    .{F

  • Cslpmns III

    Les modes spcifques doexistence

    Section 1: Le phnomne ; la chose ; ontique et identit ; universaux et sin-guliers.

    - Le psychique et le corporel

    - I'imaginaire et le sollicitudinaire

    - le

    possible, le virtuel -

    le problme du noumnal.Section 11: Le problme de la transcendance.

    - Exister et ester.

    - Existence

    en soi et existence pour soi. -

    La transition.Section 111 : Smantmes et morphmes.

    - L'vnement ; le temps, la cause.

    - L'ordre synaptique et la copule.

    - Un tableau exhaustif des modes d'existence

    est-il possible ?

    Section I

    $ 37. Le statut phnomnique est sans doute, de tous les sta-tuts existentiels, le plus obvie, le plus manifeste. Manifeste aussibien en son existence qu'en son essence (qui sont insparables) ilest, peut-tre, le manifeste en soi.

    Il est prsence, clat, donne non repoussable. Il est, et il sedit pour ce qu'il est.

    On peut sans doute travailler l'exorciser de cette irritantequalit de prsence par soi. On peut le dnoncer tnu, labile etfugace. N'est-ce pas l simplement s'avouer drout devant uneexistence pute, d'un seul mode ? On peut postuler .son proposet derrire lui du stable, du subsistant, du suppt. A ce supptc'est lui qui sert d'attestation. Non seulement d'attestation, maisde couronnement, de rcompense. Il est sanction existentielle ; etde toutes la plus souhaite. Une technique du faire-apparatre,telle qu'elle instruit dialectiquement aussi bien I'exprience du

  • tr4 Les dffirents modes d'existence

    physicien que celle du mystique, est un art d'aboucher au phno-mne n'importe quelle ontique. De manifeste, le phnomnedevient alors manifestation ; d'apparence apparition. Mais c'esten se partageant avec son suppt, en lui donnant ce qu'il a d'in-dubitable patuit. Telle est la gnrosit du phnomne.

    S'agit-il mme d'un abouchement, d'une rencontre ? On peutsoutenir que l'existence phnomnique, c'est I'existence enpatuit, I'existence l'tat lucide, splendide ou manifeste. Laprtendue rencontre avec le phnomne serait alors le passagede l'existence obscure, I'existence manifeste

    - un embrase-

    ment, une incandescence spirituelle de l'tre. Et dfions-nousmme du prjug qui tiendrait I'existence obscure pour bathiqueet ncessairement antrieure l'existence lumineuse. N'oublionspas que cet tre obscur n'est qu'infr ; que seul d'entre cesdeux l'tre revtu ou tram de lumire prsentielle (car c'estcela, le phnomne) peut tre considr comme immdiatementincontestable.

    Une telle constatation nous infode-t-elle ce qu'on nommephnomnisme ? Nullement. Qu'il s'agisse de D. Hume ou deRenouvier, phnomnistes ou phnomnalistes' soutiennentqu'en dehors du phnomne il n'y a pas d'existence vritable ouassure. Nous sommes donc fort loin de cela. L'existence du ph-nomne n'exclut pas la possibilit des autres modes. Et d'ailleursest-il une philosophie qui ait jamais dni au phnomne l'exis-tence ? Mme le platonisme tient le < sauver >. Mme M. Mau-rice Blondel, pour qui l'< existence >> n'est , se refuse croire que ( d'un ct setrouve tout le phnomne, de I'autre tout le subsistant >>, et

    L Le mot de phnomniste semble avoir une signihcation surtout existentielle, celuide phnomnaliste une signification critique (v.le Vocab. hisl. et crit., s. v.). R. Bertheloty attribue Renouvier le premier emploi du mot de phnomnisme en franais; mais celane parat pas exact. notre connaissance, ce premier emploi serait de Mrian '. Sur lephnomnisme de D. Hume, tn Mmoires de I'Acad. de Berlin (en franais), 1793. Mriand'ailleurs rpudie le phnomnisme et emprunte pour son usage Lambert le mot de ph-nomnologie. Quant au vrai instigateur du phnomnisme, c'est sans doute Arthur Collierdans sa Clavis (Jniversalis (1713, rirnpression de 1837). Mais il n'emploie pas le mot, etn'a exerc aucune influence srieuse. F. Olgiati, dans son Cartesio (Milan, 1934) fait duphnomnisme une des trois attitudes cardinales de la philosophie; au point de rangerDescartes parmi les phnomnistes

    - simplement parce qu'il ne rentre pas dans les autres

    thses; mode de raisonnement qui appelle des rserves.

    Les modes spcifiques d'existence 115

    nier que

  • tt7116 Les dffirents modes d'existence

    tmoigne contre ce doute. Ainsi son tmoignage appelle et sup-pose ce doute mme. Force en{ln dlivre, tre enfin accompli,c'est sur le fond obscur de toute cette absence qu'il se dtache.Autre jeu de rapports, affectifs et conceptuels ceux-l, qui contri-buent encore son clat comme sa signification. Et, bienentendu, que serait cette signification sans moi pour qui tout celase signifie ? Qui dit spectacle ne dit-il pas spectateur ?

    $ 40. A tout cela, qui n'est pas contester, une seule rponse :oprer effectivement cette rduction existentielle, antithse exactede la rduction phnomnologique, et qui exige, nous l'avons vu(cf. $ 28) un difficile renversement. Que par ailleurs, des glisse-ments existentiels et des attaches morphmatiques conduisent, duphnomne pur, vers d'autres ralits en d'autres modes, c'estune autre question. On peut inversement centrer toute cette sys-tmatique sur le phnomne pur, et s'installer ce centre pour lesentir support et rpondant du reste : c'est l se mettre au pointde vue du phnomne.

    Car la dialectique phnomnologique met entre parenthses lephnomne lui-mme, dans sa prsence relle et son immdiatet,pour conserver et regarder seulement, en I'explicitant et en l'ac-complissant part, en dehors, ce que le phnomne implique etexige d'allant vers autre chose que lui-mmel. Si bien qu'unephnomnologie, en ce sens, c'est o l'on peut le moins chercherle phnomne. The darkest place is under the lamp, comme ditKim.

    Il est vrai qu'on s'embarrasse bien I'esprit en disant : le ph-nomne implique... il appelle..., il suppose... Il n'existe donc pasindpendamment de ce qui l'entoure, I'instruit, tient lui ; etsans lequel il n'existerait pas. Mais c'est l I'effet d'une pensebtarde, o I'on cherche le phnomne tout en en sortant ind-ment. On suppose le phnomne anatomis. Exsangue, on l'en-toure de ses organes. Pour qui le prend dans sa vie, le phno-mne pose l'tat phnomnal ses intentions et autres facteursde ralit. Ses vections d'apptition, ses tendances vers l'autre,

    1. Ceci a t bien mis en vidence, plusieurs reprises, par F. Heinemann. Cf. sonLonard de Vinci, Rev. phq., 1936, II, p. 365-366 ou encore Les problmes et la valeurd'une phnomnologie comnte thorie de la ralit ; te et apparaite, Congr. internat.,193'7, t. X, p. 64 sq.

    Les mode,s spcifiques d'existence

    on peut les suivre en leur rayonnement, tant qu'elles restentencore faites de l'toffe du phnomne. Ainsi le Je est phnom-nique, non en tant qu'il est encore insuffisamment suivi en trans-cendance. mais en tant qu'il y a dans le phnomne quelqueforme du Je. C'est une forme d'got, une signature si l'on veut,mais au sens o le faire et le style intrinsque d'un tableaupeuvent tre appels la signature d'un matre.

    $ 41. Quant la difficult tire du caractre relatif de la sen-sation, elle est encore moins considrable.

    D'abord elle prouve une chose : c'est que la sensation pure(en tant qu'on pourrait I'isoler) ne serait pas phnomnique.Paradoxe apparent, clart relle. La sensation en gnral (prci-sment parce qu'elle est comprise dans la perception) est un trsmauvais exemple du phnomne

    - loin d'en tre le modle et le

    type parflait. Elle n'en est qu'une espce assez impure, o le ph-nomne, engag comme il est dans une construction complexe,est difficile discerner. Il y a aussi phnomne soit dans l'affectifqui en est peut-tre le cas le plus typique, soit dans les exprien-ces les plus abstraites ou les plus indicibles de la pense, loin detout fonctionnement des sens.

    Dans la sensation, le caractre phnomnique est trs intense,mais trs ml. Les sensations sont en quelque sorte le vacarmedu phnomne ; tandis que les nuances innombrables et dlicatesdes essences sentimentales, ou bien les lueurs sombres, les clairsvagues sur fond de tnbres de la pense pure, de la mditationmorale ou philosophique ou mme de l'exprience mystique ensont les notes musicales et les accords.

    $ 42. Tout cela prouve encore qu'il y a quelque navet concevoir le phnomne pur comme tant ncessairement simple-

    un atome qualitatif. Simplicit et puret ne sont pas synony-mes. Le cas du phnomne la fois pur et simple, tel qu'on lecherche dans la sensation pure, est un cas extrme, o il est satis-fait des exigences diffrentes, et qui ne sont pas ncessairementlies.

    Il ne faut mme pas s'attacher trop l'ide du qualitatifcomme dfinissant le phnomne

    - encore qu'en effet le phno-

    mne soit essentiellement qualitatif. Car on risquerait de l'oppo-ser inconsidrment au quantitatif. Or il y a des phnomnes duquantitatif, qui sont si l'on veut le qualitatif du quantitatif.

    *$

  • 118 Les diffrents modes d'existence

    Qu'est-ce qu'avoir le sens du rythme, par exemple, si ce n'estsentir cela ? Et c'est parce que le qualitatif du phnomne n'ex-clut pas le quantitatif, qu'il n'exclut pas la pluralit, avec tout cequ'elle peut comporter d'architectonique. Sentir la qualit propred'un accord musical curieux, en ce qu'il a d'ineffable et d'unique,n'empche nullement d'y sentir ces dlicats rapports et tout cenombre, dont l'difice s'accomplit et s'exprime dans, par, aveccette qualit.

    $ 43. Ainsi donc, quant cet art immanent au phnomne,dont nous parlions tout l'heure et que raniment ces ides d'ac-cord et d'architectonique, il se peut en effet que le phnomne luidoive tout son clat. Mais il le doit, non l'art abstrait qu'onpeut en isoler par comparaison et induction gnralisante, mais l'art concret qui est effectivement et singulirement l'uvredans son existence prsente. Cet art est la loi d'clat du phno-mne, l'me de sa prsence et de sa patuit existentielle. Le dire part, c'est simplement (par quelque abstraction dj), distinguerdans le phnomne existant son existence et son tre ; mais nonle rfrer quelque chose d'autre que lui-mme.

    Si. par exemple, nous songeons moins ces phnomnes dontl'extriorit (comme dans le cas du sensoriel) fait encore impu-ret et difficult ; qu' une phnomnalit intrieure immanenteet intrinsque ; - si nous songeons ce que c'est, pour une meou une personnalit humaine, qu'exister phnomnalement,c'est--dire l'tat lucide, splendide ou clatant (oh, qu'il aclat aux esprits ! dit Pascal), soit pour autrui, soit pour soi-mme ; nous verrons que la possession d'un tel exister revient la pratique effective de cet art qui constitue un tre sur le planmme du lucide et de l'clatant ; non sans cette adresse et cesavoir, non sans cette matrise que supposent la victoire sur lesombres, l'embrasement et l'incandescence intgrale de l'tre, faitsconstitutifs d'un tel mode d'existence.

    $ 44. Si l'orientation gnrale de notre tude I'admettait, onpourrait insister sur quelques points intressants

    - par exemple

    sur le caractre discret et ferm sur soi, stellaire et limit micro-cosmiquement, du phnomne ; sur son rapport avec l'instant (ila des signes locaux, immanents, base de la dtermination du hicet du nunc); sur I'aspect du monde phnomnique (du plrmedes phnomnes : la Mya) comme ensemble de points de lucidit

    I

    I

    Les modes spcifiques d'existence l19

    cosmiques ; sur la prsence du Je dans cet ensemble, simplementcomme signature ou signe personnel de quelques-uns de cespoints, formant eux-mmes, un ensemble ; sur la possibilit dephnomnes communs, marqus la fois de signatures goquesdiverses, donc pouvant appafienir en commun des moi diff-rents, communiant entre eux sous ces espces ; et plus gnrale-ment, sur le fait que les phnomnes s'agencent entre eux, queleur plrme est harmonique. Mais ce dernier aspect soulvealors des questions, relatives leur agencement mdiat, selond'autres entits et d'autres modes de ralit.

    $ 45. Ce qui importe surtout pour I'instant, c'est d'avoirrform des erreurs en suspendant momentanment des habi-tudes. Pour saisir l'existence phnomnique, il faut viter avanttout, redisons-le, de concevoir le phnomne comme phnomnede quelque chose o\ pour quelqu'un. Cela, c'est l'aspect queprend le phnom