Ethique et Réanimation

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Ethique et Réanimation Pierre Charbonneau Réanimation Médicale CHU de Caen

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Ethique et Réanimation

Pierre CharbonneauRéanimation Médicale

CHU de Caen

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Qu’est-ce que l’éthique dans le champ des sciences du vivant ?

• L’éthique n’est ni une science, ni une technique, ni un système de règles institutionnelles comme le droit ou la déontologie.

• C’est une réflexion rationnelle, possible et nécessaire dans l’ordre des valeurs au regard des problèmes que posent les sciences et techniques biologiques et médicales contemporaines.

• Historiquement, le mot ETHIQUE a été appliqué à la Morale sous toutes ses formes, parfois comme science, souvent comme l’art de diriger une conduite. En fait…

• On peut distinguer la Morale de l’Ethique si l’on rattache à la Morale ce qui s’impose comme obligatoire (règle absolue avec une exigence d’universalité) et à l’Ethique ce qui est estimé bon, au cas par cas.

• « L’éthique provient d’un héritage aristotélicien et la morale d’un héritage kantien. » (P.Ricoeur)

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Les grands principes de l’éthique en médecine

• Le principe de bienfaisance

• Le principe de non-malfaisance

• Le principe d’autonomie

• Le principe de justice distributive

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Le principe de bienfaisance

la question peuvent être envisagée selon deux regards:

- Un regard téléologique: la finalité de l’acte est la réalisation du BIEN, mais…

- Le résultat de l’acte et ses conséquences prévisibles entrent dans la valeur morale de celui qui assume l’acte. Un téléologue établit donc une évaluation au cas par cas , du bien attendu et/ du mal évité et peut considérer un moindre mal comme un bien, au nom du principe de bienfaisance

- Un regard déontologique: le devoir intangible guide l’action selon certains grands principes fermes, définis, universels et intemporels; l’action doit donc être morale quelles que soient les conséquences prévisibles ou non, de l’action.

- Le déontologue considère que toute action qui enfreint un principe moral est un mal…Le moindre mal ne peut pas être un bien car la valeur fondatrice du principe s’effondre si l’on fait une exception.

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Un exemple… simple?

• Une patiente est enceinte et porte un enfant victime d’une malformation grave, incurable à priori:

– Application du principe de bienfaisance dans un concept téléologique:

– Maximiser le bien, minimiser le mal, envisager toutes les conséquences de l’acte possible ( l’avortement autorisé par la loi Veil du 10/01/1975) ou l’abstention .

– C’est cette réflexion de nature éthique qui déterminera la valeur morale de la décision à prendre

– Application du principe de bienfaisance dans un concept déontologique:

– Valeur universelle et sacrée de la vie et interdit fondateur du meurtre de l’innocent etc…

– D’où une conduite différente selon l’approche même du principe de bienfaisance et de l’idée que chacun se fait de ce qu’est l’homme, la représentation de nous-mêmes au sein de l’univers etc…

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Principe de non-malfaisance

• Ce principe est au mieux illustré en réanimation par la situation « d’acharnement thérapeutique »

• A partir de quel moment des soins intensifs, douloureux, et/ ou disproportionnés et/ou très handicapants deviennent-ils un mal pour le patient alors qu’ils sont entrepris dans le but de sauver à tout prix celui-ci?

• Doivent-ils être interrompus, voir ne pas être entrepris?

• Réponse du pape Pie XII en 1957:

• « Nul médecin n’est tenu de dispenser des soins extraordinaires et nul malade de les accepter » Mais quand alors interrompre ces soins inappropriés. C’est LA question: Trop tôt? Ou trop tard?

• On peut donc alors se trouver dans une situation de conflit entre principe de bienfaisance surtout appliqué de façon déontologique et principe de non-malfaisance.

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Principe d’autonomie

• Le principe d’autonomie pose comme postulat que tout individu est unique , responsable de sa vie, de son destin, et de fait, a le droit absolu de décider de ce qui le concerne. (Principe issu de la philosophie des Lumières)

• Le respect du principe d’autonomie conduit aujourd’hui à l’obligation d’information du patient et à son consentement dans l’accomplissement de tout acte le concernant.– Il s’agit d’un principe très répandu dans le monde anglo-saxon et protestant. H.T.Engelhardt

envisage à travers ce concept une relation médecin malade très éloignée de celle qui est (ou était) habituellement pratiquée en France, pays de tradition latine et catholique: le principe d’autonomie met le médecin et le malade dans une relation de contractants à parts égales.

– L’objet du contrat ce sont les soins que le malade rétribue et que le médecin effectue en toute transparence.

– Le médecin respecte absolument la liberté du patient

– C’est l’inverse du paternalisme médical des pays latins et de ses conséquences à l’évidence non éthiques: malade traité comme un mineur ou un ignorant infantilisé, acharnement thérapeutique et pouvoir absolu médical, secret, vérité cachée au patient…

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Principe d’autonomie

• L’application du principe d’autonomie en France a connu un développement très net depuis les 60 dernières années:

• Dans le domaine de la recherche:– Code de Nuremberg

– Lois sur la recherche de Helsinki 1964, Tokyo 1975

– Loi Huriet-Sérusclat 1988 en France

– Loi du 29/07/1994 concernant la recherche en génétique

Dans le domaine du soin

Charte du patient, loi Kouchner ….

En réanimation, chez des patients inconscients, l’application du principe est difficile voir impossible…

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Principe d’autonomie et principe de bienfaisance …

• Ne font pas toujours bon ménage….

• Exemple: Un patient , témoin de Jéhovah, est victime d’un accident de la route avec une hémorragie massive; Il est indispensable de le transfuser.

• Encore conscient, il s’oppose à toute transfusion malgré les explications rationnelles, scientifiques et basées sur le principe de bienfaisance que lui fournit le médecin…

• Que faire ?

• Réponse:

• Essayer, avec un représentant de cette croyance, de convaincre le patient, et en cas d’échec prévenir le procureur de la république qui fera appliquer l’un ou l’autre des deux principes qui sont en opposition en ce cas.

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Justice Distributive

• Ce qui est en jeu aujourd’hui est la question d’une allocation éthique des ressources de santé, c’est-à-dire l’application d’un principe de justice dans la distribution des moyens destinés à la santé.

• La maitrise médicalisée des dépenses de santé est la recherche pour chaque patient des moyens diagnostiques, pronostiques et thérapeutiques les plus efficaces, et à efficacité égale, la mise en œuvre des moins couteux

• On distingue :– La maitrise libérale: dépenser ce que l’on veut ou école de la demande

– La maitrise budgétaire: dépenser ce que l’on peut ou école des moyens

– La maitrise médicalisée: dépenser ce que l’on doit ou école des besoins

En réanimation, cette dimension prend aujourd’hui un aspect de plus en plus prégnant

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Justice Distributive

• La notion de justice distributive trouve son origine dans la philosophie d’Aristote

• « Puisque l’injuste ne respecte pas l’égalité et que l’injuste se confond avec l’inégalité, il est évident qu’il y a une juste mesure relativement à l’inégalité. Cette juste moyenne, c’est l’égalité….Si donc l’injuste c’est l’inégal, le juste c’est l’égal »

• Différences selon les pays, et les moyens alloués:– Maitrise budgétaire :ex NHS en Angleterre et responsabilité de l’individu dans la génèse

d’une maladie: maladie coronaire et tabac,

âge, espérance de vie et hémodialyse

diabète et obésité

– Maitrise médicalisée en France … ?

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Quand la réflexion éthique intervient-elle au quotidien en réanimation?

• Dans le soin quotidien: il convient ici, comme ailleurs, en Médecine de prodiguer les soins nécessaires au patient en l’informant si possible

– A défaut, ses proches sans que ceux-ci puissent pouvoir exercer un pouvoir décisionnel, contrairement au patient lui-même en vertu du principe d’autonomie.

• Dans l’activité de Recherche Clinique, ou chaque patient doit être informé et consentant pour participer aux recherches bio-médicales sur l’homme avec ou sans bénéfice individuel direct attendu, (notion qui a disparu depuis quelques 2 à 3 ans).

Dans la difficile question de la limitation ou de l’arrêt des soins.

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Fin de vie en réanimation

*But de la réanimation médicale: traitement des défaillances viscérales, toutes mortelles à plus ou moins brève échéance.

*Evolution de la population des patients admis en réanimation:– Années 1950-1960: patients jeunes devant guérir totalement

– Années 2000 et plus: patients de plus en plus âgés ( moyenne 60 ans ou +) atteints de plusieurs pathologies chroniques

*Taux actuel de mortalité dans ces services 20% voir plus

* La suppléance technique des fonctions vitales autorise une survie artificielle même en l’absence de thérapeutique autorisant la cure de ou des affections responsables de l’état du patient

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Fin de vie en réanimation

La prise de décision dans le domaine de la fin de la vie en réanimation n’est et ne sera jamais un exercice facile.

Deux situations sont habituellement rencontrées:

1- la certitude scientifique et médicale de l’échec thérapeutique et donc la prolongation inutile de l’agonie.

2- L’incertitude sur la qualité de vie future si le patient devait survivre.

Cas n°1: peu de problème éthique: aucune famille ne demande la poursuite d’une agonie, mais …. La certitude à 100% est rare en médecine!

Cas n°2: position très inconfortable !!

Quelles sont ou seraient les volontés de l’intéressé?

Rôle et opinion de la famille

C’est le vrai dilemme entre sauver à tout prix pour le BIEN ou S’ACHARNER

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Fin de vie en réanimation

Troisième situation :

Un patient est admis en réanimation pour une affection aigue, curable mais au prix d’un séjour en réanimation long et pénible et chez qui on découvre très vite une maladie sous-jacente ( ex: un cancer déjà généralisé ) jusque là inconnue. L’issue fatale, inéluctable peut intervenir en quelques mois et la durée du traitement en réanimation et la suite peut durer quelques semaines.

Faut-il traiter l’affection aigue comme si le cancer sous-jacent n’existait pas?

Faut-il s’abstenir totalement?

Faut-il trouver un juste milieu ( Aristote…..)?

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Fin de vie en réanimation

• Les aspects juridiques

Jusqu’en 2004 ( loi Léonetti ), les médecins ayant limité ou arrêté des soins

pouvaient être passibles de poursuites pénales.

Et en même temps, le code de Déontologie condamnait les praticiens ayant donnés des soins disproportionnés et inadaptés pouvant être considérés comme de l’acharnement thérapeutique.

Sous l’effet de travaux menés par des sociétés savantes (SRLF, GFRUP) de la Fondation de France, du CCNE,

Une loi dite Loi Léonetti a précisé les conditions de limitations et d’arrêt des soins en Réanimation .

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Fin de vie en réanimation

Quelques points sémantiques importants:

Distinction absolue entre

Laisser mourir

Faire mourir, provoquer la mort

La limitation des soins et l’arrêt des soins correspondent à un raisonnement médical identique: les thérapeutiques sont devenues inutiles, les défaillances d’organe irréversibles, la mort est inéluctable, voir imminente. Il s’agit d’un processus de LAISSER MOURIR

L’ administration d’une substance mortelle (chlorure de K, curare, etc…) provoque immédiatement la mort: il s’agit d’un acte incompatible avec la loi et le code de Déontologie. L’euthanasie reste interdite en France.

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Etapes décisionnelles à respecter dans des situations éthiquement difficiles

1- Quels sont les faits cliniques pertinents ?

a) Diagnostic, pronostic

b) Options thérapeutiques

c) Avantages et inconvénients de chaque option médicale

2-Quels sont les enjeux éthiques dans la situation donnée?

a) bienfaisance et non-malfaisance

b) autonomie

c) justice

Existe-t-il des conflits entre ces options éthiques?

3- Synthèse et décision appropriée de nature collégiale

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Fin de vie en réanimationPatients inconscients

Discussion et décision collégiale:

- Autorise une action coordonnée au sein d’une équipe basée une compréhension partagée du projet.

- Favorise l’émergence de l’objectivité médicale et soignante

- Du point de vue moral, la discussion collégiale instaure la transparence interne et externe des procédures de décision.

Implication des familles

- Incompétence et inaptitude à assumer une responsabilité qui incombe aux professionnels

- Risque de culpabilisation des proches

- Conflits d’intérêts susceptibles de se rallumer et de créer la discorde au sein de la famille

- Mais attention à assurer une écoute suffisante des proches qui ne doivent pas se sentir évincés

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Fin de vie en réanimationPatients conscients

L’abstention, la limitation ou l’arrêt des soins peuvent découler d’une demande explicite du patient qui souhaite une mort plus naturelle.

L’article 36 du Code de déontologie oblige « à respecter ce refus après avoir informé le malade de toutes les conséquences »

Même position dans la loi du 4 mars 2002, dans les avis du Conseil de l’Europe, et dans les préconisations du CCNE…

MAIS problème si ce refus des soins est de nature suicidaire:

Un médecin qui aiderait à la réalisation d’un suicide par action ou par omission serait condamné…

Notion de contrat de non-traitement par anticipation

Place de « la personne de confiance »

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Conclusion

« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme… » F.Rabelais

Une recherche sur l’homme n’est éthique que si elle a d’abord un fondement scientifique et, à priori, une finalité de « bienfaisance »

Une application irraisonnée, disproportionnée, de la technique médicale peut s’avérer inhumaine, non déontologique.

Faire entrer la réflexion éthique dans la science médicale:

- élève le médecin au dessus du rôle d’un simple technicien

- rend au patient sa véritable place c.à.d celle d’un HOMME UNIQUE qui a le droit de disposer de lui-même

- accorde au soignant toute la dimension de sa mission : rendre si possible la vie a celui qui est souffrant, lui accorder l’écoute , l’aide et le respect de sa volonté, ce auquel tout être humain a droit , en particulier au seuil de la mort.