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Etat des lieux sur la fausse déclaration des risques en assurances
Christelle ELINEAU-YANNAKIS
Doctorante à l’Université Jean Moulin - Lyon III
Contrat d’assurance – Déclaration des risques – Sanction
Le contrat d’assurance est un contrat aléatoire dont l’objet est la prise en charge du
risque par l’assureur. Le risque constitue un élément central de l’opération d’assurance que
l’assureur doit être en mesure d’apprécier le plus exactement possible. En effet, l’appréciation
qu’il en fera a une influence directe sur les deux autres éléments essentiels du contrat
d’assurance : la prime et la garantie.
Dès lors, afin de permettre à l’assureur d’apprécier au mieux ce risque, et donc
d’éclairer son consentement, la loi impose au souscripteur une obligation d’information qui
prend la forme d’une obligation de déclaration des risques. Etant précisé que, depuis la loi du
31 décembre 1989, la déclaration spontanée a été abandonnée. Ainsi, selon l’article L. 113-2-
2° du Code des assurances, le souscripteur est tenu de répondre aux questions posées par
l’assureur, notamment dans un questionnaire. Or, si la déclaration exacte et sincère conduit à
la conclusion valable du contrat, il en va tout autrement en cas de fausse déclaration des
risques. Deux sanctions sont alors susceptibles de s’appliquer, selon que la fausse déclaration
litigieuse est intentionnelle ou non : la première est, selon l’article L. 113-8 du Code des
assurances, sanctionnée par la nullité du contrat, alors que la seconde donne lieu, selon
l’article L. 113-9 du Code des assurances, à l’application de la règle proportionnelle de prime.
Quoi qu’il en soit, avant le prononcé de toute sanction, un préalable s’impose : établir
l’existence d’une fausse déclaration.
Or, devant l’imprécision des termes de l’article L. 113-2-2° du Code précité, faisant
référence à l’obligation de déclaration des risques par des réponses à des questions posées
« notamment dans le questionnaire », une divergence de jurisprudence sur le support de cette
déclaration est apparue entre la Chambre criminelle et la deuxième Chambre civile de la Cour
de cassation. Les vœux d’une intervention de la Chambre mixte pour clarifier la solution ont
été entendus, puisque la Chambre mixte a rendu un arrêt le 7 février 20141, par lequel elle
retient que la fausse déclaration ne peut résulter que des réponses aux questions posées par
l’assureur dans un questionnaire remis avant la conclusion du contrat.
Ainsi, le support de la déclaration de risques doit permettre à l’assureur d’être éclairé.
Et, réciproquement, l’assuré ne peut être lié que par une réponse à une question posée avant la
conclusion du contrat, afin d’y réfléchir pour bien la comprendre avant d’y répondre.
Toutefois, la position de la Chambre mixte en faveur d’une protection stricte du consentement
de l’assuré (I) semble avoir fait l’objet d’une réception en demi-teinte (II).
I. Détermination du support de la déclaration des risques par la Chambre mixte
L’intervention de la Chambre mixte a eu pour objet de solutionner, en théorie, les
divergences précédemment évoquées entre la Chambre criminelle et la deuxième Chambre
civile de la Cour de cassation. En effet, le climat n’était pas propice à la sécurité juridique et
ne permettait pas d’obtenir une solution unifiée quant au support de la déclaration, qu’elle soit
questionnée ou non2. Si la précision apportée par la Chambre mixte doit être énoncée, en ce
qu’elle solutionne les divergences précitées (B), il est nécessaire d’exposer le contexte dans
lequel a dû intervenir la Chambre mixte (A).
A. La protection incertaine du consentement de l’assuré en raison des
divergences quant au support de la déclaration
1 Cass. ch. Mixte, 7 fév. 2014, pourvoi n° 12-85.107, L’Essentiel Droit des assurances 10 mars 2014, n° 3, 2,
note S. Abravanel-Jolly ; www.actuassurance.com n° 35, mars-avril 2014, act. juris., note A. Astegiano-La
Rizza ; Gaz. pal. 29 avril 2014, n° 119, 13, note D. Noguéro ; RGDA 1er avril 2014, n° 4, 196, note J. Kullmann
et L. Mayaux ; JCP 29 septembre 2014, 997, note G. Da Costa Gomes ; JCP 23 juin 2014, 733, note L.
Mayaux ; Revue de Droit bancaire et financier mai 2014, 106, note J. Djoudi ; JCP 7 avril 2014, 419, note M.
Asselin ; RCA mars 2014, 99, note H. Groutel 2 S. Abravanel-Jolly, « Condamnation des mentions pré rédigées par la Chambre mixte de la Cour de
cassation », RLDA 2014, à paraitre ; S. Abravanel-Jolly, note sous Cass. ch. Mixte, 7 fév. 2014, op cit. note 2, p.
2 ; M. Asselin, note sous Cass. ch. Mixte, 7 fév. 2014, JCP 7 avril 2014, p. 419 ; M. Asselin, note sous Cass.
2ème
civ., 6 mars 2014, RGDA 1er
mai 2014, n° 5, p. 251
Depuis 2010, des divergences sont apparues entre la Chambre criminelle et la
deuxième Chambre civile de la Cour de cassation. Alors que la première retenait une
appréciation stricte de la fausse déclaration, résultant d’une réponse fausse à une question
claire et précise, posée par écrit au souscripteur par l’assureur, avant la conclusion du contrat3,
la deuxième Chambre civile retenait une conception plus souple en affirmant que celle-ci
pouvait résulter, entre autres, de la déclaration pré-remplie signée par l’assuré qui n’avait ni
refusé de signer, ni pris la peine de corriger les affirmations erronées4. La deuxième Chambre
civile admettait la possibilité de tenir compte de la déclaration pré-rédigée fournie par
l’assureur, ou encore des réponses à des questions orales puis retranscrites dans les conditions
particulières, ou enfin des cases cochées par l’assureur5. Dans ces circonstances, cette solution
s’inscrivait en contradiction avec l’article L. 113-2-2° du Code des assurances qui exige des
réponses à des questions posées, mais dont l’adverbe « notamment » prête à confusion quant
au support exigé. Or, dans ce type de document, l’assuré ne prend parfois pas la peine de lire
les affirmations, et se contente bien souvent d’apposer sa signature au bas de la déclaration
pré-remplie. Les questions posées auxquelles l’assuré aurait faussement répondu font donc
défaut, de telle sorte que la fausse déclaration ne saurait être caractérisée.
Toutefois, la jurisprudence de la deuxième Chambre civile n’est pas uniforme
puisqu’elle a pu retenir, par un arrêt en date du 3 février 2011, la nécessité d’une réponse à
une question posée de manière claire et intelligible6. En revanche, elle a pu retenir, dans un
arrêt en date du 7 février 20137, la fausse déclaration (intentionnelle de surcroît), alors que
3 V. en ce sens Cass. Crim., 28 sept. 1999, RGDA 2000, 52, note J. Kullmann ; Cass. Crim., 18 sept. 2007,
pourvoi n° 06-84.807, RCA 2007, comm. 374, note H. Groutel ; Cass. Crim., 27 janv. 2009, pourvoi n° 08-
81.257, RGDA 2010, 476, note J. Landel ; RCA 2009, comm. 119 et étude 5, notes H. Groutel ; Cass. Crim., 10
janv. 2012, pourvoi n° 11-81.647, Bull. crim. n° 3 ; RGDA 2012, 623, note J. Landel ; RCA 2012, comm. 145,
note H. Groutel 4 V. en ce sens Cass. 2
ème civ., 17 fév. 2011, pourvoi n° 09-72.793, RGDA 2011, 683, note S. Abravanel-Jolly ;
Cass. 2ème
civ., 8 mars 2012, pourvoi n° 11-10.857, Bull. civ. II, n° 40, RGDA 2012, 619, note M. Asselin,
www.actuassurance.com 2012, n° 25, act. juris., note M. Robineau ; Cass. 2ème
civ., 12 avril 2012, pourvoi n°
11-30.075, RGDA 2013, 40, note J. Kullmann, RCA 2012, comm. 326, note H. Groutel ; Cass. 2ème
civ., 28 juin
2012, pourvoi n° 11.20-793, RGDA 2013, 40, note J. Kullmann, RCA 2012, comm. 326, note H. Groutel ; Cass.
2ème
civ., 25 oct. 2012, pourvoi n° 11-24.125, RGDA 2013, 299, note M. Asselin 5 S. Abravanel-Jolly, note sous Cass. ch. Mixte, 7 fév. 2014, op cit. note 2, p. 2
6 Cass. 2
ème civ., 3 fév. 2011, pourvoi n° 10-30. 569, L’essentiel Droit bancaire 1
er avril 2011, n° 4, 7, note M.
Mignot 7 Cass. 2
ème civ., 7 fév. 2013, L’Essentiel Droit des assurances 1
er avril 2013, n° 4, 5, note M. Asselin
l’assuré s’était simplement contenté de signer la déclaration pré-remplie sans pouvoir en
mesurer la portée exacte8.
Il est donc possible de constater que la jurisprudence de la deuxième Chambre civile
ne diverge pas totalement de celle de la Chambre criminelle. En effet, l’une et l’autre
retiennent la nécessité d’une réponse fausse à une question posée par l’assureur9. Si la
solution n’est pas surprenante pour la Chambre criminelle qui retient une solution cohérente
et constante, en réclamant la réponse à la question posée par écrit par l’assureur au
souscripteur, elle l’est en revanche bien plus pour la deuxième Chambre civile. En effet,
l’arrêt précité du 3 février 2011 ne fait pas figure d’exception puisque la deuxième Chambre
civile a, à plusieurs reprises, réclamé la réponse erronée à la question posée par l’assureur
pour caractériser la fausse déclaration : elle a refusé de retenir la nullité du contrat lorsque
l’assureur n’avait pas posé de question à l’assuré10
. Finalement, il nous apparait que la
jurisprudence retenue par la deuxième Chambre civile est bien peu cohérente : tantôt, elle
réclame une réponse fausse à une question posée par l’assureur, tantôt elle admet la
déclaration pré-remplie, sans se prononcer sur la nécessité d’y retrouver la réponse à la
question posée par l’assureur. Néanmoins, il nous semble qu’elle admette la nécessité d’une
telle réponse fausse à une question clairement posée. C’est la raison pour laquelle elle accepte
également les questionnaires téléphoniques, à condition que ceux-ci permettent d’obtenir des
réponses fausses apportées aux questions posées par l’assureur11
. C’est donc une conception
bien souple de la réponse fausse à la question posée qu’elle retient. De même, ce n’est plus
tant au regard de l’élément engendrant la fausse déclaration que la jurisprudence entre la
deuxième Chambre civile et la Chambre criminelle diverge, qu’au regard du support admis12
.
En effet, s’il ressort de cette comparaison que la deuxième Chambre civile admet la nécessité
8 Cass. 2
ème civ., 7 fév. 2013, précit note 7 ; v. également en ce sens Cass. 2
ème civ., 8 mars 2012, op cit. note 4 ;
Cass. 2ème
civ., 29 mars 2012, RGDA 2012, 619, note M. Asselin 9 M. Asselin, note sous Cass. ch. Mixte, 7 fév. 2014, op cit. note 2, p. 419 ; A. Astegiano-La Rizza, « La
déclaration initiale des risques par le souscripteur », D. 2012, p. 1753 s. 10
V. en ce sens Cass. 2ème
civ., 15 fév. 2007, pourvoi n° 05-20.865, RCA 2007, comm. 172, note H. Groutel ;
Cass. 2ème
civ., 3 juin 2010, pourvoi n° 09-17.876, RCA 2010, comm. 233, note H. Groutel 11
S. Abravanel-Jolly, « Etat des lieux de la nullité pour fausse déclaration intentionnelle des risques »,
www.actuassurance.com n° 19 janv-fév 2011 ; A. Astegiano-La Rizza, « La déclaration initiale des risques par
le souscripteur », op cit. note 9, p. 1753 s. 12
M. Asselin, note sous Cass. ch. Mixte, 7 fév. 2014, op cit. note 2, p. 419 S. Abravanel-Jolly, « Etat des lieux
de la nullité pour fausse déclaration intentionnelle des risques », www.actuassurance.com n° 19 janv-fév 2011
d’une réponse fausse à la question posée par l’assureur pour caractériser la fausse déclaration.
Toutefois, les deux chambres de la Cour de cassation ne s’accordent pas sur la manière dont
cette question doit être posée. Si la Chambre criminelle retient la nécessité d’une question
posée nécessairement par écrit, la deuxième Chambre civile admet que cette question puisse
être posée à l’oral seulement. Si une question posée à l’écrit permet au souscripteur de
prendre le temps de la comprendre, il en va différemment de la question posée à l’oral,
laquelle peut être mal comprise, et engendrer de ce fait la réponse fausse du souscripteur.
Outre que cet arrêt rendu par la deuxième Chambre civile le 3 février 201113
souligne
une fois de plus la divergence de jurisprudence14
, il a également le mérite de sanctionner la
mauvaise foi évidente de l’assuré qui avait signé une déclaration pré-remplie précisant qu’il
n’avait subi aucune hospitalisation dans les cinq années précédentes, alors qu’il avait été
hospitalisé quelques mois plus tôt15
. Cette divergence de jurisprudence n’est pas sans
conséquence. Outre qu’elle met à mal la sécurité juridique, elle s’inscrit en porte-à-faux de la
loi. Elle ne permet pas à l’assuré de prendre toute la mesure de l’importance de sa déclaration,
quant à la couverture du risque qu’il déclare16
. Dans de telles circonstances, son consentement
ne saurait également être éclairé. C’est finalement pour lui aussi la validité même du contrat
qui pourrait être remise en cause. S’il ne prend pas la peine de corriger la déclaration pré-
remplie, il ne saurait mesurer ce à quoi il s’engage en souscrivant le contrat d’assurance, ainsi
que la garantie dont il bénéficie.
Finalement, cette divergence au sein même de la jurisprudence de la deuxième
Chambre civile et au regard de celle de la Chambre criminelle devait être solutionnée par
l’intervention de la Chambre mixte. Ce fut chose faite le 7 février 2014.
13
Cass. 2ème
civ., 7 fév. 2013, op cit. note 7 14
M. Asselin, note sous Cass. 2ème
civ., 7 fév. 2013, L’Essentiel Droit des assurances 1er
avril 2013, n° 4, p. 5 15
M. Asselin, note sous Cass. 2ème
civ., 7 fév. 2013, précit. note 14 16
S. Abravanel-Jolly, note sous Cass. ch. Mixte, 7 fév. 2014, op cit. note 2, p. 2 ; A. Astegiano-La Rizza, note
sous Cass. ch. Mixte, 7 fév. 2014, www.actuassurance.com n° 35, mars-avril 2014, act. juris. ; A. Astegiano-La
Rizza, « La déclaration initiale des risques par le souscripteur », op cit. note 9, p. 1753 ; M. Asselin, note sous
Cass. 2ème
civ., 7 fév. 2013, op cit. note 14
B. L’affirmation d’une protection stricte du consentement de l’assuré par le rejet
de la déclaration pré-remplie par la Chambre mixte
Répondant à la demande expresse de certains commentateurs17
, la Chambre mixte de
la Cour de cassation a rendu un arrêt le 7 février 201418
par lequel elle a solutionné les
divergences de jurisprudence entre la Chambre criminelle et la deuxième Chambre civile de la
Cour de cassation. Elle a, en effet, affirmé dans un attendu de principe19
, dont l’imprécision
peut néanmoins être déplorée20
, que la fausse déclaration ne peut résulter que d’une réponse
erronée à une question claire et précise posée par l’assureur au souscripteur, cette réponse
ayant faussée l’opinion que l’assureur pouvait se faire du risque21
. Quant au support de la
déclaration, la seule présentation de la déclaration pré-remplie signée par le souscripteur, sans
qu’aucune correction des affirmations erronées ne soit effectuée, ne saurait suffire à établir les
questions posées et la fausse déclaration résultant de celles-ci. La Chambre mixte retient donc
une solution qui reprend la rigueur retenue par la Chambre criminelle et exige une réponse
erronée à une question posée notamment dans le questionnaire, pour caractériser la fausse
déclaration.
Si l’attendu de la Chambre mixte22
précise clairement l’élément nécessaire et suffisant
pour engendrer une fausse déclaration, la question de son support reste en suspens. Son
manque de précision est regrettable quant à la possibilité d’admettre des déclarations
détachées de toute question23
. Elle précise, en effet, que la réponse fausse à la question posée
peut « notamment » résulter du formulaire de déclaration des risques. C’est bien l’utilisation
de cet adverbe, issu de l’article L. 113-2-2° du Code précité, qui est source d’incertitude. Si
le formulaire de déclaration des risques reste le support idéal de la déclaration, il n’est pas
17
V. notamment D. Noguéro, note sous Cass. ch. Mixte, 7 fév. 2014, Gaz. pal. 29 avril 2014, n° 119, p. 13 ; D.
Noguéro, « La déclaration du risque : quel support ? », Gaz. pal. 27 avril 2013, p. 9 18
Cass. ch. Mixte, 7 fév. 2014, op cit. note 1 19
D. Noguéro, note sous Cass. ch. Mixte, 7 fév. 2014, op cit. note 17, p. 13 20
D. Noguéro, note sous Cass. ch. Mixte, 7 fév. 2014, précit. note 17 21
M. Asselin, note sous Cass. ch. Mixte, 7 fév. 2014, op cit. note 2, p. 419 ; J. Djoudi, note sous Cass. ch. Mixte,
7 fév. 2014, Revue de Droit bancaire et financier mai 2014, comm. 106 22
Cass. ch. Mixte, 7 fév. 2014, op cit. note 1 23
D. Noguéro, note sous Cass. ch. Mixte, 7 fév. 2014, op cit. note 17
imposé comme support de la déclaration dont l’appréciation souveraine est laissée aux juges
du fond24
. En ce sens, l’attendu de l’arrêt de la Chambre mixte, qui se voulait pourtant un
attendu de principe, ne saurait pleinement mettre un terme aux divergences de jurisprudence.
Dans ces circonstances, il importe de préciser la manière dont cette solution, supposée
de principe, a été reçue par la Chambre criminelle et par la deuxième Chambre civile. Il en
ressort une prise en compte mitigée, notamment due à l’imprécision déplorée de la solution
retenue par la Chambre mixte.
II. La réception seulement partielle de la solution énoncée par la Chambre mixte
La solution de la Chambre mixte a été reprise par la Chambre criminelle qui a
réaffirmé sa position stricte, exigeant une fausse déclaration devant résulter d’une réponse
fausse à une question posée par écrit à l’assuré avant la conclusion du contrat (A). Il en va, en
revanche, différemment de la deuxième Chambre civile qui a profité d’une imprécision de la
solution de la Chambre mixte sur le sens de la « conclusion du contrat » (B).
A. La confirmation de la solution par la Chambre criminelle
La Chambre criminelle a maintenu sa position et son appréciation stricte de la fausse
déclaration en réaffirmant que celle-ci ne pouvait résulter que d’une réponse fausse à une
question claire et précise posée, par écrit, par l’assureur avant la conclusion du contrat25
. Elle
rejette ainsi le pourvoi formé en approuvant le raisonnement des juges du fond qui ont retenu
« qu’à défaut de produire les réponses que l’assuré a apportées aux questions précises qui lui
ont été posées lors de la conclusion du contrat, notamment dans le formulaire de déclaration
du risque, la société d’assurance ne rapporte pas la preuve de la fausse déclaration
24
L. Mayaux, note sous Cass. ch. Mixte, 7 fév. 2014, JCP 23 juin 2014, p. 733, spéc. n° 2 : « il ne faudrait pas
déduire de l’arrêt de la Chambre mixte qu’un questionnaire écrit (que l’article L. 112-3 du Code des assurances
présente comme une simple hypothèse) est nécessaire. Il peut y avoir des questions (et des réponses) verbales,
leur preuve étant seulement rendue plus délicate que lorsqu’elles sont formulées par écrit. » 25
V. en ce sens Cass. Crim., 18 mars 2014, pourvoi n° 12-27.195 et 9 septembre 2014, pourvoi n° 13-841.198,
RGDA 1er
avril 2014, n° 4, 196, note J. Kullmann et L. Mayaux
intentionnelle ». Cette solution semble la plus favorable en ce qu’elle permet tant au
souscripteur de prendre la mesure de ses déclarations, qu’à l’assureur d’évaluer le risque pris
en charge26
.
Une remarque peut néanmoins être faite quant à l’imprécision de la solution de la
chambre criminelle au regard de la « conclusion du contrat ». Pour que l’assuré ait pleine
conscience de la question qui lui est posée et qu’il puisse la comprendre, il est nécessaire que
la question lui soit posée avant la conclusion du contrat. Or, la Chambre criminelle retient,
comme la Chambre mixte dans son arrêt du 7 février 201427
, que la question peut être posée
« lors de la conclusion du contrat ». Il y a donc un rétrécissement de la période
précontractuelle et une confusion possible avec la conclusion du contrat qui est fort
regrettable. C’est en effet le doute qui peut être soulevé à la lecture de l’arrêt rendu par la
Chambre criminelle le 18 mars 2014, rejetant le pourvoi en approuvant le raisonnement des
juges du fond d’avoir retenu « qu’à défaut de produire les réponses que l’assuré a apportées
aux questions précises qui lui ont été posées lors de la conclusion du contrat, notamment dans
le formulaire de déclaration du risque, la société d’assurance ne rapporte pas la preuve de la
fausse déclaration intentionnelle ». Il est donc souhaitable qu’il soit précisé que la question
soit posée à l’assuré avant la conclusion du contrat28
.
Si la Chambre criminelle prend soin de préciser, dans chacun de ses arrêts, que le
support de la fausse déclaration ne peut résulter que de la présentation du formulaire de
déclaration des risques, un doute subsiste néanmoins pour la deuxième Chambre civile qui a
26
A. Astegiano-La Rizza, note sous Cass. ch. Mixte, 7 fév. 2014, www.actuassurance.com n° 35, mars-avril
2014, act. juris. 27
Cass. ch. Mixte, 7 fév. 2014, op cit. note 1 : la Cour retient que « selon l’article L. 113 2 2° du Code des
assurances, l’assuré est obligé de répondre exactement aux questions précises posées par l’assureur, notamment
dans le formulaire de déclaration du risque par lequel celui-ci l’interroge, lors de la conclusion du contrat, sur
les circonstances qui sont de nature à lui faire apprécier les risques qu’il prend en charge et il résulte des
articles L. 112 3, alinéa 4, et L. 113 8 du même Code que l’assureur ne peut se prévaloir de la réticence ou de la
fausse déclaration intentionnelle de l’assuré que si celles-ci procèdent des réponses qu’il a apportées aux dites
questions » 28
A. Astegiano-La Rizza, note sous Cass. ch. Mixte, 7 fév. 2014, www.actuassurance.com n° 35, mars-avril
2014, act. juris. ; L. Mayaux, note sous Cass. Crim. 18 mars 2014, pourvoi n° 12-27.195, RGDA 1er avril 2014,
n° 4, p. 196 ; J. Kullmann, note sous Cass. Crim. 18 mars 2014, pourvoi n° 12-27.195, RGDA 1er
avril 2014, n°
4, p. 196
« profité » d’un certain manque de précision de l’arrêt de la Chambre mixte concernant le
sens de « la conclusion du contrat ».
B. Le doute émis quant au support de la déclaration par la deuxième Chambre
civile
Cette divergence entre ces deux chambres de la Cour de cassation tient à l’imprécision
de l’attendu de l’arrêt de la Chambre mixte du 7 février 2014. En effet, la Haute juridiction y
indique le support qu’elle considère le plus adéquat au regard de la protection du
consentement de l’assuré. Toutefois, elle ne l’impose pas, de telle sorte que le support reste
libre. Dans son arrêt du 6 mars 201429
, la deuxième Chambre civile y a fait sienne la solution
retenue par la Chambre mixte30
, et précise que la fausse déclaration est caractérisée au regard
de la question posée par l’assureur sur l’état de santé du souscripteur31
. Elle rejette ainsi le
pourvoi formé en retenant que « l'assureur avait posé des questions claires qui auraient dû
conduire l’assuré à déclarer les suites médicales de son angioplastie … que la fausse
déclaration commise par l'assuré lors de son adhésion au contrat d'assurance avait été
intentionnelle et de nature à modifier l'appréciation du risque par l'assureur ». Ici, la
question du support de la déclaration reste en suspens. Elle permet de conserver la souplesse
dans le support laissé par l’article L. 113-2-2° du Code des assurances, qui n’impose pas le
questionnaire comme support de la fausse déclaration des risques. En revanche, elle le
conseille fortement. Néanmoins, cette liberté laissée quant au support de la déclaration des
risques peut être approuvé comme permettant la sanction de l’assuré dont la mauvaise foi
serait évidente, comme cela était le cas en l’espèce32
. De même, dans son arrêt en date du 12
juin 201433
, elle retient que la fausse déclaration ne peut être retenue au regard défaut de
déclaration par l’assuré de la perte de son permis de conduire, alors qu’aucune question ne lui
29
Cass. 2ème
civ., 6 mars 2014, RGDA 1er mai 2014, n° 5, 251, note M. Asselin ; L’Essentiel Droit des
assurances 2 avril 2014, n° 4, 5, note Ph. Casson 30
Cass. ch. Mixte, 7 fév. 2014, op cit. note 1 31
M. Asselin, note sous Cass. 2ème
civ., 6 mars 2014, RGDA 1er
mai 2014, n° 5, p. 251 32
M. Asselin, note sous Cass. 2ème
civ., 6 mars 2014, précit. note 31 33
Cass. 2ème
civ., 12 juin 2014, pourvoi n° 13-18.936, RGDA 1er
septembre 2014, n° 8-09, 443, note A. Pélissier
avait été posée en ce sens. C’est la raison pour laquelle elle a cassé l’arrêt rendu par la cour
d’appel aux motifs que « d’une part … il ressort de la lecture des « Déclarations à la
souscription » faites, à cette date, par l’assuré, que celui-ci s’est borné à répondre à la
question « Permis obtenu en : 05/2004 », faisant ainsi référence à la date d’obtention de son
permis de conduire, d’autre part, que la seule question posée au souscripteur, relative à ses
antécédents, concernait le cas de « conduite en état d’ivresse au cours des cinq dernières
années », à laquelle l’assuré a répondu de manière exacte, mais qu’aucune question ne lui a
été posée sur l’éventualité d’un retrait de permis de conduire pour perte de points attachés,
qui serait survenu depuis le 6 mars 2006, la cour d’appel a, d’une part, dénaturé les
conditions particulières du contrat d’assurance et violé le premier texte susvisé, d’autre part,
privé sa décision de base légale au regard des autres textes ». Elle précise que de la
formulation de la déclaration pré-imprimée, il est possible de déduire qu’aucune question n’a
été posée à l’assuré quant à la suspension de son permis de conduire, de telle sorte qu’aucune
fausse déclaration ne peut être caractérisée34
. Ainsi, les informations contenues dans la
déclaration pré-imprimée permettent à la deuxième Chambre civile d’apprécier si une
question a été posée à l’assuré, de telle sorte que ce dernier, en y répondant de manière
erronée, a procédé à une fausse déclaration. La deuxième Chambre civile profite, en quelque
sorte, de cette liberté laissée pour affirmer, dans son arrêt en date du 3 juillet 201435
, à l’instar
de la solution retenue par la Chambre mixte dans son arrêt du 7 février 2014, que les
questions peuvent « notamment » être issues d’un formulaire de déclaration des risques. Dans
ces circonstances, elle rejette le pourvoi en approuvant le raisonnement des juges du fond,
précisant que « l’arrêt retient qu’en l’espèce, l’assureur n’a remis à son assuré aucun
questionnaire préalable à la conclusion du contrat d’assurance ; qu’il oppose seulement la
clause figurant aux conditions particulières du contrat d’assurance, signées de l’assuré., et
ainsi rédigée : « Annulation ou suspension de permis sur les soixante derniers mois » : le
preneur d’assurance déclare que le conducteur désigné : - n’a pas fait l’objet d’une
annulation ou suspension de permis pour alcoolémie, usage de stupéfiants, délit de fuite, - n’a
pas fait l’objet d’une annulation ou suspension de permis de plus de trente jours pour tout
34
A. Pélissier, note sous Cass. 2ème
civ., 12 juin 2014, RGDA 1er
septembre 2014, n° 8-09, p. 443 35
Cass. 2ème
civ., 3 juil. 2014, pourvoi n° 13-18.760, L’Essentiel Droit des assurances 3 septembre 2014, n° 8,
1, note V. Nicolas ; RGDA 1er
septembre 2014, n° 8-09, 443, note A. Pélissier
autre motif et que cette clause ne constitue toutefois pas une question posée à l’assuré ».
Dans ces circonstances, la Haute juridiction réclame l’établissement d’un questionnaire
comme support de la fausse déclaration, se ralliant de la sorte à la solution retenue par la
Chambre criminelle36
. Toutefois, cette affirmation doit être nuancée puisque dans cet arrêt, la
Haute juridiction ne se prononçait que sur des déclarations pré-rédigées exemptes de toute
question préalable37
. En revanche, elle tend à préciser la période au cours de laquelle la
question doit être posée, celle-ci devant être « préalable » à la conclusion du contrat38
.
L’utilisation de cet adverbe « notamment » permet toutefois d’affirmer que la deuxième
Chambre civile retient bien la solution énoncée par la Chambre mixte dans son arrêt du 7
février 2014. Elle admet ainsi la possibilité pour l’assureur de présenter le formulaire de
déclaration des risques contenant les questions clairement posées lui au souscripteur, comme
support de la fausse déclaration des risques. Toutefois, tout autre support reste possible, de
telle sorte que cet arrêt en date du 3 juillet 2014 ne se prononce pas sur les autres supports
telles les questions orales qui seraient retranscrites par la suite dans les conditions
particulières du contrat et qui resteraient éventuellement admises. Elle précise bien, en
revanche, que la formule inscrite dans les conditions particulières ne constituait pas une
question posée à l’assuré, et que la preuve de la fausse déclaration n’était pas rapportée, faute
de formulaire39
. Par extension, il serait donc possible de conclure de cette solution qu’une fois
encore, le questionnaire de déclaration des risques reste le support idéal de la déclaration des
risques, facilitant grandement son établissement.
Le doute émis pour les arrêts rendus par la Chambre criminelle semble s’estomper
grâce à la solution retenue par la deuxième Chambre civile dans son arrêt en date du 3 juillet
201440
. En effet, la Haute juridiction a rejeté le pourvoi en affirmant que « si, aux termes de
36
V. Nicolas, note sous Cass. 2ème
civ., 3 juil. 2014, L’Essentiel Droit des assurances 3 septembre 2014, n° 8, p.
1 37
S. Abravanel-Jolly, « Condamnation des mentions pré rédigées par la Chambre mixte de la Cour de
cassation », RLDA 2014, à paraitre 38
S. Abravanel-Jolly, « Condamnation des mentions pré rédigées par la Chambre mixte de la Cour de
cassation », RLDA 2014, à paraitre 39
S. Abravanel-Jolly, « Condamnation des mentions pré rédigées par la Chambre mixte de la Cour de
cassation », RLDA 2014, à paraitre ; V. Nicolas, note sous Cass. 2ème
civ., 3 juil. 2014, op cit. note 36, p. 1 ; A.
Pélissier, note sous Cass. 2ème
civ., 3 juil. 2014, RGDA 1er
septembre 2014, n° 8-09, p. 443 40
Cass. 2ème
civ., 3 juil. 2014, op cit. note 35
l'article L. 113-2, 2° du Code des assurances, l'assuré est obligé de répondre exactement aux
questions posées par l'assureur, notamment dans le formulaire de déclaration du risque par
lequel celui-ci l'interroge lors de la conclusion du contrat sur les circonstances qui sont de
nature à lui faire apprécier les risques qu'il prend en charge, il ressort des articles L. 112-3,
alinéa 4 et L. 113-8 du même Code que l'assureur ne peut se prévaloir de la réticence ou de
la fausse déclaration intentionnelle de l'assuré que si celles-ci procèdent de réponses qu'il a
apportées auxdites questions ». Ici encore, et de manière identique à la solution retenue par la
Chambre criminelle, il semble que le temps de conclusion du contrat se réduise. Néanmoins,
elle se précise puisque la Haute juridiction ajoute que la question doit être « préalable » à la
conclusion du contrat. Ainsi, il convient de comprendre que la question doit être antérieure à
la conclusion du contrat, afin de permettre à l’assuré de prendre pleinement conscience de ce
qui lui est demandé, mais également de permettre à l’assureur de ne pas s’engager à assumer
un risque qu’il n’aurait pas mesuré41
.
Si la Chambre mixte précise le support le plus favorable à la preuve de la fausse
déclaration, support exigé par la Chambre criminelle, la deuxième Chambre civile semble
encore faire de preuve de prudence, même si elle incite fortement, dans cet arrêt du 3 juillet
201442
, l’assureur à établir un formulaire de déclaration des risques, afin de faciliter le support
de la fausse déclaration. Cette solution va contraindre certains assureurs à modifier leur mode
de conclusion de contrat. C’est une charge importante qui leur est imposée. Ces derniers
devront, en effet, établir ces formulaires, engendrant des moyens assez importants voire
onéreux, nécessaires pour mesurer le plus précisément possible le risque qu’il garantit. Ce
questionnement devra nécessairement être antérieur à la conclusion du contrat. Il semble
toutefois que cette solution s’avère nécessaire afin de garantir à la fois le consentement éclairé
de l’assureur et la véracité des réponses de l’assuré, aux questions qui lui seront posées.
41
S. Abravanel-Jolly, « Condamnation des mentions pré rédigées par la Chambre mixte de la Cour de
cassation », RLDA 2014, à paraitre ; J. Kullmann, note sous Cass. Crim. 18 mars 2014, pourvoi n° 12-27.195, op
cit. note 31, p. 196 42
Cass. 2ème
civ., 3 juil. 2014, op cit. note 35