Et si la performance de l’économie passait

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POINT DE VUE ÉCONOMIQUE François Dupuis, vice-président et économiste en chef Joëlle Noreau, économiste principale Desjardins, Études économiques : 418-835-2450 ou 1 866-835-8444, poste 5562450 [email protected] desjardins.com/economie NOTE AUX LECTEURS : Pour respecter l’usage recommandé par l’Office québécois de la langue française, nous employons dans les textes et les tableaux les symboles k, M et G pour désigner respectivement les milliers, les millions et les milliards. MISE EN GARDE : Ce document s’appuie sur des informations publiques, obtenues de sources jugées fiables. Le Mouvement des caisses Desjardins ne garantit d’aucune manière que ces informations sont exactes ou complètes. Ce document est communiqué à titre informatif uniquement et ne constitue pas une offre ou une sollicitation d’achat ou de vente. En aucun cas, il ne peut être considéré comme un engagement du Mouvement des caisses Desjardins et celui-ci n’est pas responsable des conséquences d’une quelconque décision prise à partir des renseignements contenus dans le présent document. Les prix et les taux présentés sont indicatifs seulement parce qu’ils peuvent varier en tout temps, en fonction des conditions de marchés. Les rendements passés ne garantissent pas les performances futures, et les Études économiques du Mouvement des caisses Desjardins n’assument aucune prestation de conseil en matière d’investissement. Les opinions et les prévisions figurant dans le document sont, sauf indication contraire, celles des auteurs et ne représentent pas la position officielle du Mouvement des caisses Desjardins. Copyright © 2018, Mouvement des caisses Desjardins. Tous droits réservés. négative. On dit également qu’il n’est pas adapté à la vie moderne parce qu’il ne prend pas en compte l’augmentation du niveau de vie (ex. : les découvertes médicales qui réduisent les séjours à l’hôpital et qui allongent l’espérance de vie) ou les effets de l’innovation. On dénonce le fait qu’il n’inclut pas non plus les répercussions de la destruction de l’environnement ou de la déplétion des ressources. Bref, il est bien imparfait. Une mesure perfectible Le calcul du PIB a évolué au fil du temps. Des aménagements ont été faits à des degrés divers pour se doter d’une mesure plus complète et plus précise. On cherche également une certaine harmonisation afin que les comparaisons soient de plus en plus justes. Parmi les ajouts, on a tenté d’estimer l’ampleur du travail au noir. Par ailleurs, les organismes statistiques cherchent à chiffrer la valeur de la propriété intellectuelle et de la création artistique pour voir quelle serait leur contribution à l’économie. Ils s’intéressent à la meilleure façon d’inclure l’économie de partage et d’estimer la valeur des actifs en ressources naturelles. Peut-être qu’en saisissant mieux les indicateurs financiers des ménages et des institutions sans but lucratif, on pourrait en connaître davantage sur l’évolution de l’économie : c’est un peu le pari que font les statisticiens. Capter la valeur des innovations des industries des technologies de l’information permettrait vraisemblablement de mieux ausculter le progrès des sociétés. C’est ce à quoi se sont attelés ceux qui s’intéressent de près à la Le PIB est-il si myope? Qu’est-ce qui génère tant d’insatisfaction autour du PIB? Une partie de la réponse réside dans le fait qu’on lui demande de mesurer trop de choses tant du point de vue qualitatif que quantitatif : le progrès économique et social, le bien-être, le développement humain, la qualité et le niveau de vie. On aimerait lui faire jouer le rôle « d’outil universel ». On peut d’ores et déjà questionner le réalisme d’une telle exigence. Combien de domaines de la vie humaine ont trouvé des remèdes à leurs problèmes et à leurs questionnements à l’aide d’une seule solution? La mesure du PIB a été conçue dans les années 1930, à l’époque où les ministères des Finances du Royaume-Uni et des États-Unis ont construit leur système de comptabilité nationale. L’objectif était de mesurer l’efficacité de leurs politiques visant à relancer leurs économies qui étaient enlisées dans la Grande Dépression. Dès sa conception, des avertissements ont été émis quant aux limites du PIB : il ne s’agissait pas d’une mesure de bien-être. Toutefois, le message semble s’être perdu au fil du temps. Nombreux sont les reproches que l’on fait au PIB. On dit qu’il omet de comptabiliser le travail non rémunéré (ex. : travail domestique, bénévolat). On lui reproche de n’avoir aucune « moralité » en ce sens que la reconstruction qui fait suite à une destruction (par des catastrophes naturelles, des conflits, etc.) est perçue comme un ajout à la croissance (donc positivement) alors qu’elle résulte très souvent d’un événement à connotation Et si la performance de l’économie passait par autre chose que le PIB? ÉTUDES ÉCONOMIQUES | 27 SEPTEMBRE 2018 En novembre 2016, un Point de vue économique a été publié sur le manque de tonus de l’économie mondiale depuis la dernière récession. Une des conclusions importantes de cette étude était que la mesure du progrès passait probablement par d’autres indicateurs que ceux que l’on utilise traditionnellement, notamment le produit intérieur brut (PIB). Le progrès est peut-être en train de se produire ailleurs dans l’économie et la société, là où les outils conventionnels ne seraient pas en mesure de les capter. Ceux-ci portent souvent sur le présent ou le passé plus ou moins récent, ce qui est pertinent pour établir un diagnostic. Par contre, ils sont de peu d’utilité pour rendre compte des enjeux concernant le futur des sociétés à moyen et à long terme. Le présent document vise à examiner comment cette lacune pourrait être comblée au moyen d’indicateurs permettant une meilleure appréciation des progrès et du bien-être actuel et futur de la société ainsi que du Québec. GAGNANT DU TITRE DU MEILLEUR PRÉVISIONNISTE - CANADA #1 BEST OVERALL FORECASTER - CANADA

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POINT DE VUE ÉCONOMIQUE

François Dupuis, vice-président et économiste en chef • Joëlle Noreau, économiste principale

Desjardins, Études économiques : 418-835-2450 ou 1 866-835-8444, poste 5562450 • [email protected] • desjardins.com/economie

NOTE AUX LECTEURS : Pour respecter l’usage recommandé par l’Office québécois de la langue française, nous employons dans les textes et les tableaux les symboles k, M et G pour désigner respectivement les milliers, les millions et les milliards. MISE EN GARDE : Ce document s’appuie sur des informations publiques, obtenues de sources jugées fiables. Le Mouvement des caisses Desjardins ne garantit d’aucune manière que ces informations sont exactes ou complètes. Ce document est communiqué à titre informatif uniquement et ne constitue pas une offre ou une sollicitation d’achat ou de vente. En aucun cas, il ne peut être considéré comme un engagement du Mouvement des caisses Desjardins et celui-ci n’est pas responsable des conséquences d’une quelconque décision prise à partir des renseignements contenus dans le présent document. Les prix et les taux présentés sont indicatifs seulement parce qu’ils peuvent varier en tout temps, en fonction des conditions de marchés. Les rendements passés ne garantissent pas les performances futures, et les Études économiques du Mouvement des caisses Desjardins n’assument aucune prestation de conseil en matière d’investissement. Les opinions et les prévisions figurant dans le document sont, sauf indication contraire, celles des auteurs et ne représentent pas la position officielle du Mouvement des caisses Desjardins. Copyright © 2018, Mouvement des caisses Desjardins. Tous droits réservés.

négative. On dit également qu’il n’est pas adapté à la vie moderne parce qu’il ne prend pas en compte l’augmentation du niveau de vie (ex. : les découvertes médicales qui réduisent les séjours à l’hôpital et qui allongent l’espérance de vie) ou les effets de l’innovation. On dénonce le fait qu’il n’inclut pas non plus les répercussions de la destruction de l’environnement ou de la déplétion des ressources. Bref, il est bien imparfait.

Une mesure perfectibleLe calcul du PIB a évolué au fil du temps. Des aménagements ont été faits à des degrés divers pour se doter d’une mesure plus complète et plus précise. On cherche également une certaine harmonisation afin que les comparaisons soient de plus en plus justes.

Parmi les ajouts, on a tenté d’estimer l’ampleur du travail au noir. Par ailleurs, les organismes statistiques cherchent à chiffrer la valeur de la propriété intellectuelle et de la création artistique pour voir quelle serait leur contribution à l’économie. Ils s’intéressent à la meilleure façon d’inclure l’économie de partage et d’estimer la valeur des actifs en ressources naturelles. Peut-être qu’en saisissant mieux les indicateurs financiers des ménages et des institutions sans but lucratif, on pourrait en connaître davantage sur l’évolution de l’économie : c’est un peu le pari que font les statisticiens. Capter la valeur des innovations des industries des technologies de l’information permettrait vraisemblablement de mieux ausculter le progrès des sociétés. C’est ce à quoi se sont attelés ceux qui s’intéressent de près à la

Le PIB est-il si myope?Qu’est-ce qui génère tant d’insatisfaction autour du PIB? Une partie de la réponse réside dans le fait qu’on lui demande de mesurer trop de choses tant du point de vue qualitatif que quantitatif : le progrès économique et social, le bien-être, le développement humain, la qualité et le niveau de vie. On aimerait lui faire jouer le rôle « d’outil universel ». On peut d’ores et déjà questionner le réalisme d’une telle exigence. Combien de domaines de la vie humaine ont trouvé des remèdes à leurs problèmes et à leurs questionnements à l’aide d’une seule solution?

La mesure du PIB a été conçue dans les années 1930, à l’époque où les ministères des Finances du Royaume-Uni et des États-Unis ont construit leur système de comptabilité nationale. L’objectif était de mesurer l’efficacité de leurs politiques visant à relancer leurs économies qui étaient enlisées dans la Grande Dépression. Dès sa conception, des avertissements ont été émis quant aux limites du PIB : il ne s’agissait pas d’une mesure de bien-être. Toutefois, le message semble s’être perdu au fil du temps.

Nombreux sont les reproches que l’on fait au PIB. On dit qu’il omet de comptabiliser le travail non rémunéré (ex. : travail domestique, bénévolat). On lui reproche de n’avoir aucune « moralité » en ce sens que la reconstruction qui fait suite à une destruction (par des catastrophes naturelles, des conflits, etc.) est perçue comme un ajout à la croissance (donc positivement) alors qu’elle résulte très souvent d’un événement à connotation

Et si la performance de l’économie passaitpar autre chose que le PIB?

ÉTUDES ÉCONOMIQUES | 27 SEPTEMBRE 2018

En novembre 2016, un Point de vue économique a été publié sur le manque de tonus de l’économie mondiale depuis la dernière récession. Une des conclusions importantes de cette étude était que la mesure du progrès passait probablement par d’autres indicateurs que ceux que l’on utilise traditionnellement, notamment le produit intérieur brut (PIB). Le progrès est peut-être en train de se produire ailleurs dans l’économie et la société, là où les outils conventionnels ne seraient pas en mesure de les capter. Ceux-ci portent souvent sur le présent ou le passé plus ou moins récent, ce qui est pertinent pour établir un diagnostic. Par contre, ils sont de peu d’utilité pour rendre compte des enjeux concernant le futur des sociétés à moyen et à long terme. Le présent document vise à examiner comment cette lacune pourrait être comblée au moyen d’indicateurs permettant une meilleure appréciation des progrès et du bien-être actuel et futur de la société ainsi que du Québec.

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comptabilité nationale, notamment depuis le début du millénaire. Toutefois, tous ces efforts ne semblent pas suffisants pour rendre compte des avancées de nos sociétés et de nos économies.

Beaucoup d’institutions sont à pied d’œuvreCe n’est pas d’hier que l’on cherche à mieux mesurer le niveau d’avancement de la société. Dès les années 1990, le programme des Nations unies pour le développement a bâti et publié le « Human Development Index » qui regroupe trois types de préoccupations : la santé, l’éducation et le PIB par habitant. Toutefois, le portrait que l’on pouvait dresser à l’aide de cet indice était incomplet et la réflexion a donc continué d’évoluer.

Plus récemment, des recherches1 ont montré que la répartition des revenus et de la richesse pouvait avoir une incidence majeure sur le niveau de satisfaction et de bien-être de la population. Les sociétés les plus égalitaires seraient les plus performantes sous l’angle du développement humain. Conséquemment, la plupart des problèmes sociaux pourraient être liés aux écarts de revenus davantage qu’à l’insuffisance des revenus, mais encore faut-il mesurer ces écarts. Ces derniers prennent de multiples dimensions et peuvent tout aussi bien s’observer du point de vue de la criminalité, des grossesses adolescentes, de la mortalité infantile, de la maladie mentale, de l’émancipation des femmes, de l’espérance de vie ou de la performance scolaire, pour ne nommer que ces quelques aspects. Les effets des inégalités seraient observables dans les pays riches comme dans les pays pauvres.

C’est dans ce contexte et avec ces préoccupations en tête que la Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social a déposé au gouvernement français, en 2009, un rapport avançant que le bien-être de la population ne dépend pas seulement du niveau de vie (la production), mais aussi de la qualité de vie, et que, pour assurer la durabilité de ce bien-être, il fallait assurer la préservation de différents types de capital : physique, naturel, humain et social.

Le rapport de cette Commission, présidée par le prix Nobel Joseph Stiglitz (Économie 2001) et à laquelle participait également le prix Nobel Amartya Sen (Économie 1998), a eu un grand retentissement et a inspiré les travaux ultérieurs de nombreux chercheurs et de différentes agences nationales et internationales de production de statistiques. C’est le cas notamment du secrétariat de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui a élaboré un cadre conceptuel du bien-être des populations qui découle directement des recommandations de la Commission.

Le caractère novateur de ce cadre tient d’abord à ce qu’il centre l’attention sur le bien-être individuel plutôt que sur la croissance

et le développement de l’économie dans son ensemble. De fait, les variables économiques traditionnelles, dont le PIB, n’y apparaissent qu’en filigrane, soit comme faisant partie des conditions matérielles susceptibles de contribuer au bien-être des individus. L’OCDE reconnaît aussi que la croissance économique peut produire des activités « regrettables » qui peuvent aller à l’encontre du bien-être.

En plus des conditions matérielles, le concept imaginé par l’OCDE fait reposer le bien-être sur la qualité de vie. Celle-ci dépend de plusieurs éléments tels que la santé, l’éducation, la sécurité et la qualité de l’environnement. Une autre innovation de l’OCDE est de retenir des facteurs intangibles, comme par exemple les liens sociaux ou subjectifs comme le sentiment de bien-être.

Enfin, le cadre proposé par l’OCDE tient compte non seulement du bien-être actuel des individus, mais aussi de la possibilité que celui-ci puisse durer ou progresser, soit ce que l’on appelle communément le développement durable. L’annexe à la page 12 permet d’apprivoiser quelques expériences de mesure du bien-être à travers le monde.

L’analyse qui suit s’inspire grandement de cette approche et de cette catégorisation proposée par l’OCDE. Toutefois, l’expression « conditions matérielles » est remplacée par « niveau de vie », et ce, uniquement pour utiliser des termes correspondant mieux à l’usage courant.

Un autre regard sur la croissancePour les besoins du présent exercice, les données débuteront en 2009 (après la récession) lorsqu’elles sont disponibles. Ceci permettra de constater l’évolution pour les années 2010 à 2017 (selon la disponibilité des données). Le premier regard sera bref. Il portera sur le PIB qui sera le point de comparaison à partir duquel seront souvent mises en parallèle les autres données retenues pour l’analyse. Ainsi, le graphique 1 présente la croissance annuelle du PIB réel (sans effet de l’inflation) pour la période considérée. On remarque tout de suite que les avancées sont plutôt modestes pour le Québec, surtout entre 2012 et 2016.

GRAPHIQUE 1Québec : une progression du PIB réel qui n’a pas battu de record

Sources : Statistique Canada et Desjardins, Études économiques

Variation annuelle en %

0,0

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2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017

Canada Québec Ontario

VARIATION ANNUELLE MOYENNE DU PIB RÉEL ENTRE 2010 ET 2017

Canada 2,3 %

Québec 1,7 %

Ontario 2,0 %

1 Richard WILKINSON et Kate PICKETT, The Spirit Level: Why Equality is Better for Everyone, Penguin UK, 2009, 400 p.

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Elles laissent une impression de croissance poussive, notamment en regard de l’Ontario. Durant la période susmentionnée, la croissance annuelle moyenne du PIB réel a été de 1,7 % au Québec, ce qui est nettement en deçà des progressions enregistrées dans les décennies précédentes, y compris au cours de la décennie 1990 où la récession de 1990-1991 semblait s’être éternisée jusqu’aux années 20002. Peut-on dire pour autant qu’il n’y a eu aucun progrès depuis la récession?

Quelques explications sur le choix des indicateursParmi la myriade d’indicateurs possibles, il faut exercer un choix. Ces derniers doivent offrir un niveau suffisant de précision et de sensibilité. Ils doivent être cohérents dans le temps et fournir des renseignements utiles sur la performance ou les perspectives d’avenir. De plus, les données doivent provenir de sources connues pour leur rigueur méthodologique. Dans la mesure où l’on souhaite donner un portrait lisible de leur évolution, leur nombre doit être restreint. Lorsque ce sera possible, une comparaison pourra être établie avec l’Ontario notamment, compte tenu de sa similitude tant au chapitre de la taille, de la géographie, du niveau de vie, de la structure, de l’économie et des institutions. Afin de déceler des changements, on doit pouvoir observer une variabilité d’une année à l’autre.

Dans ce contexte, 23 indicateurs ont été retenus. Ils ont été regroupés en trois grandes catégories : la qualité de vie, le niveau de vie et la durabilité.

La qualité de vieDu côté de la qualité de vie, l’analyse repose sur un large éventail de sujets. De façon plus précise, le regard portera sur l’évolution de la qualité des emplois, la congestion routière, l’indice fonctionnel global de l’état de santé, l’importance de l’embonpoint et de l’obésité, l’indice de gravité de la criminalité chez les jeunes, la diplomation postsecondaire, les inégalités de revenus, les disparités régionales de revenus et le bien-être subjectif. Dans un premier temps, on peut se demander comment ont évolué l’économie et la société québécoise à l’égard de chacun de ces paramètres depuis 2009, pour ensuite se donner une vue d’ensemble.

En ce qui a trait à la qualité des emplois salariés, l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) s’est penché sur la question3. Ainsi, en fonction de critères tels le degré de qualification, la stabilité, la rémunération et la durée de la semaine de travail, on observe (graphique 2) que la proportion des emplois de qualité élevée a crû au cours des dernières années (2009 à 2017) et que celle des

emplois de faible qualité a diminué. C’est une tendance positive, qui va au-delà de la lecture du nombre d’emplois tel qu’on le voit habituellement.

Pour la congestion routière, il ne faut pas être devin pour constater que la situation ne s’est pas améliorée récemment. Les travaux majeurs qui sont en cours un peu partout dans la province, particulièrement dans la grande région de Montréal, promettent d’accroître la fluidité des déplacements à moyen terme. Toutefois, dans l’immédiat, ils sont source de congestion accrue et nuisent à la productivité et à la qualité de vie des Québécois malgré le fait que les investissements dans les infrastructures contribuent à gonfler le PIB. Sur un horizon plus lointain, on devrait observer une diminution de la congestion, ce qui signifie des gains à la fois pour les personnes, les entreprises et, ultérieurement, pour l’économie.

Au chapitre de la santé, la progression de l’Indice fonctionnel global de l’état de santé déçoit (graphique 3). Cet indicateur publié par l’ISQ rend compte du pourcentage que représentent dans la population les personnes ayant des problèmes de santé classés de modérés à sérieux. Il est basé sur l’indice fonctionnel global de la santé mesurant la vision, l’ouïe, la parole, la marche, la dextérité, les émotions, la cognition et la douleur.

GRAPHIQUE 3L’incidence de problèmes de santé modérés et sérieuxdans la population québécoise est à la hausse

Note : la donnée de 2011-2012 est une intrapolation.Sources : Institut de la statistique du Québec et Desjardins, Études économiques

En % de la population de 12 ans et plus

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2007-2008 2009-2010 2011-2012 2013-2014

Indice fonctionnel global de l’état de santé

GRAPHIQUE 2La part des emplois salariés de qualité élevée est à la hausse depuis 2013

Sources : Institut de la statistique du Québec et Desjardins, Études économiques

En %

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25

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45

2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017

Faible Moyenne Élevée

Proportion des emplois selon le niveau de qualité

2 Le changement de cadence enregistré en 2017 s’explique par une conjonction de facteurs particulièrement favorables qui, selon toute vraisemblance, a été passagère.

3 Répartition des travailleurs salariés non étudiants dans les trois niveaux de qualité de l’emploi, résultats selon le sexe pour diverses caractéristiques de la main‑d’oeuvre, Québec, Ontario et Canada, Institut de la statistique du Québec, 20 décembre 2017, 1 p.

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Ce pourcentage est à la hausse ces dernières années, et ce, malgré toutes les sommes investies en santé. Il faut toutefois composer avec une population qui vieillit. Cet aspect peut sans doute expliquer une partie de la détérioration de l’état de santé des Québécois tel que le révèle l’indice fonctionnel global.

En ce qui a trait à l’embonpoint et à l’obésité4, qui sont également des composantes de la qualité de vie, on a observé que ces deux conditions ont progressé de façon constante entre 2007 et 2014 au Québec. Cumulées, elles touchent désormais la moitié de la population québécoise (graphique 4). Alors que l’embonpoint et l’obésité sont généralement reconnus comme des indices précurseurs de pathologies diverses chez les personnes, leur progression assombrit les perspectives associées à la qualité de vie des Québécois. Une main-d’œuvre et une population en santé sont des atouts pour l’économie et pour la société. En outre, on les associe à moins d’absentéisme au travail et à moins de dépenses en santé.

La sécurité est un autre aspect de la qualité de vie. Une des façons de la mesurer est l’Indice de gravité de la criminalité, tel que calculé par Statistique Canada5. Il comprend toutes les infractions au Code criminel, y compris les délits de la route ainsi que les infractions relatives aux drogues et celles liées à des lois fédérales. Le niveau de gravité est fondé sur les peines actuellement prononcées par les tribunaux dans l’ensemble des provinces et des territoires.

Comme ailleurs au Canada, la gravité des crimes commis par les jeunes a diminué au Québec entre 2009 et 2016 (graphique 5), voilà qui est un point positif. Il est cependant remonté quelque peu en 2017 au Québec, à l’instar du Canada et de l’Ontario.

La question de l’éducation est incontournable bien que la santé soit en tête de liste des préoccupations des Québécois lorsqu’on les sonde, que ce soit en période électorale ou non. Toutefois, l’éducation tend à prendre un peu plus d’importance que par le passé, s’il faut en croire les nombreuses initiatives qui ont vu le jour ces dernières années pour contrer le décrochage scolaire et pour encourager la persévérance à l’école. On sait, par ailleurs, que le niveau d’éducation et les compétences acquises par une personne concourent pour beaucoup à sa qualité de vie et à son bien-être. Ils augmentent sensiblement les chances de trouver un emploi gratifiant, de développer des liens sociaux valorisants, d’avoir accès à la culture et de mieux comprendre les enjeux politiques et sociétaux. Le graphique 6 illustre la progression importante de la diplomation postsecondaire au sein de la population québécoise depuis 2009. En cela, le Québec a avancé sensiblement.

La distribution des revenus est une autre des facettes du bien-être et de la qualité de vie. La distribution inégalitaire des revenus et de la richesse affecte le bien-être de la partie de la population qui s’en estime victime. Or, la sensibilité aux inégalités a augmenté au cours des dernières années suite à la publication de nombreuses études et de rapports qui ont fait la

GRAPHIQUE 4L’embonpoint et l’obésité dans la population québécoisesont également en progression

Sources : Institut de la statistique du Québec et Desjardins, Études économiques

En %

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2007-2008 2009-2010 2011-2012 2013-2014

Embonpoint Obésité Total

Part de la population de 12 ans et plus souffrant d’embonpoint ou d’obésité

GRAPHIQUE 5L’indice de gravité de la criminalité chez les jeunes est nettement à la baisse

Sources : Statistique Canada et Desjardins, Études économiques

2006 = 100

40

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70

80

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100

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2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017

Québec Ontario Canada Alberta

GRAPHIQUE 6La diplomation postsecondaire dans la populationde 25 ans et plus est à la hausse

Sources : Statistique Canada et Desjardins, Études économiques

En %

54

56

58

60

62

64

2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017

Québec Ontario Canada Alberta Colombie-Britannique

Taux de diplomation postsecondaire

4 L’embonpoint correspond à un indice de masse corporelle (IMC) compris entre 25,0 et 29,9 et l’obésité à un IMC égal ou supérieur à 30,0.

5 L’Indice de gravité de la criminalité est calculé par Statistique Canada au moyen des données du Programme de déclaration uniforme de la criminalité (DUC).

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démonstration que l’écart entre les personnes les plus riches et le reste de la population s’accentuait dans un grand nombre de pays.

Bien qu’il soit difficile de faire l’unanimité autour du choix d’un indicateur, le co efficient de Gini est celui qui est le plus souvent utilisé pour refléter le degré d’inégalité dans une société. Il s’établit sur une échelle de 0 à 1. Plus le coefficient s’approche de la valeur « 1 », plus les écarts de revenus sont importants (donc, plus la société est inégalitaire).

Le graphique 7 permet de constater que les inégalités de revenus après impôts ont varié quelque peu à la hausse et à la baisse au Québec depuis 2009. Sur l’ensemble de la période, elles sont demeurées sensiblement au même niveau. La situation a évolué de la même façon ailleurs au Canada, toutefois les inégalités y demeurent nettement plus accentuées qu’au Québec. Ces observations permettent de voir que le Québec n’a pas fait de gains réels à ce chapitre entre 2009 et 2016. Toutefois, en matière de distribution de revenus, il a une longueur d’avance sur ses contreparties provinciales.

La perception du bien-être ou le bien-être subjectif fait également partie de la qualité de vie. Statistique Canada en fait une évaluation par le biais de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes (ESCC). Ainsi, les derniers résultats ont permis de constater une amélioration entre les périodes de récession (2007-2008) et de postrécession (2013-2014). Toutefois, après 2010, le niveau de satisfaction a diminué. On note une variation entre les régions, mais dans l’ensemble, la plupart de celles-ci affichent un score élevé (tableau 1).

À la lumière des indicateurs retenus sur la qualité de vie, on peut tirer quelques conclusions. La première est l’évidence même : c’est que l’ensemble de ces indices ou données n’évolue pas au diapason. La progression depuis la fin de la récession, on le constate, est fort contrastée pour chacun. La seconde, c’est que le biais positif qui aurait pu être donné par la progression continue du PIB réel durant cette période (croissance annuelle

moyenne de 1,7 %) ne semble pas trouver son écho dans chacun des indicateurs associés à la qualité de vie. Ceci confirme, une fois de plus, l’écart qui sépare la mesure de la croissance de l’économie de celle de la qualité de vie.

Si l’on combine les huit indicateurs choisis et que l’on tente de dégager quelques constats pour la période de 2009 à 2017, on observe que seulement trois de ceux-ci ont une tendance positive dans leur champ respectif (qualité des emplois, indice de gravité de la criminalité chez les jeunes et diplomation postsecondaire). Un n’a pas véritablement changé (inégalités de revenus après impôts) et quatre ont une tendance négative (la congestion routière, l’indice global de l’état de santé, l’embonpoint et l’obésité et le bien-être subjectif). Compte tenu du fait qu’un plus grand nombre d’indicateurs sont en diminution que le nombre de ceux qui sont en augmentation, peut-on en conclure qu’il n’y a pas eu de progrès pour autant? Pas nécessairement, cela dépend du poids accordé à chacun et de l’incidence de chaque aspect sur les personnes et l’économie en général. L’important est de s’assurer que la tendance à la baisse de certains indicateurs ne soit pas continue. Voilà pourquoi il serait intéressant d’en faire le suivi dans le temps.

Le niveau de vieMême si le niveau de vie ne suffit pas en soi à assurer le bien-être des personnes, un degré minimum de confort et d’aisance est certainement nécessaire. Il tient d’abord aux conditions matérielles de l’existence. Indirectement, il repose aussi sur plusieurs variables économiques telles que le revenu, le patrimoine et la consommation.

Si le revenu est une dimension fondamentale du niveau de vie et un facteur important de la qualité de vie, le taux de personnes à faible revenu constitue par le fait même un indicateur utile pour voir quelle proportion de la population risque d’éprouver

GRAPHIQUE 7Le niveau des inégalités de revenus après impôts a peu changé depuis 2009 au Québec

Sources : Statistique Canada et Desjardins, Études économiques

Degré relatif d’inégalité dans la distribution de revenus

0,27

0,28

0,29

0,30

0,31

0,32

0,33

2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016

Québec Ontario Canada Alberta Colombie-Britannique

Cœfficient de Gini

2007-2008 2009-2010 2011-2012 2013-2014

Bas-Saint-Laurent 94,4 93,7 93,4 93,9Saguenay–Lac-Saint-Jean 92,6 95,5 94,0 94,3Capitale-Nationale 93,4 95,6 95,3 93,2Mauricie et Centre-du-Québec 94,0 94,4 95,6 92,1Estrie 91,6 93,4 94,5 94,0Montréal 89,1 93,5 91,5 92,5Outaouais 93,5 93,7 94,4 94,4Abitibi-Témiscamingue 91,7 92,9 93,9 93,1Côte-Nord 95,9 96,4 94,7 94,1Nord-du-Québec 96,2 96,5 97,2 93,1Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine 94,9 94,5 93,4 91,1Chaudière-Appalaches 95,5 94,8 94,6 93,7Laval 93,6 92,1 91,9 93,3Lanaudière 94,0 95,2 95,1 95,2Laurentides 94,2 94,1 94,0 94,5Montérégie 93,7 94,1 94,8 94,4Ensemble du Québec 92,6 94,1 93,8 93,6

TABLEAU 1

EN %

Proportion des personnes étant satisfaites outrès satisfaites de leur vie

Sources : Institut de la statistique du Québec, Statistique Canada et Desjardins, Études économiques

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627 SEPTEMBRE 2018 | POINT DE VUE ÉCONOMIQUE

de sérieuses difficultés à atteindre ou à conserver un niveau de bien-être satisfaisant. Le graphique 8 permet de voir l’évolution de la mesure de faible revenu6 pour le Québec. On a observé une diminution pour les années 2013 et 2014, une hausse en 2015 puis, une diminution appréciable en 2016. Pour cette dernière année notamment, le taux de personnes à faible revenu est plus élevé au Québec qu’en Ontario et dans le reste du Canada.

Toutefois, l’écart avec la moyenne canadienne s’est estompé.Le nombre d’heures travaillées est révélateur de la vitalité de l’économie, de la possibilité pour les ménages d’accroître leur niveau de vie et du désir ou de la volonté des gens de prolonger leur présence sur le marché du travail. Le graphique 9 illustre bien l’évolution récente au Québec et sa place dans l’ensemble canadien. On constate que le nombre moyen d’heures travaillées a augmenté chez les Québécois en 2015 et en 2016, ce qui est encourageant. Toutefois, il faut mettre deux bémols : d’une part, les gains sont modestes en regard de 2009. D’autre part, on peut

difficilement pavoiser lorsque l’on compare avec la moyenne canadienne et l’Ontario. Néanmoins, la hausse québécoise de 2015 et de 2016 illustre que des gains sont possibles.

Les relations commerciales sont aussi un bon indicateur de la compétitivité de l’économie québécoise avec les autres provinces canadiennes et le reste du monde. De façon générale, le commerce avec d’autres économies a une influence sur le niveau de vie. On peut penser, entre autres, aux nombreux biens qui ne peuvent pas être fabriqués ou produits au Québec en raison de son climat, de ses ressources naturelles, des compétences de sa main-d’oeuvre ou des technologies dont il dispose. Ainsi, la hausse des échanges est profitable.

Les exportations vers l’étranger (de biens et de services) ont augmenté depuis 2010, particulièrement en 2014, notamment sous l’effet de la faiblesse du huard et de la reprise vigoureuse de l’économie américaine (graphique 10). Les importations de biens de l’étranger demeurent supérieures aux exportations. Par ailleurs, le solde des échanges interprovinciaux (exportations-importations) a été positif depuis 2009 et il a même augmenté en 2014 et en 2015. Il a cependant diminué en 2016 et en 2017. L’Accord de libre-échange canadien (ALEC) sur le commerce interprovincial, qui est entré en vigueur en juillet 2017, permettra d’abaisser les barrières commerciales. Il sera intéressant d’en mesurer les effets dans les années à venir. Enfin, en combinant le solde international (négatif) et le solde provincial (positif), on observe tout de même un déficit commercial, qui, après avoir diminué en 2014 et en 2015, a recommencé à croître.

Ce court segment de l’analyse sur le niveau de vie permet d’observer que la nature des indicateurs choisis est davantage associée aux indices économiques plus traditionnels. Malgré la proximité avec la mesure du PIB, ils n’ont pas tous évolué dans la même direction que ce dernier durant la période 2009 à 2017. Le bilan n’est donc pas à « sens unique » vers la progression. Par ailleurs, ils ne sont pas tous en régression non plus ce qui signifie que l’on a tout de même réussi, à certains égards et

GRAPHIQUE 8Le pourcentage de personnes à faible revenu a diminuétout récemment au Québec

Sources : Statistique Canada et Desjardins, Études économiques

En % de la population

6

8

10

12

14

16

18

2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016Québec Ontario Canada Alberta Colombie-Britannique

Mesure de faible revenu

GRAPHIQUE 9La moyenne hebdomadaire des heures travaillées a atteint un sommet en 2016 au Québec, avant de diminuer un peu en 2017

Sources : Statistique Canada et Desjardins, Études économiques

Heures par semaine

31

32

33

34

35

36

2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017Québec Ontario Canada Alberta

GRAPHIQUE 10Les exportations de biens et de services vers l’étrangeront pris du tonus au Québec

e : estimationSources : Institut de la statistique du Québec et Desjardins, Études économiques

En % du PIB

16

21

26

31

36

2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017eExportations vers l'étranger Exportations vers les autres provincesImportations de l'étranger Importations des autres provinces

Part des échanges commerciaux dans la production

6 Selon Statistique Canada, les mesures de faible revenu sont une mesure relative du faible revenu correspondant à 50 % de la médiane du revenu ajusté du ménage. Ces mesures sont différenciées selon le nombre de personnes présentes dans le ménage afin de refléter les économies d’échelle attribuables à la taille du ménage.

727 SEPTEMBRE 2018 | POINT DE VUE ÉCONOMIQUE

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pour certaines années, à faire des gains (heures travaillées par semaine). Le défi demeure de les conserver.

La durabilitéLes indicateurs de durabilité visent à apprécier si la société québécoise disposera dans l’avenir du même niveau de ressources individuelles ou collectives que celui qui lui a permis d’atteindre son degré de bien-être et de développement actuel. Ils seront considérés sous quatre angles : le capital humain, le capital économique, les infrastructures publiques et le capital naturel.

Le capital humainUne scolarité de base est un facteur important d’intégration sociale. De plus, la détention d’un diplôme d’études secondaires (DES) est généralement exigée, même pour des emplois qui requièrent peu de compétences spécialisées. À cet effet, le pourcentage de la population de 25 à 44 ans sans DES est une variable intéressante (graphique 11). On constate qu’il est en recul depuis 2009 alors qu’il est passé de 10,8 % à 7,9 % en 2017. Bonne nouvelle, au cours de la période, l’écart avec l’Ontario a eu tendance à se rétrécir quelque peu.

Par ailleurs, le marché du travail fait de plus en plus appel à du personnel qualifié, et ce, tant pour du travail technique que professionnel. Le taux de diplomation collégiale et universitaire est ainsi un bon indicateur de la capacité des entreprises de trouver du personnel répondant à leurs besoins. Au Québec, la portion de la population de 25 à 44 ans disposant d’un diplôme ou d’un certificat d’études collégiales ou universitaires a fait un bond majeur entre 2009 et 2017 (graphique 12). Elle est passée de 71,6 % à 78,8 %. À cet égard, le Québec devance l’Ontario et l’écart entre les deux provinces s’est même accru au cours de la période. C’est vraisemblablement la présence des cégeps qui fait la différence en faveur du Québec.

On peut également regarder la formation par le prisme des inscriptions en sciences naturelles, techniques, en ingénierie et en mathématiques. Bien que les études et la diplomation soient importantes en elles-mêmes, certains domaines d’apprentissage

répondent davantage aux besoins des entreprises dans un contexte où l’innovation est de plus en plus un facteur de compétitivité et de durabilité. Pour cette raison, le pourcentage des inscriptions aux études en sciences naturelles, techniques, ingénierie et en mathématiques (STIM)7 constitue un indicateur qui permet de voir à quel point les choix de carrière des étudiants québécois correspondent aux besoins prévisibles de l’économie et de la société. Ces inscriptions ont progressé de façon encourageante entre 2009 et 2017 puisqu’elles sont passées de 16,4 % à 17,4 % de l’ensemble des inscriptions au postsecondaire (graphique 13). Toutefois, l’écart avec l’Ontario est important et il s’est accru au cours des dernières années. Pour le Québec, le bilan est positif par rapport au passé et il est encourageant par rapport à l’avenir, toutefois l’accroissement du retard par rapport à l’Ontario modère l’enthousiasme.

GRAPHIQUE 11La part de la population des 25 à 44 ans sans diplôme d’études secondaires décroît

Sources : Statistique Canada et Desjardins, Études économiques

En % de la population des 25 à 44 ans

5

6

7

8

9

10

11

12

2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017

Québec Ontario

GRAPHIQUE 12Le pourcentage de la population des 25 à 44 ans avec un diplôme ou un certificat d’études postsecondaires a progressé

Sources : Statistique Canada et Desjardins, Études économiques

En % de la population des 25 à 44 ans

66

68

70

72

74

76

78

80

2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017

Québec Ontario

7 Plus précisément dans les catégories suivantes de la classification de Statistique Canada : sciences physiques, sciences de la vie, technologies, mathématiques, informatique et sciences de l’information, architecture, génie et services connexes.

GRAPHIQUE 13Le pourcentage des inscriptions en STIM au postsecondaire augmente graduellement

STIM : sciences naturelles, techniques, ingénierie et mathématiquesSources : Statistique Canada et Desjardins, Études économiques

En % des étudiants inscrits dans un établissement postsecondaire

14

16

18

20

22

24

26

2008-2009

2009-2010

2010-2011

2011-2012

2012-2013

2013-2014

2014-2015

2015-2016

Québec Ontario

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827 SEPTEMBRE 2018 | POINT DE VUE ÉCONOMIQUE

Le capital économiqueSelon qu’elles soient en équilibre ou pas, les finances personnelles peuvent influer sur la capacité des individus et des ménages de maintenir ou d’accroître leur bien-être dans l’avenir. Ainsi, le taux d’épargne reflète à la fois le niveau de vie actuel des ménages et leur capacité de préserver ou d’accroître celui-ci dans le futur. Le taux d’épargne des ménages québécois n’a pas beaucoup varié au cours de la période, oscillant entre 3 % et 5 % du revenu (graphique 14). Il se situe au-delà de la moyenne canadienne et a dépassé celui de l’Ontario.

Dans un registre plus collectif, les dépenses en recherche et développement (R-D) contribuent également au capital économique. Elles constituent un indicateur de la capacité de l’économie à innover et à s’adapter aux changements structurels auxquels elle est confrontée. Cela est particulièrement vrai pour les dépenses en R-D dans les secteurs des sciences naturelles et en génie. À ce chapitre, le Québec se classe au-dessus de l’Ontario. Cependant, dans les deux provinces, l’effort en R-D en sciences naturelles et en génie a diminué sensiblement entre 2009 et 2015 (graphique 15). Des données pour l’année 2016 permettraient de voir si la situation a évolué en sens inverse, à la faveur d’une économie en croissance.

Dans le même ordre d’idées, l’importance du personnel affecté en R-D constitue une autre façon d’évaluer la priorité que les entreprises accordent à l’innovation. Entre 2009 et 2013, les effectifs affectés à la R-D ont baissé, passant de 69 750 à 66 780 (graphique 16). Cette tendance est observable également en Ontario. Ce recul peut s’expliquer principalement par le ralentissement de l’économie survenu au cours de cette période. Il faut espérer que la situation se soit rétablie par la suite à l’image de la progression attendue pour les dépenses en R-D en sciences naturelles et en génie.

De son côté, l’investissement privé fournit une bonne indication de la capacité de renouvellement et d’expansion de l’économie. La comparaison avec l’Ontario permet de voir si les deux provinces réagissent de la même façon aux pressions conjoncturelles et structurelles. Au Québec, les investissements privés sont en recul depuis 2013 (graphique 17). En 2016, ils étaient même sous le niveau atteint en 2009 au moment de la crise financière. L’Ontario a connu une évolution contrastée de sorte que l’écart entre les deux provinces s’est accentué, notamment entre 2014 et 2015. Sur ce paramètre, il faut admettre que le Québec a perdu du terrain et que cette diminution des investissements privés préoccupe dans la mesure où l’on sait déjà que l’économie québécoise n’est pas

GRAPHIQUE 14Le taux d’épargne des ménages a quelque peu remonté depuis 2010 au Québec

Sources : Statistique Canada et Desjardins, Études économiques

En % du revenu disponible

02468

1012141618

2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016

Québec Ontario Canada Alberta

GRAPHIQUE 15Les dépenses en R-D en sciences naturelles et en géniesont à la baisse dans l’économie

R-D : recherche et développementSources : Statistique Canada et Desjardins, Études économiques

En % du PIB

1,7

1,8

1,9

2,0

2,1

2,2

2,3

2,4

2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015

Québec Ontario

GRAPHIQUE 16Le personnel affecté en R-D est à la baisse

R-D : recherche et développement Sources : Statistique Canada et Desjardins, Études économiques

En nombre

0

50 000

100 000

150 000

200 000

250 000

2009 2010 2011 2012 2013

Colombie-Britannique Québec Ontario Alberta

Personnel affecté en R-D

GRAPHIQUE 17Les investissements privés non résidentiels sont en diminution au Québec

Sources : Statistique Canada et Desjardins, Études économiques

En M$ de 2007

30 000

40 000

50 000

60 000

70 000

80 000

90 000

2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016

Québec Ontario

927 SEPTEMBRE 2018 | POINT DE VUE ÉCONOMIQUE

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un champion de la compétitivité en regard de ses concurrents commerciaux.

Les infrastructures publiquesLa qualité de vie et le potentiel de l’économie sont liés à la disponibilité des infrastructures publiques en qualité et en quantité suffisante. Une des façons de faire un état des lieux est de regarder du côté de l’entretien des infrastructures publiques. Le déficit d’entretien des infrastructures, s’il n’est pas comblé ou réduit, peut devenir incontrôlable et conduire à moyen terme à la perte d’une partie de ces infrastructures. Cette perspective est particulièrement préoccupante dans les domaines de l’éducation et de la santé compte tenu de leurs impacts sur le bien-être de la population. Au cours de la dernière année, le déficit de maintien d’actifs a été résorbé en partie dans les cégeps et les universités, mais, en contrepartie, il s’est accru dans les écoles et le réseau de la santé et des services sociaux (graphique 18). En dépit de certaines avancées, il n’y a pas lieu de plastronner.

Une autre façon d’apprécier la situation consiste à regarder l’état des infrastructures routières. On peut s’intéresser notamment au réseau supérieur, soit celui entretenu par le ministère des Transports du Québec, qui constitue une infrastructure stratégique. Son maintien en bon état est un indicateur de la capacité et de la volonté du gouvernement d’allouer les ressources nécessaires à sa préservation à moyen et à long terme. Le graphique 19 présente l’état des structures, soit les ponts, les ponceaux, les murs de soutènement et les tunnels du réseau. On constate que la situation s’est améliorée entre 2012 et 2017. En cette matière, le défi est double. D’une part, il faut éviter de perdre les gains effectués depuis 2012; d’autre part, il faut chercher à améliorer ce bilan. Il en va du bien-être de la population et du potentiel de croissance de l’économie.

Le capital naturelL’environnement, l’énergie, la faune et les ressources naturelles forment un capital naturel qui doit être géré et préservé de façon à assurer à moyen et à long terme le maintien de la qualité et du niveau de vie de la population.

GRAPHIQUE 18Déficit de maintien d’actifs des infrastructures : les évolutions sont contrastées

Sources : Plans annuels de gestion des investissements publics en infrastructures 2017-2018 et Desjardins, Études économiques

En M$

0500

1 0001 5002 0002 5003 0003 5004 000

2016-2017 2017-2018

Commissions scolaires Universités Cégeps Santé et services sociaux

Par catégorie d’infrastructures publiques

L’eau est dans le peloton de tête puisqu’elle est essentielle à la vie. Sa disponibilité et sa bonne qualité contribuent au bien-être de la population, et ce, à double titre. D’une part, pour son incidence sur la santé publique; d’autre part, pour la contribution importante de l’eau dans la production agricole et industrielle. Un indicateur disponible à cet égard est celui de la qualité de l’eau à l’embouchure des principaux bassins versants du Québec méridional. Cet indice classe la qualité de l’eau selon les niveaux jugés acceptables de coliformes fécaux, de phosphore et de matières en suspension. Malgré quelques fluctuations d’une année à l’autre, la qualité de l’eau à l’embouchure des principaux bassins versants du Québec méridional s’est améliorée depuis 2009 (graphique 20). Cet aspect du bien-être et de l’économie prendra de l’importance au fil du temps, notamment en raison des changements climatiques (qualité et quantité d’eau [abondance? rareté?]). L’eau est déjà un enjeu stratégique dans certains États du monde. Il fait déjà l’objet de vives discussions8 de ce côté-ci de l’Atlantique, que ce soit localement, régionalement ou entre les pays.

GRAPHIQUE 19L’état du réseau routier supérieur* s’est amélioré

p : prévisions par le ministère; * Celui entretenu par le ministère des Transports du Québec. Sources : « Bilan de l’état des structures du réseau routier supérieur 2015, 2016 » du ministère des Transports du Québec et Desjardins, Études économiques

En % du nombre de structures

68

70

72

74

76

2012 2013 2014 2015 2016 2017p

Pourcentage de structures ne nécessitant aucune intervention

GRAPHIQUE 20On observe une amélioration pour l’eau de bonne qualitéà l’embouchure des principaux bassins versants méridionaux

Sources : Institut de la statistique du Québec, ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques et Desjardins, Études économiques

En %

0

20

40

60

80

100

2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016

Coliformes fécaux Phosphore Matières en suspension

Bassins versants de bonne qualité à leur embouchure

8 L’eau : côté abondance, côté rareté, Desjardins, Études économiques, Point de vue économique, 14 avril 2016, 11 p.

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1027 SEPTEMBRE 2018 | POINT DE VUE ÉCONOMIQUE

La qualité de l’air est tout aussi importante et est un facteur critique pour la santé publique. Elle est influencée par la nature et par l’intensité des activités économiques ainsi que par les mesures de régulation environnementale prises par les autorités publiques. La région de Montréal est l’endroit au Québec où la qualité de l’air est le plus susceptible d’être variable même si dans d’autres régions du Québec elle peut aussi être affectée à l’échelon local par des facteurs telle la présence d’installations industrielles qui ont des rejets dans l’atmosphère.

L’indicateur retenu est celui des jours sans smog à Montréal. Il rend compte de la qualité de l’air dans la métropole à partir des concentrations des deux principaux polluants à l’origine du smog, soit l’ozone et les particules fines qu’on y retrouve. Les journées avec ou sans smog sont établies en fonction de seuils touchant l’intensité, la durée et l’étendue de cette condition atmosphérique. L’indicateur montre une nette amélioration de la situation entre 2009 et 2017 (graphique 21), ce qui est une bonne nouvelle. Quelques constats peuvent être faits : premièrement, la population en bénéficie, ce qui est un gain pour la santé publique. Deuxièmement, les actions prises semblent porter leurs fruits. Troisièmement, cette embellie peut également profiter aux entreprises qui embauchent, comme facteur d’attraction pour la main-d’œuvre. Quatrièmement, la réduction du nombre de jours sans smog est un des aspects de la qualité de l’air et il ne saurait caractériser à lui seul toute la question de la qualité de l’air, mais c’est un jalon important. Cinquièmement, bien que les progrès soient appréciables, les efforts doivent être maintenus.

Enfin, les forêts constituent une source d’activité économique importante pour plusieurs collectivités québécoises et, à ce titre, elles contribuent de façon positive au niveau de vie de la population. Elles ont également un apport écologique majeur, notamment pour le stockage du carbone, la préservation des habitats fauniques, le contrôle de l’érosion et le bon fonctionnement du cycle de l’eau. Le potentiel de la forêt québécoise dépend de divers facteurs dont certains sont d’origine économique et se prêtent à un contrôle par les autorités

GRAPHIQUE 21Le nombre de jours sans smog à Montréal s’est amélioré, mais plafonne

Nombre de jours par année

325

330

335

340

345

350

355

360

365

2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017

Sources : Institut de la statistique du Québec et Desjardins, Études économiques

gouvernementales comme l’exploitation industrielle. D’autres sont d’origine naturelle, tels les feux de forêt et les épidémies. Dans ce dernier cas, les ravages peuvent toucher des portions très importantes de la superficie forestière. On note une détérioration depuis 2009 (graphique 22).

À l’exception de 2013, la forêt québécoise n’a pas eu à subir de feux de forêt majeurs au cours des dernières années. En revanche, elle a été exposée à une recrudescence importante et continue de l’épidémie de la tordeuse des bourgeons de l’épinette de sorte qu’au total une portion importante de sa superficie a été affectée. On note une détérioration depuis 2009, ce qui est négatif sur de nombreux aspects, qu’ils touchent le bien-être ou la croissance économique.

En ce qui a trait au volet « durabilité », le bilan de 2009 à 2017 est à l’image de ceux sur la qualité de vie et le niveau de vie : très partagé. On note que sept indicateurs ont connu une amélioration (population sans DES, population avec diplôme postsecondaire, inscriptions en sciences naturelles, taux d’épargne des ménages, état des structures du réseau routier de niveau supérieur, qualité de l’air [jours sans smog à Montréal] et qualité de l’eau). En contrepartie, cinq ont perdu du terrain (dépenses en R-D en sciences naturelles et en génie, personnel en R-D, investissement privé non résidentiel, déficit de maintien des actifs et superficies forestières affectées par des perturbations naturelles).

Bien que 12 indicateurs forment ce segment de l’analyse, il n’y a pas de conclusion nette et définitive hormis un biais positif. En ce qui a trait au capital humain, trois indicateurs sur trois sont positifs. Pour le capital économique, trois indicateurs sont négatifs et un seul est positif. Au chapitre des infrastructures publiques, sur deux indices, l’un s’améliore tandis que l’autre se détériore. Enfin, pour le capital naturel, un des trois indicateurs a une tendance à la baisse alors que deux sont à la hausse.

GRAPHIQUE 22La superficie forestière affectée par la tordeuse des bourgeons de l’épinette est en hausse

Sources : Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs et Desjardins, Études économiques

En milliers d’hectares

01 0002 0003 0004 0005 0006 0007 000

2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015

Tordeuse des bourgeons de l'épinette Feux de forêt

1127 SEPTEMBRE 2018 | POINT DE VUE ÉCONOMIQUE

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Somme touteLa revue proposée des indicateurs de bien-être et de progrès donne un portrait bigarré. On constate que tenter d’établir des corrélations entre le PIB et bon nombre d’indicateurs retenus dans le présent exercice n’est pas toujours opportun. Bien que toutes les données observées n’affichent pas une tendance positive sur la période de temps considérée, il y a peu d’indicateurs qui ont un parcours négatif continu de 2009 à 2017. On note des avancées et des reculs en alternance. Toutefois, pour la période retenue pour l’analyse, il y a très peu de facettes du bien-être qui se détériorent de façon permanente. On voit que des renversements de tendance sont possibles.

Il faut prendre en compte le fait que les années qui ont suivi la récession ont été particulièrement difficiles et que malgré cela le Québec n’a pas subi de reculs très importants.

À la question posée précédemment : « peut-on dire pour autant qu’il n’y a eu aucun progrès au Québec depuis la récession? », la réponse est non. Outre le PIB, un certain nombre d’aspects du progrès économique et social ont enregistré des gains comme on a pu l’observer. Il faut admettre également que quelques-uns ont fait du surplace et que d’autres ont régressé. De tous les facteurs pris en compte, certains dépendent de conditions qui leur sont imposées. C’est le cas notamment du commerce extérieur qui dépend du bon tonus économique des partenaires, de la valeur du huard et de la férocité de la concurrence. Par contre, de nombreux autres facteurs comme la formation académique ou l’entretien des infrastructures sont davantage le fait de choix des gouvernements (locaux, provincial et fédéral) et des préoccupations des citoyens.

Les périodes de restrictions budgétaires ont pris fin et on sent déjà les effets des investissements gouvernementaux dans l’économie. Il sera intéressant de voir dans quelle mesure ils contribueront à l’amélioration du bien-être de la population.

À la lumière de la revue des indicateurs choisis, on constate que des gains sont possibles, même en périodes de turbulence comme celles qui suivent une récession. Il est vrai que l’on ne gagne pas sur tous les plans en même temps. Toutefois, en regard de l’avenir, les bases sont solides. À certains égards, on fait mieux que dans le passé. À d’autres, on constate que l’on a déjà obtenu un meilleur score. L’amélioration débute par le suivi et le raffinement des indicateurs pour mesurer l’évolution. Vient par la suite la fixation d’objectifs et de moyens pour y parvenir. La croissance, pour peu qu’on s’intéresse aux personnes et pas uniquement à une économie ou à une nation, n’est donc pas seulement une affaire du PIB. Elle passe aussi par le bien-être de la population et par des choix.

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1227 SEPTEMBRE 2018 | POINT DE VUE ÉCONOMIQUE

Les expériences ci-après sont regroupées en fonction de leur lien avec l’un ou l’autre des éléments du cadre conceptuel de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Le bien-être individuelLe projet « Vivre mieux » de l’OCDELe secrétariat de l’OCDE a élaboré, dans le cadre du projet « Vivre mieux », un tableau de bord constitué de 22 indicateurs principaux et de 33 indicateurs secondaires tenant compte, entre autres, des dimensions sociales, économiques et environnementales.

L’Indice canadien du mieux-être (ICM)L’Indice canadien du mieux-être comporte 64 indicateurs (d’un poids égal) répartis dans huit domaines. Ses séries chronologiques remontent à 1994 ce qui permet de voir l’incidence des retournements conjoncturels.

Les indicateurs utilisés dans l’ICM sont tirés principalement de données fournies par Statistique Canada, tant dans ses tableaux réguliers que dans les études issues des enquêtes menées sur une base régulière ou sporadique. Les indicateurs de l’ICM sont aussi tirés de données produites par Environnement Canada, Élections Canada et Parcs Canada. Enfin, des indicateurs sont fournis par des groupes et des organismes indépendants comme l’OCDE, le Global Footprint Network, la Banque CIBC, le Canadian Centre for Economic Analysis ainsi que la Childcare Resource and Research Unit.

Les évaluations globalesLa qualité de vie durable dans les provinces canadiennes Le Conference Board du Canada publie annuellement un bilan comparatif de la qualité de vie durable du Canada, des provinces et d’une quinzaine d’autres pays choisis en fonction de leur qualité de vie élevée et de certains autres critères visant à ne conserver que les pays pour lesquels les comparaisons demeurent signifiantes. Ce bilan donne à chaque administration une note globale (A, B, C ou D) à partir de sa performance à l’égard de différents indicateurs appartenant à l’une des catégories suivantes : économie, société, innovation, environnement, santé et éducation et compétences.

L’indice MercerLa firme Mercer produit un classement annuel de l’attractivité de plus de 200 grandes villes dans le monde pour les cadres et les professionnels appelés à travailler à l’étranger. Plusieurs critères sont pris en considération dans ce classement très réputé : le climat, les conditions sanitaires, la facilité de communication,

l’éloignement, l’environnement social et politique, la violence et la criminalité. Dans le classement 2018, Montréal se classe au 21e rang, soit devant San Francisco (30e), Calgary (33e), Boston (35e) et Paris (39e), mais derrière Vancouver (5e), Toronto (16e) et Ottawa (19e).

La qualité de vie Le bien-être subjectif

f L’OCDE

• Le secrétariat de l’OCDE a mis au point des lignes directrices pour la mesure du bien-être subjectif. Pour cet organisme, il est nécessaire d’avoir de telles lignes directrices pour éviter les biais pouvant résulter de questionnaires mal conçus et pour permettre la comparabilité d’une administration et d’un sondage à l’autre.

• Le document présente le bien-être subjectif comme allant au-delà de la notion de « bonheur » et englobant trois éléments clés : l’évaluation que fait une personne de sa propre existence, les affects, soit les sentiments ou émotions, généralement mesurés par rapport à un moment donné et l’eudémonisme ou sentiment d’avoir un but dans l’existence ou un fonctionnement psychologique équilibré.

Les sondages mondiauxOn note depuis quelques années la réalisation de plusieurs sondages mesurant auprès des populations ce que, faute d’un meilleur terme, on appelle la satisfaction à l’égard de la vie (life satisfaction).

Le Gallup World Poll (GWP) a été élaboré à partir des idées de chercheurs réputés tels Daniel Kahneman, un prix Nobel d’économie (2002), et John Helliwell, professeur émérite d’économie à l’Université de la Colombie-Britannique. Ce sondage couvre 140 pays et les répondants sont invités à évaluer sur une échelle de 0 à 10 leur satisfaction à l’égard de la vie qu’ils mènent. Le GWP comporte une quinzaine de questions relatives au bien-être, dont plusieurs portent sur des aspects particuliers du bien-être (état dépressif, joie, tristesse, stress, inquiétude, etc.). Cette enquête montre de grandes disparités entre les pays et entre les régions du monde. En Europe, plus du tiers des répondants évaluent leur satisfaction à 8 ou plus sur une échelle de 10 comparativement à moins de 5 en Afrique subsaharienne. Les résultats du GWP sont publiés dans le World Happiness Report qui fait l’objet de publications annuelles depuis 2012.

AnnexeQuelques expériences de mesure du bien-être

1327 SEPTEMBRE 2018 | POINT DE VUE ÉCONOMIQUE

ÉTUDES ÉCONOMIQUES

9 Les informations sur l’approche de l’ONS sont rapportées dans : Stephen HICKS, World Happiness Report, Measuring subjective well‑being, 2012, 170 p.

10 Harvey L. MEAD, L’indice de progrès véritable du Québec : quand l’économie dépasse l’écologie, Québec, Éditions MultiMondes, 2011, 414 p.

Parmi les autres sondages semblables il faut mentionner, le World Value Survey qui incorpore, parmi d’autres, des questions sur le bonheur et la satisfaction. Le sondage couvre environ 100 pays et procède par vagues de plusieurs années dont la dernière complétée portait sur la période 2010-2014. Chaque vague ne porte pas sur les mêmes pays. La dernière année où le Canada a fait partie de l’enquête était 2005.

Le Pew Global Attitudes Survey procède aussi de cette façon et couvre 44 pays où il pose des questions sur la satisfaction.

Les agences nationales de statistiquesLes agences nationales de statistiques produisent aussi pour leur population respective des sondages sur la satisfaction. Aux États-Unis, il s’agit des enquêtes annuelles du General Social Survey. Au Canada, il est question de l’Enquête sociale générale (ESG) et de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes (ESCC), toutes deux réalisées sur des cycles de cinq années.

Certains résultats des dernières ESCC ont été rapportés dans une étude récente de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) sur la santé des Québécois. On y voit que la satisfaction de vie des Québécois est très élevée, mais qu’elle a peu varié au cours des dix dernières années.

L’Office for National Statistics (ONS) du Royaume-Uni s’est penché lui aussi sur les moyens de mesurer le bien-être subjectif et a conclu qu’il était possible de produire des données utiles et fiables en cette matière9. L’organisme a aussi noté que le bien-être subjectif comporte trois aspects qui doivent être mesurés séparément : la perception de sa propre vie, les émotions positives (joie, fierté, etc.) et les émotions négatives (douleur, colère, inquiétude, etc.). Les résultats de la dernière enquête peuvent être obtenus sur le site de l’agence.

Le niveau de vie

f L’indice de la santé de l’économie du Québec

• La branche canadienne de la firme PricewaterhouseCoopers (PwC) rend public, annuellement, un indice de la santé de l’économie du Québec. Cet indice vise à évaluer les progrès de l’économie depuis 1980. Il s’agit donc d’une perspective historique et essentiellement économique. Aucune comparaison n’est faite avec d’autres économies provinciales ou nationales. L’indice est basé sur 26 variables permettant d’ausculter sous différentes facettes la vitalité de l’économie du Québec. L’information rendue publique par PwC ne précise pas quelles pondérations ont été accordées aux 26 variables dans la constitution de l’indice agrégé.

• Plusieurs de ces 26 variables sont conventionnelles (PIB, diplomation, investissement, dépenses en R-D, dette publique, etc.). D’autres sont plus originales, tels les indices (Herfindahl-Hirschmann) de diversification industrielle et de diversification des produits. À noter également, la prise en compte séparée des exportations et des importations de même que de l’apparition et de la disparition d’entreprises.

Les activités « regrettables »

f L’Indice du progrès véritable (IPV)

• S’inscrivant dans la mesure des activités « regrettables » du schéma de l’OCDE, Harvey Mead, ancien commissaire québécois au développement durable, a mis au point l’IPV10 qu’il présente comme un indicateur de remplacement du PIB. L’IPV déduit de la valeur du PIB les externalités ou nuisances accompagnant la production marchande des principaux secteurs de l’économie. Sont également débités du PIB les effets de pollutions diverses sur la santé. Il a réussi à traduire en valeurs monétaires des choses aussi disparates que l’épuisement des stocks de poissons marins, les pertes de possibilité forestière, la disparition des terres agricoles, les effets des changements climatiques, le chômage involontaire, etc. Il en arrive à la conclusion que l’IPV a progressé deux fois moins vite que le PIB au cours des dernières décennies. L’IPV illustre certains effets pervers de la croissance économique, mais il présente l’inconvénient majeur de reposer sur un grand nombre d’hypothèses et sur la cueillette de données très techniques. Aussi, il est difficile d’envisager sa publication sur une base régulière comme c’est le cas pour le PIB.

La durabilité

f Les indicateurs de développement durable de l’ISQ

• En application de la Loi sur le développement durable, l’ISQ a mis au point et il publie une vingtaine d’indicateurs portant sur le développement durable au Québec. Ces indicateurs sont inspirés de l’approche par « capitaux légués » mise au point par un groupe international d’experts. Au nombre de 20, leur suivi est présenté dans le document suivant : Recueil des indicateurs de développement durable.