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TABLE DES MATIÈRES

TABLE DES MATIÈRES 2NOTICE LÉGALE 3À PROPOS DES AUTEURS 4

Georges Vignaux 4Pierre Fraser 4

LES IMBÉCILES 5Préambule 6Avant-propos : crises ! catastrophes ! 8Qui sont les imbéciles ? 10Mais qu’est-ce que la beauté ? 12

LA FIN DU CORPS : MORTALITÉ ? IMMORTALITÉ ? 17La «beauté» 18Mort d’un gourou 25La prêtraille de la mangeaille 27Le corps compétent 30L’expert citoyen 34La course à la santé 40La stratégie santé 50La fin du corps ? 54Immortalité et singularité technologique ! 65Liquéfaction de la société 69

LA CRISE, LE TRAVAIL, L’EMPLOI 75Solidarité vs concurrence 77Le monstre engendre des petits monstres 81Les raisins de la colère 85La nuit qui a tout changé 90Too big to fail 100Les banques deux ans après le choc Lehman 108Une ou des crises 112Le bel avenir de la pauvreté 115Dans la gueule de la pauvreté 119Le vrai péril : l’explosion du chômage des jeunes 124NINJA Génération 127Le monde a basculé 130Le vampire du milieu 134Une apocalypse financière 136

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God Bless America ! 138Décrochage 142Le suicide est devenu «risque social» 146L’apocalypse nouvelle est arrivée ! 150L’expert catalyseur de catastrophe 152La dépression comme art de gouvernement 155Apeuré, déprimé et mondialisé 161La manipulation en dix commandements 164Surveillance accrue 168Les médias ou l’opinion manipulée 172Wall Street à la hausse, banques alimentaires à la hausse 176Surconsommation en déclin 181

LA SOCIÉTÉ, L’APOCALYPSE, LA FIN DES TEMPS 187La peur 189Avoir peur des nègres 190Révolutions dans les visions du monde 193Les réenchantements concrets du monde 197Le moi réenchanté 201La disneylandisation du monde 203Suspension de l’incrédulité 209Offrir de l’illusion 212La grande peur de notre civilisation 214Dans la peau d’un explorateur 217L’apocalypse, l’oignon et le grain de sable 219Vers l’abîme ? 223Mort par erreur d’impression 2272012 : La catastrophe annoncée ! 230Apocalypse Now ! 234Japon : la catastrophe nucléaire avait été prévue 238Fukushima et l’Autorité de Sûreté nucléaire française 240Aux États-Unis, la catastrophe japonaise relance l’Apocalypse... 243La fin du genre humain 246Il y a peu de chances que… 251

INDEX 253BIBLIOGRAPHIE 255

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© 2010, 2013 Georges Vignaux, Pierre Fraser

Tous droits réservés

Dépôt légal, Librairie du Congrès, USA,

3e trimestre 2013

ISBN 978-1491268957

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À PROPOS DES AUTEURS

Georges Vignaux

Georges Vignaux est directeur de recherche honoraire au Centre national de larecherche scientifique. Il est l’auteur de nombreux ouvrages et articles. Il aété notamment, de 1994 à 1998, conseiller scientifique, chargé du programme«Sciences cognitives» auprès du directeur de la Mission scientifique ettechnique du ministère de la Recherche ; de 2000 à 2004, directeur dulaboratoire Communication et Politique, CNRS ; de 2004 à 2008 : directeur duProgramme «Colisciences», Maison des Sciences de l’Homme, Paris-Nord. Ilse consacre depuis à l’écriture d’ouvrages de synthèse et d’essais. Il a étéélevé au rang de chevalier dans l’Ordre national du Mérite.

Pierre Fraser

Pierre Fraser, doctorant en sociologie à l’Université Laval, a comme objet derecherche les différentes inscriptions sociales du corps au XXIe siècle. Sadémarche, qui se veut avant tout phénoménologique, recense différentsphénomènes qui ont contribué à la construction sociale des différentesreprésentations du corps à travers les âges pour mieux en comprendre leursréalités au XXIe siècle.

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LES IMBÉCILES

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Préambule

Le psychiatre Boris Cyrulnik{1} pense que le monde court à la catastrophe !Nous le pensons aussi. Et cela, pour de multiples raisons : les banquiersremettent en place les mêmes dispositifs qui nous ont amené la crise, lesAméricains ne changent en rien leurs comportements fondés sur le gaspillageet l’endettement, les Européens persistent à ne pas vouloir se doter de règlescommunes pour leurs économies et leurs dettes nationales. Ce sont lesdifférentes formes que prend la dindification{2} : lorsqu’une personne achèteun logement pour faire un placement, ce n’est pas un problème, mais lorsquemille personnes font la même chose, cela provoque des catastrophes. Il fauttoujours une crise pour prendre conscience qu’il faut changer nos manièresde considérer les choses et de vivre ensemble.

Nous ne savons pas évoluer autrement que par catastrophes et de ce pointde vue, la catastrophe est salutaire. De multiples signes annoncent cettecatastrophe. Nous ne savons pas les lire, les interpréter. Et pourtant, laveulerie généralisée, l’argent qui fait la loi, la télévision qui fait les opinions, lechômage massif des jeunes, les retraités à l’abandon, la multiplication despauvres sont là : autant de catastrophes déjà arrivées, auxquelles on nouspromet de remédier sans jamais le faire, car les imbéciles vivent heureux dansun monde qu’ils dominent ! Cela ne peut durer : une révolution estinéluctable ! C’est à chacun à prendre son destin en main, en prenant d’abordconscience des choses ! C’est à cette prise de conscience que nous voulonsici contribuer !

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Avant-propos : crises ! catastrophes !

Vivons-nous des catastrophes ? Sans doute. Le monde est-il devenucatastrophique ? On peut l’imaginer. Mais de quelles catastrophes s’agit-il ?

Le dictionnaire{3} définit le mot «catastrophe» comme «un événement brutalqui bouleverse le cours des choses, en provoquant souvent la mort et/ou ladestruction.» «Catastrophe» est synonyme de désastre, de fléau, de malheur.Le plus souvent, il s’agira d’événements naturels de grande ampleur. Unarticle récent du journal Le Monde{4}, à propos de graves inondations auPakistan et d’incendies géants en Russie, titrait ainsi : « L’homme transformel’aléa naturel en catastrophe », phrase empruntée à Salvano Briceno, directeurde la stratégie internationale pour la réduction des catastrophes des NationsUnies. Ainsi, peu à peu, de par la complaisance avide des médias, voyons-nous des catastrophes partout, pour le plus grand bonheur des prophètesd’apocalypse…

Et c’est, pour le dictionnaire encore, l’extension usuelle du terme«catastrophe» : un «événement aux conséquences particulièrement graves,voire irréparables» avec pour conséquences la ruine, le désastre. C’estpourquoi on songe le plus souvent aux catastrophes économiques oufinancières, celles que nommons aujourd’hui : «la crise»

Mais on peut imaginer aussi, au plan moral et psychologique, que certainsévénements tournent pour nous en catastrophes. C’est ici qu’il faut revenir àl’étymologie. Catastrophe provient du mot grec katastrophê qui signifie«renversement», «retournement» (nom lui-même dérivé du verbe strephein(tourner) et passé ensuite en français par l’intermédiaire du latin. L’étymologiedu terme provient du théâtre grec antique et conduit à la notion d’apocalypse.C’est un événement funeste et décisif qui provoque le dénouement d’uneœuvre romanesque ou dramatique : catastrophe d’une épopée, d’un roman,d’une tragédie. En latin, catastropha, c’est le «coup de théâtre» attesté au

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sens du «dénouement (d’une tragédie ou d’une comédie).

Et tel est le sens que nous retiendrons. Nous faisons ici le choix de lire uncertain nombre de faits, d’événements qui surviennent dans nos sociétés, etqui présagent des situations irréversibles ou des dénouements menaçants.C’est une lecture du monde actuel et un manuel de survie que nousproposons ainsi. Mises en garde, préventions, constats…

Fuir ou se cacher ? L’alternative produit le même résultat : il s’agit dedisparaître. Partout, la société exige de vous un signalement : il s’agit de se«désignaler» au maximum ! D’échapper aux imbéciles !

Georges Vignaux

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Qui sont les imbéciles ?

Mais comment repère-t-on les imbéciles ?

Les dictionnaires, tel encore le Trésor de la Langue française, en donnentles définitions suivantes :

1. Qui est faible de nature.

2. Dont les facultés intellectuelles sont affaiblies par l’âge, la maladie :vieillard imbécile, avoir le cerveau imbécile.

3. Qui est atteint d’arriération mentale congénitale correspondant à unâge mental situé entre 3 et 7 ans et à un quotient intellectuel comprisentre 30 et 50, permettant l’acquisition tardive et imparfaite du langageparlé, mais non écrit. Exemple : «C’est une petite pauvre que nousavons recueillie comme cela, par charité. Une espèce d’enfant imbécile.Elle doit avoir de l’eau dans la tête. Elle a la tête grosse, comme vousvoyez (Hugo, Les Misérables, t. 1).

4. Qui est peu capable de raisonner, qui manque d’intelligence.

Cela ne nous renseigne pas sur l’apparence des imbéciles. Heureusement,on peut trouver encore des traités de psychiatrie comme on les faisaitautrefois, illustrés de surprenantes photos. Ouvrons ce Précis de psychiatrie,composé par le Docteur Lévy-Valensi et publié en 1920. {5} Il y est écrit àpropos de l’imbécillité : «Avec les idiots, nous avions affaire au dernier degréde la déchéance intellectuelle, avec l’imbécile nous nous élevons d’un degré.L’imbécile n’a pas les grosses lésions cérébrales de l’idiot ni des stigmates dedégénérescence aussi développés. L’imbécile est souvent un joli garçonrappelant une gravure de mode.» (p. 191)

Voilà qui est clair : l’imbécile est beau ! Et la beauté peut être signed’imbécillité !

Mais alors pourquoi obsède-t-elle tant de nos semblables ? Tous et toutes

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rêvent d’être beaux ! Rêvent-ils d’être imbéciles ? Ils ou elles répondraientque non, qu’ils veulent simplement changer, rajeunir, corriger les défauts deleur corps. Au fond, après tout : être jeunes, être beaux !

Georges Vignaux

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Mais qu’est-ce que la beauté ?

La quête de la «beauté» aujourd’hui est un chemin semé d’embûches etpeuplé de brigands, qui vous vantent leurs produits et leurs rafistolages.Certains croient l’avoir trouvée, la plupart s’épuisent à la rechercher. Elle estune souffrance qui pénètre nos sociétés à la recherche de ce qui magnifieraitle corps. C’est aussi, comme l’écrivait Stendhal dans De l’amour{6} : une«promesse du bonheur» La beauté nous fait rêver, nous transporte, nousenfièvre. Au hasard d’un regard, d’une silhouette, d’une rencontre. Au pointde dire alors : «c’est ça !» Mais qu’est-ce que ce «ça» ? On ne sait jamais. Lebeau n’est pas ce qui fait exception, ni ce qui est proportionné comme unestatue ni ce qui évoque une peinture. À trop vouloir illustrer, on se perd dansdes images, des accessoires.

Le beau devient le prototype d’on ne sait quoi à venir : jamais atteint, jamaisaccompli. Il permet surtout de classer et donc d’inclure ou d’exclure. Ilpermet de faire commerce de morceaux de corps comme le proposent lachirurgie plastique ou les marchands de crèmes à longueur de pages dans lesmagazines féminins.

Dans les textes du moyen âge et de la renaissance, on insistait sur laglobalité : le port d’une femme ou d’un homme, l’allure, la structure générale,l’architecture d’un corps à l’instar des critères retenus par la statuaire.Aujourd’hui, il s’agit de bouts de corps ! Fragments qui résumeront uneappréciation générale : les yeux, les seins, les mains, les fesses !

La beauté s’est diluée, disloquée, mieux adaptée ainsi aux différents produitsqu’il s’agit de vendre : des seins «reliftés», des jambes regalbées, des crèmespour le visage, les mains, le ventre, le dos, que sais-je encore !

L’industrie de la chimie et celle d’une certaine chirurgie imposent leurordre. La beauté n’est plus un sentiment, ni même une conception. Elle est

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une manipulation et son discours, un manuel de prescriptions réglementaires !

Le corps charnel, notre corps, épuisé par toutes ces images harcelantes dela beauté sur commande, devient fardeau, pesanteur. Une foule de dispositifsviennent d’ailleurs pallier nos faiblesses dans nos villes : escaliers mécaniques,trottoirs roulants, ascenseurs. Le citadin est aujourd’hui un automobiliste, iltravaille dans un bureau, il regarde sa télévision le soir. Nous vivons assis nosexistences : une majorité d’individus restent assis toute la journée voire touteleur vie. En fait, des millions d’entre nous ont déjà perdu leur corps, faute del’utiliser. Et ne s’intéressent au corps que lorsqu’il les tourmente c’est-à-diresans cesse.

Obsédés du corps, ils se fondent dans la masse des imbéciles ! Leursdiscours, leurs images sont nos poisons quotidiens : une suave horreurgénéralisée !

Georges Vignaux

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Du «jeunisme» au diktat des compétencesLa beauté, le jeunisme et l’âgisme sont éclairants à plus d’un égard. Vous y

parlez de commerce de certaines parties du corps, de cette insatiablepropension à vouloir masquer les signes du vieillissement : être jeune c’estêtre beau, et être âgée c’est... une tare. Il n’est pas bon de prendre de l’âge.Mais plus encore, vieillir c’est perdre certaines de ses compétences. C’estaussi afficher une baisse de performance. Être compétent et performant,aujourd’hui, importe. On mesure votre efficacité à l’aune de vos compétenceset vice-versa.

Je pense que cette crise de jeunisme, que vivent ceux qui franchissentl’insoutenable frontière des chairs qui s’affaissent, est aussi une crise quenous propose directement notre société vouée au culte de la performance.Tout doit être performant dans nos vies. Même après une journée au boulot, ilfaut aller chercher les petits à la garderie, préparer le repas du soir, s’occuperdes devoirs des enfants, les reconduire à leurs activités sportives ouculturelles, faire le ménage, préparer les repas pour le lendemain, écouter ladernière téléréalité, compléter le travail du boulot à la maison, être joignable entout temps, faire les lavages, le ménage, le repassage, et pour clore, êtreperformant au lit. Il faut être performant partout, même dans notre chair. S’ily a défaut dans la chair, le Viagra et tous les autres expédients sontdisponibles pour remédier au défaut de performance.

Le vieux n’est ni performant ni compétent, le jeune est performant etcompétent, attributs essentiels d’une société tournée vers le rendement et lacompétition. Pourtant, la jeunesse est un état transitoire, et nous voudrionstous le figer dans le temps. La jeunesse nous impose la performance et lacompétence. Toutes ces hordes de jeunes gens frais émoulus des universitéssont compétents. Ce n’est pas tant ce que vous savez qui importe, mais plutôtcomment vous pouvez opérationnaliser vos connaissances.

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Cette obsession pour la jeunesse dont vous parlez est directement à lier avecle fait d’afficher les attributs de la jeunesse. La personne qui se remetconstamment en cause, ou la personne qui prend constamment des risquesest considérée comme compétente et performante. Seuls les jeunes peuventparvenir à un tel résultat. Donc, ce qui importe, c’est d’afficher la jeunesse.Entre recycler un employé dans la cinquantaine ou embaucher un jeune, lechoix est vite fait. Le dernier coûte moins cher que le premier, même si lepremier peut faire défection n’importe quand. Peu importe, il y a, àl’extérieur, un incroyable bassin de jeunes gens compétents. L’employé decinquante est agaçant : il pose des questions et veut toujours tout remettre enquestion en fonction de son talent et de ses connaissances. En termes demanagement, c’est out.

Bienvenue dans la société des compétences !Pierre Fraser

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LA FIN DU CORPS :MORTALITÉ ? IMMORTALITÉ ?

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La «beauté»

Qui saura bientôt ce qu’il y a de naturel en la personne qu’il rencontre ouqu’il désire ? Nous conseillons plutôt de se demander ce qu’il ou elle s’est fait«refaire» !{7} L’expansion actuelle de la chirurgie esthétique est irrésistible !Chirurgie plastique, réparatrice, anti-âge : peu importent les termes, tout lemonde s’y retrouve et surtout les femmes ! Grand bazar de la beauté dontprofitent d’habiles sorciers, médecins ou pas, diplômés ou non ! Et ce n’estpas fini ! ! !

Mais d’où vient cette nouvelle industrie ?

C’est au sortir de la Seconde Guerre mondiale que la chirurgie plastiqueapparaît. D’abord réservée aux classes aisées, elle se répand dans les milieuxartistiques. Dès les années soixante, Marylin Monroe s’était fait refaire le nez,le menton et les seins. Aujourd’hui, la mode s’est répandue : épidémie ?

« L’Occident devient peu à peu un immense théâtre masqué embaumé dans le Botox. […] C’estque la prolétarisation du marché de la vanité est encouragée par une propagande continue, efficace

et léchée, au cinéma comme à la télé …{8} »

La pression du jeunisme est considérable : la peur de vieillir confine à laterreur, et corriger les imperfections ou la dégradation du corps devient unespoir à portée de bistouri et de chéquier… Souci d’originalité ? Au contraire,ce qui se répand, c’est l’obsession de la normalité : celle de ressembler auximages des «stars», des «people» Les marchands d’esthétique ne s’ytrompent pas : ils créent la peur de la différence. D’où cette mondialisationdes canons occidentaux. Ou plutôt cette hégémonie des canons américains :poitrines avantageuses et têtes de poupées Barbie… Avec cette interrogationlancinante : où est la beauté ?…

On le sait de moins en moins puisque tout peut se refaire ! Pièce par pièce !et que tout est dit possible dans ce supermarché des anatomies douteuses !On ne vous dira donc pas que les injections de botox ne durent que trois à six

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mois, que les faux seins en poche de silicone peuvent exploser, que lesvisages étirés prennent des allures vampiresques et que les chairs se relâchenttoujours à nouveau !

Peu importe ! On peut tout vous faire et on a les moyens pour tout. Pourenlever les rides autour des yeux ou sous les yeux, il suffit d’injecter de latoxine botulique ou d’abraser au laser{9}. La beauté s’est diluée, disloquée,mieux adaptée ainsi aux différents produits qu’il s’agit de vendre : des seins«reliftés», des jambes regalbées, des crèmes pour le visage, les mains, leventre, le dos, que sais-je encore !

L’industrie de la chimie et celle d’une certaine chirurgie imposent leurordre. La beauté n’est plus un sentiment, ni même une conception. Elle estune manipulation et son discours, un manuel de prescriptions réglementaires !

De même pour celles du visage. Pour les lèvres, il faut une injectionprofonde d’acide hyaluronique en vue de les épaissir. Cela vous fera unebouche dont l’épaisseur et l’arrondi rendraient jalouse la première carpevenue ! Pour les seins, on peut classiquement insérer des poches de siliconeou injecter plusieurs dizaines de millilitres d’acide hyaluronique dense enprofondeur. Toutes les tailles et tous les galbés sont disponibles ! La playmatede magazine continue cependant d’inspirer ! Pour les cuisses, unelipoaspiration chirurgicale permet de pomper les cellules graisseuses et delimiter la cellulite. Enfin, des injections d’acide hyaluronique dense vousprocurent des fesses rebondies.

Le succès n’est pas toujours assuré, les prix encore moins. De plus en plus,seuls les riches pourront débourser des fortunes pour masquer les signes dutemps. La «jeunesse» deviendra un signe extérieur de richesse, rendantvisibles les riches, stigmatisant les pauvres{10}. Dans notre monde futur, ily aura au moins deux sortes de monstres : les pauvres et les «réparés» !

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Pourquoi cette obsession généralisée ? Et chez la femme surtout ? C’estqu’à partir de la cinquantaine, la femme est encore attractive, mais se vitmenacée dans ses pouvoirs de séduction. C’est le grand virage : tout signe devieillissement est interprété comme l’annonce de la décrépitude et de la mort.Alors, on fait tout pour le cacher… La grand-mère, ange familial quiconcoctait nos bonnes recettes de cuisine, cette image n’est plus : elle a laisséplace à une femme qui ne veut plus être grand-mère, mais ressembler à LaraCroft, l’héroïne virtuelle ! Ce rêve de «supervamp» (ou de superman) estfondé uniquement sur la peur de mourir.

En 1517, Hans Baldung Grien (1484-1545), élève d’Albrecht Dürer, peignitce tableau connu sous le nom de «La jeune fille et la mort». La Mort y saisitune jeune fille par les cheveux pour la forcer à descendre dans la tombecreusée à ses pieds, qu’elle désigne de sa main droite. La jeune fille,complètement nue, n’offre aucune résistance. Sa bouche est plaintive, sesyeux sont rouges et des larmes coulent sur ses joues ; elle a compris quec’est la fin. Le thème de la jeune fille et la Mort connaîtra son point culminantchez les artistes allemands de la Renaissance. La sensualité des formesaccentue le contraste : elle rappelle le caractère éphémère de la vie, de labeauté de la femme. Son corps, son visage, sa chevelure, sa poitrine serontun jour pâture pour les vers...

Aujourd’hui, le corps est devenu un objet : brouillon sur lequel on peutprojeter ses fantasmes et que l’on peut modifier à loisir par modules. Plus quejamais, je ne «suis» pas mon corps, mais je vaux par mon corps. Un corpsidéal, musclé, nourri sainement, gavé de cosmétiques, qu’on veut offrir à lavue. Tandis que le corps réel, celui qui vieillit et qui ne répond plus auxcanons du «jeunisme» est escamoté. Et si on ne fait rien pour l’arranger, onest coupable de se «négliger»…

Alors, bricolons, réparons, changeons. Ce n’est plus une question de santé,

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mais un problème de quincaillerie ! Le XVIIIe siècle fut en Europe le grandsiècle des horlogers et des fabricants d’automates. Ces petites merveilles demécanique continuent de fonctionner dans des musées. Elles étaient faitespour durer. Peut-on en dire autant de ces «rustines» que la chirurgieesthétique nous propose ? Sûrement pas : ces corps-là sont éphémères, ilsdemeurent mortels. Ils ne sont qu’illusions. Autant en changerdéfinitivement ! Le futur est aux robots ! De toutes sortes : domestiques,militaires, et pourquoi pas sexuels !

En Occident, les robots sont des machines qui exécutent les travaux jugéstrop dangereux pour les humains. On ne cherche pas à leur donner une formehumanoïde. Au Japon, la majorité des robots ont l’aspect touchant de jeunesfemmes ou d’adolescentes considérées comme les futurs membres de lanation. Certaines sont déjà capables d’entretenir avec les humains desrelations sentimentales artificielles. En 2008, Sega lance E.M.A. («EternalMaiden Actualization» ), robot féminin doté d’un mode «love» : elleembrasse ! L’année suivante, le National Institute of Advanced IndustrialScience and Technique, développe «HRP-4c», une ravissante forme demannequin de mode au visage calqué sur celui des love-dolls. Parallèlement,la compagnie Axis développe, sous l’appellation de honeydolls, des poupéesrobots pour le marché du sexe.

Ce sont des femmes robots de 1,56 mètre, capables d’effectuer unefellation à intensité variable, et dotées de hanches rotatives pour un maximumde positions. Pincez-leur le sein droit, elles gémissent. Le gauche, elles vousmurmurent des mots doux à l’oreille. Des senseurs sont disposés à l’intérieurde leur poitrine, qui sert de boîtier de commande sonore. Il y a quatre voix auchoix, parmi lesquelles on peut sélectionner sa favorite. Il est possible aussid’enregistrer soi-même la voix d’une femme, pour «personnaliser» son robot.L e s honeydolls sont des poupées réalistes, grandeur nature d’amantesglamour, explique le mode d’emploi de la société Axis. Elles pèsent 29 kilos et

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sont faites de silicone. Tour de poitrine : 87 cm. Tour de taille : 57 cm. Tourde hanches : 83 cm. Taille du pied : 24 cm. Les têtes sont interchangeables.

Bien que les honeydolls ne soient pour l’instant que des embryons derobots, elles présentent un aspect incroyablement réaliste : avec leurs sourcilsimplantés à la main, leur regard innocent et leur bouche entrouverte, cespoupées dégagent un étrange charme. Les clients disent qu’ils sentent leur«présence» Au Japon, traditionnellement, dès qu’une chose prend l’aspectd’une personne, elle devient le siège d’un esprit (tamashii) et sertpotentiellement de substitut aux humains.

Les robots : l’avenir ? Plus de virus, plus de querelles domestiques, plus dedépenses inconsidérées ! Et si le futur était de nous transformer nous-mêmesen robots ?…

Georges Vignaux

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Mort d’un gourou

Un gourou, spécialiste des régimes d’amaigrissement, est mort il y a peu :Michel Montignac{11}. Il fut en son temps célèbre. Il a vendu seize millionsd’ouvrages de sa méthode{12}, ce qui correspond à un nombre de lecteursproche de la population de la France !

Son idée était simple : composer un régime à base de glucides à faible indiceglycémique. Suivant les travaux de David Jenkins, professeur à l’université deToronto, il avait ainsi établi une échelle de classement des glucides selon leurindice glycémique, séparant les «bons» glucides des «mauvais» glucides.Pour les «bons» glucides, il recommandait les fruits, les légumes verts, lespâtes, les céréales non raffinées et même le chocolat à forte teneur en cacao.Les «mauvais» glucides, c’étaient les pommes de terre, le sucre, les rizprécuits, les dérivés du maïs. Il signalait aussi les dangers des acides grasissus des graisses végétales qui inondent les plats cuisinés industriels et aussiles mauvaises protéines qu’on trouve dans les laitages. Il recommandait enfinles huiles d’olive et de noix, les graisses d’oie et les poissons.

Guérit-on de l’excès de poids avec un tel régime ? Aucune étude statistiquene l’a confirmé, sinon celles établissant la relation entre obésité et sucreries ougraisses. L’important dans un régime n’est pas ce qu’il préconise, maisbien dans ce qu’il permet de rêver ! Le gourou est là qui vous confirme saparole : nous sommes prêts à le croire, car nous «voulons» le croire.

Dans un monde de rationalité et de complexité croissante, où la science faitpeur, la parole magique reprend toute sa force ! Il nous faut des fables, carcomment espérer autrement ? Les croyances refleurissent, les explicationsimmédiates confortent le simplisme des idées ! À défaut de raison, il nousfaut de l’émotion ! et comprendre immédiatement, par «pur contact» avec leschoses, avec la nature, que sais-je !

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La signification s’estompe dans des braderies du sens ! Ce qui est «vrai» estnécessairement beau ! Alors, vivent les régimes de beauté ! ce qui a un sensc’est le «bien-être», alors vivent les bricolages du «bien-être» Ce qui estauthentique c’est ce qui est «senti», alors vivent les religions de l’émotion, lecontact direct avec «Dieu», nous disent les intégristes, les évangéliques, lesayatollahs de tout poil… Il faut s’abandonner, hurler, se convulser, aller !Vers où ? Nul ne sait…

Georges Vignaux

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La prêtraille de la mangeaille

Vous aurez compris, mon ami, qu’il m’était impossible de ne pas réagir àvotre billet d’humeur à propos du décès de Montignac, le gourou amaigri del’amaigrissement. Si je voulais être médisant, je dirais qu’il est mort de sonpropre régime, mais ce serait trop facile, car plusieurs petits rigolos l’ont déjàfait un peu partout sur Internet, ce lieu où tout un chacun se sent l’obligationde s’exprimer ! Mais ça, c’est un autre débat. Il n’en reste pas moins que lecélèbre colonel Sanders du Poulet Frit Kentucky est mort à 90 ans de sonrégime saturé en gras, et que Winston Churchill, fumeur de cigares invétéré,est décédé, lui aussi, à 90 ans. Vous admettrez avec moi que ces adéquationssont faciles à faire, mais je ne pouvais les passer sous silence. C’est mon côtéabsolutiste !

L’obèse, dans notre société, est un paradoxe. Les magazines et toute laprêtraille de la mangeaille ne cessent de nous seriner qu’il faut être mince eten santé. Programme difficile s’il en est, nous voilà confrontés à un tournantimportant de notre civilisation. Comment est-il possible qu’il y ait autant depersonnes obèses alors que tout va dans le sens contraire ? Le marketing de lasanté ne fonctionne pas ? Le marketing du fast-food fonctionne trop ? Lesnones du «fooding» ne sont pas assez convaincantes ? Allez savoir !

Épidémie d’obésité ? Comment un truc qui n’est même pas viral peut-il êtreépidémique ? Mystère... Pourtant, le mystère n’est pas si sorcier. Ausupermarché, j’ai vu le gérant, oui, je l’ai vu de mes yeux vu, déposer destrucs innommables dans le panier d’épicerie des gens, et ce, à leur insu. Vousne me croyez pas ? Alors, comment expliquez-vous que le panier d’épiceriedes gens soit plein d’aliments bourrés de glucides et de calories tant honnispar Montignac ? Aucune personne sensée ne ferait une telle chose, c’estcontre nature me dira-t-on. Donc, il y a forcément un coupable. Et lecoupable, c’est le gérant du supermarché. Comme il y a toujours quelqu’un

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qui veut notre bien, le gérant de supermarché entre dans cette catégorie, toutcomme Montignac et consorts. Vous aurez évidemment compris que lorsqueje dis «veut notre bien», je parle de votre bien monétaire. Serais-je un brincynique ? Pas du tout !

Suis-je en train de jouer au moralisateur ou à l’intégriste de la santé ?Absolument pas, surtout que j’ai un sérieux problème avec tous ceux quiveulent m’imposer une vision du monde en vue de l’améliorer, tout commej’en ai un avec les gourous du Web, les économistes, les écologistes et lesaltermondialistes. Ne vous méprenez pas, je ne suis pas xénophobe. En fait, jesuis plutôt réformophobe. C’est-à-dire que j’en ai contre ceux qui veulentnous réformer et nous faire miroiter des paradis du «bien-être» Si votreparadis du bien-être c’est de vous bourrer de glucides, libre à vous, moi jen’en ai rien à cirer. Les donneurs de leçons sont légions, et peut-être suis-jemoi-même donneur de leçons en critiquant les donneurs de leçons de cemonde. Si votre but dans la vie c’est d’être obèse, devenez-le. Personne nevous en empêche, sauf les intégristes de la santé.

Vous le dites fort bien, «dans un monde de rationalité et de complexitécroissante, où la science fait peur, la parole magique reprend toute sa force !Il nous faut des fables, car comment espérer autrement ?» Et je rajouterai : levrai problème est que nous avons tout transformé en récit. Nous procédonssystématiquement à une mise en fiction de la réalité. Résultat ? Des idéessimples à mille lieues de la science injectées dans un récit simpliste nousservent de référence pour se construire un récit de vie. Une fabulation ?

Pierre Fraser

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Le corps compétent

Vous dites et je cite : « Aujourd’hui, il s’agit de bouts de corps ! Fragmentsqui résumeront une appréciation générale : les yeux, les seins, les mains, lesfesses ! » Et je vais reprendre à mon compte votre proposition pour vousdémontrer que le concept vicieux de la compétence a aussi investi le corps.

Notre société a mis de côté le talent au profit de la compétence. Le culte dela beauté a mis de côté le vieillissement au profit du corps renouvelé. Commeje l’ai mentionné dans un billet précédent :

« Si on affiche les attributs de la jeunesse, on pense forcément être perçu comme compétent. Lapersonne qui se remet constamment en cause, la personne qui prend constamment des risques,est considérée comme compétente et performante. Seuls les jeunes peuvent parvenir à un telrésultat. Donc, ce qui importe, c’est d’afficher la jeunesse. »

Et la personne qui remet certaines parties de son corps en cause est unepersonne qui prend le risque d’afficher les attributs de la jeunesse essentiels àsa reconnaissance en société.

Dans tout ce tapage médiatique et publicitaire à propos du corps, on a peut-être oublié que le temps est un grand égalisateur en ce qui concerne labeauté ; il n’épargne personne. Dans l’une de ses odes, Pierre de Ronsarddisait fort à propos :

Tandis que vostre age fleuronneEn sa plus verte nouveauté,Cueillez cueillez vostre jeunesse :Comme à ceste fleure la vieillesseFera ternir vostre beauté.

Qu’à cela ne tienne, la chirurgie moderne peut contrecarrer les projets quevotre corps a pour vous. Elle peut redonner son lustre à certaines parties ducorps qui sont autant de signaux de la jeunesse, de la fougue, du dynamisme,

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de la prise de risque, du potentiel et surtout de la compétence. Eh bien, jeconsidère que, à l’instar du travail, nous avons décidé de rendre nos corpscompétents. Comment ? En les fragmentant, comme vous le dites si bien.

L’ordre naturel des choses veut que le corps vieillisse, que les chairss’affaissent, que les réflexes perdent de leur acuité, que la peau flétrisse, quela mobilité se réduise, etc. Par contre, il s’agit d’un récit peu enviable pourdes gens qui tiennent à être dans le coup, performants, beaux et en santé. Lalogique qui s’impose à celui ou celle qui refuse ce récit est de redonner sacompétence aux parties du corps qui ont perdu leur compétence à exercerleur fonction de séduction.

Les yeux, le cou, la chevelure, les mains, les seins, les fesses, les hanches,les jambes forment un tout cohérent dont le but, dans notre société moderne,est de séduire. Séduire n’est plus seulement un moyen ; c’est devenu une fin,et qui veut la fin prend les moyens !

Chaque partie du corps passée sous le bistouri du chirurgien est le gaged’une compétence retrouvée. On n’en sort pas. La compétence est à tous lesniveaux de la société. Elle est même à inscrire dans notre chair. Ce n’est pas àune simple restructuration du corps à laquelle nous sommes ici confrontéspar chirurgie plastique interposée, mais à une reconfiguration systématique dumoi qui se perçoit avant tout comme un corps. Curieux mélange des genres,alors qu’une grande majorité de gens croient, sur le plan spirituel, que l’espritest une entité séparée du corps.

Notre corps devient un cumul de fragments de compétences retrouvéespour séduire. Comme le mentionnait la chanteuse Blondie (Debby Harry) :« Ça vous donne la possibilité d’avoir tous les atouts dans votre jeu pour êtredans le coup. Je ne suis plus obligée de me cacher. » Ne plus se cacher, voilàqui est la vraie formule en filigrane derrière toutes les publicités et tous lesarticles des magazines. Comme le disait si bien Mark Twain : « Plus d’une

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chose insignifiante a pris de l’ampleur grâce à une bonne publicité. »

Ne plus se cacher, cher ami, est la chose à faire. Je commence à medemander si je devrais continuer à sortir de la maison pour afficher un peupartout sur la place publique mon corps qui vieillit. Et vous, ça vous arrived’y penser ? Je comprends maintenant mieux pourquoi nous parquons nosvieux dans des foyers pour personnes âgées ; ils ne sont pas montrables… Etsi un grand conglomérat de la beauté proposait un plan lifting et jeunesse àtous nos vieux, avez-vous idée de la société dynamique et compétente danslaquelle nous pourrions vivre ? J’en ai le frisson juste d’y penser.

La compétence, je le répète, est à inscrire dans notre chair. Être beau et ensanté est le vecteur de la compétence. Elle est vraiment vicieuse cettecompétence... Les imbéciles ont vraiment pris le pouvoir, et ils iront jusqu’aubout !

Pierre Fraser

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L’expert citoyen

«Quand la beauté tient à vous !» dites-vous ? Il faudrait aussi parler de« Quand l’expert autoproclamé s’adresse à vous !» Pourquoi votre billetm’a-t-il fait penser à ça ? Eh bien, vous dites, dans un petit paragraphe tout àfait suave :

« La jeune femme qui tient ce blogue se présente comme journaliste, écrivain, spécialisée enbeauté, forme et bien-être. Elle vous propose des ‘bons plans pour être belle à moindre coût !Bien dans son corps et dans sa tête ! La modestie de l’ambition éblouit. »

Et c’est justement de cette ambition dévergondée à s’exprimer dont je vaistraiter. L’autoproclamation n’est pas un phénomène récent. Internet a toutsimplement décuplé la capacité de reproduction des experts autoproclamés.Dans une étude{13} réalisée en mai 2009 par B.L. Ochman, plus de 15 740experts autoproclamés des médias sociaux ont été recensés. Un tel nombren’est pas innocent et a forcément un impact. Et ça, ce n’est que pour lesmédias sociaux. Imaginez maintenant pour tous les domaines confondus !Tout simplement ahurissant ! Et en plus, l’expert autoproclamé a souvent plusd’une corde à son arc, tout comme votre blogueuse. En fait, Internet estdevenu le lieu de l’expression citoyenne. On vous le dit partout : « Exprimez-vous ! Démarrez un blogue !» Les gourous du Web s’attendent à ce que vousparticipiez, et pour cause. Cette grande œuvre collective qu’est le Web exigede chacun d’entre nous partage, collaboration, ouverture et transparence.Nous sommes en passe de tout mettre à la sauce citoyenne. Il y a lejournaliste citoyen qui est censé se comporter comme un vrai journaliste.Permettez-moi d’en rire à gorge déployée. Mais attention, il y a encore plusdangereux : le scientifique citoyen. Oui, oui, ça existe vraiment ! Il a mêmeson propre organisme qui chapeaute ses activités : «La Fondation SciencesCitoyennes{14}». Le scientifique citoyen est censé s’engager dans des luttessociales, médicales, environnementales, etc. Le scientifique citoyen doitprendre parti. Bienvenue l’objectivité ! Quant à elle, la romancière allemande

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Thea Dorn a eu une réflexion fort intéressante à ce propos :

« Participez ! Donnez votre avis ! Devenez critique ! Que je sache, une boulangerie ou unecompagnie d’aviation ne disent pas à leurs clients ou à leurs passagers : Participez ! Faites vous-même votre pain ! Prenez donc un peu les manettes ! »

Il y a, chez l’être humain, comme le disait si bien Émile Cioran,{15} l’enviede devenir source d’événements.

« Tous s’efforcent de remédier à la vie de tous : les mendiants, les incurables mêmes yaspirent : les trottoirs du monde et les hôpitaux débordent de réformateurs. […] La société, unenfer de sauveurs !» Tous ont une solution. Tous ont une recette. «La folie de prêcher est siancrée en nous, que chacun attend son moment pour proposer quelque chose : n’importe quoi. Il

a une voix : cela suffit. Nous payons cher de n’être ni sourds ni muets.{16} »

Sur le Web, sur les blogues, sur Facebook, sur Twitter, tous sentent cetirrépressible besoin de régler les problèmes de la vie de chacun. Et ces médiasdonnent une voix à tous les imbéciles de la planète. Certains me diront de nepas fréquenter les endroits où ces gens s’expriment. Le problème, c’est queleurs discours imprègnent le Web. Tous distribuent des recettes de bonheur,tous veulent diriger les pas de tous. C’est la grande kermesse des solutions àprofusion.

Et dire que je doutais, il y a encore peu, que les imbéciles étaient en passed’obtenir le pouvoir. Chaque jour qui passe me confirme de plus en plus quec’est peut-être le cas. Mais si je croyais ce que je viens de dire, je seraiscomme la dinde qui a la ferme conviction que demain sera la réplique d’hierou d’aujourd’hui. Il se pourrait bien qu’un événement tout à fait inattenduvienne bouleverser cette tendance à l’expression citoyenne, et que les grandescorporations viennent y mettre de l’ordre en s’appropriant autrement Internetque par le Web.

Quel pessimiste je fais ! Envisager Internet voué aux infamies duconsumérisme… Internet est citoyen. Le Web est citoyen. En 1859, dans«Critique de l’économie politique», Karl Marx disait :

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« Nous abandonnâmes d’autant plus volontiers le manuscrit à la critique rongeuse des souris,que nous avions atteint notre but principal, voir clair en nous-mêmes. »

Karl Marx était loin de se douter qu’un jour, la société moderne et laconstruction des savoirs seraient livrées à la critique rongeuse des sourisd’ordinateur !

Pierre Fraser

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L’angoisse névrotique du corpsLorsqu’on fait remarquer classiquement que l’esprit importe plus que le

corps, on vous objecte aujourd’hui qu’il n’y a pas de santé mentale sansbeauté ni bien-être! Pas de bel esprit dans un corps ingrat ! Comme si laforme primait le sens !

Sans doute Aristote disait-il que la forme fait le sens et il avait raison : selonles différentes formes qu’elles prennent, nos phrases prennent sensdifféremment. Mais ces variations ne sont possibles que parce qu’elles jouentsur un système, qui est la langue et qui nous est commun à tous. On s’yrepère, on s’y retrouve donc.

Mais quels repères avons-nous de la beauté et comment savons-nous seseffets sur l’intelligence ? Combien d’êtres stupides ont pu un jour nous attireret que nous trouvions séduisants pour très vite ensuite retomber de haut. Labeauté n’est qu’un leurre. On ne sait pas la définir de manière stable. Elle estencore moins un système vis-à-vis duquel on pourrait repérer des variations.La beauté n’est qu’un moment d’histoire dans une éternité, dans une société,dans une vie.

Alors, lui donner prééminence, accorder un primat absolu au corps, celavous a un parfum douteux. Toutes les sociétés totalitaires ont imposé un telprimat et mis en scène le corps : les nazis, les fascistes, les communistes. Letotalitaire dans notre société emprunte au puritanisme.

Une angoisse névrotique saisit nombre de nos semblables à la seule idéed’aliments impurs, non biologiques. Cela s’appelle l’écologisme et les initialesOGM (organisme génétiquement modifié) désignent le démoniaque. Au nomdu bio on vous imposera d’ineptes nourritures. Une terreur panique saisitencore nos contemporains à l’idée de ce qui ne sera pas sain oudangereusement «trafiqué» : le médicament est l’ennemi, les vaccins des

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agents du diable, les médecins des démons. On rêve de vous gaver de tisanes,de décoctions d’herbes diverses et de lavements. Les rôles sont renversés : lasorcellerie d’autrefois fait un retour assuré.

Bien sûr, il importe aussi et surtout de sauver les apparences puisqu’ellesvous signalent. C’est donc le corps ! Combien de malheureux voit-on ainsis’épuiser en courses à pied, en pédalages en salle, et en musculations plus oumoins éprouvantes ! Allez y voir ! De véritables usines à souffrance, à sueur,à gémissements ! Le «bien-être» est à ce prix !

Georges Vignaux

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La course à la santé

Si vous êtes de ces personnes qui portent une attention toute particulière àleur santé, vous avez peut-être remarqué — du moins, j’espère que vousl’avez remarqué — que vous risquez d’être confronté à l’obsolescence rapidedes propriétés curatives des aliments, des régimes miracles ou desmédicaments. On a dit que l’ail réduit le mauvais cholestérol et abaisse lapression artérielle, que la vitamine E prévient les maladies cardiovasculaires,que la prise d’œstrogène réduit les possibilité d’Alzheimer chez les femmes,qu’ingérer des gras provenant des poissons empêche la dégénérescence desneurones du cerveau, que la prise de suppléments de vitamine D estessentielle pour les gens des pays nordiques, qu’utiliser des téléphonescellulaires peut entraîner le cancer du cerveau, que dormir plus de 8 heurespar jour est dangereux, que prendre de l’aspirine chaque jour éloigne d’autantla possibilité d’un infarctus, que les antidépresseurs, en altérant la chimie ducerveau, améliorent la qualité de vie des gens dépressifs, que les statines, enréduisant le cholestérol, permettent de contrecarrer les maladiescardiovasculaires, et pourtant, certaines études vont dans le sens contraire detoutes ces affirmations.

Qu’à cela ne tienne, nous poursuivons notre course vers la santé. Nous nevoulons surtout pas finir nos jours dans un corps souffreteux. Heureusementpour nous, tous les prescripteurs de santé — les émules du fauteur detroubles — sont là pour nous aider dans ce combat ultime pour nous éviter desombrer dans la déchéance des chairs et des organes qui s’affaissent.

Prescripteur de santé

Gourou, spécialiste, expert, ou expert autoproclamé dont le rôle est devous faire croire que vous êtes à l’article de la mort si vous ne mangezpas tel ou tel aliment, ou si vous ne faites pas tel ou tel exercice.

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Les prescripteurs de santé ont posé un diagnostic troublant : «nous nesommes pas en santé.» En posant ce diagnostic, l’industrie de la santé adonné corps à un problème perçu, ouvrant systématiquement la porte à sasolution : le «fitness» ou la culture de la santé, ce que, personnellement, jenomme le santéisme.

Santéisme

Ensemble d’idées mobilisatrices et structurantes visant à atteindre unecondition de santé optimale constante pour circonvenir aux maladies etpour reculer l’échéance de la mort en fixant des buts à atteindre quicréent des attentes et déterminent ainsi les actions à mener pour yarriver.

Le santéisme s’articule autour de trois grands axes : la nutrition, l’exercice,et le dépistage précoce. Au centre de ces trois axes, il y a «vous». Vous êtescelui par qui les choses arrivent.

Schéma du discours du santéisme

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Comme vous pouvez le constater, le discours du santéisme possède troisverbes qui déterminent son action : lutter par la nutrition fonctionnelle contreles radicaux libres, les gras, et tous les autres malfaiteurs alimentaires ;améliorer les performances du corps par l’exercice ; prévenir leséventuelles maladies par le dépistage précoce. À la croisée de ces trois axes,vous obtenez un corps sain doté d’une grande qualité de vie prêt à toutaffronter et susceptible de reculer d’autant l’échéance de la mort. Tout unprogramme qui se résume dans un seul mot : «optimal». Trois interactionsvous conduisent à cet état :

l’interaction «nutrition / vous / exercice» vous procure une santégénérale optimale ;l’interaction «nutrition / vous / dépistage précoce» vous procureune alimentation et une médication optimales ajustée aux besoins

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nutritionnels de votre corps ;l’interaction «exercice / vous / dépistage précoce» vous procureun corps optimal délivré des affres de la maladie.

Ici, ce que le discours du santéisme vous propose, c’est une vision dumonde centrée sur l’optimisation généralisée de toutes les fonctions de votrecorps en vous imposant des façons de faire plutôt que de vous comporternormalement comme la nature l’a prévu.

Pierre Fraser

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Demain, un corps tout neuf !Subversion ? Le mot est faible : nous racontons un monde peut-être devenu

fou …

D’aucuns imaginent ainsi qu’en 2050, nous changerons de corps à volonté :l’homme sera devenu immortel ! À cette date, en effet, l’homme sera sansdoute capable de réparer les défaillances de son organisme et d’en augmenterconsidérablement les performances. C’est la conviction réitérée par RayKurzweil, lors du World Science Festival qui s’est tenu à New York auprintemps 2008. Après la quête de la pierre philosophale» rêve desalchimistes, à l’origine de la science, voici donc le nouvel espoir de ceux quise désignent comme «transhumanistes»

De quoi s’agit-il précisément ? Jean-Didier Vincent, neurobiologiste réputé,a effectué au printemps 2007 une série de visites dans les principalesinstitutions scientifiques américaines. De retour à Paris, il a écrit «Chroniqued’un voyage en transhumanie», dont la revue 2050{17} a publié de largesextraits. Il raconte sa rencontre avec les auteurs d’un rapport rendu public enjuin 2002, et présentant un projet dit «de convergence des NBIC», quatreinitiales pour nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciencescognitives. Le rapport dresse un panorama des perspectives envisageablesdans ces quatre domaines.

« C’est un moment unique dans l’histoire des réalisations techniques, expliquent les auteurs.L’amélioration des performances humaines devient possible par l’intégration des technologies. »

Dans ce rapport sont, par exemple, évoqués de futurs capteurs susceptiblesd’informer les individus qui les porteront de leur condition physique ou de laqualité de leur environnement, des robots de taille moléculaire capables decirculer dans le corps humain pour y nettoyer les artères ou lutter contre leprocessus du vieillissement, ou des interfaces cerveau-machine quipermettraient de contrôler des usines ou des automobiles par la pensée, mais

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aussi de communiquer entre humains, via l’interconnexion des cerveaux.Certains parlent du «small bang» des NBIC, en référence au big bang de laphysique des particules...

Ce projet de convergence des NBIC, doté d’importants fonds dugouvernement fédéral américain, a été lancé par Kim Eric Drexler, unchercheur du MIT (Massachussets Institute of Technology), sous l’impulsionde Marvin Minsky, directeur du programme de l’intelligence artificielle. Pource dernier, le cerveau est une «meat machine» (machine de viande), et lecorps humain un «bloody mess of organic matter» (sacré fouillis de matièresorganiques). Pour lui, ce qui importe, c’est l’esprit. C’est aussi le point devue de James Hughes, auteur du best-seller Citizen Cyborg{18} et professeurau Trinity College, où il enseigne la politique publique en matière de santé, dedrogues et de technologies émergentes. Il est aussi directeur exécutif de l’«Institute for Ethics and Emerging Technologies», un think tank actif auniveau international en matière de «transhumanisme», dont il constitue lafaçade ouverte vers le grand public. Pour Hughes, « une vision mauvaise d’unmonde meilleur est une perversion de l’esprit. » Pourquoi refuser la santé et lebonheur pour tous, et la mort de la mort ?

Pour comprendre ce nouveau rêve, il faut se reporter au livre de RayKurzweil Humanité 2.0{19}. Dans cette «bible du changement», il explique qued’ici un demi-siècle nous aurons les moyens de transformer nos corps grâceà des milliards de nanorobots qui circuleront dans notre sang et dans notrecerveau. Ils « détruiront les agents pathogènes, corrigeront les erreurs denotre ADN, élimineront les toxines et effectueront toutes sortes d’autrestâches pour améliorer notre bien-être physique. »

Ils interagiront avec nos neurones biologiques, avant de pouvoir lesremplacer et de générer des organismes plus performants et à peu prèsinusables. Se dessinera ainsi la version 2.0 du corps humain où les organes

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biologiques, comme le coeur ou les poumons, seront remplacés par« d’autres ressources nécessaires au fonctionnement des systèmesnanorobotiques. »

Kurzweil prédit l’émergence d’un corps humain équipé d’ordinateurs quasiinvisibles qui capteront des signaux venant d’environnements virtuels. Lecerveau les interprétera au même titre que les stimuli sensoriels constitutifs detoute expérience. Autrement dit, plus besoin de corps, et plus besoin non plusdu monde réel ! Un scénario que des films comme Matrix ou JohnnyMnemonic ont rendu familier. Leur point commun ? Ce sont des adaptationsde romans de William Gibson{20}, grand auteur de la science-fiction. Cettedernière serait-elle la science du futur ? C’est ce que l’écrivain ThimothyLeary{21} soutient. Il a même forgé un terme, «science faction», pour désignerles mythes inspirés de la science dans le but d’agir sur la consciencecollective. La nouveauté avec les transhumanistes, c’est que cette «sciencefaction» est le fait non plus d’écrivains, mais d’ingénieurs...

Les neurobiologistes et les spécialistes des sciences cognitives accueillentces prédictions avec scepticisme. Le présupposé massif de ces spéculationsn’est pas nouveau : il y aurait l’esprit d’un côté et le corps de l’autre. Autantdire que la représentation platonicienne et judéo-chrétienne selon laquellel’âme est dans le corps comme dans un tombeau a trouvé une nouvellejeunesse.

Loin d’être à l’avant-garde de la postmodernité, le transhumanisme seraitdonc le prolongement de toutes les spéculations sur les anges et larésurrection des corps.

Quant à la séparation corps-esprit, les travaux de neuroscientifiques commeAntonio Damasio{22} et la phénoménologie nous ont permis de comprendrecombien le dualisme est erroné. « Nous n’avons pas un corps, nous sommesimplacablement notre corps ! » Il ne s’agit pas pour autant de craindre

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l’irruption de la technologie dans nos corps et l’avènement des cyborgs(diminutif de cyberorganismes) : ils sont parmi nous ! Nous vivons déjà avecdes stimulateurs cardiaques, des prothèses, des implants auditifs, etc. PourBernard Andrieu{23}, professeur d’épistémologie du corps et des pratiquescorporelles à l’université de Nancy-I, le corps n’est pas augmenté, maiscomplété ; les prothèses et implants viennent le réunifier en l’aidantfonctionnellement.

Dire adieu au corps naturel, c’est alors l’humaniser par l’incorporation deces techniques qui sont appropriées et adaptées à chaque corps particulier enfonction de ses besoins à s’autoréparer. Le problème est qu’il est difficile dedistinguer entre l’utilisation des techniques à des fins médicales de réparation(redonner la vue) ou à des fins d’amélioration du corps humain (donner à unsoldat la possibilité de voir de nuit) ? Les transhumanistes revendiquent ledépassement de l’éthique humaniste. Pour preuve, ce dialogue imaginaire queRay Kurzweil imagine entre lui et un écologiste qu’il nomme Bill :

Ray : « Je demande encore une fois : jusqu’où pouvons-nous aller ? Les humains remplacentdéjà des parties de leur corps et de leur cerveau par des dispositifs non biologiques qui réalisentmieux leurs fonctions humaines. »

Bill : « C’est mieux de ne remplacer que les organes et les systèmes malades ou endommagés.Mais vous remplacez en essence toute notre humanité pour améliorer les capacités de l’êtrehumain, et ça, c’est profondément inhumain. »

Ray : « Pour moi, l’essence de l’humain n’est pas dans nos limitations — même si nous enavons beaucoup —, mais dans notre capacité de les dépasser. Nous ne sommes pas restés clouésau sol. Nous ne sommes pas restés sur notre planète. Et déjà nous ne nous contentons pas deslimitations de notre biologie. »

Bill : « Mais nous devons utiliser ce pouvoir technologique avec une grande précaution. Au-delà d’un certain point, nous perdrons la qualité inexplicable qui donne un sens à la vie. »

Là est effectivement la question.

Georges Vignaux

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La stratégie santé

Observez bien votre boîte de céréales qui trône fièrement sur votre table aumoment du petit déjeuner. Lisez attentivement ce qui y est écrit : «FibreExtra Plus Antioxydant Super Oméga 3» WOW ! On vous offre la santéen boîte !

Maintenant, faites pivoter votre boîte de 180°. Quel discours vous propose-t-on ?

« Une bonne et saine alimentation, de l’exercice chaque jour, un régime de vie sain, un bol de‘Fibre Extra Plus Antioxydant Super Oméga 3’ tous les matins, et vous voilà plein d’énergie,prêt à affronter votre journée ! » ,

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sans compter que le logo d’une quelconque fondation des maladies du cœurou de votre ministère de la santé s’y retrouve. Comment résister à une tellepromesse ?

Passons maintenant à la fiche nutritive. Elle est la quintessence de laperfection du corps à laquelle nous visons comme société. Vous retrouvez,sur cette fiche, en quelques mots percutants, un condensé de l’efficacité et dela pureté vers laquelle nous devons tous tendre pour obtenir un corps zérodéfaut, performant et en santé.

Calories, lipides saturés, cholestérol et sodium sont les mots qui traduisentce qui peut compromettre votre santé, sinon votre vie. Ils sont en tête de lice.La fiche nutritive c’est aussi l’incarnation de la tolérance zéro prônée par tousles intégristes et les talibans de la santé. Rappelons-nous des débats, il y aquelques années, pour interdire les gras trans. Il fallait abattre cet ennemipublic numéro 1 au nom de la santé publique. Nous sommes devenus degrands intolérants en matière d’alimentation. Rechercher le plaisir dans notreassiette est honni, bien que tous les nutritionnistes patentés s’en défendent.

Nous sommes tous irrémédiablement interpellés par le corps. Nous enavons tous un ! Je tiens à ce que vous preniez conscience que votre corpsn’a pas été conçu pour être nié, mais pour être fêté. Je veux que vous ayez laconviction inébranlable en votre propre invulnérabilité envers tous lesdonneurs de leçons de santé. Vous êtes maître de votre corps. Il n’appartientni aux médecins, ni aux pharmaciens, ni aux vendeurs de produits naturels, niaux vendeurs de suppléments alimentaires, ni aux entraîneurs, ni auxreligieux, ni à tous ceux qui veulent le contrôler.

Je veux que vous soyez conscient que vous avez le devoir d’assumer votrecorps, avec ses défauts et ses qualités, que vous devez en tirer le meilleurparti pendant huit décennies, et qu’il ne sert strictement à rien de vouloir nierla mort en voulant suivre tel ou tel programme de santé ; vous y gagnerez tout

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au plus quelques mois ou quelques années.

Je veux aussi que vous soyez conscient que, s’en remettre aux donneurs deleçons de santé, c’est laisser la porte ouverte à des expérimentationsdangereuses sur son propre corps, tout comme à un important transfert derichesse de votre porte-monnaie vers les industriels de la santé. Je souhaiteque, si vous êtes en santé, vous cessiez de croire tous ceux qui vousdisent que vous n’êtes peut-être pas en santé. Posez-vous les questionssuivantes :

Êtes-vous sur le point de succomber à tous les discours à proposde l’alimentation santé ? Si oui, ce livre est pour vous.Êtes-vous un taliban du corps ? Êtes-vous de ceux qui vont dansles gymnases pour s’attacher à des machines de remise enforme ? Si oui, ce livre est pour vous.Êtes-vous un délinquant diététique ? Êtes-vous de ceux qui enont marre d’entendre toutes sortes d’inepties à propos de lasanté ? Si oui, ce livre est pour vous.

La santé est devenue la panique de la semaine. De façon régulière, unenouvelle étude vient contredire la précédente. Mon idée est la suivante : vousne mourrez pas forcément de toutes les maladies à la mode ou de ne pas avoirconsommé tel ou tel petit fruit rouge ou bleu. Vous mourrez de bien d’autreschoses, mais pas de celles-ci ! D'une façon ou d'une autre, la mort estinéluctable ! Pourquoi ne pas fêter la vie ? Tout ce que l’on vous dit à proposdes régimes santé, des aliments santé, de l’exercice et de tout ce qui touchevotre corps est présenté comme une vérité. La beauté de la vérité enmatière de santé, c’est qu’elle n’est qu’une hypothèse tant qu’elle n’estpas réfutée. Pensez-y bien ! Vous avez 100 % des chances de mourir. Vousimporte-t-il de savoir de quoi vous mourrez ? Ce qui importe vraiment, c’estplutôt de jouir de la vie et d’éviter une mort prématurée ! Le reste est sansimportance.

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Pierre Fraser

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La fin du corps ?

Dès 1948, Norbert Wiener, un des pionniers de l’intelligence artificielle,remet en cause la frontière entre l’automate et le vivant en prêtant à lamachine un système d’organisation et de fonctionnement proche du vivant.Pour lui,

« les automates contiennent des organes sensoriels, des modes d’action et l’équivalent d’unsystème nerveux […]. Ils se prêtent très bien à une description en termes physiologiques. Iln’est donc nullement miraculeux que l’on puisse construire une théorie unitaire qui rende

compte aussi bien de tels mécanismes que des mécanismes de la physiologie.{24} »

Ce faisant, Wiener introduit un paradigme central dans l’idéologiecontemporaine :

« On trouve, écrit-il, une ressemblance fondamentale entre le système nerveux et les machines

électroniques dans le fait même que leurs décisions sont prises dans le passé.{25} »

Pour lui, la cybernétique est l’étude des systèmes d’information, elleconcerne aussi bien les machines que les systèmes vivants, s’agissant descomportements et des modalités d’échange des messages. Elle est unevéritable vision du monde. Wiener est le fondateur de cette représentation quitransforme le vivant en information et qu’on va retrouver dans la biologiemoléculaire aujourd’hui. Si on accorde ainsi à l’esprit le seul pouvoir de traiterl’information, alors on peut décréter la fin de toute différence entre vivant etautomate. Et si l’organisme est un message, on doit pouvoir le synthétiser etle reproduire.

Von Neumann {26} et Alan Turing, concepteurs de l’idée d’ordinateur, vontdévelopper les idées de Wiener. Pour eux, le cerveau est une machineintelligente dont on peut construire l’équivalent technique. Et l’ordinateurdepuis, est généralement conçu par le public en référence au cerveau humain.Cette porosité de la frontière entre l’homme et la machine amène Turing, dès1950{27}, à se demander si «les machines peuvent penser» Le test se fonde sur

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un dispositif constitué de deux pièces reliées par un téléscripteur. Dans lapremière pièce, un observateur (homme ou machine) pose des questions àdeux personnes situées dans la seconde pièce. L’une est un homme, l’autreest une femme. L’observateur, par ses questions, doit être capable d’identifierl’homme et la femme. Ces derniers, bien entendu, brouillent les pistes. Desdispositifs techniques de plus, déforment les voix. Les corps n’existent doncplus. Seules comptent les informations. L’esprit seul existe. Si la machineparvient à distinguer l’homme de la femme, Turing considère alors qu’elle secomporte comme si elle pensait. Progressivement, il va ainsi construire unevision mécaniste et informatique du vivant, refusant toute différence entrel’homme et la machine.

Du fait de sa capacité à simuler des fonctions intellectuelles, qui jusque-là,semblaient spécifiquement humaines, l’ordinateur est devenu pour un nombrecroissant de gens, un reflet de l’esprit, puis un modèle pour penserl’intelligence. Il a été élevé au rang de «cerveau» et en retour, le cerveau a étéimaginé comme une machine pensante. Tous les théoriciens de l’intelligenceartificielle, depuis les fondateurs comme Wiener ou Turing, jusqu’à Simon etMinsky{28}, ont associé mécanismes informatiques et processus de pensée.L’homme dès lors, n’a plus le privilège de l’intelligence. L’esprit n’est qu’unsystème opérant selon des règles formelles comparables à celles quigouvernent l’ordinateur.

Cette assimilation, Hubert Dreyfus{29} l’a récusée. L’ordinateur est sansdoute conçu pour exécuter des tâches précises, qui peuvent êtreconsidérables et parfois dépasser les compétences humaines, mais il n’a pas,selon lui, la souplesse de l’esprit humain et encore moins nos capacitéscréatives. L’être humain ne se résume donc pas à une série de paramètres. Ils’inscrit dans des univers symboliques qui outrepassent largement lesdonnées et les processus de l’informatique. À chaque instant, il se révèlecapable d’interpréter l’environnement et d’agir sur ce dernier en fonction

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d’habitudes, de cultures, d’éducations multiples et variées. Le corps est partieintégrante de la condition humaine. Il est une part essentielle de nosexplorations et donc de nos connaissances du monde. Comme l’écritMerleau-Ponty :

« Je veux aller là-bas et m’y voici, sans que je sois entré dans le secret inhumain de lamachinerie corporelle, sans que je l’aie ajusté aux données du problème, et par exemple àl’emplacement du but défini par son rapport à quelque système de coordonnées. Je regarde lebut, je suis aspiré par lui, et l’appareil corporel fait ce qu’il y a à faire pour que je m’y

trouve.{30} »

Ce que nous percevons, ce sont d’emblée des univers de sens, de valeurs.Le sens s’instaure dans notre relation aux choses. « L’intelligence humaineest en situation, elle n’est pas séparée d’une existence singulière etnécessairement charnelle.{31} » Il n’en va pas de même de l’ordinateur, biensûr : il opère dans un univers abstrait et traite des données indépendammentles unes des autres. Il manipule des signes, mais reste étranger à leursignification. Il ne pense pas ! Cela n’empêche pas Minsky d’imaginer que

« la prochaine génération d’ordinateurs sera si intelligente que nous aurons bien de la chance

s’ils consentent à nous prendre comme animaux de compagnie.{32} »

Certains continuent de se demander si l’ordinateur n’est pas une créaturevivante. D’autres pensent que toute différence entre l’homme et l’automatedisparaîtra. Notre univers connaît une profonde mutation : d’un côté,l’homme est de plus en plus réifié, et réciproquement, la machine se trouvehumanisée. Les catégories du vivant et de la matière se voient manifestementbrouillées. Pour Hillary Putnam{33}, le fait que la machine soit constituée dematière et conçue artificiellement, n’implique pas qu’elle n’ait pas le sentimentde soi. Rien n’interdit d’imaginer un «isomorphisme» entre la machine etl’homme au plan de la conscience. Après tout, l’être humain qui souffren’exprime pas forcément sa douleur dans un comportement extérieurobservable. Jacques Bouveresse{34} fait un raisonnement analogue en évoquant

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le «cogito» de Descartes. Pour Descartes, le «cogito» me fait comprendreque je suis un sujet pensant ; en revanche, je ne sais rien d’une éventuelleconscience de l’Autre, je ne vois que son corps. Dans la relation à la machine,il y a la même incertitude, la même impossibilité à trancher. Désigner un étatmental est donc un jeu de langage : savoir si les machines pensent ou non estindécidable.

En vérité, ce qui se joue dans notre rapport à l’ordinateur et à la machinerelève d’un autre versant : celui des dépendances et des projections de soi.L’ordinateur est une porte d’accès à divers mondes, un instrument demaîtrise ; c’est surtout un compagnon, un refuge voire un mode de vie. Bonnombre de passionnés pensent la machine en termes psychologiques etfinissent par se penser eux-mêmes en termes informatiques. Le corps chezeux, devient une image machinique, et l’esprit n’est alors qu’une conséquencede la mise en œuvre de logiciels mentaux. Le Moi ne serait qu’un effettechnique ! La conscience, «opératrice de l’ensemble», ne serait donc pas unprivilège humain ; elle existerait aussi dans les machines !

Ce rejet de la conception classique et humaine de la conscience s’associe àun rejet de la notion de sentiment. Il faut, semble-t-il, effacer toute spécificitéde l’humain en regard des machines. Il y a même du religieux dans cescourants animés par des fanatiques de l’intelligence artificielle. Ainsi,Crevier{35} considère que cette dernière achève un processus fondé parCopernic et complété par Darwin et Freud : démontrer définitivement l’originematérielle de l’esprit. Il y a là, un brouillage des mots : dans l’intelligenceartificielle, quel est le sens du terme «intelligence» ? Dans «l’esprit de lamachine», que veut dire «esprit» ?

De même en va-t-il probablement du terme «cyborg» inventé dans lesannées soixante, dans le contexte des premières explorations spatiales, sadéfinition est d’être «un système homme-machine autorégulé», apte à

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s’adapter à un environnement étranger aux conditions de l’existencehumaine{36}. À cette époque, on pense surtout à des procédés d’améliorationbiochimique du corps afin de le maintenir à un niveau élevé de santé etd’efficacité. Puis, progressivement, le couplage entre le vivant et la machines’est accentué. Un nombre croissant de technologies sont venues«monitorer» le quotidien et relayer les activités corporelles. Aujourd’hui, lecyborg est commun : c’est un être humain appareillé chez qui la techniqueintègre des comportements. Le cas type est celui de l’homme vivant avec uneprothèse et dont le corps est soumis à un contrôle médical régulier. Noshôpitaux sont ainsi peuplés de machines pour un nombre croissant detraitements : hémodialyse, réanimation, scanner, etc. L’humain est aussitransformé en cyborg à travers les mères porteuses, les dons d’organes, etc.On peut encore parler de «cyborgisation» à propos de ce recours de plus enplus fréquent à la psychopharmacologie pour réguler l’affectivité dans lequotidien. Depuis les technologies les plus élaborées avec lesquellesl’opérateur doit faire corps pour les contrôler jusqu’à celles, plus banales, dela médicalisation de nos corps, le cyborg est devenu l’expression «normale»,banalisée, de nos existences.

La biologie, l’informatique, la robotique reconfigurent nos sens, et par là,transforment radicalement les structures anthropologiques de nos sociétés.Naturel et artificiel, homme et machine, réel et virtuel : les frontièress’effacent. Le corps disparaît. L’humanité se conçoit mal, désormais, sansprothèses, sans ces multiples branchements avec des dispositifs techniques.Le corps d’autrefois devient obsolète, et même, selon certains, le genre…Selon D. Haraway{37}, sans corps, il n’y a plus d’identités sexuelles,susceptibles de faire perdurer pouvoir et domination. Pour elle, le corps estune forme néfaste qui a rendu possibles toutes les oppressions de sexe, declasses, de groupes, etc.

Une nouvelle de Ballard{38} décrit un futur proche où toutes les interactions

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sociales se feront au travers d’images. Les humains vivront dans un monded’écrans et d’ordinateurs. Tout contact physique sera interdit. La sexualités’accomplira par écrans interposés et la procréation se fera in vitro. Lemédecin héros de la nouvelle a fait ses études sans jamais toucher un malade.Un jour, il a l’idée surprenante de vouloir rencontrer sa femme et ses enfantsen chair et en os. Ils se découvrent au-delà des images : leurs corps respectifsleur paraissent vieux, laids, dégoûtants. Ils s’enfuient. Une seconde tentativese termine en tragédie : ils s’entretuent ! Conclusion : la découverte du corpspeut être mortelle ! Après tout, comme le martèlent bien d’autres récits descience-fiction, ce n’est que de la «viande» …

Il n’en va pas de même du corps électronique du cyberespace. À l’abri de lamaladie et de la mort, il parvient à la perfection. Sa chair et son systèmenerveux sont le Net. A. C. Clarke, dès les années soixante, annonçait déjàl’inanité du corps et sa disparition prochaine, ce qu’il évoquait dans lescénario de 2001 : Odyssée de l’espace.

« Et finalement, écrivait-il, le cerveau lui-même pourrait disparaître. En tant que siège de laconscience, il n’était nullement essentiel. Le développement de l’intelligence électroniquel’avait prouvé. Le conflit entre l’homme et la machine serait un jour résolu à jamais par une

totale symbiose.{39} »

L’opinion de R. Jastrow, chercheur dans l’industrie spatiale, est analogue :pour lui, à terme

« le cerveau humain, intégré à un ordinateur, est libéré de sa chair mortelle. Connecté à descaméras, à des instruments, le cerveau voit, sent et répond à des stimuli. Il contrôle sa propredestinée. La machine est son corps ; il est l’esprit de la machine. L’union de l’esprit et de la

machine crée une nouvelle forme d’existence pour l’homme à venir.{40} »

Minsky attend déjà le téléchargement de «l’esprit» dans l’ordinateur. Enfin,pour Hans Moravec, spécialiste de robotique, la tâche la plus urgente consisteà se débarrasser du corps, véritable fardeau :

« Le temps et l’énergie consacrés à l’acquisition, au développement et à la diffusion des idées

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contrastent avec les efforts consacrés à l’entretien de nos corps et à la production d’une nouvelle

génération.{41} »

Il ne fait pas de doute pour lui, non plus, que le monde futur sera peuplé derobots et que le «genre humain» sera en voie de disparition…Une nouvellehybridation s’annonce, toujours selon lui, qui est celle entre l’ordinateur etl’esprit. Ainsi, la transplantation du cerveau dans un corps robotique, maisconstitué de matériaux biologiques, libérera à coup sûr, l’humain de sesentraves physiques. Moravec imagine même un ordinateur portable

« programmé avec les universaux de l’esprit humain, votre patrimoine génétique et autant dedétails sur votre vie qu’il en est couramment disponibles […]. Vous portez cet ordinateur avecvous durant votre vie ; lui écoute et observe attentivement […]. Lorsque vous mourez, ceprogramme est installé dans un corps mécanique qui reprend alors aussitôt et sans heurt votre

vie et vos activités.{42} »

On pourra donc ainsi, sans conflit, transférer son identité d’une machine àl’autre et peut-être dans autant de machines qu’on le souhaite. Moravecdistingue entre l’identité corporelle, périmée, qui assimilait l’esprit humain aucorps et l’identité formelle qui définit l’essence d’un individu comme

« l’ensemble des caractéristiques formelles du processus qui advient dans ma tête et moncorps.» L’identité est donc réduite à une série d’informations intégrées. L’esprit seul estidentifiable au sujet, le corps n’est plus qu’un artefact. La vie n’est plus à l’opposé de lamachine, elle est l’esprit libéré de la chair… »

C’est pourquoi on peut parler de «fin du corps» Et pour deux raisons. Lapremière est qu’effectivement, la machine est une trop puissante utopie pourque le corps, avec ses imperfections et ses fragilités, puisse lui survivreavantageusement. La seconde est qu’avec tous ces substituts que la médecineréparatrice, esthétique ou «anti-âge» nous propose, nous avons d’unecertaine façon perdue notre corps. Quelle est la part d’origine qui endemeure ? Les cyborgs, ce sont nous maintenant ! Ainsi, l’immortalité, rêvelancinant, resurgit, cette fois technologisée, recomposant les corps,réinventant les composants de la vie.

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Georges Vignaux

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Immortalité et singularité technologique !

Au cœur de la Silicon Valley, en Californie, le «Singularity Institute»rassemble une équipe de brillants mathématiciens, informaticiens, biologistes.L’objectif principal est de produire des modèles et des simulations permettantde prédire l’avenir. La base de la réflexion est cette théorie qui revient enforce, selon laquelle les futurs systèmes d’intelligence artificielle seront plusintelligents que ceux qui les auront créés. Ces systèmes seront capables de sereproduire industriellement, de s’améliorer eux-mêmes, d’avoir dessentiments, de l’imagination, des projets ! Ils pourront donc gérer la planète ànotre place et mieux que nous ! Leur prise de pouvoir sera très rapide, letemps pour les machines de basculer en mode 100% autonome.

Cet événement considérable a déjà été baptisé : ce sera la «Singularitétechnologique» en référence à la physique et pour signifier qu’il aura uncaractère irréversible. Pour l’humanité, ce sera sans précédent : toutdeviendra créé et dirigé par une intelligence suprahumaine.

La théorie de la singularité est longtemps restée cantonnée auxmathématiques, à la physique et notamment à la théorie des catastrophes. Cen’est que récemment qu’elle est venue en pleine lumière, grâce à un ouvragede Ray Kurzweil — encore lui ! —, intitulé : The Singularity is near{43}. Il yprédit qu’en 2009,

« l’intelligence des machines égalera celle des humains. Cela n’entraînera pas tout de suite dechangement radical, mais l’intelligence artificielle continuera à s’améliorer de façonexponentielle. En 2045, sa puissance aura été multipliée par un milliard. Le monde basculeraalors dans la Singularité. »

Pour les jeunes chercheurs réunis au sein du «Singularity Institute»,l’urgence est alors d’inculquer aux futurs systèmes d’intelligence artificielledes «valeurs humanistes» de sorte qu’ils puissent, avant qu’il ne soit troptard, contribuer à l’amélioration de l’espèce humaine. Sinon, selon eux, on

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connaîtra le pire. Steve Rayhawk, mathématicien et bio-informaticien,responsable de ces jeunes chercheurs, va jusqu’à imaginer qu’un systèmed’intelligence artificielle mal programmé pourrait percevoir les humainscomme une simple matière première :

« Si une machine est conçue pour que la production d’un objet manufacturé soit sa prioritéabsolue, elle peut décider que les atomes des humains se trouvant à sa portée doivent servir à lafabrication de son produit. […] Si nous inscrivons tous nos désirs dans les machines, il ne

faudra pas se tromper de liste.{44} »

Les partisans de la Singularité sont par ailleurs en train de s’associer à unautre mouvement californien : les adeptes de la Longévité maximale, que lesmédias surnomment les «bio-hackers» Le défi est de vaincre la mort !Aujourd’hui, les outils de bio-informatique et de génie génétique deviennentbon marché. Une armée de bricoleurs se livre ainsi à leurs propres recherchessur l’ADN ! Un des leaders de cette mouvance se nomme Aubrey DeGrey.{45} Il a créé en Californie une start-up intitulée «Sens Foundation» Il estsubventionné notamment par Peter Thiel, fondateur de PayPal, le systèmemondial de paiement via Internet.

Pour De Grey, le vieillissement conduisant à la mort ne serait pas gravédans le génome de façon définitive. Le corps, selon lui, peut fonctionnerindéfiniment, à condition que ses cellules fassent l’objet d’une maintenancepériodique. Il a donc imaginé une gériatrie préventive : introduire dansl’organisme des cellules cultivées in vitro pour remplacer les cellulesdéfectueuses, introduire dans les cellules âgées et «encrassées», des enzymespour avaler les détritus, etc. Il envisage de parvenir à son but vers 2030. Àcette époque, tout le monde, selon lui, pourra vivre sans limitation de temps etavec le corps d’un adulte bien portant.

De Grey se défend de viser l’immortalité, mais Ray Kurzweil, aujourd’huiâgé de 62 ans, s’est donné comme but de « vivre assez vieux pour vivretoujours. » Chaque jour, il absorbe plus de 150 pilules de toutes sortes :

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vitamines, compléments nutritifs, etc. Il déclare posséder un corps de 40 anset il espère vivre sans problème jusqu’en 2030. À cette époque, déclare-t-il :

« Grâce aux nanotechnologies, nous fabriquerons des ordinateurs de la taille d’une cellule, quenous injecterons dans nos veines. Ils iront se loger dans le cerveau pour réparer les dégâts causéspar l’âge et surtout pour augmenter nos capacités intellectuelles. »

Tout sera ainsi achevé : nos cerveaux ne seront plus que des dispositifsd’intelligence artificielle et nos corps seront devenus immortels. Un réseaud’ordinateurs gouvernera la terre, nous y serons insérés. Fin du vivant oumutation absolue ? Par ces temps de crise, toutes les spéculations sontadvenues et on se prend à douter de l’espèce humaine.

Georges Vignaux

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Liquéfaction de la société

Permettez-moi de revenir sur votre constatation :

« Il nous faut des fables, car comment espérer autrement ? Les croyances refleurissent, lesexplications immédiates confortent le simplisme des idées ! »

Où sont ces fables dont vous parlez ? De quelles fables au juste parlons-nous ? Comment peut-il même y avoir des fables alors que tout se liquéfietout autour de nous ? Une fable n’est-elle pas supposée illustrer la réalité oucontenir une vérité ? Parlons-nous plutôt d’une allégation mensongère, d’unehistoire inventée de toutes pièces ? À vrai dire, je vous l’avoue, j’opte pour laseconde alternative. Et cette fable, je l’intitulerai «Le temps liquéfié».

On se rappelle aisément ces peintures de Dali où tout se liquéfie, même letemps, avec les non moins célèbres montres de poche. Dali y traite de lapersistance de la mémoire. Quelle ironie, alors que dans la modernité où toutse liquéfie, le temps ne sert plus la persistance de la mémoire. Ce qui seproduit actuellement n’est pas innocent. Permettez-moi de soumettre à votreattention quatre points{46} dont la teneur est à considérer.

Premièrement, les structures sociales sont entrées dans une phase oùelles nous permettent de moins en moins de veiller au maintien destraditions ainsi qu’aux modes de comportements acceptables. Je vous aidéjà entretenu du fait que le talent, artefact de la tradition, n’est plus undonné, mais un éphémère. Au même titre, les traditions se désagrègentau rythme ahurissant de celles qui entrent chaque jour dans notre champde cognition par le truchement de tous les nouveaux canaux decommunication. La tradition n’est plus un récit durable. Elle est aussiliquide que les interventions de tout un chacun sur les réseaux sociaux.N’ayant plus l’opportunité de se solidifier, les traditions ne peuvent plusservir de point de repère.

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Deuxièmement, pouvoir et politique sont en instance de divorce.L’efficacité de l’action dont dispose l’État (le pouvoir), et sa capacité àmettre en œuvre cette même action pour un objectif commun (lapolitique) ne fonctionnent plus. On ne se surprendra pas par ailleurs deconstater que l’État commence à impartir ses opérations en les laissantentre les mains de firmes de consultants. On privatise la société. Onprivatise le bien commun, tout comme Google privatise tout ce quenous produisons collectivement et bénévolement pour en retirer dessommes colossales.

Troisièmement, nous assistons, avec cette impartition étatique, à unelente et pernicieuse érosion des garanties communes que doit offrir unÉtat. Les services de santé, l’éducation, les programmes d’assistancesociale, tout ça est en passe de disparaître au profit du privé que l’oncroit malheureusement compétent en tout. Eh oui, encore lacompétence, cette détestable notion prétexte à tous les bouleversements.En France, cher ami, vous disposez encore de bons nombres deservices voués au bien commun. Ici, au Québec, le rouleaucompresseur a commencé son travail, et il est à l’œuvre depuis uncertain temps aux États-Unis. On privatise en catimini ce que l’on croitdevoir être privatisé en se basant sur le principe que c’est non rentable.On se dit naïvement que le privé est motivé par le profit. Alors, on laisseau privé le soin de rendre profitable la prestation de services à fournir àla communauté. Ne nous le cachons pas, il s’agit vraiment ici d’uneprestation qu’il faut obligatoirement rentabiliser.

Quatrièmement, si chaque individu n’a pas de récit de vie durable, lasociété n’a pas, elle non plus, de récit de vie durable. Conséquemment,il ne peut y avoir de réflexions à long terme. La réflexion se situeaujourd’hui dans le présent en vue d’un futur presque aussi rapprochéque le présent. Quel oxymoron que d’entendre les politiciens nous parler

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de développement durable, de maturation, de progrès ou de carrière.Comme il est presque devenu impossible d’inscrire la réflexion, laprévision et l’action dans un cadre qui se liquéfie jour après jour,ce à quoi nous sommes confrontés ce sont des projets individuels àl’infini et non un projet de société. Dans la non-durée, dans un tempsliquéfié, la consistance n’existe pas. Pour naviguer dans un tel monde,ce dont vous avez essentiellement besoin, ce sont des compétences quevous devez constamment remettre à jour, car le futur ne se dessine plusà l’aune d’un projet collectif, mais d’un projet aussi fluide que tout lereste.

Cinquièmement, dans un monde où tout est fluide, insaisissable etchangeant, qui doit porter la responsabilité des problèmes ? Personne ettout le monde à la fois. L’État se désengageant de ses obligations enversle citoyen, la responsabilité des problèmes relève désormais de chacund’entre nous. L’État n’a donc plus raison de se préoccuper de vous.Vous devez vous prendre en charge. Écoutez attentivement le discoursde tous les coachs de vie : vous pouvez être un gagnant. Eh oui, être ungagnant qui se prend en mains. Gagnant, une si détestable notion…Dans une structure sociale fluide et liquéfiée, vous n’avez pas le choixd’être un gagnant, car personne ne se préoccupe de vous. Et on sedemande pourquoi les entrepreneurs ont le vent dans les voiles, alorsqu’il y a à peine deux décennies on les considérait encore comme desbesogneux. L’athlète est lui aussi devenu un gagnant. Les Jeuxolympiques consacrent la vertu du gagnant qui a su se sacrifier pouratteindre SES objectifs, tout comme l’entrepreneur. Heureusement,l’histoire avec un grand H ne retient ni les entrepreneurs ni lesathlètes. Il y a ici un espoir.

Finalement, l’essentiel du problème, c’est que nous ne considérons plus

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la société comme une structure, mais comme un réseau. Un réseaun’est pas une structure où tous les maillons ont un rôle à jouer pour lasurvie de chaque maillon, bien au contraire. Un réseau possède cetteincroyable capacité à construire et déconstruire au fil du hasard et à lavitesse de la lumière les connexions et les déconnexions. Ici, lespermutations possibles sont infinies. Nous avons des fragments de viesà l’infini, des fragments de récits à profusion. Si un quelconque nœuddu réseau ne répond pas, un autre nœud répondra forcément. Et voilà laraison pour laquelle vous êtes facilement remplaçable. C’est toute lasociété qui est devenue un réseau. Mais on oublie facilement que, dansune structure en réseau, il n’y a que quelques nœuds du réseau quiconnectent plus que d’autres. Lorsque les nœuds principauxsurchargent, le réseau s’effondre.

Pour vous pasticher, je dirai que le réseau est notre nouvelle fable. Le réseaunous permet d’espérer autrement en nous permettant de nous connecter àtout et à rien à la fois, de faire du réseautage, d’agrandir nos cercles d’amis etnos cercles professionnels. 560 amis sur Facebook ? 1 600 suiveurs surTwitter ? 500 professionnels sur LinkedIn ? Et c’est ce que nous vousvoulons. Nous voulons plus que tout croire au partage, à la collaboration, àl’ouverture et à la transparence que nous proposent les gourous du Web.Avec des concepts simples, pour ne pas dire simplistes, on vous explique lemonde en quatre mots !

Diogène proposait une philosophie de vie subversive et jubilatoire : lecynisme. Je réfléchis sérieusement à cette alternative. Au bout du compte, àbien y penser, je crois que j’ai déjà commencé en échangeant avec vous.Vous savez quoi ? Je commence à me complaire dans cette subversionjubilatoire. Faudrait-il que je m’en inquiète ? Faudrait-il que mescontemporains pratiquent cette philosophie ? Je vous le demande…

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Pierre Fraser

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LA CRISE, LE TRAVAIL, L’EMPLOI

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Solidarité vs concurrence

Avez-vous déjà remarqué que, au travail, peu importe le travail, métier ouprofession, que la concurrence a remplacé la solidarité ? Avez-vous déjàremarqué que, dans votre entourage immédiat, la solidarité s’effrite au profitde la concurrence ? Avez-vous pris le temps de remarquer que laconcurrence est partout ? Avez-vous eu le temps de remarquer que vous êtesconstamment en concurrence ? Si vous n’avez pas remarqué l’un de cespoints, ou si vous trouvez comme allant de soi cet état constant deconcurrence, c’est que vous avez intégré dans votre schéma de cognition quela concurrence est un état naturel chez l’être humain.

L’ensemble de notre environnement est truffé de concurrence. Lesentrepreneurs nous le rappellent constamment : le concurrent est leurmotivation. L’entrepreneur carbure à la concurrence. Même plus, leconcurrent de l’entreprise de votre patelin n’est pas celui qui est situé dans leparc industriel de la ville voisine, bien au contraire : il est en Chine, en Coréedu Sud, au Vietnam, au Mexique, au Brésil, partout. L’entrepreneur n’est pasun individu solidaire, mais un solitaire qui est en compétition. L’entrepreneurn’a que des concurrents. Même dans son entreprise, les employés sont enconcurrence. La performance et la compétence sont les maîtres mots de laconcurrence : « Soyez performant et compétent et nous pourrons nous tenirdebout face à la concurrence ! » Voilà le discours de l’entrepreneur, cetindividu que nous avons réifié au milieu des années 1990.

La solidarité n’existe plus dans l’entreprise, car tel que j’ai déjà tenté de ledémontrer, ce n’est pas votre talent ou votre expérience qui importe, ce sontvos compétences. Il y a ici une catastrophe tout individuelle. Lorsque laconcurrence évacue la solidarité, il vous devient impossible de compter survos collègues, encore moins sur l’entreprise. Vous êtes laissé à vous-même.Vous ne devez compter que sur vos propres ressources qui, hélas, sont

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parfois tout à fait insuffisantes, au pire inadaptées, pour contrer le rouleaucompresseur de la compétence. Vous n’êtes plus un individu en tant quepersonne concrète et réelle, de facto, mais un individu «en principe» Sans lesavoir, et sans qu’on vous ait demandé la permission ou même consulté, on achangé votre statut. Et ce changement de statut n’est pas innocent, car ilautorise à vous mettre en concurrence avec d’autres individus «en principe».

L’individu de facto a une tendance naturelle à la solidarité et à l’entraide.L’individu «en principe» est une créature du commerce, de l’industrialisationet de la mondialisation. Il n’a pas, en principe, cette propension à la solidarité.Ainsi conçu, le concurrent n’a plus de visage défini, et comme il est partout,dans un quelconque réseau, même à vingt mille kilomètres de chez vous, ilpeut, sans provoquer un haussement de sourcil, devenir LE concurrent àabattre. Quand vous êtes en concurrence, vous devez abattre l’autre, non pasle soutenir. Le discours de la concurrence est essentiellement celui de la non-solidarité. Lorsque votre patron vous dit que son entreprise est la meilleuredans son créneau, c’est qu’il a joué à fond le jeu de la concurrence. Il a«abattu» d’autres concurrents.

Dans cette course à la concurrence, chaque individu d’une entreprise estappelé sous les drapeaux de la concurrence. Tous doivent donner le meilleurd’eux-mêmes pour abattre le concurrent si tous veulent conserver leur emploiet jouir de leur salaire. C’est à ce prix que se mesure la solidarité corporative :par l’effort de chacun pour être un concurrent efficace, performant etcompétent. Et chaque année, on récompense, lors de galas fastueux,l’entreprise qui a abattu le plus de concurrents. Logique perverse s’il en est,l’employé finit par croire que la concurrence est ce qu’il doit faire pourréussir à survivre dans un monde où tout est en perpétuel changement.

À l’heure de la dérégulation et de la mondialisation, abattre la concurrenceest le modus operandi de la survie. La solidarité, quant à elle, peut aller se

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rhabiller. Elle n’est pas de taille pour jouer dans la cour des grands de lamondialisation. La solidarité ne peut pas survivre dans un milieu de prédateursà l’affût de la moindre concurrence. La solidarité n’a pas les dents assezacérées. Elle ne mord pas la solidarité… Elle tente de nous unir.

Je pense que nous aurions besoin d’une révolte contre cette culture débilitéeet débilitante. Je suis partant ! Et vous ?

Pierre Fraser

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Le monstre engendre des petits monstres

Vous avez raison de parler de solitude généralisée et de promotion tragiquede l’individu. Cela rappelle ce qu’écrivait Alexis de Tocqueville dans De ladémocratie en Amérique{47}.

D’abord sur l’individualisme et l’indifférence :

« Chez les peuples démocratiques, de nouvelles familles sortent sans cesse du néant, d’autres yretombent sans cesse, […]. À mesure que les conditions s’égalisent, il se rencontre un plusgrand nombre d’individus qui, n’étant plus riches ni assez puissants pour exercer une grandeinfluence sur le sort de leurs semblables, ont acquis cependant ou ont conservé assez de lumièreset de biens pour pouvoir se suffire à eux-mêmes. Ceux-là ne doivent rien à personne, ilsn’attendent pour ainsi dire rien de personne ; ils s’habituent à se considérer toujours isolément,ils se figurent volontiers que leur destinée tout entière est entre leurs mains. »

Ensuite, à propos des formes du despotisme dans la démocratie :

« […], je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repossur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme.Chacun d’eux, retiré à l’écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres : ses enfants etses amis forment pour lui toute l’espèce humaine ; quant au demeurant de ses concitoyens, il està côté d’eux, mais il ne les voit pas […] ; il n’existe qu’en lui-même et pour lui seul, […]. Au-dessus de ceux-là s’élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer leurjouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. […] ; ilpourvoit à leur sécurité et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs […] ; que ne peut-il leur

ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ?{48} »

Ce pouvoir qui multiplie les individus dans la foule et les soumet parconsentement à un ordre redoutable et suave, le philosophe italien RaffaeleSimone le nomme «le monstre doux»{49} Pour lui, nous sommes effectivemententrés dans l’ère que prévoyait Tocqueville. Le «monstre doux», c’est cerégime global de société fondé sur un système médiatique, télévisuel, culturel,idéologique qui prend la forme d’une ambiance infantilisante généralisée. Cerégime dont le prototype selon lui, est déjà l’Italie, s’appuie sur une droiteanonyme, puissante dans les médias, œuvrant à l’expansion de laconsommation et du divertissement. Tels sont les objectifs de la modernité,

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visant à réduire les services publics et l’État, méprisant la vie intellectuelle,promouvant la réussite individuelle, acharnée à réduire toute opposition,«populiste» au sens où elle dévoie la démocratie au nom de ce que «veut lepeuple»

Le «monstre doux» règne sur la modernité à travers troiscommandements{50} :

Le premier est de consommer. Le bonheur est dans laconsommation, le shopping, l’argent facile.

Le deuxième est de s’amuser. Le travail, dévalorisé, devientsecondaire. L’important, ce sont les week-ends, les vacances, lessorties, les jeux vidéo, les émissions people, les écrans partout. Ledivertissement envahit chaque instant de la vie ! Il réordonne lescentres-villes, les galeries commerciales, les plages, les clubs devacances !

Le troisième commandement, c’est le culte du corps jeune, de lajeunesse, l’infantilisation de tous. Le rajeunissement s’imposecomme dictature. Des fortunes sont englouties dans les régimes,les cosmétiques, la chirurgie esthétique. Cette religion du corps apour conséquence la généralisation d’un égoïsme arrogant, jeuniste,méprisant la fatigue, la vieillesse, le handicap !

Le monstre engendre des petits monstres ! Partout ! Un jour, nous nesaurons plus les extirper !

Georges Vignaux

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Les raisins de la colère

Vous citez Tocqueville et Simone, vous parlez du «monstre doux», vousfaites une mise au point sur une société qui se résume à consommer,s’amuser, et rajeunir. Je veux bien, sauf que, tous ne peuvent se permettre ceprogramme alléchant et gratifiant. Qui ne se souvient pas de ce hérosdésespéré de John Steinbeck, fusil en main prêt à défendre sa ferme devenuenon viable après le passage du Dust Bowl ? Il est possible que certainespersonnes ne connaissent pas ce héros. Peut-être que l’évocation du titre«Les raisins de la colère» ne leur dit rien. Tout cela est bien possible. Possibledans le sens où la modernité a évacué le passé au profit du présent, toutcomme ce pauvre fermier de Steinbeck qui, cherchant la cause de sa détresseet de son désarroi, ne trouva finalement personne sur qui rejeter la faute.

Aujourd’hui, il y a des millions de personnes qui, tout comme la famille Joaddu roman de Steinbeck, refusent de croire que le pire s’est produit ou est entrain de se produire. Le Dust Bowl n’est plus seulement une tempête depoussière qui dévaste tout. Il est devenu économique. Le Dust Bowl, celui desannées trente, était la conséquence d’une agriculture trop intense qui conduisità une érosion majeure des sols. Résultat, des milliers d’agriculteurs del’Oklahoma et de l’Arkansas furent obligés d’émigrer vers la Californie. LeDust Bowl moderne, quant à lui, est la conséquence d’une politiquenéolibérale obligeant à une surconsommation qui conduit à l’érosion desemplois.

Au Canada, depuis une dizaine d’années, l’industrie forestière est dans uneposition très précaire. Pourtant, le pays regorge de forêts. La multinationaleAbitibi-Bowater, au bord de la faillite, a décidé de fermer plusieurs de sesusines. Des milliers d’emplois ont été coupés, tout comme les arbres. Lesdirigeants d’Abitibi-Bowater le répètent à qui veut l’entendre, « ce sont lesconditions du marché qui ont mené l’entreprise aux abords du précipice. » Ce

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sont les exigences du marché, les pressions concurrentielles, les nouvellesexigences de productivité, l’efficacité et le rendement des usines, etc. qui ontdéterminé la trajectoire de l’entreprise. Tout comme la famille Joad qui n’ajamais pu identifier un seul et unique coupable à sa situation désespérée, lesemployés de ces usines sont confrontés au même défi existentiel. Personnen’est responsable. C’est le nouveau discours de la déculpabilisationcorporative et gouvernementale : « Désolé, les conditions du marché ne nouspermettent plus de… » Plusieurs d’entre eux font des pieds et des mains pourprotéger les usines afin de les empêcher de fermer. Ils sont en colère, et pourcause. Certains, obligés d’accepter une baisse de 16 % de leur salaire pourréussir à travailler, et d’autres qui voient leurs prestations de retraites’abaisser de 10 % à 35 %, constatent dans le même souffle que 550 hautsdirigeants ont reçu des actions et des options représentant 8,5 % de l’actiftotal de l’entreprise.

Dans le roman de Steinbeck, la famille Joad découvre, après avoir quitté saferme pour la Californie, que la route est un long filet continu de familles sedirigeant vers la même destination. Sur leur chemin, ils croisent certainesfamilles de retour de Californie qui leurs disent que c’est pire là-bas. Les Joadne veulent pas admettre que les promesses auxquelles ils croient ne seront pastenues, tout comme les travailleurs à qui on a promis la réouverture desusines d’Abitibi-Bowater ne veulent pas croire que cette promesse ne sera pastenue. Une fois en Californie, les Joad constatent qu’ils travailleront pour unsalaire de misère. La cause, cette fois-ci, trop de travailleurs, donc lesfermiers revoient les salaires à la baisse. Scénario familier ? Ce que la familleJoad a vécu, aujourd’hui, des millions de personnes le vivent partout à traversle monde, partout là où personne n’est imputable de quoi que ce soit, mais oùceux qui ne sont actionnaires de rien paient pour les autres qui sontactionnaires de quelque chose.

Plusieurs de ces gens, et j’en connais personnellement, vivront une misère

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par défaut. Et ça n’a strictement rien à voir avec la simplicité volontaire, ceconcept éhonté conçu par une classe bourgeoise bien repue. Plusieurs de cesmiséreux par défaut entreront dans un cycle infernal. Au Canada, ce cycle estbien connu. On commence par le chômage. Celui-ci épuisé, car rien negarantit qu’à cinquante ans vous retrouverez un emploi — vous avez del’expérience et pas assez de compétences ; mauvaise combinaison —, vousvous retrouverez sous les auspices de l’aide sociale pour un revenu à peinesuffisant pour vous permettre de vivre. Et vous cher ami, en France, le filetsocial est-il supérieur au nôtre ?

Entre-temps, des vies et des ménages auront été brisés, des individus aurontsombré dans la dépression, etc. Une fois rendu là, vous êtes un exclu. Undéchet, un déchet en mouvement, certes, mais un déchet tout de même. Maisvous devez rester en mouvement, être dynamique et actif, et le systèmes’occupera de vous. On essaiera de vous recycler pour occuper un autreemploi. Il vous est impossible de demeurer sans compétences. Être sanscompétences, c’est ne pas vouloir participer au système. Si vous refusezd’acquérir de nouvelles compétences, on diminuera d’autant vos revenusd’assistance sociale. Vous n’avez pas le choix de revenir dans le sérail de lamondialisation. Il vous est imposé ce choix. Vous avez été soumis à la misèrepar défaut, maintenant on vous soumet aux compétences par défaut.

N’est-il pas du rôle de l’État de protéger les gens qui subissent les coups dudestin, bien que la fermeture d’usine n’a strictement rien à voir avec ledestin ? Les raisins de la colère fermentent un peu partout. Il y aura biend’autres employés, qui, tout comme les Joad, tiendront leur fusil en mainpour défendre leurs sources de revenus. Curieusement, les Joad avaient, euxaussi, participé à l’érosion des sols en tant qu’agriculteurs, tout comme lesemployés d’usine ont participé à l’érosion des emplois en surconsommant.Personne n’est tout à fait blanc dans cette histoire de mondialisation. Il y a

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ceux qui consomment et ceux qui produisent. Mais ceux qui produisentcoûtent moins cher ailleurs qu’en Amérique ou en Europe. Même les Chinoiscommencent à impartir la fabrication de leurs produits dans d’autres paysémergents. Ils sont victimes, eux aussi, d’une mondialisation à rebours quirevient les visiter sous une tout autre forme ; celle que vivent les travailleursoccidentaux.

Qui est l’imbécile ici ? La société ? Nous ? Un rideau, nommé «crise», s’estabattu, masquant le monde, comme une nuit sans fin…

Pierre Fraser

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La nuit qui a tout changé

Depuis les années 1980, Wall Street et l’économie américaine, c’était avanttout cinq banques. Cinq institutions dominaient tout ce qui se faisait sur laplanète finance, des fusions aux acquisitions, des émissions d’actions oud’obligations aux mises en Bourse, du courtage de toutes les catégories detitres aux innovations financières les plus marquantes. Goldman Sachs,Morgan Stanley, Merrill Lynch, Lehman Brothers et Bear Stearns étaient les«bulge brackets», comme les appelaient les banquiers internationaux. Ellesconstituaient la matrice de la finance mondiale, d’où se propageaient lesprincipales initiatives et où convergeaient les affaires.

Ce monde n’est plus. Des cinq reines de Wall Street, il n’en reste plus quedeux : Goldman Sachs et Morgan Stanley. Deux autres, Lehman Brothers etMerrill Lynch, ont disparu l’espace d’une nuit, celle du dimanche 14 au lundi15 septembre 2008. La première à s’être déclaré en faillite le 15 à la premièreheure, ce fut Lehman Brothers. Cela aura été la plus grande faillite del’histoire américaine. La banque s’est placée à l’abri de la loi américaine dontle chapitre 11 prévoit une protection spéciale contre les créanciers, le tempsque la maison se réorganise, autrement dit qu’elle vende ses activités aux plusoffrants{51}. Ses actionnaires ont tout perdu et ses 25 900 employés se sontretrouvés dans la plus grande des incertitudes quant à leur avenir. La marquea été détruite. Une histoire de 158 ans, commencée avec le financement de laconstruction des chemins de fer, a pris brutalement fin.

La seconde, Meryll Lynch, a préféré se sacrifier et se vendre à la plusgrosse banque de guichets et de réseaux d’agences : la Bank of America. Cegéant provincial est basé à Charlotte, une ville moyenne du Sud-Est. Lesactionnaires de Merrill Lynch en retireront 50 milliards de dollars et les 60 000employés ont eu la garantie de conserver leur job, jusqu’à nouvel avis. Maisleur banque a disparu du paysage après 94 ans d’existence.

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Le cinquième joyau de la couronne, Bear Stearns, avait disparu le 17 mars2008 après un autre week-end de folie. Elle s’était fait racheter pour unesomme symbolique par JP Morgan Chase, géant de la banque universelleaméricaine. La Fed, la banque centrale, prodiguait sa bénédiction en injectant29 milliards de dollars pour couvrir les pertes des positions subprime à risquede Bear Stearns.

Très critiquée pour son implication financière, la Fed n’était pas prête àrééditer son engagement. Le Trésor ne l’était pas davantage. Il était assailli dereproches pour avoir cautionné pour 200 milliards de dollars — un record —les deux institutions de refinancement immobilier Freddie Mac et Fannie Mae.Or tant Lehman Brothers aux abois que ses éventuels repreneurs misaientjustement sur le scénario du deus ex machina financier.

Tout s’est joué en deux jours, de vendredi soir à dimanche en fin de journéedans les locaux de la Fed de New York. Convoqués, les grands patrons des«bulge brackets» sont présents, tout comme ceux de JP Morgan, Citigroup,Crédit Suisse et la britannique Barclays. But : trouver une solution de reprisepour Lehman Brothers, qui, écrasée par ses crédits à risque, vit alors sesderniers jours de banque indépendante. Ce sera mission impossible. Face àl’intransigeance de Timothy Geithner, président de la Fed de New York, et deHenry Paulson, secrétaire au Trésor et ancien patron de Goldman Sachs, lesacquéreurs potentiels, avant tout Bank of America et Barclays, se retirent. Ilsn’ont pas obtenu les garanties qu’ils étaient venus chercher.

Ce week-end de crise n’a cependant pas été inutile. Un fonds decautionnement de 70 milliards de dollars est constitué par 10 grandes banquesinternationales dont UBS et Crédit Suisse. La Fed accepte d’assouplir encoreses conditions de refinancement des banques commerciales. Et Bank ofAmerica en profite pour faire une offre de reprise à Merril Lynch, un peumoins affectée par la crise. Celle-ci sait qu’elle tient là sa dernière chance.

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Après l’écroulement de Lehman Brothers, c’est elle qui deviendra la nouvellepestiférée des marchés boursiers.

Le lundi 15 septembre 2008, Wall Street a découvert un nouveau visage :

« Les plaques tectoniques du système financier se déplacent. Il en ressortira un nouvel ordre»,déclarait le patron d’une grande société de gestion new-yorkaise à l’agence Bloomberg. Lemodèle qui a assuré la fortune des grandes maisons d’affaires indépendantes a succombé sous lesexcès de la crise des subprimes. Désormais, l’avenir s’articule autour des géants universels etdes spécialistes de la finance alternative, dans un monde toujours plus multipolaire. Plus rien nesera jamais comme avant après le tremblement de terre vécu ce lundi par Wall Street. Maisencore ? »

Quels sont les autres dossiers chauds ? Les banques d’affaires américaines,Goldman Sachs et Morgan Stanley, sont normalement en meilleur état. MaisAIG, le géant américain de l’assurance, est lui en détresse. En quête d’argentfrais, il a été autorisé à emprunter 20 milliards de dollars à ses filiales pourpoursuivre ses activités. Le lundi 15, le titre d’AIG a perdu plus de 60,7 % enBourse. Et puis il y a le FDIC, le fonds de garantie américain qui indemniseles déposants de banques en faillite. Après avoir sorti 8 milliards de dollarspour indemniser les clients de la banque Indymac, il ne lui est plus resté encaisse que 44 milliards. Or, il y aurait 117 établissements menacés aux États-Unis, représentant une masse de dépôts de 79 milliards de dollars.

Est-ce la faillite d’un certain modèle bancaire ? «On s’achemine vers unnouveau modèle. L’ancien est mort.» Cet avis de Robert Doll, directeur desinvestissements de BlackRock, un des principaux gestionnaires de fonds dansle monde, est partagé par beaucoup. Les banques d’affaires exercent unmétier particulier. Contrairement aux banques classiques, qui collectent desdépôts et prêtent cet argent, les banques d’affaires, elles, n’ont pas de base dedépôts. Mais elles gagnent de l’argent (ou plutôt en gagnaient) en montant desopérations complexes comme des titrisations (regroupements de crédits,transformés en obligations, et revendus à des investisseurs), ou jouent del’effet de levier : avec une mise de fonds de départ très limitée, elles

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empruntent de l’argent grâce à leurs noms prestigieux et investissent dans desactifs rémunérateurs, mais risqués. Résultat ? Elles ont pris trop de risques.Des établissements devront se recentrer, vers des missions de conseil enfusion et acquisition, ou en gestion de patrimoine. « Mais il ne faut pas sous-estimer la créativité des banquiers d’affaires », déclarait Georges Hübner,professeur de finances à l’Université de Liège (Belgique), qui voyait déjà dansles matières premières ou le marché climatique des opportunités.

Fera-t-on l’économie d’une réforme du système ? Georges Hübner plaidepour l’autodiscipline :

« Je préfère l’autorégulation à un renforcement des réglementations qui limiteraient l’activité.L’autorégulation devrait aboutir à renforcer les sanctions en cas d’accident. Il faut mettre les gensdevant leurs responsabilités. »

Geert Noels, économiste en chef de la société de Bourse Petercam, estimeen revanche qu’il y a un travail réglementaire à faire :

« Il n’est pas normal qu’une partie seulement des acteurs paient l’ardoise, dit-il. Les hedgefunds (fonds spéculatifs) ont eu des comportements irresponsables. Mais ils ont réussi, jusqu’àprésent à échapper au contrôle des banques centrales. »

Bien sûr, l’administration Bush s’est alors voulue rassurante : le présidentGeorge W. Bush avait déclaré à la presse : «À long terme, j’ai confiance en lasouplesse et la résistance des marchés financiers et en leur faculté à faire faceà ces ajustements» Le secrétaire au Trésor Henry Paulson avait assuré, deson côté, que le système bancaire était «sain» et que les Américains pouvaientavoir confiance dans la sécurité de leurs comptes bancaires. La Réservefédérale (Fed) a injecté 70 milliards de dollars dans le système bancaire pouramortir le choc et permettre aux banques de se refinancer.

Mais la principale question demeure : Le marché peut-il s’autoréguler ?

Cette crise financière actuelle a été la plus grave depuis 50 ans, selon AlanGreenspan, ex-patron de la Réserve fédérale (Fed), la banque centraleaméricaine. À titre de comparaison, le krach boursier de 1987, qui était plus

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net et plus concentré sur quelques jours, n’a pas eu les mêmes effets dans lesystème bancaire américain. Aujourd’hui, ce système est tellement fragiliséque les autorités ne parviennent pas à le redresser.

Pourquoi effectivement, les autorités américaines ont-elles refuséd’intervenir pour Lehman Brothers ? D’une part, ces interventions, quis’ajoutent à un déficit budgétaire très élevé, accroissent considérablementl’endettement du Trésor américain. D’autre part, les autorités doivent tenircompte du fait que venir au secours des institutions financières qui ont prisdes risques inconsidérés crée un «aléa moral» (ce concept, déjà évoqué, vientde l’assurance : on observe souvent que lorsque quelqu’un a signé une police,son comportement évolue et il prend plus de risques). Laisser tomber LehmanBrothers aura été une manière de donner une leçon aux autres…

En fait, la crise financière s’explique par un double excès de confiance :des acteurs financiers dans leur capacité à maîtriser les risques, mais aussides économistes et des autorités dans la capacité des marchés à s’autoréguler.

Il y a là une contradiction inhérente. Schématiquement, les banques prêtentà long terme, mais se financent à court terme. Tant que la confiance règne,tout va bien. Mais si la confiance vient à manquer, les déposants vont retirerleur argent et même les banques qui n’ont pas de problème de solvabilitéseront affectées. Ce pour quoi existent les banques centrales. Elles sontcomme les assureurs du système financier. Mais cela crée l’aléa moral : lesbanques sont incitées à prendre plus de risques... Le marché bancaire etfinancier ne peut donc pas s’autoréguler. Et l’assureur, pour continuer lamétaphore, doit contrôler les banques, comme le fait votre assureur : votreassurance vol n’intervient pas si vous avez négligé de fermer la porte à clef.Mais les banques centrales et les autorités de contrôle des banques, surtoutaux États-Unis, ne l’ont pas fait, pour des raisons purement dogmatiques.

En résumé, la disparition quasi simultanée de deux géants de la banque

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d’affaires, six mois après la fin d’une troisième, est un événement inouï ! Iln’y a pas de précédent. Même en 1929, les grandes institutions avaient surésister à la crise. Les grandes banques d’affaires d’alors, Morgan, KuhnLoeb, Dillon Read notamment, s’étaient maintenues. On peut cependant faireun parallèle plus récent. C’est celui de la disparition des banques d’affairesbritanniques, les merchant banks de la City, entre 1989 et 1996. Ces banquesd’affaires se sont vendues lorsqu’elles ont compris qu’elles étaient troppetites pour résister à la concurrence des banques universelles européennes etdes grandes banques d’affaires américaines, les «bulge brackets» Leur retraita donc été beaucoup plus ordonné que celui de leurs consœurs américainesaujourd’hui.

L’élément nouveau dans la crise actuelle, c’est que l’État américain s’estfortement impliqué. Avant la crise de 1929, le secteur financier n’était pourainsi dire pas régulé. Les faillites de Danat Bank et de la Dresdner Bankavaient contraint l’État allemand à prendre, dans les années trente, le contrôledu secteur bancaire. À la fin de la crise, il détenait 91 % de la Dresdner Bank(laquelle résultait de la fusion avec la Danat Bank), 50 % de Commerzbank et35 % de Deutsche Bank. C’est aussi à la suite de cette crise que les États-Unis ont régulé le secteur bancaire, en séparant strictement les activités grandpublic de la banque d’affaires avec le Glass-Steagall Act de 1933. Cela dit, lesfaillites de grandes banques sont rares. Leur rôle pour le bon fonctionnementde l’économie est trop important pour qu’on les abandonne simplement à leursort. Mais rien n’empêche que l’on fasse payer leurs dirigeants pour lesfautes commises.

L’effondrement d’une grande banque n’est pas une crise, mais l’explosiond’une bulle spéculative. La fin du fonds LTCM en 1998 ou celle de NorthernRock ne résultent pas de crises conjoncturelles, mais marquent la fin d’unephase d’excès. De telles explosions sont généralement suivies de phases destagnation économiques de trois, quatre ans. Un précédent l’illustre : en 1890,

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la banque Barings, plus importante banque d’affaires britannique et donc dumonde, fit faillite. La période qui suivit fut qualifiée, par les contemporains, de«crise Barings». Avec Lehman Brothers essayant de se placer en faillite pouréviter la banqueroute, Bank of America qui rachète Merril Lynch et AIG souspression pour vendre des actifs, il ne s’est pas passé autant en une journéedans toute l’histoire financière depuis le grand krach de 1929.

Aujourd’hui, tout se passe comme si la crise s’était éloignée ! Est-ce si sûr ?D’autres catastrophes ne sont-elles pas à venir ? N’y a-t-il pas un ver dans lapomme ?

Georges Vignaux

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Too big to fail

Dans votre billet intitulé «Économie : la nuit qui a tout changé», vous posezdeux questions fort intéressantes : « D’autres catastrophes ne sont-elles pas àvenir ? N’y a-t-il pas un ver dans la pomme ? » Ma réponse aux deuxquestions est «oui», et ce ne sont pas des bémols que je mettrai pour enamoindrir la portée.

À quelques reprises, vous parlez des «géants» de la finance. Eh bien, leproblème est justement dans cette notion de gigantisme. Je vous donne unexemple. Pendant plus de quatre décennies, de 1950 à 1990, aux États-Unis,lorsqu’une petite banque sombrait et tombait en faillite, les dommagescollatéraux étaient limités aux affaires immédiates de la banque sans pourautant entraîner dans un tourbillon planétaire tout le système bancaire, lafinance et l’économie. De la même manière, à l’époque où il y avait plusieurspetits journaux locaux tenus par des propriétaires indépendants, même si l’unde ceux-ci déclarait forfait, cette situation n’affectait en rien l’ensemble desopérations d’un grand quotidien de la métropole. C’est lorsque les grandsconglomérats médiatiques ont commencé à se former que les problèmes sontdevenus de plus en plus criants. Si ça va mal au siège social, on pompe lesrevenus des journaux locaux pour maintenir temporairement sous respirateurartificiel toute la structure. On le fait généralement en coupant des postes dejournalistes tout en laissant croire à une population régionale bernée par destromperies que cela n’affectera en rien la qualité de l’information. Vousconnaissez sûrement ce discours, j’en suis convaincu : «Faire plus avecmoins !».

Vous dites et je cite :

« […] la disparition quasiment simultanée de deux géants de la banque d’affaires, six mois aprèsla fin d’une troisième, est un événement inouï ! Il n’y a pas de précédent. Même en 1929, lesgrandes institutions avaient su résister à la crise. »

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Je pense qu’il ne faut plus parler d’événement inouï, mais d’événementimprévisible à fort impact négatif. Je m’explique. Avant l’arrivée des grandssystèmes informatiques qui ont permis de relier trois secteurs auparavantétanches l’un à l’autre — bancaire, financier, économique — chacun deceux-ci ne débordait pas sur l’autre. C’était une époque où l’on faisait appel àla notion de structure plutôt qu’à celle de réseau. Les médias écrits, toutcomme les banques, ont mis en place une structure en réseau.

Alors que la structure en réseau réduit la volatilité des événements, elledonne aussi l’impression d’être plus stable. Par contre, la structure en réseaun’est pas une structure massivement parallèlement interconnectée commecelle du cerveau, et de ce fait, chaque nœud est d’autant fragilisé lorsqu’unnœud éprouve des problèmes, car l’impartition de la charge du réseau reposealors sur moins de nœuds du réseau. Au fur et à mesure que le réseau sefragilise à petites doses, celui-ci devient de plus en plus exposé à desévénements imprévisibles ayant un impact négatif très élevé. Le mêmephénomène s’est produit avec les banques. En fait, comme le dit si bienNassim Nicolas Taleb : « Nous n’avons jamais été aussi près de la menaced’un effondrement total du système.{52} »

Tout comme les médias écrits, les institutions financières ont racheté demultiples petites banques indépendantes pour finir par devenir des monstresfinanciers reliés dans un inextricable réseau. À la décharge de la structure enréseau, il est vrai que celle-ci est plus résiliente et qu’elle peut mieux survivreaux petites crises et aux soubresauts de l’économie. Lorsqu’il y a plusieurspetits journaux indépendants, tout comme lorsqu’il y a plusieurs petitesbanques indépendantes, les chances sont plus élevées de voir se manifesterplusieurs petits événements imprévisibles — entendre faillite — que dans unréseau. Par contre, dans un réseau, lorsque l’événement imprévisible semanifeste, il frappe très fort et peut entraîner l’effondrement total du réseau,et ce, pour la raison suivante : dans un réseau, il n’y a que quelques nœuds

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qui connectent plus que tous les autres nœuds. En fait, les réseaux ont unetendance naturelle à s’organiser eux-mêmes autour de nœuds hautementconnectés. Dès lors qu’un nœud hautement connecté éprouve des problèmes,c’est toute la structure du réseau qui se fragilise d’autant. Et si c’est le nœudle plus connecté qui éprouve des problèmes majeurs, alors le réseau peut toutsimplement s’effondrer sur lui-même. La crise financière de la fin de 2008 estl’illustration parfaite du fait que nous sommes toujours à deux doigts del’implosion dans une structure en réseau. L’événement imprévisible ayant unfort impact négatif est présent dans les moindres recoins de la structure enréseau de la finance et de l’économie. Nos économies nationales respectivessont tellement liées, que ce qui était une crise en sol américain a dégénéré enune crise économique planétaire où aucun pays n’a été épargné. Alors quenous pensions que la catastrophe qui s’était abattue à l’automne 2008 surtoute la planète commençait à se résorber, l’agence de presse Reuters {53}

rapportait ceci le 31 octobre 2009 :

« Les autorités américaines ont fermé vendredi neuf banques, un record pour une seule journéedepuis le début de la crise financière. Cette opération porte à 115 le nombre de banques mises enfaillite depuis le 1e janvier, soit le plus haut niveau annuel depuis 1992. Les analystess’attendent à ce que d’autres surviennent encore d’ici la fin de l’année. Parmi les neufétablissements fermés vendredi se trouve la California National Bank, qui devient donc laquatrième plus grosse faillite du secteur cette année. La plus grande institution financière à s’êtreeffondrée depuis le début de la crise est Washington Mutual, qui détenait 307 milliards dedollars d’actifs à sa fermeture en septembre 2008. Le groupe US Bancorp (USB.N : Cotation) aracheté vendredi les neuf établissements en question, qui étaient détenus par FBOP Corp, ethérite ainsi de 18,4 milliards de dollars d’actifs et de 15,4 milliards de dollars de dépôts. »

Relisez attentivement la dépêche de Reuters, et recensez les sommesperdues par ces banques ; c’est tout à fait démesuré et inouï pour une seulebanque : 307 milliards de dollars ! Il ne faut donc pas se surprendre quel’addition de montants aussi colossaux, jour après jour, ait permis à un autreévénement imprévisible à grand impact négatif de se manifester — cesévénements imprévisibles qui se cachent dans les moindres recoins du réseau.

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Le lendemain, le 1er novembre 2009, Reuters annonçait une nouvelle encoreplus sinistre :

« Le groupe financier CIT, acteur incontournable du financement des PME américaines, aannoncé dimanche qu’il se mettait sous la protection de la loi sur les faillites (Chapter 11). LeConseil d’administration a approuvé la proposition de déposer volontairement un dossier autribunal des faillites du district sud de New York, indique le groupe dans un communiqué. Lesactifs de CIT étant évalués à 71 milliards de dollars, il s’agit de la cinquième plus grosse faillitede l’histoire des États-Unis, après celles de Lehman Brothers (2008), Washington Mutual(2008), WolrdCom (2002) et General Motors (2008). […] Les difficultés du groupe se sontintensifiées en juillet, alors que devait expirer en août une tranche d’un milliard de dollars de sadette obligataire, qu’il n’était pas en mesure de refinancer. CIT s’était vu refuser une nouvelleinjection de fonds fédéraux par Washington, après avoir reçu 2,3 milliards en décembre. CITGroup, dont l’action s’était effondrée de plus de 20% vendredi après le feu vert de M. Icahnouvrant la voie à la faillite, ne sera plus coté à la bourse de New York à compter de lundi. »

Ne trouvez-vous pas que le phénomène est absolument fascinant ?Comment est-il possible que de telles choses puissent se produire ? Le plusfou dans toute cette histoire, c’est que les principaux nœuds du réseau sontdevenus de plus en plus gros dans l’univers de la finance, alors qu’on auraitdû s’attendre à une réduction de ceux-ci après une telle crise. Le 10novembre 2009, Eric Rosengren, l’un des dirigeants de la banque centraleaméricaine, dans un discours prononcé à Londres, disait ceci :

« Bien que le problème du «too big to fail» soit largement reconnu, beaucoup de nos plusgrandes banques mondiales se sont en fait développées pendant la crise. En vérité, dans beaucoupde cas, la taille des plus grandes banques est devenue immense par rapport à la taille à la fois deleurs pays d’origine et d’accueil.» M. Rosengren a calculé que le total des actifs des trois plusgrandes banques américaines, qui était d’un peu plus de 30 % du produit intérieur brut desÉtats-Unis en 2005, avait dépassé les 40 % en 2008. En France, le rapport est passé d’environ180 % à près de 250 % et au Royaume-Uni d’environ 200 % à plus de 400 %, a souligné M.Rosengren, qui dirige l’antenne de la Réserve fédérale à Boston (nord-est). »

Avez-vous une petite idée{54} de ce qui se passera lorsqu’une nouvelle crisefinancière se pointera de nouveau ? Il y a fort à parier que ce sera, une fois deplus, l’argent des contribuables qui servira à renflouer ces banques «too bigto fail», mais c’est éventuellement la promesse d’un éventuel événementimprévisible fatal. En attendant, les grandes institutions financières

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s’autoalimentent, et la spéculation aidant, elles reconstituent leurs marges enprofitant des bas taux d’intérêt maintenus par les banques centrales dedifférents pays. Par exemple, la toute dernière technique à la mode, le «CarryTrade», consiste à emprunter dans une monnaie à taux très bas et à la prêter àun taux plafond à l’autre bout de la planète. En Inde ou en Australie, les tauxsupérieurs à 5 % permettent de réaliser des tours de prestidigitation financierssans être le moins du monde inquiété par les autorités. Pour gonfler leursbilans, les grandes banques spéculatives peuvent tout à fait se passer del’économie réelle, car leurs circuits de rémunération sont totalementdéconnectés de celle-ci. Par exemple, lorsque la société Goldman Sachs aconseillé Warren Buffet pour le rachat de l’entreprise ferroviaire BurlingtonNorthern Sante Fe{55}, elle a touché une juteuse commission à même unefaramineuse transaction de 44 milliards de dollars !

À mon humble avis, et cet avis n’engage que moi-même, les messieurs enveston cravate qui dirigent l’économie, la finance et le système bancaire, sontun peu comme des boîtes de pétri où on cultive des événements imprévisiblesayant un fort impact négatif. Dans une organisation d’importance, il y atoujours des messieurs en veston cravate et de plus en plus de dames entailleur qui, fort des modèles économiques qu’ils ont appris à l’université, lesappliquent joyeusement avec les effets que l’on connaît.

Pierre Fraser

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Les banques deux ans après le choc Lehman

Deux ans après la faillite de la banque d’affaires américaine LehmanBrothers, comment se porte le système bancaire ? La question préoccupegouvernements, économistes et investisseurs. C’est notamment le cas enEurope, où l’économie est financée aux deux tiers par les crédits bancaires,contre un tiers aux États-Unis.

Grâce au soutien toujours massif des États et à la politique de refinancementaccommodante des banques centrales, le secteur bancaire paraît sans doutestabilisé. Certaines grandes banques réalisent même de meilleuresperformances qu’avant la crise, comme la française BNP Paribas, l’espagnoleSantander ou l’italienne Unicredito. Leurs chiffres d’affaires au deuxièmetrimestre 2010 sont supérieurs à ceux du premier trimestre 2007, avant quen’éclate la bulle des subprimes, les fameux crédits immobiliers à risquesaméricains.

Cependant, des secteurs entiers du système continuent d’affronter degraves problèmes. Aux États-Unis, beaucoup de petits établissements liés àl’immobilier commercial — un marché de 1 600 milliards de dollars (1 241milliards d’euros) d’encours, où le taux de défaut des crédits atteint 8 % —,sont fragilisés. Les autorités de contrôle du secteur financier recensent 829établissements malades, redoutant autant de nouvelles faillites, après déjà 118dépôts de bilan depuis janvier. Ce serait sept fois plus qu’en 2009, qui avaitpourtant établi un record en matière de défaillances avec 140 faillites.

En Europe, à l’exception des situations catastrophiques de la Grèce et del’Irlande, avec la déconfiture de l’Anglo Irish Bank, deux pays posentproblème : l’Espagne et l’Allemagne. Les caisses d’épargne espagnolessouffrent de leur exposition aux crédits aux promoteurs immobiliers locaux,où le taux de défaut est à 9 %. L’Espagne compte 1,2 million de logementsinvendus. Les banques publiques allemandes, elles, traînent le boulet de gros

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portefeuilles d’actifs toxiques liés à la crise.

De nouvelles faillites ne sont pas exclues, ou à défaut, des regroupements.« L’aide publique permet de porter à bout de bras les banques en difficultés,mais on ne sait ce qu’il adviendra si la croissance économique ralentit »,commente Peter Hahn, professeur à la Cass Business School, une école decommerce de la City de Londres{56}. Surtout, de nouvelles réglementationsvoient le jour, qui vont imposer des règles du jeu plus strictes, au cours desprochaines années.

Adoptée le 12 septembre, la réforme dite de «Bâle 3» va contraindre lesbanques à mobiliser plus de capital face aux crédits distribués. Moins sévèrequ’attendue, cette réglementation représente quand même un doublement deleurs fonds propres.

« Le ratio de solvabilité moyen des banques est actuellement de 5 %, très en deçà des 9 %bientôt exigés par les régulateurs, coussins de sécurité compris», explique l’économiste Patrick

Artus{57}. Sans que cela entrave la reprise économique, «cela crée une incitation à ne pas faire cequi consomme du capital : des crédits, des achats d’actions et d’obligations d’entreprises et dela titrisation (transformation de créances en produits financiers). »

L’économiste s’attend à d’importants changements dans la stratégiefinancière des banques, et notamment à un rush sur les obligations d’État.

Les banques de demain seront-elles aussi rentables ? Quels seront lesmodèles gagnants ? Voilà les deux grandes questions posées par les nouvellesréglementations. À la première, les économistes répondent par la négative,puisque, avec désormais plus de fonds propres obligatoires, leur ratio derentabilité (ROE) s’en trouvera amoindri.

« La profession bancaire va devoir accepter une évolution que d’autres secteurs de l’économien’ont pas faite. Avec des ROE voisins de 10 %, les cours de Bourse ne retrouveront jamais lesniveaux d’avant la crise » ,

dit M. Artus. Quant au modèle gagnant d’après crise, les banques mettrontsans doute des années à le forger.

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Pour l’heure, les paris divergent, opposant une Goldman Sachs recentréesur les services au client et une Barclays donnant la priorité à la banqued’investissement{58}.

Les tempêtes ne sont pas finies ! Les crises non plus…

Georges Vignaux

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Une ou des crises

Pour l’anthropologue Marc Augé{59}, il n’y a pas aujourd’hui une crise, maisdes crises : une crise de conscience planétaire, une crise de relation et unecrise des fins.

La crise de conscience planétaire vient de ce que nous savons aujourd’huique nous vivons dans un monde fragile, infiniment petit dans un universinfiniment vaste. Cette prise de conscience écologique est aggravée par leconstat que l’écart entre les riches et les pauvres ne fait que s’accroîtreautant dans les pays développés que dans les pays sous-développés.

La crise de la relation est conséquence de cette image uniformisante de laplanète que diffusent les médias : illusion de l’évidence et de la transparence.Nous croyons connaître les autres parce que nous les voyons dans toutes cesimages que les télévisions diffusent seconde à seconde. Nous sommesassignés à résidence et à télévision. L’aliénation est générale et constante. Etquand l’illusion se dissipe, alors émerge la tentation de la violence : violencecontre soi dans le suicide, violence contre les autres à travers l’agressiongratuite, l’émeute, la révolte.

En même temps, le corps s’équipe, s’appareille, se transforme. On ledrogue, on le dope avec succès. Bientôt, complété de microprocesseurs,bourré de nanotechnologies, il deviendra triomphant. Mais standardisé, nousappartiendra-t-il encore ? Surveillé, contrôlé, suivi, sera-t-il toujours nôtre ?Quelle relation désormais, aurons-nous avec les autres ? Avec nous-mêmes ?

La «crise des fins», Marc Augé la résume par un paradoxe. Alors que lascience se développe à une vitesse stupéfiante, l’écart ne cesse de s’accroîtreentre ceux qui sont les acteurs de la science et ceux qui n’en ont aucune idée.Les inégalités en matière d’instruction et de connaissances se creusent de plusen plus dans les pays développés et à fortiori dans les pays émergents. D’où

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ce paradoxe de notre siècle : le développement parallèle de recherchesscientifiques de plus en plus performantes et de mouvements religieux de plusen plus irrationnels poussant à des révoltes désespérées dont le terrorismeislamiste est une des formes visibles. La question des fins dernières del’humanité est abandonnée aux fous !

Cette crise ne peut que s’aggraver en raison de l’hiatus profond entreéconomie et éducation. La crise orientant les politiques vers le court terme(plans sociaux, formations professionnelles ciblées), la question du savoirpour le savoir, de la recherche fondamentale, devient de plus en plus négligée.En France, l’ouverture de l’enseignement supérieur au plus grand nombre aeu pour conséquence un taux d’échec considérable dans les deux premièresannées. Ajoutons à cela ces facteurs aggravants que sont la diminution desemplois humains liée à l’automatisation des productions, le chômage et lamultiplication des emplois précaires entraînant la baisse du pouvoir d’achat.

Alors, comment envisager l’avenir ? Cette crise signale peut-être la mort dudernier «grand récit» : celui du libéralisme. Pour Francis Fukuyama{60}, laconjonction de la démocratie représentative et du grand marché libéral nousconduisait vers la démocratie universelle et la «fin de l’histoire» Rien de tel nes’est produit : les régimes non démocratiques s’arrangent très bien avec lemarché libéral et dans notre monde de réseaux, pouvoir économique etpuissance politique se concentrent en quelques points. Ce à quoi nousassistons, ce n’est pas à la généralisation de la démocratie, mais au triomphed’une oligarchie planétaire fondée sur ceux qui détiennent les pouvoirséconomiques et technologiques et qu’entretient la masse des consommateurspassifs. Ce que la crise a révélé, c’est cette coexistence mondiale entretrois sphères sociales : les puissants, les dominés et les exclus. Unearistocratie planétaire prend naissance, elle met au jour les vraies lacunes dansla population : absence de conscience politique, régression éducative,

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disparition d’une pensée de l’universel. La pensée est en crise, nous avonsdéserté nos consciences ! Allons-nous les réveiller ? L’avenir appartient-il àla pauvreté autant matérielle que spirituelle ?

Georges Vignaux

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Le bel avenir de la pauvreté

Près de 8 millions de personnes pauvres en France !

Selon une étude de l’Insee (Institut national de la statistique), 13% de lapopulation française disposent de moins de 949 euros par mois pour vivre.Selon l’Enquête sur les revenus fiscaux et sociaux (ERFS) publiée encore parl’Insee, 13 % de la population vivait en dessous du seuil de pauvreté en 2008,soit un peu plus de 7,8 millions de personnes, dont 1,6 million (30 %) defamilles monoparentales.

D’après les statistiques, le seuil de pauvreté se situait en 2008 à 949 eurosmensuel, contre 910 euros un an plus tôt. Ce montant est égal à 60 % duniveau de vie médian, c’est-à-dire qu’il y a autant de Français qui disposent derevenus supérieurs que de personnes ayant un niveau de vie inférieur. Quantaux 10% les plus aisés de la population, leur niveau de vie annuel est supérieurà 35 550 euros, soit 3,4 fois plus élevé que les revenus des 10% les moinsriches (10 520 euros). Selon l’Insee : «En 2008, les 20% des personnes lesplus aisées détiennent 38,3% de la masse des niveaux de vie, soit 4,2 foiscelle détenue par les 20% des personnes les plus modestes».

En 2010, l’Insee relève que les inégalités se sont encore creusées entreFrançais les plus aisés et le reste de la population. La moyenne des très hautsrevenus a augmenté «plus rapidement que (celle) de l’ensemble de lapopulation», contribuant ainsi à creuser les inégalités par le haut, note cetteétude 2010, intitulée «Les revenus et le patrimoine des ménages». Alorsqu’elles ne représentent que 1 % de la population, les personnes à très hautsrevenus perçoivent 32 % des revenus du patrimoine et 48 % des revenusexceptionnels déclarés (plus-values, levées d’options). Le nombre depersonnes riches est en forte augmentation : entre 2004 et 2007, 70 % ontgagné 500 000 euros par an et 28 % plus de 100 000 euros par an. Ce sontles 50-64 ans qui sont les mieux pourvus, avec près de 25 000 euros annuels.

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Les familles monoparentales, les personnes vivant dans un ménage immigréet les chômeurs restent particulièrement exposés au risque de pauvretémonétaire. Le risque d’être pauvre est 4,7 fois plus élevé si on est auchômage. Dans les chiffres, le taux de personnes vivant sous le seuil depauvreté (908 euros par mois, soit moins de 60% du revenu médian quiéquivaut à 1 513 euros) est resté stable à 13,4% en 2007, contre 13,6% en1998, soit plus d’un Français sur huit. Mais le nombre de personnes vivantavec 602 euros (40% du revenu médian) a augmenté de 2,1% à 3,1% sur lamême période.

La situation des plus pauvres s’est donc sensiblement détériorée. Unphénomène d’autant plus inquiétant que «la dégradation du marché du travail,en touchant les personnes qui étaient déjà les plus vulnérables, engendre unrisque d’irréversibilité du chômage et de la pauvreté» Un million de personnesse retrouvaient en fin de droit en 2010, selon le gouvernement.

Un signal inquiétant : les jeunes et les personnes âgées ont été de plus enplus nombreux en 2009 à recourir aux aides sociales. D’autre part, le nombrede travailleurs pauvres ne cesse également de grandir, passant de 1,7 millionen 2005 à 1,9 million en 2007, soit 7% des travailleurs. «Phénomènenouveau», l’ONPES relève «une désespérance accrue des personnespauvres», de plus en plus dépressives et révoltées. L’organisme n’y voit pasl’effet de la crise, mais plutôt « l’expression d’un processus long defragmentation de la société française. »

Les mêmes types de phénomènes se retrouvent aux États-Unis. Le nombrede pauvres y a augmenté pour la troisième année consécutive en 2009, avec43,7 millions de personnes vivant dans la pauvreté, le plus haut chiffre en 51ans, a annoncé le Bureau du Recensement. Le taux de pauvreté atteint 14,3%en 2009 contre 13,2% l’année d’avant, la pauvreté touchant une personne sursept, le plus haut taux depuis 1994, a indiqué David Johnson, du Bureau du

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Recensement. Ainsi, quatre millions de personnes supplémentaires sontentrées dans la pauvreté en 2009.

Parallèlement, le nombre d’Américains sans assurance santé a fortementaugmenté, grimpant à 51 millions en 2009 contre 46,3 millions en 2008.« C’est le chiffre le plus fort depuis 1987, année où nous avons commencé àcollecter ces données », a encore souligné M. Johnson. L’adoption de laréforme d’assurance santé du Président Barack Obama ne doit prendre sonplein effet qu’en 2013. Les plus touchés par la pauvreté sont les noirs et leshispaniques.

La pauvreté, on le voit, est assurée d’un bel avenir ! Partout : crises,fragmentations, désespérances…

Georges Vignaux

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Dans la gueule de la pauvreté

Le Siècle des Lumières : un point charnière de l’humanité. Un point debascule également. Nous avons basculé de la culpabilité et la discipline à laresponsabilité et l’initiative. Plus rien n’était pareil. Plus personne pour nousdire comment agir, comment penser. Nous sommes devenus propriétaires denotre personne. Nous sommes devenus des entrepreneurs de notre personne.Nous sommes entrés en concurrence avec les autres, nous avons accédé auprocessus de la réussite sociale et à ce que tout cela implique. Certes, lesLumières nous ont affranchis du joug féodal et monarchique, mais dans lemême souffle, elles nous ont plongés dans une mise en abîme de nous-mêmes. Pour la première fois, nous étions confrontés au devenir de soi. Nousavons créé l’obligation de responsabilité personnelle. « L’individu souverain,qui n’est semblable qu’à lui-même » de Nietzsche est non seulement devenuréalité, mais est aussi devenu le mode de vie propre à toutes les sociétésoccidentales.

Emmanuel Kant a résumé simplement la chose :

« La minorité est l’incapacité de se servir de son entendement sans être dirigé par un autre. Elleest due à notre propre faute quand elle résulte non pas d’un manque d’entendement, mais d’unmanque de résolution et de courage pour s’en servir sans être dirigé par un autre. Aie le couragede te servir de ton propre entendement ! »

Avec Kant, notre avenir était tracé dans la démocratie moderne naissante.L’individu était maintenant responsable de lui-même. Dans cette privatisationde la personne, la responsabilité de se gérer soi-même est devenue lourde àporter pour certains d’entre nous. Être souverain de soi-même n’est pasune tâche facile. Dans une société libérale qui adopte de plus en plusdes attitudes néolibérales, la personne souveraine prend de plus en plusde place, et au pire doit trouver par elle-même les moyens de prendresa place.

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Le couple «permis/défendu» maintenu par la religion et l’État a volé enéclats au tournant des années 1960. Nous sommes alors entrés dans unprocessus inflationniste de la mise en valeur du moi. L’impérieuse obligationde Kant à devenir soi-même par son propre jugement et son entendementnous a placés dans un processus de remise en cause de soi permanent.L’opposition «permis/défendu» a été remplacée par l’opposition«possible/impossible» Vous devez vous-même délimiter ce qui est possibleou impossible pour vous. Par contre, lorsque l’autre fait en sorte quel’impossible devienne possible, vous êtes alors dans l’obligation sociale demodifier votre propre couple «possible/impossible» pour l’ajuster au couple«possible/impossible» dominant.

Au tournant des années 1980, l’entrepreneur a soudainement été propulsé aurang de penseur moderne de notre époque. Il est devenu celui qui a fait ladémonstration éloquente que l’on peut s’appuyer sur ses propres ressortsinternes pour prendre sa place dans la société. Et cette attitude est devenue lanorme voulant que nous soyons définitivement les architectes de notre proprevie. Au milieu des années 1990, sur la lancée des entrepreneurs triomphants,le s coachs de vie ont alors colonisé l’espace de la motivation et de lapromotion de soi. Vous devez avoir un projet de vie, tout comme vous devezavoir un plan d’affaires pour votre entreprise. Projet, motivation,communication et promotion sont entrés dans nos vies et nos mœurs.L’individu idéal dans la société moderne est mesuré non pas à sadocilité, mais à son degré d’initiative. Et c’est là un changement deparadigme important, sinon radical.

Initiative. Vous entendez partout ce mot, initiative. Ici, vous n’êtes pasconvié à un choix. Il est impératif d’avoir de l’initiative personnelle pour gérerl’ensemble de sa vie. Ce n’est plus un choix que vous pouvez faire de manièreprivée. C’est devenu une règle commune valable pour tous, sans exception. Si

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vous ne l’appliquez pas, vous êtes socialement marginalisé. Vous commencezalors votre lente descente vers la pauvreté. Et elle a la gueule grande ouvertela pauvreté.

La pauvreté moderne n’est pas affaire de paysannerie ou de conditionsociale. La pauvreté moderne est avant tout affaire d’attitude. Nous avonséchangé le couple «conformisme/automatismes de conduite» qui traduisait lessociétés d’avant 1960 par celui de «initiative/aptitudes mentales» Celui quiglisse vers la pauvreté est donc un individu en panne qu’il faut réparer. Il nedémarre plus. Son ressort interne est cassé.

Les programmes de réinsertion au travail, les mesures pour contrôler lesrevenus d’appoint payés par l’aide sociale, l’abandon progressif du filetsocial, l’écart qui augmente chaque jour entre les riches, la classe moyenne etles pauvres sont des avatars du couple «initiative/aptitudes mentales» L’introduction du privé dans la sphère publique n’est que la conséquencelogique de ce processus de mise en avant de l’initiative personnelle.

Il ne faudra donc pas se surprendre de voir l’ensemble de la société mettrel’accent sur ce qui rend la pauvreté moins confortable, créer de la prospéritéen réduisant les irritants qui nuisent à la création d’entreprises, réformer lesystème scolaire pour encourager l’esprit de compétition chez les jeunes,amener le pauvre à épargner, etc. Conséquemment, et logiquement, toutprogramme de lutte contre la pauvreté ne doit pas se mesurer aux sommesqu’on y injecte, mais aux sommes que nous en retirons. Le couple«initiative/aptitudes mentales» nous impose de voir les choses sous cet angle.

La pauvreté moderne est donc affaire de perte de l’initiative personnelle etd’une déficience dans les aptitudes mentales à faire ses choix pour construiresa propre vie. La solution qui se présente est fort simple : redonner del’initiative et fournir de nouvelles compétences à l’individu pour qu’ilrecommence à consommer !

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Pierre Fraser

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Le vrai péril : l’explosion du chômage des jeunes

81 millions de jeunes de 15 à 24 ans étaient sans emploi fin 2009 dans lemonde ! Du nord au sud, dans les économies développées comme dans lespays émergents, le chômage touche massivement les jeunes de moins de 25ans, entraînant une grande précarité. Le niveau actuel est le plus haut jamaisatteint, estime l’Organisation internationale du travail (OIT), qui rassemblegouvernements, employeurs et travailleurs de 183 pays.

L’avenir de cette génération sera à coup sûr, marqué longtemps par cetteexclusion. L’OIT demande donc aux États de ne pas diminuer leurs budgetsd’éducation et de soutenir l’emploi par des mesures actives.

« L’arrêt de ces mesures aura un impact encore plus important pour les jeunes que pourl’ensemble de la population salariée. Il ne faut surtout pas lâcher prise maintenant »

déclare Gianni Rosas, responsable du programme sur l’emploi des jeunes àl’OIT{61}. Mais le chômage n’est que la partie visible du phénomène. Au-delà,il s’agit de cette grande pauvreté et de cette précarité dont sont victimes lesjeunes, notamment dans les pays émergents. Un nouveau statut se répandainsi : celui de «jeunes travailleurs pauvres» ! Ce que Gianni Rosas définitainsi :

« Les jeunes qui travaillent occupent souvent des emplois précaires, caractérisés par des horaireslongs, une faible productivité, des salaires médiocres, une protection sociale réduite. »

Près d’un tiers des jeunes travaillant dans le monde se trouvent dans cettesituation. Conséquence de la crise : les salaires des jeunes ne peuvent quecontinuer à baisser et leurs conditions de travail se dégrader. L’intérimreprésente déjà 40% du travail des jeunes contre 11% pour les adultes. Lacompétition économique incitera davantage encore les entreprises àrechercher une productivité maximale et des compétences immédiates. Danscette crise, les femmes sont les grandes perdantes. Un rapport de l’OCDEindique qu’en 2009 le taux d’activité des jeunes hommes était plus du double

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de celui des femmes dans au moins deux régions : Afrique du Nord etMoyen-Orient ! Ce sont les femmes que le chômage touche le plus !

Découragés, les jeunes constituent-ils alors un risque pour les démocraties ?Le même rapport écrit :

« Les jeunes se sentent victimes du système et focalisent leur colère sur ceux qui leurapparaissent comme premiers responsables : la mondialisation, la rapacité du système

capitaliste, les responsables politiques nationaux, ou un groupe ethnique spécifique.{62} »

Ils sont plus sensibles aux discours des mouvements religieux,révolutionnaires, qui peuvent leur offrir excitation ou espoir pour l’avenir. Descrises politiques, sociales, peuvent éclater ; notre société en portera à coupsûr la responsabilité.

Georges Vignaux

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NINJA Génération

NINJA Generation ? Eh oui, la cohorte des 15 à 30 ans. NINJA, unacronyme pour «No Income, No Job, No Asset» (pas de revenu, pasd’emploi, pas d’actifs). Tirée du film «Wall Street – Money Never Sleeps»,cette expression résume fort bien votre dernier billet traitant de l’explosion duchômage chez les jeunes. À quoi peut et doit s’attendre cette génération ?

* un niveau de vie médiocre ;

* un salaire médiocre ;

* des impôts élevés.

Avec le concours des instances gouvernementales et des entrepreneurs, ona réussi à faire passer cet état des choses comme étant la nouvelle normalité.Bienvenue dans le monde réel ! Soudainement, on se rend compte que les jeuxvidéo étaient une perte de temps, que tout le monde se fout du nombre de«followers» que vous avez sur Twitter, et que tout le monde n’en a rien àcirer du nombre d’amis que vous avez sur Facebook. Pourtant, les gourousdu Web tentent de vous faire croire tout le contraire. Ouverture, collaborationpartage, transparence. Et les jeunes ont acheté ce discours. Ils sont devenusaussi transparents qu’une mince feuille de soie.

Cette génération, tout comme les précédentes, a cru que le passage àl’université ou les collèges spécialisés allait lui ouvrir les portes du marché dutravail. Ce qu’ils ont vraiment découvert, dans les pays où l’accès àl’université n’est pas gratuit ou subventionné en partie par l’État, ce sont desemprunts pour pouvoir étudier, avec en prime, à la sortie, peu deconnaissances pertinentes pour pouvoir fonctionner dans une société tournéevers la performance, la consommation et la production de rebuts. Nel’oublions pas, aujourd’hui, ce n’est plus l’expérience ou le talent qui compte,ce sont les compétences.

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Cette génération croit encore au rêve américain : vous fréquentezl’université, vous décrochez un bon emploi, vous fondez une famille, vousachetez une maison, et vous voyagez. Tout ça était encore vrai il y a vingt outrente ans. Ce rêve est maintenant hors d’atteinte pour la majorité desreprésentants de la NINJA Generation.

Zygmunt Bauman a eu cette réflexion intéressante à propos de ce problème :

« L’une des recommandations le plus communément proposées aux jeunes est d’être flexibles,et pas spécialement difficiles, de ne pas attendre trop de leurs emplois, de les prendre comme ilsviennent, sans trop se poser de questions, et de les considérer comme une opportunité dont ilfaut profiter sur le moment tant qu’elle dure, plutôt qu’un chapitre d’introduction à un projet devie, une question d’estime et de définition de soi, ou une garantie de sécurité à long

terme.{63} »

En fait, l’idée est simple : vous devez consacrer votre énergie à vousassurer d’avoir un emploi assuré que vous ne savez même pas sûr. Mais toutn’est pas perdu ! Vous pouvez vous débattre pour vous sortir de cettesituation. Après tout, n’êtes-vous pas des Ninjas ?{64}

Pierre Fraser

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Le monde a basculé

L’été 2010, la Chine est devenue la deuxième économie mondiale, derrièreles États-Unis et devant le Japon, après la publication des chiffres du produitintérieur brut (PIB) du deuxième trimestre, convertis en dollars. Riend’étonnant : le pays compte un quart de la population mondiale et s’est installédans un rythme de croissance à deux chiffres que la crise a à peine bousculé.Le PIB par habitant est plus de dix fois inférieur à celui des États-Unis ou duJapon, mais le potentiel de rattrapage et les marges de manœuvre financièresde Pékin sont immenses. Cette montée en puissance de la Chine coïncideavec l’affaiblissement des pays développés, et en particulier de l’Amérique.Selon Yves Zlotowski, économiste en chef de Coface :

« Au cours des prochaines années, la croissance des États-Unis va se rapprocher de celle, pluslente, de l’Europe. Le modèle économique américain, basé sur l’endettement des ménages, estdurablement atteint. […] Les fortes inégalités de la société américaine risquent d’entraîner unecontestation plus forte de la mondialisation aux États-Unis mêmes. »

Ainsi se dessine «un monde post-américain», comme le résume l’Institutfrançais des relations internationales (IFRI). Nous assistons à uneredistribution des cartes de l’économie mondiale. Pour illustrer l’ampleur duchangement, on pourrait citer comme précédents l’organisation de l’Empireromain au Ve siècle de notre ère, l’affirmation de la puissance monétaire del’Espagne et du Portugal au XVIe siècle ou la domination industrielle del’Europe occidentale après la Première Guerre mondiale. Selon OlivierPoupart :

« Deux motifs sont récurrents dans les exemples historiques : la richesse en hommes de qualité

dans les puissances émergentes, l’endettement excessif dans les pays en déclin.{65} »

D’un côté, la Chine ou l’Inde

« disposent d’un réservoir humain gigantesque depuis longtemps, et qui s’accroît rapidement enqualité : efforts de formation, d’organisation, d’investissements en matériel moderne,développement d’une classe moyenne, gage de stabilité politique et sociale... »

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De l’autre,

« l’endettement excessif des États-Unis et de l’Europe occidentale, ajouté à l’activité malsainedes spéculateurs en valeur mobilière, constitue les prémices de l’effondrement des puissanceséconomiques dominantes. »

Au cours des années 2000, l’idée s’était développée que la Chine entendaitrester le partenaire bienveillant des États-Unis, finançant leurs déficits, enéchange de la possibilité d’écouler les produits chinois outre-Atlantique. Maisl’économiste Antoine Brunet{66} voit dans ce régime de croissance un piègepour les États-Unis. Se référant aux travaux de l’économiste CharlesKindleberger, il estime que

« pour l’Europe, la source essentielle de la crise des années 1930 était les déficits extérieurscolossaux et répétés à l’égard des États-Unis, dus, en partie, à un niveau trop compétitif dudollar. Et c’est seulement lorsque les États-Unis ont consenti, en 1948, une importanteréévaluation du dollar contre les monnaies européennes que l’Europe a pu renouer avec une fortecroissance. »

Or, dans la crise actuelle, la Chine a refusé ce type de concession — engelant l’appréciation du yuan — « car elle sait trop bien qu’un dollar maintenuà 6,80 yuans accentue la déstabilisation des pays occidentaux qui s’estamorcée mi-2007, et l’aide à ravir aux États-Unis le leadership planétaire »,ajoute M. Brunet. La rivalité entre les deux puissances s’est alors manifestéeplus clairement. Certains observateurs, toutefois, s’inquiètent pour la Chine,jugeant que sa bulle immobilière pourrait imploser. Mais Pékin a les moyensde continuer à alterner relance et freinage. La priorité de la Chine reste lacroissance. Elle commencera à subir dans dix ans les effets du vieillissementliés à la politique d’enfant unique. D’ici là, elle doit avoir un haut niveaud’activité, et elle dispose de marges de manœuvre puisqu’elle n’a pas dedéficit budgétaire ni de dette publique.

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Finalement,

« un des enjeux majeurs est la refonte du système monétaire international centré autour dudollar, ce qui n’est pas tenable compte tenu du basculement des rapports de forces. Ce systèmedevra tourner autour d’un autre point de gravité comme le yuan, ou de plusieurs monnaies » ,

analyse Bruno Cavalier.{67}

La rivalité sino-américaine est «à la fois une lutte entre deux grandesnations, mais aussi entre deux modèles : capitalisme totalitaire contrecapitalisme démocratique», rappelle Antoine Brunet. Dans un monde «post-américain», les États de droit devront relever ce défi économique, social,politique et stratégique. Rien n’est assuré !

Georges Vignaux

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Le vampire du milieu

En Occident, nous aimons bien la notion de durabilité. Le développementdurable de quoi que ce soit est à toutes les sauces. Si je voulais être un brincynique, je dirais même que la pauvreté durable et le misérabilisme durablefont aussi partie de cette grande utopie de la durabilité. Ce dont nous ne nousrendons pas compte, c’est que la simplicité volontaire tant prisée par desoccidentaux en mal de philosophie et de bonne conscience risque sous peu dedevenir une simplicité involontaire pour plusieurs d’entre nous.

Pour rappel, la Chine a un avantage marqué que nous n’avons pas :

« une main-d’œuvre surabondante composée d’ouvriers paysans peu payés, une faibleconsommation intérieure, la faiblesse de sa monnaie, [et des investissements dans les paysafricains et émergents qui ne sont liés à aucune considération concernant les droits de l’homme,la démocratie électorale, les règles de l’OMC, et autres choses embarrassantes pour lecommerce]. Cette combinaison gagnante permet donc à la Chine de gagner sans cesse des

marchés à l’exportation et de désavantager les importations dans son marché intérieur.{68} »

Ah oui, j’oubliais, il y a aussi des imbéciles qui ont la certitude quedélocaliser les entreprises manufacturières vers la Chine est gage d’uneéconomie prospère pour offrir des produits à bas prix aux classes moyennesde l’Amérique et de l’Europe. Et la Chine a eu l’intelligence de s’aligner sur ledogme néolibéral :

« Une concurrence illimitée optimise les allocations de ressources pour tous les acteurs de lachaîne économique ; la prospérité chinoise profite donc aux consommateurs et aux entreprisesaméricaines et européennes. »

Quelle vision d’avenir !

La Chine est devenue la manufacture du monde et le créancier de laplanète, et le plus fou dans l’affaire, nous la décrions, alors que nous luiavons fourni la corde pour nous pendre. Et nous signons et persistons. Parcontre, nous avons peut-être oublié que pour les financiers de Wall Street, ladémocratie est de plus en plus un encombrant héritage nuisible à l’efficacité

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économique. Et si la Chine avait compris, à notre détriment, mais à sonavantage, que le libre marché pouvait fonctionner sans démocratie…

Pierre Fraser

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Une apocalypse financière

Selon l’économiste Frédéric Lordon, les marchés financiers et lesgouvernements européens sont en train de commettre un suicideéconomique !{69}

Peu d’hommes politiques l’ont souligné, mais le plan de stabilisation grec esttotalement intenable. En effet, même les hypothèses les plus optimistesenvisagent une dette publique de 150% du PIB en 2013. Les plans européensne reviennent qu’à déplacer les problèmes dans le temps, tout en les rendantplus graves encore. Qui peut croire que les marchés seront plus indulgentsvis-à-vis de la Grèce dans trois ans ? Le problème de la Grèce est que le paysaurait au moins besoin d’une dévaluation pour pouvoir s’en sortir (etprobablement d’une renégociation de sa dette), solutions aujourd’hui écartées.Pire, la situation s’étend à l’ensemble de l’Europe. Car comment la zone europeut-elle espérer la moindre croissance avec la mise en place de plans derigueur partout simultanément ?

Il est clair que le monde financier et les gouvernements actuels vont dans lemur. Comme le souligne Joseph Stiglitz, la sévérité des plans d’austérité vaentraîner une stagnation économique qui minorera la baisse des déficits et vaentraîner une explosion du rapport dette / PIB{70}. Jusqu’au jour où lesmarchés jugeront la situation intenable, et que les politiques actuellesinterdisent toute sortie de crise. Alors, dans un mouvement suicidaire, les tauxse tendront, acculant les États européens au défaut, ce qui entraîneral’ensemble des banques dans une crise qui sera la réplique puissance dix decelle de l’automne 2008.

Frédéric Lordon suggère que les institutions financières pourraient sepréserver de l’apocalypse à venir en acceptant une taxe sur les transactionsfinancières qui pourrait améliorer la situation financière des États. Une taxe de0.1% pourrait ainsi rapporter près de 920 milliards de dollars à l’échelle de la

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planète. Mais, il pense que leur autisme va les mener à l’autodestruction.

La bombe des dettes souveraines est aujourd’hui amorcée. Elle devraitdéclencher la prochaine crise ! L’apocalypse est encore à venir !

Georges Vignaux

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God Bless America !

Certaines mauvaises langues pourraient dire que Vignaux et Fraser cassentconstamment du sucre sur le dos des États-Unis, qu’ils ont toujours lemauvais rôle, et que ce sont toujours les autres qui paient pour les mauvaisesdécisions des stratèges de la Maison Blanche. Je voudrais ici remettre leschoses en perspective : les États-Unis sont dans un rapport de domination parrapport aux autres pays — traduction : impérialisme. Une affirmation, certes,mais elle peut facilement être étayée par une multitude d’exemples. Serez-vous surpris d’apprendre que « le gouvernement américain promeut ladémocratie si et seulement si elle sert ses intérêts stratégiques etéconomiques{71} » ? Il ne faudrait donc pas se surprendre des tergiversationsdu président Obama face au printemps arabe, mais surtout, que la chose nousrenvoie aux mesures de rétorsion que les États-Unis sont toujours prêts àprendre en fonction de leurs intérêts stratégiques et économiques.

Rappelons-nous de la déclaration de David Rumsfeld à la veille de l’invasionde l’Irak en 2003 à propos de la «Vieille Europe», celle qui, à l’inverse de duRoyaume-Uni de Tony Blair, refusait de s’engager dans le conflit. Cette«Vieille Europe», aux yeux de la Maison Blanche, était constituée de tous lesgouvernements européens qui tenaient compte de l’opinion publique de sescitoyens. La «Nouvelle Europe», quant à elle, était celle qui adhérait audiscours de Washington : l’Espagne de José Maria Aznar, l’Italie de SylvioBerlusconi et le Royaume-Uni de Tony Blair. Pour la Maison Blanche, cespays étaient l’espoir de la démocratie à la sauce américaine, et cette sauceexclut d’emblée l’opinion publique.

Vous doutez des visées impérialistes américaines ? Vous ne devriez pas.C’est profondément ancré dans l’inconscient collectif de ce pays. Pourrappel, aux États-Unis, la fin du XIXe siècle était celle des extrêmes : d’uncôté, la Révolution américaine avait connu sa conclusion, l’esclavage avait été

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aboli, et la promesse d’une société démocratique et égalitaire semblait poindrepour tous les habitants de ce pays ; de l’autre côté, la montée en puissance etla consolidation du capitalisme monopolistique américain, le tout couplé à unracisme insidieux et à une division de plus en plus marquée entre riches etpauvres, marquaient le nouveau siècle naissant.

En 1900, Mark Twain — eh oui, je suis un impénitent lecteur de MarkTwain — soulignait fort à propos que l’expansion impérialiste de l’Amériqueallait à l’encontre de ses valeurs fondatrices, et qu’elle n’avait strictement rienà envier aux puissances coloniales européennes.

« Il s’agit encore d’une autre puissance civilisée brandissant le drapeau de la paix d’une main,

et tenant de l’autre le couteau du boucher.{72} »

Pour Mark Twain, l’Amérique avait délaissé son statut de république auprofit de la monarchie :

« une monarchie non pas dirigé par un roi ou une reine, mais par des financiers, des corporations

et leurs politiciens laxistes, tous attirés par l’odeur de l’argent{73}. »

À Bretton Woods, le 22 juillet 1944, toutes les conditions ont été réunies —traduction : expansion de l’impérialisme américain — pour conduire à lasituation dont nous avons hérité :

« […] en fondant le système monétaire international sur une monnaie privée, on a accordé unpouvoir exceptionnel au pays qui l’émet […] »

Nous sommes en 2011. Les choses ont-elles vraiment changé au pays del’Oncle Sam depuis l’époque de Mark Twain ? Poser cette question c’estpresque y répondre. Ce sont donc les contribuables et les épargnantseuropéens, arabes et asiatiques qui financent le déficit des États-Unisd’Amérique alors que les Américains vivent à crédit avec un niveau de viebien supérieur ! En effet, l’hypothèse du pire est avancée ! C’est aussi çal’impérialisme américain.

Pierre Fraser

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Décrochage

La décennie 1880 marque un moment charnière intéressant : c’est unarrachement aux traditions, l’entrée triomphale dans la modernité. En mêmetemps, c’est aussi la montée inquiétante de la neurasthénie, cet épuisementnerveux résultant de la vie moderne et de ses exigences sociales. Lesurmenage devient la conséquence d’une société qui se transforme à lavitesse grand V. En 1896, un certain Léon Binswanger parle du lien qui existeentre la neurasthénie et la vie moderne :

« La chasse effrénée à l’argent et aux possessions, les progrès formidables du domaine techniquequi ont rendu illusoires tous les obstacles temporels et spatiaux à la circulation. »

En 1892, le psychiatre austro-hongrois Krafft-Ebing mentionne que lesnouvelles conditions de vie

« ont modifié considérablement profession, position civique et propriété, et cela aux dépens dusystème nerveux qui doit satisfaire à l’accroissement des exigences spéciales et économiques. »

Les deux dernières décennies du XIXe siècle sont celles de profondesperturbations dans l’ensemble de la société. Le train abolit les distances, denouvelles règles sociales prennent formes, la richesse et le luxe sontaccessibles à de plus en plus de gens, la politique devient affaire du peuple, lareligion amorce son déclin, les grandes villes s’édifient, les artistes explorentle moi, le paysan devient un salarié dans les grandes entreprises qui cherchentà prendre de l’expansion, les grands syndicats s’implantent, la classemoyenne est sur le point de naître, les inégalités sociales tendent às’amoindrir. En un mot, c’est une révolution à tous les niveaux.

Relisez attentivement le paragraphe précédent. Il y a là un refrain déjàentendu. En fait, nous avons oublié que nous sommes déjà passés par là.Seuls les visages et les technologies ont changé. Aujourd’hui, comme le dit sibien Alain Ehrenberg,{74} il y a une fatigue d’être soi. Mais cette fatigue d’êtresoi était déjà présente à la fin du XIXe siècle. Nous n’avons rien inventé en la

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matière, et l’étiologie est toujours la même, à savoir que les changementssociaux profonds sont la cause de nos problèmes psychologiques. À l’époqueon parlait de neurasthénie, aujourd’hui on parle de dépression. Concrètement,ce sont finalement deux mots différents pour décrire une seule et mêmeréalité. Relisons maintenant le paragraphe précédent à la lumière des donnéesactuelles.

La première décennie du XXIe siècle a entraîné de profondes perturbationsdans la société. Internet a aboli les distances, de nouvelles règles socialesprennent formes par technologies de communication interposées, la richesseet le luxe sont de moins en moins accessibles à de moins en moins de gens, lapolitique devient de moins en moins affaire du peuple, la religion reconnaît unregain de vie sous la forme de nouveaux syncrétismes, les grandes villespoursuivent leur croissance, le salarié devient un produit interchangeable dansde petites et moyennes entreprises qui luttent pour conserver leurs positionsdans un marché mondialisé, les grands syndicats sont en déclin, la classemoyenne s’amenuise, les inégalités sociales augmentent de jour en jour. En unmot, c’est une dévolution à tous les niveaux, ou une révolution, c’est selon.

À la fin du XIXe siècle, la neurasthénie était un mal provoqué par lasurcharge de pressions sociales et de travail. En ce début de XXIe siècle, ladépression est causée par une perte des repères que nous a fournis le XIXe

siècle. Nous assistons à une déstructuration progressive de ce qui a construitla modernité au XXe siècle. Nous entrons dans une ère où l’individu est appeléà devenir, non pas une entité avec un récit de vie, mais un fragment de vie, cequi est tout à fait différent.

« C’était la meilleure des époques, c’était la pire des époques, c’était l’époque de la sagesse,c’était l’époque de l’inconséquence... »

On se rappellera volontiers cette déclaration de Charles Dickens dans«Conte de deux villes» à propos de la Révolution française. Notre révolution

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moderne, à l’aune de technologies de la communication omniprésentes etubiquitaires, nous oblige à redéfinir nos rapports avec autrui. Cette nouvelleépoque, pour pasticher Dickens, est la meilleure des époques, car noussommes en train de redessiner la frontière de nos cartes sociales, c’est la piredes époques, car nous produisons de plus en plus de rebuts humains sansavenir, c’est l’époque de la sagesse, car nous sommes obligés de poser uneréflexion sur notre avenir, c’est l’époque de l’inconséquence, car nousfaisons voler en éclats tout ce qui constituait le rêve d’une certaine justicesociale.

Il y a donc ici une catastrophe. Il y a aussi la promesse d’un autre monde.Tout n’est qu’une question de perspective. Mais quelle perspective ?

Pierre Fraser

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Le suicide est devenu «risque social»

Cinq salariés de l’entreprise de téléphonie France Télécom se sont encoresuicidés fin 2010, d’après le syndicat CFE-CGC/Unsa. Sébastien Crozier,responsable syndical, précise que deux de ces salariés étaient de la région deRennes, un de Lille, un de Toulouse et une salariée de la région parisienne.Quatre travaillaient directement pour France Télécom, et un autre pourEquant, filiale à 100% du groupe. Aucun d’entre eux n’aurait mis fin à sesjours sur son lieu de travail, mais une des personnes se serait jetée d’un pontaprès avoir quitté son poste.

France Télécom reconnaît qu’il y a eu plusieurs suicides «ces deuxdernières semaines dans différentes régions de France» mais refuse de lesdénombrer.

« Nous ne voulons pas entrer dans la comptabilité […]. Ces salariés, qui ne se connaissaientpas, n’avaient pas de lien entre eux et travaillaient dans des métiers distincts » , a précisé unporte-parole du groupe. « À ce stade, aucune corrélation ne peut être établie entre ces drames »,a-t-il ajouté. Sébastien Crozier, pour sa part, estime qu’il faut «laisser faire les expertises» etsurtout «laisser du temps au temps» avant de nier toute relation entre les suicides et lesconditions de travail. Le responsable syndical a toutefois sous-entendu un lien direct, expliquantqu’un conjoint a accusé l’entreprise d’être à l’origine de la mort de sa femme. »

Si le chiffre est confirmé, cela porterait le nombre de suicides à 23 depuis ledébut de l’année 2010 contre 19 en 2009. Direction et syndicat avaientconfirmé le chiffre de 32 décès entre 2008 et 2010.

La CFE-CGC/Unsa pointe du doigt le plan d’amélioration des conditions detravail qui a été mis en place avec l’arrivée du nouveau PDG, StéphaneRichard. Sébastien Crozier dénonce une baisse de moral généralisée dansl’entreprise. « Les responsables de la crise morale du groupe n’ont pas étésanctionnés aux yeux des salariés », explique-t-il, en référence au maintien del’ancien dirigeant, Didier Lombard, à la présidence du groupe. « Lesperspectives d’avenir ne sont pas bonnes », ajoute-t-il. Le syndicaliste

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explique enfin que la réforme des retraites préparée par le gouvernementajoute à la morosité ambiante, alors que plus de 50% des salariés de FranceTelecom ont plus de 50 ans{75}.

Depuis cette vague de suicides chez France Telecom, de plus en plusd’entreprises se préoccupent des risques psychosociaux (RPS) et cherchent àmettre en place des plans de prévention. Question de rentabilité d’abord, maisaussi et surtout d’image à l’extérieur. Des «Monsieur et Madame risquespsychosociaux», rattachés à la Direction des Ressources humaines,apparaissent dans les organigrammes, souvent pour se donner bonneconscience. Et les rapports se sont multipliés ces derniers mois sur laquestion de la prévention des RPS.

Un cabinet de conseil et d’expertise en prévention des RPS, Artélie Conseil,en a fait son business depuis des années. C’est ce cabinet qui a comparé enjuillet 2010 la déroute des Bleus au mondial de football aux dérivesorganisationnelles que l’on rencontre fréquemment dans le monde del’entreprise !

« Le métier change, évolue et se financiarise, explique Bénédicte Haubold, sa fondatrice.Certains cabinets sont rachetés par des fonds d’investissement car le secteur devient plusrentable. »

Les entreprises ont depuis peu l’obligation de mieux prévenir le stress autravail, le plus connu des RPS, ce qui a tendance aussi à doper le marché.

Les risques psychosociaux sont souvent résumés sous le terme de «stress».Ils recouvrent en réalité des risques professionnels d’origine et de naturevariées, qui mettent en jeu l’intégrité physique et la santé mentale des salariéset ont, par conséquent, un impact sur le bon fonctionnement des entreprises.On les appelle «psychosociaux» car ils sont à l’interface de l’individu et de sasituation de travail.

Le suicide fait donc aujourd’hui partie des risques professionnels. On peut

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le traiter. On peut aussi l’enfermer dans un bilan !

Georges Vignaux

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L’apocalypse nouvelle est arrivée !

L’apocalypse est un thème familier aux auteurs de science fiction. Depuislongtemps. Depuis Frankenstein ou Le Prométhée moderne de Mary Shelley.Historiquement, tout commence avec l’idée de création d’une vie artificielle,conçue en laboratoire. Nous y sommes presque. On est ainsi passé de Faust,des images diaboliques de l’éternelle jeunesse, à cette question del’immortalité qu’apporteront un jour la biologie et la médecine. Le rêve esttoujours là. La science fiction ne fait qu’anticiper, elle devance la science, lapréfigure. Ainsi, la finalité implicite des technosciences se révèleprométhéenne : il s’agit toujours du même rêve d’immortalité.

Au début du XXe siècle, les apocalypses de fiction étaient astronomiques.On y rencontrait des soucoupes volantes et des hommes verts qui venaient del’espace pour détruire la Terre. Dans les années cinquante, c’était la peur dela guerre nucléaire qui triomphait. Et ce spectre hantait les esprits en mêmetemps qu’il faisait plancher les états-majors militaires. Aujourd’hui,l’apocalypse est écologique. Il ne se passe pas de journée sans que les médiasne nous annoncent quelque catastrophe terrestre, volcanique, maritime,aérienne, humaine, animale qui imposerait l’urgence et dont nous serionscollectivement responsables. Des bataillons d’experts sont mobilisés pour leprouver, des associations se forment pour y remédier, des lois, desrèglements nous sont imposés. On a même inventé un principe dit «deprécaution» pour se prémunir à tout hasard, des séquelles d’un risque àchaque fois diffus, inattendu, mais qu’on saura attendre désormais. En 2010,par exemple, le ministère français de la Santé engrangea des millions devaccins pour parer à un virus dit de la grippe A (H1N1), qu’on prévoyaitmeurtrier et que personne ne rencontra vraiment !

L’intéressant, ce sont les conséquences politiques de ces apocalypsesrenouvelées. Nous sommes passés des inquiétudes ou des craintes

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provoquées par les régimes totalitaires à une vision diffuse de la société oùinterfèrent les globalisations caricaturales, les discours hystériques desmédias, les peurs d’un ennemi invisible et la légitimation des formes policièresde la surveillance.

L’apocalypse, dès lors, n’est plus lointaine ni fictionnelle, elle est déjà là :nous en faisons partie !

Georges Vignaux

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L’expert catalyseur de catastrophe

L’expert. Eh oui, toujours l’expert… Savez-vous quoi, collègue ? J’en ai unpeu ras le bol de l’expert, ce monsieur en costume gris, qui présente bien. Levoilà donc dans toute sa splendeur : le monsieur en costume gris ou en toutesautres déclinaisons de couleurs aussi sombres qu’un corbeau. Excusez macomparaison douteuse, mais je suis présentement à la limite de ce que ladécence permet lorsque j’observe avec dépit et désarroi la situation actuelle.Si vous me le permettez, je vais brièvement vous entretenir des différentstypes d’experts.

Le gourou

Il s’impose dans son domaine comme une figure charismatique. Sondiscours, cohérent, fait la promotion des valeurs propres à un domaine donné.Les médias de masse invitent systématiquement le gourou afin qu’il présenteson point de vue sur un événement ou un phénomène de société. Présent surtoutes les tribunes jusqu’à saturation, le gourou est la preuve vivante que lesmédias peuvent fabriquer des gens qui possèdent le savoir avec un grand S.Le problème du gourou, c’est qu’il ne reconnaît pas les limites de son savoiret qu’il les outrepasse régulièrement sans en être conscient.

Le spécialiste

Il possède généralement une bonne formation dans le domaine qu’il prétendconnaître. Il a acquis sa réputation par ses faits d’armes ou ses publications.Par exemple, à la suite d’un krach boursier, on vous sort l’universitaire deservice en matière de finance. Le problème du spécialiste, c’est qu’ilreconnaît les limites de son savoir, mais dès qu’on l’oblige à les franchir, ilextrapole.

L’expert

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Il s’agit d’une espèce bien particulière. Il n’est ni gourou ni spécialiste, maisà mi-chemin entre les deux. Chaque média écrit ou électronique, pour undomaine donné, a son expert maison qui s’abreuve auprès des gourous et desspécialistes. Ces gens sont devenus des experts, et les médias les consultentrégulièrement pour avoir l’heure juste sur un sujet. Mais, il y a pire encore:plusieurs journalistes, qui sont au demeurant que des journalistes sans autreformation que celle de journaliste, ont eu un jour la piqûre pour un sujetdonné. Ils deviennent alors des experts maison en économie, en finance, enenvironnement, etc. Et des millions de gens les écoutent. Le problème del’expert, c’est qu’il n’a aucune idée de l’étendue de son ignorance. Et jerempile en affirmant que l’ignorance est d’autant plus infinie qu’elle concernel’économie et la finance.

L’expert autoproclamé

C’est celui qui répète le discours des trois précédents. L’autoproclamationn’est pas un phénomène récent. Internet a simplement décuplé la capacité dereproduction des experts autoproclamés. Un tel nombre d’expertsautoproclamés qui s’appuie sur les réflexions et les hypothèses des gourous,spécialistes et experts n’est pas innocent et a forcément un impact. On peutles considérer comme les grands perroquets du discours des trois autres. Ilssévissent généralement sur les blogues et les réseaux sociaux. Leur rôle est derépéter inlassablement les mêmes rengaines, pensant ainsi se positionnercomme des gens ayant une opinion structurée et valable. Le problème del’expert autoproclamé, c’est qu’il ne sait pas qu’il est ignorant. Il a la fermeconviction de savoir de quoi il parle{76}.

Ce qui me fascine le plus, c’est que malgré la médiocrité de toutes leursprévisions et analyses, tous ces gens continuent de passer pour des experts.Et le plus fou dans l’affaire, c’est qu’ils ne possèdent aucune aptitude quipourrait vraiment les différencier de vous, ou de moi ou de nos concitoyens,

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sauf le costume trois-pièces très cher qu’ils portent. Ce qui me mènefinalement à penser que le costume trois-pièces est vide et que noussouffrons du syndrome du costume vide. C’est-à-dire que nous nous enremettons à du vide pour fonder nos décisions.

Je tiens à m’excuser auprès des âmes sensibles pour la teneur caustique,cinglante et cynique de ce billet, mais le vide m’effraie parfois !

Pierre Fraser

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La dépression comme art de gouvernement

Nous sommes entrés dans l’apocalypse ; on nous y a mis. C’est unetechnique de gouvernement : il vaut mieux un peuple déprimé qu’un peupleagité !

Mais peut-on parler de dépression collective ? Assurément, à regarderaujourd’hui la situation française. Bon nombre de mes concitoyens, dans leurspropos, parlent d’inquiétude et de paralysie. On cite beaucoup les exemples delicenciements collectifs, les délocalisations d’entreprises ; on ne croit pas àune relance économique, on ne croit plus les politiques. Et ceux qu’on saitdirectement menacés par le chômage, vivent cela souvent avec apathie etrésignation. Signes de dépression collective ?

Nombre de psychologues sociaux ou de psychiatres admettent lephénomène. Il semble que, tels les individus, les peuples possèdent leurs étatspsychologiques, avec des hauts et des bas. Une pathologie peut êtrephysiologique ou psychologique. Quelqu’un peut être sain dans son corps,mais malade dans son esprit. Il en va de même dans les collectivitéshumaines : une communauté, une société peuvent aussi souffrir d’une maladiepsychologique collective.

La psychologie sociale a montré qu’en chaque société, il existe des modèlesde conduite qui obéissent à des structures psychologiques de cette société.Individuellement, chacun peut se sentir autonome, mais en fait il estprofondément affecté par des modèles de conduite, un imaginaire social etdes pulsions collectives, souvent inconscientes, mais qui l’influencent par lesimple fait de vivre dans cette société.

Quand ces structures sont endommagées ou détériorées, cette société estmalade.

La dépression se produit quand le sujet reçoit, durant une période trop

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longue, une série de stimuli négatifs qu’il ne peut contrôler ou arrêter mêmes’il modifie sa conduite pour l’éviter. Quand cette situation se prolonge trop,elle dépasse un seuil de tolérance au-delà duquel la personne apprend à sesdépens qu’il n’y a pas moyen de s’en sortir : quoi que l’on fasse, un stimulusnégatif va survenir. La personne aussi bien individuelle que collective, apprendalors qu’il vaut mieux ne rien faire, démissionner, fuir. Elle apprend à ne plusse défendre et considère que c’est la meilleure méthode pour éviter cette sériede punitions.

Il y a deux types de dépressions : l’endogène qui vient de l’intérieur de lapersonne (individuelle ou collective) et la réactive qui est provoquée parquelque chose venu de l’extérieur. La première a une base organique qui faitpartie de la structure même de la personne ; la seconde répond à quelquechose de conjoncturel qui a interféré dans sa vie.

Les dépressions collectives sont «réactives». Elles ont pour principalescauses :

- Les stress : Les stress psychosociaux et environnementaux sont desfacteurs tantôt prédisposant tantôt précipitant.

- Les facteurs sociaux : La dépression existe dans toutes les sociétés ycompris traditionnelles. L’éclatement des structures familiales, ledéficit de spiritualité peuvent faciliter une perte des repères sollicitantdavantage de capacités d’adaptation. Cela peut faciliter l’émergencede symptômes dépressifs.

- La situation économique et sociale, laquelle est étroitement liée aurisque d’épisode dépressif. Les chômeurs sont entre 1,4 et 2,1 foisplus susceptibles de vivre un épisode dépressif que les gens actifsoccupés. L’isolement est également un facteur important dedépression.

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La tristesse d’une personne dépressive présente les caractéristiquessuivantes :

- la dépression succède à un état de morosité ;

- elle imprègne la perception du présent, du passé et du futur ;

- la personne analyse les événements de sa vie et les opinions des autressous un angle systématiquement négatif.

L’anxiété manifeste alors une sensation de tension intérieure. Surtout sous laforme de dévalorisation de soi et de culpabilité : la personne qui souffre dedépression se pense sans valeur ; elle s’accuse d’être responsable desévénements pénibles qu’elle vit et des émotions désagréables qu’elle ressent.L’état dépressif s’accompagne toujours de troubles cognitifs :

- Ralentissement intellectuel : en cas de dépression, il devient difficile deréfléchir, de trouver les mots. On a l’impression d’avoir la tête vide,que le monde est devenu trop compliqué, qu’on ne saura pas y faireface.

- Diminution de l’attention, de la concentration et de la mémoire : fixerson attention, retenir ce qu’on vient de lire, ces tâches deviennenttrès difficiles à accomplir lorsque l’on souffre de dépression.

Des solutions ?

Dans son livre Le temps des citoyens, Pierre Richard{77} analyse les maux quitraversent la France, dont le symptôme le plus flagrant est la dépressioncollective, qui entraîne le doute et l’immobilisme.

L’ensemble des pratiques politiques, y compris celles des structures locales,vise en vérité, à confisquer le pouvoir aux citoyens, à encourager leurdésinformation. Il faudrait, selon lui, pour sortir notre société de cet étatdépressif, réapprendre à agir, renforcer, par des objectifs et par des actions

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réussies, le sentiment de «compétence» collective et d’estime de soi.

La démocratie serait-elle un remède contre la dépression ? Rien n’est moinssûr...

Les propos de Pierre Richard, croyant trouver dans la décentralisationtoutes les vertus pour soigner la dépression collective qui mine notre société,sont sans fondement. Et même suspects : Pierre Richard est le président-fondateur de Dexia, leader du financement des collectivités locales et duservice public, Dexia, la banque dont le PDG a dû renoncer à un grosparachute doré de 3,7 millions d’euros, juste sous la pression de l’Etat.Soyons sérieux !...

L’Islande, qui est l’un des pays les plus développés dans le monde, est enproie à l’une des plus grosses crises existentielles. Et ce, du seul fait de lacrise économique qui plonge la population de ce pays dans la dépression laplus noire en dépit de son système démocratique si bien délocalisé.

Si la situation économique et sociale est étroitement liée au risque d’épisodedépressif social, la démocratie n’en prévient ni la venue, ni l’installation. Bienau contraire. On serait même tenté de penser qu’un système totalitaire estplus rassurant pour les gens, car il dilue leur désarroi individuel dans celui detoute la société. Le salut, à l’évidence, pour eux, ne peut venir d’unedémocratie libérale où les plus riches continuent de devenir plus riches et lesplus pauvres de plus en plus assistés donc encore plus dépersonnalisés etdépressifs.

En vérité, rendre les gens dépressifs fait partie des stratégies demanipulation et donc de l’art de gouverner.

Georges Vignaux

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Apeuré, déprimé et mondialisé

Le discours de la mondialisation a-t-il glissé du discours de l’économie àcelui de la peur ? S’agit-il d’un fantasme ou d’une réalité ? Ma position est lasuivante sur cette question : la mondialisation est un phénomène qui échappeen bonne partie à notre compréhension. Tout est inextricablement tissé dansun complexe réseau dont on n’arrive pas à saisir toute la portée. La moindrefluctuation dans l’un des nœuds du réseau de cette économie planétaire peutentraîner une catastrophe globale. Comme nous ne sommes pas en mesured’identifier d’où peuvent émerger les problèmes, ce que nous savons et quenous ressentons, c’est que ça peut se produire, que ça s’est produit et que çase reproduira. Toutes les conditions sont alors réunies pour engendrer unsentiment de peur. En ce sens, la mondialisation est devenue une peurcollective.

L’incertitude est difficile à vivre, elle conduit à la peur, et la mondialisationnous offre une multitude d’incertitudes protéiformes dont nous n’arrivons pasà saisir les contours. Ce faisant, nous remplaçons les incertitudes par descertitudes. Nous cherchons à nous sécuriser dans des formules toutes faites.Lorsque la peur se manifeste, il y a repli sur soi. Par exemple,

« pendant des siècles, la démocratie américaine s’est construite sur des concessions mutuelles,la négociation, le compromis, l’acceptation du fait que la majorité gouverne dans le respect des

droits de la minorité, et surtout la volonté de se plier au vote de la majorité.{78} »

Aujourd’hui, le temps des concessions et des incertitudes est en partierévolu. On le remplace par des fondamentalismes politiques et/ou religieux engrande partie alimentés par certaines agitations populistes fondées sur desvérités immuables. L’avantage non négligeable de ces vérités, c’est qu’ellesne peuvent être négociées, faire l’objet d’un compromis ou changées. On metainsi en place des certitudes.

Les différentes formes de fondamentalismes aujourd’hui proposées sont une

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façon de circonvenir et de circonscrire la peur. En ce sens, l’écologisme, telqu’il est pratiqué, est un fondamentalisme pour contrer toutes les peursdiffuses engendrées par les effets néfastes ou perçus du néolibéralisme et desa fille, la mondialisation ; il nous offre des certitudes. Les Monsanto de cemonde qui jouent à l’apprenti sorcier en modifiant la génétique des alimentsnous obligent à adhérer au discours des locavores, histoire de nous rassurersur notre approvisionnement alimentaire. Le complexe agroalimentaire, quantà lui, qui joue la carte santé — la peur collective par excellence — entransformant les aliments en alicaments, cherche à engranger des profitsgargantuesques en misant sur notre peur de mourir d’une mauvaisealimentation. Et pourtant, nous ne voyons pas que le complexeagroalimentaire joue, lui aussi, à l’apprenti sorcier, puisqu’il nous propose lasanté.

La plus grande peur instillée par la mondialisation est celle de perdre saliberté individuelle, ainsi que son identité, et d’être englouti dans un toutinforme. Aussi paradoxale que la chose puisse paraître, tout comme lesmembres de la Beat Generation au cours des années 1950, et la contre-culturedes hippies des années 1960, les partisans du Tea Party et de tous les autrespopulismes sont animés par une idée obsédante sujette à d’innombrablesinterprétations, et ce qui est au cœur de tous les mouvements protestatairesque l’on retrouve un peu partout sur la planète, c’est la liberté individuelle.Traduction : repli sur soi-même.

Pierre Fraser

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La manipulation en dix commandements

Certains ont proposé «dix commandements»{79} qui aideraient à imposer unesociété qui prive les gens de liberté et les empêche de s’en rendre compte endétournant leur attention ou en leur faisant croire que ce sont des mesuresnécessaires pour les protéger :

1. La stratégie de la distraction

Elle consiste à détourner l’attention du public des problèmes importants etdes mutations décidées par les élites politiques et économiques, grâce à undéluge continuel d’informations insignifiantes. La stratégie de la diversionpermet également d’empêcher le public de s’intéresser aux connaissancesessentielles, dans les domaines de la science, de l’économie, de lapsychologie, de la neurobiologie, et de la cybernétique.

2. Créer des problèmes, puis offrir des solutions

Cette méthode est appelée «problème-réaction-solution» On crée d’abordun problème, une «situation» pour susciter une certaine réaction du public,afin que celui-ci soit lui-même demandeur des mesures qu’on souhaite luifaire accepter. Par exemple : laisser se développer la violence urbaine, ouorganiser des attentats, afin que le public soit demandeur de lois sécuritairesau détriment de la liberté. Ou encore : créer une crise économique pour faireaccepter comme un mal nécessaire le recul des droits sociaux et ledémantèlement des services publics.

3. La stratégie de la dégradation

Pour faire accepter une mesure inacceptable, il suffit de l’appliquerprogressivement, en «dégradé», sur une durée de dix ans. C’est de cettefaçon que des conditions socio-économiques radicalement nouvelles(néolibéralisme) ont été imposées durant les années 1980 à 1990. Chômage

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massif, précarité, délocalisations, salaires n’assurant plus un revenu décent,autant de changements qui auraient provoqué une révolution s’ils avaient étéappliqués brutalement.

4. La stratégie du différé

Une autre façon de faire accepter une décision impopulaire est de laprésenter comme «douloureuse mais nécessaire», en obtenant l’accord dupublic dans le présent pour une application dans le futur. Il est toujours plusfacile d’accepter un sacrifice futur qu’un sacrifice immédiat. Le public atoujours tendance à espérer naïvement que «tout ira mieux demain» et que lesacrifice demandé pourra être évité.

5. S’adresser au public comme à des enfants

La plupart des publicités destinées au grand public utilisent un discours, desarguments, des personnages, et un ton particulièrement infantilisants, commesi le spectateur était un enfant.

6. Faire appel à l’émotionnel plutôt qu’à la réflexion.

Faire appel à l’émotionnel est une technique classique pour court-circuiterl’analyse rationnelle, et donc le sens critique des individus. De plus,l’utilisation du registre émotionnel permet d’implanter des désirs, des peurs,des pulsions…

7. Maintenir le public dans l’ignorance et la bêtise

Faire en sorte que le public soit incapable de comprendre les technologies etles méthodes utilisées pour son contrôle et son esclavage.

8. Encourager le public à se complaire dans la médiocrité

Encourager le public à trouver «cool» le fait d’être vulgaire, et inculte…

9. Remplacer la révolte par la culpabilité

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Faire croire à l’individu qu’il est seul responsable de son malheur, à causede l’insuffisance de ses capacités, ou de ses efforts. Ainsi, au lieu de serévolter contre le «système», l’individu culpabilise, ce qui engendre un étatdépressif dont l’un des effets est l’inhibition de l’action. Et sans action, pasde révolte !…

10. Connaître les individus mieux qu’ils ne se connaissent eux-mêmes

Au cours des cinquante dernières années, les progrès de la science ontcreusé un fossé croissant entre les connaissances du public et celles détenuespar les élites dirigeantes. Grâce à la neurobiologie, et à la psychologieappliquée, le «système» est parvenu à une connaissance avancée de l’êtrehumain, à la fois physiquement et psychologiquement.

Le système en est arrivé à mieux connaître l’individu moyen que celui-ci nese connaît lui-même. Dans la majorité des cas, le système détient un plusgrand contrôle sur les individus que les individus eux-mêmes. Là est la vraiecatastrophe !

Georges Vignaux

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Surveillance accrue

Une fois de plus, Georges, votre billet intitulé «L’apocalypse nouvelle estarrivée», m’interpelle. Vous dites et je cite :

« Nous sommes passés des inquiétudes ou des craintes provoquées par les régimes totalitaires àune vision diffuse de la société où interfèrent les globalisations caricaturales, les discourshystériques des médias, les peurs d’un ennemi invisible et la légitimation des formes les pluspolicières de la surveillance. »

De 1950 à 1980, nos plus grandes craintes étaient nucléaires etorwelliennes. C’était l’époque de la Guerre froide où les bombes atomiquesdes capitalistes et des communistes risquaient de nous tomber dessus à toutinstant et de tous nous vitrifier dans le souffle nucléaire. C’était l’équilibremondial par destruction mutuelle assurée. C’était aussi l’époque où les grandsordinateurs centraux, détenus par les gouvernements et les grandesentreprises, devenaient de plus en puissants et commençaient à entrer dansnos vies. Le spectre de Big Brother nous guettait. «Big Brother Is WatchingYou». Dans l’État d’Océania, Big Brother est omniprésent sur tous les«télécrans», aussi bien dans les lieux publics que dans les maisons privées.C’est aussi à cette époque que les discours catastrophistes et apocalyptiques àpropos du destin de l’humanité ont commencé à surgir. IBM et legouvernement américain étaient alors l’incarnation même de Big Brother.L’écologiste Paul Ehrlich nous promettait ni plus ni moins que la dissolutiontotale de la planète dans un hiver nucléaire et un enfer écologique avec sonlivre intitulé «La bombe P». C’était l’époque des grandes peurs dontHollywood, les journaux et le monde de l’édition se faisaient les courroies detransmission.

Aujourd’hui, la peur est diffuse, elle n’a plus de visage précis. Elle s’incarnedans le terrorisme, la pollution, le cancer, le réchauffement climatique, etc.Elle est partout, dans le métro, dans les lieux publics, au centre-ville, etparfois elle est reconnaissable, car notre environnement urbain est maintenant

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truffé de caméras qui épient nos moindres gestes. Nous avons demandé auxcaméras de surveillance de nous permettre de vivre avec un faux sentiment deliberté. En fait, la restriction est devenue la norme. Tout concourt à toutrestreindre, à tout épier et à tout surveiller.

La réalité, c’est que nous sommes passés d’un État qui inclut à un État quiexclut. Je m’explique. L’État qui inclut construit des programmes deréinsertion, cherche à comprendre, à trouver des solutions, à donner à tous lachance de s’épanouir. L’État qui exclut construit des programmes pénaux,cherche à criminaliser, à incarcérer, à ne donner la chance qu’à ceux quiperforment déjà. Nous nous étions libérés des totalitarismes, nous avions misen place un État qui se préoccupe de tous ses citoyens, nous avions mis enplace des programmes efficaces de lutte contre la pauvreté. Aujourd’hui, labureaucratie gouvernementale, devenue gigantesque, se focalise sur saperpétuation et sa stabilité institutionnelle plutôt que sur l’efficacité desprestations qu’elle doit offrir. Ce faisant, nous bradons la société civile à desintérêts privés sous prétexte que le privé est efficace. Nous démantelons unesociété libérale au profit d’une société néolibérale.

« La montée en puissance de la doctrine néolibérale a nourri le sentimentparmi les contribuables que tous les services sociaux devraient êtreprivatisés.{80} »

La société néolibérale n’a pas pour fonction d’inclure ; elle a pour fonctiond’exclure.

« En lieu et place de la vie institutionnelle, les réformateurs veulent notoirement plusd’initiatives individuelles et d’esprit d’entreprise : des coupons pour l’éducation, des comptesd’épargne individuels pour la vieillesse et les soins médicaux. Autrement dit, chacun devrait

gérer sa couverture sociale comme un service commercial.{81} »

Et ce n’est pas donné à tous d’agir et de se comporter comme unentrepreneur, ce grand penseur des temps modernes. On surveille donc celui

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qui n’arrive pas à se prendre en charge en lui imposant mille et unecontraintes pour mieux l’exclure afin qu’il n’arrive pas à s’inclure, à moinsqu’il ne devienne l’entrepreneur de sa propre vie.

L’exclusion et la surveillance des exclus font désormais partie intégrante duconsidérable butin de la dérégulation, de la privatisation, del’individualisation, de la conquête et de l’annexion du public par le privé. Etc’est là que se mesure l’ampleur de toute la catastrophe. Je suis tout à faitprêt à me ranger à l’avis d’Habermas, selon qui le projet du Siècle desLumières reste à achever.

Pierre Fraser

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Les médias ou l’opinion manipulée

On a l’habitude de dire de la presse qu’elle constitue le «quatrième pouvoir»,les trois autres étant le législatif, l’exécutif et le judiciaire. En vérité, de plus enplus, aujourd’hui, la presse et les médias télévisuels apparaissent comme lepremier pouvoir, le pivot de l’action politique.

Herbert Marcuse avançait déjà dans L’homme unidimensionnel{82}, que lesmass medias sont l’instrument d’une manipulation qui viserait à rendre lessociétés irrationnelles, «intégrées» et passives comme elles ne l’ont jamais été.Les techniques de communication standardisées étaient, selon lui, l’instrumentidéal de la démagogie et de la médiocrité, privilégiant ce qui unit aux dépensde ce qui divise, et propices à une néo-culture soporifique.

Marshall McLuhan, franchira une étape lorsqu’il lancera sa formule «lemessage c’est le médium» : ce qui importe, ce n’est pas le contenu dumessage, mais la façon dont il est transmis{83}.

Pour Jacques Ellul{84}, avec la dissolution des groupes primaires tels que lafamille, il n’y a plus rien qui fasse écran entre les moyens de communicationde masse et l’individu. La surinformation accroîtrait la vulnérabilité desindividus à la propagande et aux idéologies en vogue.

Francis Balle est incisif :

« Les médias agissent à la manière d’une drogue, anesthésiante ou stimulante. Ils sont capables

de faire faire n’importe quoi, à n’importe qui, n’importe comment et n’importe quand.{85} »

En fait, les principes de cette manipulation sont simples.

S’il s’avère difficile d’étudier un individu particulier pour tenter de prévoirson comportement, il est beaucoup plus facile d’étudier statistiquement unepopulation et les réactions de «l’opinion» à une information donnée. Ce serad’autant plus facile si l’on fait appel aux émotions et aux sentiments plutôtqu’au raisonnement. Il ne reste plus dès lors qu’à opérer des choix tactiques

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quant aux informations qui seront diffusées, la manière dont elles serontpropagées, et la façon dont elles seront commentées. Les choix importantssont opérés de manière consciente et concertée. Mais, la sélection est lerésultat inconscient des normes et valeurs diffusées dans le microcosme desmédias. Le «contrôle social» opéré dans l’univers restreint des médias mèneinévitablement au conformisme et à l’autocensure. Les grandes agences depresse et les publicitaires sont ainsi les facteurs essentiels de la manipulationde l’opinion. Les premières trient l’information, sélectionnent les nouvelles surlesquelles l’attention des opinions publiques sera attirée et n’hésitent pas àpasser des faits essentiels sous silence. Les journalistes ne peuvent traiter quel’information qu’on leur fournit. La nécessité de «coller à l’actualité», de faire«du scoop» augmente considérablement la tentation de manipuler.

Les publicitaires jouent un rôle plus important encore. La publicitéreprésente, selon des études américaines, le facteur principal de l’évolutiondes mœurs ! Elle permet notamment de faire passer des messages implicites.De plus, les publicitaires peuvent également influencer la presse : ilsconstituent souvent la première ressource des médias perpétuellement enquête de moyens financiers. Cependant, on assiste parfois à des réactions derejet : l’individu se rend compte de la manipulation et adopte uncomportement contraire aux attentes du manipulateur. Toute la subtilité etl’adresse du manipulateur consistent, dès lors, à modifier progressivement les«grilles d’interprétation» qui composent l’opinion. Et cela se fait par larépétition de messages apparemment anodins, mais qui s’imprègnentsubrepticement dans le subconscient des individus. Par exemple, enreprésentant dans les publicités la cellule familiale sous la forme du père, de lamère et d’un enfant, l’opinion publique en arrive à considérer qu’un seulenfant est la norme, tandis que la diffusion des séries américaines bon marchépar les télévisions transforme la culture européenne et lui fait adopterprogressivement les valeurs américaines.

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En matière de médias, rien n’est innocent.

Dès lors, celui qui maîtrise les techniques de manipulation de l’informationet qui en use habilement peut mener l’opinion publique à se mobiliser dans unsens ou dans un autre, en fonction de ses objectifs. Lorsque l’on sait qu’endémocratie, les politiciens sont à l’affût de ce qu’ils croient être l’opinion, onne peut qu’en conclure que celui qui tient les rênes de l’information et desmédias dirige en fait la société.

Nous sommes ainsi devenus esclaves, des bavards, et des promoteurs dumarché !

Georges Vignaux

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Wall Street à la hausse, banques alimentaires à la hausse

Deux catastrophes en une seule et même journée ! Je n’en revenais toutsimplement pas. D’un côté, les traders de Wall Street sabraient le champagne,de l’autre les banques alimentaires canadiennes étaient confrontées à unehausse inquiétante de leur clientèle. L’ironie, dans l’affaire, c’est que lacroissance de l’affluence auprès des banques alimentaires est directement liéeaux traders qui ont provoqué la crise en 2008. Pour leurs bons et loyauxservices, les spéculateurs de Wall Street, renfloués par les deniers publics, ontreçu 144 milliards de dollars, presque un millième de la richesse mondiale ! Sice n’est pas un vol organisé, je ne sais pas ce que c’est…

Ces primes indécentes représentent une augmentation de 4 % par rapport àl’année 2009. En un mot, les grandes institutions financières américainesverseront 32 % de leurs revenus à leurs employés sous forme derécompenses. Barack Obama s’indigne ? Ce qui est conséquent. Par contre, iln’a rien pu faire pour empêcher la chose, et la classe moyenne américainefulmine. Pour rajouter l’insulte à l’injure, les milieux financiers américains ontpris la décision, selon le Center for Responsive Politics, de favoriser lesrépublicains à hauteur de 60 % : 34 millions aux républicains contre 23millions aux démocrates. Autrement dit, les despotes de la finance ont décidéde sanctionner les démocrates. Ils n’apprécient pas du tout que le présidentObama ait pris la décision de mettre fin aux allégements fiscaux pour les plusriches adoptés sous Georges Bush, tout comme ils n’apprécient pas qu’il aitdécidé de réglementer leur secteur.

Anthony Scaramucci,{86} l’un de ces bandits de la finance, lors d’un débattélévisé avec le président Obama, a eu le culot de demander :

« Première question, quand allez-vous cesser de vous servir de Wall Street comme d’un

punching bag ?{87} »

Et Barack Obama de répondre :

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« Il y a probablement une large part de la population de ce pays qui pense que j’ai été trop doux

avec Wall Street — c’est possiblement la majorité, non la minorité.{88} »

Que faut-il tirer comme conclusion de ce type de réfléxion ? Encore plus decrises économiques en perspectives. Je ne sais pas s’il faut être totalementdébile ou un imbécile fini, c’est selon, pour tenir les discours que tiennent cesspéculateurs arrogants, mais il y a une chose dont on peut être certains : ilsont été la cause de la plus grave crise depuis 1929, et ils s’en foutenttotalement.

Dans mon proche entourage, il y a un couple avec trois enfants qui s’estprésenté la semaine dernière au comptoir d’une banque alimentaire. Je connaistrois personnes âgées qui en sont des clients réguliers depuis un an déjà. Desgens qui ont travaillé toute leur vie, qui n’ont pas économisé, comme unemajorité de Canadiens, qui se retrouvent devant rien, devant une maigrepension, confrontés au discours de la mondialisation. En 2005, 215 256personnes ont fréquenté les banques alimentaires au Québec{89}, ce quireprésente 3 % de la population pour un seul mois. Édifiant, non ? Voiciquelques autres exemples tout aussi percutants :

- depuis 1989, l’usage des banques alimentaires a presque doublé(augmentation de 92%) ;

- entre 8% et 10% des Canadiens sont à risque de la faim ;{90}

- en ce qui concerne les usagers de banques alimentaires, ceux ayantplus de 60 ans ont plus que doublé en nombre depuis 1995. Ilscomptaient pour 5% des usagers en 1995 et pour 11% en2001 ;{91}

- en 1995, seulement 4,5% des personnes âgées visitaient une banquealimentaire plus d’une fois par mois, et en 2000, ce pourcentageatteignait 26%.

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- le nombre de personnes âgées qui souffrent de la faim a augmentéde 26% à 31% pour ceux qui disent en souffrir quotidiennement,et de 34% à 47% pour ceux qui disent en souffrir mensuellement.

Les personnes âgées constituent l’un des groupes dont la population croît leplus rapidement au Canada. En 2000, on estimait qu’il y avait 3,8 millions deCanadiens âgés de 65 ans et plus, soit 13% de la population. De plus, commela population âgée devrait augmenter encore plus rapidement au cours desprochaines décennies, Statistiques Canada{92} prévoit, qu’en 2016, 17% desCanadiens seront âgés de 65 ans et plus, et qu’en 2041, les personnes âgéescompteront pour 23% de la population. Lorsqu’on voit ces statistiques àpropos de la population âgée, nous sommes en droit de nous poser desquestions alarmantes.

Entre-temps, les spéculateurs de Wall Street envoient de plus en plus degens grossir la cohorte de ceux qui n’ont d’autres choix que de faire appelaux banques alimentaires. Si, ça, ce n’est pas une catastrophe, je ne sais pasce que c’est… Et en France, votre pays, Georges, la situation n’est pasvraiment plus reluisante{93} : un ménage sur huit vit sous le seuil de lapauvreté, et le Secours populaire a constaté une hausse de 20% de lafréquentation de ses permanences d’aide alimentaire ces derniers mois. Si, ça,ce n’est pas une catastrophe, je ne sais pas ce que c’est…

À quand la prochaine crise ? Une chose est certaine, nous n’avons aucuneidée de l’ampleur qu’elle aura, faible ou catastrophique, mais il y en auraforcément une autre.

Les imbéciles ont vraiment le pouvoir, et ils iront jusqu’au bout !Pierre Fraser

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Surconsommation en déclin

Le titre peut vous sembler à contre-sens du discours ambiant où on necesse de vous seriner sur toutes les tribunes que nous vivons dans unesociété de surconsommation. J’ai une autre hypothèse à vous proposer : « Lachose ne nous est pas apparente, mais le déclin de la consommation dans lessociétés occidentales a déjà commencé. » Je m’explique.

1. Les délocalisations ne créent pas de nouveaux emplois

Les défenseurs de la mondialisation — traduction : délocalisation, uneuphémisme pour parler des pertes d’emplois transférés dans des paysémergents — prétendent que les emplois ici perdus seront remplacés par denouveaux types d’emplois à haute valeur ajoutée. J’aimerais bien qu’on medise quels seront ces emplois, et dans quels secteurs ils seront créés, maispersonne ne semble être en mesure de pouvoir en faire le décompte exact. Pisencore, en lisant l’abondante littérature à propos des délocalisations, je ne suisjamais arrivé à trouver un seul nouvel emploi créé par les délocalisations. Cedoit être un tout autre phénomène qui agit.

2. Les délocalisations accélèrent le démantèlement de l’économie deproduction

Les États-Unis, le Canada et les pays européens ont été aspirés dans le vortexdes délocalisations, entraînant par le fait même une accélération constante dela mise au rancart des industries manufacturières, du chômage à court,moyen et long terme, du transfert du capital, et d’une baisse de productivité.

3. Les délocalisations entraînent une baisse des salaires

Dès qu’une entreprise manufacturière est délocalisée, on affaiblit d’autant lademande intérieure en mettant au chômage des gens. Le chômeur n’aurajamais le même niveau de consommation que celui qui a un emploi — ceci

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étant relatif, car plusieurs emplois à haute valeur ajoutée sont de plus en plusdélocalisés vers l’Inde.

4. Les délocalisations entraînent la déconsommation

Les tenants de la délocalisation misent sur le consommateur plutôt que lesalarié. Ils font l’adéquation suivante : les consommateurs occidentaux ygagnent au change en ayant accès à une multitude de produits à prixconcurrentiels. Ils ont oublié une chose importante : quand on réduit lacapacité d’acheter des consommateurs en les réduisant au chômage ou en lesforçant à accepter des emplois mal rémunérés, on réduit d’autant le bassindes consommateurs. Il est faux de prétendre que les emplois perdus serontretrouvés et de même qualité.

5. La délocalisation comme forme de chantage

Les entreprises, dans une certaine mesure, n’ont parfois pas besoin dedélocaliser les emplois pour abaisser les salaires ; il suffit d’évoquer lapossibilité de délocaliser les emplois pour que les travailleurs acceptent unebaisse de leurs salaires. Dans le langage abscons des entrepreneurs, ça senomme acheter la paix sociale pour être dans une meilleure positionconcurrentielle et augmenter les profits pour les actionnaires.

6. La déconsommation est déjà amorcée

Ce phénomène ne saute pas aux yeux immédiatement, car l’économiesemble reprendre des forces. Certes, elle en reprend, sauf que, jour aprèsjour, chaque emploi délocalisé est une perte de capacité de consommation, neserait-ce que pour arriver à survivre. C’est un processus insidieux et rampant,et surtout constant.

Juste avant la crise de 2008, aux États-Unis, presque 50 % des emploisétaient mal rémunérés, et cette tendance n’a fait que s’accélérer. À la fin2010, en France, on dénombrait environ 6 millions de personnes sans emploi.

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Au Canada, le secteur économique qui a connu la plus forte croissance a étécelui des banques alimentaires : 9 % entre 2009 et 2010, soit plus de 868 948personnes !{94}

Morale de l’histoire

Le prix Nobel d’économie, Joseph Stiglitz, affirmait que prétendre que lamondialisation sera profitable à tous est de la pure folie. En réalité, le peu depouvoir d’achat que les travailleurs ont réussi à arracher aux entreprisesdepuis la Grande Dépression de 1929 a été en bonne partie récupéré par lesentreprises au bénéfice des actionnaires.

Nous ne nous en rendons pas compte, mais le processus dedéconsommation est déjà amorcé. Les États-Unis, le Canada et l’Europe ont,pendant plus de 60 ans, été des économies de premier plan et des créateursd’emplois de qualité. Aujourd’hui, la situation commence à s’inverser : lesentreprises nord-américaines et européennes acceptent volontiers les contratsde sous-traitance en provenance de pays émergents. Nos pays sont en passede devenir des économies de second plan. Ce n’est ni trivial, ni banal : noussommes aux portes de la déconsommation et de l’abaissement du niveau devie aux États-Unis, au Canada et en Europe.

Les altermondialistes — race aussi détestable que celles des financiers —prônent la décroissance volontaire et la simplicité volontaire. Ce qu’ils ontoublié dans l’équation, c’est que nous sommes en présence d’unedécroissance involontaire qui conduira à une simplicité involontaire, et elle nesera pas idyllique.

Ronald Reagan — l’un des architectes de la mondialisation — disait :

« Une récession c’est quand votre cousin a perdu son travail ; une dépression, c’est quand vousperdez le vôtre.» Aujourd’hui, la question que les travailleurs se posent est : «Quand vais-jeperdre mon emploi ? »

Au bout du compte, la surconsommation est un phénomène en perte de

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vitesse, pour la simple raison qu’il y aura de moins en moins de gens auxÉtats-Unis, au Canada et en Europe pour consommer. En misant sur leconsommateur plutôt que le salarié, les entrepreneurs ont fait défaut à leurresponsabilité de créer de la richesse. Malgré tout, je crois toujours aux vertusdu capitalisme, mais pas celui proposé par les financiers.

Pierre Fraser

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LA SOCIÉTÉ, L’APOCALYPSE,LA FIN DES TEMPS

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La peur

Qu’est-ce que la peur ? Un sentiment qu’on attribue généralement auxanimaux, et qu’il est de bon ton de ne pas évoquer pour l’homme ! Uneconduite ? Un comportement ? Le déclencheur de la panique, de la fuite ?Sans doute tout cela.

Chez l’homme, en tout cas, selon Nancy Huston{95}, la peur sembleconstitutive dans la mesure où il a l’idée de son propre anéantissement.Omniprésente, nous vivons avec elle et nous ne nous en rendons pluscompte. C’est que son épreuve commence précocement : dès l’âge de deux àtrois ans, l’enfant a peur du noir, peur des autres, peur des ombres. Plus tard,à mesure que nous vieillirons, nous apprendrons à avoir peur d’être malade,de souffrir, de vieillir, de mourir, de perdre nos proches, de manquer deconfort, etc.

La peur est notre vérité. C’est pourquoi nous avons tant de mal à en parler.Nous rêvons de puissance et sommes impuissants. Nous rêvons de réussite etne l’avons pas. À défaut de soi, on se rabat sur d’autres motifs de fierté : lesport, la culture, le patriotisme, l’argent. On fait même des guerres tout enmourant de peur, et aucun manuel d’histoire ne nous parlera des peurs descombattants.

Le film Bowling for Columbine de Michael Moore montre le rôle joué par lapeur dans l’existence même des États-Unis et leur histoire : peur des «peaux-rouges», peur des «nègres», peur des musulmans… Manipuler les peurs estune recette éprouvée, c’est pourquoi les écologistes jouent à coup sûr entablant sur la peur de la fin du monde !

Toutes ces peurs sont tragiques, insurmontables. Pour «décompresser»,autant retrouver alors nos «petites» peurs enfantines ! Quand les contes nousapprenaient à avoir peur du loup, des sorcières et des ogres ! C’est la recette

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de Disney !

Le monde peu à peu devient un gigantesque parc à thèmes où les mises ensituation nous font croire encore en notre capacité à surmonter les épreuves !La «disneylandisation» du monde est bien avancée !

Georges Vignaux

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Avoir peur des nègres

La peur des nègres, dites-vous, dans votre précédent billet ? J’en rajoute, jepersiste et je signe, nous avons peur des nègres. Juste le titre de mon billet estcertain de m’attirer les foudres de la peur des bien-pensants. Le «n-mot» estnon prononçable. Le «n-mot» est honni. Le «n-mot» est à l’image d’unesombre époque de l’histoire des États-Unis. Je m’oppose au bannissement du«n-mot» par des révisionnistes. 219 ? Savez ce que ce nombre représente ?Le nombre de fois qu’apparaît le mot «nigger» dans l’ouvrage clé de MarkTwain, Huckleberry Finn. Dans une édition moderne stérilisée, Alan Gribbenremplace le «n-mot» par «slave» Quelle connerie ! Et en plus, on s’attaque àmon auteur fétiche ! Ignominie !

J’ai pour conviction que les mots, en littérature, relèvent de la mêmedynamique que la nudité en peinture. Personne n’oserait penser à modifier leDavid de Michel-Ange ou la Création d’Adam de la Chapelle Sixtine pour encacher le pénis. Alors, pourquoi le faire avec la littérature ? Les aventuresd’Huckleberry Finn de Mark Twain sont un testament à la libertéd’expression. Twain savait fort bien ce qu’il faisait. Il a utilisé le mot«nigger», tout comme il a utilisé le mot «injun» (indian), pour décrire la réalitéd’une époque. Mark Twain a été le maître incontesté de l’utilisation d’unvocabulaire vernaculaire. Changer ces mots par des mots politiquementcorrects c’est démontrer sa peur. La peur d’une réalité que l’on ne veut pasvoir ou dont on est peu fier. Twain a mis plus de dix ans à écrire cette œuvre.On peut légitimement considérer qu’il a soigneusement calculé l’impact desmots qu’il a utilisés. En terme de rythme, de ton et de traduction d’une réalité,de dire «Miss Watson’s Nigger» a un impact totalement différent que de dire«Miss Watson’s Slave.»

Dans notre monde aseptisé et expurgé des mots qui renvoient à des réalitéssociales concrètes, il faudra, dans cette logique, revoir des œuvres majeures,

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car le «n-mot» y est imprimé noir sur blanc. «To Kill A Mockingbird» deHarper Lee, «Of Mice and Men» de John Steinbeck, et «The Color Purple»d’Alice Walker sont maintenant des oeuvres en sursis. À quand leremplacement du mot «nazi» par «raciste allemand» ?

Savez-vous, cher ami, ce qui m’inquiète le plus ? C’est que les technologiesnumériques rendent la mise en œuvre de ce type de censure bien-pensantetechniquement très facile, et surtout invisible. Voilà ce qui devrait vraimentnous faire peur : l’invisibilité de la technique. Pour éviter d’avoir peur, commevous le dites si bien, on dysneylandise le monde. On édulcore.

Le numérique nous permet de revisiter nos peurs et de les évacuer. Quelleavancée !

Pierre Fraser

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Révolutions dans les visions du monde

Nos peurs lancinantes ont ainsi pour effet de nous rendre sourds auxrationalités, et complaisants à l’égard de ces «petites fables» qui s’invententpour nos plaisirs et nos loisirs, entretenant nos visions d’un monde devenuillusoire.

Entre 1347 et 1351, un tiers de la population européenne avait disparu aucours de l’épidémie de peste noire. Les survivants devaient penser qu’ilsavaient vécu un événement qui resterait dans les mémoires. Aujourd’hui, seulsles historiens y font référence, alors que tout le monde connaît les noms deCopernic et de Galilée. Pourtant, à l’époque, la question de savoir si la Terretournait autour du Soleil ne préoccupait que quelques personnes, tant étaitgrande la peur de l’hérésie.

Or, le développement de ces conceptions par Newton, Laplace et d’autres,qui montraient un univers semblable à une grande mécanique dans laquelletout était régi par des lois déterministes et où l’homme n’était qu’un ensemblede molécules, a eu un impact considérable sur les plans culturel, éthique etéconomique.

Les vraies révolutions sont des changements de vision du monde. On lesperçoit rarement sur le moment. Ce n’est qu’au XVIIIe siècle que l’on aappelé le XVIe «le siècle de la révolution copernicienne» Or, il s’est produitau XXe siècle un événement tout à fait extraordinaire : l’émergence d’unevision du monde prenant à contre-pied la plupart des concepts issus de laprécédente{96}.

Ainsi, la physique quantique a-t-elle montré que nos concepts de temps,d’espace, d’objets, de trajectoire et de causalité ne s’appliquaient plus auniveau des particules élémentaires qui constituent pourtant l’ensemble dumonde qui nous entoure. Non seulement il existe une incertitude irrémédiable

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dans la connaissance que nous pouvons avoir du réel, mais, de plus, lesexpériences de pointe dans ce domaine nous amènent à conclure comme lephysicien Henry Stapp :

« Tout ce que nous savons de la nature s’accorde avec l’idée que son processus fondamentals’établit hors du temps et de l’espace, mais engendre des événements qui peuvent être situés

dans le temps et dans l’espace.{97} »

Contrairement à ce que l’on a cru durant des siècles, notre monde ne peutdonc s’expliquer entièrement par lui-même. L’existence d’un autre niveau deréalité est nécessaire. Il s’agit d’une mutation telle que des scientifiquesprudents comme Sven Ortoli et Jean- Pierre Pharabod n’ont pas hésité àécrire :

« Les révolutions républicaines, marxistes, islamiques et autres risquent d’apparaître un jourinsignifiantes face à la révolution quantique. Notre organisation sociopolitique et nos modes de

pensée ont été, ou vont être bouleversés davantage peut-être que par tout autre événement.{98} »

Mais cette révolution ne s’arrête pas là. En nous montrant que le temps etl’espace étaient relatifs, la relativité contenait en germe la théorie du big bangselon laquelle le temps et l’espace, sous la forme que nous leur connaissons,ne sont pas éternels. La cosmologie moderne nous montre que si l’on modifieun tant soit peu les réglages de notre univers, il devient stérile. Il faut alorssoit postuler une infinité d’univers possédant tous des réglages différents soit,si nous acceptons l’idée qu’il n’y a qu’un seul univers, comme le dit TrinhXuan Thuan, « postuler l’existence d’une cause première qui a réglé d’embléeles lois de la physique et les conditions initiales.{99} »

Même si le réductionnisme règne encore dans les sciences de la vie, ellesn’échappent pas à ce mouvement. L’évolution est un fait qui doit être défenducontre les attaques des créationnistes. Cela n’implique nullement qu’il s’agissed’un processus aveugle et totalement imprévisible. Pour le prix Nobel demédecine Christian de Duve, la vie, loin d’être un accident, est un «impératifcosmique»{100}.

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Cet ensemble de révolutions qui concerne tous les grands domaines de nosconnaissances forme comme un tsunami dont la vague n’a pas encore atteintles côtes. De nombreux penseurs n’ont pas intégré ce qui est sans doute l’undes changements les plus importants des cinq cents dernières années, alorsque de nombreux scientifiques y voient la source d’un «réenchantement dumonde» susceptible de réconcilier nos appréhensions intuitives du monde(humanistes comme religieuses) et nos connaissances rationnelles.

L’avenir dira comment réagiront les foules. Pour l’instant, les formulesvariées de réenchantement se multiplient : sectes, croyances, astrologies,parcs à thèmes, tourisme de masse.

Georges Vignaux

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Les réenchantements concrets du monde

Évasion, utopie, dépaysement. Voilà ce qui motive aujourd’hui les foules.L’oubli de soi !

Et pas seulement en Occident. Au Japon par exemple, suite au traumatismede la défaite et surtout de la bombe, depuis 1945 s’est développé unformidable processus d’oblitération du réel, d’édulcoration du monde, desuperficialisation culturelle des masses. C’est le karaoké, le kitsch acidulé, leclip burlesque et l’hyperconsommation.

L’hyperconsommation est un refuge, une échappatoire, un moyend’occulter la question des valeurs de l’existence et de leur sens. Un déni assezgénéral des sociétés prospères qu’illustrent très bien les films Fight Club,American Psycho ou plus récemment 99 francs de Beigbeider. Je ne suis passeulement ce que j’achète. Je «suis» car j’achète.

Toutes les idéologies précédentes sont renvoyées dos à dos :

- Le progrès ? Balayé par la bombe atomique, la pollution !

- La religion ? Discréditée par les fanatiques de tous bords !

- Le socialisme ? Galvaudé par Staline et Castro !

- Le capitalisme ? Bravo la mondialisation ! Bravo le chômage !

- Le savoir ? Dévalorisé par le capitalisme. Le commercial l’emporte surle chercheur !

Ne reste qu’une valeur : Le plaisir. L’individu, enflé d’égoïsme, nonseulement ne veut pas perdre sa vie à la gagner, mais réfute même la notiond’effort. Ce sont les hikikomori nippons (ceux qui s’excluent de la société).

Dans nos sociétés riches, ce culte du plaisir se matérialise dans ledivertissement qui imprègne tout et notamment l’information (l’infotainment

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inauguré par la chaîne de télévision Canal+). Une existence dans laquelle latélévision des séries (notamment américaines), les jeux électroniques, la réalitévirtuelle (Second Life, Meetic, Facebook…) occupent un espace croissant.En négatif de cette recherche de plaisir se dessine l’évacuation systématiquede l’effort. Des lessives sans frotter aux cahiers de vacances et autresméthodes d’apprentissages «ludiques».

Un divertissement de plus en plus tourné vers le rêve, le fantastique (voir lesuccès des séries Heroes, les ventes records d’Harry Potter...). Ou commentinventer d’autres règles qui nous consolent de nos frustrations et de nospeurs grâce au procédé d’évasion-identification. Partout se répand le besoinde «réenchanter» le monde y compris sous les formes les plus infantiles.«Réenchanter» : le terme vient en contre-point de l’ouvrage de MarcelGauchet : Le Désenchantement du monde{101}. Depuis sa parution, cettehistoire politique de la religion est tenue pour un classique contemporain.L’ouvrage comblait une grande lacune depuis les travaux pionniers deDurkheim, Max Weber, et Rudolf Otto, en rendant au thème la place qu’ilmérite. Car le religieux a modelé profondément la réalité collective dans toutesles sociétés jusqu’à la nôtre. Marcel Gauchet propose un renversement deperspective : ce que nous appelons «grandes religions» correspond, en fait, àautant d’étapes d’une mise en question du religieux. De ce point du vue, ilfaut mesurer la spécificité révolutionnaire du christianisme et son rôle à laracine du développement occidental. Marcel Gauchet caractérise le devenirdes sociétés contemporaines, depuis l’essor des techniques jusqu’àl’enracinement des procédures démocratiques, comme un mouvement versune société hors religion. Le monde d’aujourd’hui ne s’explique que par lasortie et l’inversion de l’ancienne économie religieuse. Sa particularité, c’est ledésenchantement du monde.

C’est alors le besoin de «réenchanter» le monde, qui nous fait avaler tant depromesses politiques absurdes, comme un acte de foi. À chaque fois, il s’agit

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d’offrir le mirage d’un Eldorado à portée de main. C’est ce ressort quiexplique l’avènement de la nouvelle icône écologiste : «Gaïa». Entrebouddhisme et animisme, le respect de la Planète et de la vie en général sepose en ultime valeur universelle, avec le respect de l’intégrité culturelle(«l’excision c’est culturel, tu peux pas juger !», «la coutume nous devons larespecter !»), soutenue par les défenseurs du multiculturalisme (mais quesignifie la liberté pour les Chinois en regard de notre individualisme ?).

C’est encore ce motif qui explique l’essor de l’altermondialisme, despartisans de la décroissance… Un désir de réenchanter le monde, mais enagissant sur ce dernier.

Nous autres, enfants gâtés de la modernité, sommes donc à la croisée deschemins, soit dans l’a-moralisation de l’existence, soit à la recherche denouvelles idéologies. Dans l’oubli et la fuite onirique, ou dans la quête denouvelles utopies et moyens de colmater voire d’occulter les brèches de laréalité.

Ce double mouvement contradictoire est d’ailleurs le symptôme d’unclivage social : aux masses populaires l’évasion, aux classes moyennes etsupérieures l’action. L’opium des peuples versus les idéaux révolutionnairesdes bourgeois. Un processus que soutiennent et accélèrent les médias.

Catastrophe ? Oui, car cela traduit une tendance durable : ladésintégration sociale par l’accentuation des inégalités économiques etculturelles. Oui, car cela masque la défaite de la raison, du pragmatisme : dela vraie politique en somme. Tout devient mise en scène, fable, conte, jeu ! ! !

Georges Vignaux

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Le moi réenchanté

Cher ami, vous avez le chic pour amener sur le tapis des sujets qui obligentà réflexion. « Ne reste qu’une valeur ? » Ça mérite discussion. « Le plaisir del’individu enflé d’égoïsme ? » Ça mérite une longue et lente rumination ! Aucours de mes digestions philosophiques, il m’est apparu que, justement, cetteenflure du moi, est ce qui sous-tend l’évolution de l’être humain. Farfelu, medirez-vous ? Peut-être pas tant que ça ! Il ne faut pas s’y tromper, notrepassé évolutif social est une longue et lente maturation du plaisir de soi, parsoi, avec soi.

L’histoire est porteuse de deux grands réenchantements : l’Asie qui nousconvie à une extase dans la libération de l’emprise de nos désirs, et l’Occidentqui nous dit d’assouvir nos désirs. L’un comme dans l’autre, le merveilleuxest à nos portes. L’un par l’ascèse et la méditation, l’autre par l’ordremarchand. Le second était fait pour conquérir, le premier destiné à êtrediscret et tout personnel. Liberté individuelle et Ordre marchand progressentensemble depuis que l’homme commerce. La mondialisation et la mise enréseau systématique de la planète sont une véritable libération progressive dumoi.

Exit l’épargne, effort pénible, bonjour le crédit, enchantement du monde.Après la crise financière et économique de l’automne 2008, dès son entrée enfonction, le président Obama est venu dire qu’il ne fallait pas cesser deconsommer au risque de voir s’écrouler l’économie. La poursuite du bonheurne se traduit que dans la consommation. Le ciment de notre société c’est laconsommation. Je sais, c’est cliché, c’est de la psycho pop à 5 sous, mais detemps à autre, ça fait du bien de se le redire ! Il n’est même pas nécessaire devivre comme les hikikomori nippons dont vous parlez qui s’excluent de lasociété pour ne pas faire d’effort. Suffit juste d’avoir un emploi à salaireminimum pour se faire offrir le paradis enchanté du crédit.

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Il existe deux formes de travail pour satisfaire ses désirs : le salariat etl’entreprenariat. Le premier exige que vous exécutiez les ordres d’un autrecontre rémunération, le second exige que vous soyez le maître incontesté devotre vie. Le second vous gonfle d’égoïsme, le premier aspire à devenir lesecond. Soyez l’entrepreneur de votre propre vie ! C’est l’Ordre marchand.

Ce n’est pas à une désintégration sociale que nous sommes conviés, mais àune cohésion sociale organisée autour d’un cœur unique : la monnaie. Certes,elle est cause de disparités, mais le salarié est à chaque fois réenchanté dèsqu’il reçoit son chèque de paye. Il veut tellement vivre intensément ceréenchantement, qu’il vit de paye en paye !

Pierre Fraser

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La disneylandisation du monde

Empruntons ce titre à celui d’un ouvrage de la géographe Sylvie Brunel, auretour d’un tour du monde en famille et après 17 ans dans l’humanitaire{102}.

Sans l’avoir lu, on craindrait tous les vieux poncifs du genre : infantilisation,mondialisation, uniformisation, exploitation, «macdonalisation» … Mais lepropos se révèle nuancé et du discours traditionnellement antitouriste (demasse), on passe au discours contre les professionnels du tourisme, vendeursd’illusion, y compris dans le tourisme, prétendu plus «authentique», d’élite !

Dans notre société marchande, montre ainsi Sylvie Brunel, le bonheur,comme les autres denrées, se fabrique et se vend. L’archétype en est le parcà thème (Disneyland) ou la fausse bulle tropicale (Center Park). Mais ceslieux restent artificiels : le touriste sait qu’il entre dans une enclave où tout estconçu pour son divertissement. L’authenticité devient alors un produit commeun autre et tout l’art du voyagiste est de savoir la fabriquer. Le tourismefaçonne donc les lieux, la nature et la culture en fonction des représentationsmentales que leurs visiteurs s’en font. C’est ainsi que la planète se«disneylandise» sous l’influence du tourisme de masse : les paysages semuent en décors et ceux qui y vivent en acteurs, prêts à endosser la panopliede l’authenticité pour coller aux attentes du touriste pourvoyeur de devises.La «mise en tourisme» transforme les lieux et les cultures : des villescondamnées au déclin, comme Bruges ou Venise, retrouvent une seconde vie.Des milieux en voie de disparition, la moyenne montagne par exemple, sevoient revitalisés par la multiplication des stations et les activités proposées auvisiteur.

Ce dernier veut voyager «intelligent». Plus il a de l’argent, plus il refusequ’on le traite en touriste. L’industrie du tourisme façonne donc des produitsélitistes, qui permettent de vendre l’illusion du tourisme intelligent plus cherque l’hôtel-club tout compris du «vacancier» de base. Dormir en sac de

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couchage et souffrir, mais avoir sa conscience pour soi, c’est-à-dire ne pasporter atteinte à la planète, puisque l’air du temps est désormais à lapréservation de prétendus équilibres anciens, ceux des peuples «authentiques»et de la nature «sauvage» Indigné par les ravages de la société industrielle,dont il est pourtant le plus pur produit, le citoyen urbain moderne porte aupinacle la beauté des milieux «sauvages» forcément «menacés» et«l’authenticité» des modes de vie traditionnels. Il oublie ce que savent lesgéographes : les paysages naturels n’existent plus depuis longtemps, ils ontété façonnés par l’homme. Les sociétés comme les écosystèmes sont enperpétuelle évolution, car c’est la condition de leur perpétuation.

Et dans ces parcs naturels protégés, les visiteurs sont sous surveillance. Pasquestion qu’ils sortent des chemins balisés ou prennent la moindre initiative.Quant aux animaux sauvages, ils le sont si peu que le touriste doit veiller à nepas laisser son sac à dos sans surveillance. C’est le mythe de la «wilderness»,la nature sauvage, que les Anglo-Saxons, grands prédateurs du NouveauMonde, ont mis en scène dès la fin du XIXe siècle dans les «grands espaces»qu’ils avaient conquis en les débarrassant de leurs occupants indigènes. Il fautreconstituer de grands pans de nature «sauvage» pour le plus grand plaisir del’homme blanc. Le touriste fut ainsi d’abord un chasseur, dans une chasse deluxe réservée à une élite (Ernest Hemingway, Franklin Roosevelt, WinstonChurchill), qui se perpétue aujourd’hui, même si les safaris sont devenussurtout photographiques, dans les réserves de l’Afrique orientale et australe.

La mise en tourisme du monde le transforme ainsi en un immenseDisneyland, où tout est conçu et contrôlé pour vendre de la nature «sauvage»et de la «peuplade authentique» à de riches visiteurs soigneusement encadrés.Faut-il le déplorer ? Pas si sûr, car lorsque l’opération est correctementmontée, chacun y trouve son compte : le touriste repart heureux, il a eu sapart de rêve ; l’autochtone est satisfait : il a eu sa part de la manne ; et le

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voyagiste, qui a organisé les termes de l’échange, se frotte les mains : il avendu très cher une prestation qui ne lui a presque rien coûté, puisquel’authenticité, en matière de conditions d’hébergement et de restauration,signifie le plus souvent le strict minimum. Précisément ce que ne veulent plusendurer les populations locales, qui rêvent, elles, de confort et dedéveloppement. Reste à vérifier que la disneylandisation du monde netransforme pas, comme dans les parcs à thème de Mickey, les protagonisteslocaux en des figurants réduits au silence et payés au lance-pierres.

«Un tout petit monde» est ainsi l’une des attractions fétiches de DisneylandParis, où les familles effectuent en bateau un tour du monde au milieud’automates chantants. Tous les pays sont synthétisés les uns après les autresen des archétypes immédiatement identifiables tant ils collent auxreprésentations mentales collectives : les Polynésiennes dansent le tamouré,les Mexicains portent des sombreros, les Japonaises des kimonos, etc. Et bienentendu, l’attraction finit en apothéose au milieu des paillettes des Folies-Bergère et autres spectacles «typiquement parisiens» C’est ainsi que letourisme refaçonne le monde.

Alors qu’ils n’étaient que 25 millions en 1950, les touristes sont aujourd’huiplus de 800 millions qui, chaque année, partent plus d’une journée pour leursloisirs dans un lieu autre que leur résidence. Le flux ne cesse de croître :l’Organisation mondiale du tourisme estime que d’ici 2020 le nombre detouristes devrait atteindre quelque 1,6 milliard de personnes ! Au niveaumondial, le tourisme représente 10 % du PIB et emploie 8 % de la populationactive{103}. Ses recettes annuelles s’élèvent en moyenne à 650 milliards dedollars, soit huit fois le montant de l’aide publique au développement. Lestouristes ne sont plus seulement de riches Blancs occidentaux, maisappartiennent de plus en plus à des pays émergents, dont les classesmoyennes et aisées sont avides de découvrir le monde : Chinois, Russes,Brésiliens, Indiens, Coréens…

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La mondialisation a permis d’ouvrir des destinations autrefois coûteuses oufermées. Ainsi, le tourisme s’installe désormais dans toutes les régions.Permettant à des millions de personnes de rester dans leur région d’origine aulieu de devoir s’exiler, il peut être considéré comme une activité bénéfique, laversion positive de la mondialisation. Pourvoyeur de ressourcesconsidérables, il est unanimement recherché par les zones d’accueil (dont laFrance, première destination touristique mondiale avec 70 millions de visiteurspar an).

Mais le tourisme a aussi quelque chose de paradoxal : si tout le monde esttouriste, personne ne veut admettre ce statut, considéré comme dévalorisant.Le touriste, c’est forcément l’autre. Un autre qu’on méprise et qu’on fuit.Mais ce touriste si caricaturé existe-t-il vraiment ? Une part croissante destouristes veut désormais voyager «autrement» Autrement par rapport àquoi ? Autrement que le prétendu touriste de base, ce «mimile à bob etcaméscope» selon la formule méprisante du Guide du routard, qui part engroupe organisé, voyage en autocar et se masse sur des plages bétonnées oùtout est organisé autour du confort des «bronzés».

Aujourd’hui, le touriste veut «habiter son voyage», comme l’écrit lerédacteur en chef de Géo, Jean-Luc Marty. Les professionnels du tourismeont compris qu’il leur fallait répondre à cette attente, en donnant le sentimentau touriste qu’il est tout sauf un idiot.

L’illusion se veut reine…Georges Vignaux

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Suspension de l’incrédulité

Une fois de plus, me voici à intervenir sur l’une de vos propositions : «lamise en tourisme», ou si vous préférez, du storytelling. Il s’agit de procéder àune mise en fiction de la réalité, c’est-à-dire, à raconter des histoires. Dès quevous maîtrisez cette technique, vous reléguez l’expérience passée de chaqueindividu aux oubliettes. Vous êtes alors en mesure de conduire et d’orienter leflux des émotions des gens. Voyez un peu la chose comme un complexeensemble d’engrenages narratifs qui conduisent les individus, vous, toutcomme moi, à s’identifier à des modèles formatés et à se conformer à desprotocoles construits de toutes pièces. L’idée est de faire en sorte que lesgens «achètent» des histoires. La technique est tellement efficace que, enmatière de commerce, les gens n’achètent pas les marques, mais les mytheset les archétypes que ces marques symbolisent. Lorsque vous achetez unproduit de la société Apple, ce que vous achetez, ce n’est pas le produit, maisce qu’il représente : «être cool», «être branché», «classe sociale», etc.

Lorsque vous adhérez aux histoires que l’on vous propose, qu’il s’agissedes gouvernements ou des marketeurs, vous vous transformez vous-mêmeen colporteur de récits. Vous devenez, malgré vous, un conteur d’histoires.Votre veston ou votre jupe griffée fait de vous un colporteur de récits.Pourquoi ? Parce que la fascination que procure une bonne histoire vousforce et vous pousse à la répéter. Et c’est ainsi que les histoires, même sansfondements, finissent par s’animer d’une vie qui leur est propre. Ellesdeviennent alors crédibles et sont tenues pour vraies.

Le modèle de communication que l’Ordre marchand a réussi à mettre aupoint est d’une efficacité redoutable. Il ne consiste pas à vous convaincre defaire ceci ou cela, ou d’acheter tel ou tel produit, mais à vous plonger dans ununivers narratif, et à vous immerger dans un univers crédible. Il ne s’agitplus de vous séduire, mais de produire un effet de croyance. Il s’agit

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d’une nuance sémantique importante.

La technique de l’Ordre marchand se résume en trois mots : «Suspensionde l’incrédulité». Lorsque vous arrivez à suspendre l’incrédulité, ou àdéstabiliser les réflexes de scepticisme d’un individu, vous arrivez alors àcréer chez lui un effet de surprise de nature à intriguer, séduire, et captiver. Siles États-Unis avaient déjà des visées impérialistes sur le monde, l’Ordremarchand leur a livré sur un plateau d’argent l’impérialisme narratif. Si vousdisposez, à la fois de l’impérialisme économique, financier et narratif, vousdisposez de l’arme la plus efficace. Et les Américains disposent de ces troisimpérialismes.

Depuis 1950, la planète consomme les symboles de l’Amérique, car l’Ordremarchand a réussi à saturer l’espace symbolique d’histoires toutes plusfascinantes les unes que les autres à propos du rêve américain. C’est cemême rêve américain qui a sapé la plupart des dictatures tout comme il a aidéà les maintenir en place, qui continue à le faire, et qui continuera encorelongtemps à le faire. C’est ce même rêve américain qui vous a poussé à croireque tout est possible et que tous peuvent être des gagnants. C’est ce mêmerêve américain qui a créé la mappemonde géopolitique que nous connaissons.Le rêve américain est devenu une marque de commerce. Les États-Unis sontdevenus une marque de commerce. Tous, autant que nous sommes,Européens, Asiatiques, Africains, Sud-Américains, peu importe, nous avonsacheté les mythes et les archétypes que les États-Unis symbolisent. L’Ordremarchand a créé une multitude de récits, et nous avons massivement faitcorps avec tous ceux-ci. Nous avons adhéré à un effet de croyance qui nousdit que le monde est merveilleux.

Lorsque vous consommez les symboles de l’Amérique, vous faites corpsavec un mythe très puissant, le rêve américain. Que vous soyez jeune ouvieux, chômeur ou en activité, en bonne santé ou malade du cancer, «You are

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the story», vous êtes un héros. Quoi de plus engageant que la promesse d’unrécit merveilleux ?

Pierre Fraser

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Offrir de l’illusion

L’illusion, cela peut être, au choix : un aventurier, un sauveteur del’humanité, un ethnologue amateur, un hardi explorateur. Il faut désormais autouriste de l’»authenticité» L’authenticité devient un produit commercial ettout l’art du voyagiste est de savoir la fabriquer. Le tourisme façonne donc lanature et la culture en fonction des représentations mentales que leursvisiteurs s’en font. Dans un de ses numéros, Géo proposait ainsi cinquantevoyages «inattendus» Ils se déclinaient en huit entrées : nature, culture,sport, sciences, passion, aventure, détente, humanitaire. Dans la rubrique«nature», le touriste pouvait découvrir les gorilles, les pandas ou les baleines,et même «sauver» des espèces rares. La «culture» l’invitait à partir à larencontre de «peuplades authentiques» comme les Touaregs ou les Inuits. Le«sport» transformait la planète en un immense terrain de jeu, que l’onsurvolait en montgolfière ou en parapente, dévalait en kayak ou en VTT ;l’homme moderne renouait avec l’illusion d’être un Tarzan moderne,protecteur d’une nature dans laquelle il pouvait sauter d’arbre en arbre sur lacanopée tropicale grâce à l’accrobranche. La «science» l’invitait à jouer lesvolcanologues, les océanographes ou les paléontologues, comme ces enfantsque les parents exigeants envoient dans des colonies de vacances où ilspeuvent «apprendre en s’amusant» La rubrique «passion» invitait ainsi àrenouer avec la pratique de l’atelier d’activités que connaissent bien toutes lesmaîtresses d’école : apprendre la mosaïque en Italie, la cuisine au Viêtnam, laphotographie au Guatemala, la salsa à Cuba ou le cinéma au Niger.

Tout comme l’industrie agroalimentaire invente sans cesse de nouveauxproduits pour accroître ses débouchés, l’industrie du tourisme développe enpermanence de nouveaux concepts, pour offrir à chacun sa part de rêvetarifé. Ainsi, la rubrique «aventure» transforme-t-elle le touriste, au choix, encow-boy (aux États-Unis), en chercheur d’or (en Australie) ou en explorateur

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d’épaves (aux Philippines) : il s’agit de lui permettre de «réaliser ses rêvesd’enfant» Tous ces voyages ont deux points communs : d’abord, ils coûtentcher, ce qui les réserve à une élite ; ensuite ils organisent une sorte derégression infantile de l’être occidental, dont les besoins matériels sont sicomblés qu’il faut désormais lui offrir de l’illusion, le faire entrer dans desjeux de rôle, qui lui permettent tour à tour de jouer les ethnologues, lesTarzans ou les Robinsons.

Georges Vignaux

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La grande peur de notre civilisation

Dans quelle mesure sommes-nous si comblés qu’il faille nous offrir del’illusion ? Pourquoi en sommes-nous rendus à jouer les Indiana Jones dudimanche ? Dans une société qui nous offre la possibilité de satisfaire, au-delàde nos besoins de base, nos désirs, que nous reste-t-il comme occupation ?Le divertissement.

Nous pensons à tort que la grande peur de notre civilisation c’est leterrorisme. En fait, le terrorisme n’est rien comparativement à celle qui nousassaille quotidiennement. Alors que le terrorisme est une peur diffuse, celle dene pas être distrait l’est encore plus. Imaginez la chose un instant : vous vouslevez le matin et la télé ne fonctionne pas. Où sont passés les meurtres, lesaccidents et les incendies ? Angelina Jolie est-elle encore avec Brad Pitt ? Quelpoliticien ou chef d’entreprise a été pris ce matin la main dans le sac ?

La grande peur de notre civilisation c’est de ne pas être en présence d’unedistraction. Nous nous sommes collectivement dotés d’un puissant arsenaltechnologique pour nous éviter de sombrer dans la réflexion. Nos iPhone,iPad et Blackberry nous occupent les mains, tandis que les écrans plats ontsystématiquement colonisé l’espace public pour stimuler nos yeux. Peuimporte l’endroit ou vous vous trouvez, vous êtes certains d’être divertis.Vous attendez la projection de votre film au cinéma ? On vous passe enboucle une série d’inepties concernant le monde du spectacle, le toutsaupoudré de pubs tonitruantes pour vous empêcher de réfléchir.

Même dans la salle d’attente du cabinet de votre médecin on veut vousempêcher de penser à votre maladie ou vos petits bobos. Il y a sûrement unécran plat peuplé d’informations que les fondamentalistes de la nutritionproposent à la volée. Ne mangez pas ceci, ne mangez pas cela, faites del’exercice, bougez, courrez, marchez, ne restez pas oisifs. On vous parle desdernières découvertes en matière de santé, mais on oublie de vous dire que les

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découvertes d’hier en ce domaine ne sont plus valides aujourd’hui.

Divertir, distraire voila ce qu’il faut faire. Ne pas être distrait par Twitter ouFacebook c’est être confronté à une vacuité existentielle. Le sondage maisondu jour de votre chaîne télé veut vous rappeler de participer et de vousdistraire dans la grande communion de la communication. Communiquerc’est se sentir vivant. Tout concourt à nous distraire, même notre frigo,dernier bastion de la vie privée. Ouvrir la porte du frigo c’est être confronté àla plus grande distraction de tous les temps : la fiche nutritive. Elle estinsidieuse cette foutue fiche. Elle fait plus que distraire : elle s’insinue dans lesmoindres replis de votre cortex cérébral pour vous obliger à vous distraire, àbouger, à vous rendre au gym. Impossible de s’en sortir, lorsque même votreboîte de céréales se fait passer pour un parangon de santé.

La grande peur de notre civilisation c’est de croire que le silence et laréflexion sont pernicieux. Pascal disait :

« Rien n’est si insupportable à l’homme que d’être dans un plein repos, sans passions, sansaffaires, sans divertissement, sans application. Il sent alors son néant, son abandon, soninsuffisance, son vide. »

Il nous faut croire que peu de choses ont changé depuis Pascal, ladifférence étant que le divertissement est devenu électronique et passe partoujours de plus en plus d’écrans de toutes les dimensions possibles.

Pierre Fraser

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Dans la peau d’un explorateur

Le tourisme «disneylandise» ainsi le monde, transformant les lieux d’accueilen une succession de parcs à thème, où le touriste doit pouvoir retrouver unpassé recréé ou préservé en toute sécurité. Pour voyager «autrement», letouriste accepte alors un inconfort soigneusement entretenu, car il fait partiede l’aventure. Il porte désormais son sac à dos, pour ne pas «exploiter» despopulations locales. Marche jusqu’à l’épuisement, mais sans toutefois risquersa vie. Il doit d’ailleurs signer un formulaire de décharge avant de s’engagerdans l’aventure.

L’inconfort se paie cher, car il est aussi une façon d’acheter du mythe : enTasmanie, c’était il y a peu, mille euros par personne, pour six jours demarche à pied, nuits sous la tente, en portant soi-même son barda ! Unehiérarchisation subtile s’opère entre les néophytes, qui en bavent, et lesaguerris, qui connaissent toutes les ficelles de l’aventurier, notamment enmatière d’équipement dernier cri (chaussures, tentes, téléphone satellite),reproduisant ainsi les différences de classe entre le touriste de base et l’élite,cette dernière pouvant même s’offrir le luxe de l’aventure dans le plus grandconfort (nuits dans de bons hôtels, déplacements en hélicoptère, etc.).

Cette mise en tourisme du monde le transforme bien en un immenseDisneyland, où tout est conçu et contrôlé pour vendre de la nature «sauvage»et de la «peuplade authentique» à de riches visiteurs soigneusement encadrés.Le rêve est enfin là… On peut tout oublier ! Gare au réveil !

Georges Vignaux

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L’apocalypse, l’oignon et le grain de sable

Il y a plusieurs façons de spéculer{104}. Celle des imbéciles qui prédisent lafin du monde le 21 ou le 22 décembre 2012 à partir du calendrier maya, et quiest finalement surprenante puisque Bugarach, petit village français dudépartement de l’Aude, devrait en réchapper, disent-ils {105}. Un sauvetageannoncé qui attire, dans ce bourg de 200 habitants, de nombreux paniqués !

Il y a la spéculation des naïfs qui croient que les flocons de neigen’arrêteront ni le Père Noël d’Internet, ni les trains, ni les avions. Ilss’indignent que Météo France se soit trompé d’un jour ou de vingtkilomètres !

Et puis il y a la vraie spéculation, celle qui a doublé en quelques jours le prixde l’oignon en Inde parce que les pluies ont été diluviennes dans les États duGujarat et du Maharashtra, raréfiant ce bulbe indispensable au poulet tikkamassala.

Vingt mille manifestants sont descendus dans les rues de New Delhi àl’appel du parti d’opposition Bharatiya Janata Party (BJP, opposition). Sentantle danger, le ministre de l’Agriculture a aussitôt interdit l’exportation del’oignon national et ramené à zéro la taxe sur son importation. Il spécule, lui,sur un retour à la normale grâce à la récolte du frère ennemi pakistanais.

On aurait tort de se moquer des malheurs légumiers de l’Inde, car ils sont lamétaphore de ce qui nous attend : peut-être pas la fin du monde, mais tout demême plus grave qu’un épisode neigeux. Car les coûts de toutes les matièrespremières sont à la hausse dans le monde entier. Le blé, le sucre, le cacao, lecolza ou l’huile de palme, mais aussi le fer, le cuivre, les «terres rares» etmême l’or, s’envolent dans les prix. Le baril de pétrole est en passe derepasser au-dessus de la barre des 100 dollars.

«Le temps du monde fini» a bien commencé, comme l’annonçait Paul

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Valéry. Si la sécheresse en Russie bouscule les prix des céréales, si lestrombes d’eau du phénomène météo de la Niña font bondir le cours du sojaen Amérique latine, si une grève dans la mine de cuivre de Collahuasi, auChili, propulse le cours du métal rouge à un record, c’est que les spéculateurset les autres savent que la pénurie n’est plus conjoncturelle.

Nous sommes plus de 6 milliards d’humains et on en dénombrera 3milliards de plus en 2050. Quels sols mettrons-nous en culture et quellestechniques agricoles inventerons-nous pour soutirer à la terre notre survie ?

Nous concevons tous les jours de nouveaux produits, nous construisons denouvelles villes, nous dépensons toujours plus d’argent pour aller pomper lepétrole et extraire les minerais à des milliers de mètres de profondeur. Ce«toujours plus» se paie et se paiera en surcroît de dépenses en dollars et eneuros. D’autant qu’il s’accompagne d’un «toujours plus vite» tout aussiredoutable. Le «just in time» pour les produits finis tout comme la minceurdes stocks de produits de base ont pour vertu de réduire les frais financiersdes industriels. Mais cette gestion à court terme reporte les chocsclimatiques, sociaux, techniques ou politiques sur les salariés et sur lesconsommateurs.

Les premiers sont contraints au chômage technique puis à des heuressupplémentaires frénétiques. Quant aux seconds, ils sont priés de supporterles manques et d’encaisser les variations de prix. Le Président Sarkozy, à latête du G20 jusqu’en novembre 2011, voudrait en finir avec cette volatilitédes cours des matières premières qui empoisonne les acteurs économiques etperturbe leurs prévisions. Le concours d’idées est ouvert pour savoircomment s’y prendre. Les uns souhaitent une vraie transparence dans laconclusion des marchés ; d’autres aimeraient interdire aux investisseursd’acheter — ou de vendre — en trop grande quantité les contrats à terme. Leproblème est que ces dispositifs ne sont pas très opérants sur un marché

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mondial où l’offre éprouve beaucoup de peine à satisfaire une demande dopéepar le rattrapage accéléré des économies émergentes.

Deux suggestions peuvent être faites. La première consisterait à constituerdes stocks mondiaux publics pour toutes les matières premières et passeulement pour le pétrole et les métaux stratégiques. Il faut ainsi noter que lesinvestisseurs-spéculateurs se sont pris d’affection au cours des deuxdernières années pour les ETF (Exchange Traded Funds), fonds qui adossentleurs titres à des stocks physiques d’or, d’argent et maintenant de cuivre. Ceque l’entreprise privée peut faire, le secteur public ne pourrait-il l’opérer dansun but de sécurité ? L’autre solution — encore plus classique — consisteraitsimplement à ralentir la planète. Milan Kundera a raison d’écrire dans sonroman La Lenteur (1995) : «Quand les choses vont trop vite, personne nepeut être sûr de rien, même pas de soi-même.»

Pour combattre cette incertitude économique, le Prix Nobel d’économieJames Tobin avait rêvé d’une taxe de 0,05 % sur les transactions financières.Pour mettre «du sable dans les rouages trop bien huilés de la financeinternationale» et en ralentir le manège infernal. Si ce «sable» n’y suffisaitpas, il resterait à espérer des chutes de neige mondiales, abondantes etrépétées. Ou à se réfugier à Bugarach dans l’Aude…

Georges Vignaux

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Vers l’abîme ?

Le constat que fait le sociologue Edgar Morin{106} est aussi celui d’unefuture situation catastrophique, conséquence de la crise généralisée queconnaît l’occident :

« La crise atteint nos mythes majeurs : progrès, bonheur, maîtrise du monde. […] Désormais, lefutur lui-même est en crise : il n’y a plus de prédiction possible, sinon des hypothèses, des

scénarios.{107} »

Cela, selon lui, relève de la déliquescence de la modernité. «La modernité semanifeste par trois grands mythes : le mythe de la maîtrise de l’univers,formulé par Descartes, Buffon, Marx, le mythe du progrès, de la nécessitéhistorique, qui s’impose à partir de Condorcet, enfin le mythe du bonheur» ;ces derniers mythes, étant soutenus par le complexe science-technique-économie-profit, auquel s’imprime un mécanisme moteur : la production-prolifération. Les progrès techniques nous ont conduits vers uneémancipation de l’homme face aux inconvénients de la nature, mais «régulésni par la politique, ni par l’éthique, ni par la pensée», ils nous conduisent à ladégradation irrémédiable de notre propre milieu écosystémique. C’est ainsique nous découvrons la chute vers l’abîme de notre civilisation en percevantdans un même temps l’ambivalence du progrès.

La crise de la modernité, c’est alors la découverte que la crise de la cultureen Occident se généralise : crise de la science, crise de l’intelligence, crise dela raison, crise des fondements, de l’esprit, et même crise du biologique et duvivant. Le progrès, loi inéluctable de l’Histoire, guidé par la Raison, ne peutplus être conçu comme une avancée vers le mieux. Edgar Morin en appelledonc à une révolution dans la connaissance même des choses, une«dialogique», qui réconcilierait rationalité et affectivité.

« Il faut abandonner, déclare-t-il, l’idée abstraite de l’humain qui se trouve dans l’humanisme.Idée abstraite parce qu’on réduit l’humain à homo sapiens, à homo faber, à homo economicus.L’être humain est aussi sapiens e t demens, faber et mythologicus, economicus et ludens,

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prosaïque et poétique, naturel et métanaturel. »

Un changement dans notre mode de pensée que Morin caractérise par cequ’il nomme «l’émergence de la société-monde» Pour lui, l’établissementd’une citoyenneté-monde répondrait à deux principes fondamentaux : unprincipe d’«anthropolitique» (c’est-à-dire une politique de l’humanité àl’échelle planétaire) et un principe (qui a fait l’actualité) de «politique decivilisation» De ces deux principes découle une proposition essentielle pouren finir avec notre course vers l’abîme : se défaire de l’idée dedéveloppement.

Dans cette crise des valeurs de la modernité, ne subsiste, selon lui, plusqu’une seule alternative :

« l’involution, c’est-à-dire, une ré-génération métamorphique, comme un «retour auxpotentialités humaines génériques», […]. Démarche de ressourcement qui ne peut s’affirmer qu’àla condition d’être conjuguée et confrontée à une démarche de complexification de notreconnaissance : «Complexifier, c’est-à-dire essayer de voir non seulement le jeu multiple etdivers des interactions, imbrications, rétroactions, antagonismes planétaires, mais aussi lesaspects opposés d’un même phénomène, notamment ce qui dans la mondialisation lie enopposant et oppose en liant. »

À ce titre cinq complexes sont remarquables :

1. La mondialisation technique et économique, entre suprématiedominatrice de l’Occident et développement effréné de nouvellespuissances (asiatiques, latino-américaines,…), est entraînée par unprocessus oscillatoire de monopole/multi-pôles. L’effet de ce processusparadoxal est que, dans un premier temps, il aggrave les dépendances aumilieu, mais dans un second temps, il conduit également àl’interdépendance de l’espèce humaine, et, ainsi, à l’édification d’une«communauté de destin.

2. Si la mondialisation est porteuse de périls d’homogénéisation et destandardisation, elle se caractérise aussi par des «déchaînements

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nationalistes», et des «retours du religieux». Aujourd’hui, le consensusnational a tendance à reposer le plus souvent sur un socle mono-ethnique, voire mono-religieux, d’où de réelles difficultés à l’apparitiond’une pensée planétaire.

3. On peut même présager une aggravation du pire (par de nouvellesformes de terreur et totalitarisme : biologique, génétique, religieux,cybernétique, etc.).

4. La crise de la modernité nous a fait découvrir une ambivalence aucœur même de la notion de progrès : à la fois source de liberté etd’émancipation physique et intellectuelle indéniable, le progrès techniquecomporte une large part de servitude tant au niveau pratique qu’éthiquepour l’homme.

5. En même temps que nous découvrons l’ambivalence de la notion deprogrès, nous assistons à l’émergence de nouveaux malheurs humains(désintégration des solidarités traditionnelles, croissance de lacorruption, criminalité de misère, etc.), faisant douter de l’acception duconcept de développement et de son composant : la croissance.

Le capitalisme industriel à toujours connu des «antagonismesrégulateurs», aujourd’hui, le capitalisme financier, déchaîné, neconnaît aucune régulation. «[…] il semble nécessaire de comprendre lasituation actuelle comme «un nouveau et formidable combat interne àl’humanité entre homo sapiens et homo demens, où la rationalité closeest au service de demens et l’amour au service de sapiens…»

Georges Vignaux

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Mort par erreur d’impression

Mark Twain, eh oui, encore lui, disait : « Faites attention lorsque vous lisezun livre sur la santé. Vous pourriez mourir d’une erreur d’impression... » Jedois vous avouer que j’ai une certaine admiration pour cet auteur américain dela fin du XIXe siècle, ainsi que pour Michel de Montaigne. Tous les deux, àleur façon, ont exploré les arcanes de la bêtise humaine, le premier avec ironieet cynisme, le second avec philosophie. Vous aurez compris que je m’éloignede mon propos, mais j’ai fait cette entorse à l’étiquette pour mieux vous situerma démarche. Alors, cher ami, je m’excuse d’avoir troublé votre lecture ainsique votre sérénité.

Ce qu’il y a de fascinant dans la vie, ce n’est pas le progrès et la vitessefoudroyante à laquelle il se déploie, mais surtout comment il se déploie.Observez à quel point toutes les technologies servant à communiquercolonisent non seulement l’espace public, mais surtout notre espace mental.Serait-il aujourd’hui pensable de revenir en arrière et d’avoir des téléphonesqui ne nous permettent pas de nous raser ou de nous laver ? Oups, jem’excuse une fois de plus, j’ai un peu trop spéculé sur le futur de ce que serale téléphone de demain. Nous sommes toujours à deux doigts de l’implosion.Quelle implosion ? Celle d’une technologie qui peut nous sauter à la figure, àla fois au sens propre et figuré.

Nous sommes convaincus que nous avons créé un monde de plus en plusrobuste avec toutes les technologies dont nous disposons. En fait, dans lecours normal des choses, au quotidien, nous avons effectivement sécurisénotre environnement pour vivre en toute quiétude. Les technologies et leprogrès nous ont permis d’être de moins en moins victimes des aléascourants de la vie. Par contre, dans le même souffle, nous nous sommes deplus en plus exposés aux impacts négatifs d’un événement majeur. Il suffitd’une simple erreur d’impression dans un logiciel quelconque pour faire

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capoter les marchés financiers ou un appareil médical de très hautetechnologie. Par exemple, la structure en réseau d’Internet est très résiliente,car si un nœud ne fonctionne pas correctement, les autres nœuds peuventprendre la relève. Ce qu’on oublie, hélas trop souvent, c’est que certainsnœuds connectent plus que d’autres, et si ceux-ci s’effondrent, ce n’est plusseulement Facebook ou Twitter qui seront surchargés, mais des pans entiersde notre vie collective qui pourront être chamboulés en un rien de temps.

Vous doutez de mon affirmation ? Notre société est aujourd’hui entièrementbasée sur l’infrastructure numérique. Nous avons tout numérisé, c’est-à-direque nous carburons aux 0 et aux 1 de façon addictive. Autant sommes-nousaccros au pétrole pour nos transports et nos produits d’utilisation courante,autant le sommes-nous à nos ordinateurs pour communiquer, échanger etcommercer. Le grand nuage informatique qui prend actuellement forme, le«cloud computing», dématérialise tout, depuis nos échanges personnelsjusqu’à nos échanges commerciaux. Supposons un instant qu’un seulimmense centre de données de Google fasse les frais d’un acte terroriste oud’une catastrophe naturelle, c’est alors toute la planète qui serait plongée dansun noir numérique pendant des jours, voire des semaines. Combien d’entrevous se reposent sur gMail et tous les autres gadgets de Google ? Combiend’entreprises utilisent le nuage informatique de Google ?

Vous me dites que toutes ces infrastructures sont bien protégées ? Bien sûrqu’elles sont bien protégées, qu’elles sont redondantes, etc. Par contre,l’histoire nous a appris qu’une seule erreur d’impression dans un manuel ouun logiciel pouvait entraîner une catastrophe. Vous pensez que je suis uneCassandre et que j’annonce que de mauvaises nouvelles ? Détrompez-vous,car je ne suis pas un pessimiste de nature. Je suis tout simplement réaliste, etla réalité, c’est que nous avons fragilisé la société au lieu de la rendre plusrobuste.

L’erreur d’impression n’est jamais visible au premier coup d’œil. Elle ne

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l’est qu’une fois l’événement passé.

Pierre Fraser

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2012 : La catastrophe annoncée !

À grands renforts de médias, film hollywoodien à l’appui, on nous a préditla fin du monde pour 2012, en se fondant sur une prophétie maya.

Les Mayas croyaient que cette fin du monde, prévue en 2012, ne seraitqu’une fin de plus. Comme il en advenait chaque fois qu’un cycle de LongCompte s’achevait : soit 13 Baktun qui correspondent à environ 5 130 ans. Àchaque fois alors, la terre était bouleversée par de gigantesques cataclysmes.Pour les Mayas, il existait cinq ères cosmiques : l’ère de l’Eau, celle de l’Air,celle du Feu, celle de la Terre et celle de l’Or. Celle de l’Eau, la première,serait l’âge durant lequel aurait existé l’Atlantide, continent disparu sanslaisser de trace. Celle théorie serait confirmée par les textes du Popol Vuh,livre sacré des Mayas : « Un déluge fut suscité par le cœur du ciel […] Laface de la terre s’assombrit et une pluie noire s’abattit nuit et jour. »

Selon certains chercheurs, la fin des quatre ères Mayas précédentes auraitété causée à chaque fois, par une inversion du champ magnétique terrestre,due au déplacement des axes de la terre, phénomène qui se produiraitpériodiquement.

La civilisation des Mayas a existé et prospéré en Amérique centrale de 1500av. J.-C. à 1450 apr. J.-C. Ils ont disparu, pratiquement décimés par lesguerres intestines, les invasions des conquistadors et les épidémies. Leur âged’or fut la période qui va de 327 av. J.-C. à 987 apr. J.-C. C’est de cettepériode que datent les grandes cités et les impressionnantes pyramides àdegrés qu’on découvre aujourd’hui dans la forêt tropicale. À partir de l’an 1000 apr. J.-C., les Mayas vont abandonner leurs cités et vivre dans la nature,redevenant un peuple primitif que découvrent les conquistadors. On estimeque les raisons de cet anéantissement sont dues à l’exploitation excessive dela forêt qui aurait eu pour conséquences des catastrophes naturelles, deschangements climatiques, des épidémies. À cela se seraient ajoutées les

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guerres internes, la surpopulation, les famines.

Et pourtant, les Mayas avaient connu une période faste et avaient développéalors un savoir très avancé en astronomie. Ils connaissaient avec précision lespositions des planètes et la durée exacte de l’an solaire, du mois lunaire et lespériodes de révolution de Vénus (pour eux : planète sacrée) et de Mars autourdu soleil. Ces connaissances astronomiques servaient surtout à laconstruction du calendrier et aux prophéties sur le futur individuel oucollectif, dont celle sur la fin des temps, le 21 décembre 2012 !

En fait, les Mayas avaient élaboré trois calendriers. Le premier était letzolk’in, calendrier sacré de 260 jours, utilisé par les prêtres pour ladivination. Le second, nommé haab’ était un calendrier civil de 365 jours. Cesdeux calendriers scandaient des cycles qui se répétaient tous les 52 ans. Pourindiquer une progression des années au-delà de cette limite, les Mayasutilisaient le Compte Long, un troisième calendrier «historique» quidénombrait les années à partir de la date de fondation de l’ère actuelle, àsavoir pour eux : le 11 août 3114 av. J.-C.

On ne sait pas grand-chose de ce qu’avaient vu les Mayas dans les étoilespour annoncer la fin du monde. Cependant, le 3 juillet 2006, la NASA signalaitavoir observé une «petite tâche» en sens contraire à la surface du ciel. Ce futbref, mais la signification est importante : notre Terre entre dans un nouveaucycle de vie, avec pour conséquence une inversion de polarité de son champmagnétique. Un changement violent aurait son apogée en 2012. Une très fortetempête solaire se produirait alors, semblable à celle qui eut lieu le 13 mars1989 au Québec, mettant hors service tous les systèmes de communication etd’énergie. On connaîtrait alors un black-out complet. Et selon le géologueGregg Braden{108}, ce serait la conséquence d’une réinitialisation du champmagnétique terrestre, lequel est en forte baisse depuis les années quatre-vingt.Il arrivera à zéro en 2012. La Terre s’arrêterait alors de tourner pour

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reprendre ensuite sa rotation en sens contraire, avec en conséquence, uneinversion des pôles magnétiques.

Il est vrai que la prédiction maya ne fournit qu’une date et ne précise pass’il s’agira de la fin du monde ou de la naissance d’un nouveau cycle. Lacroyance en des catastrophes précédant une ère de renouveau est unemythologie commune à presque toutes les cultures dans l’histoire. Pour leschrétiens en particulier, les quatre chevaliers de l’Apocalypse apporteront lafamine, la guerre, la peste et la mort. Des séries de catastrophes naturelles enproviendront avec notamment l’arrivée de la Bête. Tout cela conduira aucombat épique d’Armageddon{109} entre le Christ et l’Antéchrist, à l’issueduquel nous entrerons dans une période de paix durant laquelle émergera laJérusalem Céleste.

Allons-nous alors vers la «bataille finale» ? Un renouveau sortira-t-il descatastrophes ordinaires que nous vivons ? Il nous appartient d’en décider…

Georges Vignaux

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Apocalypse Now !

Nous y voilà donc ! Dans la catastrophe. Qui n’aime pas les catastrophes ?Tout le monde aime les catastrophes. Pour preuve, Hollywood carbure à lacatastrophe pour faire sonner la caisse enregistreuse. Qu’on ne me disesurtout pas que la catastrophe ne fait pas recette ! Les écolos, avec en tête degondole Al Gore et Yan Arthus Bertrand, vendent leur salade sur fond decatastrophes. Disons que, dans la catastrophe, il y a plus que la catastropheelle-même ! Il y a aussi promesse de rendements !

Est-ce que les catastrophes et les cataclysmes annoncés depuis les débutsde l’écologisme sont survenus ? Se poser la question c’est presque yrépondre. Au milieu des années soixante, un certain Paul Ehrlich publie unlivre prophétique vendu à des millions d’exemplaires intitulé «La bombe P» aucôté duquel les catastrophes de la Bible font figure de contes pour enfants.

Prédictions de Paul EhrlichRéalité

La moitié des 3,5 milliards d’humains mourront de faim avant 1980.La population a doublé.

Un épais voile de pollution atmosphérique entraînera, dès 1979, la mort biologique des océans, des plantes et des arbres.L’épais voile de pollution recouvrant toute la planète n’existe pas. Les océans sont encore un immense vivier.

L’espérance de vie s’abaissera à 42 ans sur tout le continent nord-américain suite à la pollution.L’espérance de vie dans les sociétés occidentales a augmenté de 10 ans.

Une augmentation de la température planétaire de l’ordre de 5°C pour l’an 2000 aura pour effet d’entraîner la fonte des glaces despôles, et par le fait même, d’élever le niveau des océans de plus de 20%.On a mis en orbite des satellites pour mesurer cette fluctuation et elle s’est avérée à peine mesurable.

Plus d’un milliard d’êtres humains mourront suite à des désastres nutritionnels.Les grandes famines ont pratiquement toutes été éliminées. Et celles qui restent sont le fait de gouvernements corrompus ou de lamondialisation.

Les écologistes ont appris de ces prophéties manquées : ne pas faire deprédiction sur un horizon temporel trop rapproché. On les a donc reportés surun horizon minimal de cent ans dans le futur. La chose a un avantage certain,puisque personne ne sera là dans cent ans pour se souvenir de ces

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prédictions ! Et les médias aiment bien ce genre de prédictions, carl’alarmisme fait virer les presses, propulse l’audimat, fait sonner la caisseenregistreuse, et passe mieux la rampe qu’une analyse détaillée, nuancée,longue et compliquée. Journaux, radios et télévisions de ce monde ne veulentdiffuser que des messages alarmistes, courts, frappants et basés surl’émotion. Finalement, tout le monde y trouve son compte !

Mais l’envers de la médaille, avec tout ce tapage médiatique, c’est que,depuis le 11 septembre, l’idée de la peur est devenue si familière, si ancréedans le tissu psychosocial, qu’elle a donné naissance à des phobies quis’appliquent aux menaces les plus diffuses et à la plus banale catastrophenaturelle. Et les médias en redemandent. Tout comme les fidèles d’unereligion qui se réunissent dans un temple pour entendre le prêche de leursguides spirituels, les écologistes se servent des médias pour diffuser leurprêche alarmiste.

L’écologiste qui cherche à diffuser sa foi, le journaliste toujours à larecherche du scoop fumant, ou le scientifique avide de fonds de recherche enenvironnement, participent tous à cette escalade alarmiste. On peut vous diren’importe quoi pour vendre la salade catastrophe : les effroyables scénariosde montée des océans, les dindes contaminées, l’eau polluée par des nitrates,et les mutations génétiques causées par les OGM. L’idée c’est de créer lepremier impact auprès du grand public, celui qui porte et qui frappe. Par lasuite, peu importe ce que pourront en dire les autorités vraiment compétentes,seule l’impression première restera. Les discours paranoïaques desécologistes, relayés à grands renforts par les médias, se basentessentiellement sur des problématiques entretenant la peur et l’angoisse, toutcomme le font les religions. Le problème, c’est que leurs prophétiescatastrophiques ne se produisent jamais.

Pour annoncer une apocalypse, il est nécessaire d’avoir des prophètes qui

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ont eu la révélation. La version moderne du prophète chez les écologistess’incarne dans les grands porte-parole médiatiques tels que Nicolas Hulot enFrance, Steven Guilbault au Québec, Paul Watson, Al Gore, David Suzuki,Hubert Reeves, et bien d’autres. Ces gens

« annoncent une catastrophe à venir (les dérèglements climatiques et leurs conséquences [ce quiest d’essence eschatologique]) et donnent également les responsables de la catastrophe :l’activité technologique, donc l’homme. […] Il s’agit d’une variation sur le thème de laculpabilité universelle de l’homme ; dès qu’il s’est mis à penser, l’homme a été mauvais. Lanature est bonne ; l’homme est mauvais. C’est un credo de prophète exalté, avec un maquillage

scientifique, lié à de pseudos prédictions de mauvaise qualité.{110} »

Il ne manque plus que la vision du jour dernier !

Ah ! Autrefois, c’était mieux… comme on dit depuis cinq mille ans.L’homme détruit la nature… comme on dit depuis cinq mille ans. C’est sonindividualisme qui le perdra… comme on dit depuis cinq mille ans. L’hommedoit renoncer à son mode de vie… comme on dit depuis cinq mille ans. Le feusera sa punition… comme on dit depuis cinq mille ans…{111} ApocalypseNow !

Pierre Fraser

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Japon : la catastrophe nucléaire avait été prévue

« À moins que des mesures radicales ne soient prises pour réduire la vulnérabilité des centralesaux tremblements de terre, le Japon pourrait vivre une vraie catastrophe nucléaire dans un futur

proche.{112} »

Cet avertissement est tiré d’un article paru le 11 août 2007 dans le quotidienInternational Herald Tribune/Asahi Shimbun. L’auteur était le sismologueIshibashi Katsuhiko, professeur à l’université de Kobe.

Ishibashi Katsuhiko faisait partie du comité d’experts chargé d’établir lesnormes sismiques des centrales nucléaires japonaises. Il en avait démissionné,car il estimait que les recommandations fixées par le comité étaient troplaxistes. Le professeur Katsuhiko avait prévu ce qui est en train de se produiredepuis le 11 mars 2011, à la centrale de Fukushima. Il avait prévenu lesautorités que les centrales japonaises souffraient d’une «vulnérabilitéfondamentale» aux séismes. Mais ses avertissements ont été ignorés tant parle gouvernement que par Tepco (Tokyo Electric Power Company), premierproducteur privé mondial d’électricité, qui exploite un tiers des centralesnucléaires japonaises, dont celle de Fukushima.

Katsuhiko a lancé son alerte en 2006, année où les normes de sécuritéantisismiques japonaises ont été renforcées. Selon le sismologue, cerenforcement était très insuffisant. Les faits lui ont donné raison dès l’annéesuivante. Le 16 juillet 2007, un séisme de magnitude 6,8 avait provoqué desincidents sérieux à la centrale de Kashiwazaki-Kariwa, la plus importante unitéde production d’électricité nucléaire au monde. Cette centrale se trouve surl’île d’Honshu, la principale île du Japon, comme presque toutes les centralesnucléaires japonaises, qui encerclent les trois plus grandes villes du pays,Tokyo, Nagoya et Osaka.

Ainsi, l’accident qui vient de se produire à Fukushima ne peut être considérécomme une véritable surprise, même s’il a pris de court les opérateurs de la

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centrale comme les autorités. Cet accident est la reproduction, beaucoup plusgrave, d’événements qui se sont répétés au moins depuis 2005.

Ishibashi Katsuhiko avait analysé le risque, expliquant que, dans lesdifférents cas, «le mouvement sismique à la surface du sol causé par letremblement de terre était plus important que le maximum prévu dans laconception de la centrale» Lors du séisme qui a affecté la centrale deKashiwazaki-Kariwa, le pic d’accélération sismique était plus du double de lavaleur que la centrale était censée supporter. « Ce qui s’est passé àKashiwara-Kariwa ne devrait pas être qualifié d’inattendu », écrivait lesismologue.

Georges Vignaux

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Fukushima et l’Autorité de Sûreté nucléaire française

« Je crois que plus personne ne va désormais nous reprocher des exigences trop élevées pour lasûreté nucléaire», déclarait le 30 mars 2011, André-Claude Lacoste, le président de l’Autorité deSûreté Nucléaire. L’ambiance était donc grave, dans un des sous-sols de l’Assemblée Nationaleoù l’Autorité de Sûreté Nucléaire planchait devant les parlementaires. L’ordre du jour, prévudepuis longtemps, prévoyait la présentation de son rapport 2010 sur «l’état de la sûreté

nucléaire et de la radioprotection en France» Le rapport est sur le web de l’ASN.{113} »

D’emblée, le président de séance, le député UMP Claude Birraux, annonceque le sujet sera suivi d’un échange sur la situation au Japon, à la centrale deFukushima. Cela explique l’affluence de parlementaires et de journalistes ; desparlementaires heureux d’entendre que «l’état de la sûreté» est «satisfaisant»au regard des «exigences très élevées de l’ASN», précise Lacoste. Maissurtout inquiets.

Au flot de questions, André-Claude Lacoste répond avec clarté :«Aujourd’hui, qui peut se draper dans une certitude tranquille ?», interroge-t-il, en soulignant que l’ASN va se pencher sur «le cumul des risques naturels»,à la lumière de ce qui s’est passé au Japon. La crise au Japon, souligne-t-il,«dépasse le seul volet nucléaire». Il partage avec les parlementaires des«informations incomplètes», puisque «même les Japonais ne savent pas» dansquel état précis se trouvent les cœurs des trois réacteurs, 1, 2, et 3. En partiefondus, c’est clair, mais y a-t-il eu formation d’un corium au fond des cuves,voire passage à travers les points de fragilité, ou percement des cuves..., celareste obscur. Même pour les Japonais.

Son analyse de la crise en éloigne toute résolution rapide. «On n’en sortiraqu’avec des moyens de refroidissement des réacteurs permanents, solides,opérant avec de l’eau douce et disposant d’une source froide», explique-t-il.Quand ? «Des semaines, un mois», lâche-t-il.

Cette analyse est confirmée par une déclaration récente du présidenthonoraire de la Tepco Tsunehisa Katsumata : « Nous n’avons pas de feuille

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de route pour sortir de l’accident à Fukushima» Des dispositifs de stockageprovisoires doivent être acheminés vers la centrale avant de pouvoir reprendreles travaux de remise en route des systèmes de refroidissement, travaux quipourraient durer encore plusieurs semaines avoue la Tepco.

Quant au risque radioactif pour les populations, Lacoste souligne qu’auJapon, la zone évacuée sur 20 km ne constitue pas une «borne» auxcontaminations locales. Il suffit de se rendre sur les sites d’informationofficiels du gouvernement japonais où sont affichés les résultats de mesure deradioactivité pour s’en convaincre. Leur intensité — 2 microsievierts parheure par exemple — peut exiger une évacuation, au moins des enfants et desfemmes enceintes, notent des ONG. Le Japon, explique Lacoste, va devoirfaire face à la gestion de zones contaminées durant «des années, voire desdécennies».

Georges Vignaux

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Aux États-Unis, la catastrophe japonaise relancel’Apocalypse...{114}

Pour beaucoup, les trompettes de l’Apocalypse résonnent déjà. SurFacebook, les statuts type «11 septembre (New York), 11 janvier (Haïti), 11mars (Japon)... Étrange. Luc 21-11... Êtes-vous prêts ?» pullulent. SurTwitter, d’autres jouent les matheux : «11/09/01 + 11/03/11 = 22/12/12.»C’est sûr, les Mayas avaient raison. Les cavaliers de l’Apocalypse galopent.L’Armageddon{115} est-il imminent ?

« Personne ne connaît la date exacte du retour de Jésus sur Terre», reconnaît le pasteur CecilBoswell, à la tête d’une petite église évangélique du Tennessee. Malgré tout, impossible, selonlui, de ne pas voir dans les catastrophes récentes «des signes envoyés par Dieu» «La parole deJésus est claire», pour lui qui se définit comme «chrétien» (au sens américain du terme, c’est àdire proche de la doctrine évangélique, considérant que l’intermédiaire entre Dieu et l’homme

est la Bible, et non l’Église.{116} »

Y a-t-il plus de tremblements de terre ? Les chiffres, selon lui, montrent«une hausse de la fréquence des tremblements de terre violents» Faux,répond l’Institut géologique américain, qui affirme que le nombre de séismesmajeurs est «relativement stable» sur les 100 dernières années, proche desprévisions de 18 annuels supérieures à 7.0 sur l’échelle de Richter. S’il y aune hausse du nombre de victimes, c’est que les populations dans les zones àrisques sont bien plus nombreuses qu’au siècle dernier, explique l’USGS.Certains voudront malgré tout remarquer que le nombre de séisme ravageurs(supérieurs à 8.0) semble augmenter depuis trente ans : quatre dans lesannées 80, six pour les années 90, treize pour les années 2000. «Il y a unehausse relative depuis les années 90», reconnaît le géologue Stephen Gao, del’Université du Missouri. «On ne sait pas trop pourquoi. Cela peut être dû à desimples variations temporaires de pression dans la lithosphère terrestre.»

Révoltes dans le monde arabe, tremblements de terre, tsunamis, maréesnoires, instabilité en Israël... Chacun y voit au final ce qu’il veut. John Hagee,

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le fondateur d’une «megachurch» texane de 19.000 personnes, fait la listedans un livre des dix signes actuels annonciateurs de l’Apocalypse. Pour lui,nous sommes la «génération terminale».

Selon un sondage réalisé par l’influente Association nationale évangélique,65% de ses membres se classent comme des prémillénaristes. Cela signifiequ’ils pensent que les événements décrits dans l’Apocalypse de Jean sont àvenir, et s’attendent à un retour physique de leur messie, alors amené à régnersur Terre pour 1 000 ans.

L’Église catholique s’est toujours montrée beaucoup plus prudente. Tour àtour dogme puis hérésie, le millénium, depuis Saint Augustin, est souventdavantage perçu comme symbolique. Mais pour certains chrétiens, le quandou le comment n’a pas d’importance. « Ce qui compte, c’est d’être prêt »,confie le pasteur Stan McCarthy.

« À l’exception des enfants n’ayant pas atteint l’âge de discernement ou des personneshandicapées mentales que Dieu accueillera quoiqu’il arrive, la Bible est claire : il faut accepterJésus comme sauveur avant sa mort. »

Sinon ? Il conclut, d’une voix grave : «Vous connaîtrez les tourments del’enfer pour l’éternité.»

Georges Vignaux

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La fin du genre humain

Une information essentielle publiée par l’Agence internationale de l’énergie(AIE) est passée inaperçue : le pic pétrolier s’est produit en 2006. Tandis quela demande mondiale continuera de progresser avec le développement despays émergents (Chine, Inde et Brésil), la production de pétrole va connaîtreun déclin inexorable. La crise économique dissimule cette réalité{117}.

Tout retour à la croissance deviendra impossible. La remontée des coûtsd’exploration-production fera naître des tensions très vives. L’exploitation ducharbon et des réserves fossiles non conventionnelles exigera desinvestissements lourds et progressifs qui ne permettront pas de desserrerl’étau des prix à un horizon temporel proche. Les prix de l’énergie ne peuventalors que s’affoler.

Le silence et l’ignorance d’une grande partie de la classe politique sur cesujet ne sont guère rassurants. Et cela, sans tenir compte du fait que nouscontinuerons à dissiper dans l’atmosphère le dioxyde de carbone stocképendant des millénaires... Chocs pétroliers à répétition jusqu’à l’effondrementet péril climatique : voilà ce que nous préparent les tenants des stratégies del’aveuglement. La catastrophe de Fukushima alourdira encore la donneénergétique.

Ce qui change radicalement, c’est que notre vulnérabilité est désormaisissue de l’incroyable étendue de notre puissance. Nos démocraties seretrouvent démunies face à deux aspects de ce que nous avons rendudisponible : l’atteinte aux mécanismes régulateurs de la biosphère et auxsubstrats biologiques de la condition humaine. Cette situation fait apparaître«le spectre menaçant de la tyrannie» évoqué par le philosophe allemand HansJonas. Parce que nos démocraties n’auront pas été capables de se prémunirde leurs propres excès, elles risquent de céder aux dérives totalitaristes.

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Prenons l’exemple de la controverse climatique. Comme le démontre lacomparaison entre les études de l’historienne des sciences Naomi Oreskes etcelles du politologue Jules Boykoff, les évolutions du système médiatiquejouent dans cette affaire un rôle majeur. Alors que la première ne répertoriaaucune contestation directe de l’origine anthropique du réchauffementclimatique dans les revues scientifiques peer reviewed («à comité delecture»), le second a constaté sur la période étudiée que 53 % des articlesgrand public de la presse américaine mettaient en doute les conclusionsscientifiques.

Ce décalage s’explique par le remplacement du souci d’une informationrigoureuse par une volonté de flatter le goût du spectacle. Les sujetsscientifiques complexes sont traités de façon simpliste (pour ou contre). Celaexplique les résultats de l’étude de l’Agence de l’environnement et de lamaîtrise de l’énergie (Ademe) pilotée par Daniel Boy sur les représentationssociales de l’effet de serre, qui démontrent un décrochage du pourcentage deFrançais attribuant le dérèglement climatique aux activités humaines (65 % en2010, contre 81 % en 2009). Ces dérives qui engendrent le scepticisme ausein de la population permettent aux dirigeants actuels, dont le manque deconnaissance scientifique est alarmant, de justifier leur inaction.

Enfermée dans le court terme des échéances électorales et dans le tempsmédiatique, la politique s’est peu à peu transformée en gestion des affairescourantes. Elle est devenue incapable de penser le temps long. Or la criseécologique renverse une perception du progrès où le temps joue en notrefaveur. Parce que nous créons les moyens de l’appauvrissement de la vie surterre et que nous nions la possibilité de la catastrophe, nous rendons celle-cicrédible.

Nous ne pouvons attendre et tergiverser sur la controverse climatiquejusqu’au point de basculement, le moment où la multiplication des désastres

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naturels dissipera ce qu’il reste de doute. Il sera alors trop tard. Lorsque lesocéans se seront réchauffés, nous n’aurons aucun moyen de les refroidir.

La démocratie sera la première victime de l’altération des conditionsuniverselles d’existence que nous sommes en train de programmer. Lescatastrophes écologiques qui se préparent à l’échelle mondiale dans uncontexte de croissance démographique, les inégalités dues à la rareté locale del’eau, la fin de l’énergie bon marché, la raréfaction de nombre de minéraux, ladégradation de la biodiversité, l’érosion et la dégradation des sols, lesévénements climatiques extrêmes produiront les pires inégalités entre ceux quiauront les moyens de s’en protéger, pour un temps, et ceux qui les subiront.Elles ébranleront les équilibres géopolitiques et seront sources de conflits.

L’ampleur des catastrophes sociales qu’elles risquent d’engendrer a, par lepassé, conduit à la disparition de sociétés entières. C’est une réalité historique.À cela s’ajoutera le fait que des nouvelles technologies de plus en plusfacilement accessibles fourniront des armes de destruction massive à laportée de toutes les bourses et des esprits les plus fous.

Pour s’être heurtées aux limites physiques, les sociétés seront livrées à laviolence des hommes. Le stade ultime sera l’autodestruction de l’existencehumaine, soit physiquement, soit par l’altération biologique. Le processus deconvergence des nouvelles technologies donnera à l’individu un pouvoirmonstrueux capable de faire naître des sous-espèces. C’est l’unité du genrehumain qui sera atteinte. Il ne s’agit guère de l’avenir, il s’agit du présent. Lecyborg n’est déjà plus une figure de style cinématographique, mais une réalitéde laboratoire, puisqu’il est devenu possible d’associer des cellules neuronaleshumaines à des dispositifs artificiels.

L’idéologie du progrès a été dévoyée. Les inégalités planétaires actuellesauraient fait rougir de honte les concepteurs du projet moderne, Bacon,Descartes ou Hegel. À l’époque des Lumières, il n’existait aucune région du

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monde, en dehors des peuples vernaculaires, où la richesse moyenne parhabitant aurait été le double d’une autre. Aujourd’hui, le ratio atteint 1 à 428(entre le Zimbabwe et le Qatar).

Les échecs répétés des conférences de l’ONU montrent bien que noussommes loin d’unir les nations contre la menace et de dépasser les intérêtsimmédiats et égoïstes des États. Les enjeux, tant pour la gouvernanceinternationale que pour l’avenir macroéconomique, sont de nous libérer duculte de la compétitivité, de la croissance qui nous ronge et de la civilisationde la pauvreté dans le gaspillage.

Nos démocraties doivent se restructurer, démocratiser la culturescientifique et maîtriser l’immédiateté qui contredit la prise en compte dutemps long. Nous pouvons encore transformer la menace en promessecrédible. Mais si nous n’agissons pas promptement, c’est à la barbarie quenous sommes certains de nous exposer.

D’après : Michel Rocard, ancien premier ministre, Dominique Bourg,professeur à la faculté des géosciences et de l’environnement de l’universitéde Lausanne, Floran Augagneur, philosophe, enseignant à l’Institut d’étudespolitiques de Paris.

Georges Vignaux

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Il y a peu de chances que…

Lorsque vous entendez un expert ou un spécialiste prononcer la phrase «Il ya peu de chances que…», vous devez avoir une seule certitude : le pire est entrain de se produire. Le cas de la centrale nucléaire de Fukushima{118} auJapon est particulièrement éclairant à ce sujet. On avait estimé à 10 % laprobabilité qu’une vague produite par un tremblement de terre dépasse les sixmètres. On a construit la centrale en fonction de cette limite. Il y avait doncpeu de chances que la vague qui a déferlé le 11 mars 2011 atteigne plus de 14mètres ! Elle a donc outrepassé, et largement «Il y a peu de chances que…»Il est tout à fait irresponsable de dire qu’«Il y a peu de chances que…» àpropos de ce que tout l’être humain a construit, élaboré ou mis en place.

«Il y a peu de chances que…» fait référence à une faible probabilité, doncnon mesurable. Plus elle est faible, moins elle est mesurable. De plus, le seulfait de s’en remettre à des modèles informatiques pour tenter de mesurer le«peu de chances que…», augmente d’autant la fréquence d’entendre dire «Ily a peu de chances que…» Ici, il faudrait peut-être appliquer ce que jenomme le principe de réalisme.

Principe de réalisme

Si votre survie dépend du calcul que les chances sont faibles que le piresurvienne, c’est que vous sous-estimez cette probabilité.

Tout homme recèle une possibilité d’Apocalypse, mais tout hommes’astreint à niveler ses propres abîmes. (Émile Cioran)

Pierre Fraser

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INDEX

AIG, 91, 96Apocalypse, 227, 228, 231, 237, 238, 239, 246Aristote, 37Bank of America, 89, 90, 96banques alimentaires, 170, 172, 173, 177Bauman, 125, 249Bear Stearns, 88, 89beauté, 11, 12, 13, 14, 17, 18, 19, 20, 25, 29, 30, 31, 33, 37, 52, 198Bush, 93, 171Canada, 84, 85, 172, 173, 175, 177, 178, 252catastrophe, 6, 8, 9, 78, 101, 141, 145, 147, 155, 161, 165, 173, 222, 223, 224, 228, 229, 230, 232, 237,

240, 242Chine, 77, 127, 128, 129, 131, 132, 240Citigroup, 90corps, 3, 11, 12, 13, 14, 18, 20, 21, 29, 30, 31, 33, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50,

51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 66, 67, 82, 110, 150, 205, 250délocalisations, 150, 159, 175, 176démocratie, 80, 81, 112, 118, 131, 132, 135, 136, 153, 154, 155, 169, 242dépression, 86, 139, 140, 150, 151, 152, 153, 154, 178disneylandisation, 184, 197, 199entreprise, 77, 78, 79, 84, 89, 104, 119, 142, 143, 144, 164, 176, 208, 216États-Unis, 2, 70, 91, 95, 96, 98, 102, 103, 106, 115, 127, 128, 129, 135, 136, 137, 175, 177, 178, 183,

185, 204, 205, 207, 237Europe, 21, 86, 106, 107, 127, 128, 129, 132, 133, 135, 178expert, 33, 40, 147, 148, 149, 245Facebook, 35, 72, 124, 192, 209, 222, 237Fed, 89, 90, 93filet social, 85, 120France, 17, 24, 70, 85, 103, 111, 113, 142, 143, 153, 173, 177, 201, 213, 230, 234Fukushima, 232, 233, 234, 235, 240, 245, 251Goldman Sachs, 88, 90, 91, 104, 109Inde, 104, 128, 176, 213, 214, 240Internet, 26, 33, 35, 66, 139, 148, 213, 222Kurzweil, 43, 45, 46, 47, 65, 66, 250Lehman Brothers, 88, 89, 90, 94, 96, 102, 106Merrill Lynch, 88, 89mondialisation, 18, 78, 79, 86, 122, 127, 155, 156, 157, 172, 175, 177, 178, 191, 195, 197, 201, 219, 228Montignac, 24, 26, 27, 251Morgan Stanley, 88, 91mort, 8, 20, 24, 26, 40, 41, 45, 50, 51, 60, 66, 92, 112, 142, 227, 228, 239néolibérale, 83, 164Obama, 115, 135, 170, 171, 195pauvreté, 112, 113, 114, 115, 116, 117, 119, 120, 121, 131, 163, 173, 244peur, 17, 20, 25, 28, 145, 155, 156, 157, 163, 183, 184, 185, 186, 187, 208, 210, 229, 230précarité, 121, 159santé, 21, 26, 27, 30, 32, 37, 39, 40, 42, 45, 49, 50, 51, 59, 69, 115, 144, 156, 205, 209, 221solidarité, 77, 78, 79Stiglitz, 133, 177Tocqueville, 80, 81, 83tourisme, 190, 197, 198, 199, 200, 201, 202, 203, 206, 207, 211travail, 14, 30, 70, 77, 82, 93, 114, 120, 121, 122, 124, 140, 142, 143, 144, 178, 196Turing, 54, 55, 252Twain, 31, 136, 137, 185, 221, 252Twitter, 33, 35, 72, 124, 209, 222, 237, 251Wall Street, 88, 91, 104, 124, 126, 132, 170, 171, 173, 251Wiener, 53, 54, 55, 250, 252

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XIXe siècle, 136, 138, 139, 140, 199, 221XVIIIe siècle, 21, 187XXe siècle, 140, 145, 187XXIe siècle, 3, 139, 140

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Turing, A.M. ([1950] 1983), Computing Machinery and Intelligence, Mind, LIX, 236, 433-460, trad. fr. parBlanchard, P., in Pensée et machine, dir. Anderson A. R., Seyssel, Champ Wallon, p. 3-23.

Twain, M. (1992), Collected Tales, Sketches, Speeches, & Essays, 1891-1910, New York :The Library ofAmerica, p.13.

Vignaux, G. (2009), Rester jeune devient un signe extérieur de richesse, interview par Elena Sender, Scienceset Avenir, juillet.

Vincent, D. (2008), Chronique d’un voyage en transhumanie, in « 2050, La revue de la fondation pourl'innovation politique », No. 7, avril, Paris : PUF.

Von Neumann, J. (1992), L’ordinateur et le cerveau, Paris : La Découverte.

Waters, L. (2008), L’éclipse du savoir, Paris : Éditions Allia.

Wiener, N. (1971), Cybernétique et société, Paris : 10-18.

Wilson, B., Steinman, C. (2000), HungerCount 2000. A Surplus of Hunger Canada's Annual Survey ofEmergency Food Programs, October, Association Canadienne des Banques Alimentaires ;http://www.icomm.ca/cafb/hc-2000.pdf.

Cf. http://www.greggbraden.net ou www.greggbraden.com

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TABLE DES MATIÈRES

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{1} Cyrulnik, B. (2010), Mourir de dire : la honte, Paris : Odile Jacob, 2010.{2} Fraser, P. (2011), Dindification — Développer son esprit critique dans un monde du prêt-à-penser,Montréal : Éditions Transcontinental.{3} Trésor de la Langue française.{4} Le Monde, 28 août 2010.{5} Paris, Baillière, 1920.{6} Stendhal ([1822] 1980), De l’amour, Paris : Gallimard.{7} Au point qu’une nommée «Malika Ménard», miss France 2010, déclarait (21.08.10) en couverture deTélé-Cable-Satellite, magazine de télévision : «En France, les miss sont 100% naturelles !» Presque unepublicité pour produits «bio» !{8} S.R. (2009), Chirurgie esthétique : arrêtez le massacre, Marianne, 18-24 juillet, p. 56-63.{9} Une nouvelle publicité apparue dans un magazine féminin s’intitule : « Tueurs de rides » ! Elle prometune crème miracle qui «combat» les rides et dont l’étui a même la forme d’un revolver tels les pistolets àmastic pour plomberie !{10} Vignaux, G. (2009), Rester jeune devient un signe extérieur de richesse, interview par Elena Sender,Sciences et Avenir, juillet, p. 65.{11} Le 22 août 2010, à l’âge de 66 ans.{12} Montignac, M. (1986), Comment maigrir en faisant des repas d’affaires, Alpen.{13} Ochman, B.L. (2009), Self-Proclaimed Social Media Gurus on Twitter Multiplying Like Rabbits, inWhat’s next blog ?, May, http://www.whatsnextblog.com/archives/2009/12/self-proclaimed_social_media_gurus_on_twitter_multiplying_like_rabbits.asp.{14} http://sciencescitoyennes.org/.{15} Cioran Émile, Précis de décomposition, Paris, Gallimard, 1949, p. 10.{16} Idem.{17} Vincent, D. (2008), Chronique d’un voyage en transhumanie, in « 2050, La revue de la fondation pourl'innovation politique », No. 7, avril, Paris : PUF.{18} Hughes, J. (2004), Citizen Cyborg : Why Democratic Societies must respond to the Redesigned Humanof the Future ?, Westview Press, Basic Books.{19} Kurzweil, R., Mesmin, A. (2007), Humanité 2.0 : la bible du changement, Paris: M21 Éditions.{20} Gibson, W. (2001), Neuromancien, Paris : J’ai Lu, 2001.{21} Beesing, M., Nogosek, R., O'Leary, T., Bagot, J.P. (2003), L'Ennéagramme : Un itinéraire de la vieintérieure, Paris : Desclée de Brouwer.{22} Damasio, A. (2010), L’erreur de Descartes : la raison des émotions, Paris : Le Livre de Poche.{23} Andrieu, B. (2008), Devenir hybride, Nancy : Presses universitaires de Nancy.{24} Guillaumaud, J. (1971), Norbert Wiener et la cybernétique, Paris : Seghers.{25} Wiener, N. (1971), Cybernétique et société, Paris : 10-18.{26} Von Neumann, J. (1992), L’ordinateur et le cerveau, Paris : La Découverte.{27} Turing, A.M. ([1950] 1983), Computing Machinery and Intelligence, Mind, LIX, 236, 433-460, trad. fr.par Blanchard, P., in Pensée et machine, dir. Anderson A. R., Seyssel, Champ Wallon, p. 3-23.{28} Minsky, M. (1988), La société de l’esprit, Paris : InterEditions.{29} Dreyfus, H. (1992), Intelligence artificielle. Mythes et limites, Paris : Flammarion.{30} Merleau-Ponty, M. (1945), Phénoménologie de la perception, Paris : Gallimard.{31} Le Breton, D. (1999), L’adieu au corps, Paris : Éditions Métaillié, p. 189.{32} Searle, J. (1985), L’intentionalité : essai de philosophie des états mentaux, Paris : Minuit.{33} Putnam, H. (1983), Pensée et machine, in Anderson, Seyssel : Champ Wallon.{34} Bouveresse, J. (1971), La parole malheureuse, Paris : Minuit.{35} Crevier, D. (1997), À la recherche de l’intelligence artificielle, Paris : Flammarion.

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{36} Hables, G. (1995), The Cyborg Handbok, New York: Routledge.{37} Haraway, D. (1999), Simians, cyborgs and women, New York: Routledge.{38} Ballard, J. G. (1984), Mythes d’un futur proche, Paris : Calmann-Levy.{39} Clarke, A. C. (1968), 2001 : Odyssée de l’espace, Paris : J’ai Lu.{40} Mazlich, B. (1993), The fourth discontinuity. The co-evolution of humans and machines , New Haven:Yale University Press.{41} Moravec, H. (1992), Une vie après la vie, Paris : Odile Jacob.{42} Ibid., p. 135.{43} Kurzweil, R. (2005), The Singularity Is Near : When Humans Transcend Biology, New York : PenguinBooks.{44} Cité par Yves Eudes, Le Monde, 6 septembre 2010.{45} http://www.vincentabry.com/aubrey-de-grey-bientot-la-vie-eternelle-73.{46} Baumaun Zygmunt, Liquid Times :Living in an Age of Uncertainty, Gius,Laterza et Figli, 2007.{47} De la démocratie en Amérique, 1840, rééd. Paris, Flammarion, 1981, II, 126.{48} Ibid., 385.{49} Simone, R. (2005), Il Paese del Pressapoco, Rome : Garzanti Libri.{50} Le Monde magazine, septembre 2010.{51} Le «Chapitre 11» de la loi américaine sur les faillites vise à permettre aux entreprises américaines derestructurer leurs coûts et de se réorganiser, en se tenant provisoirement à l’abri de leurs créanciers. Il lesautorise en outre à s’affranchir, le cas échéant, du cadre contraignant des conventions collectives signées avecles organisations syndicales. Cette procédure judiciaire de protection de l’entreprise à l’égard des créancierspeut être déclenchée à l’initiative de l’entreprise, sans qu’aucune condition soit posée, ou sur demande descréanciers.{52} Taleb, N.N. (2007), The Black Swan, New York : Random House, p. 225.{53} Neuf banques mises en faillites en une journée aux États unis, Reuters, 31 octobre 2009,http://fr.reuters.com/article/frEuroRpt/idFRLV6435420091031.{54} Je commence à me demander si je ne devrais pas retirer l’argent que j’ai en banque pour l’investir dansdes Bons du Trésor. Il me semble que laisser mon argent à la disposition des messieurs en veston cravatem’expose d’autant plus aux événements imprévisibles ayant un fort impact négatif.{55} Patterson, S., Blackmon, D.A. (2009), Buffett Bets Big on Railroad, Wall Street Journal, November 4.{56} Anne Michel, Le Monde, 15 septembre 2010.{57} Le Monde, ibid.{58} « Il y eut une époque où des fonctionnaires intègres, empreints du sens de l’État, constituaient unrempart. Leur credo était précisément que leur intérêt particulier devait s’effacer devant l’intérêt général dontils se considéraient les porte-paroles et les défenseurs. La pratique du lobbying a eu raison d’eux. C’estl’intérêt particulier qui trouve désormais accès aux instances supérieures […] il n’y a pas deux culturesfinancières, l’une faite d’incompétents chargés de présider à notre destin, l’autre faite de sages informant lepublic […], il n’y en a en réalité qu’une, faite d’hommes et de femmes compétents, mais partagés : d’un côtéceux qui veillent à la défense de leurs propres intérêts et qui ont accès aux manettes du pouvoir ; de l’autreceux qui dénoncent ce scandale et sont soigneusement maintenus à distance des centres de décision. » Jorion,P. (2011), Wikileaks dévoile aussi comment fut gérée la crise bancaire, Le Monde, 11 janvier.{59} Augé, M. (2010), La communauté illusoire, Paris : Payot. {60} La fin de l'histoire et le dernier homme, Paris, Flammarion, Poche, 2009.{61} Cité par Le Monde, 24 août 2010.{62} Ibid.{63} Bauman, Z. (2006), Vies perdues – La modernité et ses exclus, Paris : Payot, p. 26.{64} Dixit Gordon Gekko, personnage central du film «Wall Street — Money Never Sleeps».{65} Olivier Poupart-Lafarge, président de la société de conseil Opalic. Cité in : Adrien de Tricornot, LeMonde, 14 septembre 2010.

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{66} Le Monde, 14 septembre 2010.{67} In Le Monde, 14 septembre 2010.{68} Fraser, P. (2011), Dindification — Développer son esprit critique dans un monde du prêt-à-penser,Montréal : Éditions Transcontinental.{69} Frédéric, L. (2010), Il faut fermer la Bourse !, in « Emmanuel Lévy, Marianne » , 8 Mars.{70} Stiglitz, J. (2010), L'austérité mène au désastre, Le Monde, 22 mai 2010.{71} Carothers, T. (2004), Critical Mission : Essays on Democracy Promotion, Washington: CarnegieEndowment for International Peace.{72} Twain, M. (1992), Collected Tales, Sketches, Speeches, & Essays, 1891-1910, New York :The Libraryof America, p.13.{73} Idem.{74} Ehrenberg, A. (2010), La société du malaise, Paris : Odile Jacob.{75} Hayat Gazzane, Le Figaro, 15 septembre 2010.{76} Le lecteur pourrait peut-être croire que, vous et moi, cher collègue, sommes des experts autoproclamés.Quelle serait notre défense ? Elle est simple : nous sommes des épistémocrates, c’est-à-dire que nous doutonsde notre propre savoir et que nous le remettons constamment en question !{77} Richard, P. (1995), Le Temps des Citoyens, Paris : PUF, coll. Politique d’aujourd’hui.{78} Gabler, N. (2009), Le conservatisme, une nouvelle religion, in « Courrier international » , 17 décembre.{79} http://www.reopen911.info/News/2010/09/28/les-dix-strategies-de-manipulation-de-masse/.{80} Waters, L. (2008), L’éclipse du savoir, Paris : Éditions Allia, p. 32.{81} Sennett, R. (2006), La culture du nouveau capitalisme, Paris : Hachette, p. 41.{82} Marcuse, H. (1964), One-dimensionnal man : studies in the ideology of advanced industrial society,Boston : Beacon Press.{83} McLuhan, M., La Galaxie Gutenberg, Paris : Gallimard, coll. Idées.{84} Ellul, J., Propagandes, Paris : A. Colin.{85} Balle, F. (1992), Traité de sociologie, Paris : PUF.{86} http://www.businessinsider.com/anthony-scaramucci-pals-around-with-president-obama-2010-9.{87} « So, first question, when are we going to stop whacking at the Wall Street pinata ? »{88} « And there's probably a big chunk of the country that thinks I have been too soft on Wall Street —that's probably the majority, not the minority. »{89} http://cafb-acba.ca/french/What'sNew-FactsandStatistics.html.{90} Wilson, B., Steinman, C. (2000), HungerCount 2000. A Surplus of Hunger Canada's Annual Survey ofEmergency Food Programs, October, Association Canadienne des Banques Alimentaires ;http://www.icomm.ca/cafb/hc-2000.pdf.{91} Daily Bread Food Bank (2000), Seniors Losing Ground in Poverty Battle,http://www.dailybread.ca/research/pdf/seniors.pdf.{92} Statistique Canada (2001), Les personnes âgées au Canada,http://www.statcan.ca/francais/freepub/85F0033MIF/85F0033MIF01008.pdf.{93} http://www.lexpress.fr/actualite/societe/vous-sentez-vous-concerne-par-la-precarite_927738.htm.{94} Bilan faim 2010, http://www.foodbankscanada.ca/documents/Bilan-Faim2010_web.pdf{95} Huston, N. (2010), Métaphysique de la trouille, Le Monde, 31 octobre.{96} Staune, J. (2007), Notre existence a-t-elle un sens ? Une enquête scientifique et philosophique,Paris :Presses de la Renaissance.{97} Stapp, H.P. (2009), Mind, Matter and Quantum Mechanics, Berlin : Springer.{98} Ortoli, S., Pharabod, J.P. (2007), Le cantique des quantiques. Le monde existe-t-il ? Paris : LaDécouverte.{99} Trinh Xuan, T. (2000), Le chaos et l’harmonie : la fabrication du réel, Paris : Gallimard, coll. Folio.{100} Duve, C. de (2010) Génétique du péché originel : Le poids du passé sur l'avenir de la vie, Paris :

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Odile Jacob.{101} Paris, Gallimard, 1985.{102} Brunel, S. (2006), La planète disneylandisée. Chroniques d’un tour du monde, Paris : ÉditionsSciences Humaines.{103} Carroué, L., Collet, D., Ruiz, C. (2005), La Mondialisation. Genèse, acteurs et enjeux, Paris : Bréal.{104} D’après Alain Faujas, Le Monde, 25 octobre 2010.{105} Bugarach, le village de la fin des temps, Le Figaro, 18 février 2011.{106} http://minuit-1.blogspot.com/2011/01/livre-et-video-vers-labime-de-edgar.html.{107} Morin, E. (2007), Vers l’abîme ?, Paris : Édition de l’Herne, coll. Carnets.{108} Gregg Braden est l’auteur de nombreux best-sellers internationaux et est reconnu comme un pionnierdans la tentative de construire un pont entre science et spiritualité. Ses livres les plus connus sont : Le codede Dieu, La Divine Matrice, Secrets de l'art perdu de la prière, L'effet Isaïe, Marcher entre les mondes et LaGuérison Spontanée des Croyances.Cf. http://www.greggbraden.net ou www.greggbraden.com {110} Schmitt, F., Les scientifiques et les prophètes, http://www.larevuedesressources.org/article.php3 ?id_article=465.{111} Mithra, M. (2007), Les symboles de la vieille cosmogonie au service du pouvoir, in « Opinion, LeQuébécois libre » , 16 décembre, http://www.quebecoislibre.org/07/071216-3.htm.{112} Michel de Pracontal, Le Monde, 15 mars 2011.{113} Huet, S. (2011), Libération, 30 mars.{114} http ://www.blogdei.com/13395/aux-etats-unis-le-seisme-japonais-relance-le-dialogue-dans-les-spheres-religieuses/{115} En 609 av.J.C. le roi Josias du royaume du sud, royaume de Juda, est défait et tué sur la colline fortifiéede Megiddo (Har Megiddo) par le pharaon Nékao II... Cette défaite, alors que le Dieu des défenseurs deMégiddo était censé les protéger, est ressentie comme une catastrophe traumatisante, c'est en son souvenir quele terme Armageddon est ensuite employé pour qualifier une destruction catastrophique. Ce terme n'apparaîtqu'une fois dans la Bible dans le livre de l'Apocalypse (Ap XVI,16) et en parle comme d'un événement àvenir : «Ils les rassemblèrent dans le lieu appelé en hébreu Harmaguédon». {116} 20 minutes, 4 avril 2011.{117} Le Monde, le 4 avril 2011.{118} Reuters (2011), Tepco n'a pas tenu compte de mises en garde sur Fukushima, 29 mars ;http://bit.ly/gVBSvF.