Especes selection 2011 2015

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Prix FCE METRO : 7,50 € - BEL - LUX : 7,90 € - DOM/S : 7,90 € - CAL/S : 1200 CFP – POL/S : 1 250 CFP № 0 2011-2015 Japon : La salamandre géante Groenland : Le miracle de la cryoconite Languedoc-Roussillon : La pêche au thon Tribune : Primitif… toi-même ! Paléontologie : Le sexe chez les ptérosaures Bionique : Comment avoir un gecko au plafond ? L 15519 - 9 - F: 7,50 - RD Zoologie Botanique Géologie Entomologie Ornithologie Ichtyologie Océanographie Systématique Herpétolo Génétique Arachnologie Éthologie Mammalogie Systématique Zoologie Botanique Climatologie Minéralogie Ornitholog Géophysique Climatologie Paléontologie Épistémologie Malacologie Primatologie O Géophysique Climat Génétique Arachno Zoologie Botanique Géologie Entomolo Sélection d’articles 2011-2015 La revue qui vous explique la vie... et la Terre

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Présentation de la revue Espèces

Transcript of Especes selection 2011 2015

Prix FCE METRO : 7,50 € - BEL - LUX : 7,90 € - DOM/S : 7,90 € - CAL/S : 1200 CFP – POL/S : 1 250 CFP

№ 0 2011-2015

■ Japon : La salamandre géante■ Groenland : Le miracle de la cryoconite■ Languedoc-Roussillon : La pêche au thon■ Tribune : Primitif… toi-même !■ Paléontologie : Le sexe chez les ptérosaures■ Bionique : Comment avoir un gecko au plafond ?

L 15519 - 9 - F: 7,50 € - RD

Zoologie Botanique Géologie Entomologie Ornithologie Ichtyologie Océanographie Systématique Herpétologie Et

Génétique Arachnologie Éthologie Mammalogie Systématique

Zoologie Botanique

Climatologie Minéralogie Ornithologie Ichty

Géophysique Climatologie Paléontologie Épistémologie Malacologie Primatologie Océanogr

Géophysique Climatologie Palé

Génétique Arachnologie Éthol

Zoologie Botanique Géologie Entomologie Ornit

Sélection d’articles 2011-2015

La revue qui vous explique la vie... et la Terre

Ont participé à ce numéro :Laurent Arthur, Laurence Bachet, Niall Benvie, Clay Bolt, Eric Buffetaut, Bruno Corbara, Florine Corbara, Christine Dabonneville, Anne-Lise Ducluzeau, Pierre Escoubas, Pascale Giraudet, Hervé Glotin, Julien Grangier, Emmanuelle Grundmann, Gérard Guillot, Gérald Larcher, Chloé Laubu, Raphaël Laurenceau, Guillaume Lecointre, Michèle Lemaire, Nadia Loury, Franck Malige, Mazan, Julie Patris, Marcello Pettineo, Valery Rasplus, Jean-Sébastien Steyer.

Biologie Ours & Conseil scientifique Botanique Archéozoologie Géologie Océanographie

Remerciements :Pour leurs relectures et photographies : Santiago Aragon, Laurent Arthur, Stéphane Aulagnier, Isabelle Batisson, Gilles Boeuf, Jean-François Carrias, Marc Cheylan, Bruno Corbara, Kim Fulton-Bennett, Guillaume Lecointre, François Moutou, Marc-André Selosse, Fabienne Vancoillie.

Ainsi qu’au CNL et à l’Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie marine et continentale pour leur soutien.

Une revue publiée avec le soutien de :

Espèces est édité par Kyrnos Publications Association loi 1901 - SIRET : 449 685 569 00013 7, Le Vieux Chêne - 20 225 Avapessa

Directrice de publication Claudine Bonneau

Rédactrice en chef : Cécile Breton /[email protected] / Tél. : 06 14 72 25 94

Conseiller éditorial : Bruno Corbara

Collaborateurs réguliers : Eric Buffetaut, Christine Dabonneville, Julien Grangier, Emmanuelle Grundmann, Guillaume Lecointre, Valery Rasplus, Jean-Sébastien Steyer.

Secrétaire de rédaction/correcteur : Jean-Michel Jager / [email protected]

Graphiste (création/réalisation de la maquette et illustrations) : Arnaud Rafaelian / [email protected]

Conception, photogravure, prépresse : Les éditions du Grand Chien (Ville-di-Paraso) www.grand-chien.fr / 06 14 72 25 94

Abonnements et vente au numéro Espèces - Service clients - 12 350 Privezac Tél. : 05 65 81 54 86 / Fax : 05 65 81 55 07 / [email protected]

Site internet : www.especes.org

Trimestriel (4 numéros par an) n° 15 - Mars à mai 2015 Version numérique : ISSN en cours

Dépôt légal à parution / © Kyrnos publications

Commission paritaire : 1118 G 91119

Diffusion France : MLP Belgique : Tondeur diffusion Avenue Frans Van Kalken, 9, 1070 Bruxelles Tél. : 00 32 (0)2 555 02 21 / Fax : 00 32 (0)2 555 02 29 http://www.tondeur.be

Imprimé par Rotimpress Pol. Ind. Casa Nova - Carrere Pla de l’Estany 17 181 Aiguaviva (Girona, Espagne). Espèces est imprimé sur papier PEFC

Conseil scientifique :Marie-Françoise André, professeur de géographie physique et environnementale à Clermont Université (GEOLAB - CNRS). Robert Barbault †, professeur émérite au MNHN et à l’université Pierre et Marie Curie (UPMC).Gilles Boeuf, président du MNHN. François Bonhomme, directeur du département biologie intégrative de l’institut des sciences de l’évolution de Montpellier.Marc Cheylan, maître de conférences à l’EPHE.Yves Coppens, professeur honoraire aux MNHN et Collège de France, membre de l’Académie des sciences.Thomas Cucchi, chercheur CNRS au laboratoire archéozoologie et archéobotanique du MNHN.Élisabeth Dubois-Violette, directrice de recherche émérite au CNRS, laboratoire de physique des solides.Guillaume Lecointre, directeur du département systématique et évolution du MNHN.Emmanuel Le Roy Ladurie, professeur honoraire au Collège de France et membre de l’Institut.Frédéric Médail, professeur à l’université d’Aix-Marseille, au sein de l’institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie.Daniel Nahon, professeur émérite à l’université d’Aix-Marseille, fondateur du centre européen de recherche et d’enseignement en géosciences de l’environnement (CEREGE) et de l’europôle de l’Arbois.Michel Pastoureau, directeur d'études à l’EHESS et à l’EPHE, chaire d’histoire de la symbolique occidentalePascal Picq, maître de conférences en paléoanthropologie au Collège de France.Philippe Ponel, chargé de recherches au CNRS (IMBE - université d’Aix-Marseille)Jean-Yves Rasplus, directeur de recherches à l’INRA, centre de biologie pour la gestion des populations, Montpellier.

Marc-André Selosse, professeur au MNHN et président de la Société botanique de France.Philippe Taquet, ancien directeur et professeur émérite au MNHN, membre de l’Académie des sciences.Thierry Tatoni, directeur de l’IMBE.Stéphanie Thiébault, directrice de l’institut écologie et environnement du CNRS et directrice de recherche au CNRS UMR 7209 : archéozoologie, archéobotanique, sociétés, pratiques, environnement.

Parrainage :Patrick Poivre d’Arvor, journaliste et écrivain.André Santini, ancien ministre, député et maire d’Issy-les-Moulineaux.

ESPÈCES №1 - Septembre 2011

3En couverture

Nous avons été bien obligés de l’admettre, nous ne comprenons rien au désordre du monde, au réchauffement climatique, à la génétique, à la

biodiversité, comme aux coléoptères… Ne voyez pas dans ce “nous” une généralité malvenue : je pense ce petit groupe à l’origine d’Espèces : journalistes, graphiste, bénévoles… Bien sûr, peut-être n’avons-nous pas le temps de nous y intéresser, peut-être est-ce par lassitude ou par saturation devant la masse d’informations dont il semble impossible, à notre échelle, de démêler l’écheveau. Peut-être vaut-il mieux laisser cela à ces originaux qui rampent derrière les coléoptères ?

Mais si, parfois, notre désir d’ordre nous égare (G. Lecointre, p. 68), nous pouvons nous fier à notre désir de comprendre. Ce besoin a mené certains au bûcher, mais les temps ont changé et la curiosité est désormais non seulement un droit mais aussi – et cela n’engage que moi – un devoir. Jusqu’ici, l’écart se creusait entre nous et le monde des “sciences et techniques”, fruit de la nécessaire spécialisation, n’était pas si préjudiciable. Après tout, est-ce essentiel de savoir comment marche notre photocopieuse ? Ce n’est pas important… tant qu’elle marche.

Or, aujourd’hui, je ne vous l’apprends pas : “Ça” ne marche plus !

On pourrait facilement se passer de notre photocopieuse – par ailleurs menacée par des technologies plus performantes –, mais pouvons-nous nous passer de notre environnement ? Certains disent que oui, il suffirait d’en trouver un autre, une autre planète ! Après tout, l’humanité en a vu d’autres et n’a jamais raté une occasion de scier sa branche… Malheureusement, ces termes de biodiversité ou d’environnement recouvrent des concepts bien plus larges qu’ils en ont l’air (R. Barbault, p. 13)… et qui nous englobent,

nous, primates supérieurs si fiers de nos photocopieuses. Alors saurons-nous nous priver de nous-mêmes, partir à la benne avec tout le fourbi : veaux, vaches, cloportes, bactéries et mollusques ? Voilà qui pourrait heurter notre sentiment de supériorité. Voyons-y pourtant une grande chance, une occasion de descendre définitivement de notre piédestal, en espérant ne pas rater la marche.

Certains sont descendus avant d’autres, malgré les idées encore tenaces sur le sujet, nous nous sommes donc adressés à eux : les scientifiques, les amateurs éclairés (ceux de la traque aux coléoptères) et tous ceux qu’anime la curiosité pour le monde qui nous entoure. Démarche simple et presque naïve pour notre petite association, mais seul moyen de comprendre pourquoi le monde scientifique s’agite. Retourner aux sources est ce que l’on apprend, en sciences comme en journalisme. Nous cherchons donc simplement à être un véritable “média” entre “eux” et “nous” (p. 74).

Pour être tout à fait honnêtes, une autre motivation nous anime. Nous aimons nous amuser, même lorsque cela demande un petit effort. La notion de plaisir (p. 73) est bien loin de l’image que nous nous faisons de la recherche : blouse blanche + rigueur + austérité + travail riment difficilement avec joie de vivre. Encore une idée reçue à laquelle nous mènerons la vie dure.Une chose est sûre : apprendre doit être un jeu, le sérieux n’implique pas que l’on se prenne au sérieux – au contraire, même, serais-je tentée de dire. Alors je souhaite que nous vous amuserons autant que nous nous sommes amusés en créant cette revue avec rigueur, sérieux et travail. À vous de juger.

ModeCriquet de l’espèce Salomona

redtenbacheri (famille des Tettigoniidés) qui, dans la vallée de Penaoru sur l’île d’Espiritu Santo au Vanuatu,

se rencontre parfois dans les loges préformées de la plante à fourmis

épiphyte Hydnophytum longistylum (Rubiacées). Voir l’article

“En quête d’espèces”, p. 66 (cliché Emmanuel Boitier).

“Je voudrais pas creverAvant d’avoir connuLes chiens noirs du MexiqueQui dorment sans rêver

Les singes à cul nuDévoreurs de tropiquesLes araignées d’argentAu nid truffé de bulles…”

Géologie Microbiologie Palynologie Ichtyologie - Éditorial Archéozoologie Phylogénétique Ich

Boris Vian

d’emploi

Par Cécile Breton,Rédactrice en chef

Une étude de quatre chercheurs suédois de l’université de Umeå,

publiée en février dans Science, remet sur la sellette le problème des résidus pharmaceutiques qui échappent aux traitements de nos eaux usées et fi-nissent par altérer les comportements de nombreuses espèces d’eau douce.Ils ont mesuré les concentrations de médicament dans un petit cours d’eau

serpentant dans une région densé-ment peuplée et ont trouvé dans le corps des perches (Perca fluviatilis) des concentrations d’oxazépam, une ben-zodiazépine qui entre dans la compo-sition des anxiolytiques les plus pres-crits. La concentration du produit détectée dans les animaux est six fois supérieure à celle trouvée dans l’eau. Testées en laboratoire, les perches soumises à différentes doses du pro-duit montrent très vite des modifi-cations comportementales. Certains effets sont équivalents à ceux subits par l’homme - leur appétit est décu-plé - d’autres semblent contraires : elles sont plus agressives, explorent beaucoup plus facilement des terri-toires inconnus. « Le médicament, en

réduisant l’anxiété, permet sans doute aux poissons de devenir plus actifs » analyse M. Jonsson, l’auteur des tests.Il y a déjà de très nombreuses années que les chercheurs savent que ces antibiotiques, anti-inflammatoires, contraceptifs ou antidépresseurs qui polluent les cours d’eau et les lacs ne sont pas sans conséquences. En 2003, Val Smith, de l’université du

Kansas, mettait en évidence les effets délétères de ces produits (et même de composants du savon et du den-tifrice) sur plusieurs espèces d’algues dans 139 rivières des États-Unis. En 2012, Rebecca Klaper (School of Freshwater sciences) a exposé les effets de la fluoxetine (un compo-sant du Prozac) sur le comportement sexuel d’un poisson d’eau douce, le méné tête-de-boule (Pimephales pro-melas). En temps normal les mâles de cette espèce construisent un nid et attendent que les femelles viennent y déposer leurs œufs. Plus on aug-mente les doses de fluoxetine, plus ils se désintéressent des femelles, ne se consacrant de façon “obsessionnelle” qu’à la construction du nid, quittes

à attaquer celles qui s’en approchent. Certains médicaments très courants, comme l’Ibuprofène auraient aus-si des effets sur les comportements sexuels du poisson zèbre (Danio rerio).L’étude suédoise prouve une fois en-core que si ces produits ne tuent pas, ils risquent de modifier profondément l’écologie des rivières en touchant de nombreuses espèces, directement ou via les chaînes trophiques. M. Jonsson souligne qu’il est cependant difficile d’extrapoler les observations en labo-ratoire sur les chaînes trophiques dans la nature (plus gourmands et plus té-méraires, les poissons s’exposent aussi plus aux prédateurs).Des études menées sur les fleuves français ont montré que la pollution modifiait le sex-ratio de certains de leurs occupants. L’eau potable est cependant sous haute surveillante et, depuis 2011, la France a instauré un “plan national sur les résidus de médi-caments dans l’eau”.Selon Hélène Budzinski, chercheuse à l’institut des sciences moléculaires de Bordeaux, une modernisation des stations d’épuration s’avère néces-saire mais « le mieux, ajoute-elle, serait de prendre problème à la source ». Les Français sont, en effet, les plus grands consommateurs de médicaments d’Europe… ce qui a bien d’autres graves conséquences. [C. B.] ❁

Le poisson zèbre (Danio rerio) est une espèce qu’affectionnent les

scientifiques comme les aquariophiles (cliché Wikipedia Commons).

Perche commune (Perca fluviatilis), par Krüger, dans Ichtyologie ou histoire naturelle générale et particulière des Poissons 1795-1797 (Wikipedia Commons).

> Brodin T., Fick J, Jonsson M., Klaminder J., 2013 - “Dilute Concentrations of a Psychiatric Drug Alter Behavior of Fish from Natural Populations”, Science, 15 février 2013, Vol. 339 n° 6121 p. 814-815 (DOI : 10.1126/science.1226850).

Des poissons sous anxiolytiques

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ESPÈCES №7 - Mars 2013

Entomologie Climatologie Ornithologie Mammalogie Actualités Herpétologie Malacologie

C et hiver, des membres de l’Of-fice national de la Chasse et

de la faune sauvage et du CROC (Carnivores recherche observation communication) ont, deux mois durant, prospecté 450 km2 de forêt des Hautes Vosges à la recherche du lynx boréal (Lynx lynx). Rien, pas de trace de l’animal malgré les trente pièges photographiques mis en place. Aujourd’hui, l’association Ferus et le Groupe d’étude des mammifères de Lorraine lancent l’alerte. En effet, la réintroduction du lynx initiée en 1983 par l’importation de 21 adultes venus des Carpates avait été couronnée de succès malgré une forte mortalité dans les premiers temps. Finalement, les quatre femelles et six mâles restant ont donné naissance à plusieurs por-tées et, entre 1992 et 2003 ce ne sont pas moins de 58 jeunes qui ont pu être

observés. Pour expliquer ce phéno-mène, les deux associations écartent les rares collisions routières ou l’af-faiblissement génétique qui n’a pu si rapidement éradiquer une telle popu-lation. Seule piste restante : le bracon-nage. En effet, en Alsace-Lorraine, les pratiques de chasse (à l’aube ou au crépuscule, à l’affût ou au mirador) sont particulièrement propices au tir illicite. Selon eux « Le lynx boréal est en passe de disparaître du seul mas-sif où il a été réintroduit dans le silence le plus total et l’indifférence quasi géné-rale » et il devient urgent de mettre en place un plan de restauration natio-nal, d’accentuer la sensibilisation, les efforts contre le braconnage et enfin de soutenir les réintroductions pré-vues dans le Palatinat allemand (qui communique avec les Vosges) afin de renforcer la population. [C. B.] ❁

Où sont passés les lynx des Vosges ?

Cliché M. Bricard/Parc Animalier de Sainte-Croix.

La patate douce piste les hommesD ans les régions tropicales, la

patate douce (Ipomoea batatas) est l’aliment de base par excellence. Et ce n’est pas un hasard, car sa teneur en protéines devance de beaucoup d’autres produits et son rendement en termes de matière sèche énergé-tique à l’hectare est bien supérieur à celle du blé ou du riz. Ceci explique son très ancien succès : on ne connaît d’ailleurs pas la plante sauvage dont elle est issue. On supposait celle culti-vée en Polynésie (bien avant l’arrivée des premiers Européens) originaire d’Amérique du Sud, encore fallait-il le prouver. Difficile de la “tracer” car des réintroductions portugaises du xvie siècle ont brouillé les pistes génétiques. C’est pourtant chose faite grâce à une équipe du CNRS/

CIRAD et Caroline Roullier qui ont analysé la diversité génétique des variétés d’Amérique tropicale et l’ont comparée aux signatures génétiques des formes polynésiennes (et notam-ment celles conservées dans les her-biers du xviiie siècle). La filiation a été démontrée, ce légume a donc sans doute été importé par bateau avant 1000 apr. J.-C. en Polynésie où elle a d’ailleurs conservé le même nom qu’au Pérou et en Équateur : kumara.En parallèle, une équipe américaine vient de démontrer que l’augmenta-tion de la concentration de CO

2 dans

l’atmosphère avait des effets specta-culaires sur la taille du légume ! La patate douce retrace l’histoire des hommes de bien diverses manières. [C. B.] ❁

> Roullier C., Benoit L., McKey D. B. & Lebot V., 2013 - “Historical collections reveal Q : 1 patterns of diffusion of sweet potato in Oceania obscured by modern plant movements and recombination” PNAS du 23 janvier 2013.

ESPÈCES №7 - Mars 2013

Biologie Actualités Ophiologie Botanique Ichtyologie Systématique Zoologie Volcanologie

Variole congeléeL’objectif initial des missions

initiées par É. Crubézy et B. Ludes de l’UMR5288 du CNRS (Anthropologie moléculaire et imagerie de synthèse : université Toulouse III-Paul Sabatier, l’univer-sité de Strasbourg et CNRS), en col-laboration avec le recteur de l’univer-sité de Iakoutsk était d’étudier le peu-plement de la Iakoutie (Sibérie orien-tale) en comparant les populations du passé et du présent avec les mêmes marqueurs génétiques. De 2004 à 2009, ce ne sont pas moins d’une cen-taine de corps gelés, datés entre le xve et le xviiie siècle qui ont été autop-siés sur place. Le rôle des maladies infectieuses – dont la turberculose qui fut apportée par les Européens au xviie siècle –, faisait partie intégrante de cette étude croisant données his-toriques, ethnographiques, archéolo-giques et biologiques. En 2004, cinq sujets datés du xviiie siècle, issus de l’aristocratie et enterrés simultané-ment, sont mis au jour. Les premières analyses ADN confirment leur lien de parenté. Du sang est détecté dans les poumons de l’un des corps. Si les causes peuvent être multiples, la

variole (ou petite vérole) fait partie de la liste. Malgré la faible probabi-lité de retrouver la cause de ces décès, plusieurs laboratoires, dont celui de l’université de Copenhague, se sont associés pour reconstituer l’ADN dégradé d’un virus qui se révéla être une souche inconnue de la variole. La souche la plus ancienne connue jusqu’ici datait des années cinquante. Cette découverte expliquerait non

seulement la disparition d’une par-tie de la population iakoute à cette époque, mais, plus largement, ouvre des pistes de recherche sur l’évolution des virus. Rappelons que la variole, officiellement éradiquée en 1979, a provoqué sur les deux derniers siècles plusieurs centaines de millions de morts et qu’aucun traitement n’a jamais pu être mis au point. [C. B.] ❁

À l’initiative de l’association Stop violence France, ce colloque,

ouvert à tous, se propose d’explorer les liens existant entre les maltrai-tances faites aux animaux et celles diri-gées vers les enfants. De nombreuses études scientifiques convergent aujourd’hui pour attester que l’usage de violence envers les bêtes abou-tit à sa banalisation et augmente les probabilités de son exercice envers

nos semblables. Autour du profes-seur Hubert Montagner se réuniront des conférenciers multidisciplinaires internationaux : juristes, magistrats, psychiatres, médecins, vétérinaires, comportementalistes, criminologues, associatifs, responsables politiques, etc. L’objectif étant de motiver la création d’un pôle centralisateur de tous les signalements de maltraitance dans les cours d’appel en France. [C. B.] ❁

L’animal au secours de l’enfant

L’animal, sentinelle de la violence faite aux enfants15 mars 2013, 14-21 heuresCentre de congrès d’Aix-en-Provence, 14 boulevard Carnot, 13 100 Aix-en-Provence,entrée gratuite / Tél. 04 42 17 41 74

> Biagini P. et alii, 2012 - Variola virus in a 300-year-old Siberian mummy. New England Journal of Medecine, novembre 2012, 22 ; 367(21) (doi : 10.1056/NEJMc1208124)

Cliché AMIS.

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ESPÈCES №7 - Mars 2013

Entomologie Climatologie Ornithologie Mammalogie Actualités Herpétologie Malacologie

ESPÈCES №4 - Juin 2012

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Climatologie Entomologie Écologie Physiologie - BD Épistémologie Systématique ArchéozooBiologie Brèves Mammalogie Botanique Ichtyologie Systématique Malacologie ExobiologieBiologie Actualités Mammalogie Botanique Ichtyologie Systématique Zoologie Ophiologie

ESPÈCES №4 - Juin 2012

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Vous avez fait la première partie de vos études à l’institut national agronomique de Paris, dans les années soixante-dix, et y enseignez aujourd’hui. Les cours qu’on y donne doivent avoir bien changé…

Oui, parce qu’on était à la fin des Trente glorieuses et que l’on nous enseignait une agronomie conqué-rante, l’objectif était d’améliorer la

Si l’on devait faire une classification des chercheurs, on aurait bien du mal à trouver une case pour Pierre-Henri Gouyon. C’est dans le monde vivant qu’il a trouvé une expression de sa passion pour les maths, c’est par la philosophie qu’il a acquis un regard extérieur – et parfois provocateur – sur sa discipline. Ce botaniste, généticien des populations, n’aime pas les barrières, celles qui cloisonnent les esprits comme celles qui fractionnent le vivant… et sait le faire comprendre. Petit cours de génétique, illustré par l’exemple de la tarte aux pommes et de l’ampoule à incandescence.

Pierre-Henri

Dossier

Botanique

productivité des espèces cultivées. Et pourtant, certains professeurs parlaient déjà de développement durable, de ré-chauffement climatique et de biodi-versité, comme René Dumont qui tra-vaillait sur l’Afrique et les pays du Sud et fut le premier candidat écologiste, aux élections de 1974.En fait, je n’ai jamais fait de recherche en agronomie, je suis rentré directe-ment au CNRS à Montpellier, dans

Propos et clichés recueillis

par Cécile Breton

ESPÈCES №4 - Juin 2012

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un laboratoire d’écologie fondamen-tale juste après la fin de ce premier cursus – on ne pourrait plus faire cela aujourd’hui ! Je me suis dirigé vers la génétique des populations car ma pas-sion était l’évolution. Par rapport à la génétique “pure et dure” qui étudie seulement quelques croisements, la génétique appliquée à l’échelle d’une ou plusieurs populations permet de prédire des phénomènes évolutifs et donc d’aborder l’évolution en général. Mes premiers travaux ont concerné la diversité génétique du thym dans la Drôme et j’ai eu ensuite très vite un poste d’enseignant à l’Agro, toujours dans le domaine de la génétique.

On voit souvent dans les gènes l’expression d’un déterminisme contre lequel on ne peut lutter. De quelle manière les gènes décident de ce que nous sommes ?

Un gène ne décide rien et ne pro-duit rien, ce n’est qu’une informa-tion. Cette information est portée par l’ADN, un support amorphe, stable, comme les pages d’un livre portent un texte. Elle est donc indépendante de son support puisqu’elle peut se reproduire sur d’autres, comme on peut recopier un texte sur un CD ou dans un cerveau en se le remé-morant. Le codage peut changer,

ou la science buissonnièreGouyon

Géologie Microbiologie Palynologie Ichtyologie - Pierre-Henri Gouyon Zoologie Systématiq

ESPÈCES №4 - Juin 2012

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mais l’information reste la même. L’information c’est un “drôle de truc” ; il est parfois difficile de la sépa-rer conceptuellement de son support, mais si je vous demande « Comment est le dernier livre que vous ayez lu ? », vous ne me répondrez pas « Il pèse 300 g », vous me parlerez de son contenu. Le gène ne produit donc rien, comme une recette de cuisine ne fabrique pas une tarte aux pommes ! Cette information est ensuite interprétée par ce que l’on peut appeler le “système de lecture” formé par l’ensemble des cellules qui constituent l’organisme : c’est l’in-formation épigénétique. L’épigénèse, c’est le pâtissier de l’exemple de la tarte aux pommes, celui qui lit l’in-formation et va agir pour produire. On sait depuis longtemps que les gènes vont aussi s’exprimer diffé-remment en fonction de l’environ-nement. Et l’on s’est rendu compte que, dans certains cas, l’environnement est capable de modifier le système de lecture lui-même. Génétique, épigé-nèse et environnement déterminent donc ce que va être et devenir l’orga-nisme. Aujourd’hui l’épigénèse est un sujet de recherche très actif, mais on n’avait pas conscience de tout cela aux prémices de la génétique… ce qui a donné lieu aux dérives de l’eugénisme aux États-Unis : on stérilisait les gens parce qu’ils étaient porteurs du gène de la débilité, de la criminalité, voire de la “naissance hors mariage”. C’est aussi pourquoi les généticiens ont été éliminés par le régime stalinien : la génétique allait à l’encontre de la tabula rasa d’Engels, la théorie selon laquelle tous les hommes naissent par-faitement égaux. Cette mauvaise inter-prétation de la génétique, qui consiste à penser qu’un délinquant donnera naissance à d’autres, conduit à une attitude d’extrême droite. C’est pour-quoi j’aime dire que les gènes sont “de droite” alors que l’environnement est une préoccupation “de gauche” ! Le fait que les gènes n’agissent pas mais “sont agis” par un système de lecture dans un environnement donné est un point essentiel.

« Les gènes sont de droite, alors que

l’environnement est de gauche ! »

Biologie Dossier - Rencontre Anatomie Génétique Minéralogie Climatologie Bactériologie

ESPÈCES №4 - Juin 2012

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Impossible de dissocier génétique et idéologie ?

Aujourd’hui, certains voient dans l’épigénèse une alternative à la géné-tique : ce serait elle qui “décide” et non les gènes, elle séduit donc les gens de gauche. J’ai une sensibilité de gauche, mais l’objet de ma recherche m’oblige à dire que Engels avait tort… En réa-lité, pour moi cela ne change rien : ce n’est pas parce qu’on accepte l’idée que les gènes agissent sur les com-portements humains que l’on ne doit pas tenter de réformer la société pour l’améliorer.

Ce qui m’a attiré vers la génétique c’est que l’on touche forcément à des questions fondamentales, pour ne pas dire philosophiques, liées à l’évolution : d’où l’on vient et pourquoi l’on est fait comme cela ? Mais c’est évidemment un terrain particulièrement favorable à l’expression d’idéologies.

Peut-on savoir dans quelles proportions l’environnement, sur lequel on peut agir, peut “contrer” l’information génétique ?

L’étude des populations permet de comprendre dans quelles proportions un environnement donné produit des variations chez les individus d’une même population. Mais chercher à savoir quelle est la part de l’environ-nement et des informations génétiques dans la constitution d’un individu est aussi absurde que de poser la question « Dans quelles proportions la lumière est-elle produite par l’électricité ou par l’am-poule ? », les deux sont indispensables. On ne peut que déterminer si, pour les ampoules (une population) d’une maison (un environnement donné), celles qui ne fonctionnent pas ont soit un filament brisé, soit un défaut d’ali-mentation. Dans ce cas, vous pour-rez dire que dans cette maison, à ce moment-là, l’absence de lumière est due à 80 % à l’électricité et à 20 % aux ampoules. C’est pareil pour une popu-lation, si je trouve une variation et

que je change l’environnement, j’ob-tiens d’autres variations. On a montré dans les années quatre-vingt que, chez les enfants scolarisés, les variations de QI étaient pour moitié dues au gène de leurs parents et pour moitié à leur éducation : le QI d’un enfant adopté est une moyenne entre celui de ses parents biologiques et adoptifs, c’est un truc qui a traumatisé tout le monde !

Parmi les idées traumatisantes, vous dites que « Les individus sont des artifices inventés par les gènes pour se reproduire. » Pour notre espèce – qui a déjà bien du mal à s’accepter au sein du règne animal –, c’est peut-être encore plus difficile à accepter qu’une certaine forme de déterminisme ?

Lorsque je disais cela à mes étudiants dans les années quatre-vingt et qu’ils en parlaient autour d’eux, ils se fai-saient traiter de nazis ! Les gènes n’ont évidemment pas de volonté propre, mais lorsqu’on dit en français que les individus “se reproduisent” c’est faux,

ils ne reproduisent que leurs gènes. L’histoire de l’évolution est celle d’une information qui est sélectionnée pour induire (et pas pour fabriquer) des organismes de plus en plus efficaces pour la reproduire.Je suis venu à l’évolution par la bota-nique. Mes premiers travaux menés avec Denis Couvet (aujourd’hui directeur de l’unité d’ornithologie au Muséum) portaient sur des popula-tions de thym. Chez cette espèce, il y a des hermaphrodites, qui produisent pollen et graines, et des femelles qui ne produisent que des graines. Les gènes de l’hermaphrodite ayant beau-coup plus d’occasions de se reproduire, comment expliquer qu’il existe encore des femelles ? Simplement parce qu’il existe des gènes dits mitochondriaux qui ne se transmettent que par les femelles et, comme les femelles pro-duisent plus de graines, il y a une lutte permanente pour la transmission du gène, qui produit un constant déséqui-libre mais maintient pourtant les deux types sexuels. Ceci m’a montré que la sélection favorise les gènes, pas les individus, hermaphrodites ou femelles.

La botanique est-elle une porte d’entrée privilégiée pour l’étude génétique des populations ?

Les plantes sont riches d’enseigne-ments, car elles remettent en cause beaucoup d’idées reçues sur le vivant,

« Les individus sont des artifices inventés par les gènes pour se reproduire »

Géologie Microbiologie Palynologie Ichtyologie - Pierre-Henri Gouyon Zoologie Systématiq

ESPÈCES №4 - Juin 2012

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des modèles construits sur le nôtre et que l’on pense universels : le couple mâle/femelle et même la notion d’in-dividu. On est contraint de distinguer, en botanique, les individus écologiques (unité de structure : en anglais ramet) et les individus génétiques (qui sont issus d’une même graine : genet) et les deux ne correspondent pas. Mais c’est peut-être la notion d’espèce qui, chez les plantes, est plus floue qu’ailleurs : on accepte que deux espèces puissent se reproduire, du moment qu’elles ne le font pas trop !

Ce qui m’amène à vous poser la question traditionnelle sur le titre de notre revue : qu’est-ce que la notion d’espèce représente pour vous ?

Dans l’esprit de beaucoup, l’espèce est toujours le modèle “idéal” défini par Linné : on entend dire qu’une espèce “mute” comme si elle dérivait de ce modèle créé par Dieu. L’espèce fait partie d’un outillage méthodolo-gique que les systématiciens ont affiné en créant de sous-catégories : sous-espèces, variétés, etc. parce qu’ils savent qu’ils décrivent un système dynamique complexe, des branches qui se séparent peu à peu… Darwin l’avait déjà fait remarquer. Il faut donc garder à l’es-prit que nous décrivons un proces-sus ouvert par des concepts fermés et sortir de notre esprit cette idée que la biodiversité n’est que la diversité des espèces ! Ce n’est pas une collection qu’il faut conserver, c’est un processus qu’il est impossible de fixer, car sa sta-bilité est celle de la bicyclette : si on l’arrête, elle tombe ! Pour que la diver-sité se maintienne, il faut un cocktail entre du local, qui permet la différen-ciation, et de l’échange, qui réappro-visionne en diversité. C’est pourquoi je crois beaucoup à la Trame verte et bleue qui vise à décloisonner le ter-ritoire en aménageant des espaces de circulation entre des réservoirs de bio-diversité. Mais je peine à faire passer l’idée qu’on devrait inclure lourde-ment les ressources génétiques dans ce que l’on appelle la biodiversité.

Seule figure de l’Origine des espèces de Charles Darwin, ce diagramme se lit de bas en haut et décrit l’évolution comme un processus dynamique où les variétés, les espèces et les genres se différencient très progressivement.

La collection de botanique du Muséum national d’histoire naturelle contient plusieurs millions de spécimens. Elle est actuellement en cours de rénovation, un travail titanesque qui consiste à reconditionner et reclasser les herbiers en tenant compte des récentes avancées phylogénétiques.

Biologie Dossier - Rencontre Anatomie Génétique Minéralogie Climatologie Bactériologie

ESPÈCES №4 - Juin 2012

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L’autre conséquence de cette vision essentialiste et romantique, c’est qu’on ne parle de biodiversité que pour les espèces sauvages !

L’agriculture n’a-t-elle pas créé de la diversité ?

Et une grande diversité ! Les plantes cultivées sont particulièrement inté-ressantes, non seulement parce qu’elles constituent une large part du vivant sur la planète, mais aussi parce que nous savons pratiquement tout d’elles ! Le blé ou le riz par exemple sont cultivés depuis très longtemps, sur d’immenses surfaces dans des environ-nements très différents ce qui a favo-risé la différenciation de nombreuses populations. L’homme a été capable de maintenir cet équilibre entre local et échange, depuis le Néolithique jusqu’au xixe siècle. Mais nous détrui-sons tout cela aujourd’hui, l’agricul-ture moderne augmente la production en baissant la diversité : on ne conserve que les variétés les plus productives.Le plus grave est que cette dynamique est encouragée par l’État alors que nous sommes parfaitement conscients qu’elle mène à l’appauvrissement génétique et va à l’encontre de la bio-diversité et de l’intérêt commun… ne profitant qu’aux grands semenciers. Des lois archaïques sont maintenues et de nouvelles sont votées comme celle qui, récemment adoptée en France, contraint les agriculteurs à payer un “tribut” aux semenciers lorsqu’ils replantent leurs propres semences. Ils doivent ainsi contribuer au “progrès” de l’agriculture… car les agriculteurs qui souhaitent maintenir la diversité sont considérés comme de dangereux passéistes qui veulent nous éclairer à la bougie ! C’est du vol institutionnalisé ! L’État s’est déchargé d’une question qui nous concerne tous en la livrant aux intérêts des sociétés privées… ce sont les semenciers qui représen-tent la France à Bruxelles lors des

Pierre-Henri Gouyon en cinq dates

1953 : naissance le 25 décembre dans le 3e arrondissement de Paris

1978-1985 : soutient une thèse de docteur ingénieur à l’institut national agronomique Paris-Grignon, puis une thèse de doctorat d’État ès sciences à l’université des sciences de Montpellier et enfin un DEA en philosophie à l’université des lettres de Montpellier. Il est ensuite nommé responsable de l’unité de biologie des populations et des peuplements au CNRS à Montpellier.

1997 : publie Les avatars du Gène : la théorie néodarwinienne de l’évolution avec J. Arnould, chez Belin.

2005 : est recruté comme professeur en “systématique et évolution” au Muséum national d’histoire naturelle de Paris et enseigne désormais dans plusieurs universités ainsi qu’à Sciences-Po et à l’École normale supérieure.

Aujourd’hui chercheur dans l’équipe Origine, structure et évolution de la biodiversité du MNHN, membre de plusieurs conseils scientifiques (université Pierre et Marie Curie, Ville de Paris, fondation Nicolas Hulot…) il donne aussi de nombreuses conférences grand public (www.treizeminutes.fr).

négociations sur les semences. Nous réclamons depuis des années la pré-sence des scientifiques dans ces com-missions, mais cela nous a toujours été refusé.

Les chercheurs ont donc une responsabilité dans les questions éthiques et politiques qui découlent de leurs recherches ?

Je pense que si la science doit faire le maximum pour présenter des résultats objectifs, elle doit aussi s’impliquer sur leurs conséquences. La question des OGM est sur ce point très emblé-matique : le fait de développer des OGM est déjà une décision. En géné-ral lorsqu’on demande publiquement leur avis aux chercheurs (est-ce bien ou mal ?), ils le donnent. Pourtant, ils ne peuvent pas répondre à toutes les questions. La botanique n’est pas une science prédictive, personne ne peut dire aujourd’hui si les OGM sont bons ou mauvais pour la santé. En revanche, nous savons que développer des OGM avec des gènes brevetés, que favoriser cette stratégie d’appropriation des res-sources génétiques par quelques socié-tés privées, n’est bon ni pour la biodi-versité, ni pour la société en général. Et cela, il faut le dire !

Votre intérêt pour la philosophie et l’histoire des sciences vous a-t-elle fait prendre du recul sur votre discipline ?

Il faut parfois relever la tête du gui-don ! Pour moi la science n’est qu’une branche de la philosophie. Je crois que plus les enjeux sont énormes moins l’on arrive à « croire ce que l’on sait », comme le dit le philosophe Jean-Pierre Dupuy. Ces conflits d’intérêts sur les OGM ou même le réchauffe-ment climatique, c’est “tellement gros” que, même si, rationnellement, nous le savons, nous n’arrivons pas à y croire ! a

« La science n’est qu’une branche de la philosophie »

Géologie Microbiologie Palynologie Ichtyologie - Pierre-Henri Gouyon Zoologie Systématiq

L’abandon du nid chez le manchot Adélie

Recherche

Biologie RECHERCHE - Ornithologie Géophysique Primatologie Éthologie Ichtyologie

Les parents régurgitent du krill et/ou du poisson pour

nourrir leurs poussins (cliché J. Labruyère).

Cliché M. Spée.

L e manchot Adélie (Pygoscelis adeliae) est observé pour la première fois en 1837 lors de l’expédition scientifique de Jules Dumont d’Urville qui comptait

deux vaisseaux : l’Astrolabe et la Zélée. Il est ainsi nommé en 1841 par Jacques Bernard Hombron et Honoré Jacquinot, membres de l’expédition, en l’honneur d’Adèle, la femme de l’explorateur Dumont d’Urville.Les manchots Adélie comptent, comme toutes les espèces de manchots, parmi les oiseaux marins, c’est-à-dire qu’ils sont dépendants de cet environnement pour vivre. Ils sont adaptés à la vie marine et sont, de ce fait, incapables de voler, mais ce sont, en revanche, d’excellents nageurs. Ces oiseaux ont une longue durée de vie, estimée à 20 ans (on dit qu’ils sont “longévifs”).Le dimorphisme sexuel est très peu marqué chez cette espèce, il est pratiquement impossible de distinguer un mâle d’une femelle. Archétype du manchot dans l’esprit collectif,

Par Marion Spée, docteur en écophysiologie

Pour veiller sur leurs œufs, les manchots sont capables de jeûner durant des semaines. Mais, lorsque la faim les tenaille trop, certains mâles, à bout de forces, sont susceptibles d’abandonner leur nid pour aller pêcher dans l’océan. Une étude montre quels changements hormonaux peuvent inciter le manchot Adélie à sacrifier sa portée pour assurer sa propre survie.

ils ont un plumage noir sur le dos et blanc sur le ventre. Leur masse corporelle va de 4 à 6 kg, pour une taille d’environ 70 cm (ce qui correspond au milieu de la cuisse d’un humain d’1,65 m).

Monogames, ils se partagent les tâches

Les manchots Adélie font partie, avec les manchots empereurs, des deux espèces de manchot se reproduisant uniquement en bordure du continent Antarctique. Après avoir passé l’année en mer, ils viennent se reproduire pendant l’été austral (d’octobre à mars, entre la débâcle estivale de la banquise

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Climatologie Entomologie Écologie Physiologie - Manchot Adélie Océanographie Ornithol

et le début de l’embâcle hivernale). Ils se regroupent alors à terre et forment de larges colonies pouvant atteindre des dizaines de milliers de couples. Au cours d’une saison de reproduction, ils restent monogames.En tant qu’oiseaux marins, les manchots Adélie se nourrissent en mer alors qu’ils se reproduisent à terre. Ces périodes à terre sont synonymes de jeûne du fait de la distance séparant les zones d’alimentation des sites de reproduction. Pour assurer le succès de la reproduction, l’implication des deux parents est donc requise. Ainsi, comme chez 90 % des espèces d’oiseaux, le mâle et la femelle se partagent les tâches relatives aux soins apportées aux petits. Pour cela, ils alternent présence à terre (indispensable à l’incubation des œufs puis au nourrissage des poussins) et voyages alimentaires en mer, un parent restant toujours au nid (jusqu’au stade de la crèche). Ils pêchent du krill (petites crevettes des eaux froides) et/ou du poisson à la fois pour s’alimenter eux-mêmes et pour approvisionner leurs poussins.Après la ponte, la femelle part en mer se nourrir et c’est le mâle qui assure la première partie de l’incubation. Il est alors motivé pour rester sur son nid quoi qu’il advienne…

Pour en finir avec le pingouin

Dans le langage courant, il existe une confusion fréquente : celle d’utiliser le terme “pingouin” à la place de “manchot”. Cette erreur vient probablement de leur ressemblance physique, mais aussi des traductions anglaise ou espagnole du terme “manchot”, respectivement penguin et pingüino. Quoi qu’il en soit, ces oiseaux sont complètement différents. En effet, les manchots ne volent pas et se répartissent de l’Équateur à l’Antarctique, soit dans l’hémisphère Sud exclusivement. À l’inverse, les pingouins volent et se rencontrent dans l’hémisphère Nord.

Les manchots se reproduisent à terre et forment des colonies pouvant atteindre des dizaines de

milliers de couples (cliché M. Spée).

Le mâle et la femelle se relaient pour couver les œufs (cliché M. Debin).

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Les manchots se nourrissent exclusivement en mer, de krill et/ou de poissons (cliché J. Labruyère).

Le cycle de reproduction du manchot Adélie s’étend d’octobre à mars. Les deux membres du couple alternent présence à terre pour incuber

les œufs puis nourrir les poussins et recherche alimentaire en mer (doc. M. Spée, clichés M. Debin et M. Spée, infographie A. Rafaelian).

Les stades du cycle de reproduction

Le cycle de reproduction du manchot Adélie comprend cinq stades : la pariade, l’incubation, le stade de garde, le stade de crèche et la mue.

1 - Pariade. Le mâle arrive sur le site de reproduction pour y construire un nid de cailloux (qu’il n’hésite pas à voler à ses voisins) et le défendre. La femelle arrive quelques jours plus tard et choisit son partenaire. Ils paradent et s’accouplent.

2 - Incubation. La ponte de deux œufs (1,9 en moyenne) met fin à la période de pariade. La femelle part en mer se nourrir et le mâle reste sur le nid. Les deux membres du couple alternent un ou deux voyages en mer jusqu’à la fin de l’incubation, au moment de l’éclosion des œufs. La durée de l’incubation est en moyenne de 34 jours.

3- Stade de garde. Cette phase dure en moyenne 3 semaines et nécessite la présence d’au moins un des deux parents pour protéger les poussins

contre les prédateurs potentiels (notamment le skua antarctique) et leur assurer un apport de chaleur. Mâle et femelle alternent ainsi présence au nid et recherche alimentaire en mer, tous les 1 à 3 jours.

4 - Stade de crèche. Les poussins ayant atteint leur indépendance thermique peuvent rester seuls et les parents peuvent partir simultanément en mer. Les poussins se regroupent et forment des “crèches” (définies par le regroupement d’au moins trois poussins).

5 - Mue. Les manchots muent chaque année. Ils renouvèlent leur plumage avant de partir en mer pour leur migration hivernale.

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Climatologie Entomologie Écologie Physiologie - Manchot Adélie Océanographie Ornithol

Deux hormones contrôlent le comportement parental

Les scientifiques disposent d’une information intéressante : malgré de longues périodes de jeûne, aucun animal n’a été retrouvé mort à la suite d’un amaigrissement trop important. Ainsi, à bout de réserves, l’oiseau préfère quitter son nid plutôt que de risquer sa vie. Cette observation a conduit à envisager l’existence d’un “signal de réalimentation” qui inciterait l’animal à rechercher de la nourriture pour assurer sa survie, signal qui pousserait l’oiseau à abandonner son nid… La question est donc : quelle est la nature de ce signal ? De nombreuses recherches visant à répondre à cette question ont été menées au département d’écologie, physiologie et éthologie du laboratoire de l’institut pluridisciplinaire

Dans la plupart des cas, la femelle revient après s’être “refait une santé” et prend la relève. Le mâle peut donc à son tour rejoindre la zone de pêche pour s’alimenter.Mais dans certains cas, notamment si la femelle tarde à revenir, le mâle peut se retrouver dans une situation très critique pour sa survie. En effet, il ne se nourrit plus depuis son arrivée sur le site de reproduction, pouvant ainsi “attendre” ou jeûner jusqu’à 50 jours et perdre jusqu’à 40-45 % de son poids ! Dans ce contexte particulier, ses réserves énergétiques peuvent diminuer de façon importante jusqu’à atteindre un point critique (phase III du jeûne prolongé ). Il est alors face à un choix : rester sur son nid ou partir en mer pour se réalimenter, abandonnant ainsi ses œufs. Cette dernière option correspond à un arrêt définitif de la reproduction pour la saison car les œufs, ainsi laissés seuls, seront vite gelés ou dévorés par un prédateur.

Les manchots Adélie se reproduisent après la débâcle estivale de la banquise (cliché M. Spée).

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Hubert Curien (IPHC-DEPE), à Strasbourg. Ainsi, dans la continuité de ces travaux, nous sommes-nous intéressés aux hormones, ces molécules messagères qui circulent dans le sang et sont capables d’agir sur la physiologie ou de modifier le comportement d’un organisme. Deux hormones en particulier requièrent l’attention : la corticostérone (CORT) et la prolactine. En effet, pendant la reproduction, le comportement parental de l’oiseau est sous le contrôle principal de ces deux hormones. Leur rôle dans la régulation des comportements parentaux fait l’objet de nombreuses études, notamment par les laboratoires de Chizé (centre d’études biologiques de Chizé) et de Strasbourg (IPHC-DEPE). La concentration de CORT dans le sang augmente lors d’une situation de stress, à la suite d’une attaque d’un prédateur ou lors de perturbations environnementales (conditions

climatiques contraignantes). Elle augmente également lors d’un stress dit “nutritionnel”, ce qui est le cas en phase III de jeûne, période à laquelle les manchots sont susceptibles d’abandonner leur nid. Cette hormone est également décrite comme stimulant le comportement de recherche alimentaire.La prolactine, quant à elle, tient un rôle opposé dans le contrôle du comportement parental, puisqu’elle stimule l’expression des soins parentaux. Chez les manchots, son niveau reste quasi inchangé depuis le début de la reproduction et pendant toute la période d’élevage des poussins. Ceci permet aux parents de garder une motivation à revenir au nid malgré de longues absences lors des voyages alimentaires en mer, loin de la colonie. On sait par ailleurs, grâce aux données de la littérature scientifique, que le niveau de prolactine baisse de façon importante chez les manchots qui abandonnent leurs œufs.

Les différentes phases de jeûne

Le jeûne prolongé comprend trois phases successives distinctes. Elles ont été établies en suivant l’évolution de la vitesse d’amaigrissement des oiseaux et sont caractérisées par une utilisation séquentielle des réserves endogènes. Ainsi, chaque phase du jeûne correspond à un type de substrat énergétique utilisé par l’organisme (c’est-à-dire glucides, lipides, protéines ).

La phase I est une rapide phase d’adaptation. Lorsque les manchots arrivent sur le site de reproduction après leur migration hivernale, ils sont pour la plupart déjà en phase II, c’est-à-dire qu’ils commencent à consommer leurs réserves de graisse. Cette phase, dite d’économie, est la plus longue du jeûne. Les manchots incubant qui sont relevés par leur femelle se trouvent à ce stade. En dessous d’une masse critique – qui signifie que la déplétion des réserves corporelles est à un état très avancé (soit environ 3,5 kg chez le manchot Adélie mâle) –, l’oiseau entre en phase III. C’est à cette phase, dite critique, que les manchots abandonnent parfois leur nid.

Les trois phases du jeûne prolongé. Glucides, lipides et protéines sont successivement utilisés par l’organisme au cours du jeûne. Chez le manchot Adélie mâle, l’entrée

en phase III a lieu lorsque sa masse corporelle est d’environ 3,5 kg. (doc. M. Spée, infographie A. Rafaelian).

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Climatologie Entomologie Écologie Physiologie - Manchot Adélie Océanographie Ornithol

Ainsi, il semble que les deux motivations contraires, abandonner son nid pour partir se réalimenter ou continuer à incuber, sont orchestrées respectivement par les niveaux de CORT et de prolactine. De plus, leur niveau varie lors de l’abandon du nid (la concentration de CORT augmente, celle de la prolactine diminue), observation qui fait d’elles des candidates de choix pour comprendre l’induction de ce processus visant à promouvoir la survie.

En Antarctique pour comprendre

Nous avons voulu connaître leur rôle précis dans l’induction de l’abandon du nid. Varient-elles simultanément ? Sont-elles toutes deux nécessaires au choix de la désertion du nid ? Pour répondre à ces questions, nous sommes partis sur la base scientifique française de Dumont d’Urville (66°40’S, 140°01’E). Celle-ci se trouve en Antarctique, à la pointe de la Terre Adélie, dans l’archipel de Pointe Géologie, sur l’île des Pétrels et est gérée par l’institut français Paul-Émile Victor (IPEV). Notre étude s’est focalisée sur les mâles puisque ce sont eux qui assurent la période de jeûne la plus longue (pariade et incubation) et sont donc les plus susceptibles d’abandonner leur nid.Deux séries de mesures ont été effectuées : 1° quelques jours avant la ponte ; et 2° lors du départ en mer du mâle, qu’il

L’Antarctique, continent dédié à la science et à la paix

L’Antarctique est une immense terre recouverte d’une épaisse calotte glaciaire (98 % de glace). La superficie de ce “géant blanc” est de 14 millions de km2, soit environ 22 fois la France ou encore la moitié de l’Afrique. Sa superficie double pratiquement l’hiver lorsque l’eau de mer gèle et forme la banquise. Situé autour du pôle Sud, l’Antarctique est le continent le plus méridional de la planète, mais aussi le plus froid, le plus sec et le plus venteux.

Aucune population n’a jamais colonisé l’Antarctique. Seuls quelques scientifiques et personnels techniques y séjournent sur les 52 bases scientifiques situées aux latitudes de 60 à 90° Sud. Aucun mammifère sauvage terrestre n’habite ces régions glacées, mais on trouve des mammifères marins (phoque crabier, phoque de Weddell, léopard de mer…) et surtout des oiseaux marins (manchot Adélie, manchot empereur, damier du Cap, fulmar antarctique, océanite de Wilson, pétrel géant, pétrel des neiges, skua antarctique…) qui viennent s’y reproduire.

L’Antarctique n’appartient à personne mais est une terre dédiée “à la science et à la paix”, depuis l’entrée en vigueur du traité de l’Antarctique, le 23 juin 1961 (signé le 1er décembre 1959). Sept pays y revendiquent tout de même un territoire. À 2 700 km de l’île de Tasmanie, la Terre Adélie est la partie réclamée par la France ; elle occupe un segment triangulaire situé à l’est du continent et qui représente environ 3 % de sa surface. Elle constitue, avec les îles subantarctiques (Kerguelen, Crozet et Amsterdam), les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF).

Les manchots alternent presence à terre et recherche de nourriture en mer (cliché M. Spée).

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Biologie RECHERCHE - Ornithologie Géophysique Primatologie Éthologie Ichtyologie

Ces travaux ont été réalisé dans le cadre de la thèse de Marion Spée soutenue à l’université de Strasbourg (IPHC-DEPE)

Relève / Abandon du nidPhase du jeûne

prolongéNiveau de

CORTNiveau de prolactine Remarques

Relève II -- ++Situation décrite dans la littérature.Confirmé chez le manchot Adélie

Abandon III ++ --Situation décrite dans la littérature.Confirmé chez le manchot Adélie

Relève III ++ ++ Nouvelle situation

soit consécutif au retour de la femelle ou à l’abandon du nid. Les manchots ont été pesés et un prélèvement sanguin a été effectué afin de connaître le stade de jeûne dans lequel ils se trouvent (phase I, II ou III) et leur statut hormonal (niveaux de corticostérone et de prolactine). Pour savoir qui est qui, chaque manchot est marqué (lors de la première série de mesures) d’un numéro sur le thorax à l’aide d’un colorant (qui disparaît en fin de saison). La détermination des sexes peut donc être facilement effectuée par l’observation de l’accouplement, la routine de l’incubation (c’est le mâle qui reste incuber les œufs en premier) ou encore par des analyses en laboratoire (en temps réel ou a posteriori).

Des résultats qui interrogent

L’analyse des relevés de poids et des prélèvements sanguins nous ont permis d’obtenir les résultats résumés dans le tableau ci-dessous.La troisième situation n’a jamais été décrite. Elle modifie le schéma classique : “phase II = relève” et “phase III = abandon du nid”… puisqu’on peut y ajouter “phase III = relève”. De façon intéressante, les oiseaux de ce dernier groupe présentent un niveau élevé de CORT, attestant qu’ils se trouvaient dans un état de “stress nutritionnel”. Mais leur niveau de prolactine est également haut.

Par une approche comparative, ces résultats ont permis de conclure sur trois points. D’abord, l’entrée en phase critique du jeûne n’est pas forcément associée à l’abandon du nid. Dans un deuxième temps, la CORT semble agir en premier mais ne semble pas suffisante à elle seule pour provoquer l’abandon du nid. Enfin, une diminution des niveaux de prolactine apparaît cruciale pour entraîner le départ de l’oiseau, puisque même quand la CORT (“hormone de la recherche alimentaire”) est élevée, l’abandon n’est pas déclenché si la prolactine (“hormone des soins parentaux”) reste haute.

Des réponses, certes, mais surtout de nouvelles questions… Les oiseaux en phase III qui n’abandonnent pas leur nid ont-ils résisté au stress nutritionnel ? Comment ? Sont-ils plus “motivés”, plus “résistants” ? Existe-t-il des individus de “meilleure qualité” ? Quels traits les caractérisent (âge, statut hormonal…) ?Dans un monde où le climat se réchauffe, où l’environne-ment change, comprendre comment l’animal s’adapte à ces nouvelles contraintes s’avère essentiel…. ❁

Accouplement (cliché M. Spée).

ESPÈCES №3 - Mars 2012

Climatologie Entomologie Écologie Physiologie - Manchot Adélie Océanographie Ornithol

Nous avons tous appris que c’est grâce à la photosynthèse que les plantes utilisent l’énergie lumineuse pour s’alimenter. Mais croire qu’elles sont les seules serait oublier que les frontières entre les règnes sont toujours plus poreuses qu’il n’y paraît...

Ascidies (planche issue de Kunstformen der Natur d’Ernst Haeckel, 1904).

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ESPÈCES № 9 - Septembre 2013

Biologie Dossier - La lumière Entomologie Géologie Ichtyologie Botanique Paléontologie

Par Christine Dabonneville, professeur agrégé des sciences de la vie et de la Terre et ancienne rédactrice en chef de La garance voyageuse

Côte atlantique de l’Amérique du Nord : dans l’océan limpide et lumineux, de belles algues vert émeraude ondulent doucement au gré des vagues. Mais, ô sur-

prise, l’une d’elles bouge, se déplace et laisse apparaître une tête munie de deux cornes ! Notre végétal est en fait un ani-mal, une limace de mer pourvue de deux larges parapodes chlorophylliens. Elysia chlorotica, puisque tel est son nom, est un surprenant gastéropode du groupe des Sacoglosses, capable de vivre durant les dix mois de sa courte existence

Elysia chlorotica (cliché M. S. Tyler).

Un exemple de cyanobactérie filamenteuse : Arthrospira platensis (cliché K. Comte).

Les animaux-plantesou comment un animal peut-il être photosynthétique ?

sans se nourrir. Les chloroplastes présents dans ses cellules lui permettent d’avoir une activité photosynthétique, de fabriquer ses propres matières organiques et d’être ainsi autotrophe*. Mais comment un animal, normalement hété-rotrophe*, peut-il être photosynthétique ? Pour comprendre un tel phénomène, il faut d’abord savoir que notre élysie ne se contente pas uniquement “de soleil et d’eau fraîche” mais que, durant la première semaine de sa vie d’adulte, elle s’est nourrie de Vaucheria litorea ou V. compacta, des algues filamen-teuses (Xanthophycées) proches des algues brunes (voir l’arbre phylogénique page suivante). Il nous faut ensuite remonter loin dans le temps, au début de l’histoire de la vie.

À l’origine de la limace Elysia et de l’algue Vaucheria

Il y a environ 2,2 milliards d’années, le monde vivant n’était composé que de bactéries, des cellules qualifiées de pro-caryotes car ne possédant pas de véritable noyau. Jusqu’à cette période, ces organismes unicellulaires évoluaient dans

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ESPÈCES № 9 - Septembre 2013

Écologie Microbiologie Exobiologie Ophiologie - Les animaux-plantes Systématique Océanographie

un océan primitif quasiment dépourvu d’oxygène et ils obtenaient l’énergie nécessaire à leur fonctionnement soit en dégradant des molécules organiques par processus fer-mentaire, soit en fabriquant des molécules organiques par chimiosynthèse ou par une photosynthèse qui ne produisait pas d’oxygène. Si la majorité des procaryotes primitifs étaient donc anaérobies, ce n’était pas le cas d’un petit groupe d’entre eux, des cyanobactéries qui, grâce à leurs pigments chlorophylliens, utilisaient l’énergie solaire pour produire leur propre matière. Cette photosynthèse se traduisant par

un rejet d’O2, il y a 2,2 milliards d’années, ce gaz a commen-

cé à diffuser dans l’océan et l’atmosphère : une catastrophe pour nos bactéries anaérobies ! En effet, si l’oxygène est pour nous synonyme de vie, c’est un poison violent pour les orga-nismes anaérobies, car l’O

2 s’ionise en ions superoxydes O

2-

ou radicaux libres, des éléments très réactifs et qui altèrent les cellules. L’apparition du dioxygène sur Terre a ainsi été responsable de la première crise biologique !Quelques procaryotes ont cependant survécu, et parmi ces rescapés se trouvaient des bactéries nouvelles, aérobies,

Arbre phylogénique des eucaryotes : cet arbre montre les neuf grands groupes actuellement reconnus. Les lignées photosynthétiques sont en vert et les endosymbioses à l’origine des chloroplastes sont indiquées par un rond rouge. Certaines lignées ont perdu secondairement leurs chloroplastes (triangle bleu). Le noir indique les champignons, le bleu les métazoaires et l’orange les protozoaires (d’après Marc-André Selosse).

Origine des cellules eucaryotes.

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ESPÈCES № 9 - Septembre 2013

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capables de détourner l’action oxydante du dioxygène pour dégrader les molécules organiques : ce fut la naissance de la respiration. D’autres organismes anaérobies incapables de respirer ont acquis cette capacité en “capturant” des bactéries aérobies. La phagocytose* par une cellule proto-eucaryote (dont l’ADN est enfermé dans un noyau) d’une cellule pro-caryote aérobie non suivie de sa digestion mais, au contraire, d’une mise en commun des capacités des deux cellules, serait à l’origine de la première véritable cellule eucaryote. Les mitochondries, microcentrales énergétiques et sièges de la respiration cellulaire, dérivent donc de bactéries aérobies, et les cellules qui constituent les organismes hétérotrophes actuels, dont notre Sacoglosse Elysia, sont issues d’une endosymbiose*.Quelques millions d’années plus tard (vers -1,6 milliard d’années ?), une deuxième endosymbiose entre une cel-lule eucaryote et une cyanobactérie permet d’associer les métabolismes complémentaires que sont la respiration et la photosynthèse et d’engendrer une cellule eucaryote auto-trophe pourvue de chloroplastes (qui captent la lumière puis fabriquent des molécules organiques) et de mitochon-dries (qui dégradent ces molécules organiques en libérant de l’énergie). Cette “cellule-mosaïque” est à l’origine de la lignée verte qui rassemble les végétaux terrestres et les algues vertes et rouges. Pour expliquer l’existence de notre xantho-phycée Vaucheria, il faut faire appel à une troisième endosym-biose, la phagocytose par une cellule eucaryote hétérotrophe d’une algue rouge unicellulaire. Cette dernière est donc à l’origine des chloroplastes de Vaucheria.Ces endosymbioses n’ont pas été sans conséquences pour les génomes de l’hôte et du symbiote : les bactéries à l’origine des mitochondries et des chloroplastes ont perdu une grande partie de leurs gènes et certains autres ont migré dans le noyau de la cellule-hôte.

La “fabrication” d’une limace de mer photosynthétique

Tous les éléments sont maintenant présents pour expliquer l’existence d’un animal photosynthétique. Pour comprendre le cas très particulier d’Elysia chlorotica, parcourons son cycle de vie. Son existence commence sous la forme d’un œuf dont l’éclosion libère une larve dépourvue de chloroplastes et entièrement hétérotrophe. Cette véligère* se nourrit de plancton végétal durant trois semaines, avant de se métamor-phoser en adulte, une transformation qui ne pourra se faire sans un contact étroit avec Vaucheria litorea. Dès le premier jour du stade adulte, l’élysie consomme des vauchéries et sa langue râpeuse libère les noyaux et les nombreux chloro-plastes présents dans les algues filamenteuses. Durant cinq à sept jours, une partie de ces chloroplastes vont être phagocy-tés, “volés” par les cellules du tube digestif, un processus qua-lifié de “kleptoplastie” et qui s’apparente à une endosymbiose. La limace de mer accumule les organites* chlorophylliens

Des arthropodes terrestres

photosynthétiques ?

Suivant la température externe, les pucerons du pois, Acyrthosiphon pisum, peuvent être verts ou orange. La couleur de ces derniers est due à des caroténoïdes, des pigments norma-lement spécifiques aux végétaux, champignons ou bactéries. Les analyses du génome de ces pucerons ont révélé la présence de gènes codant la synthèse de ces caroténoïdes, gènes proches de ceux présents chez les champignons et qui seraient donc issus d’un ancien transfert horizontal. Les caroténoïdes fabriqués par ces pucerons leur permettent d’absorber l’énergie lumineuse et de la transformer en énergie chimique sous forme d’ATP (adé-nosine triphosphate, la molécule ou “monnaie” énergétique du monde vivant). Ces aphidiens pratiquent donc une forme primitive de photosynthèse. Et cette capacité pourrait aussi présente chez des acariens, les tétranyques tisserands, Tetranychus urticae, chez qui on vient aussi de découvrir des gènes de caroténoïdes !

Acyrthosiphon pisum (cliché Jpecoud/Wikimedia commons).

dans les nombreux et fins diverticules de son appareil diges-tif et se transforme ainsi, progressivement, en un adulte en forme de feuille verte. Après une semaine d’existence hété-rotrophe, Elysia chlorotica devient un animal-plante et, durant les 9 à 10 mois de sa vie d’adulte, elle se contente, pour vivre, d’eau, de CO

2 et de sels minéraux. L’association avec les vau-

chéries est obligatoire pour l’élysie puisque, sans elle, la méta-morphose et le développement de l’adulte ne peuvent avoir lieu. La totale autotrophie qui en résulte et qui ne nécessite pas le renouvellement des chloroplastes “volés” implique que ces derniers restent fonctionnels et capables de synthétiser leurs pigments chlorophylliens et leurs protéines. Or, plus de 90 % d’entre elles sont codées dans le noyau puisque, comme nous l’avons vu, le génome du chloroplaste est réduit. La capacité d’E. chlorotica à faire fonctionner ses “kleptoplastes” a d’abord été expliquée par l’existence d’un transfert de gènes

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des chloroplastes vers les noyaux de l’animal, phénomène “vérifié” en 2008 par Mary E. Rumpho et son équipe pour l’un de ces gènes. Mais des études plus approfondies publiées en 2013 ont infirmé ces résultats : la photosynthèse réalisée sur le long terme par E. chlorotica reste donc, comme l’écrit Mary E. Rumpho, un “abominable mystère”.Les Sacoglosses comportent d’autres espèces ayant une période de vie photosynthétique, en particulier l’élysie verte, E. viridis, qui est présente sur nos côtes françaises (Atlantique, Manche, Méditerranée) où elle consomme le Codium, une algue verte très commune. Mais c’est E. chlorotica qui détient le record de la durée d’autotrophie. Les Sacoglosses sont éga-lement le seul groupe de métazoaires connu à ce jour dont l’endosymbiote n’est pas une cellule, mais un chloroplaste, qui soit capable de le faire fonctionner, donc de fabriquer de la chlorophylle. Mais pour qu’E. chlorotica devienne vrai-ment une plante, il faudrait pour cela que ces chloroplastes

se divisent et soient transmis à la génération suivante, ce qui n’est pas le cas.

La diversité des “animaux-plantes”

Nombre d’animaux photosynthétiques résultant d’une endosymbiose se rencontrent parmi les métazoaires et quasi exclusivement au sein d’invertébrés aquatiques. L’hôte pré-sente généralement une morphologie simple, adaptée à une possible photosynthèse : peu de couches cellulaires, donc une épaisseur limitée, mais avec une surface développée. Ces caractéristiques sont réunies chez les Spongiaires et Cnidaires (organismes diploblastiques*), c’est donc au sein de ces deux phylums que se trouvent la majorité des “animaux-plantes”. Le symbiote est soit une cyanobactérie, soit une algue

unicellulaire appartenant à l’un des nombreux groupes qui rassemblent ces eucaryotes unicellulaires autotrophes (voir l’arbre phylogénique en page précédente). L’endosymbiose modi-fie ces derniers, entraînant la perte de la paroi cellulosique et des éventuels flagelles devenus inutiles. Ces algues vivant à l’intérieur d’une cellule animale sont souvent qualifiées de zoochlorelles (cas des algues vertes) ou zooxanthelles (cas des Dinophytes ou Dinoflagellés). L’association est bénéfique pour les deux partenaires : le symbiote fournit à son hôte des molécules organiques issus de la photosynthèse ainsi que de l’O

2 ; l’hôte fournit à son symbiote les nutriments minéraux

nécessaires à la photosynthèse ainsi qu’un milieu de vie stable et protégé.Les symbioses spongiaire-algue ou spongiaire-cyanobactérie se rencontrent surtout dans les eaux douces (comme les spon-gilles vertes, Spongilla lacustris, qui doivent leur couleur à des zoochlorelles du genre Pleurococcus) ou dans les mers chaudes et peu profondes. Une exception, cependant, avec l’éponge Rossella racovitzae qui vit à 120 m de profondeur dans les eaux froides de l’Antarctique. Malgré l’obscurité défavorable

Spongille verte (Spongilla lacustris, cliché K. L. Onthank/Wikimedia commons).

Anemonia sulcata (cliché M. A. Selosse).

Anémone géante (Condylactis gigantea, cliché L. Ilyes/Wikimedia commons).

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à la photosynthèse, des diatomées* sont présentes à la base des spicules : ces épines siliceuses, telles des fibres optiques, canalisent vers les algues les rares rayons lumineux atteignant ces profondeurs.Les récifs coralliens construits par des cnidaires (anthozoaires comme les coraux et les anémones de mer) ne seraient pas aussi développés sans l’existence d’endosymbiotes : l’endo-derme* des polypes renferme des zooxanthelles qui, en absorbant le dioxyde de carbone nécessaire à la photosyn-thèse, provoquent la précipitation des carbonates de l’eau de mer et permettent ainsi l’édification du récif. Les chaudes couleurs des branches de corail sont dues aux pigments photosynthétiques surnuméraires (comme la fucoxanthine, orange) des algues symbiotiques ; ils permettent d’optimi-ser la photosynthèse en absorbant les radiations lumineuses vertes qui pénètrent plus profondément dans l’eau que les radiations rouges et bleues utilisées par les pigments chlo-rophylliens. Malgré cela, la présence de ces symbiotes oblige les polypes à vivre dans des eaux peu profondes, bien éclai-rées et suffisamment chaudes. Si ces conditions ne sont pas

respectées, la disparition des algues entraîne le blanchiment des coraux et la réduction de leur développement, un boule-versement pour l’environnement quand on sait que ces récifs abritent près d’un tiers de la faune marine.D’autres anthozoaires fixés vivent dans ces récifs, sans tou-tefois participer à leur construction, comme l’anémone géante Condylactis gigantea qui héberge, elle aussi, des zooxan-thelles. Plus près de chez nous, la plupart des anémones de mer du littoral français “cultivent” des algues dans leurs cel-lules, comme l’actinie verte, Anemonia viridis, qui détient ses symbiotes de sa “mère” (transfert vertical par les ovules) ; à l’intérieur des terres, dans les milieux d’eau douce, on peut rencontrer la petite hydre verte Chlorohydra viridissima aux zoochlorelles intracellulaires.De nombreux cnidaires pélagiques (Medusozoaires) détiennent des algues endosymbiotiques, comme le genre Cassiopea qui rassemble des méduses au comportement étrange : elles vivent la plupart du temps retournées, leur ombrelle posée sur le fond vaseux des mangroves ou des zones côtières peu profondes des mers chaudes. Ces méduses

Cassiopea xamachana (cliché Monterey Aquarium/Wikimedia commons).

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Corail rouge (cliché É. Volto).

“à l’envers”, les tentacules “en l’air”, sont des serres vivantes, exposant à la lumière solaire les tissus transparents de leur “ventre” remplis de zooxanthelles.Cependant, qu’ils soient libres ou fixés, la plupart de ces “cnidaires-plantes” restent encore en partie hétérotrophes : ils tirent leur nourriture des produits de la photosynthèse mais aussi de la prédation. La majorité de ces cnidaires photosyn-thétiques acquièrent leurs endosymbiotes par phagocytose, seule une minorité d’entre eux les obtiennent par transmis-sion directe des parents aux descendants via les ovules.

Malgré leur anatomie plus complexe, les métazoaires tri-ploblastiques* comportent quelques exemples d’“animaux-plantes”. Le groupe des Acœles comprend l’un des pre-miers animaux photosynthétiques repéré par les naturalistes au xixe siècle : le ver de Roscoff, Symsagittifera roscoffensis (anciennement Convoluta roscoffensis). Ce “ver plat vert” de quelques millimètres de long présente une anatomie très simplifiée : absence de systèmes digestif, circulatoire et excré-teur. S. roscoffensis possède près de 25 000 zoochlorelles intra-cellulaires et un comportement rythmique particulier favori-sant la photosynthèse de ses hôtes : le jour, à marée basse, les colonies de plusieurs millions de vers exposent leurs algues à la lumière et forment ainsi des tapis verts à la surface des plages de Bretagne (dont celles de Roscoff) ; la nuit ou à marée haute, ces colonies s’enfoncent dans le sable. Cette endosymbiose est obligatoire pour le ver de Roscoff qui ne peut vivre sans ses zoochlorelles : S. roscoffensis est totalement photosynthétique et autotrophe. Les algues sont acquises à la naissance, mais on se demande actuellement si elles ne seraient pas déposées par la mer sur les œufs lors de la ponte.La photosynthèse chez les mollusques n’est pas spécifique aux Sacoglosses. Les bénitiers ou tridacnes (comme Tridacna gigas, le plus grand coquillage du monde avec une masse et une taille de 340 kg et 140 cm) complètent leur régime

alimentaire en abritant dans leur manteau des zooxanthelles. Ces algues ayant besoin de lumière, les bénitiers vivent dans les eaux peu profondes des récifs coralliens du sud-ouest Pacifique et “bâillent” toute la journée (sauf à l’arrivée d’un prédateur). Ce comportement permet d’exposer les bords de leur manteau parsemés d’iridophores (des sortes de lentilles capables de concentrer les rayons solaires à l’intérieur du bénitier) et de fournir ainsi l’énergie lumineuse nécessaire à la photosynthèse des algues symbiotiques.Pour clore ce survol des invertébrés photosynthétiques, ter-minons avec le groupe des Ascidies dont certains représen-tants arborent une belle couleur verte : Didemnum molle vit en colonie dans les récifs du Pacifique ouest et ses symbiotes ne sont pas, comme on pourrait le croire, des zoochlorelles, mais des cyanobactéries du genre Prochloron.

Un vertébré photosynthétique :

une chimère algue verte-salamandre

La salamandre maculée, Ambystoma maculatum, n’est pas un uro-dèle comme les autres. On sait depuis plus d’un siècle que ses œufs émeraude hébergent des algues vertes, Oophila amblystomatis. Les résultats de l’étude récente réalisée par des chercheurs canadiens ont apporté des précisions sur cette association. Les algues enva-hissent les cellules de l’embryon au cours de son développement, mettant en place une endosymbiose avec apport d’O2 de la part de l’algue photosynthétique, de CO2 et de déchets azotés de la part de l’embryon. Sans cette association, le développement est retardé. Les chercheurs ont repéré des pigments de l’algue dans les cellules des salamandres adultes ainsi que des traces de son ADN dans les organes reproducteurs de ces urodèles. La présence d’Oophila amblystomatis dans les œufs pourrait donc résulter d’une transmis-sion héréditaire et expliquerait l’absence de rejet de ces corps étran-gers par des cellules embryonnaires. Ce cas unique d’endosymbiose entre un vertébré et une algue verte laisse envisager de possibles échanges d’ADN entre les deux partenaires ainsi qu’une éventuelle mise en commun de leurs organites cellulaires.

Vers de Roscoff (Symsagittifera roscoffensis) sur une plage, à marée basse (cliché M.-A. Selosse).

Ambystoma maculatum (cliché Dylan Cebulske/Herping with Dylan)

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Pour en savoir plus

> Biofutur, n° 299, mai 2009 spécial Endosymbioses.

> Kerney R. et al., 2011 – “Intracellular invasion of green algae in a salamander host”, Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, vol. 108, n° 16, p. 6497-6502 (doi : 10.1073/pnas.101825910).

> Rumpho M. E. et al., 2011 – “The making of a photosynthetic animal”, Journal of Experimental Biology, vol. 214, p. 303-311 (doi : 10.1242/ jeb.046540).

> Rumpho M. E. et al., 2013 – “Genome analysis of Elysia chlorotica egg DNA provides no evidence for horizontal gene transfer into the germ line of this kleptoplastic mollusc”, Molecular, Biology and Evolution, vol. 30, n° 8, p. 1843-1852 (doi : 10.1093/molbev/mst084).

> Selosse M.-A., 2000 – La symbiose : structures et fonctions, rôle écologique et évolutif, Vuibert, Paris, 154 p.

> Venn A. A. et al., 2008 – “Photosynthetic symbioses in animal”, Journal of Experimental Botany, vol. 59, n° 5, p. 1069-1080 (doi : 10.1093/jxb/erm328).

Bénitier (Tridacna sp., cliché D. Burdick/Wikimedia commons).

On ne connaît actuellement qu’un seul cas de vertébré pho-tosynthétique (voir l’encart ci-contre). Il est vrai que l’organisa-tion des vertébrés est complexe et que leur système immuni-taire, plus performant que celui des invertébrés, s’opposerait à la présence intracellulaire de cellules ou d’organites étrangers.

L’existence d’animaux photosynthétiques et des endosym-bioses révèle la porosité des barrières entre plantes et ani-maux, l’absence de véritables cloisonnements à l’intérieur du monde vivant. L’autotrophie n’est pas une spécificité végétale comme on pourrait encore le croire. Les fusions entre orga-nismes appartenant à différentes lignées se sont succédé au cours de l’histoire de la vie et ont participé de façon notable à l’évolution et à la diversification des êtres vivants. Les euca-ryotes, qu’ils soient unicellulaires ou pluricellulaires, auto-trophes ou hétérotrophes, sont tous issus d’endosymbioses et de transferts de gènes : nous sommes donc tous des chimères, et l’existence d’animaux photosynthétiques n’est donc pas si surprenante ! ❁

Didemnum molle, ascidie (cliché S. Chow/Wikimedia commons).

Remerciements : l’auteur remercie Marc-André Selosse pour ses précieux commentaires.

Glossaire

Diatomée : algue unicellulaire proche des algues brunes.

Diploblastique, triploblastique : désigne les métazoaires dont l’embryon comporte deux feuillets cellulaires (l’ectoderme et l’endoderme) ou trois feuillets (le mésoderme en plus).

Endoderme/Ectoderme : couches de cellules respectivement internes et externes d’un organisme diploblastique.

Hétérotrophe/Autotrophe : contrairement à un autotrophe, un organisme hétérotrophe utilise la matière organique issue d’autres organismes pour se nourrir.

Organite : compartiment cellulaire délimité par une membrane simple (vacuole, réticulum endoplasmique) ou double (mitochondrie, chloroplaste, noyau).

Phagocytose : mécanisme permettant à des cellules d’englober d’autres cellules ou des particules, puis de les digérer.

Symbiose, endosymbiose : association à bénéfice réciproque entre deux espèces différentes. Quand l’un des deux partenaires vit dans les cellules de l’autre, on parle d’endosymbiose.

Véligère : larve de mollusque marin caractérisée par une coquille dorsale et un voile muni de cils, le velum.

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Rongeur caractériel de 20 à 30 centimètres pour un poids de 200 à 600 grammes, passant 95 % de son temps sous terre, Cricetus cricetus a fait, débutant au Pléistocène, un long voyage depuis le Kazakhstan jusqu’à la plaine alsacienne. Il connaît aujourd’hui le sort de ceux que l’on a hier considérés comme nuisibles : la population de cet attachant “petit cochon des champs” s’est dangereusement réduite.

Cricetus cricetus (Linné 1758)

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(cliché J.-L. Klein)

Ophiologie Phycologie Anatomie Paléontologie - Le grand hamster d’Alsace Océanographie

Généralement observé à une altitude inférieure à 500 m, cette espèce apprécie un paysage ouvert, un climat continental et la présence de sols secs

et profonds de lœss ou d’argile propices à la construction de ses terriers. On le trouve donc tout naturellement dans les cultures, ce qui n’est pas sans poser quelques menus problèmes de cohabitation avec le bipède qui exploite ces dernières. Lesdits terriers, en raison du caractère peu sociable de l’animal, sont habituellement éloignés d’une quinzaine de mètres les uns des autres et peuvent être distingués entre un terrier dit “d’été” d’une profondeur de 40 à 60 cm, et un terrier “d’hiver” pouvant aller jusqu’à deux mètres sous terre. Avec ses galeries de 6 à 9 cm de diamètre, d’une longueur maximale de 10 m et des déblais souvent impressionnants, Cricetus cricetus dispose du plus profond et du plus spacieux des terriers de tous les rongeurs d’Europe.L’élaboration de telles structures nécessitant des outils adéquats, le grand hamster s’est muni de pattes antérieures puissantes pourvues de cinq callosités ; ses quatre doigts et son pouce rudimentaire sont équipés de petites griffes, un corps trapu allant de paire. L’animal possède également de grandes et rondes oreilles surpassant clairement son pelage auxquelles sont associées des vibrisses pouvant atteindre 35 mm, ce qui le dote de facultés auditives supérieures.

le grand hamsterd’Alsace

Plaidoyer pour

Par Julien HoffmannDirecteur des élevagesAssociation Sauvegarde faune [email protected]://sauvegardefaunesauvage.fr/wordpress

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Un asocial bien logé

L’animal est omnivore par définition, mais un estomac formé de deux poches où circulent successivement les aliments consommés nous montre cependant la place prédominante des végétaux dans son régime alimentaire. Ainsi, si on le sait friand de vers de terre, oisillons, sauterelles, grenouilles et autres micromammifères (autour de 15 %), sa nourriture de prédilection est néanmoins constituée de végétaux : céréales, plantes sauvages, tubercules, légumineux ou encore germes de semences d’hiver. Ne consommant que rarement sa nourriture sur place, il utilise ses abajoues (d’une capacité de 40 à 80 g) pour la transporter au terrier, ce qui limite son champ de collecte et définit son comportement alimentaire comme étant inféodé à son milieu. Espèce à l’activité circadienne*, c’est à l’aube, mais principalement au crépuscule et durant la nuit que le grand hamster va également constituer ses réserves hivernales pour lesquelles il a préparé une chambre spécifique au cœur de son terrier (en moyenne 0,780 kg pour les femelles et 1,220 kg pour les mâles).S’il nous manque des connaissances quant à l’hibernation in situ de Cricetus cricetus, on sait cependant que son déclencheur, dans le cadre d’une horloge interne circannuelle*, est la photopériode*. En effet, la sécrétion de mélatonine (dite “hormone du sommeil”) par la glande pinéale (ou épiphyse), de durée proportionnelle à la durée de la nuit, donne une rythmicité à la photopériode. Ce message induit alors, en septembre ou octobre, une entrée en hibernation d’une durée moyenne de 6 mois. D’une température corporelle de 35 °C habituellement, le grand hamster descend alors celle-ci jusqu’à 1 °C au-dessus de la température ambiante, réduisant ses pulsations cardiaques de 175 à 10 battements

par minute. Sur cette même période, l’animal sortira de son sommeil jusqu’à 23 fois, et ce principalement pour s’alimenter, mettant entre 3 et 6 heures pour se réveiller et de 20 à 60 heures pour se remettre en état d’hibernation.

Un caractère bien trempé

Mars ou avril voit les mâles “déboucher” leur terrier les pre-miers, environ deux semaines avant les femelles. Cette façon de condamner l’entrée des galeries à l’aide de terre sera réu-tilisée par les femelles lors de la gestation qui dure de 17 à 20 jours, avant la naissance de 1 à 8 petits (les femelles possédant 8 tétines, les petits surnuméraires sont rares). Mais

Une entrée oblique (gauche) dite “classique” et un trou de fuite (droite) où le hamster se laisse littéralement tomber en cas de danger (infographie A. Rafaelian).

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avant cela, le passage obligé du coït reste un moment déli-cat pour des animaux aussi solitaires. En effet, le caractère hardi et combatif du grand hamster, que ce soit envers ses propres congénères ou non, n’est plus à démontrer : on a ainsi plusieurs témoignages d’agriculteurs faisant état d’at-taques de leurs chevaux de traits. L’animal commence par se dresser sur ses pattes arrières, écartant ses pattes antérieures afin d’impressionner son “ennemi” à l’aide du pelage ventral noir caractéristique de l’espèce ; dans un deuxième temps, restant dans la même position, il gonfle ses abajoues (ce qui lui permet de doubler le volume de sa tête) tout en frot-tant bruyamment ses incisives les unes contre les autres. Si cela ne suffit toujours pas – le grand hamster ne fuit que

La sauvegarde de Cricetus cricetus passe avant tout par la gestion de son milieu. Ici le plus commun pour lui : le blé (cliché J.-L. Klein).

très rarement –, il pousse alors des cris stridents et se jette sur son adversaire, quel qu’il soit, pouvant effectuer des sauts de plus d’un mètre de long. On comprendra qu’avec un tel comportement l’accouplement n’a pas vocation à s’éterni-ser, même s’il est quelque peu ritualisé à travers face-à-face, reniflements et autres petits cris, à condition que la femelle accepte la venue du mâle sur son territoire.Après la période de gestation arrivent alors les jeunes qui ne mesurent que 5 cm et ne pèsent que 5 g à la naissance ; suit une croissance très forte lors des deux premiers mois de leur vie, croissance qui, une fois stabilisée, restera continue.

À trois semaines les petits sont sevrés et, à un mois, ils quittent le terrier et deviennent autonomes… si leur mère ne l’a pas déjà quitté elle-même, cherchant à se reproduire à nouveau et ce jusqu’à trois fois par an.

Une poignée de résistants

Avec un comportement aussi marqué, une capacité de reproduction élevée et une croissance aussi forte, on pourrait supposer au grand hamster un fort potentiel de nuisance. Et il fut effectivement considéré comme nuisible, avec son élimination systématique et rémunérée en mairie jusque dans les années quatre-vingt-dix. Mais, désormais, il n’en est plus rien, bien au contraire… Avec à peine un peu plus de 400 spécimens subsistant à l’état sauvage en 2011 (chiffres ONCFS) et une aire de répartition de plus en plus réduite, l’avenir de ce rongeur est plus qu’incertain.On connaît encore mal les raisons exactes de la chute des effectifs, mais les connaissances de plus en plus approfondies de la biologie et de l’évolution de l’espèce, croisées à la chronologie de l’impact humain sur les milieux favorables au grand hamster, nous donne des pistes particulièrement crédibles.À ce sujet on peut souligner l’influence néfaste du passage de la polyculture à la monoculture (notamment du maïs) et sur des surfaces plus vastes, pour faciliter l’exploitation agricole par l’utilisation d’engins mécanisés. Le maïs irrigué – le grand hamster abhorre l’eau, et la noyade était une des

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techniques d’éradication utilisée –, qui n’offre pas un couvert végétal suffisant pour se protéger de la prédation naturelle, accélère d’autant la diminution des populations. Ce fait ne peut cependant pas expliquer à lui seul les déconvenues de ce rongeur. On peut aussi y ajouter un changement progressif, dans les années soixante-dix, des dates de récolte dû à l’emploi de nouveaux types de semences à croissance rapide, ce qui raccourcit de fait la période où la nourriture est disponible et le couvert végétal à son maximum. Et si cela ne suffisait pas, les principaux noyaux survivants de grands hamsters, qui peuplent une grande partie du pourtour de l’agglomération de Strasbourg, doivent faire face à une forte urbanisation et à la construction d’infrastructures routières ou ferroviaires.

Repeupler les champs d’Alsace

Quoi qu’il en soit précisément, il fallait prendre le problème au sérieux et lancer une réelle politique de sauvegarde de l’espèce. À ce titre, les travaux réalisés ces deux dernières années par l’ONCFS – sous la houlette de Julien Eidenschenck – ont permis d’élaborer un protocole particulièrement efficace de renforcement de population via des lâchers en milieu sauvage. Dans les ZAP (zones d’actions prioritaires), au nombre de trois, sont donc introduits au début du mois de mai des animaux issus d’élevages. En collaboration avec des agriculteurs volontaires et dédommagés en conséquence,

Avec de telles dents étonnamment pointues on comprend mieux que le grand hamster n’hésite pas à s’attaquer à plus gros que lui… bien plus gros que lui (cliché J.-L. Klein).

Les membres de l’ONCFS et de l’association Sauvegarde faune sauvage en collaboration lors des lâchers (cliché J.-L. Klein).

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même si des outils sont à notre disposition, les différents acteurs concernés de près ou de loin par Cricetus cricetus sont légion, ce qui ne facilite en rien le dialogue. Le besoin de connaissances sur l’espèce est réel, même s’il tend à se réduire sérieusement, et le manque cruel de volonté et de moyens financiers engagés par l’État est, quant à lui, un des principaux handicaps (seulement 190 animaux ont été lâchés en 2011).

La France face à ses responsabilités

La Commission européenne ayant pris acte de ces faits, portés à sa vue par l’association Sauvegarde faune sauvage, la France se trouve désormais sous le coup d’une condamnation relative à ses manquements en matière de protection du grand hamster. Reste à savoir quelle dimension cela donnera au nouveau plan national d’action 2012-2016 en faveur du kornfarel (“petit cochon des blés”, en alsacien).Voila donc une espèce bien singulière qui, pullulant autrefois dans les champs alsaciens, se retrouve, depuis 1993, classée “espèce protégée” en annexe II de la convention de Berne. Ainsi, même si le parallèle peut sembler douteux de prime abord, si la sauvegarde des 30 000 lions d’Afrique est reconnue comme un enjeu majeur de conservation, celle des seuls 400 grands hamsters restant en France ne l’est pas moins. Tout comme de savoir qu’un unique pachyderme consomme autant en deux semaines que l’intégralité de la population de grands hamsters d’Alsace sur la totalité de leur durée de vie doit nous permettre de cadrer nos réflexions.Car c’est bien de biodiversité et de patrimoine génétique qu’il s’agit. Si le loup et l’ours ont posé le problème de la

cohabitation avec les agriculteurs, le grand hamster d’Alsace, à son corps défendant, lui ajoute la question épineuse de l’urbanisation. C’est bien dans toutes ces sphères (agricole, politique, sociale, etc.) que nous devons décider clairement si la société française veut se donner les moyens de vivre en adéquation avec son environnement… ou non. Gageons que toutes les bonnes volontés, fortes de propositions, s’accorderont à donner de la voix ! ❁

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Ophiologie Phycologie Anatomie Paléontologie - Le grand hamster d’Alsace Océanographie

des parcelles sont sélectionnées – que l’on aura au préalable clôturées à l’aide d’un grillage électrifié pour limiter l’impact de la prédation terrestre –, dans lesquelles sera semé de préférence du blé qui restera non récolté. Car il faut bien entendre que le but des lâchers d’animaux nés en captivité n’est pas qu’ils viennent grossir d’eux-mêmes les rangs des spécimens sauvages, mais qu’ils se reproduisent au maximum et que leur descendance s’étende rapidement (on compte, pour cela, sur la capacité de dispersion de l’espèce qui varie de 300 à 500 m par an). Un suivi télémétrique (après pose d’émetteurs sur plusieurs dizaines d’animaux) effectué tout au long de la saison nous a ainsi permis d’évaluer le procédé dont l’efficacité n’est désormais plus à discuter.D’une sélection affinée, en passant par un travail approfondi sur le nourrissage des spécimens, jusqu’à un perfectionnement des conditions de maintien en captivité (tout en limitant au maximum l’imprégnation à l’homme), les animaux lâchés sont maintenant bien armés pour mener à bien ce que l’on attend d’eux. Si tout ce travail conduit dans les élevages a permis d’augmenter nos connaissances sur l’espèce, il a seulement abouti au maintien des populations.La question de sa sauvegarde reste donc d’actualité car,

Derniers instants de captivité pour ce spécimen. Lueur d’espoir pour l’espèce, les lâchers sont un moment fort, concrétisation d’une année de travail acharné (cliché J.-L. Klein).

Glossaire

Circadien : qualifie un rythme biologique coïncidant grossièrement avec une journée.

Circannuel : dont la durée (ou la période) est d’environ un an.

Photopériode : répartition, dans la journée, entre la durée de la phase diurne et celle de la phase obscure.

La géologie,science

L e géologue d’aujourd’hui, armé de spectromètres, de sismographes et autres sondes ioniques, n’apparaît pas comme un personnage particulièrement romantique.

Il n’en a pas toujours été ainsi. En 1834, Félix-Archimède Pouchet (1800-1872), directeur du muséum de Rouen, n’écrivait-il pas « une branche neuve de l’histoire naturelle, créée pour ainsi dire de pied en cap par notre époque, la géologie, pleine de poésie et d’imagination, fixe maintenant l’attention de la multitude » ? Ce même Pouchet – qui fut l’adversaire malheureux de Pasteur dans le débat sur la génération spontanée – publiait en 1872, dans son livre de vulgarisation intitulé L’Univers, une gravure quelque peu inattendue dans un ouvrage scientifique. Cette gravure montrait des “kobolds des légendes germaniques”, occupés à extraire de la roche un squelette d’ichthyosaure au fond d’une caverne ornée de stalactites entre lesquelles volent des chauves-souris. L’image, romantique s’il en est, mêle les découvertes de la géologie et de la paléontologie aux créatures fantastiques de l’imaginaire européen ; elle est symptomatique d’une certaine vision de la géologie au xixe siècle, empreinte de fantastique et de romantisme.

Le contexte culturel et historique qui favorise l’émergence d’une nou-velle science n’est pas toujours des plus rationnels ! Paradoxalement, les Romantiques ont été les fées penchées sur le berceau de celle dont on pourrait dire qu’elle a, plus que toute autre, les “pieds sur Terre”.

par Eric Buffetaut,paléontologue, directeur de recherche au CNRS

Ichthyosaure commun, Ichthyosaurus communis, d’après Buckland. Gnomes ou Cobales des légendes allemandes,

d’après L’Univers de Félix-Archimède Pouchet (1872).

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ESPÈCES № 14 - Décembre 2014

Mammologie Dossier - Géologie Entomologie Anatomie Génétique Ichtyologie Epistémologie

romantique ?

Le voyageur contemplant une mer de nuages, de Caspar David Friedrich (1818, Cybershot800i/Creative Commons).

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ESPÈCES № 14 - Décembre 2014

Géologie Microbiologie Palynologie Ophiologie - La géologie, science romantique ? Météorologie Phylogénétique

Les circonstances historiques sont pour quelque chose dans cette approche romantique de la science géologique. La géologie prend son essor en tant que discipline scientifique durant les premières décennies du xixe siècle, qui voit aussi l’apogée du Romantisme en tant que mouvement artistique et intellectuel. Mais d’autres sciences qui se sont développées à la même époque, comme la physique ou la chimie, n’ont pas suscité une telle ferveur poétique et imaginative. Si la géologie a pris ce visage, c’est qu’elle parlait à l’âme romantique, et cela pour plusieurs raisons. Un des aspects du Romantisme est la découverte de la nature : les montagnes, les rivages, les lieux déserts ne sont plus considérés comme des “solitudes affreuses” mais comme des lieux sublimes suscitant l’admiration. Le géologue du début du xixe siècle parcourt justement ces paysages naturels, pour les étudier et en comprendre la formation. Sur ce terrain, le savant – comme on disait alors – et l’artiste se rencontrent. La grotte basaltique de Fingal, sur l’île écossaise de Staffa, par exemple, attire énormément l’attention des géologues et de nombreuses gravures la représentant ornent les pages de leurs livres. Les artistes aussi s’enthousiasment pour cette curiosité naturelle : elle inspire notamment à Félix Mendelssohn une ouverture, jouée pour la première fois en 1832 et considérée comme un des chefs-d’œuvre de la musique romantique.

En outre, les explications mêmes que fournissent les géologues de l’époque pour rendre compte des paysages parfois grandioses qu’ils parcourent sont de nature à enflammer l’imagination. Une des premières découvertes de la géologie naissante, c’est que le monde est beaucoup plus vieux que ce que les chronologies traditionnelles, fondées sur la Bible, pouvaient admettre. Même s’il n’est pas encore possible d’estimer précisément ces durées, il est clair qu’elles excèdent largement les 6 000 ans acceptés jusqu’ici. Cet abysse du temps peut donner le vertige aux hommes du xixe siècle. Qui plus est, durant ce passé immense, la Terre a été bien différente de ce qu’elle est aujourd’hui. Les fossiles, dès lors qu’on sait les interpréter, révèlent des mondes disparus peuplés de créatures étranges. Honoré de Balzac ne s’y trompe pas lorsque, dans La peau de chagrin (1831), il fait l’éloge de Cuvier, “l’immortel naturaliste” qui a ressuscité tant d’êtres antédiluviens et en qui il voit “le plus grand poète de notre siècle”, supérieur même à Lord Byron.Mieux encore – et Cuvier en est en grande partie respon-sable –, le long passé de la Terre, en ce début du xixe siècle, est conçu en termes de violents bouleversements. Le catas-trophisme est la théorie dominante, les “révolutions du globe” ont anéanti à plusieurs reprises des faunes entières. Les images que suscitent les recherches des géologues sont

Intérieur de la grotte de Fingal, d’après L’Univers

de Félix-Archimède Pouchet (1872).

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ESPÈCES № 14 - Décembre 2014

Mammologie Dossier - Géologie Entomologie Anatomie Génétique Ichtyologie Epistémologie

The country of the Iguanodon par John Martin (1837, Google Art Project/Creative Commons).

Déluge du nord de l’Europe, planche issue de La Terre avant le Déluge de Louis Figuier, 1863.

celles de cataclysmes et de déluges, propres à exciter l’ima-gination romantique. Les reconstitutions artistiques des mondes disparus qui se multiplient alors, pleines de volcans en éruption et de flots tumultueux, mettent en avant ce ca-ractère chaotique du passé lointain. Lorsque le chirurgien et paléontologue anglais Gideon Mantell (1790-1852) cherche un illustrateur pour le frontispice d’un de ses livres de vul-garisation, The wonders of geology (1838), il fait appel à John Martin (1789-1854), peintre romantique devenu célèbre pour ses grandes compositions apocalyptiques, générale-ment inspirées de thèmes bibliques, où prédominent les élé-ments déchaînés par la colère divine, qu’il s’agisse du Déluge ou de la destruction de Sodome et Gomorrhe. Le pays de l’iguanodon (dinosaure découvert par Mantell) de John Mar-tin (1837) montre un paysage sombre et tourmenté où de monstrueux reptiles se combattent avec férocité. Quelques années plus tard, en 1851, le paléobotaniste autrichien Franz Unger (1800-1870) et l’artiste Josef Kuwasseg (1799-1859) publient une série de lithographies représentant des pay-sages des différentes époques géologiques, qui évoquent des mondes étranges bien différents de celui d’aujourd’hui. De telles scènes éminemment romantiques continueront à orner les ouvrages de vulgarisation pendant une bonne partie du xixe siècle, certains artistes illustrant dans un style très simi-laire aussi bien des livres scientifiques que des œuvres de

fiction. Ainsi Édouard Riou (1833-1900) réalise-t-il des gra-vures à la fois pour le Voyage au centre de la Terre (1864) – sans doute le plus fantastique des romans de Jules Verne – et pour La Terre avant le Déluge (1862), du talentueux vulgarisateur Louis Figuier (1819-1894), livre qui connut de nombreuses rééditions et traductions. Cet ouvrage de Figuier dut cer-tainement une bonne partie de son succès aux nombreuses “vues idéales” de la Terre aux différentes périodes géolo-giques, traitées dans un style des plus romantiques et mettant en scène d’étranges animaux disparus ainsi que de violents cataclysmes. Comme il l’explique dans sa préface, Figuier considère que les découvertes de la géologie et de la paléon-tologie sont bien plus aptes à développer l’imagination chez

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Géologie Microbiologie Palynologie Ophiologie - La géologie, science romantique ? Météorologie Phylogénétique

les jeunes esprits que les contes de fées absurdes dont on les abreuve.Présentée de cette façon, aussi en accord avec l’air du temps, la géologie ne peut qu’attirer le public, comme Pouchet l’avait bien noté. C’est une science qui n’exige pas, du moins à cette époque, un matériel particulièrement coûteux ou sophistiqué, et qui permet d’être au contact de cette nature si prisée pour son caractère sublime. Les géologues amateurs sont nombreux dès les premières décennies du xixe siècle, alors que la professionnalisation de la science en est encore à ses débuts. Tous n’ont évidemment pas les mêmes compétences. Gustave Flaubert, dans son roman posthume Bouvard et Pécuchet (1881), dont l’action se passe dans les années 1840, raille les tentatives calamiteuses des deux protagonistes lorsque, ayant lu quelques ouvrages riches en évocations des paysages fantastiques du passé, ils s’entichent de géologie et finissent par sombrer dans la

« Ce n’est qu’une forêt de champignons. » Illustration d’Édouard Riou pour le Voyage au centre

de la Terre de Jules Verne, 1864 (Creative Commons).

panique à force de trop évoquer des cataclysmes lors d’une excursion aux falaises de Fécamp. Si Bouvard et Pécuchet finissent par se lasser de la géologie, beaucoup d’amateurs bien réels s’adonnent à cette science avec persévérance et accumulent observations et collections. Dans son tableau Der Geologe (1854), le peintre romantique allemand Carl Spitzweg (1808-1885) a magistralement capturé l’émotion ressentie par le géologue sur le terrain : dans les profondeurs pittoresques d’un ravin, l’homme, équipé de ses outils et d’un manuel d’identification, contemple l’échantillon qu’il vient de recueillir ; tout dans sa posture et son regard indique qu’il vit une expérience intense.

Cette vision romantique de la géologie était étroitement liée aux conceptions catastrophistes du début du xixe siècle, avec leurs cataclysmes grandioses anéantissant des faunes et des flores entières. À partir de 1830, cependant, le chercheur écossais Charles Lyell (1797-1875) et ses émules

sur le continent développent une nouvelle interprétation des phénomènes géologiques, qui bannit les catastrophes, et privilégie les changements lents et graduels tels qu’on les observe de nos jours. Ces thèses “uniformitaristes” – encore dites actualistes – vont s’imposer et donner à la géologie un visage plus serein, mais aussi moins pittoresque et moins romantique. Il faudra néanmoins longtemps pour que les images cataclysmiques du passé de la Terre disparaissent des ouvrages de vulgarisation. En 1862, dans la préface de La Terre avant le Déluge, Louis Figuier explique que les catastrophes globales des débuts de la géologie ne sont plus de mise… mais le titre même de son livre ne fait pas moins

« Nous descendions une sorte de vis tournante. » Illustration d’Édouard Riou, pour le Voyage au centre de la Terre de Jules Verne, 1864 (Creative Commons).

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Mammologie Dossier - Géologie Entomologie Anatomie Génétique Ichtyologie Epistémologie

Illustration de l’ouvrage de Camille Flammarion, Le Monde avant la création de l’homme, 1886.

Le géologue, de Carl Spitzweg, 1860 (Von der Heydt Museum, cliché The Yorck project/Creative commons).

allusion à un tel cataclysme et certaines de ses illustrations perpétuent l’idée d’un monde primitif en proie à la violence des éléments. En 1886, les gravures du livre de Camille Flammarion Le Monde avant la création de l’homme restent fidèles à ce style.

La géologie a depuis longtemps perdu l’aura romantique qu’elle a pu posséder à ses débuts, il y a deux siècles. D’un point de vue purement scientifique, on ne doit sans doute pas le regretter, mais c’est avec une certaine nostalgie que l’on peut contempler l’époque lointaine où elle fixait “l’at-tention de la multitude”. ❁

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ESPÈCES № 14 - Décembre 2014

Géologie Microbiologie Palynologie Ophiologie - La géologie, science romantique ? Météorologie Phylogénétique

Dans l’inconscient collectif, les requins sont souvent associés à deux idées fortes : ce sont tous de terribles prédateurs et ils nous viennent du fond des âges sans avoir beaucoup changé. Comme nous allons le voir, ces deux images sont fausses, mais, pour bien le comprendre, il faut remettre ces animaux dans leur contexte phylogénétique.

Holdenius attaquant un cténacanthe (Dévonien des États-Unis, il y a 370 millions d’années).

ESPÈCES № 11 - Mars 2014

Biologie RECHERCHE - Paléontologie Palynologie Ophiologie Taxinomie Mammalogie

L’âge d’or desrequins

L es requins appartiennent tous à la classe des chondrichthyens, ou poissons cartilagineux, qui regroupe aujourd’hui, en plus des requins (formant le

groupe des sélachimorphes), les raies (appelées également batomorphes) et les chimères (ou chimaeriformes). Avec plus de 600 espèces, les raies représentent de loin le groupe le plus diversifié. On ne compte qu’un peu moins de 500 espèces de requins et une cinquantaine d’espèces de chimères. Comme nous allons le voir, l’évolution des requins ne peut se comprendre si on ne prend pas en compte l’intégralité des chondrichthyens, car une morphologie de type requin est apparue plusieurs fois indépendamment au sein de ce groupe.

Mais qu’en est-il du requin dominant les écosystèmes marins actuels ? Ces super-prédateurs existent, bien entendu, et c’est le cas des grands lamniformes (tel le grand requin blanc) et carcharhiniformes (tel le requin-tigre), mais le plus petit requin actuel, Etmopterus perryi, ne dépasse guère 18 cm de long et ne peut certes pas se ranger dans la catégorie “super-prédateur”. En fait, la grande majorité des espèces de requins dépasse rarement deux mètres de long et est totalement inoffensive pour l’homme. Les plus grandes espèces sont d’ailleurs tout aussi inoffensives. Le requin-baleine, qui pourrait peut-être atteindre 21 m de long, et le requin pèlerin, de plus de 10 m de long, sont de paisibles mangeurs de plancton, à la manière des baleines.

par Gilles Cuny, conservateur au muséum d’histoire naturelle du Danemark

Illustrations d’Alain Bénéteau

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ESPÈCES № 11 - Mars 2014

Climatologie Entomologie Écologie Physiologie - L’âge d’or des requins Océanograpraphie Minéra

Requin moderneCladoselache

d’épines de forme massive, et, contrairement à ce que l’on observe chez les Sélachimorphes, les centres vertébraux* ne sont pas calcifiés. Ce dernier caractère, faute de fournir une colonne vertébrale rigide, rend difficile une nage rapide sur de grandes distances ; associé au manque de mobilité des nageoires pectorales, on obtient un animal beaucoup moins agile et rapide qu’un requin moderne.Avec leurs proches cousins, Cténacanthes et Symmoriiformes – sur lesquels nous reviendrons –, les Cladosélachidés correspondent à l’une des premières apparitions d’une morphologie de type “requin”. Mais, comme nous l’avons vu, ces animaux ne sont pas vraiment apparentés aux Sélachimorphes modernes, ils sont beaucoup plus anciens que ces derniers. Ils ne représentent d’ailleurs pas non plus la toute première apparition d’une morphologie de type “requin”. Cet honneur revient pour l’instant aux

Moins “fossile” qu’il n’y paraît

Mais pourquoi cette idée que les requins sont des animaux ayant peu évolué au cours des temps géologiques ? Cette idée remonte à l’un des plus anciens requins dont des squelettes complets furent découverts dès la fin du xixe siècle : Cladoselache. Âgé d’environ 370 millions d’années, cet animal ressemble beaucoup à un requin moderne. Cette ressemblance n’est cependant que superficielle, car, à y regarder de plus près, on se rend compte que de très nombreuses différences le distinguent du requin moderne (sélachimorphes) : la gueule est en position terminale (et non ventrale), les dents développent une racine en forme de plateforme et ne tombent pas immédiatement (“ornant” l’extérieur de la gueule de l’animal), les nageoires pectorales sont très peu mobiles, les nageoires dorsales sont précédées

Schéma de comparaison des nageoires pectorales d’un Sélachimorphes et de Cladoselache.

Reconstitution de Cladoselache.

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ESPÈCES № 11 - Mars 2014

Biologie RECHERCHE - Paléontologie Palynologie Ophiologie Taxinomie Mammalogie

Antarctilamniformes, datés du Dévonien moyen, il y a plus de 380 millions d’années… en attendant de trouver un fossile plus ancien.

Un armement défensif

On remarque souvent chez ces premiers requins la présence d’épines en avant des nageoires dorsales, et, parfois, des nageoires pectorales. À cette époque, les requins n’ont pas encore atteint le sommet des chaînes alimentaires. La position de super-prédateurs appartenait alors aux Placodermes, les poissons cuirassés, dont les plus grands spécimens, tel Dunkleosteus, atteignaient six mètres de long. Les requins étaient donc plus souvent proies que prédateurs et ces épines leur permettaient, dans une certaine mesure, de se protéger des placodermes. Un fossile remarquable du Dévonien

Reconstitution de “Ctenacanthus” costellatus (Carbonifère d’Écosse, il y a 330 millions d’années).

Reconstitution de Stetacanthus, un Symmoriiformes du Carbonifère d’Écosse (il y a 320 millions d’années).

Arbre phylogénétique des chondrichthyens (d’après Ginter M., Hampe O. et Duffin C. J., 2010 – Chondrichthyes. Palaeozoic Elasmobranchii : Teeth : München, Verlag Dr. Friedrich Pfeil).

Omalondontiformes

Antarctilamniformes

Phoebodontiformes

Xenacantimorpha

Symmoniformes

Cladoselachiformes

Ctenacanthiformes

Neoselachil

Hybodontiformes

Orodontiformes

Eugeneodontiformes

Petalodontiformes

Holocéphali

Cladodontomorphi Neoselachil Subterbrianchialia

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ESPÈCES № 11 - Mars 2014

Climatologie Entomologie Écologie Physiologie - L’âge d’or des requins Océanograpraphie Minéra

supérieur des États-Unis démontre clairement cela : il s’agit du crâne d’un placoderme de 1,50 m de long nommé Holdenius, dont le palais est transpercé par l’épine dorsale d’un cténacanthe de 70 cm de long. Lors d’une attaque de notre placoderme sur ce requin cténacanthe, l’épine dorsale de ce dernier lui perfora le palais, unissant ainsi prédateur et proie dans la mort. La présence de telles épines défensives se retrouve encore aujourd’hui chez certains Sélachimorphes n’atteignant pas une grande taille, tels les Squalidés et les Hétérodontidés.

De nouvelles formes extraordinaires

La disparition des Placodermes à la fin du Dévonien – lors d’une extinction en masse qui, il y a 359 millions d’années,

mit également fin à l’existence de nombreux requins anciens tels les Cladosélachidés – va libérer de nombreuses niches écologiques que vont occuper les poissons cartilagineux survivants, que ce soit sous forme de “requins” ou autres. Deux lignées vont immédiatement tirer parti de cette situation : les Symmoriiformes et les Cténacanthes.Chez les Symmoriiformes, une variation autour de la morphologie “requin” va donner naissance à des animaux que l’on pourrait croire tout droit sortis d’un film de science-fiction : ils se caractérisent tous par un petit cartilage de forme triangulaire à la base de leur nageoire dorsale, ainsi que par un “fouet” prolongeant la base de leur nageoire pectorale. Mais leur particularité majeure ne se trouve que chez les mâles, qui développent d’incongrus crochets et brosses juste en arrière de la tête. Ces ornements servaient, lors de la période des amours, à attirer les femelles… qui conservaient un aspect plus anodin. Cependant, comme mâles et femelles vivent souvent séparés, ils sont rarement retrouvés ensemble. Du coup, il est souvent bien difficile de déterminer qui est le mâle de quelle femelle, et vice-versa. Notons que l’on retrouve chez nombre de sélachimorphes actuels cette ségrégation entre mâles et femelles, les deux sexes ne se retrouvant qu’à la saison des amours. Certains symmoriiformes atteindront une taille très respectable (de l’ordre de trois mètres de long), et s’installeront au sommet de certaines chaînes alimentaires.Les cténacanthes sont, quant à eux, des animaux qui nous apparaissent de prime abord plus proches de nos requins actuels, nonobstant les épines bien développées en avant de chacune de leurs nageoires dorsales. Au Carbonifère et au Permien, les plus grands cténacanthes atteindront six mètres de long et partageront avec les symmoriiformes la niche des super-prédateurs marins.Un peu plus tard au cours de l’évolution des poissons cartilagineux, au Carbonifère, il y a environ 325 millions d’années, un autre groupe, les Eugénéodontiformes, va développer une morphologie de type “requin”, bien

Reconstitution de Fadenia, un Eugénéodontifores du Permien du Groënland (il y a 260 millions d’années).

Tête de Sarcoprion edax, illustrant les grandes dents symphysaires de cet Eugénéodontifores du Permien du Groënland (il y a 260 millions d’années).

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ESPÈCES № 11 - Mars 2014

Biologie RECHERCHE - Paléontologie Palynologie Ophiologie Taxinomie Mammalogie

Photo d’une spirale dentaire d’Helicoprion.

qu’ils ne possèdent qu’une seule grande nageoire dorsale située en avant sur le corps et un petit fouet à la base des nageoires pectorales. Malgré cette morphologie, les eugénéodontiformes sont en fait plus proches des chimères que des sélachimorphes. Leur principale caractéristique est le développement d’une incroyable série de dents là ou se rejoignent les deux mâchoires inférieures, la symphyse, d’où le nom de dents symphysaires*. Ces dents sont remplacées de la même manière que chez un requin moderne, sauf chez Helicoprion, où les dents ne tombent pas mais s’enroulent en une spirale pouvant compter plus de 160 dents. Pouvant atteindre huit mètres de long, Helicoprion représente l’un des plus impressionnants super-prédateurs de la fin du Permien, il y a 260 millions d’années. Les dents symphysaires se trouvent normalement uniquement sur la mâchoire inférieure, sauf chez Edestus, qui était pourvu d’une série inférieure et supérieure, formant une improbable cisaille.

Une histoire familiale riche et complexe

Les trois groupes décrits ci-dessus ne sont que de lointains cousins des sélachimorphes actuels qui ont suivi leur propre chemin évolutif, et tous disparaissent entre la fin du Permien et le début du Trias, il y a entre 250 et 240 millions d’années.Les Xénacanthes présentent un autre aspect de l’évolution des “requins” qui apparaissent plus ou moins en même temps

que les Eugénéodontiformes. Ils développent un corps anguilliforme très allongé, avec une épine plantée à la base du crâne. Leur autre particularité est d’être fort abondants dans les rivières et les lacs. Les plus grands xénacanthes dépassent 2,50 m de long et représentent de redoutables prédateurs dans les lacs et les rivières du Permien. Il ne faut pas oublier que, même aujourd’hui, on trouve des requins dans les rivières, tel le requin bouledogue (Carcharhinus

Prélude à l’accouplement chez Falcatus falcatus, un Symmoriiformes du Carbonifère des États-Unis (il y a 320 millions d’années).

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Climatologie Entomologie Écologie Physiologie - L’âge d’or des requins Océanograpraphie Minéra

On dit souvent que l’homme descend du singe, ou que nous descendons des poissons : pourtant, ces groupes sont actuels. Seraient-ils restés primitifs,

identiques à l’ancêtre que nous partageons avec eux ? Une telle vision est souvent implicite en biologie, dans le qua-lificatif “primitif ” ou “inférieur” dont on affuble abusive-ment certains groupes… jusque dans les noms eux-mêmes :

les protozoaires sont vus comme les ancêtres des animaux, les bactéries procaryotes, comme ceux des eucaryotes, ces organismes dont l’information génétique est contenue dans un noyau ; Prochloron, une bactérie photosynthétique, serait l’ancêtre des chloroplastes, les bactéries intracellulaires effec-tuant la photosynthèse dans les cellules végétales… En effet, pro signifie avant et proto, premier. Personne, pourtant, ne prend son frère pour son père : les ancêtres communs appar-tiennent au passé (sur les conséquences souvent désastreuses d’une telle vision sur le devenir de ces sociétés, voir le dossier en ligne de l’IRD : Les derniers peuples chasseurs-cueilleurs des forêts tropicales).Bien sûr, on peut imaginer que ces organismes actuels pré-sentent les caractères des ancêtres dont dérivent, respec-tivement, les hommes, les animaux, les eucaryotes, ou les

Primitiftoi-même !

Marc-André SelosseMuséum national d’histoire naturelle&

Georges AugustinsLaboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative

Une idée reçue et persistante veut que l’homme descende du singe et les sociétés “modernes” des sociétés “traditionnelles” ou “premières”. Mais rien ne justifie l’idée reçue qu’une entité biologique ou culturelle ne connaisse de stase évolutive, ou qu’elle soit un équivalent actuel des ancêtres d’une autre !

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ESPÈCES № 9 - Septembre 2013

Biologie TRIBUNE Anatomie Malacologie Ichtyologie Bactériologie Paléoanthropologie

chloroplastes. Cette idée provient de “l’échelle des êtres”, une vision du monde datant de l’époque classique qui classait les organismes sur une échelle allant vers la perfection et la complexité et se terminait par l’homme, les anges, puis Dieu. Avec la théorie de l’évolution, l’échelle fut transposée en une autre vision, tout aussi extérieure à la science contemporaine, où le bas de l’échelle est primitif, inchangé depuis l’ancêtre, tandis que les échelons du haut, maintenant privés de créa-tures bibliques, sont apparus successivement en accumulant des innovations successives. Il n’en est rien, en fait, car il n’est d’espèce qui n’évolue !En anthropologie, une idée fausse a longtemps prévalu, selon laquelle certaines sociétés constitueraient des témoins vivants de notre propre passé : une telle vision transparaît dans le nom même du “musée des Arts Premiers”. Or, il n’en est rien : elles ont évolué, elles aussi, en s’adaptant à leur envi-ronnement naturel et humain. Cette idée fausse est due à Lewis Morgan, le précurseur de l’anthropologie qui, à la fin du xixe siècle, a pourtant apporté une contribution décisive à sa discipline en montrant que la parenté constituait le socle de toute organisation sociale. Mais il s’est complètement fourvoyé en élaborant une théorie selon laquelle l’évolution humaine progressait en associant trois domaines qui sont les formes de mariage, les types de gouvernement et les tech-niques, cette évolution conduisant de surcroît jusqu’à nos sociétés occidentales. On a pu montrer, par la suite, qu’il n’y a en réalité aucun lien nécessaire entre ces trois domaines et que, bien entendu, les sociétés dites “traditionnelles” ne sont pas des vestiges, arrêtés dans le temps, de notre passé.

Tout évolue !

Les entités biologiques et sociales évoluent perpétuellement (voir l’encadré “Des sociétés comme entités en évolution”), le nier est une forme de fixisme au regard de l’évolution biologique

et culturelle. Chaque entité hérite d’aspects ancestraux qu’elle mélange à d’autres, modifiés quant à eux.Au niveau purement biologique, trois mécanismes sont incessamment actifs : mutation, sélection et dérive. La muta-tion crée de nouvelles variations : beaucoup, peu adaptées voire délétères, disparaissent, mais d’autres, plus adaptatives, sont sélectionnées. On objectera que si l’environnement ne change pas, des mutations ne peuvent apporter d’adaptation qui n’ait déjà vu le jour… mais, justement, le milieu change toujours. D’une part, certaines espèces changent de milieu dans un environnement lui-même globalement stable (nos ancêtres aquatiques s’installèrent ainsi sur la terre ferme). D’autre part, même lorsque les paramètres physico-chimiques restent invariants, des interactions biologiques exigent une évolution pour s’adapter à celle des partenaires… ce qui

L’”arbre de la vie” montrant l’évolution des organismes les plus simples aux plus complexes dans L’évolution de l’homme de Ernst Haeckel (1879). Des groupes actuels, comme les amibes à la base de l’arbre, se retrouvent en position d’ancêtres.

conduit à l’extinction de ceux qui ne s’adaptent pas. Ainsi, dans l’évolution humaine, les peuples qui élèvent du bétail sont adaptés aux maladies transmises par celui-ci : on réa-lise les adaptations cumulées par ceux-ci lorsqu’on observe le contact entre Européens et Amérindiens, au xvie siècle. À l’inverse des seconds, les Européens avaient domestiqué moult cochons, volailles, vaches et chevaux, et s’étaient adaptés à la tuberculose, la grippe et la rougeole, issues du lien étroit avec ces animaux. La mort de 50 à 100 millions d’Amérindiens confrontés à ces maladies européennes révèle un tri sélectif qui avait eu progressivement lieu en Europe, mais fut brutal en Amérique. Les Amérindiens avaient contracté la syphi-lis des lamas, l’une de leurs rares domestications animales, qui fit quelques dégâts après son introduction en Europe. Personne n’était “primitif ” : chacun avait évolué au gré de

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ESPÈCES № 9 - Septembre 2013

Géologie Microbiologie Palynologie Ophiologie - Primitif toi-même ! Zoologie Systématique A

ces interactions biologiques qui condamnent les entités bio-logiques à une incessante évolution.Indépendamment de l’adaptation, des facteurs démogra-phiques modifient aussi les groupes biologiques par le phé-nomène de dérive. Lorsqu’une population subit une chute démographique, suite à l’apparition d’une maladie ou à un accident environnemental, ou encore à une migration créant un nouveau groupe, les survivants portent des caractères échantillonnés au hasard dans la population initiale, qui ne sont pas tous adaptatifs. Les Finlandais souffrent aujourd’hui de nombreuses maladies génétiques (par ailleurs rares en Europe) transmises par la poignée de fondateurs initiale-ment arrivés en Finlande. Sur de plus longs temps, dérive et adaptation se cumulent pour faire évoluer les populations, et, finalement, l’espèce.Les sociétés, quant à elles, évoluent en fonction de deux mécanismes qui sont l’innovation et l’interaction, tant avec le milieu physique qu’avec les groupes voisins. Ces interactions contribuent à la régulation des innovations, en conditionnant leur adoption ou leur rejet. L’innovation culturelle prend le chemin de l’invention ou de la diffusion, car la plupart des sociétés ont des relations durables d’échanges avec leurs voi-sines, même par exemple entre des îles du Pacifique au travers des expéditions maritimes. Quelles que soient leurs vitesses relatives, l’évolution culturelle ne supprime pas l’évolution biologique dans les sociétés humaines ; bien au contraire, ces deux évolutions dialoguent, et la culture exerce elle-même une forme de sélection sur l’homme. Par exemple, l’élevage des bovins dans certaines sociétés a sélectionné la capacité génétique de l’homme à digérer le lactose à l’âge adulte, là où le lait a commencé d’être consommé ; l’agriculture céréalière a sélectionné des duplications des gènes d’amylase, rendant les individus de beaucoup de sociétés agricoles plus aptes à digérer l’amidon. Les sociétés sont donc soumises aux effets de la sélection biologique, et produisent des forces sélectives

liées à la culture. L’évolution des sociétés est bien réelle, et l’évolution humaine qui en résulte peut être caractérisée de “bio-culturelle”.

Mais rien n’est irréversible…

La croyance en l’existence actuelle de formes primitives entre-tient des relations suspectes avec la notion de progrès ou de complexification en évolution, lointains avatars de “l’échelle des êtres” mentionnée en introduction. Souvent, un carac-tère simple est implicitement considéré comme primitif : or l’évolution est aussi faite de réversions, c’est-à-dire de retour vers les états ancestraux. Des espèces actuelles qui présentent des traits simples dérivent d’ancêtres plus complexes, et se sont adaptées par une perte de complexité. L’unicellularité des levures est une perte secondaire de l’état pluricellulaire et filamenteux, général chez les champignons, qui leur permet de se multiplier efficacement dans des milieux plus ou moins liquides, à la façon de bactéries ! L’unicellularité peut donc être “primitive”, certes, mais aussi secondaire.En ethnologie, on s’est aussi demandé s’il était possible qu’une innovation vienne nécessairement après une autre, et interdise tout retour en arrière. Il semble que le monde des techniques illustre la première partie de cette proposi-tion, mais pas la seconde en ce sens que rien n’est vraiment irréversible dans le domaine des comportements techniques. Néanmoins, la reconstitution des techniques lithiques de la préhistoire montre une évolution très nette qui va de l’usage comme outil de la partie principale d’un silex taillé (les éclats de taille sont alors des déchets) à l’utilisation des éclats comme outils fins et précis (la partie principale du silex étant alors le déchet). L’anthropologue et préhistorien du xxe siècle, André Leroi-Gourhan, a proposé une théorie intéressante pour rendre compte de l’évolution des tech-niques : nombre d’innovations techniques consisteraient en

Comme d’autres organismes dont la forme ressemble, au moins superficiellement, à

des fossiles, la limule est souvent vue comme une espèce “primitive”. Il en va de même des

cœlacanthes et autres lys de mer : c’est nier qu’au-delà de leur morphologie, d’autres caractères ont

pu évoluer pendant les millions d’années écoulées… (cliché D. Descouens/Wikimedia commons).

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une extériorisation des fonctions corporelles, ainsi l’outil en pierre écrase les aliments mieux qu’une molaire, le javelot prolonge le bras et jusqu’au livre, à l’ordinateur même, qui prolongent la mémoire, voire le raisonnement. Cependant, des transitions techniques majeures comme le passage à l’agriculture connaissent parfois des retours en arrière : les Mlabris, une tribu de chasseurs-cueilleurs de Thaïlande, ont abandonné l’agriculture il y a quelques siècles, retournant à une stratégie qui fut la première de l’humanité. Notre propre histoire, après la disparition de l’Empire romain, a été marquée par une perte (certes rendue transitoire par la Renaissance, mais d’une durée millénaire) de nombreux ac-quis culturels, tant en matière d’art que d’ingénierie. De telles réversions restent rares et peu documentées ; elles concernent en tout cas le domaine des techniques, et plus rarement celui des institutions.Pour ce qui est de la parenté, par exemple, il n’est pas du tout avéré que la monogamie soit un état postérieur à la

polygamie ; il suffit de constater que, dans le monde moderne du xxie siècle, nous sommes en réalité dans un régime de polygamie successive et non plus de stricte monogamie : plus de la moitié des mariages se soldent par un divorce, souvent suivi de remariage(s). S’agissant de la filiation, c’est-à-dire du processus par lequel sont transmis les droits et les devoirs aussi bien que l’appartenance à des groupes de parenté, il est très possible que la filiation matrilinéaire ait précédé la filia-tion patrilinéaire : il existe, en effet, des arguments en ce sens, mais pas d’observation directe d’un tel changement ; quant à la filiation dite “indifférenciée” (ni patri- ni matrilinéaire), qui ne privilégie donc aucune lignée, elle n’est nullement le privilège du monde développé, comme on l’a cru autre-fois : les Eskimos ont la même. La question de l’évolution des formes de pouvoir (le troisième élément du triptyque lié dans la vision de L. Morgan) est encore plus complexe car elle peut prendre des voies très différentes qui relèvent soit de

Planche issue de l’Art national d’Henri du Cleuziou (1882).

L’échelle des races humaines selon Nott et Gliddon dans Types of Manking (1854).

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Des sociétés comme entités en évolution

Entre l’évolution des espèces et celle des sociétés humaines existe une différence d’échelle chronologique considérable. Tandis que l’évolution des espèces relève d’un temps long et de ce qu’on appelle la macroévolution, l’évolution des cultures humaines opère sur des temps plus réduits, de l’ordre de ceux où évoluent les populations d’organismes (microévolution). Or, en sciences de l’évolution il y a parfois débat sur l’identité des mécanismes micro et macroévolutifs : les seconds résultent-ils de la somme des premiers au cours du temps ou bien sont-ils structurés par des événements rares ou des mécanismes émergeant sur le temps long qui impriment une marque unique ? Nous éludons ici cette discussion, en remarquant que bien qu’aucune réponse ne fasse consensus, on conçoit souvent tacitement la macroévolution comme une accumulation de microévolutions.

Notre propos est d’analyser avec les mêmes concepts espèces et sociétés comme des entités biologiques en évolution… Pour les propriétés qui en résultent et qui font l’objet de cet article, la macroévolution ne diffère guère de la microévolution : au cours du temps, la permanence de l’évolution dilue toujours des traits ancestraux, qui persistent, parmi des traits nouveaux qui apparaissent.

La question de savoir si l’on doit considérer ou non que les sociétés humaines ont été et sont encore le lieu d’une évolution peut sem-bler oiseuse au biologiste ; elle est encore actuelle pour nombre

l’histoire (conquêtes, formes, etc.) soit de processus endo-gènes, lesquels tiennent, par exemple, à l’émergence de branches dominantes au sein d’un lignage et à la perpétua-tion de cette domination, et des réversions existent…D’une manière générale, lorsqu’il s’agit des êtres humains et de leurs sociétés, les mécanismes de transmission entre générations, qui sont évidemment le ferment de l’évolution, comportent deux objets distincts : la reproduction sexuée proprement dite, comme pour nombre d’animaux, mais aussi la perpétuation d’un statut social par voie de succession et d’héritage. Ce sont les complémentarités entre ces deux aspects qui caractérisent les sociétés humaines et rendent leur évolution si variée et si difficile à formaliser.

Les formes primitives : un passé disparu sans retour

Aucune entité biologique ou sociale ne porte exclusivement des caractères ancestraux ; il faut toujours chercher ce par quoi elle s’est modifiée. Il n’en reste pas moins que certains traits d’espèces actuelles sont apparus plus anciennement que leur homologue dans d’autres espèces : la nageoire des pois-sons est apparue avant les membres (patte ou aile) des verté-brés terrestres, qui dérivent évolutivement de nageoires. Dans les sociétés, la pierre taillée est apparue avant la pierre polie. En ce sens, on peut à la rigueur qualifier de primitif ou d’an-cestral un trait élémentaire (les biologistes préférèrent dire “plésiomorphe”, ce qui est moins connoté). Néanmoins, il serait faux de qualifier de primitive l’espèce ou la société qui porte ce trait : elle en porte d’autres qui ont été modifiés (voir l’encadré ci-dessous). Ainsi, chez le chimpanzé, la marche sur les phalanges (ou knuckle-walking), une marche quadrupède

Photo commentée « Dans le centre et l’ouest de l’Australie, il y a beaucoup de tribus indigènes qui vivent de la façon la plus primitive […] on les classe généralement avec les races noires » (OSU collection & archives).

d’anthropologues. Il y a cent cinquante ans, l’ethnologie est née, accom-pagnée d’une théorie de l’évolution (celle de Morgan, évoquée dans le texte) qui ne devait rien à Darwin, selon laquelle toutes les sociétés humaines étaient passées par des stades dont les sociétés “autres” constituaient des témoins vivants. Lorsque cette théorie insoutenable a été réfutée, le point de vue a consisté à étudier la logique d’organisation des sociétés sans plus se préoccuper de leur histoire possible (c’est le “fonctionnalisme”). L’effet non voulu de ce point de vue a été d’opposer des sociétés conçues dans leur logique historique (les nôtres) à d’autres qui n’en avaient pas : on a dès lors eu bien du mal à ne pas les nommer “primitives”. C’est là une position désastreuse qui consiste à minimiser, voire à nier, toute forme d’évolution des sociétés “autres”. L’ethnologie classique s’est alors développée loin de toute analyse d’inspiration darwinienne.

Relire les sociétés humaines comme le lieu de processus évolutifs est un enjeu encore à peine effleuré en anthropologie.

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qui utilise les articulations des doigts fléchis des membres antérieurs, est une acquisition secondaire (il est intéressant de voir que nous la considérons souvent, mais à tort, comme un trait primitif, sans doute parce que nous portons une vision “primitive” des chimpanzés) ; les mousses, parfois considé-rées comme des végétaux terrestres “primitifs”, possèdent plusieurs innovations (comme leurs petites “feuilles” qui dif-fèrent des feuilles des plantes, ou la structure complexe des capsules portant leurs spores).Dans le domaine biologique, il n’y a donc pas de fossile vivant : ce terme, qui désigne des espèces qui ressembleraient à des fossiles, se conçoit lorsque quelques caractères morpho-logiques n’ont pas varié (on peut les voir comme primitifs), mais c’est une approximation : dans le détail, les feuilles du ginkgo, considéré comme un fossile vivant, diffèrent sou-vent des feuilles des ginkgos fossiles ; le cœlacanthe actuel, parfois présenté comme un fossile vivant de l’ancêtre des vertébrés terrestres, diffère radicalement des formes fossiles quant à la structure interne de ses nageoires. De plus, on ne peut l’extrapoler aux autres traits : les interactions biolo-giques et la dérive, nous l’avons vu, impliquent une évolu-tion incessante. Un “fossile vivant” actuel ne pourrait donc sans doute pas féconder un de ses ancêtres, même semblable par la forme, s’il venait à le rencontrer !On peut néanmoins reconstruire l’ancêtre biologique et les caractères primitifs qu’il contenait. Une méthode part des organismes actuels pour reconstituer des arbres phylogéné-tiques sur lesquels on peut inférer l’évolution des caractères : ainsi, on extrapole que certains traits sont ancestraux, qui ont persisté ici ou là. Surtout, une approche diachronique est possible, pour la morphologie voire le comportement,

grâce à la paléontologie qui permet de regarder le passé directement.S’agissant des sociétés humaines, il n’y a pas non plus de fossiles vivants. Il faut renoncer au vain espoir de trouver des groupes humains “témoins de notre passé” comme on l’entend dire trop souvent. Reconstituer des états anciens de la vie sociale en analysant des états présents n’est guère pos-sible que dans le domaine des techniques. Lorsqu’on dispose de généalogies de populations, on peut inférer l’évolution de traits culturels : ainsi a-t-on reconstitué comment l’utilisation du lait des bovins est apparue (et a été délaissée) plusieurs fois en Afrique. Pour autant, la méthode comparative – qui vise justement à comparer, non pas des sociétés entières les unes aux autres, mais certains traits des sociétés entre eux, par exemple les formes de transmission des statuts sociaux et des biens entre générations – invite à considérer que trois méca-nismes au moins ont joué partout et toujours un rôle essen-tiel : la solidarité de parenté (qui peut prendre des formes très variées), l’exigence de la réciprocité dans les relations interindividuelles et, paradoxalement, l’émergence des hié-rarchies qui malmènent cette réciprocité.

Ainsi émerge une vision convergente de l’évolution des sociétés et des espèces, où aucune lignée n’accumule tous les changements, tandis que d’autres resteraient figées, et où l’évolution ne présente aucune tendance systématique à la complexification. Si un trait donné peut être primitif (parce que des variantes différentes sont apparues après sa propre apparition), il est improbable qu’une entité biologique soit exclusivement constituée de traits primitifs. Il nous faut apprendre à lire, dans toutes les sociétés et toutes les espèces, des chimères de traits ancestraux et d’innovations. Il faut, enfin et surtout, être vigilant à exclure de notre discours les termes qui portent implicitement l’idée que des groupes pri-mitifs existent actuellement. ❁

Pour en savoir plus

> Lecointre G, Fortin C., Guillot G. & Le Louarn-Bonnet M.-L. 2009 – Guide critique de l’évolution, Belin.

> Postel-Vinay O., 1997 – Stephen Jay Gould : « Il n’y a pas de sens à l’évolution », La Recherche, n° 301, p. 111 (http://www.larecherche.fr/savoirs/autre/stephen-jay-gould-il-n-y-a-pas-sens-evolution-01-09-1997-89192).

> Selosse M.-A. & Godelle B., 2012 – Darwin, mal enseigné en France ? Les Dossier de la Recherche, n° 48, p. 26-28.

> Les derniers peuples chasseurs-cueilleurs des forêts tropicales : www.mpl.ird.fr/suds-en-ligne/foret/habitants/chasseurs03.

Le psilote (Psilotum nudum). Cette espèce sans feuille portant juste des masses de spores a longtemps été présentée comme un fossile vivant et un ancêtre des plantes terrestres. Outre que ces ancêtres ont depuis longtemps disparu – ou ont donné naissance à des descendants différents – il s’est avéré qu’il s’agit d’une espèce de fougère secondairement simplifiée : sa ressemblance aux formes ancestrales, d’ailleurs superficielle, est secondaire (cliché A. Bizot).

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R esponsable d’une chute drastique de la biodiver-sité en milieu rural, l’impact de l’activité humaine s’avère désormais moins nuisible dans les grandes

villes et autres métropoles européennes. Délocalisation des activités industrielles les plus polluantes et accroissement des espaces verts permettent à de nombreuses espèces, et notamment à d’anciens symboles de nos campagnes (abeilles, oiseaux, rongeurs…), de réinvestir les villes. Autre ingrédient majeur à ce paradoxal retour en force du monde animal dans nos cités, le prolixe imaginaire graphique des graffitis-artistes et des street-artistes qui se réapproprie murs et mobiliers urbains et donne à voir un impressionnant bestiaire à la diversité visuelle stimulante. [Yann Cherruault] ❁

BestiairePar Yann Cherruault et Tarek Ben Yakhlef

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Biologie PORTFOLIO Entomologie Herpétologie Mycologie Malacologie Microbiologie

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Primatologie Phycologie Anatomie Climatologie - Street art Océanographie Systématique

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Biologie PORTFOLIO Entomologie Herpétologie Mycologie Malacologie Microbiologie

1 : Ozmo ; 2 : Mosko & Associés ; 3 : Bonom ; 4 : Roa ; 5 : Lily Mixe ; 6 : Sardine Animal ; 7 : Thierry Noir ; 8 : Codex urbanus ; 9 : Mosko & Associés ; 10 : Mosko & Associés ; 11 : Londres, inconnu ; 12 : Knar ; 13 : War ; 14 : Sardine Animal ; 15 : Londres, inconnu ; 16 : Tant ; 17 : Berlin, inconnu ; 18 : M. Chat ; 19 : Londres, inconnu ; 20 : Papi Microgramm ; 21 : War, 22 : Mosko & Associés ; 23 : The Sheepest ; 24 : Zoo Project (R.I.P. ) ; 25 : Airborne Mark ; 26 : Zoo Project ; 27 : Mosko & Associés.

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Primatologie Phycologie Anatomie Climatologie - Street art Océanographie Systématique

la diversité de ces espèces qui, par ail-leurs, ne nous font pas rêver, comme le font les dauphins ou les albatros.

Les oubliés de la biodiversité n’ont pas non plus d’impact sanitaire, comme en ont, par exemple ces acariens, toujours aussi petits et moches, mais si proches de nous… ces derniers sont, en effet,

Les oubliésde la biodiversité

Petits et moches :

uiconque a feuilleté plusieurs ouvrages de zoologie ou de botanique avec suffisamment

d’assiduité a pu re-marquer ces groupes dont on connaît peu de chose. Ces groupes d’espèces n’ont généralement pas d’intérêt ali-mentaire, donc pas d’intérêt ni éco-nomique ni agronomique, comme en ont les cochenilles, ces minuscules insectes hémiptères coccoïdes, petits et moches, mais qui sont de redoutables parasites de nos plantes cultivées. On se doit donc d’étudier la biologie et

Guillaume LecointreDirecteur du département “systématique et évolution” du Muséum national d’histoire naturelle Illustration Arnaud Rafaelian

dans nos lits et dans nos poussières, et leurs déjections provoquent chez nous des éternuements et des allergies. Du coup, la punition du zoologiste retar-dataire consistera à étudier non pas ces superbes scarabées aux élytres rutilants – désolé, la place est déjà prise ! – mais les acariens, dont les photos en micros-copie électronique donneraient des

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ESPÈCES №6 - Décembre 2012

Biologie Carte blanche à... Phylogénie Archéozoologie Malacologie Éthologie Ichtyologie

cauchemars au docteur Frankestein lui-même.

Les oubliés de la biodiversité ne sont pas non plus retenus pour leur esthé-tique, comme le sont les papillons ou les mantes religieuses. Les laissés-pour-compte du vivant sont également dé-pourvus de toute dimension symbo-lique, comme peut en être pourvu le cœlacanthe – autre animal par ailleurs pas très beau, et dont le rôle écologique est négligeable. Les limules peuvent être rangées dans la même catégorie : comme le cœlacanthe, elles ont béné-ficié d’une charge symbolique de “fos-sile vivant”, titre usurpé puisqu’il sug-gère que l’évolution organique pour-rait s’arrêter, ce qui n’est pas le cas. En conséquence, on ne risque pas de re-trouver ces invisibles sur des armoiries, comme on peut trouver l’aigle, qui figure sur les armoiries d’une dizaine de pays européens, et de pas moins de douze pays ailleurs dans le monde, dont les États-Unis d’Amérique.

Les inconnus des Trivial Poursuite sont en général suffisamment petits pour qu’on ne les voie pas. On ne risque pas d’y trouver des girafes, des éléphants et autres baleines. Leur existence n’a pas posé à la biologie de grands problèmes théoriques, comme en ont posé les rotifères bdelloïdes, autres minuscules mochetés dont on ne connaît aucun mâle et qui pratiquent la parthénoge-nèse depuis si longtemps que leur pé-rennité est devenue un mystère pour les biologistes ; ou comme les tardi-grades, eux aussi repoussants et infra-millimétriques, mais qui sont capables de ressusciter après dessiccation, après passage à l’hélium liquide ou de sup-porter des doses de rayons X équiva-lentes à mille fois la dose mortelle pour l’homme.

S’ils ne sont pas retenus pour leur extrême beauté, comme le sont les mollusques gastéropodes nudibranches aux couleurs éclatantes, le paon ou la panthère longibande, les “sans domi-cile fixe” du savoir ne sont même pas

Protoure du genre Baculentus (dessin J.-F. Dejouannet).

Psocoptère du genre Liposcelis (dessin G. Bosquet).

retenus pour leur extrême laideur, comme le sont les téléostéens lophii-formes cératoïdes, les haches d’argent et les concombres de mer des grands fonds marins. Ils ne nous laissent même pas la possibilité de nous projeter en eux, comme le font si bien les singes devant lesquels on se bouscule dans les zoos. Bref, ils sont insignifiants, et leur extinction ne provoquerait aucun lever de banderoles, comme on en voit dès qu’on évoque la disparition de la pan-thère des neiges ou du grand panda.

Mais alors, qui sont ces organismes qui ne suscitent aucune vocation ? Prenons pour exemple les protoures. Dans les traités d’entomologie leur existence se résume généralement en cinq lignes. Ce sont de petits hexapodes au corps allongé, d’une taille comprise entre 0,5 et 2,5 mm. L’abdomen comporte douze segments, dont les trois premiers portent des appendices rudimentaires parfois interprétés comme des pattes vestigiales. Bien qu’ils aient six pattes au thorax, ils sont fonctionnellement tétrapodes : en effet, la paire de pattes antérieure est dirigée vers l’avant et ne sert pas à la locomotion ; elle est pourvue de soies sensorielles et joue finalement le rôle d’antennes. Leur tête conique est par ailleurs dépourvue d’antennes et d’yeux. Ils sont généra-lement de couleur pâle, blanchâtre, ou translucides. On les trouve dans le sol,

les litières de feuilles dans lesquelles ils se nourrissent principalement de champignons mycorhiziens, par suc-cion. Leur densité est faible, compa-rativement aux collemboles et autres arthropodes du sol. On les trouve également dans les mousses et le bois pourrissant. On en connaît tout de

même 700 espèces, mais ce chiffre est très probablement très sous-estimé, car le nombre de spécialistes s’étant pen-chés sur leur cas n’est pas très élevé.

On peut citer aussi les psoques. Les psocoptères sont de petits insectes de 1 à 10 mm de long, proches cousins des poux. Ils vivent dans la matière végétale de la litière, dans le compost, sous les souches ou sous les pierres, dans les galeries des insectes foreurs du bois, dans les nids des insectes sociaux. Solitaires ou grégaires, ils se nour-rissent en grattant les films bactériens, les spores, les filaments fongiques, les algues et les lichens à la surface des végétaux pourrissants ou bien vivants ; il leur arrive aussi de consommer des œufs d’autres insectes. On en connaît environ 4 400  espèces ; mais ils font partie des moins connus des insectes.

Il existe beaucoup d’autres groupes actuels ou fossiles dont on imagine mal comment un étudiant pourrait s’enticher au point de vouloir faire carrière dessus, du genre : « Professeur, je suis passionné des myxines, où puis-je travailler dessus ? ». On peut remplacer “myxines” dans la phrase précédente par “hyracoïdes”, “échiuriens”, “ré-mipèdes”, etc. On en voit davantage touchés par le syndrome du gentil dauphin si intelligent ou des mignons petits singes. Ne craignons pas, cepen-dant, d’espérer davantage de connais-sances sur ces oubliés de la biodiver-sité : qui la connaît bien sait ce qu’elle peut receler de surprises. a

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ESPÈCES №6 - Décembre 2012

Mammalogie Primatologie Zoologie Palynologie - Guillaume Lecointre Mycologie Botaniqu

Dans Le garçon qui criait au loup, Ésope, le célèbre fabuliste grec, relate comment un jeune ber-

ger – qui devait sans doute s’ennuyer – s’amusait à alarmer régulièrement ses voisins en leur faisant croire qu’un loup attaquait son troupeau. Lassés des facéties du garçon, les villageois res-tèrent chez eux le jour où le loup s’en

prit vraiment au troupeau du menteur : ce dernier appela à l’aide, mais en vain. La morale de l’histoire est connue : « À trop crier au loup, on finit par ne plus y croire. »Dans le “désert” du Kalahari, en Afrique du Sud, il est un oiseau qui semble avoir tiré la leçon des écrits du fabuliste. Ce passereau, le drongo

brillant (Dicrurus adsimilis), est caracté-risé par un plumage noir réfléchissant, des yeux rouges et une longue queue fourchue. Il appartient à une famille, celle des Dicruridés, qui comprend des espèces entretenant des relations originales avec d’autres oiseaux et parfois des mammifères. Le drongo brillant est notamment bien connu pour rechercher sa nourriture en sur-veillant d’autres animaux en quête de leur pitance au niveau du sol, qu’il s’agisse de divers oiseaux ou de suri-cates (Suricata suricatta), ces petites mangoustes (famille des Herpestidés) vivant en clans bien structurés. Ainsi, lorsque dans ses déplacements un groupe de suricates fait s’enfuir des proies (arthropodes ou petits verté-brés), le drongo, qui les accompagne parfois pendant des heures, prélève sa quote-part. Les suricates bénéficient en retour de la présence de l’oiseau qui, souvent perché en hauteur, surveille plus efficacement qu’eux les alentours. En cas de danger (l’apparition d’un rapace en vol par exemple), le dron-go émet son cri d’alarme qui est bien décodé comme tel par les suricates… qui gagnent rapidement un abri.Parfois, en l’absence de tout danger manifeste, le drongo pousse quand même son cri d’alarme. Tom Flower, un jeune chercheur actuellement à

Drongos et suricate (Cliché T. Flower/University of Cape Town).

« Les menteurs les plus grands disent vrai quelquefois. »Pierre Corneille (1606-1684)Le menteur

par Bruno CorbaraCNRS/université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand

La rubrique des interactions dans le monde vivant

Menteur, voleur et imitateurLe Drongo briLLant

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ESPÈCES № 13 - Septembre 2014

Biologie Entr’espèces Botanique Archéozoologie Paléontologie Systématique Exobiologie

Pour en savoir plus :

Sur le site de la revue (www.especes.org) dans la rubrique “compléments d’articles”, un dossier avec des compléments bibliographiques sur le drongo brillant et son comportement de kleptoparasite, incluant des documents visuels et sonores.

Dans le prochain numéro (no 14, décembre 2014) l’article de la rubrique Entr’Espèces, “Une association lumineuse”, s’intéressera à un petit mollusque céphalopode d’Hawaï et aux micro-organismes qui, pour mieux le camoufler, le “mettent en lumière”.

l’université du Cap, a montré que ce comportement intervenait au moment précis où un suricate se trouve sur le point d’attraper une proie. Alors que le jeune berger de la fable criait au loup par ennui, le drongo “crie au faucon” pour une raison plus pragmatique : se nourrir. Dès qu’il entend le signal, le suricate fuit et délaisse sa proie ; au même moment, le drongo quitte son perchoir et la capture. Ce comporte-ment kleptoparasite est assez fréquent chez les drongos brillants même si, par ailleurs, ces oiseaux sont d’excellents chasseurs capables de trouver seuls leur nourriture : nul doute que subti-liser celles des autres est plus rentable ! Néanmoins, si l’on en croit la morale de la fable d’Ésope, il y a fort à parier que les victimes du drongo se lassent vite de son “malhonnête” cri d’alarme : il y va, à terme, de leur survie. Dans un article récent de la prestigieuse revue Science, Tom Flower et ses collabora-teurs ont montré que c’était bien le cas, mais que les drongos avaient plus d’un tour dans leur sac.

Pour leurs expériences, les cher-cheurs ont bénéficié de circonstances favorables. Leur lieu d’étude, la Kuruman River Reserve, est célèbre pour avoir servi de décor à la série télévisée britannique Meerkat Manor (en français : Le clan des suricates) qui relate la vie quotidienne d’une famille de l’élégante petite mangouste. Cette dernière, ainsi qu’un oiseau, le craté-rope bicolore (Turdoides bicolor, famille des Leiothrichidés), y sont les cibles privilégiées du kleptoparasitisme des drongos. Les deux espèces faisant l’objet de programmes de recherche depuis des années, nombre de suri-cates et de cratéropes de la réserve naturelle sont marqués ou identifiés individuellement. Les chercheurs ont donc pu étudier leurs interactions avec une cinquantaine de drongos eux-mêmes dûment bagués. Ainsi, il apparaît que les deux espèces “cibles” du comportement kleptoparasite des drongos réduisent bien leurs réponses aux fausses alarmes de ces derniers

quand celles-ci se répètent trop sou-vent. Cependant, Flower et ses colla-borateurs ont montré que les drongos continuaient de tromper leurs victimes en utilisant d’autres signaux sonores. Ils sont en effet capables d’imiter les cris d’alarme de 45 espèces (suricates et cratéropes incluses) vivant dans leur environnement. Ainsi, par exemple, lorsqu’un drongo suit une bande de suricates, il émet son propre cri d’alarme dans des situations alterna-tivement “honnêtes” (présence d’un danger) ou “malhonnêtes” (kleptopa-rasitisme). Lorsque, suite à plusieurs séquences de kleptoparasitisme, l’effi-cacité de ce cri s’amenuise et que les suricates y répondent moins nette-ment, le drongo produit le cri d’alarme d’une autre espèce pour continuer de leur voler des proies. Si le cri d’alarme de l’espèce cible déclenche les réponses de fuite les plus nettes, tout cri d’alarme (autre que celui caractéristique du drongo lui-même) s’avère alors efficace pour tromper les suricates. Pourvu qu’ils continuent de délivrer régulièrement des signaux d’alarme “honnêtes” aux suricates ou

aux cratéropes qu’ils accompagnent, les drongos peuvent donc continuer de les tromper en utilisant toute une palette de signaux “malhonnêtes”.L’imitation des cris d’autres espèces est un phénomène assez répandu chez les oiseaux. Jusqu’à présent on ignorait quelle pouvait être la (ou les) fonction(s) d’un tel comportement. Chez les drongos l’affaire est enten-due : pour continuer d’être des voleurs, il ne leur suffit pas d’être menteurs, il leur faut aussi être des imitateurs. ❁

* Le menteur, Acte II, Scène 6 (Illustration de Florine Corbara/AdBA Urbino).

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ESPÈCES № 13 - Septembre 2014

Mammalogie Primatologie Zoologie Palynologie - Le drongo brillant Mycologie Phylogénétique

ESPÈCES №5 - Septembre 2012

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Biologie Portrait d’espèce Botanique Archéozoologie Phylogénie Anthracologie Éthologie

Grand timide, Sirocco peut cependant s’enorgueillir de plus de 12 000 fans sur

Facebook et sa dernière apparition devant les écrans a été suivie par 4 millions de personnes. Malgré son apparence bougonne dans son costume couleur de mousse après la pluie, Sirocco est une star, un de ces personnages publics discrets qui, en tournée pourtant, joue immuable-ment à guichets fermés. Avouons-le tout net, sa musique est hypnotique et entraîne des pâmoisons féminines en succession. Inventeur du booming, un genre musical (presque) inédit dans le monde animal, mimant les batte-ments d’un cœur amplifiés par son sac thoracique gonflé d’air, Sirrocco et ses compères du Kakapo Boyz Band se produisent “non-stop”, durant tout l’été austral. De décembre à fin février, sur les hauteurs îliennes de l’archipel néo-zélandais, les per-cussions enamourées des perroquets musiciens résonnent à plus de cinq kilomètres à la ronde. Ces concerts nocturnes pourraient épuiser les protagonistes qui, chaque nuit, se mesurent les uns aux autres en lançant plus d’un millier de cris d’affilée. Des cris qui taillent le vent, entrecoupés de “tiiiing” métalliques permettant aux femelles groupies de les localiser pour venir les rencontrer en chair et en plumes. Pourtant, l’effort ne fait pas peur à nos héros. Il faut dire que, prévoyants, ils ne poussent leur antienne que les années fastes, lorsque les rimus – de grands conifères endé-miques de l’archipel – croulent sous les fruits, tous les deux à quatre ans. Et puis, de ces marathons musicaux dépend leur survie. Car le volatile revient de loin ! Il y a un demi-siècle, on ne donnait pas cher de sa peau, et certains l’avaient même déjà condamné à figurer sur la très longue

Par Emmanuelle Grundmann,primatologue et journaliste scientifique

Dessin de Marcello Pettineo

liste des espèces disparues quelque part entre la coquette de Letizia et le Po-o-uli masqué. Pourtant, c’était méconnaître l’oiseau qui résista dans la plus grande discrétion à l’envahis-seur humain venu empiéter sur son territoire, accompagné de cohortes de rats, de chats et de furets. Malgré les centaines de couvées détruites, les années d’investissement parental réduites à néant, quelques individus, dont Zéphir, la mère de Sirocco, ont survécu. Découverts au terme d’un long et dangereux périple par une poi-gnée de bipèdes fascinés par l’étrange créature nocturne, mi-hibou, mi-perroquet, au plumage sentant tour à tour le freesia, le miel ou l’intérieur d’un étui de clarinette, les rescapés furent finalement délocalisés sur les trois petites îles de Maud, Codfish et Little Barrier, les seules dénuées des redoutables prédateurs. Car, voyez-vous, malgré ses nombreux atouts, notre kakapo souffre d’un lourd défaut : il ne peut voler, l’évolution l’ayant privé de cette faculté. Il n’en avait nul besoin à cette époque bénie où l’archipel néo-zélandais était encore ignoré par les cartographes et où son seul ennemi, l’aigle de Haast, se laissait berner par la cape d’invi-sibilité qui fondait l’oiseau, aussi figé qu’une statue de cire, dans son envi-ronnement. Mais désormais, jouer à “1, 2, 3, soleil” ne suffit plus, les nou-veaux envahisseurs chassant tout à la fois à la vue et à l’odeur. À l’abri dans leurs nouvelles loges isolées et menés par leur ambassadeur Sirocco, les kakapos sont maintenant au nombre de 126, un chiffre toujours critique pour ce perroquet indolent et débon-naire dont l’avenir se tisse au fil des succès du désormais célèbre Kakapo Boyz Band. ❁

www.facebook.com/siroccokakapo

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www.marcello-art.com

Géologie Microbiologie Palynologie Ichtyologie - Le Kakapo Mycologie Systématique Mam

Sirocco et le Kakapo Boyz Band

Chacun sa nicheUn réseau trophique du Miocène d’Espagne

L es reportages animaliers nous ont familiarisés avec l’écosys-tème de la savane africaine, où

vivent encore divers représentants de la mégafaune terrestre. Herbivores et carnivores de grande taille s’y maintiennent dans un même espace

« […] la panthèreFait et refait l’immuable cheminQui, mais elle l’ignore, est son destinDe noire gemme funeste et prisonnière. »Jorge Luis Borges (1899-1986), La panthère - L’Or des tigres

géographique – on dit que ce sont des espèces sympatriques – les seconds vivant au détriment des premiers. Dans une telle situation, on pourrait penser que les différents prédateurs, lions, panthères, guépards, chacals, hyènes, etc. sont en très forte compétition

pour les ressources alimentaires. Mais est-ce vraiment le cas ?Dans la plupart des communautés ani-males étudiées à ce jour – et ceci est valable pour la mégafaune africaine –, il apparaît que deux espèces prédatrices qui cohabitent géographiquement et

par Bruno Corbara (éthologue et écologue), université Blaise Pascal/CNRS

et

Jean-Sébastien Steyer (paléontologue)CNRS/Muséum national d’histoire naturelle/UPMC

Illustrations de Mazan et Florine Corbara

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ESPÈCES № 10 - Décembre 2013

Biologie PaléoEspèces - L’actualité des mondes perdus Anatomie Systématique Botanique

arborée peuplée d’herbivores et de carnivores et un terrain où, en raison des particularités géologiques et du cli-mat local, des cavités se forment dans la roche et affleurent en surface. Un animal tombe dans l’une de ces cavi-tés, par accident ou, en saison sèche, attiré par la présence d’eau souterraine. Tué ou blessé par la chute ou simple-ment incapable de sortir en raison de parois très glissantes, il est victime d’un piège mortel. Sa présence, mort ou vif, attire un prédateur : voilà des protéines à bon compte pour ce jeune félin peu expérimenté qui, à son tour, pénètre dans la cavité qui lui sera fatale. C’est sur la base d’un tel scénario que l’on explique comment, sur plusieurs sites de l’exceptionnel gisement fossilifère de Cerro de los Batallones (30 km

qui ont donc à priori la même gamme de proies présentent en fait un tableau de chasse différent : on dit qu’il y a partition (ou différenciation) de niche. Cette répartition des ressources pou-vant être liée à un rythme d’activité qui n’est pas le même (l’un des pré-dateurs est diurne, l’autre nocturne), à la fréquentation d’habitats distincts, ou encore à des aptitudes différentes quant à la capture des proies. C’est par cette tendance à la spécialisation que l’on explique d’ailleurs la grande richesse spécifique des écosystèmes et leur complexification au cours de l’évolution. Les mécanismes évolutifs qui sous-tendent cette “loi écolo-gique” de séparation de niche sont à l’œuvre depuis des millions d’années et la même règle devait s’appliquer aux

« […] la panthèreFait et refait l’immuable cheminQui, mais elle l’ignore, est son destinDe noire gemme funeste et prisonnière. »Jorge Luis Borges (1899-1986), La panthère - L’Or des tigres

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communautés d’espèces du passé. Mais comment le vérifier ?Si la tâche n’est pas forcément aisée pour les écologues qui s’intéressent au régime alimentaire des grands pré-dateurs actuels, au moins peuvent-ils étudier des communautés vivantes. Pour savoir qui mangeait qui au sein des écosystèmes préhistoriques, les paléontologues ne peuvent se baser que sur des ossements, des dents, parfois des traces ou des crottes fos-siles (coprolithes). Qui plus est, dans toute communauté d’espèces, les car-nivores sont en forte minorité, ce qui se traduit logiquement par une nette sous-représentation de leurs fossiles. Dans certaines circonstances, excep-tionnelles, ces derniers peuvent néan-moins abonder. Imaginez une savane

Vous avez dit isotopes stables ?

Nous sommes constitués de ce que nous mangeons. Et ce que des prédateurs se sont mis sous la dent se retrouve en partie… dans leurs dents. L’atome de carbone se présente dans la nature sous deux formes isotopiques stables, les carbones 12 et 13 (notés 12C et 13C). On les dit stables, par opposition à radioactif, ce qui est le cas d’un autre isotope bien connu du carbone, le 14C. Les isotopes 12C et 13C sont présents en proportion connue dans le dioxyde de carbone atmosphérique que les plantes utilisent pour leur photosynthèse. Les végétaux n’utilisent pas les deux isotopes de façon similaire et, par conséquent, ils en retiennent des quantités variables dans leurs tissus. Quand un herbivore ingère les tissus d’une plante donnée, celle-ci laisse une signature isotopique dans les dents et les os de l’animal. Cette signature se propage en se modifiant dans la chaîne alimentaire et se retrouve aussi chez les prédateurs. Le ratio d’isotopes 13C/12C donne donc des indications précieuses sur le régime alimentaire de tous les maillons d’un réseau trophique : on sait ainsi, par l’étude des flores modernes, que plus la végétation est forestière, plus le 13C y est faiblement représenté. La valeur du ratio entre les deux isotopes de carbone d’une dent d’herbivore peut donc donner une idée de la densité de la couverture forestière qu’il a exploitée. In fine, on peut donc savoir si un prédateur s’est plutôt nourri de proies d’un milieu fermé ou ouvert.

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ESPÈCES № 10 - Décembre 2013

Mammalogie Primatologie Zoologie Palynologie - Chacun sa niche Mycologie Phylogénétique

ESPÈCES №2 - Décembre 2011

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Biologie TRIBUNE Exobiologie Archéozoologie Paléontologie Systématique Ichtyologie

Gilles Boeuf Laboratoire Arago, université Pierre & Marie Curie

CNRS, Banyuls-sur-mer et Muséum national d’histoire naturelle, Paris

Île de Pâques :

Nous connaissons tous l’île de Pâques comme l’exemple à ne pas suivre, île-laboratoire, annonce malheureuse et miniature de ce qui pourrait nous arriver, à nous, à plus grande échelle… on pensait son sort réglé, que pourrait-il encore arriver à ce désert d’île vidé de ses habitants, hommes, bêtes et plantes ? D’autres hommes poursuivent pourtant leur acharnement : ce sont les touristes, fascinés par les vestiges d’une civilisation disparue…

un second effondrement ?

Site de Tongariki, les falaises de la péninsule de Poike en arrière-plan, avec son long autel de 215 m sur lequel se dressent les 15 moai restaurés par l’equipe de E. Edwards de l’Université du Chili en 1995 (cliché G. Boeuf).

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Géologie Microbiologie Palynologie Ichtyologie - L’île de Pâques Ichtyologie SystématiqueBiologie TRIBUNE Exobiologie Archéozoologie Paléontologie Systématique Ichtyologie

L a situation et les événements survenus à l’île de Pâques, petite île perdue dans l’océan Pacifique Sud, pourraient bien représenter une excellente image de

ce qui guette aujourd’hui notre planète. Ce lieu représente un extraordinaire laboratoire écologique “à ciel ouvert”. Sa découverte fut l’une des plus extraordinaires aventures maritimes de tous les temps, ce qui a amené Peter Buck, anthropologue néo-zélandais, à dénommer ces populations du Pacifique Sud voyageant inlassablement d’île en île et toujours vers l’est, les “Vikings du soleil levant”. Nous trouvons aujourd’hui dans cette zone du monde beaucoup

d’îles où nous pouvons repérer des traces certaines de présence et d’activités humaines, mais les humains ont disparu après divers changements environnementaux ou l’épuisement des ressources locales. Souvent, on pouvait revenir en arrière. Ce ne fut pas le cas pour l’île de Pâques : l’histoire se termina par un désastre écologique. Et aujourd’hui, sommes-nous en train de recommencer ?

Des territoires extrêmes

Des humains, en provenance de “Hiva” (Marquises ou Gambiers ?) ont découvert l’île de Pâques (Te-pito ho te henua, “le nombril de la Terre” ou Mata-ki-te-rangi, “les yeux qui regardent le ciel” en pascuan ; Rapa Nui, la “grande Rapa” étant une appellation tahitienne beaucoup plus récente) vers les viiie-ixe

siècles. C’est l’île la plus isolée de toutes au monde (à près de 4 000 km de tout autre point habité de la planète à l’époque). Située à 3 800 km de Valparaiso, 4 200 de Tahiti, 8 800 de l’Australie, elle fait 180 km2 de superficie, (grande comme deux fois l’île d’Oléron). Son point culminant, le Maunga Terevaka (le “lieu dont on peut faire des pirogues”) est à 509 m. Cette île a surgi des profondeurs océaniques grâce aux émissions de trois grands volcans, il y a deux ou

Un des moai abandonnés par les Pascuans, juste élaboré, dans le cratère du Rano Raraku (vers 1500 ? Cliché G. Boeuf).

trois millions d’années. Les plus récentes coulées de lave sont datées à 3000 ans (cavernes de Roiho). Actuellement, il y tombe vers 1 300 mm de précipitations par an et la température fluctue entre 17 et 25 °C, selon la saison.Un grand roi, Hotu Matu’a, avait rêvé la disparition de son île, beaucoup plus à l’ouest, sous un séisme associé à un tsunami et avait, avec son sorcier Haumaka, organisé l’émigration de son peuple vers cette île mythique, en fait extrêmement difficile à trouver. Il aurait fallu six semaines de navigation océanique sur de grandes pirogues, pour l’étape finale (de l’île de Pitcairn), une année “el niño” d’inversion des vents, soufflant alors d’ouest en est. Ces humains s’installèrent dans un véritable “paradis terrestre” couvert de forêts riches et luxuriantes (Sophora toromiro, l’arbre des Dieux, une légumineuse pouvant atteindre 3 m de haut ; le niu, un palmier endémique ; Jubaea, le grand palmier chilien ; le hau hau, Triumfetta un excellent lien pour les cordes et les filets ; Pritchardia ; Alphitonia ; Elaeocarpus…),

avec aussi des fougères et graminées (48 espèces de plantes répertoriées en 1956, 32 de plus à partir des pollens). Ils y parvinrent avec quelques plantes amenées avec eux (banane, ti, curcuma, canne, santal, igname, mûrier, patate douce, etc.), deux animaux “domestiques”, le rat de palme et le poulet. Ils y vécurent en bonne harmonie durant environ 700 ans. Ils avaient très probablement aussi avec eux le cocotier et l’arbre à pain mais ces deux espèces n’ont pas survécu après leur introduction. Les chiens n’étaient pas non plus parvenus dans l’île. La faune terrestre est quasi inexistante (aucun mammifère, six oiseaux, un lézard) et seules 127 espèces

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Biologie Tribune Botanique Archéozoologie Éthologie Océanographie Éthologie Zoologie

de poissons ont été répertoriées autour de l’île de Pâques, récemment (plus de 1 000 aux Fidji, plus à l’ouest).

Surpopulation et surexploitation

On ne retrouve pas de traces d’armes de guerre pour les premières époques. Puis, la déforestation massive (en fait engagée dès le début), la destruction de l’environnement, l’érosion consécutive des sols, les brûlis, la surpopulation (10 000 personnes vers 1650 ?), la disparition des embarcations (que s’est-il passé dans l’esprit de la personne qui a coupé le dernier arbre de l’île de Pâques ?) et la fin de la pêche, les guerres tribales (les armes en obsidienne font suite aux outils) amènent à une tragédie généralisée (population en expansion, disparition des ressources, impossibilité de revenir en arrière), à des guerres et à l’anthropophagie comme l’ont rapporté J. Flenley et Bahn (2003) et J. Diamond (2006). Les premiers témoignages “modernes” du jour de Pâques de 1722, le 5 avril, quand y parvient l’homme européen pour la première (rien n’est moins sûr !) fois, rapportent que les moai,

ces statues géantes représentant des ancêtres, sont encore debout sur les autels, et que les habitants apparaissent sains et vigoureux. Les suivants, 64 années après, indiquent que les moai gisent à terre, les habitants présentent des signes de malnutrition, et il y a beaucoup de mortalité infantile. On peut alors suivre la forte dégradation des conditions de vie sur place. Le sommet de la crise aurait été atteint vers 1680-1750, avec de graves famines (moai kavakava, statuettes à côtes saillantes et visage émacié) et un coup d’État militaire rejetant les nobles et les prêtres dont parle J. Diamond. Les Européens, après les premières explorations “douces” (J. Roggeveen en 1722, F Gonzalez de Haedo en 1770, J. Cook en 1774 et le Comte de La Pérouse en 1786), n’y apporteront ensuite que du malheur et on ne comptabilise plus que 111 Pascuans en 1877. Le jeune Julien Viaud – qui deviendra par la suite Pierre Loti – y écrira ses Reflets sur la sombre route lors du passage de son navire, en 1872. Plus aucun moai n’était alors debout, l’île était ravagée.

Le coup de grâce

L’arrivée des Européens et leur cortège d’exactions (meurtres, viols, déportations, transfert de maladies ou d’espèces invasives…) contribuera à achever le déclin de la population pascuane et elle précipitera leur disparition (déportations massives en 1862 vers les exploitations de guano au Pérou). Au vu de la situation actuelle, la planète Terre ne serait-elle pas aujourd’hui une “île de Pâques en sursis” ? D’autres exemples sont très édifiants, entre autres, dans les peuplements du Pacifique Sud en particulier, les histoires des îles de Mangaia (une des îles Cook du Sud, peuplée vers 1250), semblable à celle de l’île de Pâques en plus rapide, et celle de Tikopia

Site de pétroglyphes sur les falaises du volcan Rano Kao, avec tangata manu, l’homme-oiseau tabou, face au motu (cliché G. Boeuf).

L’île de Pâques, 7 janvier 1872, dessin de Pierre Loti (Wikipedia commons).

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Géologie Paléontologie Systématique Botanique - Île de Pâques Ichtyologie Mammalogie Ich

> Boeuf G., 2008 - Quel avenir pour la biodiversité ? Dans un monde meilleur pour tous, projet réaliste ou rêve insensé ?, sous la direction de J.-P. Changeux et J Reisse, Collège de France/Odile Jacob.

> Diamond J., 2006 - Effondrement, ou comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie. Gallimard, Essais, Paris.

> Flenley J. and P. Bahn, 2003 - The enigmas of Easter Island. Oxford University Press, London.

> Orliac C. et Orliac M., 2008 - Rapa Nui, l’île de Pâques. Éditions Louise Leiris, Paris.

Touristes sur le site d’Akivi (cliché G. Boeuf).

(Salomon du Sud, au nord des Vanuatu), où la catastrophe aurait été prévue par le pouvoir en place. La réaction fut drastique : on força des familles à émigrer sans espoir de retour et on eu même recours à l’infanticide. D’après C. et M. Orliac, ces événements violents s’accompagnent d’une grave crise de sécheresse durant une douzaine d’années, accélérant la disparition des ressources. Ces derniers auteurs ont pu préciser, à partir de prélèvements et carottes de sondages dans les deux grands cratères de l’île, 18 000 ans de climat, les premières déforestations dès l’arrivée de l’humain, la quasi-disparition des arbres vers 1640, une implacable combinaison délétère (activités humaines avec brûlis et forte érosion des sols, rôle des rats introduits, stockant des graines et empêchant ainsi la régénération de la forêt, sécheresse durable avec disparition des sources) avant la redécouverte de l’île par les Européens. Ceci se terminera très mal, le sens du nom de la grotte d’Hangaroa : Anakaï Tangata – célèbre pour ses peintures de frégates “sacrées” (manutara) qui tapissent ses plafonds – n’étant rien d’autre que “la grotte où sont mangés les hommes” ! P. Kirch, un grand anthropologue du

Pacifique Sud écrira : « […] downward spiral of cultural regression […] temporarily but brilliantly surpassed its limits and crashed devastatingly […] » (la spirale de la régression culturelle […] a temporairement mais brillamment dépassé ses limites et s’est écrasée de façon foudroyante […]).

Un nouveau genre de colonisation

À cet “effondrement”, raconté par Diamond, suivra-t-il un second, cette fois-ci de nos jours, provoqué par une “surexploitation touristique” moderne ?Les autorités chiliennes, depuis la construction de l’aéroport de Mataveri à Hangaroa par les Américains en 1967 et, surtout, depuis le début des années quatre-vingt avaient, plus ou moins volontairement, limité l’accès à l’île (une seule compagnie aéronautique chilienne y atterrissant à un rythme non soutenu), ce qui permettait la visite d’environ 6 000 personnes par an, souvent accueillies chez l’habitant. Puis, comme toujours avec Homo sapiens, tout s’est mis à dériver, avec la construction d’hôtels de luxe, la

multiplication des vols, la venue de croisières de haute mer… En octobre 2009, les habitants de l’île ont massivement voté une “limitation d’acceptabilité” du nombre de touristes et d’immigrants (essentiellement chiliens) venus du continent. Un blocage de l’aéroport avait déjà eu lieu en août 2009. De violents affrontements avec la police chilienne se sont déroulés en décembre 2010 : en sept ans, la population de l’île est passée de 2 600 à plus de 4 000 et les touristes dépassent les 50 000 début 2011 ! Ce flux constitue aux yeux des Pascuans une sérieuse menace pour leur environnement, leur mode de vie et leur culture, menace associée à une délinquance “introduite” grandissante. La solution consisterait, comme pour les Galapagos, à mettre en place un système de “quotas” d’accès. Après l’effondrement du xviiie siècle lié à une conjonction délétère de démographie non contrôlée, de surexploitation des ressources et de changement climatique, un nouvel effondrement se profilerait-il à l’horizon pour les mêmes raisons ? ❁

Par Jean-Sébastien Steyer, paléontologue au CNRS-MNHN-UPMC

et Bruno Corbara, CNRS/université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand

Illustration Arnaud Rafaelian

Le marsupilamisplendeur ou erreur de la nature ?

« Le Marsupilami déroute complètement les savants » (Spirou et Fantasio, 1956)

Une telle queue ne peut être le résultat de la sélection naturelle

En décembre 1951, la presse bri-tannique relate la fantastique découverte, par l’alpiniste Éric

Shipton, d’étranges traces de pas de 33  centimètres imprimées dans les neiges himalayennes… La nouvelle fait vite le tour du monde, si bien que le zoologue belge Bernard Heuvelmans, conseiller et ami d’un certain Hergé,

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Biologie Espèces (sur)naturelles Anthropologie Océanographie Exobiologie Systématique

« Houba houba ! » Il a bercé notre tendre enfance et notre adolescence. Il fut notre animal familier préféré et nous le retrouvions en secret dans les pages de Spirou et Fantasio. Récemment, nous nous sommes même surpris à rire aux larmes avec le duo Debbouze-Chabat, prétextant accompagner les enfants au cinéma. Aujourd’hui, nous avons décortiqué le mythique mammifère jaune et noir, véritable star de la bande-dessinée, du petit et du grand écran. Verdict : si ce sympathique “marsu” est très intéressant au niveau éthologique, il ne tient guère la route, cependant, en termes de systématique et biomécanique. Enquête sur la plus rigolote des mascottes de la cryptozoologie.

publie par la suite articles et livres sur le sujet, réinventant ainsi la cryptozoolo-gie. Un an après l’entrée en fanfare du yéti dans la presse, l’artiste belge André Franquin (1924-1997) – grand ama-teur de sciences naturelles – invente lui aussi, mais à sa sauce, une drôle de bestiole : le marsupilami. Personnage d’abord secondaire de sa série Spirou et Fantasio (Spirou et les Héritiers, 1952), l’attachant animal à la queue démesu-rée et à la robe tachetée devient, sous

le crayon du génial dessinateur, de plus en plus crédible. L’affublant du mot-valise “marsupial” et “ami”, Franquin donne aussi à sa créature le nom très scientifique de Marsupilamus fantasii, lui inventant ainsi sa propre histoire, son propre comportement et même son cri de ralliement : « houba houba ! » – notons que Madame a un verbiage légèrement différent, autour du genre « houbi houbi ! ». La bête a été décou-verte par le journaliste et explorateur

fictif Fantasio lors d’une expédition en Palombie, pays tout aussi loufoque localisé en Amazonie. Adulée par les grands et les petits, cette peluche montée sur ressort devient très vite une légende. En 1992, le zoologue belge Alain Quintart pousse le bou-chon encore plus loin en publiant une courte mais très sérieuse description anatomique du Marsupilamus franquini, lui réinventant au passage un pedigree. Nous lui préférerons le terme originel

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ESPÈCES № 10 - Décembre 2013

Mammalogie Primatologie Zoologie Palynologie - Le Marsupilami Mycologie Phylogénét

de Franquin, Marsupilamus fantasii, qui a antériorité.Mais si le marsupilami nous est fami-lier, le connaissons-nous bien pour autant ? Approchons-nous de la bête et analysons-la avec nos yeux de natu-ralistes. Première constatation : il s’agit bien d’un mammifère, il est velu ! Sa robe jaune à pois noirs évoque celle du guépard. Le marsupilami, omni-vore selon Franquin, appartiendrait-il plutôt au groupe des “Carnivora”, regroupant les félins, les canins, les ours et bien d’autres encore ? Après tout, certains, comme le panda, n’ont de carnivores que le nom… Ou serait-ce plutôt un marsupial, comme son nom l’indique ? Assurément non, car

il pond des œufs. Les mammifères ovi-pares sont des monotrèmes, comme les échidnés ou encore le fameux ornithorynque australien. Souvenons-nous d’ailleurs que, ironie du sort, les naturalistes européens ont pris cette espèce relique à bec de canard pour un canular tellement sa morpholo-gie est composite ! Le marsupilami ne devrait-il pas s’appeler plutôt le “monotremami” ? C’est tout de suite moins sexy… Et si le “marsu” pond vraiment des œufs, pourquoi Franquin l’a-t-il affublé d’un nombril ? Dans sa très sérieuse Encyclopédie du Marsupilami (1999), l’auteur se justifie : l’ombilic serait en fait un organe de transmis-sion du savoir. Lorsqu’un petit veut

construire un nid, il lui suffit de coller son oreille sur le nombril de maman pour connaître le mode d’emploi. Cette capacité à construire des nids dans les arbres est aussi l’apanage des gorilles, chimpanzés et orangs-outans qui la tiennent bien de leur mère… mais à l’issue d’un long apprentissage. En ajoutant soigneusement des plumes douillettes au fond de sa couche et des fleurs pour décorer son nid, le “marsu” montre un sens aigu du confort et du design – qu’à notre connaissance il partage uniquement avec les oiseaux à berceau –, mais aussi de la sécurité puisque, en cas de danger, le toit tissé de fibres étanches peut se refermer comme une coquille !Notons aussi que les pieds du mar-supilami ressemblent fortement à ses mains : serait-il alors un étrange singe au comportement de tisserin ? Sa vraie nature primate n’est pas exclue non plus lorsqu’il se balance de branche en branche avec sa queue préhensile ou lorsqu’il l’utilise pour faire le beau, comme le lémur catta de Madagascar, qui communique grâce à un bel appendice noir et blanc…Arrêtons-nous d’ailleurs sur cette excroissance démesurée : la queue du marsupilami est longue de huit mètres

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Biologie Espèces (sur)naturelles Anthropologie Océanographie Exobiologie Systématique

pour un corps d’un mètre, du jamais vu dans l’évolution des mammifères ! Il détrône allègrement les singes du nouveau monde (platyrhiniens), les rongeurs et, moins connu, le pango-lin à longue queue (Manis tetradactyla). Très mobile, cette excroissance pos-sède de multiples fonctions : locomo-trice lorsqu’elle prend la forme d’un ressort ou d’une roue, elle peut aussi transporter les petits comme le fait la sarigue – encore un marsupial –, elle devient une arme redoutable, lasso ou poing géant, pour capturer ou assom-mer les ennemis. Dans la nature réelle, rares sont les organes avec des fonc-tions aussi nombreuses et variées. Il serait intéressant de connaître la (ou les) fonction(s) première(s) de l’appen-dice ainsi que les pressions de sélection à l’origine de cette taille qui laisse pan-tois… Les éventuels jaloux se console-ront en brandissant les impitoyables lois de la physique : il est en effet impos-sible que le marsupilami, pourtant très friand de piranhas, puisse pêcher avec sa queue ! La vitesse de l’influx nerveux – ou potentiel d’action – est telle qu’il faudrait à la pauvre bête près de dix secondes pour réagir à la douleur provoquée par la morsure du poisson qu’il espère choper… Autant dire qu’avec la voracité des piranhas,

le pauvre Marsu ne sentirait quelque chose qu’une fois sa queue bien enta-mée ! Pour réduire considérablement le temps de réaction, et rendre réaliste ce loisir un brin masochiste, il fau-drait imaginer, au niveau caudal, des nerfs plus épais et gainés de myéline, ce qui augmenterait forcément le dia-mètre… et limiterait la (si précieuse) mobilité du curieux appendice. Pour une plus grande rapidité de réaction, une autre solution serait d’imaginer un deuxième centre nerveux, au milieu de l’excroissance… on voit d’ici notre mascotte faire la grimace ! Il n’est pas question de disséquer le “marsu” mais un scanner n’est pas exclu : combien de vertèbres caudales possède l’ani-mal ? Sont-elles très nombreuses ou très allongées comme chez les terribles raptors, ces dinosaures carnivores dont la queue, rigide à l’extrémité, faisait office de balancier ? Habile mélange entre souplesse et dextérité, on ima-gine en tout cas le long appendice finement tissé de fibres élastiques et de tendons enchevêtrés, le tout sans doute bien innervé et irrigué par une cohorte de petits vaisseaux sanguins…Cet animal « qu’on pensait qui n’existe pas mais qui n’existe », dixit l’excellent Jamel Debbouze, demeure donc une amusante intrigue scientifique. Après

tout, pourquoi démystifier le mythe en voulant à tout prix l’ancrer dans le réel ? Franquin lui-même ne rattachait son jouet à aucun groupe connu. Et ses héros Spirou et Fantasio d’imaginer, dès 1956, la classe – entendez plutôt l’ordre – des “Marsupilamiens” pour caser le mammifère, et enchaîner par là-même les albums mettant en scène tantôt une nouvelle espèce aquatique, tantôt une nouvelle espèce africaine (Marsupilamus africanus, dépourvue de queue). Une telle “marsu-diversité” rappelle celle, tout aussi croustillante, des fameux rhinogrades, ordre de mammifères inventé par le naturaliste allemand Gerolf Steiner et caracté-risé par un appendice, nasal cette fois, très développé. Comme la queue est au marsupilami ce que le nez est aux rhinogrades, nous proposons donc le terme officiel de caudagrades (du latin cauda, la queue) pour remplacer celui de “marsupilamiens” et éviter ainsi la confusion classique avec les mar-supiaux. Avec les caudagrades, dont Marsupilami devient porte-drapeau, la balle est dans le camp des scientifiques qui partagent un brin de fantaisie.Naturalistes, à vos crayons ! À nous, maintenant, de multiplier les genres et les espèces… dans le respect de l’œuvre de Franquin. ❁

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ESPÈCES № 10 - Décembre 2013

Mammalogie Primatologie Zoologie Palynologie - Le Marsupilami Mycologie Phylogénét

Pour en savoir plus

> Batem Y., Verhoest É. & Cambier J.-L., 1999 – L’Encyclopédie du Marsupilami de Franquin – La grande énigme. Éd. Marsu Productions.

> Heuvelmans B., 1955 – Sur la piste des bêtes ignorées, tome 1. Éd. Plon.

> Quintart A., 1992 – “Le Marsupilami, une espèce nouvelle pour la science” Naturalistes belges, nº 73, p. 205-206.

> Spirou et Fantasio, 1956 – “Le Marsupilami, une énigme scientifique” Le Journal de Spirou, nº 935 du 15/03/1956.

> Stümpke H. (pour Gerolf Steiner), 1961 – Anatomie et biologie des Rhinogrades. Éd. Gustav Fisher (réédition Dunod 2012 avec une postface de Guillaume Lecointre)

> Le site officiel : www.marsupilami.com

> La science du Marsupilami (archives de la Cité des Sciences et de l’Industrie) : http://archives.universcience.fr/francais/ala_cite/expo/tempo/franquin/marsu/index.html

> Les pages Wiki du Marsupilami : http://fr.wikipedia.org/wiki/Marsupilami_(Marsupilamus_Fantasii)

Dimanche, 15 heures. Pour­tant écrasé de chaleur, Marion, petit félin mâle

au pelage noir, rompu à la chasse aux insectes et autres “bestioles qui bougent”, guette, tapi depuis de longues minutes, un lézard qui s’est immobilisé sous un pot de fleurs. Brusquement, le lézard fonce sur le mur et grimpe sur une surface lisse, surprenant notre pauvre matou qui reste dépité devant tant d’agilité. Un dernier coup de patte, histoire de ne pas perdre la face… mais trop tard. Au même moment, à la radio, on annonce qu’Alain Robert, l’homme­araignée vient de se faire cueillir une nouvelle fois par la police (il adore ça !) après avoir escaladé à mains nues, l’immense façade vitrée de la tour de la Défense à Paris. “Pas de rapport”, nous direz­vous ? Et pourtant…Grimper sur des surfaces plus ou moins lisses a de tout temps intrigué l’homme : déjà, au ive siècle av. J.­C., Aristote avait observé la capacité de certains lézards de la famille des gec­kos à monter et descendre le long d’un arbre, y compris la tête en bas. De cette fascination est même né un superhéros, Spiderman, qui, sautant de tour en tour en propulsant des fils, peut également monter sur des murs lisses et même des vitres. Avec des ventouses pensez­vous ?Questionnez autour de vous : pour la plupart, les personnes que vous inter­rogerez vous diront que cette éton­nante capacité est due aux ventouses que les geckos possèdent à l’extrémité

Comment avoirun gecko au plafond ?

Phyllodactyle d’Europe (Euleptes europaea, île du Grand Rouveau, Var, cliché L.-M. Preau).

par Alain Thiéry, professeur des universités, université d’Aix­Marseille et membre de l’institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie

marine et continentale (IMBE, UMR­CNRS 7263)

et Cécile Breton, journaliste

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ESPÈCES № 9 - Septembre 2013

Biologie Bionique : on a rien inventé Ornithologie Volcanologie Malacologie Systématique

de leurs pattes… car, oui, le “chassé” de la terrasse était bien un gecko. Le gecko des murs, ou tarente, Tarentola mauritanica (L., 1758), est un petit reptile de la famille des Gekkonidae, insectivore très commun dans le Bassin méditerranéen qui, outre le fait de pousser des petits cris la nuit et de déposer des crottes typiques portant un dépôt blanc d’acide urique sur l’un des apex – une adaptation aux envi­ronnements arides correspondant à une réabsorption d’eau –, possède en

réalité non pas des ventouses, mais, sous chacun de ses doigts spatulés, des lamelles. Cette structure existe chez d’autres espèces de Gekkonidae, telle Gecko gecko (L., 1758).Si l’on observe une de ces pattes en changeant progressivement d’échelle

depuis l’angle macroscopique jusqu’au niveau microscopique (voire nano­métrique), nous constatons d’abord que chaque doigt, outre la présence d’une griffe apicale, porte une dizaine de bandes parallèles.

Comment colle-t-il ?

Le coussinet d’un doigt de gecko est constitué d’une série de lamelles sèches, nommées scansors*, qui sont couvertes de fibres souples, des sétules (ou setae), à une densi­té de 14 400 par millimètre carré. Ceux d’un gecko, mesurent envi­ron 110 µm de longueur et 4,2 µm de largeur. Ces sétules, composés de kératine associée à des b­protéines de faible poids moléculaire (8­22 kDa) et à des a­kératines de 45­60 kDa, se ramifient elles­mêmes en centaines de branches, chacune se terminant

Le mécanisme d’adhésion sèche, re-adhésion basé sur le “principe gecko”, illustré par Spiderman se déplaçant au plafond (d’après Geim et al. 2003, Thiéry/B. Martin-Garin).

Hémidactyle verruqueux (Hemidactylus turcicus, île de Port-Cros, Var, cliché M. Delaugerre).

Vue de dessous d’un gecko marchant sur une vitre. Détail des doigts d’une patte et de l’extrémité d’un doigt avec les très nombreuses micro-lamelles (photos A. Thiéry/B. Martin-Garin).

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ESPÈCES № 9 - Septembre 2013

Mammalogie Primatologie Zoologie Palynologie - Le gecko Mycologie Phylogénétique Syst

Schéma de la position des structures adhérentes d’un doigt de gecko sur le substrat et position des contacts de ce doigt sur une surface (d’après K. Autumn et alii 2006

et Y. Tian et alii, 2013).

Diagramme des liaisons moléculaires appelées “liaisons van der Waals” (en bleu les noyaux des atomes et en jaune leurs électrons).

par une mince spatule. L’extrémité mesure environ 0,2 µm de longueur et autant de largeur.

Depuis le début des années deux mille, les chercheurs de plusieurs uni­versités : Cambridge, Bologne (Italie), Calgary (Canada), Tsinghua (Chine), Akron, Stanford, Massachusetts Institute of Technology et Berkeley (USA), etc. ont publié près d’une tren­taine de travaux sur l’“adhésion gecko”. Comme l’ont démontré K.  Autumn et A.  M. Peattie, ce sont les forces de van der Waals – forces électriques

de faible intensité et de très courte portée résultant d’interactions inte­ratomiques – qui sont très faibles (de l’ordre de 10 nN) au niveau de chacune des soies, qui rendent cette adhésion possible. L’accumulation des soies sur une surface réduite permet pourtant la production d’une force d’attraction importante. Cependant, le problème des forces de van der Waals est qu’elles ne fonctionnent qu’à très petite distance, environ un nanomètre ! Et c’est manifestement le rôle des microscopiques spatules du gecko que d’aller épouser de si près

Détail des soies spatulées à leur extrémité en microscopie électronique à balayage (photo A. Thiéry).

la surface pour que ces forces puissent agir et créer ce type d’adhésion, qua­lifiée d’adhésion sèche.Les études de cinématique montrent que les geckos attachent et détachent leurs doigts en quelques millise­condes, un exploit qu’aucun adhésif classique ne peut égaler. En outre, à l’inverse des autres adhésifs, les doigts des geckos ne se dégradent pas et ne se salissent pas.

Chaque sétule, composé d’un mil­lier de spatules, résiste à une force de 200 µN. Des calculs de méca­nique théorique, basés sur le poten­tiel d’interaction entre ces deux plans et la force surfacique d’attraction qui en découle, ont permis de calcu­ler la surface de contact nécessaire entre le plafond et le gecko pour que

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Biologie Bionique : on a rien inventé Ornithologie Volcanologie Malacologie Systématique

Une île corse résiste toujours aux tarentes

Deux geckos vivent sur l’île de la Giraglia, à l’extrémité nord du Cap Corse : le phyllodactyle, sans doute ici depuis quelques milliers d’années lorsque l’élévation du niveau marin a fait de ce sommet de colline une île, et la tarente, probablement arrivée il y a quelques dizaines d’années. Contre toute attente, la dernière venue ne parvient pas à coloniser cette petite île de dix hectares.

Elle reste strictement cantonnée à deux murs de ciment, alors que l’espèce native occupe toutes les surfaces rocheuses. Une étude pluridisciplinaire en cours révèle que le substrat rocheux est en cause. La prasinite, roche verte, tendre et dont la surface est couverte d’une poudre fine comme du talc, constitue un obstacle physique bloquant l’expansion de la tarente. Des expériences réalisées in situ montrent que cette dernière est incapable d’adhérer à ces parois poudreuses, horizontales ou verticales. Ce “talc” est-il pourvu d’une nanostructure particulière empêchant les forces de van der Walls de s’exercer ou mettant en échec les dispositifs autonettoyants des soies digitales ? Pour quelles raisons ces deux geckos ne sont-ils pas égaux face aux mêmes contraintes de substrat ? Ces questions intéressent vivement la communauté des chercheurs en “gecko-adhésion”. Par delà cette interrogation, cet exemple met en évidence un facteur insoupçonné d’empêchement de la colonisation d’une île.

Michel Delaugerre (Conservatoire du littoral)

Patte de tarente Tarentola mauritanica ; île de la Giraglia. Les ongles fonctionnels des 3e et 4e doigts sont fermement accrochés aux irrégularités de la surface de ciment, tandis que les lamelles pourvues de sétules ne sont en position de contact et d’adhésion que sur les parties saillantes (cliché A. Leoncini).

celui­ci y reste “collé”. À l’équilibre et en appliquant la première loi de Newton, pour un gecko d’une masse de 10 g, on trouve une surface de contact de l’ordre de 5.10­4 mm2, ce qui est extrêmement petit. D’un point de vue pratique, si l’on se base sur la surface de chaque sétule, on en déduit que la surface de contact réelle entre un sétule et le plafond est de 10­12 m2. Il suffirait donc, en théorie, de huit spatules sur les milliers que compte un sétule pour assurer l’adhésion de chaque 10 mg de “bête”. Ainsi, avec ses 14 400 sétules par millimètre carré et par patte, le gecko peut soutenir une force de 288 N, ce qui corres­pond à une masse de 30 grammes. Pour souligner ce caractère idéal, les calculs ont montré qu’une surface de contact idéalement plane (ce qui est rarement le cas) de 4 mm2 suffirait théoriquement à soutenir un homme de 80 kg.

Les geckos ont-ils tout inventé ?

Nous retrouvons ce système d’adhé­sion temporaire chez des arthro­podes, tel Evarcha arcuata (Clerck, 1758), petites araignées sauteuses, de la famille des Salticidae. Comme les geckos, elles sont capables de se mou­voir sur des surfaces lisses et de se tenir tête en bas sans tomber, pouvant même suspendre jusqu’à 173 fois leur poids. Selon les travaux d’A. Martin

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Vue frontale d’Evarcha arcuata (cliché L. Jonaitis/Wikipedia commons).

Le coléoptère Clytus arietis et orientation de ses soies selon l’attachement et le détachement… (cliché Siga/Wikipedia commons et schéma d’après Federle, 2006).

DétachementAttachementet A.  B. Kesel, biomécaniciens de l’institut de zoologie, techniques bio­logiques et de bionique de Saarland (Allemagne), qui ont examiné sous microscope électronique à balayage les pattes de cette petite araignée sauteuse, chacune des faces ventrales des tarses est recouverte d’une mul­titude de petites soies d’un diamètre de l’ordre du micromètre (envi­ron 78 000 par patte). Pour d’autres espèces de la même famille, on en compte plusieurs centaines de mil­liers, voire un million par patte. Ces soies minuscules composées de chitine assurent l’adhérence de l’ani­mal sur les surfaces les plus lisses.Ce mécanisme d’adhésion sèche, assuré par des bouquets de soies chitineuses, a également été étu­dié en 2006 par Federle sur Clytus arietis (L., 1758), le clyte bélier. Cet insecte xylophage, coléoptère de la famille des Longicornes, est nommé en France la “fausse guêpe”, en réfé­rence à son mimétisme batésien*.

Un adhésif inspiré par le gecko

Ce système adhésif est donc com­mun à plusieurs familles (vertébrés, arthropodes, etc.) par l’effet d’une convergence évolutive. Son obser­vation a donné aux biophysiciens l’idée de créer des adhésifs inusables

sans recours à la colle – qui sèche et se salit –, mais avec de très fines et nombreuses microlamelles. On pour­rait imaginer des Post­It® réutilisables à l’infini. Plusieurs groupes indus­triels dans le monde ont déjà créé de tels matériaux, comme à l’université de Kiel ou encore au Gecko Lab de Kellar Autumn, l’un des chercheurs qui a le plus travaillé sur le sujet, comme en témoignent ses nom­breuses publications.Les chercheurs de BAE Sys­tems, utilisant une technique

photolithographique (gravure de motifs en trois dimensions à l’aide de la lumière), ont synthétisé des films à base de polyimide*. Ces tiges de polyimide présentent des extrémités évasées – ressemblant fortement aux têtes en spatule des poils des geckos –, atteignant 100 nm de diamètre et collant à presque toutes les surfaces, même si elles sont sales.Malgré ses bonnes performances (un mètre carré de ce film devrait suffire à coller un éléphant au plafond), ce matériau n’égale pas encore les pattes

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Biologie Bionique : on a rien inventé Ornithologie Volcanologie Malacologie Systématique

Pour en savoir plus

> Autumn K. & Peattie A. M., 2002 – Mechanisms of adhesion in geckos. Integrative and Comparative Biology, 42, p. 1081-1090.

> Autumn K., Sitti M., Peattie A., Hansen W., Sponberg S., Liang Y. A., Kenny T., Fearing R., Israelachvili J. & Full R. J., 2002 – Evidence for van der Waals adhesion in gecko setae. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 99, p. 12252-12256.

> Geim A. K., Dubonos S. V., Grigorieva I. V., Novoselov K. S., Zhutov A. A. & Shapoval S. Y., 2003 – Microfabricated adhesive mimicking gecko foot-hair. Nature Materials, 2, p. 461-463.

> Kesel A. B., Martin A. & Seidl T., 2003 – Adhesion measurements on the attachement devices of the jumping spider Evarcha arcuata. The Journal of Experimental Biology, 206, p. 2733-2738.

> Mahdavi A. et alii., 2008 – A biodegradable and biocompatible gecko-inspired tissue adhesive. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 105(7), p. 2307-2312.

> Sun W., Neuzil P., Kustandi T. S., Oh S. & Samper V. D., 2005 – The nature of the gecko lizard adhesive force. Biophysical Journal, 89(2), L14-L17.

> Yanik M. F., 2009 – Towards gecko-feet-inspired bandages. Trends in Biotechnology, 27(1), p. 1-2.

> Une vidéo You Tube pour voir le robot “gecko climber” http://www.youtube.com/watch?v=ECpY2N5rgcM

Glossaire

Batésien : une espèce inoffensive adopte l’apparence physique (motifs, couleurs, etc.) d’espèces nocives afin d’échapper aux prédateurs qui ont appris à éviter les vraies espèces nocives aposématiques (qui utilisent des signaux d’avertissement visibles).

Forces capillaires : forces de tension superficielle résultant d’interactions qui se produisent aux interfaces entre deux phases en présence : entre deux liquides non miscibles, entre un liquide et l’air ou entre un liquide et une surface.

Polyimide : polymères colorés (souvent ambrés) qui comportent des groupes imides dans leur chaîne principale. Du fait de leur très grande résistance mécanique, chimique et thermique, ils remplacent souvent le verre et des métaux comme l’acier dans des applications industrielles très exigeantes.

Scansor : terme qui, dans le Corpus Inscriptionum Latinarum, désigne un fabricant d’échelles ou d’escaliers.

du gecko. En effet, le lézard pouvant s’attacher et se détacher d’une surface plus de quinze fois par seconde, la façon dont il contrôle son adhésion reste encore à comprendre pour pou­voir la reproduire. Parmi les applica­tions envisagées, on note des pièces de réparation pour des structures perforées (par exemple des réser­voirs de carburant ou des revêtements d’avions), des panneaux d’accès sans attache ou même la fixation rapide de panneaux de blindage.Des chercheurs de l’université d’Akron (Ohio, USA) fabriquent des adhésifs “gecko­inspirés” autonet­toyants, composés de nanoparticules de carbone de 200­500 µm de long, synthétisés à 750 °C à base d’éthylène et d’hydrogène.L’idée de créer des gants adhérant aux surfaces lisses a également germé et des chercheurs américains de l’UMass Amherst ont créé des “gants geckos” (Geckskin’s adhesive pads) à base de polydiméthylsiloxane. Il s’agit de sortes de peaux adhésives sèches, robustes, bon marché et résistantes dans le temps. Selon les calculs, de tels gants seraient capables de per­mettre à un homme de 80 kg de se hisser sur une surface vitrée sans risque de chute. Des prototypes sont à l’essai à l’université Cornell, tels ces gants utilisés dans le film Mission Impossible 4. Petit clin d’œil : ces gants sont serrés au niveau du poignet par des Velcro®, structure également issue

de la bionique, mais c’est une autre histoire…

Des robots et des pansements

Un ingénieur mécanicien, Mark Cutkosky (Nova), a créé un “robot gecko” qui, grâce à des pads en élastomère, grimpe sur les vitrages. Des essais de petits robots (4·cm de long) comme le MechoGecko et le BullGecko conçus par iRobot Corporation®, capables de monter sur différentes surfaces, sont actuel­lement testés par K. Autumn et ses collaborateurs.Mais l’une des applications les plus récentes et les plus prometteuses développée par A. Mahdavi et ses col­laborateurs en 2008 puis M. F. Yanik en 2009 est la création, à base d’élas­tomères, de “pansements geckos”, autoadhésifs et biodégradables dont la surface de contact avec la plaie est couverte d’une multitude de micro­piliers synthétiques (1 à 2 µm de hau­teur) qui, par l’effet des forces de van der Waals, se collent et se décollent facilement. Des essais sont en cours pour tester leurs propriétés méca­niques, leur adhésion en conditions

humides, avec les forces capillaires*, mais aussi leur possibilité de diffuser des drogues, des facteurs de crois­sance ou des antibiotiques, tout ceci en minimisant le risque de réponses immunitaires et inflammatoires. ❁

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ESPÈCES № 9 - Septembre 2013

Mammalogie Primatologie Zoologie Palynologie - Le gecko Mycologie Phylogénétique Syst

Muséum de Strasbourg : quand mémoire des collections

rime avec histoire

Si les guerres sont souvent provo-quées par les élans nationalistes, la passion des scientifiques chargés

de collections d’histoire naturelle ne connaît pas de frontières. L’histoire du musée zoologique de Strasbourg s’ins-crit dans cet esprit et doit son origina-lité à l’alternance franco-germanique

des scientifiques et conservateurs qui ont géré et valorisé ses collections.

Naissance d’une grande collection

1818. Nous sommes à l’apogée de la création des premiers muséums d’histoire naturelle français ; celui de Strasbourg s’ouvre, après l’acquisition par la ville de Strasbourg du cabinet d’histoire naturelle de Jean Hermann, un scientifique local. Le cabinet abrite des collections zoologiques,

Par Michèle Lemaire (texte) et Laurent Arthur (photos)

conservateurs au muséum d’histoire naturelle de Bourges

botaniques et minéralogiques et asso-cie pièces régionales communes et quelques curiosités rares comme un grand pingouin. Hermann entrete-nait de bonnes relations avec Georges Cuvier et Bernard de Lacépède, mais aussi avec ses homologues allemands Pierre Pallas ou Samuel Gmelin. Il utilisait son cabinet pour enseigner à l’université. Lors de l’achat des col-lections par la ville de Strasbourg, elles seront mises à la disposition de l’université qui, en retour, en assurera l’entretien.

Rappelant le Nautilus, les collections océanographiques de Doderlin au musée zoologique de Strasbourg.

ESPÈCES №13 - Septembre 2014

Biologie Muséums Mammalogie Archéozoologie Paléontologie Systématique Minéralogie

D’un côté à l’autre de la frontière

De 1825 à 1870, le musée connaîtra le développement classique d’un muséum français. Les acquisitions vont bon train, les conservateurs font des achats tous azimuts, les échanges s’effectuent avec des naturalistes et explorateurs du monde entier et les correspondants récoltent à tout va. Lors de la période

de l’annexion de l’Alsace-Moselle, de 1870 à 1918, le basculement vers l’Empire allemand entraîne une réno-vation de l’université strasbourgeoise selon le modèle développé à Berlin par Alexander Von Humboldt. Le musée d’histoire naturelle est déman-telé, les collections sont scindées pour rejoindre les instituts spécialisés de botanique et de minéralogie. La ville gardera la zoologie, mais, en 1893, les collections quittent le bâtiment de l’Académie pour s’établir au cœur du nouveau campus universitaire impé-rial. Par l’armistice du 11 novembre 1918, l’Allemagne doit abandonner l’Alsace et la Moselle. C’est le retour vers la France et les scientifiques hexa-gonaux reprennent la main. Cette période sera moins riche et les entrées de spécimens, de moindre intérêt, sont le fait de conservateurs moins attachés à l’établissement.

En 1939, la population est en par-tie évacuée de la zone frontière du Rhin et des Vosges septentrionales. En quelques semaines, l’Alsace est annexée par les armées du Reich et redevient une province allemande. Le musée tombe dans une période sombre car, afin de développer leurs laboratoires, les Allemands cherchent à récupérer des surfaces ; ils réduisent donc le musée et déménagent les col-lections de grands mammifères vers la manufacture des tabacs… qui sera malheureusement détruite ensuite par les bombardements alliés.À partir de 1945, l’université française est de retour ; sa reconstruction totale et celle du musée sont entreprises. Avec l’attribution des “dommages de guerre”, en 1961, la reconstitution des collections est entamée, mais pas totalement à l’identique : le départe-ment d’anatomie sera particulièrement développé.

Un regard différent sur les collections

De part et d’autre de la frontière, l’en-richissement des collections n’est pas appréhendé de la même façon. Alors que les Français pratiquent les acquisi-tions au coup par coup, aboutissant à de riches collections hétéroclites mais incomplètes, les Allemands comblent les manques des collections exis-tantes de manière méthodique (mais sans forcément bien documenter les spécimens, notamment en malacolo-gie) : les correspondants et les comp-toirs d’histoire naturelle informés des espèces manquantes envoyaient les spécimens, mais sans grande précision sur les localisations et les conditions de prélèvement.Autre différence, alors que les Français avaient tendance à diversifier la collec-tion en échangeant leurs spécimens dès qu’ils en avaient plusieurs de la même

Collection du musée zoologique détruite pendant la seconde guerre mondiale (cliché MZUVS).

Loin des yeux du public, ces collections surgissant de l’obscurité des combles vont devoir déménager pour des raisons de sécurité. Le charme de cette apparition n’existera plus.

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ESPÈCES №13 - Septembre 2014

Mammalogie Primatologie Zoologie Palynologie - Strasbourg Mycologie Phylogénétique Anato

« Un muséum est une richesse pour l’étude de la biodiversité. Les collections ne sont pas amassées pour être amas-sées. La pièce elle-même et les inven-taires ont un rôle important. L’intérêt d’un spécimen par rapport à une observation notée est qu’on peut revenir dessus pour l’étudier, le vérifier, faire des prélèvements d’ADN. L’inventaire peut contribuer à enri-chir les données naturalistes, apporter un point de vue diachronique et représenter le point zéro d’études. Par exemple, l’ana-lyse génétique des loups historiques des muséums a permis d’étudier la variation de la diversité génétique de l’espèce au cours du temps, leur structuration géogra-phique et de documenter une diminution de cette diversité lors de l’éradication des populations ouest-européennes. Autre exemple, les localisations des données anciennes de tortue cistude aident à déterminer où la réintroduire. »

Marie-Dominique Wandhammer

en collections nominales (collec-tions classées en fonction des collec-tionneurs). Les deux tactiques sont recevables, l’essentiel d’un inventaire étant de retrouver chaque spécimen. Une collection générale rassemble de façon pragmatique les pièces dans un classement unique, mais a le défaut de mélanger collections et achats de valeur scientifique inégale.Dans le même temps, les Allemands ont traduit l’ensemble des inventaires et étiquettes associées aux spéci-mens. Ils gardèrent précieusement les registres d’entrée en français comme source originelle, organisèrent des fichiers d’inventaire remarquablement bien structurés, mais la plupart des étiquettes d’origine en français n’ont malheureusement pas été conservées. Et pourtant ! Une étiquette parle au delà des mots consignés : la calligraphie désigne son auteur ; par recoupements, un signe imperceptible peut un jour dévoiler un indice sur l’histoire du

Série ostéologique de rongeurs, un tiroir parmi bien d’autres…

espèce, les scientifiques allemands constituaient des séries d’une même espèce pour répondre aux recherches biométriques. La collection ostéolo-gique Hensel est ainsi constituée de nombreux tiroirs de crânes de ron-geurs et de canidés, en écho à la mode des études crâniologiques.

Les inventaires

Les inventaires traduisent remarqua-blement les alternances. À chaque changement de nationalité – et donc de pratiques –, les informations atta-chées aux collections ont fait l’objet d’interprétations différentes, en fonc-tion des traductions successives.Lors de la période allemande, les res-ponsables du musée ont eu pour ambi-tion de créer, comme cela se pratiquait dans les autres muséums allemands, une seule collection générale, systé-matique et exhaustive, alors que les Français raisonnaient antérieurement

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ESPÈCES №13 - Septembre 2014

Biologie Muséums Mammalogie Archéozoologie Paléontologie Systématique Minéralogie

En 1974, un groupe de chercheurs inconnus du grand public annonce la découverte d’un australopithèque exceptionnellement complet : Lucy. C’est ainsi que se

surnomme le fossile AL-288 trouvé dans la région désertique de l’Afar, en Éthiopie. Outre le caractère exceptionnel d’un individu ancien qui se présente avec presque la moitié de son squelette, cet événement marque l’émergence de la paléoanthropologie moderne.

La grande aventure paléoanthropologique de l’Afrique commence dans les gorges d’Olduvai, en Tanzanie, avec l’annonce du crâne OH5 d’un australopithèque robuste (ou Zinjanthrope) trouvé à côté d’outils de pierre taillée, en 1959. Cet événement, appelé “la bombe d’Olduvai”, s’ac-compagne des premières datations absolues avec la méthode du potassium/argon qui donne un âge de 1,8 million d’an-nées (Ma). Une autre bombe, à retardement, s’amorce avec

L’ensemble des chercheurs et de l’équipe de soutien de l’IARE (International Afar Research Expedition). Cette aventure autour des origines de l’humanité installe aussi les fondements de la grande école de paléoanthropologie éthiopienne. Le squelette de Lucy est toujours conservé au musée d’Addis Abebba rénové cette année à l’occasion de ses 40 ans (cliché D. R.).

“Les trois mousquetaires : 30 ans après”. Maurice Taïeb, Donald Johanson et Yves Coppens réunis pour célébrer les “30 ans” de Lucy… qui garde ses vingt

ans pour l’éternité (cliché D. R.).

l’envoi d’une jeune chercheuse présente à Olduvai, incitée par Leakey à aller observer les chimpanzés dans la nature. C’est ainsi que Jane Goodall part pour le site de Gombe, sur les bords du lac Tanganyika, toujours en Tanzanie. Tout semble en place pour cerner la grande question de l’émer-gence de la lignée humaine en Afrique, ainsi que Darwin en avait fait l’hypothèse en 1871. Reste à trouver des fossiles plus anciens.La moisson d’Olduvai continue et stimule des recherches paléoanthropologiques dans un contexte nouveau, celui de consolidation de la théorie de la tectonique des plaques.

LUCYPascal PicqCollège de Francea quarante ans !

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ESPÈCES № 14 - Décembre 2014

Géologie TRIBUNE Microbiologie Palynologie Ichtyologie Zoologie Systématique Anthropo

Maurice Taïeb, jeune chercheur en géologie, arpente la région de l’Afar, en Éthiopie. Le fossé d’effondrement du système des vallées du Rift s’inscrit au cœur de ce nouveau paradigme de la géologie. Parmi les divers échantillons col-lectés, il y a des dents d’éléphants et de cochons qui indiquent des niveaux estimés autour de 3 Ma. Yves Coppens, Donald Johanson et John Kalb perçoivent immédiatement l’im-portance des sites découverts par Taïeb et créent l’Expédi-tion internationale de l’Afar en 1972. Un superbe fossile de membre inférieur est décrit en 1973 (le “genou de Lucy”), puis, l’année suivante, AL-288, qui devient immédiatement la mascotte de la paléoanthropologie.

Quarante années plus tard, Lucy atteint une maturité qui autorise un bilan sur l’évolution de la discipline scientifique. Jusqu’à l’âge de ses dix ans, elle occupe la place enviée de prédécesseur du genre Homo, à la fois par défaut et en raison de son âge géologique. Bien qu’elle soit africaine, on continue néanmoins à rechercher les origines de la lignée humaine ou hominidés en Asie. Il faut attendre l’affirmation de la systématique moderne (cladistique) pour revenir à l’hypothèse de Darwin formalisée par le modèle de l’East Side Story d’Yves Coppens au début des années quatre-vingt.Puis s’ensuit une décennie calme, sans découverte de nouveaux fossiles en raison de la reprise des conflits en Érythrée. C’est le temps des études de laboratoire sur la riche collection des australopithèques de l’Afar. D’emblée, deux écoles s’opposent : celle de Johanson et de ses collègues qui voient en Lucy un grade précédant l’émergence du genre Homo et la décrivent très humaine pour sa bipédie

comme pour sa “paléoéthologie” ; celle de Coppens et de ses collaborateurs qui pensent que les australopithèques de l’Afar représentent un clade déjà nettement séparé de celui du genre Homo, avec un ensemble d’adaptations encore arboricoles.Les expéditions internationales reprennent sur le terrain et un flux de nouveaux fossiles mis au jour fera éclater la pseudo-linéarité graduelle de la lignée humaine. Lucy à vingt ans quand, en 1994, Ardipithicus ramidus arrive d’Éthiopie. Présenté initialement comme australopithèque – toujours la vision gradiste –, il est rapidement rejoint par une cohorte de nouveaux taxons, comme Australopithecus anamensis du Kenya (1995), Australopithecus bahrelghazali du Tchad (1996), Australopithecus gahri d’Éthiopie (1999) et Kenyanthropous platyops du Kenya (2001) : il devient évident que la lignée humaine avant l’émergence du genre Homo se compose de divers clades déjà séparés depuis longtemps. Depuis quand ?

Lucy s’approche de la trentaine quand arrivent Orrorin tugenensis du Kenya (2000), Sahelanthropus tchadensis ou Toumai du Tchad (2002) et Ardipithecus kadabba d’Éthiopie (2004), tous datés entre 7 et 5,5 millions d’années. Cette fois, les origines des hominidés s’ancrent en Afrique et, dans l’état actuel des connaissances, plutôt à l’ouest des vallées du Rift. Néanmoins, une partie des paléoanthropologues persiste à maintenir une conception gradiste de l’évolution des hominidés avec un grade archaïque composé des fossiles que l’on vient de citer, suivi du grade des australopithèques qui lui-même précède celui du genre Homo. Les autres s’efforcent de dégager une systématique cladistique de cette diversité des

Illustration Arnaud Rafaelian.

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ESPÈCES № 14 - Décembre 2014

Biologie TRIBUNE Anatomie Malacologie Ichtyologie Bactériologie Paléoanthropologie

plus anciens hominidés à laquelle s’ajoutent les découvertes récentes d’Afrique du Sud, comme Australopithecus sediba, annoncé comme proche du genre Homo.

Et Lucy dans tout ça ? Elle reste un fossile majeur auquel se réfèrent toutes les comparaisons, car les centaines d’études qu’elle a motivées n’ont cessé de mobiliser les techniques et les méthodologies des laboratoires les plus modernes. Il faut rappeler aussi qu’il existe encore peu de fossiles aussi complets d’un seul individu avec des éléments squelettiques crâniens et postcrâniens (ceux d’Ardipithecus ramidus et d’Australopithecus sediba n’ayant été décrits que très récemment). Ainsi, il faut attendre une étude de 2013 pour avoir une connaissance plus complète des australopithèques robustes descendant de Lucy en Afrique de l’Est : une lignée adaptée à la vie dans les savanes arborées, qui conserve des mœurs arboricoles, aux individus de plus en plus robustes, mais qui disparaît vers 1 Ma.

Lucy semble donc appartenir à un clade qui, pour l’heure, se distingue comme le mieux identifié dans l’arborescence de ce qui a été la radiation de la famille des hominidés avant l’apparition du genre Homo. Disons qu’il en est ainsi pour les paléoanthropologues acceptant les méthodes de la systé-matique moderne. Et, de cette position, Lucy doit s’amu-ser de la persistance des conceptions gradistes qui font d’elle et des siens plus ou moins proches un grade intermédiaire entre le genre Homo et les plus anciens hominidés connus à ce jour. Notons d’ailleurs que grâce à ces derniers elle ne

représente plus un grade intermédiaire entre les grands singes et les hommes. Cette petite promotion gradiste n’en dissi-mule pas moins une forme d’archaïsme méthodologique qui n’arrive pas à se débarrasser des oripeaux anthropocentriques d’une culture occidentale encore fossilisée dans l’aphorisme édulcoré “l’homme descend du singe” et qui voit toujours dans les grands singes africains actuels (chimpanzés, bonobos, gorilles) le grade qui précède l’émergence des hominidés. Il reste encore courant, hélas, que même certaines analyses cladistiques maintiennent ce postulat, voyant systématique-ment tout caractère reconnu chez un grand singe africain comme archaïque et tout caractère présent dans la lignée des hominidés comme dérivé. Il serait grand temps d’adopter des comparaisons élargies à d’autres clades d’hominoïdes.

Ainsi, quarante ans plus tard, on discute toujours des origines du genre Homo en relation avec les Australopithèques et on s’accorde toujours pour ignorer les chimpanzés. Lucy, arrivée à un âge respectable, a trouvé sa position sur une branche de la famille des hominidés et, de là-haut, au paradis des fossiles et près des étoiles, elle observe les hommes… qui piétinent à la recherche de leurs origines terrestres. ❁

Lucy (AL-288) entourée des deux fossiles d’Australopithecus sediba (MH1 et MH2) découverts en Afrique du Sud en 2010 par Lee R. Berger et son équipe. Cette espèce serait, selon lui, une forme intermédiaire entre les deux genres Australopithecus et Homo (doc. P. Schmid/ Lee R. Berger/university of the Witwatersrand/Creative Commons).

Pour en savoir plus

> Picq P., 2003 – Au Commencement était l’Homme. Odile Jacob

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ESPÈCES № 14 - Décembre 2014

Géologie Microbiologie Palynologie Ophiologie - Lucy a quarante ans Zoologie Systématique A

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ESPÈCES № 12 - Juin 2014

Biologie À voir Mammalogie Botanique Ichtyologie Systématique Ichtyologie Exobiologie

On évalue toujours les guerres en comptabilisant leurs “millions de morts”, mais peut-être devrait-on préciser “humains”. En cette

année de commémoration, le muséum de Bourges rend hommage aux “bêtes de guerre” entraînées par l’homme dans sa folie guerrière. On pense évidemment aux mulets et chevaux tirant les munitions dans la boue ou aux chiens distribuant les messages, mais d’autres sont moins connus : mascottes et compagnons en tout genre, dromadaires des Camel Corps ou canaris prévenant des attaques au gaz. Cette exposition a aussi le grand mérite de rappeler que les victimes animales ne se limitent aux animaux domestiques. Beaucoup (mais combien ?) ont subi indirectement les terribles conséquences du conflit : chiens errant sans maître, oiseaux asphyxiés par les gaz ou les marées noires, cétacés… À l’inverse, en ces temps où l’homme est trop occupé à se chasser lui-même, les loups, les rats, les poux et les puces prolifèrent ! Découvrez un des impacts de la guerre négligé par l’histoire au travers de documents historiques : littéraires, audiovisuels, photographiques et des animaux naturalisés. Un autre point de vue sur la guerre, celui de l’animal, et qui n’en oublie aucun. ❁

Tous les jours de 14h à 18h Muséum d’histoire naturelle de Bourges

Les Rives d’Auron (Parc des expositions), allée René Ménard, 18 000 Bourges

Tél. : 02 48 65 37 34 [email protected]

www.museum-bourges.net

À voirInteractions insectes-plantes

Nicolas Sauvion, Paul-André Calatayud, Denis Thiéry, Frédéric Marion-Poll (éd.)

Quae, 2013

Les animaux et la Grande Guerre Bourges, jusqu’au 28 septembre 2014

Entrée gratuitePlace Martin Bastard, 79000 Niort

Tél. : 05 49 78 71 84 / [email protected] www.vivre-a-niort.com/teciverdi

Migrations, festival Téciverdi Niort, 26 au 28 juin 2014

Ce n'est pas un festival pas comme les autres qui se tient en cette fin juin en Poitou-Charentes. Créé en 2010 à l’occasion de l’année internationale

de la biodiversité, Téciverdi (diversité, en verlan) ne réunit pas des gens qui se ressemblent, comme c’est généralement l’usage, mais cherche les points communs entre ceux qui, à priori, ne se ressemblent pas ! Le lien, cette année, est le concept de la “migration”, qu’elle soit humaine ou animale, qu’elle soit vue par des orni-thologues, des généticiens, des auteurs, des poètes ou des conteurs… Vous pour-rez venir y écouter des spécialistes (à l’esprit ouvert) de renommée internationale comme Pascal Picq ou des musiciennes comme Cristina Branco. Saluons l’esprit et le concept de ce festival qui, comme toute entreprise transdisciplinaire génère autant d’idées nouvelles que de plaisantes rencontres. ❁

Composé d’une quarantaine de chapitres, réunissant quatre-

vingt-quatre chercheurs, cette somme didactique passe minutieusement au crible les relations complexes entre les insectes, dans leur fonctionnement in-dividuel et populationnel, les plantes, qui demeurent largement tributaires des insectes pollinisateurs et les diffé-rents écosystèmes, qu’ils soient natu-rels ou artificiels. Le monde foisonnant des insectes « est le fruit d’une longue his-toire évolutive fortement influencée par la diversification progressive des plantes ter-restres ». Depuis leur apparition au Dévonien inférieur, ils n’ont cessé d’évoluer en étroite association avec les plantes, qui elles-mêmes ont été soumises en retour aux pressions de sélection, engendrant une grande diversification de lignées. Les organes de ces insectes se sont adaptés (pièces buccales et tube digestif variant selon le régime alimentaire, yeux ajustés au mode de vie, antennes réceptrices, type de cerveau…), leurs comporte-ments (sociaux ou non, en symbiose, mutualisme, parasitisme, commen-salisme…), leurs processus physiolo-giques (nutrition, digestion, excrétion, reproduction…), engendrant une large palette de types : herbivores, phyto-phages, xylophages, entomophages,

saproxyliques… L’apparition des plantes cultivées, le plus souvent déri-vées « par évolution naturelle, puis par sé-lection par l’homme, de plantes sauvages », domestiquées, a accentué la sélection et l’adaptation des insectes comme les phytophages, majoritairement spécialisés (monophages ou oligo-phages). Ces espèces naturellement présentes (natives) ou introduites (non-natives), localisées ou invasives, ont participé à la transformation de notre environnement avec d’autant plus d’intensité que des facteurs d’ori-gine anthropique participeront à cette dynamique d’une manière intention-nelle ou accidentelle (culture, bio-in-vasion, lutte biologique…). Loin d’être inertes, les plantes possèdent toute une gamme de processus chimiques qui s’expriment tant dans leur développe-ment métabolique (synthèse, dégrada-tion, production de toxines, de répul-sifs, d’antiappétents…), leur capacité de résistance au stress (insectes, micro-organismes, maladies, climat…) que sur leur environnement (communica-tion, parfum…). Ces facteurs, complé-tés par des caractéristiques physiques (silhouette, forme, taille, couleur), participeront au choix d’une plante hôte par l’insecte pour l’accouple-ment, la ponte, le refuge, la nutrition

ou la pollinisation. Cette dernière joue un rôle majeur dans la relation in-secte-plante : là où l’insecte trouve à se nourrir, la plante réalise sa repro-duction sexuée. L’homme commen-ça à sélectionner « les plantes supportant les aléas abiotiques et biotiques incluant les insectes et les maladies ». Ainsi ont été créées les catégories de “ravageurs” et d’“auxiliaires” des cultures. Mais « la nature se plie rarement à nos savantes clas-sifications ». Reste que la question de la préservation de la biodiversité et des pratiques agricoles au sein d’un monde bouleversé par l’activité humaine est toujours d’une actualité brûlante. Le dernier chapitre, portant sur la gestion des habitats et des ressources naturelles comme piliers de l’agro-écologie, apporte une réflexion salutaire et des pistes prometteuses, pluridisciplinaires, afin de concilier les insectes, les plantes, l’homme et, finalement, l’ensemble de la biodiversité pour les années à venir. ❁

[Valéry Rasplus]750 pages – 75 €

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ESPÈCES № 12 - Juin 2014

Entomologie Climatologie Ornithologie Mammalogie À lire Herpétologie Malacologie

Focus surÀ lireInteractions insectes-plantes

Nicolas Sauvion, Paul-André Calatayud, Denis Thiéry, Frédéric Marion-Poll (éd.)

Quae, 2013

Combien ont péri, ont été man-gés, ballottés, emprisonnés et trop

rarement choyés, de ces bêtes embar-quées ? Ce n’est pas seulement le bétail ou les animaux exotiques qui sont trai-tés ici : l’auteur nous fait découvrir au travers d’une série de “portraits” que, même sur l’eau, l’histoire des bêtes et des hommes est imbriquée de bien di-verses manières. Qu’ils soient passag-ers clandestins comme les rats, poux, fourmis ou crépidules, ou passagers VIP comme ces bêtes extraordinaires que les puissants s’échangeaient, ils sont omniprésents. Et cette histoire “transversale” de la marine, bourrée d’anecdotes, parfois cruelles et parfois émouvantes, leur rend véritablement hommage. Elle nous éclaire aussi sur un aspect rarement évoqué de la vie des marins au long cours : ils vivent dans de véritables ménageries et, de la survie de leurs hôtes dépend sou-vent la leur. Marie-Haude Arzur, longtemps journaliste au sein de l’excellente revue Chasse-marée, aime à faire découvrir des aspects méconnus de sa passion. C’est chose faite avec ce livre. [C. B.] 248 pages – 19,99 €

Animaux à bordMarie-Haude Arzur Glénat, 2014

Sirocco : Mission kakapoEmmanuelle Grundmann Hélium, 2014

Exquise planètePierre Bordage, Jean-Paul Demoule, Roland Lehoucq & Jean-Sébastien Steyer Odile Jacob, 2014

Emmanuelle Grundmann aime les bestioles improbables et, parmi

celles-ci, le kakapo tient une place particulière (voir Espèces n° 5). Il est vrai que ce perroquet-hibou néo-zé-landais, incapable de voler, rondouil-lard et d’un beau vert éclatant inspire la sympathie malgré son caractère bien affirmé. Il lui a inspiré cette histoire destinée aux 9 ans (et plus) imaginée à partir de faits réels. Emmanuelle Grundmann se glisse avec aisance dans la peau de Sirocco, prénom que les deux chercheurs Don et Deidre ont donné au poussin qu’ils ont recueilli. Bien sûr, ces aventures sont un pré-texte pour sensibiliser les petits aux problématiques des espèces en danger d’extinction, au travail des chercheurs – qu’Emmanuelle connaît bien –, à la réintroduction en milieu naturel d’animaux adoptés par l’homme. La collection “fiction nature” d’Helium a pour prin cipe de demander à des cher-cheurs d’imaginer des fictions sur les bases de leurs propres travaux. Un ex-ercice sans doute passionnant, autant pour eux que pour nous. [C. B.]

208 pages – 12,50 €

Exquise, par référence au “cadavre exquis”, cette fiction a été écrite

à quatre mains. Un astrophysicien, Roland Lehoucq ouvre les hostili-tés en imaginant la naissance d’une planète, un paléontologue, Jean-Sébastien Steyer, la peuple et Jean-Paul Demoule, un archéologue, fait vivre son peuple. Une fiction certes, mais peut-être notre Terre aurait-elle pu ressembler à cette planète si les choses avaient été quelque peu dif-férentes, car il suffit de subtiles vari-ations au début de l’histoire pour que la fin diffère en tous points ! Stephen Jay Gould disait que si l’on pouvait re-passer le film de l’évolution à l’envers, même un million de fois, il serait quasiment impossible que l’évolution nous resserve le même scénario. Peut-être est-ce lui qui a ins piré les auteurs, car imaginer un autre monde régi parc les mêmes règles est un exercice aussi instructif que distrayant. C’est à Pierre Bordage, célèbre auteur de science-fiction, que revient l’honneur de conclure et de donner du corps et une conclusion inattendue à cette aventure extraterrestre [C. B.] 178 pages – 19,90 €

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ESPÈCES № 12 - Juin 2014

Biologie À lire Ornithologie Exobiologie Ichtyologie Systématique Géologie Primatologie

Animaux disparus Histoire et archives photographiquesErrol Fuller Delachaux et Niestlé, 2014

De mâle en père À la recherche de l’instinct parternelFrank Cézilly Buchet-Chastel, 2014

Petites leçons de dessin animalier Une approche de terrainJean Chevallier Delachaux et Niestlé, 2013

L es animaux sont bien souvent de piètres modèles, non pas parce

qu’ils manquent d’intérêt ou de beauté, bien entendu, mais parce qu’ils bougent ! Tous ceux qui se sont essayés au dessin naturaliste vous le diront : il suffit de prendre un crayon pour que l’animal le plus placide s’agite fréné-tiquement. Jean Chevallier, artiste incontournable du dessin naturaliste, à l’aise dans tous les styles (du plus précis au plus enlevé), vous dévoile ses “trucs” pour capturer la nature sur le terrain. Vous découvrirez combien son aisance cache de connaissance et de travail. Vous apprendrez à déjouer les pièges les plus courants (et notam-ment ceux que vous tend votre cer-veau). Car le dessin est non seulement la meilleure manière d’apprendre à regarder mais c’est aussi, comme le dit l’auteur, un remède, « car le dessin demande du temps, et que ce temps est un bonheur ». Plus qu’une méthode com-plète (avec exercices), cet ouvrage est aussi un “beau livre” que l’on prend grand plaisir à feuilleter et qui rassurera tous ceux que le crayon effraie encore. [C. B.] 192 pages – 29 €

« Parmi les arguments de toutes sortes que l’on a pu entendre à

l’occasion des discussions qui accompagnent les réformes familiales, il en est un qui ne manque jamais de me consterner : celui qui consiste à invoquer un prétendu ordre na-turel pour décider de ce qu’il est juste et bon d’imposer aux sociétés humaines. » Ces récents débats ont donc motivé ce professeur en écologie comportemen-tale et en bio logie des populations à faire le point sur ce que l’on sait des comportements parentaux des mâles, et pas seulement parmi les mam-mifères. En bon scientifique, Frank Cézilly définit dans les premières pages ce qu’il entend par “instinct paternel” et le débarrasse très vite de tout an-thropomorphisme. Ce n’est pas tâche aisée et l’auteur s’en amuse parfois comme en témoignent certains chapi-tres comme Les assassins font-ils de bons pères ? Sur le sujet des soins parentaux, les regards se sont surtout portés sur les femelles, le rôle du mâle étant sou-vent sous-estimé est considéré comme secondaire, or vous découvrirez dans ce livre que, là encore, les généralités sont dangereuses. [C. B.] 272 pages – 19 €

E lles sont souvent rayées, floues, sur- ou sous-exposées, les pho-

tos d’Animaux disparus, mais elles sont belles et émouvantes en leur qualité d’unique témoignage de formes de vie que nous ne reverrons jamais. Elles ont la sincérité d’un moment capturé, parfois anecdotique, que ne donnera jamais le dessin, si précis soit-il. Sentiment d’impuissance aussi, puisque la photo nous ramène à un passé récent où nous savions déjà ce monde voué à disparaître. Certains de ces animaux sont déjà tristement connus, comme ce loup marsupial de Tasmanie, le thylacine (qui bâille en couverture), mais d’autres, tout aussi extraordinaires, le sont beaucoup moins. Rien ne reste des couleurs vives du pic à bec d’ivoire sur ces pho-tos en noir et blanc, mais son regard malicieux et la complicité qu’il affiche avec l’homme qui pose avec lui lais-sent un goût amer. Les oiseaux sont légion, mais aussi des cerfs, dauphin, couagga… trop nombreux disparus. Et comment, en refermant ce livre, ne pas penser à tous ceux dont on n’a ja-mais tiré le portrait ? [C. B.]

256 pages – 25 €

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ESPÈCES № 12 - Juin 2014

Entomologie Climatologie Ornithologie Mammalogie À lire Herpétologie Malacologie

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