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DOSSIER 20 BIODIVERSITÉ ÉTANCHÉITÉ.INFO #38  JUIN 2013 © Pyc ENVIRONNEMENT TTV et biodiv plus que des E n avril dernier, la foncière Gecina inaugurait en grande pompe les 7 000 m² de toi- ture-terrasse végétalisée du futur centre commercial Beaugrenelle dans le 15 e arrondissement de Paris. Devant près d’une centaine de personnes dont une majorité de journalistes, Bernard Michel, président directeur général du groupe, Anne Hidalgo, première adjointe au Maire de Paris, Allain Bougrain-Dubourg, président de la Ligue de protection des oiseaux (LPO), Maurice Bansay, président d’Absys, maître d’ouvrage délé- gué du projet et Denis Valode, architecte, se sont succédés devant les caméras pour présen- ter cette réalisation unanime- ment qualifiée « d’exemplaire ». Point d’orgue des discours : les bienfaits des TTV (et de celle-ci en particulier), en matière de biodiversité. « La réflexion sur la place de la nature en ville ne se réduit pas aux espaces verts. Il faut laisser le végétal et l’animal enva- hir l’espace là où c’est possible. Le bâti est une solution. Sur les toitures, la nature est à l’abri du bruit, de la pollution et du rythme de vie rapide propre aux milieux urbains », a affirmé la future candidate à la Mairie de Paris. « Le toit vert n’impacte pas que le végétal, a abondé Bernard Michel. Il joue également en faveur de la biodiversité. » Et d’ajouter que Les études en cours terrasses végétalisé de biodiversité. En compte cette derni 01 02 03 01, 02 & 03 Frédéric Madre analyse le comportement de trois typologies de TTV sur le toit d’AgroParisTech : la première (photo 1) varie les épaisseurs de substrat (de 20 à 30 cm) et permet l’ajout d’arbustes. Celle-ci est la plus favorable au développement des végétaux et à l’installation d’animaux. La seconde (photo 2) est composée d’herbacées, de vivaces et de sedums pour 15 cm de substrat. La dernière (photo 3) compte 8 cm de substrat et une végétation à base de sedums. © Pyc © Pyc

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ttv et biodiv ersité : des intentions plus que des concrétisations

En avril dernier, la foncière Gecina inaugurait en grande pompe les 7 000 m² de toi-

ture-terrasse végétalisée du futur centre commercial Beaugrenelle dans le 15e arrondissement de Paris. Devant près d’une centaine de personnes dont une majorité de journalistes, Bernard Michel, président directeur général du groupe, Anne Hidalgo, première adjointe au Maire de Paris, Allain Bougrain-Dubourg, président de la Ligue de protection des oiseaux (LPO), Maurice Bansay, président d’Absys, maître d’ouvrage délé-gué du projet et Denis Valode, architecte, se sont succédés devant les caméras pour présen-ter cette réalisation unanime-ment qualifiée « d’exemplaire ». Point d’orgue des discours : les bienfaits des TTV (et de celle-ci en particulier), en matière de biodiversité. « La réflexion sur la place de la nature en ville ne se réduit pas aux espaces verts. Il faut laisser le végétal et l’animal enva-hir l’espace là où c’est possible. Le bâti est une solution. Sur les toitures, la nature est à l’abri du bruit, de la pollution et du rythme de vie rapide propre aux milieux urbains », a affirmé la future candidate à la Mairie de Paris. « Le toit vert n’impacte pas que le végétal, a abondé Bernard Michel. Il joue également en faveur de la biodiversité. » Et d’ajouter que

Les études en cours tendent à prouver que les toitures-terrasses végétalisé es jouent un rôle positif en matière de biodiversité. En pratique, les réalisations prenant en compte cette derni ère restent rares. A D E l I n E D I O n I S I

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Frédéric Madre analyse le comportement de trois typologies de TTV sur le toit d’AgroParisTech : la première (photo 1) varie les épaisseurs de substrat (de 20 à 30 cm) et permet l’ajout d’arbustes. Celle-ci est la plus favorable au développement des végétaux et à l’installation d’animaux. La seconde (photo 2) est composée d’herbacées, de vivaces et de sedums pour 15 cm de substrat. La dernière (photo 3) compte 8 cm de substrat et une végétation à base de sedums.

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« Beaugrenelle représente à lui seul 10 % des objectifs de végétalisa-tion de toiture de la Ville de Paris (voir encadré et article p.46). Le nouveau centre commercial est la concrétisation de notre stratégie immobilière qui place la biodiver-sité parmi nos priorités ».Concrètement, sur l’équivalent de la surface d’un terrain de foot ont été plantées, dans 40 cm de substrat, trois essences de gra-minées et plantes à bulbe choi-sies notamment pour créer des continuités écologiques avec la flore locale. Des aménagements spécifiques, telles que des ruches, ont été mis en œuvre afin de favo-riser l’installation des espèces. Les vitrages ont été sérigraphiés afin d’en limiter la transparence et les reflets, des protections de

caoutchouc ont été positionnées à chaque angle de vitrage pour éviter aux oiseaux de se blesser…

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Alors opération de communi-cation ou réalisation vraiment efficace ? Difficile de se pronon-cer avant les premiers retours d’expérience. Mais contrairement aux apparences, les TTV ne sont pas systématiquement favorables à la biodiversité. « La toiture végétalisée est un milieu créé de toutes pièces par l’homme. Il est par définition très contraint par l’épaisseur et le type de substrat mis en œuvre, la présence d’une membrane d’étanchéité, la hau-teur du bâtiment … », explique Frédéric Madre, actuellement

Les études en cours tendent à prouver que les toitures-terrasses végétalisé es jouent un rôle positif en matière de biodiversité. En pratique, les réalisations prenant en compte cette derni ère restent rares. A D E l I n E D I O n I S I

la biodiversité et les typologies de végétalisation Frédéric Madre, chercheur au Muséum nationale d’histoire naturelle, réalise actuellement une thèse sur la végétalisation du bâti en tant que support de biodiversité urbaine. Afin de mener à bien ses analyses, il a identifié trois typologies de strates végétales, différentes de celles communément admises (extensif, semi-intensif, jardin…) et adaptées au concept de biodiversité. « Les appellations classiques renvoient à la notion d’entretien et d’épaisseur de substrat et non à la structure de végétalisation qui pour nous est à la base du développement des espèces en toiture », justifie-t-il. La première dite « muscinale » correspond plus ou moins à la végétalisation extensive. Elle est composée de mousses et de sedums rampants. La seconde, « herbacée », contient plus de 20 % de graminées et d’herbacées. La dernière, nommée « arbustive », compte plus de 20 % d’arbustes.

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doctorant au Muséum natio-nal d’histoire naturelle (MNHN). Il travaille sur la végétalisation du bâti en tant que support de biodiversité urbaine (voir enca-dré) et observe depuis plusieurs années différentes toitures expé-rimentales. Pour lui, la TTV dif-fère donc des espaces au sol et ne peut donc être envisagée comme tel. « D’ailleurs, on n’y retrouve pas exactement les mêmes com-munautés d’animaux que sur les espaces environnants que consti-tuent par exemples les parcs. Ces derniers n’ont pas de réels impacts sur les types d’espèces présents en toitures. » Certaines issues de milieu côtier ont même été observées sur des toitures végé-talisées en raison de similitude entre les deux milieux, tous deux chauds, secs et ouverts. De plus, « de par sa hauteur, le toit est généralement peu accessible », ajoute-t-il. Par conséquent, pour le chercheur, la toiture est plus à considérer comme « un habitat potentiel qu’un relai d’habitats ». Une analyse qui vient relativiser

la biodiversité, cause nationale et locale Présentée en mai 2011 par la ministre de l’Écologie alors en place nathalie Kosciusko-Morizet, la Stratégie nationale pour la biodiversité 2011-2020 prévoit de « préserver et restaurer, renforcer et valoriser la biodiversité, en assurer l’usage durable et équitable, réussir pour cela l’implication de tous et de tous les secteurs d’activité ». Elle repose sur une adhésion et une déclaration d’engagement volontaire des organismes. En parallèle, un observatoire de la biodiversité, créé également en 2011, présente un baromètre de l’état de la biodiversité en France. Enfin, l’actuelle ministre du développement durable Delphine Batho prévoit sous peu la naissance d’une agence française dédiée, sans pour autant donner de date. À Paris, c’est en novembre 2011 qu’a été adopté le plan biodiversité par la municipalité. Ses trois grands axes : favoriser, préserver, transmettre. Les toitures-terrasses végétalisées y sont clairement mentionnées comme une action concrète à mettre en œuvre. Ainsi, la mairie prévoit l’aménagement de 7 ha supplémentaires de TTV ainsi que 15 nouveaux jardins en terrasse (voir article p. 43). En mars dernier, la Ville de Paris a lancé un appel à projets dédiés à la végétalisation innovante. Entreprises et associations sont ainsi invitées à tester grandeur nature leurs solutions expérimentales dans le domaine, entre autres, de la biodiversité. Les prototypes pourront être testés dans l’espace public et sur des bâtiments pendant une durée pouvant atteindre trois ans.

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L’installation de ruches sur les toits a plus pour fonction de créer du lien social et de la sensibilisation aux problématiques environnementales que d’impacter la biodiversité.

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Les 7 000 m2 de toiture végétalisée du futur centre commercial Beaugrenelle dans le 15e arrondissement de Paris sont majoritairement composés de graminées.

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implantées qui favorisera la colo-nisation du site par les insectes, les araignées, les oiseaux… mais la diversité de structure de cette végétation », insiste Frédéric Madre. En d’autres termes, chaque typologie de végétali-sation a son rôle à jouer. Il faut varier les hauteurs (plantes rasantes, graminées, herbacées, plantes à fleur, arbustes…) et donc les épaisseurs de substrat, afin de permettre aux espèces

l’idée qui fait de la TTV un élé-ment déterminant des trames vertes* sauf peut-être pour les oiseaux, dits très dispersants. « Mais ils restent anecdotiques », précise le chercheur. Elle conforte néanmoins l’idée que le toit vert permet de créer des petits éco-systèmes en ville. Sous réserve de respecter certaines caractéris-tiques. L’épaisseur de substrat est déterminante car « ce n’est pas la multiplication d’espèces végétales

de retrouver les milieux néces-saires à leur reproduction, leur alimentation, leur protection… De quoi redonner aux sedums, souvent accusés de monoculture, leurs lettres de noblesse, quand il sont associés à d’autres types de plantes. « En été notamment, il permet de conserver un certain couvert végétal qui retient l’eau utilisée par les autres plantes », souligne Frédéric Madre.Passer de la théorie à la

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pratique n’est pas encore à l’ordre du jour. Les fabricants de complexes d’étanchéité pour toiture végétalisée tout comme les fournisseurs de solutions de végétalisation ne remarquent pas un changement radical de positionnement des maîtres d’ou-vrage et des maîtres d’œuvre par rapport à la TTV. Le simple tapis de sedum continue de dominer largement le marché. Solution facilement mise en œuvre et à l’entretien limité, il propose éga-lement une végétalisation visible immédiatement, une qualité recherchée par les architectes pour son aspect esthétique. Il s’adapte également à certaines configurations spécifiques telles que la rénovation ou l’installa-tion sur élément porteur léger. « Les critiques envers le sedum ne sont pas toujours justifiées, ajoute François Lassalle, président de l’Association des toitures et des façades végétales (Adivet) et directeur R&D de Sopranature, procédé de végétalisation déve-loppé par Soprema. Ces plantes sont irremplaçables car elles ne nécessitent qu’une faible épaisseur de substrat et ne créent pas d’ap-port de charge trop important. » « Même en terme de biodiversité le sedum joue un rôle, ajoute Pierre Georgel, président d’Ecovégétal. D’autant plus qu’il est possible de varier les espèces. »

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En outre, « le message “biodiver-sité” n’est pas encore véritablement intégré par les maîtres d’ouvrage et les maîtres d’œuvre », poursuit-il. « Il y a un intérêt croissant,

nuance Pierre-Alexandre Swistek, chef de marché pour Le Prieuré Vegetal i.D. Mais les demandes ne se concrétisent pas encore sur les projets mis en œuvre. » « Seuls 4 à 5 % des projets avec lesquels nous travaillons mettent en œuvre des systèmes intensifs », confirme Xavier Raguet, gérant d’Optigreen.

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Principal obstacle : le prix. « Intégrer la notion de biodiver-sité à une réalisation de TTV induit un choix de solution haut de gamme, par comparaison au sedum », explique Pierre-Alexandre Swistek. L’épaisseur du substrat augmente et avec elle les contraintes techniques (apport de charge) et par consé-quent le coût global. « Ce dernier doit être intégré dès la conception d’un projet pour avoir la garantie

qu’il soit mené jusqu’au bout », souligne Frédéric Thibault, directeur commercial chez Axter. Cela n’empêche pas les indus-triels de développer des gammes de plus en plus élaborées en termes d’épaisseur et de com-position de substrat ou de choix de végétaux. Siplast-Icopal a développé une gamme spécifique de végétalisation semi-inten-sive, adaptée selon les régions,

l’entretien et la biodiversité « Pour préserver la biodiversité sur une toiture-terrasse végétalisée, il faut entretenir le moins possible, la nature doit reprendre ses droits », affirme Pierre Georgel, président d’Ecovégétal. « Elle doit devenir un espace autonome », confirme Frédéric Madre. un minimum d’interventions reste nécessaire afin de protéger le complexe d’étanchéité des plantes invasives notamment et d’éviter les engorgements d’eau. L’arrosage doit être réduit le plus possible et se limiter aux opérations de « sécurisation » en cas de sécheresse à laquelle les végétaux, notamment ceux assurant une certaine biodiversité, peuvent avoir du mal à résister. un exemple : sur les deux végétalisations expérimentales installées depuis un an sur les toits d’Agroparistech exploitées par Frédéric Madre dans le cadre de son doctorat, l’arrosage n’a été nécessaire qu’une fois.

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Frédéric Madre, Alan Vergnes, nathalie Machon, Philippe Clergeau, A comparison of 3 types of green roof as habitats for arthropods, Ecological Engineering n°57, 2013 Observatoire départemental de la biodiversité urbaine de la Seine-Saint-Denis et natureparif, Réaliser des toitures végétalisées favorables à la biodiversité, 2011. Cette fiche technique a été élaborée avec l’appui technique de Plante & Cité et du Muséum national d’Histoire naturelle (MnHn). nathalie Blanc et Philippe Clergeau, Trames vertes urbaines, édition du Moniteur, mai 2013, 340 pages.

« Ce n’est pas la multiplication d’espèces végétales implantées qui favorisera la colonisation du site par les insectes, les araignées, les oiseaux… mais la diversité de structure de cette végétation. »

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Le sedum participe à la biodiversité comme le montre ici la présence de coccinelles.0 7

Depuis 2010, la toiture de la Cité de l’architecture et du patrimoine à Paris s’est transformée en démonstrateur de biodiversité urbaine avec la mise en place par les jardins de Gally d’une végétalisation diversifiée et plus récemment d’un potager.

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en collaboration avec le réseau Exavert, Graviland-Expert. Axter et Sika-Sarnafil ont également établi des partenariats avec des fabricants de solutions de végéta-lisation. « Avoir remplacé le tradi-tionnel gravier par une couverture végétale a été un bond en avant au début des années 2000, ana-lyse Philippe Bonnet, directeur des ventes chez Sika-Sarnafil. Même si le sedum reste majori-taire, nous devons aujourd’hui aller plus loin en proposant plus de variétés de végétaux en privi-légiant d’autres essences, locales de préférence. » Un point de vue partagé par Soprema depuis long-temps : « L’intégration dans notre catalogue des associations végé-tales variées (Pampa et Garrigue) adaptées au développement de la biodiversité date du milieu des années 1990. Elles permettent aux étancheurs d’obtenir des solutions “clé en mains” dont la mise en œuvre n’est pas fondamentalement plus complexe que celles à base de sedums uniquement. Nous réflé-chissons actuellement à enrichir

encore notre palette », rappelle François Lassalle. L’enjeu est de taille pour le secteur de l’étanchéité qui domine le mar-ché de la végétalisation de toiture. L’argument de la diversification des essences, et avec lui, celui de la biodiversité est aujourd’hui largement mis en avant par les acteurs du paysage qui cherchent désormais à valoriser leur exper-tise dans le domaine. Or, sur le sujet, « les étancheurs ne sont pas toujours sensibilisés », reconnaît Philippe Bonnet. Reste qu’un bâti-ment végétalisé sans complexe d’étanchéité performant n’est pas durable. Et ce quel que soit le type de plantation. Une réalité qui rend plus que jamais impérative la col-laboration entre les deux corps de métier. l

* mesure importante du grenelle de l’environnement, la trame verte et bleue vise la préservation et la restauration des continuités écologiques. ces dernières correspondent à l’ensemble des réservoirs de biodiversité et des corridors écologiques qui permettent à une population d’espèces de circuler et d’accéder aux zones vitales.

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Quels risques sur un ouvrage existant sous décennale ?Aucun aménagement sur une toiture existante ne devrait logiquement être réalisé sans un diagnostic de l’étanchéité, voire, le cas échéant, une mise en conformité de l’ouvrage par un professionnel qualifié. On peut évidemment s’interroger sur le fait d’apporter des aménagements assez onéreux sur un complexe dont la durée de vie est déjà bien entamée. Pour autant, dans la réalité, ce type d’opération reste courant. Et la végétalisation n’échappe pas à ce risque bien que nous ayons évoqué le fait dans Étanchéité.info n°29, que les complexes d’étanchéité les plus répandus ne sont pas conçus pour la recevoir directement. Plusieurs cas de figure sont envisageables :- La mise en place ultérieure d’une végétalisation sur une toiture non conçue pour cet usage devrait exonérer de fait l’étancheur de toute responsabilité en cas de sinistre. Y compris sur un ouvrage couvert par la garantie décennale.- L’intervention sur une toiture-terrasse végétalisés existante (réaménagement végétal, mise en place d’équipements…) peut entraîner des situations plus complexes. Si des désordres de nature décennale surviennent durant les travaux, l’intervenant devra prendre en charge leur réparation. En revanche, les sinistres qui interviendraient après réception peuvent conduire à une mise en cause de la responsabilité décennale de l’étancheur, même du fait des travaux ultérieurs. Celui-ci devra démontrer avec certitude qu’ils sont la cause unique des dommages.

É tanchéité et végétalisation regroupées dans un lot unique : cette configuration s’est imposée depuis quinze ans comme la règle sur les marchés de

toitures-terrasses végétalisées. Pour les étancheurs, cette pratique a depuis longtemps fait ses preuves, aussi bien dans la gestion des travaux que dans les rela-tions avec les maîtres d’œuvre et les maîtres d’ouvrage. Les Règles professionnelles, établies sous l’impulsion de la CSFE avec l’Adivet, le SNPPA et l’Unep, ont consacré cet état de fait. Or, aujourd’hui, la profession s’inquiète justement de voir ce mode d’organisation remis en cause sur certains projets. Sur un marché français de la TTV en expansion, plusieurs facteurs expliquent cette tendance : l’arrivée de nouveaux acteurs, issus notamment du monde du paysage, ou encore la méconnaissance des techniques par certains donneurs d’ordres. Encore minoritaire, la pratique des lots séparés - étanchéité d’un côté, végétalisation de l’autre - préoccupe toutefois la CSFE qui vient d’éditer une plaquette rappelant le rôle central de l’étancheur dans la réalisation des toits verts.

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Pour le secteur, l’enjeu n’est pas seulement commercial. Sur un plan technique, le complexe de végétalisation n’est pas dissociable de l’étanchéité (voir article page 34). Il en assure la protection (obligatoire) voire le lestage. Réaliser une végétalisation n’est pas qu’un embellissement apportant des avantages secondaires en matière thermique, esthétique, de rétention d’eau, de remède à l’îlot de chaleur. Mettre en œuvre une TTV a des conséquences sur les éléments porteurs (détermination des surcharges apportées, hauteur des acrotères...). Cela a aussi des impacts sur le choix du type d’isolant thermique et du complexe d’étanchéité et sur toute l’organisation de chantier. Attention donc aux modifications en cours de chantier. Dès lors, une vision globale est indispensable pour que l’ensemble des sujétions soient prévues, que les entrepreneurs puissent assumer pleinement leur devoir de conseil et que le chantier se déroule sans conflit. Tout ceci plaide pour l’indissociabilité de la végétalisation

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Les TTV constituent un ouvrage du bâtiment soumis à la fois au code de la construction et de l’habitation et au régime de la décennale.

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toiture-terrasse végétalisée : les avantages d’un lot uniqueLe développement de la végétalisation de toitures entraîne parfois de nouvelles pratiques de passation de marchés qui ne sont pas sans risque pour les donneurs d’ordres et les entreprises. P h I l I P P E D R I At

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par rapport à l’étanchéité. Les TTV constituent bel et bien un ouvrage du bâtiment soumis au code la construction et de l’habitation mais aussi au régime de la décennale auquel les étancheurs sont familiarisés et beaucoup moins les paysagistes. Parmi ces derniers, ils sont nombreux à ne pas avoir conscience de la nécessité de la souscrire bien qu’elle soit obligatoire comme indiqué à l’article L 241-1 du code des assu-rances, négligeant les risques d’effondrement ou de fuites que leurs travaux peuvent causer à l’issue de l’année de parfait achèvement. Certains pêchent aussi par manque d’information et n’ont pas conscience que le défaut de souscription d’une telle assurance est susceptible d’entraîner la condamnation de l’auteur du délit à une peine d’emprisonnement de six mois et/ou au paiement d’une amende de 75 000 € au plus (art. L 243-3 du code des assurances).

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P O u R l E S D O n n E u R S D ’ O R D R E S

Séparer en deux lots les prestations liées à l’étan-chéité et sa végétalisation peut sembler présenter deux avantages pour les décideurs : la recherche d’économies à bon compte et le choix de l’instal-lateur de la végétalisation. Mais les inconvénients sont beaucoup plus nombreux pour les donneurs d’ordres. Tout d’abord lors de la phase travaux. Les interfaces entre corps d’état, les demandes de tra-vaux supplémentaires et les inévitables litiges entre entreprises ont des répercussions sur l’avancement du chantier, même lorsque des précautions sont prises avec des épreuves de mise en eau.

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L’étanchéité d’une construction participant direc-tement à la fonction de clos de l’immeuble, les désordres qui l’affectent, dès lors qu’ils touchent sa solidité ou rendent l’ouvrage impropre à sa des-tination, relèvent du champ de la responsabilité décennale. Et les entrepreneurs le savent : il s’agit d’une responsabilité présumée ! Cela vaut au plan juridique comme dans la pratique. En clair : dès qu’il y a une fuite ou un désordre en toiture-terrasse, le maître d’ouvrage met d’abord en cause l’entreprise d’étanchéité. Le complexe de végétalisation assurant la protection de l’étanchéité, la responsabilité de l’en-treprise en charge de sa mise œuvre est directement concernée par la décennale. Reste que sur le terrain, l’appréciation des responsabilités d’une entreprise par rapport à une autre s’avère toujours délicate… a fortiori lorsque deux lots séparés sont impliqués. En cas de sinistre, les règlements à l’amiable entre entreprises risquent de se révéler peu nombreux, ceci induisant une judiciarisation des procédures. Pour des sinistres de nature décennale et dans le

cas où l’entreprise du paysage n’aurait pas souscrit d’assurance responsabilité décennale et ne pourrait pas faire face à ses obligations, le maître d’œuvre et le maître d’ouvrage risquent de se voir attribuer une large part de responsabilité.

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Dans ces conditions, on comprend l’attachement de la profession de l’étanchéité au principe du lot unique. Il présente l’avantage pour l’entreprise de maîtriser la totalité des sujétions techniques et de pouvoir prendre en considération les précautions à prendre lors de chaque étape des travaux. C’est également l’étancheur qui assume tous les risques vis-à-vis du maître d’ouvrage (dommages avant réception, res-ponsabilité civile et responsabilité décennale). À condition bien sûr qu’il ait déclaré son activité de végétalisation à son assureur, il dispose de toutes les assurances nécessaires pour couvrir les deux activités. Par ailleurs, il lui est toujours possible de sous-trai-ter le volet végétalisation à un autre intervenant spécialisé, lui répercutant le cas échéant ses obli-gations en matière de responsabilité et d’assurance. C’est le contrat de sous-traitance qui gère alors les relations entre les parties. Autre solution possible : le groupement momentané d’entreprises conjointes. Les marchés restent individualisés mais ce mode d’organisation permet de choisir son partenaire tout en établissant une convention définissant le cadre de la co-traitance. Le maître d’ouvrage peut d’ailleurs imposer ce type de réponse qui ne règle néanmoins pas celui de l’assurance décennale obligatoire. La CSFE et l’Union nationale des entreprises du paysage (UNEP) travaillent d’ailleurs sur ce sujet. Une notice conjointe d’aide à l’élaboration de groupement sera prochainement publiée. l

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Le complexe de végétalisation assure la protection et le lestage de l’étanchéité.

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DOSSIER30 ÉTANCHÉITÉ. INFO #38  juin 2013INTERVIEW

étAnchéIté.InfO Quelle est l’inter-vention des Jardins de Gally sur le marché de la végétalisation de toitures ?Xavier laureau L’un de nos cœurs de métier est le paysagisme d’intérieur et d’extérieur avec un positionnement qui consiste à intervenir au plus près du bâ-timent, des lieux de vie et sur-tout des lieux de travail. Nous travaillons le sujet du végétal et du bâti dans deux directions. Verticale d’abord, avec toutes les formes innovantes de végétali-sation de façades. Horizontale ensuite, au niveau de la toiture, avec une expérience plutôt cen-trée sur la végétalisation semi-intensive. Sur ce créneau, nous ne sommes ni pépiniériste, ni affiliés à une technique particu-lière. Nous concevons des com-plexes, nous sélectionnons les végétaux puis nous les mettons en œuvre et surtout, nos équipes en assurent ensuite l’entretien. La maintenance fait partie du cœur de notre métier de paysa-giste. Depuis quinze ans, notre discours consiste à expliquer qu’elle est également partie inté-grante de tout ouvrage végétal. On ne peut introduire de vivant dans le bâti sans un minimum de maintenance.

E.I L’organisation des marchés de végétalisation préoccupe le monde de l’étanchéité. Lots séparés ou lot unique ? Quel est le point de vue du paysagiste sur cette question ?

Xavier laureau Le lot séparé reste pour nous le cadre d’intervention idéal. Sur ce marché, nous consi-dérons depuis le début que le végétal et le vivant sont des sujets de spécialistes. Il y a une part de savoir-faire qui se juxtapose au savoir-faire et à l’exigence d’excel-lence du monde de l’étanchéité. Mais cela reste en soi une com-plexité. C’est vrai pour l’installa-tion mais aussi pour l’entretien. Or, toute maintenance, y compris celle du végétal, doit être pensée dès la conception.

E.I Le sujet de l’allotissement sou-lève également un certain nombre d’enjeux liés aux responsabilités juridiques et assurantielles des étancheurs… Jean Passini Notre profession, entrepreneurs et fabricants, a été à l’origine du développement du marché avant les années 2000. Aujourd’hui, l’objectif des étan-cheurs n’est pas de défendre à tout prix un pré-carré commercial, ni d’empiler les marges sur le dos de sous-traitants. Il est vrai que nos entreprises sont, pour ainsi dire, traumatisées par la garantie décennale. Quel que soit le pro-blème ou son origine, leur res-ponsabilité est systématiquement mise en cause. D’où l’importance pour la profession du lot unique qui nous permet d’engager notre responsabilité tout en conser-vant, avec nos sous-traitants ou co-traitants, la maîtrise technique de nos ouvrages en ayant une

vision globale, ce qui nous per-met de pouvoir jouer notre rôle de conseil. Je rejoins en revanche Xavier Laureau sur la question de la maintenance. Dans les années 1990, au démarrage du marché, nous avons sans doute eu le tort de ne pas tenir le bon discours sur l’importance de l’entretien de la végétalisation, mais aussi du bâti. Il y a des progrès à faire ensemble sur ce sujet.Xavier laureau Le lot séparé est un enjeu dès lors qu’il s’agit de conce-voir et de réaliser un véritable ouvrage végétal, avec des épais-seurs de substrats plus impor-tantes, un éventuel recyclage des eaux pluviales, des aména-gements et des choix botaniques supports de biodiversité qui peuvent compter, par exemple, dans la note HQE d’un bâtiment. C’est bien un mini-complexe qui se met en œuvre avec derrière une ingénierie. Cette question

jean Passini, dirigeant du groupe SnA et président de la CSFE ainsi que Xavier Laureau, directeur des jardins de Gally et président de la grappe d’entreprises Le Vivant et la Ville se sont prêtés au jeu de l’interview croisée lors d’une rencontre organisée par Étanchéité.info sur le toit de la Cité de l’architecture et du patrimoine au Palais de Chaillot à Paris.

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E n t R E t I E n c R O I S é , X Av I E R l A u R E A u – J E A n PA S S I n I

« le développement du marché passe par le respect de nos compétences respectives »un paysagiste, Xavier Laureau (Les jardins de Gally) et un étancheur, jean Passini (président de la CSFE) évoquent en duo les enjeux posés par l’évolution du marché de la végétalisation de toiture. b c

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DOSSIER 31ÉTANCHÉITÉ. INFO #38 JUIN 2013 INTERVIEW

ne peut être dissociée de celle de l’usage qui dépasse aujourd’hui la simple notion d’embellisse-ment. On sait que les toitures végétalisées peuvent contribuer à répondre à des enjeux de bien-être au travail mais aussi dans des zones urbaines très contraintes, au développement de nouveaux usages collectifs par la création d’espaces partagés. On com-mence alors à raconter une his-toire de paysage différente de celle que l’on caricature parfois. Sur ces sujets, d’une plus grande complexité que la toiture exten-sive, nous pensons que la question de l’allotissement doit être posée.

E.I La séparation des lots étanchéité et végétalisation peut-elle entraî-ner des problèmes techniques ? Jean Passini Il ne faut pas oublier que l’un des rôles essentiels de la végétalisation reste la protection de l’étanchéité. Or, notre crainte est que les deux lots soient rédi-gés sans être en concordance. Le risque est également que les acteurs ne se parlent pas avec, au fi nal, des erreurs dans le choix des matériaux, dans la prise en compte des charges, dans la gestion des points singuliers ou encore dans la coordination des travaux durant lesquels nos ouvrages sont particulièrement exposés.Xavier Laureau Vous avez entière-ment raison. D’où l’importance des Règles professionnelles. D’où également l’écriture en cours au sein de l’association « Le Vivant et la Ville » d’un guide de bonnes pratiques pour les enveloppes végétalisées à destination prin-cipalement des maîtres d’œuvre. Le monde du paysage est très atomisé et peu capitalisé. C’est également un secteur à très forte proportion de main d’œuvre. Le développement du marché ne se fera que par le respect de nos compétences et de nos expertises respectives mais aussi par une

sincère envie de partage de la valeur ajoutée et pas seulement dans les mots…

E.I L’association des compétences est donc un passage obligé à l’avenir… Jean Passini Nous sommes convain-cus que la toiture-terrasse sera de plus en plus sollicitée pour la construction de la ville durable, qu’il s’agisse de production d’énergie, de biodiversité, ou de création d’espaces à forte valeur d’usage. Nos entreprises d’étan-chéité sont spécialisées et les étan-cheurs ont, depuis longtemps, l’habitude d’aller chercher des compétences à l’extérieur de leur structure. Il nous faut éviter les contre-références, y compris sur le marché de la rénovation où les paysagistes peuvent jouer un rôle moteur. Une végétalisation mise en œuvre sur une toiture-terrasse existante qui fuit au bout de deux ans simplement parce que l’étan-chéité n’est pas adaptée serait un échec pour tout le monde. En neuf comme en rénovation, créer des liens et des partenariats entre paysagistes et étancheurs me paraît indispensable. Xavier Laureau La réussite de ce marché est dans l’intérêt de toutes les professions impliquées. Nous sommes à un tournant des réfl exions sur la gestion de la bio-diversité et de nos écosystèmes urbains. Les toitures végétalisées peuvent jouer un rôle clé dans ces nouvelles formes d’articulation entre le bâti et les milieux natu-rels. Il existe une réelle attente des utilisateurs, aussi bien en termes d’écologie que de pra-tiques sociales, avec toutefois une réponse à retard du monde pro-fessionnel. Il faut probablement se donner plus de moyens de dia-logue et s’accorder davantage de respect entre bons professionnels. Il n’y a pas de secret : les réussites seront obtenues parce que de très bons étancheurs travailleront avec de très bons paysagistes. ●

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