ENTRETIEN Xavier Cornu

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Xavier Cornu J’ai, auprès des chercheurs, beaucoup appris en rigueur et en humilité. « » A près une vie entière consacrée à l’enseignement, la formation et l’apprentissage, Xavier Cornu aura quitté le 30 janvier 2016 son poste de Directeur général adjoint Enseigne- ment-Recherche-Formation de la CCI Paris Ile-de-France et démissionné de son poste d’Admi- nistrateur de la CGE, Vice-président Entreprises. À l’heure où l’apprentissage apparaît soudainement, comme la recette miracle face au chômage des jeunes, GrandAngle, dans lequel il s’est souvent exprimé sur ce sujet et sur tant d’autres, a souhaité lui donner la parole et en profiter pour lui poser quelques questions plus personnelles. GrandAngle Xavier Cornu vous avez été, pendant vingt ans Direc- teur général adjoint de la CCIR Paris Ile de France en charge de l’enseignement, de la recherche et de la for- mation. A ce poste vous avez supervisé des Grandes écoles et pas des moindres HEC, ESSEC, ESCP Europe, mais aussi Gobelins et FERRANDI. Vous avez de plus été Vice-président de la CGE, membre de l’EQUIS awarding board et de la Commis- sion d’évaluation des formations et diplômes de ges- tion, l’enseignement auquel vous avez consacré votre vie vous a-t-il rendu heureux ? Xavier Cornu Oui cela fait quasiment trente ans que je m’occupe d’enseignement et de formation à la CCI de Paris, devenue CCI Paris Ile-de-France et vingt ans que j’as- sume la supervision de toutes les écoles de la Chambre de Commerce, qui sont aujourd’hui au nombre de 24. Est-ce que ce métier m’a rendu heureux ? Oui pleine- ment heureux ! C’est le plus beau métier du monde, celui qui permet d’enseigner, de former les jeunes, de travailler et de bâ- tir avec eux. Il n’y a rien de plus stimulant, de plus motivant, de plus prometteur et de plus innovant que la jeunesse. J’ai eu la chance d’exercer bien des métiers en un seul ; je m’occupais de pédagogie, de finance, de relations internationales, de commercial, d’innovation de res- sources humaines et qui plus est, sur un spectre très large embrassant des formations allant du CAP au doc- torat, en passant par les classes prépa à l’apprentis- sage ou aux grandes écoles. J’ai pu travailler sur toute la très riche palette de l’enseignement. C’est un métier et c’est important à mes yeux, qui per- met d’évaluer ses résultats à travers des indicateurs simples ; le taux de réussite aux examens, le taux d’insertion professionnelle, le chiffre d’affaires de la formation continue le montant de la taxe d’apprentis- sage collectée, le pourcentage d’étudiants étrangers accueillis dans nos écoles. C’est un métier magnifique qui m’a rendu profondé- ment heureux car il traite de l’éducation, c’est-à-dire de la liberté. ENTRETIEN 1

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Xavier Cornu J’ai, auprès des chercheurs, beaucoup appris en rigueur et en humilité.

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Après une vie entière consacrée à l’enseignement, la formation et l’apprentissage, Xavier Cornu aura quitté le 30 janvier 2016 son poste de Directeur général adjoint Enseigne-

ment-Recherche-Formation de la CCI Paris Ile-de-France et démissionné de son poste d’Admi-nistrateur de la CGE, Vice-président Entreprises.À l’heure où l’apprentissage apparaît soudainement, comme la recette miracle face au chômage des jeunes, GrandAngle, dans lequel il s’est souvent exprimé sur ce sujet et sur tant d’autres, a souhaité lui donner la parole et en profi ter pour lui poser quelques questions plus personnelles.

GrandAngleXavier Cornu vous avez été, pendant vingt ans Direc-teur général adjoint de la CCIR Paris Ile de France en charge de l’enseignement, de la recherche et de la for-mation. A ce poste vous avez supervisé des Grandes écoles et pas des moindres HEC, ESSEC, ESCP Europe, mais aussi Gobelins et FERRANDI.Vous avez de plus été Vice-président de la CGE, membre de l’EQUIS awarding board et de la Commis-sion d’évaluation des formations et diplômes de ges-tion, l’enseignement auquel vous avez consacré votre vie vous a-t-il rendu heureux ?

Xavier Cornu Oui cela fait quasiment trente ans que je m’occupe d’enseignement et de formation à la CCI de Paris, devenue CCI Paris Ile-de-France et vingt ans que j’as-sume la supervision de toutes les écoles de la Chambre de Commerce, qui sont aujourd’hui au nombre de 24.Est-ce que ce métier m’a rendu heureux ? Oui pleine-ment heureux !C’est le plus beau métier du monde, celui qui permet

d’enseigner, de former les jeunes, de travailler et de bâ-tir avec eux.Il n’y a rien de plus stimulant, de plus motivant, de plus prometteur et de plus innovant que la jeunesse.J’ai eu la chance d’exercer bien des métiers en un seul ; je m’occupais de pédagogie, de fi nance, de relations internationales, de commercial, d’innovation de res-sources humaines et qui plus est, sur un spectre très large embrassant des formations allant du CAP au doc-torat, en passant par les classes prépa à l’apprentis-sage ou aux grandes écoles. J’ai pu travailler sur toute la très riche palette de l’enseignement.

C’est un métier et c’est important à mes yeux, qui per-met d’évaluer ses résultats à travers des indicateurs simples ; le taux de réussite aux examens, le taux d’insertion professionnelle, le chiffre d’affaires de la formation continue le montant de la taxe d’apprentis-sage collectée, le pourcentage d’étudiants étrangers accueillis dans nos écoles.C’est un métier magnifi que qui m’a rendu profondé-ment heureux car il traite de l’éducation, c’est-à-dire de la liberté.

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GrandAngleVous avez au cours de votre carrière représenté toutes les CCI françaises au niveau européen. Selon vous, l’Europe de l’enseignement existe-t-elle ?

Xavier Cornu A mes yeux l’Europe de l’enseignement, tout comme l’Europe de la fi scalité n’existe hélas pas encore vrai-ment. Nous avons des programmes européens, Erasmus, Léo-nardo, ou d’autres. Nous avons le processus de Bologne qui a introduit le LMD.Mais il n’existe pas de politique européenne de l’en-seignement qui n’est d’ailleurs pas comprise dans le traité fondateur de Rome.

Il n’y a pas de statut d’école européenne. Je ne connais pas une école qui rayonne sur tous les pays d’Europe ou sur certains d’entre eux avec un statut juridique unique.

Je déplore le retard pris par l’Europe dans ce domaine, malgré l’existence à Bruxelles d’un Commissaire à l’édu-cation, et d’un Comité directeur de l’enseignement supérieur et de la recherche (CDESR). J’appelle à une mobilisation de tous les pays européens pour la mise en place d’une véritable politique européenne de l’édu-cation.

Observez toutes les institutions d’enseignement en France et dans les pays d’Europe ; quelle part ac-cordent-elles à l’enseignement de l’Europe ? Que ce soit l’histoire, l’économie, la géopolitique, quelle dé-ception ! Les nations raisonnent d’abord par rapport à elles-mêmes et traitent l’Europe de façon marginale.

Grâce à l’éducation qu’ils reçoivent, les jeunes feront l’Europe en l’extirpant de la situation inconfortable dans laquelle elle se trouve ; à ce sujet je pense qu’un établissement comme ESCP Europe sera un des vec-teurs qui suscitera chez ses étudiants, une réelle envie d’Europe et participera à la naissance d’une identité européenne.J’espère que les jeunes de cette école rédigeront un manifeste pour la construction européenne, qu’ils ré-aliseront le brassage indispensable des cultures natio-nales et qu’ils fonderont ensemble, malgré et grâce à leur diversité, l’Europe.

L’Europe de l’enseignement reste à bâtir et c’est un chantier exaltant.

GrandAngleLa jeunesse, l’enseignement sont des sujets dont les politiques disent qu’ils sont prioritaires et cependant, ils ne sont jamais réellement abordés dans les cam-pagnes électorales ou les grands débats, pensez-vous que dans l’enseignement « il n’y a que des coups à prendre » ?

Né à Perpignan, Xavier Cornu a l’humour, la faconde et l’élégante décontraction des gens du sud mais l’amour du travail bien fait et de la belle ouvrage des gens du nord. Il aime l’entreprise mais dénonce celles qui ne jouent pas le jeu de l’apprentissage, amoureux de l’Université, il défend les Grandes écoles, défenseur du service public, il voit d’un bon œil l’arrivée du privé dans le capital des Grandes écoles, passionné par la langue française, il milite pour l’enseignement de l’anglais et du français, pilote des grandes écoles les plus prestigieuses pendant 20 ans, il a toujours défendu les formations destinées aux plus modestes.Xavier Cornu aime à manier les paradoxes, c’est l’expression de sa liberté.

À 19 ans, alors que faute de fac, Il s’apprête « comme tous ses copains » à quitter Perpignan, pour Montpellier ou Toulouse. Sa mère, qui élève seule ses 3 enfants dont il est le dernier, lui conseille de « monter à Paris ».Il sait combien ce départ fut un arrachement, il sait aussi qu’il doit sa carrière à ce sacrifi ce maternel et la photo de la maison familiale de Perpignan trône toujours en bonne place dans son bureau.Sans convictions, il entre à Sciences Po, école qu’il va fi nalement adorer, mais refuse de faire l’ENA comme l’aurait souhaité sa mère. Passionné par la Recherche, il prépare un Doctorat d’État en Sciences économiques à Paris 2 où l’homme de gauche se retrouve face au GUD.

Sa thèse soutenue le 2 décembre 1980, recevra le Prix de la meilleure thèse Paris 2.

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Xavier Cornu A la veille de chaque élection, la jeunesse et l’ensei-gnement sont évoqués par les politiques et deviennent alors, très momentanément, des sujets prioritaires. Malheureusement, ils ne sont jamais abordés en pro-fondeur et ne font pas l’objet de débats approfondis lors des face-à-face des candidats. L’enseignement semble faire peur aux hommes po-litiques. Il y a effectivement beaucoup de coups à prendre.

Nos politiques, à la recherche de consensus impro-bables, ne savent pas parler à la jeunesse, ils n’ont pas les codes. J’ai encore en mémoire l’incroyable face à face télévisé de 1980 entre Mitterrand et Balavoine, qui reste terriblement actuel. Ils craignent ses réactions et ne savent pas comment, avec elle, mener la révolution culturelle indispensable pour un meilleur fonctionnement de l’enseignement.

L’enseignement c’est le contraire de l’opportunisme politique, il nécessite une vision, de la durée, de la té-nacité pour tenir un cap à ne pas changer tous les ans ou à chaque élection. Il faut, là ou tout le monde pense avoir un avis à don-ner, encourager les expérimentations, les évaluer et en cas de succès les généraliser.

Ce qui est certain, c’est que l’école au sens large, ne peut pas être un sanctuaire fermé sur lui-même. Elle doit au contraire, s’ouvrir sur la société économique, culturelle, politique, internationale. Je rêve encore d’une grande conférence qui réunirait les représentants des associations d’élèves et d’étu-diants, de parents, d’enseignants, d’entreprises et des pouvoirs publics pour que, dans l’intérêt de tous, une solution consensuelle soit établie autour du thème de l’enseignement.Je rêve aussi que de véritables experts soient nommés aux principaux postes de l’Enseignement et de la re-cherche ».

GrandAngleAccepteriez-vous une mission ?

Xavier Cornu Si sa mission était clairement défi nie, oui. Si c’est pour faire un rapport de plus : non !

GrandAngleDes milliers d’étudiants ont été diplômés dans les 24 écoles que vous avez pilotées pendant ces 3 décen-nies, savez-vous combien ?

Xavier Cornu En 30 ans, il est diffi cile d’avoir une estimation précise du nombre de diplômés qui sont passés par les écoles de la Chambre de Commerce et Industrielles de Paris Ile-de-France. Je pense qu’ils ont été près de 270 000.

Ce chiffre, qui peut paraître important, est somme toute modeste au regard des 1,4 million personnes qui sont diplômées chaque année en France dans toutes les voies possibles, du CAP jusqu’ au doctorat.

Les écoles de la CCI de Paris Ile-de-France représentent plus, un laboratoire éducatif, un aiguillon qu’un élé-ment qui pèse quantitativement dans le poids des di-plômés en France.

GrandAngleA l’heure où les jeunes ont été particulièrement tou-chés et éprouvés, notamment à Paris, comment trouvez la jeunesse de notre pays ? Quel regard por-tez-vous sur elle ?

Xavier Cornu C’est vrai, les jeunes ont été particulièrement touchés et éprouvés notamment à Paris par les tragiques évé-nements du 13 novembre dernier.

pour 2016 à Anne-Lucie WackJ’ai beaucoup d’estime pour Anne-Lucie Wack. La Présidente de la CGE a entrepris une action de promotion des Grandes écoles qui se déroulera sur toute l’année 2016 avec notamment, l’organisation d’un colloque le 12 mai prochain.Je forme le vœu que toutes ses entreprises soient couronnées de succès et que la CGE, sous l’impulsion de sa Présidente, parvienne à dévoiler aux jeunes qui l’ignorent encore, à leurs parents et aux entreprises, la réalité et la pertinence d’une Grande école.Qu’elle parvienne à lutter contre toutes les idées reçues et stéréotypes colportés sur les Grandes écoles qui sont des centres d’excellence et de recherche, qui procurent aux jeunes les meilleurs moyens d’apprendre et de s’insérer durablement dans l’emploi.

Enfi n je suis persuadé qu’Anne-Lucie Wack réussira à insérer les Grandes écoles dans un monde éducatif pacifi é, animé d’estime réciproque entre les différents acteurs et par-tenaires naturels que sont les Grandes écoles, les universités et les grands centres de recherche. 3M

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Les terroristes ont symboliquement voulu s’attaquer aux jeunes, éléments libres de la société française et internationale. Souhaitant faire la fête mais aussi tra-vailler. Cet amour de la vie leur était insupportable.

Je porte sur la jeunesse d’aujourd’hui un regard très positif. Nous avons des jeunes curieux, travailleurs, adaptables avec une réelle mentalité internationale. Ils sont des digital natives et parlent couramment la langue des réseaux sociaux. Ils vivent sans idéologie politique et sont orientés vers l’initiative et notam-ment la création d’entreprise. Il y a de plus en plus de créateurs d’entreprises par-mi les diplômés des écoles de management et d’in-génieurs.

Mais ce qui les caractérise et c’est le plus grave, c’est qu’ils sont profondément dégoutés par la politique, par les promesses non tenues, le double langage. Ce qui les a conduits à s’abstenir massivement lors des régio-nales ou à faire un choix par défaut, un choix par rejet, pour un parti politique auquel il est néfaste de faire de la publicité.

GrandAnglePensez-vous que les étudiants français seront armés pour affronter les défi s colossaux qui les attendent, sauront-ils résoudre les problèmes dont ils vont héri-ter : réchauffement climatique, chômage, terrorisme, migration, l’enseignement et la formation leur per-mettront-ils de trouver les réponses ?

Xavier Cornu Je pense que dans leur grande majorité, les étudiants français, qui sont l’avenir de notre pays, sont évidem-ment armés pour affronter les défi s qui les attendent.

Les diffi cultés qui les attendent, chômage, retraite, ré-chauffement climatique, terrorisme, sont colossales. Le monde dont ils héritent est dans un triste état.

Mais je n’ai pas d’inquiétude, je sais qu’ils ont et qu’ils auront l’énergie nécessaire pour réagir et que l’ensei-gnement leur permettra de trouver des réponses à ces crises. Je précise que selon moi, le phénomène mi-gratoire n’est pas une crise mais une opportunité pour notre pays.

Il convient cependant d’améliorer l’enseignement qu’ils reçoivent du primaire jusqu’au supérieur et leur apprendre à travailler ensemble pour plus tard vivre ensemble. Pour cela, une pédagogie spécifi que doit être utilisée. Je pense à la pédagogie par projets. Il faut lutter contre les comportements individualistes et commencer par se comprendre dès l’école pour ensuite se comprendre dans la vie.

Pour ceux qui ont le moins de connaissances, il faut travailler sur l’acquisition du langage écrit et oral qui reste défaillant chez certains. Il faut travailler sur la base d’acquisition de connais-sances indispensables et aussi sur les compétences, qui sont un gage d’employabilité.

Nous vivons désormais à l’échelle mondiale et non plus à l’échelle française. Il faut développer dans tous les enseignements y compris professionnels, l’inter cultu-ralité. La culture a été le parent pauvre de notre enseigne-ment. Comment un individu peut-il se développer sans connaître l’histoire de la peinture, de la musique, les courants contemporains de l’architecture et de la phi-losophie ?

Il faut donner un sens à l’éducation et éviter de prendre les jeunes pour des « sacs à savoir que l’on remplit un peu plus tous les jours ». Je reprends volontiers à mon compte cette expression employée par Alice Ferney qui a rédigé en 2005 et à l’issue d’une année de travaux et de rencontres entre les étudiants, les enseignants et les parents, « L’en-gagement éducatif de la CCIP », véritable Charte édu-

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Pierre Bergé« C’est une stature mythique et le père spirituel que je me suis choisi. Un homme au destin prodigieux qui ne peut laisser indifférent, on le déteste ou on l’aime.C’est un homme de passion, un amateur d’art exceptionnel, un vrai mécène et c’est la plus grande rencontre que j’ai pu faire »

Pierre Bergé et Xavier Cornu travaillent de 1981 à 1985 à la création de l’Institut Français de la Mode (IFM) école membre de la CGE, qui fête en 2016 ses 30 ans.Ils ont la même passion pour les arts, la culture, l’opéra, la peinture, la poésie et la littérature. « Il a une grande aptitude au mécénat, généreux et pudique, Pierre Bergé donne sans compter et ne souhaite pas que ce soit su ».Xavier Cornu se plait à citer son mentor en l’imitant « je commencerai à vieillir le jour où je cesserai de m’indigner ».

Nul doute que Xavier Cornu restera longtemps, et c’est une bonne nouvelle pour l’enseignement supérieur, un très jeune retraité.

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cative destinée à toutes les écoles de la CCI, qu’elles forment des pâtissiers ou des ingénieurs, des soudeurs ou des manageurs.

Il faut donner aux jeunes plus d’autonomie et les évè-nements récents doivent nous amener à réfl échir à tous les niveaux de l’éducation, à l’enseignement de la laïcité qui doit être couplé avec l’enseignement de l’histoire des religions.

Et au-delà, il y a, bien entendu le problème des décro-cheurs, ce scandale national qui fait que des jeunes quittent le collège, le lycée, l’université sans formation ni diplôme. Ce problème apparaît dès le primaire et court jusqu’à l’enseignement supérieur. Le point dur me paraît être le lycée si coûteux pour l’Etat français : chaque élève en lycée professionnel par exemple, coûte 14 000 eu-ros par an.

Nous devons éviter que le lycée, représentation de l’éducation laïque, ne devienne une colonne de distil-lation sociale, que de la 6e à la terminale le nombre de fi ls d’employés, d’ouvriers, d’agricul-teurs, de chômeurs ne diminue réguliè-rement. Ce qui fait que nous ne trou-vons plus au niveau d’un bac général avec mention, que des ca-tégories appartenant au milieu les plus fa-vorisés.

Le manque de diversité sociale que l’on reproche aux grandes écoles est un mauvais procès.Les élèves qui sont dans les grandes écoles sont ceux qui se sont présentés aux concours d’entrée. Les autres, issus des milieux les moins favorisés ont été éliminés entre la 6e et la terminale. Le problème fondamental du système d’éducation français est bien cette période entre la 6e et la termi-nale.L’inclusion sociale exige une réforme du lycée. C’est une urgence absolue.

J’ajouterais enfi n que l’anglais n’est toujours pas bien maîtrisé dans le secondaire, voir le supérieur alors qu’il est, face à la mondialisation, un outil indispensable.

GrandAngleVous avez dit que votre regret était « qu’il n’y a pas eu de révolution idéologique sur l’apprentissage en France »Quand on parle apprentissage, on entend, échec sco-laire et travail manuel ; Pensez-vous que l’apprentis-

sage notamment dans le supérieur a perdu la guerre de la communication ?

Xavier Cornu L’apprentissage a été l’un des combats essentiels de ma vie et après tant d’années d’observation, je re-grette qu’il n’ait jamais été pris au sérieux.On parle toujours, comme vous le dite d’apprentissage pour des élèves qui n’ont pas réussi, on peut d’ailleurs, se poser la question de savoir ce qu’est la réussite édu-cative. L’apprentissage serait réservé aux élèves qui se destineraient aux métiers manuels et technique et pourquoi donc ? On peut bien entendu, par l’apprentis-sage préparer tous les métiers du tertiaire.

L’apprentissage dans le supérieur n’a pas perdu la guerre de la communication puisque c’est dans le su-périeur qu’il a réussi l’essentiel de son développement ces dernières années.Malgré cela, l’apprentissage recule dans notre pays. Le nombre d’apprentis est retombé au niveau de celui de

2007.Il occupe qu’un pe-tite place, les jeunes formés en apprentis-sage ne représentent que 10  % de de la classe d’âge des 16-25 ans en formation.

Evidemment à chaque élection ré-gionale ou choc na-tional nous assistons à une nouvelle prise

de conscience que vous qualifi ez à juste titre de tar-dive, très tardive.A chaque crise économique et sociale on brandit l’ap-prentissage pour faire baisser le nombre de chômeurs.Mais l’apprentissage n’est pas qu’un emploi aidé ou une mesure contrat cyclique pour l’emploi, c’est avant tout un mode pédagogique alternatif dédié à ceux qui veulent apprendre par l’induction, plus que par la dé-duction.A ceux qui sont plus dans l’action que dans la cérébra-lité et je ne porte aucun jugement de valeur des uns par rapport aux autres.

Alors aujourd’hui on annonce de nouvelles mesures pour l’apprentissage. Je m’en réjouis bien sûr, mais je regrette qu’elles arrivent si tardivement.Tous les gouvernements depuis 20 ans de droite comme de gauche agitent, à chaque crise, l’étendard de l’apprentissage. L’apprentissage nécessite avant tout une certaine stabilité et non ce changement per-manent de législation et de réglementation.

« Un coup je te donne un crédit d’impôt, un coup je te l’enlève.

« Je tiens à mon indépendance d’esprit, à ma liberté de mouvement et de réfl exion, je vais m’exprimer beaucoup plus vivement dans le débat sur l’éducation ».

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Un coup je te donne une prime, 6 mois après je te donne plus de prime.Un coup je t’exonère de charges sociales, 6 mois après l’exonération est réduite de moitié ».

Ce qui me désole, c’est de ne pas arriver à convaincre les politiques de faire usage de bon sens en écartant toute idéologie et en menant une politique raisonnée et résolue de long terme.

Je ne sais pas ce que seront les nouvelles mesures adoptées, mais j’espère qu’elles le seront pour dix ans

Il convient par ailleurs, de lever toutes les ambiguïtés sur le comportement de l’éducation nationale qui n’est pas un fervent prescripteur de l’apprentissage et qui forme une minorité des apprentis en France.

Ces mêmes ambiguïtés doivent être levées sur le comportement des entreprises qui ne doivent pas re-chercher de la main d’œuvre à bas coût mais bien des jeunes à former dans une optique à long terme, d’une bonne gestion de leurs ressources humaines.Les conseils régionaux, dont c’est une des compé-tences principales, doivent adopter une attitude ou-verte et ne pas limiter l’apprentissage au niveau se-condaire, n’offrant que la préparation à des diplômes de l’Education nationale.Enfi n, il convient de mettre en place une politique de cartes de formation qui soit basée sur des critères de performance et non pas d’aménagement du territoire.

Je pourrais parler pendant longtemps encore d’ap-prentissage. Je pense que la France est passée depuis longtemps à côté de ce sujet. J’espère sans trop y croire que les mesures 2016 seront bonnes, mais il est bien tard pour agir.En tout état de cause, l’apprentissage ne résoudra pas d’ici la fi n du quinquennat le problème de l’emploi des jeunes en France. Donnons-lui sa chance pour les 10, 20 ou 30 ans à venir.

Sur ce sujet est-ce que je serais acteur ou observateur éclairé ? Et bien je serais observateur engagé !

GrandAngleL’Assemblée générale de la CGE du 28 janvier 2016 sera votre dernière AG en tant que Vice-président de la CGE. Elle se tient à l’IFM, c’est une école qui ne vous est pas étrangère, de plus, 1986-2016 c’est un joli clin d’œil ?

Xavier Cornu C’est en effet une grande joie pour moi que la pro-chaine AG de la CGE se tienneA l’Institut Français de la Mode (IFM), une école dont j’ai été avec Pierre Bergé, le concepteur et le créateur en 1986, trente ans tout rond. Cette école est unique en son genre. Elle forme de ma-

nière très innovante et performante des jeunes issus des Grandes écoles d’ingénieur, d’art ou de manage-ment, pour que, ayant vécu ensemble les contradic-tions qui peuvent exister entre le management, la créa-tion et la production, ils se retrouvent à l’unisson dans l’entreprise, pour lui permettre d’être performante.

Je suis toujours au Conseil d’administration de cette école. Pierre Bergé en est toujours fort heureusement le Président.C’est la première école à la création de laquelle j’ai participé, avant NEGOCIA et c’est une école qui bien entendu, m’est très chère.

GrandAngleQuand vous étiez jeune votre mère vous a dit de « monter à Paris. C’était « va et ne retourne pas » ? Cela signifi e-t-il que tout se joue à Paris ?

Xavier Cornu Malheureusement malgré ou en dépit de la régiona-lisation lancée en 1983 et sans cesse développée ces trente dernières années, je pense que l’essentiel se joue encore à Paris et c’est un provincial de cœur et de naissance qui vous parle.

GrandAngleQu’aimeriez-vous que votre mère vous dise au-jourd’hui ?

Xavier Cornu J’aimerais simplement que ma mère me dise « je suis heureuse pour toi »

GrandAngleQu’aimeriez-vous lui dire ?

Xavier Cornu Tout simplement merci !

Assurément, cet entretien ainsi que les différents portraits que la presse économique lui a consa-crés en décembre dernier (les Echos, Le Monde…) sont loin de constituer un testament.

Que ce soit en matière d’enseignement, de for-mation ou d’apprentissage, Xavier Cornu n’a pas dit son dernier mot. Tant mieux !