Entrer dans le debat par la porte du reve - Jean-Jacques Lignier

23
4 Entrer dans le débat par la porte du rêve [Tapez le sous-titre du document] [Tapez le résumé du document ici. Il s'agit généralement d'une courte synthèse du document. Tapez le résumé du document ici. Il s'agit généralement d'une courte synthèse du document.] 1010 /200 9 Jean-Jacques Lignier Nice 1010/2009

description

Entrer dans le debat par la porte du reve - Jean-Jacques Lignier

Transcript of Entrer dans le debat par la porte du reve - Jean-Jacques Lignier

Page 1: Entrer dans le debat par la porte du reve - Jean-Jacques Lignier

4

Entrer dans le débat

par la porte du rêve [Tapez le sous-titre du document]

[Tapez le résumé du document ici. Il s'agit généralement d'une courte synthèse

du document. Tapez le résumé du document ici. Il s'agit généralement d'une

courte synthèse du document.]

1010/200

9

Jean-Jacques Lignier

Nice

1010/2009

Page 2: Entrer dans le debat par la porte du reve - Jean-Jacques Lignier

4

« Contemporain est celui qui reçoit en plein visage le faisceau de ténèbres qui provient de son temps. Il s’agit de ne pas se laisser aveugler par les lumières du siècle et de parvenir à saisir en elles la part de l’ombre, leur sombre intimité. » Georgio Agamben

Page 3: Entrer dans le debat par la porte du reve - Jean-Jacques Lignier

4

PROLOGUE

Pour le père UBU (JARRY) deux principes gouvernent le monde : la machine à décerveler et la pompe à PHYNANCE. Ce couple fonctionne sur le monde des vases communicants. Plus on décervelle, plus la pompe à PHYNANCE se gonfle. La phynance se substitue à la pensée. Plus on pompe la phynance, plus le décervelage s’accentue. Après le grand décervelage, il ne reste plus qu’un moulinet à stéréotypes et à clichés. La science (« avec une grande scie » nous dit Jarry) ne semble connaître que les unités numériques interchangeables, tout serai réduit à la mesure et à la quantité. Alfred JARRY sarcastique demeure notre contemporain. La vie humaine est en risque d’être confisquée par les cycles de l’économie, écrasée jusque dans l’armature de sa sensibilité. Le cybermonde envahit l’iconosphère, les images et les scénarios produits ne font que reproduire des énoncés de la société sur elle-même. Selon Guy DEBORD ils ne sont jamais que la manière dont la société se parle à travers un monologue effréné. Un déploiement de techniques nouvelles semble s’interposer entre l’individu et le monde, et envahit l’ensemble du champ de la perception. Cet « esperanto » approximatif peut-il concourir à l’uniformisation de l’espèce humaine notamment par une circulation immédiate des biens culturels ? Des éléments préfabriqués nous sont proposés pour prévenir toute descente en nous même. Le rêve suscite une autre manière de voir, dans une autre perspective, il nous apprend à donner forme à ce qui n’en a pas. L’ordre apparent du monde, n’est pas son ordre unique. Développer une relation intime à ses rêves participe du refus d’une reddition sans bornes à une mondialisation technicienne. Aux funestes « vases communicants » entre « pompe à phynance » et « machine à décerveler » nous opposerons les « rêveurs définitifs » appelés par André Breton ; qui font communiquer la vie diurne et la vie nocturne, la conscience vigile et la conscience onirique. Nous proposerons le parti prix du rêve comme piste de décollage pour la pensée rêvante qui ouvre des espaces de liberté individuelle et collective à investir et à inventer. Pour chacun : l’approfondissement de sa particularité dans le rapport à autrui. Le rêve peut-être le nom de ce qui résiste à l’emprise, l’intime réfractaire. Il est un des moyens qui ouvre la voie à une créativité personnelle à l’âge de l’imagerie électronique nuit après nuit il contient une puissance de revitalisation des images qui nous traversent. Ces images constituent une réalité et René CHAR nous dit (1950) « Qu’est-ce que la réalité sans l’énergie dislocante de la poésie, qu’est-ce que c’est ? » Pour notre part, nous pensons qu’au cœur du rêve se loge la même énergie comme le bourgeonnement d’un temps qui éclot, il persiste à être une réalisation en cours de métamorphose, un horizon d’attentes. Son architecture mouvante portée par un flux contient le chiffre de notre singularité sous le signe de formes fuyantes, et insaisissables mais prégnantes. Dans le sens où on a pu dire de l’identité fuyante du baroque « Il est comme le classique reflété dans l’eau ». Faut-il se résigner à une situation de captation sociale de l’imaginaire et de la subjectivité ? Il est préférable de ne rien attendre d’aucune politique, ni technique collectives. La main mise des institutions et des pouvoirs sur la vie des individus ne peut aboutir qu’à des conditionnements dévastateurs.

Page 4: Entrer dans le debat par la porte du reve - Jean-Jacques Lignier

4

Tout dispositif social est soumis à des jeux de pouvoir, il s’agit nécessairement de contrôler, d’orienter les comportements, les gestes et les pensées des hommes. Tous les êtres vivants et notamment les humains sont saisis par des dispositifs qui les déterminent. Selon Georgio AGAMBEN « Les dispositifs ne sont pas un accident dans lequel les hommes se trouveraient pris par hasard ». Ils plongent leurs racines dans le processus même « d’hominisation » qui a rendu les humains, les animaux que nous regroupons sous la catégorie de « l’homo sapiens ». Il met aussi en avant, la dimension de mascarade qui n’a cessé d’accompagner l’idée d’une identité personnelle présumée irréductible. Le philosophe italien propose : « J’appelle sujet ce qui résulte de la relation et pour ainsi dire du corps à corps entre les vivants et les dispositifs ». La sphère des images privées ou partagées socialement constitue une réalité propre. Elle forme des ensembles vivants qui se structurent, se transforment, interagissent. Par la même, elle sollicité notre attention, aiguillonne nos affects et infléchit notre pensée. Elle ne se limite pas à des matériaux accidentels où secondaires de notre vie psychique, elle en constitue des éléments structurels. Nous sommes toujours entre deux risques : attribuer à « ON » ce qui caractérise le « JE » est constitué de façons de penser, de réagir, communes aux humains de notre culture. Il y a de l’anonyme ou bien des résidus non identifiés de ce « qu’on » nous a dit, ou fait sentir, ou encore des pensées qui ne sont pas notre travaillent en nous précisément, parce qu’elles nous inquiètent. Particulièrement lorsque ces pensées, ces idées, ces schémas, ces images sont matérialisées, condensées dans des machines interactives. Mais il n’existe pas de société placée sous l’emprise absolue car ce serait croire possible une « manipulation » radicale et définitive des personnes. Après G Simondon1 Madeleine Akrish s’interroge : Comment décrire les objets techniques ? Elle développe la nécessité d’une anthropologie des techniques. « Loin de représenter des appendices sur un dispositif (politique) préexistant, les objets techniques ont un contenu (politique) qui constitue des éléments actifs d’organisation des relations des hommes entre eux avec leur environnement ». Les objets techniques définissent dans leur configuration une certaine position du monde physique et social et attribuent des rôles à certains types d’acteurs humains et non humains. Ils en excluent d’autres, autorisent certains modes de relation entre différents acteurs… Ils participent pleinement à la construction d’une culture au sens anthropologique du terme en même temps qu’ils deviennent des médiateurs obligés dans toutes les relations que nous entretenons avec le « réel ». Un objet technique définit non seulement des acteurs mais aussi des relations entre acteurs. La transformation des faits socio-techniques en des faits tout court passe donc par la transformation de l’objet technique en boite noire : il s’efface en même temps qu’il est plus indispensable que jamais. Les analyses de Michel de Certeau2 demeurent actuelles. Il éclaire les modalités selon lesquelles chacun a le potentiel de se recomposer, de reconstruire chaque situation. Il parie sur les capacités de réappropriation individuelle, les usages propres, les techniques et les visées singulières. Il s’agit d’encourager les processus de subjectivisation, de déjouer les risques que les outils commandent les actions dans une équivalence technologie/conditionnement. Les identités et la subjectivité

1Simondon, G., Du monde d’existence des objets techniques » (Paris Aubier 1958).

2 Certeau, M. D., Giard, L., & Mayol, P. (1990). L'invention du quotidien, tome 1 : Arts de faire (Nouv. éd.). Gallimard.

Page 5: Entrer dans le debat par la porte du reve - Jean-Jacques Lignier

4

peuvent être pénétrées par diverses techniques et nos temps sont en risque de dissolution de l’intersubjectivité dans l’interpénétration électronique réciproque. Mais il demeure que se sont les usagers qui ajustent et règlent les objets. L’issue consiste à déserter les occasions d’assujettissement à s’arracher aux adhérences collectives. Il appartient à chacun de réactiver des situations à haute densité onirique et donc d’activer les ressorts de son imaginaire. Dans un des ses derniers livres « Pourparlers » Gilles Deleuze proposait « L’important, ce sera peut-être de créer des vacuoles de non communication, des interrupteurs pour échapper au contrôle ». Nous vivons une époque où se jouent des questions décisives sur les formes que prendra la vie à hauteur d’homme. Dans la vidéo sphère l’image est plus facile à produire qu’un discours. Il s’agit de considérer les conséquences sur nos PSYCHES contemporaines. Pour se départir d’un jugement réactionnaire, il importe d’agencer une analyse du changement. Pour cela nous ne pouvons pas envisager l’individu comme un invariant métaphysique, mais d’une façon historique (et donc politique). L’illusion anhistorique barrerait les moyens d’analyser les conditions matérielles et historiques des productions, des technologies et donc des individus. Nous sommes sous l’effet de la prolifération d’images dans l’iconosphère, immergés dans les images. L’omniprésence de ces images fabriquées, brouille la lisière entre les images intimes et les images collectives, un imaginaire institué, incorporé. Dans quelles conditions serons nous en mesure de les recevoir, de les assimiler, des les transformer, d’en produire de nouvelles ? Chaque individu peut reprendre à son compte dans ses rêves, ses rêveries, ses productions verbales ou autre, un imaginaire transmis qui nous vient plus ou moins d’ailleurs et que nous donnons plus ou moins à saisir à d’autres. Dès l’origine, il existe une indéfectible relation entre soi et le monde. Cela est vrai pour les textes écrits également pour le langage oral. Nous ne sommes jamais les souverains de notre parole, le langage ne nous traverse pas de l’extérieur mais c’est la chair de soi et de l’autre réciproquement inclus. Leroi Gourhan3 ouvrait une piste en affirment que l’opposition entre culture et technique entre homme et machine est à interroger. Le mode d’existence des objets techniques est de contenir de fait une réalité humaine et ils sont modulables dans leurs usages. Nous savons de ses travaux que le technique a inventé l’homme autant que l’homme, la technique. Le système main/outil a façonné l’évolution et l’artificiel rétroagit sur le matériel et le cerveau. La technique est une puissance qui propose, et pas seulement une violence qui impose. Il demeure la faculté proprement humaine à se réapproprier les objets, à reconfigurer un écart avec le mode d’emploi originaire. C’est ce maniement singulier qui conserve une portée éthique et esthétique.

3 Leroi-Gourhan, A. (1964). Le Geste et la Parole, tome 1 : Technique et Langage. Albin Michel.

Page 6: Entrer dans le debat par la porte du reve - Jean-Jacques Lignier

4

Le Big BROTHER d’Orwell (1984) avertissait en explorant dans cette zone où semblent s’abolir les frontières « entre l’intérieur et l’extérieur », de l’existence personnelle et du politique. Le champ des expériences intimes est arraisonné par des « tournures exsangues » des « métaphores mortes », l’accumulation des euphémismes entraîne une dégénérescence du langage. Il s’opère une perversion du champ sémantique réduit à une nov. Langue véhicule idéologique. Ce que développe Orwell sur les manipulations lexicales doit attirer notre attention sur ce qui se produit dans l’interlocution, dans l’enter textualité se déroule aussi dans l’inter iconicité.

Dans la sphère du pouvoir des mots à concourir à l’aliénation, mentionnons l’étude « La langue du III ème RIECH ».

Le philologue allemand Victor KLEMPERER s’attache dès 1933 à l’étude de sa langue et des mots employés par les nazis. Il montre comment l’idéologie nationale socialiste envahissait le langage. La langue parlé est « adoptée » par tout le monde, comme un poison qu’on avale à petites doses sans y prendre garde ». Le nazisme s’insinue dans la chair et le sang du grand nombre à travers des expressions isolées, des tournures, des formes syntaxiques qui s’imposaient à des millions d’exemplaires et qui furent adoptés de façon mécanique et inconsciente. Un pas de plus est fait quant à l’invasion de l’imaginaire dans la description de Charlotte Berard. Le livre de Charlotte Berard,« Rêver sous le III ème Reich »,nous transmet un choix ordonné et commenté de 300 rêves recueillis à Berlin de 1933 à 1939. La journaliste et traductrice berlinoise communiste et juive est frappée par la multiplication de ses cauchemars accompagnant l’ascension d’Hitler au pouvoir. Le livre fait apparaître de façon saisissante comment les modalités d’immersion des corps humains vivants dans les nappes de sons et de signes produisent la pénétration du psychisme individuel. Le responsable NAZI qui a affirmé que sous le IIIème Reich on n’avait une vie privée qu’en dormant a sous estimé les possibilités du IIIème Reich. Elle mentionne notamment « un médecin qui, très impressionné par un rêve se décide à le transcrire au réveil et rêve la nuit suivante qu’on l’accuse de noter ses songes ». L’inquiétante extériorité marquée par le totalitarisme est intériorisée sous des formes événementielles incroyables, telles que le rêveur est souvent amené à se dire « Ce n’est pas possible une chose pareille ne peut exister ». Dans une société réglée par la terreur et la surveillance, l’espace onirique d’intimité s’avère finalement des plus précaires. La propagande parvient à s’infiltrer dans une ambiance comparable au 1984 d’Orwell où des appareils diffusaient des messages politiques jusque sous les oreillers. On constate une infiltration très forte des thèmes culturels dans la trame même des rêves dans leur thème mais aussi au plan formel.

« Laisser le livre ouvert

battant comme une porte »

André Breton

« Si notre regard portait au-delà des limites de la connaissance et même plus loin que le

halo de nos pressentiments, peut-être recueillerions nous avec plus de confiance

encore nos tristesses que nos joies. Elles sont les aubes nouvelles où l’inconnu nous rend

visite ». Rainer Maria Rilke, Lettres à un jeune poète

Page 7: Entrer dans le debat par la porte du reve - Jean-Jacques Lignier

4

Une fiction magistrale issue d’expériences politiques et personnelles nous est donné dans le « Roman » : »Le palais des rêves ».

« LE PALAIS DES REVES »

Dans ce livre, l’écrivain Albanais Ismail Kadare. « Le palais des rêves » décrit une société terrifiante. Elle repose sur l’institution, une bureaucratie chargée de collecter dans les provinces les plus reculées les songes de tout un chacun. Ils sont rassemblés dans un lieu unique puis triés et classées afin d’isoler les « Maîtres Rêves » dans lesquels le destin de l’Empire et de son tyran pourra être déchiffré. Mark Alem progresse de cercle en cercle jusqu’à devenir le maître tout puissant de l’infernale bureaucratie qui contrôle la banque centrale des rêves… A partir de ces exemples extrêmes, nous devons porter attention sur les modalités et les effets produits par les images en régime démocratique. Il est entendu que la ligne qui sépare une société démocratique d’une société totalitaire n’est pas extérieure mais traverse le cœur même d’un corps social et doit demeurer l’objet d’un débat constant. La question de la démocratie étant notablement à ressaisir dans le contexte de l’avancé des techniques. Comment et par qui peuvent être saisis les corps et les esprits ?

TECHNOLOGIE ET PRODUCTIONS IMAGINAIRES

Autour de l’histoire des arts peut se condenser un analyseur stratégique du partage, du sensible à une époque donnée. Photographie

L’apparition de nouvelles technologies à la fin du XIXème siècle a suscité un questionnement sur l’évolution des formes sociales de la sensibilité. Charles Baudelaire, critique d’art, repère l’enjeu stratégique au sujet de l’apparition de la photographie avant même la profusion d’images qui marque les temps contemporains. Baudelaire envisage les effets d’une technique nouvelle sur les arts antérieurs. Il marque la rupture qu’introduit l’image industrielle ou si l’on veut la duplication mécanique dans l’univers des images. L’effet notamment sur certaines peintures : « l’observateur de bonne foi affirmera-t-il que l’invasion de la photographie et la grande folie industrielle sont tout à fait étrangères à ce résultat déplorable ? » Et il poursuit : « La société immonde se rue comme un seul narcisse pour contempler sa triviale image dans le métal ». De nos jours, on estime que 50 Millions de photos sont réalisées dans le monde chaque heure. Télévision

Page 8: Entrer dans le debat par la porte du reve - Jean-Jacques Lignier

4

Dans ses « cahiers » Paul Valéry ironisait en anticipant sur la télévision, il annonçait « La société pour la distribution de la réalité sensible à domicile ». A ce jour, on estime à 4 heures par jour le temps passé par un citoyen français devant un de ses téléviseurs. Le dispositif offre de surcroît un groupe imaginaire, une famille à laquelle on appartient et qui « regarde ensemble dans la même direction ». Avant lui, Anatole France (dont les surréalistes feront une proie) déplorait que ses maîtres « continuaient d’enseigner à des taupes » reprochant le quasi monopole de l’écrit dans les « humanités ». Dans son ouvrage : « Informer n’est pas communiqué » Dominique WOLTON Indiquent : 3,5 Milliards de télévision 4,5 Milliards de radio 2,5 Milliards de téléphones portables 1,5 Milliers d’ordinateurs Cinéma

Concernant le cinéma il a fait l’objet dés sa naissance de controverses animées aux diverses époques du surréalisme. A Nantes, André Breton et Vaché couraient au hasard de salle en salle pour avoir avec les projections un contact fugitif, pour consommer des images sans logique narrative. Breton qualifiait ce contact de « magnétisant » : « l’important est qu’on sortait de là chargé pour quelques jours ». « C’est un excitant remarquable » ajoutait Antonin Artaud. Aragon intervient dans le débat dans Anicet (1921) où figure un dialogue où les interlocuteurs désignent Aragon lui-même et André Breton : « Je saisis assez exactement ce que tu viens demander au cinéma. Tu y cherches […] le spectacle d’une action intense que tu te donnes l’illusion d’accomplir, sous le prétexte de satisfaire ton besoin moderne d’agir, tu te rassasies passivement en te mettant à la plus funeste école d’inaction qui soit au monde : l’écran devant lequel, tous les jours, pour une somme infime les jeunes gens de ce temps ci viennent user leur énergie à regarder vivre les autres ». Dés le départ la marque du cinéma apparaît dans les écrits de Desnos, Péret, Breton ou Aragon, au cœur de leur poétique. Nombreux sont les textes où émergent des effets de lumière contrastée, le grossissement de détails, la vie prêtée aux objets, la superposition et la contamination des images, les confusions oniriques, les chevauchements réels et imaginaire, sur les rapports du surréalisme avec la photographie et le cinéma, l’actuelle exposition au centre Pompidou à Paris sur « La subversion de l’image » est exemplaire. Les métamorphoses insolites ou fantastiques, l’abolition des limitations du temps et de l’espace… Assurément, le cinéma a habitué à faire apparaître, à imprégner de pensées figurables entretissées qui marquent la scène onirique privée de sa prégnante rhétorique. Luis Bunel, lui (avec DALI) s’engage dans l’idée de film conçus comme « imitations involontaires du rêve ». Il insiste sur le fait que chaque film est sorti du cerveau d’un de ses semblables et qu’il est pénétrant à proportion de l’engagement de l’individualité de l’auteur. Eluard est fasciné par l’écran qui lui offre ce qu’il porte en lui-même : »nos yeux rentraient dans leurs coquilles et nos regards dans ce qu’ils avaient rêvé de voir : « des moitiés, des quarts, des millionièmes d’images réelles ». Dans ce moment où le cinéma muet étai au premier plan et où la défiance sur le langage écrit était marqué du combat social, certains voyaient dans les images une sorte d’esperanto, de langage

Page 9: Entrer dans le debat par la porte du reve - Jean-Jacques Lignier

4

universel supposés dépasser la langue de chaque nation tenus entre les mains de gouvernants à visée de « crétinisation ». Simultanément, se développe un contre parti, une déploration puisque les écrans semblent liés aux « dieux seuls du commerce ». Il s’élève une protestation car l’évidence du rôle du cinéma dans la formation des esprits, des cœurs et des imaginations, entraîne le risque de la domestication ou de l’imaginaire et de sa possession ou présumée à travers la technologie qui est en risque de produire sa dégradation. Plus tardivement (1951) Benjamin Péret dénoncera les effets anesthésiants du cinéma ; « Une industrie soumise aux lois d’un marché sordide et incapable de distinguer une œuvre de l’esprit d’un sac de farine ». Les appareils optiques peuvent ils simplement se décalquer en « cadrant » nos visions intérieures ? Cette interrogation est au cœur des œuvres de Fellini dans l’emboîtement : enfance-rêve-cinéma. Il considère que le monde adulte produit un ordonnancement d’individualités anonymes son cinéma vise à la mise en forme d’une singularité. L’enfance comprend des limites mal définies entre imagination et réalité. Cette valeur est pour lui le départ précieux d’une connaissance qui peut dilater les capacités vitales. L’ordre conventionnel dans lequel chaque enfant doit s’inscrire regarde avec méfiance et soupçon cette capacité de rêver et d’imaginer. Dés lors, nous sommes en risque d’être pris dans des communications simulées qui ne véhiculent que stéréotypes et « prêt à communiquer ». Son cinéma vise à produire des images qui sont le lieu de la résistance de l’imaginaire à la coercition symbolique exercée par le réel et sa représentation. Il s’ouvre alors un espace à partir duquel il est possible d’opérer le passage de la mimésis à la poésie et advenir à être sujet de son histoire. Cette mise en image de la subjectivité est fragile et évanescente comme le rêve impossible a fixé telles les merveilleuses fresques murales qui disparaissent au contact de l’air introduit par une excavatrice qui entreprend de creuser le métro de ROME. Assurément il existe une industrie culturelle unificatrice (cf. Histoire d’Hollywood) Pourtant, outre les diversités sensibles « nous sommes en situation de recevoir un nombre infini d’œuvres que notre culture n’aurait pas pu produire. Certes il s’agit de productions imaginaires institutionnalisées mais ces éléments préfabriqués ne peuvent-ils pas favoriser une autre modalité de descente en nous même. Néal GABLER « Le royaume de leurs rêves ». La saga des JUIFS qui ont fondés HOLLYWOOD (Hachette littératures) Non seulement parce que l’image du réel que fournit le cinéma permet de pénétrer de façon plus intense au cœur du réel, mais aussi parce qu’un langage cinématographique spécifique s’est construit, une rhétorique particulière. Qui pourrait dire que CHAPLIN, HITCHCOCK, GODARD, Woody Allen, Spielberg et nombre d’autres n’ont pas modelé l’imaginaire de notre époque ? A l’évidence, la photographie puis le cinéma ont modifié depuis un peu plus d’un siècle le rapport des hommes au temps et à l’espace.

Page 10: Entrer dans le debat par la porte du reve - Jean-Jacques Lignier

4

L e B A N A L p a r p e r f u s i o n d ’ I M A G I N A I R E

L’historien Jacques le Goff situe en 314 au concile d’ANCYRE l’interdiction des religieux de s’intéresser aux rêves et de les interpréter. Selon lui, cette prise de position contribue à faire de l’occident une société aux rêves bloqués, désorientée dans le domaine onirique. Des points de vue anthropologique, philosophique et thérapeutique Sami Ali, invite à renouer avec la part onirique de soi, à entrer en relation avec l’être selon les modulations des affects. Quel est le statut de l’activité onirique dans une société de type technologique ? Sami Ali forge le concept de BANAL. Il s’agit des forces organisées et organisatrices qui dans une société donnée poussent à l’uniformité. Cette forme est tenue d’abord par une forme de sensibilité. Le réel qui est à la fois le rationnel et le technique tend de plus en plus à prendre la place de l’imaginaire. Il s’opère une pathologie du conformisme social qui s’accompagne d’une remarquable perte d’intérêt pour tout ce qui n’est pas réel. Les normes sociales de la sensibilité envahissent le champ psychique et s’y substituent. On observe une sujétion consentie à un modèle culturel englobent la pensée et la sensibilité devenue d’autant plus efficace qu’elle reste impersonnelle. Le temps est entièrement forgé en fonction de normes socio culturelles en vue de l’adaptation qui s’effectue au détriment de la subjectivité donnant lieu à une subjectivité sans sujet. L’expérience du temps dans sa dimension affective s’efface. Tout se passe comme si le sujet choisissait de faire abstraction de lui-même en se rendant conforme. C’est dans le refoulement de l’activité onirique que le banal culmine comme éclipse de l’imaginaire. Le rêve étant le paradigme de l’imaginaire dans sa double appartenance, psychique et somatique. Nous réduirons ici notre approche à une seule des dimensions du BANAL. Formulée dés 1980. Du point de vu de sa fonction c’est une règle de conduite adaptative jusqu’à rendre l’adaptation à tel point ancrée qu’elle se perçoit comme une catégorie de la sensibilité. Une certaine normalité est exigée en idéal. Cette volonté d’être extérieur à soi se traduit par une aliénation sans conscience tragique parce que s’inscrivant dans une adaptation socio culturelle qui s’opère au détriment de la subjectivité ce qui fait du banal la pathologie par excellence des temps modernes. Rappelons cependant le message si tranchant et si actuel d’Etienne de la Boètie sur la « Servitude volontaire » et la proportion humaine à ce complaire dans l’assujettissement. La question dans sa simplicité est la suivante, au-delà de l’adaptation toujours marquée de soumission à notre environnement : »Qu’est-ce qui nous fait nous sentir vivants ? ». A l’échelle planétaire nous assistons à la production et à la mise à disposition d’objets sous la forme massive. L’expansion des technologies a eu des retentissements tellement profonds sur l’espace temps dans lequel nous évoluons que la matérialité de nos vies s’en trouve transformée. C’est bien toute une conception de la réalité, du rapport de l’homme à l’espace et au temps mais aussi à lui-même qui est train d’être bouleversée. On assiste à une expansion généralisée des technologies de l’illusion.

Page 11: Entrer dans le debat par la porte du reve - Jean-Jacques Lignier

4

Ce n’est pas seulement l’écran qui vient supplanter l’écrit mais le signal qui tend à remplacer la signification. Les jeux vidéo fondés sur la virtualité de la disparition et l’élimination stimulent une activité réflexe où s’évanouit la réflexion. Dans les médias, la prolifération des images qui se succèdent sans visibilité des raccords engendre un montage subtil insidieux, à la fois objectif et producteur de subjectivité. Une prison aux parois invisibles où le visible sert d’écran. Ainsi se profile un monde enclin à enfermer l’individu dans des conditionnements sans limite. Nous voyons se transformer les manières à percevoir. L’image affecte directement la vie humaine elle s’intègre au processus vital. Le corps est devenu la cible. Les modifications s’opèrent dans les rapports humains, mais aussi dans le rapport de chacun à son corps et à son imaginaire intime. En surcroît, de la cohorte d’images circulant dans l’iconosphère, fabriquées, diffusées, reproduites dans de nombreux médias sous forme de combinaison de pixels que sont les images numériques, les nouvelles technologies modifient en profondeur le comportement subjectif. Les instances psychologiques et biologiques sont stimulées, sollicitées dans un contexte de désincarnation. Il ne s’agit pas seulement de l’appauvrissement de l’univers sensoriel, car l’effet sensoriel, émotionnel est inséparable de l’effet de sens. On usine de la fausse réalité et dans le même temps, une subjectivité sans sujet. Les scénarios produits ne font que reproduire les énoncés de la société sur elle-même ; ils ne sont jamais que la manière dont la société se parle à travers un « monologue effréné » (Guy Debord). On tend à une uniformisation de l’espèce humaine par la technique et le mode de circulation des biens culturels. La dématérialisation des supports, la déréalisation du réel extérieur, le cadrage des représentations, la dislocation optique des objets, tout cela entraîne que le réel est devenu une catégorie techno culturelle. Avec un imaginaire de plus en plus appareillé nous avons toujours l’esthétique, la morale et la politique de nos prothèses. Une machinerie sociotechnique produit le fait que le sujet reçoit comme implacable et naturel ce qui est artificiel et construit par des dispositifs dont il n’a pas la maîtrise. Il ne s’agit pas de l’installation d’une carence fantasmatique mais plutôt d’une perte d’intérêt pour tout ce qui touche à son propre imaginaire sans éprouver de mutilation subie ou d’appauvrissement. Cette culture technologique est une puissance externe avec laquelle on fait corps. Elle dicte un cadre spatio-temporel qui donne le sentiment d’exister par identification à une puissance imaginairement sans limites. Il s’agit d’une identification narcissique à l’univers des règles externes d’un BANAL partagé auquel on se conforme. La subjectivité étant mise de côté, on parvient à la mise en règle du corps dans son fonctionnement vital qui se traduit dans une dépendance surmoïque du sujet et de son corps à une instance organisatrice de l’espace et du temps. Ce rythme emprunté et plaqué déserté par l’imaginaire tend à réduire l’être à ce que Fernando Pessoa énonce comme « la mission d’accomplir d’uniformes instructions ». Dans le cadre du Centre International de Psychosomatique Pédro MENDES, professeur de Psychologie à Lisbonne à mis au travail d’une façon féconde pouvant paraître paradoxal les

Page 12: Entrer dans le debat par la porte du reve - Jean-Jacques Lignier

4

concepts de « Surmoi corporel » de « Banal » et de « pathologie de l’adaptation pour la compréhension clinique et le soin d’addiction toxicomaniaques ». Il est mal aisé d’isoler une entité « addiction aux jeux vidéos », il est possible de voir dans ces accrochages où le rythme nuit/jour est souvent mis en exergue comme perturbation majeure les caractéristiques suivantes : Le temps, le l’espace et l’affect sont comme délégués à la machine. Cette dépendance sous conscience tragique s’opère même avec une prune de plaisir dans la répétition et parfois une soumission volontaire et quasi hypnotique à un prêt à porter de l’imaginaire, un pseudo onirisme. Le risque est à signaler désubjectivante un plaisir dans sa néantisation comme ces personnages de Samuel Becket en crainte de la prédiction d’autrui et qui se réfugie dans le silence et la banalité. Des imaginaires socialement institués sont porteurs de significations qui sont d’avantages impositions de sens qu’ouverture. Le sujet est capté par ses investissements empruntant dans ce qui lui est proposé des substituts à ses propres affects. Le psychisme est en risque d’être arraisonné par des doctrines masquées sous des techniques prétendues objectives le sujet absorbé dans un « on » amorphe un « narcissisme de base » anonyme. Nous soulignons donc les risques d’une détérioration de l’intériorité par la consommation passive d’images produites à la chaîne par des techniciens de l’imaginaire (publicités ou scénarios). Leur créativité personnelle ou groupale agit par procuration l’imaginaire d’autrui. Sami Ali qui transmet une méthode plutôt qu’une doctrine nous invite à revisiter nos allégeances subjectives par le truchement du rêve. Loin de nous exiler du réel il rend possible de ne pas rester exiler dans le réel. Loin d’ « irréaliser » le monde, il ouvre une exploration du possible, d’un sens trouvé par d’autres voies que l’intellectualisation. Le rapport au rêve ne nous retranche pas du monde mais il transforme notre perception, augmente notre vision par sa puissance et par l’intensité vécue de l’expérience de l’altérité à l’intérieur de soi, nous verrons sur quels points Sami Ali se distancie de Freud. Dans son sillage, nous envisagerons le rêve dans sa puissance d’adaptation et d’inventivité collective et individuelle. A contrario de l’invasion des stéréotypes d’un idiome collectif il contient la possibilité de dévoiler l’être là où les discours institués ne renvoient que la catégorie. Marguerite Yourcenar formule dans « Les Songes et les Sorts » : « Ce qui m’importe au contraire ici, c’est la frappe d’un destin individuel imposé au métal d’un songe ». Le rêveur enfante des rêves, il assemble des images comme le poète assemble des mots. Il s’agit de passer de la captation de sa subjectivité par une narration déjà constituée à l’invention construite de sa subjectivité dans un récit et une mise en intrigue singulière.

ENTRER DANS LE DEBAT PAR LA PORTE DU REVE

« Toute époque de la pensée humaine

pourrait se définir de façon suffisamment profonde par les relations qu’elle établit entre le rêve et la vie éveillée ». Albert Beguin

Page 13: Entrer dans le debat par la porte du reve - Jean-Jacques Lignier

4

S’ORIENTER PAR RAPPORT A FREUD

FREUD et la PENSÉE du rêve.

Dans notre époque où vigilance et efficacité sont des valeurs premières, célébrer le sommeil est-il déraisonnable ? En 1890 Freud par son travail de pensée tente de dégager la vie onirique d’une mystique des ténèbres telle qu’elle est ramifiée par Novalis et les Romantiques Allemands. Au cœur d’une crise des idéaux de la culture la « science des rêves » entend dissiper une certaine fascination pour le rêve pour le positionner comme activité de pensée et fonder une science qui en rende compte. Les changements de perspective initiés par Freud demeurent un geste magistral. Dans de nombreuses occurrences le texte freudien signifie que son dépassement critique à venir est probable. Les pensées dont nous héritons engendrent de nouvelles lectures des discussions critiques et des transformations. WITTGENSTEIN nous alerte : « Pour apprendre quelque chose de Freud (ce à quoi il consent) il faut que vous ayez une attitude critique ». Il propose de s’orienter par rapport à Freud » considérant notamment qu’il y a des formes de rêves différentes et qu’il n’y donc pas un type unique d’explication s’appliquant à tous. Des formes différentes de rêves entraînent des points de vue différents sur les rêves. Sami Ali énonce, « je pars de Freud ». Ce point d’appui est l’escale d’une odyssée. Il conserve certains acquis et s’éloigne résolument pour construire sa propre trajectoire qui dévoile une clinique et une pratique qui innovent. Il met en avant de l’existence d’un rythme présent biologiquement dès l’origine. Le rêve est situé comme FAIT/RELATIONNEL dans un sens qui inclut la profondeur biologique et donc une temporalité qui précède la naissance, l’histoire du sujet dans sa totalité connue et insue. Le fait relationnel est envisagé selon trois dimensions inter agissantes, l’Espace, le Temps, le rêve et l’affect. Le basculement crucial fait porter la critique sur le principe du rêve comme « réalisation déguisée d’un désir ». Il considère cette théorie comme une interprétation idéologique unidimentionnelle, il la récuse dans sa visée généralisatrice. La démarche de Sami Ali tend à rendre compte de la complexité cela implique une pensée « Une constellation et solidarité de concepts » (Edgar MORIN) Dès lors il est logiquement malaisé d’aborder une dimension spécifique isolément. Nous choisirons de reprendre des éléments relatifs à la fonction onirique et au rêve par rapport au concept de BANAL4 Le matériau du rêve est enraciné dans le corps et son histoire. 4 Une perspective complète nécessiterait l’articulation à sa conception de l’espace imaginaire, de la projection, de l’affect, de la

relation…

Page 14: Entrer dans le debat par la porte du reve - Jean-Jacques Lignier

4

Tout geste, tout processus de l’organisme : la respiration, la circulation du sang, les mouvements du corps, l’articulation des discours intérieurs, la mimique, la réaction aux stimulis extérieurs, tout ce qui s’accomplit dans l’organisme peut devenir matériau pour l’expression de l’activité onirique étant donné que tout peut acquérir une valeur sémiotique, tut peut devenir expressif. Si le rêve réalise un désir ce serait un élan vers la figuration. Par le jeu interne des images, il nous arrache à la rigidité, à la fixité, à l’unilatéralité de notre point de vue sur le réel, de notre rapport de vie. Du point de vue de Sami Ali il convient d’instaurer un lien entre l’activité onirique et la réalité corporelle aussi bien dans la pathologie que dans la santé.L’ancrage biologique du rêve est réaffirmé. Le phénomène onirique est un pont qui unit le psychique et le somatique. Le rêve est porté par un rythme qui précède la naissance et qui se modifie après celle-ci. Cela confère à la vie onirique, une architecture à la fois fixe et mobile, rigoureuse et ouverte. Le rêve est médiatisé par la mémoire (souvenir du rêve) et il prend sa source dans le répertoire des expériences passées du rêveur. Il est avant tout la création d’une réalité qui certes devient illusion quant on sort du rêve, mais qui ne s’affirme pas moins comme réalité aussi longtemps que dure le rêve. S’il est réalisation d’un désir c’est celui de réaliser, (rendre réel) créer une réalité à laquelle on croit sans partage. Il est un processus créateur quelle que soit par ailleurs la médiocrité ou l’insignifiance de ce dont on rêve. Au cœur de cette activité créatrice on peut imaginer l’inimaginable, réconcilier l’irréconciliable. Le rêve contient ce pouvoir originel de créer une réalité qui échappe à la contradiction et qui par conséquent peut répondre à la contradiction. L’onirisme même minimal relâche le rapport au monde perçu. L’image qui constitue le rêve en tant qu’image masque le monde puisqu’elle le cache, l’estompe, le modifie mais fonctionne comme miroir en servant à fixer les états psychiques internes du sujet. L’espace et l’affect y déploraient des qualités particulières. Il existe des liens de filiation entre le rêve et ses équivalents, phénomènes apparentés qui dérivent de lui. Ce qui intéresse dans le rêve, c’est avant tout sa capacité, chaque nuit renouvelée, d’assurer des liaisons entres les points les plus éloignés du temps, des registres sensoriels les plus divers, les figures les plus hétérogènes. Les scènes venues de tous les théâtres qui autorisent simultanément des désirs contraires voire l’identité des contraires. Le rêve sert de pont entre le présent et le passé, le temps, l’espace affect.Le principe de causalité y conserve des propriétés telles qu’il faut avancer que le rêve est la forme de la pensée durant le sommeil dont la singularité est irremplaçable. Il s’agit donc pour chacun de retrouver sa relation à sa propre vie onirique par la relation avec autrui de sorte que l’imaginaire retrouve sa place dans le fonctionnement de la personne. Le libre accès a soi par le rêve, par torsion et glissement assure des possibilités de déprise du réel.En effet, le rêve articule le psychique et la somatique. Les oscillations entre la conscience onirique et la conscience vigile assurent dans leur inclusion mutuelle, des modalités de présence au monde. Le rêve voyage dans le corps, le présent, le passé et l’espace imaginaire.

Page 15: Entrer dans le debat par la porte du reve - Jean-Jacques Lignier

4

Il bouscule les représentations façonnées par les habitudes. Il opère comme une instance différente de celle qui exerce le contrôle sous nos formes de représentations habituelles. Il travaille à transformer nos pensées. Il nous tourne autrement, vers le monde. Plutôt que de nous en détourner il permet que nous puissions lier de nos propres pensées ce qui nous relie aux autres. En engagent une nouvelle élaboration de l’expérience de tous les jours et notamment des situations complexes et problématiques non résolues il agit comme une re-figuration du monde. Dès lors qu’il est envisagé dans sa valeur dynamique il permet une extension des modes possibles de relation à soi et aux autres une autre façon d’habiter le monde. Un de ses traits les plus remarquables et le fait que c’est au sujet qu’il advient et qu’il décline autant d’identités » d’emprunt qu’il contient de personnages au sens le plus large. Il décline et met en représentation une gamme très étendue de possibilités et de variations de l’existence dans une simultanéité qui permet une identité oxymorique, être en même temps ceci et cela. De l’image au mot, quelque chose s’invente. Ce mélange instable entre les deux entités hétérogène doit-il être source de mélancolie ou d’un discours sur la perte ? Gageons de cette absolue singularité humaine est au cœur même de la créativité de l’espèce. Il reste a explorer les nouveaux visages de la subjectivité contemporaine ou le déferlement des images demande une réélaboration qui inclut les paradigmes freudiens, sur le rêve en les dépassent. L’écart ; l’espace, l’entre deux entre l’image et la parole doivent être reconsidérées dans le moment historique dont nous sommes contemporains. Ressaisir ces questions qui tiennent au corps et aux émotions dans un contexte inédit peut ouvrir les voies vers une nouvelle subjectivité.

L’ŒUVRE DU REVE

Du terme « travail de rêve » à œuvre du rêve passons d’un concept économique à un concept esthétique. Cela rend possible comme pour une œuvre d’art de prendre appui sur une théorie de la réception (Jauss). Nous proposons de nommer « œuvre de rêve » l’ensemble des effets produit par la relation du rêveur à son rêve dans la relation d’autrui portée par le partage d’affects. Ajoutons que des neurologues tels que Jean-Pierre Changeux mettent en avant que la « capacité du cerveau à recombiner » est stimulée par un environnement esthétique et que l’expérience esthétique, le plaisir et les émotions organisent notre cerveau. A partir de cela, le cerveau humain déploie sa fonction essentielle, explorer le monde, le connaître, le comprendre. Le cerveau choisit, il est sélectif, la machine doit demeurer un outil sur lequel s’exerce la volonté. La capacité de figuration et de reconfiguration singulière de chaque individu implique la possibilité de passer de la figure au visage irréductible image de l’unicité de tout être humain.

Page 16: Entrer dans le debat par la porte du reve - Jean-Jacques Lignier

4

WALTER BENJAMIN : AUTHENTICITÉ. UNICITÉ

Walter Benjamin publie en (1939), (il existe plusieurs versions) : l’œuvre d’art à l’époque de sa productivité technique. L’œuvre d’art se distingue de sa reproduction technique ou non par son authenticité qui n’est autre que son ici et maintenant. Sa valeur tend à son unicité à l’ère de la reproduction mécanique de la photo et du cinéma. La multiplication des exemplaires d’un même objet détruit le critère de « l’unicité de la présence au lieu où il se trouve ». Sur le versement négatif il évoque comme « effroyable » un développement de la technique qui s’interpose entre l’individu et le monde et envahit le champ de la perception. Nous pouvons constater que l’ère de la reproductibilité numérique transforme a posteriori l’ère de la reproductibilité mécanique en âge d’or. Le rêve ancré dans le corps et la pensée du rêveur ne peut être réduit à un lieu souterrain opaque mais son unicité est considérée comme une de ses caractéristiques majeures. L’œuvre du rêve n’est pas seulement le rêve lui-même mais la relation qui est crée avec lui. Walter Benjamin énonce que l’œuvre d’art se distingue de sa production technique par son AUTHENTICITÉ « qui n’est autre que son ici et maintenant ». Le rêve lui-même tient sa valeur de son UNICITÉ aucune inquisition visuelle du sommeil ne peut jusqu’ici le reproduire il est imprévisible et toujours outre même lorsqu’on l’a déjà rêvé ou qu’il semble familier. Le phénomène onirique se produit dans l’événement initial la solitude de façon rigoureuse singulière et non reproductible. Une forme de réel singulier s’impose au rêveur il est investi par des images et leur accorde une créance indéfectible. Ce n’est pas directement) lui que nous avons affaire mais à son souvenir fluctuant. Il est un lieu mental concentré où le réel, le possible, ce qui pourrait être, ce qui a été se rassemblent et se trouvent mêlés de façon inextricable. Dés lors qu’on entretien avec le rêve une relation d’intérêt qu’on le considère avec amitié objet d’attentions et d’égards, la rencontre avec ses rêves devient un événement relationnel et émotionnel. Le foisonnement des images, l’œuvre imageante polymorphe font des rêves un entrelac subtil de relations parcourues par les modulations intimes de la mobilité des affects. Cette hospitalité au rêve nous ouvre à une identité dynamique « on n’est pas fait pour un seul MOI et on a tort de s’y tenir » nous dit Henry Michaux. Le rêve n’est accompli que lorsqu’il est reçu et intégré. L’œuvre du rêve ne s’accomplit pas uniquement dans le rêve mais dans la relation du rêveur au rêve. Il se produit une détermination réciproque entre rêve et rêveur dans un processus interactif. La réception du rêve et son action sur le rêveur font parti du rêve. Le rêve devient la façon dont il produit des effets sur le rêveur dans la confrontation avec soi même. L’accueil de la vague qui porte le rêve provoque par reflux la re-configuration de son point de départ. Si l’on porte attention à un rêve, il prend vie, il change d’aspect. Il est mis en relation avec des souvenirs remémorés, anciens ou récents et les configure différemment. L’étoffe du rêve se tisse de la navette entre conscience vigile et conscience onirique. Une identité se constitue de la redécouverte d’une activité créatrice, fils de soie précaires qui s’effilochent et se renouent.

Page 17: Entrer dans le debat par la porte du reve - Jean-Jacques Lignier

4

Le mode d’être du rêve se conjugue à un mode d’agir, le rêve fait son œuvre de la relation au rêveur qui est une modalité de la relation à l’autre. Ce n’est pas le rêve en soi mais la relation au rêve qui permet qu’advienne un sans nouveau et provisoire. C’est par cette dynamique que le rêve peut prendre place dans la relation thérapeutique. La modification du rapport au rêve, vise à modifier le rapport au monde dans l’expérience d’une mise à l’épreuve de soi. La relation étaye un rapport problématique à l’inconnue, se situe le rêve comme acte de pensée qui crée un autre soi imaginable, la découverte de possibles. Il ne s’agit pas de se soustraire au monde dans un repli mais de mieux l’habiter, à l’opposé d’une dérive imaginaire, un surcroît d’intelligence du quotidien. Le renoncement provisoire à articuler la pensée à un MOI délimité cette réceptivité assumée à l’étranger rend ouverte une modification de l’existence. Ce n'est pas le rêve qui franchit la barrière de la conscience mais son seul souvenir. Inspiratrice ou destructrice, la mémoire est la clef de voûte de la vie du rêve. Ces fragments rapportés de la vie nocturne nous n'y avons accès que par le souvenir qu'ils laissent. Le rêve expérience intime est à chaque fois unique. Il est un objet fuyant et réticent soumis à une saisie rétrospective. "Et plus j'ahane à la trouver et plus je l'enfonce en l'oubliance" nous dit Montaigne. Nous sommes pris par le rêve on s'en dégage en le disant dans un échange émotionnel qui lui donne vie car ce qui définit la vie biologiquement et psychiquement c'est qu'elle se transmet. Cependant c'est le même individu qui veille et qui rêve et qui met à l'épreuve l'enchaînement de plusieurs capacités, rêver, se remémorer et mettre en récit dans une relation où sont intriguées excitation et anxiété. Il ne s'agit pas d'une simple action de transmission et de réception mais d'une recréation de sens. L'attitude n'est pas reproductive mais productive. La "chair" au sens de Merleau Ponty est en train de s'effectuer dans la rencontre, incarnation d'une rencontre subjective. Certainement lorsque personne ne regarde un tableau il n'est pas pour autant "absent". Le fait de rêver est constant. Mais on peut dans notre perspective le considérer comme l'effet que produit le rêve sur le rêveur par le truchement de la constitution de son récit, de sa mise en intrigue. L'œuvre du rêve est la manière dont il agit et qui vas agir sur la dynamique onirique dans son ensemble. Lorsque la psyché est en risque d'invasion par des sollicitations extérieures générant une paralysie de l'imaginaire par saturation il demeure si les conditions intersubjectives sont requises des moments chaque fois singuliers où entre scène psychique et théâtre du monde se crée de la liberté de penser. L'œuvre du rêve invente des agencements inédits à partir de possible avant lui inaperçus. Il instaure une expérience fondamentale de l'existence et de la pensée. Les images crées sont porteuses d'une latence et d'une énergique susceptible d'élargir le champ cognitif et permettent l'expansion de la capacité de contenir les émotions. La proximité d'un insaisissable apparente le rêve à l'expérience poétique qui entrelace le langage et les images.

Page 18: Entrer dans le debat par la porte du reve - Jean-Jacques Lignier

4

Qui saurait dire si le rêve parle le langage de la poésie ou si la poésie s'essaie à parler le langage du rêve? Ces invisibles espaces du dedans où "la nuit remué" Henry Michaux les oppose à l'ordinaire de la vie. Il présente le rêve comme antidote aux moments où "il faut rentrer dans la gueule froide de la journée grignoteuse. Celle où l'homme retrouve sa défaite: le quotidien ». Chaque nuit dans le psychisme humain s’abolissent les frontières et s’ouvre l’espace d’un « asile politique ». L'état poétique produit des formulations lumineuses ARTHUR RIMBAUD "Réception de naissance latentes" Rainer Maria RILKE "Un espace intérieur du Monde" Jules SUPERVIELLE "Un intime écheveau d'horizons" Francis PONGE "Ouverture des trappes intérieure" Antonin Artaud "Une vitalité imagée" C'est le terme "ombilic des limbes " qu'utilise Artaud pour désigner son projet d'un livre "qui dérange les hommes qui sont comme une porte ouverte qui les mènes où ils n'auraient jamais consenti à aller". Rappelons la place que donne Freud à l'"ombilic du rêve" puis les développements qui suivent dans les travaux de René Kaës. Ce rêve a ceci d'insaisissable, personne d'autre que le rêveur ne peut avoir un accès direct à l'expérience survenue pendant le sommeil. Il porte en lui la relation à l'inconnu et mobilise donc ce condensé d'affect entre la force d'attraction et la charge d'angoisses liées à la curiosité. Ils se construisent de façon rigoureusement singulière et non reproductible. Nul ne peut posséder une image de rêve lorsqu'elle est envisagée comme ce qui résulte de la rencontre avec un regard. L'œuvre du rêve est à considérer comme "l'unique apparition d'une lointaine si proche qu'il puisse être", quelque chose est rendu visible puis le défait, (L'aura de W. Benjamin). Dès lors qu'elle chemine vers nous, elle nous adresse une interpellation, elle fait de nous un destinataire dont la réceptivité détermine une attention et une écoute disponibles. Le métier à tisser des rêves œuvre au croisement du même et de l'autre de la ressemblance et de la différence en cela il trame la possibilité de la constitution d'un monde d'être singulier parmi les autres. Nous faisons des rêves et pour faire en sorte qu'ils nous créent il nous appartient d'en faire don, dans la relation. C'est par là que peut s'entendre une voie humaine, par les rêves partagés. Pour DUBUFFET:"Le timbre d'une voix est produit par la simultanéité de deux vibrations qui ne coïncident pas exactement". Le théoricien de la littérature et notamment du roman.

Page 19: Entrer dans le debat par la porte du reve - Jean-Jacques Lignier

4

BIAKTINE dégage des éléments féconds sur les rapports entre la singularité d'une œuvre, d'un texte et le contexte dans lequel il est produit. Il développe dans son concept de polyphonie des dimensions dont il est possible qu'elles nourrissent le débat que l'interaction entre la singularité des images du rêve et l'univers de l'iconosphère dans lequel nous sommes baignés. Il mentionne: - L'altérité: Nous ne sommes pas des monades psychiques mais des sujets dont les désirs et les croyances sont en relation avec les autres sujets. - Le dialogisme: Chaque énoncé présente des relations avec d'autres énoncés sur le même objet. Le cadre est celui d'une dynamique ouverte à l'intérieure de laquelle toute énonciation est toujours déjà parcourue d'échos et de résonance de citations et de parodies, d'itérations et de variations. L'expérience onirique prend source et sens dans les interactions des espaces psychiques communs et partagés. La production du rêve s'opère et les espaces oniriques de plusieurs rêveurs se correspondent et s'interpénètrent, les rêveurs se font signe. René Kaës a mis en évidence dans la clinique des groupes un "appareillage avec les éléments homologues de la psyché de l'autre, étayage mutuel des narcissismes". Le rêve n'est pas seulement une création égoïste il est formé d'une matière première d'intersubjectivité une création du lien dans laquelle se travaille, se "fabrique" chaque sujet singulier ancré dès l'origine dans l'intersubjectivité, l'interrelation. René Kaës évoque un berceau onirique originaire lieu premier de l'espace psychique commun de la bourgeonne une production propre et intime du rêveur.BIAKTINE parlait d'un sujet tramé et travaillé par l'interdiscursivité un maillage de sons, de couleurs, de mots, d'images, de paroles qui le constitue. Le rêve est pareillement inscrit dans une culture et présentement une culture d’images et de scénarios proliférants. Il est donc organisé selon une structure polyphonique et s’élabore au croisement de plusieurs sources plusieurs émotions plusieurs pensées et de plusieurs discours. Il faut ajouter qu’ayant un destinataire sa forme se module et s’inscrit dans le langage et la culture y compris le langage imaginal. Bien que lieu infracassable de l’individualité le rêve ne peut-être considéré comme un espace psychique clôturé Espace intrapsychiques il est empreint des dimensions inter psychiques et trans-psychiques ce nœud des représentations sociales et culturelles où le rite et le mythe enserrent le sujet.

LE REVE APPRIVOISE – REVE ET RELATION THERAPEUTIQUE AVEC L’ENFANT

« Tous les dragons de notre vie sont peut-être des princesses qui attendent de nous voir

beaux et courageux. Toues les choes terrifiantes ne sont peut-être que des choses sans secours, qui attendent que nous les

secourons. Rainer Maria Rilke. Lettre à un jeune poéte.

Page 20: Entrer dans le debat par la porte du reve - Jean-Jacques Lignier

4

LE REVE DANS LA RELATION DE L’ENFANT : LE REVE APPRIVOISE.

Le poète anglais KEATS formule une idée qui sera reprise par la psychanalyse se anglaise (BION) il la désigne sous le terme de NEGATIVE CAPABILITY (Capacité négative) et il en fait l’essence de la créativité poétique.Il y voit une disposition de l’esprit qui concerne la possibilité d’envisager une complexité de la réalité irrésoluble et insoluble. Cette capacité offre la possibilité de rester dans l’incertitude sans se précipiter sur une assignation définitive. Il faut qu’un homme soit capable de tolérer que la raison ordinaire puisse être mise en échec est un enjeu à élaborer par la relation avec sa vie onirique et sa propre étrangeté. La relation à nos propres rêves est un épreuve de la subjectivité en tant qu’elle confronte à savoir que l’ordre apparent des choses n’est pas leur ordre unique. Cette autre manière de voir, dans une autre perspective nous apprend à donner forme à ce qui n’en es pas et à soutenir une attente réceptive à l’inconnu. Le rêve apprivoisé

L’expérience de rêver est une des premières singularités psychiques qu’un enfant puisse s’approprier personnellement. Il fait l’expérience qui est en son pouvoir de conter son rêve à sa guise ou de le tenir secret.La capacité de rêver n’est pas acquise d’emblée, elle résulte d’un long cheminement. L’aptitude et la manière de rêver ne cessent de varier de la période fœtale à l’adolescence, dans son statut somatique aussi bien que psychique. Le fait de reconnaître le rêve comme tel de le percevoir comme une réalité différente et spécifique est chez le jeune enfant le signe d’un rapport au monde en voie d’organisation et de l’acquisition de modalités singulières du rapport au réel.Quelque chose est arrivé que l’on ne peut plus rejoindre ni ressusciter. Il n’en reste que des traces d’une expérience émotionnelle à communiquer par des mots un acte narratif par lequel il devient un locuteur qu’un autre peut entendre. Il s’agit de construire un récit à destination d’un interlocuteur, ce récit qui implique une adresse est inclus dans le travail du rêve et dans le décours d’une relation thérapeutique apparaît la présence de l’autre dans la psyché du rêveur. Être incorporé dans un monde onirique indique un état de la relation, des affects échangeables. ARNO STERN évoque « l’immersion dans un liquide commun ». Dans la situation est partagée une nouvelle réalité entre deux régimes de réalité, diurne et nocturne (conscience vigile, conscience onirique). La capacité onirique primitive s’échange entre la pensée vigile et la pensée onirique. Par les paroles, par le graphisme, par le jeu le thérapeute intervient. Ce qui peut-être perçu comme un ajout de la part de l’enfant s’apparente à la technique du squiggle dont le but est de faire surgir du nouveau grâce à une meilleure circulation entre deux espaces psychiques. C’est par une présence réelle que se déplacent, bougent et s’élaborent de nouvelles représentations.

Page 21: Entrer dans le debat par la porte du reve - Jean-Jacques Lignier

4

Deux extrêmes sont à redouter dans la relation à l’enfant qui communique ses rêves. L’expression d’un vouloir tout connaître, le monde pensé serait l’objet d’une attention prédatrice. L’attitude de ne pas s’intéresser à la vie mentale de l’enfant. WINNICOTT insiste sur le droit à ne pas être découvert, le besoin de ne pas communiquer dans la mesure où l’individu se sent réel dans la communication secrète qu’il entretien avec ce qu’il y a en lui de plus subjectif à l’abri d’autrui.Il importe pour chaque situation de comprendre la place du rêve dans la situation relationnelle et dans le fonctionnement psychique. On peut raconter un rêve non pour le comprendre mais pour s’en débarrasser ce que BION formule comme « rêve évacuatif ».Cela ce manifeste notamment lorsque l’enfant ne vit pas le rêve comme un produit de sa pensée mais comme un mauvais objet à expulser. Bion évoque même un sentiment de honte vis-à-vis de son propre rêve comme une incontinence nocturne. La théorie de la réalisation du désir constitue une interprétation idéologique unidimensionnelle qui ne peut englober toutes les dimensions du rêve dans la relation thérapeutique. Le rêve n’exprime pas seulement le désir mais une situation complexe et problématique pas tout a fait résolue pendant la veille.Le rêveur élabore par le moyen du rêve des problèmes émotionnels et des conflits psychiques qui trouvent dans le rêve une issue symbolisante potentiellement réparatrice et créative.L’onirisme fournit des occasions uniques mais indéfiniment répétables de transformations.Le récit agit sur l’interlocuteur il met en mouvement sa pensée et ses affects dans un dialogue interactif. Dans le cadre de nos consultations les questions du sommeil et du rêve apparaissent le plus souvent avec le souci des cauchemars. Michel Zlotowicz après le recueil de 100 cauchemars d’enfant en fait l’inventaire en référence aux travaux de PROPP sur les contes.Sous l’autorité de René Zazzo il est publié en 1978 son livre « Les cauchemars de l’enfant » situ » comme une critique de « l’automate » freudo-Kleinien. Il en ressort que pour l’essentiel les cauchemars sont l’expression symbolique d’angoisses irréductibles qui manifestent la détresse de la victime devant des dangers de séparation ou de destruction, des thématiques existentielles. Son corpus (100 récits, 5 à 9 ans) établit que la majorité des récits portent sur l’intrusion d’un être menaçant dans un espace fermé, protecteur soit sur le rêveur qui s’aventure dans un espace inconnu. Les récits d’enfants associant histoires horribles et cauchemars nous rappellent l’évidence du va et vient entre l’imaginaire public et l’imaginaire privé.L’enfant qui a vu un film d’horreur et se rêve dans une horreur homologue n’est-il pas en train de se mettre en relation lui et ce qu’il a vu ? Peut-être s’interroge t-il implicitement sur ce que signifie cette horreur pour lui et se demande t-il s’il peut la supporter ?Le cauchemar fait effraction dans les espaces entre vie onirique et conscience vigile cela ne peut se résoudre par l’installation d’un barrage (injonction de ne plus rêver).Il s’agit non pas de renforcer une étanchéité mais de combiner les deux principes de fonctionnement par l’étayage d’une relation et de la mise en récit et en images des contenus et des affects du rêve. Ce dispositif permet de surcroît la construction d’un autre rapport au couplage activité/passivité. A propos de récit de rêves qu’il soumet à ses investigations PIAGET nous indique : « Il est difficile, nous semble t-il, de ne pas reconnaître l’analogie entre ces quelques rêves et les jeux des mêmes sujet à cette seule différence prés qu’il existe des cauchemars dans le symbolisme

Page 22: Entrer dans le debat par la porte du reve - Jean-Jacques Lignier

4

onirique alors que la peur demeure un plaisir dans le symbolisme ludique, autrement dit, que les choses s’arrangent plus facilement dans celui-ci que dans le premier. Mais comme il est plus simple de diriger ses jeux que ses rêves, cette différence est assez naturelle et il n’est que plus frappant de constater les ressemblances. La présence à l’enfant lorsqu’il déploie l’effroi ou les émotions violentes ne fournit pas une simple décharge de leur force nocive. En effet attirer l’attention du rêveur sur son activité de rêver indique souvent que se trouve dans le rêve l’élaboration par ses propres moyens de problèmes émotionnels et de conflits qui peuvent trouver une issue. Dans tous les cas, la rétroaction des effets par le récit dans une relation vivante favorise un mode d’agir sur les affects conjugués à une compréhension des enjeux présents. Relater le rêve l’échanger avec un nouvel objet qui modifie l’état psychique du rêveur. Le récit du rêve tel qu’il apprend progressivement à le construire aboutit à une cohérence des pensées entre elles mais aussi avec les pensées des autres. WINNICOTT parle du rêve comme leçon de réalité psychique. Paul Ricœur parle d’une « mise en intrigue » qui aide l’enfant à loger sa pensée (de même pour l’adulte). Il convient de réunir les conditions pour que l’activité onirique puisse s’échanger dans une situation intersubjective. Il est nécessaire que l’enfant éprouve une présence réelle sur laquelle s’appuyer dont la réceptivité contenante permet d’attendre avec confiance que les chaos menaçants se symbolisent et se recomposent. WINNICOTT le formule « Un rêve peut être utilisé en thérapie dans la mesure où le fait qu’il a été rêvé, remémoré et rapporté indique que le matériel du rêve avec l’anxiété et l’excitation qui l’accompagne est dans la capacité de l’enfant ». Ce qui est recherché c’est l’ouverture (dont le rêve témoigne) à un certain moment d’un espace où l’enfant accepte de s’avancer avec son thérapeute. Un espace virtuel où le rêve peut advenir comme « objet transitionnel » oscillant entre MOI et non MOI. Dés lors, cet objet particulier produit au fond du sujet par l’impulsion d’un autre psychisme se trouve transformé dans la relation comme réapproprié et porteur de pensée et de créativité. Cette alchimie subjective fait qu’une émotion reçue dans la solitude combinée avec la présence d’autrui concours, à l’organisation d’une identité éprouvée par l’expérience de penser par soi-même. Nous savons que tous les personnages d’un rêve font partie du monde du rêveur, le décor, la scène font aussi partie des personnages. De surcroît l’espace des rêves doit être considéré comme espace d’alterification au sens même lorsque mes rêves sont des rêves qui portent sur moi, je m’aperçois en quelque sorte comme un autre. Enfin, la place de la relation au rêve comme mode d’accès à la réalité peut-être interrogée. Sous la forme de piste à explorer nous signalerons les questions issues des travaux du psychologue Paul L.HARRIS sur « L’Imagination chez l’enfant » (RETZ : 2007). Il énonce : L’ancrage de l’imagination comme une composante essentielle de l’activité cognitive.Le jeu de fiction, par exemple n’est pas pour lui une distorsion de la réalité, il signe le début de l’activité mentale « qui permet de considérer les alternatives à la réalité et qui durera toute la vie ». Les situations où les êtres imaginaires peuvent activer le système émotionnel au même titre que les êtres ou les situations réelles.

Page 23: Entrer dans le debat par la porte du reve - Jean-Jacques Lignier

4

Elles introduisent des émotions tout autant qu’elles les gouvernent. Une fonction non encore défrichée de l’imagination une sorte « d’imaginaire réel » confère à celui-ci son caractère toujours singulier et son « épaisseur » ! à la fois comme résultante d’un ensemble de possibilités antérieures réalisées et comme condition pour des issues possibles mais non encore déterminées. Pour autant, l’imagination n’est pas sous l’emprise de la catégorie de l’occulte L’ouvrage pose la question des origines ou du moins des conditions initiales dans lesquelles la coalescence entre cognition et fiction a eu lieu. Pour Harris l’imagination apparaît comme une primitive du fonctionnement cognitif. Au plan de la phylogenèse c’est une spéculation non testable. Au plan de l’ontogenèse le fonctionnement quotidien du langage comme celui du jeu de fiction ont en commun la nécessité d’élaborer des « modèles situationnels qui impliquent de déplacer le centre de la référence commune hors de l’ancrage dans « hic et munc » de la situation ». Il conclut : « J’affirmerai enfin que la possibilité d’envisager des alternatives à la Réalité peut-être lié à un mouvement vers l’objectivité et non pas un éloignement de celle-ci ». Le rêve et les équivalents de rêve accompagnés dans la relation thérapeutique rendent possible le développement de la représentation des états mentaux et des affects vers une meilleure intégration des conflits psychiques et des rapports modulés à une réalité partagée. Pour notre part, nous conclurons par ce rappel de François Oury lors des journées de Nice : « Et maintenant, qu’allons nous faire ? » s’interroge Sancho Ponça « Nous allons errer à la rencontre » Le Don Quichotte de CERVANTES Cervantès qui du lointain de notre mémoire d’enfant persiste à questionner merveilleusement les rapports du rêve à la réalité, de la fiction au réel, de la raison et de la folie…