Entreprises engagées Comment concilier l’entreprise et les ......10 propositions pour...

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RAPPORT FÉVRIER 2018 Entreprises engagées Comment concilier l’entreprise et les citoyens Valentin Schmite, planneur stratégique, Havas Paris Marinette Valiergue, diplômée en philosophie et consultante en relations publiques Pierre Victoria, administrateur représentant des salariés à Veolia, animateur du groupe de travail « L’entreprise de demain » au sein de la Fondation Jean-Jaurès

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RAPPORTFÉVRIER 2018

EntreprisesengagéesComment concilierl’entreprise etles citoyens

Valentin Schmite, planneur stratégique, Havas Paris Marinette Valiergue, diplômée en philosophie et consultanteen relations publiques Pierre Victoria, administrateur représentant des salariés à Veolia, animateur du groupe de travail « L’entreprise de demain » au sein de la Fondation Jean-Jaurès

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10 propositionspour réconcilier l’entreprise et les citoyens

01Réécrire l’article 1833 du code civil : « Toutesociété doit avoir un objet licite, êtreconstituée dans l’intérêt des parties consti-tuantes de l’entreprise et prendre en comptel’intérêt des parties prenantes. »

02Proposer un article 1833 bis du code civil :« La société commerciale à mission élargie

s’engage à poursuivre un intérêt sociétalclairement défini dans son objet, dont lesmodalités de mise en œuvre sont préciséesdans son projet de mission. »

03Définir statutairement les parties prenantes del’entreprise. Elles comprennent fournisseurs,clients, acteurs de la société civile, territoireset générations futures.

04Augmenter significativement le nombred’administrateurs salariés au sein des entre-prises, afin qu’ils soient au nombre de deuxpour les sociétés entre 500 et 5 000 salariéset à proportion d’un tiers au-delà de 5 000.Respecter strictement la parité entre lesfemmes et les hommes chez les adminis-trateurs salariés.

05Construire des outils de mesure de laperformance globale et de long terme desentreprises. Rendre obligatoire la publicationdans leur rapport d’activité de leur notationextra-financière lorsqu’elles comptent plus de5 000 salariés.

06Rendre possible le compte rendu écrit del’action des administrateurs salariés aprèsapprobation du contenu par le conseild’administration.

07Créer un comité des parties prenantes au seinde la gouvernance de l’entreprise et livrer unrapport annuel de ses préconisations au seindu conseil d’administration. Le président ducomité des parties prenantes devient membredu conseil d’administration.

08Développer un statut juridique pourl’intrapreneur afin qu’il se voie accorder aumoins 10 % de son temps de travail pour sonprojet et qu’il partage les bénéfices et lapropriété intellectuelle avec l’entreprise.

09Mettre en place une exonération fiscale pourque les revenus, produits et plus-values desactions détenues depuis plus de cinq ans nesoient pas soumis à l’impôt sur le revenu.Accorder un vote triple pour les actionsdétenues depuis plus de cinq ans.

10Rendre obligatoire la publication des salairesles plus élevés (les dix plus élevés dans uneentreprise de plus de 500 salariés, les troisplus élevés dans les autres) et du rapportentre le salaire le plus élevé et le salairemédian dans l’entreprise.

Réformer le statut de l’entreprise

Repenser la gouvernance de l’entreprise

Rendre l’entreprise plus juste et plus durable

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Entreprises engagées

Pourquoi devons-nous réformerle statut de l’entrepriseaujourd’hui ?L’histoire de nos structures économiques a tropsouvent occulté le rapport entre l’entreprise et lasociété. En effet, longtemps considérée comme uneboîte noire par les économistes, définie comme unrassemblement d’actionnaires par la loi française,l’entreprise est une bête mystérieuse et éloignée desconsidérations sociales. Pourtant, c’est bien en sonsein que nous nous réalisons. Nous y passons lamajeure partie de notre temps, nous y produisonsde la valeur et du sens, nous échangeons, débattonset parfois même y entrons en conflit. Aujourd’hui, àl’heure où les enjeux économiques, sociaux etenvironnementaux deviennent de plus en pluspressants, il est temps de redéfinir l’entreprise,d’ouvrir la boîte noire, de l’insérer dans la sociétéafin de signer un nouveau contrat social entrel’entreprise et la société.Ouvrir la boîte noire implique de comprendre lesprocessus à l’œuvre dans l’entreprise, ses missions,ses modes de gouvernance, la répartition de larichesse et de la propriété qui s’y effectue. Mais celadoit s’accompagner d’un changement de cap.L’entreprise doit aujourd’hui être redéfinie à l’aunedes trois défis majeurs auxquels font face nos sociétéscontemporaines : l’inégal partage des richesses, lacrise environnementale et climatique et le problèmede la représentation.

Le partage de la richesse

Les inégalités au sein de l’entreprise se répartissentselon plusieurs critères : la répartition salariale entredirigeants et employés, entre femmes et hommes,et la question de la possession même de l’entreprise.Ce débat, maintes fois soulevé, s’inscrit dans lalongue histoire du mouvement ouvrier sur laparticipation des travailleurs aux décisionsstratégiques de l’entreprise : Jean Jaurès l’avaitproposée dès le début du XXe siècle dans le cadredes projets de nationalisation. De même, le généralde Gaulle affirmait devant les mineurs de Saint-Étienne : « Assez de cette opposition entre les diversgroupes de producteurs qui empoisonne et paralysel’activité française. En vérité, la rénovationéconomique de la France et, en même temps, lapromotion ouvrière, c’est dans l’association quenous devons la trouver1 ».En promouvant l’idée de salariés-associés, ceshommes politiques esquissent déjà une redéfinitiondu partage des richesses en entreprise. En 1959,puis en 1967, le gouvernement gaullien a tenté demettre en œuvre ce plan de partage des richessesdans l’entreprise. Mais qu’en reste-t-il ? Depuis1967, pas moins de dix réformes ont vu le jour sanspour autant aboutir à des résultats satisfaisants.Selon une étude de la Dares publiée en 2014,43 % des salariés français du secteur marchand nonagricole ont une forme de participation dansl’entreprise2, mais ce chiffre masque une grandedisparité des pratiques entre les salariés des grandesentreprises et celles de moins de dix salariés. Il fautaujourd’hui agir pour accélérer ce processus.

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1. Charles de Gaulle, Discours et messages, 1946-1958, Paris, Plon, 1970.2. Dares, L’Épargne salariale en 2014. Accès des salariés aux dispositifs et flux financiers associés, décembre 2015.

Réformer le statut de l’entreprise : prendre le train en marche

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Le respect de l’environnement

L’entreprise n’est pas une cellule isolée, elleinteragit dans un écosystème complexe et fragile.Depuis les origines de la révolution industrielle etjusqu’aux années 1970-1980, le monde del’entreprise a considéré l’environnement comme unparamètre secondaire, sur lequel sa responsabilitén’était pas engagée. Les prélèvements réalisés surl’environnement local, les rejets polluants dans lemilieu naturel et les atteintes aux paysages nefaisaient pas débat.Toutefois, depuis les grandes catastrophesindustrielles (l’explosion d’une cuve de produitschimiques à Bhopal en 1984 ou, bien plusrécemment, l’explosion de l’usine AZF à Toulouseen 2001 et l’effondrement du Rana Plaza auBangladesh en 2013) et les marées noires(souvenons-nous du Torrey Canyon, de l’AmocoCadiz, de l’Exxon Valdez, de l’Erika ou du Prestige),les populations, les médias, les ONG et les pouvoirspublics ont pris conscience de la nécessité derendre plus responsables les entreprises en matièrede développement écologique, et de faire peser lerespect de l’environnement et la prévention durisque sur leurs épaules. L’internalisation desexternalités négatives est un premier moment dansl’histoire des entreprises. Toutefois, certainescontinuent à économiser l’environnement plusqu’elles n’écologisent l’économie. Nous sommes àl’heure où notre planète ne peut plus supporter lesmodes de production d’autrefois.

L’agenda international de 2015, avec les objectifsdu développement durable des Nations unies etl’accord de Paris sur le climat, a construit unnouveau cadre de référence et d’action sur ladurabilité du monde qui appelle à construire desterritoires plus sûrs, plus bienveillants et plusintelligents. Le One Planet Summit en décembre2017 a confirmé cette avancée, inscrivant, à côtéde la Responsabilité sociale des entreprises (RSE),une responsabilité climatique des entreprises.

Impliquant des « révolutions sectorielles vers uneéconomie décarbonée », il invite les entreprises àprendre un chemin différent, en ne se contentant pasde prendre en compte le changement climatique dansleur activité économique, pour intégrer dans leurbusiness model un impératif écologique.Dans les faits, d’ailleurs, de plus en plus de jeunesentreprises se développent autour de projetsenvironnementaux, à l’image de la start-up italienneD-Orbit, une società benefit1 qui s’est donné pourmission de développer des techniques permettantde lutter contre la multiplication dans l’espace dedéchets matériels provenant des satellites. Autreexemple incontournable : l’entreprise américainePatagonia, qui produit des vêtements « éco-conçus ».Première entreprise implantée en Californie à sevoir attribuer le label B Corp, elle consacre 1 % deses revenus annuels au soutien un peu partout dansle monde d’initiatives en faveur de la protection del’environnement.

La gestion partagée

Au sein des entreprises, comme dans le reste de lasociété, la représentation est en crise. Le taux desyndicalisation est en baisse, les représentants dupersonnel sont trop souvent forcés d’adopter uneposture défensive plutôt que propositionnelle.Cette crise de la représentation doit être adresséelorsque l’on repense la gouvernance des entreprises.C’est en donnant plus de poids aux administrateurssalariés, en transformant le mode de prise dedécision, en accordant véritablement une voix auxparties constituantes (salariés, actionnaires etdirigeants) de l’entreprise que nous pourronsrépondre à la crise de la représentation.

Dans le sillage des entreprises libérées apparues àla fin du XXe siècle, plusieurs groupes ontexpérimenté de nouvelles manières de prendre desdécisions qui s’affranchissent des rigidités liées à lastructuration hiérarchique de l’entreprise. Les

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1. Statut légal créé en 2015 en Italie, définissant une société qui articule un objectif de profit avec une détermination à générer un impact positif pourla société et l’environnement.

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principes de l’holacratie1, par exemple, ont inspiréun temps le géant américain Zappos, plateformed’e-commerce spécialisée dans la vente dechaussures, et l’ont conduit à faire disparaître lahiérarchie pour introduire davantage de flexibilitéet de créativité, pour innover en termes demanagement et dans les modes de prise de décision.

Derrière un débat juridique,une véritable prise de positionpolitique« Qu’est-ce que l’entreprise ? » s’interrogeait leprésident Emmanuel Macron lors de son interviewtélévisée du 15 octobre 2017 sur TF1, tout enannonçant vouloir ouvrir une discussion sur lanature même de l’entreprise.Le président fait référence aux articles 1832 et 1833du code civil, qui définissent non pas l’entreprise,mais la société.

Article 1832La société est un contrat par lequel deux ouplusieurs personnes conviennent de mettre encommun des biens ou leur industrie, en vue departager le bénéfice ou de profiter de l’économiequi pourra en résulter.Les associés s’engagent à contribuer aux pertes.

Article 1833Toute société doit avoir un objet licite et êtreconstituée dans l’intérêt commun des associés.

L’indispensable révision du code civil est uneévidence pour tous ceux qui ont travaillé cesdernières années sur l’entreprise de demain,revisitant les questions majeures de sa propriété, desa mission, de sa responsabilité à l’égard de lasociété. Qu’il s’agisse des travaux de la chaire« Théorie de l’entreprise » des Mines/Paris Tech, deceux du collège des Bernardins, de la commission« Contrat de société » du Club des juristes, del’Institut de l’économie positive présidé par Jacques

Attali, de la Fondation Jean-Jaurès, tous dénoncentune définition très capitaliste où seul l’intérêt desassociés est reconnu, sans aucune référence ni auxsalariés, ni aux autres parties prenantes (territoires,clients, consommateurs…).Cette désuétude du droit français est particu-lièrement flagrante dans un contexte de régulationcroissante des entreprises qui va dans le sens d’uneobligation de transparence concernant leurperformance sociale et environnementale, obligationrenforcée depuis 2017 par la transcription de ladirective européenne de 2014 et par l’élargissementde leur chaîne de responsabilité (devoir de vigilanceà l’égard des fournisseurs, etc.).

Aujourd’hui, le chantier de la rénovation del’entreprise se concentre sur la définition desarticles du code civil concernant les sociétés.Nombre de ses acteurs ont en mémoire laproposition d’Emmanuel Macron alors ministre del’Économie concernant le projet de loi sur lacroissance et l’activité de 2015. Il proposait d’ajouterun alinéa à l’article 1833, stipulant : « Elle [la société]doit être gérée au mieux de son intérêt supérieur,dans le respect de l’intérêt général économique,social et environnemental. » Cette proposition, nonretenue, constitue la référence autour de laquellevont se concentrer les débats à venir.Pour nous, la modification juridique ne peut êtreque le résultat d’une vision de ce que devrait êtrel’entreprise de demain, réconciliée avec la sociétégrâce à une gouvernance partagée.

Repenser la propriété de l’entreprise

Faut-il modifier la définition de la société ou donnerun statut juridique à l’entreprise ? C’est bien parceque l’entreprise ne dispose pas de définitionjuridique propre qu’a pu se réaliser cette imposturejuridique et sociétale, « la grande déformation »,comme l’appellent les animateurs du programme« Gouvernement de l’entreprise, création decommun » du collège des Bernardins. Cetteimposture a consisté à faire croire que les

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1. Concept visant à supprimer les positions de pouvoir et les organisations bureaucratiques afin de donner plus d’agilité à l’entreprise.

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actionnaires étaient les propriétaires de l’entreprise.Et cela a marché ! C’est bien parce qu’il n’existaitpas de définition de l’entreprise que le droit a rendupossibles la réduction de ses objectifs à ceux de lasociété par actions1 et la prise de contrôle de celle-ci par les actionnaires.

Puisqu’il était communément admis que l’entrepriseappartient aux actionnaires, ceux-ci se sontcomportés comme ses propriétaires. Pourtant,l’entreprise n’est la propriété de personne. Lesactionnaires ne sont propriétaires que des actionsémises par les sociétés commerciales. Ils disposent dedroits financiers, de dividendes et de droits de vote enassemblée générale. Ils votent le montant desdividendes, les modifications de statut, élisent lesmembres du conseil d’administration et disposent dedifférents droits d’information. Mais ils ne sont paspropriétaires des actifs. Ils n’ont le pouvoir ni dedirection, ni de contrôle. Toute théorie qui repose surla propriété de la société par les actionnaires est doncfausse. Les actionnaires sont une composante del’entreprise, mais une composante seulement,indispensable en tant qu’investisseurs mais pouvantporter préjudice à la mission générale de l’entreprisequand ils deviennent spéculateurs. Cette clarificationjuridique est indispensable car elle réhabilite l’idéed’une mission de l’entreprise qui transcende l’intérêtde ses actionnaires. En effet, si les actionnaires nesont pas propriétaires de l’entreprise, celle-ci n’a pascomme seule obligation de maximiser leurs profits.Elle a sa propre finalité. La rémunération del’actionnaire devient un moyen, pas une fin.Redéfinir la propriété de l’entreprise est donc unequestion fondamentale, car le discours sur lapropriété de l’entreprise induit la finalité même decette dernière. C’est la raison pour laquelle legroupe de travail de la Fondation Jean-Jaurès surl’entreprise de demain a pris cette question commefil rouge de ses réflexions.

Renforcer la place des salariés dans la gouvernance

L’entreprise est une création collective. Cela signifieque la richesse créée est le résultat d’une œuvre detous ses acteurs, à commencer par ses salariés. Leurplace dans les processus de décision est unequestion majeure qu’il faut, à nos yeux, poser etclarifier avant d’élargir les débats à la question desparties prenantes. Il est tout à fait significatif quel’appel au dialogue avec les parties prenantes,notamment dans les différents guides de bonnespratiques qui accompagnent la mise en œuvre de laRSE, tende à négliger les salariés. Nous ne saurionscependant nous satisfaire d’une terminologie de« parties prenantes internes », qui ravalerait lessalariés au rang d’interlocuteurs parmi d’autres alorsqu’ils sont à l’origine de la création de la richessecommune. La terminologie de « parties consti-tuantes » que propose la CFDT nous semble mieuxrefléter l’indispensable rééquilibrage entre le capitalet le travail et préparer l’évolution vers unegouvernance partagée. L’augmentation du nombre dereprésentants de salariés au sein des conseils d’admi-nistration s’impose. La question est : jusqu’où ? Lesujet d’une codétermination « à la française » doitêtre posé.

Évoquons un exemple français inspirant : lacoopérative Scop ti – Société coopérative ouvrièreprovençale de thés et infusions. Créée en 2014 prèsde Marseille à l’occasion de la reprise par les salariésde l’usine de fabrication des thés Éléphant ferméepar Unilever, elle s’est dotée d’un nouveau mode degouvernance où « chaque voix désormais compte ».Les décisions sont prises en assemblée générale descoopérateurs ou par le biais du conseild’administration qui en est issu. Ce dernier estcomposé de onze personnes élues par les salariéspour une durée de quatre ans. Si l’équilibrefinancier est encore jugé fragile, l’ancienne usined’Unilever produit chaque année 185 tonnes detisanes et thés et a enregistré en 2016 un chiffred’affaires de 1,6 million d’euros2. Gouvernance

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1. Voir Blanche Segrestin et Armand Hatchuel, Refonder l’entreprise, Paris, Seuil, 2012.2. Stéphanie Harounyan, « Ex-Fralib : notre nouveau combat, c’est la pérennité de la scop », Libération, 6 septembre 2017.

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démocratique et productivité se trouvent ainsiréconciliées, et l’emploi préservé sur le territoire.Faire reconnaître la nature politique de l’entreprisepour transformer la société, telle est notre ambition.

Les avancées dans le mondeComme le souligne le rapport publié par la sociétéde conseil Prophil, spécialisée dans l’étude del’articulation entre les nouveaux modèleséconomiques et philanthropiques1, fleurissentdepuis une dizaine d’années un peu partout dans lemonde de jeunes entreprises qui n’ont plus le souciexclusif de la rentabilité économique. Elless’organisent à l’inverse pour mettre leurperformance financière « au service d’une missioncohérente avec leurs valeurs », dépassant ainsi la« ligne Maginot » qui sépare traditionnellement lelucratif du non-lucratif.Les principales normes internationales quiencadrent, suscitent, vérifient ou entérinentl’engagement social et environnemental desentreprises sont une source d’inspiration et decomparaison pour mener à bien une politiquepublique compétente, efficace et rationnelle.

B Corp

Créé aux États-Unis par l’organisme B Lab en 2006,et exporté en Europe en 2014, le label B Corp estaccordé aux entreprises qui se sont engagées dans lerenouvellement ou la mise en place de pratiquesparticipatives et responsables. Les critères sontextra-financiers et se matérialisent en une grillede deux cents questions qui évalue la gouvernanceet l’impact de l’entreprise en lien avec quatreparties prenantes : les collaborateurs, les clients,la communauté locale et l’environnement. Aujour-d’hui, la communauté B Corp rassemble quelque2 300 entreprises réparties dans près de 50 payset représentant 130 secteurs d’activité différents.

En France, on compte 34 entreprises ayant le statutB Corp2.

Le label COP

Chaque conférence organisée sur le climat donnelieu à la création d’un label COP représentant lesoutien institutionnel du comité de pilotage à uneaction ou à un événement lancé par une entreprise.Le projet candidat à la labellisation doit avoir un liendirect avec la lutte contre le changement climatiqueet revêtir une dimension internationale. De portéesymbolique, l’attribution de ce label permet demettre en valeur l’engagement et la responsabilitéenvironnementale des sociétés qui le reçoivent etd’asseoir la légitimité des actions – ponctuelles ourécurrentes – qu’elles entreprennent en faveur de lalutte contre le dérèglement climatique.

ISO 26000Norme phare de l’Organisation internationale denormalisation, ISO 26000, publiée en 2010, définitla notion de responsabilité sociétale des entrepriseset organisations et indique des lignes directricespour leur permettre d’« agir de manière éthique »,en conformité avec les principes du développementdurable. Pionnière, la norme ISO 26 000 invite àtenir compte des parties prenantes, et permet ainsiaux entreprises et organisations d’amorcer unerefonte de leurs stratégies et orientations, allantdans le sens d’une plus grande responsabilitésociétale. Elle ne donne lieu à aucune certificationmais sert de point de référence aux évaluations detypes AFAQ 26000 et VIGEO 26000 et à lalabellisation.

Les avancées à l’échelle des États

À une échelle différente, et dans le temps contraintdu droit national, plusieurs pays se sont progres-sivement dotés de formes juridiques plus en phaseavec cette nouvelle dynamique entrepreneuriale.

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1. Les Entreprises à mission. Panorama international des statuts hybrides au service du bien commun, publié sous la direction de Geneviève Ferone-Creuzet, Prophil, 2017. 2. Site internet de B Corp.

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Les États-Unis, où la philanthropie occupe uneplace singulière, venant légitimer après coup laréussite économique, sont un terreau éminemmentfavorable à l’émergence de statuts juridiquesinnovants pour aider au développement de l’entrepre-neuriat au service du bien commun. Et ce, d’autantplus que l’autorité de la jurisprudence dans le droitaméricain et l’autonomie juridictionnelle de chaqueÉtat, à côté de la justice fédérale, encouragentl’expérimentation de modèles différents.

Le modèle juridique des benefit corporations né en2010 permet par exemple d’accorder un cadre deliberté aux dirigeants « en leur permettant d’engagerdes investissements de long terme au service d’unemission partagée avec l’ensemble des partiesprenantes, dont l’actionnaire1 » sans contrevenirpour autant aux fiduciary duties. Ces obligationssont un principe central dans le droit des sociétésaméricain. Il autorise ceux qui apportent lescapitaux à engager une procédure judiciaire contreles dirigeants si les décisions de gestion limitent larentabilité de leurs investissements. Concrètement,l’entreprise doit définir dans ses statuts un materialpublic benefit (MPB), qui concerne la société etl’environnement dans leur ensemble et est évaluépar un organisme tiers indépendant. Un rapportannuel rend compte des résultats obtenus, à lamanière en France des rapports RSE. Les règlesd’adoption ou de modification des statuts del’entreprise reposent sur un vote à la majoritéqualifiée, soit deux tiers des actionnaires. Depuissa création, ce statut s’est largement répanduà travers les États-Unis. En 2015, on recense plusde 2 000 benefit corporations actives, réparties sur33 des 50 États américains2. Toujours en Amérique du Nord, le Québec offre undeuxième exemple d’adaptation du juridique auxaspirations et projets sociaux et environnementaux de

ses entrepreneurs. La loi-cadre de 2013 fait entrerl’économie sociale dans la législation québécoise et,partant, reconnaît l’existence d’entreprises collectivesqui visent non seulement la « viabilité économique »,mais aussi « le service aux membres ou à lacollectivité », l’amélioration de leur « bien-être », « lacréation d’emplois durables et de qualité » et la miseen place en interne d’« une gouvernance démo-cratique3 ». Proche dans le texte de la loi française de2014 sur l’économie sociale et solidaire, son esprits’en éloigne dans la mesure où, au Québec,l’économie sociale n’est pas contenue dans les limitesrestrictives d’un secteur en particulier. Elle définit« un mode de développement qui s’applique à tousles secteurs d’activité économique4 ». Elle représen-terait ainsi aujourd’hui plus de 150 000 emplois, soit4 % de l’emploi total au Québec.

En Europe, la situation est différente. L’histoire dumutualisme, le rôle de l’État et le primat de sesmissions d’intérêt général ont durablement marquéla forme prise par l’entrepreneuriat, et c’est danscette longue tradition que s’inscrivent aujourd’huiles tentatives de rénovation du droit et les initiativespour inventer de nouveaux modèles. Prenonsl’exemple du Royaume-Uni, pionnier européen del’entrepreneuriat responsable. En 2005 est créé lestatut hybride de community interest company(CIC), ou société d’intérêt communautaire, destinéaux entreprises qui souhaitent s’engager dans unemission au service de leur communauté.Aujourd’hui, 20 % des entrepreneurs sociaux britan-niques choisissent ce statut. De droit privé et àresponsabilité limitée, une CIC déclare, lors de sacréation, la mission spécifique qu’elle s’engage àrendre à la communauté. Tous ses actifs appar-tiennent à la communauté et les bénéfices sontréinvestis au service de la mission.

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1. Rapport Prophil, op.cit.2. Rapport Prophil, op.cit.3. Texte de la loi-cadre québécoise sur l’économie sociale, 2013.4. Créer de la prospérité en misant sur l’entrepreneuriat collectif, note présentée par le Chantier de l’économie sociale dans le cadre des consultationsprébudgétaires 2017-2018, ministère des Finances, gouvernement du Québec, 30 janvier 2017.

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Cette présentation n’est pas exhaustive. Elle nemontre pas l’ampleur du changement auquel faitface le droit de chaque pays pour amorcer ouparfaire la transition vers des pratiqueséconomiques et entrepreneuriales plus engagées.S’exprime de plus en plus la volonté de sortir du statuquo. Mais il ne s’agit pas seulement d’inventer denouveaux modèles juridiques, il s’agit plusfondamentalement d’élargir la mission de l’entrepriseet de reconnecter l’économie de marché aux enjeuxsociaux et environnementaux qui nous concernenttous. En ce sens, la dimension symbolique desnormes et labels est utile mais insuffisante, etl’émergence d’entreprises engagées ne saurait seréduire à un secteur d’activité en la limitant parexemple à l’économie sociale et solidaire.

Propositions

1. Réécrire l’article 1833 du code civil : « Toutesociété doit avoir un objet licite, être constituéedans l’intérêt des parties constituantes del’entreprise et prendre en compte l’intérêt desparties prenantes. »

2. Proposer un article 1833 bis du code civil :« La société commerciale à mission élargies’engage à poursuivre un intérêt sociétalclairement défini dans son objet, dont lesmodalités de mise en œuvre sont précisées dansson projet de mission. »

3. Définir statutairement les parties prenantes del’entreprise. Les parties prenantes comprennentfournisseurs, clients, acteurs de la société civile,territoires et générations futures.

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1. Marie Bellan, Dominique Seux, « Laurent Burelle : “Les grands groupes doivent mieux coacher les PME” », Les Échos, 21 novembre 2017.2. Antoine Frérot, préface in Blanche Segrestin, Baudoin Roger, Stéphane Vernac (dir.), L’Entreprise, point aveugle du savoir, Auxerre, Scienceshumaines, 2014.

Les parties prenantes :fondamentales pour la gouvernanceLa question de la reconnaissance officielle desparties prenantes va jouer un rôle majeur dans ledébat qui s’annonce. Il nous faut tout d’abordrappeler l’origine anglo-saxonne de cette expression– d’ailleurs peu élégante. Les stakeholders (partiesprenantes) ne se sont définis qu’en opposition ouen complémentarité des shareholders (lesactionnaires). C’est bien parce qu’il faut rétablir unéquilibre entre les actionnaires et les autres acteursde l’entreprise et de son environnement qu’il s’avèreessentiel d’inscrire les parties prenantes dans lafuture définition de l’entreprise. Le président del’Association française des entreprises privées(Afep), Laurent Burelle, ne s’y est pas trompé.Le 21 novembre 2017, il déclare dans Les Échos :« Tripatouiller la définition juridique de l’entreprisepour limiter les droits des actionnaires au profit desparties prenantes, je n’aime pas trop ça1. » Aumoins, c’est clair. Les mêmes qui ont empêché en2015 la révision du statut des entreprises sont prêtsà remettre le couvert.

D’autres responsables de grandes entreprises ontadopté une position inverse. En 2014, AntoineFrérot, PDG de Veolia, écrit dans sa préface àl’ouvrage L’Entreprise, point aveugle du savoir :

À vrai dire, l’entreprise est une mosaïque departies prenantes : au-delà du premier cercle que

forment les salariés, les actionnaires, les clientset les fournisseurs, figurent les banquiers, lesassureurs, les collectivités locales, l’État, lesterritoires, la société civile, l’environnement, lesgénérations futures [...].Il est nécessaire de mener plusieurs actions defront :– d’abord, réviser et élargir les objectifs del’entreprise, et distinguer ceux-ci des moyens […]– ensuite, revoir les principes de gouvernance del’entreprise, et en particulier le rôle, les droits etles devoirs de ses parties prenantes [...]. Une despistes les plus prometteuses consiste enl’ouverture de la plus haute instance degouvernance de l’entreprise – le conseil d’admi-nistration – à ses diverses parties prenantes2.

La question n’est donc plus de dialoguer avec lesparties prenantes, mais de les intégrer dans lagouvernance de l’entreprise. Au-delà des actions deconsultation et de médiation qu’il faudra poursuivre,il s’agit désormais de codécision avec despartenaires de long terme.Au préalable, il nous faut préciser quelles sont lesparties prenantes. Nous laisserons volontairementde côté les représentants des salariés, même s’ils ontmontré la voie et démontré l’intérêt d’une démarched’ouverture. Nous les considérons en effet, à l’instarde la CFDT, comme des parties constituantes ducorps collectif qu’est l’entreprise. Ils ne sauraient sefondre dans un ensemble hétérogène de partiesprenantes. Les parties prenantes comprennent pourtoutes les entreprises fournisseurs, clients, acteurs

Repenser la gouvernance de l’entreprise : plus de démocratie, plus d’innovation, plus de durée

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de la société civile, territoires et générations futures. D’autres parties prenantes dépendent de l’activitéspécifique de l’entreprise. C’est notamment le casdes représentants de la société civile. Pour définirces parties prenantes, il sera confortable de seréférer à la norme ISO 26000 relative à laresponsabilité sociétale des entreprises, parue fin2010. À l’issue d’un long travail de consultation desassociations de consommateurs, celle-ci a adoptéune définition large des parties prenantes : « Lesparties prenantes sont des organisations ou desindividus qui ont un ou plusieurs intérêts dans unedécision ou activité quelconques d’une organisation.Du fait que ces intérêts peuvent être affectés parl’organisation, il se crée un lien avec celle-ci1 ».Comment désigner ces nouveaux représentants ?Quelle sera leur légitimité ? Si, pour les adminis-trateurs salariés, la loi a laissé aux partenairessociaux, au sein de l’entreprise, la responsabilité dechoisir le mode de représentation, il ne peut pas enêtre de même pour les autres parties prenantes.C’est bien l’envie de contribuer à l’intérêt généralde l’entreprise, et non à la défense de ses propresintérêts qui devra guider le choix du dirigeant.L’arrivée de ces nouveaux acteurs modifierasensiblement le rôle de ce dernier, qui devra veillerau respect de toutes les parties prenantes. Équilibreentre les parties et adhésion de tous à la stratégiede l’entreprise seront ses missions principales. Il nesera plus le seul représentant du pouvoiractionnarial.

Responsabilité élargie, valeur partagée impliquentnécessairement une représentation des partiesprenantes externes – fournisseurs, clients,territoires, société civile – dans la gouvernance.Nous avons fait le choix de ne pas proposer leurentrée dans les conseils d’administration. D’unepart, les conseils pléthoriques sont inefficaces ; ilnous semble qu’un conseil d’administration nedevrait pas comprendre plus de douze membres.D’autre part, nous ne souhaitons pas confondreparties constituantes de l’entreprise et partiesprenantes. Ces dernières doivent être représentéesau sein d’un comité des parties prenantes,

officiellement institué comme organe degouvernance, au même titre que les comités duconseil d’administration. Nous demandons que lerésultat de leurs travaux et leurs préconisationssoient présentés au conseil d’administration et queles présidents de ce comité des parties prenantessoient membres du conseil d’administration.

Plusieurs entreprises ont déjà fait le choix d’intégrerle territoire à leur stratégie économique. Il estdevenu véritable partie prenante de leurdéveloppement. La Scop Geromouv’, qui développedes parcours de santé et de bien-être pour lesseniors dans le Sud-Ouest de la France, a obtenul’agrément départemental du Lot d’Entreprisesolidaire d’utilité sociale (ESUS) en inscrivant sadémarche dans une réelle perspective territoriale.Uniquement destiné aux entreprises de l’économiesociale et solidaire, cet agrément donne desavantages aux investisseurs – 18 % de réductionsd’impôt, notamment. La Ruche qui dit Oui !,plateforme de mise en relation entre les agriculteurset artisans locaux et les consommateurs, estlabellisée B Corp. Elle est également devenue enquelques années une entreprise référente enmatière d’implantation territoriale, de mise enréseau d’acteurs locaux différents.

L’intrapreneuriat : réorganiserle temps de travail pour uneliberté d’entreprendre dessalariés au sein de l’entrepriseHérité des années 1970, l’intrapreneuriat permet àdes salariés de mener un projet innovant sur leurtemps de travail en parallèle des autres tâches quileur sont confiées. Cette organisation trace unenouvelle voie en faveur de la revalorisation du travailet du statut des salariés au sein même de l’entreprise.Malgré les blocages juridiques français quiempêchent la création du statut d’« intrapreneur »,le modèle attire de grands groupes – Crédit agricole,Air Liquide, 3M – et de jeunes organisations, à

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1. Norme ISO 26 000, à consulter sur le site internet de l’Organisation internationale de normalisation.

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l’image de Seed-Up, créée en 2015 et spécialiséedans l’invention de technologies innovantes pour lesgrands groupes français. Seed-Up permet aux salariésde se lancer dans un projet sans craindre d’en perdrela propriété intellectuelle et tout en bénéficiantdes ressources matérielles de l’entreprise. Unefois abouti, le projet est « excubé », au sens où ils’officialise juridiquement et prend la forme d’unesociété à actions simplifiées (SAS), dans laquelle lessalariés qui ont développé le projet détiennentchacun 20 % des parts. C’est un pas important poureux qu’ils n’auraient pu franchir dans une structureclassique. L’entreprise continue d’accompagner leprojet et détient une part minoritaire du capital.

Dans le cas de Seed-Up, plusieurs salariés ontconçu durant deux ans, sur leur temps de travail, unprojet d’« architecture système (cloud/machinelearning/algorithmes de compression)1 » vendu auxfabricants de téléphones portables et qui permet unstockage illimité des données créées sur lesterminaux. Du côté des salariés, la logiqueintrapreneuriale réconcilie activité salariale etpossibilité d’entreprendre. Du côté de l’employeur,elle offre de nouveaux leviers de croissance.

Propositions

4. Augmenter significativement le nombred’administrateurs salariés au sein desentreprises, afin qu’ils soient au nombre de deuxpour les sociétés entre 500 et 5 000 salariés età proportion d’un tiers au-delà de 5 000.Respecter strictement la parité entre lesfemmes et les hommes chez les administrateurssalariés.

5. Construire des outils de mesure de laperformance globale et de long terme desentreprises. Rendre obligatoire la publicationdans leur rapport d’activité de leur notationextra-financière lorsqu’elles comptent plus de5 000 salariés.

6. Rendre possible le compte rendu écrit del’action des administrateurs salariés aprèsapprobation du contenu par le conseild’administration.

7. Créer un comité des parties prenantes au seinde la gouvernance de l’entreprise et livrer unrapport annuel de ses préconisations au sein duconseil d’administration. Le président du comitédes parties prenantes devient membre duconseil d’administration.

8. Développer un statut juridique pourl’intrapreneur afin qu’il se voie accorder aumoins 10 % de son temps de travail pour sonprojet et qu’il partage les bénéfices et lapropriété intellectuelle de son projet avecl’entreprise.

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1. Cf. le site internet de Seed-Up.

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Dépasser la RSE au profit d’une performance globaleLe droit doit acter l’intégration de la responsabilitésociale et environnementale dans la stratégie desentreprises. La directive européenne de 2014 surl’information extra-financière, applicable à partir del’exercice 2017, demande à l’entreprise d’identifierles thématiques RSE impactantes sur l’ensemble dela chaîne de valeur, dont les enjeux de légalité, desécurité et de santé, de vigilance ; sur le respect desdroits humains et sociaux, environnementaux etsociétaux ; concernant la lutte contre la corruptionet l’apport positif aux territoires. L’évolution de laréglementation appelle l’entreprise à adapter sagouvernance, considérant que la RSE fait désormaispartie de la responsabilité stratégique des adminis-trateurs pour veiller au respect des engagementspris et l’éclairer de l’avis des parties prenantes. La modification du statut des entreprises envisagéedoit consacrer cette prise de conscience de lasolidarité entre le système économique, les salariés,les territoires et la planète (climat, biodiversité…).Elle doit permettre à l’entreprise d’entrer en« durabilité », c’est-à-dire de démontrer sa capacitéà assurer son avenir en répondant aux enjeuxsociaux, environnementaux et sociétaux de sonépoque. Il faut sans doute réinterroger le conceptmême de responsabilité sociale et environne-mentale. Notre vision de l’entreprise n’est pasuniquement celle d’un équilibre entre social,environnement et économie. Elle est celle d’unmouvement vers une performance globale où lebien-être des salariés, le respect de sonenvironnement, la solidarité avec les territoiresconstitueraient de nouvelles richesses partagées.Elle pose à nouveau la question de la contributionde l’entreprise au bien commun. Les objectifs dedéveloppement durable adoptés par les Nations

unies interpellent l’entreprise sur sa capacité àrépondre aux besoins de la communauté humaine.Ils impliquent la recherche de nouvelles alliancesmulti-acteurs et de nouveaux partenariats public/privé au service de l’intérêt général.

La transparence au profit de la justice dans l’entreprisePilier fondamental de la norme ISO 26000, latransparence est une vertu cardinale de l’entreprise.Pouvoir y évoluer en ayant conscience de ses choixéconomiques et financiers et avoir des repères surles écarts salariaux permettent aux salariés, auxactionnaires et à toutes les parties prenantes d’agirde manière plus juste et plus rationnelle.

La norme ISO 26 000 définit la transparencecomme un politique visant à :– assurer la transparence des décisions prises etdes activités réalisées lorsque celles-ci ont uneincidence sur la société et l’environnement ;– diffuser de manière claire, juste et exhaustiveet à un degré raisonnable et suffisant lespolitiques, décisions et activités réalisées, demême que leurs effets connus et probables surla société et l’environnement ;– rendre disponibles, accessibles, compré-hensibles les informations pour ceux qui sontou peuvent être concernés de diverses manièrespar l’organisation ;– présenter les informations actualisées,fondées sur des faits et présentées de manièreclaire et objective, pour permettre aux partiesprenantes d’évaluer avec justesse l’impact desdécisions et activités de l’organisation sur leursintérêts.

Rendre l’entreprise plus justeet plus durable

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Si elle présente un intérêt en termes de certification,la transparence répond surtout à une forte attente descitoyens. Selon une étude réalisée par le site derecrutement Glassdoor, deux tiers des Français(37 %) ignorent encore tout du salaire de leurscollègues. Ils sont également très nombreux (77 %) àsouhaiter contraindre les employeurs à en dire plussur les salaires et plus de la moitié d’entre eux (52 %)pensent que la transparence contribue à réduire lesécarts salariaux au sein d’une entreprise1.

Ce type d’initiative n’est pas impossible à réaliser. Àtitre d’exemple, la société britannique Buffer a misen place depuis presque cinq ans un documentélectronique2 qui affiche le salaire de tous lesemployés de la société. Selon Joël Gascoigne, sonPDG, cette mesure permet à son équipe de parlerouvertement d’argent et de négocier de manièrejuste sa rémunération. De plus, les salaires sontcalculés en fonction de critères objectifs (domainede compétence, lieu de travail, niveau d’expertise etsituation familiale).Cette transparence n’est pas que salariale, elleconcerne aussi les activités extra-financières del’entreprise. L’OCDE définit en effet la bonnegouvernance à l’aune du critère de la transparence.Un système transparent « aide à renforcer ladémocratie et les droits de l’homme, à promouvoirla prospérité et la cohésion sociale, à réduire lapauvreté, à soutenir la protection de l’environ-nement et l’utilisation des ressources naturelles età renforcer la confiance3 ». Dans cette perspective,rendre publique la notation extra-financière desentreprises permettrait d’accroître le degré detransparence et d’instaurer un climat de confianceau sein de l’entreprise et dans son écosystème.

Propositions

9. Mettre en place une exonération fiscale pourque les revenus, produits et plus-values desactions détenues depuis plus de cinq ans nesoient pas soumis à l’impôt sur le revenu.Accorder un vote triple pour les actionsdétenues depuis plus de cinq ans.

10. Rendre obligatoire la publication des salairesles plus élevés (les dix plus élevés dans uneentreprise de plus de 500 salariés, les trois plusélevés dans les autres) et du rapport entre lesalaire le plus élevé et le salaire médian dansl’entreprise.

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1. Jean-Baptiste Duval, « Parler salaire entre collègues reste un tabou pour deux tiers des Français », Le Huffington Post, 18 février 2015.2. « Salaries at Buffer », googledoc disponible sur Internet.3. OCDE, Bonne gouvernance et crédits à l’exportation, site internet de l’OCDE.

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Les technologies de l’information et de lacommunication ont profondément modifié cequ’il était convenu d’appeler il y a déjà plus dequinze ans l’entreprise en réseau ou l’entrepriseétendue. Il y a longtemps en effet quel’entreprise contemporaine n’est plus divisée demanière simple entre d’un côté les salariés, etde l’autre les prestataires extérieurs, commenous l’avait enseigné pendant des années lathéorie économique des coûts de transaction.Certes, une palette de situations coexistaitentre le contrat de travail, qui relève du droitdu travail, et le contrat de prestataire, relevantdu droit commercial. Mais une véritablerupture s’est opérée avec l’apparitiond’entreprise plateformes conceptualisée parSalim Ismail ou Nicolas Colin et HenriVerdier1.Comme le soulignent ces derniers, « lesentreprises les plus puissantes et les plusvalorisées sont celles qui parviennent à s’allieravec la multitude, les milliards d’individuséduqués, équipés et connectés, et à les inviterdans leur chaîne de valeur ». Des plateformescomme Uber ou Deliveroo peuvent fairetravailler plusieurs dizaines de milliers, voirecentaines de milliers de personnes dans lemonde sans lien juridique de travail, alorsqu’auparavant ces situations étaient minoritaires.

Plus fondamentalement, la nature même de cesorganisations plateformes – ou une organisationde taille très réduite, a l’image des plateformesde VTC, fait interagir un nombre conséquent deprestataires juridiquement indépendants etéconomiquement dépendants – repose laquestion des frontieres exactes de l’entreprise endes termes entièrement nouveaux. En effet,dans le cas d’une plateforme, il devient encoreplus complexe de répondre à la question, déjàcomplexe pour l’entreprise traditionnelle, desavoir à qui appartient l’entreprise, tant lesmodalités classiques de contrôle du capital etdu partage de la valeur y semblent aujourd’huicaduques.Mais il est indispensable de réfléchir à la gouver-nance responsable de ces plateformes, car il fautà la fois optimiser les opportunités qu’ellesoffrent tout en limitant leurs risques. Ledéveloppement du micro-entrepreneuriat depuisplusieurs années correspond à la fois à ladégradation du marché du travail et à denouvelles aspirations2. Ces nouvelles formes detravail ne sauraient se limiter à l’expression de lanécessité. Elles s’expliquent aussi par denouvelles aspirations concernant le travail quitraversent l’ensemble de la société. Les plateformes apportent à ce titre d’évidentsavantages : elles rendent effectif le droit à

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Quelle gouvernance des plateformes numériques ?

Propositions de David Menascé et Charles-Édouard Vincent

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l’initiative économique en démocratisant l’accèsaux opportunités économiques. Elles permettentd’élargir considérablement le nombre de clientspotentiels pour un prestataire. Plus de 200 000personnes utilisent des plateformes3. Mais ellesentraînent des risques significatifs pour les micro-entrepreneurs, qui ne sont pas protégés par lesrègles classiques du droit du travail. Il est doncimpératif d’imaginer des règles de gouvernanceplus équitables pour que les plateformes restentde bons serviteurs sans devenir de mauvaismaîtres. Deux propositions relatives à la gouvernancenous semblent répondre à l’enjeu : 1. Reconnaître les indépendants comme devéritables parties constituantes des plateformesen les associant aux décisions économiquesimportantes les concernant, notamment à lapolitique tarifaire. Pourrait ainsi être reconnuedans la loi la possibilité de créer des collectifsd’indépendants et de les associer aux décisionsdes plateformes. La fixation des prix et du niveaudes commissions devrait être au cœur de cedialogue : les collectifs d’indépendants devraientêtre codécisionnaires de la politique tarifaire.

Des mécanismes d’incitation pourraient êtreprévus, comme la reconnaissance desplateformes responsables par une réduction dela TVA sous condition d’avoir mis en place descollectifs d’indépendants.2. Mettre en place un plus juste partage de larichesse en permettant d’intéresser lestravailleurs indépendants à la valeur créée et enreconnaissant leur qualité de coentrepreneurs,avec des mécanismes de participation oud’intéressement qui s’inspirent de ceux destinésaux salariés.

Pour l’intéressement, deux options sontenvisageables :1. Prévoir un régime fiscal et social spécifiquedédié à une valeur mobilière. Ce régimedonnerait accès au capital et élargirait le régimedes bons de souscription des parts de créateurd’entreprise (BSPCE) ou s’en inspirerait. Ilpourrait s’intituler « Bon de souscription pourcontributeurs non salariés » (BSCnS).2. Envisager une structure légale fiscalementtranslucide s’inspirant des formes sociales desfonds de capital-risque.

1. Salim Ismail, Exponential Organizations, New York, Diversion Books, 2014 ; Henri Verdier et Nicolas Colin, L’Âge de la multitude.Entreprendre et gouverner après la révolution numérique, Paris, Armand Colin, 2012.2. Le travail indépendant est donc désormais loin d’être un phénomène marginal. 2,5 millions de travailleurs sont concernés en France, soitun actif sur dix. Plus de 2 millions de salariés sont en situation de salariat multi-employeurs, ce qui porterait le total des « nouvelles » formesd’emploi à plus de 4,8 millions de travailleurs, soit 18 % des actifs.3. Selon une étude réalisée par le Salon des micro-entreprises sur la polyactivité, si les motivations pour devenir pluriactif sont nombreuses(gagner plus d’argent, vivre d’une passion, préparer une reconversion professionnelle, etc.), la grande majorité de ces micro-entrepreneurspolyactifs (64 %) le sont par choix et non par obligation purement financière. Cf. étude menée par le Salon des micro-entreprises, Slashers oupluri-actifs… Qui sont ces nouveaux (et futurs) entrepreneurs ?, août 2015.

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Conclusion

« Il n’est rien au monde de plus puissant qu’une idée dont l’heure est venue »

ous la faisons nôtre cette citation de Victor Hugo, tant il nousapparaît que l’impérieuse nécessité de transformer l’entreprise pouren faire à la fois un lieu de création de richesse partagée, un collectifhumain, un lieu d’épanouissement personnel, ouvert sur le monde,

bienveillant et responsable à l’égard de ses salariés et de toutes ses partiesprenantes est enfin venue.

Ce qui était considéré, il y a peu, comme une utopie peut devenir une réalité. Cesdernières années ont vu surgir, autour du sujet de l’entreprise, des alliancesinsoupçonnées entre intellectuels, syndicats, patrons progressistes, politiquesengagés, mouvements associatifs. C’est en quelque sorte la rencontre improbabledes héritiers du saint-simonisme, de l’alter-mondialisme, du syndicalismeprogressiste et du catholicisme social qui a construit cette dynamique. La loi sur ledevoir de vigilance portée avec détermination par le député Dominique Potier atracé le chemin. La volonté du président de la République de donner force de loi àsa vision de l’entreprise de demain a ouvert le champ des possibles.

Ne soyons pas naïfs. Les opposants à la réforme de l’entreprise sont nombreux etles forces du conservatisme autour du principe « pourquoi changer ce qui évoluedans le bon sens » avancent leurs pions pour que rien ne change et surtout pasl’absolutisme actionnarial.

À ceux-là, nous devons rappeler qu’aucune activité économique ne perdure si ellene répond aux attentes de son époque. Les citoyens veulent de l’éthique, dudialogue, de la responsabilité, de la justice, de la solidarité avec les territoires. Lasocial-démocratie d’hier reposait sur un rapport fort avec les corps intermédiaires ;celle de demain devra reposer sur un rapport tout aussi fort avec les entreprisesengagées. Les prospérités de demain se construiront sur la réponse à ses attentes.C’est sur ces bases que se fera l’indispensable réconciliation entre l’entreprise etla société.

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01 10 propositions pour réconcilier l’entreprise et les citoyens

02 Rapport

02 Réformer le statut de l’entreprise : prendre le train en marche

09 Repenser la gouvernance de l’entreprise : plus de démocratie, plus d’innovation, plus de durée

12 Rendre l’entreprise plus juste et plus durable

17 Conclusion

Tabledes matières

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Collection dirigée par Gilles Finchelsteinet Laurent Cohen

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