ENTRE HOMMES ET LOUPS

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ENTRE HOMMES ET LOUPS CONTES DE LA FORÊT DES GARDE-LOUPS

LE CERCLE D'OR Centre régional culturel et littéraire d'éditions

3, quai Rousseau-Méchin La Chaume

85100 Les Sables d'Olonne Tél.: (51) 95.70.41 et 95.24.83

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Du même auteur :

«TOUTE TERRE EST EXIL », Préface du P. Congar; Ed. du Cerf, 1972.

« L'EXIL D'UN SONGE », Spectacle « Son et Lumière », de Béhuard, 1972.

« LE LIVRE DES SAINTS ET DES PRÉNOMS », commentaires spirituels; Ed. Desclée de Brouwer, 1976.

«JE VOUS ÉCRIS AU PLURIEL »; Ed. du Chalet, 1976.

«BÉHUARD, LUMIÈRE SUR LA LOIRE ANGEVINE »; illustration de Michel Jourdain; Notre-Dame de Béhuard, 1981.

« A COR ET A CRIS », 15 recueils de textes dont « PAGES ROUMAINES » (tome IV).

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Louis de La Bouillerie

ENTRE HOMMES ET LOUPS Contes de la forêt des Garde-Loups

Dessins de Jules Poulain

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Cette première édition tirée à 3.000 exemplaires

constitue l'Edition originale des Contes de la forêt des Garde-Loups

« ENTRE HOMMES ET LOUPS » de Louis de La Bouillerie.

La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa 1 de l'article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, consti- tuerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.

© E d i t i o n s le C e r c l e d ' o r , 1 9 8 3 .

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A u balcon d ' a rdo i se de la Gloriette.

Etre de partout ça n 'est pas être de nulle part. A imer un monde sans borne, ça n 'est pas mépriser les murs de sa maison. Donner son nom à chaque peuple, ça n 'est pas refuser son propre nom.

Aussi, pour que vous compreniez ces contes « Entre hommes et loups », je vous entraînerai tous et chacun de ma famille innombrable et je vous conduirai dans les bois, le long de cet étang que j'aime. Imaginez un parterre d'eau, comme un canal qui s'en va très droit, bordé de hauts tilleuls en candélabres. A l'extrémité opposée à ma « Grande Maison » on a bâti un pavillon en tuffeau, une Gloriette comme on disait des pavillons aux jardins du Roi-Soleil.

La Gloriette, drapée de pierres dont la blancheur contraste avec le cadre de verdure, coiffée d'un capuchon à aigrette d'ardoise, est posée sur les eaux terreuses de l'étang. Comme une bergère enrubannée porte devant elle son tablier en creux, la Gloriette porte un balcon face au canal. Sa balustrade de bois a disparu depuis longtemps, il n'en reste que les dalles d'ardoise sur lesquelles nous allons nous asseoir pour lire ces « Contes de la forêt des Garde-Loups » parmi les libellules, vertes et bleues.

Du balcon de la Gloriette on embrasse un décor géométrique. Les lignes des murs, des chemins, des jardins, des arbres et des eaux nous conduisent à l'autre extrémité du canal, à la « Grande Maison »,

. plantée elle aussi sur l'eau. Là se trouvent mes racines, ces dangereuses richesses que chacun reçoit dans l'étonnement de son enfance, qu'il rejette pour devenir homme, mais dont il rêve tout le restant de sa vie d'homme.

Puis par-delà cette maison et les peupliers du Lathan qui coule dans sa verte vallée, passe la ligne noire des pins du Baugeois. Ils courent parallèlement à la Loire de Seiches, plus précisément de Lué-en- Baugeois, jusqu'à Breil, pour se prolonger jusqu'à Tours. Ils montent de Saumur, plus précisément de la Breille-les-Pins, jusqu 'à Durtal ou jusqu 'au Lude, pour se prolonger jusqu 'au Mans. Ces bois de pins tout proches qui ferment notre horizon, portent des noms magiques : la Rote-aux-Loups, la Graine-de-Sapins, les Garde-Loups.

Je ne vous dirai rien de la « Grande Maison » au bout du canal, elle demeure mystère. Vous la construirez avec les pierres choisies dans ces contes. Vous la colorerez des saisons que vous aurez aimées. Vous la coifferez des toitures les plus chaudes. Elle sera vôtre, puisque vous l'aurez contemplée du balcon de la Gloriette.

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Nous nous retrouverons en ces profondeurs où toutes nos racines se reconnaissent, où se transmuent les réalités de nos vies quotidiennes, où la voix qui est la nôtre parle au pluriel de l'homme en qui le fleuve risque de tarir.

Sur le balcon d'ardoise, j 'ai collé mon oreille à ce mur de silence. J ' a i écouté les ferments de la vie au cœur des eaux mortes : c'était un battement de sang. J ' a i fixé mes yeux sur les tilleuls. Ils avaient soif, très soif ; ils ont uni leurs désirs pour plonger dans les vases qu'accumulent les automnes. J ' a i écouté le vent violent qui suivait le couloir d'eau et s'en allait battre la « Maison » pour l'éveiller.

Chaque fenêtre s'ouvrait à une vision nouvelle, chaque balcon invitait à la génération d'un nouvel amour. Tant de flammes étaient prêtes à renaître de la même huile, de la même foi en la vie. D'autres voix, d'autres conteurs disaient la vie sombre des forêts, le déroulement implacable du temps dans les fermes et les villages du Bauge ois.

Voici, le rideau va se lever, tandis que, de feuille en feuille, je vous dirai ces histoires de ma forêt, les Garde-Loups ; et je vous parlerai en langue nouvelle, cette langue des contes et des noëls.

Lathan-Breil, au balcon d'ardoise de la «Gloriette », 1983.

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CHIENNE DE VIE

ET FAIM DE LOUP

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D E S O S E T D U P A I N

Elle avait un joli nom de fleur, cette petite fille de sept ans : Marguerite. Elle vivait à l'Aubépin, un hameau de Breil couvert de tuiles creuses, à mi-chemin entre le hameau de la Crottinière et la ferme du Grand-Saint-Denis. Elle était la neuvième de douze enfants; quatorze personnes vivaient dans les deux pièces de la maison. L'homme, grand, large d'épaules, travaillait ces temps-là comme bûcheron, du côté de l'étang de Maucrosse. La femme faisait quelques lessives, entourée toujours de sa marmaille; les enfants, dès l'âge de six ou sept ans, gagnaient leur pain en gardant les oies ou les vaches sur le bord des routes, là où l'herbe est à tout le monde.

Le mois de janvier était dur avec un dur hiver. Il y avait des journées longues, longues comme des jours sans pain. Le déjeuner n'avait pas pesé lourd dans les estomacs et les enfants qui n'étaient pas à travailler s'amusaient dans la courette de l'Aubépin. L'homme appela :

— Marguerite ! Marguerite, viens ici ! Il prit la bâton des vaches qu'on appuyait sur la porte, le leva menaçant, tout en donnant un

grand panier à la gamine. — Voilà un panier, Marguerite. Regarde bien ma trique. Tu ne reviendras à la maison que

quand t'auras du pain. Tu m'entends bien ! Et pas du pain que t'auras mendié. Not' famille a son honneur.

Marguerite ne se dirigea pas aussitôt vers le bourg. Elle longea la forêt où il y a des bêtes sauvages, elle passa devant le chemin des Garde-loups, mais elle eut peur de s'y arrêter. Elle courut à deux petites fermes; on n'avait rien pour elle. Elle sauta une haie et arriva à Bourg-Joli.

— Quoi donc qui t'amène de l'Aubépin, avec un grand panier comme ça? — C'est pour des os, dit la petite fille tout echévelée, en baissant les yeux sur son panier

vide.

— Pauvre petite mignonne, à garder tes oies, t'attrapes la roupille au bout du nez. La femme la moucha de son grand mouchoir. — Viens donc, reprit-elle. Dans les soues à cochons tu vas trouver ce qui reste de notre

dernier veau. T'auras un bon demi-panier d'os pour vendre au chiffonnier.

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Quand la petite Marguerite eut pris ce qu'on lui offrait, elle repartit par la route qui vient de la Pellerine et descend, creusée comme un torrent, à la rivière du Lathan. Elle s'arrêta encore au Bouillon, la ferme qui est au-dessus de la source et du lavoir communal. Elle avait tellement peur d'être mal reçue. Elle avait fait un détour de deux kilomètres pour ne passer que chez les fermières qui seraient gentilles avec elle. La femme du Bouillon lui désigna les arrières des bâtiments.

— Va donc juste derrière l'écurie à notre cheval. En cet endroit, au nord, le sol résonnait sous les pieds, miné par les galeries de rats. Elle

arriva aux ordures envahies d'orties déjà noircies par les gelées. C'est là qu'on jetait les os. Elle prit un gros bâton et tapa de toutes ses forces. Deux gros rats coururent se réfugier dans leurs terriers, mais ils demeurèrent presque à l'entrée, leurs longues queues humides et luisantes dépassant encore des trous.

Alors la petite Marguerite s'enfuit, comme poursuivie. Elle préférait recevoir les coups de trique de son père que de disputer des os aux rats. Elle prit ses sabots à la main et courut à toutes jambes en suivant la route qui tantôt longeait les ornières, tantôt montait sur le talus pour contourner les fondrières. Elle traversa la rivière sur la passerelle, sans même s'arrêter à regarder l'eau du Gué de Breil, monta à la grande ferme de la Cour-de-Breil et entra dans la cour. Elle y connaissait deux petites filles; toutes les trois coururent au fond de l'étable achever de remplir le panier.

Marguerite reprit la route du bourg. Tantôt elle posait le panier trop lourd sur l'épaule, tantôt le tenant devant elle à deux mains, elle avançait en le berçant. Elle arriva exténuée chez le marchand de chiffons qui habitait une courette près de la Vieille-Cure. Quand l'homme vit la fillette, il rit très fort.

— Voilà la petite commissionnaire qui revient encore de l'Aubépin. Tu connais bien le coin. Va jeter ta pannerée et tu reviendras chercher tes sous. Jette bien tes os sur le dessus du tas.

Le chiffonnier amoncelait les os dans un vieux bâtiment très noir, aux murs pourris. Quel cauchemar ! A chaque fois que Marguerite arrivait là, elle était prise par la puanteur qui lui donnait envie de vomir. Et puis, il y avait des rats comme derrière le Bouillon, mais beaucoup plus nombreux encore. Ils couraient dans tous les sens entre les os. Certains filaient sur les poutres au risque de lui tomber sur la tête. Pour jeter les os sur le tas, un par un, elle avançait en mettant son coude en avant afin de protéger ses yeux. On disait que les rats griffaient les yeux des enfants. Elle savait bien, d'ailleurs, la petite fille, que, dans la maison d'à côté de chez elle, une maison pleine de trous partout, le onzième enfant, un bébé de trois mois, avait eu une oreille dévorée par les rats.

Dès qu'elle eut les quelques pièces versées par le chiffonnier, elle fut toute légère; elle traversa le bourg de Breil avec son panier vide. Elle volait vers la boulangerie, tellement elle était contente.

Et elle refit en courant ses deux kilomètres, rapportant deux pains tout chauds qui lui donnaient faim rien qu'à les sentir. Elle aurait tant voulu casser le croûton et le dévorer, mais quel accueil lui aurait fait le bûcheron, son père !

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Par de vives voix

Les acteurs d'une tragédie silencieuse.

Les pages sont tournées maintenant et nous nous retrouvons comme à la sortie d'un rêve, comme après la traversée d'une forêt envoûtante ou comme après l'écoute d'un conteur au balcon de la Gloriette.

L'eau, la glace, la forêt, la terre ont été les acteurs de ces contes « entre hommes et loups », mais aussi l'enfant, le bûcheron, le paysan gagne-petit et la servante. Chaque conte est devenu comme un acte de la tragédie silencieuse et cachée de l'Homme face aux éléments qu'il doit dominer.

Pourtant «Entre hommes et loups » ne propose pas des contes à thèmes. Il ne s'agit ni d'une démonstration, ni d'une thèse sociologique. Il s'agit bien moins encore d'un plaidoyer néo-ruraliste qui ne s'éclairerait qu'à la lampe à huile et qui interdirait à l'homme de défricher la forêt pour vivre. J ' a i seulement voulu être fidèle, fidèle au monde rural qui a entouré mon enfance, qui m'a fait devenir homme et qui m'a fait découvrir l'homme, celui-là qui est au quotidien de l'Histoire et qu'on ne voit guère cité aux pages de la Grande Histoire.

Si l'Homme a été avec les Eléments l'acteur privilégié, le Loup a tenu un rôle essentiel. Il n'était pas seulement en quelques récits de chasse, il se dressait partout, dans les peurs enfantines, dans l'ombre des maisons, dans les noms de lieux ou les surnoms des personnes, dans les expressions du langage courant.

Tout ce que vous venez de vivre est fidélité à des personnages authentiques, à la petite Marguerite « des os et du pain » comme au père Chateau d'« une rose et un bouquet pour la St jean ».

Certaines personnes, certaines familles croiront se reconnaître dans mes acteurs. Ce n 'est pas elles forcément que j 'ai mises en scène. Mais, le fait qu 'elles se retrouvent, ou qu 'elles retrouvent des situations de leur famille, est le signe qu'avec les conteurs dont j 'a i rapporté les paroles, j 'a i atteint les situations communes à tous les hommes.

Le « Baugeois », théâtre le l'inconnu et de l'universel.

Le territoire où se jouent ces contes des Garde-Loups est très limité à la région du «Baugeois ». Une région qui ne peut se m esurer aux décors régionaux offerts par le Pays Basque, par la Bretagne ou par la Vendée. La discrétion du nom lui-même de ce peuple et de ce cadre « baugeois » empêche le régionalisme de