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Sciences Po Lyon Entre drapeau rouge et drapeau tricolore : Jean Ferrat et la chanson communiste française Lucile Revelon Mémoire de 4 ème année Séminaire « Histoire politique des 19 ème et 20 ème siècles » Sous la direction de M. Jean-Philippe REY. Jury composé de MM. Gilles VERGNON et Jean-Pilippe REY Date de soutenance : Jeudi 5 Septembre

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Sciences Po Lyon

Entre drapeau rouge et drapeau

tricolore : Jean Ferrat et la

chanson communiste française

Lucile Revelon

Mémoire de 4ème année

Séminaire « Histoire politique des 19ème et 20ème siècles »

Sous la direction de M. Jean-Philippe REY.

Jury composé de MM. Gilles VERGNON et Jean-Pilippe REY

Date de soutenance : Jeudi 5 Septembre

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Remerciements

Je tiens à remercier les deux professeurs ayant pris en charge le séminaire d’Histoire

politique pour leur accompagnement tout au long de ce travail de recherche et pour les

éclairages précieux apportés sur les méthodes de recherche en histoire. Je tiens également à

remercier vivement M. Gérard Meys ainsi que M. Guy Thomas pour leur disponibilité et les

précieux éclairages qu'ils ont apporté. Je remercie également les personnes que j'ai pu

rencontrer à Antraigues :Bruno Fargier, Daniel Bastide, Michèle Saussac, Francesca Solleville

et Jacques Boyer qui ont fait preuve d'un accueil chaleureux et dont l'aide a ét plus qu'appreciée.

Enfin, je remercie ma famille pour leur soutien et leur apport à la relecture, ainsi qu'Eve Ruet

pour sa précieuse aide pratique.

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Sommaire

Remerciements ........................................................................................................................... 3

PREMIERE PARTIE – L’identité ouvrière comme base de l’idéal communiste transnational

.................................................................................................................................................. 12

Chapitre 1 – La défense des classes ouvrières, principe et raison de l’engagement. ........... 12

I. La condition ouvrière comme origine de l’engagement et identité première ............... 13

II. L’engagement communiste local plutôt que national .................................................. 22

Chapitre 2 – L’idéal communiste mondial en application ................................................... 27

I. Les combats internationaux propres à la culture communiste ................................... 28

II. L’idéal communiste s’éloigne de ses bases territoriales ....................................... 34

DEUXIÈME PARTIE – La France comme horizon de l’idéal................................................. 47

Chapitre 3 - L’histoire de France entre cycle révolutionnaire et républicanisme. .............. 48

I. L’histoire française dans le prisme communiste ........................................................... 48

II. L’universalisme républicain ........................................................................................ 55

Chapitre 4 - La nécéssaire préservation de la France et de son indépendance. ................... 63

I. Ecologie, monde rural et paysages des classes populaires françaises ................... 64

II. « Exception culturelle de tous les pays, unissez-vous ! » .................................... 658

Bibliographie : .......................................................................................................... 104

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Introduction

Le 14 mai dernier, le secrétaire national du Parti Communiste Français Fabien Roussel

se rendait en Ardèche dans le cadre d’un meeting de soutien à la candidate du parti aux élections

européennes. Cependant, il a rajouté une étape à son parcours ardéchois puisqu’il s’est rendu

dans le petit village d’Antraigues-sur-Volane afin d’y fleurir la tombe de Jean Ferrat. Le

chanteur français, décédé en 2010, est en effet reconnu tant pour sa place au Panthéon de la

chanson française que pour ses diverses prises de position politiques liées à son engagement

aux côtés du Parti Communiste.

Cependant, la portée symbolique de Jean Ferrat dépasse largement le seul cercle des

sympathisants communistes, comme en témoignent les hommages rendus à sa mort par une

variété d’hommes et femmes politiques. Si évidemment le Parti Communiste réagit par le biais

de sa secrétaire nationale d’alors Marie-George Buffet, qui salue alors le « chanteur dont le

sens de l'humanité et de la justice a accompagné l'engagement de générations de militants »1,

des réactions de la même teneur se retrouvent chez les dirigeants d’autres formations politiques

de gauche, allant du Parti Socialiste au Nouveau Parti Anticapitaliste. En effet, la socialiste

Martine Aubry évoque un « militant infatigable de la justice sociale » qui « aimait « Sa France

», « chantait la beauté de ses paysages et l’air de liberté qui la traverse », tandis qu’Olivier

Besancenot, chef de file du NPA, souligne que « de nombreux militants anticapitalistes perdent

en plus du poète un camarade »2. Le Président de la République d’alors, Nicolas Sarkozy, ainsi

que son premier ministre François Fillion, pourtant d’une sensibilité politique opposée à celle

de Ferrat, réagissent également, Fillion saluant le « chanteur populaire, engagé, toujours poète,

ami d'Aragon » ayant « vécu par et pour la culture française ».

Outre ces réactions de la sphère politique, la mort de Ferrat suscite un réel mouvement

d’hommage populaire. Ses obsèques sont retranscrites à la télévision nationale et plus de cinq

mille personnes, soit dix fois la population d’Antraigues-sur-Volane où elles se déroulent, ont

1 AFP. (13 mars 2018). « Réactions : "Jean Ferrat incarnait la difficile synthèse entre la révolte et l'idéal" ». Le

Monde. [en ligne], disponible à : https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2010/03/13/jean-ferrat-n-a-rien-

sacrifie-de-ce-qui-lui-tenait-a-c-ur_1318922_3382.html?fbclid=IwAR229_EX_JlaMxmvKa2eushPs7244JXs-

HDQzK7Bi5psSNy35yO9li9BrJg

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fait le déplacement pour y assister, témoignant ainsi d’un sentiment de proximité ressenti envers

Ferrat. Par ailleurs, l’ancien maire d’Antraigues Michel Pesenti évoque les nombreuses lettres

envoyées par des individus qui, n’ayant pas pu se rendre aux obsèques et n’étant pas en capacité

de se déplacer jusquà Antraigues, expriment l’importance que Ferrat avait pour eux et joignent

parfois une petite somme d’argent, demandant à la mairie d’acheter un bouquet afin de fleurir

sa tombe. Ces gestes, tant par leur ampleur que par le dévouement dont ils font état, contribuent

à rendre compte de la place qu’occupa Jean Ferrat dans le paysage culturel et social français,

représentant une figure à la fois nationale et familière.

Ferrat est, de fait, un compagnon de route constant du Parti Communiste, dont il partage

de nombreuses positions et qu’il n’hésite pas à soutenir publiquement bien que n’y ayant jamais

été encarté.

De nombreux artistes et intellectuels, à partir de l’après-guerre, sont également attirés par

l’idéal communiste et se rapprochent, pour un temps plus ou moins long, du PCF : cependant,

le parcours de Ferrat présente plusieurs caractéristiques qui contribuent à le singulariser au sein

de la nébuleuse culturelle gravitant autour du Parti Communiste.

D’abord, son engagement n’est pas un engagement résultant d’un parcours intellectuel

mais d’abord dû à à sa condition sociale d’origine, en cela qu’il est issu d’un milieu modeste et

qu’il travaille dès ses seize ans en tant qu’ouvrier en laboratoire3, expérience qui fait de lui, de

fait, un membre de la classe ouvrière en ayant connu les conditions. Son engagement est aussi

lié à son expérience traumatique de l’Occupation allemande, période qui voit la déportation et

la mort dans le camp de concentration d’Auschwitz de son père et durant laquelle, alors

adolescent, il est caché par des résistants communistes4 . Ce parcours personnel contribue à

forger chez Ferrat une profonde croyance en l’idéal communiste ainsi qu’un lien affectif avec

cet idéal.

Le qualificatif de « chanteur populaire » appliqué à Ferrat recouvre ainsi deux

significations : il est d’abord populaire auprès du public, se plaçant aux côtés d’autres grandes

figures de la chanson française de cette époque et se classant souvent dans les meilleures ventes

de disques quand paraissent ses albums. Surtout, il est qualifié de chanteur populaire en raison

de son milieu social d’origine mais également de sa dédication à représenter les classes

3 Belleret, R. (2012). Jean Ferrat, le chant d’un révolté. Paris: Archipoche, P64

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populaires, puisqu’il se présente et est présenté comme leur porte-voix, s’attachant à leur

défense tant dans ses chansons qui les dépeignent que dans ses prises de position.

Bien que n’étant pas un intellectuel mais un artiste, son statut de chanteur à textes lui

permet toutefois de ne pas se cantonner à une position de divertissement, puisqu’il s’exprime

via son œuvre sur de nombreux sujets, notamment politiques, qui lui sont contemporains. Son

œuvre traite ainsi des bouleversements que subissent la gauche française et internationale et

rejoint souvent les débats qui régissent la vie culturelle française dans son ensemble.

Enfin, ce qui achève de faire l’intérêt et la singularité de l’œuvre de Ferrat comme

représentative d’un certain communisme est son attachement à l’histoire et à la mémoire. En

effet, nombre de ses chansons traitent d’évènements présentés comme des moments fondateurs

de la gauche française et internationale. Ce faisant, Ferrat contribue à inscrire son engagement

dans le temps long, dépassant la période dont il est le contemporain pour se placer dans la

continuation d’une lignée politique et historique. D’autre part, le succès populaire de nombre

de ses chansons mémorielles (parmi lesquelles peuvent être citées « Nuit et brouillard », « Ma

France » ou encore « Potemkine ») façonnent largement le rapport contemporain à ces

événements.

Afin de pouvoir analyser pleinement la signification de l’engagement communiste de

Ferrat, il convient d’abord de caractériser le contexte de cet engagement. D’abord, le contexte

politique, social et culturel français, dans lequel Ferrat est ancré, puis le contexte communiste

international qui amène une évolution.

Lorsque Ferrat est découvert par le public français, en 1961 avec l’album Deux enfants au

soleil5, le PCF est encore dirigé par un de ses secrétaires généraux les plus emblématiques,

Maurice Thorez. Il jouit d’une capacité mobilisatrice importante et d’un fort socle éléctoral (il

obtient 22% des suffrages aux élections législatives), mais surtout d’une position de force

culturelle majeure, tant en raison du nombre d’intellectuels et d’artistes qui y sont engagés que

des organes culturels qui lui sont affiliés.

La trajectoire de Ferrat en tant que figure publique s’inscrit autour de deux bornes

chronologiques déterminantes pour le Parti Communiste Français et ses compagnons de route.

5 Ferrat, J. (1961). Deux enfants au soleil. [CD] Decca.

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En effet, il appartient à ce que le documentariste Yves Riou, dans son film Les artistes et le

parti6, définit comme la nouvelle générations d’artistes compagnons de route qui apparaissent

quelques années après la répression par l’URSS, en 1956, de l’insurrection de Budapest. Cette

répression provoque en effet la désaffection de nombreux compagnons de route. Comme le

souligne François Dosse dans le premier tome de sa Saga des intellectuels français, « si

l’ébranlement de 1956 secoue bien des intellectuels du PCF, il est ressenti avec d’avantage

d’intensité encore chez les compagnons de route »7. La nouvelle génération de compagnons de

routes qui apparait à la suite de cet évènement, si elle n’en reste pas moins communiste, affiche

les prémices d’une relative distanciation vis-à-vis de l’URSS. Sept ans après la « naissance »

de Ferrat comme figure publique survient une autre rupture, encore plus retentissante, entre les

compagnons de route et le Parti : l’écrasement par l’Armée rouge du Printemps de Prague. Si

cet événement constitue une borne chronologique déterminante pour de nombreux compagnons

de route qui délaissent alors le PCF, elle n’en constitue pas une pour Ferrat. En effet,

l’engagement envers l’idéal communiste perdure jusqu’à la fin de sa carrière. Ferrat sort son

dernier album composé de textes originaux, Dans la jungle ou dans le zoo8, en 1991, puis quatre

ans plus tard son ultime album9 sur lequel il met en musique des poèmes d’Aragon. Ses

apparitions publiques se raréifient au début des années 2000, avant de s’interrompre jusqu’à

son décès en 2010. Dès lors, la dernière grande borne chronologique qui encadre la carrière de

Ferrat est la chute du Mur de Berlin en 1989 et l’effondrement du régime soviétique qui en

découle, qui représente pour les communistes, malgré une opinion de plus en plus défavorable

à l’URSS, une perte de repères considérable.

La position singulière de Ferrat dans le paysage culturel et politique nécéssite, afin d’être

comprise dans sa globalité, l’analyse de plusieurs types de sources.

6 Les artistes et le parti (1945-1968). (2013). [DVD] Directed by Y. Riou and P. Pouchain.

7 Dosse, F. (2018). La saga des intellectuels français 1944 - 1989. A l’épreuve de l’histoire 1944-1968. Gallimard,

P267

8 Ferrat, J. (1991). Dans la jungle ou dans le zoo. [CD] Temey.

9 Ferrat, J. (1994). Ferrat 95. [CD] Temey.

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D’abord, il convient d’analyser ce qui constitue pour la forme d’expression privilégiée de

ses convictions et de ses engagements, à savoir les textes de ses chansons. Ceux-ci comportent

à la fois des prises de position assumées sur des évènements qui lui sont contemporains, des

références mémorielles permettant de replacer son engagement dans une une lignée historique

et politique, des hommages à la culture populaire se présentant sous des formes variées ainsi

que des réflexions sur sa propre position. Ces textes ne relevant pas du spontané mais au

contraire d’un réel travail d’écriture, leur étude s’avère extrêmement révelatrice.

Son statut public faisant de lui une personnalité médiatique de fait, il convient également

d’étudier la manière dont Ferrat est dépeint, tout au long de son existence publique, dans les

reportages télévisuels qui lui sont consacrés. Ces émissions, ainsi que les interviews accordées

par Ferrat, offrent un complément aux prises de position affichées dans ses chansons puisque

les questions qui lui sont posées invitent souvent à l’approfondissement des thèmes abordés.

Afin d’éclairer la relation de Ferrat à son métier de chanteur, ses prises de position au sein

et à propos de la profession ainsi que ses relations avec le monde artistique en général (et

notamment avec la nébuleuse artistique communiste), il s’est avéré profitable d’interroger

plusieurs personnalités ayant travaillé avec lui dans différentes configurations : son imprésario

et producteur Gérard Meys, son parolier Guy Thomas, son collaborateur de longue date Jacques

Boyer ainsi que sa collègue et amie la chanteuse Francesca Solleville. Les échanges ainsi

réalisés ont permis une analyse compréhensive de la place occupée par Ferrat dans le monde

du spectacle et de ses positions sur celui-ci.

Enfin, en ce qui concerne le rapport de Ferrat au communisme, outre ses prises de position

publiques, les entretiens réalisés avec des militants communistes ardéchois l’ayant cotoyé de

son vivant offrent un éclairage non négligeable non seulement sur ses rapports concrets au PCF

(à l’échelle locale comme nationale) mais également sur les représentations qui lui sont

apposées à travers le prisme communiste.

L’engagement communiste de Jean Ferrat ne saurait se contenter de faire écho à l’histoire

des compagnons de route du PCF, bien qu’il soit représentatif notamment de ses moments de

ruptures. Ferrat opère en effet plusieurs synthèses a priori périlleuses en juxtaposant des

élements à première vue paradoxaux.

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La première de ces synthèses est la synthèse entre le monde intellectuel et le monde ouvrier :

Ferrat est en effet toujours qualifié de chanteur populaire mais son œuvre suit le mouvement

général des intellectuels engagés au Parti, surtout en ce qui concerne la relation à l’international.

La deuxième synthèse, la principale, opérée par Ferrat est celle détaillée par Marc Lazar

dans son ouvrage Le communisme, une passion française10, qualifiée de « mariage détonnant

entre l’internationalisme et la nation ». Cette figure de style se réfère à la stratégie du Parti

Communiste Français de l’après-guerre réussit à convoquer autour de lui tous les symboles de

la nation française et s’en présente comme l’ardent défenseur, devenant le chantre d’un certain

nationalisme de gauche. Ce nationalisme de gauche exercé par le PCF de l’après-guerre glorifie

la conscience nationale française, et trouve son origine dans la Révolution française. La

promotion de la France par le PCF, qui s’attache à faire nation afin de ne pas être vu comme un

parti de l’étranger, passe par le biais de l’histoire mais aussi de la mise en valeur de la France

populaire. Or, les réactions à la mort de Ferrat le montrent bien, le chanteur achève plus que

quiconque cette synthèse entre mouvement ouvrier et communiste transnational et glorification

de la France.

L’examen des synthèses pourtant délicates opérées par Ferrat pose finalement

l’interrogation suivante : comment s’opère chez Jean Ferrat la synthèse entre idéal communiste

transnational et nationalisme de gauche ?

La défense internationale des classes ouvrières est à l’origine de l’engagement

communiste chez Ferrat : il s’attache à les défendre, et chante l’idéal international qui les

caractérise.

Toutefois, la France est pour Ferrat le seul pays apte à représenter réellement l’idéal

communisme : il fait donc état d’abord du rayonnement de son histoire avant de montrer la

nécessité de son indépendance.

10 Lazar, M. (2002). Le communisme, une passion française. Paris: Perrin.

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PREMIERE PARTIE –

L’identité ouvrière comme base

de l’idéal communiste

transnational

Chapitre 1 – La défense des classes

ouvrières, principe et raison de

l’engagement.

Avant même d’être une position revendiquée comme communiste, l’engagement de Ferrat

a pour origine la condition ouvrière et la défense des classes populaires: cette origine

conditionne également par la suite la manière qu’a Ferrat d’envisager l’engagement auprès du

Parti Communiste. D’abord, Ferrat s’atteindre à dépeindre avec réalisme les conditions

ouvrières, en devenant le porte-voix et faisant preuve d’un certain ouvriérisme. Sa proximité

ressentie et affichée avec la classe ouvrière modèle son engagement communiste, qui prend

avant tout la forme d’un engagement social et syndical ancré au niveau local, les relations

concrètes avec le Parti au niveau national relevant plus de l’affectif que d’un engagement

structuré.

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I. La condition ouvrière comme origine de

l’engagement et identité première

Les sympathies communistes de Jean Ferrat sont fondamentalement ancrées dans la

défense de la classe ouvrière dont il est lui-même issu. Cette défense s’articule, dans ses

chansons comme dans ses prises de position, en trois pans: il s’agit tout d’abord de procéder à

une certaine glorification de la classe ouvrière à travers l’apologie de ses us et coutumes et de

ses conditions matérielles, n’allant pas sans évoquer le courant réaliste socialiste. Cette

valorisation passe aussi par la forte dépréciation du mode de vie bourgeois dont les valeurs

sont raillées, confinant à l’ouvriérisme. Enfin, Ferrat fait état de la nécéssité inhérente à sa

position de vedette de se faire le témoin, sinon représentant, des luttes ouvrières et de

l’oppression des classes populaires.

A. L’esthétique ouvrière : du réalisme socialiste dans la chanson

Les textes de Ferrat et notamment ceux présents sur ses premiers albums s’attachent

particulièrement, même lorsqu’ils traitent de thèmes variés, à dépeindre avec précision les

conditions matérielles d’existence de la classe ouvrière. Ces conditions matérielles ne sont pas

accessoires mais centrales, donnant au contexte socio-économique une place inhabituelle dans

le domaine de la chanson. La préoccupation des conditions matérielles évoque dans une certaine

mesure le réalisme socialiste ou du moins certains de ses caractères, non pas en tant que doctrine

mais en tant que parti pris esthétique. Le réalisme socialiste est en effet d’abord une doctrine

artistique officielle en URSS et dans les démocraties populaires, dont les caractéristiques sont

établies lors du Premier Congrès de l’Union des Ecrivains Soviétiques en 1934 :

“Le réalisme socialiste, étant la méthode fondamentale de la littérature et de la critique

littéraire soviétiques, exige de l'artiste une représentation véridique, historiquement concrète

de la réalité dans son développement révolutionnaire. D'autre part, la véracité et le caractère

historiquement concret de la représentation artistique du réel doivent se combiner à la tâche

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de la transformation et de l'éducation idéologiques des travailleurs dans l'esprit du socialisme”

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En France, c’est Louis Aragon qui se fait le chantre du réalisme socialiste, contenu dans

sa formule “Je réclame ici le retour à la réalité”12. L’oeuvre de Ferrat est indissociable, tout au

long de sa carrière, de celle d’Aragon dont il a mis en musique de nombreux poèmes (un de ses

albums, Ferrat 95 étant même uniquement constitué de textes d’Aragon) et qu’il a rencontré à

plusieurs reprises à partir de 1961, après avoir mis en musique son poème “J’entends, j’entends”.

Si le réalisme socialiste n’est pas une posture revendiquée par Ferrat, l’influence d’Aragon sur

son oeuvre laisse à penser que celle-ci en est teintée.

Toutes les caractéristiques du réalisme socialiste ne peuvent être appliquées comme

grille d’analyse des chansons de Ferrat: cependant, force est de constater que certaines se

retrouvent dans ses chansons et particulièrement dans ses premiers albums, surtout en ce qui

concerne l’idée d’un “caractère historiquement concret” s’attachant à décrire avec précision le

mode de vie du prolétariat: Ferrat ne se contente pas de donner de l’importance aux élements

matériels mais place ses chansons dans des lieux symboliques de la classe ouvrière.

La chanson “Ma Môme”, extraite de l’album Deux enfants au soleil13 sorti en 1961

constitue l’un des premiers succès de Ferrat et est emblématique de cette influence du réalisme

socialiste, notamment en raison de sa description du mode de vie ouvrier en “banlieue rouge”.

L’historienne Annie Fourcaut définit la banlieue comme “un mythe politico-stratégique”14

recouvrant “la rencontre du jeune parti communiste avec une fraction limitée de la classe

ouvrière banlieusarde parisienne”15 celle-ci devient également une réalité concrète, “une

formation sociale qui dure du milieu des années 1920 à la fin des années 1960”16. C’est donc

la banlieue rouge, avec tous les mythes que celle-ci recouvre, que Ferrat chante dans “Ma Môme”

11 Encyclo 12 Discours de clôture au congrès international des écrivains de Paris (25 juin 1935), in L’Œuvre poétique, t. VI

(1934-1935), Paris, Le Livre Club Diderot, 1975, p. 322. 13 Ref album 14 Ref colloque 15 ibid 16 ibid

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avec l’hommage rendu à une jeune ouvrière qui “travaille en usine à Créteil”. Dans le deuxième

couplet, Ferrat s’emploie à décrire la réalité concrète de leurs conditions de vie :

“Dans une banlieue surpeuplée

On habite un meublé

Elle et moi

La fenêtre n’a qu’un carreau

Qui donne sur l’entrepôt

Et les toits”

Ces conditions de vie concrètes faisant état d’un certain dénuement ainsi que les termes

“banlieue surpeuplée” et “entrepôt” situent clairement la chanson de le contexte ouvrier de la

banlieue rouge. Le troisième couplet élargit l’horizon de cette banlieue, le limitant néanmoins

encore à la classe ouvrière :

“On va pas à Saint-Paul-de-Vence

On passe toutes nos vacances

A Saint-Ouen

Comme famille on n’a qu’une marraine

Quelque part en Lorraine

Et c’est loin”

Ferrat écarte d’emblée la coutume bourgeoise des vacances sur la Côte d’Azur et cite des lieux

profondément identifiables comme faisant partie de la France ouvrière: la ville de Saint-Ouen,

faisant partie de la “couronne rouge” au même titre que la ville de Créteil citée précédemment,

et la Lorraine, région historiquement industrielle dotée d’une forte identité ouvrière. Les

protagonistes de cette chanson semblent ne jamais sortir de la banlieue rouge, ni pour le travail

ni pour le temps de loisir. Cette description minutieuse et réaliste des conditions de vie de la

classe ouvrière est bien empreinte d’un certain réalisme socialiste en cela qu’elle remplit le

critère du “caractère historiquement concret” requis. De plus, le choix de la banlieue rouge

comme cadre permet de dépasser la simple observation réaliste pour s’inscrire dans la

modernité du projet communiste, la banlieue rouge étant de fait propre au vingtième siècle et

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portant en son sein une idée de renouveau politique et social organisé autour des classes

ouvrières.

Cependant, Ferrat n’emploie pas ce réalisme dans un but misérabiliste mais s’inscrit au

contraire dans un registre de valorisation de la classe ouvrière. En effet, les trois derniers

couplets s’extraient des réalités concrètes et sont écrits dans un style particulièrement lyrique

et élogieux ayant pour thème la beauté. La juxtaposition ainsi opérée par Ferrat de la description

réaliste de conditions de vie sommaires et d’une écriture idéaliste et abstraite permet une réelle

valorisation de la classe ouvrière. Cette classe ouvrière est présentée comme ayant un univers

à part entière, allant de la banlieue rouge aux régions industrielles dont elle n’éprouve pas le

besoin de sortir puisqu’elle semble se suffire à elle-même, ne ressentant pas la nécessité de se

calquer sur les us et coutumes bourgeois.

Dans d’autres chansons, Ferrat chante aussi la culture et les loisirs populaires,

notamment dans la chanson “Les Petits Bistrots”, tirée de l’album de 1965 La Montagne17,

décrit les bistrots parisiens populaires. Il s’attache ici aussi à rendre compte des éléments

matériels qui les composent, tels que le “poêle à charbon” ou les “nappes à carreaux”, précisant

qu’ils n’ont “pas de juke-box, seulement la radio pour suivre la boxe”. Il fait donc ici référence

à un élément majeur de la culture ouvrière, faisant référence aux trois sports les plus populaires

au début des années 1960: en plus de la boxe, dans ces bistrots “on parle du Tour et du Racing”.

Le Tour de France représente en effet l'événement sportif populaire par excellence à cette

époque, et le Racing Club de France Football, en tant que club parisien d’un sport populaire

témoigne également d’un pan de la culture ouvrière chantée ici par Ferrat.

Ferrat ne se contente pas de chanter la banlieue rouge: en effet, il emménage à Ivry-sur-Seine

en 1961, ville que l’historien Emmanuel Bellenger qualifie de “capitale du communisme

français”18. Ce déménagement intervenant au moment où Ferrat commence à rencontrer un

succès populaire, l’image qui est renvoyée de lui par les médias l’associe à la classe ouvrière

dont il chante les moeurs. Ainsi, l’émission “Au-delà de l’écran” du 15 mars 196419, qui montre

notamment l’appartement de Ferrat et ses alentours, commence par le commentaire suivant: “ce

17 Ferrat, J. (1965). La Montagne. [CD] Barclay.

18 Bellanger, E. (2017). Ivry, banlieue rouge. [Grane]: Creaphis éditions.

19 Au-delà de l'écran Office national de radiodiffusion télévision française (1964). A Ivry chez Jean Ferrat. [vidéo]

Disponible à: https://www.ina.fr/video/I00013240/a-ivry-chez-jean-ferrat-

video.html?fbclid=IwAR2zUp67dpQunBvdVzkPkuaFBJRr96wBDFSXM_XNZ9vBZc8upLl-K9a-X9o

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ne sont pas là les premières images d’un film réaliste”. En effet, la banlieue tient un rôle central

dans cette émission que ce soit dans la manière détaillée dont elle est filmée, la caméra

s’attardant longuement sur un immeuble typique des grands ensembles architecturaux de

banlieue. Une fois dans l’appartement de Ferrat, l’émission montre dans un long panorama la

vue de sa fenêtre, décrite ainsi par la présentatrice Anne-Marie Carrère : “voici les signes

extérieurs de sa richesse: la banlieue, les cheminées, les toits d’usine et la poésie spéciale des

H.L.M.” Il se crée ainsi autour de Ferrat, et ce dès ses premières apparitions médiatiques, un

double mouvement concernant l’esthétique populaire, puisqu’il en est à la fois observateur par

ses chansons et partie intégrante par sa description médiatique.

Ferrat a très fréquemment été caractérisé et singularisé par son mode de vie différent de

celui typique du chanteur à succès dans l’imaginaire collectif. Tant les journalistes dressant son

portrait, comme Anne-Marie Carrière que les personnes l’ayant côtoyé à divers degrés de

proximité s’attachent à le dépeindre comme proche des préoccupations concrètes et à décrire

de manière précise et minutieuse les conditions matérielles dans lesquelles il évolua tout au

long de sa vie. Ainsi, son ancien collègue et ami de longue date Jacques Boyer précise qu’il

habitait à Ivry “un tout petit appartement, un deux-pièces au 129 avenue Maurice Thorez”20,

faisant ainsi concorder son engagement affiché avec son mode de vie.

B. Ouvriérisme et mépris de la bourgeoisie

La valorisation du mode de vie ouvrier et l’exaltation des valeurs ouvrières évoquées par Ferrat

confinent dans certains cas à l’ouvriérisme, donnant lieu à un dénigrement des valeurs

bourgeoises et faisant état d’une supériorité morale des ouvriers vus comme les détenteurs de

vertus authentiques.

Le chanson “Le jour où je deviendrai gros”, tirée de l’album La Montagne (1965),

présente particulièrement les défauts que Ferrat impute à la bourgeoisie, notamment à travers

ce vers : “Plus s’agrandira ma bedaine, plus s’amoindrira mon cerveau”. Le confort matériel

20 BOYER, Jacques. Entretien réalisé le 31/07/19

Page 18: Entre drapeau rouge et drapeau tricolore : Jean Ferrat et ...

18

dont bénéficient les bourgeois (symbolisé ici, en des termes péjoratifs, par la “bedaine”) semble

leur ôter toute capacité de réflexion :

“Tous les soirs au café de France

Devant mon troisième pernod

A des notables d'importance

Je réciterai mon credo

Que je suis fier de notre France

De ses bourgeois et généraux”

La récitation du credo dénote une absence totale d’esprit critique, cette absence de réflexion ne

pouvant que conduire, dans la perspective de Ferrat, à la défense de l’armée et des possédants.

Ferrat, dans cette chanson comme dans “Les Noctambules”, présente sur le même album, va

jusqu’à prêter des caractéristiques physiques péjoratives aux bourgeois: “gras comme une figue”

dans “Le jour où je deviendrai gros”, ils ont dans “Les Noctambules” “le teint blafard”, “l’oeil

vitreux” et “les joues bouffies”. Ces noctambules fréquentent des lieux étrangers à la classe

ouvrière, “Saint -Tropez” ou encore “Saint-Paul de Vence”: Ferrat fait avec la mention de cette

ville écho à la chanson “Ma Môme” (chanson dans laquelle, justement, “on va pas à Saint-Paul

de Vence”), critiquant à travers ces noctambules le mode de vie des bourgeois, dont la

déliquescence physique reflète l’infériorité morale (alors que l’apparence physique de la

“môme” du monde ouvrier renvoie à “la Sainte Vierge des églises”). Le motif du gros bourgeois

est également repris dans “Berceuse pour un petit loupiot”, sur l’album de 1975 La femme est

l’avenir de l’homme, où Ferrat cite nommément de nombreux industriels (dénonçant ainsi

l’industrie pharmaceutique ou encore une affaire de talc empoisonné) qu’il est question d’

“engraisser” en procédant à l’achat de leurs produits. Ainsi, le déterminisme physique

caractérisant le bourgeois va pour Ferrat de pair avec une absence totale d’esprit raisonné.

Les tendances ouvriéristes de Ferrat culminent avec la chanson “Pauvres petis c…”,

extraite de l’album A Santiago en 1967, écrite quelques mois avant Mai 68, dans laquelle il

dresse un portrait à charge de la jeunesse bourgeoise gauchiste qui prétend “parler au nom de

la jeunesse ouvrière”. Si cette chanson précède Mai 68, elle fait néanmoins écho en tous points

Page 19: Entre drapeau rouge et drapeau tricolore : Jean Ferrat et ...

19

à la position initiale du PCF sur le mouvement étudiant gauchiste, n’allant pas sans évoquer

l’article publié par Georges Marchais, alors secrétaire à l’organisation du PCF, dans L’Humanité

du 3 mai 1968 intitulé “De faux révolutionnaires à démasquer”, dans lequel le secrétaire appelle

vivement à la méfiance envers ces “fils de grands bourgeois”. Ferrat qualifie quelques mois

avant cet appel la jeunesse gauchiste de “fils de bourgeois ordinaires”, dont les revendications

ne sont que des “colères” et “contorsions”, opposées selon lui aux luttes légitimes de la classe

ouvrière. Ferrat présente cette jeunesse bourgeoise gauchiste comme toute autant dangereuse

pour les ouvriers que la bourgeoisie traditionnelle :

“Si à la prochaine guerre

Le fait est certain

Qui se fera casser la gueule

Pour vos opinions

C'est encore nous ma parole

Pauvres petits c…”

Ferrat conclut ce texte en signalant à cette jeunesse gauchiste qu’ “il y a des places en usine”,

lui signifiant ainsi la méconnaissance totale qu’elle a des réalités du monde ouvrier et donc

l’illégitimité de ses revendications. Cette chanson témoigne d’une vision du monde qui se fait

par le prisme de la lutte des classes, la bourgeoisie, quelles que soient ses opinions et révoltes,

étant toujours une menace pour la classe ouvrière.

Plus de vingt ans après, sur l’album Dans la jungle ou dans le zoo en 1991, Ferrat chante

“Les jeunes imbéciles”, qui poursuit la dénonciation entamée dans “Pauvres petits c…” en

commentant l’évolution des soixante-huitards ayant selon lui “troqué leur col Mao pour une

tenue plus libérale”. Ferrat fait ici état de l’évolution inéluctable selon lui des jeunes bourgeois

passant des revendications maoïstes à la défense des valeurs bourgeoises, qui “pour établir la

justice s’en remettent à la charité”. Les anciens gauchistes sont avant tout pour Ferrat des

bourgeois qui, une fois leur jeunesse passée, préservent leurs privilèges :

“Le vieux slogan du père Guizot

Est devenu leur idéal

Nos soixante-huitards en colère

Page 20: Entre drapeau rouge et drapeau tricolore : Jean Ferrat et ...

20

Reprennent un refrain peu banal

C'est enrichissez-vous mes frères

En guise d'Internationale”

En faisant ainsi référence à Guizot, homme d’Etat de la Monarchie de Juillet, et à la formule

qui lui est prêtée et qui consacre son refus de l’élargissement du suffrage censitaire, Ferrat

replace ces “soixante-huitards en colère” dans une perspective historique qui les donne à voir

comme responsables, en tant que bourgeois, de l’oppression continue de la classe ouvrière, leurs

privilèges de classe primant sur les opinions qu’ils ont pu formuler en Mai 68.

C. « Je ne chante pas pour passer le temps » : la position d’artiste

engagé

Ferrat est toujours représenté comme un chanteur proche des classes ouvrières et

s’emploie à chanter leurs luttes comme leur mode de vie: cet engagement affiché l’amène

souvent à s’exprimer sur le lien tout comme sur l’existence ou non d’une contradiction entre sa

position de vedette du monde du spectacle et sa défense des classes populaires.

L’émission Seize millions de jeunes du 21 avril 196621 réalise un reportage sur la venue

de Ferrat, à l’occasion d’un festival, à Decazeville, ville minière dont le dernier puits vient de

fermer. Le journaliste réalise d’abord un micro-trottoir auprès du public du festival, avant

d’interviewer, devant un paysage industriel, des mineurs qui n’assistent pas tous au festival.

Les mineurs interviewés font état d’une opinion générale appréciative de Ferrat, saluant ses

“chansons réalistes” dépeignant la réalité. L’émission fait ensuite état du contraste existant

entre les mineurs et les jeunes spectateurs du festival quant à leur opinion sur des chansons

engagées de Ferrat et notamment “Potemkine”22: les jeunes sont montrés comme n’attachant

aucune importance au contenu de la chanson et ne le saisissant pas, ayant à son égard une

attitude plutôt méprisante. Les mineurs, en revanche, s’ils n’ont pas forcément la référence

21 Office national de radiodiffusion télévision française (1966). Jean Ferrat à Decazeville Seize millions de jeunes.

[vidéo] Disponible à: https://www.ina.fr/video/CPF86651487/jean-ferrat-a-decazeville-

video.html?fbclid=IwAR3XKLaBCOHrk_tLM6_JzzCE9wSrtFVciYD5L3KzSe4Hzbp6QTuESeU1M0g.

22 Ferrat, J. (1965). Potemkine. [CD] Barclay.

Page 21: Entre drapeau rouge et drapeau tricolore : Jean Ferrat et ...

21

historique de la chanson, semblent être plus réceptifs au message. L’un d’entre eux fait

réference à la révolution russe et déclare que la chanson “relate quelque chose”: “quand il fait

référence à ses “frères”, ses “amis” ses “camarades”, c’est vivant”.

Le journaliste leur demande ensuite s’il leur semble futile de faire des chansons pour traiter de

problèmes sociaux (en comparaison sous-entendue avec l’utilité concrète d’une grève ou d’un

mouvement social), mais les mineurs interrogés répondent que cela a son importance.

Ferrat est ensuite sommé de répondre à ce qui constitue pour le journaliste un paradoxe:

le chanteur n’a de cesse de chanter les classes populaires et est un artiste très apprécié par elles,

or ici la plupart des mineurs interviewés ne peuvent assister au festival car les places sont trop

chères pour eux, tandis que les jeunes plus aisés qui y assistent semblent indifférents au message

véhiculé. Ferrat répond que ce problème n’est pas de son fait, dénonçant les logiques capitalistes

à l’oeuvre dans le monde de la culture qui sont selon lui la cause de cette injustice.

Le journaliste parle ensuite à Ferrat de la méconnaissance dont font preuve la plupart

des interviewés à propos du sujet de Potemkine, chanson qui est pourtant un de ses plus grands

succès à l’époque. Ferrat crédite la forme musicale impressionnante de la chanson (dûe aux

arrangements du compositeur Alain Goraguer) et explique qu’il est nécessaire d’utiliser la

forme, les arrangements musicaux pour faire passer le message de fond. Cette idée est déjà

formulée dans “Nuit et Brouillard”, qui évoque le souvenir des camps de concentration, idée

contenue dans les derniers vers :

“Je twisterais les mots s’il fallait les twister

Pour qu’un jour les enfants sachent qui vous étiez”23

La référence au twist, genre musical en vogue au début des années 60, montre l’attachement de

Ferrat à faire passer à tout prix son message politique, convainquant à l’écoute par la forme

musicale.

Le fin du reportage sur la venue de Jean Ferrat à Decazeville entérine par le montage sa

position de chanteur engagé pour les classes populaires: en effet, la caméra montre les mineurs

regroupés dans une salle, réalisant un travelling sur l’assemblée et s’attardant ensuite sur les

23 Ferrat, J. (1963). Nuit et Brouillard. [CD] Barclay.

Page 22: Entre drapeau rouge et drapeau tricolore : Jean Ferrat et ...

22

visages individuels des mineurs, qui représentent à n’en pas douter, tant par leur habillement

que par leur apparence physique marquée, les classes laborieuses. Ces images sont montrées au

rythme de la chanson “Je ne chante pas pour passer le temps”, sortie en 1965 sur l’album

Potemkine dans laquelle Ferrat fait état de la nécessité qu’il ressent à s’engager pour la classe

ouvrière:

“Le monde ouvert à ma fenêtre

Que je referme ou non l’auvent

S’il continue de m’apparaître

Comment puis-je faire autrement?”

Plus loin dans la chanson, Ferrat fait une référence claire aux luttes du monde ouvrier en

mentionnant “l’odeur du pain et de la rose”, rendant ici hommage à la grève du même nom

organisée par des travailleurs immigrés aux Etats-Unis en 1912. L’engagement social en faveur

des classes ouvrières est donc pour Ferrat non pas une partie de son engagement mais en est

bien l’origine première.

II. L’engagement communiste local plutôt que

national

L’engagement “concret” de Ferrat, outre sa position d’artiste engagé, tire son origine de la

condition ouvrière et s’articule en trois strates : il porte un fort engagement syndical, n’ayant

en cela pas opéré de rupture entre son métier d’ouvrier et celui de chanteur. Il occupe

également des fonctions politiques concrètes pour le Parti Communiste mais essentiellement

au niveau municipal enfin, bien que plus réticent sur un engagement avec le PCF au niveau

national, il y est toutefois lié d’une certaine manière.

Page 23: Entre drapeau rouge et drapeau tricolore : Jean Ferrat et ...

23

A. L’engagement syndical inévitable

Le syndicalisme est chez Ferrat l’engagement le plus ardemment défendu en cela qu’il est

une évidence dans son parcours compte tenu de ses origines ouvrières, évidence résumée par

son producteur Gérard Meys : “il était syndicaliste quand il travaillait dans une petite usine, et

tout naturellement quand il a choisi ce métier il est rentré au Syndicat Français des Artistes”24.

Cette continuité de l’engagement syndical s’explique par plusieurs facteurs: d’abord un facteur

lié au parcours personnel de Ferrat mais également une vision du métier de chanteur, envisagé

d’une certaine façon comme un métier comme un autre avec les mêmes exigences.

Ferrat, après de courtes études professionnelles, s’est en effet dirigé vers la vie active par

nécessité économique à seize ans. Dans l’émission Radioscopie du 6 mai 1969, il témoigne

avoir été “obligé de s’interrompre” dans ses études pour cela, et s’être dirigé vers la voie du

travail en laboratoire non pas par appétence mais par hasard: “comme il fallait que je fasse

quelque chose, j’ai fait n’importe quoi”. Ferrat souligne ici le poids de la nécessité économique

déterminante pour les membres de la classe ouvrière dont il fait partie à l’époque, le

syndicalisme n’étant par conséquence pas tant un choix politique qu’une stratégie de défense

face au pouvoir patronal.

Cet engagement syndical continu est également révélateur du regard porté par Ferrat sur la

nature de son métier d’artiste, qui n’est pas envisagé en rupture avec son métier ouvrier. En

effet, les témoignages s’accordent à dire que Ferrat, contrairement à d’autres auteurs-

compositeurs-interprètes, n’envisage pas la création musicale comme un acte spontané et inné

mais bien comme un métier nécessitant un certain temps de travail. Ainsi, Michèle Saussac

(veuve de l’ancien maire d’Antraigues-sur-Volane et ami de Ferrat, Jean Saussac, responsable

de la venue de nombreux artistes français des années 1960 dans le village), dépeint Ferrat

comme “quelqu’un qui s’enfermait et qui travaillait beaucoup”, opposant son style de création

à celui de Jacques Brel qui “se mettait directement à composer” sur une inspiration, concluant

que “ce n’était pas du tout le même genre de personnage”25

24 MEYS Gérard. Entretien réalisé le 24/04/19 25 SAUSSAC Michèle. Entretien réalisé le 29/07/19

Page 24: Entre drapeau rouge et drapeau tricolore : Jean Ferrat et ...

24

L’engagement de Ferrat dans les syndicats d’artistes fait aussi sans nul doute écho à ses débuts

laborieux dans la chanson, à partir du début des années 50 et jusqu’à ce qu’il rencontre le succès

avec Deux enfants au soleil. Il évoque ses débuts dans Radioscopie de Jacques Chancel,

précisant que, s’il a enregistré son premier album studio en 1961, il s’est écoulé sept ans entre

ses débuts dans le métier en 1954 et ses premiers succès, période relativement longue, durant

laquelle il dit avoir chanté où il pouvait, “dans les endroits qui voulaient bien accueillir des gens

qui n’enregistraient pas”. Ces débuts particulièrements précaires contribuent à expliquer son

exigence de protection sociale qui passe par le syndicalisme, exigence qu’il maintient au faîte

de son succès commercial, comme l’explique Gérard Meys.

“Il a toujours eu des problèmes à la TV et à la radio parce que beaucoup de ses confrères,

tous contents de passer à la TV ou à la radio, passaient gracieusement. Ferrat n’y est jamais

passé gracieusement quand il chantait, je ne parle pas d’interviews. Il demandait toujours un

cachet pour lui et ses musiciens évidemment, à tel point que lorsqu’il a fait la Fête de l’Huma,

RTL était venu et avait mis des micros pour diffuser les passages de Ferrat, il a refusé s’il ne

touchait pas de cachet pour la diffusion à RTL. Donc c’était vraiment la fête de l’Huma, il ne

pouvait pas avoir plus, mais il a dit « vous enlevez les micros si vousne me faites pas signer

pour avoir un cachet syndical ». C’était pas le montant qui était important, c’était le cachet, la

protection sociale”.

Ces anecdotes viennent encore éclairer la perception qu’a Jean Ferrat de l’activité de

chanteur, ne séparant pas le travail artistique du travail en général: un travail fourni, notamment

une prestation musicale télévisée, mérite en échange un salaire, et ce qu’importe la nature

artistique du travail en question. Dans un article qu’il rédige dans le Monde diplomatique de

Mai 2004, “Chanson française et diversité culturelle”, Ferrat s’alarme des conditions de travail

des artistes, “retrouvant ainsi dans les conditions d’exercice de leur métier, la situation du dix-

neuvième siècle”, tirant ainsi la sonnette d’alarme à propos du manque total de protection

syndicale dont ceux-ci sont victimes.

Les prises de position publiques de Ferrat sur des sujets de politique concrète, à propos

desquels il prend une position claire et détaillée tout en demandant des mesures précises, ne

concernent pas une variété de domaines mais seulement le domaine du spectacle. Ainsi, tout au

long de sa carrière, il n’hésite pas à participer à des actions collectives publiques avec le

Page 25: Entre drapeau rouge et drapeau tricolore : Jean Ferrat et ...

25

Syndicat Français des Artistes, tout particulièrement en Mai 1968 (mouvement dont il fustige

les gauchistes et les maoïstes mais soutient les revendications ouvrières) lorsqu’il prend part

aux Etats généraux de la chanson, qui se tiennent dans la salle de concert parisienne de Bobino,

auxquels participent de nombreux interprètes eux aussi compagnons de route du PCF

(notamment Yves Montand, Juliette Gréco mais aussi Isabelle Aubret et Francesca Solleville).

La restructuration de l’industrie du spectacle est demandée, afin d’accorder plus de droits aux

artistes ainsi que pour garantir la survie des petites salles de concert.

L’engagement de Ferrat dans ces actions concrètes l’amène à faire état d’une forme de

solidarité syndicale entre artistes, notamment à l’égard de ceux qui sont mis à l’écart du système

de diffusion par l’audiovisuel national. Ainsi, c’est Ferrat qui a usé de sa notoriété pour

“imposer à la télévision” la chanteuse Francesca Solleville26, de même sensibilité politique que

Ferrat mais qui était, elle, encartée au PCF.

B. L’engagement local et les responsabilités politiques

L’action politique “concrète” de Ferrat ne se limite toutefois pas aux seules actions syndicales

dans le domaine du spectacle: il se rapproche également, toujours à une échelle relativement

réduite, du Parti Communiste dans les municipalités.

D’abord, en dehors de la capitale dont il est originaire, les deux municipalités dans lesquelles

Ferrat a successivement choisi de s’installer sont des communes qui, bien qu’opposées en tous

points, ont pour point commun d’être gérées par une mairie communiste. Outre cette

caractéristique partagée, Ivry-sur-Seine et Antraigues-sur-Volane ne sauraient être comparées,

puisque l’une, forte de ses 60 000 habitants, représente la banlieue rouge par excellence et la

modernité des villes ouvrières du vingtième siècle, tandis que l’autre est une commune de 500

habitants dans l’un des départements les plus ruraux du pays. De fait, le dénominateur commun

que représente la municipalité communiste ne saurait être ignoré dans l’analyse des raisons

ayant poussé Ferrat à résider successivement dans ces deux localités. Il ne convient pas toutefois

de mépriser le rôle des relations interpersonnelles, notamment avec Jean Saussac, maire PCF

d’Antraigues-sur-Volane, dont la rencontre fut déterminante pour le déménagement de Ferrat.

26 SOLLEVILLE Francesca. Entretien réalisé le 29/07/19

Page 26: Entre drapeau rouge et drapeau tricolore : Jean Ferrat et ...

26

Ferrat ne s’est toutefois pas contenté de résider dans ces municipalités, puisqu’il y a occupé

des fonctions officielles. Ainsi, à Ivry, il est nommé président d’honneur, en raison de sa

célébrité en tant qu’artiste et de son engagement, de l’Office pour la jeunesse [REF

BELLANGER]. Si cet engagement reste plutôt honorifique, c’est à Antraigues-sur-Volane que

Ferrat prend des responsabilités locales concrètes, puisqu’il exerce pendant six ans, durant le

deuxième mandat de Jean Saussac (de 1971 à 1977) la fonction d’adjoint au maire. Il se

chargeait non pas d’un domaine particulier mais de la gestion des affaires courantes ainsi que

des questions de financement SOURCE MICHELE SAUSSAC, faisant preuve là encore d’un

engagement plutôt tourné vers le concret et ancré dans une perspective quotidienne plutôt

qu’une prise de position intellectuelle. Cette préférence pour l’engagement local et concret

permet d’expliciter sa position plus réservée quant à l’engagement au niveau national.

C. Les « relations avec les communistes » au niveau national

L’engagement de Ferrat auprès du Parti Communiste a cela de particulier qu’il mélange

les caractéristiques du compagnon de route et du militant “de base”, opérant entre les deux une

sorte de synthèse. Son engagement envers le PCF est en effet profondément affectif et il fait

preuve d’un attachement symbolique au Parti. Cela ne l'empêche pas d’entretenir des contacts

avec des membres très haut placés du PCF, cependant ces relations ne sont ni primordiales par

rapport à son engagement global ni toujours détendues. Ferrat préfère aux relations avec

l’organe politique communiste les relations avec les organes culturels du Parti.

C’est principalement via des actions inhérentes à son métier que Ferrat témoigne d’un

lien avec le Parti plus large que le lien local. Ainsi, Jacques Boyer, ancien chanteur de cabaret

et ami de longue date ayant vécu aux côtés de Ferrat depuis les années 1960, témoigne de la

participation de celui-ci aux spectacles organisés par l’organisme Loisirs et vacances de la

jeunesse, qui s’occupait d’organiser des spectacles dans les municipalités communistes. Boyer

signale aussi la réalisation de nombreux galas visant à récolter des fonds pour le Parti METTRE

REF

Page 27: Entre drapeau rouge et drapeau tricolore : Jean Ferrat et ...

27

De même, Ferrat fait preuve d’un attachement sans faille envers le festival musical

communiste qu’est la Fête de l’Huma, qu’il choisit pour sa dernière apparition publique sur

scène en 2005. Comme en témoignent les militants communistes ardéchois, Ferrat entretenait

également de bonnes relations avec Roland Leroy, qui fut pendant vingt ans, de 1974 à 1994,

directeur du quotidien L’humanité.

Cependant, Ferrat n’est jamais vraiment proche du bureau politique du Parti, déclarant

lors d’une interview pour la revue Rouge (la publication de la Ligue Communiste

Révolutionnaire): “je n’avais pas de relations avec le Parti, j’avais des relations avec les

communistes”27. De fait, son engagement dans des fonctions politiques auprès du PCF se fait

par des personnalités, notamment Jean Saussac, et ses relations avec le parti dépendent

vivement des personnalités qui y officient. Ainsi, Ferrat n’a semble-t-il jamais été proche de

Georges Marchais, de nombreux éléments corroborant cette distance. Ainsi, Jacques Boyer, s’il

insiste sur le fait que Ferrat ait “toujours eu des contacts” avec le Parti,précise toutefois qu’

“avec Marchais, un peu moins” et les militants PCF ardéchois confirment les “accrocs” entre

Ferrat et Marchais

Chapitre 2 – L’idéal communiste mondial

en application

27 Naoufel, J., Volson, Favières, L. (2001). « Jean Ferrat : Au Pays d'Aragon. » Rouge [en ligne], disponible à :

https://npa2009.org/content/jean-ferrat-au-pays-d%E2%80%99aragon-interview-de-

2001?fbclid=IwAR2U7PivGEdmgtzJPE9yRNTAeKD-VFBywYpQnvfxcUE0uMSjNz5ECCmpBdc

Page 28: Entre drapeau rouge et drapeau tricolore : Jean Ferrat et ...

28

I. Les combats internationaux propres à la

culture communiste

Ferrat s’attache donc à chanter une gauche transnationale en rendant hommage à ses

combats historiques, glorifiant l’action concertée collective et en adoptant une position,

toujours dans une perspective communiste internationale, anticolonialiste et antimilitariste. Ce

sont ces prises de position en particulier qui lui valent de nombreux démêlés avec la censure,

puisqu’il se place dans la lignée des artistes et intellectuels communistes engagés dans une

perspective mondiale et non plus dans la seule défense du monde ouvrier.

A. Forger une mémoire de la gauche mondiale

La position développée par Ferrat de chanteur du monde ouvrier ne se limite ni à une simple

glorification de ses valeurs ni à un engagement communiste personnel : en effet, ce statut

l’amène à représenter une certaine histoire de la gauche et de ses luttes au vingtième siècle. Les

différentes luttes chantées prennent place dans des contextes nationaux et politiques très

différents, tant entre eux que du contexte français. Toutefois, elles rencontrent un fort écho étant

donné qu’elles mobilisent des valeurs et des récits qui sont universels puisqu’étant liés au

communisme.

L'élément historique le plus souvent convoqué par Jean Ferrat est la guerre civile

espagnole. Cette guerre, avant que Ferrat ne la chante, a déjà une portée culturelle, politique et

sociale hors norme notamment dans le monde intellectuel (la production artistique autour de

cette guerre, avec les oeuvres d’Hemingway, Orwell, Malraux ou les tableaux de Picasso,

l’ayant déjà ancrée dans l’imaginaire collectif international et français) ainsi que dans les

milieux de gauche en général. Elle recouvre un sens tout particulier pour le PCF en raison de

certains de ses aspects. D’abord, elle survient à la suite d’un coup d’Etat contre le Frente

popular, gouvernement dont faisait partie le Parti Communiste Espagnol. De plus, cette guerre

voit surgir dans les territoires républicains des tentatives d’organisation suivant le modèle

communiste: en effet, sont mises en pratique saisies des entreprises et des biens ecclésiastiques

et collectivisations des terres agricoles, représentant ici une certaine concrétisation de l’idéal

communiste. Surtout, la guerre d’Espagne acquiert un statut de mythe politique transnational

pendant son déroulement même en raison de l’engagement des Brigades internationales dans le

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29

camp républicain, amenant ainsi des milliers de volontaires étrangers à se faire témoins et

acteurs de la lutte pour une cause politique

Toutefois, le souvenir que conserve dans les années 1960 la gauche française et

notamment le PCF est un souvenir meurtri, cette guerre civile s’achevant avec la victoire du

camp nationaliste. Le régime dictatorial franquiste instauré par la suite est toujours en place au

début des années 1960, période durant laquelle Ferrat chante à plusieurs occasions la guerre

d’Espagne et son souvenir traumatique. L’Espagne anti-franquiste est symbolisée par la

figure du poète Federico García Lorca, poète d’avant-garde engagé dans l’anti-fascisme, qui

fut sommairement exécuté par les milices franquistes dès l’été 1936. Lorca est ici mobilisé de

manière symbolique, montrant le coup d’arrêt brutal et inhumain que les franquistes assènent

aux idéaux communistes et républicains espagnols: dès 1961, sur son premier album Deux

enfants au soleil, Ferrat chante “Federico Garcia Lorca” :

“Voilà plus de vingt ans, Camarades

Que la nuit règne sur Grenade.

Il n'y a plus de prince dans la ville

Pour rêver tout haut

Depuis le jour où la guardia civil

T'a mis au cachot.”

Il y témoigne de son dégoût du franquisme, blamant la police espagnole qui en est l’alliée,

montrant que celui-ci a fait tomber “la nuit” sur l’étincelle révolutionnaire espérée. S’étant

auparavant dans la chanson attaché à décrire de manière lyrique la beauté des paysages

espagnols, Ferrat montre le franquisme comme meurtrissant un pays tout entier. Ce souvenir

traumatique est également chanté dans la chanson Maria, tirée de l’album éponyme de 1967,

narrant l’histoire de la protagoniste ayant perdu ses deux fils, chacun appartenant à des camps

opposés de la guerre civile. Il n’y a pas dans cette chanson de trace de soutien au camp

républicain, puisqu’elle vise avant tout à dépeindre les atrocités commises par la Guerre civile :

cependant, cet épisode historique ayant mobilisé avant tout, au niveau international, la gauche

et les communistes, c’est bien la mémoire de leurs luttes qui est ici convoquée par Ferrat.

La chanson “Potemkine”, écrite par Georges Coulonges pour Ferrat et qui figure sur

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l’album éponyme de 1965, se réfère elle aussi à un évènement politique national étranger à la

France : la révolte des marins à bord du cuirassé Potemkine lors de la Révolution russe de 1905

contre le pouvoir tsariste. Tout comme avec la guerre d’Espagne, Ferrat chante ici un évènement

historique déjà très solidement ancré dans la culture communiste, puisqu’il est l’objet du très

célèbre film de propagande soviétique réalisé par Serguei Eisenstein Le Cuirassé Potemkine

(1925). Encore une fois, si Ferrat s’attache à décrire uniquement une situation limitée dans

l’espace et dans le temps, que son public n’a pas vécu, il contribue à écrire et consolider

l’histoire d’une gauche internationale, en faisant encore une fois appel à des valeurs partagées

par les communistes: “M’en voudrez- vous beaucoup si je vous dis un monde où l’on n’ est pas

toujours du côté du plus fort”.

B. Censures et soutiens des intellectuels

“Potemkine” est du reste, à l’instar de plusieurs autres chansons de Ferrat, victime de censure

de la part de l’ORTF en raison de son parti pris communiste. Invité dans l’émission d’Albert

Raisner, Age tendre et têtes de bois, la production signifie à Ferrat, qui avait choisi pour son

passage de chanter “Potemkine”, qu’il doit changer de chanson. Cette censure génère une

mobilisation des compagnons de route et suscite une pétition contre l’interdiction de

“Potemkine”, signée entre autres par les couples Aragon-Triolet et Montand-Signoret ou encore

par le jeune réalisateur Jean-Luc Godard28.

Les démêlés de Ferrat avec la censure télévisuelle le placent ainsi à certains moments

au centre des discussions du monde intellectuel communiste alors qu’il s’en tient d’habitude à

une certaine distance, préférant la proximité du monde ouvrier et populaire. En 1969, Ferrat est

en effet de nouveau victime de censure télévisuelle, venant cette fois d’André François,

directeur général de la télévision à l’ORTF. Cette censure intervient après le passage de Ferrat

dans l’émission L’invité du dimanche de Claude Otzenberger du 16 mars 1969. Ferrat y est

entouré notamment de deux anarchistes, l’écrivain Jean-Pierre Chabrol et le chanteur Georges

Brassens. Ferrat et Brassens s’y livrent à un dialogue sur l’engagement et le rôle de l’art:

Brassens défend l’individualisme et le refus de l’action groupée, tandis que Ferrat prône l’action

collective, dans la droite ligne de ses positions communistes. Or, comme le remarque la

28 MEYS Gérard

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31

chanteuse Francesca Solleville, être encarté au PCF ou, comme dans le cas de Ferrat, en être

considéré trop proche rend à l’époque quasiment impossible de passer à la télévision: “même

être anarchiste c’était juste être de gauche, mais avoir sa carte c’était beaucoup plus sérieux”

du point de vue de l’ORTF. Ainsi, les prises de position anarchistes de Brassens ne sont ici pas

censurées, tandis qu’André François déclare: “Que Ferrat chante, d’accord, mais surtout qu’il

ne parle pas!”. Les artistes associés à la nébuleuse communiste sont en effet considérés avec

une méfiance extrême de la part des autorités audiovisuelles, qui sont relativement plus

tolérantes avec le reste de la gauche du moment que celle-ci ne soit pas communiste.

Ce constat amène donc, comme quatre ans avant avec la censure de “Potemkine”, une réaction

de la part du monde intellectuel communiste qui fait de Ferrat l’exemple d’un climat culturel

autoritaire qui porte atteinte à la liberté d’expression. Les Lettres françaises, publication phare

des intellectuels communistes, met en lumière cette affaire en publiant une tribune écrite par

Ferrat et l’hebdomadaire L’Humanité-Dimanche dénonce à propos de cette affaire l’existence

d’un “Maccarthysme à l’ORTF”29. Ces réactions contribuent à placer Ferrat dans le cercle des

artistes et intellectuels communistes non seulement français mais internationaux.

Ses chansons et prises de position qui lui ont valu une censure ne sont pas celles qui l’affilient

au monde ouvrier mais bien celles qui, parce qu’elles chantent l’histoire et la culture

communiste mondiale (“Potemkine”) ou glorifient l’action collective, donnent à voir Ferrat non

pas comme simple chanteur populaire mais bien comme artiste communiste.

C. Anticolonialisme et antimilitarisme

Lorsqu’il s’emploie à chanter les luttes des populations opprimées dans les pays étrangers,

Ferrat fait état d’un ennemi désigné, l’armée: deux chansons présentes sur La femme est

l’avenir de l’homme (1975), “Un air de liberté” et “Le Bruit des bottes”, montrent les dangers

que celle-ci fait courir aux valeurs communistes. Cet antimilitarisme est chez Ferrat à mettre

dans le contexte d’abord de l’oppression coloniale ainsi que dans celui des instaurations de

juntes militaires en Amérique Latine

29 BELLERET P279

Page 32: Entre drapeau rouge et drapeau tricolore : Jean Ferrat et ...

32

L’oppression coloniale française est chez Ferrat principalement dépeinte dans le cadre des

guerres d’Indochine. Ainsi, “Un air de liberté” exprime la vision communiste sur la prise de

Saïgon par les Khmers rouges en 1975, le camp communiste gagnant ainsi la guerre du Vietnam.

Ferrat écrit cette chanson en réaction à un éditorial de Jean d’Ormesson, alors rédacteur en chef

du Figaro, dans le quotidien daté du 2 mai 1975, dans lequel il s’alarmait des conséquences de

cette défaite du camp occidental. Ferrat, jugeant cette prise de position inacceptable, lui répond

en se plaçant du côté des colonisés, assimilant Jean d’Ormesson, en tant que représentant d’un

journal bourgeois, aux crimes perpétrés par la police et l’armée coloniale :

“Allongés sur les rails nous arrêtions les trains

Pour vous et vos pareils nous étions la vermine

Sur qui vos policiers pouvaient taper sans frein

Mais les rues résonnaient de paix en Indochine

Nous disions que la guerre était perdue d'avance

Et cent mille Français allaient mourir en vain

Contre un peuple luttant pour son indépendance

Oui vous avez un peu de ce sang sur les mains”

L’anticolonialisme de Ferrat est profondément ancré dans l’idée de lutte des classes. En effet,

son soutien au Vietnam face à la puissance coloniale n’est pas dû uniquement à l’obédience

communiste du régime en passe d’être installé, mais visiblement à la victoire de la classe

opprimée sur ses oppresseurs. La chanson oppose ainsi tout un “peuple luttant pour son

indépendance”, pacifiste et pourtant considéré comme de la “vermine”, à la puissance des

classes dominantes coloniales, desquelles D’Ormesson est, pour Ferrat, complice. Ferrat, à la

suite de cette chanson, a de nouveau maille à partir avec la censure télévisuelle de manière

toutefois moins directe qu’au temps de l’ORTF: le chanteur fait l’objet d’une émission spéciale

de Jacques Chancel sur Antenne 2. Jean D’Ormesson, comme le rapporte Gérard Meys,

téléphone à la direction d’Antenne 2, menaçant la chaîne d’un procès en diffamation si “Un air

de liberté” est diffusé: la chanson est donc coupée au montage.

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33

Le Vietnam n’est pas le seul pays anciennement colonisé dont Ferrat chante les sacrifices pour

l’indépendance: dans “Le Bruit des Bottes”, sur le même album, il dénonce également les

exactions commises par l’armée française en Algérie “à coup d’interrogatoires [...], de

plongeons dans la baignoire, de gégéne et de tison”. L’Algérie n’est pas mentionnée

nommément, mais le terme “gégéne” ne laisse pas de place au doute: s’il est d’abord utilisé par

l’armée française en Indochine contre les mouvements nationalistes, sa systématisation a lieu

pendant la guerre d’Algérie et c’est à ce moment là que ce terme d’argot militaire devient connu

des citoyens français.

Ferrat faisait déjà part de son opinion sur la guerre d’Indochine en 1967 dans la chanson

“Pauvre Boris”, extraite de l’album Maria, dans laquelle il saluait l’engagement de l’écrivain et

chanteur Boris Vian, qui écrivait “Le Déserteur” en opposition à cette guerre, alors que “voilà

quinze ans qu’en Indochine la France se déshonorait”. Etant donnée la répétition de cette prise

de position ainsi que la virulence et la rapidité de sa réaction à l’éditorial d’Ormesson, il semble

paradoxal que Ferrat n’use pas des mêmes armes pour dénoncer la guerre d’Algérie dans les

années 1960 et qu’il n’y fasse référence que treize ans après les accords d’Evian. Ce paradoxe

fait écho à la position du PCF sur la question, explicitée par Marc Lazar par “l’oscillation entre

ses positions communistes et son sentiment républicain”. Ainsi, la différence de position du

PCF quant à l’Algérie et à l’Indochine s’explique par la présence claire en Indochine, en face

de la France coloniale, d’un parti communiste, ce qui n’est pas le cas en Algérie.

L’engagement international antimilitariste de Ferrat est exacerbé dans les années 1970,

par les coups d’Etat portant des militaires au pouvoir en Amérique Latine. Le coup d’Etat

chilien du 11 septembre 1973, le suicide de Salvador Allende qui recherchait une “voie

chilienne vers le socialisme” et l’instauration de la dictature militaire de Pinochet ébranlent

particulièrement la nébuleuse communiste française ainsi que plus largement toute la gauche

du pays. Si la chanson “Le Bruit des bottes” dresse une liste des exactions commises par l’armée

dans différents contextes et des raisons pour lesquelles elle pourrait les commettre (délit de

solidarité, syndicalisme et communisme, engagement intellectuel, sexualité…), la dictature

chilienne est le fil rouge de cette dénonciation:

“Quand un Pinochet rapplique

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C'est toujours en général

Pour sauver la République

Pour sauver l'Ordre moral

On sait comment ils opèrent

Pour transformer les esprits

Les citoyens bien pépères

En citoyens vert-de-gris”

Pinochet symbolise ici tout ce que l’armée a de pire pour Ferrat : des valeurs de droite catholique

bourgeoise résumées par l’idée d’ “ordre moral”, la militarisation de la société (résumée par

l’antithèse “citoyens verts-de-gris qui transforme les civils en soldats). Surtout, le supplice et

l’assassinat du chanteur populaire et communiste Victor Jara, qui participa en même temps que

Ferrat à Cuba à un festival de chansons engagées semble par sa barbarie avoir particulièrement

marqué Ferrat, puisque le dernier couplet se termine sur ces paroles: “A moins qu’avec un

hachoir ils me coupent les dix doigts pour m’apprendre la guitare, comme ils l’ont fait à Jara”.

II. L’idéal communiste s’éloigne de ses bases

territoriales

III.

A. « Le Bilan » de l’URSS

Si l’idéal communiste est par essence international, Ferrat appartient à la génération de

compagnons de route qui survient après l’écrasement par les forces soviétiques de l’insurrection

de Budapest en 1956: sans se placer en opposition directe à l’URSS et ne la critiquement

frontalement qu’à des moments bien précis (par exemple l’écrasement du Printemps de Prague

en 1968), le pays n’est plus à leurs yeux en mesure de représenter l’idéal communiste. Ferrat,

comme la plupart des compagnons de route tourne alors son regard vers Cuba dont le projet

politique le fascine et qu’il montre comme nouvelle terre de l’idéal communiste. Enfin, apparaît

Page 35: Entre drapeau rouge et drapeau tricolore : Jean Ferrat et ...

35

avec la chute de l’URSS une déterritorialisation de cet idéal, qui perdure encore pour Ferrat

mais n’est plus rattaché à un lieu concret.

Dans Je ne chante pas pour passer le temps, sortie en 1965 sur l’album Potemkine, Ferrat

reprend la figure de Garcia Lorca comme symbole d’un idéal révolutionnaire brisé, or cette fois

il y accole la figure du poète russe Vladimir Maiakovski :

« de Lorca à Maiakovski / des poètes qu’on assassine / ou qui se tuent pour quoi pour qui »

Or, Lorca personnifie pour Ferrat les victimes du franquisme et ,dans la lecture que fait la

gauche française de la guerre civile espagnole, personnifie également le camp du « bien »

annihilé par le camp du « mal » : l’assassinat de Lorca fait donc office de métonymie pour

désigner toutes les fautes d’un Etat répressif. Par analogie, la mort de Maiakovski, qui s’est

pourtant suicidé, n’est plus montrée comme un acte individuel mais comme la conséquence de

crimes commis par l’Etat et de l’écrasement d’un idéal par cet Etat : comme le franquisme a

écrasé l’idéal de la gauche espagnole et des Brigades internationales, l’Etat soviétique a écrasé

l’idéal de la révolution de 1917. La figure de Maiakovski symbolise en elle-même les

désillusions et le décalage entre l’idéal communiste et l’URSS telle qu’elle est : le poète était

en effet très enthousiaste quant à la révolution de 1917 au point d’en être un des poètes phares

et entretint des liens avec diverses institutions soviétiques. Par la suite, il fit état de son

désenchantement dans plusieurs œuvres jusqu’à sa mort en 1930. Le suicide, acte par essence

individualiste, parachève ainsi l’idée d’une forte désillusion vis-à-vis de l’URSS : Ferrat, en

demandant « pour quoi pour qui » Maiakovski s’est tué, semble pointer directement la

responsabilité de l’URSS, qui, si elle n’est pas commanditaire de ce suicide, en est

indubitablement la cause puisqu’elle aurait trahi l’idéal de 1917.

Ferrat, n’ayant pourtant jamais fait preuve de réelle hostilité à l’égard de l’URSS, refuse d’y

effectuer des tournées, à la différence d’autres artistes de son obédience politique comme

Isabelle Aubret. Gérard Meys explique simplement ce refus par les conditions établies par

l’Agence Littéraire et Artistique Parisienne (A.L.A.P.), organisme qui régit les échanges

culturels entre la France et l’URSS, faisant à la fois venir la culture russe en France et organisant

les tournées des artistes français dans l’URSS et les démocraties populaires. Meys explique que

“quand il y a eu une demande pour l’URSS, ils ont demandé les textes des chansons, que Ferrat

a refusé de donner. S’il refusait de donner les textes en France, il n’allait pas donner les textes

pour l’URSS, donc il y a eu un problème de censure aussi dans ces pays”. Le chanteur ayant

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vivement lutté, en France, contre la censure, celle opérée en URSS va également à l’encontre

de ses principes: l’URSS ne saurait donc représenter l’idéal communiste.

La position de Ferrat vis-à-vis de l’URSS évolue au long de sa carrière, celle-ci étant de plus

en plus associée à la répression qu’elle exerce sur les peuples. Le chanteur rejoint en cela non

plus la ligne du PCF mais l’orientation de la plupart des artistes et intellectuels compagnons de

route, qui considèrent de plus en plus l’URSS comme un Etat autoritaire trahissant les idéaux

communistes. Deux chansons de Ferrat expriment une vive critique de l’URSS: “Camarade”

et “Le Bilan”.

“Camarade”, tirée de l’album éponyme en 1969, dénonce la répression du Printemps de Prague

par les forces armées soviétiques. Le Printemps de Prague représente en effet, encore plus que

l’insurrection de Budapest en 1956, un moment charnière de la relation entre les artistes et

intellectuels communistes français et l’URSS, ces derniers commençant à s’en détourner

largement, Ferrat n’étant pas en reste. Aragon, pourtant figure morale dominante et incontestée

du PCF, parle du printemps de Prague comme d’un “Biafra de l’esprit” (REF BAS DE PAGE

230 DOSSE II). Comme le souligne Lazar, Prague représente la première et unique action

internationale où le PCF ne cherche pas à défendre une action de l’URSS en matière de politique

internationale. Cependant, le Parti approuve par la suite la politique répressive de

“normalisation” que l’URSS applique en Tchécoslovaquie. Cette dissonance entre le PCF, qui

malgré la condamnation de l’action militaire soviétique reste dans le giron de l’URSS et les

intellectuels communistes est symbolisée par la dégradation des relations entre celui-ci et Les

Lettres françaises. La revue intellectuelle ayant en effet développé des liens de forte intensité

(VOIR DOSSE P230) avec les intellectuels tchèques, le PCF souhaite couper court à cette prise

d’autonomie: il finit par liquider la revue pour raisons financières en 1972.

De nombreux artistes et intellectuels ne se contentent pas, après Prague, de se distancer du

Parti mais connaissent également une déstabilisation de leur idéal communiste dans sa globalité,

certains comme Yves Montand allant jusqu’à mettre fin au compagnonnage avec le Parti.

D’autres, comme Francesca Solleville, s’ils ne renient pas leurs idéaux communistes, cessent

temporairement d’adhérer au Parti: la chanteuse affirme un engagement affectif très fort au Parti

puisqu’elle se revendique communiste depuis ses douze ans et prend sa carte au Parti dès lors

que son age l’y autorise. Dès lors, le fait de suspendre un temps son adhésion au Parti est un

geste symbolique extrêmement fort témoignant d’un bouleversement de l’idéal.

Page 37: Entre drapeau rouge et drapeau tricolore : Jean Ferrat et ...

37

Ferrat, dans “Camarade”, commence par chanter la beauté de l’idéal communiste, avant d’y

opposer l’intervention soviétique à Prague :

“C'est un nom terrible Camarade

C'est un nom terrible à dire

Quand le temps d'une mascarade

Il ne fait plus que frémir

Que venez-vous faire Camarade ?

Que venez-vous faire ici ?

Ce fut à cinq heures dans Prague

Que le mois d'août s'obscurcit

Camarade, Camarade”

Ferrat ne chante pas dans “Camarade” la mort de l’idéal communiste puisque dans le dernier

couplet il convoque des références lyriques au communisme (“cent fleurs du mois de

mai”,”cerise et grenade”), souhaitant enfin que cet idéal “revive à jamais”. Cependant, la

chanson dépeint le coup porté à l’idéal et la déstabilisation de celui-ci puisque que le terme

“camarade” évoque désormais la terreur. Ce n’est pas le communisme qui est incriminé ici mais

bien sa “mascarade” représentée par l’URSS: le Printemps de Prague achève, pour Ferrat

comme pour la plupart des compagnons de route, de discréditer non pas l’idéal communiste

mais l’URSS comme sa représentation concrète.

Onze ans plus tard, sa chanson “Le Bilan”, présente sur l’album Ferrat 80, adresse une critique

plus générale des crimes de l’URSS, répondant ainsi aux propos de Georges Marchais, alors

secrétaire national du PCF, concernant le “bilan globalement positif” des pays socialistes. En

1980, date de sortie de cette chanson, la rupture entre le Parti et la plupart de ses compagnons

de route en ce qui concerne la vision de l’URSS est consommée. En effet, le PCF de Marchais

au début des années 1980 défend toute la politique étrangère de l’URSS, témoignant comme

le formule Lazar de “son attachement fondamental à l’Union Soviétique”, attachement

beaucoup plus fort au PCF que chez les autres partis communistes d’Europe de l’Ouest quand

bien même plusieurs événements, et notamment la publication par Soljenitsyne de L’Archipel

du goulag, achèvent de jeter un discrédit sur le pouvoir soviétique.

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38

Dans cette chanson, Ferrat dresse avec amertume la liste des crimes de l’URSS, dénonçant les

“staliniens zélés” ayant bafoué le communisme. Il les oppose à d’autres hommes politiques

communistes des pays de l’Est ayant été accusés de diverses conspirations, condamnés et pour

certains exécutés :

“Vous aviez combattu partout la bête immonde

Des brigades d'Espagne à celles des maquis

Votre jeunesse était l'Histoire de ce monde

Vous aviez nom Kostov ou London ou Slansky”

Ces trois hommes politiques ne sont pas des opposants aux régimes mis en places dans leurs

pays respectifs (la Bulgarie pour Kostov et la Tchécoslovaquie pour London et Slansky) mais

des hommes d’Etat occupant de hautes fonctions, Slansky et Kostov ayant été dirigeants du

Parti Communiste dans leurs pays et London ministre des Affaires étrangères. Ils ont par ailleurs

eux-mêmes pris une part active à la politique stalinienne en vigueur dans les démocraties

populaires: ainsi, Slansky est l’un des protagonistes du Coup de Prague qui porte les staliniens

au pouvoir en Tchécoslovaquie en 1948 Kostov, lui, contribua notamment à l’épuration

judiciaire par les tribunaux populaires bulgares après la Seconde Guerre mondiale. Cependant,

leur trajectoire comporte également des caractères signes d’exemplarité pour les communistes

étant donné que tous les trois furent soit engagés dans les Brigades internationales soit dans la

Résistance nationale contre l’occupation nazie. Ces deux engagements, dans la lecture

communiste (et plus largement de gauche), constitue un engagement dans le camp du bien

contre la “bête immonde” qu’est le fascisme, représenté par le franquisme en Espagne et le

nazisme dans les pays de l’Est annexés par le Reich. En mobilisant de la sorte ces trois figures

et en les présentant comme victimes des staliniens, Ferrat ne se défait pas de son idéal puisque

ces figures représentent la voie que le communisme aurait pu et dû emprunter selon lui. Ferrat

n’est pas le seul artiste de sympathie communiste à rendre hommage à ces figures : Yves

Montand et Simone Signoret ont incarné en 1970 Artur et Lise London dans le film L’aveu,

adaptation du livre éponyme de London.

Ferrat poursuit ensuite dans le troisième couplet sa dénonciation des staliniens et surtout

du sort réservé à leurs ennemis politiques:

“Ah ! ils nous en ont fait applaudir des injures

Des complots déjoués, des dénonciations

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Des traîtres démasqués, des procès sans bavures

Des bagnes mérités, des justes pendaisons

Ah ! comme on y a cru aux déviationnistes

Aux savants décadents, aux écrivains espions

Aux sionistes bourgeois, aux renégats titistes

Aux calomniateurs de la révolution”

Ce couplet met en lumière l’aveuglement dont ont fait preuve de nombreux communistes quant

à la répression en URSS au nom de la croyance en un idéal, la répression étant présentée comme

un mal nécessaire et les victimes comme une menace pour l’instauration du communisme. Cette

oblitération pendant des années par les communistes de la situation réelle au profit de l’idéal

est constatée par Ferrat qui exprime sa volonté d’y mettre fin, pour “un avenir naissant d’un

peu moins de souffrances avec nos yeux ouverts en grand sur le réel”.

Ferrat, en parlant des “bagnes mérités” et des “justes pendaisons”, montre que le but des

staliniens n’a jamais été l’idéal communiste car les formes de répression qu’ils appliquent sont

en profonde contradiction avec cet idéal, ce que le chanteur explicite en juxtaposant des crimes

politiques inexcusables à des adjectifs les justifiant. Le “bagne” fait référence aux goulags, dont

l’existence est largement révelée au public français par la publication en mai 1974 du livre de

Soljenitsyne L’Archipel du goulag, provoquant là encore, dans une mesure comparable au

Printemps de Prague, un séisme au sein du monde intellectuel et de la nébuleuse communiste.

Le terme “bagne” utilisé par Ferrat au lieu du terme original “goulag” n’est pas anodin: le bagne,

lieu de détention n’existant plus en France depuis 1945, est le lieu de déportation des prisonniers

politiques. Surtout, pour la gauche française et les communistes, le bagne est l’endroit où, après

la répression sanglante de la Commune de Paris en 1871 sont déportés les communards. Ferrat,

qui a de nombreuses fois chanté la Commune et exprimé son mépris envers sa répression,

montre à quel point pour lui le stalinisme est une insulte à l’histoire de la gauche dans son

ensemble.

L’énumération des ennemis politiques et de leurs caractéristiques évoque un régime dictatorial

en cela que plusieurs catégories de populations sont visées par la répression: les artistes

(“écrivains espions”), les intellectuels (“savants décadents”), les dissidents politiques même

communistes (“renégats titistes”) et les juifs (“sionistes bourgeois”). C’est ainsi dans cette

chanson la première fois que Ferrat évoque l’antisémitisme qui sévit en URSS et dans les

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démocraties populaires (ainsi, onze des quatorze accusés du procès Slansky en 1952 sont juifs,

et des campagnes antisémites sont mises en places dans certaines diplomaties populaires,

comme en Pologne en 1968). Ferrat, juif ayant perdu son père en déportation à Auschwitz, ne

fait que peu référence au judaïsme dans ses chansons, hormis dans Nuit et Brouillard: cependant,

tous les témoignages font état de l’influence de cet événement sur l’engagement politique de

Ferrat. L’évocation de l’antisémitisme des staliniens témoigne ainsi de son rejet viscéral, même

si ce rejet intervient tardivement, de la politique de l’Union Soviétique vis-à-vis de ses

opposants (ayant parfois le seul tort d’être juifs).

Ainsi, la relation de Ferrat à l’URSS est depuis le début de sa carrière teintée d’une certaine

méfiance, qui n’est cependant exprimée qu’à demi-mot au début mais qui se révèle de plus en

plus à l’aune des prises de conscience communes de la réalité de la situation dans les pays

soviétiques. L’URSS n’a jamais représenté, pour Ferrat, le lieu de concrétisation de l’idéal

révolutionnaire, à la différence de Cuba.

B. « Cuba sí » : le nouvel imaginaire révolutionnaire

La révolution cubaine menée par Fidel Castro, qui réussit en 1959 à renverser le régime

dictatorial de Batista, suscite dans la nébuleuse communiste française une importante vague

d’enthousiasme: en l’absence de pays pouvant prétendre à une réelle représentation de l’idéal

communiste, la révolution cubaine, avec ses mythes et ses symboles, génère une réelle

fascination chez les artistes et intellectuels communistes. Ferrat y effectue un voyage en 1967

et encense dans les années qui suivent le régime de Fidel Castro, le montrant comme essayant

de mettre en place ce qui est réellement l’idéal communiste. Jacques Boyer décrit Ferrat comme

“très séduit par Cuba” justement car Cuba était à l’époque vue comme “une île où on voulait,

avec des jeunes, vivre comme on en rêvait dans le Parti Communiste”.

Le voyage que Ferrat effectue à Cuba en 1967 avec son ami et imprésario Gérard Meys

était selon ce dernier “un voyage touristique et d’étude pour savoir comment ils vivent là-bas”:

Cuba suscite en effet de nombreux voyages d’observation chez les communistes, en cela que

l’île représente pour eux une tentative d’application de l’idéal communiste qui diffère de

l’URSS. Celle-ci ayant perdu de son pouvoir d’attraction, Cuba le récupère et le régime cubain

fait l’objet de critiques dithyrambiques de la part des intellectuels et artistes qui s’y rendent, à

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commencer par le couple Sartre-Beauvoir, qu’Annie Cohen-Solal qualifie de “parrain et

marraine de l’aventure naissante”30. La révolution cubaine forge de nouveaux mythes et de

nouvelles icônes pour l’imaginaire révolutionnaire. L’influence de ces mythes et icônes est très

présente dans le disque que Ferrat sort à la suite de ce voyage, l’album A Santiago: la référence

cubaine est convoquée y compris dans le titre même de l’album.

La réussite culturelle de la révolution cubaine qui crée ses propres références et sa propre

mythologie est évidente dans cet album, en cela que Ferrat ne fabrique pas des images de Cuba

mais reprend celles que le régime castriste a soigneusement créées. Ainsi, le titre “Cuba sí” rend

directement hommage à une production culturelle pré-existante, le documentaire éponyme

réalisé par Chris Marker à l’occasion du premier anniversaire de la révolution cubaine, qui

s’attachait à montrer la société cubaine et son mode de vie post-révolution castriste. La chanson

“Les Guerrilleros”, tirée du même album, est un hommage à la figure de Che Guevara où se

ressent l’influence de son image d’icône révolutionnaire immortalisée par la photographie

mondialement célèbre d’Alberto Korda. Ferrat y dresse une description physique des

guerrilleros “avec leurs barbes noires” et “leur treillis délavés”, avant d’ajouter: “Il y a peu de

temps / Que le nom des sierras /De tout un continent /Rime avec Guevara”. Ainsi Ferrat

contribue-t-il en France à chanter les mythes que le castrisme s’est créés.

Ferrat ne se contente pas toutefois de chanter les mythes et les icônes de cette révolution:

il demeure profondément impressionné par l’amélioration concrète de la vie du peuple cubain

qu’il constate. Gérard Meys rapporte que Ferrat avait notamment été impressionné par le

système scolaire “très en avance” ainsi que le système sanitaire. Cette amélioration concrète

notamment du système éducatif est illustrée par Ferrat dans l’émission Discorama du 30

décembre 196731 à travers le parcours de leur guide touristique. Il raconte en effet qu’avant le

changement de régime, celui-ci travaillait dans des plantations et était dans une situation de

quasi-esclavage étant donnée la paye dérisoire qu’il recevait pour un travail physique

extrêmement dur. Ferrat le prend comme exemple de l’ascenseur social rendu possible par la

révolution castriste: le jeune homme a appris à lire et à écrire grace aux mesures prises par le

régime dans le domaine éducatif et à parler notamment le français et le russe. Ferrat souligne

en effet que grace au nouveau régime, le guide a pu se rendre deux ans en URSS afin d’y étudier

la langue, mettant ainsi en avant les avantages qu’offrent à la population le communisme

30 DOSSE P536 31

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42

mondial. Avec Cuba, c’est également l’engagement de Ferrat au côté des classes populaires qui

est représenté: dans la droite ligne de ce positionnement, il applaudit la réussite de ce régime

qui “donne les chances aux gens” de modifier leur existence et apporte de l’

“espoir”. L’enthousiasme de Ferrat pour le régime cubain s’explique donc aussi par le fait que

celui-ci semble en finir avec l’oppression des classes populaires qui sont libres de décider de

leur sort puisqu’elles ne sont plus contraintes par les logiques capitalistes. Cette idée est

présente dans la chanson “Excusez-moi” (encore issue de l’album cité précédemment): “A Cuba

on prend l’argent pour seule cible, on dit que rien n’est impossible et que seul l’homme

comptera”. Compte tenu de son engagement et de son identification à la classe ouvrière, Ferrat

ne peut que s’enthousiasmer pour un projet politique dont il dit , dans une interview donnée à

Claude Santelli le 29 décembre 1968, qu’il met en place “une tentative qui est le grand rêve de

l’homme: abolir la civilisation de l’argent”.

Le voyage de Ferrat à Cuba, dans son déroulement concret, illustre également la capacité

de mobilisation des artistes qu’exerce Castro pour donner un rayonnement international à son

projet politique. En effet, comme l’explique Gérard Meys, ce voyage ayant à l’origine un but

d’observation et de tourisme est devenu, avec l’intervention du régime castriste, une tournée

cubaine de Ferrat :

“Quand ils ont su ça [la venue de Ferrat] à Cuba, ils se sont renseignés pour savoir qui était

Ferrat parce qu’ils ne savaient pas du tout et ils ont dit « c’est pas possible qu’un chanteur

français de cette importance vienne et qu’il chante pas à Cuba » [...] et ils ont trouvé des

réponses à tout. Ferrat a dit j’ai pas de musiciens ils ont dit “on leur paie le voyage”, “on leur

paie un cachet”, ils ont invité leurs femmes et enfants… il y avait des réponses positives à tout,

c’est comme ça que Ferrat s’est retrouvé à chanter à Cuba. Il a été reçu officiellement”.

Ferrat, avec l’intervention des officiels castristes, est donc intégré à la nébuleuse

internationale des artistes inspirés par le projet cubain que Castro entreprend de fédérer. Ainsi,

Ferrat participe alors qu’il se trouve sur l’île en août 1967 aux rencontres de la “Canción

protesta”, mettant à l’honneur la chanson populaire dénonçant des réalités politiques. Cette

rencontre se veut internationale et réunit des chanteurs de sensibilité communistes de différents

pays: c’est à cette occasion que Ferrat fait notamment la connaissance du chanteur chilien Victor

Jara.

Ferrat voit donc en Cuba, non sans idéalisme, la possible réalisation concrète de l’idéal

communiste, réalisation que l’URSS n’a pas pu mettre en place. Sa relation au régime castriste

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43

est parfaitement représentative de l’attraction qu’exerce Cuba, tant par son aura de révolution

romantique que par l’amélioration réelle des conditions de vie des classes populaires, sur les

artistes communistes que le régime mobilise en sa faveur.

C. Quid de l’idéal sans ancrage territorial ?

Si Cuba sait pendant un temps redonner un ancrage concret à l’idéal communiste, cette

fascination ne s’inscrit pas particulièrement dans le temps long pour Ferrat, qui ne retourne

jamais sur l’île après sa première visite et qui, après l’enthousiasme retentissant dont il fait

preuve sur le disque A Santiago, ne mentionne plus l’aventure castriste dans ses disques

ultérieurs.

Si l’idéal communiste que Ferrat a toujours défendu a amorcé depuis longtemps sa perte

de repères territoriaux, la chute de l’URSS n’en reste pas moins profondément déstabilisante,

pour les communistes comme pour les tenants d’autres idéologies, tant l’affrontement

manichéen entre communisme et capitalisme contribuait à structurer la vie culturelle et

intellectuelle en France et dans le monde.

L’album Dans la jungle ou dans le zoo, sorti en 1991, symbolise la profonde perte de

repères qu’éprouve Ferrat face à la nouvelle configuration mondiale. La chanson titre reprend

l’expression du cinéaste tchèque Milos Forman qui, ayant émigré aux Etats-Unis à la suite du

printemps de Prague, comparait les pays capitalistes à une jungle tandis que les pays

communistes étaient associés à un zoo: Ferrat signifie avec cette chanson son intention de

trouver une troisième voie évitant à la fois le triomphe mondial d’un capitalisme qu’il a toujours

combattu et les crimes commis au nom du communisme. Si onze ans plus tôt, Ferrat avait livré

avec “Le Bilan” une critique détaillée et non feinte des crimes du régime soviétique, cette

critique visait surtout les staliniens et laissait donc une infime chance à l’URSS d’incarner de

nouveau l’idéal communiste: si la chute de l’URSS n’est pas déplorée par Ferrat en raison des

crimes commis par ce pays, cette chute marque aussi l’anéantissement de l’alternative au

capitalisme. Ferrat a beau ne plus considérer depuis longtemps l’URSS comme exemplaire, sa

chute marque aussi un effondrement de son système de valeurs personnel construit autour de

l’engagement communiste.

“Tout demain devra disparaître

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44

Des choses que l'on a cru vraies.

Et dans ce monde à la dérive

Pareils aux autres animaux

Nous n'aurions d'autre choix pour vivre

Que dans la jungle ou dans le zoo

Ainsi donc ainsi donc

Il n'y aurait plus rien à voir

Circulez mais circulez donc

Ainsi finirait notre histoire

Sous le poids des malédictions”

Ferrat témoigne ici de son refus d’enterrer l’idéal communiste avec l’URSS ainsi que de sa

recherche d’une alternative: déjà en 1980, à l’occasion d’une interview par Michel Drucker

durant laquelle il s’exprimait sur sa chanson “Le Bilan”, il dissocie sa critique de l’URSS de

son idéal communiste. Aux médias qui selon lui interprètent ses propos comme un rejet du

communisme dans sa globalité, il répond: “s’ils comptent sur moi pour faire de

l’anticommunisme, ça ne sera pas le cas”.

Son engagement se poursuit de fait après la chute de l’URSS non seulement dans ses

prises de position mais également de manière concrète: ainsi, il est candidat aux élections

européennes de 1999 sur la liste PCF de Robert Hue. Cependant, la défense de ses convictions

ne se fait plus au sein du seul PCF, bien qu’il y reste attaché: à l’occasion des élections

présidentielles de 2002, il se rapproche de la Ligue Communiste Révolutionnaire d’Olivier

Besancenot (REF ENTRETIEN AC LES COMMUNISTES).

Ferrat n’abandonne jamais, de plus, l’attente du “Grand Soir” et de l’avènement d’un

nouveau monde basé sur les valeurs communistes: les références à cet horizon émaillent toute

sa discographie, sans distinction entre l’avant et l’après 1989. Cet idéal, en raison de son

caractère par nature abstrait et lointain puisque placé dans un avenir indéterminé, ne connaît

pas de rattachement ni territorial ni temporel. Ferrat le chante déjà en 1971 sur l’album Ma

France, dans la chanson “Un jour futur” :

Page 45: Entre drapeau rouge et drapeau tricolore : Jean Ferrat et ...

45

“Un jour futur puis des millions de jours

J'avancerai parmi des millions d'hommes

Brisant les murs de ce siècle trop lourd

Croquant l'amour comme la rouge pomme”

Presque quinze ans plus tard, sur l’album Ferrat 85, dans un contexte de désillusion à la fois

face à l’URSS (il a chanté “Le Bilan” cinq ans auparavant) et face à l’arrivée au pouvoir de la

gauche en France avec Mitterrand, qui prend malgré les espoirs placés en lui “la porte à droite”,

Ferrat ne se départit pas de sa croyance en l’idéal communiste, l’idée du Grand Soir étant

représentée par l'avènement souhaité du “temps des cerises”:

“Bien sûr on dira que c'est des sottises

Que mon utopie n'est plus de saison

Que d'autres ont chanté le temps des cerises

Mais qu'ils ont depuis changé d'opinion

Moi si j'ai connu des années funestes

Et mes cerisiers des printemps pourris

Je n'ai pas voulu retourner ma veste

Ni me résigner comme un homme aigri”

Enfin, la référence à cet avenir radieux est présente sur l’album Dans la jungle ou dans le zoo,

achevant de montrer que même l’effondrement de l’URSS et par extension de tout un système

de croyances qui lui était attaché ne supprime pas la promesse d’un nouveau monde. Ainsi, la

chanson “La Paix sur Terre” parle des poètes français qui “taillent l’avenir au mois de mai des

mots”. Le mois de mai, symbole des luttes sociales, des droits des travailleurs (avec la Fête du

Travail) mais aussi du potentiel révolutionnaire (la Commune de Paris eut lieu en mai). Ferrat

conclut avec l’affirmation suivante: “vous n’étoufferez pas le chant du renouveau”, montrant

l’invincibilité de cet idéal qui n’est pour Ferrat anéanti ni par la répression en URSS, ni par le

tournant droitier du premier septennat de Mitterrand, ni même par l’évènement majeur qu’est

l’effondrement de l’URSS et donc du bloc socialiste.

Page 46: Entre drapeau rouge et drapeau tricolore : Jean Ferrat et ...

46

Ces derniers vers, liant le mythe du Grand Soir aux références culturelles propres à la gauche

française, symbolisent le lien toujours revendiqué par Ferrat entre son idéal politique et la

nation française

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47

DEUXIÈME PARTIE – La

France comme horizon de

l’idéal.

Hormis le Parti Communiste italien, le PCF est le seul parti communiste d’Europe de l’Ouest à

avoir acquis une telle importance dans son pays, non seulement dans la vie politique mais

également dans la vie culturelle et sociale. Cela laisse présager d’une relation particulière entre

la nation française et le Parti Communiste, relation exploitée et glorifiée par le PCF lui-même.

Jean Ferrat est profondément empreint de ce nationalisme de gauche: c’est finalement la France,

plus que tout autre pays communiste, qui serait en mesure, pour lui, de représenter au mieux

l’idéal communiste. Cette idée de grandeur de la France en tant que nation en adéquation avec

l’idéal communiste est d’abord explicitée par une construction de mémoire historique par la

chanson. En effet, Ferrat contribue par certaines de ses chansons phares (et tout particulièrement

“Ma France”) à construire une mémoire culturelle, politique et sociale de la gauche française,

replaçant ainsi la France dans le cercle révolutionnaire, tout en louant l’universalisme imputé

aux valeurs de la France, alliant ainsi aux mémoires ouvrières et communistes celles, donnant

lieu à plus de consensus, de l’héritage républicain.

La France étant ainsi posée comme nation dotée de caractères exceptionnels, Ferrat prend

également position pour préserver l’indépendance de la France et sauvegarder ce qui fait sa

singularité : dans la lignée du PCF de l’après-guerre, il chante la nécessité de préserver le monde

rural, le terroir français ainsi que tous les lieux populaires. Surtout, en tant que chanteur à textes,

Ferrat s’engage particulièrement dans la défense de la culture française, de la francophonie et

d’une chanson française de qualité opposée aux logiques du hit-parade. Dans la défense du

terroir français comme dans la défense de la culture, la menace principale vient des Etats-Unis,

et par extension du capitalisme et des lois du marché.

Page 48: Entre drapeau rouge et drapeau tricolore : Jean Ferrat et ...

48

Chapitre 3 - L’histoire de France entre

cycle révolutionnaire et républicanisme.

Dans son ouvrage Le communisme, une passion française, Marc Lazar détaille la stratégie

entreprise par le PCF de Thorez et de ses successeurs visant à “associer progressivement le

rouge et le tricolore”32. Dès les années 1930, le PCF se pose en effet en chantre du nationalisme

républicain et procède à un double mouvement : d’abord, un mouvement dans la continuation

des idées prônées par Thorez, qui en 1947 appelait à “une démocratie d’un contenu social et

économique nouveau [...] qui reflète le rôle de la classe ouvrière identifiée à la nation”. Cette

classe ouvrière identifiée, confondue et enchevêtrée avec la nation française est largement

chantée par Ferrat, qui livre une histoire de France par le prisme des luttes sociales de la classe

ouvrière. Toutefois, la France glorifiée par le PCF n’est pas seule la France de la classe ouvrière

communiste, mais aussi celle du républicanisme hérité de la Révolution et également de la

Troisième République. Ces deux manières d’envisager la nation mènent à deux visions de

l’histoire de France, notamment de ses moments-clefs (telle la Révolution Française), oscillant

entre tensions et complémentarité: ce mouvement est particulièrement présent chez Ferrat, entre

une histoire de la France ouvrière ayant sa place dans le cycle révolutionnaire et une histoire

républicaine à vocation universelle.

I. L’histoire française dans le prisme communiste

Le PCF s’attache en effet, afin d’allier drapeau rouge et drapeau tricolore, à replacer et

donner une place de choix à la France dans le cycle révolutionnaire mondial. Si de nombreuses

chansons de Ferrat s’attellent à cette tache, “Ma France”, sortie en 1969 sur l’album éponyme,

en est particulièrement évocatrice, en cela qu’elle associe ode à la nation française et moments

historiques de référence pour la classe ouvrière et le communisme.

32

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49

A. La Révolution Française comme évenement radical et

matriciel.

Le troisième couplet (le premier à mentionner l’histoire de France, les deux précédents étant

centrés sur les paysages français) fait référence en ces termes à la Révolution Française :

“Cet air de liberté au-delà des frontières

Aux peuples étrangers qui donnaient le vertige

Et dont vous usurpez aujourd'hui le prestige

Elle répond toujours du nom de Robespierre

Ma France”

La Révolution Française représente pour cela un événement matriciel à plusieurs niveaux:

considérée d’abord comme fondatrice de la République française, son héritage est finalement

réclamé avec autant de vigueur par le Parti Communiste, puisqu’elle est pour eux “l'exemple

initial de l’extraordinaire puissance des peuples” selon Lazar. Cependant, l’héritage de la

Révolution Française n’est plus revendiqué par la seule gauche, et la Révolution elle-même fait

considérablement moins l’objet de débats et de controverses politiques en 1969 qu’elle ne l’était

par exemple au moment de son centenaire. Ferrat adresse ici une critique au pouvoir politique

qui en “usurp[e] le prestige”, témoignant ainsi des tentatives de réappropriation par le PCF et

la gauche de la Révolution, sous-entendant que les dirigeants politiques de l’époque n’en sont

pas les dignes héritiers. Ferrat va plus loin en affirmant qu’ “elle répond toujours du nom de

Robespierre”, connu pour être une des figures les plus radicales de la Révolution Françaises,

tant en raison de ses mesures de justice sociale que de son rôle dans l’instauration de la Terreur.

L’insistance sur la continuité du “toujours” permet de montrer une lutte continue ayant des

échos au moment où Ferrat écrit cette chanson: à travers le prisme du communisme français, la

Révolution est un processus à poursuivre même sous la Cinquième République.

La manière qu’a Ferrat de chanter la Révolution Française vise à lui restituer sa radicalité

révolutionnaire ayant pour base le peuple français. Cette vision de la Révolution comme

Page 50: Entre drapeau rouge et drapeau tricolore : Jean Ferrat et ...

50

processus à continuer dans le but de garantir les droits des classes populaires se retrouve, vingt

ans plus tard, dans la chanson “Bicentenaire” extraite de l’album Dans la jungle ou dans le zoo

de 1991. Dans celle-ci, Ferrat critique la relecture faite par les médias et le pouvoir politique de

la Révolution Française lors des commémorations de l’année 1989, relecture qui selon lui

montrent les nobles comme pleins de “grandeur d’ame”, de “noblesse des sentiments”, tandis

que les révolutionnaires seraient eux montrés comme des “sans-culotte avinés” dans une

“France sans pitié”. Dans le dernier couplet, Ferrat dénonce la trahison des idéaux de la

Révolution en s’adressant au “pauvre Martin “ (reprenant le vers de la chanson éponyme de

Brassens) :

“Ton bicentenaire

ils l’ont enterré bel et bien.

Pauvre Martin pauvre misère

c’est toujours le peuple qu’on craint”

Ce couplet épouse la vision communiste d’une Révolution française inachevée qui n’a pas assez

profité aux classes populaires, Ferrat montrant le peuple comme dépossédé du résultat de ses

luttes et victime, tant avant la Révolution que deux siècles après, de l’oppression des puissants,

puisque que “ce sont [les] maîtres que l’on plaint”. Pour Ferrat, la Révolution Française a été

récupérée par le pouvoir politique et la bourgeoisie et, même deux siècles après, “d’autres

seigneurs veillent au grain”: cette perspective sur la Révolution Française est tout à fait celle

du PCF. Selon Lazar “les patrons et les propriétaires terriens sont qualifiés comme étant “de

droit divin” et présentés commes les seigneurs modernes” par le Parti lorsqu’il exalte la

Révolution en lui redonnant une actualité, ne la voyant pas comme un seul événement fondateur

à une période donnée mais comme un processus de lutte populaire à poursuivre jusqu’à

l’avènement de la justice sociale.

Dans la chanson “La fête aux copains” extraite de l’album éponyme de 1962, Ferrat

donne à voir une commémoration populaire de la Révolution pour la fête du 14 juillet dans

des quartiers populaires de Paris (à Pantin et aux Lilas), évoquant cette commémoration comme

“la fête où l’on rit en voyant que Paris sera toujours Paname”, soit toujours la ville populaire

qui a vu naître la Révolution. La commémoration du 14 juillet par les classes populaires est

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51

donc montrée comme légitime puisque c’est premièrement à celles-ci qu’appartient cet

événement, témoignant bel et bien chez Ferrat de la place centrale qu’elles occupent dans

l’histoire, étant en fait celles qui font l’histoire de France: l'événement matriciel de la nation

française appartient aux classes populaires et n’aurait pas eu lieu sans elles.

B. La Commune de Paris et sa répression

La Révolution n’est pas le seul moment de l’histoire des luttes populaires auquel Ferrat rend

hommage: en effet la Commune de Paris est régulièrement convoquée comme un moment tout

aussi fondateur que 1789. Cette importance donnée à la Commune montre bien que Ferrat

chante avant tout non pas l’histoire de France mais l’histoire des classes populaires françaises

et leurs luttes, car si la Révolution française est un événement matriciel pour la France tout

entière, la Commune n’en est un que pour la gauche française et particulièrement pour les

communistes. Dans “Ma France”, la Commune occupe une place aussi importante que la

Révolution puisqu’un couplet lui est consacré :

“Celle du vieil Hugo tonnant de son exil

Des enfants de cinq ans travaillant dans les mines

Celle qui construisit de ses mains vos usines

Celle dont Monsieur Thiers a dit “qu’on la fusille”

Ma France”

Ici ce n’est pas seulement la Commune qui est chantée mais également ses antécédents et ses

protagonistes, en faisant ainsi un moment historique tout sauf anecdotique puisqu’il est celui

de la France ouvrière. Ferrat chante encore une fois ici les conditions ouvrières, n’ayant pas

connu encore les avancées sociales acquises sous la Troisième République (Ferrat dénonce

notamment le travail des enfants, qui ne fut limité qu’en 1874). Tout comme dans le couplet

sur la Révolution, Ferrat montre une classe ouvrière qui joua un rôle crucial dans un pan de

l’histoire de France pour en être ensuite dépossédé par la classe dominante. En effet,

l’industrialisation fut rendue possible par la classe ouvrière qui la “construisit de ses mains”,

symbolisant leur implication physique, sans laquelle cet essor n’aurait pas été possible. Or

comme le souligne l’emploi de “vos usines” , les bénéfices des sacrifices réalisés par la classe

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ouvrière sont revenus aux classes possédantes: selon ce vers, les industriels n’ont aucune

légitimité puisque leurs usines n’existeraient pas sans les ouvriers.

En ce qui concerne la Commune à proprement parler, elle n’est évoquée qu’à travers la

répression qui a suivi: cette évocation un siècle plus tard de la Semaine sanglante montre le

souvenir traumatique qu’en gardent les communistes. Si dans “Ma France” Ferrat fait référence

à la répression, il rend un hommage épique à l’épisode communard dans sa globalité dans la

chanson “La Commune”, écrite à l’occasion de son centenaire, en 1971 sur l’album Aimer à

perdre la raison. Ferrat chante ici “un espoir mis en chantier”, moment révolutionnaire dans

l’histoire de France: la Commune, au même titre que la Révolution, fait partie du cycle

révolutionnaire. Des “artisans et ouvriers” “devenus des soldats aux consciences civiles”: le

terme “soldats” évoque bel et bien une révolution et non un simple mouvement social.

L’importance de la Commune, malgré sa brièveté, dans les mémoires ouvrières communistes

françaises, est visible dans cette chanson car les communards y sont qualifiés de “héros”. La

Commune, chez Ferrat comme chez la plupart des communistes, est une référence historique

majeure et reste un siècle plus tard un des mythes fondateurs de l’engagement communiste. La

chanson “Les Cerisiers”, écrite par Guy Thomas pour Ferrat sur l’album de 1985 Je ne suis

qu’un cri place la Commune comme source de l’engagement communiste, montrant un

communisme non pas issu d’une mémoire internationale mais bel et bien d’une mémoire

ouvrière propre à la nation française. Cette chanson qui traite de la persistance de l’idéal

communiste malgré les revers qu’il subit fait référence à l'avènement de cet idéal, avènement

souhaité par la phrase “Ah qu’il vienne enfin le temps des cerises” et fait donc référence, tout

comme le titre de la chanson, au chant emblématique de la Commune. La représentation ultime

pour Ferrat du communisme n’est donc pas à trouver dans un idéal international mais bien

intrinsèque à la Nation française, propos qu’il réitère dans le dernier couplet :

“Moi je resterai fidèle à l’esprit

Qu’on a vu paraître avec la Commune

Et qui souffle encore au coeur de Paris”

Cependant, dans “Ma France” comme dans “La Commune”, il est impossible pour Ferrat

d’évoquer le potentiel révolutionnaire et l’espoir suscité par la Commune sans évoquer en

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contrepartie la proportionnelle répression qui suivit. Comme le remarque Michèle Zancarini-

Fournel33 la répression de la Commune fut particulièrement marquante, tant en raison de son

ampleur que de l’acharnement dû à la haine de classe, ainsi que de son caractère de masse

puisqu’il s’agit d’une répression sérialisée. Ferrat l’évoque dans “Ma France” en dénonçant les

ordres donnés par Adolphe Thiers, mais également dans le sixième couplet :

“Leurs voix se multiplient à n'en plus faire qu'une

Celle qui paie toujours vos crimes vos erreurs

En remplissant l'histoire et ses fosses communes

Que je chante à jamais celle des travailleurs

Ma France”

Il ne s’agit pas ici nominalement de la Commune mais plus généralement de toutes les

insurrections populaires réprimées, les “fosses communes” étant à la fois réservées aux plus

pauvres et aux exécutés lors de révolutions. Ferrat ne chante pas ici la France dans sa globalité

mais “celle des travailleurs” et donc celle du communisme, inscrivant profondément l’histoire

du communisme dans l’histoire française.

L’attachement de Ferrat à l’histoire populaire de la Révolution Française et de la Commune

transparaît également, de manière moins explicite, dans des chansons rendant hommage au

berceau de ces deux moments-clefs, soit le Paris populaire. La chanson “Paris Gavroche”, sur

l’album de 1961 Deux enfants au soleil, en est emblématique en cela qu’elle mêle description

minutieuse d’un Paris populaire d’antan et référence aux luttes du dix-neuvième siècle. Ferrat

y raille ainsi les “bourgeois louis-philippards” de la Monarchie de Juillet, opposant leurs

“calèches” aux “charrettes à bras” de Gavroche et ses camarades. Ferrat rend aussi hommage

aux barricades de 1832 contre la Monarchie de Juillet, montrant les luttes révolutionnaires et

les sacrifices du Paris populaire tout au long du dix-neuvième siècle. Ferrat présente d’ailleurs

dans “Les Cerisiers” cette appartenance au Paris populaire comme une source de son

33 Zancarini-Fournel, M. (2017). Les luttes et les rêves. Paris: Zones. P370

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engagement personnel, rendant hommage au Temps des Cerises en ces termes : “Cette chanson

là que j’aimais déjà quand j’étais Gavroche”.

C. La Résistance d’obédience communiste

A ces deux épisodes fondateurs de la France communiste que sont la Révolution

Française et la Commune s’ajoute la Résistance. Le PCF, dans sa perspective de construction

de la nation, glorifie et amplifie le rôle des résistants communistes NDB LAZAR 75, se

présentant par la célèbre formule “parti des soixante-quinze mille fusillés”, permettant ainsi de

se poser en défenseur suprême de la nation française et dissipant ainsi les soupçons portés sur

le “parti de l’étranger” . Ferrat, dans “Ma France” toujours, parle de la Résistance en

paraphrasant le Chant des Partisans, chantant une France qui “monte des mines descende des

collines”, faisant écho à l’appel de cet hymne de la résistance. Ce n’est pas la première fois que

Ferrat salue la Résistance: en effet, il l’avait déjà fait dans “Nuit et brouillard” où, au milieu de

l’hommage aux autres victimes des nazis et notamment les juifs, il parle de ceux qui “ne priaient

pas, mais qu’importe le ciel” puisqu’ils “voulaient simplement ne plus vivre à genoux”.

L’engagement dans la Résistance est ici montré comme déterminant et transcendant les

confessions religieuses.

Ferrat, cependant, n’associe pas explicitement la Résistance à une appartenance

politique : il est toutefois probable qu’il chante tout particulièrement celle communiste. Il la

mentionne en effet dans “Ma France”, chanson ne mentionnant que des moments historiques

liés au communisme ou à l’idée révolutionnaire (Révolution, Commune, Front Populaire et

grèves de Mai 68) ainsi que des pratiques communistes (la vente de L’Humanité le dimanche).

Le parcours personnel de Ferrat, qui fut caché durant l’Occupation par des résistants

communistes auxquels il rendra souvent hommage vient confirmer ce lien opéré entre

Résistance et communisme, et donc entre communisme et défense de la nation française.

A travers les trois épisodes majeurs pour la gauche française que sont la Révolution

Française, la Commune de Paris et la Résistance, Jean Ferrat contribue à inscrire le

communisme comme plus national qu’international. Si la Commune n’est pas un événement

référence pour la nation toute entière (à la différence de la Révolution et de la Résistance), elle

devient dans Ma France un événement tout aussi important: la chanson contribue donc à

enraciner la mémoire communiste et ouvrière dans la mémoire nationale et à donner à voir la

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France comme épicentre du cycle révolutionnaire. Le fait de donner par ailleurs un sens

communiste à un événement unanimement reconnu comme fondateur pour la nation française

contribue également à ancrer l’idéal en France.

II. L’universalisme républicain

Si le rapport de Ferrat à la nation française est profondément empreint de ses convictions

communistes et de son rapport aux classes populaires, il n’est toutefois pas exempt d’un certain

patriotisme républicain qui cherche à tendre vers l’universel.

A. Patriotisme et lyrisme des paysages

Le rapport de Jean Ferrat à la France, de la même manière que son rapport aux classes ouvrières,

est visible et se construit par le biais de ses paysages. Ces paysages, comme ceux cités au début

de “Ma France” ne sont pas uniquement ceux typiques de la classe ouvrière mais de la France

tout entière: “genêts de Bretagne”, “bruyères d’Ardèche, des paysages décrits d’une manière

purement contemplative, tout en renforçant ainsi le sentiment national en citant des régions

françaises historiques. En effet, lorsque Ferrat chante les paysages et les régions et

départements de France, il le fait avec un lyrisme appuyé: tel est le cas dans “Mon chant est un

ruisseau”, chanson extraite de l’album La Femme est l’avenir de l’homme en 1975, dont le

dernier couplet confine au patriotisme :

“Oh, ma patrie de monts et de rivières vertes

Moi qui t'invoque à chaque instant

Je suis comme le coq dressant au ciel sa crête

Je chante et chante tout le temps”

L’usage du terme “patrie” est inhabituel pour Ferrat, qui a plutôt tendance à se référer à la nation.

“Patrie” est teinté d’une connotation largement moins politisée que “nation” (terme qui fait

référence au corps politique et historiquement attaché à la révolution française) tandis que patrie

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connote un attachement affectif à une terre qui n’est pas nécessairement un corps politique. Les

paysages loués pour leur beauté et le symbole du coq forment des symboles universels de la

France ne dépendant d’aucune obédience politique.

Ce patriotisme, s’il se présente parfois comme exempt de rattachement à une communauté

politique puisqu’il se veut universel, reste d’abord profondément républicain et

particulièrement lié à la Troisième République.

B. La convocation de la Troisième République pour continuer

les combats contemporains

L’objet politique constituant le plus frappant hommage à la Troisième République dans les

chansons de Ferrat est l’anticléricalisme. Le sentiment anticlérical est certes une composante

de l’idéologie communiste cependant à l’analyse des chansons de Ferrat il est clair que ses

idéaux communistes ne sauraient constituer les racines de ce sentiment, étant donné que ses

textes sur ce thème convoquent des figures, symboles et idées propres à la Troisième

République. De plus, la relation même de la France à l’Eglise s’envisage comme ayant une part

d’universel: ainsi, sa place particulière est signifiée par Péguy, pour qui “la France n’est pas

seulement la fille aînée de l’Eglise elle a aussi dans le laïque une vocation parallèle singulière”

Ce sentiment se révèle principalement dans les chansons traitant des droits des femmes: le

féminisme mis en avant par Ferrat donne à voir l’Eglise catholique et ses représentants comme

obstacle principal aux avancées féministes des années 1960-1970, centrées sur les droits

reproductifs dans le contexte de la loi Neuwirth de 1967 autorisant l’usage des contraceptifs et

de la loi Veil de 1975 autorisant l’interruption volontaire de grossesse.

La chanson La femme est l’avenir de l’homme, présente sur l’album éponyme sorti en 1975,

fait état de ce contexte législatif et social de progrès pour les droits des femmes et pose en frein

à ce progrès la morale catholique. Ce texte permet de préciser la nature du féminisme de Ferrat,

un féminisme qui reprend bel et bien des caractéristiques de l’idéologie communiste tout en se

situant primairement dans l’anticléricalisme.

Entre l’ancien et le nouveau

Votre lutte à tous les niveaux

De la nôtre est indivisible

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Le début du premier couplet de la chanson affiche en effet la posture communiste vis-à-vis du

féminisme, soit un combat “indivisible” de la lutte des classes, les droits des femmes allant de

pair et se confondant avec les droits des travailleuses. Toutefois, le reste de la chanson n’est pas

autant marqué par le féminisme communiste que ce premier couplet, en cela qu les femmes ne

sont pas confondues avec les travailleuses, Ferrat chantant plutôt ici les luttes concernant

l’émancipation domestique et le droit à disposer de son corps : c’est particulièrement la défense

de ce droit contre ses ennemis qui va faire adopter à Ferrat une posture plus large que celle

communiste, la posture anticléricale. Les votes des lois Neuwirth et Veil faisant ressortir la

présence encore importante de l’Eglise catholique, le clivage entre cléricaux et anticléricaux

ressurgit (dans une moindre mesure qu’en 1905), menant ainsi Ferrat à dénoncer la place de la

parole religieuse dans le débat politique:

Dans les hommes qui font les lois

Si les uns chantent par ma voix

D'autres décrètent par la bible

Opposant ses idées (et par extension celles de la gauche) à celles des catholiques, Ferrat ne

laisse aucun doute quant à sa vision de l’interférence de l’Eglise dans le débat politique: le

terme “décrètent”, surtout placé en opposition avec “chantent”, se réfère une déclaration

autoritaire, soulignant ainsi l’illégitimité de la parole de l’Eglise dans une république

démocratique.

Plus encore que “La femme est l’avenir de l’homme”, la chanson “Le Sabre et le goupillon”

développe encore les idées de Ferrat autour de l’anticléricalisme tout en rendant un hommage

explicite aux républicains de gauche de la Troisième république: le titre de la chanson reprend

en effet une expression attribuée à Georges Clemenceau, qui dénonçait “la sainte alliance du

sabre et du goupillon”, soit l’alliance de l’armée et de l’Eglise contre la République. Ferrat,

dans cette chanson, construit une opposition entre le peuple opprimé et l’Eglise et l’armée,

conjointement responsables de cette oppression :

« Quand un abbé de cour poussait une bergère

Vers des chemins tremblants d’ardente déraison

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La belle ne savait pas quand elle se laissait faire

Qu’ils condamnaient l’usage de la contraception »

Cette strophe vient dénoncer, en utilisant des figures (l’abbé de cour et la bergère) faisant

référence à un monde révolu, l’omniprésence de l’Eglise. De plus, la figure de la bergère est un

symbole même de l’innocence, de la pureté et de la naïveté l’abbé de cour au contraire

représente une figure proche du pouvoir et des intrigues de la cour, qui ne peut que pervertir la

bergère. Ferrat, pour personnifier l’institution catholique, n’use pas de la figure d’un curé de

campagne mais bien d’un “abbé de cour”, soit un ecclésiastique haut placé qui est associé à

l’Ancien Régime, montrant encore une fois l’illégitimité de l’Eglise dans les institutions

démocratiques. Cette strophe sert par ailleurs à montrer la continuité de cette illégitimité et

immoralité de l’Eglise en donnant à voir une confusion des époques, le débat sur la

contraception se situant dans l’actualité la plus récente tandis que les protagonistes eux

évoquent un monde révolu. Dans cette même chanson, Ferrat souligne encore la place de

l'Église du côté des exploiteurs, main dans la main avec l’armée:

« Les uns possédaient l’art d’utiliser la trique

Les autres sans le dire pensaient qu’elle a du bon »

Si le combat que Ferrat convoque ici, en mobilisant la figure de Clemenceau, n’est pas étranger

à son propre engagement politique, Ferrat n’a pas limité l’hommage à la Troisième République

à ses seules forces de gauche: en effet, il fait plusieurs fois référence à Paul Déroulède, figure

par excellence de la droite nationaliste et ennemi politique de Clemenceau et de Jaurès. Bien

que les combats politiques de Déroulède soient pour la plupart aux antipodes de ceux de Ferrat,

les deux se rejoignent sur un thème cher tant à Ferrat qu’au Parti Communiste Français: la

décolonisation. Paradoxalement, Ferrat fait réference à Déroulède à plusieurs reprises dans un

but antimilitariste et anticolonial, d’abord dans la chanson “En groupe, en ligue en procession”,

présente sur l’album Maria en 1967. Il se présente dans celle ci comme :

“Le Déroulède de l'arrière

Le plus complet des défaitistes

L'empêcheur de tuer en rond

Perdant avec satisfaction

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59

Vingt ans de guerres colonialistes”

Dans cette chanson, lourdement à charge contre l’armée et la police, Déroulède est la seule

personnalité politique mentionnée par Ferrat: Déroulède n’est pourtant ni communiste ni même

de gauche, or il est pour Ferrat la figure la plus symbolique de l’anticolonialisme en France. Il

y fait encore référence huit ans plus tard en 1975 sur l’album La Femme est l’avenir de l’homme,

dans la chanson “Un jeune” :

“Un morceau choisi de Déroulède

Ca peut faire pleurer les adjudants”

La précision apportée ici avec le terme “morceau choisi” est importante, étant donné que Ferrat,

anticolonialisme mis à part, est opposé aux idées politiques que représentait Déroulède. Même

leur anticolonialisme, s’il vise le même but, n’a pas les mêmes origines. En effet,

l’anticolonialisme de Déroulède est enraciné dans le nationalisme et surtout dans le contexte de

la perte de l’Alsace-Lorraine après 1871, qui contribue à façonner la Troisième République,

tandis que celui de Ferrat est fondamentalement lié à l’idée de défense des peuples opprimés,

héritée chez lui du communisme: s’ils partagent un rejet des colonies, celui-là est lié à deux

idéaux différents, le patriotisme d’un coté et l’internationalisme ouvrier de l’autre: ainsi, ce rejet

ne saurait constituer l’unique raison de la présence de l’homme politique dans deux chansons

de Ferrat, car trop éloigné de ses propres positions. Cette présence est d’autant plus singulière

que, à l’exception du rapport aux colonies, les combats politiques de Déroulède semblent aux

antipodes de ceux épousés par Ferrat: nationaliste, boulangiste, auteur d’une tentative de coup

d’Etat en 1899, ennemi de Jaurès comme de Clemenceau et qui lors de sa carrière militaire

participa à l’écrasement de la Commune. En réalité cet hommage à Déroulède achève de

démontrer toute l’importance accordée par Ferrat à la République Française, au moins autant

importante pour lui que l’engagement communiste, sinon plus: Déroulède fut en effet un réel

défenseur de la jeune Troisième République (sa tentative de coup d’Etat ne visait pas à renverser

la République mais à installer une République plébiscitaire). Comme le rapporte l’historien

Bertrand Joly, à la mort de Waldeck-Rousseau, le télégramme qu’il envoya à la veuve de celui-

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60

ci mentionnait entre les deux hommes les “premières et cordiales relations chez Gambetta”34,

relations mal acceptées dans son propre camp politique.

C. La République l’emporte sur les idéologies

Ferrat a donc choisi de rendre hommage deux fois à Déroulède plutôt qu’à d’autres figures de

la Troisième République: cela donne à voir une suprématie des idées républicaines françaises,

voire de la nation française, sur toutes les idéologies politiques.

La chanson “La Paix sur Terre”, présente sur l’album de 1991 Dans la jungle ou dans

le zoo, fait écho à l’idée de primauté de la Nation française sur les idéologies. Cette chanson est

d’autant plus symbolique lorsqu’elle est mise en parallèle avec Bicentenaire, qui figure sur le

même album, mais également avec Ma France: elle s’avère en effet révélatrice de plusieurs

tensions dans l’engagement de Ferrat, d’une part entre internationalisme et patriotisme et

d’autre part entre vocation universelle et communisme, puisqu’elle paraît au moment de

l’effondrement de l’URSS. Bien que l’URSS n’ait jamais représenté pour Ferrat un réel espoir,

cet évènement vient ébranler le système de valeurs communiste ainsi que la vision de l’ordre

mondial et par conséquent de la place de la France dans cet ordre.

La déstabilisation du rapport à l’ordre mondial est avant tout visible dans la différence

entre le refrain et les couplets. Le refrain passe en effet pour un appel à un internationalisme

pacifiste :

« Nous ne voulons plus de guerre

Nous ne voulons plus de sang

Halte aux armes nucléaires

Halte à la course au néant

34 Joly Bertrand, « L'évolution de Paul Déroulède et de la Ligue des patriotes (1900-1913) », Mil neuf cent. Revue

d'histoire intellectuelle, 2001/1 (n° 19), p. 109-117. URL : https://www.cairn.info/revue-mil-neuf-cent-2001-1-

page-109.htm ].

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Devant tous les peuples frères

Qui s'en porteront garants

Déclarons la paix sur terre

Unilatéralement »

L’utilisation du “nous”, renforcé par le fait que ce refrain est chanté par plusieurs voix à

l’unisson transmet un sentiment de collectif et d’union, venant accentuer la vocation

internationaliste de ce refrain: les ennemis déclarés sont “la guerre” “le sang” et le “néant”, des

termes donc universellement connotés négativement, toute distinction idéologique mise à part.

Ce refrain remplit ici une mission hymnique, un appel au pacifisme après des années de “course

au néant” entre les Etats-Unis et l’Union Soviétique. Ferrat ne se défait néanmoins pas d’un

certain internationalisme ouvrier hérité de l’engagement communiste, faisant état de la

persistance de cet idéal qui n’est pas altéré par la chute de l’URSS, dans la mesure où cet appel

est dirigé envers les “peuples frères”, expression propre à l’internationalisme communiste.

Nonobstant ce refrain se voulantuniversel, les couplets ont pour unique sujet la France et son

rayonnement, chacun d’entre eux énumérant ce qui fait “la force de la France”, termes par

lesquels chaque couplet commence.

Le premier couplet rend hommage à la Révolution française:

« La force de la France c’est l’esprit des Lumières

Cette petite flamme au coeur du monde entier

Qui éclaire toujours les peuples en colère

En quête de justice et de la liberté. »

La Révolution Française comme modèle était déjà présentée dans “Ma France” comme un “air

de liberté au-delà des frontières” pour les “peuples étrangers” : or, si dans “Ma France”, pour

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la caractériser et la personnifier, Ferrat choisissait d’affirmer qu’ “elle répond toujours du nom

de Robespierre”, il opte ici pour “l’esprit des Lumières”. Cet esprit des Lumières fait l’objet

d’un consensus national, puisqu’il est présenté comme base de la République Française et de la

démocratie : Ferrat choisit donc de célébrer 1789 plutôt que 1793. L’esprit des Lumières n’est

évidemment pas opposé à la lecture communiste de l’histoire de France: en effet, comme le

montre Lazar, si dans les années 1920 l’attitude du PCF vis-à-vis de la Révolution Française

était encore teintée de défiance et d’hésitations quant à sa qualification de révolution bourgeoise,

l’évolution de celui-ci et l’insistance sur le rapport à la Nation le transforme en “défenseur

enthousiaste des philosophes des Lumières, de la Raison et de la Science”35. Le changement de

figures tutélaires de la Révolution et par extension de la Nation, de Robespierre aux Lumières,

ne saurait donc représenter pour Ferrat un abandon de l’idéal communiste au profit du

consensus national (d’autant plus que la chanson “Bicentenaire”, présente sur le même album,

offre une visión largement plus politisée et centrée sur les classes opprimées de la Révolution

Française, la replaçant dans un cadre de lutte des classes) : cependant, ce changement laisse de

côté une partie de la radicalité de la Révolution Française.

Le couplet suivant est lui exempt de toute référence au communisme ou à la classe

ouvrière, puisqu’il mentionne des personnalités diverses ayant fait “la force de la France”: sont

cités Cézanne, Ravel, Voltaire, Pasteur, Verlaine et Rodin. Cette énumération les érige en

figures constituantes de la Nation, ne la représentant pas au sens strict de corps politique mais

mobilisées ici pour créer une communauté de valeurs touchant à des domaines variées,

communauté liée par le fort rayonnement international qu’elles présentent chacunes dans leur

milieu respectif. Là encore, ce processus n’est pas sans rappeler le culte républicain, voué à des

personnalités françaises, propre à la Troisième République. Le choix de figures opéré ici par

Ferrat vient encore accentuer cette proximité: sur les six mentionnées dans le couplet, cinq

furent les contemporains de la Troisième République (tous sauf Voltaire, symbole de “l’esprit

des Lumières” salué plus tôt par Ferrat et qui l’a donc précédée). Leur contemporanéité avec ce

régime va de pair pour certains avec un véritable culte voué à leur encontre par celui-ci: Pasteur,

notamment, fut honoré de son vivant avant de recevoir des funérailles nationales. Ce couplet

témoigne bel et bien du profond républicanisme français dont fait preuve Ferrat. Si dans Ma

France la mention des artistes Paul Eluard et Pablo Picasso faisait également état de la fierté

35 LAZAR P 175

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nationale à leur égard et bien qu’ils soient comparables en terme de rayonnement à l’étranger,

Ferrat avait alors choisi des artistes propres au vingtième siècle mais, surtout, des artistes

engagés au Parti Communiste. Les personnalités chantées dans “La Paix sur Terre” n’ont pas

de lien idéologique entre elles, si ce n’est celui de l’appartenance à la communauté républicaine

française. En réalité, comme l’explique Lazar, après la chute de l’URSS, le PCF minimise ses

liens avec l’URSS et se place dans la filiation de l’histoire de France plutôt que de l’histoire

internationale.

Chapitre 4 - La nécéssaire préservation

de la France et de son indépendance.

La relation qu’entretient Ferrat avec la France ne saurait se limiter au fait de rendre

hommage à l’histoire et au passé des luttes de la classe ouvrière française : Ferrat se fait

également le chantre de la préservation d’une France indépendante et de ses spécificités. Il

s’agit pour lui de lutter contre l’uniformisation de la France causée par les logiques du marché

et de préserver ses traditions et savoirs-faire, notamment de les protéger du risque

d’américanisation que court la France en tant que pays capitaliste. Il est capital, dans la vision

de Ferrat, de protéger tout particulièrement deux domaines : d’abord le terroir, les campagnes

françaises, desquelles traite sa chanson emblématique “La Montagne”, tirée de l’album

éponyme en 1965 Ensuite, il s’agit également de préserver la culture française, ce qui passe

par l’importance accordée à la francophonie, à la lutte contre les logiques du marché dans la

chanson et les “faiseurs de tubes” et à l’accès de tous à une culture de qualité.

I. Ecologie, monde rural et paysages des classes

populaires françaises.

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A. La préservation des savoirs-faire des classes populaires

Très tôt dans sa carrière, Ferrat s’attache à chanter le monde rural et le terroir français, les

régions et leurs spécificités. Il s’agit là encore d’un trait qu’il partage avec le Parti Communiste

de l’époque, qui toujours dans une perspective de faire état de son attachement à la nation

française, glorifie les coutumes régionales et les savoirs-faire locaux comme par exemple

l’artisanat, valorisant ainsi à la fois la France et ses travailleurs.

Le souci chez Ferrat du terroir et des campagnes françaises s’articule autour de plusieurs

préoccupations : d’abord celle faisant écho à la stratégie du PCF de préservation des savoirs-

faire et de l’artisanat, qui permet de conserver une histoire des classes populaires par leurs

traditions cela s’accompagne d’une recherche de sauvegarde de l’authenticité dans un moment

post-exode rural. Enfin, cet hommage aux campagnes français fait fonction de cheval de Troie

des préoccupations écologiques naissantes de l’époque que Ferrat met en chanson.

En dehors de ses prises de position publiques, Ferrat témoigne d’abord d’un souci et

d’un intérêt pour le monde rural et le terroir français dans sa vie personnelle, ayant quitté Paris,

pourtant sa ville d’origine dont il a souvent chanté les louanges, pour s’installer dans le village

ardéchois d’Antraigues-sur-Volane après en avoir rencontré, à Paris, le maire Jean Saussac. Il

y écrit “La Montagne”, chanson emblématique de son oeuvre et appel à la sauvegarde des

campagnes françaises et de leurs traditions. Le premier couplet aborde d’emblée la

problématique de l’exode rural et de la désaffection des campagnes par les jeunes qui “quittent

un à un le pays pour s’en aller gagner leur vie loin de la terre où ils sont nés”. L’attachement

porté par Ferrat à la campagne est d’ailleurs tel que celle-ci est désignée comme “le pays”

montrant celle-ci comme lieu autant symbolique et affectif que la nation. En 1980, Ferrat,

interviewé dans par Georges Begou dans l’émission Antenne 2 Midi36, est interrogé sur sa vie

en Ardèche, amenant ainsi le sujet plus large de l’exode rural. Dans cette émission est aussi

diffusée une interview de Jean Saussac qui fait état du départ des jeunes du village et de la

désertification de l’Ardèche: pour représenter cet exode, il donne le nombre d’habitants du

village avant la Première Guerre mondiale, mille cinq cent habitants, tombé à cinq cent en

1980. Ferrat illustre ce chiffre par une anecdote concrète: l’Ardèche est le premier département

36 Antenne 2 Midi (1980). Jean Ferrat et l'Ardèche. [vidéo] Disponible à:

https://www.ina.fr/video/CAB8001583101/jean-ferrat-et-l-ardeche-

video.html?fbclid=IwAR3KTDzSShV0vEW8M97cySkFeGAVr6GTdQllfDPIhFLiWWUNJmAxp8taTGs.

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65

à avoir été privé de lignes de chemin de fer pour passagers, remplacés par des cars qui ,au

moment où il s’exprime, sont également menacés de suppression. Les préoccupations liées à

l’exode rural ne sauraient évidemment être coupées de l’idée de protection des classes

populaires qui sont les premières touchées par les conséquences de cet exode (ainsi la

suppression du service public qu’est le chemin de fer). Dans l’émission Jean Saussac, pour

expliquer les raisons qu’ont quelques-uns des jeunes de rester, fait état du “dégoût des

conditions de vie urbaines” qu’ils éprouvent, expliquant une quasi-incapacité pour eux à

s’installer en ville, mettant l’accent sur la différence jugée énorme entre la vie rurale et citadine.

Dans “La Montagne”, Ferrat regrette la perte des savoirs-faire artisanaux et des

traditions rurales, conséquence de cet exode, énumérant au passé les réalisations et pratiques

des habitants des villages: “tuer la caille et le perdreau” ou encore “monter des murettes”. Il

s’agit là encore de savoirs pratiques témoignant de métiers manuels et précisément du métier

de paysan: Ferrat regrette ici la disparition des travailleurs agricoles composant la classe

ouvrière rurale.

B. L’authenticité face au « factice » capitaliste

Pour Ferrat, ce territoire rural représente l’authenticité, soit un monde encore peu touché

par les logiques capitalistes. En 1964, dans l’émission Discorama de Denise Glaser37, Ferrat y

parle en termes lyriques de sa “rencontre” avec les Cévennes, puis à la même manière que dans

ses chansons réalistes, y fait une description minutieuse des conditions matérielles du hameau,

et décrit notamment une soupe chauffant sur une cheminée, dont il dit qu’il faut des générations

pour savoir la faire: cette courte anecdote témoigne à la fois de l’idéal d’authenticité que

représentent pour Ferrat les Cévennes, la soupe étant l’exemple même du plat simple et

populaire, et de l’admiration pour les savoirs-faire centenaire dont il regrette la possible

disparition avec l’exode rural, avec des gens qui vont partir “s’entasser” et qui “n’auront plus

le temps” de faire cette soupe. L’exode rural est douloureux pour Ferrat en cela qu’il représente

la disparition d’un pan de la culture populaire, dont Ferrat, bien qu’étant pourtant Parisien, se

sent proche de par sa classe. En effet, cet hommage à la campagne française est encore une fois

37 Discorama (1964). Jean FERRAT découvre les Cevennes. [vidéo] Disponible à: Disponible à:

https://www.ina.fr/video/I00013363/jean ferrat-et-cuba-

video.html?fbclid=IwAR3XKLaBCOHrk_tLM6_JzzCE9wSrtFVciYD5L3KzSe4Hzbp6QTuESeU1M0g

Page 66: Entre drapeau rouge et drapeau tricolore : Jean Ferrat et ...

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plus largement un hommage aux classes populaires. Ainsi, des militants du PCF ardéchois

affirment qui si “La Montagne” est une chanson magnifique pour les ardéchois, sa portée n’est

“pas ardéchoise mais nationale”, son sujet étant donc véritablement la France populaire.

Dans une interview télévisée de 1968 diffusée par l’ORTF et réalisée par Jacques Audoir, c’est

de cette authenticité dont Ferrat fait l’éloge (https://www.ina.fr/video/I00013397/jean-ferrat-a-

propos-des-cevennes-du-bonheur-de-la-liberte-video.html) : il y parle d’hommes “attachés à la

valeur traditionnelle de la terre” et confie sa peur que l’exode des campagnes conduise cette

région à sembler “tout à fait factice”. L’exemple ultime de ville factice, cité par Ferrat dans

cette interview et absolument opposée aux Cévennes idéalisées pour leur authenticité c’est Los

Angeles. La ville, symbole de la culture américaine, est donc présentée comme vide de sens et

de culture: cela contribue à éclairer la lutte de Ferrat contre l’américanisation de la France et

pour la préservation de son indépendance.

C. La sauvegarde du monde rural, cheval de Troie des

préoccupations écologiques

L’attachement de Jean Ferrat aux paysages français conduit également à des

préoccupations écologiques naissantes, puisqu’il tient à préserver les campagnes. Déjà le

“poulet aux hormones” cité dans “La Montagne”, expression entrée dans le langage courant,

symbolisait la mauvaise qualité de vie en zone urbaine face à la nourriture saine des campagnes.

Surtout, la chanson “Restera-t-il un chant d’oiseau”, présente sur le même album, détaille ces

préoccupations, dont la principale est la suivante : “que restera-t-il sur la Terre dans cinquante

ans?”. Ferrat y détaille les problèmes écologiques de l’époque : “le Rhône charrie du mercure”,

“des plages noires de pétrole”, “on mange des hydrocarbures” et envisage l’avenir où “l’atome

va régner sur Terre” avec une profonde inquiétude. Ces préoccupations sont singulières pour

l’époque et ne relèvent ici pas de l’engagement communiste de Ferrat, mais bien de sa

découverte des Cévennes et par extension de la fragilité des campagnes françaises.

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II. « Exceptions culturelles de tous les pays,

unissez-vous ! »

Le métier de chanteur n’est surtout pas pour Ferrat à séparer de la responsabilité politique

et sociale mais y est intimement lié. Outre ses nombreuses prises de position sur des sujets

politiques, Ferrat témoigne d’une idée de responsabilité face à la défense de la langue et de la

culture françaises, et de la défense d’une culture française de qualité contre les logiques du Top

50, la télévision et les maisons de disques multinationales.

A. L’attachement à la qualité littéraire du français et la lutte

contre l’américanisation

Cet engagement politique trouve d’abord sa source dans l’attachement que porte Ferrat à la

langue ainsi qu’à la culture littéraire française sous diverses formes.

D’abord, la chanson de Ferrat est profondément influencée par la poésie, dans une

certaine mesure internationale mais très largement française. Il fait fréquemment réference à

de grands poèmes français, les montrant comme emblématiques et constitutifs de la fierté d’être

français. Dans ses deux chansons emblématiques montrant le rayonnement de la France, “Ma

France” et “La Paix sur Terre”, il cite des poètes comme symboles de la nation : Paul Eluard et

Paul Verlaine. Il met également en musique, en 1965, le poème “Si je mourais là-bas” de

Guillaume Apollinaire , faisant ainsi état des ses préoccupations antimilitaristes.

Il est impossible de détailler le rapport de Ferrat à la poésie française sans traiter de son

rapport aux poèmes d’Aragon, qui contribuèrent à façonner sa carrière du début à la fin : la

première chanson qui lui permit de se faire une place dans le monde du spectacle parisien est

la version mise en musique du poème d’Aragon Les Yeux d’Elsa, qu’il compose selon Robert

Belleret en 1954 ou 1955. La discographie de Ferrat est ensuite parsemée de chansons tirées

de poèmes d’Aragon, dont certaines représentent ses plus grands succès :“Que serais-je sans

toi”, extraite de La Montagne en 1965 ou encore “Aimer à perdre la raison” sur l’album

éponyme en 1971. Enfin, son dernier album studio, Ferrat 95, est uniquement composé de textes

de Louis Aragon. Si ce rapport au poète n’est pas d’emblée explicitement politique, au fur et à

mesure de l’avancée de la carrière de Ferrat les textes choisis sont de plus en plus politiques et

ancrés dans des réalités mondiales, comme la “Complainte de Pablo Neruda” traitant, à travers

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le “pas pesant des soldats”, de la dictature militaire chilienne. L’engagement sans faille

d’Aragon au Parti Communiste et son apologie du réalisme socialiste, dans son oeuvre poétique

comme dans son poste de directeur des Lettres françaises de 1953 à 197238, a sans nul doute

influencé Ferrat en ce qui concerne l’esthétique de ses chansons et notamment l’esthétique

populaire qui lui est chère.Au commencement de sa carrière, en 1961, Ferrat montre cette

influence de la posture esthétique d’Aragon en mettant en musique son poème “J’entends,

j’entends”, présentant les classes populaires avec une volonté de réalisme confinant au

misérabilisme, décrivant leurs ‘apparences brisées”, “le sang toujours versé” et “les doigts

toujours blessés”. Selon le poète et parolier de Ferrat Guy Thomas, le chanteur “ne voyait rien

de plus beau qu’Aragon” et ne s’exprimait donc pas sur les oeuvres plus discutables d’Aragon,

comme les prises de position stalinistes de celui-ci, afin de ne pas s’aliéner le droit de mettre

en musique ses chansons.

Conséquence de cet attachement à la tradition poétique française, Ferrat se pose en grand

défenseur de la chanson française, cette défense passant d’abord par la promotion de la

francophonie dans la création artistique, un combat que Ferrat prône à la fois dans des chansons,

dans sa manière de travailler ainsi que dans ses prises de position publiques.

D’abord, comme en témoigne son ancien collègue et ami de longue date Jacques Boyer,

Jean Ferrat a toujours refusé que des chanteurs étrangers reprennent ses chansons en les

traduisant, à l’exception de la permission concédée au chanteur espagnol Paco Ibañez dont les

traductions étaient selon Jacques Boyer “très proches de la réalité”, et dont l’oeuvre (notamment

la mise en musique de poèmes de Federico Garcia Lorca) ainsi que l’engagement politique le

menant à être censuré par le régime franquiste fait écho à celle de Ferrat.

Ferrat prend position en faveur de la chanson de langue française contre l’invasion des

textes anglophones dans “Pour être encore en haut d’l’affiche” (tirée de l’album Ferrat 80).

Cette chanson satirique est fortement à charge contre l’impératif anglophone, impératif résultant

de l’américanisation de la culture et de son uniformisation, ce que Ferrat rejette profondément :

“pour être vedette à présent, il faut mieux chanter en anglais”. Avec cette seule phrase, Ferrat

montre que l’anglais n’est pas la langue d’une chanson qualitative mais seulement d’une

chanson symptomatique du show-business: en effet, le terme “vedette” ne recouvre pas pour lui

de connotation positive, étant seulement un indicateur de célébrité et non de qualité du travail.

38 DOSSE P367

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Dans cette chanson, faisant écho à sa défense des campagnes et du terroir français, Ferrat

défend non seulement la langue française mais également les langues régionales:

“S'il n'y a plus rien d'autre à faire

Pour échapper à la misère

Si c'est le seul moyen ici-bas

D'intéresser les mass média

Si le français ou le breton

Si l'occitan ou l'auvergnat

Comme on me le dit sur tous les tons

Le show-business il aime pas ça”

A l’instar de la disparition des savoirs-faire et traditions rurales, Ferrat regrette aussi la

disparition de la diversité linguistique de la France (citant les quelques langues régionales

encore relativement persistantes), la mondialisation et le “show-business” étant les causes

désignées de cette uniformisation. Ferrat n’est pas exempt d’anti-américanisme, dans la mesure

où cette chanson vient clairement montrer la chanson anglaise de manière péjorative, la

représentant comme hermétique à toute forme de culture, Ferrat disant d’ailleurs “je pourrai

braire en amerloque”: la langue française est ici présentée comme la seule permettant une

chanson de qualité, l’anglais étant antithétique à cette idée. De plus, le risque n’est pas

uniquement pour Ferrat la disparition des langues régionales mais à terme la disparition de la

création en langue française : Ferrat, dans cette chanson, s’inquiète, certes satiriquement mais

non sans un fond de réelle préoccupation politique, de ce qu’il adviendra “s’ils nous

transforment en colonies”. Il fait état plus sérieusement de cette inquiétude dans un entretien

donné à L’Humanité au sujet de la création francophone39, lorsque le journaliste lui demande

de répondre à la déclaration de Jean-Marie Messier, alors à la tête de la société Universal, qui

39 Apel-Muller, P. (8 janvier 2002), « Jean Ferrat un des plus grands chanteurs français s’insurge contre la logique

de la « marchandise chanson » et défend l’exception culturelle Jean Ferrat : « Je plaide pour la diversité face au

rouleau compresseur. ». L’Humanité, [en ligne], disponible à :

https://www.humanite.fr/node/259221?fbclid=IwAR1SfjaE9cITc0AlgOFPe0_6Go59RDq_kdsL9BIM5c6FQmS

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70

qualifiait la défense de l’exception culturelle de “réflexe franchouillard”. Ferrat cite, pour

montrer ce que risque la chanson française, l’exemple suivant : “Une seule chose. Quand on

faisait remarquer au patron du cinéma américain Jack Valenti que ses productions

représentaient 80 % du marché en Europe, il répliquait : " Nous voulons 100 % ". Ça a le mérite

d'être clair. Alors défendons-nous.”. Ferrat cherche donc à montrer que le “rouleau compresseur”

américain, selon l’expression du titre de l’article, a bien pour ambition de supprimer la chanson

française afin de conquérir un maximum de parts du marché. C’est particulièrement dans les

années 1980 que Ferrat défend cette cause, la fin du monopole d’Etat sur l’audiovisuel en 1982

entrainant une libéralisation et une plus grande prépondérance des logiques de marché. Ainsi,

dans un article lui étant consacré dans Le Monde du 24 janvier 198740, Ferrat constate que “le

processus de dégradation se poursuit” et qu’il “a été accéleré, en 1982, par les radios dites

libres, certaines d’entre elles passant [au moment de l’interview] 98% de chansons et de

musiques étrangères”. Ferrat réclame donc l’instauration de quotas de chansons de langue

française, “au moins 50%” même s’il dit trouver que “60,70% seraient mieux”. Ce n’est pas la

première fois que Ferrat réclame ce quota: ainsi, dans une vidéo réalisée par le PCF en 1985,

dans laquelle des artistes et intellectuels communistes sont invités à témoigner en vue des

prochaines législatives, Ferrat choisit de mettre en lumière ce sujet, décrivant une France “tout

à fait colonisée par l’industrie culturelle anglo-saxonne”: il ne parle pas ici seulement de la

diffusion par les radios mais de tout le cycle de production d’e la chanson, décrivant les

blocages existants à “l’accès, la production, la diffusion et la distribution”. La francophonie

chère à Ferrat se trouve ainsi menacée dans son optique par les logiques du marché qui

privilégient l’industrie anglo-saxonne et les multinationales.

B. David contre Goliath : de petits artistes face aux

multinationales

Ferrat choisit donc de défendre par plusieurs moyens une création culturelle française pour

s’opposer aux géants anglo-saxons. Cela passe d’abord par la création en 1968 avec son

producteur et imprésario Gérard Meys de la société Temey, pour laquelle Ferrat quitte Barclay,

40 Griffon, A. (18 mars 2010). « Jean Ferrat reste un ardent défenseur de la chanson française. ». Le Monde. [en

ligne], disponible à : https://www.lemonde.fr/culture/article/2010/03/18/jean-ferrat-reste-un-ardent-defenseur-de-

la-chanson-francaise_1320974_3246.html?fbclid=IwAR1oMSoLR-

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ayant “senti qu’ils allaient être rachetés par Universal”41: non seulement Ferrat enregistre à

partir de cette date tous ses albums avec ce label mais réalise également une autre action

d’ampleur pour la défense de son oeuvre puisqu’il procède au réenregistrement de tout son

catalogue, afin de rendre tous ses disques accessibles sous le label Temey. En effet, comme

l’explique Gérard Meys, les disques appartenant au catalogue d’Universal sont voués à

disparaître progressivement, puisque subsistent encore “un best-of plus deux ou trois disques”.

Le fait même que le best-of subsiste corrobore la crainte de Ferrat, que seuls les titres s’étant le

mieux vendus subsistent, annihilant ainsi les chances de découverte d’autres titres par le public.

Comme le résume Gérard Meys, “la rentabilité n’était pas notre souci principal, mais la

disponibilité au public oui.” L’engagement de Ferrat pour la préservation de la création

artistique face aux logiques commerciales est significatif jusque dans ses actions personnelles,

puisqu’il a “bloqué deux ans de sa vie” pour procéder au réenregistrement de son catalogue,

avec un souci de qualité musicale. Il s’agissait également par cet acte de prouver la capacité de

la production indépendante française à rivaliser en terme de qualité avec les multinationales,

enjeu éminemment politique pour Ferrat: Meys précise qu’ “il fallait un grand orchestre, que

ce soit noble”, en somme d’ “utiliser tout ce qui était possible” pour “lutter artistiquement avec

les disques Barclay”.

Cette idée de lutte de la petite société indépendante contre la grande société multinationale qui

la menace est dans la filiation de l’engagement communiste de Ferrat, la défense de ceux qui

ont peu de moyens contre ceux qui les réunissent tous étant la valeur cardinale de cette lutte.

Cette défense du petit contre le grand dans le monde du spectacle ne se limite pas pour lui à sa

propre expérience : au contraire cette vision de la lutte à mener s’étend à plusieurs pans de

l’industrie musicale française. Ferrat s’exprime longuement sur le sujet dans une interview

accordée au journal Rouge, l’hebdomadaire de la Ligue Communiste révolutionnaire, en 2001

Concernant le secteur de la distribution, il regrette le quasi monopole que détiennent les grandes

surfaces au détriment des petits disquaires indépendants qui faute de poids suffisant (ne vendant

en 2001 que 3% des disques vendus) ne peuvent passer directement commande et sont

condamnés à disparaître (Ferrat constate, dans son interview pour Le Monde, que ceux-ci qui

“étaient deux mille il y a quelques années” “ne sont [en 1987] plus que trois cents”. A travers

le monopole des grandes surfaces, l’ennemi désigné par Ferrat ce sont les logiques néolibérales

qui traitent la culture comme un produit comme un autre. Ainsi, dans l’entretien dans Rouge à

41 MEYS

Page 72: Entre drapeau rouge et drapeau tricolore : Jean Ferrat et ...

72

propos du processus de sélection des disques par les grandes surfaces, il précise que celles-ci

“se ravitaillent auprès des grossistes” selon un “classement de valeur marchande”, montrant

qu’il n’y a aucune prise de décision artistique et aucun souci qualitatif, simplement un souci

quantitatif et commercial. Il dénonce comme conséquence de cette logique l’apparition de titres

et de chanteurs conçus comme des produits destinés à bien se vendre, commentant notamment

l’apparition en France au début des années 2000 des télé-crochets. Si ce concept n’est pas

nouveau, les radio-crochets pré-existant même à la télévision, ceux qui apparaissent en France

au début des années 2000 sont calqués sur le modèle américain et produits par des

multinationales étrangères.

Les disques issus de télé-crochets sont montrés par Ferrat comme exemple ultime de l’industrie

musicale vidée de tout son sens créatif, le disque devenant non plus une production de nature

artistique mais un simple produit formaté pour être écoulé par une chaîne de distribution, une

“marchandise chanson” (expression utilisée dans l’interview donnée à l’Humanité en 2002)).

Le risque de la chanson vue comme un produit comme un autre n’est pas chez Ferrat une

inquiétude nouvelle, puisqu’il y faisait déjà référence en 1965 sur l’album Potemkine dans la

chanson “La Voix lactée” en ironisant sur sa position personnelle : “Avant que mes chansons ne

fassent des recettes / j’étais un paria du monde des affaires / il paraît qu’à présent c’est fou ce

qu’on m’achète / je suis considéré autant qu’un camembert”. La position que prend Ferrat sur

le sujet de l’industrie créative est tout sauf étrangère à son engagement communiste: bien que

celle-ci soit centrée autour des arts et de la culture, sa nature d’entreprise visant à la rentabilité

et au profit la rend absolument incompatible avec une quelconque préoccupation qualitative et

artistique, puisqu’elle tend à valoriser la logique marchande et dévaloriser la qualité purement

artistiques. Dans la chanson, Ferrat montre qu’au sein de cette logique, être considéré comme

“un fromage” représente un “excès d’honneur” tandis qu’être considéré comme un poète

représente au contraire une “indignité”, l’absurde de cette situation pointant du doigt

l’illégitimité des multinationales et des grandes surfaces dans la sélection des oeuvres

artistiques. Il réaffirme cette position à plusieurs reprises, la résumant en une image dans une

interview de Jacques Chancel en 1975: “Si Rimbaud faisait des émissions maintenant, vous

croyez qu’il aurait un gros pourcentage d’écoute?”42, témoignant de l’absence de corrélation

existante pour lui entre succès populaire et qualité artistique.

42 Antenne 2 (1975) Jean Ferrat : la création et les impératifs commerciaux [vidéo] Disponible à :

https://www.ina.fr/video/I00015415

Page 73: Entre drapeau rouge et drapeau tricolore : Jean Ferrat et ...

73

Ferrat souligne dans ses nombreuses prises de position sur le sujet, que son combat contre le

vedettariat peut sembler paradoxal étant donné qu’il rencontre pour sa part un succès populaire

conséquent (“avec 600 000 disques vendus, ne suis-je pas avantageusement placé parmi les

meilleurs scores de 1986?”, dit-il dans l’interview donnée au Monde en 1987). Il fait état de la

nécessité du soutien aux artistes débutants, soutien qu’il met d’abord en pratique dans ses

actions personnelles (Jacques Boyer cite en effet l’aide apportée aux artistes dans le besoin et

notamment ceux qu’il avait connus à ses débuts dans les cabarets parisiens et qui représentent

tout particulièrement le style de chanson française que Ferrat défend) mais également dans ses

prises de position. Dans l’interview qu’il donne à Rouge, Ferrat évoque une “censure

médiatique” à l’encontre des “gens qui ne sont pas dans le moule”. Pour lui, la mondialisation

néolibérale et les logiques des multinationales exercent une forme de censure extrêmement

oppressive, puisqu’il qualifie la censure étatique dont il a lui-même été victime au temps de

l’ORTF de “beaucoup plus rare”, face à une manière de produire et de diffuser “coercitive et

discriminatoire”.

C. La nécéssaire implication du service public

Ainsi, pour Jean Ferrat, la culture française est fortement menacée par les impératifs

commerciaux régnant dans l’industrie créative française, et toutes ses spécificités risquent

d’être perdues dans l’uniformisation de la culture: la seule manière selon lui de lutter contre cet

écueil est d’abord de faire assumer un réel rôle en ce sens au service public (les chaînes de

télévision et radios nationales ainsi que le Ministère de la Culture) et ensuite de créer un front

commun des diversités culturelles, notamment européennes, pour faire bloc et pouvoir rivaliser

avec la puissance américaine.

Cette importance accordée par Ferrat au rôle que devrait selon lui jouer le service public

français pour ne pas laisser la création être entièrement à la merci des logiques commerciales

est une préoccupation qui préexiste à la libéralisation des radios en 1982. Déjà en 1965, dans

l’émission “Seize millions de jeunes” qui suit son concert dans la ville minière de Decazeville,

le journaliste met Ferrat face à un paradoxe: il est un chanteur des classes ouvrières et se

présente comme tel, or la plupart des mineurs de la ville ayant été interviewés à son sujet ne

peuvent venir, les places de concert étant trop chères pour eux. Ferrat répond que “le problème

de la culture n’est plus individuel, c’est un problème d’Etat”: il ne peut pas être tenu responsable

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74

du prix des places, trop élevé pour les classes populaires, c’est la logique de l’offre et de la

demande présente dans l’industrie du spectacle qui en est la cause. En faisant passer ce

problème comme “problème d’Etat”, il appelle à une intervention des services publics dans le

domaine culturel et musical permettant une égalité d’accès à la musique pour les classes

populaires. Dans l’interview pour L’Humanité, lorsque le journaliste lui demande “comment

rompre la course à l’uniformité”, Ferrat n’avance en effet non pas des actions individuelles et

privées mais bien des actions politiques, concrètes et d’envergure nationale, envisageant leur

mise en oeuvre par le Ministère de la Culture, avec par exemple la création de “centres

nationaux et régionaux de la chanson”. Ferrat résume ce rôle crucial que le service public est le

seul à être en mesure de jouer: “c’est une affaire de volonté et d’ambition politique pour la

culture.”

La lutte contre l’uniformisation de la chanson française doit donc pour Ferrat être menée par le

service public national et notamment le Ministère de la Culture. Il souligne toutefois qu’en face

de la globalisation, “on ne peut rester entre soi” (dans l’interview donnée à l’Humanité en 2002)

et que la lutte doit notamment “s’élargir géographiquement à l’Europe”, qui est ainsi montrée,

en tant qu’Europe culturelle, comme un rempart contre la domination américaine. Jacques

Boyer affirme d’ailleurs sans hésitation que Ferrat était pro-européen, car sans l’Europe pour

former une entité ,seuls restaient en position dominante les Etats-Unis. Ferrat est cependant, en

accord avec la ligne du PCF, opposé à l’Europe libérale et s’engage donc en 2005 pour le “non”

au réferendum européen. Toujours dans “Quand on n’interdira plus mes chansons”, Ferrat

achève de dresser un portrait de ce qu’il deviendrait en tant qu’ “enfant chéri des monopoles”

“glorifiant à tour de bras l’Europe des supers patrons”. Ferrat oppose donc l’Europe de

l’exception culturelle qu’il s’attache à défendre à l’Europe du libéralisme qui représente une

menace pour ces exceptions culturelles nationales.

Ainsi, l’importance toute particulière que Ferrat accorde à la garantie de l’indépendance

française en matière culturelle le place dans la droite lignée du Parti Communiste à l’époque.

Toutefois le PCF n’a pas le monopole de la nation en ce qui concerne l’indépendance culturelle,

étant encore une fois en compétition avec le seul mouvement politique rival qui puisse prétendre

à une incarnation tout aussi, sinon plus, forte de la nation, le gaullisme. Cette relation

concurrente, se rejoignant sur certains points, notamment celui de l’exception culturelle, se

retrouve dans les prises de position de Ferrat quant à la création en langue française. En effet,

dans l’article du Monde consacré à Ferrat et la chanson française, il est précisé qu’il cite un

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75

article de “Dominique Galley, président du Club Gaullisme et prospective”, article décrivant

une “véritable colonisation culturelle”.

La position gaulliste et la position communiste qui est celle de Ferrat se rejoignent ici, donnant

à voir l’effort des deux pour se hisser au rang d’incarnation de la nation. Cet effort illustre les

propos de Marc Lazar, qui montre cette relation comme structurante de la vie politique française

ayant pour point névralgique ce rapport à la nation, qui éclaire simultanément des différences

irréconciliables et des points de convergence, comme celui que Ferrat contribue à mettre en

lumière.

Ainsi, la défense de la francophonie s’inscrit pour Ferrat, de même que la défense des

zones rurales, dans un combat plus large à l’encontre des logiques capitalistes et de la

domination américaine.

Page 76: Entre drapeau rouge et drapeau tricolore : Jean Ferrat et ...

76

Conclusion

Le parcours de Jean Ferrat témoigne de des profondes mutations qui traversent la société et la

politique française sur les plans de l’idéologie, des préoccupations internationales, et

contribue en la dépeignant à construire la France de gauche.

Ferrat, du fait de sa connaissance des conditions ouvrières et de la sensibilité avec

laquelle il envisage ces conditions, ne peut se résigner, malgré sa lucidité quant aux crimes de

l’URSS, à abandonner l’idéal communiste qui a largement façonné sa vision du monde et qui

représente pour lui la seule alternative face au « rouleau compresseur » que représente, pour

les classes populaires, le capitalisme.

Les classes populaires sont sans nul doute ce qui constitue le cœur de l’engagement

chez Jean Ferrat et sont la donnée la plus importante à analyser pour comprendre son

engagement quelle que soit la période ou le sujet de sa prise de position. Il n’est en rien

anodin que son premier succès soit un titre aux accents de réalisme socialiste, puisque le fait

de peindre la réalité ouvrière ne relève pas pour lui d’un choix esthétique mais bien d’une

position fondamentalement politique. Les accents ouvriéristes de certaines chansons, qui

peuvent sembler contradictoires avec la prétention universaliste qu’il affiche à certains

moments, ne sont que l’expression viscérale de cet attachement aux classes ouvrières, la

détestation des bourgeois qu’il affiche étant pour lui la conséquence de leur participation à la

domination et à l’exploitation des classes populaires. Le fait que son engagement

communiste, hors de ses prises de position, soit au niveau concret relativement désintéressé

du niveau national mais profondément ancré dans le combat syndical et dans les actions

municipales concrètes témoigne de la volonté d’un combat local concret apportant une

amélioration effective de la vie des individus. De même, l’enthousiasme profond suscité par

l’idéal cubain n’est pas le seul effet des images de révolution romantique affichées par les

castristes mais relève tout autant du constat de la tentative que fait selon lui le régime de

replacer l’humain en première place. Le refus de Ferrat de se résigner à abandonner l’idéal

communiste même lorsqu’il dresse des critiques musclées contre l’URSS témoigne du souhait

de voir l’avènement d’un avenir meilleur pour les classes ouvrières.

De plus, lorsque Ferrat chante la France, il chante en réalité l’histoire et les paysages

de la France ouvrière, qui est particulièrement celle à laquelle Ferrat adresse ses ôdes.

Cette France populaire représente pour Ferrat la seule voie permettant un équilibre entre « la

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jungle et le zoo » : ses louanges de la France comme terre de liberté et de poésie universelle la

montrent aux antipodes de l’Union Soviétique qui se caractérise par une répression lourde et

omniprésente. Avec le discrédit jeté sur l’URSS, Ferrat transfère l’idéal communiste abstrait

auquel il faisait référence dans ses prises de position contre l’union soviétique et contribue à

forger la mémoire d’une France à la fois populaire et universelle, qui peut dès lors devenir un

pays de référence pour les « peuples étrangers ». Ferrat travaille à forger l’image d’une France

forte et indépendante qui possède un rayonnement mondial suffisant pour reprendre le

flambeau de l’idéal communiste et lutter contre l’invasion culturelle américaine.

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Table des matières

Remerciements ........................................................................................................................... 3

PREMIERE PARTIE – L’identité ouvrière comme base de l’idéal communiste transnational

.................................................................................................................................................. 12

Chapitre 1 – La défense des classes ouvrières, principe et raison de l’engagement. ........... 12

I. La condition ouvrière comme origine de l’engagement et identité première ............... 13

A. L’esthétique ouvrière : du réalisme socialiste dans la chanson ............................... 13

B. Ouvriérisme et mépris de la bourgeoisie ................................................................. 17

C. « Je ne chante pas pour passer le temps » : la position d’artiste engagé ................. 20

II. L’engagement communiste local plutôt que national .................................................. 22

A. L’engagement syndical inévitable ......................................................................... 23

B. L’engagement local et les responsabilités politiques .............................................. 25

C. Les « relations avec les communistes » au niveau national .................................... 26

Chapitre 2 – L’idéal communiste mondial en application ................................................... 27

I. Les combats internationaux propres à la culture communiste ................................... 28

A. Forger une mémoire de la gauche mondiale............................................................ 28

B. Censures et soutiens des intellectuels ...................................................................... 30

C. Anticolonialisme et antimilitarisme ......................................................................... 31

II. L’idéal communiste s’éloigne de ses bases territoriales ....................................... 34

A. « Le Bilan » de l’URSS ........................................................................................... 34

B. « Cuba sí » : le nouvel imaginaire révolutionnaire .................................................. 40

C. Quid de l’idéal sans ancrage territorial ? ................................................................. 43

DEUXIÈME PARTIE – La France comme horizon de l’idéal................................................. 47

Chapitre 3 - L’histoire de France entre cycle révolutionnaire et républicanisme. .............. 48

I. L’histoire française dans le prisme communiste ........................................................... 48

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A. La Révolution Française comme évenement radical et matriciel. ......................... 49

B. La Commune de Paris et sa répression .................................................................. 51

C. La Résistance d’obédience communiste ................................................................ 54

II. L’universalisme républicain ........................................................................................ 55

A. Patriotisme et lyrisme des paysages ....................................................................... 55

B. La convocation de la Troisième République pour continuer les combats

contemporains .............................................................................................................. 56

C. La République l’emporte sur les idéologies ........................................................... 60

Chapitre 4 - La nécéssaire préservation de la France et de son indépendance. ................... 63

A. La préservation des savoirs-faire des classes populaires ....................................... 64

B. L’authenticité face au « factice » capitaliste .......................................................... 65

C. La sauvegarde du monde rural, cheval de Troie des préoccupations écologiques . 66

A. L’attachement à la qualité littéraire du français et la lutte contre l’américanisation

67

B. David contre Goliath : de petits artistes face aux multinationales ........................ 70

C. La nécéssaire implication du service public .......................................................... 73

Ouvrages : ................................................................................................................. 103

Articles : .................................................................................................................... 104

Articles de presse : .................................................................................................... 104

Archives audiovisuelles : .......................................................................................... 105

Colloque : .................................................................................................................. 106

Albums musicaux : ................................................................................................... 107

Filmographie : .......................................................................................................... 107

Site internet : ............................................................................................................. 107

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Table des annexes

Annexe 1 : Liste des entretiens réalisés…………………………………………..…………...82

Annexe 2 : Entretien avec Guy Thomas…………………………………………..…………...82

Annexe 3 : Entretien avec Gérard Myes……………………………………….....…………...88

Annexe 4 : Paroles « Ma France »………………………………………………..…………...95

Annexe 5 : Paroles « La paix sur terre » …………………………………………..………….97

Annexe 6 : Paroles « Le bilan » ………..…………………………………………..………..100

Annexe 7 : Paroles « Camarade »………………………………………………..…………..102

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Annexes

Annexe 1 : liste des entretiens réalisés

Le 22 février 2019 : entretien avec le parolier de Jean Ferrat, Guy Thomas, à Pillemoine (39).

Le 24 avril 2019 : entretien avec Gérard Meys, imprésario et producteur de Ferrat, par téléphone

Le 29 juillet 2019 : entretien avec la chanteuse Francesca Solleville à Antraigues-sur-Volane

(07)

Le même jour : entretien avec Michèle Saussac, Bruno Fargier et Daniel Bastide, militants

communistes ardéchois, même lieu

Le 31 juillet 2019 : entretien avec Jacques Boyer, ami de longue date de Jean Ferrat, même lieu

Annexe 2 : retranscription de l’entretien

avec Guy Thomas

Lucile : Le mémoire que je fais porte donc sur l’engagement communiste de Ferrat, ses

sympathies communistes. Vous connaissiez Ferrat depuis les années 1970, c’est bien ça ?

Guy Thomas : c’est ça, depuis 71.

L : D’accord. Et il vous avait sollicité pour lui écrire des chansons ou c’est vous qui…

GT : Ah non non, moi j’écrivais dans des journaux qui étaient pas très bien vus à l’époque,

Hara-Kiri de Cavanna et puis après dans Charlie Hebdo et d’ailleurs la première chanson sue

Ferrat m’a pris avait été publiée dans HK, c’était La leçon buissonnière. C’est le Canard

enchaîné qui m’avait fait une bonne critique sur une plaquette de poèmes, le journaliste m’avait

dit « tu devrais envoyer tes insolences à Jean Ferrat parce qu’il a le sens de l’humour », voilà.

Et donc moi je lui ai envoyé ma petite plaquette et quelques temps après il m’a dit qu’il allait

chanter La leçon buissonnière, j’étais bien content.

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L : En général c’est vous qui lui proposiez des textes ou il vous demandait quand même certains

sujets ?

GT : Ah non non non, je lui envoyais régulièrement les textes qui pouvaient à mn avis être mis

en musique et lui choisissait ce qui l’intéressait. Moi j’écrivais beaucoup, il choisissait les

thèmes qui l’intéressaient. Il choisissait bien, en général il faisait des musiques supers. C’était

un mélodiste, Ferrat. Au début il me prenait 2 ou 3 chansons, et après en 85 il m’a pris tout un

album.

L : Et pour ce qui concerne l’engagement, vous diriez que Ferrat avait beaucoup de liens avec

le PCF ou c’était une relation plus distante ?

GT : Il était très apprécié par le Parti Communiste, d’abord parce qu’il chantait Aragon, mais il

m’a répété je ne sais pas combien de fois qu’il n’avait jamais pris de carte au PCF ! Il était un

compagnon de route quoi. Il approuvait souvent mais souvent il n’était pas d’accord.

L : Et il vous a dit pourquoi il n’a jamais pris de carte ?

GT : Oh il me disait que c’était pas le rôle d’un artiste de se vanter de ses opinions politiques

et puis il n’approuvait pas non plus le Parti Communiste tel qu’il était conçu en URSS. Il n’a

d’ailleurs jamais voulu y aller en URSS, alors qu’on lui a demandé souvent. Il allait partout

lais pas en URSS. Donc les gens qui disent que c’est un communiste, oui il a partagé les idées

communistes mais bon…

L : Et est-ce que vous avez eu l’impression que ses idées politiques évoluaient au fil des années ?

Quand on regarde des chansons écrites plus tard par vous comme Les Cerisiers et La Porte à

droite, l’idéal n’a pas changé mais il y a une forme de désillusion.

GT : Oui, il a aussi écrit Le Bilan qui était vraiment une position pas appréciée par le PCF, il

n’empêche qu’il avait raison. C’était un type simple Ferrat, c’était un type dont on avait envie

d’être l’ami.

L : Oui par rapport à d’autres artistes compagnons de route, Ferrat renvoie une image beaucoup

plus accessible…

GT : Oui, il aurait pu profiter d’être très renommé mais il a jamais profité de ça comme ça. Pour

imposer son point de vue sur les choses c’était à chacun de faire. Moi il m’appelait

« l’anarchiste ». C’était un peu exagéré mais c’est vrai que j’ai des idées un peu anarchistes, ça

dépend ce qu’on entend par là.

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84

L : Vous n’aviez pas tout à fait la même position politique ?

GT : Oh moi je défendais la même chose, là-dedans (dans le poème qu’il a écrit à la mort de

Ferrat) je dis justement « Nos goûts se rejoignaient malgré nos différences / je lisais ses

chansons lui lisait mes écrits / Moi je l’applaudissais quand il chantait ma France / lui n’avait

peur de rien quand il poussait mon cri ». J’étais un peu différent parce que des fois j’approuvais

pas ce qu’il disait mais c’était la bonté même Ferrat, même moi j’étais un peu méchant avec lui

(rires).

L : Sur quels sujets vous n’étiez pas d’accord ?

GT : Si vous voulez moi Aragon par exemple j’ai pas toujours approuvé la politique d’Aragon

quand il dirigeait les Lettres Françaises tandis que Ferrat il ne voyait rien de plus beau

qu’Aragon. Parce qu’Aragon il a écrit de très belles choses mais d’un autre coté il a écrit aussi

un ôde à Staline, mais Ferrat il en parlait pas. Mais il avait son opinion là-dessus qui était juste,

mais forcément il avait pas envie qu’Aragon lui refuse ses chansons en musique. Aragon était

content parce qu’il était très lu mais jamais par un million de personnes. Moi par exemple j’ai

édité à 300 exemplaires tandis que le disque de 85 s’est vendu à presque un million

d’exemplaires, c’est une façon d’être connu la chanson, quand elle marche.

L : Est-ce que vous parliez souvent de politique avec Ferrat ?

GT : Ah oui très souvent, il est venu plusieurs fois ici, il se cachait en disant « surtout ne

préviens pas les journalistes », et puis j’allais le voir à Antraigues. Parce qu’il était occupé.

Quand on s’est connu, il venait d’acheter sa maison d’Antraigues. Elle était dans un piteux état,

il la retapait et je l’ai connu à partir de 71 donc il venait de l’acheter, il la refaisait, je l’ai jamais

connu avant : je l’écoutais comme vous, comme les gens, et quand le type du Canard enchaîné

m’a dit d’envoyer ça je lui disais « ça sert à rien » et puis finalement ça a servi. Il avait trouvé

le repos à Antraigues, il se plaisait avec les gens.

L :Il était très intégré à la vie du village ? Il ne se positionnait pas à l’écart ?

GT : Ah non pas du tout, non non. Il a aidé je ne sais pas combien de gens à Antraigues parce

que les gens lui demandaient toujours « qu’est-ce que vous faites pour aider les pauvres ? ». Il

disait « ça ne vous regarde pas ce que je fais ». Mais moi je sais ce qu’il faisait, il aidait les

gen,s qui étaient dans la dèche dans son petit coin. On lui avait reproché un jour de ne pas

donner d’argent aux Restos du Cœur et il avait répondu « mais vous avez pas à me demander

pour qui je fais la charité ». Il avait raison.

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Et puis lui il jouait aux boules, il était adjoint d’Antraigues, maire adjoint, élu sur la liste

communiste mais à Antraigues ils sont tous communistes. On se marrait, des fois, quand ils

allaient à la Fête de l’Huma il y avait les communistes du haut et les communistes du bas, ils

montaient pas dans le même autobus.

L : Vous pensez que ça avait joué dans sa décision d’aller à Antraigues, que le village soit si

ancré dans le communisme ?

GT : Oh non, non ce qui avait joué c’était que le maire d’Antraigues c’était un peintre, un

magnifique peintre, j’ai oublié son nom mais c’était l’ancien maire et donc c’était son copain.

Ils étaient copains tous les deux, et il lui a dit « tu devrais venir, je sais que tu cherches une

maison, tu devrais venir à Antraigues, parce que c’est un beau petit village et puis voilà… ».

Et il a réussi à ce que Ferrat achète une maison. C’était par amitié, pas pour venir dans un pays

communiste. D’ailleurs à la fin de sa vie il était pas content parce qu’il y avait eu 28 voix pour

la mère Le Pen. Il avait piqué une colère contre les gens d’antraigues qui avaient voté comme

ça.

L : A la fin de sa vie il était moins sur la scène publique…

GT : On le voyait moins à la télé oui, quand il publiait un CD ça reprenait, il était demandé

partout…

L : Il avait un rapport assez compliqué avec la TV non ? Par rapport aux censures et aux

chansons « déconseillées » par l’ORTF ?

GT : Il a été interdit oui, il y a une fois où il a refusé de faire une émission à cause de

D’Ormesson, « ah Monsieur D’Ormesson, vous osez déclarer… » [chanson Un air de liberté]

ceci cela. Et il a pas pu le chanter, ça a été censuré. D’Ormesson c’était un type de droite, bien

installé dans son fauteuil… mais moi j’ai pas à m’en plaindre de D’Ormesson parce qu’il m’a

écrit une lettre en me disant que Les Cerisiers [chanson de Ferrat écrite par GT en 1985] c’était

aussi beau que la chanson Le Temps des Cerises. Et Ferrat m’avait dit « surtout tu gardes bien

ta lettre ! ».

L : Vous du coup vous n’étiez pas non plus au PCF ?

GT : Ah non, moi je n’y étais pas. J’étais au PSU à un moment pendant la guerre d’Algérie,

parce que j’étais pour la fin de la guerre. Ferrat me traitait d’anarchiste, c’est vrai que j’avais,

j’ai toujours d’ailleurs, un coté anarchiste, le Parti Communiste maintenant in ne pèse pas lourd.

Enfin moi j’ai pas passé ma vie à faire de la politique, j’écrivais ce que je pensais. Bon quand

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vous lisez Les Cerisiers, ça fait un peu poème à position politique, et c’était celle de Ferrat aussi

puisqu’il la chantait. La dernière fois qu’il a chanté en public c’était Les Cerisiers, à la Fête de

l’Huma, tout le monde lui disait « une chanson, une chanson ! » et il a dit « tiens je vais vous

chanter celle-là, c’est une chanson que j’aime bien », j’étais content… parce que le texte c’était

quand même moi qui l’avais écrit. Le refrain, je l’avais écrit quand j’avais 18 ans au lycée

Carnot de Dijon. Evidemment, après j’ai repris le refrain pour faire une chanson, parce que à

18 ans j’écrivais pas toujours de manière parfaite, j’écrivais des poèmes quoi et un poème c’est

pas pareil qu’une chanson il faut l’adapter.

L : Il en écrivait beaucoup lui-même Ferrat quand même ?

GT : Ah oui pas mal, il en a même écrit que… « Les Allemands m’emmerdent », vous voyez ?

C’est marqué « Guy Thomas, Jean Ferrat ». Je vais aller chanter à Sarreguemines, à la frontière

allemande, et la chanteuse veut pas la chanter parce que là-bas il y a des gens qui regrettent

l’occupation allemande.

L : Qu’est-ce que c’est cette chanson ?

GT : « Les Allemands m’emmerdent », vous voulez l’écouter ? Comme quand il est mort, il

m’envoyait une petite cassette quand il me faisait une musique, il m’en a envoyées qu’il a

chanté, mais d’autres il n’a pas eu le temps comme celle-là. Il se réjouissait de chanter ça, parce

que s’amener sur une scène en disant « je vais vous chanter « Les Allemands m’emmerdent »,

il se réjouissait de ça mais il est mort avant. Et j’en ai plusieurs comme ça, une dizaine qui

sortiront un jour, mais on cherche avec l’éditeur l’oiseau rare, parce que les gens qui veulent

les chanter, l’éditeur dit « ça vaut pas le coup », parce que c’est des types qui vendent 500 CDs,

alors il cherche un type qui a un nom pour chanter. C’est un peu emmerdant mais l’éditeur lui

il voit ce qui rapporte du fric et moi je suis content quand j’entends ma chanson. J’ai une

chanteuse avec qui on fait des spectacles, ce qu’on va chanter à Sarreguemines, c’est elle qui

chante, moi je case deux trois poèmes ou des anecdotes avec Ferrat, par exemple quand il a

chanté « Le chef de gare est amoureux », on a eu des ennuis parce que la SNCF a accusé Ferrat

de porter atteint à la morale des chefs de gare, c’étaient des histoires de cocus… Ils ont refusé

de passer une publicité pour le disuqe, et on l’entendait plus à la radio, ils avaient passé un coup

de téléphone en disant ne passez pas cette chanson-là. Bon ça ne l’a pas empêchée de se vendre

quand même. Ils avaient pas compris le texte, ca avait rien à voir avec des histoires de cocus.

Et « Les Allemands m’emmerdent », c’était une chanson sur le fait qu’on n’avait pas tenu

compte du résultat du réferendum sur le statut de l’Europe, avec 55% des Français qui avaient

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voté non et quand on a changé de président ils nous ont fait reconnaitre ça. Et donc « les

Allemands m’emmerdent » parce que les allemands ils nous donnaient tort à cette époque

d’avoir voté contre.

L : Et par rapport aux Allemands, Ferrat vous parlait de la guerre, de sa jeunesse ?

GT : Oui il en parlait. Sans se plaindre parce qu’il avait été recueilli par des gens dans le Midi

quand il risquait quelque chose, ils ont appris la mort de son père après, il en a souffert mais

après, pas de la même manière que moi. Moi j’ai crevé de faim pendant la guerre, j’étais môme.

Lui il a été bien nourri, il entendait plus parler de l’Occupation, les gens de la zone libre étaient

pas écrasés comme les autres. Il se plaignait jamais, Jean. Et moi il avait du mal à comprendre

que je sois anarchiste parce que moi pendant la guerre, le Secours National, un truc du maréchal

Pétain, a dit « vous allez pas rester avec votre mère comme ça, vous allez aller au petit

séminaire » et ils m’ont foutu au petit séminaire pendant trois ans. Alors j’ai crevé de faim et

en plus j’étais mal vu par les curés, maintenant je leur rends bien. J’ai été foutu dans une boîte

à curés, j’ai du mal à leur pardonner. Je vous passe l’enregistrement ?

CHANSON :

Dieu sait si je ne suis pas raciste

Mais j’vous avoue que par moments

Malgré mes idées socialistes,

J’peux pas blairer les Allemands

Y’en a beaucoup qui m’exaspèrent

Et j’ai beau me dire à demi-voix

Qu’ils sont moins chiants qu’pendant la guerre

Je n’vous cache pas que quelquefois

Les Allemands m’emmerdent, les allemands m’emmerdent, les Allemands m’emmerdent

C’est pareil avec les British, les Turcs et les Américains.

Y en a des biens oui mais j’t’en fiche

Y en a qui sont beaucoup moins bien

J’connais pas la xénophobie

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Pourtant c’est vrai que quand j’en vois

Les habitants de la Wallonie

M’ennuient souvent autant ma foi

Que les Flamands m’emmerdent

Voilà pourquoi je reste en France

Au beau milieu des Franchouillards

Mais si j’vous dis ce que j’en pense

Vous risquez de me trouver bavard

Sachez mes chers compatriotes

Que je suis un vilain coco

Un vilain coco qui chuchote

A chacun de vos cocoricos

Les Français m’emmerdent, les Français m’emmerdent…

GT : Quand ill dit « je suis un vilain coco c’est pour se foutre de sa gueule. Elle était pas mal

celle-là, on l’a chantée, dans le Sud de la France par exemple. Je vais vous faire écouter encore

GT : C’est une chanson féministe ça, alors féministe et anarchiste ça lui plaisait beaucoup.

Annexe 3 entretien Gérard Meys

Retranscription : Entretien téléphonique avec M. Gérard Meys

(producteur et légataire du droit moral de Jean Ferrat)

L : Bonjour, merci beaucoup de me répondre.

Page 89: Entre drapeau rouge et drapeau tricolore : Jean Ferrat et ...

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G : Pas de soucis.

L : J’aurais des questions à vous poser puisque je réalise mon mémoire d’histoire sur Jean Ferrat

et son engagement politique. J’ai donc surtout des questions à vous poser sur son engagement

au sein de son activité professionnelle. J’ai vu au cours de mes recherches qu’il avait fait partie

de plusieurs initiatives concrètes d’actions de syndicats de professionnels du spectacle, comme

faire partie en mai 68 des Etats Généraux des variétés, et également soutenu le syndicat national

des acteurs.

G.M. : Oui, dont il faisait partie.

L : Il a toujours été dans des syndicats ?

GM : Absolument, absolument. Il y a toujours été, et ça date de quand il travaillait à 16 ans, où

il a été éveillé à l’esprit syndical, et tout naturellement quand il est devenu, avec ce mot

pompeux, artiste, il est rentré au Syndicat Français des Artistes.

L : Donc il y a eu une certaine continuité dans cet engagement ?

GM : Absolument, il était syndicaliste quand il travaillait dans une petite usine, et tout

naturellement quand il a choisi ce métier et que ce métier l’a choisi, il est rentré au SFA.

L : Et j’avais vu une longue interview de lui dans l’Huma et une interview vidéo en 85, qu’il

défendait l’instauration de quotas de chanson d’auteur française. C’était une cause dans laquelle

il était très impliqué ?

GM : Oui, et depuis toujours. Il défendait la chanson française, il trouvait qu’on était envahis

par les yéyés…

L : Est-ce qu’il s’est impliqué politiquement, est-ce qu’il a eu des contacts avec des

responsables politiques ?

GM : Il en a eu naturellement. Il n’avait pas de carte de parti politique, i n’avait jamais eu de

carte, il a toujours été de ce coté-là indépendant puisqu’il n’a pas tjs été d’accord avec le PCF,

il faut le dire, mais il était compagnon de route, et il est toujours resté indépendant.

L : Par rapport au PCF, est-ce que les chansons les plus critiques qu’il a pu faire comme par

exemple Le Bilan, est-ce que ça avait proposé une réaction de la part du PCF.

GM : Ca ne lui a pas fermé les portes du tout, ils se sont pas fachés, ils ont discuté, c’était la

position de Ferrat et voilà mais il n’a pas claqué la porte, ça n’a pas empêché les relations de

continuer, c’était un désaccord profond c’est tout et L’Huma a d’ailleurs imprimé le texte du

Page 90: Entre drapeau rouge et drapeau tricolore : Jean Ferrat et ...

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Bilan. C’était pas possible de discuter si on censurait le texte, il fallait savoir de quoi on parlait,

donc ils l’ont imprimé. Vous savez, moi je n’aime pas parler pour lui, évidemment vous ne

pouvez pas l’interviewer, mais pour moi c’était surtout un engagement social qu’il avait, plutôt

que politique. Evidemment, qui dit social dit faire de la politique. Par exemple, c’était une

position syndicale. Il a toujours eu des problèmes à la TV et à la radio parce que beaucoup de

ses confrères, tous contents de passer à la TV ou à la radio, passaient gracieusement. Ferrat n’y

est jamais passé gracieusement quand il chantait, je ne parle pas d’interviews. Il demandait

toujours un cachet pour lui et ses musiciens évidemment, à tel point que lorsqu’il a fait la Fête

de l’Huma, RTL était venu et avait mis des micros pour diffuser les passages de Ferrat, il a

refusé s’il ne touchait pas de cachet pour la diffusion à RTL. Donc c’était vraiment la fête de

l’Huma, il pouvait pas avoir plus, mais il a dit « vous enlevez les micros si vous me faites pas

signer pour avoir un cachet syndical ». C’était pas le montant qui était important, c’était le

cachet, protection sociale. Donc c’est surtout pour des choses comme ça qu’il a agi.

L : Justement, en parlant de la radio et de la TV, il y a quand même beaucoup de chansons qui

ont été plus ou moins censurées à l’époque de l’ORTF, Nuit et Brouillard notamment qui avait

été déconseillée…

GM : Oui, c’est ça. C’était le directeur dde l’ORTF qui avait dit en 63 « C’est une chanson

inopportune », « inopportune », c’était le mot. Ca desservait la réconciliation franco-allemande.

C’était Adenauer, je crois, en Allemagne, et il y avait une réconciliation, un rapprochement qui

se faisait donc la chanson était devenue inopportune. Donc c’est pas exactement le mot

« censure », c’était plus subtil que ça. Il y eu aussi Potemkine en 65, c’était dans une émission

d’Albert Ressner, Age tendre et tête de bois, au moment des yéyés, émission de grand succès,

et comme Ferrat était en plein succès Albert Ressner l’a fait venir et Ferrat avait choisi de

chanter potemkine parce que la chanson venait de sortir. Quand il est arrivé à la TV, on lui a dit

« il faut changer de chanson », ce qu’il a refusé de faire. Donc après il a fait une conférence de

presse et il y a une cinquantaine de personnalités qui ont protesté contre l’interdiction de Ferrat

de chanter Potemkine. Il y avait Godard, Yves Montand et Signoret, Aragon et Elsa Triolet, plus

de cinquante personnes qui ont fait une pétition contre cette interdiction. Malgré ça (c’était en

novembre), en décembre il devait faire Télé Dimanche qui était une émission à succès l’après-

midi, avec les sports il y avait une vedette de la chanson qui passait et on l’a refusé aussi parce

que Ferrat continuait à vouloir chanter Potemkine. Il a dit « je ne passerai pas à la TV tant que

je ne chanterai pas Potemkine », donc il n’a pas fait non plus Télé Dimanche.

L : A aucun moment ils n’ont accepté qu’ils ne le chantent ?

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91

GM : Ah non non. Et il y a eu aussi en 69 un passage à une émission qui s’appelait L’Invité du

Dimanche et c’était avec un auteur poète Jean-Pierre Chabrol qui est un écrivain, et dans

l’émission il y avait Brassens, Brel et Ferrat. Et là un des directeurs de l’ORTF a dit « Que

Ferrat chante, d’accord mais surtout qu’il ne parle pas ». C’était au moment de Ma France. Il y

avait des anarchistes, Chabrol était un peu anarchiste, Brassens n’en parlons pas… C’était une

émission très longue de deux heures, deux heures et demi, avec liberté de parole donc Ferrat

parlait beaucoup, en plus il n’était pas toujours d’accord avec Brassens, Brel etc, donc ça

s’éloignait de la chanson et ça devenait très politique. Ce directeur a dit ça et suite à ça Ferrat

n’est pas passé à la TV pendant deux ans, parce qu’il voulait chanter Ma France et on lui refusait

toujours. C’est à ce moment-là, c’était une immense vedette en 69 : il avait 5 émissions de TV

et les 5 ont été annulées. Il y avait une émission qui s’appelait Midi Magazine, une émission

qui s’appelait Quatre Temps, une émission qui est Discorama, toujours Télé Dimanche… il

n’est pas passé à la TV pendant deux ans, et le réalisateur de cette émission qui s’appelait Otzen

Berger a été aussi interdit d’antenne pendant deux ou trois ans.

L : Tout à l’heure vous avez mentionné les yéyés, comment vous expliquez l’émergence de

Ferrat et le fait que ça soit devenu une vedette aussi importante à contre-courant de ce style ?

GM : Ca peut être un avantage justement, c’était un peu d’un côté de la chansonnette, il y avait

des choses très sympathiques mais voilà, de l’autre ccôté il y avait la chanson à textes et Ferrat

est devenu remarquable à cause de ça.

Et enfin on arrive à Un air de liberté en 75, chanson qui reprenait un édito de D’Ormesson dans

le Figaro, et ça n’a pas été interdit, c’est beaucoup plus subtil que ça, parce que c’était une

émission spéciale sur Ferrat de Jacques Chancel, et D’Ormesson a fait une pression

téléphonique parce qu’il était très intelligent et jamais il se serait permis de dire « je veux pas

qu’on passe la chanson », il l’aurait jamais écrit, il aurait pas pris un avocat car ça aurait fait

beaucoup de bruit. Donc il a été plus subtil que ça, il a pris son téléphone et il a téléphoné à la

direction de l’ORTF et il a dit « je veux pas que la chanson passe, sinon je fais un procès à

Antenne 2 », donc c’est Antenne 2 eux-mêmes qui se sont auto-censurés. Et ça c’était le dernier

important, public de Ferrat parce qu’après en 77 on avait pris une indépendance totale du métier

et on est devenus co-producteurs ou producteurs des émissions, qui étaient des émissions où

Ferrat ne chantait pas une ou deux chansons, mais des émissions d’une heure une heure et demie

avec seulement Ferrat. Donc à partir de là il n’y a plus eu de censure parce que c’est nous qui

produisions ou coproduisions.

Page 92: Entre drapeau rouge et drapeau tricolore : Jean Ferrat et ...

92

L : Dans la biographie de Belleret, il parle des productions que vous avez fondées avec Ferrat.

GM : Moi j’avais déjà une société de disques où j’avais Juliette Gréco, Anne Sylvestre, Isabelle

Aubret, donc j’avais fait mes armes dans le disque, et parallèlement à ça on a fondé notre société,

parce que moi je devais tout à Ferrat quand même depuis le début, j’étais son éditeur son

imprésario, et donc je lui devais bien de lui faire profiter de ce que j’avais appris pour qu’on

devienne complètement indépendants.

L : Et Ferrat a réenregistré tous ses titres ?

GM : Oui, c’est pour ça que nous l’avons fait parce que depuis 1960 il était chez Decca, une

société phonographique importante à l’époque, ensuite chez Barclay, et puis on a senti que

Barclay allait se faire racheter par Universal, et on s’est dit tout le catalogue on ne pouvait pas

être indépendants. Donc Ferrat a bloqué deux ans de sa vie pour réenregistrer tout son catalogue

depuis 1960. Enfin il ne faut pas imaginer deux ans du lundi au dimanche en studio, c’est par

périodes d’un mois etc, pour réenregistrer je crois 12 disques.

L : Donc il s’agit quand même d’une décision de grande ampleur.

GM : Oui, et coûteuse évidemment, puisqu’il fallait que ce soit un grand orchestre, que ça soit

noble, il fallait pouvoir lutter artistiquement avec les disques Barclay,avec tous les

enregistrements passés, donc il fallait utiliser tout ce qui était possible pour que ça soit si

possible mieux mais au moins égal.

L : Quelles auraient été les conséquences si Ferrat était passé chez Universal ?

GM : Les conséquences, elles existent : les disques de Ferrat chez Barclay, il y en a deux ou

trois au lieu d’en avoir six ou sept. Ils suppriment au fur à mesure, tandis que nous nous avons

tous les enregistrements disponibles pour le public. Nous avons tous les titres en vente, alors

que s’ils voulaient les disques Barclay, il y a un best-of plus deux ou trois disques, un disque

Aragon parce que ça ils pouvaient pas le supprimer, mais il n’y a pratiquement plus de disques

de Ferrat. Quant aux Decca il n’y en a plus du tout.

L : C’était non négociable pour vous et pour Ferrat de ne pas traiter avec des multinationales ?

GM : Non, parce nous on a toujours été indépendants et il faut utiliser nos armes, sinon si on

est dans n’importe quelle multinationale ça serait toujours pareil, pour des tas de chanteurs qui

ont même pas la moitié de leur répertoire. Gréco qui était chez Philips au départ, il doit rester

un disque de Gréco alors qu’elle a dû en faire six ou sept. Donc l’avantage d’être petits comme

ça c’est qu’on peut exploiter toujours tous les disques.

Page 93: Entre drapeau rouge et drapeau tricolore : Jean Ferrat et ...

93

L : Et ça reste en cohérence avec les positions de Ferrat.

GM : Absolument, c’est une ligne de ocnduite. Tant qu’on peut, parce que la rentabilité n’est

pas notre souci principal mais la disponibilité au public oui. De là bien sût il faut être prudent

et ne pas aller à la faillite, mais pour l’instant on prouve qu’on peut continuer même si le métier

du disque a changé beaucoup. Et ça a permis la liberté quand il a arrêté de chanter, il s’agissait

pas de faire un disque par an mais d’en faire un quand il avait les chansons. Sinon il y a la

pression de la création, on créé moins librement, et là quand il avait une quinzaine de chansons

on faisait un disque. Et c’est pour ça qu’il y a moins de disques après. Alors que dans une

multinationale, on signe le contrat avec une avance financière ce qui oblige à sortir

pratiquement un disque par an.

L : Est-ce que vous avez l’impressions, par rapport à tout ce qui a trait à l’ORTF, est-ce qu’il y

avait une sorte d’acharnement contre Ferrat ou c’était général ?

GM : A ce point, c’est lui qui a été le plus censuré c’est sûr, parce que c’est spectaculaire, c’est

pas une chanson, et Ferrat c’était pour des raisons politiques, alors que quelqu’un opposé au

point de vue style, Pierre Perret, il a été censuré mais c’était pour grivoiserie, impudeur… Ce

qui est caractéristique chez Ferrat, c’est une censure politique et sociale.

L : Alors que c’est pour ses chansons politiques et sociales qu’il est le plus connu.

GM : Oui, parce qu’il y a le contrecoup. Le succès de Nuit et Brouillard, personne nee voulait

la diffuser et c’est Europe qui a dit bon vous y croyez tellement on va faire une émission le soir

et on va demander aux gens d’appeler. Et évidemment les fils de déportés, les déportés, tout le

monde a téléphoné et ça a fait un raz-de-marée. Résultat le lendemain ils passaient deux fois

par jour nuit et brouillard. Et ça a été le contrecoup, parce qu’ils ont tenté, ils ont joué le jeu,

donc ça peut être un avantage. Maintenant quand les gens disent Ferrat vend beaucoup de

disques parce qu’il a été censuré, je dis s’il était pas censuré et qu’il était passé à la TV avec

Ma France ça aurait eu beaucoup plus d’impact qu’être censuré.

L : Pour Nuit et Brouillard il y a eu beaucoup de réactions d’anciens déportés ou de descendants ?

GM : Oui, énormément. D’abord ils en ont fait un succès puisqu’ils ont tous acheté le disque,

ça a été un contrecoup tout de suite parce qu’il a vendu tout de suite cent mille disques, ce qui

était rare à l’époque donc ça a été énorme. Même sa maison de disques, Barclay à l’époque, ils

ont été très très surpris. Parce que curieusement sur le même disque il y avait C’est beau la vie,

et la maison Barclay avait misé sur C’est beau la vie, une chanson d’amour qui avait été écrite

Page 94: Entre drapeau rouge et drapeau tricolore : Jean Ferrat et ...

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pour Isabelle Aubret. Ils misaient tous sur C’est beau la vie et ils ont été pris de court parce que

c’est Nuit et Brouillard par Ferrat qui a fait le succès du disque.

L : J’ai vu également dans la biographie que vous étiez parti avec lui à Cuba quand il y était

allé. Quelle vision Ferrat et vous vous aviez eu de ce pays en y allant, et pourquoi Ferrat est allé

chanter à Cuba mais jamais dans les pays du bloc de l’Est.

GM : C’est très simple, quand il y a eu une demande pour l’URSS, ils ont demandé les textes

des chansons, que Ferrat a refusé de donner. S’il refusait de donner les textes en France, il allait

pas donner les textes pour l’URSS, donc il y a eu un problème de censure aussi dans ces pays.

Quant à Cuba, c’est tout à fait un autre sujet, c’est un hasard total, c’est un voyage que nous

nous payions tout les deux, d’aller à Cuba en vacances et d’aller au Mexique, au Guatemala. Et

quand il a fallu demander les visas, c’était très dur d’aller à Cuba à ce moment-là, en 67, et pour

avoir les papiers je me suis fait aider par quelqu’un qui connaissait bien Cuba, parce qu’on ne

pouvait pas y aller seul, il fallait être en groupe, et nous on voulait y aller juste les deux donc

tout était un problème, pour l’hôtel, pour manger… Quand ils ont su ça à Cuba, ils se sont

renseignés pour savoir qui était Ferrat parce qu’il savait pas du tout et ils ont dit « c’est pas

possible qu’un chanteur français de cette importance vienne et qu’il chante pas à Cuba », donc

nous on a dit mais c’est pas du tout le but, c’est un voyage touristique et d’étude pour savoir

comment ils vivent là-bas aussi, et ils ont trouvé des réponses à tout. Ferrat a dit j’ai pas de

musiciens ils ont dit on leur paie le voyage, on leur paie un cachet, ils ont invité leurs femmes

et enfants… il y avait des réponses positives à tout, c’est comme ça que Ferrat s’est retrouvé à

chanter à Cuba. Il a été reçu officiellement.

L : Par Castro ?

GM : Non, Castro on l’a jamais vu, les ministres oui mais il a jamais rencontré Castro. On

devait le rencontrer mais Ferrat dormait ce jour-là et il a pas voulu se réveiller. Ce que personne

sait mais c’est pas très intéressant c’est qu’ensuite on est parti au Mexique, il a renvoyé sa

femme ses musiciens et ses techniciens à Paris, nous on est parti tous les deux, on est resté un

mois au Mexique et après nous sommes revenus un mois à Cuba tous les deux pour vivre en

individus et voir Cuba seuls. Ferrat était très satisfait, il a trouvé que tout ce qui était scolaire

était évidemment en avance, tout ce qui était médecine était évidemment en avance mais ce qui

était dur c’est la liberté et les conditions de vie qui étaient très difficiles.

L : Et il y est retourné après ?

Page 95: Entre drapeau rouge et drapeau tricolore : Jean Ferrat et ...

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GM : Après il y est plus retourné, non non. Moi j’y suis retourné deux ou trois fois parce que

j’avais lié de l’amitié avec certaines personnes donc il fallait un peu les aider pour des premières

nécéssités qu’ils trouvaient pas là-bas.

L : J’avais une question précise sur les voyages en Union Soviétique : comment se passait la

procédure à l’époque ? C’était les artistes qui eux demandaient à aller chanter là-bas ?

GM : Non non, il y avait un correspondant en France qui s’appelait Lalap ( ???) qui faisait venir

toutes les troupes d’URSS et des pays de l’Est, au Palais des sports, les ballets Mosseiev, les

ballets russes… et en échange il pouvait envoyer des artistes là-bas.. C’est comme ça

qu’Isabelle Aubret est allé deux fois en URSS, et Ferrat n’y est jamais allé puisqu’il a refusé de

donner ses textes, ce qui était un prérequis.

Annexe 4 : Paroles « Ma France », Jean

Ferrat

De plaines en forêts de vallons en collines

Du printemps qui va naître à tes mortes saisons

De ce que j'ai vécu à ce que j'imagine

Je n'en finirai pas d'écrire ta chanson

Ma France

Au grand soleil d'été qui courbe la Provence

Des genêts de Bretagne aux bruyères d'Ardèche

Quelque chose dans l'air a cette transparence

Et ce goût du bonheur qui rend ma lèvre sèche

Ma France

Cet air de liberté au-delà des frontières

Aux peuples étrangers qui donnaient le vertige

Page 96: Entre drapeau rouge et drapeau tricolore : Jean Ferrat et ...

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Et dont vous usurpez aujourd'hui le prestige

Elle répond toujours du nom de Robespierre

Ma France

Celle du vieil Hugo tonnant de son exil

Des enfants de cinq ans travaillant dans les mines

Celle qui construisit de ses mains vos usines

Celle dont monsieur Thiers a dit qu'on la fusille

Ma France

Picasso tient le monde au bout de sa palette

Des lèvres d'Éluard s'envolent des colombes

Ils n'en finissent pas tes artistes prophètes

De dire qu'il est temps que le malheur succombe

Ma France

Leurs voix se multiplient à n'en plus faire qu'une

Celle qui paie toujours vos crimes vos erreurs

En remplissant l'histoire et ses fosses communes

Que je chante à jamais celle des travailleurs

Ma France

Celle qui ne possède en or que ses nuits blanches

Pour la lutte obstiné de ce temps quotidien

Du journal que l'on vend le matin d'un dimanche

A l'affiche qu'on colle au mur du lendemain

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Ma France

Qu'elle monte des mines descende des collines

Celle qui chante en moi la belle la rebelle

Elle tient l'avenir, serré dans ses mains fines

Celle de trente-six à soixante-huit chandelles

Ma France

Annexe 5 : Paroles « La paix sur terre »,

Jean Ferrat

Nous ne voulons plus de guerre

Nous ne voulons plus de sang

Halte aux armes nucléaires

Halte à la course au néant

Devant tous les peuples frères

Qui s'en porteront garants

Déclarons la paix sur terre

Unilatéralement

La force de la France c'est l'esprit des lumières

Cette petite flamme au cœur du monde entier

Qui éclaire toujours les peuples en colère

En quête de justice et de la liberté

[Refrain]

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Nous ne voulons plus de guerre

Nous ne voulons plus de sang

Halte aux armes nucléaires

Halte à la course au néant

Devant tous les peuples frères

Qui s'en porteront garants

Déclarons la paix sur terre

Unilatéralement

Parce qu'ils ont un jour atteint l'Universel

Dans ce qu'ils ont écrit, cherché, sculpté ou peint

La force de la France c'est Cézanne et Ravel

C'est Voltaire et Pasteur, c'est Verlaine et Rodin

[Refrain]

Nous ne voulons plus de guerre

Nous ne voulons plus de sang

Halte aux armes nucléaires

Halte à la course au néant

Devant tous les peuples frères

Qui s'en porteront garants

Déclarons la paix sur terre

Unilatéralement

La force de la France elle est dans ses poètes

Qui taillent l'avenir au mois de mai des mots

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Couvrez leurs yeux de cendre, tranchez leur gorge ouverte

Vous n'étoufferez pas le chant du renouveau

[Refrain]

Nous ne voulons plus de guerre

Nous ne voulons plus de sang

Halte aux armes nucléaires

Halte à la course au néant

Devant tous les peuples frères

Qui s'en porteront garants

Déclarons la paix sur terre

Unilatéralement

La force de la France elle sera immense

Défiant à jamais et l'espace et le temps

Le jour où j'entendrai reprendre ma romance

Dans la réalité de la foule chantant

[Refrain]

Nous ne voulons plus de guerre

Nous ne voulons plus de sang

Halte aux armes nucléaires

Halte à la course au néant

Devant tous les peuples frères

Qui s'en porteront garants

Déclarons la paix sur terre

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Unilatéralement

Annexe 6 : Paroles « Le bilan », Jean

Ferrat

Ah ! ils nous en ont fait avaler des couleuvres

De Prague à Budapest, de Sofia à Moscou

Les staliniens zélés qui mettaient tout en œuvre

Pour vous faire signer les aveux les plus fous

Vous aviez combattu partout la bête immonde

Des brigades d'Espagne à celles des maquis

Votre jeunesse était l'Histoire de ce monde

Vous aviez nom Kostov ou London ou Slansky

[Refrain]

Au nom de l'idéal qui vous faisait combattre

Et qui nous pousse encore à nous battre aujourd'hui

Ah ! ils nous en ont fait applaudir des injures

Des complots déjoués, des dénonciations

Des traîtres démasqués, des procès sans bavures

Des bagnes mérités, des justes pendaisons

Ah ! comme on y a cru aux déviationnistes

Aux savants décadents, aux écrivains espions

Aux sionistes bourgeois, aux renégats titistes

Aux calomniateurs de la révolution

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[Refrain]

Au nom de l'idéal qui nous faisait combattre

Et qui nous pousse encore à nous battre aujourd'hui

Ah ! ils nous en ont fait approuver des massacres

Que certains continuent d'appeler des erreurs

Une erreur, c'est facile comme un et deux font quatre

Pour barrer d'un seul trait des années de terreur

Ce socialisme était une caricature

Si les temps on changé, des ombres sont restées

J'en garde au fond du cœur la sombre meurtrissure

Dans ma bouche, à jamais, la soif de vérité

[Refrain]

Au nom de l'idéal qui nous faisait combattre

Et qui nous pousse encore à nous battre aujourd'hui

Mais quand j'entends parler de bilan positif

Je ne peux m'empêcher de penser : à quel prix ?

Et ces millions de morts qui forment le passif

C'est à eux qu'il faudrait demander leur avis

N'exigez pas de moi une ame de comptable

Pour chanter au présent ce siècle-tragédie

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Les acquis proposés comme dessous de table

Les cadavres passés en pertes et profits

[Refrain]

Au nom de l'idéal qui nous faisait combattre

Et qui nous pousse encore à nous battre aujourd'hui

C'est un autre avenir qu'il faut qu'on réinvente

Sans idole ou modèle, pas à pas, humblement

Sans vérité tracée, sans lendemains qui chantent

Un bonheur inventé définitivement

Un avenir naissant d'un peu moins de souffrance

Avec nos yeux ouverts en grand sur le réel

Un avenir conduit par notre vigilance

Envers tous les pouvoirs de la Terre et du Ciel

[Refrain]

Au nom de l'idéal qui nous faisait combattre

Et qui nous pousse encore à nous battre aujourd'hui

Annexe 7 : Paroles « Camarade », Jean

Ferrat

C'est un joli nom Camarade

C'est un joli nom tu sais

Qui marie cerise et grenade

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103

Aux cent fleurs du mois de mai

Pendant des années Camarade

Pendant des années tu sais

Avec ton seul nom comme aubade

Les lèvres s'épanouissaient

Camarade Camarade

C'est un nom terrible Camarade

C'est un nom terrible à dire

Quand, le temps d'une mascarade

Il ne fait plus que frémir

Que venez-vous faire Camarade

Que venez-vous faire ici

Ce fut à cinq heures dans Prague

Que le mois d'août s'obscurcit

Camarade Camarade

C'est un joli nom Camarade

C'est un joli nom tu sais

Dans mon cœur battant la chamade

Pour qu'il revive à jamais

Se marient cerise et grenade

Aux cent fleurs du mois de mai

Bibliographie

Ouvrages :

Bellanger, E. (2017). Ivry, banlieue rouge. [Grane]: Creaphis éditions.

Page 104: Entre drapeau rouge et drapeau tricolore : Jean Ferrat et ...

104

Belleret, R. (2012). Jean Ferrat, le chant d’un révolté. Paris: Archipoche.

Dosse, F. (2018). La saga des intellectuels français 1944 - 1989. A l’épreuve de l’histoire 1944-

1968. Gallimard.

Dosse, F. (2018). La saga des intellectuels français 1944-1989. L’avenir en miettes 1968-1989.

Paris: Editions Gallimard.

Lazar, M. (2002). Le communisme. Paris: Perrin.

Mischi, J. (2010). Servir la classe ouvrière. Rennes: Presses universitaires de Rennes.

Zancarini-Fournel, M. (2017). Les luttes et les rêves. 1st ed. Paris: Zones.

Articles :

Vigreux Jean, Ranc Emmanuel, « La direction et les députés du PCF à l'épreuve de Mai-

Juin 68 », Parlement[s], Revue d'histoire politique, 2008/1 (n° 9), p. 80-95. URL :

https://www.cairn.info/revue-parlements1-2008-1-page-80.htm

Articles de presse :

Naoufel, J., Volson, Favières, L. (2001). « Jean Ferrat : Au Pays d'Aragon. » Rouge [en ligne],

disponible à : https://npa2009.org/content/jean-ferrat-au-pays-d%E2%80%99aragon-

interview-de-2001?fbclid=IwAR2U7PivGEdmgtzJPE9yRNTAeKD-

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Marchais, G. (3 mai 1968). « De faux révolutionnaires à démasquer ». L’Humanité.

(4 Septembre 1988). « Jean Ferrat dans la Drôme " La libération des ondes a été une catastrophe

" ». Le Monde. [en ligne], disponible à :

https://www.lemonde.fr/archives/article/1988/09/04/jean-ferrat-dans-la-drome-la-liberation-

des-ondes-a-ete-une-catastrophe_4088141_1819218.html?fbclid=IwAR29ysWzQcisSS-

GKxjWOIkPCS6BF3snUSMyGaYST-Jl9_3kZzvQxbO3SVM

Apel-Muller, P. (8 janvier 2002), « Jean Ferrat un des plus grands chanteurs français s’insurge

contre la logique de la « marchandise chanson » et défend l’exception culturelle Jean Ferrat :

« Je plaide pour la diversité face au rouleau compresseur. ». L’Humanité, [en ligne], disponible

à :

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https://www.humanite.fr/node/259221?fbclid=IwAR1SfjaE9cITc0AlgOFPe0_6Go59RDq_kd

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Ferrat, J. (Mai 2004). « Chanson Française et diversité culturelle ». Le Monde Diplomatique.

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Le Monde. [en ligne], disponible à : https://www.lemonde.fr/culture/article/2010/03/18/jean-

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francaise_1320974_3246.html?fbclid=IwAR1oMSoLR-

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Archives audiovisuelles :

Antenne 2 (1975). Jean Ferrat : le militantisme et la tolérance. [vidéo] Disponible à:

https://www.ina.fr/video/I00015419/jean-ferrat-le-militantisme-et-la-tolerance-

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Antenne 2 Midi (1980). Jean Ferrat et l'Ardèche. [vidéo] Disponible à:

https://www.ina.fr/video/CAB8001583101/jean-ferrat-et-l-ardeche-

video.html?fbclid=IwAR3KTDzSShV0vEW8M97cySkFeGAVr6GTdQllfDPIhFLiWWUNJmAxp8taTGs.

Antenne 2 (1975) Jean Ferrat : la création et les impératifs commerciaux [vidéo] Disponible

à : https://www.ina.fr/video/I00015415

Au-delà de l'écran Office national de radiodiffusion télévision française (1964). A Ivry chez

Jean Ferrat. [vidéo] Disponible à: https://www.ina.fr/video/I00013240/a-ivry-chez-jean-ferrat-

video.html?fbclid=IwAR2zUp67dpQunBvdVzkPkuaFBJRr96wBDFSXM_XNZ9vBZc8upLl-K9a-X9o

Discorama (1967). Jean FERRAT et Cuba. [vidéo] Disponible à:

https://www.ina.fr/video/I00013363/jean-ferrat-et-cuba-

video.html?fbclid=IwAR3XKLaBCOHrk_tLM6_JzzCE9wSrtFVciYD5L3KzSe4Hzbp6QTuESeU1M0g.

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France 2 (1994). PLATEAU JEAN FERRAT F2 Le Journal 20H. [vidéo] Disponible à :

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video.html?fbclid=IwAR06SAst5keQ163gfhZEeBoAvowNxZQN8InOHML95joAypoiio9hl90pVEQ.

France Inter (2015). Jean Ferrat : "Comme il fallait que je fasse quelque chose, j'ai fait

n'importe quoi". [Emission de radio] Radioscopie Par Jacques Chancel. Disponible à:

https://www.franceinter.fr/emissions/radioscopie-par-jacques-chancel/radioscopie-par-jacques-

chancel-13-aout-2015?fbclid=IwAR2N_2jzVkddfoh4ks-

7jABDC7URECr24FYJSXP0IoRGS8XE0qCPOvRCyq8

INA (2010). 5000 personnes aux obsèques de Jean Ferrat. [vidéo] Disponible à:

https://www.ina.fr/video/VDD10010684?fbclid=IwAR1CrfVShQWQTym1kNYJ8DCm_hR-

Y_rWUSI6Weg1Cc1ryJEjKM8DkF9aW-M.

Office national de radiodiffusion télévision française (1966). Jean Ferrat à Decazeville Seize

millions de jeunes. [vidéo] Disponible à: https://www.ina.fr/video/CPF86651487/jean-ferrat-a-

decazeville-

video.html?fbclid=IwAR3XKLaBCOHrk_tLM6_JzzCE9wSrtFVciYD5L3KzSe4Hzbp6QTuESeU1M0g.

Office national de radiodiffusion télévision française (1969). Georges Brassens, Jean Ferrat :

dialogue sur l'engagement L'invité du dimanche. [vidéo] Disponible à:

https://www.ina.fr/video/I00014178/georges-brassens-jean-ferrat-dialogue-sur-l-engagement-

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Sangla, R. (1985). Des intellectuels témoignent à la mutualité pour le présent et pour l'avenir.

[vidéo] Disponible à: https://www.cinearchives.org/recherche-avancee-DES-INTELLECTUELS-

TEMOIGNENT-A-LA-MUTUALITE-POUR-LE-PRESENT-ET-POUR-L-AVENIR-424-556-0-

1.html?ref=26cc45142fc2a8222a6d2644355d108e&fbclid=IwAR1umDfU4HqMvoQI1Ui2_yropsZv0Bg8

KI5GnTrg8MXRJlSICH-VGVdcqWc

Télévision Française 1 (1977). Jean Ferrat et sa première rencontre avec Aragon. [vidéo]

Disponible à: https://m.ina.fr/video/I00013703/jean-ferrat-et-sa-premiere-rencontre-avec-aragon-

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Colloque :

Banlieue Rouge. (2007). Dans : Ville Mal Aimée, Ville à Aimer. [en ligne]. Burçu Özdirlik,

Bernard Marchand. Disponible à: http://www-ohp.univ-

paris1.fr/Textes/Fourcaut.pdf?fbclid=IwAR06SAst5keQ163gfhZEeBoAvowNxZQN8InOHM

L95joAypoiio9hl90pVEQ.

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Albums musicaux :

Ferrat, J. (1961). Deux enfants au soleil. [CD] Decca.

Ferrat, J. (1962). La Fête aux copains. [CD] Decca.

Ferrat, J. (1963). Nuit et Brouillard. [CD] Barclay.

Ferrat, J. (1965). La Montagne. [CD] Barclay.

Ferrat, J. (1965). Potemkine. [CD] Barclay.

Ferrat, J. (1966). Maria. [CD] Barclay.

Ferrat, J. (1967). A Santiago. [CD] Barclay.

Ferrat, J. (1969). Ma France. [CD] Barclay.

Ferrat, J. (1970). Camarade. [CD] Barclay.

Ferrat, J. (1971). Aimer à perdre la raison. [CD] Barclay.

Ferrat, J. (1971). Ferrat chante Aragon. [CD] Barclay.

Ferrat, J. (1972). A moi l’Afrique. [CD] Barclay.

Ferrat, J. (1975). La femme est l'avenir de l'homme. [CD] Temey.

Ferrat, J. (1980). Ferrat 95. [CD] Temey.

Ferrat, J. (1985). Je ne suis qu’un cri. [CD] Temey.

Ferrat, J. (1991). Dans la jungle ou dans le zoo. [CD] Temey.

Ferrat, J. (1994). Ferrat 95. [CD] Temey.

Filmographie :

Les artistes et le parti (1945-1968). (2013). [DVD] Directed by Y. Riou and P. Pouchain.

Site internet :

Encyclopædia Universalis. (2019). RÉALISME SOCIALISTE. [en ligne], disponible à :

https://www.universalis.fr/encyclopedie/realisme-socialiste/

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Résumé :

At vero eos et accusamus et iusto odio dignissimos ducimus qui blanditiis praesentium

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Mots-clés : maras sécuritaire Etat de droit impunité Triangle du Nord corruption gangs criminalité

organisée transnational.

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Déclaration anti-plagiat

1. Je déclare que ce travail ne peut être suspecté de plagiat. Il constitue l’aboutissement d’un travail personnel. 2. A ce titre, les citations sont identifiables (utilisation des guillemets lorsque la pensée d’un auteur autre que moi est reprise de manière littérale). 3. L’ensemble des sources (écrits, images) qui ont alimenté ma réflexion sont clairement réfé-

rencées selon les règles bibliographiques préconisées. NOM : ……Revelon……………………………………………… PRENOM : Lu-cile…………………………………………………… DATE : ……25/08/2019………………………………………………

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