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Formations PAO et multiédia Zen at work à Nantes, dans les Pays de Loire et en Bretagne. ENTRE AUTRES MAGAZINE DOSSIER De Lambé au Trégor : le micmac des frontières SOCIETE Trois générations sous le même toit TOURISME Les greeters, guides gratos Septembre 2013 /// Magazine réalisé par les étudiants de licence professionnelle journalisme de l’IUT de Lannion

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Formations PAO et multiédia Zen at work à Nantes, dans les Pays de Loire et en Bretagne.

ENTRE AUTRESMAGAZINE

DOSSIERDe Lambé au Trégor : le micmac des frontières

SOCIETETrois générations sous le même toit

TOURISMELes greeters, guides gratos

Septembre 2013 ///

Magazine réalisé par les étudiants de licence professionnelle journalisme de l’IUT de Lannion

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UN THÈME: QUATRE MEDIAS

L’Autre en Bretagne

@aD’une rive à l’autreQuittez la terre ferme et levez les voiles pour voyager à travers quatre émissions radio de 25 minutes.D’Ouessant à Plougastel-Daoulas, en passant par Brest, l’Espagne et le Brésil, embarquez dans la croisière que vous proposent les étudiants de l’option radio sur le bateau de RCF rivages. D’une ville à l’autre, un plongeon dans les méandres des relations humaines, au-delà des différences et des frontières. « D’une rive à l’autre », à revivre en podcast sur le site de RCF (www.rcf.fr/radio/RCF29) et sur www.brestaquai.iut-lannion.fr/projet-radio.html

Trémargat, la volonté de faire

Trémargat, petit village de Centre-Bretagne.

Une quinzaine d’associations, une épicerie

de produits locaux, un café associatif :

si le lieu est aussi vivant, c’est parce que

la majorité de la population est impliquée

dans la vie locale. Ici, le « vivre-ensemble »

prend tout son sens. Au même titre que

le développement durable, inscrit dans la

plupart des projets. Souvent considérés à

tort comme une communauté de marginaux,

les Trémargatois ont instauré au fil des

années une microsociété à l’état d’esprit

bien à part. Un reportage de 26 minutes à

découvrir

sur Armor TV, TV Rennes 35, Tébéo,

Ty Télé et Vimeo.fr (Tremargat, la volonté

de faire). Plus d’infos sur www.brestaquai.iut-lannion.fr/projet-t

v.html

Brest à Quai - Melting portsBrest est le premier port de Bretagne. Jusqu’à la fin des années 70, la vitalité et l’ampleur des diverses activités liées à la mer en ont fait le véritable poumon économique de la ville. Aujourd’hui en déclin, le port se cherche un deuxième souffle.L’arrivée de nouveaux acteurs, souvent sans lien avec la mer, marque une évolution majeure. De nouveaux rapports sociaux s’établissent. Le web-documen-taire Brest à Quai a tenté de cerner les mutations sociales, économiques et urba-nistiques qui en découlent, dans une zone portuaire à forte identité. A retrouver sur www.brestaquai.iut-lannion.fr

En plus dumagazine...

EDITO

Les récentes projections de population de l’Insee placent la Bretagne parmi les régions françaises les plus dynamiques

jusqu’en 2040. Ces dernières années, le nombre d’habitants n’a cessé de croître. Mais, toujours selon l’Insee, dans trois décennies, un tiers de la population aura plus de 60 ans. Allongement de la durée de vie, installation de retraités attirés par le littoral ou le cadre de vie  : la Bretagne vieillit.

Selon les scénarios envisagés, en terme de croissance du nombre d’habitants, la Bretagne pourrait se placer au huitième rang des régions françaises. Gonflée par le solde naturel et l’apport migratoire,

la population change et se concentre dans les villes et le long des côtes. Les Bretons s’adaptent et leurs manières de vivre évoluent. Comment cohabite-t-on sur le territoire ? Vivre avec l’autre, ça s’apprend et ça s’invente. Il n’y a pas de recettes miracles pour une cohabitation sans embûche. Les Bretons, d’origine ou de cœur, l’ont bien compris. Par choix ou par nécessité, ils s’évertuent à vivre au mieux avec l’autre. Ce sont des hommes et des femmes humainement engagés que notre équipe a décidé de mettre à l’honneur. Ce numéro, unique, vous invite à découvrir leurs univers.

Delphine Barbot Rédactrice en chef

Vivre avec l’autre, ça s’apprend et ça s’invente

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Vivre ensemble, concept fourre-tout ........................ 6 Entretien avec Christophe Rulhes, anthropologue touche-à-tout de l’altérité.

AU TRAVAIL

Scop : l’entreprise en partage ........... 8 Les salariés d’Europ3D redonnent au travail sa dimension humaine.

Coworking : travailler en connexion ...................... 12

Ordonnance à la roumaine ............. 13

Aider chez les autres .......................... 16

Pétris d’amour ....................................... 19

Un parfum de Hollande en pays bigouden ............................... 20

Wwoofer pour (se) cultiver ............. 22

MÊME SOL

Territoires partagés ............................. 24 La Bretagne est pleine de frontières. De nouveaux territoires apparaissent et avec eux, de nouveaux rapports à l’autre.

Gadjo devenu manouche militant ............. 32

Île et eux ................................................. 36

Une moisson de nouveaux ruraux ........................... 39

Les greeters, guides gratos ............. 42

PORTFOLIO

Instant M .................................................. 44

OUVRIR SA PORTE

Trois générations sous le même toit ................................ 50 Dans la famille Tournon, trois générations cohabitent au quotidien.

L’habitat groupé s’essouffle ........... 53

Haneen : liberté en transit ............... 55

S’isoler pour cultiver sa foi ............. 58

Inviter à squatter son canap’ .........60

UN MÊME PROJET

Diwan : se renfermer pour mieux s’ouvrir ............................. 62 Le réseau d’écoles associatives Diwan propose une pédagogie immersive en breton.

Le Bel Espoir comme boussole ..... 65

En quête d’un chez-soi ..................... 66

Des liens hors les murs ..................... 69

Derby ........................................................ 72

Une voile devant les yeux ................ 74

Dans ce numéro...

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Christophe Rulhes conçoit, écrit et met en scène le théâtre qu’il joue dans le GdRA, sa compagnie créée en 2007. Né dans l’Aveyron dans une famille paysanne, il a pratiqué la musique dès le plus jeune âge. Diplômé en communication, en sociologie et en anthropologie à l’École des hautes études en sciences sociales, il s’intéresse à l’altérité dans son travail.

Comment peut-on définir l’altérité ?On a trop souvent tendance à focaliser sur l’altérité du lointain qui est faite de grands partages : eux/nous, la ville/la campagne, l’exotisme/la proximité. Mais en fait ce sont de grands partages que je trouve un peu désuets. L’altérité se joue de soi vers l’autre et donc de l’extrême proximité

jusqu’à l’inconnu. Par proximité, je pense aux personnes qu’on côtoie au quotidien et dans l’ordinaire, sachant que l’ordinaire n’est jamais donné.

Peut-on cohabiter tout en étant différent ?Rien n’est joué à l’avance. Il n’y a pas de recette pour vivre ensemble. Actuellement,

on entend beaucoup ce vague concept journalistique. Le vivre-ensemble, c’est une diplomatie au quotidien. Ça commence déjà avec sa sœur et c’est très compliqué avec sa compagne, son compagnon, ses enfants, son père, sa mère. C’est là que l’altérité commence et que les questions de différence se posent. S’entendre avec

ses parents, vivre avec un compagnon, ça demande pour beaucoup, pas pour tous, un certain effort de diplomatie. Les places sont plurielles, hybrides. On évolue dans un désordre qui nécessite une attention diplomatique permanente. On est sous le feu des relations en continu. Tout le monde est soumis à des aléas. On a souvent l’impression que les choses sont jouées à l’avance, qu’il y a des modèles. Les points de vue sont un peu figés mais une per-sonne change d’avis sans arrêt. On est dans un ajustement permanent où il est difficile de camper sur ses positions.

Autrui représente-t-il une source d’inspiration dans vos spectacles ?Autrui, c’est avant tout moi. Ce n’est pas du narcissisme ou de la prétention mais je pense que c’est là que se joue l’altérité. Le premier spectacle du GdRA, Singulari-tés ordinaires, mettait en scène l’identité occitane, la langue de mon père, ma mère et mes grands-parents, et confrontait cette identité-là à d’autres horizons culturels. L’altérité et autrui jouent un rôle essen-tiel. Nour met en scène le récit d’une jeune femme algéro-marocaine qui vit en France dans une troisième appartenance culturelle. Je me suis intéressé à l’identité algérienne et marocaine car lorsque j’étais enfant, les premières personnes que j’ai rencontrées qui m’ont fait comprendre que nous n’étions pas seuls au monde, nous les Aveyronnais, c’était les Marocains. Autrui a toujours énormément nourri le travail du GdRa.

Dans vos spectacles, vous travaillez avec des séquences filmées. Pensez-vous que les images soient efficaces pour raconter l’Autre ?Je crois qu’elles sont redoutables pour raconter l’Autre. Si j’ai envie de me rap-procher de ce que je vois et de ce que j’entends, je filme. Je trouve ça très efficace

et extrêmement intéressant. Il ne faut pas croire qu’on touche à l’objectivité de l’autre parce qu’on filme ou parce qu’on enregistre. Un son, c’est toujours un parti pris. Une relation de tournage, d’enregistrement, c’est toujours quelque chose de relatif. Mais quand même, on se rapproche de quelque chose qui donne à voir et à entendre de façon assez précise.

On a filmé des personnes en institut psychiatrique qui posent des questions profondes d’altérité, de différence. Qui est cet Autre ? Ça peut être moi demain, ou vous, qui se retrouve dans un hôpital psychiatrique en train de prendre des médicaments pour essayer de se soigner. Quelles sont les questions que pose cet Autre là à nous, les soi-disant normaux ? Filmer des regards, des gestes, des paroles, c’est très émouvant et très efficace. L’émo-tion, ça permet l’empathie, ça donne envie de comprendre. L’image a cette force là. Ce n’est pas pour rien que le cinéma et la télévision ont un tel succès. L’image, c’est une véritable révolution dans l’idée de se comprendre, de comprendre l’autre et de se voir. C’est un reflet très efficace. On a passé quinze jours en totale immersion dans un hôpital en Dordogne. On a aussi filmé plusieurs infirmiers psychiatriques qui racontent qu’au début, pendant les premières journées, ils avaient peur. Il y a la peur de soi-même, de ne pas être à la hauteur d’une relation qui exige une diplo-matie permanente.

I Propos recueillis par Delphine Barbot

V Nathalie Sternalsky

« Vivre-ensemble, un concept fourre-tout »

Ego sans alter

Attention, point de vue singulier. Pour le phi-losophe Dominique Quessada, il y aurait insé-paration des hommes entre eux, mais aussi entre les hommes et le monde, à cause d’une logique d’interdépendance et d’interrelation. l’Autre ne serait donc plus. Avec un essai inti-tulé L’Inséparé, l’auteur part de ce postulat que l’Autre a disparu, déconstruisant les rapports d’opposition entre les êtres, pour introduire sa notion d’inséparabilité. Ainsi, les différences s’estomperaient, et peu à peu, l’Autre devien-drait le prolongement de soi.Dominique Quessada, L’Inséparé – Essai sur un monde sans Autre (Puf), 328 pages, 20 €

Christophe Rulhes, musicien et acteur de plateau, met en scène ses spectacles.

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À Saint-Avé, près de Vannes, les salariés d’Europ3D réconcilient le travail et l’humain. Réunis dans une Scop (Société coopérative et participative), ils ont appris à mettre de l’huile dans leurs relations.

I Carl Guillet V Vincent Sartorio

Les cinq associés ont choisi de prendre un salarié très jeune, Benjamin, pour qu’il puisse s’adapter à l’esprit de la société.

Scop : l’entreprise en partage

Il est 10 heures ce jeudi matin, dans la salle de repos d’Europ3D, petite entreprise de mécanique de préci-sion, située à Saint-Avé. La réunion

a pris du retard mais les six salariés sont présents pour discuter du planning autour d’une table et d’un café. « Ce client est l’un des plus gros fournisseurs aéronautiques au monde. Pourquoi ne pas travailler à l’interna-tional ? », demande Julien Collas. Cet ingé-nieur de 27 ans est le gérant de la société. S’il consulte ses collègues techniciens sur une question stratégique, c’est parce que la petite entreprise est une Scop. Dans une société coopérative et participative, les salariés possèdent la majorité des parts et sont associés à la gestion.

Europ3D conçoit des moules pour des pièces industrielles, depuis le dessin sur ordinateur à la réalisation du produit. Ses clients proviennent en majorité de l’indus-trie aéronautique ou automobile, mais l’entreprise peut aussi, par exemple, conce-voir des pots de desserts glacés. Europ3D est propriété à 100% des cinq salariés associés. Ils l’ont fondée sur les cendres de leur ancienne société, SBMO, fermée

en 2010 après liquidation judiciaire. Cette SARL avait employé jusqu’à 25 personnes.

Un projet de société

Julien Collas est le plus jeune des associés. Bilingue en anglais, formé à la gestion, il est le principal interlocuteur des clients. Gilbert Jehanno, 50 ans, le plus ancien, s’occupe de l’ajustage des pièces. Chris-tian Prime, 47 ans, et Thierry Le Douarin, 43 ans, sont respectivement responsables de la création des moules en 3D et de la programmation des ordinateurs. Jérôme Etienne, 37 ans, se charge de la production et des machines. Il y a un an, tous les cinq ont embauché en CDD Benjamin Michel, 19 ans, technicien polyvalent.

« Les débuts ont été assez folklo », s’amuse Julien. Dès la liquidation de SBMO en juin 2010, Thierry et Jérôme évoquent discrè-tement avec lui l’idée de créer leur propre structure, puis en font part à Christian et Gérard. Face au tribunal, ils l’emportent sur une offre concurrente, puis acquièrent finalement, pour une modique somme, le matériel de leur ancienne entreprise.

Un homme, une voix

Leur nombre reste minime, pourtant les Scops se multiplient en France depuis dix ans. Ce modèle d’entreprise prend ses racines dans les coopératives ouvrières du XIXe siècle. Dans une Scop, les salariés détiennent au moins 51% du capital et représentent au moins 65% des voix lors des assemblées générales. Les associés élisent leurs dirigeants et chacun dispose d’une voix, quelle que soit sa part de capital. La taille des Scops peut varier d’une poignée de salariés à plus d’une centaine. Leur taux de survie est supérieur à celui des entre-prises conventionnelles.En Bretagne, les Scops ont la particularité d’être nombreuses (on en compte 177) mais de petite taille, comme l’illustre Europ3D. Source : CG Scop

Ils retrouvent également ses murs. À la rentrée suivante, leur activité démarre, le carnet de commandes déjà bien rempli. Thierry est le premier à avoir pensé à la structure Scop. Ce modèle correspondait tout à fait à ce qu’il recherche dans la société en général, « le partage et la démo-cratie ». « L’argent n’est pas mon optique, complète-t-il. Les entreprises cherchent de plus en plus à faire de l’argent et pas obligatoirement à récompenser ceux qui tra-vaillent. » Selon Jérôme, la Scop était éga-lement le modèle le moins risqué, puisque

qu’il offrait plus d’aides et que chacun restait salarié de l’entreprise. « C’était aussi plus intéressant humainement », précise-t-il.

La constitution de l’équipe s’est faite naturellement, par reconnaissance mutuelle. « On ne freinait pas notre ardeur au travail, se souvient Christian. On a toujours eu cette motivation d’aller de l’avant. » Mais si le courant passe, c’est aussi une question de personnalités selon Benjamin. « J’ai l’impression d’être écouté, mais je pense que c’est plutôt

relatif aux personnes qu’à la Scop en elle-même. »

Ce qui a changé, c’est surtout la transpa-rence et l’implication des salariés. « Le patron n’écoutait que lui-même, se sou-vient Christian. Aujourd’hui, on travaille pour nous. Si une erreur est faite, c’est nous cinq qui sommes responsables. »

Au travail, chacun est autonome. Ce qui n’empêche pas les salariés de s’arrêter, régulièrement, pour faire une pause et >

Au travail

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Les salariés s’arrêtent parfois au milieu de leur tâche pour discuter des problèmes techniques rencontrés.

Le coup de fil perso au boulot, y’a pas de problème ««

échanger. Les sourires et les blagues fusent avec Gérard, le plaisantin du groupe. Plus discret, Christian reste en retrait dans sa cabine de contrôle. Benjamin, l’apprenti, reçoit chaque jour les conseils de ses collègues et patrons. Sa relation au travail est, pour lui aussi, différente de ses expé-riences précédentes. « Ce n’est pas la même vision des choses. Ici, quand il y a besoin de quelqu’un quelque part, les gens viennent aider. » Gérard, en revanche, ne note aucune différence depuis la reprise de la société. « Mon but reste de faire un boulot que j’aime et que le client soit satisfait. » Un ressenti différent de ses collègues, sans doute parce

qu’il fut l’un des associés de l’ancienne entreprise, qu’il avait contribué à créer.

Quand les cinq patrons ont embauché Benjamin, ils lui ont appris combien ils touchaient et quelle prime ils se versaient. La transparence est un point important du modèle Scop. Les salariés d’Europ3D sont au courant du moindre investissement de la société, même de l’achat d’une perceuse. « Dans les autres entreprises où j’ai travaillé, tout était caché », déplore Jérôme. Ils peuvent aussi s’organiser personnellement, sans rien demander à un patron. « C’est pareil 

pour Benjamin. Pour le coup de fil perso au boulot, il n’y a pas de problème. » Ni pour fumer.

Un autre grand changement s’est opéré sur la charge de travail. Plus question des 35 heures, mais plutôt de 45 à 70 heures selon les semaines. Contre un salaire de 1800 euros, le même pour tous. Voté d’un commun accord, il représente pour certains une baisse substantielle. « Il n’y a pas de ja-lousie, se félicite Jérôme. Si pour une raison ou une autre on choisissait de donner plus à quelqu’un, on le justifierait ouvertement. » Les associés ont fait de leur implication dans la Scop un argument, inscrit dans la plaquette destinée aux clients.

Communiquer, une clé du succès

Comme dans toute société , Europ3D a son gérant officiel. Le choix s’est porté dès le début sur Julien, malgré sa jeunesse et sa courte expérience à SBMO. Pour Jérôme il

ne s’agit que d’une question pratique. « Le gérant, ce n’est qu’une étiquette. Gérard et moi avons toujours les mains sales. » Ce qui n’aide pas à signer les papiers...

Julien a aussi la responsabilité commer-ciale et gère les commandes des clients. C’est lui qui détient la majorité des informations et anime les réunions. « Je décide sur un certain nombre de points, mais pas tous, loin de là. » Selon le gérant, les obstacles se contournent plus facilement à plusieurs. « Des fois, tu pourrais te dire « j’en ai marre » et là tu en aurais toujours un pour te dire « allez, faut faire ci, faut faire ça ! », ce qui est, je pense, plus difficile quand tu es seul à la barre. » Chacun des cinq associés assume une fonction indispensable à l’en-treprise et, de ce fait, pèse sur les décisions concernant sa spécialité. Cependant, selon Jérôme, « ce n’est pas parce que c’est moi qui travaille sur les commandes numériques que le programmeur ne peut pas avoir une meil-leure idée que moi ». Pour Thierry, la discus-sion présente aussi l’avantage « d’apporter un nombre plus important de points de vue ».

Les décisions stratégiques sont prises par vote à mains levées. Être cinq leur permet de dégager une majorité en toute occasion. Julien essaie d’informer au maximum ses collègues, en leur présentant des données de manière claire et explicite. Les associés ont choisi de se réunir tous les matins, afin d’ajuster l’organisation du travail en fonc-tion de chacun. « Sinon, quand ça ne marche pas, ça crée des tensions. C’est tout bête, mais maintenant c’est plus détendu ! » 

Quand le temps manque en début de journée, la réunion se tient le midi. Les six salariés partagent toujours leur repas. Julien distribue des papiers, dans une ambiance potache. On parle des travaux en cours, chacun exprime ses réticences

sur différents sujets. « T’as appelé le client ? – Non, j’ai zappé ! - Moi ça me dérange pas, mais là tu n’es pas carré ! » Le vendredi, ils se réunissent à nouveau, pour le « tradition-nel » apéro de fin de semaine.

La machine est en route

Partie sur de bonnes bases, l’entreprise pérennise une organisation aux rouages bien huilés. Quant à l’avenir, il se borne à l’horizon du carnet de commandes. Il arrive pourtant aux associés d’évoquer, de loin en loin, l’élargissement de la structure. Après deux ans de présence dans l’entre-prise, chaque salarié a le droit de devenir actionnaire. Pour les cinq fondateurs, il est peu question de changer le système de gouvernance actuel, avec son petit nombre de décideurs. Les futurs employés seraient associés à part minoritaire. « Ils n’auront 

pas le même pouvoir de décision que nous cinq », anticipe Jérôme, qui imagine cer-taines conséquences de l’agrandissement. « Peut-être que plus on aura d’employés, plus on devra s’affirmer en tant que chef. Mais je ne crois pas trop à une « guéguerre » entre nous. »

Europ3D devra probablement augmenter ses effectifs. La stratégie de diversification des clients a porté ses fruits et l’arrivée de Benjamin n’est probablement que le début d’une série d’embauches. Ce succès écono-mique, avec la prime d’intéressement des associés, se traduira une nouvelle fois par un partage.

Quand la charge de travail se

fait pesante, ils n’hésitent pas à s’aider entre

collègues.

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Coworking : travailler en connexionTravailler seul ne signifie pas forcément travailler isolé. La Cantine numérique rennaise propose aux travailleurs indépendants de se réunir pour coworker. Un espace de travail où échanger.

Calme et studiosité : la recette d’un coworking réussi.

Bureaux ouverts, canapé confortable, baies vitrées donnant sur un quartier

animé de Rennes et petit coin pour la pause-café, La Cantine numérique rennaise semble tenir les promesses du dépliant. En France, une quinzaine d’espaces de cowor-king a déjà ouvert ses portes. « Les tra-vailleurs indépendants en sont très deman-deurs », précise Karine Dumas, responsable animation à La Cantine. Né à San-Francisco au début des années 2000, le concept permet aux télétravailleurs et autres free-lances de partager un espace de travail. « À Rennes, on a la particularité de rassembler des professionnels du numérique. »

Il est 10 heures. Six coworkers s’affairent en silence. Au fond de la salle, deux femmes sont prises d’un fou rire, incitant certains à enfiler leurs casques anti-bruit. « Du bruit, il y en a toujours, chuchote Jean-Baptiste, chef de projet Web et coworker de la première heure. On est habitué à travail-ler dans des endroits vivants. »

La Cantine, loin d’être une simple sous-location de bureaux, permet aux télétra-vailleurs de ne pas s’isoler chez eux, de partager leurs expériences et d’affiner leur réseau. Pour un temps du moins. « Être ici, c’est facultatif, précise Jean-Baptiste. Le jour où je ne veux voir personne, je ne viens pas. Ça limite sûrement les risques de conflits ! » Grâce à un système de forfaits à la demi-journée, les gens vont et viennent, sans

contrainte. « Mais, mine de rien, on reste quand même beaucoup dans notre bulle », ajoute Myriam, en formation de technicien intégrateur Web.

Esprit d’entreprise

En charge de l’animation, Karine Dumas encourage les échanges. « S’isoler dans un bureau n’est pas dans l’esprit du coworking. » De véritables collaborations naissent par-fois. À l’instar de Sara, gestionnaire de stra-tégies, qui n’hésite pas à s’impliquer dans un nouveau projet lancé par Karine. Leurs

compétences et leurs idées sont différentes mais complémentaires.

À La Cantine, chaque jour est différent. « Il n’y a pas cette espèce de routine qui s’ins-talle comme dans une entreprise classique où on passe le midi à discuter des projets en cours, à médire sur la boîte qui va mal », résume Jean-Baptiste. Le coworking n’est pas synonyme de vie de bureau, juste de vie sociale.

I Audrey Chevallier & Wendy Bracat V Vincent Sartorio

Cinq bars, dont un seul ouvert, un restaurant et deux snacks visiblement fermés, de nom-breuses pancartes « À vendre »

sur les commerces. La place du bourg de cette commune rurale d’un peu plus de 600 habitants, située à une cinquantaine de kilomètres de Saint-Brieuc est quasiment déserte. Cela n’a pas affolé la doctoresse roumaine Illeana Popescu lors de sa première visite du village en novembre 2009. Le monde rural, elle connaissait,

En mars 2010, Illeana Popescu* , Roumaine, réalisait sa première consultation en tant que médecin généraliste dans un cabinet breton. Si les habitants l’ont tout de suite intégrée, la doctoresse a dû trouver sa place au sein du cabinet médical et apprendre à cohabiter avec son confrère.

I Jeanne Ghomari V David Le Tiec

Ordonnance à la roumaine

pour y avoir déjà exercé en Roumanie. Comme beaucoup d’élus de petites com-munes rurales, le maire, craignant de voir sa commune « devenir un désert médical », a dû faire appel à une médecin de nationa-lité étrangère pour permettre un accès aux soins satisfaisant à ses habitants.

L’arrivée d’Illeana Popescu a été un soulagement pour le docteur Talal Zeidan*. D’origine libanaise et naturalisé français en 1991, il exerce au cabinet

depuis 1998. Suite au départ de son collègue, il y a travaillé seul pendant deux ans. « C’était dur, j’avais trente à cinquante patients par jour. Je n’avais pas la conscience libre et j’ai été K.O. au bout de deux ans. » En plus des quelques 600 patients potentiels du bourg, le méde-cin couvrait également les communes environnantes sur un rayon de 10 km, soit environ 2000 patients susceptibles de faire appel à lui.

Venue d’ailleurs

En octobre 2009, le maire reçoit la can-didature de la médecin roumaine. Un mois plus tard, il invite la doctoresse et sa famille à venir visiter la commune, le cabinet et à rencontrer les habitants. « Pendant une semaine, nous avons ren-contré le maire, l’adjoint, le pharmacien, le docteur Zeidan, l’ancien médecin. On nous a prêté une voiture et nous avons rendu visite au Conseil de l’Ordre. On avait l’impression d’être chez nous ! », relate Illeana Popescu. Si le docteur Zeidan reconnaît avoir eu quelques a priori sur la jeune femme avant son arrivée, ils se sont vite dissipés lors de cette rencontre. « Ma crainte était liée au fait qu’en Roumanie, le cursus d’étude n’est pas le même, il est plus court, mais après l’avoir vue j’ai été tranquille », explique-t-il. Preuve du savoir-faire de la doctoresse, >

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les patients qui avaient changé de médecin à l’époque où le docteur Zeidan exerçait seul seraient revenus depuis son arrivée, grâce au bouche-à-oreille.

Ses enfants vont à l’école et son mari, médecin également, exerce à quelques kilomètres. « Notre façon d’être a été appré-ciée et nous avons apprécié la leur », raconte Illeana.

Ce qui l’a motivée à venir exercer en France, ce sont les conditions de travail et la différence des pratiques. « Ici, on est plus avancé sur la technique, les statistiques, les données médicales. La médecine générale est la même qu’en Roumanie mais le traitement est différent au niveau technique. Là-bas, un médecin généraliste s’occupe d’abord de ce qui est administratif, de faire des statistiques, des rapports et des prescriptions, et ensuite seulement, il soigne. J’avais envie d’évoluer, de faire des actes qui, en Roumanie, doivent être prescrits par un spécialiste. » Illeana Popescu confie : « La société roumaine a changé depuis la chute du communisme. Un bon médecin n’est pas un praticien qui utilise des moyens politiques pour avancer, mais qui est apprécié pour ses qualités ». S’il est certain que son pays et ses proches lui manquent, elle regrette aussi « l’absence de contact avec les confrères médecins. À la campagne, on est isolé ».

Fine psychologue

Lorsqu’elle prend ses fonctions, en mars 2010, elle doit apprendre le nom des médi-caments en français et surtout le fonction-nement administratif du cabinet. Même si elle avoue s’être beaucoup souciée de son niveau de langue, la doctoresse n’a pas ren-contré de difficultés dans la relation avec ses patients. « Ils me disaient qu’ils venaient pour me faire travailler ! »

Le docteur Zeidan et la secrétaire, Micheline*, auraient orienté certains patients vers Illeana. « Je l’ai laissée pendant un an et demi exercer seule les samedis matin pour qu’elle ait sa clien-tèle. J’ai dirigé indirectement certains patients vers elle. J’ai essayé de l’aider au maximum pour qu’elle démarre rapi-dement, et qu’elle ait un minimum de quinze consultations par jour pour pouvoir vivre », détaille Talal Zeidan. Bien que les deux médecins ne soient pas de la même génération, « elle a su être très fine psychologue avec son confrère. Ça

s’est très bien passé », raconte le maire, son premier patient.

Doyenne du cabinet médical, Micheline a tenu une place importante dans l’inté-gration de la nouvelle venue et sa bonne cohabitation avec le docteur Zeidan. La doctoresse décrit « un coup de cœur » entre elle et sa secrétaire, grâce auquel « tout est venu naturellement », comme si elle était chez elle. Les deux femmes se sont liées d’amitié. Micheline l’a aidée à comprendre le gallo, souvent parlé par les personnes âgées, mais aussi à se repérer sur les

chemins de campagne. « Au début, j’allais parfois en visite avec elle. On faisait des circuits le soir pour qu’elle situe les com-munes les unes par rapport aux autres. » « La secrétaire m’a été d’une grande aide du point de vue organisationnel et administratif », confirme Illeana.

Talal Zeidan a voulu que la doctoresse se sente accueillie et intégrée. « Je ferai tout pour t’aider car tu es étrangère, mais aussi parce que j’en ai besoin », lui répétait-il. Le docteur Zeidan a mal vécu sa propre arri-vée au cabinet, il n’a pas souhaité que sa collègue vive la même situation : « J’étais mat de peau, arabe, musulman... ». Talal Zeidan considère que si Illeana Popescu n’a pas été victime de racisme, c’est qu’on « ne voit pas qu’elle est étrangère ». 

Une alchimie favorable

La commune avait déjà connu un méde-cin roumain de 1930 à 1950. « Il a laissé un très bon souvenir dans les mémoires », raconte le maire. Mieux encore, selon lui, « la pratique de la doctoresse ressemble assez à celle de son prédécesseur dans sa relation aux patients ». Illeana Popescu est bien consciente de l’aide reçue de tous à ses débuts. « Je ne me sentais pas privilégiée, mais maintenant oui, car je me rends compte que mes confrères roumains n’ont pas tous été aussi bien reçus. »

Aujourd’hui, Talal Zeidan considère que sa collègue et lui sont des « associés ». La doctoresse parle d’une « alchimie » favorable. Cette bonne entente permet aux deux médecins de partager dos-siers, patients et de travailler ensemble sur les cas difficiles. « Nous parlons des patients ensemble, on partage les cour-riers médicaux. On est comme des copains, on parle de tout sans barrière, de manière 

très libre », explique-t-elle. Son confrère confirme : « Nous travaillons et regardons les résultats d’examen ensemble ».

La jeunesse d’Illeana, et leur connaissance commune des patients permet au docteur Zeidan de se reposer quand il le sou-haite ou d’inverser leurs jours de travail si besoin. « Maintenant elle maîtrise tout et je pense qu’elle est contente, à tel point qu’aujourd’hui elle travaille plus que moi, observe-t-il. J’ai bientôt 68 ans mais si je suis fatigué et que je veux me reposer ou partir une semaine, je peux. On est dépendant l’un de l’autre. Il y a une relation de confiance quand l’un n’est pas là. »

Les deux médecins se répartissent parfois les patients en fonction de leurs savoirs respectifs. Si le docteur Zeidan a de l’expérience en chirurgie, Illeana Popescu fait un peu de pédiatrie et de gynécologie. Dans ce cas précis, les patientes apprécient particulièrement la présence d’une femme

au cabinet. D’un point de vue relationnel également, le docteur Zeidan décrit une différence de pratiques avec sa collègue : « Nous avons chacun notre style, notre façon de soigner. Nous n’avons pas la même rela-tion au patient ».

Aujourd’hui, les habitants semblent apaisés d’avoir trouvé un médecin. Mais pour com-bien de temps encore ? « Tant que le désir de soigner et ma santé me le permettent, je continuerai », déclare le médecin. Mais dans quelques années, il faudra bien lui trouver un remplaçant. Ce sera peut-être le mari d’Illeana qui viendra rejoindre son épouse... *Pour préserver l’anonymat de nos sources et répondre aux consignes du Conseil de l’Ordre, nous avons choisi de ne pas dévoiler le nom de la commune où le reportage a été réalisé, ainsi que ceux de nos interlocuteurs. Pour les désigner, nous utilisons des noms d’emprunt.

Illeana Popescu, à l’écoute de sa patiente.

D’ici quelques années, la doctoresse devra exercer  seule ou trouver un nouveau collaborateur.

J’avais envie d’évoluer, de faire des actes qui, en Roumanie,

doivent être prescrits par un spécialiste ««

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16 17

Comme tous les matins, la voiture grise de Rémi Latour, vient se garer dans ce quar-tier cossu de Vannes. Déjà

sur place, Brigitte, l’infirmière avec qui il travaille, l’attend. C’est ensemble qu’ils vont frapper à la porte de la famille Capot. Ils y sont accueillis par Jacqueline, l’épouse de Georges, et Eva, la chienne du couple. Après avoir échangé des nouvelles et quelques chocolats de Pâques, Rémi se rend dans la chambre de son protégé.

Cela fait maintenant trois ans que Rémi Latour, 30 ans, est auxiliaire de vie. Son tra-vail : aider les personnes bénéficiaires au lever, au coucher, à la cuisine ou encore au ménage. Sacré changement pour ce grand gaillard, ancien monteur d’échafaudages.

Depuis janvier, il s’occupe du lever et du coucher de Georges Capot. Âgé de 65 ans, cet ancien directeur de banque est atteint de sclérose en plaques depuis une trentaine d’années. Il se met à gémir. « Il ne faut pas s’inquiéter, rassure aussitôt l’auxiliaire de vie, monsieur Capot a un véritable talent de comédien. » En effet, l’intéressé éclate de

Quand d’autres vont travailler au bureau, les auxiliaires de vie opèrent à la maison. Cet espace privé et intime est propice à tisser des liens.

I V Wendy Bracat

Aider chezles autres

>

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18 19

rire, avant d’ajouter : « Ça fait trop longtemps qu’il me martyrise. » Hilare, Rémi commence la « séance du filet ». C’est ainsi que Georges nomme le moment du lever où on le transfère de son lit à son fauteuil roulant à l’aide d’un harnais. Sûr et précis, Rémi fait ensuite sa toilette et procède au rasage. La situation est délicate, mais les moqueries que s’échange le duo entretiennent une ambiance joviale.

Des débuts parfois difficiles

« En le voyant arriver la première fois, je me suis dit : qui c’est ce grand ours ? plaisante Georges. Mais ça s’est tout de suite bien passé entre nous. Il est un grand soutien pour moi. » Pour Jacqueline, ce qui explique que son mari s’entende aussi bien avec son auxiliaire de vie, outre le fait qu’il soit un homme, c’est que le trentenaire ressemble un peu à leur fils : « Il a la même gentillesse, la même corpulence, la même douceur. »

Entre deux plaisanteries, Rémi s’occupe du rasage de Georges.

Si Georges n’a eu aucun mal à accepter son aide à domicile, ce n’est pas le cas de tout le monde. Rémi se souvient de bénéficiaires très froids, refusant parfois sa présence. Ou de gens très exigeants en matière de cuisine par exemple. Pour Jacqueline aussi, cela n’a pas été simple : « Ce sont quand même des gens qui entrent dans votre intimité, même plus, dans votre intimité de couple. En tant qu’épouse, ça m’a fait bizarre ». 

Avec le temps, les choses se sont arrangées. « On crée des liens amicaux avec Rémi, on discute des choses de la vie. Je sais qu’il a une compagne et un fils. On parle de cinéma, de politique… Avec mon mari, c’est plutôt le sport. »

Ce rendez-vous quotidien donne lieu à un véritable échange. Sous l’impulsion de Rémi et en accord avec AD Quotidien, la structure qui l’emploie, le soixantenaire,

Pétris d’amour

Gilbert et Laurence Besnier ont ouvert leur boulangerie il y a quatre ans, à Châtillon-en-Vendelais (Ille-et-Vilaine). L’ancien ouvrier boulanger et l’ex-comptable ont décidé de mêler travail et vie privée au quotidien.

Vous voyez-vous plus souvent depuis votre installation ?Gilbert : Oui. Avant on ne se voyait que le soir. Il y a des moments creux où on va discuter, ou le midi quand on mange. Nos sujets de discussions sont les mêmes au travail et à la maison. Il n’y a pas de bar-rière entre les deux.

Laurence : C’est vrai qu’on passe plus de temps ensemble. Ça n’a pas changé notre façon d’être. On prend un café, on fait le point, il me demande des nouvelles des

enfants. Même quand il fait sa pâtisserie, il est à côté. Par contre on passe beaucoup moins de temps en loisirs.

Cela ne crée-t-il pas de tensions entre vous ?G. Curieusement, non. En quatre ans, on ne s’est jamais frité. Ce n’est pas pour autant qu’on n’a pas de points de vue différents. On a des caractères de cochons !

L. Des amis nous ont dit : « Vous verrez, à la fin vous n’aurez plus rien à vous dire», mais moi je ne l’ai pas pris comme ça. Au départ, on était débordé par le travail, mais on s’est plutôt serré les coudes. On n’est pas du genre à se crêper le chignon. Les soucis on les gère ensemble, on se dit tout.

Et dans votre travail, vous sentez-vous plus épanouis ?G. Je pense. C’est moins stressant, car on se comprend. Je pense que ça m’a assagi. Avant j’avais des collègues avec qui les relations étaient compliquées à gérer. Même avec mes apprentis je suis plus cool. Oui c’est sûr, on est plus épanouis dans le travail.

L. Je pense que je suis plus épanouie. Et puis on a aussi la même façon de penser, ça aide.

Diriez-vous que vous avez appris à mieux vous connaître ? G. Oui, j’ai pu la découvrir dans son rap-

port avec les gens, le fait d’avoir toujours le petit mot gentil. J’ai été agréablement surpris. Cela a épanoui encore plus notre relation. Je pense qu’on est plus soudés, qu’on se comprend mieux.

L. Déjà je l’ai vu travailler ! J’ai découvert aussi sa personnalité de formateur. Il sait mieux garder son calme que moi je pense. Mais ça n’a que confirmé ce que je savais. On s’entendait déjà bien, mais on est peut-être plus soudés aujourd’hui. Plus main dans la main.

I Carl Guillet V Vincent Sartorio

qui rechignait à sortir, se livre de nouveau à des activités en extérieur. Récemment, ils se sont baladés à la Pointe d’ Arradon, ou encore ont improvisé un atelier mécanique devant la maison.

Rémi dit apprendre beaucoup sur le plan pratique : « Une de mes bénéficiaires, m’a en-seigné comment cuisiner le poulet marengo, par exemple. » Mais c’est au niveau humain que Rémi estime s’être le plus enrichi. Au contact de Georges et des autres, il pense avoir gagné en empathie et en compassion.

Être auxiliaire de vie, c’est constamment marcher sur un fil ténu. À trop s’attacher à ses protégés, on peut en souffrir. Il n’y a pas longtemps, une collègue de Rémi a fait un burn-out. En dépression, elle a dû s’arrêter de travailler. « C’est ça mon métier, résume-t-il, il faut être proche des gens en sachant prendre du recul. »

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Un parfum de Hollande en pays bigouden

Des tulipes et des jacinthes à perte de vue. A Plomeur, dans le sud-Finistère, deux générations de Hollandais ont implanté leur savoir-faire. Le travail a fortement facilité leur intégration.

Ard Kandoorp avait neuf ans quand sa famille a quitté les Pays-Bas pour

s’installer sur la pointe de la Torche, à Plomeur, dans le pays bigouden. « Mes parents étaient bulbiculteurs dans le petit village de Limmen en Hollande. Ils avaient envie d’agrandir l’exploitation mais la pres-sion immobilière était trop forte chez nous. » Après avoir fait le tour de la côte française en voiture, la famille reprend une entre-prise de bulbiculture plomeuroise.

Trente-deux ans après, Ard n’a pas perdu son accent. À la tête de la société Kan-dorp depuis 2001, le producteur travaille en lien étroit avec son pays d’origine, dans lequel il écoule la quasi totalité des bulbes de fleurs qu’il produit. Parmi les douze employés permanents de la société, cinq membres de sa famille : Jolanda, sa femme ; Lida et Kees, ses parents ; Marlies et Ronald, sa sœur et son beau-frère. « Tous Néerlandais, sauf Ronald. » Au gré des conversations, leur langue natale se fait entendre ici et là. Dans les champs alentours, la floraison des jacinthes et des tulipes a commencé. Soixante hectares d’émerveillement pour

les touristes de passage dans la région. Un petit coin de Hollande dans le pays bigouden.

Pour autant, les Kandoorp ne vivent pas en vase clos. Au contact de leurs employés « du cru », la famille s’est progressivement intégrée dans cette cité à forte identité. Si certains Plomeurois les appellent encore « les Hollandais », c’est plus par commodité et habitude que par rejet. « On dit que les Bretons sont maîtres chez eux mais ils sont relativement ouverts à ce qui vient de l’exté-rieur. Ça les intéresse. Ils sont curieux. » Le Néerlandais en est persuadé : « Faire partie de l’activité économique du coin, ça ouvre des portes. » Détermination, rigueur, innovation, travail. Autant de qualités qui semblent avoir facilité l’insertion des Kandoorp au sein de la population locale.

C’est d’une main ferme que le fils Kandoorp dirige à présent l’entreprise familiale, qui

s’est fortement développée avec le rachat de terres laissées inoccupées sur la bande côtière. Malgré une charge de travail importante, le couple ne refuse jamais une invitation à dîner, et prend le temps de s’investir dans la vie associative locale. Du handball pour lui, de la photo pour elle, sans compter l’implication dans les asso-ciations de parents d’élèves.

« On interdit aux gens de travailler »

Depuis quelques années, Ard avoue toute-fois connaître « plus de conflits et de difficul-tés». « Le monde n’est plus très tolérant. En ville on accepte tout, en campagne on interdit aux gens de travailler, s’agace le bulbicul-teur. Sur le littoral, on trouve beaucoup de gens qui viennent de l’extérieur. Ce sont des gens qui ne sont pas habitués à vivre à la campagne, qui viennent là pour avoir la paix. Ils oublient que là aussi il y a des gens 

qui travaillent. » L’épandage de lisier et le travail des terres au petit matin irritent les riverains, qui crient aux nuisances.

Outre ces soucis de voisinage, les trois producteurs de bulbes du secteur doivent composer avec les normes environnemen-tales imposées en zone côtière. Les trois entreprises ont récemment été condam-nées pour usage de pesticides non homo-logués en France. Une injustice pour Ard : « En France, nous ne sommes qu’une poignée de bulbiculteurs. Ça n’intéresse aucune firme d’homologuer ces produits sur bulbes, alors qu’ils le sont déjà sur les céréales, les salades.  » Optimiste, le Breton-Hollandais voit le bon côté des choses : « Dans les difficultés, les gens ont tendance à se rappro-cher. Il y a plus de solidarité avec les autres producteurs... » 

I Jennifer Pinel V David Le Tiec

Des jacinthes et des tulipes à perte de vue sur plus de soixante hectares de terre sablonneuse.

C’est avec détermination qu’Ard Kandoorp dirige l’entreprise familiale depuis 2001.

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22 23

Découvrir, échanger ou se perfectionner aux méthodes d’agriculture biologique, c’est le principe du Wwoofing. Un site internet, wwoof.fr, met en lien particuliers et producteurs pour des séjours à durée variable.

exploitation. Si cette femme énergique apprécie l’aide des Wwoofers, des amis, des voisins, elle ne souhaite pas accueillir des Wwoofers éternellement : « Cela me fait plus souvent perdre que gagner du temps de devoir fournir les explications. » Simon lui, se donne jusqu’à la fin de l’année pour apprendre encore, à la Yourtilière comme ailleurs. Avant de se lancer à son tour dans la grande aventure. 

I V Vincent Sartorio

Vers 14 heures, la troupe prend place autour de la table. Simone sort de son four à pain des pizzas garnies de légumes récol-tés à la ferme. Un moment de convivialité. « Le partage, c’est ça la vie. Lorsque l’on ac-croche avec des personnes, les échanges sont plus intenses, sourit cette vadrouilleuse. J’ai beaucoup voyagé. Mais je n’étais jamais loin de la ferme. J’ai conduit mon premier tracteur à 12 ans ! »

L’après-midi, c’est plantation de tomates. L’occasion de s’inspirer du coup de main de Simone. Un savoir-faire que Simon apprécie : « J’ai beaucoup étudié mais j’en ai eu marre de la théorie. Je trouve que j’apprends mieux ici que dans les formations agricoles. »

A 18 heures, retour à table autour d’une collation. Simone en profite pour vanter les mérites de son protégé : « C’est le Wwoofer parfait. J’aime lui transmettre mon savoir car c’est une personne très engagée. » 

Voilà maintenant huit ans que la maraî-chère consacre seize heures par jour à son

Un grand soleil de printemps brille sur Le Saint, petite commune morbi-

hannaise, aux confins des Côtes-d’Armor et du Finistère. Il est 10 heures au Moulin Coz lorsque Simon se lève et sort de sa caravane. Il se dirige vers la Yourtilière, foyer central construit avec des matériaux de récupération, pour y prendre son petit-déjeuner. Simone, la propriétaire des lieux, d’origine allemande, fait son apparition et nous salue. À peine le temps de boire un verre d’eau, elle se dirige déjà vers ses champs de maraîchage biologique. Le pro-gramme du jour n’est jamais fixé à l’avance, Simone s’organise en fonction du calen-drier et de la météo.

Simon, le Wwoofer, rejoint son hôtesse et s’attelle directement à la tâche. Ratisser des buttes pour y planter des salades est largement dans ses cordes. Il faut dire que le Rennais de 28 ans est expérimenté : « J’ai un projet de maraîchage biologique. Je veux m’installer et vivre de mon exploi-tation. » Dans cette optique, la suite des activités lui en apprend bien plus. Simone veut planter des tubercules d’Amérique du Sud. Cette créative dans l’âme a l’idée d’utiliser de vieux pneus de camions pour conserver une chaleur suffisante autour de ses plantations. Deux amies de Simone sont arrivées entre temps. Avec nous, elles agrafent du grillage aux pneus, les bourrent de foin et remplissent de terreau ces potagers originaux.

Wwoofer pour(se) cultiver

Simone posséde 300 variétés de fruits et légumes.Autant de méthodes à apprendre pour le Wwoofer.

Au Travail !

 Travailler avec des cons, c’est possible

Votre patron vous mène la vie dure ? Votre collègue de bureau vous agace et le gars de la comptabilité vous insupporte à toujours perdre vos notes de frais ? Respirez un bon coup, Tonvoisin Debureau vient à votre rescousse avec son ouvrage Travailler avec des cons (Éditions J’ai Lu, 2009). L’auteur délivre conseils et astuces pour améliorer votre quotidien au travail. Ce livre, au ton léger et rem-pli d’humour, met en avant des situations quotidiennes de gêne, de conflit, de mal-être ou de malentendu entre collègues de travail. Une illustration de la cohabitation au travail, souvent très proche de la réalité.

Nourrir son réseau professionnel

Vous détestez vos collègues, êtes télétravailleur, au chômage et

mangez souvent seul et mal ? De ce ras-le-bol est né un site Inter-

net : colunching.fr. « En permettant aux gens de se rencon

trer et de 

partager un moment ensemble, on brise l’isolement du travail à

 domi-

cile ou la routine d’une journ

ée de bureau », constate Sonia Zannad,

auto-entrepreneuse et cofondatrice du site.

Concrètement, les colunchers sont conviés à des repas organisés

par l’équipe du site, auquel il suffit de s’inscrire. Ces déjeuners

s’adressaient principalement aux télétravailleurs désireux de faire

des rencontres amicales, avant de s’ouvrir à d’autres publics. « Bon 

nombre de professionnels cherch

ent ainsi à développer  leur 

réseau. 

Un  déjeuner vaut  tous  les  e

-mails  du monde.  » Certains renouent

ainsi avec le marché du travail.

«

35h84%

60% des sondés disent avoir rencontré de vrais amis sur leur lieu de travail.

des salariés français affirment se sentir bien au bureau.

prennent une pause en cas de stress.. 11% préfèrent se plaindre à leurs amis collègues.

échangent des bons plans loisirs avec leurs collègues, 40% des bons plans pratiques (nounous, etc.).

de curieux ont déjà repéré une histoire d’amour entre collègues. 12% en ont déjà eux-mêmes vécu une !

22%88%

13%

Petits chiffres entre collègues

par semaine, c’est le temps que nous passons en général avec nos collègues. TNS Sofres a réalisé une enquête sur nos chers voisins de bureau. En voici quelques chiffres :

«

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24

Au pied de l’église, reconstruite à l’identique après la Seconde Guerre, le marché du vendredi matin est l’affaire d’habitués

prêts à défier tous les temps. Les gens s’y rencontrent, papotent, font leurs emplettes. Des commerces de proximité bordent la place principale... Difficile de croire au premier abord que ce bout de Brest, connu dans la France entière grâce au célèbre Lambé an dro du groupe Matmatah, fait vraiment partie de la métropole océane.

Durant des siècles, « Lambé était une ville frontière, entre la ville et la campagne, entre une ville ouvrière et française, et une cam-pagne catholique et bretonne. Il y avait cette fracture là », affirme Yvon Tranvouez, profes-seur d’histoire contemporaine à l’université de Brest. Il a étudié le maillage paroissial de l’ex-commune entre 1930 et 1950. « Au fond, la ville commençait à Kérinou », l’ensemble le plus proche du centre-ville qui compose aujourd’hui une partie du sud de Lambézellec.

Dans la partie nord du quartier, le bourg. Composé de maisons et immeubles sociaux, il se détache du reste de la ville. Cette « pointe avancée du Léon vers Brest » - comme le précise Yvon Tranvouez - garde une part de sa vie d’antan. En face, de grands HLM appar-tiennent au quartier de la Zone urbaine sensible (ZUS) de Keredern. Entre les deux, le boulevard de l’Europe, où cir-culent 30 000 à 40 000 véhicules par jour.

Lambé, périphérie à deux visagesElle était la plus grande commune rurale de France au début du XXe siècle et s’étendait sur plus de 2 000 hectares. Depuis 1945, Lambézellec est devenue « simple » quartier de Brest, ville à l’histoire portuaire et militaire. Les habitants les plus nostalgiques luttent pour la survie d’une certaine identité face au monde urbain.

I Kevin Bernard V David Le Tiec

Le marché de Lambézellec, un des symboles du  

quartier.

>

Même sol

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26

pêtre par rapport au reste de l’agglomération bres-toise. Lui et les membres de l’association Mémoire de Lambézellec, dont il a été président, ont lancé, en 1995, une revue trimes-trielle éponyme.

Dans cette publication, apparaît l’image d’un village encore autonome, pourvu de grands ensembles agricoles et d’un bassin industriel conséquent. « Il y a toujours eu cet esprit de commune ici, rappelle Henri Girardon, ancien mili-taire puis professeur. On était de Lambé comme quelqu’un est de Saint-Brieuc ou de Plouénan. » La nostalgie est palpable. Henri Girardon clame son attachement à sa bourgade. Quand il veut en sortir pour aller en centre-ville, il dit encore naturellement : « On va à Brest » ou « en ville ».

Mais cette appartenance est de plus en plus floue. De muliples symboles cepen-dant persistent : la haute cheminée de l’ancienne brasserie de Lambézellec ; son viaduc atypique, « le Pont de la brass’ » ; le tracé du train patates ; le marché, créé en 1956 en souvenir des anciennes foires ; le monument aux morts. Ou encore les

Une fracture symbolique entre deux mondes : la ruralité d’un côté, l’urbanisa-tion à grande échelle de l’autre.

« On ne pensait plus qu’à voir grand »

La majeure partie de la population de Brest était occupée à la Reconstruction après les bombardements destructeurs de la Seconde Guerre mondiale qui ont rasé la ville. Henri Girardon, l’une des figures du quartier, se souvient encore de la période de l’annexion à la ville de Brest, décidée en 1945. Il avait 17 ans. « On ne pensait plus qu’à voir grand. Tout s’est fait comme cela sans l’avis de personne. Seulement celui des élus. De toute manière,  le petit ouvrier du coin s’en foutait pas mal de ces histoires-là. La plupart des gens n’ont rien dit. Beaucoup ne s’en sont même pas aperçus.»

Forçant le trait, mais sans animosité, l’homme désigne Brest comme un « can-cer ». Il croit que le rattachement de Lambé n’était de toute manière qu’une question de temps. « C’est peut-être pas plus mal, concède-t-il.  Il faut être logique, Brest s’étendait au niveau indus-triel. Il leur fallait du volume. » Conscient qu’il est impossible de faire machine arrière, Henri Girardon essaye désormais de protéger une spécificité plus cham-

patronages que sont le PL Lambézellec et l’Étoile Saint-Laurent...

Les remparts vont-ils tomber ?

En parallèle, la disparition de certains marqueurs commence à ronger la pho-tographie des lieux. Telle la ligne de bus numéro 2, assimilée à Lambézellec jusqu’en 2012. « Il y a eu un brouillage après sa disparition et l’apparition du tramway. Le tracé de la ligne n’est plus le même », constate Yvon Tranvouez. Le quartier non plus, qui a aussi perdu une superbe chapelle du côté de Kérinou, rasée dans les années 1970 par les bull-dozers à la suite de son appropriation par une société immobilière.

Les associations restent dyna-miques dans le quartier. Cer-taines d’entre elles incarnent un besoin de sauvegarder une identité qui se noie peu à peu dans le Grand Brest. Lors des années 1980 et 1990, l’identi-té du quartier de Lambézellec resurgit. L’association des rési-dents de Brest-Lambézellec (ARBL) a aujourd’hui 23 ans. « Beaucoup de gens ont oublié cette annexion de la commune au Grand Brest », admet son président, André Rosec.

Le tissu associatif est garant du particu-larisme de Lambézellec, alors que Brest veut plutôt englober les sept quartiers de la ville sous un même étendard. « L’objectif est bien de se sentir brestois de Lambézellec, affirme même Isabelle Le Glas, adjointe au maire responsable du quartier. Dans le discours de mes vœux, je fais bien attention de mettre Brest d’abord et Lambé après. »

Au fil du temps, les liens de la corde iden-titaire tendent à se défaire. Les anciens, qui ont connu le Lambé communal, ne sont plus aussi actifs. La revue Mémoire de Lambézellec s’est arrêtée en 2010 après quinze années de parution. Même si Henri Girardon et ses amis vont encore à la rencontre des écoliers et des habitants

pour parler de l’ancien temps, l’association semble en perte de vitesse. Le vieillisse-ment des cadres se fait sentir, même si une jeune garde pourrait peut-être prendre un jour le relais. André Rosec essaye en effet d’investir dans l’avenir. À ses côtés en tant que vice-président, Mikaël Tygréat, un jeune homme investi depuis dix ans dans le domaine du spectacle et de l’associatif.

Très attaché à Lambézellec, ce dernier veut répandre l’histoire de celle qui était considéré comme la plus grande commune rurale de France. « C’est vivant, il y a une âme... C’est la partie village de Brest. Il faut rapporter la mémoire des anciens, qu’elle persiste, et que les nouvelles générations s’emparent de l’identité du quartier, croit-il. Et c’est compliqué. Ça n’intéresse pas les jeunes. »

Mikaël Tygréat se considère comme un cas à part face à une jeunesse de quartier plus en retrait, plus mobile aussi, et aux centres d’in-térêts éloignés de la sauvegarde d’un passé collectif. L’identité de l’ancien territoire autonome est-elle vouée à la disparition ? « La transmission de cette mémoire ne paraît pas évidente. La capacité de renouvellement des associations de quartier est problématique. Cela me paraît très significatif », estime Yvon Tranvouez. L’avenir de Lambézellec pourrait alors se construire sans le souvenir de ce qu’elle était.

La plupart des gens n’ont rien dit. Beaucoup ne s’en sont

même pas aperçus. ««

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Lannion

LANNION TRÉGORAGGLOMÉRATION

Plouaret

BEG AR C’HRA

Vers Morlaix

Cavan

Bégard PAYS DE BÉGARD

CENTRE TRÉGOR

Tréguier

Mantallot

Trézény

HAUT TRÉGOR

LES COMMUNAUTÉS DE COMMUNES DU TRÉGOR

Plufur

Qui dit entité administrative dit territoire. Et qui dit territoire dit frontières. Il n’est pas toujours aisé pour une commune d’être

située en limites géographiques d’une intercommunalité. Quand le village voisin appartient à une autre communauté de

communes, difficile pour les habitants de s’y retrouver. Dans le Trégor, pays historique du nord-est des Côtes-d’Armor, une variété de profils de communes cohabite : la ville-centre Lannion, les communes de bord de mer, les plus reculées dans les terres, les tout petits bourgs...

Parmi eux, Trézény. En semaine, vers 14 heures, l’animation du bourg est com-parable à celle d’une école en période de vacances. Ce village de 260 habitants appartient à la communauté de communes du Haut-Trégor. « En tant que maire, quand je vois le panneau d’entrée dans Lannion-Tré-gor Agglomération (LTA) à la sortie de la com-mune, je l’ai mauvaise. » Il suffit de déplier une carte pour comprendre le ressentiment de Jean-Yves Unvoas. Le chef lieu de son intercommunalité, c’est Tréguier, à 15 kilo-mètres à l’est. Alors que la ville de Lannion, bien plus grande, n’est qu’à sept kilomètres à l’ouest.

Des aberrations

Les frontières des communautés de communes ne sont pas toujours calquées sur les habitudes de vie des populations. À Trézény, la majeure partie des habitants travaille, consomme ou étudie à Lannion et ses alentours. Les principaux liens qui existent entre les Trézéniens et le chef-lieu Tréguier sont associatifs ou datent du temps où les cantons avaient bien plus de compétences. Une petite partie des enfants s’y rend pour l’école, pour le lycée... « En 2000, nous avons décidé de rejoindre Tréguier. Mais avec le recul, on se dit qu’il n’y a que les grands centres comme Lannion qui soient bien arrosés par les financements », regrette Jean-Yves Unvoas.

Les élus font leur tambouilleLes communautés de communes sont sources de débats enflammés entre élus. Il ne s’agit pas uniquement de créer des territoires calqués sur les habitudes de vie, mais de mettre en place des entités cohérentes économiquement. Quitte à s’affranchir parfois de toute logique géographique.

I Brice Miclet V David Le Tiec

Le maire de Trézény est d’autant plus amer que le village voisin du sien, Kermaria-Su-lard, se trouve dans le giron de Lannion-Trégor Agglomération. « Avec les communes limitrophes, il n’y a pas vraiment de modifi-cation des rapports avec l’arrivée des commu-nautés de communes. Mais il y a quand même un déséquilibre au niveau des recettes. Bon, il faut avouer qu’on avait décidé ça entre nous, élus. » Aujourd’hui, Jean-Yves Unvoas et dix des onze conseillers municipaux de Trézény souhaitent se rapprocher de Lannion, mais ça n’est pas gagné. Difficile en effet de mobi-liser la population sur ces thématiques.

« Développement économique » et « aména-gement de l’espace » : telles sont les deux compétences obligatoires des commu-nautés de communes. Rien d’inaccessible pour les habitants. Mais rien d’évident non plus. Résultat, en milieu rural, presque tout se règle entre élus. « On n’a pas eu l’idée de s’orienter vers LTA. Ça semblait logique, 

pourtant. Mais nous étions et sommes tou-jours dans le canton de Tréguier. On a réfléchi comme ça, par habitude. » Quel intérêt, pour le Haut-Trégor, de comprendre Trézény dans ses rangs ? « Aucun, répond Jean-Yves Unvoas. Tout le monde subit cette situation. » 

Il y a encore trois ans, une commune pou-vait faire le choix de rester indépendante, de ne pas rejoindre d’intercommunalité. Ce qu’ont choisi les élus de Mantallot. « Avec la réforme territoriale, ça n’est plus possible, répond le maire de Trézény. Et pour Man-tallot, c’est différent. Si toutes les communes avaient une recette de fonctionnement aussi importante qu’eux... »

La commune d’abord !

Au sortir de la petite mairie de Trézény, prendre la D65 au sud sur 15 kilomètres et voilà Mantallot. 200 habitants vivent dans cette petite commune. « J’habite au numéro 41. » Un nom de rue ? « Non, il n’y a que la départementale qui traverse le village. » Ismaël André, 62 ans, est dans l’équipe municipale depuis 1977. L’adjoint au maire et spécialiste de la question des intercommunalités confirme : « Trézény, on ne comprend pas leur choix. C’est le poids des cantons, ça. Le problème, c’est que les maires se connaissent bien. Ils ont tendance à se réunir entre amis ou entre connais-sances. Ceux de Trézény avaient l’habitude de côtoyer ceux de Tréguier. Donc, ils sont restés ensemble ». Et ici, même constat : « Quand on regarde la bassin de vie de Mantallot, 

Ismaël André, élu de Mantallot.

Les communautés de communes, les gens s’en foutent.

Ça a de l’importance pour nous, élus.

««

on voit que les zones commerciales sont à Lannion, à l’ouest ».

Mantallot est un village d’irréductibles Gaulois, à cheval sur les communautés de communes du Centre-Trégor et du Haut-Trégor. Quand toutes les communes alentours mutualisent leurs moyens depuis 1993, eux ne veulent pas partager leurs ressources et restent seuls. Ismaël André le revendique : « On n’est pas l’abbé Pierre ! » Mais la réforme territoriale est venue changer la donne. Désormais, toutes les communes doivent rejoindre une com-munauté d’ici 2014.

D’après lui, « les gens s’en foutent à Man-tallot. Ça a de l’importance pour nous, élus. Mais qu’est-ce que ça change concrètement pour les habitants ? Il ne faut pas rêver, LTA ne va pas mettre en place une ligne de bus à Mantallot si c’est pour transporter trois personnes ». Dire que les communautés de communes ne concernent que les élus serait pourtant faux. Équipements sportifs, média-thèques, aides aux associations, gestion de l’eau... Les financements sont communau-taires et les habitants, s’ils ne le savent pas toujours, sont directement concernés.

Puisqu’ils doivent à présent choisir, Ismaël André et le maire de Mantallot demandent à rejoindre la communauté de communes du pays de Bégard, au sud-est. « C’est un pari. Être dans une petite intercommunalité, ça coûte cher. » C’est surtout un sacré calcul. Si Bégard >

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rejoint LTA dans le cadre de la réforme territoriale, ce que toutes les communes ne souhaitent pas, Mantallot sera dans une communauté de communes riche.

Voisins malgré tout

Les communes alentours n’appré-cient pas tous la petite stratégie de Mantallot : « Les relations avec nos voi-sins, il faut l’avouer, sont un peu tendues. Avec Coatascorn et Berhet, nous avions un syndicat de communes pour mettre en commun une secrétaire de mairie. Coa-tascorn a voté contre notre venue dans le Centre-Trégor, on a donc rompu le syn-dicat avec eux. Ils se débrouillent, c’est une sanction. Tu ne veux pas de nous ? Très bien. Tu gères ta secrétaire, on gère la nôtre. » Mantallot a très bien pros-péré sans intégrer de communauté de communes et ce, en partie, grâce aux syndicats intercommunaux.

Car il faut relativiser. L’appartenance ou non à une intercommunalité ne fait pas tout. Des alternatives existent et perdurent. Comme le dit Jean-Yves Unvoas à Trézény , « les communes n’ont pas attendu que les com-munautés se créent en 1992 pour s’organiser. Par exemple, nous faisons partie d’un syndicat pour le regroupement pédagogique intercom-munal avec les villages voisins de Lanmérin et de Rospez ». Trois communautés de com-munes différentes sont donc représentées. Pour la gestion de l’eau, c’est encore un autre syndicat. La station d’épuration est conjointe à des communes de LTA. « Pour agrandir la station d’épuration, on peut jouer avec les conventions. On peut tout faire avec les conventions. » 

Des territoires cohérents ?

Changement de décor. Plus proche de la côte, au sud-ouest de Lannion, il existe une commune faisant partie de LTA, mais où le

tiraillement entre deux entités est encore plus fort. À Plufur, les 560 habitants voient double : ils sont juste à mi-chemin entre deux bassins d’emplois que sont Lannion et Morlaix. « Ici, on va aussi bien à Morlaix, qu’à Guingamp ou Lannion, explique le maire Hervé Guélou. C’est le lot des communes en bord d’entités. Mais rejoindre Morlaix Com-munauté, c’était compliqué car on change de département. Il n’y a que de rares cas où une intercommunalité chevauche cette frontière. Par contre, il y a une rupture entre ici et le nord-Lannion, aussi compris dans LTA. Nos communes n’ont pas du tout le même profil. »

Cette rupture a poussé des communes ru-rales limitrophes de Plufur, comme Lanvel-lec ou Plounérin, à rejoindre la commu-nauté de communes de Beg ar C’hra, juste au sud et sans ouverture sur la mer. « Avec Lanvellec, on a un syndicat de voirie, un syn-dicat d’eau, des regroupements pédagogiques, précise Hervé Guélou. Bref, des relations de

communes limitrophes classiques. Être dans des communautés différentes n’empêche pas cela. Avec Plounérin, nous avons même un quartier commun de part et d’autre de la voie ferrée. »

Plufur, village d’agriculteurs, côtoie donc, au sein d’une même entité administrative, des communes de bord de mer comme Louan-nec ou Trégastel mais pas ses communes limitrophes. Où est la logique ? « On peut se poser la question, répond Hervé Guélou. Par exemple, le Haut-Trégor n’a jamais existé historiquement. C’est une entité et une appel-lation créée de toutes pièces. » En fait, l’enjeu est celui d’une vision à long terme : « Plu-fur est tout près de la RN12, précise Hervé Guélou. C’est aussi ça notre rôle de commune excentrée : donner à LTA une ouverture sur les axes de communication. Grâce à nous, ils sont sur l’axe Paris-Brest. Nous sommes un atout pour LTA, c’est cohérent. » Mais toutes les communes n’ont pas cette chance. Il suffit

de prendre un peu de recul sur le sujet pour s’apercevoir que le contexte politique natio-nal n’est jamais loin.

Suite à la réforme territoriale, les communau-tés de communes de Beg ar C’hra et de LTA vont fusionner. Pour Hervé Guelou, cela ne change en rien les relations avec ses voisins : « On a toujours eu des choses en commun avec Lanvellec, grâce à ces syndicats ou à des conventions. Donc, le fait qu’on soit aujourd’hui dans la même entité, si ça ne change pas grand chose au quotidien pour les habitants, c’est plus logique. »

Penser différemment

La thématique de la décentralisation est la toile de fond de ces questionnements. Les partisans de la suppression des dépar-tements, comme le maire de Plufur, voient les communautés de communes comme les entités locales de l’avenir. « Il faut voir 

plus loin. Morlaix Communauté et LTA ont un littoral commun, les coopérations sont donc possibles et nécessaires. Mais il ne faut pas de concurrence. Prenons Giannoni, grosse entreprise morlaisienne. Il serait dommage que Lannion décide de concurrencer Morlaix sur ce chapitre. Il vaut mieux leur laisser le développement sur ces questions. Ça demande un minimum de courtoisie d’abord mais aussi d’ambition d’aménagement du territoire. Et je crois en ces territoires. » La coopération entre communautés de communes, nouvelle étape de la cohabitation entre entités administra-tives ? Hervé Guélou l’espère.

À Plufur, la boulangerie et le bistrot du bourg sont financés à 35% par LTA dans le cadre de la compétences de maintien du dernier commerce. Si les Plufuriens peuvent encore aller acheter leur pain à pied, c’est grâce à cela. Mais toutes les petites mairies n’ont pas le même point de vue que celui d’Hervé Guélou. À Trézény, le poids des habitudes est bien là : « On nous demande d’avoir une réflexion plus commu-nautaire que communale, constate Jean-Yves Unvoas. Mais on regarde quand même ce qu’on aura, en tant que commune, comme retombées. On voit d’abord nos intérêts, qu’ils soient financiers ou administratifs. Malgré toutes ces nouveaux découpages sans grande identité, la commune reste la priorité en milieu rural ». 

« Moi, je crois en la communauté, conclut Hervé Guelou. Bon, on connaît les dangers. On sait qu’il faudra toujours bien veiller à la démocratie, à ce que les petites communes soient représentées, c’est un vrai combat. Tout va être question d’élus, de personnes. Et ces personnes devront trouver le bon fonctionne-ment pour cohabiter. » Pas simple.

La multiplicité des entités administratives fait crouler les élus sous les dossiers.

Hervé Guélou, maire de Plufur, pose devant la boulangerie du bourg financée à 35% par LTA.

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J ’ai toujours été attiré par les gens du voyage. Quand j’étais gosse, je disais à mes parents : Le jour que je serai grand, je ferai comme eux, je prendrai 

la route et je me marierai avec une fo-raine." Jean-Pierre Raoult est né en 1952 à Yvias, un petit village des Côtes-d’Ar-mor, au sud de Paimpol. Tous les ans, les voyageurs se rassemblent dans le quar-tier attenant de La Petite Tournée. Élevé dans une famille modeste, Jean-Pierre est fasciné par le mode de vie de ses voisins manouches. « Je trouvais ça beau, ils me donnaient envie de voyager. J’étais malheureux quand ils partaient. Quand je les voyais revenir, c’était la fête. »

À seize ans, il réalise enfin son rêve : partir avec eux, sillonner les routes de France. Envers et contre tout. « Mes pa-rents n’étaient pas  d’accord. Se mêler aux gens du voyage, c’était mal vu. Mais ils ont pas eu le choix », s’amuse Jean-Pierre. Confié au pasteur de la mission évangé-lique, le « gadjo » rencontre Damienne, qu’il épouse en 1974.

Le couple vit de la chine et de travaux saisonniers, « les vendanges, les cerises, les prunes », avant de tenir un stand de tir et une confiserie dans les fêtes fo-raines. Fidèles aux traditions, les Raoult se déplacent en groupe, avec famille et amis. Le cortège rassemble entre trente et soixante caravanes et stationne ici

Gadjo devenu manouche militantNé dans une famille modeste des Côtes-d’Armor, Jean-Pierre Raoult voue une passion sans bornes au monde voyageur. Marié à une manouche, il œuvre pour une meilleure cohabitation entre nomades et sédentaires.

I Jennifer Pinel V Pauline Bussi

ou là, sur simple autorisation du garde-champêtre du village. « On a été un peu partout comme ça, dans toutes les régions de France. » Le bon vieux temps. « On s’arrêtait où on veut pour 48 heures, une semaine, quinze jours. Aujourd’hui, tout est cadré, organisé. On n’a plus autant de liberté. »

La vie a changé et tout est fait pour sédentariser ces voyageurs dans l’âme. Fini la chine, Jean-Pierre crée sa micro-entre-prise spécialisée dans l’entretien de jardin. Comme de nombreux voyageurs, Damienne et lui investissent dans un pied-à-terre dans lequel ils se retirent chaque hiver, avec leurs trois fils. Une petite maison aux parfums du

voyage. Près du poêle à bois, les tableaux de scènes de vie tsiganes ont trouvé bonne place. Aux quatre coins du salon paré de dentelles, les figures clownesques prennent vie sur leurs balançoires. Jean-Pierre aime le cirque. Lorsqu’un spectacle s’annonce dans les environs, il ne manque jamais de rencontrer la famille qui l’anime.

«

Médiateur engagé, Jean-Pierre Raoult milite pour le décloisonnement des mondes nomade et sédentaire.

>

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L’horloge à coucou rappelle le temps qui passe. C’est à Pléhédel que le couple a choisi d’installer son petit nid douillet, en  1988. Pas très loin du village où ils se sont rencontrés. « Ici, les élus sont plus ouverts, ils font plus d’efforts », assure Jean-Pierre. 

Dans une commune voisine, une exposition sur les gens du voyage et un ciné-débat ont récemment été organisés. L’occasion d’échanger et de créer de nouvelles rela-tions entre sédentaires et voyageurs. Deux mondes qui se craignent bien plus qu’ils ne s’opposent, à en croire les Raoult. « Quand les sédentaires voient des caravanes près de chez eux, ils se disent qu’il faut qu’ils rangent leurs affaires, qu’ils fassent attention à ne pas se faire voler. Les gadjé* disent à leurs enfants : "Il faut se méfier de ces gens là". Les voyageurs disent pareil. C’est la peur des deux côtés. »

Médiateur militant

Après quarante années de mariage, le grand bonhomme aux cheveux blancs a su se faire une place dans la grande famille des gens du voyage.  « Même si un gadjo restera toujours un gadjo pour certains », comme le fait remarquer Damienne, un regard complice vers son mari.

En épousant la manouche Raquinard, Jean-Pierre a complètement adopté le mode de vie voyageur, dont il ne cesse de défendre les droits. C’est avec Itinérance 22 que le gadjo devenu manouche a trouvé un moyen d’agir. Membre du bureau et du conseil d’administration de cette association qui fait connaître et accompagne les gens du voyage dans les Côtes-d’Armor, il est devenu un associé précieux pour l’équipe.

« C’est un médiateur dans tous les sens du terme. Il nous fournit des éléments d’informa-

tion que nous ne percevons pas sur les gens du voyage et il leur transmet des notions de citoyenneté, le bon comportement à avoir sur les aires d’accueil », précise Marie-Claude Garcia Le Quéau. La directrice d’Itinérance ne tarit pas d’éloges sur ce membre actif de la structure :  « Un militant humainement très engagé. Un homme de dialogue, très posé, qui essaie toujours d’être juste. »

L’immersion de Jean-Pierre dans le monde voyageur facilite la mise en liens entre itinérants, bénévoles et élus. Sa mission au sein d’Itinérance : amélio-rer l’habitat des familles de voyageurs dans les Côtes-d’Armor.  « Sur les aires d’accueil, elles ne peuvent rester que trois mois maximum. Quand on a des enfants à l’école, comme la plupart des gens du voyage aujourd’hui, c’est complètement ridicule. » Avec tact et humour, le béné-vole milite auprès des élus pour obtenir des réponses au besoin d’ancrage des familles manouches. Une mission diffi-cile pour laquelle il doit composer avec la réticence de la population locale et des élus.

Pour le gadjo-voyageur, cette méfiance s’explique par le cloisonnement des mondes sédentaire et nomade. La médiati-sation déraisonnée des délits commis par tel ou tel individu et la stigmatisation qui en résulte. « C’est la ghettoïsation du monde voyageur, déplore-t-il amèrement. Faut pas mettre tout le monde dans le même sac. Il y a des bons et des mauvais partout ! » 

Casser les idées reçues

Bien décidé à changer les mentalités, le médiateur ne manque pas une occasion de rassembler gadjé et voyageurs. Le temps d’une cérémonie par exemple. Trésorier de l’église protestante Vie et lumières, il invite régulièrement la population locale à assister aux offices célébrés sous chapiteau, lors des missions. « C’est une façon de les faire venir vers nous, de les rencontrer. » De l’une de ces messes, Jean-Pierre garde un souvenir impérissable. « C’était mon fils qui célébrait l’office, à la chapelle de l’Isle à Gou-delin. Les sédentaires et élus étaient venus nombreux. Ça a été une sorte de déclencheur. Ça a permis de faire changer les choses. » 

Marié à Damienne depuis 1974, Jean-Pierre a adopté le mode de vie des voyageurs, dont il défend les droits et les valeurs.

Faut pas mettre tout le monde dans le même sac. Il y a des bons

et des mauvais partout ! ««

Gadjé. (Gadjo au singulier). Mot emprunté au romani. Nom donné par les gitans aux personnes qui ne sont pas de leur monde.

Tsiganes. Le terme tsiganes est utilisé en France pour désigner les populations qui ont en commun la langue romani ou le souvenir de cette langue.

Manouches. Les manouches sont une branche de tsiganes principalement présents dans l’est de la France depuis le début du XIXe siècle. Gitans. Les tsiganes français font une distinction en limitant le mot gitans aux tsiganes de la péninsule ibérique et du sud de la France.

Militant de la cause voyageuse, c’est à regret que le bénévole voit parfois ses efforts réduits à néant par le comporte-ment contestable de certains voyageurs. Sur les aires d’accueil notamment. Consi-dérées comme une entrave à la liberté, ces installations cristallisent les tensions et les dégradations. S’il condamne fermement ces actes de nuisance, Jean-Pierre regrette le manque de formation des gestionnaires des aires d’accueil. « Il y a un règlement intérieur, il faut le respecter. Les gérants devraient tout de suite mettre le holà mais ils ont peur d’agir. »

Pour lui, c’est aussi le choix d’implantation de ces structures qui doit être remis en cause. « On les trouve souvent près des dé-charges, des anciens cimetières. Tout est fait pour limiter les problèmes avec les riverains. Mais c’est la meilleure manière d’entretenir la peur de l’autre ! » Le gadjo-manouche se bat pour que les deux modes de vie coexistent au mieux. Parce que la diffé-rence fait aussi le charme de l’existence.

Un roman pour aller plus loin

Tsiganes, Sur la route avec les Rom Lovara, Jan Yoors. Éditions Phébus, 10 €.Une ville des Flandres dans l’entre-deux-guerres. Un gamin de douze ans fugue pour rejoindre une com-pagnie de Tsiganes qui passait par là. Devenu Rom parmi les Roms, Yoors raconte dans son livre ce qu’on ne trouve dans aucun ouvrage : la vérité d’une culture qui cache jalousement ses secrets. Pour en savoir plus sur la culture rom : ses rites, son langage, sa religio-sité. Une ode à la liberté.

Lexique

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Ile et euxAu large de Vannes, l’île d’Arz : 254 habitants, trois kilomètres sur cinq. Les Hautchamp, producteurs laitiers, ont quitté la périphérie de Rennes

pour s’installer dans ce micro-monde.

I Héloïse Kermarrec V Pauline Bussi

Ce n’est pas par le bouche-à-oreille que Violaine Haut-champ a eu vent de l’appel d’offres de Daniel Lorcy, maire

de l’île d’Arz. En février 2010, la petite île du golfe du Morbihan recherche des agriculteurs pour défricher les ronces et s’installer à l’année. C’est une radio nationale qui va servir d’entremetteuse et relayer l’offre. Salariés dans des exploita-tions laitières à Pacé, Violaine et Sébas-tien Hautchamp y voient l’opportunité de développer leur propre petite structure et Sébastien, natif de Vannes, de retourner vers la côte. Le contexte insulaire ne les rebute pas. « On a vu que l’île n’était pas très loin du continent (6 km, ndlr), ce n’est pas Ouessant. Là, on n’aurait pas pu. » 

Leur candidature est retenue. Le couple a une formation agricole, de l’expérience, un projet solide de ferme laitière biologique mais surtout, il est jeune. Moins de 30 ans et pas encore d’enfants. « On sait qu’on a aussi été choisis pour ça, analyse Violaine. L’autre candidat avait 50 ans et des enfants déjà grands, c’était moins intéressant pour l’école. » Sur l’île d’Arz, on veut repeupler.

Ils emménagent au mois d’octobre de la même année sur l’île, peuplée de maisons secondaires et de gîtes, et fermée à de nombreuses bourses. Violaine et Sébas-tien se satisfont amplement d’une maison HLM. Comme les autres nouveaux. « Tous ceux dont les enfants sont à l’école », note l’agricultrice.

Clients et amis

La question de l’isolement n’en est pas vraiment une. « Surtout l’été ! », s’exclame Violaine. Jusqu’à 3 000 touristes visitent quotidiennement l’île lors des pics d’af-fluence. L’hiver, le bout de terre retrouve sa population habituelle. Dire qu’elle est toute entière cliente de la fromagerie n’est pas loin de la réalité. Ce qui fait le bonheur du couple. « On croit vraiment à la production locale, aux petites structures humaines avec un troupeau restreint. On veut occuper le territoire et nourrir nos voisins. » 

En dehors de leur magasin, les contacts se sont liés facilement, notamment dans les petits bars animés. On en compte cinq à Arz. « Les gens aiment ce qui est nouveau, ils 

sont ouverts et on a été très bien accueillis, se réjouit Violaine. Globalement, on connaît tout le monde, sauf les très vieux qui ne sortent jamais de chez eux. » Pourtant, le couple ne se sent pas îlien, ni îldarais. Un ressenti qui semble partagé. « On ne sera jamais considérés comme tels par les vieux d’ici mais ce n’est pas grave », dit Violaine, sans amertume.

Le couple essaie d’aller le moins possible à Vannes, ce qui n’est pas chose aisée. « On s’y est souvent rendus, trop même ! constate Violaine. On va à Séné pour vendre dans un magasin de producteurs bio auquel on a pris part. » Le jour de notre entrevue, son compagnon s’y trouve d’ailleurs et elle, contrainte, doit faire l’aller-retour.

Se rendre service

Ce mercredi de mars, Violaine, privée de voiture, arrive à la fromagerie covoitu-rée par un résident secondaire, croisé en chemin. Le magasin provisoire est installé dans un préfabriqué au cœur du bourg, en attendant la fin de la construction d’une fromagerie en dur. Grâce à un accord avec la mairie, les coûts sont réduits. C’est la commune qui prend en charge le bâtiment et les Hautchamp assument l’aménage-ment. Sur ce petit territoire, l’entraide est forte.

Le prêt des terres a aussi facilité leur venue. La quarantaine d’hectares de pâtu-rage avec lesquels ils nourrissent leurs bretonnes pie noir ne leur appartient pas. Il leur a fallu contacter un à un les pro-priétaires de parcelles qui avaient donné leur accord de principe. La majorité a accepté mais certains n’ont pas permis

Les Hautchamp et leur petite fille jouissent d’un « cadre de vie exceptionnel ».

La race bretonne pie noir, rustique, s’adapte facilement à son environne-ment, même insulaire.

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l’utilisation de leurs terres, pourtant en friche. Surtout les enfants d’ex-agricul-teurs. « Ils avaient un discours du type : “Nos parents en ont bavé, débrouillez-vous ! ” », raconte la paysanne. Cela ne les a pas freinés.

Comme à la montagne

Les Hautchamp ont rapidement su trou-ver leur place mais, sur un territoire où toutes les têtes sont connues, on a vite fait de passer pour un étranger. Hors saison, chaque nouveau visage est scruté. « Lorsque ma belle-sœur nous a rendu visite, sur le bateau, on lui a demandé qui elle était, raconte l’agricultrice. Tout se sait, ici on aime les potins croustillants », s’amuse-t-elle.

La devise de l’île : « À Béluré tu tombes dans la cale, à Pennero t’as la jambe cassée et dans le bourg t’es mort ». Une manière d’expliquer que la rumeur déforme et amplifie les évè-nements à mesure que l’on va vers le coeur de l’île. Ce fonctionnement n’est pas forcé-ment spécifique aux îlots, puisqu’il rappelle à Violaine l’attitude des villageois dans les petits bourgs de montagne où elle a vécu. Mer ou montagne, la spécificité du métier atténue de toute façon la différence. « Quand on est dans une ferme, on ne bouge pas. Il y a des jours ça ne change rien qu’on soit à Arz ou à la campagne, on ne voit personne. »

À l’aube de leur troisième saison, les paysans peuvent esquisser un premier bilan. « On a pu avoir des moments de doute 

parfois mais c’est une belle expérience, sourit Violaine. Il faut être organisé mais à Arz on se sent comme dans un cocon, en sécurité. » Hors saison, la porte de leur maison n’est jamais fermée et les vélos peuvent rester dans le bourg sans antivol pendant des jours. « Un cadre de vie exceptionnel pour élever un enfant », juge la jeune femme. En 2012, ils ont accueilli la petite Léonie dans leur foyer. Une future écolière qu’Arz attendait de pied ferme.

À Béluré, tu tombes dans la cale, à Pennero t’as la jambe cassée et dans le bourg t’es mort. «

«

Garder les jeunes îliens

Bientôt, l’île pourrait compter quelques habi-tants de plus. Le maire, Daniel Lorcy, veut plus de gens à l’année à Arz et de nouveaux corps de métier. Son projet serait notamment de faire venir des maraîchers. Plus largement, la conférence qui a regroupé les maires de toutes les îles du Ponant (auxquelles Arz appartient) au mois de mars a souligné un double objec-tif : celui de faire venir de nouveaux habitants, de préférence assez jeunes, mais surtout celui de parvenir à retenir les jeunes îliens déjà sur place. Cela passe notamment par la construc-tion de nouvelles infrastructures de services.

L’installation de la fromagerie provisoire dans le bourg a facilité les présentations entre les Îldarais et les Hautchamp.

Une moisson de nouveaux rurauxPlus des trois-quarts de la population française vit en ville. Pourtant, certaines communes rurales voient leur population augmenter. À Augan, chaque année, de nouveaux arrivants viennent s’installer, se confrontant aux anciens.

I Anaïg Dantec V Vincent Sartorio

Rien d’original à Augan, sa com-position est classique. L’église est au centre de la commune. Les commerces de proximité

l’entourent : une boucherie, une boulangerie, dont les façades n’ont pas changé depuis des années ; seul un bar-restaurant a la devanture et la décoration modernes. Des maisons neuves plutôt similaires composent les lotissements en périphérie. Leur couleur blanche contraste avec le gris du bourg. Les éclats de voix des enfants de l’école maternelle viennent troubler le silence de la bourgade située à proximité de Vannes. Les rues sont vides. Pourtant, cette com-mune de 1 500 habitants voit arriver chaque année une quarantaine de nouveaux venus. « Un pic a été observé en 2008. On a eu une ouverture de classe cette année-là d’ailleurs. 170 enfants sont scolarisés en maternelle et primaire, détaille Michel Ruaud, maire divers gauche de la commune. D’ailleurs les nouveaux arrivants sont le plus souvent des couples qui ont entre 25 ans et 35 ans avec enfant et une activité professionnelle. »

Question d’habitude

Ces nouveaux habitants arrivent avec leurs habitudes et n’ont pas forcément le temps de s’engager dans les associations, pourtant nombreuses, de la commune

rurale. Il en existe une trentaine : gym, radio locale, danse africaine... Des retraités auganais, croisés dans la rue, diront que les nouveaux habitants ne viennent pas aux manifestations. « Les jeunes n’ont pas envie de faire de bénévolat, commentent-ils.

Michel Ruaud, maire d’Augan.

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Pourtant, nous on aimerait bien leur laisser la place dans les associations. Mais il y a quand même certains que ça intéresse. C’est vrai que l’on ne se mélange pas forcément. Entre anciens d’Augan, on se connaît plus et mieux, donc on se voit entre nous. » Une tendance confirmée par le maire : « Les anciens ont déjà leurs parcours et leurs réseaux. Ils se voient plus facilement. Les nouveaux sont à la recherche de liens sociaux mais ont déjà leurs habitudes ».

Quelques Robinson

Tous les nouveaux venus ne recherchent pas forcément de contacts. « Certains viennent à Augan pour son côté nature proté-gée, en ne recherchant pas forcément de ré-seau. Il y a quelques "Robinson" qui s’isolent, 

difficile mais ils font beaucoup d’efforts pour s’intégrer, raconte le maire. Ils viennent chaque année aux vœux de la mairie, c’est important pour eux. Le premier critère a été celui de la sécurité. » C’est vrai que le calme règne dans la commune. Les vélos posés contre les murs du village en témoignent, ils n’ont pas d’antivols.

Mixité

Si certains nouveaux habitants sont désen-chantés, cette phase déroutante ne dure pas pour la majorité d’entre eux. « Ce n’est pas une commune dortoir, il y a une vie lo-cale. Les nouveaux ne restent pas longtemps des nouveaux. Les rendez-vous annuels leur permettent de passer de consommateurs à acteurs, souligne le quinquagénaire. Leurs

voisins vont les amener avec eux par exemple et ils deviendront bénévoles l’année suivante. Il n’y a pas de rejet. On a toujours été dans cette culture, celle de la mixité. »

Le tissu associatif dense de la commune rurale a attiré la SCIC (Société coopérative d’intérêt collectif) du Champ commun. En contrebas de la place de l’Église, le bâtiment est en chantier. Une dizaine de bras s’affairent à l’étage. Le deuxième bar de l’espace est en finition. Au rez-de-chaus-sée, le café accueille depuis trois ans des Auganais et la population environnante lors de concerts. C’est un lieu de rencontre atypique dans le village. Sur les étalages de l’épicerie, les produits sont convention-nels mais aussi bio. Cette offre diversifiée permet de satisfaire la population hété-

rogène d’Augan. Du moins, ceux qui ont encore l’habitude de s’approvisionner dans des épiceries. « On verra surtout des achats de compléments ou spécifiques », explique Julien Debray, co-gérant de l’épicerie. Pour lui, c’est clair : « Toute la difficulté est de faire s’asseoir au comptoir un chasseur à côté d’un jeune portant des dreads. »-

Habitudes familiales

C’est vers midi que l’on peut assister aux rituels des habitants. Plusieurs voitures se garent devant la boulangerie. Aurélie Sevet, jeune femme souriante de 27 ans à la chevelure blonde, est derrière la caisse. Son mari et elle se sont installés il y a trois ans dans la bourgade où ils ont repris la boulangerie. Dans son commerce, elle voit

mais ils sont rares, poursuit le maire. D’autres se sont installés pour des raisons économiques. Ils sont originaires de toute la France, du Nord et de l’Est avec l’espoir d’une vie meilleure. » La crise, l’urbanisation et l’augmentation du coût du logement poussent ces ménages à faibles revenus à s’éloigner des villes. « Ils pensent atteindre un eldorado mais en faisant ça, ils sont aussi isolés qu’avant, voire plus, car ils n’ont plus de liens familiaux, regrette l’élu. Leur budget essence grimpe car à la campagne on utilise davantage sa voiture. Ils s’éloignent aussi des services sociaux. »

Un faible pourcentage de la population vient ici passer sa retraite. Des étrangers aussi : Anglais, Allemands, Norvégiens. « La barrière de la langue rend la communication 

À l’Amalgame, les visages des jeunes et moins jeunes se connaissent et se reconnaissent.

Toute la difficulté est de faire s’asseoir au comptoir

un chasseur à côté d’un jeune portant des dreads. «

«

défiler les Auganais de toutes les généra-tions. « En fait, les clients qui fréquentent la boulangerie ne se caractérisent pas par leur âge. C’est plutôt des habitudes familiales qui se transmettent. Souvent, quand on voit les parents, on voit les enfants », commente-t-elle entre deux commandes.

Le bar-restaurant l’Amalgame, situé un peu plus bas sur le même trottoir, reçoit aussi son petit monde. Une dizaine d’hommes aux cheveux grisonnants s’accoudent au comptoir avant le repas. Derrière ses tireuses, Michel Ruaud assure le brin de causette. Il gère son affaire avec son épouse Annick qui opère en cuisine. À cette heure-ci, le clivage générationnel est fort. Les jeunes travaillent surtout vers Vannes ou Rennes et ne rentrent pas à midi.

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Les greeters, guides gratos

Découvrir des lieux insoupçonnables, comprendre une ville via l’un de ses habitants, c’est ce que proposent les greeters. Récit d’une visite.

Brest ça ne se visite pas, ça se subit  ! » Au pied de la Tour Tanguy, au centre

du quartier Recouvrance, les mots de François Olier, notre greeter, résonnent à nos oreilles étrangères comme un avertis-sement. Une mise en garde contre sa ville, que nous, touristes, souhaitons percer à jour. C’est sous la pluie, le vent tapant dans le dos de nos sept silhouettes à peine cou-vertes, que nous partons à la découverte de Brest.

François retrace l’histoire de l’ancienne prison devant laquelle nous sommes re-groupés. « C’est bien mieux quand c’est un gars qui connaît le coin quand même », me souffle Michèle, une des touristes, pour ne pas gêner notre guide. Le Brestois, lunettes embuées, ciré trempé, et Michèle, Parisienne décontractée, chaussures en toile, petit sac à main, repartent arpenter les rues côte à côte.  « Se balader avec quelqu’un né dans la ville, qui la connaît 

«

François fait découvrir le quartier alternatif de la rue Saint-Malo aux touristes.

vraiment, c’est un moyen de mieux la com-prendre. C’est plus authentique de visiter une ville avec les yeux d’un de ses enfants », me murmure le mari de Michèle.

«  De l’échange pur »

Au fil de notre balade, François Olier nous conte les légendes brestoises, l’histoire des bâtiments et évoque les futurs projets de la ville, poussé par les questions des plus curieux. « Je fais ça un peu par égoïsme, je le reconnais. J’aime l’histoire et j’adore la raconter à ceux qui sont prêts à écouter », avoue-t-il. Nous dévalons les allées les dents claquantes, les mains tremblantes, pour arriver rue Saint-Malo, petit coin d’inattendu au sol pavé et aux couleurs vives. « Aucune chance de tomber ici si t’es pas guidé ou conseillé par un habitant », chuchote Michèle, conquise par l’endroit. Ce qui attire François dans ces rencontres : « Le côté gratuit ! Les gens n’ont pas d’exi-gence dans ces cas-là. Ils reçoivent ce qu’on veut bien leur donner.  Pas de pression, c’est de l’échange pur. »

Après plus de deux heures de visite, les touristes d’un jour s’apprêtent à quitter le Brestois de toujours. Cette rencontre éphémère laisse planer un air de promesse.  « Si vous venez à Paris, on vous fera découvrir le coin nous aussi », lance Michèle, prête à échanger les rôles.

I Emilie Roze V David Le Tiec

Même sol

«  Brest, capitale de la pluviosité »

« Rappelle-toi Barbara il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là. » Les premiers vers de Prévert sont-ils si significatifs du climat de la cité du Ponant ? Eh oui ! Lors de l’année 2012, parti-culièrement pluvieuse, la ville a enregistré un cumul annuel de 1 395 mm de pluie, soit le plus haut enre-gistré en Bretagne. Rennes (786 mm), Saint-Brieuc (720 mm), Lannion (923 mm) et Lorient (1112 mm) se situent en-dessous. Même si Quimper (1 347 mm) la talonne de près, Brest reste bien en pôle position pluviométrique. Aussi significatif, le cumul des jours de pluie : 160 par an. À vos parapluies.

Les Bretons parlent d’eux-mêmes

«  Les Bretons sont encore très croyants »

Cette donnée historique, longtemps avérée, l’est-elle encore ? En partie. Sondés en 2011, 68,5% des Bretons se disent croyants, contre une moyenne de 64,4% dans toute la France. Au détail, plus de 70% des Morbihanais et des Ille-et-Vilainois se déclarent catho-

liques, et de 17 à 20% se disent pratiquants. Dans le Morbihan, plus de la moitié des élèves sont d’ailleurs scolarisés dans le privé. Le Finistère se situe dans la moyenne nationale,et les Costarmoricains sont les moins dévots (moins de 14% vont à la messe au moins une fois par mois), et dans le département, les demandes de débaptisation* seraient en hausse.

* La débaptisation consiste à se voir rayé du registre parois-sial des baptêmes, sur simple demande auprès des instances concernées.

«

«

«  Les Costarmoricains conduisent mal »

L’idée est largement répandue en Bretagne. Ils seraient donc responsables de plus

d’accidents. C’est faux, chiffres de la sécurité routière à l’appui. Dans les Côtes-d’Armor,

480 accidents ayant fait au moins un blessé ont été recensés en 2011 par les autorités et ce, pour 585 116 habitants. Cela fait 0,82 accident pour 1000 habitants. En comparaison, dans le Finistère, c’est 0,75 accident pour

1000 personnes. Avec plus d’habitants, l’Ille-et-Vilaine compte plus d’accidents mais le ratio est de 0,83 pour 1000. C’est finalement dans le Morbihan qu’il est le plus élevé : 0,94.

Entre Bretons, on aime mettre en lumière les défauts supposés de ses voisins. Les cli-chés ont la peau dure mais sont-ils vraiment justifiés  ? Enquête.

«  Le Breton est très porté sur la bouteille »

C’est l’idée qui prime dans l’imaginaire collectif. Le Breton n’est pourtant pas plus dépendant que le reste des Français. D’après une étude conduite par l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes) et l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies, en 2005, la Bretagne se trouve dans la moyenne de la consommation nationale d’alcool. Elle n’est donc pas si mauvaise élève qu’on peut le croire. L’ivresse se révèle par contre beaucoup plus fréquente dans la région, surtout du côté des adolescents, ainsi que la consommation d’alcools forts.

I Par Héloïse Kermarrec et Kevin Bernard.

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On sait rarement avec qui l’on

partage une rame de métro.

Dans quelques mètres carrés,

les voyageurs se frôlent, se

croisent et, bien

souvent, s’ignorent. Ils se

côtoient plus qu’ils ne se

rencontrent. Chacun s’isole

dans sa bulle, mais il arrive

qu’on la partage avec

ses connaissances.

Quelques instantanés ont été

saisis un lundi, à Rennes,

entre la station J..F. Kennedy

et celle de la Poterie.

I V Pauline Bussi

Instant

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Trois générations sous le même toitDans la famille Tournon, trois générations cohabitent. Tandis que Thérèse, Louisette et Bernadette se délassent dans leur chambre, Natacha et Philippe, agréés depuis plus de trois ans et demi pour l’accueil des personnes âgées, racontent leur quotidien.

I Delphine Barbot V Vincent Sartorio

A La Dominelais, une petite commune d’Ille-et-Vilaine. Dans une longère entourée de champs verdoyants, le couple Tournon réside avec ses trois enfants : Valentin, 18

ans, Camille, 16 ans et Léonie, 11 ans. Cinq animaux font aussi partie de la maisonnée : deux chiens, Carbon et Vagabond, et trois chats, Lotus, Caramel et Grisou. Philippe occupe un poste d’aide-soignant à domi-cile à Pipriac et au Grand-Fougeray. Natacha, maman dynamique de 40 ans, s’occupe de ses trois protégées, Thérèse, Louisette et Bernadette. « Je m’y attache, je les accompagne jusqu’au bout. » Natacha a choisi ce mode de vie pour tisser du lien avec les aînés : « J’ai travaillé en milieu hospitalier pendant quinze ans. C’était l’usine, je trouvais cela maltraitant car c’était du travail à la chaîne alors que je travaillais avec de l’humain ».

A 14 h 30, le déjeuner terminé, les trois pensionnaires rejoignent leur chambre. Autour d’un café, Natacha s’accorde un peu de temps avec son mari. Elle évoque les trois femmes avec tendresse. Pour satisfaire les envies de chacune, la maîtresse de maison compose les repas en fonction de leurs goûts culinaires. « Je sais surtout ce qu’elles n’aiment pas. Les carottes pour Thérèse, les champignons et la viande rouge pour Ber-nadette, le fenouil et la rhubarbe pour Louisette. » Les

enfants partagent aussi le repas. Dans ces conditions, la préparation d’un bœuf bourguignon s’annonce plus que délicate… « Il faut jongler avec tout ça. Il n’y a que le matin qu’il n’y a pas de problème car elles prennent toutes de la brioche ! »

Rires et querelles

Le rez-de-chaussée est divisé en deux parties. D’un côté, le salon et la cuisine ; de l’autre, les chambres des aînées. Près de la cuisine, celle de Thérèse, 86 ans, ins-tallée là depuis un semestre. « Une dame de la ville qui aime être bien coiffée, bien habillée », décrit brièvement Natacha. Dans la chambre voisine, Louise, surnommée Louisette. Doyenne de la maisonnée, « c’est quelqu’un de dynamique, ne se laissant pas aller et qui aime écouter la radio ».

A 16 h, le trio regagne habituellement les pièces de vie communes. Natacha frappe à chaque porte pour les inviter à rejoindre le salon. Installée confortable-ment dans son fauteuil, les jambes allongées, Louisette élabore un tissu en mailles bleues ciel. « Je ne vois plus, je ne pouvais plus vivre seule. Désormais, je ne fais que du point mousse pour m’occuper et Natacha arrête mon tricot. » Entourée de ses meubles personnels,

Natacha Tournon et ses trois pensionnaires en discussion dans la cuisine.

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Ouvrir sa porte

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Quand l’habitat groupé s’essouffle

Louisette se sent un peu chez elle. « Il y a des moments de rigolade. Comme ce matin quand je me suis pris le couvercle des toi-lettes dans le nez », raconte-t-elle en riant. Et puis, il y a quelques querelles : « Parfois, Natacha me dit zut, moi aussi et après c’est fini », confie la tricoteuse.

Au fond du couloir, on accède à la chambre de Bernadette, 85 ans, amatrice de jeux télévisés. Voilà deux ans qu’elle vit avec la famille Tournon. Les murs de son logement sont couverts de photos de nouveau-nés. Bernadette a onze arrières-petits-enfants. « La cohabitation se passe très mal », déclare-t-elle avec ironie, tout en dévoilant un sourire complice. « On l’appelle ’’ Madame pas de trop ’’ car quand on lui sert un café elle accepte toujours mais ’’ pas de trop ’’ », s’amuse Natacha.

La relation entre les trois hôtes s’est construite progressivement. Chacune

cherche à trouver sa place dans la maison. Chaque pensionnaire avait un mois d’essai pour s’adapter au mode de vie des Tournon. « Les familles font tout pour nous vendre les personnes, en les présentant comme pas difficiles. Mais en un mois le naturel revient au galop », explique Natacha.

Echanger au quotidien

Thérèse, Louisette et Bernadette ont passé le cap. « Au début, c’était chaud bouillant. Comme les enfants, elles se chamaillaient : ’’ T’es ma copine, tu n’es plus ma copine ’’ ; mais depuis janvier on a une belle dyna-mique. » Toutefois, rien n’est acquis. « Il faut que chacune puisse trouver son espace. Je dois faire attention à ne pas favoriser l’une par rapport à l’autre. » Les différences sont aussi une source d’enrichissement. Autour de la marmite, Thérèse fait des miracles. « Elle connaît les recettes par cœur. Je n’ai jamais vu ça, elle est épatante ! »

Valentin, l’aîné, apprécie les temps de discussions avec les trois femmes. Il veut devenir infirmier. « Les enfants ont l’habitude de côtoyer les personnes âgées », explique Natacha. Dans la famille Tournon, tout le monde s’implique. Les trois octogénaires sont souvent dans la cuisine et le salon. Deux grandes pièces de vie communes à tous. Thérèse et Louisette ont leur fauteuil attitré tout près du canapé. Elles font partie intégrante de la vie privée de la famille.

« Tout le monde tient sa place. À table, les en-fants expliquent ce qu’ils ont appris à l’école en géographie ou en histoire. Et les aînées racontent ce qu’elles ont vécu. » Pour Noël et les anniversaires, les résidentes sont tou-jours conviées. Et les échanges sont riches entre les trois générations. Les pension-naires ont aussi un salon commun où elles peuvent accueillir de la famille ou des amis. Certains visiteurs préviennent à l’avance quand d’autres arrivent à l’improviste. Les allées et venues sont quotidiennes. Sans oublier celles des kinés, ophtalmos, doc-teurs, psychiatres ou autres spécialistes.

Natacha est bien décidée à pérenniser l’ambiance qui règne dans la maison. À la belle saison, elle incitera les trois femmes à rejoindre le jardin pour qu’elles profitent des rayons du soleil. Elle souhaite aussi que la piscine extérieure située derrière la maison leur soit accessible. « Je vais trouver un moyen pour que Thérèse, Louisette et Bernadette puissent tremper leurs doigts de pieds dans la piscine », garantit l’hôte de ces dames. Les trois pensionnaires sont prévenues, il n’y a plus qu’à sortir le maillot de bain…

Dans sa chambre, Louisette tricote tranquillement « pour s’occuper les mains ».

Depuis sa création en 1989, l’habitat participatif de Park an Denved, à Lannion, a connu de profondes évolutions. Le départ de plusieurs locataires porteurs du projet, la fin de la cooptation et la perte de la maison commune ont freiné la cohabitation solidaire.

Les gants verts sont enfilés, les râteaux de sortie et le soleil est de la partie

pour le week-end jardinage des locataires de l’habitat participatif de Park an Denved. Blandine, Géraldine, Anne-Marie et Julie se mettent au travail. Au programme cet après-midi : tonte, désherbage et net-toyage des gouttières. Tout le monde n’a pas pu se rendre disponible. À Park an

Denved, « chacun participe à sa manière », en groupe ou seul. « Nous avons tous des modes de vie différents donc il est difficile de monter des projets ensemble », explique Julie, la présidente de Groupe habitat.

Mode de vie choisi

C’est lors d’un voyage au Danemark en 1977 qu’un jeune couple de Lannionnais découvre le principe de l’habitat groupé. En 1982, il crée l’association Groupe habitat, avec neuf autres couples d’amis. Le collectif opte pour la location de logements indi-viduels avec des locaux communs. Un seul mot d’ordre : le partage. Ils dénichent un terrain verdoyant surplombant la vallée du Léguer et confient leur projet au promoteur Côtes-d’Armor Habitat.

Sept ans plus tard, l’habitat participatif de Park an Denved voit le jour. Le bâtiment en forme de « V » élargi s’ouvre au soleil. Une coursive permet aux habitants de se déplacer d’un logement à l’autre par temps pluvieux. Les jardins sont conçus sans bar-rière pour que les enfants puissent aller et venir comme ils le souhaitent. Les maisons sont mitoyennes mais toutes différentes. À leur arrivée, les locataires s’engagent à par-ticiper à l’entretien des espaces communs, rendre service à la communauté, adhérer à ses valeurs et participer aux dépenses de l’association. « Ce mode de vie, on l’a choisi ! On trouve ça sympa de ne pas vivre seul ! », insiste Anne-Marie.

Le bailleur social attribue les dix premiers logements aux locataires et loue le

L’habitat groupé de Park an Denved, sur les bords de la vallée du Léguer à Lannion.

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Haneen : liberté en transit

La liberté à laquelle goûte Haneen en Bretagne a des conséquences inattendues. Les efforts que la jeune Palestinienne devra produire pour quitter sa terre d’adoption seront sans doute aussi importants que ceux

consentis pour s’y adapter.

I David Le Tiec V David Le Tiec & la famille Owdeh

Dans le camp de Dheisheh, créé en 1949 au Sud de Bethléem, en Cisjordanie, ils sont actuellement plus de 13

000 à vivre sur moins d’un kilomètre carré loué pour 99 ans par les Nations unies. Faute d’espaces verts, les enfants jouent dans des rues qui ne portent pas de nom. Nommer le provisoire, c’est l’accepter.

D’année en année, il faut abriter plus de monde. Les étages s’empilent sur les maisons, mais jamais plus de cinq. Au-delà, Israël ne peut plus contrôler ce qui se passe dans les rues. Haneen Owdeh incarne la troisième génération installée dans le camp de Dheisheh. « Mes grands-parents sont arrivés à sa création, à la suite de la guerre israélo-arabe. Mon père et ma mère y sont nés, puis mes deux frères, ma sœur et enfin moi, en 1990 », raconte la jeune Palestinienne.

Chez elle, en Palestine, Haneen a grandi au contact proche et permanent des autres

onzième à l’association. On y trouve une buanderie, des chambres d’amis et une salle commune pour les réunions et les fêtes. Pour cette maison commune, chaque habitant paie une contribution calculée en fonction du nombre de personnes par foyer et de la surface de son logement. Après une hausse importante de ce loyer com-mun, certains locataires ont décidé de ne plus participer, ce qui a contraint l’associa-tion à mettre la clé sous la porte. « Certains évoquaient des dépenses inutiles, pour une maison peu utilisée », raconte la présidente.

Savoir s’adapter

Avec la perte de la maison commune, les habitants ne se voient plus et les réu-nions se font plus rares. « On n’a plus trop de relations entre nous, on ne fait plus rien ensemble », déplore Blandine. Julie est la dernière locataire à avoir été cooptée.

Elle raconte avec une certaine nostalgie l’époque des repas collectifs où son « bar-becue faisait toutes les maisons ».

Plusieurs couples porteurs du projet ont déménagés, souvent motivés par l’acces-sion à la propriété. À l’origine, la convention signée avec le bailleur stipulait qu’en cas de départ d’un locataire, l’association pou-vait mettre à profit son réseau pour trouver un successeur potentiel. Une manière pour les habitants de choisir eux-mêmes leurs voisins. Depuis avril 2010, les locataires de Park an Denved n’ont plus cette liberté.

Le manque de contact entre les habitants et la fin de la cooptation créent une distance entre générations, entre anciens et nou-veaux arrivants. « Il faut savoir s’adapter aux caractères de chacun sans gêner la commu-nauté. Les rapports que l’on entretient ne sont pas les mêmes avec tous », explique Julie.

Si l’association attend aujourd’hui un regain de vitalité, elle a permis à son noyau dur de créer des liens forts. Vivant seules, Géraldine, Blandine et Julie ont appris à se serrer les coudes. « Quand je fais de la soupe l’hiver, il y en a toujours trop, alors j’en apporte à Blandine et inversement la semaine suivante », détaille Géraldine. 

« Je ne veux pas vivre avec toi, mais je veux bien vivre près de toi ». C’est ici que la phi-losophie d’origine de l’habitat groupé de Park an Denved prend tout son sens. Géraldine recommencerait sans hésiter. Il se murmure même que les fondateurs de l’association réfléchiraient à un nouveau projet d’habitat groupé en ville, avec bien sûr, une salle commune.

I V Jeanne Ghomari

Les habitants se rejoignent petit à petit pour l’après-

midi jardinage...

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réfugiés. « Nos fenêtres donnent sur l’appar-tement d’à côté. Quand j’ouvre mes rideaux, je vois mon voisin qui regarde la télé. On sait tout de tout le monde, dans les détails. Les premiers mois en France, ça me manquait de ne pas avoir de nouvelles des voisins, de perdre le contact, de ne pas savoir si les gens vont bien ou pas. »

Pour avoir séjourné en Palestine, Jean- Dominique Robin, responsable de l’antenne lannionaise de France-Palestine solidarité, confirme que dans les camps, « les relations de voisinage et familiales sont très fortes. Personne n’est anonyme, l‘hospitalité est extrême. Les Palestiniens sont habités par des formes de civilité et de politesse surpre-nantes. L‘indifférence n’existe pas chez eux. »

Horizons bouchés

Auteure d’un blog, diplômée en journalisme à l’université d’Hébron, Haneen travaille pour une radio et une télévision locale à partir de 2010. Mais ses sujets et ses propos dérangent l’autorité israélienne qui

l’interdit d’antenne et lui conseille de tra-vailler comme animatrice auprès d’enfants. « Ce n’était pas satisfaisant. J’ai fait le choix de me faire oublier. » La famille Owdeh décide alors de solliciter ses contacts en Bretagne, où Haneen avait passé quelques semaines en 2010. Un poste en Service volontaire européen (SVE) est disponible à la MJC de Trégunc pour un an. Elle décide de partir.

Avant de prendre la direction du Finistère, la jeune femme transite par les Côtes-d’Armor, où elle séjourne chez Corinne Le Fustec, sa « marraine », une amie de la famille qui l’a déjà accueillie lors de son précédent passage en Bretagne. Pour Corinne, l’accueil d’Haneen est avant tout le prolongement d’une histoire d’amitié. « Cohabiter avec une autre culture, c’est aussi une chance. La première fois que j’ai vu Haneen, elle se faisait les ongles, se souvient-elle. C’est avant tout une jeune fille de son temps, connectée. Elle habite officiellement chez moi, mais elle n’y est pas souvent. Je pense que je suis quand même son port d’attache en Bretagne. »

La force de l’océan

Le 3 octobre 2011, Haneen débute son ser-vice volontaire à Trégunc. Pour la première fois de sa vie, la jeune femme se retrouve seule. Isolée au travail parce qu’elle ne maîtrise pas le français, elle attend de ren-trer chez elle pour libérer les larmes qu’elle a contenues toute la journée. « J’avais une

sensation de vide absolu. J’entrais en contact avec ma famille tous les jours par Internet, avec Skype. Mes parents m’ont soutenue. J’ai perdu dix kilos le premier mois. J’avais froid, j’étais malade. » La force de rester, Haneen la trouve aussi en élargissant son péri-mètre de vie. « Ce que j’ai adoré et qui m’a donné envie de rester, c’est la proximité de la mer. J’ai découvert des sensations que je ne connaissais pas, très fortes, vitales. Je passais deux heures par jour devant l’océan. »

Puis son monde se peuple peu à peu. La jeune Palestinienne se lie d’amitié avec Amy, une Américaine de 24 ans qu’elle rencontre grâce aux cours de français. Rapidement, les deux jeunes femmes se rapprochent, principalement parce qu’elles ont cette nécessité commune de s’adapter à la langue et aux coutumes françaises. L’Américaine entre peu à peu dans l’univers de la Palestinienne. « J’ai rencontré les membres de la famille d’Haneen par écrans interposés. J’ai vu comment ils vivaient et je me suis beaucoup interrogée sur la situation en Palestine, sur le rôle de mon pays, les USA. » En avril 2013, Amy choisit d’ailleurs de se rendre en Palestine, « pour voir ce qui s’y passe, pour me faire un avis sur place ».

L’intégration d’Haneen à la MJC de Tré-gunc est aussi favorisée par la présence de Mehdi. Animateur jeunesse en service civique, il échange rapidement en anglais avec la jeune Palestinienne. « J’étais arrivé de Paris depuis à peine 18 mois. Finalement, Haneen et moi, on était deux étrangers,

deux Arabes. On s’est rapprochés naturelle-ment. » Leur relation se renforce encore dans le cercle privé. Fin 2011, ils forment un couple. « J’ai fait découvrir la pointe de Trévignon à Haneen. C’est devenu un endroit très important pour elle. Selon moi, son plus gros décalage était alimentaire. Je lui ai fait découvrir des goûts, des saveurs. Ça n’a pas été simple et quand je fais à manger, je ne lui dis pas toujours ce que contiennent les plats… »

Composer avec l’inconnu

Depuis janvier 2012, les deux jeunes gens vivent en couple près de Concarneau, au rez-de-chaussée de la maison des parents de Mehdi. « Je vis aussi avec le téléphone et l’ordinateur d’Haneen, s’amuse le jeune homme de 27 ans. Elle ne peut pas s’en pas-ser. » La jeune femme prend régulièrement la direction de Lannion, où elle prépare une licence professionnelle de journalisme.

À partir de septembre 2012, celle qui étu-die désormais à 135 km de son domicile, a ainsi été confrontée à la nécessité de partager un nouvel espace privé. Accueillie par Carine, Tanguy et leurs deux filles, Haneen a, une nouvelle fois, dû composer avec l’inconnu. « On lui a proposé de s’ins-taller à l’étage. Elle dispose d’une chambre. Les nôtres ainsi que les pièces à vivre sont en dessous », explique Carine, qui a été surprise de constater à quel point son hôte est connectée au monde grâce à la techno-logie. « On a découvert ce que c’est que les

portables qui sonnent à table. Les échanges entre Haneen et la Palestine ont aussi permis à nos filles d’avoir des discussions avec la famille d’Haneen. D’ailleurs pour nous, l’un des intérêts de recevoir quelqu’un chez nous, c’était que nos filles voient autre chose. » Pour Adèle, 10 ans, « Haneen a d’abord été une invitée. On la servait la première. Puis j’ai parlé de religion avec elle, j’ai appris à situer la Palestine sur une carte. Moi, en Palestine, j’aurais peur de perdre ma liberté. »

Après deux ans passés en France, la Palestinienne, qui a appris « à vivre libre, avec de l’espace », avoue son embarras quand elle doit se projeter vers l’avenir. Elle a intégré ces codes qui font qu’en France, « les maisons sont beaucoup plus fer-mées au monde extérieur ». Les moments de rencontre sont souvent formalisés. « Vous acceptez de ne pas vous voir pendant plu-sieurs semaines, voire plusieurs mois, contrai-rement à la Palestine où il y a un brassage permanent. Je sens bien que je me renferme sur moi. J’ai même peur que ça influe sur ma façon d’être, car j’ai pris des habitudes. Vos habitudes. »

Le prix de la liberté

À son arrivée en France en 2011, la Palestinienne estimait être de passage. Depuis, les choses ont évolué. « Le temps a passé. Mes parents trouvent que j’ai changé. Ils disent qu’ils ont du mal à me reconnaître, sans trop me dire pourquoi. J’ai d’ailleurs peur de le leur demander. C’est sans doute

en rentrant en Palestine que je me rendrai réellement compte d’un décalage. Je sais que si j’y retourne vivre, j’y ramènerai quelque chose de différent. »

Entre appel du pays et désir de liberté, la direction à prendre n’est désormais plus évidente pour la jeune femme. « Je ne suis pas venue ici pour m’installer. Avant, je ne lisais pas les journaux locaux. Puis j’ai senti que je m’engageais peu à peu, que j’avais envie de savoir ce qui se passe autour de moi, partout où je vis. Je pense que c’est le signe que je projette ma vie ici. »

La liberté, sous toutes ses formes, est au cœur des questions que se pose Haneen. « L’été dernier en Palestine, je me suis sentie bloquée, privée de liberté. Les concessions, les efforts que je consens à faire en France, c’est le prix que j’accepte de payer pour être libre. Quand on a goûté à la liberté, c’est trop difficile de s’en priver. Mon rêve, ce serait de partager cette liberté, ici, avec les miens, même si mon rêve absolu serait qu’ils soient libres en Palestine, chez eux. » C’est peut-être à cette condition qu’elle s’autoriserait à rester en France. « Ici, je m’inquiète en permanence pour ma famille. »

Haneen ne sait pas encore de quel côté de l’écran sera son avenir. Quel que soit son choix, elle sait qu’elle devra sans doute renoncer à une partie d’elle-même.

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S’isoler pour cultiver sa foiDans l’ancienne écurie de sa ferme natale du pays bigouden,

Jean Daniel mène une vie ascétique, à l’écoute des âmes en peine.

Cuisine et chambre-bureau sur la terre battue. Le confort est sommaire. Une

table, trois chaises, un réfrigérateur, une cuisinière, un lit et un petit fauteuil. Aux murs, de nombreux souvenirs religieux, des tableaux familiaux et une imposante bibliothèque garnie de mille ouvrages philosophiques. Voilà plus de quarante ans que Jean Daniel a aménagé l’ancienne écurie de sa ferme natale en ermitage. Un deux-pièces dans lequel le bigouden vit « comme un bernard-l’ermite dans sa coquille ».

« J’éprouvais une immense souffrance en collectivité », confie celui qui a fait le choix de devenir un bon  « ermite occidental » après dix ans d’isolement monastique. De l’abbaye de Landévennec à la Grande Chartreuse en passant par la Pierre-qui-Vire et le séminaire de Quimper, l’homme a découvert différents degrés de solitude. Mal à l’aise en communauté, c’est dans l’ermitage alpin qu’il a trouvé l’épanouis-sement le plus profond. « Cherchez un gagne-pain et inventez-vous-même votre vie d’ermite », lui conseille alors le père abbé.

Ce goût pour la solitude, Jean l’associe sans peine aux maux de son enfance. D’une fratrie de neuf, le jeune Plomeurois connaît son premier exil à cinq ans, lorsqu’il est envoyé en pension chez les Frères de

Treffiagat. « À l’époque c’était comme ça, on considérait que les curés savaient mieux éduquer les enfants. » Petit et malingre, Jean devient le souffre-douleur de l’école. Il se réfugie dans la prière et l’Eglise. Sept ans plus tard, un accident de la route approfon-dit la solitude du préadolescent. Immobi-lisé, Jean découvre les joies de la lecture. « Mes héros étaient des solitaires : Sans famille, Rouget le braconnier ou encore Le petit héros Boer », indique t-il, comme pour justifier sa prédisposition à la vie d’ermite.

Partager sa sagesse

Pas question pour autant de devenir un « gibier à touristes » comme ces ermites qu’il a pu rencontrer en forêt. Suivant les conseils du père abbé, Jean s’installe dans le grenier à orge de la ferme familiale, avant d’investir l’ancienne écurie. Pour subsister, il reprend la petite exploitation laitière, tout en limitant au maximum ses contacts avec la société civile. Avec les livres, les douze vaches qu’il soigne et trait chaque jour nourrissent son esprit. « Elles ont tous les tempéraments humains. Il y a la patronne, la timide, la jalouse… »

Vient le temps de la retraite agricole. Alerte et vif d’esprit, le septuagénaire se consacre à la lecture et l’écriture. Après des années de réclusion, il ressent le besoin de parta-

ger sa sagesse intérieure.  « Un prêtre m’a dit un jour que mon statut de laïc m’ouvrait des portes à lui interdites. » L’ermite-paysan part alors à la rencontre des alternatifs locaux. « De lointains héritiers des hippies de 68, surfers, rockers, danseurs, écolos. » Des fils spirituels que Jean veut aider à trouver paix et vérité. « Ils ont besoin de s’épancher, d’être conseillés. La vie solitaire permet un développement personnel qui fait que vous arrivez à vous détacher de vous pour écouter les autres. »

Confesseur des temps modernes, Jean re-çoit les âmes en peine dans son ermitage. Pour ces « conversations peu banales », il s’impose une hygiène de vie. « On ne reçoit pas si on est barbouillé. Il faut une attention totale pour chaque personne. » Une écoute en forme de devoir et de ressourcement pour l’ermite-paysan, heureux de guider son prochain sur son chemin spirituel.

I Jennifer Pinel V David Le Tiec

Fuyant la foule et les espaces publics, Jean Daniel

a installé son ermitage dans sa ferme natale.

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Inviter à squatter son canap’Un concept : le couchsurfing. Le principe ? Proposer son canapé à un voyageur de passage. Un bon moyen pour rencontrer des gens et rendre service en même temps.

Gabrielle et Nathalie habitent à Rennes, à deux pas de la place

Sainte-Anne, dans un vieil immeuble à la porte verte. Le sourire de Gabrielle se devine dans ses premiers mots d’accueil à l’interphone. C’est au deuxième étage d’un escalier aux marches irrégulières que les deux filles d’une vingtaine d’années reçoivent leurs hôtes. Ce jour-là dans le salon, une guirlande de vêtements saute aux yeux. Deux cordes à linges, comme deux bras qui vous accueillent. « Oui, on vient de faire une lessive ! », s’excusent les filles, amusées.

Je viens de percer leur bulle et suis mainte-nant dans leur univers. Un univers qu’elles ont aménagé avec une vision commune : « Quand on s’est mises en colocation, on savait qu’on accueillerait des couchsurfeurs. On adore le concept et puis ce n’est pas juste loger quelqu’un, c’est partager, échan-ger... Chacun donne un peu de sa culture. » Gabrielle et Nathalie se sont inscrites sur le site dans l’idée de voyager pas cher et de faire des rencontres. L’une pour partir en Angleterre, l’autre en Argentine. À présent, elles inversent les rôles.

Besoin de rencontres

En observant l’attitude de ses couch-surfeurs, Gabrielle se revoit lors de ses

propres voyages. « On sait ce qu’ils ressentent », confirme Nathalie. On s’installe sur le canapé pour bavar-der. Pas de juge-ment ni de malaise, l’échange est cha-leureux. Gabrielle a plaisir à parler des rencontres qu’elle a faites à l’étranger, grâce au couchsur-fing. « J’avais l’im-pression qu’on était amis depuis toujours, alors qu’on se connaissait depuis si peu... Ce sont des moments de partage intense ! » se souvient-elle avec malice. Parcours de vie, études et centres d’intérêt, tout s’entremêle et se croise dans la conversation.

L’heure du dîner approche. On se prépare un repas avec des produits du marché. Ce n’est pas un détail pour des étudiantes en agronomie et en agroalimentaire. Je dispose trois assiettes sur la table tandis que Nathalie met de la musique et que Gabrielle coupe le chou rouge pour la salade. Malgré une vie bien remplie, les deux jeunes filles raffolent de rencontres. Le couchsurfing assouvit ce besoin à mer-

veille. « Ce que j’apprécie, c’est que chacun a une histoire à raconter. On découvre des choses auxquelles on n’aurait jamais pensé, c’est hyper enrichissant et ça donne envie de voyager », philosophe Nathalie.

Pour finir la journée, direction le pub irlan-dais pour un petit concert à l’occasion de la Saint-Patrick. Une manière pour Gabrielle et Nathalie de faire apprécier leur ville by night. À notre retour, j’ai le choix entre un matelas ou le canapé sur lequel nous avions bavardé. Ce sera le canapé.

I V Pauline Bussi

Ouvrir sa porte

Nos chers voisins

« Si par hasard l’envie vous prenait d’uriner ici, faites-le avec le sourire. C’est pour la caméra ! »

Qui n’a jamais vu ce genre de petits mots, plus ou moins agréables, dans les halls d’immeubles ou autres lieux de voi-sinage ? Lorsqu’ils sont humoristiques, ils sont recensés dans le Tumblr « chersvoisins », plateforme internet lancée en avril 2012 par Aurélie Champagne et Olivier Volpi. Tels des collec-tionneurs, la journaliste et le scénariste ont commencé par récolter consciencieusement ces bulletins. «  Les manières de s’exprimer sont très variées. Ces échanges ont pour point commun d’être obsessionnels. Ce sont de vrais problèmes de cohabitation », remarque Aurélie. Le couple a invité ses amis à partager cette lubie. Devant l’ampleur prise par le phénomène, il a ouvert le site aux contributions extérieures. Ils reçoivent ainsi une cen-taine de photographies par semaine et en publient les plus marquantes.

La guerre du Wi-Fi

Pas d’idées pour votre nom de réseau Wi-Fi ? Les Anglais, eux, ne manquent pas d’inspiration. « On vous entend quand vous faîtes l’amour  » ou « Arrête de porter des talons  »  sont les tout nou-veaux noms de réseau Wi-Fi relevés par OpenSignalMap, entre-prise se chargeant de maintenir la base de données mondiale des noms des réseaux Wi-Fi. Chaque particulier peut changer son nom de réseau en quelques clics pour passer des messages à ses voisins de manière déguisée. Les messages sont visibles dans les réseaux de l’internaute lorsqu’il se connecte. Une nou-velle façon de communiquer avec ses voisins, sans dévoiler son identité ! Cette tendance traversera-t-elle la Manche jusqu’à la Bretagne ?

Un toit pour moi

Depuis 2008, l’association Bretagne Arc-en-ciel soutient la cohabitation intergénérationnelle dans la région rennaise avec le projet « Un, deux, ... toit ». Seniors, parents céliba-taires, jeunes étudiants ou salariés : les adhérents de l’asso-ciation ouvrent leur porte aux demandeurs de logement. Une présence la nuit, un partage de repas ou un taxi pour l’école : les raisons de s’engager sont multiples. Après avoir établi des profils d’hébergeurs et d’hébergés en fonction des demandes et des disponibilités, l’association organise une rencontre. «  Il y a toujours une part de négociations concernant les souhaits et les idéaux de chacun », confie le chargé du projet, Jean-Pierre Delaplace.

Des murs pour se reconstruire

Des petits studios décorés, une pièce de vie au rez-de-chaussée, un jardin et une terrasse en plein centre-ville... Dans cet immeuble du quartier Saint-Martin, à Brest, situé à deux pas de l’église, une communauté s’est créée de toutes pièces. Les membres sont tous des hommes. Tous ont vécu un passé chaotique et tentent de trouver une porte de sortie dans cette pension de famille nommée Esperanza. « Elle est destinée aux personnes souffrant d’isolement social ou d’un manque d’autonomie », détaille Françoise Roignant, du centre communal d’action sociale (CCAS). Les occupants peuvent y rester le temps qu’ils souhaitent. Chacun va à son propre rythme pour se reconstruire.

«

Nathalie et Gabrielle partagent aussi leur lessive.

«

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Le lycée Diwan situé à Carhaix-Plouguer, dans le Finistère, se distingue depuis plusieurs années par son taux élevé de réussite au

baccalauréat et sa capacité à mener ses élèves de première vers le diplôme natio-nal. Dans un classement somme toute rela-tif, Le Figaro place ce lycée breton devant de prestigieux établissements parisiens.

Cette réussite qui interpelle puisque Diwan a la singularité de proposer un projet péda-gogique entièrement en langue bretonne. Économiquement parlant, le lycée carhai-sien n’a pas grand-chose de comparable aves les grands lycées prestigieux français. Il possède des bâtiments modestes, aux façades grisâtres et usées, et est isolé dans une commune de moins de 10 000 habitants du Centre-Bretagne. Lorsque l’on pénètre dans l’enceinte, on tombe sur des bandes dessinées traduites en bre-ton, une carte de la Bretagne en breton, des photographies des échanges avec les correspondants d’autres régions… Aucun code vestimentaire n’est exigé au sein de ces murs. Dreadlocks, robes, pulls à l’effigie

de groupes musicaux, chemises, chacun s’habille comme il le souhaite.

Ces élèves ont néanmoins un point com-mun : en dehors des cours de français, tous leurs échanges, oraux comme écrits, doivent se faire en breton. « Je sais que les professeurs aimeraient que nous parlions breton entre nous. Mais nous échangeons majoritairement en français », nuance Scott Piriou, élève en première scientifique. Dans le cercle familial également, la plupart des élèves utilise la langue nationale. La diffé-rence de cadres linguistiques à la maison et à l’école fait que le bilinguisme opère.

Diwan est la seule école permettant au breton d’être enseigné à temps plein de la maternelle à la terminale. Le réseau privé Dihun et les écoles publiques Div Yezh ne proposent le breton qu’à parité horaire. Bien souvent dans ces deux dispositifs, c’est d’ailleurs le français qui reprend le dessus, le breton n’étant considéré au lycée que comme une troisième langue vivante. Mais c’est aussi de cette seule présence du breton que peut naître une certaine incompréhension vis-à-vis de Diwan : « Les gens pensent que l’on a un mauvais niveau de français car on apprend en breton ainsi que dans d’autres langues », constate Scott. Les résultats aux examens prouvent pour-tant le contraire. À la fin de leur parcours scolaire, les élèves bretonnants passent le diplôme national selon les mêmes modalités que tous leurs homologues en France et réussissent très bien l’épreuve de français.

« Le breton, c’est une partie de moi-même »

Un des facteurs de réussite peut résider dans le faible nombre d’élèves : pas plus de 30 par classe. La notion de « pédagogie

du proche », à savoir le suivi personnel de chaque élève par des professeurs dispo-nibles, est appliquée. À Diwan, le tutoie-ment entre les enseignants et les élèves est de mise. Un choix volontaire pour plus de proximité, « sans pour autant diminuer l’autorité », souligne le directeur du lycée, Loeiz Donal. Les parents jouent également leur rôle dans cette réussite : « On n’a pas le même public que la plupart des lycées. Les parents sont impliqués dans le projet car l’école est associative ».

Faire le choix d’une scolarité à Diwan est déjà porteur de sens. C’est se fédérer autour d’une cause, la défense de la langue bretonne, en optant pour un projet pédago-gique alternatif. La volonté de faire perdu-rer le breton est le dénominateur commun aux enseignants, parents et élèves. Elle entraîne un militantisme partagé. Tous n’y participent pas et le degré d’implication diffère selon les personnes. Reste que marcher à l’unisson permet d’élever la motivation collective et donc les résul-tats scolaires. Mais c’est à propos de ces actions militantes qu’émanent les critiques à l’encontre de Diwan et notamment le hasardeux rapprochement avec des mouve-ments nationalistes plus radicaux.

El Hassane Oufker, directeur du lycée musulman Averroès à Lille dévoilait en mars dans Le Monde le secret de la réussite de son système scolaire : « Avoir la foi. Pas la foi religieuse. Mais croire au projet. » Fanny Chauffin, conseillère principale d’éducation au lycée Diwan, va entière-ment dans ce sens : « Diwan est un projet fabuleux. C’est la plus grande réussite de la culture bretonne. […] C’est une identité qui se construit pour ces élèves, mais toujours au contact de l’environnement ». Il est assuré-ment plus facile d’enseigner à des élèves motivés, qui comprennent leur présence

dans ces établissements. Élève en pre-mière littéraire, Mallo Kastel le prouve : « Nous nous sentons uniques car dans tous les autres lycées, on parle le français. Nous sommes quelque peu investis par la survie du breton ». Son professeur, Dominique Jolived Klec’h, va encore plus loin : « Le breton je l’apprends viscéralement. C’est une partie de moi-même. » Il soutient que la langue d’origine celte « engendre des liens plus forts. Ce n’est pas toujours rationnel : il y a une grande part d’affectif dans le breton ». Une langue qui, parce qu’elle est en déclin et menacée, entraîne ses locuteurs à tout faire pour la préserver.

L’internat, projet d’éducation

Le lycée de Carhaix-Plouguer étant le seul du réseau Diwan, les élèves viennent de toute la région Bretagne. Résultat : 268 des 274 élèves sont internes du lundi au jeudi soir. « Pour nous, l’internat ne sert pas simplement à nourrir et héberger les élèves. Nous le considérons comme un espace de vie qui doit apporter tout autant. C’est souvent de là que partent les nombreuses initiatives de nos élèves », explique le directeur. Les lycéens sont d’ailleurs unanimes à propos de l’importance de cette cohabitation.

Diwan : se renfermer pour mieux s’ouvrir

Le réseau d’écoles associatives Diwan propose une pédagogie immersive en breton. Son seul lycée, à Carhaix-Plouguer, fédère parents et élèves autour de la sauvegarde de la langue, et

jouit d’une belle réussite.

I V Vincent Sartorio

Le lycée Diwan situé au lieu-dit Kerampuilh à Carhaix-Plouguer pourrait devenir un peu étroit si le nombre d’élèves venait à croître encore.

Diwan en chiffres

• La première école Diwan est née à Lampaul-Ploudalmézeau (29) en 1977. Proposant un enseignement immersif en langue bretonne, l’établissement suit le programme de l’Éducation nationale.

• 3 678 élèves en 2012-2013

• 44 écoles, six collèges, un lycée

• 500 employés dont 370 enseignants, formateurs ou directeurs.

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Un même projet

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Penn Enez, le bout de l’île. Balançoire, trampoline et baraquements occupent

le terrain. En face, le phare de l’Ile Vierge. Tout autour, une mer bleu azur. Il s’agit du fief de l’association Amis de Jeudi Dimanche (AJD) de Landéda (29). Autour de tables en bois disposées en « u », assise sur les bancs, l’équipe attend le repas. « C’est plus désorganisé qu’organisé mais ça finit par être organisé, sourit Marie-Anne, secrétaire polyvalente dans l’association depuis une vingtaine d’années. Les jeunes font les repas, tout le monde donne le meilleur ». À table, les visages affichent de larges sourires.

C’est l’heure de reprendre le chantier. Situé à sept kilomètres des baraquements, au Moulin-de-l’Enfer, le Bel Espoir, un trois-mâts de 38 mètres, est à quai. « Le bois est pourri, on doit le rénover. Il faut que ça reste dans l’esprit vieux bateau de pirate », ex-plique Chloé, 20 ans, qui a interrompu ses études aux beaux-arts. Ici, l’autonomie et l’initiative sont encouragées. Les stagiaires

s’apprennent des choses et font aussi appel aux formateurs, comme Adam, charpen-tier écossais. « Avant je travaillais sur des chantiers navals "classiques" mais il fallait être rentable alors qu’ici on est nos propres clients. En fait, on guide les stagiaires pour qu’ils fassent tout eux-mêmes. »

De milieux différents

Pendant qu’une équipe s’active sur le bateau, les autres s’affairent à l’intérieur de l’atelier : peinture, soudure, électricité, voi-lerie, menuiserie... La routine ? Connaît pas. « Les outils et les bases sont les mêmes, mais les surfaces changent sans arrêt », explique Ziton, figure de proue de l’association.

« Malgré les départs et arrivées chaque mois, le groupe reste soudé, se réjouit Chloé. Ce qui est génial c’est que tout le monde vient de milieux différents et de partout : certains ont arrêté leurs études, d’autres sont des anciens taulards, certains sortent de cures de

désintox. » Julien, 29 ans, est en condition-nelle. « Ce chantier me permet de remettre le pied à l’étrier. J’ai mis toutes les chances de mon côté pour me réinsérer et faire ce que je veux : travailler dans le nautisme. » La mer est leur bouée de sauvetage.

Ce goût pour le collectif et la mer ne s’arrête pas le vendredi soir. « L’association a de petits bateaux. Alors le week-end, on s’organise des sorties. On vit en collectivité. Actuellement on est une vingtaine. T’es au bar, t’es 25 ; tu manges, t’es 25 ; tu travailles, t’es 25 », commente Léa, 26 ans. « Si on veut on peut s’isoler, mais on ne le fait pas. On n’en ressent pas le besoin », explique Chloé. La cloche sonne, c’est le moment de prendre une pause. Ensemble.

I Anaïg Dantec V David Le Tiec

Le Bel Espoir comme boussole Le trois-mâts Bel Espoir a parcouru plusieurs fois l’Atlantique. Au printemps dernier, l’association Amis du Jeudi Dimanche, plus connue grâce à son fondateur, le Père Jaouen, le restaurait.

Chloé, Camille et Baptiste : tous sur le pont !

L’internat c’est le lieu d’échange privilégié. C’est là que se fondent des amitiés du-rables. La grande pièce commune avec son baby-foot, sa table de ping-pong, ses tables rondes pour jouer aux cartes ou encore sa sono favorise ces moments partagés. Corentin Guillouzouic, qui était externe du-rant ses années de collège Diwan à Vannes, regrette de n’avoir pu y participer : « J’étais bien intégré mais jaloux quand même. Les internes me laissaient voir une ambiance qui avait l’air très sympa ». Plusieurs anciens pensionnaires de Diwan, aujourd’hui étu-diants, parlent de camarades passés par le même lycée, regroupés à Rennes dans leurs poursuites d’études respectives, qui forment une sorte de groupe hermétique, comme désirant recréer leur cocon du secondaire.

Encore du chemin

Diwan c’est aussi un environnement asso-ciatif tourné vers la culture. Le réseau en-courage la musique bretonne, qui aime se

nourrir d’influences extérieures. « On trouve à peu près 200 écrivains de nouvelles en breton. La langue prend une place importante sur Internet aussi », ajoute Fanny Chauffin. Cette bretonne d’adoption, qui a appris la langue auprès d’enfants en cours du soir, estime que la culture bretonne a encore du chemin à parcourir : «  Les Basques sont pour moi un modèle. Ils parlent cette langue en famille, ont des coopératives, une culture de la collectivité plus forte ».

Les Basques justement, au même titre que les Gallois ou les Ecossais, sont des partenaires d’échanges privilégiés avec Diwan. Les élèves parlent d’échanges polyglottes et culturels enrichissants avec leurs correspondants de ces régions. Dans son programme, Diwan entend assurer un « enseignement qui intègre la réalité cultu-relle contemporaine de la Bretagne ». Mais toujours avec le désir de s’ouvrir aux autres peuples. Les élèves de Diwan se sentent Bretons et Français. C’est cette double identité qui pourrait leur permettre de

mieux comprendre les problématiques qui touchent les minorités et leurs cultures.

On peut penser que l’apprentissage pré-maturé de plusieurs langues libère une souplesse linguistique conséquente. Cela pourrait expliquer le bon niveau en langue des ces élèves en immersion, à l’heure où la faiblesse en termes de pratique des lan-gues est pointée du doigt en France. Kyan Le Mouilleur, surveillant au lycée, en est sûr : « Lorsque l’on arrive dans un autre pays, ce processus d’immersion est facilité. Nous sommes capables d’assimiler, comprendre et restituer une langue. »

L’immersion serait alors un recentrage sur sa langue pour mieux s’ouvrir ensuite à l’autre. Au lycée de Carhaix-Plouguer, le nombre d’élèves croît régulièrement. Si les conditions d’enseignement actuelles venaient à être mises à mal, le modèle Diwan resterait-il aussi performant ?

Au centre à droite, Kyan Le Mouilleur, surveillant au lycée, joue au tarot avec les élèves pendant le temps libre.

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En quête d’un chez-soiLeah Green peint, sculpte et transmet son savoir à La Prénessaye, dans les

Côtes-d’Armor. À la veille de son retour en Angleterre, elle retrace son parcours d’une dizaine d’années dans cette ville de 800 habitants.

I Emilie Roze V Pauline Bussi

Son regard est concentré. Ses mains, fermes, s’activent autour d’un marin d’argile façonné par une de ses élèves. Leah Green,

47 ans, corrige les imperfections, conseille son apprentie, montre le geste à adopter avant de lancer un « your turn » (« à ton tour », en anglais).

Rien ne prédestinait le couple Green à réussir son intégration à La Prénessaye, petite commune près de Loudéac. Anciens cadres dans une banque londonienne de renom, ces deux citadins ont tout quitté pour poser leurs valises en Bretagne, avec deux mots de français en poche. C’est à La Hautière, hameau d’une quinzaine de maisons en pleine campagne, que Norman et Leah ont trouvé ce qu’ils cherchaient. « Il fallait qu’on change de style de vie. » En débarquant en Bretagne, les deux Anglais ont vécu un changement radical. « C’est un rythme différent auquel il a fallu s’habituer », se souvient Leah, vêtue d’un pull en laine rouge, chaussures de marche aux pieds et mains pleines de terre. « C’est bien loin de la tenue que je portais quand je travaillais à la banque. » Aujourd’hui entre son réseau

artistique, ses voisins et ses cours d’arts plastiques, l’Anglaise a réussi à se recréer un chez-soi. « C’était pourtant pas gagné », confie-t-elle.

S’investir localement

Son arrivée en Bretagne, il y a huit ans, a poussé Leah à réaliser son rêve d’enfant : devenir artiste. Après une année d’appren-tissage à Saint-Brieuc, elle commence ses propres créations, expose et devient un membre à part entière des réseaux artistiques locaux. Mais c’est à La Prénes-saye que Leah veut se créer un univers, se faire adopter. « Je voulais me sentir chez moi, qu’on me considère comme quelqu’un du village. C’est pourquoi m’associer avec la mairie et m’inscrire dans une association qui promeut l’art m’a semblé logique », précise Miss Green, une tasse de thé à la main.

Le maire, sceptique, se laisse finalement convaincre par l’entrain de Leah. « Je lui ai dit : « Qu’est ce que vous avez à perdre ? » Ça va permettre aux gens du village de se réunir autour d’activités ludiques, de créer une cohésion », glisse-t-elle, ses yeux bleu azur

enchâssés dans de jolies rides. L’initia-tive est un succès. Villageois et voisins se rassemblent, les mains dans l’argile, dans la salle de la mairie. Galvanisée par ce succès et cette passion d’enseigner, Leah met en place des ateliers avec des personnes han-dicapées ou non-voyantes et des enfants pendant l’été.

« Mes chers voisins »

C’est avec ses voisins de La Hautière que la Britannique va aussi tenter de construire son chez-elle. Arrivés là un peu par hasard, Leah et son mari ont eu un coup de cœur pour l’endroit. « On aime les aventures. On s’est dit pourquoi ne pas tenter celle-ci ? », s’enthousiasme-t-elle, au souvenir de ses premiers jours dans le hameau.

Leah se souvient d’un pot de bienvenue mémorable, idéal pour s’intégrer. « Pour les Anglais, l’apéro c’est juste un verre et puis chacun rentre chez soi. Là, ça a duré jusqu’à deux heures du matin, raconte Leah en éclatant de rire. Notre souci c’était la langue. Norman ne parlait pas un mot de français et moi j’avais juste de vagues notions. Il

L’Angleterre me tire, me

rappelle à elle.

«« >

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y a deux autres familles d’Anglais dans le hameau, donc au début de la soirée, il y avait deux clans, les anglophones d’un côté et les Français de l’autre. Jusqu’à ce que Norman mette une chanson des Beatles. Nous avons tous chanté et dansé ensemble. C’était un très beau moment. » Depuis, le couple Green se sent chez lui à La Hautière. Au point même que Leah et Norman se sont mariés à la mairie de La Prénessaye. « Ma famille est venue pour l’occasion. On a fait la récep-tion chez nous. » Leah s’esclaffe au récit d’un souvenir. « Imaginez ma grand-mère, avec l’éducation british de bonne famille, entre deux de nos voisins, plutôt alcoolisés. Elle ne comprenait sûrement rien à ce qu’ils lui disaient, mais elle riait aux éclats. » Une cohabitation sereine et joviale, qui ne lui suffit pourtant pas. Leah est à la recherche de relations avec d’autres personnes.

Son implication dans Modul’Art, depuis 2010, lui permet d’étendre son réseau de connaissances et de donner des cours d’arts plastiques dans son propre atelier, aménagé au sous-sol de sa maison. L’écho de rires féminins y résonne souvent. Pour son cours du jeudi, Leah reçoit Maryse et Claudine, deux jeunes retraitées. À la pause, les trois femmes échangent les dernières nouvelles autour d’un thé, dans une ambiance détendue. « Je vends mon four, si vous en cherchez un, je vous fais un prix d’ami », annonce Leah. Maryse évoque la santé de son mari, et le dernier voyage de Claudine est abordé. Le moment est com-plice, l’échange loin d’être professoral. « On vient depuis cinq ou six mois déjà, Leah est devenue bien plus qu’un professeur. C’est une amie », explique Maryse, devant l’intéressée, qui semble flattée. Malgré ses amis, son réseau d’artiste et son implication sur le territoire, le désir d’enracinement de Leah dans le hameau reste inassouvi, comme un idéal impossible à atteindre. « Il est temps

de repartir », annonce-t-elle, pressée de retrouver sa terre natale.

« Come home »

« L’Angleterre me tire, me rappelle à elle », murmure Leah, doucement, comme un aveu honteux qu’elle ne pourrait pas prononcer au sein de la communauté qui l’a accueillie, et « qui lui a tant donné ». La nouvelle aventure des Green : embarquer sur une péniche en Angleterre, pour vivre aux côtés d’artistes de tous horizons. « L’occa-sion est trop belle » pour Leah, qui avoue être incapable de la refuser. « J’ai essayé en étant ici de créer une vie, un chez-moi. Et je pense avoir réussi à me faire des amis, ce qui se rapproche le plus d’une famille. Mais incon-sciemment je savais qu’on ne resterait pas ici jusqu’à la fin, même si la Bretagne nous a accueillis d’une bien belle manière. L’Angle-terre c’est chez nous », conclut Leah, émue de dire au revoir à un en-droit qu’elle a pourtant tenté de s’approprier.

C’est à Lamballe, aux côtés de Brigitte Marian, que Leah s’est initiée aux arts plastiques.

Des liens hors les murs En 2012, 60 personnes incarcérées à la maison d’arrêt de Saint-Brieuc ont bénéficié du dispositif d’aide à la sortie de prison. Mais entre la vie carcérale et la vie sociale, la marche est haute. Pour les accompagner, de nombreux moniteurs et conseillers d’insertion et de probation interviennent dans l’ombre.

I Audrey Chevallier V Vincent Sartorio

Quatre mois, une courte période qui peut chambou-ler une vie. « C’est la durée moyenne de détention à la maison d’arrêt de Saint-

Brieuc », éclaire Marie-Paule Marin, direc-trice du Service pénitentiaire d’insertion et de probation (Spip) de Guingamp. À la fin de la peine, le retour à la vie normale est difficile. Selon le rapport d’activités du Spip, 21,5 % des ex-détenus étaient sans ressources en 2012.

Cette réalité fait trembler les accompa-gnants qui œuvrent chaque jour pour favoriser la réinsertion sociale et profes-sionnelle des libérés. « Après quelques mois d’enfermement, la personne est désocialisée. Alors notre priorité, c’est de préparer la sortie de prison. » Logement, emploi, vie de famille… L’emprisonnement fait perdre beaucoup. Pour reconstruire leurs vies, les ex-détenus manquent souvent de soutien « et de confiance en eux », comme le souligne Isabelle Cario, conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation depuis 1999. « Avant même leur libération, on leur apporte les conseils et l’écoute dont ils ont besoin. »

Au sein même de la prison, les accompa-gnants prennent déjà toute leur impor-tance. Ils tentent notamment de maintenir les liens familiaux malgré l’incarcération. Eux seuls disposent des moyens techniques pour améliorer les conditions de détention des personnes. « A la naissance d’un enfant

ou au décès d’un proche, le travailleur social est le seul à pouvoir monter un dossier pour demander une permission de sortie au juge d’application des peines. » Ce référent gère ainsi le quotidien des détenus. Il en suit jusqu’à une cinquantaine. L’accompagne-ment est individualisé, « dans la limite

En fonction de ce que confie l’ex-détenu, la conseillère fait le point sur la situation person-nelle et professionnelle du libéré. «Toujours dans le respect.»

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du temps disponible  », regrette Marie-Paule Marin.

Pour que la collaboration fonctionne, la personne doit voir l’intérêt de ce suivi. « Il leur faut alors dépasser le cadre judiciaire et les obligations », explique Isabelle Cario. Reprendre sa carrière professionnelle peut être une source de motivation. Régulière-ment, des ateliers CV, lettres de candidature et entretiens d’embauche sont organisés avec l’intervention du Pôle emploi, de la mission locale mais aussi d’Armor forma-tion. « Il faut souvent rappeler les réalités du marché du travail », souligne la directrice du Spip de Guingamp.

Récemment arrivé en Bretagne, Yannick Basselin, ancien directeur d’un centre d’insertion en Alsace, recrute des personnes éloignées de l’emploi pour des chantiers d’insertion. « Dans les espaces verts, le bâtiment ou encore l’industrie, ils acquièrent

des gestes professionnels. » Les moniteurs valorisent la personne, l’évaluent, la for-ment. « On fait avec elle pour l’amener vers l’autonomie et un emploi durable », pour-suit Yannick Basselin. Sur les chantiers, la cohabitation n’est pas évidente. « Quand on est travailleur social, nos études font qu’on est préparé mais, dans le milieu de l’insertion, les professionnels sont souvent bousculés de côtoyer des personnes au lourd passif. » L’appréhension, il faut la dominer : « Cette phase d’accompagnement est cruciale ». Les moniteurs sont des formateurs, mais les dé-tenus les considèrent rapidement comme des chefs d’équipe. « Ils ont besoin d’être cadrés, comme en prison. Ils y sont habitués, souvent depuis des années. » Les chantiers d’insertion permettent une transition entre la dépendance générée par l’enfermement et l’autonomie qui conditionne la vie normale. Le regard du moniteur n’est pas le seul à peser sur la conscience des détenus : « Entre collègues, les mots sont parfois durs.

Ils doivent se préparer à ce rejet de la société. Certains ne le supportent pas. »

Croire en chacun

Le rôle des conseillers d’insertion ne s’arrête pas aux barreaux de la prison. « Au Spip de Guingamp, on assure le suivi d’environ 500 personnes placées sous main de justice ainsi que le contrôle de l’exécu-tion des décisions du juge d’application des peines », détaille Isabelle Cario. En liberté conditionnelle, sous contrôle judiciaire ou en bénéficiant d’un aménagement de peine, tous sont régulièrement convoqués dans les locaux de l’ancien palais de Justice de Guingamp pour un entretien. « Au départ, il y a cette part d’obligation qui les rend froids et distants. » Commence alors un travail de longue haleine. « La plupart d’entre eux vont dépasser cela, tandis que d’autres vont critiquer l’institution. Cela dépend de leur vécu. » En fonction de ce que confie l’ex-

détenu, la conseillère fait le point sur sa situation personnelle et professionnelle. « Soit vous le faîtes administrativement, soit vous le faîtes dans un échange, en créant une relation. Il faut toujours du respect. »

L’agressivité devient parfois le mode d’expression des libérés. « Ils sortent tout juste de prison et on les convoque. Ils ne comprennent pas car ils estiment avoir purgé leur peine. » Au contraire, quelques-uns admettent en avoir besoin. Selon les statistiques, le suivi post-carcéral engendre moins de récidives que les libérations sèches car, au-delà des contraintes, l’avenir est souvent abordé.

La conseillère d’insertion arrange au mieux les choses, décale certains rendez-vous, mais pas question de dépasser les bornes. La relation aidant-aidé reste basée sur l’autorité judiciaire et n’échappe pas au cadre. « Les choses doivent rester claires.

Les obligations doivent être respectées. » Cette rigueur n’empêche pas un peu de sympathie. « Quand l’un d’entre eux récidive, on est déçu. On croit connaitre les gens… », se désole Isabelle Cario. Son statut de travailleur social employé par le ministère de la Justice est pour elle un frein à toute relation vraie : « Les gens ont tendance à vouloir donner une bonne image d’eux, alors ils ne disent pas tout. C’est frustrant car ils nous voient souvent comme des contrôleurs, rien de plus. »

Psychologues, confidents, contrôleurs… Les conseillers assument plusieurs rôles et peuvent créer des liens très particuliers avec les libérés. « Je m’efface pour qu’ils reprennent confiance. C’est eux qui ont les clés, raconte la conseillère d’insertion. On leur porte pas mal d’attention. Certains ont besoin d’être sermonnés, d’autres encouragés. » Mal-gré les difficultés, les ambiguïtés, l’impor-tance de l’accompagnement des ex-détenus

n’est plus à démontrer. Après plusieurs incarcérations, les libérés trouvent souvent plus de soutien auprès des moniteurs et des conseillers d’insertion et de probation qu’auprès de leurs propres familles.

42 % des détenus concernés par le dispositif de préparation à la sortie en 2012 avaient été incarcérés au moins quatre fois. 71 % des détenus sont célibataires, divorcés, veufs ou séparés. 93 % des détenus ont un niveau de formation inférieur ou égal au niveau V (Brevet des collèges, CAP, BEP…). 469 permissions de sortie pour des événements familiaux ont été accordées en 2012. 15 conventions ont été signées en 2012 entre le Spip et des associations comme Adalea, Brigades vertes, Emmaüs, Enjeux d’enfants, ou encore la Cpam et la Caf.

Source : Rapport d’activités du Spip de Saint-Brieuc, 2012.

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QuimperRapport de force « Quimper a plus d’expérience et de maî-trise. Concarneau a tendance à être mau-vais, voire vicieux sur le terrain. » Thiphaine, 25 ans, supportrice depuis six ans.

« Les Concarnois commettent beaucoup de fautes de main. On aurait dû perdre le match aller. Heureusement, ils sont mala-droits derrière. » Dominique, 46 ans, depuis 21 ans au Rugby club quimpérois.

Les meilleurs ennemis « Ça chambre à mort avant le match sur les réseaux sociaux. Certains sont plus particulièrement attendus sur le terrain après avoir beaucoup parlé sur le net. Les joueurs règlent parfois leurs comptes en toute discrétion. » Dominique.

« Certains joueurs des deux clubs s’en-tendent très bien, mais une fois sur le terrain, ils ne se connaissent plus. » Thiphaine.

Tous ensemble « Chez les seniors, chacun a sa vie de

famille et il y a des absents lors des matchs, mais pour celui contre Concar-neau, tout le monde est là. Dès que le ca-lendrier paraît, les dates sont bloquées. » Malgven, 25 ans, supportrice depuis six ans.

« Le derby, c’est 80 minutes de match, après, c’est fini. Je suis éducateur, et les derbys, on les connaît aussi chez les jeunes, des moins de 8 ans aux moins de 15 ans. Pour eux aussi, c’est le match. » Dominique.

Même pas peur « Quand le club de Concarneau a été créé, on a débuté par des matchs ami-caux. On jouait pourtant la finale de la coupe du monde à chaque fois. On s’est toujours imposés. » Dominique.

« Notre fierté, c’est d’avoir toujours gagné. » Thiphaine.

Fête du bruit « Les supporters concarnois envoient du steak ! Il faut y aller pour se faire entendre, mais on a de bons brailleurs à Quimper. » Malgven.

« Concarneau est un club assez moyen,

pourtant, c’est le club à battre. On sort du match aphone. » Thiphaine.

« Si on gagne, il y aura une très grosse troisième mi-temps. C’est parti pour toute la nuit. » Thiphaine.

Le dimanche 7 avril 2013, le RC Quimper n’a pas tremblé et a facilement battu le RC Concarneau sur le score de 46 à 10.

Der by

ConcarneauDeux styles, deux équipes « On est deux équipes différentes. Quim-per joue avec sa force physique et sa puissance avec une mêlée plus expérimen-tée. Nous, on est à l’opposé avec un jeu plus léger basé sur notre envie et notre vivacité. C’est un jeu de « feu follet » avec du mou-

vement. » Julien Le Borgne, joueur du Rugby club de Concarneau.

Retour à la maison « Mon premier derby a été très dur. Après avoir joué toute mon enfance à Quimper, me retrouver dans ce stade avec les couleurs adverses sur le dos a été compli-qué à gérer. » Julien Le Borgne.

« Ça fait bizarre d’être considéré comme l’autre, l’ennemi, à un endroit qu’on considérait comme chez soi. Après avoir perdu les derbys précédents, j’ai rejoint les copains quimpérois autour d’un verre, comme avant. » Julien Le Borgne.

Quimper, le favori « Quimper existe depuis près de 60 ans, c’est le club référence de rugby dans la région. Donc forcément, c’est la référence à battre dans le championnat. » François Le Doze, soigneur et barman du Rugby club de Concarneau depuis 30 ans.

« Pour moi, l’équipe qui gagne le match est la meilleure équipe. En trois ren-

contres, on n’a pas gagné une fois ce derby. Aujourd’hui, c’est Quimper le favori. » Loïc Tanneau, président du Rugby club de Concar-neau depuis 2000.

Ne pas perdre « Le derby représente la plus grosse recette de l’année pour le club house. Près de 700 supporters se sont regroupés dans les gra-dins au match aller. C’est vraiment le match à ne pas rater pour nous. » François Le Doze.

« En tant que président, c’est un match comme les autres. Mais bon, j’avoue que si on le gagne, c’est toujours plus valorisant que le reste. » Loïc Tanneau.

Le dimanche 7 avril, le Rugby Club Concar-neau n’a rien pu faire face à la machine quimpéroise et il s’est incliné sur le score sans appel de 46 à 10.

I Emilie Roze & David Le Tiec V David Le Tiec

Si loin, si proches. Entre les clubs de rugby de Quimper et de Concarneau, la rivalité dure depuis bientôt 30 ans. Ces sportifs sont souvent copains, voisins ou cousins, mais ils s’opposent de façon tranchée dès qu’ils s’affrontent. Paroles de supporters avant le derby qui a opposé les deux clubs au printemps 2013.

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Une voile devant les yeuxNon-voyant, Olivier Brisse est passionné de voile. Il fait partie de l’équipage d’un bateau amarré au port de Lorient. Au programme : des courses et surtout une aventure collective.

I VPauline Bussi

Il ne voit ni les vagues, ni les phares, et pourtant il peut barrer un bateau. Il ne voit pas le visage de ses en-fants, ni celui de ses coéquipiers, et

pourtant l’échange est naturel. Il ne voit pas où il met les pieds et pourtant il se déplace aisément. Son environnement, Olivier Brisse a appris à le deviner, le sentir, l’entendre. Debout sur le voilier, les lunettes de soleil sur le nez, ce sportif aux cheveux châtains clairs ne paraît pas perdu. Il semble au contraire connaître parfai-tement le bateau. « Je suis tout le temps à l’écoute, j’utilise aussi le toucher et beaucoup la mémoire », explique-t-il. Atteint d’une maladie génétique de la rétine, Olivier apprend à l’âge de 5 ans qu’il va perdre la vue, « mais ça s’est déclaré bien plus tard : à 18 ans ». Il ne s’effondre pas. « J’ai vécu une vie « normale » un bon moment. Ma vue a baissé progressivement, sauf entre mes 20 et 27 ans, où là, ça a été très rapide », raconte Olivier, sans pathos. Sa maladie a cepen-dant épargné le vert de ses yeux. À 40 ans, ce papa de trois jeunes enfants affronte les épreuves de la vie tout en gardant le cap. Le plus important pour lui : gommer toute

barrière qui pourrait s’instaurer à cause de sa différence.

À l’âge de neuf ans, il découvre la voile lors d’un stage en optimist. « Depuis, je n’ai ja-mais arrêté », dit-il sur le ton de l’évidence. Une passion comme nulle autre dans sa vie. Olivier passe ensuite à la planche à voile. En 2009, l’homme établit le record du monde de la distance la plus longue parcourue par un non-voyant en planche à voile : 1,1km, à une vitesse de 24 nœuds (44 km/h). Une fierté ? Pour lui, les sen-sations comptent bien plus que la gloire. Lorsqu’il perd la vue, en 2000, le passionné se met à pratiquer la voile en habitable. « J’ai toujours lié la voile à une grande sen-sation de liberté, encore plus depuis que j’ai perdu la vue. »

Un défi humain

Actuellement, Olivier est membre de l’équipe permanente d’un projet nommé Team Jolokia, né d’une volonté commune : refléter la diversité. Vingt-deux équipiers au total, dont quatre handicapés. Par

équipes de douze, ils s’apprêtent à cohabi-ter dans un espace de 5 mètres sur 20. « On sait qu’on va être collés les uns aux autres ! », plaisante Pierre Meisel, coordinateur. « On est tous là pour le même objectif. On n’est pas les meilleurs amis du monde, mais c’est pas comme si on était en colocation », ajoute Milena, une jeune équipière. Olivier n’en est pas à sa première expérience de voile en collectif. Lors du précédent projet, il a été contacté par le skipper Yves Parlier suite à un désistement sur le bateau. Le genre d’offre qui ne se refuse pas. « On a vécu ensemble pendant 68 jours. Et quand tu passes 68 jours à six, forcément ça crée des liens ! », reconnaît Olivier. L’entente était bonne, mais il a fallu s’ajuster régulière-ment. « C’était un défi sportif, ajoute-t-il, mais avant tout un défi humain. Ce n’est pas toujours évident de vivre ensemble 24h sur 24, mais on a relevé le challenge ! » sourit-il.

Au port, lorsque l’équipe prépare le bateau, la canne blanche d’Olivier est rangée dans son sac. Son chien Elton, assistant quoti-dien, est resté à la maison. Originaire de Bordeaux, Olivier fait le déplacement

J’ai toujours

lié la voile à une

grande sensation

de liberté.

«

«

>Olivier Brisse est ici embraqueur de

grande voile, un poste qui consiste à maintenir la vitesse du bateau.

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jusqu’à Lorient régulièrement. Pour chaque entraînement, régate ou préparation aux courses, l’entreprise pour laquelle il travaille lui libère du temps. Cette der-nière s’occupe de mettre en relation des employeurs avec des handicapés pour favoriser leur embauche. Un écho au projet Team Jolokia. « Notre but, explique Olivier, est d’arriver à montrer aux entre-prises qu’il est possible de faire cohabiter sur un bateau des handicapés avec des valides et que ça fonctionne bien. » Le postulat : tout le monde devrait pouvoir transposer dans son lieu de travail ce qui est fait à bord du voilier.

Son « rideau noir devant les yeux » incite Olivier à vouer une immense confiance à son entourage. Et ses coéquipiers le savent. « Il se guide grâce à ce qu’on lui dit. Nos pa-roles ont une valeur. C’est sa vue en quelque sorte », certifie Pierre Meisel. Pour faire des allers-venues entre le bateau et le hangar un peu plus loin, Olivier glisse son bras

autour de celui d’un collègue. « J’ai besoin qu’on me parle beaucoup », dit-il d’une voix douce. Il n’est pas rare de l’entendre demander ce qu’il se passe autour de lui.

Posé, Olivier est un homme sur qui on peut compter. Eric Bellion a déjà navigué avec lui. « C’est un super équipier. Pour moi, il a la première des qualités : il sait exactement quelles sont ses faiblesses. Et puis il a une grande force tranquille, j’aime beaucoup naviguer avec lui », s’enthousiasme-t-il. Sur le voilier, « Olivier est hyper organisé, il a ses petites affaires à un endroit, et il sait qu’il peut nous demander de l’aide », raconte Milena.

Un équipier comme un autre

« J’ai envie d’aller au-delà de mes diffé-rences », souligne Olivier. L’équipage du voilier l’a bien compris. « C’est un équipier comme un autre ! », assurent-ils. Ils en oublient même parfois son handicap en

lui désignant quelque chose du doigt avant d’en rire et de se reprendre. Sur le bateau, celui qui aurait mauvais caractère ou qui gérerait mal le stress serait consi-déré comme plus handicapé qu’Olivier. Des craintes, il en a. Des peurs aussi. Mais il est surtout porté par cette envie d’aller au bout de ce qu’il entreprend. « L’effet de groupe me va bien, ça me motive ! », résume le sportif. Installé à l’un des postes à l’arrière du voilier rouge et blanc, il appré-hende les courses. Avec sérénité.

Un même projet

Sur la même longueur d’onde

« Welcome to Spotlight on Brittany ! » L’émission radiophonique d’AIKB (Association intégration Kreizh Breizh) est diffusée chaque semaine sur Radio Kreizh Breizh et Radio Bro Gwened. Créée fin 2003 en Centre-Bretagne, l’association veut faciliter l’intégration et la cohabitation de nos voisins venus d’Outre-Manche avec la population locale. 400 familles y adhèrent. Autant d’auditeurs potentiels de Spotlight on Brittany, programme en anglais sur les traditions et la culture bretonne. « Une aide à l’intégration, et un excellent outil pour améliorer son anglais », assurent les bénévoles. De quoi mettre tout le monde sur la même longueur d’onde.

Un festival pour mieux cohabiter

Depuis dix ans à Rennes, le festival Convergences cultu-relles encourage une réflexion sur l’altérité. « Il s’agit de voir comment les différents habitants de la ville peuvent co-habiter dans l’harmonie  », explique Miriam Mettouchi, de l’Union des associations interculturelles rennaises (UAIR). Le festival propose concerts, conférences et projections de films sur les thèmes de la cohabitation, de l’identité ou encore des stéréotypes. Il attire chaque année près de 4  000 personnes. Avec le temps, les visiteurs ont com-mencé à proposer eux-mêmes des animations (danse, activités manuelles…). « C’est pour nous le meilleur signe de son succès », assure Miriam Mettouchi.

6  000 laboureurs aux Charrues

Aider au bar, aux crêpes, au parking, à l’entrée : c’est la mission des laboureurs, les bénévoles du festival des Vieilles Charrues, à Carhaix. Alan, 22 ans, en fait partie. « On est organisés par associa-tion, mais tout le monde se mélange. Un camping nous est réservé. Il y a une très bonne ambiance  ! On est contents de retrouver des gens qu’on ne voit qu’une fois par an, et d’en rencontrer d’autres.  » Isabelle, 21 ans, souligne l’esprit de groupe. « On mange ensemble, on bosse ensemble, on s’éclate aux concerts ensemble… Impossible de rester dans son coin dans un lieu pareil ! » Chaque an-née, ils sont plus de 6 000 à prêter main forte.

Co-vacancer pour économiser

Partir en vacances  : se ressourcer, se détendre, ou-blier ses tracas quotidiens... Dépenser. Pour partager ses frais, un nouveau concept a vu le jour  : les co-vacances. Le principe est simple : il suffit de partir à plusieurs. Des sites Internet sont nés pour organiser ces projets. Et pour ne pas gâcher cette parenthèse, il est conseillé de ne pas partir avec n’importe qui. On ne choisit pas ses voisins, mais ses co-vacanciers, si. 

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Prochaine course pour Team Jolokia : The Atlantic rallye for cruisers qui relie les

Canaries à la Floride. Départ le 23 novembre.

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