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Troisièmes Rencontres de Enseigner le fait religieux Réflexions et débats sur la recherche et les pratiques enseignantes Organisées par lřInspection pédagogique régionale dřhistoire-géographie avec la collaboration de la Régionale de lřAPHG les 19 et 20 mars 2002 au CRDP Ŕ 31, boulevard dřAthènes Ŕ 13003 Marseille Ont participé à l’élaboration de cette brochure : Gérald ATTALI, Eric BOÉRI, Chantal FÉVRIER, Philippe CARACCHIOLI, Christophe CASTELLAN, Jackie CHABROL, Marie-Geneviève CHENET, Gérard CHOLVY, Christine COLARUOTOLO, Rodrigue COUTOULY, Daniel DALET, Pierre-Dominique ESNAULT, Pierre GENTELLE, Daniel GILBERT, Véronique GRANDPIERRE, Catherine LAMBERT, Josée-Christine LANGLOIS, Brigitte MANOUKIAN, Claude MARTINAUD, Patrick PARODI, Jean-Claude RICCI, Dominique SANTELLI, Jean SÉRANDOUR, Alain SIDOT, Alain SIX, Yves TARDIEU, Françoise UNAL. La Dur@nce est un bulletin d'information et de liaison des professeurs d'histoire, géographie et éducation civique de l'Académie d'Aix-Marseille, réalisée sous la responsabilité éditoriale de l'Inspection pédagogique régionale. Pour contacter les différents auteurs, un lien est disponible à l'adresse suivante : http://pedagogie.ac-aix-marseille.fr/histgeo/contribu.htm

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Troisièmes Rencontres de

Enseigner le fait religieux Réflexions et débats sur la recherche et les pratiques enseignantes

Organisées par lřInspection pédagogique régionale dřhistoire-géographie

avec la collaboration de la Régionale de lřAPHG

les 19 et 20 mars 2002

au CRDP Ŕ 31, boulevard dřAthènes Ŕ 13003 Marseille

Ont participé à l’élaboration de cette brochure :

Gérald ATTALI, Eric BOÉRI, Chantal FÉVRIER, Philippe CARACCHIOLI, Christophe CASTELLAN, Jackie CHABROL, Marie-Geneviève CHENET, Gérard CHOLVY, Christine COLARUOTOLO, Rodrigue COUTOULY, Daniel DALET, Pierre-Dominique ESNAULT, Pierre GENTELLE, Daniel GILBERT, Véronique GRANDPIERRE, Catherine LAMBERT, Josée-Christine LANGLOIS, Brigitte MANOUKIAN, Claude MARTINAUD, Patrick PARODI, Jean-Claude RICCI, Dominique SANTELLI, Jean SÉRANDOUR, Alain SIDOT, Alain SIX, Yves TARDIEU, Françoise UNAL.

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civique de l'Académie d'Aix-Marseille, réalisée sous la responsabilité éditoriale de l'Inspection pédagogique régionale.

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AVANT-PROPOS

par Jean SÉRANDOUR,

Inspecteur dřAcadémie, Inspecteur Pédagogique Régional

Jřai le plaisir au nom de lřInspection pédagogique régionale, dřouvrir cette troisième édition des Rencontres de La Dur@nce.

Avec la collaboration de lřAPHG, le groupe disciplinaire « La Dur@nce » vous propose en mars ce rendez-vous désormais familier de rencontre et dřéchanges disciplinaires. La première édition fut consacrée aux « Femmes dans lřhistoire et le droit au passé » ; en 2002 nous avons tenté dřexplorer le thème « Marseille et la Méditerranée ». Les 3èmes Rencontres sont consacrées cette année à lřenseignement du fait religieux.

Choix judicieux ? Probablement, vu lřintérêt suscité par ce colloque et le grand nombre de collègues qui sřy sont inscrits.

Choix risqué ? Je ne le pense pas, mais sensible en tout cas, compte tenu des enjeux qui y sont liés en termes de valeurs.

Choix nécessaire ? Sans aucun doute, car ce thème interpelle vivement les contenus de nos disciplines et nos démarches dřenseignement, de lřélémentaire au supérieur.

Ce colloque académique se veut relayer certaines problématiques explorées au cours du séminaire national des 5, 6 et 7 novembre 2002 à Paris consacré à l’enseignement du fait religieux.

Enseigner le fait religieux à l'Ecole, dans une démarche laïque, avec toute la rigueur et la vigilance requises, suppose de la part de l'enseignant une bonne maîtrise des savoirs mais également une prise en compte attentive des interrogations diverses du public scolaire.

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A l'école, la diversité des publics et l'incertitude des lectures du fait religieux chez les adolescents expliquent les effets contradictoires de la stratégie pédagogique de l'enseignant dans une même classe. Le degré variable de culture ou de sensibilisation des élèves lui complique la tâche ; c'est vrai pour tout objet d'étude, ça l'est plus encore pour les questions liées au fait religieux. Sur ces thèmes, l'enseignant s'expose parfois à des réactions incontrôlées de parents ou de gourous locaux ; les élèves eux-mêmes dénient parfois la légitimité du professeur à parler de tel ou tel thème.

Le fait religieux n'est pas seulement référé au patrimoine et aux archives, il renvoie aux forces vives de la société, aux contraintes, aux jours d'examen, aux dispenses, aux irruptions des familles dans l'école, aux traditions. Se ressent alors l'impérieux devoir, laïque en lřoccurrence, de marquer le partage entre la sphère privée et la sphère publique et, parallèlement, la nécessité d'aider l'élève à se structurer. Mais pour aborder ces questions, il faut que les connaissances soient bien établies et que les convictions soient claires afin ne pas intervenir dans un espace de sensibilité forte des élèves.

Les institutions religieuses n'ont pas l'exclusivité de la lecture et de l'explication du fait religieux ; celui-ci participe du destin des peuples, il est partie intégrante des civilisations étudiées à lřÉcole. En un mot, la connaissance du fait religieux est indispensable à la compréhension de problèmes plus généraux dans une perspective historique ou proprement contemporaine.

Le principe de laïcité est réactivé dans le contexte actuel (certains diraient même remis en cause) ce qui motive ce colloque proposé aujourd'hui. Face à la désaffection des pratiques ici, à la montée des intégrismes là, au retour annoncé du religieux ou au repli communautaire dénoncé, face au matérialisme souligné d'une société du paraître et du plaisir pour soi, face au large éventail des religiosités, aux commémorations à connotation religieuse qui viennent brouiller le message, face aux activités frénétiques, médiatisées ou secrètes, de certaines sectes qui jouent - et se jouent parfois - du religieux, il est essentiel d'engager cette réflexion. Le silence et la méconnaissance sont, en l'occurrence, le vrai danger. L'école doit aborder cette question, comme les autres, dans une démarche de laïcité ouverte, cette « confrontation joyeuse des différences » comme la définit le professeur Jean Delumeau, avec le souci premier du respect de la religion ou de la non-religion de l'autre.

Je voudrais ici, en ouvrant ces Rencontres, remercier tous ceux qui ont porté un intérêt aussi vif à ce colloque, en tout premier lieu les professeurs des lycées professionnels, nombreux dans la salle, ainsi que tous les collègues, stagiaires et titulaires, des diverses disciplines : lettres, philosophie, EPS, sciences économiques et sociales, documentation, histoire-géographie…

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Première partie

Communications scientifiques

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LA RELIGION ET LES CULTURES

DANS L'OCCIDENT EUROPEEN

(1800 à 1914)

Esquisse d'un bilan

par Gérard CHOLVY,

professeur émérite dřhistoire contemporaine Université de Montpellier

Les rapports entre les cultures et la foi chrétienne n'ont pas attendu la modernité pour devenir conflictuels. Ils l'ont été dès l'origine de IřÉglise quand s'affrontent judéo-chrétiens et gentils, les goyim dont Paul se fait l'apôtre. La foi n'a jamais été une, la culture est toujours l'avant et l'après pour elle, le terrain où elle se reçoit, celui où elle se transmet.

1. Aspects généraux de la question

Tout au long du XIX° siècle la religion a pu trouver des pierres d'attente ou des pierres d'achoppement au sein des cultures queue a côtoyées. Plus rationnel que l'Orient chrétien, le christianisme occidental a accordé beaucoup à l'écrit dans la transmission du message religieux : à la Parole de Dieu, lue et méditée, ceci étant encore plus vrai dans les Églises de la Réforme. Les calvinistes, en particulier, ont le culte le plus dépouillé et n'accordent à la Cène qu'une importance limitée : le culte avec Sainte-cène n'a guère eu dans les débuts du XIX° siècle que quatre fois dans l'année. Fondamental en Occident est l'apprentissage, la mémorisation et la récitation du Catéchisme, le petit livre dont l'invention remonte à Luther. Il est aussi la base préparant les jeunes catholiques à la première communion. Le christianisme occidental a donc été, beaucoup plus que l'oriental (orthodoxe, arménien apostolique, copte ... ) confronté à la culture de l'élite, celle dans laquelle l'écrit domine l'oralité et les attitudes corporelles. Cette culture doit concerner entre 10 et 15 % des populations de nos quatre pays. De

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l'un à l'autre les nuances ne manquent pas: les Lumières à la française sont davantage opposées aux religions révélées que lřAufklärung germanique : mais à ce sujet il faut s'interroger afin de savoir si jésus ne serait qu'un Socrate ? Ou à l'enlightment, mais ce dernier a du mal à se défendre contre le déisme de Locke et de Hume. Les cultures populaires traditionnelles, dont le socle commun est le théisme, offrent, elles aussi, des aspects contrastés. La religion populaire d'un Rhénan n'est pas celle du Sicilien, la tradition orale concernant la religion n'est pas la même en Cévennes et en Limousin. Ces cultures populaires concernant sans doute environ 80 % des populations au début du siècle, beaucoup moins en 1914 là où l'urbanisation, l'industrialisation et l'alphabétisation ont contribué à l'essor d'une culture de masse, encore très minoritaire vers 1860, mais qui devient envahissante en 1914 et, au moins pour la Grande-Bretagne et l'Allemagne, doit concerner alors plus de monde que les cultures populaires. Celles-ci comptent davantage en Irlande, en Italie et dans une France où, en 1911, encore, 42% des actifs du sexe masculin relève de l'agriculture. On n'oubliera pas le rôle que jouent les intermédiaires culturels, ceux qui ont la maîtrise de l'écrit et de la langue nationale, ministres des religions, instituteurs, religieuses. au village, notaires et gens de justice, médecins, vulgarisateurs (Larousse), journalistes sur la fin de la période.

Les défis que le christianisme a dû relever au long du siècle ne sont pas les mêmes selon les types de culture et selon les périodes. Avec l'élite, ce sont les conflits entre la foi et la raison (puis la science) qui priment sans oublier les rapports difficiles entretenus avec les milieux politiques dirigeants des États-nations où s'affirme un pouvoir qui entend que la religion soit dans l'État ce qui se traduit par les progrès de la sécularisation dans la loi et les institutions dont, au premier chef, l'enseignement. Ces conflits concernent avant tout le catholicisme romain. Avec les cultures populaires les défis ne manquent pas: quels compromis est-il possible de passer entre la religion prescrite et une religiosité plus ou moins tributaire d'une religion naturelle venue du paganisme ? Quelle part lřÉglise va-t-elle prendre dans le vaste effort d'éducation par l'école que les États entreprennent au cours du siècle ? Quelles réponses propres au christianisme proposer au surgissement de la « question sociale », ouvrière en particulier ? Avec la culture de masse la question a été de savoir quel accueil les chrétiens vont faire à l'innovation technique et dans quelle mesure ils l'utilisent, mais aussi, comment à la « Belle Époque » (vers 1910-1914) répondre à la soif de consommation et d'épanouissement hédoniste qui se manifeste là où l'argent devient plus facile ?

Le judaïsme doit faire face, lui, à la « sortie du ghetto » avec l'émancipation survenue en France en 1791. Quant à la périodisation, elle renvoie à l'évolution contrastée du mouvement des idées : secondes lumières, romantisme, positivisme exalté en scientisme, inquiétudes spiritualistes fin de siècle : un « air du temps dominant » qui se révèle plus ou moins favorable à concilier raison et tradition, et donc raison et religion, celle-ci étant l'un des piliers de la culture.

2. Ombres et lumières des débuts du XIX° siècle

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Nul doute qu'en 1800 et au-delà, le catholicisme européen davantage que les protestantismes ne soit en situation difficile, sinon même désespérée, au tournant du siècle, à la mort, à Valence, de Pie VI, le 29 août 1799. Était-ce la fin de la papauté ? Lorsque son successeur, Pie VII, est enfin élu, à Venise, le 14 mars 1800, des piliers entiers de I'Église se sont écroulés. Le « fer de lance » de l'évangélisation en dehors de la paroisse et ad extra, l'ordre des jésuites, a disparu. Du royaume du « Fils aîné » Ŕ qui était la première nation catholique en 1750 Ŕ sort une Église en ruines. Ruines matérielles tout d'abord avec la vente des biens dřÉglise, des édifices culturels dévastés, ou des couvents transformés en casernes, les bibliothèques de ses ordres savants dispersées comme l'ont été leurs membres. Ruines spirituelles ensuite avec les divisions au sein du clergé et l'arrêt de son recrutement ; l'impiété dominante parmi les élites ; les progrès de la non-christianisation chez tous depuis l'interruption des catéchismes (1793) : des générations de non-christianisés viennent s'ajouter aux générations de déchristianisés. Les bouleversements provoqués par la Révolution française affectent tous les territoires annexés ou occupés. Ils frappent donc de nombreux diocèses en Italie, dans l'Allemagne rhénane, la Belgique... Partout où le joséphisme a des ramifications, rien de la vie extérieure de lřÉglise ne doit échapper à la tutelle de lřÉtat ce qui va durer jusqu'aux années 1820. La disparition de leurs dix-huit universités en Allemagne, place les catholiques en situation d'infériorité par rapport aux protestants. Le protestantisme qui entretient un rapport différent avec lřÉtat, le prince étant le chef de l'Église ou « l'évêque du dehors », summus episcopus, ne connaît pas les mêmes difficultés sur ce point. En Grande-Bretagne les papistes ne constituent que des isolats et en Irlande les catholiques sont privés de tous droits politiques comme le sont aussi les Polonais. La vitalité religieuse de lřEspagne et du Portugal est atteinte. Dans le Nouveau monde le rapatriement de plus de 3.000 jésuites n'a pu rester sans conséquence. À la crise des missions catholiques s'oppose alors le dynamisme des missions protestantes : la Baptist missionnary society est présente en Inde dès 1793 ; la London rnissionnary society en Océanie dès 1796, en Chine à partir de 1807.

Le concordat de 1801, le Concordat italien de 1803, rétablissent assurément la paix entre l'Église romaine et les pouvoirs. Si la papauté y trouve là l'occasion inespérée d'amoindrir le gallicanisme épiscopal ou ecclésiastique, les grands vainqueurs sont toutefois la Révolution et Bonaparte. le catholicisme n'est plus en France la religion de lřÉtat. LřÉtat-civil reste laïcisé, le clergé est salarié de lřÉtat, les ordres religieux sont hors la loi. Bonaparte, se situant en continuité avec le gallicanisme régalien, nomme les évêques et les isole chacun dans leur diocèse. Les notables qui occupent les allées du pouvoir, y compris les militaires, demeurent hostiles ou peu bienveillants vis-à-vis des prêtres. À l'École navale, à Brest, en 1813, l'aumônier ne peut décider un seul élève à faire ses pâques. Ils participent du détachement des élites masculines vis-à-vis du christianisme. Et la dérive « déiste » n'est pas sans concerner aussi les prédicateurs eux-mêmes comme les études de Frank-Paul Bowman l'ont montrée. Une telle crise affecte, cette fois, tout autant, une grande partie des élites protestantes comme le constate les évangélistes piétistes puis les artisans du Réveil.

Même dans les régions où il y a eu une forte résistance à la déchristianisation l'ignorance religieuse continue de gagner. En France, l'évêque de Rennes le constate en 1821. Dans le Tarn, en 1812, de retour de tournée pastorale, l'évêque écrit que « Jésus-Christ est un inconnu au milieu de nous ».

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Même en Lozère Ŕ le modèle de la « chrétienté » dès le milieu du XIX° siècle Ŕ il y a 20 % de non-pascalisants vers 1825-1832. A fortiori la situation est-elle décrite en termes plus sombres là où les idées révolutionnaires se sont propagées dans le peuple. Dans l'arrondissement de Rouen, en 1805, « un homme sur cinquante tout au plus», ferait ses pâques. En 1813, le curé-doyen de Laon, au diocèse de Soissons, note que « La France se décatholicise ». En 1827, le curé-doyen de Vitry-le-François, au diocèse de Châlons, consigne que « on n'ose à peine demander à MM. les curés ce qui reste de gens fidèles aux devoirs ». Du comportement masculin dans plusieurs contrées le curé de Raveau (1157 habitants, canton de La Charité-sur-Loire) au diocèse de Nevers, donne, en 1845, un instantané alors fort répandu « Les hommes, soit douze, ont communié en secret de grand matin. Deux seulement ont eu le courage de le faire à la messe ». De telles observations, dont la lecture des Matériaux pour l’histoire religieuse du peuple français offrent de nombreux autres exemples, montre combien sont imprudents ceux des historiens qui usent de la préposition « dès » pour dater le détachement des pratiques (1830, 1848, 1860, 1880...). Cet éloignement ils risquent de le percevoir comme linéaire, ce qui est loin de correspondre à la réalité dans nombre de cas. Nous pensons tout d'abord qu'il faut tordre le cou au mythe de « l'unanimisme paroissial » au début du XIX° siècle si l'on entend par là un attachement collectif à des rites et des pratiques de lřÉglise qu'il convient de mieux distinguer. De fait, il existe des attitudes collectives dans les sociétés d'inter-connaissance mais cela reste largement vrai en 1914. Ce peut être ici « pratiquer comme tout le monde », là « s'abstenir comme tout le monde » en ce qui concerne les hommes. Ceci renvoie à la géographie et, plus profondément, à l'histoire des communautés. En 1914 un homme est un héros s'il fait ses pâques au vu de tous en Narbonnais ou Biterrois ; il est un héros s'il ne les fait pas en Vendée militaire ou en Haute-Lozère. Il convient par ailleurs de distinguer des paliers différents de comportement religieux. Communier est « clérical » dans la mesure où le préalable est de passer au confessionnal. Ce sont les « calotins » qui entendent la messe mais c'est plus facile à admettre, sinon à Romainville (2.160 habitants en 1889) : « Aucun homme du pays ne va à la messe, ce serait une honte pour lui ». Des protestants politiques dénoncent vers le même temps « nos protestants cléricaux » c'est-à-dire ceux qui se rendent au temple le dimanche. Par contre, suivre une procession appartient pour les catholiques à un passé immémorial qui relève non d'un, pouvoir culturel (lřÉglise) mais d'un milieu culturel, la paroisse. En 1914 des hommes, qu'on ne voit pas à IřÉglise et qui votent « mal », suivent toutes les processions, « chose curieuse » note le curé de Minerve (Hérault en 1907) dans une paroisse où aucun homme ne fait ses pâques. Mais ce pourrait être en Sicile, en Corse ou dans lřAriège.

Nul doute d'autre part qu'il n'y ait des fluctuations dans les gestes observables de la pratique régulière. Le président du Conseil Casimir Périer, déclare à un prêtre, en 1831 « Le moment arrive où vous n'aurez plus pour vous qu'un petit nombre de vieillards ». À partir de l'observatoire parisien où il est placé, il constate les effets d'une alliance entre le trône et l'autel, effets qui, là où le peuple n'était pas « blanc », ont été désastreux. Sans doute méconnaît-il l'ancienneté d'un détachement religieux de la population parisienne bien antérieur à 1789. Ce que Lamennais avait bien vu. Bien sûr Casimir Périer ne peut prévoir

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ce qui va se passer après et comment dès 1833-1836, une élite de jeunes étudiants va retourner partiellement la situation à Paris même à l'instigation de Frédéric Ozanam et de ses amis. Élite qui attire à elle de nombreux normaliens lesquels vont donner des vocations... aux jésuites.

D'une mutation en cours, cette notation du curé de Villers-sur-Suize, au diocèse de Langres, en 1840, est révélatrice « La Sainte Communion, que naguère on ne pouvait faire sans s'exposer à la dérision universelle, est maintenant aux yeux de la paroisse, et même des plus mauvais habitants, un titre d'honneur pourvu toutefois que l'on ne le renouvelle pas plus de quatre ou cinq fois par an ». À l'École navale en 1846, la communion pascale concerne 19 % des élèves.

De cette mutation, qui va s'affermir dans ces années 1840, saisit-on des prémisses au début du siècle ?

La religion populaire a défendu le dimanche, les cloches, les rites du christianisme et a mis ainsi en échec la tentative de « révolution culturelle » dont le calendrier encore en usage en France, en 1800, témoigne. La résistance ouverte à la persécution a fait beaucoup de victimes et Ŕ il suffit de penser aux camisards pour le comprendre Ŕ elle a légué aux communautés des souvenirs très vivants en 1914. L'exemple des « confesseurs de la foi » a fait impression. Claude Prudhomme a vu là une des origines de l'extraordinaire fécondité du recrutement missionnaire français du XIX° siècle. La perspective du martyre est redevenue bien présente et, par ailleurs, la déportation de milliers de prêtres a permis à certains de redécouvrir la dimension universelle de l'Église. Chateaubriand dans le Génie du Christianisme (1802) a exalté le pouvoir civilisateur du catholicisme dans le monde. L'enchanteur breton, outre qu'il proposait là une alternative culturelle aux Lumières dont il convient de souligner l'immense retentissement, a complété avec Les Martyrs (1809) l'appel à la mission lointaine.

En Allemagne les cercles de Münster et de Landshut sont les foyers d'un précoce réveil catholique. Le rationalisme était en train de passer de mode au profit du sentiment, voire du mysticisme. L'ami de Chateaubriand, Fontanes, à qui Napoléon va confier le soin d'organiser l'Université, constate que les Idéologues « confondent sans cesse les progrès des sciences avec ceux de la morale. Or rien n'a moins de ressemblance ». Les courants piétistes, les « dissent » (dont les méthodistes) provoquent un réveil dans le monde protestant.

Ces réveils religieux sont facilités par les débuts du romantisme en Grande-Bretagne et en Allemagne tout d'abord. Les romantiques découvrent un sens religieux à la nature. Dans la beauté du monde ils devinent une présence. Donc Dieu n'est pas seulement le Grand horloger, l'homme doit le prier. En 1798, les « lakistes » Wordsworth et le pasteur Coleridge publient les Ballades lyriques. En 1800, Novalis, bien que protestant, livre au public ses Hymnes à la Vierge. L'année précédente, il avait exalté le chevalier chrétien. Poètes et écrivains redécouvrent le Moyen Age et le merveilleux chrétien. « La vraie poésie doit puiser dans le fonds populaire et national » va écrire Herder en 1807. Les romantiques allemands découvrent Jeanne dřArc. On sait le mouvement plus tardif en France et plus encore en Italie. Mais avec Manzoni, Leopardi et Silvio Pellico, dont les Prisons (1832) firent le tour du monde, ces romantiques italiens associent au sentiment national une foi religieuse engagée. On ne saurait

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cependant confondre sans inventaire romantisme et christianisme. Les enfants du siècle pratiquent souvent une lecture sélective des Évangiles. Pour plusieurs d'entre eux Jésus est un héros romantique, le juste mis à mort. Disons qu'ils ont davantage réhabilité le sentiment religieux que l'alliance de Dieu avec les hommes.

« Ce que le clergé ne put faire alors... les femmes le firent ». Le théatin italien Ventura a justement relevé l'importance des initiatives féminines dans la France révolutionnaire « avec un sacerdoce nouveau [...] qui n'en eut pas moins les plus grands et les plus heureux résultats ». On sait qu'il fut suivi de « l'explosion congréganiste ». On sait moins, parce que plus difficile à saisir, que celle-ci ne résume pas l'engagement religieux des femmes dont certaines appartiennent à la haute aristocratie européenne : Sainte-Beuve n'a-t-il pas fait de madame Swetchine, « la sœur cadette de Saint Augustin ». Que n'avait-il connu la princesse Galitzin à Münster au début du siècle. Dans le protestantisme la baronne de Krüdener est l'excellent exemple de l'aristocrate influente jusqu'à faire pleurer le tsar Alexandre et à inquiéter Metternich. En Angleterre, en 1817, Elizabeth Fry, qui a créé les Visiteuses de prison quakers, prend la tête d'un mouvement de réforme des prisons.

On n'oubliera pas encore que les Français ont vu le pape et que les persécutions que Napoléon I

er lui a infligées sont au principe du prestige grandissant qui sera celui de la papauté aux yeux des catholiques ainsi disposés à serrer les rangs autour du siège romain. L'émancipation des juifs, qui concerne principalement la France, mais aussi l'Angleterre et dans une moindre mesure l'Allemagne, ne va pas sans ambiguïté. Elle s'est accompagnée pour certains d'une brillante et rapide promotion sociale. Dès lors l'éloignement vis-à-vis des coutumes communautaires s'est accentué, qu'il s'agisse de l'habitat, des observances, de la fréquentation des synagogues. Les conversions au christianisme représentent l'un des chemins de l'assimilation. En 1817 Benjamin Disraeli est baptisé anglican. Les frères Ratisbonne et les frères Lémann deviendront même prêtres. En Allemagne Frédéric Stahl s'est fait baptiser à l'âge de 27 ans en 1819. Il va faire partie du Consistoire suprême de lřÉglise évangélique de Prusse. En 1871 le président du Reichstag, Edouard Sinison, est, lui aussi, un juif converti.

3. Forces et faiblesses du christianisme en 1914

Quel tableau peut-on présenter du christianisme européen au terme d'un long siècle de combats, de réponses ou de ripostes apportés aux changements culturels ? Pour ce qui est du centre romain il est peu contestable que l'influence spirituelle et le prestige de la papauté en 1914 ne sauraient se comparer à la situation difficile des années 1800. Et ceci malgré la disparition d'un pouvoir temporel qui entravait davantage le rôle spirituel qu'il ne le favorisait vraiment. Il se trouve que depuis 1903 le différend avec le royaume dřItalie est en voie d'apaisement. À la modération du président du Conseil Giolitti correspond l'attitude conciliante du nouveau pape Pie X. Elle se situe dans la continuité, celle du patriarche de Venise qu'était le pape Sarto antérieurement. À partir de 1913 le clérico-modérantisme devient une donnée durable de la vie politique italienne. La

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levée progressive du non-expedit, conjuguée avec l'instauration d'un suffrage masculin quasi universel, révèle la force politique des catholiques qui suivent les impulsions romaines. Elle est sensible à Milan, Padoue et Gênes et même à Bologne, ce haut lieu de l'anticléricalisme italien, avec ses 50 % de mariages civils. Grâce au chemin de fer l'isolement de Rome a cessé, ce qui joue dans le sens de la centralisation. Des évêques du monde entier viennent maintenant en visite ad limina. La Curie est réformée en 1908. Pour autant une réponse a-t-elle été donnée au « vice radical » dont souffrait le gouvernement romain selon le Français Lavigerie en 1863, à savoir « l'excessive italianisation » ? Faut-il voir une amorce d'évolution dans le fait que pour la première fois, la secrétairerie détat ait été confiée, en 1903, à un cardinal non italien, lřEspagnol polyglotte Merry del Val ?

De la dimension universelle de IřÉglise il était, de fait, essentiel de prendre la mesure alors que l'expansion des missions catholiques est un autre signe de force en 1914. Le retard pris par rapport aux missions protestantes a été largement comblé. En 1914 il y a 17.000 missionnaires catholiques (prêtres, religieux et religieuses), et 8.000 protestants seulement. En Afrique les catholiques sont 2.000.000, les protestants 1.500.000. Si la France est de très loin le vivier des missionnaires, il est caractéristique de noter la naissance des Missionnaires de Mill-Hill fondés à Londres en 1866 et celle des Missions Étrangères de Mary-Knoll aux Etats-Unis en 1911. Les Européens n'ont pas encore pris conscience du dynamisme des jeunes Etats-Unis dřAmérique au début du XIX° siècle. Ce dynamisme conquérant concerne aussi la diffusion du christianisme. Le fougueux président de la Fédération universelle des étudiants protestants, John Mott lance, en l900, un appel à the Evangelization of the world in this generation. C'est aux USA que naît en 1906 l'Église pentecôtiste. On doit aussi créditer le monde anglo-saxon de la naissance du scoutisme en 1908, lequel va se révéler être un vecteur très important du lien maintenu entre la jeunesse et les Églises. Au Moyen-Orient les écoles et les collèges des lazaristes, des Frères des Écoles chrétiennes, des Filles de la Charité ou des Sœurs de Notre-Dame de Sion, lřUniversité Saint- joseph, fondée à Beyrouth par les jésuites français, forment une grande partie de l'élite intellectuelle chrétienne, des différentes Églises, et musulmane. En sort le président du Conseil égyptien en 1908 le chrétien copte Boutros Ghali Pacha. Dans la connaissance des langues et cultures africaines, malgaches, asiatiques, océaniennes le rôle de nombreux missionnaires est important. En sens inverse, dans les régions qui donnent beaucoup de missionnaires les horizons culturels sont élargis.

L'extension du catholicisme a été spectaculaire dans le monde anglo-saxon « Jamais lřÉglise romaine, depuis la Réforme, n'avait remporté de plus grande victoire qu'en cette année 1845 », a écrit Gladstone après l'entrée dans la communion romaine de Newman et d'autres Oxfordiens. En 1914, il y a en Grande-Bretagne 2.000.000 de catholiques dont 550.000 Irlandais. Le clergé est dynamique, les ordres religieux nombreux, les fidèles fervents. Le nombre des conversions annuelles est passé de 4.000 par an dans les années 1860 à 7.500 depuis le début du siècle. Quant à l'Irlande, à propos de laquelle il convient de ne pas ignorer les travaux d'Emmet Larkin, elle connaît depuis la seconde moitié du

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siècle une Devotionnal révolution : c'est au début du XX° siècle seulement qu'il est judicieux de parler de la « catholique Irlande »1.

Autre pays où il est indiscutable que la situation du catholicisme est plus favorable qu'au début du XX° siècle : l'Empire allemand. La désorganisation et les tendances centrifuges ont cédé place à une identité culturelle renforcée. Sortis vainqueurs de la crise du Kulturkampf, les catholiques ont fait la démonstration de leur unité. Une contre-culture efficace s'appuie sur l'associationnisme « lotharingien ». Fondé en 1890 le Volkverein für das Katholische Deutschland compte 800.000 membres en 1914. La presse catholique est en plein essor.

Sans doute, le fait minoritaire a-t-il créé des conditions favorables aux catholiques qui ne se rencontrent ni en France ni en Italie sinon, a contrario, pour les protestants. Pour ces deux pays il n'est pas facile de déceler des tendances précises. Il semble qu'en France à partir des indices observables de la pratique religieuse catholique, et que cela résulte de « l'air du temps », d'un maillage paroissial plus dense, d'un clergé se recrutant majoritairement dans le monde rural (paysans et artisans) et privilégiant une démarche pastorale plus attentive aux requêtes de la religion populaire, il semble donc que la pratique pascale ait connu une phase ascendante au moins jusqu'en 1848, souvent jusqu'en 1860 ; qu'il y ait eu recul ensuite sauf dans les « chrétientés » où les exemples de pratique unanime ne sont pas rares en 1914. Il y a une géographie de la pratique le plus souvent stable, elle se retrouve dans la naissance de congrégations religieuses diocésaines comme dans les constructions dřéglises : 238 dans le diocèse de Nantes, 18 dans celui de Chartres. Les évolutions ne sont ni linéaires ni simultanées. L'étude rigoureuse faite par Ralph Gibson pour la Dordogne, ce diocèse de Périgueux qui n'a jamais été fervent, semblerait montrer qu'en 1840 et 1906 la pratique masculine a plutôt augmenté passant de 24 % à 38 %, celle des femmes étant stable autour de 70 %.

L'historiographie de naguère a été très prolixe sur la « déchristianisation » et tout particulièrement celle qui concerne les ouvriers. L'essor des recherches régionales a permis de nuancer un tableau trop influencé par un schéma linéaire et parisien. En 1961 le sociologue François André Isambert (Christianisme et classe ouvrière) a posé la bonne question concernant la pratique des ouvriers : lřÉglise a-t-elle perdu des positions acquises, ou bien, partant du point le plus bas où l'avait placée la Révolution, a-t-elle effectué une restauration remarquable ? En 1914 il est certain que dans certaines villes les ouvriers ont des taux de pratique plus élevés que les bourgeois en d'autres villes : ainsi à Tourcoing, Mulhouse, Belfort, Montbéliard, Saint-Chamond, Saint-Étienne, Annonay, Millau, Mazamet, Decazeville, des villes de l'Ouest... Le monde ouvrier français en 1914 demeure en grande majorité christianisé. Il en va de même en Grande-Bretagne, Allemagne et Italie.

Le christianisme social ne concerne pas la seule question ouvrière mais la prise de conscience initiale est venue des effets du machinisme et de la prolétarisation. C'est dans le catholicisme allemand qu'une perception précoce a été associée à la recherche de réponses concrètes. Franz Josef von Buss a été le premier parlementaire à l'évoquer devant le parlement de Bade en 1837.

1 Emmet Larkin, « The Devotionnal Revolution in Ireland 1850-1875 », The American Historical Review,

LXXVII (1972) 625-652. Nombreux travaux du même auteur depuis cette date cf. Sean DONNOLLYřS, Religion and Society in.Nineteenth Century Ireland, Dundalk, 1985.

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L'intervention de Mgr Ketteler au premier katholikentag de 1848 anticipe la Question sociale (1864) ouvrage dans lequel l'évêque de Mayence ouvre la via rnedia entre libéralisme et socialisme qui sera celle de la doctrine sociale catholique. Lors du vote des lois de mai 1891 par le Reichstag, le rapporteur sur les projets de lois de protection ouvrière est un prêtre député l'abbé Hitze. Le curé de Saint-Joseph de Mulhouse, l'abbé Cetty a multiplié les initiatives qui ont fait de sa paroisse un modèle en matière d'œuvres sociales. En 1914 les syndicats ouvriers confessionnels allemands comptent 350.000 adhérents. C'est considé-rable si l'on compare à la France, mais limité si l'on sait que 800.000 ouvriers appartiennent aux autres syndicats. De même qu'est importante la pratique religieuse de l'ouvrier catholique allemand à Cologne ou Munich si on la compare à la progression rapide du mouvement socialiste dans les villes d'Allemagne protestante et au détachement massif des pratiques qui en résulte, voire même aux « sorties d'Église ». Mais ces taux de pratique ouvrière catholique régulière ne concerne qu'une minorité d'ouvriers.

En Grande-Bretagne la spécificité irlandaise d'une partie de la classe ouvrière d'une part; celle d'un mouvement ouvrier ayant des racines chrétiennes d'autre part, crée des conditions beaucoup plus favorables au maintien des allégeances religieuses. On sait le rôle joué en 1889 dans la grève des dockers de Londres par le cardinal Manning.

En France et en Italie l'industrialisation a été beaucoup plus lente et incomplète, donc le recours aux communautés naturelles (famille, village) a constitué un palliatif aux aléas de l'existence populaire durant des décennies. C'est toujours une réalité régionale en 1914. Cette industrialisation « doucereuse » (Michelle Perrot) fait que 95 % des établissements « industriels »

occupent moins de cinq personnes ; que la classe ouvrière « n'en finit pas d'émerger » (Yves Lequin). Par ailleurs au sein des catholiques sociaux une rivalité oppose des laïcs qui prônent le plus souvent un catholicisme social hiérarchique, et des prêtres et religieux qui, tout en subordonnant les œuvres ouvrières à une direction cléricale, sont parfois plus ouverts à un catholicisme social démocratique. Quoi qu'il en soit, le « rempart des œuvres » (lesquelles sont aussi protestantes) a colmaté certaines brèches et freiné, sans pouvoir lřarrêter, la progression dřun socialisme marxiste qui se présente comme une nouvelle espérance là où la conscience de classe est une réalité, ce qui ne concerne pas l'ensemble du monde ouvrier.

Le catholicisme social concerne aussi le monde rural. Et sur ce plan, en Allemagne, en France et en Italie, l'essor d'un réseau plus ou moins dense de coopératives, banques et caisses rurales a été parfois très important : on pense ici à l'action de l'abbé Cerutti en Vénétie.

Cependant, et c'est là un handicap, l'intervention romaine sur ces questions ne s'est produite qu'en 1891 avec Rerum novarum, une date tardive qui n'est pas sans s'expliquer par le contexte italien. Le bilan social est donc en demi-teinte. Le christianisme présente des signes de force nettement plus affirmés en ce qui concerne les femmes et la jeunesse. Au XX° siècle le rôle des femmes dans les Églises a toujours été sensiblement plus grand que celui qui leur était reconnu dans la société civile. Si des femmes exercent alors une influence hors du cadre familial (des trois K chers à Bismark : Küche, Kinder, Kirche) c'est le plus souvent par le relais des œuvres religieuses, en particulier scolaires et charitables. Pour ce

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qui est des religieuses, la France qui en compte 135.000 devance nettement lřItalie, 40.000. Ces « permanentes », en Europe comme en mission, représentent une force qui est moins grande dans le protestantisme (13.000 diaconesses en Allemagne en 1914). Parmi ces femmes une élite peut agir sur un théâtre à la mesure de ses talents. On pense aux fondatrices de congrégations, aux dirigeantes des puissantes ligues qui se constituent au tournant du siècle. C'est de la Fédération des femmes catholiques allemandes que sortiront les trois premières femmes députés en 1919. Pour retenir deux noms propres : Armida Barelli la fondatrice de la jeunesse catholique féminine italienne (1908) et Madeleine Daniélou, agrégée des lettres, qui fonde en 1913 le collège Sainte-Marie de Neuilly.

Le problème permanent pour les rapports des Églises et de la jeunesse c'est celui de la persévérance au-delà de la formation initiale qui s'achève avec la Première communion. Les « prêtres de la génération Léon XIII » (Yvon Tranvouez) font des œuvres de jeunesse paroissiales (oratoires en Italie, patronages en France) le vivier d'où pourra se dégager une élite devenant le fer de lance du « mouvement catholique ». Ainsi donnent-ils une réponse à la laïcisation complète (France) ou partielle (Italie, Grande-Bretagne) de l'école élémentaire, et c'est le développement du patronage des écoliers, le réseau d'écoles confessionnelles étant parallèlement maintenu. Ils s'attachent aussi, avec plus ou moins de succès, à maintenir les plus grands dans l'orbite de la paroisse. Le but d'attendre « le grand nombre », est parfois atteint en France en 1914. Dès 1905 Edouard Petit, le Secrétaire-général de la ligue de l'enseignement déclare « qu'il craint plus dix patronages que cent écoles ». La méthode a consisté à perfectionner le « Ici on joue et on prie » initial, exprimé dès 1799 à Marseille par l'abbé Allemand. La panoplie ludique s'est élargie : musique, théâtre et, à partir de la fin du XX° siècle, sports. La modernité sous la forme du ballon rond est greffée sur le tronc des œuvres de jeunesse « Ce fut une incontestable réussite de masse », a écrit celui à qui nous devons une étude très neuve sur religion et technologie, La bénédiction de Prométhée (1999) Michel Lagrée, à propos de la Fédération Gymnastique et sportive des patronages de France qui compte 200.000 adhérents et 1.250 sociétés affiliées en 1914. Œuvres de préservation ou de conquête, ghetto ou vivier ? C'est selon. Il est clair que le « Bossuet des gosses », le salésien Julien Dhuit, qui dirigeait le Patronage Saint-Pierre de Ménilmontant, à Belleville, œuvreait pour la conquête, tout comme, sur un terrain aussi ingrat, dans la ville de Paul Bert, Auxerre, l'abbé Deschamps. Dans le protestantisme, c'est à Londres, en 1844, qu'un employé de commerce George Williams a donné naissance à la première organisation de jeunesse à caractère international, les Young Men's christian association, en français Unions chrétiennes de jeunes gens (et de jeunes fines). Elle est née sous la forme de cercles bibliques mais le succès quřelle rencontre en 1914 doit beaucoup à l'introduction des sports, du basket-ball en particulier. L'invention des armes à feu et de l'imprimerie avait dévalorisé les aptitudes corporelles (et manuelles) à partir du XVI° siècle. Une interprétation rigoriste du christianisme par les deux réformes consacra le fait et l'enseignement en porte la marque au XX° siècle. Le développement des activités physiques dans les patronages Ŕ elles précèdent le scoutisme Ŕ est l'amorce d'une réconciliation entre le christianisme et le corps humain et constitue ainsi une réponse à Nietszche, lui qui accusait ce christianisme de déviriliser l'homme. Ajoutons que les stades peuvent être le lieu de la revanche des humiliés. Dans ce registre chacun des matches remportés par

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le Celtic de Glasgow était porté au crédit des papistes irlandais en Écosse. Et n'oublions pas que la fête religieuse comme les concours sportifs veulent répondre partiellement aux aspirations hédonistes de la « Belle Époque ».

À un Grégoire XVI très hostile aux « Chemins d'enfer » s'oppose Pie IX et les nombreux évêques conviés à célébrer les mirabilia de la technique moderne lors de l'inauguration des gares. On portera au crédit du très intransigeant fondateur des assomptionnistes, le père d'Alzon, d'avoir mis au service de l'évangélisation le rail et les rotatives. Le premier pèlerinage national de Lourdes a lieu en 1873. Trois années plus tard paraît Le Pèlerin qui précède La Croix et ses succédanés régionaux.

Si les projectionnistes ouvrent la carrière du cinéma paroissial, on sait moins peut-être le rôle qu'a joué la bicyclette dans la multiplication des groupes ruraux d'une association d'étudiants l'ACJF (Association catholique de la jeunesse française) née en 1886, et qui, avec ses 140.000 membres en 1914, est la plus importante des organisations de jeunesse en France.

En 1914 et ceci est vrai, entre autres pour les quatre pays étudiés, les organisations de jeunesse chrétiennes ont des méthodes de formation que la jeunesse organisée des villages et le réseau ancien des confréries ne connaissaient pas. Ce qui explique leur succès.

Toujours dans le domaine technique, appliqué cette fois à l'enseignement, on mentionnera le rôle pilote joué par les Frères des Écoles chrétiennes, enseignement agricole compris, et par les salésiens de Don Bosco. Et l'on n'oubliera pas le puissant réseau mis en place par l'abbé Kölping le Gesellenverein pour les apprentis.

La diffusion des objets de piété est l'une des facettes de la culture de masse à laquelle le catholicisme est loin d'être resté étranger. La Sainterie de Vendœuvre-sur-Barse en constitue un bon exemple mais peut-être aussi, dans le domaine de la vie mystique, l'étonnant succès de l'Histoire d'une âme (1898) de la carmélite Thérèse Martin : sa « petite voie » n'est pas réservée à une élite dans les cloîtres. Qu'il s'agisse de Léon Bloy (La Femme pauvre, 1897) ou de Dom Chautard (L'âme de tout apostolat, 1913), les appels à la sainteté et à un apostolat qui ne soit pas simple agitation, sont des réponses opposées à la violence d'un anticléricalisme qui ne peut s'expliquer que par Iřexistence d'une force antagoniste perçue comme étant redoutable.

Au défi intellectuel que constituait l'affrontement de la science et de la foi depuis la dérive scientiste une réponse a-t-elle été apportée ou seulement des ripostes opposées ?

Dans ce domaine comme pour la question sociale ce qui domine c'est la recherche difficile d'une troisième voie entre les excès de rationalisme (la raison est auto-suffisante) et le dénigrement excessif de la raison, autrement dit la fuite dans le fidéisme et les dévotions émotionnelles. La question est à double entrée : rapport entre les sciences profanes et la foi d'une part; degré d'intégration des méthodes critiques dans les sciences religieuses d'autre part.

Entre les sciences profanes et la foi la détente est nettement perceptible en 1914 en raison de la crise du scientisme. La science qui chez certains était affirmative (on pense à Marcellin Berthelot « Le monde est aujourd'hui sans mystère », 1885) devient problématique. Philosophes des sciences et

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scientifiques eux-mêmes limitent l'apport de leurs méthodes à leur objet : Henri Poincaré, Science et méthode (1909). N'est-il pas symbolique de voir, en 1907, succéder à Berthelot, comme secrétaire-perpétuel de lřAcadémie des Sciences, le polytechnicien, géologue et professeur à lřInstitut catholique de Paris Albert de Lapparent ? Côté Église, le cardinal archevêque de Pise, Pietro Maffi, spécialisé dans l'astronomie amorce même la réhabilitation de Galilée puisque « L'intention du Saint-Esprit est de nous enseigner comment on va au ciel et non pas comment va le ciel ».

Le fondateur de La Critica (1903), Benedetto Croce, reproche au positivisme de « laisser insatisfait le besoin religieux de l'homme ». Or ce besoin resurgit avec force au sein de l'intelligentsia. Dès 1889 Romain Rolland parle, à propos des élèves de lřÉcole normale supérieure d'un « mysticisme diffus et sauvage » et l'année suivante, Lavisse, d'une jeunesse qui a « la nostalgie du divin ». Dès lors pour elle, avec l'ésotérisme, le spiritisme, le satanisme, le bouddhisme, l'alcool et la drogue, l'une des voies possibles est la conversion au catholicisme, bien étudiée par Frédéric Gugelot, mais aussi au protestantisme. Que lřÉglise romaine apparaisse comme une citadelle assiégée est un stimulant supplémentaire pour ceux qui font de la religion une affaire de choix personnel. À la rue d'Ulm en 1911, le tiers des élèves sont des catholiques pratiquants, soit neuf ou dix fois plus qu'en 1890. La Fédé (étudiants protestants) a triplé le nombre de ses membres en moins de dix années.

On remarquera la date (1911) avant d'évoquer la crise moderniste. Il est très important de parler des modernismes. L'historiographie n'est pas exempte à ce sujet d'amalgames : Battifol, Lagrange, Duchesne, Blondel, Bremond, tous plus ou moins inquiétés après l'encyclique Pascendi (1907) ne sauraient cependant être confondus avec… l'abbé Loisy, Turmels et quelques autres. Leurs réactions en témoignent. La crise a concerné une élite de clercs très restreinte. Une quarantaine de refus seulement furent opposés au serment anti-moderniste. Il y eut peu d'échos en Angleterre, en Belgique ou en Allemagne. Sont concernées avant tout la France et IřItalie. « Sans s'expliquer clairement sur rien, le modernisme met tout en suspicion » a écrit l'abbé Huvelin, cet ancien normalien et agrégé d'histoire, en relation avec plusieurs des chercheurs inquiétés. Et c'était bien là le problème.

Il est incontestable que la recherche exégétique et biblique fut freinée et que, comme lors de la condamnation de Lamennais, les adversaires n'eurent pas le triomphe modeste. De là une réaction perceptible avant même la mort de Pie X, dans la revue Études de janvier 1914. Toutefois, et comme au temps de Lamennais, il y eut peu de défections. C'est vrai aussi pour la condamnation du Sillon à laquelle les militants de cet accord exclusif, voulu entre le catholicisme et la démocratie, se soumirent. Une grande fécondité spirituelle en sera le résultat cependant que, d'une part, une formation politique prenait naissance, indépendante de lřÉglise, et que, d'autre part, un Sillon catholique fut fondé auquel adhéra Georges Guérin le futur fondateur de la JOC française.

Le renouveau spiritualiste parmi les intellectuels ne fut donc pas enrayé, bien au contraire. F. Gugelot a montré que le pic des conversions au catholicisme se situe entre 1905 et 1915, 69 contre 13, durant la décennie précédente, ce qui est tout aussi vrai en Grande-Bretagne. Que l'on se tourne vers l'École normale supérieure, Polytechnique et les autres écoles d'ingénieurs ou vers les médecins

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sans oublier les officiers : à lřÉcole navale en 1914 le conformisme joue maintenant dans le sens de la pratique ; que l'on porte son regard hors de France, vers l'Allemagne par exemple où la revue Hochland, fondée en 1903 par Karl Muth va réhabiliter la pensée catholique aux yeux des protestants ; on ne voit guère que l'intransigeance catholique ait provoqué plus de dégâts que le libéralisme au sein des grandes Églises protestantes ? On ne soulignera jamais assez combien seule l'histoire comparée des confessions religieuses est un stimulant pour la recherche. Le pasteur Eugène Réveillaux, en 1883, accusait les pasteurs libéraux de faire « le vide dans leurs temples » (revue Le Signal). N'oublions jamais qu'il y a des protestantismes et que ce sont les courants orthodoxes ou évangéliques, ou dissidents qui ont le vent en poupe en 1914. On sait que les réactions face à la Séparation des Églises et de lřÉtat en France ne furent pas les mêmes. Mais a-t-on prêté attention au fait suivant : les ordinations de prêtres catholiques chutèrent de 1.500 en 1904 à 800 en 1913. Or, dans le même temps, le nombre des étudiants en théologie protestante diminua de moitié.

Sans doute est-il toujours difficile à la pensée chrétienne d'entrer en dialogue avec une culture sécularisée sans risquer de perdre son identité. La stratégie catholique de résistance a rencontré, il est vrai, un « air du temps » intellectuellement plus favorable dans le monde de la pensée au début du XX° siècle. Par ailleurs, elle a entretenu cette sub-culture aux assises consolidées qui fait préférer le Grussgot (Dieu nous bénisse) au Gutentag dans la langue du peuple outre-Rhin.

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DES FILS D’ISRAEL AUX PREMIERS CHRETIENS

par Véronique GRANDPIERRE,

docteur en assyriologie

L'approche ici est historienne. Il ne sřagit pas de faire de la théologie ou de lřexégèse. Il faut garder à lřesprit quřune absence de sources ne démontre pas la non-réalité dřun fait, de même, une source unique ne garantie pas lřexistence de celui-ci. Il ne sřagit donc pas dřaffirmer des certitudes mais plutôt de poser des questions et dřapporter différentes hypothèses pour tenter dřy répondre. La réflexion chronologique s'ordonnera autour de trois points: les sources, la reconstitution historique, les évolutions religieuses en gardant à l'esprit que des évolutions sont nombreuses et parallèles sans déterminisme ou relations de cause à effet.

I - QUELLES SOURCES POUR QUELLE HISTOIRE ?

Le mot « bible » vient du nom dřun port phénicien de la côte méditerranéenne, Byblos, où lřon traitait le papyrus. « Papyrus » se dit en grec, biblos ; ta biblia signifie les livres. La Bible est ainsi composée de plusieurs livres : Genèse, etc…

Les premiers dřentre eux se présentent comme une Histoire narrative des Fils d'Israël. Mais leur mise par écrit, précédée dřune longue transmission orale, est très tardive par rapport aux événements rapportés. Un même livre peut même intégrer des traditions d'origines diverses. Lřexemple du mythe de la création de lřhomme en est une illustration parmi dřautres. Ce mythe apparaît à deux reprises à quelques versets dřintervalle et avec quelques variantes dans le livre de la Genèse : en Gn 1, 26-31, lřhomme et la femme sont créés en même temps après la création des animaux et Gn 2, 4-25, lřhomme est créé, puis les animaux et enfin la femme. Lřanalyse philologique permet de dater Gn 2 (création en 2 temps) sans doute du IXème s av. J. C. et Gn 1 (création de lřhomme et de

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la femme simultanément) du retour de lřexil à Babylone cřest-à-dire à partir du VIème siècle av.J.C. Lřordre de présentation de la Genèse est donc chronologique-ment inverse de celui de la rédaction. Ce mythe reprend une tradition plus ancienne. Des récits de création de lřhomme existent dès lřépoque sumérienne au Proche-Orient. Leurs versions babyloniennes sont cependant les plus connues. L’Inuma ilû awîlum appelé également Poème d’Atra-Hasîs, a été mis par écrit au XVIIème siècle av.J.C. Lřhomme y est créé par le dieu de la sagesse pour éviter aux dieux de travailler. Ce thème est repris dans L’Enuma elish mis par écrit à la fin du XIIème siècle av.J.C. où le rôle tenu précédemment par le dieu de la sagesse est remplacé par Marduk, dieu tutélaire de la ville de Babylone alors prépondérante. Dans tous les cas, poèmes mésopotamiens ou Bible, lřhomme est formé dřargile ; la parole recèle en elle un pouvoir fondateur. Cřest pourquoi dans ces civilisations, le nom de la divinité est rarement prononcé. Celle-ci est désignée par des épithètes comme « Bêl » chez les Babyloniens ou « Adonaï » dans la Bible qui signifient « Seigneur » ; ce que lřon retrouve plus tard chez les chrétiens. La Bible est donc une composition dont la structure a été pensée et mise en forme a posteriori. Les faits ne sont pas présentés tels qu'ils se sont déroulés mais plutôt en ce qu'ils signifient pour l'histoire du peuple d'Israël.

Avant le Ier millénaire av.J.C., lřhistoire de celui-ci est très difficile à replacer dans lřhistoire générale du Proche-Orient. Il sřagit de migrations, or les nomades laissent peu de traces. Les personnages, Abraham, Moïse, etc. ne sont mentionnés que dans la Bible. La recherche actuelle doute même de leur existence. Au contraire, au Ier millénaire av.J.C., les sources se diversifient et se multiplient. Les tablettes assyriennes et babyloniennes font référence aux royaumes d'Israël et de Juda avec parfois le nom de leurs rois. De même, des rois néo-assyriens (Sennacherib, Assarhadon) et néo-babyloniens (Nabuchodonosor) sont mentionnés dans la Bible. En revanche, une chose est étonnante le nom des pharaons nřy apparaît que rarement.

II. Les faits peuvent-ils être reconstitués ?

Les migrations décrites dans les premiers livres bibliques ont souvent été comparées aux grands mouvements de populations de la fin du IIIe millénaire av.J.C. Dans la Genèse, Abraham et sa famille, installés à Ur en Basse-Mésopotamie, migrent vers le nord à Harrân ; de là ils se dirigent en Canaan, entre Jourdain et Méditerranée. Le mode de vie des patriarches ressemble à celui des nomades étudié grâce aux tablettes du XVIIIème siècle av.J.C. trouvées à Mari, en Syrie. Le déplacement a peut être eu lieu à cette époque. Cependant, les modes de vie des nomades varient peu sur la longue durée et ne permettent pas une datation précise. Aujourd'hui, l'existence même de ces grandes migrations est mise en doute. Le mot Ŗhébreuŗ est parfois rattaché au mot habiru qui désigne les migrants sans aucune connotation ethnique. Les rédacteurs de la Bible auraient-ils eu une autre raison de les faire partir dřUr ? Le retour de lřexil à Babylone reprend ainsi le même chemin que celui effectué par Abraham. Ce à quoi sřajoute éventuellement une volonté de légitimation a posteriori d'un peuple étranger à la terre sur laquelle il s'installe, une opposition divin / chtonien dřune revendication territoriale qui se retrouve ailleurs, en Grèce par exemple.

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D'après les textes bibliques, les descendants d'Abraham (Joseph puis son père Jacob) migrent ensuite en Égypte à la suite d'une famine. Certains historiens ont proposé de lier les déplacements des Patriarches à celui des Hyksos, peuple venu d'Asie et installé en Égypte à lřextrême fin du XVIIème et surtout au début du XVIème siècle av.J.C. Plus tard, Moïse les fait sortir d'Égypte. Ici se situe le célèbre épisode du passage de la Mer Rouge. Cependant, les sources égyptiennes ne font pas mention de cet exode et le nom du pharaon englouti par les eaux au cours de la poursuite des Hébreux reste inconnu y compris dans les textes bibliques. Plusieurs hypothèses ont été envisagées. La traversée nřaurait pas eu lieu par la mer Rouge, mais à proximité du delta du Nil (une erreur de traduction serait à l'origine de cette confusion). Le reflux des eaux aurait alors été provoqué par le raz-de-marée dû à l'éruption du volcan de Santorin en 1628 av.J.C. Dans ce cas, lřinstallation en Egypte, pour des raisons de chronologie, ne peut être rattachée au mouvement des Hyksos. Une autre hypothèse a été avancée : au début de l'Exode, le peuple d'Israël est présenté comme soumis aux grands travaux pharaoniques liés à lřédification de deux villes situées dans le delta du Nil, Pi-tom et Pi-Ramsès. Celles-ci ont été construites pendant le règne de Ramsès II (1290-1224). Cependant aucun des pharaons de la XIXe dynastie à laquelle appartient Ramsès II, nřa disparu dans les flots comme le mentionne la Bible. Leurs momies ont toutes été retrouvées. L'ouverture des eaux pourrait alors être une figure de style destinée à exalter la puissance divine qui fait triompher le peuple d'Israël.

Ainsi la fameuse carte présente dans les manuels peut avoir un sens historique discutable mais il ne faut ne pas oublier sa forte signification religieuse

Les Hébreux errent ensuite quarante ans dans le désert avant d'atteindre Jéricho. Pourquoi tant de temps et pourquoi passer par la Transjordanie ? L'explication est donnée par la Bible elle-même, une punition divine provoquée par lřadoration du veau dřor. S'y ajoute le fait quřau Proche-Orient, tourner plusieurs fois autour dřun lieu permet d'en affirmer la sainteté. Lřarrivée en Terre Sainte pose aussi certains problèmes : la Bible tait la présence égyptienne. Pourtant les stèles à lřeffigie des pharaons sont matériellement visibles ; des liens existent entre les deux peuples : des lettres du roi de Jérusalem adressées plus tard au pharaon ont été trouvées dans la ville égyptienne de El Amarna.

Puis selon les textes bibliques, les tribus sřinstallent progressivement. Une organisation commune se met en place face à la nécessité de se défendre face aux attaques extérieures, sans doute plus une multiplication de coups de main dans le cadre dřune lutte entre nomades et sédentaires que de vastes opérations militaires. La présentation postérieure des événements tend à faire ressortir le caractère unanime des décisions. La première mention du peuple d'Israël en dehors d'un contexte biblique, date de cette époque : aux environs de 1219 av.J.C., le pharaon Merneptah, fils de Ramsès II, se glorifie d'avoir remporté de nombreuses victoires sur différents peuples d'Asie, dont celui dřIsraël.

A partir du Ier millénaire av.J.C., les sources d'origines diverses se multiplient. Elles peuvent être confrontées, mais cela nřexclue pas lřexistence de controverses parmi les historiens. Pour la majorité dřentre eux, travaillant à partir de lřétude des textes, l'unification du peuple d'Israël et la mise en place de la monarchie sont présentées comme une réponse à une situation de luttes

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incessantes dues à lřarrivée au XIIème s. av. J. C., des Peuples de la Mer parmi lesquels se trouvent les Philistins. Le royaume dřIsraël est dirigé successivement par trois rois : Saül (env.1030-1010) qui mène une politique essentiellement défensive ; David (env. 1010-970) qui repousse les Philistins jusquřà la côte et les Araméens vers l'est ; enfin Salomon (env. 970-931) à la tête dřun vaste royaume dont les limites géographiques données par la Bible doivent cependant être prises avec précaution : elles correspondent en effet à la future province perse de Transeuphratène gouvernée par Esdras pour le compte de l'empereur Artaxerxès plusieurs siècles plus tard. A la mort de Salomon, des troubles entraînent la division du royaume entre Israël au nord et Juda au sud. A lřest une nouvelle puissance apparaît, lřempire néo-assyrien. Samarie est prise en 722 av.J.C. Cřest la fin du royaume dřIsraël. Le culte se concentre alors à Jérusalem, capitale du royaume de Juda.

Israël Finkelstein dans son livre paru en 1998, La bible dévoilée, remet en cause ces hypothèses. A partir de lřétude de la céramique, il propose dřadopter une chronologie basse, cřest à dire quřil place les mêmes événements environ un siècle plus tard que les dates communément établies sur la base des études littéraires. En outre, selon lui, il nřy aurait jamais eu de royaume unique, mais deux royaumes dès le départ : un petit au sud gouverné par David, un beaucoup plus puissant au nord. Les conquêtes évoquées ne seraient pas celles de David, mais celles effectuées beaucoup plus tard par le roi de Juda, Josias (640-609), à partir de Jérusalem, à lřépoque où le royaume du nord est déjà aux mains des Néo-assyriens.

Quoiquřil en soit, au VIIème siècle av.J.C. les Néo-Babyloniens renversent les Néo-Assyriens. Nabuchodonosor II prend Jérusalem en 587 av. J.C. et met fin au royaume de Juda. Le Temple est détruit. Sřouvre alors la période d'exil, opération par ailleurs courante à lřépoque quelque soit le vainqueur. Une partie de la population part à Babylone, une autre reste sur place, une dernière migre en Egypte. Il faut alors souder ces communautés : la vie quotidienne se ritualise : sabbat, fête…, les premiers livres de la Bible sont mis en forme, dřoù une influence babylonienne que lřon retrouve dans certains passages : loi, mythes (le mythe de la création était lu publiquement lors de la fête du Nouvel An à Babylone)….

50 ans plus tard, Cyrus (roi des Perses, qui a conquis toute la Babylonie et la Lydie). permet aux exilés de rentrer chez eux, de reconstruire leur Temple (= « Second Temple », nommé ainsi pour le différencier du premier édifié par Salomon) et ordonne la restitution du mobilier emporté par Nabuchodonosor. Il rend ainsi à Jérusalem son rôle de capitale religieuse du peuple d'Israël. C'est pourquoi les rédacteurs de la Bible le présente comme un libérateur. Concrètement, seule une partie des exilés rentre. Le prêtre Esdras est envoyé pour désigner les magistrats destinés à faire respecter la loi de Yahwé et la loi du Roi, notamment lřinterdiction du mariage mixte. Actuellement cřest en lui que la recherche historique reconnaît le personnage de Moïse. Politiquement il y a la fois autonomie interne et sujétion au pouvoir royal perse avec paiement de tribut; réciproquement le roi Perse est à la fois le protecteur et le garant de la loi locale avec une reconnaissance officielle de cette religion.

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III. L’apparition de monothéismes

L'évolution religieuse de ce peuple va de pair avec la construction de son identité, à partir d'un terreau culturel commun à l'ensemble du Proche-Orient ancien. Les Mésopotamiens sont polythéistes cependant, le dieu tutélaire d'une ville, a parfois en raison de la position force de celle-ci, la prééminence sur les autres dieux (Marduk à Babylone par exemple).

Apparaît dřabord la monolâtrie c'est-à-dire lřaffirmation de l'existence d'un seul dieu pour tel ou tel peuple , Kamosh pour le royaume de Moab, Yahvé pour les Fils dřIsraël… Chez ces derniers, cette monolâtrie n'est pas suivie par tous immédiatement, l'épisode du Veau d'Or en témoigne. Elle nřexclue pas la présence dřautres cultes sur le territoire. Les mariages avec les filles des rois voisins (la femme de Salomon est égyptienne, celle dřAchab est sidonienne) favorisent le développement de différents cultes : Jézébel introduit à la cour dřAchab le culte de Ba'al, au grand dam du prophète Elie !

Puis, viennent la disparition du Royaume d'Israël en 720 av.J.C., la chute du Royaume de Juda en 587 av.J.C., la destruction du Temple et l'Exil. Ces événements provoquent le développement d'une réflexion sur la foi et sur le monothéisme. Elle permet de montrer que Yahvé n'a besoin ni d'un pays, ni d'un Temple, ni d'une institution politique. Il est à la fois unique, universel et inséparable de l'Alliance avec son peuple.

Parallèlement, aux VII-VIèmes siècles av.J.C. apparaît une critique des panthéons, en Grèce par les philosophes présocratiques, à Babylone même, par le roi Nabonide qui affirme la supériorité du dieu Sîn sur tous les autres y compris Marduk, le dieu de la ville. En Perse se développe le mazdéisme, religion dualiste dans laquelle Ahura Mazda, détenteur des forces du bien, triomphe du mal. A lřorigine de cette religion, pratiquée aujourd'hui encore en Iran et en Inde, se trouve un homme, Zoroastre, qui aurait vécu vers 1000 av. J.C. Elle repose sur un texte sacré, l'Avesta, le « Fondement ». Le monde des morts n'y est plus la contrée désolée, souterraine et obscure que lřon trouve dans les textes babyloniens ou dans lřOdyssée; au contraire, l'âme des hommes pieux, immortelle, monte au ciel et trouve le repos auprès de la divinité.

Or, à la suite de lřédit de Cyrus, en 538 av. J.C., puis des conquêtes dřAlexandre le Grand, la diaspora s'accentue. Les anciens déportés du royaume de Juda ne rentrent pas tous ; certains restent en Babylonie. Par ailleurs, sous les rois hellénistiques, des habitants de Judée migrent vers l'Égypte, lřAsie mineure et le monde grec. La deuxième grande communauté juive après celle de Judée est celle dřAlexandrie. Cřest là quřau IIIème siècle av.J.C., la langue hébraïque étant de moins en moins utilisée au sein même de la communauté, la Bible est traduite pour la première fois en langue étrangère, en grec, par des savants juifs : cřest la « Septante ».

A l'intérieur même du judaïsme, de nombreux courants apparaissent. Au IIème siècle av.J.C., une révolte dirigée par Juda Macchabée éclate en Judée. Celle-ci a longtemps été présentée comme une réponse à lřhellénisation forcée menée par le roi séleucide Antiochos IV. En fait il semblerait que l'origine de ces troubles se trouve dans une lutte interne à la communauté juive, entre traditionalistes et partisans d'un judaïsme hellénisé. Antiochos IV décide de

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stopper le conflit en supprimant son objet : il interdit alors toutes les pratiques religieuses juives ; mais loin de calmer l'agitation, cette mesure renforce la vigueur du judaïsme traditionnel.

Avec Rome, les relations sont bonnes. Jules César, qui a besoin des Juifs dans sa politique orientale, les dispense de comparaître en procès le jour du sabbat et les exempte de lřarmée. Paradoxalement, ces relations favorisent aussi l'émergence du messianisme. Le nouveau roi de Judée, Hérode, converti au judaïsme, agrandit le Temple. Il reste aujourdřhui de ces travaux le célèbre Mur des Lamentations. Cependant, Hérode est polygame, nommé par Rome et attaché à l'hellénisme, il ne peut incarner le nationalisme juif. Apparaît alors, à l'intérieur du judaïsme, une réflexion autour d'une royauté attendue ailleurs qu'ici-bas.

Dans ce contexte, apparaît, à partir du judaïsme hellénistique, le christianisme. Là encore les sources doivent être maniées avec précaution. A part quelques rares mentions extérieures (Flavius Josèphe, Tacite…), tous les renseignements concernant la vie et lřenseignement de Jésus sont donnés par les quatre évangélistes : Matthieu, Marc, Luc, Jean . Ces derniers sont postérieurs d'une génération au minimum parfois beaucoup plus (Luc). En outre, « Evangile » signifie en grec « bonne nouvelle ». Les Evangiles ne visent pas à relater une vie de Jésus, mais à le reconnaître et faire reconnaître comme Christ.

Les Evangiles présentent Jésus « de Nazareth » comme « galiléen », tout en insistant sur son rattachement à la lignée davidique et sur sa naissance à Bethléem. Aujourdřhui les débats portent sur le sens à donner au qualificatif nazarénien («de Nazareth ») ou nazoréen («l'observant » ) appliqué à Jésus. En effet, la Galilée est alors une zone de contacts où se mêlent Juifs, Grecs et Phéniciens. Loin du Temple de Jérusalem et du pouvoir romain cřest une région propice aux révoltes. Les évangélistes de démarquent Jésus des agitateurs potentiels en insistant sur la soumission de sa famille à un improbable recensement qui mène ses parents à Jérusalem au moment de sa naissance et sur lřacceptation du paiement de l'impôt.

Autre temps fort qui soulève également beaucoup de questions : la condamnation et la mort de Jésus car là encore on ne dispose que des sources bibliques. Les accusations sont dřaprès les évangélistes dřordre religieux et émanent soit du Sanhédrin, soit des grands prêtres. Un délit religieux entraîne, selon sa gravité, soit la flagellation, soit, en cas de faute exceptionnellement grave, une lapidation immédiate, mais sans recours à l'autorité romaine. Or Jésus est condamné à la crucifixion par une autorité militaire (Pilate). Il ne peut sřagir alors que de raisons politiques: crainte d'une agitation découlant éventuellement de prétentions à la royauté, dřoù le panneau « roi des Juifs ». Pour les Romains cette inscription ne signifie pas le messie mais le prétendant à la royauté. Dans ce cas la flagellation fait partie intégrante de lřexécution même si les évangiles la placent avant. Cependant quand il y a crucifixion chez les Romains il nřy a pas de sépulture… Les évangélistes réfutent ces accusations politiques en insistant à la fois sur l'absence totale de résistance de la part de Jésus et sur le caractère patent de ses activités.

La mise à mort et la résurrection de celui-ci ont lieu au moment de la Pâque juive cřest pourquoi on parle chez les chrétiens des Pâques. La Pâque juive est la fête de Pessah. Elle se déroule le 14 nisan, cřest-à-dire au cours du

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1er mois de lřannée. Elle commémore le « passage », la sortie dřEgypte par les Hébreux. Est alors partagé un repas dont chaque aliment renvoie à cet épisode : lřagneau pascal (le fait que lors de la 10ème plaie dřEgypte, lřange exterminateur a tué les 1er nés égyptiens et épargné ceux des Hébreux en passant au-dessus des maisons marquées le sang dřun agneau) , le pain sans levain (la fuite), les herbes amères (lřesclavage), les noix et les fruits (le mortier nécessaire à la construction des deux villes situées dans le delta du Nil, Pi-tom et Pi-Ramsès). Les Pâques chrétiennes y ajoute la signification dřun ensemble de jours : le jeudi saint (la Cène), le vendredi saint (mort et mise au tombeau), la nuit du samedi au dimanche (la résurrection). Le « passage » devient alors celui de la mort à la vie.

Cependant, lřévénement fondateur de la première génération chrétienne est la Pentecôte et non la crucifixion. « 50 » jours après la Pâque juive, cette fête des Moissons symbolise aussi la révélation de lřAlliance au Sinaï par la remise des Tables de la Loi. Les milieux juifs hellénisés y sont extrêmement sensibles en particulier à Qumran . Chez les chrétiens, selon les Actes des Apôtres, les 11 apôtres restants (Juda sřest pendu) sont réunis lorsquřun bruit « comme un coup de vent » remplit la maison, des « langues de feu » se posèrent sur eux et tous furent remplis de lřEsprit Saint et se mirent à parler en langues diverses. Cette venue de lřesprit de Dieu comme des « langues de feu » symbolise une Nouvelle Alliance qui sřinscrit dans le contexte multiculturel de lřempire romain. Le don des langues en parallèle avec le passage de lřAncien Testament renvoyant à la Tour de Babel), permet lřextension de la mission apostolique.

Le christianisme (monothéisme trinitaire), est d'abord perçu par les Romains comme une secte juive parmi d'autres. Les premières communautés judéo-chrétiennes mêlent d'ailleurs symboles juifs (chandelier) et chrétiens (croix). Le constat de départ est identique : le pays vit dans lřimpureté ; les moyens traditionnels de salut (appartenance à la descendance dřAbraham ; les sacrifices dřexpiation réalisés au Temple) ne suffisent plus. Il faut alors se purifier cřest le sens du baptême. Les chrétiens se considèrent comme des Juifs qui choisissent de suivre un courant particulier, sans se dégager des observances traditionnelles. Le problème ne se pose quřà partir de la conversion de non-Juifs : faut-il exiger des nouveaux convertis qu'ils adoptent la circoncision et les interdits alimentaires, ou, tenant compte de leur origine, leur demander simplement un engagement ? Ces débats agitent de façon récurrente la première génération des apôtres. Paul prône plutôt la seconde voie mais sa position est loin d'être acceptée par tous. Le christianisme, contrairement aux autres mouvements messianiques, pratique donc non pas lřexclusion mais lřintégration. Il admet directement des païens sans en faire auparavant des juifs. Cřest la raison de la présence des épîtres dans le Nouveau Testament. De même le nombre des apôtres reprend celui des tribus, montrant sa vocation universelle. Lřaccent est porté sur le rôle présent et futur de Dieu plutôt que sur ses actions passées. Cřest pourquoi, le christianisme finit par être rejeté par les judaïsmes.

Parallèlement au sein même du judaïsme les modalités du culte se transforment. Un nouveau type d'édifice cultuel apparaît, la synagogue. Pour la première fois, l'ensemble des fidèles participe aux rites. Parallèlement, la lecture et l'étude de la Loi remplacent le sacrifice.

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Deux grandes révoltes juives éclatent contre l'autorité romaine. La première (66-71) voit les derniers insurgés se réfugier à Massada. Le Temple est pillé en 70, le mobilier sacré emporté à Rome. La profanation a lieu le jour anniversaire de la prise de Jérusalem par Nabuchodonosor, ce qui accroît le désarroi. L'ultime rébellion a lieu de 133 à 135, sous lřempereur Hadrien. C'est la révolte de Simon surnommé par la suite Bar-Kokba, Ŗfils de lřétoileŗ. Elle échoue. Le nom de la province est transformé en "Palaestina" du nom des Philistins. L'accès de Jérusalem est interdit aux Juifs mais le judaïsme reste une religion licite : les juifs de Rome ne sont pas inquiétés.

De fait, lřadministration romaine se soucie peu des controverses religieuses. Elle nřintervient contre les chrétiens que pour rétablir lřordre : la première persécution impériale connue est celle de Néron mentionnée dans Tacite et dont on trouve des échos dans lřApocalypse composée plus tard sous Domitien. Sřy ajoute le problème de lřattitude à adopter face aux images impériales : le refus du culte étant assimilé au crime de lèseŔmajesté. Si les Romains acceptent de la part des Juifs le refus du culte des images, ils ne le tolèrent plus des chrétiens dès lors que ceux-ci se constituent comme un groupe distinct : Ces derniers nřont en effet pas lřantiquité de leur religion et leur universalité prosélyte concurrence la politique de lřEmpire tant que lui-même nřest pas chrétien.

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CROYANCES, SACRÉ, RELIGIONS

EN CHINE CONTINENTALE

par Pierre GENTELLE, géographe,

directeur de recherche émérite au CNRS

Pourquoi j’utilise les mots croyances, cultes, sacré, et aussi religions

Le mot religion est très (trop ?) connoté, dans nos esprits occidentaux, à lřislam, au christianisme, au judaïsme, qui occupent très majoritairement le champ dřexpression du religieux en Europe occidentale. Dřautres religions ou croyances, auxquelles on concède un statut minoritaire ou que lřon tolère, existent cependant. En faisant le tour du champ très vaste de ce quřon nomme « le religieux », on peut aisément identifier des ensembles de croyances dřorigines diverses, pratiquées par une partie des populations, y compris une relation au sacré qui entoure le corpus majoritaire des religions. Cette nébuleuse de croyances est souvent héritée de cultes antérieurs. Quoi quřil en soit, la situation qui caractérise lřEurope occidentale est différente de celle dřautres régions du monde.

Cřest pourquoi, au moment dřévoquer la situation actuelle en Chine, où il nřy a quasiment pas de juifs, peu de musulmans (entre 1,5 et 2 % de la population totale) et peu de chrétiens (à peu près autant que de musulmans), il paraît nécessaire de prendre en considération lřensemble des croyances qui relient les différentes parties de lřensemble chinois à « lřautre monde », celui des « esprits », ce monde invisible qui engendre, selon les peuples, la foi ou les fantasmes. La prise de conscience qui en résulte devrait permettre de relativiser lřimportance

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ainsi que le sens des attitudes et des querelles occidentales concernant « la vraie foi ».

Mais avant dřen venir à ce qui fait le fondement des croyances et des religions, cřest-à-dire une « explication du monde », il est indispensable dřévoquer, au passage, les relations étroites, nécessaires mais non suffisantes, qui existent entre trois mots issus de trois notions différentes quoique connotées : le sacré, le religieux (« la » religion), la croyance.

La nébuleuse « sacré, croyances, religions »

Avec les nuances qui leur sont propres, ces trois notions font partie dřune grande nébuleuse multiforme dans laquelle la très grande majorité des Chinois se retrouve.

1. Elle est la manifestation de liens entre lřindividu, la société et la nature.

2. Elle est le produit de processus idéologiques. Cřest, pour les Chinois, une invention. Cřest lřun des processus primordiaux dřorganisation de lřespace. Tous les paysages portent la marque de la culture (= idéologie = croyances) de la société : ils révèlent tous une organisation symbolique de lřespace.

3. Elle est le produit dřune recherche de rationalité, qui a consisté en trois démarches successives :

a. Le constat de la faiblesse de lřhomme devant la maladie, la mort, lřau-delà souhaité, lřangoisse qui en résulte.

b. La représentation dřun monde mû par des forces colossales, invisibles, sřexprimant par signes que le groupe humain doit apprendre à déchiffrer.

c. Lřinvention et construction d’un culte qui permet de se concilier ce monde invisible et de donner un sens aux secteurs identifiables de la vie humaine : engendrement, mort, santé, fortune, climat, inondation…

4. Il résulte des trois points précédents deux différences radicales avec les religions monothéistes.

a. Les anciens Chinois nřont jamais eu besoin d’une surnature pour expliquer le mouvement du monde. Ils vivaient dans un monde enchanté, clos sur lui-même, le Cosmos. Ce Cosmos, construit par les humains à partir des observations des phénomènes auxquels ils étaient soumis, est lřinverse de la construction du monde par les religions où un Dieu crée lřhomme à son image et la Terre selon ses propres plans.

b. Les anciens Chinois nřont jamais exprimé le besoin d’aimer leurs « dieux », non plus que de les craindre ou de sřy soumettre servilement. Ils ont envers eux une attitude « neutre », caractérisée par la notion de contrat et celle de coût / avantage. Si « lřesprit » sollicité nřexauce pas un vœu demandé selon les rites, cřest quřil est inefficace. Il faut alors en changer.

La position du géographe

(de peu dřimportance en lřoccurrence, on le concède)

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Ne parlant pas ici en philosophe, mais en géographe seulement, je dois considérer les seules notions qui concernent mon métier :

1.Toute croyance religieuse est liée au territoire par trois liens :

a. Le mythe (fondateur ou non) crée le territoire et la société.

b. Le rite permet la gestion des lieux (et des humains).

c. Le sacré relève dřune décision humaine de « produire » du divin.

Cřest pourquoi le sacré conduit au sacrifice

Cřest pourquoi la société institue des espaces tabous

Et investit dřautres lieux de propriétés « divines »

2. Toute croyance reflète trois « moments » :

a. le lieu dřorigine

b. la civilisation de naissance

c. lřépoque

3. Toute croyance aboutit à des productions spécifiques :

a. objets rituels

b. temples ou lieux dřinvocation

c. lieux saints ou sacrés

d. pèlerinages

e. consommation alimentaire particulière

f. comportement démographique

g. forme et un contenu dřéducation

h. types de relations entre les genres

i. nécropoles et tombes « marquées »

j. signes symboliques dans les paysages

k. etc.

En fait, la croyance investit l’ensemble du social. Je nřai fait allusion ici quřà certaines des marques « géographiques » les plus visibles sur le territoire. Pourquoi cette ubiquité du religieux (ou des croyances) ? Parce quřà lřorigine des croyances et des religions se trouvent deux raisons essentielles :

1. le besoin de comprendre le monde comme il va et de se lier à lřordre que lřon croit deviner, pour pouvoir « vivre ».

2. le besoin de surmonter la mort (ou la souffrance, ou lřangoisse), en tentant de sřapproprier lřéternité.

Pour mieux comprendre lřoriginalité chinoise depuis notre monde fortement imbibé de religions transcendantales, il est utile de faire un bref détour par lřhistoire.

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Un petit peu d’histoire, de – 10 000 à – 500 environ

Pour les Chinois, dans leur majorité et dans le cours du temps, lřéternité nřa pas grand sens en soi. Lřaccès à une vie future nřest pas une recherche essentielle. En revanche, la longévité, yong, est fort prisée : la puissance du souvenir, la force dřune histoire véridique, le maintien ténu dřun prestige ancien dans lřesprit de descendants qui se croient dépendants de leurs ancêtres est bien suffisant comme éternité. Avec beaucoup de pragmatisme, nombre de Chinois conçoivent lřéternité sur le modèle des neiges « éternelles » qui finissent par disparaître avec le réchauffement du climat. Cela est dřautant plus vrai que « l’éternité peut s’user ». On a vu la fonction de « dieu » principal changer de titulaire : le fondateur reconnu de la terre chinoise, l’empereur Jaune, aurait démissionné. Il fut remplacé par l’empereur de Jade, qui faillit être détrôné à son tour par « lřintercesseur » Guanyin (après lřarrivée du bouddhisme), « dieu-déesse » de la compassion. Cet intercesseur tend à être remplacé de nos jours, à Taiwan et Hongkong surtout (pour le moment), par Guanyu, le « dieu » du commerce et des affaires. Cřest pourquoi il faut absolument distinguer des strates dans les croyances qui se superposent et dont aujourdřhui se voient partout les traces.

On me pardonnera de reprendre à bride abattue la chronologie des religions en Chine. Après lřavènement de deux corpus (confucianisme, taoïsme) jusquřà la transformation du premier Ŕ qui nřest pas une religion Ŕ en doctrine religieuse dřÉtat au début de notre ère, on assiste à lřirruption de religions constituées Ŕ bouddhisme (fortement sinisé), islam, christianisme Ŕ .Auparavant, cependant :

1. Au Néolithique, lřunivers est conçu comme un tout. Les lois qui le régissent, hommes, plantes et animaux compris, peuvent être lues dans les mouvements de la lune, des étoiles et des planètes, dans les saisons, le rythme nycthéméral…. On en tire des rites et le calendrier, lřhoroscope en sera partiellement dérivé. La recherche de lois générales aboutit au yin -yang, aux cinq phases (ou éléments) , à l’alternance, à l’éternel retour, au code symbolique (naissance, croissance, déclin, mort, régénération), au rôle écrasant qui est échu à lřhumain d’entretenir le cycle par un comportement conforme à lřordre de la nature (Ciel, Homme, Terre). Rites et cérémonies ne sont pas personnalisés. À la fin de cette période apparaît, on ne sait comment, un héros fondateur, Yu le Grand, auquel on donne même des dates de règne (2207-2198).

2. Relations avec la nature : esprits, divinités, magie. Selon une reconstruction postérieure, il aurait existé à lřorigine un paradis, des phénix, des dragons joyeux. Cřétait le temps de l’indistinction. Puis vient le temps des difficultés, sans explication connue. Lřenvironnement est alors perçu comme hostile : à la chinoise, il faut donc lřamadouer. Pour réussir à chasser sans armes décisives, il faut lřaide de la magie. Pour plus dřefficacité, il faut celle de lřorganisation. Lors de lřinvention de lřagriculture (vers - 7 000 ?), lřhumanité chinoise est conduite à se caler sur les rythmes agraires. Entre le Ciel et la Terre, il faut maintenir une communication : lřaxe, le pilier central, devient un espace sacré dřéchange et de prospérité. On le retrouve dans chaque maison sous la forme dřun trou central dans le toit, puis dřun pilier central (souvent sculpté de « représentations humaines ») au pied duquel se déroulent les rites. Ceux-ci, sans exception, sont propitiatoires (faire tomber la pluie, chasser les démons, permettre dřatteindre le gibier, obtenir de belles moissons). Lřêtre humain est

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ressenti comme infiniment faible face au Cosmos. L’animal est conçu comme un don du Ciel, il faut sřen rapprocher mystiquement, sřen faire un allié contre les forces obscures. Mais tous les hommes ne sont pas capables dřétablir des relations avec lřanimal ou avec le Cosmos. Ceux qui en manifestent le don sont reconnus comme tels, respectés et craints en raison de ce don mystérieux lui-même : ce sont les chamanes, magiciens, sorciers, guérisseurs...

3. Vers – 1500, un « dieu » devient dominant, Shangdi. Cřest le maître de la civilisation chinoise naissante, les Shang. Le pouvoir, politico-religieux, sera transformé ultérieurement en dynastie. Il échoit à dřanciens pasteurs venus du nord-ouest de la Chine actuelle, qui se sont installés comme agriculteurs sédentaires dans la Grande plaine du Nord, au contact de populations préexistantes se trouvant au Sud. Ces dernières pratiquent lřagriculture et sont dévouées à dřautres « dieux ». À Shangdi est demandée la pluie des récoltes (plus tard, on la demandera aux dragons, sous terre).

4. Vers – 1000, dřautres populations, turco-mongoles, venues de lřOuest, envahissent la Grande plaine centrale. Elles croient que le Ciel, Tengri, qui est au-dessus de leurs territoires, est la divinité suprême. Ils vénèrent bientôt, comme ancêtre commun, le prince Millet, qui leur aurait révélé lřagriculture. Shangdi et Tengri fusionnent. Cet ensemble de populations mélangées, mais non pas métissées, découvre le bronze, pratique la chasse. Des nobles émergent, reconnus comme différents du peuple. Les urbains se différencient des ruraux. Lřunivers devient un code symbolique auquel la vie terrestre et la société humaine doivent se conformer. Une série de correspondances est mise en place pour que le mouvement du Ciel et celui des humains soient en phase. Pour parvenir à cette harmonie et la protéger, les rites sont créés et le roi, wang, intercesseur, chargé de les faire respecter, avec droit de vie et de mort sur ses sujets. Le Livre des Rites (Liji) le dit expressément : « le but des cérémonies, cřest de réaliser la conformité avec lřordre de la nature ».

5. Le fractionnement en seigneuries rivales du royaume Shang, après - 1122, seigneuries qui deviendront les Royaumes Combattants au Ve siècle avant notre ère, entraîne la fin du culte ancestral commun. Cinq empereurs, protecteurs des cinq directions, le remplacent. En même temps, problème à creuser, le centre devient paradoxalement prééminent parmi les territoires et les peuples qui se reconnaissent comme chinois.

On parvient ainsi, cahin-caha, au milieu du premier millénaire avant notre ère. Les spécialistes voudront bien pardonner les simplifications abusives et corriger mes erreurs. Avant dřen venir aux deux grands courants de pensée reconnus unanimement comme profondément chinois, le confucianisme et le taoïsme (sans parler de leurs variantes !), il est nécessaire de qualifier l’ensemble des croyances précédentes, qui vont servir de substrat aux courants de pensée ultérieurs et se maintenir peu ou prou jusquřà nos jours.

La pensée chinoise des périodes antérieures à la deuxième moitié du premier millénaire avant notre ère est une pensée fortement symbolique. Chinois lettrés et sinologues sřaccordent aujourdřhui pour dire que la pensée chinoise, tout au long de lřhistoire, est demeurée fortement marquée par la manipulation de symboles, y compris dans le domaine de lřurbanisme (rôle du sacré dans le plan actuel de Pékin, qui ne date que du XIIIe siècle). Les symboles fournissent des images de remplacement de la réalité complexe et constituent des ensembles

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aisément compréhensibles. Au départ, les représentations que les anciens Chinois se font du monde sont « naturalistes » : les phénomènes observés sont transformés en êtres qui vivent hors du monde des humains mais dans le monde naturel. Les responsables humains sont chargés de sřallier à ces forces redoutables pour les apprivoiser. Le groupe humain décalque sa propre différenciation sociale pour reproduire dans lřensemble de la nature une différenciation sociale quřil connaît. La hiérarchie céleste reproduit la hiérarchie terrestre et non lřinverse. Cřest sur ce modèle que sera créée la bureaucratie céleste, avec laquelle les humains entrent en contact au moyen des rites.

Le rite, absolument essentiel, est en fait un contrat ou un contre-don. Il faut expliciter cela. Le rite traduit à la fois la peur, le respect et lřespérance. Il vise à neutraliser ou à se concilier les forces obscures. Il est, par conséquent, lřobjet dřobservations attentives, ce qui peut être présenté comme une proto-science de l’observation : comment fonctionne-t-il, où sřobtiennent les meilleurs résultats, que faut-il éviter de faire, etc. Cette connaissance accumulée est transmissible. De ce fait, elle a tendance à figer le rite, pour ne pas perdre lřacquis antérieur. Cřest pourquoi le rite est souvent considéré comme immuable (cřest un contrat qui lie fortement, ses résultats attendus sont « garantis » par lřexpérience). Il faut peu de temps, alors, pour quřil évolue en culte.

Le culte, ensemble dřactions propitiatoires, est fait de prières et de remerciements destinés à pérenniser lřaccord établi avec des forces naturelles extrahumaines qui deviennent alors des « esprits », shen, (que nous traduisons par dieux, inexactement et au risque de confusions regrettables). Une fois cet accord établi en haut lieu, cřest-à-dire dans les sphères de pouvoir de la société, fût-elle la plus minuscule (là encore, la liaison avec le pouvoir social doit être établie très tôt sous peine dřomettre un élément majeur et permanent), les mythes servent à dire ce contrat au peuple illettré.

Ces mythes sont des illustrations, des « histoires de dieux », shenhua. Ils racontent de manière imagée une mise en ordre du monde. Cřest pourquoi, une fois de plus et sous peine de gommer un aspect essentiel du sacré, il faut absolument les relier au politique.

Tout lřensemble précédent (représentation symbolique de la nature, rite comme contrat, culte pérennisation, mythes illustrations) se coagule alors en dogme, qui fixe durablement les pratiques et les lie fortement aux croyances.

Il en résulte des cérémonies publiques ou privées. Ces cérémonies publiques sont de véritables manifestations, au sens littéral : elle rendent manifeste ce qui est latent ou ce qui est, par nature, invisible. Surtout, elles servent à « socialiser » les rites, à les codifier pour rendre plus aisée leur transmission. Tout cet ensemble conduit à la répétition de l’accord avec les « esprits » dans le cadre de la société : il nřy a pas de séparation entre le religieux et la vie courante, puisque la vie courante est calquée sur la vie des « dieux » (sic !).

Situation actuelle en Chine

1. La Chine est un pays officiellement athée et matérialiste. Les croyances populaires, multiformes et présentes dans toute la société, sont

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considérées par le régime en place comme des superstitions intellectuellement et politiquement néfastes, y compris ce quřon nomme « les religions étrangères ». Depuis 1950, tous les efforts dřéradication de ces croyances ont été des échecs, bien que les traitements aient varié de la lutte ouverte (1950-1965) à la violence destructrice (révolution culturelle, de 1966-1969 jusquřà 1976) puis à la « liberté surveillée » depuis 1980. Parmi les croyances populaires, certaines se développent sous forme de sociétés secrètes (qui ne sont pas des sectes, au sens occidental du mot). Ces sociétés secrètes, tout au long de lřhistoire et aujourdřhui encore avec le mouvement Falungong, se caractérisent par une volonté dřaction politique et morale pour marquer une opposition au régime en place. Lorsque ces sociétés secrètes ou les religions font du prosélytisme, le gouvernement considère quřelles agissent contrairement à lřordre social et quřelles visent à instaurer dans le pays leur ordre propre, différent de celui de lřÉtat et potentiellement générateur de troubles. Il faut le répéter : pour lřessentiel, aujourdřhui, les croyances et religions ne sont plus considérées par le régime communiste comme des nuisances en soi. Cřest leur rôle politique et contestataire qui est redouté. À lřintérieur du pays, leur propension à canaliser les mécontentements sociaux de tous ordres pourrait dériver en insurrections ; à lřextérieur, les liens possibles avec des puissances étrangères réputées hostiles font redouter la pratique souterraine dřactivités dŘespionnage.

2. La Chine est aussi un pays dans lequel les références à l’histoire sont constantes. La partie la plus instruite de la population sait bien que les croyances ont souvent servi de moyen pour contester lřordre établi. Plusieurs dynasties en ont fait les frais. Lřensemble des masses illettrées ou peu formées (un milliard dřhumains environ) balance entre la soumission aux manières de penser du pouvoir et des traditions locales très anciennement enracinées, ces dernières servant de cadre de référence principal pour donner un sens à la vie. Il existe une corrélation forte entre illettrisme et croyances populaires vivaces. Sur ce dernier point, la Chine nřest pas très différente de quelques autres pays.

3. Par ailleurs, les cultes impériaux venus de lřAntiquité nŘont disparu que depuis le début du XXe siècle (révolution de 1911). Ils ne sont plus représentés que par des monuments historiques à valeur patrimoniale. En revanche, un nouveau rapport au sacré est apparu au sein de la classe dirigeante, fondé sur lřidéologie communiste-maotsetoung et denxiaoping. Cette idéologie a créé des cultes, inscrits dans des lieux, signalés par des comportements et des cérémonies dont les formes peuvent rappeler soit les cultes impériaux, soit des comportements religieux (sacralisation du Guide, du Parti, de la Patrie, de lieux historiques significatifs, symboles forts Ŕ monuments aux héros -, récits édifiants de héros positifs, drapeau, hymne national).

4. Il faut ajouter à ce tableau les variations du pouvoir en ce qui concerne les valeurs de base de la société : après avoir dénié toute efficacité au confucianisme, morale sociale érigée en culte et parfois en culte officiel dŘÉtat depuis deux mille ans et accusée dès la fin du XIXe siècle dřêtre la cause du retard de développement du pays, le pouvoir actuel procède à une réhabilitation ambiguë de Confucius, comme maître fondateur des valeurs morales du peuple chinois. De ce fait, le confucianisme pourrait participer à lřélaboration en cours dřune morale nationale (nationaliste ?) destinée à fonder, aux côtés de lřathéisme, les valeurs de notre temps. Cette tendance, hors de Chine, est apparue,

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lřathéisme en moins, dans plusieurs États de lřAsie du Sud-Est sous le vocable de „valeurs asiatiquesŖ.

5. Ce quřon appelle dřun terme nécessairement vague, les croyances populaires est un énorme magma qui demeure à la base de la culture populaire. Le taoïsme et le bouddhisme sinisé (il y a peu de bouddhistes „authentiquesŖ) en constitue lřossature. Il sřy ajoute de très vieilles strates, issues de croyances et de cultes pré-impériaux et pré-confucéens : horoscopes, divination, magie, possession, processions, cosmologie, médecines « parallèles », guérisseurs, géomancie (fengshui), yoga, arts martiaux…

6. Enfin, dans la Chine du Sud en particulier, il existe des populations où subsistent des croyances animistes ou chamaniques, qui ne font pas problème pour les autorités.

7. LřÉtat chinois est confronté à un énorme problème de société au Tibet et dans l’ancien Turkestan chinois, le Xinjiang. La religion (bouddhisme tantrique et islam sunnite) y constitue une composante majeure de lřidentité des peuples ouïgour et tibétain (revendication identitaire, sociale et culturelle). Il sřy ajoute un fort sentiment anticolonial, hérité des conditions dans lesquelles le pouvoir chinois sřest installé dans ces régions. La religion se trouve donc associée aux contestations de ces peuples vis-à-vis du pouvoir central de Pékin. Si la revendication est plutôt nationaliste ches les Ouigours, qui ont le droit de pratiquer leur religion, elle est plus globale au Tibet où le Dalai Lama en exil continue à la fois de représenter lřautorité religieuse suprême et une forme de société théocratique, jusquřen 1959 encore fondée sur lřalliance étroite entre monastères riches, aristocratie et servage.

8. Il est donc évident que le phénomène religieux en Chine ne peut en aucune manière être isolé du problème politique (et des aspects économiques, sociaux, moraux….du régime). Comme partout ailleurs, religion et politique sont étroitement liés, en particulier quand les religions prétendent organiser sur terre la vie des sociétés (Tibet, islam). En ce cas, le religieux ne peut quřentrer en conflit avec le politique.

9. Les croyances et religions sont en grande partie calquées sur des ensembles communautaires. La force de lřethnie (il existe 54 peuples minoritaires, plus les Gaoshan à Taiwan), celle des clans familiaux ou des lignées patriarcales, selon les régions, sont demeurées vivaces. Les tendances au communautarisme et, par conséquent, à la lutte violente entre groupes ethniques et religieux, sont affleurantes. Ce quřon appelle le « retour du religieux » actuel est lié à la fin des persécutions de la révolution culturelle. Il est aussi lié à une revendication dřethnicité, la religion faisant éminemment partie de la culture locale, conçue en réaction contre le pouvoir central.

10. Cřest bien pourquoi, en Chine, la laïcité reste depuis 1950 de règle à lřécole et les diverses croyances et religions surveillées comme le lait sur le feu. Mais cette laïcité nřest pas la nôtre. En effet, les cours de marxisme, comme philosophie matérialiste, continuent dřêtre dispensés. Il sřagit là dřune idéologie dřÉtat, ce qui entraîne évidemment des réactions diverses.

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Place et rôle des croyances dans la société

Les croyances peuvent aujoudřhui, pour lřessentiel, se pratiquer au grand jour. Elles font même lřobjet de soins particuliers de la part du régime (droits de „lřhommeŖ). Il existe dans toutes les préfectures, dans les districts, un Bureau des affaires religieuses où chaque association de culte est contrainte de se déclarer. Si elle ne le fait pas, ses membres sont poursuivis pour dissimulation, donc suspectés dřespionnage ou de trouble potentiel à lřordre public.

La vie entière des Chinois est marquée par des pratiques issues des croyances. Toutes les fêtes, sauf le 1er octobre (fondation du régime), le 1er mai (travailleurs), le 8 mars (femmes), le 25 août (armée), possèdent ouvertement une connotation religieuse. En particulier le jour de lřan (fête mobile, inscrite dans un cycle duodénaire de calendrier luni-solaire) est issu de lřAntiquité. La fête des Morts, qingming, est suivie partout. Toutes les fêtes donnent lieu à des cérémonies particulières.

La vie quotidienne est rythmée par les croyances : horoscope, divination, fengshui, prière aux esprits censés agir favorablement, offrandes, autels, culte rendu aux ancêtres, encens, tabous alimentaires chez les musulmans, les bouddhistes, certains taoïstes. Par millions, dans lřannée, les Chinois font lřascension des cinq pics sacrés du bouddhisme ou des cinq pics sacrés de lřAntiquité, qui ne sont que partiellement les mêmes. Par centaines de millions, ils confectionnent des couronnes votives lors de la fête des morts, Qingming. Au pied des immeubles de Hongkong, il y a place pour le dieu du sol, Tudigong. Et dans chaque restaurant de Shanghai le dieu du commerce, Guangong, est réapparu dans une lumière rouge.

La vie sociale est marquée par des affiliations à des temples ou monastères (taoïstes, bouddhistes, syncrétistes), des entraides, des processions pour la pluie, des invocations pour le jeu, des prières pour les examens, des gymnastiques particulières (yoga, taijiquan, qigong, kungfu), des médecines et pharmacopées traditionnelles, l’acuponcture.

Lřart tout entier (sauf lřart „moderneŖ) est profondément imbibé des croyances et religions, que ce soit la peinture (Vide et Plein), ou la calligraphie de poèmes ou de citations des grands penseurs.

Pour conclure

Enseigner le religieux seul, pour lui-même, me paraît tâche ambiguë, en général et aussi dans le cas chinois. Cela pourrait laisser croire que le religieux est détaché du social, de lřéconomique, du politique, ce qui est fondamentalement inexact. Surtout, parler du religieux en soi, sans montrer quřil sřagit de croyances pré-modernes, irrationnelles, à côté desquelles (et trop souvent contre lesquelles) sřest construit peu à peu, pas à pas, lřédifice de la science, constitue un grave contresens historique. Les relations de la science et de la religion demeurent sans doute, aujourdřhui encore, à préciser. Mais il nřest pas possible de faire comme si les croyances avaient une sorte de légitimité à occuper le champ social.

Parler seulement de l’idéologique est singulièrement réducteur. Lřacquisition de terres et de richesses par les monastères, en Chine bouddhiste et

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ailleurs, fait partie de la religion et de ses pratiques sociales. Lřaccumulation du pouvoir dřorientation des esprits par lřaccaparement jadis des fonctions dřenseignement, ou bien la constitution, sur des bases religieuses, des guildes de marchands musulmans en Chine du Nord, ne peuvent être laissés dans lřoubli. Les religions sont intervenues et interviennent encore dans la vie de tous les jours. Hors de Chine, le caractère religieux de nombreuses guerres a été établi. De trop nombreux exemples, dans tous les domaines de la vie sociale, peuvent être aisément recueillis, ici ou là, qui mettent en évidence la part que le religieux occupe dans le quotidien des hommes, bien au-delà de ce quřon appelle parfois (et peut-être abusivement) la « sphère du religieux ». Comme si la religion constituait dans la vie des humains un monde clos !

Cřest très probablement au fait que le confucianisme est une morale sociale, et non une religion, que lřon doit cette observation pertinente : « Il nřy a eu quřune seule religion dans le monde qui nřait pas été souillée par le fanatisme, cřest celle des lettrés de la Chine. Les sectes des philosophes étaient non seulement exemptes de cette peste, mais elles en étaient le remède ; car lřeffet de la philosophie est de rendre lřâme tranquille, et le fanatisme est incompatible avec la tranquillité (Voltaire, Dictionnaire philosophique, article fanatisme).

Si lřon doit enseigner le fait religieux à lřécole, il paraît peu souhaitable de se laisser enfermer dès le départ dans les seules revendications dřélèves faisant référence à leurs propres pratiques. Ce serait se situer au niveau des querelles entre trois religions qui croient chacune en un seul Dieu, mais ne parviennent pas à sřentendre sur le fait quřil devrait sřagir du même.

Cřest au contraire en situant le débat au niveau des questions existentielles que se pose lřhumanité, depuis les origines de la conscience, que lřon peut et que lřon doit situer les religions pratiquées majoritairement en France. Ces dernières, de toute manière, ne représentent quřune partie des réponses apportées par lřhumanité au cours de lřhistoire et de nos jours encore.

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L’ENSEIGNEMENT DU FAIT RELIGIEUX À L’ÉCOLE

À L’ÉPREUVE DE LA LAÏCITÉ

par Jean-Claude RICCI, directeur de lřInstitut dřÉtudes Politiques

Aix-en Provence

La question qui est posée est triplement étonnante et cela à des titres divers :

1) L'accolement des deux affirmations, fait religieux/laïcité, paraît sonner comme une contradiction dans les termes au moins aux yeux d'une certaine tradition française. Il est également étonnant que lřon se pose cette question de l'enseignement du fait religieux à lřécole laïque car c'est, au fond, une assez grande nouveauté. En même temps, il est encore étonnant de se poser cette question parce quřelle paraît quelque peu dépassée et lřon peut avoir lřimpression de parler de vieilles lunes. Le caractère contradictoire de ces divers étonnements est lui-même la marque des difficultés inhérentes au sujet.

Pour traiter celui-ci il convient d'en bien dégager la problématique. De quoi est-il question ? La laïcité - que lřon peut considérer comme lřexpression de la neutralité de l'État - implique-t-elle un silence total sur le fait religieux dans le cadre de renseignement, ou bien signifie-t-elle que le fait religieux doit être traité à lřécole, avec un maximum d'objectivité, quel que soit l'enseignant et quels que soient les élèves ? Dans le premier cas, le silence donc, on se placera dans un cadre bien connu : l'incompétence radicale de lřÉtat pour parler de ces choses-là en particulier en raison de lřabsence de caractère scientifique, de certitude, sur la question. Dans le second cas, parce que la religion est une question disputée, lřÉtat l'abordera dans le respect des consciences. On voit bien que selon le statut que lřon fait à la laïcité, selon lřidée même que lřon s'en fait, les choses sont, ou

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peuvent être, très différentes sřagissant de lřenseignement du fait religieux. Or la conception même de la laïcité a considérablement évolué en France (où, d'ailleurs, elle nřa jamais eu le caractère absolu dont on l'affuble) et ceci notamment sous lřinfluence de la Convention et de la Cour européennes des droits de lřhomme (I). Cette situation, à son tour, retentit sur la réponse à donner à la question posée - faut-il enseigner, comment enseigner le fait religieux à lřécole ? (II)

I - L'enseignement du fait religieux à l'école à la lumière de l’évolution du modèle français de laïcité

Ce "modèle" a, déjà, très profondément évolué. Si, à lřorigine, soit à partir de la fin du XVIII° siècle, puis tout au long du XIX° et surtout depuis lřaube du XX° siècle, il y a véritablement, en Europe, une " exception française", cette affirmation est de moins en moins exacte aujourd'hui même si, cependant, l'invocation de cette exception nřa pas encore perdu toute pertinence.

A) Une laïcité originairement nuancée

Dès lřorigine, la laïcité nřa pas eu Ŕ et ne pouvait d'ailleurs pas, avoir compte tenu de lřhistoire de la France Ŕ le caractère absolu que certains lui prêtent, de manière toute rétrospective, aujourd'hui (a). Mais, même sous cette très importante réserve, notre laïcité a subi une telle évolution qu'un point de non retour semble actuellement atteint (b).

a) Un modèle longtemps exceptionnel

Tout simplement, la France n'a, longtemps, pas reconnu la liberté de religion, même après la Révolution de 1789. La Déclaration des droits de 1789 ne proclame pas la liberté de religion, se contentant, dans son article 10, dřédicter, du bout des lèvres et avec un certain dédain dans la formulation, une liberté pour le citoyen d'exprimer ses opinions "même religieuses", mais liberté d'opinion n'est pas, à l'évidence, liberté de religion. Ensuite, bien plus tard, la loi du 9 décembre 1905, dite de Séparation des Églises et de l'État, ne reconnaît que la liberté de conscience qui nřest pas, elle non plus, la liberté de religion et affirme garantir "le libre exercice des cultes", le culte nřest pas la religion mais l'une seulement de ses manifestations, celles-ci pouvant nřêtre pas publiques et lřon peut apercevoir un exercice du culte dans une célébration qui nřest pas de nature strictement religieuse. Enfin, l'article 1er (ex-article 2) de notre actuelle Constitution, après avoir rappelé que la " France est une République (…) laïque... "2, proclame lřégalité devant la loi de tous les citoyens "sans distinction…de religion". Cette dernière indication appelle dřailleurs deux observations : en premier lieu, ce nřest pas une

2 Ce quřavait déjà dit, pour le service public de lřenseignement, le préambule de la Constitution du 27 octobre

1946.

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liberté de religion qui est accordée mais une égalité de traitement entre les religions, une non discrimination3 ; de ce que toutes seront traitées également ne résulte pas, purement et simplement, la reconnaissance d'une liberté au profit de la religion ; il y a là plus qu'une nuance ; en second lieu, cette égalité de religion nřest reconnue qu'au seul bénéfice des "citoyens" c'est-à-dire de ceux qui, à la fois, possèdent la nationalité française et ne se sont pas vus retirer les droits civiques. L'étranger résidant, même durablement, sur le sol français ne saurait donc exciper des dispositions de cet article.

De là l'état de notre droit a longtemps été composé de deux éléments : un élément positif, la reconnaissance de la liberté de culte, un élément négatif, lřaffirmation du principe de laïcité.

Positivement le droit français repose sur la reconnaissance de la liberté de culte, ce qui implique, tant en vertu des textes que de la jurisprudence, trois éléments : l'exercice, y compris public, du culte est libre, lřorganisation interne de chaque culte est libre, la perpétuation du culte, autrement dit la transmission de la foi, est libre.

Négativement et c'est là lřexpression la plus nette du principe de laïcité, selon notre droit positif, le culte, au rebours de ce qu'il était jusquřen 1905, nřest plus un service public et il nřest plus pris en considération par les pouvoirs publics. En somme, lřÉtat est philosophiquement indifférent et juridiquement incompétent en matière religieuse, il ne saurait reprendre dans son droit positif des prescriptions religieuses ou mettre au service d'une religion les moyens coercitifs dont il dispose. Il peut même édicter des règles juridiques rigoureusement contraires à celles qui résulteraient du respect de certains dogmes ou principes religieux. Le principe de laïcité, comme celui de neutralité, concerne tous les services publics4.

Bien sûr, il existe à tout cela de très nombreuses exceptions mais ce ne sont que des exceptions législatives, des tolérances administratives ou des coutumes ou de simples comportements pratiques qui, toutes, relèvent de la seule bonne volonté, donc strictement unilatérale, de lřÉtat français.

Par ailleurs, il convient de relever que les juges administratif 5 et constitutionnel 6 ont consacré prétoriennement un "principe de neutralité", très voisin du principe de laïcité même s'il est plus ouvert, et qui est un "principe fondamental" du service public7.

b) Un modèle de moins en moins original

En réalité, et on l'a déjà relevé ci-dessus, dès le départ il était évident que la laïcité comme ignorance absolue du fait religieux ne pourrait pas fonctionner. On pourrait multiplier les exemples anciens. On en donnera seulement quelques-uns. La définition de la notion de "fidèle catholique " que donnent le Conseil d'État

3 Voir aussi, en ce sens, les dispositions de l'art. 6 de la loi du 13 juillet 1983 relative au statut de la fonction

publique 4 C.E. 3 mai 2000, Mlle Marteaux, précité

5 Par ex. C.E., Avis, 3 mai 2000, Mlle Marteaux, AJDA 2000 p. 602 Chron. M. Guyomar et P. Collin

6 C.C. n° 96-380 DC du 23 juillet 1996 C.C. 18 septembre 1986, n°86-217 DC

7 C.C. 18 septembre 1986, n°86-217 DC

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et la Cour de cassation renvoie, depuis 1911 pour le premier8 et depuis 1912 pour la seconde 9 à celle retenue par l'Église catholique : sont catholiques les personnes en communion avec le Siège apostolique.

Le retrait de son autorisation d'exercice infligé par lřÉglise réformée de France à Lřun de ses pasteurs oblige l'administration à lui retirer automatiquement et sans discussion sa fonction d'aumônier dans un service public10.

Pareillement, s'agissant d'attribuer un local que se disputent deux églises issues de la Réforme protestante, le Conseil d'État décide laquelle est la plus conforme aux canons de la Confession d'Augsbourg promulguée en 1530 sous les auspices de Charles Quint"11.

Le juge examine également si la nomination du Directeur de lřInstitut musulman de la Mosquée de Paris est conforme ou non aux statuts de la Société des Habous et lieux saints de lřIslam"12.

De la même façon, la Cour d'appel de Paris s'est interrogée successivement sur le point de savoir en quoi consiste le dogme de la Communion des saints, si ce dogme joue bien un rôle essentiel dans lřœuvre de Georges Bernanos "Le dialogue des carmélites " et si le Père Bruckberger, en adaptant celle-ci au cinéma, a bien donné toute sa place à ce dogme.

Dans un important avis rendu en 197213, le Conseil d'État a fortement réduit les exigences qui découlaient de sa célèbre décision Abbé Bouteyre14 rendue soixante ans plus tôt concernant lřobligation faite à tout candidat à l'agrégation du second degré de prendre l'engagement de servir l'État pendant un certain nombre d'années, en estimant que cette obligation pouvait être satisfaite dans le cadre de l'enseignement privé.

Cependant, c'est à l'époque récente que la donne a été complètement modifiée en la matière. En effet, la Cour de cassation, en 197515, puis le Conseil d'État, en 198916, ont entrepris de donner leur plein effet aux dispositions de lřarticle 55 de la Constitution. Ce texte, on le sait décide brevitatis causa que les traités ont en France, à certaines conditions, une autorité supérieure à celle des lois. Du coup, la Convention européenne des droits de l'homme et quelques autres textes de droit international, comme les pactes des Nations-Unies sur les droits civils et politiques, du 16 décembre 1966 (art. 18), etc.17, faisaient irruption dans notre droit avec une force supérieure à celle, par exemple, de la loi du 9 décembre 1905. Ceci a obligé les juges à rectifier le tir quant à la façon d'interpréter les exigences découlant du principe de laïcité : voir, en particulier, le

8 17 mars 1911, Abbé Hardel, Rec. 350 - 8 avril 1911, Abbé Anselme, Rec. 464 - 28 juillet 1911, Rougègre et

autres, Rec. 908, concl. Chardenet 9 Cass. civ. 5 juin 1912, D.P.1912.I.121; Sir. 1913.I.137, note A. Mestre

10 C.E. Section, 17 oct. 1980, Pont, AJDA 1981 p.256, concl. D. Labetoulle

11 C.E., Assemblée, 25 juin 1943, Église réformée évangélique de Marseille, Sir. 1944-III.9 concl. R. Odent 12 C-E., Section, 8 novembre 1963, Ministre de l'intérieur c/ Ahmed ben Ghabrit

13

C.E. 21 septembre 1972, Les grands avis du Conseil d’État, Dalloz, 1997 p. 105, obs. Jean-Paul Costa 14

10 mai 1912, p. 553, concl. Helbronner 15

Ch. mixte, 24 mai 1975, Administration des Douanes c/ Cafés 1. Vabre, D. 1975 P. 497, concl A. Touffait 16 Assemblée, 20 octobre 1989, Nicolo, Rec. 190 17 Tel n'est pas le cas, cependant, de la Déclaration universelle des droits de l'homme adoptée par l'ONU le

10 décembre 1948, dont l'article 18 concerne la liberté de religion, le Conseil dřÉtat estimant que ce texte nřa pas de valeur juridique en droit interne français pour motif de ratification irrégulière. 18 avril 1951, Élections de Nolay; Il mai 1960, Car.

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spectaculaire avis du Conseil d'État de 1989 relatif au principe de laïcité et aux signes d'appartenance à une communauté religieuse à propos de lřaffaire dite du "foulard islamique"18, avis qui ne vise pas moins de quatre pactes ou conventions internationaux.

Il nřen reste pas moins que, dans le dernier état de la question, le juge donne encore, toutes les fois quřil le peut son plein effet à l'exigence de laïcité : ainsi, la plupart des décisions de justice récentes en matière de foulard islamique donnent raison aux autorités scolaires lorsquřelles sanctionnent le port de cet insigne fut-ce par des motifs en réalité stéréotypés19. De la même façon, une surveillante d'externat qui porte le foulard islamique dans le cadre du service public de l'enseignement, et alors même quřelle nřest pas elle-même chargée d'enseignement, viole la laïcité du service public, celle-ci faisant obstacle à ce que les agents d'un tel service "disposent, dam le cadre du service public, du droit de manifester leurs croyances religieuses"20. Le Conseil dřÉtat aperçoit même dans cette attitude une faute disciplinaire quřil incombe aux supérieurs hiérarchiques de sanctionner. Au total, on le voit, il y a une très nette évolution de ce qui fut "l'exception française" en matière de laïcité mais cependant pas une révolution.

B) Une laïcité battue en brèche par la Convention EDH et la Cour du même nom

La France a adhéré en 1974 à la Convention européenne des droits de lřhomme (convention de Rome) quřelle avait signée en 1950 et hésité à ratifier pendant un quart de siècle. Or ce texte a aujourd'hui d'importantes conséquences sur notre droit en matière religieuse (a), surtout à la lumière de la jurisprudence que la Cour européenne a développée sur la base des dispositions qu'il contient (b). On conclura ce point en présentant un résumé de ce que sont les droits des croyants face à lřÉtat, au service public, dans le système européen des droits de lřhomme (c).

a) La Convention européenne des droits de l'homme et ses protocoles additionnels

L'article 9 de la Convention est le plus fondamental en matière de religion. Il affirme la liberté de religion, la liberté d'en changer, la liberté de la manifester en public ou en privé, individuellement ou collectivement, et cela par les moyens du culte, de lřenseignement, des pratiques et des rites. Par ailleurs ce texte comporte une directive d'action pour les gouvernants : des restrictions peuvent être apportées à cette liberté sous trois conditions.

Elles doivent avoir été prévues par la loi21, elles doivent être "nécessaires" (c'est-à-dire complètement inévitables) dans une société démocratique et elles ne

18 C.E., Assemblée générale plénière, 27 novembre 1989, AJDA 1990 p. 39 note J.-P. C. 19 Voir, dans une très abondante jurisprudence : 14 mars 1994, Mlles Yilmas, Rec. 129 ou 10 nous 1995,

Époux Aoukili, Rec. 1951 ou également 27 novembre 1996, Ligue islamique du nord, Rec. 461 ou encore 20 oct. 1999, Époux Aït Ahmad, AJDA 2000 p. 165, note F. de la Morena 20 C.E. 3 mai 2000, Mlle Marteaux, précité 21 CEDH, 26 avril 1979, Sunday Times c/ Royaume-Uni (I)

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peuvent poursuivre que Yun des quatre buts suivants : la sécurité publique, la protection de lřordre, la santé ou morale publiques, la protection des droits et libertés d'autrui. On mesure lřampleur de la reconnaissance de la liberté religieuse quřelle institue surtout mesurée à l'aune de la conception française que lřon a exposée plus haut.

La seconde disposition importante de la Convention est l'article 14 (repris également, en substance, dans le protocole additionnel n°12) selon lequel tout droit reconnu par la Convention EDH peut être exercé sans que puisse être opposée à son bénéficiaire aucune distinction fondée, notamment, sur la religion, fut-elle très minoritaire.

Enfin, une troisième disposition joue un rôle important, il s'agit de l'art. 2 du premier protocole additionnel à la Convention. Ce texte précise en premier lieu que: "nul ne peut se voir refuser le droit à l'instruction. Il indique par la suite que lřÉtat a lřobligation, dans le cadre de la fonction dřenseignement et d'éducation qu'il assume, donc dans le cadre de lřenseignement public, de respecter "le droit des parents d'assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques". Selon la Cour EDN "lřarticle 2 forme un tout que domine sa première phrase, le droit énoncé dans la seconde phrase se greffant sur le droit fondamental à lřinstruction"22. De là il résulte, selon l'arrêt Kjeldsen et autres du 7 décembre 1976, deux obligations pour lřÉtat : 1) celle de respecter l'exigence de l'art.2 même au sein des établissements scolaires publics et cela y compris dans le cas où il existerait, à côté des établissements d'enseignement publics des établissements privés, 2) celle, également, d'assurer la liberté de l'enseignement en permettant la création d'établissements privés. Cependant, la Cour estime que cette exigence ne va pas jusquřà rendre obligatoire pour lřÉtat lřoctroi d'aides à cet enseignement privé. Mais cette faculté, négative, de ne pas accorder d'aides, connaît, à son tour, une double limite : d'une part, si des aides sont accordées à certaines institutions d'enseignement, sous quelque forme que ce soit, elles doivent être égales pour toutes les institutions aidées, à situation comparable naturellement, dřautre part, l'absence ou lřinsuffisance d'aides ne doit pas contrevenir aux dispositions de lřart. 14, c'est-à-dire quřelle ne doit pas revêtir un caractère discriminatoire selon les appartenances ou non appartenances religieuses. Il faut donc que cette discrimination ne soit pas, pour parler le langage de la Cour, "dépourvue de justification objective et raisonnable"23. Le Conseil d'État en France, fait sienne cette jurisprudence en décidant que les lois du 17 octobre 1919 et du 1er juin 1924 qui, reprenant la législation antérieure du XIX° siècle, font lřobligation aux pouvoirs publics d'Alsace-Moselle d'instituer un enseignement religieux dans toutes les écoles primaires publiques et dans tous les établissements publics du second degré des départements concernés, ne contreviennent ni au principe de laïcité institué postérieurement par les constitutions de 1946 et de 1958 ni à lřarticle 9 de la Convention européenne des droits de l'homme24. En effet, les parents des élèves sont libres de faire assister leurs enfants à cet enseignement. L'obligation ne pèse donc que sur la puissance publique, laquelle nřa pas de liberté en ce domaine.

22 CEDH, Campbell et Cosans du 25 février 1982 23 CFDFI, 26 novembre 1991, Observer et Guardian c/ Royaume-Uni 24 C.E. 6 avril 2001, SNESD, AJDA 2002 p. 63, note B. Toulemonde

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b) La mise en oeuvre de la Convention par la jurisprudence de la Cour EDH

À partir de ces trois textes, auxquels il faudrait joindre nombre d'éléments contenus dans d'autres dispositions de la Convention et de ses protocoles, la Cour EDH a édifié une véritable "doctrine" sur la liberté de religion dont il importe ici de donner un aperçu tout à fait essentiel pour notre propos comme on va le voir.

La Cour a développé cette doctrine pour la première fois dans l'arrêt Kokkinakis c/ Grèce, du 25 mai 1993, puis l'a réitérée dans le célèbre arrêt du 20 septembre 1994 Otto-Preminger Institut c/ Autriche.

Selon la Cour, et on observera à cet égard les fonctions assignées par elle à la liberté religieuse :

"La liberté de pensée, de conscience et de religion, qui se trouve consacrée par l'article 9 de la Convention, représente l'une des assises d'une "société démocratique" au sens de la Convention. Elle est, dans sa dimension religieuse, l'un des éléments les plus vitaux contribuant à former l'identité des croyants et leur conception de la vie, mais elle est aussi un bien précieux pour les athées, les agnostiques, les sceptiques ou les indifférents. Il y va du pluralisme – chèrement conquis au cours des siècles – consubstantiel à pareille société ".

Cette formulation sera reprise expressis verbis dans l'arrêt de la CEDH du 15 février 2001, Mme Dahlab c/ Suisse25, la Cour nřhésite pas à écrire à propos du port du voile islamique par une enseignante : "Dans ces circonstances, comment pourrait-on dénier de prime abord tout effet prosélytique que peut avoir le port du foulard, dès lors qu'il semble être imposé aux femmes par une prescription coranique qui (...) est difficilement conciliable avec le principe d'égalité des sexes. Aussi semble-t-il difficile de concilier le port du foulard islamique avec le message de tolérance, de respect d'autrui et surtout d'égalité et de non-discrimination que dans une démocratie tout enseignant doit transmettre à ses élèves".

Par cette affirmation, la Cour se sépare radicalement de la conception française de la laïcité. En renvoyant le religieux à la sphère du privé, du non public et du non visible dans la cité, le droit français exclut complètement, par la même, que la dimension religieuse constitue lřun des fondements de la société démocratique. Dans notre pays la démocratie est traditionnellement considérée comme étant plutôt une affaire de pluralisme politique, de modes de scrutin, d'aménagement des pouvoirs publics constitutionnels nationaux et locaux mais certainement pas de convictions religieuses ! À la rigueur accepterait-on de considérer que la démocratie est un bon régime pour la protection des libertés dont la liberté de religion et de voir dans cette dernière une conséquence du régime démocratique, non l'un de ses fondements. Cřest dire combien les deux conceptions, celle de la Cour EDH et celle de lřÉtat français, sont aux antipodes lřune de lřautre. De là une situation juridique qui pourrait se révéler potentiellement conflictuelle entre les deux conceptions. Dès lors le débat est entre deux termes d'une même alternative Ŕ soit la France entreprend de convaincre les juges de Strasbourg pour les convertir à sa conception, soit elle s'incline. Cependant, on a vu plus haut à quel point le modèle français est isolé en Europe. Il y a donc peu de

25 Mme Dahlab c/ Suisse

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chances de le voir s'imposer à presque tous les autres États du continent de sorte que l'on doit plutôt s'attendre à un alignement progressif de la France sur le standard européen, ce qui sera sans doute lřoccasion de déchirantes révisions de certaines de nos positions constitutionnelles, législatives et jurisprudentielles parmi les mieux ancrées et les plus anciennes de notre conscience juridique.

Il ne faut, en effet, pas s'y tromper : pour hétérodoxes que puissent être aux yeux de la Cour européenne nombre de solutions françaises, elles nřen correspondent pas moins au sentiment d'une large majorité des Français. La difficulté de nos gouvernants risque donc d'être double car il leur faudra, dans certains domaines touchant au fait religieux, opérer eux-mêmes une révolution mentale et convaincre nos concitoyens, leurs administrateurs et leurs juges, de pratiquer une politique juridique à fronts renversés.

c) La portée de la reconnaissance de la liberté religieuse par la Convention et la Cour EDH

La liberté d'enseigner la religion comporte à la fois le droit de le faire envers ceux qui sont déjà des fidèles ou des adeptes et le droit de le faire à l'égard des tiers qui ne sont pas membres de cette religion. La Cour considère que sans cette liberté de pouvoir convaincre autrui la liberté de changer de religion proclamée par la Convention resterait lettre morte26. La Cour reconnaît ainsi au prosélytisme comme on l'a écrit, le caractère de "composante essentielle de la liberté de religion"27 sous réserve du prosélytisme abusif qui, lui, est condamné par la Cour de Strasbourg.

En revanche, la Cour, confirmant entièrement la position adoptée sur le même sujet par le Conseil d'État français28, ne reconnaît pas aux adeptes d'une religion le droit d'exiger des services publics lřinstitution d'une dispense générale de l'obligation scolaire un jour déterminé de la semaine (le samedi en lřespèce)29 ou d'une dispense de participer, pour le même motif, à des célébrations publiques officielles (telle la fête nationale)30. La Commission faisait de même s'agissant d'une demande de dispense d'obligations professionnelles31 pour motifs religieux.

Il faut ranger dans ce cadre la très controversée décision Otto-Preminger-Institut c/ Autriche du 20 septembre 1994 (précité) par laquelle est reconnu aux bénéfice des fidèles d'une religion le droit d'exiger de l'État qu'il sanctionne la profanation d'images, de symboles, de récits ou de personnages religieux sans que leur auteur puisse se prévaloir d'une quelconque liberté d'expression ou dřopinion laquelle, lorsqu'elle revêt une forme outrancière, blessante, choquante ou blasphématoire ne saurait l'emporter sur la liberté religieuse prise ici dans son acception de droit au respect de ses convictions religieuses. Comme il y a un prosélytisme religieux abusif il peut y avoir un détournement dans lřusage fait par

26 CEDH, Kokkinakis c/ Grèce, 25 mai 1993 27 J.-Fr. Flauss, Chron. de jurisprudence de la CEDH, AJDA 1994 p. 31 28 C.E. Ass., 14 avril 1994, Consistoire central des israélites de France et autres, RDP 1996 p. 867, note C

Haguenau 29 CEDH, 27 avril 1999, Martins Casimiro et Cervirra Ferreira c/ Luxembourg, AJDA 2000, p. 537, chron. J.-Fr.

Flauss 30 CEDH, 18 décembre 1996, Valsamis c/ Grèce et Ejïstastiou c/ Grèce 31 Commission, 3 décembre 1996, Konttinen c/ Finlande

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une personne de sa liberté d'expression et d'opinion. Ici la Cour a pris très nettement position en faveur, en ce cas, d'une hiérarchie des libertés qui place celle de religion au-dessus de la liberté d'expression ou de communication. En revanche, cette liberté d'expression est beaucoup plus facilement admise s'agissant de critiques anti-sectaires, au moins pour ce qui regarde certaines sectes32.

Par ailleurs, on ne peut pas faire entrer nřimporte quoi sous le vocable religieux. Par exemple, sous prétexte que la distinction du spirituel et du temporel est malaisée en islam, surtout pour un fondamentaliste, celui-ci ne saurait invoquer sa liberté religieuse pour couvrir des actes purement politiques qui ne traduisent point, au moins à titre principal, une conviction religieuse33.

Quel avenir pour l'exception française ?

Le système de protection des droits religieux que lřon vient de décrire a de fortes chances de perdurer, relayé cette fois par lřUnion européenne qui a adopté, par le traité de Nice du 7 décembre 2000, une Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Lřarticle 7 du traité sur l'Union européenne institue un dispositif visant à prévenir des violations des droits de l'homme par les États de lřUnion. Le Conseil, statuant à la majorité de quatre-cinquièmes de ses membres, sur avis conforme du Parlement européen et après avoir entendu l'Etat membre concerné, peut constater qu'il existe un risque clair de violation grave par un État membre des droits fondamentaux ou des libertés fondamentales sur lesquels est fondée l'Union. En matière religieuse, cette Charte comporte un article 10 qui est la "copie conforme" de la disposition correspondante de lřarticle 9 CEDH et qui est ainsi libellé :

"1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites.

2. Le droit à l'objection de conscience est reconnu selon les lois nationales qui en régissent l'exercice. "

L'ensemble de ce dispositif, on le conçoit aisément, ne peut que conforter les solutions déjà retenues dans le cadre de la Convention EDH.

En premier lieu, l'article 6.2 du traité de Nice indique que l'Union respecte les droits fondamentaux tels qu'ils sont garantis par la Convention européenne des droits de l'homme et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, en tant que principes généraux du droit communautaire.

En second lieu même si cette Charte nřa pas encore valeur juridique contraignante, elle a été conçue comme le texte qui le deviendra sous la forme d'un traité ou qui ouvrira, un jour, la Constitution commune aux États de lřUnion. C'est dans ce cadre qu'il convient de situer nombre de plaintes dont est d'ores et déjà saisie la Commission, par exemple à propos de loi française relative aux sectes34.

32 27 février 2001, Jérusalem c/ Autriche 33 18 janvier 2001, Zaoui c/ Suisse 34 R. Drago, Laïcité, neutralité, liberté ? in Droit et religion, Arch. Philos. du droit, XXXVIII, 1993, p. 222

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II - Comment enseigner le fait religieux à l'école dans un cadre de laïcité ?

Cette situation juridique, politique et philosophique nouvelle que lŘon vient, à grands traits, de rappeler, va retentir directement sur lřenseignement du fait religieux. Ceci ne concerne, d'évidence, que les enseignants et les enseignements du premier et du second degrés, la question ne s'est pour ainsi dire, jamais posée pour lřenseignement supérieur tant à raison des traditions de lřUniversité française que de lřâge des étudiants, considéré comme suffisamment élevé pour les soustraire à toute influence ou à toute propagande du fait des enseignements quřils reçoivent. Enseigner le fait religieux à l'école, après ce que nous venons de dire dans la première partie de cet exposé, relève désormais de l'évidence (A), ce nřen demeure pas moins un exercice qui demeure encore parfois délicat (B).

A) L'enseignement du fait religieux, une évidence

Qu'il faille enseigner le fait religieux à lřécole relève aujourdřhui de l'évidence à la fois parce que le phénomène religieux est un phénomène comparable à beaucoup d'autres à lřégard desquels nřexiste aucune hésitation sur la nécessité de les enseigner (a) et parce que le phénomène religieux est un phénomène objectivement très important surtout sur la "durée longue " (b), pour parler comme G. DUBY.

a) Le fait religieux, un phénomène comme un autre

Longtemps, en France, il a existé, sous prétexte de laïcité, une véritable discrimination à l'égard de lřenseignement du fait religieux. Celui-ci concerne un grand nombre de personnes, il revêt des manifestations à la fois internes et externes fort nombreuses quřil s'agisse d'opinions, de rituels, de cérémonies, d'édifices, d'éléments du paysage urbain ou rural, de prises de position dans les domaines les plus divers, etc. Par ailleurs, la religion infuse nombre de secteurs comme la littérature, l'alimentation, le cinéma, lřart, la sexualité, la morale, la politique, lřéconomie...

Pourtant on a, depuis un siècle, éprouvé beaucoup de réticences à voir traiter ces questions à lřécole sous lřangle de leur analyse religieuse. En revanche, dans le même temps, il nřy avait aucune hésitation à faire pencher nos chères têtes blondes sur les batailles, les dynasties, l'évolution de la production céréalière, lřexistence d'un Front populaire ou d'un Congrès de Vienne...

Les raisons de ce traitement différencié entre des phénomènes sociaux dont les uns sont, à la limite, survalorisés, et dont les autres sont, au contraire, injustement minorés et occultés, sont diverses et complexes, variables selon les époques et selon les personnes. À l'origine, et de quelque côté que lřon se tourne, la France, l'antique "fille aînée" de l'Église, est apparue singulière en matière de rapports entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel et, plus prosaïquement, dans le domaine du statut des religions dans lřÉtat, On connaît les raisons historiques de cet état du droit. La France a, pendant un millénaire environ, entretenu de très étroites relations avec le Saint-Siège et malgré le gallicanisme

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des XIV° et XV° siècles et les guerres de religion, le concordat de Bologne de 1516 puis celui de 1801 allaient, cahin-caha, maintenir pour lřessentiel un ensemble juridique demeuré assez invariant jusqu'en 1905. Cependant presque depuis les origines, la question de la place de la religion dans lřÉtat a été dominée par le fait que lřÉtat nřavait affaire qu'à une seule religion, fortement structurée en une église elle-même organisée en société internationale de fidèles, la religion catholique. Un auteur a, à cet égard, excellemment observé : "Le droit français concernant la liberté religieuse, la laïcité de l'État et sa neutralité ne s'est déterminé et ne se détermine encore qu'en fonction de la place qu'a en France l’Église catholique. Même quand il la rejette... ". De là s'ensuit que cette question a souvent été de nature presque exclusivement politique : en même temps que du statut d'une religion, il s'agissait en réalité surtout de déterminer l'espace de survie politique de LřÉtat français. En effet, les Rois ne tenaient, pour l'essentiel, leur légitimité que de la conformité de leur pouvoir aux règles religieuses en ce domaine, le droit édicté par l'État pouvait difficilement nřêtre pas, dans nombre de domaines, strictement conforme aux prescriptions religieuses, etc. Dřoù cette volonté constante depuis le XIII° siècle, affichée à la fin du XIV° et poursuivie incessamment depuis, notamment à travers la Pragmatique sanction de Bourges de 1438 et la Déclaration des quatre articles de 1682, devenue loi d'Empire sous Napoléon en 1810. Ainsi l'État, en France, a constamment lutté pour pouvoir disposer d'un réel espace de liberté et d'autonomie, enserré qu'il était dans les mailles d'une religion qui avait la double particularité d'être très fortement organisée et, sinon quasiment unique jusqu'à la fin du XVI° siècle, du moins très largement dominante et encore depuis. C'est dans cette perspective qu'il convient de situer la problématique lorsque éclate la Révolution de 1789, problématique quřaggrave de façon exponentielle lřanti-catholicisme absolu qui avait caractérisé le XVIII° siècle des intellectuels et des princes et qui allait, rampant ou au grand jour, poursuivre son travail de sape pendant plusieurs décennies au XIX° siècle comme au siècle dernier. C'est d'ailleurs ce sentiment que traduit la volonté de faire surgir, fut-ce artificiellement, une église catholique nationale, c'est-à-dire qui ne serait plus catholique mais schismatique, d'où aussi la volonté d'œuvrer pour la reconnaissance et le développement d'autres religions permettant de faire contrepoids au catholicisme, d'où encore cette mesure qui, sans cela ne se comprendrait pas : la Constitution civile du clergé (12 juillet-24 août 1790) est la première nationalisation que la Révolution ait opéré avant même la confiscation des biens des nobles ou des émigrés ou la rédaction d'une constitution pour la France. Dans ces conditions le silence sur le fait religieux dans l'enseignement se comprend comme une volonté de cantonnement de celui-ci à la sphère privée, individuelle, intime et, surtout, à son exclusion hors du champ du débat public où sa présence pourrait menacer les bases de la légitimité de l'État. À cet égard, il convient de ne pas oublier que tout au long du XIX° siècle notre État aura cherché un point d'équilibre pour son régime politique, équilibre qui aura été très difficile à trouver - de 1789 à 1884, en moins de cent ans donc, la France aura changé treize fois de constitution (1791, 1793, 1795, 1799, 1802, 1804, 1814, 1815, 1830, 1848, 1852 [2 fois], 1875) soit une tous les sept ans (quand les États-Unis ont la même depuis 1787) et aura connu six ou sept régimes politiques différents. Et encore, sait-on que c'est presque par accident et à la suite de péripéties politiques inattendues que la république s'installe durablement à partir de 1884. Dès lors, introduire le débat religieux en outre et de surcroît aurait sans doute compromis encore davantage l'instauration d'un nouvel équilibre social et politique. On peut

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encore en juger par les terribles secousses quřont constitué pour ce régime le boulangisme, le Ralliement et l'affaire Dreyfus, c'est-à-dire jusquřaux premières années du XX° siècle. À cette raison sřen ajoute une autre - la question n'était pas, on l'a dit, celle de la place de la religion dans lřÉtat mais celle de la place de la religion catholique. Celle-ci revêtait alors plusieurs aspects qui faisaient, à lřépoque, difficulté :

1) Une religion à forme internationale, dirigée depuis "lřétranger" et qui, de ce fait, offre peu de prises à un pouvoir politique qui nřest que national ;

2) Une religion très largement dominante en France, c'est-à-dire incontournable dans tout débat sauf précisément à supprimer tout débat ;

3) Une religion en butte à l'hostilité farouche et déterminée d'une partie considérable de l'intelligentsia qui, par cette mise à lřécart du religieux, poursuivait d'une autre manière, son travail de sape.

Cřest pourquoi on a dit Ŕ et on a eu raison de le dire, au moins au plan juridique Ŕ que la loi de séparation des églises et de lřÉtat de 1905 nřa pas été, dans lřesprit de ses promoteurs, d'abord une loi de liberté mais une loi foncièrement anti-catholique. Voilà pourquoi ce fait d'évidence que le fait religieux est un fait social comme dřautres faits le sont, a pu, un temps, être occulté, mais ce nřest plus le cas aujourd'hui.

b) Le fait religieux, un phénomène social capital

C'est peu de dire que le fait religieux est, en soi, un fait social comme les autres. Dans un pays comme le nôtre, en raison de ce qu'ont été les conditions de la chute de lřempire romain, le modèle de diffusion du christianisme sous sa forme catholique en occident, le mode de constitution de lřétat et de la monarchie, etc. La religion a été un phénomène qui domine très largement, en longue période, tous les autres phénomènes. Il en est sans doute ainsi dans la plupart des pays et dans la plupart des civilisations.

Du coup, lřoccultation de l'enseignement des faits religieux nřétait pas seulement une erreur scientifique grave (cf. le a) ci-dessus), c'était aussi une faute morale et civique. En effet, cela avait pour résultat de laisser une partie considérable de la vie des élèves en dehors de toute validité et de toute légitimité. Et lorsque, en famille, la vie religieuse était intense, forte, constituait une part importante du vécu quotidien de lřenfant ce silence lourd et persistant le plaçait littéralement dans un état schizophrène. Cela a été lřun des éléments, pas le seul bien sûr ni même, peut- être, le plus important, mais cela a tout de même été lřun des facteurs de la désaffection pour l'école : décidément, lřécole ne nous parle pas de la vie, de notre vie, de nos attentes, d'où, progressivement, dans l'esprit de nombre d'élèves, cette opinion que lřécole ne traite pas de lřessentiel, que lřessentiel est ailleurs. Ceci était d'autant plus étrange que, dans le même temps où la religion (entendons : en fait la religion catholique) était mise sous le boisseau, les mêmes élèves étaient invités à décliner les noms et les exploits de tous les dieux de lřOlympe grec ou du ciel romain, le tout assorti de punitions en cas d'ignorance. Le paganisme était bien à l'honneur, ce qui est une curieuse vision de la laïcité...

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Tout ceci parce que lřon avait oublié (ou décidé de ne pas en tenir compte) combien la religion peut marquer un peuple, chaque individu, un pays, une nation. On le voit bien dans un pays comme le nôtre : que serait notre histoire nationale, que serait même lřhistoire de l'Europe sans le christianisme ? Précisément là gît la difficulté qui persiste malgré lřévolution que l'on a dite et lřévidence qui en résulte.

B) L'enseignement du fait religieux, un enseignement qui demeure encore délicat

Qu'enseigner le fait religieux nřest pas un exercice facile, tout le monde en conviendra. Encore faut-il bien prendre lřexacte mesure de la difficulté et de ses motifs. Tout d'abord, c'est un enseignement qui se situe dans un cadre fortement

connoté (a), ensuite le matériau "religieux" ne s'offre pas de la même manière que d'autres matériaux, à lřaction pédagogique de lřenseignant (b).

a) Un enseignement dans un cadre fortement connoté

Le cadre de référence de cet enseignement est doublement connoté : par la notion même de laïcité et par la prégnance encore forte du catholicisme.

1) La notion même de laïcité On a pris conscience, à l'époque récente, d'un fait jusqu'alors laissé largement dans l'ombre par ignorance. La conception d'un État laïque, c'est-à-dire d'un système politique dans lequel il existe un espace authentiquement légitime pour le politique et un espace authentiquement légitime pour le religieux, est en réalité une conception chrétienne. Il faut ici refaire un peu d'histoire et revenir à la doctrine du Reddite. On connaît le récit par lequel lřÉvangile raconte qu'un jour des juifs, désireux d'embarrasser Jésus, lui demandent s'il faut payer l'impôt à César, c'est-à-dire, en bref, s'il faut obéir à César et cela en conscience : la question est évidemment un piège. Si Jésus répond positivement il est traître à la cause nationaliste juive, c'est en quelque sorte un véritable "collabo" puisque les Romains sont la puissance occupante; s'il répond négativement, il est un séditieux, un dangereux conspirateur dont la police et la justice impériales vont promptement s"occuper. On connaît la suite du récit. Jésus se fait apporter un denier et, ayant constaté la présence de lřeffigie de César sur l'une des faces de la pièce, Jésus s'exclame : " Rendez à César ce qui est à César; rendez à Dieu ce qui est à Dieu ". Comme le texte de la Vulgate établi par St Jérôme est en latin et que "Rendez" se dit Reddite à l'impératif, on appelle cela la doctrine du Reddite. Or ce texte est capital. Certes on y voit traditionnellement la première affirmation nette, dans l'histoire de lřhumanité, de la distinction entre deux domaines, spirituel et temporel, mais il faut aller plus loin et voir que ce texte est en réalité révolutionnaire. En effet, il affirme que chacun des deux pouvoirs a un droit égal à exister, que chacun est lřégal de lřautre et donc que chacun a, en lui-même la source de sa légitimité. Ce second aspect est le plus souvent perdu de vue par les commentateurs, il est évidemment capital et permet de comprendre que Juifs et Musulmans disent que leur imposer le respect de la laïcité, une certaine neutralité

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dans la vision des choses et donc dans leur enseignement, cřest en réalité leur imposer de se soumettre à la vision chrétienne du politique. Je ne sais pas si, par là, ils sont réellement soumis à la conception chrétienne mais ce qui est vrai et certain cřest que cřest le christianisme (et aujourd'hui encore il est à peu près seul à lřavoir fait) qui a, à la fois, distingué politique et spirituel, vu dans ces deux entités les composantes suprêmes de tout corps social et posé en axiome leur égale légitimité.

Enseigner le fait religieux à l'école est aussi une manière de sortir de cette "nasse" culturelle : une laïcité conçue comme véhicule normatif et pratique de la conception chrétienne de la politique.

2) La présence massive du catholicisme

Enseigner le fait religieux c'est évidemment parler des religions, de toutes les religions. Or ici, pour un enseignant français, le piège Ŕ involontaire Ŕ que tend le catholicisme est double. D'abord, il est massivement présent dans le "paysage", si l'on peut dire. Si lřon doit citer cent événements à connotation religieuse dans lřhistoire de France depuis Clovis par exemple (à commencer d'ailleurs par le baptême de Clovis), très peu ne seront pas relatifs à l'Église catholique, à ses dogmes, à son clergé, à ses structures, à ses décisions, etc. C'est certain et cřest un fait que 1řon ne saurait ni contester ni minorer à lřexcès. Par ailleurs, et pour dépasser la durée historique, il est clair que le catholicisme est, aujourd'hui encore, une religion largement dominante en France. Ici encore, il convient de prêter attention aux chiffres. On a tendance, lorsque lřon évoque le nombre des chrétiens, à ne pas retenir le ddfre des baptisés mais celui des pratiquants, tandis que pour les musulmans ou les juifs les chiffres donnés sont des absolus, à savoir le nombre d'adeptes des religions concernées. Ainsi, parler de quatre millions de musulmans c'est dire que tous ceux qui sont nés dans cette religion le sont, alors mêle que la pratique est très faible (7 à 8 % dans la région marseillaise selon des enquêtes faites par l'Observatoire du religieux de lřIEP d'Aix). Si l'on prend des bases homogènes, la pratique ou la naissance, les chiffres sont nets. 85% de catholiques, 7% de musulmans, 1,30% de protestants, 0,80% de juifs.

Là encore, les données de fait s'imposent à nous mais il est clair qu'elles vont avoir une incidence forte sur la pédagogie du fait religieux.

b) Une matière difficile à enseigner

Le "matériau" que constitue la religion place l'enseignant en face de plusieurs difficultés : de quoi va-t-on parler ? Comment va-t-on en parler ?

¤ Il y a tout d'abord la difficulté d'un traitement à peu près égalitaire des religions et c'est à égard quřil convient de ne pas commettre une erreur. La tentation est grande de dire un peu sur chacun des cultes afin de mettre un terme à lřignorance des élèves. Cependant, une telle attitude nřest pas aussi judicieuse que cela pourrait le paraître de prime abord. En droit Ŕ mais aussi en morale élémentaire Ŕ il nřest pas juste de traiter identiquement des situations différentes.

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Consacrer le même nombre d'heures ou d'exercices au christianisme et au judaïsme pêche gravement contre la justice dans la mesure où cela ne reflète pas la réalité matérielle et quantitative des choses et des personnes concernées. Certes, il ne faut pas, à l'inverse, dire que puisqu'il y a plus de cent fois plus de chrétiens que de juifs, il conviendra de consacrer cent fois plus de temps pour la première religion que pour la seconde. Mais entre un traitement égalitaire brut mais injuste et illégal, et un traitement strictement proportionnel il y a place pour un juste milieu : parler davantage de lřentrée en Ramadan et du Ramadan que de l'entrée en Carême et du Carême lui-même est peu admissible. On ne sera pas quitte de la pseudo-égalité, en fait vraie discrimination, qui consisterait à faire venir en classe un rabbin, un muphti, un bonze, un prêtre, etc.

¤ Il y a ensuite, la question de ce quřil convient d'enseigner en fait de religion. Il y a, pour simplifier, les religions fortement ritualisées et les religions fortement intériorisées. Au premier groupe, appartiennent par exemple, islam, hindouisme et judaïsme, au second se rattachent tous les christianismes et certaines formes de bouddhisme. Dans le premier cas, on sera tenté de mettre lřaccent sur la description du rite (la circoncision, lřAït, Souccoth, etc.) ce qui est facile car plus médiatique et d'un abord plus aisé pour le grand public, donc les enfants. Ceci se fera alors avec le risque d'une simplification abusive et au détriment des aspects, par exemple théologiques, majeurs. Dans le second cas, l'absence de ritualisation oblige d'emblée, à l'abstraction, à la théorisation. Non seulement c'est plus difficile à faire mais surtout cela oblige l'enseignant à se situer à un niveau de catéchèse (pas à faire de la catéchèse...) ce qui va lřimpliquer davantage que dans le cas précédent.

¤ Il y a, enfin, la manière d'enseigner. C'est là tout un art bien difficile en vérité. Comment exposer à des enfants un récit biblique (le déluge, la traversée de la mer rouge, la multiplication des pains, la guérison du paralytique...) sans risquer lřun des deux écueils suivants : 1) prendre tellement à cœur le récit, y entrer si complètement que lřon va faire croire à l'enfant que c'est là une vérité puisque le maître Ŕ ce savant Ŕ y croit lui-même ? 2) Ou bien, par souci de distanciation, et d'une certaine neutralité, rester très froid à l'égard du récit, voire dubitatif, au risque, cette fois, de blesser les enfants et de susciter des réactions, parfois violentes, des familles. Imaginons un enfant rentrant dans sa famille, très croyante, après la classe et disant à ses parents que son enseignant a dit que le récit de la Création du monde en sept jours n'était pas à prendre au pied de la lettre, que c'est une image, une façon toute sémitique de dire les choses, etc. ?

Semblablement, il sera difficile d'adopter le "bon" ton pour expliquer que, selon la Bible, le peuple juif est le peuple "élu", devant un auditoire où il y a beaucoup de musulmans, ou pour expliquer que Jésus est le fils de Dieu, le Messie, devant un public où il y a des juifs et des musulmans.

La tâche est d'autant plus difficile que l'on ne peut pas espérer s'en tirer en adoptant l'une de ces trois attitudes, différentes certes mais contestables : soit passer purement et simplement sous silence ces situations, ne pas les traiter, soit, par une pirouette, dire qu'il y a du bien un peu partout, que tout le monde a un peu raison, soit, enfin, susciter le doute en montrant surtout les contradictions.

C'est dire qu'enseigner le fait religieux à lřécole laïque, dès lors que c'est une nécessité absolue, suppose des maîtres ayant reçu une formation à cet effet.

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Des maîtres qui connaissent bien leur sujet et qui soient respectueux des valeurs véhiculées par la religion sans renier le souci d'objectivité qui a fait la gloire de notre enseignement. Cela suppose une pédagogie active de la tolérance entre les élèves afin quels s'acceptent les uns les autres avec leurs différences, y compris religieuses.

La France se trouve désormais à un carrefour mais elle n'a pas le choix de sa route . Ce ne peut être que celle d'une laïcité positive, ouverte, c'est-à-dire qui accepte de voir le religieux jouer un rôle dans la sphère publique à lřinstar de nombre d'autres phénomènes non politiques. Nos dirigeants doivent décider ou subir un certain retour du religieux comme fondement du régime démocratique. Jamais, peut-être, sur ce point du moins, la distance nřaura été aussi grande entre la République, qui peut encore ignorer les cultes, et la démocratie qui, selon la Cour EDH et lřUnion européenne, trouve, dans la religion, lřun de ses éléments constitutifs majeurs. On mesure lřampleur de lřenjeu.

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Deuxième partie

Tables rondes

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TABLE RONDE

« Les jeunes et la religion »

- La religion dans la cité, la religion à l’école -

Animation :

Jean SÉRANDOUR, inspecteur pédagogique régional dřAix-Marseille.

Participants :

Jean-Marc CHOURAQUI, professeur dřhistoire du judaïsme à lřuniversité de la Méditerranée,

directeur de lřInstitut interuniversitaire dřEtudes et de Culture Juives.

Michel GUERIN, philosophe, professeur dřesthétique à lřuniversité de Provence

Claude MARTINAUD, présidente de la Société dřHistoire du Protestantisme du Midi

Méditerranéen, professeure en CPGE

Christian SALENSON, théologien, directeur de lřInstitut des Sciences et Théologie des

Religions

Karima SLIMANI, historienne, chargée de recherche au CNRS et à lřIREMAM.

Avertissement : La transcription résumée des interventions a été réalisée

sans relecture par les participants. _________

J.S. Ŕ Comme je lřai indiqué ce matin en ouverture, ces 3èmes Rencontres se proposent de revisiter les contenus du séminaire national de novembre dernier à Paris, consacré à « L’enseignement du fait religieux ». Avec lřaide dřuniversitaires incontestables, nous avons comme premier souci dřaider les professeurs dřhistoire, de géographie et dřéducation civique à conduire un enseignement raisonné et distancié sur ce sujet. Je voudrais citer à ce propos un passage du

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rapport de Régis Debray au Ministre de lřéducation nationale L’enseignement du fait religieux dans l’école laïque :

« Depuis le rapport du recteur Joutard de 1989, les raisons de fond ont été, maintes fois et sous divers angles, développées qui militent, en profondeur, pour une approche raisonnée des religions comme faits de civilisation.

Argumentaire connu. C'est la menace de plus en plus sensible d'une déshérence collective, d’une rupture des chaînons de la mémoire nationale et européenne où le maillon manquant de l'information religieuse rend strictement incompréhensibles - voire sans intérêt - les tympans de Chartres, la Crucifixion du Tintoret, le Don Juan de Mozart, le Booz endormi de Victor Hugo, et la Semaine Sainte d'Aragon. C'est l'aplatissement, l'affadissement du quotidien environnant, dès lors que la Trinité n'est plus qu'une station de métro, les jours fériés, les vacances de Pentecôte et l'année sabbatique, un hasard du calendrier. C'est l'angoisse d'un démembrement communautaire des solidarités civiques, auquel ne contribue pas peu l'ignorance où nous sommes du passé et des croyances de l'autre, grosse de clichés et de préjugés. C'est la recherche, à travers l'universalité du sacré avec ses interdits et ses permissions, d’un fonds de valeurs fédératrices, pour relayer en amont l’éducation civique et tempérer l’éclatement des repères comme la diversité, sans précédent pour nous, des appartenances religieuses dans un pays d’immigration heureusement ouvert sur le grand large. »

A côté des conférences proposées au cours de ces deux journées, cette table ronde veut offrir aux enseignants de réfléchir et de débattre sur le thème : « Les jeunes et la religion : la religion dans la cité, la religion à l’école ». Sauf à accepter le risque de heurter des sensibilités et des convictions personnelles ou communautaires, et dřengendrer des conflits, lřécole ne peut ignorer la place du fait religieux dans la cité, et le regard que les jeunes dřaujourdřhui lui portent. Le silence et la méconnaissance sont, en l'occurrence, le vrai danger. L'école doit aborder cette question, comme les autres, dans une démarche de laïcité ouverte, cette « confrontation joyeuse des différences » pour reprendre la formule du professeur Jean Delumeau, avec le souci premier du respect de la religion ou de la non-religion de l'autre.

Les échanges ne sřadressent pas à des élèves de collège et lycée, ils ont lieu entre professionnels responsables, sous le contrôle vigilant dřune assemblée dřenseignants adultes et volontaires. On attend de chaque participant quřil puisse éclairer, pour la confession ou la sensibilité qui lui est familière en tant que chercheur ou en tant que témoin privilégié, les interrogations qui vont suivre. Il est une caractéristique largement soulignée par les médias : une partie des jeunes musulmans aujourd’hui sont en rupture avec la Tradition – par réflexe, classique, d’opposition à la génération de leurs parents. Ils font une lecture très littérale du coran, au pied de la lettre ("Je comprends mieux le Coran que mes parents"), et croient de ce fait retrouver la religion des origines.

Alors, je vais élargir la réflexion à l’ensemble des confessions et vous poser cette première question :

- Aujourd’hui, et par comparaison avec la génération de leurs parents, quelle approche les jeunes ont-ils de la religion ?

- Qu’est-ce qui a fondamentalement changé sur ce plan, ces vingt dernières années ?

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K.S. Je voudrais dřabord indiquer que je participe à cette table ronde dřabord en tant que chercheur, en tant que spécialiste dřhistoire des migrations, et pour apporter, si possible, des réponses à des problématiques qui entrent dans mon champ de recherche, et non pour une supposée compétence naturelle en tant que chercheur de confession musulmane. Mon métier de chercheur et mon appartenance confessionnelle ne se rencontrent guère, même si jřai eu lřoccasion dřétudier les discours et les pratiques religieuses des groupes de migrants sur lesquels je travaille. Pour terminer cette mise au point, je ne souhaite pas que ma présence ici corresponde à la carte de lřethnicité si chère à certains politologues ; je la récuse totalement, et je pense aussi quřil serait souhaitable de déconstruire cette catégorie de « chercheur dřorigine… » ou « de confession… » qui alimente inévitablement des confusions et des interprétations, catégories dans lesquelles je nřa pas envie de me retrouver, notamment celle du communautarisme. Cřétait le minimum de précautions à prendre pour respecter la déontologie de notre métier.

En réponse à la première question, je voudrais dire quřen ce qui concerne la population issue de lřimmigration maghrébine et comorienne on retrouve effectivement ce que Jean Sérandour a souligné : « Moi, je connais le Coran mieux que mes parents ». Peut-être est-on, parfois, à la recherche dřun enseignement religieux plus élaboré…

Il sřavère que pour la première génération de lřimmigration maghrébine, la question de lřenseignement de lřislam ne se posait pas vraiment. Il allait de soi. Les gens qui étaient partis étaient à la fois dans des urgences économiques et dřéducation qui laissaient peu de place à une préoccupation dřéducation religieuse. Dans le pays dřorigine lřéducation religieuse se faisait dans un cadre familial, ou dans un univers plus large : à lřécole coranique quand cřétait possible. Le problème ne sřest donc pas posé pour cette génération. La préoccupation des parents était la réussite de leurs enfants à lřécole. Sur ce plan les choses nřont pas été simples. On peut effectivement sřinterroger sur les possibilités de réussite des gens qui vivent dans des quartiers à forte population immigrée ; on peut faire de nombreux constats dřéchec.

Il est évident que ces enfants issus de la 2ème ou 3ème génération sont en quête de réussite et de reconnaissance, sont plus exigeants pour eux-mêmes. Ils sont en quête aussi de savoirs religieux, et cette quête est tout à fait corollaire dřune quête identitaire qui passe par la réappropriation dřun patrimoine symbolique familial et culturel. La pratique religieuse joue ici un rôle très important ; dřautant que la culture religieuse est extrêmement fragmentaire, parcellaire, folklorisée dans des pratiques dogmatiques qui se limitent à des fêtes religieuses comme le jeûne du Ramadan.

Si je prends lřexemple comorien, intéressant car beaucoup plus visible, une partie des jeunes issus de lřimmigration ont, plus que les jeunes maghrébins, cette réaction de dire : « Moi, j’en connais plus que mes parents ». Car la pratique de ces derniers est celle dřun islam fondamentalement coutumier qui puise dans des racines africaines, éloigné de lřislam orthodoxe. Et là, les réactions sont assez radicales, alimentées aussi par les imams new-look, jeunes trentenaires qui ont fait leurs études théologiques à El Asnam, notamment, qui font ce travail de prédication et de propagande dans certaines cités, et qui disent : « Cet islam de

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vos pères nřest pas le bon islam, cřest un islam coutumier. Nous allons vous apprendre ce quřest le véritable islam ». On assiste, effectivement, dans cette configuration-là, à des conflits de générations, qui sont surtout des conflits liés à lřaffirmation de soi, laquelle passe par le biais de la religion. J.M. C. Ŕ Pour prévenir tout malentendu, je vais aussi me positionner et dire à quel titre je suis ici. Je suis dřabord un fils de la laïque, originaire dřAfrique du nord et resté très attaché aux idéaux de laïcité, notamment la laïcité originelle qui excluait toute parole de Dieu mais pas nécessairement sur Dieu. Ceci explique que je me soit dřabord engagé dans une thèse en histoire chrétienne Ŕ histoire des mentalités chrétiennes Ŕ avec le professeur Michel Vovelle : « Le combat de Carnaval et de Carême en Provence (17ème/19ème siècles) ». Ce nřest que dans un deuxième temps que je me suis spécialisé en histoire du judaïsme. Elu professeur à lřuniversité de la Méditerranée, jřai pris également la direction de lřInstitut interuniversitaire Ŕ absolument laïque Ŕ dřétudes et de culture juives. Je ne suis donc pas là en tant que représentant de la communauté juive, mais en tant quřhistorien du judaïsme et chercheur en histoire comparée des religions.

Pour répondre à la question, lřapproche du judaïsme conduit à explorer une

réalité qui déborde Ŕ comme pour lřislam Ŕ le simple cadre religieux. Si le judaïsme est à lřorigine une civilisation religieuse Ŕ judaïsme vient de jehuda, une des tribus dřIsraël Ŕ il est constitutif dřun peuple avec tous ses attributs (une organisation étatique, une terre). Ainsi, enseigner le fait religieux dans le judaïsme cřest enseigner à la fois lřhistoire dřune religion et lřhistoire dřun peuple. On retrouve dřailleurs une des étymologies mêmes du mot religion Ŕ religio, religare en latin = passer une alliance. Les Juifs se sont constitués en tant que peuple, en tant que communauté, en passant une alliance avec Dieu, formant ainsi une civilisation de type religieux. Cřest dans ce sens là, qui est sociétal, que le judaïsme est religieux.

Jusquřà la Révolution française, le judaïsme a une organisation autonome. Ensuite, cette organisation disparaît et le code civil prévaut sur le code religieux. Ainsi, mes parents en Afrique du nord sont les purs produits de la Révolution française, laquelle sřaccompagnait dřune forte acculturation. Pour autant cette entrée des Juifs dans la cité ne sřest pas accompagnée dřune rupture de fidélité à une histoire, à un destin. Et cřest là que le sociologue Albert Memmi a forgé le concept de judéité qui désigne la conscience, et la volonté, dřappartenance à une histoire.

Cřest au moment où, intégré dans la cité, le judaïsme nřest plus considéré, ni vécu, comme une société particulière mais comme une confession religieuse réduite à la sphère privée, que les Juifs se détachent précisément de la définition religieuse du judaïsme. Cřest le grand paradoxe de la modernité. Le monde, la société environnante, vont définir les Juifs sous lřangle de la religion, dřune confession mosaïque, au moment même où ces Juifs ne se définissent plus exclusivement en termes religieux.

Lřémancipation politique des Juifs sřest donc accompagnée dřune émancipation du judaïsme, en tant que pratique religieuse de leurs parents. La Shoah et Vichy vont bouleverser ces données pour nombre de Juifs. Ces Israélites Ŕ ainsi nommés jusquřà la guerre Ŕ qui se sont dépensés sans compter dans tous les domaines dřactivité, pour la patrie française, se sont alors sentis trahis par la rupture unilatérale dřun contrat par les responsables politiques. Ainsi,

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à partir de la guerre, le mot Juif, qui avait été abandonné pendant plus de cent ans, va être réinvesti. Puisque les Israélites ont connu le sort des Juifs dřavant la Révolution française, ils vont se réapproprier le terme.

La judaïcité dřaprès guerre va se recomposer à partir de deux marqueurs identitaires : le génocide dřune part, la création de lřÉtat dřIsraël dřautre part. Du génocide Alain Finkelkraut a pu écrire : « La Shoah est la religion des Juifs sans religion », cřest à dire que lřidentité juive va être nourrie presque exclusivement par la mémoire du génocide. Mais cette mutation va sřaccompagner aussi dřun renouveau culturel et religieux, que va renforcer le judaïsme rapatrié dřAfrique du Nord. Ce dernier, émancipé beaucoup plus tardivement (décret Crémieux de 1870), vivait selon une certaine tradition "bon enfant". Cřest ce judaïsme traditionaliste qui va arriver en France à partir de 1962. Mais, parallèlement à cette ré-assomption identitaire, dans un ordre religieux ou culturel, pour les enfants des Juifs dřAfrique du Nord après guerre le processus de déjudaïsation religieuse va tout de même se poursuivre. Dans le même temps, le processus dřintégration va sřaffirmer, favorisé en France par une société beaucoup plus ouverte quřen Algérie où il y avait un très fort antisémitisme. Après la Shoah et après la fin de lřépoque des idéologies, on va donc assister à une affirmation des jeunes générations par rapport aux parents. Nouveau paradoxe, cette émancipation va revêtir deux formes opposées :

- soit les jeunes assument plus fortement leur judaïsme, dans un sens religieux, conduisant même les parents à sřadapter à leur engagement

- soit ils sřinvestissent dans un sens politique ou culturel, une partie dřentre eux sřinscrivant plus souvent dans des écoles juives.

Mais, paradoxalement, si les enfants juifs ont une identité plus assumée que leurs parents ou grands-parents, ils vont faire aussi beaucoup plus de mariages mixtes dans cette société française plus ouverte. On peut dire aujourdřhui que 74% des enfants juifs sont scolarisés à lřécole laïque ; le nombre dřenfants juifs scolarisés en écoles confessionnelles a cependant doublé ces vingt dernières années.

C. S. Ŕ Jřinterviens comme prêtre de lřéglise catholique, et donc comme " témoin privilégié ". Jřinterviens aussi en tant que directeur de lřInstitut universitaire des sciences et théologie des religions. Attaché à promouvoir la connaissance des différentes religions, je suis également soucieux de travailler à la rencontre entre les croyants de ces diverses appartenances. Répondre à la question Ŕ en ce qui me concerne, particulièrement les jeunes catholiques Ŕ cřest très globalisant et on aura soin de nuancer ce qui va être dit. Je ferai cependant trois remarques :

- Par rapport à lřobjet de croyance : la façon de sřy rapporter est aujourdřhui de lř ordre de lřexpérience ; celle-ci est privilégiée sur toute autre approche, par exemple par rapport aux pratiques. Des générations précédentes pouvaient penser que les pratiques religieuses étaient la manière même de vivre leur religion. Aujourdřhui, ces pratiques, en tant que telles, ne sont pas significatives, au point que les sociologues ont dû changer leurs critères dřanalyse. Ce qui compte maintenant pour un jeune, cřest lřexpérience quřil vit. Celle-ci met donc lřaccent sur la subjectivité, cřest à dire sur lřexpérience du sujet. Ce qui compte ce nřest pas ce que dit une institution, mais ce que jřéprouve personnellement.

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Ça va développer le poids de lřémotion dans lřapproche religieuse. Pour les jeunes, les grands rassemblements Ŕ dont les médias se font lřécho Ŕ sont prisés par un certain nombre de jeunes catholiques, car à travers ces événements ils font une expérience collective, émotionnelle, chaleureuse. La ritualité est minorée au profit de lřémotion et de lřexpérience.

- Concernant lřéthique, le rapport est encore subjectif. Cřest le sujet qui tisse ses liens aux valeurs morales. La recommandation du pape a moins de prise sur les pratiques de ces jeunes que la démarche personnelle quřils ont construite. Ceci est le reflet du passage dřune morale à prétention universelle à une morale contractuelle que lřon vit au quotidien dans une pluralité dřapproches.

- Par rapport au capital symbolique de leur religion, les jeunes catholiques sont aujourdřhui dans une grande ignorance. La méconnaissance est grande des textes sacrés, des rites, et a fortiori de la Tradition et de lřhistoire. Ainsi, un jeune catholique qui est allé au catéchisme Ŕ ils ne sont pas si nombreux aujourdřhui Ŕ a vécu dans le meilleur cas soixante heures de formation religieuse. Ce qui explique quřen classe, face au professeur, et sur sa propre religion, il est dřune grande ignorance. Par rapport aux précédentes générations, il nřa que rarement participé à des manifestations symboliques (messes, rassemblements, pèlerinages), aux activités diverses de la vie de lřÉglise qui avaient la vertu dřinitier le jeune aux valeurs et aux rites de sa confession.

C. M. Ŕ La situation du protestantisme est différente. Par essence il est très divers. Comme le dirait Boileau : « Tout protestant est pape, une Bible à la main ». Le lieu de la vérité religieuse nřest plus institutionnel mais il est dans le message transmis par lřÉcriture. Se pose, naturellement, le problème de lecture et dřinterprétation, dřoù la pluralité des approches dans le protestantisme. Pour répondre à la question, le protestantisme a cela dřoriginal quřil a fortement changé, dans son ensemble, depuis une trentaine dřannées, et pas spécifiquement chez les jeunes. Au-delà des Églises historiques, calvinistes et luthériennes Ŕ la Réforme magistérielle Ŕ nous rencontrons le courant de la Réforme dite radicale que, pendant longtemps, lřhistoriographie a qualifiée de sectaire. Ce courant radical est aujourdřhui reconnu par lřensemble des historiens protestants et représente plus de la moitié du protestantisme mondial. Il est utile de le retenir. Sur 500 millions de protestants, 250 millions appartiennent donc au courant radical. Celui-ci a donné naissance à des courants très divers : piétistes, méthodistes, pentecôtistes, anabaptistes, etc. Dès la naissance, la Réforme nřa pas été unitaire ; la diversité sřest aussitôt installée et nřa cessé, depuis, de sřaffirmer. Les Églises historiques, quant à elles, connaissent depuis quelques années une sécularisation, sřadaptant donc au développement dřune culture déchristia-nisée. Dřune manière générale, elles voient leurs effectifs baisser, notamment chez les jeunes. En France aujourdřhui, les Protestants représentent 2% de la population, à Marseille également. Les Églises radicales progressent, elles, à un rythme rapide (20% du protestantisme en 1900/ 50% en 2000). Elles comptent 40% de jeunes (12-25 ans) qui y trouvent une atmosphère chaleureuse, dans des communautés peu nombreuses, où lřengagement personnel est très fort.

M. G. Ŕ Je suis présent à cette table en vertu dřune particularité toute négative : je suis athée. Je précise tout de suite la signification que ce terme a pour moi. Cřest tout à fait lřopposé dřune religion antithéiste, car cřest trop souvent ce quřa été

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lřathéisme, lřathéisme immature, sorte dřanticléricalisme de position laïcarde étroite, stupide. On a trop oublié que peut-être lřesprit de Condorcet, celui de Voltaire, plus tard des Positivistes, ont eu leur utilité intellectuelle, avec toutefois leurs limites. Cřest un philosophe H.G. Gadamer qui, à juste tire, a montré quřil nřy a pas de plus grande superstition Ŕ terme souvent accolé aux religions Ŕ que de croire quřon peut penser sans aucun préjugé, sans aucune superstition. Ce qui fait que je me retrouve assez dans la position de mon ami Régis Debray sur ces questions : il a le mérite de rappeler que la religion est une chose sérieuse. Non pas parce que cřest le seul fait social total Ŕ beaucoup plus que le don Ŕ qui a des affinités avec lřensemble des phénomènes sociaux et culturels, mais aussi parce que cřest un formidable "capital symbolique", parce que cřest un trésor de pensées. Et lorsque lřathée que je suis a écrit il y a trois ans "La pitié, apologie athée de la religion chrétienne", cřétait pour rendre hommage à ce trésor de pensées de la religion qui mřest la plus familière Ŕ non pas que je la préfère, mais cřest celle dans laquelle jřai, malgré tout, été élevé.

Athéisme, certes, mais refus de toute position mesquine, antireligieuse, qui me paraît tout simplement stupide.

Toutes les religions Ŕ qui possèdent au même degré le capital symbolique que jřévoquais Ŕ sont partagées entre deux interprétations, dont lřune est réellement une interprétation, ce que Pascal nommait "interprétation spirituelle" (spirit aliter interpretari), non pas selon la lettre mais selon lřesprit.

Nous devons aux jeunes lřaccès à ce "capital symbolique" Ŕ quřils croient ou quřils ne croient pas, cřest leur liberté ; nous devons leur faciliter lřaccès à cet extraordinaire capital de pensée. Nous devons les mettre en présence de ce thésaurus, ce trésor des grandes religions, si possible de manière comparatiste. Mais, en même temps, nous devons, en tant que laïque, au bon sens du terme, prendre au sérieux Ŕ cette fois pour nous en inquiéter Ŕ toutes les interprétations littéralistes, ritualistes, mesquines et donc violentes Ŕ parce que la lettre tue, parce que la lettre est violence. Là, nous avons aussi un travail à faire, mais il est de précaution.

J.S. – On évoque depuis plusieurs années la reprise des pèlerinages, d’aucuns soulignent la recherche de santé spirituelle, autant d’éléments qui attesteraient d’une " permanence têtue du sacré ", pour reprendre la formule du professeur Jean Delumeau. La fin du religieux est donc une fausse idée, apparemment. Par contre la connaissance s’effrite et cette amnésie menaçante accroît la sensibilité aux messages de toutes sortes.

Quel impact les nouvelles formes de religiosité, les groupements sectaires notamment, ont-ils auprès des jeunes ?

C.S. Ŕ Par rapport à mon propos précédent, en effet, le fait de valoriser lřexpérience, dřexacerber la subjectivité, peut conduire à des dérives de religiosités. Je ne dis pas encore sectaires : secte est un mot qui fait peur, et tout nřest pas "Temple solaire". Deuxième facteur qui renforce cette évolution, les institutions du croire ont perdu, de fait, de leur emprise sociale sur les personnes. Le troisième point qui peut incliner vers ces dérives, cřest la place que lřon fait à la raison : « La religion c’est dangereux ». Les religions ont trois régulations internes majeures :

- la place de la raison (dřune manière ou dřune autre, il faut toujours se battre pour la remettre à sa place)

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- les mystiques qui rappellent aux religions quřelles ne peuvent pas se confondre avec lřobjet quřelles désignent - les prophètes qui ramènent les religions à lřimpact social et à la justice.

Ces trois régulations internes ne suffisent pas, il faut aussi des régulations externes. Cřest pourquoi je suis content de vivre dans un régime laïque. La laïcité cřest aussi ce qui me protège de ma propre religion ; il ne faut pas être naïf par rapport à ça. Lřexpérience ne valorise pas nécessairement le savoir ou la connaissance. Cřest une des raisons pour lesquelles je suis content que, dřune certaine manière, dans lřobjet propre qui est le sien, lřEducation nationale se réengage à donner un type de connaissance sur la religion.

J.S. - Merci de ces réflexions intéressantes. En effet, jřabonderai dans votre sens, en recommandant une grande vigilance et une prudence extrême quand on aborde la notion de secte. On peut avoir des lectures diverses de cette notion. Il nřest que de comparer les lectures européenne et nord-américaine du paysage religieux. Les Etats-Unis font communément le procès à des pays comme la France de considérer comme sectes des Églises parfaitement reconnues Ŕ en tant que telles Ŕ sur leur territoire. Sur ce point Claude Martinaud va peut-être nous apporter quelques lumières… C.M. - Dans le protestantisme on qualifie volontiers les minorités de « sectes ». Au XIXème siècle, on parlait de la secte de lřArmée du Salut, pourtant… Ceci tient à la situation fragmentée du protestantisme lui-même. Aux Eglises officielles on a très vite opposé les autres comme différentes, donc comme sectaires. Ce terme, vous le voyez, appartient ici au vocabulaire théologique.

Aujourdřhui, le qualificatif de secte est très péjoratif et, en réalité, on devrait qualifier les "sectes" protestantes de "non-conformisme religieux". Par contre, le terme "Église", en langage courant, revêt un caractère valorisant. Si le foisonnement des groupes, en ce début de XXIème siècle donne un paysage tout à fait extraordinaire, cette multiplication des communautés pose, en effet, problème. Dans la société où nous vivons, la française en particulier, nous sommes peu habitués au pluralisme des approches religieuses. Je voudrais citer ici une phrase du professeur Jean Baubérot : « En France, le phénomène catholique majoritaire pendant des siècles continue de jouer sur les mentalités collectives, mêmes des athées. » Ce qui explique pourquoi les médias parlent communément de messe pour évoquer le culte protestant ! Ainsi, lřéglise de village cristallise notre appréhension du paysage, à lřopposé dřune petite ville des Etats-Unis où la diversité des lieux de culte est lřun des marqueurs de lřidentité.

Soyons donc prudents : ne confondons pas les non-conformismes religieux avec les phénomènes sectaires. Si on réfléchit bien, au départ le Christianisme était une secte, un mouvement qui se séparait de la pratique religieuse générale.

J.M.C. Ŕ Christian Salenson parlait de régulation interne à propos des Églises. Je crois que la première régulation est la non prétention à détenir la vérité universelle ; cřest là une distinction fondamentale entre le monothéisme hébreux et dřautres monothéismes. Dans le monothéisme hébreux, à partir de lřinstant où vous respectez les sept grands principes de la morale universelle, vous êtes Ŕ en termes religieux Ŕ sauvé. On nřattend pas du non juif quřil devienne juif. Si le judaïsme a accueilli beaucoup de prosélytes, il nřy a pas eu de prosélytisme actif.

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A partir du moment où une religion prétend détenir la plénitude des moyens du Salut, alors le risque de violence existe. K.S. Ŕ Pour évoquer les nouvelles religiosités chez les musulmans, je rappellerai les caractères de lřimmigration maghrébine : immigration ancienne, rurale, peu instruite sinon analphabète. Ils permettent de comprendre ce véritable manque de transmission du savoir qui marque cette communauté. Toutes sortes de messages ont pu sřengouffrer dans les brèches ainsi créées. Ces populations sont aisément captives. Elles sont sensibles aux prédicateurs "new-look" que jřévoquais, portant longue barbe et baskets Nike, et qui remettent en question la religion des pères. Il en est dřailleurs de même des groupes néo-évangéliques qui écument les cités. Les Témoins de Jéhovah font un tabac auprès des populations maghrébines parce que ce sont des gens disponibles qui ont un discours social de solidarité, qui comblent ici un manque évident. Ce que lřon constate aujourdřhui, cřest lřémergence dřindividus qui ont un véritable "leadership", qui sont des figures charismatiques. Ils correspondent en quelque sorte à des grands frères qui ressemblent, sans trop ressembler, à ces populations. Ainsi Tariq Ramadan, qui fait les délices des médias. Personnalité cultivée, philosophe, diplômé de sciences religieuses, enseignant dans une université suisse, ayant une grande érudition et un sens de la répartie, il est capable de parler de tout : actualité, exégèse coranique, morale. Il rassemble une foule à chaque intervention publique, même payante. Son discours correspond à lřattente de beaucoup de personnes et est aussi apprécié des intellectuels français. Cette apparition de figures populaires est un phénomène nouveau, datant de quatre ou cinq ans. Concernant les nouvelles formes de religiosité, que remarquons-nous ? La recrudescence du port du voile, un rigorisme plus affirmé de certaines pratiques… Prenons lřexemple du jeûne du ramadan : quand se fait la rupture du jeûne, on surenchérit, on sřaccorde dix minutes de plus, au cas où… Ces indices de religiosité touchent tous les milieux socio-économiques Ŕ le milieu issu de lřimmigration maghrébine sřétant quand même diversifié, avec des élites intellectuelles, artistiques, économiques. Le problème posé par le port du foulard mérite réflexion. Quand une jeune fille décide de le porter, ça nřa pas le même sens en France quřau Maroc ou en Tunisie. Au delà de lřaspect symbolique Ŕ affichage dřune foi Ŕ, au Maghreb ce voile est à la fois un cache-misère et un passe-muraille ; il donne curieusement plus de liberté aux femmes pour circuler. Il faut donc être prudent et ne pas entrer dans des polémiques délirantes comme en 1989. Ce nřest pas tant lřislam qui fait peur que le fait religieux qui réactive le débat sur la laïcité. Le port du foulard par de jeunes femmes en France est souvent corollaire de cette sincère quête identitaire qui ne doit pas être sous-estimée. Et la religion comble ici les frustrations, panse les blessures dřhonneur, dřorgueil.

M.G. Ŕ Je crois que ce qui fait peur à beaucoup de gens dans ces phénomènes évoqués Ŕ le port du foulard, qui paraît une sorte dřostentation attentatoire à la laïcité ou à la liberté générale Ŕ cřest ce quřil y a dřangoisse dans la religion, ce quřil y a en elle dřarchaïque. En tant que matérialiste athée, je ne tiens pas pour inintéressantes Ŕ sans vouloir les imposer dogmatiquement Ŕ des interprétations

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convergentes comme celles de Freud, de Marx, de René Girard, qui insistent sur le fait que la religion symbolique la plus évoluée a quand même des origines totémiques, cřest à dire des origines dans la violence, dans le sexe et dans lřangoisse. Par conséquent, ce qui nous dérange dans ces manifestations physiques, extérieures, rituelles, primaires au fond Ŕ cřest-à-dire non symbolisées, non médiées Ŕ de la religion, cřest ce retour vers le stade archaïque du fait religieux. J.S. Nous le ressentons bien, les liens des individus aux institutions religieuses se sont distendus, en même temps lřon assiste à une certaine effervescence brouillonne des pratiques 35 . Cette crise de lřencadrement institutionnel sřaccompagne dřune volonté individuelle dřexpérimenter de façon plus libre. En conséquence, lřappartenance est plus partielle, plus fluide. Cřest une sorte de refus du menu religieux pour une approche « à la carte ». Se développe une conception dřun dieu plus impersonnel, cosmique, avec multiplication des apports de diverses religions (ex : lřappréhension de la notion résurrection / réincarnation).

Au delà de cette diversification et de cette personnalisation des lectures du message religieux, chaque religion connaît un même phénomène, réflexe de groupes plus ou moins isolés mais aussi de certaines institutions : le repli communautaire renforcé.

Ce « paysage nouveau » concerne-t-il toutes les confessions de manière identique ? C.S. Ŕ Tout à fait dřaccord, les "Institutions du croire" ont été un peu disqualifiées. Mais ce nřest pas spécifique aux Églises, beaucoup dřinstitutions sont concernées. Les jeunes générations entretiennent une attitude sereine et distante par rapport à elles. La précédente génération avait une attitude très critique, virulente parfois, y compris chez des catholiques fidèles. La génération actuelle non. Il existe quelques groupes Ŕ encore très minoritaires Ŕ pour lesquels le rapport à lřinstitution est extrêmement fort : les traditionalistes qui considèrent le monde comme mauvais et encouragent le repli sur soi. Pour ceux-ci, la raison a peu de place et les croyances tiennent lieu du croire existentiel. Mais ils constituent une frange très marginale J.M.C. Ŕ La question du communautarisme, pour le judaïsme, est fondamentale. Selon une enquête sociologique datant dřoctobre dernier, 51% des Juifs de France se disent traditionalistes, 5% orthodoxes (hors des institutions consistoriales), 29% non pratiquants, et 15% religieusement réformistes (libéraux). Par rapport à une enquête conduite en 1988, deux fois plus de chefs de famille sřimpliquent dans la vie culturelle ou religieuse juive. Si ce renouveau identitaire sřexplique par les raisons historiques que jřévoquais tout à lřheure, il est aussi rendu possible par lřouverture de la société française qui reconnaît de plus en plus les différences culturelles et qui, depuis la Shoah, reconnaît aux Juifs le droit dřaffirmer leur identité. Ainsi y a-t-il eu création de plusieurs chaires dřétudes juives à lřuniversité depuis une vingtaine dřannées ; celle que jřoccupe et lřinstitut que je dirige font partie de ce mouvement. Les nombreuses commémorations (rafle du VélřdřHiv, Shoah) contribuent à renforcer ce mouvement.

35 Cf. Jean-Paul Willaime pp.115-134, in L’enseignement du fait religieux, « Les Actes de la Desco »,

éditions ScérÉn/Desco, 2003.

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Faut-il parler de communautarisme dans ce contexte ? Je préfère le concept de Max Weber : communalisation. Depuis la Shoah, les Juifs de toutes origines se reconnaissent dans une mémoire et une fidélité, un deuil et un souci de transmission communs.

Certains problèmes tout à fait contemporains risquent cependant de favoriser un repli communautaire et un désamour par rapport à lřÉcole publique. La République, une et indivisible, suppose que lorsque lřon agresse un de ses membres, tous les concitoyens manifestent leur solidarité. Or tel nřa pas été le cas lors de la multiplication récente dřincidents ou dřagressions antisémites, à lřÉcole et dans la rue. Aucune manifestation dřindignation nřa été organisée. Pour la rue juive, alors oui, la République et son École sont perçues comme défaillantes. Ceci peut, naturellement, et sous lřeffet amplificateur de la médiatisation, favoriser un repli communautaire, le repli vers les écoles confessionnelles, par exemple. En tant quřhistorien et en tant quřenseignant, nous devons être dřune rigueur intellectuelle absolue, nous informer amplement pour nous prémunir des postures idéologiques simplificatrices, des manichéismes (le réel est allergique, par sa complexité, aux grilles de lecture) et des amalgames. Il faut prendre garde, notamment, aux effets induits dřune importation du conflit du Proche-Orient au sein des établissements. K.S. Ŕ Il est de bon ton dřétablir une distinction entre lřantisémitisme traditionnel, de droite classique, et un antisémitisme banal, que lřon peut constater dans notre expérience dřenseignement, qui viendrait du monde arabe, et qui serait beaucoup moins grave que celui que lřon constate en Europe. Or, il faut faire preuve dřune rigueur et dřune intransigeance à lřégard de celui-ci comme de lřautre. Ces comportements récents, que Jean-Marc Chouraqui évoquait, sont absolument inadmissibles. Et, en effet, on y ressent de fortes résonances de ce conflit douloureux du Proche-Orient. En ce qui concerne lřIslam de France, il nřest pas visible dans le cadre de la République. Cřest un vrai problème. On a constaté, effectivement, que lřislam est importé à partir de 1974, quand la politique migratoire sřest modifiée. Les gens sont restés. Chacun a bien compris, avec la politique de regroupement familial massif, que cette communauté était très importante : lřislam devenait la deuxième religion de France, avec quelques quatre millions dřindividus. Il a fallu attendre 1990 pour que sřengage vraiment une réflexion pour mettre en place un organe représentatif des musulmans de France. Cette volonté politique, assez largement partagée, cherche à sortir les musulmans de France des inféodations des pays dřorigine. Cet organe représentatif en maturation reste cependant très notabiliaire et accorde peu de place aux musulmans anonymes. Quoi quřil en soit, cřest un progrès. Il faut absolument sortir de cet "islam des caves" qui est une honte pour la République Française. C.M. Ŕ Il existe une Fédération Protestante de France, mais celle-ci ne rassemble pas tous les Protestants. Beaucoup veulent rester à lřécart, de ce fait il y a un réel problème de représentativité. Par essence, les protestants ne sont pas institutionnalisés. Le réflexe communautaire a toujours caractérisé les protestants, lesquels se sont souvent considérés mis à lřécart par une société majoritairement catholique. Logiquement, les protestants ont très vite défendu la laïcité et la séparation de lřÉglise et de lřÉtat.

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J.S. - En tant que citoyen, et en tenant compte de l’exigence de laïcité qui gouverne notre enseignement, quel est, selon vous, la mission de l’Ecole, son positionnement souhaitable quand les programmes d’enseignement la conduisent à aborder les faits religieux ? Quelle appréciation portez-vous sur le partage des compétences entre familles et Ecole sur ce plan et, nécessairement, les règles qu’il est souhaitable de respecter ? M.G. Ŕ La première mission de lřÉcole est de faire respecter la dignité, les droits égaux de tous les enfants, de quelque confession quřils soient. Cřest fondamental en soi, éthiquement et politiquement capital. Par conséquent, nous devons éviter, quand ils sont latents, que se répandent certains phénomènes de perversion communautaire. Je pense, en effet, comme lřévoquait Jean-Marc Chouraqui en citant Max Weber, quřil y a une dimension communautaire des religions ; cřest par quoi elles sont des assemblées, des corps. Le terme « Gemeinschaft » de Max Weber fait bien ressortir ce que les individus ont en commun. Ainsi, au Moyen-Âge la théorie des trois corps du Christ : corps terrestre, sacramentel et mystique. Il y a bien une dimension de corps dans la communauté. Max Weber a raison de concevoir une sorte de dialectique souple entre le point de vue de la société et le point de vue de la laïcité (au regard de quoi nous sommes des individus). Cřest après tout ce que nous essayons de faire dans les démocraties. A ces citoyens tous les droits doivent être garantis, à la condition quřils respectent leurs devoirs.

Il y a donc le point de vue de ce que Norbert Elias appelle justement "Die Gesellschaft der Individuen" (La société des individus) et celui des institutions. La première, qui est en train peut-être de devenir Ŕ autre problème Ŕ une société des solitudes, doit cependant être compatible avec ces dernières. Soulignons ici le caractère calmant des institutions, leur ancienneté ; elles sont faites pour la longue durée. Cřest peut-être ce qui fait la différence entre les grandes religions et le sectarisme : les sectes, sauf quand elles ont réussi, ne sřinscrivent pas dans le temps. Une religion est une secte qui a réussi, tout le monde en est dřaccord, mais le meilleur juge de la valeur dřune secte est lřhistoire, le temps.

Pour éviter ces phénomènes de sectarismes, il faut que les religions gardent la maîtrise dřelles-mêmes, sřinscrivent dans la mémoire, dans la tradition. Je revendique là la Tradition, et à ce prix seulement le phénomène de la communauté religieuse nřapparaît pas comme une perversion dangereuse.

A propos des missions de lřÉcole, il faut souligner quřun phénomène a

profondément bouleversé la vie des institutions, dont les religions, cřest la mondialisation, la globalisation. Je relie directement cette dernière à un certain paradigme de la science et de la technique contemporaines. Il y a cent ans la science était un grand récit, comme le roman, comme la littérature et la religion ; la science avait une dimension eschatologique, elle poursuivait des fins. Certains bons esprits ont pu croire quřelle allait, un jour, remplacer la religion dans lřexplication finale du monde. On sait aujourdřhui que cřest là un leurre, peut-être le pire de tous les leurres. Et ce que Max Weber appelle le fameux " die Entzauberung der Welt " (désenchantement du monde), cřest ce quřont produit les sciences et les techniques contemporaines : elles ont ôté au monde leur sens. Le monde quřelles étudient nřa pas de sens : il est le point final. Il nřest pensable quřà travers des modèles et relève seulement de lřefficacité technicienne. Ne soyons

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pas surpris, sur cet horizon de désémantisation du complexe techno-science, dřune part, et dřautre part de globalisation qui bouleverse les anciennes identités, de trouver en face du religieux une religiosité subjective. Ne nous étonnons pas que les gens Ŕ complètement déconnectés, déboussolés, ayant perdu leur ancrage dans ces vieilles sociétés traditionnelles, calmantes Ŕ cherchent leur salut dans nřimporte quelle religiosité de pacotille. Cette époque me fait penser à lřEmpire romain des deux premiers siècles après Jésus-Christ, au syncrétisme incroyable qui sřest opéré alors : dans la Rome dřAuguste on fêtait aussi bien Isis que Cybèle, la déesse noire et tout ce quřon voulait. On a commencé ensuite à parler de la secte des Chrétiens…

Cette religiosité, cette nouvelle forme de messianisme, présente un réel danger. Songeons aux ravages quřelle peut faire aujourdřhui dans le domaine politique. Contre ce danger, il y a deux garde-fous, qui vont ensemble, comme lřévoquait tout à lřheure Christian Salenson :

- faisons confiance aux religions, qui ont longuement fait leurs preuves, pour effectivement continuer dřexister, de calmer le jeu Ŕ sans que ceci ait quoi que ce soit de péjoratif ou de subalterne

- enseignants soyons dřune vigilance citoyenne, intellectuelle et éthique, sans faille.

C.S. Ŕ Je souscris bien entendu à beaucoup de ces réflexions. LřÉcole aujourdřhui a, en effet, un rôle majeur à jouer. Quand on entend un guide de Vézelay expliquer que lřagneau placé sur le fronton Ŕ agneau pascal représentant le Christ Ŕ atteste de la vigueur de lřélevage de moutons dans la région, on reste pantois. Lřinculture est grave pour une société. La laïcité doit jouer pleinement son rôle et, comme religieux, je souscris pleinement à la proposition de Régis Debray : « Passer d’une laïcité d’incompétence à une laïcité d’intelligence ». Je souhaiterais que lřÉcole, lorsquřelle présente la religion, ait une prétention scientifique. Quand je lis dans un manuel dřhistoire quřAbraham a vécu en 1800 avant Jésus-Christ, moi, théologien, je suis mal à lřaise. Je ne me risquerais pas à lřenseigner à mes étudiants : je bafouerais par là la vérité historique. Jřexplique à mes étudiants quřon ne sait rien, historiquement, dřAbraham, quřil est une figure symbolique. LřÉcole peut avoir la même rigueur scientifique que les exégètes ou les théologiens. Cette volonté scientifique ne rendra pas compte de la totalité du fait religieux Ŕ ce nřest pas le rôle de lřÉcole -, mais elle rendra compte dřune partie importante de ce fait. Une question, cependant : dans les programmes on pourra étudier un certain nombre de choses, mais une bonne part nous échappera. Que tel fait soit historique ou non, tout énoncé religieux a une portée symbolique que lřÉcole a une réelle difficulté à prendre en charge. Il faut y réfléchir attentivement. J.S. Ŕ Cřest une bonne question, propre à alimenter les débats dans les ateliers pédagogiques demain matin. Nous sommes là au cœur du sujet, et nous reprenons votre balle au bond. Karima va peut-être poursuivre sur ce sujet… K.S. Ŕ Je me situe là comme une enfant issue de lřimmigration. Pour moi, la citoyenneté française a ceci de particulier quřelle transcende à la fois les identités et les appartenances communautaires. Lřespace scolaire laïc, tel que je lřai connu, demeure pour moi le seul espace de respect, de reconnaissance et de promotion

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de lřindividu. Jřen suis issue et jřen suis profondément reconnaissante, à la fois pour le savoir et pour lřanonymat. Cřest là quelque chose dřessentiel. LřÉcole reste pour moi un espace de savoir et de tolérance, et je suis heurtée quand jřentends des collègues tenir un discours très "politiquement correct" sur les enfants issus de lřimmigration. Je me souviens dřune visite organisée à lřabbaye de Sénanque avec des élèves de 5ème. Trois enfants musulmans mřont dit : « On ne rentre pas, cřest péché. » Ma collègue mřa dit : « Mais, tu sais, il faut quřon respecte, on ne peut pas les obliger.» Jřai trouvé cela déplacé, avec le sentiment quřon ne faisait pas son travail dřenseignant et dřéducateur. Je leur ai expliqué que je ne connaissais pas de texte coranique interdisant lřentrée dans un espace religieux sacré, où des gens priaient, se recueillaient. Pour cela, il fallait avoir une attitude de respect et de compréhension. Ils sont entrés. Mes parents ont émigré pour que nous ayons une meilleure vie. Comme jřai bénéficié de cette École, je trouve très désolant de constater des attitudes dřéchec ou de semi-déviance. Le travail de mémoire, sur une ou deux générations, nřa donc pas été fait et lřobjectif initial de lřimmigration et de lřexil nřa pas été accompli. Jřai le sentiment sur ce point, pour ces jeunes, dřun rendez-vous raté. J.M.C. Ŕ En tant que citoyen, enseigner dans lřÉcole laïque le fait religieux cřest prévenir aussi certains effets du religieux, avec les dérives possibles, violentes et intégristes. Laïque renvoie à lřidée de société, à ce qui lui est commun. Ce qui fait la communauté dřun peuple cřest la reconnaissance dřune mémoire et dřune culture commune spécifique. Or le fait religieux a structuré, et structure encore, de par le calendrier déjà, la communauté nationale et sa culture. Pour une société, perdre la mémoire de sa civilisation cřest peut-être se perdre pour lřavenir et cřest aussi, actuellement, laisser le terrain du sens à des vendeurs de gris-gris sectaires ou à des vert-de-gris de redoutable mémoire. Perdre la mémoire peut conduire parfois à perdre tout simplement la raison. Cřest au nom même des idéaux laïques de construction de la maison commune quřil nous faut réinvestir le champ de cette histoire partagée qui inclut justement le fait religieux. Pour ma part, enseigner le fait religieux ce serait ni enseigner la religion de foi Ŕ catéchèse Ŕ ni exclusivement la religion des faits (la science des religions peine déjà à lřassumer complètement). Et pour ce qui concerne les religions, lřenseignant doit bien prendre garde à distinguer leur histoire de la manière dont elles la présentent. Pour conclure, lřÉcole doit intégrer dans son cadre laïque universel le fait religieux, sous peine dřêtre menacée, en son sein, par les intégrismes qui la désintègreraient. Le projet laïque idéal Ŕ celui de Saint-Paul Ŕ cřest : il nřy a plus ni Juif, ni Grec dans la cour de récréation. Le problème cřest quřaujourdřhui, hélas, dans cette cour il y a dřabord des Juifs, dřabord Grecs et des Musulmans. Nous devons donc réinvestir cet espace pour déminer le champ du religieux, le démystifier. Sinon, on le laissera à toutes ces dérives et toutes ces violences et la République laïque aura failli à sa mission.

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J.S. Une réaction pour conclure ? M.G. Ŕ La mission de lřÉcole nřest, bien sûr, pas dřenseigner une science dogmatique, mais elle est de lutter contre lřignorance crasse où nous sommes arrivés, concernant des religions qui constituent notre bagage culturel. Nous avons coupé les liens avec ce qui nous a faits. Pour résumer à lřextrême, la mission de lřÉcole est de nous apprendre à lire. A lire des textes, incompréhensibles si lřon ne possède pas lřarrière-plan religieux qui en constitue lřassise. Sa mission est aussi de nous apprendre à voir. A voir des images. Comment peut-on apprécier la peinture si lřon ignore le sens de la Crucifixion, du portement de Croix, etc. Comment peut-on écouter de la musique si on ignore ce quřest un oratorio ? Ce que nous devons enseigner, cřest donc aussi de la sensibilité.

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TABLE RONDE

« ENSEIGNER LE FAIT RELIGIEUX À L’ECOLE :

ENJEUX, ECUEILS, DEMARCHES »

Animation :

Dominique SANTELLI, professeure au collège Chevreul-Champavier, Marseille

Participants :

- Katel BERTHELOT, chercheur au CNRS,

- Jean-Claude POUZET, docteur en histoire et IEN à la retraite, - Nicole TRINQUART, professeur agrégé de lettres en CPGE,

- Gérard CHOLVY, professeur émérite dřhistoire contemporaine à lřuniversité de

Montpellier,

- Laurence FRITSCH, docteur en histoire, professeur dřhistoire géographie en

collège

- Marc HERCEG, docteur en philosophie, professeur agrégé de philosophie en lycée.

Avertissement : La transcription résumée des interventions a été réalisée sans

relecture par les participants. DS : « Enseigner lřhistoire des religions à première vue le problème est simple, en tout cas pas plus compliqué que lorsquřil sřagit de lřenseignement de lřhistoire de lřart, de lřéconomie, des sciences ou des techniques. Cet enseignement doit donc être fait comme les autres ». Cřest ce quřaffirmait un inspecteur général dřhistoire géographie dans un numéro dřHistoriens et Géographes il y a quelques années. Pourtant les échanges de la matinée en ateliers ont souligné que lřenseignement du fait religieux est beaucoup plus délicat que ce qui vient dřêtre dit. Tel collègue sřest heurté au refus de plusieurs familles du projet dřaller étudier lřarchitecture

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dřune église. Tel autre collègue avouait, je cite, « avec mes premières, cette année jřai zappé le fait religieux » faute de ne pas savoir comment lřexpliquer. Un autre collègue affirmait quřil était « plus à lřaise avec les religions polythéistes parce que ce sont des religions mortes ».

Cette table ronde se situe donc dans la continuité des ateliers du matin en proposant de réfléchir aux enjeux, aux écueils et aux démarches possibles lorsquřon enseigne le fait religieux.

Tout dřabord jřaimerais revenir en ouverture une contre-vérité très souvent entendue dans les médias : « il faut introduire lřenseignement du fait religieux à lřécole pour remédier à lřinculture religieuse chez les jeunes ». Cela laisse supposer quřil y a absence dans les programmes de lřécole, du collège et du lycée. Alors peut-être, chacun dans votre discipline, dans votre niveau d’enseignement, vous pourriez pointer ou rappeler les parties du programme où le fait religieux est présent. Monsieur Pouzet pour l’école primaire ?

J.C.P. : Il suffit de regarder les programmes de lřenseignement élémentaire pour savoir que si les premiers cycles sont surtout consacrés à lřélaboration progressive dřune chronologie, en revanche, sřagissant du cycle 3 cřest-à-dire du cours élémentaire deuxième année et des cours moyens, les références au fait religieux sont très explicites. Au cycle 3, après les temps préhistoriques, la Gaule, la romanisation, il est question officiellement de la christianisation ; de même avec le règne dřHenri IV et lřédit de Nantes, Léonard de Vinci qui renvoie à la Renaissance et donc à lřiconographie religieuse, les lois de Jules Ferry etc. Cřest dire quřofficiellement, dans lřenseignement élémentaire, lřhistoire directe ou indirecte des faits religieux nřest absolument pas absente. De là à dire quřelle est enseignée toujours et partout… D.S. - Donc des acquis de l’école primaire sur lesquels les enseignants de collège ne s’appuient pas forcément. Laurence Fritsch pour le collège ? L.F. : Au collège le fait religieux est inscrit à tous les niveaux. En classes de 6° et de 5° on aborde les religions polythéistes et le début des monothéismes, la religion des Hébreux, les débuts du christianisme et enfin lřislam en 5°. Pour lřOccident médiéval, le fait religieux est omniprésent : lřart roman, lřart gothique, le temps des cathédrales. En 4°, lřétude des temps modernes impose la même réflexion. On aborde le fait religieux de façon un peu moins directe mais non moins importante en 3°. Le fait religieux est donc partie prenante du programme dřhistoire de collège, parce que cřest fondamentalement un fait culturel et un élément fort du patrimoine. D.S. - Qu’en est-il des programmes de philosophie ? M.H. : La religion fait partie du programme de philosophie depuis toujours. Prenons trois exemples :

- dans les années 60 le programme comportait la religion et Dieu - de 1973 à 2000, il ne restait que la religion mais le professeur pouvait la

relier à un grand nombre dřautres notions par exemple dans le cadre de lřirrationnel ou du sens, de la société, de la métaphysique, du devoir de lřEtat ou du pouvoir.

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- le programme actuel est provisoire. La religion est présente dans les questions dřapprofondissement dans un thème « Religion et Rationalité, Humanisme et Lumières, Raison, Foi, Superstition ». Dans le projet de programme pour septembre 2003, la notion de religion doit revenir au programme en tant que telle. On peut signaler encore que les philosophes étudiés en classe sont

majoritairement des philosophes croyants : Platon, Aristote, Saint Augustin, Saint Thomas dřAquin, Montaigne, Descartes, Hobbes, Malebranche, Spinoza etc. peut-être les 2/3 des grands auteurs du programme. Il faut souligner que la philosophie intervient là comme une réflexion sur la religion et pas dans une approche dřhistoire des religions. La religion est absente pour les séries technologiques et on peut le regretter car les jeunes se posent beaucoup de questions à ce sujet. N.T. : Pour ce qui est des Lettres, il y a eu un temps lřétude de textes extraits de la Bible de la même façon quřil y avait lřétude de mythes grecs, ni plus ni moins. Jřai envie de poser une question qui dérange. Si dans les textes définissant les programmes de lettres, il nřest pas fait référence explicitement au fait religieux, je vois mal comment on peut expliquer Pascal, comment on peut analyser certains textes de Baudelaire, certains textes de Victor Hugo. Comment puis-je enseigner cette approche des textes littéraires si je ne fais pas un véritable travail dřinvestigation du fondement même de la religion judéo-chrétienne ? Par chance on est conduit à faire le même travail sur les mythes grecs ou sur lřislam ce qui évite que lřenseignement ne prenne un caractère catéchistique. Si le fait religieux est présent dans notre quotidien ce nřest pas seulement parce quřil est lié à notre histoire cřest parce que pour accéder à une certaine profondeur de lecture des textes, et je pense quřen philosophie le besoin est le même, il faut quřil y ait une véritable connaissance du fonctionnement des religions même si on est profondément laïque, même si on est totalement athée. On nřaccède pas à la culture si on nřa pas une connaissance de ce qui construit une religion. La difficulté réside dans la nécessité de transmettre une culture religieuse en évitant de tomber dans un catéchisme. D.S. : Gérard Cholvy vous vouliez compléter ? G.C. : Plutôt jeter quelques pavés dans la mare. Pour de nombreux étudiants, « la Pentecôte cřest la féria à Nîmes ». Cřest vrai, cřest une bonne réponse. Cřest, entre autres, la féria à Nîmes.

On peut signaler un effacement dans la moyenne durée. Je crois quřil ne faut pas incriminer les programmes de lřécole et particulièrement celle de Jules Ferry, cřest lřair du temps qui a fait que dans les années 70 on a évacué Dieu du programme de philo. LřInstitution chrétienne de Calvin, on pouvait en expliquer une page en 4°. Mais est-ce possible maintenant ? Donc il me semble que dans les années 60 -70 on a laissé tomber tout simplement parce que lřair du temps était différent. Le religieux, selon beaucoup de sociologues des religions, quřils fussent américains ou français, était en train de disparaître dans lřHomme.

Il y a donc beaucoup à faire, alors quřen effet maintenant le religieux intéresse, vous lřavez dit tout à lřheure, y compris dans le technique bien sûr.

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D.S. : Vous m’offrez la transition : le religieux intéresse pourquoi ? quels enjeux patrimoniaux, sociaux, éducatifs derrière cet intérêt et, l’on pourrait dire, derrière cette demande de plus en plus importante – demande, certes, des médias mais aussi des familles et de l’institution ?

J.C.P. : Le religieux intéresse lřhistorien. Il interroge également le citoyen qui depuis quelques années est épouvanté de voir la montée dřune nouvelle pathologie dont les signes visibles sont le fondamentaliste, lřintégrisme, le communautarisme. Eh bien, je postule que lřhistoire des faits religieux peut permettre précisément dřen rendre compte et dřen diminuer la portée. K.B. :Il y a beaucoup de raisons pour lesquelles les gens sřintéressent au fait religieux… On peut mentionner la compréhension de notre propre culture, la compréhension des autres dans une société qui tend à devenir de plus en plus plurielle, la paix sociale qui en découle, etc. Je voudrais insister sur un enjeu que Régis Debray décrit dans son petit livre "L’enseignement du fait religieux à l’école " : le fait de raccorder le temps court au temps long. Cřest indéniable, on vit dans un monde qui insiste bien plus sur la dimension spatiale que sur la dimension temporelle. Grâce à la télévision, à Internet, on a une perception élargie de ce qui se passe dans différents coins du monde, mais on perd la dimension temporelle. Les gens ne se souviennent pas, en particulier dans les générations les plus jeunes ; ils nřont pas de perception du passé, même sur les cinquante dernières années. Pourtant, on ne peut pas comprendre ce qui se passe à lřheure actuelle si on ne maîtrise pas un certain nombre dřéléments historiques. Certes, lřenseignement du fait religieux ne se limite pas à lřhistoire des religions, mais la dimension historique est fondamentale. Beaucoup de jeunes sont un petit peu déboussolés aujourdřhui et expriment une demande identitaire au religieux. De fait, une partie de leurs problèmes est liée à cette ignorance historique.

Il faut peut-être se remettre en question en tant que citoyen français mais aussi en tant quřenseignant de lřéducation nationale : où est-ce quřon en est, chacun, individuellement, par rapport à sa propre culture religieuse ?

N.T. : Je quitte un tout petit peu le domaine du lycée pour parler des classes prépa. En prépa HEC la première année comporte comme grande question de réflexion au programme les mythes grecs et romains, les religions judéo-chrétiennes et lřislam comme fondements de la pensée occidentale. Ce sont donc des élèves bacheliers, de bons élèves qui sont effectivement dans lřignorance la plus totale de ce qui constitue les fondements même des grandes religions. On a dit aussi est-ce que le fait religieux intéresse ? Cřest vrai quřils sont extrêmement curieux, extrêmement interrogatifs, quřils montrent une grande naïveté à ce sujet. Ceux qui affichent une certaine croyance ont une croyance qui relève de ce type de réaction. Donc il est extrêmement difficile dřaborder avec eux des problèmes de fond en faisant lřéconomie dřune mise au clair des connaissances de base. Même ceux qui nřont aucune sensibilité confessionnelle sřintéressent, sřinterrogent, découvrent le sens des mots : la Trinité, la communion. Il y a dans leur regard une interrogation qui met parfois lřenseignant dans une situation difficile : poser des questions sans doute, apporter des éclairages contradictoires et multiples certainement, des réponses certainement pas. Dřautant plus que cela correspond aussi des phases de réflexion personnelle, de recherche sur soi.

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M.H. : Cřest très difficile de conduire une réflexion quand les objets ne sont pas clairs. Il faut dřabord expliquer les simples mots ; les élèves en sont tout à fait conscients. Par exemple une des demandes cřest la comparaison des religions. Les élèves sřinterrogent aussi sur dřautres religions, des TPE ont été faits sur le bouddhisme. Cřest très difficile dřapporter des informations sur des religions que nous-mêmes connaissons peu. Lřignorance est un des écueils. Après il y a la question du sens. Cřest évident quřil y a une forte interrogation sur le sens, quřelle vienne des élèves croyants ou des non croyants… En effet, certains sřaffirment comme athées, virulents parfois. Il y a des difficultés importantes à parler de religion dans les classes. Une tension sřinstalle alors, et un véritable enjeu pour lřélève et lřenseignant. Les disciplines qui traditionnellement apportaient du sens Ŕ on pense à la philosophie, aux lettres, à lřhistoire, aux arts, etc. Ŕ sont en grande difficulté dans le système éducatif actuel. Les Terminales L, par exemple, sont en forte diminution. Cřest paradoxal que lřon parle dřun enseignement des religions lorsque ces disciplines sont en difficulté. Peut-être que lřenseignement du fait religieux nřa de sens quřà lřintérieur des humanités.,. En ce qui concerne lřhistoire on disait quřelle avait beaucoup à apporter concernant lřenseignement du fait religieux. Cřest vrai, mais en même temps il y a un problème : la religion ne se réduit pas à lřhistoire. La demande des élèves revêt dřabord une recherche de sens. Il faut voir aussi que la religion a une dimension anhistorique, anti-historique. Il y a dans la religion quelque chose qui essaie de percevoir une dimension au-delà de lřhistoire, une dimension éternitaire. Certes, comme on lřa dit dans les ateliers ce matin « l’histoire a beaucoup à apporter » mais lřattente des jeunes esprits cřest aussi un contact avec la religion au sens traditionnel du terme, une approche de cette dimension religieuse dans un monde où lřon se sent en devenir perpétuel. Les jeunes cherchent, par là, autre chose que ce flot continu dřévènements, dans lequel peut-être ils doutent quřil y ait autre chose que ce flux perpétuel de lřactualité. Il est impossible dřinscrire la religion dans la seule perspective historique. La religion est un objet qui pose problème à lřhistorien, qui doit évidemment lřinterroger. L.F. : Pour rebondir sur ce que vient de dire notre collègue, je crois que lřune des principales finalités de lřenseignement est de véhiculer des valeurs humanistes. Nous sommes appelés tout de même à inviter les élèves à exercer leur esprit critique. Or sřils sont très intéressés par lřétude des religions, sřils ont envie de les découvrir, quand on commence à entrer dans une démarche comparative on sřaperçoit que le corollaire presque inconscient dans leur esprit est un jugement. Ils comparent presque tout de suite avec leur religion, cřest particulièrement vrai en ce qui concerne les élèves musulmans. Nous en avons longuement débattu ce matin dans lřatelier « enseigner lřislam ». Cřest aussi enseigner le fait religieux et non pas la religion, aider les élèves à comprendre le mode de fonctionnement de lřautre, à exercer son esprit critique, à se situer dans une perspective de réflexion plus personnelle et, en effet, plus philosophique. Dans cette recherche de sens et de compréhension des faits religieux, il faut expliquer aux élèves pourquoi le cours dřhistoire est important : en effet on aborde le fait religieux parce quřil fait partie intégrante dřune civilisation, quřil permet de comprendre lřévolution de la pensée, de la culture, de comprendre aussi ce qui se passe aujourdřhui. Lřexpression "démarche humaniste et ouverte" me semble essentielle. Lřapproche du fait religieux est dřautant plus importante dans lřespace

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laïque que ce dernier, par nature, accepte le fait religieux dans sa diversité et sa pluralité. G.C. : On vient de dire que le religieux intéressait. Cřest vrai. En université, on lřa vérifié souvent. On a invoqué les interrogations sur lřexistence, cřest juste. Je voudrais évoquer aussi un désir de retour aux racines, par delà le père. Le retour aux pères au pluriel et cřest très net dans diverses strates de lřimmigration mais pas seulement. Ils renvoient volontiers à des périodes passées, à leurs grands-pères, aux arrières-grands-parents et ils veulent comprendre un certain nombre de choses. « Monsieur, sans ma religion je serais un voyou », mřa écrit lřan dernier un petit-fils de harki qui a retrouvé lřislam, que personne ne lui avait enseigné dřailleurs. Alors je nřignore pas que des dérives sont possibles. Nous sommes là en histoire, et aussi en philo et en lettres aussi pour établir ce regard distancié, ces comparaisons qui peuvent être utiles, mais je reconnais quřil est beaucoup plus facile de comparer en faculté quřau collège. N.T. : Juste un point sur "retrouver ses racines", retrouver les pères. Je crois quřil y a une nécessité absolue de travailler sur ces fondamentaux dans la mesure où, confronté à lřinstabilité du monde Ŕ je vois que parmi les pistes de questionnement que lřon nous posait il y avait les enjeux sociaux, éducatifs et patrimoniaux Ŕ, construire une culture cřest avoir accès au sens, même quand le fait religieux est sous-jacent. Je me situe là en tant quřenseignante de lettres. Je pense à des textes dont la lecture du titre seul invite à penser quřil y a une connotation religieuse. Puisque nous sommes dans le midi songeons à "Que ma joie demeure" de Giono, qui est un roman, une fiction, complètement sous-tendu par un message christique, une invocation à développer lřécoute de lřautre, un autre type de société. Je prends lřexemple de Giono mais je pourrais prendre Racine ou prendre Pascal, sans aller jusquřà Bossuet ou Montaigne…On ne peut pas enseigner notre littérature sans être constamment, au détour de chaque texte, obligé dřéclairer les sous-entendus, les références, ce qui sous-tend la pensée dřun auteur, ce qui justifie telle ou telle image. Nous avons la nécessité de leur donner accès aux textes fondamentaux, textes souvent référencés à la religion. Tout enseignant se doit de donner à ses élèves les moyens de connaître, dřassimiler et de sřapproprier notre culture. Cette connaissance raisonnée leur permettra dřêtre des adultes capables de sřadapter et dřavoir des points fixes auxquels retourner en cas dřinstabilité. D.S. : Donc si je vous ai bien entendus, la demande est complexe, les enjeux sont multiples. Il s’agit de vaincre l’ignorance qui interdit l’accès à notre patrimoine culturel et de comprendre les réalités de notre monde contemporain. Connaître les différentes composantes religieuses présentes sur le sol français dans un esprit de dialogue, dans un esprit humaniste, comme l’a dit Laurence Fritsch.

Il y a accord sur la nécessité de procurer à l’ensemble des élèves une base minimale de compréhension mais cet accord ne doit pas cacher – c’est bien ressorti dans les ateliers ce matin – les difficultés de l’entreprise. Je propose donc que l’on réfléchisse maintenant aux résistances, réticences, gênes, difficultés à enseigner le fait religieux. Difficultés du côté des élèves : que fait-on de l’appartenance des élèves par exemple ? Du côté des professeurs aussi : certains disent que leur formation n’est pas suffisante.

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Du côté des manuels également : certains ateliers ont pointé leurs insuffisances. K.B. Lřélève doit avant tout se sentir respecté et apprendre à respecter les convictions des autres ; là est lřenjeu de lřécole. On a le droit de penser ce que lřon veut intellectuellement dřune religion, quelle quřelle soit, ou des religions en général, mais on nřa pas le droit de juger la religion dřautrui, surtout chez un jeune qui a 14-15 ans, qui en a hérité de ses parents comme une composante importante de son identité. Lřenseignant est par fonction le promoteur de ce respect.

Autre problème important est la formation des enseignants. Cřest peut-être le problème majeur de lřenseignement du fait religieux à lřécole. Jřai eu une expérience de formation de professeurs de lettres et dřhistoire sur un programme expérimental dřenseignement du judaïsme Ŕ essentiellement du judaïsme ancien. À cette occasion, on sřest heurté à un manque de connaissance de la part des enseignants qui les mettait dans une situation très désagréable par rapport aux élèves. Des questions pertinentes auxquelles les enseignants nřavaient pas de réponse. Cřest effectivement un problème, et qui doit être assumé par les universités. La situation en ce moment est loin dřêtre idéale puisquřen fait les enseignements dřhistoire des religions, en histoire comme en lettres, sont complètement aléatoires, dépendent de la présence dřun chercheur qui travaille sur le sujet. Il nřexiste pas de politique nationale. Avec lřInstitut européen des religions qui est mis en place à partir de cette année, avec notamment Régis Debray et Claude Langlois, il est prévu que des modules obligatoires sont organisés dans les IUFM. On peut quand même sřinterroger sur lřefficacité dřun module, fut-ce de 15 jours. On peut aller plus loin et introduire des UV obligatoires dans la formation des professeurs de lettres et dřhistoire sur les textes bibliques ou coraniques, puisque les religions dont vous êtes amenés à parler aux élèves sont les religions monothéistes, les religions du livre. Ces textes ne sont pas des textes simples dřautant que les traductions entraînent une déperdition de sens. Ce sont aussi des textes qui sont dřune complexité culturelle et anthropologique énorme, plus que la plupart des textes littéraires ou autres que lřon est amené à étudier avec un élève. N.T. : Je voudrais juste intervenir, si vous le permettez. Je suis ravie de lřenthousiasme de ma jeune collègue et de la conviction quřelle met à dire « il faut rendre obligatoire cet enseignement dans la formation des collègues dřhistoire ou des collègues de lettres». Quand on voit tout ce quřil faudrait mettre au programme de formation de nos jeunes collègues de lettres ou dřhistoire…Je crois que, sans aller aussi loin, on devrait faire confiance aux enseignants et les sensibiliser à la nécessité de sřinformer. Nous sommes tous en permanence des autodidactes sur certains plans et je crois que ça fait partie de notre devoir. Aucun métier ne peut être considéré comme acquis à lřissue dřune formation, le monde bouge, les contenus à enseigner se modifient. Cřest une jeunesse de lřesprit et une façon de se garder de tomber dans la routine que de devoir constamment réapprendre, apprendre autre chose, sřouvrir à de nouveaux domaines. Pour avoir longtemps été responsable de lřenseignement des lettres à lřIUFM ou avoir regardé dřun peu près ce qui se faisait en matière dřenseignement en licence de lettres dans différentes universités je déplore beaucoup bien entendu les lacunes de la formation initiale. Mais je crois quřil y a un état dřesprit à cultiver qui est celui de la

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curiosité, de la nécessité de continuer à savoir et Ŕ pour ce qui est du débat qui nous réunit cet après-midi Ŕ de la nécessité impérieuse de sřinformer de ce que sont les religions, de ce qui les constitue, du regard que lřhistorien porte sur les livres. Je veux bien croire que lřon puisse lřimposer dans une formation mais je crois que ça ne suffirait pas. D.S. : Qu’en pense le professeur de collège ? Les manuels scolaires ne peuvent-ils, sur ce point, être un appui ? L.F. : Justement, un autre problème est la présentation du fait religieux dans les manuels scolaires. Les mots employés soulèvent parfois des difficultés très concrètes. On parlait ce matin de la façon dont certains manuels présentaient la révélation du coran à Mahomet par lřange Gabriel, on parlait de certaines définitions du mot djihad. Ainsi, la façon dont on nomme le prophète : Mahomet/Muhammad/Mohammed ? Par ailleurs, pour rester dans le cadre de notre mission, dans le cadre de la laïcité, dřune neutralité bienveillante nous devons bien sûr accueillir les questions, ne pas les fuir, tenter dřy répondre. Le retour à lřétymologie est parfois indispensable. De même, la clarification de la chronologie et du langage est extrêmement importante. Il y a un moment, peut-être, où nous risquons dřoutrepasser notre mission dřenseignant laïque. Il faut savoir marquer cette limite et ce nřest pas si simple en collège, en particulier dans certains quartiers. Au fond, il semble que les problèmes soient à peu près semblables partout, quel que soit le profil de classe.

Une collègue, pour évoquer un deuxième écueil, très concret, a rappelé le fait que des élèves musulmans ont refusé de visiter des églises, de sřintéresser à lřarchitecture chrétienne sous prétexte que cřest interdit dans le Coran. Notre mission est bien là aussi : expliquer les limites et lřouverture de la laïcité.

M.H. : Je voudrais aller dans le même sens et dire, en prenant une perspective réaliste et en mřappuyant sur lřexpérience de la philosophie, quřenseigner la religion, réfléchir sur la religion pose de réelles difficultés. Il faut être bien conscient de ça. Tous les professeurs de philosophie y sont confrontés. Ces difficultés diffèrent selon les séries. Je vais prendre quelques exemples :

- Dans une classe de S, on note une tension particulière entre les élèves qui sont croyants et ceux qui sont athées. La science sans doute leur permet à la fois une ouverture vers la métaphysique ou une attente mais il y a aussi en S un scientisme qui existe, qui est très fort et qui peut produire un refus pur et simple de réfléchir sur la religion. Cřest parfois difficile non pas de vaincre ça mais de contourner simplement.

- En série L , point souvent le soupçon à lřégard du professeur de philosophie : où veut-il en venir avec cette réflexion ? Il y a en L une possibilité de réduction de la religion au champ personnel, privé, à une réflexion au niveau de ses seuls sentiments.

- En série technologique, nous avons des élèves qui sont très réceptifs au problème de la religion, même si une opposition apparaît parfois entre musulmans et chrétiens. Mais la religion nřest pas au programme.

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Second point : jřai dit que jřavais interrogé les élèves dans des classes de S, de L, de STT. Je leur ai demandé ce quřils pensaient de cet enseignement, sřils avaient une demande supplémentaire dřenseignement de la religion. Résultats intéressants. Les élèves marquent un intérêt très fort pour cette question. Les élèves pensent en général que cřest un vrai problème. On a parlé de lřignorance, ils sont très conscients de leur ignorance. Jřai été surpris de voir que les élèves ont pris très au sérieux ce problème. Je leur ai présenté le rapport de Régis Debray ; ils lřont examiné. Leur réaction a été un peu déroutante : unanimité contre. Leur refus vient dřune inquiétude. Lřécole ne leur paraît pas prête pour ce type dřenseignement. Ils ont exprimé également une peur de violence, dřaffrontement ; ils étaient extrêmement craintifs. Donc ils renvoyaient lřidée que cřétait une fausse bonne idée. Ils sont massivement dřaccord pour dire quřau collège ils ne sont pas assez mûrs. Jřai été surpris par leur sérieux dřune part, et par leur inquiétude de lřautre. Régis Debray insinue en un sens que lřenseignement du fait religieux pourrait être une façon de diminuer la violence, de faire quřil y ait plus de respect des différentes religions. Les élèves mřont répondu : « Non ça ne produira pas cet effet ». Ont-ils raison ou tort ? Je ne sais pas.

Dernier point en ce qui concerne les problèmes posés par les manuels. Si on prend lřexemple concret du manuel de série L, le manuel Hatier qui est très courant en philosophie, on peut remarquer deux choses :

- Tout dřabord, la religion est traitée dans le chapitre 27. Ce chapitre

sřappelle « le fait religieux ». Au programme il y a « la religion ». Donc les auteurs du manuel ont changé la notion du programme.

- Deuxièmement ce cours commence par une citation qui vaut la peine dřêtre entendue parce quřelle montre bien le malaise. Les auteurs de ce manuel écrivent : « voulant traiter non de la religion ce qui aboutit toujours à en choisir une et à nier les autres, mais du fait religieux dans son ensemble, nous sommes dans l’obligation de nous tenir résolument hors de toute religion ». Il est évident que cette introduction révèle un sérieux malaise. Si on regarde le cours, qui au demeurant est un cours bien construit, très riche, il sřinterroge sur des concepts qui pourraient fonctionner pour toute religion. Exemple, les auteurs de ce manuel sřinterrogent sur le sacré Ŕ quřest-ce que le sacré ? Ŕ sur lřidée de divin, sur la différence entre mythe et religion, sur le rite. Ils explorent « la religion entre magie et éthique ». Ils essaient de voir la relation entre sagesse religieuse et la sagesse philosophique et ils terminent sur cette citation de Mircéa Eliade qui souligne à nouveau le malaise : « on ne peut vivre longtemps dans le vertige provoqué par la désorientation ». Voilà lřexemple dřun cours et lřillustration dřune difficulté concrète quřun manuel, au demeurant extrêmement utilisé et très apprécié, exprime de façon tout à fait honnête.

J.C.P. : Formation…Quelques mots rapides, très rapides. Un petit peu dřauto-formation, un petit peu de formation institutionnelle et la France est sauvée. Il faut certes une formation institutionnelle cřest un droit je crois que lřon peut réclamer mais celle-ci ne saurait être la panacée. Et chacun ici ressent bien la nécessité dřune auto-formation ; je crois que cela fait partie de la déontologie professionnelle. Par ailleurs, sřil est vrai que lřon enseigne ce que lřon sait, on enseigne aussi ce que lřon est. Cřest là que se pose sans doute un des problèmes

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les plus importants liés au thème de ce colloque. Car, musulman que je suis, quelles difficultés vais-je avoir pour essayer de résoudre toutes les difficultés de présentation du catholicisme, du christianisme ? Juif que je suis ou bouddhiste que je suis etc. Je crois que de nouveau se pose lřobligation impérieuse de la réflexion sur le concept de laïcité. Laïcité dont je dirais que lřune des meilleures définitions actuelles pourrait être celle que donnaient quelques Nobel à Paris il y a quelques années : la laïcité nřest pas une vérité absolue, « la vérité n’obéit pas » disait Alain. Et ces Nobel ajoutaient que la laïcité cřest le refus des vérités définitives. Cřest une idée à creuser. Cřest peut-être en acceptant de prendre ceci comme leitmotiv de mes interventions que moi professeur bouddhiste, musulman, juif, agnostique ou athée je pourrai malgré tout participer à lřéducation des enfants. G.C. : Dans mon université nous avons des UV optionnelles. Nous avons toute la gamme.

En deuxième année de DEUG : initiation au judaïsme Ŕ cřest la première qui a été créée Ŕ initiation au christianisme Ŕ cřest un professeur de philo qui coordonne Ŕ initiation à lřislam Ŕ enseigné par quelquřun qui nřest pas musulman et ça marche très bien me dit-il.

Et jusquřau doctorat dřhistoire des religions avec, par exemple, un doctorat dřÉgypte ancienne.

Mais tout cela est optionnel. Entre le tiers et la moitié des étudiants suivent, ont suivi, disent leur intérêt, mais cřest optionnel. Quant à la neutralité, il est naïf celui qui se croit objectif, mais disons que la neutralité cřest un objectif. Il sřagit dřêtre respectueux. Cřest vrai que dans le secondaire, au collège surtout, dans lřopinion des élèves le moindre sourire, la moindre question peut conduire à des dérapages. Un de mes thésards, trop franc, trop loyal, répondit à ses élèves de 5ème de la ZUP de Nîmes qui lui demandaient « Monsieur êtes-vous croyant ? » : « Je suis athée ». Catastrophe ! On lui a fait des histoires terribles parce quřil était athée. Fallait-il quřil remue 7 fois sa langue dans sa bouche, je ne sais pas.

D.S. : On va peut-être conclure pour donner la parole à la salle.

La salle : À tous les intervenants : quřest-ce ce qui est important dans lřenseignement du fait religieux : les faits, des contenus en quelque sorte que les élèves doivent assimiler, ou la réflexion sur les religions ? Est-ce quřil faut que les élèves aient des contenus, ou est-ce quřil faut quřils aient une réflexion sur ce que cřest que les religions ? Est-ce quřil leur faut acquérir un regard critique ou simplement une culture ? M.H. : Cřest un problème très important. Il y a lřinformation et ensuite la réflexion. Ces deux dimensions sont fondamentales. En ce qui concerne la demande des élèves cřest évident que les élèves ont une demande qui est double, lřinformation oui mais la réflexion, la question du sens aussi. Je pense donc quřil ne faut ni noyer les élèves dans les informations, ce qui serait vraiment tout à fait négatif, ni aller trop vite à la réflexion pour réfléchir sur rien. Privilégions lřidée de cet équilibre. Lřapproche pluridisciplinaire pourrait bien être utile en ce cas. Chacun apporterait son type dřinformation, par exemple lřhistoire, la littérature... ensuite lřapproche réflexive serait plus aisée. Lřenseignement du fait religieux ne peut pas se réduire à une histoire des religions.

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N.T. : Quelques mots pour compléter. Selon les textes considérés, nous nous heurtons à une difficulté qui relève dřune double attente. Nous soulignons la nécessité de regarder les textes comme des textes. Mais, autant les élèves admettent bien que lřon puisse regarder les textes qui racontent les mythes grecs comme des textes, autant ils ont du mal à considérer lřAncien Testament, le Nouveau Testament, le Coran comme un texte que lřon peut examiner avec le même regard pour en extraire ensuite une réflexion qui conduirait à une analyse. Cřest un véritable écueil pour lřenseignant. On évoquait tout à lřheure la difficulté à enseigner le fait religieux, à permettre aux différentes sensibilités religieuses dřécouter, de sřécouter, dřadmettre lřautre et dřaccepter le regard critique sur soi et sur lřautre non pas en tant quřêtre mais en tant quřindividu. Difficile surtout pour les élèves dřaccepter lřanalyse rationnelle dřun texte qui fonde la religion. Il y a un moment où ils disent : « Mais est-ce que c’est vrai ? » et je suppose que ce fait, que lřon rencontre toujours en collège, est quotidien en lycée. Et après le bac, en classe préparatoire, on le rencontre encore. Cřest écrit, quřest-ce qui est vrai ? À partir de là quřest-ce quřon considère comme devant être connu et quřest ce quřon considère comme ce qui doit nourrir une réflexion ? La salle : Moi je voudrais non pas poser une question mais vous livrer simplement un témoignage, parce que je me suis trouvée complètement démunie.

Lřannée dernière jřavais 24 ans, je sortais de lřIUFM et je me suis trouvée devant une classe de 4ème, non loin dřici en ZEP dans les quartiers Nord où la totalité des élèves étaient musulmans. Lorsque jřai employé le mot catholique, ils ne connaissaient pas ce mot. Alors je me suis trouvée complètement désemparée.

Deuxième chose. Dans le collège où je me trouve, le jour de lřAïd il nřy a aucun élève. Les parents dřélèves nous posent la question en CA Ŕ je suis membre du CA Ŕ : comment peut-on gérer ce phénomène ? Parce que les gamins prennent 3 jours finalement dans la semaine, donc nous ne faisons pas cours ; nous sommes là dans le collège, nous sommes payés.

Je ne vous pose pas de question, je vous apporte simplement mon témoignage de jeune professeure.

D.S. : Merci pour votre témoignage qui illustre je crois ce que nous avons essayé de souligner depuis ce matin : la difficulté de cet enseignement du fait religieux. Les ateliers ont aussi essayé de démontrer que cet enseignement était possible. Et aujourd’hui, en ce jour de déclaration de guerre, je crois qu’on se rend compte que cet enseignement est nécessaire : cette guerre où l’on énonce le nom de Dieu des deux côtés, ne cesse de nous interroger. Tenter d’informer les esprits et d’éclairer les consciences s’avère encore plus nécessaire qu’à d’autres moments.

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Troisième partie

Ateliers pédagogiques

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ATELIER 1

LA LAÏCITÉ A-T-ELLE UN SENS EN EUROPE ?

a-t-elle le même sens en France et chez nos voisins de l’Union européenne ?

Animation : Daniel GILBERT professeur au lycée dřaltitude, Briançon

Jean SÉRANDOUR IA-IPR

Dans plusieurs pays européens, la volonté dřun traitement équitable des

différentes confessions, par un enseignement spécifique dřhistoire comparée des religions, heurte la notion de "laïcité à la française". La France, pour des raisons historiques, conçoit le fait religieux comme intégré dans les différents programmes dřenseignement, élément parmi dřautres de compréhension des sociétés et de leur évolution.

A travers les exemples de lřAllemagne, lřAngleterre, lřItalie, lřEspagne et la

France, les approches diverses dřune valeur évidente de laïcité sont-elles contradictoires ?

En France, sous une laïcité nettement affichée, les pratiques enseignantes,

reflétées par les outils, les productions et le texte du savoir scolaires, respectent-elles, en fait, ce principe ?

Comment adapter ses démarches et mettre en cohérence les contenus de

son enseignement avec les avancées de la recherche, dans le respect de la laïcité, avec le souci de ne pas heurter les croyances et les sensibilités du public scolaire ?

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Parler de laïcité "à la française" signifie implicitement que les autres pays ne mettent pas le même sens derrière le mot. Trois remarques semblent importantes en préalable aux "perspectives européennes".

1/ Pour comprendre le terme de laïcité, il faut le rapprocher d'un autre terme, qui est celui de sécularisation, compris comme la distance que prend peu à peu l'Etat vis-à-vis de la tutelle de l'Eglise, ou des Eglises. Depuis longtemps en France, le pouvoir politique est sécularisé (monarchie centralisée…), ce qui ne signifie pas qu'il n'utilise pas la religion (monarchie de droit divin…) La laïcisation, c'est le processus qui conduit à ériger la sécularisation en norme publique, c'est à dire applicable, opposable, à de nombreux champs d'actions ou domaines de la société. En Grande -Bretagne par exemple, le terme de laïcisation désigne le fait que le pouvoir laïc est fort au sein de l'Eglise. On parlera même à son propos de pays laïcocéphale (cf. J. Baubérot, St-Dié). D'où une grande diversité d'acceptions du terme et de situations en Europe, certains Etats étant laïcs, laïcisés, comme la France, avec une morale publique qui n'est plus une morale religieuse, un enseignement laïc… tandis que pour d'autres pays, on peut parler davantage de sécularisation que de laïcisation, le processus ne dépassant guère la sphère du politique.

2/ La laïcisation, c'est à dire le principe posé, préalable, d'une sécularisation aboutie et générale, a provoqué en France une opposition entre religion et société civile, alors que dans d'autres pays, les tensions entre tradition et modernité, au XIXème puis au XXème siècles, se sont faites à l'intérieur même du champ religieux, il y a eu une sorte d'élargissement des perspectives, une sécularisation qui ne pose pas de problème particulier dans le quotidien.

3/ Dernier point : Parler de sécularisation aboutie, donc de prise de

distance du politique par rapport au religieux, signifie au final pour les Français accepter la primauté du politique, c'est à dire l'intervention du politique dans tous les champs de la vie sociale, économique, religieuse même, pour faire reconnaître (imposer ?) et défendre le pluralisme, l'équité et la liberté de conscience dans ces différents domaines.

PERSPECTIVES EUROPEENNES

En France est fortement affirmé le caractère laïque de lřenseignement. La laïcité est une des valeurs fondamentales de la République. Ailleurs en Europe, est largement accepté, sous des formes diverses, un enseignement de la religion. Il nřy a donc pas de modèle européen, ni réel, ni souhaité. Le statut des organisations religieuses est très différent selon les États, et respecté par le traité dřAmsterdam.

Cependant, derrière ce clivage apparemment simple, lřEurope est plus laïque quřil nřy paraît. Qui plus est, la laïcité à la française intéresse lřEurope, quřil sřagisse des États de lřUnion européenne ou de ceux qui sřapprêtent à lřintégrer. Il faut ici se référer à une laïcité dřintelligence : les cours de religion assumé dans les

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pays voisins ne font pas les autres moins libres que nous. Exemplaires sont à ce sujet les réactions des enseignants et élèves allemands à lřannonce de notre débat sur la laïcité : nombre dřentre eux protestent de leur réelle liberté et de leur indépendance à lřégard des Églises, dans le temps même où ils soulignent lřintérêt majeur dřune étude comparée des diverses religions.

On remarque en France, comparativement aux autres pays, une plus grande privatisation du religieux ; lřÉtat est, chez nous, le recteur des affaires civiles. La France doit néanmoins accepter dřanalyser lřexpérience des autres pays ; elle peut y trouver matière à réflexion, sans compromettre la valeur de laïcité à laquelle elle est attachée.

Au fond, il nřest pas abusif de dire que lřEurope est laïque, en ce sens quřelle sřapplique à garantir un traitement équitable des diverses confessions.

Quel est l’Etat des lieux ? Dans toute lřEurope, les liens des individus aux institutions religieuses se sont distendus, en même temps que lřon assiste à une certaine effervescence des pratiques. Il y a crise, dans toute l’Europe. Crise de lřencadrement institutionnel. On assiste à une sorte de dérégulation institutionnelle de la religion. Les observateurs attentifs voient émerger une volonté individuelle dřexpérimenter de façon plus libre. Conséquence de cette évolution, lřappartenance est plus incertaine. Cřest une sorte de refus du menu religieux pour une approche « à la carte » du religieux36. Se développe une conception dřun dieu plus impersonnel, cosmique, avec multiplication des apports de diverses religions. Ainsi, par exemple, semble sřinstaller une extrême confusion dans lřappréhension de la notion de résurrection / réincarnation, conséquence évidente dřune influence sensible et continue des religions et philosophies orientales. On assiste en quelque sorte à une sorte dřanomie religieuse, à une dispersion sociale du religieux.

Cette évolution est à relier au phénomène du développement du marché de lřoffre religieuse. En quelque sorte, la mondialisation produit aussi ses effets en ce domaine : on constate une large circulation des messages, cřest la fin des frontières pour le religieux. Et dans ce paysage nouveau, cřest aux individus quřil revient de construire eux-mêmes leur identité religieuse. On constate une décléricalisation des comportements religieux ; on entretient de plus en plus un rapport laïc à la religion : conscience, libre examen Ŕ même dans le catholicisme on revendique une autonomie. En quelque sorte, la conscience religieuse s’est laïcisée.

Dans ce cadre il faut également souligner la montée dřun certain nombre de croyances, qui touche en particulier les jeunes Lřaprès-la-mort fait lřobjet dřune diversité de lectures, mêmes chez ceux qui sřaffichent sans religion (ceux-ci, en effet, ne sřinterdisent pas dřenvisager un « après-la-mort »). Dans le même mouvement sřaffirment plus nettement des

36 J.P. Willaime, L’enseignement des faits religieux : perspectives européennes, in L’enseignement du fait

religieux, « Les Actes de la Desco », ScérEn/CRDP Versailles, 2003.

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croyances para-normales, et, curieusement, elles sont plus fortes chez ceux ayant fait des études supérieures. De fortes tensions rationnel/irrationnel marquent chaque groupe, quelle que soit la religion dřappartenance. Les résistants à cette tendance sont les musulmans et les catholiques pratiquants ainsi que les athées convaincus.

¤ La majorité des Européens ne croient plus quřune seule religion soit dans le vrai ; ils ont tendance à mixer les apports de diverses religions. De ce fait, lřEurope est caractérisée par une large acceptation de la laïcité (64% des Français lřapprouvent). Chacun ressent comme important la confrontation de ces différentes idées : foi/raison, religieux/temporel. La laïcité devient le bien commun de tous les Européens, même si dřun pays à lřautre, on apporte quelques nuances à sa définition.

Bien sûr on assiste aussi en Europe à des réactions intégristes et sectaires, mais celles-ci sont encore minoritaires dans la société. On peut considérer que, foncièrement, lřEurope est laïque dans le comportement des gens comme dans la séparation du politique et du religieux : elle valorise la réflexion critique et le libre examen.

Le traitement scolaire du fait religieux

Divers paramètres sont à prendre en compte pour apprécier les situations respectives des divers pays européens :

systèmes politiques centralisés ou non : la chose a une incidence

enseignement public/privé ou laïque/confessionnel, aussi : le paysage est complexe

rapport École/religion : il est très divers en Europe ; cette diversité sřexplique en bonne part par lřhistoire

conceptions diverses du rôle de lřÉtat : le poids des associations ou des institutions religieuses nřest pas égal suivant les pays.

Allemagne Dans ce pays, le problème de la séparation de lřÉglise et de lřÉtat ne se pose pas. Lřespace public est cédé en partie aux institutions religieuses : celles-ci sont considérées comme des institutions publiques, participant au bien commun. Pour le comprendre il faut rappeler le rôle important de lřÉglise dans lřhistoire de lřAllemagne, notamment dans la sortie des dictatures : son rôle est reconnu officiellement dans la défense de la démocratie. Il en découle, très officiellement, presque naturellement, un partage des compétences :

le politique est géré par lřÉtat

le sens Ŕ culture et valeurs notamment Ŕ est délégué à dřautres institutions dont les Églises.

Lřenseignement religieux Ŕ "Religion" Ŕ est garanti (art. 7-3 de la loi

fondamentale) : « Lřinstruction religieuse dans les écoles publiques est une

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discipline obligatoire. »37 Cřest un service rendu à lřÉtat par lřÉglise, considéré quřil est comme indispensable à la citoyenneté démocratique : « La République Fédérale dřAllemagne nřest pas un état laïc et la culture religieuse fait nécessairement partie du patrimoine culturel qui est un des objets de lřactivité scolaire.»

Dans ces conditions, il est assez compréhensible que la réunification ait considérablement bouleversé la donne et définitivement posé le problème. Dans les Länder de lřest, lřinstauration des cours de "Religion" à lřÉcole a créé des tensions assez vives. Ainsi dans le Brandebourg, en 1996, on a vu proposer une alternative : un enseignement de lřéthique élargi au non confessionnel. Les Églises lřont contesté, arguant du fait que lřÉtat ne peut avoir la compétence sur les conceptions de sens de lřhomme et du monde.

Si dans le Bade-Wurtemberg lřécole publique est considérée comme une « école commune chrétienne », dans quelques Länder (ex. Rhénanie du nord ŔWestphalie) on tente de développer également lřenseignement de la religion musulmane. Globalement, et compte tenu de lřhétérogénéité du public scolaire, on assiste depuis quelques années à une évolution de cet enseignement vers « un enseignement religieux et éthique général où les discussions sur les problèmes d’actualité sont fréquentes. »38 On assiste donc, progressivement, par la prise en compte de la diversité culturelle et religieuse des élèves et de la société, à une « sécularisation interne » de cet enseignement.

Angleterre

Dès 1870 lřéducation religieuse fait partie de lřenseignement dřÉtat ; cřest une formation sur la Bible "sans catéchisme".

Aujourdřhui, cet enseignement est marqué par le souci de respecter la pluralité religieuse accrue en Grande-Bretagne. On assiste ainsi à une sécularisation interne du cours de religion à lřÉcole. Assuré dès les classes primaires, cet enseignement, qui peut varier localement, est offert en « option » pour lřexamen terminal, comme en Allemagne.

Un gros effort de réflexion est conduit sur les outils pertinents pour assurer cet enseignement sensible : manuel, livre du maître. La centralisation ne marque pas cette recherche. On a vu ainsi apparaître des ouvrages présentant des démarches nuancées.

Caractères à souligner de cet enseignement :

étude des religions, de toutes les religions, auxquelles il faut ajouter lřétude de lřidéologie marxiste et de lřathéisme, dans leurs fondements et leur dimension historique

enseignement obligatoire de 5 à 14 ans, devient optionnel ensuite : choix entre Histoire, Géographie et « Religious studies ».

sauf dans le cas du choix dřoption, cet enseignement nřest pas évalué à lřexamen

la démarche, pour le manuel majoritairement utilisé, est : descriptive - objective - critique - expérientielle - respectueuse

37 Hollerbach A., La situation en Allemagne, in La culture religieuse à l’école (s.d. Messner F.), Cerf, 1995. 38. Willaime J.P., ibid, p. 126

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un autre manuel, celui de Warwick, propose des outils et une démarche partant de la religion vécue, diverse, plutôt que lřexploration doctrinale des religions, et toujours sur lřensemble des religions concernées.

Espagne

Le catholicisme était religion officielle jusqu'en 1977. La liberté religieuse est aujourd'hui reconnue par la Constitution de 1978, notamment dans l'enseignement, et la loi de liberté religieuse de 1980.

L'Etat est ainsi devenu non-confessionnel, mais en 1989-90, 92% des parents ont demandé l'enseignement de la religion catholique pour leurs enfants…

Les grands principes de l'enseignement :

Droit pour les parents à une formation religieuse et morale pour leurs enfants, dans les écoles publiques, en accord avec leurs convictions personnelles (judaïsme, islam, catholicisme, protestantisme) (Constitution de 1978, art. 27)

L'enseignement religieux est une matière scolaire en même temps ordinaire et confessionnelle, mais facultative ou optionnelle selon la volonté des parents.

Au niveau secondaire, cours d'éthique, ou de ce que l'on pourrait qualifier d'"initiation au contexte culturel des différentes religions" pour ceux qui ne choisissent pas l'enseignement religieux. Matière évaluée lors des examens depuis la rentrée 2002 (Décret royal de1994, modifié en 2002)

Les problèmes aujourd'hui :

- la carence effective d'enseignants pour les religions autres que catholique,

- le jugement moral souvent porté sur les enseignants de religion (problème des mariages civils, de la non-fréquentation de la messe…),

- le cas des Communautés Autonomes au sein de l'Etat espagnol : certaines disposent de pleines compétences en matière éducative, qui leur permettent de légiférer de manière différente,

- les pressions qui seraient exercées par les Eglises en vue d'une reprise en main de cet enseignement (cf. loi organique 10/2002, art. 3).

Italie

Le système italien est régi par les mêmes principes que le système espagnol. Les normes émanent du Concordat signé entre le Saint -Siège et l'Italie mussolinienne en 1929, rénové par Jean-Paul II et Bettino Craxi en 1984.

L'enseignement public est majoritaire dans le pays (7 millions d'élèves contre 400 000). La présence des immigrés, dont 800 000 musulmans, n'a pas modifié le système d'enseignement dans lequel la religion catholique est seule a avoir statut de "matière", les professeurs étant nommés par les évêques et payés par l'Etat. Situation curieuse pour un pays défini comme a-confessionnel dans sa Constitution, mais qui n'engendre pas de tensions notables. Les élèves qui

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refusent d'assister au cours de religion peuvent choisir n'importe quelle matière de substitution.

Si l'on s'en réfère aux programmes, un point entre autres peut attirer notre attention, car il traduit une inversion de perspective par rapport aux programmes français. Très schématiquement, les programmes français appréhendent le fait religieux en tant que facteur constitutif et explicatif du contexte économique, social, culturel, politique, etc. d'une période donnée. Ici, c'est l'inverse. Le contexte historique, géographique, culturel (dans lequel vécut J.C.) "est nécessaire pour la lecture et la compréhension des Evangiles et des Actes des Apôtres".

Conclusion En Europe, la diversité des approches est liée bien entendu aux marques de lřhistoire, aux conditions de la construction de lřÉtat et de la démocratie. En Europe, il sřagit moins du problème de lřautonomie du politique et du religieux, ou dřenseigner ou non ce fait religieux, que du problème de la discrimination pour l'une ou lřautre des communautés nationales.

On assiste partout à une sécularisation interne de cet enseignement des faits religieux. Au Danemark on a vu se constituer un corps de professeurs de « Religion », indépendants des Églises. Cřest le cas déjà en Angleterre et dans certains Länder allemands.

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Echanges en atelier : 2ème axe de réflexion : Lřanalyse collective dřextraits de manuels scolaires en usage au collège et au lycée a permis dřidentifier précisément les risques de dérive du traitement des faits religieux en cours dřhistoire vers une catéchèse involontaire, en trahison du principe de laïcité établi pour lřÉcole.

La lecture attentive du texte de leçon de tel ouvrage dénonce aisément une sorte dřhistoire sainte proposée aux élèves en toute bonne conscience : une biographie détaillée de Mohammed, de sa naissance à sa mort, fait fi des incertitudes du savoir historique et présente comme fait avéré la révélation de lřange Gabriel au prophète. Or il y a un très grand déficit de connaissances sur Mohammed et sa période (pas de source directe ni de trace archéologique) : les sources sont de fin VIIIème/début IXème siècle, période des grands bouleversements, très différente de lřépoque de Mohammed. On ne peut parler ici, honnêtement, que de "vraisemblance" ou dř"invraisemblance" par rapport au contexte.

Les mêmes observations peuvent être faites à propos du traitement des autres grands personnages par lřédition scolaire : voire ainsi les figures de Jésus et de Moïse, dont la biographie détaillée rapproche nos cours dřhistoire dřune séance dřédification religieuse, sans la moindre réflexion sur lřaspect notionnel et symbolique des faits rapportés.

Autre invraisemblance diffusée par les manuels, par le traitement unicolore vert, la cartographie du monde musulman induit un seul Islam. Or il faut, justement, souligner la diversité, la complexité de lřIslam, pour éviter les caricatures et ne pas renforcer le discours unilatéral et intolérant.

Cette dernière remarque conduit à recommander la prudence et le recul critique dans l'utilisation des cartes. Il faut ici prendre garde aux simplifications, aux facilités de langage qui donnent un statut de fait avéré à de simples suppositions : "le périple du peuple hébreu…", " l'itinéraire d'Abraham et de ses descendants…" Transition entre 2ème et 3ème axes :

Quand bien même lřhistoricité du personnage est unanimement reconnue, lřhistorien ne se risque pas à écrire une vie de Jésus ; trop de zones dřombre existent encore sur de nombreux points. Plutôt que sřinstaller sans précaution dans une orchestration scolaire du récit biblique, il paraît souhaitable de traiter ce sujet par thème et par dossier, en assignant au récit sa marque biblique évidente. Il convient cependant de ne pas évoquer nécessairement la grande incertitude des savoirs sur le personnage : la polémique ne relève pas de lřhistoire. Un enseignant ne peut courir le risque de heurter la sensibilité des élèves ; il ne doit pas porter de jugement de valeur ni dřautorité. Il est plus raisonnable de laisser des points de suspension là où les connaissances historiques sont incertaines, et concentrer lřétude sur le sens : valeurs et notions portées par les textes, symboles religieux fondamentaux qui ressortent des sources étudiées.

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On peut unanimement écarter tout discours apologétique ou de dénigrement ; lřéquilibre et la mesure doivent gouverner notre enseignement. La chose nřest pas toujours évidente mais nous nřavons pas le choix. Avec les jeunes élèves, il sřagit dřéviter les questions qui fâchent ou qui choquent : lřhistorien ne doit jamais heurter la foi ni les mœurs.

Une réflexion critique peut cependant être engagée au lycée (2ème thème du programme dřhistoire de seconde) à propos des Évangiles : date et contexte de rédaction, place respective, peut-on les distinguer de manière critique ? et le 4ème évangile ? Les Evangiles font partie des sources du "Jésus historique", mais ils doivent être explorés avec prudence : ils relèvent en bonne part de la Tradition, de lřhistoire de la théologie. Datation : Marc : 60-65 Ŕ Mathieu et Luc : 80-90. Le 4ème, évangile de Jean, date des années 100-120 ; il est beaucoup plus spirituel. Évangiles non-canoniques : Thomas (80-100), Philippe (120-130).

Il est essentiel de retenir que lřévangile est au départ le texte dřune communauté (ex : communauté de Mathieu) ; la multiplication des communautés explique ici la multiplication des textes. A propos de la figure de Moïse, il nřest pas nécessaire de souligner le conflit irréductible entre le travail de lřhistorien et la croyance personnelle. Que Moïse soit un personnage historique ou non nřest pas le problème de fond ; on peut lřignorer. Mais il est plus prudent de ne pas faire de lřépopée, par le récit à la Cécil B. De Mille, un événement historique. Il sřagit bien de définir quel est lřobjet de lřenseignement (et de la recherche) : fondements, valeurs véhiculées et influence de ces systèmes religieux. Il ne sřagit pas dřanalyser les prophètes, pères fondateurs ou propagandistes de la foi comme des personnages historiques, mais le pourquoi et le comment de leur réussite et de leur influence à travers le temps et lřespace.

LE DÉBAT A ce moment des échanges un débat sřest engagé que la question : faut-il rester si neutre à propos de Jésus et Mohammed ?

Et comment parler du Jésus de la Tradition ? Quelle place donner aux recherches historiques ? La problématisation historique a un effet souvent déstabilisant sur les élèves.

Un accord sřest fait sur une attitude commune. Il est essentiel de séparer ce qui se fait en théologie de ce qui se fait en histoire ou dans les autres disciplines de recherche et dřenseignement. Les niveaux de discours sont à séparer. Pour tous ces personnages : les références culturelles sont des faits dřhistoire. Plutôt que de rédiger une biographie mythique, il sřagit de pointer les conditions dřémergence de la foi.

A propos de lřIslam et Mohammed, par rapport à lřapproche ordianaire des manuels, il convient sans doute de rendre plus humain lřIslam des origines, ne pas le "sacrer" et le "dogmatiser" aussi vite. Il faut que le contexte de lřémergence de lřIslam autour de Mohammed soit dit en historien, pas la vie "supposée" du personnage.

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Dans un cadre laïc, il faut rester à un niveau culturel. Le glissement est subtil et difficile à contrôler entre lecture et interprétation. Le but est de connaître, reconnaître et comprendre le religieux sans y adhérer. Lřenseignement des questions du programme scolaire liées au religieux pose de réelles difficultés, quelle que soit la démarche choisie.

Privilégier les FAITS : cřest courir le risque de la religion des faits, de lřérudition par crainte de se dévoyer à fréquenter les idées, les concepts. Privilégier les IDEES : cřest courir le risque du bavardage intellectuel et de la confusion entre formation à la réflexion et édification. Privilégier les ŒUVRES : cřest courir le risque de ne pas aborder au fond la question du sens. Dans le même temps, chacun reconnaît la nécessité de sřancrer sur des "œuvres et des "cas" et pas sur le seul fait limité. Il faut saisir lřoccasion de montrer que la connaissance "culturelle" du religieux est une des clés de compréhension de ces œuvres ou cas.

Remarque : il convient sûrement de ne pas multiplier les médiations (récit, film, œuvre dřart), sinon on court le danger dřune réification (cf. certains textes présentés dans les manuels, ou lřutilisation "illustrative" dřimages, ou la projection de films comme « Les dix commandements » de C.B. De Mille). 3ème axe (recherche de démarches adaptées) :

Le travail en atelier a souligné le danger des démarches qui chercheraient à appliquer du rationnel à un objet qui ne lřest pas. Pour le reste, une série de réflexions ont été proposées afin dřéviter les écueils liés à cet objet spécifique dřenseignement :

lřélève doit être capable de reconnaître les signes du religieux dans paysage, une œuvre dřart

il convient de privilégier les œuvres, textes notamment, pour éclairer le contexte de leur écriture et de leur "validation"

le religieux est un élément "parmi dřautres" ; on ne fait pas du religieux, exclusivement, dřun coup

comment circule-t-on entre le passé et le présent ? parler dřislamisme dans le cours sur le monde musulman médiéval est un anachronisme dangereux

comment faire, cependant, en classe, avec le choc entre le patrimonial et lřactuel ? Si un élève dit "Ben Laden", comment ne pas mélanger ?

le travail sur le symbolique permet dřexercer la capacité de lřélève à reconnaître les signes du religieux, comme à ( et POUR) comprendre le présent

lřexploitation des images est insuffisante en classe, et souvent inachevée : on peut ainsi rechercher les repères du religieux dans les films US, et même (en ce moment) dans les reportages dřactualité (discours de Bush).

Le religieux est une des composantes du monde. Sans sa compréhension, on saisit moins bien ce dernier.

Les professeurs sont fils des Lumières et de Jules Ferry ils ne savent plus comment parler du fait religieux pour la période contemporaine.

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ATELIER 2

Sources religieuses et documents scolaires : lecture et approche critique

Animation : Gérald ATTALI

professeur au lycée E. Zola, Aix-en-Provence

Christophe CASTELLAN,

PLP SEP Lycée polyvalent Paul Langevin, Martigues

avec la participation de Françoise UNAL, professeure au lycée Lacordaire, Marseille,

pour la rédaction de ce compte-rendu

Documents : Extraits de manuels scolaires de l’enseignement professionnel et du collège ; photocopies de cahiers de collégiens

État des lieux

Faut-il le rappeler ? Lřenseignement du fait religieux nřest pas chose nouvelle, particulièrement au collège. Il lřest davantage dans lřenseignement professionnel où a été introduite, depuis 1995, lřétude des trois religions monothéistes de 1850 à nos jours.

Pourquoi lřenseignement du fait religieux soulève-t-il des problèmes ?

Les enseignants présents dans lřatelier expriment leur malaise à assumer ces cours et fournissent quelques explications : « j'éprouve des difficultés pour

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aborder le fait religieux, notamment face à des élèves de confessions différentes » ; « je ne sais pas quels documents utiliser » ; « j’ai des difficultés à utiliser historiquement des textes religieux ». Il sřagit dřun malaise diffus, dont les manifestations ne peuvent se réduire à une cause unique. Cependant, les propos relevés confirment lřhypothèse de lřatelier selon laquelle les sources religieuses tiennent une part non négligeable dans lřexplication de ce malaise.

En ce domaine, comme en dřautres, la maîtrise des savoirs constitue une condition indispensable à la préparation des cours. Les outils ne manquent pas qui permettent la mise à jour des connaissances. Les problèmes soulevés par le renouvellement des sources et des problématiques dans certains secteurs de la recherche scientifique sont généralement connus.

Ce sont traditionnellement les manuels scolaires qui fournissent les matériaux indispensables à la réalisation du cours. Lřexamen critique des pages de quelques-uns de ces ouvrages pour lřenseignement professionnel et pour le collège conduit à repérer simplifications abusives, erreurs manifestes, absence complète dřindications sur lřorigine des documents. Cependant, il en est dřautres qui présentent une documentation étoffée et dřintéressantes mises en relation de supports contradictoires. Sur le plan éditorial, la situation est donc plus complexe quřil nřy paraît et invite à beaucoup de prudence. On oublie trop souvent que les livres scolaires, qui fournissent désormais une abondante documentation, imposent un usage du texte religieux qui contribue à le désacraliser. Certains élèves nřen sont pas dupes qui refusent quelquefois les traductions proposées par les manuels au prétexte que celles-ci seraient sacrilèges. La réduction de fragments du texte religieux au rang de documents scolaires contribue ainsi, à sa manière, à lřapproche rationnelle de lřhistoire du fait religieux.

Faut-il pour autant bannir la lecture dřextraits relativement longs de textes religieux. Rien nřest moins sûr. Celle-ci est même fortement conseillée dans les programmes, notamment en 6e. Le bénéfice dřune telle pratique est évident pour la maîtrise de la lecture ; il lřest également pour lřhistoire. La mémoire collective dřune société se construit autour de récits qui fondent son identité. Ils se chevauchent, se contredisent quelquefois mais sřexcluent rarement. Ils constituent lřhistoire dřun groupe dont les membres ne se sont jamais inquiétés de contradictions qui nous paraissent aujourdřhui si évidentes. La découverte des différences entre les Évangiles nřest guère nouvelle. Lřenseignant qui les pointe aujourdřhui dans un cours dřhistoire conduit les élèves à sřinterroger sur la nature de ces sources : religieuses et/ou historiques ? Mais pourquoi les hommes acceptaient-ils ces contradictions ? Lřinterrogation débouche sur les usages que les hommes faisaient autrefois de ces textes. Il sřagit là dřune approche des textes religieux qui, plus quřune autre, est de nature à montrer les dimensions multiples du fait religieux.

La lecture dřextraits de cahiers dřélèves montre des pratiques souvent peu nuancées. Autour de certains exercices, quelquefois empruntés aux manuels, semblent sřêtre développées de véritables coutumes pédagogiques. Il en est ainsi de la réalisation de la carte des déplacements des Hébreux dans le Croissant

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fertile ou de la construction de lřétoile, résumant les cinq piliers de lřislam. Le souci dřexécuter lřexercice conduit à perdre de vue la nécessaire critique des sources sur lesquelles il sřappuie. Les précautions souvent prises par les manuels ŕ emploi du conditionnel, référence explicite aux incertitudes de lřhistorien ŕ finissent par disparaître complètement.

On peut observer ŕ par une analyse des cahiers dřélèves mais aussi grâce à des visites en classe ŕ un très net décalage entre savoirs et pratiques scolaires. Ces dernières sont souvent marquées par une insuffisance, voire une absence complète, de recul à lřégard des sources religieuses utilisées en classe. Les routines pédagogiques conduisent des enseignants, pourtant conscients des enjeux de la laïcité, à la présentation dřune véritable catéchèse. Le paradoxe est alors évident entre lřaffichage dřun discours résolument laïque et des pratiques dénuées de toute critique des sources. Comment expliquer ce paradoxe ? Cřest sur ce point que sřengage la discussion avec les participants de lřatelier. Elle débouche sur les remarques qui suivent.

Remarques... propositions

On peut certes invoquer les insuffisances de la formation, mais celles-ci ne peuvent à elles seules en rendre compte. De plus, si lřenseignement de lřhistoire exige des connaissances étendues, il ne peut être question de porter sur tous les thèmes dřétude abordés par les programmes le regard dřun expert. De la même manière que lřenseignant ne peut pas être un spécialiste de lřhistoire du communisme parce quřil est appelé à enseigner le système stalinien, il ne lui est pas davantage demandé dřêtre un spécialiste de lřhistoire de religions. Il ne peut davantage accepter dřêtre récusé ŕ ou pire, se récuser lui-même ŕ sauf à consentir que le fait religieux ne peut être enseigné que par des... religieux. Certains secteurs de lřopinion publique le réclament au nom de la tolérance à lřégard des croyances. En fait, exclure le professeur dřhistoire de lřenseignement du fait religieux, au prétexte quřil nřen est pas spécialiste, cřest réintroduire les traditions religieuses. Toutes ne nourrissent pas les inclinations aux communautarismes, mais elles encouragent les attachements au passé et contribuent, peu ou prou, à sanctifier celui-ci. À lřinverse, de ce que doit être un enseignement de lřhistoire qui ambitionne de former lřesprit critique du futur citoyen.

Le choix dřexercices peu porteurs de sens trouve en partie son explication dans la volonté de donner aux élèves des bases sans lesquelles ne pourraient sřexercer leur réflexion. Lřimportance accordée à ces préalables finit par dilapider le temps nécessaire à la réflexion sur les sources. De tels apprentissages dispensent également de la nécessité dřaffronter les débats que susciteraient dřautres approches de ces mêmes sources. Manuels scolaires ou cahiers de travaux pratiques proposent des exercices qui finissent par fonctionner comme des normes pédagogiques. Il nřest plus nécessaire dřéchanger, de discuter voire de débattre quand les savoirs se présentent dřemblée comme vrais. Lřétude du fait religieux est un révélateur des dérives qui conduisent à concevoir lřenseignement de lřhistoire seulement comme le lieu dřune restitution de

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connaissances factuelles. Depuis longtemps, la recherche sur lřhistoire enseignée a montré que sa fonction était de dire le vrai, de fabriquer du consensus. Une telle conception, explique grandement les pratiques scolaires. Le cours dřhistoire gomme les querelles dřinterprétation, présente comme établis les résultats de recherches pourtant toujours en marche. De ce fait, et malgré les évolutions de la science de référence, lřhistoire scolaire continue dřavoir mauvaise réputation ; elle est régulièrement suspectée de distiller lřennui à force de privilégier la mémoire au détriment de la réflexion. Faisons lřhypothèse que, dans le domaine de lřenseignement du fait religieux, cřest le fonctionnement même de cette histoire scolaire qui explique certaines des dérives pointées plus haut.

Lřenseignement du fait religieux soulève des difficultés, pourtant celles-ci sont rarement identifiées. Lřinsuffisance de formation est avancée pour les expliquer. Or, les travaux de lřatelier ont montré, pour nombre de dérives, lřimportance dřune réflexion à la fois pédagogique et didactique.

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ATELIER 3

Le fait religieux en question de Voltaire à Combes

Animation : Chantal FÉVRIER IPR

Alain SIX professeur au collège Darius Milhaud, Marseille

Réflexions autour de l’intitulé de l’atelier

par Chantal FÉVRIER, Inspectrice dřAcadémie,

Inspectrice pédagogique régionale

1- Le cadre théorique De Voltaire à Combes : la réflexion privilégie surtout le XIXème siècle et le cas de la France. Le Fait religieux est pris ici dans son acception large ; comme expression publique dřune croyance (rôle des églises dans la cité…) autant que privée (appréhension de conduites plus individuelles). La première partie de la proposition nous impose dřapprécier ce quřil en est du fait religieux au XIXème siècle. Le XIXème siècle est dřabord religieux. Lřimportance, lřimprégnation du religieux dans la vie et la pensée des hommes et femmes du XIXème siècle est trop souvent sous-estimée. Or, nos élèves ne peuvent comprendre certains des grands enjeux dřaujourdřhui, notamment ceux qui se jouent autour de la laïcité, sřils ne perçoivent pas le contexte paradoxal duquel émerge la laïcité Ŗà la françaiseŗ. Le religieux irrigue les pensées, gestes, etc. des contemporains. Il peut se comptabiliser tout au long du siècle (à travers les comportements, les rites -la communion, les fêtes et commémorations, les cultes et pèlerinages, la célébration des grandes étapes de la vie Ŕ baptêmes, enterrements,… la vitalité des ordres,

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des congrégations…). Il est intéressant de voir jusquřoù la libre-pensée et ceux qui sřen disent les tenants en est imprégnée, ne serait-ce que dans la rhétorique : il nřest que lire certains discours qui prônent lřabolition du religieux. Je pense à la circulaire de Jules Ferry sur la « morale » de nos pères. Et cela se comprend car les hommes de la république laïque sont aussi le produit dřune éducation religieuse chrétienne : Émile Combes est un ancien séminariste, Jean Macé était boursier à Stanislas, Ferdinand Buisson et Félix Pécaud (ancien pasteur) sont issus de milieux protestants… Nous sommes là dans la permanence et cela mřamène tout naturellement à évoquer la deuxième partie de lřénoncé : En question : Voltaire et Combes illustrent chacun à leur manière le combat politique dřune certaine France (dřélite, dřabord, intellectuelle et politique, surtout) qui souhaite faire entrer le fait religieux dans la sphère de lřintime et, ce faisant, rompre avec lřalliance pluriséculaire entre le trône et lřautel : de lřémancipation à la séparation, de « lřÉtat confessionnel à lřÉtat neutre »(R. Rémond) le processus singulier a été en quelque sorte Ŗmodéliséŗ par des penseurs comme Jean Baubérot (les « deux seuils de la laïcité ») ou René Rémond :

1- Abrogation des discriminations confessionnelles : le concordat qui accorde aux deux cultes protestants (réformé & luthérien) puis au judaïsme (décrets 1806), le caractère de culte reconnu.

2- Désétablissement : 1792, lřÉtat civil et lřinstitution du mariage civil pour

tous avec obligation dřantériorité sous lřempire (code civil) en France ; 1872, date où la marque de lřappartenance confessionnelle sur documents administratifs disparaît ; 1881, fin de la séparation des cimetières selon le culte (depuis lřan XII du calendrier révolutionnaire, chaque culte reconnu se voyait attribuer un secteur)…

3- Séparation : cas français le plus extrême dans cette voie avec la

« neutralité totale à lřégard des croyances et complet retrait de lřÉtat de ce domaine » « jusquřà rompre toutes relations entre le fait religieux et lřordre social ». Ce quřil sřagit précisément dřapprécier…

En-deçà, il convient aussi de faire état de formes de contestation plus

passives comme celles du détournement progressif de certains à lřégard de la religion et qui se comptabilisent au travers diverses évolutions (pratiques, fréquentation églises, nombre des messalisants et pascalisants, recrutement du clergé, sécularisation du mariage, des enterrements…). Là encore, les faits peuvent sřapprécier à différents niveaux (individuel, collectif, privé, institutionnel,…). Ici, des temps forts de lřhistoire politique de la France durant lesquels se formalise la mise en question intellectuelle et politique sont à privilégier (la révolution et le concordat ; la IIIéme République, en particulier….) comme une chronologie de la progressive rupture.

Leur mise en relation : en fait, lřénoncé interroge de manière prépondérante lřarticulation dynamique entre ses deux parties. Prendre la mesure de la réalité de la sécularisation de la société française, au travers et au-delà même des signes adressés par les politiques, nous amène forcément à peser, en creux, celle du

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religieux. Au fond, la question porte surtout sur lřétude dialectique du rapport entre le fait religieux et sa contestation, chacun se nourrissant de lřautre… de manière évidente et dans un sens comme dans lřautre. Cette double dynamique sřexprime de manière conflictuelle lors de certaines périodes, le plus souvent du fait de lřinitiative politique, ou dans le cas inverse de la hiérarchie religieuse. Ainsi, de même que les liens entre lřÉtat et lřÉglise catholique et lřimportance du religieux dans la société sous lřancien régime pèsent sur lřattitude des révolutionnaires et les mesures quřils prennent à la fin du XVIIIème siècle à lřégard des cultes, de même celles-ci agissent, en le renforçant, sur lřattachement au religieux de certains milieux. Tout au long du siècle, les périodes de réaffirmation du religieux alimentent la radicalisation de la contestation :

ex. la vague dřanticléricalisme des années 1830 ; ex. la loi Falloux, le succès du culte du sacré-cœur et la construction des

basiliques, voire des événements transnationaux comme la proclamation du dogme de lřinfaillibilité.

Enfin, à lřautre bout du siècle, les mesures républicaines contribuent à

séculariser activement les uns (ici, le rôle de lřécole est premier) en même temps quřelles re-mobilisent dřautres sur la défense du religieux (la crise des inventaires en est exemplaire)et réactivent lřexpression de leur religiosité. Lřensemble peut se jouer aussi au sein de quelques thématiques qui traversent lřhistoire du XIXème, comme celles de lřaction éducative et sociale, ou bien de la nation, ou encore de lřart, etc. Les unes et les autres sont au cœur des combats idéologiques du siècle : lřécole et les affrontements connus auxquels elle donne lieu, bien sûr ; mais pensons aussi à des combats moins connus, comme ceux qui se livrent autour de quelques personnages qui deviennent emblématiques de la nation, pour certains, de la religion, pour dřautres (Jeanne DřArc ou Jeanne Darc, par exemple Ŕ cf. les travaux de Christian Amalvi sur la fabrique des héros, entre autres).

2- Des supports possibles Un certain nombre de documents, ou autant de supports possibles, vous sont donc proposés. Ils illustrent selon :

- la prégnance du fait religieux dans la France du XIXème : sous lřempire, une lithographie représentant Napoléon ; en 1848 : une lettre de Frédéric Ozanam à son frère à mettre en relation avec deux images populaires du Christ républicain, lřanalyse des lithographies de Frédéric Sorrieu… ; sous la IIIème république, la carte de Gérard Cholvy, le tableau de Jules Simon, les témoignages de lřattitude des populations au moment des Inventaires, le vitrail de la famille De Wendel…

- La réalité de la contestation : les réactions à lřinfaillibilité, la caricature

sur la loi de séparation, la carte de la France libre-penseuse, les témoignages dřÉmile Guillaumin ou du doyen de Grancey, lřarrêté de la commune du Kremlin-Bicêtre, le fronton de lřéglise dřAups…

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- la permanence du débat au plus haut niveau de lřÉtat tout autant quřau sein des groupes sociaux (classes populaires, bourgeoisie, monde des affaires, intelligentsia, artistes…) ; les flux et reflux, aussi : des cartes des pratiques religieuses en Dordogne, le texte de Ferdinand Buisson intitulé Ŗla crise de lřanticléricalismeŗ, la toile de Jean Béraud (La Madeleine..), ou celle de Jean-Paul Laurens (l’excommunication de Robert le Pieux)…

3- Pour une application dans les classes Quelles classes ? Nous vous proposons les extraits des divers programmes au sein desquels la question peut être abordée. Parmi ceux-ci, quelques temps privilégiés :

En classe de quatrième : la mise en évidence des « transformations de tous ordres » (II-2) et les « grands traits de l’évolution culturelle et artistique » peuvent être étudiés sous lřangle des mentalités et comportements religieux.

En classe de troisième, lřactualité peut fonder lřétude de la notion de laïcité

comme valeur républicaine, autour de la loi de séparation, des combats qui ont précédé et accompagné sa mise en place et des difficultés de son application.

En lycée professionnel, le point 3 du programme de première bac pro. En lycée, les programmes de seconde et première lui font une place plus ou

moins explicite…

À quelles conditions ?

Je reste dans le domaine des généralités. Une approche distanciée : le fait religieux et sa contestation, comme faits

historiques. Chaque fois que nous abordons le terrain du religieux, nous risquons le parti pris, la méfiance, voire lřhostilité. Il sřagit donc, comme dans les autres ateliers, dřêtre vigilants sur la présentation des faits… et de savoir lire, dans les manuels par exemple, les points de vue délibérés ou non qui avancent plus ou moins masqués.

Une approche nuancée : attention à la caricature et à la téléologie. Celle

dřune église catholique intransigeante et coupable et, de ce fait, malmenée et vouée à lřéchec ; celle dřun anticléricalisme radical et sans concession qui triomphe. Cela nřexclut pas de montrer lřacuité des luttes entre les extrêmes mais cela suppose dřen présenter le caractère extrême. Entre Louis Veuillot et Émile Combes, il existe toute une série de postures intermédiaires.

Aussi, au regard même de la complexité du présent, il convient de se garder

de tout déterminisme : on a sans doute un peu rapidement établi comme un fait acquis la Ŗdéchristianisationŗ.

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Pour quels enjeux ?

Je ne souhaite pas revenir sur les raisons qui fondent la place de cette réflexion dans nos sociétés et à lřécole. Ce sont celles-là même qui ont présidé aux nécessités du colloque qui a eu lieu en novembre à Paris dont nos rencontres se veulent une réplique modeste. Jřinsisterai seulement sur la nécessité de relier au présent cette connaissance dřun passé, qui peut paraître récent pour nous, qui est de plus en plus lointain pour les élèves dont nous contribuons à lřéducation. Lřenjeu civique reste primordial, à lřheure où la Ŗlaïcité à la françaiseŗ est mise à mal par des réflexes de repli ou/et dřaffirmation communautaires qui témoignent de la difficulté à vivre ensemble et entretiennent lřamalgame sur les conditions dřexercice des droits et devoirs du citoyen. À un moment, aussi, où le fait religieux apparaît comme le moteur et lřinstrument de nombreuses luttes, dans le monde et en France.

Quelques idées-force sont au service de cette éducation civique. En premier lieu, celle qui vise à montrer lřimbrication entre le fait religieux, sa contestation et la construction de la République. La mise en évidence de la spécificité des choix de la France républicaine permet de faire comprendre aussi que ce nřétait pas la seule voie possible (cf. lřexemple de lřAlsace) et quřelle peut être concurrencée, voire menacée ?, par lřexistence dřautres modèles. Le caractère conflictuel de lřévolution séculaire peut être perçu comme un héritage à assumer qui pèse encore sur la société dřaujourdřhui et permet donc de mieux cerner certains clivages idéologiques. Lřensemble doit renforcer la compréhension, au-delà de la seule notion de laïcité, des valeurs et principes sur lesquels se bâtit le modèle français et, ce faisant, permettre dřen faire valoir la fragilité. Toute atteinte au principe de la laïcité met en jeu lřéquilibre précaire qui sřétablit entre lřÉtat et la société et qui sřincarne dans la république.

Ne pas négliger pour autant les enjeux culturels. On lřa dit et redit : bien des productions artistiques, littéraires, philosophiques, etc. des XIX et XXèmes siècles ne peuvent se lire sans une connaissance élémentaire des versions contemporaines de la religion et de la spiritualité. Lřabsence de références fait donc obstacle à lřaccès à la culture au sens large du terme. En ce sens, elle conduit à creuser les écarts. Derrière cette connaissance, se profile donc un enjeu social qui participe des finalités affichées de nos missions.

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ATELIER 4

Enseigner le fait religieux

périodes antique et médiévale

Animation : Christine COLARUOTOLO,

professeure au collège Coin-Joli-Sévigné, Marseille Josée-Christine LANGLOIS

& Alain SIDOT, professeurs au lycée A.Benoît, LřIsle sur la Sorgue

Depuis la mise en place des nouveaux programmes de 1995-1996, l'étude du fait religieux est fortement présente dans les programmes d'histoire au collège couvrant la période antique et médiévale. Dés la classe de 6e le programme dřhistoire prévoit une initiation aux grandes religions de l'Antiquité avec l'étude des polythéismes égyptien, grec et romain et l'apparition de deux monothéismes : le judaïsme et le christianisme. L'essor du christianisme dans l'occident médiéval, l'apparition de l'islam et leurs rapports plus ou moins conflictuels sont au cœur du programme d'histoire de 5e ainsi que l'étude des crises qui conduisent aux grandes divisions de l'orthodoxie et de la réforme protestante. Au lycée, l'approche du fait religieux est également présente avec notamment lřétude du christianisme en seconde, des rapports de ce dernier avec l'islam dans le cadre méditerranéen au XIIème siècle, enfin avec les bouleversements intellectuels de l'époque de la Renaissance. Les nouveaux programmes du cycle terminal y font expressément références. Nul doute également qu'il ne soit une clé pour approcher la notion d'aires de civilisation, pour éclairer certains conflits, voire appréhender la société américaine.

Dès lors, si le problème de l'enseignement du fait religieux ne se pose pas en tant que composante de l'histoire des hommes, comment l'aborder, rigoureusement, dans le cadre dřun enseignement laïque ? Quels objectifs se fixer ? Quels écueils éviter ? Quelles approches privilégier ? Toutes ces questions sont au cœur dřune réflexion centrée autour des programmes, des manuels et des pratiques enseignantes, pour aboutir à une définition de l'enseignement du fait religieux.

Commentaire [sa1]:

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Convenons que la simple lecture des programmes, tant du collège que du lycée, ne permet pas la perception claire de ce qu'est le fait religieux ; or ces termes sont souvent vus, notamment par les défenseurs d'une laïcité étroite, comme une paraphrase un peu honteuse, de religion : il nous serait demandé, sous prétexte de combler un vide culturel de faire de l'enseignement religieux. On sait les polémiques actuelles autour d'un prétendu retour du religieux à l'école ! Que disent donc les manuels, quelles pratiques peuvent parfois conduire à ces jugements ?

Les documents d'accompagnement des programmes recommandent

d'aborder le fait religieux à partir des textes fondateurs. Les représentations du mythe d'Osiris pour la civilisation égyptienne et les poèmes homériques pour le monde grec permettent d'approcher les croyances religieuses des deux peuples. L'étude croisée de mythes de différentes civilisations permettrait de montrer aux élèves les interrogations des hommes sur le commencement et le fonctionnement du monde et comment ceux-ci y répondent de manière symbolique, comme l'Ancien Testament, d'ailleurs. Pourtant bien des manuels en restent parfois à la connaissance des douze dieux anthropomorphisés de l'Olympe ou aux représentations animales des dieux égyptiens. C'est pourtant l'accès au symbolique qui est en jeu ; sinon on risque de laisser les élèves dans l'embarras : des peuples qui ont construit les pyramides, qui ont commencé d'expliquer le monde par les mathématiques ne se contentaient certainement pas de dieux lançant la foudre depuis les nuages ou vivant sous terre… Un autre écueil réside dans la présentation sans précaution d'événements dont on n'a de traces que religieuses. En témoignent les cartes proposées par des manuels (Nathan 6e p 38, Belin 6e p 45) retraçant l'itinéraire du peuple hébreu, donnant ainsi réalité à des faits non avérés. Le Nathan 6e( p 51) est le seul manuel à proposer la confrontation d'un épisode de la Bible, le passage de la mer Rouge, avec un court extrait d'un entretien avec l'historien Jean Yoyotte qui permet aux élèves de faire la part entre croyances religieuses et faits historiques. Pour illustrer la venue d'Abraham et des siens en Egypte, un extrait d'une peinture d'une tombe égyptienne découverte à Beni-Hassan (vers 1900 av JC) présenté sous le titre: "les Hébreux partent s'installer en Egypte" travestit, par une vision biblocentriste, une vérité avérée depuis par la recherche : cette scène témoigne de la venue de Bédouins livrant au gouverneur égyptien leur récolte de galène ! Une collègue spécialiste précisera à ce moment que la recherche récente met en cause le terme de "croissant fertile", pourtant véhiculé par les professeurs, comme "parole d'Évangile".

Force est de constater que le document a souvent dans les manuels une

simple fonction illustrative. Le recours à lřiconographie abondante en général permet dřaborder la notion de source dřinspiration artistique et de faire prendre conscience aux élèves de la nécessité dřune culture religieuse minimale pour comprendre une grande part de lřart occidental. A noter sur ce thème un dossier (Belin 6e p 148-149) montrant comment la figure du Christ a pu inspirer la création artistique. Un danger toutefois, dans un dossier consacré aux Evangiles (Magnard 6e p 101 ), on trouve côte à côte un extrait des Evangiles de Mathieu rapportant la résurrection du Christ et un tableau de Pietro della Francesca (1459) sur le même thème.

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Le texte associé à l'image, sans aucun questionnement qui permettrait à lřélève dřavoir une distance critique, renforce ici lřillusion du vrai. Multiplier les médiations par lřœuvre dřart peut donc entraîner une dérive en donnant une image à des faits incertains.

Les documents d'accompagnement recommandent de présenter les personnages fondateurs des Monothéismes et de les replacer dans le contexte politique et spirituel de leur époque.

Le manuel Hachette 6e (p 36) présente un texte pédagogique racontant la vie de Moïse. Si le début du texte précise quřil est dřaprès la Bible, le reste du document rédigé au présent présente aux élèves des croyances religieuses comme des faits avérés: on peut y lire que Moise « a une révélation » et que «sur le mont Sinaï, il renouvelle l’Alliance avec Dieu [et] reçoit les Tables de la loi sur lesquels sont gravés les Dix commandements. »

Or les historiens rappellent qu'aucun document, à l'exception de la Bible, ne permet d'affirmer son existence. Et encore, les textes évoquant la vie de Moïse sont tardifs et les écrits sur sa vie relèvent plus des récits légendaires (miracles, compétition avec les magiciens de la cour du pharaon...) que du genre historique. Moïse est donc un personnage qui nřa pas de réalité historique mais qui appartient pourtant au patrimoine scolaire. Même constat pour Salomon dont il n'existe d'autre trace que dans la Bible. Des précautions sřimposent…

On se heurte également à la minceur de sources, parfois signalée dans le texte des manuels (Belin 6e p 146) pour des personnages comme Jésus ou Mahomet. Le risque est de donner un effet de réalité à des personnages sur lesquels on ne sait que très peu de choses. Dans les chapitres sur le monde musulman, l'ensemble des manuels reste encore très centré sur lřitinéraire personnel de Mahomet alors que les recherches historiques décalent les fondements dogmatiques de lřIslam ont été élaborés dans le cadre de lřempire. On peut également regretter le manque de diversification des documents d'un manuel à l'autre. En 5e, c'est l'étude du monde musulman et non de l'Islam qui est au programme même si lřIslam est un élément déterminant pour comprendre cette civilisation. Dans l'ensemble des manuels, lřIslam est victime d'une présentation réductrice se résumant aux cinq piliers, à la polygamie suivie, le plus souvent, de la présentation d'une mosquée puis dřune ville. C'est pourquoi Nicole Samadi3 propose dřintroduire dans les pratiques enseignantes le mot Islams au pluriel pour prendre en compte la variété des comportements religieux et culturels et la diversité spatiale et temporelle des structures politiques et sociales.

Dans un récent article du Courrier International (30/1/2003), Moustapha al-Halougi, un universitaire égyptien, va plus loin en dénonçant la « vision déformée» que les manuels donnent de lřIslam : "le Magnard prétend que Mahomet recommande aux musulmans de convertir les non-musulmans par "le djihad". L'auteur ne cite pas la référence de cette phrase, qui ne s'accorde pas avec le verset "point de contrainte en matière de religion" (Coran, sourate 2, verset 256).

3 Nicole Samadi, Repères culturels et historiques du fait islamique/Islam, Islams, CRDP de

l’ académie de Créteil, 2001.

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Les racines bibliques de l'Islam ne sont aussi guère mis en relief : un seul manuel (Nathan 5e p 25) propose deux documents et une question sur ce thème. Les cartes proposées sur lřexpansion de lřIslam donnent une idée erronée du monde musulman les minorités (chrétiennes, coptes…) nřy figurant pas. Dřoù lřintérêt de travailler à grande échelle sur un plan de ville afin dřidentifier les quartiers occupés par les différentes communautés.

On retrouve cette absence de diversification des documents dans la partie

sur la Chrétienté occidentale. La scène du Jugement dernier est présente dans bon nombre de manuels (Magnard 5e - Nathan 5e…) alors que l'on pourrait tout aussi bien introduire des présentations de la Cène ou de la Crucifixion. Dřautre part, lřœuvre d'art a souvent un caractère illustratif et elle est rarement mise en relation avec les fondements du Christianisme. Quant à l'étude des lieux de culte (mosquée, église romane, cathédrale gothique) elle privilégie, dans l'ensemble des manuels, une approche purement technique et architecturale au détriment de la dimension spirituelle, symbolique des édifices religieux pourtant révélatrice d'une sensibilité religieuse de l'époque. La lumière, le son, l'organisation de l'espace peu mis en avant dans les manuels sont pourtant des éléments à prendre en compte car ils créent la spécificité de l'espace religieux et reflètent une certaine conception des rapports avec les fidèles.

L'étude de la vie de Jésus pose aussi problème dans les manuels du second cycle ; le récit de multiples événements, tous tirés de sources religieuses, et pour cause, renforcés par des représentations iconographiques postérieures, voire contemporaines peut inférer, par la multiplication, l'idée d'une vérité non discutable qui s'établit peu à peu pour tous ; d'où l'obligation, dira un collègue, d'un questionnement systématique pour présenter le document (qui parle, à quelle époque, à qui s'adresse-t-il, dans quelles circonstances …). Autre exemple, les manuels citent tous LA Bible ; est-on fondé à parler d'une bible ? La confrontation de plusieurs versions d'un même événement permet d'admettre qu'il n'y a pas de document original, que les documents sources ont chacun leur histoire, qu'ils posent d'énormes problèmes de traduction, d'interprétation. Un collègue évoque alors la difficulté qu'il y a à adopter cette attitude critique avec le Coran dans certaines classes ; cela renforce pour nous, la nécessité d'être extrêmement vigilants dans la présentation des textes fondateurs du judaïsme et du christianisme ; quelqu'un proposera l'heureuse formule "voilà comment les Hébreux, les Musulmans… racontent leur histoire". Par ailleurs, précisera une collègue, on trouve dans les célèbres manuscrits de Qûmran, deux versions différentes de l'Exode, ce qui laisse penser que l'homme de l'Antiquité n'est pas choqué d'avoir plusieurs versions d'un événement ; c'est peut-être, là encore, le moyen de conduire nos élèves vers le symbolique, et partant, pour tous les textes religieux.

Attention dans nos pratiques, en utilisant le présent de l'indicatif, la forme affirmative à ne pas céder à ce que nous redoutons le plus. Quand on dit "les Grecs sont polythéistes, et les dieux à l'image des hommes" (suit l'examen des douze dieux), mais immortels ( ! ? !) ; "ils vivent sur le mont Olympe" (on localise la résidence des dieux)… que fait-on, sinon une forme de catéchèse polythéiste ?

Que fait-on quand on étudie le plan de l'église de Conques, le plan d'une mosquée ? de l'enseignement du fait religieux, ou de l'architecture ? Une collègue

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propose d'introduire les hommes dans ce genre de leçons et de faire travailler sur la fonctionnalité des lieux, donc sur les rites et pratiques ; peut-être aussi peut-on replacer ces études dans une problématique plus générale comme celle de la recherche du salut.

L'étude systématique du corpus documentaire offert par un manuel (ici, le Bordas de seconde, mais cela se révèle vrai pour d'autres) permet d'engager la réflexion sur ce que l'on fait vraiment quand on choisit d'étudier tel ou tel document. Si l'on discute la problématique proposée par le premier chapitre : "le christianisme, religion-fille du judaïsme" avec les documents offerts, on étudie essentiellement des croyances qui sont à présenter aux élèves comme celles d'hommes à un moment donné ; c'est alors du dogme qu'il s'agit. Quand les documents s'étalent sur plusieurs siècles, c'est l'évolution qui est à privilégier, la mise en perspective de croyances dans un certain contexte, et on fait de l'histoire.

L'offre extrêmement riche de documents variés, textes bien sûr, mais aussi peintures, sculptures, constructions invite à envisager l'énormité de l'impact de ces croyances à travers les époques…et l'espace, sous ces divers aspects (que faire, sinon du texte sur la place de la femme dans la société chrétienne ?) On étudie alors leur impact culturel.

Enfin, prenons garde à ne pas oublier les hommes et leurs comportements ; que leur demande-t-on de faire ? Que font-ils ? Il s'agit alors des pratiques et des rites.

Le second chapitre étudie l'évolution de la place des Chrétiens dans le monde romain et partant, il s'agit d'envisager les regards réciproques des Chrétiens et de ceux qu'on appellera bientôt païens. Finalement, la conceptualisation de l'étude à travers dogme, histoire, pratiques, impact culturel et regard sur les (des) autres permet de préserver la posture de l'historien qui montre, étudie, sans prendre parti, et partant permet aux élèves d'étudier un fait religieux, sans faire de religion.

Si l'on admet qu'étudier un fait religieux peut requérir de passer par ces cinq entrées (qui ne sont pas closes…), une question demeure, celle de leur ordre, qui ne doit évidemment pas être systématisé, mais qui détermine les problématiques. C'est là la liberté du professeur qui doit les faire varier selon les époques ou l'objet d'étude.

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ATELIER 5

Enseigner l’islam

quelques enjeux d’un enseignement

Animation : Jackie CHABROL IPR

Rodrigue COUTOULY professeur au collège Clair Soleil, Marseille

avec la participation de Françoise LORCERIE39

, chargée de recherche au CNRS et à l’IREMAM, Aix-en-Provence

Rédaction : Gérald ATTALI

Un fort ancrage dans les programmes

« Comment s’étonner que l’islam soit si mal connu, alors qu’il est si peu enseigné ?40 » Comme souvent en pareil cas, le ton de lřoutrance pousse le constat à quelques exagérations, voire à des erreurs. Pour la circonstance, on peut en repérer deux. Affirmer que lřislam est « si peu enseigné » constitue une première erreur. Son étude est installée, en classe 5e depuis de nombreuses années. Le programme actuellement en vigueur fixe même une fourchette horaire : 4 à 5 heures. Cřest trop peu, trouveront certains. Cependant, par comparaison, les études des Hébreux (3 à 4 heures) et de la naissance du christianisme (3 à 4 heures) représentent des volumes horaires comparables. Au total, la place consacrée à lřenseignement du monde musulman est loin dřêtre négligeable.

39

LORCERIE Françoise, la République à l'école de l'immigration ?, in Revue française de pédagogie (117),

oct.-nov.-déc. 1996 et Islam et valeurs démocratiques, COLLOQUE « CONVERGENCES JURIDIQUES ET

AMENAGEMENT DURABLE A MAYOTTE », Université de la Réunion, septembre 2002. 40 TINCQ Henri, Enseigner l’islam à l’école, Le Monde, 23/10/2001

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Lřautre erreur consiste à croire que cřest lřislam quřil faudrait enseigner. À « la civilisation arabo-islamique » des programmes de 1985, le programme de la classe de 5e préfère aujourdřhui « le monde musulman ». Qui pourrait douter que lřislam soit un facteur déterminant pour la compréhension du monde musulman ? Cependant, une approche trop exclusivement centrée sur lřislam risquerait dřen gommer la diversité. Or celle-ci, qui est constitutive de la réalité musulmane, résulte en grande partie du refus de toute orthodoxie. Ainsi la formulation adoptée par les programmes conduit à rejeter toute tentation dřessentialisme.

Une demande sociale renouvelée

A lřoccasion de lřenseignement du fait religieux, ce sont les leçons consacrées au christianisme qui suscitent parmi les enseignants des interrogations voire des inquiétudes ; rarement la religion des Hébreux, et plus rarement encore lřislam. Au contraire, lřaccueil est souvent bienveillant. Plusieurs explications à cet intérêt. Il peut résulter dřune demande localement forte dřélèves clamant leur adhésion à lřislam. Y répondre dans le cadre des programmes est indispensable. Néanmoins, il est tout aussi nécessaire pour ces mêmes élèves, comme pour tous les autres, que leur connaissance dřune religion ne se limite pas à la... leur. Lřhistoire scolaire ne peut servir à conforter les enracinements communautaires mais aider à les dépasser afin de montrer leur contribution à lřédification dřune culture commune.

Lřintérêt pour lřislam résulte aussi des évolutions que connaît aujourdřhui le monde musulman. Sřil faut en croire Olivier Roy41, chemine aujourdřhui, souvent sournoisement, « une vision de l’islam qui donne la primauté à une lecture littéraliste et puritaine du Coran ». Vision qui ferait aujourdřhui florès parmi certains jeunes français issus de lřimmigration maghrébine. Elle a pour conséquence la sacralisation du message religieux et le refus dřune approche historique du monde musulman. Le témoignage rapporté par Alexis Berchadsky 42(« Il y a plusieurs sourates et plusieurs versets mélangés dans les manuels, c’est interdit de faire ça... ») qui confirme cette acception, rend encore plus nécessaire lřétablissement dřun accès critique aux textes. Construire une approche du fait religieux cřest accepter de conférer un statut historique à des textes qui ont exclusivement un statut religieux pour les fidèles. Une attitude exégétique est communément admise pour la Bible. Pourquoi faudrait-il craindre de lřadopter quand il sřagit du Coran ?

Une nécessaire diversification des pratiques pédagogiques

Les enjeux ne sont pas seulement théoriques. Ils concernent également les pratiques pédagogiques. Celles-ci sont loin de se confondre avec les manuels scolaires. Pourtant, on ne peut quřêtre frappé par la grande uniformité, dřun éditeur à lřautre, des contenus et des exercices proposés. Certains de ces derniers, qui se retrouvent dans les cahiers des élèves ŕ telle lřétoile dont il faut

41 ROY Olivier, L’islam au pied de la lettre, Le Monde diplomatique, avril 2002 42 BERCHADSKY Alexis, Islam et école à Marseille, Université d’été 2002 : Europe et Islam ; islams

d’Europe, in http://pedagogie.ac-aix-marseille.fr/histgeo/ , septembre 2002.

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compléter les cinq branches ŕ, finissent par faire partie des « fondamentaux » de cette partie du programme. Dès lors, sřil faut privilégier lřutilisation du manuel, il est encore plus nécessaire quřà lřhabitude de veiller à donner du sens à ces leçons. Sous peine dřencourager lřidée que le professeur dřhistoire ne fait que proposer, sous une forme déguisée, une vulgate.

Les manuels encouragent une approche descriptive des faits de civilisation engendrés par lřislam. Celle-ci peut-être infiniment réductrice. Ainsi, la présentation dřune mosquée (Kairouan, le plus souvent) précède généralement celle dřune ville musulmane. Lřunicité des faits de civilisation paraît se confondre avec lřunicité du message religieux. Le parallèle satisfera le croyant, beaucoup moins lřhistorien. À lřinverse, Nicolle Samadi 43 suggère de nřutiliser le terme Islams quřau pluriel (et avec une majuscule !) Ce choix traduit une double volonté. Dřune part, il sřagit de restituer au fait religieux la variété de ses dimensions sociales. Dřautre part, le professeur dřhistoire peut alors donner une épaisseur chronologique à des objets dřétude (mosquée, ville musulmane, etc.) souvent présentés dans les manuels de manière intemporelle.

43 SAMADI Nicolle, Repères culturels et historiques pour comprendre et enseigner le fait islamique/islam,

Islams, CRDP de l’académie de Créteil, 2001

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ATELIER 6

Approche du religieux par l’œuvre d’art

Animation : Brigitte MANOUKIAN professeure au collège Campra, Aix-en-Provence

Patrick PARODI professeur au lycée Joliot-Curie, Aubagne

ARGUMENTAIRE

Pourquoi aborder le fait religieux à travers lřœuvre dřart, et plus particulièrement lřœuvre peinte ? Lřatelier part dřabord dřun constat simple : la production artistique, et ce jusquřau 19ème siècle, est dominée par la représentation des thèmes religieux. En Europe occidentale et orientale, le christianisme a permis le foisonnement des œuvres religieuses car contrairement à lřIslam (sauf celui des souverains i-khanides à la fin 13ème et début 14ème siècle qui ont permis lřéclosion des miniatures persanes) et au judaïsme, il nřy pas de prévention envers la représentation des fondateurs : Jésus est le personnage le plus représenté dans les arts visuels (seul concurrent Siddhârta le Bouddha). De plus, la religion chrétienne a conféré à la représentation de Jésus un rôle pédagogique et rituel (les icônes dans le monde byzantin).

Cřest pourquoi il convient de sřintéresser à ce que représente lřœuvre dřart, son statut et ses fonctions, puis, de mettre en évidence la spécificité de lřœuvre dřart dans le domaine religieux.

I - Le statut de l’œuvre d’art dans la société

Comment définit-on lřœuvre dřart ? Lřhistoire, la sociologie, lřéconomie et la philosophie invitent à considérer

lřart comme une construction dřhommes et de femmes, à la fois créateurs et

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spectateurs. Cřest donc un artefact polysémique. Il nřy a pas de définition simple de lřœuvre dřart.

Cřest un objet fabriqué ou transformé par la main de lřhomme quřAristote qualifiait comme source de plaisir esthétique gratuit. Cependant, la création artistique fut essentiellement religieuse jusquřau 19ème siècle : de fait, lřart ne pouvait quřêtre beau car il participait à la pensée qui descend du divin. Sa vocation nřétait alors pas dřimiter la nature mais dřen manifester le caractère sacré et transcendant.

La question du beau et du regard esthétique sřest alors posée car intrinsèque à la qualification de lřœuvre dřart. Jusquřau 18ème siècle, des critères objectifs du beau étaient définis de manière conventionnelle (avec des règles et des canons) si bien que le jugement esthétique se limitait à un raisonnement. Pour Emmanuel Kant, le jugement esthétique est avant tout un plaisir sensible et immédiat, essentiellement subjectif, qui ne requiert aucune connaissance particulière et qui est désintéressé ce qui le différencie du plaisir physique. De fait, ce nřest plus lřobjet artistique qui est essentiel mais la relation entretenue entre le spectateur et lřœuvre dřart.

Cependant, définir lřœuvre dřart comme «ce qui me plaît et que je trouve beau» pose le problème du relativisme et de la valeur de lřobjet… Le philosophe Hume démontre alors dans sa «Norme du goût» quřun jugement subjectif peut aussi reposer sur des éléments objectifs : certains goûts sont plus grossiers que dřautres, un expert saura mieux définir quřun profane une œuvre dřart… Cette approche ne résout en rien la question du relativisme.

Celui-ci peut être dépassé par la reconnaissance de la subjectivité de lřappréciation esthétique elle-même dépassée par lřacculturation : un groupe de personnes peut porter le même jugement sur une œuvre et cette appréciation commune devient alors une norme. Lřart se diviserait en domaines séparés ( peinture classique, impressionnisme, jazz, rap, comédie, tragédie, fauvisme, cubisme, musique de chambre, etc.) dans lesquels des normes sřétablissent. Cette solution ne ramène donc plus la question à celle du beau et peut même apparaître comme une forme de renoncement à toute philosophie de lřart mais elle permet de rendre lřart toujours vivant. Certaines formes dřart continuent à sřintéresser à la question du beau (la chanson, le cinéma), dřautres comme la peinture sřen désintéressent totalement.

«L’œuvre d’art est un objet esthétique intentionnel» écrit Gérard Genette44 cřest à dire que cřest un objet produit par un auteur dans le but dřêtre soumis à lřappréciation du spectateur.

Cependant, dřautres enjeux, cřest à dire pas seulement esthétiques,

apparaissent : lřœuvre dřart peut devenir œuvre patrimoniale, bien commun dřun groupe dřhommes et de femmes ou de lřhumanité. Cela sřeffectue par un processus dřélaboration complexe : extension et réduction du sens, instrumentalisation, préservation, décontextualisation, pour lřessentiel.

Cela est surtout du à la formation de lřidentité nationale : lřœuvre dřart devient lřexpression dřun groupe, de sa mémoire et de son organisation politique. Elle peut être la trace dřun passé considéré comme glorieux (le Château de Versailles, le portrait de Louis XIV ), appartenir à un cercle de valeurs universelles, lřexpression dřun génie spécifique, etc. Par conséquent, cřest lřEtat qui organise la conservation et la circulation des œuvres dřart et qui crée les structures indispensables comme les musées ou les expositions.

44 Gérard Genette : « L’œuvre d’art tome II La relation esthétique », Seuil, 1997.

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Aujourdřhui, la tendance à la patrimonialisation sřaccentue : la mondialisation et la montée des revendications identitaires locales et régionales qui contribue à accroître les difficultés de lřEtat-nation favorisent la multiplication des « lieux de mémoire » ; lřœuvre dřart devient un objet à protéger mais qui nřest plus vivant ni valorisant. Son sens se dilue. Elle nřest plus un objet de référence.

Cřest pourquoi lřœuvre dřart devient un objet dřenseignement : certaines

œuvres sont à fréquenter dans les programmes ce qui amène à se poser la question de sa place dans lřenseignement dřhistoire.

2 - Le statut de l’œuvre d’art dans l’enseignement d’histoire On peut évoquer deux points pour en saisir les enjeux :

- l’œuvre d’art est une découverte récente de l’histoire. En effet, réservée à lřhistoire dřart, cřest lřEcole des Annales qui a la première engagé une réflexion sur lřœuvre dřart : ainsi, en 1953, Lucien Febvre plaide pour une histoire de lřart sous tendue par lřhistoire des civilisations et celle des mentalités collectives mais ignore la liberté de création individuelle. Cřest dans les années 70 avec le développement de lřhistoire des mentalités que lřœuvre dřart (souvent des séries) est étudiée comme instrument dřune pédagogie ou dřune acculturation ou alors comme significative dřune mentalité ou dřune représentation collective.

Avec lřhistoire culturelle, le concept de mentalités est abandonné au profit de celui de la représentation ce qui amène à «entrer dans la réalité historique à partir de la singularité d’un texte, d’un objet, d’une pratique pour reconstituer l’ensemble des tensions, des échanges et des valeurs qui y sont investis».45 La pratique de lřhistorien est alors très diversifiée : les intentions de lřauteur, les conditions de la création et de la réception et sa fonction à travers trois entrées : lřœuvre proprement dite, lřartiste, le contexte.

- l’œuvre devient un objet d’enseignement spécifique à travers la

visite de musées et lřétude du document en classe. Les visites extérieures de musées continuent à bénéficier de lřattention des enseignants car elles permettent de répondre à deux objectifs : voir lřœuvre dans son cadre habituel cřest à dire la voir en vrai et donner accès à la culture de manière directe.

Lřétude de lřœuvre dřart en classe est un vecteur pédagogique dont lřutilisation peut poser problème. La visite des manuels du secondaire permet de mettre en évidence que les œuvres dŘart sont utilisées comme simples traces du passé pour illustrer, monter, donner des renseignements sur les évènements, les sociétés, les économies et les individus. Elles illustrent les cours et lřabondance des reproductions renforce cet aspect informatif. De fait, les œuvres dřart ont le même statut que les autres documents et perdent toute spécificité.

Une autre utilisation fréquente apparaît dans les manuels : lřapproche techniciste qui consiste à compléter des fiches de méthode dřanalyse des œuvres dřart. Lřélève est amené à décrire le sujet, à détailler la technique picturale (la composition, le dessin, les couleurs, la lumière…) et parfois, à placer lřœuvre dans le contexte politique et intellectuel de sa création.

45 Roger Chartier Préfaces n°1, mars-avril 1987.

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Enfin, lřœuvre dřart est abordée dans quelques chapitres privilégiés et à travers lřétude de grands mouvements artistiques clairement identifiés comme sujet dřétude : lřart roman et gothique, la Renaissance, le Baroque, le Romantisme, lřImpressionnisme, etc. On peut noter cependant que lřart dřaprès Seconde guerre mondiale est le plus souvent ignoré ou rapidement évoqué et que certains créateurs sont ignorés.

Au bilan, lřutilisation de lřœuvre dřart reste relativement peu fréquente et souvent peu diversifiée. 3 - Comment aborder l’œuvre d’art ? Quelques pistes de réflexion

Lřœuvre dřart est un objet polysémique qui est à la fois produit et acteur

de lřhistoire : cřest à travers elle quřon peut aussi apprendre à faire de lřhistoire. Cřest aussi un objet spécifique qui fait appel à la liberté créatrice. Elle nřest donc pas le miroir de la réalité mais une interface entre une époque et un individu et entre plusieurs temps différents : « La question du temps est fondamentale. Temps de l’art, temps de l’histoire et […] temps du retentissement contemporain. N’y a-t-il pas meilleur moyen d’aborder la force d’une œuvre d’art que d’en montrer les bourgeons les plus modernes ? »46

Aborder lřœuvre dřart, cřest prendre quelques précautions préalables : - lřœuvre dřart est destinée à un public ou à un mécène ou un

commanditaire qui peuvent limiter la liberté créatrice de lřauteur, imposer des normes, favoriser ou empêcher lřéclosion de talents. Ainsi, le romantisme et lřimpressionnisme se sont développés à contre courant des goûts conventionnels de lřépoque mais se sont imposés grâce à lřaction de certains mécènes ; des artistes nřont jamais connu de leur vivant la reconnaissance comme le célèbre Van Gogh ou furent écartés des commandes car trop imaginatifs comme le sculpteur Rude.

- Lřœuvre dřart est un objet qui a une histoire : on peut multiplier les

exemples de tableau dont la conception et lřhistoire sont des éléments déterminants de sa compréhension et de son analyse : ainsi, «Le Sacre de Napoléon » de David dans lequel le peintre représenta Laetitia Bonaparte, pourtant absente, en est lřexemple le plus connu.

- Lřœuvre dřart est un acteur de lřhistoire : elle amène à interroger le

spectateur sur les notions de modernité, de rupture et de continuité. En effet, selon son accueil, une œuvre dřart renseigne sur les normes esthétiques communes de la société et au-delà de ses mentalités. Elle se situe en continuité ou en rupture dřune série artistique : si on peut classer les œuvres de la Renaissance comme des œuvres en continuité avec celles du Moyen Age sur de nombreux points, elles peuvent aussi être en rupture avec ces dernières sur dřautres. Elle met en avant des thèmes dominants : les sciences, lřinconscient, qui peuvent interroger les artistes dřune époque. Lřœuvre dřart produit donc un discours sur un moment donné quřil convient dřéclairer.

46 Gérald Attali « L’expert et le professeur d’histoire », La Durance n°37, 16 octobre 2002

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- Lřœuvre dřart a de multiples fonctions dans la société qui lřaccueille : elle peut être religieuse (les icônes mettent en évidence que lřimage passe du statut de symbole de la divinité à celui dřimage de dieu quřil faut donc honorer), politique (le portrait des souverains nřest pas lřexacte réplique physique de ces derniers mais lřincarnation de la puissance royale et le moyen de la légitimer). Ainsi, à destination du public, lřimage religieuse et politique permet dřapprendre les signes de reconnaissance de la collectivité et de fonder une mémoire collective. Par ailleurs, lřœuvre dřart peut avoir aussi une fonction de consommation : elle est source de plaisir esthétique et permet à un mécène, un Etat dřexalter leur magnificence (le propre de la puissance est de régenter le plaisir des autres).

Cřest cette diversité qui fait de lřœuvre dřart un objet dřenseignement très

riche. Elle suppose donc un regard croisé et non pas unique. En effet, lřécole phénoménologique allemande nous apprend que le regard porté sur lřœuvre empêche de percevoir le sens. Le spectateur a une intention dans sa perception. Il reste donc dans une approche très contextualisée et individualisée qui va le mener à porter un jugement.

Or, cela rentre assez souvent en contradiction avec la pratique enseignante

qui cherche à produire un discours savant sur lřœuvre, discours souvent normatif et validé ; il nřy aurait quřune seule interprétation possible ou une seule approche. Cřest pourquoi certains jugements brutaux des élèves peuvent paraître choquants quand ils trouvent «moche» un Picasso, un Matisse, un Mondrian ou se montrent enthousiastes face à une aquarelle paysagère-…

Rejeter et nier toute valeur au discours de lřélève, cřest rendre lřœuvre dřart

mythifiée et intouchable, donc morte. Or, lřart est vivant dans la perception que lřon peut en avoir. De plus, en utilisant les représentations des élèves, on peut aussi les confronter avec celles de lřauteur et de lřépoque : la démarche de recherche sur lřœuvre prend alors sens puisquřelle permet de doter lřélève dřoutils dřanalyse et de distanciation sur ses représentations. Elle permet aussi dřapprocher lřobjet artistique dans sa globalité et évite de se limiter au prélèvement dřinformations qui lui fait perdre sa spécificité.

Ce travail qui sřappuie pour une part sur les représentations des élèves

sřeffectue quelle que soit lřœuvre dřart. Cette démarche sur une œuvre dřart religieux permet de mieux approcher la polysémie de cette dernière et de la percevoir comme un palimpseste : le matériau reste le même mais sans cesse, sřy superposent des regards différents. 4 La spécificité de l’œuvre d’art religieux

Les thèmes religieux sont en aucun doute ceux qui sont le plus représentés dans les œuvres dřart et, Jésus, nous lřavons dit, le personnage le plus représenté. Cřest sa spécificité quřil faut mettre en évidence.

Lřœuvre dřart religieux est une interface entre une histoire sainte dont le contenu, les vérités, le dogme sont fixés par lřautorité ecclésiale et un créateur, qui en reçoit commande mais y inscrit son imagination et ses représentations. Elle nřest pas la simple réplique visuelle du dogme, de

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lřEglise, des conciles et de la spiritualité… Parce que les hommes et les sociétés changent, les images religieuses changent. Cřest pourquoi interroger une œuvre dřart religieux, cřest se poser la question de ce qui reste de la théologie et si lřimage religieuse facilite ou complique lřaccès à cette même théologie.

Lřœuvre dřart religieux occupe le plus souvent une place très importante car elle est le moyen dřexpression et objet dřattention de la foi. Dans le christianisme, la représentation du Christ est essentielle et lřEglise catholique a toujours laissé les artistes sřexprimer librement. Il nřy a jamais eu de volonté permanente de contrôler lřimage du Christ : en 1963, le concile de Vatican II réaffirme le principe ancien selon lequel la peinture chrétienne peut être adaptée à la sensibilité, aux modes dřexpression et aux besoins des diverses régions et peuples du monde.

Lřœuvre dřart est aussi lřexpression de la sensibilité religieuse dřune époque donnée : certains épisodes de la vie des personnages sacrés, certains aspects théologiques sont parfois abandonnés, délaissés ou a-contrario privilégiés parce quřils témoignent des questionnements spirituels, des inquiétudes et des doutes, des certitudes, des politiques ecclésiales du moment, des préoccupations messianiques etc. Chaque époque et chaque région ont leur propre manière dřinvestir le religieux à travers lřœuvre peinte.

On peut de manière simple retracer cette spécificité à travers la

représentation du Christ dans lřart. Les manuels, on lřa dit, utilisent lřimage du Christ de manière totalement indifférenciée et créent une illusion dřunicité de lřimage de Jésus que même lřEglise récuse. De fait, ils nient lřimportance du contexte dans la réalisation de ces images. Les recherches récentes mettent en avant quelques images simples du Christ à travers le temps :

- au temps des premiers chrétiens, le Christ est représenté de manière symbolique en raison de la contradiction entre lřinterdit chrétien du culte des idoles et la vénération païenne des images. Cřest sous le trait du Bon pasteur ou dřun philosophe quřil est présent sur les sarcophages par exemple avec une scène de lřAncien Testament. Cette dernière éclaire le sens de la mission du Christ sur Terre.

- Dès le 4ème siècle, les premières représentations du Christ comme personnage central apparaissent : la Cène, la Transmission de la Loi. Cřest lřère du triomphe de la religion chrétienne dans le bassin méditerranéen et des débats théologiques sur la divinité du Christ réglé par le concile de Nicée qui définit Jésus comme personnage divin et personnage humain, à égalité avec le Père. Par ailleurs, on continue à figurer Jésus sous des traits très divers dont celle du Christ barbu. Cette dernière image sřimpose peu à peu avec lřimage du Christ Pantocrator en référence à la figure de Jupiter/Zeus et avec le succès des « acheiropoiètes »( images non faites de main dřhomme) comme le Mandylion dřEdesse, reflétant selon la tradition le vrai visage du Sauveur.

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- On assiste alors à un double mouvement : dans le monde chrétien oriental, les débats théologiques sur la nature du Christ, la volonté de lřEglise de contrôler étroitement le culte et les images et le rôle essentiel de la liturgie fixent lřart religieux. Ce sont les icônes placées à lřentrée du templon qui doublent la liturgie et qui font lřobjet de vénération. On identifie des cycles de représentation correspondant aux questions liturgiques faisant débat : la Passion à la fin du 8ème siècle (volonté dřinsister sur la figure humaine du Christ), le thrène cřest à dire la déploration de la mort par la Vierge et St Jean au 12ème siècle (on insiste la signification des souffrances), image du partage au 13ème siècle qui montre la réalité du Christ dans lřeucharistie… Cřest alors que se figent les représentations du Christ correspondant au recul de lřEmpire byzantin et une place plus importante de lřEglise orthodoxe plus conservatrice.

Dans le monde occidental chrétien, les représentations sont plus variées

car lřimage nřa pas de place dans la liturgie et car les Pères de lřEglise et les artistes sont moins touchés par les images acheiropoiètes. De plus, lřEglise laisse aux artistes le choix des schémas de composition, des matériaux et des styles et se contente de maintenir les différentes images du Christ dans une certaine parenté. On privilégie deux sortes dřimages ; les images effigies où Jésus regarde le spectateur (cřest la vision seigneuriale et qui est en rapport avec lřusage du portrait) et les images narratives qui racontent une scène du Nouveau Testament selon la technique de la typologie, un des codes fondamentaux de lřart médiéval : on met en corrélation la scène avec une ou plusieurs scènes de lřAncien Testament censées lřannoncer mais selon un ordonnancement précis. Lřunivers nřest pas considéré comme plan mais comme étagé et lřhomme cherche à retrouver les niveaux supérieurs dont il a été chassé. Chaque image doit répondre à cette spatialisation des concepts et à la vision de lřhistoire qui voit le monde vivre dans lřâge de la Grâce depuis la Passion du Christ.

Il y a des choix de figuration très nets durant le Moyen Age : au Haut Moyen Age, les scènes de lřenfance et de la Passion sont aussi nombreuses alors que cette dernière lřemporte à la fin du Moyen Age ce qui correspond au triomphe dřune piété axée sur lřhumanité du Christ telle celle développée par St François dřAssise.

Cřest autour de deux axes que lřart chrétien médiéval tourne : celui de lřaction du Christ en tant quřhomme et celui de sa nature intemporelle dans des scènes théophaniques.

- Au 15ème et au 16ème siècle, le développement de lřimprimerie (et des

gravures en bois) facilite lřapparition dřimages de dévotion fondées sur le face à face, lřintimité et la relation personnelle : le Christ est alors souvent représenté en mi-buste, bénissant. Le protestantisme et les nouvelles techniques picturales modifient la représentation : la lumière, le paysage des scènes de la Passion, etc. doivent être soit didactiques (montrer que les Réformés défendent une religion de bonté et de confiance contre une religion catholique qui serait celle de la crainte et de la punition) soit permettre dřatteindre le secret de lřordre du monde.

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- Le 3 décembre 1563, le décret du Concile de Trente «Sur lřinvocation, la vénération, la relique des saints et sur les saintes images » constitue la charte de lřart sacré qui domine jusquřau 19ème siècle : lřimage doit être didactique, conforme à une certaine moralité et soumise au regard de lřautorité ecclésiastique. Ainsi, la décence, la dignité et la conformité doctrinale (on doit représenter le personnage selon ce que le récit biblique en dit) deviennent des critères du beau. Dès la fin du 16ème siècle, lřart sacré se formalise. Cependant, des peintres comme Caravage qui introduit le Christ dans lřunivers social (cřest un homme du quotidien dont lřorigine surnaturelle est soulignée par la lumière) ou Velázquez lors du Siècle dřor espagnol mettent en avant un rapport nouveau avec la transcendance. Ils inaugurent à leur manière cette double tendance qui traverse lřart sacré jusquřau 19ème siècle : la première autour de lřœuvre de Rembrandt avec un Christ intimiste et extatique et la deuxième autour de Rubens avec un Christ de gloire, planant, aérien, héroïque, lointain et inaccessible qui devient un des éléments de représentation du divin. Cette double tendance sřaccompagne dřun mouvement de fond : la peinture de lřhistoire religieuse est marquée par un tassement de lřinspiration biblique. Les questions théologiques tournent davantage autour de la place de la Trinité que de lřimage du Christ.

- Le 19ème siècle marque un tournant dans lřhistoire de la peinture sacrée.

Tout dřabord, on assiste à un renouvellement des commandes dans le domaine de lřart religieux : de nombreuses églises sont construites. Le Christ retrouve sous la Restauration lřimage de celle dřun être souverain et dřautorité. Enfin, certains courants artistiques se détachent ou ignorent les thèmes purement religieux comme lřimpressionnisme. La représentation du Christ devient «une affaire de curés» ( cřest le courant sulpicien où se mêle convention et sentimentalisme). Les artistes utilisent plus librement lřimage du Christ (on peut noter que, sous la Révolution française, celle-ci fut détournée de manière satyrique dans une imagerie purement révolutionnaire). Cette évolution marque donc les deux derniers siècles mais le religieux ne disparaît pas de lřart. La redécouverte du retable dřIssenheim de Grünewald (1511-1516), les atrocités des deux guerres mondiales, les difficultés économiques des années 20 et 30 et la Shoah ont rendu les artistes sensibles à lřimage du Christ martyr ; il devient le symbole de lřhomme défiguré par lřhomme. Sa figure de Verbe créateur, de Juge eschatologique est alors totalement ignorée : les scènes de lřenfance, de la Résurrection disparaissent au profit de celles de la Crucifixion et du chemin de Croix. Le renouvellement de lřart sacré dans les années 50 grâce à lřaction de deux dominicains, les pères Regamey et Couturier, qui ouvre cette production aux plus grands artistes, nřéchappe pas à cette tendance.

Ces visions différentes du Christ dans lřart permettent une double approche

de lřart religieux : la recherche des traces du fondement du christianisme et les sensibilités, les inquiétudes, les débats des sociétés chrétiennes qui se manifestent à travers lřimage.

Cřest cette voie féconde et passionnante qui fait de lřart sacré un art vivant.

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ANALYSE COMPLEMENTAIRE

Des œuvres d’art religieux au service de l’Histoire.

Dans un numéro de la revue « Historiens et Géographes » consacré à lřhistoire religieuse47, Dominique Rigaux, spécialiste de lřiconographie religieuse, énumère dans son article intitulé « Croire aux images », les différentes fonctions de lřimage religieuse48. Sřappuyant sur le discours officiel de lřEglise, lřauteur cite lřargumentation du catholicon (dictionnaire du XIIIe siècle) de Jean de Gênes :

« Sachez que trois raisons ont présidé à lřinstitution des images dans les églises. En premier lieu, pour lřinstruction des gens simples, car ceux-ci sont enseignés par elles comme par des livres. En deuxième lieu, pour que le mystère de lřIncarnation et lřexemple des Saints puissent mieux agir dans notre mémoire en étant exposés quotidiennement à notre regard. En troisième lieu, pour susciter un sentiment de dévotion, qui est plus efficacement excité au moyen des choses vues que des choses entendues. »

Il sřagit donc dřobjectifs « pédagogiques » visant à rapprocher les hommes de Dieu, de lřEglise :

- enseigner (les Evangiles…) - rappeler à la mémoire (les saints…) - émouvoir (pour faciliter la communion des fidèles avec lřobjet

représenté…) - orner, aussi…

Mais la seule volonté de lřEglise ne saurait suffire ; si lřEglise a tenté de promouvoir les images tout en les contrôlant, celles-ci ont leur vie propre ; les fidèles reçoivent, perçoivent et utilisent les images religieuses selon leurs sensibilités et leurs besoins :

- sřassurer, se rassurer (images dřindulgences) - dire merci (images votives) - protéger ou punir (images des saints)

Ce besoin est parfois si fort que lřimage sřanime parfois : productrice de miracles (statues reliquaires) ou portée en procession.. Sans pousser le parallèle trop loin, les enseignants ont bien quelque chose à voir avec les clercs du Moyen-Age quand ils utilisent les images dřart pour enseigner le fait religieux : lřœuvre dřart possède plusieurs fonctions quřil convient de rappeler dans un ordre plus proche de ce que lřenseignant est amené à proposer aux élèves : - L’image produit des émotions : une démarche de lecture dřœuvre dřart ne devrait pas ignorer les sensibilités des élèves. Parce que ces sensibilités sont multiples, que les interprétations, à confronter, sont variées, elles permettent de susciter un questionnement riche de lřœuvre, et dřen saisir plus facilement le ou les sens.

47 N° 343, mars-avril 1994, Histoire religieuse (2ème volume) 48 Il situe son constat dans l’Italie du XVe siècle où le foisonnement des images religieuses est plus important qu’ailleurs dans

l’Occident chrétien, accompagnant les fidèles dans leur vie quotidienne dès leur naissance.

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Travailler sur la forme, les couleurs, les lumières, les objets et leur disposition… nous apparaît comme une démarche purement esthétique ou « histoire de lřart », mais elle facilite souvent la compréhension des œuvres. La vierge peinte par Cimabue (XIIIe siècle), statique et auréolée, entourée dřangelots, posée sur fond dřor, nřexprime pas les mêmes idées que la vierge de Raphaël maternante et expressive, posée dans un décor quotidien. Si pour la première, le sens du sacré, les symboles ont toute importance, la sensibilité, le réalisme expliquent la deuxième. Dřune époque à une autre, on passe du divin à lřhumain, de tendances artistiques à dřautres mais aussi de préoccupations sociales, religieuses à dřautres. - L’image orne… illustre plutôt : cřest la fonction première qui lui est accordée dans les manuels. Lřimage est un support au texte. Et les œuvres dřart subissent le même sort : rarement présentées pour elles-mêmes (sauf dans une approche très technique), elles sont des décors aux documents écrits privilégiés (paradoxalement, les manuels offrent une iconographie de plus en plus abondante…). Et elles exposent les élèves au danger dřassocier lřœuvre dřart à du réel et de fixer des images immuables… A nous de proposer plusieurs images, de permettre la confrontation, la comparaison, lřexercice dřun regard critique… Elles enrichissent cependant un imaginaire que le texte parfois ne peut fournir : appréhender le passé nřest pas un exercice facile… Osons revenir à E. Lavisse : « La leçon est trop courte ; elle comprend un texte de quelques lignes : voilà pour la mémoire ; un récit et une gravure : voilà pour l’imagination. ». Par sa fonction illustrative, l’image rappelle : elle est en effet un bon support à la cristallisation des savoirs, leur mémorisation : « la confrontation avec l’objet artistique restitue à l’histoire enseignée l’épaisseur du vécu que la parole échoue souvent à faire ressentir (…). Pour bon nombre d’élèves, en effet, la parole est muette : elle n’appelle pas les images mentales nécessaires à l’évocation du vécu (…) Le contact avec des créations humaines rapproche les élèves des hommes du passé en tant que producteurs d’objets valorisants, d’autant plus que l’objet parle à l’affectivité et à l’imaginaire. Il peut fournir un pont entre le passé et le vécu des élèves. »49 Lřimagerie religieuse du Moyen-Age répondait au besoin de ŘlřEglise dřéduquer à la foi ; nous ne doutons pas que lřimage ait encore aujourdřhui le pouvoir de fixer les connaissances encore quřil soit nécessaire dřaccompagner ces images fortes dřun regard critique, dřune distanciation : elles ne sont pas le réel… mais une certaine réalité. - Enfin, l’image enseigne et renseigne : elle est un document de lřhistoire comme les autres documents, de ce fait, elle est le vecteur de savoirs, de contenus. De savoirs historiques, bien entendu. Car la crainte la plus légitime de lřenseignant dřuser dřœuvres dřart religieux dans ses cours est la dérive possible vers le catéchisme : comment les utiliser sans ressentir ce sentiment dřêtre dans lřinterdit, ou proche de lřinterdit, parce que nous sommes « enseignant laïque » ? cette culpabilité à la lecture dřune scène de la nativité ou de la crucifixion que nous nřavons pas dans la description dřun vase grec orné dřun Zeus ou dřune Vénus… ?

49 Art, Histoire et enseignement, Marie-Christine Baquès, CNDP-Hachette Education,2001, page 44.

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Lřœuvre dřart religieux comme toute œuvre dřart est avant tout une création, issue dřun contexte social et politique précis, et donc reflet dřun rêve ou dřune réalité, celui de lřartiste dans son temps (du commanditaire aussi) ou dřune société. Elle est médiatrice dřun ou plusieurs messages, de sensibilités, de rêves…

Ainsi le questionnement qui accompagne lřœuvre dřart religieux ne doit pas se contenter de « faire décrire » mais aussi dřinterroger : qui ? quand ? pourquoi ? quels messages ? quelles intentions ? quelles réceptions ? La lecture dřune histoire est une étape nécessaire pour la compréhension de lřHistoire : elle nřest pas suffisante et suppose que lřon interroge pour donner du sens à l’œuvre d’art, saisir ce qu’elle porte comme valeurs, idées, pratiques religieuses… du moment de sa création.

Lřœuvre dřart est alors « objet d‘enseignement » placée au cœur dřinterrogations comme support à lřacquisition dřun savoir historique (quelle vision dřun monde passé nous transmet lřœuvre dřart ?) selon une problématique définie au départ : elle est un produit de l’histoire, un témoin d’une culture, d’une idée, d’une vision du monde, à questionner sous tous ses angles. Selon lřœuvre dřart que nous étudions, la problématique et les objectifs que lřon se fixe, tout nřest pas à interroger, lřenseignant fait des choix.

Lřexemple dřune leçon de cinquième (lřEglise) illustre la multiplicité des fonctions de lřœuvre dřart. Les supports choisis ne posent pas de problèmes majeurs de conscience, à première vue : trois miniatures du XIVe siècle pour illustrer des pratiques religieuses. En fait trois pratiques qui renvoient à trois sacrements de lřEglise catholique : le baptême, le mariage, lřextrême-onction. Trois sacrements qui renvoient aux croyances, dogmes du christianisme… : la croyance dans lřexistence de la vie éternelle, dans le salut des hommes, dans lřalliance entre Dieu et son peuple, dans la nécessaire communion avec lřEsprit Saint…

La démarche proposée aux élèves leur permet de :

- faire parler leur sensibilité : susciter la participation des élèves dans une description qui nřinterdit pas les remarques personnelles (sur la représentation des mourants…)

Artiste, créateur avec

son imaginaire propre Contexte social,

politique, religieux

Œuvre d’art = création, production

commanditaires

Imaginaire collectif Style, genre, mouvement

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- se rappeler : le baptême a été vu avec Clovis ; lřélève est amené à réinvestir des savoirs. Cřest aussi faire référence à leurs propres représentations, leurs expériences de baptême, de mariage, de les interroger sur le sens quřils leur donnent, les corriger. - illustrer trois sacrements. : les images servent de support au récit du professeur ou le complètent. Elles permettent de décrire et dřidentifier… de donner des mots (évêque, mitre, crosse, parrain, infusion, fonts baptismaux…). - enseigner l’histoire : la miniature sur le baptême est un document dřhistoire à replacer dans un contexte social, une époque précise ; un document dřhistoire à soumettre au regard critique. Elle reflète des préoccupations, des volontés, des pratiques bien spécifiques. Ainsi peut-on faire quelques remarques sur les supports (de la tablette dřivoire au parchemin), évoquer le rôle des moines copistes dans la diffusion des images, ou comparer la pratique du baptême qui évolue de lřimmersion à lřinfusion…et qui renseignent ainsi sur les traces (fonts baptismaux…).

Il est intéressant aussi de travailler sur des œuvres qui nřapparaissent pas souvent dans les manuels : ainsi en est-il des « danses macabres », connues fin XIVème siècle dans tous les milieux de la société. Elles sont le reflet des sensibilités dřune époque (artistiques, sociales, religieuses…) où « la mort partout présente » a un impact fort sur des préoccupations, des mentalités. Travaillant sur quelques images de la danse macabre de la Ferté Loupière50, les élèves ont montré intérêt et sensibilité à la lecture de cette œuvre et ont su faire preuve de perspicacité quant à son interprétation.

La lecture des œuvres dřart semble plus complexe lorsquřil sřagit de contenus autres que les pratiques religieuses. Ainsi en est-il dřune œuvre représentant la Cène. Elle figure surtout dans les manuels de sixième en illustration de la leçon sur la naissance du christianisme. Le questionnement qui lřaccompagne permet de décrire, dřidentifier les personnages ou de souligner les spécificités de la représentation (support, techniques, couleurs..). Parce que lřœuvre dřart est polysémique, elle peut être lue de différentes façons. Toutes les lectures participent de la construction dřun savoir, dřun bagage historien ou civique.

1 Ŕ Une image de la Cène pour illustrer : pourquoi pas ? Un moment de la vie du Christ, relié à un passage des Evangiles. Illustrer pour décrire (on apprend à regarder comme une photo de paysage) et mettre des mots sur des personnages, des objets, des formes…. autant dřinformations à stocker pour être réinvesties. Une démarche proche dřune lecture biblique mais loin de désintéresser lřhistorien qui peut travailler sur les symboliques : décoder lřimage, cřest interpréter les signes, donner du sens ; cřest apporter des références culturelles, des repères sur les sociétés passées, leurs croyances et pratiques, et donc comprendre une œuvre. Pourquoi le pain, le vin, le poisson (dont la valeur symbolique disparaît peu à peu dans lřOccident chrétien alors quřelle reste très vivante en Orient) ? 2 Ŕ Enseigner : un fondement et des pratiques du christianisme. Au delà de la représentation du dernier repas du Christ, la Cène est symbolique du Saint-Sacrement qui sřexprime par des pratiques régulières lors des messes

50

Consulter le numéro 6104 de la Documentation photographique, 1989.

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dominicales, lors des communions pascales… Lřœuvre dřart est alors confrontée, mise en relation avec dřautres documents pour avoir du sens (photo du chœur dřune église, extrait du Concile de Trente). Elle renvoie à des croyances (le Christ, présent, réincarné au milieu des croyants sous le signe du pain et du vin, la communion des fidèles avec lřEsprit Saint) et des pratiques : les liens entre lřattitude du Christ dans les représentations, et celles des prêtres dans le rituel de lřeucharistie…, la présence dřun autel dans lřœuvre peinte quand la représentation est marquée par la liturgie. Il y a aussi des traces, des lieux sacrés construits par les hommes qui marquent lřeucharistie (chœur dřéglise, démesuré à partir du XIIème siècle avec les cathédrales). Les retables qui accompagnent les autels dans le chœur des églises sont des supports privilégiés pour la figuration des scènes de la vie ou de la passion du Christ. « Le retable, objet religieux, est un système d’images (…) destiné à orienter le regard des fidèles vers la Présence réelle ; «il ordonne l’espace intérieur de l’église dont il proclame le culte principal, celui du Dieu incarné » (André Chastel)… La modification de la liturgie, après le quatrième concile du Latran (1215) semble avoir favorisé le développement des écrans d’images, car l’officiant au lieu de se tourner vers le peuple, se tourne désormais vers l’autel. »51 3 Ŕ Cřest aussi permettre à lřélève d’exercer son regard critique en comparant plusieurs représentations dřune même scène : quelle signification attribuer à des représentations diverses au fil du temps ? Lecture esthétique, formelle… mais qui renvoie à des contextes culturels, une civilisation, des préoccupations : peu présente dans lřart paléochrétien, la cène est un sujet de prédilection dřabord dans lřOrient chrétien puis en Occident pour les catholiques avec la Contre-Réforme.

Enseigner le fait religieux au travers de lřœuvre dřart est incontournable : la richesse des productions, et ce jusquřau XIXème siècle compris, est un fait qui nous oblige. De plus, lřexercice est riche dans lřacquisition de sens, de savoirs, de méthodes de lecture, dřapprentissage du regard. Sans cependant ignorer les autres supports dřhistoire.

Lřœuvre dřart peut sans aucun doute être un point de départ à de nombreuses questions dřhistoire à explorer avec les élèves.

51 Dans Images et foi, l’âge du retable, TDC n° 833, page 12

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COMPTE-RENDU DE L’ATELIER

La trace d’un rêve

n’est pas moins réelle

que celle d’un pas. (Georges Duby)

Œuvre

d’art

Donner à voir des images

Une création

à interroger

Fournir des représentations, enrichir l’imaginaire, illustrer

Aider à mémoriser : Support pour

le verbal

Construire une mémoire commune fonction mémorielle

Donner des émotions : fonction

esthétique

Développer le regard critique Travailler sur le point de vue : Quel créateur ? Quels messages ?

Lire, décrire : l’OA comme support à du vocabulaire (donner des mots pour

décrire)

Acquérir un savoir historique : l’OA comme reflet d’une société, d’un pouvoir,

de représentations

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Lřatelier tournait autour de trois axes problématiques : quelle place lřœuvre dřart religieux a-t-elle dans les programmes et les manuels ? Quels problèmes posent lřutilisation et lřinterprétation des œuvres dřart ? Y-a t-il une spécificité à lřœuvre dřart et comment lřapprocher ?

Cřest la démarche classique qui fut proposée : partir du constat pour aboutir à une réflexion.

Constat d’abord d’une présence mesurée de l’œuvre d’art dans les programmes et les

manuels :

- Au collège, lřœuvre dřart est présente dans sa dimension patrimoniale, surtout en 6ème et 5ème. il sřagit avant tout de bâtiments (lieux de culte) et peu dřœuvres picturales. En 4ème, aucune œuvre nřest recommandée dans le programme en référence au fait religieux ce qui aurait pu facilement se justifier pour lřart baroque par exemple.

- Plus on avance dans le temps chronologique des programmes, moins il y a de référence au fait religieux alors que jusquřau XIXe siècle la production religieuse est importante.

Autre constat : quelle place est donnée dans les manuels aux œuvres dřart

religieux ? Lřexemple donné pour le collège est celui de la mosquée en 5ème. En général, une importance quantitative est donnée au thème par la présence dřun dossier sur double page. La mosquée de Kairouan est privilégiée, présentée pour elle-même, comme un bâtiment de prière. La démarche proposée est avant tout descriptive, architecturale (quelles sont les parties de ce bâtiment ? A quoi servent-elles ?). Très peu dřéléments permettant de donner du sens (fonction nřest pas sens). Le plus souvent, les démarches du manuel vont induire des démarches pédagogiques similaires, un positionnement du professeur renforcé par les fiches TP toutes prêtes où le plan de la mosquée doit être complété comme un « plan à trous ».

Pour le lycée, lřexemple proposé est celui de lřimage du Christ. On constate que les œuvres dřart ayant Jésus comme sujet sont nombreuses mais dřépoque indifférenciée et jamais contextualisées (voir annexe de travail sur lřavant-propos de lřatelier)

Les interventions des deux formateurs ont suscité quelques réactions notamment sur les difficultés dřaborder lřœuvre dřart. Ce sont les questions techniques qui posent problème : une collègue met en avant les difficultés pour aborder les aspects techniques dřune œuvre dřart ; la comparaison avec dřautres œuvres est nécessaire, propose t-elle. Pour dřautres, lřapproche technique tout comme lřapproche qui fait appel à la sensibilité relèvent de lřhistoire de lřart. Ils sont aussi des moyens utiles pour ne pas donner prise à une polémique ( quand un professeur non musulman étudie une mosquée avec des élèves qui sont majoritairement musulmans, par exemple). Dřautres affirment que la description purement technique est porteuse de sens : travailler sur la mosquée de Kairouan est un moyen pour lřélève de « reconnaître ».

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En réponse, des questions sont posées : sřil est important de donner des repères et du vocabulaire, nřy a t-il pas danger de lřarchétype ? Entre t-on vraiment dans le culte musulman par une approche uniquement techniciste ?

Ces préoccupations posées, la salle a convenu dans son ensemble que lřapproche de contextualisation permettait de (se) sortir du piège techniciste et pouvait être particulièrement riche.

Les débats furent cependant assez vifs sur cette question : - un participant insistait sur la nécessité de nřutiliser que des œuvres

contemporaines de lřépoque étudiée. Ainsi, la proposition faite dřétudier le christianisme à travers des œuvres peintes dřépoques différentes52 lui semblait totalement impossible car pour les étudier, il était indispensable de poser le problème des conditions de production ( quel est le sens historique dřune œuvre ?). De fait, étudier le christianisme au début de notre ère ne pouvait se faire quřavec des documents contemporains.

- cette vision fut contestée par les autres participants : la démarche est difficile mais permet dřinitier les élèves à la représentation, donner des éléments de connaissance différents tout en mettant en avant un moment de la vie du Christ. Il sřagit alors de sélectionner des œuvres pertinentes accompagnées de quelques documents pertinents. Cřest donner une vision polysémique dřun document qui est lui-même porteur de significations différentes.

Ainsi, une œuvre datant du XVème siècle représentant la crucifixion peut être utilisée dans le chapitre sur la Renaissance mais aussi dans celui sur le christianisme : on attend des élèves quřils retrouvent la portée symbolique de lřœuvre. Quelle que soit lřépoque de la réalisation, ce travail sur le sens et les symboles (ici, la passion du Christ est un fondement du message chrétien) est possible, sans ignorer les textes bibliques, et en croisant avec dřautres documents.

Tout le travail de lřenseignant consiste à expliquer le « décentrage » nécessaire à la compréhension de lřœuvre. Celui-ci passe bien évidemment par une contextualisation et une recherche du sens : le sens de lřœuvre au moment où elle est réalisée (elle sřinscrit alors dans une histoire des mentalités) et le sens (les messages) religieux : ce sont deux entrées obligées pour une étude historienne de lřœuvre dřart religieux. Ainsi, la mosquée doit-elle être inscrite dans une géographie sacrée et une perspective historique qui nřignorent pas lřhéritage des autres monothéismes 53 . Les danses macabres des XIVe-XVe siècles peuvent être étudiées comme reflet des mentalités et des préoccupations religieuses de lřépoque. Des images du Christ différentes permettent de varier les représentations figées des élèves, de mobiliser leur sensibilité, de travailler sur le sens politique, social, religieux de ces œuvres mais aussi sur le contenu du message chrétien.

Il y a dřautres entrées54 mais toutes ne sont pas nécessairement à visiter : lřenseignant fait alors des choix.

52 Ont été présentées différentes œuvres représentant le Christ, de la fresque romaine du IVe siècle au

Christ souffrant de Picasso (1922) 53 voir fiche annexe sur la mosquée 54 Voir tableau qui suit en annexe, présenté à la suite des échanges par les formateurs.

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ANNEXE 1

La mosquée : un lieu aux multiples fonctions (« Plus qu’un lieu de culte »…) qu’il convient de

présenter en donnant les significations de chaque partie ; le présenter certes comme un espace

monumental mais aussi comme un lieu qui rassemble une communauté (umma) soumise à Dieu

(islam). Et qui s’inscrit dans un contexte historique (héritage, emprunt…), religieux (donner du sens

aux éléments de la mosquée comme aux pratiques), culturel et social (il n’y a pas une mais des

mosquées : il est nécessaire d’enrichir l’image-archétype de la mosquée de Kairouan).

Un bâtiment à ne pas isoler de la ville (la grande mosquée, djami, où ont lieu prières et sermons,

définit la ville par rapport aux petites mosquées, masdjid, simples lieux de prière) mais à intégrer

aussi dans un espace communautaire large relié au point central qu’est la Kaaba.

Un territoire orienté :

qibla : une direction de prière mais aussi un

point qui oriente l’esprit autant que le corps.

mirhab : niche qui n’existait pas du temps du

prophète. Symbole de la « voie suivie par la

grâce de Dieu », niche vide qui dit que Dieu

est invisible, et qu’il n’y a pas de médiation

entre lui et les hommes.

Elle peut être richement décorée, elle n’est

qu’un indicateur spatial.

Replacer la mosquée dans une géographie

sacrée : pour l’islam, la terre est représentée

comme un cercle dont le centre est la Kaaba ;

la mosquée, comme le tapis de prière, n’est

qu’un fragment de cette géographie sacrée.

Le minaret : élément

le plus visible de la

mosquée.

A replacer dans un

contexte d’héritage ou

d’emprunt : à

l’origine, le minaret est

de base carrée comme

les campaniles

d’églises.

Un élément rajouté (pas

une obligation) aucune

règle ne fixe son

emplacement (parfois

détaché du bâtiment).

Souvent un signe de

pouvoir : la mosquée

du sultan Ahmad 1er à

Constantinople a 6

minarets.

Les fontaines pour les

ablutions témoignent de

l’importance de pureté pour

accomplir le rite de la

prière : soumission, respect,

humilité… envers Dieu,

comme l’évoque aussi la

tradition d’ôter ses

sandales…(attestée dès le

8ème siècle mais observée

aussi pour la période pré-

islamique dans les

sanctuaires du Proche-

orient.

Des portiques

favorables aux

rencontres, aux

échanges… à

l’enseignement

(même après la

construction des

madrasas au 12e

siècle). La mosquée

est un lieu aux

fonctions multiples :

lieu de prière,

d’enseignement, de

sermons, de piété

(mosquée-mausolée),

de refuge…

La cour correspond aux 2 éléments qui

représentent le prototype de la mosquée,

élaboré selon le modèle de la maison du

prophète à Médine, en fait de la maison

arabe ( dar = espace clos et bâti

comprenant cour où ont lieu les activités

collectives + habitation).

L’islam recompose cet espace privé en

respectant le caractère clos : un modèle

qui s’impose mais n’exclue pas les

exceptions : les mosquées turques du 13e-

14e siècles n’ont pas de cour, comme les

églises chrétiennes…

La salle de prière répond à un plan

contraint par la direction de la qibla :

les fidèles s’alignent en rangées

parallèles. Aucun objet de culte, ni

mobilier au caractère sacré, pas de

représentations, de signes de la

présence de Dieu : la mosquée n’est

pas un sanctuaire, seulement un lieu

de prière collective.

Le minbar est aussi un

élément d’héritage ou

d’emprunt : lieu de

pouvoir d’où le juge ou

le chef de tribu

prononçaient leurs

sentences ou volontés ;

chaire de prêches

ou sermons religieux

même au temps pré-

islamiques. Il marque la

différence entre les

petites et grandes

mosquées.

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ANNEXE 2

La leçon «Naissance et diffusion du christianisme» à travers les manuels de Seconde

1. Place de la leçon dans lřannée et le programme. 2. Les problématiques proposées 3. La place de lřœuvre dřart dans la leçon

* L’œuvre d’art est très présente …

On peut remarquer dans les trois manuels que le nombre dřœuvres dřart représentées est important : 14 dans le manuel Hachette, 7 dans le Nathan collection Marseille, 12 dans le Nathan collection Le Quintrec… Cela se conjugue avec une extrême diversité des œuvres dřart : mosaïque, peinture, fresque, sarcophage, enluminure…. * L’œuvre d’art est utilisée de manière très indifférenciée.

Dans les trois manuels, pour la leçon sur le christianisme qui sřétale du début de notre ère jusquřau 4ème siècle environ, les œuvres dřart représentées sont dřépoques différentes : ainsi, dans le manuel Hachette, on trouve des œuvres du 4ème au 16ème siècle, idem pour le Nathan collection Le Quintrec et du 3ème au 17ème siècle, pour le Nathan collection Marseille. Avec une prépondérance des œuvres de l ŘAntiquité et du Moyen Age. Aucun classement chronologique dans les manuels. * Le plus souvent ces œuvres ne donnent lieu à aucun questionnaire ni même commentaire un peu détaillé.

Les rares questionnaires sont le plus souvent limités à un simple prélèvement dřinformations : on demande aux élèves de reconnaître le Christ, les personnages, la scène… Quelques travaux pratiques sont proposés autour de lřœuvre dřart : ils se limitent aussi le plus souvent à un questionnaire très linéaire ou techniciste… Les manuels confirment ainsi un statut de l’œuvre d’art qui reste d’abord une illustration du cours. Quels problèmes cela peut-il poser ?

- lřœuvre dřart religieux devient un objet intemporel sans contexte, - lřœuvre dřart religieux ne reflète pas la volonté dřun concepteur, - lřœuvre dřart religieux offre une image figée des personnages saints

surtout le Christ et des scènes religieuses représentées.

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ATELIER 7

Etude de l’espace sacré médiéval (la cathédrale avec tout ce quřelle contient )

Animation : Catherine LAMBERT (Musique) Pierre-Dominique ESNAULT (Histoire)

professeurs au lycée Georges Duby, Luynes.

Dans le cadre de cet atelier, nous avons considéré la cathédrale comme

une « œuvre dřart globale » Ŕ non pas un élément singulier mais une partie dřun tout concerté Ŕ cřest à dire privilégier la mise en rapport.

A/ DOCUMENTS PROPOSES : 1/ Plans et coupes de N.D. de Strasbourg du XI° au XIX° ; 2/ Rapports et proportions de la façade occidentale de N.D. de Strasbourg ; 3/ Photographies du portail dit des Vierges folles (fin XIII°) ; 4/ Photographies du portail du Jugement (début XIII°) ,

Photographies du pilier des Anges (début XIII°) ,

Photographies des rosaces de lřAncien et du Nouveau Testament (déb.XIII°) ; 5/ Copies dřenluminures du Hortus Deliciarum (fin XII°) ; 6/ Extraits enregistrés et copies de morceaux de chants Grégoriens (IX°-XIII°)

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B/ PROBLEMATIQUE :

A partir de lřétude des documents proposés dégager les principales caractéristiques de lřespace sacré médiéval : 1/ La cathédrale se présente comme une œuvre permanente, inachevée, en constante innovation, collective, totale (somme de tous les arts dřune époque), lřimage même du Paradis. 2/ Comparaison des espaces romans et gothiques (cf. tableau en annexe ). 3/ Lřespace sacré comme lieu dřun emboîtement quasi infini de rapports

(mise en œuvre dřune pédagogie scalaire, paniconisme).

4/ Trois mises en œuvre privilégiées de ces rapports (toutes impliquant le

mouvement) :

- la porte de la cathédrale et son programme théologique (« Je suis la porte ») - la musique dans la messe médiévale : le chant Grégorien ("Je suis le Verbe") - lřabolition du mur dans la lumière des vitraux (« Je suis la Lumière ») . C/ SPECIFICITE ET INTERET :

Etudier des « objets » très différents mais à fonctions identiques et participatives (passer la porte ; chanter du Grégorien ; baigner dans la lumière).

Pour mieux relier, se relier : travail pluridisciplinaire (musique, histoire …) 1/ Comparaison de deux programmes théologiques de deux portails (documents 3 et 4) : - celui du Jugement met en scène la différence entre le message de lřAncien Testament et du Nouveau Testament

- celui des Vierges illustre une prodigieuse réflexion sculptée sur le temps (où le temps chrétien vient donner tout son sens aux temps cosmique, cyclique et zodiacal ; au temps quotidien et au temps historique).

LE TEMPS PASSE, LřETERNITE APPROCHE. 2/ Ecoute, étude et pratique du chant Grégorien. Le chant relie les hommes entre eux dans lřharmonie de la musique, relie la musique aux textes sacrés, et les textes sacrés, tout en entrant en écho avec les scènes des vitraux et des sculptures, relient dans la liturgie de la messe à Dieu.

LA COMMUNION. 3/ Etude des deux rosaces de lřAncien et du Nouveau Testament (document 4) et rapprochement avec celles du Hortus Deliciarum (document 5) ainsi quřavec le pilier des Anges (document 4). Ces comparaisons montrent une

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programmation par des théologiens du travail des enlumineurs, des verriers et des sculpteurs. Les œuvres se répondant subtilement et rigoureusement produisent un effet dřILLUMINATION (pour un vitrail cřest le moins !). D/ DIFFICULTES DE LA DEMARCHE (échanges en atelier) : 1/ Très (trop ?) grande abondance des documents présentés pour le temps imparti. 2/ Multiplicité des champs abordés . 3/ Schématisation des situations. 4/ Garder une saine distance critique tout en laissant à lřaffect sa part nécessaire dans lřétude des œuvres dřart . 5/ Ne pas être dans lřédifice étudié est un handicap pour un tel atelier. E/ PISTES EXPLOREES : 1/ Essai de détermination des fonctions de lřœuvre dřart chrétien médiéval : - ADORER : * louer (Dieu = grâce)

* jubiler (Dieu = joie) * prier (Dieu = salut).

- ENSEIGNER (Dieu = savoir). - IMITER (lřhomme à lřimage de Dieu et inversement ). - ORDONNER : * ordre religieux. * ordre politique (Dieu = ordre). * ordre économique. - REPRESENTER : rendre toujours présent, durer (Dieu= éternel présent). - CREER : dépasser, innover, transgresser, sřévader (Dieu = infini). 2/ Essai de caractérisation de la pédagogie religieuse : symbolique, globale (sřadressant à tous les sens), répétitive, différenciée à prétention universelle, scalaire (par degrés) et participative. 3/ Essai de mise en œuvre des méthodes induites par lřobjet même que lřon étudie.

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TABLEAU ANNEXE

ART ROMAN 1110-1140 ARCHITECTURE MUR ART DE LA CLOTURE ART DES CAMPAGNES ART DES MONASTERES ART DES ABBES ART REGULIER ECONOMIE DE TROC REFUGE OMBRE / FERMETURE HUMILITE PRIERE ENFANCE / SOUMISSION LE VENTRE DE LA MERE PEUR / REGRESSION NOEL / HIVER PESSIMISME : création achevée Déchéance et corruption de lřhistoire humaine qui conduit à la chute (HISTOIRE) à PASSE Culture religieuse tournée vers : LřANCIEN TESTAMENT LřAPOCALYPSE

ART GOTHIQUE ARCHITECTURE STRUCTURE ART DE LřOUVERTURE ART DES VILLES ART DES CATHEDRALES ART DES EVEQUES ART SECULIER COMMERCE / MONNAIE RENCONTRE LUMIERE / OUVERTURE ORGUEIL LOUANGE / JUBILATION ADOLESCENCE / CONTESTATION LES EPAULES DU PERE DEFI / PROGRES PAQUES / PRINTEMPS OPTIMISME : création inachevée Croyance au progrès. Collaboration des hommes à lřachèvement et au progrès de lřhistoire HISTOIRE à FUTUR Culture religieuse tournée vers : LES EVANGILES, LES EPITRES, LES ACTES DES APOTRES

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à DIVINITE DU CHRIST :

JUGEMENT, PUNITION, PEUR

IMMOBILITE, SEDENTARISME

ABSTRACTION et IRRATIONNEL dans les arts :

ARTISTES ANONYMES DIEU INIMITABLE à MONDE CLOS, PLEIN, HIERARCHISE, SCALAIRE, GIGOGNE, CERTAIN PARLANT : Chaque élément de ce monde est un pont entre lřinférieur et le supérieur . Tout parle de Dieu et dřun aspect de sa gloire. TOUT EST RAPPORT A DIEU Lřéglise romane traduit lřattente de la révélation (mystique). TOUS EN DIEU TOUS POUR UN HORIZONTALITE

à HUMANITE DU CHRIST :

GRACE, PARDON, AMOUR

MOBILITE , CIRCULATION

REALISME et RATIONALISATION dans les arts :

ARTISTES CONNUS (œuvres signées) DIEU IMITABLE à MONDE OUVERT, VIDE, INFINI, PROBLEMATIQUE, INCERTAIN, Dieu est de plus en plus la force organisatrice qui fait tenir tout ensemble Dieu devient abstrait (pensée, mathématiques, sciences). DIEU EST LE RAPPORT DE TOUT La cathédrale gothique est la projection dřune totalité unitaire, pédagogique, rationnelle et compétitive. TOUT EN UN VERTICALITE

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ATELIER 8

Présentation d’ouvrage

Naples et San Francisco

collection CD « terres des villes » Editions Belin.

Auteurs : François COULAIS et Pierre GENTELLE

Compte rendu de lřatelier : Philippe CARACCHIOLI professeur au lycée Jean Cocteau, Miramas

Participants : Pierre Gentelle, directeur de recherche émérite au CNRS, spécialiste de la Chine et de l'Asie orientale, co-directeur de collection « Terre des villes ». Il est par ailleurs un des deux auteurs du volume 5 de la Géographie Universelle (Chine, Japon, Corée) du GIP RECLUS. Romain Agnel, professeur au collège Clair-soleil à Marseille Philippe Caracchioli, professeur au lycée Cocteau à Miramas, formateur associé à lřIUFM dřAix-Marseille Jacques Estal, professeur au collège Savary à Istres, formateur associé à lřIUFM dřAix-Marseille

Avertissement :

Ce compte-rendu nřa pas la prétention de donner une analyse en profondeur des usages pédagogiques possibles avec les CD-Rom de la collection « Terre des villes ». Il sřagit, tout au plus, de la mise par écrit dřun certain nombre de réflexions surgies au fil de la démonstration faite par Pierre Gentelle. Nous avons essayé de tracer un certain nombre de directions, de poser quelques garde-fous.

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Description rapide de l’outil : un CD-Rom conçu pour quel usage ?

Précisons tout dřabord quřil sřagit dřun outil remarquable. Ces CD nous proposent un superbe ensemble dřanimations audiovisuelles sur (pour lřinstant) quatre agglomérations : Paris, San Francisco, Naples auxquelles vient sřajouter ces jours-ci Hongkong. Ces animations reposent la plupart du temps sur des images satellitales SPOT traitées pour créer des effets tri-dimensionnels particulièrement saisissants. Des effets de calques montrent Les extensions successives des tissus urbains. Une iconographie très riche (photographies de paysages, tableaux…) et des textes viennent compléter ces animations. La navigation est assez intuitive et le CD sřutilise facilement.

Ceci étant dit, il est important de relever une certaine ambiguïté de ce produit : - il sřagit incontestablement dřune ressource au riche contenu géographique.

La qualité de ses auteurs, leur volonté permanente de spatialiser les phénomènes, le soin apporté aux présentations de paysages ne laissent planer aucun doute ! Elle a dřautre part reçu le label RIP.

- Mais la démarche proposée par défaut, cřest à dire si on laisse se dérouler le CD-Rom dans les condition prévues, est plutôt historienne, chronologique ! Il va sans dire que les auteurs en ont parfaitement conscience, mais cet impératif a été dicté par lřéditeur pour des raisons commerciales : lřhistoire et la promenade culturelle se vendent bien, la géographie pure et dure beaucoup moins… La collection est donc « grand-public » et nřa pas été conçue pour un usage pédagogique direct.

Sans enlever grand-chose aux qualités de la collection cet état de fait implique

quelques précautions dans le cadre dřun usage pédagogique.

Un regret encore : les textes sont prévus pour être exporté, mais pas les images. Ceci pose un problème important, la constitution dřun dossier documentaire sur support numérique ou dřun diaporama étant une des activités les plus fréquentes. Il reste bien sûr toujours possible de faire une capture dřécran… Si lřon se place du point de vue des TICE deux points sont à souligner :

- lřexcellente qualité de la présentation des auteurs et du référencement des sources, ce qui est relativement rare dans ce genre de support. Il est important de penser à amener les élèves à consulter ces sources, que ce soit dans une analyse disciplinaire, pour montrer lřimportance de cet aspect dans le cadre des dispositifs tranversaux (IDD et TPE) ou encore dans a mise en œuvre de compétences spécifiques aux nouveaux supports de lřinformation. Le Brevet Informatique et Internet insiste par exemple sur la nécessité de faire acquérir aux élèves une réflexion sur la qualité et la fiabilité des renseignements fournis.

- La qualité des animations et des effets tri-dimensionnels est superbe, et sřinscrit dans un vrai discours. En cela la collection se détache de nombreux CD ou films de ce type de support où les effets et lřimpact visuel phagocytent le contenu.

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Le cadre général d’une utilisation pédagogique.

Utiliser cette collection de CD-Rom en cours pose dřemblée la question suivante : comment faire de la géographie avec un support non prévue initialement pour une démarche géographique ? Ou à lřinverse : comment éviter de se laisser entraîner dans une démarche chronologique à laquelle par nécessité éditoriale le support fait la part belle ? Ce risque ne semble pas négligeable en particulier pour les enseignants de formation historienne qui constituent la grande majorité des professeurs. Sřil serait navrant de négliger les énormes possibilités de travail diachronique quřoffre le CD, il est important de pouvoir les replacer dans le cadre dřun raisonnement géographique, où le point de départ est avant tout contemporain.

Ceci est réalisable à une double condition :

- sortir du déroulement proposé par défaut par le CD : en clair ne pas suivre forcément le cheminement prévu à lřorigine.

- et prévoir son propre scénario en indiquant par des consignes claires aux

élèves les endroits où se rendre et dans quel ordre. Ceci implique bien sûr de créer un questionnement qui puisse par exemple recréer une démarche inductive du type analyse-explication, la diachronie rentrant en jeu dans le deuxième temps du travail.

Quelles notions traiter, quels programmes aborder ?

Au collège, le CD pourra être utilisé pour enseigner le paysage. Ceci sřimpose dřemblée vue la qualité de lřiconographie fournie et surtout le replacement systématique dans le contexte spatial général, avec la possibilité de repérer les différents tissus, de les dater grâce à la cartographie des évolutions de la ville.

En classe de sixième, lors de lřétude de la notion de paysage. Les types de thèmes proposés pour lřétude des paysages urbains (dans le cadre dřun littoral touristique méditerranéen, dřun littoral industrialisé, une métropole dřEurope, une métropole dřAmérique du Nord).

En classe de quatrième le programme nous propose dans la troisième partie lřétude des grands ensembles régionaux français avec une attention particulière à apporter à la région parisienne, ce qui correspond tout à fait au contenu du CD sur Paris et lřîle de France.

En attendant la sortie dřun CD sur une « ville-monde » américaine, la collection des prête peu à une utilisation en classe de troisième ou la notion dominante est celle de puissance.

Au lycée il peut constituer la base dřun étude de cas autour des questions suivantes :

- « Dynamiques urbaines et environnement urbain », en particulier lřétude à l'échelle intra-urbaine.

- « Les sociétés face aux risques » avec les exemples de Naples et une

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extraordinaire reconstitution de lřéruption du Vésuve de 79 et San Francisco avec un important dossier documentaire sur le séisme de 1906 ainsi que des images de celui de 1989

- « Les littoraux, espaces attractifs », 3 des villes étant des ports. Lřexemple de Hongkong paraît, bien sûr, particulièrement approprié.

Le CD sur Paris et lřîle de France paraît bien adapté au programme de

première autour des notions de métropolisation et de milieu urbain. Bien sûr ce sont des outils de documentation exceptionnels dans le cadre dřun TPE portant sur le thème de la ville (L et ES en terminale en 2003-2004) Paysage urbain et fait religieux. Les CD ont été présentés dans le cadre des journées de la Durance et nous sommes donc intéressé à la possibilité de nous en servir pour introduire une étude du fait religieux. Cela apparaît difficile. Certes, des éléments religieux sont fréquemment présents dans lřhistoire ou dans les « hauts lieux » des deux villes sur lesquelles nous nous sommes penchés. Mais il est difficile dřen tirer la matière dřun travail cohérent et complet. Comme le reconnaît Pierre Gentelle, les CD nřont pas été conçus avec cette arrière-pensée. Ce nřest quřa posteriori que lřimportance du fait religieux, dans les paysages urbains par exemple, saute aux yeux. Mais il manque souvent lřimage ou la notice explicative qui permettrait de bâtir un cheminement cohérent pour une recherche en autonomie des élèves. En conclusion, la collection « Terre des villes » se présente comme un outil dřune richesse très rare, fruit dřune énorme travail. Il nous semble quřavec elle ce support, dans la passé parfois décevant, prend une nouvelle dimension et commence à répondre vraiment aux besoins dřune utilisation pédagogique. A charge pour lřenseignant de recréer des démarches purement pédagogiques et disciplinaires, ainsi quřà faire préciser des notions qui, conception grand public oblige, restent parfois sous-jacentes.

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En prêt à la médiathèque du CDDP 13 Livre Lang, Jack / Debray, Régis.- L'enseignement du fait religieux dans l'école laïque. : Rapport au ministre de l'Education nationale- Paris : Jacob / CNDP, 04/2002.- 59 p.- ISBN 2-7381-1157-2 / 2-240-00836-9, N. norm. 755 A0240 Résumé : L'école laïque doit donner accès, à chaque élève, à la compréhension du monde. Ainsi l'évocation des religions, en temps que fait de civilisation, a sa place dans l'enseignement, quelles que soient les disciplines (histoire, philosophie, lettres, arts plastiques...). Cote : 370.1 DEB Livre Gilquin, Jean-Claude / Jean-Claude Gilquin.- Enseigner l'histoire des religions.- Beauvais : CDDP de l'Oise, 1995.- 342 p. : ill.- Bibliogr. p. 338-341, filmog. 1 p.- ISBN 2-903729-72-7 Cote : 200 GIL Article Périodique George, Jacques.- Enseigner les religions dans l'école laïque ?.- Cahiers pédagogiques, 10/1992, 307, p. 50-52. Résumé : Quelles religions faut-il traiter? Quel contenu? Quelle place faut-il donner à cet enseignement? Article Périodique La place des religions.- Le Monde de l'éducation, 12/1992, 199, 21. Résumé : L'histoire des religions et des croyances reste peu abordée à l'école. Des chercheurs tentent d'imaginer les modalités d'un tel enseignement. Article Périodique Enseigner les religions à l'école laïque ?.- Cahiers pédagogiques, 04/1994, 323, p. 7-56. Résumé : Dossier destiné à montrer que l'école de la République est capable d'intégrer une dimension religieuse dans un esprit d'ouverture à travers un état des lieux, un questionnement et un inventaire des difficultés rencontrées. Article

BIBLIOGRAPHIE « Enseigner le fait religieux »

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Périodique George, Jacques.- Science et religion : des liens équivoques.- Cahiers pédagogiques, 04/1994, 323, p. 57-60. Résumé : Comment amener nos élèves à faire la distinction entre ce qui est du domaine de la science et celui de la religion, que ce soit à propos de l'origine du monde et de celle de l'homme ou de l'évolution des êtres vivants ? Article Périodique Faut-il enseigner les religions ?.- Le Monde de l'éducation, 07/1995, 228, 25-27. Résumé : Deux chercheurs expliquent pourquoi, compte tenu de la méconnaissance des jeunes, il faudrait introduire à l'école publique un enseignement plus approfondi de l'histoire et de la culture religieuses. Dossier thématique Périodique Religion.- Le Monde de l'éducation, 04/1998, 258, p.25-57. Résumé : Dossier sur la religion dans le monde. Historique, tentative de définition. Sectes et religions. Violence et religions. La place des femmes dans les religions. Le syncrétisme religieux dans le tiers-monde. Retour sur les peurs de l'an mille. La question de l'enseignement de l'histoire et du patrimoine culturel religieux. L'exégèse du nouveau testament à travers la série documentaire "Corpus Christi". Le Liban multiconfessionnel. Article Périodique Bottéro, Jean.- Du fond des âges.- Le Monde de l'éducation, 04/1998, 258, p.28-31. Résumé : Tentative de définition de ce qu'est une religion. L'image du sacré. Dossier thématique Périodique Sectes, le dernier des cultes ?.- Le Monde de l'éducation, 04/1998, 258, p.82-86. Résumé : Dossier sur la place des sectes en France en 1998. Le sociologue Jean-Paul Willaime considère les sectes comme un des modes possibles d'existence sociale d'un groupe religieux. Alain Vivien, responsable politique, dénonce les volontés totalitaristes des sectes et leurs infiltrations dans tous les secteurs de la société avec comme objectif la prise du pouvoir. Enfin Janine Tavernier, responsable d'association, dénonce l'amalgame entre secte et religion. Article Périodique Bollini, Caroline.- Des dons et des dieux, Alain Testard.- Documents pour l'Enseignement Economique et Social, 06/2000, 120, p.90-93. Résumé : Etude des rapports entre religion et société à partir de la présentation de l'oeuvre d'Alain Testard : "Des dons et des dieux". Article Périodique Baubérot, Jean / Kintzler, Catherine / Saint-Martin, Isabelle.- Faut-il enseigner l'histoire des religions ?.- Le Monde de l'éducation, 10/2000, 285, p.44-46. Résumé : Débat entre universitaires français sur le bien-fondé ou non d'enseigner l'histoire des religions dans l'enseignement secondaire : recul de la laïcité et de l'esprit scientifique de l'école républicaine ou reconnaissance d'une influence sociale et culturelle ?

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Article Périodique Baubérot, Jean.- Comprendre les mythes de nos sociétés.- Le Monde de l'éducation, 10/2000, 285, p.44. Résumé : Le président de l'Ecole pratique des hautes études de Paris encourage à l'enseignement de l'histoire des religions dans l'enseignement secondaire en France et espère la naissance d'une nouvelle discipline qui évoquerait aussi bien l'historicité symbolique des sociétés que les aspects symboliques de la modernité. Article Périodique Kintzler, Catherine.- En dehors de la laïcité, point de salut.- Le Monde de l'éducation, 10/2000, 285, p.45. Résumé : La professeure de philosophie lilloise condamne toute tentative d'enseignement des religions dans le secondaire en France. Seule la réduction des religions à une mythologie permettrait de l'inclure à une encyclopédie raisonnée, sans épuiser leur puissance culturelle. Si cet objectif est réalisable au niveau de l'université en France, l'est-il au niveau du secondaire ? Article Périodique Saint-Martin, Isabelle.- On ne peut se couper du patrimoine artistique mondial.- Le Monde de l'éducation, 10/2000, 285, p.46. Résumé : L'art occidental puise ses symboles dans la religion chrétienne et leur analyse ne peut faire l'économie de solides références à celle-ci. Comment parfaire la connaissance des jeunes à leur patrimoine sans leur donner les bases de compréhension des pratiques et symboliques de ces croyances ? Notice générale Périodique Migrants-Formation 82.- Migrants-Formation, 09/1990, Résumé : Etude de l'influence des divers religions dans l'intégration des immigrés en France et de la place de la religion dans les contenus d'enseignement. Notice générale Périodique Religions et intégration.- Migrants-Formation, 09/1990, Résumé : Etude de l'influence des divers religions dans l'intégration des immigrés en France et de laplace de la religion dans les contenus d'enseignement. Notice générale Périodique Fortat, Richard.- Se former+ 78.- Se former+, 04/1999, Bibliogr. p. 14-18 Résumé : Réflexion sur la nécessité de prendre en compte le fait religieux dans l'école publique, s'appuyant sur des valeurs qui sont au centre de la laïcite : compréhension, tolérance, respect des autres cultures et former des pensées... Propositions sur les objectifs à atteindre en histoire, géographie et éducation civique. Article Périodique Historiens et géographes 375.- Historiens et géographes, 2001, Résumé : Agrégation interne 2001 ; Rome, Ville et Capitale ; Religion et culture en Europe, 1800-1914 ; La Méditerranée.

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Article Périodique Limido-Heulot, P. / Mouton, Y. / et al..- La religion.- Cahiers philosophiques, 10/2002, 92, dossier p.9-54. Résumé : Au travers de l'étude du "contrat social" de Rousseau et d'un libelle anonyme de 1599 entre autres, ce numéro s'interroge sur les rapports entre religion et politique ou encore entre morale et religion. Vidéocassette Pernot, Hervé / Rivaccio, Claire / Fléouter, Patrick.- Parcours d'histoire, nouvelle formule. 3.- PARIS CEDEX 05 : CNDP / La Cinquième, 1999.- 1 vidéocassette VHS, 13 min : coul., SECAM, sonore + 1 guide pédagogique (15 p.).- Galilée Résumé : Etude d'un événement révélateur du règne de Louis XIII, le siège de La Rochelle, et analyse des causes et des conséquences. Le film aborde la construction du royaume de France et la montée de l'absolutisme, le rôle de Richelieu et sa stratégie. Cote : V2027 Vidéocassette Cros, Jean-Louis / Legall-Villiker, Stéphane .- Le Monde en ses états. 2, 1494, le monde en partage ; 1545, le concile de Trente.- PARIS CEDEX 05 : CNDP / La Cinquième, 1995.- 1 vidéocassette VHS, 25 min : coul., SECAM, sonore + 1 livret (27 p. : fig.).- Images à lire, Monde en ses états Résumé : Le premier film retrace, sur fond de rivalités coloniales hispano-portugaises, les évènement les plus marquants des Grandes Découvertes. Le second film évoque la crise religieuse du monde chrétien gagné par les idées nouvelles : remise en cause de l'autorité romaine, fondation d'églises nouvelles dans une Europe déchirée par les guerres de religion, reconquête catholique de la papauté. Cote : V3867 Vidéocassette Delumeau, Jean / Théret, Claude / conception, Jean Delumeau.- Des Religions et des hommes. 1.- La Cinquième-Vidéa, 1996.- 1 vidéocassette VHS, 1 h 46 min : coul., SECAM, sonore. Résumé : Evocation des faits religieux d'hier à aujourd'hui (les grandes figures mythiques, l'histoire, la diversité des pratiques, les tendances au XXe siècle). Les sujets traités par ce volume : les raisons d'un choix, les plus anciennes religions, Abraham, Moïse, Bouddha, Confucius, Jésus, Mahomet. Cote : V3879 Vidéocassette Delumeau, Jean / Théret, Claude / conception, Jean Delumeau.- Des Religions et des hommes. 2.- La Cinquième-Vidéa, 1996.- 1 vidéocassette VHS, 1 h 46 min : coul., SECAM, sonore. Résumé : Evocation des faits religieux d'hier à aujourd'hui (grandes figures mythiques, histoire, pratiques, tendances). Thèmes traités dans cette vidéo : naissance du christianisme, les catacombes et les persécutions, Pères de l'église et conciles, lieux de cultes (églises, mosquées et synagogues), Etat et religion, fêtes et cérémonies juives, fêtes chrétiennes, les cinq piliers de l'islam. Cote : V3880 Vidéocassette Delumeau, Jean / Théret, Claude / conception, Jean Delumeau.- Des Religions et des hommes. 3.- La Cinquième-Vidéa, 1996.- 1 vidéocassette VHS, 1h 46 min : coul., SECAM, sonore.

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Résumé : Evocation des faits religieux d'hier à aujourd'hui (figures mythiques, histoire, pratiques, tendances). Sujets traités par cette vidéo : la diaspora juive, l'expansion de l'islam 1 et 2, les croisades, le monachisme, l'architecture et l'iconographie chrétiennes, Marie. Cote : V3881 Vidéocassette Delumeau, Jean / Théret, Claude.- Des Religions et des hommes. 4.- La Cinquième-Vidéa, 1996.- 1 vidéocassette VHS, 1 h 46 min : coul., SECAM, sonore. Résumé : Evocation des faits religieux d'hier à aujourd'hui (figures mythiques, histoire, pratiques, tendances). Sujets traités par cette vidéo : définition de la sainteté, les Saints, l'hindouisme, le bouddhisme, le taoïsme, le shinto, animisme et chamanisme. Cote : V3882 Vidéocassette Delumeau, Jean / Théret, Claude.- Des Religions et des hommes. 5.- La Cinquième-Vidéa, 1996.- 1 vidéocassette VHS, 1 h 46 min : coul., SECAM, sonore. Résumé : Evocation des faits religieux d'hier à aujourd'hui (figures mythiques, histoire, pratiques, tendances). Sujets traités dans cette vidéo : l'église orthodoxe ; l'inquisition, l'hérésie et la sorcellerie ; Luther ; diversité du protestantisme ; le concile de Trente ; la renaissance catholique ; l'église dans la tourmente révolutionnaire. Cote : V3883 Vidéocassette Delumeau, Jean / Théret, Claude.- Des Religions et des hommes. 6.- La Cinquième-Vidéa, 1996.- 1 vidéocassette VHS, 1 h 46 min : coul., SECAM, sonore. Résumé : Evocation des faits religieux d'hier à aujourd'hui (figures mythiques, histoire, pratiques, tendances). Sujets traités par cette vidéo : le christianisme du 19e siècle, Vatican II, L'oecuménisme, le millénarisme, les sectes, religion et astrologie, la religion à la carte. relation entre la religion, les science et la tolérance. Cote : V3884 Vidéocassette Aïello, Shu / Renaudeau, Pierre-Marc / Wallet, Jacques.- Il y a 500 ans.- CNDP-La Cinquième-Palette Production, 1995.- 1 vidéocassette VHS, 20 min : coul., SECAM, sonore + 1 notice (19 p.).- Images à lire. Dédalus Résumé : En cinq séquences, le film aborde la période de la Renaissance en France. La première est consacré au déroulement d'une frise chronologique, de 1450 à 1572. La seconde pose le problème de l'invention de l'imprimerie. La troisième présente le château de Chombord. Les témoignages de la quatrième séquence mettent en scène trois protagonistes du massacre de la Saint-Barthélémy. Cote : V3915 Vidéocassette Mordillat, Gérard / Prieur, Jérôme.- Corpus Christi. 1, Crucifixion ; Jean le Baptiste.- Archipel 33-La Sept Arte, 1997.- 1 vidéocassette VHS, 2 x 52 min : coul., SECAM, sonore. Résumé : Série de douze épisodes dans laquelle les auteurs confrontent des points de vue de grands chercheurs internationaux à partir de l'exploration minutieuse du récit de la Passion dans l'Evangile de Jean. Corpus Christi permet ainsi de mesurer la distance spectaculaire entre ce que nous savons sur Jésus, ou ce que nous croyons savoir, et ce que savent les historiens, les spécialistes du texte, les linguistes, les biblistes, les épigraphistes qui, sans relâche, analysent et questionnent les écrits fondateurs du christianisme. Cote : V4065

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Vidéocassette Mordillat, Gérard / Prieur, Jérôme.- Corpus Christi. 2, Temple ; Procès.- Archipel 33-La Sept Arte, 1997.- 1 vidéocassette VHS, 2 x 52 min : coul., SECAM, sonore. Cote : V4066 Vidéocassette Mordillat, Gérard / Prieur, Jérôme.- Corpus Christi. 3, Barabbas ; Roi des Juifs.- Archipel 33-La Sept Arte, 1997.- 1 vidéocassette VHS, 2 x 52 min : coul., SECAM, sonore. Cote : V4067 Vidéocassette Mordillat, Gérard / Prieur, Jérôme.- Corpus Christi. 4, Judas ; Pâque.- Archipel 33-La Sept Arte, 1998.- 1 vidéocassette VHS, 2 x 52 min : coul., SECAM, sonore. Cote : V4068 Vidéocassette Mordillat, Gérard / Prieur, Jérôme.- Corpus Christi. 5, Résurrection ; Christos.- Archipel 33-La Sept Arte, 1998.- 1 vidéocassette VHS, 2 x 52 min : coul., SECAM, sonore. Cote : V4069 Vidéocassette Mordillat, Gérard / Prieur, Jérôme.- Corpus Christi. 6 ; Le Disciple bien-aimé ; Selon Jean.- Archipel 33-La Sept Arte, 1998.- 1 vidéocassette VHS, 2 x 52 min : coul., SECAM, sonore. Cote : V4070 Vidéocassette Juttet, Françoise / Breit, Annie .- Saint Louis à Damiette.- PARIS CEDEX 05 : CNDP / La Cinquième, 2000.- 1 vidéocassette VHS, 13 min : coul., SECAM, sonore + guide pédagogique (14 p.).- Galilée. Histoire Résumé : Parti de la plaine marécageuse d'Aigues-Mortes, Saint Louis s'embarque avec ses chevaliers vers l'Orient. Mais pourquoi se dirige-t-il vers Damiette et non vers Jérusalem ? Si la septième croisade ne fit pas la fortune des croisés, elle a servi l'image d'un roi qui demeure dans la conscience occidentale : Saint Louis, celui qui a combattu pour la gloire de Dieu. Cote : V4169 Vidéocassette Guillot, Georges.- Catherine de Médicis.- PARIS CEDEX 05 : CNDP / La Cinquième, 2000.- 1 vidéocassette VHS, 13 min : coul., SECAM, sonore + guide pédagogique (14 p.).- Galilée. Histoire Résumé : La mère de Charles IX chercha avant tout à assurer la stabilité de l'autorité royale dans une France déchirée par ses religions. Fut-elle réellement sans pitié et sanguinaire ou victime des événements ? Cote : V4184 Vidéocassette Leipold, Jimmy .- Charles Martel.- PARIS CEDEX 05 : CNDP / La Cinquième, 2000.- 1 vidéocassette VHS, 13 min : coul., SECAM, sonore + guide pédagogique (11 p.).- Galilée. Histoire Résumé : L'arrêt de l'invasion musulmane à Poitiers en 732 relève du fantasme. Ce mythe, fondé par ses successeurs, fut utilisé par les premiers Carolingiens pour asseoir leur domination en Europe occidentale et exercer le rôle de défenseur de la papauté. Au XIXe siècle, l'épisode de 732 est de nouveau glorifié à travers la peinture et la littérature. Cote : V4184

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Partie Vidéocassette Pernot, Hervé / Fléouter, Patrick.- Grandes places d'histoire - 4 .- PARIS CEDEX 05 : CNDP / La Cinquième, 2001.- La mosquée de Cordou, 1 vidéocassette VHS, 13 min : coul. SECAM + 1 livret Résumé : Le documentaire présente l'histoire de la ville de Cordoue, de la conquête romaine à l'âge d'or des Omeyyades, la Reconquête et l'inquisition chrétiennes, l'expulsion des musulmans et des juifs. Cote : V4372 Partie Vidéocassette Pernot, Hervé / Imbert, Thierry.- Grandes places d'histoire - 4 .- PARIS CEDEX 05 : CNDP / La Cinquième, 2001.- Notre-Dame de Paris, 1 vidéocassette VHS, 13 min : coul. SECAM + 1 livret Résumé : Le documentaire se propose d'expliquer pourquoi Notre-Dame de Paris est à la fois un édifice religieux, social et symbole du pouvoir politique. Cote : V4372 Partie Vidéocassette Pernot, Hervé / Zergoun, Medhi.- Grandes places d'histoire - 5 .- PARIS CEDEX 05 : CNDP / La Cinquième, 2001.- Ketchaoua, mosquée d'Alger, 1 vidéocassette VHS, 13 min : coul. SECAM + 1 livret Résumé : Présentation de la Ketchaoua, au coeur de la Casbah d'Alger, mosquée témoin de l'histoire mouvementée de la ville et de ses transformations parfois radicales. Cote : V4373 Vidéocassette Ulmer, Bruno / Fassio, Didier.- Le Pêcheur et le croyant.- Image et Compagnie-Odyssée / La Cinquième, 2000.- 1 vidéocassette VHS, 53 min. : coul., secam, sonore + 1 livret pédagogique (12 p.).- Côté Télé. Voyages en méditerranée. Résumé : Ce film nous entraîne dans un voyage gréco-latin, sur les rivages situés de la Catalogne à la turquie. Evocation de l'unité d'une civilisation commune à tous les méditerranéens. Découverte des villes comme san Carlos ou Amalfi, de la vie quotidienne des pêcheurs où "les chemins de la religion passent là où les pêcheurs jettent leurs filets" comme le dit Fernand Braudel. Cote : V4404 Vidéocassette Ulmer, Bruno / Fassio, Didier.- Le Bleu et le noir.- Image et Compagnie-Odyssée / La Cinquième, 2000.- 1 vidéocassette VHS, 53 min : coul., SECAM, sonore + 1 guide pédagogique (11 p.).- Côté Télé. Voyages en méditerranée. Résumé : Ce film nous fait voyager sur les rivages de la mer Adriatique, dans des villes ou régions qui furent un lieu de rencontre de trois religions, mais aussi un terrain de commerce et de conflits où se sont affrontés de grands empires continentaux. Ces lieux sont bien à l'image de l'espace méditerranéen. Cote : V4407

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En vente à la librairie 130E9140 Enseigner l'histoire- géographie en lycée professionnel 15,24 € 210B1210 Savoir la shoah 27 € 250B0143 Approches des religions de l'antiquité 20 € 250B0122 Protestantisme 22 € 250B0129 Histoire de la laicité 22 € 250B0153 Enseigner les religions au collège et au lycée 18 € 250Z4205 Enseigner l'histoire des religions 36,59 € 250B0158 Homme et le divin (l') 22 € 250B0155 Enseignement, littérature et religion 20 € 250B0150 Genèse du christianisme 22 € 250B0110 Voies de l'islam (les) 22 € 250B0130 Pour enseigner les origines de la chrétienté 22 € 250B0112 Création des dieux ( la ) 22 € 250B0168 Réformes, révolutions et modernité 21 € 310Z4101 Enseigner l'histoire : un métier qui s'apprend 10 € 630B8570 J'enseigne avec l'internet en h / g 11,43 € 755A0215 Enseignement de l'histoire et diversité culturelle 11,45 € 755A0240 L'enseignement du fait religieux dans l'école laïque 4 € 270V1245 K7 lecture d'une cathédrale 30 € 7602V340 K7 lecture d'une mosquée 27 € 270V1329 K7 lecture d'une synagogue 27 € 941B2030 Enseigner l'histoire géographie en collège et en lycée 14 € 941B3060 Pédagogie par objectifs en h/g classe de 6ème 13 € 940B5630 Islam, islams 22 € à paraître Enseigner le fait religieux : Un défi pour la laïcité .- René Nouailhat, préface de Régis Debray ref.250b0185 , 22 € Parution début avril 2003, coédition avec Nathan

Pour tout renseignement vous pouvez prendre contact avec :

La médiathèque du CDDP 13 : 04.91.14.13.84

base documentaire en ligne http://circee.crdp.ac-aix-marseille.fr/cd13/

La librairie du CDDP 13 : 04.91.14.13.31

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Table des matières

avant-propos …………………………………………………………………….

première partie : communications scientifiques …………………..

La religion et les cultures dans l'Occident européen (1800 à 1914) ………

Des fils dřIsraël aux premiers chrétiens…………………………….….………

Croyances, sacré, religions en Chine continentale.....................................

Lřenseignement du fait religieux à lřécole à lřépreuve de la laïcité…………

deuxième partie : tables rondes ………………..………………………..

Les jeunes et la religion…………………………………………….…………

Enseigner le fait religieux à lřécole : enjeux, écueils, démarches…..........

troisième partie : ateliers pédagogiques ………….………………..

La laïcité a-t-elle un sens en Europe ?…………………………………..……..

Sources religieuses et documents scolaires …………………………..………

Le fait religieux en question de Voltaire à Combes……………….……….….

Enseigner le fait religieux périodes antique et médiévale..………………….

Enseigner lřislam …………………………………………………………………

Approche du religieux par lřœuvre dřart……………………………………….

Etude de lřespace sacré médiéval ……………………………….…………….

Présentation dřouvrage : CD-Rom « Terre des villes »……………………….

Documentation……………………………………………………………………

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