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Enseigner l’éthique des affaires au-‐delà de la théorie des
parties prenantes : quelles méthodologies transmettre aux
étudiants ? Y. Bazin – [email protected] -‐ ISTEC
P. de Rozario -‐ [email protected] -‐ CNAM
Working paper
Ne pas citer sans l’accord des auteurs
L’appel à un renouvellement de l’enseignement de l’éthique, à la fois
comme discipline à part entière et comme démarche devant irriguer l’ensemble
des enseignement des business schools fait écho au rapport réalisé par la
Carnegie Foundation en 2011 et publié par Anne Colby, Thomas Ehrlich, William
Sullivan & Jonathan Dolle sous le titre Rethinking Undergraduate Business
Education.
Pour les auteurs du rapport, les programmes de formation en gestion ont
tendance à suivre une approche instrumentale dans laquelle, les étudiants, les
professeurs et les responsables pédagogiques apprécient les cours au regard de
leur apport potentiel et direct pour les futurs employeurs. Ainsi, les
enseignements ayant trait aux humanités, à l’art ou à l’éthique sont la plupart du
temps vu comme annexes, voire comme une perte de temps. Bien que la plupart
des responsables et des enseignants s’accordent sur la nécessité pour les
étudiants d’avoir une vision du monde riche et plurielle, peu de programmes
offrent une place importante aux disciplines non « techniques ». De plus, si
beaucoup de managers haut placés mettent aussi en avant cette nécessité, les
auteurs constatent que les middle managers abondent beaucoup moins dans ce
sens et tendent à vouloir recruter des étudiants immédiatement opérationnels.
Pour les auteurs, aujourd’hui « aider les étudiants à développer une conscience de
soi réflexive est un objectif décisif de l’éducation supérieure » (p. 52). Pour cela, il
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faut sortir d’une vision clientéliste de l’enseignement dans laquelle la business
school est vendue comme un ensemble de techniques et d’outils qui peuvent être
indépendamment acquis pour être mis au service de l’entreprise et de ses clients
(analyses SWOT et PESTEL, segmentations de marché et 4Ps, etc). Les
programmes doivent dorénavant être fondés sur des expériences de formation
fortes qui n’ont pas nécessairement vocation à répondre directement et
intentionnellement aux objectifs des étudiants. Selon eux, « les exigences des arts
libéraux semblent pouvoir modérer ou équilibrer la position instrumentale qui est
si répandue chez les étudiants des business schools » (p. 53). L’objectif de cette
éducation libérale devient alors de permettre aux étudiants de comprendre le
monde et d’y trouver leur place, mais aussi de les préparer à utiliser le savoir et
les compétences qu’ils développent pour s’y impliquer activement.
En Juin 2010, paraissait un rapport de l’Institut de l’entreprise, le Cercle de
l’Entreprise et du Management et la FNEGE intitulé « Repenser la formation des
managers ». Le groupe de travail, composé de dirigeants d’entreprise et de
représentants des business schools conclue clairement que « les établissements
qui forment les futurs managers doivent accorder une plus grande place à la
culture générale et introduire davantage d’éthique dans les cursus proposés » (p.
2). Ce rapport s’inscrit dans un mouvement général de critique et de remise en
cause des écoles de commerce face aux dérives actuelles du monde des
entreprises (scandales, détournement et fraudes dans le milieu des affaires, crise
financière, responsabilité sociale et sociétale de l’entreprise). Cinq grandes
orientations sont proposées pour répondre à ces défis : renforcer la
transversalité des enseignements, promouvoir la culture générale dans les
programmes, favoriser l’esprit critique, repenser la formation des managers en
matière de communication et repenser les enseignements relevant des soft skills.
Il s’agit avant tout de « poser les fondements d’une éthique managériale » (p. 55)
en suivant deux perspectives. D’abord distinguer l’éthique du respect des règles
pour inviter les étudiants à développer leurs propres questionnements,
irréductibles à la simple application de lois externes. Ensuite, inclure l’éthique
dans l’ensemble des enseignements plutôt que de la réduire à un cours suivi
ponctuellement durant la formation.
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Pour les auteurs de ce rapport, les affaires sont « fondées sur le crédit et la
confiance » ce qui rend l’éthique et la morale indispensables au bon
fonctionnement du monde de l’entreprise. Il ne s’agit pas pour eux d’opérer un
« retour à l’éthique » qu’ils considèrent comme illusoire et fallacieux tant il a
tendance à faire croire à un âge d’or éthique passé qu’il faudrait retrouver et
pousse à des professions de foi sans avenir. Ce qui est recherché est plutôt un
sens des responsabilités : « c’est en cela que la morale professionnelle
contemporaine doit davantage s’apparenter à une conscience des responsabilités
collectives (voire globales) qu’à une morale de métier » (p. 58). Il s’agira dès lors
pour les entreprises de promouvoir un ensemble de valeurs qui alimenteront les
professions de foi, règlements et autres chartes. « L’étudiant doit pouvoir relier la
morale issue de son éducation familiale, les connaissances en philosophie morale
classique qu’il a pu glaner de terminale ou en classes préparatoires, avec les
exigences morales de l’entreprise, et plus largement du monde contemporain » (p.
59). C’est donc une conscience des enjeux et conséquences de leurs actions qu’il
faudra que les étudiants réalisent et apprennent à prendre en compte. La légalité
n’étant plus suffisante, ils devront être capables d’exercer leur jugement. Ainsi,
les auteurs du rapport recommandent que « l’enseignement de l’éthique, à cet
égard, doit être révisé, afin de constituer des mises en situation réellement
instructives d’un point de vue moral pour les étudiants » (p. 63). Plus encore, selon
eux, les pédagogies actuellement utilisées n’incitent pas suffisamment à la
réflexion et au débat. Si la RSE est devenue un thème récurrent dans
l’enseignement des business schools, elle reste souvent limitée à la théorie des
parties prenantes et finalement peu articulée avec un engagement actif des
étudiants dans une démarche éthique.
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Quelques fondamentaux de la démarche éthique
L’éthique des affaires est une thématique née des scandales du monde des
affaires. La vision des dirigeants et des entreprises comme n’ayant pour seul
objectif que de maximiser leurs profits n’est plus acceptable aujourd’hui. Le
modèle purement financier de l’entreprise ne tient plus et un a priori négatif
teinte désormais les monde des entreprises, elles sont considérées comme étant
moralement douteuses.
Le principe fondamental de la démarche étique est le recul critique. Elle est
une volonté de sortir de son propre point de vue pour prendre de la hauteur,
pour envisager les situations avec une perspective plus vaste. La démarche
éthique c’est donc de croiser les points de vue, d’identifier les positions des
autres, même si elles nous sont opposées. L’idée n’est en rien de se plier aux
arguments des autres mais de bien les comprendre pour asseoir son point de vue
sur une analyse solide et rigoureuse. S’engager dans une démarche éthique c’est
avant tout envisager une variété de positions. Il faut donc interroger le sens
commun et ne pas s’y plier par réflexe ou par habitude ; plus encore, il s’agit
aussi d’interroger ses propres positions, non pas pour les abandonner mais pour
comprendre leur origine. La question de départ pourrait donc être : pourquoi
est-‐ce que je pense cela ? et, qu’est-‐ce qui me fait dire que cela est « bien » ?
Les philosophes et les sociologues nous ont appris, depuis des décennies
déjà, que les notions de bien et de mal sont socialement et historiquement
construites. Nietzsche et Heidegger déjà avaient du mal avec l’idée d’un bien, ou
d’une justice, qui transcenderaient leurs contextes d’émergence et d’application.
Plus encore, la science elle-‐même est souvent rappelée à l’ordre dans sa volonté
d’établir des vérités générales et objectives. Il s’agirait plutôt de se concentrer
sur des problématiques locales et d’en comprendre la complexité ; de ne pas se
limiter à des grands principes vagues et inapplicables mais plutôt de
déconstruire les positions de chacun. Pour l’instant, l’éthique des affaires a
souvent suivi le chemin d’une opposition caricaturale entre le bien et le mal,
entre le juste et l’injuste, conduisant à l’édiction de chartes et de codes de
conduite. Une véritable réflexion éthique cherchera plutôt à interroger le status
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quo, les évidences des situations. Finalement, il s’agit de répondre à la question :
comment devrions-‐nous vivre ?
Là où la morale dit le bien et le mal, l’éthique les interroge. Elle se demande
comment sont construites les problématiques, les positions, les solutions. Elle
cherche à questionner les fondements des valeurs, l’histoire des normes. C’est
justement parce que le monde est plus complexe qu’une opposition
dichotomique entre le bien et le mal que l’éthique est nécessaire. La complexité
des situations et de leur contingence génère des zones d’incertitude morale, elle
les grise et demande une analyse plus fine, plus locale.
Enseigner l’éthique des affaires
Enseigner l’éthique ne peut plus se limiter à la définition de principes
supérieurs ou de règles de conduite rigides. Bien que les valeurs en soient une
part importante, la question de l’éthique des affaires pour les étudiants des
business schools devient dorénavant une capacité d’analyse des situations dans
un univers complexe, incertain et ambigu. Il s’agit donc pour les enseignants de
transmettre une capacité de prise de recul, de réflexivité et de pensée complexe,
bref à la pensée critique. La pensée critique n’est pas une simple « attaque » mais
bien un discernement, une prise de recul qui demande de comprendre à la fois
son point de vue et les enjeux des autres perspectives. C’est la perspective que
prennent par exemple Painter-‐Morland & Ten Bos dans leur ouvrage Business
Ethics and Continental Philosophy. Selon elles, « l’important est de ne formuler sa
propre perspective qu’après avoir eu la possibilité d’entreprendre une évaluation
critique d’une variété de positions » (p. 2).
Si l’on confond facilement l’éthique avec l’identification du bien et du mal
dans une situation, les travaux en philosophie nous invitent à ne pas nous limiter
à cette approche. En effet, ces distinctions entre bien et mal relèvent plutôt de la
morale qui effectivement définie un système de normes et de valeurs permettant
d’opérer ces distinctions. L’éthique, elle, doit garder une démarche critique de
mise en perspective, sinon on en compromet l’essence (p. 9). Si l’éthique doit
bien se confronter aux notions de normes (modèles prescriptifs de
comportement), de valeurs (croyances définissant les ‘bonnes’ conduites) ou de
principes (lois morales rationnelles), elle le fait de manière dynamique et
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contingente pour examiner les situations dans lesquelles le bien et le mal ne sont
pas si facilement et clairement distinguables. Il y a toujours, derrière les
définitions du bien et du mal, des enjeux contextuels, des jeux de pouvoirs, des
négociations politiques qui demandent une analyse locale. Plutôt que de limiter
l’ensemble des positions éthiques à une opposition entre absolutisme (une seule
conception du bien et du mal) et le relativisme (tout se vaut), il s’agit de valoriser
une démarche contextuelle d’analyse et de réflexion critique.
Enseigner l’éthique des affaires devient donc une affaire dynamique
demandant d’examiner des phénomènes où différentes positions sont tenables et
où il n’y a pas une bonne réponse opposée à toutes les autres. Il s’agit
d’entreprendre des analyses fines et complexes prenant en compte non
seulement les positions éthiques et morales mais aussi les différents points de
vue des parties prenantes concernées. Il est donc nécessaire de donner à lire des
auteurs et théories classiques ainsi que de présenter des cas qui font question et
engendrent des débats. Ainsi, les étudiants doivent développer une réflexivité,
apprendre à se connaître mieux en découvrant les origines de leurs prises de
position. « Ceci implique d’apprendre à se connaître. Si l’on peut comprendre la
genèse de sa propre position, les facteurs qui l’ont constitué et ses conséquences, on
sera alors plus à même d’anticiper et de comprendre les objections possibles et
d’entrer dans un dialogue riche avec les autres » (p. 12). L’objet de l’éthique des
affaires devient alors celui de positions nuancées, produites par des analyses
incluant de multiples points de vue.
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Limites éthiques de la théorie des parties prenantes comme matrice
conceptuelle et opérationnelle de la RSE
Le terme de RSE a été défini de multiples manières, d’une perspective
restreinte purement économique consistant à augmenter la valeur actionnariale
(Friedman, 1962) à un tissage de responsabilités économiques, légales, éthiques
et discrétionnaires (Carroll, 1979) ou même une citoyenneté organisationnelle
exemplaire (Hemphill, 2004). Cependant, ce terme de RSE reste l’objet de
beaucoup de critique et d’un grand scepticisme. « La RSE est un terme vague et
intangible qui peut vouloir dire n’importe quoi pour n’importe qui, et qui est donc
sans sens effectif » (Frankental, 2001). On le décrit comme un concept
insaisissable (Lee, 1987) ou flou (Preston & Post, 1975) manquant d’un
paradigme fondateur (Jones, 1983). Ainsi, Maignan & al. (2005) montrent
comment les dirigeants et bien des spécialistes du marketing ont du mal à saisir
les enjeux de la RSE. Cependant, ils montrent aussi comment la théorie des
parties prenantes peut permettre de donner un ancrage tangible pour ces
acteurs.
Être responsable envers ses parties prenantes
Selon Carroll (1979), il y a 4 types de responsabilité sociale pour une
organisation : responsabilité économique (dégager un profit pour ses
actionnaires), responsabilité légale (se conformer aux lois et autres « règles du
jeu »), responsabilité éthique (faire ce qui est juste et bon au-‐delà des lois) et
responsabilité discrétionnaire (dons à la collectivité, philanthropie).
Reconnaissant qu’une organisation ne peut considérer ces 4 types de la même
manière, Carroll (1991) les hiérarchise :
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On voit bien que les responsabilités économique et légale sont socialement
requises (voire obligatoires), que la responsabilité éthique est socialement
attendue et que la responsabilité discrétionnaire est, finalement, plutôt
socialement désirée. Pour autant, il devient clair que la compréhension de ce qui
relève de la responsabilité sociale ou sociétale d’une entreprise ne pourra se
comprendre qu’au regard des acteurs qui lui sont liés d’une manière ou d’une
autre, selon l’activité, le contexte ou encore l’histoire de l’organisation.
En 1984, Freeman proposa de saisir la nature stratégique de l’organisation
en incluant dans un cadre conceptuel les différentes entités qui l’entourent, qui
l’influencent et qu’elle influence. Il définit ainsi les parties prenantes comme
étant « tout groupe ou individu qui peut affecter ou être affecté par la poursuite
des objectifs de l’organisation » (Freeman, 1984 : 46). Ainsi, les parties prenantes
peuvent être les employés, les fournisseurs, les actionnaires, les banques, les
écologistes, le gouvernement ou d’autres groupes pouvant aider mais aussi
heurter l’entreprise. Petit à petit, cette théorie des parties prenantes en est
venue à être considérée comme une des pierres de touche de la RSE, et donc
souvent de l’éthique des affaires. Cette approche a permis de s’éloigner de la
perspective simpliste selon laquelle les managers n’étaient responsables que
devant leurs actionnaires.
Dans la perspective des parties prenantes, isoler les problématiques
économiques et sociales n’a pas de sens. On cherchera plutôt a prendre en
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compte les multiples perspectives portées par de multiples acteurs – les
stakeholders, les parties prenantes. On attend de l’organisation qu’elle intègre de
manière responsable et étendue ce réseau d’intérêt des parties prenantes qui
rendent poreuses et floues les frontières de l’organisation (Jamali, 2008). Il ne
s’agit pas de satisfaire tout le monde mais plutôt d’être capable de leur rendre
des comptes. Cela a permis d’offrir une vision pluraliste élargissant le modèle
uniquement centré sur les actionnaires et leur satisfaction par le profit (ce qui en
plus est une simplification de leurs motivations). Pour autant, des études
montrent comment l’intégration des parties prenantes n’est en rien incompatible
avec une augmentation de la valeur actionnariale (Hawkins, 2006 ; Phillips & al.,
2003 ; Wallace, 2003).
Originellement, ce modèle des parties prenantes n’intégrait pas
nécessairement de considérations éthiques, mais plutôt un besoin de prendre en
compte un nombre plus important d’acteurs afin de prendre de meilleures
décisions et de proposer une stratégie plus pertinente pour l’entreprise. Ca n’est
qu’après que cette théorie est devenue la matrice conceptuelle servant à un
renouvellement de beaucoup de perspective éthique : Kant et son éthique du
devoir, le pragmatisme, la théorie des contrats sociaux, le réalisme critique ou
encore les théories de la justice sociale. Pour autant, ce fondement de la théorie
des parties prenantes est parfois problématique tant les frontières d’une
organisation avec ses stakeholders peuvent sembler floues, voire poreuses.
Exemple de l’université Jean Monnet
De plus, l’organisation opérant par définition en situation de ressources limitées,
elle ne peut produire en permanence de la valeur sociale pour toutes ses parties
prenantes. Elle doit donc être capable de les identifier et leur assigner des
importances et des priorités différentes
Identification et typologie des parties prenantes
Mitchell, Agle & Wood ont proposé une typologie des parties prenantes
dans un article de l’Academy of Management Review publié en 1997. Dans leur
réflexion, ils cherchent à répondre à la double question : Qui est et qu’est-ce qui
est réellement important pour une organisation ? Selon eux, ça n’est qu’en
répondant à cette question que les managers pourront discerner les parties
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prenantes de leur organisation. Or, la plupart des travaux sur le sujet ne
fournissent pas de réels critères distinctifs. Ils en proposent trois principaux :
pouvoir, légitimité et urgence.
- La détention d’un pouvoir est « la probabilité pour un acteur d’être en
position d’obtenir ce qu’il veut dans une relation sociale en dépit des
résistances » (Weber, 1947). Le pouvoir est fondé sur l’utilisation de
contraintes physiques ou matérielles, mais aussi de ressources
symboliques, dans le but de faire agir l’entreprise différemment. Ce n’est
pas quelque chose qui se possède, mais quelque chose qui s’exerce.
- La légitimité est « une perception ou croyance généralisée qui les actions
d’une entité sont désirables, correctes ou appropriée dans un système
socialement construit de normes, de valeurs, de croyances and de
définitions » (Suchman, 1995 : 574). C’est une reconnaissance sociale, une
acceptation et une attente d’un acteur envers d’autres ou envers des
structures sociales. Si les notions de légitimité et de pouvoir sont proches,
elles restent distinctes. En effet, une partie prenante légitimes n’exerce
pas forcément de pouvoir (des actionnaires minoritaires par exemple).
- L’urgence d’une partie prenante est sa capacité à attirer l’attention au
moment désiré et à mettre en mouvement ou sous pression
l’organisation. Une partie prenante qui arrive à imposer son agenda, son
rythme ou ses échéances est une partie prenante qui sait imposer son
urgence.
Il est à noter que ces caractéristiques ne sont jamais garanties ; elles dépendent à
la fois de l’entreprise, de sa stratégie, mais aussi des parties prenantes et de leurs
actions, du contexte, etc. Les attributs d’une partie prenante sont donc variables
(ce ne sont pas des états figés), socialement construits (ils ne sont pas une réalité
objective) et peuvent exister sans la conscience ou la volonté des acteurs
concernés.
Ces trois caractéristiques sous-‐jacentes aux parties prenantes permettent
de bâtir une typologie par combinaison. Les parties prenantes latentes ne
détiennent qu’une seule des caractéristiques :
- Les parties prenantes dormantes ne possède qu’un pouvoir d’influence
mais manquent de légitimité et de capacité d’urgence. Ce sont par
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exemple les employés licenciés ou renvoyés. On notera que ces derniers
peuvent changer leur statut, par exemple si ils intentent un procès, ou si
ils dénoncent médiatiquement des pratiques de leur ancien employeur.
- Les parties prenantes discrétionnaires possèdent une légitimité mais
n’exercent pas de pouvoir et n’ont pas de revendications urgentes. C’est
par exemple le cas des entreprises qui font des dons à des associations,
des universités ou des hôpitaux.
- Les parties prenantes exigeantes n’ont que l’attribut de l’urgence. Ils n’ont
ni pouvoir, ni légitimité et peuvent n’être vus que comme « un
bourdonnement de moustique » (Mitchell & al., 1997). On pensera par
exemple à un illuminé devant un siège d’entreprise qui hurle pour la
dénoncer.
Les parties prenantes détenant deux ou trois attributs sont considérées comme
étant « en attente » :
- Les parties prenantes dominantes sont à la fois légitimes et détentrices
d’un pouvoir. Il existe en général une reconnaissance formelle de leur
influence et de leur importance pour l’entreprise. Ce sont par exemple les
grands actionnaires, les principaux préteurs, les leaders politiques ou les
employés (via le service des ressources humaines).
- Les parties prenantes dépendantes ont des revendications légitimes et
pressantes mais manquent de pouvoir d’influence sur l’organisation. On
pensera par exemple aux victimes d’une marée noire (habitants locaux,
vacanciers, mais aussi faune et flore) qui, sans l’appui d’une partie
prenante détenant un pouvoir, comme par exemple les collectivités
territoriales ou l’Etat, ne peuvent pas forcément obtenir directement
réparation.
- Les parties prenantes dangereuses détiennent pouvoir et urgence mais ne
sont pas considérées comme légitimes. Ca a été le cas des terroristes dans
le drame des attentats du 11 septembre 2001 qui ont pu imposer leur
temporalité et leur pouvoir sans être pour autant reconnus. On pensera
aussi à certains cas de sabotage des employés ou de prise d’otage de
dirigeants.
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La dernière catégorie est évidemment celle des parties prenantes décisives qui
possèdent à la fois urgence, pouvoir et légitimité, par exemple lorsque les
actionnaires reprennent un contrôle direct de leur entreprise.
Au travers de ce modèle, on voit en quoi les caractéristiques des parties
prenantes sont variables, socialement construites et même parfois inconscientes.
Elles évolueront en fonction du contexte et des relations. La stratégie d’une
entreprise se devra donc d’intégrer de manière dynamique ces différents acteurs
en fonction de leurs caractéristiques. Et le questionnement éthique devra faire
de même.
Parties prenantes et démarche éthique : une difficulté ontologique
Un problème du modèle des parties prenantes et qu’il est centré sur
l’organisation. Il pose au centre de la représentation l’entreprise en question
puis, en second lieu, et de manière finalement plus annexe, les parties prenantes
qui sont reconnues ou qui ont réussi à se faire reconnaître. Cela institue une
représentation mentale dans laquelle la préoccupation principale restera
toujours l’entreprise, et dans laquelle les parties prenantes non reconnu sont
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oubliées. Il instaure une hiérarchie des parties prenantes et donc une hiérarchie
des points de vue fondée sur des capacités d’influence, sur une reconnaissance.
Plusieurs solutions seraient imaginables : par exemple, commencer par mettre
au centre de la représentation la raison sociale de l’entreprise ou le service
rendu à la communauté. Puis ensuite positionner les parties prenantes de cette
mission et placer l’organisation sur cette cartographie.
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La représentation peut aussi se faire en terme de valeur ajoutée (financière ou
non) pour les différentes parties prenantes reconnues par l’organisation :
Cela a pour effet de limiter l’impression de centralité de l’organisation dans les
préoccupations. Une autre solution est de rajouter sur la représentation les
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relations que les parties prenantes ont entre elles. En effet, le modèle classique
tend à ignorer que celles-‐ci peuvent interagir, s’allier ou s’opposer, se rejoindre
ou s’éloigner, voire se scinder ou se regrouper. Prendre en compte la multiplicité
des points de vue appelle une pensée systémique, prête à se confronter à la
complexité des situations. « Une véritable vue systémique prend en compte de
quelles manières un ensemble d’individus, d’institutions et de process fonctionnent
en système, impliquant un réseau complexe de relations, un spectre d’individus et
d’acteurs institutionnels ayant des intérêts et des buts conflictuels, et de
nombreuses boucles de rétroaction » (référence ?).
C’est en comprenant la structure du système que forment les parties
prenantes que l’on peut comprendre les questions – et réponses – éthiques qui y
sont soulevées. Ce faisant, le risque principal est la réduction du point de vue des
autres, leur appauvrissement volontaire ou involontaire. Selon Emmanuel
Levinas (référence ?), la compréhension du monde pour un individu passe par un
processus de création de sens qui rapproche les sensations ressenties de celles
passées. Il y a donc une tendance inhérente lors de la rencontre des autres points
de vue et des autres perspectives : leur réduction et leur simplification pour les
intégrer à nos cadres de pensée. Ainsi, les parties prenantes, si elles sont pensées
comme gravitant autour d’une personne ou d’une entreprise, tendront à être
réduites à leur lien avec celui ou celle-‐ci. Levinas voit comme caractéristique du
capitalisme une simplification du savoir et de la compréhension à leur version
limitée et protectrice qui fait sens pour l’individu et lui évite toute remise en
cause. Ainsi, on tend à réduire l’infinie complexité du réel à des concepts et des
sentiments familiers et « l’Autre est inclue dans le Même » (référence ?). Par un
jeu d’oppositions et de similarités, on simplifie autrui, on le classe dans des
catégories et des cases qui font sens pour nous. Ainsi, pour Bevan & Corvellec,
« être éthique – être humain – c’est être ouvert à, préparé à et passionné par la
différence radicale d’autrui… et de basculer sans compromis vers l’inconnu et
l’incompréhensible, l’infini et l’intemporel de l’altérité d’autrui » (référence ?). La
responsabilité ne naît pas d’une rationalisation du point de vue des autres, des
parties prenantes, mais plutôt d’une rencontre avec autrui en dehors de soi, dans
une relation complexe et remettant en cause ses opinions et points de vue.
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Le cadrage pluriel comme méthodologie pédagogique de la démarche
éthique
Les constats pédagogiques du rapport Carnegie
Les auteurs du rapport Carnegie n’oublient pas dans leurs analyses que les
business schools restent orientées vers la formation de professionnels qui
devront être opérationnels. Les étudiants ne doivent pas seulement acquérir des
savoirs et comprendre le monde, ils doivent aussi être capables d’exercer leur
jugement et d’agir. L’opérateur conceptuel que les auteurs proposent est celui du
« raisonnement pratique » qui joint le savoir formel aux dimensions concrètes
des pratiques professionnelles. Les entreprises ont besoin de diplômés d’école
de commerce qui ne sont pas de simples techniciens appliquant des règles et des
outils figés, mais plutôt de professionnels capable de penser leurs actions au
regard de contextes plus larges, plus complexes et plus incertains. On retrouve
ici l’idée de replacer des pratiques de gestion dans un cadre institutionnel plus
large qui intègre fondamentalement une certaine vision du monde, du métier et
de l’activité, et donc certaines valeurs. L’enseignement de la gestion ne peut donc
être uniquement fondé sur une approche purement instrumentale, il faut, selon
le rapport Carnegie, l’élargir à d’autres modes de pensée.
Le raisonnement pratique est fondamentalement synthétique, il intègre à la
fois des connaissances, des savoirs et des outils, mais aussi des compétences et
des dispositions qui vont alimenter les décisions et les actions des étudiants.
Dans cette dynamique, les auteurs identifient trois principaux modes de pensée :
le raisonnement analytique, le cadrage pluriel et l’exploration du sens.
- Le raisonnement analytique est la forme la plus répandue aujourd’hui
dans les business schools, souvent aussi appelé raisonnement conceptuel
ou abstrait. Il consiste en deux opérations : classer les faits et événements
concrets dans une catégorie universelle et manipuler ces catégories selon
des principes généraux. Dans le monde entier, cette démarche est
devenue centrale car elle garantie une reconnaissance académique et
correspond bien aux aspects de l’activité de gestion demandant une
maîtrise technique (Martin, 2007). Il permet d’assurer une démarche
rigoureuse mais tend aussi à limiter les étudiants qui finissent par
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considérer l’outil comme étant le seul moyen de réaliser une tâche :
« toute activité répétée qui demande une intensité de concentration, comme
c’est le cas des disciplines techniques en gestion, forment des postures et des
dispositions » (p. 62). L’objet du raisonnement analytique est de travailler
avec le concept, pas de réfléchir sur le concept. L’illusion est alors que
l’interprétation n’est jamais nécessaire et que le seul véritable savoir
viendrait des connaissances formelles. Le risque d’un recours
systématique au raisonnement analytique est donc d’enfermer les esprits
d’étudiants que l’on doit ouvrir sur un monde complexe et ambigu ; d’où
la nécessité d’enrichir cette approche.
- Le cadrage pluriel a pour objet de permettre de percevoir, et de gérer, des
points de vue divergents et contradictoires. Dans certaines situations, non
seulement il arrive que la complexité sature le raisonnement analytique,
mais il arrive aussi que l’ambiguïté et la subjectivité l’excluent totalement.
Le cadrage pluriel permet aux étudiants de comprendre que toute
manière de décrire une situation est contingente et qu’il est nécessaire
non pas de rejeter cette contingence, met d’en avoir conscience. Ainsi, les
grands leaders d’entreprise sont capables de faire coexister des points de
vue non seulement multiples, mais souvent contradictoires pour proposer
une vision intégrative. Comme méthodologie, le cadrage pluriel permet
une prise de recul, il humanise les concepts et les outils et enrichie la
réalité ; des qualités essentielles pour de futurs managers qui devront
agir et négocier dans un univers incertain et complexe. Il intègre ainsi
naturellement une forme de perspective éthique en incluant dans la
pluralité les points de vue de certaines parties prenantes parfois oubliées.
Ce mode de pensée ne rejette pas le raisonnement analytique mais
l’intègre comme un outil permettant des analyses dialectiques plurielles
mais rigoureuses. Cependant, selon les auteurs, « la difficulté avec le
cadrage pluriel comme mode de pensée est sa tendance à produire une
fatigue intellectuelle, un scepticisme et même un cynisme (qui) peut amener
les étudiants à penser que ‘tout est relatif’ » (p. 65).
- L’exploration réfléchie du sens fournit un contre-‐point, elle répond
directement aux questions de l’orientation et des objectifs, et cherche à
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donner un ancrage solide aux décisions, aux orientations et aux
engagements. C’est une interrogation réflexive qui pousse l’étudiant à se
demander qui il est, comment il veut s’engager et se positionner face au
monde et ce qu’il imagine et attend de son avenir. L’exploration réfléchie
du sens fonde les interprétations des futurs managers. Elle peut être faite
par la narration (basée sur des histoires, des cas et récits concrets), le
questionnement (souvent en interrogeant des narrations), la présentation
(orale ou écrite obligeant à s’approprier un point de vue donnant un sens
à la situation) et l’application (par des mises en situation et des études de
cas par exemple).
Un programme d’enseignement riche ne peut se fonder sur un seul mode
de pensée mais fait interagir les trois de manière dynamique. C’est ce que font
déjà depuis longtemps d’autres formations professionnelles comme la médecine,
le droit, l’architecture et l’ingénierie qui « préparent leurs membres en insistant
sur les concepts formels et universels qui sous-tendent leurs champs, mais qui vont
aussi au-delà des apprentissages théoriques et enseignent à leurs étudiants
comment lier ces apprentissages aux exigences de clients, de patients et aux
problèmes techniques ou sociaux » (p. 68). Ainsi, le développement d’un jugement
professionnel est guidé par des connaissances riches et des compétences
techniques fortes mais doit aussi être orienté par des principes éthiques, des
attentes des parties prenantes et une certaine idée de la profession.
Une exigence doit cependant rester toujours présente, exigence martelée
par le rapport Carnegie. L’enseignement en gestion n’a pas vocation à former des
penseurs, mais bien de futurs acteurs pour les organisations. Il s’agit donc de
toujours confronter la réflexion éthique aux contraintes d’action et de ne pas
tomber dans une dérive de monde idéal où tous les managers seraient
parfaitement moraux, suivant toujours des principes universels de bonté, de
générosité et de justice. Les exigences et contraintes des situations que les
étudiants vont rencontrer doivent être sans cesse rappelées, justement pour
enrichir l’analyse éthique. Dans un monde idéal, tous les français seraient entrés
en résistance dès la première heure si ils avaient vécu à cette époque, de même
qu’aucun n’auraient participé aux fraudes d’Enron aux dérives de la finance qui
ont conduit à la crise de 2008… Il faut toujours confronter les étudiants à leurs
19
futures contraintes pour les amener à une analyse éthique riche, soit en leur
rappelant, soit en les mettant face à elles via des situations concrètes, des serious
games ou des études de cas.
Cadrage pluriel et démarche éthique
Le cadrage pluriel est un mode de pensée qui a pour objet de permettre de
percevoir, de comprendre et de gérer des points de vue divergents et
contradictoires. En effet, non seulement il arrive que la complexité des situations
sature le raisonnement analytique, mais il arrive aussi que l’ambiguïté et la
subjectivité l’excluent totalement. Le cadrage pluriel doit permettre aux
étudiants de comprendre que toute manière de décrire une situation est
contingente et qu’il est nécessaire non pas de rejeter cette contingence, mais d’en
avoir conscience. Les grands leaders d’entreprise sont capables de faire coexister
des points de vue non seulement multiples, mais souvent contradictoires pour
proposer des visions intégratives. Ainsi, le cadrage pluriel permet une prise de
recul, il donne corps aux concepts et outils et enrichie la réalité ; des qualités
essentielles pour de futurs managers qui devront agir et négocier dans un
univers incertain et complexe. Il intègre ainsi naturellement une forme de
perspective éthique en incluant dans la pluralité les points de vue de certaines
parties prenantes parfois oubliées. Ce mode de pensée ne rejette pas le
raisonnement analytique mais l’intègre comme un outil permettant des analyses
dialectiques plurielles mais rigoureuses. Cependant, selon les auteurs, « la
difficulté avec le cadrage pluriel comme mode de pensée est sa tendance à produire
une fatigue intellectuelle, un scepticisme et même un cynisme (qui) peut amener les
étudiants à penser que ‘tout est relatif’ » (p. 65).
Ouvrir cette perspective d’une réflexion éthique qui demande d’envisager
une variété de points de vue peut avoir certaines dérives. La principale d’entre
elles est un relativisme qui, ayant envisagé tous ces points de vue, finirait par se
dire que « tout se vaut ». En effet, comprendre l’origine et l’histoire des positions
pourrait amener à toutes les accepter sans plus savoir se positionner. A l’opposé
de l’absolutisme moral qui poserait un bien et un juste transcendants qui
invaliderait toutes les démarches divergentes, ce relativisme est porteur d’un
subjectivisme problématique. Le positionnement actif est au fondement de la
20
démarche éthique. Elle n’est en rien un exercice rhétorique dans lequel il s’irait
de trouver la position la plus défendable, ou la plus logique. Elle est un point de
départ de l’action qui doit l’ancrée, la rendre possible. Un discours se disant
éthique accompagné d’une action qui le contredit est une supercherie ; nous
aborderons la mauvaise foi plus tard. La démarche éthique est tout à la fois une
réflexion et une action qui se mêlent de manière parfois souple, voire lâche, mais
toujours assumée. C’est en cela que l’éthique fonde une responsabilité.
Pour commencer, quelle méthode pour interroger les multiples points de
vue d’une situation ?
21
Illustration : Etudier la problématique du greenwashing par le
cadrage multiple
« Cette étude de cas à propos du greenwashing est basée sur le principe de cadrage
pluriel proposé par les auteurs du rapport Carnegie. Il est donc important, avant
d’en donner les consignes, de présenter rapidement ce rapport et les fondements de
la démarche. »1
1. Résumé des constats du rapport Carnegie.
Présentation du contexte et de la nécessité de ce type de travail. Donne le
cadre pédagogique dans lequel ce type d’étude de cas s’inscrit. « Pour les auteurs du rapport, les programmes de formation en gestion ont
tendance à suivre une approche trop instrumentale. De plus, les étudiants
apprécient souvent les cours au regard de leur apport potentiel et direct pour leur
carrière. Ainsi, les enseignements ayant trait aux humanités, à l’art ou à l’éthique
sont la plupart du temps vus comme annexes, voire comme une perte de temps, et
peu de programmes offrent une place importante aux disciplines non
« techniques ». De plus, si beaucoup de managers haut placés mettent aussi en avant
cette nécessité, les auteurs constatent que les middle managers abondent beaucoup
moins dans ce sens et tendent à vouloir recruter des étudiants immédiatement
opérationnels. Pour les auteurs du rapport, aujourd’hui « aider les étudiants à
développer une conscience de soi réflexive est un objectif décisif de l’éducation
supérieure » (p. 52). Pour cela, il faut sortir d’une vision clientéliste de
l’enseignement dans laquelle la business school est vendue comme un ensemble
d’informations et d’outils qui peuvent être indépendamment acquis pour être mis
au service de l’entreprise et de ses clients. Les programmes doivent dorénavant être
fondés sur des expériences de formation fortes qui n’ont pas nécessairement
vocation à répondre directement et intentionnellement aux objectifs des
étudiants. »
« Les auteurs n’oublient pas pour autant que les business schools restent orientées
vers la formation de professionnels. Les étudiants ne doivent pas seulement
acquérir des savoirs et comprendre le monde, ils doivent aussi être capables
d’exercer leur jugement et d’agir. L’opérateur conceptuel que les auteurs proposent
est celui du « raisonnement pratique » qui joint le savoir formel aux dimensions
concrètes des pratiques professionnelles. Les entreprises ont besoin de diplômés
1 Les paragraphes entre guillemets dans cette partie son extraits de l’étude de cas telle qu’elle est présentée et distribuée aux étudiants.
22
d’école de commerce qui ne sont pas de simples techniciens appliquant des règles et
des outils figés, mais plutôt de professionnels capable de penser leurs actions au
regard de contextes plus larges et plus complexes. »
2. Synthèse sur le cadrage pluriel.
Il est important de situer l’exercice, d’en donner la logique et les enjeux,
permet de désamorcer les angoisses liées à l’évaluation éventuelle. « Le raisonnement pratique est fondamentalement synthétique, il intègre à la fois
des connaissances, des savoirs et des outils, mais aussi des compétences et des
dispositions qui vont alimenter les décisions et les actions des étudiants. Dans cette
dynamique, les auteurs identifient trois principaux modes de pensée : le
raisonnement analytique, l’exploration réfléchie du sens et le cadrage pluriel. C’est
sur ce dernier que nous nous concentrerons. »
« Le cadrage pluriel a pour objet de permettre de percevoir, et de gérer, des points
de vue divergents et contradictoires. En effet, il arrive non seulement que la
complexité des situations sature le raisonnement analytique, mais aussi que
l’ambiguïté et la subjectivité l’excluent totalement. Le cadrage pluriel permet aux
étudiants de comprendre que toute manière de décrire une situation est
contingente ; il est alors nécessaire non pas de rejeter cette contingence, mais d’en
avoir conscience. Les grands leaders d’entreprise sont capables de faire coexister
des points de vue non seulement multiples, mais souvent contradictoires pour
proposer une vision intégrative. Ainsi, le cadrage pluriel permet une prise de recul,
il humanise les concepts et les outils et enrichie la réalité ; des qualités essentielles
pour de futurs managers qui devront agir et négocier dans un univers incertain et
complexe. Ce mode de pensée ne rejette pas le raisonnement analytique mais
l’intègre comme un outil permettant des analyses dialectiques plurielles mais
rigoureuses. Cependant, selon les auteurs, « la difficulté avec le cadrage pluriel
comme mode de pensée est sa tendance à produire une fatigue intellectuelle, un
scepticisme et même un cynisme (qui) peut amener les étudiants à penser que ‘tout
est relatif’ » (p. 65). »
3. Présentation rapide du phénomène.
Ne pas donner trop d’éléments, engager une discussion ouverte qui ne
« cadre » ou ne « contraigne » que le moins possible la manière de voir le
phénomène.
Extrait : « Le phénomène de greenwashing, ou écoblanchiment, émerge dans les années
1990, en même temps que s’impose la préoccupation écologique. Ainsi, il est à la
23
fois incontournable d’un point de vue marketing et éthiquement questionnable. Il
est donc important pour vous de vous positionner sur ce sujet. »
4. Premier travail interactif en salle.
Identification les parties prenantes du phénomène.
Exemple de conclusion avec une classe de Master 1 de l’Université Jean Monnet :
- Label pour l’agriculture biologique et écologique
- Enseigne de grande distribution généraliste
- Agence de communication spécialisée dans l’environnement
- Association de défense de consommateurs
- Compagnie pétrolière
- Bureau de Vérification de la Publicité
- Réseau de distribution de produits biologiques et équitables
Intérêt de cette phase : Revenir sur le concept de partie prenante, lui donne
corps et sens.
5. Donner les consignes de l’étude de cas
Les étudiants se voient distribuer un certain nombre de documents, de
sources multiples et disparates. Non forcément chacun « alignés » avec une
partie prenante particulière.
Extrait :
« Les documents qui vous sont proposés ci-‐après sont de nature disparate, cela est
fait exprès. En effet, les managers ne travaillent pas sur des synthèses toutes faites,
mais plutôt sur des informations glanées au gré de leurs activités (cf la présentation
sur les travaux de Mintzberg en S1). Vous trouverez donc des extraits de sites
internet, de wikipédia ou encore des rapports professionnels. Chacun des
documents est à prendre avec recul, aucun d’eux n’est « objectif ». Vous pouvez
parfaitement aller chercher des données supplémentaires qui pourront vous
inspirer de nouveaux arguments. »
Précision des consignes de travail. « L’objet du cadrage pluriel est d’apprendre à saisir et à intégrer des points de vues
hétérogènes, voire divergents. Il vous est donc demander ici de prendre la place de
trois parties prenantes concernées par le greenwashing (cf tableau) et de présenter
leurs arguments. Pour cela, vous devez vous mettre « dans leur peau » et exprimer leur
point de vue. »
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Chaque groupe doit être mis dans la situation de points de vue divergents.
Exemple dans le cas précédent, 10 groupes de travail sont formés :
Groupes de travail
Parties prenantes 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
Agence de communication
spécialisée dans l’environnemental X X X X
Label pour l’agriculture biologique
et écologique X X X X X
Enseigne de grande distribution
généraliste X X X X X X
Association de défense de
consommateurs X X X X X
Entreprise pétrolière
X X X X
Bureau de Vérification de la
Publicité X X X
Réseau de distribution de produits
biologiques et équitables X X X
Dernière précision : « L’expression du point de vue des parties prenantes ne doit pas être confondu avec
votre point de vue sur leurs situations et leurs actions. Vous devez plutôt restituer leur
rapport au sujet en en montrant la cohérence et les raisons. »
6. Le format du délivrable attendu
Rappeler l’importance de l’exercice d’écriture et de formulation qui fait
partie de la démarche (« se mettre dans la peau de… ») « Le style rédaction et la présentation peuvent changer selon les parties prenantes. La
forme peut donc aller de la lettre aux actionnaires au trac militant, en passant par la
newsletter et la lettre ouverte. Vous garderez en tête que c’est aussi un exercice
littéraire ; l’accumulation de listes, de simples mots-clés et autres « bullet points » est
donc fortement déconseillée. De même, la qualité de l’orthographe et de la syntaxe
sera prise en compte. Et dans un soucis de communication, une mise en page agréable
sera toujours appréciée… »
Préciser les modalités exactes du délivrable (à préciser : pertinence et longueur
du texte, durée de l’exercice) :
25
« Pour chaque partie prenante, vous devrez présenter leur point de vue argumenté en
500 mots (+/- 10%). Sauf mise en page particulière, vous rédigerez le document en
Times New Roman avec une taille de 12 points et une interligne de 1,5. Pour
information, un groupe bien organisé devrait mettre entre 5 et 7 heures pour réaliser
ce travail avec rigueur. »
Encourager la diversité des sources et les efforts de mise en page (qui amènent à
rentrer encore plus dans la tête de la partie prenante en adoptant son
esthétique)
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Retour d’expérience conclusif
Les dynamiques en salle
Les points à anticiper
Les points à surveiller
Le résultat chez les étudiants