Argumentation et didactique du Français langue étrangère ...
enonciation et argumentation dans les parémies+
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Introduction :
Le proverbe a souvent fait l’objet d’une étude comme étant une phrase
isolée, une forme désuète et figée, un manuscrit archaïque et obsolète. Or, on
assiste aujourd’hui à un véritable détournement de conception vers une nouvelle
perspective qui vise à appréhender ce type d’énoncés dans d’authentiques
situations d’usage de la langue.
Notre conception s’inscrit dans le même cadre d’étude, dans la mesure où
les propriétés des parémies se voient surtout dans un contexte communicationnel
dans lequel elles sont insérées.
Le présent exposé a pour objectif la description des énoncés linguistiques
particuliers que sont les proverbes, selon une démarche bipolaire qui s’inscrit à
la fois dans le cadre de l’énonciation et l’argumentation. Une telle étude se
donnerait comme tâche d’analyse le mode de branchement des parémies dans le
langage quotidien.
L’analyse de l’énonciation permettra de dégager les éléments environnants
du cadre énonciatif à savoir les déictiques de personne, la temporalité et la
notion de la polyphonie; corrélativement, une étude argumentative mettra en
évidence le mode de branchement des parémies dans le discours et de voir le
fonctionnement de la notion des topoï dans les proverbes.
Nous partons du principe selon lequel, le proverbe est un phénomène
essentiellement oral. A ce titre, sa nature de fragment rapporté mérite d’être
soulignée. D’un côté, c’est un énoncé qui peut être inséré dans des situations
authentiques de communications, d’un autre côté, le proverbe sert
essentiellement à appuyer les dires d’un locuteur.
Une telle approche apparaîtra ambitieuse en ce qu’elle suivra une piste
essentiellement linguistique, et projettera la voie vers un terrain d’étude non
encore défrichable par les linguistiques. Nous partons du principe théorique
selon lequel tout proverbe, en tant que parole, est particulièrement un instrument
d’action. Nous avons choisi un corpus varié et prolifique contenant une dizaine
de parémies marocaines.
Seule une étude en profondeur des propriétés linguistiques des formes
proverbiales viendra à bout d’éclairer ce problème.
Notre contribution est d’examiner le mode de fonctionnement des parémies
telles qu’elles apparaissent dans le discours. Pour ce faire, nous allons démonter
d’une part en quoi ces formes peuvent avoir en commun avec la notion des
topoï, et d’autre part souligner la notion de la polyphonie proverbiale.
Nous nous attachons à montrer ici la nature et le mode de branchement des
proverbes selon une approche purement linguistique ; et nous allons démontrer
aussi que les proverbes du fait qu’il sont identifiables en tant que tels dans un
échange peuvent être considérés comme des arguments d’autorité, et ils ne sont
en fait pas destinés à fournir de l’information par eux-mêmes, mais servir de
cadre et de garant à un raisonnement développé dans un énoncé.
I- Délimitation du cadre théorique :
1.Qu’est-ce que c’est un proverbe ?
On est souvent confronté à une définition des proverbes. En effet « ils
représentent «la sagesse des nations », fruit du bon sens populaire et d’une
expérience immémoriale, condensés en courtes sentences faciles à retenir, qui se
transmettent de bouche en bouche, formant comme une langue spéciale,
rythmée, riche de répétitions et d’assonances, d’allusions et de comparaisons et
qui par leur tour piquant et leur justesse frappante, sont bien faits pour aiguiser
les esprits et pour transmettre aux nouvelles générations la pensée des
anciens »1.
2.Les caractéristiques du proverbe :
Toute définition du proverbe est avérée incomplète, si on ne prend pas en
compte ses caractéristiques. Pour Anscombre, il convient de dégager trois
caractéristiques communes :
1°) l’aspect formulaire : relève de la forme de ces énoncés, étant donné,
qu’ils présentent souvent des phrases complètes, c’est-à-dire qu’ils se suffisent à
eux-mêmes. De part leurs sonorités et leurs structures souvent binaires qui
représentent une certaine symétrie rythmique ; ainsi que de leurs caractères
métaphoriques et imagés présentant souvent des tournures syntaxiques
appartenant à un registre soutenu.
À cette hypothèse de forme syntaxique, on ajoutera celle qui concerne le
figement2. En revanche, les proverbes font partie des expressions figées
apparentées à « des expressions idiomatiques ». A cette hypothèse de figement,
J.C. Anscombre se met en distance, en ce que ces formes ont subi de
« nombreuses réfections » au cours de l’évolution de la langue. D’autres
1 Bouchta El Attar « les proverbes marocains » Casa 1992,1er édition, P332Le figement est un concept général qui peut désigner ici « une fixité de la forme » au terme de Kleiber
chercheurs comme Sonia Fournet3, qui s’est appuyée sur les travaux de Gaston
Gross, avait esquissé des conditions nécessaires au figement, entre autres :
a- la polylexicalité : les parémies ne peuvent subir des transformations de
dérivation : la formation à l’aide d’un affixe
b- le blocage des propriétés transformationnelles : un proverbe ne peut subir
des transformations par passivation, par pronominalisation, par extraction, par
relativisation, par détachement.
2°) le côté prescriptif : sa valeur prescriptive et normative sert à accomplir
un acte de parole qui vise essentiellement à influencer le destinataire en lui
prodiguant des conseils
3°) la portée générale et universelle : le proverbe fait partie normalement de
l’héritage linguistique et culturel d’une nation, c’est une formule langagière de
portée générale contenant une morale qui n’est pas attribuée à un auteur.
II- L’énonciation proverbiale :
1°) les déictiques de personne :
Aux termes d’E. Benveniste4, il convient de distinguer entre :
a- Les deux personnes "je" e t "tu" renvoient successivement à l’ énonciateur
et au co-énonciateur qui sont indissociables et réversibles. Ils sont les deux
protagonistes du dialogue.
b- La non-personne : désigne le pronom « il », véritable « pro-nom »
substitut de nom.
3 Sonia Fournet « étude descriptive des proverbes dans la littérature Hispanique médiévale et pré-classique et de leur fonctionnement au sein de mécanismes de l’argumentation », thèse de doctorat octobre 2005, P44,45,46 4 Cité dans « manuel de linguistique pour les textes littéraires » Dominique Maingueneau, Ed. Armand Colin, P67
Si les premiers réfèrent nécessairement à des sujets parlants, les seconds
peuvent correspondre à n’importe quel objet du monde (humain, inanimé ou
abstrait).
c- le "on" : à côté des « personnes » proprement dites, énonciateur et co-
énonciateur, qui s’opposent à la non-personne, le français dispose d’un élément
« on » qui peut référer à la fois, selon Dominique Maingueneau5,à l’énonciateur,
au co-énonciateur, à tous les deux, ou même à la non-personne. Il présente la
particularité de référer à une subjectivité mais sans prendre en compte la
distinction entre les trois instances : l’énonciateur, le co-énonciateur, la non-
personne, et en brouillant les frontières entre ces positions. C’est ce qui le fait
porter à un état de polyphonie. Cette confusion de voix est une spécificité des
proverbes.
Voyons l’enjeu des personnes dans les parémies marocaines :
Exemple1 :
/xdem a t-taΣes l n-naΣes/
Travaille ô malheureux pour le dormeur
Lors d’un échange oral, l’énonciation proverbiale présuppose l’existence
d’un « je » et d’un « tu ». En énonçant le proverbe, L’énonciateur renvoie à
l’une des catégories de personne explicitées dans le proverbe : à savoir « les
malheureux », «les dormeurs » ou « les veinards ». En fait, il ne fait que
positionner l’une des personnes qui intervient dans la situation de
communication parmi les deux catégories précitées.
Exemple26 :
/xdem y şuġr-i l kubr-i/
« Travaille ô ma jeunesse pour ma vieillesse »
5 Op.Cit, Dominique Maingueneau, P68 6 S. Amrani « structure parémique simple avec un verbe au mode impératif »publications de la faculté des lettres n°50, Oujda 2001, P29
On peut dire que la flexion « i » adjointe au verbe joue le rôle de référence
aux personnes : renvoyer au sujet parlant « je », au « tu » l’interlocuteur ou à la
non-personne « il », selon la situation d’échange.
Aux dires d’Anscombre, le proverbe ne peut faire l’objet d’une
interprétation personnelle introduite par un pronom personnel renvoyant au sujet
parlant, exemple « ana ». Ainsi on aura jamais oser dire :
/ana, xdem y şuġr-i l kubr-i/
L’instance de l’énonciation du proverbe incombe non à l’énonciateur, mais à
« la sagesse des nations », du patrimoine culturel d’une société. Ainsi, une
phrase peut commenter un proverbe:
/ ach xalaha molaha, xdem y şuġr-i l kubr-i/
/ galu lewlin, xdem y şuġr-i l kubr-i/
/ gal lik, xdem y şuġr-i l kubr-i/
Ces énoncés proverbiaux contiennent des indices « molaha »,« lewlin »
renvoient à ce « on-vérité », « cet agent vérificateur » une instance susceptible
de valider une proposition qui le présentent comme étant le garant de la vérité du
proverbe.
2°) La temporalité dans les proverbes :
Selon J.C. Anscombre, les proverbes énoncent une généralité intemporelle et
ne peuvent servir à une énonciation événementielle. Ainsi on n’aurait jamais un
proverbe à l’imparfait. D’après O. Ducrot, et Anscombre, l’imparfait caractérise
toujours une entité située strictement dans le passé de l’énonciation. Ce qui est
tout à fait normal dans une parémie, parce qu’on ne peut pas le situer dans le
temps.
Ainsi dans l’exemple :
/Sam ςam o fţar ςla jrada/
Il a jeûné un an, et il a déjeuné avec une sauterelle
Ce proverbe présente une temporalité exprimée par le circonstant temporel
«ςam » et le passé du temps verbal « Sam » et « fţar ».
Cette temporalité n’est pas liée à la situation d’énonciation, car le proverbe
est intemporel et ne peut être situé par rapport au moment de son énonciation.
Ainsi on ne peut jamais dire dans un échange oral :
/yalah Sam ςam o fţar ςla jrada/
Donc, l’inscription du proverbe dans le système aspectuo-temporel est
indépendante du moment de l’énonciation.
De même dans l’exemple :
/kol nhar o rezqu/
A chaque jour suffit sa peine
Le terme « nhar » renvoie à une temporalité dans le proverbe. En
effet, cette temporalité n’est pas en aucun cas un jour précis, ce peut être
une durée quelconque un mois, une année.
3°) la polyphonie proverbiale :
L’énonciation proverbiale serait de toute façon dite polyphonique.
Inséré dans un discours ou seul, le proverbe ne peut être envisagé comme
étant un discours propre du rapporteur. Pour reprendre les termes de
Greimas7 « le locuteur abandonne volontairement sa voix et en emprunte
une autre pour proférer un segment de la parole qui ne lui appartient pas
en propre, qu’il ne fait que citer ».
La voix du locuteur se confond par le « on » qui représente
« l’opinion commune », « la sagesse des nations ».
7 A.J.Greimas « du sens » P 309, Edition du Seuil, Paris 1967
Dans un cadre polyphonique, on remarque que le locuteur en est aussi
l’énonciateur, c’est-à-dire l’assure personnellement, mais il ne le fait
qu’en s’effaçant derrière un autre énonciateur « on ».
Dans cette optique, ce « on »est un personnage qui participe à la
communication, validant une première assertion E0 dont la vérité est
présupposé par la seconde E1
L’interprétation du proverbe, c’est-à-dire le simple fait de percevoir
l’effacement du locuteur derrière la voix d’un énonciateur distinct
identifié comme « on » dépend à la fois de facteurs linguistiques et
extralinguistiques.
III- L’argumentation proverbiale :
Le proverbe sert essentiellement à appuyer les dires d’un locuteur. Les
arguments, caractérisés par la présence des proverbes dans le discours,
s’inscrivent généralement dans le cadre des arguments d’autorité, qui
consistent à faire appel à des présupposés communs. L’idée ainsi
exprimée se trouve-t-elle renforcée par des valeurs communes propres à
une communauté linguistique. Ces valeurs font l’objet d’un consensus qui
fonde les normes sociales d’une société.
Dans un discours spontané, l’opinion exprimée par un énonciateur
maintient sa force de conviction et son authenticité d’un ensemble de
valeurs communes partagées entre un locuteur et un interlocuteur.
Néanmoins, l’insertion des proverbes dans le cheminement
argumentatif de celui qui l’emploie est régie par un certain nombre de
contraintes d’usage relevant à son acceptabilité par l’interlocuteur et se
poserait aussi la question de sa signification.
Une fois introduit dans le discours, les proverbes ne peuvent jamais
fournir d’informations, mais servir comme arguments d’autorité de celui
qui l’emploie. En effet, ils ne peuvent jamais avoir une valeur informative
mais performative incitant le co-énonciateur à l’action.
Ainsi en est-il le cas pour la notion des topoï, telle qu’elle a été
développée par J.C. Anscombre et O. Ducrot qui va de pair avec le champ
d’étude des énoncés proverbiaux. L’idée selon laquelle, le mode de
fonctionnement des proverbes dans le discours se base sur la notion des
topoï est tout à fait raisonnable, parce qu’ils ont en commun un certain
nombre de caractéristiques. Tout d’abord qu’est-ce qu’un topos ? Et
quelles sont ses caractéristiques ?
1°) définition du topos :
Chez Aristote, le topos est un lieu commun d’argumentation.
O. Ducrot et J.C. Anscombre ont développé cette notion dans le cadre
de la théorie de l’argumentation dans la langue. Pour eux, ce terme
désigne :8
« Le garant qui autorise le passage de l’argument A à la conclusion
C ».
C’est un principe général sous-jacent à un enchaînement argumentatif
présenté dans le discours. Ce passage n’est pas forcément direct mais
également indirect.
Si on considère l’énoncé suivant inséré dans une conversation :
(1) Pierre a travaillé toute la journée.
On doit sûrement laisser entrevoir une conclusion implicite comme :
8 J.C. Anscombre « Théorie des Topoï » Paris 1995, P23
(2) Il est fatigué
Le passage de (1) à (2) est assuré par un topos sous-jacent, commun et
sensé être partagé entre l’énonciateur et le co-énonciateur:
Plus on travaille, plus on est fatigué.
Ou bien : moins on travaille, moins on est fatigué
Le discours maintient sa force argumentative de la notion des topoï
qui constitue l’articulation entre la langue et le discours. Cette notion
permet de garder la cohérence de notre conversation.
J.C. Anscombre a remarqué qu’il existe un ensemble des topoï
graduels à la disposition de toute communauté linguistique utilisables à
discrétion par les sujets parlants9.
« Du fait que nous considérons que fondamentalement une langue est
argumentative, il s’ensuit que toute langue possède des topoï graduels ».
2°) les caractéristiques des topoï
Les topoï se caractérisent par trois traits principaux :
a- Ce sont des croyances présentées comme communes à une
certaine collectivité dont font partie au moins le locuteur et son
allocutaire ; ceux-ci sont supposés partager cette croyance avant même
leur mise en discours.
b- Le topos est donné comme général, en ce sens qu’il est
valable pour autant de situations particulières que celle où le discours
est utilisé. Ainsi un seul topos peut fonctionner pour différentes
situations particulières.
c- Le topos est graduel. Il met en relation deux prédicats, deux
formes topiques de relations graduelles. 9 J.C. Anscombre « Théorie de l’argumentation, topoi, et structuration discursive » in Revue Québécoise de linguistique, Vol.18, n°1, 1989, P28
Selon les deux auteurs, on peut avoir deux schémas topiques :
Un schéma topique concordant : relie deux prédicats
ayant un sens soit positif ou négatif. Ainsi pour l’exemple qu’on a
choisi, on peut avoir un topos concordant :
Plus on travaille, plus on est fatigué. [+P ;+Q]
Ou encore : moins on travaille moins on est fatigué. [-P ;-Q]
Un schéma topique discordant : relie deux prédicats
opposés ayant un rapport de contradiction assuré par l’opérateur
« mais ». les formes topiques auront un sens opposé, [+P ;-Q] ; [-
P ;+Q]
Exemple : Pierre a beaucoup travaillé, mais il a eu une
mauvaise note.
Le schéma topique correspondant dans ce cas sera sans doute :
[+P ;-Q]
On constate que les proverbes partagent certains traits avec les topoï,
en ce qu’ils constituent tous les deux des croyances communes et propres
à une communauté linguistique, et ils sont souvent de valeurs générales
mais valables pour autant de situations particulières.
Selon J.C. Anscombre10 « tout énoncé est argument. Ce qui ne
signifie pas qu’un énoncé vise nécessairement une conclusion
particulière. Simplement, au niveau de la phrase « la structure profonde »
apparaissent des fonctions argumentatives liées à cette phrase et qui
circonscrivent une classe de conclusion ».
Pour lui11, « on trouve des représentations topiques dans la classe des
proverbes » Ce qui fait dire que la notion des topoï est applicable
10 J.C. Anscombre « Théorie de l’argumentation, topoi, et structuration discursive » in Revue Québécoise de linguistique, Vol.18, n°1, 1989, P2011 Op. Cit. , J.C. Anscombre, P30
lorsqu’on parle d’argumentation. Reste à contester le trait de gradualité
des topoï qui parait dans
Voyons maintenant le fonctionnement de cette notion dans les
parémies marocaines :
Exemple112 :
(3) /xdem a ş-şuġur ll-kber/ 29
Travaille ô jeunesse pour la viellesse
Cette parémie, qui réunit deux prédicats selon un sens croissant ou
décroissant, présente un schéma topique concordant appartenant à une
communauté linguistique marocaine, qui fait dire : « plus on travaille
jeune plus on se repose lorsqu’on sera vieux ».
Le schéma logique du proverbe prend la forme de deux échelles
argumentatives associées à un parcours ascendant ou descendant, selon le
contexte dans lequel le proverbe est inséré. Ainsi on aura :
schéma topique Son sens
[+P ;+Q]
[+ travail ; +repos]
« plus on travaille jeune plus on se repose lorsqu’on sera vieux ».
[-P ;-Q]
[- travail ; -repos]
« moins on travaille jeune moins on se repose lorsqu’on sera vieux ».
De même pour l’exemple suivant :
(4) /xdem ya şehht-i l qellet şehht-i/
Travaille ô ma santé pour mes jours de maladie/.
12 Op. Cit. , S. Amrani P29
Apparemment, ces deux proverbes ont le même sens et peuvent servir
d’argument d’autorité pour la même situation de communication, et ipso
facto, avoir un schéma topique identique de l’exemple précédant.
Exemple2:
(5) /ddi bent Σemme-k terfed hemme-k/
Épouse ta cousine (paternelle), elle te soutiendra dans tes malheurs
(elle supportera tes soucis, problèmes, malheurs)
A l’encontre de l’exemple précédent, le schéma topique de cette
parémie marocaine est discordant donnant sur deux formes asymétriques
de deux échelles argumentatives à orientations contrastées: [+P ;-Q] ;
[+P ;-Q].
Une fois inséré dans le discours, cette expression sentencieuse laisse
entrevoir deux topoï d’usage courant, valables pour une collectivité
particulière, et associés à notre culture arabo-musulmane. Laquelle culture
concerne les affaires conjugales, en l’occurrence le mariage avec le (la)
cousin (e).
Le schéma topique en est le suivant :
schéma topique Son sens
[+P ;-Q]
[+ mariage avec proche ; -problème]
« Plus on opte pour un (e) proche lors du mariage, moins on aura de problèmes ».
[-P ;+Q]
[- mariage avec proche ; +problème]
« Moins on opte pour un (e) proche lors du mariage, plus on aura de problèmes ».
Exemple3 :
Comparons les exemples ci-dessous :
(6) /dir l-xir w nsa-h/
Celui qui fait le bien n’est jamais dans le besoin.
(7) /ma ndir xir ma yeţra bas/
Je ne fais pas le bien et aucun mal n’arrivera.
(8) /l-xir yerkel/
Le bien rue
On constate que ces expressions sentencieuses présentent des
contradictions de sens. En effet, A. Bezzazi a souligné ce problème : le
fait de dire et de contredire. Suivant les exigences de la situation de
communication, le locuteur peut opter pour l’un des proverbes ou pour
l’autre, pour inciter son interlocuteur à faire ou ne pas faire du bien.
Selon la théorie de l’argumentation dans la langue d’O. Ducrot et de
J.C. Anscombre, ces énoncés peuvent apparaître pour réaliser de
différents actes d’argumentation offrant des formes topiques de sens
contradictoires.
Ainsi, les schémas sont explicités dans le tableau :
proverbes Son sens schéma topique
/dir l-xir w nsa-h/ « Plus on fait du bien, moins devrait espérer »
[+P ;-Q]
[+ faire du bien ; -espoir]
/ma ndir xir ma yeţra bas/
« Moins on fera du bien moins on aura des problèmes »
[-P ;-Q]
[- faire du bien ; -problèmes]
/l-xir yerkel/ «plus on fera du bien plus on aura des ennuis »
[+P ;+Q]
[+ faire du bien ; +problèmes]
Le deuxième et le troisième proverbe présentent deux schémas
topiques à orientations identiques [-P ;-Q] ; [+P ; +Q]. En revanche, ces
deux énoncés peuvent se substituer parce qu’ils ont un sens identique; et
l’énonciateur peut viser le même acte d’argumentation, celui de pousser
son interlocuteur à faire du bien. Le premier exemple, quant à lui, présente
un schéma topique discordant [+P ;-Q], et le locuteur dans ce cas ne porte
pas conseil à son allocutaire de faire du bien car il serait voué à l’oubli.
Exemple4 :
(9) /đrub leħdid maħadu sxun/
: Il faut battre le fer pendant qu’il est chaud
(10) /lli zerbu matu/
: Sont mort, ceux qui se sont pressés.
(11) /zreb ţςaţel/
: Tu t’attardes lorsque tu te hâtes.
Dans une situation authentique d’échange, un énonciateur peut
introduire l’un des proverbes dans son discours pour inciter le co-
énonciateur à agir ou ne pas agir vite.
En revanche, l’exemple (9) est basé sur un topos différent de celui
exprimé dans les deux exemples (10) et (11). Le tableau suivant permet
d’expliciter cette contradiction :
proverbes Son sens schéma topique
/đrub leħdid maħadu sxun/
« plus on se hâte plus on gagne »
[+P ;+Q]
[+ se hâter ; +gagner]
/lli zerbu matu/
/zreb ţςaţel/
« plus on se hâte moins on gagne »
[+P ;-Q]
[+ se hâter ; -gagner]
Conclusion :
La théorie de l’argumentation dans la langue telle qu’elle a été développée
par O. Ducrot et J.C. Anscombre à partir de la fin des années soixante-dix nous
offre le socle d’une analyse typiquement linguistique des parémies marocaines.
Nous avons donc opté pour une approche particulièrement vaste autorisant
la prise en compte des diverses possibilités d’analyse qui pourraient se présenter
au fil de notre recherche.
Sur la base un corpus varié et prolifique que nous avons étudié, nous
pouvons dire que:
L’énonciation proverbiale est polyphonique par excellence, étant
donné, qu’un proverbe peut être rapporté à la polyphonie.
De même que l’énonciation proverbiale est argumentative, car un
proverbe en tant qu’il est inséré dans un discours, Il sert à appuyer
le projet argumentatif de celui qui l’emploie. Sa validité est
incontestable, étant donné que son énonciation émane d’une
instance supérieure : la sagesse populaire.
Le mode de branchement des parémies dans le langage ordinaire est
basé sur la notion des topoï.