Enki BILAL - Casemate · 2019. 8. 12. · Enki Bilal, Casterman, 18 €, 22 octobre. Archives En...

4
© Casemate 2014. Tous droits de reproduction interdits. Supplément gratuit • Casemate 74, octobre 2014. Enki BILAL

Transcript of Enki BILAL - Casemate · 2019. 8. 12. · Enki Bilal, Casterman, 18 €, 22 octobre. Archives En...

Page 1: Enki BILAL - Casemate · 2019. 8. 12. · Enki Bilal, Casterman, 18 €, 22 octobre. Archives En doublette avec Shakespeare, Casemate 37, Bilal fait peau neuve, Casemate 13. « Je

© Casemate 2014. Tous droits de reproduction interdits.

Supplément gratuit • Casemate 74, octobre 2014.

Enki BILAL

Page 2: Enki BILAL - Casemate · 2019. 8. 12. · Enki Bilal, Casterman, 18 €, 22 octobre. Archives En doublette avec Shakespeare, Casemate 37, Bilal fait peau neuve, Casemate 13. « Je

Pourquoi vos person-nages sont-ils presquetoujours en duo ? Enki Bilal : Les circons-

tances amènent les personnages às’épauler pour survivre. L’unique soli-taire, Cannibal, dont on ne voit pas levisage, est un personnage extrême-ment intelligent, mais terriblementperdu. La solidarité est essentielle pourla survie. L’intelligence, un danger ?Malheureusement, l’histoire desHommes nous a appris qu’elle n’estgage ni d’humanisme, ni de généro-sité, ni de gentillesse. Mais peut sou-vent faire basculer du côté sombre.Les monstres de l’histoire sont souventintelligents.De nombreuses citations ponctuentle récit… La nature aime-t-elle cesphilosophes, ces penseurs ?

Sans doute, puisqu’elle les cite. Je vou-lais du Nietzsche, aspect nihiliste d’Ani-mal’z. Puis, je me suis laissé prendrepar ma propre histoire. Les circons-tances m’ont amené à chercher descitations sur des thèmes donnés. Sansme baser sur ma mémoire. Je n’aiabsolument pas la mémoire des cita-tions et je n’aime pas les gens qui enparsèment leurs conversations. Les cita-tions sont un moyen pour la planètede prendre les hommes par la main.De rappeler ce qu’ils ont dit et pensé.

Même quand elles ne viennent pas dephilosophes connus. Je cite l’anima-teur de radio José Artur et l’écrivainDan Franck, un copain, parce que leurs

phrases tombent parfaitement bien. Les philosophes se rappellent à vospersonnages qui, eux, oublient leursnoms, leur passé… Pour mieuxrenaître ?La planète abrase leur mémoire. La finest très perverse. Un happy end ? Oui,mais avec un second degré, une formed’ironie, un questionnement, et peut-être une inquiétude. N’est-ce pas ledébut d’une dictature planétaire ? Onpeut le voir ainsi. La planète fait sonboulot de manière précise, chirurgi-cale. Et provoque l’oubli, offrant detout recommencer à zéro avec unenthousiasme nouveau. Comme cer-tains systèmes politiques utopistes ontessayé de le faire. On nage dans uneutopie très humaine.Perdre la mémoire, cela vous fait-ilpeur ?Non, cela me terrifie. Une maladie s’encharge, c’est Alzheimer. Tout est prévu.En rendant mes personnages amné-siques, je ne prends aucun plaisir. Et jene les envie pas du tout ! Quel est ce pacte d’association pro-posé aux humains ? Le résultat d’un processus mystérieux.Au départ de cette trilogie, je savais oùallaient mes personnages et que la pla-nète allait faire le ménage. Je savais quetous se retrouveraient, amputés d’unepartie de leur mémoire. La fin m’est vrai-ment apparue comme une évidence,et dans toute son absurdité, à dix joursde la fin de cet album. Le terme d’as-sociation fait partie du processus, dece mystère qui fait que les choses semettent en place. Je ne vois pas d’au-tre terme qui puisse convenir. Ces per-

I

Interview

Qu’est-ce qui différencie l’Homme de l’animal ? L’intelligence. Qu’est-ce qui mènera peut-être l’Homme à sa perte ? L’intelligence.Derniers feux de l’interview d’Enki Bilal publiée dans Casemate 74, à l’occasion de la sortie de La Couleur de l’air, qui clôt le triptyqueapocalyptique entamé avec Animal’z et Julia & Roem.

DR

.

Bilal« Pas de pitié pour

les FERRARI »

« La Terre fait son boulot de façon chirurgicale,provoque l’oubli, offre de recommencer à zéro »

Enki BILAL

Page 3: Enki BILAL - Casemate · 2019. 8. 12. · Enki Bilal, Casterman, 18 €, 22 octobre. Archives En doublette avec Shakespeare, Casemate 37, Bilal fait peau neuve, Casemate 13. « Je

sonnages vont découvrir l’amour au furet à mesure qu’ils vont se côtoyer danscette nouvelle société. Mais, pour l’ins-tant, le mot « amour » n’existe pas.Association est un terme presque tech-nique que la nature met à dispositiondes hommes pour se faire compren-dre. À chacun de tirer ce qu’il veut decette fable et de sa fin. L’interprétationest totalement libre, puisque ce genrede processus de création échappeaussi, à un moment donné, à son pro-pre créateur. Ça fait partie du jeu. Des animaux survivent. La nature a-t-elle fait aussi une sélection parmieux ?Il n’y a pas d’animal mauvais. Chacunfait partie d’une chaîne, d’une logiqueimparable qui est celle de la vie. Enten-dre qu’un homme se serait comportécomme une bête m’a toujours choqué.La bête sauvage n’est pas cruelle. Elletue pour se nourrir ou se défendre. Unanimal ne tue pas par préméditation.Même s’il peut exister des animaux tarésdont le comportement échappe à larègle générale de leur race.Non, je ne me suis pas posé la ques-tion pour les animaux, tant je les per-çois comme partie intégrante de lanature. Les animaux n’ont jamais eud’action négative sur la planète,puisqu’ils font partie de sa vie. Rien decomparable aux hommes dont l’intel-ligence et le goût pour la dominationont créé des systèmes d’exploitationde la planète. Elle ne respecte rien votre nature,on la voit avaler une Ferrari… Évidemment ! Qu’est-ce qu’elle peutfaire d’une Ferrari qui lui roule dessus

et pollue l’air ? Pas de pitié pour lesFerrari. Sur la planche 62, commentée dansCasemate 74, on voit des animauxdans le ciel. D’où viennent-ils ?Les nuages le privant d’énergie solaire,le zeppelin perd de l’altitude. Commesi la planète voulait l’empêcher de serégénérer. Il finit par frôler la cime desarbres et c’est alors qu’embarque cettevie animale. Je trouve un certain équi-

libre entre un koala et un alligator, qua-siment bébés sur cette image.Pourquoi eux ? Vous aussi voussélectionnez ?Non, je ne voulais surtout pas entrerdans une démarche de classification.J’ai suivi mon inspiration. Peut-être lekoala, à l’air sympathique, annule-t-il lecôté un peu fourbe de l’alligator, plan-qué sous la flotte, avec son œil quidépasse, prêt à choper un pied auda-cieux. Peut-être est-ce aussi unemanière de montrer une cohabitationentre un koala, proie facile, et l’alliga-tor, le prédateur. Un équilibre un peufantasmé, je le reconnais !Vous racontez dans Casemate 74

IIII

Interview

La Couleur de l’air,Enki Bilal,Casterman,18 €, 22 octobre.

ArchivesEn doublette avec Shakespeare, Casemate 37,Bilal fait peau neuve, Casemate 13.

« Je montre un koala et un alligator cohabitant.Un équilibre un peu fantasmé, je le reconnais ! »

Enki BILAL

Page 4: Enki BILAL - Casemate · 2019. 8. 12. · Enki Bilal, Casterman, 18 €, 22 octobre. Archives En doublette avec Shakespeare, Casemate 37, Bilal fait peau neuve, Casemate 13. « Je

vous être replongé dans Roméo etJuliette pour écrire Julia & Roem.D’autres lectures vous ont-ellesinfluencé ? Aucune. Tous les éléments de mon uni-vers et de ma dramaturgie étaient enplace. Je reprenais Kim et Bacon à lafin d’Animal’z. Et les trois protagonistesde Julia & Roem. Pas besoin d’allerchercher des références littéraires ouautres. Je suis resté dans ma missionde western. À la fin, il n’y a pas quedes cavaliers…Et quelques baleines et maisons quivolent !Vrai, mais si l’on regarde bien, la méca-nique de La Couleur de l’air est toutaussi westernienne que celle des deuxprécédents albums. Cannibal évoque les restaurants del’extrême où l’on mange desinsectes. En avez-vous goûté ? Hors de question ! Je ne toucheraijamais à ça. Je crèverai plutôt de faim ! Vos livres sont-ils encore des BD ?Peut-être de moins en moins. Ce quipeut égarer certains lecteurs. Mais j’aivraiment l’impression d’avoir fait le tourde la BD classique, traditionnelle, avecun scénario bien ficelé, un peu formaté.Les mêmes réflexes narratifs, les mêmestics de langage, les onomatopées…Tout cela commençait à me peser. AvecLe Sommeil du monstre, j’ai repris unélan. Et remis au centre de ma créationle rapport texte-image. D’où une plusgrande part donnée aux textes, par rap-port à mon travail d’avant, même si c’estmoins bavard. Le choix des images etdu texte est très important. Et il y a uneraréfaction d’images, au profit de ce

jeu, de cette alchimie. Jugez-vous les productions contem-poraines de plus en plus forma-tées ? De manière générale, je trouve lecinéma très formaté, codifié. Entre leblockbuster et le cinéma d’auteur fran-çais intimiste, il n’y a pas grand-chose.Dès qu’on s’échappe, le système n’ap-précie pas. Côté BD, je me tiens au cou-rant, mais n’en lis pas beaucoup. Il y ades tendances, des modes, des cou-rants, mais oui, je trouve que ça ron-ronne un peu.Propos recueillis par Sonia DÉCHAMPS

Bilal s’amarre à TOULON

Que présentez-vous àl’exposition de Toulon ?Enki Bilal : C’est à peude choses près celle qui

a eu lieu aux Arts et Métiers. Exposerc’est partager. Un grand partage com-plémentaire au travail d’auteur. À unecertaine époque, l’impression trahis-sait énormément les originaux.Aujourd’hui, même si la qualité d’im-pression a beaucoup progressé, ilexiste toujours un décalage entre lesoriginaux et le travail imprimé. Je passequelques fois sur les lieux de mesexpositions, pour sentir, voir. Il y a tou-jours un moment où on entend, on voit,une façon de regarder, de rester devantun dessin, une peinture. En positif,comme en négatif. C’est touchant, c’estvrai. Comme une communion.Promenez-vous au Louvre, ce muséeexceptionnel qui m’a fait l’honneurd’exposer mes Fantômes du Louvre.Vous verrez des visiteurs lire les bio-graphies apocryphes des personnagesexposés. J’ai toujours grand plaisir àvoir une partie du Louvre transforméeen lieu de lecture.

Jusqu’au 4 janvier 2015Enki Bilal – Oxymore & MoreToulon (83)Originaux de l’auteur. Entrée libre dumardi au dimanche (10 h-18 h) sauf25/12 et 01/01.Centre d’art,236, bd Maréchal Leclerc,hdatoulon.fr

III

Interview

« Manger des insectes ? Hors de question ! Jene toucherai jamais à ça. Plutôt crever de faim ! »

Enki BILAL

Illus

trat

ions

© C

aste

rman

201

4.