ENFANCE ABANDONNÉE AU MAROC

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ENFANCE ABANDONNÉE AU MAROC Ampleur, état des lieux juridique et social, prise en charge, vécus. La Ligue Marocaine pour la Protection de l’Enfance

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EnfancE abandonnéEau marocAmpleur, état des lieux juridique et social,prise en charge, vécus.

La Ligue Marocaine pour la Protection de l’Enfance

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Dessins des enfants pris en charge par les crêches de la Ligue Marocaine pour la Protection de l’Enfance. Crédit photo couverture : UNICEF/MOR 2007/GIACOMOCrédit photos intérieur : UNICEF/MOR2010Crédit photos intérieur : MJB /Mor 2010/MJB

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EnfancE abandonnéEau marocAmpleur, état des lieux juridique et social,prise en charge, vécus.

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Article 7Tu as le droit à un nom et une nationalité ;

Article 8Tu as le droit à une identité et à sa préservation ;

Article 19Tu as le droit à la protection contre la maltraitance et

la négligence ;

Article 21Tu as le droit à une bonne protection lorsque tu vis avec

une famille adoptive ou dans une institution de protection des enfants ;

Article 23Tu as le droit à une protection et à une éducation spécialisée lorsque tu souffres d’un handicap physique ou mental pour

que tu puisses vivre normalement comme les autres ;

Article 25Tu as le droit à ce que les responsables concernés s’assurent que tu vis dans de bonnes conditions lorsque tu vis dans

un autre lieu autre que le domicile de ta famille telles que les institutions de protection de l’enfance

ou de rééducation ;

Article 39Tu as le droit à une assistance appropriée lorsque tu es exposé

à la violence, la négligence ou au mauvais traitement ;

Guide des droits de l’enfantMinistère de la Justice & Unicef

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Contexte, objectifs et méthodes d’étude...................................................................................................................................6Introduction ...............................................................................................................................................................................................18

Première partie : Repères ......................................................................................................................................18Approche Documentaire ...................................................................................................................................................................22Conventions internationales, lois ................................................................................................................................................22

Chapitre premier. L’abandon : le droit, les recherches, les programmes ..........................................................22 I-Dispositions juridiques relatives aux enfants abandonnés ........................................................................................22II-Etudes et recherches ....................................................................................................................................................................26III-Intervenants, programmes, actions .....................................................................................................................................31

Chapitre second. Données et analyse de l’existant ........................................................................................................40

Chapitre troisième. Etat des lieux, données quantitatives ........................................................................................46 Données régionales

Chapitre quatrième : Synthèse des données régionales, ..........................................................................................74 Mesure d’ampleur

Chapitre cinquième : Justice, actions en chiffres ............................................................................................................82 I- Données exhaustives sur l’abandon .....................................................................................................................................82II - La Kafala données nationale ....................................................................................................................................................84III- Rapports à la loi, des acteurs de la prise en charge ...................................................................................................85

Seconde Partie ..............................................................................................................................................................92Vecus de l’abandon et prise en charge ....................................................................................................................................92vécus de l’abandon, côté victimes .............................................................................................................................................98vécus de l’abandon, côté auteurs .............................................................................................................................................112 Chapitre premier : Différents vécus, les uns, les autres ..............................................................................................92I-Vécus de l’abandon ...........................................................................................................................................................................92II-Récits .......................................................................................................................................................................................................98III-Auteur(e) s de l’abandon .........................................................................................................................................................112

Chapitre second : Prise en charge de l’abandon à la naissance ............................................................................124 I-Analyse de l’existant ......................................................................................................................................................................124II-Structures d’accueil ......................................................................................................................................................................128III-Contraintes des acteurs ............................................................................................................................................................138

Chapitre troisième : Lutte contre l’abandon ....................................................................................................................144

Conclusions : ....................................................................................................................................................................153Analyse SWOT de l’abandon et des acteurs, recommandations, actions. ........................................................154Recommandations Atelier de présentation .........................................................................................................................159

Sommaire

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I - Objectifs et périmètre de l’étude Le travail de recherche mené a été initié par la Ligue Marocaine pour la Protection de l’Enfance (LMPE)avec le soutien du Fonds des Nations Unies pour l’Enfance («UNICEF»).

L’étude réal isée s’ inscrit dans le cadre d’une volonté, formulée par la LMPE, visant à identifier les caractéristiques majeures de la réalité de l’abandon d’enfants à la naissance au Maroc.

Un objectif global : Identifier les modalités actuelles de la problématique de l’enfance abandonnée à la naissance, à des niveaux d’appréhension, d’ampleur, de type de prise en charge, de vécus, d’environnement, social, juridique et institutionnel

Des questionnements spécifiques : • La perception relative à l’abandon d’enfants à la naissance, est évaluée comme en progression : quelle réalité ? Quels fondements ?

• Une différenciation est effectuée entre filles et garçons : le placement en kafala en particulier, est décrit comme bénéficiant davantage aux filles. Quels critères à l’origine de cette discrimination

Une finalité :• L’état des lieux permettra, à partir d’éléments de réalité et d’une analyse de l’existant,

• De rendre compte de l’opportunité d’une action de plaidoyer en faveur de l’enfance abandonnée ;

• De fournir les fondamentaux pour un Plan National de Protection de l’Enfance Abandonnée à la naissance : plan d’intervention, implication et fédération des acteurs, actions collectives;

• De structurer les thématiques majoritaires d’une stratégie d’aide et de soutien des acteurs impliqués dans la prise en charge de l’abandon.

Axes majeurs de recherches

Afin de répondre à l’ensemble des objectifs, global et spécifiques, du cahier des charges, l’étude menée a différencié trois volets principaux :

• D’analyse du dispositif juridique national, en rendant compte des,Stratégies, programmes, élaborés avec les actions menées par les départements en chargede la question.Conventions relatives aux droits de l’enfant, aux discriminations liées au genre, ouvrages, enquêtes traitant de la question de l’abandon (principalement celles menées par la ligue).

• De mesure de l’ampleur du phénomène de l’abandon au Maroc tenant compte,Des sources d’informations les plus adéquates -afin d’éviter un double comptage de l’enfant-, et des spécificités régionales;Des données susceptibles d’être recueillies et relatives aux mères, afin d’appréhender les configurations possibles de l’abandon (sociologiques, économiques, éducatives…);

• De prise en charge, tenant compte, Des éléments de vécu des catégories concernées et/ou touchées par l’abandon : auteurs, victimes ;Des particularités des différents acteurs et de leurs domaines prioritaires (prévention, prise en charge,soutien);De la stratégie d’intervention et de prise en charge : rôles et missions des différents acteurs, actions menées, générales et spécifiques, moyens, attentes.

contexteet méthodes

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II-Approche et méthodologie d’étude

1. Dispositif méthodologique Le dispositif méthodologique initial prévoyait une approche mixte, qualitative et quantitative:

Une approche qualitative, réalisée au moyen •d’entretiens (80 au total), à mener en direction des acteurs de la prise en charge, institutionnels, auteur(e)s et victimes de l’abandon;

Une approche quantitative, de mesure d’ampleur •de l’abandon d’enfants à la naissance, à partir de donnéesfournies sur un échelon national : collecte de données chiffrées pour construire un échantillon avec des paramètres et des variables structurés, en vue de fournir des indicateurs de mesure et de causalités, susceptibles de donner lieu à des projections.

2. Contraintes de l’existantet obstacles à la réalisation de l’étude

L’étude globale, a été effectuée dans un contexte de réticence, le plus souvent fermé à toute divulgation de données relatives à l’abandon.

• La quasi totalité des intervenants rencontrés, a conditionné les échanges et la délivrance de données chiffrées, à autorisation préalable, (non obtenue) des dirigeants associatifs, des institutionnels et ministères de tutelles, ‘Justice, Santé, Sureté Nationale, Intérieur’…

• Des intervenants nombreux, impliqués à des niveaux variés, de manière directe ou indirecte dans la question de l’abandon, se sont avérés réfractaires à toute procédure de formalisation des échanges, susceptible de porter une parole officielle sur l’abandon.

3. Réaménagements

3.1. Méthodologie qualitative

Pour une plus grande adaptation aux contraintes évoquées

au travers de ces données préalables de terrain, l’étude

qualitative réaménagera le dispositif méthodologique :

• En usant d’intermédiations susceptibles de permettre

l’accès à l’information,

• En collectant l’information en fonction des contraintes, à

travers à la fois son expression ‘officielle, formelle’, à travers

également, son expression ‘non officielle, informelle’.

• En multipliant les sources d’information afin de valider,

relativiser ou infirmer, les discours ou données, obtenus.

• En conséquence, et considérant la diversité des cibles

susceptibles d’intervenir dans la question de l’abandon, le

dispositif qualitatif prévu s’avérera ‘insuffisant’. Aussi :

• Des cibles additionnelles seront rencontrées (mères

célibataires, parents adoptifs, intervenants du secteur

hospitalier) ;

• Des entretiens supplémentaires seront menés en vue de

confronter différents discours des équipes opérationnelles

en charge de l’abandon d’enfants ;

• Les focus groupes initiaux (2) menés, seront multipliés en

fonction des nécessités de terrain, auprès d’intervenants

de la justice (1), d’équipes associatives (4), hospitalières

(2). Ces focus regroupaient, en fonction des situations,

des effectifs variables, entre 3 à 5 personnes.

Les tableaux suivants présentent une synthèse non exhaustive du dispositif qualitatif réalisé lors de l’étude, auprès de différents intervenants appréhendés comme ‘cibles’ ou ‘catégories’ :

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Tableau 1 Cibles Entretiens Entretiens de groupes ; focus

Secteur associatif

Membres de comité ; Dirigeants 27

Membres équipes opérationnelles; 15 4

Assistantes sociales 8

Infirmières 4

Total entretiens 54

Total groupes 4

Analyse de l’existant, prise en charge, secteur hospitalier

Tableau 2 Cibles Entretiens Entretiens de groupes ; focus

Secteur hospitalier

Directeurs de régions, Directeurs de centre hospitaliers ou de Délégations

26

Assistantes sociales préfectorales ; de délégations, assistants et assistantes sociales.

29 1

Infirmiers, infirmières ; majores de maternité 6

Médecins, chefs de services, gynécologues ; pédiatres 7

Autres (statisticiens) 2

Total entretiens Total groupes 69 1

Etude de vécus

Tableau 3 Cibles Entretiens

Volet vécu de l’abandon ; Auteurs, Victimesd’abandonMères célibataires Parents adoptifsIntermédiaires

Victimes AdultesAdolescentsEnfants

24

Auteurs/ auteures 23

Mères célibataires 9

Intermédiaires dans le secteur de l’illégal (‘courtiers’ en matière d’adoption irrégulière). 4

Parents adoptifs 7

Total entretiens 67

Volet documentaire : institutionnels

Tableau 4 Cibles Entretiens focus

Volet documentaire

Ministère de la justice 4

Procureurs du Roi et substituts 5 1

INDH 1

Total entretiens Focus

10 1

Analyse de l’existant prise en charge, secteur associatif

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3-2- Traitement et analyse de l’information qualitative

Supports qualitatifs

Des guides d’entretiens (9) ont été préalablement conçus pour être destinés aux différentes catégories cibles de l’étude, et structurés pour une animation semi directive et non directive.

Les entretiens et focus (formels) menés, ont été enregistrés et retranscrits intégralement pour dépouillement thématique et analyse de contenu.

Les entretiens et focus informels, échanges, entretiens téléphoniques menés, ont été consignés par écrit et exploités avec la même approche.

Analyse de l’information Les moyens utilisés, enregistrement, retranscription, dépouillement thématique, permettent de contrer toute attitude subjective pouvant succéder à l’omission de l’information obtenue. Ils permettent par ailleurs une approche qui pointe, reproduit, hiérarchise, les ‘items et verbatim’ les plus redondants du discours obtenu, qui opère des différenciations de cibles, en termes de perceptions, d’attitudes ou de positions. Ce processus est préalable à l’analyse du contenu informationnel, méthode la plus utilisée pour une approche relative au fonctionnement humain.

Un second niveau d’analyse, ‘extérieur à la subjectivité et à la prise de position’ (en dehors des fondamentaux des droits humains, ici droits de l’enfance) visera à interroger les concepts, idées, représentations admis ou transmis, et relatifs à la problématique de l’abandon, tenant compte à la fois des discours, des ‘résultats d’étude’, d’expériences et de pratiques cliniques évoquées…

Ces éclairages ambitionnent notamment de susciter le débat relatif,

Concernant les parents de l’abandon, A la question de la sexualité, avec d’un côté les interdits, les discriminations de genre, et de l’autre, des évolutions sociales, l’objectif étant ici de réfléchir à des moyens de prévention susceptibles de se traduire par une baisse des abandons d’enfants ;

Concernant les enfants abandonnés, A la question de la prise en charge, l’objectif étant ici de pointer à la fois les progrès sensibles entrepris par les acteurs, leurs difficultés, attentes, et de les confronter aux différents vécus des victimes, afin de réfléchir aux éléments d’une adéquation possible entre ‘offre et besoins’.

Concernant les parents de l’adoption,

Au traitement actuel de la question par les acteurs, en rendant compte à la fois des progrès obtenus, des difficultés du présent, mais aussi en soulevant la question du secret de l’adoption, et des impacts défavorables au développement de l’enfant.

Concernant les acteurs,

A la nécessité de porter un regard autre que subjectif, ‘caritatif’, permettant le passage vers la question du droit de l’enfant, avec les exigences d’une attitude professionnelle, qualitative et relationnelle, à différents niveaux de gestion et de prise en charge.

Concernant la problématique globale

De fournir, décrire et différencier, les éléments d’une ‘complexité’ le plus souvent attribuée au phénomène de l’abandon, en abordant avec ‘lucidité’ les thèmes qui fédèrent la collectivité mais aussi en pointant les questions occultées ou insuffisamment abordées.

3.3. Etude quantitative

La collecte des données relatives à l’abandon a été soumise aux mêmes contraintes que celles précédemment évoquées :

• Refus et résistances des intervenants ; ‘confidentialité’ de l’information et nécessité d’autorisation de Ministères de tutelles (Santé, Justice,…) ou de décideurs associatifs ; existence de discours contradictoires relatifs aux données chiffrées de l’abandon…

• Absence d’homogénéité des données relatives à l’abandon, avec l’existence chez les uns, de tableaux de bords simplifiés à l’extrême, à deux variables (entrants, sortants) chez les autres, des tableaux à trois ou quatre variables (Kafala, décès, transferts)…., éléments qui rendront impossible à la fois l’uniformisation des données et la synthèse de l’information sur la période test de l’étude.

Ces obstacles ont également mené à la collecte de données fournies ‘officiellement’ et de manière ‘non officielle’. Les informations ‘non officielles’ nécessiteront cependant, pour être ‘publiées’, un second temps de validation au moyen d’intermédiations auprès de responsables, à travers une procédure d’enquête téléphonique auprès des délégations provinces, dotées de structures associatives ou hospitalières.

L’enquête téléphonique sera également utilisée dès lors qu’un intervenant, acteur, en provenance d’une localité, région ou institution, refusera, pour des raisons variées, de souscrire à une démarche d’entretien de face à face.

L’étude quantitative considérera les données fournies,

• Par le secteur associatif en charge de la gestion de l’abandon d’enfants,

• Par le secteur associatif mené à intervenir dans la prévention de l’abandon,

• Par le secteur hospitalier en charge de la gestion de l’abandon d’enfants,

• Par le Ministère de la Justice,

• Par la Sécurité Nationale.

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4. Premières données et impactsde méthodologie

Les premières données relatives à l’abandon d’enfants à la naissance, indiquent des tendances structurelles avec:

• Une variation des effectifs d’une année sur l’autre, variation non caractéristique des naissances ‘normales’ qui connaissent une croissance logique ;

• Une mobilité de l’abandon, avec un déplacement des mères en dehors de leur milieu d’origine. Aussi ‘les spécificités régionales’ seront-elles à appréhender avec prudence : le plus souvent, ces ‘spécificités’ rendront compte d’une réalité complexe, avec l’itinérance des mères auteures d’abandon vers des lieux appréhendés comme comparativement, moins porteurs de risque pour l’accouchement et la naissance de l’enfant et ce, tenant compte du contrôle exercé, sur les femmes en particulier, par la famille et de la société.

• Une double réalité relative à la question de l’abandon : d’un côté, un abandon visible qui se traduit soit par un placement en milieu institutionnel, soit par un abandon direct effectué ‘chez le juge’ ; de l’autre, un abandon qui se dissimule et se gère en dehors de la légalité.

Les données fournies et relatives à l’abandon d’enfants à la naissance, indiquent des tendances associées au contexte et à l’environnement actuel de collecte d’information, au Maroc,

• Avec des moyens rudimentaires de consignation des données relatives à l’enfance abandonnée et placée : l’informatique faisant le plus souvent défaut, ces informations sont majoritairement consignées dans des registres réservés à cet effet. En fonction des ‘registres’, des équipes, (des changements d’équipes), et des années, les données consignées varient sensiblement.

• En fonction des structures et des intervenants, les variables de l’abandon, consignées dans les registres ou synthétisées par les équipes, seront plus ou moins succinctes : les variables les plus communément consignées et considérées par les équipes, sont relatives aux ‘entrants’, ‘sortants’, et ‘kafala’. D’autres structures considéreront des données additionnelles qu’elles intègreront dans leurs statistiques, ‘décès’, transferts’, lieux d’abandon… (une seule entité permettra d’obtenir des informations conformément aux objectifs de l’étude et à la période test ; ici, par ailleurs, l’accès au registre permettra d’examiner des éléments associés aux typologies des mères).

• L’accès au registre est plus ou moins contrôlé en fonction des structures, de leur disponibilité, volonté de collaboration, voire de leur niveau de transparence : certaines, en dépit de la disponibilité d’une information plus exhaustive, fourniront ‘leurs statistiques’ sommaires, sous formes de tableaux, excluant toute investigation approfondie.

• L’accès au registre souche est par ailleurs plus ou moins disponible, en fonction des structures, certaines d’entre elles disposant de données ‘anciennes’, ‘contenues et archivées dans des cartons’ et ‘inaccessibles’.

• En fonction des structures, de leur ancienneté dans le ‘secteur de l’abandon’, et des régions, les informations sont consignées à des dates plus ou moins récentes, ne permettant pas d’étudier leur variation sur la période ‘test’ de l’étude ‘ (1998-2008).

• Variables : elles sont hétérogènes, partielles, discontinues, rendant impossible la comparaison des données et la synthèse de l’information.

Les différentiels filles/garçons, ne sont pas effectués de façon systématique : tout au plus observe-t-on depuis 2004, plus clairement depuis 2007, une tendance au sein de certaines structures en charge de l’abandon, à effectuer ce type de segmentation.

Les variables relatives au devenir de l’enfant admis (‘kafala’, ‘transfert’, ‘repris par ses parents’, ‘décès’) ou à son état de santé, s’appréhendent différemment, lorsqu’elles existent, en fonction des structures : ici dans un rapport à l’ensemble des pensionnaires, là dans un rapport aux nouvelles admissions (objectif de l’étude), là encore en fonction des années, avec des informations partielles. Une grille à double lecture, qui introduira par exemple, un différentiel par sexe, sera encore plus difficile à structurer.

Aussi, seule la variable ‘admissions’ (nouveaux entrants) sera-t-elle généralement accessible de manière systématique, et pour certaines provinces, uniquement pour l’année 2008.

4.1. Sources d’information, relativesaux abandons à la naissance

Les premières données d’étude identifieront deux sources d’informations relatives à l’abandon à la naissance, objet de l’étude :

• La source hospitalière comme premier lieu de passage ou d’accueil de longue durée de l’enfant abandonné : le plus souvent cette source sera la plus ‘complète’ pour refléter une réalité du ‘total abandons nouveaux’, car avant le transfert de l’enfant vers une autre structure associative, lorsqu’elle existe, des ‘kafalas’ d’enfants sont possibles;

• La source associative comme lieu d’accueil et de séjour de l’enfance abandonnée à la naissance. Cette source reflètera d’autant plus la réalité des ‘nouveaux abandons’ qu’elle est, dans une ville ou province considérées, l’unique structure d’accueil et de recueil de l’enfant abandonné.

En fonction des situations, de la fiabilité de l’information, de son exhaustivité, de la prépondérance des structures

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en charge de l’abandon, de l’existence d’une structure unique, l’une ou l’autre des sources, hospitalière ou associative sera considérée dans la collecte des données exhaustives : dans certaines régions ou localités où le secteur associatif est absent, seul le secteur hospitalier est en mesure de fournir l’information.

Dans d’autres régions, la source hospitalière reproduit plus fidèlement l’effectif des abandons dans la mesure où, comme indiqué plus haut, certains d’entre eux seront destinés ‘directement à la kafala’ et ne transitent pas vers le secteur associatif.

Par ailleurs, très souvent, un partenariat existe entre ‘les deux parties’, Ministère de la Santé qui offre le lieu de vie, et l’associatif qui offre un soutien, quelquefois total, en matière de gestion et de prise en charge. Ici et généralement, les données se communiquent entre les ‘deux parties’. De manière quasi systématique, pour la consignation des données, le rôle de l’assistante sociale, de l’assistante préfectorale ou de délégation, est déterminant.

• Les sources ‘Ministère de la Justice’ et ‘Sécurité Nationale’ permettront de fournir des données additionnelles relatives, l’une, aux affaires d’abandon (inscrits et jugés,) aux ‘kafalas’, (toutes deux au niveau global et détaillées par province) d’enfants abandonnés; l’autre, aux abandons effectués sur la voie publique. ‘La source’ Ministère de la Justice posera le problème de la définition de l’enfant, ici considéré, conformément aux définitions en usage, comme mineur jusqu’à l’âge de dix huit ans, ce qui impactera sur le croisement entre résultats d’étude (enfants entrants, essentiellement nourrissons) et données fournies par le Ministère de la Justice. La Sureté Nationale fournira des données partielles, relatives à son ‘secteur’, ses rôles et missions : les abandons de rue comptabilisés, ne considèrent pas ceux effectués par la Gendarmerie Royale (en milieu rural) ou par la Protection Civile. Par ailleurs, seront fournis essentiellement ici, les abandons de rue d’enfants en vie.

4.2. Type de collecte de donnéeset segmentation régionale

L’ensemble de ces éléments décrits, mènera à la fois à multiplier les informations qualitatives et à orienter l’étude vers un dispositif méthodologique plus lourd, de recensement des abandons ‘placés’ à la naissance. Ce recensement sera considéré comme une première étape permettant de constituer un échantillon représentatif à partir duquel des hypothèses statistiques peuvent être formulées.

Le recensement des données a considéré la segmentation en régions du Ministère de la Santé comme moyen et outil d’investigation permettant :

• Lors d’une première étape, d’accéder aux seize Directions régionales de la Santé, d’aller à la rencontre des deux sources, associatives et hospitalières;• Lors d’une seconde étape, de collecter l’information complémentaire auprès des localités, provinces dotées de structures d’accueil de l’enfant abandonné, associatives, hospitalières.

Le tableau1, joint en annexe de ce rapport, indique les sources utilisées en fonction des régions ou structures, avec les modalités dominantes de prise en charge, assurées par l’un ou l’autre, voire l’un et l’autre, des acteurs, de l’associatif, du secteur de la santé.

Constats

Au travers de ce tableau récapitulatif de l’offre de prise en charge de l’enfant abandonné à la naissance, on remarque :

• Que la prise en charge associative est dominante, avec un centre dédié et extérieur à l’hôpital, dans 24,5% des situations rencontrées;

• Que la prise en charge est assurée par le secteur associatif, à l’intérieur de l’hôpital, ou dans l’enceinte de l’hôpital, dans 39% des situations rencontrées.

Il est nécessaire de souligner ici, les modalités rencontrées de partenariats, secteur associatif, santé : l’une rendant compte d’une prise en charge dominante assurée par le secteur associatif, la santé offrant lieu de séjour, un à deux membres du personnel et soins de santé; l’autre, rendant compte d’un partenariat ‘plus équilibré’ des deux secteurs ; une autre enfin, qui mettra l’accent sur une prise en charge majoritaire de la santé avec une intervention partielle du secteur associatif.

Que la prise en charge est assurée par le secteur de la santé, de manière exclusive, dans 36,5% des situations.

Ici aussi il sera nécessaire d’opérer à des différenciations au niveau de l’offre effectuée en direction de l’enfance abandonnée : l’une consistant à l’héberger dans des lieux spécifiques au sein de services de maternités et de pédiatrie, soit avec personnel dédié, soit au moyen du personnel destiné à l‘ensemble, (malades hospitalisés, naissances, et enfants abandonnés); l’autre consistant à l’héberger dans des ‘locaux de fortune’ généralement destinés au personnel, et à lui assurer des conditions minimales et précaires d’existence, grâce notamment, à la générosité et/ou l’implication du personnel de la santé.

L’on remarquera par ailleurs, pour évaluer à leur mesure, les apports différentiels santé secteur, associatif,

Que la prise en charge associative exclusive, est corrélée avec des situations qui rendent compte, le plus souvent, d’effectifs supérieurs, d’enfants abandonnés.

(1) annexe P.17

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Aussi le secteur associatif gère t-il à la fois 63,5% de la prise en charge de l’enfance abandonnée à la naissance, et en même temps, accompagne, à différents niveaux, le plus grand nombre des enfants abandonnés, ‘nouveaux et anciens’ âgés entre 0-5/6 ans. L’ensemble des résultats d’étude devra tenir compte, ‘en permanence’ de cette donnée préalable de contexte, associée à la prise en charge de l’enfance abandonnée.

• Que la prise en charge hospitalière exclusive est corrélée avec des situations qui rendent compte, le plus souvent, d’effectifs réduits, d’enfants abandonnés.

4.3. Le recensement effectué :

• Fournit l’essentiel des informations obtenues et disponibles dans le présent, sur l’abandon d’enfants à la naissance ;

• Considère toutes données additionnelles fournies, à travers l’accès au registre, ou ‘la transmission’ d’une synthèse ‘chiffrée’ par les équipes, après accord préalable, quelquefois contrôle, du décideur ;

• Tient compte de la source d’information la plus ‘complète’, hôpital ou association, dans une région ou localité donnée ;

• Tient compte de contraintes de disponibilité, formulées par certains intervenants chargés de la transmission des données synthétisées.

Point forts, points faible du recensement effectué

• Le recensement permettra d’avoir une cartographie exacte de l’existant en matière d’enfants abandonnés à la naissance au Maroc ;

• Le recensement permettra dans un second temps, de lire le différentiel filles/garçons et de recourir à l’extrapolation statistique afin de mesurer et identifier ‘l’effectif manquant’ de filles abandonnées ;

• Le recensement fournira les informations relatives aux enfants abandonnés et recueillis en milieu hospitalier ou au sein d’une structure associative : ces données fournies, de réalité, ne peuvent donner en revanche, qu’une information partielle qui rend compte ou mesure les adoptions illégales, effectuées en dehors du droit, national et international.

L’ensemble des données d’étude indique qu’il est dans le présent, quelle que soit la méthodologie adoptée :

• Très complexe, étant donné l’absence d’information structurée, homogène, continue, d’appréhender l’abandon d’enfants à travers l’usage de données chiffrées ;

• Difficile - sans soulever au préalable la question de la rigueur méthodologique-, d’effectuer des recoupements entre sources (santé/associations et institutionnels comme la ‘Justice’) étant donné la diversité des définitions de l’enfant, considéré ici, pour les besoins de l’étude,

de la naissance à l’âge de cinq-six ans, et là, jusqu’à dix huit ans. La difficulté du recoupement tiendra compte par ailleurs, des définitions ou modes d’appréhension de l’abandon, celui d’étude, enfants privés de famille, celui de l’environnement institutionnel qui quelquefois y intègre les ‘enfants des rues’.

• Difficile de comparer les données entre elles, celles des acteurs de la prise en charge, celles des institutionnels, Justice, Intérieur… chacun comptabilisant des données qui rendent compte de son action, de ses apports, en fonction de définitions ou d’objectifs spécifiques.

• Impossible de quantifier dans le présent et en totalité, le phénomène de l’abandon dans sa réalité illégale :

Le réseau de l’illégal ‘s’approche’ au travers d’une démarche qualitative, au moyen d’une intermédiation en chaîne (chaque interlocuteur est ‘connecté’ à un autre, lequel permet l’accès à un autre… qui mènera vers un intermédiaire). Cette ‘infiltration du réseau’ devra par ailleurs, et à postériori, se traduire par l’extrême prudence nécessaire à ce type d’investigation, les risques de menace ayant été palpables au travers d’une ’brève expérience’ pratiquée durant l’étude.

Le réseau de l’illégal se déduit partiellement, au travers d’une analyse des données de réalité : à travers les différentiels d’admissions filles/ garçons, à travers une analyse qui considère le caractère aléatoire (et statistiquement injustifié) de l’abandon, à travers enfin une analyse qui tient compte d’un ‘échantillon constitué lors de l’étude,’ de ‘mères célibataires’

III-Eléments préalables, d’analysede la situation de l’enfance abandonnéeIII-1- Analyse des difficultés rencontrées

Les résistances rencontrées lors du déroulement de l’étude menée, seront considérées comme premiers éléments d’analyse de la problématique. En fonction de leurs actions, apports, dans la question de l’enfance abandonnée, les cibles tendront majoritairement à se différencier par leurs attitudes et discours :

• Institutionnels, ‘fonctionnaires’ des Ministères, de la Santé, de la Justice, de l’Intérieur, Les résistances rencontrées s’articuleront ici, autour,

De la question de la confidentialité de l’information,

De la sensibilité de la thématique ‘enfance abandonnée.

Elles traduiront par ailleurs, un malaise spécifique lié à l’évocation du sujet :

D’un côté une problématique réelle, gérée au quotidien par un ensemble d’acteurs,

De l’autre, une difficulté à la dévoiler à travers une parole officielle, au regard des interrogations qu’elle

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suscite, des tabous qu’elle questionne, des fragilités ou contradictions qu’elle révèle, la question de l’abandon d’enfants étant associée à l’existence d’une sexualité en dehors de la légalité, religieuse et sociale.

• De manière plus spécifique, les intervenants de la santé, rendront compte,

De la perception et du vécu de contrainte, liés à une réalité de gestion et de prise en charge durable d’enfants abandonnés, non contenue dans leurs fonctions et missions prioritaires. Cette contrainte vécue sera telle qu’elle déclenchera généralement lors des premiers contacts, une attitude hostile des intervenants à l’égard de la procédure d’investigation mise en place.

Ici la gestion de l’abandon est, de manière quasi systématique, évoquée comme un ‘fardeau’ porté par ‘la santé’, imposé de l’extérieur, à défaut de structures suffisantes spécialisées.

Aussi, les uns, sensibles à la problématique, tendront-ils à gérer au mieux ‘la contrainte de l’enfant abandonné’ à travers la mise en place de ‘structures de fortune’, et la recherche de moyens de financements ;Les autres, à travers la recherche de partenariats et de soutien externe, associatif notamment ;D’autres encore, ‘plus passifs’, observeront des règles minimales liées à leurs rôles et fonctions de soignants,

réservant une place aux enfants abandonnés aux côtés des malades, dans les services de pédiatrie, de maternité ou encore dans des locaux réservés au personnel.

Intervenants associatifs

Les résistances rencontrées au sein d’entités relevant de l’associatif, seront à mettre en parallèle à la fois avec les difficultés vécues au quotidien, dans le secteur, et parallèlement aux modes de gestion des structures avec :

Concernant la gestion des données relatives à l’abandon,

Des choix d’items majoritaires guidés généralement par une activité associative qui recherche des moyens financiers pour justifier son implication et ses actions, en comptabilisant et fournissant des données essentielles ‘entrées et sorties’ d’enfants.

Des lacunes en matière de gestion qualitative et quantitative de l’information disponible, qui se traduiront par des ruptures de traçabilité et de continuité, et quelquefois, interpelleront par rapport au niveau de transparence des structures.

Concernant les modes de gestion et d’appréhension de l’abandon,

Des ressources, outils, moyens et encadrement

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insuffisants qui rendent difficile un mode de gestion professionnel du secteur ;

Des décalages fréquents de discours entre les ‘opérationnels et les décideurs’ : des conflits sous jacents se signaleront, au sein de grandes structures notamment, pour évoquer un malaise relatif aux pratiques et images véhiculées. Elles traduiront parallèlement la ‘tension’ des équipes ‘menées à gérer la souffrance de populations vulnérables’ en même temps qu’une absence de support de communication mis en place pour verbaliser autour de l’abandon ;

Le plus souvent, les difficultés constatées seront à associer aux modes actuels de gestion, à la domination du subjectif, consécutives aux initiatives individuelles, en parallèle à des éléments prioritaires de prise en charge de l’enfant : les moyens et outils didactiques nécessaires à la consignation de données sur l’abandon, apparaîtront de ce fait, et le plus souvent, comme relativement secondaires, au regard de contingences matérielles, et de l’urgence formulée dans la quête de moyens permettant la prise en charge de l’enfant.

Par ailleurs, certaines institutions, destinées aux enfants abandonnés plus âgés (rencontrées dans le cadre de l’étude relative aux vécus) à travers un fonctionnement hiérarchique, administratif, procédural… tendront à user ‘d’arguments organisationnels’ pour formuler un malaise lié à leur difficulté de gestion de la problématique, notamment celle relative aux troubles du développement et aux ‘pathologies de la carence’. Il s’agira ici notamment, de se préserver de critiques éventuelles et conserver le voile sur une certaine réalité, notamment après quelques scandales dévoilés au grand jour. Un nouveau regard, éclairé ‘du droit et de l’humanisme’ sera évoqué, comme ayant le plus souvent, contribué de manière effective à l’amélioration des conditions de vie des pensionnaires : entre l’avant et l’après, un différentiel majeur au niveau tant de ‘l’intérêt porté chez les uns et les autres en faveur de la cause’, de leurs discours, que de l’environnement de prise en charge.

‘L’avant’ est associé à une insuffisance, voire une absence, de normes, quelquefois un espace où les ‘fondamentaux humains’ sont bafoués, avec de la maltraitance, physique, psychologique, sexuelle, alimentaire, sanitaire…

‘Cet avant’ de violences se décrit comme ‘maîtrisé’ par les responsables à travers une emprise exercée sur les pensionnaires et qui faisait office de loi. Aujourd’hui dans les institutions de bienfaisance, un télescopage des repères, lié à une ‘nouvelle donne’ avec une interprétation ‘erronée’ du droit de l’enfant apparaît parfois. Les ‘décideurs semblent en effet, parasités par des perceptions multiples, déstabilisés par des représentations plurielles: celle de l’enfant hrami, celle de la ‘compassion malgré tout pour un pauvre enfant qui n’a rien fait de mal’, et celle (‘incroyable, inconcevable’) d’un enfant qui a des droits. Le droit de l’enfant se conçoit ici comme une abdication de l’adulte avec la nécessité de le

‘laisser faire’ sans introduire la parole de l’interdit et de la loi symbolique. Aussi, à la carence affective, aux troubles du développement majeurs associés à cette carence et aux difficultés inhérentes à l’institutionnalisation, aujourd’hui, les ‘jeunes des maisons de bienfaisance’ sont face à une attitude d’adultes, ‘qui ne comprend pas encore’, ‘n’assimile pas’, ‘n’intègre pas’ (ou ne veut pas et fait semblant) la notion de droit de l’enfant.

L’après, (notamment pour les plus petits) correspond à la prise en charge systématique de l’enfant à un niveau sanitaire qui permet sa survie, dans des conditions le plus souvent respectueuses de sa dignité, avec l’observation d’un nouveau discours qui évoque ‘le droit supérieur de l’enfant’ et tient à le considérer.

Cette prise en charge sanitaire sera généralement considérée comme un acquis considérable des enfants abandonnés âgés de moins de cinq/six ans, avec par ailleurs, un impact sensible sur la diminution du taux de mortalité.

Ces exigences nouvelles, d’appréhension de la dignité et du droit de l’enfant, mèneront cependant, quelquefois et chez ‘certains individus’, de recourir à des formes plus insidieuses, masquées, de violences.

Ces exigences mèneront aussi à la mise en place de ‘nouvelles procédures’ associées à la formalisation de procédures informelles dans l’intermédiation des filles en particulier, les plus demandées.

Le discours obtenu est en faveur d’une ‘structuration du secteur’ de l’informel, à différents niveaux de ‘la chaîne d’intervention’ : en devenant majoritairement ‘verrouillé’ à l’hôpital, l’abandon se manifestera ainsi, de façon plus silencieuse et ‘professionnelle’, ou plus souvent, se déplacera vers la rue, quelquefois juste à la sortie des maternités.

Ici, il est nécessaire à la fois de rendre compte du rôle majeur du secteur associatif dans le secteur de l’abandon et de repérer les redondances de discours relatives à certaines structures ou personnes, dont les agissements décrits soulèvent des questions d’éthique, humaine et professionnelle.

III-2- Organisation du cadre de réflexion,de prise en charge et de coordination des acteurs

De façon quasi systématique, ce sont les individus -non les procédures organisationnelles- qui faciliteront ou entraveront au cours de l’étude, l’accès à l’information, avec,

• Des niveaux d’implication différentiels entre les acteurs, tenant compte de positions individuelles relatives à la problématique de l’abandon.

• Des différentiels en matière de coordination entre les divers interlocuteurs amenés à œuvrer dans une région donnée, en faveur des enfants abandonnés, justice, santé, associations.

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Aussi la coordination entre les différents corps d’intervenants, se traduira t-elle, chez les uns, et ce en dépit des moyens mis à leur disposition et de difficultés plurielles,

• Par une évolution positive de la situation de l’abandon : stratégies d’action, réflexion dominée par le référentiel droits de l’enfant, organisation du cadre d’intervention, réseaux de concertation, recherche de moyens, projets, optimisation des ressources en faveur de l’enfant et diminution progressive des effectifs d’enfants abandonnés

Chez d’autres, en revanche, se décrivent,

• Des ‘défauts de coordination’, ou des ‘défaillances au niveau de la chaîne d’intervention’ pointant les responsabilités respectives d’intervenants, de la ‘Justice, de l’Intérieur, ou de la Santé’, dans une région donnée.

Ces situations se traduiront, elles, au niveau de l’abandon, par des chiffres ‘plus statiques’, et au niveau de la prise en charge de l’enfant, par une amélioration des conditions de vie, essentiellement associée à des initiatives individuelles.

Dans telle région, dans la gestion de la kafala, tel Procureur ‘en conflit avec tel juge’ (ou inversement), sera pointé du doigt : ici l’accent sera mis sur la lenteur de l’enquête, là, sur le ‘caractère du personnage, sa rigidité, son niveau de résistance ou son désintérêt’; ici encore, se décrivent des attitudes suspicieuses de l’intégrité de la personne, là, des attitudes de fonctionnaires qui dépassent leurs prérogatives en privilégiant tel parent adoptif (‘contre avantage’ financier) ; ici encore ‘chez tel juge’, des décisions de kafala ‘systématiques’ malgré des enquêtes négatives relatives aux parents adoptifs, là des’ kafala pour VIP’, ‘huilées’, ‘organisées’, au point d’être formalisées, (en accord avec la mère naturelle et les institutionnels) à la naissance de l’enfant, antérieures à la procédure d’enquête, lancée à posteriori ‘pour la forme’.

Il est important de noter à ce niveau, que dans la majorité des situations, les dysfonctionnements les plus souvent évoqués, seront mis en relation, non pas avec les contenus et textes de lois, mais avec leurs modalités et procédures d’application. Dans telle autre région, c’est la direction régionale de la santé qui sera décrite comme obstacle, et ce -davantage- par désintérêt ou par position. De fait, certaines des personnes décrites seront rencontrées et justifieront leurs positions par rapport à la question de l’abandon.

Deux positions prévalent :

• Des représentations liées aux attributions des uns et des autres qui mettent l’accent sur la charge supplémentaire que constitue la gestion de l’abandon :

« Ce n’est pas au ministère de la santé de garder l’enfant abandonné, on est une structure hospitalière, on n’a pas à s’occuper de l’abandon, on peut soigner mais pas élever »,

« C’est un héritage, malheureusement nous sommes le seul pays au monde où les enfants abandonnés vivent à l’hôpital »

« C’est pas notre métier…l’Etat doit créer des structures pour enfants abandonnés …« l’Etat se lave les mains…l’Etat est démissionnaire, complètement démissionnaire et nous fait prendre cette responsabilité…il nous colle l’abandon…c’est un scandale dans notre pays… »

« L’une des priorités de la santé, c’est la santé, pas l’hébergement… Regardez notre plan d’action… nulle part il n’y a quelque chose sur les enfants abandonnés ». (Exact : dans ‘la stratégie 2008-2012’ du Ministère de la Santé, aucune mention de l’abandon).

• Des représentations qui mettent l’accent sur des positions associées aux droits humains et à la protection de l’enfant…

« Un enfant ne peut pas vivre dans une telle structure, les risques de contagion…certains restent jusqu’à dix huit ans, vous vous rendez compte, à l’école on les appelle les enfants de l’hôpital… toute leur vie ils sont entre quatre murs, ils ne voient rien d’autre, ils ne voient pas le ciel, … » « C’est un scandale, j’insiste pour que vous le spécifiez comme ça…c’est un drame je veux que vous le disiez dans votre rapport…nous on est prêt à les soigner, à les vacciner, à les prendre en charge sur le plan médical… mais on ne doit pas les garder »

« les enfants ne doivent pas vivre à l’hôpital c’est pas un endroit pour les enfants … …ils peuvent attraper des virus, des maladies, on ne doit pas oublier qu’il y a eu des morts…est ce que vous avez vu l’hôpital de Meknès ? les enfants sont parqués au 5ème étage…est ce que ça c’est des conditions pour élever des enfants ? »

Synthèse

Au préalable, donc, un positionnement fragile de la ‘thématique abandon’ qui indique à la fois :

• Au niveau de son identification, comme problématique, Une reconnaissance et une gestion de la question par une série d’acteurs, Cette reconnaissance est en même temps partielle, voilée/dévoilée, fixant souvent au préalable, les conditions de son ‘dévoilement’.

• Au niveau de son mode d’appréhension,

Une tendance à recueillir les données qui spécifient la problématique, Cette tendance connaît cependant des obstacles majeurs, liés à la fois à la priorisation des besoins, et à la carence en outils, moyens, encadrement et ressources.

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Cette tendance connaît par ailleurs des obstacles majeurs, liés à l’absence de procédure d’uniformisation des données.

• Au niveau des représentations

Une attitude qui se perçoit en évolution par rapport à un référentiel ‘droits de l’enfant’,Cette attitude est néanmoins dominée par une tradition qui appréhende l’abandon au travers de positions majoritaires émotionnelles, de charité, de pitié et de compassion,Cette attitude est également interrogée au regard de représentations collectives qui actionnent les images puissantes de l’enfant ‘hrami’ fruit de la relation de l’illicite et de l’interdit.

• Au niveau de la prise en charge de l’enfant,

Une évolution des pratiques, avec assez souvent, une qualité de prise en charge qui assure l’enfant de son droit à la vie, offrant soins de santé, ‘hébergement et alimentaire’ ;Pour accéder à un type de prise en charge qui appréhende le développement global de l’enfant et fait barrage à la ‘répétition de la vulnérabilité’, cette évolution est cependant freinée par une carence plurielle : de moyens financiers, de ressources humaines, d’encadrement, d’outils et d’environnements de gestion, de conditions d’hébergement…

Ces freins mèneront dans le présent, à concevoir un type majoritaire de prise en charge : la gestion de l’urgence, celle des flux d’entrants et de sortants, celle de la kafala.

Ces freins mèneront également les structures, ‘malgré elles’, à destiner l’enfant non adopté vers d’autres lieux de prise en charge, avec les risques de ruptures majeures, affectives et relationnelles, qui renforcent le vécu d’abandon.

• Au niveau des discriminations effectuées à l’encontre des enfants abandonnés, tenant compte du différentiel de sexe, masculin/féminin, Une tendance qui se dessine en 2006 et se confirme en 2008, de diminution des discriminations des kafalas filles/garçons, et qui met l’accent sur les efforts de sensibilisation des acteurs de la prise en charge.

Malgré la diminution sensible des discriminations à l’encontre de l’enfant de sexe masculin, cette tendance est cependant, dans le présent, la plus représentative des attitudes de parents adoptifs.

Ces freins évoqués, dans leur ensemble, sont en faveur de l’institutionnalisation de l’abandon.

• Au niveau de la réponse apportée par l’ensemble des acteurs,L’abandon est par ailleurs tributaire,D’initiatives individuelles majoritaires et ‘solidaires de la cause’,

Du niveau de mobilisation et d’implication d’acteurs considérés, dans une région ou localité donnée,

Du type de coordination entre différents acteurs de la prise en charge,

D u t y p e d e s t r u c t u r e e n c h a r g e d e l ’ e n f a n t abandonné, de son expérience, de ses moyens, outils, de sa taille, de la qualité de son encadrement et de sa vision.

Du sexe de l’enfant adopté et de son état de santé, le handicap étant un problème majeur rencontré et sur représenté, dans la quasi-totalité des structures rencontrées, en charge de l’enfance abandonnée.

La situation des enfants en situation de l’handicap (physique, mental, sensoriel) interpelle à des niveaux prioritaires de justice, de droit, de droit humain, de droit de l’enfant : malgré ‘toutes les bonnes volontés’ des intervenants impliqués dans le terrain et dans la gestion du quotidien, pour la très grande majorité de ces enfants, aucune perspective ne paraît tracée, en dehors d’une attente inexorable.

Ces données préalables d’étude mettent l’accent sur :

• La nécessité d’un organe de supervision destiné à coordonner, contrôler, structurer, répartir les moyens en fonction des besoins, responsabilités, et soutenir les actions prioritaires à mettre en place en faveur de l’enfance abandonnée ;

• La nécessité de gérer la problématique de l’abandon avec une ‘vision projets’, professionnelle et rationnelle.

• La nécessité d’appréhender l’enfant au travers d’un référentiel dominant, voire unique, ‘droits humains’.

• La nécessité de considérer comme majeure dans la réussite de la prise en charge de l’enfant dans la durée, la dimension affective et relationnelle.

• La nécessité de (re) définir clairement les missions et rôles des différents intervenants,

•La nécessité d’homogénéiser les données de l’abandon, à travers la mise en place d’un système d’information, contenant des paramètres d’identification communs, avec des procédures de contrôle, destinés à l’ensemble.

Cette homogénéisation des procédures sera d’autant plus cruciale qu’elle constituera par ailleurs, et peut être de manière plus profonde, le premier élément de l’histoire de l’enfant.

Comme le fera apparaître l’étude relative au vécu de l’abandon, la question de l’origine de l’enfant abandonné, avec la connaissance, même partielle, de son histoire, deviendra capitale à un moment donné, nécessitant d’être intégrée dans la prise en charge2 .

(2) Un projet qualitatif -Arbre de Vie- conçu par l’association ‘Lutins des sables’vise la prise en charge du long terme de l’enfant, dans le cadre institutionnel : à travers la reconstitution écrite d’éléments clés qui relatent son vécu, l’enfant dispose d’une histoire qui donne sens à sa vie.Ce programme est en cours dans certaines structures d’accueil.

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D’un point de vue historique, le phénomène de l’abandon se rencontre à toutes les périodes et dans la quasi-totalité des sociétés du monde : il est universel, a une place particulière dans les religions et traverse les mythes fondateurs de toutes les civilisations.

Dans les mythologies, cet abandon est généralement conséquent à des tensions au sein du groupe, avec des rivalités de succession et de transmission, de nom, de pouvoir, d’autorité, d’héritage. L’enfant abandonné menace un ordre, qui se protège en le massacrant, égarant, rejetant, faisant disparaître, à un moment où sa vulnérabilité d’infants - sans parole ni tonicité - ne lui permet pas de vivre en dehors d’une assistance adulte.

Du Dieu Krishna, échappé au massacre organisé par son oncle, élevé avec des bouviers, de Moise, élevé par des pharaons suite à son abandon au bord du Nil, d’Œdipe, fils de Jocaste et de Laïos, abandonné par son père et recueilli par le roi de Corinthe, jusqu’à Romulus et Remus, abandonnés par leur oncle, recueillis par une louve et élevés par des bergers… il apparaît clair que la perspective de se fondre avec la normalité humaine ne s’adapte pas à la situation de l’enfance abandonnée.

Destin majestueux ou destin tragique apparaissent ainsi et dans la perspective mythologique, comme les seules alternatives offertes à l’enfant échappé au projet mortifère qu’on lui destine. Car dans les paraboles qu’il offre au monde et aux représentations des individus, l’abandon, est ici, généralement associé à un grand destin, un destin qui pousse inexorablement à réussir et s’élever au regard du monde des vivants, pour ne pas essuyer et reproduire l’échec.

Si les principes philosophiques et religieux ont

souvent accompagné les enfants abandonnés des résultats de leurs méditations, donnant l’exemple de leur assistance, invitant à leur intégration positive, les évolutions sociales elles, tendront à l’inverse, et à travers notamment l’esclavage, à les soumettre à leur arbitraire, en les utilisant comme objets, souvent fruits de leurs abus et de leurs luxures, pour les soumettre à l’échec et à la soumission, les destinant au rejet social, à l’opprobre collective et à l’exclusion…

Dans son appréhension de l’abandon, l’Islam reconnaît à l ’enfant à la fois sa fonction fondamentale de sujet, le droit à sa filiation et à son identité : l’adoption est préconisée, soumise à des règles éthiques, de reconnaissance et de considération. Si l’erreur, attribuée à l’ignorance ou à la méconnaissance, s’excuse, l’intentionnalité du parent adoptif est soumise à l’examen du Divin.

« Il (ALLAH) n’a point fait de vos enfants adoptifs vos propres enfants. Ce sont des propos (qui sortent) de votre bouche…Appelez-les du nom de leurs pères : c’est plus équitable devant Allah. Mais si vous ne connaissez pas leurs pères, alors considérez-les comme vos frères en religion ou vos alliés… Nul blâme sur vous pour ce que vous faites par erreur, mais (vous serez blâmés pour) ce que vos cœurs font délibérément. […] » (Sourate 33 verset 4-5).

Qu’en est-il aujourd’hui de ce droit de l’enfant abandonné, à la dignité, à l’identité, à la filiation ? Dans le Maroc du présent et de la réalité, quelle place pour l’individu en dehors de son environnement familial ? Quelle place pour le sujet privé de famille, né dans le contexte d’une sexualité hors normes

Première partie : repères

Introduction

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sociales ? Peut-il être reconnu ? Comment est-il soutenu? Par qui ? Où ? Dans quel contexte ? Avec quels moyens ? A partir de quel référentiel ? Le droit ou la puissance de l’imaginaire ?Et quel regard porté sur cet enfant conçu ‘hors normes’, dès son arrivée au monde ? Quel regard peut-on lui accorder considérant ces lois, coutumes et pratiques ?

Peut-être faudrait-il, en préambule, réfléchir sur ce que notre langage contient de violence dans le statut qu’il lui confère au quotidien, dès lors qu’une situation nous étonne, exaspère, ou remet en question, pour le rappeler à nous, de façon réflexe, avec son statut de créature étrange et étrangère, en le nommant ‘hrami’.

Dans le langage courant, au quotidien, quelquefois à plusieurs reprises dans une même journée, tout marocain, quel que soit son statut, a, à sa disposition un mot pour qualifier un individu de traîtrise, de roublardise, de malignité, d’inhumanité, et de toutes sortes de vices en mesure de nous évoquer sa différence, et son statut d’étranger à la norme collective : nous lui attribuons la qualité d’un ‘ould lahram, en référence au comportement de l’enfant du pêché, de la relation illégale, de l’interdit religieux et social.

Même pour lui reconnaître des capacités d’intelligence, de perspicacité ou de rire, des compétences supérieures, même dans la plaisanterie et le canular, l’autre est un ‘ould lahram’ dès lors qu’il nous dépasse et ‘saisit’.

C’est que le ‘ould lahram’, enfant du péché, fruit d’une relation non consentie au regard des exigences de sa communauté, ne possède que les attributs associés à l’abus, à l’outrage, à l’empiétement de ce qu’il est convenu de faire. Il ne peut donc que nous persécuter indéfiniment par la faute qui l’a fait naître, et que ‘nous, respectueux des normes’, avons été capables d’éviter. Dès l’instant où on le nomme, il s’oppose à nous.

Aussi faut-il s’attendre, un jour où l’autre, et de manière ‘irréfutable’, à ce que le ‘poison contenu dans ce fruit illégitime’, se répande à nos yeux et se démasque avec un nouveau visage, qui rappelle l’imaginaire ‘du démon’ : car un ‘ould lehram’ peut contenir longtemps son ‘jeu pervers’, dissimuler et puis un jour, se révéler. Le jeu est contenu pendant

la première période, de l’enfance, qui correspond souvent à l’étape où il ne connaît rien de lui-même.Mais ce jour que nous craignons tant arrive, lorsque nous lui rappelons son origine qui le distingue de nous, et qu’il se réveille à son (absence d’) identité première que nous avons omis de lui attribuer : nous percevons alors, un retournement brutal qui nous confirmera définitivement dans ce que l’on avait préalablement et soigneusement tracé, ce que l’on avait prévu, grâce à notre discernement.

Car il se déchainera, car elle errera, il ‘deviendra fou’, elle deviendra ‘insensée’, dépassant encore les normes. Ils s’éloigneront de nous à jamais, comme nous l’avons emmagasiné dans notre imaginaire.

Il est intéressant (et dramatique à la fois) de faire le parallèle entre ces représentations violentes, profondément enfouies dans l’imaginaire collectif, et la position d’appréhension que l’on peut avoir par rapport à l’enfant abandonné face à son destin, même d’adoption.

L’on craindra particulièrement le garçon dont la révolte sera, à un moment donné (qui correspondra à celui de l’adolescence) sonore, visible ; l’on pardonnera plus à la fille qui divaguera et deviendra cloîtrée sur elle-même, mais qui ne nous touchera pas, qui se démolira toute seule.

Mais lui, ‘peut nous attaquer’ dans notre intégrité physique et mentale, nous faire du mal, peut être nous tuer. Aussi, lorsqu’il est abandonné, dans la rue, en institution, nous le craignons alors même qu’il n’a pas encore bénéficié de sa première tétée de lait. Nous ne lui pardonnons pas d’être né ainsi.Même s’il n’est encore que nourisson, dans une vulnérabilité totale, nous lui projetons la puissance et cette force de retournement qui définit les ‘ould lahram’.

L’histoire ‘nous donnera raison’. A un moment donné, lorsqu’il se réveille à cette identité qu’on lui attribue depuis la ‘nuit des temps’, tout ce passera comme prévu : il se déchaînera mais ne nous surprendra pas, dans la mesure où son sort était fixé d’avance dans nos représentations collectives.

Alors, face à l’abandon, comme première mesure d’urgence, réfléchir à ce que nous pensons, disons, appréhendons ? Déconstruire ce qui est inculqué en nous, profondément ?

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Bannir à jamais, ce terme banal évoqué à toute occasion, anormale, originale, qui lui trace une destinée fatale ?

Ce terme qui le poursuit dans le langage du quotidien, que nous lui destinons continuellement et qui l’exclut du champ de l’humanité ? Peut-on le réintroduire dans la res publica, la chose publique, pour échanger avec lui dans la normalité de la relation?

Car dans la question de l’abandon d’enfants, le frein majeur, est là, contenu dans nos représentations.

Ils le traduiront eux-mêmes, au cours des rencontres menées pour échanger autour de leurs vécus, mais en préambule, évoquons leurs droits.

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Enfances privées de famille, prise en charge, modalités d’adoption- Au regard des conventions internationales, lois,

- A travers les études, enquêtes et articles de presse

I - Dispositions juridiques relatives aux enfants abandonnésLes dispositions juridiques qui concernent les enfants abandonnés se trouvent dans les conventions internationales relatives aux droits humains ratifiées par le Maroc, plus précisément dans la Convention relative aux droits de l’enfant 3 et dans la législation interne, où plusieurs dispositions législatives et réglementaires concernent cette question 4.

1. L’enfant abandonné dansles instruments internationauxLe Maroc est partie à de nombreuses conventions relatives aux droits humains. Par ses ratifications il s’engage à respecter les droits qu’elles reconnaissent. L’ensemble des conventions relatives aux droits humains, ratifiées, s’appliquent aux enfants et les droits qui y figurent les concernent. Mais l’instrument de référence en ce qui les concerne est la convention relative aux droits de l’enfant : elle énonce toute la panoplie des droits de l’homme : civils, culturels, économiques, politiques et sociaux déclinés spécifiquement pour les enfants, car les moins de 18 ans ont souvent besoin d’une protection et d’une assistance spéciales.

1.1- La convention relativeaux droits de l’enfant

Adoptée par l’assemblée générale des Nations Unies en 1989, entrée en vigueur le 2 décembre 1990, la convention relative aux droits de l’enfant, a été ratifiée par le Maroc le 21 juillet 1993 et publiée au Bulletin officiel en 1996 5.

Les principes directeurs de la Convention sont la non-discrimination, la priorité donnée à l’intérêt supérieur de l’enfant, le droit à la vie, à la survie et au développement et le droit de participer.

La convention relative aux droits de l’enfant comporte un article concernant directement l’enfant abandonné Il s’agit de l’article 20 qui traite de l’enfant privé de son milieu familial :

1. Tout enfant qui est temporairement ou définitivement privé de son milieu familial, ou qui dans son propre intérêt ne peut être laissé dans ce milieu, a droit à une protection et une aide spéciales de l’Etat.

2. Les Etats parties prévoient pour cet enfant une protection de remplacement conforme à leur législation nationale.

3. Cette protection de remplacement peut notamment avoir la forme du placement dans une famille, de la kafalah de droit islamique, de l’adoption ou, en cas de nécessité, du placement dans un établissement pour enfants approprié. Dans le choix entre ces solutions, il est dûment tenu compte de la nécessité d’une certaine continuité dans l’éducation de l’enfant, ainsi que de son origine ethnique, religieuse, culturelle et linguistique.

Il faut également mentionner l’article 7 de la convention qui certes, concerne tous les enfants mais règle une situation sensible essentiellement pour les enfants naturels et abandonnés : il s’agit du droit au nom et à la nationalité :

Le fait que le Maroc ait adhéré à ces conventions internationales présente un réel intérêt concret : en cas de contradiction ou de silence de la loi interne, la disposition de la convention internationale doit toujours être appliquée dès lors qu’elle est publiée au Bulletin officiel.`

(3) (4) (5) Bulletin officiel du 19 décembre 1996, p. 897

approche documentaire

Chapitre 1

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2 - L’enfant abandonné en droit interneLes enfants abandonnés bénéficient strictement des mêmes droits que tous les autres enfants et ne doivent faire l’objet d’aucune discrimination. Les devoirs des parents à l’égard de leurs enfants, énumérés par l’article 54 du code de la famille, sont transférés à la personne ou l’organisme qui assure leur garde et leur représentation légale. Et l’avant dernier alinéa de l’article : «Il appartient à l’Etat de prendre les mesures nécessaires en vue d’assurer la protection des enfants, de garantir et préserver leurs droits conformément à la loi» les concerne au même titre que tous les enfants.

2.1 - La définition par la loi de l’enfant abandonné

La loi relative à la kafala donne, dans son article premier, une définition de l’enfant abandonné :

Est considéré comme enfant abandonné tout enfant de l’un ou l’autre sexe n’ayant pas atteint l’âge de dix huit années grégoriennes révolues lorsqu’il se trouve dans l’une des situations suivantes :

être né de parents inconnus ou d’une mère connue qui l’a abandonné de son plein gré ;

être orphelin ou avoir des parents incapables de subvenir à ses besoins ou ne disposant pas de moyens légaux de subsistance ;

avoir des parents de mauvaise conduite n’assumant pas leur responsabilité de protection et d’orientation en vue de le conduire dans la bonne voie, comme lorsque ceux-ci sont déchus de la tutelle légale ou que l’un des deux, après le décès ou l’incapacité de l’autre se révèle dévoyé et ne s’acquitte pas de son devoir précité à l’égard de l’enfant

2.2 - L’abandon

La séparation peut résulter d’un abandon par les parents ; elle peut également être le fait d’une décision de justice.

L’abandon par les parents

Le code pénal punit l’abandon par une incrimination intitulée « exposition et délaissement d’enfant » (article459 à 467). En simplifiant beaucoup afin de faciliter la compréhension, l’on dira que le code punit le fait d’abandonner un enfant sans se soucier de ce qu’il va devenir, mais il ne punit pas si l’abandon a lieu auprès de personnes acceptant de prendre soin de cet enfant.

La séparation à la suite d’une mesure judiciaire :la déchéance de puissance paternelle

L’article 88 du code pénal prévoit la déchéance de puissance paternelle, à titre de mesure de sûreté

applicable lorsqu’une juridiction de jugement prononce contre un ascendant, une condamnation pour crime ou délit légalement punissable d’emprisonnement, commis sur la personne d’un de ses enfants mineurs.

Le code pénal ne prévoit ni la durée, ni le suivi de cette mesure. Il ne prévoit pas non plus le sort de l’enfant dont les parents ont été déchus de la puissance paternelle. En ce qui concerne ce dernier, depuis la promulgation de la loi sur la kafala, il doit être considéré comme un enfant abandonné. Peut-il être confié en kafala ? La loi est muette sur ce point mais du fait qu’elle ne fait pas de différence entre les enfants de parents inconnus ou réellement abandonné et ceux dont les parents ont perdu la tutelle par décision de justice, il semble qu’il puisse l’être.

Sur ce point la loi se devrait d’être plus claire.

La séparation prévue par la loi sur la kafala

Comme évoqué plus haut, la loi n° 15-01 relative à la kafala des enfants abandonnés dispose dans son article premier, qu’est considéré comme enfant abandonné tout enfant de moins de 18 ans ayant «des parents incapables de subvenir à ses besoins ou ne disposant pas de moyens légaux de subsistance». Est également considéré comme abandonné l’enfant ayant «des parents de mauvaise conduite n’assumant pas leur responsabilité comme lorsque ceux-ci sont déchus de la tutelle légale ou que l’un des deux, après le décès ou l’incapacité de l’autre se révèle dévoyé et ne s’acquitte pas de son devoir précité à l’égard de l’enfant......»

Les articles suivants prévoient la procédure de prise en charge mais sont muets quant au lien de l’enfant avec ses père et mère défaillants. Quoiqu’il en soit, le lien avec les parents n’est pas définitivement rompu puisque l’article 29 de la loi sur la kafala dispose que les parents de l’enfant ou l’un d’eux peuvent, après cessation des motifs de l’abandon, recouvrer leur tutelle sur l’enfant, par décision judiciaire. Le tribunal entend l’enfant qui a atteint l’âge de discernement. Si l’enfant refuse de revenir à ses parents ou à l’un d’eux, le tribunal prend sa décision en tenant compte de l’intérêt de l’enfant. La loi sur la kafala ne précise pas l’âge de discernement mais celui-ci est fixé par l’article 214 du code de la famille à douze ans révolus.

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2.3 - La prise en charge de l’enfant abandonné

La déclaration d’abandon

Le procureur du Roi près le tribunal de 1ère instance du lieu de découverte ou de résidence de l’enfant, de sa propre initiative ou après avoir été avisé par des tiers, place provisoirement l’enfant dans un établissement sanitaire ou dans un centre ou établissement de protection sociale s’occupant de l’enfance, relevant de l’Etat, des collectivités locales ou des organismes, organisations et associations disposant de moyens matériels et humains suffisants pour assurer la protection de l’enfant abandonné. Il procède à une enquête au sujet de l’enfant et présente la demande de déclaration d’abandon au tribunal. Il entreprend, le cas échéant, les démarches d’inscription à l’état civil.

Le tribunal procède à toutes les enquêtes et expertises qu’il juge nécessaires. Si les parents sont inconnus, il prononce un jugement avant dire droit qui sera affiché pendant trois mois, accompagné du portrait et des renseignements sur l’enfant dans les bureaux de la collectivité locale et du caïdat du lieu où ce dernier a été découvert. Si personne ne se présente après ce délai, le tribunal prononce un jugement par lequel il déclare l’enfant abandonné.

Le juge des tutelles assure la tutelle des enfants abandonnés, conformément aux dispositions du code de la famille et du code de procédure civile.

La kafala

Définition

C’est l’engagement de prendre en charge la protection, l’éducation et l’entretien d’un enfant abandonné, au même titre que le ferait un père pour son enfant. La kafala ne crée pas de lien de filiation avec l’enfant recueilli et ne confère aucun droit à la succession.

La loi sur la kafala organise la procédure de prise en charge, définit son contenu, précise les personnes ou organismes à qui elle peut être confiée, le contrôle de son exécution, son inscription sur les registres d’état civil. Enfin elle prévoit dans quelle mesure l’opinion de l’enfant peut être prise en considération.

Attribution de la kafala

La kafala est accordée par une ordonnance du juge des tutelles à la personne ou l’organisme désireux de l’assurer qui en a fait la demande, après une enquête qui a pour objet de savoir si cette personne (ou cet organisme) remplit les conditions fixées par la loi. L’ordonnance désigne la personne (ou l’organisme) comme tuteur datif de l’enfant. Elle est susceptible d’un appel qui est tranché par la cour d’appel en chambre du conseil. L’ordonnance est exécutée par le tribunal de première instance dans les quinze jours de son prononcé. L’enfant est remis à la personne ou à l’organisme qui le prend en charge, en présence du représentant du ministère public, de l’autorité locale et de l’assistante sociale concernée le cas échéant. Un procès verbal est dressé.

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La kafala peut être confiée à des époux musulmans majeurs n’ayant pas fait l’objet d’une condamnation pour infraction portant atteinte à la morale ou commise à l’encontre des enfants, et remplissant les conditions de moralité, santé et sécurité pour l’enfant.

Elle peut enfin être confiée aux «établissements publics chargés de la protection de l’enfance ainsi qu’aux organismes, organisations et associations à caractère social reconnus d’utilité publique et disposant des moyens matériels, des ressources et des compétences humaines aptes à assurer la protection des enfants, à leur donner une bonne éducation et à les élever conformément à l’Islam».

En quoi consiste la kafala

Les articles 22 à 24 prévoient les effets de l’ordonnance qui octroie la kafala. La personne ou l’organisme assurant la kafala est chargée de l’exécution des obligations relatives à l’entretien, à la garde et à la protection de l’enfant et veille à ce qu’il soit élevé dans une ambiance saine, tout en subvenant à ses besoins essentiels jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge de la majorité légale (pour les filles jusqu’au mariage), conformément aux dispositions du code de la famille relatives à la garde et à l’entretien des enfants.

Le contrôle

Le juge des tutelles, dans la circonscription où se situe le lieu de résidence de la personne assurant la kafala, est chargé de suivre et de contrôler la situation de l’enfant et de s’assurer que cette personne honore bien les obligations qui lui incombent. Cette disposition est conforme à la convention relative aux droits de l’enfant dont l’article 25 prévoit l’examen périodique du placement.

2.4 - Le nom et la nationalité de l’enfant abandonné

L’état civil

La loi n° 37-99 relative à l’état civil, promulguée en 2002 consacre un article à l’état civil de l’enfant né de parents inconnus ou abandonné après l’accouchement. Il s’agit de l’article 16 qui prévoit que :

Le procureur du Roi agissant de sa propre initiative ou à la demande de l’autorité locale ou de toute partie intéressée procède à la déclaration de naissance, appuyée par un procès verbal dressé à cet effet et d’un certificat médical déterminant approximativement l’âge du nouveau-né. Un nom et un prénom lui sont choisis ainsi que des prénoms de parents ou un prénom de père si la mère est connue. L’officier de l’état civil indique en marge de l’acte de naissance que les noms et prénoms des parents ou du père selon le cas, lui ont été choisis conformément aux dispositions de la présente loi.

Un état civil est donc établi pour l’enfant abandonné à l’initiative du procureur du Roi. L’enfant possède un état civil semblable à celui de n’importe quel enfant indiquant son nom et son prénom et des noms et prénoms de parents. La mention en marge de la conformité aux dispositions de la loi ne devrait pas lui être préjudiciable. En effet le décret pris pour l’application de la loi sur l’état civil prévoit (article 36) que les copies des actes de l’état civil sont, soit des copies intégrales, soit des extraits.

Seule la copie intégrale comporte toutes les mentions de l’acte, y compris les mentions marginales. Les extraits d’acte ne comportent pas les mentions marginales mais uniquement le numéro et l’année de l’acte, le prénom le nom, le sexe, le lieu et la date de naissance de l’intéressé, ainsi que les prénoms et noms des parents.

La nationalité

Le code de la nationalité attribue très clairement la nationalité marocaine à l’enfant abandonné et ceci depuis sa promulgation en 1958.

2.5 - Conclusion

L’étude de la législation concernant les enfants abandonnés, nous montre des textes qui sont conformes aux engagements internationaux du Maroc.

Certes des critiques peuvent leur être adressées, en particulier un manque de cohérence entre les différents textes.

Les dispositions concernant le retrait de puissance paternelle figurant dans le code pénal et dans la loi sur la kafala ne coïncident pas exactement entre elles ni avec le code de la famille.

Cela peut s’expliquer par le fait qu’il s’agit de lois adoptées à des époques différentes et dans des conditions et pour des motifs divers.

En outre ces textes ont des sources très différentes : le code pénal est très inspiré du droit pénal français tel qu’il était en vigueur au moment de sa promulgation (1963) alors que la loi sur la kafala et le code de la famille tirent leurs sources du droit musulman.

Il faut également attirer l’attention sur le fait que l’article 490 du code pénal qui punit les relations sexuelles hors mariage risque de pousser la mère célibataire à accoucher dans le secret et à abandonner son enfant, de peur d’être poursuivie en justice et condamnée à l’emprisonnement. Il semble délicat de recommander la suppression de cet article. Mais on pourrait préconiser l’instauration d’une impossibilité de poursuites en cas de naissance subséquente d’un enfant, ce qui aurait pour effet de mettre la mère naturelle à l’abri des poursuites et l’encouragerait sans doute à renoncer à l’abandon.

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II. Enfants privés de famille : études et recherches

Ce travail d’analyse documentaire s’inscrit dans le souci d’identifier les principaux référentiels à travers lesquels sont positionnées les publications, d’en repérer les concepts clés, et éventuellement, les points aveugles.

Il s’agira ici, sans être exhaustif, d’indiquer quelques repères par rapport aux évolutions du discours relatif à la problématique de l’enfance abandonnée, autant sur un plan institutionnel que juridique : ces repères permettront de rendre compte, dans une perspective comparative, de leur adéquation avec des éléments de réalité, tels qu’ils ont été vécus, vus, perçus et entendus, lors du travail de terrain.

Deux sources principales ont fait l’objet de ce travail d’analyse documentaire :

Un ensemble de publications, fruit d’une collaboration entre l’UNICEF et diverses entités, publiques et privées,

Une sélection d’articles de journaux et de revues marocaines francophones.

1 - Colloques

Journées de réflexion sur l’Enfant Privé de Famille (novembre 1991)

Le colloque sur l’Enfant Privé de Famille, co-organisé par L’UNICEF et La Ligue Marocaine pour la Protection de l’Enfance, constitue un travail de référence dans la mesure où, d’une part, il présente les résultats d’une première étude destinée à quantifier le phénomène de l’abandon au Maroc, et où, d’autre part, il identifie, auprès du Grand Public les perceptions de l’enfant abandonné, celle des parents adoptants, et pointe les modalités juridiques de l’adoption.

• Les différentes interventions portent principalement sur :

La montée en puissance du référentiel ‘Droits de l’Enfant’.

Le caractère incontournable de la Chariaa islamique, dans le contexte national et maghrébin, avec aussi, la nécessaire évolution des textes et la substitution à terme, de la Kafala par le Tanzil.

Le choix du concept ‘d’Enfant Privé de Famille’, préféré à celui d’enfant abandonné.

La coordination entre différents acteurs, publics et privés, et la détermination d’une entité gouvernementale de référence, pour une meilleure efficacité dans la gestion des actions.

• Avec l’exigence :

De définition des populations constituant les enfants abandonnés,

De méthodologie de gestion des approches,

De dynamisation des procédures de placement et d’adoption,

De mise en place de structures d’accuei l et d’accompagnement des mères célibataires, afin qu’elles puissent recouvrer droit et dignité sociale.

• Enquête quantitative sur les mères en situation d’abandon

La lecture des résultats de l’enquête révèle :

Un ratio femmes d’origine urbaine (75%), plus important que de femmes d’origine rurale (24%).

Le caractère massif des mères célibataires (80.9%) dans les effectifs des mères en situation d’abandon.

Le taux important de mères en situation d’abandon ayant un niveau d’éducation primaire et secondaire (49.6%).

La forte proportion de garçons abandonnés - entre 53% et 65 % selon les régions - par rapport à celui des filles.

Le caractère assez homogène en termes d’âges des mères en situation d’abandon, avec celui des pères présumés, (identifiés par ailleurs par les mères, confirmant ainsi la grossesse comme étant le plus souvent, fruit d’une relation amoureuse et/ou de relations sexuelles consenties).

L’affirmation soutenue de l’insuffisance de ressources, comme motif d’abandon.

L’abandon d’enfant comme ‘prix à payer’ pour éviter un autre ’abandon /exclusion’ pour la femme enceinte célibataire : celui de sa famille.

Le taux anormalement élevé de décès, justifié par les conditions dans lesquelles seraient trouvés les enfants par la police.

La nécessité de réaliser des études complémentaires en vue de définir des ‘créneaux’ d’actions.

• Enquête qualitative relative aux perceptions de l’enfance privée de famille auprès du grand public

Les résultats de l’investigation réalisée auprès du grand public, permettent d’identifier assez précisément les lignes de force de structuration des perceptions attachées aux, contexte et motifs de l’abandon :

La réalité des relations sexuelles hors mariage, qui se heurte, à l’interdit édicté par la Loi, civile ou religieuse :

le registre de ‘l’illégal’ dans la relation, conduit à un statut d’enfant, positionné dans le champ du ‘Péché’.

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La contention de la problématique de l’abandon dans le champ strict de la pauvreté et de l’analphabétisme.

La corrélation faite entre un environnement juridique répressif et les conditions hostiles du cadre de l’abandon.

Une valorisation d’institutions ayant trouvé un compromis entre la prise en charge institutionnelle et un mode de fonctionnement de ‘type familial’ : Village SOS Enfants.

Le caractère hégémonique du référentiel religieux dans les propos des participants et relatifs à l’adoption : filiation, héritage, positionnement de l’adoption dans le champ de la bienfaisance et de la charité.

L’affirmation que l’adoption d’un enfant répondrait à un ‘besoin’ du couple, dont la nature serait, soit d’ordre psychologique - combler un manque, équilibrer le couple - soit d’ordre moral - bonne action/charité.

Un sentiment partagé, que les formalités d’adoption protègent les droits de l’enfant, mais une perception plutôt négative sur le dispositif supposé interdisant à l’enfant de porter le nom du père adoptif, et les risques attachés à la succession.

La ‘conviction absolue’ que l’intégration des filles en famille adoptive, serait plus facile et ce d’autant plus qu’elle est précoce, avec une peur évoquée, chez les parents adoptifs, liée au risque que l’enfant soit ‘repris’.

L’existence possible de troubles de la relation parents adoptants/enfant adopté, consécutive au malaise engendré par la gestion anxiogène de la question des origines.

Le poids de la famille élargie dans la réussite ou l’échec de l’adoption, posant très justement les limites du pouvoir de décision et d’autonomie du couple dans la société marocaine au regard de la famille au sens large. Ainsi l’héritage peut-il être l’occasion d’un repositionnement global de la famille, par rapport à l’enfant adopté.

Premier Colloque Maghrébin sur l’Enfant privéde famille (Octobre 1992)

S’inscrivant dans la continuité des Journées de Réflexion sur l’Enfant Privé de Famille, ce colloque maghrébin initié par la LMPDE et l’UNICEF, est intéressant à plus d’un titre.

Les communications présentées par la Tunisie et le Maroc se fixent comme objectifs principaux de repositionner la problématique de l’abandon et de l’adoption dans son contexte juridique, et de présenter différents dispositifs de gestion et de prise en charge des enfants victimes d’abandon dans ces pays.

Si la communication tunisienne ne permet pas d’identifier l’ampleur du nombre d’enfants abandonnés en Tunisie, les perspectives d’actions présentées mettent l’accent sur deux axes principaux :

Une prise en charge institutionnelle des enfants abandonnés au travers d’unités familiales créées et susceptibles d’être gérées par des associations, à l’image de ce que fait l’association Kinderdorf International.

Des actions de prévention des naissances hors mariages et de l’abandon, à travers la mise en place d’unités d’écoute et de guidance, des mères en difficulté et des adolescentes.

Les communications présentées par l’Algérie portent principalement sur les contextes, les enjeux, les freins, mais aussi, de manière pertinente, sur les bonnes pratiques de la prise en charge institutionnelle et professionnalisée de l’abandon, en insistant particulièrement sur :

Le positionnement de l’identité et de la filiation comme enjeu social et culturel majeur, posant la question du statut de l’enfant abandonné, mais aussi celui de ses modalités d’adoption ;

Le transfert positif de la responsabilité du Ministère de la Santé au profit de celui des Affaires sociales, permettant une démédicalisation de la question des enfants abandonnés ;

La description d’un taux historique ‘catastrophique’ de décès d’enfants, pourtant pris en charge en institutions et faisant l’objet d’un suivi médical, situation décrite comme la résultante « d’une dynamique mortifère projetée sur ces enfants ».

L’affirmation récurrente que l’institution est un ‘mal nécessaire’ qui doit être temporaire, et que la solution se trouve dans l’accueil dans un cadre familial, à condition que la loi intervienne pour clarifier le statut de l’enfant, en matière de filiation.

La communication de la responsable de la pouponnière d’Alger att i re l ’attention sur plusieurs points fondamentaux, comme :

Les risques psychologiques attachés à l’hyper médicalisation de la prise en charge des bébés et jeunes enfants.

L’organisation des espaces par tranches d’âge, avec des effets ‘d’automatisation’ néfastes pour la prise en charge.

Le choix du personnel en contact avec les enfants : l’auteur insiste sur les risques inhérents à la prise en charge d’enfants abandonnés par des mères célibataires, en raison des risques de déstabilisation réciproque.

L’emploi de la dénomination de ‘berceuse’ pour les femmes prenant soin des enfants au sein de la pouponnière.

Au final, les auteurs proposent en matière de prise en charge institutionnelle - définie comme devant être temporaire, pour les enfants abandonnés adoptables -

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de passer de la culture du geste (médical/ alimentaire) à celui de la relation (la parole), seule garantie d’une lutte efficace contre la mortalité précoce, le développement des carences et celui des troubles de la personnalité.La lecture des conclusions et des recommandations formulées à l’issue de ce premier Colloque Magrébin sur l’Enfant Privé de Famille, renseigne sur l’ampleur de la problématique et les fortes attentes des différents acteurs à l’égard des instances étatiques :Aspects juridiques,Nécessité de la collecte et de la diffusion de l’information,Actions de prévention, Urgence de réalisations de structures d’accueil.2 - Etudes et recherchesLa situation des enfants au Maroc, l’environnement juridique et l’institution comme lieu d’accueil et de prise en charge, temporaire ou durable, des enfants privés de famille, sont des sujets importants dans les différents documents présentés.Alors que la qualité de la prise en charge de l’enfant privé de famille constitue un aspect essentiel dans le devenir de l’enfant et sa capacité à développer un rapport positif au monde, force est de constater la rareté des études ou des publications marocaines disponibles relatives à ce sujet. Les pratiques développées restent en effet, confinées dans le cadre des institutions, sans que le savoir-faire accumulé et les bonnes pratiques développées, puissent être vulgarisés et mutualisés. Il parait intéressant de présenter trois études qui abordent, avec des objectifs parfois différents, la problématique des enfants abandonnés. Une première étude intitulée : ‘les enfants en institution au maroc, etude de cas’(6) se fixe comme objectif principal d’évaluer la conformité des prises en charge des enfants en institution au Maroc au regard du référentiel constitué par la Convention Internationale relative aux Droits de l’Enfant et des recommandations du Comité des Droits de l’Enfant de juin 2003.Il conviendra de retenir, eu égard aux objectifs spécifiques de la présente recherche :

Les difficultés et résistances rencontrées pour recueillir une information fiable sur le fonctionnement des institutions, cause ou conséquence d’un manque de culture de la transparence des responsables de ces structures, qui apparaissent souvent dans une posture défensive.Le nombre de 2351 enfants abandonnés, pris en charge par les associations en 2005.Une affirmation que la violence subie par les enfants en institution serait le fait d’adultes /éducateurs, information partielle au regard du matériel recueilli sur le terrain de cette étude, dans les institutions accueillant des enfants de plus de six ans.Le rôle incontournable de la société civile et des ONG, dans la sensibilisation des Pouvoirs Publics sur la question.La seconde étude intitulée : la violence à l’egard des enfants au maroc7, dresse un tableau général sur les violences subies par les enfants. Le comité des Droits de l’enfant, des Nations-Unies, classe en effet, l’abandon et la non-reconnaissance parentale comme des formes de violence perpétrées à l’encontre de l’enfant.De la lecture de cette étude, et en rapport à la problématique de l’abandon, il convient de retenir les éléments suivants :Que la famille adoptive ou la famille d’accueil - tout comme la famille biologique- peut constituer un cadre d’exercice de la violence à l’encontre de l’enfant.Que les enfants recueillis par les institutions de bienfaisance subissent des violences physiques et psychologiques, sous couvert de méthodes éducatives.Que les enfants privés de milieu familial, seraient les plus exposés aux formes les plus sévères de violence.Par ailleurs, l’étude réalisée met en lumière :La prévalence de la population des garçons comme victimes des violences traitées en justice, avec comme corollaire - à l’exception des condamnations pour trafic d’enfants - la surreprésentation des hommes comme auteurs de la violence à l’encontre des enfants.La réalité de la violence entre mineurs avec une prévalence forte des garçons comme victimes et auteurs.L’importance de l’abandon comme forme de violence la plus déclarée à la Gendarmerie Royale : (867 en 2004, 813 en 2005, soit 50.5% et 49.69% des violences déclarées).Le caractère dominant des familles monoparentales -mères célibataires, veuves, divorcées ou abandonnées - dont sont issus les enfants victimes de violence pris en charge par les ONG (79.4%)Le faible taux de violence déclarée au sein des institutions de bienfaisance - 0.7% - en décalage avec la réalité identifiée lors des études (dont celle-ci) : des attitudes et des pratiques éducatives violentes sont repérées au niveau du secteur de la prise en charge, de l’enfant âgé de plus de six ans.

(6) Commanditée en 2005 par le Secrétariat chargé de la Famille, de l’Enfance et des Personnes Handicapées, par l’Espace Associatif et l’UNICEF (7) Commanditée par le Ministère de la Justice et L’UNICEF en 2006

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La dernière étude présentée s’intitule : « La situation des enfants au Maroc8 ». Cette étude se fixe comme objectif de dresser un tableau de la situation des enfants au Maroc à travers une approche ‘droits humains’, et ce, pour la période 2001-2005.

Au delà d’une présentation exhaustive de l’ensemble du corpus réglementaire et législatif ayant trait aux droits de l’enfant, ce document rappelle :

L’importance de l’approche ‘genre’ dans les analyses à conduire.

Le progrès que représente l’enregistrement des enfants abandonnés à la demande du procureur du Roi, sous un nom et un prénom patronymique.

Le caractère défaillant de nombreuses institutions d’accueil en termes d’encadrement, de compétences professionnelles et de supervision, en dehors du volet financier.

Le décalage entre la réalité de l’environnement juridique et la réalité de terrain.

3 - Articles de presse

Au-delà des publications commanditées et réalisées par les institutions internationales et nationales impliquées dans la protection de l’enfance, objectif initial de la recherche documentaire, une investigation complémentaire a été réalisée sur le contenu de la presse écrite nationale, afin d’identifier les modalités d’approche, ainsi que les thématiques les plus fréquemment traitées en matière d’abandon.

Ce travail d’analyse a porté sur une vingtaine d’articles parus entre 2005 et 2009 et disponibles sur Internet.

• La kafala

La présentation du dispositif de la Kafala - sources et cadre du Droit, obligations et contraintes, procédures - constitue le thème central de nombreux articles consultés, validant l’efficacité du travail de plaidoyer réalisé par les différents acteurs s’intéressant à l’enfance privée de famille.

Dans ce cadre, trois aspects plus particuliers de la loi, sont évoqués :

Les limitations souvent décrites comme injustes, de la loi relative à la filiation,

L’absence de droit à l’héritage; même si la possibilité offerte de doter l’enfant d’un tiers de l’héritage par un acte spécifique est toujours citée,

L’apport réel que représente la Kafala, et ce, en dépit des limites actuelles observées dans la résolution du problème de la sur représentation des enfants abandonnés au sein des institutions d’accueil.

• La complexité et la longueur des démarches

Au delà de la présentation de la Kafala et de certaines de ses ‘limites’, un grand nombre d’articles est consacré aux difficultés et à la longueur des procédures ‘d’adoption’, sans que les raisons précises de ces longueurs ne soient forcément identifiées ou explicitées. ‘L’urgence absolue’ de trouver un foyer d’accueil pour un enfant placé en institution, constitue souvent l’argument principal identifiable des attentes d’accélération de la procédure.

• L’abandon

Plusieurs articles abordent la question de l’abandon d’un point de vue plus général en s’intéressant à l’origine des enfants, aux raisons ayant conduit à leur abandon, ainsi qu’au contexte du recueil de l’enfant et de sa prise en charge en institution.

Il convient de relever que si, dans les différents supports, le traitement de la Kafala renvoie à des perceptions relativement homogènes, celui de l’enfance abandonnée laisse percevoir des positionnements éditoriaux différenciés. Le type d’appréhension réservé à la question de l’abandon, est varié : recherche du sensationnel, voire du scandaleux, positionnement réformiste et humaniste, choix du pathos de type affectif…

- L’enfant

Il fait toujours l’objet de sollicitude et est présenté comme la victime innocente d’une situation complexe, même si souvent, dans une perspective de dénonciation ou d’information, son ‘statut’ d’enfant du péché dans l’imaginaire social, est rappelé.

- L’auteure de l’abandon

La ‘mère célibataire’ est identifiée comme l’auteure principale de l’abandon : la grossesse est le plus souvent associée à une promesse de mariage non tenue, parfois à des relations imposées, plus rarement à une relation amoureuse. Les principales causes attribuées à l’abandon, mettent l’accent sur la peur engendrée par les injonctions collectives, donc sur le rôle de la famille restreinte et élargie. Parallèlement, la sur représentation du garçon en milieu d’accueil, se justifierait par des attitudes de mères qui abandonnent davantage les garçons au détriment des filles : perceptions ou réalité ? Ces réflexions évitent surtout et au travers des résultats d’étude, d’évoquer le problème de l’adoption illégale des filles et de ses circuits.

Par ailleurs, dans les média, l’inceste fait l’objet d’un traitement spécifique : certains articles iront jusqu’à établir un lien plus ou mois important entre l’inceste et l’abandon d’enfants, voire ‘identifier’ un mode de relation fréquent dans certaines régions !

(8) Réalisée en 2007, commanditée par l’UNICEF en collaboration avec le Centre d’étude en droits humains et démocratie.

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Les lieux de l’abandon

Le contenu des articles relatifs aux lieux d’abandon de l’enfant, fait la part belle à la rue : si l’information correspond à la réalité du présent, certains articles n’hésitent pas à ‘forcer le trait’, de l’émotionnel et du sensationnel, en omettant généralement l’évolution des abandons directs opérés chez le juge, en vertu des ‘nouveaux textes’ qui ‘dépénalisent’ certaines formes d’abandon.

La prévention de l’abandon

Cet aspect essentiel reste le plus souvent dans l’ombre, en raison des implications sociétales inhérentes à la question : réalité d’une sexualité hors mariage, information sexuelle et contraception non adressées spécifiquement aux populations célibataires, absence de structures d’accueil et d’accompagnement, impossibilité légale d’avortement en cas de viol ou d’inceste…

• Les institutions d’accueil

Qu’elles soient destinées à l’accueil des nouveau-nés ou des enfants plus grands, les institutions font l’objet de nombreux commentaires dans les articles écrits relatifs à l’enfance abandonnée.

Leur lecture laisse percevoir une ambivalence de contenus, avec un clivage, assez fréquent, effectué entre les ‘mauvaises institutions’ -orphelinats- les ‘bonnes institutions’, étant les structures accueillant les nouveau-nés et les très jeunes enfants9.

Quels que soient la qualité du cadre proposé et le professionnalisme des intervenants, un discours général peut être identifié sur la non adéquation des institutions en matière d’accueil, à moyen et long termes, pour les enfants privés de famille. Par ailleurs, le devenir problématique des enfants ‘handicapés’ et des enfants non adoptables, est parfois posé.

• Les couples en quête d’enfant

Les couples souhaitant ‘prendre’ un enfant en kafala, font l’objet de nombreux commentaires : leur démarche est le plus souvent évaluée de façon très positive, et le désir, souvent limité aux ‘couples stériles’. ‘Désir d’enfant’, ‘besoin de combler un manque’ ou’ besoin de donner de l’amour’ sont les motivations le plus souvent identifiées chez les couples en demande d’enfants. Aussi, la relation établie entre les ‘besoins affectifs’ d’un enfant privé de famille et le ‘désir d’enfant’ d’adultes, constitue t-elle de manière quasi systématique, une justification valable et suffisante de la kafala . Seuls les critères cités, de ‘bonne moralité’ du couple, les conditions de ressources et de logement, apparaissent suffisants pour assurer la kafala10 de l’enfant abandonné.

La création d’une association regroupant des parents adoptifs ou en voie de l’être peut être identifiée comme le signe des évolutions sociétales du Maroc, et du besoin des familles kafil, de disposer un cadre propice au plaidoyer.

Synthèse L’analyse documentaire portant sur les colloques, publications et recherches relatives à la problématique des enfants abandonnés, met en évidence :

Le caractère partiel et non homogène des informations disponibles, en termes de données chiffrées et d’analyses en lien avec l’enfant privé de famille, pour pouvoir répondre avec pertinence aux questions: Qui? Pourquoi? Comment? Où ?

La montée en puissance de la Convention Internationale relative au Droits de l’Enfant comme référentiel majeur dans les réflexions conduites sur la problématique des enfants privés de famille.

Le consensus exprimé sur le caractère positif de la Kafala, non contradictoire avec des attentes d’une évolution souhaitable de certains de ses aspects.

Le caractère discret des publications relatives à la prise en charge des enfants en institution, quel que soit leur âge, notamment sur le plan comportemental et psychologique.

Le passage progressif, mais non encore abouti, d’une culture de la bienfaisance et de la charité à une culture plus professionnalisée des institutions prenant en charge les enfants privés de famille.

Les enjeux sociétaux sous-jacents à une conceptualisation plus claire et opérationnelle des problématiques attachées à l’abandon.

L’urgence d’une coordination des actions, rendue difficile par l’absence d’une structure étatique de référence, permettant de mettre en œuvre une stratégie globale, avec un pilotage et une coordination des actions.

Le travail de lecture de la presse écrite nationale permet d’affirmer :

Que la presse constitue un élément important dans la construction des perceptions et l’évolution des mentalités du Grand Public, en participant à une meilleure diffusion et compréhension du dispositif de la Kafala, en développant souvent une vision humaniste de la question des enfants privés de famille ainsi que des mères célibataires, et en posant avec plus ou moins d’aisance, les questions de société soulevées par cette question.

(9) Seul un des articles consultés fait explicitement référence à une action de justice à l’encontre d’une association accueillant des enfants abandonnés.(10) A l’exception d’un article qui traite de la nécessité de questionnement du couple en demande de kafala, et d’une possible non adéquation entre la demande et le potentiel offert à l’enfant, en matière de développement.

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Que les lacunes ou les insuffisances, voire les inexactitudes, parfois identifiées dans les articles, doivent conduire l’ensemble des acteurs impliqués dans la problématique - acteurs institutionnels et associatifs, professionnels de l’enfance, parents – à poursuivre et intensifier le travail de plaidoyer, que ce soit au niveau de la prévention de l’abandon, de qualité de la prise en charge institutionnelle, ou bien encore, des modalités concrètes d’application de la Kafala, voire de son évolution.

III - intervenants: programmes, actions(PANE)

« Qui est concerné par ce plan ? … Pour chacun des résultats escomptés, sont mentionnés les acteurs prioritaires chargés de sa mise en ouvre. De nombreux résultats à atteindre s’adressent à plusieurs acteurs ouvrant dans le domaine des droits de l’enfant. Pour éviter les répétitions, il est à noter que c’est d’abord le Gouvernement du Maroc qui est habilité à mettre en ouvre ce Plan d’action. Néanmoins, toutes les institutions publiques et privées, les élus, les ONG’s, les enfants, les employeurs et les syndicats, les institutions de formation et les médias ainsi que les Organismes Internationaux de Coopération sont appelés à se mobiliser autour de ce Plan d’Action National pour l’Enfance pour la promotion des droits de l’enfant pour un : ‘ Maroc digne de ses enfants ‘.

‘Pour un Maroc digne de ses enfants’

1. Les Intervenants dans la question d’abandon d’enfantsLes intervenants en charge de l’abandon sont nombreux, constitués d’institutionnels, et d’ONG. Comme spécifié dans le Plan d’Action National pour l’Enfance (PANE), le chef de projet est ‘ le ministère du Développement social, de la famille et de la solidarité, en tant que département chargé de la coordination de l’action sociale en matière de protection de l’enfance et coordonateur national du suivi et de l’évaluation du PANE, en collaboration avec le comité technique composé de 17 département ministériels.

Lors de l’étude, à travers le discours des intervenants rencontrés, ou à travers ‘l’observation’, si certains des Ministères cités ont été évoqués, le programme INDH, la Fondation Mohamed V pour la solidarité, ont été également identifiés comme intervenants.

Dans ce chapitre, le choix se portera sur le Ministère du développement Social de la Famille et de la Solidarité (MDFS) : dans la mesure où l’un de ses axes majeurs d’intervention, est d’œuvrer directement, à travers l’Entraide Nationale ainsi qu’à travers l’appui aux initiatives des associations ou indirectement en faveur de l’enfance abandonnée (en supervisant et contrôlant par ailleurs, les structures dédiées, à leur prise en charge), il est apparu opportun d’étudier l’état d’avancement du Ministère en matière de réalisation d’actions et programmes.

1.1 Acteurs institutionnels

1-1-1 Le Ministère du Développement Social, de la Famille et de la Solidarité

En fédérant l’ensemble des activités qui relèvent du social en un pôle unique, le Ministère inscrit ses actions, conformément à une volonté politique qui appréhende le développement social avec une vision globale et intégrée. Par ailleurs, le nouveau pacte social annoncé dans la déclaration générale du gouvernement, cible les grandes questions : pauvreté, exclusion et précarité, inégalités de genre, travail des enfants, et intégration des personnes à besoins spécifiques.

Le plan stratégique 2008-2012 du MDFS s’inscrit également, dans un contexte marqué par l’Initiative Nationale pour le Développement Humain, et dans le cadre de l’adhésion du Royaume au respect des conventions internationales et leur application.

Aussi, en relation avec le sujet d’étude, l’on peut considérer que le plan stratégique 2008-2012, déployé par le Ministère en cinq axes, s’intéresse à la fois au volet enfance, à la thématique de l’exclusion, et aux acteurs intervenant dans la mobilisation sociale1.

En outre, lors de la tenue en 2002 de l’Assemblée Générale des Nations Unies, le Maroc comme l’ensemble des pays représentés, a adopté une déclaration et un plan d’action « monde digne des enfants » en vue d’ici 2015, d’améliorer la situation des enfants dans le monde. Le Ministère du Développement Social a ainsi adopté en 2006, un plan d’action national pour l’enfance 2006-2012

« Maroc digne de ses enfants ».

Le PANE vise, globalement, à améliorer les conditions de santé de l’enfant, à lui assurer un enseignement de qualité et à le protéger contre toutes les formes de maltraitance, de violence et d’abus. Le PANE, propose 10 objectifs qui ambitionnent, dans une dynamique collective et concertée, de répondre à cette mission globale 2.

Le PANE part d’acquis spécifiques du Maroc relatifs aux enfants abandonnés (loi sur la kafala) des lacunes (en matière de prévention) des réalisations (actions curatives de la LMPE essentiellement)3, évoque les acquis en direction des enfants à besoins spécifiques : (lois, de protection des déficients visuels ; de protection des enfants handicapés…)et les efforts à entreprendre en faveur de l’enfant à besoins spécifiques avec des actions planifiées, des mesures envisagées, des différentes responsabilités des intervenants, des indicateurs de performance et des échéances (un réexamen des textes de lois ; actions, de sensibilisation, de prévention, de prise en charge…)

(1) l’enfance et la mobilisation des acteurs » et à travers l’axe stratégique 4, d’assurer une «politique de développement inclusif des personnes en situation de handicap»…(2) voir annexes P.20 (3) voir annexes P.21

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De l’ensemble des aspects cités, vision globale, stratégies et plans d’actions, programmes et catégories cibles, la population enfance abandonnée est considérée, en conséquence, comme une des cibles prioritaires visées par le gouvernement. Par ailleurs, le Ministère du développement est le chef de projet auquel est attribué la mission de concrétisation et de supervision des actions à mener autant en faveur de l’enfance abandonnée, qu’en direction des populations à besoins spécifiques.

Concernant le handicap dont l’effectif a été identifié, lors de cette étude, comme surreprésenté au sein des structures en charge de l’abandon, le Ministère a également une stratégie ciblée avec des axes (coordination de programmes gouvernementaux, projets de lois, plan d’action national pour l’intégration des personnes en situation de handicap4…)

L’Entraide Nationale.

Si l’action du Ministère n’a pu être particularisée, certaines structures qui relèvent de son autorité, comme l’Entraide Nationale, ont été toutefois évoquées, (souvent sans que des liens soient effectués avec le Ministère de tutelle) comme intervenant au sein d’associations en charge de l’enfance abandonnée à la naissance : ici il s’agira notamment d’une contribution à travers un personnel dédié, généralement jugé insuffisant au regard des besoins évoqués, et de subventions diversement attribuées en fonction des intervenants, mais également considérées comme ‘insuffisantes et inadéquates’.

Ici aussi se poseront des questions soulevées par les interlocuteurs rencontrés, en matière d’adéquation du personnel, (formation, concordance aux besoins, et ‘efficacité’ globale)5.

Bilan Le bilan des réalisations de l’année, dressé par le Ministère évoque un programme de formation (10.000 travailleurs sociaux à l’horizon 2012) et des programmes susceptibles de bénéficier davantage aux programmes de précarité et aux enfants abandonnés âgés de plus de six ans (appui à l’éducation et à la scolarisation des orphelins et enfants issus de familles nécessiteuses, et en matière d’assistance et d’aide, de janvier à fin septembre 2008, plus de 340 opérations de dons issues de saisies douanières).

Concernant le handicap suite à une convention de partenariat élaborée en 2004 avec le Ministère de la santé, l’équipement en 2008 de chacune des régions, en salles d’orthophonie, et de psychomotricité. Le plus souvent, ce bilan ne concerne que très partiellement l’enfance abandonnée à la naissance.

• Des projets de coopération concrétisés

ou en cours de concrétisation

En juillet 2009, un protocole administratif du projet d’appui aux politiques publiques de protection des mineurs vulnérables, a été signé entre le MDFS et l’agence Espagnole de Coopération Internationale pour le Développement. Il vise la mise en marche d’un programme de coopération pour un système intégré de protection de l’enfance au Maroc, intégrant les services sociaux régionaux de proximité6.

Relation avec la problématique de l’abandon :

Si les programmes évoqués ci-dessus sont dans leurs ‘balbutiements’, la rencontre du Samu social à Casablanca tend à identifier un lien projeté, sur les moyen et long termes, en matière de prévention de l’abandon, à travers l’assistance et le soutien de mères célibataires et leur accueil dans une structure dédiée. Cette assistance aux mères célibataires apparaît en même temps, comme effectuée à posteriori, elle doit être contenue dans les objectifs initiaux du Samu social, et donc intégrée dans le cadre d’une stratégie visant la lutte contre l’abandon.

• Des cellules dédiées à ‘l’écoute’ de la violence, ‘bénéfiques, à posteriori, pour la prévention de l’abandon’ :

Au cours de l’étude réalisée, les intervenants sociaux rendront compte, de l’importance des cellules d’accueil dédiées à la violence, dans la mesure où indirectement, elles permettent de rencontrer des populations ‘mères célibataires’, et par conséquent, à travers une orientation, éviter potentiellement l’acte d’abandon.

Ces cellules sont cependant dans le présent, à la fois sous-représentées sur un plan régional, et souvent décrites comme rudimentaires (encadrement, moyens, compétences).

(4) voir annexes P.21-22(5) voir annexes P.23

(6)Coût : deux millions d’euros et engagement budgétaire accordé au secteur, de 39.282.929 d’euros pour la période 2006 – 2011).Ce programme inclue la Création d’Unités de Protection de l’Enfance (UPE) et d’un système public de protection de l’enfance avec ‘ SAMU social’ (service d’aide mobile d’urgence sociale) dans les régions de Tanger - Tétouan (UPE à Tanger et SAMU social à Martil), Souss-Massa-Draa (UPE à Agadir) et l’Oriental (UPE et SAMU social à Oujda).

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Synthèse :

Trois années après la ‘déclaration’ du plan d’action national pour l’enfance 2006-2012, la question se pose par rapport aux réalisations concrètes en faveur de l’enfance abandonnée, notamment celle, ‘objet’ de l’étude, âgée de moins de six ans. Par ailleurs, les ‘actions positives’ décrites en faveur de la lutte contre l’abandon (cellules violence, Samu social) seront davantage à appréhender comme des ‘mesures de conjoncture’ ne visant pas à priori le sujet de l’abandon : elles tendent à l’inverse, à refléter une certaine réalité sociale, où la question de l’abandon se rencontre à ‘différents niveaux, dans l’ensemble des secteurs’ et se gère dans ‘l’après coup’, non dans le cadre d’une stratégie définie. Aussi, au travers des résultats d’étude et des attentes d’acteurs, se dessine la nécessité de réactiver une ‘dynamique Pane, assoupie’ dans le présent.

2 - Institutionnels a action majeure dans l’abandon d’enfants

Dans le présent, et dans la question de l’enfance abandonnée à la naissance, les institutionnels majeurs identifiés sont le Ministère de la Santé Publique, le Ministère de la Justice et le Ministère de l’Intérieur, à travers le programme INDH : ces institutionnels interviennent à des niveaux variables de prise en charge, en soutien à un secteur associatif à l’apport déterminant.

2.1. Le Ministère de la Santé

La stratégie du Ministère, ‘Maroc 2008-2012’, ‘ensemble pour le droit à la santé’, s’inscrit dans le cadre des paramètres mis en place par l’Organisation des Nations Unies, en vue d’assurer pour tous les citoyens un meilleur accès aux soins et aux médicaments.

Cette stratégie puise sa dynamique dans une approche basée sur la participation et l’implication d’intervenants « impliqués dans la question sociale, le partenariat et la bonne gouvernance7 ».

Si au niveau de ses stratégies et programmes, le Ministère de la santé ne contient pas explicitement et à un niveau ‘macro’, de plan d’action dédié à l’enfance abandonnée, sa stratégie, déployée en quatre axes, évoque cependant des aspects qui intéressent la santé du citoyen, dont plus spécifiquement pour les besoins d’étude, la mère et l’enfant, et rendent compte de la nécessité de partenariat public/privé/ONGs, susceptible encore une fois, de bénéficier à la santé de la population enfance8.

Au niveau de la réalité et du présent, comme il sera souligné tout au long de l’étude, malgré l’absence de stratégie spécifique dédiée, le Ministère de la Santé est apparu comme l’un des acteurs majeurs dans la problématique de l’abandon.

En dépit de la perception de contrainte souvent évoquée par ses ‘intervenants internes’, le Ministère de la Santé, a été identifié comme ‘secteur concerné’ conformément aux ‘prescriptions’ du PANE : ici, par ailleurs, une dynamique et une mobilisation particulières des intervenants sociaux, visant l’amélioration de l’existant, ont été perçues au sein des différentes structures rencontrées.

Dans la gestion de l’abandon d’enfants, le Ministère de la Santé intervient en effet à la fois :

• Dans le recueil de l’enfant en situation d’urgence lors de l’étape première de l’abandon (premiers soins ; tests de dépistage, et vaccination);

• Dans l’accueil et la continuité de prise en charge d’enfants abandonnés, en l’absence de structures dédiées ;

• Dans le partenariat avec les structures en charge de l’enfance abandonnée : soins médicaux, octroi de, locaux, ressources humaines, prise en charge partielle.

Les actions menées par le Ministère de la Santé sont assez souvent considérées par les acteurs, comme effectuées dans le ‘fait accompli’ : en dépit de cela, un impact majeur en matière de prise en charge sanitaire, et de diminution de la mortalité.

Malgré les propos des uns et des autres, le Ministère de la Santé est apparu lors de cette étude, comme un acteur incontournable, dans la question de l’abandon.

Ici un paradoxe se perçoit : si la contrainte évoquée à l’égard ‘de la santé’ diminue, et considérant l’insuffisance des structures de soins, quelles perspectives pour l’enfance abandonnée ? En même temps cette contrainte ‘exercée’ (ou perçue comme telle) nécessite d’être levée par des échanges, des solutions substitutives, et des engagements spécifiques des différents acteurs.2.2. Le Ministère de la Justice

Le rôle du Ministère de la Justice est primordial dans la question de l’abandon : son action se fait sentir à des niveaux variés, en matière de prise en charge, de placement d’enfants (réquisition du Procureur du Roi) de prise de décision, de gestion, de régulation de la kafala et de suivi d’enfants ‘kafalés’ sur le long terme.

(7) et (8) : Voir annexes P.23

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Comme l’étude le soulignera plus loin9, et à travers les données communiquées, pour rendre compte des actions menées par les différents tribunaux de la famille, se perçoivent les prémices d’une vision qui vise à traduire, au travers d’indicateurs de performance, les actions de la justice, générales et spécifiques à l’abandon d’enfants.

2.3 La Sûreté nationale Ici aussi, la sûreté Nationale est impliquée en amont, non pas dans la prise en charge, mais davantage dans la ‘découverte’, l’orientation et le placement de l’enfant abandonné.

• Il s’agira ici pour les acteurs, de procéder aux mesures de placement de l’enfant lorsqu’il est découvert, ‘abandonné à la rue’.

Les données fournies par la Sécurité Nationale identifient, pour l’année 2008, un effectif total de 273 enfants abandonnés sur la voie publique.

Si l’information obtenue reste partielle, spécifiquement liée aux abandons dans les villes ‘principales’ du royaume (et vivants), elle validera cependant, non pas la réalité exhaustive des ‘abandons de rue’, mais le discours obtenu auprès des acteurs, et relatif aux dynamiques particulières de régions.

Les taux d’abandons reportés aux admissions d’enfants, sont en effet susceptibles de traduire à la fois le type de coordination entre acteurs, les politiques d’incitation offertes aux mères célibataires dans une ville donnée, et le dynamisme des acteurs associatifs.

En tête des ‘référentiels positifs’, Meknès (taux d’abandon de rue de 11%), Marrakech, (13%), Beni Mellal (16,5%), et Casablanca (19,5%).

• Par ailleurs, les agents d’autorité sont également présents lors d’un abandon formulé par la mère au sein de structures hospitalières.

Ici il s’agira de différencier ceux qui, dans le discours porté sur leurs actions, se comportent de ‘manière respectueuse ‘ à l’égard de la mère célibataire, de ceux qui (toujours dans le discours des acteurs) adoptent des propos et une attitude discriminants à son égard.

Néanmoins, dans une perception qualitative globale, et dans une perspective comparative10, les attitudes ont été davantage mises en relation avec un changement sensiblement positif.

• Dans le repérage des abandons de rue, d’autres ‘départements’ interviennent : la Protection civile et la Gendarmerie Royale (milieu rural) qui contribuent à des niveaux d’orientation et de placement de l’enfant abandonné.

L’encadrement de la Gendarmerie Royale -officiers, assistantes sociales- bénéficie par ailleurs de formations internes relatives à des ‘modules’ de protection de l’enfance.

Les problèmes du présent, concernent notamment les obstacles de plus en plus fréquents en matière de placement d’enfants : certaines structures d’accueil sont en effet ‘saturées’, et d’autres, face à la demande continue ‘sans les moyens qui l’accompagnent’, manifestent de plus en plus de réticences à ‘absorber le flux des entrants’.

2.4 Le Ministère de l’intérieur, avec le programme de l’INDH

L’Initiative Nationale pour le Développement Humain, programme lancé par Sa Majesté le Roi Mohamed VI, en 2005, vise à combattre

« … La problématique sociale…défi majeur à relever pour notre projet de société et de développement…» et s’inscrit dans le cadre d’une vision qui nécessite de «…concevoir un modèle de développement qui, tout en favorisant une forte croissance économique, -réduise la pauvreté et les inégalités, -n’engendre pas de nouvelles exclusions -et soit durable ».

Il sera nécessaire de retenir, dans le contexte des objectifs de l’étude, que dans ‘l’approche INDH’, l’enfance abandonnée est considérée comme une population positionnée dans la « précarité extrême » et que les personnes handicapées constituent 5,12% de la population11.

Il faudra également retenir, qu’à travers ses actions, l’INDH vise à «réduire la pauvreté, la vulnérabilité, la précarité et l’exclusion sociale» et à court -moyen terme, «Instaurer une dynamique pérenne en faveur du développement humain et du bien-être… renforcer l’inclusion et la cohésion sociale ».

L’approche, les programmes, stratégies et modalités d’action de l’INDH, puisent dans une démarche qui se veut ‘pragmatique’, une posture professionnelle et rationnelle, à travers des outils de gestion modernes, avec une vision calquée sur le modèle de l’entreprise, des plans d’action, indicateurs de performance, outils d’évaluation, des actions et des résultats.

(9) Voir page 100 à 110.(10) Comparaison des attitudes évoquées lors de l’étude effectuée en 2002, et relative ‘aux mères célibataires dans le grand Casablanca’.

(11) Comme l’étude le soulignera plus loin, ce taux sera à mettre en parallèle

avec celui des enfants abandonnés handicapés qui dépasse 18,5%.

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• Moyens, actions

Dans son programme 2006-2010, l’INDH dispose d’un budget de 10 milliards de dirhams, et a destiné en 2006, un budget au programme précarité de 902.000 dirhams par projet, (427 projets) avec 215 millions de dirhams destinés au MDSFS.

Au cours de l’étude menée, des actions relativement nombreuses de l’INDH ont été identifiées et entreprises en faveur de l’enfance abandonnée, à travers notamment, la construction et/ou l’aménagement et/ou (plus ponctuellement) l’aide au financement, de structures dédiées à l’accueil et la prise en charge de l’enfant privé de famille.

Si certaines critiques ont été ‘adressées à l’INDH’ par des interlocuteurs rencontrés, (et relatives à l’inadéquation de l’offre INDH aux besoins prioritaires) il est apparu nécessaire de souligner parallèlement, (comme évoqué par les acteurs de l’INDH rencontrés) que les demandes émanent des structures elles-mêmes.

Cette ‘insatisfaction relative’ (voire cette ‘attitude ambiguë’) des acteurs de la prise en charge, est à analyser, peut-être, comme une attente ‘supplémentaire’ à l’égard d’un opérateur identifié comme ‘doté d’un potentiel élevé de participation’. L’attente principale à l’égard de cet acteur est généralement une aide au fonctionnement des structures.

Cette participation de l’INDH à la cause de l’enfance privée de famille, en fait probablement sur un plan financier, le principal intervenant institutionnel ‘positif’ dont les impacts et les réalisations ‘tangibles’ sont mesurables à court terme.

Il est apparu cependant nécessaire ici, de soulever un questionnement :

Bâtir, aménager des structures, constitue une réponse en adéquation à des besoins identifiés par les acteurs, de créer et multiplier, les centres dédiés à l’enfance abandonnée, aptes notamment, à se substituer à la prise en charge hospitalière ;

Dans un plus long terme, bâtir, aménager des structures, essentiellement celles à grande capacité d’accueil, est également susceptible de renforcer l’institutionnalisation de l’abandon, avec les risques majeurs d’exclusion que cela comporte.

3 - Secteur associatif

Les autres intervenants, non institutionnels, sont constitués d’ONG, le plus souvent nationales, quelquefois étayées par des coopérations internationales.

• Lors de l’étude, 48 structures en charge d’enfants abandonnés ont été répertoriées : parmi elles, le tiers ne bénéficie d’aucune aide ‘visible’ en dehors de celle déployée par l’hôpital, le reste étant géré notamment par les ONGs, par des actions conjuguées de partenariat.

• Certaines de ces ONGs seront décrites par ailleurs, par les acteurs hospitaliers, comme intervenant à un niveau partiel de prise en charge, et inscrites dans un partenariat ‘santé/association’.

• Dans près de 25% des situations, les ONGs gèrent l’abandon de manière exclusive : en fonction des situations, les soutiens dont elles bénéficient, ‘toujours partiels, insuffisants’, sont plus ou moins constants et nécessitant le plus souvent, une ‘vive interpellation des acteurs institutionnels’ pour être formalisés.

• Certaines ONGs bénéficient également d’aides des collectivités locales, sans que ce soutien soit lui-même inscrit dans un cadre contractuel. Ici aussi se décrivent des initiatives individuelles des intervenants associatifs conjuguées à des positions ‘subjectives’ des institutionnels (sensibilité de certains à la thématique de l’abandon) susceptibles de se traduire par des attitudes ‘positives’ de soutien.

• La prise en charge d’enfants à la naissance, est le plus souvent soutenue par des ‘associations spécifiques’, à l’abandon. D’autres associations, généralistes (locales, régionales, provinciales) ou spécialistes (femmes, enfants, santé, médecins…) sont susceptibles de contribuer à des niveaux variés, en apportant un soutien partiel (ressources, alimentation, soins) aux associations spécialisées dans l’abandon.

Modalités de soutien et coût de l’enfant

Ces différentes modalités du soutien dont bénéficient les associations spécialisées, soulignent elles-mêmes les difficultés du secteur de l’abandon : pour gérer la prise en charge quotidienne de l’enfant, les acteurs associatifs seront menés à gérer la ‘dispersion de l’aide potentielle’, avec le temps, l’énergie, la constance, voire les outils de communication, que cela induit pour y parvenir.

Aussi, l’aide au secteur associatif est-elle également soumise à des éléments en rapport avec la notoriété d’une structure donnée, sa crédibilité, le relationnel de ses membres, leur capacité à communiquer, sensibiliser et convaincre…

Ces cr i tères d’évaluation sont eux-mêmes susceptibles de bénéficier à certaines structures dotées de ressources et d’outils de communication, au détriment d’autres, et en définitive, de créer des écarts sensibles de moyens, entre les associations.

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A travers le discours obtenu lors de l’étude, les ONGs se définissent (et se perçoivent) comme l’interlocuteur principal en matière d’abandon d’enfants. Leurs actions et apports comme les soutiens dont elles peuvent bénéficier, varient à travers une palette de possibilités de prise en charge : régulière/irrégulière ; permanente/ponctuelle ; partielle/totale ; sensible/minime ; contractuelle/non contractuelle ; ‘utile/superflue’ (au regard des besoins et tenant compte des discours qui l’évaluent)…

Les moyens et ressources déployés par les ONGs spécialisées dans l’abandon, constituent entre 80 et 100% de l’ensemble des ressources nécessaires à l’accueil et à la prise en charge des enfants : ces ressources puisent dans l’essentiel, dans le ‘formidable mouvement’ de solidarité de la société civile. Cette solidarité est elle-même favorisée par un travail continu d’information et de sensibilisation, mené par les acteurs associatifs en charge de l’abandon.

Ces éléments nécessitent dans leur ensemble, d’intégrer le coût quotidien de prise en charge d’un enfant en milieu d’accueil : entre 50 et 70 Dhs par enfant.

L’action de ces ONGs se reflètera au travers de l’approche régionale et du recensement menés au cours de cette étude, mais d’ores et déjà, se dessine leur rôle majeur, essentiel dans la problématique de l’abandon, même si dans le présent, parallèlement, les efforts des unes et des autres, ‘ici et là’, semblent avoir ‘atteint le maximum du potentiel’.

Parmi les acteurs de la prise en charge, la Ligue Marocaine pour la Protection de l’Enfance, est un acteur particulièrement visible.

Son engagement en faveur de l’Enfance abandonnée, la représentativité régionale de ses structures, l’implication en faveur de la cause, des bureaux provinciaux de la Ligue même en l’absence de structures dédiées à l’abandon, en font un acteur incontournable, à la fois sur un plan historique et dans la réalité quantitative de l’abandon au présent.

• En amont, des ONG internationales, sont susceptibles d’aider au financement de structures en charge de l’abandon, quelquefois impliquées dans la participation, partielle ou totale, au fonctionnement de l’activité.

• L’UNICEF, organisme spécifique relevant des Nations Unies, soutient des programmes, actions, projets, études, ‘états des lieux’, supports… dédiés à ‘ses’ cibles et domaines d’interventions prioritaires : ‘rural, enfance, femmes, protection, politique sociale et plaidoyer’.

Cette gestion, toujours effectuée dans une vision projets, avec des stratégies et plans d’actions, est majoritairement menée en partenariat avec les institutionnels, comme le ‘MDSFS, l’Education, la Santé’…, ou des ONG locales et représentatives comme la Ligue Marocaine pour la Protection de l’Enfance.

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Synthèse

Au travers de ces éléments non exhaustifs d’analyse des programmes actions des institutionnels en faveur de l’enfance privée de famille, l’on observera notamment :

• Une dynamique naissante de cohésion dans le cadre d’une même vision intégrée du ‘développement social’ pouvant à terme, bénéficier à ‘la population’ privée de famille ;

• Une dynamique naissante de connexion des acteurs pour une chaîne d’intervention continue ;

• Des partenariats et collaborations des différents acteurs en cours de formalisation ou de consolidation ;

Cependant, dans le présent, lorsqu’elles existent, des actions concrètes en faveur de l’enfance abandonnée, réellement insuffisantes, au regard des besoins identifiés, au regard également des ‘plans et programmes’, des prévisions, des engagements et des attributions des institutionnels.

Par conséquent, au travers de ces premières informations relatives au ‘secteur de l’abandon’, des attentes majoritaires se dessinent chez les acteurs de la prise en charge:

• La nécessité pour l’Etat de s’impliquer de manière ‘sensible et conséquente’ ;

• La nécessité de formaliser une structure gestionnaire ‘influente et prépondérante’ susceptible à la fois d’œuvrer directement en faveur de la prévention et de la prise en charge des enfants abandonnés, et de fédérer clairement l’ensemble des intervenants ‘du projet abandon’, de les accompagner et de les soutenir.

• La nécessité d’apporter un soutien global aux structures, financier, organisationnel, stratégique, avec des moyens humains et didactiques.

En somme, après des ‘phases d’études, de réflexion et d’organisation’, la nécessité, pour les institutionnels en charge de l’abandon, d’intervenir à des phases de ‘concrétisation sensible et tangible’, identifiables par les intervenants de la prise en charge.

Ces intervenants de la prise en charge se distinguent par ailleurs par leur contribution, programmes, plans d’actions, moyens,

Ces intervenants de la prise en charge se distinguent également par leur implication dans la question de l’abandon, les effectifs gérés d’enfants privés de famille, et leurs capacités d’accueil.

Il faut souligner par ailleurs et enfin, que les référentiels dominants varient en fonction des intervenants associatifs rencontrés :

• Certains, plus rares, notamment ‘décideurs’, tendront dans les échanges à ‘poser les repères’ et les référentiels ‘droits humains, droits de l’enfant, conventions internationales’, ‘PANE’, à partir desquels ils structureront leurs discours et expliciteront leurs actions et programmes en faveur de l’enfance privée de famille.

Au sein de la LMPE, le discours s’inscrit dans le cadre d’une application des stratégies, programmes, actions, portant sur les droits de l’enfant, évoquant le respect des conventions internationales, avec des référentiels (dont le PANE) et des politiques mises en place et élaborées au niveau central, répercutées à un niveau régional,

A SOS, le discours est majoritairement axé sur la question globale ‘droits de l’enfant’, avec une stratégie évoquée en adéquation,

Au sein de la fondation Rita Zniber, enfin, le discours posera comme préambule aux échanges, la question des droits de l’enfant et le respect des conventions internationales ;

• Pour les autres intervenants rencontrés (majoritaires), la question du droit est apparue,

Chez les uns, ‘diluée’ dans des propos qui évoquent le ‘droit à la vie, à la dignité et au respect’ (propos souvent été évoqués au sein de structures hospitalières) ;

Chez les autres, nombreux, le discours du droit comme référentiel majeur, est relativement absent : ici, il s’agira davantage de propos qui évoquent les sentiments à l’égard des enfants, de compassion, de bienveillance, de ‘pitié’, avec les ‘attitudes charitables’. Il faut souligner ici cependant, que ces questions paraissent envahies par des représentations dominantes qui mettent l’accent sur les difficultés de réalité et relatives à des ‘questions prioritaires’ de prise en charge.

Deux constats, en conséquence

• Le référentiel clair à la convention des droits de l’enfant est relativement peu présent, davantage spécifique de structures historiquement impliquées de façon active dans la prise en charge de l’enfant privé de famille. Parallèlement, au sein même de ces structures, ce référentiel est surtout présent dans les propos des ‘décideurs’.

• La grande majorité des intervenants de la prise en charge, et dans le discours, ne semble pas lier ses actions à un cadre global de réflexion, à une politique d’Etat, institutionnelle, de développement global, intégrant les objectifs du PANE dans sa stratégie d’action. Méconnaissance ?

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En même temps, une tendance semble se dessiner, avec une dynamique globale, avec des efforts qui ne se perçoivent pas toujours dans les discours, mais qui se traduisent dans les actions, en faveur d’une intégration progressive du concept ‘droits de l’enfant’.

Cette intégration progressive est apparue comme offrant une alternative positive permettant d’abandonner (sans que les sentiments qui les accompagnent soient exclus nécessairement) les référentiels subjectifs de la bienfaisance et de la compassion.

Sensibilisation et communication des acteurs et de la population,

En vue d’accélérer le processus d’intégration du discours du droit?

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Préambule : apprehension et modalites d’expression de l’abandon

Les discours restitués au cours de l’étude, par les auteurs, victimes, acteurs de la prise en charge, et relatifs à l’abandon d’enfants à la naissance, mèneront à opérer à des différenciations catégorielles, en rapport aux expressions du phénomène, à ses manifestations, expressions et modalités d’action.

L’on notera que dans les sens attribués, l’abandon à la naissance se percevra différemment avec un lien souvent effectué entre ‘la forme et le fond’. Autrement dit, le regard porté sur l’abandon variera en fonction des circonstances, en le justifiant ou le condamnant, dans une échelle graduée.

1. Actes d’abandon et intentionnalité perçue

Des sens spécifiques sont attribués aux modalités d’abandon de l’enfant :

L’abandon ‘don’ et la diligence perçue à l’égard de l’enfant ’: ce type d’abandon a pour caractéristique de se percevoir comme effectué dans des circonstances qui visent, ‘malgré tout’, la protection de l’enfant, dans la mesure où elles dessinent un projet de vie en dehors de la mère.

Les abandons formulés à l’hôpital, à la porte des mosquées, ‘pour attirer le regard charitable du croyant’, à la porte de domiciles de personnes aisées ‘qui pourraient préserver l’enfant de la misère’ ou encore d’institutions d’accueil, sont appréhendés comme ultimes possibilités d’expression d’une sollicitude maternelle et uniques remèdes accordés ‘à la femme en faute’.

Celle-ci sera appréhendée comme une personne sans recours, contrainte de recourir à l’acte d’abandon, et majoritairement décrite dans une attitude sacrificielle : cette attitude est en même temps associée à des représentations dominées par la perception du féminin ‘maternel instinctuel’ (comme « une mère ne peut pas abandonner son enfant »).

Ces abandons seront majoritairement décrits comme étant sensiblement les plus fréquents, et figurent des séparations douloureuses entre la mère et son enfant.

L’abandon ‘déchet’ ou l’indifférence perçue à l’égard de l’enfant : le nourrisson abandonné se figure ici, rejeté pour ce qu’il représente en tant qu’objet de mépris et de répulsion. Il est davantage perçu comme représentant pour la mère, un objet hostile, ‘mauvais objet’, une menace expulsée et dont il faut se débarrasser sans laisser de trace de la faute commise.

Le plus souvent ces types d’abandons s’effectuent dans des lieux dangereux pour la survie de l’enfant, poubelles, voie ferrée, lieux hostiles : ils évoquent une attitude ‘inconséquente’ de la mère qui ‘se débarrasse de l’enfant sans se soucier’ de sa valeur en tant que créature vivante.

Ces types d’abandons, projettent l’enfant objet dans un projet mortifère : fruit de la faute, ou objet sans désir, il ‘doit’ être effacé de la vie.

Ces abandons seront décrits par les équipes para médicales rencontrées, comme le fait de femmes ‘psychologiquement vulnérables’ (décrites comme perturbées mentalement, malades) ou ayant, comparativement ‘aux autres’, des contraintes additionnelles qui les mènent à ‘se comporter ainsi’.

Lors de l’étude réalisée, ces abandons se retrouvent également décrits lorsqu’ils sont effectués par les grands-mères qui ‘expulsent la honte de leur famille’ et dont l’enjeu se représente comme associé à la survie des autres membres de la famille.

En tout état de cause, ces abandons se perçoivent généralement comme effectués dans l’absence de discernement ou dans une distanciation affective extrême, qui les ‘abandonnent encore, en projetant la mort’.

Chapitre 2

données et analysede l’existant en matière d’abandon d’enfants

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2. Les acteurs dans l’histoirede l’abandon : solidarités féminineset enjeux sous jacents

La solidarité des femmes, qu’elles soient sœurs, mères, amies, parentes ou voisines, sera souvent évoquée dans les histoires d’abandons, à travers les récits des auteur(e)s rencontré(e)s dans le cadre de l’étude, à travers également, les récits d’acteurs susceptibles d’être en contact avec les mères.

Cette solidarité intervient généralement pour décider du destin de l’enfant, qu’elle exclut de la relation avec sa mère. Ce destin se projette en effet, souvent au préalable, précédant la naissance de l’enfant, et se dessine notamment par des femmes, ‘grands-mères potentielles, tantes, femmes de confiance’, qui se percevront ‘adultes et avisées’, au regard d’une mère ‘irresponsable’, ‘fautive’ qu’elles tendent généralement à infantiliser en l’écartant de leur décision.

Aussi cette solidarité féminine décrite, vise, le plus souvent, non pas réellement la protection de la jeune fille enceinte, mais davantage la préservation d’un certain statut d’honorabilité profitable à l’ensemble de la famille, et surtout ménageant le couple mère/fille de ‘la colère des hommes’.

Cependant si les hommes ne sont pas présentés comme des acteurs déterminants dans l’acte d’abandon, c’est généralement autour de leur présence, puissance, exigence, ‘violence’, que se justifiera l’abandon d’enfants.

De fait, si les femmes paraissent envahir le ‘devant de la scène de l’abandon’, c’est le plus souvent dans une perspective de prévention, de ruptures de liens, matrimoniaux, familiaux, sociaux. C’est donc le plus souvent, en prévision de la ‘réaction des hommes’. Autrement dit, si une mère est susceptible de se solidariser de ‘sa fille en faute’, le père lui, s’avérera dans l’impossibilité d’accepter la remise en cause profonde qu’elle ‘lui inflige’ : à travers la grossesse de sa fille, il interceptera en effet et en premier lieu, une atteinte d’image, une perte de statut, d’honorabilité, avec une remise en cause de l’éducation effectuée en direction de la fille.

Une grossesse ‘hors cadre’, sera ainsi le signe de la défaillance de la mère dans ‘ses rôles prioritaires’, en tant que gardienne des traditions, en tant qu’éducatrice morale de ‘sa’ fille. Cette mère contrainte par ses rôles, ne pourra en conséquence, que dissimuler la faute commise par sa fille, et la solutionner à travers un abandon ‘salvateur’.

Aussi un jour, lorsque l’enfant est, ‘malgré tout’, en vie, adopté par un tiers, la révélation de son secret d’abandon sera majoritairement ‘soufflée’ par les femmes.

Dans ce cas, les hommes s’opposeront de nouveau et interviendront, plus spécifiquement, à un autre niveau, pour rétablir ‘le droit d’héritage qui leur revient naturellement’ en excluant le frère ou la sœur, adoptifs, soudain devenus ‘intrus’. L’enjeu financier deviendra alors, à ce moment particulier, fondamental, au point d’effacer la mémoire d’une fraternité éprouvée.

3. Modalités du processus d’abandon, sens attribuésL’étude réalisée repérera différentes manières d’abandonner l’enfant. En fonction des situations, les modalités d’abandon peuvent avoir des conséquences sur les relations futures entre abandonné et abandonnant.

Placement dans une famille ou chez la nourrice : ici, l’enfant, généralement ‘fruit d’une relation illicite’, est confié à une femme, contre rémunération, avec l’intention formulée de le récupérer. La mère, ici, majoritairement mère célibataire, visite l’enfant et le reprend dès lors que ses conditions de vie s’améliorent.

Ce placement dans une famille peut se traduire en abandon réel : pour des raisons diverses, la mère décrite ici, se trouvera dans l’incapacité de reprendre son enfant, et ne donnera plus signe de vie.

L’abandon don d’enfant : cette modalité se retrouve, dans son expression originelle, dans des habitudes anciennes de régulation sociale, qui visent à conforter un couple stérile, en lui offrant un nouveau né. Le don d’enfant, réel ici, a pour caractéristique d’être le plus souvent effectué par la proche famille, notamment de la femme, menacée de répudiation et ‘seule responsable de la situation’.

En fonction des circonstances, l’enfant élevé plus ou moins loin de ses parents biologiques, connaît ou ignore la vérité de ses origines…jusqu’à un certain âge.

L’abandon de femme à femme sans réseau d’intermédiation : deux femmes, dont l’une est enceinte, en situation ‘irrégulière’, l’autre, en situation de légalité et dans le besoin d’enfant, entrent en relation, ‘au hasard’.

Un accord est conclu entre elles : l’enfant sera remis à la naissance à la mère adoptive qui lui donne un nom de père et l’élève dans le secret de sa filiation d’origine.

L’abandon par le biais d’un réseau i l légal d’intermédiation: ce réseau d’intermédiation est susceptible de se trouver dans toutes les sphères, sociales, professionnelles, relationnelles… mais le plus souvent, est lucratif.

Le caractère lucratif varie en fonction des intervenants : un intermédiaire considéré comme contribuant ‘à une bonne cause’, est récompensé de manière ‘symbolique’ pour sa ‘bonne action’.

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Le réseau lucratif ‘criminel’ se distingue lui, à la fois par la professionnalisation de l’activité d’intermédiation, les tarifs pratiqués, et la présence d’intermédiaires masculins : ce réseau a été décrit comme ayant sévi au sein de structures hospitalières, et constitué majoritairement du corps para médical.

Dans le présent, cette pratique est décrite en net recul en raison principalement, de l’implication des médecins et des menaces formulées à l’encontre des équipes.

Lors de l’étude, certains propos d’infirmières rencontrées évoquent ‘la peur du médecin’ en même temps qu’elles justifient le déclin de cette pratique : ainsi des personnes rencontrées, (corps para médical) se trahiront-elles et révéleront, malgré elles, une réalité plus nuancée : « les mères se retournent contre nous, elles veulent reprendre leur enfant »…« c’est interdit…il vaut mieux éviter…il y a beaucoup de problèmes avec les mères…après elles viennent et elles te font un scandale ».

Par ailleurs, des intervenants des structures associatives, (associations dédiées aux mères célibataires) mettront l’accent sur le différentiel entre structures hospitalières : en fonction de leur niveau de mobilisation, certaines structures seront définies comme relativement imperméables à ce genre de pratiques, et d’autres, sensiblement moins ‘préoccupées’, laissant place à d’éventuelles dérives.

Cette pratique en milieu hospitalier est toutefois en déclin, au regard des investigations menées durant le terrain de l’étude, et ce, comparativement à une étude précédente effectuée en 2002, spécifique aux ‘mères célibataires’ (où le personnel hospitalier était décrit comme sensiblement plus impliqué).

Se décrivent en revanche les situations suivantes :

Les tractations par des tiers, à l’intérieur de l’hôpital : des femmes ‘inconnues’ sont décrites comme ‘rodant’ dans les maternités, ‘à l’affût d’une mère célibataire’, et quelquefois, piégées par les équipes.

Ici aussi, en fonction du niveau d’implication du personnel des maternités dans la ‘question des mères célibataires’, en fonction du relationnel établi avec les associations, des attitudes différentielles sont décrites, entre ‘vigilance’ et ‘indifférence’.

Les tractations en dehors de l’hôpital : elles sont décrites comme étant effectuées ‘par du personnel de ménage de l’hôpital’ et consistent à repérer, dans les maternités, l’expression formulée par une mère, d’un abandon futur, pour proposer une intermédiation à la sortie de l’hôpital afin ‘d’éviter toute complication’.

Les tractations en dehors des centres d’hébergement de futures mères célibataires : au coin d’une rue, à l’extérieur des structures d’accueil, un samsar, (agent intermédiaire) guette la mère désespérée et lui propose ses services.

La présence du ‘samsar’ se retrouve favorisée notamment par la proximité de structures en relation avec les naissances d’enfants, hôpitaux ou associations de mères célibataires.

Le coût de ces tractations est décrit comme variable en fonction de la demande, de l’opportunité, de la rareté du ‘produit demandé’ : entre quelques centaines de dirhams et dizaines de milliers de dirhams ! Le maximum entendu lors de l’étude de terrain, de ‘70.000 Dhs l’enfant’, sera décrit comme correspondant à une demande particulière : petite fille blonde aux yeux bleus, pouvant au regard, ‘immédiatement’, être considérée « comme une fille de riches » « la fille de ses parents adoptifs ».

Ainsi contre rémunération, les demandeurs sont décrits comme ayant des niveaux variables d’exigence en fonction de leurs moyens mais aussi de la puissance de leur besoin d’enfant.

Quelle représentativité de l’informel ?

Les abandons, ‘informels’, ont semble t-il, dans le présent, et dans une perspective comparative avec le ‘passé’, davantage de difficultés à se formaliser : réalité ou perception ? En baisse ?

Le différentiel, filles/garçons, (présenté dans le chapitre suivant) qui se ‘creuse au fil du temps’, semble infirmer cette hypothèse.

Les seules relations établies avec ‘certitude’ en confrontant les résultats d’étude, concernent les recours mis en place à disposition des mères, pour favoriser la garde de l’enfant ou son abandon dans le cadre de la légalité.

La possibilité pour la mère d’effectuer aujourd’hui un abandon sans risque d’incarcération,

La présence immédiate d’assistantes sociales en provenance de centres d’accueil de mères célibataires, et susceptibles d’offrir un cadre préalable d’écoute,

Le dynamisme des institutions en charge de la lutte contre l’abandon,

Et l’intégration mère enfant, au sein de structures dédiées à leur prise en charge, sont, dans le présent, des éléments favorables soit à l’abandon formel et légal, soit à une décision de garder l’enfant.

Pour étayer cette analyse, l’étude réalisée indique qu’il existe une relation entre structures de guidance et abandons : lorsque dans une province ou localité donnée, il n’existe aucune structure de guidance, ‘l’abandon visible’ a plus de chance de se manifester dans les centres d’accueil.

Même en dehors de structures dédiées aux mères célibataires, dans les situations où existent des ‘cellules violence’ (hôpital) ou des centres d’écoute (associations), les acteurs rendent compte de services effectués, d’orientation et de guidance, en faveur de jeunes filles enceintes ou de ‘mères en détresse’.Ces éléments indiquent ainsi la forte corrélation qui existe, entre abandon et réponses de l’environnement.

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4 - Pratiques illégales et les niveaux d’exigenceDans le ‘secteur de l’illégal’, une échelle d’évaluation existe, qui intègre des paramètres, eux-mêmes susceptibles de ‘justifier le coût de l’enchère’ :

Premier niveau d’exigence : ‘le genre’.

Ce premier niveau décrit, s’applique au plus grand nombre et concerne le sexe de l’enfant : la fille, est le plus souvent demandée ‘pour sa douceur’ sa ‘malléabilité’, sa fonction future ‘d’enfant support’ de ses parents, de sa mère en particulier, qualités non projetées pour le garçon, même à sa naissance.

Au garçon en effet, sont projetés des risques majeurs d’inadaptation, de contestation, de virulence et de violence, et ce, conformément à l’imaginaire du ‘hrami’, qui tendent à l’écarter d’un projet d’adoption, justifiant ainsi sa sur représentation au niveau des institutions.

Les images de puissance et de violence sont également à mettre en relation avec les images, rôles et statut, attribués au ‘masculin’ et donc, en relation avec la violence des représentations sociales réservées à l’homme.

Dans la mesure où elle intègre des images, fonctions, et rôles attribués aux deux sexes, cette perception sera davantage considérée comme une discrimination liée au genre. Quid de cette violence à l’encontre des hommes dès leur naissance ?

Aussi la requête de fille se traduira t-elle à tous les niveaux, de la ‘demande’ :

A la grossesse : une future mère est repérée par des tiers, et mise en relation avec de futurs parents adoptifs.

L’échographie assurée ‘gracieusement’ par les preneurs éventuels est effectuée, pour en cas de confirmation du ‘bon sexe’, aboutir à un ‘contrat moral’ entre la mère et les adoptants. La future mère est totalement prise en charge jusqu’à la naissance de l’enfant (en clinique, à l’hôpital, où elle donnera le nom des parents adoptifs) et sera, le plus souvent, gratifiée d’un ‘cadeau d’adieu’.

A l’accouchement : les mères s’entendent, et l’une échange son nom en sa faveur. (différence à opérer avec ‘le tanazoul qui s’effectue devant le juge ou à la commune).

Aussi l’abandon des filles au sein des structures associatives, sera-t-il sensiblement plus réduit, créant un second niveau de demande au niveau d’une kafala légale.

« Les filles partent très rapidement de l’orphelinat », « elles sont très demandées » « pour les filles il n’y a pas de problèmes ».

Cette demande élevée de filles peut aller jusqu’à créer des problèmes retardant la procédure de Kafala pour« un juge qui a jusqu’à vingt demandes pour la même fille » et « qui ne sait plus qui il doit choisir » !Cette demande élevée, est également décrite comme favorable à des ‘malversations’, ‘des tractations’ entre parents adoptifs et juges…perceptions ou réalités ? ‘Certains juges, dans certaines régions’ sont attribués de ces pratiques, par des canaux d’information différents...

Second niveau d’exigence : le faciès de l’enfant et son apparence physique.

Ici l’évaluation tient compte d’éléments de conformité aux normes ‘communes’, tenant compte d’éléments subjectifs et discriminants, de perception collective : une peau ‘exagérément’ brune, des signes distinctifs préjugeant de ‘son origine’, ou d’une ‘santé fragile’, constitueront ainsi des critères d’exclusion majeurs de l’enfant proposé.

Niveau d’exigence incontournable et préalable : ‘la normalité’

Le handicap constitue un ‘frein décisif à l’adoption’, une des raisons qui font qu’il se retrouve, surreprésenté, en institution12 .

Ce niveau d’exigence est tel que les institutions excluent elles-mêmes, au regard de leurs expériences et pratiques de l’abandon, dans leurs ‘propositions d’adoption’, le handicap.

Le handicap mental en revanche, et dans la mesure où il n’est pas visible en bas âge, est susceptible, ‘volontairement ou involontairement’ d’être proposé par les acteurs.

Dans ces cas, le plus souvent13 , l’on assistera à des retours d’enfants, autrement dit des renvois et des rejets effectués par des parents adoptifs, qui les destinent à l’institution d’accueil, associative ou hospitalière, que les enfants intégreront pour le restant de leurs jours.

Ces structures d’accueil, dans leur quasi totalité, formuleront quant à elles, leurs difficultés face à la lourdeur de la prise en charge du handicap : l’absence de moyens, financiers, techniques, humains, l’inadéquation des environnements et des ressources, rendent généralement leurs actions limitées à la survie de l’enfant, et par conséquence, inadaptées. La gestion du handicap par un ‘secteur’ non destiné initialement à soutenir ce type de problématique, mènera ainsi les uns et les autres, à pointer la défection de l’Etat et son désistement au détriment de structures par ailleurs absorbées et débordées par l’abandon.

(12) L’étude de terrain menée, identifiera un taux de kafala quasiment nul, pour les enfants porteurs de handicap.(13) Cette remarque est également - et majoritairement- valable pour des enfants présentant des troubles divers du développement psychomoteur, du langage, du comportement, de la personnalité...

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- Eléments de réalité relatifs au handicap des enfants abandonnés

Les données fournies relatives au handicap seront considérées comme partielles dans la mesure où elles ne feront pas l’objet d’un recensement effectué a priori et contenu dans les questionnements des consultants.

Le plus souvent en effet, la question du handicap émergera d’elle-même dans les propos des intervenants rencontrés.

Aussi le chiffre évoqué, sera-t-il considéré comme partiel, ne reflétant pas l’exacte réalité. Malgré cela, l’effectif comptabilisé est apparu comme problématique dans la mesure où ‘même partiel’ il dépasse largement la moyenne nationale évoquée par l’INDH (5,12%). Ici, ‘ajouté à l’abandon’, le handicap représente en effet, 18,5% de la population recensée.

5 - L’abandon légal, formalisé: modalités et discours des acteursDans cette situation, la mère abandonne l’enfant de façon manifeste, soit en le ‘cédant’ à une femme ‘qu’elle choisit’ et avec laquelle elle procède à ‘une cession d’enfant’ de manière légale (Tanazoul chez le juge ou bien sous une forme plus simple, nécessitant deux témoins) soit qu’elle le formule au sein de la structure hospitalière, auquel cas une enquête est ouverte : elle reçoit alors la visite d’une assistante sociale et d’un (à deux) représentant(s) de l’autorité.

Les relations décrites sont ‘courtoises’, respectueuses de son état et de sa décision : en revanche, la mère est ‘aimablement’ encouragée à garder l’enfant, incitée à entrer en relation avec une structure d’accueil de mères célibataires. Ici aussi, les liens établis sont décrits comme susceptibles de modifier sa décision.

L’abandon d’enfant à la naissance, lorsqu’il est formalisé, peut également se faire après la sortie de l’hôpital, au tribunal : dans ce cas, la mère abandonne l’enfant ‘à l’Etat’ qui le place en institution.

6 - Perceptions générales, du formel et de l’informelCes différentes modalités d’abandon évoquées, sans être exhaustives, mettent l’accent sur l’existence d’une pluralité de situations informelles et interrogent sur leur représentativité réelle.

Les perceptions des différents intervenants et relatives à l’informel varient, mais mettent toujours l’accent sur l’importance de ce ‘réseau d’adoptions’ sans pouvoir l’évaluer :

« à mon avis il est plus important que l’abandon légal »... « il doit être au moins équivalent » « ce sont des traditions, on donne l’enfant, c’est différent de l’abandon » « c’est culturel, on fait cadeau d’un enfant à son frère ou à sa sœur qui n’en n’ont pas » « une mère préfère léguer son enfant à une famille précise à un endroit précis plutôt que de lui faire vivre l’enfer de l’orphelinat »… « quand une mère abandonne son enfant, elle veut au moins le savoir dans les bras d’une mère et pas de trente six mille mères » « vous savez les enfants placés dans une institution ne représentent qu’une partie de l’iceberg…la réalité est bien différente »…

Les propos recueillis indiquent une certaine complaisance à l’égard de l’abandon illégal, et assez souvent, tendent à se montrer compréhensifs à l’égard des mères dont l’acte d’abandon est présenté comme ultime recours ou sacrifice.

Cette complaisance se structure à l’origine, à partir de perceptions qui puisent dans les images comparatives entre institutions et parentalité. A l’institution sera le plus souvent associée l’image de la carence affective, et à la parentalité, la capacité de la combler.

En revanche, les lieux d’abandons déterminent les positions des intervenants rencontrés à l’égard des mères : les abandons de rue, les lieux choisis, voie ferrée, poubelles…sont décriés et rendent leurs mères ‘répréhensibles’, ‘amorales’, nécessitant ‘d’être jugées’… alors que les ‘abandons de mosquées’, ‘hammams’,‘cessions’, placements, et autres adoptions ‘non conformes’, s’associent dans les représentations, à des ‘circonstances atténuantes’.

7 - Attitudes à l’égard des mèresLes attitudes à l’égard des mères varient entre deux perceptions majoritaires :

• ‘Mères fautives et responsables’ nécessitant d’être ‘molestées’, encouragées par une loi ‘devenue trop souple’ : ce discours existe même au sein de structures associatives positionnées dans les droits humains et/ou le droit des femmes. Les ‘libres mœurs’, ‘le laisser aller’, ‘la prostitution’, sont ainsi pointés du doigt et mis en avant, par certains intervenants.

A travers ce discours décrit, se traduit la volonté de ‘revenir en arrière’ avec, directement ou indirectement, la remise en question des acquis du ‘nouveau’ code de la famille.

• ‘Mères contraintes et forcées’, ‘insuffisamment préparées’ (en termes didactiques et professionnels) nécessitant un soutien pluriel, éducatif, sanitaire, financier et d’insertion professionnelle : ce discours est, comparativement, davantage représenté.

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• L’abandon d’enfants sera mis en relation avec une pluralité de facteurs de vulnérabilité, mais tendra davantage à évoquer les aspects prioritaires, définis comme ‘majeurs’, d’éducation, d’éducation sexuelle et de prévention. Dans ce discours, à travers la contraception notamment, l’accent est mis sur le préventif.

Et les pères ?

Généralement, les discours occultent le père, comme si les modalités de la rencontre, le consentement à une sexualité ‘non conforme’, le pouvoir de décision, de garde ou d’abandon de l’enfant, relevaient de la responsabilité de la mère seule.

Le plus souvent, les discours institueront ainsi la mère seule,

Soit coupable et fautive, soit victime.

Dans la question de l’abandon, Evoquer une responsabilité conjointe sans procès ni culpabilité ? Installer les deux partenaires dans une position adulte avec un ‘référentiel droits’ dominant ?

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Enfance abandonnéeà la naissance au Maroc

1 - Rappel du périmètre d’étudeet méthode• Définition

L’étude réalisée porte sur les ‘abandons à la naissance’ : il s’agira donc, conformément aux objectifs, de répertorier principalement, au sein d’une localité, province, ou région donnée, pour une année considérée, les admissions pour abandon.

Ces admissions concernent en majorité, une population de nourrissons, nouveau-nés, abandonnés à la naissance. Toutefois certains bébés, enfants généralement âgés de moins de cinq ans, sont susceptibles d’être abandonnés et de figurer parmi les entrants, au sein des structures associatives notamment.

En comptabilisant pour chaque année, les nouvelles admissions, cette démarche, (outre qu’elle permet d’éviter l’écueil du double comptage des abandons sur une période considérée) est dans le présent, et considérant les ‘déficits’ identifiés de traçabilité (ou de rétention) de l’information, seule susceptible de rendre compte de la dynamique (de stabilité, régression ou croissance) de l’abandon en tant que phénomène visible.

Aussi sera-t-il nécessaire, pour les acteurs menés à réfléchir et mener des actions de correction ou de prévention de l’abandon, et afin d’appréhender la problématique dans sa globalité, de considérer les effectifs généraux des pensionnaires, ceux ayant été admis les périodes précédentes et toujours résidents au sein de structures hospitalières ou associatives.

2 - Approche méthodologiqueLes premières données de terrain orienteront vers une collecte d’informations, effectuée en fonction d’une segmentation du royaume en régions, telle que définie par le Ministère de la Santé. Cette segmentation, moyen et non finalité, se justifie elle-même en raison d’une donnée de terrain : la santé constitue avec le secteur de l’associatif, un des ‘lieux source’ d’accueil et/ou de prise en charge de l’enfant abandonné.

Les premiers résultats - caractère disparate et discontinu des informations, insuffisance des données fournies, notamment en région, hétérogénéité des paramètres d’évaluation1 en fonction des structures- mèneront rapidement à adopter une approche de ‘pointage ou recensement’ des abandons de naissance.

Cette première étape sera nécessaire dans la mesure où elle permettra de visualiser un ensemble de données de réalité fournies, afin de construire lors d’un second temps, des échantillons représentatifs et spécifiques à des paramètres d’étude : ceux relatifs aux admissions, ceux portant sur la variable sexe, ceux relatifs au devenir d’enfants…

Ces échantillons constitués permettront lors d’une étape finale et à partir d’éléments de réalité :

D’effectuer une analyse statistique en mesure de rendre compte de l’évolution de l’abandon visible et d’en étudier les principales composantes.

D’intégrer des données complémentaires susceptibles d’en évaluer l’ampleur, pour enfin et par ailleurs, figurer des scénarii susceptibles de rendre compte de la réalité de l’abandon, en y intégrant notamment, et en partie (en partie seulement) les signaux indicateurs de l’abandon ‘invisible’, illégal, effectué en dehors des institutions d’accueil et de prise en charge.

Le premier volet présentera, succinctes, les données de réalité spécifiques de régions2 ; ces données enseigneront sur le mouvement de l’abandon visible, sur les dynamiques institutionnelles qui en réduisent l’existence ou accroissent la visibilité.

(1) Lexique utilisé dans les structures d’accueil. ‘Entrants, admissions’ désignent chez l’ensemble les nouveaux abandons ou abandons de l’année. Le vocable ‘sortants’ désigne autant les kafalas de l’année, que les décès, que les enfants récupérés par leurs familles, ou les transferts. Dans certaines structures, les paramètres sont différenciés et dans d’autres, regroupés sous un même intitulé. Le terme ‘transfert’ est utilisé pour désigner le passage de l’enfant, du premier lieu d’accueil vers une autre structure, ici généralement les maisons de bienfaisance, orphelinats, ou moins fréquemment (LMPE ; SOS ; Fondation R.Zniber) vers une structure d’accueil relevant du ‘même réseau’.

(2) L’ensemble des données obtenues, spécifiques et détaillées de régions, sont présentées en annexe P 23 à 46.

Chapitre 3

données quantitatives

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Le second volet traduira les tendances statistiques en mesure d’être effectuées dans le présent, considérant les paramètres actuels, d’évaluation de l’abandon, à travers l’étude des admissions.

I - Région meknès-tafilalet Fondation rita zniber- hôpital Mohamed VPérimètre de couverture : 5 délégations, Meknès, El Hajeb, Ifrane, Khénifra, Errachidia.

1 - Prise en charge de l’abandon

Elle est assurée pour l’essentiel, par la fondation Rita Zniber à travers deux centres :

La crèche du Nid’, réservée aux abandons à la naissance, et localisée au 5ème étage de l’hôpital Mohamed V, Le centre de Bab Jdid, destiné aux enfants plus âgés.

La fondation gère l’abandon de la région, principalement des villes de Meknès, partiellement Errachidia (dans le présent ‘Association Amal’ et ‘Lutins des sables’), el Hajeb.

Les abandons d’Ifrane, khenifra, Midelt, sont susceptibles d’être gardés sur place, au sein de l’hôpital, sans soutien associatif associé.

A Meknès, il n’existe pas de structure d’aide aux mères célibataires : en revanche une cellule ‘violence’ à l’hôpital reçoit des mères et les oriente vers Casablanca.

2 - Exploitation des données Données de la fondation disponibles, à jour, ‘complètes’, communiquées par l’organe central et les équipes du Nid. Accès au registre et recensement exploité sur Excel relatif à l’itinéraire de 1097 enfants.

Données des provinces communiquées par les délégations : elles concernent essentiellement les nouvelles admissions de 2008.

3 - Résultats : les donnéesde Meknès indiquent

3-1- L’enfant

Total pensionnaires,

• Entre 1998 et 2008, un effectif annuel du total ‘enfants abandonnés’, en baisse : 266 en 1998- 103 en 2008.

• Une forte représentativité des garçons, supérieure, jusqu’en 2006, de 10 à 12 fois par rapport aux filles.

• Un taux de handicap de 14%.

Admissions

• Un effectif total d’admissions sur les onze années, de 1097 enfants

• Un effectif annuel d’admissions relativement stable en valeur absolue (92 enfants en 1998, et 89 en 2008).

• Tenant compte de l’augmentation des naissances dans la région, ce taux d’abandon sera considéré en baisse.

• En 2008, une représentativité filles garçons avec deux fois plus de garçons.

Rapport entrées sorties d’enfants

• En 1998, un déséquilibre des flux, entrants/ sortants, en faveur des entrants.

• En 2008, un inversement de tendance, avec davantage de sorties d’enfants que d’entrées.

Lieux d’abandon de l’enfant

• En 1998, 24% des abandons sont effectués sur la voie publique, et 63% formulés au sein de structures hospitalières, (le reste relevant de la rubrique ‘inconnu’)

• En 2008, 11% des abandons sont effectués sur la voie publique et 77% formulés au sein de structures hospitalières.

En conséquence, l’identité de l’enfant abandonné,

• Entre 1998 et 2008, une augmentation de 25% des enfants dont l’identité est connue,

Devenir de l’enfant abandonné,

• En 1998, 47% des enfants admis sont pris en kafala, 5% repris par leurs parents, 11% décèdent et 36% restent au sein de l’institution,

• En 2008, 70% des enfants admis sont pris en kafala, 6% retournent à leur famille, 2,5% décèdent et 22,5% restent à l’hôpital.

• Donc une augmentation sensible du taux de kafala corrélative d’une diminution de l’institutionnalisation et d’une diminution significative de la mortalité de l’enfant abandonné.

L’augmentation du taux de kafala concerne ici, autant l’effectif global des pensionnaires (de 17,5 à 61%) que celui des enfants admis (de 52 à 78%).La kafala des garçons augmente de 33% et celle des filles de 15%.

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• Tableau récapitulatif de l’abandon à Meknès

Synthèses 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

Garçons 245 301 363 369 406 388 358 359 360 90 81

Filles 21 32 26 43 44 40 36 33 23 25 22

Total 266 333 289 412 450 428 394 392 383 115 103

Entrants 92 127 143 119 114 78 83 91 72 91 89

Sortants(3) 64 60 86 69 62 100 117 84 90 93 91

• Tableau indicateur du devenir de l’enfant entrant

Devenir de l’enfant 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 Total

Abandonsnouveaux

92 127 143 119 114 78 83 91 72 91 89 1097

Adoptions 45 38 49 46 49 98 111 82 76 75 79 748

Décès 12 10 29 15 11 7 1 4 3 9 2 103

Reprismères ou parents

8 10 8 8 6 7 7 3 7 11 6 81

3-2 - Données relatives à la mère, auteure d’abandon

Les données indiquent :

• Identité : de plus en plus de mères connues de 63 à 82%,

• Age : entre 1998 et 2008, une augmentation des mères âgées entre 15 et 25 ans

• Origine : ‘inchangée’, même répartition rural/urbain.

• Statut : inchangé, mères célibataires à plus de 90%

• Statut professionnel : dominant, sans profession; augmentation des ouvrières et des femmes de ménages.

Synthèse :dynamique de l’abandon visible

L’ensemble des données relatives à la gestion de l’abandon dans la ville de Meknès rend compte :

• D’une réduction sur la période 1998-2008, de près de 60% du ‘total abandons’.

• D’une diminution très sensible du différentiel filles/garçons abandonnés.

• D’une amélioration sensible du devenir de l’enfant abandonné, liée ici, à la fois, à la dynamique associative et à la qualité de la coordination des acteurs, association, santé, justice.

• D’une augmentation de la kafala d’enfants associée, en partie à une kafala par des étrangers. Cette kafala par les étrangers bénéficie sensiblement aux garçons.

• D’un niveau spécifique de confiance des mères en direction des acteurs et qui les mènent (comparativement à la grande majorité des régions), à éviter les abandons de rue.

(3) Les sortants définis intègrent les ‘kafalas’, les ‘décès’, ‘les enfants repris par leurs familles’ et ‘les transferts’ vers une structure d’accueil dédiée à l’enfant âgé de plus de six ans.

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49

4 - Région meknès :données complémentaires

Les données additionnelles de la région de Meknès concerneront celles des provinces de Khénifra, Midelt, Azrou, Errachidia.

Constats

• Les enfants abandonnés dans les provinces sont hébergés en milieu hospitalier, au sein de services de maternité ou de pédiatrie.

• Les données de provinces sont considérées comme partielles dans la mesure où pour Khénifra, l’information globale sera limitée à des variables ‘entrées, sorties, kafala, décès’ et pour Midelt uniquement limitée aux admissions.

• Les données obtenues concerneront ici, la période 2000-2008.

Données

• Errachidia : une augmentation de l’effectif des nouveaux abandons : 10 en 2000, et 26 en 2008. Cette augmentation est sensible et progressive, notamment depuis 2005. Cette augmentation apparaît liée à l’existence d’une structure associative.

• Khénifra : entre 2000 et 2008, une relative diminution des nouveaux abandons de 12 à 10.

• Midelt : entre 2000 et 2008, une diminution des nouveaux abandons de 7 à 4.

Synthèse, région Meknès Tafilalet

• En 2000 un effectif total de nouveaux abandons de 172, et de 131 en 2008.

• La majorité des abandons de la région s’exprime au sein de la fondation Rita Zniber.

• A Errachidia également et relativement, l’abandon est rendu visible par l’existence d’une structure de soutien.

• Ces abandons dans leur ensemble, sont susceptibles de traduire des abandons en provenance de régions éloignées, rendant difficile une analyse en mesure d’indiquer une spécificité régionale.

• L’effectif des abandons varie d’une année à l’autre, avec un caractère aléatoire dominant.

• Dans la région également, et tenant compte des données fournies par le Ministère de la Justice, (cumul effectués des données de provinces, Errachidia, khénifra, Midelt, Meknes), un effectif total des enfants inscrits comme abandonnés de 251, et de 243 jugés.

II - Région ‘Fes Boulemane’

Centre Al Amal- hôpital el ghassani - centre El Ouafa

Périmètre de couverture : deux délégations, Fès, Boulemane et Sefrou

1- Prise en charge de l’abandon

Fès

• Centre El amal : structure édifiée au sein de l’hôpital Ghassani, avec deux bâtiments dont un nouveau (financement fondation Mohamed V). Le centre gère la quasi-totalité des abandons nouveaux. 167 pensionnaires lors de l’investigation. Transferts : Dar El Ouafa, SOS Al Huceima ou Ait Ourir.

• Dar el Ouafa : structure habituellement destinée à des enfants âgés de 4-9 ans, qui reçoit généralement les enfants du centre Amal et exceptionnellement, de nouveaux abandons. 114 pensionnaires au moment de l’étude, (dont 15 filles).Transferts effectués vers la maison de bienfaisance de Guerouawa.

Sefrou

• Absence de structure spécifique dédiée. Les enfants séjournent au sein de l’hôpital, avec un soutien de l’association Fatima el Fihria elle-même soutenue par ‘Lutins des sables’. Pendant la période d’investigation, le local abritait 6 enfants.Transfert : orphelinat Taj Mouti, Fès.

2 - Exploitation des données

Les données, disponibles, exploitées à partir du registre des services sociaux, tenus par l’assistante sociale, renseignent sur le sexe de l’enfant, les circonstances d’abandon avec quelques indications relatives au devenir de l’enfant. Trois périodes seront retenues : 1998-2000 ; 2004 ; 2007-2008.

3 - Données de région

• FES essentiellement, Sefrou 2008

3-1 L’enfant

Admissions pour abandon

Depuis 1998, une stabilité manifeste des nouvelles admissions pour abandon à Fès/Boulemane: considérant

l’évolution des naissances dans la région, cette stabilité figure une diminution de l’abandon visible.

une augmentation de 18% du taux d’enfants abandonnés handicapés (Fès) ;

Page 52: ENFANCE ABANDONNÉE AU MAROC

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un différentiel des effectifs, en fonction du sexe de l’enfant : avec un taux de garçons supérieur mais

relativement stable entre les deux périodes (57,5% en 1998 et 59,5% en 2008)

en 2008, un effectif ‘total région’, de nouveaux abandons, de 88 enfants : 94,5% d’entre eux à Fès.

Lieux d’abandon de l’enfant

• Un taux élevé d’abandons de rue, avec cependant entre 1998 et 2008, une baisse de près de 20% (92,5% et 73,5%)

En conséquence, l’identité de l’enfant

• Une relative augmentation d’enfants dont l’identité est connue.

Devenir de l’enfant

• Un taux élevé de mortalité, en baisse cependant de 9,5%

• Une baisse relative de 4% du taux de kafala des entrants (de 52% à 48%)

• Une augmentation de 16% de la kafala des garçons avec une diminution de 30% de la kafala des filles.

1998 1999 2000 2004 2007 2008

Filles 34 29 29 33 32 32

Garçons 46 56 45 46 53 47

Total 80 85 74 74 85 79 83

4 - Tableau récapitulatif des admissions Fès Boulemane

Synthèse région • A Fès, bien que limitée à certaines variables, une organisation logique des données relatives à l’abandon, (des données à jour, par ailleurs et disponibles) ;

• En 2008, la région Fes- Boulemane- Sefrou, compte un effectif d’abandons nouveaux de 88 enfants ;

• Une dynamique de kafala stable sur 11 annnées.

• Un total région, en 2008, de 21 enfants porteurs de handicaps.

Les données de la Justice, rendent compte, dans la région de Fès Boulemane, d’un effectif total d’enfants inscrits de 31 et de 64 jugés. Ces données sont apparues comme paradoxales avec celles fournies par les ‘acteurs du placement’ : dans la mesure où tous les abandons placés sont d’abord inscrits, les données de la Justice devraient être quantitativement supérieures à celles fournies par les structures d’accueil.

Page 53: ENFANCE ABANDONNÉE AU MAROC

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III- Région Rabat Zemmour Zaers

Centre Lalla Mériem (LMPE)khemisset, hôpital,Périmètre de couverture : 5 délégations, Rabat, Salé, Temara, Skhirat et Khemisset.

1 - Structures en charge de l’abandonRabat • L’essentiel des abandons est géré par le Centre Lalla Mériem, affilié à la Ligue Marocaine pour la Protection de l’Enfance (Rabat).

Le centre Lalla Meriem recueillait lors de la période de réalisation d’étude un effectif total, de 200 pensionnaires. 45 enfants sont handicapés. (22,5%)Transferts : les enfants ‘sains’, non placés et non repris, sont orientés vers le centre de Akari (Rabat), vers home Lalla Amina, Benslimane, (LMPE) ou SOS.

A Khémisset

Les enfants abandonnés séjournent à l’hôpital, dans la salle de garde réservée aux sages femmes, sans soutien associatif identifié.

Depuis 2009, des possibilités de transfert de l’enfant, vers le centre Lalla Mériem, existent.

Les données fournies ici ne concernent qu’une seule variable : les admissions.

2 - Exploitation des donnéesInformations fournies établies par la direction centrale de la Ligue.

Les paramètres de l’abandon fournis et pris en considération

Données complémentaires, service social du Centre Lalla Mériem.

Les données du centre Lalla Mériem indiquent :

Concernent les variables suivantes : admissions, kafalas globales, ‘repris’ transferts, décès. Depuis 2004, une nouvelle variable permettant d’établir un différentiel, filles, garçons. Effectif total des pensionnaires,

• Entre 2001 et 2008, une réduction de près de 26% de l’effectif global des pensionnaires.

Admissions

• Entre 1998 et 2008, une diminution de près de 24% des nouvelles admissions pour abandon.

Sexe de l’enfant admis

• Entre 2004 et 2008, un écart sensible entre filles : cet écart se creuse par ailleurs progressivement sur une période de 5 ans, avec en 2004, une représentativité des filles de 41% et en 2008 de 28,5%.

Devenir de l’enfant abandonné

Kafala

• Entre 2002 et 2008, une diminution relative du taux de kafala global (ensemble des pensionnaires) de 22,5% à 19,5%.

Réintégration dans la famille naturelle

• En 2001 près de 8% des enfants, en 2008, 3,5% (moyenne de 6,5%).

Taux de mortalité

• Entre 2002 et 2008, une réduction sensible du taux de mortalité de 7,5% à 1,5%.

3 - Tableaux récapitulatifs des abandons du centre Lalla Mériem

1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

Total pensionnaires 341 336 312 275 252 266 253 253

Nouvelles admissions(1) 137 165 180 176 140 139 123 129 123 104 104

Nouvelles admissions filles 33 34 35 25 23

Nouvelles admissions garçons 80 95 88 79 81

Kafalas 73 73 80 71 76 105 112 82 75 67 49

Repris par parents 9 14 25 27 23 30 18 10 19 15 9

Décés 26 25 6 5 2 6 4 4

Transfert de l’enfant 14 26 17 17 15 17 18 5

(1) Si en raison du sujet d’étude, et pour des besoins d’évaluation, l’accent est mis sur les nouveaux abandons, il est nécessaire parallèlement, de considérer l’ensemble des pensionnaires gérés par le centre Lalla Meriem pour évaluer à sa mesure, le poids réel de la prise en charge de l’abandon. Les admissions constituent ici, moins de 50% de l’effectif total, nouveaux et anciens pensionnaires. Aussi, après l’institution lalla hasnaa, le Centre Lalla Meriem représente le second centre en effectifs, d’accueil d’enfants abandonnés, âgés de ‘0’ à 5-6 ans

Page 54: ENFANCE ABANDONNÉE AU MAROC

52

4 - Les données de Khémisset indiquent,

• Entre 2000 et 2007, un effectif total d’admissions similaire, 7 enfants

Synthèse région (référentiel Centre Lalla Mériem)

• L’essentiel des abandons est géré par le Centre Lalla Meriem

• Entre 1998 et 2008, un total cumulé des admissions pour abandon, de 1520 enfants

• Entre 1998 et 2008, une diminution des admissions de 31%

• Différentiel filles garçons (période 2004-2008) : une représentativité des filles de 27% en 2004, et de 22% en 2008.

• Kafala (période 2001-2008) : un taux global de kafala en 2001 de 21% et de 19,5% en 2008.

• Décès : un taux de mortalité de 7,5% en 2001 sensiblement réduit en 2008, 1,5%.

• Un total admissions Rabat et Khémisset en 2008 : de 111 enfants.

• Les données fournies par le Ministère de la Justice (cumul des inscriptions pour abandon à Rabat, Témara, Salé, Rommani, Khémisset) indiquent un effectif total d’enfants inscrits dans la région, de 193 (142 jugés).

IV - Région grand CasablancaAssociation Al Ihssane des enfants abandonnés - institution Lalla Hasnaa

Périmètre de couverture : Casablanca, Mediouna, Mohamedia et Nouacer.

Naissances : en 2007, 43136 accouchements, dont 9377 au CHU ;Naissances : en 2008, 45407 accouchements, dont 9612 au CHU.

1 - Structures en charge de l’abandon

Seule l’institution Lalla hasnaa, financée pour l’essentiel, par l’association Al Ihssane, est en charge

des nouveaux abandons dans la région. Sa capacité d’accueil est de 300 enfants5

Les enfants non adoptés sont transférés, à SOS village d’enfants, à la ‘maison de Bienfaisance de Ain

Chock’, à ‘Sidi Bernoussi’ ou en cas de handicap, au centre Baouafi.

2 - Exploitation des données

• Les données obtenues auprès de l’association, ont été préalablement organisées.

• Les paramètres d’identification de l’abandon sont relatifs à l’enfant, ‘ancien, nouveau’, à travers des variables entrées, sorties, kafalas, transferts décès.

• Le différentiel, filles garçons est établi à partir de 2007.

• Aucune donnée relative aux modalités d’abandon de l’enfant, à son identité, à sa mère, n’est disponible.

3 - Les données du grand Casablanca indiquent :

Effectifs des pensionnaires au sein de l’institution,

• Entre 1998 et 2008, une variation des effectifs du ‘total pensionnaires’, en fonction des années, qui se situe entre 7 et 12% ;

• Une gestion des ‘flux entrants sortants’ qui s’accélère à partir de 2006.

Admissions pour abandon, hausse sensible en 2008, avec,

• Un total admissions entre 98 et 2008, de 1337 enfants

• Entre 1998 et 2007, une variation des entrées qui se situe entre 1 et 12%

• Avec une augmentation significative en 2008, (84%) du taux des nouveaux abandons ;

Sexe de l’enfant entrant

• Une représentation sensiblement supérieure des garçons, 76% du total entrants en 2007, et de 72% en 2008

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Devenir d’enfants abandonnés,

kafala

• Une stabilité du taux global de kafala (moyenne généralement située entre 18 et 20%)

La kafala des entrants est nettement supérieure, notamment en 2007 où elle atteint 80% du total

admissions ; en baisse de moitié en 2008.

• Le taux de kafala des garçons connaît en 2007, une hausse sensible (taux de 72%), qui diminue en 2008.

Réintégration au sein de la famille naturelle.

• Une augmentation de l’effectif des enfants repris, de près de 4% en 1998 à 7,5% en 2008.

Décès

• Un taux de mortalité de près de 2% en 1998 et de 1,5% en 2008

Transferts

• Un taux relativement similaire de 10,5% en 1998 et de 11% en 2008.

4 -Tableaux récapitulatifs des abandons dans le grand Casablanca

4 -1- Rapport anciens et nouveaux abandons

1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

T Enfants 320 330 343 345 374 365 374 386 397 351 361

Admissions 100 120 114 122 116 111 107 129 126 108 184

Sorties 110 101 120 82 119 98 117 115 154 173 137

4 - 2 - Devenir d’enfants

1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

Kafala 65 59 75 41 76 61 71 76 81 82 65

Transfert 33 22 32 27 24 17 36 15 51 71 40

Récup familles 12 14 6 10 11 11 6 17 17 15 27

Décès 6 6 7 4 8 9 4 7 5 6 5

Restants 210 229 223 258 254 267 257 271 243 177 224

4 - 3 - kafala des entrants : années 2007-2008

T. Admissions filles Taux de kafala filles Total entrants garçons Taux de kafala garçons

2007 26 88,5 82 72

2008 51 37 133 46

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Synthèse Casablanca

• Une stabilité relative de la quasi-totalité des variables qui définissent l’abandon,

• Une croissance ‘inexpliquée’ de l’effectif des entrants en 2008 : augmentation conjoncturelle ?

• En revanche une diminution sensible de la discrimination filles/garçons en matière de kafala : cette diminution est elle-même associée à la dynamique associative et à la coordination des acteurs.

• Un différentiel d’entrants, garçons/filles, qui tend à diminuer au cours de l’intervalle 2007-2008 : En 2007 près de 4 fois plus de garçons que de filles ; en 2008, le rapport est de 2.

• En 2008, le rapport abandons par rapport aux naissances de la région est de 0,4% (184/ 45407) : un abandon toutes les 250 naissances ? ce rapport est à interroger (abandons manifestes, visibles d’enfant ; itinérance des mères de l’abandon).

• Des contradictions au niveau des différentiels des données entre sources : 140 abandons inscrits dans la région pour le Ministère de la justice, 184 pour Lalla Hasnaa.

V - Région Chaouia Ouardighahôpitaux, Benslimane, Settat.Association ‘les amis des bébés’ et hôpital, khouribga

Périmètre de couverture : villes ou provinces de Settat, Ben Hmed, El Gara, Berréchid, Benslimane, Khouribga.

1 - Prise en charge de l’abandon

• A Settat, les enfants sont intégrés au sein du service pédiatrie dans un local de 9 mètres carrés qui leur est dédié, sans soutien associatif. Au moment du travail de terrain, 6 enfants.

• Khouribga reçoit tous les abandons de Oued Zem et de Boujad, à l’hôpital en pédiatrie, avec les malades, avec un soutien associatif ‘partiel’ d’une association ‘les amis des bébés’, (pris en charge de façon dominante, dans le discours obtenu, par la ‘Santé’). Au moment de l’investigation : 3 enfants, dont un handicapé.

• A Benslimane les enfants séjournent à l’hôpital, en pédiatrie, dans des conditions de vie non conformes. Pas de soutien associatif évoqué. Au cours de la période d’investigation, une fille. Dans le passé des possibilités de transfert existaient : dans le présent, difficultés. Solution trouvée kafala provisoire.

2 - Exploitation des données

• Données de Berréchid et de Settat, communiquées par le service social de l’hôpital Hassan II (effectif de 6 lors de la période d’investigation).

• Données de Khouribga, Oued Zem, Boujad...communiquées par la délégation de khouribga.

• Données de Benslimane communiquées par la délégation.

3 - Données de région

• Settat

• Un effectif d’admissions pour abandon stable entre deux périodes 2003 et 2008 (23 enfants)

• Un taux de représentation des filles, de 26%.

• L’essentiel des abandons est effectué dans la rue.

• La grande majorité des entrants séjourne entre 4 et 8 mois au total avant la prise en charge quasi systématique en kafala. Les enfants restants figurent des difficultés liées soit au handicap, soit à la gestion administrative de leurs dossiers.

• Khouribga

• Entre les deux périodes 1998 et 2008, une faible représentativité de l’abandon, avec une moyenne de 5 abandons par an. Un effectif cumulé de 51 enfants sur la même période ;

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• Un rapport filles garçons relativement équilibré dans la région (filles 45%)

L’effectif diminue entre les deux intervalles, 1998 et 2008 (7 et 2 enfants).

Devenir d’enfants : près de 12% repris par leur famille, 80% placés en kafala, (le reste, décès, 5% et handicap 2%).

• Benslimane

• Au cours de l’intervalle 1998-2008 : 14 admissions pour abandon. (0 en 1998, 2 en 2008) ;

• Pas de différentiel établi filles/garçons

• Devenir d’enfants : près de 42% sont transférés dans des structures d’accueil, à Rabat, Settat ou Casablanca.

4 -Tableau récapitulatif de l’évolution de l’effectif des admissions pour abandon dans la région.

Période 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

Admissions 7 6 3 7 10 29 26 38 19 34 27

Benslimane Khouribga

+ Settat (2003-2008)

Synthèse• Une évolution de l’effectif des abandons dans la région, en lien avec l’accès à des structures d’accueil.

• Le défaut de structures s’accompagne d’attitudes qui visent à recourir directement au juge, à procéder à la kafala provisoire, mais aussi à encourager les adoptions informelles de l’enfant.

• Les données du Ministère de la Justice indiquent une très forte représentativité de l’abandon dans la région. Les effectifs cumulés pour les provinces citées (settat, Ben Slimane, Berréchid, Khouribga, Ben Hmed) laissent entrevoir 483 inscriptions pour abandon ! réalité de l’abandon dans la région ou artefact de définition ?

Page 58: ENFANCE ABANDONNÉE AU MAROC

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VI - Région Doukkala AbdaSafi. Hôpital El Jadida :Crêche Du Docteur Sebbar. AAEA

Périmètre de couverture : Safi et El Jadida, villes ou provinces d’Azzemour, Bir Jdid, Sidi Bennour.

1 - Prise en charge de l’abandon

• A Safi : local du personnel de l’hôpital

• A El Jadida, gestion des abandons d’Azzemour, Bir Jdid, Sidi Bennour. En charge, ‘la Crèche du docteur Sebbar’ gérée par l’association ‘d’Aide aux Enfants Abandonnés et aux Enfants Malades’ (AAEA), soutenue par les Lion’s de Mazagan : centre dédié, mitoyen de l’hôpital et construction d’un étage par l’INDH . A la période d’investigation : 11 enfants.

2 - Exploitation des données

• El Jadida : données fournies par l’association. Consignées à partir de 2006 ; variable fournie et disponible : différentiel filles garçons.

• Safi : seule donnée fournie, admissions de 2006.

3 - Données

• El JADIDA

• Nombreuses irrégularités évoquées et relatives à la gestion passée et présente de l’abandon (secteur de l’informel, de l’illégal, de l’intermédiation, secteur associatif)

• Réponse des acteurs à travers la création d’une crèche ‘Docteur Sebbar’, dédiée à l’abandon.

• Le handicap est représenté avec un taux de 27%

• Admissions : sur une période de trois années, gestion d’un total de 48 enfants.

• Sexe de l’enfant admis : 100% sont des garçons (confirmation du discours relatif au trafic des filles ; nécessité ici de redresser l’effectif pour approcher la réalité).

• Entre 2006 et 2008, évolution des abandons de près de 27%.

• SAFI

• Nombreuses difficultés liées à la gestion de l’abandon (structures de prises en charge, soutien, coordination avec les administrations). Conséquence : les abandons sont gérés ‘de particulier à particulier’, et kafala à 100%. 6 admissions pour abandon en 2008.

Synthèse région• Un total admissions Région en 2008 : 21 enfants

• Les données de la Justice (pour Safi, el Jadida, sidi Bennour) indiquent pour la même année, un effectif total d’abandons inscrits de 86 (dont 85 jugés).

Page 59: ENFANCE ABANDONNÉE AU MAROC

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VII - Région Tadla AzilalBeni Mellal Association ’Bab el kheir’Périmètre de couverture : Fkih Ben Salah, Kasba Tadla, Moulay Ismail, Beni mellal, Azila

1 - Prise en charge de l’abandon

• Les abandons sont orientés vers l’hôpital de Beni Mellal, au sein du service pédiatrie puis vers un centre dédié à l’enfant abandonné, et géré par l’association Bab El Kheir.

A la période d’investigation, un effectif total de 49 enfants. Spécificité régionale : les abandons de rue sont inférieurs aux abandons formulés au sein de structures hospitalières. Les mères sont donc souvent connues.

2 - Exploitation des données• Données fournies par l’assistante préfectorale, et par l’assistante sociale de l’association Bab el Kheir.

• Les données de Beni Mellal sont relatives à la période 2004-2008.

• Les variables sont relatives aux admissions, sorties (kafalas, transferts, décès), lieux d’abandon, et identité, connue inconnue.

3 - Données de région relatives aux abandons d’enfants• Admissions

• En cinq années, au total, 218 admissions pour abandon.

Entre les deux périodes, 2004 et 2008, même effectif d’enfants abandonnés ; avec une stabilité apparente des admissions (laquelle reportée sur les naissances, figure une diminution).

• 30,5% des pensionnaires sont porteurs de handicaps. Un centre est en cours de réalisation, en attente d’un budget de fonctionnement dédié.

• Un déséquilibre filles garçons qui se renforce, de 40/60 en 2004 à 25,5/74,5 en 2008. Ce déséquilibre renforcé est en faveur de ‘pratiques illégales qui s’organisent’.

• Une attitude des mères, spécifique à la région, qui fait le choix, majoritairement, de formuler l’intention d’abandon ‘visible’ à la maternité ou à l’association.

De ce fait, les abandons de rue sont moins représentatifs ici : ces abandons de rue, 36% en 2004, ont diminué par ailleurs de 12% en 2008.

• Les mères sont connues dans près de 70% des situations.

• Devenir d’enfants

Kafala

• Un taux relativement élevé, en évolution, de 77 à 83% en 2008.

Décès

• Sur les deux périodes 2004 et 2008, un taux de décès en baisse de 11 à 8,5%. Le taux moyen, enregistré sur l’ensemble des années est cependant particulièrement élevé (20%).

Retour à la famille naturelle

• Un taux moyen sur l’ensemble des années de 7,5%, avec de nombreuses difficultés administratives évoquées, retardant le retour de l’enfant.

3 - Tableau récapitulatif de l’abandon dans la région : admission et devenir d’enfants

Années 2004 2005 2006 2007 2008

Admissions filles 14 19 14 9 9

Admissions garçons 21 45 37 22 26

Total admissions 35 64 51 31 35

Décés 4 17 11 0 3

Kafala 27 40 34 26 29

Récupérés par famille 4 3 4 3 2

Non spécifié 4 19 12 2 4

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58

Synthèse région• La présence d’une structure associative mène les abandons visibles à migrer vers Beni Mellal.

• Une forte représentativité du handicap dans la région.

• Des données du Ministère de la Justice qui interpellent : l’effectif total des abandons inscrits dans la région (Beni Mellal, Azilal, Kasba Tadla, Kfih Ben Salah, Oued Zem, Boujad) est de 275. L’effectif des abandons jugés est de 268.

VIII - Région Chrarda-Kénitra- Sidi KacemLigue Marocaine pour La protectionde L’enfance. Kénitra

Crêche De L’hôpital Ibn Zohr Al Ghazi. Ouezzane

Crêche De L’hôpital Abou Kacem Zahraoui. Ouezzane

Crêche De L’hôpital. Sidi Kacem

Périmètre de couverture : deux délégations, Sidi Kacem et Kénitra, villes ou provinces de Souk larbaa, Sidi slimane, Sidi Yahia el Gharb.

1 - Prise en charge de l’abandon

La majorité des abandons est orientée vers l’hôpital de Kénitra, pour bilan, puis vers la crèche de l’hôpital, soutenue par la Ligue Marocaine Pour la Protection de l’Enfance. Transferts : vers les maisons de bienfaisance Dar El Fatayat, Ismailya.

En revanche les abandons de Sidi kacem et de Ouazzane sont pris en charge, sur place, au sein de structures hospitalières, sans soutien associatif. Ici la solidarité du personnel fait office de prise en charge.

Deux hôpitaux à Ouezzane, chacun ayant une crèche pour enfants abandonnés : Abou kacem Zahraoui (5 enfants lors de l’investigation) et Zhor Ghazi.

Dans la question de la prise en charge de l’abandon, dans la région, Kénitra le plus souvent, un discours majoritaire ici, formulé par différents acteurs : ‘trafic d’enfants, adoptions illégales, fausses mères’ à l’hôpital. L’informel représenterait la plus grande part de l’abandon, et les mots abondent : « trafic, marché noir, commerce illégal… »

2 - Exploitation des données

Les données de la région sont hétérogènes, en fonction des structures, succinctes, quelquefois limitées à une année, à une variable, aux deux.

Les premières données quantitatives ont été communiquées par la délégation de la santé, et qualitatives, par la LMPE. Le ‘choix de la santé’ se justifiera ici par la possibilité offerte (très relativement) d’obtenir des différenciations se rapportant aux variables de l’abandon (différentiel filles garçons établi en 1998). La source première des abandons déclarés est l’hôpital.

En revanche les données relatives au devenir d’enfants ne sont pas disponibles.

Les données complémentaires, de Sidi Kacem et de Ouazzane seront communiquées par les hôpitaux de provinces, (délégué de la santé et assistant social hôpital I K Zahraoui).Elles concernent principalement la variable admission et une année, 2008.

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59

• Kénitra

• La prise en charge de l’abandon est gérée par la LMPE : au moment de la visite, 16 enfants pris en charge dont deux filles.

• Un total admissions sur 11 années, de 342 enfants.

• Admissions : une évolution des admissions pour abandon, de 61,5%

• Différentiel filles/garçons : représentativité des filles, de 31,5% en 1998 et de 35,5% en 2008.

• Lieu identifié de provenance de l’enfant : origine urbaine dominante

• Ouazzane

• Entre 2002 et 2008, gestion d’un effectif total de pensionnaires de 68 enfants

• Une tendance haussière des admissions, avec en 2008,

3 fois plus d’admissions.

• Avec les données additionnelles de l’hôpital Z Ghazi,

(3 enfants pendant la période d’étude), la province

comptabilise un effectif total d’admissions en 2008 de

19 enfants.

• Kafala : en 2008, 68,5% des admis sont placés en

kafala.

• Sidi Kacem

• En 2008, un effectif d’admissions pour abandons de 10

enfants. Tous sont pris en kafala.

Tableau récapitulatif du total admissions pour abandon dans la région.

Admissions 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

Kénitra 26 25 29 36 40 25 24 38 27 42 42

Ouazane 1 2 1 4 18 12 14 17

Ouazane 2 13

Sidi Kacem 10

Synthèse des données de région

• En dehors de la prise en charge assurée par la LMPE à

Kénitra, (59% des admissions en 2008) généralement, des

conditions précaires au sein de structures hospitalières,

sans soutien associatif.

• Discours redondant relatif à la présence ‘massive’ de

l’informel dans la région

• Un effectif total d’admissions pour abandon en 2008,

de 82.

• Les données comparatives de la Justice pour les

provinces de Kénitra, Sidi Slimane, souk Larbaa, Sidi

Kacem et Ouezzane, indiquent un effectif d’abandons

inscrits en 2008, de 88. L’effectif d’abandons jugés est

de 40.

Page 62: ENFANCE ABANDONNÉE AU MAROC

60

IX- Région Marrakech- Tensift- El HaouzLigue Marocaine pour la protection de L’enfance Créche D’issil/Hopital ZhorEnfance Espoir/Hôpital I. Nafiss AAssociation Darna, Essaouira . Chichaouia. HôpitalKella Seraghna,Association Mehd El Amal/Hôpital Salama

Périmètre de couverture : 5 délégations, villes ou provinces d’El kelaa Sraghna, Marrakech, Al haouz, Chichaouia, Essaouira, Ben Guérir, Immentanount,

El youssoufia.

1 - Prise en charge de l’abandon

• A Marrakech deux structures dédiées à l’abandon : crèche d’Issil à l’hôpital Zhor, gérée par la Ligue Marocaine pour la Protection de l’Enfance ; crèche de l’hôpital Ibn Nafiss gérée par l’association’ Enfance Espoir’.

• A Essaouira, une structure dédiée et gérée par l’association Darna. 51 pensionnaires, au moment de l’investigation (35 garçons, 16 filles). Les transferts de garçons, sont susceptibles d’être effectués vers Dar Talib. Aucune structure de transfert n’existe pour les filles.

• A Chichaoua, les enfants sont susceptibles d’être transférés à Marrakech ou de séjourner au sein de l’hôpital de province, en service de pédiatrie pour une kafala ‘sur place’. En 2008, aucun abandon. Actuellement un garçon ‘sur place’.

• A Kelaa Sraghna les enfants sont installés dans une salle qui leur est réservée, au sein du service pédiatrie du CHP Salama. Soutien partiel de l’association Mehd El Amal. Un enfant IMC.

2 - Exploitation des données

• Marrakech : données quantitatives recueillies fournies par l’assistante préfectorale de la région, (en possession des données régionales jusqu’en 2006) par l’assistante sociale de l’hôpital Zhor, par la crèche d’Issil, relevant de Ligue Marocaine pour la Protection de l’Enfance et par l’association Enfance Espoir.

• Essaouira : données fournies par la directrice du centre de l’association Darna, créée en 2008. Les abandons comptabilisés ici, sont ceux correspondant aux enfants recueillis à partir du mois de Mai de la même année.

3 - Données de région• Essaouira

• Admissions : en 7 mois d’existence (mai à décembre 2008) un effectif d’enfants admis de 52

• Un différentiel sensible de la représentativité filles garçons : 24% de filles

• Kafala : 17,5% ont été pris en kafala

• Famille naturelle : près de 4% ont été récupérés par leur famille

• Marrakech

• Entre 1998 et 2008, un total admissions pour abandon de 995.

• En 2008, un total de 158 pensionnaires à Marrakech (dont 64 filles)

• Admissions : sur la période 98-2008, évolution de 146% des admissions pour abandons

• Différentiel filles garçons en baisse : en 1998, une représentativité des filles de 30% ; en 2008, de 40,5%.

• Une large majorité des abandons, effectués sur la voie publique, qui se renforce.

Données relatives aux conditions d’admissionsde l’enfant (source ‘Enfance Espoir 2006-2007)

• En 2006, une durée moyenne de séjour de 175,5 jours ;

• A l’entrée, près des 64% des nourrissons sont âgés de 1 jour à une semaine.

• 59 % des nourrissons séjournent pendant une durée supérieure à 5 mois.

• En 2007 : une durée moyenne de 164 jours

• Une représentativité des garçons de 81%.

• A l’entrée, près de 40% des nourrissons sont âgés de 1 jour à une semaine.

• 60,5 % des nourrissons ont une durée de séjour avant kafala, supérieure à 5 mois.

Devenir d’enfants

Kafala

• Une diminution du taux de kafala des admis avec, en 1998, 86,5% et en 2006, 78,5%

• Entre 1998 et 2006, une stabilité des kafalas effectuées par des étrangers

Retour à la famille

• Un taux global sur l’intervalle 1998-2008, de près de 4%

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61

4 - Tableau récapitulatif des admissions dans la région

Période 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

T. admissions Marrakech 43 69 81 79 84 88 105 109 103 128 106

T. admis K.Sraghna 20 12 18 4 5 10 9 14 6 8

T. admis Essaouira 52

Synthèse région

• Sur l’intervalle 1998-2008, une évolution très sensible des admissions pour abandons.

• Sources d’information plurielles relatives à l’abandon : chacune ayant des données partielles, relatives à une période considérée, et des paramètres particuliers d’évaluation. Information disponible néanmoins et nécessitant d’être regroupée

• A Marrakech identification par les acteurs d’une coordination entre institutionnels et intervenants de la prise en charge.

• Dans la région, pour 2008, un effectif total d’admissions pour abandon, de 166.

• Dans la région, les données du Ministère de la justice indiquent un effectif total d’abandons inscrits de 549 et jugés de 595.

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X - Région Souss Massa Draa

Agadir. Association Tazanine des enfants abandonnés, Créche de L’hôpital Hassan IITaroudant. Maison D’enfants Lalla Amina.Ouarzazate. Association Basma. Créche de L’hôpitalTiznit Hôpital, Service de pédiatrie. Association les amis du centre hôspitalier

Périmètre de couverture : 7 délégations, villes ou provinces, d’Agadir, Inzegane, Taroudant, Zagora, Tiznit, Ouarzazate et Chtouka.

1 - Prise en charge de l’abandon

Agadir, enfants admis au sein de la crèche de l’hôpital Hassan II, pris en charge par l’association Tazanine des enfants abandonnés : lors de la période d’investigation, un effectif de 80 pensionnaires dont certains âgés de 20 ans.

Taroudant, enfants pris en charge par la Maison d’enfants Lalla Amina, affiliée à la ligue Marocaine pour la Protection de l’enfance dans un cadre propice au développement de l’enfant. 67 enfants à la période d’investigation.

Ouarzazate, enfants admis à l’hôpital et pris en charge par l’association Basma (soutien de ‘Lutins des sables’). 17 pensionnaires à la période d’investigation.

Zagora, admission et transferts vers Ouarzazate.

Tiznit : admissions à l’hôpital, soutien d’une association, ‘Les amis du centre hospitalier’. Un ‘total pensionnaires’, à la période d’investigation de 11 enfants.

SOS village d’enfants récemment implanté dans la région.

2 - Exploitation des données

Agadir : données fournies par l’assistante préfectorale (données jusqu’à 2000) et association Tazanine des Enfants abandonnés.

Taroudant : données fournies par l’organe central de la Ligue et par le home Lalla Amina.

Zagora : données fournies par l’assistante sociale de l’hôpital.

3 - Données de région

• Agadir (2000-2008)

• Sur l’intervalle 2000-2008, un effectif total d’admissions de 570 (moyenne annuelle de 64 enfants).

• Total admissions : entre 2000 et 2008, évolution de 60% des admissions pour abandons.

• Admissions annuelles : en 2008, 80 nouvelles admissions.• 35 enfants porteurs de handicaps, soit près de 44% des pensionnaires.

• Répartition par sexe : inégalité de la représentativité filles garçons avec une moyenne de représentativité des filles sur les 9 années, de 30%. Nécessité cependant d’intégrer la fluctuation du taux de représentativité des filles en fonction des années, de 12 à 40% du total admissions.

Devenir d’enfants

Kafala

• Pas de différentiel établi entre kafala filles/garçons

• Sur les neuf années un taux moyen de kafala de 51%.

• Le taux de kafala progresse cependant, entre 2000 (36,5%) et 2007 (64,5%), de 28%, ‘pour connaître’ une baisse sensible en 2008 (50%).

Réintégration de la famille naturelle

• Un taux moyen sur 9 ans, de 6,5%

• Une évolution du taux de réintégration sur la période 2000-2007, de près 4%

Décès

• Un taux moyen de décès de 8%

• Sur la période 2000-2007, une diminution progressive et sensible du taux de décès de 28% (32% en 2000 ; 3,75% en 20008)

Transferts (orphelinat, SOS)

• Un taux moyen de transfert sur les 9 années, de 6,5%

• Fluctuation du taux en fonction des années, de 5 à 40%

• Taroudant, home Lalla Amina

Spécificité : prise en charge de l’enfant dans la durée, maternage, scolarité.

Cadre et environnement calqués sur le modèle de la famille, avec une mère de référence, et un home de 6 à 7 enfants. Conditions de vie propices au développement harmonieux de l’enfant.

Admissions d’enfants

• Sur la période 1998-2008, prise en charge d’un effectif total de 601 enfants : taux moyen annuel de 55.

• Une évolution des admissions sur la même période, de près de 112%.

• Handicap : 15% des pensionnaires présents (en 2009) sont porteurs de handicap.

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Devenir d’enfants

Kafala :

• Un taux moyen de kafala sur la période 1998-2008, de 25,5%

• Un taux différentiel entre 1998 (40%) et 2008 (26%), avec une baisse de 14% justifiée par les possibilités offertes de prise en charge durable.

Décès

• un taux moyen de décès (période 98-2008) de 1%. (Relation entre modalités de prise en charge de l’enfant et taux de décès ?)

• Ouarzazate

• Admissions 2008 : 21

• Différentiel filles/ garçons : 33% de filles

• Kafala : 100%

• Tiznit

• Admissions 2008 : 14

• 50% de filles

•Un enfant porteur de handicap (effectif 11 pensionnaires)

4 - Evolution d’effectifs des nouveaux abandons dans la région

1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

Agadir 50 67 56 50 61 78 66 62 80

Taroudant 32 34 49 53 59 62 58 58 62 64 70

Ouarzazate 21

Tiznit 14

Synthèse région

• Admissions 2008 : un total de 185 enfants.

• Une évolution des admissions dans la région sur la période 1998-2008

• La présence d’une structure de prise en charge permet d’augmenter la visibilité de l’abandon,

• Un différentiel entre les structures en charge de l’enfant : données disponibles, prise en charge, devenir d’enfants, ‘politique de kafala’.

• Une représentativité élevée du handicap (23%)

• Des moyens insuffisants

• Un différentiel entre les villes ou provinces, relatif au type de coordination entre les différents intervenants de la prise en charge (institutionnels et secteur associatif).

• Les données du Ministère de la Justice, relatives aux abandons dans les mêmes localités et provinces (Agadir, Inzeggane, Tiznit, Zagora, Taroudant, Ouarzazate) indiquent un effectif d’abandons inscrits en 2008, de 710. L’effectif des abandons jugés est de 624.

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XI - Région Guelmim Smara

Hôpitaux de Tan Tan. Guelmim. Assa Zag, Tata, SmaraPrésence de la Goutte de lait,Actions en faveur de L’enfance abandonnéeSolidarité de la ligue et des projetsde L’INDH

Périmètre de couverture : six délégations, villes ou provinces de Guelmim, Smara, Tan Tan, Assa Zag, Tata et Smara.

1 - Prise en charge de l’abandon

Elle est essentiellement effectuée au sein de structures hospitalières, assurée au moyen de solidarités diverses, du corps médical ou d’ONG locales.

La prise en charge des enfants est généralement précaire : des actions associatives sont décrites, effectuées par ‘La ‘goutte de Lait’ ou des membres de bureaux provinciaux de la LMPE (Tan Tan, Guélmim) avec des projets en cours de réalisation.

Aussi les abandons restent-ils dans le présent (et dans le discours des acteurs) dominés par la présence de l’informel ou par des abandons effectués directement chez le juge (cette dernière information n’est pas validée par les données du Ministère de la justice).

La carence en structure est décrite comme ayant favorisé (Guélmim notamment), l’existence de réseaux d’exploitation et de trafic mères enfants. Ici ‘le regard de la Ligue’ permet de dénoncer certaines pratiques en vue de sensibiliser les autorités, voire de les solutionner.

Dans la région, un sentiment général est exprimé, d’être écarté des champs d’intérêt prioritaires. Des membres de bureaux provinciaux de la LMPE sont à l’origine de projets en cours, d’aménagement de structures en direction de l’enfance abandonnée (soutien de l’INDH en matière de construction). Des centres sont aménagés (Tan Tan ; Guelmim) dans l’attente d’un budget de fonctionnement qui leur permettrait d’être opérationnels). Les abandons de Tata sont transférés à Layoune (LMPE). Les abandons de Assa Zag, étaient transférés à Agadir. Dans le présent une ‘restriction d’Agadir’ liée à l’effectif des enfants pris en charge.

2 - Exploitation des données

Les données recueillies sont ‘pauvres’, partielles, hétérogènes, non exhaustives et leur obtention complexe.

Ces données partielles ont été fournies par des acteurs multiples du secteur hospitalier, et leur collecte généralement soutenue par des membres de bureaux provinciaux la LMPE.

Données relatives à l’abandon

• Tan Tan

Données à partir de 2006

Admissions : entre 2006 et 2008, un total admissions de 23 enfants.

Sur la même période, une évolution des admissions pour abandon de 22,5%

Transferts : 2 enfants (malades) vers Agadir

• Guelmim

• Données fournies : admissions de 2007 à 2008

• Total admissions sur la période 2007-2008 : 13

• Stabilité des admissions sur les deux années

• Taux global de kafala : 69%

• Taux de mortalité : 4%

• Assa Zag

• Donnée fournie : admissions de 2008

• 1 admission (fille)

• 1 kafala

• Smara

• Donnée fournie : admissions 2008

• Une admission, transférée à Layoune (LMPE)

• Tata

• Donnée fournie : admissions 2008

• Admissions 2008 : 3

• Kafala : 1

• Transfert (Agadir) : 1

• Restant : 1

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3 - Tableau récapitulatif des admissions pour abandon dans la région

Admissions dans la région 2006 2007 2008

Tan Tan 4 6 13

Guelmim 7 6

Smara (1)

Tata 2(1)

Assa Zag 1

T. admis non transférés 4 13 22

Synthèse région :• Données exhaustives insuffisantes

• Prise en charge de l’enfant dans des conditions et des environnements inadaptés à son développement

• Prise en charge associative en cours de concrétisation.

• Solidarité de la Ligue et de la goutte de Lait

• Dans le discours présence de pratiques informelles et illégales.

• Evolution des admissions pour abandon

• Les données du ministère de la Justice, indiquent, pour les mêmes provinces (Tan Tan, Guelmim, Smara, Tata) un effectif total d’enfants inscrits de 32 et de 22 jugés.

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XII - Région Oued Dahab - LagouiraHôpital De Dakhla/ Tribunal

Périmètre de couverture : délégations de Oued Eddahab, Aouserd, Lagouira et Dakhla.

1 - Prise en charge de l’abandon

• Dakhla

Dans le discours relatif à l’abandon, un effectif important de mères célibataires formulant le désir d’abandon d’enfants. Considérant l’absence de structures de prise en charge, et le refus par les intervenants de la santé, de gestion de l’abandon, les enfants sont susceptibles de séjourner un à deux jours, et les mères invitées à solutionner ‘leurs problèmes’. Aussi tendent-elles, à l’accouchement à se présenter en compagnie des mères adoptives qu’elles ont choisies.

Dans la région, la Ligue, en partenariat avec l’INDH, est notamment représentée par Dar el Hadana. En l’absence de soutien à Dakhla, les enfants sont généralement refusés, confiés par ailleurs dans le cadre de kafala à des parents qui ne s’inscrivent pas à priori (selon la loi) dans le profil des parents adoptifs « même quand ce sont des familles pauvres, on leur donne ».

• LAGOUIRA, AOUSERD, SIDI GUENDOUZ : aucune structure dédiée, pas d’abandons déclarés.

2 - Exploitation des données

• Les abandons de Dakhla ne sont pas recensés. Données partielles. (risque d’erreur)

• Données fournies par l’assistante sociale de l’hôpital

3 - Données de région

• Un effectif partiel d’abandons est enregistré par l’assistante sociale de l’hôpital : en 2008, 28 admissions pour abandon.

• Les données du Ministère de la Justice indiquent pour la région de Oued Dahab un effectif d’abandons inscrits de 14. L’effectif des abandons jugés la même année est de 17.

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I - Region De Layoune Boujdour Ligue Marocaine pour La protectionde l’enfance. Hôpital de Layoune

Périmètre de couverture : Layoune, Boujdour

1 - Prise en charge de l’abandon

La quasi totalité des abandons de la région est adressée à la Ligue Marocaine pour la Protection de l’Enfance, laquelle, dans la région, offre un cadre propice à l’accueil de l’enfant : accueil, environnement, conditions de développement.

2 - Exploitation des données

Les données communiquées ici, sont celles de l’hôpital, la principale source identifiée qui centralise les abandons dans la région. Les données ci-jointes (période 2000-2008) ont été fournies par l’assistante sociale de l‘hôpital (qui gère en même temps, les dossiers de la Ligue).

3 - Données de région

• En 9 années, 150 admissions pour abandon

• Différentiel filles garçons : une représentativité globale des filles de 31,5%

• Sur la période 2000-2008 une diminution progressive de la représentativité des filles.

• Sur la même période, une évolution des admissions de 150%

4 - Tableau récapitulatif des abandons dans la région LAYOUNE BOUJDOUR; différenciation par sexe : période 2000-2008

Période 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

Filles 2 1 4 9 5 3 5 13 5

Garçons 4 6 7 14 11 17 18 16 10

Total 6 7 11 23 16 20 23 29 15

Synthèse régionDynamique de prise en charge durable

Fluctuation des abandons d’une année sur l’autre, liée en partie aux admissions des filles.

Coordination entre acteurs de la prise en charge

En 2008, un effectif total d’admissions de 15 enfants.

Les données du Ministère de la Justice indiquent pour l’année 2008, dans la province de Layoune, un effectif d’abandons inscrits de 18. L’effectif des abandons jugés la même année est de 28.

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II - Région Tanger Tetouan

hôpital kortobi. crêche de l’hôpitalet association ‘la crêche de Tanger’Chefchaouen crêche de l’hopital Lalla MériemTetouan crêche de l’hôpital saniat armel et association Mehd El BaraaTetouan association Amal El AtfalLarache crêche Al Hanane

Périmètre de couverture : Tanger, Tétouan, Larache, Chefchaouen, Assilah, Fahs Anira.

1 - Prise en charge de l’abandon dans la région

Dans la région cinq structures identifiées en charge de l’abandon à la naissance.

• A Tanger : les enfants sont accueillis à l’hôpital Kortobi et pris en charge par l’association ‘Crèche de Tanger’ qui gère l’effectif le plus important des abandons de la région.

• A Chefchaouen un centre crée en 2005, dédié au sein de l’hôpital Lala Mériem : les enfants sont pris en charge par l’association Dar Rahma, soutenue par une ONG espagnole (‘el bueno samaritano)’. A la date d’investigation, un effectif de 10 pensionnaires. Ici, se décrivent des conditions positives tant au développement de l’enfant admis (effectif réduit d’enfants, absence de difficultés financières, effectif de personnel important) qu’au niveau de la dynamique des acteurs (coordination des intervenants, rapidité de gestion de la kafala, cellule violence susceptible de prévenir l’abandon).

• A Tétouan deux structures : l’une au sein de l’hôpital civil de Tétouan, soutenue partiellement par l’association ‘Mehd El Barra’ (effectif de pensionnaires à date d’investigation : 41) ; l’autre située en dehors de l’hôpital, gérée essentiellement par l’association ‘Dari’.

• A Larache, dans le présent, un centre indépendant, destiné à l’abandon. La crèche est gérée par l’association ‘AL hanane’ (17 pensionnaires à date d’investigation).

2 - Exploitation des données

• La quasi totalité des données fournies de région, est relative à la période 2005-2008.

• La majorité des données intègre les variables d’admissions et celles relatives au devenir d’enfants (kafala, décès, transferts).

• Les données ont été fournies par les structures associatives et par les assistantes sociales (ou préfectorale) du secteur de la santé.

3 - Données de région

• Tanger

Admissions : sur la période 2005-2008, un effectif total d’admissions de 345 enfants.

Sur la même période, une évolution des admissions pour abandon de 94,5%

Devenir d’enfants

Kafala

Un taux moyen de kafala sur la même période de 15,5%

Entre 2005 et 2008 une baisse très significative du taux de kafala des entrants (30,5% en 2005 ; 2% en 2008).

La kafala d’enfants effectuée par des marocains représente 59%.

Pratiques passées qui diminuent: kafala provisoire et ‘kafala étrangère’.

Décès

Sur la période 2005-2006, un taux moyen de décès de 2%

A partir de 2007, un taux 0 de mortalité.

• Chefchaouen

Sur la période 2005-2008, un total admissions de 39 enfants

Une diminution de 57% des admissions (lien établi avec cellule de violence, en matière de détection et d’orientation des mères célibataires).

Devenir d’enfants

kafala

Un taux global de kafala de 82%

Décès

Un taux de mortalité de 0%

Transferts

Un taux de transfert de 5%

• Tetouan

Cumul des données des deux structures en charge de l’abandon

Total admissions 2005-2008 : 169 enfants (une moyenne de 42 admissions/an)

Page 71: ENFANCE ABANDONNÉE AU MAROC

69

Evolution des admissions : diminution relative des admissions de 2%.

Différentiel filles/garçons : représentativité moyenne des filles, de 38%, variable entre 35 et 40%, en fonction des années.

6,5% des enfants sont porteurs de handicaps ;

Devenir d’enfants

Kafala

Pratique de deux types de kafala, provisoire et définitive.

Un taux moyen de Kafala de 52%

Sur les quatre années une diminution sensible du taux de kafala de 64 en 2005, à 31% en 2008.

Décès

Sur la période 2005-2008, un taux moyen de mortalité de 5%. 0% en 2008

Récupération par la famille

Sur la période 2005-2008, un taux moyen de 8%

• Larache

Nouvelle structure créée en charge de l’abandon à la naissance

En 2008, un total admissions de 15 enfants

Différentiel filles/garçons : un taux de représentativité des filles de 33%

Handicap : taux de 6,5%

Devenir d’enfants

Kafala

Un taux de 93,5%

Décès - 0%

4 - Tableau récapitulatif des abandons dans la région : admissions et devenir d’enfants

Année Admissions Kafala Famille naturelle Décès

2005 113 55 7 7

2006 119 67 1 4

2007 163 32 5 0

2008 173 34 4 0

Total 568 188 17 11

Synthèse régionPrésence de données relativement exhaustives, différentiel filles/garçons, non systématique à l’ensemble des structures ;

Présence d’une cellule violence (Tétouan) et de deux centres dédiés aux mères célibataires (Tanger ; Chefchaouen) : impact visible (qualitativement), sur les admissions pour abandon.

Un différentiel entre villes ou provinces, à des niveaux de coordination entre intervenants de la prise en charge : le changement de ‘personnes’ dans la justice s’accompagne d’une diminution de la kafala.

Un différentiel entre les structures en matière de moyens et de modalités de prise en charge

Entre 2005 et 2008, un total admissions dans la région de 568 enfants.

En 2008, un effectif de 173 admissions.

Les données du Ministère de la Justice indiquent pour l’année 2008, dans les mêmes provinces, (Tanger, Assilah, Larache, Ksar lekbir, Tétouan, Chefchaouen) un effectif d’abandons inscrits de 170. L’effectif des abandons jugés est de 190.

0 décès en 2007 et 2008

Un taux de handicap de 7,5%

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70

III - Région ‘oriental’

Oujda . Ligue Marocaine pour la protection de l’enfance. hôpital FarabiNador. hôpital. association Yassamine Périmètre de couverture : Oujda, Berkane, Jerada, Figuig, Taourirt, Nador.

1 - Prise en charge de l’abandon

• A Figuig, Bouarfa, Taourirt, Berkane : absence de structures dédiées. En conséquence, gestion de l’abandon par la justice pour kafala ou transfert. (Taourirt et Berkane transfert possible vers La LMPE à Oujda)

• A Nador, les enfants sont pris en charge au sein de l’unité de pédiatrie de l’hôpital, par le personnel de la santé, soutenus par l’association Yassamine et par diverses actions de solidarité et de collecte.

• A Oujda, l’abandon est géré par la Ligue Marocaine pour la Protection de l’Enfance et les structures de la santé: un local aménagé ‘aux normes de qualité de vie de l’enfant’, mitoyen de l’hôpital, construit sur deux niveaux, est dédié aux enfants abandonnés. Ces enfants sont répartis en fonction de leurs âges respectifs ‘grands, nourrissons, bébés’. A la date d’investigation, 18 enfants présents : 12 garçons, 6 filles.

2 - Exploitation des données

• Oujda : données fournies par l’organe central de la LMPE, par l’assistante sociale de l’hôpital d’Oujda.

Données exhaustives disponibles relatives à la période 2004-2008 ;

Paramètres d’identification : admissions, différentiel filles garçons, devenir d’enfants (kafala, transferts, décès).

• Nador : données fournies par le délégué régional et l’assistant social de l’hôpital.

3 - Données de région

• Oujda

Sur la période 2004-2008, un effectif total de pensionnaires de 468

Sur la même période 383 admissions pour abandon

Entre 2004 et 2007, une croissance des admissions de 43% ; avec en 2008, une tendance à ‘la baisse’.

Différentiel des admissions filles garçons : en cinq ans, une représentativité moyenne des filles de 38% (avec une variation sensible allant de 27 à 46%)

L’écart filles garçons se creuse progressivement.

Devenir d’enfants

Kafala

Sur la période 2004-2005, un taux moyen de kafala de 72,5% (en hausse de 5% depuis 2004)

Un taux de kafala des garçons supérieur à celui des filles

Récupération par la famille

Un taux global sur les cinq années de 7,5%

Décès

Un taux moyen de mortalité de 6,5%, en baisse de 3% en 2008.

• Nador

Données fournies à partir de 1998.

Paramètres : admissions, kafalas, décès

Un total admissions sur la période 1998-2008, de 164 enfants, soit une moyenne de 15 abandons/an.

Devenir d’enfants

kafala

Un effectif de kafalas supérieur aux admissions : ici l’effectif comptabilisé tient compte des enquêtes assurées par l’assistante sociale et sollicitées par le juge. Les kafalas incluent ici celles relatives aux abandons formalisés chez le juge.

Décès

Un taux moyen de décès, élevé, de 11% (lien effectué avec les conditions de prise en charge de l’enfant).

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71

4 - Tableau récapitulatif des admissions de région depuis 2004

Total Région 2004 2005 2006 2007 2008 Total

Admissions 94 76 85 115 80 450

Décès 8 7 1 5 4 25

SynthèseEn région, de 2004 à 2007, tendance haussière des admissions pour abandon

En 2008, une diminution des effectifs, avec un ‘total région’, de 80 admissions pour abandon.

Ces données fournies ne sont pas compatibles avec celles fournies par Le Ministère de la Justice et relatives aux mêmes villes et provinces (Nador, Oujda, Berkane, Figuig) : 955 abandons inscrits ; 1013 jugés.

Données disponibles en région, mais différentiel au niveau des paramètres d’identification de l’abandon.

Un différentiel entre les deux structures en matière de prise en charge : conditions et environnement, type de soutien, encadrement, expérience…

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72

IV - Région Al Huceima Taza

Taounat hôpital et association Bait ErrahmaTaza hôpital et Association RahmaAl Huceima, hôpital

Périmètre de couverture : Al Huceima, Taza, Taounat.

1 - Prise en charge de l’abandon

• Taounat : prise en charge au sein de l’hôpital. Soutien d’une association spécifique ‘ Bait Errahma’. Centre construit et aménagé par l’INDH en attente pour cause de financement du fonctionnement. Aides diverses : Entraide nationale, ‘majliss Iklimi’, impulsion du gouverneur.

• Al Huceima : enfants pris en charge par l’hôpital. Service de pédiatrie, avec les malades. Soutien en provenance des ‘sœurs espagnoles’ et de bienfaiteurs, occasionnellement.

• Taza : enfants hébergés dans un centre ‘conforme aux normes’ financé par l’INDH. Soutien et gestion de la prise en charge : association ‘Rahma’. Partenariats : Santé (soins, alimentaire, hygiène…), INDH, Conseil Communal. Conseil Municipal.

2 - Exploitation des données

Données fournies généralement par la ‘Santé’ : délégués de régions, assistants sociaux.

Paramètres d’identification de l’abandon : partiels, insuffisants. Dénominateur commun : admissions 2008.

3 - Données

• Taounat

En 2008, 16 admissions pour abandon

• Al huceima

Période 2006-2008 : un total admissions pour abandon, de 43

Un taux global de kafala entre 87 et 90%

Mortalité : 9,5%

Handicap : 7%

• Taza

Admissions 2008 : 27

Différentiel filles garçons : représentativité des filles de 44,5%

Kafala : 92,5%

Handicap : 7,5%

Synthèse régionDans la région, en 2008, un total admissions pour abandon de 53 enfants

Données ‘incompatibles’ avec celles fournies par le Ministère de la Justice (Al Huceima, Taounat, Taza, Guercif) qui indiquent 26 abandons inscrits ; 54 jugés.

Page 75: ENFANCE ABANDONNÉE AU MAROC

73

Page 76: ENFANCE ABANDONNÉE AU MAROC

74

Synthèse des données régionales

Les effectifs répertoriés correspondent aux abandons déclarés et placés en institution, hospitalière ou associative, permettant leur recensement.

Les paramètres d’identification de l’abandon fournis, sont hétérogènes, partiels, insuffisants.

Une amélioration de l’identification des paramètres est visible depuis 2005 dans certaines structures.

En dépit de leur disponibilité, certaines données ne sont pas fournies (résistances, données considérées comme confidentielles, manque de personnel ou de temps pour consigner les donnée...)

La seule donnée fournie, commune à l’ensemble des structures, est relative aux admissions de 2008. A ces admissions seront additionnées celles de SOS village d’enfants relatives aux enfants directement placés (généralement nourrissons, bébés) lors de l’année 2008.

Régions Effectifs Enfants Placés. Recensement 2008. Sources Associatives Et Hospitalières

Casablanca 184

Rabat 111

Fes 88

Meknes 131

Chaouia Ouardigha 27

Doukkala Abda 21

Tadla Azilal 35

Chrarda 82

Tensift El Haouz 166

Souss Massa Draa 185

Guelmim Tantan 22

Oued Eddahab Lagouira 28

Layoune Boujdour 15

Tanger Tetouan 173

Oriental 80

Taza Al Huceima 53

Village SOS 18

Total 1419

Chapitre 4

Synthèse des données de régions.mesure d’ampleur et estimations

1 - Effectifs des admissions pour abandon en 2008. 16 régions (découpage du M. de la Santé).

Page 77: ENFANCE ABANDONNÉE AU MAROC

75

Ce tableau récapitulatif des abandons placés en structure d’accueil, indique :

Qu’il existe une disparité régionale au niveau des abandons déclarés et placés ;

Que cette disparité n’est pas toujours associée à la densité de population de la région ;

Il indique par ailleurs :

Que l’abandon se déclare dans les régions dotées de structures d’accueil, et d’une dynamique associative.

Que l’abandon s’exprime et se déclare davantage dans les régions frontalières ou touristiques.

Que l’abandon se trouve représenté de façon ‘modérée à très modérée’ au sein de régions évoquées dans le discours, comme conservatrices, mais ceci ne signifie pas qu’il se manifeste ailleurs, dans le mouvement déjà évoqué, de migration.

2 - Différentiel filles, garçons

Dans la mesure où l’ensemble des données ne permettra pas d’établir une comparaison basée sur une différenciation, filles garçons, le comparatif portera sur six régions représentatives : Meknès, Fès, Casablanca, Rabat, l’Oriental, Marrakech. (Dans ces régions, l’on soustraira les données de certaines provinces qui ne permettent pas d’établir ce différentiel)

Régions Garçons Filles

Casablanca 133 19

Rabat 81 23

Fes 47 32

Meknes 81 22

Oriental 49 29

Marrakech 94 64

T. 663 153 510

Représentation des filles : 23%Représentation des garçons : 77%

Aussi :

Considérant que la répartition normale de la population marocaine des enfants de 0 à 6 ans est de 49% pour les filles, et de 51% pour les garçons, on perçoit un différentiel de 33%. Aussi cette représentation anormale filles garçons nécessite-t-elle un redressement de 33% et ce, qu’elles que soient les modalités légales ou illégales, qui justifient leur absence des statistiques disponibles.

Le redressement statistique de l’abandon des filles, (663X33%) permet d’obtenir un effectif de 882 enfants, d’une part ;

Le redressement statistique pour le reste de l’effectif obtenu et recensé (756), permet d’obtenir un effectif de 1006.

Soit un ‘total abandons’, en 2008, estimé à 1888.

• Ce total correspond aux abandons recensés et à ceux, statistiquement ‘visibles’ et ‘lisibles’.

• Ce total ne peut, en aucun cas, intégrer le reste de l’illégal et des abandons faisant l’objet d’une kafala directe, d’une kafala provisoire, ou d’un acte de tanazoul, opérés au tribunal ne transitant pas par les structures hospitalières ou associatives.

Page 78: ENFANCE ABANDONNÉE AU MAROC

76

3 - Evolution de l’abandon visible : en baisse ? en hausse ?

Le tableau ci-joint, cumule les données de 9 régions ou provinces à partir desquelles, la comparaison est possible sur les onze années (données disponibles et/ou fournies).

Année 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

Meknès 92 127 143 119 114 78 83 91 72 91 89

Ifrane 6 3 3 0 4 0 0 1 2 1 2

Rabat 137 165 180 176 140 139 123 129 123 104 104

Casablanca 100 120 114 122 116 111 107 129 126 108 184

Khouribga 7 6 2 3 8 5 4 9 3 2 2

Kénitra 26 25 29 36 40 25 24 38 27 42 42

Marrakech 43 69 81 79 84 88 105 109 103 128 106

Taourirt 32 34 49 53 59 62 58 58 62 64 70

Nador 10 17 17 15 19 18 22 12 9 12 13

Total admissions 453 566 618 603 584 526 526 576 527 552 612

Ce tableau indique

• Qu’il n’y a pas de logique manifeste de l’abandon visible : il est susceptible de progresser ou de baisser, d’une année à l‘autre, dans une région donnée.

• Ce développement aléatoire ne caractérise pas les naissances enregistrées au niveau national qui connaissent une courbe ‘logique de croissance’.

• Le taux annuel de variation de l’abandon visible sur la période 1998-2008 se situe dans un intervalle qui va de -10 à 25%.

• En revanche, le plus souvent, les tendances haussières ou baissières pendant une période donnée, tendent à se répercuter au niveau d’une majorité de régions.

Page 79: ENFANCE ABANDONNÉE AU MAROC

77

Le comportement ‘irrationnel de l’abandon visible’ : variation pour cinq régions sur l’intervalle 98-2008

Meknès

Rabat

Casa

Marrakech

Souss

200

180

160

140120

100

80

60

40

200

1998 1999 20002001 2002 2003 2004 2005 2006 20072008

4 - Eléments de réponse

• Incidence du taux de variation filles/garçons, sur les effectifs d’abandons visibles.

L’analyse des données relatives aux fluctuations du rapport filles/garçons dans l’intervalle 1998-2008, indique :

Pour 1998 : un différentiel avec une représentativité des filles de 34,5%

Pour 2008 : un différentiel avec une représentativité des filles de 29%

Entre ces deux périodes, il est susceptible de fluctuer de 23 à 34,5% (seuil significatif)

• Incidence de l’abandon illégal : tractations silencieuses, adoptions de particuliers à particulier, réseau illégal d’adoption et corruption.

• Traçabilité de l’information : défaut ou absence totale de données, notamment dans les provinces, pour l’intervalle choisi.

• En dépit de ces paramètres, l’évolution des abandons visibles connaît une croissance légère, voire une stabilité. Ces paramètres indiquent que la croissance réelle de l’abandon bénéficie à l’informel.

5-Comparaison 1998-2008 des principaux indicateurs du devenir de l’enfant1

5 -1 Kafala des nouveaux abandons

• En 1998 le taux moyen ‘national’ de kafala est de 34,5%.

• En 2008 le taux moyen ‘national’ de kafala est de 53,5%.

5-2 Décès :

• En 1998 le taux moyen ‘national’ de décès est de 10%.

• En 2008, le taux moyen ‘national’ de décès d’enfants abandonnés est de 5%2.

5-3 Récupération par la famille

• En 1998 : 8% d’enfants sont récupérés par leur famille naturelle.

• En 2008 : 8% d’enfants sont récupérés par leur famille d’origine.

(1) Les données partielles, éparses récoltées et/ou fournies mènent à construire des échantillons spécifiques à la fois aux années et aux indicateurs, avec pour : La Kafala 1998 : un échantillon de 567 et en 2008, de 633. Le décès 1998 un échantillon de 400 enfants et en 2008 de 687. La récupération par la famille : en 1998 un échantillon de 618 enfants et en 2008, de 712.

(2) Ce taux de 5% ne rend pas compte de la baisse réelle du taux d’abandon : l’impact du taux de décès, particulièrement élevé dans certaines structures spécifiques ou régions, augmente ‘la moyenne nationale’

Page 80: ENFANCE ABANDONNÉE AU MAROC

78

(3) Calcul de l’abandon théorique : l’échantillon constitué, est réalisé au moyen d’ un redressement statistique des abandons directs opérés chez le juge tenant compte, d’une part, des inscrits en provenance des structures associatives, et d’autre part, des différentiels de définition entre ‘justice et associations. Il intègre par ailleurs un échantillon de mères célibataires, recensé lors de l’étude de terrain et ‘redressé’.

Synthèse : En 2008, Des Tendances, Au Niveau National

6 - Mesure d’ampleur de l’abandon

Hypothèses

• La tendance de l’abandon théorique est soumise aux mêmes conditions que la tendance des naissances au Maroc.

• L’abandon théorique3 = mères épargnées par les actions de prévention + admissions pour abandon d’enfants au sein de structures associatives et hospitalières + abandons directs chez le juge + abandon illégal.

• L’absence de chiffres sur une région donnée ne signifie pas l’absence de l’abandon.

• Le nombre maximal d’abandons, observé sur une année, est celui qui est le plus proche de la réalité.

Un enfant abandonné à la naissance ( et placé) sur 2 est pris en charge dans le cadre d’une kafala

8 enfants sur 100 sont récupérés par leur famille

8 enfants sur 100 décèdent

37 enfants sur 100 restent au sein de l’institution d’accueil, durant l’année en cours

AbandonThéorique 2008 :6480

AbandonThéorique 2007 :5883

Estimation d’unepartie de l’illégaldéduit sur la basedes chiffresrecensés en 2007

667

Taux d’abandon Théorique estiméau Maroc :1,9 à 2%du ‘Total naissance’

Page 81: ENFANCE ABANDONNÉE AU MAROC

79

Le Futur ?

Le Présent

Un Taux d’abandons qui évolue à la hausse de façon sensible.

Une amélioration de la traçabilité permettra d’éclairer progressivement, sur les abandons informels des années précédentes.

Abandons réels : abandons jugés + l’illégal déduit

Estimation la plus faible de l’abandon 2008 4554 nouveaux enfants

Taux d’abandon réel au Maroc : 1,3%

Taux corrigé (actions de correction de l’abandon, mères célibataires) : 0,7%

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80

2 enfants sur 100 sont théoriquementabandonnés

1 enfants sur 3 échappe à l’abandon théorique(correction de l’abandon).

13 enfants sur 1000 sont abandonnés de manièrevisible au Maroc

Synthèse

• La traçabilité : plus la traçabilité relative à l’itinéraire de l’enfant est précise, exhaustive, plus elle permettra de chiffrer l’illégal réel, des années précédentes, et en conséquence, rendre compte de son poids véritable dans le phénomène dans sa globalité.

• L’abandon réel continuera d’évoluer de manière indépendante car il relève d’une donnée structurelle, l’interdit des relations sexuelles hors mariage avec leur potentiel de transgression. Ce potentiel évolue inévitablement avec l’évolution de la société.

AUSSI,

• D’un point de vue statistique,

Deux définitions différentielles de l’abandon,

avec en conséquence,

En matière de prise en charge,

Deux domaines d’intervention nécessaires.

Correction et lutte ou contre l’abandon

La correction de l’abandon est celle effectuée :

• Par la mise en place de structures dédiées aux mères célibataires et à leurs enfants : l’abandon virtuel, théorique, est corrigé par une action qui mène à la garde de l’enfant.

• Par la mise en place et la multiplication de structures dédiées à l’accueil de l’enfant abandonné et qui lui permettent de bénéficier, une fois sur deux, de la kafala.

• Par l’élaboration d’une stratégie qui agrémenterait des parents et les inciterait à se proposer comme familles d’accueil.

La prévention de l’abandon est celle qui vise à le réduire en tant que phénomène ‘structurel’ : il s’agit ici, d’anticiper et prévenir son occurrence par des actions profondes effectuées en amont.

Les représentations sociales des relations hommes femmes avec une culture de l’égalité et du droit.

La lutte contre les discriminations, des hommes à l’encontre des femmes, des femmes à l’encontre des hommes.

L’éducation hommes femmes.

L’éducation sexuelle hommes femmes.

La contraception hommes femmes.

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81

Page 84: ENFANCE ABANDONNÉE AU MAROC

82

Les actions, en chiffres,le discours sur les actions, les exigences

Donnees exhaustives de la justice

I-Affaires relatives à l’abandon d’enfantsLes données ci jointes, relatives aux ‘affaires’ d’abandon et de Kafala d’enfants abandonnés, ont été recueillies auprès du Ministère de la Justice.

On relèvera tout d’abord :

• Une organisation des informations exhaustives, reçues en provenance des tribunaux de la famille, attribuée à l’avènement de la ‘Moudouwana’,

• Une dynamique nouvelle d’analyse statistique des informations et d’évaluation des actions à travers la création d’un service dédié à la statistique,

• Mais aussi, des données cumulées, synthétiques, qui rendent difficile la segmentation des données et l’analyse approfondie de l’information.

1 - ‘Affaires’ relatives à la situation de l’abandon d’enfants : Données nationales

4123 enfants abandonnés en 2008

2005 2006 2007 2008

Total affaires 3236 2934 4929 5722

Nouveaux dossiers 2642 2418 3268 4123

Affaires jugées 2176 2062 3311 3978

Reste 1060 872

Spécificité des données de la Justice

• La définition de l’enfant abandonné, est spécifiée dans le texte de loi, évoqué dans ce rapport.

• L’enfant reçoit le statut de mineur jusqu’à l’âge de 18 ans.

• Les données intègrent le plus souvent les abandons d’enfants ‘en bas âge’ dont ceux effectués directement chez le juge.

• Elles intègrent dans certains cas, les enfants plus

âgés et les ‘enfants des rues’ avec des difficultés de comparaison entre le nourisson, totalement vulnérable, et le mineur dont l’âge peut aller jusqu’à 18 ans.

Analyse de l’information

• Sur la période 2005-2009, une évolution de 150% des nouveaux cas d’abandons inscrits.

• Un taux de jugement des ‘dossiers’ d’abandon, de 67% en 2005, et de 70% en 2008.

Chapitre 5

La justice

Page 85: ENFANCE ABANDONNÉE AU MAROC

83

Le différentiel de traitement des ‘dossiers’ est majoritairement attribué à des éléments en relation avec l’identité de l’enfant et/ou de ses parents biologiques : si le législateur retarde ce type de jugements, ne se prononce pas, et le justifie, les acteurs impliqués dans la prise en charge, eux, soulèvent les difficultés des enfants ayant des parents connus. L’existence d’un parent biologique est ainsi présentée par ces intervenants, et paradoxalement, comme une ‘source de problèmes’.La mère célibataire connue notamment, semble par ailleurs, susciter des réactions de peur chez les parents adoptifs éventuels dont la préférence s’exprime majoritairement en faveur du ‘sous X’( !). Ces réactions sont soutenues par de nombreux intervenants associatifs, dominés par le souci de ‘sortir l’enfant le plus vite possible’ : « la mère de l’enfant, un problème ».

1-2 - ‘Affaires’ relatives à la situation d’abandonde l’enfant : spécificités régionales Les données détaillées et fournies par le Ministère de la Justice1 (données synthétisées des 65 tribunaux de la famille) indiquent une variation sensible des ‘affaires pour abandon’.

Ces données confrontées à celles établies lors de l’étude permettent d’une part, d’identifier un écart au niveau des données, plus ou moins important en fonction des régions et, d’autre part, d’analyser l’information, en fonction de paramètres inhérents à la situation actuelle de l’abandon. Aussi observe t-on:

• Des écarts susceptibles de se justifier par l’accès direct au juge : abandon d’enfant au profit d’une tierce personne déjà connue. Jusqu’à un certain niveau, l’écart entre abandon en institution et abandon chez le juge, peut se justifier.

• Des écarts ‘difficiles à justifier’ uniquement par l’attitude majoritaire du ‘recours direct au juge’, comme observé dans les régions de l’Oriental, du Souss Massa draa, de Tadla Azilal. Ici il est nécessaire de se demander ce qui se définit comme abandons.

• Des écarts d’autant plus inexpliqués que les abandons recensés au sein de structures associatives ou hospitalières, sont supérieurs à ceux inscrits auprès de la justice. (Casablanca, Fès..)

RégionsEffectifs Enfants placés.

recensement 2008 Sources associatives et hospitalières

Effectifs Ministère de la Enfants inscrits en vue du jugement d’abandon. Source : Justice.

Casablanca 184 140

Rabat 111 193

Fès 88 31

Meknes 131 251

Chaouia Ouardigha 27 275

Doukkala Abda 21 86

Tadla Azilal 35 483

Chrarda 82 88

Tensift Haouz 166 549

Souss Massa Draa 185 710

Guelmim Tan Tan 22 31

Oued Eddahab Lagouira 28 14

Layoune Boujdour 15 18

Tanger Tetouan 173 170

Oriental 80 955

Taza Al Huceima 53 56

Villages SOS 18 73 («autres»)

Total 1419 4123

(1) Voir données détaillées annexes, P.46-47. Ces données ont été cumulées de manière à faire correspondre les régions, des Ministères de la Justice et de la Santé.

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En tout état de cause :

• L’effectif des abandons déclarés et recensés dans les structures d’accueil de l’enfant représente 34,5% des abandons inscrits la même année au tribunal.

• Par ailleurs, l’analyse des données différentielles de régions, permet d’apprécier, indirectement, la ‘célérité’ avec laquelle se font les jugements au sein d’un tribunal considéré. Des tribunaux de la famille comme celui de Casablanca, de Marrakech, Meknès, Tanger, Tétouan … -identifiés par les intervenants lors de l’étude de terrain, comme ‘sensibles’ à la problématique et entretenant des ‘relations coordonnées, de qualité’ avec l’ensemble des acteurs impliqués dans la question de l’abandon- ont agit en 2008, sur l’ensemble des affaires, celles des l’année en cours mais aussi sur celles restées en suspens précédemment…

II- La Kafala : données nationales

Pour rappel, la procédure de demande de Kafala, n’est susceptible de se déclencher qu’à partir du moment où, à la suite d’un jugement, il y a confirmation d’abandon d’enfant, ou à la suite d’un acte de Tanazzoul, permettant de solliciter la kalala.

En dehors de SOS village d’enfants, seule organisation pour enfants en bas âge habilitée à solliciter la kafala, les autres structures impliquées dans l’accueil d’enfants abandonnés, ne sont pas dotées de l’aptitude de Kafala.

Elles peuvent en revanche, participer activement à la ‘promotion’ de la kafala, dans l’accueil, l’orientation et la mise en relation des demandeurs potentiels parents adoptifs. Si l’ensemble des structures visitées lors de l’étude adopte un discours qui privilégie par-dessus tout la Kafala, considérée comme la meilleure option pour l’enfant, leurs interventions en la matière, sont apparues comme différentes en fonction des orientations de l’organisation, avec :

• Des structures impliquées de façon active dans la ‘promotion’ de la kafala : communication, sensibilisation, accueil, orientation, suivi, assistance sociale, quelquefois entretien psychologique préliminaire en direction de parents adoptifs.

• Des structures impliquées de façon ‘passive’ dans la gestion de la kafala : l’organisation accueille le demandeur qui a préalablement déposé sa requête au tribunal, et en fonction des situations, accompagne, oriente et présente l’enfant.

1 - Affaires traitées par la Justice

Le tableau ci-joint récapitule pour la période, 2005-2008, les actions entreprises par les tribunaux de la famille, en matière de kafala.

Demandes adressées aux juges

des mineurs

Ordonnances relatives à l’octroi

de la kafala

Rejets Affaires jugées

Mesures de suivi

de l’enfant pris en charge

2005 1661 1131 104 1033 299

2006 2010 1321 58 405

2007 2176 1440 118 1211 698

2008 2261 1640 68 1262 986

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Ces données, identifiées par ailleurs dans le discours des intervenants de la prise en charge, permettent de rendre compte des éléments suivants :

• D’une augmentation sensible des demandes de kafala adressées au juge des mineurs ;

• D’une augmentation des ordonnances en faveur de la kafala, avec par conséquence, une baisse des décisions de rejet ;

• D’une augmentation des mesures de suivi de l’enfant pris en charge.

• Considérant ‘le total abandons’ jugés : un taux de demandes de kafala de 57% ; un taux de kafalas jugées, de 32%.

• En revanche les mesures de suivi, -ici représentatives de l’ensemble des kafala d’enfants, celles relatives à l’année en cours mais aussi celles restées en suspens les années précédentes- ont été considérées, malgré une hausse très sensible des indicateurs, comme peu représentatives des besoins, non adaptées aux exigences de suivi, insuffisantes.

Sur un autre plan, ces données permettent ‘d’apprécier’ la réalité de la rapidité de traitement des dossiers au sein d’un tribunal considéré, en même temps qu’elles renseignent sur le type de réponse apporté par le juge :

• En 2005, avec un taux de rejet relativement faible (6%), celui des ordonnances du juge en faveur de la kafala s’élève à 68%, et le taux de jugement à 62%.

• En 2008, malgré un taux de rejet en baisse, 3%, un taux d’ordonnancement du juge de 75%, avec un taux de jugement de 56%, avec une baisse relativement significative.

• Ces données semblent confirmer les propos tenus par différents acteurs de la prise en charge : ‘la réaction’ du tribunal est jugée trop lente, notamment identifiée comme spécifique à des régions, tributaire du type de relation et de coordination entre les différents acteurs.

• Chez les acteurs associatifs, un traitement ‘efficace’, ‘rapide’ des dossiers de kafala est mis en relation avec la ‘compétence et la bonne disposition’ du Juge et/ou du Procureur : « on a de la chance » « le juge est un homme très bien » « la substitut est très compétente »… un autre type de comportement, qui fait obstacle au désir des acteurs associatifs s’accompagne souvent de perceptions négatives, du juge, et/ou du procureur, mettant en cause, l’idéologie, la motivation, la subjectivité, la compétence, l’intégrité.. de l’un ou l’autre.

• En conséquence des questionnements : ‘du côté’ du tribunal la réactivité est-elle conséquente à des contraintes objectives (moyens, outils, ressources) ou subjectives ? Les deux ? en fonction des situations ?

La baisse de 2008 serait-elle en relation avec le nombre élevé des dossiers à traiter ? Pour rappel, la ‘gestion des affaires d’abandons’ n’est qu’un aspect de l’ensemble

des affaires traitées par le tribunal de la famille.

Ces données doivent tenir compte des différentes situations de kafala :

• Le don à parent : l’enfant est donné par son parent biologique à un membre de sa famille. Cette procédure de kafala familiale, traitée directement par le juge, n’est pas considérée comme étant une kafala d’enfant abandonné. (même si dans le cadre de l’intérêt supérieur de l’enfant, et considérant les impacts en termes de vécu chez les enfants donnés par leurs parents, la question interpelle vivement)

• En 2006, l’effectif total Maroc, de kafala d’enfants non abandonnés est de 2486, et de 2537 en 2007.

Cette kafala familiale est décrite comme étant ‘largement utilisée’ par les ressortissants marocains vivant à l’étranger, ce qui n’est pas sans poser de problème, dans la mesure où à l’âge de dix huit ans, l’enfant devenu adulte est susceptible d’être menacé d’exclusion, (à moins d’avoir bénéficié ‘entre temps’, d’une adoption plénière dans son pays d’accueil !). Par ailleurs, sous la terminologie ‘enfants non abandonnés’ peuvent être appréhendées les kafalas d’enfants élevés par leurs mères célibataires.

• Le don de particulier à particulier : il se fait chez le adoul, ou chez le juge, à travers un acte de tanazoul. Cette décharge peut ou non, précéder une demande de kafala judiciaire.

• La kafala successive à une réquisition du Procureur avec jugement d’abandon : après enquête, le juge décide d’attribuer la kafala à un demandeur qui répond aux exigences de la loi et à celles additionnelles, qu’il peut solliciter, à la vertu de son autorité de juge.

III - Rapports à la loi des acteurs de la prise en chargeDiscours, perceptions et vecusdes intervenantsLes rencontres réalisées auprès des divers intervenants permettent d’identifier un discours différent en fonction de leur appartenance aux structures institutionnelles ou associatives.

Ces appartenances, si elles visent toutes deux à gérer au mieux les situations d’abandon d’enfants, (ici enfants âgés de 1 jour à 5/6 ans, ou 8 ans, en fonction des structures, avec une réalité qui permet de rendre compte de l’existence de ‘mineurs’ de 20 ans !) expriment des priorités liées au contexte.

1- Acteurs de la prise en chargesecteurs associatif et hôspitalier

Les centres d’accueil gèrent dès l’entrée de l’enfant, des aspects qui relèvent en premier lieu de sa survie : cet enfant est pris en charge sur des plans sanitaire, alimentaire et de nursing.

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• Ces exigences nécessitent des moyens, humains, matériels, des ressources.

• Ces exigences nécessitent à la fois de tenir compte de l’effectif et du mouvement des enfants -les ‘entrants’, les ‘sortants’, les ‘restants’- des capacités d’accueil des structures associatives, avec les moyens dont ils disposent, humains, matériels et ‘didactiques’.

• L’ensemble de ces exigences mène à répondre dans le présent, par un type de prise en charge, considéré comme le plus adapté au contexte et aux difficultés de gestion quotidienne de l’enfance abandonnée.

1-1- La kafala, une sortie de l’enfant

En raison de difficultés nombreuses associées à ce type d’exigences, en vue de favoriser le mouvement des ‘sortants’ pour gérer les ‘entrants’ et les ‘restants’, le secteur associatif est dans le présent, essentiellement orienté vers la solution de la kafala. Dans le contexte décrit - moyens, outils et organisation actuelle des structures d’accueil - la kafala apparaît prioritaire car correspondant à une manière optimale de ‘gérer le stock’.

Cette priorité tient compte d’une histoire de l’abandon au Maroc avec laquelle elle voudrait rompre, d’un passif négatif en matière de prise en charge : décès en grand nombre, enfants vivant dans des conditions d’hygiène et de salubrité inadaptées, insuffisance alimentaire, pathologies hospitalières, carences affectives, dépressions de nourrissons, négligences, maltraitance, directe ou indirecte.

Aussi il est nécessaire de considérer cette pression exercée en permanence sur les équipes en charge de la gestion de l’abandon, pour saisir l’ensemble du contenu du discours porté sur la kafala et les attitudes des différents acteurs, dès lors qu’une difficulté se présente, retardant la sortie de l’enfant.

1-2- La kafala, la famille et le bien-être

La kafala est également appréhendée, comme la meilleure solution pour le bien être de l’enfant : la ‘chaleur familiale’, la sécurité, l’aptitude de bénéficier de liens d’affect durables et favorables au développement psychologique de l’enfant, sont des arguments avancés pour justifier le désir de plus en plus soutenu des structures d’accueil, en faveur de cette solution ‘idéale’.

Aussi les réflexions ou attitudes d’incitation en faveur de la kafala puiseront-elles de manière relativement rapide, quelquefois excessive, dans le discours du bien-être : la kafala, seule garante de l’avenir de l’enfant ?

La question mérite d’être posée, au regard d’une réalité plus nuancée, au regard essentiellement, du vécu des enfants ayant été pris en kafala justement, et rencontrés lors de l’étude mais aussi, d’une manière générale lors de pratiques cliniques.

En tout état de cause, dans la gestion de la kafala, s’exprime aussi, au sein du secteur associatif, une difficulté à penser l’enfant dans la durée de la prise en charge, en dehors d’une assistance externe. Cette difficulté est principalement associée aux moyens, mais aussi à une conception quelquefois idyllique de la parentalité au ‘secours de l’enfance abandonnée’. ‘Le mythe de l’enfant sauveur/sauvé’

I-3-Attitudes et positions différentiellesdes acteurs de la prise en charge

I-3-1- Attitudes générales

Les aspects évoqués précédemment, moyens disponibles, conception, outils de réflexion et d’échanges, rendent souvent difficile la relation avec le corps législatif. Les acteurs de la prise en charge adopteront majoritairement un discours qui rendra compte du type de relation entretenu ‘avec les représentants de la justice’ et des attitudes immuables qu’il est susceptible de générer : ‘avec nous, ou contre nous’.

• Dès lors que le juge, ou le législateur, retarde la procédure, pour des raisons qui interrogent sur sa ‘subjectivité, sa qualité de juge’ mais aussi, il faut le souligner, sa fonction de juge, son autonomie souveraine, il est quelquefois rapidement classé, comme un opposant à la kafala, donc ennemi des structures d’accueil, et par conséquent, de l’enfant.

• A l’inverse, dès lors que son travail sera attribué des ‘vertus de la rapidité’, il tendra lui-même à être représenté, encore une fois, au risque de travestir la réalité, à travers des qualités positives, d’efficacité, de conscience professionnelle, d’intégrité…

I-3-2- L’attente prioritaire des acteurs : la gestion du temps

Dans le discours des acteurs, des ‘récriminations’ nombreuses, redondantes, relatives, essentiellement à la gestion du temps de la kafala d’enfants pris en charge et en rapport avec :

Les jugements d’abandons,

La durée des enquêtes,

La multiplicité des institutionnels, les doublons, les requêtes ‘inutiles’ comme la preuve de l’appartenance religieuse à l’Islam…

« il est devant toi, il s’appelle Mohamed ould fatna et toi tu lui demandes qu’il t’amène un papier qui dit qu’il est musulman »

Mais aussi, selon les propos obtenus auprès de parents adoptifs, dans un même tribunal, des exigences différentes, en fonction du demandeur de kafala (deux personnes peuvent être menées à faire des démarches différentes).

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• Le défaut ou le manque de coordination entre les différents acteurs impliqués dans le processus décisionnel : ‘affaires islamiques’, ‘intérieur’, ‘justice’… avec des retards de l’un ou l’autre des départements, décrits comme susceptibles de bloquer le processus et décourageant certains parents.

• Le défaut ou le manque de coordination entre les différents intervenants de l’abandon : santé, associations, justice…

I-3-3- Attitudes spécifiques

De manière plus spécifique, les assistantes sociales, impliquées dans un travail de terrain, pointeront, pour la plupart, (avec le risque de se positionner comme ‘adversaires’ de la rapidité de gestion de la kafala) des obstacles qui rendent difficile leurs interventions :

• La question des moyens, ressources pour mener à bien leurs missions, et d’une absence de légitimité pour les solliciter. La question du statut de l’assistant, assistante social (e), ‘projet en cours’, ‘éternellement en cours’, revient inlassablement dans le discours.

Les difficultés évoquées apparaissent d’autant plus problématiques que les intervenants sociaux ont été identifiés comme des acteurs incontournables, majeurs, à tous les niveaux : de recherche d’informations relatives aux parents de l’enfant, de mise en relation, de sensibilisation et d’incitation à la garde d’enfant chez les mères célibataires, d’enquêtes sociales, de suivi de l’enfant pris en charge.De nombreux acteurs sociaux rencontrés rendront compte, d’une connaissance approfondie de la réalité de la situation de l’enfant, assez souvent celle de sa parenté biologique, d’une implication et mobilisation élevées, en faveur du respect des droits de l’enfant. Si certains décideurs des structures d’accueil peuvent ‘fermer les yeux’ sur des éléments potentiellement contradictoires avec la décision de kafala, les intervenants sociaux se percevront comme les plus farouches défenseurs de la mère et de l’enfant, et pour la prise en kafala, des enquêteurs avisés, tant en amont, dans le ‘diagnostic’, qu’en aval, dans le suivi. Des kafala ‘mal gérées’, ‘trop rapides’ seront associées à des situations évoquées par les intervenants sociaux, où l’enfant pris en charge sera plus tard appréhendé dans la rue en situation d’errance, ou dans son environnement d’adoption,

objet de maltraitance, par négligence, par actes de violence directe, ou par exploitation.

• La question de l’âge du kafil reviendra par ailleurs, de façon redondante dans le discours des intervenants sociaux : comment accepter qu’un parent âgé de soixante dix ans puisse adopter un enfant ? Quel avenir pour l’enfant ? Quelle attente du parent kafil ?

• Les retours d’enfants, les ‘enfants refoulés’ suite à des ‘revirements de parents adoptifs’, ont été perçus (‘à juste titre’, si l’on considère les vécus entendus lors de l’étude), comme des problèmes sur lesquels il est important de se pencher. Quel statut de l’enfant ? Quels rôles et obligations parentales ?

• L’âge de déchéance, de la prise en charge et de la kafala, pointé comme problématique : ‘18 ans, insuffisant’, au regard de la qualité de la prise en charge en institution, une prise en charge qui n’éduque pas l’enfant dans le sens de l’autonomie ; au regard aussi, des spécificités de ‘l’éducation normale’ dans ‘l’environnement Maroc’ où chez l’individu, ‘l’adulte’ émerge difficilement.

Cette kafala arrêtée à 18 ans, présenterait un risque pour l’enfant abandonné, vulnérable à différents niveaux, par conséquent, sujet à de nouveaux abandons possibles dès lors que le contrat de prise en charge est interrompu. Ce discours sera également corroboré dans le cadre de l’étude menée et relative aux vécus de l’abandon.

• Enfin si la durée ‘trop longue’ des jugements d’abandon est pointée au sein des structures associatives, les assistants sociaux tendront généralement, quant à eux, à se positionner majoritairement, du côté de l’intérêt de l’enfant et de sa parentalité biologique.

• Certaines décisions de jugements en faveur de la kafala malgré les enquêtes négatives de l’assistant(e) social(e). Ces décisions, évoquées à plusieurs reprises, seront associées, dans le discours des intervenants, en fonction des situations,

A une ‘difficulté de discernement’ attribuée au ‘législateur’,

A une attitude majoritaire de ‘désinvolture’, qui ne conçoit pas le ‘poids réel’ de la décision de kafala et son impact sur le devenir de l’enfant,

A un souci de répondre à une pression exercée ‘d’en haut’ (associations, institutionnels) pour ‘désengorger l’abandon’,

A des positions subjectives dominées par ‘l’arbitraire’ ou ‘l’idéologie ultra conservatrice et discriminante’ (« je n’ai pas de temps pour les ‘oulad lahram’, les enfants du péché », « les enfants des p… », « vous encouragez le péché »),

A des attitudes qui remettent en question la conscience professionnelle de certains juges : affinité, ‘de statut socio économique’, de proximité relationnelle, ‘intérêt financier’ clairement exprimé, ‘monnayant’ la kafala d’enfants, de filles en particulier, évitant à certains parents, une attente jugée trop longue.

Par ailleurs, la ‘kafala VIP’, ‘pas nécessairement monnayable’, est également citée, pour éviter à certains parents ‘chanceux’, ‘intelligents’ ‘malins’ « de faire la queue comme les autres ».

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(Dans les commentaires sarcastiques de certains intervenants, plusieurs types de kafala avec des ‘définitions’ différentielles :

La ‘kafala cocotte minute’ qui consisterait pour un parent adoptif, de suivre la mère lorsque son ventre est ‘déjà bombé’, ‘prêt à cuire’ et de l’aider à ‘ouvrir la marmite’ pour ‘vite aller présenter le festin’ au juge ‘qui le goûte avant de vous laisser le déguster’.

La ‘kafala express’ qui repèrerait l’enfant à la naissance et réussirait ‘l’exploit’ d’obtenir un jugement ‘instantané’ antérieur aux enquêtes.

La ‘kafala lucrative’ qui consisterait à payer ‘ici et là, celui-ci et celui-là’, en dédommagement pour ‘services rendus’.

La kafala VIP, précédemment évoquée. Et -enfin !- la kafala normale, ordinaire, légale.

Certaines kafala auraient ‘la vertu’ d’intégrer plusieurs définitions à la fois, en dehors de la dernière.

Cet ‘arbitraire’ évoqué, dans la gestion de la kafala est paradoxalement, le plus souvent éludé par les acteurs associatifs, pressés de résoudre le problème du surpeuplement des structures : certains d’entre eux néanmoins, seront eux-mêmes aux yeux des équipes de gestion, ‘déclarés coupables’, quelquefois décrits comme impliqués d’une manière ou d’une autre, dans cette question, avec en dehors de l’intérêt lucratif, des ‘traitements VIP’ et des ‘traitements inégaux dans la relation aux parents demandeurs, faisant de certains d’entre eux, des ‘objets de discrimination’ présentant des obstacles divers à différents niveaux (accueil, rencontre avec l’enfant, choix, sorties…).

Cet ‘arbitraire’ décrit, dans la gestion de la kafala, sera également rapidement éludé par les parents adoptifs rencontrés « oui ça c’est normal, c’est le Maroc »… « vous savez au Maroc… » « oui… mais ça c’est pas un problème » ( !) « si ça vous permet de gagner du temps ».

• Des obstacles majeurs au niveau du suivi de l’enfant pris en charge :

Ces obstacles sont associés au défaut de statut des assistantes et assistants sociaux, dans la mesure où elles, ils, assurent assez souvent un suivi ‘hors

procédure’, de lors propre initiative, avec leurs propres moyens et ressources, ce qui ne leur permet pas de signaler, intervenir, parler au nom du droit, dès lors que le risque pour l’enfant est perçu.

Ces difficultés sont également signalées lors du suivi de l’enfant, dans la durée : les positions des parents adoptifs, si elles sont définies comme majoritairement conciliantes dans un premier temps, se décrivent comme plus tard, lors de la concrétisation de la kafala, dominées par des attitudes de défiance, de résistance et de refus.

Pour ‘faire table rase de l’origine de l’enfant’, de ses conditions d’adoption, se décrivent chez de nombreux parents adoptifs, des situations de déplacement, de déménagement, de fuite, qui rompent définitivement avec le suivi de l’enfant.

Questionnement : ce kafil qui a fourni ‘tant de coordonnées, d’indications, de garanties à la justice’, à la Sécurité Nationale’, peut-il se volatiliser aussi facilement ? Quelle compétence de l’assistante sociale, quel statut, pour persévérer dans sa mission d’effectuer un suivi de l’enfant, dans un rôle véritable d’assistance et de veille préservant ses droits ?

2 - Acteurs institutionnels

Le discours engagé par les intervenants institutionnels, autant à un niveau de représentation de l’Etat (Ministère) qu’au niveau de l’opérationnel (tribunaux), permet d’identifier des attitudes majoritaires :

2-1- A un niveau de représentation de l’Etat

2-1-1.Le droit de l’enfant

Le discours engagé est dominé par le référentiel de la réforme générale de la Justice, avec la nécessité de se conformer aux conventions du droit de l’enfant, de tenir compte en priorité, de l’intérêt supérieur de l’enfant.Ce discours porté, à ce niveau, par l’ensemble des intervenants rencontrés, appréhende l’enfant abandonné comme personne vulnérable, par conséquent nécessitant protection et suivi.Ce discours évoque également le rôle attribué au parquet :

• Effectuer le suivi des associations en charge de l’enfant abandonné, (loi 15 01)

• Assurer le suivi de la prise en charge de l’enfant et d’identifier, parmi les acteurs, ceux qui ne satisfont pas aux critères de prise en charge : ce suivi traite par ailleurs l’ensemble des plaintes (maltraitance de l’enfant, toutes violences).

• Mettre en place des mécanismes de suivi de la kafala : la loi prévoit le suivi de tout enfant ‘kafalé’, principe qui concerne même l’enfant pris en charge à l’étranger, avec des difficultés identifiées de réalisation.

Ici se poseront notamment les questions suivantes, non soulevées par les ‘institutionnels’ mais identifiées lors de l’étude de terrain :

La question de la définition de la prise en charge de l’enfant abandonné, rôles, missions, fonctions, moyens, résultats ;

Des critères d’attribution qui homologuent les différents niveaux possibles de la qualité de prise en charge,

Des modalités de mise en œuvre du suivi associatif,

Mais aussi et (surtout) de la position ‘paradoxale’, ‘inconfortable’ de l’Etat quand d’une part, il ne s’implique pas de manière représentative dans la prise en charge

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de l’enfance abandonnée, ‘laissant’ la question gérée par des initiatives individuelles, et que d’autre part, il oblige à une qualité de prise en charge qu’il contrôle ‘dans le principe’: quelles aptitudes ‘réelles’ dans le présent ? quels moyens ?

2-1-2- La flexibilité

La flexibilité de ‘la justice’ s’exprimera à deux niveaux :

• De mobilité possible de la loi.

Les intervenants de la ‘Justice’ mettront l’accent sur le potentiel de mobilité des textes de lois, dès lors qu’ils émanent de la société et se conçoivent comme nécessités.

Ainsi la loi est attribuée d’un potentiel de flexibilité, de mobilité, de réactivation… possible à partir d’un diagnostic établi qui repère, de manière consensuelle, des dysfonctionnements. Le discours de la justice laisse donc entrevoir la possibilité d’améliorer la qualité de la prise en charge de l’enfant abandonné.

Cette flexibilité évoquée tient compte toutefois de considérations qui ne remettent pas en cause les questions ‘fondamentales’ dans un contexte et une période donnés: ici en relation avec l’abandon d’enfants, la question de l’avortement sera appréhendée comme une solution non envisageable dans le court terme, objet de résistances et de contestations possibles, autant religieuses que sociales.

• De la question, ‘résolue’, de l’enfant né hors mariage

Depuis les changements de loi, le parquet bénéficie de plus grande souplesse et flexibilité à l’égard de la ‘mère abandonnante’ : la mère n’est plus pénalisée, et les relations extra conjugales sont ainsi indirectement reconnues. Cette souplesse, (confirmée par l’ensemble des acteurs, et par les populations cibles elles mêmes) est encouragée à travers des supports (circulaires) adressés à l’ensemble des tribunaux de la famille. Le ministère ‘invite’ par ailleurs, son encadrement, à ‘davantage de coordination’ avec l’ensemble des intervenants impliqués dans la question, et, ce afin de faciliter notamment, les procédures de kafala.

2-2- A un niveau opérationnel

Au niveau des tribunaux l’intérêt supérieur de l’enfant est également évoqué : en fonction des intervenants, juges, substituts…, de leur conception et niveau d’implication dans la question de l’abandon d’enfants, dans la décision de kafala, les attitudes de protection de son intérêt, se confirmeront ou pas, et se traduiront par des attitudes spécifiques aux individus :

• Chez ‘tel juge, dans telle région’ par exemple, la protection de l’enfant visera à conditionner de manière systématique, la décision de kafala à un acte de tanzil en faveur du ‘kafalé’, visant à défendre son droit à une

forme ‘d’héritage’ (contenu dans les textes de loi). Cette attitude lui permet, indirectement, d’évaluer la disposition du parent kafil, en même temps qu’elle exclue de nombreuses possibilités d’exploitation de l’enfant pris en charge.

• Chez ‘tel autre juge ou substitut’, le parent kafil se perçoit comme une ‘chance venue à la rencontre de l’enfant’, chance qu’il se doit de favoriser en lui facilitant la procédure, au risque de prendre une décision opposée à l’enquête menée. Chez ‘tel autre’…l’intérêt de l’enfant se perçoit dans l’attention accordée au temps nécessaire au déroulement des différentes étapes exigées avant la prise de décision.

• Chez d’autres intervenants en revanche, des positions subjectives, rendues possibles par l’autorité supérieure qui leur est conférée, sont susceptibles de rendre les relations aux parents kafil essentiellement arbitraires, aux limites de la normalité : « j’ai eu un parent qui est venu sans sa femme et qui m’a dit qu’il voulait seulement lui faire plaisir…je lui ai dit tu peux courir…je ne suis pas un homme si je te donne cet enfant…il est venu au moins cent fois…il me suppliait…un jour il est tombé à mes genoux…des mois et des mois..il venait et restait en train d’attendre…sa femme a du lui faire un souk…je lui ai fait payer ses propos… il n’a eu l’enfant qu’au bout d’une année »… (ou) « une mère est venue récupérer son enfant…que j’ai fait adopter…elle est revenue, voulait voir l’enfant…je lui ai dit si tu ne pars pas d’ici, si je te revoie encore une fois, je t’envoie direct au poste…elle est partie en courant… »

Par ailleurs pour certains juges, même autorisé par la loi, le droit d’une femme célibataire à l’adoption, est malmené par les représentations subjectives et des a priori : « c’est clair si j’ai un couple marié et une femme célibataire je le donne au couple, même si elle est capable financièrement et intellectuellement de lui permettre une vie propre, c’est comme ça .. ; je ne suis pas le seul vous n’avez qu’à demander…si c’est des étrangers aussi, je refuse…même musulmans ».

Synthèse • A travers le discours, l’ensemble de la problématique de l’abandon semble se résumer chez les uns et les autres, dans le présent, à la question de la kafala. Vision ‘candide’ de la réalité, déni des difficultés ou contraintes liées aux limites de moyens ? Une solution institutionnelle aux contingences sociales ?

• A travers le discours, se perçoivent les contraintes des uns et des autres, désorientés par rapport à la problématique de l’abandon et ce, d’autant plus que les moyens mis en œuvre sont insuffisants.

• A travers le discours porté par les uns et les autres, des difficultés qui pointent la prépondérance du subjectif tant dans la gestion de la prise en charge de l’enfant abandonné, que dans les modalités de mise en œuvre de la kafala.

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• Des paradoxes de relations, entre ‘Etat et structures associatives’ : l’Etat se perçoit comme financièrement absent et potentiellement contraignant. Ce type de relation est susceptible en retour, d’établir des liens réactionnels, de contraintes venues cette fois-ci du secteur de la prise en charge. Ces relations compromettent la décision du juge sur lequel pèse la pression de la ‘gestion de la fluidité’. Rapports d’aliénation ?

• Une carence en moyens humains, en ressources, en outils de gestion et de réflexion, tant au niveau institutionnel que de prise en charge, avec des impacts à des niveaux de prise en charge et de décision de justice. Cette carence tient compte au sein des structures d’accueil, de la nécessité de procéder au plus vite à des sorties d’enfants, au risque de les ‘échouer’, et ne considérer comme prise en charge, que la gestion de la kafala.

• Des difficultés de relation et de coordination entre les intervenants : ces difficultés ne sont pas systématiques, mais rendent compte de spécificités associées à une région ou un tribunal donnés.

• Des approches différentes de l’intérêt supérieur de l’enfant, avec d’un côté ‘le droit’, et de l’autre son ‘bien-être’ (surinvesti et idéalisé par ailleurs) ;

• A côté de cela sont soulignés des problèmes spécifiques, liés au choix du parent kafil, et au suivi de l’enfant, aussi bien au niveau des institutions qu’au niveau de son ‘adoption’.

Par ailleurs, le non respect du droit supérieur de l’enfant se perçoit lorsque :

Certaines personnes chargées d’accueillir l’enfant et d’en prendre soin, peuvent, sans que la loi s’applique, l’abandonner dans des structures d’assistance ;

Certaines personnes, peuvent, également sans que la loi s’applique, encourager (les parents, la mère en général), à l’abandon, et structurer une intermédiation lucrative en vue de satisfaire une autre partie.

De l’ensemble de ces positions respectives, formulées par les uns et les autres, il est apparu nécessaire de contrer le subjectif, d’user de moyens professionnels, rationnels, objectifs, de mettre en place des procédures claires et définitives traçant les missions et fonctions des différents intervenants impliqués dans l’abandon.

Il apparaît nécessaire également de prévoir une politique de gestion de la kafala qui soit conforme au droit supérieur de l’enfant, conformément aux dispositions, ratifiées par le Maroc, de la Convention Internationale de la Haye.

• De l’intérêt supérieur de l’enfant

Viser l’intérêt supérieur de l’enfant, nécessite d’adopter une attitude de droit, avec une distanciation qui permet de décider des solutions et choix appropriés :

Les chiffres soulignent et traduisent une évolution : les efforts des intervenants institutionnels (juges…) sont palpables et se perçoivent aussi, dans le sens de l’efficacité, de la célérité (ou de la contrainte).

Cette évolution nécessite un intervalle d’action situé en dehors de toute pression externe (même émanant des centres d’accueil) : ‘faire vite’, céder aux pressions, des uns et des autres, ou ‘être dans l’ère du temps’, souscrire systématiquement au discours de la nécessité de kafala pour le ‘bien-être de l’enfant’, à son ‘urgence’, sont des attitudes susceptibles d’influer ou de s’opposer au droit de l’enfant, et à l’indépendance et à la distanciation nécessaires contenues dans les fonctions du juge.

Ces attitudes pourraient en effet s’avérer nuisibles à l’intérêt supérieur de l’enfant, en même temps qu’elles peuvent concourir à provoquer la rupture du lien avec sa mère biologique.

Aussi, il apparaît nécessaire, de tenir compte de la globalité du réel de l’abandon dans le présent:

Avec,

• Les difficultés et contraintes du secteur en charge - sans les moyens nécessaires- de la gestion de l’abandon.

• Les difficultés entre intervenants de relation, de communication, de coordination, avec la contrainte pour les acteurs de la prise en charge, de ‘souffrir’ certaines pratiques et attitudes ‘non conformes’, d’institutionnels;

Et en même temps,

• Les risques inhérents à l’urgence de ‘précipiter les décisions de kafala’ : lorsqu’il s’agit de déterminer le devenir d’enfants, les postures habituellement attendues du juge, relèvent d’un exercice de conscience et d’intégrité professionnelles.

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Différents vécus, les uns, les autres Préambule

Comme évoqué précédemment dans ce rapport, si au Maroc, l’abandon a été abondamment traité, fait l’objet ‘d’études, colloques séminaires’, c’est souvent en tant que cause et phénomène : paradoxalement, la question, centrale, du vécu des sujets en situation d’abandon, est de façon quasi systématique, évacuée du champ des questionnements. Evoquer le vécu est susceptible en effet de pointer des dysfonctionnements majeurs de prise en charge, d’identifier des décalages, parfois abyssaux, entre l’offre des uns et les besoins des autres.

Aussi cette partie d’étude ambitionne de rétablir la place du sujet, en traitant de l’abandon, non plus en tant que phénomène statistique ‘problématique’, mais en tant que réalité appréhendée et/ou vécue, et comme les récits le souligneront, souffrance considérable, impactante à des niveaux de transmission générationnelle, sur les individus, ‘porteurs du handicap’ de l’abandon.

Réalisée au moyen de la méthodologie et des outils d’investigation qualitative, elle abordera deux volets.

Le premier est destiné à identifier les différents vécus de l’abandon, auprès de deux populations cibles, ‘d’abandonnants’ et d’abandonnés. Les entretiens réalisés auprès des ‘auteurs et victimes’, ont été menés par deux professionnelles de la relation, ayant une expérience institutionnelle, et une pratique de la ‘victimologie’.

Le second traite des caractéristiques principales de la prise en charge de l’enfant dans les centres d’accueil, relevant des structures associatives et hospitalières et destinées à l’abandon à la naissance. Les entretiens, échanges, observations, ont été effectués par des consultants, parallèlement à l’étude régionale menée, où des structures d’accueil ont été visitées, de manière formelle et informelle, et où des acteurs de la prise en charge ont été rencontrés.

L’objectif ici, est d’évoquer les vécus et ressentis des personnes rencontrées, d’identifier des impacts

de l’abandon autant chez les ‘auteurs’ que chez les ‘victimes’ : il s’agira de restituer ’le contenu d’une réalité psychique’, de rendre compte de ce qui se construit, se fixe ou se réaménage chez les individus, pour soit les immobiliser dans des ‘pulsions de mort’, ou les projeter vers des choix de vie.

1- Vécus de l’abandon

1-1- Constats préalables

A travers les entrevues menées auprès des victimes, d’emblée se posera la question d’impact de l’abandon sur les capacités de développement d’individus :

• Pour certains, l’on repérera la notion de trauma, avec une mémoire exigeante, qui reconduit et répète ‘inlassablement’ de ce qui a fait trauma.

• Pour d’autres, l’on identifiera ce qui a rendu possible, ‘malgré tout’, la construction de l’identité, avec des liens d’affect, avec une capacité de projection dans un avenir possible, avec ses différentes expressions, à des niveau familial, relationnel, conjugal, professionnel.

• Pour la plupart et à posteriori, il s’agira aussi, d’identifier la profonde blessure causée par l’abandon et d’évaluer l’existence de mécanismes de réparation : si la blessure persiste, béante pour certains, elle peut aussi être ‘colmatée’, pour prendre place, à l’instar des ‘circonstances de la normalité’, à côté des ‘autres manques d’humanité’.

• Pour la quasi-totalité, la rupture et le vécu d’abandon se répètent en institution à travers une discontinuité de la prise en charge, une modification des modalités de prise en charge, avec un changement brutal d’environnement et des visages qui lui sont associés : généralement, l’enfant lorsqu’il n’est pas pris en kafala, transite au moins par deux structures.

Il décrira ces événements qu’il traduit comme des fractures mentales et affectives : ruptures de liens avec les premiers objets d’amour, quelquefois une séparation avec le frère ou la sœur - voire toute une fratrie abandonnée et dispersée-, perte de ses premières relations, et se révèlera en difficulté pour se constituer des substituts de figures parentales.

Seconde partie :Vécus de l’abadonPrise en charge

Chapitre 1

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1-2.Le vécu, les représentations et réponses de l’environnement

Vécus de souffrance liés aux modalitésde gestion de l’abandon

Les expériences évoquées par les uns et les autres, permettront de cerner des blessures, les mettre en parallèle avec les réponses de la société, celles souvent violentes, à différents niveaux, vécues au sein d’institutions : à l’origine, les représentations, le regard porté sur l’abandon, la carence de vision et d’outils professionnels, avec une domination du subjectif dans le traitement de la question.

Les structures ; ‘gérées par des cœurs compatissants’, signent l’implication d’une société sensible et solidaire, menée à combattre la précarité et l’exclusion à travers, essentiellement des actions bénévoles.

La quête incessante de moyens financiers rend cependant difficile, une vision pérenne de la prise en charge.

Par ailleurs certaines structures livrées à elles-mêmes, sont susceptibles d’arbitraires, de conflits de pouvoir et de désaccords d’individus, avec des impacts visibles en matière de prise en charge.

Les représentations de l’adoption

Les représentations de l’adoption – ‘le bien’, ‘l’action charitable’, ‘le substitut du manque’- entravent les conditions de construction de l’identité de l’enfant.

L’enfant adopté répond le plus souvent à une attente particulière et préalable, mais lorsqu’il est ‘enfant chose’, substitut d’un manque, réponse à la blessure narcissique de ‘parents défaillants dans leur fonctionnement biologique’, il est susceptible à tout moment, de basculer dans la précarité du lien, dès lors qu’il se révèle, ne serait-ce que temporairement, ‘décevant’, en décalage avec l’image idéalisée de l’enfant manquant.

La précarité du lien en situation d’adoption

Elle se vit souvent et se renouvelle, dès lors qu’au sein de familles d’adoption, une vérité contenue éclate au grand jour, ou qu’un décès de parent kafil, survient, mettant en péril ‘l’adopté’ : ici, les enjeux financiers, économiques, prévalent sur l’histoire du lien que l’enfant a constitué, allant jusqu’à anéantir le processus de construction de son identité. ‘Tout’ s’effacera alors de l’image positive qu’il a pu construire : il se percevra à la mesure du discours de l’autre, qui l’instituera comme ‘déchet’, comme ‘fruit de la honte et non de la dignité’, enfant du péché, objet de mépris, définitivement exclu.

Les drames du secret de l’adoption

Ils se révèleront des plus destructeurs pour la personnalité de l’enfant, et ce, dans l’histoire des individus, à des niveaux de transmission générationnelle: le désir de ‘l’enfant à soi et à nul autre’, la peur considérable du

parent adoptif qui efface la mémoire biologique de l’enfant, qui procède au déni de son histoire, l’installera dans une identité tronquée, qui se souvient à un niveau infra verbal, de son cordon manquant, de sa mémoire d’abandon.

Dès lors que cette mémoire se confirme dans la réalité du vécu, le contenu de la brèche colmatée déferle, pour laisser place à l’errance, à la délinquance, à la déstructuration de l’univers psychique, allant jusqu’à la pathologie mentale et aux troubles psychiatriques majeurs.

Le secret de l’adoption est d’autant plus problématique, dramatique, qu’il constitue ici l’attitude majoritaire du parent kafil : par le détournement de la loi, par des moyens divers, tout adulte est en mesure de saisir l’opportunité ‘d’une mère célibataire’ pour négocier le rapt symbolique de l’enfant, en s’instituant parent biologique.

Malgré les attitudes acquises ici par l’expérience, d’effacer, des années durant, tout élément susceptible de dévoiler le secret de l’abandon (tractations silencieuses et ‘sures’, nom du parent adoptif donné à l’enfant, changement de lieu, de ville…) un jour, d’exaspération, de colère, d’inquiétude, ou de deuil, l’enfant/adolescent ou jeune adulte, recevra brutalement son secret d’enfant abandonné, qui le livrera à un autre lui-même.

Les récits souligneront l’impact générationnel de ce qui sera vécu comme une ‘explosion dans la tête’ dans le secret de l’abandon.

• Chez les garçons, la traduction de la déflagration se fera d’une manière bruyante, sonore, visible, à travers l’agir, le passage à l’acte violent, les actes de ‘destruction massive’, de soi, de l’autre, la délinquance, la toxicomanie, l’alcoolisme…

• Chez les filles, (‘choisies justement pour leur silence’) contrairement aux représentations, un ressenti tout aussi violent, perturbé, qui puisera dans ‘la soumission et la passivité féminines’ pour se manifester le plus souvent de manière ‘inaudible’, ‘intérieure’, adoptant généralement une tonalité dépressive, des conduites suicidaires, d’errance, de déviances, présentant le risque de découvrir des troubles psychiatriques, majeurs également.

Chez les deux, un risque élevé, de reconduire l’échec, à des niveaux variés, une histoire de rejet, d’exclusion…et d’abandon.

Des représentations violentes qui différencient les genres

La docilité est attribuée aux filles adoptées, et la violence projetée pour les garçons adoptés : ces images puisent majoritairement, et à l’origine, dans les modes les plus fréquents de décompensation évoqués dans l’abandon, et ‘spécifiques’ aux sexes.

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Ces décompensations ne surviennent toutefois que lorsque le parent adoptif a failli lui-même, à son devoir premier, de reconnaître l’enfant comme sujet, lorsqu’il a failli dans sa relation à l’enfant, en manifestant de manière insidieuse, ‘irrationnelle’ directe ou indirecte, régulière, d’autres préférences’, ‘sa déception’, sa méfiance, sa ‘peur’ …d’un enfant qui ‘lui est étranger’.

Les attitudes de parents kafil

Elles sont, complexes et diversifiées, avec des affects contradictoires, ambivalents, pouvant fonctionner sur des registres divers :

De culpabilité (d’emporter un enfant qui a été porté, prendre l’enfant de l’autre) avec les attitudes corollaires d’agressivité (crainte permanente d’une intrusion hypothétique des parents biologiques) et des mécanismes de défenses pouvant entraver la mise en place d’une relation saine à l’enfant, allant jusqu’à la pathologie ;

Des conduites d’évitement malgré un respect du ‘devoir d’information sur les origines’ : une ‘conscience’ de forme, est susceptible, parallèlement, d’imposer l’idée inverse, d’un enfant sans histoire pour prendre place de parent unique.

La caricature : dans le souci de bien faire, certains parents répéteront ‘à l’infini’ l’histoire de l’enfant, la rendant idyllique, courant le risque d’être saisi comme parent ‘insuffisant’ au regard du parent du mythe, donc perdre place et déstabiliser les capacités d’adaptation de l’enfant.

L’enfant de l’autre : cette idée existe chez la majorité des parents adoptifs. Elle se manifestera dès lors que l’enfant se conduit d’une manière ‘inadéquate’, ‘décevante’.

Si tout enfant est susceptible de susciter ce genre d’attitude parentale, plus que tout autre, l’enfant abandonné est ‘toujours’ attendu au niveau d’une erreur qu’il pourrait commettre, et le comportement, ‘disséqué’ (une parole, une attitude une provocation, inhabituelles, des résultats scolaires insuffisants, opposeront ‘l’enfant du rêve à celui de la réalité’, et deviendront rapidement inquiétantes, étranges, étrangers).

L’enfant ‘étrange’ sera alors susceptible de basculer dans le registre de ‘l’étranger’, avec toutes les conséquences, de rejet, d’exclusion et d’échec.

Dans certains récits, les parents adoptifs feront preuve de maltraitance véritable, avec une violence psychologique dominante, allant jusqu’au sadisme. L’enfant du rejet fait l’objet, dans ces situations, d’un harcèlement qui peut perdurer des années jusqu’au moment où il décidera du départ de son domicile ‘parental’, à moins d’être exclu avant qu’il ne le choisisse. C’est probablement, en grande partie, cette attitude parentale réflexe qui fera dire aux adultes adoptés rencontrés ici : « je l’ai su depuis toujours », « je sentais quelque chose »…

La puissance des représentations collectives(de l’échec) de ‘l’adoption’

L’idée de l’échec de ‘l’adoption’ (ici kafala) prévaut dans les représentations, (se confirme souvent dans la réalité parce que les représentations le prescrivent de manière machinale et puissante), freine les élans de parents potentiels, et met en échec une société pourtant éprouvée en matière de solidarité sociale et familiale.

En conséquence la nécessité pour les parents kafil d’apprendre à aimer l’enfant de l’autre, en maîtrisant les peurs, en ‘travaillant’les représentations.

En adoptant un enfant, tout parent futur est amené à gérer à la fois ses peurs profondes, ‘irrationnelles’, des représentations ancrées dans l’imaginaire individuel et sociétal, et sa capacité de distanciation, afin de laisser place à ‘l’enfant de l’autre’, avec une identité propre qui lui permettra de se concevoir lui-même en premier lieu, avant de devenir ‘enfant à soi’.

En pointant quelques unes des difficultés de la parenté non biologique, (identifiées lors de l’étude de terrain) il s’agira ici, non pas de la remettre en question, ou de ‘persévérer dans le registre de la peur’, mais de réfléchir sur des modalités minimales d’adoption susceptibles de conditionner sa réussite. Ces conditions ne sont pas remplies dans le présent.

Les exigences associées à ce type de problématique mènent, pour le secteur de la prise en charge, à réfléchir sur la mise en place de cadre d’accompagnement, de discussion et d’échanges, permettant aux parents kafil de recourir à la distanciation. Ce cadre est susceptible de favoriser l’établissement des modalités premières de leurs contrats, (claires dans la définition juridique de la kafala), recueil, prise en charge et protection de l’enfant. Il permettra aussi de leur donner les moyens de déconstruire des représentations solides, profondément ancrées dans l’imaginaire social, rétablir la confiance qui innocentera un nourrisson attendu et redouté à la fois, de construire les liens qui plus tard, les institueront, dans le regard de leur enfant, comme parents, de la rencontre, du choix.

Amina, mariée, n’a pas eu d’enfant. Des membres de sa famille décident de faire un enfant pour le ‘lui donner’. Une petite fille naîtra. Amina est prise de panique, mais finit par accepter d’assumer son adoption. Amina est à ‘l’affût des signes qui la culpabilisent vis-à-vis de l’enfant’, et se souvient que l’une des sœurs de Lina, est tombée malade lors de la séparation. « Elle allait mourir de douleur, pleurait…accusait ses parents…».

Dans le présent, Amina dit vivre dans la hantise du lendemain, et exprime de nombreuses inquiétudes par rapport au devenir de ses relations à l’enfant : quand elle saura, qu’est ce qui va se passer ? Comment réagira t-elle vis-à-vis de ses sœurs ? De ses parents ? Peut-être le lui diront-elles un jour, elles mêmes ? « Va-t-elle me

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reprocher de l’avoir privée de mère ? Va-t-elle reprocher à sa mère de l’avoir donnée, elle ? » A est plongée dans le malaise de la complexité de ce type de don/ adoption, refuse de révéler la vérité à l’enfant, « trop jeune, qui ne comprend rien » dira t-elle, ne peut vivre le présent tant le futur est obscur et menaçant à ses yeux.

Khadija, célibataire, a adopté une fille à la naissance et conçoit cette kafala comme une action charitable effectuée ‘à l’appréciation du Tout Puissant’ : ayant rencontré une mère célibataire qui voulait abandonner l’enfant à l’orphelinat, sensibilisée à la cause par la nature de son travail, mais aussi désireuse ‘d’avoir un but dans la vie et une présence’, Khadija a fait le pas. Un accord sera conclu entre les deux à travers un acte de tanazoul dans la ‘moukataa’.

Deux ans plus tard, la mère reviendra en vue de récupérer l’enfant et insiste: Khadija ‘sort ses cartes’ et piège la mère naturelle en lui demandant une rétribution financière élevée ‘pour services rendus’, ce qui la fera fléchir. Khadija avouera que cette incursion de la mère dans sa vie, l’a troublée au point de voir ses rapports à la fille modifiés… « je me pose beaucoup de questions, je ne sais plus si je vais continuer à épuiser ma santé pour que demain sa mère la récupère dans la rue et lui dise la vérité. Je suis sure qu’elle choisira un jour sa vraie mère conclut-t-elle. « Ils sont souvent ingrats, ces enfants, vous savez, oublient très vite le bien ».

L’absence d’alternative : en parallèle, des acteurs associatifs, ‘dépassés’, ‘sous pression’, avec comme solution, la kafala

A défaut de structures de prise en charge, à défaut de moyens, mais aussi de plateformes de discussions, de réflexions et d’échanges, les acteurs sont contraints à la kafala : ils craindront particulièrement de répéter une histoire récente de décès d’enfants abandonnés, ou de se voir obligés de les transférer, selon la formule utilisée, dans ‘les camps…’, et n’entrevoient dans le présent, que le moyen de la kafala comme solution possible, même lorsque se posent, des questions non résolues dans le présent, de protection de l’enfant dans la durée.

Les conditions de réussite de la kafala apparaissent alors en même temps que les modalités de son échec.

Entre les deux, l’enfant plusieurs fois victime au cours de son existence,

À la fois de faits de conjonctures qui ont rendu ses parents biologiques défaillants,

D’archaïsmes qui le rendent indésirable car témoin vivant d’une sexualité collectivement refoulée,

Des représentations sociales et familiales, de la peur qu’elles engendrent,

De malversations, et de tractations commerciales, identifiées à tous les niveaux, qui en font un objet de troc et de trafic,

D’enjeux financiers de l’héritage, où les hommes défendent des intérêts acquis ;

D’une absence de stratégie de prise en charge,

D’une faible implication de l’Etat …

Entre les deux, l’enfant, lui, n’a pas choisi.

Aussi, la défense du droit et de l’intérêt supérieur de l’enfant, nécessite une attitude professionnelle qui appréhende la problématique dans sa globalité avec des réponses appropriées : ici se dessinent les limites du secteur ‘bénévole’ et la nécessité d’implication de l’Etat, avec une définition de missions et d’actions, pour une gestion améliorée à la fois de la kafala, et de la prise en charge durable, de l’enfant abandonné qui n’a pas eu la possibilité d’être ‘choisi’ mais pouvant bénéficier d’une prise en charge structurante, ‘malgré l’abandon’.

En même temps l’institutionnalisation de l’enfant se traduit par des dysfonctionnements majeurs : lors de l’étude menée, la rencontre d’enfants très jeunes, d’adolescents et de jeunes adultes, placés en institution, posera, dans certaines situations, la question de la non-assistance à personnes en danger, de la non- assistance à générations en danger.

1-3- L’enfant, le vécu et les institutions

Cette étude permettra par ailleurs d’identifier, au niveau des victimes de l’abandon, des différences sensibles de vécu en fonction de l’institution :

Les visions, outils, programmes et moyens des structures SOS permettent davantage, et dans une optique comparative, de favoriser au mieux l’évolution de l’enfant tenant compte de la nécessité de réparation de la blessure de l’abandon : ici ce ne sont pas tant les conditions de confort -souvent présentées comme idéales par les acteurs- mais l’expérience cumulée d’une prise en charge de l’enfant dans la durée avec des questionnements consécutifs aux échecs, des réflexions, et la mise en place, toujours renouvelée, d’actions correctives qui visent à améliorer la qualité de développement de l’enfant.

A travers le discours des enfants et adolescents rencontrés, des droits mais aussi des devoirs, avec des règles de fonctionnement, avec une loi structurante, existent, pour ‘inculquer la normalité’ et limiter les débordements éventuels. Des ‘adultes empathiques mais structurants’, ‘puissants’, sont présents, ‘momentanément absents’, préparant les enfants, - à l’instar de parents aimants -, à l’autonomie, à la séparation, à la vie d’adulte. Les ‘crises’ d’adolescence, habituelles d’un statut de normalité, ici cependant exacerbées dans les ‘cas’ ayant vécu des ruptures répétées, des ‘attaques majeures’, seront perçues comme les périodes ‘à plus haut risque’ pour l’évolution future de l’enfant.

En effet, si en leur permettant de s’opposer à leurs parents, cette période structure les ‘enfants de la normalité’, les remises en cause de ‘l’adolescent

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abandonné’, sont souvent radicales : ils renoueront avec les conflits non résolus de l’enfance, et remettront en question la question, ici, réelle, de la filiation.

A travers ce discours ‘d’enfants SOS’, se perçoivent aussi les éléments d’une réflexion approfondie de l’intérêt supérieur de l’enfant, avec un travail qui ambitionne de les rattacher à sa filiation, soit par l’histoire, soit lorsque leur famille existe, par l’établissement du lien. Ici aussi, un moment à risque, où l’enfant sera mené à traduire sa déception par rapport au ‘parent du mythe’ qu’il s’est construit avant de signer le passage vers l’acceptation de l’histoire individuelle.

Par ailleurs, pour favoriser le passage des ‘intervalles à risque’, pour permettre de verbaliser autour de difficultés éventuelles, des cadres de discussion sont mis en place, institutionnels et individuels, avec des accompagnateurs, éducateurs, professionnels de la relation, évoqués spontanément dans le discours, et appréhendés comme ‘supports’ indissociables de la prise en charge globale.

A travers les récits des enfants et adultes ayant été élevés à SOS, aucune allusion à la violence institutionnelle (dans l’un des récits, un jeune évoquera la violence d’un éducateur : une plainte à été ‘déposée’ et l’éducateur licencié).

Ici enfin, un élément majeur d’éducation et de prise en charge, qui se devine dans les propos des jeunes adultes rencontrés : dans les récits, les relations hommes/femmes sont représentées comme étant basées sur l’égalité des droits.

Pour les autres institutions de ‘bienfaisance’ contactées lors de l’étude, des comportements différents par rapport à la requête de la consultante, mais dominés globalement par la ‘peur du regard de l’autre’, ‘du discernement de l’autre’ : cette attitude s’exprimera à travers, des refus clairs, catégoriques (dont certains deviendront possibles au moyen encore une fois, de l’intermédiation) mais aussi à travers un ‘accueil en fanfare’, qui a précédemment veillé à ‘tout apprêter’, dans une mise en scène ‘caricaturale’.

Cette mise en scène enseignera ici sur l’importance de la forme : la volonté de déguiser le réel ira jusqu’à opérer à un choix d’enfants lesquels, en préambule, répèteront consciencieusement -et étrangement- la leçon acquise, « je ne suis pas frappé, ici le personnel est gentil, on ne nous bat pas, on mange bien, on va à l’école, on travaille bien, ils nous suivent, ils nous éduquent, on nous soigne quand on est malade, on s’occupe bien de nous, on va à la piscine, ils nous achètent ce qu’on veut, personne n’est frappé ici …». Avec un questionnement : quelle aptitude pour ces enfants qui soulignent tant de distance par la négative, à toute violence physique, de rendre compte, directement, de celle qui se manifeste dans leurs propos, qui va jusqu’à les empêcher de choisir comment dire ce qu’ils vivent ?

• Les ‘plus de six ans’

Au niveau des institutions rencontrées de prise en charge des ‘plus de six ans’, la réalité de l’enfant, de l’adolescent, sera considérée comme dramatique : plus que la problématique du nourrisson ou du bébé abandonné, celle des enfants plus âgés, nécessite des mesures d’urgences.

Si de nombreux enfants âgés de six/douze ans ont été perçus vivant un état de choc, les plus âgés, ayant fait l’apprentissage de la ‘survie en milieu hostile’, formuleront, eux, plus clairement leurs malaises, leurs souffrances, avec une ébullition dans leurs propos, qui augure d’une évolution à haut risque d’inadaptation.

L’environnement décrit par les pensionnaires - ‘la jungle’,’ l’enfer,’ ‘le Vietnam’ en référence à une ‘guerre ‘interminable’- et les comportements de violences, dominent, entravant toute possibilité de construction/reconstruction de l’enfant, formant, selon la formule maintes fois utilisée par les acteurs, ‘des bombes’, de rancune, de carences, de manques.

La consultante sera témoin ici de scènes de violences ‘on live’, où ‘l’agir de la rage’ est dominant, où l’encadrement est dominé par la peur, aux abois, ‘dépassé’, en abdication, en dépression, privé de ‘toute aptitude’ de stabilité, en matière de décision, d’élaboration ou de distanciation.

L’encadrement est en même temps, décrit comme soumis à des injonctions paradoxales :

Sévir, au risque de maltraitance,

Négocier, gérer, pactiser, au risque de perdre une compétence.

L’adolescent et l’adulte jeune, en particulier, saisissent le plus souvent cette ouverture qui leur est donnée, de disqualifier la loi en permanence, adoptant des comportements qui les instituent en tant que loi et génèrent la terreur : l’encadrement cède, immobilisé par la peur du regard extérieur, des media à scandales, de pressions venues ‘d’en haut’, de celle, des instances dirigeantes qui opèrent à des intrusions permanentes. Mais surtout, à l’analyse, par une conception du droit de l’enfant mal assimilée, donc non intégrée.

Certaines instances dirigeantes seront décrites comme des ‘figures’, qui ‘sabotent’ le travail de terrain et de la réalité, ‘construisent et agissent leurs fantasmes’, à travers un ‘orphelinat’, qu’ils conçoivent souvent comme leurs entreprises, qui, le temps d’une visite, sont susceptibles, l’un, l’autre, de donner des directives contraires, se montrer conciliants avec les ‘chefs de bandes’ auxquels, ‘pour éviter les débordements’, ils confient les ‘rennes du pouvoir’, contribuant, sans le savoir, à constituer des ‘clans’… ici, selon la formule attribuée par un pensionnaire adulte à un président d’association, il s’agira « de donner à manger à ces ordures, de leur donner ce qu’ils veulent, l’essentiel (étant) qu’ils se taisent, qu’ils nous laissent tranquilles…et ( ) qu’ils fassent ce qu’ils veulent… ».

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Ces attitudes décrites bénéficient en même temps à des pensionnaires à la fois satisfaits des bénéfices secondaires qu’ils ont obtenus, mais déroutés par la confusion qui règne et l’absence de cadre, homogène, structurant, contenant et pérenne.

L’image du directeur qui a un impact considérable dans le discours des ‘victimes’ rencontrées, est par ailleurs décrite comme soumise à arbitraire : il s’agira, soit d’un directeur ‘dépendant’, qui ‘obéit aux ordres’ et n’a pas de fonction véritable, soit d’un directeur autonome, qui protège, garantit, met en place des modalités contractuelles et une ligne de conduite, remises en cause ‘au moindre incident’ et qui le font partir.

La mobilité fréquente du directeur dans ces structures décrites, entrave à son tour, la perception d’une continuité, d’une cohérence et d’une stabilité chez les pensionnaires. Par ailleurs, l’encadrement spécialisé, lorsqu’il existe, ‘va et vient, au gré des circonstances’, sans réflexion effectuée en amont, sur les impacts potentiels vécus par les pensionnaires, au travers de ‘nouvelles relations abandonnantes’.

Les formations prodiguées à l’encadrement seront décrites comme étant surtout une ‘consommation de savoir plaqué’, sans relais permettant de faire vivre le contenu de ce savoir, sans moyen mis en place permettant d’élaborer autour de ce savoir et de le relier à la pratique.

Le besoin identifié ici, est celui d’un encadrement qui travaille au niveau de la relation, et qui existe déjà : si de nombreux ‘encadrants’ ont été perçus comme ‘engagés’, positifs dans leurs relations, assurant leurs rôles, la méconnaissance de leur apport, la non reconnaissance de leurs métiers, la dévalorisation de leur travail, leur absence de protection face à ‘l’arbitraire des dirigeants’, est apparue comme problématique, et encore une fois, constituant une entrave à la prise en charge de l’enfant, de l’adolescent et du jeune adulte.

(Nul besoin, pour cet encadrement qui travaille dans la relation, d’avoir des ‘diplômes supérieurs’, ‘impressionnants’, ‘un statut’… qui le rendent crédibles au regard de tiers soucieux de la forme, mais surtout d’aptitudes d’empathie, d’écoute et de distanciation. Les équipes nécessitent d’être surtout soutenues par des relais professionnels qui les ‘accompagnent et les aident à accompagner’).

• Un questionnement : quel avenir pour ces bébés qui deviennent enfants, qui transitent par des associations, lesquelles, tant bien que mal, tentent de préserver leur intégrité en leur prodiguant les premiers soins et les seules caresses de leur enfance, mais lesquelles des fois aussi, sont contraintes au déchirement, qu’elles expriment, de les placer dans cet univers adulte et terrifiant ?

Ces enfants transitent d’un univers quasi exclusivement féminin, tout puissant par ailleurs (où les hommes sont majoritairement confinés à des rôles de coursiers, gardiens, chauffeurs !) vers un univers masculin dominant et menaçant,

Dans ces univers, les petits expriment leur terreur face aux grands, violents à différents niveaux,

Dans ces univers, les grands expriment leur animosité à l’encontre des petits, ‘mieux traités’, (comparativement) plus ‘choyés’,

Dans ces univers, au fur et à mesure qu’il grandit, chez l’enfant, le sentiment d’abandon augmente : aussi, le départ de l’institution, considérée comme unique rempart à ce sentiment envahissant, sera-t-il perçu comme une confirmation de l’abandon premier contre lequel il lutte en permanence, justifiant le comportement de certains adultes qui revendiqueront alors une demande d’assistance ‘à vie’.

Comment les préparer à l’autonomie, à la séparation s’ils expérimentent de telles ruptures ?

Comment rétablir une confiance plusieurs fois ‘trahie’ ?

Comment les structurer sans l’existence de limites, de repères, de loi ?

Les agents d’autorité, eux-mêmes, interpellés à diverses occasions, semblent ‘traiter prudemment’ ce problème épineux de l’abandon ! (décidant, assez souvent, sauf incident très grave, de ‘détaler’ …)

Dans ces univers, où le ‘mineur’ peut atteindre 50 ans, voire plus, des ‘clans’, des ‘bandes organisées’, qui font la loi, saccagent, qui sont craints de ceux-là même qui sont chargés d’un rôle d’éducation, ’ceux-là’ qui ‘dépassés’, les prennent quelquefois à partie pour légiférer, contribuant ainsi à renforcer leurs conduites de déviance, qui leur répercutent l’impossibilité de concevoir une loi symbolique, qui leur fait tant défaut.

Des ‘leaders’ de clans ont été rencontrés ici : si leurs récits enseignent sur les impacts liés à leurs vécus, leurs attitudes réactionnelles seront des exemples qui instruisent sur les ‘agencements de modèles pervers’.

Dans ces univers enfin, un clivage dominant entre deux mondes distincts, non communicants, masculins et féminins. Quelles relations futures ?

Pour les ‘petits’, une rupture considérable !

Avec le sentiment de revivre l’abandon et la répétition d’un cataclysme.

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Récits, histoires et vécus de victimesde l’abandon

Ces récits, rendus partiels, réaménagés dans un souci de clarté et de confidentialité, ont quelquefois duré plusieurs heures, autant du côté auteurs que de celui des victimes : le contenu sera dominé par l’affect, tant à travers l’émotion qu’ils susciteront chez leur(s) auditrice(s), qu’à travers celle qui les envahira et qu’ils exprimeront, chacun, de manière différente, en fonction de leurs, âge, sexe, aptitudes à verbaliser, capacités de réparation et de sublimation.

L’expression manifeste des personnes rencontrées, enfants, adolescents, adultes, dominée par un contenu émotionnel, laissera entendre les véritables difficultés vécues par les uns et les autres, avec leurs souvenirs précis des ‘premières fois’, leur quête d’identité,

leur demandes excessives à la fois de haine et d’amour, leur colère, leurs blessures en direction d’une société dont ils se sentent exclus en majorité, et ‘qui n’oublie pas à l’occasion’, de leur rappeler leur statut d’enfant illégitime, à l’école, au travail, en famille d’accueil. Leurs attentes : prendre place d’individus, sans être attribués des ‘qualités du pauvre’, ni des ‘handicaps du hrami’.

Qui sait ? Ces témoignages, même tronqués par une exigence de synthèse, (restitués pour la plupart, en annexe de ce rapport et ce justement, afin de ne pas évacuer encore une fois, la question fondamentale du vécu) mèneront peut-être, à envisager des actions plus concrètes, réfléchies dans le cadre d’une vision projet, du court, moyen et long terme.

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1-Fatima et le choc des originesAgée de 46 ans, F est caissière dans un café : tous les jours, en dehors d’un dimanche sur deux, elle travaille de 6 heures du matin à minuit. Aussi, dira-elle…plus de temps pour penser à l’existence. « Je vis comme une hachara (insecte) mais je crois qu’elle vit mieux que moi » dit-elle, en introduction, « je travaille…, je dors, à peine le temps de manger…après je reprends. Les vacances ? Jamais…

Tout commence pour elle le jour de la révélation du secret d’adoption, révélé à l’âge de 28 ans. Elle saura tout en même temps -qu’elle a été trouvée dans les décombres, que ses frères, cousins…le savaient depuis toujours, le disaient aux autres en cachette – et fait des liens instantanés, pour justifier le comportement de chacun de ses parents à son égard, l’échec scolaire, le différentiel de traitement avec ses frères ‘plus choyés’…puis se révolte contre sa mère. Elle décrit le moment de rupture : je lui ai dit : « je sais tout, je ne te pardonnerai jamais de m’avoir caché ça, je m’en vais…, je ne peux pas vous décrire ce que je ressentais ce jour là et les autres…j’étais une folle lâchée dans les rues de Casa…j’avais envie de mordre…de faire du mal à tout le monde…j’ai dormi à côté d’une mosquée pendant trois nuits… j’ai rencontré une fille qui m’a logée chez elle pendant quelques semaines…

une prostituée très gentille…,» F ira travailler à l’étranger pendant 4 ans, exerçant comme nurse, puis face à une menace de viol de son patron ‘alcoolisé’, quitte son

emploi, et retourne au pays. Elle travaille, erre, et retrouvera sa mère à la mort du père, pleure dans ses bras puis repart, jusqu’à ce qu’elle apprenne le ‘cancer de sa mère’…Elle l’accompagne pour ces derniers jours, à l’image d’une fille aimante, la porte dans ses bras : avant de décéder à son tour, sa mère lui léguera ‘son or, ses meubles, son salon…’ à travers un acte chez le adoul. Mais la mort déclenchera la rivalité et les sentiments d’hostilité de sa fratrie masculine. Elle quitte de nouveau un foyer familial ‘cossu’ pour se retrouver dans une chambre louée dans un quartier populaire, proche de son emploi de café. Depuis, elle se perçoit «comme vivante et morte à la fois » ne se suicide pas parce que c’est ‘hram’, refuse de penser aux hommes « les hommes ? Pourquoi voulez-vous que je rencontre un homme ? Si j’étais la fille d’un homme, un vrai avec des moustaches, vous croyez que j’aurai été une bent lehram ? » (une fille du péché)…Fatima parlera d’une voix haute, où tout au long des échanges, la colère domine. Le travail semble constituer le seul élément du réel auquel elle s’attache.

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2-Karima, 24 ans, adoptée également dans le secret, venduek a été élevée le jour de sa naissance par des parents âgés aux côtés d’un frère biologique (âgé de trente ans), d’une sœur (également adoptée mais qui le savait entretenant des relations régulières avec sa famille). Inscrite dès le premier jour dans le livret de famille, elle ignorera jusqu’à l’âge de quinze ans la réalité de ses origines, annoncée brutalement par un frère ‘rival menaçant et violent depuis toujours à son égard’, devenu progressivement terrifiant. La rivalité du frère sera attribuée à la nature de la relation entretenue avec la mère, décrite comme protectrice et aimante. Les enjeux financiers liés à l’héritage, rendront l’atmosphère ‘infernale’ au sein de la famille, si bien que la mère décide lorsque la vérité éclate au grand jour, de la protéger juridiquement, en vue de lui léguer ses biens.. mais K sera jugée trop jeune par le adoul contacté. Le jour de la vérité des origines, révélée à l’âge de quinze ans, confirmera un ressenti enfoui par K, à l’origine d’un débordement incontrôlé, à l’origine d’une errance non achevée dans le présent. Malgré son acharnement, son ambition, son intérêt à l’égard des études (qui lui permettra d’avoir un diplôme universitaire) K renoue

avec l’échec, dans sa vie affective, dans ses relations, dans ses investissements.

Au cours de son errance, K transitera d’un refuge à un autre, sa sœur adoptive d’abord, des amies, une voisine, une famille qui l’exploite contre l’offre du gite et du couvert… tant d’autres espaces… se rebellera, vivant toujours l’exclusion, même sur un plan professionnel, renouant toujours avec le sentiment profond de rejet.

K sera alors invitée à trouver une solution dans la rencontre avec sa propre mère et ira à la quête de ses origines. Elle apprendra qu’elle a été ‘vendue’, que les infirmières de l’hôpital qui ont procédé à l’intermédiation, étaient mécontentes du résultat de la vente…que sa mère était contrainte de la laisser ‘à cause de ses frères’, qu’elle était ‘issue’ d’une relation hors mariage, que sa mère était venue implorer une femme, qu’elle avait demandé à la voir de loin…mais ne parviendra jamais à la rencontrer. Pour K, dans le présent, la quête n’est ‘plus d’actualité’, n’offre plus d’intérêt. Quelques propos de son vécu, d’une ‘longue histoire’ (en annexe).

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3-Imane, 17 ans, pensionnaire à SOSImane a été placée depuis l’âge de neuf ans suite au départ de sa mère. Malgré l’intervalle qui la sépare de l’abandon, elle garde une trace vivace des premiers temps, ‘de la perte de confiance’ qu’elle décrira au cours d’un entretien entrecoupé de pleurs…serait-ce parce que ses parents sont en vie ? I est scolarisée et parlera en français… Elle sera considérée comme en besoin de parler, verbalisant également une problématique d’adolescente qui se fixe aux figures parentales qu’elle ‘peut’ véritablement remettre en question, du fait qu’ils l’ont abandonnée, non plus dans le fantasme mais dans le réel. A la vertu de sa liberté, elle interroge le passé, un passé douloureux, attaque une fois le parent réel, l’autre fois, le parent de substitution, sans pouvoir se fixer sur une image positive. En même temps, cependant, elle laisse entrevoir un potentiel de sublimation avec une aptitude à élaborer un projet d’avenir : elle envisage, comme de nombreuses populations qui se vivent victimes, de défendre le droit.

« j’habitais chez mes parents biologiques…ils ont divorcé et après mon père n’avait pas les moyens… il nous a amenés au village…nous sommes (plusieurs)… j’ai grandi avec mes parents…je me souviens…on était en route pour venir ici, je ne voulais pas venir…c’est très dur, en route moi et mes frères, on pleurait tout le temps, on n’arrivait pas à nous séparer de notre père…il nous traitait bien… j’avais neuf ans…(Que sais-tu à propos de tes parents ?) ici au village…ils ne te disent pas tout… ils te disent ce qu’ils veulent pour te faire taire, pour ne plus réfléchir, pour ne pas pleurer… dernièrement mon grand frère a commencé à me raconter la vérité… je ne les crois pas… mon père avait beaucoup de problèmes avec ma mère et elle, elle ne pouvait pas résister et elle est partie… (ici) ils n’ont pas le temps pour nous et question d’affection, mon père (SOS) travaille toujours,…mais comment il va faire ? il a 100 enfants… pour donner à chacun sa part d’affection…alors c’est le rôle de la mère… mais elle te dit, j’ai beaucoup de choses à faire..(la vie en institution pour un enfant ?) il doit toujours se sentir, qu’il est loin de sa famille…comme un point d’interrogation sur sa vie…Moi je dis ce sont pas mes parents… pourquoi je vais les écouter, parce que c’est l’âge de l’adolescence, toujours tu as des points d’interrogation dans la tête…une mère ce qu’elle mange elle te le donne, (as-tu des contacts avec ta mère ?) oui, je l’ai vue il y a… semaines…

pour la 1ere fois…(et à ton avis, qu’est ce qui c’est passé pour que tu sois ici ?) (Pleurs) premièrement, ils avaient beaucoup de problèmes…mais moi je ne crois personne… un jour ma mère nous a amenés à l’école et au retour, elle a ramassé ses affaires… on a commencé à chercher ma mère… X nous a dit qu’elle était partie en voyage, qu’elle allait revenir…on a attendu (pleurs) une semaine…un mois… mon petit frère, je m’occupais de lui, j’étais sa mère…moi je voulais savoir une seule chose : comment une maman peut abandonner sa [Kabda ] (son foie)… je n’arrive pas à le faire rentrer dans ma tête… même si mon mari me fait quelque chose, je prends avec moi mes enfants, je travaille comme une bonne pour les éduquer et je les laisserais pas avec leur père… à chaque fois qu’elle va dormir elle va avoir de la peine, se poser la question de savoir si ces enfants sont malades, s’ils ont mangé, s’ils sont couverts, s’ils dorment, s’ils sont bien (pleurs) …pourquoi ne pas réfléchir avant ? …elle n’avait pas les moyens ? Quand je suis partie la voir…elle n’est plus pauvre comme avant…alors pourquoi elle nous a abandonnés ? Si on était partis avec elle, on aurait vécu avec elle, pas souffrir comme ça (pleurs, silence)… (Souffrir ?) Oui, la 1ere fois quand tu vas à l’école, on te dit : écris le nom de ta mère, de ton père, l’adresse et tout (pleurs)…moi j’ai la tête qui tourne, je ne sais pas si je dois écrire mes parents biologiques ou les parents SOS… je mets point d’interrogation…et je la leur donne…tes parents ? Ils sont morts, ça y est… (et ton papa, tu es en contact avec lui ?) Oui.. c’est bien … lui est resté avec nous .. Personne d’autre n’est resté avec nous (pleurs)…c’est lui qui faisait le linge et nous préparait à manger (pleurs)… (L’avenir pour toi, une idée ?) Oui, je vais faire le droit (pleurs)… ( ?) Avocat… (Sur le plan affectif, une famille, des enfants ?) Oui, je ne voudrais pas refaire la même chose comme ce qu’à fait avec moi mes parents… ( ? ) je ne vais pas abandonner mes enfants… , ils vont souffrir…le soir les gens vont dormir, tranquilles et eux vont pleurer, souffrir (pleurs)…moi, je les sauve…(par rapport à ta mère ?) (pleurs) je ne l’aime plus, je la déteste…ce n’est pas une mère, la première fois quand je suis partie la voir, moi et mon frère je l’ai serrée dans mes bras, je n’ai rien ressenti envers elle (pleurs)… (Merci) merci à vous…

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4-Othman, 6 ans, résidant à SOS village d’enfants

O, arrivé ‘bébé’, parlera à la manière d’un enfant de son âge, avec les préoccupations liées à son âge, les bagarres, les copains, l’école, les moniteurs. O a des repères, connaît la loi, les limites fixées par les grands. Son histoire ‘d’abandon’ ne semble pas, dans le présent, avoir un impact visible sur son comportement. Beaucoup de choses lui paraissent ‘impeccables’ ‘top’. Il restituera des éléments qui indiquent qu’il connaît ‘la vérité globale’ de ses origines faisant le différentiel ‘vraie mère’, mère SOS… « J’ai deux mères, une qui m’a élevé et l’autre ma vraie maman… moi, je connais son nom… ils sont en train de la chercher… et je les aime, les deux… ma vraie maman n’est pas à Casablanca…. celle avec qui je vis, c’est elle qui m’a élevé ». Il a un souvenir restitué du ‘premier jour’ « je suis arrivé quand j’étais bébé, dira t-il … et plus loin, dira ne se rappeler que de ce qu’il ‘a vécu’ ses études….son maître.. ; ses souvenirs récents. Il déroule sa journée quotidienne « Je me réveille, me lave le visage…après, voir la télévision. Puis, je vais prendre mon petit déjeuner…. les études… je vais à l’école quand c’est l’heure…grande maternelle… l’année prochaine, en première année primaire… j’aime les études… rester avec mes amis… il y a le cahier…les activités… le dessin…pendant la récréation nous faisons la gym…les grandes vacances…la forêt… je lis un peu…

je sors à l’extérieur pour jouer…Des amis… à l’école et au village…(Et les grands qui s’occupent de vous ?) le père (baba) Mustapha, la maîtresse, ce sont eux qui commandent.. ils sont ici, (quelqu’un d’autre ?) oui R… si on se dispute, il essaye de nous séparer…il y a aussi A…il fait la même chose que R..ceux sont eux qui s’occupent de nous.. et B, s’occupe du village…Moi je vis avec ma mère… j’ai deux mères, une qui m’a élevé et l’autre ma vraie maman… veux tu changer quelque chose à ta vie ? non…tout est bien.. ; (As-tu des amies filles ?) les filles ? (sourire) …je n’ai pas d’amie…mais je parle aux filles… une différence dans la façon de vivre entre les garçons et les filles ? non, c’est pareil… (Des choses qui te gênent ?) je n’aime pas que les grands me frappent… ils me disent les gros mots… (quoi ?) je ne peux pas le dire… que fais-tu alors ? je dis à ma mère ce qui se passe et elle leur parle directement…Penses-tu parfois à tes parents ? oui …je pense à mon père et à ma mère… (quand tu seras grand, qu’est ce que tu ferais ?) j’irai chez elle,… Je ne pourrai pas vivre sans eux…(qui eux ?) ma vraie mère, mon père et mon frère… (un travail ?) je ne sais pas…une famille ? oui… des enfants ? oui.. ; penses- tu que tu vas t’entendre avec tes enfants ? oui, oui, Je m’entendrai bien…

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5-Témoignage de Camilia adolescente, pensionnaire depuis huit ans dans un village SOS Fruit de la vengeance entre deux hommes, dont l’un proche parent de sa mère, C, se trouve exclue à sa naissance. Sa mère sera contrainte de la cacher dans un espace réservé aux animaux pendant plus de trois années. C se souvient encore des visites furtives de sa mère qui venait la nourrir. Un second essai pour la réintroduire au sein de la famille sera freiné avec menaces de mort pour la mère et l’enfant. Aussi ira-t-elle à l’hôpital pour la placer, trouvera une mère d’accueil pour quelques années, au cours desquelles, C se remémore ‘du bon et du mauvais’, éducation, prise en charge, mais aussi maltraitance. De nouveau à l‘hôpital, elle y séjournera, ne se souvenant que des coups, avant d’être orientée au village SOS. A l’égard de sa mère d’adoption, malgré tout, de la reconnaissance. En revanche, accepter sa mère biologique lui paraît dans le présent encore impossible : envers elle, du ressentiment, de la rancune, « un sentiment étrange à l’intérieur…quand elle me prend dans ses bras, je ne sens pas de l’affection mais de la haine…je n’oublierai jamais qu’elle m’a laissée à l’hôpital qu’elle a demandé à des gens de me prendre comme une marchandise … » Quant au père, C le nie simplement. Elle semble mettre une barrière pour épancher la blessure et pour se reconstruire :

à travers ‘l’opportunité du village’ cette possibilité existe pour C qui décrit une stabilité progressive malgré les ruptures qu’elle a connues. Elle se souvient de son arrivée « tout était vert…j’ai beaucoup aimé » des difficultés d’intégration « au début, j’étais perdue…pas aimée…j’ai même pensé à m’enfuir… maintenant, je suis satisfaite…on m’a montré, il y a des choses que nous devons faire et des choses que nous ne devons pas faire… » et du bénéfice psychologique qu’elle en tire « cet établissement m’a beaucoup protégée… sinon, je me retrouvais dans la rue, j’ai eu l’opportunité d’étudier, je ne savais rien… » de confort « j’ai ma chambre privée…je fais tout ce que je veux…j’ai mon lit… » de prise en charge « nous étudions… il y a du personnel qui s’occupe de nous, et surtout, nous aide dans nos études…les vrais parents sont peut être toujours occupés…rentrent le soir…n’ont pas le temps pour leurs enfants ». Le directeur s’appelle ‘baba’ « il est marié, a sa famille… parfois vient manger avec nous… ou la télé… va à l’école pour savoir où est ce qu’on est dans les études...règle les problèmes entre les mères et les enfants »… « j’aime ma mère… elle qui m’a éduquée… quand je tombe malade, elle passe des nuits blanches pour me surveiller.. »

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7-A, élevée dans une institutionde bienfaisance

A, aujourd’hui âgée de 41 ans et mère d’un garçon de neuf ans, a été abandonnée à la naissance. Tout au long de l’entretien, elle évoquera la blessure profonde de l’abandon, se concentrant particulièrement sur un vécu de violences. Les violences décrites sont multiples et davantage focalisées sur les modalités de prise en charge institutionnelles, qui seront attribuées d’un impact puissant se reproduisant à des niveaux affectif, relationnel, social et économique. Chez Aziza la notion de trauma est visible, palpable à travers une tentative de suicide et plus tard à travers une hospitalisation en psychiatrie….ce qui ne l’empêche pas de tenir à son enfant, refusant de lui faire revivre le même de ce qu’elle a ‘subi’ allant jusqu’à sacrifier son corps pour l’élever. L’exclusion de l’orphelinat la conduira à l’errance, à la grossesse, et plus tard, à la prostitution, unique solution entrevue par A, activité exercée dans le secret pour préserver son fils, est en même temps, la principale tâche noire du présent. Son rêve : travailler, élever son fils, faire face à ses besoins. Malgré un vécu d’abandon l’enfant est ici investi d’une position de totalité : le fils est tout, le lien, la famille, la réparation affective du passé, le projet du futur, le lien puissant à la vie.

Durant l’entretien, A tiendra à raconter son histoire du début ‘à la fin’, répondant brièvement aux questions posées pour reprendre le fil… son récit, dont voici quelques extraits, durera plusieurs heures, ponctué de ‘je n’oublierai jamais’ et ‘revenons à l’orphelinat’… (annexes)

« Moi on m’a laissée à l’hôpital…je me rappelle, on m’avait laissée à l’Orphelinat Lalla Hasna, je n’oublierai jamais…à l’âge de 3 ans… la responsable nous traitait mal… les bienfaiteurs nous ramenaient de jolis vêtements et quand ils s’en allaient, elle nous prenait nos choses…. Je n’oublierai jamais qu’elle me donnait du lait froid dans le biberon… après, je suis allée à l’orphelinat 2 mars où j’ai beaucoup souffert. L’école était très loin…nous marchions pieds nus, presque sans vêtements… on faisait pipi dans nos vêtements, parce qu’on avait peur. Ils nous demandaient de ramasser les ordures en contrôlant combien nous en avions ramassé…celui qui ne ramassait pas beaucoup d’ordures recevait des coups de pieds partout…. nous ne mangions jamais bien le matin…nous pleurions beaucoup car nous avions toujours faim… la formatrice et l’institutrice, et la surveillante de nuit. … »

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Témoignage de K,

abandonné à 4 ans, aujourd’hui âgé de 31 ans, et ayant passé 27 ans en institution, permet de rendre compte d’un vécu qui pointe un différentiel sensible, entre le passé et le présent, en matière de prise en charge institutionnelle de l’enfance abandonnée : de la maltraitance plurielle, physique, psychologique, affective, alimentaire…vers un traitement sensiblement amélioré à des niveaux de confort, de salubrité, d’hygiène et d’alimentation… Par ailleurs, ce témoignage confirme la perception observée chez les uns et les autres, de l’institution : une institution ‘clivée’, à la fois bonne et mauvaise, hostile par le traitement qu’elle réserve aux enfants, et en même temps seul rempart contre les dérives de délinquance et de violence, seul lien qui fait barrière à l’abandon et au sentiment d’abandon. Cette institution décriée est paradoxalement la seule vers laquelle se tournera l’enfant devenu adulte dès lors qu’un obstacle se présente : il lui ‘demandera’ alors, dans une quête permanente d’assistance de ‘continuer’ sa prise en charge. L’entrevue réalisée permet enfin de rendre compte de la difficulté de l’enfant abandonné lorsque ses parents sont en vie : ici, comme chez l’ensemble des abandonnés dotés de parents, se décrit un deuil impossible et une grande difficulté à se projeter dans le lien durable.

Ici aussi le parent de la réalité, lorsqu’il se découvre, s’oppose au parent du mythe que l’enfant se construit généralement… la découverte ou la rencontre du parent deviendra alors un moment à risque…

Cette histoire rend compte également d’un moment où l’enfant devenu adolescent ou jeune adulte se met en quête pour rencontrer sa vérité, une vérité d’autant plus problématique sur un plan de la reconstruction de l’identité, qu’elle rencontre de nombreux non dits, de nombreux mensonges…eux-mêmes attribués à la peur de divulguer la vérité. Ainsi certains mensonges, utilisés ‘pour faire moins mal’, réveillent la douleur…. « …31 ans…toute cette période, je l’ai vécue privé de mes parents….à 4 ans, je me suis perdu dans le souk les policiers m’ont trouvé et m’ont emmené à Lalla Hasnaa…je ne savais pas d’où je venais, ni où j’habitais, ni qui étaient mes parents… 2 ans dans cette structure.. à 6 ans, je suis allé à Dar el Banat de lalla hasnaa, ensuite deux ans après, affecté à Ain Chock…là bas, j’ai eu l’impression que j’étais dans une prison, après 2 jours je me suis senti mal et je voulais m’enfuir… j’étais scolarisé, mais ils me battaient…tout se faisait avec des coups, chaque professeur là bas était reconnu pour son grade, un grade à frapper.. »

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9-Salim, 6ans, pensionnaireà l’orphelinat de…L’histoire de Salim questionne à différents niveaux : âgé de six ans, il a déjà connu une première institution où il semble avoir été placé par ses parents biologiques, pour des raisons qu’il n’identifiera pas, évitant lors de l’entretien, d’évoquer ce qui touche à son placement, traduisant cependant un malaise dès lors que la question se pose (j’ai mal dira t-il à chaque fois - oui il a mal-). Il est également apparu comme un enfant instable, angoissé, et des questions se posent par rapport à sa relation aux grands qu’il déteste, comme souvent évoqué dans ces institutions où ‘la rivalité entre petits et grands fait rage’, mais avec d’autres interrogations qui subsistent à travers des propos répétés relatifs au corps, aux grands et au sommeil…Un sommeil dont il décrira par ailleurs, le déroulement perturbé.

Il décrit une protection le jour, mais la nuit, il semble livré à des peurs d’un enfant de son âge, à celle d’un enfant qui a bénéficié auparavant d’un cadre (relativement) plus clément et rassurant, à celles d’un enfant placé alors que sa mère est en vie, alors que sa sœur vit à ses côtés. A-t-il le sentiment d’avoir été puni ? Mais ici, en rapport avec les questionnements de cette recherche, l’on pointera davantage le différentiel qui se perçoit dans son discours, dans le changement d’environnement et le choc puissant, traduit à travers les propos relatifs au vol de ses affaires, de ses friandises, à l’hygiène, des personnes et de l’environnement, aux coups, et à l’alimentaire. L’alimentaire surtout, prendra une part considérable dans l’échange réalisé auprès de l’enfant : craint-il de voir sa part volée ? de rester affamé ?

Salim ne sait pas depuis quand il vit à l’orphelinat de … beaucoup dira t-il… il sait qu’il a une mère et une sœur qui n’habitent pas avec lui…que lui était à ‘Lalla hasna ‘ quand il était petit, avec ‘des éducateurs, beaucoup de chambres, beaucoup d’enfants’, qu’il dormait ‘dans le dernier lit au fond,’ qu’on lui donnait à manger, qu’il restait jouer l’après midi et ne dormait pas…que c’était agréable… que chaque éducatrice avait ses enfants.

Et puis un jour il est monté dans un car jaune qu’il l’a mené ici…Le premier jour où il est arrivé, il retient qu’il a été ‘questionné’ qu’on lui a « montré la cuisine et où on mange, et la salle des jeux… (ici) les grands enfants sentent très mauvais… je les déteste… ils sont horribles…je préfère les hommes et les enfants qui n’ont pas beaucoup grandi… »

Il va à l’école, étudier, traverse la route à l’aide de l’éducatrice… est content de ses résultats « Le professeur m’a donné 5/ 5, super »

il citera le nom des éducatrices A, H, F, M qui lavent le linge sale, rangent les affaires…mais constate « qu’un enfant a fait caca ici par terre… qu’un autre est puni quand il fait des bêtises, qu’il est frappé avec un bâton », avant de signaler que lui aussi ça lui arrive… il décrira sa journée : « le matin, je me lave le visage, je bois un peu, je me brosse les dents, je prends son petit déjeuner et puis je reste assis …des fois je joue et je me repose »…

S se surprend à entendre la sonnerie qui lui laisse supposer que le repas est prêt… il s’excite…formule le désir de voir, dit qu’il a faim… se rassure puis revient…il continue… « je sors quelquefois »… puis change de propos… « si quelqu’un vole on l’emmène à la police… je pars quelquefois à la plage… au camping mais les toilettes étaient remplies de cafards… » il n’aime pas les filles parce qu’elles sont ‘capables de le contaminer’ (les poux)… n’aime pas les garçons, pas tous, car ils lui ont tout volé… ses affaires dans la classe… « mais la maternelle pue…ils ont tout nettoyé à l’eau de javel maintenant c’est propre…les éducatrices trouvent des difficultés avec les enfants » mais pas avec lui…»

Quand aux grands, qui ont leur propre éducatrice… « il les voit… il ne les insulte pas, mais eux l’insultent »… cependant les éducatrices veillent, prennent soin des petits et leur achètent des choses grâce à l’argent donné par F… il compte devenir policier trouver des voleurs et les tuer…lui se sent seul quand il dort… car il rêve, fait des cauchemars… il met alors les mains sur son visage pour se protéger… S entend soudain une sirène d’ambulance..; quelqu’un est mort !

Ses parents ? il peut dire leurs noms, sa sœur s’appelle m et sa mère f… qu’il voit parce que parfois il vit à l’orphelinat et parfois chez lui…pourquoi ? J’ai mal…..…

Futur ? « si je trouve quelqu’un aveugle, je l’aide…si une femme me demande de l’argent je lui en donne, si je trouve quelqu’un en voiture en panne je l’aide, et si je trouve quelqu’un sale je l’aide à se nettoyer avec du kleenex. Si je trouve des gens comme ça, je les aide pour que Dieu ne me châtie pas et que je devienne policier et je rentre au paradis et Dieu ne me châtie pas et que Dieu me donne une voiture… »

Une famille ? « oui quand je grandirais…je veux avoir une maison, une fille, une femme, une sœur c’est tout…je veux avoir une famille, et que je devienne policier. Le policier n’a pas de famille ? je baiserai la tête et les mains de ma mère c’est tout… »

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10-Karim, 18 ans, même établissementKarim, abandonné dès sa naissance, tiendra dès le début à se différencier de la population avec laquelle il vit depuis huit ans. Placé dans une première institution il se remémore ses premières amours, ses premiers liens et le cataclysme lié au ‘changement de décor’.

Son histoire témoigne de l’importance des gestes de tendresse, de l’empathie que peuvent offrir certaines figures qui construisent les premiers liens. L’univers qu’il décrit est tout simplement dominé par l’anarchie.

Rien d’étonnant à ce que le petit Salim dont le récit a été évoqué précédemment, soit aussi instable et angoissé.

Karim lui, grâce à une figure maternelle puissante, salvatrice, grâce aussi aux éducatrices et à leurs premières caresses, a probablement reçu un minimum qui lui permet aujourd’hui, à défaut de vivre, de tenir, en s’endurcissant de l’intérieur. Comme de nombreux rescapés de ces institutions, rencontrés dans le cadre de ce travail, K semble avoir opéré à une séparation ‘salutaire’ de son univers mental en le clivant. La dureté de l’intérieur apparaît comme un moyen de faire face aux agressions incessantes de l’extérieur. Pour ne pas voir ce qui se passe en lui, croire dans sa différence, seule identité possible à ses yeux, pour se vivre distinct et ne pas se laisser atteindre, K décrit tout ce qui lui permettra de vivre les autres comme des étrangers.

Au début, on était a Meknès, à l’association de madame Zniber…je n’ai pas de famille, aucune trace…j’ai été trouvé devant une mosquée…j’y ai vécu jusqu’à un certain âge… elle était obligée de prendre 10 enfants et de les disperser dans divers établissements… j’étais l’un des 10… depuis que j’ai ouvert mes yeux,entre les mains des éducatrices… ce sont elles qui m’ont aidé, éduqué…je ne connais aucun membre de ma famille ni mes parents.. je me rappelle de tout, de la forme de l’établissement, des ‘encadreurs’, des jours que j’ai passés avec madame Z…

elle nous appelait chaque samedi et dimanche et les grandes vacances….… elle nous envoyait son mari, il nous emmenait avec choisissait 4 ou 6 enfants, et j’étais toujours parmi les enfants… le week-end et les vacances lui… je me rappelle beaucoup d’elle depuis ma tendre enfance… je n’imaginais pas ce tournant dans ma vie… il y avait la rentrée des bébés… pas de places pour nous… ici il y a énormément de cas, des cas sociaux… moi, j’ai vécu l’expérience complète, je me rappelle très bien d’une femme qui m’a toujours porté entre ses bras et qui me donnait le biberon… prenait toujours soin de moi… je la considérais comme ma mère, je croyais qu’elle était ma mère, dans une maison avec ma mère, mais quand j’ai commencé a grandir, j’ai compris ma place … les meilleures années, je les ai passées à Meknès…ils ne nous battaient pas, chaque chose en son temps, l’école, les sorties, les samedis et dimanches… très grande différence avec ici..

Ici, les uns partent au travail, les autres restent, font du bruit, du vandalisme…les éducatrices chacune de son coté…pas d’organisation, rien, pas de surveillance… ni du coté du ‘cadrage’, ni du responsable…, ni du directeur…les enfants s’adonnent à beaucoup de choses maintenant, ils vendent même leurs vêtements pour la drogue… il y a aussi la menace sexuelle entre les enfants….cet orphelinat c’est comme la jungle, le grand mange le petit… Je me rappelle d’un directeur, A, un homme magnifique…comme un père…un nouveau a repris sa place, il n’a pas su diriger…d’autres préoccupations… rechercher des fonds…il laissait les enfants errer, leur donnait énormément d’argent…un jour, ils m’a fait venir à son bureau pour un truc insignifiant, il a commencé à me maltraiter, à me tabasser, j’ai même saigné…il m’a dit qu’il ne m’aimait pas… il est parti, un nouveau directeur… »

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11- Mahmoud âgé de douze ans, même institutionAncien pensionnaire de Lalla Hasna, abandonné à la naissance, Mahmoud sera pris en kafala à l’âge de trois ans, avant d’être (pour des raisons attribuées au travail de ses parents adoptifs !) ‘refoulé’ comme une marchandise, vers cette institution de bienfaisance…… une tonalité dépressive dans le discours, un sentiment de vacuité : « ils sont venus ils m’ont pris…ils m’ont ramené…je ne suis rien…je ne suis rien dans cette société » dira t-il en préambule… Son discours confirmera celui des précédents : ici, on prend la « pire fessée du monde, que même en prison on ne peut pas donner…ils prennent le tuyau madame, et commencent à nous frapper de façon aléatoire..

L’un d’entre eux, a frappé un enfant avec un bâton en bois, le bâton d’une karrata et il a saigné… moi aussi, je suis battu comme ça…je n’y peux rien, je supporte personne ici ne veut nous rendre heureux… » et « moi je dors très mal »

Les petits semblent constituer ici l’exutoire qui permet l’expression du sadisme, autant celui de certains ‘encadrants’, que celui des grands auxquels est déléguée la compétence de corriger, ce qui permet en même temps, de négocier et gérer la peur qu’ils engendrent :

« 3 personnes viennent…le premier te ferme la bouche pour ne pas crier, le deuxième t’immobilise les pieds après ils se mettent à frapper… »

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SynthèseMalgré les ‘amputations’ effectuées dans la restitution des récits, et l’impossibilité de relater l’ensemble des témoignages, se perçoivent ici,

• Les vécus de l’abandon, avec de façon quasi systématique, une blessure profonde à partir d’un certain âge, avec l’adolescence comme période à risque majeur.

• Les vécus inhérents aux différentes modalités d’abandon : ceux consécutifs à un abandon de rue, ceux attribués aux conditions socio économiques de parents en vie, ceux consécutifs aux drames familiaux, dislocation de la famille, couple en situation de violence ou de rupture…et non reconnaissance de l’enfant par le père.

• Les vécus associés au placement,

• Aux différentes formes de placement :

• ‘La kafala du secret révélé’ : l’ensemble des récits indiquera que ‘plus que l’abandon’, ce type de modalité entraîne un risque majeur pour la psychologie du sujet, enfant, adolescent, adulte.

• Le placement dans une institution d’enfants en bas âge, avec un différentiel signalé en matière de prise en charge, et, en fonction des structures, des possibilités de nursing et de transmission d’affects. Ces possibilités ‘même brèves, partielles’ sont susceptibles de ‘sauver’ l’enfant de la pathologie dépressive.

• Et le passage vers l’institution de la ‘maturité de six ans’, avec des différenciations attribuées en fonction de l’environnement, ‘hard’,’soft’ : dans le présent, et considérant les structures visitées, une profonde remise en question est nécessaire.

• A travers les histoires de vécus, la blessure de l’abandon, a été commune à l’ensemble des interlocuteurs rencontrés, quel que soit leur âge, l’institution qui les a recueillis, ou la famille adoptive ‘qui les a trahis’.

Cette blessure ‘toujours présente’, est différemment formulée, diversement gérée, en fonction des âges, des circonstances et des moyens utilisés, humains, relationnels et affectifs principalement, pour la rendre plus ou moins ‘supportable, vivable’ ou plus ou moins ‘infernale’. Les ‘filles’, davantage que les ‘garçons’ ‘s’adresseront’ à leurs mères naturelles auxquelles ‘elles ne pardonnent pas’. Les garçons tendent à la rechercher.

La blessure est relativement peu perceptible dans le langage, chez les populations jeunes.

Celles-ci fonctionnent encore sur un mode opératoire de la pensée qui ne leur permet pas réellement de formuler leurs difficultés ou ressentis, dans un langage audible. Ce langage là pour être ‘entendu’, nécessitera souvent d’être décodé et interprété.

En revanche, les expressions du corps, les kinesthésies, le niveau de concentration, et des investissements (jeux, scolarité, relations) sont susceptibles de renseigner sur les problématiques d’enfants.

Ici, chez les jeunes enfants rencontrés - à côté d’un discours spontané relatif à l’hygiène, à l’alimentaire, aux fréquentes relations de rivalité au sein de l’institution - l’instabilité, l’hyperactivité ou à l’inverse la passivité, et le discours relatif à la qualité du sommeil, ont été les indicateurs les plus fréquemment utilisés pour rendre compte de la souffrance de l’enfant.

Ces comportements existent majoritairement, chez les jeunes qui ont été séparés de leur premier environnement et qui connaissent un choc brutal dans la rencontre avec un environnement hostile.

Le passage, de la crèche vers l’orphelinat.L’institution de la première enfance - avec ses gestes de tendresse, de sollicitude, d’assistance et de réconfort, quelles que soient par ailleurs ‘les qualités objectives’ de la prise en charge -, devint positive dès lors que l’enfant fait l’expérience d’un environnement qui le réveille brutalement. Il décrira souvent ce passage comme une transition vers un ‘monde animalier’.

Ces structures, signent l’entrée dans ’une seconde étape’ clairement identifiée. Cette seconde étape, qui peut s’accompagner d’une troisième et d’une quatrième, est toujours présentée comme une rupture.

Si l’enfant en bas âge se révèle en difficulté pour traduire son ressenti lors de ‘la séparation’, tout adulte ayant connu ce type d’expérience, l’identifiera comme un bouleversement de son champ de représentations, une fracture véritable, une ‘déflagration qui résonnera souvent toute une vie’ laissant des traces puissantes, à des niveaux de structuration identitaire, de relations et d’investissements. (Ces ruptures réveillent la souvenance de la première, renouant avec la question du trauma).

Ces fractures sont d’autant majeures que l’environnement d’accueil, est violent, à différents niveaux, menaçant pour l’intégrité psychique et physique de l’enfant.

Dès l’âge de six ans, le plus souvent sans préparation, l’enfant se décrit comme saisi tel un objet, déplacé vers un environnement inconnu, peuplé d’individus ‘hostiles’, sensiblement ‘moins attentionnés’ et mené malgré lui, à développer une autonomie de survie. Ce déplacement ne concernerait pas tous les enfants : certains d’entre eux, pour des raisons essentiellement subjectives, resteront des années durant, dans leur univers protecteur de la première enfance.

En tout état de cause, le ‘malchanceux’, se vivra seul, livré à lui-même, nécessitant dans cette autonomie de survie, de développer des aptitudes de défense et d’attaque, des réponses à des violences sexuelles et à la maltraitance institutionnelle.

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Si à travers les récits, une différence très sensible est identifiée, entre l’avant et l’après des institutions du premier âge, celles du second âge sont encore aujourd’hui et généralement, présentées comme violentes et ‘terrifiantes’.

En fonction des structures, dans le présent, et au travers du vécu, une série de difficultés présentées comme entraves au bien-être, et au développement des personnes :

Carences affectives et insuffisance alimentaire ;

Hygiène et salubrité défaillantes ;

Violences sexuelles, entre pensionnaires ;

Violences physiques entre pensionnaires : ‘les grands’

Violences psychologiques entre pensionnaires : la peur des grands ;

Maltraitance par les équipes pédagogiques et/ou l’encadrement : la maltraitance revêt par ailleurs différentes formes, par négligence, par absence de compétence, par exercice de violence…

Certaines structures décrites, pêchent par ailleurs, comme indiqué plus haut dans ce rapport, essentiellement par défaut de loi et de continuité. Les moyens financiers ne font pas souvent défaut : les centres sont décrits, côté victimes, comme fonctionnant avec des aides diverses, et les bienfaiteurs abondamment cités. Des bienfaiteurs auxquels par ailleurs, l’institution pour traduire sa gratitude, réserverait un accueil décrit comme artificiel, cherchant à camoufler les dysfonctionnements véritables et organisant des mises en scène, en utilisant les pensionnaires, ‘soudain investis’.

Malgré cela, chez les instances dirigeantes, le souci de satisfaire les pensionnaires se laisse deviner : ‘aux jeunes, les institutions offrent soutien scolaire, choix d’écoles, des activités, répond à des demandes spécifiques de pensionnaires, aux grands’, ‘aux aînés’, elle offre aide financière, aide à l’insertion professionnelle… une série de moyens, quelquefois ‘trop’ de moyens, en vue de les satisfaire (et probablement dans une vision candide de la réparation) pour compenser le trauma.

Si dans le vécu de ces jeunes et adultes rencontrés, privés de familles, orphelins, ou ‘mal adoptés’, la grande blessure puise,

au centre, Dans la question de l’abandon et de la vérité des origines

A la périphérie, pour la maintenir et la renforcer,Les institutions jouent un rôle fondamental

La question des changements institutionnels ‘pour désengorger’, laisser place aux entrants, fait de l’enfant, une chose déplaçable en vue de ‘gérer le stock’, un objet interchangeable.

C’est justement contre cette impression d’être rien pour l’autre, que l’enfant, l’adolescent, l’adulte abandonnés, luttent en permanence.

L’exemple de la prise en charge SOS est apparu comme le plus structurant, le plus respectueux de l’enfant, et de ses droits.

Ici également les ruptures existent, d’un village à l’autre, d’une mère à l’autre :

L’institution prend en charge cependant, l’enfant, dans la durée, jusqu’à l‘âge adulte. Dans les récits restitués, aucun vécu de maltraitance ni de violence institutionnelle n’ont été signalés.

Au travers des récits, se dessinent les exigences attendues en matière de prise en charge institutionnelle de l’enfance abandonnée :

• En vue de leur assurer dignité, protection et conditions de développement, une urgence en termes de vision, d’organisation et d’environnement des structures en charge de l’enfant et de l’adolescent.

• Au sein des structures, de nombreuses dérives sont identifiées, liées à des mécanismes d’aliénation, à des difficultés de penser la prise en charge de l’enfant, à des insuffisances de moyens, outils, encadrement, mais aussi à des types de gestion, à des attitudes formelles et à la crainte du regard extérieur.

Dans sa fonction d’autorité supérieure, l’Etat est ‘attendu’, afin d’organiser, planifier, conduire, diriger et contrôler la prise en charge.

• L’élaboration d’une politique avec une vision projets -programmes, objectifs, moyens, outils, indicateurs de performances- l’accompagnement des structures d’accueil, la mise en place de cadres structurants pour des populations à risque, la mise à disposition de supports de régulation et d’échanges, sont nécessaires pour préserver le droit de l’enfant, le protéger de l’exclusion et de la dérive, sociale et psychologique.

• Au sein des structures d’accueil de l’enfance abandonnée, il est par ailleurs, nécessaire de mettre en place des mécanismes de supervision, visant à différencier les apports des uns et des autres des acteurs, ceux de l’opérationnel et ceux de la technostructure.

• Il est fondamental enfin, qu’à travers ces histoires de vécus, se perçoivent les besoins formulés par l’ensemble des personnes rencontrées : des espasces d’expression et d’accompagnement ; des intervenants internes stables, des figures externes susceptibles de faire fonction de substitut affectif, de les porter dans une dynamique qui projette ‘l’inclusion, en réponse à tous ces déterminismes identifiés, de l’exclusion.

Mettre en place une dynamique qui conçoit aussi pour l’enfant institutionnalisé, l’existence de familles d’accueil.

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Auteur (e) s de l’abandon3-1-Préambule Les récits obtenus lors de l’étude, réalisés au hasard des intermédiations, compteront à la fois des abandons anciens, datant de vingt ans et plus, et des abandons relativement récents. Ces rencontres ont même pu permettre de surprendre ‘un abandon du jour’, ‘un abandon probable’, un ‘abandon incertain’, et rendre compte de la vulnérabilité de la mère, dont l’intentionnalité reste majoritairement et au ‘moment des faits’, associée à des éléments de contexte et d’environnement.

Cette répartition opérée au hasard des contacts, permettra de rendre compte en définitive, de différents temps d’abandon avec leurs vécus. Ces vécus conduiront à repérer, et ce, quelle que soit la période d’abandon, des éléments contraignants majeurs, ou perçus comme tels, qui rendent difficile l’existence d’un couple parents/enfant, ou mère/enfant.

Ces récits ont permis également, malgré l’appréhension initiale de la consultante préoccupée par le caractère ‘violent’ de sa demande, de percevoir qu’en dépit de la douleur exprimée par les unes et les autres des femmes rencontrées, l’entretien a été considéré comme un moyen de verbaliser et d’élaborer pour la première fois autour de l’épreuve solitaire de l’abandon. L’écoute sera considérée comme bénéfique pour la plupart de ces femmes qui le formuleront ouvertement : « ça m’a fait du bien d’en parler, vous ne pouvez pas vous imaginer combien » ; « merci, j’ai porté ça toute ma vie, sans jamais en parler à personne » « je n’ai jamais parlé comme je l’ai fait avec vous, ça m’a fait beaucoup de bien » « c’était un poids pour moi, j’avais l’impression que personne ne pouvait me comprendre » « j’en parle pour la première fois… la société ne vous épargne pas… » « les gens pensent que vous faites ça (l’abandon) comme bonjour » (facilement).

Quant aux (rares) hommes rencontrés, ils formuleront différemment leur sentiment, par du soulagement, avec une gratitude à l’égard d’un ‘regard nouveau’ porté sur eux, non culpabilisant.

Les contacts avec les hommes ‘auteurs d’abandons’, ont été en effet, quasi impossibles à réaliser : ceux qui ont pu être rencontrés seront justement ceux qui ont pu ‘résoudre’ dans un second temps, un conflit avec la mère de l’enfant, à travers une solution administrative ou juridique.

3-2-Préalables à l’abandon, des attitudes associées à l’environnement

3-2-1-Les deux protagonistes de l’abandonet leurs contraintes

• Les attitudes et discours, masculins, féminins, et la réalité ‘du sexuel’

Directement ou indirectement, le discours sur les hommes ou formulé par les hommes ‘responsables’ de l’abandon, pointera un différentiel de perception, entre les représentations qui les définissent majoritairement – ‘le monstre’, ‘le violeur’, ‘le violent’, le ‘manipulateur’, ‘le lâche’ – et leurs propres perceptions et vécus.

Tout comme les femmes, les hommes sont d’abord confrontés à une réalité première, celle de la difficulté de reconnaissance d’une légitimité, du désir naturel, de l’attrait sexuel dans la rencontre avec un partenaire de sexe opposé : l’interdit social, religieux, porté sur toute relation sexuelle en dehors des liens du mariage, génère une série d’attitudes et de contre attitudes, servant à contrecarrer ‘cet obstacle’, dominées cependant par la peur et la culpabilité.

Chez l’un, l’autre, le corps est avant tout un corps social qu’il est difficile de s’approprier en totalité. Le corps ‘biologique’ est soumis à des règles : en disposer librement, l’écouter dans ses moments ‘d’enthousiasme, d’affolement et d’amour’ ne peut se faire que dans le respect de ces règles, ou par la transgression.

Cette transgression est elle-même codifiée, soumise à des règles de discrétion, de dissimulation, ‘connues de tous’, cependant masquées dans le respect des convenances et de la forme.

• Les attitudes et discours, masculins, féminins, et la réalité de la grossesse

La situation de grossesse est une étape de révélation qui confronte les protagonistes au choc de la vérité, avec confirmation de ‘passage à l’acte sexuel’ et de transgression, ce qui les mène le plus souvent, à adopter des attitudes défensives qui les disculpent, les menant à cette étape, généralement, à s’opposer pour ‘survivre séparément’.

• Chez les hommes, pour faire face à cette révélation de la transgression, des comportements dominants : Le déni, la récusation, l’accusation, la fuite.

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Chez les hommes aussi, la situation de grossesse les confronte à la question de la liberté : ‘un acte banal’, ‘ordinaire, inhérent à la condition de l’humanité dans son ensemble’, se traduit par une réalité qui fait obligation, car dans le regard du corps social, seul le mariage est considéré réellement comme une réparation, un moyen de masquer le scandale de la transgression. De conséquence possible, normale, d’une relation sexuelle non protégée, -et ‘non responsable’- la grossesse devient un affront à la vertu de la femme, à l’honneur de sa famille, au corps social, et l’homme pointé comme responsable…

La répartition ‘naturelle’ des rôles, fera que l’homme portera de plus en plus la responsabilité de la grossesse, pendant que la femme en portera les conséquences.

Cette responsabilité qui lui est conférée, grandira au cours du temps, pour l’instituer dans une position négative dominante. Dans ces statuts négociés ‘en amont’, il deviendra coupable tout en se libérant des conséquences, et la femme, toujours victime, en les portant.

• Chez les femmes, la grossesse est le signe d’une infraction flagrante à tous les codes : si chez les hommes, la sexualité en dehors du mariage, est tacitement consentie, sa manifestation flagrante chez la femme, est susceptible de changer le cours de son existence. La femme est en effet - dans un rapport incomparable à celui de l’homme – soumise à l’opprobre collective, familiale et sociale, menacée d’exclusion, et dans sa recherche d’issues, subordonnée à son statut, économique, sociologique, didactique.

Chez la femme malgré tout, des possibilités de déni de la sexualité consentie, offertes, encore une fois, par le corps social, à travers un statut de victime. Ce compromis lui permet aujourd’hui, de vivre une identité et un statut ‘avancés’ -sinon respectables du moins viables-, en tant que mère célibataire.

Elle ira trouver refuge, hébergement ou prise en charge, dans des structures dédiées en définitive - en proposant une alternative, en usant d’arguments qui justifient ‘l’erreur de grossesse’- à confirmer le diktat social.

La femme basculera d’un environnement clos vers un autre, transitera ainsi d’un ‘régime de pensée totalitaire à un autre’, mais pour pénétrer et s’enfermer dans le second, elle devra confirmer un discours qui l’institue en tant que victime, niant toute attitude éventuelle de consentement, niant tout sentiment de plaisir et de désir. Certaines de ces structures qu’elle intégrera lui confirmeront en effet, indirectement, la nécessité de s’inscrire dans le discours indispensable de la culpabilité.

Conséquences de problématiques affectives et d’histoires spécifiques d’individus, le viol, l’inceste existent en effet, représentés de la même manière dans la société marocaine comme dans les sociétés les ‘plus

avancées’ : le problème qui sera soulevé ici, différenciant les sociétés entre elles, est relatif aux discriminations, aux questions du droit et de l’application de la loi.

De même la misère sociale, économique, qui conduit la petite fille à travailler dès son plus jeune âge, ou à se diriger vers la prostitution, est susceptible de changer de visage dès lors que le droit oblige à la scolarité de l’enfant jusqu’à un certain âge, et statue clairement, en appliquant la législation sur le travail des mineurs, en interdisant formellement le travail de la petite fille …et du petit garçon, en gérant les conséquences sur la famille nécessiteuse, de ce type de dispositions.

Dans la grande majorité des situations, la question du corps sera centrale : un corps qui se maîtrise, qui se connaît, qui gère le compromis entre le désir sexuel et la réalité de la grossesse, en mettant en place des moyens qu’il a auparavant acquis, en matière d’éducation sexuelle, de contraception…ou d’interruption de grossesse.

Ces structures évoquées, d’aide aux mères et enfants en détresse, sont cependant et dans le présent, les seules modalités offertes qui rendent possible un compromis social entre la réalité et la prescription, qui rendent envisageable, la vie de dizaines de milliers de mères et d’enfants.

En même temps, à travers la gestion de cette problématique ‘superposable’, enfants abandonnés, mères célibataires, se perçoivent aussi les évolutions sensibles d’une société qui les reconnaît en leur offrant un cadre qui les abrite.

Ainsi, les générations sacrifiées d’hier ont-elles permis à celles d’aujourd’hui, de bénéficier d’une protection progressive, d’une reconnaissance partielle. Demain, peut-être davantage ?

Il ‘faudra’ pour cela, qu’évoluent les représentations qui définissent les conditions de la sexualité et de la normalité.

Il faudra aussi que se mettent en place des mécanismes de contrôle qui visent à respecter l’application de la loi.

Dans le présent, les deux sujets de la rencontre, homme, femme, sont toujours amenés à se conduire par rapport à la question de la sexualité, conformément au destin tracé dans les représentations sociales.

• Premier vecteur d’abandon : la question du cadre légal, d’expression de la sexualité

Aussi, en dehors des situations identifiées, de fragilité mentale et de pathologie psychiatrique, de contraintes financières majeures menant les parents à placer leur(s) enfant(s), le rapport de dénégation de la sexualité, de l’amour, sera considéré comme premier vecteur et mécanisme d’abandon d’enfants :

En ne permettant pas à la femme, à l’homme, de se reconnaître comme partenaires dans le désir, dans leur sexualité, il tronque tous les rapports ultérieurs qu’ils sont susceptibles d’entretenir.

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Il les mènera à se méfier l’un de l’autre, à se décevoir, à se piéger mutuellement, à interpréter des rôles qui les protègent de l’exclusion, à s’exercer dans les sphères de pouvoir qui leur sont attribuées, à se violenter quelquefois…en laissant des traces que les récits obtenus ici, traduiront de manière éloquente.

Ce rapport à la sexualité est tel qu’il entrave une perception positive de la contraception : prévenir la grossesse confirme le délit de sexualité, institue la femme fautive, prostituée, et pérennise l’immaturité des relations sexuelles.

‘Tomber’ enceinte, abandonner l’enfant, devient alors possible quand rien n’est plus possible.Abandonner l’enfant devient possible aussi, quand dans son histoire affective, relationnelle et sociale, tout a été agencé pour que cela soit possible.Abandonner l’enfant devient enfin possible, lorsque tout se mêle, les histoires, de l’un, de l’autre, leurs peurs, leurs supports familiaux et sociaux, leurs moyens didactiques et financiers, les solutions qui leur sont offertes.En tout état de cause, le corps social veille,

Avec sa censure et ses résistances aux lois,

Avec ses représentations solides et ses discriminations, qui installent la domination des hommes, la subordination et la terreur des femmes,

Ce corps social veille, au risque de perpétrer et de voir évoluer l’abandon qu’il abordera alors, par culpabilité ou contrainte, avec un regard ‘compatissant et charitable’.

L’abandon d’enfants, devient alors le prix à payer pour éviter la remise en cause des institutions où la sexualité se vit, un jour comme un interdit majeur, et l’autre, comme une offrande, objet d’une consécration collective sacralisée.

3-3- Récits d’auteures d’abandon

Les histoires relatées ici, d’auteur (e)s d’abandon sont succinctes, cependant susceptibles de rendre compte à la fois de vécus, de causalités premières, mais aussi des réponses de l’environnement, familial et social, face à la situation de grossesse d’une jeune fille/ femme en faute.

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Fathia et la peur des hommes

Dans cette région où l’événement a eu lieu, ‘au moment des faits’, il y a ‘longtemps’, filles et garçons, ‘ne pouvaient pas se rencontrer’. Aussi les rencontres étaient-elles clandestines, ‘opérées dans des refuges’, à l’abri du regard d’autrui, mais favorables cependant à ‘plus d’intimité’, avec les risques qui en découlaient. C’est ainsi que Fathia a débuté son aventure d’abandon. Une relation avec le fils des voisins, âgé de trente ans, aboutira à une grossesse vécue alors comme ‘effrayante et dramatique’ alors qu’elle était âgée de 16 ans :

par-dessus tout, elle craignait les représailles de son père et de ses frères. Informé de l’état de grossesse de sa partenaire, comme souvent repéré lors des récits, le père de l’enfant prend peur, promet, puis rapidement, fuit la région « pour ne plus y retourner ». A cinq mois de grossesse, F finit par se confier à sa mère, puis à ses sœurs, lesquelles, ‘après le choc’, et les tentatives d’avortement traditionnelles, deviennent complices malgré elles. Elles contribueront ainsi à camoufler la grossesse pour permettre à F de rester auprès d’elles… mais ‘très tôt’, projettent l’abandon.

F accouche à l’abri des regards, et le jour même de la naissance de l’enfant, ‘les femmes’ sortiront la nuit pour abandonner le nourrisson dans une poubelle en prenant soin de le couvrir des restes du repas du midi. L’intentionnalité exprimée par les femmes est mortifère : ‘l’enfant fruit du pêché et de la honte’, enduit de semoule, aiguisera l’appétit des chiens et disparaîtra en même temps que le secret de sa naissance. Mais les chiens se rueront sur la semoule et épargneront le petit garçon qui se découvre. Le lendemain matin, repéré par des personnes qui appellent les agents d’autorité, il fait l’objet d’une enquête.

La justice s’en mêle, en même temps que père et frères de F. La mère est répudiée ‘avec ses filles’ et ‘déménage’…l’enfant placé en orphelinat, puis rapidement, ‘grâce à une intervention’ ‘muté’ vers une famille d’adoption. Le scandale sera rapidement étouffé par le père lui-même, soucieux de sa réputation, qui ‘a le bras long’ et ‘des frères dans l’administration’.

Aujourd’hui âgée de 36 ans, F n’a plus eu des nouvelles d’un enfant rejeté avant sa naissance et dont le sort avait été réglé par la grand-mère. Fautive, responsable du ‘déshonneur qu’elle a provoqué’, F n’avait, dit-elle, eu ni le loisir de le sentir pendant la phase de grossesse, ni celui de le regarder à la naissance. Elle évoquera surtout lors de l’entretien, la terreur des hommes de la maison, les violences de son père, à l’encontre de sa mère, celles de ses frères à son encontre, comme conditions qui l’ont poussée, naïvement dit-elle, à rencontrer un homme « plus doux », susceptible de lui donner « un peu d’affection », une affection qu’elle « n’avait jamais connue ».

Elle semble dans le présent, avoir dressé un mur d’affect entre elle et l’enfant qu’elle a porté, l’excluant de son champ de représentations, mais depuis, en revanche, se décrit dans une culpabilité constante par rapport à sa mère et à ses sœurs, dont aujourd’hui encore, comme ‘ouvrière gradée’, elle assure la charge pour se racheter. « Mon but dans la vie est de me faire pardonner …je resterais avec ma mère jusqu’à la fin… je travaille dur…moi ? moi, j’ai fait une croix sur tous les hommes…aucun d’eux ne m’a épargnée », conclura t-elle, le visage fermé.

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Safia une abandonnée abandonnante ‘suite’à la vérité de ses origines.

Safia met en avant son statut de victime de violence conjugale mais très rapidement, bascule pour reconstruire son itinéraire, avec le ‘choc des origines’, alors qu’elle avait vécu au sein d’une famille dont elle pensait qu’elle était la sienne. Safia n’apprendra la vérité que lorsque sa mère adoptive est décédée et que ses frères entreprennent de la déshériter en amenant des adouls et douze témoins. Safia ‘hurle, pleure, s’évanouit’ et depuis ce jour, à certains moments, perd son contrôle, ‘convulse’ et sort errer…

Safia, ‘sans défense’, sera par la suite ‘victime d’un viol’, suivi de grossesse.

Elle accouchera avec la complicité de sa tante d’adoption à laquelle elle abandonnera l’enfant. « c’est ma tante qui s’est occupée de tout dit-elle, je ne voulais rien savoir ». Plus tard Safia se marie, est ‘victime de maltraitance’, accouche d’un fils qu’elle abandonne à une femme en demande d’enfant, puis divorce.

Elle se marie une seconde fois et récidive, abandonnant enfant et mari violent.

Aujourd’hui mariée pour la troisième fois, elle évoque de nouveau la violence conjugale dont elle fait l’objet. Dans le récit, elle décrit une enfance ‘normale’ et le ‘cataclysme’, avec une impression de vide ‘sidéral’ après la découverte de ses origines.

Pour justifier cette violence chronique qu’elle subit, comme pour se punir elle-même, à chaque mariage, pour justifier aussi, les séries de ruptures qu’elle déclenche, tout sera lié dans son discours, ‘au choc’. La connaissance tardive de l’abandon, qu’elle répète elle-même de ‘manière compulsive’, est vécue comme un événement qui l’a dépourvue de confiance et de défenses, et laissée s’abandonner à son tour, à la violence.

Safia laisse couler des larmes silencieuses tout au long de l’entretien. A travers ses propos la douleur exprimée mêle les abandons.

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4-Jamila et la transmission de l’abandon

Jamila se décrit comme la fille d’un père abandonné, devenu violent, et elle-même comme mère abandonnante. Agée d’une trentaine d’années, ouvrière dans le textile, J a abandonné sa fille à la naissance, en vue, dit-elle, de ‘l’épargner du pire’ mais suivant les associations qu’elle effectue elle-même, pour évoquer son itinéraire et justifier cet abandon qu’elle évoque comme un don.

Le père de Jamila, M…est un enfant placé à l’origine : sa mère ‘maltraitée par le père’, divorce de celui-ci, et part avec son fils, alors bébé. Le bébé est rejeté par la famille maternelle qui consent à récupérer la mère à condition qu’elle ‘se débarrasse’ de l’enfant. Le père le refuse à son tour. Il grandira auprès d’une famille d’adoption, gardant des contacts très sporadiques avec sa mère biologique. Plus tard, à l’âge adulte, ayant appris le décès de sa mère biologique, il renoue avec sa famille maternelle, se marie à son tour, et répudie ‘rapidement’ sa première femme auprès de laquelle il se montre violent. Il se marie de nouveau, ‘bat sa seconde femme jusqu’au sang’ et sera décrit par sa fille, Jamila, née de ce second mariage, comme un père très dur, « parce qu’il a été rejeté par son père et par sa mère…parce que lui-même n’a pas connu la tendresse de ses parents ».

La protagoniste rencontrée, Jamila, se marie à son tour avec un mari décrit comme violent : elle justifie ainsi à la fois son divorce d’un ‘homme qui lui faisait peur dès qu’il apparaissait’, et l’abandon de sa fille à la naissance : « tu ne peux rien attendre d’un homme, ni père, ni mari, tous pareils…et ta fille, il vaut mieux la donner à quelqu’un qui va bien s’en occuper, plutôt que de la faire souffrir comme toi tu as souffert … bien sur je pense à elle, il n’y a pas un jour où je ne pense pas à elle, mais quand je l’ai abandonnée, j’ai pensé à elle plus qu’à moi …je ne pouvais pas la malmener avec moi…la laisser traîner chez des gens pour mendier ou pour faire le ménage…je ne l’ai pas jetée dans la rue, je l’ai laissée chez des gens riches avec une très grande maison qui allaient lui donner un avenir meilleur… ils ont déménagé… plus eu de leurs nouvelles.. moi, j’ai perdu ma fille définitivement mais elle est heureuse, j’en suis sure… un jour elle deviendra quelqu’un d’important…peut-être médecin…c’est ça qui me soulage…des fois, j’imagine que moi c’est elle et elle c’est moi… j’imagine qu’elle fait des choses à ma place… ce que moi je n’ai pas pu faire…c’est comme quelque chose de frais qui me soulage dans ma poitrine ». (du baume au cœur)…

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5-Samira et la violence domestique.

Samira est la sixième et dernière enfant de sa famille. Elle décrit un vécu de double violence, celle de la mère à l’encontre des enfants, comportement qui dit elle, la faisait uriner debout, terrorisée, et la violence du père à l’encontre de sa mère. « toute mon enfance, j’ai eu peur, et je me souviens que pendant la nuit, je tremblais de tous mes membres et je pleurais…je mettais un coussin pour ne pas entendre mon père frapper ma mère… j’ai tout vu, les couteaux, les haches, le fouet, le sang couler, les fractures…chaque fois qu’il la frappait je tremblais parce que je savais qu’elle allait nous frapper ».

Sitôt adolescente, sous prétexte d’un apprentissage,, Samira fuit de plus en plus une vie familiale décrite comme insoutenable, puis au fur et à mesure de ses sorties, connaît des hommes auxquels elle ‘s’offre gratuitement’, « pour se venger d’eux », dit-elle. A la suite d’une aventure, elle tombe enceinte, dissimule son ventre, accouche d’un garçon qu’elle place chez une nourrice contre rémunération. C’est une femme que j’ai rencontrée au hammam qui me l’a indiquée…elle l’a fait pour faire une hassana [une bonne action]…

Un jour, faute de moyens, dit-elle, S disparaît, laissant l’enfant dans sa famille ‘d’accueil forcé’.

(Elle apprendra par la suite, que l’enfant y restera mais sera maltraité et plus tard, ‘tournera mal’).

« je n’avais plus rien à lui donner, je n’avais pas d’argent, pas d’avenir…un moment j’ai même dormi dans la rue, comme une chienne…. »

Samira, la trentaine, est à présent mariée depuis quatre ans mais ne parvient pas à avoir d’enfants. « Dieu m’a punie depuis ma naissance en me donnant des parents comme les miens et aujourd’hui il me punit pour mes fautes…j’ai abandonné un garçon…je ne mérite pas d’avoir des enfants….le chercher ? le récupérer ? ça veut dire que je dois tout révéler à mon mari….si au moins c’était une fille ! c’est plus facile pour un mari d’accepter une fille …je ne veux plus me retrouver dans la rue…je n’ai pas de formation, pas de métier…je ne veux pas faire les choses [hram]…on m’a dit que mon fils était devenu un voyou…s’il me voit, il risque de me tuer pour se venger ». Samira sanglote tout au long de l’entretien.

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3-3-1- Facteurs de l’abandon

A la recherche des causalités de l’abandon

L’ensemble des récits restitués mène à considérer d’une part,

• L’existence d’une sexualité entre partenaires, souvent consentie, quelquefois cependant favorisée par la puissance de l’expression du désir masculin, qui, pour ‘satisfaire ce qui le domine’, utilise de moyens de persuasion efficaces, avec la promesse de mariage. Cette promesse se percevra également comme attente majoritaire de femmes. Aussi, comme indiqué auparavant, généralement, il s’agit de ‘passage à l’acte sexuel’ dans un cadre qui relève de l’interdit religieux, familial, social : le premier vecteur de l’abandon est donc lié à l’environnement ‘d’exercice de la sexualité’.

Par ailleurs, l’interdit qui frappe la sexualité favorise non seulement l’abandon, mais aussi des modalités d’expression fortement représentatives, qui relèvent de l’informel et exigent le soutien, direct ou indirect, de complicités féminines. Ces complicités sont elles-mêmes ‘exigées’ implicitement par l’environnement.

• L’existence d’éléments historiques récurrents, majeurs, qui relèvent des anamnèses familiales, affectives et psychologiques : des faits d’histoires, identifient en effet,

• Des carences affectives vécues dans le milieu familial ou engendrées par l’éloignement de ce milieu. ‘Les récits’ évoqués par ‘les petites bonnes’ notamment, indiquent davantage que les conditions socio économiques dans lesquelles elles se trouvent, des vécus de carences attribués à la ‘perte de leurs figures parentales’, à la carence affective subie au travers de cette perte. La rencontre à l’homme sera considérée comme un moyen de combler un manque, compenser un besoin d’affect.

• Des histoires d’abandon, vecus et / ou ‘générationnelles’, qui impactent sur l’individu, le rendent vulnérables, et ‘mené’ à répéter un fait vécu comme trauma.

De façon plus transversale, et inhérente à l’ensemble des populations abandonnantes, des incidents liés à une erreur de discernement quant aux conséquences de la sexualité. L’éducation, l’éducation sexuelle, se perçoivent ici en fonction des circonstances soit comme ‘défectueux’, ou absents, soit non assumés et non intégrés en raison de la culpabilité qu’ils engendrent.

Les moyens de prévention font le plus souvent défaut essentiellement parce qu’ils rappellent la ‘faute commise’. Lorsque les moyens financiers le permettent, le recours à l’avortement, traditionnel ou ‘professionnel’ est abondamment utilisé, à des niveaux de représentation informels, avec les risques majeurs que cela comporte sur la santé de la mère et de l’enfant.

Ces éléments précurseurs d’abandon décrits évoquent donc, la conjonction de facteurs fondamentaux :

• Ceux, liés à l’environnement religieux, sociétal, à ses contraintes mais aussi à ses représentations et ses discriminations.

A travers ces contraintes en effet, émerge la question centrale de la place de la femme en société, enjeu de pouvoir entre ‘les hommes et les institutions’, objet et soutien de la tradition morale.

Ceux, liés à la construction de l’identité de l’individu : avec des facteurs ‘internes’ de causalité, qui agissent principalement au niveau de l’édification de la personnalité, une personnalité évoquée comme ‘fragile’, ‘vulnérable’ ou en attente de ‘compensation’ affective.

• D’autres éléments de causalités se décrivent : en fonction des situations, ils seront singuliers, ou associés aux autres facteurs de causalité. Ces éléments se perçoivent comme additionnels dans la mesure où seuls, ils ne pourront pas ‘fonctionner’ en justifiant l’abandon.

Le niveau d’éducation de la femme,

Le statut socio professionnel (femme de ménage, ouvrière),

Le statut socio économique de la famille d’origine,

Les incidents de parcours comme l’incarcération de l’un ou l’autre des conjoints. L’abandon s’accompagne ici, le plus souvent de placement en institution d’accueil, avec des modalités plus ou moins transitoires.

Les pathologies psychiatriques de parents, la mère le plus souvent, sont susceptibles de se traduire en abandons et susceptibles de conduire au placement de l’enfant.

La prostitution : l’exercice de la prostitution, ‘non professionnelle’ essentiellement, peut également se traduire par l’abandon de l’enfant.

Les mères ‘auteures d’abandons’ rencontrées, évoquent le plus souvent,

• La culpabilité à l’égard de l’enfant abandonné, avec des sentiments de ‘faute et de pêché’ dominants, qui semblent soit les accompagner de manière ‘solitaire’ au cours de leur existence, soit ‘impacter’ de façon manifeste, sur leur projet de vie.

Chez la plupart des mères, le ‘trauma de l’abandon’ semble d’autant plus difficile à évoquer, qu’il nécessitera d’être ‘secret’, enfoui dans les souvenirs individuels, et ‘non formulable’.

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3-3-2 : De l’analogie mères célibataires, auteures d’abandon.

Parmi d’autres histoires relatées, celle de Narjiss, 18 ans, rencontrée dans une structure dédiée à l’accueil des mères célibataires, et mère d’un garçon de 9 jours, est édifiante : elle enseigne sur la complexité de la problématique de l’abandon, le croisement des facteurs de causalités, et en même temps, relativise les ‘typologies sociologiques dominantes’ qui tendent à ‘associer un fait à une cause’.

Poignante sur un plan émotionnel, car rencontrée le jour de l’abandon, le moment de ‘la dernière’ tétée donnée à l’enfant, une tétée entrecoupée de sanglots qui fera tressauter le bébé à chaque instant, cette histoire indique que Narjiss, fille d’un notable, éduquée en milieu ‘bourgeois’ est, aussi, contrainte à l’abandon.

L’abandon décrit, malgré le refus et la douleur de la jeune mère, sera soumis aux contraintes familiales et sociales, de moralité et de statut, exigées par les adultes, mère et sœur ainée et qui ont ‘déjà’ pris contact avec la famille d’adoption.

La jeune mère évoquera en même temps que son histoire d’abandon, celle de son père, récente, et laquelle sera décrite comme ‘son élément de causalité majeur’.

Un ‘père adoré’ avec lequel des liens de complicité et d’échange se décrivent comme importants, quitte la maison, à un âge où Narjiss est susceptible de rencontrer des hommes.

Sitôt la perte vécue, elle se précipitera en effet dans les bras d’un homme, se ‘laisse violer’, en réalité se livre sans défenses ni discernement, comme ‘guidée machinalement’.

L’homme décrit ‘ne correspond en aucun cas’, à ses attentes, à son éducation, inadapté à ‘tout ce qu’elle a prévu’.

Partie à la recherche d’un homme qui lui fera revivre l’abandon du père ?

• Mères de l’abandon et mères célibataires se ressemblent de ‘manière étrange’ par rapport notamment aux facteurs internes de causalités :

ce qui distinguera l’une l’autre, c’est la ‘pratique de l’éloignement du milieu’ (ainsi retrouve t-on souvent des femmes de ménages et/ou ouvrières déjà séparées de leur milieu d’origine) une autonomie déjà expérimentée bien que relative, la force de conviction nécessaire qui leur permet d’accepter l’exclusion familiale et, naturellement la présence de structures susceptibles de permettre une vie mère enfant.

Les unes, livrées à elles-mêmes, exclues de leur milieu et de la société, sans structure susceptible de leur venir en aide à divers niveaux de prise en charge, économique et psychologique, sont ‘destinées’ à répéter une histoire d’exclusion et s’inscrire ‘inévitablement’ dans leur ‘appartenance typologique’.

Les autres, assurées d’une prise en charge effective à différents niveaux, sont susceptibles de faire barrière à la répétition.

• Ces éléments soulignent l’importance fondamentale de la prise en charge de la femme enceinte, dans ces cas là, future mère abandonnante ou future mère célibataire. Une prise en charge globale et efficace de la femme pendant la période de grossesse est apparue comme susceptible à elle seule, de faire barrière à ces ‘déterminismes’ précédemment évoqués, psycho affectifs, économiques, sociaux, et de faire face aux représentations familiales. En même temps, les acteurs de la prise en charge le confirmeront, le combat contre les déterminismes, (internes notamment) est difficile, nécessitant du temps, et le risque d’abandon palpable ‘un certain temps, un temps certain’.

3-3-3 : Les pères de l’abandon.

Les pères de l’abandon - en raison d’une difficulté ‘d’approche’ elle-même attribuée à des représentations qui condamnent les pères ‘abandonnants’ et les mènent à se dissimuler -, auront été, au cours de cette étude, et comparativement, très difficiles ‘à aborder’. (Trois hommes rencontrés au total).

S’il est délicat d’établir ‘des diagnostics’ considérant le faible effectif des ‘auteurs masculins’, il est néanmoins frappant de constater des attitudes systématiques et préalables, défensives, avant de formuler progressivement un profond malaise, et un vécu de souffrance.

Ici aussi, une conjonction de facteurs internes et de facteurs d’environnements,

Ici se perçoivent les exigences sociales à l’égard des hommes, avec des niveaux de préparation en relation avec les moyens financiers, avec le statut et l’autonomie parentale.

• Il est nécessaire de rendre compte des pressions exercées ici en permanence sur les hommes et ce dès leur plus jeune âge : les hommes sont menés à se positionner en société, accéder à un statut avant de penser au mariage.

• Par ailleurs, préalablement, le plus souvent, un homme nécessite de confirmer ce statut d’adulte, à l’égard de ses parents en premier lieu, sa mère particulièrement : pour assumer son statut d’homme adulte sans culpabilité, il s’agira en effet, et au préalable, d’une manière ou d’une autre, de ‘payer sa dette’ à l’égard de sa parenté.

Aussi ‘une grossesse non prévue, ‘non autorisée’ vient-elle contrecarrer et bouleverser un programme et des prévisions établis depuis l’enfance.

• Par ailleurs, les chocs’ les ‘trahisons’, ‘les retournements’, ‘les mensonges’ évoqués par les femmes, lors de la

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grossesse, mettant en cause la responsabilité exclusive des hommes sont à entendre, aussi, comme des vécus d’échec par rapport à des attentes féminines. Si les viols ‘véritables’ existent, si certains partenaires ‘déménagent sans laisser d’adresse’, si d’autres promettent des lendemains de mariage’, il est cependant ‘étonnant’ de rencontrer ces arguments de manière aussi systématique. Ils sont les seuls cependant, audibles dans le présent, pour permettre aux femmes de trouver place dans un environnement qui par ailleurs ‘identifie ses paradoxes internes’, en connaît les impacts potentiels, et ‘n’attend que ça’, pour s’autoriser à leur venir en aide.

Synthèse :pour une approche causale, qualitative et globale de l’abandonA travers des données statiques, des faits peuvent être rapidement appréhendés comme causalités premières, et constituer ‘les typologies d’abandon’ : précarité financière, analphabétisme, exploitation professionnelle…

Considérés isolément, ces faits sont insuffisants, voire erronés, au regard du discours des auteurs et des victimes de l’abandon : des préalables existent, qui agencent la vulnérabilité première favorable à l’abandon.

L’étude menée permet d’identifier la pertinence d’une approche qui aborde la thématique de l’abandon davantage à travers sa dynamique, son processus d’interférences, son potentiel de consolidation, l’évaluation de son risque, qu’à travers l’étude linéaire des conditions associées.

La rencontre des auteurs comme des victimes, dessine dans la grande majorité des situations, l’existence nécessaire de conditions de vulnérabilité, l’existence fréquente de conséquences de vulnérabilité.

• Conditions de vulnérabilité familiale : violences vécues, pertes des figures parentales, abandon, exploitation, culture du droit et discriminations ‘hommes femmes, femmes hommes’. Ces conditions ont un effet sur le développement psycho affectif et fragilisent le ‘moi’ de l’individu.

• Conséquences de vulnérabilité : violences, délinquance, fragilité psychologique, ruptures affectives et rapports problématiques à l’autre sexe, répétition de la perte ou de l’abandon.

Toutefois il est nécessaire de souligner que ces éléments décrits de causalité, dans leur ensemble, ne sont pas déterminants, figés ‘une fois pour toutes’, en situation de réelle prise en charge comme indiqué à travers l’exemple des mères célibataires : ‘même pauvres’, ‘petites bonnes’, ‘ouvrières’, analphabètes’, ayant vécu carences, pertes et abandons, elles peuvent lorsqu’elles sont accompagnées de manière professionnelle, durable, déjouer les engrenages de leurs histoires respectives.

Le schéma de l’abandon, présenté ci dessous, indique un croisement dynamique d’éléments historiques, spécifiques à l’individu, internes, externes, et d’éléments de conjonctures rencontrés par ce même individu dans un environnement donné.

L’on signalera que ce schéma se retrouve dans de nombreuses problématiques qui ‘prennent naissance dans la vulnérabilité et le plus souvent, conduisent à la vulnérabilité’1. Aussi, et à des fins de prévention, sera-t-il nécessaire d’appréhender ce schéma comme un chemin le plus fréquemment observé qui conduit à différentes formes de ‘déviances par rapport aux normes’, dont l’abandon. Les facteurs décrits, se renforcent les uns les autres, dans une chaîne signifiante pour l’individu qui les ‘reçoit et les interprète dans une attitude résignée qui le mène à ‘revivre sa fatalité’. Aussi majoritairement, le travail de prise en charge consistera t-il à s’inscrire dans une attitude qui ‘déjoue et contrecarre la fatalité de la vulnérabilité’.

(1) Ce schéma identifié ici et spécifique à des situations d’abandons, a été rencontré, similaire, lors d’une pratique clinique de la violence conjugale, des populations carcérales, de la population mères célibataires, de la prostitution...

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facteurs internes

Dans l’histoire de l’individu, auteur d’abandon, des faits se retrouvent de manière récurrente.

Abandon,Violence conjugale,Carences affectives, ‘pertes’Maltraitance, négligence.

Conditions d’impacts : ces faits deviennent surdéterminés lorsqu’ils sont vécus comme telspar la personne qui les subit.

Mode d’action : ces faits fragilisent le moi de l’individu et le rendent vulnérable à toute agression de l’environnement.

Force d’impact : majeure.

Spécificité : ils ont une puissance qui leur permet d’être autonomes, non associés d’autres facteurs.

L’abandon appartient ici au registre du trauma.

Externes

Facteurs d’evironnement. qui entretiennent des liens

fréquents avec l’abandon mais ne le déterminent pas.

Niveau d’éducation

Niveau d’éducation sexuelle

Statut professionnel

Action : ces facteurs interviennent pour renforcer

les facteurs internes et internalisés.

Puissance d’impact : consolidation

Spécificité : dépendants, auxiliaires.

A eux seuls, ils ne peuvent favoriser l’abandon mais

le soutiennent au moment des faits.

Conjoncturels

Facteurs liés aux capacités d’adaptation des individus en société et/ou aux moyens dont ils disposent pour y parvenir.

L’abandon est ici une conséquence directe associéeaux conditions de la personne. Il peut étre décidépar la Loi, de manière transitoire ou durabledans l’intérêt de l’enfant.

Incidents de parcours comme la délinquance oul’incarcération du parent qui conduit à l’abandon.

Drames individuels : viol, inceste

Troubles psychiatriques majeurs

Troubles de l’attachement

Prostitution

Handicap de l’enfant

Décés d’un ou des deux parents.

Puissance d’impact : aléatoire, dépend des liensentretenus avec les facteurs internes.

Internalises

Dans l’histoire du groupe, des éléments partagésqui deviennent structurels et actionnent les attitudescollectives.

Le cadre social et religieux prescrit la normede la relation à l’autre sexe et définit le caractère légal ou illégal, de la relation sexuelle.

Action : impacts puissants et durables, de ce typede prescription sur un ensemble de relations hommesfemmes. Ici, sur les attitudes en situation de grossesse.

Force d’impact : puissante

Traduction : la transgression du cadre se fait de manièreinformelle et en même temps, ne s’assume pas.

Culpabilité majeure avec impacts sur les modalitésde prévention de la grossesse. les moyensde prévention sont appréhendés comme une preuvedu passage à l’acte de transgression.

Spécificité des facteurs internalisés : un vecteur puissant (et non facteur) d’abandon.Il entetient durablement l’abandon.

L’abandon appartient ici au registre de l’interdit : il est conséquence de la peur, des hommes,de la famille, du regard de l’autre.

L’abandon : un faisceaude causalités internes, externes

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Prise en chargede l’abandonà la naissance

Chapitre 2

I - Analyse de l’éxistant L’étude menée - au travers des visites de structures, rencontres, échanges avec des acteurs impliqués dans la prise en charge - vise à rendre compte des caractéristiques principales de l’offre effectuée en direction de l’enfant, des conditions et moyens dont elle dispose dans le présent, pour assurer la prise en charge de l’enfant abandonné à la naissance.

Différentes modalités de recueil existent dans le présent : ces modalités justifieront en grande partie, à la fois les discours des intervenants et les logiques dominantes de prise en charge.

I-1- Modalités de recueil de l’enfant en situation d’abandon

• Le recueil durable au sein des structures hospitalières

Si dès l’abandon déclaré de l’enfant, l’hospitalisation s’effectue de façon quasi systématique, au sein des maternités (mères célibataires) ou de services de pédiatrie (l’ensemble des enfants), c’est en premier lieu à des fins de prise en charge sanitaire d’urgence, et d’investigation.

Cet accueil est cependant susceptible de se transformer en séjour et lieu de vie, et en fonction des mesures adoptées, de se traduire par une prise en charge plus ou moins contestée par les équipes de soins, plus ou moins adaptée aux conditions minimales de protection de l’enfant.

• L’hospitalisation suivie d’une orientation vers une structure de prise en charge au sein même du cadre hospitalier.

A un niveau de représentation territoriale, cette modalité d’accueil est apparue comme la plus fréquente. Ici, l’enfant abandonné réside dans un local -ou une pièce- qui lui est ‘réservé’ non plus à des fins sanitaires d’urgence, mais de séjour, à durée plus ou moins longue, en fonction des capacités ‘qu’il offre, à être kafalé’.

Un bébé handicapé, ou portant le nom de sa mère, ou jugé disgracieux, ou présentant pour des raisons variées, un obstacle à la kafala, risquera de séjourner dans son environnement d’accueil pendant une période à ‘durée indéterminée’.

Son futur sera par ailleurs déterminé par son état de santé : sain, il est susceptible d’être transféré plus tard, à l’orphelinat ; handicapé, il est potentiellement destiné à un séjour ‘illimité’.

• Le recueil de l’enfant dans une structure indépendante, essentiellement gérée par le secteur associatif.

Cette modalité d’accueil de l’enfant se différencie des autres, dans la mesure où elle se destine de façon spécifique, autonome, solidaire et ‘sans contrainte vécue’, à l’enfant abandonné. L’abandon est ici, ‘une spécialité de l’association’ qui met en place une dynamique particulière en faveur de solidarités qui bénéficient à la prise en charge de l’abandon de nourrissons et bébés.

I-2- impacts des modalités d’accueil sur la prise en charge de l’enfant

1-2-1- Prise en charge en milieu hospitalier

La prise en charge hospitalière est sensiblement différente en fonction des différents moyens offerts en matière d’accompagnement :

• Structures, sans soutien, établies dans la nécessité et la contrainte

L’enfant est ici placé sur décision du Procureur du Roi, et ce, dès les premières heures de découverte de l’abandon, en pédiatrie, en maternité, à des fins ‘d’assistance à personne à danger’.

Cet enfant en danger aura une place spécifique, dans la mesure où il s’intègre à un environnement non attribué du rôle d’hébergement, mais qui est ‘sommé’ de l’accueillir, soigner et nourrir, pour une durée non déterminée. Ici le sentiment de contrainte domine chez les acteurs.

Une difficulté additionnelle ici : les structures ne bénéficient d’aucun soutien pour répondre à des besoins prioritaires et ‘vitaux’. Les dirigeants hospitaliers puisent plus ou moins profondément dans les moyens financiers attribués à la ‘santé’ et plus généralement, font appel à la solidarité quotidienne des équipes. Il s’agit ici, d’assurer une prise en charge qui se concentre essentiellement sur la nécessité de survie de l’enfant.

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Le réel de ces situations permettra de comprendre a posteriori les ‘positions hostiles’ de nombreux intervenants de la santé, sollicités pour parler de l’abandon, leurs mouvements d’irritation ou de colère ‘franche’. Cette colère est généralement dirigée ‘contre ceux qui vous obligent, vous promettent, mais ne vous donnent rien’. Elle s’associe également dans le discours par la perception de gérer un problème qui relève du MDFS. Enfin, la contrainte est exacerbée par la question de la responsabilité : ‘sujet épineux’, objet d’enjeux divers, l’abandon nécessite et au regard de la loi, une ‘certaine vigilance’ des responsables au risque de les ‘interpeller officiellement’ comme observé lors de l’étude : dans une structure visitée en région, en conséquence de ‘cette contrainte’, des enfants ont été vus enfermés dans une pièce de 9 mètres carrés, dans un local insalubre, et la clé détenue par le pédiatre, servant à ouvrir la pièce uniquement pour changer et nourrir des enfants, dépourvus de toute stimulation sensorielle et de nursing. L’un d’entre eux ayant séjourné pendant quatre ans, sera décrit comme n’ayant pas accédé à la parole durant son séjour.

« Ce n’est pas le problème de la santé…je n’ai rien à vous dire…c’est pas moi qu’il faut voir mais Mme Skalli…nous on soigne mais on n’héberge pas…c’est grave…c’est un immense problème... l’Etat nous colle l’abandon, ça ne relève pas de notre ministère mais des affaires sociales… »

Une infirmière du service pédiatrie, « moi je règle ça à la base, quand une mère célibataire vient et veut abandonner son enfant…je lui dis non prends ton fils, je n’ai pas d’endroit pour lui…fais en ce que tu veux mais ne me le laisse pas »(! )

« ils vous disent prenez le on va trouver une solution, et après ils t’oublient, à toi de te débrouiller pour leur donner à manger » « ils te promettent des tas de trucs quand toi tu leur dis je ne peux pas, et après, toi… va chercher le lait, va mendier, va supplier…tu perds ton temps à pleurer alors qu’il faut s’occuper de l’enfant, l’aider quand même à bien grandir dans ce milieu » « quand ils veulent placer l’enfant, ils te promettent un budget, ils te disent ceci et cela, après… ils ne se souviennent même pas de ton existence ».

• Conséquences sur la prise en charge de l’enfant Ce type de structure hospitalière, (inhospitalière) s’il n’est pas fréquent, existe ici et là, moins dramatique cependant, lorsqu’il n’existe pas de concours associatif susceptible de prendre le relais d’une ‘Santé’ mise à mal par rapport à ses missions prioritaires (urgence, soins, prise en charge médicale) et menée à prendre seule ici, la responsabilité de l’enfant abandonné.

Aussi, en dépit de la solidarité du personnel, il ‘n’est pas question’ ici de prise en charge réelle : au quotidien, la priorité est accordée à la quête du financement ‘des couches, du lait’ ; l’usage du stock de vêtements des enfants des uns et des autres, servant à habiller les enfants.

La mobilisation des acteurs, le type d’encadrement, le potentiel de solidarité, mais aussi l’ampleur des tâches à assumer dans le cadre des missions et rôles attribués à la santé, sont susceptibles de bénéficier à l’enfant, en lui assurant soit des conditions générales d’existence, relativement ‘correctes’, ou en le considérant ‘sujet non désirable’, objet de soins minimaux, d’hygiène, de santé et de nourriture.

En conséquence des impacts prévisibles sur le développement de l’enfant : enfants privés de famille, privés de langage, privés d’attentions et de marques de prévenance.

Le bien-être de l’enfant, les stimulations sensorielles de l’environnement, la parole qui fait lien avec la gestuelle de soin à laquelle elle donne sens, paraissent ici des concepts théoriques.

L’urgence et la mission prioritaire ‘auto attribuée’ de manière consciente ou inconsciente par les intervenants est de prévenir la mortalité de l’enfant. La seule perspective de vie offerte à l’enfant, est encore une fois, la prise en charge en kafala.

• Structures, sans soutien, établies dans la nécessité, qui font face à la contraint

Risques humanitaire, sanitaire, psychologique

Ces structures sont dominantes, et se retrouvent représentées dans l’ensemble du territoire. L’enfant est placé sur réquisition du Procureur du Roi, au sein d’une unité hospitalière, (pédiatrie ou maternité) et après les soins intensifs d’urgence, systématiques, orienté vers une structure qui ‘lui est dédiée’, à l’intérieur même des unités de soins. Il est susceptible aussi, de façon moins fréquente, de résider dans un environnement qui lui est dédié, toujours à l’hôpital, mais externe, dans un autre bâtiment, ou local, réservés ‘aux enfants abandonnés’.

Ici les acteurs tendent à reproduire les mêmes représentations que précédemment (missions prioritaires de la Santé) mais se différencient, en évoquant davantage la question du risque pour l’enfant : risque humanitaire (incompatible avec le respect du droit de l’enfant au bien-être, environnement inadapté à son évolution) risque sanitaire (contagions, épidémies…) risque psychologique et sensoriel, autant au niveau du cadre d’accueil de l’enfant, qu’au niveau des limites qu’il connaît dans ses modalités de relations, et modes d’appréhension de l’environnement. Ici donc, c’est davantage le cadre qui sera perçu comme hostile, souvent attribué d’une contenance globale invalidante pour le développement de l’enfant (blouses blanches, sonorités inquiétantes,

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‘hurlements de femmes qui accouchent’ notamment au voisinage des maternités, et qui ‘font sursauter les enfants’, cacophonies lors des visites suivies de silences.

Ces ‘résonances hostiles’ du milieu externe seront perçues comme d’autant plus problématiques qu’elles ne sont pas accompagnées de parole. Comme réponse, assez souvent : « que voulez vous qu’on leur dise, ils sont encore petits, les pauvres, ils ne comprennent rien ».

Conséquences sur la prise en charge de l’enfant

Le soutien associatif est (très) réducteur de tensions et de perception de contrainte : ici le ‘discours hospitalier’ évoquera le partenariat de deux entités, un partage de ‘responsabilités’, l’un des intervenants fournissant le local, détachant un à deux ‘techniciens’, l’autre assurant le ‘reste’ du fonctionnement, gérant le quotidien, (l’essentiel) la nourriture du premier âge (les enfants plus âgés bénéficient assez souvent de l’alimentation de l’hôpital) la prise en charge de l’enfant à travers un personnel dédié, recruté et rémunéré par l’association. La prise en charge associative soulage les équipes et a donc comme premier impact, de changer le regard sur l’enfant.

Dans ces situations, le corps hospitalier se détache du quotidien et de la prise en charge effective de l’enfant abandonné, mais assez souvent, la question du local (lorsqu’il est grand notamment) se pose : une prise en charge de l’enfant en dehors de l’hôpital est susceptible de ‘vider l’espace’, permettre aux structures hospitalières de réaliser des projets en suspens et ‘d’occuper leur territoire’.

La prise en charge de l’enfant par les structures associatives, est ici dépendante des moyens de l’association, de son dynamisme, du niveau d’implication de ses membres, mais aussi de l’effectif des enfants recueillis et de la réponse des institutionnels dans la gestion de la kafala.

• En fonction de ces différents aspects, les réponses associatives en matière de prise en charge varient de manière sensible et le discours plus ou moins dominé par le ‘stress’.

Dans cette gestion du stress, les structures de petites tailles, à effectif réduit, dotées de moyens, de personnel, sont apparues comme les mieux protégées.

A l’inverse, les structures à grande taille, à capacité d’accueil importante, seront, elles, généralement dominées par la tension liée à leur potentiel de réponse à l’ensemble des difficultés qui se posent au quotidien, avec la nécessité de ritualiser la prise en charge.

Ici se poseront les questions prioritaires, d’alimentation de l’enfant (‘les couches et le lait’ reviennent redondants, dans l’ensemble des discours), les rituels de soins et d’hygiène, avec du personnel quantitativement représenté, mais fonctionnant en équipes, ( ‘2X12’ ou

‘3X8’, selon les structures), afin d’assurer une prise en charge permanente, posant donc le problème de la rémunération du personnel, partie intégrante du fonctionnement d’une association, et ‘gros morceau’. En réponse, comme solution et préoccupation majeure, la sortie de l’enfant à travers la kafala.

Au sein de ces structures également, les effectifs d’enfants porteurs de handicaps, s’accumulent au cours des années et contribuent à un sentiment souvent formulé, de débordement.

1-2-2-Structures associatives indépendantesdes centres hospitaliers.

A proximité ou éloignées des hôpitaux, ces structures se distinguent entre elles, par leurs, capacité d’accueil, notoriété, histoire dans l’abandon… et se différencient des autres, par la nature de la relation établie avec le secteur hospitalier : celle-ci concerne majoritairement la prise en charge d’urgence effectuée à l’abandon, pour réanimation, pour établissement de bilans, et ponctuellement pour vaccination et certains examens gratuits.

Si tout enfant abandonné, est dans le présent, systématiquement pris en charge sur le plan médical, à la naissance, ou en situation de souffrance et de demande de soins, les examens spécialisés, bilans, prises en charge spécifiques d’enfants en difficulté ou handicapés, sont, en revanche, généralement assurés par les associations.

Ces prises en charge associatives sont coûteuses : le temps d’exposition lors des abandons de rue, les lieux et modalités d’abandon (poubelles, gares, endroits protégés ou exposés) se traduiront le plus souvent, par des dysfonctionnements divers (souffrances respiratoires, dermatoses sévères, déshydratation, carences..) susceptibles de provoquer des handicaps (souffrances cérébrales avec séquelles). Si les procédures de réanimation d’urgence avec une hospitalisation de longue durée sont réalisées par le secteur de la santé, le handicap, lui sera géré essentiellement par les associations.

Cette gestion est d’autant plus lourde, qu’elle est coûteuse, ne relève pas des ‘compétences du secteur’, et ne bénéficie généralement pas d’une aide des institutionnels en charge du handicap, à la mesure des exigences.

Les structures associatives mobilisent des acteurs de la société civile, actionnent la solidarité de personnes privées et d’institutionnels, pour contribuer à la prise en charge de l’enfant abandonné.

Leurs, implication et dynamisme, se traduisent à des niveaux variables de prise en charge :

• Le choix d’exercer au service de la cause : l’enfant n’est plus une ‘contrainte’ exercée ‘par des tiers’, mais un sujet que des individus choisissent d’accueillir et accompagner.

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• L’investissement principal de l’abandon, avec un potentiel des ‘membres’ des structures d’accueil, à se percevoir parents symboliques de l’enfant, défenseurs de son existence et nourriciers. Cet investissement (d’impacts ‘positifs et négatifs’) se traduit,

Par un ‘projet de vie à l’égard d’un enfant projeté de mort’,

Par une quête incessante de moyens en mesure de lui assurer la vie,

Par des avancées considérables en matière de préservation de la vie de l’enfant,

Par des revendications entendues par les institutionnels et abouties,

Cet investissement impactera également sur leurs capacités de distance et les relations qu’ils sont susceptibles d’entretenir avec l’extérieur, notamment :

Une tendance à transférer la pression qui s’exerce sur eux en permanence, en vue de sauver l’enfant (aussi la kafala est-elle ici signe de réussite par rapport à l’objectif de vie ‘pensé’ en faveur de l’enfant) ;

Une tendance à récuser tout regard susceptible de questionner les pratiques et prises en charge proposées à l’enfant : distance et questionnements se percevront majoritairement comme ‘remises en cause, accusations, attaques, annulations des efforts fournis’… destitution de leur fonction choisie de ‘parents symboliques’.

Aussi habituellement le manque de lait ou de couches, le décès d’enfants, interpelleront les acteurs très impliqués, dans ‘leurs capacités à être bons parents’, ce qui quelquefois les mènera à adopter une ‘certaine pudeur’, jusqu’à dissimuler l’insuffisance alimentaire, la carence affective et les troubles, fréquents, du développement chez l’enfant.

Le secteur associatif de l’abandon, et considérant ses nombreuses contraintes est sans cesse mené à lutter contre l’échec, et en conséquence, contre ‘sa dépression’.

1 - Types dominants de prise en charge

L’hôpital reçoit l’enfant sur réquisition du Procureur du Roi pour soins d’urgence, bilan et placement ‘provisoire’. Lorsque les conditions le permettent, il est par la suite orienté vers une structure d’accueil et de prise en charge. L’enfant, muni de son certificat de santé, est accompagné de la surveillante générale de l’hôpital (ou faisant fonction) et de la police.

• La protection du corps

Aussi au recueil de l’enfant, les premiers gestes, viseront-ils à vérifier d’une part, le niveau de résistance ou de vulnérabilité du corps au trauma de l’abandon, et d’autre part à identifier l’existence de pathologies à risque (hépatite, sida…).

Le premier type de prise en charge assuré et les premiers gestes, médicaux, s’adressent au corps de l’enfant : ce type de dispositif sera lui-même identifié comme une avancée considérable en matière de prise en charge de l’abandon. Indicateurs :

La diminution sensible du taux de mortalité, (‘sauf exceptions de régions’) ‘relativement similaire’ aux taux observés chez les enfants non abandonnés, est l’un des principaux indicateurs du progrès réalisé.

La prise en charge alimentaire : dans le présent, les enfants ‘sont assurés de l’alimentaire’ ;

L’hygiène corporelle de l’enfant et celle de son environnement d’accueil sont le souvent conformes aux normes.

Une grande majorité de structures visitées indique que ce premier niveau de prise en charge, est ‘maîtrisé’.

Cette maîtrise devra cependant tenir compte de la précarité consécutive aux moyens des structures en charge de l’abandon : comme observé durant l’étude, il est toujours possible, qu’en dépit de ses, notoriété et dynamisme, une structure soit en situation de rupture de lait et/ou de couches avec les impacts rapides que cela peut avoir au niveau de l’enfant.

• Le nursing

En fonction des structures de leur taille, des partenariats et des conventions avec le Ministère de la santé, et/ou de l’entraide Nationale, sont établis pour détacher un personnel dédié au sein même des structures associatives.

Ce personnel est susceptible dans certaines structures hospitalières, de bénéficier à l’ensemble des enfants malades, ‘au détriment de la population prioritaire’.

Ce personnel -notamment pour les structures à grande capacité d’accueil- est cependant toujours insuffisant.

Aussi les exigences de nursing sont-elles apparues comme qualitativement et quantitativement peu représentées, tributaires à la fois des effectifs de personnel et d’enfants résidents en institution.

Ces deux types de prise en charge, sont effectués, le plus souvent, dans un cadre qui conçoit l’enfant en situation de transit et en conséquence, ne prévoit pas sa prise en charge dans la durée.

Ce cadre visera donc à gérer également la prise en charge de l’enfant, à un niveau administratif.

• La déclaration d’abandon ou l’étape administrative

Munie du dossier médical, et de la réquisition, l’assistante sociale entame les procédures d’inscription de l’enfant (nom prénom…) rédige une demande au juge. Le juge des mineurs établit que l’enfant est abandonné, joint au dossier l’original de la réquisition de police et transmet le dossier au Procureur.

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Pour l’enfant trouvé sur la voie publique, une annonce est affichée dans l’arrondissement où il a été découvert. Il s’agira ici de vérifier notamment si l’enfant n’est pas perdu, n’a pas été kidnappé, voire de permettre aux parents de revenir sur leur décision d’abandon. Cette étape d’annonce et d’affichage n’est elle-même possible que lorsqu’il y a un PV de police établissant les circonstances d’abandon passant par l’arrondissement, la wilaya de la sureté Nationale et le tribunal.

Si les conditions sont requises, la période d’affichage durera trois mois, au terme desquels, si personne ne réclame l’enfant, le jugement d’abandon est prononcé.

L’assistante sociale tient les registres sociaux où sont consignés, un numéro d’identification, le sexe de l’enfant, les circonstances et lieux où il a été découvert, (hôpital, voie publique, tribunal), et d’autres informations ‘qualitatives’ où il s’agira de tracer l’itinéraire de l’enfant placé en institution (repris par la mère, décédé, kafala, transfert vers d’autres structures).

La procédure de kafala, nécessite la réalisation de quatre enquêtes (assistante sociale, police, autorités locales, affaires islamiques) sur lesquelles, isolément, le juge des mineurs formule son avis. Par la suite il sera le seul habilité à divulguer l’information relative aux noms, coordonnées des parents adoptifs.

Ainsi au travers de ces premiers éléments de spécification du recueil de l’enfant abandonné, il est apparu important de souligner les conditions préalables organisées autour de son arrivée.

2-1 Contraintes des acteurs dans la priseen charge quotidienne de l’abandon

Intervenants de la santé : contrainte liée au recueil de l’enfant, et, souvent, ‘la peur de défaillir’ dans son maintien en vie,

Secteur associatif : davantage de tensions, consécutives au prolongement de sa présence, et peur de l’échec consécutif à sa garde prolongée.

Ces contraintes vécues et attitudes s’analysent au regard

Des moyens de financements du quotidien du fonctionnement des structures (alimentation, entretien, encadrement) ;Des soutiens ‘négligeables’ des institutionnels,De la nature ‘rudimentaire’ de l’organisation de gestion des structures et de l’encadrement mis à disposition ou ‘recruté’.

2-2 Impacts des contraintessur les modalités de prise en charge

Une prise en charge qui vise essentiellement à préserver le corps de l’enfant en vue de le faire sortir physiquement sain, pour accueillir d’autres enfants en situation de grande vulnérabilité et encore ‘les apprêter’.

La nécessité notamment pour les grandes structures, à opérer à une gestion quantitative de l’enfant, avec une prise en charge qui acquiert et pratique la ‘gestuelle robotique’ : les nurses sont menées à ‘passer’ pour les tétées, pour les changes, pour les soins, d’un bébé à l’autre, sans disposer des moyens, du temps et des cadres qui interrogent sur le caractère potentiellement agressif pour l’enfant, de ce genre de gestuelle machinale.

Les nurses en particulier, appelées assez souvent mamans sans disposer du temps et de la stabilité de prise en charge nécessaires pour justifier cette appellation, sont amenées à gérer chacune, un nombre allant de 2 (exceptionnel) à 22 (ou rare 40) enfants..

Sur elles s’exerceront alors toutes les pressions et contraintes identifiées en amont, portées par les uns et les autres des intervenants : si ‘d’en haut’ se conçoit un rituel de ‘prise en charge’, elles seront attribuées généralement, quant à elles, de ‘l’exécution sans discussion’.

Ces nurses le plus souvent mal ou insuffisamment, rémunérées, gèrent par ailleurs plusieurs pressions à la fois : celles des membres d’associations (ou responsables hospitaliers), celles liées à leur statut, celles liées aux exigences de leur fonction, et celles liées aux ruptures consécutives au départ de l’enfant en kafala.

II- Structures impliquéesdans la prise en charge de l’abandonComme mentionné lors de l’étude de recensement de l’abandon, de nombreuses structures associatives, d’aide et de soutien de l’enfant abandonné, ont été répertoriées. Celles-ci comme indiqué dans le chapitre précédent, varient, par leur taille, capacités d’accueil, moyens et potentiel perçu à se projeter dans le futur de la prise en charge.

Aussi l’histoire de la prise en charge de la question de l’abandon, paraît elle importante à souligner : des associations historiquement interpellées par la problématique se sont structurées en réseaux, élargissant leur intervention, les unes, à des niveaux de représentativité territoriale, les autres, visant une extension de la capacité de prise en charge de l’enfant, en vue d’assurer une continuité qui se conçoit comme indispensable au travers de la pratique.

Ces structures ont généralement bénéficié du temps nécessaire pour acquérir de la notoriété, s’organiser, élaborer des plans d’actions, des programmes d’intervention, des outils de communication et un certain savoir dans la ‘gestion des entrants’.

L’on évoquera particulièrement, les ‘méga structures’, par leur ampleur, comme SOS village d’enfants, et La ligue Marocaine pour la Protection de l’Enfance, ou par leur taille et les effectifs recueillis d’enfants abandonnés,

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comme Fondation Rita Zniber et l’association Al Ihssane des enfants abandonnés. Ainsi deux ‘méga structures’ existent, représentées dans différentes régions du royaume :

SOS village d’enfants, spécialisé dans l’enfance abandonnée et dans une prise en charge de longue durée,

Ligue Marocaine pour la Protection de l’Enfance, amenée au cours de ses missions d’aide aux enfants et mères en situation de précarité, à œuvrer en faveur de la prise en charge de l’abandon à la naissance, et dans la continuité de prise en charge, à travers deux de ses structures, à Benslimane et à Taroudant.

SOS Village d’enfantsAffilié au réseau international SOS, présent dans le monde depuis 60 ans, agissant de manière privilégiée en faveur de l’enfant orphelin ou abandonné, SOS village d’enfants Maroc, est représenté depuis 25 ans, dans les villes ou provinces de Casablanca à Dar Bouazza, EL Jadida, Agadir, Ait Ourir, Imzouren et plus récemment, Marrakech. Pour assurer un fonctionnement décrit comme coûteux, SOS bénéficie de l’apport de SOS international (65%) et de donateurs marocains, privés et institutionnels.

Les particularités de SOS Maroc s’identifient à travers différents volets de prise en charge de l’enfant abandonné ou orphelin.

1- Le recueil et l’accueil d’enfants

L’enfant est pris en charge en institution à un âge inférieur à cinq ans en vue de lui permettre une meilleure possibilité d’intégration. Le recrutement d’un enfant SOS obéit à des règles de parité sexuelle, observées en société, d’âge, et de potentiel de développement physique et mental

SOS reçoit des demandes d’intégration en provenance de structures associatives menées à envisager le futur de leurs pensionnaires âgés de plus de quatre ans et non pris en kafala, ou procède à un ‘recrutement direct’ d’enfants choisis au sein de crèches de milieux hospitaliers ou associatifs.

SOS prend majoritairement des enfants ‘inscrits’ et répertoriés comme abandonnés.

Au recrutement, SOS souscrit à des configurations d’âge (de 0-5 ans), en vue de respecter celles de la famille, avec une fratrie de divers âges, comptant éventuellement un (seul) nourrisson ou bébé.

Avant l’accueil au village, une période de rencontres formalisées, d’une durée de six mois qui permet à l’enfant de connaitre ses futurs parents adoptifs, et à travers des allers retours, ici et là, de s’acclimater à son environnement d’accueil. Cette procédure résulte d’une expérience acquise sur le terrain, qui a identifié, malgré le ‘cadre positif, sensiblement meilleur’ au premier environnement d’accueil de l’enfant, des difficultés d’adaptation possibles de celui-ci, habitué à son cadre et à ses figures parentales de substitution.

Le discours SOS pointera,

Les représentations relatives aux perceptions de forme : malgré l’image perçue de l’extérieur, ‘SOS les moyens’, ‘les infrastructures’, ‘le personnel’, ‘la formation’, persistent encore aujourd’hui des problèmes au niveau de l’accueil de l’enfant, mené à changer d’environnement, et portant le risque de rencontrer des difficultés à des niveaux variés, de socialisation, d’éducation, de formation et d’insertion professionnelle et à la vie active. La forme

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du milieu d’accueil, susceptible de conforter l’enfant dans un sentiment de dignité, n’est importante que si elle s’accompagne d’une prise en charge qualitative en mesure de répondre à la profonde blessure laissée par l’abandon.

Ici en préambule, se perçoivent, l’approche d’une institution qui procède à la remise en cause, qui considère incontournable, dans la prise en charge de l’abandon, la dimension psychologique, et le travail immense que l’institution est amenée à assumer.

Les enfants ‘récupérés’ des orphelinats sont décrits généralement en mauvaise santé, avec des difficultés plurielles de langage, d’expression, des retards psychomoteurs : malgré tout, le lien avec leurs origines se décrit comme nécessaire.

Si pour une grande majorité des intervenants rencontrés, ‘le rêve’ est de ressembler à SOS ou d’envoyer ‘ses’ enfants à SOS, la réalité évoquée à travers ce discours fondé sur la pratique, tend cependant, à nuancer le rêve.

Un enfant issu de l’orphelinat n’est pas ‘forcément réjoui’ au moment où il intègre SOS, impressionné par les ‘jeux, le confort, les fêtes, la chambre individuelle alors qu’il pouvait ‘dormir à même le sol’ : il a besoin de temps, d’intégration, et d’aller retours nombreux avant de se concevoir dans un autre espace. Il est indispensable de ne pas le renier en reniant d’où il vient.

2 - La kafala de l’enfant, la mère SOS,un environnement familial, une fratrie, un foyer

Dès l’intégration de l’enfant, la structure prend fonction juridique de kafil et l’enfant, élevé jusqu’à sa majorité, par sa parenté institutionnelle adoptive. Il habite dans une maison, avec une maman stable, des frères et sœurs de tous âges, grands et petits, à l’instar d’une famille naturelle, vit, entre et sort, joue, va à l’école, fait ses devoirs, aide à la maison, ou ‘s’enferme dans sa chambre et conteste’…

Si la mère SOS fait fonction de substitut parental, une figure symbolique du père est représentée à travers le chef du village, mais aussi, en fonction du choix de l’enfant, à travers différentes figures masculines présentes au sein de l’institution.

Freins évoqués

La mère SOS est au centre : en fonction de ses propres représentations elle est susceptible de porter un regard ‘misérabiliste’ sur l’enfant abandonné (le pauvre) ou de lui restituer la faute de l’enfant hrami, fils du péché. Ces deux attitudes moralistes constituent une entrave majeure au développement de l’enfant, et seront décrites ici, comme ayant nécessité un travail de ‘longue haleine’.

3 - Le discours du droit, la gestion professionnelle de la relation

La compassion ou la charité, la faute et la culpabilité, sont considérées comme des entraves au développement de l’enfant. Ici, seul le discours du droit se reçoit et se conçoit. Ce discours SOS, confronté à des vécus d’enfants rencontrés sera validé : malgré la blessure de l’abandon, les enfants rencontrés restitueront le discours du droit de l’enfant, du droit de tous, avec le respect mutuel adultes, enfants.

Des attitudes qui pointent une appréhension professionnelle de la relation à l’abandon : formation, verbalisation de difficultés rencontrées avec l’enfant dans des cadres d’échanges réguliers, sont organisés et offerts à l’ensemble des intervenants directs, mères SOS, encadrement, éducateurs.

L’ensemble des actions décrit vise, essentiellement à éduquer l’enfant dans la ‘normalité’ de la relation, de lui offrir les moyens de son développement, lui permettre l’autonomie, et de le protéger du risque d’exclusion ou de la ‘répétition du même qu’il a vécu’.

Cette réflexion globale SOS émane de la pratique et d’une expérience de plusieurs années, qui lui permettront de progresser dans la conception même de la prise en charge. Une confrontation des pratiques des uns et des autres des parents SOS et une remise en cause permanente de la question de la prise en charge de l’abandon, sont évoquées…

Prise en charge de l’abandon, des difficultés et des défis à relever

Des difficultés sont encore relatées, relatives ici, à la prise en charge de l’abandon

Les représentations puissantes, ‘ancrées profondément dans les têtes’, des intervenants impliqués directement dans la prise en charge.

Les troubles psychologiques allant jusqu’à la pathologie mentale de certains enfants, de sexe masculin notamment.

L’étude ‘des vécus’ a pointé la relation entre ces troubles évoqués et l’existence des ruptures à répétition dans les premières années de la vie de l’enfant.

Aujourd’hui SOS s’investit dans une démarche qui vise à favoriser autant que possible le lien avec les origines. Un travail est mené afin d’aller à la recherche de la parentalité biologique de l’enfant -lorsque cela est possible - et afin de permettre une meilleure acceptation de l’enfant de ses origines (souvent contradictoires avec l’imaginaire qu’il s’est construit) une aide matérielle est accordée à la famille naturelle, en vue de favoriser les nouveaux liens.

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« quand il y a une famille connue…on établit une convention avec elle…elle a le droit de venir passer 1 jour au village tous les 3 mois quand l’enfant est tout petit… quand il devient adolescent… il peut aller passer une semaine, 10 jours de vacances dans sa famille… à ce moment là des échanges se font…et on a même des enfants qui ont fait des études.. Ils sont repartis loger dans leur famille…puis là il y a une vie qui reprend on aide l’accompagnement de la santé… on aide la famille on peut les aider pour meubler les chambres…pour les fournitures scolaires…on continue à soutenir l’enfant (le frère, la sœur) à aller à l’école parce que ça c’est vraiment très très important pour nous »…

Cette dernière expérience signe le niveau de maturité de prise en charge de l’institution : le contrat est clair entre le ‘parent adoptif, l’enfant et le parent biologique, avec une priorité accordée à l’intérêt supérieur de l’enfant, la priorité étant de lui reconnaître le droit à son origine et plus tard le droit de choisir…un exemple à suivre ?

Ce niveau de maturité ne sera pas identifié au sein d’autres structures : en majorité, elles sont impliquées dans la prise en charge du court terme, et dans la gestion des entrées et des sorties’. Ici, nécessairement l’enfant ne peut pas se penser dans la mesure où il doit sortir physiquement sain, destiné à des parents toujours perçus, comme étant la meilleure chance. Les ‘enfants de l’échec’, ‘de la malchance’, ceux qui n’ont pas été ‘pris’ ou encore ceux qui ont été ‘refoulés par des parents adoptifs insatisfaits du produit’ sont ainsi susceptibles de le vivre dans la réalité.

Aujourd’hui SOS s’implique en amont de l’abandon dans la prise en charge des mères célibataires avec enfants, dans le cadre d’un projet de partenariat avec la fondation Oum Kaltoum (Sidi el Bernoussi, Casablanca).

L’encadrement SOS,

A l’initiative des échecs, des remises en cause et des réussites, le personnel est, il faut le souligner, assuré de ses droits : statut légal, droits, à la dignité, au respect, à une formation qui lui permet de progresser dans ses attitudes et ses réponses à l’égard de l’enfant. Ces droits favorisent à leur tour, l’établissement de relations contractuelles claires, profitables à la prise en charge de l’enfant.

SOS à travers les chiffres, quelques repères

450 enfants vivent dans les 6 villages ;

177 jeunes poursuivent leurs études ou font une formation professionnelle ;

32 jeunes bénéficient d’une prise en charge dans le lieu de vie pour personnes à besoins spécifiques ;

800 enfants résidant au voisinage des écoles SOS, sont scolarisés avec les enfants ;

200 femmes et enfants bénéficiaires des programmes de renforcement ;

Dans les maisons SOS des différents villages, 197 filles et 208 garçons : 250 sont abandonnés, 90 ayant une famille monoparentale, 39 ayant une famille biologique en vie, 21 orphelins…

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Ligue Marocaine pour la Protection de l’Enfance1-Apport global, pour une populationmère enfantReprésentée aujourd’hui dans 30 provinces du royaume, La ligue Marocaine pour la Protection de l’Enfance est une association, reconnue d’utilité publique, créée depuis 1957, dans le but de mener des actions dédiées à la solidarité en faveur des couches les plus démunies.

La situation particulière des mères et enfants en situation de vulnérabilité, a mené la Ligue à s’investir dans la lutte contre l’analphabétisme, l’éducation non formelle, et surtout, l’éducation de la petite enfance démunie.

L’association sera ainsi la première structure au Maroc, à implanter dès les années soixante dix, des crèches afin de permettre aux mamans en difficulté économique, d’exercer une activité professionnelle tout en laissant leurs enfants dans une structure adaptée.

Offre globale de la LMPE

L’enfant bénéficie dans la journée d’une prise en charge (en crèche puis en garderie et en jardin d’enfants, jusqu’à l’âge de sa scolarisation) qui comprend une fois sur deux, la restauration, (nutrition et diététique contrôlées) sa prise en charge sanitaire, (de jour mais aussi dans certaines régions, le soir), à travers la mise en place de structures d’urgences hospitalières en partenariat avec le Ministère de la Santé.

Cette offre de prise en charge, de la Ligue en direction de ‘ses populations cibles’, contre rémunération symbolique (10 dirhams) visant à préserver un sentiment de dignité, se donne un objectif double : favoriser le travail de la mère mais aussi inciter à la scolarisation de l’enfant, en favorisant des automatismes, en créant des réflexes susceptibles de lutter contre l’analphabétisme.

Financement et partenariats

La Ligue entretient des relations avec de nombreuses ONG internationales, assure des responsabilités au niveau des comités décisionnels, maintient des relations de coopération avec l’Unicef plus particulièrement, organisme avec lequel elle élabore des plans d’action annuels en direction du champ humanitaire en général, et de la problématique mère-enfant, populations vulnérables, en particulier.

La LMPE bénéficie de partenariats et de conventions, avec différents ministères, de la Santé, de l’Education Nationale, de la Prévision économique et du plan…structures d’Etat, ONGs. Par rapport à la question de l’abandon, des conventions sont établies particulièrement avec les Ministères, de la Santé, de l’Entraide Nationale, avec des engagements qui se traduisent notamment, par l’attribution de ressources humaines.

La grande partie du financement de la Ligue, reste toutefois attribuée à la solidarité de particuliers ou d’institutionnels privés marocains.

La LMPE est à l’initiative de nombreuses études, interventions, rencontres, visant à réfléchir autour de thématiques en relation avec ses domaines d’intervention prioritaires : aussi, la LMPE sera considérée comme un acteur, également engagé en faveur du plaidoyer, à l’origine de nombreuses réalisations.

Lors de l’étude de terrain, l’action globalisante de ‘la Ligue’ apparaîtra notamment, dans les régions ‘enclavées’ ou éloignées des centres décisionnels, lorsqu’elle se distingue comme l’unique partenaire associatif, ici dans la question de l’abandon, mais aussi dans l’éducation et la question du développement social des ‘minorités’.

Dans les provinces du Sud notamment, ‘la Ligue’ sera appréhendée comme l’unique ‘opérateur crédible’ dans le soutien de la problématique de l’abandon, avec au niveau des provinces, des initiatives individuelles de comités de la LMPE, particulièrement dynamiques, à l’origine (ici, dans la problématique de l’abandon) de la mobilisation d’institutionnels pour la création de nouveaux centres, opérationnels ou en cours de finalisation.

Organisation

La Ligue est dotée d’un centre de documentation ‘mères enfants’, a une administration centrale qui développe les stratégies régionales, et des bureaux régionaux qui fonctionnent de manière autonome, avec leurs propres comités et bureaux, mais qui s’inscrivent dans le cadre des missions prioritaires de l’organisation centrale,

Si la LMPE s’est investie en priorité dans des actions qui visent le développement de crèches, de garderies, de jardins d’enfants, de clubs d’enfants et de centres médicaux, destinés aux populations démunies et péri urbaines, elle a été également menée, dans le cadre de son expérience du terrain et de la réalité, à ‘travailler’ sur l’abandon.

2 - La Ligue et l’abandon

S’il est difficile dans le cadre de ce travail, de rendre compte des différents champs de ‘la Ligue’, et tenant compte d’une expertise particulière développée dans l’implantation de crèches, dans la question de l’abandon, elle est également apparue comme un acteur incontournable, gérant directement un effectif sensiblement représentatif et intervenant par ailleurs, indirectement, dans le soutien à différentes structures.

Ancienne ‘goutte de lait’, géré précédemment par les sœurs, puis par l’Entraide Nationale, le Centre Lalla Meriem à Rabat, sera repris par la LMPE, à un moment où ni l’enfant abandonné, ni la mère célibataire n’avaient, dans la parole sociale et collective, un droit d’existence. Plus tard, afin de déplacer l’enfant dans une structure comparativement (aux orphelinats) mieux adaptée à son évolution, le centre de Benslimane, dédié à l’enfant de plus de 3-4 ans verra le jour.

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Afin de répondre à un besoin identifié à différents lieux, La ligue déploiera progressivement de centres dans les régions : Kénitra Marrakech, Oujda, Taroudant, Layoune.

Aussi au sein de la ligue, trois types d’offres en faveur de l’enfance abandonnée.

Une offre majoritaire destinée à l’accueil des enfants de 0 à 3/4/5 ans : Rabat, Taroudant, Marrakech (capacité d’accueil de 85 enfants), Kénitra, Layoune (capacité d’accueil de 100 à 120 enfants), Oujda.

Une offre destinée aux plus âgés : à Benslimane et Taroudant, où à côté de l’offre ‘premier âge’, une seconde s’est déployée sur le modèle familial, avec des foyers et des mères assurant une prise en charge durable de l’enfant jusqu’à 15-16 ans - voire plus en cas d’études et de formation professionnelle - et donc tenant compte de sa stabilité psycho affective.

Une autre offre qui se traduira par des actions de soutien de la Ligue à des structures hospitalières ou associatives, dédiées à l’enfance abandonnée. Ici, il n’y a pas de centres fonctionnant au nom de la Ligue, mais ‘une veille’, des ‘gestes et des actions’ qui visent le renforcement d’autres structures en charge de l’abandon (comme Fès, Tan Tan, Guelmim…).

Le concept et le regard de la LMPE

La Ligue a été amenée à ‘abandonner l’appellation enfant abandonné’, pour prendre position et désigner l’enfant en situation d’abandon, d’abord sous une appellation, ‘enfant en situation précaire ou en situation difficile’, pour se fixer au terme ‘privé de famille’, perçu comme étant moins accablant pour l’enfant, plus respectueux, ‘moins misérabiliste’.

S’il est apparu difficile de ‘trancher’, au regard du vécu porté par la population cible, entre ‘abandonné’ (avec un vécu qui renvoie ‘la faute à l’autre’) et ‘privé’ (avec un vécu qui interroge l’individu par rapport à ‘la faute qu’il aurait commise’ pour être abandonné) il est en même temps, apparu nécessaire d’échanger autour de la question, à un niveau national, et surtout de prendre une position commune qui permette de porter un regard homogène sur l’appellation même du sujet.

Les actions parallèles de la LMPE

Des actions parallèles sont menées en vue de lutter contre les différentes formes d’exploitation de l’enfant, actions de plaidoyer, actions de sensibilisation, et lutte contre l’abandon.

Par rapport à la lutte contre l’abandon, la Ligue a été amenée à créer, une structure, Basma, destinée à prévenir le geste de l’abandon d’enfant, chez la mère célibataire.

En favorisant l’accueil et l’hébergement à une catégorie de mères en situation de première grossesse, l’objectif prioritaire évoqué ici, est non pas d’assurer la prise

en charge de la mère célibataire, mais de prévenir le processus d’abandon d’enfants. Aujourd’hui cependant, à travers une formation prodiguée en direction des mères, à travers aussi, un nouveau partenariat entre ONGs (SOS) des perspectives plurielles de réinsertion et donc de prise en charge, mère enfant, assurées par Basma.

3 - La ligue et la prise en chargede l’abandon d’enfantsComme dans la majorité des structures associatives, la Ligue est amenée à gérer les difficultés d’une prise en charge à ‘deux vitesses’ : celle du court terme, accueil, prise en charge sanitaire et gestion administrative en vue de sa sortie, et celle, ‘initialement non prévue’, de la prise en charge dans la durée. Au sein de la LMPE des procédures générales sont mises en place pour l’accueil de l’enfant, des modalités de prise en charge, (normes administratives, comptabilisation des données, normes, alimentaires, d’hygiène…) ‘répercutées’ au niveau des sept structures : aussi les centres d’accueil de la Ligue, sont-ils à la fois ‘tenus’ par des règles collectives, et autonomes.

Le recueil de l’enfant abandonné à la naissance

Le recueil de l’enfant est soumis ici à autorisation du parquet et accueilli sur réquisition du procureur du Roi. Les différentes structures sont responsables de l’accueil de l’enfant, avec une première étape médicale, sanitaire et alimentaire. Ici les éléments en relation avec le devenir de l’enfant, kafala essentiellement, sont attribués au juge. L’enfant est accueilli par la responsable du centre, l’assistante sociale et une monitrice à laquelle il est confié.

L’objectif prioritaire sera donc accordé aux soins du premier âge, dans l’attente de kafala : ici la Kafala se conçoit comme un respect de la convention des droits de l’enfant, qui veut que l’enfant soit élevé dans un ‘milieu naturel’.

Dans l’attente de la kafala, le bébé, l’enfant, sont susceptibles de bénéficier des compétences des différentes structures de la LMPE, crèches garderies, et plus âgés, orientés vers un enseignement scolaire privé, favorisé par des actions de solidarité.

En fonction de la taille des structures, de l’effectif, d’enfants accueillis, les tensions liées à la gestion du nombre seront sont plus ou mois formulées en fonctions des intervenants.

Si la kafala est appréhendée ici comme l’un des axes prioritaires consécutifs au recueil de l’enfant, comparativement à d’autres structures de prise en charge, les taux de kafala seront ici, perçus comme relativement ‘moyens’. ‘Qualité ou défaut’ ? La question reste posée, considérant notamment le droit de la mère naturelle et de l’enfant, considérant les ‘attitudes précipitées’ (liées majoritairement à la nécessité de gérer le flux au sein des grandes structures) observées lors de l’étude, pour inciter la kafala.

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La réalité des vécus de sujets ‘kafalés’ sans ‘garde-fous’, sans respect de leurs histoires et identités, tendra à considérer positive l’attitude de modération, volontaire ou non, de la Ligue par rapport à cette question de la kafala. Bien entendu, le principe de réalité, avec les difficultés consécutives à cette représentation, à des niveaux de gestion quotidienne, de fonctionnement des structures, et de prise en charge, n’échappera pas aux intervenants.

La Ligue et la prise en charge durable de l’enfant privé de famille

Elle s’impose lorsque l’enfant, pour des raisons variées, n’a pas bénéficié d’une kafala : aussi, en vue de continuer une prise en charge de l’enfant conforme à son environnement premier, en termes ‘d’éducation, d’hygiène et de confort’, l’enfant est orienté, dans la mesure du possible, vers le Centre de Benslimane, ou de Taroudant, mais aussi vers des structures ‘sélectionnées’ de l’Entraide Nationale.

Ici aussi, l’enfant est intégré dans le milieu scolaire, lorsqu’il ne pose pas de problèmes d’insertion et d’adaptation. Les garçons notamment adolescents, seront évoqués comme ‘difficiles à gérer’.

Le problème du handicap

Comme de nombreuses structures associatives, la Ligue fait face au handicap de l’enfant abandonné, de l’inadaptation de l’environnement à ses besoins, et du coût élevé de sa prise en charge. Le centre Lalla Mériem de Rabat, sera parmi les principales structures où l’effectif des porteurs de handicap dépasse 40 enfants.

La ligue, l’abandon et les chiffres

En 1998 trois structures d’accueil Rabat Marrakech et Taroudant

Total nouvelles admissions : 198

Total kafala : 136

Total pensionnaires : 509 (405 au sein des structures 0-5 ans ; 104 enfants, plus âgés (Benslimane).

En 2007 sept structures d’accueil Benslimane, Oujda, Layoune, kénitra, Rabat, Marrakech, Taroudant

Total nouvelles admissions : 382

Total pensionnaires : 1020 (727 au sein des structures 0-5 ans ; 93 enfants, plus âgés)

Entre 1998-2008 Une augmentation globale de l’effectif des entrants, nouveaux enfants abandonnés au sein des différentes structures de la LMPE,

Une progression du taux global de kafala, Une diminution sensible du taux global de décès.

Total nouvelles admissions 2008 : 358. Soit près de 25% de l’effectif total des abandons recensés lors de l’étude. Pour refléter la réalité de la gestion de l’abandon au sein des différentes structures de la Ligue, il est nécessaire par ailleurs, de considérer l’effectif des nouveaux abandons comme reflet lui-même ‘d’un tiers de la globalité’ des pensionnaires pris en charge.

Ces différentes données, indiquent que la Ligue Marocaine pour la Protection de l’Enfance, est la première structure en effectifs et en réseau, d’accueil des enfants abandonnés, âgés de moins de six ans.

Ces données chiffrées ne rendent pas compte des actions de veille, de solidarité, d’accompagnement et de plaidoyer, engagées -généralement en faveur de l’enfance, de la femme, de la lutte contre la précarité- ici, spécifiquement, dans le contexte d’étude, en faveur de l’enfance abandonnée.

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Fondation Rita Zniber :un aperçu des axes prioritaires de prise en chargeA l’origine, un constat global de carence

Si elle est, depuis 1996, reconnue d’utilité publique, la fondation Rita Zniber, intervient à partir de 1982, dans la question de l’enfance abandonnée, notamment après un passage à la maternité de l’Hôpital de Meknès de celle qui deviendra la Présidente de l’association, créée officiellement en 1992. Le constat ‘qualifié de dramatique’, relatif à l’état des nourrissons interpellera la fondatrice de l’association : ‘conditions d’hygiène et de soins défectueuses, déficits en lait, en alimentation et en vêtements, enfants ‘couverts d’escarres’, et lorsqu’ils n’étaient pas adoptés dans les trois semaines, ‘mourraient des suites de leurs multiples carences’.

Aussi, plus tard, deux centres en charge de l’enfance abandonnée, seront-ils successivement crées : en 1988, ‘Le Nid’ au sein de l’hôpital Mohamed V de Meknès au 5ème étage, à destination des nourrissons, bébés, (122 dont 29 handicapés), et une annexe servant de relève, créée en 2007 en partenariat avec les autorités locales, d’accueil des enfants de 6 à 20 ans (257 enfants et adolescents scolarisés dans le présent),

Pour cela, hormis le personnel de l’administration de la fondation, ‘au Nid’ un personnel de 95 ‘volontaires’ rémunérés par la fondation et de 10 ‘détachés’ (des Ministères de la santé et de l’entraide Nationale) et à ‘l’annexe du Nid’, un effectif de 60 ‘volontaires’ de la fondation, éducatrices, enseignants, animateurs, personnel de surveillance et d’entretien…et de 8 ‘détachés’.

1-Prise en charge de l’abandon

L’association intervient à différents niveaux de prise en charge : recueil des enfants abandonnés sur la voie publique ou à l’hôpital, prise en charge du nourrisson, du bébé et de l’enfant, -tant au centre du Nid qu’au niveau de l’annexe-, veille à la scolarisation et à l’intégration dans les secteurs publics ou privés.

L’Association collabore en outre, avec l’ensemble des départements concernés par l’Enfance Privée de Famille (Parquet, Tribunal, Juge des Tutelles, Autorités Locales différents Ministères, Centres d’accouchement et Hôpitaux publics, Services Sociaux, Services de l’Etat Civil, Consulats et Ambassades, Départements gouvernementaux étrangers traitant de l’Adoption Internationale)… à différents niveaux de prise en charge :

De veille à l’optimisation des délais des procédures administratives relatives aux déclarations de naissances et aux jugements d’abandon.

De recherche, dans le cadre de l’application de la loi de la Kafala, de Familles d’accueil, au Maroc ou à l’Etranger, susceptibles de prendre en charge l’enfant dans les meilleures conditions, morales et matérielles.

D’accueil, d’orientation et d’assistance, des postulants pour la Kafala après un entretien probatoire.

De mise en place de moyens à la disposition de la fondation, susceptibles de faciliter les démarches administratives portant sur la Kafala, le Tanzil, le passeport et le visa le cas échéant, pour les familles résidant à l’Etranger.

D’amélioration des conditions de prise en charge de l’enfant non adopté. Pour cela un projet : réaliser et assurer la prise en charge d’un Home d’enfants, afin de remédier au problème de la prise en charge des enfants sains en milieu hospitalier. Un terrain est mis à la disposition de l’association par les domaines privés de l’Etat. En revanche, à ce jour, le financement fait encore défaut.

Indicateurs

Depuis 1992 et à fin 2008, la fondation Rita Zniber a recueilli au Nid 1681 enfants : 1003 ont été adoptés dans le même intervalle, 101 ont été repris par leur mère, 246 sont décédés, et 10 transférés à l’annexe du Nid. Le taux de décès des enfants est passé de 22,5 à 2%

Observations de terrain

A des niveaux de gestion et d’organisation, la fondation est structurée comme une entité privée, avec au niveau de l’administration, un encadrement spécialisé par rôles et missions : financières, juridiques, de relations publiques, d’achats, de coordination, et au niveau des centres, en métiers, ceux destinés à l’enfant et ceux destinés au fonctionnement de la structure, avec des puéricultrices, éducatrices, infirmières, assistantes sociales,

L’action de l’association mettra en valeur son dynamisme à plusieurs niveaux :

De coordination : l’association sera décrite et reconnue par les différents intervenants rencontrés comme étant à l’origine de l’impulsion créée dans la région en faveur de l’enfance abandonnée. Aussi, malgré certaines difficultés non spécifiques à la région, mais identifiées pour ‘l’ensemble du territoire’ lors de cette étude, la coordination entre les différents protagonistes impliqués de fait dans la question de l’abandon, police, justice, hôpital association est-elle décrite de manière positive.

D’administration : avec différents pôles de gestion et de compétences, administratives, financières, techniques.

De dynamique relationnelle : un ensemble de moyens sont mis en place à la fois pour favoriser la collecte de dons, mais aussi pour favoriser la prise en charge en kafala de l’enfant, au Maroc, à l’étranger, ou pour assurer son parrainage.

Ainsi la fondation RZ s’implique t-elle ouvertement dans la recherche de ‘kafilins’ et parrains d’enfants : incitation, sensibilisation, relations avec divers organismes, accueil des postulants, mise en relation avec l’enfant, assistance sociale, administrative et juridique…sont des services fournis par l’association pour encourager l’adoption.

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Principaux freins et dysfonctionnements

Le cadre d’accueil de l’enfant, l’environnement d’accueil, et l’espace géographique au sein desquels évolue l’enfant : malgré des conditions d’hygiène et de soins de ‘qualité’, malgré la vigilance et l’attention d’une équipe d’intervenants nombreux, diversifiés et mobilisés, les enfants réunis par tranche d’âge dans différentes pièces du 5ème étage de l’hôpital Mohamed V, cohabitent dans un espace ‘non-conforme’, clos, quasi carcéral, inadapté à une évolution saine d’enfant.

Raison pour laquelle, ici, le taux de kafala augmente d’année en année ?

Par ailleurs, les salarié(e)s de l’association, nommées ‘bénévoles’, sont rémunérées selon des modalités qui ne s’inscrivent pas dans le droit du travail.

Association AL Ihssane des enfants abandonnés

1 - Actions et évolution

L’association Al Ihssane des enfants abandonnés, est en charge depuis 1989, de la maison d’enfants Lalla hasnaa, unique structure dédiée dans la Wilaya du grand Casablanca à l’accueil de l’enfant abandonné de 0 à 5 ans.

Déclarée d’utilité publique, sous tutelle du Ministère de la Santé, l’association constituée de membres bénévoles, aidée d’acteurs institutionnels, a sensiblement contribué à améliorer les conditions d’hébergement et de prise en charge de l’enfant, notamment par rapport à une histoire où l’enfant vivait dans des conditions inadaptées à son développement.

Ici aussi une convention avec le Ministère de la santé a permis de bénéficier de ressources humaines notamment, impliquées dans la prise en charge.

Recueil de l’enfant, dynamique de kafalaet coordination des acteurs

Le recueil de l’enfant est présenté en outre comme s’inscrivant dans le respect du cadre légal, (réquisition du Procureur), avec dès l’entrée, une prise en charge sanitaire d’urgence (premiers soins, bilans effectuées sur place par des médecins détachés de la commune ou du ministère de la santé) avant le déclenchement des procédures administratives à l’accueil de l’enfant.

Après les mesures d’accueil d’urgence, et dans le cadre de l’objectif prioritaire de sa kafala, (une kafala rendue facile ici par une collaboration décrite comme positive entre intervenants de la justice et l’association) l’enfant est pris en charge sur des plans alimentaire, sanitaire et de veille. La sensibilité des acteurs institutionnels, police, justice est ici perçue comme largement facilitatrice de la procédure de kafala.

2- Difficultés et contraintes

En dehors des difficultés liées au fonctionnement de la structure, à la lourdeur institutionnelle, les difficultés évoquées sont davantage associées.

A la nature de l’abandon (un ‘sous X’ entrainant une kafala ‘fluide’, ‘soft’, pendant que le nom de la mère est un obstacle à la fois pour ‘l’administration’ et les parents adoptifs ; où encore un enfant dont les parents sont vivants, malades, ou ayant divers problèmes)

Au savoir-faire des parents adoptifs, et leur connaissance des ‘rouages’ administratifs.

La maîtrise de ces ‘rouages’ est également visible au sein de l’association avec un suivi du dossier et son dépôt de ‘main à main’ chez les autorités compétentes (et non par courrier).

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A la durée de prise en charge de l’enfant entrant,

Au type de prise en charge, à deux vitesses, inhérent à la situation de l’abandon :

• celle de l’accueil des nouveaux entrants destinés, destinés, sauf complications, ‘au court séjour’

• et celle plus difficile des enfants ‘restants’ qui viennent s’ajouter aux précédents, et lesquels le plus souvent sont destinés au transfert vers les orphelinats de la ville. Ici le décalage entre les ‘deux univers’, en matière de soin, d’attention et de confort, se craint, se prévoit, mais ne se gère pas pour des raisons essentielles liées aux moyens de financement.

Frein majeur de prise en charge : l’institutionnalisation de l’abandon

Au moment de l’étude de terrain, le centre Lalla Hasna avait en effet atteint sa capacité d’accueil maximale, de trois cent pensionnaires, avec un ‘risque de transfert associé à l’âge des anciens pour prévenir l’arrivée des nouveaux’, avec aussi les difficultés de prise en charge associées à la lourdeur de la structure.

3 - Intervenants dans la prise en charge

L’association compte un effectif de personnel de plus de 200 intervenants salariés rémunérés ‘conformément au droit du travail’, dont 120 mamans ou jardinières qui changent toutes les 8 heures, fonctionnant en équipes de 3X8 (trois pour cinq chambres) donc au total 40 jardinières pour 300 enfants. La rémunération du personnel constitue l’essentiel du financement (400 000 dirhams/mois).

Le budget nécessaire au fonctionnement de l’association est de 6 millions de dirhams/an et le coût moyen de l’enfant à 70 dirhams/jour.

La contribution de l’état représente entre 12 à 20% du total budget : ‘un chèque de l’Entraide Nationale’, une contribution du Ministère de la santé (local et personnel détaché) la mairie, l’INDH.

L’INDH a notamment contribué dans la construction d’un centre pour enfants handicapés, localisé à l’hôpital Baouafi et contribué à l’amélioration des locaux de l’association.

L’essentiel du fonctionnement de la structure est assuré par l’association (dons privés particuliers et d’entreprises, parrainages, manifestations annuelles, kermesses, tournois de bridge…)

4 - La prise en charge de l’enfant

Au-delà des aspects de soins, d’alimentation et de surveillance, et en fonction des disponibilités, l’enfant est susceptible de bénéficier de la crèche adjacente aux locaux du centre Lalla Hasnaa et relevant de la Ligue.

L’enfant plus âgé est également orienté vers des institutions scolaires privées et solidaires.

Des intervenants professionnels externes sont également susceptibles de contribuer bénévolement au sein de l’association : une psychologue, dans le présent, intervient une fois par semaine, dans le cadre de discussions avec les équipes de soins, ou de difficultés spécifiques à l’enfant.

Synthèse

Ces structures décrites SOS, Ligue, Fondation Rita Zniber, Association Lalla Hasnaa se distinguent des autres entités rencontrées lors de l’étude de terrain, par leur capacité d’accueil mais aussi par leur histoire dans la gestion de l’abandon au Maroc.

Structures ‘rodées’ mais aussi structures ‘lourdes’, en capacité d’accueil, en charge d’effectifs, en besoins de financements, elles ont les difficultés spécifiques à leur taille et à leur poids, problèmes d’autant plus difficiles à gérer que la population (nourrissons, bébés, enfants vulnérables) nécessite une prise en charge particulière.

Si au sein des centres d’accueil SOS, cette prise en charge est possible au moyen d’une stratégie et de supports mis en place (maisons, mamans),

Si également certaines structures de la LMPE, plus légères ou instituées sur le modèle de la famille (Home Lalla Amina, Taroudant) permettent davantage de proximité avec l’enfant, et un travail qualitatif,

Les autres, centre ‘Lalla Meriem’, ‘Lalla Hasnaa’, ou ‘Le Nid’ sont de véritables entreprises, ‘usines à bébés’, qui nécessitent une vigilance accrue à tous les niveaux.

D’autres structures associatives, nombreuses, à taille plus ou moins ‘gérable’ ont été rencontrées lors de l’étude de terrain : il est difficile d’évoquer toutes celles qui interviennent, solidaires et dynamiques, en faveur de la cause de l’abandon d’enfants ; certaines cependant se définissent ou se perçoivent comme,

Plus favorables à une gestion qualitative de la prise en charge de l’abandon,

D’autres, ‘désavantagées’ par les contraintes d’effectif globaux des pensionnaires ;

La quasi-totalité des intervenants cependant, est conduite à reproduire le même discours, car vivant des difficultés similaires dans la gestion quotidienne de l’abandon.

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III - Positions, discours, attitudeset contraintes des acteursde la prise en charge1- Dans l’ensemble, dans le présent, des réflexes systématiques

La nécessité au recueil, de l’enfant de la priseen charge médicale

Les conditions de vulnérabilité de l’enfant à son recueil mènent les acteurs à le gérer en priorité d’urgence, sur un plan médical. .

Par ailleurs, le soin au corps, tenant compte des effectifs quelquefois très élevés, de la promiscuité, correspond à une gestion du risque de décompensation, ou de mortalité de l’enfant.

La question du corps, de l’entretien du corps, de l’entretien de l’environnement du corps est susceptible toutefois, de traduire des difficultés de prise en charge de l’enfant : en focalisant les actions d’intervenants sur une gestion corporelle qui devient centrale et dominante, elle se conçoit non pas comme élément de prise en charge mais comme finalité.

Des paradoxes de comportements observés lors du terrain d’étude peuvent laisser perplexe : d’un côté, un environnement ‘idéal’, un cadre aseptisé, une hygiène implacable et de l’autre, des enfants attachés aux barreaux de leur lit par les pieds !

Dans d’autres lieux, la même préoccupation ‘obsédante’ de l’hygiène, de l’alimentation et du corps de l’enfant se justifie et se formule comme l’expression claire d’un désarroi :

« vous savez on nettoie, on frotte, on lave, on ne sait rien faire d’autre, on est perdus » ou « comme on ne sait pas quoi faire, on est dans le lait et dans les couches » ; « on est coincés par les problèmes matériels, aujourd’hui on est complètement dépassés »

La mécanisation des gestes, la robotisation de la prise en charge corporelle, ‘contraintes du milieu institutionnel’ peuvent se traduire comme agressions pour l’enfant : ainsi des liens peuvent être effectués entre environnement de prise en charge, gestuelle de soins et taux de mortalité de l’enfant. Le taux de mortalité de l’enfant peut à lui seul, ‘mesurer les réponses de l’enfant,’ à son environnement de prise en charge : lors de l’étude, des rapprochements seront établis entre mortalité élevée et ‘prise en charge aseptisée’. Il est par conséquent utile de souligner ici, la nécessité pour les équipes en charge de l’abandon, qui ont réussi l’étape de la survie de l’enfant, de ‘passer à la seconde’, introduire et faire circuler la parole, accompagner la gestuelle par le langage qui lui donne sens, et donc, appréhender le développement psychologique de l’enfant, ‘principale tâche noire du présent’.

Des bébés en dépression, des bébés qui ‘dorment tout le temps’, des bébés en manque de stimulation, des bébés qui se balancent, des bébés au regard éteint, des bébés qui scrutent en spectateurs et interrogent leurs interlocuteurs, des manifestations psychosomatiques du nourrisson, des dermatoses sévères, ont été observés ci et là, interprétés comme des signes de souffrance et d’angoisse.

La psychologie de l’enfant : thème majeur, souvent absent de la prise en charge. Comment s’étonner alors des troubles de la personnalité fréquents, observés chez les plus âgés ?

2 - Dans l’ensemble un même discours : le respect des modalités de recueilde l’enfant

Dans les propos des ‘décideurs’, la procédure de recueil de l’enfant est systématiquement respectée : tout enfant est accompagné d’une réquisition du procureur.

Les échanges menés auprès des intervenants sociaux permettent de nuancer ces propos.

L’enfant est aussi, quelquefois, (des fois par nécessité comme dans les abandons de nuit) accueilli dans une structure donnée ‘’non muni’ d’une réquisition du procureur : les intervenants sociaux souligneront ici, le risque de dérive possible lié à un placement non consigné, avec l’existence de tractations directes non enregistrées’.

3 - Dans l’ensemble une même vision : la kafala, seule issue à l’abandon d’enfants

Pour l’ensemble des intervenants la kafala est la réponse idoine à l’abandon, dans la mesure où elle permet à l’enfant de bénéficier d’un environnement familial. En revanche, les conséquences d’une kafala non respectueuse de l’intérêt de l’enfant, au regard des difficultés que connaît le secteur, ont été souvent perçues comme éludées ou ignorées.

Critères de la rencontre parents enfants

Dans les premiers contacts, parents adoptifs/enfant, les attitudes divergent, en fonction des situations, à la fois des structures associatives et des modalités d’octroi effectuées par le juge : certains intervenants soucieux de favoriser la rencontre, laissent une marge de liberté au parent adoptif dans le choix de l’enfant ; d’autres en revanche, adopteront une procédure, perçue comme ‘rigide’ par certains intervenants, dans le sens où elle impose le choix d’un enfant à un parent.

Entre le ‘supermarché’ et la rigidité dans la relation aux parents adoptifs, …des compromis sont-ils possibles? Les acteurs soulignent l’importance du choix, susceptible de venir, par ailleurs, de l’enfant lui-même (dans certaines situations, l’enfant vient spontanément vers ‘son futur parent’ lui prendre la main). La rencontre se conçoit le plus souvent comme un élément essentiel d’acceptation ou de rejet de l’enfant.

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Quelle marge laissée à un parent adoptif, d’aimer ‘cet enfant là’ si on lui impose ‘un numéro’ à aller recueillir dans une structure associative ? Quelle marge laissée aux pères adoptifs habituellement circonspects voire récalcitrants, par rapport à l’adoption ?

Ici aussi, les intervenants sociaux le souligneront, la demande peut émerger de la femme seule, et le père à la fois, assez souvent réticent et mené ‘pour faire plaisir à son épouse en forte demande d’enfant’, à l’accompagner.

Ici, des entretiens préalables sont assurés par quelques -rares- structures afin d’éviter les risques de rejet : l’accent est sur la nature de la demande et le consensus préalable, fait autour de l’enfant, par sa future famille adoptive.

L’âge de l’enfant : une demande élevée pour le nourrisson, un intérêt relatif pour ‘les autres’,

(« On n’a plus rien » diront généralement nos interlocuteurs, « ils sont tous partis »).

Aussi, le problème se pose très rapidement, dès lors que l’enfant dépasse une année. A partir de deux ans, les chances d’adoption sont décrites comme progressivement et considérablement diminuées. Sensibilisation ?

Le sexe de l’enfant : de façon systématique, les filles sont préférées aux garçons, perceptions souvent non remises en cause (fondamentalement) par les intervenants eux-mêmes.

Une fille se préfère, est douce, docile ; un garçon s’évite parce qu’il est susceptible de provoquer des tensions au sein de sa famille adoptive et d’avoir des problèmes d’adaptation. Généralement, ces perceptions ne sont pas interrogées dans leur sens profond mais tendent à être validées ici et là.

Cependant, en 2008, certaines structures ont eu pour stratégie justement, de pousser à l’adoption de garçons : ‘une stratégie qui marche’, au regard des chiffres obtenus. Une sensibilisation de l’ensemble ?

Enfin le problème, assez souvent évoqué du retour de l’enfant : quels ‘garde fous’ à mettre en place pour éviter de considérer l’enfant comme un objet que ‘l’on peut prendre et jeter à volonté’ ?

4 - Modalités d’octroi de la kafala

Chez la majorité des interlocuteurs, le débat relatif aux modalités d’octroi de la kafala prendra une place importante dans les échanges : dans ces débats tout se mêle, la lenteur des procédures d’inscription de l’enfant, l’enquête de police, le certificat d’abandon, le jugement d’abandon, l’idéologie du juge, sa disposition en faveur de l’abandon, mais aussi et surtout, le défaut de coordination entre les principaux intervenants…Lorsque le circuit est rodé (Casablanca, Marrakech…) la ‘tension’ des intervenants baisse considérablement.

En revanche dès lors qu’il y a un problème à un niveau considéré, le ‘stress de la kafala’ monte et focalise l’attention des responsables : une ‘kafala non réglée’, paralyse à la fois les intervenants sociaux menés à suivre le dossier ici et là, ‘expliquer à l’un, à l’autre’, ‘monter et descendre au tribunal’, et les responsables des structures, menés à faire face au défi de la gestion du ‘flux des entrants’, sans perspective établie pour les sortants.

Ce ‘stress de la kafala’ est d’autant plus important que la majorité des structures sont majoritairement préparées à assurer le transit d’enfants, pendant une période allant jusqu’à un an : au-delà, les problèmes associés à la prise en charge émergent, avec leur coût de fonctionnement dominent.

Ce stress est, comme évoqué plus haut, à la fois interne et externe,

Interne quand il est lié au sein d’un centre d’accueil donné, à la pression exercée par la ‘gestion des flux, entrants/sortants’, par une carence de moyens, et par le souci lié, au maintien de l’enfant en bonne santé ;

Externe quand il est lié aux difficultés, dans une région ou localité donnée, de coordination entre les différents institutionnels menés à gérer l’abandon ou la kafala :

enquêtes de police, avec un retard dans la remise du dépôt du procès verbal, ce qui ne permet pas le déclenchement de la procédure d’affichage d’abandon de l’enfant ; enregistrement de l’enfant à l’Etat, retards de dépôt de dossier liés à la lenteur des différentes enquêtes, ‘police, affaires islamiques, administration’… et enfin, lenteur de la prise de décision du juge, lorsque pour un même enfant, il prend le temps de choisir entre 6 à 10 parents avant de trancher.

Le discours des intervenants sociaux, outre qu’il opère à des distinctions entre les différentes difficultés rencontrées (celles des différentes administrations de celles de ‘la justice’) reste, comparativement au discours de ‘décideurs’ plus mesuré dans cette ‘question de la kafala’. La nécessité de procéder à des contrôles, à tous les niveaux d’intervention est en revanche soulignée : ils évoqueront les ‘dérives’ (trafic et vente d’enfants, corruption) susceptibles de voir le jour en cas de précipitation.

«ce sont des enfants, ce ne sont pas des choses » moi je suis d’accord avec le juge, il faut attendre, pas faire vite, vite… » « les associations, on ne les contrôle pas » « n’importe qui peut faire une association, sans qu’il y ait d’enquête poussée » « ici ils ont arrêté la kafala avec les étrangers ils se sont aperçus qu’il y avait beaucoup d’argent qui circulait »… » « ils se régalent avec les étrangers » « n’importe quel parent peut prendre un enfant, s’il donne de l’argent » « moi je suis d’accord avec la procédure je la trouve normale »….... « il faut avoir plus d’informations sur la personne c’est un problème »

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« moi j’ai pas besoin de peinture vert et bleu, moi j’ai besoin de lait et de couches » ; « moi je veux qu’on m’aide régulièrement, que l’INDH me paye mes salaires ». l’INDH, je ne considère pas que c’est un budget ils ont peint le mur moi si je n’ai pas les moyens je ne peints pas le mur, je préfère lui acheter à manger mais comme eux n’achètent pas le quotidien ni se chargent du personnel… ça c’est passager moi ce que je veux c’est mes salaires » « moi je dépense 31000 dirhams en salaires, si l’indh les prend en charge, je serai l’homme le plus heureux du monde » « on va pas passer le temps à fabriquer des portes …l’INDH, c’est équipement et aménagement, c’est pas le salaire, c’est pas le pain quotidien »…

En revanche, des petites structures qui ont bénéficié notamment, d’un aménagement rendu possible par le biais de l’INDH expriment leur gratitude, et ce d’autant plus que les enfants ont été placés dans des lieux inadaptés au sein de l’hôpital (mêlés aux malades). Par ailleurs l’action de l’INDH est (plus rarement) associée à des ‘tractations politiques’ des élus locaux qui obtiendraient un budget X, et n’en feraient bénéficier que partiellement les demandeurs.

Lors de l’étude de terrain, les aménagements de l’INDH, finalisés ou en cours de finalisation ont été remarqués, ‘ici et là’, et le niveau d’implication perçu comme sensiblement supérieur à celui des ‘autres ‘ institutionnels, (en dehors de la ‘Santé’, impliquée par la ‘force des choses’). Aussi dans le présent, émerge une nouvelle tendance, qui projette un futur où l’INDH, ‘sera’ partenaire essentiel dans la problématique de l’abandon.

Quelles que soient les structures, leur taille, leur effectif et leurs moyens, l’attitude de l’Etat à l’égard de la problématique de l’abandon sera pointée du doigt :

« l’Etat est complètement démissionnaire » « l’Etat est aux abonnés absents » « l’Etat il te dépose l’enfant et il s’en va » « l’Etat doit aider, c’est sa responsabilité… son devoir, c’est dans la convention des droits de l’enfant », « l’Etat nous laisse nous débrouiller avec l’abandon, c’est un scandale » « nous on peut aider mais pas prendre toute la responsabilité » « moi je vous demande une chose, dites-moi où est l’Etat , s’il vous plait, qu’est ce qu’il fait pour ces enfants» « c’est simple, c’est l’abandon de l’abandon, ils sont plusieurs fois abandonnés ces enfants, la société les regarde comme s’ils étaient des parias, l’Etat n’est pas là et nous on mendie chaque jour » « l’Etat il te dit débrouille toi » « il faut que l’Etat nous aide, c’est devenu urgent, la situation est grave, ça doit être l’une des priorités de l’Etat »…

Dans les difficultés ‘externes’ de gestion de la kafala, et

par ailleurs, différentes situations sont possibles :

Liées au statut de l’enfant (parents connus, mères

malades mentales, parents emprisonnés)

Liées à la lourdeur institutionnelle,

Liées à la ‘subjectivité du juge’,

Liées enfin, à l’absence de coordination et/ou de

communication entre acteurs.

5 - Chez l’ensemble des acteurs, un constat redondant : ‘l’autre abandon’ ou la faible implication de l’Etat.

Le débat relatif au fonctionnement des structures, autant

associatives qu’hospitalières, sera majeur dans les

interventions des uns et des autres, des interlocuteurs

rencontrés.

Si l’aide des institutionnels est décrite comme

privilégiant, comparativement, les grandes structures,

tous s’accorderont à identifier ‘l’attitude de l’Etat’

comme elle-même une expression de l’abandon de cette

population vulnérable.

Dans cette aide relative de l’Etat, certaines grandes

structures sont susceptibles de bénéficier de

subventions, de l’Entraide Nationale, de la mairie, de la

commune, du Ministère de la santé (traduite en soins,

mais aussi en personnel et par l’octroi de locaux au sein

des structures hospitalières, maternités et de pédiatrie).

Ces subventions sont susceptibles de varier ici de 10 à

12% pour atteindre exceptionnellement, 20 %.

• Les petites structures en revanche, se décriront,

lorsqu’elles sont dynamiques, comme contraintes au

circuit du relationnel ou de ‘l’informel’, de faire appel à des

connaissances pour solliciter ‘X ou Y’ des institutionnels

pour leur venir en aide. Cette aide est définie elle-même

comme peu substantielle, irrégulière et circonscrite dans

le temps, non contractuelle.

Plus récemment, l’action de l’INDH se fait ‘sentir’,

notamment dans les aménagements. Les positions

des intervenants (grandes structures notamment)

par rapport à ces aménagements, ont été identifiées

comme ambigües : d’une part, identifiées comme des

demandes émanant des structures elles-mêmes, et en

même temps, évoquées comme ne correspondant pas

aux attentes prioritaires.

Page 143: ENFANCE ABANDONNÉE AU MAROC

141

6 - Chez l’ensemble des acteurs, le handicap, un problème majeur

Les enfants porteurs de handicap sont sur représentés en institution : au cours de cette l’étude menée, bien que ne faisant pas à priori partie des objectifs de recherche, un effectif (partiel) de 263 enfants porteurs de handicap ont été recensés. Il est rare, en effet, de ne pas constater l’existence, même dans la plus petite structure, d’enfants handicapés.

Ce problème est évoqué comme d’autant plus dramatique pour les intervenants, qu’aucune structure d’accueil n’est susceptible d’accepter leur prise en charge. (En dehors d’un centre à Casablanca, d’un autre en projet à Layoune, et à Meknès, destinés en premier lieu à l’accueil des ‘handicapés’ généralement en provenance de leur structures). Il y a lieu de signaler que le centre de Meknès a été redéployé en complexe social « Ibtissama » regroupant des services sociaux de proximité suivant le système référentiel intégré et qui assurent le circuit de prise en charge des population cibles.

Ces enfants porteurs de handicaps manquent de soins, nécessitent des prises en charge spécialisées, que les associations ne peuvent que très rarement leur offrir.

Par ailleurs tout se mélange dans le discours des équipes dans l’appellation handicap, sans différentiel entre le handicap lourd, l’infirmité, le handicap léger et le trouble d’une fonction donnée…, avec les impacts possibles et des interférences sur le regard porté par les uns et les autres, sur l’enfant, avec les conséquences d’invalidations préalables, projetées sur lui : ‘un pied bot,’ ’un bec de lièvre’ et ‘un hydrocéphale’ ou ‘un infirme moteur cérébral’, un enfant qui a un retard de langage, un trouble de la parole, ou des difficultés relationnelles, nommé autiste…la liste est longue.

I - Differentiels entre structures d’accueilL’appréhension de la prise en charge de l’abandon, devra tenir compte également des modalités mises en œuvre au sein des structures, soit pour invoquer l’abandon, soit pour le réparer : ces modalités peuvent se révéler différentes, en fonction des structures d’accueil.

Les enfants

Répartis par âges (0 à 12 mois ; 12 mois à 2 ans…) en fonction des structures, des capacités d’accueil et de la taille du local, les enfants sont susceptibles de se trouver réunis dans une même pièce de la grandeur d’une cellule (dans une région du sud trois nourrissons dans un même berceau) et de ne jamais bénéficier de la lumière du jour.

Ici se pose le problème, au sein de certaines structures hospitalières, de l’enfermement des enfants, et de l’absence de stimulation de l’environnement :

Dans ces situations, en dehors des blouses blanches, comme stimuli visuels, en dehors des cris qui émanent des accouchées, des bruits de pas de visiteurs en guise de stimuli auditifs, rien ne figure la normalité, rien n’anticipe le développement harmonieux de l’enfant. Tout est susceptible, à l’inverse, de générer l’angoisse du nourrisson et ce d’autant plus que ‘traditionnellement’ la parole ne s’échange pas avec ‘un petit qui ne comprend rien’.

Les outils :

Certaines structures, en vue de promouvoir leur activité, sont en possession de supports de présentation, avec des références, mentionnant leurs objectifs, leurs moyens et partenariats.

D’autres structures, de petites tailles notamment, associatives ou hospitalières, ne possèderont en revanche, aucun support susceptible de rendre compte de leur activité et de les aider dans leur recherche de financement ou de partenariat.

L’environnement et la vision:

• Certains cadres d’accueil de l’enfant sont apparus, sur le plan de l’organisation, de l’aménagement, du confort, de l’hygiène, des moyens, comme des structures idéales pour son développement.

Quelquefois cependant, certains cadres se percevront comme exclusivement dominés par la forme :

Des locaux flambant neufs ‘mais froids’, des jouets en grande quantité, exposés comme dans une vitrine, cependant inaccessibles à l’enfant auxquels ils se destinent ; des salles de psychomotricité sans personnel spécialisé, des programmes affichés mais démentis par des intervenants du personnel…

Ce confort idéal confronté avec la réalité, ne permettra pas de le voir, par ailleurs, traduit ni dans le regard, ni dans le dynamisme de l’enfant pris en charge.

Page 144: ENFANCE ABANDONNÉE AU MAROC

142

• D’autres cadres, ‘plus modestes’, sont susceptibles, à l’inverse, de ‘mieux’ représenter le bien être de l’enfant : yeux grands ouverts, sourires, dynamisme, bruits, vacarmes d’enfants, ‘hygiène vestimentaire contestable’…et d’autres signes davantage compatibles avec la vie et la normalité.

Ces éléments repérés, - au travers de différentes visites et observations -, doivent nécessairement être appréhendés comme expression des difficultés de nombreuses structures, ‘livrées à elles-mêmes’, sans appui, sans possibilités d’échanges sur les expériences et les pratiques…et amenées à concevoir le meilleur pour l’enfant en fonction de représentations collectives et subjectives.

L’investissement du confort de l’enfant, la présentation de cadres perçus comme idéaux de prise en charge, seront davantage à appréhender comme des signes qui témoignent de l’effort, considérable quelquefois, de certaines structures en vue d’offrir un environnement conforme à la dignité de l’enfant.

L’encadrement

Le problème de l’encadrement sera évoqué comme étant des plus problématiques dans la question de la prise en charge. Comme évoqué, sur les nurses s’exercent souvent toutes sortes de tensions. Présentées assez souvent comme ayant un profil de femmes de ménages, et ‘heureuses d’avoir le statut de nurses’, elles sont, en échange d’une rémunération non respectueuse du droit du travail, menées à exercer un ensemble de fonctions, allant du soin, à l’hygiène des personnes et du cadre, au nursing…

(Sur l’ensemble des structures rencontrées seules trois -quatre ?- rémunèrent leurs nurses conformément au droit du travail).

Les échanges menés avec les nurses, laissent émerger une forte demande de formation pratique, en rapport avec la relation établie avec les nourrissons et bébés, mais aussi en rapport avec leurs ‘entrées et départs’. Les attachements aux uns aux autres, et les deuils successifs à la kafala, les amènent souvent, à être en difficulté par rapport au caractère éphémère de la relation à l’enfant. (Avec un potentiel d’impact en termes d’investissement, sur ‘l’autre enfant’, ‘le suivant’).

Par rapport à l’encadrement, par ailleurs, des structures sont dotées de personnel, aidées par le Ministère de la Santé ou de l’Entraide Nationale, -qui détachent leurs fonctionnaires et dans le cadre de ‘nouvelles dispositions’ de ‘dirigeants’ de structures, détachés par l’Etat-, et d’autres, amenées à assurer la charge de l’ensemble du personnel recruté.

1- Les acteurs et le discours sur l’abandon

Dans un discours général, l’abandon est le plus souvent appréhendé comme étant un problème social ‘compliqué’ , lié aux conditions économiques, éducatives, à l’ignorance, à l’absence d’éducation sexuelle, de prévention, à la naïveté … ‘tellement complexe’, auquel il faudrait apporter ‘des solutions de tous les côtés’, en définitive si ‘enchevêtré’ et inextricable’ qu’il impose une attitude défaitiste.

Les cibles prépondérantes, auteures d’abandon, davantage identifiées et connues des intervenants sociaux, sont les mères célibataires, issues généralement de régions éloignées de leurs lieux d’origine, lesquelles, lorsqu’elles accouchent à l’hôpital, évoquent la peur de la famille, des membres masculins notamment, et contraintes au geste d’abandon.

Les abandons à l’hôpital se décrivent liés aux dispositifs généraux mis en place dans une région donnée, et à l’homogénéité des attitudes des différents acteurs : comportement des forces de l’ordre qui accompagnent les mères, dispositif hospitalier, homogénéité des attitudes des différents intervenants,

Ces attitudes sont décrites comme connues des mères, orientant les unes et les autres, soit vers une structure particulière susceptible des les accueillir ‘sans procès’, soit les mener à l’abandon de rue, encore fréquent et dominant, comme observé lors de l’étude (hors Casablanca, Beni Mellal, Meknès).

• Si l’essentiel des abandons est attribué aux mères célibataires, il est également constaté chez une catégorie habituellement nommée les ‘femmes psychiques’, femmes souffrant de pathologies mentales, menées soit d’elles mêmes à abandonner l’enfant, soit sur décision de justice en cas d’hospitalisation.

• Les abandons sont également possibles lorsque dans le couple, l’un des conjoints, (plus rarement les deux) est incarcéré, menant au placement de l’enfant, sur décision de justice également.

• La prostitution de ‘misère’, affective et financière (non professionnelle) est enfin attribuée d’un potentiel d’abandon d’enfant.

• Certaines mères sont menées cependant à reproduire l‘abandon, sans être attribuées de troubles psychiatriques : une catégorie de mères, non évoquée, en désir d’enfant. Ces mères se mettent de façon inconsciente en condition de maternité et peuvent récidiver. Les unes incompétentes lorsqu’il s’agira d’assumer ce désir, abandonnent l’enfant et d’autres le gardent. Parmi elles, certaines rodées aux techniques de prise en charge :

Page 145: ENFANCE ABANDONNÉE AU MAROC

143

L…est âgée de 28 ans ; lors de sa première grossesse, elle a bénéficié d’une prise en charge à Solidarité féminine qui lui a permis de vivre avec son enfant…une deuxième grossesse la mènera à migrer vers Tanger pour encore une fois ,bénéficier de la prise en charge d’une association de soutien qui lui permet de garder son enfant.

2 - Solutions entrevues par les acteurs

• Structures d’aide et de soutien aux mères célibataires, centres d’écoute, structures d’aide à la réinsertion professionnelle, se décrivent comme étant les solutions les plus acceptables dans une attitude préalable qui évoque le malaise par rapport à l’interdit d’une sexualité hors mariage.

• Avortement : si les équipes médicales et paramédicales se montrent les plus ‘téméraires’ en posant la question de la solution de l’avortement, elles tendent généralement à s’exprimer en privé, dans une attitude qui appréhende le regard de l’autre : si ‘tel médecin’, directeur de région, pourra ‘en aparté’, entrevoir la ‘solution définitive’ en la justifiant ‘haut et fort’, la présence d’une assistante préfectorale, de délégation ou d’un membre du personnel hospitalier, le mène souvent à adopter ‘la casquette officielle’.

Cette attitude est elle même indicatrice du niveau de mobilisation des individus, et de la société, encore insuffisamment préparés à céder à la nécessité du compromis social.

L’avortement comme solution à l’abandon apparaît ainsi plus souvent, malgré quelques ‘défenseurs féroces’, (relativement peu représentatifs de l’ensemble) présenté comme encore inaccessible à cette étape de l’évolution des mentalités. Indirectement, et en dehors de problématiques spécifiques, l’abandon est majoritairement associé aux représentations collectives qui freinent le droit à toute sexualité ‘non opérée dans le champ du consensus’.

• L’inceste et le viol se percevront en revanche, dans un consensus collectif, comme dans le présent, susceptibles d’être intégrés dans le champ de l’exigence d’avortement, avec la clarification des textes de loi, sur ces deux problèmes majeurs.

Synthèse des propositions d’acteurs

Structures pour mères célibataires… ou abandon et kafala

• De fait, dans le discours, l’abandon ne connait dans le présent, comme issue, qu’une solution de compromis qui cadre et trouve solution à l’interdit.

• Les parents qui adoptent, sont le plus souvent présentés comme des personnes en attente et permettant en quelque sorte l’équilibre :

« Dieu a fait des abandonnés et des parents stériles » « Dieu fait bien les choses, il y a des familles qui n’ont pas d’enfants, et d’autres qui ne peuvent pas les élever ».

Au travers du discours des intervenants domine de manière sensible, la perception que les parents adoptifs sont des sauveurs, qui apportent, d’une certaine manière, ‘une réponse équitable’ à la question ‘épineuse de la sexualité en dehors du mariage’.

En même temps ces parents adoptifs, dès lors qu’ils ont permis de concrétiser cet ‘équilibre’ paraissent oubliés par rapport à ce qui pourrait se jouer dans la question, ‘épineuse elle aussi’, de la relation à l’enfant, tenant compte de sa filiation, de son identité, de son adoption. Certaines réponses associatives interpellent le débat:

« Dites lui que sa maman avait beaucoup d’enfants et qu’elle a vu que vous n’en aviez pas…alors elle a décidé de vous faire un cadeau » « dites lui que vous étiez une amie de sa maman et que vous l’avez adopté quand elle est morte » « dites lui que ses parents sont morts » !

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Lutte contre l’abandon

Chapitre 3

La gestion du risquepar les structures associatives dédiees aux mères célibataires

1-L’abandon se constate, se vit, se prévient et se corrige

L’abandon d’enfants, s’il ne peut être éradiqué dans son intégralité, n’est pas non plus une fatalité. Des moyens existent pour réduire considérablement son évolution. Ces moyens nécessitent cependant d’être intégrés dans le cadre d’une réflexion qui vise à le faire fléchir, d’une stratégie spécifique, avec des plans d’actions, des outils, des structures dédiées, des modalités d’actions, et des ressources, humaines, financières. La volonté, la mobilisation collective sont, bien entendu, préliminaires à toute action.

Au Maroc, la principale initiative de lutte contre l’abandon a été la création de structures de mères célibataires. La rencontre avec la ‘population mères célibataires’, a été opérée en deux temps :

Un premier temps où certaines structures sont intervenues depuis les années soixante à des niveaux variés, en offrant des services susceptibles de permettre à la mère de travailler tout en gardant l’enfant. Du fait de la sensibilité et des représentations liées au thème ‘maternité et célibat’, l’essentiel du travail de prévention sera mené dans l’ombre.

• Précurseur en matière de prévention d’abandon d’enfant au Maroc, Terre des hommes notamment, ONG confrontée, au Maroc, à des réalités de terrain, sensibilisée à la problématique, a été la première structure intervenant en faveur de la mère seule. L’association a longtemps œuvré, en offrant des structures adaptées de garde d’enfants, des services de soins associés, à favoriser le travail de la mère, l’encourageant ainsi à assurer des besoins fondamentaux qui lui permettaient de vivre avec l’enfant.

Terre des hommes apporte aujourd’hui encore, assistance

technique à des entités qui ont repris ses projets, et

aide au renforcement institutionnel des associations.

Si la contribution de Terre des hommes reste à l’abri de

la médiatisation, son apport dans ce domaine est jugé

considérable.

• Par ailleurs, la Ligue Marocaine pour la Protection

de l’enfance, d’une autre manière et précédemment,

a œuvré dans le cadre d’une intégration plus globale

visant la relation mère enfant, et favorisant, à un niveau

de représentativité territoriale, tant sur le travail de la

mère, que la garde de l’enfant dès son plus jeune âge,

contribuant ainsi à créer des’ réflexes’ en faveur de la

scolarisation de l’enfant.

Cette intégration globale, si elle ne vise pas directement

la prévention de l’abandon, offre cependant à la mère les

moyens de persévérer dans la continuité de sa relation à

l’enfant, par un soutien à différents niveaux.

Plus tard, la ‘Ligue’ abordera plus directement le volet de

l’abandon et sera menée à réfléchir puis créer en 2001,

une structure spécifique, d’aide aux enfants et mères en

détresse, le centre Basma à Casablanca.

Si le centre Basma a hébergé 15 femmes en 2001, les

données de l’association, indiquent une augmentation

très sensible et progressive de l’effectif des pensionnaires

avec en 2008, un effectif de 104 femmes hébergées, en

cours de grossesse ou accouchées. Au total et depuis

le début de l’activité du centre, 682 bénéficiaires ont

transité par l’association.

Page 147: ENFANCE ABANDONNÉE AU MAROC

145

Le second temps de la gestion de la ‘problématique mères célibataires’, correspondra au tournant à partir duquel le phénomène est nommé, exposé au regard de la société, au moyen notamment, de supports de médiatisation.

• Ce temps correspondra à l’action de Solidarité féminine, qui interviendra en 1985, dans un environnement encore très résistant. Confrontée au départ à la question de l’urgence, l’association s’exercera progressivement à travers la pratique de la ‘population mères célibataires’, à envisager les solutions susceptibles de favoriser le lien mères enfants. L’association se lancera notamment dans des projets d’insertion professionnelle de la mère accouchée, en lui offrant hébergement, garde d’enfant et formation pratique en vue de promouvoir à la fois ses aptitudes à l’emploi, et d’améliorer ses conditions de rémunération.

L’association interviendra par ailleurs, en amont, dans des actions de sensibilisation, et en aval d’intermédiation, de réconciliation familiale, et/ou ‘conjugale’. Entre les deux, le premier contact avec la mère célibataire : écoute, accompagnement juridique, administratif… aujourd’hui sur une année, 1000 femmes sont reçues dont 50% sont mères célibataires.

En 2008, 437 bénéficiaires mères (217) et enfants (220) ont bénéficié d’une prise en charge totale, et ont été intégrés aux programmes de ‘réhabilitation socio économique et crèche’, pour une durée pouvant aller jusqu’à trois ans.

La rencontre avec l’encadrement de l’association, soulignera comme majeure, l’évolution de l’appréhension même, du ‘phénomène mères célibataires’ avec dans le présent, une réflexion sur un ensemble de représentations, qui lui sont associées : l’image et le discours de la ‘faute commise’, reproduite dans un premier temps, en milieu d’accueil ; la question de la prostitution, abordée initialement sous l’angle du délit et de l’infraction au code pénal, la nécessité de formuler un ‘discours politiquement correct’, pouvant sinon pardonner la grossesse, du moins la justifier, au regard de l’autre, ‘par la misère’.

Ce nouveau regard, qui interroge de manière différente les représentations, les référentiels, qui les déconstruit, est attribué en grande partie à un cadre mis en place au sein de l’association, d’accompagnement régulier, avec des discussions, échanges et réflexions sur la pratique. Dans le présent, la différence du discours se décrit, en

Données de Basma : évolution de l’effectif de mères prises en charge

Basma 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

Effectifs 15 65 92 80 101 115 110 104

même temps que le souci de privilégier une gestion qualitative de la problématique ‘mères célibataires’, à une ‘exhibition de résultats chiffrés’.

Aussi, en direction de la mère, une nouvelle relation, de maturité, un nouveau discours, de réalité « tu es adulte, tu fais tes choix ».

A Solidarité féminine, l’on pointe également un différentiel de perception, d’appréhension, de la société civile à l’égard de la population ‘mères célibataires’ :

Un regard différent, plus ‘tolérant’ - attribué notamment aux catégories moyennes et populaires, atteintes par les media- qui se traduira dans le réel par une meilleure réceptivité de la société, à des actions de médiation, de réconciliation familiale et conjugale.

En matière d’abandon d’enfant, l’association est claire dans le contrat qu’elle établit dès le premier contact, avec la mère : intégrer l’association implique, automatiquement, que la mère n’envisage comme issue que la garde de son enfant, avec des exigences liées au déroulement de l’accouchement et à la garde d’enfant

(« tu ne donneras pas un faux nom », « tu ne donneras pas l’enfant »).

Aussi en dehors de situations, relativement exceptionnelles, d’inceste, où l’association ne se prononce pas, une évaluation fournie par l’association est révélatrice :

sur 300 mères prises en charge, 1% d’abandons, après établissement de contrat et accouchement.

• D’autres structures d’aide aux mères en détresse existent à Casablanca : les ‘sœurs de la congrégation de la charité’ -dont l’apport est également jugé, autant par les acteurs que par les utilisatrices, comme qualitativement et quantitativement, ‘assez considérable’ dans la gestion globale de la problématique mère enfant-, interviennent dans le domaine de la lutte contre l’abandon d’enfants.

Ici aussi, la prise en charge est effectuée, lors de la grossesse, et vise en premier lieu, la ‘prévention’ de l’abandon. D’autres services sont offerts à la mère, visant à lui permettre, en définitive, d’assumer la charge de l’enfant dans la durée.

• SOS auparavant ‘spécialisé’ dans la prise en charge de longue durée d’enfants abandonnés, a également investi le ‘champ de la lutte contre l’abandon’, en partenariat

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146

avec des privés (fondation Oum Kaltoum) : SOS reçoit des mères venues spontanément ou en provenance d’autres associations (comme Basma), assure notamment formation professionnelle, garde d’enfant, avec une spécificité, d’aide matérielle : octroi d’une rémunération régulière dans un cadre contractuel, aide au logement, aide en nature, ( couches…). Ici le travail vise ‘l’après accouchement’ afin, essentiellement, d’assurer la garde de l’enfant.

• Aujourd’hui également, le Samu social, association créée en 2005, fruit d’une coopération entre le Samu social international et le Ministère du développement, gagne une place progressive dans le champ global d’intervention de la problématique ‘mères célibataires’, l’un de ses axes d’intervention. A l’égard de cette population, le dispositif comprend un centre d’accueil et d’hébergement d’urgence : si au départ, il s’agissait de recueillir notamment des filles repérées dans la rue qui se découvriront enceintes, (lors de la visite médicale assurée par le centre), aujourd’hui, spontanément, de ‘toutes parts’, des femmes ou jeunes filles enceintes, viennent demander une aide, et recourir, dans le cadre d’une intervention ‘en ambulatoire’, aux services du Samu social.

Par ailleurs à Casablanca, le Samu social devient progressivement un interlocuteur principal des équipes de la maternité de l’hôpital Moulay Youssef situé dans la même zone géographique. En 2004, sur l’ensemble des naissances au sein de l’hôpital, un taux de 2,2% d’enfants nés de mères célibataires et en 2008, de 1,5% des naissances.

Pour le Samu social, le suivi de l’accouchée consistera ici à apporter un soutien de ‘réconfort et de présence’ à travers des visites régulières de l’assistante sociale, mais aussi une assistance matérielle, alimentaire, vestimentaire d’urgence. Après ‘accouchement, les femmes sont orientées vers d’autres structures d’aide aux mères et enfants.

Deux constats1 :

L’ensemble de ces structures de prévention décrites intervient à Casablanca ;

Des actions ciblées, des modalités spécifiques et des niveaux variés de lutte contre l’abandon.

Pour rendre compte d’une action globale, ‘intégrée’ qui vise à repérer en amont le risque l’abandon, (correction et prévention partielle) deux expériences seront évoquées : INSAF et Oum al Banine.

(1) Réduction des effectifs des mères célibataires ou diminution liée au choix majoritaire effectué par celles-ci, de migrer vers le CHU de Casablanca, plus connu mais aussi ‘mieux préparé et largement sensibilisé’?

• I N S A F

L’association Insaf a été créée en 1999 avec l’objectif de réinsérer des mères célibataires en société :

Un premier centre d’hébergement est mis en place, destiné au couple mère/enfant, et la même année, un nouvel objectif est visé, de lutte contre le travail domestique des petites filles. Un centre sera ouvert en 2006, qui concentrera les activités d’hébergement, d’accompagnement médico social et les formations professionnelles destinées aux ‘populations cibles’.

L’association a développé un réseau de partenariats, publics et privés, d’ONG, d’institutionnels, et de compétences, qui lui permettent aujourd’hui de contribuer, aux côtés d’autres acteurs, de manière sensible et en amont, à la correction de l’abandon, à travers un vaste programme. INSAF soutient la mère célibataire à des niveaux d’intervention directe, mais aussi de sensibilisation, de plaidoyer et de prévention.

Chaque année, l’association assure ‘écoute multiple’ et orientation à un effectif de 400 à 500 futures mamans ;

Un travail est effectué en parallèle, de soutien psychologique, pour favoriser les liens, mère enfant, ‘travailler’ sur le sentiment d’exclusion, renforcer le processus décisionnel,

Un travail d’accompagnement juridique et administratif est assuré (registre d’état civil, CIN, nom de la mère…) avec un soutien à différents niveaux de prise en charge, financière, administrative…

L’association offre en outre l’hébergement, aux mères ou aux femmes en situation de grossesse (dans le présent, à partir du sixième mois pour gérer davantage le risque d’abandon), des possibilités de réinsertion professionnelle à travers une formation, la garde de l’enfant en crèche, et dans la mesure du possible, dans un processus de réintégration familiale en initiant des contacts, à la fois avec le père biologique de l’enfant, et la famille de la mère.

De nombreux services complémentaires sont offerts aux mamans : sensibilisation, au droit, à la santé, éducation sanitaire, dépistage de maladies, soins et suivi médical ‘du couple mère enfant’.

INSAF contribue enfin, à a gestion du ‘passage délicat’ d’une vie protégée vers l’autonomie de la mère, en l’accompagnant dans la recherche d’emploi, la négociation des conditions de rémunération respectueuses du droit du travail, afin de lui permettre de vivre dans la dignité.

Cet accompagnement des bénéficiaires se retrouve, au niveau du logement, des frais de fonctionnement du nouveau foyer, où l’association participe financièrement ‘jusqu’au bout’ pour soutenir la mère. Mère et enfant sont suivis pendant une période de deux années, bénéficiant encore pendant cette période, de certains services.

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Quelques indicateurs des réalisationsde l’association

En huit années de pratique, Insaf a procédé :

• A l’accueil, l’écoute et l’orientation de 4078 femmes.

Chaque année le nombre des femmes est en évolution : aussi en 2008, cet effectif s’élève à 779 mamans.

• A 1515 enregistrements à l’état civil

• A l’hébergement, dans le foyer de l’association, de 756 mamans avec leurs bébés ;

• A la formation professionnelle de 776 mamans ;

• A la réinsertion familiale de 247 mamans en compagnie de leurs bébés ;

• A l’insertion professionnelle de 188 mamans ;

• A la reconnaissance par le père de 181 enfants :

• A 73 mariages de mamans, au père de l’enfant…

Indicateurs des typologies sociologiques de mères, en 2008

Proximité des profils socio économiques, mères ‘abandonnantes’, ‘mères célibataires’.

Les données d’INSAF, relatives aux 778 mères rencontrées au cours de l’année 2008, rendent compte de variables dominantes, indicatrices de leur âge,

appartenances, économique, sociale, professionnelle et de statut. Ces données sont apparues intéressantes dans la mesure où, croisées avec les informations relatives aux ‘mères de l’abandon’, elles renseignent sur la similarité des configurations sociales et socio économiques, notamment. Ces mères sont le plus souvent célibataires, analphabètes ou ayant un niveau d’enseignement primaire, femmes de ménage ou ouvrières, et leur état de grossesse décrit généralement comme ‘conséquent’ à une promesse de mariage.

Contrairement aux divers propos entendus lors de l’étude et relatifs au ‘changement de populations de mères célibataires’, les données ci- dessous confrontées à celles de 2002 (‘étude mères célibataires’) rendent compte d’une similarité de typologies : mêmes arguments pour rendre compte de la grossesse, même tranches d’âge à risque, mêmes statuts professionnels… ici cependant, les données statistiques n’opéreront pas à une distinction majeure du statut professionnel entre ‘l’avant et l’après’.

En tout état de cause, en termes de configurations sociale, et économique, le profil de l’abandon se devine ici.

Statut : mère célibataire, dominanant

Célibataire Célibataire avec enfants

Mariée Divorcée Veuve NC

Total 778

Age : 21 - 30 ans dominant

Total 778

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15-18 ans

21-30ans

31-40ans

41-50ans

plus de 50ans

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Niveau d’éducation : analphabète, éducation primaire, dominants

Motifs attribués à l’état de grossesse : promesses de mariage non tenues

Statut Socio professionnel : femme de ménage, sans emploi ou ouvrière, dominant

Total 778

Total 778

Total 778

Primaire

Promesse de mariage

Femme de ménage

Ouvrière Sans Etudiante Prostituée Autre NC

Prostitution Concubinage Relation ameureuse

Relation passagére

Viol Inceste NC

Secondaire Universitaire Sans NC

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Au-delà des chiffres, le discours,

Les mères sont décrites pour la grande majorité d’entre elles, comme projetant dans une première étape, de connaissance de leur état, d’abandonner l’enfant.

• Les priorités de prise en charge des 400 à 500 mères célibataires, conçoivent des critères de sélection des candidates à l’hébergement : priorité aux femmes sans ressources, coupées de leur foyer, sans logement, issues du rural, ce qui partiellement, enseigne sur la proportion significative des femmes de ménage.

• La prise en charge précoce (6ème au lieu du 8ème mois) avec des impacts observés sur le différentiel filles garçons.

« Quand il s’agit de fille par exemple toutes les femmes qui veulent abandonner…quand elles sont enceintes, vont faire l’échographie avec bien sur l’aide de la famille qui va adopter éventuellement le bébé… et après quand ils s’aperçoivent que c’est un garçon, ils l’abandonnent…

« Quand on a commencé à prendre en charge les femmes enceintes à partir du 6eme mois de grossesse… à la crèche il y a autant de filles que de garçons… à un certain moment en 2006 et 2005… il n’y avait que des garçons… on avait une, deux filles… »

Les risques d’abandon : les périodes à haut potentiel

Des étapes déterminantes au travers de la synthèse des discours : la connaissance de l’état de grossesse, l’accouchement, l’âge de 2 à 3 ans.

• Le risque d’abandon à l’accouchement, cette volonté d’abandon est décrite comme encouragée par les visiteurs au sein de l’hôpital : les représentations, les discours des uns |maskina] (la pauvre), et les propositions des autres (comment vas-tu faire ? je connais une voisine…). Au sein de l’hôpital certains, parfois les mêmes, d’autres fois en groupes, sont décrits comme venus spécialement pour prospecter les mères célibataires… ces propos recueillis auprès de Insaf, confortent le discours entendu par ailleurs au niveau d’autres intervenants rencontrés lors de cette étude. Par ailleurs, la complicité visible du personnel hospitalier, est décrite comme sensiblement plus réduite, mais l’intermédiation, encore possible, par une série d’acteurs : femmes de ménage, gardiens, infirmières.

« Ils ont peur mais ils essayent toujours de détourner… de faire les choses par exemple autrement… maintenant ils attendent la maman à la sortie de l’hôpital parce qu’avec l’intervention d’INSAF on appelle la police les autorités »

Au sein de structures hospitalières, la gestion de la problématique ‘mères célibataires’ est décrite comme inégale, (information également corroborée lors de l’étude) : si au CHU la formalisation de conventions avec l’association, permet une bonne coordination entre les différents intervenants, d’autres maternités semblent encore relativement peu sensibilisées, et par conséquent, plus enclines à favoriser d’une manière directe ou indirecte, l’abandon, des filles notamment, et les mères, plus ou moins considérées comme des prostituées, (mais également, sources de problèmes dans la mesure où les maternités sont ‘investies’ par des agents d’autorité). Ici, la solidarité du réseau d’intermédiation se décrit comme puissante, ‘unie’ et étanche, en faveur d’une ‘seule et même cause’.

« Il y a un autre phénomène c’est qu’il y a dans certaines hôpitaux… h… quand elle y va, en général, elle va vers la major de service pour lui dire : montrez moi les mères célibataires qui viennent d’arriver aujourd’hui, parce qu’elle ne peut pas savoir ce qu’il y a dans une salle… mais des fois quand il y a une femme qui a une fille on le lui cache on ne lui dit pas que ça c’est une mère célibataire qui a accouché »

« dans l’hôpital par exemple quand la femme accouche d’une fille on la menace : tiens, il y a une association qui arrive, fais attention ils vont prendre le bébé, c’est mieux de l’abandonner maintenant …vite…quand il s’agit d’une fille, vite…ça s’agite »…« je sais qu’il y a beaucoup d’enjeux autour de l’abandon… là- bas, les infirmières, les visiteurs, on le sent dès qu’on arrive qu’on n’est pas les bienvenues »

Ce discours a été corroboré (Casablanca) dans la rencontre avec certains éléments du corps hospitalier, hors CHU : des infirmières, sages femmes, rencontrées, se montreront suspicieuses, sur la défensive, tout au long des entrevues réalisées, procédant cependant à des lapsus très révélateurs comme

« Elles -les mères- viennent nous voir après et faire un scandale » ou « il faut faire très attention, la mère peut venir après et te faire un souk » « …c’est pas comme avant tu pouvais aider la mère, l’orienter, faire des contacts…une hassana » !)

Afin de confronter les discours relatifs, à l’informel des contacts ont été initiés par la consultante au moyen d’intermédiations (ville de Casablanca). Une famille qui ‘abrite les mères célibataires’ a été visitée ; une ‘clinique’ tenue par une sage femme, ‘spécialisée’ dans l’avortement et l’intermédiation d’adoption ; une ‘semsara et un semsar’.

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A proximité d’un centre d’accueil, un ‘semsar’ (courtier) rode dans les parages, ‘faisant les cent pas’, attendant l’aubaine d’une mère célibataire.

Il sera contacté par la consultante ‘à des fins d’adoption pour une parente très proche’, ‘sans enfant et désespérée’ pour laquelle ‘elle prospecte’: au premier abord, étonnement, grande méfiance, demande ‘le pourquoi, le comment’, se renseigne sur le ‘contact du contact’…

Ensuite l’appât du gain se confirmera, l’emportant sur la prudence : « une fille ou un garçon ? » (Non une fille… et s’il vous plaît, je ne conteste pas la forme des créatures de Dieu, mais j’aimerai autant que possible qu’elle nous ressemble)…il se touche le front, réfléchit devant la difficulté de la mission, puis lance un « je vais voir ce que je peux faire, il faut que je vois la mère…elle habite où » ? (Un quartier chic de la ville)… « Laissez-moi votre numéro de téléphone et le sien…je vais voir, vous me demandez de chercher un poisson dans la mer » !

• Le risque d’abandon à l’âge de 2/3 ans : ici le risque perçu est d’autant plus élevé que la mère est sans emploi, exclue de son milieu familial et affectif.

L’enfant-placé chez la nourrice ou vivant avec sa mère- se conçoit comme un frein, avec, à partir de deux ans, un autre type d’exigence, de surveillance ou de scolarisation, de soins… d’autant plus difficiles à réaliser que la prise en charge associative se réduit pour se limiter à des actions ponctuelles. Aussi quelquefois, malgré la volonté de la mère, l’abandon de l’enfant à l’âge de 2/3 ans, semble tenir à ‘un fil’ : la présence d’une crèche gratuite, (La ligue, souvent citée par les associations dans ce contexte d’aide à la scolarisation de l’enfant) à proximité du logement, peut se révéler cruciale, à un moment donné.

Ces différents aspects évoqués rendent compte de l’importance de l’action de dépistage, dans la lutte contre l’abandon au sein des structures, tant associatives qu’hospitalières.

Dans la mesure où ses assistantes sociales se déplacent dans les centres d’accouchement, Insaf est perçue par les acteurs, comme ‘attribuée d’une plus value’, en matière de lutte contre l’abandon.

Ce rôle assuré par l’association met en évidence la pluralité des actions susceptibles de prévenir l’abandon : l’écoute et l’accompagnement des femmes à plusieurs niveaux (administratif, juridique, psychologique), le soutien et le réconfort, mais aussi un travail visant à modifier les perceptions de la mère et la mener à ses mobiliser en faveur de la vie avec l’enfant.

• L’abandon d’enfants

Ici aussi, l’abandon d’enfants, n’est toléré ou favorisé par l’association, que dans des situations extrêmes,

de pathologie psychiatrique de la mère, ou encore d’inceste avéré.

L’accompagnement de la mère, dans la durée, permet parallèlement d’évaluer le risque d’abandon d’enfant.

Le rejet de l’enfant, est fortement associé à des raisons subjectives et individuelles. Deux mères de même âge, issues de milieux similaires, avec des conditions sociales équivalentes, réagiront de manière différentielle en fonction de leurs vécus :

L’une oublie dès la naissance son projet d’abandon ; l’autre, plus vulnérable, formule directement son rejet, ou le manifeste par de la maltraitance.

L’abandon de contrainte, majoritaire. Il est lié exclusivement à la pression familiale et sociale :

Dans ces cas, la mère abandonne l’enfant en vue de se faire pardonner pour la ‘faute commise’. La mère est ici devant un dilemme : abandonner ou être abandonnée.

Pour cette catégorie de mères, l’intermédiation auprès du milieu d’origine, la réconciliation familiale, mais aussi la médiation avec le père présumé de l’enfant, sont décrits comme étant des facteurs clés de réussite.

Les reconnaissances de paternités ont néanmoins connu une évolution sensible :

En 2008, sur 500 mamans célibataires accompagnées à un niveau juridique, il y a eu 113 reconnaissances de paternité.

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• Oum Al Banine1

En amont, dans la région et jusqu’à 2000, Terre des hommes, a œuvré en faveur de la prévention de l’abandon. INSAF prendra la relève pendant deux années, au terme desquelles elle se retire. Ces deux associations ‘reviendront sous une autre forme’, en soutenant une nouvelle association du Souss, Oum Al Banine, créée dans la ville d’Agadir, pour venir en aide aux mères et enfants en détresse.

Aujourd’hui avec un effectif de 13 salariés, Oum Al banine gère une crèche et un foyer d’hébergement destiné aux mères et à leurs enfants, dans l’objectif premier de lutter contre l’abandon d’enfants.

Des modalités multiples de soutien et d’accompagnement sont mises en œuvre, d’assistance de mères en détresse, d’aide à la réinsertion professionnelle et familiale, de sensibilisation.

Dans le quotidien de ses activités, l’association

Apporte accueil, écoute, soutien psychologique, appui médical, juridique et administratif ;

Héberge les mères, leur apporte aide financière et matérielle, leur offre, sensibilisation, formation professionnelle accélérée, et accompagnement pour une recherche d’emploi ;

Procède au suivi des enfants pendant une durée de deux années, garde au sein de la crèche ou par l’intermédiaire de nourrices agrées par l’association ;

Par ailleurs, à l’égard des mères célibataires, mais aussi de la population, avec l’appui de Global Rights, Oum Al Banine procède à l’alphabétisation juridique de femmes et de jeunes filles à risque : sensibilisation au droit, prévention de l’infanticide, démarches administratives et juridiques.

Indicateurs des réalisations de l’1association

Au total, sur une période allant de 2001 à 2008, les données de l’association indiquent une évolution de l’ensemble des actions de soutien et d’accompagnement des mères :

(1) Association du Souss pour la solidarité avec les mères et enfants en détresse. Agadir. Région de Souss Massa Darâa

Evolution de l’effectif des mères prises en charges de 75 en 2001, à 102 en 2008 ;

Augmentation sensible des ‘mères de passage’ de 35 à 141 ;

Multiplication par deux du nombre d’enfants au sein de la crèche ;

Multiplication par 8 de l’effectif des actions de réconciliation ;

Le discours de l’association laisse entrevoir les éléments d’une dynamique associative, gérée avec des outils professionnels, dotée de ressources humaines qualifiées et rémunérées, mobilisée en faveur d’une évolution future et d’une amélioration de ses prestations.

Dans son programme d’action, Oum Al Banine ambitionne, dans la question de prévention de l’abandon, de prolonger la durée de la prise en charge des enfants à 4 ans. Ici aussi, au travers de la pratique, la prise en charge de l’enfant jusqu’à l’âge de deux ans a été considérée comme insuffisante.

La troisième phase critique, évaluée à l’âge de 5-6 ans -scolarisation- signe véritablement la sortie du risque d’abandon. Au-delà de cette étape, l’enfant, scolarisé, a comparativement plus de moyens de défendre le droit à sa mère, mais aussi a ancré une relation suffisante à sa mère pour que le problème de l’abandon ne se pose plus, sauf ‘cas’ exceptionnels’.

La mise en place par La LMPE, de structures dédiées à promouvoir la scolarisation de l’enfant, est encore une fois, soulignée : la gratuité offerte aux populations démunies, la présence de crèches, les services associés (repas du midi, goûters, aide alimentaire à la mère) souligneront là aussi, la nécessité de mener des actions conjointes en vue de réussir la stratégie de prévention.

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Synthèse : avancées, besoins identifiés, en matière de lutte contre l’abandon

L’étude menée auprès des structures en charge de la lutte contre l’abandon indique une évolution sensible du travail de prise en charge, mais aussi des défis à relever.

L’étude menée pointe en effet,

• L’importance de la stratégie de lutte contre l’abandon au travers de résultats tangibles.

• L’importance d’une action de dépistage, effectuée en amont, au sein des structures hospitalières.

• La difficulté de prise en charge d’une population qui le plus souvent, cumule les facteurs de vulnérabilité, avec la nécessité, à la fois de conjuguer les actions, et de les entreprendre dans la durée.

• Les risques d’abandon majoritaires à la grossesse, à l’accouchement, à l’âge de 2/3 ans, plus rarement à l’âge de 5 ans.

• Le poids puissant des représentations collectives, son impact psychologique sur les ‘mères en faute’, sur l’éducation de l’enfant, et les projections d’avenir de la mère célibataire.

• L’importance considérable du besoin d’intégration familiale, son impact sur l’ensemble du projet de lutte contre l’abandon.

Elle identifie également, des attentes majoritaires,

• Une implication sensible de l’Etat en matière de lutte contre l’abandon, quantitative et qualitative ;

• Une multiplication des structures d’aide aux mères en détresse ;

• Une aide au fonctionnement des structures en place ;

• Un déploiement de structures dans les régions pour ‘corriger les inégalités’ et mieux lutter contre l’abandon.

Mais aussi, à l’analyse de l’ensemble des résultats d’étude,

• La nécessité d’une plus grande coordination des structures impliquées, avec des transferts, de savoir faire, de réflexions, et d’expériences ;

• Une cohésion des acteurs, avec une homogénéisation des procédures et des approches,

• La nécessité de tenir compte des évolutions sociales et des populations mères célibataires ;

• La nécessité d’appréhender un type de prise en charge non exclusivement basé sur la quantification des actions.

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Conclusions, Recommandations

L’abandon d’enfants,

• Obéit à des contingences psychologiques, liées aux histoires d’individus ;

• Obéit à des contingences socio religieuses liées aux interdits qui censurent les individus, les femmes en particulier, dans leur rapport au sexuel et les rendent coupables ;

• Obéit à des contingences sociales, familiales et économiques, liées aux moyens des individus et aux possibilités qui leur sont offertes au sein de leur environnement d’origine ;

• Obéit à des contingences éducatives, liées aux outils à disposition des individus pour le prévenir en adoptant des attitudes appropriées

• Obéit à des contingences géographiques associées à la fois aux comportements des individus en matière de sexualité dans un lieu donné, (possibilités de rencontres mais aussi de prévention) et aux possibilités offertes à travers les structures offertes ‘pour abandonner’.

• Obéit aux poids des représentations qui discriminent filles et garçons et fournissent aux contingences de l’informel et du trafic, des filles en particulier, la possibilité de s’exprimer et de se déployer de façon croissante, dans la régularité, en dehors de la légalité.

Il se combat en profondeur et en tant que phénomène, au moyen,

• De la déconstruction de schèmes de représentations hostiles à l’équilibre des relations hommes/femmes ; femmes/hommes,

• De la culture du droit et de l’égalité,

•De la lutte contre les discriminations hommes/femmes, femmes/hommes,

• De l’éducation des femmes et des hommes,

• De l’éducation sexuelle des femmes et des hommes,

• De la sensibilisation de l’ensemble et des ‘populations à risque’,

• De la communication,

• De la dénonciation des pratiques informelles.

Il se corrige au moyen d’une stratégie qui vise à maintenir dans la mesure du possible, le lien mère enfant conformément à la Convention de la Haye.

• Par l’écoute, l’orientation et l’accompagnement de futures mères,

• Par l’insertion économique et familiale des mères,

• Par la mise en place de structures d’hébergement mères enfants,

• Par la généralisation de la politique à l’ensemble du territoire,

• Par la mise en place de cellules de soutien des jeunes,

• Par l’intégration des pères, dans la logique de prise en charge de l’enfant,

• Il se corrige aussi par la kafala de l’enfant.

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Analyse swot du phénoméne de l’abandon

1- Analyse interne : abandon, une double identité formelle et informelle

Forces Faiblesses

• Phénomène global

Reflet réel des paradoxes de la société.

Malaise général à l’évoquer,

Soutenu par l’interdit sexuel hors mariage,

Soutenu par les représentations collectives de la faute (enfant ‘hrami’),

Soutenu par les représentations hommes/femmes,

Soutenu par toutes les formes de vulnérabilité qui impactent sur la construction de la personnalité : la violence domestique, les carences affectives, les histoires d’abandon vécues, les troubles psychiatriques,

Renforcé par les facteurs de vulnérabilité liés à l’environnement : conditions socio économiques, niveaux d’éducation, scolaire et sexuelle, délinquance.

• Abandon informel

Tout puissant, ‘sauvage’, fonctionne en dehors des lois, institutionnelles, sociales et religieuses,

Non identifiable, échappe aux individus, ‘marche’ dans l’ombre,

Logique de croissance haussière non contrôlable dans le présent,

Lucratif avec des enjeux financiers,

Des professionnels qui le gèrent,

Des ‘free lance’ qui le soutiennent,

Saisit toutes les opportunités et les opportunismes, avec des complicités à ‘tous les niveaux’,

Soutenu par une politique de prévention insuffisante,

Soutenu par une certaine complaisance liée à la tradition et aux compromis sociaux,

Procédures insuffisantes pour le contrôler,

Absence de stratégie destinée à le combattre.

Contraint à se dissimuler pour exercer

Manifestation aléatoire au profit de l’informel et de la discrimination filles garçons.

Processus de traçabilité déficitaire,Traçabilité relative, faible dans les provinces,

• Abandon Formel

Choisit ses cibles, discrimine les filles et les garçons,

Choisit de s’exprimer de façon aléatoire,

Complice de l’informel, s’exprime quand il ‘veut, où il veut’,

De manière dominante, choisit la rue pour se manifester,

Est alimenté par la peur,

S’appuie sur des complicités féminines.

Faible niveau de prévention

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1-1-Analyse externe du Phénomène de l’abandon

Menaces Opportunites

• Abandon, phénomène global

L’évolution du droit,

L’évolution du droit des femmes,

L’évolution des mentalités,

La structuration en cours du secteur,

(L’intérêt des commanditaires de cette étude).

• Abandon informel

Visibilité du formel

• Abandon formel

Solidarité sociale puissante qui lutte pour le transformer en adoption,

Mobilisation élevée d’acteurs associatifs

Potentiel de correction par la kafala,

Potentiel élevé de correction par les structures d’accueil aux mères célibataires,

Identification et visibilité en cours,

Traçabilité en cours.

L’attitude des institutionnels en matière de dénonciation,

en matière de restriction de l’information, d’accès à

l’information et de transparence.

L’environnement, culturel, social, juridique.

Le paradoxe sociétal en matière de gestion des

relations sexuelles : dissimulation et culpabilité.

Les contraintes morales exercées sur les femmes,

Les violences à l’encontre des femmes,

La violence des représentations à l’encontre des

hommes,

Les contraintes de statut qui pèsent sur les hommes.

Sa politique d’incitation de la discrimination filles

garçons : avec un écart qui se creuse de plus en plus

et lui permet de faire des prévisions d’avenir,

Sa complicité avec l’informel avec le choix d’une

politique qui segmente le marché : laissant la cible

féminine à l’informel.

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2 - Analyse Swot des acteurs de la prise en charge

2-1- Analyse interne

Forces Faiblesses

• Secteur associatif

Très forte mobilisation des acteurs : énergie, temps, moyens,

Bénévolat et solidarités individuelles,

Implication sensible du secteur privé,

Déploiement des structures d’accueil de l’enfant,

Actions positives sur la visibilité de l’abandon,

Lutte contre l’institutionnalisation de l’abandon,

Efforts soutenus pour transformer l’abandon en kafala,

Efforts en vue d’organiser les données d’identification de l’abandon,

Efforts de sensibilisation des acteurs institutionnels,

Des structures fortement impliquées dans l’action de plaidoyer (LMPDE)

Une représentation géographique dans les grandes villes,

Lutte contre la mortalité de l’enfant

Lutte contre les discriminations filles garçons

• Prise en charge

Amélioration des conditions et de l’environnement d’accueil,

Progrès sensibles de prise en charge : santé, entretien, hygiène, scolarisation de l’enfant de 2 ans (apports LMPDE),

Parents en forte demande de kafala,

Accueil et prise en charge de l’enfant dans la durée,

Création de structures dédiées à la prise en charge de l’enfant de plus de six ans (LMPDE)

Existence de structures constituées sur le modèle de la famille (SOS, LMPDE).

• Santé

Forte implication en matière de gestion de l’abandon : accueil, soins, prise en charge

Structures d’accueil au sein des hôpitaux de provinces ;

Mobilisation d’acteurs en vue de favoriser la prise en charge de l’enfant,

• Secteur associatif

Insuffisance de moyens financiers,

Insuffisance de moyens, d’outils et d’encadrement ;

Données et paramètres de l’abandon, hétérogènes, partielles, discontinues ;

Une représentation géographique dans les provinces, limitée ;

Déficit de coordination des actions de la prise en charge ;

Déficit de communication entre acteurs : relations dominées par des considérations subjectives ;

Différentiel en matière de soutien en provenance des institutionnels ;

Prises en charge le plus souvent guidées par l’affect et ‘l’intuition’ des acteurs ;

Absence de réflexion sur les pratiques de prise en charge, remise en cause difficile ;

• Prise en charge

Alimentaire et sanitaire maîtrisée mais précaire ;

Gestion autoritaire de l’encadrement, dominante ;

Rémunération de l’encadrement majoritairement insuffisante, non conforme au droit du travail ;

Stress de la kafala : impact sur le type de prise en charge ; risques sur les moyen et long termes ;

Absence de réflexion sur les problèmes potentiels et consécutifs à la kafala d’enfants ;

Enfants de plus de six ans non adoptés et transférés dans les maisons de bienfaisance: potentiel très fort de souffrance et de déviances ;

Taux de handicap très élevé ;

Existence d’intermédiations en faveur de l’informel ;

• Santé

Quelques structures menaçantes pour l’évolution de l’enfant, non conformes au droit de l’enfant.

Un milieu généralement hostile au développement de l’enfant,

Risque sanitaire et psychologique,

Implication forcée et perception dominante de contrainte : impacts sur la prise en charge de l’enfant.

En l’absence de soutien associatif, le type de prise en charge dominant vise le respect de normes essentiellement sanitaires.

E x i s t e n c e d ’ i n t e r m é d i a t i o n s e n f a v e u rde l’informel.

Très forte implication des intervenants sociaux et équipes opérationnelles en faveur de l’enfant,

Contribution notable à la diminution de la mortalité de l’enfant,

Etablissement de partenariats avec le secteur associatif ;

Amélioration sensible des procédures d’accueil et des attitudes à l’égard des mères célibataires (grandes villes) ;

Cellules d’accueil violence : orientation des mères célibataires et impacts

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2-2 - Analyse externe du secteur de la prise en charge

Menaces Opportunités

• La tendance haussière de l’abandon,

• L’institutionnalisation des structures,

• Des risques accrus d’inadaptation entre l’offre et les besoins,

• Le handicap,

• L’insuffisance de données et de paramètres d’identification,

• Les ‘conflits d’acteurs’ : pas de consensus ; en faveur du désordre et de la confusion.

• La précarité.

• Les impacts sur des phénomènes de société : violence, délinquance, abandon, exclusion, vulnérabilité sociale et économique.

Aucune dans le présent, mais

Un plaidoyer est susceptible de bénéficier à une meilleure maîtrise de la problématique globale

Système d’information.

Lois.

Financement et implication de l’Etat.

Coordination des acteurs.

Prise en charge.

La gestion du projet par un institutionnel impliqué de façon concrète.

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158

3 - Analyse interne d’acteurs institutionnels

Forces Faiblesses

• Justice

Mobilisation en cours en faveur du respect du droit de l’enfant ; discours qui évoque l’intérêt supérieur de l’enfant

Progrès sensibles en vue d’une organisation de l’information au niveau des tribunaux de la famille,

Données disponibles, les plus représentatives de l’abandon formel ;

Confiance croissante des mères célibataires dans la justice : abandon direct pour kafala, tanazzoul ;

• INDH

Vision projets, avec indicateurs de performance

Dynamisme et implication en faveur des populations vulnérables

Projets nombreux de construction des structures dédiées à l’accueil et à la prise en charge ;

Participation active à l’aménagement de structures d’accueil dans l’ensemble du territoire

Interventions dans des régions enclavées, à fort besoin

Aide financière occasionnelle,

• Ministère du développement, de la famille et de la solidarité

Chef de projet dans la mise en place du PANE;

Supervise l’Entraide Nationale

• Justice

Des attitudes évoquées, au niveau des tribunaux, de non respect des procédures de loi

Resistances d’individus, représentations subjectives

Défaut de synthèse et d’analyse en matière de données relatives à l’abandon,

Dans certaines régions définitions de l’abandon d’enfants qui intègrent les enfants des rues et les populations vulnérables : impacts sur les données.

Une coordination souvent liée à des affinités relationnelles ;

Retards dans le traitement des dossiers de kafalas,

Très faible niveau de suivi des parents kafil

Resistances de certains juges : défavorables aux femmes célibataires ; aux étrangers ; impacts sur kafala

• INDH

Tendance à favoriser la construction de grandes structures, ‘de luxe’ ;

Taille des structures en faveur du risque de l’institutionnalisation de l’abandon.

Offre quelquefois perçue comme inadaptée.

Offre quelquefois perçue comme bénéficiant à certains acteurs au détriment d’autres acteurs.

• Ministère du développement, de la famille et de la solidarité

Un niveau d’implication insuffisant, décrié par les acteurs.

Offres insuffisantes en matière d’encadrement, à défaut de statut des travailleurs sociaux

Aide insuffisante majoritairement attribuée aux institutions de bienfaisance ;

Aide minime en direction des structures d’accueil des moins de 6 ans.

Page 161: ENFANCE ABANDONNÉE AU MAROC

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RecommandationsDes priorités et des urgences

1 - L’engagement moral et financier de l’état,

2 - Formalisation du processus d’identification de l’abandon d’enfants,

3 - Retrait de l’enfant des structures hospitalières,

4 - Coordination de l’ensemble des acteurs,

5 - Lutte contre l’abandon, axe correction,

6 - Lutte contre l’abandon, axe prévention,

7 - Gestion du handicap.

Pour un plaidoyer en faveur du droit supérieur de l’enfant, favorable,

En premier lieu, au droit à sa famille naturelle,

En second lieu, à sa kafala par une famille d’adoption,

En troisième lieu, à son intégration en famille d’accueil,

En dernier lieu, à son placement dans des structures d’accueil adaptées à son développement global, calquées sur le modèle de la famille.

1 - L’engagement financier et moralde l’état,

Aide conséquente au fonctionnement des structures d’accueil de l’enfant,

Déploiement de structures à ‘taille humaine’ dans les régions,

Déploiement de structures calquées sur le modèle de la famille,

Soutien et aide au fonctionnement des programmes de correction,

Soutien et aide aux programmes de prévention,

Déploiement de structures dédiées à la prise en charge mères enfants,

Déploiement de cellules d’écoutes dédiées aux jeunes.

2 - Formalisation du processus d’identification de l’abandon d’enfants,

Un système d’information ‘verrouillé’ qui trace sur le long terme, l’itinéraire de l’enfant depuis son recueil par les forces de l’ordre, et procède à son suivi chez l’ensemble des acteurs (santé, structure d’accueil, justice, kafala…),

Des paramètres d’identification intégrés par l’ensemble des acteurs avec une homogénéisation des définitions,Une formation des acteurs,

Une cellule spécialisée, qui centralise l’information, procède à l’analyse de l’abandon et communique ses résultats annuels à l’ensemble des acteurs.

3 - Retrait de l’enfant des structures hospitalières,

Des unités d’accueil à proximité de ‘la santé’,

Préparer le retrait progressif de l’enfant ‘hospitalisé’,

S’adosser sur les structures associatives existantes ‘soutenues par l’Etat’.

4 - Coordination de l’ensemble des acteurs,

Entre acteurs de la prise en charge associative et hospitalière : cohésion du discours, des attentes, consensus et propositions d’actions majoritaires,

Entre acteurs de la prise en charge institutionnelle : cohésion du discours, consensus et suggestion d’actions majoritaires,

Passerelles de collaboration entre les acteurs, de la prise en charge et de l’Etat.

5 - Lutte contre l’abandon, axe correction,

Aide au fonctionnement des structures,

Déploiement de centres spécialisés d’accompagnement et d’hébergement ‘mères enfants’,

Accompagnement de la mère célibataire, en matière de réinsertion socio professionnelle et familiale,

Cohésion des acteurs pour homogénéiser les discours, les pratiques et les actions,

Passerelles de discussion et d’échanges sur les savoirs faire,

Renforcement des programmes de la LMPE en matière de scolarisation,

Communication grand public et sensibilisation de populations : média, radio et télévision (débats, documentaires, informations).

6 - Lutte contre l’abandon, axe prévention,

Education sexuelle en milieu scolaire,

Cellules d’accueil en milieu scolaire,

Sensibilisation en milieu étudiant : campagnes de prévention, média,

Contraception : campagnes de sensibilisation, catégories à risque,

Travail sur les impacts des représentations associées aux genres, féminins, masculins,

Coordination des actions, des acteurs de la correction et des acteurs de la prévention.

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7 - Gestion du handicap chez l’enfance abandonnée.

Mise à disposition des structures en charge de l’abandon, de personnel spécialisé, d’équipement et de subventions supplémentaires, en vue de favoriser le bien-être de l’enfant,

Nécessité de déployer des structures spécialisées en faveur des populations à besoins spécifiques : lieux de vie, moyens, outils, plans d’actions, ressources humaines.

Pistes de réflexion, actionsLa Loi

Renforcer l’enfance abandonnée dans les textes

de loi :

Kafala

Protéger l’enfant : inciter le parent adoptif en faveur du tanzil,

Âge de déchéance de la kafala, (à reconsidérer ?)

Âge du kafil, (à limiter ?)

Mise en place de procédures visant à assurer l’engagement du kafil ;

Suivi de la kafala

Mise en place de procédures visant à contrecarrer le secret de l’adoption ;

Dans le suivi de l’enfant, des engagements du parent kafil ;

Fixer formellement les droits des parents naturels de l’enfant abandonné ;

L’abandon informel : lutte contre la pègre de l’abandon, condamnations exemplaires et médiatisation

Les procédures

Un maître d’œuvre chargé de la supervision de l’ensemble des dispositions, des réflexions et des structures en charge de l’abandon ;

Concevoir des dispositions qui engagent la responsabilité claire de l’Etat en matière d’abandon, ainsi que les modalités de collaboration, possibles, de la société civile ;

Examiner les actions à mener dans le suivi et le contrôle des différents acteurs qui interviennent directement dans la question de l’abandon ;

Des mécanismes, des dispositifs, et des moyens pour faciliter le suivi de l’enfant abandonné ;

Des circuits de coordination formalisés, connus de tous,

afin de contrer les arbitraires d’individus.

Les moyens

L’engagement financier de l’Etat

Des structures susceptibles d’accueillir et de prendre en

charge dans la durée, l’enfant non pris en kafala, dans le

respect du droit et de la dignité de l’enfant ;

Des ressources attribuées aux acteurs de prise en charge

et aux défenseurs du droit de l’enfance abandonnée ;

La définition des rôles, fonctions et missions des

différents acteurs ;

La valorisation du statut de l’assistant(e) social(e) ;

La valorisation du statut des intervenants en charge

du nourrisson, et du mineur abandonné, et ce, dans le

respect du droit du travail ;

Des moyens humains avec davantage d’acteurs en

charge de la kafala : enquêtes, diagnostics, suivis.

Les outils

Des outils professionnels, homogènes de prise en

charge de l’abandon : encadrement, formation,

accompagnement des équipes opérationnelles.

Des outils de gestion et d’évaluation de performance

des uns et des autres ;

Un système d’information susceptible de rendre compte

et de consigner les données de manière objective, afin

d’étudier l’évolution de la problématique de l’abandon,

dans sa réalité, dans ses différentes expressions et dans

sa complexité.

Les actions

Problèmes de l’adoption et du secret de l’abandon :

actions de sensibilisation ;

Kafala, lumière sur les contraintes et les moyens de leur

dépassement ;

Adoptions illégales… sensibilisation ;

Lumière sur les violences, les représentations sociales,

les discriminations filles/garçons, et les déterminismes

historiques, sociaux qui mènent à l’abandon.

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Journee de présentation des résultats d’étudeLes principaux résultats d’étude ont été présentés en présence d’acteurs, institutionnels, associatifs, à la direction de la Ligue Marocaine pour la Protection de l’Enfance. A la présentation des résultats et au débat, ont succédé des ateliers visant l’élaboration de recommandations par les participants.

Trois ateliers ont été réalisés et animés par les consultants du bureau: ateliers, ‘prise en charge’ ; ‘loi’ et ‘prévention de l’abandon’.

Atelier 1 : prise en charge

Thématiques abordées et questionnements

Quelles modalités pour une prise en charge globale de l’enfant ?

Environnement, encadrement, outils, vision.

Quel processus et paramètres d’identification de l’abandon d’enfants ?

Quels dispositifs pour assurer le retrait de l’enfant des structures hospitalières ?

Quels dispositifs pour assurer une coordination des acteurs ?

Quelles propositions pour la gestion du handicap ?

Recommandations des participants1 - Pour un protocole unifié de prise en charge de l’enfant abandonné à la naissance.

Ce protocole dont le contenu devrait faire l’objet d’un travail de réflexion futur, ambitionne de formaliser des normes de conduites et de procédures de prise en charge afin de permettre les modalités d’une gestion qualitative de la relation à l’enfant. Ce protocole contient par ailleurs, l’harmonisation du process d’identification de l’abandon, à travers la définition de variables clés communes à l’ensemble des intervenants et acteurs de la gestion de l’abandon : ces variables doivent rendre compte de la traçabilité de l’abandon, à travers la mise en place d’un process d’informatisation et d’uniformisation des données.

Un chef de projet : le Ministère du Développement social de la famille et de la solidarité.

2 - Pour un développement harmonieux de l’enfant en milieu d’accueil.

La mise en place d’une stratégie nationale qualitative de recueil et d’accueil de l’enfance abandonnée : avec des structures de petites tailles et à faible capacité d’accueil ou ‘maisons familles’. Ces maisons familles

contiennent des figures parentales stables (un couple ‘réel’ a été proposé pour tenir compte des spécificités de l’environnement social) et une fratrie. Les modalités du ‘fonctionnement de la famille’, de l’encadrement, et du suivi, feront l’objet d’un travail de réflexion futur.

3 - Pour une gestion améliorée de l’existant.

Nécessité d’envisager des modalités professionnelles de gestion pour les structures associatives en charge de l’accueil de l’enfant, avec la séparation des domaines d’intervention et des compétences des intervenants, membres de comités, équipes opérationnelles..

Il s’agira ici de réfléchir à des conditions ‘saines’ d’environnement de gestion et d’encadrement, susceptibles d’assurer une continuité de prise en charge de l’enfant de ‘0 à 18 ans’ : des procédures qui différencient les rôles, fonctions et missions des intervenants, ceux investis dans la cause, qui accompagnent et soutiennent, de ceux qui travaillent et entretiennent.

Une définition claire du statut du dirigeant opérationnel, de l’établissement est fortement souhaitée.

4 - La gestion de l’existant : formationdu personnel de la prise en charge, formation continue, valorisation de statut.

Il s’agira ici d’élaborer une stratégie qui vise la professionnalisation du mode d’appréhension, d’intervention et de relation de l’ensemble des intervenants : l’objectif est d’assurer une gestion qualitative des actions menées en direction des ‘catégories de populations victimes de l’abandon et placées’, de différents âges.

Un référentiel ‘droits humains’ dominant, dans un cadre d’exercice, conforme au droit du travail est fortement souhaité.

5 - La gestion de l’existant : la parité sexuelle au sein des structures d’accueil.

Il s’agira ici de contrer les attitudes favorables à la répétition à la fois des représentations hommes/femmes et des ‘discriminations’ opérées en milieu d’accueil au niveau des équipes et de leurs rôles : mettre en place des dispositions qui favorisent une intégration des figures parentales de substitution, toutes deux nécessaires au développement de l’enfant.

Aujourd’hui, dans les structures de prise en charge de l’enfant de moins de 5/6 ans, la nécessité de recruter des hommes..

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Conclusions :

La gestion du handicap et l’accueil durable de l’enfant en situation d’abandon au sein de structures hospitalières, sont apparues comme des recommandations transversales qui nécessitent une réflexion et des actions de l’Etat.

Les recommandations effectuées sont appréhendées comme prioritaires et nécessitant une programmation ‘urgente’ à un niveau de réflexion, susceptible de se traduire en actions sur les court et moyen termes.

Atelier 2 : loi

Pour un plaidoyer en faveur du droit supérieur de l’enfant, favorable,

En premier lieu, au droit à sa famille naturelle,

En second lieu, à sa kafala par une famille d’adoption,

Thématiques abordées et questionnements

Comment renforcer l’enfance abandonnée dans les textes de loi

Le tanzil ?

L’âge de déchéance de la kafala, (à reconsidérer ?)

Âge du kafil, (à limiter ?)

Des procédures visant à assurer l’engagement du kafil ?

Comment optimiser le suivi de la kafala ?

Que faire pour contrecarrer le secret de l’adoption ?

Quels engagements possibles du parent kafil pour éviter le retour de l’enfant en institution ?

Quels droits formels et définitifs donnés aux parents naturels ?

Quels droits formels et définitifs des parents adoptifs ?

Des moyens juridiques pour lutter contre l’abandon informel ?

Quels mécanismes de suivi pour l’enfance abandonnée ?

Quels dispositifs pour contrer les arbitraires d’individus ?

Les recommandations résultant des travaux de l’atelier peuvent être regroupées sous trois rubriques :

1 - Recommandation relative à la constitution d’une commission interministérielle à laquelle seront adjoints des représentants des ONG qui aura une double mission :

Elaborer un guide pratique décrivant précisément les procédures à suivre pour l’attribution de la kafala dans le but d’uniformiser ces procédures.

Faire des propositions de modifications pour les articles de la loi sur la kafala ‘peu clairs’ ou posant des problèmes, en particulier les articles 6 et 29.

2 - Recommandations relativesaux modifications à apporter à la loisur la kafala :Ajouter un article qui prévoit une procédure d’agrément pour les personnes désireuses de recueillir un enfant en kafala (et son texte d’application). Pour les résidents à l’étranger, l’agrément des services sociaux de leur pays d’origine, doit figurer dans les pièces à fournir obligatoirement. Cela pourrait d’ores et déjà, être ajouté aux conditions énumérées par l’article 9.

Article 2 : Compléter la phrase de l’article 2 « ....au même titre que le ferait un père pour son enfant... » de la manière suivante : « ....au même titre que le ferait un père ou une mère pour son enfant... ».

Article 6 : Cet article prévoit un délai de trois mois à respecter pour, après publicité, permettre aux parents de l’enfant de se faire connaître, avant le jugement déclarant l’abandon. Certains participants proposent de réduire ou supprimer ce délai. Mais l’unanimité n’a pas été atteinte sur ce point. La question pourrait être soumise à la commission visée en 1. Les résultats de l’étude menée et le droit supérieur de l’enfant ne sont pas favorables à cette recommandation..

Article 9 : Fixer un âge maximum pour la mère qui désire recueillir un enfant. L’atelier propose 48 ans pour un nouveau né. On peut ajouter à cet âge, le nombre d’années de l’enfant au jour d’attribution de la kafala.

Article 16 : Modifier la composition de la commission : supprimer le « représentant de l’autorité locale et du Ministère des Affaires Islamiques » et ajouter « un représentant de la structure qui a recueilli l’enfant ». Préciser que la commission prend sa décision après avoir consulté l’enquête de police et l’enquête sociale.

Article 24 : Prévoir un texte d’application organisant le suivi de la kafala lorsque les personnes qui l’assurent, partent à l’étranger.

Article 25 : Permettre aux personnes assurant la kafala, d’organiser, avec l’assentiment du juge des tutelles, le sort de l’enfant au cas où ils décéderaient avant la majorité de l’enfant.

Améliorer la rédaction de l’alinéa 4 pour que l’homme puisse conserver la kafala en cas de décès de son épouse.

Article 26 : Réécrire l’article en renvoyant ‘purement et simplement’ au code de la famille.

Article 29 : Cet article concerne le retour de l’enfant confié en kafala à sa famille naturelle. Il n’est ni clair, ni suffisant pour régler un problème d’une telle importance. Une réflexion approfondie doit être menée sur ce point et pourrait être confiée à la commission prévue en1.Lors de la plénière de restitution, il a été proposé de compléter l’article 22 en prévoyant que le Kafil devra remplir ses engagements à l’égard de l’enfant, même en cas de renoncement ou de déchéance. Dans ce cas le kafil,

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devrait être tenu de pourvoir aux besoins de l’enfant. Mais cette proposition n’a pas recueilli l’assentiment de toutes les personnes présentes.

3 - Recommandations d’ordre général :Vulgariser le texte de la loi sur la kafala et le porter à la connaissance de tous les intervenants dans le domaine de l’enfance.

Mettre au point un système d’information sur le déroulement concret de la procédure d’attribution de la kafala.

Elaborer un statut de l’assistante sociale.

Prévoir un comité de suivi pour l’exécution des recommandations ci-dessus.

Atelier 3 : lutte et correction de l’abandon

Lutte contre l’abandon, axe correction,

Thématiques abordées et questionnements

Identification des acteurs de la prévention, de la correction

Quelle politique à mettre en place pour la lutte contre l’abandon ?

Une insertion globale ?

Une insertion différenciée, par spécialité ? Hébergement, insertion professionnelle…

Des spécialités par association ?

Quels circuits de coordination dans le présent

Quels indicateurs ? quelles définitions ?

Homogénéité des discours et des pratiques de prise en charge ?

Quels transferts de savoir faire ?

Quelle politique de communication pour sensibiliser les populations ?

Lutte contre l’abandon, axe prévention,

Identification des acteurs

Quelles actions en faveur de l’éducation sexuelle en milieu scolaire ;

Quelle politique de coordination avec les cellules d’accueil en milieu scolaire ;

Quelle politique de sensibilisation en milieu étudiant ?

La contraception : quelle politique globale ? quelle politique en direction des catégories à risque ;

Quel type de coordination des acteurs de la prévention ?

Quel travail effectué ou à effectuer sur les impacts des représentations associées aux genres, féminins, masculins ? Quels acteurs prioritaires ? quelles actions ? ;Quelle coordination dans le présent entre actions, acteurs, correction/prévention ?.L’atelier ‘correction et prévention’ a regroupé un effectif

réduit d’intervenants, non impliqués par ailleurs dans les actions de correction et de prévention de l’abandon.Les axes majeurs évoqués concerneront essentiellement des actions de prévention globale.

1 - Un axe information, formation, sensibilisationIl porte sur la mise en place d’une stratégie de prévention effectuée en direction des populations jeunes en milieu scolaire. Objectif : éducation sexuelle.

Il porte également sur la nécessité d’élargir le domaine de prévention aux jeunes non scolarisés : recherche de sources appropriées, diversification des sources et des supports.

2 - Un axe orientation des jeunes fillesen situation de grossesse Mise en place de structures d’accueil dédiées aux jeunes, écoute, accompagnement des jeunes, orientation des jeunes filles en situation de grossesse.

Déploiement de structures en régions.

3 - Un axe contraceptionNécessité de développer une stratégie de prévention qui inclue les jeunes.

Nécessité d’offrir aux jeunes, des possibilités d’usage de la contraception qui tiennent compte de la proximité du centre de santé, comme frein d’usage : offrir la possibilité aux jeunes, d’accéder à la contraception en milieu hospitalier dans des lieux éloignés des lieux de résidence et ce afin ‘d’échapper au contrôle social’.

4 - AvortementLa question de l’avortement ‘total’ soulevée par deux intervenants a rencontré des résistances majeures chez d’autres.

En revanche, les situations jugées ‘exceptionnelles’ seront attribuées par l’ensemble, d’une ‘nécessité vitale d’avortement’ : aussi l’unanimité s’est-elle portée sur la possibilité d’avortement en cas de viol et d’inceste.

5 - Multiplication des structures d’accueil destinées aux mères célibataires et à leurs enfants et déploiement en régions. Un numéro vert est préconisé afin d’orienter les jeunes en situation de grossesse vers les structures appropriées.

6 - Médiatisation Usage des media comme vecteur de sensibilisation des populations :

La presse, la radio, la télévision, devraient servir de supports d’échanges, de discussion et de communication pour évoquer les thèmes de la grossesse, de l’abandon, pour indiquer l’existence de structures d’accueil mais aussi pour parler de la nécessité de prévention et du contrôle des grossesses.

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Fonds des Nations Unies pour l’EnfanceBureau du Maroc

1, rue Bani BouayacheAngle Avenue Mohammed VIRabat (Maroc)Tél. : +212 537 75 97 41Fax : +212 537 75 97 60www.unicef.org/maroc

Ligue Marocaine pour la Protection de l’Enfance

Rue Mellouza - Avenue Oued Akrach Hay Ennahda IIRabat ( Maroc )Tél. : +212 537 759 675Fax : +212 537 759 680www.lmpe-maroc.org

La Ligue Marocaine pour la Protection de l’Enfance