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1 Energies carbonées fossiles (pétrole, gaz, charbon…), transition énergétique, et changement climatique Deuxième partie : perspectives d’avenir, risques pour le climat et la santé. 1 Un peu de nomenclature 1-1 Pétroles et gaz naturels conventionnels et non conventionnels (conventional and non-conventional oil and gas), pétroles et gaz synthétiques (synfuels and syngas) 1-1-1 Pétroles et gaz naturels Tous les pétroles et les gaz recensés sur la figure 28 sont des produits naturels, en ce sens qu’ils sont tous issus de transformations naturelles ayant eu lieu dans des bassins sédimentaires. Les pétroles naturels, à peu près inutilisables en l’état, sont ensuite raffinés pour en faire des produits raffinés, appelés aussi produits pétroliers (petroleum products) : présentés sommairement, ce sont principalement, par masse moléculaire moyenne croissante de la coupe pétrolière ainsi produite : le naphta, c’est-à-dire une coupe de distillation formée d’hydrocarbures liquides de faible masse moléculaire (nombre de carbones compris entre 5 et 11) , utilisé entre autres par l’industrie pétrochimique, les carburants (fuels), essence, kérosène* 18 et gazole, pour les véhicules terrestres et les avions, le fuel domestique pour le chauffage, le fuel lourd pour la propulsion des navires ou pour la production d’électricité. Les résidus de distillation (le «fond du baril») sont éventuellement pyrolysés pour produire du coke de pétrole utilisable comme combustible industriel, mais aussi comme source de carbone pour la fabrication d’électrodes de carbone, ou même comme additif à des charbons pour la fabrication de coke métallurgique (voir chapitre 1-2). Les proportions de ces différents produits, pour un protocole standard de raffinage, dépendent de la composition du pétrole initial, en particulier de la masse moléculaire moyenne de ses constituants. Un petit ouvrage de vulgarisation sur le pétrole qui permet, entre autres, de se repérer dans ces produits raffinés et les techniques de raffinage est par exemple celui de Boy de la Tour 2004. *18 note : ne pas confondre le kérosène appelé aussi carburéacteur, qui est le carburant des avions, avec le kérogène, qui est la matière première de la formation du pétrole et du gaz dans les bassins sédimentaires. Il y a aussi le gaz de pétrole liquéfié (GPL, Liquefied Petroleum Gas, LPG)), qui contient essentiellement du propane et /ou des butanes liquéfiés sous pression. Il est utilisé principalement pour le chauffage et la cuisson, et secondairement comme carburant. Ce GPL est produit en grande partie à partir des liquides de gaz naturels, et plus précisément, comme on l’a vu dans la première partie (chapitre 1-2), des LUGN récupérés dans les usines de traitement du gaz naturel, et donc hors raffinage. Bien que ses constituants soient gazeux dans les conditions normales, le GPL ainsi produit est classé avec les pétroles, dans les statistiques de production. Mais du GPL est aussi

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Energies carbonées fossiles (pétrole, gaz, charbon…),

transition énergétique, et changement climatique

Deuxième partie : perspectives d’avenir, risques pour le climat

et la santé.

1 Un peu de nomenclature

1-1 Pétroles et gaz naturels conventionnels et non conventionnels

(conventional and non-conventional oil and gas), pétroles et gaz

synthétiques (synfuels and syngas)

1-1-1 Pétroles et gaz naturels

Tous les pétroles et les gaz recensés sur la figure 28 sont des produits naturels, en ce

sens qu’ils sont tous issus de transformations naturelles ayant eu lieu dans des bassins

sédimentaires.

Les pétroles naturels, à peu près inutilisables en l’état, sont ensuite raffinés pour en

faire des produits raffinés, appelés aussi produits pétroliers (petroleum products)

: présentés sommairement, ce sont principalement, par masse moléculaire moyenne

croissante de la coupe pétrolière ainsi produite : le naphta, c’est-à-dire une coupe de

distillation formée d’hydrocarbures liquides de faible masse moléculaire (nombre de

carbones compris entre 5 et 11) , utilisé entre autres par l’industrie pétrochimique, les

carburants (fuels), essence, kérosène*18 et gazole, pour les véhicules terrestres et les

avions, le fuel domestique pour le chauffage, le fuel lourd pour la propulsion des

navires ou pour la production d’électricité. Les résidus de distillation (le «fond du

baril») sont éventuellement pyrolysés pour produire du coke de pétrole utilisable

comme combustible industriel, mais aussi comme source de carbone pour la

fabrication d’électrodes de carbone, ou même comme additif à des charbons pour la

fabrication de coke métallurgique (voir chapitre 1-2). Les proportions de ces

différents produits, pour un protocole standard de raffinage, dépendent de la

composition du pétrole initial, en particulier de la masse moléculaire moyenne de ses

constituants.

Un petit ouvrage de vulgarisation sur le pétrole qui permet, entre autres, de se repérer

dans ces produits raffinés et les techniques de raffinage est par exemple celui de Boy

de la Tour 2004.

*18 note : ne pas confondre le kérosène appelé aussi carburéacteur, qui est le

carburant des avions, avec le kérogène, qui est la matière première de la formation du

pétrole et du gaz dans les bassins sédimentaires.

Il y a aussi le gaz de pétrole liquéfié (GPL, Liquefied Petroleum Gas, LPG)), qui

contient essentiellement du propane et /ou des butanes liquéfiés sous pression. Il est

utilisé principalement pour le chauffage et la cuisson, et secondairement comme

carburant. Ce GPL est produit en grande partie à partir des liquides de gaz naturels, et

plus précisément, comme on l’a vu dans la première partie (chapitre 1-2), des LUGN

récupérés dans les usines de traitement du gaz naturel, et donc hors raffinage. Bien que

ses constituants soient gazeux dans les conditions normales, le GPL ainsi produit est

classé avec les pétroles, dans les statistiques de production. Mais du GPL est aussi

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produit, pour 40% environ de la production totale mondiale, en raffinerie à partir de

fractions pétrolières. Il contient alors aussi des hydrocarbures insaturés légers :

éthylène, propylène et butènes.

Une raffinerie produit aussi de l’hydrogène, utilisé à différents stades de la fabrication

des produits pétroliers, en particulier pour les désulfurer, mais aussi exporté via des

gazoducs pour servir à différents usages en pétrochimie.

S’agissant du gaz naturel, il n’a pas besoin d’être raffiné puisque le gaz commercialisé

à la production est un gaz sec, dont on a ôté les constituants non hydrocarbures (azote,

gaz carbonique, hydrogène sulfuré etc…) et les hydrocarbures non-méthane, récupérés

et comptabilisés avec le pétrole dans les catégories condensats et liquides d’usine de

gaz naturel (LUGN) (chapitre 1-2, première partie et tableau 5). Il ne contient donc

pratiquement que du méthane. Il sert essentiellement au chauffage, à la production de

chaleur pour l’industrie, à la production d’électricité, à la fabrication des engrais *19,

ou encore à propulser les voitures à moteur à gaz, qui l’utilisent sous forme comprimée

à 200 bars, c‘est ce qu’on appelle le gaz naturel véhicule (GNV).

*19 note : Il s’agit là essentiellement des engrais azotés tels que le nitrate

d’ammonium et l’urée. La synthèse de leur matière première, l’ammoniac (NH3), à

partir de l’azote demande de l’hydrogène qui est fourni par le méthane. Le méthane

fournit également l’énergie nécessaire aux réactions.

On fait souvent la distinction entre pétrole et gaz conventionnels et non

conventionnels :

Les pétroles et gaz non conventionnels désignaient à l’origine les pétroles et gaz

naturels qui nécessitaient, par rapport aux pétroles et gaz dits conventionnels, des

techniques plus complexes de production du fait d’une difficulté d’accès, offshore

profond ou zones polaires, ou de caractéristiques défavorables du gisement, forte

viscosité du pétrole, profondeur et/ou pression élevées, forte teneur en hydrogène

sulfuré etc.... Cette frontière assez floue a varié au cours du temps en fonction des

évolutions technologiques. On a aussi défini le pétrole conventionnel comme celui

pour lequel on n’utilisait pas d’autres techniques de stimulation de la production que

les procédés que l’on appelle de récupération secondaire : injection d’eau dans

l’aquifère pour maintenir la pression, et/ou de gaz miscible dans le pétrole pour en

diminuer la viscosité et donc faciliter son écoulement, ou encore comme celui des

gisements pour lesquels on pouvait définir un plan d’eau, c’est-à-dire l’existence d’un

contact net entre un aquifère et une phase huile ou gaz.

Nous appellerons ici, comme c’est maintenant l’usage le plus courant, pétroles

conventionnels ceux qui peuvent être produits à partir de forages classiques, fussent-

ils déviés ou même horizontaux, mais sans utiliser systématiquement une technologie

lourde de stimulation de la production, telle que la fracturation hydraulique ou le

SAGD (voir plus loin).

Sur la figure 28 les gisements de pétrole qui correspondent à cette catégorie sont ceux

des types 1 et 2. Le pétrole extrait des gisements des types 6 et 7, qui ne peut être

produit que grâce à l’emploi de la fracturation hydraulique, est non conventionnel.

Les huiles extra-lourdes (4 a) et les bitumes (4 b) sont des catégories de transition. Les

principaux gisements mondiaux sont de très loin les gisements de bitumes des sables

bitumineux (tar sands) trouvés en surface et à faible profondeur, moins de 400 mètres

pour les exploitations actuelles, en Athabasca au Canada, et ceux des huiles extra-

lourdes de la ceinture bitumineuse de l’Orénoque (Faja Bituminosa) au Venezuela.

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Ces dernières sont classées dans les huiles extra-lourdes et non dans les bitumes (cf

chapitre 1) : elles sont en effet beaucoup moins visqueuses que les bitumes canadiens

car, étant plus profondes, entre 350 et 700 mètres de profondeur environ, et situées

dans un pays où la température moyenne au sol est bien plus élevée que dans le Nord

canadien, la température de leur réservoir est plus élevée. Elles sont aussi moins

altérées par les eaux de surface. Au Canada, les exploitations se font pour l’essentiel

soit en carrière pour les profondeurs inférieures à 100 mètres, soit aux profondeurs

plus élevées par un doublet de forages horizontaux situés l’un au-dessus de l’autre,

avec injection de vapeur d’eau à des températures de l’ordre de 350 °C dans le forage

supérieur et écoulement du bitume dans le forage inférieur suite à la réduction de

viscosité provoquée par son échauffement (Steam Assisted Gravity Drainage,

SAGD) *20. Les bitumes canadiens sont classés dans le pétrole non conventionnel. Les

huiles extra-lourdes vénézuéliennes sont produites aussi par forages horizontaux, après

injection de vapeur mais souvent aussi après injection d’hydrocarbures légers, pour en

diminuer la viscosité, et parfois par SAGD. Elles seront également classées ici dans

les pétroles non conventionnels. A noter aussi que bitumes et huiles extra-lourdes

nécessitent un pré-raffinage sur le site de leur extraction, pour pouvoir les acheminer

vers les raffineries (voir plus loin le chapitre 1-1-2).

En ce qui concerne le gaz, le gaz conventionnel est celui produit à partir des gisements

des types 2 et 3. Les gaz non conventionnels sont ceux extraits des gisements des types

8 et 9, pour lesquels on utilise la fracturation hydraulique. On y classe également les

gaz produits à partir des veines de charbon, gaz de veine de charbon (CBM) ou gaz de

mine de charbon (CMM) ainsi que les hydrates de gaz et le gaz dissous dans les

aquifères profonds.

*20 note : Cet écoulement vers le bas n’est possible que parce que la densité des

pétroles extralourds est légèrement supérieure à celle de l’eau.

Le tableau 5 récapitule toutes ces catégories de produits naturels, avec leur appellation

anglo-saxonne.

Pétroles naturels

Pétrole conventionnel (Conventional Oil , Crude)

Liquides de gaz naturel (LGN) (Natural Gas Liquids, NGL) :

- Condensats (Condensates)

- Liquides d’usine de gaz naturel (LUGN) (Natural Gas Plant Liquids, NGPL)

Pétrole extra-lourd (EL) (Extra-Heavy Oil, XH) :

- Bitumes (Tar, Bitumen ).

- Huiles extra-lourdes (Extra-Heavy Oils)

Pétrole de roches-mères (de schistes) (Shale Oil)

Pétrole de réservoir compact (Tight Oil).

Les Anglo-Saxons réunissent maintenant la Shale Oil (7 sur la figure 28) et le pétrole

de réservoir compact (6 sur la figure 28) dans une seule catégorie Light Tight Oil

(LTO). En effet, le pétrole extrait des roches-mères se trouve en réalité dans des

réservoirs compacts, qui sont situés à l’intérieur ou au contact de la roche-mère sensu

stricto, c’est-à-dire des niveaux contenant le kérogène. Il s’agit essentiellement de

Shale Oil, le Tight Oil étant peu représenté.

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Gaz naturels

Gaz conventionnel (Conventional Gas)

Gaz de roche-mère (de schistes) (Shale Gas)

Gaz de réservoir compact (Tight Gas)

Gaz de veine de charbon (Coal Bed Methane, CBM, Coal Seam Methane, CSM, Coal

Seam Gas, CSG)

Gaz de mine de charbon (Coal Mine Methane, CMM)

Hydrates de méthane (Methane Hydrates)

Gaz dissous dans les aquifères profonds (Gas from Geopressured Aquifers)

Tableau 5 : Récapitulatif des variétés de pétroles et de gaz naturels, avec leur

appellation anglo-saxonne. Les couleurs sont les couleurs conventionnelles pour le

pétrole et le gaz dans les professions pétrolières et gazières.

1-1-2 Pétroles et gaz synthétiques (synfuels et syngas)

L’industrie est capable de produire des pétroles synthétiques et des gaz

synthétiques, c’est-à-dire des produits artificiels liquides ou gazeux de substitution

aux pétroles et gaz naturels: il est important d’en dire deux mots, car dans les

discussions actuelles sur l’avenir de la production mondiale de pétrole et de gaz, la

distinction n’est généralement pas faite entre les pétroles et gaz naturels, et entre les

pétroles et gaz artificiels. Si cela n’a guère d’importance pour l’utilisateur, en vertu de

l’adage « à cheval donné on ne regarde pas les dents », cela en a beaucoup pour les

perspectives d’avenir, et c’est très fréquemment une source de confusion dans les

discussions sur l’évolution de la production pétrolière mondiale.

Les produits liquides artificiels de substitution au pétrole naturel ou à ses produits

raffinés sont appelés en anglais synfuels : Il s’agit essentiellement pour l’instant de

carburants. Ce sont d’une part les biocarburants (biofuels) appelés aussi

agrocarburants parce qu’ils sont dérivés de produits agricoles, et d’autre part les X-to

-Liquids (XTL), produits à partir de substances carbonées naturelles par des procédés

lourds industriels. X désigne la substance carbonée servant de matière première.

- Biocarburants :

Il s’agit du biodiesel*21 produit surtout en Europe à partir des triglycérides contenus

dans les huiles végétales (colza, tournesol, huile de palme importée…), et de

l’éthanol*21 produit surtout au Brésil et aux Etats-Unis à partir de sucres végétaux

(sucre de canne à sucre au Brésil, amidon de maïs aux Etats-Unis), (Ballerini, 2006).

Il est souvent question de produire des biocarburants à partir de cultures d’algues

microscopiques unicellulaires riches en lipides. Mais les procédés n‘ont pas dépassé à

l’heure actuelle le stade du pilote.

- X-to-Liquids (XTL) :

- Les Gas-to-Liquids (GTL), c’est-à dire des carburants synthétisés à partir des gaz

naturels par synthèse Fischer-Tropsch après leur transformation en gaz de

synthèse*22.

- Les Coal-to-Liquids (CTL), c’est-à-dire des carburants synthétisés à partir des

charbons par synthèse Fischer-Tropsch après leur transformation en gaz de synthèse,

ou par le procédé Bergius* 22.

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*21 note : - Le biodiesel, parfois appelé diester, est produit par estérification des

triglycérides, principaux constituants des huiles végétales, par un alcool, le méthanol

(CH3OH). Il n’est donc pas entièrement tiré de la biomasse. On produit en même temps

de la glycérine.

- L’éthanol (C2H5OH) est l’alcool produit par fermentation alcoolique des sucres. On

le produit aussi à partir de l’amidon des céréales, principalement le maïs. L’amidon,

qui est un polymère du glucose, est préalablement transformé tout d’abord en glucose

avec des enzymes.

*22 note :

- Pour produire du gaz de synthèse, qui est composé essentiellement d’oxyde de

carbone (CO) et d’hydrogène (H2), à partir de gaz naturel, de charbon, de biomasse

ou d’autres substances carbonées, on les fait réagir à des températures de l’ordre de

1000°C avec un mélange adapté de vapeur d’eau et d’oxygène en présence d’un

catalyseur au nickel.

- La synthèse Fischer-Tropsch, méthode utilisée pour produire des carburants,

consiste à faire ensuite réagir à 300 ° C sur un catalyseur au fer ou au cobalt

l’hydrogène et le monoxyde de carbone contenus dans le gaz de synthèse. Se forment

ainsi des n-alcanes (paraffines), que l’on isomérise ensuite, c’est-à-dire que l’on

transforme en isoalcanes (voir annexe 1), mieux adaptés aux moteurs, dans des unités

dites d’isomérisation. On peut orienter les réactions pour faire toute une gamme

d’autres produits que les carburants.

- Le procédé Bergius consiste à faire réagir ensemble du charbon et de l’hydrogène à

quelques centaines de degrés sous pression, pour produire un simili pétrole qu’il faut

ensuite raffiner.

- Les Biomass-to-Liquids (BTL) : il s’agit de carburants produits par transformation

de biomasse en gaz de synthèse, puis synthèse Fischer-Tropch. On utilise pour cela la

partie lignocellulosique des plantes, beaucoup plus abondante que les huiles

végétales et les sucres utilisés pour faire des biocarburants. Malgré les espoirs que

cela suscite, il ne s’agit là pour l’instant que de productions pilotes.

- Les Shale-to-liquids (STL), c’est-à-dire l’huile de schistes (shale oil, kerogen oil),

produite par pyrolyse à des températures de l’ordre de 500 °C des schistes dits

bitumineux (catégorie 10 sur la figure 28), dont on a vu dans la première partie qu’en

réalité ce n’étaient pas des schistes, qui sont des roches métamorphiques, et qu’ils ne

contenaient pas de bitume, mais du kérogène immature. Cette huile de schistes, qui

n’a donc rien à voir avec le pétrole de schistes (de roche-mère), est un simili pétrole

brut beaucoup plus riche en hétéro-éléments (voir chapitre 1) que le pétrole brut

naturel, et donc plus difficile à raffiner. Il s’agit pour l’instant d’une catégorie

anecdotique, sa production étant insignifiante à l’échelle mondiale, faute de

rentabilité. Il en a cependant été produit des quantités non négligeables à l’échelle de

l’époque, du milieu du 19ème siècle au milieu du 20ème siècle, par exemple en France

(voir chapitre 3-2-2-1).

On remarquera que le GTL et le CTL sont essentiellement des produits de

substitution aux carburants dérivés du pétrole, dont l’utilité n’est manifeste que dans

la mesure où l’offre de carburants issus du pétrole ne suffirait plus à fournir la

demande. Mais la contrepartie serait une diminution plus rapide des réserves de gaz

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ou de charbon, au détriment d’autres utilisations de ceux-ci telles que la production

d’électricité.

On aurait pu mettre aussi, mais ce n’est pas l’usage, les huiles extra lourdes et les

bitumes (4 a et 4 b) dans la catégorie XTL, dans la mesure où il faut, comme pour le

STL, des techniques de pré-raffinage dans une installation appelée upgrader pour en

faire un «pétrole» utilisable par une raffinerie classique. D’ailleurs, les Anglo-saxons

qualifient volontiers de syncrude les pétroles commercialisés issus de ces catégories.

Les gaz synthétiques de substitution au gaz naturel, en anglais Syngas, sont des gaz

produits par différents procédés industriels: gaz produits (monoxyde de carbone et un

peu d’hydrogène) par les hauts-fourneaux et les convertisseurs de fonte (cast iron)

en acier ou encore par les cokeries (hydrogène et méthane), gaz de synthèse (

monoxyde de carbone, hydrogène, méthane) produits à partir de biomasse, de charbon,

(ou qui seraient produits par gazéification souterraine du charbon), ou de naphta et qui

ne seraient pas utilisés pour des synthèses de carburants ou de produits chimiques. Ces

gaz peuvent être utilisés directement pour produire de la chaleur et de l’électricité. Ils

ont été très utilisés jusqu’un peu après la Deuxième Guerre Mondiale, avant le

développement de la production du gaz naturel.

Pétroles et carburants synthétiques (Synfuels)

Biocarburants (Biofuels)

Gas-to-Liquids (GTL)

Coal-to-Liquids (CTL)

Biomass-to-Liquids (BTL)

Shale-to-Liquids (STL)(huile de schistes bitumineux, Shale Oil, Kerogen Oil)

Gaz artificiels (Syngas)

Gaz de hauts-fourneaux (Blast Furnaces), de convertisseurs (Converters), ou de

cokeries (Coking Plants)

Gaz de synthèse à partir de biomasse, de charbon, ou de naphta

Gaz de gazéification souterraine (Underground Gasification) du charbon

Tableau 6: les variétés de pétroles (et carburants) et de gaz artificiels. Les couleurs

utilisées sont les couleurs conventionnelles pour le pétrole et le gaz.

La production de synfuels représente pour l’instant environ 3 % de la production de

pétrole, et consiste surtout en biocarburants (agro-carburants, biofuels) tirés de sucres

et de triglycérides végétaux. L’éthanol du Brésil et des Etats-Unis forment la plus

grande partie de ces biocarburants.

La production de syngas représente moins de 1 % de la production de gaz.

Les agences de l’énergie, dont les principales sont l’Agence internationale de

l’énergie (AIE, International Energy Agency, IEA), basée à Paris (www.iea.org),

et l’United States Energy Information Administration (EIA), du Department of

Energy (DoE) des Etats-Unis, basée à Washington (www.eia.gov), ont la lourde tâche

de présenter tous ces produits naturels et artificiels sous une forme simplifiée à

l’attention des pouvoirs publics, des industriels et de l’opinion.

1-1-3 : Le baril de pétrole, que contient-il ?

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La comptabilité internationale de la production comme de la consommation pétrolière

(c’est-à-dire de produits raffinés) se fait, sous l’influence de la culture américaine, en

baril. Celui-ci est une unité de volume, et non de masse ou d’énergie (nous reviendrons

sur ce point au chapitre 2-2), qui vaut 159 litres. En ce qui concerne la production de

pétrole (nous ne traitons pas de la consommation dans cet ouvrage), le baril que

connaissent les économistes, les médias et donc l’opinion publique est le baril de

pétrole tous liquides (all liquids, total oil, oil supply), c’est-à-dire qu’il contient

toutes les catégories de pétroles naturels et de pétroles artificiels que nous avons

recensées plus haut. L’unité la plus utilisée dans les statistiques internationales de

production est le million de barils par jour (Mb/j ou Mb/d, d signifiant ici dies et non

day). 1 Mb/j représente actuellement une production annuelle un peu inférieure à 50

millions de tonnes (voir chapitre 2-2).

La figure 30 et le tableau 7 montrent quelles étaient en 2014, en millions de barils/jour,

la valeur et la composition de la production pétrolière mondiale tous liquides, selon

l’Energy Information Administration (EIA) du Département américain de l’énergie

(DoE) .

Figure 30 : Histogramme de la composition de la production de pétrole

tous liquides en 2014, selon l’Energy Information Administration (EIA)

des Etats-Unis.

Nature du composant Valeur (Mb/j) Valeur (%)

Conventionnel + condensats (C+C) 70,3 75,4

Light Tight Oil (LTO) 4,4 4,7

Extra-lourds 3,2 3,4

LGUN 9,8 10,5

0

10

20

30

40

50

60

70

80

90

100

Composition du pétrole tous liquides en 2014 selon l’EIA, en Mb/j

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biocarburants 2,5 2,7

GTL+CTL 0,5 0,6

Gains de raffinerie 2,5 2,7

Total tous liquides 93,2 100

Tableau 7: composition de la production de pétrole tous liquides en 2014

selon l’EIA, en Mb/j et en %.

On observe que le baril de pétrole tous liquides contient :

- deux catégories qui proviennent non pas de gisements de pétrole, mais de

gisements de gaz : les condensats et les LGUN. On l’a vu dans la première partie

au chapitre 1-2 et sur le tableau 5, les condensats sont les hydrocarbures liquides

récupérés en tête de puits sur les gisements de gaz ou de gaz associé au pétrole,

tandis que les LGUN sont les hydrocarbures liquides ou liquéfiables sous

pression encore contenus dans ces gaz qui sont récupérés ensuite dans les usines

de traitement de gaz. A noter que les gaz de roche-mère (de schistes), notés 9 sur

la figure 28 et les gaz de réservoir compact, notés 8 sur la figure 28, contiennent

des condensats et des LGUN tout comme le gaz conventionnel. Par contre, les

gaz non conventionnels issus du charbon (CBM, CMM) n’en contiennent pas.

- des pétroles artificiels (synfuels) : biocarburants, GTL, CTL…

- une catégorie très particulière, les gains de raffinerie : Ces derniers représentent

le gain en volume entre l’entrée et la sortie de la raffinerie. Il est dû à ce que

d’une part les produits du raffinage ont un volume massique plus important que

celui de la charge initiale introduite dans la raffinerie et d’autre part à

l’utilisation d’additifs en cours de raffinage, en particulier d’hydrogène produit à

partir de gaz naturel. La comptabilité en volume (baril) a ici l’effet pervers que

l’on en vient à classer comme pays producteurs de pétrole des pays qui ne font

que le raffiner, comme par exemple les Antilles Néerlandaises !

Une très grande partie du baril tous liquides, environ 86 % du total à l’échelle

mondiale, est constituée des catégories C+C (conventionnel + condensats) et LGUN.

La contribution du conventionnel est impossible à estimer précisément, car les

producteurs comptabilisent presque systématiquement avec lui les condensats, qui sont

mélangés par les producteurs au conventionnel avant commercialisation. Les

condensats pourraient actuellement représenter 7 à 8 % de l’ensemble C+C.

En dépit de la grande attention médiatique qui leur est consacrée, les proportions des

pétroles non-conventionnels (LTO et Extra-lourds) et des synfuels (biofuels, GTL,

CTL) sont donc faibles, au total à peu près 11 % du tous liquides actuellement, 13 %

si l’on y inclut les condensats et les LGUN provenant des gaz non conventionnels,

c’est-à-dire environ 2 Mb/j provenant essentiellement des gaz de roche-mère (de

schistes), produits essentiellement aux Etats-Unis. Les autres gaz non-conventionnels

ne contiennent quant à eux guère d’hydrocarbures autres que du méthane.

Chaque composant a une dynamique de production qui lui est propre : il est donc

nécessaire d’examiner chacune de ces dynamiques de production pour analyser les

possibilités futures de production de pétrole tous liquides (voir chapitre 3-2-5 ).

Notons dès à présent que la façon de regrouper ces catégories varie d’une agence à

l’autre dans leurs publications les plus courantes, ce qui est une source permanente de

confusion pour les commentateurs et oblige à une gymnastique peu commode pour

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comparer les données d’une agence à l’autre : En ce qui concerne les deux principales,

l’EIA et l’IEA, si elles regroupent toutes deux le pétrole conventionnel avec les

condensats (C+C), l’AIE compte séparément le LTO et les extra-lourds (XH), tandis

que l’EIA, dans ses publications les plus courantes, les agglomère avec le C+C pour

faire une catégorie unique «crude oil» ou «petroleum », ce qu’on peut traduire par

pétrole brut ou brut. L’AIE de son côté regroupe souvent tous les synfuels

(biocarburants, GTL, CTL …) sous une même étiquette, tandis que l’EIA les détaille.

1-2 Catégories de charbons et leur utilisation

Insistons à nouveau sur le fait qu’il existe non pas un mais des charbons, de la tourbe

à la méta-anthracite et que la variété en est au moins aussi grande que pour les pétroles

et les gaz. Les considérer comme une substance unique, ainsi qu’il est fait

généralement dans les médias et dans beaucoup de statistiques, est extrêmement

réducteur.

Cependant les utilisations actuelles des charbons sont assez limitées : pour l’essentiel,

par ordre d’importance décroissante, il s’agit de la production d’électricité, de la

production de coke pour la métallurgie du fer (fabrication de la fonte et de l’acier), et

de la production de chaleur pour l’industrie.

La production d’électricité, qui consomme actuellement environ 70 % en masse de la

production mondiale de charbon (et représente un peu plus de 40 % de la production

mondiale d’électricité), et la production de chaleur industrielle, qui en consomme

environ 10 %, peuvent utiliser toutes les variétés de charbon, regroupées pour ces

usages sous l’étiquette fourre-tout charbon-vapeur (steam coal). On préfère bien sûr

les charbons ayant un fort pouvoir calorifique (voir plus loin), qui ont donc la plus

grande valeur commerciale. Pour la fabrication d’électricité on utilise cependant aussi

beaucoup, comme en Allemagne par exemple, le lignite, malgré son faible pouvoir

calorifique. Il faut alors, pour des raisons de rentabilité, installer les centrales au plus

près des zones de production, pour ne pas avoir à supporter le coût du transport.

Le charbon à coke (coking coal), environ 15 % en masse de la consommation

mondiale, appartient à la catégorie des charbons dits bitumineux. Ces derniers

correspondent, dans les étapes successives d’évolution des charbons, à l’étape appelée

catagenèse dans la formation du pétrole. Les charbons à coke sont dans cette catégorie

ceux qui sont le plus riches en hydrogène. Ils correspondent au début de la catagenèse,

quand le kérogène des charbons a perdu la plus grande partie de son oxygène tout en

ayant encore conservé une grande partie de son hydrogène.

La fabrication du coke se fait dans des cokeries, où le charbon est pyrolysé à l’abri de

l’air dans des fours à coke à des températures allant jusqu’à 1300 °C environ. Est alors

produite une grande variété d’effluents liquides et gazeux valorisables. La cokéfaction,

c’est essentiel, élimine ainsi un certain nombre d’éléments qui pourraient nuire à la

fabrication de la fonte (cast iron), soufre par exemple. Mais aussi les charbons à coke

ont la particularité de se transformer en un solide microporeux très résistant

mécaniquement, le coke. Le coke est utilisé pour réduire les oxydes de fer constituant

les minerais de fer: La microporosité permet une bonne circulation des gaz produits

par les réactions, ce qui facilite celles-ci, et la résistance mécanique permet la bonne

tenue mécanique de la charge où sont mélangés le coke et le minerai. Ces trois facteurs

: élimination des éléments nuisibles, microporosité et résistance mécanique sont les

raisons du succès du coke. Diverses tentatives de fabrication de coke de charbon ont

été faites en Europe dès le début du 17ème siècle. La mise au point d’un procédé

Page 10: Energies carbonées fossiles (pétrole, gaz, charbon ... · récupérés dans les usines de traitement du gaz ... on pouvait définir un plan d ... sur l‘avenir de la production

10

efficace par Abraham Darby en Angleterre en 1709 a révolutionné la métallurgie du

fer, qui utilisait jusqu’alors du charbon de bois, et a été un des éléments clefs de l’essor

de la Révolution Industrielle en Europe. Mais on sait maintenant que du coke de

charbon a été produit en Chine plusieurs siècles auparavant, sans pour autant que cela

ait débouché sur une révolution industrielle.

Le développement d’une microporosité est précisément dû à la richesse en hydrogène

de ces charbons et plus précisément d’hydrogène présent sous forme de chaînes

aliphatiques comme décrit chapitre 2-3. La pyrolyse provoque tout d’abord la création

dans le charbon d’une phase semi-liquide, appelée mésophase, sous forme de

microgouttelettes disséminées dans la masse. Le charbon devient alors pâteux. La

volatilisation ultérieure de cette mésophase laisse derrière elle cette microporosité, la

pâte se transformant alors un solide microporeux très résistant mécaniquement.

Ces particularités des charbons à coke en font les charbons dont la valeur commerciale

est la plus élevée. C’est aussi la variété de charbon la plus difficile à remplacer dans

ses usages.

On sait cependant maintenant produire du coke à partir de mélanges de charbon plus

pauvres en hydrogène en ajoutant au mélange de petites quantités de fuel lourd, ou du

coke de pétrole, résidu carboné du raffinage du pétrole.

Le chauffage, qui a représenté une utilisation majeure du charbon jusque dans les

années 1960, ne représente maintenant que quelques pourcents de la production

mondiale. Il en est de même de la production de produits chimiques (carbochimie).

L’utilisation des charbons pour produire des carburants (CTL), comme ont fait les

Allemands pendant la deuxième guerre mondiale, et l’Afrique du Sud pendant

l’Apartheid et encore maintenant avec la compagnie Sasol (dont la production de CTL

est de l’ordre de 10 Mt par an), ou encore pour produire du gaz, reste encore à l’heure

actuelle anecdotique à l’échelle mondiale. La compagnie chinoise Shenhua produit

environ 1 million de tonnes par an de CTL par procédé Bergius à Erdos en Mongolie

depuis quelques années et projette semble-t-il de développer sensiblement cette

production, mais les informations à ce sujet sont rares. Notons qu’il s’agit là de

procédés très consommateurs d’énergie et très polluants, peu compatibles avec les

normes environnementales occidentales actuelles.

2 Un peu de quantification

2-1 Jusqu’à quelles profondeurs trouve-t-on des gisements de

combustibles fossiles ?

Les gisements exploitables de combustibles fossiles ne se formant que dans les bassins

sédimentaires, ces profondeurs ne peuvent de facto qu’être inférieures à l’épaisseur

des séries sédimentaires: peu, même empilées les unes sur les autres par le jeu des

subsidences et des inversions tectoniques, ont actuellement des épaisseurs cumulées

dans un bassin supérieures à 10 km, le record mondial étant semble-t-il celui du bassin

du Sud de la Mer Caspienne, dont la profondeur maximale serait d’un peu plus de 20

km.

2-1-1 Pétroles et gaz

La figure 31 montre la distribution des réserves (voir plus loin la discussion sur la

signification de ce terme) de pétrole en fonction de la profondeur du puit de découverte

par rapport au niveau du sol ou au fond de la mer, pour le monde hors US et Canada.

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11

La statistique, due à J. Laherrère, porte sur environ 14 000 gisements conventionnels

situés à terre (onshore) et en mer (offshore).

Figure 31 : Distribution des profondeurs et des volumes de découverte dans le monde,

hors Etats-Unis et Canada terrestres, pour des gisements trouvés à terre (onshore) ou

en mer (offshore). Pour les Etats-Unis et le Canada terrestres, le nombre de puits forés

par de petits producteurs indépendants, pour lesquels ces données n’ont pas été

répertoriées, est bien trop grand pour que les statistiques aient un sens.

On observe que la moitié du volume total des réserves a été découvert à moins de 2500

mètres de profondeur et que très peu en a été découvert à des profondeurs supérieures

à 5000 mètres.

En fait, la profondeur actuelle de ces gisements est la plupart du temps inférieure à la

profondeur maximale qu’ils ont atteinte au cours de leur histoire géologique, car les

bassins sédimentaires ont pratiquement tous subi une ou plusieurs inversions

tectoniques et donc une érosion des sédiments quand ils ont été portés à la surface.

Mais cela joue rarement sur plus de quelques centaines de mètres, et cela ne change

guère le tableau.

On peut objecter que cette distribution est due aux limites techniques des procédés de

forage. Elle viendrait du fait que le coût des forages augmentant beaucoup plus vite

que leur profondeur, on ne fait pas beaucoup de forages très profonds et que l’on ne

prend pas en considération les petits gisements trouvés à ces profondeurs, du fait de

leur coût d’exploitation.

D’autre part, sauf exception (roches très tendres et/ou gradient géothermique faible)

on ne sait pas forer efficacement au-delà de 10 000 mètres environ, les performances

des outils de forage diminuant avec la profondeur et en particulier avec la température

! Le record mondial, 12 260 mètres, a longtemps été un puits foré dans la presqu’île

de Kola en Russie. Il a été battu récemment par un puits de 12370 mètres foré à

Sakhaline par la compagnie Exxon Mobil.

Mais pétrole et gaz, du fait de leur mouvement globalement ascendant au cours de leur

migration, s’accumulent en général au-dessus de leur zone de formation. Or cette

dernière ne peut guère atteindre plus de 6 à 7000 mètres de profondeur maximale par

rapport au sol ou au fond de la mer, le kérogène de la roche-mère ayant alors

pratiquement épuisé son potentiel de formation d’hydrocarbures, sauf si le gradient

géothermique est exceptionnellement faible, ce qui arrive par exemple dans les bassins

sédimentaires où se trouvent de très fortes épaisseurs de sel, comme les bassins

offshore brésiliens.

0

1500

3000

4500

6000

7500

9000

10500

12000

13500

15000

0

200

400

600

800

1000

1200

1400

1600

1800

2000

0 2000 4000 6000 8000 10000 12000

nom

bre

de

cham

ps

déc

ou

ver

te c

um

ulé

e G

b

profondeur puits découverte m

Découverte & profondeur pour le monde excluant US & Canada terrestre

déc cum

nb champs

Jean Laherrere 2010

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12

La distribution des gisements de gaz en fonction de la profondeur n’est pas très

différente de celle des gisements de pétrole. S’il se forme à des profondeurs en

moyenne plus fortes que le pétrole, le gaz est aussi plus mobile dans les sédiments et

ses gisements peuvent donc se trouver encore plus haut au-dessus de sa zone de

formation.

Les gisements situés en mer se trouvent à des profondeurs analogues à celles des

gisements à terre, si l’on ne considère que la série sédimentaire qui les contient, et que

l’on prend alors comme référence le fond de la mer. Mais si la référence est le niveau

de la mer, il faut alors y ajouter la tranche d’eau. L’épaisseur de celle-ci est très

variable, jusqu’à 3 km dans le cas par exemple de certains gisements exploités dans le

Golfe du Mexique,

Cette épaisseur de tranche d’eau sera sans doute dépassée pour les gisements qu’il est

prévu d’exploiter au large des côtes du Brésil, qui se trouvent dans ce qu’on appelle

l’infrasalifère (subsalt), ou encore au large des côtes de l’Angola.

2-1-2 Charbons

Les séries houillères peuvent avoir des épaisseurs considérables, rarement plus de 5 à

6 km toutefois. Elles peuvent cependant être enfouies à des profondeurs plus grandes,

et se retrouver alors dans la zone dite de métamorphisme, où se produisent des

transformations minéralogiques importantes. C’est ainsi que se forment les anthracites

et méta-anthracites, qui ne peuvent être exploitées que si une inversion tectonique et

l’érosion qui en résulte fait remonter la formation sédimentaire qui les contient à une

profondeur bien moindre. Mais il existe des limites techniques à la profondeur possible

des exploitations. La limite pour les exploitations en découverte (à ciel ouvert, open

field, open pit, open cut) est d’environ 400 mètres. Pour les mines souterraines, c’est

environ 1500 mètres : cela est dû à la température, qui rend au-delà la présence

humaine très difficile, même avec une forte ventilation, mais encore plus à un coût

d’exploitation qui croît beaucoup plus vite que la profondeur, et des dépenses

énergétiques excédant alors l’énergie récupérable dans le charbon extrait. Aux

profondeurs supérieures, il est envisageable d’exploiter par forage le gaz que

contiennent les veines de charbon (CBM), et il sera peut-être possible un jour

d’exploiter celles-ci par gazéification souterraine. Les limitations de profondeur seront

alors à peu près celles des exploitations pétrolières.

2-1-3 Schistes bitumineux

Les schistes bitumineux ne pouvant pas avoir subi d’enfouissement important (sinon

leur kérogène aurait perdu son potentiel en huile de pyrolyse parce qu’il aurait déjà

produit du pétrole et du gaz), se trouvent de facto à faible profondeur, inférieure en

général au km. D’autre part, on ne sait actuellement les exploiter qu’en carrière et en

découverte, ce qui limite leur profondeur d’exploitation à quelques centaines de

mètres. Leur gazéification souterraine est envisageable, mais elle est a priori bien plus

difficile que pour les charbons parce que leur teneur en carbone organique est plus

faible. Et il existe des projets très complexes de pyrolyse souterraine, essentiellement

aux Etats-Unis pour exploiter la formation des Green River Shales, où se trouvent les

quantités de schistes bitumineux les plus importantes connues au monde. Mais ces

projets n’ont toujours pas abouti : après 30 ans Shell a abandonné en 2012 le projet in

situ Mahogany dans le Colorado, consistant en un chauffage électrique dans des puits

pour pyrolyser les schistes et produire ainsi in situ de l’huile de schistes (kerogen oil,

STL) in situ, avec congélation tout autour pour empêcher les venues d’eau.

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13

2-2 Le pouvoir calorifique des combustibles, source de leur intérêt

économique.

L’intérêt économique des combustibles réside principalement dans leur capacité à

produire de la chaleur par réaction avec l’oxygène (combustion), autrement dit dans

leur pouvoir calorifique. Ce pouvoir calorifique dépend en première analyse de leur

teneur en carbone, hydrogène et oxygène. Si la combustion est totale, le carbone

produira du gaz carbonique et l’hydrogène produira de l’eau, avec dégagement de

chaleur. L’oxygène déjà présent dans le combustible diminue le pouvoir calorifique.

La position des combustibles sur un diagramme tel que celui de la figure 32 permet

une visualisation rapide de la composition en C, H et O de la plupart des combustibles

et des carburants recensés ici.

Figure 32 : Position des principaux combustibles fossiles dans un diagramme de van

Krevelen-Durand (diagramme rectangulaire H/C versus O/C, en rapports atomiques)

et comparaison avec des carburants carbonés, ainsi qu’avec le bois et la cellulose. 1,

2 et 3, position des chemins d’évolution moyen des types 1, 2 et 3 de kérogènes. Pour

la définition des types de kérogènes voir la première partie, chapitre 2.

Le pouvoir calorifique est la quantité de chaleur produite par la combustion d’une unité

de masse de combustible. Il faut distinguer le pouvoir calorifique supérieur (PCS), du

pouvoir calorifique inférieur (PCI). On les exprime tous deux en joules/ kilogramme.

Le PCS est égal au PCI additionné de la chaleur qui se dégage lorsque la vapeur d’eau

produite par la combustion de l’hydrogène contenu dans le combustible se condense.

L’hydrogène a un PCS d’environ 141 MJ/kg et un PCI d’environ 121 MJ/kg. Pour le

carbone pur (sous forme graphite), puisqu’il ne contient pas d’hydrogène, PCS et PCI

sont bien sûr identiques, environ 33 MJ/kg.

Pour les combustibles fossiles, l’écart entre PCS et PCI va de 2% à 10 % environ du

PCI selon les teneurs en hydrogène*23, l’écart étant le plus grand pour le combustible

le plus riche en hydrogène, le méthane, dont le PCI est à peu de chose près de 50 MJ/kg

et le PCS de 55,5 MJ/kg, soit 11% de plus que le PCI.

Composition de combustibles et de carburants carbonésH/Catomique

O/Catomique0 0,2 0,4 0,6 0,8 1

1

2

3

4Méthane (gaz naturel)

Ethanol

Pétrole, carburants pétroliers

BiodieselBitumes, huile de schistes bitumineux

Bois

Cellulose

Tourbe

Lignite BrillantLignite

Charbon bitumineux

Anthracite

Métaanthracite

Kérogènes de schistes bitumineux

2

1

3

B.DURAND 2015

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14

*note 23 : l’hydrogène est on l’a vu un constituant majeur des combustibles fossiles

et sa teneur détermine pour une grande part leur capacité calorifique et donc leur

intérêt et leurs usages industriels. En masse, elle est de 25 % pour le méthane (80 %

en atomes). Elle est de 17 % pour le butane (environ 71% en atomes), 14 % pour

l’essence et le gazole (environ 66 % en atomes), 11 % pour le fioul lourd (environ 64

% en atomes), et 10 % pour le bitume (environ 60 % en atomes). (Bauquis, P-R. et

Bauquis, E., 2004)

Le PCI est le plus utilisé pour qualifier les combustibles (tableau 8). En effet la chaleur

qui pourrait être récupérée par condensation de la vapeur d’eau produite, ne l’est pas

dans les utilisations courantes (elle l’est dans les chaudières dites à condensation).

Le PCI des combustibles commercialisés est très variable en fonction de leur nature,

mais aussi d’un grand nombre d’autres paramètres, en particulier de leur teneur en eau

ou en minéraux, ainsi que du mode de conditionnement.

Combustible Cellulose Bois (10%

d’humidité)

Lignite (Brown

Coal)

Lignite

brillant (Subbitum.)

Charbon

Bitum.

Anthracite Ethanol Biodiesel

Bitume

Pétrole

brut

Méthane

PCI (MJ/kg) 14 16 10-20 15-25 25-35 25-35 29,7 36-38 40-44 50

Tableau 8 : PCI approximatif des combustibles représentés sur la figure 30. La gamme

des valeurs pour les charbons et même pour le pétrole reflète leur variété d’origines

et de compositions.

Pour évaluer à l’échelle mondiale le potentiel énergétique des combustibles fossiles,

on utilise une unité, la tonne-équivalent-pétrole (tep), qui est en principe le PCI d’une

tonne de pétrole. Toutefois le pouvoir calorifique des pétroles est assez variable selon

leur composition (tableau 8). On a donc fixé arbitrairement à 10 000 thermies,

l’équivalent énergétique de la tep. La thermie vaut 1 million de calories. La calorie,

définie en 1824 par Nicolas Clément, est une unité plus ancienne que le joule.

Longtemps utilisée pour mesurer les quantités de chaleur, sa valeur a très légèrement

fluctué au cours du temps, d’une définition à l’autre et selon le périmètre

d’applications, entre 4,182 et 4,204 joules. En bref, pour l’Agence internationale de

l’énergie (AIE) la tep vaut 41,86 milliards de joules (GJ). La valeur retenue par

l’Administration française a été longtemps de 42 GJ !

Une grande difficulté pour faire des évaluations quantitatives du contenu énergétique

de la production mondiale de pétrole est que les quantités de pétrole produites sont

évaluées en volume et non en masse. Il est en effet beaucoup plus facile de mesurer en

continu un volume qu’une masse à la sortie d’un puits. De plus, sous l’influence de la

culture dominante dans le monde pétrolier, la culture américaine, l’unité de volume

utilisée est le baril, unité qui vaut à très peu de chose près 159 litres et n’est pas

reconnue par le Système international d’unités (SI). Du fait des différences de densité

d’un pétrole à l’autre, la conversion en tonnes est difficile. Une règle de pouce déjà

ancienne est de 7,3 barils pour une tonne en moyenne. Du fait de la contribution de

plus en plus grande de produits à densité relativement faible dans l’approvisionnement

pétrolier mondial en pétrole tous liquides, ce ratio était en 2013 devenu proche de 7,7

si l’on en croît la BP Statistical Review, qui donne des statistiques à la fois en barils et

en tonnes. Une unité de production couramment utilisée est le million de barils par

jour (Mb/j ou Mb/d, d signifiant dies et non day), soit 365 millions de barils par an.

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15

Selon que l’on prend un coefficient de conversion de 7,3 ou de 7,7, cela représente 50

ou 47,4 millions de tonnes par an.

D’autre part, le pouvoir calorifique des pétroles conventionnels par unité de masse,

mais aussi celui des pétroles non conventionnels et des autres produits qui sont

comptabilisés par les agences dans la production pétrolière (tableau 7) est variable.

Pour rendre compte de ces variabilités, la publication de statistiques en tonne-

équivalent-pétrole (tep), qui est une unité d’énergie*24, plutôt qu’en baril et même en

tonne, qui n’en sont pas, par les agences, serait souhaitable. En première analyse, on

peut cependant considérer qu’à l’échelle de la production mondiale, 1 tonne de pétrole

a statistiquement un contenu énergétique proche de 1 tep.

*24 note : L’unité d’énergie dans le système international d’unité (SI) est le joule.

Mais c’est une unité extrêmement petite comparée à la consommation mondiale

d’énergie. On a vu qu’une tep «vaut» pour l’Agence internationale de l’énergie 41,86

milliards de joules (GJ) ! La consommation mondiale d’énergie primaire est

actuellement d’environ 13 milliards de tep (Gtep). 1 Gtep « vaut » 41,86 1018 joules

(EJ) ! On utilise aussi souvent le Wh, qui vaut 3600 joules, et ses multiples, kWh (kilo,

1000 Wh), MWh (méga,1million de Wh), GWh (giga, 1milliard de Wh), TWh (téra,

1000 milliards de Wh). 1 Wh «valant» 3600 joules, 1 tep vaut donc 11,55 MWh, et 1

Gtep 11,55 milliards de MWh.

S’ajoute à ces difficultés l’incertitude des statistiques de production (voir chapitre 3-

2)

Il résulte de tout cela que l’on ne connaît pas vraiment précisément le contenu en

énergie de la production mondiale de pétrole tous liquides, c’est-à-dire comprenant

toutes les catégories recensées sur le tableau 7. Si la production comptée en barils

augmente encore actuellement, le contenu énergétique d’un baril moyen est en

diminution sensible depuis quelque temps du fait de la contribution croissante de

catégories à énergie volumique faible, et l’énergie disponible dans cette production ne

semble plus guère augmenter. La quantité d’énergie utilisable par habitant de la planète

compte tenu de l’augmentation de la population mondiale, mais aussi de la diminution

du taux de retour énergétique (voir plus loin) est quant à elle certainement en

diminution.

Xavier Chavanne, 2015 a a fait récemment une proposition intéressante : exprimer

les productions de pétrole en baril-équivalent-pétrole (bep), le bep étant cette fois un

PCS, et non un PCI, de valeur 6,12 GJ. Cette proposition part de la constatation

empirique que le PCS d’un baril de pétrole conventionnel ou de condensat est en

moyenne de 1 bep. D’autre part, il est relativement facile de convertir en bep l’énergie

contenue dans un baril de LUGN, connaissant sa composition. Ce procédé ne

changerait guère les habitudes de langage de la profession, mais permettrait de suivre

bien plus exactement le contenu énergétique de la production mondiale.

Quand le pétrole a remplacé le charbon comme première source d’énergie à l’échelle

mondiale, ce qui s’est produit vers 1965, la tonne-équivalent-pétrole (tep) a remplacé

la tonne-équivalent-charbon (tec) dans les statistiques mondiales. Construite de la

même façon que la tep, la tec vaut 7000 thermies, et donc 0,7 tep, soit 29,3 GJ. Ce

coefficient de conversion est encore utilisé par beaucoup pour faire une évaluation du

contenu en énergie de la production charbonnière mondiale, qui est évaluée en tonnes.

Mais le contenu énergétique des charbons est beaucoup plus variable que celui des

pétroles (tableau 8). Il varie en effet beaucoup selon leur rang et la nature de la

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biomasse végétale qui leur a donné naissance, mais aussi selon la teneur en eau et en

cendres. Si l’on en croît la BP Statistical Review, une tonne de charbon ayant la

composition moyenne de la production mondiale actuelle ne vaut actuellement

qu’environ 0,5 tep (0,7 tec) et non 0,7 tep (1 tec). La plupart des commentateurs, qui

raisonnent habituellement en tonnes et non en tep, ou quand ils raisonnent en tep

utilisent ce coefficient de 0,7 au lieu de 0,5, surestiment donc de fait le contenu en

énergie des réserves mondiales de charbon. En Chine, de très loin le premier

producteur mondial actuellement, le contenu énergétique moyen du charbon produit

est depuis quelque temps en baisse sensible, et serait passé de 0,52 tep/t en 2005 à 0,45

tep/t en 2012 (D.Fridley, communication personnelle).

Il faut aussi avoir conscience que la production des combustibles fossiles nécessite de

l’énergie. Pour estimer l’énergie réellement disponible pour la société mondiale, il fut

déduire du contenu en énergie de la production la quantité d’énergie utilisée pour cette

production. C’est la notion de Taux de retour énergétique (TRE) en anglais Energy

Return on Energy Invested (ERoEI, ou plus simplement EROI) que l’on quantifie

par un rapport, celui de l’énergie disponible dans la production sur l’énergie utilisée

pour la produire. Un TRE de 1 au niveau de la production signifie donc qu’il y a autant

d’énergie produite que d’énergie utilisée pour la produire, et que l’exploitation n’a

donc plus de sens d’un point de vue énergétique. On a vu par exemple que c’était le

cas pour le charbon extrait par mines au-delà d’environ 1500 mètres de profondeur.

Elle peut encore en avoir d’un point de vue économique si elle produit une énergie

mieux valorisée que celle qui sert à la produire. Mais la société mondiale, qui

fonctionne globalement en système fermé, ne peut utiliser pour produire de l’énergie

plus d’énergie qu’elle n’en produit. Un TRE de 1 à l’échelle mondiale, toutes formes

d’énergie confondues, y compris celle tirée des aliments, signifierait donc sa fin.

Cet aspect fondamental de la production d’énergie a été très longtemps totalement

négligé, sans doute parce que les TRE sont longtemps restés très importants.

Les estimations de TRE se multiplient en ce moment mais sont encore très parcellaires

et incertaines étant donné les difficultés d’avoir des données directes en nombre

suffisant. Il y a aussi désaccord quant aux méthodes de calcul, ainsi que sur le choix

du «périmètre» du calcul: faut-il limiter le calcul du TRE au seul bilan énergétique de

l’extraction de la matière première, ou l’élargir à la mise à disposition des produits

commercialisés au consommateur*25, à l’énergie «utile», c’est-à-dire celle qui sert

réellement à fournir les services recherchés, ou même à l’énergie que consomme

l’environnement matériel et économique qui permet leur utilisation (par exemple

l’énergie nécessaire à la fabrication des routes utilisées par les automobilistes) ?

*Note 25 : la notion de TRE au niveau du consommateur va au-delà de la notion

d’énergie finale, c’est-à-dire de la fraction de l’énergie initialement disponible dans

la source naturelle (son énergie primaire) qui arrive au consommateur. Prenons

l’exemple des bitumes canadiens : ces bitumes ont dans le gisement un PCI que l’on

peut évaluer à environ 38 MJ/kg. Une certaine quantité d’énergie est nécessaire pour

les extraire, les raffiner et acheminer ces produits raffinés au consommateur.

L’énergie finale est ce qui reste de leur énergie initiale quand elle arrive au

consommateur. Mais dans ce cas précis, on utilise du gaz pour produire la vapeur

d’eau à haute température nécessaire à l’extraction, c’est-à-dire une autre source

d’énergie que le bitume lui-même.

Il n’en reste pas moins que, au niveau de la production, ce TRE diminue maintenant

de plus en plus rapidement pour le pétrole et le gaz (figure 33), car les gisements

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demandent de plus en plus d’énergie pour les trouver et surtout pour les exploiter.

Certains gisements ont d’ores et déjà des bilans énergétiques très diminués. Selon

Chavanne, 2015 b, si les pertes d’énergie du producteur de pétrole au consommateur

de produits raffinés seraient actuellement de l’ordre de 11 % pour du pétrole

conventionnel (dont 2,5 % au niveau de la production), soit un TRE au niveau du

consommateur de 9, elles seraient d’environ 40% dans le cas des sables bitumineux

canadiens, (dont 25 % rien qu’au niveau de la production), ce qui correspond à un TRE

de 2,5 au niveau du consommateur !

Pour le charbon, les TRE au niveau de son extraction seraient encore très élevés. Les

valeurs couramment citées varient de 50 à 80 environ. Mais il se pourrait qu’elles

soient exagérées : Selon D.Fridley (communication personnelle) le TRE à la

production du charbon chinois, qui représente à peu près la moitié de la production

mondiale, serait descendu maintenant à 17 !

Figure 33: Evolution du TRE (EROI) pour l’ensemble pétrole et gaz à l’échelle

mondiale de 1992 à 2006, d’après Gagnon et al., 2009 .

Parmi les travaux récents sur les TRE, On trouvera par exemple dans Hall et al., 2014

une étude détaillée des TRE des combustibles fossiles, mais aussi d’autres sources

d’énergie primaire, selon différents périmètres, dans Weissbach et al., 2013 une étude

sur les TRE de la production d’électricité selon les sources d’énergie utilisées, et dans

Aucott et Melillo, 2013 , une étude sur les TRE à la production de gaz de schistes.

Ces travaux montrent la complexité du sujet mais aussi un manque d’homogénéité

dans les méthodes suivies par les différents auteurs et leurs résultats. Cependant elles

montrent aussi que l’on ne saurait se soustraire à une réflexion à ce sujet si l’on veut

cerner l’avenir des combustibles fossiles.

3- Quelles perspectives pour l’avenir ?

Ce chapitre doit beaucoup aux travaux de Jean Laherrère, fondateur en 2000 avec

Colin Campbell de l’ASPO (Association for the Study of Peak Oil and Gas),

association internationale de géologues pétroliers et d’économistes représentée dans

14 pays, qui étudie à l’échelle mondiale les possibilités futures de production du

pétrole, du gaz et maintenant du charbon.

On peut trouver ces travaux en particulier sur le site de la section française de l’ASPO

(www.aspofrance.org ).

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18

3-1 Un problème bien difficile : Celui de l’évaluation des réserves de

combustibles fossiles !

3-1-1 Les réserves, qu’est-ce que c’est ?

Les quantités qu’il est possible d’extraire avec le savoir-faire technologique et dans

les conditions de rentabilité économique du moment sont ce qu’on appelle les

réserves, il en est des combustibles fossiles comme de toute matière première

minérale, fer, cuivre, or, uranium...

Il faut bien distinguer les réserves des quantités en place dans les gisements. Ces

dernières représentent les quantités existant dans le gisement, mais elles ne pourront

jamais être extraites en totalité.

Réserves et quantités en place ne peuvent jamais être exactement connues, parce

qu’elles ne peuvent qu’être estimées par des méthodes statistiques : Or celles-ci ne

peuvent par nature que fournir une probabilité d’existence. On ne peut connaître en

fait les réserves d’un gisement qu’une fois son exploitation définitivement

abandonnée, et on ne connaîtra jamais exactement les quantités en place.

A l’échelle d’un gisement, les réserves ultimes sont sa production cumulée depuis le

début de son exploitation jusqu’à son abandon. A l’échelle mondiale, elles sont celles

qui au total auront été extraites de tous les gisements dont l’exploitation a été

définitivement arrêtée, additionnées de celles qui au total pourront être extraites des

gisements encore en exploitation, des gisements découverts mais non encore exploités,

et des gisements encore à découvrir. Cette notion a donc un caractère plus spéculatif

que les notions précédentes. Il est difficile en effet de prédire non seulement les

découvertes de gisements, mais aussi les évolutions de la technologie et de l’économie.

Bien plus spéculative encore est la notion de ressources, qui comprend les quantités

en place dans des gisements connus ou à découvrir, et y ajoute même des

accumulations actuellement inexploitables ou de type encore inconnu, tout cela

devenant accessible grâce à des révolutions technologiques hypothétiques et à une date

également hypothétique. A la limite, chaque parcelle de substance organique contenue

dans la croûte terrestre peut être ainsi considérée comme une ressource de combustible

fossile. Mais pour qu’elle passe au statut de réserve, il faut cependant trouver une

technologie permettant de l’extraire de façon rentable, et en dépensant moins d’énergie

qu’elle peut en fournir. Il en est de même du méthane contenu dans l’atmosphère

(environ 5 milliards de tonnes).

Pour préciser la notion de réserves et montrer ses incertitudes, considérons d’abord la

façon dont on évalue en pratique les réserves sur l’exemple d’un gisement de pétrole

conventionnel (figure 34) :

La première étape est celle de la découverte par un ou deux forages dits de découverte

(haut de la figure 34). A partir de ces deux forages, on ne peut construire qu’un modèle

simpliste de la géologie du gisement et de ses possibilités de production à partir des

informations recueillies dans ces forages : nature des roches traversées, perméabilité

des formations réservoirs (celles qui contiennent le pétrole), essais de débit,

composition et propriétés physiques du pétrole, etc. L’incertitude est ici bien trop

grande pour prendre une décision d’exploitation et l’on fore quelques puits

supplémentaires dits de délinéation. On voit à quel point (bas de la figure 34) les

informations recueillies sur ces nouveaux puits ont dans ce cas modifié le modèle

géologique initial !

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19

Les modèles géologiques sont établis grâce aux connaissances acquises au cours du

temps par les géologues sur les types et les structures des dépôts sédimentaires, ainsi

qu’à l’aide des informations fournies entre autres par les études géophysiques, qui

réalisent une « tomographie » du sous-sol, par les diagraphies, c’est-à-dire l’analyse

des enregistrements des propriétés physiques des roches réalisés en cours de forage, et

par les débits, la composition et les propriétés physiques des fluides recueillis qui

renseignent sur les perméabilités et donc sur les débits possibles d’extraction. Ils sont

raffinés grâce à des méthodes de géostatistique. Il faut bien comprendre que le nouveau

modèle, s’il est beaucoup plus probable que le premier, n’en est pas pour autant certain.

Figure 34: Modifications du modèle géologique après avoir foré des puits de

délinéation. En rouge les zones supposées contenir le pétrole. Courtoisie Christian

Ravenne.

A ce stade, la décision doit être prise d’exploiter le gisement ou de l’abandonner. On

commence par estimer à partir des données recueillies, qui sont interpolées par des

méthodes géostatistiques, donc avec des incertitudes parfois très importantes, les

quantités en place, c’est-à-dire la quantité totale de pétrole présente dans le gisement.

Pour un gisement conventionnel comme celui représenté ci-dessus, le rapport des

quantités récupérables aux quantités en place, c’est ce qu’on appelle le taux de

récupération, est très variable d’un gisement à l’autre, de 5 à 80 % environ, mais est

en moyenne de moins de 30 % encore actuellement (selon J. Laherrère, sur 17200

champs constituant l’essentiel des réserves mondiales: taux médian suivant le nombre

= 25%, taux médian suivant le volume des réserves = 41 %, moyenne = 26%), malgré

les améliorations apportées au cours du temps par les techniques dites de récupération

assistée. Cela est dû aux limitations inhérentes aux mécanismes physiques des

écoulements des fluides polyphasiques en milieu poreux (voir première partie, chapitre

3-1-2). Mais son calcul est aussi nécessairement entaché de fortes incertitudes, puisque

si l’on connaîtra in fine les quantités extraites, on ne connaît jamais précisément les

quantités en place. On peut cependant faire une évaluation a priori de ce taux de

récupération, en fonction de l’expérience acquise par les géologues et par les

producteurs sur le type de gisement découvert.

Que sait-on des réserves pétrolières ? Notion de réserve

et incertitude géologique sur les réserves

Page 20: Energies carbonées fossiles (pétrole, gaz, charbon ... · récupérés dans les usines de traitement du gaz ... on pouvait définir un plan d ... sur l‘avenir de la production

20

On élabore ensuite à partir des informations maintenant disponibles un modèle de

production du gisement, qui évalue le débit possible du pétrole au cours du temps selon

l’infrastructure.

Ce modèle est ensuite confronté à un modèle économique de l’évolution du prix au

cours du temps, qui permet d’évaluer la rentabilité de la production.

De tout cela est tirée une estimation de la production cumulée au cours du temps et

donc des réserves, c’est-à-dire des quantités qui finalement pourront être extraites.

Parce que cette estimation est faite avec des méthodes statistiques, elle ne peut par

construction que donner des probabilités.

On appelle réserves prouvées, ou encore réserves 1 P, les volumes dont on évalue à

plus de 90 % la probabilité de pouvoir les extraire de façon rentable pendant la durée

de l’exploitation : C’est une estimation basse des réserves réelles.

Sont estimées aussi les réserves probables, en fait prouvées + probables, dites

encore 2P : ce sont celles que l’on a plus de 50% de probabilité de pouvoir extraire.

Puis sont estimées les réserves possibles, en fait prouvées + probables + possibles

(3P), celles que l’on a plus de 10 % de probabilité de pouvoir extraire : C’est une

estimation haute des réserves récupérables.

A l’expérience, pour la moyenne des gisements ayant été exploités, la meilleure

estimation statistique des réserves ultimes réelles s’est révélée post mortem être celle

des réserves 2 P, et c’est en général cette donnée qui guide la décision de la compagnie

pétrolière d’exploiter ou non le gisement, et donc aussi celle des banques, quand elles

acceptent de prendre une part du risque, de fournir le financement que leur demande

éventuellement la compagnie *26.

Pour quelqu’un n’étant pas accoutumé à cette gymnastique, il faut réaliser qu’il ne

s’agit absolument pas de quantités mesurées, mais de quantités ayant une certaine

probabilité de pouvoir finalement être extraites, et que la marge d’incertitude sur leur

valeur est forte. D’autre part, ces quantités sont d’autant plus faibles que la probabilité

de pouvoir les extraire est forte.

* note 26: A propos du financement de l’exploitation d’un gisement : de plus en plus,

elle se pratique sur le principe d’un contrat de partage de production entre un Etat

qui est le propriétaire du gisement, et une compagnie ou un consortium de compagnies

qui l’exploite, et qui est ce qu’on appelle l’opérateur. Les banques prêtent à l’Etat et

non à l’opérateur. Ce dernier devient alors, par sa production, le garant de cette

créance !

Pendant l’exploitation, on forera de nouveaux puits, on connaîtra mieux le gisement,

et on procédera donc régulièrement à une réévaluation des réserves 1P et 2P. Mais en

réalité une augmentation des réserves 1 P n’augmente pas d’autant les réserves ultimes

du gisement, c’est-à-dire les quantités totales qui pourront finalement en être extraites.

On aura simplement fait passer des réserves de la catégorie réserves probables à la

catégorie réserves prouvées.

Si l’on veut connaître les quantités ultimes qui pourront être extraites d’un gisement,

et les quantités restantes de ces quantités ultimes, c’est donc aux réserves 2 P, dites

aussi réserves techniques, et à leur réévaluation qu’il faut s’intéresser et non aux

réserves 1P.

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21

Or les réserves 2 P ne sont généralement pas publiées par les compagnies pétrolières,

qui ne sont même pas autorisées à le faire en ce qui concerne les compagnies cotées à

la bourse de New-York. Les médias et même les agences en charge des statistiques sur

l’énergie n’y ont donc pas d’accès direct, sauf pour les rares pays dans lesquels elles

font l’objet de statistiques gouvernementales ou d’associations de producteurs: Les

Etats-Unis pour le Golfe du Mexique avec le Bureau of Ocean Energy Management

(BOEM), le Canada jusqu’en 2009 avec le Canadian Association of Petroleum

Producers (CAPP), le Royaume-Uni (Department of Energy and Climate Change,

DECC) et la Norvège (Norvegian Petroleum Directorate, NPD) pour la Mer du Nord.

Il est pourtant possible de les évaluer à partir des documents disponibles dans les

compagnies pétrolières, collationnés par des sociétés de consultants telles que par

exemple Information Handling Services (IHS), Rystad ou Wood and Mackenzie. C’est

cependant un patient travail de spécialiste.

D’autre part il est essentiel, si l’on veut avoir une idée correcte de leur évolution au

cours du temps, de rapporter toutes les réévaluations de réserves 2 P à l’année de la

découverte du gisement, et non à l’année de la réévaluation. C’est ce qu’on appelle le

back dating (réévaluation rétroactive).

La démarche pour le gaz conventionnel est strictement identique à celle qui vient d’être

décrite pour le pétrole conventionnel. Le taux de récupération moyen est ici

beaucoup plus élevé que dans le cas du pétrole, 80 % environ, le gaz natu rel

ayant beaucoup moins d’affinité pour les roches encaissantes que le pétrole, et

étant bien moins visqueux que celui-ci.

En ce qui concerne les pétroles et les gaz naturels non conventionnels , hors

hydrates de gaz et gaz d’aquifères profonds qui représentent peu de chose,

l’essentiel en est actuellement pour l’instant le bitume canadien, les huiles

extralourdes du Venezuela, et les pétroles et les gaz de roches-mères des Etats-

Unis et du Canada.

Pour les bitumes et les huiles extralourdes, l’estimation des réserves ne peut

pas être aussi élaborée que pour le pétrole conventionnel, dans la mesure où

elle dépend beaucoup plus des méthodes d’exploitation. D’autre part les

méthodes d’exploitation sont beaucoup plus lourdes à mettre en œuvre, et leur

développement possible est de ce fait plus lent. C’est particulièrement vrai des

bitumes canadiens, dont une grande partie est exploitée en mine à ciel ouvert

(découverte, open field, open pit, open cut).

Pour les pétroles et gaz de roche-mère (de schistes), la méthode appliquée pour

le pétrole et le gaz conventionnel n’a tout simplement pas de sens (encart)

Encart : le calcul des réserves de pétrole et de gaz de roche-mère

On a vu à partir de l’exemple de la figure 34 qu’il fallait, pour estimer les

quantités en place de pétrole et de gaz conventionnels, première étape du

calcul des réserves, pouvoir disposer d’un modèle géologique des roches les

contenant (réservoirs) : localisation, dimensions, continuité, distribution des

porosités et perméabilités.... Celui-ci est établi à partir des connaissances sur

la sédimentologie du type de roches, d’études géophysiques, de données

pétrophysiques et de perméabilités estimées sur les roches traversées dans

les puits disponibles, et interpolées par des méthodes géostatistiques. Rien

ou presque de tout cela n’est possible pour les roches-mères. On a vu de plus

que le pétrole et le gaz extraits des roches-mères proviennent souvent, non pas de la

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roche-mère sensu stricto, qui est la partie qui contient le kérogène les ayants

produits, mais en fait des niveaux de faible épaisseur plus perméables qu’elles,

comme par exemple des calcaires dolomitiques ou des silts (grès à grains très fins)

qui sont en fait des réservoirs compacts internes à la roche-mère sensu largo, où

situés à son contact, qui n’ont pas forcément une grande continuité. Il faut de plus

pour que la fracturation soit efficace que les roches soient cassantes, ce qui exclut

les zones très argileuses.

La connaissance des compositions du pétrole et/ou du gaz a aussi une grande

importance pour l’évaluation des possibilités réelles d’exploitation. Aux Etats-Unis,

l’exploitation du gaz de roche-mère n’est dans bien des cas rentable que parce qu’il

contient des liquides de gaz naturel associés, condensats et LGUN. A l’opposé, la

découverte d’un gaz de roche-mère qui serait très riche en gaz carbonique ou en

azote n’aurait pas d’intérêt.

Nul doute qu’il existe des quantités très considérables de pétrole et de gaz

restés piégés dans les roches où ils ont pris naissance, leurs roches-mères.

Mais on ne sait pas actuellement décrire suffisamment bien la structure fine

de ces roches-mères, ni l’extension des niveaux favorables qu’elles

renferment et leurs caractéristiques mécaniques précises, pour faire des

estimations fiables des quantités en place avec quelques puits, comme on le

fait pour les gisements conventionnels. A fortiori, on peut encore moins bien

estimer les réserves.

Comme il faut bien se faire une idée des quantités extractibles avant de

décider d’investir les énormes sommes nécessaires à une exploitation

industrielle, on procède de façon empirique, après une phase pilote où l’on

observe la productivité moyenne des puits et la composition des

hydrocarbures produits. On sait aussi à l’expérience (voir annexe 2) que la

production d’un puits décline rapidement, d’environ 80 à 90 % de la

production initiale en 3 ans. Il est donc possible, ayant observé les courbes

de déclin pendant cette phase pilote d’évaluer les quantités moyennes

extractibles pendant les 3 premières années en fonction du nombre de puits

forés, et leur nature.

On arrive aussi avec le temps à délimiter ce qu’on appelle des sweet spots,

c’est-à-dire des zones où les puits sont plus productifs que la moyenne dans

la formation exploitée, et où on concentrera les puits.

Tout est donc cas d’espèce, et il faut forer de nombreux puits avant de se

faire une bonne idée du potentiel d’une formation . Les déclarations

fracassantes faites sur le potentiel de production des huiles et des gaz de

roche-mère (de schistes) à l’échelle mondiale sont fantaisistes et le resteront

tant que l’on n’aura pas suffisamment foré dans les zones considérées

comme prometteuses. L’exemple de la Pologne annoncée au départ comme

pourvue des plus abondantes réserves de gaz de schistes d’Europe, et dont la

plupart des compagnies pétrolières se sont maintenant retirées, devrait faire

réfléchir. Il y a donc grand besoin de développer une méthodologie

d’estimation directe des réserves à partir d’une bien meilleure connaissance

de la sédimentologie et des caractéristiques mécaniques des roches-mères,

de la prédiction de la composition du pétrole et/ou du gaz qu’elles referment,

ainsi que par les méthodes géophysiques.

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23

Ajoutons que la production des pétroles et gaz de roches-mères, et par

conséquent l’évaluation de leurs réserves, est beaucoup plus sensible au prix

de marché que celle des pétroles et gaz conventionnels. En effe t leurs

accumulations sont plus diffuses que celles des conventionnels, en ce sens

qu’elles sont plus mal délimitées et couvrent de plus grands volumes de roche

avec de plus faibles concentrations moyennes. Le coût des investissements

pour les produire est donc sensiblement plus élevé en moyenne, pour une

même quantité produite, que pour les pétroles et gaz conventionnels.

Pour le charbon, on désigne par réserves prouvées les quantités qui ont une forte

probabilité de pouvoir être récupérées dans les conditions économiques et

technologiques actuelles. C’est à peu près l’équivalent des réserves 1P du pétrole ou

du gaz. Mais l’on désigne par le terme ambigu de ressources prouvées celles dont les

quantités et la qualité ont été établies par des données géologiques fiables et appuyées

par des analyses. Il ne s’agit donc pas du tout de réserves, en l’absence d’un plan de

développement et d’un calcul économique. Cette notion s’apparente plutôt à celle de

quantités en place utilisée par l’industrie pétrolière. On verra que dans le cas du

charbon, on a trop tendance à identifier ces ressources dites prouvées à des réserves,

ce qui conduit à en surestimer les possibilités réelles.

Il en est de même pour les schistes bitumineux, dont les ressources sont

réputées immenses, alors qu’il n’y a pas de réserves, étant donné l’absence

d’exploitations rentables à l’heure actuelle, ou pour les hydrates de gaz,

déclarés comme on l’a vu par certains comme l’avenir de l’humanité, mais

dont il n’existe non plus à l’heure actuelle aucune production rentable.

3-1-2 Sur quelles réserves peut-on compter dans l’avenir ?

En préambule, rappelons encore une fois que les réserves ne sont pas des quantités

mesurées, mais des quantités pour lesquelles on a estimé par des méthodes statistiques

la probabilité qu’elles ont d’exister, et cela avec une forte incertitude. Et ces quantités

sont d’autant plus faibles que leur probabilité d’exister est forte. Donner des valeurs

de réserves sans donner la probabilité correspondante et autant que possible les marges

d’incertitudes, n’a donc guère de sens.

Nous ne donnerons ici que des grandes lignes à l’échelle mondiale, sans détailler pays

par pays. Nous allons voir qu’en fait, il est impossible de se faire une idée claire à

partir des données fournies par les Agences de l’énergie, qui sont les seules à être

diffusées par les médias.

3-1-2-1 Les pétroles

Rappelons tout d’abord qu’en ce qui concerne le pétrole extrait des gisements

conventionnels, les réserves 2 P (probabilité d’existence supérieures à 50%) ont été à

l’expérience la meilleure estimation statistique des réserves ultimes, c’est-à-dire des

quantités totales à avoir été extraites au total pendant la durée d’exploitation du

gisement.

La figure 35 montre quelle a été l’évolution depuis 1920 des réserves 2 P restantes de

pétrole extractibles des gisements conventionnels pour deux estimations : l’une a été

publiée en 1998 par Campbell et Laherrère, 1998 dans Scientific American (The End

of Cheap Oil) et dans sa version française Pour la Science (La fin du pétrole bon

marché), l’autre est une réévaluation faite par J.Laherrère en 2015. Les deux courbes

sont proches l’une de l’autre, et ont un maximum en 1980 : Cela signifie que depuis

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24

cette date les volumes de pétrole considérés comme extractibles des gisements

conventionnels découverts ne compensent plus les volumes de pétrole consommés, et

cela malgré les augmentations de prix et les progrès technologiques augmentant la

récupération du pétrole dans les gisements en exploitation ! La proportion, pour la

période 2003- 2013 a été d’environ 1 à 2 (en moyenne annuelle 15 Gb trouvés contre

30 Gb consommés) !

Figure 35: Estimations des réserves de pétrole 2 P & 1P, en Gb de 1920 à maintenant

: vert clair=courbe des réserves 2 P établie par C.Campbell et J.Laherrère en 1998;

vert foncé=réévaluation par J.Laherrère en Décembre 2015; marron= moyenne des

estimations par diverses agences des réserves 1 P.

Bien noter que les réserves 2 P reportées ici ne concernent que le pétrole

conventionnel, à l’exclusion donc des pétroles extra lourds (bitumes et huiles extra

lourdes), tandis que les réserves 1 P comprennent les extra-lourds. Les LTO ne sont

pas non plus pris ici en compte. Mais leur importance était négligeable avant 2010,

début de leur croissance rapide aux Etats-Unis.

Bien noter également que l’addition des réserves 1 P des gisements pour calculer les

réserves 1 P à l’échelle mondiale est faux d’un point de vue statistique (Capen, 1996).

Cela entraîne en fait une sous-estimation de ces réserves, comme il est signalé sur

cette figure. C’est pourtant la pratique courante des agences. D’autre part, les règles

de la SEC interdisant la publication des réserves 2 P, il est impossible sauf comme ici

par une patiente reconstitution à partir des données disponibles dans les compagnies

de comparer l’évolution des réserves 2P restantes à celle des réserves déclarées.

Au passage, notons qu’environ 90 % des réserves 2P connues de pétrole conventionnel

se trouvent dans seulement 10 % des gisements, comme le montre la figure 36 où les

champs sont classés par taille décroissante : ceci concerne à fin 2010 21 600 champs

(2 200 Gb de brut + condensat) pour le monde excluant les US+Canada dit non

frontière, c’est-à-dire hors Alaska et offshore*27.

0

200

400

600

800

1000

1200

1400

1600

1800

1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990 2000 2010 2020

rés

erves

res

tan

tes

Gb

année

Réserves restantes mondiales de pétrole d'après les sources politiques et techniques

techniques = 2P = prouvé + probable pour date

découverte excluant extra-lourdtechniques 2P SciAm & Pour la Science 1998

politiques = 1 P = courant soi-disant prouvé

Jean Laherrere Dec 2015Sources: IHS, USDOE, CAPP, OGJ

-omission du probable

-additon incorrecte

Ghawar

incluant extra-lourd

+200 Gb Venezuela

+175 Gb Canada

bagarre OPEP pour quotas

+300 Gb = ressources

speculatives S. al-Husseini

excluant 215 Gb

Orénoque 1936 à

1939

WEO 2015

resources 2228 Gb

proved 1706 Gb

OGJ prouvé fin 2015 1656 Gb

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25

*27 note : La raison de l’exclusion des Etats-Unis et du Canada hors Alaska et

offshore est que l’exploitation du pétrole y a été faite dès le début par un nombre très

élevé de producteurs, en majorité très petits, et que les statistiques sont de ce fait

impossibles. Fruits de leur longue histoire pétrolière, il y aurait eu en exploitation aux

Etats- Unis en 1988 de l’ordre de 40 000 gisements de pétrole, et de l’ordre de 35 000

gisements de gaz. Ce nombre a sans doute diminué, mais il restait encore en 2012

environ 560 000 puits producteurs de pétrole et 480 000 puits producteurs de gaz !

.

Figure 36: A gauche, réserves 2 P cumulées en fonction du nombre de champs

(gisements) pour une population de près de 22 000 champs de pétrole excluant le

pétrole extra-lourd. A droite les mêmes données représentées dans un diagramme dit

de Gini, où les réserves découvertes sont exprimées en % du total découvert et le

nombre de champs en pourcentage du total des champs. 90 % des réserves 2 P se

trouvent dans 10 % des champs et 60 % dans moins de 1% des champs (184). Les

réserves 2 P du plus grand, Ghawar, découvert en 1948 sont estimées à 150 Gb. Le

nombre de géants (>500 Mb) serait de 540 avec 59 supergéants (>5000 Mb).

Courtoisie Jean Laherrère.

La production mondiale de pétrole conventionnel dépend donc pour l’essentiel d’un

petit nombre de très gros gisements, appelés géants et supergéants. Pour la plupart ils

ont été découverts entre 1950 et 1980, et beaucoup d’entre eux sont maintenant proches

de l’épuisement.

Comment se fait-il alors que le discours médiatico-économique fasse constamment

référence à des réserves sans arrêt croissantes ? Et pourquoi répète-t-il avec constance

qu’il y a encore des réserves pour 40 ans, à consommation supposée constante (ce qui

n’a en soi pas de sens, parce que de toutes façons on ne consommera pas une quantité

constante de pétrole pendant 40 ans, et plus du tout l’année d’après !) ?

Tout simplement parce que ce discours se réfère aux seules réserves déclarées par les

compagnies, ou collationnées par les agences de l’énergie. Ces réserves, annoncées

comme des réserves prouvées, et qui devraient donc être les réserves 1 P, n’en sont en

fait pas, car , voir figure 35, elles sont en fait calculées par des méthodes où se mêlent

aux critères techniques des critères politico-financiers qui les rendent peu crédibles, et

si les gendarmes boursiers s’y connaissent sans doute en risques financiers, ils ne

connaissent pas grand-chose à la géologie: Ils ont édicté des règles pour le calcul des

réserves qui leur sont propres, qui ont changé au cours du temps, et qui très longtemps

n’ont pas eu grand sens. Pour autant les compagnies pétrolières doivent s’y plier pour

présenter leur bilan. Ajoute à cette confusion le développement des contrats de partage

de production (note 26) qui rendent plus difficile de distinguer entre le tien et le mien,

0

200

400

600

800

1 000

1 200

1 400

1 600

1 800

2 000

2 200

0 2 500 5 000 7 500 10 00012 50015 00017 50020 00022 500

décou

verte

s c

um

ulé

es 2

P G

b

nombre cumulé de champs par taille décroissante

découvertes de brut + condensat cumulées du monde excluant US+Canada non frontière à fin 2010

Jean Laherrere 2015

fin 2010 nb champs reserves Mb

scout 21 596 2200

OPEP surestimation -300

CEI ABC1 en 2P -100

2P 1800

0

10

20

30

40

50

60

70

80

90

100

0 10 20 30 40 50 60 70 80 90100

% d

écou

ver

tes

cum

ulé

es 2

P

% nombre cumulé de champs

Diagramme de Gini des découvertes de brut + condensat du monde excluant US + Canada non

frontière

Jean Laherrere 2015

fin 2010 Nb champ reserves Mb

scout 21 596 2200

OPEC overest -300

CIS ABC1 to 2P -100

2P 1800

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26

et font varier les déclarations de réserve des compagnies en fonction des fluctuations

des prix du pétrole.

Il y a aussi plusieurs classifications de ces réserves dites prouvées : les Etats-Unis, et

par conséquent toutes les compagnies cotées au New York Mercantile Stock Exchange

(Nymex), en particulier toutes les grandes compagnies occidentales (les majors),

utilisent les règles de la Security and Exchange Commission (SEC), d’inspiration

financière, ou celles de la Society of Petroleum Engineers (SPE), qui sont plus

techniques. En Russie existe la classification ABC1. L’OPEP a sa propre classification,

d’inspiration plutôt politique comme on le verra.

Il y a de plus l’absence quasi systématique de back dating, les réévaluations de réserves

« prouvées » étant attribuées à l’année de la réévaluation et non à l’année de découverte

du gisement, ce qui donne l’impression d’une croissance continuelle des réserves

(reserve growth), en fait un artefact, mais apprécié par les compagnies qui se montrent

ainsi sous un jour favorable aux investisseurs. Aux Etats-Unis il y aussi le fait que

beaucoup de petits producteurs « indépendants » déclarent les réserves d’après une

règle de pouce, en multipliant leur production par un facteur qui est toujours le même,

environ 10, année après année. D’autre part, les réserves prouvées sont publiées par

certains analystes sur la base d’une enquête auprès des producteurs avant même que

les études nécessaires n’aient été faites ! L’exemple des US 48 des Etats-Unis, c’est-

à-dire hors Alaska et Hawaï, pour le pétrole conventionnel (figure 37) montre l’inanité

d’utiliser le rapport réserves prouvées déclarées (current) sur production pour prédire

l’avenir.

Figure 37 : comparaison du rapport réserves sur production (R/P) pour les réserves

2 P rapportées à l’année de découverte du gisement (backdated) et pour les réserves

prouvées déclarées (current), pour la production pétrolière des US 48, avant le

décollage du pétrole de schistes, c'est-à-dire essentiellement pour le pétrole

conventionnel.

Le tableau 9 montre le côté très « manipulation financière » et fort peu fiable de

certaines déclarations de réserves : il s’agit, selon l’agence financière Bloomberg, de

la différence entre les réserves déclarées à la SEC et les « ressources » annoncées aux

0

5

10

15

20

25

30

35

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45

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80

1900191019201930194019501960197019801990200020102020

R/P

an

année

USL48: R/P pour le brut

R/P 2P ramené année découverte

R/P 1P courant

Jean Laherrere 2015

East Texas oil field

Page 27: Energies carbonées fossiles (pétrole, gaz, charbon ... · récupérés dans les usines de traitement du gaz ... on pouvait définir un plan d ... sur l‘avenir de la production

27

investisseurs potentiels par les compagnies productrices de pétrole et de gaz de schistes

aux Etats-Unis. Ce tableau est d’autant plus surprenant qu’il n’existe comme on l’a dit

aucune technique fiable d’évaluation des réserves pour ces productions !

Tableau 9: Pétrole et gaz «de schistes» aux Etats-Unis : réserves déclarées à la

Security and Exchange Commission (SEC) et «ressources» annoncées aux

investisseurs, en millions et milliards (billions) de barils, selon Bloomberg .Source :

Laherrère, 2014 d’après Bloomberg.

Ces réserves « prouvées » sont aussi l’objet de manipulations politiques. Un exemple

classique est celui de l’ajout de 300 Gb aux réserves déclarées par les pays de

l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP), en américain

Organization of Petroleum Exporting Countries (OPEC), de 1986 à 1989, après le

contrechoc pétrolier de 1986 et la diminution de la production guidée par l’Arabie

Saoudite. On sait maintenant, grâce entre autres à un haut responsable de la principale

compagnie Saoudienne, l’Aramco, que cette réévaluation provenait à l’époque d’une

surenchère entre pays membres de l’OPEP pour obtenir de meilleurs quotas de

production. Ces réserves n’avaient pas de réalité physique. Malgré l’absence de

nouvelles découvertes et une importante production, elles ont même par la suite

continué à augmenter. L’Iran et l’Irak relancent de temps à autre cette surenchère.

Les réserves « prouvées » déclarées ont aussi augmenté par l’introduction plus ou

moins arbitraire de 200 Gb d’huiles extralourdes du Venezuela et de 175 Gb de

bitumes du Canada. Là encore, ces valeurs sont douteuses, car même si d’énormes

quantités en place existent et sont relativement bien répertoriées, leur taux de

récupération est largement spéculatif. Il dépend en particulier très largement du type

d’exploitation. Pour les bitumes du Canada, de 80 % environ pour les exploitations en

découverte, il n’est que de 10 à 20 % par SAGD. Pour les huiles extralourdes du

Venezuela, il n’est que de 8 % par extraction à froid, contre 25 % pour extraction avec

injection de vapeur. Au Venezuela, il dépend aussi beaucoup du contexte

géopolitique : le taux de récupération a baissé après le départ des compagnies

étrangères.

D’autre part il s’agit de pétroles dont la dynamique de développement est plus lente

que celui des gisements conventionnels, et s‘apparente à celle de la production

charbonnière. Si l’on veut essayer de prédire l’avenir des productions de pétrole, il

Page 28: Energies carbonées fossiles (pétrole, gaz, charbon ... · récupérés dans les usines de traitement du gaz ... on pouvait définir un plan d ... sur l‘avenir de la production

28

vaut mieux ne pas mélanger ces réserves avec celles de pétrole conventionnel, car, on

le verra plus loin, la taille du robinet a plus d’importance que le volume du tonneau.

Les réserves prouvées restantes varient aussi d’une agence à l’autre (figure 38), bien

que celles-ci s’alimentent peu ou prou aux mêmes sources.

Figure 38 : diverses estimations des réserves prouvées de pétrole restantes : Energy

Information Administration et Oil and Gas Journal (EIA/OGJ), British Petroleum

(BP), World Oil (WO).

Si sur la figure 35 on soustrait les 300 Gb de réserves spéculatives de l’OPEP, et les

presque 400 Gb de réserves annoncées d’huiles extralourdes pour faire la comparaison

uniquement pour le pétrole conventionnel, les réserves déclarées (prouvées ?) restantes

n’en seraient pas moins depuis les chocs pétroliers à peu près continuellement

croissantes et recouperaient un peu avant 2010 celles des réserves 2 P restantes. Or

cela est impossible par définition : les réserves prouvées restantes ne peuvent rejoindre

les réserves 2 P restantes qu’une fois tout le pétrole exploité ! On ne peut donc guère

se fier à ces « réserves prouvées », qui sont manifestement à l’heure actuelle largement

exagérées !

Quant aux réserves de pétrole de schistes (de roche-mère), nous avons vu qu’il n’y en

avait pas d’estimation possible sans une exploitation de longue durée. Les déclarations

fracassantes faites à ce sujet ne s’appuient donc sur rien de solide. Les prédictions de

l’EIA, qui ont couru le monde entier, ont été faites à partir d’extrapolations au reste du

monde par de simples règles de trois à partir de l’exemple des formations productrices

américaines ! On a pu apprécier la valeur de ce type de prédiction pour la Pologne,

mais même pour les Etats-Unis suite aux prévisions faites pour la formation de

Monterey en Californie, qui sont passées de mirifiques à pratiquement zéro une fois

les choses regardées de plus près !

0

200

400

600

800

1000

1200

1400

1600

1800

1945 1955 1965 1975 1985 1995 2005 2015

rés

erves

pro

uvée

s G

b

année

réserves prouvées restantes mondiales d'après différentes sources

1P BP 2015

1P BP 2014

1P EIA/OGJ

1P WO

Jean Laherrere Dec 2015

augmentation 300 Gb par

l'OPEP bagarre des quotas

Page 29: Energies carbonées fossiles (pétrole, gaz, charbon ... · récupérés dans les usines de traitement du gaz ... on pouvait définir un plan d ... sur l‘avenir de la production

29

D’autre part, ces publications de réserves ne précisent pas non plus à quel prix elles

seront extractibles. Or il y a actuellement de très grandes différences de break-even,

c’est-à-dire du seuil de rentabilité de leur production. Selon une estimation (tableau

10), faite fin 2015 pour la production de pétrole anticipée pour 2020, ce break-even

variait d’environ 10 à 90 dollars le baril selon la catégorie de pétrole et son

accessibilité !

Catégorie Break-Even fourchette,

dollars/baril

Break-Even médian,

dollars/baril

Onshore Moyen-Orient 9-38 27

Offshore, plates-formes

continentales

11-69 41

Huiles Extralourdes 34-59 47

Onshore Russie 27-71 50

Onshore reste du monde 22-73 51

Mer profonde 22-71 52

Mer très profonde 38-65 56

Pétroles de schistes Amérique du

Nord

52-75 65

Sables bitumineux 49-86 70

Arctique 43-91 75

Tableau 10 : Estimation du break-even de la production du pétrole en 2020 selon sa

catégorie et son accessibilité. D’après Rystad-Energy. Morgan Stanley et U.S. Global

Investors .

D’après ce tableau, pour un prix du baril de 30 dollars, l‘extraction de la plus grande

partie des réserves de pétrole ne peut être rentable, à l’exception des réserves on shore

du Moyen-Orient.

Tout cela montre qu’il n’y a pas grand-chose de fiable dans les réserves déclarées par

les agences et par les compagnies et qu’il vaut mieux les ignorer. C’est pourtant celles

qui sont utilisées par les économistes et les médias.

3-1-2-2 Les gaz naturels

Les problèmes rencontrés pour estimer les réserves de gaz sont exactement de même

nature que pour le pétrole. Mais il n’y a pas ici d’équivalent des huiles lourdes et des

bitumes*28.

* 28 note : On peut cependant tenter la comparaison avec des gisements de gaz dont

l‘exploitation requiert des techniques non classiques, tels que ceux très riches en gaz

dits acides (H2S, CO2), comme le gisement géant de Kashagan au Nord de la Mer

Caspienne, ou encore ceux de méthane dissous dans des aquifères profonds comme en

Louisiane aux Etats-Unis.

La figure 39 montre, pour le gaz extrait des gisements conventionnels, l’évolution

comparée des réserves 2 P backdatées et des réserves prouvées publiées.

Page 30: Energies carbonées fossiles (pétrole, gaz, charbon ... · récupérés dans les usines de traitement du gaz ... on pouvait définir un plan d ... sur l‘avenir de la production

30

Figure 39 : évolution des réserves 2P de gaz conventionnel et comparaison avec les

réserves 1 P publiées par différentes agences.

Les réserves 2 P montrent une faible décroissance depuis 1990, puis une légère

augmentation suite à la réévaluation très récente des réserves du gisement super géant

de South Yoloten-Osman au Turkménistan. On observe le même schéma que pour les

réserves prouvées de pétrole : ici aussi les estimations des réserves prouvées restantes

sont devenues à peu près égales à celle des réserves 2P restantes en 2010, ce qui est

par nature impossible.

Les réserves 2 P du plus grand champ de gaz connu, North Dome (2/3 Qatar North

Field, 1/3 Iran South Pars), découvert en 1971, sont estimées à 1500 Tcf soit 250

Gbep, 70% de plus que Ghawar.

Le nombre de géants (>3 Tcf) est de 422 avec 35 supergéants (moins que pour le

pétrole).

Le diagramme de Gini du gaz (24 0750 champs avec 9835 Tcf de réserves 2 P) est très

semblable (figure 40) à celui du pétrole conventionnel, avec 60 % pour 162 champs

(0,7 %) et 90 % pour 2078 champs (8,4 %). Le coefficient de Gini (0 parfaitement

inégalitaire, 1 parfaitement égalitaire) est encore plus inégalitaire que celui du pétrole

conventionnel, de l’ordre de 0, 02 ! Là aussi, l’essentiel des réserves 2 P se trouve dans

un très petit nombre de champs. Ces champs ont été cependant ici trouvés en moyenne

une dizaine d’années plus tard que dans le cas du pétrole.

0

1000

2000

3000

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5000

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1950 1960 1970 1980 1990 2000 2010 2020

rése

rves

res

tante

s T

cf

année

réserves restantes mondiales de gaz

d'après les sources techniques et politiques

2P techniques

prouvé OGJ

proved EIA

prouvé WO

prouvé OPEC

prouvé Cedigaz

prouvé BP2012

prouvé BP2015

Jean Laherrere Jan 2016

North Dome 1971

=

North Field Qatar

& South Pars Iran

Page 31: Energies carbonées fossiles (pétrole, gaz, charbon ... · récupérés dans les usines de traitement du gaz ... on pouvait définir un plan d ... sur l‘avenir de la production

31

Figure 40 : diagramme de Gini de la distribution des champs de gaz conventionnel,

excluant les gisements des Etats-Unis et du Canada non frontière (c’est-à-dire

n’incluant pour les Etats-Unis et le Canada, que les gisements d’Alaska et offshore).

Pour les gaz naturels non conventionnels (gaz de roche-mère (de schiste), gaz de

réservoirs compacts, CBM, CMM) il n’y a pas plus d’estimation fiable des réserves

que pour les pétroles de roche-mère (de schiste).

3-1-2-3 Les charbons

Les deux sources d’information qui font autorité à ce sujet sont le World Energy

Council (WEC) et le Bundesanstalt für Geowissenschaften und Rohstoffe (BGR) en

Allemagne. Depuis quelques années, les évaluations des réserves prouvées, dont on a

vu qu’elles étaient à peu près l’équivalent des réserves 1 P de l’industrie pétrolière

varient selon les années à peu près entre 800 et 900 Gt pour le WEC et autour de 1000

Gt pour le BGR. Ces réserves sont faites de nombreuses catégories de charbon de

pouvoirs calorifiques différents, et il faut diviser on l’a vu ces valeurs par environ 2

pour avoir l’équivalent en Gtep. L’estimation du BGR pour 2013 (35) est de 1052 Gt,

dont 769 Gt de « hard coal », c’est-à-dire ici de l’addition du subbitumineux, du

bitumineux et de l’anthracite, et 283 Gt de lignite.

Les ressources prouvées seraient selon le BGR de 3 à 4 fois supérieures ! Mais on a

vu plus haut que cette notion, qui ne correspond pas à des projets précis, ne peut être

comparée en fiabilité aux réserves 2 P de l’industrie pétrolière. Quant aux ressources

au sens large, elles seraient selon le BGR de l’ordre de 10 fois supérieures aux réserves,

mais ces estimations ont beaucoup varié au cours du temps.

On est donc loin de disposer ici d’un travail aussi fouillé que pour les réserves de

pétrole et de gaz.

La relative constance des valeurs de réserves prouvées citées au cours du temps (figure

41) intrigue, alors que la production mondiale est actuellement d’environ 8 Gt par an.

Elle laisse penser que les ressources prouvées sont transformées en réserves prouvées

en quelque sorte à la demande.

En tout état de cause, les réserves dépendent en partie du prix que la société est capable

de payer pour leur extraction : l’importance des réserves de charbon semble être plus

sensible à ces augmentations de prix que dans le cas du pétrole et du gaz

conventionnels*29.

0

10

20

30

40

50

60

70

80

90

100

0 10 20 30 40 50 60 70 80 90100

% d

ééco

uver

tes

cum

ulé

es 2

P

% nombre cumulé de champs

Diagramme de Gini des découvertes de gaz du

monde excluant US+Canada non frontière

Jean Laherrere 2015

fin 2010 24 750 champs de gaz

réserves 9 835 Tcf (2P 9000)

Page 32: Energies carbonées fossiles (pétrole, gaz, charbon ... · récupérés dans les usines de traitement du gaz ... on pouvait définir un plan d ... sur l‘avenir de la production

32

*29 note : En termes économiques, on dira que l’élasticité de l’offre de charbon à une

augmentation de prix est actuellement plus importante que dans le cas du pétrole et

du gaz conventionnels.

Mais étant donné l’importance des émissions de CO2 et de la pollution atmosphérique

qu’entraîne son usage, il est possible que cette utilisation fasse l’objet de restrictions à

l’échelle internationale (voir chapitre 5).

Figure 41 : Compilation des réserves prouvées de charbon, calculées en équivalent

pétrole, selon les principales sources d’information, et comparaison avec la

production cumulée. La courbe en pointillés noirs représente l’évolution

approximative de la production, pour des réserves ultimes de 650 Gtep (voir chapitre

3-2-4) ce qui correspond à peu près à 1300 Gt. Courtoisie Jean Laherrère.

3-1-2-4 Les schistes bitumineux et les hydrates de gaz

On a vu pour ces domaines le caractère très spéculatif des ressources affichées, et

l’absence de réserves significatives. Les progrès technologiques et l’augmentation des

prix, qui rendraient rentables des exploitations, pourront peut-être changer un jour cet

état de fait, mais ce n’est pas sûr, car les préoccupations environnementales prennent

de plus en plus d’importance avec le temps. Là aussi la crainte d’un réchauffement

planétaire dû aux émissions de CO2 par l’utilisation des combustibles fossiles, pourrait

conduire à un moratoire sur la mise en œuvre de ces ressources.

3-2 Quel est l’avenir de la production mondiale de combustibles fossiles ?

En préambule, rappelons que prédire l’évolution au cours du temps des productions

mondiales de combustibles fossiles est bien plus important dans la pratique que

connaître leurs réserves ultimes, même si réserves et production sont liées sur le long

terme. En effet, en ce qui concerne la marche de l’économie mondiale, c’est bien

l’importance année après année des flux d’énergie qui l’alimentent qu’il s’agit

0

100

200

300

400

500

600

700

800

1850 1900 1950 2000 2050 2100 2150 2200

Gte

p (

= 4

2 E

J)

année

production mondiale cumulée de charbon & réserves BGR & WEC

cum prod + res BGR

reserves WEC Nekhaev

reserves BP

reserves BGR

cum production

U = 650 Gtoe

Jean Laherrere oct 2015

Page 33: Energies carbonées fossiles (pétrole, gaz, charbon ... · récupérés dans les usines de traitement du gaz ... on pouvait définir un plan d ... sur l‘avenir de la production

33

d’estimer, autrement dit le débit possible du carburateur de la voiture et non le volume

de son réservoir.

3-2-1 Que nous disent les Agences de l’énergie ?

Pour connaître et prédire les productions mondiales, on se réfère le plus souvent à

trois sources: l’Agence internationale de l’énergie (AIE, en anglais International

Energy Agency, IEA, www.iea.org ), basée à Paris, l’US Energy Information

Administration (EIA, www.iea.gov ), qui fait partie du Department of Energy (DoE)

des Etats-Unis, et la BP Statistical Review of World Energy

(http://www.bp.com/statisticalreview), publiée par la compagnie British Petroleum.

Une autre source importante est l’Organisation des pays exportateurs de pétrole

(OPEP, en anglais Organization of Petroleum Exporting Countries, OPEC).

Citons encore la World Database (Data Publica, DB) de la Joint Organisations Data

Initiative (JODI).

Il existe aussi le World Energy Council (WEC), forum d’experts de 90 nations basé à

Londres qui tient chaque année la World Energy Conference.

Une grosse difficulté est que chacune de ces sources a ses propres catégories et ses

propres méthodes de calcul, et que, malgré la confusion que cela crée, elles ne semblent

toujours pas disposées à faire la synthèse de leurs approches.

L’AIE (IEA) représente plutôt le point de vue des consommateurs, et son approche est

surtout politico-économique. Schématiquement, elle aborde le problème de la

production future des combustibles fossiles par la demande, en faisant des scénarios

de celle-ci en fonction des conditions économiques et politiques, tout en assumant

implicitement que l’offre satisfera sans problème la demande si les prix sont

suffisamment rémunérateurs. Elle fait annuellement des compilations et des prévisions

dans son World Energy Outlook (WEO). Les publications de l’AIE sont celles qui sont

les plus utilisées par les décideurs à l’échelle internationale.

L’EIA a une approche plus technique et représente plutôt le point de vue des

producteurs, c’est-à-dire leurs prévisions de production. Elle a son International

Energy Outlook (IEO), et son Annual Energy Outlook (AEO) pour la production des

Etats-Unis.

La BP Statistical Review présente l’intérêt de publier des séries historiques fort utiles

pour suivre l’évolution des productions au cours du temps.

D’une source à l’autre on constate une dispersion importante (figure 42) dans les

données publiées pour la production de pétrole tous liquides. Cela n’est pas étonnant,

si l’on réfléchit à la difficulté de collationner les données, aux différences de définition,

aux imprécisions, aux erreurs, et aux omissions inhérentes à ce type de démarche, ainsi

qu’aux pressions politiques dans un domaine aussi sensible. Mais il est toujours bon

de rappeler ses sources quand on se propose de commenter ces données.

Page 34: Energies carbonées fossiles (pétrole, gaz, charbon ... · récupérés dans les usines de traitement du gaz ... on pouvait définir un plan d ... sur l‘avenir de la production

34

Figure 42 : comparaison des estimations de la production pétrolière mondiale

par différentes sources : EIA = US Energy Information Administration ; IEA

= International Energy Agency ; OPEC = Organization of Petroleum

Exporting Countries. BP= British Petroleum. La position systématiquement

basse de BP provient de ce que cette compagnie ne comptabilise pas les

biocarburants dans ses statistiques.

Les écarts d’une source à l’autre peuvent aller jusqu’à 3 ou 4 Mb/j, soit environ 3 à 4

%, environ 3 fois la consommation annuelle française, sur les grandeurs des

productions passées et actuelles. Notons toutefois que la BP, contrairement aux autres,

n’inclut pas les biocarburants dans le pétrole tous liquides (oil supply)

3-2-1-1 Les Pétroles

Nous avons vu au chapitre 1-1-3 les différentes catégories de produits qui composent

ce qu’on appelle le pétrole tous liquides (total oil, all liquids, oil supply) et leurs

proportions dans la production mondiale actuelle. Observons encore ici qu’il contient

des catégories qui ne proviennent pas des gisements de pétrole, les condensats et les

liquides d‘usine de gaz naturel (LGUN) parfois regroupés sous la rubrique liquides de

gaz naturel (LGN), qui sont extraits du gaz, une catégorie, les synfuels, faites de

pétroles et carburants artificiels, et une catégorie qui n’est pas non plus naturelle, les

gains de raffinerie.

Les agences regroupent systématiquement les condensats, c’est-à-dire les

hydrocarbures liquides des gisements de gaz récupérés en tête de puits, et le pétrole

conventionnel. En effet ils sont mélangés par les producteurs sur les gisements, et il y

a rarement de comptabilité séparée.

-4

-3,5

-3

-2,5

-2

-1,5

-1

-0,5

0

0,5

1

1,5

2

2,5

19851987198919911993199519971999200120032005200720092011201320152017

dif

. p

rod

uct

ion M

b/d

année

Différence pour l'offre mondiale de pétrole entre EIA, AIE, OPEP, BP

diff IEA-OPEC

diff IEA-EIA

diff OPEC-EIA

diff BP-EIA

Jean Laherrere mars 2016

BP n'inclue pas les biocarburants dans

oil supply au contraire de l'EIA & AIE

Page 35: Energies carbonées fossiles (pétrole, gaz, charbon ... · récupérés dans les usines de traitement du gaz ... on pouvait définir un plan d ... sur l‘avenir de la production

35

L’IEA internationale regroupe le conventionnel et les condensats

(crude+condensates) sous une rubrique pétrole conventionnel, et fait une

comptabilité séparée pour le LTO et les XH. Et elle regroupe souvent tous les

synfuels sous une étiquette unique.

Dans ses publications les plus courantes, l’EIA américaine ajoute au

crude+condensates le LTO et les XH, pour constituer une catégorie Crude Oil, ce que

l’on peut traduire par pétrole brut (brut). Il est cependant possible de trouver une

comptabilité séparée pour le LTO et les XH et donc de recalculer une catégorie

crude+condensates. L’EIA détaille les différents synfuels.

Il est donc hautement recommandé, avant de commenter les données publiées par les

agences, d’examiner soigneusement les catégories qu’elles recouvrent.

Entre les deux principales agences, les écarts entre les productions de pétrole tous

liquides ne sont pas négligeables comme on l’a vu, mais surtout, leurs prévisions à

moyen terme sont très dispersées et en règle générale au-dessus de la production

ensuite constatée (figure 43). Et ces agences font preuve d’un imperturbable optimisme

: selon elles, la production de pétrole tous liquides sera sans cesse croissante jusqu’en

2030, 2040, et bien sûr après.

Figure 43 : Prévisions à moyen terme de la production mondiale de pétrole tous

liquides faites par l’EIA, à droite, dans son International Energy Outlook (IEO) annuel

depuis 1995 et comparaison avec la production observée jusqu’ici. On observe la

grande dispersion des prévisions à moyen terme et leur caractère presque toujours

optimiste, malgré des révisions presque toujours à la baisse d’une année sur l’autre.

On peut fortement douter de la valeur de ces prévisions en analysant un des rapports

récents de l’AIE, le WEO 2012: La figure 44 montre l’évolution de la production

mondiale de pétrole de 2011 à 2035 selon le scénario de ce WEO appelé New Policies,

qui suppose une production énergétique bridée par des contraintes de politique

50

60

70

80

90

100

110

120

1980 1990 2000 2010 2020 2030 2040

Mb

/d

année

Evolution de la prévision "oil supply" EIA/IEO 1995-2014 IEO 2014

IEO 2013

IEO 2011

IEO 2010

IEO 2009

IEO 2008

IEO 2007

IEO 2006

IEO 2005

IEO 2004

IEO 2003

IEO 2002

IEO 2001

IEO 2000

IEO 1999

IEO 1998

IEO 1997

IEO 1995

EIA oil supply

Jean Laherrere Feb 2015

Page 36: Energies carbonées fossiles (pétrole, gaz, charbon ... · récupérés dans les usines de traitement du gaz ... on pouvait définir un plan d ... sur l‘avenir de la production

36

environnementale un peu plus fortes que celles des années précédentes. A noter que

ce scénario n’envisage aucune contrainte sur la production qui soit de nature

géologique. Le WEO présente deux autres scénarios, l’un appelé Current Policies où

il n’y a pas d’accroissement des contraintes environnementales, et l’autre appelé 450

Scenario, où au contraire ces contraintes sont devenues suffisamment fortes pour

imposer une limitation à 450 ppmv CO2 eq.*30 des concentrations de gaz à effet de

serre dans l’atmosphère à la fin du siècle (on atteint déjà environ 485, dont 400 pour

le CO2 seul !).

* 30 note : L’effet des gaz à effet de serre (GES) autres que le CO2, principalement le

méthane CH4 et l’oxyde d’azote N2O, s’ajoute à celui du CO2 et est quantifié en CO2

équivalent (CO2 eq) en proportion de leur l’effet par rapport à celui du CO2 . Notons

toutefois que les coefficients utilisés dans cette quantification dépendent des temps de

résidence des GES dans l’atmosphère, lesquels font encore l’objet d’estimations

parfois très différentes d’un auteur à l’autre.

Le scénario New Policies nous paraît le plus représentatif des évolutions politico-

économiques à moyen terme, et c’est en fait le scénario de base de l’AIE. On peut

cependant remarquer que les projets d’investissement affichés par les compagnies

d’énergie correspondraient encore actuellement plutôt au scénario Current Policies !

On reconnaît sur ces courbes les catégories définies plus haut.

Figure 44: Prévisions de production des différentes catégories de pétrole d’ici 2035

selon le scénario New Policies 2012 de l’Agence Internationale de l’Energie (AIE),

dans son WEO 2012. Ces prévisions sont ici organisées de manière à faire apparaître

l’importance du pari fait par l’AIE en 2012 sur la mise en exploitation et les

découvertes à venir de gisements de pétrole conventionnel. A noter cependant que

l’AIE a depuis 2012 mis un peu d’eau dans son vin, le WEO 2015 ne prédisant plus

«que » 103,5 Mb/j en 2040, au lieu de 104 Mb/j en 2035..

Courtoisie P.Brocorens, Université de Mons.

La production mondiale tous liquides serait en 2035 de 104 millions de barils par jour,

dont environ 7 de synfuels et gains de raffinage, contre 88 millions de barils par jour

en 2011, dont environ 3 de synfuels et gains de raffinage.

Il est particulièrement intéressant d’observer que la croissance prévue de la production

de pétrole repose en fait essentiellement sur celle des gisements conventionnels, leur

Prod

ucti

on M

b/j

WEO 2012 – new policiesDemande d’ici 2035

Pétrole conventionnel gisements en production

Autres non-conventionnels(Extra-lourds…)

Light tight oil (R.Mères)

Liquides de Gaz Nat.

AgrocarburantsGains de raffinage

Conventionnel à développer, à découvrir

1 baril ≈ 159 litres

1 million de barils/jour (1 Mb/j) ≈ 47,8 Mt/an

Courtoisie P. Brocorens

Page 37: Energies carbonées fossiles (pétrole, gaz, charbon ... · récupérés dans les usines de traitement du gaz ... on pouvait définir un plan d ... sur l‘avenir de la production

37

part dans la production totale passant cependant de 80% actuellement à 63 %. Mais la

part prévue des gisements conventionnels actuellement en exploitation (en bleu

sombre) tombe à 25% en 2035 !

Selon ce schéma, la part du conventionnel qui devra être produit par d’autres gisements

(gisements découverts attendant d’être mis en exploitation, gisements à découvrir,

progrès du taux de récupération grâce au progrès technologique) compensera donc à

peu près les diminutions de production des gisements actuellement en exploitation !

Beaucoup d’observateurs pensent qu’il s’agit là d’un pari impossible à tenir, car cela

suppose un volume de pétrole conventionnel mis en production d’ici 2035 trop

important, supérieur à la production cumulée actuelle des trois principaux producteurs

de pétrole de la planète, l’Arabie Saoudite, les Etats-Unis et la Russie ! Et cela contredit

la tendance de l’évolution des réserves 2 P mondiales de la figure 33.

Les prévisions de l’AIE, comme celles de l’IEA ont été par le passé presque toujours

trop optimistes ! Il semble que ce soit encore une fois le cas. A noter que les prévisions

du WEO 2014 sont encore plus optimistes que celles du WEO 2012, 108 Mb/j en 2040.

Mais l’AIE a mis depuis un peu d’eau dans son vin, puisque le WEO 2015 ne prévoit

plus «que» 103,5 Mb/j à cette date.

Tout cela jette un sérieux doute sur les capacités de ces agences à prédire l’avenir de

la production pétrolière, ne serait-ce qu’à moyen terme.

3-2-1-2 Les Gaz naturels

Les catégories faites par les agences sont ici :

- Le gaz extrait des gisements conventionnels, associé et non associé au pétrole

(catégories 2 et 3 de la figure 28).

- Le gaz non conventionnel : gaz de roche-mère (de schistes) ou associé au pétrole de

roche-mère (de schistes), gaz de réservoir compact, CBM, CMM.

- Les productions artificielles (syngas ): cokeries et haut-fourneaux, gaz de synthèse,

qui représentent peu de chose.

Une partie du gaz associé produit par l’exploitation des gisements de pétrole est

fréquemment mis à l’atmosphère (vented) ou brûlé à la torche (flared), faute de

capacité suffisante de transport ou de stockage, ou encore réinjecté dans le gisement

pour maintenir la pression ou attendre des prix du gaz plus rémunérateurs. Sur les

gisements non conventionnels, la réinjection est impossible dans la roche-mère ou dans

un réservoir compact*31, et le gaz est souvent brûlé à la torche. C’est le cas par exemple

actuellement du gaz associé au pétrole de schistes de la formation de Bakken aux Etats-

Unis, pour lequel 1/3 environ du gaz associé au pétrole est brûlé à la torche, contre 1

% en moyenne aux Etats-Unis.

*31 note : on pourrait cependant envisager cette réinjection dans un réservoir

classique, s’il en existe à proximité, ou dans un aquifère profond.

Il est important de bien noter que l’AIE et l’EIA ne prennent en compte pour le gaz

naturel que le gaz traité commercialisé, sous la dénomination de dry gas (gaz sec). Il

ne s’agit donc pas de ce qu’on appelle le gross gas, c’est-à-dire de la totalité du gaz à

la sortie du puits, dont on a vu qu’une partie n’était pas récupérée. Il est également

important de bien noter que ce gaz sec ne contient bien sûr plus les liquides de gaz

naturel (LGN= condensats+LUGN)) contenus dans la production d’origine, qui sont

Page 38: Energies carbonées fossiles (pétrole, gaz, charbon ... · récupérés dans les usines de traitement du gaz ... on pouvait définir un plan d ... sur l‘avenir de la production

38

comme on l’a vu comptabilisés dans le pétrole tous liquides. Il y a donc une perte entre

la production du gross gas et la production de gaz sec après extraction des « liquides ».

La figure 45 montre, pour les Etats-Unis, l’éventail au cours du temps des prévisions

de production à moyen terme pour le gaz sec faites par l’EIA. Comme pour le pétrole,

on constate ici la fragilité des prévisions à moyen terme des agences année après année,

et leur large dispersion.

Figure 45 : prévisions de production de gaz sec aux Etats-Unis faites par l’EIA dans

son AEO de 1979 à 2015, et courbe de production effectivement observée.

L’accroissement rapide de la production après 2005, non prévu, correspond au

«boom» des gaz de roche-mère (de schistes). Les quantités sont exprimées en Tera

(1012)( trillion en anglais, qui signifie a thousand billions, soit mille milliards) cubic

feet (Tcf). 1 Tcf « vaut » environ 24 Mtep.

La figure 46 montre quelles sont les prédictions de l’AIE dans son WEO 2015 pour

la demande mondiale de gaz d’ici 2040 pour les 3 scénarios déjà cités : le Current

Policies Scenario, c’est-à-dire sans politique environnementale, le New Policies

Scenario avec plus de contraintes environnementales, et le 450 Scenario, où l’on

s’impose l’obligation de ne pas dépasser 450 ppm de CO2eq de gaz à effet de serre

dans l’atmosphère à la fin du siècle. Sauf pour ce dernier scénario, la demande de gaz

en gaz sec (exprimée ici en milliard de m3 (billion cubic meter, bcm) dans les

conditions normales, ce qui correspond à environ 0,86 Mtep) croît quasi linéairement

jusqu’en 2040.

10

15

20

25

30

35

40

1965197019751980198519901995200020052010201520202025203020352040

pro

du

ctio

n g

az

sec

Tcf

année

Evolution des prévisions production gaz sec aux US par EIA 1979-2015 AEO 1979

AEO 1982

AEO 1983

AEO1985

AEO1990

AEO1995

AEO1996

AEO1997

AEO1998

AEO1999

AEO2000

AEO2001

AEO2002

AEO2003

AEO2004

AEO2005

AEO2006

AEO2007

AEO2008

AEO2009

AEO2010

AEO2011

AEO2012

AEO2013

AEO2014

AEO2015 prel

passéJean Laherrere Nov 2014

Page 39: Energies carbonées fossiles (pétrole, gaz, charbon ... · récupérés dans les usines de traitement du gaz ... on pouvait définir un plan d ... sur l‘avenir de la production

39

Figure 46 : Prévisions faites par L’AIE dans ses trois scénarios de la demande

mondiale de gaz, en billion cubic meter (bcm) à l’horizon 2040 de son WEO 2015. La

production est supposée satisfaire la demande sans problème. 1 bcm «vaut» en

contenu énergétique environ 0,84 Mtep.

3-2-1-3 Les Charbons

Le tableau 11 montre quelles sont, selon les trois scénarios du WEO 2015 de l’AIE,

les prévisions de la production de charbon d’ici 2040. Elles sont exprimées ici en

tonne-équivalent-charbon (tec), dont on a vu l’équivalence à 0,7 tonne-équivalent-

pétrole (tep).

Tableau 11: Prévisions des consommations et des productions de charbons d’ici 2040

faites par l’AIE dans les trois scénarios de son WEO 2015. Bien noter qu’il ne s’agit

pas ici de millions de tonnes de charbon, mais de millions de tonnes équivalent

charbon (Mtec, millions ton-coal-equivalent, Mtce) : ces valeurs sont donc à multiplier

par 0,7 pour obtenir des Mtep. On remarque aussi la relative constance de la part du

commerce international (trade) aux alentours de 20 % de la production, les pays de

l’OCDE (il s’agit bien sûr surtout de l’Australie) étant globalement exportateurs vers

les pays non OCDE. La rubrique lignite comprend aussi la tourbe, qui représente en

fait peu de chose. Steam coal= charbon-vapeur, coking coal= charbon à coke.

Page 40: Energies carbonées fossiles (pétrole, gaz, charbon ... · récupérés dans les usines de traitement du gaz ... on pouvait définir un plan d ... sur l‘avenir de la production

40

En ce qui concerne la production mondiale, seul le scénario 450 prévoit une

décroissance d’ici 2040. Par contre, en ce qui concerne les pays de l’Organisation de

coopération et de développement économique (OCDE), c'est-à-dire les pays riches,

le scénario New Policies prévoit également une décroissance.

3-2-2 D’autres méthodes que celle des agences pour prévoir l’évolution

des productions : pics de production, réserves ultimes, courbes

d’écrémage et linéarisation de Hubbert.

3-2-2-1 Pics de production et réserves ultimes: des exemples historiques

: les productions de combustibles fossiles en France, au Royaume-Uni ,

en Allemagne, et en EU28+Norvège.

Ces analyses d’exemples historiques illustrent le fait que dans un pays donné, la

production possible d’une substance minérale n’est pas infinie : elle part de zéro et ne

peut que revenir à zéro une fois les réserves ultimes totalement consommées. Entre les

deux, la production passe obligatoirement par un maximum, que l’on appelle pic de

production. Ce maximum peut aussi se présenter sous la forme d’un plateau irrégulier

pouvant durer de nombreuses années.

Il ne peut qu’en être de même pour la production mondiale, qui est l’enveloppe des

productions pays par pays.

Nous parlons bien ici de réserves, c’est-à-dire de quantités exploitables de façon

rentable dans les conditions économiques du moment et non de ressources, notion qui

ne tient pas compte de l’exploitabilité réelle. La quantité ultime de ces réserves,

appelées réserves ultimes ou en abrégé Ultime, correspond à la surface sous la courbe

de production, une fois celle-ci définitivement arrêtée. Nous avons vu que pour le

pétrole et le gaz, la meilleure estimation a priori de cet Ultime était à l’expérience ce

qu’on appelle les réserves 2 P.

L’Ultime est très mal connu au départ, et dépend bien sûr des conditions économiques

et même politiques (subventions ou défiscalisation par exemple), sans oublier les

contraintes environnementales*32, tout au long de l’histoire de la production, ainsi que

des progrès de productivité grâce à ceux de la technologie et de l’organisation, mais il

se précise au fur et à mesure de l’exploitation. Nous allons voir qu’il existe des

méthodes pour le prévoir de façon approchée si l’exploitation est déjà bien avancée.

*32 Note : En France par exemple toutes les demandes d’exploitation de charbon en

découverte sont rejetées pour raisons environnementales. Mais il n’en est pas de même

en Allemagne, où persistent actuellement de gigantesques exploitations de lignite.

-France :

La production de charbon française a commencé à croître de manière importante et

régulière vers le milieu du 19ème siècle (figure 47). Après les vicissitudes dues aux

guerres, à la crise économique européenne de 1933, conséquence de la Grande Crise

de 1929 aux Etats-Unis, elle est passée par un maximum en 1959. Sa décroissance a

été d’emblée rapide. Cela est dû au fait qu’à cette époque la production était devenue

lourdement subventionnée par rapport aux prix pratiqués sur le marché mondial : cette

décroissance a donc été accélérée pour diminuer les charges sur le budget de l’Etat. A

partir de 1974, après le premier choc pétrolier, le rythme de décroissance a été moins

rapide, le charbon étant alors plus demandé. Mais finalement la production a fini par

s’éteindre en Avril 2004 avec la fermeture des dernières mines en activité.

Page 41: Energies carbonées fossiles (pétrole, gaz, charbon ... · récupérés dans les usines de traitement du gaz ... on pouvait définir un plan d ... sur l‘avenir de la production

41

Figure 47 : Productions de charbon, de gaz naturel et de pétrole en France de 1830 à

2012, ramenées à la même unité de contenu énergétique (million de tonne-équivalent-

pétrole, Mtep). Source : Durand, 2013.

L’histoire du gaz et du pétrole en France est longue, puisqu’elle débute avec le

gisement de pétrole lourd de Pechelbronn et ses satellites, dont les indices de surface

étaient connus depuis très longtemps, et déjà utilisés au Moyen-Âge pour de la

lubrification et du calfatage, mais aussi pour leurs propriétés médicales supposées.

Mais il n’y eut d’exploitation rationnelle qu’à partir de 1740. C’est à Pechelbronn, que

furent réalisés à la fin du 18ème siècle et au début du 19ème les premiers forages

pétroliers d’exploration du monde occidental, avec des tarières qui permettaient

d’atteindre quelques dizaines de mètres. Le premier à avoir été consigné de manière

officielle date de 1813, donc bien avant le forage du colonel Drake en Pennsylvanie

de 1859, date retenue par l’histoire pour les débuts de l’industrie pétrolière. La France

fut même en 1850, en y ajoutant l’huile de schistes obtenue par pyrolyse des Schistes

d’Autun (dont les premières productions eurent lieu en 1824 à Igornay en Saône-et-

Loire), le premier producteur mondial de pétrole « tous liquides » de l’époque,

jusqu’au développement explosif de la production américaine. Mais il s’agissait de très

petites quantités, quelques milliers de tonnes par an (figure 48).

France, productions de combustibles fossiles de 1830 à 2012,

en Mtep (O.Rech, BP)

0

5

10

15

20

25

30

35

40

années

Charbon

gaz

pétrole

20121830

1915

1959

1978

19651988

1945

1974

L’Ultime est la quantité totale

récupérée, c’est-à-dire la surface sous

la courbe de production, une fois cette

dernière définitivement arrêtée.1 Mtep ≈ 41,9 PJ ≈ 11 630 MWh

1933

Page 42: Energies carbonées fossiles (pétrole, gaz, charbon ... · récupérés dans les usines de traitement du gaz ... on pouvait définir un plan d ... sur l‘avenir de la production

42

Figure 48 : Chroniques de la production de pétrole en Alsace du Nord (principalement

gisement de Pechelbronn) et de la production d’huile de pyrolyse des schistes

bitumineux d’Autun, d’après différentes sources. Ces exemples illustrent l’évolution

de la production à l’échelle du gisement, et la notion de réserves ultimes, c’est-à-dire

les quantités cumulées extraites jusqu’à l’abandon du gisement. Courtoisie

J.Laherrère

Les productions de pétrole et de gaz ont cru notablement, tout en restant modestes,

après la deuxième guerre mondiale. Le pétrole a d’abord été extrait du Bassin

d’Aquitaine. Celui-ci a ensuite été relayé par le Bassin de Paris, d’où une production

avec deux bosses. Le pic date de 1988 et l’Ultime est presque atteint. Le gaz, extrait

principalement du gisement de Lacq près de Pau, a connu son pic en 1978 et son Ultime

est presque atteint.

De nouvelles découvertes de gaz et de pétrole ne sont pas strictement impossibles en

France, sous forme en particulier de gaz et de pétrole de roches-mères (improprement

appelés gaz et pétrole de schistes par les médias, car les roches qui les contiennent ne

sont pas des schistes, qui sont des roches métamorphiques, au sens géologique du

terme. C’est en fait une mauvaise traduction du terme américain « shale »). Il s’agit

on l’a vu de gaz et de pétrole piégés dans ou au contact des roches sédimentaires qui

leur ont donné naissance, dans des formations de très faible perméabilité, mais d’où

on peut cependant en extraire une partie après une fracturation hydraulique permettant

d’accroître cette perméabilité. Les réserves correspondantes se trouveraient

principalement dans le Bassin de Paris pour le pétrole, et le Bassin du Sud-Est pour le

gaz. Mais rien n’est sûr, et l’opposition des associations écologistes est forte. D’autre

part le régime de propriété du sous-sol, en France c’est l’Etat qui le possède, ne

favorise pas l’implication des propriétaires du sol, qui subissent les nuisances locales

sans être associés comme aux Etats-Unis aux profits de l’exploitation. Et la

fracturation hydraulique dans ce type de formation a été interdite par une loi du 13

Juillet 2013.

S’agissant du charbon, il existe encore des possibilités : en particulier un assez gros

gisement de charbon bitumineux (Hard Coal) (peut-être 250 Mt de réserves, soit

environ l’équivalent de 170 Mtep) n’a pas encore été exploité près de Lucenay- lès-

Aix dans le Sud de la Nièvre. Mais les conditions économiques et environnementales

ne semblent guère favorables. Et on ne pourra pas rouvrir les mines qui ont été fermées

Page 43: Energies carbonées fossiles (pétrole, gaz, charbon ... · récupérés dans les usines de traitement du gaz ... on pouvait définir un plan d ... sur l‘avenir de la production

43

et qui sont donc maintenant ennoyées, car le coût en serait bien trop élevé, même pour

un prix de marché qui serait de l’ordre de 10 fois les prix actuels.

-Royaume-Uni :

Le Royaume-Uni a été le berceau de la Révolution Industrielle à la fin du 18ème siècle.

Celle-ci, avant de s’étendre à l’Europe puis au reste du monde, s’y est développée

grâce au charbon de l’Angleterre et du Pays de Galles, disponible en abondance .

La production de charbon a connu une progression rapide et régulière jusqu’à son pic,

atteint en 1913 (figure 49). Elle a ensuite décliné en enregistrant les vicissitudes de

l’histoire de ce pays : première guerre mondiale, grande grève générale de 1926, crise

économique européenne de 1933, deuxième guerre mondiale. Après celle-ci, les

subventions élevées à sa production ont conduit comme en France le gouvernement à

en programmer le déclin, ce qui a conduit pendant l’ère Thatcher à la grande grève des

mineurs de 1984. La production a malgré tout continué à décliner. L’Ultime est

maintenant presque atteint. Notons qu’en 1978, le Conseil Mondial de l’Energie,

prévoyait pour cet ultime 70 milliards de tonnes (Gt). En réalité, il sera de moins de

30 Gt (voir figure 54).

Le relais, fort opportunément, a été pris progressivement à partir de 1970 par les

productions de gaz naturel et de pétrole extraits des gisements découverts en Mer du

Nord. Mais ces productions ont connu leur pic en 1999 et déclinent très rapidement

depuis, malgré les prix élevés du pétrole et du gaz de 2005 à 2013. Une pause dans le

déclin de la production pétrolière a cependant lieu depuis 2013, du fait des importants

investissements faits en exploration-production pendant la période récente de très

hauts prix du pétrole, qui ont alors commencé à porter leurs fruits.

On observe pour le pétrole une chute brutale et provisoire de production en 1988. Elle

est due à un très grave accident, l’explosion de la plateforme Piper Alpha du gisement

Piper au large de l’Ecosse, qui a désorganisé quelques années la production pétrolière

(et fait 167 morts !).

Au Royaume-Uni, pour toutes les productions de combustibles fossiles les pics sont

donc largement passés, et les Ultimes semblent proches d’être atteints.

L’exploitation des gaz de roches-mères est envisagée, en particulier dans le Bassin de

Bowland dans le Centre de l’Angleterre, mais l’on est pour l’instant incapable de

prévoir les coûts d’éventuelles productions.

Page 44: Energies carbonées fossiles (pétrole, gaz, charbon ... · récupérés dans les usines de traitement du gaz ... on pouvait définir un plan d ... sur l‘avenir de la production

44

Figure 49 : Productions de charbon, de gaz et de pétrole au Royaume-Uni de 1830 à

2012, ramenées à la même unité de contenu énergétique (million de tonne-équivalent-

pétrole (Mtep). Source : Durand, 2013.

- Allemagne :

Comme la France et le Royaume-Uni, l’Allemagne possède des gisements de charbon

de bon contenu énergétique (hard coal, environ 0,7 tep par tonne en moyenne)

exploitable par mines souterraines. Elle possède aussi d’importants gisements de

lignite (brown coal), charbon de faible contenu énergétique (environ 0,25 tep par tonne

en Allemagne), exploitables à ciel ouvert (découvertes, open field, open pit). Ce lignite

est productible à bas coût et sert à produire de l’électricité près des sites d’exploitation.

La production de hard coal a cru considérablement et régulièrement de 1850 à 1914

(figure 50). Elle a ensuite enregistré les vicissitudes de l’histoire allemande : première

guerre mondiale, crise économique allemande de 1924, crise économique européenne

de 1933, deuxième guerre mondiale. Son pic a été atteint en 1944. Puis, comme en

France et au Royaume-Uni et pour les mêmes raisons, un déclin a été organisé. Son

Ultime est presque atteint : Il est prévu de fermer les dernières mines de hard coal en

2018.

La production de lignite a démarré en 1870 et a connu à peu près les mêmes aléas que

le charbon, en moins accentué. Elle a cependant cru jusqu’en 1989, date de la

Réunification Allemande. Elle a ensuite chuté très rapidement jusqu’en 2001, du fait

de la remise à niveau de l’industrie Est Allemande, qui utilisait beaucoup de lignite

avec une faible efficacité énergétique. Elle augmente à nouveau depuis 2001 et son

ultime est loin d’être atteint. L’Allemagne est actuellement le premier producteur

mondial de lignite.

Royaume-Uni, productions de combustibles fossiles de 1830 à 2012,

en Mtep. (D.Rutledge, E.Mearns, BP)

0,0

20,0

40,0

60,0

80,0

100,0

120,0

140,0

160,0

180,0

200,0

années

Charbon

Gaz

Pétrole

1830 2012

1913

1926

1933

1945

1999

1984L’Ultime est la surface sous

la courbe de production, une fois cette

dernière définitivement arrêtée.

1 Mtep ≈ 41,9 PJ ≈ 11 630 MWh

1988

Page 45: Energies carbonées fossiles (pétrole, gaz, charbon ... · récupérés dans les usines de traitement du gaz ... on pouvait définir un plan d ... sur l‘avenir de la production

45

Figure 50 : Productions de charbon, de lignite, de gaz et de pétrole en Allemagne de 1830 à 2012, en

Mtep. Source : Durand, 2013.

Le gaz naturel et le pétrole ont d’abord été extraits de gisements principalement situés

en Allemagne du Nord. Dans un second temps s’est ajoutée une petite production de

gisements situés en Mer du Nord. Le pic du pétrole a eu lieu en 1969, et celui du gaz

en 1984. Même si les productions ne sont pas négligeables encore actuellement, leurs

Ultimes sont à présent très proches.

L’Allemagne envisage une production de gaz et de pétrole de roches-mères, en Basse-

Saxe et Rhénanie du Nord, mais comme en Angleterre et en France sans qu’il soit

possible d’en connaître vraiment les réserves. Elle connaît à ce propos une forte

opposition des associations écologistes.

-Europe des 28 + Norvège :

L’Europe des 28 (EU 28) et la Norvège constituent un ensemble géographique qui

couvre environ 4,8 millions de km2 pour une population d’environ 515 millions

d’habitants. C’est, pour l’instant encore, le deuxième plus important ensemble

économique mondial après les Etats-Unis.

Toutes ses productions de combustibles fossiles ont maintenant passé leurs pics ! En

1982 pour le charbon, en 2000 pour le pétrole, et en 2004 pour le gaz (figure 51). Dans

la mesure où les combustibles fossiles représentent encore actuellement 77 % de sa

consommation d’énergie primaire, il est étonnant que cela ne semble pas préoccuper

outre mesure les gouvernements des pays qui la composent, étant donné ce que cela

signifie pour leur dépendance énergétique et la fragilité de leur approvisionnement.

Allemagne: productions de combustibles fossiles de 1830 à 2012,

en Mtep (GVSt, DEBRIV, BGR)

0

20

40

60

80

100

120

années

Mte

p

Charbon

Lignite

Gaz

Pétrole

1990

1945

1850

2001

1933

1914

1924

1830 2012

1944

1956

1870

1984

1969

Page 46: Energies carbonées fossiles (pétrole, gaz, charbon ... · récupérés dans les usines de traitement du gaz ... on pouvait définir un plan d ... sur l‘avenir de la production

46

Figure 51 : EU 28+Norvège : à gauche consommation d’énergie primaire (Epr) et de

combustibles fossiles, à droite productions de combustibles fossiles de 1981 à 2012,

en Mtep. Source : Durand, 2013.

La figure 52 montre l’évolution des productions de pétrole et de gaz de la Mer du Nord,

qui est de très loin la première région productrice d’Europe, au Royaume Uni et en

Norvège, depuis les premières découvertes jusqu’en 2012. Pour le pétrole, le pic a eu

lieu dans les deux pays en 1999-2000. On observe que les efforts d’exploration, les

progrès technologiques, les considérables hausses de prix et les défiscalisations de

2000 à 2013, n’ont pas permis d’inverser la tendance. Le déclin a cependant été enrayé

depuis 2013, mais ce répit sera-t-il durable après le récent effondrement du prix du

pétrole ?

La chute provisoire considérable de production côté UK en 1988 a été due à

l’explosion de la plateforme Piper Alpha, qui a désorganisé l’exploitation pendant

quelques années. Pour le gaz, le pic a été atteint en 2000 côté UK, et semble devoir

être très proche côté Norvège.

Figure 52 : Historique des productions de la Mer du Nord pour les principaux

producteurs, le Royaume-Uni et la Norvège, d’après le Department of Energy and

Climate Change (DECC) du Royaume-Uni, et le Norwegian Petroleum Directorate

(NPD). A gauche le pétrole, à droite le gaz. A noter qu’il s‘agit de pétrole et de gaz

conventionnel, ces deux pays n’ayant en exploitation en Mer du Nord que des

gisements de ce type.

2000

EU 28 + Norvège: consommation d'énergie primaire ( hors

bois), consommation totale de combustibles fossiles, et

consommation de pétrole, gaz et charbon, de 1981 à 2012, en

Mtep. (source BP)

0,0

200,0

400,0

600,0

800,0

1000,0

1200,0

1400,0

1600,0

1800,0

2000,0

années

Charbon

Gaz

Pétrole

C.fossiles

Epr

1981 2012

EU 28 + Norvège: Productions de combustibles fossiles

de 1981 à 2102, en Mtep. (source BP)

0

50

100

150

200

250

300

350

400

450

années

Charbon

Gaz

Pétrole

2004

1981 2012

200019842009

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47

3-2-4 Deux méthodes pour estimer les ultimes : les courbes d’écrémage

et la linéarisation de Hubbert

3-2-4-1 Les courbes d’écrémage

Lors de l’exploration d’un bassin pétrolifère on découvre au cours du temps des

champs (des gisements) dont on estime les réserves. La construction d’une courbe dite

d’écrémage consiste à reporter année après année, en abscisse le nombre cumulé des

champs découverts, ou mieux le nombre cumulé de puits d’exploration pure, que l’on

appelle wildcats (ce graphique en fonction de l’activité réelle est bien meilleur que le

graphique en champs perturbé par les aléas de l’activité d’exploration), et en ordonnée

le cumul des réserves correspondantes ainsi découvertes. Ces réserves pourront être

réévaluées, mais il faut pour rester cohérent que ces réévaluations soient affectées au

champ réévalué à la date de sa découverte. C’est ce qu’on appelle le back dating, ce

qu’on pourrait traduire par réévaluation rétroactive. D’autre part, on l’a dit avec

insistance, il ne faut surtout pas utiliser les estimations de réserves dites prouvées (dites

aussi 1P) ou courantes (current) déclarées par les compagnies ou les agences de

l’énergie, qui sont entachées de nombreuses erreurs et de biais volontaires ou

involontaires qui les rendent inutilisables, entre autres parce que la correction de

l’estimation antérieure est attribuée à l’année de la nouvelle estimation, alors que les

réserves dites 2P sont attribuées à l’année de découverte. Cela demande un très patient

travail de collationnement : on peut le faire à partir de données publiées dans les pays

qui donnent les réserves par champ comme le domaine fédéral des US dans le Golfe

du Mexique (BOEM) ou le Canada jusqu’en 2009 avec le CAPP, sinon il faut faire du

scouting, forme d’espionnage industriel par les compagnies vendant les bases de

données comme IHS et Rystad. Cependant même ces données doivent être

soigneusement analysées, car, produites à partir de différents systèmes de

classification (SEC, ABC ; OPEP…), elles ne sont pas homogènes. Elles sont aussi de

plus en plus sous l’influence des pays producteurs ou de groupes de pression. C’est

ainsi que par exemple IHS est devenu il y a quelques années IHS-CERA, propriété du

Cambridge Energy Research Institute (CERA), lobbyste de compagnies pétrolières

occidentales.

Avec le temps, le nombre cumulé de champs augmente, mais leur taille moyenne

diminue car statistiquement on découvre les plus gros gisements en premier. On

observe que les réserves cumulées augmentent de moins en moins vite. Cela est dû à

la répartition naturelle des tailles de gisements, selon laquelle l’essentiel des volumes

se trouvent comme on l’a vu (figures 36 et 37) dans un nombre très faible de très gros

gisements.

Ces graphiques sont modélisés par des courbes dont les asymptotes donnent une

estimation des Ultimes du bassin pour les cycles d’exploration successifs, ceux-ci

correspondant à de nouvelles approches dues aux progrès des techniques d’exploration

ou d’exploitation. Le même procédé peut être utilisé pour estimer l’Ultime à plus

grande échelle et pour le monde. On trouvera dans les travaux de Laherrère, 2011

des détails sur cette méthode. Une fois l’Ultime estimé, on cale sur l’historique de

production une fonction dite logistique qui est bornée par l’Ultime. La partie de la

courbe ainsi construite située entre les dernières données de production et l’Ultime est

donc une estimation de l’évolution moyenne dans le temps des productions futures,

hors contraintes autres que les contraintes géologiques. Les fonctions logistiques ont

été créées initialement par Verhulst, 1845, pour prédire les évolutions de population

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au cours du temps. La figure 53 montre des exemples de courbes d’écrémage pour les

Etats-Unis.

Figure 53 : Courbes d’écrémage pour les Etats-Unis. Sont superposées la courbe

d’écrémage pour les 48 Etats (hors Alaska et Hawaï), pour l’Alaska, qui a commencé

à produire en 1968, puis pour le pétrole extrait par mer profonde et le Light Tight oil

(LTO). Il s’agit bien sûr des réserves 2 P «backdated», ce qui veut dire que les

réévaluations de ces réserves sont toujours reportées à la date du puits de découverte

du gisement, et non à celle de la réévaluation.

Encart : De la nécessité du backdating :

Pour qui n’a pas véritablement réfléchi à la nature de ce qu’on appelle réserve, il

paraît indifférent de reporter ou non les réévaluations de réserves à l’année de la

découverte. Cette réévaluation n’est-elle pas en effet, quelle qu’en soit la date, une

quantité nouvelle de pétrole qui est découverte pour l’humanité ? En fait il n’en est

rien : La figure 33 montre à quel point la représentation que l’on se fait d’un

gisement peut évoluer en fonction du nombre de puits forés, et donc le calcul des

quantités en place qui rappelons-le est un calcul probabiliste à partir d’une

description géologique. Ce n’est donc pas le gisement qui a changé, mais la

représentation géostatistique que l’on s’en fait. La réévaluation n’a donc pas créé

de quantités nouvelles, elle a simplement modifié la représentation initiale et donc

le calcul probabiliste des quantités en place. Les réévaluations des quantités en place

ne sont d’ailleurs pas toujours des quantités en plus, elles peuvent être des quantités

en moins. En fait, pour beaucoup de gisements, ces évaluations ne commencent à

cerner de près la réalité physique qu’après une dizaine d’années d’exploitation.

Cependant la réévaluation des réserves 2 P doit tenir compte non seulement des

réévaluations des quantités en place, mais aussi des progrès technologiques ayant

eu lieu entre temps qui ont pu augmenter les possibilités de récupération, ainsi que

des variations du prix de marché du pétrole. Mais ces deux facteurs jouent de moins

en moins dans le cas des gisements de pétrole conventionnel, comme le montre bien

l’exemple de la Mer du Nord ou celui des gisements conventionnels des US 48 : La

réalité géologique prend avec le temps de plus en plus le pas sur l’économie et la

technologie.

Quant à la réévaluation des réserves 1 P d’un gisement, c’est celle qui est publiée,

elle n’apporte non plus aucune quantité nouvelle : Ce n’est en réalité qu’un jeu

d’écriture qui consiste à faire passer les réserves d’une catégorie dans une autre. Et

comme elle est entachée comme on l’a vu de nombreux biais et falsifications plus

ou moins volontaires, il vaut mieux l’ignorer.

0

25

50

75

100

125

150

175

200

225

250

275

0 50 000100 000150 000200 000250 000300 000350 000400 000450 000500 000

déc

ou

ver

te c

um

ulé

e 2P

G

b

nombre cumulé de puits explo pure (NFW)

US courbe d'écrémage des découvertes de pétrole 1900-2012 modélisée

avec 3 cycles pour un ultime de 275 Gb

1900-1968 = USL48

1968-1990= Alaska

1990-2012 = deepwater+LTO

backdated 2P discovery

Jean Laherrere Feb 2014

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Mais le point le plus important est que si l’on ne reporte pas les réévaluations à

l’année de la découverte, il est impossible d’observer l’évolution temporelle réelle de

l’importance des découvertes. La courbe ainsi construite n’est donc pas une courbe

d’écrémage, et il est impossible de tenter de prédire à partir de là des réserves

ultimes.

Un texte démonstratif à cet égard est celui de Laherrère , 2011 : «backdating is the

key»

3-2-4-2 La Linéarisation de Hubbert

Cette méthode utilise non pas les historiques de découvertes, mais les historiques de

production. Elle consiste à reporter en fonction du temps, en abscisse la production

cumulée, et en ordonnée le rapport en pourcentage de la production annuelle à la

production cumulée, puis à tracer une droite représentant au mieux les évolutions de

la production (figure 54). C’est une méthode popularisée par le géologue-géophysicien

américain Marion King Hubbert (en fait par K. Deffeyes, qui a travaillé avec lui, dans

son livre de 2001 « Hubbert’s peak »), célèbre pour avoir prédit en 1956 que la

production de pétrole conventionnel des US 48, c’est-à-dire hors les Etats d’Alaska et

d’Hawaï, connaîtrait, pour des réserves ultimes de 200 Gb, estimation haute d’une

enquête Delphi menée à l’époque par le grand géologue pétrolier américain Wallace

Pratt, un pic en 1970, ce qui s’est effectivement produit. A l’époque, on forait peu en

offshore et ni les pétroles extralourds ni le pétrole de schistes n’étaient exploités. Il

s’agissait donc là de prévisions de la production de gisements de pétrole conventionnel

situés à terre et en offshore peu profond. Notons au passage que dans les US 48, comme

en Europe en Mer du Nord, qui ne produit elle aussi que du pétrole conventionnel, ni

les nouvelles découvertes ni le progrès technologique, ni les hausses considérables des

prix de marché de 2003 à 2014 n’ont arrêté le déclin de ce pétrole conventionnel.

Cette linéarisation de Hubbert permet, mais moins bien que la précédente, d’estimer

les ultimes. Elle a cependant l’intérêt de donner une idée approximative des réserves

ultimes dans un bassin déjà largement exploité, quand on ne dispose pas des

estimations de réserves 2P backdated, mais aussi là où les méthodes classiques de

calcul des réserves ne sont pas applicables: c’est le cas du pétrole et du gaz de schistes,

mais aussi des réserves ultimes d’huiles extralourdes et de bitumes, où les méthodes

pratiquées d’estimation des réserves sont, on l’a dit, problématiques. Il en est de même

des charbons.

La figure 54 montre l’exemple de la formation de Bakken, la première exploitée aux

Etats-Unis pour le pétrole de schistes, pour la partie située dans le Dakota du Nord. La

droite d’extrapolation des historiques de production coupe l’axe des abscisses à 3 Gb,

donnant ainsi l’ordre de grandeur de l’Ultime de cette formation. L’EIA quant à elle

l’estime à 7 Gb.

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50

Figure 54 : Estimation par linéarisation de Hubbert de l’historique de production des

réserves ultimes de pétrole de roche-mère de la formation de Bakken dans le Dakota

du Nord aux Etats-Unis. L’écart avec les prédictions de l’EIA, 7 Gb, est énorme !

La figure 55 montre le même exercice avec la production de charbon du Royaume-

Uni. Les prédictions oscillent ici entre environ 22 et 28 Gt selon les périodes

d’exploitation, mais on voit que dès 1893, la prédiction était proche de la réalité finale.

Or en 1978, le Conseil Mondial de l’Energie prévoyait encore 70 Gt, soit environ 3

fois plus. Il est intéressant d’observer que la très forte augmentation des prix du

charbon qui a eu lieu dans la foulée de celle des prix du pétrole (voir chapitre 4 et

figure 68) n’a guère ici stimulé la production, tout comme les augmentations de prix

du pétrole n’ont guère changé les taux de déclin des productions de pétrole ni pour les

US 48 ni pour la Mer du Nord.

0

1

2

3

4

5

0 500 1000 1500 2000 2500 3000 3500 4000

an

nu

el/c

um

ulé

e %

production cumulée Mb

Bakken North Dakota: linéarisation d'Hubbert de la production de pétrole

1955-2008

Nov2008-Dec2012

Dec 2012-Jan2016

June2014-Jan2016

Jean Laherrere Mar 2016

ultime = 3 Gb?

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Figure 55: prédictions par linéarisation de Hubbert de l’ultime de la production de

charbon au Royaume-Uni à différentes époques de cette production, et variations du

prix du charbon sur la période récente. On constate que les très fortes augmentions

de prix n’ont pas affecté le déclin observé de manière sensible.

Il faut cependant être prudent avec la linéarisation de Hubbert pour laquelle les

conditions d’une application correcte ne sont pas toujours présentes, en particulier

quand les historiques de production sont trop courts et qu’alors les productions

cumulées ne représentent encore qu’une trop faible proportion des ultimes. Cela se

voit bien sur la figure 54, où une estimation faite quand cette proportion était inférieure

à 1/3 aurait été hasardeuse. Au cours de l’exploitation, cette méthode devient de plus

en plus fiable.

La figure 56 est une synthèse des prédictions, estimées en Gtep, des productions

mondiales à venir de pétrole tous liquides, de gaz sec et de charbon faites par J.

Laherrère avec ces méthodes.

Les réserves ultimes en seraient respectivement de l’ordre de 420, 330 et 650 Gtep. Le

pic du pétrole tous liquides aurait lieu vers 2020 à environ 4,5 Gtep (95 Mb/d). Pour

le gaz, il s’agirait d’environ 3,6 Gtep vers 2030, et pour le charbon, d’un pic d’environ

4,2 Gtep vers 2035-2040. Le pic de la production totale de combustibles fossiles aurait

lieu vers 2025 pour à peu près 12 Gtep de contenu énergétique. D’ici une dizaine

d’années, la quantité totale d’énergie contenue dans la production de combustibles

fossiles commencerait donc à décliner !

Ceci s’entend en ne prenant en compte que les contraintes géologiques (underground)

et en l’absence de contraintes above ground autres que celles dues aux fluctuations

politiques et économiques mondiales courantes, dites Business as Usual (BAU) .

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Figure 56: Productions de pétrole tous liquides, de gaz, et de charbon, et du total des

trois, en Gtep et Gbep, et prévisions de production jusqu’en 2200 selon J.Laherrère.

Les courbes de la figure 56 sont les enveloppes à l’échelle mondiale des productions à

prévoir pour le pétrole, le gaz et le charbon. Celles-ci, en particulier celles de pétrole,

comportent comme on l’a vu plusieurs catégories. Ces catégories ont été au préalable

étudiées séparément, car chacune d’entre elles a une dynamique d’évolution de

production qui lui est propre, en fonction de son origine, de ses caractéristiques

physiques et de ses méthodes de production. Nous avons déjà signalé plus haut que

par exemple la vitesse d’exploitation des réserves de pétroles extra-lourds (huiles

extra-lourdes du Venezuela et bitumes du Canada), ne pouvait être que plus faible que

celle des réserves de pétroles conventionnels, les méthodes d’exploitation étant très

différentes, et que pour cette raison il fallait en faire une comptabilité séparée.

L’économie joue aussi ici un plus grand rôle que pour le pétrole conventionnel, car il

s’agit de pétroles chers, dont l’exploitation est plus sensible aux prix que les pétroles

conventionnels : C’est ainsi qu’actuellement, la forte baisse du prix du pétrole a fait

abandonner plusieurs projets d’exploitation des bitumes canadiens. D’autre part, on le

rappellera plus loin, il n’y a guère que pour les pétroles et gaz conventionnels que l’on

puisse construire des courbes d’écrémage, les autres n’étant justiciables que de la

linéarisation de Hubbert.

On trouvera pour le pétrole tous liquides des courbes par catégorie dans Laherrère,

2014 et sur la figure 58 .

L’ultime des combustibles fossiles serait au total d’environ 1370 Gtep en compte rond

(figure 56 et tableau 12). Environ un tiers en aurait déjà été consommé, mais presque

la moitié pour le pétrole, presque 30 % pour le gaz et un peu plus d’un quart pour le

charbon (tableau 12).

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53

Tableau 12: réserves 2P ultimes (Ultimes) et réserves 2 P restant à exploiter, d’après

J. Laherrère 2015. Bien noter que ces réserves sont évaluées en contenu énergétique

(Gtep) et non en masse ou en volume.

La comparaison avec le scénario New Policies (NP) du WEO 2012 de l’AIE qui

prévoit 104 Mb/d en 2035 (figure 44), soit à peu près 4,9 Gtep, montre un très gros

écart avec les prédictions de la figure 56 pour le pétrole tous liquides. Le plus récent,

le WEO NP 2015, est un peu moins optimisme que le WEO 2012, puisqu’il ne prédit

« que »103,5 Mb/d en 2040. Or J. Laherrère prévoit environ 3,2 Gtep, soit environ 67

Mb/d en 2040. Il s’agit là d’un écart qui correspond à presque 4 fois la production

actuelle de l’Arabie Saoudite ! D’autre part, les WEO ne prévoient pas de pic d’ici

2040, tandis que Laherrère prévoit un pic en 2020 !

Pour le gaz, les prévisions du WEO 2015 NP et de J. Laherrère sont voisines jusqu’en

2030, mais divergent ensuite: le WEO 2015 NP prévoit 182 Tcf (soit l’équivalent

énergétique d’environ 83 Mb/d de pétrole) en 2040, et ne prévoit pas de pic. J.

Laherrère ne prévoit qu’environ 150 Tcf (l’équivalent de 68 Mb/d de pétrole) en 2040,

et un pic en 2030. Il y a donc là aussi un écart considérable.

Curieusement, il n’y a pas beaucoup d’écart pour le charbon, alors que c’est là que les

prédictions devraient être les plus mal assurées : Laherrère et le scénario WEO 2014

NP prévoient tous deux pour 2040 l’équivalent d’à peu près 90 Mb/d.

Les prévisions des agences semblent optimistes. Les prévisions de J. Laherrère, et

sont-elles au contraire trop pessimistes ?

Récemment, une enquête Delphi réalisée parmi les membres de la section française de

l’ASPO montre qu’en moyenne, ses membres sont plus optimistes que J. Laherrère

non pas sur la date du pic du pétrole, mais sur la rapidité du déclin (figure 59)

D’autres prévisions sont par exemple celles de Yves Mathieu, 2011 de l’Institut

français du pétrole et des énergies nouvelles (IFPEN), qui envisage un pic ou un

plateau du pétrole tous liquides entre 2020 et 2030 environ à des hauteurs de 95 à 100

Mb/j selon l’importance des efforts technologiques. Ce n’est pas très différent de celles

de Laherrère. Citons aussi les estimations du Cambridge Energy Research Associate

(CERA) aux Etats-Unis, qui elles sont encore plus optimistes que celles des Agences.

Les grandes compagnies pétrolières occidentales ne communiquent pas beaucoup sur

ce sujet. Certaines, BP, Exxon , ont cependant fait aussi des estimations, qui sont

nettement plus optimistes que celles de l’ASPO, mais la Compagnie Total a prédit il y

a quelques années (J-M. Masset 2009) un pic du pétrole conventionnel plus non

conventionnel un peu avant 2020, pour environ 95 Mb/j, et un pic ou un plateau du

pétrole tous liquides entre 2020 et 2030 à environ 100 Mb/j (P-R.Bauquis, 2014), ce

qui est au-dessus mais proche des prévisions moyennes des membres de l’ASPO.

Mais les méthodes et les modèles utilisés par les compagnies et même par le CERA,

qui est très proche de celles-ci, n’ont pas été suffisamment explicités par ces sources

pour pouvoir être discutés ici en détail.

Combustible fossile Pétrole Gaz Charbon Total

Réserves 2 P ultimes (Ultimes) (Gtep) 390 330 650 1370

Réserves 2 P restantes fin 2014

Production cumulée fin 2014

210

180

237

93

473

177

920

450

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54

3-2-5 Les prévisions de production à l’échelle mondiale pour ce siècle,

une discussion

En schématisant, deux catégories de méthodes sont donc bien documentées dans la

pratique pour essayer de prédire l’évolution des productions mondiales de

combustibles fossiles :

- Celle des agences de l’énergie, qui est essentiellement une modélisation de la

demande d’après des critères économiques et politiques.

- Celle des géologues et économistes de l’ASPO, qui est essentiellement une

modélisation de l’offre géologique, fondée sur une étude approfondie des historiques

de découvertes et de productions.

Laquelle de ces méthodes sera-t-elle la plus prédictive ?

Que penser des prévisions des agences et des compagnies ?

S’agissant du pétrole, celui des combustibles fossiles qui devrait être le premier à

atteindre ses limites selon tous les prévisionnistes, les réserves qu’elles publient sont

des réserves déclarées, en principe des réserves 1 P, qui sont on l’a vu très peu fiables

et très optimistes. Agences et compagnies devraient pourtant pouvoir, si elles le

désiraient vraiment, publier des réserves 2 P actualisées rétroactivement (backdated)

qui sont comme on l’a vu beaucoup plus proches des réserves ultimes.

Pour ce qui nous préoccupe ici, c’est-à-dire l’avenir de la production de pétrole tous

liquides, on constate que les prédictions des agences et de la plupart des compagnies

ont aussi été ces dernières années presque toujours trop optimistes : les raisons de fond

sont qu’elles utilisent des modèles qui ne fixent aucune limite aux possibilités que la

nature offre à l’homme en ce qui concerne les flux de production d’énergies carbonées

fossiles, pourvu qu’il en ait les moyens financiers, ce qui revient à subordonner les

flux de production d’énergies primaires aux flux monétaires, et donc à ne pas tenir

compte explicitement des contraintes géologiques! Pourtant, les exemples historiques

européens que l’on a présentés sont une évidente contradiction de cette façon de voir :

malgré tous les efforts d’exploration, les améliorations technologiques et des prix très

élevés dans la période récente, ou même de défiscalisation de la production comme

par exemple en Mer du Nord britannique, dans aucun de ces cas la tendance n’est

repartie durablement à la hausse une fois les pics franchement passés. Il en a été de

même pour la production de pétrole conventionnel des US 48, et pour un grand nombre

de pays producteurs.

On peut aussi penser que l’optimisme des agences et des compagnies vient aussi du

fait qu’elles peuvent difficilement présenter un tableau qui ne soit pas encourageant à

leurs commanditaires et à l’opinion.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il est difficile de croire que les

prédictions des agences et des compagnies pétrolières ne continueront pas à être trop

optimistes.

Il en est de même pour le gaz naturel et le charbon.

Qu’en est-il des modèles géologiques ?

Ces modèles s’appuient sur des estimations de réserves beaucoup plus crédibles que

celles utilisées par les agences, mais un point faible est la précision de l’estimation des

réserves ultimes (U).

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55

Nous comparons ci-dessous les analyses des productions futures pour les différents

composants du pétrole tous liquides :

Pétroles :

Sur les tableaux 7 et 13 se trouvent les différents constituants du pétrole tous liquides,

et l’importance relative, en Mb/j, qu’ils ont eu dans la production de celui-ci en 2014.

Observons à nouveau que s’y trouve une catégorie, les synfuels, qui n’a rien à voir

avec le pétrole, et une autre, les gains de raffineries, qui est une conséquence de la

comptabilité en volume et n’a pas de sens d’un point de vue énergétique.

La dynamique de production on l’a dit est différente d’une catégorie à l’autre et il faut

en tenir compte dans l’analyse des possibilités de production dans le futur.

Pétrole conventionnel et condensats (C+C)

Il s’agit là du pétrole extrait des gisements conventionnels des types 1 et 2 de la figure

28, et des condensats qui sont des hydrocarbures récupérés en tête de puits à partir du

gaz, gaz associés aux gisements de pétrole (gas-cap), ou gaz de gisements de gaz

contenant des hydrocarbures liquides (première partie, chapitre 1), mais aussi de gaz

non conventionnel, comme le gaz de roche-mère (de schistes). La dynamique de

production des condensats est donc liée à celle de la production du gaz, et non à celle

de la production du pétrole conventionnel.

Les agences réunissent pétrole conventionnel et condensats dans la même catégorie,

car ils sont mélangés par les producteurs avant commercialisation. Mais rappelons

que si l’AIE présente une comptabilité séparée du C+C, l’EIA l’associe dans ses

publications courantes au light tight oil (LTO) et aux extra-lourds (EL, extra-heavy,

XH) dans une catégorie crude oil ou petroleum (en français pétrole brut ou brut).

Cependant l’EIA publie aussi des statistiques pour le LTO et les XH.

La proportion des condensats dans l’ensemble C+C n’est donc pas indiquée, même si

l’AIE s’efforce parfois de le faire, mais sans grande précision. Elle a augmenté au

cours du temps car, jusque vers 1970 environ, le gaz était considéré comme un produit

fatal du fait du coût très élevé des infrastructures nécessaires à son transport. On

renonçait donc à exploiter beaucoup des gisements découverts. Actuellement elle

pourrait être, en volume, de l’ordre de 7 à 8 %.

La qualité des résultats obtenus par les modèles géologiques est certes on l’a rappelé

sensible à la qualité des estimations des réserves ultimes (ultime, U). Cependant, en

ce qui concerne cette catégorie C+C les prédictions de production ainsi faites ont

donné ici à ce jour des résultats bien plus proches des observations ultérieures que

celles des agences, du CERA et de la majorité des compagnies pétrolières, et ont

enregistré quelques beaux succès : le plus connu est la prédiction à l’année près (1970)

du pic de production de pétrole conventionnel des US 48 faite en 1956 par Marion

King Hubbert, pour un ultime de 200 Gb.

A l’échelle mondiale, Campbell et Laherrère, 1998 avaient prédit que le pic du

«cheap oil », en gros la catégorie pétrole brut conventionnel (C), serait atteint sous les

10 ans. Selon l’AIE ce pic a eu lieu fin 2005 et la diminution de production depuis

cette date atteignait environ 6% en 2013 (figure 57). Il y a donc un bon accord des

observations avec les prédictions de Campbell et Laherrère.

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56

Figure 57: Evolution de la production mondiale de pétrole brut conventionnel de 1990

à 2013, en millions de barils par jour, selon l’Agence Internationale de l’Energie

(AIE- IEA). Elle aurait diminué d’environ 6 % depuis fin 2005. En fait, le déclin est

probablement un peu plus prononcé, car une partie des condensats (issus du gaz,

rappelons-le) a été comptabilisée ici avec le brut, faute de pouvoir les séparer

complètement dans la comptabilité des producteurs. Courtoisie P.Brocorens.

Le pic de production de conventionnel + condensats de la mer du Nord a été également

prévu à l’année près par l’ASPO et les prévisions ont été également bonnes dans les

pays qui ont maintenant passé leur pic, quand il était possible de collationner

correctement les données nécessaires (des pays où ces données sont difficiles à trouver

sont par exemple l’Arabie Saoudite, la Russie et la Chine).

Enfin, on constate statistiquement, année après année, la diminution des volumes

découverts de pétrole conventionnel. Elles sont actuellement de moins de la moitié de

la consommation. Malgré les grands progrès des techniques d’exploration aucun

champ géant (c’est-à-dire de réserves supérieures à 500 Mb) n’a été découvert en 2013,

2014 et 2015 !

Le maintien à l’horizon 2035 et encore plus 2040 de la production de C+C à son niveau

actuel, comme le prétend l’AIE (figure 44), semble donc bien peu probable, et la page

semble avoir été tournée en 2005-2006, conformément à la prédiction des géologues.

Or il s’agit là d’environ 75 % de la production actuelle du pétrole tous-liquides !

Light Tight Oil (Pétroles de roche-mère (de schistes) et de réservoirs compacts)

Du fait de l’incapacité actuelle d’en évaluer des réserves 2 P sur des bases géologiques

et géophysiques, il faut utiliser la linéarisation de Hubbert des historiques de

production (figure 54). Et ceux-ci sont encore un peu courts aux Etats-Unis, principal

pays producteur, pour être très fiables.

La production de 2014, environ 4,4 Mb/j, est somme toute modeste, environ 5 % de la

production mondiale de pétrole tous liquides (tableaux 7 et 13), et se limite pour

l’essentiel à celle des Etats-Unis. Elle décline actuellement , les prix actuels du pétrole

étant devenus trop faibles pour qu’une partie de leur production soit rentable. C’est

peut-être provisoire. Mais certains analystes prévoyaient déjà avant cette chute des

prix le pic du pétrole de roches-mères aux Etats-Unis avant 2020, entre autres des

géologues pétroliers ayant analysé très en détail les caractéristiques et les productions

de toutes les formations Nord-Américaines (Hughes, 2014, et le site d’Enno Peters:

https://shaleprofile.com/). Notons aussi que cette production a conduit à de très

importantes pertes financières pour beaucoup d’opérateurs. Ceux-ci ont été maintenus

Page 57: Energies carbonées fossiles (pétrole, gaz, charbon ... · récupérés dans les usines de traitement du gaz ... on pouvait définir un plan d ... sur l‘avenir de la production

57

à flot par des prêts bancaires et des reports ou crédits d’impôts, c’est-à-dire une bulle

financière et des subventions indirectes qui ne dureront peut-être pas indéfiniment.

Un pic ou un plafonnement à moins de 5 Mb/j vers 2020 aux Etats-Unis paraît

probable (Chavanne 2006).

Peut-on envisager d’ici-là des développements substantiels à l’échelle internationale ?

Pour l’instant, seule l’Argentine avec l‘exploitation de la formation Vaca Muerta dans

le Bassin de Neuquen (voir chapitre 3-1-4-2 de la première partie) a commencé à

enregistrer quelques succès. Mais il s’agit encore de peu de choses, de l’ordre de 15 à

20 000 b/j.

Selon Charlez 2016, d’autres pays font des études préliminaires, comme la Russie

avec la formation de Bazenov dans le Bassin de Sibérie Occidentale, l’Arabie Saoudite

dans le bassin de Jafurah, la Chine dans les bassins de Tarim et du Sichuan. Il est fort

peu probable qu’un développement substantiel ait lieu en Europe.

L’avenir dira si ce développement aura lieu. Malgré des annonces fracassantes faites

en particulier par l’EIA sur l’immensité des réserves mondiales, nul ne semble

actuellement capable de prédire dans quels pays et quand il se produira. A noter que

les obstacles à surmonter sont tout autant politico-économiques que géologiques et

logistiques.

Pétroles extralourds (Extra-Heavy, XH) :

Il s’agit principalement des huiles extralourdes de la ceinture bitumineuse de

l’Orénoque au Venezuela et des bitumes de l’Athabasca au Canada. Il est impossible

de construire ici des courbes d’écrémage, puisqu’il s’agit de singularités, et que la

notion de réserves est ici peu claire, puisque qu’elles dépendent trop des techniques

d’exploitation. Il faut donc utiliser la linéarisation de Hubbert, ici relativement fiable

car les historiques de production sont déjà longs. La production possible des huiles

extra-lourdes (Canada, Venezuela …) est assez bien cernée : on a vu qu’elle était

handicapée par des procédés d’extraction à productivité limitée et de fortes contraintes

environnementales.

Les prédictions de J. Laherrère sont ici d’une augmentation lente de la production

jusqu’à environ 16 à 17 Mb/j vers 2060, suivis d‘un déclin lent jusqu’à la fin du siècle

(figure 58).

Liquides d’usines de traitement de gaz naturel (LGUN) (Natural Gas Plant Liquids,

NGPL)

Il s’agit là des « liquides » récupérés à partir du gaz dans les usines de traitement et du

GPL, à l’exclusion par conséquent des condensats récupérés en tête de puits. Il s’agit

surtout on l’a vu d’éthane, de propane et de butanes liquéfiés sous forme de GPL.

Comme leur nom l’indique ces liquides sont associés au gaz naturel, et leur dynamique

de production suit celle du gaz, conventionnel et non conventionnel. En ce qui

concerne ce dernier, il ne peut s’agir que des LGUN extraits des gaz de schistes, les

autres gaz non conventionnels ne contenant guère d’hydrocarbures autres que le

méthane.

Selon J. Laherrère (figure 58), il faut prévoir une augmentation jusqu’à environ 12

Mb/j vers 2030, puis un déclin. Un développement très important du gaz de roche-

mère à l’échelle mondiale retarderait cette échéance, mais est-il possible d’ici là ?

Les synfuels et les gains de raffinerie

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58

Ces catégories ne sont pas des pétroles naturels, et leur production ne peut donc être

prédite par des méthodes géologiques.

S’agissant des synfuels, il s’agit surtout des biocarburants (biofuels), dont la

production est de l’ordre d’un peu plus de 2 Mb/j actuellement (tableau 7). Cette

production est limitée par le rendement très faible de la photosynthèse (en moyenne

moins de 1% de l’énergie solaire seulement est convertie par les plantes en énergie

chimique sur la surface qu’elles occupent) et donc par les surfaces disponibles pour

les cultures : Il faut d’énormes surfaces pour obtenir des quantités significatives. Cela

pose de gros problèmes d’occupation des sols, de compétition avec l’agriculture à fin

alimentaire, et d’environnement. On peut donc s’attendre à ce que la production ne

dépasse guère l’actuelle au cours de ce siècle, sauf révolution dans les techniques de

transformation de la biomasse en carburants par les techniques BTL permettant de

mettre beaucoup plus complètement à contribution à cette fin la biomasse, et en

particulier sa composante ligno-cellulosique (bois, nervures …), bien plus abondante

que les produits agricoles utilisés jusqu’à présent. Mais ce type de production n’arrive

pas actuellement à dépasser le stade du pilote.

Notons aussi que la plus grande partie des biocarburants est de l’éthanol, dont l’énergie

contenue par baril n’est que les deux-tiers de celle du pétrole conventionnel.

Celles de GTL et de CTL sont au total de moins du Mb/j à l’heure actuelle. Elles

correspondent à un transfert, avec une perte considérable d’énergie primaire (et aussi

avec une production importante de CO2 et de polluants atmosphériques !), des

catégories gaz et charbon vers la catégorie pétrole, et n’augmentent donc pas les

réserves ultimes totales de combustibles fossiles, mais les font consommer plus

rapidement. Notons à ce propos que dans le bilan énergétique mondial, le gaz et le

charbon utilisés pour faire le GTL et le CTL continuent à être comptabilisés par les

agences dans les rubriques productions de gaz et de charbon, tandis que le GTL et le

CTL sont comptés dans la catégorie production de pétrole. Il y a donc double

comptabilité et illusion d’un accroissement de la production d’énergie primaire. Quant

à leur production envisageable, on ne peut pas en dire grand-chose à l’heure actuelle,

car même quand le prix du pétrole était très élevé, leur production n’a pas augmenté

sensiblement. Il s’agit de «productions du futur », ce futur étant indéfini.

Page 59: Energies carbonées fossiles (pétrole, gaz, charbon ... · récupérés dans les usines de traitement du gaz ... on pouvait définir un plan d ... sur l‘avenir de la production

59

Figure 58 : Prévisions de J. Laherrère pour la catégorie Crude Oil (brut) selon l’EIA

moins les pétroles extra-lourds (EL), c’est-à-dire l’ensemble C+C+LTO, et pour les

extra-Lourds (EL), les liquides d’usine de gaz naturel (LGUN), les gains de raffineries,

et les autres liquides =XTL (dont l’essentiel consiste comme on l’a précisé en

biocarburants). Prévisions des agences pour le Light Tight Oil (LTO). Comparaison

des prévisions de J. Laherrère avec celles de l’enquête Delphi de l’ASPO France pour

le C+C+LTO. Le WEO 2015 conv NP est la prévision faite par l’AIE pour la

production d’ici 2040 pour le scénario New Policies de ce que nous avons appelé

dans cet ouvrage le pétrole (brut) conventionnel.

U=réserves ultimes (ultime).

S’agissant des gains de raffineries, ils sont variables selon la nature du pétrole entrant

dans la raffinerie et l’importance relative des coupes pétrolières produites. On peut les

considérer grosso modo comme proportionnels aux quantités produites de C+C+LTO

et en suivront donc les évolutions. Sur la figure 58 ils sont évalués à 3 % de cette

quantité, et devraient passer par un maximum de 2,5 à 3 Mb/j en 2020.

Nous avons vu qu’il s’agissait en fait d’une conséquence de la comptabilité en volume,

et en fait d’une perte d’énergie. Cette bizarrerie amène à des absurdités, entre autres le

classement par les agences comme pays producteurs de pétrole de pays qui ne font que

le raffiner, comme les Antilles Neéerlandaises, qui raffinent du pétrole en provenance

du Venezuela.

Le pétrole tous liquides :

Il s’agit donc de la somme des catégories précédentes. La figure 59 résume la prévision

de son évolution faite par J. Laherrère début 2016, ainsi que des évolutions de ses

principales composantes, et la compare à celle des principales agences, à celle de

l’OPEP et à celles d’Exxon et de BP, ce qui permet de visualiser les écarts

considérables de ses prévisions avec leurs prévisions, et cela à brève échéance.

Page 60: Energies carbonées fossiles (pétrole, gaz, charbon ... · récupérés dans les usines de traitement du gaz ... on pouvait définir un plan d ... sur l‘avenir de la production

60

Figure 59 : Prévisions 2016 de J. Laherrère. Cette figure utilise les codes de l’EIA et

demande pas mal de gymnastique pour la décrypter: productions de brut- EL (=

C+C+LTO), de Brut (= C+C+LTO+XH)+LGUN, et de pétrole tous liquides, et

comparaison pour le pétrole tous liquides avec les récentes estimations d’Exxon, de

BP, de l’OPEP (WOO=World Oil Outlook), de l’EIA (IEO =International Energy

Outlook ) et de l’AIE/IEA (WEO=World Energy Outlook). NP= New Policies. U =

réserves ultimes. EL = Extra-lourds=XH (bitumes et huiles extra-lourdes). LNG =

LUGN (Liquides d’usine de gaz naturel) Se trouvent aussi sur ce graphique les

prévisions moyennes d’une enquête Delphi faite en 2015 auprès des membres de

l’ASPO-France : elles sont plus optimistes que celles de J. Laherrère, mais prévoient

aussi un pic en 2020.

. Le WEO 2015 all NP est la prévision de pétrole tous liquides de l’AIE jusqu’en 2040

pour le scénario New Policies. Le WEO 2015 conv NP est la prévision faite par l’AIE

pour la production de conventionnel d’ici 2040 selon le scénario New Policies. C’est

ce que nous avons appelé dans cet ouvrage le pétrole (brut) conventionnel. On peut

noter que ces prévisions sont en contradiction avec les statistiques des productions

actuelles faites par la même agence (figure 57).

Notons sur cette figure que le scénario WEO 2014-450 ppm est un scénario 2014 de

l’AIE où la production serait contrainte par une politique internationale très rigoureuse

de réduction des émissions de CO2. Il est curieux qu’il soit en fait très proche du

scénario moyen de l’enquête Delphi des membres de l’ASPO-France, qui est un

scénario Business as usual (BAU), où aucune contrainte autre que les contraintes

géologiques n’est mise sur les émissions de CO2. Nous en reparlerons au chapitre 5.

Que nous dit l’évolution actuelle de la production du pétrole tous liquides ?

Hors Etats-Unis, la production évaluée en baril de brut+condensats selon l’EIA (c’est-

à-dire rappelons-le encore une fois de conventionnel+condensats+LTO+XH), évaluée

en barils, augmente encore en ce moment. Mais on observe une diminution au cours

du temps des taux de croissance qui laisse présager l’arrivée prochaine d’un pic de

cette catégorie (figure 60). La progression du tous liquides est ici due pour l’essentiel

à la croissance des LGUN, produits à partir du gaz.

Page 61: Energies carbonées fossiles (pétrole, gaz, charbon ... · récupérés dans les usines de traitement du gaz ... on pouvait définir un plan d ... sur l‘avenir de la production

61

Figure 60 : évolution d’après l’EIA américaine de la production mondiale hors Etats-

Unis des catégories brut plus condensats (=C+C+LTO+XH), brut plus condensats

plus LUGN, et tous liquides ; comparaison avec celle du pétrole du brut plus

condensats et du tous liquides aux Etats-Unis. Bien noter que brut ne désigne pas ici

le pétrole conventionnel, mais contient aussi le LTO et les Extra-lourds. On observe

pour les Etats-Unis le pic des US 48 en 1970 (prédit par Hubbert en 1956) le sursaut

dû à la découverte de l’Alaska et son pic en 1985, et la montée rapide du LTO à partir

de 2010. Source : J.Laherrère 2016 , d’après les données de l’EIA.

On voit sur cette figure que les Etats-Unis ont connu par contre une très rapide

progression de leur production tous liquides depuis 2010 grâce à leur production de

LTO, mais aussi à celle des liquides (condensats et LGUN) extraits de leur gaz de

roche-mère (de schistes) à partir de 2005. Mais la production actuelle de LTO ne

représente actuellement qu’une modeste partie du pétrole tous liquides à l’échelle

mondiale, environ 4,4 Mb/j en 2014 (tableaux 7 et 13). D’autre part les agences ne

prévoient pas d’augmentation spectaculaire du LTO aux Etats-Unis, et prévoient

même son déclin vers 2020-2030 (figure 58). Dans les faits cette production est même

en déclin sensible depuis Juin 2015, mais pour l’instant plus à cause de sa forte

diminution de rentabilité résultant de la forte chute de prix du pétrole fin 2014 que

pour des causes géologiques.

En réalité comme on le voit clairement sur la figure 44, c’est surtout sur la production

de pétrole brut conventionnel que compte par exemple l’AIE pour qu’augmente la

production de pétrole tous liquides. Ce qui est en contradiction avec la diminution de

la production de conventionnel observée depuis maintenant 2005, et la diminution

rapide de ses réserves 2P !

Tout cela semble bien indiquer la venue très prochaine d’un pic ou d’un plateau du

pétrole tous liquides à l’échelle mondiale entre 95 et 100 Mb/j, conformément aux

prédictions de l’ASPO et non à celles des agences, sauf si, on en discutera plus loin, la

success story américaine du LTO se propageait maintenant rapidement à l’échelle

mondiale. Mais cela n’en prend pas pour l’instant le chemin.

0

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Mb

/d

année

production de pétrole: monde sans les Etat-Unis

tous liquides = offre totale

croissance 2%/a 1982-2005

brut + condensat +LUGN

croissance 10,5%/a 1940-1973

croissance 1,8%/a 1982-2005

croissance 0,2%/a 2005-2015

brut + condensat

liquides US = offre totale

brut + condensat US

Jean Laherrere fév 2016

source: EIA

Page 62: Energies carbonées fossiles (pétrole, gaz, charbon ... · récupérés dans les usines de traitement du gaz ... on pouvait définir un plan d ... sur l‘avenir de la production

62

Quant au contenu énergétique de ces productions, une récente étude de X.Chavanne

2016 (figure 61) sur la production des pétroles naturels (donc à l’exclusion des

synfuels et gains de raffinerie) entre 2000 et 2015, montre le déclin du contenu

énergétique en PCS (en bep/j comme indiqué chapitre 2-2) de l’ensemble pétrole

conventionnel + plus condensats à partir de 2005. Celui de la production des pétroles

naturels, conventionnels plus non-conventionnels plus LGUN, augmente encore un

peu. Toutefois, cet auteur anticipe son déclin progressif dès 2015. Le tableau 13 montre

quel était la valeur énergétique, en Mbep/j, des quantités produites des constituants du

pétrole naturel en 2014, et leur comparaison avec ces quantités exprimées en volume

(Mb/j).

Figure 61 : Evolution des quantités d’énergie (en Mbep/j) contenues dans les pétroles

naturels (à l’exclusion donc des synfuels et des gains de raffinerie) et dans leurs

composants de 2000 à 2015, et projections pour la période 2015 à 2025, selon Xavier

Chavanne 2016.

Nature du composant Valeur (Mb/j) Valeur (%) Valeur(Mbep/j) Valeur (%)

Conventionnel + condensats (C+C) 70,3 75,4 71 81,7

Light Tight Oil (LTO) 4,4 4,7 4,1 4,7

Extra-lourds 3,2 3,4 3,1 3,6

LGUN 9,8 10,5 7,1 8,2

Biocarburants( agrocarburants) 2,5 2,7 1,3 1,5

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63

GTL+CTL 0,5 0,6 0,3 0,3

Gains de raffinerie 2,5 2,7 0 0

Total tous liquides 93,2 100 86,9 100

Tableau 13: quantités d’énergie (Mbep/j) contenues dans les composants de la

production 2014 de pétrole tous liquides, selon Xavier Chavanne 2016, et

comparaison avec les quantités en volume (Mb/j) selon l’EIA.

La quantité d’énergie mise à la disposition de la société mondiale par les pétroles

naturels serait donc d’ores et déjà en voie de diminution, et il en serait de même du

pétrole tous liquides, étant donné la faible contribution énergétique des synfuels et leur

croissance insignifiante. La quantité correspondante d’énergie par habitant, compte-

tenu de l’augmentation de la population mondiale, diminue quant à elle certainement.

Notons qu’il n’est pas tenu compte ici de la part de plus en plus grande de la production

qui est consacrée à cette production, c’est-à-dire de la diminution des taux de retour

énergétique (TRE) à la production (voir chapitre 2-2 ) qui diminue encore la quantité

d’énergie ainsi mise à la disposition de la société mondiale.

La production de pétrole de LTO sera peut-être plus importante que celle prévue par

l’ASPO, ou même par les agences, si les technologies d’extraction progressent

beaucoup et surtout si d’autres nations que les Etats-Unis s’y mettent à leur tour. C’est

actuellement l’objet de discussions passionnées. Mais on ne voit toujours pas se

produire le développement à l’échelle mondiale annoncé : les pays dont on parle le

plus pour une production importante d’huile (et de gaz) de roches-mères sont pour

l’instant l’Argentine (formation Vaca Muerta dans le bassin de Neuquen) et la Russie

(formation de Bazhenov dans le Bassin de Sibérie Occidentale). Chine et Australie

sont également sur les rangs. Mais seule l’Argentine a pour l’instant obtenu quelque

succès.

Notons cependant que la production de pétrole de ce type a une résilience élevée, du

fait de sa rapidité de mise en œuvre. Alors qu’il faut 5 à 10 ans pour commencer à

produire le pétrole d’un gisement conventionnel après sa découverte, il ne faut que

quelques mois pour commencer à produire du pétrole, ou du gaz, de roche-mère. Mais

à l’heure actuelle, étant donné le bas prix du pétrole, la rentabilité de la production de

pétrole de schistes est devenue insuffisante pour que l’on fore de nouveaux puits, sauf

dans les meilleurs sweet spots. Or la production d’un puits de ce type baisse d’environ

90 % en 3 ans (voir annexe 2). L’absence de nouveaux forages fait donc baisser la

production d’ensemble très rapidement. Mais une remontée du prix du pétrole

nettement au-dessus du break-even, c’est-à-dire du prix de vente au-dessus duquel le

producteur ne perd plus d’argent, la relancerait très rapidement aux Etats-Unis. D’autre

part le déclin des puits étant de moins en moins rapide avec le temps, la production

pourrait se stabiliser à un niveau relativement élevé une fois un très grand nombre de

puits forés.

En définitive, l’avenir de la production de pétrole tous liquides dépend principalement

de deux grands acteurs : la production de pétrole brut conventionnel, en déclin, et la

production de pétrole de roche-mère, qui a été jusqu’en 2015 en augmentation très

rapide aux Etats-Unis, mais qui diminue actuellement et qui ne montre pas non plus

de signe clair de la possibilité d’un développement important à l’échelle mondiale,

sauf en Argentine. Les obstacles à ce développement ne sont pas seulement

géologiques, mais aussi politico-économiques.

Page 64: Energies carbonées fossiles (pétrole, gaz, charbon ... · récupérés dans les usines de traitement du gaz ... on pouvait définir un plan d ... sur l‘avenir de la production

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La question du développement futur des pétroles de roche-mère est donc encore

ouverte. Mais il faudrait que d’ici 2040 soit en production hors Etats-Unis l‘équivalent

d’au moins 3 fois la production actuelle de ce pays, pour compenser le déclin du pétrole

brut conventionnel prévisible d’ici cette date. Un tel développement à l’échelle

mondiale serait véritablement prodigieux ! Un pic, au mieux une stagnation pendant

encore quelques années, de la production de pétrole tous liquides est très probable dans

peu d’années maintenant. Pour l’ASPO, ce pic aurait lieu vers 2020.

Les gaz naturels

Comme pour le pétrole, la production est évaluée en volume, dans les conditions

normales (15 °C, une atmosphère). Les unités utilisées dans le monde Anglo-Saxon et

plus généralement par les compagnies pétrolières sont le trillion (mille milliards= 1012

= Tera) of cubic feet (Tcf) dont l’équivalent énergétique en équivalent pétrole est

d’environ 24 Mtep, et le billion (milliard) of cubic feet par (bcf), dont l’équivalent est

donc de 0,024 Mtep. L’Agence internationale de l’énergie utilise le milliard de m3

(G.m3, km3), qui vaut environ 0,84 Mtep.

La production de 2014 a été à peu de chose près l’équivalent de 3 milliards de tep

(Gtep). Rappelons qu’il s’agit ici du gaz sec commercialisé, c’est-à-dire de la

production brute (gross), après récupération des condensats puis traitement dans les

usines de gaz naturel pour récupérer les LGUN, et moins les quantités réinjectées dans

le gisement ou brûlées à la torche. Condensats et LGUN sont comptabilisés comme on

l’a vu dans le pétrole tous liquides.

Cette production se compose de gaz provenant de gisements conventionnels, et de gaz

non conventionnels : gaz de roche-mère (shale gas), de réservoirs compacts (tight gas),

de veine de charbon (CBM) et de mine de charbon (CMM). La production de syngas

est peu significative. Les productions de gaz non conventionnels, en équivalent pétrole,

étaient en 2013, selon l’AIE, d’environ 280 Mtep pour le shale gas, 200 Mtep pour le

tight gas et 60 Mtep pour le CBM (tableau 14). La production de CMM est

anecdotique.

La situation mondiale pour le gaz conventionnel est à peu près la même que pour le

pétrole conventionnel, mais avec une dizaine d’années de retard parce que son

exploitation s’est développée plus tard. On peut utiliser ici les courbes d’écrémage.

S’agissant du gaz non conventionnel, la production, environ 540 Mtep par an, était

essentiellement le fait des Etats-Unis, environ 400 Mtep en 2013, où elle représentait

environ les 2/3 de la production totale de gaz sec. Les productions s’y décomposaient

en environ 244 Mtep pour le shale gas, 115 Mtep pour le tight gas et 40 Mtep pour le

CBM.

Monde Etats-Unis

Gaz de roche-mère (shale gas) 284 244

Gaz de réservoir compact (tight gas) 200 115

Gaz de veine de charbon (CBM) 58 40

Total 542 399

Tableau 14 : productions de gaz non conventionnels dans le Monde et aux Etats-Unis en 2013, en

équivalent pétrole (Mtep). Source AIE (IEA)

Mais les productions de tight gas et de CBM sont aux Etats-Unis des productions déjà

anciennes à partir de gisements bien connus, et sont en fait déjà en déclin, depuis 2008

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65

pour le tight gas et depuis 2010 pour le CBM (figure 62). Reste le gaz de roche-mère

(shale gas) dont le développement a été jusqu’ici très rapide, surtout après 2005, mais

pour lequel il est bien difficile de prévoir ce qui va se passer maintenant. Certains

croient beaucoup à la poursuite de ce développement rapide, là encore grâce au progrès

technologique rendant son «modèle économique» de plus en plus performant D’autres,

tels que J.D. Hugues déjà cité, prévoient par contre un pic prochain du gaz de roche-

mère aux Etats-Unis à peu près en même temps que celui du pétrole de roche-mère,

soit avant 2020.

Figure 62 : Production de gaz non conventionnel (Unconventional Gas, UG) aux

Etats-Unis de 1990 à 2012, en milliards de m3 (bcm, 1 bcm vaut 0,84 Mtep). On

remarque la très rapide progression du gaz de roche-mère (shale gas) après 2005

mais aussi le pic du tight gas en 2008, et celui du Coal Bed Methane (CBM) en 2010.

Source : AIE,IEA (http://www.iea.org/ugforum/ugd/united%20states/).

Notons qu’aux Etats-Unis, premier producteur mondial de gaz actuellement, le prix du

gaz n’est pas lié comme c’est le cas dans le reste du monde au prix du pétrole (chapitre

4), mais s’évalue sur le marché spot américain (Henry Hub). L’évolution de sa

production est donc une affaire essentiellement intérieure.

A l’échelle mondiale, on remarque (tableau 14) que si les Etats-Unis se taillent la part

du lion pour le shale gas, c’est moins le cas pour le tight gas, où il y a d’autres

producteurs, principalement le Canada, suivi assez loin derrière par la Russie. Là

encore, il s’agit de gisements anciens, et il est douteux qu’il y ait une forte

augmentation de ce type de production à l’échelle mondiale dans les années qui

viennent.

S’agissant du CBM, des pays producteurs de charbon hors Etats Unis ont de petites

productions, principalement la Chine, l’Australie et le Canada. Il n’est pas impossible

qu’à l’échelle mondiale ces productions se développent sensiblement, mais il est

douteux qu’il s’agisse là dans le futur d’une contribution très importante à la

production mondiale de gaz.

Reste le shale gas, dont on ne peut pas exclure qu’il connaisse un très fort

développement, à l’instar de qui s’est passé aux Etats-Unis. Mais il n’y a pas de signe

pour l’instant du démarrage à l’échelle mondiale d’une « success story à

l’américaine ».

La figure 56 prévoit le pic du gaz naturel vers 2030, à hauteur d’environ 3,6 Gtep. Il

n’y a pas pour l’instant de raison évidente de modifier cette date. Mais la situation

semble ici un peu plus ouverte que pour le pétrole tous liquides, dont la principale

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66

composante, le pétrole brut conventionnel, a déjà amorcé son déclin, et pour lequel il

faudrait que la production de pétrole de roche-mère s’accroisse de façon spectaculaire

à l’échelle mondiale pour le compenser. Le gaz est quant à lui encore à quinze ans

environ de son déclin sur les bases actuelles, ce qui laisse du temps à un éventuel

développement du gaz de roche-mère (shale gas) et peut-être de celui du CBM chez

les grands producteurs de charbon, de se produire, suffisamment rapides peut-être pour

prévenir le déclin mondial du gaz vers 2030 ! Mais ce ne sera probablement pas le fait

des Etats-Unis, où la production de shale gas semble devoir décliner dans les quelques

années qui viennent, et où la production de CBM est déjà en déclin. Un développement

considérable à l’échelle mondiale serait nécessaire, mais il n’est pas encore au rendez-

vous.

Les charbons

L’évolution de la production des charbons est également difficile à prévoir, du fait de

l’absence de rigueur dans la définition des réserves, mais aussi de données historiques

de production peu fiables dans certains pays grands producteurs, Chine, Inde et

Indonésie en particulier, ce qui rend les prédictions à partir des historiques de

production très incertaines. Et il faut noter la rapidité en ce moment du développement

des pays de l’Asie du Sud-Est, Inde, Indonésie, Vietnam…qui est en fait gagée sur leur

consommation de charbon ! La figure 56 prévoit son pic de production en 2035- 2040,

mais cela pourrait être plus tôt : en effet la Chine, principal producteur mondial, a

semble-t-il atteint son pic de charbon en 2013.

Divers

S’agissant des huiles de pyrolyse des schistes bitumineux, de la gazéification

souterraine des charbons et des schistes bitumineux, des hydrates de gaz, des gaz des

aquifères profonds on ne peut pas en dire grand-chose à l’heure actuelle. Des

améliorations technologiques et des augmentations de prix les rendront peut-être un

jour rentables, mais leurs difficultés de mises en œuvre et leurs inconvénients

environnementaux constitueront un frein important à un important développement: au

cours de ce siècle, ils garderont sans doute encore comme actuellement le statut de

ressources du futur.

Notons que les modèles de l’ASPO sont construits à partir des contraintes géologiques

(under ground), sans contraintes politico-économiques (above ground) autres que les

contraintes «Business as usual» (BAU). En cas d’importante baisse forcée du fait

d’une crise économique ou politique, ou bien volontaire, de la production, les pics

seront retardés et leur hauteur plus faible, seule demeurant à peu près constante la

surface sous la courbe de production une fois celle-ci définitivement arrêtée, c’est-à-

dire l’ultime. C’est ainsi que les chocs pétroliers de 1973 et 1979, en entraînant une

forte décélération de la consommation mondiale, ont éloigné sensiblement la date du

pic pétrolier.

C’est avec le pétrole que les échéances sont les plus proches et les mieux cernées, et il

serait bon que les «décideurs» des pays industrialisés y réfléchissent très sérieusement,

étant donné son extrême importance dans l’économie de ces pays.

4- Un peu d’économie : Les prix des combustibles fossiles

L’économie des combustibles fossiles n’est pas le sujet de cet ouvrage, mais il est

difficile de ne pas en dire quelque mots, en particulier en ce qui concerne le prix du

pétrole, auquel le consommateur est bien entendu très sensible.

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67

La « loi » la plus populaire de l’économie est celle dite de l’offre et de la demande,

selon laquelle sur un « marché libre » le prix d’un produit augmente quand son offre

est plus faible que sa demande, et diminue dans le cas inverse.

On observe en ce moment une très forte chute du prix du pétrole, succédant à une

longue période de prix très élevés. Une explication courante est que, comme à l’époque

des chocs pétroliers de 1973 et 1979, les prix très élevés ont encouragé les

investissements dans l’exploration-production, la recherche de substituts au pétrole, et

un ralentissement de sa demande : les investissements portant maintenant leurs fruits,

et en particulier le pétrole de roche-mère Nord-Américain et les bitumes Canadiens

étant arrivés en force sur le marché, l’offre est devenue supérieure à la demande,

comme à l’époque du contrechoc pétrolier de 1986. Cela provoque une baisse des

prix, mais aussi, étant donné l’ampleur de cette baisse, une diminution très importante

des investissements. On serait donc dans un contrechoc pétrolier, analogue à celui

qui en 1986 avait succédé aux chocs pétroliers. La baisse des prix provoquant un

accroissement de consommation, et la baisse des investissements celle de la

production, les excédents devraient finir par être résorbés, et les prix repartir à la

hausse dans un futur indéfini. Ce phénomène n’est pas limité au pétrole, mais concerne

bien d’autres matières premières: c’est ce qu’on appelle le cycle des matières

premières (commodities). En somme, nous aurions vécu de 2003 à 2014 un troisième

choc pétrolier et nous vivons maintenant le contrechoc.

La baisse serait amplifiée par le comportement des opérateurs boursiers, qui préfèrent

chercher des placements plus rémunérateurs. Paradoxalement, elle le serait aussi par

un accroissement de la production de ceux des pays producteurs pour lesquels le

revenu des exportations de pétrole constitue un poste essentiel de leur budget, et qui

sont en compétition avec d’autres producteurs pour minimiser leurs pertes. Il en serait

de même pour les compagnies exploitant des gisements en partage de production, pour

lesquelles quand le prix est bas, il faut augmenter la production pour faire face à une

même créance (voir chapitre 3-1-1 et note 26).

La décision du chef de file de l’OPEP, l’Arabie Saoudite, de ne plus soutenir les prix

par une réduction de sa production (voir plus loin), comme elle l’avait fait, mais à ses

dépens, après les chocs pétroliers, ainsi qu’en 2009, lors de la chute brutale du prix du

pétrole qui a suivi le déclenchement de la crise financière de 2008, mais sans dommage

alors pour elle, aurait enclenché ce cycle baissier.

Certains voient dans cette baisse l’effet de grandes manoeuvres géopolitiques, en cette

période de graves désordres au Moyen-Orient et de confrontation croissante entre les

Etats-Unis et la Russie. La décision de l’Arabie Saoudite, annoncée par les

commentateurs comme une nécessité pour qu’elle ne perde pas ses parts du marché

pétrolier face à la concurrence du pétrole de roche-mère Nord-Américain, lui aurait été

dictée en réalité par les Etats-Unis, qui auraient choisi dans ce contexte favorable

d’excédent de production par rapport à la demande, d’affaiblir la Russie et d’autres

pays producteurs comme le Venezuela, quitte à sacrifier leurs producteurs de pétrole

de roche-mère.

Ne perdons pas de vue en effet que l’offre de pétrole est depuis longtemps régulée par

une politique de quotas : dans un premier temps, cette politique a été le fait d’un cartel

des grandes compagnies pétrolières occidentales suite à l’accord d’Achnacarry*33 en

Septembre 1928.

Page 68: Energies carbonées fossiles (pétrole, gaz, charbon ... · récupérés dans les usines de traitement du gaz ... on pouvait définir un plan d ... sur l‘avenir de la production

68

* 33 Note : les principales dispositions de cet accord conclu au Château d’Achnacarry

en Ecosse entre les 7 principales compagnies pétrolières de l’époque (les 7 sœurs),

toutes anglo-saxonnes, étaient une stabilisation de leurs parts de marché au niveau de

1928, et l’élimination des éventuelles productions excédentaires au niveau des

gisements ou des raffineries. Se constituait ainsi un cartel de compagnies ne se faisant

plus concurrence.

Puis, en 1960, ce sont les grands pays exportateurs qui ont pris la main, suite à la

création de l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP), qui fonctionne

également comme un cartel, avec l’attribution de quotas de production aux pays

membres. La puissance de ce cartel vient de ce qu’il peut établir les prix sur le marché

mondial en restreignant son offre, parce que les autres pays producteurs, dits pays

NOPEP, n’ont pas de réserves de capacités de production suffisantes (et les ont de

moins en moins) pour les faire baisser. C’est ainsi par exemple que l’OPEP avait réduit

sa production de 4,2 Mb/j en Janvier 2009 (figure 63) pour faire remonter les cours.

De ces pays, c’est principalement leur chef de file, l’Arabie Saoudite, qui a joué ce

rôle de « swing producer », surtout en fonction de ses intérêts aussi bien politiques

que financiers, grâce à sa capacité à réduire son offre pour maintenir ou faire

augmenter les prix, où à l’augmenter pour faire baisser ceux-ci. Cette capacité

d’augmentation rapide de production est ce qu’on appelle en anglais spare capacity

(figure 63).

Fin 2014, l’Arabie Saoudite n’a donc pas voulu jouer ce rôle, contrairement à ce

qu’attendaient les opérateurs boursiers, et choisi d’augmenter sa production plutôt que

de la réduire. On observe cependant que la production mondiale totale est restée à peu

près constante, ce qui signifie que du pétrole peu cher à la production, celui de l’OPEP,

s‘est substitué à du pétrole plus cher à la production, essentiellement le LTO Nord-

Américain et les bitumes Canadiens.

L’Arabie Saoudite semble être le seul pays au monde ayant encore cette spare capacity.

Pour combien de temps encore ? Il est bien difficile de le savoir, car elle est un de ces

pays où les informations sur les gisements pétroliers sont très difficiles d’accès.

Notons aussi que le volume des échanges sur les marchés des matières premières a

augmenté de façon explosive après 2001, date de l’entrée de la Chine dans

l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et du début de la progression très

rapide de son économie, et donc de ses besoins en matières premières. L’accroissement

considérable des transactions, et la santé économique de la Chine, semblent donc aussi

être devenus des facteurs majeurs de l’instabilité des prix du pétrole, et plus

généralement de ceux des matières premières. La croissance fantastique de la Chine a

ralenti en 2014 et 2015, entraînant un ralentissement de la demande de matières

premières à l’échelle mondiale. Pourtant, la demande en pétrole de la Chine a quant à

elle, continué à augmenter, sous l’effet du développement rapide de son parc

automobile, 20 millions de véhicules en plus mis en circulation tous les ans !

Mais les fluctuations actuelles des prix du pétrole ont peut-être aussi d’autres causes

que celles évoquées ci-dessus:

La figure 63 est due à Art Berman, un analyste américain très écouté, qui pour la

période 2003-2015 y a comparé les variations de prix du West Texas Intermediate

(WTI), qui est la qualité de pétrole de référence sur le marché américain (sur le marché

européen c’est le Brent), avec les variations de l’écart entre l’offre et la demande sur

le marché mondial. Cette période est celle de l’histoire du pétrole qui a connu le plus

durablement des prix très élevés.

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Figure 63 : évolution comparée, pour la période 2003-2015, des prix du WTI en dollar

par baril sur le marché américain (New York Mercantile Exchange, Nymex) (courbe

rouge), et des écarts entre offre et demande de pétrole tous liquides à l‘échelle

mondiale, en millions de barils par jour (histogramme bleu). Source Art Berman.

Il n’y a pas de corrélation évidente entre les deux, sauf pour les brutales variations de

prix de 2007 à 2009, et de 2014 à 2015. On note par ailleurs que l’ampleur des

fluctuations de prix est bien supérieure en % à celle des écarts entre offre et demande,

qui reste pour l’essentiel à l’intérieur d’une fourchette de +- 2 Mb/j, soit à peu près +-

2 % de la production mondiale. Cette fourchette est à peu près la même que la marge

d’incertitude sur le montant réel de cette production (figure 42). Cela suggère que ces

variations de prix à court terme ne résultent pas vraiment d’informations objectives

des opérateurs boursiers sur la disponibilité réelle du pétrole, dont on constate

d’ailleurs que la production mondiale, nonobstant ces incertitudes, n’a en fait que peu

varié sur la période récente. Ce qui s’est produit est une substitution progressive dans

la production mondiale de pétroles redevenus peu chers, ceux de l’OPEP, à des

pétroles non-conventionnels ne pouvant qu’être plus chers, les LTO des Etats-Unis et

les bitumes canadiens.

On observe par contre pendant cette période une très bonne anti-corrélation entre le

prix du pétrole et le Dollar Index monétaire, c’est-à-dire le cours du dollar par rapport

à un panier des principales devises mondiales utilisées dans les échanges

commerciaux. Le prix du pétrole baisse quand le dollar index monte, et

réciproquement. On observe, ce qui revient à peu près au même, la forte corrélation

entre le prix du pétrole et le ratio valeur de l’Euro sur valeur du dollar, ce qui confirme

cette relation avec les taux de change monétaires.

Le Dollar Index a été créé en 1973 par la Réserve Fédérale des Etats-Unis suite à

l’abandon de l’étalon or, abandon voulu en 1971 par les Etats-Unis sous la présidence

de Richard Nixon. Le Dollar Index est en quelque sorte le reflet de la santé économique

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des Etats-Unis, mais peut-être pourrait-on dire plutôt de leur santé boursière

comparativement à celle des nations émettant ces devises, et il est en effet bien corrélé

avec le principal indice boursier des Etats-Unis, le Dow Jones. Une interprétation

couramment avancée de ce phénomène est que le prix du pétrole est libellé en dollars,

tandis que les consommateurs hors Etats-Unis réagissent au prix en monnaie locale.

Quand le dollar index augmente, il faut plus de monnaie locale pour se procurer les

dollars nécessaires à l’achat de pétrole sur le marché, ce qui freine la demande et fait

baisser les prix. C’est le contraire quand le dollar index baisse. C’est donc la valeur

de la principale monnaie de réserve mondiale, elle-même liée à la santé économique

des Etats-Unis, qui détermine les prix du pétrole.

Cela explique-t-il les fluctuations du dollar index de 2003 à maintenant, et celle du

rapport entre valeur de l’Euro et valeur du dollar ?

Art Berman, déjà cité, interprète la forte chute du prix du pétrole de 2014-2015 par la

conjonction d’un surplus important de l’offre sur la demande, et de la fin du

quantitative easing (QE, en Français assouplissement quantitatif) aux Etats-Unis,

c’est-à-dire de la création monétaire (équivalent de la planche à billets de l’ancien

temps) pour soutenir une activité économique très affaiblie par la crise de 2008, et

donc une meilleure santé de l’économie américaine. Les QE successifs, par l’afflux de

dollars qu’ils avaient provoqués sur les marchés monétaires, auraient fait baisser le

dollar et donc le dollar index. Leur interruption mi-2014 aurait provoqué le phénomène

inverse. La zone Euro a pris le relais, en pratiquant à son tour le quantitative easing,

faisant encore plus monter le dollar par un affaiblissement de l’Euro.

Cette interprétation semble confirmée par l’examen de la figure 64, où sont comparées

l’évolution des prix du WTI et celle du ratio valeur de l’Euro sur valeur du Dollar de

2006 à 2016.

Figure 64 : Evolutions comparées du ratio valeur de l’Euro sur valeur du dollar et du

prix spot du pétrole WTI de 2006 à 2016, et dates des QE successifs de la Banque

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fédérale américaine et des interventions de l’OPEP. En rouge, les QEs du Federal

Reserve System (Fed) des Etats-Unis, en bleu ceux de la Banque Centrale Européenne

(BCE). Selon Art Berman (communication personnelle), le coefficient de corrélation

entre prix du WTI et valeur du dollar est de 0,96 de 2014 à 2016 !

Source : courtoisie J.Laherrère et N.Meilhan.

Sur cette figure, on voit clairement la relation entre politique de quantitative easing de

la Banque fédérale américaine (Fed), ratio Euro/Dollar et prix du pétrole. On voit aussi

l’influence de la politique de l’OPEP, qui a fait remonter les prix en 2009 suite à la

chute brutale due à la crise économique de 2008 et les a fait baisser fin 2014 par sa

décision de ne pas contrer la chute des prix qui aurait été initiée par la fin du

quantitative easing.

Les QEs et les interventions de l’OPEP n’expliquent cependant pas les évolutions

observées de 2002 à 2008. Une interprétation possible est qu’à partir de cette date, la

Fed a émis en abondance des « pétrodollars » pour soutenir l’activité pétrolière. Mais

avec la première mise en circulation de l’Euro en 2002, celui-ci a commencé à

concurrencer le dollar comme monnaie de réserve : une partie de ces pétrodollars a été

convertie en Euros, faisant ainsi monter la valeur de l’Euro par rapport à celle du

Dollar. Puis le relais aurait été pris par le considérable accroissement de la demande

Chinoise, à un moment où la spare capacity de l’Arabie Saoudite était au plus bas

(figure 63), et cela jusqu’à la crise économique de 2008 qui a fait brutalement baisser

la demande.

Mais il existe une autre interprétation qui à l’inverse fait étroitement dépendre les prix

du pétrole essentiellement des comportements au jour le jour des opérateurs boursiers.

Cette interprétation suppose donc que c’est le prix du pétrole qui gouverne les taux de

change sur le marché de devises (Foreign Exchange, Forex) et, par la nécessité d’un

ajustement, les politiques monétaires des grandes banques centrales. Le prix du pétrole

s’établirait essentiellement par la fluctuation des écarts entre offre et demande, bien

que ces écarts soient comme on l’a vu relativement peu importants, et de l’importance

( supposée ?) des stocks dans les pays grands consommateurs. En ce sens, le

développement rapide du pétrole de roche-mère aux Etats-Unis dans une période de

stagnation de la demande serait le principal responsable de la situation actuelle ;

Observons que si selon la première interprétation ce sont les flux monétaires qui

gouvernent les flux de pétrole, la deuxième est exactement à l’inverse : ce sont les flux

de pétrole sur les marchés qui, à travers les oscillations de l’offre et de la demande et

de l’état des stocks , et à cause de la part prépondérante qu’ils représentent en valeur

sur les marchés, gouvernent les flux monétaires, et par contrecoup, l’économie

mondiale.

A cette échelle de temps il est donc bien difficile de distinguer dans les fluctuations du

prix du pétrole ce qui revient aux fluctuations politico-économiques (un équivalent

économique du mouvement brownien en physique ?), aux taux de change monétaires,

au comportement des opérateurs boursiers, et à la disponibilité physique, même si cette

dernière en est forcément un des déterminants. Les prédire même à moyen terme est

un exercice divinatoire, et ceux qui s’y sont risqués, comme par exemple l’Agence

internationale de l’énergie (AIE) (figure 65), l’ont jusqu’à présent vérifié à leurs

dépens.

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Figure 65 : prévisions de prix du pétrole, en dollars 2014 par baril, faites par l’AIE

dans ses WEO successifs de 2003 à 2014, et comparaison avec la réalité. Source

Carbone 4, courtoisie JM Jancovici .

Il semble bien cependant (Caruana, 2016) que ce soit la stimulation des économies

par des techniques financières qui joue le plus grand rôle dans les évolutions récentes :

après le premier choc pétrolier en 1973, on a observé un accroissement de plus en plus

rapide des dettes publiques et privées pour financer l’exploration et la production du

pétrole, et relancer puis entretenir la croissance, d’abord dans les pays occidentaux,

puis dans les pays dits émergents. Puis après la crise économique de 2008, les grandes

banques centrales ont inondé les marchés de liquidités par la méthode du quantitative

easing et baissé leurs taux d’intérêt pour encourager le crédit, et donc la consommation

et l’activité économique. Tout cela finalement sans grand résultat. Il semblerait donc

que l’économie financière ait de moins en moins de prise sur l’économie réelle, c’est-

à-dire matérielle, parce que celle-ci bute sur des limites physiques et pour cette raison

est de plus en plus poussive. C’est probablement dans ce décrochage de plus en plus

marqué entre économie monétaire et économie physique que se trouve la plus grande

source d’instabilité, et cela pas seulement dans le domaine pétrolier.

Sur des périodes plus longues, il est possible d’observer quelques tendances. Le

graphique de la figure 66 présente l’évolution des prix «filtrés», c’est-à-dire après

élimination du bruit de fond des fluctuations à court terme, puis moyennés sur des

périodes de 30 ans, ce qui correspond à peu près à la demi-vie d’un grand gisement

pétrolier. Apparaissent alors deux grandes tendances historiques: la première

correspond à la mainmise des grandes compagnies pétrolières Anglo-Saxonnes sur les

marchés, formalisée par l’accord d’Achnacarry: elle se caractérise par une croissance

moyenne lente et des fluctuations assez faibles des prix en dollars courants. Elle traduit

le fait que les compagnies pétrolières ont alors transféré leurs profits de l’Amont

(Exploration- Production) vers l’Aval (Raffinage-Distribution).

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73

Figure 66 : une tendance possible du prix du pétrole en dollars à moyen terme lissé

sur une période de 30 ans, cette durée correspondant à la demi-vie moyenne des gros

gisements de pétrole. La période d’avant les chocs pétroliers correspond à une entente

sur les prix entre les principales compagnies pétrolières occidentales de l’époque,

décidée à Achnacarry en Ecosse en 1928. Cette période prend fin avec la création de

l’OPEP en 1960. Bien noter qu’il s’agit de prix courants, donc non corrigés de

l’inflation, et qu’ils sont indiqués en échelle logarithmique. Cette chronique va

jusqu’en 2015. Courtoisie Paul Alba.

La seconde débute après la création de l’OPEP (OPEC), qui correspond cette fois à la

mainmise des grands pays exportateurs sur les marchés. La tendance de fond est alors

une rapide augmentation en dollars courants, mais avec d’énormes fluctuations. Elle

peut s’expliquer par le fait que les découvertes de pétrole se sont faites pendant cette

période à rendement moyen décroissant.

Le choix de dollars courants pour suivre l’évolution du prix du pétrole plutôt que de

dollars constants d’une année récente se justifie par le fait que l’économie fonctionne

avec des dollars courants, et que leur transformation en dollars constants avec des

coefficients d’actualisation se font sur la base d’hypothèses souvent discutables.

D’ici peu d’années, l’offre globale devrait comme on l’a vu plafonner puis diminuer

progressivement pour des raisons géologiques, sur lesquelles l’économie et la politique

auront de moins en moins de prise. Du fait de ces rendements décroissants de

l’exploration-production du pétrole, il paraîtrait donc logique que la tendance de fond

soit alors à une forte augmentation sur la durée. Cette tendance peut également être

renforcée par le développement d’une politique énergétique guidée par des

préoccupations environnementales. Pour autant les prix ne suivront pas cette tendance

si une diminution de la demande, soit forcée par une crise économique durable à

l’échelle mondiale, qui pourrait d’ailleurs être provoquée par une augmentation

excessive des prix, soit volontaire par des mesures d’économie, ou encore due au

développement à grande échelle de substituants au pétrole dans ses principales

utilisations (mobilité, chauffage, pétrochimie, électricité) accompagne cette

diminution de l’offre.

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74

On constate donc la variété des interprétations de la situation pétrolière et économique

à venir, et donc les grandes incertitudes à ce sujet. Le prix du pétrole restera sans doute

très incertain dans les années qui viennent, et des crises à répétition sont à attendre.

Finalement un point très important est à souligner : si comme on l’a dit plus haut la

situation actuelle peut être formellement comparée à un contre-choc pétrolier, par le

mécanisme qui a conduit au contre-choc de 1986, un phénomène majeur s’est produit

depuis lors: les efforts en exploration-production faisant suite aux chocs pétroliers de

1973 et 1979 avaient porté leurs fruits, sous forme de découvertes considérables de

gisements conventionnels et de substantiels accroissements de production, il n’en a

pas été de même pendant la période de prix très élevés du pétrole de 2003 à 2014,

malgré des investissements en exploration beaucoup plus élevés. Et on a vu qu’en fait,

la production de pétrole conventionnel était en léger déclin depuis 2005 environ. La

baisse des prix du pétrole vient de faire réduire considérablement ces investissements,

ce qui laisse prévoir une accentuation du déclin de la production de pétrole

conventionnel à brève échéance. Et comme la production des pétroles non-

conventionnels est également en déclin, faute de prix suffisamment rémunérateurs, il

paraît bien difficile que la production mondiale puisse réaugmenter sensiblement dans

les années qui viennent, contrairement à ce qui s’était passé après 1986.

La figure 67 compare l’évolution du prix du pétrole (Brent) avec celle des prix du gaz,

sur la base de la même unité de contenu énergétique, le million de British Thermal

Unit (BTU), unité anglo-saxonne couramment utilisée par les marchés pour évaluer

les quantités de gaz.

Les prix du gaz sont très différents selon les marchés. Cela est dû en premier lieu au

coût très élevé du transport du gaz (par gazoducs ou navires méthaniers), les marchés

ne pouvant pas s’approvisionner à des prix compétitifs au-delà d’une certaine distance

de transport depuis les lieux de production. Les prix sur un marché sont d’autant plus

élevés que ses sources d’approvisionnement sont lointaines. Il n’y a donc pas comme

pour le pétrole, dont le coût de transport est bien plus faible en comparaison, des prix

très voisins d’un marché à l’autre : l’écart entre les deux principales références, le WTI

pour le marché américain et le Brent pour le marché européen, n’est actuellement que

de quelques %. On observe aussi que, pour une même quantité d’énergie contenue, le

gaz a été en moyenne moins valorisé que le pétrole, et que ce phénomène s’est accentué

pendant la période récente de très fortes augmentations de prix du pétrole, de 2003 à

2014. Ceci est dû à leur différence de propriétés physiques, un gaz ayant par rapport à

un liquide le désavantage d’obliger à des installations (de compression-

décompression, de transport, de stockage …) plus complexes et plus coûteuses pour

les utilisateurs.

Page 75: Energies carbonées fossiles (pétrole, gaz, charbon ... · récupérés dans les usines de traitement du gaz ... on pouvait définir un plan d ... sur l‘avenir de la production

75

Figure 67 : variation des prix du gaz sur différents marchés de 1984 à 2013, et

comparaison avec le cours du pétrole (Brent), pour une même unité de contenu

énergétique, ici le million de British Thermal Unit (BTU), soit environ 0,18 baril, 1055

MJ, ou 0,025 tep. On observe la forte corrélation d’ensemble entre les cours du gaz et

celui du pétrole, sauf pour les Etats-Unis et le Canada après 2005, et dans une

moindre mesure pour l’Europe après 2009. Le prix très élevé au Japon vient de

l’impossibilité de l’approvisionner autrement que par du gaz naturel liquéfié

transporté par navires méthaniers. cif signifie cost, insurance and freight, c’est-à-dire

la somme du prix de vente, de l’assurance et des frais de transport.

Enfin on observe, sauf pour le marché américain après 2005, une corrélation

d’ensemble entre les prix du gaz et le prix du pétrole. Cela est dû aux particularités des

contrats entre fournisseurs et consommateurs de gaz, dans lesquels les prix sont

largement indexés sur les prix du pétrole. Le prix du pétrole est donc un prix directeur

pour les prix du gaz. C’est cependant de moins en moins vrai depuis quelques années

avec la montée progressive de la part du gaz qui échappe aux contrats et est cotée

directement sur les marchés.

Aux Etats-Unis, depuis l’irruption du gaz de schistes à partir de 2005, le prix du gaz

n’est plus indexé sur celui du pétrole mais coté sur les marchés.

Le prix du charbon est évalué en dollar par tonne. Pendant longtemps le charbon a été

consommé pour l’essentiel dans son pays producteur. Cela est particulièrement vrai du

lignite, qui est pour une très large part consommé sur les lieux même de sa production

pour produire de l’électricité. Mais le hard coal faisait quand même déjà l’objet d’un

important commerce international au 19ème siècle. Les chocs pétroliers de 1973 et 1979

l’ont relancé (Martin-Amouroux, 44) et depuis quelques années, suite à la demande

très forte de la Chine et à la recherche de marchés extérieurs par les Etats-Unis, ce

commerce a encore pris de l’ampleur. Le charbon exporté ne représente cependant

actuellement, en énergie contenue, qu’environ 20 % de sa production mondiale, contre

un peu moins de 30 % pour le gaz et environ 50 % pour le pétrole, selon la BP

Statistical Review.

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$/M

btu

année

prix du gaz d'aprés BP 2015

crude oil

Japan cif

German cif

UK Heren

US Henry

Canada

Jean Laherrere déc 2015

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76

Le coût du transport est plus élevé que pour le pétrole, mais moins que pour le gaz, et

influe donc moins que dans ce cas sur les prix. Il existe cependant plusieurs marchés

(44).

Ces prix varient suivant les qualités et les marchés, mais il existe une corrélation

d’ensemble d’un marché à l’autre (figure 68)

Là aussi, l’évolution des prix a été longtemps dirigée par les prix du pétrole. Mais

après 2011, on observe une baisse considérable des prix et, pour le charbon vapeur

(steam coal), principalement utilisé pour la production d’électricité, un resserrement

dans une gamme de 70 à 100 dollars par tonne en 2014, selon les marchés et les

qualités, ce qui correspond, en énergie contenue, à environ 120 à 170 dollars par tep

(16 à 22 dollars par baril), ou encore, pour rendre ces prix comparables à ceux de la

figure 65, à 3 à 4 dollars par million de BTU. C’est donc actuellement la moins chère

des énergies fossiles par quantité d’énergie contenue, à l’exception du marché

américain où le gaz est un peu moins cher, en particulier pour la production

d’électricité, une centrale à gaz étant bien moins gourmande en capital investi qu’une

centrale à charbon. Les contrats de fournisseur à consommateur étant moins rigides

que pour le gaz, c’est également l’énergie la plus souple, qui peut s’adapter le plus

rapidement aux évolutions du marché.

Deux conséquences pour les Etats-Unis sont d’une part le remplacement du charbon

par le gaz dans la production d’électricité, et d’autre part l’accroissement de leurs

exportations de charbon vers des pays où le prix du gaz est bien plus élevé que celui

du charbon, Europe, Japon… où à l’inverse, par un « jeu de chaises musicales » c’est

donc le charbon qui remplace le gaz dans la production d’électricité.

Ce sont là des effets collatéraux inattendus du « boom » du gaz de schistes aux Etats-

Unis.

Figure 68 : Evolution récente des prix du charbon sur ses principaux marchés, en

dollars par tonne. Les prix ont encore baissé en 2015, comme pour la plupart des

autres matières premières libellées en dollars. Cif signifie cost, insurance and freight

(prix de vente + assurance + coût du transport). A l’exception du charbon à coke

(coking coal) au Japon, il s’agit ici pour l’essentiel de charbon-vapeur, dont on peut

estimer le contenu énergétique moyen à environ 0,6 tep/t environ. Le lignite ne fait pas

l’objet d’un commerce international. Source : BP statistical review 2015.

Page 77: Energies carbonées fossiles (pétrole, gaz, charbon ... · récupérés dans les usines de traitement du gaz ... on pouvait définir un plan d ... sur l‘avenir de la production

77

Malgré les subventions et aides diverses des gouvernements attribués à telle ou telle

production d’énergie en fonction de leur politique énergétique, ce sont les prix de

marché des énergies qui pilotent pour l’essentiel les investissements pour leurs

productions.

Chaque source d’énergie primaire a une part de marché en fonction de ses

caractéristiques physiques et de son coût de production et de transport.

Le diagramme de la figure 69 est une chronique de l’évolution des parts de marché des

différentes sources d’énergie primaire depuis 1850. On y observe l’écrasante

prépondérance de l’ensemble constitué par les combustibles fossiles et la biomasse. A

l’intérieur de cet ensemble, on observe une cassure des évolutions après le premier

choc pétrolier en 1973 : Baisse considérable de la part du pétrole au profit du gaz et du

charbon, stabilisation de la part de la biomasse. C’est l’époque où le pétrole est

progressivement abandonné pour la production d’électricité, au profit du charbon, du

gaz et du nucléaire. A partir de 2001, date qui correspond à l’entrée de la Chine,

principal producteur et consommateur mondial de charbon, dans l’organisation

mondiale du commerce et à son grand décollage économique, se produit une autre

cassure : Nouveau déclin du pétrole et stabilisation du gaz, au profit du charbon.

Figure 69: Evolution des parts de marché mondiales des principales sources d’énergie

primaire de 1850 à 2012. La rubrique sol regroupe le solaire thermique, le solaire

photovoltaïque et l’éolien. A gauche, en pourcentages, à droite en logarithme des

pourcentages. La figure de droite permet d’apprécier les évolutions des parts de

marché des «très petits joueurs», solaire, éolien, géothermie. Courtoisie Paul Alba.

Les autres sources d’énergie, nucléaire, hydraulique, éolien, solaire, géothermie avec

au total un peu moins de 10 % de parts de marché actuellement, sont ici de petits

joueurs. Mais surtout les investissements qu’il faudrait faire pour développer ces

sources afin qu’elles deviennent majoritaires sont gigantesques par rapport à leur

importance actuelle ! En effet, la production mondiale actuelle d’énergie primaire est

de l’ordre de 13 Gtep. Gagner 1% de part de marché pour une source d’énergie, c’est

produire 130 Mtep supplémentaires. En vertu de ce qu’on pourrait appeler une loi

d’action de masse appliquée à l’économie, c’est relativement facile à faire pour les

énergies majoritaires, où il y a déjà d’énormes capitaux investis et des infrastructures

disponibles, et pour lesquelles cela ne représente pas des taux de croissance annuels

très importants. Le charbon lors de son décollage initial, n’a pris qu’environ 1 % par

an face au bois, et ne prend à nouveau qu’environ 1 % par an face au pétrole et au gaz.

En faire autant pour les très petits joueurs représenterait des taux de croissance

phénoménaux. Sans une aide gigantesque des gouvernements ou de très fortes taxes

sur les combustibles fossiles, les marchés ne le feront pas spontanément, et de toutes

façons cela ne pourra être que très long*34.

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78

* 34 note : Il faut aussi se rappeler que les caractéristiques physiques de ces petits

joueurs sont actuellement de puissants obstacles à leur développement. Pour dire les

choses rapidement: L’énergie hydraulique est handicapée par des ressources limitées

et dans beaucoup de cas par son éloignement des grands centres de consommation, en

dehors de quelques pays très bien dotés. Le nucléaire est handicapé par des ressources

qui, dans l’attente d’un développement des réacteurs surgénérateurs, sont

actuellement trop incertaines, et par les craintes, justifiées ou non, sur sa sécurité.

L’éolien et le solaire photovoltaïque le sont par leur caractère fatal (leur production

dépend de la météorologie, et non pas de la volonté humaine) et par leur intermittence,

qui oblige quand elles font défaut, en l’absence actuelle de possibilités massives de

stockage de l’électricité, à utiliser d’autres sources d‘énergie. La géothermie profonde

est limitée par la faiblesse du flux géothermique. Notons également qu’aucune de ces

énergies ne peut remplacer aisément les combustibles fossiles et en particulier le

pétrole dans leurs principales utilisations, sauf l’hydraulique et le nucléaire qui

peuvent facilement remplacer le gaz et le charbon dans la production d’électricité.

Cette difficulté apparaît encore mieux sur le diagramme de la figure 70 dû à Olivier

Rech, où l’évolution année après année de la part de marché de chaque source est

portée en fonction de la quantité d’énergie qu’elle a produit cette année-là. L’abîme

qui sépare les énergies renouvelables et même le nucléaire des combustibles fossiles

devient ici très visible, et le charbon est actuellement le grand gagnant de la

compétition en cours.

Figure 70 : Diagramme de Rech: en ordonnée les parts de marché annuelles successives de 1850 à

2010 des différentes sources d’énergie primaires, en %, et en abscisse leur production aux mêmes dates,

en ktep. Courtoisie Paul Alba.

Devient aussi très visible également le rôle primordial des combustibles fossiles dans

la transition énergétique: Par nécessité physique, c’est de l’évolution de leurs

possibilités de production qu’elle va dépendre pour l’essentiel, et c’est la vitesse de

cette évolution qui en donnera le tempo.

Pour l’instant, nous assistons, non pas au triomphe des énergies renouvelables ou de

l’énergie nucléaire, mais au grand retour du charbon (Martin-Amouroux, 2008). Celui-

ci ne sera cependant pour autant très durable, étant donné comme on l’a développé

précédemment les limites géologiques à sa production.

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79

Mais, rappelons-le inlassablement car cela est généralement loin d’être clairement

perçu, la quantité d’énergie mise à la disposition des sociétés humaines a bien plus

d’importance, parce qu’elle a une relation physique directe avec la quantité de biens

et de services qui peut être produite, que son prix. Jancovici, 2015 montre par exemple

en une série de graphiques l’étroite corrélation qui existe à l’échelle mondiale et dans

les grands pays industrialisés entre consommation d’énergie, et plus particulièrement

de pétrole, et PIB !

Très peu d’économistes actuellement semblent être conscients de cette relation, qui est

pourtant intuitive pour un physicien ou un ingénieur. Certains ont pourtant été très loin

dans les réflexions à ce sujet, comme par exemple Nicholas Georgescu-Roegen,

(Georgescu-Roetgen, 1971) et Rainer Kümmel (Kümmel, 2011), pour lesquels les

sociétés humaines sont structurées par les flux d’énergie qui les traversent et les lois

de la thermodynamique, ou encore Robert Ayres, qui propose d’établir à côté des

bilans financiers des bilans en joules (Ayres, 1998).

Mais la très grande majorité des modèles utilisés par les économistes actuels ne veulent

considérer l’énergie que par sa valeur comptable à la consommation, et non par les

quantités utilisées. Certains s’en sont pourtant préoccupé, comme Stiglitz 1974, qui a

proposé un modèle économique comprenant un facteur lié à la disponibilité des

ressources énergétiques pour prédire les évolutions du PIB, mais de façon abstraite,

sans idée particulière semble-t-il sur l’évolution de ce facteur dans l’avenir. Citons

aussi Giraud et Kahraman 2014 , qui ont montré à partir de l’étude des performances

économiques de 33 pays le rôle déterminant de leur quantité d’énergie consommée et

la sous-estimation de ce rôle dans les modèles économiques actuels. Les modèles

économiques liant les quantités d’énergies consommées au PIB restent cependant

encore à écrire.

C’est donc à l’évolution des quantités disponibles d’énergie, à commencer par celle du

pétrole, qu’il faut s’intéresser en priorité, plutôt qu’aux prix, dont on a vu de plus qu’ils

étaient largement imprévisibles.

5- Combustibles fossiles et climat

Selon le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC,

en anglais Intergovernmental Panel on Climate Change, IPCC), les émissions

anthropiques de CO2 sont les principales responsables du forçage radiatif*35 entraînant

l’augmentation de la température de la surface terrestre constatée actuellement. Or 85

% en masse de ces émissions sont maintenant le fait de l’usage des combustibles

fossiles, le reste étant dû pour l’essentiel aux changements d’usage des sols

(principalement la déforestation) et dans une moindre mesure à l’utilisation de

carbonates pour la fabrication du ciment.

Il est facile de calculer à partir des courbes de la figure 56, les émissions de gaz

carbonique associées (figure 71).

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80

Figure 71 : Emissions de CO2 dues aux combustibles fossiles, par combustible fossile

et pour le total des 3(CF), et prévisions jusqu’en 2200, en GtCO2. Les équivalences

prises sont, en tonnes de CO2/tep, de 4,1 pour le charbon, 3,1 pour le pétrole et 2,4

pour le gaz. Les réserves ultimes (U) pour chaque combustible fossile sont indiquées.

L’échelle de droite en Gtep correspond à l’équivalence entre CO2 et Gtep, pour le

cumul des productions de combustibles fossiles .

* 35 note : La terre ne peut échanger d’énergie avec ce qui l’entoure dans l’espace

que sous forme de rayonnements. Elle reçoit le rayonnement lumineux du soleil,

environ 240 W/m2 de sa surface en moyenne, et en réfléchit environ 30 % de la

puissance par réflexion sans modification de son spectre, c’est ce qu’on appelle son

albedo. Les 70 % restants sont absorbés par l’atmosphère et la surface terrestre, ce

qui en augmente la température et produit donc un rayonnement infrarouge. Quand

la puissance du rayonnement solaire venant de l’espace est équilibrée par l’albedo

plus la puissance du rayonnement infrarouge sortant vers l’espace, ce qui était encore

le cas avant la Révolution Industrielle, on dit qu’il y a équilibre radiatif. Le forçage

radiatif est une perturbation des échanges radiatifs (solaire/infrarouge

terrestre+albedo) induite par une modification, anthropique ou naturelle. Par

exemple, une augmentation durable de la puissance du rayonnement solaire reçu par

le globe terrestre va en réchauffer l’atmosphère et la surface, et provoquer une

augmentation du rayonnement infrarouge de celles-ci, de manière à retrouver un

équilibre radiatif entre la terre et l’espace. Mais les températures de la surface et de

l’atmosphère terrestre resteront plus élevées qu’avant, tant que l’augmentation de

puissance du rayonnement solaire persistera. Une augmentation de la teneur de

l’atmosphère en gaz à effet de serre produit le même résultat, en renvoyant vers la

surface du sol une partie du rayonnement infrarouge émis. Ces forçages radiatifs sont

exprimés avec la même unité que la puissance du rayonnement solaire reçu et du

rayonnement infrarouge émis, soit le W/m2 de surface terrestre.

La figure 72 montre l’évolution prévue, pour l’ultime de 1370 Gtep estimé

précédemment, des productions mondiales cumulées de combustibles fossiles,

en Gtep, ainsi que l’évolution prévue pour les émissions de CO2 associées. En 2100,

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81

les quantités consommées devraient être d’environ 1200 Gtep, et les émissions

correspondantes de CO2 de 3800 Gt (1040 GtC)

Figure 72 : Cumul des productions de combustibles fossiles de 1850 à maintenant, en

énergie contenue ( Gtep) et en émissions de CO2 associées, et prévisions juqu’à 2200.

Pendant longtemps le GIEC, pour prédire l’évolution de la température de la surface

terrestre en fonction des émissions de gaz à effet de serre, a utilisé des scénarios

d’émission dits SRES (pour Special Report on Emissions Scenarios). Dans leur

écrasante majorité ces scénarios prévoient une progression continuelle des émissions

des combustibles fossiles, ce qui suppose une croissance incessante des productions

annuelles de ces derniers. Il est également remarquable que ne figurent dans ces

scénarios ni ceux des agences de l’énergie, ni ceux de l’ASPO ! Or ceux-ci se situent

sous la très grande majorité des scénarios SRES.

Ceci n’est pas étonnant, car les SRES sont en fait des scénarios politico-économiques

de la demande future, construits par un groupe d’économistes de l’International

Institute for Applied Systems Analysis (IIASA) basé à Vienne en Autriche, qui n’ont

été confrontés ni à l’offre géologique possible, ni même semble-t-il à la demande

prévue par les agences.

Cette critique n’est pas en soi une remise en cause de la base physique des modèles

climatiques actuels. Elle dit simplement, et cela a été répété à leurs auteurs depuis des

années, en particulier par des membres de l’ASPO sans le moindre succès jusqu’à

présent, que les scénarios d’émission de CO2 qui leur servent de données d’entrée ne

sont pas plus que des scénarios politico-économiques, des « story tellings » ayant

certes une logique interne, mais qui ne prend en compte ni les rétroactions physiques

résultant des limites géologiques, ni même celles résultant des modifications du

climat ! On trouvera dans une publication récente une analyse qui va exactement dans

le même sens ( Mohr et al., 2015 ).

Depuis quelques années le GIEC ne fait cependant plus référence aux scénarios SRES,

mais à des scénarios dits Representative Concentrations Pathways (RCP) qui sont des

scénarios a priori d’évolution des émissions permettant de décrire quelles seraient les

évolutions du climat et en particulier du forçage radiatif et de la température moyenne

de la surface du globe si ces émissions suivaient les trajectoires décrites par ces

scénarios. Ils sont indexés en fonction du forçage radiatif qui serait observé en 2100,

en watt/m2 de surface terrestre : RCP 2,6 ; RCP 4,5 ; RCP 6 et RCP 8,5. Il n’y a donc

ici plus de justification politico-économique, mais seulement un système d’abaques

permettant une évaluation des modifications climatiques entraînées par une

0

800

1600

2400

3200

4000

4800

0

250

500

750

1000

1250

1500

1850 1900 1950 2000 2050 2100 2150 2200

GtC

O2

Gte

p

année

monde: production & emissions CO2 cumulées de

combustibles fossiles & prévisions

Jean Laherrere Mars 2016

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82

augmentation des teneurs en gaz à effet de serre de l’atmosphère terrestre, par

comparaison entre la trajectoire d’émission réellement observée et celles de ces

scénarios de référence.

Mais ces scénarios ne sont pas plus justifiés physiquement que les scénarios SRES,

dont ils sont en fait un échantillonnage.

Il est curieux qu’aucun climatologue ne semble encore avoir perçu la contradiction

interne aux scénarios RCP qu'utilise le GIEC pour faire ses anticipations de

modification du climat : Si nous ne faisons rien, dit le GIEC, nous risquons de suivre

le RCP 8,5, et alors ce sera une catastrophe humaine et économique. Or s'il y a

catastrophe humaine et économique, nous ne pourrons pas suivre le scénario RCP 8,5,

car celui-ci suppose une économie sans cesse en croissance alimentée par des

combustibles fossiles produits à la demande, donc non perturbée par les modifications

du climat. !

Cela étant dit, le scénario RCP 8,5 est de toutes façons irréaliste (figure 73). En effet,

le gros des émissions de CO2 provient des combustibles fossiles. Or leurs réserves

ultimes, selon les géologues des combustibles fossiles, sont de 3 à 4 fois inférieures à

celles que suppose ce scénario extrême du GIEC. Le scénario RCP 6 est quant à lui

très improbable, tandis que le scénario RCP 4,5 est celui qui se rapproche le plus du

scénario le plus probable sur des bases géologiques, tout en se situant en moyenne un

peu au-dessus.

Il y a sans doute une marge d’incertitude importante dans les anticipations de

J.Laherrère qui sont utilisées dans ce qui précède, en particulier à cause des

imprécisions inévitables sur l’estimation des ultimes des combustibles fossiles, en

premier lieu pour le charbon. Mais les écarts avec les anticipations du GIEC dans un

scénario « business as usual » (BAU), c’est-à-dire si rien n’est fait pour les réduire,

sont tellement importantes que cela pose un problème considérable : si l’on se réfère

en effet aux pages 57 et 58 du rapport 2013 du groupe de travail III (WG III) du GIEC

(ICCP), Mitigation of Climate Change, on lit que le scénario BAU retenu par ce groupe

anticipe des émissions de CO2 des combustibles fossiles comprises entre 50 et 75

GtCO2 en 2050, et pouvant aller jusqu’à 90 GtCO2 en 2100, tandis que les

anticipations de Jean Laherrère ne sont que de 32 et 14 GtCO2 à ces dates !

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Figure 73 : comparaison des émissions cumulées de CO2 dues aux combustibles fossiles prévues par

les scénarios RCP avec celles de la figure 68. On voit que ces dernières seraient un peu inférieures à

celles du RCP 4,5. Dans cette perspective, le scénario RCP 8,5 est totalement irréaliste et le scénario

RCP6 est très improbable.

Ces scénarios du GIEC, qui tiennent pourtant compte des rétroactions physiques dans

les phénomènes climatiques, ne tiennent donc compte ni des rétroactions entre climat

et marche de l’économie, ni des rétroactions entre la production de combustibles

fossiles et les contraintes de la géologie des gisements.

Si la physique du climat est de mieux en mieux prise en compte par les physiciens du

climat, le GIEC dans son ensemble n’a semble-t-il pas vraiment réfléchi au sens

physique des scénarios d'émissions futures qu'il utilise pour faire ses prédictions.

D’autre part :

- Aucune probabilité ne peut de ce fait être affectée par le GIEC aux scénarios RCP.

Les médias profitent naturellement de cette situation pour ne parler que du scénario

potentiellement le plus désastreux et créer ainsi un stress injustifié dans l’opinion.

- Il est impossible à partir de là de définir des politiques publiques de prévention bien

ciblées, puisqu’on ne sait pas sur quel scénario il est le plus efficace de s’appuyer.

On peut aussi remarquer, comme déjà signalé chapitre 3-2-5 à propos de la figure 59

que le scénario 450 ppm de l’AIE, présenté par cette agence comme un scénario où

l’humanité se contraint par des mesures énergiques de limitation des émissions de CO2

des combustibles fossiles à ne pas dépasser les 2°C d’augmentation de température,

est en fait proche du scénario anticipé par l’enquête Delphi des membres de l’ASPO-

France, lequel est un scénario BAU qui ne suppose aucune autre contrainte que les

contraintes géologiques. Cela vient du fait que le scénario BAU de production de

combustibles fossiles de l’AIE, sans êtes aussi exagéré que celui pris comme référence

BAU par le WG III du GIEC, est quand même très «optimiste», comme nous l’avons

signalé à plusieurs reprises. Des contraintes politiques fortes sont donc nécessaires aux

scénarios de l‘AIE pour ramener les émissions dans le droit chemin, mais c’est

beaucoup moins le cas comme on va le voir pour le scénario de l’ASPO.

La figure 74 est tirée du résumé pour décideurs du rapport 2013 du GIEC. Selon cette

figure, il existerait une relation quasi linéaire entre l’augmentation de température de

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la surface terrestre d’ici la fin du siècle et les quantités totales de gaz carbonique

d’origine anthropique qui auront alors été émises depuis 1870.

Si l’on veut rester d’ici la fin du siècle sous les 2 °C d’augmentation de température,

tels que préconisés lors de la conférence de Copenhague sur le climat en 2009, il ne

faudrait pas émettre de 1870 à 2100 plus de 3050 Gt de gaz carbonique (830 GtC en

carbone contenu). L’ultime de production des combustibles fossiles selon l’estimation

dérivée des scénarios de J. Laherrère correspond (figure 72 et tableau 15) à environ

4690 GtCO2 en compte rond, soit 1280 GtC en carbone contenu, dont 714 GtC pour le

charbon, 365 GtC pour le pétrole et 200 GtC pour le gaz. Mais environ 1040 GtC

seulement en seraient émises de 1870 à 2100, ce qui représente sensiblement moins

que les émissions du RCP 4,5 (1250 GtC), et 1190 GtC de 1870 à 2200 (figure 73).

D’après le tableau 12, les émissions futures correspondant aux réserves restant à

produire seraient respectivement d’environ 870 GtC, dont 213 GtC pour le pétrole,

138 GtC pour le gaz et 519 GtC pour le charbon.

Combustible fossile Pétrole Gaz Charbon Total

Réserves ultimes (U), Gtep 420 330 650 1370

CO2 ultime, GtCO2 ( GtC) 1340 (365) 730 (200) 2620(714) 4690 (1279)

Réserves encore à produire, Gtep 210 237 473 920

CO2 encore à produire, GtCO2 (GtC) 781 (213) 506 (138) 1903 (519) 3190 (870)

Tableau 15 : Réserves ultimes et réserves encore à produire de combustibles fossiles,

en Gtep selon le scénario géologiquement le plus probable de l’ASPO, et émissions de

CO2 correspondantes, en GtCO2 et GtC. Les coefficients de conversion sont de 3,1

tCO2/t pour le pétrole, 2,4 tCO2/t pour le gaz, et 4,1 tCO2/t pour le charbon.

Le scénario RCP 8,5 est donc complètement irréaliste et devrait donc être supprimé

des références du GIEC. Le scénario RCP 6 est très peu probable, mais compte tenu

des incertitudes, en particulier sur les réserves ultimes de charbon, peut être à l’extrême

rigueur pris comme la limite supérieure du possible.

Figure 74 : Relation, selon le GIEC 2013 (Source : Changements climatiques 2013,

les éléments scientifiques, Résumé à l’attention des décideurs, figure SPM 10), entre

l’augmentation de température de la surface terrestre de 1870 à la fin du siècle et les

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85

quantités de gaz carbonique d’origine anthropique qui auront été émises pendant cette

période. Les quantités totales de gaz carbonique émises suivant les 4 RCP sont

indiquées. Sont également indiquées, en pointillé, les quantités à ne pas dépasser

pendant cette période pour rester sous les 2 °C d’augmentation de température.

Pour rester sous les 830 GtC fatidiques d’ici 2100, il faudrait certes un effort important,

d’autant plus que les scénarios RCP 2,6 et 4,5 supposent l’arrêt total des émissions

anthropiques de gaz carbonique, et que celles-ci ne se limitent pas à celles des

combustibles fossiles*36. Mais cet effort, qui devrait être d’une réduction de l’ordre de

210 GtC d’ici 2100 pour les combustibles fossiles si l’on suppose qu’ils continueraient

à représenter comme maintenant 85 % des émissions totales de CO2 anthropiques,

reste dans les limites du raisonnable, ce qui ne serait pas le cas avec le scénario RCP

8,5.

*36 note : L'essentiel des émissions autres que celles des combustibles fossiles sont

dues à la déforestation et aux changements d'affectation des sols. Peut-on espérer

qu'elles deviendront maintenant rapidement négligeables ?

On voit tout de suite que, selon les estimations considérées comme géologiquement

les plus probables par J. Laherrère, c’est le charbon qui avec environ 1900 Gt

d’émissions à venir de CO2 (520 GtC), soit 60 % des émissions des combustibles

fossiles à venir si rien n’est fait, sera le risque principal pour le climat. C’est donc sur

sa réduction qu’il faudrait faire porter en priorité l’effort. Or 90 % de la consommation

de charbon est due actuellement à 11 pays, par ordre d’importance la Chine, les Etats-

Unis, l’Inde, le Japon, la Fédération de Russie, l’Afrique du Sud, l’Allemagne, la

Corée du Sud, la Pologne, l’Indonésie et l’Australie qui ont donc ici une responsabilité

particulière. Il serait bon que la communauté internationale le leur rappelle

énergiquement. Et il serait prudent d’organiser dans ces pays une diminution rapide de

l’utilisation du charbon dans la production d’électricité, qui représente maintenant 70

% de la consommation mondiale de charbon. Un moratoire sur la construction de

nouvelles centrales à charbon est donc très souhaitable, mais à défaut une très forte

augmentation du prix à payer pour émettre du gaz carbonique est nécessaire.

Mais il sera particulièrement difficile de convaincre ceux de cette liste dont le

développement dépend pour l’instant en premier lieu de l’accroissement de cette

consommation, Afrique du Sud, Chine, Inde, Indonésie. Il en est de même d’autres

pays qui n’apparaissent pas sur cette liste, mais qui dépendent beaucoup du charbon,

par exemple le Vietnam. Ils ne pourront pas trancher ce dilemme, tant qu’ils ne

disposeront pas en quantité significative de substituts au charbon, nucléaire et énergies

renouvelables, pour leur production d’électricité. Il sera aussi bien difficile de

convaincre les gros exportateurs, Australie, Indonésie ou Colombie qui en tirent une

source très appréciable de revenus.

Une possibilité très souvent évoquée est aussi d’équiper les centrales à charbon avec

des dispositifs de captage et de stockage du gaz carbonique (CSC, en anglais CCS) :

le gaz carbonique serait capté dans les fumées des centrales, puis stocké (séquestré)

dans des structures géologiques susceptibles de le retenir pendant au moins un millier

d’années. Mais la réalisation des CCS se heurte à de nombreux obstacles, dont en

particulier le coût d’investissement, la baisse de rendement électrique des centrales

ainsi équipées (il faudrait consommer environ 30 % de charbon en plus pour produire

la même quantité d’électricité), et les réticences des populations à accepter les

stockages géologiques (Durand 2011). Il est donc très douteux que les CCS puisse se

développer de manière suffisamment rapide pour résoudre le problème posé !

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6- Combustibles fossiles et santé publique

L’extrême focalisation des médias sur l’effet de serre et le nucléaire les conduit à

occulter presque totalement les dangers directs de l’usage des combustibles fossiles.

Les citoyens des pays occidentaux en sont donc restés peu ou prou aux récits d’Emile

Zola et d’Upton Sinclair sur les dangers du travail dans les mines de charbon au 19

ème siècle et réalisent très peu la situation actuelle.

En fait, les combustibles fossiles n’ont jamais provoqué plus de dommages sanitaires

qu’en ce début du 21 ème siècle, y compris en Europe.

Ces dommages peuvent être classés en deux grandes catégories : 1-les accidents et 2-

les maladies, surtout bronco-pulmonaires et cardio-vasculaires, dues à la pollution de

l’atmosphère par les produits de leur exploitation et de leur combustion :

Pour les accidents, à l’échelle mondiale l’ordre de grandeur d’une estimation récente

(Durand, 2014 a) est de 10 000 morts par an dans les mines de charbon et leurs

annexes, et de 5 000 morts par an dus au pétrole et au gaz naturel. Mais les premiers

concernent surtout des professionnels, les mineurs de charbon, et cela essentiellement

dans les mines souterraines des pays asiatiques grands producteurs, ainsi qu’en Russie

et en Ukraine, où le niveau de sécurité est pour l’instant bien plus faible que dans les

pays occidentaux. Peu de gens se sentent donc concernés en Occident. Par contre les

seconds, dus à une grande variété d’accidents pendant l’exploitation, le transport, le

raffinage, la distribution et l’utilisation, s’ils concernent aussi les professionnels,

concernent encore bien plus les riverains des installations et les consommateurs. Les

pays occidentaux sont moins touchés que les autres, mais le sont quand même

beaucoup, environ le quart de la mortalité totale due à ces accidents dans le monde.

Mais le peu d’intérêt des médias pour ces accidents au-delà de quelques jours, hormis

quelques cas très spectaculaires, fait qu’ils sortent très rapidement de la mémoire

collective.

Cela étant dit, les accidents représentent moins de 0,5 % de la mortalité attribuable aux

combustibles fossiles, car l’essentiel en est dû en fait aux produits de leur combustion.

Il en résulte en particulier une pollution de l’atmosphère par des particules très fines,

mais aussi par des oxydes de soufre et d’azote et une variété d’autres produits toxiques,

en particulier dans le cas des charbons des éléments dangereux à faible dose, tels que

l’arsenic, le cadmium, le fluor, le mercure, le sélénium et le thallium. Cette pollution

s’étend aux sols et aux eaux, avec des effets sur la faune et la flore, y compris les

cultures. Elle est aussi responsable d’une dégradation des bâtiments.

Des données les plus récentes publiées par l’organisation mondiale de la santé (OMS),

l’étude citée plus haut déduit que les produits de combustion des combustibles fossiles

sont responsables de 3 à 4 millions de morts prématurées par an dans le monde, surtout

par maladies pulmonaires et cardiovasculaires mais aussi par cancers, dont au moins

la moitié due au seul charbon. Le plus lourd tribut est payé par les très gros

consommateurs de charbon des pays asiatiques, au premier rang desquels la Chine et

l’Inde.

A cela il faut ajouter la mortalité chez les mineurs de charbon entraînée par des

maladies pulmonaires dues aux particules en suspension dans l’atmosphère des mines,

au premier rang desquelles la silicose, environ 500 000 par an, surtout dans les pays

grands producteurs de charbon par mines souterraines, Chine et Inde, mais aussi là

encore Russie et Ukraine.

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87

En Europe des 28, l’ordre de grandeur qui ressort des rapports récents de la

Commission Européenne est de 300 000 à 350 000 morts prématurées par an,

principalement du fait de l’usage du fuel par le secteur résidentiel et tertiaire*37 et de

celui du diesel par les véhicules, ainsi que de l’usage du charbon, hard coal ou lignite,

très utilisés en particulier pour la production d’électricité dans un certain nombre de

pays européens, dont en particulier l’Allemagne, le Danemark, la Grèce, la Pologne ,

la Roumanie et la Tchéquie.

* 37 note : signalons aussi à ce propos le danger des émissions atmosphériques du

chauffage au bois, en particulier quand il est utilisé dans des cheminées à foyer ouvert,

ainsi que sans filtre électrostatique ce qui est pratiquement partout le cas en France.

Il faut cependant relativiser ces chiffres, car il ne s’agit pas de morts rapides comme

lors des accidents, mais de morts prématurées, en fait une diminution de l’espérance

de vie dans les populations affectées par rapport aux populations non affectées

(Durand, 2014 b). Mais cette diminution peut être de l’ordre d’une dizaine d’années

pour une partie très notable des populations affectées.

Conclusion

S’ils ont tous la même origine, c’est-à-dire une «fuite» du cycle biologique du carbone

vers le cycle sédimentaire, les accumulations exploitables (les gisements) de

combustibles fossiles n’en sont pas moins d’une grande variété et d’une grande

complexité, selon la nature de la biomasse qui leur a donné naissance, les conditions

physico-chimiques de leur formation et la géologie de leur réservoir. Les géologues

des combustibles fossiles savent cependant maintenant démêler les fils de leurs

histoires complexes et modéliser leur formation.

Ce tour d’horizon a permis de se faire une idée de la nature des différentes catégories

de combustibles fossiles, et des mécanismes de formation de leurs gisements. Il a

permis également d’en acquérir une vision d’ensemble. Celle-ci permet une meilleure

compréhension des possibilités qu’ils offrent pour la production d’énergie, et des

enjeux qui leur sont attachés.

De même qu’un organisme vivant ne peut subsister sans l’énergie qu’il tire de ses

aliments, aucune société humaine ne peut subsister sans le flux d’énergie primaire

qu’elle prélève sur des sources naturelles. Et ce flux d’énergie doit être d’autant plus

grand que la masse des biens matériels qu’elle produit est importante.

A l’heure actuelle, le flux d’énergie primaire qui donne vie à ces sociétés est constitué

à plus de 80 % par l’énergie tirée des combustibles fossiles. Les consommateurs et les

économistes ne veulent s’intéresser qu’à leurs prix, qui ont certes une grande

importance dans la vie de tous les jours. Mais c’est pour envisager l’avenir un exercice

assez vain, étant donnée l’impossibilité dûment constatée de les prédire même à court

et moyen terme. Cela détourne l’attention de ce qui, à cause de la si grande importance

des combustibles fossiles, en particulier du pétrole, dans la marche actuelle de

l’économie des pays industrialisés, est en réalité pour eux l’enjeu majeur de ce siècle

: Leur disponibilité future.

L’analyse qui est faite ici montre qu’il y a lieu de s’en préoccuper très sérieusement, à

commencer par le pétrole : La production mondiale de pétrole brut conventionnel, le

moins cher en moyenne à produire, et qui fournit encore pour l’instant les trois-quarts

de l’approvisionnement en pétrole dit «tous liquides», provient pour l’essentiel d’un

petit nombre de très gros gisements découverts pour la plupart entre 1950 et 1980. Elle

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a commencé à décliner en 2005-2006. Par contre, du moins en volume, la production

mondiale totale de pétrole tous liquides a continué d’augmenter : C’est grâce aux

liquides de gaz naturel (condensats, et liquides d’usines de gaz naturel, LGUN), en

réalité extraits du gaz, ainsi qu’à des pétroles plus coûteux en moyenne à produire que

les pétroles conventionnels : pétroles non conventionnels (huiles extra-lourdes et

bitumes, pétroles de roche-mère (de schistes)) et accessoirement synfuels

(biocarburants, GTL, CTL). Mais sans les pétroles de roche-mère (de schistes) Nord-

américains, elle n’aurait pratiquement pas augmenté depuis 2011. Il est cependant

douteux, étant donné le déclin progressif de l’énergie contenue par unité de volume de

la production de pétrole tous liquides, et la quantité croissante d’énergie utilisée à cette

production, que la quantité nette d’énergie mise ainsi à la disposition de la société

mondiale ait en fait augmenté depuis cette date.

Les optimistes, souvent des économistes, mais aussi la plupart de ceux qui s’expriment

pour les grandes compagnies pétrolières, disent que la créativité technologique qui

caractérise l’espèce humaine, et les augmentations supposées inéluctables à terme des

prix de marché, permettront encore d’importantes découvertes de pétrole

conventionnel, un accroissement du taux de récupération de celui-ci, ainsi qu’un

accroissement des productions de pétroles non conventionnels (huiles extra-lourdes et

pétroles de roche-mère), de liquides de gaz naturel (condensats et LGUN) et de

synfuels (biocarburants, GTL, CTL), et qu’au total tout cela sera très longtemps encore

largement suffisant non seulement pour compenser, comme cela se passe encore pour

l’instant, le déclin des gisements actuellement exploités de pétrole conventionnel, mais

aussi pour entraîner une augmentation substantielle de l’approvisionnement mondial

en pétrole tous liquides. Pour eux, la «success story» des pétroles de roche-mère

d’Amérique du Nord s’étendra tout naturellement au monde entier. C’est le point de

vue des optimistes qui est actuellement véhiculé par les médias, ancrant ainsi l’opinion

dans l’idée qu’il n’y a aucun souci à se faire pour au moins une génération.

Les pessimistes, le plus souvent des géologues pétroliers, c’est-à-dire rappelons-le

ceux qui connaissent le mieux la réalité du terrain, font observer que le déclin des

réserves 2 P restantes de pétrole brut conventionnel va s’accélérer malgré les

découvertes, et que les pétroles non conventionnels sont en moyenne des pétroles chers

dont l’économie mondiale ne pourra pas supporter indéfiniment les prix. Nul doute

qu’il existe des quantités très importantes de pétrole et de gaz restés piégés dans leur

roche-mère. Mais leurs réserves, c’est-à-dire leurs quantités réellement exploitables,

sont très mal définies et les investissements pour les produire seront très lourds. En ce

qui concerne le pétrole de roche-mère (de schistes), au-delà de son déclin actuel pour

cause de prix du pétrole suffisamment rémunérateur, ils prévoient son déclin pour des

raisons géologiques aux Etats-Unis dans peu d’années. L’extension de la «success

story» américaine à l’échelle mondiale n’a toujours pas eu lieu malgré les annonces

incessantes des optimistes. Ils rappellent à ce propos que le succès des Etats-Unis

repose aussi, par comparaison avec d’autres pays ayant comme eux une géologie

favorable, sur une infrastructure très développée et une industrie pétrolière

exceptionnellement puissante et réactive et de grand savoir-faire, épaulée par un

système bancaire accommodant. Il repose aussi sur les particularités du code minier

de ce pays, le seul au monde à donner la propriété du sous-sol au propriétaire du sol.

Celui-ci a donc un intérêt à l’exploitation, ce qui n’est pas le cas ailleurs. Dans de

nombreux pays existent aussi de gros obstacles politico-économiques à ces

exploitations, et dans bien des cas une forte opposition des associations

environnementales.

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89

D’autre part, ils soulignent que ce n’est pas tant l’importance des réserves que la

vitesse possible de leur mise en production qui règle les performances de l’économie

mondiale d’une année à l’autre : sur l’instant, le débit du carburateur d’une voiture est

plus important pour régler sa vitesse que le volume de son réservoir, et pour l’assoiffé

le débit possible du robinet est plus important que le volume du tonneau ! Presque tous

prédisent vers 2020 un maximum (pic) de la production possible du pétrole tous

liquides, ou au mieux un plateau aux alentours de 100 Mb /j de 2020 à 2030 environ.

La situation s’analyse de la même façon pour le gaz naturel, avec un décalage d’une

dizaine d’années : Le pic du gaz naturel aurait lieu vers 2030. Certains disent là aussi

que le gaz de roche-mère (de schistes) améliorera sensiblement cette perspective, grâce

au progrès technologique, à une amélioration de son modèle économique, et à son

extension à l’échelle mondiale. Et semble-t-il, les possibilités sont ici plus ouvertes

que pour le pétrole.

Pétrole et gaz de schistes (de roches-mères) sont donc en fait la dernière frontière pour

l’industrie mondiale du pétrole et du gaz. Mais il faudrait une augmentation très rapide

et très importante de leur production pour compenser dans les années qui viennent le

déclin attendu du pétrole conventionnel. Or la production des Etats-Unis, la seule

significative actuellement, semble déjà atteindre ses limites, et personne ne semble

pouvoir dire actuellement précisément quels pays sont susceptibles de les relayer.

Quant au charbon, les affirmations courantes selon lesquelles il pourra assurer sans

problème la consommation énergétique d’une humanité sans cesse plus riche pendant

au moins les deux siècles à venir reposent beaucoup plus sur des «convictions» que

sur des modélisations physiques. Ces convictions sont à l’heure actuelle de plus en

plus ébranlées. Heinberg et Fridley 2010 pensent par exemple que les réserves

ultimes, c’est-à-dire les quantités totales vraiment récupérables, sont bien plus faibles

qu’annoncées, et que la réalité est en train de nous rattraper. Rutledge, 2011 le

confirme, par des études «postmortem» sur des bassins charbonniers actuellement

pratiquement épuisés, et dont les réserves ultimes avaient initialement été en fait

considérablement surestimées par rapport à la réalité de la production ultérieure. C’est

en particulier le cas pour le charbon du Royaume-Uni, carburant initial de la

Révolution Industrielle. Selon Rutledge, à l’échelle de la planète environ 90 % des

réserves ultimes de charbon auront été extraites en 2070. Selon Laherrère, le pic

mondial du charbon serait atteint vers 2035 ou 2040. Mais cela pourrait bien être plus

tôt, car il semblerait bien que la Chine, de très loin le premier producteur mondial de

charbon, soit en train d’atteindre son pic (D.Fridley, 2012). Et selon Laherrère, le pic

chinois aurait même eu lieu en 2013 ! Mais à l’échelle mondiale, les incertitudes sont

pour le charbon plus importantes que pour le pétrole et le gaz.

La pyrolyse des schistes bitumineux, la gazéification souterraine du charbon et

l’exploitation des hydrates de gaz sont des pistes souvent évoquées pour faire perdurer

notre approvisionnement en combustibles fossiles, mais on est encore bien loin de

pouvoir passer au stade industriel massif, et encore faudra-t-il dominer leurs

inconvénients environnementaux. Ces ressources resteront sans doute encore pendant

ce siècle des « ressources du futur », comme elles le sont actuellement.

Ces analyses ne procèdent bien sûr pas d’une science exacte : nous avons vu les

grandes incertitudes et les larges désaccords qui existent sur les estimations des

réserves restantes de combustibles fossiles et sur celles de leurs vitesses de production

futures. On peut toujours espérer des découvertes inattendues de gisements de type

encore inconnu, ou des révolutions technologiques. Et il faut sans aucun doute

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perfectionner les analyses et les modèles avec lesquels on cherche à prédire les

productions possibles dans le futur, mais aussi créer les modèles économiques

permettant de relier ces productions à la marche de l‘économie. Il est d’ailleurs très

étonnant, étant donné l’importance majeure du sujet pour l’équilibre mondial, que si

peu de moyens y soient pour l’instant consacrés par les économistes.

Mais il faut raisonner en probabilité : celle d’un début du déclin de l’offre possible

totale à l’échelle mondiale de l’énergie primaire fournie par les combustibles fossiles

d’ici 2025-2030 est forte, tout comme l’est celle d‘un accroissement de sa demande

sous l’effet de la poussée démographique et de l’aspiration de populations très

nombreuses à plus de bien-être. Cela laisse présager bien des turbulences dans

l’économie et de la société mondiales et peut-être même une crise de civilisation dans

les pays industrialisés, tant est grande l’importance des combustibles fossiles dans leur

structure et leur fonctionnement.

Les émissions futures de gaz carbonique dues à l’usage des combustibles fossiles sont

des données d’entrée essentielles des modèles climatiques. Sans pour autant remettre

en cause la base physique de ces modèles, on peut douter de la qualité des estimations

de ces émissions qui ont été jusqu’à présent utilisées par le GIEC, car elles n’ont pas

été faites sur des bases physiques et géologiques, mais politico-économiques. Pour la

plupart elles anticipent une croissance continuelle des émissions dues aux

combustibles fossiles, donc des productions de ceux-ci, au cours de ce siècle. Or c’est

très improbable comme on l’a vu. Cela est très dommageable pour la définition des

politiques publiques de protection du climat, qui utilisent ces estimations. Parmi les

scénarios « Representative Concentration Pathways (RCP)», qui sont les plus

populaires actuellement, le scénario RCP 8,5 est irréaliste et le scénario RCP 6 très

improbable. Le scénario géologiquement le plus probable devrait se situer un peu sous

le RCP 4,5 et cela représenterait suivant les critères du GIEC une augmentation de

température de 1870 à 2100 comprise entre 2 et 3 °C. C’est encore bien trop selon

beaucoup de climatologues, qui recommandent de ne pas dépasser les 2°C, sinon

même 1,5 °C, mais les efforts nécessaires pour satisfaire ces critères sont bien sûr bien

moins importants qu’avec des scénarios tels que le scénario RCP 6 et encore plus le

RCP 8,5, présenté trop souvent par les médias comme étant l’avenir si nous ne faisons

rien !

En définitive, plus que la consommation de pétrole ou de gaz, c’est la consommation

de charbon qui représente, si l’on retient les critères des climatologues, la principale

menace pour le climat. Sa production est actuellement en augmentation et il sera d’ici

peu d’années redevenu comme pendant le 19ème siècle et pendant le 20ème siècle

jusqu’en 1965, la principale source d’énergie primaire de l’humanité. C’est aussi celui

des combustibles fossiles dont le pic, en l’absence de contraintes autres que

géologiques, semble devoir être le plus tardif. Si aucune autre contrainte ne lui est

imposée, comme c’est actuellement le cas, 60 % environ des émissions encore à venir

de gaz carbonique des combustibles fossiles pourraient lui être dues.

Les grands consommateurs de charbon (figure 74), ont ici une grande responsabilité,

car ce sont eux qui peuvent en fait le plus contraindre les évolutions climatiques à

rester dans des limites considérées comme acceptables, en restreignant fortement leur

consommation de charbon. Mais le développement de certains d’entre eux, Afrique du

Sud, Chine, Inde, Indonésie, dépend actuellement en premier lieu de l’accroissement

de cette consommation. Il en est de même d’autres pays en développement qui

n’apparaissent pas sur cette liste, comme par exemple le Vietnam et d’autres pays du

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Sud-Est Asiatique. Ils ne pourront pas trancher ce dilemme, tant qu’ils n’auront pas

développé suffisamment les substituts au charbon dans la production d’électricité

(nucléaire, énergies renouvelables…), ou les installations de stockage géologique (

CSC pour captage et stockage du carbone, en Anglais CCS) du gaz carbonique produit

par sa combustion*38.

Figure 75 : les 11 premiers consommateurs mondiaux de charbon (en Mtep) en 2013

et l’EU 28, et leurs émissions de CO2 (en MtC contenus).

En effet la principale utilisation du charbon, environ 70 % en masse de sa production

actuellement, est la production d’électricité. La figure 76 montre pour les dix plus gros

producteurs d’électricité du monde, les grandes différences d’émissions de CO2

associées à cette production qui existent d’un pays à l’autre. La France est de ces pays

celui dont la production d’électricité émet le moins de CO2 par kWh produit: elle le

doit à l’importance du nucléaire et de l’hydraulique dans son mix électrique. On

observe entre autres qu’elle émet actuellement environ 8 fois moins de CO2 par kWh

d’électricité produite que l’Allemagne ou les Etats-Unis, 12 fois moins que la Chine

et 18 fois moins que l’Inde!

Figure 76 : Emissions de CO2 totales et par kWh de la production électrique des dix

premiers producteurs d’électricité mondiaux en 2014 et importance de leur

production. Source: Agence internationale de l’énergie (AIE, IEA),

Les 11 premiers consommateurs de charbon (en Mtep) en 2013

( 90% de la consommation mondiale) + EU 28

et leurs émissions de CO2 (in MtC). (IEA, BP)

0

500

1000

1500

2000

2500

3000

Chin

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Inde

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F.de

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8

Mtep

MtC

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92

https://www.iea.org/newsroomandevents/graphics/2015-04-28-carbon-emissions-

from-electricity-generation-for-the-top-ten-producer.html

Le problème climatique deviendrait donc moins préoccupant si ces grands producteurs

d’électricité décidaient enfin de suivre la voie déjà prise depuis longtemps par des pays

comme la France, la Suède et la Suisse, dont la production d’électricité fait maintenant

très peu appel au charbon et plus généralement aux combustibles fossiles, mais

essentiellement au nucléaire et à l’hydraulique. Ils en ont pour la plupart déjà les

moyens techniques. Le principal obstacle est d’ordre psychologique, puisqu’il s’agit

de la peur d’un grand accident nucléaire.

Le charbon est aussi celui des combustibles fossiles, et même de toutes les sources

d’énergie primaire utilisées par l’homme, qui représente de très loin le danger le plus

important pour la santé publique, plus particulièrement du fait de la pollution

atmosphérique par les particules fines, les oxydes de soufre et d’azote, et des rejets

d’autres éléments nuisibles, entre autres arsenic, cadmium, fluor, mercure, sélénium,

thallium… qu’entraîne son usage. On parle là d’un ordre de grandeur de 2 millions de

morts prématurées par an, surtout dans les pays grands consommateurs d’Asie, mais

l’Europe n’est pas à l’abri ! Ce danger pourrait être considérablement réduit s’il y avait

à ce sujet une véritable prise de conscience induisant des mesures de protection bien

plus efficaces que les actuelles. La focalisation extrême des médias sur l’effet de serre,

les énergies renouvelables et le nucléaire ne la favorise pas pour l’instant. Un grave

malentendu a ainsi été créé dans l’opinion publique, qui n’entend parler que des risques

créés par les émissions de gaz à effet de serre, qui ne tuent pas, et de ceux du nucléaire,

qui au bilan a tué fort peu, mais guère des risques créés par l’utilisation du charbon,

qui lui tue énormément. Même des rapports alarmants de Greenpeace (Greenpeace,

2009, 2013) et plus récemment d’un groupe d’ONG (WWF et al., 2016) n’ont guère

eu d’échos dans les médias français, qui d’habitude font toujours une large place à ces

associations !

Cependant depuis quelques années, le risque qu’entraîne la pollution par les particules

fines commence cependant à être évoqué de plus en plus souvent (Durand, 2014 b).

La France, qui n’a quasiment plus de production de combustibles fossiles sur son sol,

doit les importer. S’agissant du pétrole, celui des combustibles fossiles qui connaîtra

le premier son déclin, les quantités de pétrole tous liquides produites dans le monde

augmenteront peut-être encore en volume à un rythme lent pendant quelques années

encore, mais pas en quantité d’énergie mise à la disposition de la société mondiale, du

fait non seulement de la décroissance progressive de l’énergie volumique moyenne des

constituants de ce pétrole tous liquides, mais aussi de la diminution de plus en plus

rapide des taux de retour énergétiques de l’industrie pétrolière.

Mais aussi les volumes de pétrole mis sur le marché mondial, actuellement à peu près

la moitié de la production totale, tendent déjà à diminuer du fait de la consommation

intérieure croissante des pays exportateurs (figure 77). A moins que ces derniers ne

décident très rapidement des efforts considérables d’économie et/ou d’utilisation de

substituts (par exemple nucléaire à la place de fuel pour leur production d’électricité

comme la France l’a fait après les chocs pétroliers), cette tendance va s’accentuer !

Cela menace en premier lieu les pays dépourvus de réserves sur leur sol comme le sont

la plupart des pays européens, dont bien sûr la France.

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Figure 77 : Evolution des exportations et importations de pétrole brut depuis 1984,

selon l’EIA jusqu’en 2010 et selon l’OPEP de 2010 à 2014 : elles sont en déclin depuis

2008. On voit aussi sur cette figure l’évolution des imports-exports de produits

raffinés. Noter que les pétroles non-conventionnels ne représentent que peu de chose

dans le commerce mondial, et que ces courbes pour le pétrole brut, concernent donc

essentiellement le pétrole brut conventionnel : celui-ci représente donc l’essentiel des

imports-exports.

Du fait de leur poids considérable dans le fonctionnement des sociétés industrielles et

par leur potentiel de modification du climat, ce sont les évolutions futures des

productions de combustibles fossiles qui donneront par nécessité le tempo de la

transition énergétique dont on parle tant en ce moment.

Or la probabilité est forte que la quantité totale d’énergie qu’ils pourront mettre

chaque année à la disposition de l’humanité, toutes sources étant additionnées,

commence à décliner vers 2025. Compte-tenu de l’augmentation de l’augmentation de

la population mondiale, ce déclin sera encore plus fort par habitant de la planète.

Etant donné l’étroite relation qui existe actuellement entre la disponibilité des

combustibles fossiles et la marche de l’économie mondiale, et quand on se souvient

des dégâts provoqués sur celle-ci par les chocs pétroliers de 1973 et 1979, les

conséquences qu’aurait un déclin rapide, irréversible et si rapproché dans le temps, des

quantités d’énergie que nous pouvons tirer de l’ensemble des combustibles fossiles

sont potentiellement catastrophiques. Elles ne peuvent être aménagées, étant donné la

grande inertie des systèmes industriels, que si des contre-mesures très fortes sont prises

dès maintenant. Notons aussi que la hiérarchie des nations industrielles en serait

changée, celles ayant encore des réserves importantes de combustibles fossiles

0

5

10

15

20

25

30

35

40

45

1984 1988 1992 1996 2000 2004 2008 2012 2016

Mb

/d

année

importations & exportations mondiales de brut et produits raffinés

imp brut OPEP

imp brut EIA

exp brut OPEPexp brut EIA

exp raffinés EIA

exp raffinés OPEPimp raffinés EIA

impr raffinés OPEP

Jean Laherrere Oct 2015

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pouvant faire face plus longtemps que celles n’en ayant pas ou plus. Dans un tel

contexte, la plupart des pays d’Europe, dont la France, sont particulièrement menacés.

Tout cela devrait donc très fortement interpeller l’opinion et les décideurs.

Pourtant, de façon très surprenante, la question des combustibles fossiles n’a même

pas été évoquée en France lors du récent Débat national sur la transition énergétique,

qui a consisté essentiellement en un débat sur la seule électricité (Durand, 2013), alors

que celle-ci ne représente en France que moins du quart de la consommation d’énergie

finale (celle qui parvient jusqu’au consommateur).

Avec une consommation de combustibles fossiles qui ne représente qu’environ 1% de

la consommation mondiale, la France n’est guère en position de peser sur leurs

marchés. La politique énergétique la plus sage qu’elle puisse suivre est sans doute

d’anticiper leur déclin, en premier lieu celui du pétrole, pour accompagner ce déclin

plutôt que d’avoir à le subir passivement. La priorité de cette politique devrait donc

être de chercher les moyens de s’adapter à une diminution forcée et durable de notre

approvisionnement en pétrole. A tout le moins, l’hypothèse d’une diminution

progressive de notre approvisionnement en pétrole d’ici peu d’années devrait être prise

rapidement en considération, et ses conséquences étudiées de près par les économistes.

Mais une politique d’anticipation ne pourra guère être mise en place sans une très forte

détermination: Elle rencontrera en effet de grandes résistances qui seront le fait non

seulement de groupes catégoriels ayant intérêt ou trouvant de la facilité au statu quo,

ou d’«optimistes» convaincus de l’inexistence du problème, mais bien sûr aussi de

raisons physiques, car se passer de pétrole sera très malaisé : Le pétrole est

littéralement devenu, en particulier depuis la deuxième guerre mondiale, le sang des

sociétés industrielles, à cause de la facilité et de la variété de ses usages, de son rôle

déterminant dans les transports, et de son faible coût d’accès. Même pendant les années

récentes de prix élevés, le prix du litre de carburant est resté en France de l’ordre de

celui du litre d’eau minérale ! Il a aussi des utilisations pour lesquelles il semble

impossible actuellement de lui trouver des substituts de façon très significative :

agriculture, travaux publics, transport aérien, pétrochimie… Le risque est donc grand

que les «décideurs» décident d’attendre et de voir venir plutôt que d’affronter ces

difficultés.

Pourtant, en ce qui concerne les principales utilisations du pétrole, le transport routier

des personnes et des marchandises et le chauffage, beaucoup des instruments

techniques nécessaires existent déjà :

- Pour les transports routiers : véhicules à faible consommation de carburants et/ou

électriques, électrification des transports en commun. Observons au passage que la

France bénéficie dans le domaine de la mobilité électrique d’un atout considérable,

puisque contrairement à la plupart des pays sa production d’électricité n’utilise que

très peu de combustibles fossiles.

- Pour le chauffage : meilleure isolation thermique des bâtiments, récupération de la

chaleur du sol au moyen de pompes à chaleur (PAC), chauffe-eau solaire, chauffage

au bois …, venant en substitution du fuel domestique, mais aussi du gaz, dont

l’espérance de vie ne semble pas devoir être beaucoup plus grande que celle du

pétrole si la «success story» du gaz de schistes aux Etats-Unis ne se transmet pas au

reste du monde.*39

Reste cependant à développer vraiment ces techniques au niveau nécessaire à un

déploiement rapide en cas de crise.

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95

Cette politique serait aussi bien plus efficace non seulement pour lutter contre les

émissions de gaz à effet de serre, mais aussi pour améliorer la balance commerciale

française qui souffre beaucoup du poids des importations de combustibles fossiles, que

la politique actuelle de développement à marche forcée de l’électricité éolienne et

solaire photovoltaïque*40 qui semble être pour l’instant l’axe principal de la «transition

énergétique» en France.

* 38 note : le développement du CSC à l’échelle mondiale est une piste très souvent

présentée comme une des principales techniques qui permettra d’éliminer pendant le

temps nécessaire (1000 ans ?) les émissions de CO2 du charbon, et plus généralement

des combustibles fossiles. Mais son développement est fort lent au regard des quantités

nécessaires, et entravé non seulement par d’importantes difficultés techniques, mais

aussi par la méfiance populaire ( voir par exemple (

http://www.sauvonsleclimat.org/documentsslchtml/etudeshtml/captage-et-stockage-

du-gaz-carbonique-csc/35-fparticles/827-captage-et-stockage-du-gaz-carbonique-

csc.html )

* 39 note : pour cela il faudrait déjà au minimum modifier les codes miniers, pour

que les propriétaires du sol soient associés aux bénéfices des exploitations, et cela

est bien peu probable à court terme.

* 40 note : en effet, éolien et solaire photovoltaïque produisent certes une électricité

« décarbonée », mais cela n’a guère d’intérêt en soi pour la France, dont

l’électricité émet déjà très peu de CO2 par kWh produit (figure 76). Si l’objectif est

vraiment de lutter contre les émissions de CO2, ce n’est donc pas sur la production

d’électricité qu’il faut faire porter l’effort, mais sur les secteurs fortement émetteurs

comme les transports et le chauffage. De plus les matériels nécessaires à l’éolien et

au solaire PV sont presque entièrement importés, ce qui dégrade notre balance

commerciale au lieu de l’améliorer.

Bibliographie

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Annexe 1 : Composition chimique des pétroles

Benzo et dibenzothiophènes

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101

Figure 1 D’après B.Durand 2009, avec la permission d’EDP Sciences

Proportions des différentes familles des principaux composés chimiques que l’on

trouve dans un pétrole brut «medium» et exemples de molécules d’hydrocarbures

appartenant à ces familles :

Les hydrocarbures des pétroles appartiennent à deux grandes familles structurales :

les hydrocarbures saturés, et les hydrocarbures aromatiques:

Par hydrocarbure saturé, appelé aussi aliphatique, on désigne un hydrocarbure dont

chaque atome de carbone est lié par une simple liaison à 4 atomes voisins de carbone

ou d’hydrogène. On n’a représenté ici que les atomes de carbone, le nombre d’atomes

d’hydrogène liés à chaque atome de carbone pouvant être calculé en déduisant de 4

le nombre d’atomes de carbones liés à cet atome. On a indiqué le nombre total

d’atomes de carbone pour chaque molécule représentée. Les hydrocarbures saturés

comprennent deux sous-familles : Les hydrocarbures saturés linéaires, appelés aussi

hydrocarbures paraffiniques, paraffines ou alcanes, qui comprennent à leur tour les

n-alcanes à chaîne droite et les iso-alcanes à chaîne branchée, et les hydrocarbures

saturés cycliques, appelés aussi cycloalcanes, cyclanes ou naphtènes, qui

comprennent au moins un cycle saturé à 5 ou 6 atomes de carbones dans leur

structure. Les plus simples sont le cyclopentane C5H10 et le cyclohexane C6H12, ce

dernier étant représenté ici.

Par hydrocarbures aromatiques, appelés aussi arènes, on désigne sont ceux qui

comprennent de un à trois cycles aromatiques, exceptionnellement quatre, cinq ou

même six, appelés aussi cycles benzéniques. Le benzène C6H6, représenté ici, est le

plus simple des hydrocarbures aromatiques. Un cycle benzénique se caractérise par

l’existence de liaisons dites benzéniques entre ses atomes de carbone, avec

délocalisation des électrons. On représente ces liaisons par une double liaison tous

les deux atomes de carbone du cycle comme ici, ou par un cercle au centre de

l’hexagone. Ces cycles aromatiques sont souvent associés à des cycles saturés, dans

ce qu’on appelle les hydrocarbures naphténo-aromatiques.

Dans les hydrocarbures dont la structure est représentée sur ces figures, on peut

observer deux biomarqueurs : - l’isoalcane en C19 possédant un branchement CH3

tous les 4 atomes de carbone, il s’agit d’un isoprénoïde appelé pristane, dérivant de

la chaîne latérale de la chlorophylle - le stérane en C29, qui dérive d’un stérol

biologique (dont le bien connu cholestérol fait partie)

Ce jeu de construction à seulement 2 éléments comporte donc bien des subtilités.

Sont également représentés ici des exemples de benzothiophènes et de

dibenzothiophènes, molécules soufrées qui , dans le protocole standard de séparation

des principales familles d’hydrocarbures ( analyse SARA, voir légende de la figure 2)

se retrouvent dans les aromatiques alors que, sensu stricto , ce n’en sont pas.

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102

Figure 2 : d’après B.Durand 2009, avec la permission d’EDP Sciences:

- à gauche : structures supposées de résines et d’asphaltènes: ce sont des molécules

de grande taille comprenant des hétéroéléments, essentiellement oxygène, soufre et

azote. Les asphaltènes sont maintenues en pseudosolution dans le pétrole grâce aux

résines qui sont le «liant» entre elles et les hydrocarbures (a). Il est facile de faire

précipiter les asphaltènes en laboratoire en ajoutant des hydrocarbures légers, à une

petite quantité de pétrole brut. Les molécules d’asphaltènes s’agglomèrent alors, puis

précipitent sous forme de particules noires (b). C’est ce qu’on appelle le

désasphaltage. Ce phénomène peut se produire dans la nature quand du gaz ou du

pétrole léger envahit un gisement de pétrole plus lourd, riche en asphaltènes.

- à droite, Des biomarqueurs remarquables : une porphyrine (2) et deux isoprénoïdes,

le phytane et le pristane (3), tous trois dérivés de la chlorophylle a (1). A noter que

dans le noyau tétrapyrrolique de la porphyrine, l’ion magnésium de la chlorophylle a

été remplacé par un ion vanadyl. Les fractions lourdes de pétroles (fuels) contiennent

ainsi des traces de vanadium, mais aussi de nickel, qui proviennent des porphyrines

qu’elles contiennent. Les porphyrines se trouvent dans les résines, mais peuvent en

être isolées.

L’analyse géochimique d’un pétrole commence par une distillation pour récupérer la

fraction la plus légère, qui sera ensuite analysée par chromatographie gazeuse. Puis

on procède sur le résidu à la séparation des 4 grandes classes de constituants :

saturés, aromatiques, résines et asphaltènes (analyse SARA). Les asphaltènes sont

séparées par précipitation à l’aide d’un n-alcane léger, puis après filtration et

évaporation du n-alcane, les trois autres classes sont séparées par chromatographie

liquide. Saturés et aromatiques sont analysés par chromatographie gazeuse et

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couplage chromatographie gazeuse-spectrographie de masse (GC-MS). Les benzo et

dibenzothiophènes se retrouvent dans la fraction aromatique, mais ne sont pas des

hydrocarbures sensu stricto puisqu’ils contiennent du soufre. Résines et asphaltènes

sont analysées pour leurs propriétés globales. Les porphyrines, qui sont récupérées

dans la fraction résine, sont toutefois séparables des résines par chromatographie

liquide.

Annexe 2 : Dynamique et résilience de la production de pétrole et de

gaz de roche-mère (de schistes)

Par rapport à la production d’un puits de pétrole ou de gaz d’un gisement

conventionnel, une production de pétrole ou de gaz de roche-mère (de schiste) se

caractérise par :

- Une mise en œuvre beaucoup plus rapide : la décision de forer un puits est

rapide et il faut quelques mois entre cette décision et la mise en production.

Dans le cas d’un gisement conventionnel nouvellement découvert, les forages

peuvent être rapides mais il faut 5 à 10 ans de développement avant d’implanter

tous les forages nécessaires à la production.

- Un déclin beaucoup plus rapide de la production, de 80 à 90 % de la production

initiale en 3 ans, contre une lente augmentation pendant deux à trois ans, une

quasi stabilité pendant quatre à cinq ans, suivi d’un déclin très lent pour un

puits conventionnel (figures 1 et 2)

- Une production totale jusqu’à son abandon beaucoup plus faible, 10 à 100 fois

moins que pour un puits moyen conventionnel.

- Un coût marginal de production plus élevé.

Figure 1 : profil moyen de production au fil des années d’un puits de pétrole de roche-

mère dans la formation de Bakken aux Etats-Unis: au bout de trois ans, la production

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104

n’est plus que de 10 % de la production initiale La production totale au bout de 25

ans n’est que de 0,6 Mb. D’après Vially et al 2013.

Il en résulte une dynamique de développement du pétrole et du gaz de schistes

beaucoup plus rapide que celle du pétrole et du gaz conventionnels, mais aussi une

sensibilité beaucoup plus grande aux prix de marché. On le voit bien actuellement : si

la période de prix très élevés du pétrole a permis un boom du pétrole de schistes aux

Etats-Unis, les bas prix actuels sont en train maintenant d’y casser la production, et de

geler les tentatives de développement hors Etats-Unis.

Figure 2 : profil moyen de production au fil des années d’un puits de gaz de roche-

mère aux Etats-Unis, et comparaison avec celui d’un puits de gaz conventionnel, en

% de la production totale. Source : Boston Consulting Group

Il en résulte aussi la nécessité de forer sans arrêt de nouveaux puits pour compenser la

perte rapide de production des puits déjà forés : comme sur un tapis roulant en sens

inverse de la marche, on recule si l’on arrête de marcher. Les progrès technologiques

permettent cependant en ce moment d’atténuer ce phénomène, en permettant de tirer

un meilleur parti des puits existants. Mais l’occupation du sol par les installations de

forage, puis de production n’en demeure pas moins très élevée et sans cesse croissante.

De cette dynamique de production élevée résulte aussi une forte capacité de résilience

: la production peut reprendre très rapidement une fois les prix redevenus

rémunérateurs. D’autre part, une fois ces nombreux puits forés, la production peut

rester à un niveau non négligeable pendant longtemps.

Malgré tout, ces productions sont limitées par la géologie des formations et le

rendement décroissant de la production des zones favorables avec le temps malgré les

progrès technologiques : Il ne s’agit après tout que de pétrole et de gaz contenus dans

des réservoirs de perméabilité extrêmement faible, dont la production doit être simulée

par des moyens très énergiques. Leur pic semble proche aux Etats-Unis, tandis

qu’aucune production importante n’a encore eu lieu hors Etats-Unis.