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Comment être Elle est devenue un enjeu majeur de la bataille que se livrent toutes les entreprises. Si la créati- vité ne se commande pas, elle peut s'organiser. Vingt pages de conseils pour déborder d'idées. P ourquoi des hommes peints en bleu ont-ils un jour défilé à moitié nus dans les couloirs des 3 Suisses ? Quel est le rapport entre une manivelle et le lancement d'un nou- veau parfum ? En quoi une citrouille peut-elle accroître la productivité de Legrand ? Bienvenue dans le monde débridé de la créativité ! Et dans un univers bien plus sérieux qu'il n'y pa- raît. Les méthodes destinées à booster l'imagination ont souvent l'air extra- vagantes, mais elles ne sont pas réser- vées aux stars du design ou aux petits génies de la pub. Au contraire, le sujet concerne tout le monde : responsable marketing d'un grand groupe, mana- ger d'une équipe de caristes dans un «hub» logistique, patron de SSII... Tout cadre doit avoir des idées pour améliorer ses produits ou son organi- sation et, pour finir, ses résultats. «C'est du manque de créativité que meurt l'entreprise, explique Brice Chal- lamel, créateur d'Act One, cabinet spé- cialisé dans l'innovation. Seules survi- vent celles qui savent se réinventer en permanence.» En période de crise, l'in- novation est plus que jamais le nerf de la guerre économique... et même un enjeu stratégique, à l'heure où la capacité d'invention de nos entreprises n'est pas au mieux : le nombre de brevets dépo- sés à l'Inpi baisse régulièrement (17 351 en 2000, 16 858 en 2003). «Ayez des idées ! Soyez inventif !» vous n'échapperez donc pas à ces mots d'ordre. Pour mesurer votre capacité à relever le défi, frottez-vous à notre test de la page 56. Vos résultats sont un peu décevants ? Pas de panique ! L'imagination, ça se travaille. Bien sûr. pour trouver de nouveaux concepts et bousculer les marchés, il ne suffit pas de s'y coller le mardi, entre midi et deux, et d'appuyer sur un bouton... Le processus créatif est complexe. L'al- chimie qui donne naissance à une nou- velle idée, subtile. Les scientifiques n'en connaissent d'ailleurs pas tous les secrets (lire l'interview page 39). Habituez votre cerveau à raisonner différemment Mais, et c'est la bonne nouvelle de ce dossier, tout le monde peut améliorer sa capacité à phosphorer. En quelques exercices simples (lire page 54), vous obligerez votre cerveau à renoncer à ses raisonnements habituels. Ces méthodes sont utiles quel que soit votre job : c'est souvent comme cela que s'entraînent les dirigeants très innovants. A partir de là. ils peuvent mettre en oeuvre des techniques plus sophistiquées. Dix grands managers ont ainsi accepté de nous révéler leurs ficel- les. Des patrons dont l'inventivité n'est plus a démontrer. Philippe Jof- fard, PDG de Lafuma. Roland Mo- reno et Philippe Starck, que l'on •• Dossier coordonné par Charles-Emmanuel Haquet, avec Julien Bouyssou. Morgane Miel, Léo Pajon et Clémentine Hugot EN COUVERTURE 36 Management Janvier 2005

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Comment êtreElle est devenue un enjeu majeur de la batailleque se livrent toutes les entreprises. Si la créati-vité ne se commande pas, elle peut s'organiser.Vingt pages de conseils pour déborder d'idées.

Pourquoi des hommespeints en bleu ont-ilsun jour défilé à moitiénus dans les couloirsdes 3 Suisses ? Quelest le rapport entreune manivelle et lelancement d'un nou-

veau parfum ? En quoi une citrouillepeut-elle accroître la productivité deLegrand ? Bienvenue dans le mondedébridé de la créativité ! Et dans ununivers bien plus sérieux qu'il n'y pa-raît. Les méthodes destinées à boosterl'imagination ont souvent l'air extra-vagantes, mais elles ne sont pas réser-vées aux stars du design ou aux petitsgénies de la pub. Au contraire, le sujetconcerne tout le monde : responsablemarketing d'un grand groupe, mana-ger d'une équipe de caristes dans un«hub» logistique, patron de SSII...Tout cadre doit avoir des idées pouraméliorer ses produits ou son organi-sation et, pour finir, ses résultats.

«C'est du manque de créativité quemeurt l'entreprise, explique Brice Chal-lamel, créateur d'Act One, cabinet spé-cialisé dans l'innovation. Seules survi-vent celles qui savent se réinventer enpermanence.» En période de crise, l'in-novation est plus que jamais le nerf dela guerre économique... et même unenjeu stratégique, à l'heure où la capacitéd'invention de nos entreprises n'est pasau mieux : le nombre de brevets dépo-sés à l'Inpi baisse régulièrement (17 351en 2000, 16 858 en 2003).

«Ayez des idées ! Soyez inventif !»vous n'échapperez donc pas à ces motsd'ordre. Pour mesurer votre capacitéà relever le défi, frottez-vous à notretest de la page 56. Vos résultats sontun peu décevants ? Pas de panique !L'imagination, ça se travaille. Bien sûr.pour trouver de nouveaux concepts etbousculer les marchés, il ne suffit pasde s'y coller le mardi, entre midi etdeux, et d'appuyer sur un bouton...Le processus créatif est complexe. L'al-chimie qui donne naissance à une nou-velle idée, subtile. Les scientifiquesn'en connaissent d'ailleurs pas tous lessecrets (lire l'interview page 39).

Habituez votre cerveauà raisonner différemmentMais, et c'est la bonne nouvelle de cedossier, tout le monde peut améliorersa capacité à phosphorer. En quelquesexercices simples (lire page 54), vousobligerez votre cerveau à renoncer àses raisonnements habituels. Cesméthodes sont utiles quel que soitvotre job : c'est souvent commecela que s'entraînent les dirigeantstrès innovants. A partir de là. ilspeuvent mettre en œuvre destechniques plus sophistiquées.Dix grands managers ont ainsiaccepté de nous révéler leurs ficel-les. Des patrons dont l'inventivitén'est plus a démontrer. Philippe Jof-fard, PDG de Lafuma. Roland Mo-reno et Philippe Starck, que l'on ••

Dossier coordonné par Charles-Emmanuel Haquet,avec Julien Bouyssou. Morgane Miel, Léo Pajon et Clémentine Hugot

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plus créatifJames Dyson,le génial inven-teur de l'aspi-rateur sans sac,est un créatifinspiré par lavie quotidienneet ses objets.

P. 42 Les secretsdes managersMais où trouvent-ilsleurs idées ? Des patronslivrent leurs sources.

P. 48 Les pratiquesdes entreprisesL'Oréal, Urgo, Heineken...Comment les boîtes st i -mulent leurs salariés.

P. 54 Les exercicesà faire soi-mêmeUne gymnastique s im-ple et efficace pour revi-vifier ses neurones.

P. 56 Le testInhibé ? Survolté ? 40questions pour mesurervotre puissance créative.

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Sommaire

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EN COUVERTURE COMMENT ÊTRE PLUS CRÉATIF

Chez Aubade,leçon numéro 1 :savoir écouter sescollaborateurs•• ne présente plus... Tous utilisentdes techniques affûtées - et très per-sonnelles - pour réinventer leur busi-ness en permanence. Citons encoreAnn-Charlotte Pasquier. Leçon nu-méro 1, pour la dirigeante d'Aubade :savoir écouter et mettre en confianceses collaborateurs. Facile à dire... En-core faut-il instaurer un climat propice.Notre «boîte à outils» (page 52) vousy aidera. Les méthodes présentéesvous permettront de faire remonter unmaximum d'idées de vos équipes. Làencore, chacun peut se les appropriersans effort. Nul besoin, par exemple,de suivre une formation pour appli-quer l'efficace et ludique technique du«brainwriting». Quelle que soit la re-cette, le principe est le même, expliqueGuy Aznar, l'un des gourous françaisde la créativité : «Ne jamais tuer uneidée dans l'œuf sous prétexte qu'elleest encore floue. La laisser vivre, sansse laisser tenter par la critique...»

Heineken s'est donné sixmois pour se réinventer

SEPT PRODUITS GENIAUX NES

Par leur charisme, leur curiosité, nosdix top managers savent entretenircette énergie inventive. Mais tout lemonde n'a pas l'audace d'un JamesDyson, l'un des rares industriels àavoir décrété son entreprise «cravatanon grata». Accusant l'attribut vestimen-taire préféré des cadres d'étranglertoute velléité créative...

Etre un patron créatif, c'est bien.Mais tous les Steve Jobs du monde nepourraient rien faire sans leurs troupes.Derrière le leader, c'est l'entreprise aucomplet qui doit allumer cette fameuseflamme inventive. Certaines ont misen œuvre des organisations exemplai-res. Vous en découvrirez dix, de la TPEde quatre salariés à la multinationale,choisies pour l'authenticité de leursdémarches (page 48). Certaines surfentsur la vague de «l'innovation partici-

L'ARBRE MAGIQUEDes milliers de randon-neurs s'étaient prome-nés comme lui dans lessapins. Mais Julius Sa-mann, chimiste, réflé-chissait à l'élaborationde nouvelles fragran-ces. Résultat : le célè-bre petit sapin désodo-risant qu'on suspendau bout du rétroviseur.

LE FASTSKINEfficace, la recherchepar analogie ! Pour met-tre au point son derniermaillot de bain hydro-dynamique, Speedos'est inspiré des den-ticules qui hérissentla peau du requin.

LE SCOTCH-BRITED'où vient la fameusepellicule verte qui ré-cure ? D'une idée, lan-cée par un ingénieurde 3M : transposer unetechnique industrielled'abrasifs (type papierde verre), que le grou-pe commercialisait déjàauprès des garagistes.

LE TIPP-EX

La formule magique duTipp-Ex ? Une secrétaireallemande agacée parles fautes de frappe,une passion pour la

peinture et l'aide d'unchimiste. Une bandede papier enduite depeinture blanche a ser-vi de point de départ.

LE TETRA PAKC'est en regardant safemme remplir desboyaux de chair à sau-cisse que le Dr Rausinga inventé ce mode deconditionnement

LE VELCROla nature fait parfoisbien les choses. En ar-rachant les coquilles dechardon retenues surses vêtements, Georgesde Mestral a eu l'idéede reproduire les cro-chets de la plante surune surface de velours.La bande Velcro étaitnée. L'idée partiramême sur la Lune...

LES LINGETTESC'est en voyant uninfirmier nettoyer lesol avec un tissu fixéau bout d'un balaiqu'un ingénieur dela société japonaiseKao a eu l'idée decréer la lingette asep-tisée. Un concept re-pris notamment parProcter & Gamble pourses lingettes Swiffer.

pative», telles Urgo ou Solvay : chacunest invité à apporter sa pierre - ou plu-tôt son Post-it - à l'édifice. D'autresmisent sur des cocktails plus originaux,comme Sofrapain, fabricant de painscongelés, qui mêle shiatsu et techni-ques de rêve éveillé. Plus rares, les«commandos créatifs» façon BrasseriesHeineken : quatre groupes de travailsont chargés de «réinventer l'entre-prise». Six mois de gamberge qui s'achè-veront, en mai prochain, par un grandoral devant le comité de direction !

Qu'ils sollicitent l'ensemble des col-laborateurs ou quelques heureux élus,ces programmes respectent tous une

règle d'airain : il faut que l'innovationsoit réellement voulue par les direc-tions générales. Dirigeant de KaosConsulting, société de conseil en in-novation, Ivan Gavriloff sent souventchez ses clients une réticence à l'idéed'organiser des remue-méninges eninterne... «L'émergence de nouvellesidées perturbe l'organisation, com-mente-t-il. D'abord, les trouvaillesvont avoir des implications commer-ciales, logistiques et financières. En-suite, elles risquent de bouleverser leshabitudes. Tout cela fait peur. » Pourcomprendre cette défiance, un petitretour en arrière s'impose. Années

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PRESQUE PAR ACCIDENT

soixante-dix, les «kids de la créativité»débarquent dans les entreprises fran-çaises, bardés d'outils redoutables : lebrainstorming, inventé par un certainOsborn, ou encore le CPS («CreativeProblem Solving»), une méthode derésolution de problèmes. Les deux sui-vent un processus identique. D'abord,on encourage les participants à sortirdu cadre. C'est la phase de «diver-gence» : on s'évade pour trouver desidées nouvelles, même fantaisistes. En-suite, on les retranspose dans la réalité.«A cette époque, dans les séminaires,on savait très bien "diverger", raconteOlwen Wolfe, consultante américaine

installée en France. Mais on oubliaitsouvent de "converger" après...» Lesfinanciers, qui prennent le pouvoirdans les états-majors dans les années1980, s'en sont chargés, mettant fin àcette période débridée. Mais il flottetoujours, dans l'inconscient des diri-geants, une défiance vis-à-vis de cestechniques créatives, bien qu'ellesaient beaucoup évolué depuis.

L'imagination serait-elle donc en-core, dans les entreprises françaises,la «folle du logis», pour reprendre l'ex-pression du philosophe Malebranche ?Michel Marchisseau, ingénieur chezValeo, et Guillaume Roland, chef deprojet chez Peugeot, ne sont pas loinde le penser (lire page 40). Pour cesGéo Trouvetou. l'entreprise tolère l'in-novation... jusqu'à un certain point !

Attention aux idées gadgetsdéconnectées de la réalité !Tout est évidemment question de cul-ture. «Avant d'intervenir chez unclient, je m'assure que l'organisationest suffisamment souple pour que lesidées aient une chance d'y circuler,note Martine Compagnon, consultanteen créativité. Ce qui n'est pas toujoursle cas. Parfois, le manager n'a aucunpouvoir. La petite bulle de créativitéque nous allons insuffler dans son ser-vice ne pourra pas grandir, elle seraenkystée dans l'organisation. Ça nesert donc pas à grand-chose...»

Sociologue au Cnam, Marc Gigetconnait bien ce syndrome. «J'en ai vubeaucoup, des "dream team" nom-mées en grande pompe par la direc-tion générale avant d'être placardiséesdans des Algeco, à côté du parking.Ils rendent des préconisations décon-nectées de la réalité, que des consul-tants en conduite du changementpayés une fortune mettront deux ansà appliquer en interne.» Pour ce cher-cheur, qui dirige aussi un cabinet d'in-novation, Euroconsult, une idée nevaut que parce qu'elle est portée etdéfendue par son promoteur. Et c'estbien là la difficulté. Car il faut que lesalarié ait envie de sortir du bois.«Pourquoi la donnerait-il à son chefde service, alors que ce dernier vapeut-être se l'approprier ou, pis, latourner en dérision ? Regardez ••

«Une alchimie qui mo-bilise diverses qualités»

odd Lubart, professeur en psycholo-gie à l'unîvenité de Paris V-Descartes

et auteur de «Psychologie de la créati-vité» (Armand Colin), fait le point surcette «science humaine» récente.

MANAGEMENT : Où en est-ondes recherches sur la créativité ?

TODD LUBART : C'est un champ d'in-vestigation très jeune ! Les premiers tra-vaux datent des années cinquante. Leprocessus créatif est encore mal connu.Quand faut-il évaluer la pertinenced'une idée ? A sa naissance ? Lorsqu'elleest aboutie ? J'ai un jour demandé a unecentaine d'étudiants de «raconter unehistoire». Les plus créatifs étaient ceuxqui changeaient de direction dès qu'ilssentaient que leur idée s'essoufflait.

MANAGEMENT : Dans les sémi-naires, on recommande pourtantde différer le jugement !

TODD LUBART : Ce qui prouve bienqu'il faut prendre de la distance avecces techniques. Non qu'elles soientmauvaises, mais elles restent très em-piriques. Et surtout, elles ne sollicitentque certains aspects de la créativité. Lebrainstorming, par exemple, stimulela pensée divergente. D'autres techni-ques font plutôt travailler l'analogie.A mon sens, il n'existe pas de méthoded'entraînement universelle.

MANAGEMENT : Finalement,c'est quoi, être créatif?

TODD LUBART : C'est une alchimiesubtile, qui mobilise plusieurs qualités :persévérance, motivation, capacité àprendre des risques...Sans oublier l'envi-ronnement social etle temps dont ondispose pour inno-ver. Les émotionssemblent aussi jouerun rôle clé. Nous me-nons des expéri-mentationsdans cettedirection.

ToddLubart

enseigneà Paris-V.

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Une enveloppe de500 euros pourles cadres prolifi-ques de Renault•• Microsoft : chaque année, auxEtais-Unis, plusieurs centaines de ca-dres démissionnent pour monter leurpropre boite. C'est la preuve qu'ils ontgardé les bonnes idées pour eux... »

La solution ? Donner une visionclaire de sa stratégie à ses troupes et«ne pas oublier de valoriser l'initiativede chacun», recommande Antoine Hé-ron, chef du service initiative et créa-tivité chez Renault. Tous les ans, cecadre rattaché à la DRH orchestre la«fête des idées», qui récompense lescent meilleurs innovateurs maison.Des diplômes sont remis aux lauréats,personnellement félicités par LouisSchweitzer... qui n'oublie pas, au pas-sage, de les récompenser en leur glis-sant quelques espèces sonnantes ettrébuchantes : 500 euros annuels pourles contributeurs les plus prolifiques.

Des grandes écoles ont mis lacréativité à leur programmeFaut-il toujours mettre la main au por-tefeuille ? Il y a débat. Certains diri-geants s'y refusent, arguant que lessalariés doivent se sentir fiers de bâtirl'entreprise de demain... et que c'estd'ailleurs l'une de leurs missions.Thierry Rogeon, DRH des BrasseriesHeineken, a exclu d'emblée l'attribu-tion de primes, car «l'objectif n'est pasde valoriser les salariés, mais d'initierune démarche d'implication solidaire».A l'inverse, les dirigeants de Cezus,petite filiale de Framatome, n'hésitentpas à envoyer des catalogues de ca-deaux au domicile des opérateurs,pour que leurs rejetons les poussent àse bousculer un peu les neurones. Ala clé, un appareil photo numérique...ou une tondeuse ultraperfectionnée(page 49). Allez papa, au boulot !

Récompenser la créativité, trèsbien. Mais ceux qui n'aiment pas dis-tribuer les carottes peuvent leur pre-

Les Géo Trouvetou brimés dans leurs entreprises...

Minuit passé. Dans lesecret de son «ga-

rage», une chambrette oùsont affichés quelquesdessins techniques, Mi-chel Marchisseau fignolele croquis d'un moteurrévolutionnaire, peugourmand en carburant,dont le prototype a déjàreçu le prix du troisièmemillénaire au concoursLépine. Ce même hommese rendra le lendemainmatin chez Valeo et rede-viendra le chef de projetconsciencieux - et pastrop créatif - qu'on luidemande d'être. Ingé-nieur ordonné le jour etinventeur débridé lanuit : Michel Marchisseauassume d'autant mieuxsa schizophrénie qu'iltient à garder son poste...«L'inventivité n'est pas laqualité qu'on recherchele plus chez un manager,estime-t-il. D'abord, il ya le risque de passer pourun savant fou. On peutaussi estimer que vous

êtes un solitaire qui n'apas les épaules pour gérerune équipe.» GuillaumeRoland, inventeur d'unchariot multitransport(à mi-chemin entre labrouette et le diable),tient le même discours.Entré depuis peu commechef de projet chez Peu-geot, il évite de faire despropositions trop auda-cieuses : il s'est renducompte qu'on le laissaitêtre inventif... tant que

ses inventions restaientsans suite. «Si les innova-tions que vous proposezne révolutionnent pas laboîte, pas de problème,mais dès que vous nagezà contre-courant, vousfaites peur à la hiérar-chie.» Le salut pour cescadres hors norme ? Créerleur propre structure. C'estl'avis de Michel Marchis-seau, qui aimerait êtreson propre patron d'icitrois à cinq ans.

Inventeur d'un moteur révolutionnaire chez lui, Mi-chel Marchisseau est un ingénieur sage chez Valeo.

férer... le bâton. «Certains DRH in-troduisent désormais ce critère dansl'évaluation de leurs cadres, opineJean-François Maréchal, consultant.Le candidat sait-il sortir des sentiersbattus ? Prend-il des risques ? Hésite-t-il à remettre en question ses métho-des de travail en vue de les amélio-rer ?» Gare aux cols blancs quimanquent d'inspiration ! «Un com-mercial, même dans un secteur trèstechnique, doit aujourd'hui être créa-tif, rapporte Claire Lecomte, consul-tante chez Humblot-Grant Alexander.Car on ne lui demandera plus uni-quement de vendre son produit, maisaussi du service après-vente, de laformation, du financement... Pourchacun de ses clients, il devra êtresuffisamment imaginatif afin de bâtirune solution sur mesure.»

Certaines grandes écoles ont senti latendance. L'ESC Amiens a, par exem-ple, introduit la créativité dans sa po-litique pédagogique. En première an-née, les étudiants travaillent, durantune semaine, avec des artistes (plasti-ciens, enlumineurs) pour s'ouvrir l'es-prit. En deuxième année, ils peuventopter pour un programme completcomprenant des exercices de sophro-logie et l'élaboration d'affiches sur lethème de «l'imaginaire au travail».«Nous voulons les mettre dans une lo-gique de questionnement, expliqueRoger Davis, directeur délégué del'établissement. Ils doivent savoirabandonner leurs certitudes, se remet-tre constamment en question.» Desqualités susceptibles en effet de leurservir dans leur carrière... •

Charles-Emmanuel Haquet

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entreprisesqui savent se

creuser la têteDe Renault à Urgo en passant par L'Oréal, la créativité est

de plus en plus organisée. Relaxation, travail en groupe, paneld'experts... Dix sociétés nous ont dévoilé leurs recettes.

Depuis un an et demi, lesméninges carburent durà la Société générale. Labanque a en effet lancéun vaste projet, destiné a

aiguillonner la créativité de ses 80 000salariés. «Nous avons déjà récolté plusde 400 idées, assure VéroniqueChance-Fournier, directrice de l'inno-vation, lit les employés en back-office,d'habitude plutôt réservés, s'impli-quent autant que les commerciaux.»

«L'imagination au pouvoir !» Le slo-gan fait des adeptes dans les entrepri-ses. Il faut dire que celles-ci y trouventleur compte. Chez Renault, le pro-gramme d'innovation participative misen place dans les usines rapporterait,selon le constructeur, 1 000 euros paran et par salarié, «Les entreprises ontcompris que, pour être efficaces, cespolitiques devaient être développéessur le long terme», poursuit DidierBardin, directeur d'Egide Développe-ment et consultant spécialisé en créa-tivité. A Intermarché, les 35 salariésinvités à gamberger sur le nouveauprogramme de promotions du distri-buteur ne se limitent pas à desbrainstormings ponctuels. «Ilsnourrissent la boîte à idéesrégulièrement, via un siteinternet créé à cet effet»,explique Brice Challa-mel, directeur d'ActOne chargé du pro-jet. En tout cas, finila frilosité ! De la

sophrologie au rêve éveillé, les dix so-ciétés sélectionnées par Managementrivalisent d'originalité. Pour récolter lesidées, le mieux est de miser sur la dé-tente, comme chez le glacier américainBen et Jerry's, où un commando bap-tisé Joy Gang se charge d'instiller de labonne humeur dans les rangs. «La créa-tivité est un jeu, dont on doit d'ailleursrespecter les règles», résume BriceChallamel. Notamment celle de la ré-compense, en cas d'idée géniale. Surce point, à chacun sa religion ; primes,cadeaux ou... simple remerciement.Une promotion contre une innovation,une idée pleine d'avenir ? J. B.

Le brasseur fait vibrer lafibre artistique de ses cadresQuel est le rapport entre une bonnemousse et un tableau de Picasso ? «Ilest tout trouvé, sourit Thierry Rogeon,DRH des Brasseries Heineken enFrance. Nous voulions faire planchernos cadres sur notre avenir de bras-seur. Mais pour dénicher de nouvellesidées, il fallait casser les habitudes.Nous nous sommes tous retrouvésdans un musée d'art moderne, devantles toiles du maître andalou...» Trèsvite, les 50 «piliers» choisis par la di-

rection généralepour réinventerHeineken se ren-dent compte que ce«séminaire créatif»

n'a rien de récréatif. Objectif : tra-vailler en atelier sur des problémati-ques marketing et commerciales.Exemple : comment rendre plus at-tractif le rayon bières des grandes sur-faces ? «Prenez des feutres et dessinez-moi le linéaire idéal», demande l'undes consultants en créativité qui ani-ment la séance. Les cols blancs de Hei-neken esquissent quelques lignes, puiss'enhardissent. Un trait jaune jaillitd'une feuille. «C'est une lumière,chaude, qui donne envie aux clientsd'aller dans le rayon», explique sonauteur. Un autre dessine un espace

Les cols blancsde Heineken

sont invitésà dessinerleurs projets.

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circulaire, très coloré. «Il faudraitcréer un espace clos, avec des ateliersde dégustation qui montrent toutes lessubtilités de la bière, ses différentsgoûts.» Très vite, la séance s'emballe.On évoque «la présence d'un caviste,comme au rayon vins», on veut fairegoûter le houblon aux consomma-teurs, faire intervenir des clowns, desmoines, ouvrir des fontaines à bière,décorer le rayon avec des vitraux, desbranches de châtaignier...

Que deviendront ces idées ? Il y atrois ans, les Brasseries Heinekenavaient créé des groupes transversaux,

Chez Cezus, proposerune idée rapporte despoints qui donnentdroit à un cadeau.

chargés de travailler sur des thémati-ques stratégiques (concurrence, impactdes nouvelles technologies sur le busi-ness). Mais les urgences du quotidienavaient eu raison de ces belles inten-tions. Cette fois, ce sera différent, foide brasseur. «Nous avons proposé auxparticipants d'aller plus loin, expliqueThierry Rogeon. De véritables plansd'action ont été bâtis, avec budget, dé-lais... Régulièrement, les équipes seréunissent pour faire vivre les idées es-quissées lors du séminaire. Sont-ellesrétribuées ? «Non, répond le DRH.L'objectif, c'est d'insuffler un vent de

changement dans l'entreprise. Ce n'estpas la rémunération qui motive les par-ticipants, mais la fierté de participer acette révolution douce.» Remise descopies en mai prochain, devant le co-mité de direction au grand complet. Ilva falloir gérer la pression. C.-E. H.

Des scénarios catastrophesfont émerger les idéesUn bon café, des croissants et quel-ques feuilles de papier, rien de tel pourréveiller son imagination qu'un petitdéjeuner créatif version Bouygues Télé-com ! L'initiative, lancée en mai der-nier, revient au service innovation dugroupe - quatre personnes rattachéesà la direction stratégique. L'idée ? Ras-sembler chaque mois une dizaine desalariés de l'entreprise sur le thème dumoment. «Par exemple, nous avonsrécemment réuni plusieursmembres du service i-mode(voir aussi page 14),raconte EmmanuelleSchmidt, chef de projetinnovation. Il s'agissaitde trouver des idées pour

Les sessionsde créativitécommencentpar un petitdéjeuner.

féminiser cette offre bou-dée par les femmes.» Laméthode utilisée ? Celledu scénario catastro-phe. «On a imaginé cequ'il faudrait inventerpour que les femmesn'aient aucune envie devenir vers l'i-mode - ra-jouter plus de foot, plusde voiture... - puis nousavons pris le contre-pied exact de chaque idée, expliqueEmmanuelle Schmidt. Nous utilisonsaussi d'autres méthodes : analogies,reformulation, etc. (lire l'encadré page52).» Pour participer à ces réunions, ilsuffit d'être volontaire. «Mais nous es-sayons de composer des groupes hé-téroclites en mélangeant les sexes, lesâges et les spécialités», précise-t-elle.Chaque session se termine par la miseau point d'un plan d'action, confié àun porteur de projet. S'il le mène àbien, il pourra même le présenter auForum de l'innovation, organisé cha-que année en interne pour sensibiliserles salariés à la créativité. « L'année ••

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Shiatsu, voyage onirique, brainstorming... Peu importe••dernière, nous avons évoqué unetrouvaille du service informatique :un intranet juridique, qui permetd'éditer rapidement des contrats àdestination des prestataires.» M. M.

Massage et détente pourlibérer les neuronesLes managers de Sofrapain (pains pré-cuits surgelés) auraient adoré ça : voirles huiles de leur comité de direction,les yeux bandés, en train de devinerdes objets en les palpant. Entrée enmatière originale pour une session decréativité hors du commun menée parGéraldine Lemoine, consultante encréativité, chez l'industriel lyonnais.Au programme : sophrologie et mas-sages shiatsu. Visualiser sa respirationen rond ou en carré ou s'aplatir surune chaise de massage, quel rapportavec la créativité ? «Se détendre per-

met aux neuronesde fonctionner pluslibrement», assurela consul tante .Quelques heuresplus lard, les mê-mes dirigeants quil'écoutaient avecsuspicion ont laisséaller leur imagina-tion sur une fres-que, pinceau à lamain, au rythme du«Boléro» de Ravel.«Je voulais leur

montrer l'importance des sensationsdans l'émergence de nouvelles idées»,conclut la consultante. Apparemment,elle a convaincu : des séances de créa-tivité devraient être organisées au seindes équipes. Histoire que chacun mettela main à la pâte. M. M.

Développer sessensations : pasdésagréable... etplutôt efficace.

Des projets sont nés d'unsimple conte de fées« Il était une fois, dans un pays lointain,un savetier qui cultivait des légumes.Un jour, l'homme trouva une magni-fique citrouille dans son potager, d'une

taille et d'un poids exceptionnels. Ilcourut l'offrir au roi, dont il connaissaitle goût pour le cucurbitacée. "Fort bien,lui dit le souverain, sers-moi la mêmetous les matins ou je te coupe la tête !"»C'est en ces termes déroutants que laconsultante Martine Compagnon s'estadressée à la quinzaine d'ingénieurset de techniciens du bureau d'étudesdu fabricant de matériel électrique Le-grand. « Ces experts ont surtout affaireà des clients internes, précise-t-elle. Ilsdoivent leur fournir des solutions dansles plus courts délais. L'année dernière,ils avaient réalisé de bons scores. Du

coup, la direction générale leur a as-signé un objectif ambitieux : repro-duire ce tour de force... tous les ans !»Pour libérer leur créativité, la consul-tante les emmène dans un univers oni-rique. Comment le savetier peut-il sesortir de ce guêpier ? En trouvant unsorcier qui fasse grossir les citrouilles ?En demandant au roi ce qu'il aime tantdans ce légume : est-ce son goût, sacouleur ? Au terme de ce «brainstor-ming analogique», on revient sur lessuggestions. Certaines, notamment«transformer la reine en citrouille»,sont abandonnées d'emblée. D'autres

Des tables ron-des pour créerdes pansementsChez Urgo, le client s'appelle

Toto ou Lulu. « Dans notrejargon, les Toto critiquent lesidées nouvelles, tandis que lesLulu se signalent par leur imagi-nation débridée » , explique Pa-trick Goudot, directeur de l'inno-vation chez le spécialiste dupansement. Les Lulu clients sontconviés aux séances de créativitéorganisées pour réfléchir aux fu-turs produits, où ils rejoignentles Lulu internes, issus de diffé-rents services. Des infirmières sesont ainsi greffées sur la dernièresession en date pour imaginerles pansements de demain,« Chaque participant s'est pré-senté en choisissant, parmi descartes représentant des objetsou des animaux, celle qui lessymbolisait le mieux. » En unedemi-journée, la réunion a per-mis de dégager 24 propositions.« Elles concernent aussi bien lepackaging des pansements quela composition des produits oules services à leur adjoindre,résume Patrick Goudot. Maisseules cinq à six d'entre ellesseront commercialisées. » J. B.

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le moyen pourvu qu'on ait la solutionfournissent des pistes intéressantes. Lesorcier, c'est le sous-traitant qui feraitgagner un temps précieux. Question-ner le roi, c'est aborder le problèmesous un angle nouveau : plutôt que des'engager sur un délai standard pourtous les clients, pourquoi ne pas négo-cier avec chacun d'eux ? Quelques-unsont peut-être besoin de réponses à dixjours, là où d'autres peuvent se con-tenter de trente ? Ce fourmillementd'idées a débouché sur des mesuresconcrètes. Les temps de cycle ont étéréduits de 30%. «Ce séminaire nous aaussi aidés à mieux nous comprendre,

commente Philippe Rongère, respon-sable du Technocentre de Legrand.Les méthodes, très décalées, ont per-mis à tout le monde de s'exprimer,experts comme chefs de projet. Nousn'y serions pas parvenus dans un sé-minaire traditionnel.» C.-E. H.

De grosses têtes conviées àphosphorer sur un problèmeCe n'est qu'une PME spécialisée enpublicité sur le lieu de vente. Pourtant,ce jour-là, elle a réuni dans ses locauxde la région parisienne une brochettede grosses têtes à faire pâlir un recru-teur professionnel. Diplômés de Poly-

technique, de grandes écoles de com-merce ou titulaires de MBA, ils ont unpoint commun : leur connaissancepointue d'un secteur (téléphonie, cos-métiques...). Tous sont invités parCPRM pour phosphorer sur le posi-tionnement futur de l'entreprise. Pen-dant six heures, les cerveaux vont plan-cher sur le sujet, techniques de créativitéà l'appui, sous la conduite de StéphaneEly, dirigeant du cabinet Elycorp. «J'in-vite souvent des experts aux réunionsde mes clients, indique-t-il. Rien de telpour aboutir à des idées novatrices.»Surtout quand ils viennent gratuite-ment... Leur intérêt ? «Ils se consti-tuent un réseau, confrontent leurs ana-lyses à celles d'autres spécialistes, etbénéficient de nos études sur le mar-ché», souligne Stéphane Ely. A la finde la journée, CPRM est ressorti avecun projet original : développer des so-lutions télécoms pour permettre auconsommateur d'obtenir des infos surun article (prix, options...) en le poin-tant avec son téléphone portable.L'idée est déjà dans les tuyaux. M. M.

Des « innov'acteurs » grandscoordinateurs d'idéesMartial Bardin est un homme aux 600idées par an. Ou du moins, celui parqui elles transitent... Nommé «in-nov'acteur» sur le site lorrain du groupechimique Solvay, ce cadre de 28 ans a

La citrouille de Cendrillon se transfor-mait en carrosse. Chez Legrand, celledu savetier fait naître des idées...

pour mission de coordonner les effortsde créativité de ses collègues. «Commeles dix-sept autres innov'acteurs dugroupe, j'y consacre environ 20% demon temps de travail», explique-t-il.D'abord, il détecte les idées postéespar les collaborateurs sur l'intranet. «Jemets ensuite en relation l'émetteur del'idée, le responsable du service qui vala prendre en charge, ainsi que le"sponsor" qui pourra débloquer lescrédits pour l'appliquer.» Sur le site deDombasle, 50 à 60% des salariés pro-posent régulièrement des idées. Unesoixantaine d'entre elles sont exploi-tées chaque année. J. B.

Une grand-messe permet derecruter les plus innovantsPour un soir, L'Oréal a investi le palaisde Tokyo à Paris. Sur la scène de l'am-phithéâtre, des groupes d'étudiants ve-nus de 35 pays se relaient pour défen-dre leur bébé : leur version marketingdes produits Biotherrn Homme de de-main. Ils rivalisent d'énergie, et pourcause : leur prestation est décryptée parun jury prestigieux, composé, entre au-tres, de Maurice Lévy, PDG de Publi-cis, et du big boss de la maison, Lind-say Owen Jones lui-même. «Brandstorm- c'est le nom de l'événement - est unformidable outil de recrutement, pré-cise Jean-Claude Le Grand, directeurcorporate du recrutement. Il nous per-met d'évaluer le potentiel créatif descandidats face à un cas réel : on n'or-ganise pas le concours Lépine mais unecompétition très concrète de marke-ting !» Chez L'Oréal, on ne badine pasavec l'innovation. «Les finalistes sontissus d'une sélection drastique, natio-nale puis mondiale», souligne ••

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EN COUVERTURE COMMENT ÊTRE PLUS CRÉATIF

Pour trouverdes parfums, desnez pratiquentle rêve éveillé...•• Jean-Claude Le Grand. Autant direque L'Oréal ne laissera pas filer les cinqéquipes finalistes. Mais ceux qui nemontent pas sur le podium n'ont pasperdu leur temps : ils constituent unvivier dans lequel le groupe, à l'échellelocale, pourra puiser. «Brandstormnous permet d'embaucher une soixan-taine de jeunes dans le monde chaqueannée, stagiaires compris.» M. M.

LES CLES D'UNE REUNION CREATIVE

Des senteurs nouvelles issuesd'un voyage imaginaire«Fermez les yeux. Sentez cette odeur.A quoi pensez-vous ? Que ressentez-vous ?» Nous sommes au siège de l'unedes plus grosses industries du parfum :IFF (International Flavors & Fragran-ces). Autour de la table, quelques nez,chargés de moderniser un thème olfac-tif classique, ancien best of de la mai-son. Pour les aider, Colette Chambon,consultante en créativité, utilise le rêveéveillé. Après s'être plongés dans leurssensations, les créateurs doivent récol-ter dans des magazines toutes les ima-ges qui pourraient se rapporter à cevoyage imaginaire, «Nous sommes en2015, sur une île qui vous évoque cetteodeur, continue la consultante. A quoiressemble ce lieu ? Qui sont ses habi-tants ? Quelles matières portent-ils ?»Chacun rédige ainsi un petit carnet devoyage. Au final, cinq d'entre eux se-ront retenus. Cinq concepts, que lesparfumeurs devront ensuite transfor-mer en fragrances. M. M.

Imaginer une île et ses odeurs : unetechnique pour trouver de nouveaux jus.

Une réunion créative,ça ne s'improvise

pas. «Les idées nouvellessont trop souvent casséesen réunion par des phra-ses comme "On l'a déjàfait" ou "Ça ne va pasêtre possible"», expliqueDanielle Guillot, auteurde «Pour des réunionsefficaces et dynamiques»(Puits Fleuri), Suspendreson jugement, travailleren confiance : deux con-ditions indispensables àla créativité. Voici quel-ques techniques éprou-vées pour obtenir le meil-leur de vos troupes. Etn'oubliez pas d'en assu-rer la mise en œuvre parun plan d'action.

• Pour se mettre encondition. Afin de briserla glace en début de réu-nion, demandez à cha-que participant de pio-cher trois mots dans undictionnaire : ils devrontse présenter en les glis-sant dans leur discours.Autre exercice : le télé-phone arabe gestuel.Exécutez un geste. Levoisin de droite doit lereproduire et en ajouterun autre, et ainsi de sui-te. Le symbole ? Uneidée, ça se transmet, çarebondit, ça s'enrichit !Troisième «ice breaker»,qui favorise la cohésiondu groupe : associez unanimal à un outil (parexemple, un canard etun marteau). Donnez unnom à cet «animachine»et imaginez son modede vie (pour se nourrir,

le canard-marteau brisela souche des arbresimmergés, etc.).• Pour reformuler unproblème. C'est la meil-leure façon d'élargir lechamp des réponses. Un

des participants devra en-dosser le rôle du Martiendébarquant de sa planèteet demander à tout boutde champ «Que voulez-vous dire?» jusqu'à ceque l'énoncé du problè-me satisfasse l'assem-blée. Variante : la métho-de du «problème àl'envers». On vous deman-de d'améliorer une offre ?Imaginez ce que vouspourriez faire pour la sa-border. Puis retransfor-mez chaque point négatifen idée positive.• Pour améliorer desproduits existants.Procédez par analogie.Cherchez des exemplesd'entreprises ayant étéconfrontées à des cas si-milaires aux vôtres, dansdes secteurs différents.Comment ont-elles in-nové ? Vos collèguespourront s'inspirer deleurs stratégies. Autretechnique analogique :la métaphore. Si vousdevez améliorer une tas-se, par exemple, imagi-

nez «Et si c'était unefleur ?» (elle pourraits'ouvrir et se refermercomme des pétales...).• Pour créer de nou-veaux concepts. Afinde lever les résistancesà exprimer ses idées enpublic ou de supprimerla peur de se tromper,utilisez le «brainwri-ting». Chacun écrit sonidée sur une feuille etla fait passer à son voi-sin, qui note la sienneà la suite. Entraînés parle groupe, vos collèguesrivaliseront d'imagina-tion ! Pour trouver descréneaux inexplorés,dessinez un tableau(matrice) sur votre pa-per board. Identifiezdeux données clés devotre sujet. En abscisse,par exemple, ses cibles(femmes, enfants...).En ordonnée, les for-mes qu'il pourrait re-vêtir (mousse, crè-me...). Le croisementdes deux vous aidera àtrouver l'inspiration !

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