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ÉMOTIONS, ORGANISATION ET MANAGEMENT : UNE RÉFLEXION CRITIQUE SUR LA NOTION D'INTELLIGENCE ÉMOTIONNELLE Jean-François Chanlat Martin Média | Travailler 2003/1 - n° 9 pages 113 à 132 ISSN 1620-5340 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-travailler-2003-1-page-113.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Chanlat Jean-François, « Émotions, organisation et management : une réflexion critique sur la notion d'intelligence émotionnelle », Travailler, 2003/1 n° 9, p. 113-132. DOI : 10.3917/trav.009.0113 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Martin Média. © Martin Média. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 77.202.107.234 - 19/06/2013 20h31. © Martin Média Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 77.202.107.234 - 19/06/2013 20h31. © Martin Média

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ÉMOTIONS, ORGANISATION ET MANAGEMENT : UNE RÉFLEXIONCRITIQUE SUR LA NOTION D'INTELLIGENCE ÉMOTIONNELLE Jean-François Chanlat Martin Média | Travailler 2003/1 - n° 9pages 113 à 132

ISSN 1620-5340

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-travailler-2003-1-page-113.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Chanlat Jean-François, « Émotions, organisation et management : une réflexion critique sur la notion d'intelligence

émotionnelle »,

Travailler, 2003/1 n° 9, p. 113-132. DOI : 10.3917/trav.009.0113

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Émotions, organisationet management :

une réflexion critique sur la notiond’intelligence émotionnelle

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Résumé. Le monde de la gestion, notamment en Amérique du Nord,s’intéresse de plus en plus aux émotions. Au cours des dix dernièresannées, ce mouvement a tourné très largement autour de la notiond’intelligence émotionnelle. L’objet de cet article est de resituer cettequestion dans le contexte et de montrer combien la notion d’intelli-gence émotionnelle fait l’impasse sur un certain nombre de points etest reliée à la culture américaine. Summary p. 132. Resumen p. 132.

Depuis quelques années, le monde de la gestion, notamment an-glo-saxon, a développé un fort engouement pour les émotions(Raz, 2000 ; Briner, 1999 ; Askhenasy, Zerbe et Hartel, 2000 ;

Fineman, 2002 ; Payne et Cooper, 2001 ; Noon et Blyton, 2002). Cemouvement touche à la fois les entreprises, les cabinets de conseils,les éditeurs, les journaux, les magazines spécialisés, les revues scien-tifiques et professionnelles, les programmes de formation et les écolesde management. Il suffit de procéder à une simple recherche sur Inter-net pour s’en convaincre aisément. On retrouve des centaines de mil-liers d’entrées sous les rubriques : Emotion intelligence and manage-ment, Emotion and organization, Emotion at work, Emotional labour,etc. Dans les autres pays, notamment francophones, il existe égale-ment un mouvement dans ce sens, notamment dans certains pro-grammes de formation en gestion très influencés par la productionaméricaine.

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Cet intérêt considérable pour les émotions n’a pas, à ma connais-sance, jusqu’à présent produit une réflexion critique, notamment en France.Par cet article, j’aimerais modestement y remédier. Car le sujet est d’im-portance pour une revue comme Travailler, dont l’objet est de faire pro-gresser la réflexion sur les rapports psychiques que les humains entretien-nent avec leur travail. Il l’est d’autant plus que ce numéro publie un dossiersur les travaux que poursuivent les sociologues anglo-américains autour desémotions au travail (emotion work), dont les idées sont par ailleurs fort dif-férentes de celles que je vais présenter dans cet article. Notre article se divi-sera de la manière suivante : Dans un premier temps, nous exposerons unbref rappel historique sur la question ; dans un deuxième temps, nous pré-senterons les principales causes et le contexte de cet engouement pour l’in-telligence émotionnelle ; dans un troisième, nous tenterons de présenter leslimites de cette perspective pour conclure sur ce que nous inspire un telmouvement dont les sources sont principalement américaines.

Émotions, organisation et management :un bref rappel historique

De la logique des sentiments des relations humaines à la satisfactionau travail (1930-1990)

Si les chercheurs d’origine anglaise en organisation n’ont pas tou-jours été passionnés par la question des émotions, il reste que le sujet n’estpas nouveau dans le champ. En effet, dès les premiers travaux du courantdes Relations humaines, durant les années trente, le thème des émotions estabordé sous d’autres vocables : sentiments, ambiance, moral, etc. On sesouvient de la logique des sentiments, présentée par Roethlisberger etDickson, dans l’ouvrage le plus célèbre de ce courant (1939 ; 1983), danslequel ils écrivaient : « Il y a un autre système d’idées et de croyances quenous désignerons par la logique des sentiments : ce sont les valeurs qui sesituent au cœur des relations interpersonnelles des différents groupes del’organisation… Cette logique, comme son nom l’indique, est profondé-ment enracinée dans les sentiments et les sensibilités. » Ils ajoutaient unpeu plus loin que cette logique était présente autant chez les employés quechez les cadres. Même si la logique du coût et la logique de l’efficacitéétaient dominantes dans ce que l’on appellerait aujourd’hui le « manage-ment ». Dans ce schéma, la performance des employés était déjà reliée àdes aspects que l’on qualifierait aujourd’hui d’émotionnels. À la mêmeépoque, quelques chercheurs, comme Munsterberg, ont mis aussi l’accent

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sur la joie au travail (1912). Au cours des années quarante et cinquante, lemoral devint un concept très en vogue auprès des psychologues industriels,notamment pour ceux qui travaillaient avec l’armée. Mais, comme le sou-ligne avec raison Fineman, cette notion avait une signification particulière.Elle renvoyait au degré d’attachement et au sentiment d’appartenance so-ciale d’une personne et à son degré d’implication par rapport à la tâche col-lective et à l’esprit de groupe (1996). Dans les années cinquante, des re-cherches dans les organisations et sur les petits groupes, inspirées par laposture psychanalytique, voient le jour à l’institut du Tavistock de Londres(Jaques, 1951 ; Bion, 1956). Ce mouvement aura des répercussions enFrance puisqu’il influencera en partie le courant psychosociologique (Ba-rus-Michel, Enriquez et Lévy, 2002). Contrairement au mouvement de re-cherche actuel sur les émotions qui demeure très largement dicté par unevision de l’acteur conscient, idée sur laquelle nous reviendrons un peu plusloin, ces derniers courants mettront en évidence le rôle de l’inconscientdans la vie sociale.

Des années cinquante aux années soixante-dix, les recherches dansles pays anglo-saxons s’attarderont surtout à la motivation et à la satisfac-tion au travail. Cette dernière en renvoyant à une expérience vécue du tra-vail touche des aspects que l’on relie aux émotions, comme l’amour ou lahaine de son travail. Depuis les années soixante-dix, la recherche dans ledomaine du comportement humain s’est beaucoup orientée vers les aspectscognitifs. L’accent mis sur l’information, la décision, la pensée, la résolu-tion de problème, a rejeté dans l’ombre les aspects affectifs (Chanlat, 1990).Certains ont toutefois tenté de connecter les aspects cognitifs et émotifs etde déterminer le rôle qu’ils tenaient dans les performances de l’organisation(Park, Sims et Motowildo, 1986), car ces chercheurs pensent que les affectsont une influence sur le jugement managérial. Dans ce registre, il faut éga-lement souligner les travaux qui sont développés dans des écoles de gestionsur la question du leadership et qui partent d’une posture psychanalytique.On tente alors de comprendre le comportement du manager et/ou du diri-geant à partir de sa personnalité profonde (Levinson, 1987 ; Zaleznik,1989 ; Kets de Vries, 1984 ; Lapierre, 1994, Amado, 1994), de constater leseffets produits sur la dynamique de l’organisation (Kets de Vries et Miller,1985 ; Schwartz, 1990) ou encore de critiquer la notion même de leadership(Sievers, 1993). Un autre aspect évoqué également par Fineman dans sa ré-cente revue de la littérature sur le sujet : ce sont les travaux qui ont surgi aucours des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix sur les émotions posi-tives. C’est ainsi que d’aucuns s’intéressent au plaisir au travail (Abramis,1987), à la fierté (Frese, 1990), à l’amélioration des conditions physiques de

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travail, à la transformation de la culture ou à l’amélioration des communi-cations (Argyle et Martin, 1991) afin d’instiller un sentiment de joie au tra-vail. Certains vont même à déclarer que l’amour, l’empathie, l’enthou-siasme sont des conditions sine qua non du succès et de l’excellenceorganisationnelle (Peters et Austin, 1985). Mais c’est l’ouvrage de DanielGoleman, psychologue et journaliste au New York Times, intitulé L’Intelli-gence émotionnelle (1995 ;1997) et inspiré de nombreuses recherches enpsychologie, éducation, et neurologie, qui fournira une impulsion extraor-dinaire à ce mouvement contemporain autour des émotions, notammentdans l’univers de la gestion.

De la satisfaction au travail à l’intelligence émotionnelle(1990 à aujourd’hui)

De l’intelligence émotionnelle : rappel de quelques éléments clés

Historiquement, quand les psychologues des pays anglo-saxons sesont intéressés à l’intelligence, ils se sont tournés, comme d’ailleurs leurshomologues d’autres régions du monde, vers les aspects essentiellement co-gnitifs. On met alors l’accent sur la mémoire, les raisonnements logiques, lacapacité d’abstraction, etc. S’il existait des psychologues qui soulevaientl’existence de qualités non intellectuelles, il reste que leur travail n’a guèreretenu d’attention jusqu’au moment où un psychologue américain, Gardner,se mit à écrire sur les différentes formes d’intelligence (1983) et, notam-ment, sur les intelligences intrapersonnelle et interpersonnelle. Selon lui,ces formes étaient aussi importantes que l’intelligence mesurée par le QI.

Dans le domaine de la psychologie organisationnelle, comme le rap-pelle Cherniss dans une récente publication, des travaux émergent dès lesannées quarante (2000). C’est ainsi qu’un certain nombre d’études se sonten effet tournées à l’époque vers le rôle de la considération dans le leader-ship (Hemphill, 1959), ou encore vers celui de la confiance mutuelle, durespect et d’une certaine chaleur affective dans la relation supérieur-subor-donné (Fleishman et Harris, 1962). Au même moment, le bureau des ser-vices stratégiques développait un processus d’évaluation du personnel quiintégrait des aspects cognitifs et non cognitifs. Ce processus déboucha surl’idée d’assesment center, laquelle fut pour la première fois mise en pra-tique dans le secteur privé par AT et T en 1956 (Bray, 1976). De nom-breuses dimensions mesurées par ces centres d’évaluation incluaient déjàdes compétences sociales et affectives (Thornton et Byham, 1982). Maisc’est à Salovey et Mayer que l’on doit, en 1990, l’apparition du vocable« intelligence émotionnelle » qu’ils définissent ainsi :

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« Une forme d’intelligence sociale qui implique l’aptitude à contrô-ler ses propres émotions et celles des autres, à discriminer entre elles et àutiliser cette information pour guider à la fois sa pensée et son action » (Sa-lovey et Mayer, 1990).

C’est à partir de la connaissance de ces travaux et de nombreuxautres menés en neurologie, notamment, que Goleman, un ancien élève deDavid McClelland à Harvard, célèbre dans les écoles de management poursa théorie du besoin de réalisation (1961), livre sa réflexion et popularisedans le monde entier cette notion. Depuis lors, les publications se multi-plient par milliers. Dans le monde de la gestion, la très grande majoritéd’entre elles se penchent, comme on s’en doute, sur les liens que l’on peutétablir entre l’intelligence émotionnelle et les performances de l’organisa-tion. Nous en rappellerons ici les quatre points clés :1) l’intelligence émotionnelle est un bien meilleur indicateur de perfor-

mance future que le QI ;2) l’intelligence émotionnelle est associée au succès personnel ;3) l’intelligence émotionnelle est le résultat d’un processus d’apprentis-

sage ;4) le développement de l’intelligence émotionnelle est un impératif pour

les organisations.

L’intelligence est un bien meilleur indicateur de performance future que le QI

Un grand nombre de travaux sont dévolus à mesurer les perfor-mances respectives des quotients cognitifs et émotionnels. Les résultatsmontrent, selon les chercheurs américains, que le QI est un indicateur peufiable pour ce qui concerne la performance au travail (Sternberg, 1996).Pour citer un exemple, une recherche a été menée auprès de quatre-vingtsPhD en sciences, qui avaient passé dans les années cinquante une batterie detests de personnalité, de QI et des entretiens quand ils étaient étudiants.Quarante ans plus tard, ils furent recherchés et une estimation de leur suc-cès respectif à partir de leur CV fut établie, à partir d’évaluations réaliséespar des collègues, experts dans leur discipline et en puisant dans dessources bibliographiques comme American Men and Women of Science.On a découvert que les aptitudes émotionnelles et sociales étaient quatrefois plus importantes que le QI dans la détermination du succès et du pres-tige professionnel (Feist et Barron, 1996). Si l’on ne niait pas la pertinencedes qualités intellectuelles pour faire des études doctorales, ce qui eût ététotalement absurde, on observait qu’après avoir été admis les facteurs so-ciaux et émotionnels étaient déterminants. Goleman lui-même, dans unarticle publié dans la Harvard Business Review, largement cité, n’hésite

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pas à déclarer : « Quand j’ai calculé les quotients d’aptitudes techniques,d’intelligence et d’intelligence émotionnelle (sur la base de modèles decompétence provenant de 188 entreprises) comme éléments d’une excel-lente performance, l’intelligence émotionnelle était deux fois plus impor-tante que les autres quotients pour n’importe quel emploi, et ce, quel quesoit le niveau […] En outre, mon analyse a montré que l’intelligence émo-tionnelle jouait un rôle croissant dans les échelons plus élevés de l’entre-prise, là où les différences en matière d’habiletés techniques sont d’une im-portance négligeable. » (1998). Dans certains écrits, on affirme même quel’intelligence émotionnelle améliore le fonctionnement cognitif. On faitainsi appel à une recherche largement citée par ce courant, the marshmal-low studies, faite à Stanford, auprès d’enfants de quatre ans à qui il fut de-mandé de rester seuls dans une salle où se trouvait un morceau de gui-mauve et d’attendre le retour du chercheur, en promettant deux guimauvess’ils ne mangeaient pas celui qui était sur la table. On a découvert que, dixans plus tard, ceux qui avaient résisté à la tentation avait un score SAT (testintellectuel) de 210 points plus élevé que ceux qui en avaient été incapables(Shoda, Mischel et Peake, 1990).

L’intelligence émotionnelle est associée au succès personnel

À partir de nombreuses études de psychologie, de psychologie so-ciale et de neuropsychologie, les chercheurs américains ont donc concluque les qualités sociales et émotionnelles jouaient un très grand rôle dansle succès personnel. Il serait fastidieux de citer ici toutes les études de cetype, mais ce qu’elles tendent à montrer, selon eux, c’est que les personnesqui sont capables de contrôler leurs émotions, de faire preuve d’enthou-siasme et d’empathie, connaissent des résultats largement supérieurs entermes professionnels à ceux qui en sont incapables (Cherniss et Goleman,2000). Goleman, toujours dans son article de la HBR (1998), rappelle quel’intelligence émotionnelle est dans une très large mesure (85 %) respon-sable du développement de cadres à haut potentiel, « les stars », en grandleader : « Les études qui comparent parmi les cadres ceux qui ont une per-formance très supérieure à ceux qui ont une performance moyenne mon-trent que les stars présentent un fort besoin de réalisation, prennent beau-coup plus de risques calculés, soutiennent les innovations entreprenantes,fixent des objectifs intéressants à leurs subordonnés, etc. »

L’intelligence émotionnelle est le résultat d’un apprentissage

Face aux critiques qui ont été opposées aux liens supposés entre l’in-telligence émotionnelle et la performance personnelle et professionnelle,

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Goleman (1998) et Mayer, Salovey et Caruso (1998) ont répondu qu’il étaitprobable que l’intelligence émotionnelle ne soit pas en effet un bon indica-teur de performance au travail, mais qu’en revanche les compétences émo-tionnelles étaient de bons indicateurs. C’est pourquoi ils en sont venus àdistinguer l’intelligence émotionnelle des compétences émotionnelles, cesdernières renvoyant aux aptitudes personnelles et sociales qui mènent àune performance supérieure au travail. En effet, Goleman écrit : « La com-pétence émotionnelle est une capacité apprise fondée sur l’intelligenceémotionnelle qui entraîne une performance remarquable au travail. »(2002). Par exemple, l’aptitude à sentir ce qu’une autre personne ressentparticipe, selon lui, au développement d’une compétence spécifiquecomme l’influence. De la même manière, les personnes qui sont capablesde maîtriser leurs émotions pourront plus aisément développer des initia-tives. Goleman propose le schéma suivant :

Un schéma des compétences émotionnelles

SOI AUTRUI

Compétence personnelle Compétence socialeConscience de soi Conscience sociale

Reconnaissance :Prise de conscience de Empathieses émotions Orientation serviceAuto-évaluation pertinente ConscienceConfiance en soi Conscience

OrganisationnelleAutocontrôle Développement d’autruiConfiance InfluenceConsciencieux Communication

Régulation :Adaptabilité Gestion des conflitsInitiative LeadershipRéalisation Catalyseur

Création de liensTravail d’équipeet collaboration

Comme nous pouvons le voir, ce schéma fait apparaître quatregrandes compétences : une compétence liée à la prise de conscience de sespropres émotions, une compétence liée à leur régulation, une compétence

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liée à la prise de conscience d’autrui et une compétence liée à la régula-tion des émotions d’autrui. Chacune de ces quatre compétences est en re-lation avec l’efficacité organisationnelle. En d’autres termes, si l’on estconscient de son état émotionnel, si l’on est capable de bien le réguler, sil’on fait preuve d’empathie envers l’autre et si l’on est capable de régulerles émotions des autres, les performances personnelles et organisation-nelles seront supérieures, voire davantage (Boyatis, 1999 ; Cherniss etGoleman, 2002 ; Goleman, 2002). On peut alors comprendre pourquoi,pour tous ces chercheurs américains, le développement de l’intelligenceémotionnelle est un impératif pour les organisations, qu’elles soient pri-vées, publiques ou sociales.

« En résumé, écrit de nouveau Goleman, les chiffres sont en train denous dire des choses très parlantes à propos du lien qui existe entre la réus-site d’une entreprise et l’intelligence émotionnelle de ses dirigeants. Et, larecherche nous démontre aussi que les gens peuvent, s’ils prennent lesbons moyens, développer leur intelligence émotionnelle. » (1998.)

Le développement de l’intelligence émotionnelle : un impératif pour les or-ganisations

Les organisations étant dépendantes des personnes qui y travaillent,le profil psychologique, notamment émotionnel, de ces personnes ayantune influence sur la dynamique et les résultats de leur organisation, les or-ganisations et leur direction ne peuvent pas ne pas s’en préoccuper. Cet im-pératif est d’autant plus catégorique que le constat semble, selon eux, en-core plus fort lorsque l’on s’intéresse aux profils des dirigeants et descadres, donc au leadership, comme on le qualifie généralement dans l’uni-vers de la gestion (Goleman, 1998). On cite, à cet égard, un sondage récentde la maison Gallup, aux États-Unis, réalisé auprès de deux millions d’em-ployés travaillant dans 700 entreprises, qui montre que la stabilité et la pro-ductivité d’un employé étaient déterminées par la relation qu’il entretenaitavec son supérieur immédiat (Zipkin, 2000). Une autre enquête menée enFloride a montré que les employés qui classaient excellent leur chefn’étaient que 11 % à penser à changer d’emploi alors qu’ils étaient 40 % ày songer lorsqu’ils qualifiaient leur chef de mauvais (Zipkin, 2000). Autre-ment dit, les chefs les plus efficaces sont ceux et celles qui sont à l’écoutede leur personnel, qui sont attentifs à ce qui se passe au travail, qui sont ca-pables de maîtriser leurs émotions, en lesquels leurs employés ontconfiance et avec lesquels ces mêmes employés se sentent bien (Chernisset Goleman, 2002).

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À une époque de changements rapides, dans laquelle innovation,qualité, excellence, service au client, productivité, compétitivité, créationde valeur, riment dans les organisations avec performance et survie, il estd’autant plus vital, nous disent ces chercheurs, de tenir compte du niveaud’intelligence émotionnelle de son personnel. Car cette dernière, par sonimportance dans la construction des résultats d’une organisation, modifiede nombreux aspects qui sont à la base de sa réussite : le recrutement et lafidélité du personnel, le développement des talents, le travail d’équipe,l’implication, le moral et la santé du personnel, l’innovation, la producti-vité, l’efficacité, les ventes, les résultats financiers, la qualité du service, lafidélité des clients, etc. (Spencer, McClelland et Kelner, 1997 ; Cherniss etGoleman, 2002). De tels constats débouchent par ailleurs sur des prescrip-tions en matière d’éducation, de formation professionnelle, d’évaluation,de recrutement et de sélection du personnel ou encore d’enseignement engestion (Cherniss et Goleman, 2002). Développer les compétences socio-affectives des employés et des managers et bâtir des organisations qui met-tent l’accent sur ces compétences, tels sont les leitmotivs de certainessphères du management, de nos jours, aux États-Unis.

La principale cause de cet intérêt considérable envers les émotions :l’épuisement du modèle du gestionnaire rationnel

L’explosion des publications sur des notions d’émotions, d’intelli-gence et/ou de compétence émotionnelle que le champ de la psychologiedes organisations connaît, depuis le début des années quatre-vingt-dix,est attribuable à une cause bien précise : l’épuisement du modèle du ges-tionnaire rationnel et de son postulat de base : l’acteur rationnel. En effet,comme chacun sait, l’expérience des deux derniers siècles, notamment,est caractérisée par un puissant mouvement à l’égard de la raison et de larationalisation du monde (Weber, 1993). Ce mouvement a été particuliè-rement visible dans le domaine de la gestion des organisations depuis letournant du XXe siècle, la majorité des conceptions de l’organisations’étant fondées sur le postulat de l’homme rationnel. Que l’on pense à labureaucratie, à l’organisation scientifique du travail, ou à certainesformes plus modernes du management et à leurs principales techniquesenseignées dans les écoles de gestion, toutes se fondent sur une visiontrès largement, pour ne pas dire exclusivement, cognitive, voire totale-ment abstraite de l’organisation (Mintzberg, 1989 ; Pitcher, 1997). Si l’in-fluence de la conception dominante en économie de l’homo economicusn’y est pas étrangère, il reste que le monde de la gestion a été, et est

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encore aujourd’hui, soouvent très réfractaire aux aspects affectifs (Chan-lat, 1990). L’affectivité est perçue comme une menace potentielle pour laperformance de l’organisation. Il faut donc s’employer à l’évacuer (Enri-quez, 1997). Même dans le cas des études sur la satisfaction au travail,lesquelles ont été influencées par un courant plus humaniste dans le pro-longement du mouvement des Relations humaines lancé dans les annéestrente, on découvre que la satisfaction au travail qui est reliée à des senti-ments comme la joie, l’enthousiasme, le plaisir, le bonheur, l’accomplis-sement, n’a pas été traitée de cette manière. Comme le rappelle encorefort justement Fineman (1996), malgré l’impressionnante littérature surla satisfaction au travail, on reste sur sa faim quant aux aspects affectifsde l’expérience de travail. Il en est de même pour ce qui est de la notionde stress, laquelle est aussi très largement associée à une vision objecti-viste de l’être humain (Chanlat, 1990).

Le mythe de l’acteur rationnel a été ébranlé par deux grandes dé-couvertes. D’une part, la découverte du rôle de la vie psychique et desprocessus inconscients dans le comportement humain et, d’autre part, ladécouverte du caractère inter-relié des aspects cognitifs et affectifs. Lapremière découverte renvoie à tous les travaux d’inspiration psychanaly-tique qui ont montré comment certaines actions, certains comportements,certaines décisions, devenaient compréhensibles lorsque les chercheursfaisaient appel à certains processus inconscients comme les réactions dedéfense, le transfert, etc. Derrière la scène visible, observable, se cacheune autre scène tout aussi importante, laquelle est tout aussi fondamen-tale pour appréhender ce qui se passe dans une organisation (Enriquez,1997). La seconde repose sur un grand de nombre de travaux qui mon-trent que le dualisme émotion-cognition ne tient pas. Dans une organisa-tion, la fixation des buts, la sélection et l’utilisation de l’information, lesdécisions sont étroitement liées à des jugements et des sentiments per-sonnels où la colère, la joie, la peur, la honte, tiennent souvent un rôleprépondérant. Autrement dit, ce que nous décrivons comme rationnel estbien souvent émotif (Kemper, 1993). Il nous suffit de penser à la récenteexaltation des marchés, dénoncée par Alan Greenspan, le directeur de laBanque centrale américaine, ou encore à certains comportements de diri-geants d’entreprise pour s’en convaincre aisément (Lapierre, 1994 ; Ketsde Vries, 2002 ; Frost, 2003). Au cours des dernières années, cette idées’est vu renforcée par les travaux de neurologie et notamment, par ceuxde Damasio, qui montrent la nécessité que tout individu a de mobilisercertaines zones affectives de son cerveau pour accomplir des actions lo-giques (1995, 2002).

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Par ailleurs, le contexte socio-économique des vingt dernières an-nées n’est pas non plus étranger à cet intérêt pour l’intelligence émotion-nelle. En effet, le développement d’une économie majoritairement de ser-vices a eu pour conséquence de multiplier les emplois en relation avec desclients et des usagers dans de nombreux secteurs (services financiers, in-dustrie du voyage et du tourisme, distribution, communication, servicespublics, hôtellerie et restauration, etc.). L’affirmation de la primauté duclient dans le discours gestionnaire a mis sur le devant de la scène, encoreplus qu’auparavant, l’importance de la relation commerciale, et ce, dansun contexte qui cherche à réduire le temps d’attente et valorise par-dessustout la clientèle. Comme les travaux présentés dans le dossier de ce nu-méro le suggèrent, cela a conduit des chercheurs à analyser la manièredont les travailleurs et les employés maîtrisent cette composante émotivede leur rôle professionnel, notamment, lorsqu’ils doivent masquer leurssentiments réels. Ce qui, dans certains cas, peut aboutir à des dispositifstrès précis d’expression (Hochschild, 1983 ;Van Maanen et Kunda, 1989).Il n’est pas non plus neutre de savoir que la plupart de ces emplois sont dé-tenus par des femmes et qu’ils ont généralement un faible statut (Noon etBlyton, 2002). Le contexte culturel est également un élément qu’il faut as-similer. En effet, au cours des vingt dernières années, on a vu se dévelop-per aux États-Unis, entre autres, un mouvement New Age qui a insisté surle rôle des émotions dans la conscience de soi et plus généralement surune tyrannie de l’intimité pour parler comme Sennett. C’est dans cecontexte social-historique qu’il faut aborder la popularité que connaît au-jourd’hui le thème de l’intelligence émotionnelle, plus particulièrement engestion.

Des émotions au travail à la gestion des émotions :retour sur les publications concernant l’intelligence émotionnelle

Que le travail soit un lieu d’investissement affectif et que les organi-sations soient des cadres dans lesquels des émotions s’expriment quoti-diennement à tous les niveaux, personne, à part quelques esprits hyperra-tionnels, ne peut en effet le contester (Thévenet, 1999). Que cette recon-naissance soit prise en compte par le management dans l’établissement deses pratiques de gestion afin de rendre son personnel plus heureux, per-sonne ne peut là encore s’y opposer. En revanche, il nous semble que la no-tion d’intelligence émotionnelle, telle qu’elle est formulée actuellementdans ses grandes lignes et en dépit des bonnes intentions souvent affichéespar ces promoteurs, peut être l’objet de plusieurs critiques.

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Ces critiques touchent le caractère, tour à tour asocial, apolitique,apsychique, aculturel et aéthique des idées présentées.

Des relations sociales décontextualisées

Le monde humain est un univers social qui met en jeu des rapports so-ciaux de tous types (sexuels, professionnels, ethniques, d’âge, etc.). Ces rap-ports sont à la fois constitutifs de la vie sociale et produits par les interactionsquotidiennes. Si les rapports affectifs sont une partie intégrante de ces rap-ports sociaux, ils ne peuvent pas en revanche se substituer totalement à eux.Or, lorsque l’on lit ces publications sur l’intelligence émotionnelle, mêmecelles qui l’associent à la performance de l’organisation, on est frappé parl’accent que mettent les auteurs sur les qualités individuelles, voire interper-sonnelles ou sociales, sans renvoyer au contexte social réel dans lequel semeut la relation. On a l’impression qu’il suffit que le patron, le supérieur im-médiat ou l’employé de base soient dotés de bonnes aptitudes relationnellespour que tout se passe bien. Comme nous le rappelle Goleman, si nous avonsaffaire à des leaders visionnaires, « ils peuvent articuler et susciter de l’en-thousiasme autour d’une vision et d’une mission partagées, aller plus loinquand c’est nécessaire, guider la performance des autres tout en les tenantpour responsables de ce qu’ils font et diriger par l’exemple » (2002). Autre-ment dit, « les émotions sont contagieuses, notamment lorsqu’elles sont ex-primées au plus haut niveau et les leaders qui connaissent énormément desuccès distillent un haut niveau d’énergie positive qui se diffusent à traverstoute l’organisation. Plus le style du leader est positif, plus les membres dugroupe sont positifs, prévenants et coopératifs ». Or, si les dirigeants ont unrôle important à jouer dans la dynamique sociale de l’organisation, si le cha-risme d’un responsable n’est pas sans effet dans l’activité de tous les jours, ilreste que nous savons que la réalité est toujours un peu plus complexe, quetoute organisation est divisée fonctionnellement et hiérarchiquement et quecette division n’est pas sans modifier les relations et les identités au travail(Sainsaulieu, 1977 ; Dubar, 2000), voire la santé mentale et physique (De-jours, 1993, 1998). En d’autres termes, que considérer la relation affectivesous l’angle uniquement des qualités de la personne du dirigeant ou du ma-nager n’est pas suffisant pour rendre compte de ce qui se joue sur le plan so-cial et notamment en matière de rapports sociaux de sexe. Ce que les articlespubliés dans ce dossier révèlent bien 1. De la même manière, estimer que laréussite professionnelle est attribuable à de bonnes compétences socialesécarte la question des réseaux sociaux. Or, la sociologie a depuis longtemps

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1. Dossier « Les émotions dans le travail », Travailler, 9, 2002.

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identifié que la composition des élites ou d’une catégorie socioprofession-nelle n’est pas uniquement le fruit de qualités personnelles. Au contraire, lesréseaux dans lesquels on s’est inséré au cours de nos itinéraires (origine so-ciale, niveau d’instruction, type de diplômes, sexe) sont décisifs dans notredestinée sociale (Bourdieu, 1990). On a beau avoir l’intelligence émotion-nelle, encore faut-il adhérer à un réseau social qui facilite l’ascension sociale.

Des relations sociales dépolitisées

Un autre aspect qui frappe le lecteur que nous sommes et qui est reliéà ce qui vient d’être dit, c’est l’absence quasi totale de la notion de pouvoirou de relation de pouvoir dans ce qui est écrit autour de cette notion d’intel-ligence émotionnelle. Il semble que, là aussi, la relation sociale soit dépen-dante uniquement des qualités des interlocuteurs en présence. Que les rela-tions sociales s’inscrivent dans des rapports politiques, que les gens enprésence soient des acteurs sociaux mus par des intérêts souvent divergents etorientés par des valeurs et des objectifs différents ne semblent pas troublernos auteurs. Bien au contraire, ils ont une vision fonctionnaliste de l’organi-sation où l’harmonie repose sur les qualités sociales de l’encadrement, sabonne humeur et son enthousiasme. Enfin, à l’inverse des psychosociologuesdont le projet intellectuel, depuis Lewin, est de réfléchir aux processus sus-ceptibles de solidifier la démocratie et de faire advenir le sujet (Barus-Mi-chel, Enriquez et Lévy, 2002), le courant de l’intelligence émotionnelle s’ins-crit dans une vision dégagée de tout enjeu démocratique dans laquellel’instrumentation, la fonctionnalité technique et l’optimisme jovial dominent.

Des relations sociales sans aucune vie psychique

Se centrer sur l’affectivité et le caractère émotif de la vie humainepourrait laisser penser que les travaux sur l’intelligence émotionnelle évo-quent les aspects moins visibles du comportement humain. Or, à l’excep-tion d’un renvoi à l’alexithymie et à quelques travaux de professeurs demanagement inspirés par la posture psychanalytique, Goleman dans soncélèbre livre n’évoque à aucun moment la possibilité de l’inconscient. Ils’agit avant tout d’une construction qui s’inspire de la biologie, de la psy-chologie cognitive et de la psychologie sociale dans sa version expérimen-tale (1995). Si les émotions font partie de la vie humaine, elles laissent peude place au postulat de l’inconscient. Il s’agit avant toutes choses de déve-lopper des techniques de contrôle des émotions qui peuvent améliorer lesperformances individuelles et organisationnelles. Baptisées compétencesémotionnelles, ces qualités, dont certaines ont été reconnues depuis long-temps, doivent être instrumentalisées. Il existe d’ailleurs un test de QE,

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même si l’on considère qu’il n’est pas fiable! Ce travail laisse bien sûr dansl’ombre tous les travaux d’inspiration psychanalytique qui ont été conduitsdans les organisations ou dans les petits groupes. Il va sans dire que les ac-quis de la psychodynamique ne sont pas non plus présents. L’être humainen tant qu’être de désir et pourvu d’un imaginaire est passé à la trappe auprofit d’une vision bio-consciente des émotions. Le rapport au travail et àautrui fait fi des ressorts cachés de la conduite humaine.

Des relations sociales « déculturées »

L’intelligence émotionnelle fait également peu de cas de la culture.Les auteurs phares de ce courant de pensée font comme si les émotions s’ex-tériorisaient de la même manière un peu partout dans le monde. Or, nous sa-vons justement par l’anthropologie que s’il existe des émotions fondamen-tales propres à l’espèce humaine : joie, colère, tristesse, dégoût, surprise,peur, l’on sait aussi qu’elles tiennent compte de la culture du groupe enquestion. « Les gens qui alimentent le rapport au monde et colorent la pré-sence ne relèvent ni d’une physiologie pure et simple, ni d’une seule psy-chologie, l’une et l’autre, nous dit Le Breton, s’enchevêtrent à une symbo-lique corporelle pour leur donner sens, ils se nourrissent d’une cultureaffective que le sujet vit à sa manière. » (1996, p. 7.) Autrement dit, si « lesémotions sont des modes d’affiliation à une communauté sociale, une ma-nière de se reconnaître et de pouvoir communiquer ensemble sur le fondd’un ressenti proche », il est impératif de bien saisir le répertoire des émo-tions dans leur contexte socioculturel. L’entrée en relation, la civilité, la ca-pacité d’écoute, la manière de s’exprimer, sont socialement et culturellementenracinées (Raz, 2002). L’intelligence émotionnelle telle qu’elle est présen-tée fait l’impasse sur cet enracinement anthropologique. Elle est très liée à laconception américaine de ce qu’est une bonne relation sociale, à l’éthos desrelations dans la société américaine, pour parler comme Bateson.

Des relations sociales dénuées d’éthique

Si les écrits sur l’intelligence émotionnelle s’inscrivent à l’intérieurd’un éthos particulier, ils ne discutent pas en revanche l’orientation quepeuvent avoir les dirigeants à succès. En effet, le dernier point qui frappeest le nombre d’études qui présentent des résultats très positifs pour lespersonnes dotées de compétence émotionnelle. À en croire les principauxauteurs de ce courant, les gens qui réussissent seraient pourvus d’une in-telligence émotionnelle au-delà de la moyenne et ils obtiendraient des ré-sultats supérieurs aux autres. Si nous ne sommes pas hostiles à l’idée queles qualités humaines peuvent jouer un rôle dans la réussite personnelle et

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professionnelle de certaines personnes, il reste que cette vision est histo-riquement loin de coller toujours à la réalité. Pensons à la réussite denombreux dirigeants d’entreprises ou d’organisations dont la personna-lité correspond peu à la description que nous en dresssent les avocats del’intelligence émotionnelle, ou encore aux scandales récents d’Enron etde World Com, dont les dirigeants ont effectivement réussi, ont été en-censés par la presse et les consultants en gestion pendant plusieurs an-nées, (par exemple, Enron a été déclaré, six ans d’affilée, comme l’entre-prise innovatrice par excellence par Fortune et louée par le cabinetMcKinsey pour sa gestion des ressources humaines) et qui, en définitive,se sont avérés être de parfaits criminels en col blanc ! Pensons enfin aunombre de gens possédant des qualités humaines qui ne réussissent pas,c’est-à-dire qui n’atteignent pas les sommets de leur profession. On peutmême alléguer que, dans certains cas, l’intelligence affective peut nuire àla carrière.

La vision que développe Goleman et consorts, même si elle partd’un bon sentiment, manque cruellement d’une réflexion éthique. Car,dans leurs allusions à la réussite et au succès, ils n’invoquent jamais expli-citement les valeurs qui guident l’action de ces cadres et de ces dirigeants.Comme l’a rappelé un journaliste du New Yorker (Gladewell, 2002), laquestion éthique est au centre de l’action et il faut bien avouer qu’elle estquasiment absente des réflexions conduites autour de l’intelligence émo-tionnelle. Pourtant, l’actualité des entreprises nous le rappelle, il existe desdirigeants charismatiques, dont la probité est sérieusement en question, etun grand nombre d’entreprises parmi les plus en vue qui font face à desscandales aux origines variées (Dalla Costa, 1999). On ne peut donc s’in-téresser à la réussite professionnelle sans interroger les valeurs qui orien-tent l’action des gens qui réussissent surtout quand ces dernières ne se ré-duisent qu’à l’appât du gain.

ConclusionL’intelligence émotionnelle : une réflexion profondément américaine ?

À lire les écrits sur l’intelligence émotionnelle, on demeure frappépar le caractère profondément américain de leur teneur. La culture améri-caine est généralement définie par un ensemble de traits : un fort désir degagner et d’être un gagnant, une pensée très instrumentale et pratique, unetendance à évacuer une vision conflictuelle du social, un fort sentiment re-ligieux, un esprit positif, un enthousiasme débordant, une espérance dans

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la chance de chacun, un optimisme envers le futur, un positivisme scienti-fique, une obsession de la quantité, du nombre, une certaine insularité,(Hertsgaard, 2002). On retrouve tout à fait ces éléments dans le courant surl’intelligence émotionnelle.

Toute la réflexion sur l’intelligence émotionnelle porte en effet surla manière de l’instrumenter, le développement du QE et des questionnairesconcernant les compétences émotionnelles abondant en ce sens. Elle trai-te également du caractère positif et fondamentalement efficace du déve-loppement de telles compétences. Elle suppose que l’individu qui acquiertune telle intelligence est promis à un bel avenir et qu’il sera du nombre desgagnants, c’est-à-dire de ceux et celles qui réussissent dans leurs sphèresprofessionnelles. Elle développe une conception normative pour les mana-gers et les organisations. Elle demeure à un niveau micro, soit interper-sonnel soit au niveau d’un petit groupe de travail. Enfin, elle reste très eth-nocentrique dans sa conception. On peut en effet très facilement identifiercertains traits valorisés par la culture américaine dans les écrits touchantl’intelligence émotionnelle. On retrouve notamment l’idée développée parDavid McClelland dans son livre The Achieving Society (1961) sur lebesoin de réussite lequel d’ailleurs a bel et bien inspiré Daniel Goleman.

Les émotions font aujourd’hui recette dans l’univers de la gestion. Sil’on peut l’interpréter comme un retour des affects dans un monde qui lesa toujours tenus à l’écart, il reste que, comme nous venons de le voir, sa tra-duction dans les sphères « managériales » sous la forme de l’intelligenceémotionnelle est discutable par bien des aspects. Pour les spécialistes desressorts de la vie affective au travail, qui ont une vraie culture à ce sujet, lavision qu’exposent les avocats de l’intelligence émotionnelle peut appa-raître limitée, simpliste ou encore naïve. Mais la très grande popularité queconnaît cette notion dans les cercles de la gestion outre-atlantique et, parvoie d’influence, dans ceux d’autres parties du monde, nous prouve encoreune fois combien le management est sensible à des réponses pratiques. Laseule chose que nous pouvons espérer, c’est que cette ouverture faite auxdimensions affectives du comportement humain conduise les managersvers d’autres sentiers grâce auxquels ils ou elles découvriront que la dyna-mique psychique est au cœur de l’humanité et notamment de l’activité detravail. Ce que la plupart d’entre eux savent déjà, mais que, dans bien descas, leur univers tende constamment à refouler.

Jean-François ChanlatProfesseur, HEC Montréal

Professeur associé,Université Paris-Dauphine

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Mots clés : Émotions, intelligence, management, organisation, tra-vail, culture.

Resumen. El mundo de la gestión, particularmente en Norte Amé-rica, se interesa cada día mas por las emociones. A lo largo de losdiez últimos años este movimiento ha girado sobre todo en torno ala noción de inteligencia emocional. El objetivo del articuloconsiste en reubicar dicha cuestión en el contexto y en mostrar enque medida la noción de inteligencia emocional falla en un ciertonumero de puntos y esta ligada a la cultura americana.

Palabras clave : Emociones, inteligencia, gestión, organización,trabajo, cultura.

Summary. The world of business management, especially in NorthAmerica, is becoming increasingly interested in emotions. Duringthe last ten years, this movement has largely turned around the no-tion of emotional intelligence. The purpose of this article is to relo-cate this question in context and to show the degree to which the no-tion of emotional intelligence fails on a certain number of issues andis linked to American culture.

Key words : Emotions, intelligence, management, organisation,work, culture.

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Jean-François Chanlat

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