Elliptocytose héréditaire : à propos d’une observation

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REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - FÉVRIER - N°419 // 75 Elliptocytose héréditaire : à propos d’une observation Aissam Elmaataoui a, *, Nezha Messaoudi a , Mohamed Chakour a , Mouna Nazih a , Abdelkader Belmekki a , Mbarek Naji a article reçu le 3 janvier, accepté le 8 juillet 2009. © 2008 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés. 1. Introduction L’elliptocytose héréditaire (HE) est une affection du cytosquelette du globule rouge caractérisée par la pré- sence de 30 % d’hématies en forme d’ellipse sur le frottis sanguin [1]. Elle est souvent asymptomatique, pouvant se compliquer par une anémie hémolytique constitutionnelle par anomalie de la structure de la membrane du globule rouge (GR) [2]. Rappelons que la membrane des GR est formée essentiellement d’une bicouche de phospholipides et des protéines membra- naires. À l’intérieur du cytoplasme tout en tapissant la face interne de la membrane cytoplasmique, des pro- téines périphériques ou extra-membranaires (spectrine, actine, ankyrine, protéine 4.1) forment le cytosquelette qui procure aux GR leur déformabilité et leur robustesse (figure 1). Nous rapportons à travers cette observation un cas d’elliptocytose de découverte fortuite et nous discutons les aspects cliniques, biochimiques et géné- tiques de cette affection. 2. Observation Un patient de 22 ans de sexe masculin, sans antécédent clinique, réalise un bilan pré-embauche. L’examen clinique n’a pas montré de splénomégalie ou de pâleur des tégu- ments et muqueuses, ni d’autres signes cliniques associés. L’hémogramme a montré une éosinophilie (tableau I). Un frottis sanguin est réalisé pour contrôler l’éosinophilie, il est réalisé par un étalement correct sur une lame d’une goutte de sang frais prélevé sur EDTA (anticoagulant), le frottis coloré par la méthode May Grunwald Giemsa (MGG) confirme l’éosinophilie et montre par ailleurs une elliptocytose de 70 % en moyenne, avec des hématies elliptiques bacilliformes et de rares schizocytes (figure 2). Le test de la résistance osmotique pour le dépistage d’une sphérocytose est normal. Un bilan biochimique n’a pas montré de signes d’hémolyse à savoir l’haptoglobine et la bilirubine totale non augmentées (tableau II). ti l l 3j i té l 8 j ill t 2009 a Laboratoire d’hématologie Hôpital Militaire d’Instruction Mohamed V Hay Riad – Rabat – Maroc * Correspondant [email protected] CLINIQUE Tableau I – Hémogramme Leucocytes 6,7 G/l Polynucléaires neutrophiles 2,9 G/l Lymphocytes 2,2 G/l Monocytes 0,7 G/l Polynucléaires éosinophiles 0,9 G/l Hématies 5,34 T/l Hémoglobine 15,4 g/dl Hématocrite 45 % VGM 85,2 fl TCMH 28,9 pg CCMH 34 % RDW 14,60 % Plaquettes 334 G/l Figure 1 – Schéma de la membrane érythrocytaire. D’après Delaunay J. The molecular basis of hereditary red cell membrane disorders. Blood Rev 2007;21:1-20. Figure 2 – Frottis sanguin du patient coloré au May Grunwald Giemsa montrant des elliptocytes.

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THÉMATIQUE À TAPER

REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - FÉVRIER - N°419 // 75

Elliptocytose héréditaire : à propos d’une observationAissam Elmaataouia,*, Nezha Messaoudia, Mohamed Chakoura, Mouna Naziha, Abdelkader Belmekkia, Mbarek Najia

article reçu le 3 janvier, accepté le 8 juillet 2009.

© 2008 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés.

1. Introduction

L’elliptocytose héréditaire (HE) est une affection du cytosquelette du globule rouge caractérisée par la pré-sence de 30 % d’hématies en forme d’ellipse sur le frottis sanguin [1]. Elle est souvent asymptomatique, pouvant se compliquer par une anémie hémolytique constitutionnelle par anomalie de la structure de la membrane du globule rouge (GR) [2]. Rappelons que la membrane des GR est formée essentiellement d’une bicouche de phospholipides et des protéines membra-naires. À l’intérieur du cytoplasme tout en tapissant la face interne de la membrane cytoplasmique, des pro-téines périphériques ou extra-membranaires (spectrine, actine, ankyrine, protéine 4.1) forment le cytosquelette qui procure aux GR leur déformabilité et leur robustesse (figure 1). Nous rapportons à travers cette observation un cas d’elliptocytose de découverte fortuite et nous discutons les aspects cliniques, biochimiques et géné-tiques de cette affection.

2. Observation

Un patient de 22 ans de sexe masculin, sans antécédent clinique, réalise un bilan pré-embauche. L’examen clinique n’a pas montré de splénomégalie ou de pâleur des tégu-ments et muqueuses, ni d’autres signes cliniques associés. L’hémogramme a montré une éosinophilie (tableau I). Un frottis sanguin est réalisé pour contrôler l’éosinophilie, il est réalisé par un étalement correct sur une lame d’une goutte de sang frais prélevé sur EDTA (anticoagulant), le frottis coloré par la méthode May Grunwald Giemsa (MGG) confirme l’éosinophilie et montre par ailleurs une elliptocytose de 70 % en moyenne, avec des hématies elliptiques bacilliformes et de rares schizocytes (figure 2). Le test de la résistance osmotique pour le dépistage d’une sphérocytose est normal. Un bilan biochimique n’a pas montré de signes d’hémolyse à savoir l’haptoglobine et la bilirubine totale non augmentées (tableau II).

ti l l 3 j i té l 8 j ill t 2009

a Laboratoire d’hématologie Hôpital Militaire d’Instruction Mohamed V Hay Riad – Rabat – Maroc

* [email protected]

CLINIQUE

Tableau I – Hémogramme

Leucocytes 6,7 G/l

Polynucléaires neutrophiles 2,9 G/l

Lymphocytes 2,2 G/l

Monocytes 0,7 G/l

Polynucléaires éosinophiles 0,9 G/l

Hématies 5,34 T/l

Hémoglobine 15,4 g/dl

Hématocrite 45 %

VGM 85,2 fl

TCMH 28,9 pg

CCMH 34 %

RDW 14,60 %

Plaquettes 334 G/l

Figure 1 – Schéma de la membrane érythrocytaire.

D’après Delaunay J. The molecular basis of hereditary red cell membrane disorders. Blood Rev 2007;21:1-20.

Figure 2 – Frottis sanguin du patient

coloré au May Grunwald Giemsa montrant des elliptocytes.

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CLINIQUE

3. Discussion

L’elliptocytose héréditaire (HE) a été décrite pour la première fois en 1904 par Dresbach. C’est une maladie rare, seule-ment deux cas ont été diagnostiqués dans notre service. HE a une incidence dans tous les groupes ethniques et races de 1 cas sur 2 000 [2]. Aux États-Unis, l’incidence est de 3 à 5 cas sur 10 000 [3]. Ce chiffre peut être sous-estimé vu la grande fréquence des formes asymptomatiques. Cette pathologie a une grande prévalence dans l’Afrique et l’Asie du Sud-est [4].La clinique est très variable allant de la forme asympto-matique à l’anémie chronique, en passant par l’hémolyse néonatale sévère. Chez le porteur sain, seules des études fines de la stabilité thermique de la membrane du globule rouge ainsi qu’une analyse détaillée de la composition protéique du cytosquelette permettent de mettre l’ano-malie en évidence. Les formes légères comportent une hémolyse bien compensée, sans anémie, mais qui peut se compliquer d’épisodes d’hémolyse aiguë, au décours d’une infection virale qui stimule le système monocytaire-macrophagique (mononucléose infectieuse, cytomégalo-virose, hépatite) [5]. Dans la forme hémolytique chronique, on observe une hémolyse franche, une anémie avec une concentration d’hémoglobine entre 8 et 10 g/dl, avec une hyperbilirubinémie et une splénomégalie. Une entité particulière est la poïkylocytose néonatale et infantile ou

pyropoïkylocytose. Il s’agit d’une présentation très précoce, avec hémolyse sévère responsable d’un ictère néonatal nécessitant souvent l’exsanguino-transfusion [6].La lecture du frottis sanguin est un élément important du diagnostic car habituellement l’HE est cliniquement latente, elle se caractérise par la présence de plus de 30 % d’elliptocytes [1, 3, 4] ou de plus de 15 % d’elliptocytes [7]. Dans un frottis sanguin normal et dans les elliptocytoses secondaires associées à des anémies carentielles ou à certains syndromes myélodysplasiques [8], on retrouve moins de 5 % d’élliptocytes [4]. L’enquête familiale basée surtout sur le frottis sanguin a été demandée mais le patient a refusé de collaborer.HE est une anomalie du cytosquelette de la membrane des globules rouges. Il s’agit le plus souvent d’une anomalie qualitative de la spectrine qui entrave la polymérisation spontanée des formes dimériques en tétramères de la spectrine [9].HE est une maladie à transmission autosomale dominante qui touche le plus souvent des sujets de race noire. L’ano-malie génétique est variable. Dans environ 70 % des cas, c’est une mutation qui se situe sur le gène SPTA1 codant pour la chaîne alpha de la spectrine entraînant un point de faiblesse dans le maillage constituant le squelette érythro-cytaire. Les autres cas (25 à 30 %) résultent de mutations du gène EPB41 codant pour la protéine 4.1R, qui se lie normalement à l’actine et à la chaîne bêta de la spectrine. Dans de très rares cas, la mutation se situe sur le gène SPTB codant pour la chaîne bêta de la spectrine [5].

4. Conclusion

L’HE est une maladie membranaire des globules rouges de diagnostic facile. Seule la lecture attentive du frottis sanguin apporte un élément décisif dans la démarche diagnostique. L’HE est une pathologie très rare dont il est difficile d’estimer la fréquence précise étant donné la grande hétérogénéité clinique et la fréquence des for-mes asymptomatiques (le cas de notre sujet) ou pauci- symptomatiques.

Conflit d’intérêt : aucun

Références

[1] Webb D. Disorders of the red cell membrane. Curr Pediat 2005;15:40-3.

[2] Delaunay J. Anémies hémolytiques d’origine membranaire. Encycl Méd Chir, Elsevier, Paris, Hématologie, 13-006-D-05,1999;7p.

[3] Anthony J, Baines. Mechanisms of elliptocytosis: significant spectrin substitutions. Blood 2008;111(12):5712-20.

[4] Nathan DG, Orkin SH. In: Hematology of infancy and childhood, 5th edition. Philadelphia:WB Sauders Company;1998;601-14.

[5] Debray FG, Ilunga S, Brichard B, Chantrain C, Scheiff JM, Vermylen C. Une forme particulière d’anémie constitutionnelle chez un nourrisson de deux mois : l’elliptocytose. Arch Pédiat 2005;12:163-7.

[6] Gaetani M, Mootien S, Harper S, Gallagher PG, Speicher DW. Structural and functional effects of hereditary hemolytic anemia-associated point mutations in the alpha spectrin tetramer site. Blood;2008;111:5553-61.

[7] Sebahoun G. Anémies hémolytiques congénitales par anomalies de la membrane érythrocytaire. Hématologie clinique et biologique (2e édi-tion) 2005;59-62.

[8] Ishida F, Shimodaira S, Kobayashi H, Saito H, Kaku M, Kanzaki A, et al. Elliptocytosis in myelodysplasic syndrome associated with trans-location (1;5)(p10;q10) and deletion of 20q. Cancer Genet Cytogenet 1999;108:162-5.

[9] Park S, Mehboob S, Luo BH, Hurtuk M, Johnson ME, Fung LW. Studies of the erythrocyte spectrin tetramerization region. Cell Mol Biol Lett 2001;6:571-85.

Tableau II – Bilan biochimique.

Protéines totales 70 N 64-82 g/l

Glucose 0,84 N 0,74-1,06 g/l

Créatinine 7 N 6-13 mg/l

Acide urique 44 N 26-72 mg/l

Fer sérique 103 N 35-150 mg/dl

Cholestérol 1,33 N 1,50-2,00 g/l

Triglycérides 0,5 N 0,60-1,50 g/l

ASAT 16 N 0-35 U/l

ALAT 14 N 0-45 U/l

Haptoglobine 1,16 g/l N : 0,6-1,60 g/l

GGT 23 N 0-55 U/l

Bilirubine totale 7 N 0-10 mg/l