Elia Benamozegh - Israel Et l'Humanité

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L'opera fondamentale di Elia Benamozegh.

Transcript of Elia Benamozegh - Israel Et l'Humanité

ELIE BENAMOZEGH RABBIN - PRDICATEUR LIVOURNE ISRAL ET L'HUMANIT TUDE SUR LE PROBLME DE LA RELIGION UNIVERSELLE ET SA SOLUTION PRFACE DE HYACINTHE LOYSON Est Deus in nobis PARIS ERNEST LEROUX, DITEUR 28, RUE BONAPARTE, 28 1914 [1]

Isral et L'Humanit - Avant-propos de M. Alfred Lvy, Grand Rabbin de FranceFrom English HareidiJump to: navigation, search AVANT-PROPOS En publiant, treize ans aprs sa mort, l'uvre magistrale du savant rabbin Elie Benamozegh Isral et l'Humanit , le fils de l'auteur et son digne successeur, le Dr Samuel Colombo, honorent pieusement sa mmoire et s'honorent grandement eux-mmes. Ils permettent d'abord la postrit d'apprcier l'rudition incomparable, la hauteur de vues, les minentes qualits de cur et d'esprit de ce ministre de Dieu dont la vie fut consacre l'tude et l'exposition de nos saintes doctrines. Ils rendent ensuite Isral un rel service en ditant un travail destin montrer tout ce qu'il y a de large, de gnreux, de sublime dans son idal d'amour envers Dieu, de justice, de dvouement, d'esprit de fraternit et de concorde envers l'humanit. Choisi par Dieu pour remplir ici-bas une mission minemment religieuse, celle de rpandre travers le monde la notion du monothisme, Isral devait trouver dans l'hbrasme les lments de cette religion universelle rserve au genre humain et qui, aux temps messianiques, devra runir sous sa vaste gide, toutes les nations du globe. En haut un seul Dieu crateur et pre de tous les hommes, en bas une seule famille de frres qui se confondra tout entire [1] dans l'adoration de son divin Pre, telle est la conception juive par excellence, celle pour laquelle Isral, ce premier-n du Seigneur, ce peuple-pontife, a tant lutt et souffert, tel est le rve qu'il poursuit encore et pour la ralisation duquel il a d conserver son particularisme. Il ne demande pas que tous les peuples se convertissent au judasme et en pratiquent tous les prceptes, mais qu'ils arrivent la conception du Dieu Un, tout en l'adorant leur manire. C'est dvelopper cette ide matresse qu'Elie Benamozegh a dpens les trsors de sa prodigieuse rudition. Puisant ses arguments aux sources bibliques, talmudiques et mme kabbalistiques il tudie successivement la pense universelle du judasme dans l'ide qu'il a conue de Dieu, de l'humanit et de sa fin dernire, dans la lgislation juive tant en ce qui concerne les lois mosaques qu'en ce qui regarde les lois noachides pour la gentilit. Dans ce monument lev la gloire du judasme. On ne sait ce que l'on doit le plus admirer ou de la puissance de labeur qu'il suppose ou de la richesse de documentation qu'il rvle. Ce qui augmente le mrite de ce volumineux travail, c'est la loyaut avec laquelle l'auteur aborde toutes les questions et rpond d'avance toutes les objections auxquelles il prvoit que son ouvrage peut donner lieu; pas un problme qu'il ne soulve et qu'il ne cherche rsoudre. Isral, et nous en savons l'crivain un gr infini, sort de cette tude, absolument indemne de tout soupon d'gosme, d'intrt personnel. Il ne dsire que le bien de l'humanit, il n'aspire qu' un seul but: l'tablissement du rgne de Dieu sur la terre. Qu'il poursuive donc courageusement son uvre, fidle au mosasme, conservant et pratiquant ses traditions, jusqu'au jour tant souhait o, suivant l'expression qui

termine tous ses offices, Dieu sera Un et son nom Unique. C'est l le vu suprme de l'auteur auquel nous nous associons du fond du notre cur. Disons, en finissant, que l'auteur a trouv dans un de ses disciples, M. Aim Pallire (Lotmol) un fervent admirateur de ses ides qu'il a faites siennes pour la plupart et auxquelles il a russi [2] donner un tour littraire, l'auteur, tout tranger qu'il tait, ayant dsir, pour que son ouvrage ft lu dans tous les pays, qu'il part en notre langue. Tous nos remerciements vont lui et aux dignes diteurs de ce travail. 23 Juillet 1913. ALFRED LVY Grand Rabbin de France [3]

References1. Page V 2. Page VI 3. Page VII

PRFACE I. On croit gnralement pouvoir se dispenser de la lecture d'une prface qui apparat le plus souvent comme un hors-d'uvre n'offrant aucun lien ncessaire avec l'ouvrage qu'il s'agit de prsenter au public. Nous osons toutefois prier le lecteur de ne pas ouvrir le prsent volume sans avoir pris connaissance de celle-ci. La personnalit exceptionnelle de l'auteur, le sujet qu'il a trait, la faon dont ce litre a t compos et rvis rendent quelques explications prliminaires indispensables. Ces lignes rvleront d'ailleurs tout un ensemble de circonstances qui, si nous ne nous abusons point, constituent dj un loquent commentaire de l'uvre elle mme. Elie Benamozegh naquit en 1823 Livourne. Sa famille tait venue de Fez s'tablir en Italie et l'on a dit, non sans raison peut-tre, que cette origine marocaine n'a pas t sans influer considrablement sur le dveloppement intellectuel de celui qui devait tre nomm plus tard le Platon du judasme italien. [1] Il est certain que bien qu'il se soit assimil d'une manire peu commune, toute la culture europenne, il garda toujours, soit dans ses procds de travail, soit dans la tournure de son esprit, l'empreinte orientale. Il perdit son pre de bonne heure et fut lev dans les sentiments d'une grande pit par sa mre, femme d'une foi digne des ges bibliques, pour laquelle il professa toujours un culte touchant et dont il a voqu[2] le souvenir attendri dans les premires pages de son livre Morale juive et morale chrtienne . Il avait t tout d'abord destin au commerce, mais quoique il et sa disposition les moyens de se crer dans cette voie une carrire avantageuse, il l'abandonna, tout jeune encore, pour se consacrer aux tudes sacres et profanes, pour lesquelles il se sentait un irrsistible attrait. Le rabbin Jehouda Coriat, son oncle maternel, l'initia la science hbraque, mais on peut dire que le jeune tudiant, m par un dsir de savoir qui s'tendait toutes les branches de connaissances humaines, s'instruisit seul, sans matre et proprement parler sans mthode, sa remarquable intelligence supplant aux dfauts de cette formation personnelle. A seize ans, il crivait une prface au Maor Vaschemesch publi par le rabbin Coriat, [3] donnant dj cette occasion des preuves de son gnie prcoce et, quelques annes plus tard, il obtenait de la faon la plus brillante des grades rabbiniques. Ce fut Livourne mme qu'il se voua au ministre sacr et qu'il dpensa pendant un demi-sicle une activit religieuse laquelle il ne semble pas que des contemporains aient toujours suffisamment rendu hommage. Ce que cet homme a lu et crit dans sa vie est vritablement incroyable. Dans un corps d'une apparence fragile rayonnait un esprit d'une extraordinaire puissance. Il n'est aucune science laquelle il soit demeur tranger, aucun domaine intellectuel o ne l'ait pouss son infatigable curiosit. Les uvres des auteurs qu'il pouvait juste titre considrer comme des adversaires, lui taient aussi familires que celles o il retrouvait l'expression de ses propres convictions. Les matriaux, s'entassaient dans sa prodigieuse mmoire et si les travaux qu'il a publis ou ceux, plus nombreux encore peut-tre, qui demeurent indits, prtent une critique justifie, c'est prcisment celle de prsenter une excessive richesse. Ce serait toutefois bien mal juger Elie Benamozegh que de ne voir en lui qu'un savant; ce fut un homme de Dieu dans toute l'acceptation du mot. Loin qu'il songet garder gostement pour lui-mme le trsor de science qu'il augmentait sans cesse, il brlait du dsir de le communiquer[4] aux autres et ne voyait l qu'un moyen de remplir plus dignement les obligations de sa charge dont il s'acquittait avec une scrupuleuse exactitude. Il avait coutume de prcher dans le temple de

Livourne le samedi qui prcdait les ftes principales. Certain sabbat d'hiver, la neige qui tombait en abondance avait rendu les chemins impraticables et la maison du rabbin tait fort loigne du temple. Elie Benamozegh, qui devait monter en chaire ce jour l, ne se laissa point arrter par la perspective du long trajet parcourir pied dans ces conditions difficiles. Il runit autour de lui ses cinq enfants, tous jeunes encore, organisa une petite caravane et tout courb sous la rafale glaciale, chancelant dans l'paisse couche blanche qui ensevelissait tout, il s'achemina vers le centre de la ville, pour se trouver l'heure dite o l'appelait le devoir de son ministre. Sa modestie n'tait pas moindre que son zle. On m'appelle grand rabbin, disait-il ses lves; mais cela ne fait-il pas sourire? Qu'est-ce en effet que le peu que je sais auprs de ce qui me reste apprendre? C'est souvent dans de bien petits dtails que se rvle le mieux le vrai caractre d'un homme. Le biographe italien d'Elie Benamozegh, le Professeur Guglielmo Lattes, qui a publi, dans une langue digne du beau ciel de Toscane, une trs remarquable tude, que nous avons dj cite, sur la vie et les uvres de l'illustre rabbin, a relat plusieurs traits qui prsentent la physionomie de celui-ci sous un jour plus aimable que ne semble le comporter l'austrit de ses travaux. Il en rsulte que s'il n'a pas t plus populaire, si ses enseignements demeurant encore pour beaucoup d'esprits peu sduisants, cela tient, non point la nature mme des qualits capables de lui gagner les plus vives sympathies, mais bien la nature mme des sujets qu'il a traits dans ses crits et plus encore aux moyens auxquels il a eu recours pour les exposer au public. On sait en effet que c'est surtout comme kabbaliste qu'Elie Benamozegh est connu et que ce titre, qu'il a toujours hautement revendiqu, n'a pas t sans lui nuire considrablement dans l'opinion d'hommes tout aussi dvous que lui d'ailleurs la cause du judasme, mais r- solument hostiles l'cole dont il se rclamait. Je ne serais mme que mdiocrement surpris que le discrdit communment jet sur cette appellation[5] ne ft encore aujourd'hui, auprs de certains lecteurs, une cause de prvention contre le prsent ouvrage. Il importe donc de faire remarquer avant toute chose que la Kabbale dans laquelle le savant rabbin n'a cess de voir, selon ses propres paroles, la thologie la plus lgitime du judasme , n'est en aucune faon un amas de superstition et de purilit capables de dnaturer fcheusement la religion que l'on veut servir, mais bien un systme de philosophie offrant plus d'un point de contact avec le platonisme et d'autres systmes, encore et qu'un homme comme Benamozegh savait teindre fortement de culture moderne. Ce n'tait mme pas ses yeux une science particulire; Il et plutt dit d'elle volontiers ce que Renan a dit de la philosophie en gnral qu'elle est le rsultat de toutes les sciences, le son, la lumire, la vibration qui sort de l'ther divin que tout porte en soi . Il ne m'appartient aucun titre de dcider dans quelle mesure cette prtention de voir dans la Kabbale la plus haute expression thologique de la doctrine juive se trouve justifie, mais il me parat bien, aprs toutes les preuves qu'en a fournies Benamozegh, dans tous ses crits, que c'est se priver d'un prcieux secours apologtique que de rejeter purement et simplement un enseignement qui, dans la pense de notre auteur, concilie de si heureuse faon les exigences de la critique et les donnes de la libre science avec les affirmations de la foi traditionnelle. Une timide orthodoxie peut bon droit s'effrayer l'appui inattendu qu'apporte ses dogmes l'cole kabbalistique qui se sert d'armes nouvelles forges souvent par des adversaires et qui puise ses arguments des sources dont elle avait lui-mme coutume de se tenir soigneusement carte. De leur ct, les savants indpendants ont quelque raison de s'tonner de voir que les rsultats des travaux qui leur paraissaient essentiellement destructifs des croyances religieuses, peuvent tre vivifis par un mysticisme dont ils seraient mal venus rcuser la lgitimit, puisque ses fondements reposent dans un domaine inaccessible leurs investigations, et qu'en cet tat la science est prcisment utilise pour la dfense d'une religion qu'ils s'imaginaient pouvoir confondre avec toutes les autres dans une

mme condamnation. Le kabbaliste ne se laisse pas plus dconcerter par les surprises du [6] savant que par les apprhensions du croyant craintif; il s'efforce de rassurer celles ci en dissipant celles-l , par la conciliation toujours plus complte qu'il prtend oprer entre la science et la foi.[7] Cette position qu'adopta toute sa vie Elie Benamozegh et qu'il a constamment justifie dans ses crits, lui donnait une force singulire. Si l'on a pu dire en effet avec quelque apparence de raison que l'homme d'un seul livre est redoutable on comprend quel prcieux avantage devait lui confrer cette philosophie laquelle il ramenait toute chose et qui lui permettait de tirer profit de tous les progrs scientifiques en mme temps qu'elle lui fournissait une explication rationnelle des plus ardus problmes religieux. Grce aux habitudes d'esprit qu'il avait acquit l'cole des matres de la Kabbale, il retrouvait partout son bien propre; loin de fuir l'objection, il la recherchait avec une vidente complaisance, l'analysait, la retournait sous toutes ses faces pour se donner la satisfaction profonde d'en montrer les cts dfectueux et d'en faire sortir des arguments en faveur de la thse orthodoxe. Ni le matrialisme, ni le panthisme, ni l'athisme lui-mme n'taient de nature l'pouvanter; aucune de ces catgories tranches dans lesquelles se complaisent les esprits superficiels, aucune de ces massives constructions de l'irrligion que certaines gens s'imaginent navement appeles remplacer les anciens difices de la foi humaine, ne lui [8]faisaient la moindre illusion sur les vices de construction qui en compromettent la solidit aux yeux du penseur. Il ne craignait pas d'y pntrer, il s'y mouvait avec sret et aisance, faisant avec soin la part de l'erreur et de la vrit. Pour lui, ce n'est pas nier Dieu que de nier une certaine conception de la Divinit; ce n'est pas d'avantage dtruire son Unit que d'en diversifier les attributs et il a mme pouss la hardiesse, jusqu' montrer quelle secrte harmonie la Kabbale peut tablir entre les diverses philosophies qui conoivent Dieu chacune sa manire et mme entre les ides polythistes et le monothisme absolu. Non seulement les doctrines juives prennent ainsi une ampleur et une force que l'exgse anti kabbalistique est impuissante leur communiquer, mais les pratiques religieuses elles mmes que l'on est tent de considrer comme surannes, lorsqu'on les juge dpourvues de tout contenu, se justifient parfaitement au regard de la saine raison, non plus simplement comme un legs des anctres, comme un lien qui rattache le prsent au pass, mais parce qu'elles ont une valeur intrinsque, une importance universelle, ontologique mme, selon l'expression de notre auteur. Notre foi, avait-il coutume de dire ses enfants, est claire, simple, rationnelle dans les principes et mystrieuse dans le culte . Mais ce qui est mystrieux n'est point absurde. Le mystre est tout ce qui dpasse l'entendement humain dans l'tat prsent de nos connaissances et comme d'aprs Benamozegh le gnie religieux d'Isral fonctionne en vue du perfectionnement de tout le genre humain , comme il a pour mission spciale de relier entre elles les diverses parties du fini et les diffrentes phases de l'volution universelle, le judasme doit ncessairement contenir un lment surnaturel ou supra rationnel , l'tude duquel l'intelligence peut et doit s'appliquer, tandis que la pit s'y alimente, sans risquer de l'puiser jamais. Cette thologie sotrique, qui est pour le savant rabbin, la vritable tradition dogmatique de la religion isralite, comme le Talmud en est la tradition pratique, donne ainsi un sens profond tous les prceptes, toutes les prires liturgiques: Rduire les prescriptions rituelles, l'tat de simples observances nationales, crivait il Luzzatto, [9] C'est les dpouiller des trois quarts de leur valeur; c'est abaisser Dieu au rang d'un Licurge ou d'un Romulus; c'est lier aux circonstances extrieures, qui n'ont rien de stable, le sort de la religion qui est ternelle [10] . On voit donc que la Kabbale philosophique d'Elie Benamozegh lui permettait de porter avec assurance ses recherches dans tous les domaines et que, grce elle, la foi se rvlait chez lui comme le courage de l'esprit s'lanant rsolument en avant avec l'absolue certitude de trouver la Vrit. Aussi nul n'a-t-il pu prononcer avec plus d'autorit que lui la parole de rconciliation entre la

religion et la science: Embrassez-vous dans une fraternelle treinte, car vous tes l'une et l'autre filles du ciel . Mais si cette position prsentait de grands avantages, elle n'tait pas sans offrir aussi de srieux inconvnients. La science et la philosophie constituent en somme le privilge d'un petit nombre d'esprits. Plus rares encore sont ceux qui russissent les unir d'une faon si harmonieuse qu'elles peuvent se pntrer et se vivifier mutuellement. L'illustre rabbin, chez qui elles s'accompagnaient encore d'une mysticit transcendante non moins exceptionnelle, se condamnait donc n'tre point compris et mme voir parfois suspecter la puret de sa foi. On sait que son commentaire hbreu sur le Pentateuque Em lammicra fut rprouv comme htrodoxe par les rabbins palestiniens [11] La discipline intellectuelle et religieuse qu'il devait la Kabbale et laquelle il soumettait tout le savoir humain aussi bien que la science juive, est d'ailleurs de nature si spciale que, malgr ses vastes connaissances il ne pouvait songer avoir, en dehors du cercle de ses disciple, une action tendue. Il et t ncessaire pour cela qu'en puisant cette source et en utilisant ses donnes essentielles, il parvnt communiquer sa pense une forme entirement approprie la culture moderne; il [12] et fallu traduire en langage intelligible pour les hommes du XXme sicle ce qu'il tait accoutum exprimer dans le style talmudique et zoharistique. Dans l'enseignement et dans la conversation toujours attrayante et instructive, ses lves ne se lassaient d'admirer la clart avec laquelle il savait traduire et prsenter les plus obscures conceptions de la Kabbale dans le langage prcis des coles philosophiques de la Grce et de l'Allemagne, en russissant insinuer surtout la conviction que la Kabbale - part sa haute antiquit et son authenticit hbraque qu'il admettait dsormais entirement - soit tout au moins, un grand systme philosophique qui mrite toute la considration des savants. Si telle avait t toujours sa voie, qui sait si, avec sa prodigieuse rudition et l'ardeur de son zle, il n'et pas t capable de rvolutionner le monde religieux et d'exercer en tout cas sur le judasme une influence plus dcisive peut-tre que Mamonide lui-mme? Mais les moyens qu'il employait quelquefois ne le prdisposaient point ce rle, malgr l'aisance remarquable avec laquelle il s'exprimait dans les langues modernes. Il n'est pas jusqu la phrasologie mme dont il se servait qui ne ft un obstacle la diffusion des ides qu'il voulait dfendre. Je risque assurment de surprendre la majeure partie de mes lecteurs en disent par exemple qu'il fut un aptre du noachisme; en fait, la plupart d'entre eux ne souponneront pas au premier abord ce qu'il mettait sous ce nom-l et pourtant l'ide qui s'y cache est d'une importance considrable et elle constitue, mon avis, la vritable originalit de l'uvre religieuse de ce puissant penseur. On ignore trop en gnral qu' Elie Benamozegh ne fut pas seulement un savant kabbaliste, mais qu'il s'tait form surtout, grce ses connaissances philosophiques et religieuses aussi bien que scientifiques et grce aussi, ou ne saurait le contester, cette thosophie hbraque qui veille tant de prventions, un systme trs compliqu, trs profond et cependant parfaitement coordonn, qui lui permettait d'expliquer admirablement le judasme dans toutes ses parties, mme les plus obscures et les plus dconcertantes d'ordinaire pour ses apologistes. Il tait fort loign d'ailleurs de prsenter ce systme comme le produit de ses conceptions[13] personnelles; ce n'tait pas autre chose pour lui que l'difice religieux rsultant du majestueux ensemble des enseignements bibliques et traditionnels. Le judasme n'est plus une religion particulire dont il s'agit de dfendre la position vis vis des cultes concurrents en dmontrant les erreurs de ces derniers. C'est la Religion mme;

toutes les autres, comme autant de manifestations spciales rpondant aux besoins des diffrentes races, se groupent autour d'elle dans une relation plus ou moins troite, selon qu'elles s'cartent ou se rapprochent davantage des vrits fondamentales dont elle a la garde et toute l'humanit se trouve ainsi religieusement organise dans une unit trs relle, bien qu'elle implique, par la nature mme des choses, des diversits nombreuses et ncessaires. Toute cette construction idale s'explique par la notion des deux lois ou plutt du double aspect de la Loi unique et ternelle qui est la fois sacerdotale et laque, selon qu'elle s'adresse spcialement Isral ou l'humanit tout entire. La forme qu'elle revt dans le culte juif proprement dit se justifie par la mission particulire d'Isral dans le monde, mais elle n'est nullement obligatoire pour tous les hommes, qui demeurent libres au contraire d'exprimer diversement leurs sentiments religieux selon les besoins varis des poques et des races, pourvu qu'ils obissent la Loi morale et rationnelle qui seule leur est prescrite. De l ce respect que le judasme toujours profess pour les autres cultes et cette affirmation rpte de ses Docteurs que pour tre juste et agrable Dieu, pour appartenir la vritable religion, il n'est aucunement besoin de pratiquer les rites isralites. On voit ainsi combien fausse est cette opinion de certains critiques que le monothisme smitique engendrait forcment l'intolrance. Si l'on consent aller au fond des choses, cela ne parat gure exact mme pour l'Islam, mais en ce qui concerne le judasme rien n'est plus formellement dmenti par les faits. L'attitude d'Isral est mme beaucoup plus qu'une simple tolrance, comme on en peut heureusement trouver d'autres exemples imposs par la force des circonstances plutt que par les convictions elles-mmes; c'est la mise en pratique de cette ide que le judasme est le foyer, le centre de la religion universelle et que les [14]autres cultes se trouvent rattachs lui et par consquent lgitimes dans la mesure o ils sont fidles ses principes. L'tude des religions compares apparat aujourd'hui comme une nouvelle branche de la science; ce n'est qu'au XIX me sicle que la critique s'est mise fouiller avec impartialit et discernement les mythologies anciennes et qu'elle a fini par y dcouvrir autre chose qu'un tissu de fables incohrentes et grossires, indignes de retenir un instant l'attention. Or l'antique judasme avait trac depuis de longs sicles les linaments de cette science dans sa thologie, et ne peut-on pas dire que la Kabbale, qui nous apprend voir sous le nom de toute divinit paenne une tincelle de vrit, avait dj donn en substance le rsultat des travaux de nos savants modernes?[15] Est-ce dire qu'il n'y a pas des erreurs corriger ? Non, certes; en fractionnant l'infini l'ide de Dieu, le paganisme avait compltement perdu, du moins sous sa forme populaire, la notion de l'Unit divine et avec elle la base fondamentale de la fraternit humaine et du vritable progrs. De mme, en rompant avec Isral, les grandes religions issues de lui ont toutes ou plus ou moins dvi des enseignements de la Religion universelle dont il a le dpt; pour se rformer, elles doivent donc remonter leurs origines, car c'est dans le judasme que [16]se trouve la cl des rnovations de l'avenir. Mais tout infidles qu'elles apparaissent, elles sont cependant les filles de l'Eglise-mre et ce que l'ignorance, les prjugs, les passions ont spar doit tre runi un jour. Aussi, plein de confiance dans les destines religieuses d'Isral, Elie Benamozegh travailla avec ardeur prparer la rconciliation du christianisme et du judasme, but suprme qui donna un ressort particulier son activit et qui pour tous les croyants et les penseurs restera son meilleur titre de gloire. Il voyait dans le christianisme et l'islamisme non pas des religions quelconques, dignes de respect, comme toute aspiration de l'me humaine vers l'Infini, mais un acheminement providentiel vers la constitution de cette religion universelle que les prophtes d'Isral ont annonce l'humanit. Si vives taient en particulier ses sympathies pour la religion chrtienne, qu'il a t jusqu' dire et rpter que si le christianisme consent se rformer sur l'idal hbraque, il sera toujours la vraie religion des peuples gentils. De telles expressions, peuvent surprendre chez un rabbin et elles prteraient mme une fcheuse confusion si l'on prenait ce mot de christianisme

comme impliquant ncessairement l'adoration, de Jsus ou du moins une croyance se rattachant dans une plus ou moins large mesure aux enseignements vrais ou supposs de ce personnage. Mais pour que nul ne songe se prvaloir de ces dclarations que l'amour de la paix inspirait notre auteur, il suffit de faire observer que le ferme de christianisme tait pour lui synonyme de messianisme , les deux mots ayant exactement le mme sens avec cette seule diffrence que le premier trahit toute l'influence hellnique subie par les disciples de Jsus et l'importance exagre progressivement attribue au rle de ce dernier, tandis que le second nous ramne la pure pense hbraque. Dans les derniers jours de sa vie l'illustre rabbin vivait retir dans une maisonnette solitaire entoure de verdure, dans un quartier de Livourne. Chaque matin, l'aube, alors que, ceint des tefillin et envelopp de son ample taled, il disait ses prires, le son des cloches d'une glise voisine lui arrivait avec une mlodieuse douceur qui donnait toute la nature une voix religieuse, et il semblait qu'en entendant cet [17] appel des cloches catholiques, le grand penseur priait avec une plus intense ferveur. Par cette voix argentine, qui faisait rsonner dans ma mmoire les vers harmonieux du pote Dante Aligilieri come orologio che ne chiami Nell'ora che la sposa di Dio surge A mattinar lo sposo perch l'ami [18] Il se voyait en communion spirituelle non seulement avec tous ses frres isralites de tous les pays, priants la mme heure, mais encore avec tous les croyants rpandus sur la surface de la terre qui, en choisissant pour la prire les premires heures du jour, se montrent, sans le savoir, les disciples fidles des anciens matres d'Isral. [19] Je crois sentir quelque chose de ce qui se passait alors dans son me : cette voix lui rappelait peut-tre tout le plan de Dieu sur l'humanit et la mission spciale d'Isral et le lien profond, indissoluble, qui rattache Sion tous les peuples de la terre. La constitution du vritable messianisme est commence; bien des causes humaines en ont entrav la marche et compromis la ralisation, mais son achvement nanmoins est certain. Le Messie va venir, que dis-je? Le Messie vient! Vrit, justice, paix, fraternit voil ce que devait proclamer aux oreilles du pieux Rabbin chaque tintement de la cloche chrtienne; les jours arrivent, comme l'a prdit le prophte, o la terre sera remplie de la connaissance de Dieu, comme le fond de la mer par les flots qui le couvrent...[20] Peut-tre commence-t'-on entrevoir ce qu'Elie Benamozegh entendait par ce nom de noachisme qui fait l'effet d'une trs vieille chose dont on a dsappris l'usage. Ce n'est ni plus ni moins que le vrai catholicisme dont l'Eglise romaine a donn au monde une si choquante contrefaon; c'est la religion universelle dbarrasse des erreurs des cultes locaux et nationaux et relie de la faon la plus intime cette foi d'Isral dont la Bible et la tradition sont unanimes annoncer le triomphe final; c'est l'organisation religieuse de la famille humaine par la combinaison harmonieuse des deux lments laque et sacerdotal, qui ont chacun leur rle et leur raison d'tre. Sans que l'accomplissement des prceptes mosaques propres l'Isralite de naissance lui soit aucunement impos, le non-juif se voit confrer par l'adoration du Dieu unique et vritable le droit d'tre considr comme appartenant la vraie religion, comme participant rellement au culte dont la famille d'Aaron, au nom de tous, clbrait autrefois les rites extrieurs et dont le judasme actuel reste l'expression lgitime et ncessaire. Ainsi s'expliquent les maximes des Docteurs de la Synagogue: Quiconque abjure l'idoltrie est un vritable juif. Quiconque rejette le polythisme confesse toute la Loi . Ainsi ne ralise la parole du prophte l'adresse des trangers qui

s'attachent l'Eternel pour le servir et pour l'aimer: Ma maison sera appele une maison de prire pour tous les peuples . Benamozegh, n'eut pas de plus chre ambition que de grouper autour de la Synagogue, dans une troite union avec l'Isral religieux, des chrtiens de naissance convertis cette grande ide qui tait l'me de son me. Il me souvient d'un aprs midi d't c'tait sur la fin de sa vie ; nous avions eu ensemble sur ces graves questions un long entretien. Il parlait lentement, les yeux comme rivs sur quelque but invisible; il m'exposait quelle est, vis--vis d'Isral, la situation des non-juifs et comment ils sont appels constituer, avec une libert plus grande au point de vue culturel, la seconde face d'une mme religion divine. Soudain ses regards se fixrent sur moi et il me dit: Oui, et c'est par vous que je voudrais commencer . Ces paroles, il me les rpta plus d'une fois dans les lettres qu'il[21] me fit l'honneur de m'adresser et j'avoue ma honte que je ne les compris point tout d'abord. Dans la persuasion o j'tais qu'il est de l'essence d'une religion d'exiger une croyance absolue en ses dogmes et une entire soumission ses pratiques, de s'attribuer le monopole de la vrit et d'anathmatiser comme fausses toutes les autres confessions, je ne parvenais pas concevoir que le judasme pt observer une attitude sensiblement diffrente et, malgr toute l'admiration que dj je professais pour ses doctrines, je ne le voyais pas encore sous son vritable jour; je continuais le rapetisser en le jugeant avec une mentalit chrtienne ou catholique, c'est--dire comme une Eglise aux cadres bien dfinis en dehors desquels il ne saurait exister, pour l'me parvenue ou degr de foi o je me trouvais, ni paix intrieure, ni activit fconde. Il fallut, pour que je saisisse mieux le plan divin, tel que me l'expliquait le matre vnr, bien des rflexions et bien des tudes encore. Il fallut surtout que j'entreprisse la rvision de son manuscrit Isral et Humanit , travail auquel m'appela la confiance de son fils, M. Emmanuel Benamozegh, de qui je tiens les dtails intimes insrs dans la prsente prface et qui, avec une pit toute filiale et une persvrance qu'aucune difficult n'a pu rebuter, s'est employ depuis quatre ans mener bonne fin la publication de cet ouvrage [22] Je dois maintenant au lecteur quelques explications ce sujet.[23] Le livre qui voit aujourd'hui le jour a occup Elie Benamozegh pendant de nombreuses annes. Il y a condens toute sa pense religieuse, tout ce vaste systme dont je viens d'essayer de dgager les ides principales et d'esquisser les grandes lignes. On comprend donc l'intrt qui s'attachait cette publication. Il s'en fallait de beaucoup cependant que le manuscrit ft en tat d'tre livr l'impression. Tel qu'il existait la mort de l'illustre rabbin, il ressemblait plutt un volumineux canevas dont l'auteur se rservait de faire ultrieurement la rdaction dfinitive. Il ne comprenait[24] pas moins de dix-neuf cents grandes pages d'une criture compacte, sans alina, coupure, ni division d'aucune sorte, les feuillets tant crits au recto et au verso, ce qui indique bien qu'il n'entrait nullement dans la pense de l'auteur de le donner au public sous cette forme. L'aspect de ce manuscrit faisait tout naturellement songer quelque trait du Talmud, les matires y tant emmles, les digressions nombreuses, les rptitions, les dtours frquents. En outre, ce travail qui paraissait ainsi prpar en vue d'un enseignement oral, demeurait inachev. Aprs avoir tudi l'universalisme isralite dans le domaine spculatif, c'est dire l'ide que le judasme s'est faite de Dieu et des dieux , de l'homme et de l'humanit, et dans le domaine pratique, autrement dit dans la conception juive de la Loi, de la Rvlation, du mosasme et de la religion universelle, Elie Benamozegh se proposait de rechercher dans une troisime partie les traces de cet universalisme dans l'ide que le judasme s'est faite de lui-mme et de ses rapports avec le reste du genre humain, et de montrer comment dans sa vie intellectuelle, morale et civile, il a pris conscience de son caractre universel, comment enfin ce caractre s'est manifest dans les croyances relatives sa vocation, dans son histoire, dans

l'accomplissement de sa mission et dans sa conception de l'tat futur et dfinitif de l'humanit qu'il prpare et qui est le messianisme ou royaume de Dieu. Malheureusement cette dernire partie qui s'annonait comme la plus importante n'a pas t rdige par l'auteur; les notes informes qu'il avait commenc recueillir n'ont pas permis de la reconstituer. Sans doute tous les lments qui devaient y figurer se trouvent dj dissmins dans le reste de l'ouvrage, mais il et t intressant de les voir runis, condenss en un corps de doctrine qui aurait donn de la sorte cette magistrale tude son complet achvement. Malgr cette lacune considrable, on devait la mmoire d'Elie Benamozegh, de ne point laisser perdre le fruit de tant de travaux, de tant de recherches, et de faire paratre, mme sous ces proportions rduites, cette uvre si impatiemment attendue par ses disciples et dont il avait lui-mme si vivement dsir la publication. Mais comment l'ouvrage du savant rabbin allait-il voir le jour ?[25] On pouvait le publier tel quel, en se bornant lui faire subir, page aprs page, les corrections indispensables au point de rue du langage et en y introduisant les divisions ncessaires, ou bien le refondre entirement et en exposer sous une forme plus littraire, plus moderne, les ides essentielles en supprimant certains dveloppements accessoires. Aucun de ces procds ne pouvaient donner satisfaction aux disciples et aux amis de l'auteur, parce qu'ils ne respectaient ni l'un ni l'autre suffisamment la pense de ce dernier. C'tait la trahir en effet que d'diter sans modifications une uvre dont la forme restait si imparfaite et qui prsentait en grand nombre des rptitions, des longueurs, des interventions et des obscurits rsultant invitablement du manque de rdaction soigne. Et d'autre part, ce n'tait pas lui tre plus fidle que de publier un livre nouveau, ne ressemblent plus en somme l'original que part les donnes fondamentales. Dans ces conditions, je ne vis pas d'autre parti prendre que d'employer une mthode de rvision incontestablement plus difficile, mais qui au fond combinait les deux autres de la seule manire acceptable. Il s'agissait de corriger le style de l'ouvrage et de rdiger celui-ci aussi compltement que possible en suivant exactement l'ordre du manuscrit primitif et en faisant ce que vraisemblablement l'auteur et fait lui-mme, s'il lui avait t donn de mettre la dernire main l' uvre commence. Les intercalations, les digressions devaient tre les unes supprimes, les autres ramenes leur place naturelle. Certains passages, qui semblaient destins figurer plus tard comme notes additionnelles, ne pouvaient qu'tre retranchs compltement comme allongeant d'une faon inutile le travail. Je ne me suis cru toutefois autoris faire des coupures que lorsqu'elles m'ont paru absolument ncessaires pour la bonne marche de l'exposition. Je me suis efforc de rendre la lecture de ces pages aussi facile que le comportait la nature des sujets traits, en leur communiquant, dans la mesure du possible, cette forme franaise que l'auteur souhaitait tant leur pouvoir donner et en pratiquant de nombreuses divisions et subdivisions propres guider et reposer l'esprit dans cette laborieuse tude. Comme les titres des chapitres et des paragraphes ont t ainsi[26] ajouts dans un but d'ordre et de clart, il ne faut pas trop s'tonner si le contenu de ces diffrentes parties ne correspond pas toujours rigoureusement d'un bout l'autre aux brves indications donnes. Lorsqu'il m'a paru tout fait indispensable, sous peine de compromettre gravement la forme et avec elle la valeur mme de l'ouvrage, de complter ce qui demeurait inachev et de relier entre eux des passages qui autrement eussent fait l'effet de morceaux dtachs, comme l'auteur n'et certainement pas manqu de le faire en reprenant la rdaction de son manuscrit, je me suis appliqu rpondre cette ncessit littraire au moyen de phrases courtes rsumant exactement les dveloppements qui prcdent ou introduisant ceux qui devaient suivre. Mais dans tous ces dtails, comme dans l'ensemble de l'uvre j'ai toujours reproduit avec une fidlit scrupuleuse la pense de l'original. Ma proccupation d'entire exactitude a t telle que j'ai

laiss subsister bien des choses qu'il et t prfrable peut tre d'abrger ou de supprimer, mais qui, en raison de la place qui leur avait t donne par l'auteur, ne m'ont pas sembl devoir tre limines entirement. J'ai maintenu la division en trois parties principales qui tait dans le plan primitif, mais celles-ci, vu l'tat incomplet du manuscrit, reproduisent seulement la matire des deux premires dont le savant rabbin avait termin la compilation et qui se trouve actuellement r-partie sous ces trois titres gnraux: Dieu. L'Homme. La Loi. Enfin, pour remplacer dans une certaine mesure la troisime partie, qui faisait malheureusement dfaut, et donner tout au moins une forme acheve, j'ai ajout une conclusion pour laquelle il m'a fallu utiliser, soit les notes informes dont je parlais plus haut, soit les cinq confrences d'Elie Benamozegh sur la Pentecte qui figurent dans la collection de ses uvres imprimes, soit enfin les lettres personnelles qu'il me fit le grand honneur de m'adresser, en sorte que ces dernires pages rendent non moins fidlement que le reste du volume la pense de l'auteur. La somme de travail que l'ouvrage actuel reprsente serait peut-tre juge considrable, si l'on pouvait s'en faire une juste ide; cependant [27] elle est mes yeux peu de chose en comparaison de celle que le sujet lui-mme me parat mriter. Je n'ai pas eu d'autre prtention que de rendre possible la publication et la lecture du prcieux manuscrit d'Elie Benamozegh que l'on ne pouvait songer imprimer dans l'tat o il se trouvait la mort de ce dernier. Je ne me flatte certainement pas d'avoir fait disparatre toutes les obscurits. Indpendamment de celles qui peut-tre sont mes scrupules de rdacteur ou a mon insuffisance personnelle, il en est d'autres qui tiennent aux causes que j'ai indiques en parlant du caractre et des mthodes de l'auteur. Le rappel constant aux principes kabbalistiques droutera sans doute certains lecteurs peu prpars et en offusquer d'autres qui sont ports juger ces ides d'une manire dfavorable. Il vaut toutefois la peine de faire taire les impatiences et les prjugs, quand il s'agit d'un sujet qui intresse au plus haut degr tous les hommes religieux, tous les penseurs, d'un problme auquel un savant de la valeur d'Elie Benamozegh s'est appliqu donner une solution singulirement belle et profonde .[28]. A tous ceux qui ne se contenteront pas d'examiner superficiellement ce livre, mais qui consentiront lui consacrer une tude attentive, j'ose promettre un ddommagement pour leur fatigue. Une grande ide se dgagera de cette masse de matriaux, de ces discussions et de[29] ces textes; aprs les hsitations, les ttonnements d'une route longue et difficile, une lumire brillera. Je dois exprimer ici ma reconnaissance M. le grand rabbin Samuel Colombo de Livourne, disciple de l'illustre Benamozegh et hritier de sa science et de sa pit dans le ministre sacr, lequel a bien voulu relire mon travail et m'aider plusieurs fois de ses conseils. Soient remercis galement au nom des amis et admirateurs dElie Benamozegh et en particulier au nom de son fils M. Emmanuel Benamozegh, tous ceux qui ont contribu aux frais de publication du prsent ouvrage: M. le Baron Edmond de Rothschild, de Paris; M. Raffaello Ottolenghi, d'Acqui; M. Raffaello Rosselli, de Livourne; M. Salvatore Disegni de Livourne; M. M. Angiolo et Ugo Levi, de Venise; M. Giuseppe Archivolti, de Livourne; M. Cesare Tedesco, de Livourne; M. Emmanuel Pardo Roques, de Pise; M. Eugne Mirtil, de Paris; La communaut isralite de Livourne et celles de Gnes, de Vercelli et de Venise.[30]

III. On trouvera bien inusit assurment le fait de donner une introduction une prface, et pourtant il tait crit au livre des destines qu'il en serait cette fois ainsi, celui qui devait rdiger entirement ces pages prliminaires ayant t appel, avant de pouvoir achever le travail qu'il projetait, recevoir le baiser suprme de son Crateur. Parmi tous les hommes minents, qui au sicle dernier, ont jou un rle important dans le domaine religieux, il en est un dont l'exemple me parat particulirement instructif, non seulement parce qu'il fut vraiment grand par la noblesse du caractre, par le rayonnement d'une me prise du plus pur idal et par le don d'une incomparable loquence mise au service de la plus sainte des causes, mais parce qu'aucun autre penseur peut-tre, au cours d'une longue volution spirituelle, ne s'est rapproch davantage des immortels principes qui sont l'essence mme de la foi d'Isral. Cette individualit religieuse qui peut sembler certains gards indcise, flottante, a admirablement reprsent au contraire les combats et les aspirations de l'lite actuelle de l'humanit. En elle s'est incarne l'me de toute une poque; toute me gnration de chrtiens vit, palpite l avec ses incertitudes et ses doutes et se dbat entre les dfinitions d'une dogmatique dsormais inacceptable et les besoins nouveaux de la conscience religieuse. J'ai nomm M. Hyacinthe Loyson, qui, malgr les multiples changements dont il a donn pendant un demi sicle le spectacle, est nanmoins toujours demeur si bien le mme qu'il est rest pour tous, et jusqu' la fin, le pre Hyacinthe. Trois phases principales partagent l'existence de ce grand chrtien qui fut vraiment, lui aussi, un homme de Dieu dans toute la force du terme. Durant la premire, il dpensa, comme prtre et comme moine, son activit au service de l'Eglise romaine, qui tait celle de sa naissance, et il n'a cess de rpter qu'il devait ces vingt annes de sacerdoce quelques-unes de ses joies les plus pures et les plus profondes. Puis, quand il vit que la religion qu'il voulait servir tait compromise par des proccupations d'ambition temporelle et par une autorit despotique, n'ayant en ralit rien de commun avec la foi, quand il sentit [31] que ses tendances librales devaient tre fatalement touffes par le systme de compression intellectuelle et morale que Rome dj renforait de plus en plus et que, selon ses propres paroles, la cause de l'anarchie sociale, morale et religieuse, qui mine les races latines en gnral, est, dans la manire dont le catholicisme est depuis longtemps compris et pratiqu , il chercha donner celui-ci une forme plus souple, plus acceptable et plus conforme - il le croyait du moins alors - l'idal vanglique; ce fut l'poque des tentatives de rforme Genve et Paris et la priode la plus agite de sa vie. Enfin, il comprit peu peu que cette rforme sur les bases conciliaires tait incomplte, qu'il y a corriger d'autres erreurs non moins graves que celle de l'infaillibilit pontificale et qu'ainsi le malaise dont souffre la chrtient ne date pas de la proclamation de ce dogme, accident tout fait normal, ce me semble, dans l'histoire du christianisme, puisqu'il est l'application logique d'un principe pouss ses dernires consquences. Les barrires dogmatiques tombant peu peu ses yeux, son horizon religieux s'largit. De toutes les incarnations imagines par les hommes pour rapprocher d'eux l'infini, il spara rsolument, et sans jamais revenir en arrire, le Dieu vivant et ternel qui est en toutes les belles choses et toutes les belles mes, parce qu'Il est Celui qui est . Sa notion de la vraie religion se modifia entirement; il entrevit alors la vritable Eglise catholique, invisible encore, mais trs relle cependant, qui, fidle sa dfinition mme, ne connat aucune frontire ecclsiastique. Et sa foi au Dieu unique aboutissant, comme on l'a fort bien dit, un imprieux besoin de fraternit religieuse, on put le voir prier en Orient dans les mosques musulmanes, communier dans l'glise copte du Caire, prcher dans les temples protestants, frquenter la Synagogue avec une grande dification et entretenir les relations les plus affectueuses avec des reprsentants de toutes les confessions, aussi bien qu'avec des prtres de l'Eglise romaine qui lui sont demeurs fidles jusqu' la fin.

Le Pre Hyacinthe, dans ces diffrentes priodes de sa vie, n'a cr aucune autre uvre qui reprsente aujourd'hui sa pense. Il apparat ainsi[32] quelques-uns comme un homme qui n'a trouv nulle part la place qui lui convenait. Mais dans l'tat prsent du monde religieux, il n'en pouvait tre autrement. En localisant son action, il et diminu la porte de son exemple; toute Eglise ayant ncessairement un ct troit, particulier, son me de prophte n'et pu y respirer compltement l'aise. Il tait appel servir l'ide mme d'une Eglise universelle et non point une secte dtermine. L'homme vou au culte d'un tel idal se trouve par le fait mme condamn un certain isolement et en ce sens on peut soutenir avec raison que la largeur d'esprit n'est pas immdiatement cratrice. Mais s'il n'a rien fond, il a fait quelque chose de plus utile encore. Il a prouv l'insuffisance et l'impossibilit de la rforme tent au dbut de sa rupture avec Rome; il a surtout montr dans quel sens doit se transformer le christianisme pour devenir enfin le messianisme dont les disciples de Jsus avaient la prtention d'inaugurer le rgne. A ce point de vue l sa vie est l'illustration singulirement loquente de la doctrine qu'Elie Benamozegh a constamment prche en aptre convaincu. Si jamais deux croyants semblent avoir t destins se rencontrer, c'est bien assurment le Pre Hyacinthe et l'illustre rabbin livournais. Celui-ci en effet ne s'est-il pas efforc dans ses longs et persvrants travaux, de dgager des mouvements bibliques et traditionnels la formule du vrai catholicisme dont celui-l, de son ct, a poursuivi sans relche, durant toute son existence, une ralisation de plus en plus conforme au plan divin qui se rvlait lui? Ils ne se sont pourtant jamais vus ici-bas, mais ils n'en ont pas moins communi l'un et l'autre dans la foi un mme idal. L'ancien orateur de Notre-Dame, admirateur du prophte et hritier de leur souffle puissant, devait tre logiquement amen considrer comme, parfaitement normale, et mme vanglique en un sens, cette volution religieuse dont le savant fils d'Isral avait trac les lignes. Tout le poussait dans cette voie; sa passion de l'unit divine, fondement de l'unit humaine, y trouvait la meilleure rponse ses aspirations. Ou a prtendu que sa croyance au Dieu unique, vivant et personnel et l'me immortelle appele se perfectionner dans les[33] mystrieuses dispensations de l'au-del, croyance qui rsume toute sa thologie, ne reprsente que le disme de Jules Simon et de Victor Cousin sans aucune originalit. C'tait bien mal le connatre. Une foi qui vivifie et sanctifie toutes les penses et tous les actes d'un homme et que proclame chaque battement de son cur, est tout autre chose qu'une conception thorique, si belle et si respectable soit-elle. Un Dieu auquel l'me, consent les sacrifices que le Pre Hyacinthe n'a pas hsit accomplir et qui, avec le sentiment de son unit, de sa saintet et de son amour, inspire d'une manire si profonde le dsir d'une rconciliation universelle, n'est pas simplement le Dieu de la philosophie. En ralit, la religion du grand orateur tait celle que prchait Elie Benamozegh, celle qui fait des livres sacrs d'Isral un monument absolument part dans la littrature de tous les peuples, religion dont il aimait rechercher encore un panouissement dans les Evangiles. Sa pit personnelle tait du reste essentiellement juive; la lecture de la Bible et en particulier des Psaumes, en formait l'lment quotidien et je tiens de lui-mme que jadis ses suprieurs ecclsiastiques lui reprochaient avec surprise de citer plus frquemment dans ses sermons l'Ancien Testament que le Nouveau . Cette affinit de sa grands me avec la foi d'Isral s'affirmait dj en 1878 dans une dclaration tombe de sa bouche, publie l'poque par les journaux et de laquelle il rsulte qu' ce moment l dj, il ne restait ses yeux d'autre abri religieux pour l'humanit, aprs l'abandon du christianisme de la Trinit et de l'Incarnation, que le judasme, non pas tout entier sans doute, mais du moins la religion universelle qu'il renferme [34]. Si je voulais tre thiste dans un sens positif et vivant, je ne le serais pas avec les philosophes spiritualistes, encore moins avec les distes chrtiens; je le serais avec les juifs et les musulmans, deux religions sorties, non pas du cerveau abstrait d'un penseur, mais des flancs robustes du patriarche smite, l'une avec Isral, l'autre avec Ismal, ou plutt, parce que la premire et au-dessus[35] de la seconde,

Comme la femme libre est au-dessus de l'esclave, j'irais m'asseoir l'ombre de la Synagogue, franais de nation, juif de religion, je m'attacherais au thisme de la rvlation et du miracle, j'adorerais avec Isral ce Dieu de Mose plus grand que le Dieu de Platon, qui s'est nomm lui-mme: Je sais celui qui est . (Revue Politique 6 Juillet, 1878, pag. 12) Je les avais trouves, ces lignes significatives, reproduites en note par Elie Benamozegh dans une brochure publie par lui comme introduction au prsent ouvrage. Aprs la mort du savant rabbin livournais survenue en fvrier 1900, je mis sous les yeux de M Hyacinthe Loyson que je connaissais dj, mais d'une faon beaucoup moins intime, la citation dont il s'agit et plus tard l'tude que je publiai moi mme sur la solution de la crise chrtienne d'aprs les conceptions du matre qui avait eu une influence si dcisive sur mon volution religieuse [36]. Le Pre Hyacinthe en fut extrmement frapp. Au retour d'un voyage Rome, il s'arrta tout spcialement Livourne pour interroger le fils et les disciples du grand penseur religieux qui venait de lui tre rvl. Rapproch ainsi de moi par les circonstances, il ne cessa pas de tmoigner une affection croissante et un intrt toujours plus grand celui qui n'tait rien, mais qui reprsentait ses yeux, une ide importante: la rforme du christianisme par le retour aux principes du judasme. Vaguement entrevue par lui jusqu'alors, cette ncessit ne tarda pas s'imposer son esprit. Aussi me demandait-il avec une sollicitude constante de le tenir au courant du travail entrepris en vue de la publication du prsent ouvrage que l'auteur appelait son suprme effort. Lorsque l'offre lui en fut faite, il accepta avec empressement d'en composer la prface et, dans sa pense, ce n'tait point l une simple marque de sympathie pour ceux qui avaient sollicit cette faveur; en associant son nom celui d'Elie Benamozegh, il entendait marquer que l'idal propos par ce dernier avait rencontr l'assentiment de son me.[37] Je vois dj encore avec quelle attention soutenue il coutait la lecture des pages du volume en prparation et le rsum de nos causeries que je rdigeais pour cette prface qu'il allait lui donner. Avec quel accent de conviction profonde il me dit un jour: Mais c'est beaucoup plus qu'un livre! C'est une grande chose et qui suffirait occuper toute une vie . Hlas! la mort se lui laissa pas le temps de mettre la dernire main au travail commenc. Les pages, en forme de canevas, que l'on va lire, ne purent recevoir les dveloppements qu'il comptait leur donner; elles restrent jusqu'au dernier moment sur sa table de travail, porte de sa main, et les lettres qu'il m'crivait encore peu de jours avant son dpart de ce monde [38] attestent qu'elles occupaient constamment sa pense. Au cours de l'un de nos derniers entretiens ce sujet, qui avaient lieu dans sa tranquille chambre de la maison familiale, rue du Bac, si paisible avec sa vue des grands arbres du jardin des Missions, si bien prserve des bruits du grand Paris grondant alentour, qu'on et dit encore une cellule monacale, il me dit comme m par un secret pressentiment: Si je viens mourir, publiez cela. Ces lignes rsument bien nos causeries et reproduisent fidlement les ides que je voulais exposer . Ce furent ses propres paroles. En remplissant aujourd'hui les intentions de mon vnr ami, j'ai conscience d'accomplir quelque chose de plus qu'un acte de pit filiale. Qu'on veuille bien en effet se reprsenter les sentiments qu'aurait prouvs Elie Benamozegh s'il avait pu prvoir dans quelles conditions son grand ouvrage serait publi et comment la Prface en allait tre rdige. Ce concours que des chrtiens de naissance devaient apporter son uvre, ralisant ainsi son plus ardent dsir, n'et-il pas combl de joie son me? N'et-il pas vu l le commencement de cette grande chose qu'il appelait de tous ses vux? Lui qui ne demandait ses efforts en faveur des ides qui lui taient chres d'autre rcompense que le triomphe de ces ides elles- mmes, il n'et jamais espr, mme[39] aux heures du labeur le plus enthousiaste, un meilleur ddommagement ses peines que le rsultat obtenu par son ouvrage avant d'avoir t livr au public.

-Elie Benamozegh, Hyacinthe Loyson! Le Dieu de vrit qu'ils ont aim ici-bas et pour la gloire duquel ils ont vcu, les a accueillis l'un et l'autre dans ses demeures ternelles, et devant le monde qui pense, qui cherche, qui soupire aprs une rnovation religieuse, voici que leurs deux noms se trouvent associs dsormais. Pour moi, je considre le fait d'avoir pu tre un trait d'union entre eux comme un privilge et une bndiction dont je remercie avec une humilit profonde le Matre souverain de nos destines. Le lecteur tablira de lui-mme les rapprochements qui s'imposent entre ces deux vies dpenses au service de causes diverses en en apparence, mais qui en ralit se fondent en une mme Cause suprieure et ternelle. Le Dr Berliner, la fin d'une tude consacre au savant rabbin livournais [40] s'exprime ainsi: Dans le domaine des connaissances humaines et surtout dans celui de la science juive proprement dite, Elie Benamozegh s'est propos de grandes choses et il en a ralis quelques-unes. Pour tout ce qu'il lui a t impossible d'atteindre, pour tout ce que nous considrons comme inachev dans son uvre, attendons, selon le Talmud, la venue du vritable Elie, ! Ces paroles ne pourraient-elles en grande partie s'appliquer exactement aussi au Pre Hyacinthe?[41] Attendons, mais certes; puisque aussi bien la perfection est devant nous et non pas dans les brumes du pass, puisque le plan divin est peine bauch et que nous ne faisons qu'entrevoir encore l'aurore des temps messianiques. Mais que cette attente ne soit point passive et strile. Recueillons pieusement les leons qui se dgagent de ces pages dans lesquelles deux grands croyants runis comme autrefois Melchisdek et Abraham, nous ont livr le fruit de leurs mditations religieuses. Ce n'est pas seulement leurs voix que nous y entendons encore; c'est l'Eglise des Gentils adorateurs du vrai Dieu, c'est toute l'antique Isral, avec sa qualit de prtre de l'humanit, qui, fraternellement rapprochs, nous lguent ensemble, au milieu de nos incertitudes, un encouragement dans le prsent, un enseignement pour l'avenir. AIM PALLIERE (Loetmol)

References1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. LATTES, Vita e opere di Elia Benamozegh, 1 vol. dit. Belforte, Livorno, 1901, pag. 20. Page VIII Imprimerie Ottolenghi, Livourne, 1839. Page X Page X Page XI La Kabbale comprend deux lments: l'un purement spculatif qui peut tre considr comme une thologie vritable destine nous instruire de ce qui nous devons croire de Dieu aussi bien que de la nature et de l'homme dans leur rapports avec Dieu; l'autre essentiellement pratique, qui n'est pas autre chose que l'application des principes de thologie spculative. Celle-ci nous enseigne en effet que de mme que le grand homme, dans le domaine scientifique, artistique ou militaire gouverne la foule de ses semblables, ainsi dans le domaine religieux qui embrasse et dpasse l'ordre social comme l'ordre naturel, l'homme suprieur, le saint, le prophte, peut dominer la nature extrieure lui-mme plus ou moins compltement selon son degr d'lvation spirituelle et l'tendre du champs o s'exerce son action. On consultera utilement sur cette question dans la Nuova Antologia, anne 1896, p. 763, une trs remarquable tude signe Un Orientalista sur l'ouvrage d'Isaac Myer: The philosophical writings of Salomon Ben Jeudah Ibn Gebirol, Philapdelphia, 1888 (Note des diteurs).

8. Page XII 9. Page XIII 10. Lettere a S. D. Luzzatto - Livorno, 1890, p. 78. 11. Voir Zori Gilead de notre auteur, apologie victorieuse de son Em lammicr aux grands rabbins de Jrusalem qui a paru dans le journal Lebanon aprs les invitations ritres de plusieurs missionnaires de Palestine Voir aussi la prface en franais de notre auteur au livre Zichron Jeruscialaim du rabbin Elie Hazan - Livourne, 1874. 12. Page XIV 13. Page XV 14. Page XVII 15. Quand en 1902 et 1903 Frderic Delitzsch, tint Berlin la Singakademie, en prsence de l'empereur et de l'impratrice d'Allemagne, ses deux clbres confrences sous le titre de Babel und Bibel, dans lesquels il pensait dmontrer que la loi et la civilisation hbraque n'taient qu'une copie tardive de la civilisation et de la loi assyro-babyloniennes, il se trouva assurment des critiques de valeur, allemands et trangers, tels que J. Barth, Fr. Hommel, Alfred Jeremias, D. R. Kittel, M. Knieschke et beaucoup d'autres pour prouver la faiblesse des conclusions de Delitzsch. Il n'en est pas moins vrai qu'une foule de gens, croyants ou incrdules, savants ou ignorants, s'murent comme s'il s'agissait d'une dcouverte capable de ruiner les bases de la religion ou de jeter du moins l'inquitude dans les consciences. Mais au contraire ceux qui connaissaient et avaient dj accept les doctrines d'Elie Benamozegh, n'prouvrent aucune surprise, prpars qu'ils taient prcisment certaines objections. Ils dcouvrirent mme dans les conclusions de Delitzsch de nouveaux et puissants arguments pour confirmer leur foi dans l'esprit qui anime toute la tradition hbraque. Voir, Dr S. Colombo Nozze CavFranco Tip. Belforte, Livorno, 1904. 16. Page XVIII 17. Page XVII 18. Paradiso, X, 139 19. Il est dans la tradition isralite de considrer la prire en commun comme plus agrable Dieu. Aussi quelle motion et quelle joie notre pieux matre ne devait-il pas prouver quand il sentait que sa pense s'levait ainsi vers Dieu en union avec toutes les mes croyantes! Il n'ignorait pas non plus et il rptait souvent ses disciples que les prires chrtiennes s'inspirent frquemment des penses et des sentiments de nos vieux Psaumes, bien mieux, qu'elles ne sont la plupart du temps qu'une traduction de ces psaumes eux-mmes. Il voyait ainsi s'accomplir la parole des prophtes annonant la conversation des nations au vrai Dieu. Les anciens prophtes et les auteurs inspirs de la Bible devenus les matres religieux des peuples modernes, quelle consolation pour le grand et vnr rabbin et quelle gloire pour Isral! 20. Page XVIII 21. Page XIX 22. Voici la liste des ouvrages d'Elie Benamozegh, telle qu'il l'a donne lui-mme dans sa Bibliothque de l'Hbrasme (Belforte, 1897) recueil priodique qui devait publier ses diffrentes uvres indites: Spinoza et la Kabbale brochure dtache de l'Univers Isralite. La tradition Mosaque dans l'Univers Isralite. Morale juive et Morale chrtienne dit. Kauffman, Paris 1867 ouvrage couronn par l'Alliance Isralite. Le crime de la guerre dnonc l'humanit ouvrage qui a obtenu mdaille et mention honorable dans le concours de la ligue de la Paix, sur le rapport de Jules Simon, d'Ed. Laboulaye et de M. le snateur Frderic Passy. Introduction Isral et l'Humanit. Storia degli Esseni, dit. Le Monnier, Firenze, 1865.

Cinque conferenze sulla Pentecoste , Livorno, tip. Benamozegh, 1886. Teologia dogmatica, Dio ed. Vigo, Livorno, 1877. Lettere a S.D. Luzzatto, Livorno, 1890. Dans la Rivista Bolognese annes 1868-70 de M. Panzacchi, divers articles: Frderic II de Sicile et les tudes hbraques. Plotin et Samuel (du Talmud). De la priode mitoyenne entre la Bible et les Rabbins. Dans la Rivista Bolognese de M. de Gubernatis: La cration selon l'Hbrasme (thosophique). Le Fonti del diritto ebraico e il testamento Samama 1 vol. Livourne, Zecchini, 1882 Contro replica sull'argomento stesso Vigo, 1883. Critica criticabile Apologia contro la Rev. Europ. La verita sulla querele Tubiana 1861. La verita sulle due tipografie Tubiana e Benamozegh. Le Pentateuque ou Em Lammicra texte et notes en hbreu, 5 vol. Emat mafghia Rponse l'ouvrage antikabbalistique de Leon de Modene, en hbreu, 1855. Taam lechad Rfutation des Dialogues sur la Kabbale du Prof. Luzzatto, en hbreu. Jaan beasch sur la crmation, en hbreu, rimprim par le fils de l'auteur, Livourne 1906. Introduction gnrale tous les monuments de la Tradition, en hbreu, publi en partie dans le Lebanon Zori Ghilead Apologie de l'Em Lammicra en rponse aux grands rabbins de Jrusalem. Ne sont pas compris dans cette liste divers crits de moindre importance, parmi lesquels l'Eloge de Victor Emmanuel II, que M. Emm. Benamozegh compte runir en un volume. 23. Page XXII 24. Page XXIII 25. Page XXII 26. Page XXIV 27. Page XXIV 28. Pour rpondre aux exigences actuelles de la science qui n'affirme rien qu'elle ne puisse exactement prouver d'aprs les monuments littraires, historiques et artistiques de l'poque ou du peuple qu'il s'agit d'tudier, notre grande proccupation, avant de publier cet ouvrage, tait d'y ajouter toutes les citations ncessaires, notamment celles des sources hbraques o notre auteur a puis la plupart de ses arguments les plus importants. Il avait song lui-mme complter ainsi son uvre, car il possdait si parfaitement les matires dont il parlait qu'il n'avait nul besoin d'avoir habituellement sous les yeux les textes originaux auxquels il s'en rfrait. Certain de ne rien citer du Talmud, de la Kabbale et des autres crits rabbiniques qui ne fut rigoureusement exact, il n'a donc pas toujours indiqu dans son manuscrit la provenance de ses citations. Nous aurions dsir suppler entirement cette lacune, mais la difficult et la longueur des recherches dans un domaine si vaste, la ncessit pressante de ne pas retarder plus longtemps la publication de l'ouvrage annonc et attendu depuis tant d'annes, le dsir de voir enfin se raliser le vu le plus cher de notre matre, tout cela nous a contraints renoncer au travail de documentation que nous aurions voulu entreprendre. Mais de mme que le grand docteur de la Mischna, R. Eliezer, n'affirmait rien qu'il n'eut entendu de la bouche de ses matres, de mme le lecteur peut tre assur qu'Elie Benamozegh n'avanait rien non plus qu'il ne fut en tat de prouver par les grands monuments de notre tradition religieuse et pas les diverses productions philosophiques et littraires des peuples anciens et modernes. Pour les lecteurs qui ont un besoin inn de croire et de raisonner, d'tre des hommes de lumire et de progrs, sans cesser pour cela d'tre des juifs religieux "Isral et l'Humanit" constitue dj un document de premier ordre. Cette uvre tablit clairement en effet ce que pensait, sur ces graves sujets, un de nos plus

illustres savants, lev aux pieds des matres de la prcdente gnration, qui, dans son amour pour la Thora, est parvenu s'assimiler toute la philosophie des sicles passs et toute la culture moderne et qui, pour tout dire, sut garder la foi des anciens ges tout en raisonnant selon les ncessits de la science actuelle 29. Page XXV 30. Page XXVI 31. Page XXVII 32. Page XXVII 33. Page XXVIII 34. Ce sont l les propres paroles de Benamozegh comme prambule la citation qu'il a faite de ce passage 35. Page XXIX 36. Elie Benamozegh et la solution de la crise chrtienne, par Loetmol Univers Isralite, Aot 1902. 37. Page XXX 38. M. Hyacinthe Loyson est mort le 9 fvrier 1912 et sa dernire missive ce sujet est du 25 Janvier. 39. Page XXXI 40. Jdische Presse, aot 1900. Indpendamment de cet article et de celui de l'Univers Isralite cit plus haut, on peut encore consulter sur la vie et les uvres d'Elie Benamozegh: Un article de Flaminio Servi dans le Vessillo Israelitico . Angiolo de Gubernatis dans le Dizionario biografico Francesco Pera dans ses Biografe Livornesi . M. le Snateur Guido Mazzoni dans la revue italienne L'Ottocento . Il pensiero religioso di Elia Benamozegh - confrences de M. le rabbin Samuele Colombo de Livourne. 41. Page XXXV

Isral et L'Humanit - Prface de Hyacinthe LoysonCe devrait tre la proccupation constante de notre christianisme de se rformer sans cesse. Comme il y a chez lui, ct de l'lment divin, un lment humain qui participe invitablement l'instabilit et aux imperfections des choses de ce monde et qui d'ailleurs est appel se modifier pour pouvoir s'adapter au dveloppement intellectuel, il est toujours ncessaire de travailler concilier la science et la foi, comme il est indispensable aussi de lutter contre les abus ventuels par un rappel frquent aux principes constitutifs. En fait, on sait qu'il n'en est pas habituellement ainsi, car la religion tant aussi la tradition des [1] anctres, l'instinct lgitime de conservation ne dgnre que trop aisment en formalisme et en routine. Le besoin n'en subsiste pas moins et l'histoire du christianisme avec ses sectes innombrables l'atteste loquemment. Le protestantisme, qui en a donn la formule en quelque sorte dfinitive, ne se prsente pas autrement que comme un retour au christianisme de St Paul, des aptres et de Jsus. A une poque o les excs de l'absolutisme papal me sont clairement apparus, je me suis efforc de faire quelque chose de semblable dans cette Eglise catholique que j'ai toujours profondment aime et ma tentative est peut tre prcisment intressante par son insuccs lui-mme, car il montre qu'il y a dans le christianisme d'autres points vitaux qui demandent tre corrigs galement. Et cette ncessit est pareillement ressentie par le protestantisme, qui, de tous cts, rclame son tour une rforme de la Rforme. Il est extrmement intressant de voir un rabbin, un reprsentant autoris de la Synagogue, exprimer son avis sur cette importante question. On peut certes adresser aux juifs le reproche d'avoir trop longtemps gard le silence. Sans doute les conditions difficiles dans lesquelles ils se sont trouvs, pendant tant de sicles, dans les milieux chrtiens, et o les maintenaient nos prjugs et nos haines injustes, les contraignaient cette attitude efface. Mais aujourd'hui qu'ils jouissent d'une libert entire, il est ncessaire qu'ils fassent entendre leur voix. Ncessaire,[2] dis-je, car comment comprendrons nous le christianisme, si le judasme, la religion dont il est issu, est mconnu? On oublie trop que Jsus fut juif. Qu'on le veuille ou non, on n'y changera rien. Les isralites sont nos pres dans la foi; c'est eux que nous sommes redevables du don inestimable de la croyance au Dieu unique. Ils nous doivent aujourd'hui la raison de leur protestation sculaire contre notre interprtation du rle et des enseignements de Jsus. Aussi nous rjouissons nous de voir un savant de son peuple nous donner son avis sur notre crise religieuse et en chercher la solution. Je n'ai pas eu la satisfaction de connatre personnellement le rabbin Elie Benamozegh et je le regrette d'autant plus que j'ai su qu'il s'tait intress mes expriences religieuses. En outre, ce que j'ai lu des crits de ce grand penseur, et en particulier de cet important ouvrage Isral et l'Humanit , m'a vivement frapp. On ne saurait s'attendre assurment ce qu'un rabbin parlant du christianisme se place au mme point de vue qu'un thologien chrtien. Cependant la doctrine d'Elie Benamozogh est au fond beaucoup moins destructive du christianisme qu'on ne serait tent de le croire au premier abord. Les thologiens chrtiens ne voyaient autrefois dans l'Ancien Testament qu'une prfiguration du Nouveau. C'est Jsus que les prophtes ont annonc. Le Christ venu, la mission du judasme est

termine; une nouvelle alliance se substitue l'ancienne. Jsus[3] fonde l'Eglise avec sa hirarchie et ses sacrements; un jour viendra o le chef de cette Eglise se donnera comme l'interprte infaillible de la doctrine rvle. On ne sait que trop que l'exgse indpendante et en particulier la critique des Evangiles ont ruin de fond en comble ces donnes traditionnelles. Mais alors, avec elles, c'est le christianisme tout entier qui s'croule comme une construction arbitraire, factice, inconsistante. Elie Benamozegh prtend en sauver la meilleure part. Il transporte les racines, les fondements du christianisme dans la plus haute tradition hbraque. La Rvlation de Dieu est unique, sa Loi galement; mais cette Rvlation et cette Loi ont une double face: l'une qui ne regarde qu'Isral, la race sacerdotale, et l'autre destine l'humanit tout entire. Cette dernire n'est autre que le messianisme, autrement dit la religion universelle. Or le christianisme, dans la conception hbraque telle que nous l'expose l'auteur d' Isral et l'Humanit , apparat, de mme que l'islamisme, cette autre grande et puissante religion apparatra plus tard, comme un essai de ralisation du messianisme isralite. Dans la mesure o il est fidle l'idal prophtique, il doit subsister; dans la mesure o il s'en carte, il est appel se rformer. Comment le christianisme ainsi conu peut se rattacher encore la personnalit de Jsus, c'est une question que la pit individuelle peut trancher pour son propre compte, mais dont la solution n'intresse[4] plus directement le messianisme dans son volution historique. Quelque radicale que soit alors la critique scientifique dans son tude des origines chrtiennes, du caractre et du rle de Jsus, le christianisme demeure, non plus il est vrai comme une religion acheve, parfaite, dfinitive, parce que divinement rvle dans toutes ses parties, mais comme un commencement de ralisation d'un plan bien antrieur la venue de Jsus. En envisageant les choses sous ce jour l, on voit que la porte reste ouverte toutes les rformes, toutes les amliorations ncessaires, car puisqu'il s'agit d'un essai, on comprend qu'il peut avoir t sur tel ou tel point malheureux et rien ne s'oppose ce qu'on rvise, pour employer l'expression de Benamozegh, la copie sur l'original. Au contraire, tout ce qu'il y a de meilleur dans la pit chrtienne, la foi en la paternit de Dieu, la rgnration humaine, au triomphe de la paix, de la justice, de la fraternit universelle, tous ces trsors qui ne nous viennent certainement pas du paganisme grec ou romain, mais bien de la tradition, du patrimoine hbraque, subsistent et peuvent encore lgitimement s'appeler la religion de Jsus, car nous ne voyons pas qu'il en et ni qu'il en pt avoir une autre. Dans la ralit historique, nous savons qu'il n'a institu aucun rite, aucun sacrement, aucune Eglise. N juif, il voulut vivre et mourir juif, et depuis les langes sanglants de sa circoncision[5] jusqu'au suaire embaum de sa spulture, accomplir les seuls rites de sa nation [6]. Elie Benamozegh, par le prsent ouvrage, a fait justice d'une erreur communment rpandue chez nous autres, chrtiens: celle qui consiste ne voir dans le judasme qu'un monothisme national, qu'une religion ethnique. Il nous montre dans l'antique tradition d'Isral les aspirations les plus nettement universalistes, sans aucune arrire pense d'assujettissement des Gentils au mosasme. Il apporte ainsi une contribution prcieuse l'tude du problme religieux. Certes, il n'a pas eu la prtention de tout dire dans un livre, mais il a fray une voie: il est souhaiter que d'autres s'y engagent aprs lui et travaillent par ce moyen la rconciliation si dsirable des juifs, des chrtiens et des musulmans et par eux de la famille humaine tout entire. Hyacinthe Loyson.[7]

References Page XXXVI Page XXXVII Page XXXVIII Page XXXIX Page XL Tout ce passage a t, peu de jours aprs la rdaction de ces lignes, rpt textuellement par M. Hyacinthe Loyson dans la confrence qu'il donne le 3 dcembre 1911 l'Union des Libres penseurs et des Libres croyants pour la culture morale et qui fut le dernier discours public de l'inoubliable orateur 7. Page XLI 1. 2. 3. 4. 5. 6.

' " ' LA GLOIRE DU DIEU D'ISRAL ET DE L'HUMANIT ET LA MMOIRE DU FILS BIEN AIM QUE JE PLEURE [1] JE CONSACRE, COMME MON SUPRME EFFORT, CETTE OEUVRE LAQUELLE IL TRAVAILLA AVEC MOI POUR LA. DFENSE DES SAINTES CROYANCES QUI NOUS FURENT CHRES[2]

AVERTISSEMENT DE L'AUTEUR Quelques observations prliminaires sur le sujet de cet ouvrage, l'opportunit et la forme de sa publication ne paratront pas inutiles. Je n'ignore point qu'on prfre aujourd'hui les livres d'histoire et de critique aux traits dogmatiques. On tient beaucoup, peut-tre trop, tre renseign sur ce qui est, et pas assez sur ce qui doit tre. Pourtant il n'en est pas des sciences sociales, morales et philosophiques, comme des sciences descriptives, physiques et naturelles. La mthode qui convient celles-ci ne s'applique pas celles-l. Dans le monde physique ce qui importe, c'est de connatre ce qui est; dans le domaine moral, c'est de savoir ce qui doit tre; l'tude de l'tat prsent des choses n'a de valeur qu'autant qu'elle contribue nous l'apprendre. C'est donc, mon avis, un travers de notre poque que ce discrdit jet sur les questions doctrinales et il faut esprer qu'on se ravisera sur ce point comme sur tant d'autres. En outre, le prsent travail n'est que la simple constatation d'un fait par l'emploi de la mthode la plus rigoureuse. Les caractres d'une religion universelle se retrouvent partout et toujours dans l'hbrasme; ce n'est point notre faute si certaines conclusions en dcoulent ncessairement. Il est possible toutefois que la franchise avec laquelle j'aborde et discute les plus dlicats problmes m'attire, d'un ct ou de l'autre, quelque hostilit, malgr tout le respect que je professe pour les opinions contraires aux miennes, quelles qu'elles soient. Cette considration cependant ne saurait me dcourager. Certes, je n'cris que dans l'espoir de gagner mes lecteurs aux ides que je crois vraies; mais si je devais chouer, malgr tout, plus ou[3] moins compltement, il me suffira d'avoir jet un germe qui, j'en ai la ferme conviction, tt ou tard fructifiera. Je dois ajouter enfin que si, pour ce travail, j'ai adopt le franais, ce n'est pas que je me flatte de pouvoir triompher des difficults inhrentes l'emploi d'une langue trangre, c'est uniquement par le besoin d'tre lu. Qu'on veuille donc bien, en me lisant, faire la part des imperfections qu'un Italien de naissance ne pouvait viter. J'accepte d'avance toutes les critiques, pourvu que l'on daigne m'couter. Je supplie le lecteur de distinguer entre l'uvre et son ouvrier et de ne point mpriser le contenu mme de l'ouvrage cause de la forme qui lui a t donne.[4]

References1. Alexandre Benamozegh, jeune homme de grande esprances, lve-rabbin, mort la fleur de l'ge Livourne, en 1878, 2. Page XLII 3. Page 1 4. Page 2

INTRODUCTION

Chapitre I.Tout le monde s'accorde dire que nous traversons une grande crise religieuse, mais on ne remarque pas aussi gnralement que celle ci se prsente sous un triple aspect. En effet, au conflit entre la religion et la science qui est l'tat aigu et dont, par consquent, on se proccupe davantage, s'ajoutent l'antagonisme des religions entre elles et le travail d'volution qui s'opre simultanment au sein de chaque Eglise. La lutte entre les religions a commenc avec le christianisme. Avant qu'il proclamt le Dieu unique et une seule foi pour toute l'humanit, chaque peuple avait ses dieux particuliers et reconnaissait l'empire lgitime des divinits trangres sur les autres contres; bien loin de chercher en supplanter le culte comme faux et impie, il croyait que le devoir de chaque nation tait d'adorer les dieux qui prsidaient ses destines. Avec le christianisme au contraire, et c'est son plus grand titre de gloire, il n'y a plus qu'une seule religion qui puisse procurer le salut et tout autre culte devient sacrilge. Mais si cette ncessit d'unit religieuse fut comprise de tous, l'accord ne s'est pourtant pas fait sur le choix de la vritable religion. Aprs avoir triomph de l'antique paganisme, le christianisme n'est pas encore parvenu convertir ses croyances tous les membres de la famille humaine. Nous ne parlons pas des grandes religions de l'Orient et des religions paennes qui subsistent encore dans les autres parties du monde. Bien que le nombre de leurs[1] adhrents surpasse de beaucoup celui de toutes les Eglises chrtiennes runies, il n'est pas douteux qu'elles ne soient depuis longtemps en pleine dcadence et que leur influence ne soit nulle ou fort restreinte; ce n'est pas elles que l'avenir appartient. Les religions, qui comptent, ce sont celles qui sont issues de l'hbrasme; nous ne dirons pas, comme on le fait d'ordinaire, issues de la Bible, parce qu'elles sortent vraiment de l' hbrasme tout entier, Bible et Tradition, et parce que leur vitalit, leur activit prsente et leur avenir dpendent autant de ce qu'elles doivent la Tradition que de ce qu'elles doivent la Bible, peut tre mme davantage. Malheureusement ces filles de la mme mre sont loin de s'entendre, et c'est ainsi qu' l'antagonisme entre la civilisation moderne et la religion vient s'ajouter celui des religions entre elles. Du moins la paix rgna-t-elle dans chacun de ces diffrents cultes? Nullement. Des tendances diverses travaillent incessamment troubler l'harmonie intrieure des Eglises. Partout o une autorit extrieures n'impose pas silence aux voix discordantes, les divergences se manifestent au grand jour; elles taient librement leurs professions de foi dont le nombre ne cesse de se multiplier. Telle est la division des esprits en matire religieuse qu'on en est arriv considrer comme l'unique solution possible l'absence de toute croyance dogmatique, c'est dire qu'on fait un gage de concorde de ce qui est prcisment la preuve la plus manifeste de la dsunion et du morcellement spirituel. Dans les Eglises mmes o une autorit s'oppose toute vellit d'indpendance, l'unit n'est qu'apparente. Ou se tait, on se rfugie dans l'quivoque, on se soumet, mais en ralit on ne s'entend pas. Il arrive aussi parfois que la proclamation de nouveaux dogmes pousse hors de l'Eglise des hommes qui en taient nagure encore les membres les plus dvous. Et ces nouveaux dogmes eux-mmes, que sont-ils, sinon des variations? Variations consacres par l'autorit suprme et prsentes par elle comme de simples dfinitions, mais qui n'en rvlent pas moins des modifications profondes survenues dans l'tat des croyances, avec cette particularit que les organes officiels qui proclamant ces dogmes, sanctionnent des innovations, au moment mme o ils

prtendent assurer l'immutabilit de la foi. Ainsi la crise intrieure des Eglises achve de compliquer les deux autres conflits. Mais au fond, nous l'avons dit, il s'agit d'une seule et mme crise, qui n'est pas autre chose que la lutte entre la foi et la[2] raison, soit que celle-ci, en voulant juger le monde et la socit, se trouve aux prises avec les croyances traditionnelles, soit qu'elle se mette tudier, la lumire de la critique historique, de l'exgse et de la science, les prtentions contradictoires des diverses religions, soit enfin qu'en travaillant au sein mme de chaque Eglise, elle y provoque le libre examen et, incapable de se contenter des anciennes formules, pousse les esprits en rechercher de nouvelles qui lui permettent de se rconcilier avec la foi.

Chapitre II.La crise une fois constate, on se demande quelle en sera l'issue. La rupture depuis longtemps commence entre le ciel et la terre, l'idal religieux et la ralit historique, sera-t-elle consomme pour jamais? Le combat sculaire entre les formes rivales que la religion hbraque a revtues n'aura-t-il qu'un rsultat purement ngatif et la raison humaine devra-t-elle prononcer leur commune dchance? En d'autres termes sommes-nous la veille de voir le monothisme juif convaincu d'impuissance sous ses trois formes, hbraque, chrtienne et musulmane, et balay de la face de la terre comme le polythisme l'a t il y a dix neuf sicles? Et cette hypothse se vrifiant, que mettra-t-on sa place? Sera-ce le rationalisme? Ce n'est pas ici le lieu de discuter fond la possibilit de cette substitution. On a crit sur l'insuffisance du rationalisme pur comme religion bien des pages rudites. On a montr avec raison qu'il ne saurait jamais tre la religion du grand nombre et qu'il est incapable de satisfaire les besoins du cur humain. Mais une tude plus attentive nous ferait dcouvrir sans peine des arguments plus srieux encore, plus philosophiques, plus profonds. On verrait en effet que la Religion, adoration et culte de l'Absolu, ne peut tre un simple produit de l'esprit humain; son rle tant de contenter la raison, de lui ouvrir des horizons inconnus et de l'initier une vie suprieure, Il faut, pour tre l'expression de la vrit totale, qu'elle embrasse non seulement tout l'ensemble des choses intelligibles, mais encore ce ct mystrieux de l'ternelle existence qui surpasse et surpassera toujours nos sens et nos facults, autrement dit il faut qu'elle soit rvle. On verrait que toute religion rationaliste, ncessairement changeante comme[3] la raison lui-mme dont elle manerait, est une impossibilit, car l'adoration implique la croyance inbranlable que son objet est la vrit immuable, sans quoi ce serait une adoration toute provisoire et l'on a quelque peine se reprsenter l' humanit prosterne devant un autel qu'elle aurait la certitude de voir renvers demain. Qu'on ne se mprenne pas cependant sur notre pense; nous ne voulons pas dire que la Rvlation une fois admise, l'esprit humain se trouve pour toujours arrt dans sa marche et qu'il n'ait pas tudier de plus en plus, soit la ncessit de cette rvlation, soit le sens et la porte qu' il lui faut attribuer, de mme qu' il a examiner aussi les titres et la valeur des diverses rvlations qui rclament son adhsion religieuse. Nous affirmons seulement qu'au sein d'une religion rvle, l'esprit humain croit adorer la vrit absolue, tandis qu'il est de l'essence d'une religion rationaliste de ne permettre aucune confiance de ce genre et de n'offrir ses fidles que des abris momentans. L'histoire est l, d'ailleurs pour nous prouver que tous les essais de cultes purement rationalistes ont sombr dans l'impuissance et le ridicule et que la ncessit d'une religion rvle se fonde aussi bien sur la nature de l'homme que sur celle de Dieu. Aurons-nous donc un nouveau Sina? Une Loi nouvelle nous viendra-t-elle, du ciel? Il n'est personne qui attende de ce ct l le salut de l'humanit. Ceux qui croient aux rvlations anciennes

ne pensent pas pouvoir sans infidlit en esprer une nouvelle et ceux qui n'y veulent voir que des lgendes ne sauraient admettre aujourd'hui la possibilit de ce qu'ils nient dans le pass. D'autre part, les penseurs indpendants, tout en admettant le principe et la ncessit d'une Rvlation, sont bien loin de considrer celle-ci la manire des simples comme un phnomne miraculeux dtach de la vie, du dveloppement historique de l' humanit, sans aucun lien avec l'organisation psychologique de la nature humaine. Ils comprennent que la Rvlation, si elle existe ne peut tre qu'unique, comme cette autre rvlation matrielle qui est la nature et qu'elle doit tre, comme celle-ci, immuable. Ils savent enfin qu'elle n'est possible qu'au dbut de l'humanit, car une facult toute spciale, la spontanit, fonctionne, ces premiers ges, en religion comme dans toutes les branches de l'activit humaine; elle cesse ensuite pour ne plus revenir, lorsque la vie spirituelle et matrielle est enfin tablie sur ces bases. Les seules traces de cette facult primitive, dernires lueurs d'un flambeau qui s'teint,[4] nous apparaissent plus tard, de trs rares intervalles, chez ces tres part qui, dans l'tat adulte de l'humanit, semblent conserver les privilges de son enfance, ou qui, du sommet o les place leur exceptionnel gnie, voient poindre l'extrme horizon l'aube des crations nouvelles. Si donc il n'y a plus de rvlation attendre notre poque, s'il ne faut plus compter ni sur le judasme, ni sur le christianisme ou l'islamisme, si la raison toute seule est incapable de crer un culte durable quel sera l'avenir religieux de l'humanit? Se passera-t-elle de toute religion? Nous serions surpris qu'il se rencontrt encore quelques esprits srieux capables d'admettre la possibilit d'une telle solution et de la croire dfinitive. Soit que l'on ait la foi, soit que l'on ne veuille voir dans les croyances religieuses qu'une dcevante illusion, personne en effet ne songe nier cet instinct puissant qui pousse tout tre pensant adorer quelque chose de suprieur. Comment donc parviendra-t-on donner satisfaction cet instinct, l'un des plus forts sans contredit et, selon la direction qu'on lui imprime, l'un des plus fconds de notre espce? Le genre humain se verrait-il condamn, dans la fonction la plus sublime de sa constitution spirituelle, une soif inapaise et la nature n'aurait-elle pas enfant la plus parfaite de ses cratures que pour l'assujettir une rvoltante contradiction dont aucune autre de ses uvres n'offre le moindre exemple? Et quel sera le sort de l'homme ainsi mutil? que deviendront les institutions sociales qui toutes ont leur base un principe fourni par la science par excellence, qu'on l'appelle la mtaphysique ou la religion? On a dit trs juste raison que la mtaphysique n'est que de la thologie en robe courte; elle ne gardera pas longtemps droit de cit, aprs que la religion proprement dite aura t dfinitivement congdie. Le malheur est que le droit, la justice, la beaut morale, la vertu, la libert, l'hrosme, le sacrifice ne sont pas autre chose que de la mtaphysique en pratique on ne voit pas en vrit comment de telles notions pourront encore tre conserves, quand on en aura tari l'unique source. Assurment tout le monde n'aperoit pas immdiatement le rsultat final d'un principe pos. La socit a une telle force d'inertie qu'il faut toujours plus ou moins de temps pour que les transformations opres par les ides qu'elle accepte apparaissent enfin dans toute leur tendue, mais la logique tire toujours la longue les consquences des prmisses. Dj mme certains libres[5] penseurs ont pris hardiment leur parti de voir la morale disparatre avec la mtaphysique et cder la place l'intrt personnel comme unique rgle de conduite. Ainsi s'enchanent fatalement les ngations, prcipitant les hommes sans religion jusqu'au bord d'un abme d'o l'il recule pouvant. On se demande donc vers qui se tournera l'humanit, quand elle aura rejet comme suranns tous les cultes traditionnels et que, nanmoins, le besoin de religion se fera de plus en plus imprieusement sentir. Pour rsoudre ce problme une double recherche est ncessaire et nous y convions maintenant nos lecteurs.

Chapitre III.Toutes les religions, que la libre pense proclame aujourd'hui dchues, ont elles fait leurs preuves d'une manire complte, et en second lieu, est ce bien comme religions universelles qu'elles ont exerc leur action dans l'histoire? En ne qui concerne le christianisme et l'islamisme, cela n'est pas douteux. Or ces deux religions ayant prsent pour ainsi dire une double version d'un mme original, l' hbrasme, puisque l'une et l'autre a prtendu raliser la vritable religion d'Isral, il semble que celle-ci se trouve son tour , et par le fait mme, doublement convaincue d'impuissance. Il n'en est rien cependant. Si le christianisme et l'islamisme ont donn au monde tout ce qu' ils taient susceptibles de lui apporter, on n'en peut pas dire autant du judasme traduit par eux de la faon la plus incomplte et la plus dfectueuse. On ne saurait prtendre surtout que le judasme ait jamais fait ses preuves sous l'aspect de religion universelle. Mais le judasme est il une religion universelle? A cette question rpond un fait vraiment unique dans l'histoire religieuse, trop mconnu cependant et que nos modestes efforts tendront mettre en lumire: c'est que le judasme a donn naissance deux puissantes religions qui, ds leur apparition, n'ont aspir rien moins qu' convertir le genre humain tout entier. Peut on soutenir que cette tendance commune au christianisme et l'islamisme soit trange la religion juive, mre de l'un et de l'autre? O donc auraient-ils puis ce principe inconnu l'antiquit et contraire son gnie? Serait-ce chez les philosophes? Chacun sait que les fondateurs de ces deux religions[6] n'ont point cherch auprs d'eux leurs inspirations. Se pourrait-il qu'ils le possdassent comme un bien propre dont ils ne seraient redevables personne? Mais en ce cas on ne voit pas comment, avec des aspirations entirement nouvelles, ils auraient pu se donner pour les reprsentants authentiques, pour les lgitimes hritiers du judasme, dclarent solennellement, comme ils l'ont fait l'un et l'autre, que leur rle se bornait raliser ses promesses. Il est peine besoin d'ajouter que tout, dans la vie de Jsus comme dans celle de Mahomet, s'oppose cette hypothse d'une conception originale se dtachant du fond commun. D'ailleurs le gnie lui-mme a besoin d'une culture approprie et de circonstances favorables pour s'lever de telles hauteurs et si l'ide premire de cet empire universel des mes n'avait point exist en Isral, c'est en vain que des hommes, si grands qu'ils fussent, l'auraient prche; ils n'auraient trouv ni aptres pour propager leurs doctrines, ni fidles pour les embrasser. On ne peut pas dire que ce principe, mal dfini au dbut, s'est peu peu prcis comme toutes les conceptions nouvelles, aprs une longue priode d'volution, car pour ne parler que du christianisme, dont l'islamisme plus tard n'a fait que suivre l'exemple, il est certain que son ardeur de