EL HOYEK Samir Reprezentari Identitate

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UNIVERSITÉ CHARLES DE GAULLE – LILLE 3 U.F.R. DES SCIENCES DE L’ÉDUCATION REPRÉSENTATIONS IDENTITAIRES ET RAPPORT À LA FORMATION CONTINUE - Cas des enseignants de français du Liban - Thèse de doctorat en Sciences de l’éducation présentée par Samir EL HOYEK Directeur Raymond Bourdoncle, professeur à Lille 3 Composition du jury Barrère Anne, professeur à Lille 3 Cros Françoise, professeur au CNAM Lautier Nicole, professeur à l’université d’Amiens - Septembre 2004 -

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UNIVERSIT CHARLES DE GAULLE LILLE 3 U.F.R. DES SCIENCES DE LDUCATION

REPRSENTATIONS IDENTITAIRES ET RAPPORT LA FORMATION CONTINUE- Cas des enseignants de franais du Liban -

Thse de doctorat en Sciences de lducation prsente par Samir EL HOYEK

Directeur

Raymond Bourdoncle, professeur Lille 3 Composition du jury Barrre Anne, professeur Lille 3 Cros Franoise, professeur au CNAM Lautier Nicole, professeur luniversit dAmiens- Septembre 2004 -

Avant-propos

Ce travail est le fruit de multiples contributions. Je mentionnerai - le soutien et laccompagnement de mon directeur de thse, M. Raymond Bourdoncle - la contribution financire du Conseil de la Recherche de lUniversit Saint Joseph de Beyrouth (qui a financ lenqute) - lappui de la Direction gnrale du Ministre de lEducation Nationale - les services du Bureau de statistique du CRDP - les services statistiques de Matrix TRC Je voudrais galement nommer toutes les personnes qui ont pris part cette recherche par des contributions trs diffrentes mais toujours efficaces : Monseigneur ZEIDAN Camille, P. TABET Marwane, Mre BOU MOUSSA Gabrielle, ADRA Bouchra, Sr. AOUN Augustine, ABOU RJAYLI Suzanne, BAROUD Ziad, CHAMOUN Mounir, DALLAL Kamal, DIRANI Leila, ESTEPHAN Kamal, Moghaizel Nasr Nada, Sr KARAM Marcelle, KHORASSANDJIAN Marcelle, KHOURY Samir, OUEIJANE Nada, SAADEH Georges, SAMAHA Michel, SANJAKDAR Ahmad, SEMAAN Walid, YAZIGI Antoine, ZOHRABIAN Garine et Frre ZRAYBI Habib. Que ces organismes et ces personnes trouvent ici lexpression de ma reconnaissance. Je voudrais galement exprimer ma reconnaissance ceux qui mont soutenu tout le long de la prparation de cette recherche, Katia mon pouse, Hani et Zeina mes enfants.

SOMMAIREINTRODUCTION1.Un apprentissage sur le tas 1.1.Les rvlations du terrain 1.2.Le renouvellement pdagogique, un problme national 1.3.Une question lancinante : Comment expliquer le rejet de la formation ? Les enseignants qui rclament la formation Les enseignants qui refusent la formation 18

1.4.Une problmatique 2.A la recherche de la preuve 2.1.La dmarche et les options mthodologiques Une double investigation Le champ dinvestigation Lenqute par questionnaire

2.2.Les options conceptuelles 2.3.La problmatique et les grandes hypothses 2.4.Les objectifs de la recherche 3.Lorganisation de la thse

PREMIRE PARTIE LES REPRSENTATIONS IDENTITAIRES ET LA FORMATIONCHAPITRE I LE CONCEPT DE REPRSENTATION Introduction 1.Le concept de reprsentation dans les crits de Freud 2.Le concept de reprsentation dans la pense philosophique 3.Le concept de reprsentation en sociologie et en psychologie sociale : 3.1.Reprsentation, mythe et idologie 3.2.Reprsentation et attitude Le concept dattitude: dfinition, caractristiques, fonction, 35 36 38 42 42 45

1

facteurs dterminants Lattitude et la reprsentation

3.3.Reprsentation et catgorisation 3.4.Reprsentation et identit 4.Le concept de reprsentation en psychologie cognitive 4.1.Nature et contenu de la reprsentation Image cognitive stabilise fonction adaptative Structure noyau central et lments priphriques

50 50 52 53

4.2.Reprsentation et modle mental 5.Le concept de reprsentation 5.1.Dfinition 5.2.Caractristiques Stabilit et rsistance Fonction dintgration et dadaptation

57 59 59 60

Conclusion

63

CHAPITRE II LE CONCEPT DIDENTIT Introduction 1.Les identits ou lidentit ? 1.1.Identit positive et identit ngative 1.2.Identit ouverte et identit ferme 1.3.Identits collectives 1.4.Identit sociale et identit personnelle 2.Le soi, limage de soi et lidentit 3.Lvolution du concept didentit 3.1.Positions essentialiste et nominaliste 3.2.Apports de lanthropologie psychanalytique, de la psychologie sociale et de la sociologie Lanthropologie psychanalytique La psychologie sociale La sociologie 66 67 67 68 68 70 72 75 75 75

4.La construction de lidentit 4.1.Le rapport lautre 4.2.La conscience de soi 4.3.La socialisation Les thories de la socialisation La conception de Claude Dubar

78 78 81 84

5.Les finalits et les stratgies identitaires

88

2

5.1.Les finalits identitaires Unit de sens et auto-attribution de valeur Reconnaissance sociale

89

5.2.Les stratgies identitaires Conclusion

92 96

CHAPITRE III LES FORMES IDENTITAIRES ET LES IDENTITS PROFESSIONNELLES Introduction 1.Les formes identitaires La forme rflexive ou relationnelle pour soi La forme narrative ou biographique pour soi La forme culturelle La forme statutaire

101 102

2.Les identits professionnelles 2.1.Lidentit professionnelle en lien avec les identits sociale et personnelle 2.2.Etude comparative des typologies 2.3.Les identits professionnelles de Dubar 3.Les identits professionnelles des enseignants 3.1.Les identits de Maheu et Robitaille 3.2.Les identits de Pouchain-Avril 3.3.Les identits de Trancart Conclusion

104 104 105 110 114 115 118 123 127

CHAPITRE IV LE CONCEPT DE FORMATION CONTINUE Introduction 1.Tentative de dfinition et problmatique 1.1.Formation et efficacit 1.2.Formation et profil attendu 1.3.Formation et autonomie 1.4.Problmatique de la formation 2.Objectifs et typologies de la formation continue 130 130 131 132 134 134 1353

2.1.Les besoins de la formation 2.2.Les objectifs de formation 2.3.Les typologies de formation 3.Professionnalisation et conceptions du mtier 3.1.Le concept de professionnalisation 3.2.Les conceptions du mtier denseignant 3.3.Le concept de comptence 4.Innovation et changement 4.1.La notion dinnovation 4.2.Le dsir de formation Premier ensemble de dterminants Deuxime ensemble de dterminants Troisime ensemble de dterminants

137 139 143 147 147 152 155 158 158 161

4.3.Les obstacles la formation 4.4.Les facteurs dterminant lattitude de lindividu en formation Au plan des rapports sociaux Au plan psychologique

167 173

4.5.Les facteurs dterminants le changement suite une formation Les proprits du stage Les proprits de lenvironnement Les proprits de lindividu

179

Conclusion

195

CHAPITRE V LE RAPPORT LA FORMATION Introduction 1.Le concept de motivation 1.1.Dfinition de la motivation 1.2.La motivation travers lhistoire et les disciplines 1.3.Thories et conception actuelles 1.4.Les facteurs de motivation 1.5.Les facteurs de dmotivation 2.Les dynamiques motivationnelles dengagement en formation 2.1.Analyse de la littrature francophone et anglophone 2.2.Dfinition des concepts de base 2.3.Les dynamiques dengagement en formation 198 199 199 200 202 205 207 210 210 211 2124

3.La formation en tant quoffre ou assignation identitaire 3.1.La formation est en lien avec lidentit 3.2.La formation, projet identitaire propos ou assign La notion de projet La formation, projet de soi pour autrui Lidentit, projet de soi pour soi

216 216 219

4.Les dynamiques identitaires et le rapport la formation 4.1.Les transactions identitaires 4.2.Les identits professionnelles et le rapport la formation 4.3.Les identits enseignantes et le rapport la formation 5.Les reprsentations identitaires et le rapport la formation 5.1.Les points communs aux deux dynamiques motivationnelle et identitaire 5.2.Entre les deux perspectives 5.3.Impact direct de reprsentations identitaires particulires Conclusion

224 224 226 229 236 237 238 241 242

DEUXIME PARTIE UN TERRAIN PARTICULIER : LENSEIGNEMENT DU FRANAIS AU LIBANCHAPITRE VI LE MTIER DENSEIGNANT Introduction 1.Un mtier en crise 1.1.Mtier image ambigu 1.2.Mtier en volution Problmes dmographiques Transformations socio-conomiques Transformations culturelles Evolution technologique et scientifique 247 247 248 251

1.3.Malaise et crise didentit Tche plus lourde et plus complexe Statut ambigu et perte de prestige Affaiblissement du rle des cadres collectifs Une crise identitaire

255

2.Un mtier impossible 2.1.Mtier de lhumain Travail pour des tres humains

258 258

5

Travail sur des tres humains Travail avec des tres humains

2.2.Mtier objectifs multiples et contradictoires Les objectifs scolaires sont nombreux et varis Les objectifs scolaires sont gnraux et imprcis Les objectifs scolaires sont contradictoires

261

2.3.Mtier paradoxal rationalit limite 3.Un mtier quon apprend sur le tas 3.1.Les multiples tches de lenseignant Prparer le cours Faire cours Maintenir lordre Favoriser la participation Evaluer Adapter le curriculum

263 264 265

3.2.Socialisation et exprience professionnelles Lenseignant expert La pratique professionnelle La socialisation professionnelle Lexprience professionnelle

271

3.3.Savoir enseignant et savoir dexprience 4.Un mtier de linteraction 4.1.Impact des facteurs personnels et organisationnels Enseigner au primaire et enseigner au secondaire Rapport la discipline denseignement Enseignantes et enseignants

277 279 280

4.2.Rapport ltablissement et aux collgues Deux catgories dtablissement Leffet tablissement et le rle du chef Rapport aux collgues

287

4.3.Rapport aux lves Relations affectives Interaction dans un contexte de malentendu Rapports de pouvoir

291

5.Un mtier phases multiples 5.1.Les phases Entre dans la carrire Stabilisation Exprimentation et diversification Remise en question Srnit et distance affective Priodes difficiles

296 296

5.2.Degr de satisfaction Dfinition

300

6

Prsupposs thoriques Rsultats des tudes empiriques Conclusion

5.3.Composantes de lidentit et postures denseignant Postures denseignants Construction de lidentit

306

6.Un vritable dinosaure 6.1.Mtier traditionnaliste 6.2.Raisons de limmobilisme Conclusion

310 310 311 312

CHAPITRE VII LENSEIGNEMENT AU LIBAN Introduction 1.Le systme ducatif 1.1.Un systme deux voies 1.2.La structure de lenseignement 1.3.Le nouveau programme Au plan de lorganisation scolaire Au plan des disciplines scolaires Au plan mthodologique

317 319 320 323 323

2.Les deux secteurs public et priv 2.1.Quelques comparaisons entre les deux secteurs 2.2.Problmes particuliers du secteur public Problmes structurels Problmes conjoncturels

327 327 329

3.Les enseignants 3.1.Statuts et conditions dengagement 3.2.Conditions dexercice du mtier Horaire et temps de travail Le salaire Prestige social et attrait du mtier La scurit de lemploi Le rapport pdagogique

335 336

3.3.Au Liban comme partout ? Lenseignement au Liban et les normes internationales Nombreux points communs Une diffrence capitale

344

Conclusion

3487

CHAPITRE VIII LES ENSEIGNANTS DE FRANAIS DU LIBAN Introduction 1.Donnes socio-dmographiques 1.1.Pourcentage crasant des femmes Groupe professionnel compos 92,2% de femmes Des femmes de moins de quarante ans Des femmes ayant des responsabilits familiales

350 350 350

1.2.Pourcentage rduit des qualifis Les deux tiers sans diplme universitaire Les diplms universitaires surchargs Prs des deux tiers enseignent dans le secteur public

353

1.3.Contact intense avec les lves 2.Lexprience quils ont de la formation continue 2.1.Lorganisation de lenqute auprs des organismes de formation Le choix de la priode Lchantillon des organismes de formation continue

356 358 358

2.2.Lorganisation de la formation La priode de 1997-98 2001-02 La notion de stage

361 364

2.3.Les caractristiques de cette formation Formation impose Objectif du stage impos par les responsables Sur le temps libre Selon une logique de la qualification Des formateurs qualifis

3.La problmatique de lenseignement du franais 3.1.Le franais dans lenvironnement socio-culturel libanais Le rapport des Libanais la langue franaise Le franais dans lenvironnement culturel

368 368 374 375

3.2.Le franais dans lenseignement scolaire 3.3.Le franais dans lenseignement universitaire Les universits francophones Le franais, premire langue des tudes universitaires et de la recherche

3.4. Le nouveau programme et la problmatique de lenseignement du franais Le programme denseignement du franais Le degr de matrise du franais

377

8

Bilan de lenseignement scolaire du franais

3.5. Le rapport des lves la langue franaise Le franais comme langue Lenseignement-apprentissage du franais Le franais compar langlais Le franais compar larabe

381

Conclusion

386

TROISIME PARTIE LA PROBLMATIQUE ET LA MTHODOLOGIECHAPITRE IX LA PROBLMATIQUE ET LES HYPOTHSES Introduction 1.Une problmatique volutive 1.1.Au point de dpart 1.2.Apport du concept de reprsentation Apport conceptuel Nouvelle dfinition de la problmatique

389 389 389 390 392 394 398 402 402 403 404 405 407 408

1.3.Apport du concept didentit Apport conceptuel Troisime dfinition de la problmatique

1.4.Apport du concept de formation continue Apport conceptuel Quatrime dfinition de la problmatique

1.5.Apport de ltude du champ dinvestigation Apport de lanalyse Cinquime dfinition de la problmatique

2.Un corps dhypothses 2.1.Hypothses relatives au rapport aux lves 2.2.Hypothses relatives au rapport la discipline 2.3.Hypothses relatives au rapport au mtier 2.4.Hypothses relatives limage de soi 2.5.Hypothses relatives au rapport la formation Conclusion

9

CHAPITRE X LA MTHODOLOGIE Introduction 1.Lenqute exploratoire auprs des enseignants 1.1.Lchantillon Les paramtres du choix des tablissements scolaires La constitution des groupes dentretien La reprsentativit de lchantillon-tablissements La reprsentativit de lchantillon-enseignants 411 412 412

1.2.Le guide de lentretien 1.3.Le droulement de lentretien 1.4.La transcription et le dpouillement 1.5.Les rsultats remarquables 2.Lenqute par questionnaire auprs des enseignants 2.1.Les axes du questionnaire Les variables indpendantes Les variables dpendantes

419 420 422 424 434 434

2.2.Lchantillon Le champ du choix Les paramtres du choix La reprsentativit de lchantillon-tablissements francophones La reprsentativit de lchantillon-enseignants de franais

436

2.3.La passation du questionnaire Lquipe des enquteurs La prparation des enquteurs Les conditions de passation

442

2.4.Le traitement des donnes recueillies Premier traitement des donnes brutes Les traitements statistiques des rsultats

443

QUATRIME PARTIE LES RSULTATS DE LENQUTEINTRODUCTION DE LA QUATRIME PARTIE449

10

CHAPITRE XI LE RAPPORT AU METIER Introduction 1.La motivation des enseignants de franais entrer dans le mtier 1.1.La variable secteurs priv et public 1.2.La variable cycle denseignement 1.3.La variable catgories dtablissement 2.Leur reprsentation de la reprsentation que lentourage a du mtier 2.1.Les variables socio-dmographiques La variable secteurs priv et public La variable cycle denseignement La variable catgories dtablissement 452 453 453 454 455 456 456

2.2.Les variables identitaires La variable reprsentation que les enseignants ont du mtier

457 459 459

3.Leur degr dattachement au mtier 3.1.Les variables socio-dmographiques La variable secteurs priv et public La variable cycle denseignement La variable catgories dtablissement La variable sexe des enseignants

3.2.Les variables identitaires La variable degr de satisfaction des rsultats scolaires La variable degr de mobilit

461

4.La reprsentation que les enseignants de franais ont de leur mtier A Responsabilit reconnue lgard des lves 4.1.Les variables socio-dmographiques La variable dveloppement socio-conomique La variable mixit du groupe-classe La variable tat matrimonial de lenseignant

462 462 463

4.2.Les variables identitaires La variable degr de satisfaction des rsultats scolaires La variable degr dattachement la discipline

464

B Images quils ont de leur mtier 4.3.Les variables socio-dmographiques La variable secteurs priv-public La variable cycles denseignement La variable catgories dtablissement La variable sexe des enseignants

466 466

4.4.Les variables identitaires

468 11

La variable degr de satisfaction des rsultats obtenus en franais

Synthse

469

CHAPITRE XII LE RAPPORT LA LANGUE FRANAISE Introduction 1.Le rapport de lentourage la langue franaise 1.1.Les variables socio-dmographiques La variable dveloppement socio-conomique La variable secteurs priv et public La variable cycle denseignement La variable catgories dtablissement 474 474 475

1.2.Les variables identitaires La variable rapport des enseignants de franais la langue franaise La variable rapport de leurs collgues la langue franaise La variable rapport de leurs lves la langue franaise La variable place quoccupe le franais dans ltablissement

477

2.Le rapport des collgues la langue franaise 2.1.Les variables socio-dmographiques La variable la mixit du groupe-classe La variable dveloppement socio-conomique La variable secteurs priv et public La variable cycle denseignement La variable catgories dtablissement

479 480

2.2.Les variables identitaires La variable rapport des lves la langue franaise La variable rapport des enseignants de franais la langue franaise La variable place quoccupe le franais dans ltablissement La variable degr de satisfaction des rsultats obtenus en franais

482

3.La place de la langue franaise dans ltablissement 3.1.Les variables socio-dmographiques La variable dveloppement socio-conomique La variable mixit du groupe-classe La variable secteurs priv et public La variable cycle denseignement La variable catgories dtablissement

485 485

3.2.Les variables identitaires La variable rapport de leurs lves la langue franaise

488

12

La variable rapport des enseignants de franais la langue franaise La variable degr de satisfaction des rsultats scolaires La variable enseignants de franais laise dans leur discipline La variable rapport que les enseignants entretiennent avec leurs lves La variable rapports que les enseignants entretiennent avec leurs collgues

4.Le degr de satisfaction des rsultats obtenus en franais 4.1.Les variables socio-dmographiques La variable dveloppement socio-conomique La variable mixit du groupe-classe La variable secteurs priv et public La variable cycle denseignement La variable catgories dtablissement La variable le sexe de lenseignant

491 491

4.2.Les variables identitaires La variable rapport des lves la langue franaise La variable rapport de lentourage la langue franaise La variable enseignant laise dans la discipline enseigne La variable rapport de lenseignant avec les lves

494

5.Le rapport des lves la langue franaise 5.1.Les variables socio-dmographiques La variable dveloppement socio-conomique La variable mixit du groupe-classe

497 497

5.2.Les variables identitaires La variable rapport des lves la langue franaise La variable rapport de lentourage la langue franaise La variable place du franais dans ltablissement La variable degr de satisfaction des rsultats en franais des lves La variable enseignant laise dans sa discipline La variable rapport de lenseignant aux lves

499

6.Le rapport des enseignants de franais la langue franaise A A laise dans la discipline enseigne 6.1.Les variables socio-dmographiques La variable dveloppement socio-conomique La variable mixit du groupe-classe

502 502 502

6.2.Les variables identitaires La variable rapport des lves la langue franaise La variable rapport de lentourage la langue franaise La variable place du franais dans ltablissement La variable degr de satisfaction des rsultats en franais des lves

503

13

B La reprsentation que les enseignants de franais ont de cette langue 6.3.Les variables socio-dmographiques La variable sexe des enseignants La variable secteurs priv-public La variable cycles denseignement La variable catgories dtablissement

504 505

6.4.Les variables identitaires La variable rapport de lentourage la langue franaise La variable rapport des collgues la langue franaise La variable rapport des lves la langue franaise La variable place du franais dans ltablissement

507

Synthse CHAPITRE XIII LES RAPPORTS SOCIAUX 1.Le rapport aux lves 1.1.La responsabilit reconnue leur gard 1.2.Le rapport aux lves Les variables socio-dmographiques La variable dveloppement socio-conomique La variable secteurs priv-public La variable mixit du groupe-classe La variable cycle denseignement La variable catgories dtablissement La variable tat matrimonial de lenseignant

509

514 514 514

Les variables identitaires La variable rapport de lentourage la langue franaise La variable place du franais dans ltablissement La variable rapport des lves la langue franaise La variable degr de satisfaction des rsultats en franais des lves

1.3.Synthse 2.Le rapport aux collgues et ltablissement 2.1.Le rapport aux collgues Les variables socio-dmographiques La variable secteurs priv et public La variable cycle denseignement La variable catgories dtablissement

520 523 524

2.2.Le rapport ladministration 2.3.Synthse Conclusion

526 529 531

14

CHAPITRE XIV LE RAPPORT A LA FORMATION Introduction 1.Lutilit de la formation continue 1.1.Les constituants de la professionnalit de lenseignant La variable secteurs priv et public et cycle denseignement La variable catgories dtablissement 533 533 533

1.2.Attentes relatives la formation continue La variable secteurs priv et public La variable cycle denseignement

536

1.3.Objectifs escompts de la formation continue 1.4.Utilit de la formation continue 2.Lapport des stages 2.1.Les objectifs des stages et les organismes organisateurs 2.2.Lvaluation par les enseignants de lapport des stages 2.3.Les facteurs dterminants La variable organisateur du stage La variable objectif du stage La variable degr de satisfaction des rsultats en franais des lves

537 538 541 541 542 542

3.Le rapport des enseignants de franais aux stages 3.1.Les variables socio-dmographiques La variable sexe des enseignants La variable anciennet dans le mtier La variable secteurs priv et public La variable catgories dtablissement

545 546

3.2.Les variables identitaires La variable objectif du stage La variable organisme organisateur

550

Synthse

552

CHAPITRE XV LES SIX DYNAMIQUES DENSEIGNANTS Introduction 1.Le Reprage et la lgitimation des six dynamiques 1.1.Le reprage des six dynamiques 1.2.La lgitimation des six dynamiques Aux mmes paramtres, des rsultats contrasts Des rsultats diffrents aux variables socio-dmographiques Des rsultats diffrents aux variables identitaires 556 556 556 558

15

2.Les six identits denseignants 2.1.Lidentit stigmatise 2.2.Lidentit de retrait Au plan du rapport au mtier Au plan du rapport aux lves Au plan du rapport la discipline Au plan des rapports sociaux

560 561 563

2.3.Lidentit dducateur Au plan du rapport la discipline Au plan du rapport au mtier Au plan du rapport la formation

566

2.4.Lidentit de professionnel Au plan du rapport au mtier Au plan du rapport la discipline Au plan du rapport aux lves

568

2.5.Lidentit disciplinaire Au plan du rapport au mtier Au plan du rapport la discipline Au plan du rapport la formation Au plan des rapports sociaux

571

2.6.Lidentit rsigne Au plan du rapport au mtier Au plan du rapport la discipline Au plan du rapport aux lves Au plan du rapport la formation

573

SYNTHSE DE LA QUATRIME PARTIE 1.Bilan de la vrification des hypothses partielles Hypothses infirmes Hypothses qui nont pas pu tre vrifies

576 576

2.Impact des reprsentations sur les rapports composant lidentit professionnelle 3.Impact des reprsentations identitaires Reprsentation de pouvoir Reprsentation dimage sociale valorise

578 579

4.Ces reprsentations composent des structures 5.Existence de six dynamiques ou identits enseignantes

581 581

16

CONCLUSION1.Lapport de la recherche 1.1.Ses particularits 1.2.Ses apports Au plan national Au plan de limage que lenseignant a de lui-mme Au plan de lanalyse des reprsentations identitaires Au plan de lanalyse des problmes de formation 582 582 583

1.3.Ses intrts pratiques 2.Les limites de la recherche 2.1.Le problme de la gnralisation des rsultats 2.2.Le problme du changement 3.Suites donner

586 587 587 588 588

BIBLIOGRAPHIE

591

ANNEXES

613

17

INTRODUCTION

Cette thse est le fruit dune longue exprience professionnelle. Pendant trente ans, nous avons appris travailler avec les enseignants de franais du Liban, en tant que collgue dabord, puis, en tant que coordinateur-formateur et organiser leur formation1. Pendant cette longue priode, nous avons t appel analyser les besoins des apprenants de franais ainsi que ceux de leurs enseignants, les attitudes des uns et des autres et le problme majeur de linertie de ces derniers, nous voulons dire, leur tendance tre rptitifs, oublier, ou pire, refuser de changer suite aux formations qui leur sont assures. Cest donc une constante, le rapport nigmatique des enseignants la formation continue, qui nous a amen entreprendre une investigation au bout de laquelle les concepts de reprsentation, didentit et dattitude se sont imposs comme concepts cl de lanalyse de ce rapport. Aussi, depuis quelques annes, avons-nous une quasi-certitude : le rapport de lenseignant la formation est li aux reprsentations quil a de lui-mme et de son mtier. Nous en avons fait une hypothse de travail. Nous aurions pu ici mme prsenter notre projet de thse ex post, cest--dire aprs lavoir entirement termin et lavoir rdig en fonction non de son droulement rel, mais des ncessits de la dmonstration acadmique qui loigne quelque peu les ala et les scories que nous a imposs la ralit. Nous aurions prsent comme geste inaugural et fondateur une problmatique qui sest en fait construite progressivement. Nous en aurions dduit une mthodologie qui permette de la confronter lempirie. Enfin, par un dernier geste, celui de la collecte empirique, nous aurions effectu cette confrontation do surgirait lvidence de la preuve. Malheureusement, cette belle ordonnance fut bouscule par la ralit. La passation de lenqute auprs dun chantillon national dtablissements scolaires ne pouvait se raliser uniquement selon les prescriptions de notre propre agenda. Quand loccasion propice sest prsente, nous navions pas encore boucl notre problmatique. A ct de la problmatique et desJtais encore jeune tudiant quand jai commenc, en 1968, enseigner le franais. Puis, en 1972, je devins coordinateur du franais dans le mme tablissement. Depuis 1982, je suis formateur denseignants de franais. En 1998 le CRDP me confia la charge de former les formateurs des enseignants de franais de lenseignement public. De 1999 2002, je fus responsable de la Commission de franais, au bureau de coordination et de formation du Secrtariat de lenseignement catholique.1

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hypothses que notre exprience nous avait permis de construire nous disposions de tout loutillage thorique la base de notre recherche et de loutillage qui avait servi aux chercheurs ayant explor le mme domaine. Mais nous navions pas encore termin la rdaction de notre cadre thorique ni donn nos hypothses oprationnelles leur forme finale. Fallait-il pour autant reconstruire de manire rhtorique et rdactionnelle le processus de recherche rel. Fallait-il mettre dans lordre attendu ce qui advint dans un autre ordre, qui nen fut pas moins significatif pour nous, ni nous lesprons, sans valeur dmonstrative pour vous ? Nous avons choisi de dire exactement ce que fut le processus rel de recherche plutt que de nous donner, de faon fallacieuse, la couverture de canons ; car cest cela que nous pouvons en toute honntet, assumer et dfendre devant vous, qui avez juger cette thse. Cette introduction nous servira de cadre pour dcrire notre double cheminement. Dans un premier temps, nous dirons ce que nous avons appris sur le tas. Puis, dans un second temps, nous prsenterons les tapes que nous avons parcourues dans le cadre de notre recherche.

1.Un apprentissage sur le tasDe par nos contacts quotidiens avec les enseignants, nous avons t confronts un double problme : celui de leur attitude ngative vis--vis de la formation et, par suite, la difficult de leur assurer lindispensable renouvellement pdagogique. Vu les implications nationales de ce problme, la recherche de la cause devenait invitable. 1.1.Les rvlations du terrain Il est rare de voir les enseignants libanais accueillir favorablement une invitation une runion pdagogique, surtout quand celle-ci doit avoir lieu en dehors de lhoraire scolaire. Il est galement rare de les voir accepter, sans se plaindre, une invitation participer une activit de formation qui occupera la matine dun samedi ou qui se droulera pendant un ou deux

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jours de cong. Il est beaucoup plus rare que lun dentre eux prenne linitiative de demander suivre une formation. Cette attitude des enseignants change sensiblement quand la formation laquelle ils sont convoqus se droule pendant leur temps de travail. Si, dans ce cas, ils accueillent plus favorablement la formation, on ne peut pas, en revanche, affirmer quils en arrivent la souhaiter. Notons que toutes ces formations dites hors temps scolaire font partie, selon la rglementation en vigueur, du dixime mois de travail prvu dans leur contrat et quils nassurent jamais.2 Dautre part, les responsables de la formation, chefs dtablissements et formateurs, conscients de cette attitude des enseignants, prennent des dispositions qui rvlent leur propre souci et leur propre souhait den limiter les dgts. En effet, pendant que les premiers, tout en utilisant les arguments dautorit pour envoyer les enseignants en stage, se chargent de payer les droits dinscription et parfois mme les frais de dplacement3, les seconds svertuent obtenir ladhsion des stagiaires (accueil, disposition de la salle, horaire, sourires, humour, gentillesse, etc.). Ils en arrivent , les uns et les autres, se soucier davantage de ladhsion affective des forms que de lefficacit de leur intervention. Dailleurs, renvoyant un avenir lointain et imprvisible les rsultats sur le terrain, les valuations que rclament formateurs et chefs dtablissements se limitent, le plus souvent, cette adhsion affective. Mais, malgr tous ces efforts, les stagiaires arrivent rarement temps aux stages et ont toujours hte de repartir. Certains mme attendent la premire pause pour disparatre. Dautres, nhsitent pas exprimer leur mcontentement et profitent de toutes les occasions pour sattaquer, directement ou indirectement, au formateur et son programme. Cest thorique , disent-ils, Discours acadmique qui ne nous avance en rien. , Cest trop beau ! , Ils ne connaissent pas les lves. , Cest intressant mais irralisable, vu le temps que cela demande.

Il sagit de la rglementation libanaise. Lanne scolaire tant de neuf mois stalant doctobre juin, ladministration scolaire considre que les runions et les journes de formation auxquelles on convoque les enseignants forment lquivalent du dixime mois de travail. 3 Frais dont le montant nest jamais trs important vu la superficie totale du pays et les petites distances qui sparent les localits libanaises.

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1.2.Le renouvellement pdagogique, un problme national Certes, le renouvellement pdagogique des enseignants se ralise travers tout un ensemble dactivits quon regroupe sous lappellation de formation continue. Mais, on saccorde considrer le stage comme la forme la plus efficace et la plus frquemment employe pour assurer le renouvellement pdagogique voulu. Cependant, si le renouvellement des enseignants ne se ralise, suite un stage, que lorsque la bonne volont de lenseignant saccompagne de multiples conditions4 qui sont rarement assures toutes, on est en droit de se demander quelle proportion denseignants est rellement concerne par le renouvellement. Quand on prend conscience du problme national que pose lenseignement du franais en tant que langue seconde, lexamen des causes de ce refus apparat dun intrt majeur.En effet, les mathmatiques et les sciences tant enseignes en franais ds les classes du primaire et toutes les disciplines scientifiques tant enseignes en cette langue (sinon en anglais) dans les universits, la matrise du franais simpose comme condition 5 indispensable pour russir ses tudes . Or, au plan national, le degr minimal de matrise 6 est rarement atteint par les lves qui vivent, sauf cas trs rares, dans un milieu nonfrancophone, et lenseignement du franais porte la responsabilit de lchec scolaire en masse quil entrane. Dautre part, le franais tant un moyen par lequel le Liban maintient ses contacts avec le monde industrialis, on ne saurait remettre en cause la ncessit de sa matrise. Do le besoin dassurer un enseignement efficace, cest--dire, un programme adapt et un enseignant comptent. La formation continue de ce dernier nest plus un luxe et lanalyse de ses conditions de succs tient de lengagement national.

CAUTERMAN (M-M) et a. , La Formation continue des enseignants est-elle utile ?, PUF, Paris, 1999. Les auteurs de cette recherche aboutissent la conclusion que les facteurs du changement sont multiples. Ils les regroupent sous trois grands titres : les proprits du stage (contenu, relations, image du formateur), les proprits de lindividu (rapport au savoir, trajectoire personnelle, image de soi, rapport au temps de travail), les proprits de ltablissement ( rapport que ltablissement entretient la formation et aux projets innovants). Aucun de ces lments ou de ces facteurs nest, lui seul, dterminant. Il sagit plutt dun processus complexe et dynamique o tout se joue dans une conjonction dlments qui, pris isolment, ne peuvent en aucun cas tre porteurs de sens. (p.159-160) 5 Voir Chap. VIII 6 Comme le prouvent les rsultats lpreuve du baccalaurat o le succs varie entre 11,4% et 15,7%.

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1.3.Une question lancinante : Comment expliquer le rejet de la formation ? Notons dabord que nous limitons notre examen au rejet de la formation continue sous sa forme prsentielle et collective, cest--dire, sous sa forme stage, compte tenu de limportance de lemploi de cette forme et de la valeur quon saccorde lui reconnatre. Notre connaissance des enseignants nous a progressivement amen les rpartir en cinq catgories et de la comparaison de leurs profils respectifs sest dgage notre hypothse centrale : lattitude face la formation est en lien direct avec les reprsentations identitaires. Les enseignants qui rclament la formation La volont dapprendre et de changer que nous trouvons chez lenseignant qui rclame la formation traduit une insatisfaction : limage actuelle quil a de lui-mme ne correspond pas limage quil souhaite avoir. Mais cette volont dapprendre rvle aussi une confiance en son pouvoir de changer, cest--dire en sa capacit dapprendre, de sadapter et de russir. Par ailleurs, se remettre en question lui semble tre un exercice salutaire et reconnatre son insatisfaction, quel quen soit le degr, face ses propres prestations, ne lui semble point honteux et ne ternit point son image denseignant. Dautre part, enseigner ne saurait se limiter pour lui la transmission du savoir sinon, vu la variabilit limite du savoir savant, quel besoin aurait-il de suivre des formations ? Apprendre, et apprendre sans cesse, est pour lui la condition du succs et de la promotion professionnelle ; cest pourquoi, notre enseignant consacrera volontiers une partie de son temps libre lacquisition de ce quil considre ncessaire sa promotion. Enfin, lenseignant qui rclame la formation ne peut que croire en lutilit et en lefficacit de cette formation. Il ne met pas en doute, a priori, ni la valeur du contenu du stage ni la lgitimit des formateurs.

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Les enseignants qui refusent la formation Les enseignants qui refusent la formation se rpartissent en trois catgories diffrentes7. Les enseignants par hasard ou par erreur Ces enseignants se sont rendus compte, un peu tard, quils avaient fait un mauvais choix professionnel. Incapables de sadapter une vie programme par un calendrier et une cloche indfectibles, ou des groupes denfants quils narrivent ni intresser ni discipliner, ou encore travailler en quipe, prparer, corriger, parler pendant des heures....ils ont dvelopp une image aussi ngative que possible du mtier (ingrat, puisant, ), des apprenants (incapables, paresseux, incultes,) et deux-mmes ( Je ne peux plus ! , Je suis incapable de ). Les uns, rsigns de se retrouver dans un circuit intolrable dont ils se sentent incapables de sortir, attendent tous les jours la cloche, comme les mauvais lves , pour se retrouver ailleurs, le plus rapidement possible. Les autres, tout aussi dus que les premiers, attendent la premire occasion pour quitter dfinitivement ce mtier. Inutile dajouter que ces deux sous-catgories nont que faire de la formation continue. Les enseignants surchargs A lautre extrme, il y a une deuxime catgorie denseignants qui, tout en ayant une image trs positive deux-mmes et de lenseignement, et tout en entretenant un rapport positif au savoir et la formation, refusent les activits de formation pour lesquelles ils ne disposent pas du temps ncessaire. Ce sont, le plus souvent, des enseignants du cycle secondaire, et, plus particulirement, des enseignants de disciplines scientifiques en classes terminales, trs sollicits par les tablissements et les parents dlves et dont lhoraire hebdomadaire peut atteindre 40 45 priodes8. Les enseignants adapts Entre ces deux catgories, se retrouve celle des enseignants qui reprsentent ce quon pourrait appeler lenseignant moyen 9 et qui rejettent la formation, ou y rsistent, tout en souhaitant continuer un mtier quils ontIl sagit dune vision personnelle que nous prsentons dans le cadre de la description du cheminement qui nous a conduit vers la dfinition dune problmatique et dun corps dhypothses qui feront lobjet de nos vrifications ultrieures. 8 Selon les affirmations de nos personnes ressources. (Voir plus loin) 9 catgorie appele ainsi parce quelle correspond, selon nous, limage la plus commune et la plus frquente des enseignants (de franais).7

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russi jusque-l et auquel ils se sont adapts. Cette catgorie denseignants nous intresse particulirement : dabord, parce quelle nous semble la plus reprsentative ; ensuite, parce que son rapport la formation est, premire vue, peu comprhensible. Nous proposerons une analyse de ce refus aprs avoir dfini, de faon plus prcise, les conditions de travail et le profil de ce quon entend par enseignant moyen . Cet enseignant prsente le profil de quelquun qui a russi son intgration linstitution scolaire, en sa qualit denseignant (tenue de la classe, ralisation dun programme, etc.) aprs en avoir pay le prix : dbuts difficiles, efforts pour dpasser les retombes des premiers checs et pour sortir de linscurit premire, etc. Selon toute vraisemblance, il chercherait le maintien de lquilibre actuel qua construit (sa) personne, le type dconomie des forces, le type de dfense contre langoisse quelle a hrit de son histoire personnelle et de lhistoire collective du corps professionnel 10. Ainsi, la formation qui est un appel au changement, reprsente un risque rel de dstabilisation. La peur du changement serait le premier motif du rejet de la formation. En effet, qui peut garantir lenseignant quil russira une nouvelle adaptation ? quil russira lexprience nouvelle que la formation propose ? Est-il prt supporter un chec qui aurait des consquences au niveau de limage que ses lves, ses collgues et ladministration ont de lui ? Ensuite, le changement propos par la formation, mme russi, ne risquerait-il pas dentraner galement un changement au niveau de ses rapports aux lves, aux collgues, aux parents, voire mme au savoir lui-mme ? Le passage de la mthode magistrale aux mthodes actives, de la dmarche dductive la dmarche inductive, pour ne prendre que deux exemples, change les relations enseignant-lves et appelle une modification des valeurs et des images sociales des deux partenaires. Ce passage ralis par un seul enseignant peut valoir ce dernier les critiques et pourquoi pas la jalousie11 ?- de ses collgues qui nauraient ni les mmes dispositions ni les mmes possibilits. A un autre niveau, ce passage finirait ncessairement par remettre en cause sa conception mme de lenseignement et sa conception de lacte dapprendre12.CAUTERMAN (M-M) et a., La Formation continue des enseignants est-elle utile ?, PUF, Paris, 1999 CIFALI M. laffirmera plus loin. Voir Chap. IV 12 Depuis plus de trois ans, je rencontre un groupe denseignants du premier cycle primaire, travaillant dans les tablissements dune mme institution. Cherchant favoriser lexpression orale des lves et les activits de groupes, aucun de ces enseignants, jusqu prsent, na, effectivement, chang la disposition11 10

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Par ailleurs, pourquoi lenseignant moyen doit-il accueillir ou demander la formation et souhaiter le changement quand tout lautorise croire quil a russi ? Son refus du changement est lgitime dautant plus que, dune part, le changement suppose un investissement imprvu, et donc supplmentaire, deffort et de temps, et que, dautre part, il nuit limage de lenseignant transmetteur de savoir vrai, de savoir scientifique et donc de savoir immuable. En outre, lenseignant est sens communiquer le savoir, il est sens enseigner, non apprendre. Il a acquis le statut de celui qui matrise et dispense le savoir, non le statut de celui qui apprend. Avouer donc une quelconque ignorance, cest pour lui, perdre sa lgitimit denseignant. Dautre part, accepter dapprendre dans le cadre dune formation, cest accepter dessayer, de se tromper et de ntre pas vu sous son meilleur jour. Dailleurs, qui peut affirmer que lenseignant moyen est dispos revivre son exprience dlve face un formateur-enseignant ?13 Aussi, est-il difficile daffirmer que lenseignant moyen a le dsir dapprendre. Enfin, le stage lui-mme a-t-il, ses yeux, une utilit vidente ? Tous les changements proposs dans les stages sont-ils applicables ? adquats ? de valeur sre ? Ne sont-ils pas parfois trop ambitieux ? ou trop thoriques ? Les formateurs sont-ils toujours des gens du terrain ? Reproduisent-ils la relation matre-lve ou bien favorisent-ils la communication entre les participants ? Ce refus du stage serait davantage prononc et plus franc chez les enseignants qui rduisent lenseignement la transmission du savoir. En effet, pour cette catgorie denseignants, le savoir scolaire tant clairement dfini, on voit mal ce que le stage pourrait y ajouter. Dautre part, croyant que les difficults scolaires des lves proviennent le plus souvent de problmes socio-affectifs et conomiques sur lesquels ils nont aucune prise, ces enseignants contestent lefficacit de la pdagogie et, par suite, des stages de formation. En conclusion, les motifs sont nombreux qui peuvent expliquer le refus de la formation par l enseignant moyen . Il la rejetterait dautant plus facilement quelle nest jamais objet de sanction et quon saccorde habituellement reconnatre que lenseignant est matre de sa classe et que la pratique de classe doit sadapter la personnalit de ce dernier. Ainsi,traditionnelle et acadmique des tables des lves, qui permet lenseignant de garder sa place centrale et son rle dunique interlocuteur du groupe dlves. 13 Nous savons que les enseignants ont tendance projeter dans leur vie denseignants les relations enseignant-lves quils avaient vcues tant lves.

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cette attitude de rejet de la formation met en jeu des reprsentations identitaires particulires diffrentes des reprsentations observes chez les enseignants qui rclament la formation. 1.4.Une problmatique Ainsi, de nos contacts quotidiens avec les enseignants sest dgage une typologie des enseignants14 relative leur rapport la formation et une problmatique. Faut-il ajouter que si la proximit et la rflexion quotidienne permettent de construire une analyse efficace dans laction, elles ne sont nullement suffisantes pour dmontrer la validit de cette analyse et expliciter ses fondements. Il fallait donc la confronter des lectures qui se sont multiplies au fil du temps. Disons simplement que dans sa premire dfinition 15, notre problmatique pouvait snoncer ainsi : le rapport de lenseignant (de franais) la formation -sous sa forme stage- est dtermin par les reprsentations quil a de lui-mme et de son mtier, reprsentations qui permettent de rpartir les enseignants en un petit nombre de catgories. Aussi, sa raction face la formation dpendra-t-elle du degr de cohrence de la reprsentation quil a de celle-ci avec ces reprsentations identitaires.

2.A la recherche de la preuveNous avons choisi de mettre lpreuve, travers une recherche acadmique, la problmatique qui sest constitue tout au long de notre exprience professionnelle. Cette mise lpreuve devait se raliser travers un double outillage thorique et exprimental. Il nous fallait entreprendre les dmarches en vue de nous approprier cet outillage ncessaire la recherche de la preuve, puis fixer nos objectifs et expliciter nos options.

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Typologie assez proche de la typologie que dgagera plus tard l'enqute. Voir Chap. XV Cette problmatique voluera au fur et mesure que nos concepts fondamentaux prendront des dfinitions claires. Voir Chap. IX

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2.1.La dmarche et les options mthodologiques Une double investigation Nous entreprendrons une exploration des concepts de reprsentation, didentit et de formation, concepts sur lesquels se fonde notre recherche. Accompagne dune exploration du champ de la recherche, lenseignement du franais au Liban, cette double investigation nous permettra de proposer une nouvelle formulation de notre problmatique et une dfinition plus prcise et plus dtaille de chacune de nos hypothses. Elle nous permettra galement une interprtation plus lucide des rsultats de lenqute. Lenqute par questionnaire apportera lensemble des hypothses ainsi formules la vrification indispensable. Le champ dinvestigation Le choix de lenseignement du franais comme champ dinvestigation sest impos demble vu le point de dpart que nous venons de prciser de notre recherche. Etant convaincu que la discipline denseignement, en loccurrence le franais, joue un rle dterminant dans le rapport au mtier, nous avons opt dinclure dans notre champ les enseignants de franais de tous les cycles16. Cette investigation du champ se fera selon deux dmarches complmentaires : a. exploitation des recherches qui se sont avres exclusivement rserves lenseignement public libanais ; b. entretiens avec les personnes ressources17 pour pallier labsence de recherches concernant lenseignement priv libanais. Nous nous organiserons de sorte que notre recherche puisse profiter dautres champs et que ses rsultats soient transfrables sinon tous les professionnels, du moins tous les enseignants. Aussi, jusqu la fin du chapitre V, viterons-nous de rduire notre analyse thorique aux seuls enseignants : nous ne les citerons que pour illustrer nos propos. Cette16

Nous en avons exclu les ducatrices du prscolaire et les enseignants de lenseignement technique. Nous justifions ce choix dans le Chap. X (Mthodologie). 17 Voir Chap. VII, Introduction

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limitation du champ lenseignement ne sera entreprise qu partir du chapitre VI o nous prsenterons le mtier denseignant. Plus nous nous approcherons de lenqute, plus lexclusion de tout autre champ que celui de lenseignement deviendra une condition de rigueur : pour se prter la vrification, les hypothses doivent tre oprationnelles et porter sur un champ prcis. Nous brosserons un tableau du contexte libanais18 denseignement dans le but de montrer que ce mtier sexerce au Liban dans des conditions assez proches du contexte occidental, ce qui lgitime notre recours aux recherches amricaines et europennes pour comprendre le rapport la formation dans le contexte libanais denseignement. Lenqute par questionnaire19 Une enqute par questionnaire sera lance auprs des enseignants des 10% des tablissements francophones du Liban. Les rpondants reprsentent 6,80% des enseignants de franais du Liban, soit 823 enseignants de tous les cycles, des deux secteurs priv et public et de toutes les mohafazats (dpartements) du Liban. Le questionnaire de lenqute sera conu partir de loutillage thorique disponible20 et des rsultats dune enqute exploratoire21 qui aura t mene selon la technique de lentretien semi-directif auprs des enseignants de franais dun chantillon compos de 12 tablissements francophones, soit un total de 69 enseignants.

2.2.Les options conceptuelles Les reprsentations identitaires dune personne forment une structure qui marque la spcificit de cette personne et explique linterdpendance de ces reprsentations. Cette structure a t appele dynamique identitaire par ceux qui ont voulu mettre en relief son aspect dynamique et projet identitaire par18 19

Chap. VII, L'enseignement au Liban Voir Chap. X, Mthodologie 20 Voir Chap. X, 2.1 21 Voir Chap. X, Mthodologie,

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ceux qui ont voulu insister sur son caractre intentionnel et ouvert sur lavenir. Tout en souscrivant ces conceptions, nous avons prfr centrer notre analyse sur les reprsentations identitaires pour trois raisons. a. Les dynamiques que nous mentionnons dans notre tude et qui se rduisent un petit nombre (4 6) et sont dgages empiriquement, ne sont que des constructions labores par les chercheurs euxmmes. Elles schmatisent la ralit et nous font oublier que la varit des dynamiques stend linfini. b. Donnant lidentit une configuration dfinie, chaque dynamique dsigne par un nom particulier- nous fait oublier que la structure identitaire peut tre modifie loccasion de la modification de lune des reprsentations qui la composent. Cet aspect dfinitif et contradictoirement fig de la dynamique ne convient ni lducateur ni au formateur qui parient sur la possibilit du changement. Pour ces derniers, lanalyse des reprsentations qui sont les lments qui structurent la dynamique et sur lesquelles il nest pas impossible dagir22 est porteuse de plus despoir et de plus defficacit. c. Nous avons vit le terme de projet parce quil charrie des connotations trompeuses : lidentit nest ni aussi consciente, ni aussi rationnelle, ni aussi soumise la volont du sujet que lest le projet. 2.3.La problmatique et les grandes hypothses Lidentit est un ensemble construit de reprsentations relatives limage de soi, cette image qui se construit dans le conflit entre limage hrite et limage vise, entre limage pour soi et limage pour autrui. Elle est minemment sociale et personnelle. Cest en tant quimage de soi que lidentit du sujet peut avoir faire avec la formation qui est perue comme une identit de remplacement souhaite ou impose par un autre. De cette problmatique se dgagent des hypothses gnrales : 1. Les attitudes des enseignants vis--vis de la formation sont dtermines par les reprsentations relatives eux-mmes, leur mtier et la formation. 2. Les reprsentations identitaires des enseignants concernent les domaines suivants : limage de soi ( confiance en soi, lgitimit, etc.), le rapport au22

Travailler rendre conscientes les reprsentations du sujet relatives un domaine, susciter des confrontations et des comparaisons avec les reprsentations des autres, autant de moyens dagir sur cellesci.

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mtier (valeur sociale, intrt et aisance dans la discipline enseigne, etc.), le rapport aux lves (relations, rapport de ceux-ci la discipline enseigne, leurs difficults scolaires, les reprsentations que se font les enseignants des causes de ces difficults, etc.), le rapport aux collgues (relations, collaboration, positionnement par rapport eux, etc.), le rapport ltablissement (sentiment dappartenance, rapport ladministration, valorisation des efforts dploys, etc.), le rapport la formation (contenu, utilit, rapport aux formateurs, lgitimit de ces derniers, rapport quon a au savoir et, plus particulirement, la pdagogie,) 3. Ces reprsentations entretiennent entre elles des liens dinterdpendance et constituent des ensembles cohrents ou postures : la posture des enseignants en instance de dpart, celle des rsigns, celle des militants, etc. 4. Le rapport la formation est lun des constituants de la posture ou dynamique : il est en cohrence avec les autres reprsentations identitaires. Cependant, le changement de lune de ces reprsentations peut entraner le changement de la dynamique et du rapport la formation. 2.4.Les objectifs de la recherche La recherche visera 1. dgager les reprsentations identitaires des enseignants de franais du Liban ; en tudier le rapport avec les variables telles lanciennet dans la carrire, le secteur denseignement, le cycle denseignement, etc. 2. montrer le regroupement de ces reprsentations en ensembles cohrents ou systme de reprsentations quon appellera rapport . 3. dgager les rapports la formation des enseignants de franais du Liban; 4. montrer les liens entre les diffrentes reprsentations identitaires et les diffrents types de rapport la formation. 5. construire empiriquement des identits denseignants de franais du Liban.

3. Lorganisation de la thse30

Notre recherche se composera de quatre grandes parties. La premire partie explicitera les trois concepts fondamentaux de reprsentation, didentit et de formation. Elle mettra en vidence le lien organique qui rattache lidentit aux reprsentations ainsi que la relative stabilit de celles-ci, stabilit qui explique dj la difficult du changement. Elle explicitera par ailleurs laspect structurel et dynamique de lidentit et nous permettra de comprendre le conflit qui oppose cette structure loffre de formation perue comme une identit assigne. La deuxime partie explorera le terrain et tentera den expliciter les spcificits notamment celles susceptibles dapporter un clairage particulier aux concepts didentit et de formation. Elle rvlera les catgories de reprsentations constitutives de lidentit enseignante ainsi que sa dynamique spcifique : ce mtier avec les tres humains, sur des tres humains, pour des tres humains , selon les termes de Tardif et Lessard, met constamment en danger limage sociale de lenseignant et sa valeur de comptence et exacerbe ses mcanismes de dfense sociale. La situation se complique lorsque sajoutent ces composantes identitaires communes aux enseignants, les tensions relatives lenseignement du franais-langue denseignement-et-de-communication dans un environnement nonfrancophone23. La troisime partie montrera dabord lvolution de la dfinition de la problmatique, volution qui aura accompagn lanalyse successive des concepts de reprsentation, didentit et de formation et lanalyse des spcificits de lenseignement du franais au Liban. Cette problmatique volutive sera traduite en une trentaine dhypothses oprationnelles que lenqute devra vrifier. Fera suite cette explicitation de lobjectif oprationnel de la recherche, lexplicitation des options et des dmarches mthodologiques devant lgitimer les rsultats de la vrification. La quatrime et dernire partie exposera les rsultats de lenqute relatifs aux rapports constitutifs de lidentit enseignante et qui dterminent le rapport la formation ainsi que les rsultats relatifs aux diffrentes identits (ou dynamiques) enseignantes.

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Voir Chap. VIII

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PREMIRE PARTIE : LES REPRSENTATIONS IDENTITAIRES ET LA FORMATION

Chap. I Le concept de reprsentation Chap. II Le concept didentit Chap. III Les formes identitaires et les identits professionnelles Chap.IV Le concept de formation continue Chap.V Le rapport la formation

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CHAPITRE I : LE CONCEPT DE REPRSENTATION

Introduction 1. Le concept de reprsentation dans les crits de Freud 2. Le concept de reprsentation dans la pense philosophique 3. Le concept de reprsentation en sociologie et en psychologie sociale3.1.Reprsentation, mythe et idologie 3.2.Reprsentation et attitude 3.3.Reprsentation et catgorisation 3.4.Reprsentation et identit

4. Le concept de reprsentation en psychologie cognitive4.1.Nature et contenu de la reprsentation 4.2.Reprsentation et modle mental

5. Le concept de reprsentation5.1.Dfinition 5.2.Caractristiques

Conclusion

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IntroductionSi nous adoptons, au moins titre dhypothse temporaire, les dfinitions les plus connues du terme de reprsentation, nous nous trouverons, demble, dans lobligation dy voir un concept cl des sciences humaines. En effet, quon la considre comme un schma cognitif ou une image mentale ou encore, plus abstraitement, comme le contenu concret de la pense 1, la traduction matrielle, via un langage ou un code, dune ralit ou dune ide 2, la reprsentation apparat comme un lment dterminant de lactivit mentale et de la vie psychique et, par suite, comme un lment dterminant des logiques daction. Do limportance que prend ce concept dans la dfinition de la problmatique de notre recherche, et la ncessit den proposer une dfinition claire et den expliciter la nature et le mode de fonctionnement. Dans ce but, nous tudierons, travers les crits de Freud, le rapport que les reprsentations entretiennent avec les pulsions primitives et les fantasmes, leur valeur de vrit, travers les principaux courants philosophiques de la thorie de la connaissance. Nous examinerons ensuite, travers la sociologie et les psychologies sociale et cognitive, leurs rapports avec les mythes et les idologies, les opinions et les attitudes, les schmes et les modles mentaux. On peut penser que partir de la psychologie, passer par la philosophie pour aboutir la psychosociologie et la sociologie cest faire un bien long dtour. Mais il nous faut bien interroger la nature mme de la connaissance jusquen ses fondements puisque notre sujet concernant les reprsentations nous y conduit.

Henri PIERON, Vocabulaire de la psychologie, PUF, 1968 ASTOLFI J.-P., Les Figures doubles de la reprsentation, in EDUCATIONS n10, Nov.-Dc. 1996, p.442

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1. Le concept de reprsentation dans les crits de FreudLa thorie psychanalytique freudienne repose sur un nombre de concepts de base dont celui de pulsion, dinconscient et de refoulement. Etant somatiques, les pulsions ne peuvent atteindre lme que par le biais de reprsentants psychiques, les reprsentants des pulsions. Ces reprsentants se composent de deux lments, le reprsentantreprsentation et le quantum daffect3. De par leur caractre somatique, les pulsions ne sauraient tre refoules : cette opration psychique ne sexerce que sur les reprsentants psychiques de la pulsion. Cependant, laffect peut se dplacer sur une autre reprsentation, peut se transformer en un autre affect et devenir, par exemple, angoisse et peut mme tre rprim. Il chappe ainsi au refoulement qui sexerce alors sur le deuxime lment qui est le reprsentant-reprsentation. Dans la pense freudienne, les reprsentants-reprsentations ne sont pas considres seulement comme le contenu de linconscient : ils constituent linconscient.Nous sommes [] fonds, dit Freud, admettre un refoulement originaire, une premire phase de refoulement qui consiste en ceci que le reprsentant psychique (reprsentatif) de la pulsion se voit refuser la prise en charge dans le conscient. Avec lui se produit une fixation ; le reprsentant correspondant subsiste, partir de l, de faon inaltrable et la pulsion demeure lie lui.4

Mais comment peut-on comprendre quune reprsentation qui est un contenu de conscience, puisse tre inconsciente ? Le reprsentantreprsentation se rduirait-il, dans la pense freudienne, un contenu dimage, une simple trace mnsique ? Si oui, comment concilier ce concept avec la conception dynamique que Freud a de la mmoire ? Dans les premiers textes qui dcrivent la cure psychanalytique5, Freud recherche, au moyen des voies associatives, la reprsentation inconsciente pathogne . La reprsentation ne saurait donc se rduire une image neutre ; elle constitue une trace mnsique charge affectivement. Par ailleurs, dans ses recherches sur laphasie, Freud distingue la reprsentation de chose, essentiellement visuelle, et la reprsentation de3 4

FREUD S., Mtapsychologie, Paris, Gallimard, 1952, pp.67-90 Id.p.71 5 FREUD S. en collaboration avec BREUER, Etudes sur lhystrie, Paris, PUF, 1956

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mot, essentiellement acoustique ou verbale. La reprsentation de chose consiste, dit-il, en un investissement, sinon dimages mnsiques directes de la chose, du moins en celui de traces mnsiques plus loignes, drives de celles-ci. 6 Par cette dfinition, Freud montre clairement que la reprsentation de chose qui rinvestit et ravive la trace mnsique ne saurait se rduire celle-ci. La reprsentation consciente, continue-t-il, englobe la reprsentation de chose plus la reprsentation de mot correspondante, tandis que la reprsentation inconsciente est la reprsentation de chose seule. 7 On peut donc conclure que les reprsentants-reprsentations qui constituent linconscient sont des reprsentations de chose. Limportance du concept de reprsentation dans la pense freudienne apparat plus clairement encore dans lusage quil fait du terme de reprsentation-but8 : il lutilise pour rendre compte du cours de toute lactivit mentale et affective. En effet, la succession des penses et des fantasmes ne saurait sexpliquer, selon lui, uniquement par les lois de la ressemblance et de la contigut : cette succession est plus profondment dtermine par une intentionnalit quil faut apprendre dcouvrir. Freud appelle reprsentation-but cette intention profonde. Elle provient de lexprience de satisfaction et exerce une attraction dterminante sur le cours des associations. Nous retiendrons de ce parcours rapide, deux points fondamentaux. Dabord le caractre fondateur des reprsentations : la conscience et linconscient sont constitus de reprsentations. La conscience est le lieu o le monde extrieur devient, pour lindividu, objet de conscience et dvaluation subjective. Linconscient nest rien que lensemble des reprsentations refoules des pulsions. Ces deux instances sont mues et commandes par une seule et mme intentionnalit, la reprsentationbut. Nous noterons ensuite que la reprsentation consciente est un lieu o, pour le sujet, les objets prennent forme (reprsentation de chose) et valeur particulires (reprsentation de mot et quantum daffect). La reprsentation nest refoule quaprs avoir perdu sa charge affective. Il est lgitime de penser que les dplacements et les

FREUD S., Mtapsychologie, Paris, Gallimard, 1952, pp.155-156 Id.p.156 8 FREUD S., La Naissance de la psychanalyse, Lettres Wilhelm Fliess, notes et plans, Paris, PUF, 1956, pp. 345-3497

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transformations du quantum daffect est la base de la complexit de la vie mentale et affective.

2. Le concept de reprsentation dans la pense philosophiqueSi la reprsentation est le lieu o les objets du monde prennent forme et valeur particulires aux yeux du sujet, et compte tenu de toute la charge affective que ce dernier fait porter cette forme, la question qui se pose sera de savoir quelle valeur de vrit on peut accorder cette forme de connaissance. Sous le titre de thorie de la connaissance, on trouve lensemble des spculations philosophiques relatives la valeur et aux possibilits de la connaissance humaine. Ces spculations portent autant sur lobjet de la connaissance que sur les types de connaissance ainsi que sur la notion mme de vrit. Le concept de reprsentation prend, dans le cadre de cette rflexion, une place centrale. Dans lacte de connaissance, un fragment du monde est rendu intimement prsent au sujet humain sans cesser pour autant de demeurer spar de lui par une distance relle sinon la connaissance se confondrait avec limaginaire. Le problme philosophique de la connaissance se pose alors dans ces termes : comment, pour un sujet, le monde ou un fragment du rel, peut-il devenir un objet de conscience ? Comment se ralise cette intriorisation du monde extrieur ? Les doctrines philosophiques ont souvent recours au concept de reprsentation pour rendre compte de cette intriorisation. On appelle justement Thorie des ides reprsentatives la thorie de Descartes, de Malebranche, de Locke, de Leibnitz etc. daprs laquelle, entre lesprit qui connat et lobjet connu, il ny a pas une relation immdiate, mais seulement une relation mdiate par le moyen dun tertium quid, lide, qui est la fois, dune part, tat ou acte de lesprit, et de lautre, reprsentation de lobjet connu. La reprsentation est un contenu de pense reprsentatif de la ralit. Dans le cas de la perception, la reprsentation est leffet produit par lobjet rel sur les terminaisons nerveuses. En matire dimagination, il sagit dune image considre comme une sorte dobjet psychique charg dun pouvoir vocateur. Dans le cas de la connaissance abstraite,

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la reprsentation est un concept considr comme une sorte dobjet intelligible, inn ou produit par le mcanisme de labstraction. Cependant, un maillon continue manquer : comment ce mdium peut-il tre charg dun pouvoir reprsentatif et comment peut-il renvoyer la chose relle que vise, en dfinitive, lacte de connaissance ? Deux courants philosophiques, le ralisme et lidalisme, avancent des explications. Le courant raliste considre que ltre existe en-dehors et indpendamment de la pense (Voir la doctrine platonicienne, celle des Universaux au Moyen-ge, celle de Hamilton, etc.) et conoit la connaissance comme un processus essentiellement rceptif : le sujet nest quune capacit dtre affect par une action venue du dehors. La pense nest possible que l o il y a dabord des connaissances : elle soccupe les ordonner et rflchit sur leur contenu. Par contre, lidalisme philosophique, selon Lachelier, consiste croire que le monde tel du moins que je puis le connatre et en parler -, se compose exclusivement de reprsentations, et mme de mes reprsentations, actuelles ou possibles, matrielles ou formelles. [] Pour lidaliste, il nexiste absolument que des reprsentations, les unes sensibles et 9 individuelles, les autres intellectuelles et impersonnelles.

Kant dfinit dans ces termes sa propre doctrine :Jappelle idalisme transcendantal de tous les phnomnes la doctrine daprs laquelle nous les considrons sans exception comme de simples reprsentations, non des choses en soi ; et daprs laquelle temps et espace ne sont que des formes sensibles de notre intuition, non des dterminations donnes en elles-mmes ou des conditions des objets en tant que choses en soi. 10

Hegel, son tour, limine cette distance entre ltre et la pense en les confondant : Tout ce qui est rel est rationnel et tout ce qui est rationnel est rel . Le rel est luvre de lEsprit duquel participe la pense individuelle. La phnomnologie propose une autre interprtation de la connaissance, qui, tout en surmontant lopposition du ralisme et de lidalisme, limine lide de reprsentation. La conscience est intentionnalit, acte, vise. Toute conscience est conscience de quelque chose selon la fameuse formule de Husserl. Dans lacte de perception,LALANDE A., Vocabulaire technique et critique de la philosophie, art. Idalisme, PUF, 1968, pp. 438-439 (Cest nous qui soulignons.) 10 KANT E., Critique de la raison pure, Dialectique transcendantale, Livre II, Ch.I, Le paralogisme de la Raison pure. A.369 (Extrait traduit et cit par A. Lalande, Op. Cit. p.439)9

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cest la chose elle-mme qui est rendue prsente. La perception nest pas un processus de reprsentation, mais un processus par lequel la conscience rend prsent un objet. Cest justement ce processus qui permet la conscience de distinguer la perception de limagination et de la connaissance conceptuelle.On pourrait [] se demander, crit juste titre Ladrire11, si le thme de la reprsentation que la phnomnologie tente dliminer au niveau de la perception, ne simpose pas au niveau de la connaissance conceptuelle. Une thorie nest-elle pas, par essence, une reprsentation qui ne nous fait saisir la ralit que de faon indirecte, et dailleurs toujours conjecturale ?

Est-ce dire que toute connaissance est ncessairement base de reprsentations ? Le terme de reprsentation peut-il rendre compte de la connaissance scientifique ? La valeur de vrit dune connaissance tientelle son degr de reprsentativit du rel ? Si, comme pour Spinoza, les proprits de la vrit ou de lide vraie sont quelle est claire et distincte, quelle lve tout doute, ou, dun mot, quelle est certaine 12, notre connaissance spontane sera lultime vrit car nous tenons pour videntes et claires les opinions qui nous sont les plus familires, les traditions, les croyances, les prjugs, les passions. Cette connaissance est base de reprsentations sociales et individuelles.Quest-ce donc que la vrit, se demande Nietzsche ? Une multitude mouvante de mtaphores [], une somme de relations humaines qui ont t potiquement et rhtoriquement hausses, transposes, ornes, et qui, aprs un long usage, semblent un peuple fermes, canoniales et contraignantes : les 13 vrits sont des illusions dont on a oubli quelles le sont

Si nous adoptons le point de vue de Heidegger, la connaissance spontane faite de reprsentations, devra subir lpreuve du doute mthodique.Le vrai, que ce soit une chose vraie ou un jugement vrai, est ce qui est en accord, ce qui concorde. Etre vrai et vrit signifient ici : saccorder, et ce dune double manire : dabord, comme accord entre la chose et ce qui est prsum delle et, ensuite, comme concordance entre ce qui est signifi par 14 lnonc et la chose.

Cependant, mme dans ce cas, nos certitudes intimes, celles de nos dsirs les plus profonds, peuvent intervenir pour empcher la possibilit11 12

LADRIERE J., Reprsentation et connaissance , in Encyclopedia universalis, Vol.14, d. 1974 SPINOZA, Penses mtaphysiques (1663), Garnier Flammarion, 1964, pp. 352-353 13 NIETZSCHE, Le Livre du philosophe (1873), trad. A-K Marietti, Aubier-Flammarion 1969,pp.173174 14 HEIDEGGER, LEssence de la vrit, Question I (1943), trad. A. de Waelhens et W. Biennel, Gallimard, 1968, pp.163-164

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mme du doute : le mensonge vraiment dissimul, dit Paul Ricoeur, nest pas celui qui concerne le dire de la vrit connue, mais celui qui pervertit la recherche de la vrit. 15 Si enfin, la vrit cest la non-contradiction dun systme de jugements, si la vrit est laccord de lesprit avec ses propres conventions, le degr de reprsentativit dune ide deviendra un paramtre inutile. Il est vident quon ne saurait tendre ce qui vient dtre dit la connaissance scientifique contemporaine qui, contrairement la connaissance non scientifique, spontane, immdiate, est laboutissement dune formation et dune culture spcifiques et le rsultat de multiples dtours et artifices par lesquels lobjet peru se trouve remplac par un objet construit et fait dabstractions. La science contemporaine semble avoir dpass le concept de reprsentation. La thorie scientifique ne constitue pas, mme ltat virtuel, une image reprsentative de la ralit. Elle fait saisir les structures constitutives du monde non en montrant mais en oprant. 16Et au cas o il faudra considrer la formule chimique ou mathmatique que lhomme de sciences utilise mentalement (pour rsoudre un problme) comme une reprsentation, il nous faudra reconnatre que cette reprsentation ne correspond plus ce quon appelle habituellement de ce nom : elle na rien de personnel et elle se rduit un symbole ou un signifiant dpourvu de toute charge affective.

De ce bref parcours, nous retiendrons que la reprsentation est considre par la philosophie comme le contenu et lacte par lesquels se ralise la pense. Elle est le lieu de rencontre du sujet et de lobjet, le lieu o un sens est donn lexistence. Cette mise en prsence et la correspondance du contenu de la reprsentation avec le rel ne sauraient tre mis en doute par le sujet pensant tant que ce dernier continue croire en la possibilit de la pense. La reprsentation est donc, pour lindividu, la ralit. Elle est certaine tant quelle na pas t balaye par une autre. Dautre part, la reprsentation est subjective, dans la mesure o elle est le fruit immdiat de la rencontre dun individu avec toute son histoire- et dune ralit extrieure ou intrieure.

15 16

RICOEUR P., Vrit et mensonge, in Histoire et vrit (1951), Seuil, 1964, pp.190-191 LADRIERE J., Reprsentation et connaissance, in Encyclopedia universalis, Vol.14, d. 1974

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3. Le concept de reprsentation en sociologie et en psychologie socialeAinsi conue comme contenu et acte de la pense, comme lieu o un sens est donn lexistence, la reprsentation prsente des rapports avec un certain nombre de concepts : rapports, au niveau macrosociologique, avec les mythes et lidologie, au niveau microsociologique ou psychosociologique, avec lopinion et lattitude, au niveau psychologique, avec les schmes et les modles mentaux. Nous tenterons, de les expliciter. 3.1.Reprsentation, mythe et idologie Son rapport au mythe et lidologie nous permettrait de mieux comprendre le caractre social de la reprsentation, caractre par lequel elle semble simposer au sujet. Dans ses Cours de philosophie positive, Auguste Comte considre que la pense humaine a mis des sicles pour conqurir lobjectivit et devenir positiviste . Thologique dabord, elle sest donne une explication imaginaire et surnaturelle des phnomnes en faisant intervenir les esprits et les dieux : lhomme a anim la nature en projetant sur elle sa propre psychologie. Mtaphysique ensuite, elle a remplac les agents surnaturels par des forces abstraites, des entits, des essences. Ce nest que trs tard que la pense humaine est devenue positiviste, quelle sest contente de dcouvrir les lois qui rgissent les faits par lobservation et le raisonnement. Compltant la rflexion comtienne, Bergson considre que les mythes et les utopies sont les produits dune fonction fabulatrice qui sert linstinct de dfense : lhomme les cre pour se protger du dsespoir. Dans le mme ordre dides, parlant de lopinion, Bachelard affirme qu elle traduit des besoins en connaissance 17. A loppos, le courant de la sociologie de la connaissance se donne pour tche principale de montrer les rapports entre, dune part, les divers types de connaissance et, de lautre, non pas lindividu, mais les cadres sociaux dans lesquels il vit.

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BACHELARD G., La Formation de lesprit scientifique, Vrin, 1970, p.13

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En effet, Karl Marx18 et Engels considrent que les ides et les croyances sont relatives aux situations sociales, elles-mmes dtermines essentiellement par linfrastructure conomique. Marx va jusqu affirmer que ce nest pas la conscience que les hommes ont deux-mmes qui dtermine leur tre, mais au contraire leur tre social qui dtermine cette conscience. La connaissance est idologique dans le sens que celui qui pense vit dans lillusion dune pense individuelle libre. Ainsi, lidologie renvoie-t-elle chez Marx aux ides fausses que les hommes se font de la ralit sociale, ides produites par la classe dirigeante et correspondant aux intrts de celle-ci. Lidologie serait une reprsentation fausse de la ralit, une justification illusoire de la pratique. Tout en reconnaissant le caractre justificatoire des reprsentations, Boudon19 affirme quil est possible dexpliquer linstallation des ides fausses sans supposer que lindividu soit soumis des influences sociales non conscientes. Lidologie, selon lui, serait une sorte de thorie laquelle lindividu a recours pour dmontrer le bien fond de ses propres croyances. Dans un texte intitul Reprsentations individuelles et reprsentations collectives, Emile Durkheim20 reconnat que les reprsentations sociales se dgagent des relations qui stablissent entre les individus ou entre les groupes secondaires qui sintercalent entre lindividu et la socit. Lvy-Bruhl considre, dans La Mentalit primitive, que les mythes sont des productions sociales. Les implications sociologiques seraient responsables dune mme sorte de dviation de la pense se perdant dans de fausses explications mystiques et mythiques. Cependant, selon lui, et en rupture avec le dterminisme marxiste, seule la pense vraiment individuelle, dlivre des incitations de la vie collective, peut atteindre lobjectivit. Znaniecki21 rtorque que les penseurs et les chercheurs anticipent la demande de leur public et que la connaissance quils peuvent promouvoir ou diffuser nest pas sans rapport avec leur rle social dans un type particulier de socit. La production du savoir savant, voire la nature mme de ce savoir, ne sont donc pas sans rapport avec la vie sociale.

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MARX K., Introduction la critique de lconomie politique et LIdologie allemande, Ed. sociales, Paris 1976 19 BOUDON R., LIdologie. Lorigine des ides reues, Fayard, 1986 20 DURKHEIM E., Reprsentations individuelles et reprsentations sociales, in Sociologie et philosophie, PUF, 1re dition, 1951 21 ZNANIECKI, The Social Role of the Man of Knowledge, New York, 1940

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Pierre Bourdieu22 propose une vision structuraliste et constructiviste qui met en relief linterdpendance du subjectif et de lobjectif. Il existe, selon lui, des structures objectives indpendantes de la conscience et de la volont des individus, structures qui orientent leurs pratiques et difient leurs reprsentations. Face ces structures, interviennent des schmes de perception, les habitus, filtre travers lequel le monde est peru. La confrontation des structures objectives les conditions socioconomiques- et des dispositions culturelles les habitus a lieu dans cet espace social que Bourdieu appelle champ. Les structures cognitives qui sont socialement constitues structurent leur tour le social lui-mme. Et la violence symbolique quivalent de lidologie marxiste- est due la mconnaissance quen ont les agents sur qui elle sexerce. Nous retiendrons donc que les mythes et les idologies sont des reprsentations et que les reprsentations sont dabord des constructions collectives et constituent ce quon peut appeler le sens commun. Elles rsultent de la longue exprience des gnrations. Etant historiquement et gographiquement situes, ces constructions font la varit des cultures. Elles sont ancres au sein dun groupe et dun systme de valeurs qui lui est propre. Elles jouent le rle de filtre cognitif. En effet, une recherche de Serge Moscovici23 a montr que communistes et catholiques ont donn chacun une interprtation diffrente de la psychanalyse, interprtation lie leur vision particulire de lindividu et de la socit. Les travaux dElisabeth Bautier24 montrent quel point les reprsentations de lindividu, les conceptions quil a de la ralit ne sont que les traductions des reprsentations de son groupe social dappartenance. Inscrites dans lhistoire familiale, ces conceptions prennent un caractre dimmuabilit car amender ou se dfaire des reprsentations de son groupe, notamment du groupe-famille, cest remettre en cause sa propre histoire, son propre rapport au monde, son identit. Reprenant les travaux de Durkheim, de Moscovici et de Bourdieu, Jean-Pierre Astolfi conclut que lindividuapparat () surdtermin par des normes et des idologies qui traduisent ou trahissent son milieu dappartenance, mme si une variabilit individuelle sobserve avec frquence. Les reprsentations sont dabord des constructions collectives, mais elles sinstancient de manire singulire, chaque personne tant finalement loccurrence dun social qui la transcende. 2522 23

BOURDIEU P., Raisons pratique. Sur la thorie de laction, Seuil, 1994 MOSCOVICI S., La Psychanalyse, son image et son public, PUF, 2e dition 1976 24 BAUTIER E. et CASTAING R., Des Apprentis en CFA et leurs parents : rapport la formation et au mtier, CREDIJ, Rouen, 1989 25 ASTOLFI J.-P., Les Figures doubles de la reprsentation, in EDUCATIONS n10, Nov.-Dc., 1996, p.47

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Cependant, prcise Giust-Desprairies, il nous faut considrer la reprsentationnon seulement comme un contenu, mais aussi comme un ensemble de processus intgrant des oprations psychiques donnant lieu des remaniements et destins concilier lintriorit et lextriorit, lindividuel et le collectif. Car dans lanalyse quils font des situations, les individus et les groupes introduisent toujours leurs ncessits subjectives. 26

Cest donc linterface du psychologique et du social que nous place la notion de reprsentation sociale. En effet, dit Barus-Michel Jacqueline, si cest bien le fantasme qui origineles reprsentations et derrire lui le dsir qui fomente les scnarios jusqu les faire partager par des collectifs, de leur ct, les systmes de reprsentations macro ou microsociaux viennent solliciter les dsirs et les angoisses des individus, leur proposer sous un mode non conscient des mcanismes de dfense ou des modes datteinte de lidal qui vont dans le sens des objectifs sociaux. 27

Aussi, Giust-Desprairies affirme-t-elle que habites par le fantasme et modeles par le social [les reprsentations] chappent en partie aux individus et aux groupes. 28 Lattitude vis--vis de la formation ne seraitelle pas directement induite de la reprsentation quon a de celle-ci ? Ainsi dfini, le concept de reprsentation simpose comme un concept cl de la psychologie sociale. Nous en tudierons brivement lapparition et lemploi dans cette discipline travers lexamen des rapports que ce concept entretient avec celui dattitude. 3.2.Reprsentation et attitude Sous le titre Un concept utile en psychologie sociale 29, Claude Tapia et Valrie Cohen-Scali retracent les tapes de lapparition du concept de reprsentation sociale et montrent quil sest impos, suite aux tudes entreprises sur les concepts dattitude, de catgorisation et didentit. Le concept dattitude Dfinition et caractristiques Aprs Thomas et Znaniecki, Watson (1925) dfinit la psychologie sociale comme ltude scientifique des attitudes qui, selon ces chercheurs26 27

GIUST-DESPRAIRIES F., Eclairer limaginaire, in EDUCATIONS n10, Nov.-Dc. 1996, p.25 BARUS-MICHEL J., Entre lindividuel et le social, in EDUCATIONS n10, Nov.-Dc., 1996, p.43 28 GIUST-DESPRAIRIES F., Op. Cit. p.26 29 COHEN-SCALI Valrie et TAPIA Claude, Un Concept utile en psychologie sociale, in EDUCATIONS n10, Nov-Dc. 1996, pp. 34-39

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auxquels se sont joints les dfenseurs de la gestaltpsychologie, interviennent dans toute relation avec des objets et sont susceptibles dexpliquer les variations des relations interindividuelles, les rgularits de comportement et la stabilit intra-individuelle. Lattitude est dfinie comme lorientation globale de lindividu partir de laquelle il value lenvironnement et ragit ses sollicitations. Boudon30 et Stoetzel31 saccordent considrer que le mot dattitude fut introduit en psychologie sociale par Thomas et Znaniecki qui lutilisrent dans The Polish Peasant in Europe and America (19181920), dans le sens dun tat desprit de lindividu envers une valeur, dune disposition mentale explicative du comportement. Le recours ce concept fut prpar, selon Allport, par les recherches en psychologie exprimentale et par la culture psychanalytique. En effet, la psychologie exprimentale sest retrouve devant limpossibilit dexpliquer la variabilit des ractions des individus une stimulation sans tenir compte des dispositions mentales. La psychanalyse, de son ct, a introduit, dans la comprhension des comportements humains, la distinction entre le manifeste et le latent, le conscient et linconscient. Park a ajout cette premire dfinition lide que lattitude est lie lexprience et quelle varie en intensit. Mais cest Allport qui en a propos, en 1935, la dfinition la plus frquemment utilise jusqu aujourdhui : Cest un tat mental de prparation laction, organis travers lexprience, exerant une influence directive et dynamique sur le comportement. 32. Jean Stoetzel33 en a prcis les lments caractristiques : - Il sagit dune variable infre, non directement observe, ni observable. - Elle dsigne une prparation spcifique laction impliquant une relation sujet-objet qui la distingue du trait de caractre. - Elle est toujours polarise, impliquant lide de pour et de contre : elle est charge daffectivit et reprsente le corrlatif de valeur. - Contrairement linstinct, elle est acquise et peut subir leffet des influences externes. Les travaux sur les chelles dattitudes ont ajout ces caractristiques celle dintensit et de centralit. Contrairement une30 31

BOUDON R., Attitude, in Encyclopedia Universalis, 1973, Vol. 2, p.774 STOETZEL J., La conception actuelle du concept dattitude en psychologie sociale, in MENDRAS H., Elments de sociologie, Textes, Paris, Armand Colin 1968, p.76 32 ALLPORT G.W., cit par GHIGLIONE R., RICHARD J.-F. (dir.), Cours de psychologie, tome I, chap.2, Paris, Dunod, 1992, p.215 33 STOETZEL J., Op. Cit. pp. 77-78

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attitude extrmiste, une attitude mdiane (ou centrale), sexprime en termes modrs et ne se prte gure un dploiement motif. A travers son tude sur la personnalit autoritaire, Adorno34 a mis en lumire le fait que les attitudes dun individu sont intgres dans un systme. Il a montr, par exemple, quune attitude antismite, ou plus gnralement ethnocentrique, saccompagne dune attitude conformiste et dune tendance concevoir les rapports personnels en fonction des catgories dautorit et dobissance, accorder une importance capitale la soumission lautorit, considrer que laction dautrui est dtermine par lgosme, etc.. Campbell appelle orientation politique dun individu, le profil politique form par lensemble structur de ses attitudes relatives la politique. Dans ce contexte, Eysenck prfre utiliser le terme didologie et Lancelot, celui de temprament. Fonction On attribue gnralement lattitude un rle dintgration, de structuration et dadaptation. Par rapport la personnalit, lattitude joue un rle intgrateur, celui de prserver lquilibre de la personnalit face une situation sociale dtermine. En 1960, dans leur Thorie de la dissonance cognitive, Festinger et Aronson35 affirment lexistence chez tout individu dun besoin de cohrence rationnelle qui explique la tendance organiser son univers de significations et de comportement. Les opinions et les attitudes latentes dun individu forment un systme qui tend sorganiser conomiquement pour viter son propre dsquilibre et rduire ses incertitudes. Ainsi, trouvons-nous toujours les moyens dexpliquer les vnements qui contredisent nos opinions et nos croyances sans avoir changer celles-ci. Les attitudes orientent nos actions ainsi que toutes nos oprations psychiques. Elles sont des pr-perceptions, des pr-actions, des prjugements. Elles sont la base de nos croyances, de nos opinions et de nos prjugs.Nos opinions, attitudes actualises et prises de position personnelles, toujours pares dun luxe de justifications rationnelles et de rfrence des preuves ou des modles, sont le rsultat de la stimulation dune ou de plusieurs attitudes 36 latentes, sous limpact dun objet ou dune information.

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ADORNO, FRENCKEL-BRUNSWICK et al., The Authoritarian Personality, New York, Harper, 1950 35 FESTINGER L. et ARONSON E., Eveil et rduction de la dissonance dans les contextes sociaux, in LEVY A., Psychologie sociale, Textes fondamentaux, Paris, Dunod, 1970, pp.193-211 36 MUCCHIELLI R., Opinions et changement dopinion, Paris, ESF, 1972, p.30

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Dans sa thorie du prjug, Allport37 affirme que, sur le plan de la reprsentation, le prjug assume une fonction de simplification. Il fournit des catgories tranches qui permettent de classer les personnes et leurs comportements, dexpliquer simplement ces comportements, de juger de ces comportements selon le principe du moindre effort . Nos attitudes et opinions, dit Stoetzel, nous aident classer les objets du milieu o nous sommes placs et par l mettent notre service des prdispositions pour agir et pour affronter ces objets. 38 En effet, de nombreuses recherches ont montr que les attitudes se forment et changent dans le but daider lindividu russir son insertion dans son environnement social : Coleman a montr que, en milieu scolaire, les attitudes de llve sont troitement dtermines par la place de celui-ci dans la structure du groupe-classe ; Newcomb a montr qu luniversit, les tudiants assurent leur insertion dans leur champ social en choisissant des attitudes compatibles avec les groupes de rfrence dominants39. Dautre part, les attitudes peuvent changer quand la situation sociale de lindividu change ou que la socit elle-mme change. En effet, les tudes sur le changement des attitudes politiques40 ont montr que, dans la mobilit sociale, lindividu adopte lorientation politique du milieu dans lequel il sintgre lorsquil sagit dune ascension sociale. Dans le cas contraire, il maintient lorientation qui le rattache au milieu social dorigine. Facteurs dterminants Lattitude est dtermine, affirme Mucchielli41, par trois types de facteurs : les facteurs personnels privs, tels que la motivation personnelle, limage de soi et le niveau daspiration ; les facteurs interpersonnels, de groupe et socioculturels tels que les mythes, lidologie, les valeurs sociales et limage pour autrui ; les facteurs dhistoire personnelle reprsents par les prises de position antrieures. Dans la littrature anglo-saxonne, les tudes relatives la formation