Einstein l Autre Regard

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  • Je nai pas de don particulier. Je suis simplement passionnment curieux. Albert Einstein

    De lordinateur la voiture, des modles macro-conomiques aux prvisions mtorologiques, de limagerie mdicale aux armes de destruction massives, les sciences et les techniques ont envahi notre quotidien, model notre faon de comprendre le monde, dmultipli la capacit des hommes infl chir le cours des choses.

    Les socits du XXIe sicle seraient, dit-on, appeles tre des socits de la connaissance . Les sciences sont devenues un lment de la vie de chacun et notre sort tous parat li lusage qui en sera fait. Le dveloppement de la culture scientifi que est ds lors plus que jamais un lment central pour nous permettre, individuellement et collectivement, de matriser notre avenir.

    De nombreuses dmarches sont entreprises pour permettre chacun de mieux apprhender laventure scientifi que. LUNESCO dclar 2005 anne de la physique . mon initiative, nos Universits et Hautes coles organisent dans ce mme esprit depuis plusieurs annes les Printemps des sciences, loccasion desquels elles ouvrent largement leurs portes. Aujourdhui, lexposition Albert Einstein - Lautre regard, est organise Bruxelles loccasion du 100e anniver-saire des premires publications majeures dEinstein.

    Si Einstein mrite avant tout dtre connu pour ses apports la physique du XXe sicle, la dcouverte de lhomme est galement interpellante. Lautre regard dEinstein, qui la amen recevoir le Prix Nobel de Physique, tait manifeste-ment celui dun esprit maints gards joyeusement anti-conformiste.

    Celui qui scrutait les toiles fut galement un citoyen de son temps engag, notamment dans la cause pacifi ste ou encore au sein de la Ligue allemande des droits de lhomme, convaincu que Le monde ne sera pas dtruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire. .

    Jespre que vous trouverez dans ce dossier pdagogique un guide utile pour prolonger votre cheminement sur les traces de cet homme de science et de conscience.

    Franoise DupuisMinistre en charge de la culture la Commission communautaire franaise ( COCOF )

  • Expo Einstein, lautre regard

  • Table des matires

    Remerciements 5

    Introduction 9

    Einstein et la Belgique 13

    Socit et physique du XIXe sicle au temps dEinstein 21

    Les atomes existent, je les ai vus ! 27

    La naissance de la mcanique quantique 33

    Les vacances du chat de Schrdinger 43

    La relativit restreinte 47

    E = mc2 la loupe 53

    Quest-ce que la relativit gnrale ? 57

    Le Big Bang, en deux mots 63

    Regard sur un autre Einstein 69

    Lhomme Einstein 73

    Glossaire 77

    Bibliographie 81

    Lexposition 83

    Sponsors 93

  • Les auteurs de lexposition

    Conception musologique, ralisation et gestionTempora s.a.

    Direction scientifi queasbl E=mc2

  • Ces cahiers pdagogiques ont t conus dans le cadre de lexposition Einstein, lautre regard qui a t ralise par des scientifi ques de lUniversit Libre de Bruxelles ( ULB ) et de la Vrije Universiteit Brussel ( VUB ) et par Tempora s.a.

    Lexposition naurait pu tre ralise sans le soutien de MM. Eddy Van Gelder, Prsident du Conseil dAdministration de la VUB, Jean-Louis Vanherweghem, Prsident du Conseil dAdministration de lULB, Benjamin Van Camp, Recteur de la VUB et Pierre de Maret, Recteur de lULB.

    la VUB et lULB, lvnement a t conu par diffrentes quipes, coordonnes par Henri Eisendrath, Professeur mrite la VUB et Michel Tytgat, chercheur FNRS et Charg de cours lULB.

    Le contenu scientifi que, le scnario et les textes de lexposition ont t conus avec laide de :

    Albert Art ( ULB ), Alex Borgoo ( VUB ), Lon Brenig ( ULB ), Didier Devriese ( ULB ), Jan Heyninck ( VUB ), Denis Johnson ( VUB ), Dirk Lefeber ( VUB ), Philippe Lonard (ULB ), Christiane Schomblond ( ULB ), Walter Van Rensbergen ( VUB ), Caroline Verhoeven ( VUB ), Thierry Visart ( ULB ) et Jean Wallenborn ( ULB )

    Les dossiers pdagogiques ont t raliss sous la direction de Jean-Pierre de Greve ( VUB ) et de Michel Tytgat ( ULB ), en collaboration avec :

    Glenn Barnich ( ULB ), Erwin De Donder ( VUB ), Didier Deses ( VUB ), Henri Eisendrath ( VUB ), Kamil Fadel ( Palais de la Dcouverte, Paris ), Henk Forriers ( VUB ), Jan Heyninck ( VUB ), Franklin Lambert ( VUB ), Philippe Lonard ( ULB ), Philippe Mergny ( Communaut Franaise ), Christiane Schomblond ( ULB ), Eric Stijns ( VUB ), Frank Tavernier ( VUB ), Michel Tytgat ( ULB ), Jean Wallenborn ( ULB ), M. Jacques Houard ( ULB ), Ad Meskens( VUB ) et Dimitri Terryn ( VUB ).

    La conception des expriences interactives a t coordonne par Jean Wallenborn ( ULB ) en collaboration avec :

    Albert Art ( ULB ), Daniel Bertrand ( ULB ), Norbert Kruse ( ULB ), Renaud Lambiotte ( ULg ), Philippe Lonard ( ULB ), Gilbert Longin ( VUB ), Heidi Ottevaere ( VUB ), Luit Slooten ( VUB ), Christiaan Sterken ( VUB ), Jean Surdej ( ULg ), Hugo Thienpont ( VUB ), Herman Van Herzeele ( VUB ) et Thierry Visart ( ULB ).

    Nous remercions Kristel Mommaerts et Nadine Verheyen de la VUB ainsi que Kamel Daoud et Alain Renard de lULB pour leur aide pour les questions juridiques.

    Diffrents chercheurs nous ont apport leur aide et leur soutien :

    Alexandre Ackermans ( ULB ), Nicolas Cerf ( ULB ), Barbara Clerbaux ( ULB ), Salua Daghay ( VUB ), Stphane Detournay ( ULB ), Jorgen DHondt ( VUB ), Thomas Durt ( VUB ), Daan Hubert ( VUB ), Laura Lopez Honorez ( ULB ), Bernard Knaepen ( ULB ), Wendy Meulebroeck ( VUB ), Michael Peeters ( VUB ), Guy Van der Sande ( VUB ), Petra Van Meulders ( VUB ), Alexander Wijns ( VUB ).

    La communication avec les coles secondaires a t assure par le service IEOC ( VUB ) et la Cellule RES ( relations avec lenseignement secondaire et suprieur ) ( ULB ) avec laide et le soutien des Services Crmonies des deux institutions.

  • Pourquoi une exposition Einstein ?

    En 1905, en lespace de quelques mois, Albert Einstein, qui ntait jus-que-l quun jeune employ au bu-reau des brevets de Berne, a publi quatre articles scientifi ques qui al-laient changer dfi nitivement notre conception de lespace, du temps et de la matire.

    Un de ces articles concernait la re-lation entre la masse et lnergie : de nos jours, lquation E = mc2 est connue de tous, mais peu compren-nent vraiment combien cette formule dapparence innocente a boulevers la science, la culture et la socit dans son ensemble.

    La relativit, de son ct, nous a obli-gs reconsidrer notre manire de penser lUnivers.

    Enfi n, la mcanique quantique, dont Albert Einstein est un des pres, nous a permis dapprhender le monde atomique ; llectronique, qui a envahi notre vie quotidienne, lui en est redevable.

    Lanne 2005 a t dclare anne internationale de la physique par lUnesco ; le centime anniversaire de lanne miraculeuse dEinstein a t clbr dans le monde entier. Lintrt du public pour la personna-lit dEinstein ( en 1999, il a t lu personnalit du vingtime sicle par les lecteurs du TIME Magazine et

    par ceux de Der Spiegel ), offre donc une opportunit unique de sensibili-ser le public limportance conomi-que et culturelle de la science pour la socit et dattirer les jeunes vers des carrires scientifi ques.

    Pourquoi une exposition Einstein en Belgique ?

    Albert Einstein a entretenu des liens divers avec notre pays, au point quon peut dire que la Belgique est une des patries du savant au mme titre que lAllemagne, la Suisse et les tats-Unis :- il avait de la famille proche ( un on-

    cle ) Anvers ;- il a particip quatre des Conseils

    Solvay de physique organiss Bruxelles ;

    - il tait un familier du couple royal Albert I et lisabeth ;

    - il a sjourn au Coq en 1933 aprs son refus de regagner lAllemagne, o les nazis taient arrivs au pou-voir.

    Un autre regard ?

    Einstein, lautre regard : le titre de lex-position en livre demble la cl, le fi l conducteur. Tout au long de sa vie, de scientifi que mais aussi dhomme en-gag, Einstein na cess de porter un autre regard sur le monde. En met-

    Introduction

  • tant ses lunettes roses , comme on le voit faire dans lexposition, Einstein jette un regard neuf sur les probl-mes qui se posent la physique de la fi n du XIXe sicle : il en rsulte une rvolution dont nous navons pas fi ni de ressentir les effets. Cest limpor-tance de penser autrement que lexposition veut mettre en avant. Car cet esprit anti-conformiste, Einstein ne la pas appliqu au seul domaine de la physique. Il a souvent t le moteur de sa vie, par exemple lors de ses tudes ( il avait la discipline prussienne en horreur ) ou dans son engagement ( pacifi ste convaincu, il nhsite pas prner lusage des ar-mes quand il faut combattre Hitler ).

    Lautre regard est aussi celui que les concepteurs de lexposition ont port sur Einstein et son uvre. - Ce nest pas une exposition scien-

    tifi que, ce nest pas une exposition historique : cest une exposition qui mle les deux et replace ces deux points de vue dans une poque.

    - Cest aussi lautre regard port sur lhomme : un scientifi que, bien sr, mais aussi une personnalit enga-ge en faveur des droits de lhom-me, de la paix, de la dmocratie.

    Le parcours de lexposition

    Scientifi que et historiqueCest, sans doute, la premire cl dont nous avons voulu nous munir

  • pour concevoir le parcours de lexpo-sition : celle-ci ne devait pas tre uni-quement une exposition scientifi que o le visiteur vient sexercer comme dans un laboratoire.

    Rserver une part importante lhis-toire, cela ne signifi ait cependant pas simplement raconter la vie dEinstein. Bien sr, des lments biographi-ques sont donns voir dans notre exposition. Mais ils nen constituent pas les seuls lments historiques et ils ne sont pas prsents comme le simple droulement dune ligne du temps. Lhistoire sinsinue aussi dans la science : Einstein est le fruit dune poque et il sappuie sur la physi-que du XIXe sicle. Quant la vie du savant, cest par le biais de ses en-gagements que nous avons surtout voulu la montrer.

    Quatre articlesIl nous est aussi trs vite apparu quil fallait partir des quatre principaux ar-ticles publis en 1905 dans la revue Annalen der Physik. Ils devaient tre au centre de lexposition car ils ont provoqu cette onde de choc dont nous navons pas fi ni de ressentir les effets. Cest pourquoi, depuis le cur de lexposition, le visiteur se dirige vers quatre espaces distincts, chacun introduit par larticle de 1905 correspondant : les quanta, les ato-mes, E = mc2, la relativit. Cette or-ganisation, laquelle nous avons voulu rester fi dles, nous a obligs rserver un espace la mcanique quantique alors que dautres expo-sitions consacres luvre du sa-

    vant ignorent cet aspect. Cest une diffi cult que nous navons pas voulu esquiver car cest bien un des arti-cles de 1905 qui est la base du d-veloppement de cette thorie, lune des deux plus puissantes armes de la physique contemporaine.

    Un autre langage Les habitus des expositions le sa-vent : la quantit dinformations quil est possible de dlivrer par ce m-dium est trs limite, sous peine de voir le visiteur sencourir, accabl de fatigue. Il faut donc, le plus souvent, jouer sur lmotion, les sensations. Une exposition sur luvre dEinstein ajoute une diffi cult supplmentaire : nous touchons ici des mondes qui nous sont totalement trangers et parfaitement non reprsentables : lchelle des atomes et celle de la vi-tesse de la lumire.Notre parti pris a donc t non dex-pliquer les thories dEinstein ce qui est dailleurs diffi cilement possible sans recourir un appareil math-matique complexe mais de les faire ressentir. Et dinviter le visiteur aller plus loin par dautres moyens, tel ce guide par exemple. Il sagit dveiller la curiosit, de faire prendre cons-cience que notre manire de penser lUnivers, le temps, lespace ne sont pas aussi immuables que nous ne limaginons souvent.

    Au visiteur de dire si nous avons russi notre pari.

    Henri DupuisTempora

  • Einstein et la Belgique

    Franklin LambertOndervoorzitter van de Solvay InstitutenProfessor Vrije Universiteit Brussel

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  • Il y a cinquante ans, le 18 avril 1955, disparaissait Albert Einstein, physi-cien de gnie, pacifi ste engag, et selon Lon Blum le plus grand des hommes vivants . Il fut proclam en 1999 Man of the Century par Time Magazine.

    Le jour mme de la mort dEinstein, un tlgramme sign Elisabeth de Belgique parvint son domicile Princeton. Il tait adress Margot Einstein, sa belle-fi lle. Sagissait-il dune simple formalit ? Certes non, car outre les liens personnels entre Einstein et la famille royale, ses rap-ports avec la Belgique furent multi-ples et importants. Certains vne-ments belges, tels que les clbres Conseils de physique Solvay, eurent un impact profond sur sa pense et sur ses travaux. Dautres moins con-nus nen furent pas moins importants sur le plan affectif. Il nous a sembl lgitime et opportun de les relater brivement.

    Une lgende veut que les premiers contacts dEinstein avec notre pays se soient tablis Bruxelles, en 1911, loccasion du premier Conseil de Physique. Celui-ci fut, sans aucun doute, un moment important et nous y reviendrons. Nanmoins, ce ne fut pas son premier contact avec la Belgique.

    En effet, Albert Einstein avait un on-cle maternel, Csar Koch, qui avait acquis la nationalit suisse et stait ensuite tabli Anvers vers 1890. Ce parent ais et fort attentionn aida le

    jeune Albert au moment trs critique o celui-ci, ne supportant plus le r-gime militaire du Luitpoldgymnasium de Munich, se retrouva Milan sans diplme et dcid se dfaire de la nationalit allemande. Lide de sins-crire au clbre Polytechnikum ( ETH ) de Zrich afi n dy faire des tudes dingnieur et dacqurir par la suite la prcieuse citoyennet suisse ( au prix de 800 FS ) fut un conseil dont Einstein sut tirer tout le profi t.

    Les tmoignages de gratitude envers cet oncle prfr sont nombreux. En effet, cest Csar Koch quEins-tein envoie, en 1894-95, le manuscrit de son tout premier travail scientifi -que intitul ber die Untersuchung des Aetherzustands im magnetis-chen Felde .

    Le sujet de cet tonnant petit mmoi-re est encore bien loign de celui de son clbre Zur Elektrodynamik Bewegter Krper de 1905. Nanmoins, il nous montre quel point le jeune Einstein, qui na encore que 16 ans, est dj fascin par les problmes de llectrodynamique et par les merveilleuses expriences de Heinrich Hertz. Le manuscrit, ac-compagn dune lettre touchante son oncle Csar, fut conserv en Belgique pendant prs de cent ans avant dtre vendu Londres.

    Einstein rend de frquentes visites loncle Csar et sa famille. Celles-ci lamnent Anvers et Lige, o Csar Koch sest install auprs de sa fi lle Suzanne, aprs la mort de sa

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  • Rien ne rend mieux compte de la sim-plicit et de la dlicatesse de lamiti entre la Reine et Albert Einstein que les lettres que ces deux tres dex-ception changrent pendant plus de vingt-cinq ans. Les archives du Palais Royal de Bruxelles ont conser-v 24 lettres de la main dEinstein. La premire est date du 14 mars 1929 ( date de son cinquantime anniver-saire ), la dernire du 11 mars 1955 ( cinq semaines avant son dcs ). Il y parle volontiers de posie, de philo-sophie et de musique ; aborde quel-quefois des questions de physique et fait souvent lloge de la solitude propice la rfl exion et ducatrice de la personnalit .

    Einstein eut aussi de nombreuses discussions avec le roi Albert sur les problmes pineux que rencontrait la Socit des Nations, sur la diffi cult de sauvegarder la paix et sur lat-titude adopter vis--vis des objec-teurs de conscience.

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    femme en 1927. La correspondance suivie entre Einstein, sa femme Elsa, sa sur Maja et leur famille belge atteste limportance de ce lien fami-lial, lien dautant plus troit que Csar Koch est aussi loncle dElsa.

    Les relations avec la famille royale

    Les fi lles de Suzanne Koch-Gottschalk se souviennent des visites du cou-sin Albert , de sa premire invitation prive au Chteau Royal de Laeken, en mai 1929, et des colis de frian-dises quil leur envoyait dAmrique pendant la Seconde Guerre mon-diale Linvitation royale du 20 mai 1929, quEinstein reut alors quil s-journait Lige au n7 de lavenue de Luxembourg, nous amne tout naturellement voquer ses relations privilgies avec le roi Albert Ier et la reine Elisabeth.

  • Les Conseils Solvay

    Lvocation de ces relations de con-fi ance et destime mutuelles nous conduit rappeler les circonstan-ces des premiers contacts dAlbert Einstein avec la famille royale. Ceux-ci stablirent loccasion des pre-miers Conseils de physique Solvay ( de 1911 et 1913 ) qui, selon une tradition qui se maintiendra lors des Conseils suivants, taient rehausss par une rception chez le Roi. Einstein fut convi ces prestigieux Conseils et y joua demble un rle prpond-rant. Il fut, par la suite, le seul physi-cien allemand tre invit partici-per aux deux premiers Conseils qui eurent lieu aprs la Premire Guerre mondiale. Il accepta de se joindre au Conseil de 1921, mais ne put se rendre Bruxelles en raison dun voyage aux Etats-Unis quil effectua en compagnie de Cham Weizmann pour collecter des fonds destins la cration de lUniversit hbraque de Jrusalem. Il contribua nanmoins aux travaux de ce Conseil par per-sonne interpose dans la mesure o il remit des notes qui furent jointes au rapport prsent par le physicien de Haas. En aot 1923, il se vit contraint de dcliner linvitation au Conseil de 1924, par solidarit envers ses col-lgues allemands qui ntaient pas invits. Rappelons ce sujet quil fut longtemps diffi cile dinviter Bruxelles

    les signataires du Manifeste des 93 savants allemands qui staient dclars solidaires de larme prus-sienne.

    Lorsque lAllemagne eut rejoint la Socit des Nations en 1926, il fut possible de tourner la page et din-viter nouveau les physiciens alle-mands participer aux Conseils sui-vants. Einstein fut galement invit faire partie du Comit Scientifi que de lInstitut International de physique Solvay. Cette nomination intervint la suite du dcs de H. Kammerlingh Onnes et reut lapprobation du roi Albert. Einstein participa ce titre aux Conseils de 1927 et 1930, ainsi qu une runion prparatoire du Conseil de 1933. Cest loccasion de cette runion du mois de juillet 1932 que la reine Elisabeth prit quelques photos dEinstein et dautres invits dans les jardins du chteau de Laeken.

    Les Conseils auxquels participa Einstein furent, de lavis gnral, par-mi les plus mmorables. Ils furent le thtre o se droula, entre 1911 et 1930, la fameuse rvolution quanti-que , chaque Conseil annonant le franchissement dune nouvelle tape de cette rvolution

    On comprend aisment que les dis-cussions de Bruxelles eurent une infl uence considrable sur luvre

    dEinstein. Il ne peut tre question ici den donner un aperu complet. Signalons simplement que, revenu Prague aprs le Conseil de 1911, Einstein ne se contenta pas de d-velopper sa thorie de la gravitation ( plus connue sous le nom de rela-tivit gnrale ), mais quil seffora galement dlucider le mystre sou-lev par son hypothse des quanta de lumire .

    Rappelons aussi les lgendaires con-frontations des Conseils de 1927 et 1930 entre Einstein et Bohr sur lat-titude adopter vis--vis de la toute nouvelle mcanique quantique. Elles incitrent Bohr prciser ce quil faut entendre par interprtation de Copenhague , et eurent un impact profond sur les travaux de ceux qui, aujourdhui encore, en tudient les fondements. Signalons cet gard que cest en 1933, au cours des der-niers mois passs la cte belge, quEinstein imagina une exprience qui, deux annes plus tard, deviendrait clbre sous le nom dexprience de pense Einstein-Podolsky-Rosen ( EPR ) . Il est indniable dautre part que les premiers Conseils Solvay contriburent aussi faire reconna-tre le gnie dEinstein par les plus minents physiciens de lpoque. Ils eurent de ce fait un important impact sur le droulement de sa carrire aca-dmique. Notons en particulier que ce furent Planck et Nernst, les deux gloires de la physique allemande si troitement lies aux initiatives dEr-nest Solvay, qui se rendirent en 1913 Zurich pour proposer Einstein un poste de Directeur lInstitut Kaiser Wilhelm de Berlin, accompagn du titre de membre de lAcadmie des Sciences de Prusse et de professeur lUniversit de Berlin.

    Les collgues belges

    Parmi les physiciens belges qui eurent des contacts rpts avec Einstein, il convient de citer ( dans lordre chro-nologique ) :

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  • - Emile Verschaffelt, qui fut profes-seur Bruxelles et Gand et qui, durant les premires annes de lInstitut International de physique Solvay, fut secrtaire du Comit Scientifi que ;

    - Thophile De Donder, pre de la physique thorique lUniversit Libre de Bruxelles. Il eut une cor-respondance suivie avec Einstein, entre 1916 et 1923, et contribua au dveloppement de sa thorie de la gravitation ;

    - Georges Lematre, clbre pour ses travaux en cosmologie, prix Francqui en 1934, qui fut profes-seur lUniversit Catholique de Louvain et membre de lAcadmie Pontifi cale des Sciences;

    - Jacques Errera, prix Francqui en 1938, qui fut professeur lUni-versit Libre de Bruxelles et qui accueillit Einstein dans son labo-ratoire en 1933. Il fut, par la suite, Commissaire lnergie atomique ( 1959 1969 ).

    Leur nom, ainsi que celui dautres personnalits belges de premier plan, apparat dans divers comptes rendus des sjours prolongs quEinstein ef-fectua en Belgique des moments trs dramatiques.

    Le premier de ces sjours eut lieu en aot 1932, au lendemain des lections du Reichstag, qui fi rent du parti national-socialiste ( NSDAP ) le premier parti dAllemagne. Des troubles importants ayant clat dans plusieurs villes, on conseilla Einstein ( qui stait joint dautres intellectuels pour appeler le SPD et le KPD former un bloc uni contre le NSDAP ) de sloigner de Berlin en attendant que le calme revienne. Il choisit de se rfugier dans une petite auberge Frahinfaz, dans les envi-rons de Spa. Cest dans cet Htel Jamar quEmile Vandervelde eut grande peine le retrouver. Plusieurs lettres dEinstein tmoignent de son amiti et de sa grande estime pour le chef du parti socialiste. Rappelons quauparavant, en tant que mem-

    bre de la Commission Internationale de Coopration Intellectuelle de la Socit des Nations, Einstein ren-contra galement plusieurs reprises Jules Destre, ancien ministre des Sciences et des Arts.

    La correspondance de Frahinfaz nous laisse entendre que cest au cours de lt 1932 quEinstein d-cida daccepter loffre dun enga-gement mi-temps lInstitute for Advanced Studies de Princeton et ce partir de la fi n de lanne 1933. Les vnements politiques du dbut de lanne 1933 Hitler prit le pouvoir en janvier bouleversrent ses plans

    et ne lui permirent pas de continuer partager sa vie entre lAmrique et Berlin. Ces vnements prirent, au mois de mars, un tour si dramatique quils lamenrent rompre tous ses liens avec lAllemagne et se rfu-gier une nouvelle fois en Belgique. Rappelons-en la succession trs brivement.

    Refuge la cte belge

    Au terme de leur troisime hiver ca-lifornien, Einstein et sa femme Elsa ont regagn New York et se trou-

    vent, le 18 mars, bord du vapeur Belgenland , qui leur est devenu familier, et qui entame son dernier voyage destination dAnvers. Ils apprennent que des agents nazis ont perquisitionn leur maison de Caputh et que leurs biens ont t saisis. Un tlgramme du professeur Arthur De Groodt, de lUniversit de Gand, les invite passer quelques jours chez lui, au chteau de Cantecroy, prs dAnvers, pour leur permettre de rfl chir la situation. Ils acceptent linvitation et sont reus leur arrive par un important comit daccueil. Einstein renonce aussitt son poste de Berlin et sa nationalit alleman-

    de. Il prsente sa dmission lAca-dmie des Sciences de Prusse. Les journaux titrent Cest en Belgique que la voix dEinstein, qui a cess dtre allemande, est devenue universelle . Les Einstein sinstallent, le 1er avril, au Coq sur Mer dans la villa Savoyarde , loue grce aux bons soins de Madame De Groodt et pla-ce, par ordre du Palais, sous la pro-tection de la gendarmerie. Ils savent quils ny sjourneront que quelques mois avant de quitter dfi nitivement lEurope.

    Einstein se consacre ses travaux en compagnie de Walther Mayer qui

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  • la rejoint. Il sinquite du sort des in-tellectuels juifs chasss dAllemagne et intervient auprs de personnalits belges susceptibles de pouvoir leur venir en aide. Il reoit de nombreu-ses visites notamment de sa fa-mille belge , de physiciens tels que Philip Frank, Georges Lematre, Paul Langevin et dartistes tels que James Ensor et Flix Labisse Il fait des pro-menades quotidiennes, accepte de poser pour un peintre local ( Alphonse Blomme ), prsente une srie de le-ons la Fondation Universitaire ( o il retrouve les professeurs Thophile De Donder, Georges Lematre et Max Gottschalk ), et se rend deux repri-ses en Grande-Bretagne pour y don-ner des confrences et pour y ren-contrer des responsables politiques.

    Confront, au mois de juillet, laf-faire Dieu-Campion , qui lui vaut dtre consult personnellement par le roi, il se voit contraint de modifi er radicalement sa position vis--vis de lobjection de conscience. En effet, deux miliciens belges de r-serve, Marcel Dieu et Lo Campion, qui staient dclars objecteurs de conscience, devaient comparatre de-vant le Conseil de guerre. Un de leurs dfenseurs ayant demand lappui dEinstein, celui-ci refusa dapporter sa caution et fi t savoir quen raison de la situation internationale il tait du devoir des miliciens belges dassurer la dfense de leur pays. Lvolution que connat alors le pacifi sme lgen-daire dEinstein nest sans doute pas la moindre consquence de son ex-prience belge.

    Lorsqu la fi n du mois daot, la presse fait tat de lassassinat, en Tchcoslovaquie, de Thodore Lessing ( ami dEinstein ) et de la mise prix, en Allemagne, de la tte dEinstein lui-mme, il devient clair pour Elsa quil est temps de partir.

    Aprs avoir reu quelques honneurs supplmentaires il est lu mem-bre associ de lAcadmie Royale de Belgique et reoit les insignes de docteur honoris causa de la Facult

    des Sciences de lUniversit Libre de Bruxelles Einstein se dcide embarquer discrtement pour lAn-gleterre. Il retrouve Elsa quelques se-maines plus tard, Southampton, bord du Westernland . Ils arrivent New York le 17 octobre.Dornavant, la Belgique ne sera, pour Einstein, quun souvenir, entretenu par un abondant courrier et par le contact maintenu avec quelques in-times, issus de notre pays o y ayant fait escale

    La lettre Roosevelt

    On sait, qu linverse, limpact dEinstein sur la Belgique ira en sam-plifi ant, la suite dvnements quil tait loin dimaginer lorsquil quitta le Coq sur Mer. Il sagit, bien entendu, des consquences de la dcouverte de la fi ssion nuclaire, en 1938, et de lpisode, si tragique pour Einstein, qui en rsulta : lenvoi de sa clbre lettre du 2 aot 1939 au Prsident Roosevelt. Le but de cette lettre est bien con-nu : il sagissait dattirer lattention du Prsident sur la possibilit de la fabrication dune bombe luranium et sur le fait que les plus importan-tes sources duranium se trouvaient au Congo belge . On connat aussi les consquences du projet Manhattan que cette lettre dclen-cha, aprs de longs atermoiements. En revanche, ce que lon sait moins, cest que la lettre Roosevelt ntait pas la premire lettre quEinstein crivit ce sujet. Une premire let-tre, adresse lambassadeur de Belgique Washington, fut gale-ment crite linstigation des physi-ciens hongrois Leo Szilard et Eugne Wigner. Ces physiciens, conscients du danger que pouvaient reprsenter les efforts des nazis dans la recher-che sur luranium, voulaient alerter le gouvernement belge, afi n quil emp-che lUnion Minire du Haut Katanga de vendre lAllemagne les stocks de minerai duranium de Shinkolobwe. Il leur avait sembl quEinstein tait la

    personne la plus mme dintervenir auprs des autorits belges en rai-son de ses liens troits avec la Reine lisabeth.

    Il serait beaucoup trop long dvo-quer ici, mme partiellement, les di-vers rebondissements qui amenrent fi nalement Einstein sadresser Roosevelt, dmarche quil appellera plus tard sa grande faute . Il serait trop long aussi de retracer les divers pisodes de lextraordinaire aven-ture de luranium belge , et de son impact sur leffort nuclaire dans la Belgique de laprs-guerre. Disons simplement que la grande faute dEinstein permit la Belgique de jouer dans la cour des grands. En ef-fet, elle eut pour consquence que le petit pays, qui en 1920 se distinguait dj comme pionnier dans lindustrie du radium, eut aussi le rare privilge dtre associ aux toutes premires phases de la recherche nuclaire.

    La faute dEinstein jeta une grande ombre sur les dernires annes de sa vie, dj assombries par des deuils successifs et par lisolement auquel lavait conduit son got si prononc pour la recherche en solitaire .

    Son isolement Princeton lui faisait apprcier davantage la prsence, ses cts, de quelques amis de lon-gue date qui, comme lui, avaient trou-v refuge dans cette Amrique terre de contradictions et de surprises .Il est mouvant de retrouver au pre-mier rang de ceux-ci Paul Oppenheim et Gabrielle Errera, belges dadop-tion pour lun et de naissance pour lautre, rencontrs Bruxelles en 1911 loccasion du premier Conseil Solvay. Paul Oppenheim fut lune des deux personnes qui veillrent ce que les cendres dAlbert Einstein soient disperses dans un lieu tenu secret.

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    Albert Einstein et Niels Bohr, Bruxelles, 1927

  • Socit et physique du XIXe sicle au temps dEinstein Kamil FadelChef du Dpartement de Physique au Palais de la Dcouverte ( Paris, France )

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  • La jeunesse dAlbert Einstein

    Fils dune famille juive, Albert Einstein vient au monde le 14 mars 1879 Ulm, en Allemagne. Le chancelier Bismarck ( 1815 - 1898 ) venait de promulguer des lois antisocialistes pour rprimer lagitation politique ouvrire. Wilhelm Marr ( 1819 - 1904 ), un journaliste et publiciste allemand pour qui les juifs taient responsables de la crise fi nancire que connaissait le pays, rdige un texte intitul La victoire du judasme sur la germanit considre dun point de vue non confessionnel. Son pamphlet remporte un grand succs. Dans la foule, il forge le ter-me antismitisme et cre la Ligue des antismites . cette poque, la forte expansion industrielle que con-nat lEurope conduit les gens quit-ter les campagnes pour se ruer vers les grandes villes. Ce mouvement est lorigine de confl its sociaux. La po-pulation rurale juive du sud de lAlle-magne se rduit ainsi de 70 % entre 1870 et 1900. Lorsque Einstein a un an, ses parents dcident de sinstal-ler Munich. Son pre qui dirigeait cette poque un commerce de lits de plumes, change de voie et fonde une petite entreprise de fabrication de lampes, dynamos, et autres instru-ments lectriques dans la mesure o la place quoccupait llectricit dans la vie quotidienne devenait de plus en plus importante : Edison venait din-venter la lampe fi lament, llectrifi -cation des villes battait son plein, les cbles transatlantiques permettaient la communication grande distan-ce Malheureusement, face aux gants comme Siemens, A.E.G lentreprise fait faillite en 1894. Les parents dEinstein quittent alors lAl-lemagne et vont sinstaller en Italie. Einstein, lui, poursuit encore pendant quelques temps ses tudes scolaires au Gymnasium ( quivalent du lyce ). Mais en 1895, cur par le bour-rage de crne encyclopdique ml la discipline quasi-militaire quil est oblig de suivre, il dcide dabandon-

    Quelle sexerce dans le domaine thorique ou pratique, quelle soit luvre de penseurs de gnie com-me Newton ou Einstein, ou celles dingnieurs proccups par des applications, lactivit scientifi que ne peut tre isole du contexte socio-culturel et industriel dans lequel elle prend place.

    Cela semble aller de soi pour ce qui relve de la recherche applique. Cette remarque reste-t-elle valable lorsquil sagit de rfl exions abstrai-tes et philosophiques ? La rvolution conceptuelle introduite par Albert Einstein ( 1879-1955 ) qui boulever-se les notions intuitives de temps et despace peut-elle tre considre comme un fruit, un passage oblig de la socit du XIXe sicle ? Cest ce quoi nous allons nous intres-ser dans cet article aprs avoir trac une courte biographie de la jeunesse dEinstein.

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    Isaac Newton

  • ner lcole : il rejoint ses parents en Italie, dautant quil souhaite viter le service militaire. Ayant vcu dans un milieu technique et industriel, cest naturellement que Einstein songe poursuivre des tudes suprieures en physique. Mais nayant pas son baccalaurat, il dcide dentrer au Polytechnicum de Zurich ( Suisse ) ou ETH ( Eidgenossiche Technische Hochschule ), o on tait admis sur concours. Il y est reu en 1896, anne mme o sa demande, Einstein nest plus citoyen allemand, mais apatride ! cette poque, Zurich est une ville de 153 000 ha-bitants. Comme Ble et Berne, on y trouve normment dtudiants dont beaucoup sont des Russes exi-ls depuis 1870. La ville bouillonne dides et constitue ce titre un foyer o germent de nombreuses pen-ses rvolutionnaires. Einstein loge dans la chambre laisse vacante par Rosa Luxembourg ( 1870 - 1919 ), la clbre rvolutionnaire marxiste allemande. Zurich abrite une vie in-tellectuelle anime : chaque soir, les tudiants envahissent les cafs et les bars, tiennent des runions, et discutent politique, philosophie, re-ligion, sciences On y trouve Lon Trotsky, Benito Mussolini, Pierre Kropotkine, Cham Weizmann ( futur premier prsident dIsral ), Lnine Le grand psychanalyste Carl Gustave Jung ( 1875 - 1961 ) crira plus tard propos de lambiance Zurich : ici, latmosphre tait libre, on ntait pas alourdi par le sombre brouillard des sicles . Cest dans ce con-texte quEinstein dbute ses tu-des suprieures. Il y fait notamment la connaissance de Friedrich Adler ( 1879 - 1960 ), futur assassin du premier ministre dAutriche ( 1916 ) et dont le pre tait le fondateur du parti social-dmocrate autrichien. Adler est passionn par la physique et les penses du grand philosophe Ernst Mach ( 1838 - 1916 ), penses quil cherchera rapprocher de cel-les de Karl Marx. Les rfl exions de Adler le conduisent une rvolte permanente contre les acquis de la

    science. Einstein et Adler deviennent de trs bons amis. En 1900, aprs de brillantes tudes, et diplm du Polytechnicum, Einstein quitte lta-blissement. Durant deux ans, il ac-complit divers petits mtiers. En juin 1902, lanne mme du dcs de son pre, il est embauch comme expert au Bureau des brevets de Berne : son travail consiste experti-ser les nouvelles inventions, souvent des appareils lectriques

    La physique la fi n du XIXe sicleDurant ses tudes suprieures, Einstein reste admiratif face aux ex-ploits de la mcanique newtonienne. En considrant un gaz comme for-m de petites particules, il tait par exemple possible de relier tempra-ture, pression et volume, et retrouver les lois tablies par Boyle, Mariotte, Charles, Gay-Lussac Cela tait tout fait impressionnant et rvlait la puissance de la mcanique newto-nienne qui dominait la physique de-puis deux cents ans. Mais une nou-velle physique, toute aussi puissante commence natre au cours des an-nes 1870 : la synthse de llectri-cit, du magntisme et de loptique que ralise lcossais James Clerk Maxwell ( 1831 - 1879 ). En effet, ce dernier montre quil est possible de dcrire tous les phnomnes lectri-ques et magntiques laide dune seule et mme thorie unifi catrice, llectromagntisme. Or, cette tho-rie prvoit lexistence dondes dun nouveau genre dont les ondulations concernent deux grandeurs quavait introduites en physique le Britannique Michael Faraday ( 1791 - 1867 ) : le champ lectrique et le champ ma-gntique. Toujours selon cette tho-rie, ces ondes doivent se propager une vitesse qui se trouve tre gale celle mesure de la lumire. Ainsi, Maxwell est amen considrer la lumire comme tant une onde lec-tromagntique, ces ondes couvrant un spectre trs large, allant des bas-

    ses frquences aux hautes, en pas-sant par la gamme des frquences visibles ( de lordre de 1015 Hz ) cest dire la lumire proprement dite. Le fait que la lumire soit une onde ntait pas une nouveaut en physi-que. Un certain nombre dexprien-ces ralises au cours de la premire moiti du XIXe sicle avaient dter-min cette nature ondulatoire, no-tamment celle imagine par Franois Arago ( 1786 - 1853 ) permettant de comparer la vitesse de la lumire dans lair et dans leau. Vers 1850, Hippolyte Fizeau ( 1819 - 1896 ) et Lon Foucault ( 1819 - 1868 ) avaient montr que cette vitesse est moin-dre dans leau : cela tait compatible avec la thorie ondulatoire, incom-patible avec la thorie corpuscu-laire. La nouveaut quintroduisait Maxwell tait relative la nature des grandeurs ondulantes : jusqu cette date, on navait aucune ide de ce qui pouvait onduler, vibrer, dans londe lumineuse. Ce qui vibre dans la lumire, dit Maxwell, est le couple champ lectrique-champ magnti-que, deux notions issues de llec-tricit. Malheureusement, Maxwell sexprimait si peu clairement quon ne comprend pas sa thorie et ses rsultats ne sont pas reconnus sur le continent. Mais lAllemand Hermann Helmholtz ( 1821 - 1894 ) reprend le trait dlectromagntisme de lcos-sais et fi nit pas se convaincre que

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    James Clerk Maxwell

  • Maxwell a sans doute raison. Il char-ge alors son meilleur lve, Heinrich Hertz ( 1857 - 1894 ), de vrifi er le rsultat selon lequel une tincelle doit donner naissance une onde lectromagntique de frquence re-lativement basse qui doit ensuite se propager une vitesse gale celle de la lumire. Au cours des annes 1880, ce fi ls dun avocat snateur de Hambourg confi rme exprimen-talement la validit de la thorie de Maxwell. Hertz parvient en effet mettre une onde et la rceptionner plusieurs mtres de distances. partir de l, ingnieurs, techniciens et bricoleurs, tels les Branly, les Popov, les Marconi et autres semparent des ondes et donnent naissance la t-lgraphie sans fi l. La communica-tion instantane distance devient une ralit.

    Ds lors, la physique tait nantie de deux grandes thories : la mcanique de Newton et llectromagntisme de Maxwell. On tente de les unifi er. Au dbut, on cherche se reprsenter les phnomnes lectromagntiques laide de modles mcaniques. Face aux checs que connaissent ces tentatives, la situation fi nit par sinverser, et certains physiciens cherchent alors dduire les lois de la mcanique partir de llectroma-gntisme.

    Lespace et le temps

    Tout le monde a entendu parler de la relativit einsteinienne. On peut ran-ger les motivations dEinstein pour llaboration de cette thorie en deux catgories. Les motivations thori-ques, et les motivations pratiques.

    1. Les proccupations thori-ques dEinsteinAssez vite, on se rend compte que les deux gants de la physique, savoir Maxwell et Newton, ne peu-vent avoir raison tous deux. En effet, selon Newton, le mouvement rec-

    tiligne uniforme est parfaitement relatif. Autrement dit, aucune exp-rience ralise lintrieur dun wa-gon anim dune vitesse constante ne doit permettre de dire si cette constante est gale zro ou si elle est diffrente de zro. Comme le di-sait Galile, le mouvement rectiligne uniforme est comme le repos. Or, la thorie indiquait qu laide dune ex-prience doptique on devait pouvoir faire la distinction. Il fallait donc soit modifi er, voire abandonner, la thorie de Maxwell ou celle de Newton, afi n de les rendre compatibles, la physi-que ne pouvant supporter une telle contradiction. Einstein est proccup par cette affaire. Par ailleurs, un deuxime problme occupe ses penses : le phnomne dinduction dcouverte par Faraday en 1832. Ce dernier avait exprimen-talement montr que le mouvement dun aimant au voisinage dun con-ducteur, une bobine lectrique par exemple, y engendre un courant, dit induit . Le mouvement tant relatif, afi n que lon observe une induction, il suffi t que lun bouge par rapport lautre, peu importe lequel est fi xe par rapport lobservateur. Malgr cette symtrie, cette relativit du mou-vement, la thorie rendait compte de lapparition du courant induit de deux manires diffrentes, selon que laimant ou la bobine tait fi xe dans le rfrentiel du laboratoire. Cela ntait pas non plus satisfaisant aux yeux dEinstein.

    Les rfl exions quEinstein mne ces sujets le conduisent remettre en cause deux notions fondamenta-les discutes notamment par Mach : celles du temps et de lespace. En effet, afi n dliminer les inconsistan-ces de la physique, Einstein se voit oblig de mettre sur pied une thorie dans laquelle ni lespace, ni le temps ne sont absolus. Les longueurs et les dures deviennent relatives lob-servateur, de mme que la notion de simultanit de deux vnements distants. Do le nom donn cette thorie : la relativit. Signalons ce-

    pendant que ce terme peut induire en erreur en faisant croire que tout dans cette thorie est relatif. En fait, elle contient un absolu, mais cet ab-solu nest ni lespace, ni le temps pris sparment : il sagit dune grandeur qui inclut en son sein le temps et les-pace. Il sagit de ce que lon appelle lespace-temps.

    2. Les proccupations dordre pratique dEinsteinEn France, Henri Poincar ( 1854 - 1912 ) est lui aussi proccup par les problmes auxquels sintresse Einstein. Lui aussi parvient mettre sur pied une thorie de la relativit mettant en cause les notions habi-tuelles despace et de temps. Il est intressant de noter linfl uence des innovations technologiques sur les rfl exions des deux hommes. En ef-fet, la notion de simultanit de deux vnements loigns, ainsi que la synchronisation dhorloges distantes ont jou un rle central dans leurs penses. Au dbut du XXe sicle, il y avait une forte motivation pratique pour synchroniser des horloges dans les gares par exemple, ou pour ladoption dun temps universel, ou encore pour des relevs prcis de longitude

    Ainsi, pendant de nombreuses an-nes, Poincar est un des membres actifs du Bureau des Longitudes, notamment parce quil est impliqu dans la dtermination des longitu-des des territoires coloniaux franais. Or, la dtermination de la longitude dun lieu passe par la connaissance de lintervalle de temps qui spare le midi en ce lieu et le midi en un lieu de rfrence, Paris par exemple. Cela implique donc deux horloges syn-chrones Pour les synchroniser, on employait des cbles tlgraphiques. Mais compte tenu de la prcision que lon cherchait obtenir, on tait amen tenir compte du retard d au temps de propagation du signal lectrique dans les cbles, ou de celui pris par les ondes lectromagntiques

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  • 25

    Henri Poincar

  • De son ct, au titre de ses fonctions au Bureau des Brevets de Bern, Einstein est amen examiner des projets destins amliorer la syn-chronisation des horloges. En effet, cette poque, il tait courant en Suisse de synchroniser les horloges dune ville laide de signaux lec-triques. Par ailleurs, cette poque, dans beaucoup de pays les horloges sur les quais dune gare nindiquaient pas la mme heure que celles de la ville o tait situe la gare. En effet, lhorloge dun quai tait rgle sur lheure de la ville principale situe sur la ligne ferroviaire. Or, par la fentre de son bureau, Einstein pouvait obser-ver plusieurs horloges ainsi synchro-nises avancer en parfait accord Le fait que les signaux lectriques de synchronisation taient souvent transmis par le rseau ferroviaire, ain-si que les problmes relatifs au d-calage horaire lors des voyages par train ( de plus en plus vite et sur des distances de plus en plus grandes ) expliquent sans doute les fameuses allusions ferroviaires dEinstein, et laiguisement de son intrt pour les problmes relatifs au temps et les-pace.

    En guise de conclusion

    Le fait quau mme moment Einstein et Poincar aboutissent aux mmes conclusions, savoir la relativit du temps, de lespace, et de la simul-tanit, nest certainement pas un vnement fortuit. Il sagit davantage dun lment rvlateur de lambian-ce fi n de sicle. En effet, la physique et la socit de cette priode avaient toutes deux contribu la mise en place dune rvolution conceptuelle relative au temps et lespace. La physique, parce quelle comportait une contradiction : llectromagn-tisme semblait contredire la mcani-que, une des solutions de ce probl-me tant la rvision des concepts de temps et despace ; la socit, parce que les trains, la TSF, les lampes et les horloges employs au quotidien taient en train de modifi er le rap-port des hommes avec le temps et lespace. Nest-il pas remarquable quune rvolution analogue mettant en cause les reprsentations classi-ques de lespace et du mouvement ait eu lieu au mme moment, dans un autre domaine lart ? LEinstein de lart ne sappellerait-il pas Picasso ?

    se superposent, ils sannulent mu-tuellement ; pour la lumire, cela correspond une zone sombre. En revanche, quand deux creux ou deux crtes de la vague se su-perposent, lamplitude de la vague augmente ; pour la lumire, cela correspond une zone lumineuse.Cest Augustin Fresnel ( 1788 - 1827 ), physicien franais, qui a dvelopp thoriquement les ides pour lesquelles Young a t attaqu et insult.

    La lumire est une onde !

    Une des premires expriences convaincantes sur la nature on-dulatoire de la lumire a t ra-lise en 1801 par Thomas Young ( 1773 - 1829 ), mdecin, physi-cien et gyptologue britannique. Une source lumineuse est place derrire un cran perc de deux petits trous. Les deux faisceaux lumineux qui en sortent se super-posent en provoquant des franges de luminosit tantt forte, tantt faible, des interfrences . Young est le premier comprendre le phnomne en faisant lanalogie avec des vagues sur leau : quand un creux et une crte de vagues

  • Les atomes existent, je les ai vus !Jean WallenbornProfesseur Honoraire Universit Libre de Bruxelles

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  • Une notion oprationnelle

    Au XVIIe sicle, Descartes ( 1596 - 1650 ) rintroduit les atomes en tant que particules tourbillonnantes qui constituent les gaz. Il napporte pas plus de preuves que les philosophes de lAntiquit, mais sa conception image, un sicle plus tard, inspirera notamment Bernoulli ( 1700 - 1782 ) : en supposant que les gaz sont forms de particules qui sentrechoquent, celui-ci retrouve par le calcul des rsultats en accord avec lexp-rience et fonde ainsi la thorie cintique des gaz, reprise plus tard par Maxwell et Boltzmann.

    galement au XVIIIe sicle, se d-veloppe la chimie. Pour Lavoisier ( 1743 - 1794 ), rien ne se perd, rien ne se cre, tout se transforme , ce qui signifi e que les substances se dcomposent en lments et que cest lorganisation de ces lments qui change lors dune raction. la mme poque, nat une nouvelle branche de la science : la cristallo-graphie. La forme des cristaux sin-terprte comme refl tant la symtrie dune brique lmentaire , le cristal tant un empilement de ces briques.Aprs les avances du sicle prc-dent, il est donc possible de dire au dbut du XIXe que la matire homo-gne est compose de corpuscules tous semblables entre eux, trop petits pour tre visibles. Mais cest Dalton ( 1766 - 1844 ) le vritable fondateur de la thorie atomique moderne : il

    Aujourdhui plus aucun scientifi que, chimiste, physicien ou biologiste, ne doute de lexistence des atomes. Il aura pourtant fallu prs de vingt-quatre sicles et quelques avatars pour que la notion datome devienne une ralit indiscutable.

    Une vision de philosophe

    Il semble que ce soit Leucippe, un philosophe grec dont on ne sait que trs peu de choses, qui le tout pre-mier a imagin les atomes, au Ve sicle avant J.C. Son ami Dmocrite ( 460 - 370 av. JC ), voyageur au grand savoir et qui aimait le rire, d-veloppa et prcisa sa thorie. Selon elle, la nature est compose de vide et datomes, particules matriel-les indivisibles ( atome : tymologi-quement, qui ne peut tre coup ), ternelles et invariables. Les atomes ne diffrent entre eux que par leurs formes et leurs dimensions. Il nexis-te rien dautre. Il va sans dire que ce sont des spculations de philosophe qui ne reposent sur aucune preuve. Dans lantiquit ces ides seront reprises par picure ( 341 - 270 av. JC ), puis par le pote latin Lucrce ( 98 - 55 av. JC ).Mais cest la dcomposition du mon-de en quatre lments ( eau, terre, air, feu ) qui va longtemps dominer le mode de penser des chercheurs, no-tamment des alchimistes.

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  • W. Ostwald

    L. Boltzmann

    A. L. Lavoisier

    logie et mme le chimiste Ostwald ( 1853 - 1932 ) qui obtiendra le prix Nobel en 1909, tous ont ni la ralit des atomes.

    Le mouvement brownien

    En 1827, le botaniste Robert Brown ( 1773 - 1858 ), lors dune obser-vation au microscope, dcouvre le mouvement irrgulier de grains de pollen, en suspension dans leau. Il montre lui-mme que ce mouvement des particules en suspension nest pas un phnomne vital. Les parti-cules inertes, comme des poudres de minraux, y sont galement sou-mises. Pour sassurer dfi nitivement quaucune trace de vie nintervient dans le phnomne, Brown observe des particules dans de leau fossile enferme dans un cristal dorigine gologique.

    Au cours du XIXe sicle, plusieurs physiciens convertis latomisme ont voulu expliquer le mouvement des particules en suspension par les collisions quelles font avec les ato-mes beaucoup plus petits qui sont en perptuel mouvement dagitation thermique. Mais ils se trompent dans le choix des paramtres importants pour dcrire le phnomne et, ds lors, ne parviennent pas retrouver les rsultats exprimentaux.

    En 1905, Einstein avait lu les travaux de Boltzmann et avait dj publi des articles de physique statisti-que. Son originalit, pour expliquer le mouvement brownien, est davoir utilis la fois des concepts de phy-sique macroscopique, cest--dire accessibles nos sens, comme la pression osmotique, et leur quivalent en thorie cintique. De cette ma-nire, il a pu tablir des relations en-tre des quantits mesurables et des quantits relies aux atomes comme leur taille et leur nombre dans une

    Daniel Bernoulli

    montre que lexistence des atomes explique pourquoi les gaz se com-binent dans des rapports simples. Pour lui les atomes sont sphriques, identiques pour un lment, mais diffrents dun lment lautre, no-tamment par leur masse.

    Durant tout le XIXe sicle, des pr-somptions de lexistence des atomes continueront de saccumuler grce notamment aux travaux dAvogadro, Ampre, Pasteur, Bravais et Clausius. Convaincus de lexistence des ato-mes Maxwell ( 1831 - 1879 ), le cra-teur de la thorie lectromagntique, et surtout Boltzmann ( 1844 - 1906 ) dveloppent la thorie cintique qui dcrit les gaz comme une collection datomes en mouvement qui intera-gissent selon les lois de Newton. Ils donnent ainsi une explication unifi e pratiquement toutes les proprits connues des gaz. Suite ses travaux fondateurs, Boltzmann est consi-dr comme le pre de la physique statistique, une branche de la phy-sique aux nombreuses applications ( astrophysique, gophysique, fusion nuclaire, milieux granulaires, matire molle, turbulence, chaos, etc. )

    Le doigt dans lil

    Malgr tous les succs que la notion datome a permis, la fi n du XIXe si-cle, un certain nombre de savants ne croient pas lexistence des atomes parce que leurs instruments ne peu-vent pas les dtecter. Tenants dune matire continue, ils pensent que la notion dnergie est plus importante et que les atomes ne sont que des fi ctions mathmatiques, de simples symboles pratiques comme aide-mmoire. Lord Kelvin ( 1824 - 1907 ), probablement le meilleur physicien exprimentateur de son sicle, Mach ( 1838 - 1916 ), physicien et philoso-phe qui a eu une grande infl uence sur les physiciens du dbut du XXe sicle, Berthelot ( 1827 - 1907 ) qui appliqua la physico-chimie la bio-

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  • quantit de matire donne ( nombre dAvogadro ).De plus, il ralisa que la vitesse ins-tantane des particules en suspen-sion ntait pas une variable intres-sante parce quen moyenne elle est nulle, lorsque le liquide est au repos. la place, il considre le dplace-ment quadratique moyen des parti-cules. Contrairement au mouvement inertiel pour lequel le dplacement est proportionnel au temps ( i.e. la vitesse est constante ), le dplace-ment quadratique moyen des parti-cules browniennes est proportionnel la racine carre du temps. Ceci est caractristique dun phnomne de diffusion, comme la tache dencre qui stend dans leau.

    Bruit lectronique dun circuit pen-dant 0,02 sec.

    Variations journalires en % du cours du Dow Jones entre le 22 fvrier et le 12 septembre 2005.

    Deux phnomnes stochastiques

    Dplacement quadratique moyen et diffusion

    Pour lobservation du mouve-ment brownien, les particules sont en suspension dans un volu-me deau immobile. Comme une particule brownienne est tantt pousse droite, tantt pousse gauche avec la mme probabi-lit, mme aprs un temps long, la particule ne sest pas dplace en moyenne et, en consquence, sa vitesse est nulle. En consid-rant ces grandeurs, nous nap-prenons pas grand chose sur le mouvement brownien.

    La moyenne temporelle dune grandeur est la somme de ses valeurs des instants succes-sifs divise par la dure totale de la mesure. Cest pourquoi, puisque le carr dune grandeur relle est toujours positif ( ou nul ), la moyenne du carr du dpla-cement nest jamais nulle. Cest cette grandeur quEinstein tu-die. Il montre quelle augmente proportionnellement au temps. La racine carre de cette gran-deur, qui nest autre que le dpla-

    cement quadratique moyen, est donc proportionnelle la racine carre du temps.

    Cest une caractristique du ph-nomne de diffusion dont larch-type est lexpansion dune goutte dencre dans leau : le rayon de la goutte croit comme la raci-ne carre du temps ( r t ). Une autre diffusion dun grand intrt pratique est celle de la chaleur dans le phnomne de conduction.

    Smoluchowski ( 1872 - 1917 ) en 1906 et Langevin ( 1872 - 1946 ) en 1908 retrouveront par dautres m-thodes les rsultats dEinstein. Les analyses de ces trois savants ont ouvert la porte la thorie mathma-tique des processus stochastiques qui sapplique aux systmes dont au moins une des variables varie au hasard. Par exemple, des mthodes drives de ltude du mouvement brownien sont appliques aujourdhui par les fi nanciers pour proposer leurs clients les meilleurs placements possibles.

    30

  • Le nombre dAvogadro

    En 1811, un chimiste italien, Amedeo Avogadro ( 1776 - 1856 ) nonce une hypothse connue sous le nom de loi dAvogadro : deux volumes gaux de gaz diff-rents, dans les mmes conditions de temprature et de pression, contiennent un nombre identique de molcules. Il est ds lors pos-sible, en pesant ( dans les mmes conditions ) des volumes de gaz de nature diffrente, de donner les rapports entre les poids des mo-lcules qui les composent. Cest videmment un pas dcisif en fa-veur de lexistence des atomes. Cependant les tudes dAvogadro ne seront universellement recon-nues que cinquante ans plus tard : cest Loschmidt ( 1821 - 1895 ), qui donnera en 1865 la premire valuation du nombre de molcu-les dans un cm3 de gaz.

    Actuellement, le nombre dAvo-gadro est dfi ni comme le nombre datomes dans 12 grammes de C12 et vaut 6,0221x10

    23.

    En 1908, Perrin ( 1870 - 1942 ) ob-tient la valeur du nombre dAvogadro par 13 mthodes exprimentales diffrentes dont cinq se basent sur le mouvement brownien. Il confi r-me ainsi les prdictions dEinstein. Aprs ces travaux, chacun est con-vaincu de la ralit des atomes, m-mes les plus irrductibles des ner-gtistes comme Ostwald.

    Un atome compos

    Au moment o lexistence des ato-mes tait reconnue par tous, limage que lon se fait deux a chang. On leur reconnat une structure. Latome est dcomposable.

    Dj en 1902, J. J. Thomson ( 1856 - 1940 ) avait propos un modle datome dans lequel des lectrons chargs ngativement taient enfouis dans une pte positive, la manire des raisins dans le cramique. Ce mo-dle fut invalid par une exprience de Rutherford ( 1871 - 1937 ) en 1911. Celui-ci propose un modle plan-taire de latome, les lectrons sont en orbite autour dun noyau positif, mais ce modle est en contradiction avec la thorie de llectromagntis-me de Maxwell. Cest Bohr ( 1885 - 1962 ) qui donnera en 1913 un mo-dle presque satisfaisant de latome dhydrogne, mais les lectrons y dcrivent des trajectoires, alors que nous savons maintenant que cela est contraire la mcanique quantique. Depuis Schrdinger ( 1887 - 1961 ), la description de latome se fonde sur la notion dorbitale relie la proba-bilit de prsence de llectron prs du noyau.

    Et depuis cette poque, le noyau lui-mme a pu tre dcompos en par-ticules plus lmentaires : protons et neutrons dans un premier temps et actuellement, quarks et gluons.

    Voir et jouer avec les atomes

    Cinquante ans aprs les travaux fondateurs dEinstein, linvention par Mller du microscope effet de champ a permis pour la premire fois la visualisation directe datomes :

    Chaque tache claire sur la photo cor-respond un atome de la surface dune trs fi ne pointe mtallique.

    Aujourdhui, on ne se contente plus de voir les atomes, on les manipule ! De nouvelles techniques de visuali-sation ont t mises au point : le mi-croscope effet tunnel qui utilise une proprit quantique de la matire et qui convient pour ltude des mtaux et le microscope force atomique qui est constitu dune pointe qui suit le relief de la surface dun matriau tant conducteur quisolant lectrique. Ces microscopes effet tunnel et force atomique permettent le dve-loppement des nanotechnologies, un ensemble de techniques visant produire et manipuler des objets et des matriaux lchelle des mol-cules et des atomes, cest--dire du nanomtre ( 10-9 m = un millionime de millimtre ). Ces nouvelles techni-ques ouvrent des perspectives no-tamment en recherche de nouveaux matriaux, en mdecine, tant pour le diagnostic que pour le dosage des mdicaments, et en informatique par leurs possibilits de miniaturisation. On espre mme crer des nanoro-bots capables deffectuer des tches au niveau atomique.De telles perspectives nauraient srement pas manqu dajouter la bonne humeur de Dmocrite, sil avait pu les connatre. A. Avogadro

    31

  • Le microscope effet de champ

    Lchantillon sous forme de pointe est plac dans une ampoule dans laquelle le vide est fait. Il reste une pression de gaz noble rsiduelle de 10-3 pascal. La pointe est porte un potentiel positif. Son extrmit donne naissance un champ lec-trique lev ( cest leffet de pointe comme celui mis en jeu par le pa-ratonnerre ). Le champ lectrique est suffi sant pour ioniser les ato-mes de gaz juste au dessus des atomes les plus prominents de la pointe. Les ions forms sont en-suite acclrs par le champ lec-trique et projets sur lcran o ils forment une image trs agrandie

    atome de gaznoble polaris

    atome

    surface

    rayon

    disque dionisation

    ionisation par effet tunnel

    cation

    pointe mettrice

    trajectoires des ions

    plaque multiplicatrice

    rfrigrant

    contacts pour la tension et le chauffage

    $U < 1 kV1

    chantillon

    trajectoires des lectrons cran luminescent

    vers les systmes de pompagearrive des lignes de gaz

    $U < 2 - 4 kV2

    T. Visart - Service de Chimie Physique des Matriaux ( Catalyse - Tribologie ), ULB.

    32

  • La naissance de la mcanique quantiquePar Henri Eisendrath, Professor Emeritus Vrije Universiteit Brussel

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  • Des fi ssures dans le temple classique

    la fi n du XIXe, Isaac Newton ( 1642 - 1727 ) et James Clerk Maxwell ( 1831 - 1879 ) se partagent les pla-ces dhonneurs dans le temple de la physique.

    La chute dune pomme, le ballet des plantes, le mouvement dun lec-tron dans un champ magntique, ... Autant dexemples de mouvements explicables par la mcanique de Newton. Il suffi t de connatre position et vitesse initiales dun point mat-riel pour dterminer compltement son mouvement dans un champ de force. Cest pour cela quon qualifi e cette thorie de dterministe.

    De son ct, Maxwell a unifi les phnomnes lectriques et magn-tiques en une seule thorie : llec-tromagntisme. Celle-ci prdit que les perturbations lectromagntiques ont un caractre ondulatoire et se propagent la vitesse de la lumire, ce qui conduit Maxwell sugg-rer que la lumire elle-mme est un phnomne lectromagntique. On dcouvrira ensuite des ondes lec-tromagntiques de frquences plus basses ( telles que les ondes radios ) et plus hautes ( telles que les rayons X ) que la lumire visible.

    Que la lumire est une onde est d-montr par la remarquable exp-rience de Young. Il suffi t denvoyer un rayon de lumire travers une double fente ( Young utilisait une pile de car-tes jouer pour sparer un rayon en deux ). Le phnomne dinterfren-ce - une proprit ondulatoire - fait que lon obtient une foule de taches lumineuses sur un cran. Hertz con-fi rma lexistence dondes lectroma-gntiques par quelques expriences. Il dmontra entre autre que les ondes lectromagntiques peuvent tre po-larises et rfl chies, tout comme la lumire.

    Fin XIXe, des fi ssures apparaissent dans les murs de ce temple que lon croyait pourtant bien solide ...

    Lessentiel est invisible

    Tous les objets rayonnent de lner-gie sous forme de lumire. Les ob-servations montrent que la majeure partie de cette nergie est mise autour dune frquence ( autrement dit une couleur ) caractristique direc-tement proportionnelle la tempra-ture de lobjet. Le fer cheval que le marchal-ferrant sort de son four une temprature de 700 degrs Celsius est rouge. Sil augmente la temprature, le fer deviendra blanc. En revanche, temprature ambiante, la lumire est mise dans linfrarouge, invisible lil : ce que nous voyons en regardant un objet, cest la lumire quil nous ren-voie, pas celle quil met.

    Ce phnomne est bien connu au XIXe sicle, mais mme la remarqua-ble thorie de Maxwell ne peut lexpli-quer. croire cette thorie, un objet temprature ambiante brillerait com-me mille soleils. Autrement dit, il fau-drait une nergie infi nie pour chauffer nimporte quel objet, ce qui est ab-surde. De nombreux scientifi ques, dont Gustav Kirchhoff ( 1824 - 1887 ), Jozef Stefan ( 1835 - 1893 ), Wilhelm Wien ( 1864 - 1928 ), sintressent ce problme du rayonnement mais, pour le rsoudre, les physiciens nont que la thorie ondulatoire de Maxwell et la thermodynamique leur dispo-sition. Ces thories prdisent que lnergie mise par un objet idal, appel corps noir, est dautant plus grande que la frquence est leve : cest la catastrophe ultraviolette.

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  • G

    NU

    Exprience de Young pour la lumire et pour la matire

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    MATIRE

    Fente droite ouverteLUMIRE

    Fentes troites

    cran

    Fente gauche ouverte

    Deux fentes ouvertes

    Thorie ondulatoire

    Thorie corpusculaire

    Exprience

    Figure observe sur lcran

  • Corps noir

    Le corps noir est un objet idalis qui absorbe entirement la lumire, visible ou invisible, qui lui parvient, sans la rfl chir ni la transmet-tre. Un tel corps doit rayonner de lnergie sinon sa temprature ne cesserait pas daugmenter.

    Daprs la thermodynamique, la rpartition de lnergie mise en fonction de la frquence ne peut dpendre que de la temprature et pas de la nature du matriau dans lequel est fait le corps noir.

    Exprimentalement, un petit trou dans une enceinte ferme est un bon corps noir. Lexprience mon-tre alors que lnergie totale rayon-ne augmente avec la temprature ( T4 ) ; dautre part, lintensit du rayonnement passe par un maxi-mum en fonction de la frquence et ce maximum se dplace vers les hautes frquences quand la tem-prature augmente ( T ). tem-prature ordinaire, ce maximum se trouve dans linfrarouge, invisible lil, tandis que le soleil, dont la surface est une temprature pro-che de 6000 degrs, nous envoie un rayonnement centr autour de la lumire visible.

    la fi n du XIXe sicle, aucune tho-rie ne prdit un tel maximum ; au contraire, les thories disent qu toute temprature lintensit mise doit augmenter indfi niment avec la frquence !

    Thorie classique (Rayleigh-Jeans)Intensit

    Lumire visible

    _ (Hz) frquence1013 1014

    ExprienceThorie quantique (Planck)

    Intensit du rayonnement dun corps noir une temprature de 25C

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  • La quantifi cation de la lumire

    Le 14 dcembre 1900, Max Planck ( 1858 - 1947 ), qui a devin quelques semaines auparavant la formule pour le spectre dmission du corps noir, en fournit une explication thorique. sa grande surprise, sa thorie d-crit parfaitement lexprience si les nergies admises pour lmission des rayons lectromagntiques par un objet sont discrtes au lieu dtre continues. Ces nergies E sont des multiples entiers de la frquence de londe multiplis par une constante h, appele depuis lors constante de Planck, E = nh. La constante de Planck a les dimensions de lnergie ( en joule J ) fois un temps ( secon-de s ), h = 6,34 x 10-34 J.s .

    La thorie de Planck donnait une solution au problme du corps noir, mais elle ntait pas du got de tous, commencer de Planck lui-mme qui tait un conservateur dans lme. Cependant, presque malgr lui, sa dcouverte annonait une rvolution dans le monde serein de la physique au tournant du XIXe sicle. Ltape suivante fut franchie par Einstein ( 1879 - 1955 ) en 1905, alors quil ntait quemploy au bureau des brevets de Berne. Planck stait content de discrtiser, ou quantifi er devrait-on dire, les changes entre la matire et la lumire. Dans lesprit de Planck, la lumire est encore con-tinue. Einstein va un pas plus loin :

    Lumire

    Rcepteur

    + -

    metteur

    A

    pour lui, cest la lumire elle-mme qui est constitue de paquets dner-gie ou quanta ( le pluriel de quantum, un mot latin signifi ant combien ). Cette proposition rompt avec la phy-sique du 19e sicle, selon laquelle les phnomnes sont soit ondulatoires, soit corpusculaires. Pour Einstein, la lumire peut tre les deux la fois, et dans son esprit, cest un problme majeur pour la physique.

    Effet photolectrique

    En marge de sa proposition, Einstein donne une explication originale dun phnomne appel effet photolec-trique , dcouvert quelques annes auparavant par Philip Lenard ( 1862 - 1947 ). Ce dernier, fascin par llec-tromagntisme, imagina lexprience suivante. Prenons un circuit lec-trique ouvert, avec une plaque m-tallique chacune des extrmits. Si lon envoie de la lumire de cou-leur bleue sur une des plaques, des lectrons sont arrachs qui passent travers lair de la plaque lautre, de sorte quun courant circule dans le circuit. Si on augmente lintensit de la lumire bleue, le courant de-vient plus intense. Par contre, si on illumine lmetteur avec de la lumire de plus basse frquence, comme de la lumire rouge, il ny a pas de cou-rant et ce quelle que soit lintensit de la lumire. La thorie ondulatoire de Maxwell nexplique pas cet effet ; daprs elle la lumire rouge devrait aussi arracher les lectrons.

    Linterprtation dEinstein est ... lu-mineuse. Pour lui, la lumire est faite de petits paquets dnergie, des par-ticules de lumire en quelque sorte, que lon appelle aujourdhui photons. Chaque photon a une nergie bien dfi nie, dtermine par sa frquence. Si on augmente lintensit lumineuse sans changer la frquence, on aug-mente le nombre de photons mais pas la capacit de chaque particule arracher des lectrons ( qui dpend de lnergie du photon ). Si par con-tre on augmente la frquence de la lumire sans changer lintensit, il y a moins de photons mais ils ont plus dnergie, et donc peuvent plus fa-cilement arracher les lectrons de la plaque mtallique.

    Lhypothse des quanta de lumire devait branler la physique, car, nous lavons dit, elle est incompatible avec la thorie ondulatoire de Maxwell. Pour beaucoup de physiciens, cest tout simplement inacceptable. Mais les expriences de Robert Millikan ( 1868 - 1953 ) fi nirent par donner rai-son Einstein, et tous furent obligs daccepter la nature duale, onde-particule, de la lumire. Il recevra ( en 1922 ) le prix Nobel de physique 1921 pour son explication de leffet photolectrique.

    La quantifi cation de la matire

    la mme poque, dautres physi-ciens tentent de comprendre la struc-ture de latome. Le modle en vigueur est celui de Joseph J. Thomson ( 1856 - 1940 ), quil labora en 1903 aprs avoir dcouvert llectron. Pour lui, latome ressemble un cramique, avec une pte de charge positive et des raisins de charge ngative.Lexprience en 1909 de Hans Geiger ( 1862 - 1945 ) et Ernest Marsden ( 1888 - 1970 ), dans laquelle une mince feuille de mtal est bombarde avec des rayons alpha ( un rayonne-ment constitu de noyaux dhlium

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  • ioniss ), amena Ernest Rutherford ( 1871 - 1937 ) imaginer un modle plantaire de latome dans lequel les lectrons de charge lectrique nga-tive tournent autour dun noyau de charge lectrique positive.

    Lide est sduisante mais daprs la thorie de Maxwell, les lectrons qui tournent autour du noyau devraient perdre de lnergie en mettant des ondes lectromagntiques : latome de Rutherford est instable. Pour ten-ter de rsoudre ce problme, Niels Bohr ( 1885 - 1962 ) imagine lexis-tence dune nouvelle force rpulsive quil introduit sous la forme dune condition de quantifi cation : pour lui, llectron ne peut se trouver que sur certaines orbites bien prcises.

    Le spectre des atomes

    Le modle de Bohr permet de com-prendre le spectre de latome dhy-drogne, suivant des observations effectues par, entre autre, Johann Balmer ( 1825 - 1898 ). Bohr dcrit labsorption ou lmission de lumire de frquence n par un atome comme tant lie au passage de llectron dune orbite dnergie E vers une autre dnergie E, avec une diffren-ce dnergie E = E-E = hn.

    Son modle quantique de latome dhydrogne, publi en 1913, lui vaudra le prix Nobel de physique ( 1922 ).

    Ce nest quen 1917 quEinstein fait le lien entre le modle de Bohr et sa propre thorie des quanta de lumire, dans un article qui va galement mar-quer le dbut de la physique du laser. Le problme du corps noir, encore lui, lamne proposer, en plus du processus dmission spontane de la lumire dj considr par Bohr, lexistence de processus dmission stimule. Malgr ces rsultats, Bohr lui-mme reste oppos lide des quanta de lumire.

    Mais la rvolution tait en marche. Louis de Broglie ( 1892 - 1987 ) d-fend en 1923 une thse dans laquelle il tend la matire la dualit onde-particule de la lumire. Si, comme le suppose de Broglie, llectron poss-

    Spectre de quelques atomes

    mission stimule, principe la base du fonctionnement du laser.

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    Avant

    hv hv hv

    hv

    E1

    E0Absorption mission spontane mission induite

    Aprs Avant Aprs Avant Aprs

  • de des caractristiques ondulatoires, il devrait tre possible dobserver des fi gures dinterfrence avec un fais-ceau dlectrons. Ironie du sort, cest George Thomson ( 1892 - 1975 ), fi ls du Thomson qui dcouvrit la nature corpusculaire de llectron, qui ra-lisera le premier une exprience de Young avec des lectrons, dmon-trant ainsi la nature ondulatoire de la matire.

    Dualit pour tous

    Dans leurs interactions, lumire et ma-tire se comportent la fois comme des ondes et comme des particules. Ceci peut paratre surprenant, voire mme choquant, mais noublions pas que nous sommes dans le monde de lextrmement petit, bien loin de notre exprience quotidienne. Cette dualit sera la pierre angulaire de la mcanique quantique, le formalisme remplaant lchelle de latome, les lois dites classiques de la mcanique newtonienne.

    En 1926, Erwin Schrdinger ( 1887 - 1961 ) introduit un formalisme bas sur le caractre ondulatoire de la matire : lquation donde de Schrdinger. En 1925, Werner Heisenberg ( 1901 - 1976 ) a propos une approche diff-rente, mais en apparence seulement. Surtout, en 1927, il pose son fameux principe dincertitude : il est impos-sible de dterminer simultanment avec une prcision arbitraire la po-sition et vitesse dun objet. En 1928 enfi n, Paul Adrien Maurice Dirac ( 1902 - 1984 ) propose une quation pour llectron en accord avec le prin-cipe de relativit restreinte dEinstein, ce qui lamnera prdire lexistence dantimatire.

    La dernire cl est fournie par Max Born ( 1882 - 1970 ), qui explicite la signifi cation de lquation donde. Il montre que la dualit signifi e la fi n du dterminisme : la mcanique quan-tique ne donne pas de certitudes, mais uniquement des probabilits.

    Dieu ne joue pas aux ds !

    Le principe dincertitude et la fi n du dterminisme ne fi rent pas que des heureux au sein de la communaut scientifi que. Albert Einstein, en parti-culier, nacceptera jamais lintrusion de la chance un niveau fondamen-tal. Pour lui, la mcanique quantique, malgr ses succs, ne peut tre le point fi nal : Dieu ne joue pas aux ds !

    Au Conseil Solvay de 1927, qui se d-roule lhtel Mtropole, Bruxelles, Einstein imagine une exprience de pense ( Gedankenexperiment ). Il pense avoir mis en vidence une in-cohrence dans la mcanique quan-tique et pouvoir signer la fi n du princi-pe dincertitude. Mais aprs une nuit blanche, Bohr trouve la rponse au problme pos par Einstein ... en uti-lisant sa propre thorie de la relativit gnrale. Einstein est touch. Malgr ses rticences accepter le principe dincertitude, il ne peut quaccepter la rponse de Bohr.

    Le principe dincertitude obsdera Einstein. En collaboration avec Boris Podolsky ( 1896 - 1966 ) et Nathan Rosen ( 1909 - 1995 ), il publie en 1935 son dernier article sur la m-canique quantique. Bien que pass relativement inaperu lpoque, cet article est aujourdhui au cur de la recherche en mcanique quantique. Larticle EPR ( acronyme bas sur le nom de ses auteurs ) visait mon-trer que la mcanique quantique ne fourni quune description incomplte de la ralit . Le dbat ne reprendra quen 1964, revitalis par des rsul-tats obtenus par John Bell ( 1928 - 1990 ). Depuis, plusieurs expriences ont t menes qui visent pousser la mcanique quantique dans ses re-tranchements : elle en est sortie cha-que fois triomphante.

    W. Heisenberg

    Paul A. Dirac

    M. Born

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    E.Schrdinger

  • Quest ce que la tlportation quantique ?

    Larticle EPR discutait une propri-t trange de la mcanique quan-tique, appele non-localit. Pour illustrer ce phnomne, imaginons deux personnes, Anne Bruxelles et Bernard Sidney, jouant pile ou face. Si leurs pices de mon-naies obissent aux lois de la m-canique quantique et si elles ont t correctement prpares, alors, lorsque Anne obtient pile (face), elle peut tre assure que Bernard obtiendra galement pile (face). Cette proprit, appele intrica-tion quantique, est utilise pour faire des copies lidentique et distance dobjets quantiques, tels que des atomes. On appelle a la tlportation quantique.

    Les applications

    1. Vie et mort des toilesCe nuage de gaz, rsidu dtoiles, est situ 3000 annes-lumire de la Terre. Lanalyse de la lumire quil met, signature quantique des ato-mes, donne des informations sur sa composition. Sur la photo, lhydro-gne est reprsent en rouge, loxy-gne en vert et le soufre en bleu.

    2. Le cerveau dun ordinateur sur une puceLes transistors, objets quantiques, deviennent de plus en plus petits avec les annes. Aujourdhui, une puce lectronique peut contenir jusqu 100 millions de transistors par cm2.

    3. IRM pour Imagerie par Rsonance MagntiqueLatome dhydrogne, plac dans un champ magntique et soumis un rayonnement lectromagntique, met un signal, diffrent daprs le tissu du corps dans lequel il se trouve. La localisation de ces signaux permet de construire une image, comme ici celle dune tte.

    4. Image dun diamant par microscopie lectronique Cette image, lchelle nanomtri-que, soit environ dix fois la taille dun atome, reprsente un arrangement datomes de carbone. Au centre, le cercle hachur est du diamant, form artifi ciellement par le bombardement des couches de carbones priphri-ques avec des lectrons.

    5. Plus et plus loin avec le laserLe fonctionnement du laser est bas sur la dcouverte par Einstein de lmission stimule de lumire. Les proprits de cette lumire per-mettent de transmettre prs de mille communications tlphoniques la fois dans une fi bre optique.

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  • 3.

    4.

    5. 2.

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  • Les vacances du chat de Schrdinger ( ou le jeu de la tlportation )Jean WallenbornProfesseur Honoraire Universit Libre de Bruxelles

  • Minou, le chat dErwin Schrdinger, vient de rchapper une exprience invente par son matre. Il a pass plusieurs jours enferm dans une bo-te dans laquelle le hasard quantique devait le tuer ou le laisser vivre. Le hasard lui ayant t favorable, quand Schrdinger a ouvert la bote, il est apparu vivant et en bonne sant.

    Aprs lexprience quil a subi, ses matres qui vont partir en vacances ne veulent pas abandonner Minou et envisagent de lemmener avec eux. Mais ce moment, Minou semble atteint dune bien trange maladie : tantt, il est ici, tantt, il est l ; cha-que fois quon le regarde, il disparat pour rapparatre ailleurs ; lorsquon veut lattraper, son corps semble se dissoudre et se reformer en un autre endroit.

    Voil quarrive Mdor, un sale roquet qui en veut tous les chats de la ter-re. Il nattend pas pour attaquer : une morsure au chat, un coup de griffe au nez du chien et pas mal de bruit. Les Schrdinger profi tent de la bagarre pour rcuprer le chat : ils peuvent partir en vacances.

    Malheureusement, arrivs sur leur lieu de villgiature, ils se rendent compte quils se sont tromps, ce nest pas Minou quils ont attrap, mais un autre chat, Raminagrobis, au caractre aigri qui nhsite pas grif-fer les enfants. Ds lors ils tlpho-nent un voisin, pour leur deman-der dessayer de retrouver Minou. Pendant la conversation tlphoni-que Erwin Schrdinger, constate que Raminagrobis change de couleur chaque fois quil le regarde. Le voisin est trs tonn parce que Mdor qui cherche la bagarre dans le coin chan-ge lui aussi de couleur chaque fois quil laperoit. Plus curieux encore, Erwin et le voisin constatent que le

    Quest-ce que Schrdinger vou-lait dmontrer avec cette exprience ( de pense ) ?

    Schrdinger nadmettait pas les consquences de linterprtation probabiliste de la mcanique quan-tique. En particulier celle que, si un systme peut tre dans plusieurs tats, il peut aussi tre dans tous ces tats la fois, tant quaucune mesure nest effectue. Pour en dmontrer labsurdit, il imagine une exprience dans laquelle un chat est enferm dans une caisse contenant une capsule de cyanu-re. Celle-ci peut tre brise par un systme reli la dsintgration dun atome, phnomne quanti-que purement alatoire. Tant quon ne sait pas si la dsintgration a eu lieu, le chat est dans un tat de su-perposition mort et vivant ou ni mort, ni vivant . Seule une exp-rience peut lever lambigut. Ici, il sagit de louverture de la caisse.Il est remarquer quEinstein, avant Schrdinger, avait propos pratiquement la mme exp-rience mais le chat y tait remplac par un baril de poudre.

    De quelle maladie souffre Minou ?Aprs lexprience dans la bote, Minou a gard un caractre quan-tique. En vertu du principe dind-termination dHeisenberg, il nest pas possible de connatre la fois sa position et sa vitesse. Il est donc impossible de le reprer en un endroit dtermin plus quune fraction de seconde.

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  • Minou de son domicile son lieu de sjour. Lopration est dangereuse parce que si la tlportation rate, au mieux, sil nest pas mort, Minou aura compltement chang et sera mconnaissable. Mais Minou en a vu dautres depuis quil a t enferm dans une bote avec une capsule de cyanure.Erwin propose un protocole pour russir la tlportation qui est suivi la lettre :

    1. Le voisin mesure une combinaison spciale des couleurs de Mdor et Minou sans toutefois dterminer individuellement la couleur du chat ou celle du chien. Minou semble dstructur et disparat. Le chien a lair groggy.

    2. Le voisin communique par tl-phone le rsultat de sa mesure Erwin.

    3. Erwin ajuste ltat de Raminagrobis en tournant sa queue dun angle appropri. Raminagrobis devient une copie conforme de Minou.

    Aucune matire na t transporte. Seul ltat de Minou a t transport sur Raminagrobis qui a fourni ses atomes pour devenir Minou.

    Exit la mauvaise humeur de Ramina-grobis. Minou se fait cajoler par la fa-mille Schrdinger.

    chat et le chien ont chaque fois la mme couleur : quand Raminagrobis est noir ou fauve, Mdor est gale-ment noir ou fauve, au mme ins-tant.

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    Quelle est la ma-ladie contagieuse qui frappe le chien et le chat ?

    Aprs leur ( violente ) interaction, les tats de Raminagrobis et de Mdor sont intriqus ( ou enche-vtrs ). Lintrication est un phno-mne purement quantique dans lequel les tats quantiques de deux objets ou plus ne peuvent pas tre dcrits indpendamment, cest--dire quils sont corrls, mme si ces objets sont loigns les uns des autres. Ils se compor-tent comme sils ne constituaient plus quun seul objet. Ce phno-mne dintrication est la base de technologies nouvelles comme la cryptographie quantique, les ordi-nateurs quantiques et la tlporta-tion.

    Cest en 1935 que Einstein, Podolsky et Rosen ont attir lat-tention sur ces tats intriqus qui font de la thorie quantique une thorie non locale. Dans leur es-prit, cela dmontrait que la thorie tait incomplte et quelle devait tre sous-tendue par des variables caches. En 1965, J. Bell a mon-tr quil tait possible de vrifi er si ces variables caches existaient. Des tests exprimentaux raliss par A. Aspect en 1981 ont dfi ni-tivement montr que ces variables caches nexistaient pas et donc que la mcanique quantique a un caractre non local.

    Sur ces entrefaites, Minou, qui a maintenant une couleur indfi nissa-ble, fait sa rapparition. Erwin, cons-tatant que toutes les conditions sont runies, dcide alors de tlporter

    niquer par une voie classique ( ici, le tlphone ) ce qui vite que de linformation soit transfre plus vite que la lumire, ce qui serait contraire la relativit.Les atomes et les photons sont des particules qui obissent aux lois de la mcanique quantique. Celle-ci permet ces proprits intrigantes que sont les tats intriqus et la tlportation dont linterprtation ne fait pas encore lunanimit des physiciens.

    Il y a peu de chances que votre chat acquire des proprits quan-tiques. En effet, quand plusieurs particules sont en interaction, elles perdent leurs proprits quanti-ques et cela dautant plus vite que les particules sont nombreuses. Cest ce que lon appelle la dco-hrence. Il ne fait aucun doute que pour faire un chat vivant, il faut un trs grand nombres datomes lis entre eux et que ce chat appartient au monde classique auquel nous sommes habitus.

    La tlportation dun chat est donc ( encore ) du domaine de la science-fi ction.

    Pourquoi ne pou-vez-vous pas tl-porter votre chat ?

    Le protocole de tlportation dcrit ci-dessus a t utilis pour tlpor-ter ltat dun photon ( particule de lumire ) sur plusieurs kilomtres et un tat dnergie dun atome sur quelques micromtres.Il faut remarquer quaucune par-ticule nest dplace pendant le processus-mme de tlportation et qu lissue de lopration ltat tlport est dtruit sur la particule qui le portait initialement. Dautre part, il est ncessaire de commu-

    Merci Caroline Verhoeven et Thomas Durt qui mont branch sur le sujet et Nicolas Cerf pour ses conseils et avis.

  • La relativit restreinte

    Philippe LonardDirecteur Experimentarium Universit Libre de BruxellesPhilippe Mergny Inspecteur de Physique de la Communaut Franaise

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  • Tout est relatif !?

    Au dbut du XXe sicle, le mot rela-tivit tait tellement la mode que nous pouvons, aujourdhui, sans peine, imaginer les badauds se lan-ant des invectives dans lesquelles le tout est relatif tait certainement une faon de clore une discussion en rinventant un fatalisme presque nonchalant.En fait dprouver la relativit des choses comme son nom tend nous le faire penser, cette thorie qui a rvolutionn la physique a surtout comme objet den dterminer les ca-ractres absolus !

    1 Si la dure dobservation nest pas trop longue, ces diffrents mouvements de la Terre peuvent tre considrs comme des MRU.

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    Le principe de relativit

    Quand Galile, au dbut du XVIIe si-cle, posait la question de savoir o tomberait une pierre lche par la vi-gie dun bateau qui se dplace vi-tesse constante et en ligne droite sur la mer, savoir : au pied du mt, en avant ou en arrire de celui-ci, cest bien la recherche dune unit dans la description physique des mouve-ments quil pensait. Nous sommes sur un bateau qui a pour nom la Terre et lorsque nous lchons un objet, il tombe simplement nos pieds mal-gr la vitesse hallucinante du navire qui nous emporte ( 300 m/s en rota-tion vers lEst nos latitudes, 30km/s en orbite autour du soleil et 300 km/s autour du centre de la Voie Lacte, notre galaxie1 ). La conclusion cette question adroite est quil semble im-possible de distinguer par la physique des bateaux qui sont en mouvement rectiligne uniforme les uns par rap-port aux autres. Autrement dit, il est impossible, dans ce cas, de dtecter la vitesse du bateau.

    Quand Isaac Newton raconte sa vision de la chute des pommes, il nest pas moins absolutiste : la gran-de transgression de sa pense est davoir fait valoir que la force qui fait tomber la pomme a la mme origi-ne que celle qui fait tourner la Lune autour de la Terre. Voici une physique toute frachement ne qui affi rme son existence par lidentit des lois du cleste et du terrestre. La gravitation invente par Newton est un exerci-ce duniversalit. En fait de relativiser, il sagit surtout dunifi er les champs dapplication des lois physiques lunivers tout entier.

    Le zro et linfi ni.

    La vitesse dun mobile mesure par deux observateurs-bateaux diff-rents sera gnralement diffrente et

  • Annus mirabilis

    En 1905, anne prodigieuse, Albert Einstein proposa de tourner le pro-blme en prenant pour bases lin-variance de la vitesse de la lumire dans le vide et le principe de relativit galilen tendu tous les domaines de la physique, mcanique, optique et galement lectromagntisme. Or, le fait que la vitesse de la lumire soit dsormais une constante rend ncessairement tranges des no-tions pourtant considres comme lmentaires telles que la mesure du temps, de lespace ou de la simulta-nit de deux vnements.

    En effet, la vitesse de la lumire sobtenant en mesurant la distance parcourue par celle-ci par unit de temps, si cette vitesse doit rester constante en toutes circonstances alors cest que les mesures de la lon-gueur des objets et celles des dures ne sont pas les mmes pour tous. La vitesse de la lumire devient un absolu ; les mesures de temps et de longueur deviennent relatives.

    Les secondes deviennent-elles des heures ?

    Dans la vie de tous les jours, nous percevons couramment que le temps semble se traner quand nous nous ennuyons alors quil nous fait dfaut en pleine action. Sagit-il bien de cela quand Einstein dit le temps relatif ? Pas du tout. Par contre la relativit introduit une relation entre les dures mesures par les horloges de deux observateurs en mouvement lun par rapport lautre ; une relation qui nest pas une simple galit.

    Pour comprendre, imaginons deux horloges parfaites, identiques et synchrones embarques dans deux voitures. Ces horloges dun nouveau type ont un tic-tac pilot par un fais-

    la loi galilenne de composition des vitesses est simple : si vous obser-vez un passant qui marche 4 km/ h sur un tapis roulant qui lemmne 2 km/h dans son sens de mar-che, il vous paratra se dplacer 6 ( = 4 + 2 ) km/h par rapport vous. Toutefois, lorsque la vitesse de propa-gation de la lumire dans le vide, no-te c et valant environ 300 000 km/s, fut enfi n mesure2 vers 1850 ( Fizeau et Foucault Paris ), il fut temps de poser la question de savoir si celle-ci tait augmente de 30 km/s dans le sens du mouvement orbital de la Terre et ampute des mmes 30 km/s en sens contraire. En 1880, lAm-ricain Michelson tenta de dtecter cette diffrence et choua malgr lextrme sensibilit de son dispositif exprimental. Tout se passait donc comme si la vitesse de la lumire jouait le rle dinfi ni dans la rgle daddition galilenne : + 30 = !!! Vingt-cinq annes de ruminations collectives sensuivirent.

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    Mais alors, comment dois-je composer les vitesses ?

    Si la vitesse est v par rapport un systme de rfrence qui est lui-mme en mouvement vitesse w par rapport vous, alors la vitesse par rapport vous est u telle que :

    ce qui donne u = c si v = c.

    ceau lumineux qui fait la navette entre deux miroirs parallles f