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Effets d’un traitement de carbonitruration sur la décomposition de l’austénite dans un acier faiblement allié – vers la prédiction des contraintes résiduelles Simon Catteau a,b,c , Hugo Van Landeghem a,b , Julien Teixeira a,b , Jacky Dulcy a , Moukrane Dehmas a,b , Sabine Denis a,b , Abdelkrim Redjaïmia a,b , Marc Courteaux c a Institut Jean Lamour – UMR 7198 CNRS – Université de Lorraine, Nancy, France b Labex DAMAS “Design of Alloy Metals for Low-mass Structures”, Université de Lorraine, France c PSA Peugeot-Citroën, Centre Technique de Belchamp, France L’effet d’un enrichissement en carbone et en azote de l’austénite d’un acier faiblement allié (23MnCrMo5) sur sa décomposition au refroidissement a été étudié notamment par MET et in situ par DRX synchrotron. L’introduction d’azote induit de nouvelles microstructures et des effets cinétiques drastiques, peu examinés dans la littérature (principalement sur des systèmes modèles Fe-N). La cinétique ferritique montre une forte accélération que nous attribuons à la germination sur des nitrures CrN formés pendant l’enrichissement. Les microstructures sont plus fines que celles usuelles de l’acier initial et les duretés sont plus élevées. A terme on souhaite prédire les contraintes résiduelles résultant des évolutions couplées thermiques, mécaniques et métallurgiques au cours de la trempe. A ce stade, un modèle prédisant les évolutions microstructurales et la dureté en fonction de la concentration locale en C et N a été développé. Les résultats de simulations sont comparés à l’expérience sur des échantillons à gradients de concentration en C et N. Des échantillons d’épaisseur 0,5 mm d’un acier 0,246C- 1,21Mn-1,31Cr-0,237Si-0,184Ni (% m ) ont été enrichis de manière homogène en phase austénitique à 900°C en carbone et/ou en azote en craquant respectivement du méthane ou de l’ammoniac à l’aide d’une thermobalance de laboratoire [1]. Les concentrations mesurées par microsonde de Castaing sont reportées au Tableau 1. Les cinétiques de décomposition de l’austénite ont été étudiées en conditions isothermes après ré-austénitisation à 900°C, par dilatométrie ou bien par DRX synchrotron in situ (à l’ESRF) [1,2]. Les microstructures ont été examinées par microscopies optique, MEB et MET. Tableau 1. Désignation des aciers et teneurs en carbone et azote en solution solide dans l’austénite Acier Référence % m C % m N Initial I 0,246 0 Cémenté C 0,57 0 Nitruré* N 0,07-0,12 0,27-0,34 Carbonitruré C+N 0,59-0,68 0,31-0,41 * L’acier a subi une décarburation au cours de la nitruration. Effet de l’enrichissement en azote sur les cinétiques et les microstructures Pendant l’enrichissement en azote en phase austénitique, des nitrures CrN précipitent, comme le prédit le calcul thermodynamique. Leur fraction massique, mesurée par DRX, comprise entre 0,3 et 0,6% m suivant les échantillons, n’atteint cependant pas l’équilibre en fin d’enrichissement. Leur structure cristallographique, est de type NaCl. Les analyses EDS et EELS indiquent un ratio N/substitutionnels proche de 1. La distribution de tailles est très étendue, de ~30 nm à 1 µm. La précipitation des nitrures micrométriques est hétérogène aux joints de grains. Les plus petits nitrures intragranulaires pourraient provenir d’une sursaturation de l’austénite en azote pendant l’enrichissement. D’autres nitrures, AlN et MnSiN 2 , favorisent la précipitation des nitrures CrN qui sont souvent agglomérés avec ces nitrures minoritaires. Nous avons montré que l’enrichissement en azote a pour effet d’accélérer les cinétiques isothermes, malgré le caractère γ-gène de l’azote. Deux domaines de températures sont identifiés : T>Bs (ferrito-perlitique), T<Bs (bainitique). A T>Bs, les cinétiques sont plus rapides dans les aciers N et C+N que dans l’acier I, moins riche en interstitiels. De même à T<Bs la cinétique de l’acier C+N est plus rapide que celle de l’acier C qui est moins riche. Ainsi les cinétiques ne dépendent pas simplement de la teneur en interstitiels en solution solide. Leur accélération en présence d’azote est attribuée aux nitrures CrN formés en phase austénitique qui accélèrent probablement la formation de la ferrite (ex. [3]). L’enrichissement en azote induit des microstructures plus fines que dans l’acier initial dans les deux domaines de température. Ceci est attribué aux nitrures CrN qui favorisent la germination de la ferrite. A T>Bs, la microstructure contient principalement des grains de ferrite équiaxes de diamètre ~4 µm et peu de colonies de perlite. Un exemple est montré Figure 1 pour un acier N. Les aciers C+N contiennent davantage de colonies. L’analyse microstructurale au MET des grains de ferrite (Figure 2) montre une précipitation intense (N v ~10 22 m -3 ) de nouveaux nitrures CrN nanométriques (~10 nm), avec une morphologie en plaquette et une relation d’orientation (RO) de Baker-Nutting. Cette précipitation supplémentaire est confirmée par DRX. La ferrite dans les colonies de perlite est en revanche dépourvue de ces nouveaux nitrures. Une interprétation est que pendant leur croissance, les grains de ferrite ont rejeté le carbone dans l’austénite, permettant ensuite la formation de perlite. En revanche l’azote serait resté dans la ferrite et aurait donné lieu à la précipitation de nitrures CrN. A T<Bs on forme une bainite très fine et enchevêtrée [2] ayant des caractéristiques communes à la ferrite aciculaire (ex. [4]), mais beaucoup plus fine. La ferrite a probablement germé sur les CrN, souvent observés aux joints des domaines ferritiques. La densité élevée de sites

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Effets d’un traitement de carbonitruration sur la décomposition de l’austénite dans

un acier faiblement allié – vers la prédiction des contraintes résiduelles

Simon Catteaua,b,c

, Hugo Van Landeghema,b

, Julien Teixeiraa,b

, Jacky Dulcya,

Moukrane Dehmasa,b

, Sabine Denisa,b

, Abdelkrim Redjaïmiaa,b

, Marc Courteauxc

aInstitut Jean Lamour – UMR 7198 CNRS – Université de Lorraine, Nancy, France

bLabex DAMAS “Design of Alloy Metals for Low-mass Structures”, Université de Lorraine, France

cPSA Peugeot-Citroën, Centre Technique de Belchamp, France

L’effet d’un enrichissement en carbone et en azote de

l’austénite d’un acier faiblement allié (23MnCrMo5) sur sa

décomposition au refroidissement a été étudié notamment

par MET et in situ par DRX synchrotron. L’introduction

d’azote induit de nouvelles microstructures et des effets

cinétiques drastiques, peu examinés dans la littérature

(principalement sur des systèmes modèles Fe-N). La

cinétique ferritique montre une forte accélération que nous

attribuons à la germination sur des nitrures CrN formés

pendant l’enrichissement. Les microstructures sont plus

fines que celles usuelles de l’acier initial et les duretés sont

plus élevées. A terme on souhaite prédire les contraintes

résiduelles résultant des évolutions couplées thermiques,

mécaniques et métallurgiques au cours de la trempe. A ce

stade, un modèle prédisant les évolutions microstructurales

et la dureté en fonction de la concentration locale en C et

N a été développé. Les résultats de simulations sont

comparés à l’expérience sur des échantillons à gradients de

concentration en C et N.

Des échantillons d’épaisseur 0,5 mm d’un acier 0,246C-

1,21Mn-1,31Cr-0,237Si-0,184Ni (%m) ont été enrichis de

manière homogène en phase austénitique à 900°C en

carbone et/ou en azote en craquant respectivement du

méthane ou de l’ammoniac à l’aide d’une thermobalance

de laboratoire [1]. Les concentrations mesurées par

microsonde de Castaing sont reportées au Tableau 1. Les

cinétiques de décomposition de l’austénite ont été étudiées

en conditions isothermes après ré-austénitisation à 900°C,

par dilatométrie ou bien par DRX synchrotron in situ (à

l’ESRF) [1,2]. Les microstructures ont été examinées par

microscopies optique, MEB et MET.

Tableau 1. Désignation des aciers et teneurs en carbone et

azote en solution solide dans l’austénite

Acier Référence %mC %mN

Initial I 0,246 0

Cémenté C 0,57 0

Nitruré* N 0,07-0,12 0,27-0,34

Carbonitruré C+N 0,59-0,68 0,31-0,41

* L’acier a subi une décarburation au cours de la nitruration.

Effet de l’enrichissement en azote sur

les cinétiques et les microstructures

Pendant l’enrichissement en azote en phase austénitique,

des nitrures CrN précipitent, comme le prédit le calcul

thermodynamique. Leur fraction massique, mesurée par

DRX, comprise entre 0,3 et 0,6%m suivant les échantillons,

n’atteint cependant pas l’équilibre en fin d’enrichissement.

Leur structure cristallographique, est de type NaCl. Les

analyses EDS et EELS indiquent un ratio

N/substitutionnels proche de 1. La distribution de tailles

est très étendue, de ~30 nm à 1 µm. La précipitation des

nitrures micrométriques est hétérogène aux joints de

grains. Les plus petits nitrures intragranulaires pourraient

provenir d’une sursaturation de l’austénite en azote

pendant l’enrichissement. D’autres nitrures, AlN et

MnSiN2, favorisent la précipitation des nitrures CrN qui

sont souvent agglomérés avec ces nitrures minoritaires.

Nous avons montré que l’enrichissement en azote a pour

effet d’accélérer les cinétiques isothermes, malgré le

caractère γ-gène de l’azote. Deux domaines de

températures sont identifiés : T>Bs (ferrito-perlitique),

T<Bs (bainitique). A T>Bs, les cinétiques sont plus rapides

dans les aciers N et C+N que dans l’acier I, moins riche en

interstitiels. De même à T<Bs la cinétique de l’acier C+N

est plus rapide que celle de l’acier C qui est moins riche.

Ainsi les cinétiques ne dépendent pas simplement de la

teneur en interstitiels en solution solide. Leur accélération

en présence d’azote est attribuée aux nitrures CrN formés

en phase austénitique qui accélèrent probablement la

formation de la ferrite (ex. [3]).

L’enrichissement en azote induit des microstructures plus

fines que dans l’acier initial dans les deux domaines de

température. Ceci est attribué aux nitrures CrN qui

favorisent la germination de la ferrite. A T>Bs, la

microstructure contient principalement des grains de ferrite

équiaxes de diamètre ~4 µm et peu de colonies de perlite.

Un exemple est montré Figure 1 pour un acier N. Les

aciers C+N contiennent davantage de colonies. L’analyse

microstructurale au MET des grains de ferrite (Figure 2)

montre une précipitation intense (Nv~1022

m-3

) de

nouveaux nitrures CrN nanométriques (~10 nm), avec une

morphologie en plaquette et une relation d’orientation

(RO) de Baker-Nutting. Cette précipitation supplémentaire

est confirmée par DRX. La ferrite dans les colonies de

perlite est en revanche dépourvue de ces nouveaux

nitrures. Une interprétation est que pendant leur

croissance, les grains de ferrite ont rejeté le carbone dans

l’austénite, permettant ensuite la formation de perlite. En

revanche l’azote serait resté dans la ferrite et aurait donné

lieu à la précipitation de nitrures CrN.

A T<Bs on forme une bainite très fine et enchevêtrée [2]

ayant des caractéristiques communes à la ferrite aciculaire

(ex. [4]), mais beaucoup plus fine. La ferrite a

probablement germé sur les CrN, souvent observés aux

joints des domaines ferritiques. La densité élevée de sites

de germination a entravé l’organisation des lattes en

paquets par germination autocatalytique.

Figure 1. Micrographie MEB d’un acier N après maintien

isotherme à 650°C.

Figure 2. a) Micrographie MET (HAADF) montrant les

nitrures CrN à l’intérieur d’un grain de ferrite dans un

échantillon de type N maintenu 2h à 600°C. b)

Cartographies EDS correspondantes.

Vers la prédiction des contraintes

résiduelles Cette étude vise à terme à prédire la genèse des contraintes

résiduelles pendant la trempe de pièces carbonitrurées, en

modélisant les évolutions couplées thermiques,

mécaniques et métallurgiques. Dans une première étape,

un modèle métallurgique a été développé pour prédire les

évolutions microstructurales au refroidissement en

fonction de la concentration locale en C et en N. Les

cinétiques isothermes sont décrites par des lois de type

JMAK dont les coefficients cinétiques dépendent de la

concentration locale en C et N selon des lois similaires à

celles proposées antérieurement par A. Mey [5] qui font

appel à des données thermodynamiques (températures A3,

A1, TH (Hultgren), transition ferrite/perlite, T0, etc..). Les

cinétiques anisothermes sont obtenues en appliquant un

principe d’additivité. Le développement du modèle

s’appuie sur des mesures de cinétiques obtenues pour les

compositions du Tableau 1 [2,6].

Les duretés ont été mesurées post mortem pour les

différentes températures de transformation (Figure 3) et

fournissent une première donnée sur le gain de propriétés

mécaniques apporté par l’enrichissement. Dans les deux

domaines de températures, les aciers N ont une dureté

comparable voire supérieure à celle de l’acier C, qui

contient davantage d’interstitiels. Cela montre l’effet de

l’affinement des microstructures et des précipités

nanométriques, dans les aciers N et C+N. Les aciers C+N

bainitiques ont les duretés les plus élevées (entre 650 et

700 HV). Pour comparaison, la martensite de l’acier initial

a une dureté de 415 HV. Celle de l’acier CN (trempe

azote) est de 900 HV.

Les prédictions de microstructures sont validées sur des

échantillons en lamelles (e=3 mm) enrichis en surface avec

un gradient de concentration en carbone et en azote puis

trempés. Une première étape est de comparer les

prédictions métallurgiques et de duretés avec l’expérience.

La Figure 4 montre les gradients de duretés

expérimentaux et calculés ainsi que les microstructures

calculées pour un échantillon enrichi en carbone et refroidi

à l’air. Les duretés sont correctement prédites aussi bien à

cœur (bainite principalement) qu’en surface où la

martensite prédomine. Des comparaisons similaires sont

obtenues pour des échantillons à gradients de carbone et

d’azote.

Figure 3. Mesures de dureté (à l’ambiante) après

austénitisation et maintiens isothermes et transformation

complète, pour les aciers I, C, N et C+N.

Figure 4 Profil de dureté (expérience et calcul), de

concentration en carbone et de microstructure dans un

échantillon d’épaisseur 3 mm cémenté et refroidi à l’air.

Des déterminations expérimentales de contraintes

résiduelles (par diffraction des Rayons X) sont en cours et

permettront de valider ultérieurement la prédiction des

contraintes résiduelles.

Cette étude est soutenue financièrement par le Groupe

PSA et par le Labex DAMAS (ANR-11-LABX-0008-01).

Références

[1] S. D. Catteau et al., proc. 21st IFHTSE, 2014, 153.

[2] S. D. Catteau et al. J. Alloys Comp., 2016, 658, 832.

[3] T. Furuhara, et al., ISIJ Int., 2003, 43, 1630.

[4] S. S. Babu, Curr. Opin. S. S. Mat. Sci., 2004, 8, 267.

[5] A. Mey, thèse INP Lorraine, Nancy, 1997.

[6] S. D. Catteau, thèse Univ. Lorraine, Nancy, 2016.

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