Édouard Hugon OP. La Mère de Grâce
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5/23/2018 douard Hugon OP. La M re de Gr ce
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TUDES THOLOGIQUES
R. P. E. HUGONDRS FRRES PRCHEURS
LA
MRE DE GRCEPlena sibi, superplena nob
P A R I S ( V I e )
P. LETHIELLEUX, LIBRAIRE-DITEUR
10 , RUE CASSETTE, 10
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Biblio!que Saint Librehttp://www.liberius.net Bibliothque Saint Libre 2009.
Toute reproduction but non lucratif est autorise.
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LA
MRE DE GRCE
LA MKRE DE GRACE.
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P E R M I S D ' I M P R I M E R
Paris, le 25 Janvier 11)04
P . P A G E S , vi e . go n.
Laideur et l'diteur rservent tous droits de reproduction
et de'traduction.
Cet ouvrage a t dpos, conformment aux loin, en
Avril 1904.
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AVANT-PROPOS
La thologie mariale a pris de nos jours un
dveloppement la fois consolant et fcond
pour la pit, que le grand Congrs de Lyon,
au mois de septembre 1900 et celui de F ri-bourg (Suisse) en 1902, ont mis pleinement
en lumire. Les encycliques immortelles de
Lon XJIT sur le Rosaire constituent elles
seules un monument doctrinal, une vritabledogmatique de la Sainte Vierge (1).
C'est faire uvre thomiste et uvre d'actua
lit que d'entrer dans ce mouvement, Vheure
surtout o Vglise s'apprte exaller Marie
par le jubil d'or de VImmacule-Conception.
Notre but ici est modeste. Aprs Vouvrage
magistral du P. Terrien nous n'avons pas traiter fond le magnifique sujet des gloires
de Marie : une invocation de l'glise sufft
(1) Nous av on s tir qu el qu es con sq uence s de cet en
seignement du Souverain Pontife dans un petit ouvragentitul : Le Rosaire et la Saintet. Paris, Leth ielleux.
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VI AVANT-PROPOS
notre plan : Marie, Mre de grce ! Elle scan
dalisait Vtroitesse jansniste, et cependant
elle renferme tant de doux mystres, elle cache
tant de profondeurs thologiques, elle rsume
tant de vrits fondamentales du christianisme !
L'lude complte de ce titre nous permettrade toucher aux questions importantes qui se
ramnent la tliologie de la Sainte Vierge ;
et, comme la meilleure mthode pour faire
comprendre Marie est de la comparer avecson divin Fils, nous aurons rappeler aussi
les grands principes du trait de l'Incarnation.
Cette marialogie en abrg ne peut, sans
doute, pas remplacer les longs ouvrages, mais
nous pensons qu'elle a son utilit et son intrt,
et nous osons offrir ce petit livre la Vierge
Immacule, en cette anne jubilaire, commeun hommage de reconnaissance et un tribut
d'amour.
Marie est appele Mre de grc e, parce
qu'elle a reue la plnitude des grces pourelle-mme, et parce qu'elle est la distributrice
des grces pour tous les saints : Plena sibi,
superplena nobis. De l deux divisions fon
damentales de notre ouvrage :
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AVANT-PROPOS VII
Premire partie, la plnitude des grces en
Marie.
Seconde partie, le rle de Marie dans
l'acquisition et la distribution des grces.
Ce travail tait dj livr Pimpressionlorsque a paru VEncyclique de S. S. Pie X
sur le Jubil de VImmacule-Conception. Tout
en regrettant de n avoir pu utiliser pour notre
sujet ce magnifique enseignement du Docteursuprme de VEglise, nous avons t profon
dment consol d'y trouver la confirmation de
nos principales thses sur le rle de Marie dans
l'acquisition et la distribution des grces. Le
document pontifical signale la valeur salis-
facioire des actions de la Sainte Vierge,
qui a eu pour mission de prparer une victime pour le salut des hommes, de la nourrir
et de la prsenter, au jour voulu, Vaulel.
Aussi entre Marie et Jsus, perptuelle socit
de vie et de souffrance . Le rle mritoire : Elle a t associe par Jsus-Christ l'u
vre de la rdemption, elle nous mrite de con-
gruo, comme disent tes thologiens, ce que
Jsus-Christ nous a mrit de condigno .
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VIII AVNT-P ROPOS
Le pouvoir d'intercession et la mdiation uni
verselle pour la distribution des grces :
Elle est le minisire suprme de la dispensa-
lion de la grce .
L'Encyclique fait valoir les raisons fonda
mentales que nous avons essay de mettre enlumire : Marie est tout la fois mre du
corps naturel et du corps mystique du Sau
veur ; elle est indissolublement unie son Fils
pour mriter, satisfaire et intercder. Elleest l'aqueduc, comme dit saint Bernard, elle
est le cou surnaturel qui a pour office de
rattacher le corps la tte et de transmettre
aux membres les influences et les efficacits
de la tte .
C'est ainsi que pour clbrer dignement
Pauguste Vierge, le Souverain Pontife a crudevoir associer les deux privilges les plus
glorieux pour Marie : son Immacule Con
ception et sa double maternit.
Saluons donc avec Pie X la Reine Immacule et la Mre de Grce !
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CHAPITRE PREMIER
Les diverses plnitudes de la grce
Le mot grce dsigne, en gn ra l, tout ce
qui est donn gratuitement. Les biens de lanature, ce titre, sont des grces, car nous
les tenons de la munificence librale de Dieu.
La cration, l'existence, la conservation, tout
ce qu'il y a d'tre et de vie en nous, sont une
aumne que la Providence nous fait de plein
gr. Il n'y a pas* dans toute notre nature, une
parcelle d'tre qui soit nous : le Tout-Puissant donne tout, soutient tout par une in
fluence cont inue lle et immdiate ; prcaires
et dpendants, nous avons sans cesse besoin
d'tre ports par lui. C'est bien l l'aumnede chaque instant , le bienfait qui n'est pas
d, le don gratuit . Il y a ainsi , dans l'ordre
na tu re l, une sorte de g rce qui atteint cha
cune des cratures pour les faire exister,
LA MRE DE GRACE. 1.
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2 l r o P . LA PLNITUDE DES GRACES EN MARIE
vivre et prosprer; c'est la nourrice cle Puni-
vers , comme parle le livre cle la Sagesse :
Omnium nutrici grati iu (1). Elle est parti
culirement remarquable dans l 'homme lors
qu' el le ral ise en lui toutes les perfections
de l'me et toute la beaut du corps.Ces grces naturel les, Marie les a reues
dans leur pl n it ude. Son me a puis , en
quelque sorte, les richesses de l'idal et du
rel. Jsus-Christ, l 'homme parfait, est le reprsentant le plus achev de l'humanit. Son
corps a t form par la vertu surnaturelle de
l'Espr it -SainL ; or Dieu ne fait de te ls mi
racles que pour enfanter des chefs-d'uvre :
c'est donc le modle de tout ce qui est pur et
beau dans le monde matriel. Son me, qui
est le type du monde des esprits, qui touche
la personne divine , source de toute beau t ,
runit en elle tout ce qu'il y a de grand, de g
nreux, d'exquis clans l'me des artistes, des
potes , des orateu rs ; elle dpasse infinimentle gnie : elle est, pour ainsi dire, l'idal sp
cifique ralis. Mais, comme Jsus et Marie
sont unis dans le mme plan ternel et que
(1) Sap., xvi, 25.
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CH. I. LES DIVERSES PLNIT. DE LA GRACE 3
Dieu les a contempls d'avance dans le mme
tableau, ils sont comme le moule ou le miroir
l'un de l' au tre. Il n'y aura jamais de cra tu re
qui imite et reproduise de plus prs la beaut
de Jsus que l'me de Marie : elle est bien le
miroir fidle dans lequel rame de Jsus secontemple et se reconnat. Elle est donc in
comparablement belle, et il fallait bien, en
effet, que l'me destine porter toutes les
merveilles de la grce ft dj elle-mme lamerveille de la nature.
La dignit de l'me rejaillit sur les puis
sances, comme l'clat de l'essence se reflte
sur les proprits. Nous en concluons une
perfection acheve dans toutes les facults
de l'auguste Vierge, pntration et sret de
l' intel ligence, force de la volont, harmonie
des puissances infrieures.
Chez les autres humains le corps est sou
vent rfractaire l'action de l'me ; les indis
positions de la matire interceptent la clartsupr ieure de l'esprit , et le soleil de l'me,
prisonnier de la chair, doit retenir en lui te
trop-plein de sa lumi re ; le corps manque
d'clat , c'es t la la ideur ou la vu lgar it.
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4 l r c P. LA. PLNITUDE DES GRACES EN MARIE
Mais, en Marie, pouvons-nous concevoir de
semblables indispositions? La Providence,
qui a dtourn d'elle le fleuve de la corrup
tion originelle, qui n'a point permis que ce
corps ft souill un seul instant, devait-elle
souffrir qu'i l ft rebelle l'action de l 'espri t?Cette chair et cette Ame ont d s'pouser et
vivre dans l' harmonie par fa ite, afin de pr
parer le tabernacle o le Verbe devait faire sa
demeure et prendre ses dlices : l'Ame a donccommuniqu au corps ces perfections et cet
clat suprieurs qui font la beaut.
D'ailleurs Dieu devait la dignit de son
Fi ls de don ner la beaut Marie. Lorsqu 'i l
ptrissait le limon primitif, il pensait au corps
que le Verbe devait un jour revtir : qaodcum-
que limas exprimebalnr, Chrislus cor/itabatarhomo fatums (1). N'avons-nous pas plus de
raison de dire avec Bossuet (2) que Dieu, en
formant le corps de Marie, avait en vue
Jsus-Christ et ne travaillait que pour lui ? 11tait comme oblig de mettre dans celte chair
quelque chose d'exquis la rendant capable de
(1) T E R T U L L .
De re&urreclionc carnis, cap. vi.(2) I e r sermon sur la JNalivil de la Sic Vierge, exorde.
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CH. T. LES DIVERSES PLNIT. DE LA GRACE 5
devenir le moule d'o sort irai t le corps trs
parfait du Verbe incarn. Ainsi que nous
l'avons dit de Pme, le corps de Marie est le
(idole miroir o Dieu contemple et reconnat
la beaut de son Fi ls . 11 faut croire, dit Ca-
jetan ( l ) , que la Sainte Vierge a t, a idant
que faire se pouva it , semblable en tout
J s u s . Comme la beaut spirituelle est ra
lise dans l'Ame du Christ et de sa Mre, la
beaut sensible a trouv ses types achevsdans le corps de Jsus et le corps de Marie.
La Sainte Vierge a runi en elle les perfec
tions des femmes clbres qui l'ont figure
dans l'Ancien Testament : la grce de H-
beeca, les charmes de Rachcl, la beaut de
Judi th , la majest douce d'Es ther . Sa seule
prsence est une apparition cle la beaut im
macule. Les Pres et les auteurs ecclsias
tiques depuis saint Grgoire de Nazianzc (2),
saint Jean Damasccnc (3), Richard de Saint-
Victor (4), Denis le Chartreux (5), Gcrson (6)(l) De Spasmo Virginia.(2j Truydia de Passione Chrisli.\3) Serin. 1de Naiiv. Virg.(4) Comm. in Canlic.,. lib. xxvi.
(f>) De Laudibns Virginis, lib. .(6) Serai, de Concept'. B. V.
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6 I r e P. LA PLNITUDE DES GRACES EN MARIE
jusqu'aux plus rcents crivains de Marie,
sont unanimes affirmer que la Vierge a t
parfa itement bel le : be ll e d'espr it, bel le de
corps, belle de visage.
Le miracle et la grce se sont ajouts la
nature pour former Marie une parure debeaut inconnue jusqu'alors et qui ne se re
verra jamais plus : les charmes de la vierge et
la majest de la mre, l'intgrit parfaite et la
fcondit sans gale. El le possde la foisles grces du pr in temps et les richesses de
l't ; elle donne son fruit tout en restant
fleur.
Elle est belle dans le temple de Jrusalem
o l'Esprit divin la prpare sa mystrieuse
destine ; belle dans la chambre virginale o
elle vit dans le recuei ll ement et la pr ire ;belle quand elle berce l'Enfant-Dieu ou qu'elle
le ca resse sur son cur ; belle clans la maison
de Nazare th , ct du gracieux adolescent
qui est son fils et son Dieu ; bel le sur leschemins de la Jude et de la Galile, accom
pagn an t le cleste prdicateur et recueil lant
ses paroles ; belle sur le Calvaire, quand elle
assiste le divin mourant et qu'elle devient la
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CH. I. LES DIVERSES PLEN1T. DE LA GRACE 7
mre de l'humanit ; belle au Cnacle, o elle
inst rui t les Aptres et protge l'glise nais
sante ; belle enfin sur le trne de gloire o
elle rgne ct de Jsus, au-dessus de tous
les churs des anges.
Elle est assurment l'apparition vivante dela beaut, et je comprends que le pote nous
ait reprsent l' archange en extase devant
Marie en contemplant ses yeux. Quel sera
donc le ravissement de la voir telle qu'elleest, avec les charmes exquis de son corps et
les grces incomparables cle son me ! C'est
l une part du bonheur qui nous attend pour
l'ternit.
Et cette beaut immacule , mme sur la
terre , ne fut jamais pour personne un attrait
au pch (1). La beau t chaste transfigure lecur qu'elle ravit, comme l'clat d'une douce
lumire rjouit sans troubler. Dieu est la
premire beaut, la premire vierge, le pre
mier amo ur, et cet te beaut rend purs ceuxqui s'approchent d'elle : on est vierge en
l'aimant. Ainsi de Marie. Sa beaut porte
les mes au Dieu qu'elle reflte, la fleur de
(1) S. TIIOM., in I I I Sent., disl . 3, q. 1, a. 2, sol. 1, ad 4 .
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8 l r e P. LA PLNITUDE DES GRACES EN MARIE
sa virginit est un parfum o Ton respire le
ciel ; c'est aimer la puret que d'aimer Marie-
Heureuses les saintes mes qui l 'aperoivent
dans leurs mditations, heureux les artistes
qui l 'entrevoient, comme Angelico, dans une
de ces conceptions qui sont le commencementde l'extase ; heureux enfin nous tous, lorsqu'il
nous sera donn de la voir au ciel, en vivant
de sa vie, aimant de son amour !
Telle est la premire plnitude de grce etde beaut qui appartient Marie. Nous ne
faisons qu'effleurer ces considrations, pour
arriver notre sujet proprement dit, la grce
surnaturelle.
Le bien gratuit par excellence est celui qui
dpasse toutes les forces, toutes les nergies,
toutes les proprit s , toutes les exigences dela nature et nous met au niveau de Dieu.
L'glise a dfini, contre Pelage et ses dis
ciples, la ncess it de cet te grce, et nous
n'avons pas tablir ici ce dogme fondamental.
Certaines grces ont pour objet de nous
sanctifier et de nous unir Dieu, et, par le fait
qu'elles ralisent cette adhsion au souverain
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CH. I. LES DIVERSES PLENIT. DE LA GRACE 9
bien, elles embellissent nos mes, nous ren
dent les amis du Seigneur. Bien des personnes
cherchent, sans jamais le trouver, le don de
plai re ; nous somm es plus heureux dans
l'ordre surnaturel : nous recevons le privilge
de plaire au seul Roi dont il importe d'avoirles faveurs : gralia gratam faciens.
D'autres grces, quoique trs excellentes et
trs prcieuses, ne suffisent point par elles-
mmes pour sanctifier, leur rle est extrieuret social : procurer le bien du prochain, la
conversion des pcheurs, l'utilit de l'Eglise,
comme la prophtie, le don des langues, le
pouvoir des gur is ons, la vertu des mira
cles, etc. On leur rserve le nom gnral
de grces gratuites, grati gratis dat, puis
que leur prsence ne nous rend pas ncessai
rement les amis cle Dieu.
La grce qui confre le don de plai re , gra
tam faciens, se divise en grces actuelles et
grces habituelles. Les premires sont dessecours transitoires : clairs surnaturels qui
saisissent l'intelligence, impulsions subites
qui entranent la volont, elles prparen t et
disposent au sa lu t, comme les mouvements
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10 I r e P. L A PLNITUDE DES GRACES EN MARIE
pieux qui prcdent l'tat de grce, ou bien
elles compl tent l'uvre du salut en dve
loppant les nergies dposes dj dans l'me,
comme les secours qui suivent la justifica
tion. La grce habi tuel le est cont inuell ement
penche sur notre me pour lui conserver lachaleur et la vie, elle lui apporte un tre
nouveau et permanent, une seconde nature,
qui est une naissance la vie divine. La grce
habi tuel le confre la qual it d'enfants deDieu, la grce actuelle l'opration des enfants
de Dieu ; la grce hab ituel le nous unit au
Seigneur et nous sanctif ie par ce contact , la
grce actuelle nous fait sentir la touche de
l 'E sp ri t -Sai nt ; avec la grce actuelle c'est
Dieu qui passe, avec la grce habituelle c'est
Dieu qui demeure.
La plnitude de la grce peut s 'entendre de
diverses manires. Plnitude absolue, lors
qu'elle s'appl ique a tous les effets et qu 'elle
est donne avec toute l'excellence et toutel'intensit possib les : c'est celle qui appar
tient Jsus-Christ. Il est l'universel, l'ef
ficace princ ipe qui at teint tous et chacun des
effets surna turel s : toutes les oprat ions du
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CH. I. LES DIVERSES PLNIT. DE L GRCE 11
salut drivent de lui. Il a puis toutes les ca
paci ts de la grce, comme un abme sans
rivages qui contiendra it les eaux de tous les
ocans . Il touche, par l'union hyposlafique,
la source infinie des grces, la divinit ; cl,
comme il est imposs ible d'tre plus prs deDieu que lui, on ne saurait concevoir une
grce plus profonde et plus tendue que la
sienne : c'est la plnitude absolue, sans li
mite, jusqu'au dernier degr qui soit possible,au moins de la puissance ordinaire de Dieu.
On dist ingue ensui te (1) la plnitude de
suffisance, qui rend les justes capables d'ac
compli r les ac te s mritoires et excellents et
d'arriver au ferme du salut ternel : c'est celle
qui est commune tous les sa in ts . En der
nier lieu, la plnitude de surabondance, qui
se dverse su r les hommes, comme un rser
voir trop rempli : c'est le privilge spcial de
Marie.
La source, le fleuve et les ruisseaux ontleur pln itude, niais d'une manire diffrente;
ainsi le Christ, Marie et les saints. Jsus a
la plnitude de la source, puisqu'il est l'ocan-
(\) Cf. S. TIIOM. Comm. in joan., cap. I. Icct. x.
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12 l T e P. LA PLNITUDE DES GRACES EN MARIE
sans limite et sans fond, o l'on puise sans
cess e et qui demeure tou jours rempli . Les
sa in ts ont la plni tude des ru isseaux, cou
rants plus ou moins l arges, plus ou mo ins
profonds, mais toujours limits. Marie a la
plnitude du fleuve, fleuve majestueux el dbordant qui fait ar river jusqu ' nous les flots
du vaste ocan Jsus-Christ .
Mentionnons encore la plnitude d'uniuer*
salil, co mme celle qui appart ient l 'Egli se ,dans laquelle se trouve runi l'ensemble des
bienfaits et des dons clestes : il n'est aucune
grce que l'Eglise, prise dans sa totalit et
avec foute la dure de son existence, ne puisse
et ne doive possder . Nous examinerons si
une telle pln itude appart ient la Sainte
Vierge.
Comme il y a eu progrs dans ces diverses
grces , la plni tude du premier in st an t n'est
pas celle de la seconde sanctification lorsque
Marie conut le Christ , ni celle-ci la plnitude finale. Notre tude, pour tre complte,
devra donc passer en revue ces quatre poi nt s
importants :
La plnitude de la premire sanctification ;
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CH. I. LES DIVERSES PLENIT. DE LA GRACE 13
La plnitude de la seconde sanctification et
la grAce de la maternit divine ;
La plnitude finale ;
La plnitude d'universalit.
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CHAPITRE DEUXIME
La plnitude de la premire sanctification
Le Christ cl Marie ont ce privilge ([ne leurhistoire commence avanl leur naissance et
ne s'achve jamais. Tous les deux, quoique
d'une manire diffrente, ont re
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CH. II. PLNITUDE DE L I r o SANCT1FICAT. 15
Irait la corruption primitive charrie par ces
ilts impurs. Pierre de Celle se sert d'une autre
comparaison : 11 est venu, le Fi ls de Dieu,
n de la Vierge, sans le levain de la faute, et
il a choisi dans la niasse de la nature humaine
la farine trs pure d'une chair immacule,sans prendre le ferment du pch originel (1).
C'est la une raison premire et fondamen
tale.
Il y en a une autre : le fait de l'union hy-poslalique. Comme toutes les actions et toutes
les proprits sont attribues la personne,
et qu'il n'y a qu'un seul suppt en Noire Sei
gneur, la faute originelle serait impute la
personne mme d'un Dieu! La grce substan
tielle d'union est donc une barr ire infranchis
sable contre tout pch, originel on actuel.Les mmes raisons n'existaient point pour
Marie. Porte sur le fleuve ordinaire de la
gnration humaine, elle devait subir le con
tact de la souillure, et elle n'avait point, parail leurs, une grce substant ie lle qui du t ta
prserver. Mais d'autres convenances rcla-
niaient imprieusement l'exemption. Etait-il
(li PKTILS GELLENSIH, De panibus, enp. iv.
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16 I r c P . LA PLNITUDE DES GRACES EN MARIE
poss ible que le temple o le Verbe devait
habiter ft profan un seul instant? Ne fal
lait-il pas que la Vierge ret, ds le premier
moment, une prparation digne de la future
mre d 'un Dieu ? L'opprobre or ig inel aurai t
perptuellement rejailli sur le Fils. Avecquelle insolence le dmon aurait dit Jsus-
Christ^ Je t'ai vaincu un jour, car cel le dont
tu as reu la chair fut un instant sous mon
pouvoir !De plus, Marie devait tre la rparatrice du
genre humain. El. comment aurait -el le pu bri
ser la tte du serpent si le serpent, le premier,
lui avai t dj fait sentir sa cruelle et honteuse
morsure? h ! l' humani t ne s'y est point
trompe! elle a toujours proclam bien haut
sa foi h un pr iv ilge qui est une gloi re pour
nous tous ; les sain ts prchaient publ ique
ment ce que les fidles croyaient. Voici ce
sujet le prcieux tmoignage de saint Vin
cent Fcrrier. Marie n'attendit pas, pourt re sanctifie, l' poque de sa naissance, la
dernire semaine ou le dernier jour : au pre
mier instant, ds que son corps fut form et
son me cre, elle fut sanctifie, car elle
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CH. II. PLNITUDE DE LA I r e SANCTIFICAT. 17
tait dj raisonnable et capable de sanctifi-
calion (l).
Il n'en tre pas dans notre dessein d'exposer
la thologie de l'Immacule Conception. Les
raisons de ce dogme sont connues de tous :
les thologiens les ont dveloppes longue ment, les prd icateurs les ont fait pntrer
dans l'esprit des (idoles, et il serait inutile de
refaire cette page glorieuse , qui est dans
tous les curs.Ce privilge, pourtant si magnifique, n'est
que le cot ngati f de la premire sanctifica
tion ; c'est surtout l'abondance des grAccs qui
en a fait la beaut.
I
LA PREMIRE GRACE
En Jsus-Christ la plnitude premire a t
la plnitude finale. Sa dignit exigeait qu' il
(1) SCXIUH gracias csL super omnes alios ; es t sanrLi-
flcalio bcaLo Marie, quia ista sanctificatio non fuit cum dc-buiL nasc ij ii cc in uilinio die scu ebdomada, sed in codemdie et liora, ymo in inomenio fonualo corporc cL crataanima fuit sanctificata, quia tune fuit rationalis et capaxsanctifieationis . I. Sermo de Conceplione bate Marie.Manuscrit de Toulouse, mrs. 34G. Nous devons ce
loxle h l'obligeance du R. P. FAGKS, O, P., le savant historien et diteur de saint Vincent Fcrricr.
LA MRE DE GRACE . 2 .
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18 l r o P . LA PLNITUDE DES GRACES EN MARIE
n'y et pas de succession dans ses grces et
ses vertus : d'un seul coup il at te ign it le fate.
D'ailleurs, pour nous servir d'une autre image,
il ne pouvait jamais tre plus prs de la source
qu'il Flait alors, car il louchait Dieu dj
par ce tte union personne lle qui n' admet pointde deg r s , qui ne peut tre jama is p lus tro ite
qu'au premier instant :ds l'origine donc, l'o
can divin s'est dvers dans l'me clc Jsus
avec une telle abondance que rien ne saurai ty tre ajout . La grce tant parfa ite, les
vertus se trouvent aussi au degr suprme, qui
est l'hrosme : vertus naturelles ou infuses,
dons cl fruits du Saint-Esprit, grces gra
tuites, tout ce qui appartient l'conomie du
surnaturel orne dj l'me de Celui qui est,
ds le premier instant , le chef de l 'humanit
et la source de notre sanctification. Les grces
consommes des an ges et des hommes for
mera ien t un ab me , si elles taient runies
ensemble ;mais il serait possible de les sondercl. d'y ajouter e ncore : elles ne peuvent donc
se comparer avec la grce de Notre Se igneur ,
laquelle rien ne s'ajoute et qui a une sorte
d'infinit.
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CH. II. PLNITUDE DE LA I r c SNCTIFICAT. 19
La perfection cle la Sainte Vierge n'a pas
le mme carac tre. Marie, sa conception,
touche Dieu de moins prs que plus tard
quand elle concevra le Verbe de vie ; sa grAcc
initiale n'est donc pas une grce consomme.
Mais c'est dj la prparation et le fondementde la maternit divine. Or, ne semble-L-il pas
que les bases d'une dignit en quelque sorte
infinie doivent dpasser la hauteur de toutes
les grces accordes aux cratures ?Une double question se pose ce sujet :1 la
grce de la premire sanctification en Marie
est-elle suprieure la grAcc consomme des
anges et des plus grands saints pris spar
ment ? 2 est-el le suprieure h la grAcc con
somme de tous les anges et de tous les saints
pris ensemble ? Les Pres et les anciens
thologiens n'ont pas discut tous ces dtails,
mais ils ont pos les principes qui nous
permettront de rsoudre la difficult.
La rponse la premire question ne paraitpas douteuse : c'est une doctrine aujourd'hui
commune que la grce initiale de Marie a
surpass la grAcc consomme des plus grands
saints. Depuis longtemps d'ailleurs des doc-
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20 i r e P . LA PLNITUDE DES GRACES EN MARIE
te ur s il lus tres s'taient pr on on c s dans le
mme sens . Saint Jean Dama scne disa it
dj propos de la naissance de la Vierge:
C'est aujourd'hui qu 'est enfante la mo n
tag ne de Dieu, mont ag ne au gu st e qui dpasse
toule colline et toute montagne, c'est--direles plus subl imes hau teu rs des an ges et des
hommes (1). Ce qui est dit de la naissance
peut videmment s'appliquer la conception .
Suarez (2) regarde comme pieux et vraisemblable le sent iment qui acco rde Marie, ds
le premier instant, une grce suprieure la
grce consomme des ancres et des hommes.
Le dominicain Justin de Micbow crivait au
xvn c sicle dans ses confrences si thologi
ques sur les l itanies : Ds sa conception, la
Sainte Vierge a eu une abondance et une pl
ni tude de grces telles que nul homme ou
nul ange n'a jamais eues, n'a jamais pu ou
ne pcuLjamais avoir (3). M. Olier a expos
gracieusement cette doctrine ; Contcnson etsaint Alphonse de Liguori vont mme plus
(l) Oral, de Naliu. Virg.
(2, De myslcriis Vit ChrislL d. 1, s. L
(3) 134 confrence.
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CH. II. PLNITUDE DE LA I , e SANCTIFICAT. 21
loin, ainsi que nous le dirons plus bas. Quant
aux auteurs de notre poque, inutile de citer
des tmoignages particuliers, puisque tous les
ouvrages actuels de marialogie sont unanimes
sur ce point.
Sans discuter toutes les preuves qu'on acoutume d'apporter, nous nous contentons de
deux raisons qui nous paraissent particuli
rement claires et dcisives.
Ds le premier instant, Marie est marquecomme mre de Dieu, et il faut que la grce
la dispose dj en vue de cette destine,
qu'elle reoive la perfection d'une future mre
de Dieu. El le n'a pas encore sa dignit su
prme, mais elle doit en avoir la prparation
convenable ; en un mol, sa premire sancti
fication doit tre le fondement de la maternit
divine.
Or une dignit de ce genre, qui a une sorte
d'infinit, dpasse toutes les montagnes de
la saintet, et les plus hautes rgions desgrAccs ne semblen t pas encore un fondement
capable de la porter. C'est ainsi qu'on explique
le psaume 86 : Fundamenia ejas in monli-
bus sanclis, ses fondements reposent sur les
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22 r* 1 \ LA PLNITUDE DES GRACES EN MARIE
montagnes saintes . Les commencements
des grces (le Marie reposent sur le sommet
des aulrcs saints ; l o ceux-ci ne parvien
nent qu'au terme de la grce consomme,
c'est de l que la Vierge est partie sa pre
mire sanctificalion ; le faite de loules lesautres saintets n'est que la base de la sienne.
On interprte dans le mme sens le passage
o le proph te Isae reprsente la mo ntagne
de la maison du Sei gneu r leve au-dessusde toutes les autres montagnes :Mans clomus
Domini in verlicc monliam (1).
On pourrait discuter sur la valeur exg-
tique cle ces deux interpr ta lions ; mais , au
point de vue traditionnel,elles ont uncauloril
incontestable, base sur l 'application quoli-
dienne que l 'Eglise fait de ces textes la
Sainte Vierge dans la liturgie. Les saints doc
teurs et les crivains ecclsiastiques, Gr
goire le Grand, Jean Damas cn e dont nous
avons cit le tmoignage , Contenson, le P .Poirier, M. Olier, le P. Terrien, reproduisent
un an imement celle interprtat ion. C'est bien
la montagne, qui se dresse sur le fate des
(1) ISAI., u, 2.
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CH. II. PLNITUDE DE LA l P e SANCTiriCAT. 23
autres montagnes, dit saint Grgoire, car
la hauteur de Marie resplendit au-dessus de
tous les au tre s sainls (1). Les paroles de
M. Olier mritent d'lro connues: Les fon-
deincnts et les prmices de la vie de la Trs
Sainte Vierge sont levs par-dessus les plushaute s montagnes de l'Eglise, c'est - -di re
par-dessus les aines les plus parfaites et les
plus su rminen tes de l'Eglise.. . D'o vienl
que Dieu aime plus ces entres ou autrementces portes que les tabernacles de Jacob. Les
ent res de la Trs Sainte Vierge son t deux,
Lune cache et inconnue, qui est sa sainte
Conception, l'autre est plus vidente, et c'est
sa Nativit (2).
Une seconde preuve qui est apporte com
munment et que nous trouvons excellente,c'est que Marie tait aime de Dieu au-dessus
des anges et des sa in ts les plus consomms
dans la saintet, car le Verbe la regardait et
l'aimait dj comme sa mre future. Or, l'amour divin est crateur : pour Dieu, aimer
(1) Mons quippe in ver lice inonlium, quia alliUulnMariai supra omnes sanctos reluist . In /. 7?
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24 r P . LA PLNITUDE DES GRACES EN MARIE
c'est foire du bien ; aimer dans l'ordre su rna
turel, c'est donner la grce. S'il aime Marie
plus que les grands saints, il lui vcul plus de
bien, il lui accorde plus de grce (1). Nous
reprendron s plus bas ce ra isonnement.
Abordons la seconde question : celle grceinitiale est-elle suprieure aux grces consom
mes de tous les anges cl de tous les hommes
ensemble ? Les tmoignages sur ce point
sont moins expl icites ; bon nombre d'auteursque nous avons cits pour la premire ques
tion ne se sont pas prononcs sur celle-ci.
Suarcz n'en parle pa s, quoiqu' il soutienne
que la grce finale de Marie soit plus par
faite que la grce dernire des anges et des
saints pris mme collectivement. Nous de
vons reconnatre que celte opinion est com
bat tue par cer tains thologiens. Le P . Te r
rien n'est pas de ce nombre, mais il se
monlrc fort hsitant, et il semble mme
regarder ce sentiment comme moins probable (2).
(1) )cnm diligere mugis aliquid nihil aliud est qnanici ma ju s bonum vc ll c : vo lu nl ns enim Dci cs l causa b o -
nital is (I P . , O. 20, a. I).12}La Mre de Dieu, L I, p. 391,
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CH. II. PLNITUDE DE LA I l c SANCT1FICAT. 25
Celle doclrine a pourtant d'illustres dfen
seurs. Sain t Jean Damasccne parait bien l'en
seigner lorsqu'il dit que Marie, sa nais
sance, a su rpass toutes les hau teurs des
anges cl des hommes . Nous pensons que
c'est aussi l'avis de sa int Vincent Ferr ie r. Marie, sa conception , reoit dans leur
plni tude les grces qui ne sont donnes aux
autres saints que partiellement . Ce qui re
vient dire : Toutes les autres grces sontdes parties qui, unies ensemble, nVgalcnl
pas la plnitude totale dont Marie fut favo
rise au premier instant (1). Cette opinion est
soutenue expressment par Vga (2) ; Con-
tenson l'expose en fort beau langage (o) ;
sa int Alphonse en est comme le dfenseur
atti tr (4). On a cit Billuart ; voici ce que(1) Coloris per partes clalur gratia Dei, Marie autem
lola se diffundil gracie pleniludo... in virginc Maria forma lo corporc et creala anima slatim fuit sanc li fkala.LcLilicaL civitalem, scilicet Anglus, qui gratic divine rc-
vclationc vidcrunl graliam sanct itatis Virginia et fece-runL fcslum in clo de cjus conccplionc II. Sermo deconceplione Deale Marie, Mis. 310.
(2) Thcol. Mariant \\. llfiO.(3 TheoL Mordis et C.ordis, lib. X, diss. 0. cap. , sp.
2, primo.
4 Gloires de Marie, IIe
partie , dise. 2. Sur la Xalivilcde Marie.
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26 I 1 C 1 \ LA PLNITUDE DES GRACES EN MARIE
nous avons pu trouver dans ses sermons
(Panyyr. de la Vierye). Aprs avoir di s
tingu avec saint Thomas une double plni
tude de grce, i! conclul que Marie a reu
une plnitude de grce an-dessns de laides
les cralures, puisqu'el le a t leve Pcla tle plus sublime qui est Indignit de Mre de
Dieu . Et plus loin il ajoute : Ordinairement
les au t res cra tures reoivent la grce aprs
leur naissance par les eaux salutaires dubaptme, ou a propor tion de ce qu 'e lles ont
besoin pour prat iquer la vertu aprs lrc ar
rives l'usage de ra ison . Mais Marie , au-
dessus de ces lois, se trouve sanctifie ds le
sein de sa mre, ds ce moment les grAccs
coulent abondamment dans son cur. Marie
reoit une pln itude de grce et elle la reoit
d'une manire extraord inai re ds le sein de
sa mre .
De nos jours, le P. Monsabr a reproduit,
dans ses confrences Notre-Dame (T), l'opinion de Gonlenson et de saint Liguor i.
Nous n'hsi tons pas, pour notre modes te
pari , suivre ce sentiment. Il nous suffira de
(1; Carme de 1877.Le Paradis de ilncarnalion.
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CH. 11. PLNITUDE DE LA I 1 C SANCTIFICAT. 27
reprendre les deux preuves dcisives qui nous
oui: servi rsoudre la premire question :
bien comprises et pousses dans toules leurs
consquences elles rendent noire thse 1res
solidement probable. La grce initiale tant
la base et la prparat ion de la materni t di vine, doit tre proportionne cette dignit,
puisque c'est un axiome que toute disposition
se mesure la qualil dernire qu'elle com
mence et prpare. Ici la qualil dernire,c'est--dire la maternit divine, est d'une di
gnit incommensurable, qui excde comme
l'infini toutes les perfections cl loulc la di
gnil des cratures runies ensemble ; donc la
premire sanctification, pourlre en rapport,
mme de loin, avec celte dignit, doit dpasser
les dons cl les grAccs de toutes les cratures
la fois.
Tel est le raisonnement de Confenson. On
objecte vainement qu'il ne s'agit pas encore
de la prparat ion prochaine la mate rn it divine. Nous rpondons : cela prouve que la
premire grce ne fut pas aussi parfaite que
celle de la seconde sanctification, lorsque
Marie devint mre du Verbe, mais non que
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28 l l c l \ LA PLENITUDE DES GRACES EN MARIE
celle grce initiale ne soit suprieure loules
les grces des anges cl des hommes. Elle
n'tait qu'une disposition lointaine, d'accord ;
n'cmpche qu'elle ft une disposition con
venable, car elle prparait dj la Vierge de
venir la digne mre de Dieu. Prima quidem(perfeclio gratine) quasi disposiliva per quam
reddebalur I D O N E A ad hoc qnod essel maler
Chrisli ; et hc fait perfeclio sancii/icatio-
nis (1) . C'tait, disons-nous, un fondementdigne, ou du moins convenable, d e l mater
nit div ine . Eh bien ! entassez toutes les per
fections, toute la saintet de toutes les
cratures, avez-vous un fondement digne, ou
seulement convenable, de cette auguste ma
ternit ? Toutes ces grces ajoutes les unes
aux autres feront sans doute une haute et gi
gantesque montagne ; mais de ce fate la su
bl imit de mre de Dieu, la distance es t in
franchissable : ces sommets ne sont pas encore
la base de la mate rn it divine. J' en conc lusqu'ils n'atteignent pas la hauteur de cette
grce initiale qui a jet en Marie les fonde
ments convenables de sa future dignit. Cette
(1) III p., o. 27, a. 5, ad 2.
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CH. II . P L N I T U D E D E LA TVO SANCT1FICAT. ^29
montagne, forme de toutes les saintets ac
cumules, doit s 'lever bien prs de Dieu ;
plus haut se dresse la montagne sur laquelle
repose la maison du Seigneur, la materni t
divine. Ainsi, touchant Dieu de plus prs,
Marie a du recevoir plus de grce que tousles saints ensemble.
Nous arrivons la mme conclusion, si
nous sondons un instant l'amour dont Dieu
chrissait Marie au premier moment o ellesortait de ses mains. Il l'aimait plus que tous
les saints ensemble, puisqu' il lui voulai t
dj nubien que les perfeelions de toutes les
cratures n' at te indront jama is , le bien infini
de sa subl ime maternit : il la regardai t et
l'aimait dj comme sa mre future (1). Sa
mre lui tant plus prcieuse que tous les
mondes , il l'aime plus que tous les mondes .
C'est bien, d 'a il leurs, ce qu 'enseignent nos
anciens et pieux exgfes lorsqu'ils disent,
propos du psaume 86, que Dieu aime les seules
(1) Illam profecto ndhuc in malrs utero decubnntemadamavil Vcrbum sibiquo, in gcnilrice.m delegit, ulpotcsuperabundanti bened ict ione prrevcnlam jamque Sancli
Spirilus* niagistorio deputatam . S. LAUR ENT. JUS TIN .Serin. cleNalw. Virg.
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30 l v c P. LA PLNITUDE DES GRACES EN MARIE
portes de Sion, c'est--dire, les comme nce
ments de Mar ie , plus que toutes les lentes de
Jacob ensemble, c'est--dire plus que tous les
saints la fois. Or c'est un principe tholo
gique que la grce correspond l' amour :
pour Dieu, nous rayons remarqu, aimer c'estprodu ire la grce. Si donc il aime la Sai nte
Vierge plus que tous les saints ensemble, il
lui confre plus de grce qu ' tous les saint s
la fois ; la conclus ion es t inluctable. l i atoujours aim Marie comme mre, dit Bos-
suet, il Ta considre comme telle ds le pre
mier moment qu'elle fut conue ( \ ) . Donc,
des ce moment, pouvons-nous ajouter, il lui
a confr plus de grce qu' tons les sainls.
Nous savons l 'objection qui sera faite :
Sous prtexte d'exalter l'auguste Vierge ,gardez-vous d'exclure l'tat de progression
que requiert la nature de sa saintet. Eh !
en quoi , je vous pr ie , excluons-nous cet tat
de progression ? Une grAce suprieure cellede toutes les cratures ensemble est loin d'tre
infinie, et compare avec la dignit de mre
de Dieu, elle n'est qu'une disposition incom-
(1) Tom. XI, p. 38.
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CH. II. PLNITUDE DE LA l r e SANCTIFICAT. 31
plte et qu'une lointaine prparation. Elle
peut se perfectionner encore, et rien ne nous
empche de la concevoir plus abondante au
temps de la maternit, plus parfaite encore
l'heure de la mort.
II
CONSQUENCES DE LA PREMIRE GRACE
L'excellence de la premire sanctificationappelle le cortge des vertus, des dons et
des aut res ornements surna turels. Ces ri
chesses divines ne sont pas seulement la pa
rure de la grce : elles la suivent toujours et
partou t, ainsi que les propr its accompa
gnent l'essence et que la chaleur et la lu
mire accompagnent le soleil. Marie, qui, ds
le premier instant, est prpare sa destine
de mre de Dieu, ne doit pas tre moins par
faite qu'Eve sa cration. Or c'est l'enseigne
ment commun que nos premiers pa rcnl s , leur veil la vie, taient orns des richesses
infuses qui compltent l'tat de jusLice. El,
comme la grAce dans la Sainte Vierge est
extraordinaire, elle demande ce qu'il y a d'ex-
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32 l r e P . LA PLNITUDE DES GRACES EN MARIE
traordinairc, d'achev, de parfait dans les ver
tus et les dons . Les grces gratui te s el les-
mmes , si elles n'ont pas s'exercer encore ,
sont dj l en germe, toutes prles s 'pa
nouir. Les vertus doivent tre portes au mme
degr que leur principe, la grce : celle-ci dpas san t le sommet de toutes les sa in te ts,
les vertus du premier instant ont atteint le
fate suprme o arrivent les ver tus cons om
mes des aut res justes ,c' es t--d ire l 'hro sme.Nous croyons donc que cette bienheureuse en
fant a eu, ds l'origine, toutes les vertus au
degr hroque.
La plnitude premire a exerc son in
fluence sur le vaste domaine de l'esprit .
Notre Seigneur a eu, ds le moment de sa
conception, le plein usage du libre arbi tr e.La raison chez lui n'a pas connu le sommeil,
son regard, ouvert ds le premier instan t,
s'esl fix pour toujours sur l'essence divine
et a contempl la lumire dans la lumire :c'est la vision incffablcmcnt bienheureuse.
Principe et chef de l'ordre surnaturel, cause
de foute bat itude, le Christ doit jouir le pre
mier de cette gloire qu'il donnera aux autres
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CH. II. PLNITUDE DE LA I r e SANCTIFICAT. 33
et qui, (rai ll eurs , lui revient cle droit comme
un apanage inamissible, en vertu mme de la
grce d'union. Comme le matre des cratures
ne doit manquer d'aucune des perfections
qui embellissent ses sujets, nous devons re
connatre dans l'unie de Jsus et au premiermoment, une science infuse la manire des
anges : des ides puissantes imprimes direc
tement par Dieu lui ont permis de voir et de
lire toute vrit. Ces deux sciences ont lparfaites l'origine, car l'tat de progress ion
ne convient pas Notre Seigneur. Elles s'
tendent h tout ce qui est rel : prsent; pass
et futur. Il faut bien, en effet, que le juge et
le roi de l'univers connaisse fout ce qui doit
tre soumis son tribunal et tout ce qui ar
rive dans son empire. Celte double connaissance surnaturelle n'a pas teint les nergies
natives de son intelligence ; dou d'une ac
tivit bien suprieure toutes les forces du
gnie, il acqui t, bien vite et sans fat igue,cette science exprimentale que nous devons
cueillir par un pnible labeur sur tous les
champs de la cration. 11 est clair que celle-
ci n'a pas t parfaite ds l'origine ; Notre
LA MRE DE GRACE. 3 .
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34 l r e P. LA PLENITUDE DES GRACES EN MARIE
Seigneur a pu progresser clans cette science
jusqu 'au jour o son esprit s'est repos dans
la plnitude du savoir.
P o u r Marie, rien ne nous au to ri se a affir
mer comme certain qu 'el le joui t, au pr emie r
instan t, d e l vision batifique ; ma is faut-illui reconnatre la science infuse, l'usage du
libre arbitre, ou bien croire que sa raison est
reste endormie comme celle des au tre s en
fants et ne s'est veille que plus tard ? SaintFranois de Sales et saint Alphonse de Li-
guori ne veulent pas mme que le doute soit
permis cet gard. tl n'y a nul doute, dit
le premier, qu'elle n'ait t toute pure et rCail
eu l'usage de la raison, ds que son Ame fut
mise en ce petit corps form dans les en
trai lles de sainte Anne (1). Ce n'est pasune simple opinion, mais l'opinion du monde
entier, ajoute saint Alphonse en citant le V.
P . de la Colombirc, que Marie enfant ayant
reu dans le sein de sainte Anne la grAcesanct ifiante, reut dans le mme ins tant le
parfait usage de la raison avec une grande
lumire correspondante la grce dont elle
(l) Serai. 38, pour la foie de la Prsentation.
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CH. II. PLNITUDE DE LA I r c SANCTIF1CT. 35
fuL enrichie, cle sorte que nous pouvons croire
que, des l ' instant o sa belle Ame fut unie
son corps trs pur, elle fut claire de toutes
les lumires de la divine sagesse (1 ). Saint
Th omas n'est pas oppos cescnt imcn l. L'u
sage habituel et pe rmanen t du libre arbitreds le sein maternel lui parat, il est vrai, le
privilge exclusif du Christ, mais il ne nie
point que la bienheureuse Vierge ait pu cer
tains moments et surtout au premier instantjouir de sa raison et de sa libert ; c'est ainsi,
d'a illeurs, que Cajtan et Contenson expli
quent le texte du Docteur anglique. Chris
tophe de Vga, qui soutient fortement cette
doctrine, cite, pour l'appuyer, saint Bernar
din de Sienne , Sa lmeron, Azor, Vasquez,
Salazar, etc. (2). On ne doute pas du sentiment de Suarez (3). Trois il lustres domini
cains, Cajtan (4), Contenson (5), Justin de
Michow (6), sont du mme avis. Saint Vin-
(1)Gloires de Marie, II 0 partie, 2 lise. Sur la Nativit deMarie, 2 point.
(2) TlieoL Marianu, n. 050.(3) De Mysleriis Vihv Chrislif d. 4, s. 7.(I) In III ]>., i|. 27, a. 3.
(5) Lib. X, di^s. 6, cap. i. sp. 2, octavo*(G) Confrences sur les litanies, 'J3C conf.
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36 r P. LA PLNITUDE DES GRACES EN MARIE
cent Ferricr avait dj enseign que Marie au
premier moment jouit de sa raison et fut ca
pable de sanctif icat ion : Fuit sanciificala,
quia lune fnil ralionalis et capax sanctifica-
tionis (1). Le P . Terr ien (2) dc la re n 'avoir
trouv que deux adversaires dcids du privilge de Marie, Jean Gerson et Muratori.
Ce privi lge n'es t donc pa s srieusement
contest, bien qu'il n'engage pas la foi. Nous
avons, pour le prouver, trois r ai sons fondamentales.
La premire nous est fournie par saint Tho
mas (3). Le Docteur anglique ra isonne ainsi
propos de Notre Seigneur : Le Christ a
t sanctifi ds le premier instant. Or il y a
deux modes de sanctification : celui qui est
propre aux adultes et qui se fait par leur actepersonnel, et celui des enfants, lesquels sont
justifis non par leurs actes mais par la foi
des parents ou la foi de l'Eglise. Le premier
mode est plus parfait que le second, de mmeque l'acte est suprieur l'habitude et que ce
(1) Mrs. 346, cit prcdemment.
(2)La Mre de Dieu, t. II, p. 27.(3) III i\, Q. 34, a. 3.
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CH. II. PLNITUDE DE LA Ve SANCTIFICAT. 37
qui est par soi l'emporte sur ce qui est par
au tru i. Or la sanctification du Christ devait
tre la plus parfaite de toutes, car il tait sanc
tifi pour devenir le sanctificateur des autres.
11 a donc reu la grce par un mouvement de
son libre arbi tre vers Dieu. Et comme cetacte du libre arbitre est mritoire, il s'ensuit
que le Christ a mrit au premier instant de
sa conception .
Nous tablissons un raisonnement analoguepour Marie. Sa premire sanctification est su
prieure la saintet consomme des adultes.
Une grce de cette excellence demande tre
reue dans Fume d'aprs un mode au moins
aussi parfait que celui par lequel les adultes
sont justifis, autrement il en rsulterait pour
Marie une infriorit que Dieu ne saurait tolrer. Or ce mode requiert le concours du
libre arbitre. Il faut en conclure que, si nos
premiers parents ont eu, au moment de leur
justification, l 'usage de la raison et de la libert, Marie l'a eu un degr suprieur, et,
par suite, qu'elle a mrit ds le premier ins
tant. Nous ne concevons pas qu'il puisse en
tre autrement. Marie es t dj la prfre,
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38 l P. LA PLNITUDE DES GRACES EN MARIE
l'unique du Seigneur , plus aime que tonte s
les cratures ensemble : Dieu se donne elle
par une grftcc inoue, il faut qu'elle se donne
Dieu par un amour souverain qui suppose la
conscience cl la libert.
La seconde raison n'est pas moins plausible. La grce du premier moment est. Irop
extraordinai re pour qu'e lle puisse rester
inerte et improductive; il n'entre pas dans le
gouvernement suave de la Providence de dposer dans une mc des richesses qui n'au
raient aucun moyen de fructifier. Mais , si
Marie est prive de l'usage de sa raison,
toutes ces perfections minentes sont con
damnes une sorte de stri lit. El les ne
sont pas entirement inutiles, dites-vous, car
elles servent orner celte belle me. Je leveux bien, mais n'est-ce vraiment pas trop
peu pour des dons si extraordinaires de rester
purement dcoratifs ? Il y a l des germes
qui demandent clore, des nergies quiveulent se dployer, des activits qui ont
besoin de passer en exercice : si toutes ces
faculls surnaturelles sont prives de leur
dveloppement rgulier, elles souffrent vio-
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CH. II. PLNITUDE DE L I r c SANCT1FICAT. 39
lence . Tout cela rclame l'usage clu libre ar
bitre. Cet usage es! extraordinaire sans doute,
mais les grces et les vertus du premier ins
tant le sont bien davantage ; pourquoi donc
accorder celles-ci et refuser ce qui est nces
saire leur panouissement? Vu la conditionet l'excellence de la grce initiale, l'usage de
la raison parait mme naturel, car il est n
cessaire pour que tous ces dons soient pr
servs do la stri li t et sortent d'une fataleinertie qui rpugne leurs tendances et
leurs nergies.
Puis donc que ce privilge est exig par
l'excellence de la grce initiale, il faut rac
corder h Marie, si un tel acte est possible ds
l'origine . Or l' usage du libre arbi tre, qui
consiste dans l'opration de l'intelligence etde la volont, peut se faire en un instant. Ce
n'e st pas un acte long se produi re , impar
fait et successif comme le mouvement, mais
un acte subit, plus rapide encore que la vision du regard. Concluons donc que Marie ,
ainsi que le Christ, a eu l'usage du libre ar
bitre au premier instant de sa conception (1).
(1) Nous appliquons Marie, l'analogie tant si mani-
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40 I r o P. .LA PLNITUDE DES GRACES EN MARIE
Pour comprendre la possibilit de la con
naissance au premier instant, il faut remar
quer qu'elle a pu se faire par des ides infuses
sans l'exercice des sens et le concours de
l'imagination.
Ce qui est essentiel a la connaissance intellectuelle c'est d'atteindre un objet immat
riel. Il y a diverses manir es d'y parvenir.
Nous y ar rivons d'ordinaire par des ac te s
multiples et comme par bonds successifs : lessens externes commencent la srie, l'imagina
tion se forme ensuite une reprsenta tion qui
est le miroir et le vicaire de l'objet, l'esprit
exerce sur cette image un puissant et myst
rieux travail d'abs traction et produi t une nou
velle image d'un ordre tout diffrent, infini
ment suprieure, qui reprsente l'objet dans
reste, ce que saint Thomas dit de Notre Seigneur : Di-cenduin est quod Chris tus in primo instanti suce con-ceptionis habuit illam operationem animai qiuo polest ininstanti haberi. Taiis autem est operatio voluntatis et
in lc llcc tus, in qua consistt usus liberi arbitrai. Subitoenini et in instanti perficitur operalio intollcctus et voluntatis, multo magi s quam visio corporalis, co quodintclligerc, vellc et cnlirc, non est molus imporl'ecLi
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CH. II. PLNITUDE DE LA I r c SANCTIFICAT. 41
son tat spirituel. Tel est le mode naturel et
ordinaire. Ce n'est pas le seul qui soit pos
sible. Si notre esprit peut se donner des
ides par son travail propre, pourquoi Dieu
ne pourrait-il pas lui en communiquer direc
tement, sans l'intermdiaire du monde extrieur ? Ce sera la sc ience infuse comme celle
qui convient aux anges, aux fmes spares
et qui n'est pas un fait inou dans les annales
de la saintet. Les ides venant d'en haut, laconnaissance s'accomplit dans les rgions
suprieures de rame, et l'appoint des facul
ts sensibles n'es t plus indispensable. C'est
un mode miraculeux, je l'accorde, mais il
n'est point impossible : les scolastiqucs ne
nous enseignent-ils pas que notre intelli
gence, ap rs la rsurrect ion bienheureuse ,pourra se servir ou se passer, son gr, du
concours de l'imagination et des sens ?
Voici une dernire preuve, que nous avons
trouve chez tous les auteurs favorables auprivilge de Marie. Toute grce, tout don,
toute faveur dont a pu jouir quelqu 'un des
saints, ont t octroys Marie. Or Jean-Bap
tiste a eu l'usage de la raison ds le sein
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42 I r o P . LA PLNITUDE DES GRACES EN MARIE
maternel. C'en est assez pour nous autoriser
conclure que Marie a reu ce privilge au
moment cle sa conception. Le pr incipe invo
qu ici est incontestable, su rtou t lorsqu' il
s'agit d'une faveur qui a rapport la sancti
fication de l'Ame. C'est le cas, puisque l 'usagedu libre arbitre tait ncessaire pour prparer
l'auguste enfant l'infusion de la grce, pour
prserver de la strilit tant de richesses
surnaturelles. Quant au fait relatif Jean-Baptiste, l'vangile semble l'affirmer claire
ment.
Le tressaillement de reniant est signal
par saint Luc comme un vnement cxlraor-r
dinaire (1), et sa inte El isabeth ajoute sous
l'inspiration divine que l'enfant a tressailli de
joie (2). La joie suit la connaissance, et lajoie spirituelle fait cho une connaissance
raisonnable. Celle de Jean-Baptiste est de ce
genre, car elle est provoque, non par un
objet sensible, ma is par une chose surn atu
relle, la prsence de Jsus-Christ, ainsi (pie
l'observe Cajtan : Conslal aulem Joannis
(1) Luc, i, 41.(2) IbirL, v.44.
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CH. II. PLNITUDE DE LA I r e SANCTIFICAT. 43
gaudiiim non de re sensibili, sed de Christi
advenlu fuisse (1). Sa jo ie et sa connais
sance ta ient donc ra isonnables : c'est l'usage
du libre arbitre . 11 le recul avec la crfice de
la justification, disent unanimement les saints
Pres. Jean lui -m me, remarque saintIrne, lorsqu'ils taient, lui dans le sein de
sa mre et Jsus dans le sein de Marie,
reconnut cl salua le Seigneur (2). Et sain!
Ambroise : Il avait l'usage de l'intelligencecelui qui le tmoigna dans l'acte mme du
tressail lement (3). Citons encore le mot
clbre de sainl Lon : Le Prcurseur reut
dans le sein maternel l'esprit de prophtie et,
avant de natre, salua la Mre de Dieu par
des signes d'allgresse (4).
L'Eglise professe manifestement cettecroyance dans sa li turgie : elle affirme que
(1) Comment., in II r M o. 27. a. 3.
(2) Joannes ij>sc, cuni adhuc in ventre matris sua* esset
et ille in vulva Marin?,Dominum cognoscens salulabnt.Adv. Ineres., ni, 10.(3) Habcbat inlHligcndi nsuin qui exultandi habebat
cflcclum . Lib. II in Luc.([) Pr.'ccursor Christi spirituni prophclifc in Ira vi secra
jnalris accepil . et nonrium cditu.s Gcnitrici Dei signa
exullationis ostendit . Sermo in Naliv. Domini, 10,cap. v.
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44 l r e P . LA PLNITUDE DES GRACES EN MARIE
Jean sent it le roi cle gloi re cach dans son
lit nuptial, le sein de Marie: Senseras regem
ihalamo manenlem (1), et que, grce J ean ,
l'g li se de Dieu a connu l'auteur de sa rg
nration spirituelle : Per quem sa rgnra-
lionis cognovit auclorem (2).Il est donc croire que l'auguste Vierge
a fait des actes d'intelligence au premier ins
tant. Mais ce privilge a-l-il persvr ? Les
auteurs sur lesquels nous nous tions appuysjusqu'ici ne sont plus unanimes sur ce der
nier point ; il semble mme plusieurs qu'une
telle faveur ne saurait tre accorde qu'
Jsus-Chr ist . Un bon nombre pour tant sou
tiennent que Marie a constamment joui de sa
raison : ci tons , entre tant d 'autr es , saint
Frano is de Sa le s, saint Alphonse de Liguor i,M. Sauv (3), le P. Terrien (4). Il en est mme
qui attribuent ce privilge Jean-Baptiste :
ainsi Origne (5), Tolet (6), Maldonat (7).
(1) Hymn. Vcspcr.(2) Posloom.(3) Jsus intime, L. III, p. 262.(4) La Mre de Dieu, t. II, ch. .
(5) In Luc., lib. II.
(G) Comm. in Luc, I, annot. 118.(7) In cap. Luc.
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CH. II. PLNITUDE DE L l r e SANCTIFICT. 45
Quoi qu'il en soil du Prcurseur, nous
pensons que Marie a toujours conserv l'usage
de son libre arbitre. Une des raisons que nous
avons fait valoi r pour le moment de la con
ception nous semble garder la mme force
dmonstrative pour tout le temps suivant.Les grces primordiales de la Vierge sont
trop abondantes et trop extraordinai res pour
demeurer striles dans son me. Un instant
fugitif ne leur suffit pas pour se dvelopperavec l 'ampleur qui leur convient ; des ner
gies si fcondes rclament un exercice conti
nuel pour satisfaire l'aspi rat ion vhmente
qui les emporte sans cesse vers la perfection.
Ce serait leur faire violence que d'arrter leur
essor. Et pourquoi Dieu retirerait-il ce privi
lge ? 11 ne lui est pas plus difficile de lemaintenir habi tuel lement que de l 'accorder
un ins tant ; la connai ssance infuse qui est
possible l'origine, l'est galement dans la
suite. Celui qui donne sans repentance neretire pas ses bienfaits le premier, surtout
lorsqu'un tel retrait impose une vritable con
trainte des activits qui veulent agir et qui
ont besoin du libre arbitre pour se dployer.
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46 l r c P. LA PLNITUDE DES GRACES EN MARIE
El pai s , si le privilge est enlev auss itt
que reu, Marie dchoit ds l'origine, elle est
moins parfaite dans la suite qu'au premier
instant. Est-il convenable qu'une si sainte
cra tu re puisse ainsi dchoir sans sa faute,
alors que sa dignit demande qu'el le marchesans cesse de progrs en progrs, de perfec
tions en perfections ? Celte simple remarque
suffirait nous convaincre que l'usage du
libre arbitre a persvr.En Notre Seigneur cet exercice permament
de l'intelligence et de la volont est comme un
droit naturel, et on peut dire dans ce sens avec
saint Thomas que c'est son apanage et son
privilge exclusif. Pour Marie il n'est pas d
au mme titre, mais de hautes convenances
et la seule dignit de future Mre de Dieu lerclament et l'exigent.
Nous n'avons pas tout dit ; mais il faut se
borner, et, d'ailleurs, il y a l des profondeurs
et des mystres qui nou s chapperon t toujoursici-bas. Le peu que nous avons expliqu suffit
prouver que Marie, sa premire sanctifica
tion, a t pleine de grce en son me, dans
ses facults et jusque dans sa chair immacule.
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CHAPITRE TROISIME
La plnitude de la seconde sanctification
Les perfections du premier instant ont imprim l'me de la Vierge un lan si vigou
reux qu'elle est monte toujours de sommets
en sommets. Les grces se sont sans cesse
accumules en vertu de ce trafic admirable du
mrite dont nous aurons parler dans la suite.
Au moment de la naissance , l'augmentation
surnaturelle a dj pris des proportions qu'ilest imposs ible notre intel ligence humaine
de mesurer. Le commerce sacr continue tou
jours avec une fcondit que rien n'entrave,
et de nouveau les grces s'entassent sur lesgrces. Les annes vcues au temple activent
ce merveilleux dveloppement : l'me de
Marie dir ige par l 'Espri t-Saint lui-mme,
nourrie et comme engraisse de la plus pure
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48 I R P . LA P L N I T U D E D ES GR AC ES E N M ARI E
sve du surnaturel, per Spirihim saginala,
ainsi que parle sa in t Jean Damascnc , arrive
de bonne heure cet lat qui est l 'ge parfait
de la grce. Au moment o l 'ange vient la
saluer, Marie a dj, bien que toute jeune, la
plnitude de la maturit : elle est prte pourdonner son fruit. Le Verbe, attir par sa cha
rit, sa virginit , son humili t , lui demande
asile dans son sein. Le consentement est
donn, et, en un instant, le plus sublime desmiracles est accompli, le Verbe s'est fait
chai r. Il se produit a lors , dans l'aine cle la
Vierge , un changement merveilleux, digne
d'un si grand mystre ; sa grce se transforme
et passe un ordre tellement suprieur qu'on
peut l'appeler dj une grce consomme,
non pas qu'elle marque le dernier terme dumri te , mais parce qu 'e lle fixe et confirme
immuablemen t dans le bien la volont dj
impeccable (1). La conception du Fi ls de
Dieu, plus efficace que tous nos sacrements,a confr l'heureuse Mre toutes les richesses
(l) In co nc cp li on e au lem Filii Dci consummata est
ejus gralia, confirmans eam in bono . III. p., Q. 27, a. 5.ad 2.
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CH. III. PLNITUDE DE LA II e SANCTIFICAT. 49
du surnaturel. Trois raisons principales r
clament pour elle et ds ce moment une pl
nitude de surabondance.
PREMIRE RAISON
La grce de la seconde sanctification est
une prparation prochaine et immdiate la
maternit divine. 11 doit y avoir propor tion,sinon galit, entre la perfection dernire et
la disposition qui est charge de la commen
cer. C'est d'ai lleurs une loi de la Providence
que, lorsqu'une crature est appele un mi
nistre spcial, Dieu l'y prpare d'une manire
qui soit digne du rle h remplir. Si la grce
du premier instant, prparation pourtant lointaine et inacheve, a t si pleine et si fconde,
que dire de la grce prsente, qui est la pr
paration immdiate, dernire, complte ? Il
faut qu'elle se mesure avec la maternit elle-mme, qu'elle soit son niveau, dpassant
toutes les hauteurs humaines et angliques et
atteignant les confins de la divinit. Nous
puiserions vainement toutes les comparai-
LA MRE DE GRACE. 4 .
-
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50 [LC P . LA P L N IT U D E D E S GRA CES EN MARI E
sons pour en donner une ide. Supposons
qu'une crature doive recevoir la prparation
convenable pour devenir la mre de milliers
de mondes plus parfaits les uns que les autres,
d'tres plus accomplis que le premier de tous
les saints , plus levs que les chrub ins etles sraphins, et ainsi de suite l'infini : il
lui faudrait, certes, une dignit qui dfie nos
faibles conceptions. Tout cela ne saurai t se
comparer, mme de loin, avec la maternitdivine. La grce de prparation qui dispose
Marie ce haut ministre est donc ineffable.
Tout ce que nous pouvons en dire c'est qu'elle
est digne de Dieu. Il est certain, en effet, que
le Verbe a rendu sa mre digne de lui. Si les
astres ne sont pas purs en sa prsence, Marie
est pure devant lui ; si les s raph ins eux-mmes ne mritent pas d'approcher de la
Saintet substantielle, Marie lc mrite, et elle
es t assez, sa inte pour que la Saintet s'ap
proche d'elle, habile avec elle, contracte avecelle une union indissoluble, forte comme l'
ternit. Nous aurions approfondi la plnitude
de cette grce si nous comprenions ce mot :
digne de Dieu ! Oui, si elle est digne de Dieu,
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CH. III. P L E N I T U D E DE LA I I E SANCTIFICAT. 51
elle a des proportions divines cl nous ne pou
vons la comparer qu'avec la grce de Jsus-
Christ.
De l'me elle rejaillit sur le corps, afin que,
de cette chai r ainsi sanctifie, puisse tre
forme la chair d'un Dieu. Deinde in corpus,ai ex carne sua possei r/enerare Denm (1). 11
en rsulte pour toute la personne une beaut
nouvelle. De mme que l'habitation de la Tri
nit dpose dans les justes une majest cache qui se rvle parfois l'heure de la mort,
de mme que l'union hypostat ique confre
l'Humanit du Verbe une perfection et une
beaut qui relvent Jsus au-dessus de tous
les enfants des hommes, de mme la grce
de la maternit divine ajoute l'tre tout
entier de Marie une excellence et des agrments qui font de la Vierge comme la rv
lation et lc charme de Dieu...
IIDE UXI ME RAISON
Seconde cause de cette plnitude, l'union
avec Fauteur de la grce. Plus un tre s'unit
(1) III. P. o. 27, a. 4.
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52 l r 0 P. LA PLNITUDE DES GRACES EN MARIE
a son principe, mieux il en reoit l'influence ;
plus on es! prs d'une source, plus on participe
l'abondance de ses flots ; plus on est rap
proch d'un foyer, mieux on ressent les effets
de sa chaleur et de sa lumire. Or, le principe
de la grAce c'est Jsus-Christ, cause principale par sa divinit, cause instrumentale par
son humanit. La bienheureuse Vierge Marie
fut de toutes les cratures la plus rapproche
du Christ selon l'humanit, puisque le Christa reu de Marie sa nature humaine. Donc_>
Marie a d obtenir du Christ une plnitude de
grce au-dessus de toutes les cratures (1).
Essayons d'expliquer le raisonnement de
saint Th omas . Ce qui dtermine la mesu re
des grces c'est l'union plus ou moins troite
avec l'humanit et la divinit de Jsus-Christ.Or est-il possible d'tre plus prs que Marie
de l'Humani t adorable ? On peut dire que
cette nature est quelque chose de Marie,puis
qu'el le a t prise de Marie, et que, pendantneuf mois, elle s'est nourrie et a respir par
elle. S'il suffisait de saisir la frange du man
teau divin pour tre sauv : Virlus de illo
(l) m, p.,Q. 27, a. 5.
-
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CH. III. PLNITUDE DE LA II e SANCTIFICAT. 53
exihat et sanabal omnes ; si Jsus a pu sanc
tifier Jean le Prcurseur h travers le sein ma
ternel , que ne cloit-il pas oprer clans son
auguste Mre, qui touche plus que son man
teau, qui atteint son humanit par une sorte
d'union substant ie lle ? Puisque ce contact estle plus intime de tous, puisqu'il n'y a pas de
mesure dans cette union, il ne doit pas y en
avoir dans la grce qui en dcoule : il semble
que l'ocan se dverse tout entier.Il est difficile aussi d'tre plus prs que
Marie de la nature divine, car la Mre de
Dieu, nous l'expliquerons au chapitre suivant,
appartient Tordre hypostatique et s'lve
jusqu'aux confins d e l divinit.Et, d'ailleurs,
comme en Notre Se igneur, les deux na tures
sont insparables, comme l'onction du Verbea embaum tout l'tre du Christ, comme il
n'est en lui aucune partie qui ne soit pntre
tout entire de l'huile de la divinit, toucher
le Christ visible c'est atteindre le Christ Dieu,on va infailliblement de l'un l'autre : Per
Chrisiam hominem ad Chrisium Deum. Marie,
tant de toutes les cratures celle qui tient
de plus prs au Chris t visible, approche aussi
-
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54 1 p . l a p l n i t u d e d e s g r a c e s e n m a r i e
de p lus prs la divinit. At tache ainsi plus
troitement que les autres l'humanit, r
servoir, et la divinit, source des grces,
elle en reoit la plnitude ds la conceplion
du Verbe.
On n'aura pas de peine comprendre qu'untel contact ait du produire la grAcc, si Ton
considre que Notre Seigneur cherche avant
tout l'union qui se lait par la charit. De mme
que, en concevant Jsus selon la chair, laVierge le conut selon l'esprit, ainsi que les
Saint s Pres se plaisent le rpter, de
mme, en s'unissant lui par le contact phy
sique de l'humanit, elle a d s'attachera lui
et plus intimement encore par le contact spi
rituel de la grce. El, de son ct. Notre
Seigneur dsire habi ter en elle su rtou t parl'esprit et le cur. 11 souffrirait une vri table
violence s'il n'y avait l que l'union matriel le
des corps : il ne peut pas vouloir le lien phy
sique sans l'treinte morale de la charit,l'union de la nature sans l'union de la grce.
Une maternit si surnaturelle ne se conoit
pas sans l 'amour surnature l. Le seul fait de
prendre naissance en Marie et d'tre en cou-
-
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CH. III. PLNITUDE DE LA II e SANCTTF1CAT, 55
tact perptuel avec elle quivaut clone une
loi, a une obligation sacre de lui donner la
grce. La not ion vraie de l'Incarnation nous
suffit pour conclure qu'i l y eut de la part de
Dieu une sorte d'institution de confrer la
grce par le contaci physique de l'humanitdu Verbe avec Marie, comme ce fut plus tard
une institution divine de confrer la vie
surnaturel le p a r l e contact physique des sa
crements avec nos mes. Causes secondaireset infirmes, les sacrements produisent pour
tant leurs effets d'une manire toujours infail
lible dans les sujets qui n'y mettent point
d'obstacle ; le contact de l'humanit adorable ,
instrument conjoint de la divinit, doit agir
avec une efficacit plus grande. Et non seu
lement Ja Vierge ne met point d'obstacle, maiselle apporte les dispositions les plus parfaites
de la ver tu hro que . Rien n'arr tant la grce
du ct de Marie, il faut que, de la part de
Jsus, elle se donne sans limite, h (lotspresss, irrsistibles.
L'excellence des sacrements, aussi bien que
leur efficacit, grandit dans la mesure o ils
nous uni ssen t davantage a Dieu, et le plus
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56 l r e P. LA PLNITUDE DES GRACES EN MARIE
parfait de tous est celui qui contient et la vertu
divine et la personne mme de Jsus-Christ.
La conception du Verbe, qui apporte Marie
la vertu et la personne de Dieu, doit raliser
tout ce que produi t la communion, et mme
davantage. Dans Y Eucharistie, Notre Seigneurse donne bien tout entier , mais sous des ap
parences trangres : dans l'Incarnation il se
livre tout entier Marie sous sa forme vri
tab le et par un contact immdiat . Par l'Eu charis tie il nous fait vivre de lu i, mais sans
vivre de nous, car il ne reoit rien du com
muniant ; dans l' Incarnat ion il es t form de la
substance de sa Mre, il vit de Marie comme
le fruit cle la sve de l 'arbre, il tient d'elle et
la nourriture et la respiration. Ne faut-il pas
que, son tour, il la nourrisse de sa divinit ?A chaque flot cle vie que lui communique la
Vierge il rpond par des flots nouveaux de
grce, et chaque mouvement qui lui vient de
Marie provoque les panchements de ses donssurnaturels : s'il vit cle sa Mre, sa Mre vit
de lui encore davantage.
Tous les effets de l'Eucharistie, toutes les
extases de la communion sont dpasss ici et
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CH. III. PLNITUDE DE LA II e SANCTIFICAT. 57
sans comparaison. Et pour tant , que de mer
veilles produit chaque jour le hanquet eucha
ristique ! Sa in t Thomas essaie de nous en
donner une ide : Ce sacrement confre la
grce d u n e manire spir ituel le avec la vertu
de charit. Aussi saint Damascne comparel'Eucharistie au charbon ardent qui fut montr
en vision au prophte Isac. Le charbon n'est
pas simplement du bois, c'est du bois uni la
flamme : de mme lc pain de la communionn'est pas simplement du pain, il devient la
chair unie la divinit. Et, comme dit saint
Grgoire, l'amour de Dieu n'est pas oisif : il
opre de grandes choses partout o il se
trouve. C'est pourquoi ce sacrement, de sa
nature et en tant qu'il dpend de sa vertu, ne
confre pas seulement les habitudes de grceet de charit, mais il excite encore aux actes,
selon le langage de l'Aptre : L'amour du
Christ nous presse. Ainsi l'Ame est spiri
tuellement fortifie dans ce sacrement parle fait qu'el le y gote des dlices surna
turelles e t qu'el le s'enivre des douceurs de
la bont divine, d'aprs ces paroles du Can
tique (r, 5) : Buvez et mangez mes amis ;
-
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IS8 l t v 1>. L A P L N I T U D E D E S G R A C E S E N M A R I E
enivrez - vous , mes bien - a ims ( 1 ) !
Tous ces effets du grand sacrement runis
ensemble, depuis r insli lulion dcrEucharistie,
et les co mmunions des saints les plus fervents
dans le cours des ges , et la dern ire com
munion du dernier juste dans ce suprme sacrifice qui marquera la fin des temps, ne suf
fisent pas pour nous faire comprendre ce que
la Conception du Verbe a opr en Marie. La
prsence seule de Jsus, par elle-mme etpar sa vertu propre, confrait les habitudes
de grce et de char i t ; et elle excitai t, mu l
tipliait les actes. Elle inondait la Vierge de
tous les torrents des clestes volupts. Jsus
disait sa Mre: Buvez et enivrez-vous, ma
bien-aime, de tout mon amour et de toutes
mes grces ! El elle rpondait : Buvez et enivrez-vous, mon bien-aim, de toute ma ten
dresse et de toute ma reconnaissance ! 11 faut
ici s'arrter et se recuei lli r devan t ces secrets
qu'il n'est pas permis l 'homme d'exprimer .
(1)HL 1 \ , O. 79, a. 1 , ad 2.
-
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en. m. PLNITUDE DE LA l ln SANCTIFICAT. 59
111
T R O I S I M E R A I S O N
Ceci nous suggre une troisime raison de
celle pln itude: l'amour rciproque du Filspour la Mre et de la Mre pour lc Fils. Un
principe souvent invoqu ici, c'est que la
grce correspond l' amour et se mesure
lui. Dj au moment de sa conception Marieest la prfre, plus chrie que toutes les
cratures ensemble. Mais que dire lorsqu'elle
devient mre de Dieu ! Cer tes, le Christ a
aim ses aptres, et surtout son Vicaire; ils
sont les choisis, les intimes auxquels il a r
vl tous ses secrets et confi ce qu'il avait
de plus cher ici-bas, son pouse immortelle,l'Eglise. Il aime ses saints et ses saintes,
qu'il fait vivre sur son cur, qu'il associe
ds maintenant sa batitude par les ravis
sements et les extases, sa royaut par l'empire qu'il leur accorde sur les cratures, sa
toute-puissance par le pouvoir des mirac les,
sa science divine par lc don de prophtie. Il
nous aime tous infiniment, puisqu'il nous a
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60 r P. L A PLNITUDE DES GRACES EN MARIE
donn ses sueurs , ses la rmes , tout son cur ,
tout son sang, toute son humanit et toute sa
divinit. L'Eucharistie est le mmorial de cet
amou r pouss ju sq u' l 'excs. Si, pour nous
prouver sa tendresse, Dieu crqit chaque jour
une terre nouvelle et des cicux nouveaux,nous ser ions confondus. Eh bien ! pour venir
nous {lans l 'Euchar istie, il doi t faire des
miracles plus difficiles et plus grands que la
cration de la terre et du ciel. Le changementdu pain au Corps de Jsus et du vin en son
Sang imprime une secousse la nature en
tire. La mer Rouge suspendit ses flots la
voix de Mose ; la voix du prtre la nature
suspend ses lois, les miracles s'enchanent
les uns aux autres, le monde est comme
branl par l'incroyable prodige de la conscra tion, et, pour maintenir l 'ordre au milieu
de cette commotion gigantesque, il faut une
puissance plus grande, en un sens, que la
puissance de crer. In hac conversionc plurasunl difficiliora quant in creatione (1). Et ce
mys tre de char it se continue sans in te rrup
tion en tout temps et en tout lieu. Tant qu'il
(1) III. P., Q. 75, a- 8, ad 3 ;
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CH. III. PLNITUDE DE LA II e SANCTIFICAT. 61
y aura un prtre pour clbrer et un fidle
pour communier, Jsus renouvellera des mer
veilles plus tonnantes que la production de
l'univers. Cela peut nous faire comprendre la
bonl de Dieu pour tous et chacun de nous,
mais non pas encore sa tendresse pour Marie.Dieu s'appelle l 'amo ur : Deas charilas
est (1). Sa bont est ce soleil qui atteint
toutes les cratures, qui claire et rchauffe
tous les rivages, et les sommets du royaumeangliquc et les plus humbles frontires de
l'tre. Tous ces rayons, qui se dversent sur
l'ensemble des mo nde s, consti tuent comme
un faisceau gigantesque d'une force irrsis
tible.
Pour la Vierge, c'est plus qu'un faisceau :
il semble que le soleil se soit concentr toutentier sur elle avec tout son clat et toute sa
chaleur. Qu'on essaie de sonder les nergies
de cet as tre infini de l 'amour, et alors seule
ment on comprendra la plnitude des grcesen Marie.
Il est clair qu'elle doit tre plus aime que
toutes les cratures, car tre la Mre de Dieu
(1) I Epist. JOAK., iv, 1G.
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62 l r c P . L A P L N I T U D E D E S G R A C E S E N M A R I E
c'est incomparablement plus que d'tre la
mre de tous les tres actuels, de tous les
mondes possibles. L'amour du Christ pour sa
Mre contient tout ce qu'il y a d'exquis dans
la nature, car il sort d'un cur o tous les
sent iments humains sont por ts au sub l im e;tou t ce qu'il y a d'exquis dans le surnaturel ,
car il vient d'une me laquelle la grce et
la charit ont communiqu des aspirations et
des battements qui retentissent jusque dansl'ternit. Mais c'est, avant tout, l'amour d'un
Dieu. Il y a, en effet, en Notre Seigneur,
trois sources de tendresse qui sont trois
abmes: son cur, son me, sa divinit.
L'me adorable jouit de tout ce qui dlecte le
cur, et la divinit aime tout ce qui a fait
tressaillir le cur et l'me. Oui, Jsus-Christaime en Dieu, parce que, Dieu et homme tout
ensemble, il veut de sa volont divine tout
ce que sa volont humaine peut chrir ; il aime
en Dieu parce qu'il voit en sa Mre une Mrede Dieu; il ne peut la regarder sans aperce
voir ce lien substantiel qui l'unit elle, ce lien
de Tordre hyposlatiquc en vertu duquel Marie
touche aux confins de la divinit. S'il aime sa
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More en Dieu, il doit raliser en elle ce dont
est capable un amour crateur, infini, qui
tient son service une puissance infinie, des
abmes de grces dont notre esprit ne pourra
mesurer ni l'tendue ni la profondeur.
Bien que l'amour divin n'ait pas besoind'tre provoqu par le n tre, il agit cepen
dant avec plus d'efficacit l o il est mieux
accueilli. On conoit, en effet, que la grce
soit verse avec plus d'abondance lorsquel'amour reconnaissant et coopra leur sait
mieux rpondre l'amour prvenant et gratuit.
Pour faire apprcier les grces de Marie, il
nous faut donc dire que lques mots de son
amour pour Jsus.
C'est d'abord un amour maternel. On sait
de quel hro sme les mres sont capables etcomment leur cur mo nte vite au subl ime.
Cet amour a quelque chose d'extat ique qui
jette hors de soi, empche de penser soi
pour ne s 'occuper que du cher enfant. Unefemme se mourait de la maladie cruelle qui
avait emport son fils quelques annes aupa
ravant. Ses douleurs son t atroces, in tol
rables ; elle ne s'en plaint pas, elle n'y pense
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64 l r c P . LA PLNITUDE DES GRACES EN MARIE
et n'en parle que parce que cela lui rappelle
le supplice de son fils. Au lieu de dire : Com
bien je souffre! elle rpte: O h! combien
mon pauvre enfanta du souffrir ! Voil bien
la tendresse mate rnel le ; ce n' es t pas encore
celle de Marie pour Jsus. La Sainte ViergeMarie, parfaite tons les points de vue, a ex
cell dans toutes les dl icatesses du cur
materne l , ma is elle a des sent iments et des
transports que les autres mres ne connatrontjamais , car elle est plus mre que toutes les
aut res mre s. Son Fils lui appart ien t tota le
ment, puisque aucune autre crature n'a con
couru cet enfantement vi rginal , et elle ap
par tient tout entire son Fils, car elle n'a
que Lui. Pour Marie, Jsus est l'unique, le
seul enfan t; pour Jsus , Marie est l'unique ,le seul auteur de ses jours ici-bas. C'est l
un fait singulier, ce sont auss i des tendresses
d'un genre par t dont il est impossib le de
sais ir les nuances et les dli catesses.Et puis, c'est un amour de mre vierge. Lc
cur devient plus gnreux et plus aimant
dans la mesure o il est plus pur. Chez les
au tres mres, l'affection est plus ou moins
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CH. III. PLNITUDE DE LA II e SANCTIFICAT. 65
partage ; le cur n' tan t plus vierge, n'es t
pas tout entier pour l'enfant. Dans le cur de
Marie, qui est devenu plus virginal encore par
la ma terni l, il n'y a aucune parcelle qui ne
soit toute remplie d' amour pour Jsus . La
charit divine a pntr son tre dans toulesses profondeurs: rien dans son cur, dan s
son me, dans ses facults, rien qui soit vide
d'amour. Elle aime de toute sa volont, de
tout son espr it, de toutes ses forces et elleest ainsi toute mre et toute mre d 'amour
pour Celui dont le Pre est aussi l'amour. Ut
nullam inpeclorc virginali parliculam vaciuun
cunore relinr/ueret, sed loto corde. Iota anima,
lola viriaie diligeret et feret mater cariiatis
cujiis Pater est charilas Deus (1).
Cette tendresse de mre et de vierge, quirunit dj toutes les excellences de Tordre
na tu re l, est transforme par les plus hautes
nergies de la grce. Nous avons dit que
toutes les vertus de Marie ont l portes audegr parfait qui est l'hrosme ; cela est plus
vrai encore de sa chari t. Chez les autres
mres, Tamour n' es t pas ncessairement la
(1) S. BERNARD, Scrm, XXIX. in Cantic, n. 8.
LA MEUE DE GRACE. 5.
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66 I r c P. LA PLNITUDE DES GRACES EN MARIE
charit qui sanctifie, la nature n'est pas tou
jours leve par la grce, et la mre peut
craindre de s'attacher trop la crature dans
son enfant . Pour Marie, tout ce qui vient de
la nature est embelli par la grce, tout ce qui
est amour est chari t , toul ce qui est d onn l'enfant s'adresse au Seigneur ; elle n'a pas
redouter des transports trop humains, car,
en aimant son Fils, elle aime son Dieu. Si la
nature toute seule opre tant de merveillesdans le cur maternel et enfante si souvent
le sub lime , que sera-ce lorsque toutes ses
forces sont associes aux pui ssances de la
grce ! Les dlicatesses de la nature et les
perfections du surnaturel ont produit en Marie
une nuance d'amour materne l qui n'a point
germ dans les autres curs.Ce n'es t pas dire assez. Il y a plus que les
tendresses de la nature, plus que les ten
dresses de la grce ordinaire, il semble que c