Édition Spéciale 2012

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CANCER Des antihypertensifs empêchent la croissance de tumeurs ÉNERGIE Du sirop de canne peut produire de l’électricité DÉMOGRAPHIE Les migrants ne viennent pas à São Paulo pour y rester ENTRETIEN LAURA DE MELLO E SOUZA L’histoire avec de l’imagination et de la rigueur Maladie de Parkinson Confondus avec des cellules souches, les fibroblastes gênent la thérapie cellulaire 2012 _ éDITION 1 WWW.REVISTAPESQUISA.FAPESP.BR PESQUISA FAPESP 2012 _ éDITION 1

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Maladie de Parkinson: Confondus avec des cellules souches, les fibroblastes gênent la thérapie cellulaire

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CanCer Des antihypertensifs empêchent la croissance de tumeurs

ÉnergieDu sirop de canne peut produire de l’électricité

DÉmographieLes migrants ne viennent pas à São Paulo pour y rester

enTreTien Laura De meLLo e souza L’histoire avec de l’imagination et de la rigueur

maladie de parkinson

Confondus avec des cellules souches, les fibroblastes gênent la thérapie cellulaire

2012 _ édition 1 www.revistapesquisa.fapesp.br pe

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2012 _ édition 1 www.revistapesquisa.fapesp.br

poLiTique sCienTiFique eT TeChnoLogique

18 ÉcologieDe la recherche de base aux politiques publiques, la FAPESP investit depuis cinq décennies dans des études sur la biodiversité

24 IntégrationDes chercheurs interagissent avec des lauréats de prix Nobel et planifient des expérimentations en biologie et en physique

26 ScientométrieUne étude montre que les chercheurs français et allemands ont également moins d’influence quand ils ne publient pas en anglais

sCienCe

30 AnthropologieUne nouvelle étude indique que les premiers Américains ressemblaient aux Africains et accroît la polémique autour de l’arrivée de l’homme sur le continent

34 MédecineUn antihypertensif interrompt la croissance des tumeurs et indique de nouvelles pistes pour des médicaments

38 PhysiologieDes cellules de l’endothèle

12 CouVerTureune contamination des cellules souches pourrait être la cause des mauvais résultats de la thérapie contre la maladie de parkinson

photo de couverture Concéption artistique d’un neurone, la cellule affectée par la maladie de parkinson

CrÉdIt MedicalRF.coM/ GettyiMaGes

enTreTien

6 Laura de mello e souza pour l’historienne Laura de Mello e souza, il manque des recherches novatrices capables d’atteindre le grand public

seCTions

5 Lettre de l’éditrice98 art

stockent des informations de l’état d’origine dans lequel elles ont été extraites du donneur

40 NeurophysiologieDes corticoïdes actionnent des mécanismes inflammatoires dans certaines zones du cerveau

44 ÉvolutionDes croisements improbables peuvent créer de nouvelles espèces de plantes et d’animaux

48 GéophysiqueDes mesures précises de la Terre déforment la sphère parfaite vue de l’espace

52 AstronomieUn mécanisme alternatif peut expliquer la formation d’étoiles à neutrons plus grandes que la normale

56 physiqueUne stratégie permet d’évaluer l’interaction magnétique entre nanoparticules

TeChnoLogie

58 BiochimieUne alternative énergétique pour produire de l’électricité

62 ÉnergieUn résidu de la production d’éthanol peut être utilisé pour produire du biodiesel

66 ImmunisationL’Institut Butantan développe des procédés pour augmenter la production et baisser les coûts

70 BiotechnologieDes moustiques transgéniques seront lâchés à Juazeiro, dans l’État de Bahia, pour combattre la dengue

74 Emballage IntelligentUn film sensible prévient le consommateur en cas de détérioration des aliments

humaniTÉs

78 démographieLe profil migratoire de São Paulo est marqué par les allées et venues et par l’internationalisation

82 Histoire de la ScienceDes chercheuses brésiliennes rencontrent une recette de la pierre philosophale à la Royal Society

86 Bibliothèque NumériqueUn matériel cartographique révèle l’imaginaire colonial portugais

90 CinémaLes troubles mentaux vus par le septième art

94 ClassementLes cursus brésiliens se distinguent sur la scène internationale

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4 |

fondation d’appui à La reCherChe de L’état de são pauLo

CeLso LaferPRésident

eduardo MoaCyr KriegerVice-PRésident

ConseiL supÉrieuralejandro szanto de toledo, Celso lafer, eduardo MoaCyr Krieger, HoráCio lafer Piva, HerMan jaCobus Cornelis voorwald, joão grandino rodas, Maria josé soares Mendes giannini, josé de souza Martins, josé tadeu jorge, luiz gonzaga belluzzo, suely vilela saMPaio, yosHiaKi naKano

ConseiL TeChnique & aDminisTraTiF

José arana vareLaPRésident-diRecteuR

CarLos henrique de brito CruzdiRecteuR scientiFique

JoaquiM J. de CaMargo engLerdiRecteuR adMinistRatiF

ConseiL ÉDiToriaLCarlos henrique de brito Cruz (Président), Caio túlio Costa, eugênio bucci, fernando reinach, José eduardo Krieger, Luiz davidovich, Marcelo Knobel, Marcelo Leite, Maria hermínia tavares de almeida, Marisa Lajolo, Maurício tuffani, Mônica teixeira

ComiTÉ sCienTiFiqueLuiz henrique Lopes dos santos (Président), Cylon gonçalves da silva, francisco antônio bezerra Coutinho, João furtado, Joaquim J. de Camargo engler, José arana varela, José roberto parra, Luís augusto barbosa Cortez, Luis fernandez Lopez, Marie-anne van sluys, Mário José abdalla saad, paula Montero, sérgio queiroz, wagner do amaral, walter Colli

CoorDinaTeur sCienTiFiqueLuiz henrique Lopes dos santos

DireCTriCe De La rÉDaCTionMariluce Moura

rÉDaCTeur en CheF neldson Marcolin

ÉDiTeurs exÉCuTiFs Carlos haag (Humanités), fabrício Marques (Politique), Marcos de oliveira (Technologie), Maria guimarães (Édition en ligne), ricardo zorzetto (Sciences)

ÉDiTeurs spÉCiaux Carlos fioravanti, Marcos pivetta

ÉDiTriCes assisTanTes dinorah ereno, isis nóbile diniz (Édition en ligne)

TraDuCTion Vers Le Français éric rené Lalagüe, Jorge thierry Calasans, pascal reuillard et patrícia C. ramos reuillard

ÉDiTriCe D’arT Laura daviña

ConCepTion eT maqueTTe ana paula Campos, Maria Cecilia felli

phoTographes eduardo Cesar, Leo ramos

onT CoLLaborÉ à Ce numÉro alexandre agabiti fernandez, andré serradas (Banque de données), bel falleiros, daniel das neves, evanildo da silveira, Márcio ferrari, nana lahoz, nelson provazi, salvador nogueira

impressionplural indústria gráfica

La reproDuCTion ToTaLe ou parTieLLe Des TexTes eT Des phoTographies esT inTerDiTe, sauF

auTorisaTion prÉaLabLe

pesquisa Fapesp rua Joaquim antunes, no 727, 10o andar, Cep 05415-012, pinheiros, são paulo-sp

Fapesprua pio Xi, no 1.500, Cep 05468-901aLto da Lapa, são pauLo-sp

seCrétariat pour Le déveLoppeMent éConoMique, pour La sCienCe et La teChnoLogie

gouVernemenT De L’ÉTaT De são pauLo

issn 1519-8774

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un puissant producteur de la science brésilienne

mariluce moura

direCtriCe de rédaCtion

LeTTre De L’ÉDiTriCe

Les cellules souches sont, peut être, l’entité biologique qui a fait naître le plus de rêves, d’espoirs, de frustrations et de déceptions

au cours de la dernière décennie parmi les scien-tifiques, les médecins, les personnes affligées par des problèmes de santé compliqués et leurs fa-milles. En mai 2011, une découverte d’un groupe de scientifiques de São Paulo dans ce domaine, liée à la maladie de Parkinson, a fait la une de l’édition brésilienne mensuelle de la revue Pes-quisa FAPESP. Comme ce thème continue d’être l’un des plus précieux de la sélection de textes originellement publiés en 2011 – et qui vont main-tenant faire partie de cette édition spéciale en français – nous avons choisi de le remettre en couverture. En lignes générales, le reportage en question aborde, à partir de la page 12, une piste importante pour expliquer, en partie, l’in-succès de la thérapie fondée sur les greffes de cellules souches et des thérapies cellulaires plus anciennes réalisées à travers la greffe du matériel extrait de la glande adrénale ou du tissu cérébral immature de fœtus avortés.

Les fibroblastes pourraient être l’un des mé-chants de cette histoire, parmi d’autres encore non identifiés, comme l’a proposé le groupe de chercheurs paulistes dans un article publié le 19 avril 2011 dans l’édition en ligne de la Stem Cell Reviews and Reports. Il s’agit d’un genre de cellule de la peau très semblable aux cellules souches mais qui possède des propriétés distinctes. Im-plantés avec des cellules souches mésenchyma-teuses (obtenues à partir du cordon ombilical des nouveau-nés) dans des souris souffrant de la maladie de Parkinson, les fibroblastes ont annulé les bons résultats qui avaient été obtenus avec la greffe pure des cellules souches pendant l’expé-rience et ont aussi aggravés les symptômes de la maladie chez les cobayes. Que pouvons-nous donc en déduire ? « Il est probable que les nom-breux mauvais résultats scientifiques obtenus avec des thérapies cellulaires se doivent à ce genre de contamination » affirme la généticienne Mayana Zatz. En d’autres mots, des fibroblastes confondus

et mélangés à des cellules souches dans les greffes peuvent être la cause de nouveaux problèmes pour les malades qui se soumettent, dans n’im-porte quel endroit du monde, à des greffes sans contrôle suffisant. « Et les patients doivent en être alertés » averti-t-elle. De plus, la contamination peut aussi brouiller les véritables conclusions sur les possibles effets positifs des thérapies cel-lulaires. Le côté positif de cette histoire est qu’à nouveau s’ouvre une fenêtre d’opportunité pour les expériences sur les cellules souches mésen-chymateuses, pures et bien contrôlées, dans le traitement de la maladie de Parkinson.

Dans un autre domaine, dans la section des sciences humaines et sociales de la revue, le re-portage sur les changements du profil migratoire de São Paulo permet de comprendre un peu plus l’impressionnante dynamique populationnelle de la plus grande ville du Brésil et d’Amérique du Sud. São Paulo compte aujourd’hui un peu plus de 11 millions d’habitants. Sa région métropoli-taine étend ce chiffre à 19 millions et, si au cours la majeure partie du XXe siècle elle a été le grand pôle d’absorption de migrants internes et externes attirés principalement par la forte croissance de son industrie et de l’emploi formel, au XXIe siècle elle s’est insérée avant tout dans la route des mi-grations internationales. Aujourd’hui, São Paulo, d’après le reportage à partir de la page 78, est au-tant la destination de main d’œuvre hautement qualifiée que de travailleurs sans papiers et sans formation spécifique, mais qui s’insèrent dans des modes de production flexibilisés conformes à la mobilité du capital.

Je pense que les textes mis en relief ici sont de bons exemples de la capacité brésilienne en termes de production d’un savoir scientifique diversifié. Parallèlement, le second d’entre eux rapproche le lecteur de la réalité démographique d’un des grands centres producteurs de la science dans le pays. L’État de São Paulo, dans lequel se trouve la capitale du même nom, est responsable de la moitié de la production scientifique brésilienne. Bonne lecture !

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un pays nommé passé

l’histoire exige de l’imagination et beau-coup d’effort, beaucoup de rigueur. Comme s’il s’agissait d’un spectacle mis en scène : le rideau s’ouvre, tout semble à sa place, très harmonieux et fluide, et

pourtant des mois voire des années se sont passés avant d’en arriver là. C’est pour cela que les bal-lerines me fascinent : combien d’efforts derrière un geste en apparence si naturel ». La définition est de l’historienne Laura de Mello e Souza, pro-fesseur titulaire d’histoire moderne de l’Univer-sité de São Paulo (USP), qui vient de publier la biographie du poète Claúdio Manuel da Costa (collection Perfis Brasileiros, éd. Companhia das Letras). La chercheuse réalise avec cet ouvrage un bel entrechat historique : elle part d’une absence quasi totale d’information sur le personnage pour construire un portrait de l’homme et de l’époque. Un jeté qui a exigé de longues recherches dans des archives historiques – une marque de son travail – mais qui, comme dans le ballet, révèle non pas l’effort mais seulement la beauté du texte. « Je viens d’une famille de conteurs d’histoire », ex-plique-t-elle. Néanmoins, le fait d’entendre sans cesse des professeurs lui dire : « Ah, vous êtes la fille d’Antonio Candido et de Gilda de Mello e Souza » n’a pas été un fardeau. La famille d’in-tellectuels était avant tout une famille, même si elle était entourée de livres. « Ma relation avec mes parents a toujours été bonne. Ce sont des personnes spéciales, ils ont une notion juste de leur rôle mais ils sont modestes et entretiennent un très beau rapport avec la connaissance ».

enTreTien lauRa de Mello e souza

Avant l’histoire, Laura de Mello e Souza a flirté avec l’architecture, la psychologie et la médecine. Elle a réuni toutes ces passions dans l’histoire en y ajoutant une bonne dose de pré-occupation sociale et de conscience politique. Elle fut la première à traiter des « déclassés » dans Desclassificados do ouro (Déclassés de l’Or, 1938) ; de plus, ses livres ont toujours une rela-tion intense avec une lecture plus engagée du Brésil, sans pour autant ignorer la rigueur des documents. Si elle dit « vivre » entre les XVIe et XVIIIe siècles, ces ouvrages aident cependant à expliquer le pays d’aujourd’hui à travers des aspects autrefois ignorés par les universitaires, à l’exemple de la religiosité et de la sorcellerie présentes dans : O diabo e a Terra de Santa Cruz (Le diable et la terre de Santa Cruz, 1986) et Inferno atlântico (Enfer atlantique, 1993). Plus récemment, elle a entrepris de repenser sa ma-nière d’écrire l’histoire du Brésil. « L’historien ne peut pas rester seulement dans le particulier. C’est l’histoire de la forêt : si nous voyons l’arbre nous devons voir la forêt, sinon la compréhen-sion reste incomplète ». D’où ses efforts pour comprendre les empires afin de résoudre les dilemmes de la colonie que nous avons été un jour, un grand temps levé. De ce travail est né le projet soutenu par la FAPESP et coordonné par elle-même, Dimensões do Império português (Dimensions de l’empire portugais), ainsi que des livres comme O sol e a sombra (Le soleil et l’ombre, 2006). À suivre, des extraits de l’en-tretien réalisé.

pour l’historienne, il manque des

recherches novatrices capables

d’atteindre le grand public

Carlos haag

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Comment a commencé votre voyage « au pays étranger qu’est le passé » ?J’adore cette phrase du livre Le Mes-sager [titre original : The Go-between] de l’écrivain britannique Leslie Poles Hartley, qui me semble être la grande définition de ce qu’est l’histoire. J’ai été passionnée par l’histoire dès mon en-fance. L’histoire et les histoires. J’ai eu la chance de faire médecine, qui n’est fi-nalement pas si éloignée de l’histoire de par la fascination pour les fragments qui permettent de faire une reconstitution. La médecine ne me semble pas être une science exacte : on va chez le médecin, il pose un ensemble de questions pour pouvoir construire une hypothèse. Je pense que l’historien fait la même chose. Nous n’avons jamais accès directement au passé, par conséquent le passé est un pays étranger. Ce serait idéal de pouvoir disposer d’une ligne directe avec le passé, mais nous ne devons jamais oublier que le passé doit être minutieu-sement regardé à travers les vestiges qu’il a laissés. Le temps se charge de faire en sorte que ces différences soient très grandes. On sent la différence entre les géné-rations, entre les parents et les enfants ; imaginez alors entre plusieurs générations comme celles que j’étudie, des périodes lointaines de plus de 400 ans.

En quoi votre manière d’écrire l’histoire est-elle différente des autres manières d’écrire l’histoire ?J’ai été très influencée par mes pa-rents conteurs d’histoire. Mon père est un grand conteur d’histoire. Mais quand je suis entrée à la faculté, ce type d’histoire était discrédité, en particu-lier à l’USP où prédominait l’histoire structurelle. Je crois qu’avant la télé-vision, avant cette grande transforma-tion des moyens de communication, les personnes racontaient beaucoup d’histoires. J’ai grandi en milieu rural et dans l’entourage de mes grands-pa-rents, et les personnes avaient beau-coup d’histoires. Donc l’histoire que j’ai toujours aimée, c’est l’histoire nar-rative. Ensuite, dans les années 1990,

elle a de nouveau été à la mode. L’his-toire plus analytique est très importante parce qu’elle fait moins d’erreurs, mais elle m’attire moins. Je crois que cela est dû à une question de tempérament. Je ne m’intéresse pas seulement aux historiens. J’adore l’anthropologie et surtout les monographies classiques, qui sont narratives. J’aime beaucoup l’histoire de l’art et de la littérature. Ce sont donc des goûts qui m’ont conduit vers un autre type d’histoire, peut-être plus passible d’erreurs mais davantage lié à d’autres disciplines.

De quelle manière vos parents vous ont-ils influencée ? Je pense que le milieu familial et très marquant. Bien sûr, le fait d’avoir grandi

dans une maison où l’environnement intellectuel était très marquant par le biais des conversations et de la présence des livres a été déterminant, d’autant que d’après moi il s’agit des choses les plus importantes. On ne lit pas tous les livres que l’on a, mais cet accord que l’on passe avec le livre, aller près de l’étagère et regarder, c’est très important. Mes parents étaient des gens très discrets, donc je n’ai pris conscience de leur im-portance dans le milieu universitaire que quand je suis entrée à l’université. Je n’en avais pratiquement aucune idée. Comme j’ai grandi pendant la dictature militaire, c’était au contraire plutôt un peu dérangeant d’avoir les parents que j’avais. Pendant dix ans, on a entendu des

rumeurs selon lesquelles mon père allait être destitué de ses droits. Le climat d’in-sécurité était très grand ; appartenir à ce milieu n’était pas quelque chose qui me rendait fière mais plutôt quelque chose d’un peu marginal. C’est après que je me suis rendue compte combien ils étaient respectables, importants, etc. Je ne crois pas non plus qu’ils aient développé des attentes trop grandes à mon égard, et ils nous ont toujours laissées, moi et mes sœurs, être ce que nous voulions être. J’ai même tenté de sortir du milieu en faisant d’autres choses comme l’archi-tecture et la médecine, mais je n’ai pas réussi. Mon grand regret est de ne pas être parvenue à être médecin.

Vous avez été la première chercheuse à traiter des déclassés, et vos livres sont traversés par une vision imprégnée d’engage-ment politique.Quand je suis entrée à la fa-culté, la dictature battait son plein. Cela s’est reflété sur mon travail. Je pense qu’il ne peut pas en être autrement, à moins de vivre dans une stratosphère : les historiens vivent un peu dans le monde de la lune, en particulier ceux qui étudient les périodes lointaines. Je crois que même moi je vis plus dans le monde de la Lune que je le ne vou-drais, mais ça a été inévitable en venant d’un milieu de gauche. Même des personnes comme moi, qui n’étaient pas portées sur le militantisme

politique, ont cherché à faire un type d’histoire qui pose, d’une manière ou d’une autre, des questions importantes pour le pays. J’ai fait cela avec une his-toire sociale sur le problème de l’inéga-lité, qui était une question présente au début de ma carrière. Je pense que c’est une chose qui marque une génération, une tentative conforme au passé qui ve-nait déjà de Florestan Fernandes quand il travaillait avec Roger Bastide. Je pense que maintenant l’historiographie brési-lienne s’émancipe, qu’elle ouvre d’une certaine manière un éventail plus large de thèmes. Ma recherche actuelle, finan-cée par la FAPESP, est par exemple une recherche sur l’histoire du Brésil mais dans une perspective très européenne,

« Certains historiens écrivent pour le grand public et n’innovent pas, d’autres innovent mais n’écrivent pas pour le grand public. il faut trouver un moyen terme. »

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c’est-à-dire tenter de comprendre l’his-toire de notre pays à l’intérieur de l’his-toire de l’Europe. Aujourd’hui, les his-toires nationales ont de moins en moins de sens. Je ne m’intéresse plus beaucoup à l’histoire nationale. L’un des bons cô-tés de la mondialisation, c’est la possibi-lité de faire une histoire totale. Qu’est-ce que j’entends par histoire totale ? Ce n’est pas seulement l’histoire du Brésil, mais l’histoire du Brésil dans la relation qu’elle a avec d’autres histoires, d’autres processus historiques contemporains et connexes. Je pense qu’on fait de l’his-toire nationale ou de l’histoire régio-nale pour faire une thèse. C’est comme la jeune fille qui, pour danser le ballet, doit commencer par le ballet classique, faire des pointes et s’entraîner à la barre pour ensuite pouvoir déconstruire cela et faire du ballet moderne, de la danse contemporaine.

Comment avez-vous attrapé ce que vous nommez la « fièvre des documents » ?J’ai commencé à travailler avec des do-cuments parce que j’ai choisi un thème sur lequel rien n’existait. D’ailleurs j’ai un penchant pour l’abîme, en travaillant sur des thèmes qui sont pratiquement impossibles à travailler. Comme ce livre sur Claúdio Manuel da Costa. Je n’ai pas fait une biographie, j’ai fini par faire quelque chose qui donne cette notion. Mais dans le cas des déclassés, les gens disaient que je n’allais pas y arriver parce que je n’avais pas de documentation. Et vraiment, il n’y en avait pas. J’ai travaillé avec des documents publiés, mais la ce-rise sur le gâteau a été la documenta-tion manuscrite. J’ai pénétré dans les archives pour voir ce qu’il y avait et là j’ai découvert cette documentation ex-traordinaire, qui avait été peu exploitée avant moi et qui m’a donné une vision possible de cette couche socialement déclassée. Dans le cas de la sorcellerie, ça a été la même chose, je n’avais pas le choix parce qu’il n’existait pas de travail sur le sujet, alors j’ai dû lire les procès de l’inquisition. C’était le système de la pêche : vous lancez et vous ne savez pas si vous allez attraper un poisson ou non. Je me suis aperçue que j’étais devenue une historienne d’archives. Je suis une historienne d’archives, je continue à l’être et je ne veux pas arrêter. Je ne sais pas travailler sans la recherche de manuscrit, c’est cela qui me donne du plaisir.

C’est dans ce sens que vous dites que la fonction de l’historien est d’abord de comprendre avant d’expliquer ?Je pense que la compréhension vient de ce que vous avez placé au début ; le passé est un pays étranger, donc on peut diffi-cilement l’expliquer. Mais il faut com-prendre. D’un autre côté, il est néces-saire de rechercher l’explication. Il y a une marge d’explication que l’on ne peut ignorer, sinon on ne comprend rien. Et il y a une marge de généralisation qu’il faut aussi établir, sinon on ne parvient pas à faire passer le message.

Comment fonctionne cette généralisa-tion dans le cas du Brésil ?Je pense que si on est optimiste, le Brésil est vraiment un pays du futur car, tant bien que mal, on est déjà confronté à une question qui se pose maintenant à l’Eu-rope, à savoir la question du métissage. Le problème des Noirs au Brésil est en-core très grave, il y a une exclusion sociale très grande des afro-descendants. Mais quoi qu’il en soit, le Brésil est un pays qui n’aurait pu exister sans l’immigration, qui n’aurait pu exister sans l’esclavage et qui a exploité la main-d’œuvre indigène d’une manière atroce. Malgré tout, les Indiens sont là et cherchent à se faire entendre d’une manière toujours plus active. Donc le Brésil est un phénomène qui a assemblé les mailles de la diversité culturelle de-puis la colonisation. Il n’aurait pu conser-ver cette unité qu’il a maintenu sans cet assemblage de la diversité culturelle. Nous sommes le seul pays des Amériques à posséder une multiplicité culturelle authentique dans la mesure où elle est vécue : ce n’est pas une survivance, c’est un vécu. Il n’y a pas ici de survivance indi-gène ou africaine, tout cela est vécu. Cela fait partie de notre expérience, de notre ADN qui est basiquement indigène. D’un autre côté, je pense que c’est une fausse question que de laisser de côté la tradi-tion européenne, parce que nous sommes aussi européens. Donc je pense que le nationalisme, précisément, et le besoin de créer un corps d’intellectuels et une pensée originale pour un pays jeune, ont entraîné la construction d’une série d’ex-plications à contre-courant de cette idée de continuité, qui a toujours été vendue comme une idée réactionnaire. Mais elle peut ne pas l’être. Je crois que l’histoire que j’ai faite, y compris cette biographie de Claúdio M. da Costa, fait toujours face

à ce dilemme exprimé joyeusement par Sérgio Buarque de Holanda quand il écri-vait dans Racines du Brésil « nous sommes des exilés sur notre propre terre ».

Il est commun d’attribuer les maux du Brésil à notre colonisation, ledit « hé-ritage des exilés ». Qu’en pensez-vous ?Tout cela est vrai et faux. C’est vrai parce que ça a vraiment eu lieu. Et le plus dramatique, ce n’est pas d’être une terre d’exilés, parce que toutes l’ont été : les États-Unis, l’Australie, etc. Le plus terrible c’est d’avoir eu l’esclavage jusqu’en 1888, parce que cela donne une dynamique sociale qu’il est quasi-ment impossible de renverser. Donc le problème ce n’est pas la colonisation, l’esclavage. Sommes-nous le seul pays à avoir connu l’esclavage ? Non. Mais nous sommes celui qui a traité la ques-tion de l’esclavage d’une manière plus perverse. Quand aujourd’hui un enfant entre dans sa chambre, se déshabille et jette son pantalon à même le sol, je dis : « ça c’est une société esclavagiste ». Cette disqualification du travail moins qualifié, par exemple, moins considéré, comme c’est encore le cas aujourd’hui au Brésil. Tout travailleur est fondamentalement égal : on se doit de croire à cela. Au Bré-sil, ce n’est pas comme ça. Bon, attribuer tous les maux à la colonisation est lié à l’affirmation de l’indépendance. Dans la mesure où le Brésil a connu un proces-sus d’indépendance différent, avec un empire esclavagiste, quand la république est née, ces premières générations répu-blicaines ont eu besoin d’attribuer les maux du Brésil à la colonisation portu-gaise. Je pense que cela explique peu de choses. C’est pour cela que les historiens sont toujours en train d’étudier l’escla-vagisme, parce qu’il explique mieux la culture brésilienne.

À côté de l’esclavagisme, les élites ai-dent aussi à comprendre le Brésil ?Je ne sais pas si les élites brésiliennes sont pires que les autres élites. Elles sont plus attachées à un type donné de privilège conformément à leur origine régionale. Les élites de São Paulo, par exemple, sont totalement différentes des élites du nord-est. Je suis de São Paulo et je constate que les élites actuelles de São Paulo ne sont plus les mêmes que celles du temps de mes grands-parents. Elles sont différentes, tout en reproduisant les

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vices des anciennes élites. Dans le nord-est et le nord du Brésil, il me semble que ce sont les mêmes. J’entends par là que ce sont les mêmes noms que l’on rencontre au nord-est et au nord du Brésil. Au sud, non. Qui sont les élites de São Paulo au-jourd’hui ? Ce ne sont plus les Paes Leme, etc. Où sont ces gens ? Ils n’existent plus. Donc il y a une circulation beaucoup plus rapide des élites à Sao Paulo et dans le Sud en général, à cause bien sûr du dé-veloppement capitaliste. Parce que l’idée c’est que la société est ouverte à ceux qui ont de l’argent et à ceux qui savent faire, à ceux qui ont du talent, par conséquent la circulation est beaucoup plus intense. Et je pense que les élites nord-américaines sont tout aussi terribles que les élites bré-siliennes. Je crois que ce qui caractérise les élites brésiliennes, c’est une grande résistance à se défaire de leurs privilèges. Cela est lié au type de relations que ces élites ont établi avec les appareils d’État tout au long de l’histoire ; et au fait que l’État portugais soit un état très ancien et qu’à partir du XVIIe siècle il ait en-richi ses élites. En d’autres termes, la noblesse portugaise, surtout au XVIIIe siècle, est une noblesse qui dépend soit du service de l’empire soit de l’argent du roi pour lui permettre de se mainte-nir. L’État prend beaucoup plus vite en charge les nécessités des couches domi-nantes, me semble-t-il. Mais en même temps, je pense que ce que je suis en train de dire est un peu risqué.

Nous avons eu de grands intellectuels, qui pensaient l’histoire comme un tout. Et aujourd’hui ?Ça c’est une chose qui me préoccupe beaucoup et de plus en plus. Parce que si quelqu’un me demande « j’aimerais lire une histoire générale du Brésil, qu’est-ce que je peux lire ? », je ne sais pas quoi lui répondre. La dernière grande histoire du Brésil est l’Histoire Générale de la Civili-sation Brésilienne, de Sérgio Buarque de Holanda. Il s’agit à mon avis d’un problème très grave, parce que c’est un phénomène global. Néanmoins, il existe certaines tradi-tions historiographiques qui continuent à maintenir les histoires générales. Je pense que cela manque beaucoup. Quand nous voulons avoir une perspective générale pré-cise du Brésil, nous revenons à Caio Pradio Júnior, à Sérgio Buarque de Holanda ou à Capistrano de Abreu. Aucun livre écrit aujourd’hui et au cours des prochaines

années sur la venue de la famille royale ne sera meilleur que Dom João VI no Bra-sil (Jean VI au Brésil), d’Oliveira Lima. Je pense que nous avons brûlé des étapes, sau-té une étape donnée de la connaissance his-torique qui, en Europe, a été très consolidée : c’est l’historicisme, la publication massive de collections de documents, la descrip-tion exhaustive d’époques données. Nous avons brûlé une étape et nous sommes en-trés directement dans la production d’es-sais, dans l’histoire universitaire, qui exige le découpage. Aujourd’hui, la production historiographique brésilienne est bonne ; d’après la FAPESP, elle est la plus nom-breuse dans les sciences humaines, avec certains livres absolument extraordinaires, mais encore très découpés. Cela a à voir avec la crise des paradigmes, le fait qu’il est impossible d’expliquer, impossible de construire des explications générales, et que pour comprendre un phénomène gé-néral il faut toujours partir d’un découpage spécifique, l’impact de la micro-histoire, du postmodernisme... Je pense que nous de-vons dépasser cette étape, qu’il est possible de faire des études monographiques mais aussi de donner des explications générales. Des recoupements qui soient plus englo-bants. Et on voit aujourd’hui qu’il existe un public très friand de livres d’histoires qui ne sont pas toujours produits par des histo-riens professionnels, mais par des individus qui mènent une recherche sans posséder de spécialisation. Ceux qui ont une forma-tion plus spécifique mais qui ont choisi de vendre beaucoup, en général ils reprodui-sent, ils n’innovent pas. Ils font quelque chose de correct, mais ils n’innovent pas. Ceux qui innovent n’écrivent pas pour le grand public. Le prochain pas doit être fait par ceux qui font des recherches originales et qui doivent commencer à écrire pour le grand public.

Vous avez l’habitude de critiquer les jeunes historiens qui laissent de côté les classiques au profit de la recherche de nouveautés. Qu’entendez-vous par là ? Quand j’étais jeune, je courais aussi der-rière la nouveauté. Je pensais que j’allais inventer la roue. En fait, il y a certains problèmes qui sont de faux problèmes et qui n’attirent que parce qu’ils sont nouveaux. Des élèves viennent me voir et me disent : « j’ai tout lu, ce ne sont que des bêtises, personne ne dit ce que je veux dire ». Je leur réponds : « expli-quez-moi alors pourquoi ce ne sont que

des bêtises ». Finalement, ce qui reste de bêtise n’est pas aussi bête, et cette grande nouveauté dont ils parlent n’est pas si nouvelle.

Un autre point important est l’ab-sence de l’action de l’intellectuel dans la sphère publique. Je trouve cela très triste. Je crois que c’est un problème très grave. C’est un des indices les plus sérieux de cette crise des paradigmes. Je pense que ça a dû être très bien pour les générations qui avaient des certitudes et des vérités absolues. Moi je n’en ai aucune. Et c’est très décou-rageant. D’un autre côté, c’est stimulant car cela donne un contexte de liberté de création. Notre production universitaire est très bonne, mais il n’existe plus de grands intellectuels comme ceux d’avant et ça c’est une perte. Je pense que c’est une très grande perte. En 1988, alors que j’étais professeur à l’Université du Texas, aux États-Unis, j’ai été très impression-née par la une du journal The New York Times : toute la première page était oc-cupée par la photo du cercueil d’Octavio Paz accompagnée de la phrase suivante : « Le plus grand penseur des Amériques est mort ». Il a peut-être été le dernier grand penseur latino-américain. Main-tenant il n’y en a plus. Et je pense qu’il y a un rapport avec le fait de ne plus avoir le courage et la candeur de produire des explications. Quand j’indique à mes étudiants la lecture de Le labyrinthe de la solitude, un des livres les plus extra-ordinaires que j’ai lus, ils protestent en me disant « Oh non, pas Octavio Paz, c’est un réactionnaire, une fiction ». Et c’est la même chose si on prend Racines du Brésil. Caio Prado Júnior est un des plus grands punching-balls de ma géné-ration. Plusieurs collègues disent qu’ils ne citent pas Caio Prado Júnior dans leur cours parce qu’il est raciste. La vie d’un professeur universitaire peut être profondément vide et inintéressante. Profondément. Je me bats désespéré-ment pour que la mienne ne le soit pas. Mais si je me contente de n’être stric-tement qu’une professeur universitaire comme il se doit, ma vie sera totalement insipide, parce que je dois faire un tas de comptes rendus, je dois rédiger un tas d’avis pour les agences de soutien à la recherche (Capes, CNPq, FAPESP), je dois orienter un grand nombre d’étu-diants, de doctorants, de postdocto-

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rants, je dois aller à je ne sais combien de congrès par an pour pouvoir être re-connue par ces agences qui financent la recherche, je dois publier je ne sais com-bien d’articles par an pour être recon-nue par ces mêmes agences. Et alors il se crée une certaine distorsion. J’ai déjà vu des avis disant que tel historien tout en haut de l’échelle ne publie que des livres, qu’il ne publie pas d’articles et qu’il ne devrait pas seulement publier des livres. Le fait d’être devenu profes-sionnel nous retire de la vie publique. Aujourd’hui, la grande majorité de ceux qui sont à l’université n’interviennent pas dans la vie publique. Ceux qui inter-viennent beaucoup dans la vie publique finissent par faire moins de recherche.

Pourquoi un livre sur Cláu-dio Manuel da Costa ?C’était un homme divisé, dé-chiré ; il s’est rendu compte que ce qu’il était et ce qu’il faisait n’était pas en accord avec le monde du royaume, et en même temps il n’a pas réussi à dépasser cela. Donc je pense qu’il est très ty-pique du monde luso-brési-lien d’avant l’indépendance, quand on n’était ni une chose ni une autre. Dans ses écrits personnels, il écrit dans une phrase que même s’il a dit tout ce qu’il a dit, il ne pense pas que les délateurs soient meilleurs que ceux qui ont lutté et que les dénoncés. Il dit : « j’ai dénoncé, mais je suis plus mesquin et plus petit que ceux qui ont conspiré contre le roi ». C’est un des éléments qui me per-mettent de croire qu’il s’est tué par dé-goût de ce qu’il avait fait. Ça a été égale-ment important de revoir l’Inconfidência Mineira [N. de trad. : révolte avortée de 1789 contre la domination portugaise et l’exploitation des richesses naturelles du pays par la métropole] et la manière dont à la fin ils se sont servis du frein à main. Ils ne voulaient plus. Mais le mouvement s’acheminait vers une dissémination plus généralisée et vers un plus grand radica-lisme que celui du début. Pendant des années, ils ont répété au gouverneur : « Ah, mon Dieu ça pourrait être mieux. Et si on avait plus de représentativité ? Et si les luso-brésiliens étaient plus écou-

tés ? ». Et les gouverneurs de répondre : « Oui, je pense que vous avez raison ». Et aussitôt après ces gouverneurs écrivaient au Conseil d’Outremer : « Écoutez, vous voyez les choses de loin, ici ce n’est pas comme vous le pensez, moi qui suis ici je vois qu’on ne peut pas appliquer les choses de la manière que vous préco-nisez ». Par conséquent, la tentative de flexibilité pour maintenir la domination coloniale s’est produite conjointement avec un désir de participation soft des élites. Et c’est dans cette conjoncture, quand est remplacé le gouverneur en 1784, que ce groupe différencié décide de voir s’il est réellement possible de changer, voire même d’aboutir à l’indé-pendance. Je pense qu’au milieu du pro-cessus la question embraye sur un autre

type de mouvement, plus contestataire, à caractère plus populaire, plus reven-dicateur, et alors les hommes de lettres tirent le frein à main. Et la figure de Tiradentes ?Si quelqu’un est à juste titre héros de la République, je crois que c’est bien Ti-radentes [Note de trad. : activiste poli-tique brésilien du XVIIIe]. Je pense que c’était vraiment un agitateur, un agita-teur politique. Irresponsable, halluciné comme tout agitateur politique. C’était un agitateur politique qui a commencé à croire que la chose pouvait vraiment s’enclencher, devenir un mouvement d’émancipation, du moins dans la ré-gion. À l’heure actuelle, plusieurs études

suggèrent qu’il y aurait eu une tentative d’organisation entre les États de São Pau-lo, Rio de Janeiro et Minas Gerais, que les élites tentaient de défendre les inté-rêts économiques de ces trois régions, qu’ils étaient très intéressés.

Vous dites que vous vivez entre les XVIe et XVIIIe siècles. Mais quelle est votre vision du Brésil d’aujourd’hui ? J’ai une vision très positive du Brésil d’au-jourd’hui, et je pense qu’on a toutes les rai-sons de l’être parce que nous sommes le seul pays d’Amérique à disposer d’un projet spécifique. Même si la presse a coutume de dire que nous sommes toujours au bord du précipice et que personne n’a de pro-jet, je pense que les présidents Fernando Henrique Cardoso et Lula ont développé

des gouvernements très im-portants. Je pense que tout a commencé sous le gouverne-ment de Fernando H. Cardo-so, qui est un homme respecté, un grand intellectuel à un mo-ment d’immense médiocrité internationale. Si on se met à penser qui sont les dirigeants politiques dans le monde, on l’emporte, que ce soit avec F. H. Cardoso, avec Lula ou avec Dilma Rousseff. Mais les pro-blèmes du Brésil restent les mêmes. À une échelle moindre maintenant c’est la répartition du revenu et l’éducation. Le défi de l’éducation, d’une édu-cation publique de qualité du primaire et du collège, je pense que c’est le plus grand défi du Brésil. Parce qu’aujourd’hui,

quoi qu’il en soit, nous disposons d’un ré-seau universitaire compétent. Le défi des prochaines années c’est l’éducation. Parce que je pense que même la santé est un pro-longement de l’éducation ; et si l’éducation s’enclenche, la santé va suivre. Cependant il y a la question de la répartition des reve-nus. Et sur ce point on en revient à la ques-tion des élites brésiliennes. Il faut une plus grande motivation, une plus grande par-ticipation, mais malheureusement nous n’avons plus de grandes figures publiques. Les grandes causes, les grandes bannières, manquent. Mais je reste optimiste en ce qui concerne le Brésil et pessimiste par rapport au monde parce que je pense que le monde va finir. Dans ce monde qui est là, je vois le Brésil avec optimisme. n

« il n’y a plus d’intellectuels qui agissent sur la société. Je pense que cela est dû au fait que l’on n’a plus le courage et la candeur de produire des explications. »

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la faiblesse des cellules souches

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une contamination pourrait

être la cause des mauvais

résultats de la thérapie contre

la maladie de parkinson

marcos pivetta

depuis trois décennies, la thérapie cellulaire a été une source continue d’enthousiasme et de dé-ception pour les patients atteints de la maladie de Parkinson, maladie caractérisée par la mort progressive des neurones produisant une subs-

tance chimique importante, le neurotransmetteur dopamine. Dans les années 80, une approche polémique, qui au premier abord paraissait prometteuse, a été testée sur des animaux et même sur des êtres humains en Suède, aux États-Unis et au Mexique. Il s’agissait de la réalisation de greffes de cellules extraites de la glande adrénale ou du tissu cérébral imma-ture de fœtus avortés. La logique de ces chirurgies, discu-tables d’un point de vue éthique, était de doter la structure cérébrale appelée substance noire (endommagée par la perte progressive des neurones dopaminergiques), d’une nouvelle population de cellules capables de fabriquer le neurotrans-metteur. De cette manière, les principaux symptômes de la maladie de Parkinson, se manifestant par des tremblements, une rigidité musculaire, une lenteur des mouvements et des difficultés pour parler ou écrire, pourraient être éliminés. Les résultats de cette approche ont été décevants. Quand le cadre des patients s’est amélioré, leur bien-être n’a été que passager. Dans d’autres cas il n’y a pas eu d’amélioration et la tentative de traitement a même aggravé la maladie provoquant le décès de certaines personnes.

Un groupe de biologistes et de neuroscientifiques pau-listes a peut être découvert une des raisons qui expliquent l’échec des anciennes thérapies cellulaire contre la maladie

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de Parkinson et ont peut être compris pourquoi les versions les plus modernes et raffinées de ce type de traitement expé-rimental à base de cellules souches continuent à déboucher sur des résultats inconsistants. Les greffes qui ont été testées sur des animaux de laboratoire dans des études précliniques, peuvent contenir une quantité significative de fibroblastes; type de cellule de la peau extrêmement identique à certaines cellules, mais qui ont des propriétés totalement différentes. Des chercheurs de l’Université de São Paulo (USP) et de l’Université Fédérale de São Paulo (Unifesp) ont publié le 19 avril dernier une étude dans la version on-line de la revue scientifique Stem Cell Reviews and Reports montrant qu’avec la maladie de parkinson induite sur des souris, la présence de fibroblastes humains annule les possibles effets positifs d’une greffe de cellules souches mésenchymateuses obte-nues à partir du tissu du cordon ombilical des nouveau-nés.

« Quand nous administrons uniquement les cellules souches, les symptômes de la maladie s’améliorent chez les souris », déclare la généticienne Mayana Zatz, l’un des auteurs de l’article et coordonatrice du Centre d’Étude du Génome Humain de l’USP, l’un des Centres de Recherche, Innovation et Diffusion (Cepid) financé par la FAPESP, et de l’Institut National de Sciences et de Technologie des Cel-lules Souches sur les Maladie Génétiques Humaines. « Mais quand nous injectons également les fibroblastes, les effets bénéfiques disparaissent et même s’aggravent. Il est possible que les nombreux mauvais résultats obtenus dans les études scientifiques utilisant les thérapies cellulaires se doivent à

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Circuit cérébral de la maladie de parkinsonLes signaux qui contrôlent les mouvementes du corps sont transmis par des neurones qui se projettent de la substance noire jusqu’au noyau caudé

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ce type de contamination ». Selon les chercheurs ce travail est le premier à montrer, sur le même modèle animal, tant les effets positifs de l’usage des cel-lules souches mésenchymateuses contre la maladie de Parkinson que les méfaits de la contamination par fibroblastes.

Outre le fait de représenter une avan-cée de la connaissance de base sur les éventuels bénéfices des thérapies cellu-laires sur un organe aussi complexe que le cerveau, le résultat de cette étude sert d’alerte pour les proches de personnes souffrant de la maladie de Parkinson. Il n’y a, en aucun pays, de traitements officiellement approuvés à base de cel-lules souches pour lutter contre cette maladie ou d’autres maladies dégénéra-tives. « Il faut examiner avec attention les recherches menées sur les cellules souches et ne pas faire de fausses pro-messes de guérison », affirme un autre auteur de l’article, le neuroscientifique

Esper Cavalheiro, de l’Unifesp, qui est à la tête des travaux de l’Institut Natio-nal de Neurosciences Translationnel, un projet conjoint de la FAPESP et du Ministère des Sciences et de la Tech-nologie (MCT). « Avant de proposer des thérapies, nous devons comprendre tous le mécanisme de différentiation des cellules souches dans les divers tis-sus de l’organisme et comprendre com-ment le cerveau fait pour se communi-quer et orienter l’action de ces cellules. « Jusqu’à présent, les seules maladies qui reçoivent un traitement à base de cellules souches sont celles du sang, principalement les cancers (leucémies). Depuis des décennies, les médecins re-courent à la greffe de la moelle osseuse, riche en cellules souches hématopoïé-tiques précurseurs du sang, pour lutter contre ce type de problème.

Toujours sans cure, la maladie de Parkinson est actuellement contrôlée

à l’aide de médicaments, comme la lé-vodopa, qui peuvent être transformés en dopamine par le cerveau. Dans les cas les plus graves, la seconde possibilité est d’implanter des électrodes dans le cer-veau de patients qui ne répondent pas bien au traitement ou qui ont de nom-breux effets secondaires dûs aux mé-dicaments. Les électrodes, reliées à un petit générateur implanté sous la peau, essayent d’améliorer la communication entre les neurones. La délicate chirurgie consistant à mettre en place des élec-trodes est connue sous le nom de sti-mulation profonde du cerveau (deep brain stimulation, ou simplement, DBS). À l’exception de ces deux approches, toutes les autres procédures pour lut-ter contre la maladie en sont encore au stade de tests et n’ont pas l’approbation des organismes médicaux.

La dopamine est une messagère chimique produite par moins de 0,3% des cellules nerveuses et elle appartient à une classe de substances appelées neurotransmetteurs dont la fonction de base est de transmettre l’information sous la forme de signaux électriques d’un neurone à l’autre. Ce processus de communication entre neurones est connu sous le nom de synapsie. La do-pamine agit spécifiquement sur les centres cérébraux liés aux sensations de plaisir et de douleur, ayant un rôle éprouvé sur les mécanismes qui créent la dépendance et les vices et également sur le contrôle des mouvements. La question motrice est nettement affec-tée par l’absence du neurotransmetteur dans le cas de la maladie de Parkinson.

Il est très facile de mélanger des fi-broblastes avec des cellules souches mésenchymateuses et cette confusion peut être à l’origine des résultats peu concluants et contradictoires des nom-breuses tentatives pour traiter la mala-die de Parkinson avec des thérapies cel-lulaires. Les deux types de cellule ont la même origine. Elles proviennent du mésenchyme qui est le tissu conjonctif primordial présent dans l’embryon et à partir duquel se formeront différents types de cellules. Malgré leur origine commune, les fibroblastes et les cel-lules souches mésenchymateuses ont des propriétés distinctes. Les fibro-blastes sont à l’origine de la synthèse du collagène et forment la base du tis-su conjonctif d’un individu adulte. Ce

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image du cerveau normal avec plus de neurones qui produisent de la dopamine (à gauche) et de l’autre affecté par la maladie de parkinson

Des injections de fibroblastes ont aggravé les symptômes de la maladie chez les souris et annulé les bénéfices des cellules souches

sont donc des cellules spécialisées et différenciées. Les cellules souches mé-senchymateuses, quant à elles, sont en-core plus différenciées et ont la capacité de créer de nombreux types de tissus, comme les os, le cartilage, la graisse, les cellules de support pour la forma-tion du sang et également le tissu fi-breux connectif. « Il est pratiquement impossible de distinguer ces deux types de cellules si on les examine simple-ment au microscope », commente le biochimiste Oswaldo Keith Okamoto, du Centre d’Étude du Génome Humain et coordonnateur d’un article publié dans la revue Stem Cell Reviews and Reports. « Les deux se développent in vitro dans les mêmes conditions et nous n’arrivons à les distinguer qu’à l’aide de marqueurs et d’essais spécifiques. « Les cellules souches mésenchymateuses ont encore une particularité importante. Elles ont des propriétés immunosuppressives et peuvent réduire la nécessité d’utili-ser des remèdes pour diminuer le rejet d’organes et de tissus greffés.

Il n’y a pas de preuves solides mon-trant que les cellules souches mésen-chymateuses ont la capacité de créer les neurones manquants ou peu fonc-tionnels sur les patients atteints de la maladie de Parkinson. Elles semblent améliorer l’environnement des parties endommagées, diminuer l’inflamma-tion locale et favoriser la préservation de plus de cellules nerveuses. « Leurs effets pourraient être indirects quand elles réduisent l’inflammation du cer-veau », déclare Oswaldo Okamoto. C’est ce que les chercheurs paulistes ont dé-montré avec des expériences menées sur des souris. Ils ont injecté les cellules souches dans le cerveau d’un groupe de 10 rongeurs atteints de la maladie de Parkinson induite et, un mois plus tard, ils ont constaté que les symptômes de la maladie avaient disparu. Les ron-geurs étaient aussi sains que ceux du groupe de contrôle. Ils sont ainsi arrivés aux mêmes conclusions que d’autres études identiques réalisées au Brésil et à l’étranger.

La grande nouveauté est apparue lors de la seconde partie de l’expérimenta-tion. Les scientifiques ont administré une culture de fibroblastes à un autre groupe de 10 souris atteintes de la ma-ladie. Le résultat a été désastreux. Un mois après l’administration, les animaux

ont commencé à avoir davantage de pro-blèmes moteurs et le nombre de neu-rones dopaminergiques dans la subs-tance noire a diminué de moitié. Un mélange à quantité égale de deux types de cellules a été administré à un troi-sième groupe de rongeurs malades et aucune amélioration n’a été constatée. C’est comme si les fibroblastes avaient annulé les bénéfices apparents des cel-lules souches. « Ils semblent être neu-rotoxiques », affirme Mayana.

En Inde, un groupe de médecins et de scientifiques du BGS-Global Hospital de Bangalore, est en train de tester l’usage de cellules souches mésenchymateuses sur sept patients âgés de 22 à 62 ans et atteints de la maladie de Parkinson. Les cellules, obtenues de la propre moelle osseuse des patients, ont été injectées dans les cerveaux endommagés selon un procédé propre créé par les indiens. Dans un article publié au mois de fé-

vrier de l’année dernière dans la revue Translational Research, les chercheurs ont observé une réduction des symp-tômes sur trois des sept patients et ont déclaré que cette approche paraissait sûre. Les résultats sont cependant en-core préliminaires et doivent être exa-minés avec prudence. « Il se peut que les greffes de cellules souches mésen-chymateuses ne se transforment pas en traitement définitif mais complémen-taire, comme une neuroprotection », pondère Oswaldo Okamoto. « Ce type d’étude peut nous aider à comprendre comment réduire l’environnement dé-génératif dans le cerveau et, qui sait, créer de nouveaux produits pharmaceu-tiques pour lutter contre la maladie ».

Gènes, environnement et mystère– Bien que certains individus jeunes puissent être atteints par la maladie de Parkinson, comme le célèbre acteur canadien Michael J. Fox qui a été dia-gnostiqué parkinsonien à l’âge de 30 ans, ce désordre neurologique apparaît plus fréquemment chez des personnes âgées de plus de 50 ou 60 ans. « Des patients de moins de 50 ans sont consi-dérés précoces et représentent environ 20% du total », déclare le neurologiste Luiz Augusto Franco de Andrade, de l’Institut d’Enseignement et de Re-cherche de l’Hôpital Albert Einstein, de São Paulo. « Mais j’ai déjà traité un garçon de 13 ans atteint par la maladie ».

Des évidences croissantes montrent que les facteurs environnementaux et génétiques pourraient être impli-qués dans l’apparition de la maladie, du moins dans certains cas. Une étude menée par des chercheurs de l’École Médicale d’Harvard et publiée au mois d’octobre de l’année dernière dans la

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Le nombre de cas de la maladie augmente de manière plus sensible dans les pays en développement que dans les nations les plus riches

Cellules souches mésenchymateuses (à gauche) et fibroblastes: difficile à distinguer

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corevue Science Translational Medicine, a

révélé que des centaines de gènes liés au fonctionnement des mitochondries, organites qui sont l’usine d’énergie de l’organisme, sont moins actifs sur des patients atteints de la maladie de Par-kinson. Les personnes se trouvant à un stage initial ou même pré-Parkinsonien, semblent présenter ces modifications. Si la connexion entre les mitochondries et la maladie se confirme, des médica-ments agissant sur ces gènes pourraient s’avérer utiles pour traiter le problème.

Le double de malades en 2030 – Dans une ligne de recherche identique, une étude diffusée en septembre 2010 par les National Institutes of Health (NIH) étasuniens, suggère que les individus ayant une version déterminée du gène GRIN2A pourraient se bénéficier de la consommation de café et de thé. Sur des personnes ayant ce profil génétique, l’ingestion de boissons contenant de la caféine agirait comme un facteur de protection contre la maladie de Parkin-son. La recherche de substances favo-risant la conservation des neurones est une stratégie adoptée par de nombreux groupes de recherche. La protéine GD-NF agit dans ce sens et est testée depuis des années pour vérifier son possible effet contre la maladie.

La maladie conserve encore son sta-tut général de maladie neurodégénéra-tive mystérieuse et inexpliquée malgré les avancées localisées dans la compré-hension de possibles mécanismes im-pliqués dans sa genèse. Personne ne sait au juste pourquoi les neurones produc-teurs de dopamine commencent à mou-rir ou à s’arrêter de fonctionner norma-lement à un moment donné de la vie de certaines personnes. Le vieillissement de la population est un élément concret et palpable de la réalité qui représente un grand facteur de risque pour la ma-ladie de Parkinson. Cette question est particulièrement préoccupante dans les pays en développement qui sont en train de changer rapidement leur structure par âge avant de se développer.

Le Brésil, considéré encore comme un pays à population jeune, modifiera dras-tiquement son profil démographique au cours de ces prochaines décennies. Un rapport de la Banque Mondiale publié le mois dernier souligne que sa tranche de population âgée de 65 ans ou plus passera des 11% actuels à 49% en 2050. Dans 40

ans, le nombre de personnes âgées aura triplé passant de 20 à environ 65 millions. « Au Brésil, la vitesse de vieillissement de la population sera significativement plus élevée que celle des sociétés plus développées durant le siècle dernier », affirment les responsables du rapport Envelhecendo num Brasil bem mais vel-ho (Vieillissant dans un Brésil beaucoup plus vieux). En France, il a fallu plus d’un siècle pour que la population égale ou supérieure à 65 ans passe de 7% à 14%. « Ces dernières années, la gérontologie moderne a davantage insisté sur les gains que sur les pertes physiques et mentales du processus de vieillissement », affirme

l’anthropologue Guita Grin Debert, de l’Université Publique de Campinas (Uni-camp). Elle étudie les questions liées aux femmes et à la vieillesse. « Nous avons des spécialistes pour les maladies, mais peu en ce qui concerne le processus de vieillissement ».

Une étude de révision, publiée en janvier 2007 dans la revue scientifique Neurology, a analysé les données de 62 autres travaux et est arrivé à la conclu-sion que le nombre de cas sur des per-sonnes âgées de plus de 50 ans va dou-bler au cours de ces prochaines décen-nies dans 15 pays du monde. L’étude a analysé les statistiques des pays les plus peuplées, parmi lesquels le Brésil, et des 5 principaux pays européens les plus peuplés. En 2005, cet ensemble de pays comptait entre 4,1 e 4,6 millions de pa-tients atteints de la maladie de Parkin-son. En 2030 le nombre de cas s’élèvera à 8,7 ou 9,3 millions. Au cours de cette même période le nombre de malades au Brésil sera passé de 160 à 340 mille. Selon l’article scientifique, les taux de croissance estimés de l’incidence de la maladie dans des pays en dévelop-pement comme la Chine, l’Inde et le Brésil qui commencent à peine par pas-ser par un processus de vieillissement, seront supérieurs à 100%. Dans des éco-nomies plus développées et actuelle-ment composées d’un grand nombre de personnes âgées comme le Japon, l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni, la quantité de malades augmentera de moins de 50%.

D’une manière schématisée, on es-time que 1% de la population mondiale de plus de 65 ans sera atteint de la mala-die de Parkinson. Ce chiffre peut cepen-dant beaucoup varier selon les caracté-ristiques de la population analysée. Une

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articles scientifiques1. PEREIRA, M.C. et al. Contamination of mesenchymal stem-cells with fibroblasts accelerates neurodegeneration in an experimental model of parkinson’s disease. Stem Cell Reviews and Reports. Publié online le 19 avril 2011.

2. VENKATARAMANA, N. K. et al. Open-labeled study of unilateral autologous bone-marrow-derived mesenchymal stem cell transplantation in Parkinson’s disease. Translational Research. v. 155 (2), p. 62-70. fév. 2010.

Des chirurgies moins invasives pour améliorer la communication entre les neurones sont un autre défi à relever pour lutter contre la maladie parkinson

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dia étude menée en 2006 dans la ville de

Bambuí, État du Minas Gérais, a détec-té une incidence élevée de la maladie supérieure à 7,2% dans un groupe de 1 186 individus âgés de plus de 64 ans. Ce résultat est trois ou quatre fois supé-rieur à celui mentionné dans des études identiques réalisées en Europe, en Asie et aux États-Unis. Environ la moitié des cas de Bambuí avait été provoquée par l’usage de médicaments destinés à lutter contre les psychoses et les ver-tiges. « Nous pensons qu’actuellement le nombre de cas dû à l’usage incontrôlé de médicaments a diminué », affirme Fran-cisco Cardoso, de l’Université Fédérale de Minas Gérais (UFMG) et coordon-nateur de l’étude. « Le contrôle de la vente de médicaments s’est amélioré dans le pays ».

Les cellules souches ne sont pas les seuls atouts de la science pour améliorer les types de traitements. Il n’y a pas de perspectives de guérison de la maladie à court terme. Cependant, les chercheurs espèrent qu’il sera possible de contrer l’évolution de ce trouble neurologique ou du moins de retarder sa progression grâce au développement de nouveaux remèdes et de chirurgies plus efficaces et, si possibles, moins invasives. « Nous essayons actuellement d’atténuer les ef-fets de la maladie grâce la prise orale de médicaments », déclare Cardoso. « Mais la manière comme nous remplaçons la dopamine n’est pas bonne ». Quand le patient prend du levodopa, remède pré-curseur de la dopamine, son cerveau entre en contact avec des concentra-tions élevées du neurotransmetteur. La quantité de substance diminue avec le temps. De cette manière, le malade traité passe par des cycles d’excès et de manque du neurotransmetteur, étant soumis à un mouvement de bascule chimique en passant par des niveaux élevés et bas de dopamine.

Certains remèdes essayent de réguler le moment où la dopamine, produite de manière artificielle par l’ingestion du levodopa, est disponible pour être utilisée par le cerveau du malade. Mais le contrôle de ce processus doit être encore affiné et l’imitation des méca-nismes physiologiques est imparfaite. La situation se complique davantage quand les médicaments arrêtent de contrôler les symptômes de la maladie ou commencent à avoir des effets se-

condaires. L’usage prolongé de précur-seurs de la dopamine cause parfois des mouvements involontaires et répétitifs, appelés techniquement dyscinésies, qui peuvent amener le patient à se mordre les lèvres, à sortir la langue ou à cligner des yeux rapidement. Dans ces cas, la chirurgie de stimulation profonde du cerveau (DBS) peut être indiquée.

Il y a deux ans, l’équipe du neuros-cientifique brésilien Miguel Nicolelis, de l’Université Duke (EUA) et fondateur de l’Institut International de Neuros-ciences de Natal Edmond et Lily Safra (IINN-ELS), a avancé l’idée que la sti-mulation électrique pourrait peut être

produire de bons résultats pour lutter contre la maladie sans qu’il soit néces-saire d’ouvrir le crâne des malades. Dans un article qui a fait la première page de la revue scientifique Science du 20 mars 2009, Nicolelis a décrit une expérimentation réussie sur des rats et des souris avec la maladie induite. La pose de petites électrodes à la surface de la moelle épinière des animaux les ont amenés à recouvrer leur capacité normale de locomotion. Selon le scien-tifique, la pose des électrodes ne dure que 20 minutes, est peu invasive (on incise à peine la peau de l’animal) et sûre. Cette nouvelle approche qui est actuellement testée sur des singes, a été la première tentative de traitement de la maladie de Parkinson à ne pas agir directement sur le cerveau.

Il est difficile de prévoir si de nou-velles thérapies et de nouvelles études vont apparaître comme celles menées par les équipes de Mayana Zatz, à l’USP, et d’Esper Cavalheiro, à l’Unifesp. Pour l’instant, ces travaux et ceux d’autres scientifiques, sont encore des lignes de recherche qui devront être poursuivies et non pas des possibilités immédiates de traitement. Les médecins qui s’occupent des personnes atteintes sont cependant optimistes. Les patients vivent chaque fois plus de temps avec la maladie, y compris des décennies, bien qu’il y ait encore la question délicate des effets secondaires provoqués par les médica-ments. Les électrodes et les batteries uti-lisées dans les chirurgies DBS sont plus petites et plus efficaces. « Nous ne savons pas encore comment les neurones com-muniquent entre eux, mais nous arrivons actuellement à enregistrer l’activité d’un plus grand nombre de cellules dans le cerveau », affirme le neurochirurgien Manoel Jacobsen Teixeira, professeur à l’USP et membre de l’Institut d’Ensei-gnement et de Recherche de l’Hôpital Syro-libanais de São Paulo. n

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18 Publié en août 2011

de la recherche de base aux politiques

publiques, la fapesp investit depuis cinq

décennies dans des études sur la biodiversité

poLiTique s&T _ éCoLogie

Parcours écologique

Des centaines de chercheurs pau-listes, issus de disciplines liées aux études de la biodiversité, se sont réu-nis à São Carlos au début du mois de juillet pour discuter des avancées de

leurs travaux. Dans le même temps, un comité d’évaluation composé de scientifiques étrangers analysait l’ensemble des résultats présentés et suggérait des voies à suivre pour les prochaines années. Les deux évènements ont marqué la sep-tième évaluation du programme de Recherche en Caractérisation, Préservation, Récupération et Utilisation Durable de la Biodiversité de l’État de São Paulo, plus connu sous le nom de Programme Biota-FAPESP, lancé en 1999 avec la participation de 1 200 spécialistes, dans le but d’identifier la biodiversité pauliste.

Ce programme a permis de réaliser plus d’une centaine de projets de recherche et a favorisé les avancées de la connaissance dans l’identification de 1 766 espèces (1 109 microorganismes, 564 in-vertébrés et 93 vertébrés), outre la publication de plus de 1 145 articles scientifiques, 20 livres, 2 atlas et diverses cartes qui ont facilité l’orienta-tion de politiques publiques. L’État de São Paulo possède actuellement six décrets gouvernemen-taux et 13 résolutions qui citent les orientations

teXte Fabrício marques

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PESQUISA FAPESP 19PESQUISA FAPESP 19

des études sur les algues marines, tout d’abord sur le littoral de l’État de São Paulo (1962-1963) et ensuite sur le littoral nord, nord-est et est du Brésil (1964-1965). Ces études ont été menées par le Département de Botanique de l’ancienne Faculté de Philosophie, de Sciences et de Lettres de l’USP et qui fera plus tard partie de l’Insti-tut de Biosciences (IB). Les études réalisées sur le littoral de l’État de São Paulo ont permis de mener différents travaux de recherches publiés dans des revues scientifiques, de former des bio-logistes marins spécialisés dans les algues et d’agrandir l’herbier d’algues du département de Botanique. Le relevé de la flore d’algues du reste du littoral brésilien fait quant à lui partie d’un travail de coopération internationale soutenu par la Section Océanographique de l’Unesco. L’ensemble des résultats de ces projets a per-mis d’élaborer la première version de la Flore Algologique Marine du Brésil.

Un personnage clé de cette ligne de recherche est Aylthon Brandão Joly (1924-1975), professeur à l’Université de São Paulo, qui a été l’initiateur des études sur les algues au Brésil dans les années 50. En 1957, il a publié un livre intitulé Contri-bution à la connaissance de la flore algologique marine de la baie de Santos et des alentours. Il

du programme. Dans le domaine de la formation en ressources humaines, ce programme a formé 190 masters, 120 docteurs ès sciences et 86 post doctorants. La FAPESP a investi 82 millions de réaux dans le programme juste pour les 10 pre-mières années.

Le Biota-FAPESP est le premier programme scientifique brésilien à avoir bénéficié d’un in-vestissement régulier pendant plus de 10 ans, observe son coordonnateur, le botaniste Carlos Alfredo Joly, professeur à l’Université Publique de Campinas (Unicamp). Après 10 ans de fonc-tionnement, les organisateurs du programme ont proposé à la FAPESP un nouveau plan scienti-fique pour la décennie suivante. « Cette réunion d’évaluation est très spéciale car c’est la première de ce genre depuis que la FAPESP a renouvelé son soutien au programme jusqu’en 2020 », dé-clare Carlos Alfredo Joly. « La perspective sur le long terme est fondamentale pour la recherche scientifique », affirme-t-il. Le programme Bio-ta-FAPESP est le principal exemple d’investis-sement élevé de la Fondation en matière de re-cherche, dans le domaine des sciences naturelles et de l’écologie et cela de nombreuses années avant que le terme biodiversité ne soit inventé. Dès les premières années, la FAPESP a financé

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s’agit du premier relevé floristique pla-nifié d’algues dans une région délimitée du Brésil. « Aylthon Brandão Joly a tra-vaillé seul à l’université jusqu’en 1960. Il a ensuite créé une véritable école au sein du Département de Botanique de l’USP, orientant directement ou indirectement une bonne partie de la première généra-tion d’algologues brésiliens et également d’autres pays d’Amérique Latine », écrit Carlos Bicudo, chercheur à l’Institut de Botanique de São Paulo, dans l’article in-titulé « L’étude des algues dans l’État de São Paulo », publié en 1998. Aylthon Joly a laissé beaucoup d’héritiers, l’un d’eux au sens propre et figuré du terme. Son fils Carlos Alfredo Joly, coordonnateur du programme Biota-FAPESP, a suivi les traces de son père. « Il y a une généra-tion de chercheurs en algues marines qui sont les petits-fils académiques de mon père », déclare Carlos Alfredo Joly. « La professeur Mariana Cabral de Oliveira, de l’USP et membre de la coordination du Programme Biota-FAPESP, est un bon exemple de cette nouvelle généra-tion car outre le fait d’avoir utilisé des techniques d’ADN barcoding pour sa re-cherche, elle fait preuve du même esprit novateur qui a toujours caractérisé les algologues brésiliens ».

barragesLa FAPESP a pris l’initiative d’organi-ser des projets spéciaux dans les années 70 et a décidé de consacrer l’un d’entre eux à l’écologie en commandant un pro-jet au professeur José Galizia Tundisi, qui était déjà à l’époque une référence en algologie. Le résultat de cette com-mande fut le projet Typologie des Bar-rages de l’État de São Paulo, qui a mo-bilisé 70 chercheurs du Laboratoire de Limnologie de l’Université Fédérale de São Carlos (UFSCar), de l’Institut de Biosciences de l’USP et de L’Institut de la Pêche du Secrétariat à l’Agriculture de l’État de São Paulo. « À cette époque, un chercheur espagnol avait réalisé une étude sur le profil de 104 barrages es-pagnols, considérant la biologie des al-gues, la contamination et la pollution. Je lui ai proposé un projet similaire », déclare José Galizia Tundisi. Le projet a largement porté ses fruits sur le plan scientifique car il a élargi la connaissance sur les mécanismes de fonctionnement des barrages, expliquant les différences entre lacs et réservoirs. Ce projet a en-

richi les collections d’organismes aqua-tiques conservés dans des instituts de recherche et a favorisé la publication de 150 travaux au Brésil et à l’étranger, ainsi que de quatre livres (trois d’entre eux à l’étranger), formant 10 PhD et 15 masters. Il a permis, par exemple, de développer une méthodologie de comparaison des écosystèmes aquatiques inédite au Brésil. Il a également permis de produire un en-semble d’informations sur la répartition géographique des organismes aquatiques et sur les caractéristiques des réservoirs, qui ont eu un impact dans l’utilisation des bassins hydrographiques et qui servent encore de référence pour de nouvelles études. Finalement, il a établi les para-mètres de gestion des barrages. « Nous sommes parvenus à déterminer que le temps idéal de rétention d’eau dans les réservoirs doit être inférieur à 10 jours

afin de garantir la qualité de l’eau et la santé des écosystèmes. Quand l’eau d’un réservoir met du temps à être changée, la rétention de polluants, de nitrogène et de phosphore a un impact sur la préserva-tion des espèces. Cette information a été fondamentale pour planifier de nouvelles centrales hydroélectriques », affirme José Galizia Tundisi. Après l’approbation du projet, José Galizia Tundisi est allé voir le directeur scientifique de la FAPESP, Wil-liam Saad Hossne, pour lui faire une nou-velle demande. « J’ai sollicité 15 bourses d’initiation scientifique pour former de nouveaux chercheurs au sein de ce pro-jet. Ce fut un succès. Parmi les 15 jeunes boursiers, 13 sont actuellement profes-seurs titulaires », dit-il.

aylthon et Carlos Joly: de la flore des algues marines au programme biota-fapesp

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PESQUISA FAPESP 21

deuxième phase a concerné les expé-ditions scientifiques, la plupart d’entre elles se déroulant entre 1996 et 1997. Ces expéditions ont permis de col-lecter environ 20 000 plantes qui ont été ensuite distribuées aux herbiers de l’État de São Paulo. Après le décès inattendu d’Hermógenes Leitão, en février 1996, quand il dirigeait une activité sur le terrain, la coordina-tion du projet a été reprise par Maria das Graças Lapa Wanderley, George Shepherd, de l’Unicamp, et Ana Ma-ria Giulietti, de l’USP. La troisième phase a commencé avec la diffusion des résultats et la prévision de publier 16 volumes. La FAPESP a soutenu le projet jusqu’en 2005. Les six volumes publiés jusqu’à présent décrivent 132 familles, incluant 655 genres et 2 767 espèces, ce qui équivaut à 37% des 7 058 espèces référencées sur le terri-toire pauliste. « Tous les chercheurs qui veulent étudier une plante fané-rogame consultent notre base de don-nées. La portée du projet s’étend à d’autres secteurs de la botanique », déclare Maria das Graças Wanderley.

1

DesCripTion Si l’étude des barrages a permis de for-mer des leaderships et de semer les graines de la compétence dans ce do-maine de la connaissance, le projet Flore Fanérogamique de l’État de São Paulo a été une étape dans l’apprentissage d’un travail multi-institutionnel qui allait en-suite acquérir les contours d’un réseau élargi d’institutions et de chercheurs au sein du programme Biota-FAPESP. Le projet, initié en 1993, a réuni des spécia-listes issus de trois universités publiques (Unicamp, USP et Université Publique Pauliste (Unesp), de trois instituts de recherche (Botanique, Forestier, et Agro-nomique) et d’un organisme municipal (Département des Parcs et Zones Vertes de la mairie de São Paulo). Actuellement, l’une des principales contributions en matière de connaissance de la diversité de la flore brésilienne est la production de six volumes décrivant des espèces de plantes fanérogames, celles qui pro-duisent des fleurs. L’intention est d’en publier 10 autres et de mettre à jour les premières œuvres sur l’Internet.

L’objectif du projet était de combler une lacune en matière de préservation environnementale au Brésil et celle-ci était discutée par les membres de la So-ciété Botanique Brésilienne (SBB). La flore brésilienne, reconnue comme pos-sédant le plus grand nombre d’espèces, était également l’une des moins connues et l’une des plus menacées au monde. « En 1992, le Congrès National de Bota-nique, réalisé à Aracaju dans l’État de Sergipe, a consolidé et approuvé les prin-cipes d’une élaboration de la flore brési-lienne qui prévoyait, outre les études sur la végétation, le développement d’actions au profit de la formation en ressources humaines ainsi que la création de pro-grammes d’expéditions botaniques dans les différents écosystèmes du pays », se rappelle Maria das Graças Lapa Wander-ley, chercheuse à l’Institut de Botanique et qui coordonne actuellement le projet. L’année suivante, avec le premier appel à projet thématique de la FAPESP, des botanistes réunis dans un congrès à São Luís do Maranhão ont décidé de présen-ter une proposition transformant le pro-jet sur la flore de l’État de São Paulo en projet pilote. La coordination du projet a été attribuée au professeur Hermógenes de Freitas Leitão Filho (1944-1996), du Département de Botanique de l’Uni-

camp, l’un des rares spécialistes brési-liens de la famille des Compositae qui possède environ 10 000 espèces, comme la marguerite, la camomille et différentes autres plantes médicinales.

Les deux premières années ont cor-respondu à une phase de planification avec le recensement des collections des herbiers, permettant la création de la banque de donnée du projet. La

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hermógenes Leitão: flore fanérogamique

au début des années 90 la flore brésilienne était l’une des moins connues et l’une des plus menacées.

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nLaCunes L’exemple du projet Flore Fanéroga-mique a inspiré le programme Biota-FAPESP. En 1995, le Secrétariat à l’Envi-ronnement de l’État de São Paulo a es-sayé en vain d’impliquer des chercheurs dans des travaux qui allaient plus loin que l’élaboration d’une liste des espèces menacées sur le territoire pauliste. « Il y avait beaucoup de lacunes en matière de connaissance mais les chercheurs avaient des réticences à s’engager, craignant que d’éventuels changements politiques du Secrétariat compromettent la continui-té des travaux », dit Carlos Joly, qui, à l’époque, était conseiller du secrétaire à l’Environnement, Fabio Feldmann. À cette époque, Carlos Joly était également membre de la Coordination des Sciences Biologiques de la FAPESP et travaillait avec le professeur Naércio Menezes. « L’idée d’un programme de recherche en biodiversité a mûri à la FAPESP. J’avais beaucoup discuté avec le professeur Her-mógenes à l’Unicamp et je connaissais bien la Flore Fanérogamique. Mais à l’inverse de ce dernier qui était un pro-jet thématique qui se focalisait unique-ment sur un groupe taxonomique, nous voulions englober toute la biodiversité de l’État, ce qui évidemment ne s’insé-rait pas dans une seule thématique », se rappelle Carlos Joly. L’idée de créer un programme comprenant un ensemble de projets thématiques articulés a été présentée par le directeur scientifique de la FAPESP, José Fernando Perez, lors d’un workshop à Serra Negra, en 1997. Le groupe de coordination de l’époque (voir détails sur www.biota.org.br/info/historico) a décidé d’utiliser l’internet pour créer des outils d’intégration et de partage de données. L’Institut Virtuel de la Biodiversité était alors créé. C’est l’autre appellation utilisée pour désigner le programme Biota-FAPESP.

Les données accumulées par le pro-gramme Biota-FAPESP orientent au-jourd’hui les critères adoptés pour la création de nouvelles unités de préser-vation et l’autorisation de déboisement de végétation native. Elles définissent également les règles de zonage agroé-cologique pour la culture de la canne à sucre sur le territoire pauliste. Des dé-crets gouvernementaux et des résolu-tions du Secrétariat à l’Environnement citent dans leurs considérants les cartes de zones prioritaires destinées à la pré-

servation et à la restauration de la bio-diversité pauliste produites par les cher-cheurs du Programme Biota.

Si les 10 premières années du Pro-gramme Biota-FAPESP ont été mar-quées par une avancée dans la caracté-risation de la biodiversité en utilisant la base de donnée comme outil de per-fectionnement des politiques publiques, le programme cherche aujourd’hui à

en élargir sa portée, mettant l’accent, par exemple, sur l’élargissement du BIOprospecTA, sous-programme qui recherche des composés ou des mo-lécules d’intérêt économique, sur la production de matériel éducatif pour le réseau d’enseignement primaire et secondaire et sur des études liées aux services écosystémiques et au fonc-tionnement d’écosystèmes terrestres. « Le professeur Arthur Chapman, du Service Australien d’Information sur la Biodiversité et membre du comité international d’évaluation, a fait l’éloge du programme en disant qu’il s’efforce d’implanter les suggestions faites aupa-ravant par le comité », affirme Carlos Joly. « En 2008, les évaluateurs avaient critiqué le nombre limité de projets en biologie marine et en microorganismes. Il y a maintenant 10 nouveaux projets de biologie marine et, dans le cas des microorganismes où il n’y avait qu’un seul projet thématique, plus de 40 pro-jets ont été proposés lors du dernier appel à projet. Il y a des groupes qui ont la formation nécessaire et la coordina-tion a eu la sensibilité d’être à l’écoute des attentes de la communauté scienti-fique pauliste. C’est pour cela que toutes ces choses sont en train de se dérouler si rapidement », déclare Carlos Joly. n

Les données du programme biota-Fapesp orientent les critères adoptés en matière de création de nouvelles unités de préservation à são paulo

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La Fondation d’Appui à la Recherche de l’État de São Paulo – FAPESP, est l’une des principales agences de soutien à la recherche au Brésil. Avec un budget de 450 millions de dollars US, elle finance plus de 11 000 bourses d’études et 8 000 prix de recherche.

Le Prix Jeunes Chercheurs de la FAPESP prévoit la création de nouveaux groupes de recherche dirigés par de jeunes scientifiques prometteurs en début de carrière, dans certains domaines de connaissance et de n’importe quel pays. Les candidats sélectionnés reçoivent une bourse d’un montant compétitif et des fonds assez considérables pour leurs recherches. Les candidats sont encouragés à développer leurs projets avec des établissements d’enseignement supérieur et des instituts de recherche de l’État de São Paulo, au Brésil.

Les principaux domaines de recherche sont : la biodiversité, la bioénergie, les changements climatiques, les neurosciences, le cancer, la science des matériaux, l’optique et la photonique, les études urbaines et la violence. Des demandes dans d’autres domaines seront considérées et sélectionnées par un processus d’évaluation par les pairs. Plus d’informations sur le site www.fapesp.br/yia.

La bourse de post-doctorat de la FAPESP est dirigée à des chercheurs brillants ayant récemment obtenu un doctorat et possédant un historique de résultats de recherche. La bourse permet le développement de recherches dans des universités, des établissements d’enseignement supérieur ou des instituts de recherche à São Paulo. Des informations complémentaires sont disponibles sur le site : www.fapesp.br/en/postdoc.

Le Brésil comme destination de jeunes chercheurs

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des chercheurs interagissent avec des lauréats de prix nobel et

planifient des expérimentations en biologie et en physique

ceux qui travaillaient déjà avec la lu-mière synchrotron pour étudier des protéines, des os de fossiles, des ro-ches, des médicaments ou des maté-riaux pour ordinateurs, ont revu leur

plan d’activités après avoir pris connaissance des travaux d’autres groupes de recherche. Ceux qui en savaient encore peu sur ce domaine ont découvert que ce type de lumière pouvait avoir des applications universitaires et industrielles. Du 17 au 25 janvier 2011, 18 spécialistes de six pays (parmi lesquels un prix Nobel de chimie et un autre de physique) se sont réunis avec des chercheurs et 76 étudiants de troisième cycle de 24 pays (dont 13 Brésiliens) à l’occasion de l’École São Paulo de Science Avancée (ESPCA) du Laboratoire National de Lumière Synchro-tron (LNLS) de Campinas. L’ESPCA est une modalité lancée en 2009 par la FAPESP pour financer l’organisation de cours de courte du-rée dans le domaine de la recherche avancée au sein des différents champs de la connaissance de l’État de São Paulo.

Antonio José Roque da Silva, directeur du LNLS, observe : « Nous voulons augmenter la visibilité du laboratoire pour des chercheurs po-tentiels de l’étranger. Alors que nous débutons en ce moment le projet d’un nouvel anneau de lumière, nous devons penser à l’avenir et voir ce que les autres font ». Nommé Sirius, le nouvel an-neau doit avoir 460 m de circonférence – l’actuel

La carte de la lumière

en compte 93 m – et une énergie beaucoup plus grande. Seule source de lumière synchrotron en Amérique latine et l’une des deux existantes dans l’hémisphère sud, à côté de l’Australie, le LNLS travaille avec des chercheurs universitaires et des entreprises brésiliennes et étrangères.

Parfois, le contraste avec d’autres pays est grand. « Alors que beaucoup d’entreprises brésiliennes continuent encore d’essayer d’utiliser la ligne de lumière synchrotron pour améliorer la qualité de leurs produits, l’entreprise japonaise Toyota utilise sa propre ligne », indique Silva. Ancienne utilisatrice de l’European Synchrotron Radiation Facility (ESRF) de Grenoble, la compagnie a dé-cidé de construire sa propre ligne, qui fonctionne au Japon depuis 2009. Gemma Guillera est une chercheuse qui a travaillé en collaboration avec Toyota. Elle raconte que cette ligne de lumière doit appuyer le développement de nouveaux cataly-seurs pour la réduction de polluants, de batteries et de cellules à combustibles : « la spectroscopie d’absorption de rayon X [une des formes d’analyse au moyen de la lumière synchrotron utilisées par l’équipe de Toyota] fournit des informations sur les longueurs des liaisons atomiques, le type et le nombre d’atomes ».

Les chercheurs et les étudiants ont pu voir comment émergent les recherches, et combien l’apparition de résultats substantiels peut être lon-gue. L’Israélienne Ada Yonath dit avoir travaillé pendant presque 30 ans dans son laboratoire de

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l’Institut Weizmann, en Israël, et sur des sources de lumière synchrotron des États-Unis, d’Allemagne et du Brésil avant de découvrir la structure et la fonction des composants cellulaires ribosomes, essentiels pour la production de protéines.

Pour aller de l’avant, Ada Yonath et d’autres spécialistes devaient obtenir des cristaux de ces composants cellulaires. Si cela a été jugé impossi-ble durant des décennies, ils y sont finalement par-venus par l’intermédiaire du refroidissement des cellules. La maîtrise de la technique et l’avancée conséquente de la connaissance sur les riboso-mes ont fait gagner aux trois chercheurs le prix Nobel de chimie de 2009 : aux côtés d’Ada Yo-nath ont participé Venkatraman Ramakrishnan, du Laboratoire anglais de Biologie Moléculaire de Cambridge, et Thomas Steitz, de l’Université américaine Yale. À la fin de sa présentation, Yonath a remercié l’Institut Weizmann pour lui « avoir permis de poursuivre [ses] rêves ».

nouVeLLes mÉmoires Le physicien français Albert Fert, chercheur du Centre National de Recherches Scientifiques (CNRS) et l’un des lauréats du prix Nobel de physique 2007, a présenté les fondements et les applications de la spintronique, un nouveau ty-pe d’électronique qui n’explore pas la charge électrique mais le spin (sens de la rotation) des électrons. Il s’agit de la base de mémoires infor-matiques ultra puissantes que des entreprises des États-Unis, de France et du Japon doivent lancer dans les prochains mois.

Fert et le physicien allemand Grünberg ont reçu le prix Nobel de physique de 2007 pour l’identification simultanée, en 1988, de la mag-nétorésistance géante – un effet mécanique quan-tique observé dans des matériaux composés de matériaux magnétiques et non magnétiques qui résultent en une variation intense de la résistance électrique avec le champ magnétique. Cet effet a permis d’augmenter la mémoire d’ordinateurs et de téléphones portables ; et à présent elle va aug-menter encore plus grâce à une nouvelle généra-tion de dispositifs sur la base de la spintronique.

Ceux qui ont partagé le déjeuner de Fert ont constaté qu’il n’évoque pas seulement avec plaisir les ordinateurs du futur, mais aussi ses propres vacances. Âgé de 73 ans, Fert pratique le windsurf, généralement en France et dans les Caraïbes. Il est déjà allé deux fois à Botafogo (Rio de Janeiro) non pas pour parler de physique, mais pour surfer. n

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une étude montre que les chercheurs français et allemands ont

également moins d’influence quand ils ne publient pas en anglais

la proverbiale barrière de la langue, res-ponsable de la faible répercussion de la production scientifique écrite dans une autre langue que l’anglais, ne porte pas seulement préjudice aux chercheurs

de pays émergents comme le Brésil. Une étude dirigée par le physicien Anthony van Raan, di-recteur du Centre pour les Études de Science et Technologie de l’Université de Leiden, en Hollande, a montré que le problème touche aussi des puissances scientifiques européennes comme la France et l’Allemagne, seulement de-vancées par quatre rivales ( États-Unis, Chine, Royaume-Uni et Japon) dans le classement des nations qui publient le plus d'articles scienti-fiques. Malgré cela, l'impact de la production scientifique des Français et des Allemands est plus modeste quand elle est publiée dans leur langue maternelle.

Spécialiste en scientométrie, la discipline qui s'attache à produire des informations pour stimuler le dépassement des défis de la science, Anthony van Raan est un des responsables du Classement Leiden (Ranking Leiden), une réu-nion de données établies par l'université hollan-daise pour analyser la production scientifique de pays et d'institutions de recherche et d'ensei-gnement supérieur. Dans sa plus récente édition, l'Université de São Paulo (USP) occupait la 15e place sur la liste des universités présentant le plus grand volume de production scientifique. L'étude sur la barrière de la langue s'est penchée sur une liste des 500 principales universités du monde, classées conformément à l’impact de leurs articles scientifiques dans la base de données Web of Science (WoS), de l'entreprise Thomson Reuters. Le facteur d'impact est me-

Code sacré

suré par la quantité de citations d'un article dans d'autres travaux scientifiques. Le chercheur hol-landais avait observé que le classement moyen de plusieurs universités françaises et allemandes était en décalage avec le prestige universitaire dont elles bénéficient. Pour procéder à un exer-cice de comparaison, il a produit une deuxième liste qui n'a pris en compte que la production scientifique publiée dans des revues en anglais et laissé de côté les articles écrits en langue ma-ternelle. Il a alors constaté que la performance des universités allemandes et françaises était uniquement supérieure dans le classement avec les articles en anglais, car l'impact de ces travaux était plus grand que celui des articles diffusés en langue maternelle.

L'université de Nantes, par exemple, appa-raît en 106e position sur le classement des ar-ticles en anglais – et au 201e rang sur la liste qui tient également compte des articles écrits dans d'autres langues. Les universités allemandes de Heidelberg et LMU de Munich apparais-sent respectivement à la 109e et à la 114e place dans le classement des articles uniquement en anglais, par contre elles chutent à la 150e et à la 166e position lorsque sont comptés tous les articles. Van Raan affirme : « Nous avons ren-contré un effet dramatique et sousestimé dans les mesures d'impact. Les articles non publiés en anglais affaiblissent l'impact de pays comme l'Allemagne, l'Australie et la France. Cela est surtout observable au niveau de champs ap-pliqués comme la médecine clinique et l'in-génierie, ainsi que des sciences sociales et des humanités. Comme la médecine représente une partie considérable de la science d'un pays, cet effet influence la position de l'université ».

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ouTiL La préoccupation de Van Raan se ré-fère à l'utilisation d'indicateurs biblio-métriques liés à des facteurs d'impact. Puisque les citations pèsent d'un grand poids dans des classements d’universités comme celui de la Times Higher Edu-cation et celui de l’Université chinoise Shangai Jiao Ting, le chercheur suggère d'analyser ces listes avec précaution et propose une alternative polémique : ne considérer, pour effet de comparaison, que la production scientifique en anglais des institutions et ignorer les articles dans d'autres langues. Pour lui, « calcu-ler les indicateurs basés seulement sur des publications en anglais constitue la seule procédure correcte ».

Affirmer que la maîtrise de l'anglais est un outil indispensable pour les cher-cheurs de tous les champs de la connais-sance n'est pas nouveau. Cela était dé-jà vrai dans les années 1930, quand des chercheurs allemands publièrent en lan-gue allemande une étude qui reliait la consommation de cigarettes à l'augmen-tation du cancer du poumon. À cause de la barrière de la langue, ces données sont restées pratiquement inconnues jusqu'aux années 1960, lorsque des Bri-tanniques et des Nord-américains arri-vèrent à la même conclusion. Actuel-lement, lutter contre la suprématie de l'anglais dans le domaine de la science

est contre-productif, estime Sonia Vas-concelos, chercheuse de l'Université Fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ) et auteur d'une thèse de doctorat sur la barrière de la langue soutenue en 2008 : « Les pays qui ont pour langue principale l'anglais sont plus avantagés, cependant il existe une mobilisation internationale de la part d'institutions de recherche et d'éditeurs scientifiques de plusieurs pays non anglophones qui tentent de réduire cet avantage. Dans le cas du Bré-sil, il faut entraîner de plus en plus nos chercheurs, en particulier dans les do-maines des sciences et des technologies, à bien écrire en anglais et à développer une certaine indépendance pour pou-voir communiquer avec leurs pairs dans des contextes internationaux. […] Au-jourd'hui, en Allemagne, il y a des cours de troisième cycle donnés en anglais, ce qui aide les étudiants à rompre cette bar-rière. Cela a aussi lieu en France, qui a toujours cultivé – et continue de le faire, mais en adoptant une attitude straté-gique par rapport à l'anglais – sa langue dans le milieu universitaire. Le Brésil, par contre, ne possède pas de stratégie articulée pour affronter ce défi ».

La proposition de Van Raan d'igno-rer la production scientifique en lan-gue maternelle pour perfectionner les comparaisons internationales pourrait provoquer un autre type de données

biaisées, causé par l'absence de la contri-bution dans d'importants champs de la connaissance. Abel Packer, de la coordi-nation de la bibliothèque électronique scientifique SciELO Brasil pense que « la production dans la langue locale est une partie indissociable de la connais-sance générée par les pays et ne peut pas être mise de côté ». Packer rappelle qu'il y a une tradition dans le pays de publier en portugais dans des disci-plines telles que les sciences de la san-té et les sciences agraires, par exemple, car cela est important pour transmettre la connaissance aux professionnels de ces domaines. Il ajoute : « La question ne concerne pas seulement les scienti-fiques, qui connaissent généralement l'anglais, mais d'autres usagers de l'in-formation scientifique qui n'ont pas la même maîtrise de la langue. […] Le mul-tilinguisme est une partie de la commu-nication scientifique qui a ses racines dans le fait que la science fait partie de la culture. La science n'est pas faite dans une tour d'ivoire séparée du reste de la société, elle est reconnue comme une source de connaissances pour le déve-loppement économique et technolo-gique. Si la communauté scientifique nationale ne fait pas d'efforts pour créer

L'impact restreint des articles publiés en langue maternelle rabaisse la position d'universités dans des classements

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PESQUISA FAPESP 29

des sémantiques dans sa langue mater-nelle, le pays et sa culture ne seront pas capables d'absorber des idées et une connaissance qui, par essence, servent à leur société ».

De l’avis de Luiz Henrique Lopes dos Santos, coordonnateur adjoint des Sciences Humaines et Sociales, Archi-tecture, Économie et Administration de la FAPESP et professeur du Départe-ment de Philosophie de la Faculté de Philosophie, Lettres et Sciences Hu-maines de l’USP, la question requiert une solution de compromis et ne se réduit pas à la question de l’impact : « C'est aussi une question culturelle. La langue est un élément essentiel de la culture d'un pays et elle se constitue et s'enrichit dans l'interaction entre ses utilisations les plus ordinaires et les plus sophistiquées - comme en lit-térature, en science, en philosophie. Aucun pays ne peut se permettre de renoncer entièrement à sa langue en tant que véhicule de la production de la connaissance ».

Packer propose d'ajouter à ce débat le fait que la production écrite en por-tugais augmente dans l’ensemble des revues indexées. Jusqu'en 2007, le taux d'articles publiés en portugais dans la

il est utile de rappeler qu'écrire en anglais aide à élargir la portée d'un article scientifique mais ne garantit pas citations et prestiges

base Web of Science était de 8,5 %. Dé-sormais, il est de 22 % : « La croissance est due à l'augmentation du nombre de revues indexées. De 34 en 2007 elles sont passées à 133 aujourd'hui. Ainsi, le Brésil s'est hissé à la 13e place dans le classe-ment de la production scientifique. Si nous ne tenons pas compte des revues en portugais, nous redescendons à la 17e place ».

DonnÉe marquanTeIl faut également considérer qu'écrire en anglais n'est pas une condition suf-fisante pour garantir des citations et du prestige. Une étude publiée par Rogério Meneghini, coordonnateur scientifique de la bibliothèque SciELO Brasil, a montré que les mêmes articles écrits en anglais mais publiés dans des revues brésiliennes produisent en moyenne moins de cita-tions. Rogério Meneghini a invité neuf scientifiques brésiliens habitués à diffu-ser leurs travaux dans des revues inter-nationales à publier un article original dans l’édition de mai 2008 des Annales de l’Académie Brésilienne de Sciences. L’objectif était d’évaluer jusqu’à quel point ces auteurs seraient capables de trans-férer leur prestige vers la revue brési-lienne, qui est publiée en anglais. Deux ans après la publication, il a été constaté que le nombre de citations de ces articles a dépassé celui des autres articles de la revue : une moyenne de 1,67 citations,

contre 0,76 pour les autres. D'autre part, les 62 articles publiés par les mêmes au-teurs dans des revues internationales en 2008 ont tous été cités en moyenne 4,13 fois. D'après Rogério Meneghini, la dif-férence peut être attribuée au fait que les revues brésiliennes aient moins de visibilité internationale, même si les au-teurs ont aussi tendance à envoyer leurs meilleurs articles à l'étranger. Mais l'une des données marquantes fut de constater que les neuf auteurs se sont abstenus de citer des articles de revues brésiliennes. Seul 1,52 % de leurs citations faites en 2008 se référaient à des travaux publiés sur le plan national. Rogério Meneghini pense que citer des revues nationales n’est pas synonyme de prestige : « Il semble que les auteurs aient choisi de laisser de côté des citations dans des revues brési-liennes pour ne pas passer l'impression que l'article est défaillant ».

Une telle contingence n'empêche pas le consensus selon lequel il est fon-damental de stimuler la production en anglais. « Quand un chercheur s'ef-force de citer des travaux de son pays, il est frustrant de voir que la référence ne peut pas être consultée à l'étranger parce que le travail n'est disponible qu'en portugais », souligne Sonia Vas-concelos. « Cela exigerait des inves-tissements lourds, mais je ne vois pas d'autre solution pour augmenter la visibilité de l'ensemble de la science brésilienne », affirme Packer. n

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30 Publié en aVRil 2011

comme nos parents

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sCienCe _anthropoLogie

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PESQUISA FAPESP 13

une nouvelle étude

indique que les premiers

américains ressemblaient

aux africains et accroît

la polémique autour

de l’arrivée de l’homme

sur le continent

Crânes de Lagoa santa : américains avec des traits africains

l’Homo sapiens ne se serait pas différencié en termes de races ou de types physiques distincts avant de s’établir sur tous les con-tinents (y compris aux Amériques, le der-nier grand bloc de terre), à l’exception de

la glaciale Antarctique conquise par l’espèce. Le premier groupe de chasseurs-cueilleurs, arrivé d’Asie il y a plus de 15 000 ans par un chemin occupé aujourd’hui par le détroit de Béring, présenterait une structure anatomique très similaire à celle de la première population d’humains modernes émigrée d’Afrique entre 70 000 et 55 000 ans. Après avoir laissé le berceau de l’humanité, l’homme a pénétré en Asie ; de là, il est d’abord parti à la conquête de deux autres points importants du globe, l’Europe et l’Australie, avant de s’attaquer aux Amériques. Walter Neves, bioanthropologue de l’Université de São Paulo (USP), observe : « Jusqu’à environ 10 000 ans en arrière, la morphologie crânienne de tous les Homo sapiens présents sur tous les continents était conforme au type africain. […] Le processus de ra-ciation n’avait pas encore commencé ». L’apparition de types physiques, comme les caucasiens ou les mongoloïdes (asiatiques aux yeux bridés et à la fa-ce plate) serait un phénomène très récent, apparu seulement après la propagation de l’homme sur pratiquement toute la Terre.

Walter Neves défend cette hypothèse polémique dans un article publié en mars 2011 dans American Journal of Physical Anthropology. Avec deux autres anthropologues physiciens – le Brésilien Mark Hu-bbe, de l’Institut de Recherche Archéologique et du Musée de l’Université Catholique du Nord, au Chili, et la Grecque Katerina Harvati, de l’Univer-sité de Tübingen, en Allemagne –, ils ont comparé 24 caractéristiques anatomiques de crânes d’êtres humains ayant vécu entre 10 000 et 40 000 ans auparavant en Amérique du Sud, Europe de l’Est et Asie avec celles d’individus de l’époque actuelle issus de ces trois régions, en plus de l’Afrique Sub-saharienne, l’Océanie et la Polynésie. Au total, 48 squelettes anciens (32 d’Amérique du Sud, 2 d’Asie et 14 d’Europe) ont été confrontés à 2 000 actuels. Hubbe commente qu’« indépendamment de la situation géographique, les membres des popula-tions anciennes ressemblent plus à leurs contempo-rains du passé qu’aux humains d’aujourd’hui ». En d’autres mots, les traits physiques de l’homme qui a abandonné l’Afrique et occupé les Amériques 40 000 ans plus tard étaient pratiquement les mêmes. Sous cet éclairage, la conquête du monde fut un phénomène si rapide – l’Homo sapiens aurait em-prunté des routes côtières, plus facilement acces-sibles – que l’homme n’a pas eu le temps de déve-lopper dans la foulée des adaptations physiques aux nouveaux milieux.

Les résultats de l’étude étayent le modèle de développement de notre continent défendu par Walter Neves depuis plus de deux décennies et

marcos pivetta

PESQUISA FAPESP 31

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32 Publié en aVRil 2011

cipé au premier mouvement migratoire vers les Amériques dans la mesure où ce type physique n’existait pas encore sur la Terre. C’est du moins ce qu’affirment Neves, Hubbe et Harvati.

Cette théorie sur le peuplement des Amériques est loin d’être partagée par tous. Des analyses de l’ADN extrait de populations éteintes et vivantes d’Indiens du continent, en particulier des sé-quences contenues dans les génomes de la mito-chondrie (de lignage maternel) et du chromosome Y (hérité du père), racontent une histoire diffé-rente. Elles privilégient l’hypothèse selon laquelle il n’y aurait eu qu’un seul mouvement de migration d’individus de l’Asie vers le Nouveau Monde, et que cette traversée aurait eu lieu quelques mil-liers d’années avant celle suggérée par les décou-vertes archéologiques. Pour le généticien Sandro Bonatto de l’Université Catholique Pontificale du Rio Grande do Sul (PUC-RS), « pratiquement toute la diversité biologique des types humains actuels était déjà présente dans l’unique groupe migra-toire qui a pénétré dans les Amériques. […] Seuls les Esquimaux, une population qui représente le cas le plus extrême et le plus tardif de ladite mor-phologie mongoloïde, n’existaient pas encore et n’ont pas participé à ce flux migratoire ».

En collaboration avec des collègues brésiliens et argentins, Bonatto a publié en octobre 2008 un article scientifique dans l’American Journal of Phy-sical Anthropology – la même revue où est paru le travail de Walter Neves. L’étude a analysé 10 000 informations génétiques et l’anatomie de 576 crânes de populations éteintes et actuelles rencontrées du nord au sud des Amériques. D’après ses auteurs, un groupe déjà physiquement très hétérogène de chasseurs-cueilleurs est parti de Sibérie il y a environ 18 000 ans pour s’installer en Alaska. De

dont les travaux sont en grande partie financés par la FAPESP. D’après cette hypothèse, les Amé-riques ont été colonisées par deux vagues migra-toires de peuples distincts qui ont croisé le détroit de Béring à des moments différents. La première aurait été composée d’humains qui, il y a près de 15 000 ans, exhibaient encore cette morphologie « panafricaine » – pour reprendre un terme uti-lisé par le chercheur de l’USP. Les membres de ce premier groupe de chasseurs-cueilleurs devai-ent ressembler à Luzia, le célèbre crâne féminin de 11 000 ans retrouvé dans la région minière de Lagoa Santa. Ils possédaient un nez et des orbites oculaires larges, une face projetée vers l’avant et la tête étroite et allongée. Bien qu’il soit impos-sible de déterminer avec certitude la couleur de leur peau, ils étaient probablement noirs. Tous leurs descendants ont mystérieusement disparu à un moment de la Préhistoire dans des circons-tances que l’on ignore, et ils n’ont pas laissé de représentants parmi les tribus aujourd’hui pré-sentes sur le continent.

Toujours d’après les idées de Walter Neves, les humains aux traits africains ont été majoritaire-ment remplacés par des individus qui ont fait par-tie du deuxième mouvement migratoire de l’Asie vers les Amériques. Le nouveau groupe serait en-tré dans le Nouveau Monde plus récemment, il y a 9000 à 10 000 ans, et ne comprendrait que des individus aux caractéristiques physiques desdits peuples mongoloïdes, comme les actuels orien-taux et les tribus indigènes rencontrées jusqu’à aujourd’hui sur notre continent. Cette apparence plus asiatique est peut-être le fruit d’une adap-tation au climat extrêmement froid de la Sibérie et éventuellement de l’Arctique. Les êtres hu-mains de ce groupe ne peuvent pas avoir parti-

Le proJeTorigines et microévolution de l’homme en amérique : une approche paléoanthropologique iii nº 200401321-6

moDaLiTÉprojet thématique

CoorDonnaTeurwalter neves – institut de biosciences de l’université de são paulo (usp)

inVesTissemenT1 555 665,94 réaux (fapesp)

Trois visions de l’arrivée aux amériques

UNE MIGRATION

un seul groupe d’humains quitte la sibérie et entre en alaska. Le groupe est composé d’individus de types physiques distincts, certains plus africains, d’autres plus asiatiques.

PAR L’ATLANTIQUE

L’homme vient d’afrique et accoste au nord-est du brésil. il arrive naviguant d’île en île, à une époque où la mer était plus basse. une théorie défendue par niède guidon.

DEUX MIGRATIONS

des migrants aux caractéristiques physiques africaines croisent le détroit de béring et s’établissent ici. plus tard, un nouveau groupe de colonisateurs aux traits asiatiques pénètre dans les amériques et devient dominant.

100 000 ans

15 000 ans

10 000 ans

18 000 ans

Kilomètres

0 5,000

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PESQUISA FAPESP 15

ce premier groupe faisaient partie des personnes possédant des caractéristiques de type asiatique ainsi que des traits plus africains. Le modèle se différencie aussi des idées de Neves et Hubbe dans la mesure où il affirme qu’avant d’entrer dans le Nouveau Monde ce groupe de colonisateurs a été contraint de s’arrêter pendant une longue période à la Béringie, ancien pont terrestre qui reliait l’Asie aux Amériques. Aujourd’hui engloutie par la mer, la Béringie a cédé la place au détroit de Béring.

L’arrêt sur cette terre ferme entre les deux continents se serait produit entre 26 000 et 18 000 ans auparavant, une période où la présence de grands glaciers bloquait l’entrée des Amériques. Lorsque la route vers le Nouveau Monde s’est ou-verte, la migration s’est effectuée. Cependant, cet arrêt forcé à la Béringie aurait produit des muta-tions spécifiques au niveau de l’ADN de la popu-lation de migrants bloqués à la frontière entre les deux blocs de terre. Ces modifications génétiques ne sont pas présentes chez les peuples d’Asie, mais elles ont été transmises aux descendants des pre-miers Américains. Une étude récente, à laquelle ont participé des Brésiliens, suggère que l’une de ces mutations favorise l’accumulation de choles-térol chez les Indiens du continent.

Même s’ils ne sont pas les seuls à traiter de la question du peuplement des Amériques, les deux modèles décrits semblent irréconciliables. Néan-moins, l’anthropologue physicien argentin Rolando González-José, du Centre National Patagonique de Puerto Madryn et qui a déjà coécrit des articles scientifiques avec Neves, Bonatto et d’autres Brési-liens, voit des points forts et des points faibles dans les deux approches : « Je suis d’accord sur le fait que beaucoup de variations présentes sur le crâne de l’homme ont une origine récente, mais il faut aussi dire que les populations anciennes pouvaient être très hétérogènes ». Et d’ajouter : « le modèle de Neves n’est pas totalement incorrect, mais les données génétiques sont difficilement contestables et montrent que tous les Indiens américains des-cendent d’une seule population ».

Il existe d’autres points de vue sur le proces-sus de peuplement des Amériques, dont certains sont encore plus controversés. Pour l’archéologue Niède Guidon, fondatrice et présidente de la Fon-dation Musée de l’Homme Américain (Fumdham) et administratrice du Parc National Serra da Ca-pivara (dans l’État du Piauí), l’homme était déjà présent dans le nord-est brésilien il y a 100 000 ans. Il est venu d’Afrique en naviguant d’île en île et en profitant de moments où la mer était beau-coup plus basse qu’aujourd’hui : « La navigation est beaucoup plus ancienne que ce que l’on pense. […] Je ne crois pas que l’Homo sapiens ait colonisé les Amériques par le détroit de Béring ».

Avec près de 1300 sites préhistoriques regor-geant de jolies peintures rupestres, le parc a déjà

article scientifique

HUBBE, M. et al. Paleoamerican Morphology in the Context of European and East Asian Late Pleistocene Variation: Implication for Human Dispersion Into the New World. American Journal of Physical Anthropology. v. 50, n. 3, pp. 442-53. mars 2011.

une nouvelle pièce importante

du puzzle complexe qui tente de

reconstituer l’entrée de l’Homo sapiens

aux amériques est apparue à la fin de

mars 2011. dirigée par Michael waters

de l’université texas a&M, une équipe

de chercheurs a diffusé la découverte

du plus ancien vestige de la présence

humaine en amérique du nord. situé

dans la localité de buttermilk Creek,

au texas, le site debra L. friedkin

abrite près de 15 500 artefacts

produits par la main de l’homme

il y a environ 15 500 ans. il s’agit

essentiellement de lames, la plupart

inachevées et certaines à double

face, faites avec un type de quartz.

dans une interview accordée à la

revue Pesquisa Fapesp, waters indique

que « le site se trouve au centre

de l’état et [qu’]il a fallu un certain

temps à l’homme pour le rencontrer.

[…] il est possible qu’il soit arrivé

aux amériques avant cette époque.

Combien de temps avant, je ne saurais

l’affirmer. seul le temps et beaucoup

de travail pourront le dire ».

La datation des artefacts a été

obtenue par la technique de la

luminescence. La méthode mesure

l’énergie des derniers rayons du soleil

(ou de la dernière exposition à une

chaleur intense) qui s’est déposée sur

les sédiments de la couche géologique

de 20 cm où les pièces du site

archéologique ont été découvertes.

aucun ossement n’a été rencontré sur

les lieux, mais les scientifiques disent

que les objets ont sans aucun doute

été taillés par l’Homo sapiens et qu’ils

ont pu être utilisés comme couteaux

ou pointes de lance. ils ont peut-être

même fait partie d’un kit que les anciens

humains transportaient au cours de leurs

déplacements.

L’étude a été largement diffusée.

finalement, les anciens habitants de

buttermilk Creek ont vécu 2500 ans

avant ladite culture Clovis, définie

à partir d’un site archéologique du

nouveau-Mexique où l’on a trouvé il y

a environ 80 ans des pointes de lance

lytiques âgées de 13 000 ans. Jusqu’aux

années 1980, l’idée selon laquelle cette

culture serait la plus ancienne des

amériques était prédominante et peu

questionnée. Mais la découverte au

cours des dernières décennies d’autres

sites aussi ou plus vieux que celui de

Clovis – aussi bien en amérique du

nord qu’en amérique centrale et du

sud – a chaque fois plus ébranlée cette

théorie. Les nouvelles découvertes au

texas semblent enterrer une fois pour

toutes les hypothèses que les anciens

habitants du nouveau-Mexique ont

été les premiers à s’installer sur le

continent. Comme les lames du site

debra L. friedkin ont été rencontrées

près de vestiges de pointes du style

Clovis, et que les deux types de

pièces présentent des similarités, les

chercheurs pensent que la deuxième

culture peut dériver de la première.

Le plus ancien site des États-unis

Lames en pierre du texasMic

ha

el W

at

eRs

fourni 33 squelettes humains et plus de 700 000 pièces lytiques aux archives de l’institution. Les dates diffusées par l’archéologue, qui indiquent une présence humaine dans le nord-est il y a au moins 50 000 ans, sont contestées par un grand nombre de ses confrères. Niède Guidon ne se risque pas à dire comment serait l’apparence phy-sique des responsables des dessins préhistoriques de la Serra da Capivara, même si certaines études préliminaires suggèrent qu’ils pouvaient ressem-bler au peuple de Luzia. n

PESQUISA FAPESP 33

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34 Publié en Mai 2011

un antihypertensif interrompt

la croissance des tumeurs et

indique de nouvelles pistes

pour des médicaments

le losartan, qui est l’un des médicaments les plus utilisés dans le monde pour contrôler l’hypertension artérielle, in-terrompt la croissance des tumeurs de la peau dans des expérimentations réa-

lisées sur des souris dans les laboratoires de la Faculté de Médecine de l’Université de São Pau-lo (FMUSP). Cet ancien médicament a trouvé une nouvelle application potentielle facilitant la recherche de nouveaux traitements contre le cancer, mais il serait précipité de conclure que ce remède pourrait déjà être utilisée avec cette nouvelle finalité juste parce qu’il s’agit d’un médicament générique produit au Brésil avec des effets secondaires déjà bien connus.

« Il nous faut maintenant apprendre à uti-liser ce médicament pour améliorer le traite-ment des tumeurs », alerte le médecin Roger Chammas, professeur à la FMUSP et l’un des coordonnateurs de cette étude publiée en mai 2010 dans la revue Cancer Chemotherapy and Pharmacology. Les résultats de l’étude réalisée par Andreia Otake indiquent que le médicament a bloqué l’action de l’angiotensine II, un frag-ment de protéine (ou peptide) qui permet de contrôler la pression artérielle conjointement à d’autres molécules produites par l’organisme.

pression contre le cancer

_ MédeCine

teXte Carlos Fioravanti

iLLustrations bel Falleiros

Page 35: Édition Spéciale 2012

PESQUISA FAPESP 35

Cette étude et d’autres, montrent que l’angio-tensine II pourrait avoir une autre fonction moins connue et moins explorée qui serait de permettre aux tumeurs de former ou d’attirer les vaisseaux sanguins qui apporteront les nu-triments nécessaires à leur survie. Avec moins d’angiotensine, moins de vaisseaux sanguins se développeront à l’intérieur de la tumeur qui pourra ainsi mourir d’inanition. Selon Cham-mas, ces études renforcent la perspective que les molécules avec qui la tumeur interagit et appelé microenvironnement tumoral (non seu-lement la tumeur), puissent être une piste pour de nouveaux médicaments.

Ces dernières années, différentes études ont indiqué que l’angiotensine II promouvait la mi-gration et la prolifération des cellules endothé-liales qui composent la couche la plus interne des vaisseaux sanguins, participant ainsi à la régulation des processus inflammatoires qui parfois indiquent le début ou le développement de tumeurs. « Une tumeur peut être vue comme une inflammation persistante, une blessure qui ne cicatrise pas et qui attire les vaisseaux san-guins qui, à leur tour, contribuent à la dissémi-nation du cancer dans l’organisme », commente Roger Chammas. Le fait qu’il y ait des récep-

teurs d’angiotensine à la surface des cellules endothéliales des vaisseaux qui alimentent les tumeurs ouvre la perspective d’un nouvel usage pour les médicaments antihypertensifs comme le losartan. Des tests préliminaires en cours sur des groupes limités de personnes aux États-Unis attestent l’action anti- tumorale de ce médica-ment utilisé seul ou conjointement avec des antihypertensifs ayant un mécanisme d’action similaire, comme le captopril.

Le losartan a été découvert en 1986 par un groupe de jeunes chercheurs du laboratoire Du-Pont et il a été le premier remède d’une classe de nouveaux antihypertensifs appelés antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II. Ce médica-ment, produit par le laboratoire Merck, bien qu’il soit déjà devenu un générique au Brésil, est en train de déboucher sur de nouvelles applications. L’une d’entre elles concerne le traitement des maladies rénales chroniques. Depuis la fin des années 80, le médecin de l’USP, Roberto Zatz, mène des études des rats qui ont démontré que des doses élevées de losartan permettaient d’in-terrompre les dommages causés par la maladie rénale chronique. Il a également participé à des études cliniques internationales qui, commu-nément, sont partiellement à la base des médi-

PESQUISA FAPESP 35

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36 Publié en Mai 2011

nous devons penser différemment et voir le cancer comme un organe, suggère roger Chammas

caments de ce type utilisés pour trai-ter actuellement les maladies rénales graves. Roberto Zatz a proposé à Roger Chammas d’essayer le remède sur des tumeurs de la peau dont il voulait in-terrompre la croissance grâce à sa ca-pacité de réduire la pression artérielle, la croissance des vaisseaux sanguins et les processus inflammatoires.

Robson dos Santos est en train de commencer à explorer les applications thérapeutiques, à l’Université Fédérale de Minas Gérais (UFMG), d’un dérivé de l’angiotensine II, l’angiotensine 1-7, appelé ainsi pour posséder sept acides aminés au lieu de huit comme l’angio-tensine II. L’angiotensine 1-7, envelop-pée par un sucre appelé cyclodextrine et administrée oralement , a permis de réduire les dommages causés sur des cellules du cœur de souris qui avaient été soumises à un infarctus provoqué, comme cela est détaillé dans une étude publiée au mois de mars de cette année dans la revue Hypertension. D’après lui, cette même formule peut réguler les ni-veaux de glucose et de lipides (graisses), conformément aux expériences réali-sées sur des animaux de laboratoire. Robson Santos déclare que l’adminis-tration de l’angiotensine 1-7 par voie endoveineuse s’est révélée positive pour traiter des femmes atteintes de

prééclampsie, un problème grave qui peut apparaître à partir du deuxième mois de grossesse, accompagné d’hy-pertension et de rétention de liquides. D’après lui, les tests avec cette formula-tion par voie orale devront commencer d’ici peu. « Nous espérons obtenir des résultats en six mois », dit-il. « En ce qui concerne la prééclampsie, l’angiotensine 1-7 exogène permet de normaliser le niveau d’angiotensine 1-7 dans le sang ».

Parallèlement à ces résultats promet-teurs, des recommandations apparais-sent préconisant un usage prudent des médicaments antihypertensifs destinés à d’autres finalités. Selon une étude publiée en juin 2010 dans la revue médicale Lan-cet Oncology, les personnes soumises à des thérapies expérimentales à l’aide d’hyper-tensifs qui agissent sur l’angiotensine pour traiter des maladies cardiovasculaires et le diabète ont eu, durant au moins un an, un risque 1,2 plus élevé de contracter un cancer, principalement du poumon, que les personnes non traitées. Ce risque a éveillé l’attention bien qu’il soit faible.

Le même médicament peut en prin-cipe agir contre les tumeurs ou en leur faveur car le cancer comprend un large éventail de maladies distinctes. Les spé-cialistes ont identifié 200 types de can-cer, tous caractérisés par des cellules qui se développent de manière incontrôlée et qui envahissent les tissus voisins. Les spécificités sont chaque fois plus valori-sées pour orienter le diagnostic et le trai-tement. « Une tumeur du poumon chez un individu peut être différente chez une autre personne, bien que son origine provienne du même type de cellule du poumon. Ces différences s’expliquent par les diverses signatures moléculaires des tumeurs, à l’image d’une empreinte digitale, et qui indiquent quelles sont les voies moléculaires altérées pour un can-cer donné », déclare Chammas. « Nous essayons de mieux comprendre ces si-gnatures pour améliorer le diagnostic et les traitements des différents types de cancer. Nous devons penser diffé-remment et voir la tumeur comme un organe avec ses propres mécanismes de fonctionnement ».

Au Brésil, la perspective de pouvoir tester des médicaments hypertensifs comme anti-tumoraux grâce à des essais contrôlés sur des êtres humains, est éloi-gnée, vu les tracasseries auxquelles se confrontent les chercheurs et les méde-cins d’institutions publiques pour pou-voir profiter des données obtenues en laboratoire et résoudre les problèmes de santé publique. L’approbation par les organismes fédéraux d’une propo-

Page 37: Édition Spéciale 2012

PESQUISA FAPESP 37

nous ne sommes pas en train de gagner la bataille contre le cancer, nous devons accélérer, déclare paulo hoff

articles scientifiques

1. ARAI, R.J. et al. Building research capacity and clinical trials in developing countries. The Lancet Oncology. v. 11. août 2010.

2. OTAKE, A.H. et al. Inhibition of angiotensin II receptor 1 limits tumor-associated angiogenesis and attenuates growth of murine melanoma. Cancer Chemotherapy and Pharmacology. v. 66, n. 1, p. 79-87. mai 2010.

3. MARQUES, F.D. et al. An oral formulation of angiotensin-(1-7) produces cardioprotective effects in infarcted and isoproterenol-treated rats. Hypertension. v. 57, p. 477-83. mars 2011.

sition d’études peut prendre un an ou plus, et c’est la principale réclamation, alors que dans des pays comme les États-Unis ou même l’Afrique du Sud, il ne faut en moyenne que trois mois. Santos, de l’UFMG, nous dit qu’il a dû attendre six mois avant de recevoir toutes les autori-sations nécessaires pour pouvoir déve-lopper les tests d’angiotensine 1-7 avec administration de cyclodextrine par voie endoveineuse sur des femmes atteintes de prééclampsie grave. La sollicitation pour pouvoir tester la formulation par voie orale a mis un an avant de revenir de la commission d’éthique de la recherche de la propre université, et de la Commis-sion Nationale d’Éthique de la Recherche (Conep), du Ministère de la Santé. « C’est une réalité décourageante », confie-t-il.

« Il manque un esprit d’urgence au Brésil », observe Paulo Hoff, directeur général de l’institut du Cancer de São Paulo (Icesp) inauguré en 2008, lié à la FMUSP, et qui accueille environ 12 mille nouveaux cas de cancer par an. « La bureaucratie pourrait être plus flexible, rapide et transparente, sans perdre le contrôle », déclare Paulo Hoff, l’un des auteurs d’un article publié en 2010 dans la revue Lancet Oncology. Il propose une conciliation entre les inté-rêts gouvernementaux, les médecins

un médecin qui la reconnaisse et qui sache comment la traiter ».

Certains types de cancer, comme celui de l’estomac, sont rares en Europe, en rai-son de la mise en place de mesures sani-taires, de l’amélioration des habitudes ali-mentaires et du diagnostic précoce, mais ils sont encore fréquents au Brésil et dans d’autres pays latino-américains. « De nom-breuses tumeurs sont liées à des processus infectieux chroniques mal résolus », af-firme Max Mano. « La recherche n’avance pas à la même vitesse que la maladie ». Paulo Hoff, quant à lui, souligne qu’il y a eu des avancées, comme la standardisation des tests pour diagnostiquer les différents types de cancer. « Nous ne sommes pas en train de gagner la bataille contre le cancer, nous devons accélérer », admet-il. n

et les professeurs universitaires pour favoriser la planification et l’exécution des phases initiales des médicaments candidats dans des pays qui, comme le Brésil, sont principalement recherchés pour valider les résultats obtenus quand la réglementation est plus flexible. Pau-lo Hoff déclare qu’il a perçu un intérêt accru des représentants du gouverne-ment fédéral pour soutenir la réalisa-tion de tests cliniques au Brésil. « Nous devons agir avec flexibilité », suggère-t-il. « Nous de pouvons pas entrer dans une négociation en pensant que c’est notre point de vue qui va prévaloir ».

Le médecin de l’Icesp, Max Mano, es-time qu’une approbation plus flexible des tests cliniques avec de nouveaux mé-dicaments ou de nouvelles applications de médicaments déjà utilisés, pourrait surtout profiter au traitement des tu-meurs rares qui pourraient apparaître sur n’importe quel organe et qui pour-raient être facilement confondues avec d’autres types. Dans un article publié en 2010, Max Mano et Paulo Hoff alertent sur le fait que les tumeurs rares sont responsables de 25% des décès dûs au cancer aux États-Unis et probablement aussi au Brésil. « Une tumeur rare n’est pas compliqué à traiter », dit Paulo Hoff. « Ce qui est compliqué c’est de trouver

PESQUISA FAPESP 37

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38 Publié en février 2011

des cellules de l’endothèle stockent des informations de

l’état d’origine dans lequel elles ont été extraites du donneur

les cellules ont une mémoire. Toutes n’ont pas cette pos-sibilité, mais certaines par-viennent à indiquer quelques temps plus tard les conditions

de l’organisme et de l’environnement dans lequel elles ont été extraites. Cette capacité de retenir et de transmettre des informations aux descendants n’a pas été, comme on pouvait l’attendre, obser-vée sur les neurones qui sont les cellules cérébrales qui transportent les informa-tions sous la forme de signaux électri-ques d’un point à l’autre de l’organisme et qui les stockent dans le cerveau. L’équipe de la pharmacologue Regina Pekelmann Markus a identifié cette mé-moire cellulaire dans l’endothèle, cou-che de cellules qui revêt l’intérieur des vaisseaux sanguins.

Ce type de mémoire, observé jusqu’à présent sur des souris et décrit dans un article du mois de novembre de la revue PLoS ONE, devrait susciter un intérêt médical car il pourrait avoir une influence sur les greffes d’organes et le développe-ment de tissus remplaçant les originaux. « Si ces découvertes se confirment sur l’être humain, il faudra dorénavant prê-ter attention à la mémoire cellulaire afin d’obtenir des cultures de tissus plus ho-mogènes et réduire ainsi le risque de rejet lors de greffes », déclare la chercheuse de l’université de São Paulo (USP).

La mémoire cellulaire a été décou-verte de manière inattendue dans le la-

mémoires d’origine

_ physioLogie

ricardo zorzetto

boratoire de Chronopharmacologie de l’Institut de Biosciences (IB) de l’USP. L’équipe de Regina cultivait dans des récipients d’acrylique des cellules endo-thales de souris saines et d’animaux sou-mis à un test qui simule une inflamma-tion aiguë, déclenchée par l’injection de molécules (lipopolysaccharides (LPS)) de la paroi cellulaire des bactéries. Après s’être reproduites in vitro durant trois semaines, les cellules descendantes de celles extraites se comportaient encore comme leurs aïeules.

Les cellules extraites d’un rongeur atteint d’inflammation, reproduisaient les processus physiologiques qui se dé-roulent dans l’endothèle d’une région endommagée, en attirant et en retenant les cellules de défense (principalement les neutrophiles, qui sont les plus abon-dantes dans l’organisme) et les premières à arriver dans la région enflammée, alors que les cellules endothéliales descen-dantes de celles extraites des souris sans inflammation agissaient comme si elles se trouvaient dans un environnement sain.

Si ce phénomène se produit chez les souris, modèle expérimental utilisé pour étudier différentes maladies, il est possible qu’il se manifeste également chez l’être humain car la physiologie et la structure des organes des tissus hu-mains et des murins sont très similaires. Si cela se vérifie chez l’être humain, cette mémoire peut expliquer, du moins en partie, le rejet après les greffes. En effet,

aussitôt après un infarctus, par exemple, les cellules de l’endothèle produisent et présentent sur leur superficie des molé-cules qui attirent les neutrophiles. Ces derniers, qui sont normalement trans-portés à grande vitesse par le courant sanguin, adhèrent aux cellules endothé-liales qui les freinent jusqu’à les arrêter.

Les neutrophiles se pressent ensuite entre les cellules de l’endothèle, tra-versent le vaisseau sanguin et se dé-placent entre les tissus jusqu’à atteindre les cellules endommagées. Ce processus, le même qui se produit lors d’une infec-tion par bactéries, provoque des enflures, une augmentation de la température et une douleur localisée. Selon Regina, il laisse également une cicatrice molécu-laire dans l’organisme. Il est donc pos-sible qu’un rein retiré d’une personne ayant eu un infarctus porte dans ses cel-lules la mémoire de ce cadre inflamma-toire augmentant ainsi le risque de rejet. « Ce concept est important et peut, en principe, influencer le résultat de greffes, mais il n’est pas encore possible de le savoir », commente l’immunologiste Mauro Teixeira, de l’Université Fédé-rale de Minas Gérais.

Salvatore Cuzzocrea, chercheur à l’Université de Messine, en Italie, et spé-cialiste en inflammation, rajoute; « l’idée de contrôler l’état d’activation des cel-lules du donneur semble un bon départ pour réduire le risque de rejet. Nous ne devons pas oublier que les dommages

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PESQUISA FAPESP 39

provoqués dans l’endothèle sont les prin-cipales causes d’échec des greffes ».

L’hypothèse que des cellules puissent conserver la mémoire d’un état donné durant de longues périodes est apparue en 2008. Le biologiste Eduardo Tamura qui à l’époque était doctorant, travail-lait dans le laboratoire de Regina sur une standardisation de tests inflamma-toires et cherchait à savoir si la produc-tion d’un composé synthétisé par les cellules de l’endothèle durant l’inflam-mation (l’oxyde nitrique (NO), qui per-met aux vaisseaux sanguins de relaxer en augmentant le flux de sang dans la région endommagée, variait au cours de la journée. Des années auparavant, Regina et la pharmacologue Cristiane

Lopes avaient démontré que l’intensité de l’inflammation oscillait en cycles de 24 heures, étant plus forte le jour et plus suave la nuit. L’oscillation est contrôlée par l’hormone mélatonine dont la pro-duction augmente après le coucher du soleil. La mélatonine, synthétisée par la glande pinéale (située à la base du cerveau), indique à l’organisme qu’il fait sombre et que ses cellules doivent exécuter les tâches qu’elles réalisent normalement de nuit.

La physiologiste Celina Lotufo, cher-cheuse à l’Université Fédérale d’Uber-lândia et ancienne élève de Regina, a constaté que la mélatonine inhibe l’in-flammation en agissant sur l’endothèle. Elle empêche les neutrophiles d’ad-hérer aux cellules endothéliales et de déclencher la réponse inflammatoire. Mais il fallait encore détailler cette interaction d’un point de vue biochi-mique. Eduardo Tamura a découvert que la mélatonine bloquait la produc-tion d’oxyde nitrique en réduisant la relaxation des vaisseaux sanguins et l’arrivée du sang et des neutrophiles jusqu’à la région endommagée.

En 2008, à cause d’un cours d’hiver offert par le Département de Physiolo-gie de l’IB, Eduardo Tamura a dû chan-ger l’horaire durant lequel il préparait les rongeurs pour ses expériences et a été surpris par le résultat obtenu. Au lieu d’injecter le composé inflammatoire au cours de la journée il s’est mis à le

article scientifique

TAMURA, E. K. et al. Long-lasting priming of endothelial cells by plasma melatonin levels. PLos ONE. v. 5(11). 12 nov. 2010.

Les proJeTs

1 glande pinéale et mélatonine – mécanisme de temporisation des réponses neurales et des processus inflammatoires– nº 2002/02957-6

2 axe immuno-pinéal: production endocrine et paracrine de mélatonine en conditions préjudiciables – nº 2007/07871-6

moDaLiTÉ1 et 2 projet thématique

CoorDonnaTriCe1 et 2 regina pekelmann Markus – ib/usp

inVesTissemenT1 523 465,57 réaux (fapesp)2 932 222,87 réaux (fapesp)

faire également la nuit. En comparant les réponses inflammatoires, il a décou-vert que les animaux qui recevaient des lipopolysaccharides la nuit produisaient moins d’oxyde nitrique, signe d’inflam-mation moins intense. L’effet anti-in-flammatoire observé résultait de l’ac-tion de la mélatonine qui réduit l’oxyde nitrique produit par les neutrophiles et par les cellules endothéliales.

En cultivant des cellules de l’endo-thèle durant des périodes plus longues, Eduardo Tamura et les biologistes Ma-rina Marçola et Pedro Fernandes ont découvert qu’elles stockaient pendant environ 18 jours la mémoire de l’état de santé des souris. Les cellules retirées des rongeurs atteints d’inflammation se com-portaient encore comme si elles vivaient encore dans un organisme enflammé.

Cette mémoire a été effacée par la mé-latonine dans certains cas. « Ce type de mémoire n’a pas eu lieu quand la subs-tance a été administrée à l’animal avant de stimuler l’inflammation, » déclare Regina. « Mais nous ignorons encore si l’action de cette hormone sur les cellules endothéliales est directe ou indirecte, ni s’il est possible d’inverser la mémoire de l’inflammation in vitro ». n

Cellules endothéliales: registre de l’inflammation

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40 Publié en aVRil 2011

des corticoïdes actionnent des

mécanismes inflammatoires

dans certaines zones du cerveau

des chercheurs Carolina Demarchi Munhoz et Cristoforo Scavone, de l’Université de São Paulo (USP), et de Robert Sapolsky, de l’Université de Stanford, aux États-Unis, et publiée dans la revue Journal of Neuroscience, fin 2010.

Au moyen d’injections intraveineuses de frag-ments de bactéries, le groupe de chercheurs a pro-voquée des réponses inflammatoires sur des souris de laboratoire afin d’évaluer le pouvoir des corti-coïdes dans la modulation des réactions biochi-miques provoquées par des inflammations du cer-veau, comme dans le cas de tumeurs ou même d’ac-cidents vasculaires cérébraux (AVC). La réponse naturelle de l’organisme face à une inflammation est, comme on le sait, de secréter des corticoïdes, et l’adrénale des souris produit de la corticosté-rone, hormone identique à la cortisone humaine.

Avant de provoquer l’inflammation, Carolina a retiré les glandes adrénales des souris (adrénalec-tomie) et a placé sous leur peau des capsules de corticostérone qui ont libéré lentement la subs-tance. Ainsi, en contrôlant les doses, elle a pu ob-server si l’action anti-inflammatoire variait avec différents niveaux de corticoïdes dans le sang des animaux, séparés en trois groupes, chacun rece-vant une dose différente d’hormone. Le premier

effet inattendu

_ neurophysioLogie

la tranche de 1% de la population mon-diale vivant avec les terribles douleurs causées par l’arthrite rhumatoïde, in-flammation chronique qui provoque une dégénération des articulations, sait com-

bien les corticoïdes sont importants pour amélio-rer leur qualité de vie. Mais il n’y a pas que cette tranche de la population qui soit concernée car des millions de porteurs d’allergies respiratoires, de maladies de la peau, de victimes de tumeurs cérébrales et de patients souffrants d’autres af-fections où la réponse inflammatoire du corps devient excessive, ont bénéficié ces dernières dé-cennies de la puissante action anti-inflammatoire de ces composés, en général des dérivés synthé-tiques de la cortisone, principal corticoïde secrété par les glandes surrénales humaines.

Les corticoïdes, découverts au début du siècle par Edward Calvin Kendall et Philip Showalter Hench, ce qui leur a valu le Prix Nobel de Mé-decine en 1950, ne fonctionnent cependant pas toujours dans le sens voulu, du moins quand il s’agit d’hormones synthétiques. Ils peuvent pro-voquer exactement l’effet inverse à celui attendu et accroître l’inflammation dans certaines ré-gions du cerveau. C’est ce que montre une étude

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PESQUISA FAPESP 41

groupe a reçu un bas niveau de corticostérone, équivalent à celui produit naturellement par les rongeurs. Le second a reçu une dose intermédiaire, identique à celle trouvée dans l’organisme en cas de léger stress, comme une frayeur provoquée par le frappement soudain à une porte, et le dernier a reçu une quantité élevée correspondant à des niveaux modérés de stress, à l’exemple de l’in-quiétude provoquée par le souci de ne pas pouvoir payer ses factures à la fin du mois. Un quatrième groupe dont les glandes adrénales n’ont pas été retirées a été utilisé comme groupe de contrôle.

La relation entre le niveau de corticoïdes dans le sang et le degré de stress est importante car cette réaction adaptative de l’organisme à des situations nouvelles ou menaçantes permet éga-lement aux adrénales de libérer des corticoïdes. Quelques années auparavant, le groupe de cher-cheurs avait déjà démontré qu’un stress chro-nique et imprévisible pouvait provoquer une inflammation cérébrale. La question était mainte-nant de savoir si l’effet dépendait des corticoïdes et de quelle manière cela se produisait.

À l’aide de procédés immunologiques et de biologie moléculaire, ils ont évalué l’impact des différents niveaux de corticoïdes dans deux ré-

gions du cerveau des souris; l’hippocampe, res-ponsable de la mémoire, de l’apprentissage et, dans des cas pathologiques du développement de l’épilepsie et, le cortex frontal, associé aux proces-sus cognitifs élevés comme la prise de décisions. Ils ont ensuite observé un modèle complexe de réponses des gènes analysés.

Selon la dose, certains gènes ont fonctionné de la même manière dans les deux régions (par exemple, ils ont été actionnés ou désactivés dans les deux régions), alors que les autres ont eu un fonctionnement distinct (actifs dans une région et désactivés dans l’autre). Ces modifications dépen-dent du contrôle de l’activité du facteur nucléaire kappaB (NF-kappaB), molécule de communication intracellulaire centrale dans le processus biochi-mique qui régule la réponse inflammatoire.

Jusqu’alors, on pensait que le NF-kappaB était toujours bloqué par les corticoïdes qui auraient ainsi un effet anti-inflammatoire. Les corticoïdes ont diminué l’activité du NF-kappaB avec la dose une plus élevée et réduit l’inflammation dans l’hippocampe. Les doses faibles et moyennes ont toutefois augmenté l’action du NF-kappaB et par conséquent le signal qui déclenche l’inflamma-tion. La relation a été différente dans le cortex

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42 Publié en avril 2011

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Les proJeTs1 Le stress et la signalisation intracellulaire dans l’inflammation déclenchée par l’lps dans le système nerveux central: participation des glucocorticoïdes et de la voie glutamatergique no dans la modulation du facteur de transcription nf-kb – nº 2002/02298-2

2 participation des map kinases, protéines de choc thermique et de la voie d’apoptose dans les effets adverses des glucocorticoïdes dans le système nerveux central – nº 2004/ 11041-0

3 évaluation de l’implication de la voie de signalisation wnt dans la physiopathologie de troubles affectifs bipolaires – nº 2008/08191-1

moDaLiTÉ1, 2 et 3 soutien régulier au projet de recherche

CoorDonnaTeurs1 et 2 Cristoforo scavone – iCb/usp3 beny Lafer – fM/usp

inVesTissemenT 1 191 086,25 réaux (fapesp) 2 229 197,46 réaux (fapesp)3 57 564,57 réaux (fapesp)

affectés dans le trouble bipolaire:

des neurones, en vert et des

cellules gliales, en bleu.

frontal. La dose élevée de corticostérone a été anti-inflammatoire alors que la dose intermédiaire a aggravé l’inflammation.

Bien qu’il s’agisse de résultats expéri-mentaux, ils peuvent avoir une impor-tance clinique, principalement pour la neurologie et la psychiatrie qui traitent les inflammations cérébrales et leurs conséquences. Selon Carolina, les doses utilisées dans les tests sur les souris sont proches de celles adoptées dans des études sur l’être humain. Elle propose cependant que les données soient analy-sées avec prudence. « Nous avons mon-tré que l’action des corticoïdes, même avec des doses appropriées, n’est pas uniquement anti-inflammatoire, mais l’étude a été réalisée sur des souris et en utilisant leur corticoïde naturel », souligne-t-elle.

Ceci peut faire une grande différence car les corticoïdes produits par l’orga-nisme ne fonctionnent pas de la même manière que les corticoïdes synthétiques utilisés comme médicament. Une de ces différences est qu’à peine 10% de la quan-tité de corticoïdes secrétée par les glandes adrénales est disponible dans le sang, prête à agir, autant dans les tissus péri-phériques que dans le système nerveux central. Les synthétiques, quant à eux, sont totalement prêts à agir sur les tissus périphériques mais ils sont en bonne par-tie filtrés en arrivant dans la circulation cérébrale car une barrière spéciale (hé-mato-encéphalique) revêt les vaisseaux sanguins du cerveau et contrôle le passage des différents composés.

C’est pour cette raison que quand il s’agit de traiter des inflammations céré-brales, les médecins augmentent la dose du médicament en espérant qu’une plus grande quantité franchisse la barrière hémato-encéphalique qui fonctionne comme un manteau semi-perméable qui, quand la pluie est faible, évite le passage de l’eau et de se mouiller, mais quand la pluie est forte laisse passer l’eau à travers les mailles du tissu.

En fonction de ce mécanisme, le niveau de corticoïdes synthétiques dans le sang périphérique peut être substantiellement différent de celui qui atteint le cerveau. Ainsi, la dose calculée par les médecins peut sembler en fait élevée à la périphérie mais elle est intermédiaire dans le tissu cérébral. Comme ce sont les doses inter-médiaires qui augmentent la signalisa-tion inflammatoire dans l’hippocampe et

dans le cortex frontal, les résultats servent d’alerte en ce qui concerne l’usage médi-cal de ces composés quand la cible est le système nerveux. Des expérimentations supplémentaires sont donc encore néces-saires et Carolina et Cristoforo Scavone ont l’intention de les commencer sous peu afin de voir si les corticoïdes synthé-tiques agissent sur le cerveau de la même manière que les naturels. « Ces données servent d’alerte pour souligner qu’il y a encore des variables non comprises sur le fonctionnement des corticoïdes »”, dé-clare Cristoforo Scavone.

TroubLes De L’humeur Cristoforo Scavone a récemment débuté une collaboration avec l’équipe de Beny Lafer, du Département Psychiatrique de la Faculté de Médecine de USP, afin d’identifier la possible influence de pro-cessus inflammatoires sur le dévelop-pement de problèmes psychiatriques. Beny Lafer est principalement intéressé par le fait de savoir si les altérations bio-chimiques liées à l’inflammation peu-vent affecter l’équilibre des cellules et les induire à mourir sur des personnes atteintes de trouble bipolaire, qui se ma-nifestent par des alternances d’épisodes dépressifs et maniaques (euphorie).

Ce trouble mental, décrit il y a pratique-ment 2 mille ans par Aretaeus de Cappa-doce et auparavant appelé psychose ma-niaco-dépressive, atteint sous sa forme la plus grave (type 1) environ de 1% de la

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PESQUISA FAPESP 43

en proportions modérées, les corticoïdes aggravent l’inflammation dans l’hippocampe et le cortex frontal

articles scientifiques1. Munhoz, C. D. et al. Glucocorticoids exacerbate lipopolysaccharide-induced signaling in the frontal cortex and hippocampus in a dose-dependent manner. Journal of Neuroscience. v. 30(41), p. 13.690-8. 13 octobre 2010.

2. Hu, L.W. et al. The role of Wnt signaling and its interaction with diverse mechanisms of cellular apoptosis in the pathophysiology of bipolar disorder. Progress in Neuro-Psychopharmacology and Biological Psychiatry. v. 35(1), p. 11-17. 15 janv. 2011.

population et a été traité de manière re-lativement efficace au cours de ces der-nières décennies. Cependant son origine biologique est toujours incertaine. Dans les années 90, des études internationales ont constaté une diminution considérable du nombre de cellules (neurones et cellules gliales) et une réduction des mécanismes de protection cellulaire dans le cerveau de personnes atteintes de trouble bipolaire. Cette perte cellulaire, liée à l’inflammation qui s’intensifie au cours des crises mania-codépressives, affecte le cortex frontal et possiblement l’hippocampe, deux des ré-gions étudiées par Carolina et Cristoforo Scavone. La perte ou la dysfonction de neurones dans le cortex frontal permet peut être d’expliquer pourquoi les patients ont des difficultés à contrôler leurs impul-sions et leurs épisodes maniaques.

Dans un travail de révision publié cette année dans la revue Progress in Neuro-Psy-chopharmacology & Biological Psychiatry, Beny Lafer et Cristoforo Scavone ont proposé un modèle essayant d’expliquer comment les mécanismes inflammatoires peuvent modifier une voie de signalisation intracellulaire actionnée par la protéine Wnt qui régule la prolifération, la migra-tion et la spécialisation des cellules. Tous ces processus semblent être (à un moindre ou plus grand degré) compromis durant les troubles de l’humeur, comme la bipolarité et la dépression. Dans ce type de problèmes psychiatriques, il y a de fortes évidences montrant que le dysfonctionnement de la chaine de réactions chimiques déclenchée par cette protéine est dû au fait que deux des médicaments les plus utilisés pour traiter le trouble bipolaire (le lithium et le valproate) agissent sur ces voies de com-munication intracellulaire, rétablissant ce canal de transmission et éventuelle-ment évitent la mort des neurones. « Les découvertes sur les mécanismes d’action des stabilisateurs de l’humeur ont modi-fié le cours des recherches sur les récep-teurs dans les membranes cellulaires et sur les neurotransmetteurs qui se lient à ces récepteurs pour que cela ce produise dans l’univers intracellulaire », explique Beny Lafer.

Cette nouvelle manière d’aborder les problèmes psychiatriques a rapproché les équipes de Cristoforo Scavone et de Beny Lafer et permettra peut être de mettre au point de nouveaux traitements. Parmi les molécules qui dans l’avenir pourront devenir une bonne cible thérapeutique

cessus inflammatoires est la cause ou la conséquence des épisodes de la maladie qui s’améliorent avec l’usage de stabili-sateurs d’humeur », affirme Beny Lafer.

Le fait de suspecter que les corticoïdes aggravent l’inflammation cérébrale pro-vient d’une observation clinique. Des pa-tients bipolaires qui prennent des corti-coïdes pour combattre les inflammations voient leur cadre psychiatrique s’aggraver. En outre, l’usage de médicaments ayant une action contraire à celle des corti-coïdes dans le traitement de la dépres-sion se trouve encore en phase initiale de tests. Bien que le lithium ait un mécanisme d’action différent des corticoïdes, les cher-cheurs n’écartent pas le fait qu’ils puissent agir sur certaines cibles intracellulaires communes. Mais il est difficile de le savoir. « Il s’agit d’une succession d’évènements chimiques complexes, finement régulés par l’organisme, en réponse au stress et aux processus inflammatoires », déclare Cristoforo Scavone. « Interférer dans ce système pourrait déclencher des consé-quences encore ignorées ». n

pour le trouble bipolaire, Beny Lafer sou-ligne le facteur neurotrophique dérivé du cerveau (BDNF). Cette molécule, qui a de nombreuses fonctions, régule égale-ment la survie et la ramification des neu-rones ainsi que les fonctions relatives à la signalisation par la protéine Wnt qui, d’une certaine manière, sont déréglées durant les épisodes maniacodépressifs.

Il semble même y avoir un rapport mo-léculaire entre les troubles de l’humeur, l’action des corticoïdes et l’influence du stress, bien qu’il n’ait pas encore été défini. Les chercheurs supposent que ce rapport est dû au NF-kappaB, autant impliqué dans la réponse cérébrale aux corticoïdes que dans la signalisation de la protéine Wnt, modifiée dans le trouble bipolaire.

À la recherche de solutions et si pos-sible de nouvelles formes de traitement, Beny Lafer et son élève de doctorat Li Wen Hu, en partenariat avec Eliza Kawamoto, mènent des recherches sur les modifica-tions qui se produisent dans la voie de la protéine Wnt. Ils veulent comparer le ni-veau de protéines de cette chaîne biochi-mique trouvé dans le sang de personnes atteintes de trouble bipolaire et qui re-çoivent une médication (lithium) depuis le début des recherches, avec celui de per-sonnes souffrant de troubles mais n’utili-sant pas de lithium et finalement avec celui d’individus sains. Ils ont jusqu’à présent collecté des échantillons de 20 personnes du premier groupe, 17 du second et 36 du troisième. « Nous ne savons pas encore si la dysfonction qui survient dans les pro-

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44 Publié en juillet 2011

des croisements improbables peuvent créer

de nouvelles espèces de plantes et d’animaux

quand les hybrides sont fertiles

_ évoLution

Carlos Fioravanti

darwin, outre son talent, a eu de la chance. Quand il est arrivé dans l’ar-chipel des Galápagos dans le Paci-fique, il a découvert une riche va-riété de tortues et d’oiseaux vivant

dans des conditions environnementales parti-culières, comme l’isolement et une alimentation qui ont dû influencer fortement leur évolution au cours de millions d’années. Les causes pro-bables expliquant le fait qu’il y ait tant d’ani-maux si identiques (les oiseaux par exemple, avec un bec plus court ou plus long en fonction de leur alimentation) semblaient évidentes. Mais le monde n’est pas seulement fait comme les Galápagos. Les biologistes qui étudient actuel-lement les espaces riches en biodiversité comme la forêt atlantique, ne découvrent pas forcément des histoires évolutives et des espèces proches avec des différences si évidentes entre elles. En compensation, quand ils travaillent sur des ex-traits d’ADN, connus sous le nom de marqueurs moléculaires, ils peuvent désormais connaître les bases génétiques de la diversification des espèces. Le fait que des espèces de plantes et d’animaux génétiquement proches puissent se croiser naturellement entre elles et créer des hybrides fertiles est un mécanisme de création de nouvelles espèces qui acquiert une recon-naissance grandissante chez les chercheurs. e

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Cette idée était auparavant peu admissible car, en général, les espèces différentes possèdent un nombre distinct de chromosomes, structures à l’intérieur des cellules qui contiennent les gènes. Cette différence pourrait entraver le développe-ment de l’embryon car chaque chromosome ve-nant du mâle doit être aligné avec son équivalent qui vient de la femelle quand la cellule fécondée se divise. Sans cet alignement, la cellule ne se reproduit pas et meurt dans la plupart des cas. Mais il y a des exceptions et elles semblent plus fréquentes qu’on ne le pensait. Le croisement entre plantes ou animaux d’espèces proches peut créer des êtres qui, bien qu’étant hybrides, sont fertiles, même si dans la phase initiale de mul-tiplication cellulaire certains chromosomes ne trouvent pas leur paire respective. Ces hybrides, avec du temps et des conditions environnemen-tales favorables, peuvent créer des espèces diffé-rentes de celles dont ils proviennent.

Aujourd’hui le mot « hybride » ne définit pas seulement les êtres stériles comme la mule qui est le résultat du croisement entre un âne et une jument, mais également des êtres fertiles comme les orchidées de la forêt atlantique conservées dans une des pépinières de l’Institut Botanique de São Paulo. L’hybride, avec 38 chromosomes, est le résultat du croisement naturel entre deux espèces sauvages qui sont l’Epidendrum fulgens,

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PESQUISA FAPESP 45

une orchidée hybride de la forêt atlantique

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46 Publié en juillet 2011

avec 24 chromosomes et l’Epidendrum pu-niceolutem, avec 52 chromosomes. Exté-rieurement, les différences sont subtiles. Les fleurs appelées plantes parentales sont rouges ou jaunes, alors que celles des hybrides peuvent être orangées avec des points rouges.

La génétique seule ne suffit pas pour reconnaître les hybrides fertiles. Ils sont désormais identifiés avec une certaine facilité car, outre le fait de comparer le nombre de chromosomes, les spécia-listes examinent tout d’abord les aspects les plus visibles des environnements où les hybrides et leurs géniteurs vivent. Ils examinent ensuite l’histoire du paysage, étudiant les cartes géologiques et celles des variations climatiques qui indiquent les déplacements de bloc rocheux, les tremblements de terre ou les variations prolongées de pluie ou de température qui rapprochent ou éloignent des po-pulations de plantes ou d’animaux et permettant ou non la formation de nou-velles espèces.

Dans le cas des orchidées, les hybrides vivaient autant sur des bancs sablonneux, environnement typique de l’E. puniceo-lutem, que sur des dunes où l’on trouve l’E. fulgens. « Cette versatilité suggère que certaines régions du génome peuvent être échangées entre ces espèces, confé-rant à l’hybride une meilleure capacité d’adaptation à l’habitat », déclare le bota-niste Fábio Pinheiro, chercheur associé de l’Institut Botanique de São Paulo. « Il est probable que l’hybridation naturelle soit une des explications de la grande diversité du genre Epidendrum, consti-tué d’environ 1 500 espèces ».

Au cours d’une présentation au Kew Botanic Gardens de Londres, en mai 2009, Fábio Pinheiro n’a pas mentionné, par précaution, le nombre de chromo-somes des hybrides par peur des réac-tions que cela allait susciter. « Mais les spécialistes en orchidées du Kew m’ont posé la question et quand ils ont su, ils n’y ont pas cru. Ils ont dit qu’il y avait une erreur mais après ils ont accepté » raconte-t-il. La conception prédomi-nante est que les espèces différentes ne se croisent pas naturellement entre elles et que les hybrides qui par hasard appa-raissent sont stériles. L’argument avancé est que les cellules germinatives n’ar-rivent pas à créer de descendants viables.

Cependant, la majorité des plantes est le résultat d’hybridations naturelles

Des hybrides de plantes et d’animaux peuvent apparaître plus facilement dans des espaces réunissant des espèces proches

hybride avec fleur bicolore: rouge, comme l’Epidendrum puniceolutem, et jaune, comme l’E. fulgens

ou induites entre des espèces proches, rappelle Fábio de Barros, coordonnateur du projet à l’Institut Botanique. C’est l’hybridation induite qui fait apparaître des espèces uniques d’orchidées et de plantes utilisées dans l’alimentation, comme le maïs et la canne à sucre. Les hybrides possèdent normalement cer-tains avantages dans le cas des aliments car ils résistent davantage aux maladies et sont plus productifs que les espèces pures. « Darwin avait déjà écrit que les hybrides pouvaient être stériles ou fer-tiles, mais il n’avait pas les moyens de le prouver car il n’avait pas de marqueurs moléculaires pour identifier les signa-tures génétiques d’hybrides fertiles », déclare Fábio de Barros. « Apparem-ment l’hybridation est assez habituelle et semble avoir un rôle beaucoup plus important qu’on ne le pensait ».

Les botanistes ont déjà vu d’autres cas. Les orchidées Ophrys, de la région médi-terranéenne, créent des hybrides d’une fertilité élevée. Le croisement entre deux plantes basses avec des fleurs jaunes eu-ropéenne et étasunienne, Senecio squali-dus et S. vulgaris, a créé un hybride qui attire davantage de pollinisateurs et qui pourrait produire plus de fruits que les espèces dont elles proviennent.

espaCes mÉLangÉsLes animaux créent également des hy-brides fertiles. Le généticien de l’Univer-sité Fédérale de l’État du do Rio Grande do Sul (UFRGS), Thales Freitas, a décou-vert que deux espèces de rongeurs sou-terrains appelés tuco-tucos (Ctenomys minutus, avec 42 à 50 chromosomes, et C. lami, avec 54 à 58 chromosomes) sont capables de s’accoupler et d’avoir par-fois une progéniture fertile. Le résultat dépend de l’origine du mâle et de la fe-melle. Si la femelle appartient à l’espèce Ctenomys minutus et le mâle à l’espèce Ctenomys lami, la progéniture peut être fertile. La combinaison inverse avec des mâles de l’espèce Ctenomys minutus et des femelles de l’espèce Ctenomys lami, crée des hybrides stériles. C’est le même cas de figure pour des grenouilles de la forêt atlantique du genre Phyllomedusa. Tuliana Brunes étudie la formation des espèces Phyllomedusa, l’identification génétique des hybrides et les origines historiques des zones hybrides à l’Uni-versité Publique Pauliste (Unesp) et à l’Université de Porto, au Portugal.

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PESQUISA FAPESP 47

Les endroits les plus probables où les hybrides peuvent apparaître sont les es-paces qui réunissent des populations d’es-pèces proches, animales ou végétales et qui auparavant vivaient séparées. « Nous avons découvert plus fréquemment des hybrides dans des zones de transition écologique, appelées écotones, qui réu-nissent deux types de végétation et qui favorisent la rencontre de populations de plantes et d’animaux auparavant éloi-gnées géographiquement », déclare João Alexandrino, de l’Université Fédérale de São Paulo (Unifesp).

Il y a quelques années, quand il était à l’Université de Berkeley en Califor-nie, aux États-Unis, João Alexandrino a constaté ce phénomène en étudiant des hybrides fertiles résultant du croisement d’espèces apparentées à la salamandre des forêts, près des fleuves californiens. João Alexandrino, Tuliana Brunes et Célio Haddad, de l’Unesp, ont constaté que les grenouilles créent des hybrides dans deux types de forêt atlantique, l’une plus hu-mide et l’autre plus sèche, qui coexistent dans la province pauliste. Les hybrides d’orchidées et de tuco-tucos se trouvaient également dans des zones occupées par des groupes d’espèces avec lesquels ils se sont mis à coexister, probablement à cause des variations climatiques qui ont réuni les zones auparavant isolées ou qui ont forcé la migration de plantes ou d’ani-maux durant des milliers d’années.

Les processus qui ont amené à la sépa-ration des espèces, favorisant le croise-ment ou l’hybridation entre des espèces proches ont provoqué l’apparition de forêts possédant une grande biodiversité comme la forêt atlantique et qui sont de-venues « un creuset de nouvelles espèces en transformation continue », selon la définition de Nuno Ferrand, de l’Univer-sité de Porto. « La richesse en diversité biologique ne dépend pas uniquement du nombre d’espèces mais également des processus qui peuvent faire apparaître de nouvelles espèces », déclare Clarisse Palma da Silva, de l’Institut Botanique.

Le mécanisme le plus connu de créa-tion de nouvelles espèces d’animaux ou de plantes dépend de l’accumulation des mutations génétiques chez les descen-dants d’une même espèce. On peut voir maintenant que l’apparition de nouvelles espèces peut découler également du re-groupement de populations d’espèces différentes qui auparavant vivaient sépa-

intenses. Ces zones isolées qui séparent et qui protègent les plantes et les animaux forment ce que l’on appelle des refuges, des morceaux de forêt qui ont survécu aux intenses variations climatiques du-rant ces derniers milliers d’années et qui ont provoqué la diminution des forêts à proximité et par conséquent l’élimination des populations d’animaux qui y vivaient.

Luciano Beheregaray, biologiste bré-silien qui enseigne dans les Universités Flinders et Macquarie, en Australie, a constaté que les États-Unis, le Royaume-Uni et la France sont les chefs de file de la production scientifique mondiale croissante dans ce domaine, appelée phylogéographie et regroupant les ana-lyses génétiques, géographiques, géolo-giques et historiques. Dans son relevé, le Brésil, qui est le pays le plus riche en biodiversité, occupe la 15ème place parmi les 100 pays analysés.

« Nous pouvons aller beaucoup plus loin en faisant des analyses plus com-plètes de nos données au lieu de ne rien faire », alerte Célio Haddad. « Nous col-lectons les données mais ce sont les spé-cialistes d’autres pays qui les analysent. Nous devrions être les leaders dans ce domaine et non pas être à la traîne ». n

rées. Tout est résolu? Loin de là. « Les règles concernant l’apparition et la diffé-rentiation des espèces ne sont pas toutes évidentes car l’évolution est un processus continu qui suit des chemins différents durant de longues périodes », dit Craig Moritz, biologiste de l’Université de Ber-keley en Californie.

eFFeTs De L’isoLemenT L’un des principes qui a prévalu depuis Darwin est que l’isolement favorise la diversité génétique et la différentiation des espèces au cours de milliers ou de millions d’années. L’un des exemples les plus connus concerne deux espèces de reptiles appelés jararacas (vivant exclu-sivement sur des îles, le Bothrops insula-ris, qui ne vit que dans l’île de Queimada Grande, et le Bothrops alcatraz, dans l’île d’Alcatrazes, à moins de 50 kilomètres sur le littoral sud pauliste) qui ont com-mencé à se différencier en s’isolant cha-cun sur son île il y a environ 18 000 ans.

Il peut y avoir encore beaucoup de choses cachées. Les travaux d’Ana Ca-rolina Carnaval, biologiste brésilienne actuellement à l’Université de la ville de New-York, indiquent que les variations climatiques (de sec à humide) et d’alti-tude (de zéro à 1 600 mètres) le long d’une bande littorale de 5 000 kilomètres de forêt atlantique favorisent l’isolement, l’apparition et le développement de nou-velles espèces avec une intensité plus forte qu’en Amazonie où les variations climatiques et le relief ne sont pas aussi

article scientifiquePINHEIRO, F. et al. Hybridization and introgression across different ploidy levels in the Neotropical orchids Epidendrum fulgens and E. puniceoluteum. Molecular Ecology. v. 19, n. 18. p. 3981-94. 2010.

tuco-tuco: hybrides dans les sables du sud

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48 pubLié en Mars 2011

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PESQUISA FAPESP 49

des mesures

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la sphère parfaite

vue de l’espace

terrestre souffrent une accélération d’environ 9,8 m/s2, c’est-à-dire que leur vitesse de chute augmente de 9,8 m/s à chaque seconde.

L’accélération de la gravité varie subtilement sur chaque point de la Terre suivant le relief et la densité des roches de son intérieur, puisque la distribution de la masse sur la Terre est hété-rogène. Il s’ensuit un effet intéressant : « La dis-tribution de masse de la Terre contrôle le niveau dans lequel l’eau de mer va se trouver à un instant donné, puis la superficie instantanée de la mer s’ajuste suivant le champ de gravité. Ainsi, il y a des hauts et des bas sur la superficie océanique », explique Molina. « Le niveau de la mer n’est pas constant et varie avec le temps et la localisation géographique. En vérité, il n’existe même pas un niveau de la mer, mais un niveau moyen ou un niveau instantané de la mer. »

Sur l’un des ordinateurs près du mur, Cassola Molina montre une autre carte, qui détaille les variations de hauteur de l’eau sur la côte brési-lienne. Sur cette carte, publiée en décembre 2010 dans la revue Journal of Geodynamics, une tâche rouge au nord-est de la région Nordeste du Brésil représente une zone sur laquelle l’eau de mer doit être 10 mètres au-dessus des zones adjacentes, marquées en vert et en bleu. « Avec une de ces cartes à portée de main », déclare Molina, « le pi-lote d’une embarcation pourrait dévier des zones les plus élevées même sans les voir, et économi-ser du temps et du carburant ». Même en étant utile, cette image est néanmoins un défi à l’ima-gination, principalement des plus sceptiques qui diront n’avoir jamais vu une pente avec de l’eau qui s’écoule en plein milieu de la mer.

La Terre modelée par la gravité

teXte Carlos Fioravanti photos eduardo Cesar

comme pour Newton, la gravité conti-nue à exciter l’imagination, menant à des conclusions déroutantes. L’une d’entre elles : celui qui voyage en ba-teau de la ville du Cap en Afrique du

Sud, à Belém, dans l’État du Pará, va parcourir une descente imperceptible. À cause des diffé-rences de masse de la planète sur le trajet entre ces deux villes (et, donc, des variations du champ de gravité de la Terre), le niveau de la mer au port du sud de l’Afrique du Sud est à 70 mètres au-dessus de la hauteur de la mer à Belém.

« Personne ne perçoit cette différence de ni-veau car la distance entre l’Afrique du Sud et le Brésil est très grande, presque 8 000 kilomètres », assure le géophysicien Eder Cassola Molina, pro-fesseur de l’Institut d’Astronomie, Géophysique et Sciences Atmosphériques (IAG) de l’Université de São Paulo (USP). « Cela mis à part, la superfi-cie de la mer est courbe puisque notre planète a la forme approximative d’une sphère. » En vue de passer le concours de professeur agrégé, il a élaboré l’année dernière la carte de l’Atlantique Sud qui propose ces conclusions. Actuellement, une version réduite en format A4 est affichée à la porte d’une des armoires de son vaste laboratoire.

La force gravitationnelle exprime l’attraction physique entre les corps – et varie selon la masse. La marée océanique est un exemple quotidien de l’action de cette force, résultat de l’interaction gravitationnelle entre la Terre, la Lune, le Soleil et qui fait que la Terre se déforme quotidienne-ment. Capable d’agir sur n’importe quel point de l’Univers, la force de gravité fait en sorte que les corps en chute libre proche de la superficie

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50 Publié en mars 2011

en mer eT sur Terre Fernando Paolo, qui actuellement fait son doctorat à l’Institut Scripps d’Océanogra-phie aux États-Unis, a préparé cette carte en 2010, pendant que Molina, qui était son directeur de recherches, préparait la carte plus grande. Les deux images sont le résultat de la somme de deux sources d’informations, l’une locale et l’autre glo-bale. La première représente les appareils qui mesurent la variation du champ de gravité, les gravimètres, installés sur des bouées fixées à l’arrière de 300 navires qui ont parcouru la côte de l’Afrique et du Brésil au cours des 30 dernières années. L’autre correspond aux mesureurs de variation de l’altitude de la mer installés sur deux satellites, le Geosat, lancé par la Marine des États-Unis en 1986, et le Satellite Européen de télédétection (ERS-1), en orbite depuis 1995. « En utilisant les deux sources d’information, nous avons développé une méthodologie qui nous a permis de découvrir dans certaines ré-gions, comme la plateforme continen-tale brésilienne, davantage que les cher-cheurs qui étudient cette même région en employant uniquement des données de satellites », commente Molina.

La mesure des variations de l’alti-tude de l’eau de mer en utilisant un satellite peut – même si cela semble étrange au premier abord – indiquer des vallées ou des collines de la superfi-cie océanique qui ne sont pas détectées par d’autres méthodes, puisque tout ce que le satellite examine n’a pas été évalué par des relevés bathymétriques,

assez coûteux et difficiles à réaliser. Sur terre, ce genre de mise à niveau, fait par des appareils GPS (systèmes de positionnement globaux), qui exige une bonne connaissance du champ de gravité, est en train de substituer les mesures de relief par la mise à niveau géométrique classique, obtenues par des équipements appelés théodolites : chaque mesure indiquait les variations de relief environ tous les 100 mètres, couvrant peu de kilomètres par jour.

« Toute œuvre d’ingénierie suppose des données précises sur l’altitude » affirme Denizar Blitzkow, professeur de l’École Polytechnique de l’USP. Les instruments avec lesquels il a commencé à mesurer les variations de la gravité à São Paulo dans les années 1970 sont aujourd’hui dans le futur musée du génie civil, qui doit ouvrir ses portes cette année.

Cette façon de mesurer les variations associées au champ de gravité ajoutée

à d’autres techniques a indiqué, par exemple, des réserves de pétrole dans des régions du Nordeste brésilien. La mesure de la variation de masse – et de la force et de l’accélération de la gravité, directement proportionnelles à cette masse – signale également où il peut y avoir des minerais ou des cavernes inex-plorées, permet d’élucider des détails auparavant inexplicables de cartes géo-logiques, révélant des différences dans l’épaisseur de la lithosphère (la couche superficielle de la Terre) et, enfin, de montrer comment et où la quantité d’eau de réservoirs souterrains dans les grands aquifères peut osciller au cours de l’an-née. « Il y a juste quelques années », ex-plique Molina, qui a commencé à travail-ler avec la gravimétrie au début des an-nées 1980, « tout cela était impossible ».

Les informations de deux nouveaux sa-tellites européens, le Grace et le Goce, dé-taillent les variations du champ de gravité depuis 2003 et permettent la construction d’une image plus exacte, quoiqu’un peu inconfortable, des formes de la Terre. Les grecs imaginaient la Terre comme une sphère parfaite, mais cette perfection s’est défaite à la Renaissance, à mesure que se consolidait la possibilité de la planète tourner continuellement. Newton affir-mait qu’en conséquence du mouvement de rotation, la Terre devait être aplatie.

Vue de l’espace, la planète continue à paraître une sphère quasi parfaite, même si les cartes établies sur la base de l’accélé-ration de la gravité représentent une Terre déformée, parfois en assumant une forme qui rappelle un cœur. « Les satellites nous montrent que nous avions tort. Grâce à des mesures plus récentes nous avons vérifié que la Terre est très peu aplatie » explique Blitzkow. La mesure de l’axe de la Terre à l’équateur a rétréci de 250 mètres, passant de 6 370 388 mètres en 1924 aux actuels 6 370 136,5 mètres.

Depuis 1982 Blitzkow travaille avec des équipes de l’IBGE (l’Institut Bré-silien de Géographie et de Statistique) sur des cartes de la variation du champ de gravité sur tout le territoire natio-nal. La version la plus récente, qui in-clut d’autres pays d’Amérique du Sud, est sortie en 2010, montrant que la force ou l’accélération de la gravité est infé-rieure sur une région qui inclut le Ceará, une petite partie des États voisins et la région centrale du pays, jusqu’au nord de l’État de São Paulo.

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Le proJeTgnss: investigations et applications sur le positionnement géodésique dans des études liées à l’atmosphère et à l’agriculture de précision – nº 2006/ 04008-2

moDaLiTÉprojet thématique

CoorDonnaTeurJoão francisco galera Mônico – unesp

inVesTissemenT1 279 880,42 réaux (fapesp)

La représentation de la terre exprime la force de la gravité plus intense dans les régions en rouge

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PESQUISA FAPESP 51

anDes eT amazonie Quelques jours avant Noël 2010, une semaine avant le délai final, Gabriel do Nascimento Guimarães a présenté à Blitzkow la quatrième version d’une carte plus détaillée, avec des variations du champ de gravité de l’État de São Pau-lo – résultat de 9 000 points de mesure sur terre, complétés par des informations des satellites Grace et Goce. Cette étude fait partie du doctorat de Guimarães et d’un projet plus vaste, coordonné par João Francisco Galera Mônico, de l’Uni-versité d’État Paulista (Unesp) à Presi-dente Prudente, dirigé vers ce que l’on appelle l’agriculture de précision, qui recherche les meilleures conditions de culture et de cueillette.

Les cartes géodésiques, faites à partir des différences d’éléments du champ de gravité, masquent les différences de relief. Sur la carte de la hauteur géoïde de l’État de São Paulo, le relief présente des variations d’à peine six mètres de hauteur d’Est en Ouest, sans aucun signe des montagnes de 1200 mètres d’altitude proches du littoral. Sur la carte de l’Amé-rique du Sud, les régions les plus hautes sont sur les Andes, mais avec unique-

terférences les plus subtiles des mon-tagnes et des vallées de la Terre sur la trajectoire de chacun d’eux : les équi-pements de bord enregistrent les varia-tions de millésimes de millimètres dans la distance entre eux. Le Goce, sigle pour Gravity Field and Steady-state Ocean Cir-culation Explorer, a été construit par la Communauté Européenne et lancé en 2009 pour établir un registre complé-mentaire, celui de la variation des di-vers éléments du champ de gravité par rapport à trois axes préétablis.

L’accélération de la gravité gagne constamment de nouvelles applica-tions. L’origine de la gravité, néan-moins, différemment de celle d’autres forces, telle l’électricité et le magné-tisme, demeure un mystère. Personne ne sait comment le Soleil attire la Terre et, dans une proportion moindre, com-ment la Terre attire le Soleil. n

ment 40 mètres au-dessus du niveau zé-ro, qui correspond à celui de l’Amazonie.

Le concept selon lequel l’accéléra-tion de la gravité reflète la distribution de la masse aide à comprendre ces dif-férences actuellement si petites. « Les Andes, malgré leurs 6 000 mètres d’al-titude, ne possèdent qu’un peu plus de masse que l’Amazonie », explique Blitzkow. « Si nous pouvions prendre et peser un cylindre de la superficie d’une montagne des Andes et un autre de l’Amazonie, nous verrions que la dif-férence de poids n’est pas aussi intense que la variation de l’altitude. » Sur la carte des altitudes géoïdes de la Terre, la cordillère de l’Himalaya ne dépasse pas une petite colline.

Construit par des Allemands et des Nord-américains, le Grace, abréviation de Gravity Recovery and Climatic Experi-ment, est un ensemble de deux satellites jumeaux, séparés entre eux de 200 kilo-mètres et qui ont été lancés dans l’espace en 2002. Comme ils se trouvent sur une orbite de basse altitude, d’à peine 250 kilomètres (d’autres satellites avec des fonctions similaires étaient à au moins mille kilomètres), ils mesurent les in-

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des variations jusqu’à 70 mètres du niveau moyen de la mer reflètent les différences du champ de gravité de la terre

article scientifiquePAOLO, F.S.; MOLINA, E.C. Integrated marine gravity field in the Brazilian coast from altimeter-derived sea surface gradient and shipborne gravity. Journal of Geodynamics. v. 50, p. 347-54. 2010.

hauteuR Géoïde (m)

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52 pubLié en août 2011

La nébuleuse du Crabe prend un

bain de particules émises...

un mécanisme alternatif peut expliquer la

formation d’étoiles à neutrons plus grandes

que la normale

Les poids lourds de l’univers

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salvador nogueira

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PESQUISA FAPESP 53

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... par une étoile à neutrons (à droite) située dans sa région centrale

transformation de deux noyaux d’hydrogène, chacun avec un proton, dans un noyau d’hélium, avec deux protons, est accompagné d’une subtile réduction de la masse totale. Une partie de cette masse est convertie en énergie et s’échappe de l’étoile (c’est de là que vient tout la puissance d’irradiation de ces astres dans un système pla-nétaire entier). Cette énergie créée à l’intérieur de l’étoile compense la force gravitationnelle, qui agit dans l’autre sens. Grâce à cet équilibre, l’étoile conserve approximativement la même taille durant une grande partie de sa vie.

Cependant, au cours de millions d’années, le carburant nécessaire à la fusion nucléaire s’épuise. Par manque d’hydrogène, des éléments plus lourds sont utilisés, comme l’hélium, le car-bone, l’oxygène, jusqu’à arriver à un point limite qui est le fer. C’est l’ultime frontière et pour une raison simple car la fusion des noyaux de fer consomme plus d’énergie que celle libérée à la fin du processus. À ce stade, la production d’éner-gie dans la région centrale est interrompue et la gravité commence à agir librement, sans aucune force contraire pour compenser son action.

bombe Cosmique L’étoile s’effondre alors sur elle même et dis-paraît dans une séquence complexe d’évène-ments. Le résultat final se solde par une explo-sion des couches les plus externes de l’étoile au cours de laquelle 90% de sa masse est lancée

imaginez que vous preniez le soleil entier et que vous le comprimiez jusqu’à ce qu’il atteigne la taille d’une ville. Radical? Peut être, mais la nature reproduit cette même expérience quand elle créée les étoiles à neu-

trons, l’un des plus petits et plus denses objets de l’Univers. Les astronomes en connaissent plus ou moins les mécanismes mais peu admettent le grand manque d’éléments pour que la science puisse expliquer ce qui se passe dans l’Univers. L’un des mystères à résoudre est de comprendre comment apparaissent les étoiles à neutrons qui ont une masse plus élevée que les prévisions faites par la théorie de la formation et de l’évolution stellaire. Un groupe de chercheurs travaillant au Brésil essaye de résoudre ce mystère en reprenant une hypothèse controversée. En lignes générales, ils suggèrent qu’il doit y avoir plus d’une manière de créer les étoiles à neutrons.

Leur apparition est liée à la mort d’étoiles qui possèdent une masse très élevée, environ huit fois supérieure à celle du soleil. Pour comprendre ce qui se produit, il faut d’abord dire quelques mots de l’état actuel des connaissances sur la vie et la mort des étoiles. Les étoiles, constituées de gaz (la majorité d’hydrogène) et de poussières concen-trées, commencent à briller quand la concen-tration de la matière est telle que les atomes si-tués dans la région la plus centrale de ces corps célestes commencent à s’unir dans un proces-sus connu sous le nom de fusion nucléaire. La

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54 Publié en août 2011

des astres d’une masse huit fois supérieure à celle du soleil brillent durant des millions d’années jusqu’à épuiser leur carburant nucléaire et à exploser sous la forme d’une supernova. Les couches externes sont lancées dans l’espace et le noyau résiduel central crée une étoile à neutrons ou un trou noir

Vie et mort des étoiles

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supergÉanTe

reCyCLage

dans l’espace. Le reste de ce violent épi-sode, connu sous le nom de superno-va, est un noyau résiduel stellaire très compact. Si la masse du noyau est rela-tivement petite, cette compression crée ce que nous appelons communément des étoiles à neutrons (si la masse est plus élevée et la compression continue, cela créera un trou noir, objet si dense que rien n’échappe à son attraction, pas même la lumière).

Selon la théorie actuellement accep-tée, les étoiles à neutrons, appelées ainsi car elles contiennent des proportions élevées de particules sans charges élec-triques (neutrons), devraient toutes avoir les mêmes dimensions avec une masse environ 40% supérieure à celle du soleil et seraient comprimées dans une sphère de moins de 20 kilomètres de diamètre.

« Mais personne ne sait exactement qu’elle est la masse qu’une étoile doit avoir en vie pour mourir et se transformer en étoile à neutrons ou en trou noir », déclare l’astronome Jorge Horvath, de l’Institut d’Astronomie, Géophysique et Sciences (IAG) de l’Université de São Paulo, et coordonnateur d’un groupe qui mène des recherches sur les caractéristiques des étoiles à neutrons.

« Nous pensions encore récemment que toutes les étoiles à neutrons sui-vaient le même modèle », affirme João Steiner, autre astronome de l’IAG. « Mais un cas nettement plus grand a été décou-vert l’année dernière ».

L’objet s’appelle PSR J1614-223, c’est une étoile à neutrons située à 3 mille an-nées lumières de la Terre et découverte par un groupe de l’Observatoire National de Radioastronomie (NRAO) étasunien. Cette étoile, présentée dans un article publié dans la revue Nature, semble avoir deux masses solaires (énorme quand il s’agit d’objets de ce type).

Cette découverte a obligé la commu-nauté astronomique à accepter le fait qu’il y ait des variations significatives dans la masse des étoiles à neutrons. Ceci correspond parfaitement aux prévisions récentes d’un groupe de Horvath, et pu-bliées dans le numéro du mois de juin de la revue Monthly Notices of the Royal As-tronomical Society. Dans ce travail, Hor-vath, Eraldo Rangel et Rodolfo Valentim ont mené une analyse statistique fouillée sur la masse de 55 étoiles à neutrons et ont montré qu’il y a deux modèles plus habituels, l’un formé par les étoiles de

masse plus faible (aux alentours de 1,37 fois celle du soleil) avec peu de variations comme cela était prévu, et l’autre avec une masse supérieure d’environ 1,73 fois la masse solaire et plus variable.

Pourquoi y a-t-il deux groupes dis-tincts? « Les résultats indiquent qu’il y a plus d’un mécanisme de formation des étoiles à neutrons », déclare Horvath.

Cette idée semble compatible avec la répartition d’étoiles à neutrons dans des endroits comme les amas globu-laires, peuplés principalement d’étoiles très anciennes et, selon la théorie, de masse inférieure à celle qui serait né-cessaire pour créer des étoiles à neu-trons. Des observations récentes, réa-lisées par des astronomes de différents pays, montrent qu’il y a beaucoup plus d’étoiles à neutrons que prévu dans ces régions que si elles n’étaient exclusi-vement que le résultat d’explosion d’étoiles de masse élevée.

Les étoiles qui s’effondrent et qui ont à la base une masse huit fois inférieure à celle du soleil ne créent pas des étoiles à neutrons, mais une autre classe d’objets appelés les naines blanches. Elles ont la

Les proJeTs1 La matière hadronique et qCd en astrophysique: supernovas, grbs et étoiles compactes nº 2007/ 03633-32 recherche de phénomènes astrophysiques de haute énergie et de densité élevé nº 2008/09136-4

moDaLiTÉ1 projet thématique2 programme Jeune Chercheur

CoorDonnaTeurs1 Jorge horvath – iag/usp2 german Lugones - ufabC

inVesTissemenT1 154 250,00 réaux (fapesp)2 91 207,65 réaux (fapesp)

masse d’un soleil comprimé d’un volume identique à celui de la Terre. C’est ainsi que le soleil finira ses jours. Dans cer-tains systèmes binaires, la naine blanche sous l’effet de la gravité, vole la masse de son étoile voisine jusqu’à atteindre une limite qui provoque un nouvel effon-drement. Cet évènement est explosif et

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PESQUISA FAPESP 55

article scientifique

VALENTIM, R. et al. On the mass distribution of neutron stars. Monthly Notices of the Royal Astronomical Society. v. 414 (2), p. 1.427-31. Juin 2011.

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Trou noir

ÉToiLe à neuTronsresTes De La supernoVa

produit un type spécifique de supernova, appelée de type Ia, dans lequel la masse totale de l’étoile est lancée violemment dans l’espace.

Certains astronomes suggèrent cepen-dant que cela puisse peut être se pro-duire d’une autre manière. Au lieu de créer une supernova, l’accroissement ra-pide de la masse transformerait la naine blanche en étoile à neutrons. « C’est une idée qui nous travaille depuis 20 ans et certains la déteste”, déclare Horvath. « Mais certains disent que cela fonctionne. Il est difficile d’imaginer une meilleure alternative pour expliquer comment cer-taines étoiles à neutrons se trouvent là où elles sont ».

Des données récentes compliquent le scénario en indiquant l’existence d’étoiles à neutrons d’une masse infé-rieure à celle du soleil et qui ne se for-meraient pas par effondrement.

La réponse définitive n’a pas encore été apportée, mais il est pratiquement sûr que l’avenir des recherches passera par une reformulation des théories expli-quant l’apparition et le comportement des étoiles à neutrons.

de ces astres affecteraient la masse, le rayon, l’évolution ainsi que d’autres propriétés. Un des résultats obtenus par l’équipe montre que certains phé-nomènes qui apparaissent quand la ma-tière se trouve sous la forme de quarks (comme la transition d’un état supra-conducteur) expliquent naturellement l’existence d’étoiles avec une masse bien supérieures à la masse solaire classique de 1,4. C’est pour cela que la découverte de la PSR J1614-223 est une étape impor-tante montrant qu’ils sont sur la bonne voie. Lugones pense qu’une version plus radicale des étoiles à quarks (appelée étoile étrange ou étoile à quarks où l’astre serait entièrement composé de ces particules) doit être sérieusement considérée si l’on parvient à observer des étoiles d’une masse encore plus élevée que celle de la PSR J1614-223.

« Selon les études théoriques menées ces dernières années par notre groupe, la densité nécessaire pour que les parti-cules de matière se défassent en quarks est 5 à 10 fois supérieure à la densité in-terne d’un noyau atomique », affirme Lugones, tout en soulignant que ces den-sités peuvent être parfaitement atteintes au centre des étoiles à neutrons d’une masse supérieure.

Personne ne sait si cela se produit. Il y a encore des lacunes, tant pour la com-préhension de la physique expliquant ce processus, que pour les propriétés observables des étoiles à neutrons. Ma-nuel Malheiro, chercheur de l’Institut Technologique d’Aéronautique et col-laborateur de Horvath et de Lugones, est depuis 2010 à l’Université de Rome où il mène des recherches sur la com-position et autres caractéristiques d’un autre type spécial d’étoiles à neutrons appelées magnétars et qui possèdent un champ magnétique élevé.

Des avancées seront encore néces-saires en termes de théorie et d’observa-tion pour parvenir éventuellement à un cadre plus cohérent. L’unique certitude est le défi captivant que nous imposent ces astres qui sont parfois des labora-toires idéaux pour étudier les propriétés les plus extrêmes de la matière. n

à L’exTÉrieur eT à L’inTÉrieur Si la masse est mystérieuse, la chose se complique en ce qui concerne la compo-sition des étoiles à neutrons. Le niveau de compression de ces objets est si élevé (la densité d’une étoile à neutrons est supérieure à celle du noyau des atomes et 100 trillions de fois supérieure à celle de l’eau) que la matière peut apparaître sous des formes qui n’existent à aucun autre endroit de l’univers.

Il y a des densités supérieures à celles du noyau atomique, des particules comme les protons et les neutrons se défont dans leurs unités fondamentales appelées quarks, et qui, selon la règle, ne sont jamais vus seuls. Il est difficile de confirmer ces hypothèses avec des ob-servations, mais on pense que ces condi-tions existent dans certaines étoiles à neutrons qui abriteraient une soupe de quarks dans leur région centrale.

À l’Université Fédérale de l’ABC, à Santo André, région métropolitaine de São Paulo, le groupe de Germán Lugones est en train de réaliser des calculs et des simulations pour expliquer comment les différentes compositions internes

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56 Publié en FéVRieR 2011

une stratégie permet d’évaluer l’interaction

magnétique entre nanoparticules

Voisinage actif

Physiciens de l’Université de São Paulo (USP), Sueli Hatsumi Masunaga et Re-nato de Figueiredo Jardim ont déve-loppé une stratégie relativement simple pour mesurer un phénomène qui af-

fecte le stockage et la transmission d’informa-tions enregistrées sur des supports magnétiques tel que le disque dur (HD) des ordinateurs. Si ce type d’évaluation des caractéristiques du maté-riel composant la mémoire magnétique des or-dinateurs s’avère commercialisable, on pourra envisager de produire – avec le même matériel que celui utilisé actuellement – des disques durs d’une capacité de stockage jusqu’à cinq fois su-périeure à celle d’aujourd’hui.

Le disque dur d’un ordinateur ordinaire en-registre les informations sur des films de petites particules magnétiques de cobalt (Co), chrome (Cr) et platine (Pt), recouverts d’un matériel isolant. On estime qu’il stocke 200 gigabytes de données sur une superficie comparable à celle d’une boîte d’allumettes. Pour Jardin, directeur de l’Institut de Physique (IF) de l’USP, « en cas de fabrication optimum de ce composant, la même superficie serait capable d’abriter un téraoctet ».

L’augmentation du pouvoir de stockage de ce matériel, dont la composition et la capacité exactes ne sont habituellement pas diffusées par

_ physique {

l’industrie, dépend du contrôle de l’influence qu’exercent les nanoparticules les unes sur les autres – un phénomène du monde atomique nommé interaction dipolaire parce que les nano-particules se comportent comme de minuscules aimants (dipôles magnétiques). D’après Masu-naga, « cette interaction augmente en intensité avec la réduction de l’espace entre les particules, et elle se produit même à des distances consi-dérées grandes dans le monde nanométrique ».

Lorsque l’on appuie sur la touche « Entrée » d’un ordinateur pour enregistrer un fichier de texte, par exemple, une petite bobine (tête de lec-ture) qui flotte à des dixièmes de millionièmes de millimètres du disque dur convertit les signaux électriques en magnétiques et oriente le champ magnétique des nanoparticules dans un cer-tain sens ou dans le sens contraire, à 180 degrés. L’orientation de ce champ magnétique (imaginez une flèche pointée vers le haut ou vers le bas) fonctionne comme une unité d’information : le bit, représenté par les nombres 0 et 1. En action-nant la commande de sauvegarde de l’informa-tion, une longue suite de 0 et de 1 est codifiée dans l’orientation magnétique des nanoparticules ; et elle ne se modifie pas quand l’appareil est éteint.

Augmenter la capacité de stockage de ce type de mémoire créée dans les années 1950 par IBM

ricardo zorzetto

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PESQUISA FAPESP 57

Cube métallique : arrangement en 3d des atomes de nickel à température ambiante

article scientifique

MASUNAGA, S.H. et al. Increase in the magnitude of the energy barrier distribution in Ni nanoparticles due to dipolar interactions. Applied Physics Letters. v. 89. Janv. 2011.

Le proJeT

étude de phénomènes intergranulaires sur des matériaux céramiques nº 2005/53241-9

moDaLiTÉprojet thématique

CoorDonnaTeurreginaldo Muccillo – ipen/sp

inVesTissemenT945 914,22 réaux (fapesp)

exige l’installation d’un nombre plus grand de particules magnétiques sur une même superfi-cie. Mais certains facteurs comme l’interaction dipolaire par exemple rendent l’opération diffi-cile. Au fur et à mesure que les nanoparticules deviennent plus proches, les champs magné-tiques qu’elles génèrent interagissent entre eux jusqu’à, selon la distance, provoquer l’inversion de sens de ces particules – ou, comme disent les physiciens, elles « flipent ». Et dans ce cas « fli-per » est synonyme d’instabilité, ce qui n’est pas souhaitable pour stocker des informations.

Jardim et Masunaga ont proposé en janvier 2011 dans l’Applied Physics Letters une manière de contourner le problème : utiliser deux ensembles de caractéristiques du matériel pour estimer à partir de quel point l’interaction dipolaire de-vient importante. D’ordre structurel, le premier ensemble prend en compte la taille des particules et la distance qu’il y a entre elles. L’autre mesure est la susceptibilité magnétique, c’est-à-dire la réponse du matériel à un champ magnétique.

Les deux chercheurs ont élaboré cette stratégie après avoir analysé le comportement d’un matériel contenant des nanoparticules de nickel synthé-tisées par Masunaga – partie d’un projet théma-tique de la FAPESP coordonné par le physicien Reginaldo Muccillo. Naturellement magnétique à

la température ambiante au même titre que le fer (Fe) et le cobalt (Co), le nickel (Ni) est un métal modèle pour l’étude des propriétés magnétiques.

Au laboratoire, Masunaga a mélangé un acide (citrique), un alcool (éthylène glycol) et un sel (nitrate de nickel). Le mélange liquide a été maintenu à 80ºC jusqu’à ce qu’il se transforme en gel, puis chauffé pendant trois heures à une température de 300ºC. La résine qui s’est formée a été triturée et à nouveau chauffée, mais cette fois dans une atmosphère d’azote pour élimi-ner les impuretés. Le résultat fut la formation de nanoparticules sphériques de nickel immer-gées dans une matrice de carbone et d’oxyde de silicium. Avec en moyenne cinq nanomètres de diamètre, chaque nanoparticule est en réalité un agglomérat de près de 6 000 atomes disposés en forme de cubes et qui se comporte comme s’il s’agissait d’un seul dipôle.

inTeraCTion En augmentant la concentration de nickel, qui a varié de 1,9 % à 12,8 % de la masse du composé, Masunaga a constaté au microscope électronique que la distance entre les nanoparticules était pas-sée de 21 à 11 nanomètres. Parallèlement, la sus-ceptibilité magnétique a révélé une plus grande interaction entre les particules. À partir d’une certaine distance, la susceptibilité magnétique a cessé d’être décrite de la manière attendue pour des particules indépendantes, signifiant ainsi que les champs magnétiques des nanoparticules com-mençaient à interférer les uns sur les autres. « L’in-teraction dipolaire est devenue importante à des distances inférieures à 14 nanomètres », indique Masunaga. La chercheuse a décrit ces résultats dans un article de la Physical Review B de 2009 et dans un autre à paraître dans le Journal of Applied Physics. Un disque dur contenant des nanoparti-cules si proches entre elles se comporterait comme une mémoire atteinte d’Alzheimer : elle pourrait perdre l’information aussitôt après l’avoir acquise.

D’après Jardim, « cette caractéristique qui rend le matériel inadéquat pour stocker des données peut être intéressant pour des phéno-mènes n’exigeant pas la préservation de l’état, comme la transmission de l’information ». Il pense que la stratégie peut être appliquée à tout matériel et éveiller ainsi l’intérêt de l’in-dustrie : « La méthode pourrait être adoptée en tant que protocole pour contrôler la construc-tion de mémoires magnétiques d’ordinateur et pour tester leur qualité ». n

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58 Publié en aVRil 2011

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une alternative

énergétique pour

produire de l’électricité

marcos de oliveira

TeChnoLogie_bioChiMie

Du sirop de canne à sucre dans des bio-batteries

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PESQUISA FAPESP 59

une bio-batterie avec du sirop de canne à sucre est analysée au laboratoire de l’ufabC

le sirop de canne à sucre, qui accompagne les pastéis (NT: rectangle de pâte salée garnie et frite) dans les foires, est un sérieux prétendant pour la production d’énergie électrique dans un petit boitier

en plastique fonctionnant comme une batterie et destiné à alimenter des portables, des lecteurs MP3 ou même des notebooks. Le dispositif dans lequel les sucres du sirop de canne agissent comme un combustible et appelé bio-batterie, est l’une des découvertes récentes les plus prometteuses dans le domaine des sources énergétiques alternatives. En 2007, l’entreprise Sony a présenté un de ces pro-totypes (il en existe plusieurs à travers le monde) pour faire fonctionner un petit lecteur de musique alimenté par du glucose. Outre les sucres, d’autres combustibles peuvent être utilisés comme l’étha-nol, le méthanol et les eaux d’égout. La première démonstration avec du sirop de canne a été réa-lisée par un groupe de recherche de l’Université Fédérale de l’ABC (Ufabc), à Santo André, dans la région métropolitaine de São Paulo. La production d’électricité réalisée en laboratoire à partir de ce sirop de canne a été rendue possible grâce à la synthèse d’une enzyme qui potentialise la réac-tion chimique qui convertit le sucre en électricité.

Les bio-batteries à combustible ont acquis une importance scientifique et technologique crois-sante au cours de ces dernières années. Depuis le

début des années 90, les recherches publiées dans des revues scientifiques sont passées de 5 articles en 1989 à 240 en 2010, selon un inventaire réalisé par le professeur Adalgisa de Andrade, du dépar-tement de Chimie de la Faculté de Philosophie, de Sciences et de Lettres de Ribeirão Preto, à l’Univer-sité de São Paulo (USP). Les recherches sont nor-malement menées en partenariat avec différentes institutions. À titre d’exemple, Adalgisa de Andrade qui développe des bio-batteries utilisant l’éthanol comme combustible, maintient une collaboration avec le professeur Chelley Minteer, de l’Université de l’Utah aux États-Unis qui coordonne un groupe ayant déjà réalisé différents travaux dans ce do-maine. Frank Nelson Crespilho, coordonnateur du groupe sur les Matériaux et les Méthodes Avancées de l’UFABC, utilise du sirop de canne dans ses bio-batteries et développe des partenariats avec l’Uni-versité de Corée du Sud, l’Université de Grenoble en France, et avec l’Institut National des Sciences et de la Technologie de l’Électronique Organique (Ineo) à l’Université Fédérale du Piauí.

Un des points d’attention de ces études liées aux bio-batteries à combustible concerne la puissance qui est encore faible et qui freine sa commercialisa-tion. La recherche menée à l’UFABC avec du sirop de canne et la nouvelle enzyme, permet d’obtenir 60 milliwatts (mW) par centimètre carré (cm2) avec une tension de 0,39 volt (V), ce qui représente 26%

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du voltage d’une pile de type AAA de 1,5 V. « Le voltage peut être augmenté grâce à plusieurs batteries fonctionnant en série », affirme le professeur Frank Crespilho, coordonnateur de l’étude. C’est la formule trouvée par Sony dans son prototype qui a produit 1,5 milliwatt par cm2 et 0,8 V au total. L’expérience de l’entreprise a reçu le soutien scientifique du professeur Kenji Kano de l’Université de Kyoto, au Japon.

La course technologique actuelle vise justement à augmenter la puissance et la durée de fonctionnement de ces équipe-ments qui atteignent déjà plus de10 heures. D’autres aspects des études concernent la création d’énergie à partir des eaux d’égout, en retirant les électrons de la matière orga-nique, et également la miniaturisation qui permettra d’implanter ces batteries dans le propre organisme humain. Dans ce cas là, le combustible sera le propre glucose du sang et non plus le sirop de canne. « L’un des enjeux actuels dans le domaine des bio-batteries à combustible est de les orienter vers les micropuces et de créer une micro-bio-batterie ou une nano-bio-batterie im-plantable pour fonctionner comme une batterie de stimulateur cardiaque, pour libérer des médicaments dans l’organisme ou pour détecter les niveaux de glucose », déclare le professeur Frank Crespilho qui, à 32 ans, est également chef de la Division de la Propriété Intellectuelle du Noyau d’Innovation Technologique de l’UFABC. Frank Crespilho et son équipe ont déve-loppé un logiciel qui mesure les courants très faibles des bio-batteries et ont acheté, grâce à un financement de la FAPESP, un équipement pour éliminer les bruits émis

par les câbles des appareils électroniques et pour traiter les signaux de l’environnement.

hauTe eFFiCaCiTÉ Les bio-batteries fonctionnent comme une batterie normale en convertissant l’énergie chimique en électricité de la même ma-nière que les cellules à combustible qui produisent de l’électricité et dont l’hydro-gène est le principal combustible (équipe-ments déjà fabriqués sur commande par certaines entreprises, y compris au Brésil). Il s’agit d’équipements qui normalement fournissent plus de cinq kilowatts de puis-sance, ce qui est suffisant pour fournir en électricité une maison confortable pour quatre personnes. À l’exemple de leurs

aînées, les bio-batteries à combustible, qui en sont encore au niveau de la recherche scientifique et technologique, sont un gage de production d’énergie électrique alterna-tive car elles possèdent une haute efficacité énergétique en n’utilisant que peu de com-bustible durant la conversion d’énergie par rapport aux moteurs à essence ou diesel, par exemple. Tout ceci de manière silen-cieuse et sans émettre de grandes quantités de gaz ou de déchets polluants.

L’avantage perceptible de ces petits appareils est leur côté biologique, présent dans les catalyseurs, d’origine organique, produit avec des enzymes ou des microor-ganismes. Ces derniers promeuvent la réaction chimique nécessaire à la pro-duction d’électricité au lieu d’utiliser, par exemple, du platine qui est très onéreux, comme dans les cellules à combustibles. L’équipe cordonnée par Franck Crespil-ho est donc parvenue à mettre au point une enzyme synthétisée sous la forme d’un composite formé de nanostructures d’oxy-hydroxides de fer et d’un polymère organique appelé poly-diallyl-diméthyl-ammonium (PDAC), qui sont appliqués sur une cathode, l’un des pôles d’un sys-tème électrolytique, comme une batterie qui produit ou laisse passer le flux d’élec-trons extrait dans ce cas là des sucres du sirop de canne, sur le côté anode (voir illustration). L’utilisation de polyamide dans la structure de la molécule est un avantage supplémentaire découvert par le groupe car il s’agit d’un produit bon marché qui a été choisi pratiquement par hasard lors d’une visite dans une fabrique de plastiques à Santo André.

Les proJeTs1 interaction entre des bio-batteries et des systèmes cellulaires avec des nanostructures od, 1d, 2d utilisant des méthodes électrochimiques nº 2009/ 15558-1

2 Mise au point d’une bio-batterie à combustible utilisant des enzymes d’alcool déshydrogénase stabilisées par auto-montage nº 2008/ 05124-1

moDaLiTÉ1 et 2 soutien régulier au projet de recherche

CoorDonnaTeurs1 frank nelson Crespilho – ufabC2 adalgisa rodrigues de andrade – usp

inVesTissemenT1 92 262,80 réaux et 50 821,57 us$ (fapesp)2 73 622,30 réaux et 29 031,76 us$ (fapesp)

bio-batterie avec membrane électrodes avec des microorganismes et des enzymes plongées dans un sirop de canne à sucre et une solution

soLuTion physioLogique

anoDe CaThoDe

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Tissu de carbone avec la levure Saccharomyces cerevisiae

Tissu de carbone avec enzyme

membrane échangeuse de protons

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injection de sirop de canne dans la bio-batterie

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PESQUISA FAPESP 61

Pour comprendre cette étude bio-élec-trochimique, qui, avec l’adoption de com-posés nanotechnologique s’appelle désor-mais étude nano bio électrochimique, il faut rappeler que les cellules à combus-tible (et même les organiques) ont besoin d’éléments oxydants et réducteurs pour perdre et gagner des électrons. Une mem-brane polymérique appelée membrane d’échange de protons est installée dans les cellules et prise en sandwich entre les côtés anode et cathode de la bio-bat-terie. Comme le courant est continu, le flux d’électrons passe de l’autre côté et est reçu par l’autre pôle. Les atomes sans électrons, les protons, passent unique-ment sur la membrane. Franck Crespil-ho étudie également des bio-batteries sans membranes entre les deux pôles. « Nous en avons produit une de ce type dans laquelle les électrodes sont plongées dans une solution de glucose, d’eau et de peroxyde d’hydrogène (H2O2), plus connu sous le nom d’eau oxygénée, plus deux types d’enzyme, un glucose oxydase et notre enzyme possédant des nanopar-ticules d’oxyde de fer. « La bio-batterie s’est montrée efficace avec une vitesse de réaction électrochimique plus élevée que d’autres bio-batteries décrites dans des publications », déclare Franck Crespilho.

« L’enzyme synthétique que nous avons mis au point imite un mécanisme naturel d’enzymes de la classe des peroxydases. Ainsi, alors que les électrons sont extraits des sucres pour l’anode, d’autres électrons sont injectés sur la cathode et l’enzyme accélère la rupture des molécules de pe-roxyde d’hydrogène. » D’après les cher-

croorganismes n’appartient pas au domaine d’étude du professeur Adalgisa de Andrade, de l’USP de Ribeirão Preto, qui a écrit un article dans lequel elle résume les activités liées aux bio-batteries enzymatiques dans le monde en 2010. Elle a mis au point des bio-batteries qui utilisent l’éthanol comme combustible. Elles sont composées d’en-zymes qui cassent cet alcool comme les déshydrogénases trouvées également dans le foie et qui servent à la digestion des bois-sons alcooliques. Le résultat le plus récent du groupe qu’elle dirige est la mise au point d’anodes avec des nanostructures stabili-sées, contenant des polymères organiques et des déshydrogénases plus stables et qui fonctionnent jusqu’à 90 jours.

« Nous avons mélangé des enzymes et des polymères et nous les avons placés sur la surface du carbone préparée pour rece-voir des électrons, orientant également ces couches pour que l’électrode devienne plus stable et qu’elle acquière une plus grande puissance », déclare le professeur Adal-gisa de Andrade, qui a reçu le soutien de la post-doctorante Juliane Forti dans ses tra-vaux. Grâce à ces nouveaux arrangements, son groupe est parvenu à faire fonctionner une bio-batterie avec de l’éthanol d’une puissance de 0,28 milliwatts par cm2. Le professeur Adalgisa de Andrade et Frank Crespilho font partie d’un groupe spécial de chercheurs héritier des études menées sur le développement des bio-batteries par le professeur Michael Potter, de l’Univer-sité de Durham au Royaume-Uni, qui a dé-couvert que des bactéries Escherichia coli pouvaient produire de l’électricité dans un substrat organique, en 1912. La première bio-batterie n’utilisant que des enzymes n’a été présentée que 50 ans plus tard, en 1964, par un groupe de chercheurs étasu-niens de l’entreprise Space-General Cor-poration, en Californie. Un long chemin a été déjà parcouru et il pourra déboucher dans quelques années sur une nouvelle alternative énergétique. n

cheurs, l’enzyme biomimétique est moins chère, plus stable et plus efficace que les naturelles. Le travail développé par le doc-torant Marcus Victor Martins consiste à envelopper l’oxyde de fer avec une couche du polymère organique synthétisée sous la forme d’aiguilles. L’enzyme stabilisée sur une électrode contenant des fibres de tissu de carbone est plongée dans un mi-lieu salin avec le sirop de canne et d’autres additifs qui composent l’environnement naturel de l’enzyme. La principale diffi-culté est de la maintenir stable durant plus de 10 heures. Si l’enzyme se dégrade, le courant chute », déclare Franck Crespilho, qui est à la tête du groupe depuis trois ans dans l’Université inaugurée il y a cinq ans.

sans perTurber Les expériences menées par le groupe de Franck Crespilho ont également trouvé une autre application possible dans le monde des bio-batteries grâce à l’utilisation de microorganismes comme la levure Saccha-romyces cerevisiae, la même qui agit dans la fermentation de l’éthanol, du pain et de la bière. « Ils digèrent le sucre », observe Franck Crespilho. « La principale difficulté est d’extraire des électrons sans perturber ou tuer la levure Saccharomyces ». Grâce à une série de stratagèmes chimiques, les chercheurs sont parvenus à maintenir l’or-ganisme et à produire de l’électricité stabi-lisant celui-ci sur une électrode de carbone. Selon la littérature scientifique, plus de 20 microorganismes, principalement des bac-téries, ont été utilisés avec succès dans des expériences sur des bio-batteries.

L’utilisation d’électrodes avec des mi-

articles scientifiques

1. MARTINS, M.V.A.; BONFIM, C.; SILVA, W.C.; CRESPILHO, F.N. Iron (III) nanocomposites for enzyme-less biomimetic cathode: A promising material for use in biofuel cells. Electrochemistry Communications. v.12, n.11, p. 1.509-12. 2010.

2. AQUINO NETO, S.; FORTI, J.C.; ZUCOLOTTO, V.; CIANCAGLINI, P.; DE ANDRADE, A. R. Development of nanostructured bioanodes containing dendrimers and dehydrogenases enzymes for application in ethanol biofuel cells. Biosensors and Bioelectronics. v. 26, p. 2.922-26. 2011.

sans membraneune solution avec des électrodes et des enzymes produit de l’électricité

soLuTion physioLogique

anoDe CaThoDe

e- e-

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Enzyme artificielle: Nanoparticules d’oxyde de fer stabilisées sur un polymère organique

enzymeglucoseoxydase

aCiDe gLuConique

gLuCose

h2o2

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62 pubLié en août 2011

un résidu de la production

d’éthanol peut être utilisé pour

produire du biodiesel

Vinasse alternative

_énergie

teXte marcos de oliveira

photos eduardo Cesar

Page 63: Édition Spéciale 2012

PESQUISA FAPESP 63

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Réunir des microalgues et de la vinasse pour produire du biodiesel est le défi relevé par l’entreprise pauliste Algae Biotecnologia. La nouveauté réside dans l’utilisation de vinasse car la pro-

duction de biodiesel à partir d’algues a déjà été réalisée par certaines entreprises étasuniennes. Le résidu de la production d’éthanol se caracté-rise non seulement par la mauvaise odeur qu’il dégagé mais également pour le fait d’être riche en sels minéraux, principalement du potassium, et de posséder des teneurs élevées en matières organiques d’une grande acidité. Dans les an-nées 70, la vinasse est devenue la bête noire du Proálcool, programme gouvernemental visant à utiliser l’éthanol comme carburant. Ce résidu, jeté comme des eaux usées dans les fleuves et les lacs, a tué des poissons, pollué l’eau et atteint la nappe phréatique de certaines localités. Des normes et une législation spécifique fédérale et des états ont été élaborées à partir de 1978, par la Compagnie de Technologie d’ Assainissement Environnemental (Cetesb) de l’État de São Pau-lo, et ont contraint les producteurs à traiter les résidus d’une manière écologiquement correcte et commercialement intéressante. La solution a été de les utiliser comme engrais dans leur pro-pre plantation de canne à sucre. Depuis lors, la vinasse est répandue par des tuyaux d’irrigation dans un processus appelé ferti-irrigation ou trans-

portée en camion pour une application directe dans les champs. Ces habitudes sont déjà forte-ment implantées dans l’industrie du sucre et de l’éthanol mais le volume de résidus augmente de manière effarante car environ 10 litres de vinas-se sont produites pour chaque litre d’éthanol.

250 milliards de litres de vinasse ont été pro-duits en 2010 après distillation du vin obtenu dans le processus de fermentation du sirop de canne. Ce volume impose des alternatives et d’autres types d’usage outre la fertilisation. À l’inverse des usages visant à une production d’éthanol plus rentable dans certaines grandes propriétés qui ont de gros frais de transport de vinasse, un nouveau processus est apparu visant à réduire la quantité de résidu en augmentant la teneur alcoolique dans la phase de fermentation et mis au point par l’entreprise Fermentec, de Piraci-caba, dans l’intérieur pauliste. « Grâce à cette augmentation, il est possible de réduire de moi-tié la production de vinasse », déclare l’ingénieur agronome Henrique Amorim, associé de l’entre-prise Fermentec et professeur retraité de l’Ecole Supérieure d’Agriculture Luiz de Queiroz (Esalq) de l’Université de São Paulo (USP).

Malgré la diminution du volume de vinasse, plus de160 milliards de litres par an seront encore excédentaires. Cette matière première pourra être utilisée pour la production d’huile de microalgues destinée à la fabrication du biodiesel. Ce procé-

PESQUISA FAPESP 63

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64 Publié en Août 2011

dé a déjà montré son efficacité dans les laboratoires d’Algae. « Nous avons déjà obtenu de bons résultats et l’enjeu actuel est de réaliser une planification de la pro-duction d’huiles dans des usines pilotes jusqu’en 2012 et ensuite de réaliser des tests dans une usine entre 2013 et 2014 », dit Sergio Goldemberg, directeur tech-nique de l’entreprise. L’huile est extraite de la biomasse qui se forme grâce à la multiplication des microalgues cultivées dans la vinasse. Les microalgues consom-ment les nutriments du liquide et se dé-veloppent. Certaines espèces doublent leur population en un seul jour.

Pour extraire l’huile, il faut utiliser un système de centrifugation qui sépare les lipides (graisses) de la biomasse. Le matériel passe ensuite par un séchoir et l’huile est extraite à travers des procé-dés mécaniques ou chimiques. La teneur en lipides de la biomasse de microal-gues atteint 30% contre 18% pour le soja ou encore 40% pour le Jatropha. Les microalgues possèdent un autre grand avantage. La productivité peut s’élever à 40 mille kilos d’huile par hectare (kg/ha), alors que le soja atteint 3 mille kg/ha et le Jatropha, 3,5 mille kg/ha. L’autre avantage des microalgues est que le CO2 émis par les usines durant la fermen-tation et qui est absorbé par la propre plantation de canne, peut être utilisé pour la production de biomasse car ces microorganismes ont besoin de CO2 pour

Le bon ChoixSergio Goldemberg explique que les cher-cheurs sont maintenant engagés dans un projet visant à développer des études et à trouver des solutions pour une meilleure efficacité de tout le système. La recherche commence par le choix des microalgues ou cyanobactéries qui ressemblent à des algues. « Nous menons des recherches sur différentes espèces, principalement celles qui vivent en eau douce », déclare Sergio Goldemberg. « Nous réalisons en-suite une sélection pour savoir quelles sont celles qui s’adapteront le mieux à la vinasse et qui produiront une biomasse microbienne avec un contenu élevé en lipides », déclare le professeur Reinaldo Bastos, du Centre des Sciences Agraires de le ville d’Araras, de l’Université Fédé-rale de São Carlos (UFSCar), partenaire dans les recherches de l’Algae, avec un groupe dirigé par le professeur Eduardo Jacob-Lopes, de l’Université Fédérale de Santa Maria, dans l’État du Rio Grande do Sul. « Nous avons déjà sélectionné envi-ron 20 espèces, la plupart prélevées dans l’environnement et elles sont en train d’être testées dans des cultures avec de la vinasse », déclare Reinaldo Bastos.

La vinasse fonctionne comme un milieu de culture pour la croissance et la multi-plication des microalgues. Dans des expé-riences menées dans d’autres pays, princi-palement aux États-Unis, les entreprises qui cultivent les algues doivent rajouter

se multiplier. La protéine résiduelle de ce processus peut être utilisée dans des rations pour la pisciculture, ce qui repré-sente un gain supplémentaire pour les producteurs. Pour produire du biodiesel, tout type d’algue, y compris celui des microalgues, passe par un processus de transestérification qui est une réaction chimique entre un type d’alcool (mé-thanol ou éthanol) et un lipide et qui produit du biodiesel.

Trajectoire jusqu’au biodieselde la vinasse produite à l’usine est transformée en biomasse par les algues

Chez algae, culture expérimentale d’algues

alGue huile bioMasseVinasse

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PESQUISA FAPESP 65

Le proJeTsélection de levures tolérantes dans des processus de fermentation avec une teneur alcoolique élevée visant à la réduction de la vinasse et à l’économie d’énergie nº 09/52427-2

moDaLiTÉrecherche d’innovation en petites entreprises (pipe)

CoorDonnaTeurhenrique amorim – fermentec

inVesTissemenT202 923,42 réaux et 135 310,28 us$ (fapesp)

nous examinons les gènes liés à la capacité de l’organisme de se maintenir viable dans une teneur alcoolique élevée, déclare márcio silva Filho, de l’usp

des sels minéraux et des nutriments à l’eau dans le processus productif. « Nous avons un avantage par rapport à eux car nous avons un résidu réellement économique pour la production », affirme Reinaldo Goldemberg. Il y a différentes entreprises aux États-Unis qui utilisent des algues pour produire des biocarburants, y com-pris du biokérosène pour l’aviation, bien que cela ne soit pas encore produit à une échelle commerciale. Il y a l’entreprise Solazyme, financée par le géant Chevron dans le domaine du pétrole et de l’énergie, Algenol, partenaire de l’entreprise Dow et Sapphire, financée par Cascade, entreprise de Bill Gates ainsi que la Fondation Rocke-feller. Les trois entreprises reçoivent égale-ment un financement du Département de l’Énergie étasunien. Les premières études sur l’utilisation des algues dans la pro-duction de biocarburants ont commencé en 1980 au National Renewable Energy Laboratory (NREL), étasunien. «  Mais à l’époque, les problèmes énergétiques et les excès de CO2 n’étaient pas considérés comme importants », affirme Reinaldo Goldemberg, ingénieur agronome qui a déjà travaillé avec de la vinasse dans des usines d’éthanol avant de monter l’Algae. La vague de projets, principalement éta-suniens avec un soutien gouvernemental, a débuté dans les années 2000.

« Nous aurions pu répliquer ce qui se fait à l’étranger, bien qu’il n’y ait pas encore de produits destinés à la vente, mais nous avons décidé de développer nos propres idées et de suivre une nouvelle voie avec la vinasse », déclare Reinaldo Goldemberg, fils de José Goldemberg professeur de l’Université de São Paulo (USP), ancien ministre de l’éducation et

ancien Secrétaire d’État à l’Environne-ment de l’État de São Paulo. L’Algae re-çoit un financement pour la recherche de l’ordre de 2,5 millions de réaux du bailleur de fonds d’Étude et de Projets (Finep), au sein d’un projet du Programme Subven-tion Économique. Elle reçoit également un second financement de la Banque Na-tionale de Développement Économique et Social (BNDES), du Fonds de Technologie (Funtec), en partenariat avec l’UFSCar, pour un montant de 3,2 millions de réaux versé sur trois ans, qui a également reçu 400 mille réaux de l’entreprise. Algae a été créée en 2007 et depuis 2009 est une joint-venture du groupe Ecogeo, conglo-mérat d’entreprises travaillant dans le do-maine du conseil et de l’ingénierie envi-ronnementale et dont le chiffre d’affaires s’est élevé à 50 millions de réaux en 2010.

LeVure aLCooLiqueLa production de biodiesel à partir de la vinasse peut également éviter de nom-breux frais pour le producteur d’éthanol qui a besoin de pomper ou de transporter sur de longues distances ce résidu trans-formé en engrais, outre le fait d’obtenir de nouveaux gains avec le produit final. La proposition de l’entreprise Fermentec de réduire la production de vinasse de moitié peut être une source d’économie pour les usiniers. « La transporter jusqu’à 35 kilomètres de distance du local de pro-duction de la vinasse couvre les coûts de l’engrais, principalement du chlorate de potassium, qui est en grande partie im-

porté. « Au-delà de cette distance, il y a des pertes financières », déclare Amorim, de Fermentec. L’objectif de l’entreprise est d’augmenter à 16% la teneur alcoo-lique en fin de fermentation, qui est en moyenne de 8%, phase dans laquelle les levures de l’espèce Saccharomyces cerevi-siae se chargent de transformer le sucre en alcool. Ce dernier est ensuite séparé de la vinasse dans la phase de distillation.

L’entreprise, dont le chiffre d’affaires s’élève à 10 millions de réaux par an, sé-lectionne des lignées de Saccharomyces depuis 1990 et fournit environ 80% des levures utilisées dans les usines du pays. Depuis six ans elle développe des études liées à la température dans le processus de fermentation et principalement dans la sélection de ces microorganismes. À cet effet, elle a réuni des chercheurs comme les professeurs Luiz Carlos Basso et Már-cio de Castro Silva Filho de l’Esalq, de Pio Colepicolo de l’Institut de Chimie de l’USP et de Boris Stambuck, de l’Univer-sité Fédérale de l’État de Santa Catarina. Une étude a été réalisée, sous la coordi-nation de Silva Filho et le financement du Conseil National de Développement Scientifique et Technologique (CNPq), pour comprendre comment les levures s’adaptent à la teneur alcoolique élevée de la fermentation. Après l’analyse des 6 mille gènes de ces levures, il a été possible de détecter ceux liés à la capacité de l’or-ganisme de se maintenir viable dans une teneur alcoolique élevée. « Nous avons déjà identifié une série de gènes et à long terme nous pourrons introduire ou mo-duler l’expression de ces gènes dans des lignées de levure », déclare Silva Filho. Pour sélectionner de nouvelles levures qui agissent à une teneur alcoolique élevée, Fermentec a, en 2009, sollicité un pro-jet du Programme de Recherche d’Inno-vation en Petites Entreprises (Pipe) de la FAPESP. « Nous voulons trouver de meilleures levures que les actuelles et qui puissent agir dans 18% de teneur alcoo-lique pour l’utilisation du nouveau proces-sus de fermentation », affirme Amorim.

Une étude a été menée avec succès dans l’usine da Pedra, dans la commune pauliste de Serrana. Avec une fermen-tation réalisée à 16%, il a été possible d’évaluer l’économie qui serait réalisée avec de la vinasse et qui se chiffrerait à 7 millions de réaux par récolte. « Nous sommes déjà prêts à commercialiser le procédé », affirme Amorim. n

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66 Publié en juillet 2011

L’institut butantan développe des

procédés pour augmenter la

production et baisser les coûts

La multiplication des vaccins

_iMMunisation

teXte Fabrício marques

iLLustrations nelson provazi

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PESQUISA FAPESP 67

avec une capacité de pro-duction s’élevant à 20 mi-llions de doses, la fabrique de vaccins contre la grip-pe de l’Institut Butantan a

commencé à fonctionner pleinement au mois de mars et devra permettre au Bré-sil d’être autosuffisant en matière de pré-vention contre le virus influenza pour les personnes âgées en 2012. Le Brésil pou-rra même devenir, d’ici trois à cinq ans, exportateur de vaccins contre la grippe. Deux procédés développés par les cher-cheurs de l’Institut Butantan promettent d’augmenter la production sans avoir be-soin d’agrandir la fabrique qui avait été inaugurée en 2007. Ces procédés n’ont été validés que récemment ainsi que la possibilité d’acquérir davantage de ma-tière première (chaque dose requiert l’utilisation d’un œuf de poule fécon-dé pour la reproduction du virus ce qui rend la fabrique consommatrice de 20 millions d’œufs par an). Un des procédés permet d’isoler le virus entier avec tou-tes les protéines qu’il contient. Actuelle-ment le vaccin contre l’influenza utilise le virus d’une protéine, l’hémaglutinine A. Les autres protéines sont écartées bien qu’offrant également une protec-tion et subissant moins de mutation que l’hémaglutinine A. « Quand nous avons produit ce nouveau vaccin, nous avons découvert que la production par œuf

augmentait de deux à sept fois selon le sérotype du virus », déclare Isaias Raw, chercheur à l’Institut Butantan.

Le deuxième procédé, déjà breveté par l’Institut, est parvenu à isoler une subs-tance adjuvante, le mono-phosphoré lipi-dique (MPLA), qui intensifie la réaction immunologique de l’organisme en stimu-lant la production appropriée d’anticorps ou de lymphocytes. D’autres substances de ce type ont déjà été créées mais elles sont onéreuses ou ne sont pas accessibles. le MPLA, curieusement, est un sous-produit d’une autre ligne de recherche de l’Institut Butantan qui concerne le développement d’un nouveau type de vaccin contre la co-queluche et considéré plus sûr grâce à l’enlèvement du lipopolysaccharide (LPS) de la bactérie qui provoquait des réactions inflammatoires et toxiques. « Nous avons converti des kilos de LPS en MPLA, qui en petites quantités permet d’augmenter la réponse des différents vaccins et ainsi de les utiliser en dosages plus faibles », déclare Isaias Raw. Des tests sur des sou-ris ont montré que le MPLA permet de se protéger de l’influenza en utilisant un quart de la dose actuelle. L’effet a déjà été démontré sur des êtres humains.

La substance est actuellement testée sur diverses maladies. L’Institut Butan-tan a démontré que le MPLA avait du potentiel dans des vaccins contre la leis-hmaniose chez les chiens, rompant ain-

si un lien de transmission qui peut être mortel chez l’homme. Il fait également l’objet de recherches à l’Institut Ludwig de New-York, pour potentialiser l’effet d’un vaccin contre le cancer de l’ovaire, et d’un groupe de chercheur de Ribeirão Preto pour un vaccin contre la tubercu-lose. « Cette substance sera également testée brièvement comme vaccin contre l’hépatite B qui est actuellement ineffica-ce pour les personnes âgées de plus de 50 ans qui attendent une greffe de foie ou de reins », déclare Isaias Raw. Le MPLA, en augmentant la réponse immunologique, le rend également moins spécifique. Il y a déjà eu des cas où un vaccin contre la grippe a également permis d’immuniser le patient contre d’autres sérotypes. Le MPLA est bon marché. « Nous pouvons produire du MPLA pour 1 milliard de doses au prix coutant d’un centime. Ceci permettrait au Brésil de se protéger de la pression des grandes entreprises qui ne veulent pas vendre l’adjuvant mais le vaccin complet », affirme le chercheur. Les résultats, qui dépendront de nou-veaux essais cliniques avant de débou-cher sur une ligne de production, ont été publiés dans la revue Vaccine dans un article signé par Raw, Cosue Miyaki, Wagner Quintilio et Eliane Miyaji, entre autres chercheurs de l’Institut Butan-tan. « Les recherches en laboratoire ne s’arrêteront pas avec la publication de cet

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L’oms estime que l’alarme concernant la létalité du h1n1 a été surdimen-sionnée mais à l’époque elle a permis une meilleure articulation dans l’offre de vaccins

article et elles continueront en visant la production de vaccins au bénéfice de la population », déclare Isaias Raw.

L’Institut Butantan estime que les deux procédés sont capables d’augmenter la ca-pacité de production de la fabrique du va-ccin contre l’influenza en qui passerait de 20 millions à 160 millions de doses. Une telle croissance, outre la réalisation de tests cliniques, dépendra naturellement des conditions du marché qui a énormé-ment varié ces dernières années. La fa-brique a été projetée en 2004 à l’époque de la menace de la grippe aviaire. Cette épidémie causée par le virus H5N1, a, en 2005, décimé des milliers d’oiseaux et même infecté certaines personnes au Vietnam, en Thaïlande, en Indonésie et au Cambodge. À cette époque, un ancien édifice de l’Institut Butantan a été trans-formé en laboratoire pilote pour débuter une production à petite échelle du vaccin. Simultanément, l’État de São Paulo a fi-nancé la construction de la fabrique et le Ministère de la Santé l’importation des équipements. Le procédé utilisé pour la production du vaccin a été remis par le la-boratoire Charles Mérieux, actuellement Sanofi-Pasteur, et se base sur la repro-duction du virus dans des œufs fécondés.

Le scénario s’est radicalement trans-formé en 2009 avec l’apparition du virus H1N1, responsable de la grippe porcine. Il

est apparu aux États-Unis et a infecté des milliers de mexicains et s’est rapidement transformé en pandémie. Les souches étaient identiques à celles de l’influenza de 1918 qui a provoqué la grippe espag-nole et tué 40 millions de personnes. Les deux virus avaient une chose en commun, ils atteignaient principalement les jeu-nes, les enfants et les femmes enceintes qui, jusqu’alors, ne faisaient pas l’objet de campagnes de vaccination. La demande en vaccinations a été rapidement multi-pliée par 10. Actuellement l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) estime que l’alerte concernant la létalité du H1N1 a été surdimensionnée mais qu’elle a favo-risé à l’époque une articulation en matière d’offre de vaccins. « L’OMS a ordonné la préparation d’un vaccin et l’a cédé aux producteurs, y compris à l’Institut Bu-tantan. Il n’allait pas y avoir de vaccins pour tout le monde mais l’accord entre l’Institut Butantan et le laboratoire Sanofi a permis l’acquisition de vaccins fabri-qués à l’étranger et de vacciner ainsi en-viron 80 millions de personnes », déclare Isaias Raw.

Avant même d’appliquer ces nouveaux procédés, l’Institut Butantan entrevoit la possibilité d’exporter des vaccins contre la grippe dans les pays de l’hémisphère nord. La production actuelle de la fabri-que a une forte saisonnalité. La fabrica-tion commence vers le mois de septem-bre quand l’OMS définit quels sont les trois types de virus de la grippe les plus

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La production de vaccin se base sur l’utilisation d’œufs fécondés

« Cette avancée gigantesque nous a permis d’être le seul pays d’amérique Latine à produire des vaccins contre l’influenza », affirme Jorge Kalil

virulents au cours de cette période, et qu’il envoie les échantillons aux fabri-cants. Dans le cas de l’Institut Butantan, la production se concentre jusqu’au mois d’avril, quand la vaccination commence, et la fabrique interrompt ses activités le reste de l’année. « Nous pourrions produi-re un éventail de vaccins de l’hémisphère nord durant cette période d’inactivité que nous fournirions à la population vivant au dessus de l’équateur, tant au Brésil que dans des pays comme le Venezuela, la Colombie et les Guyanes », déclare Isaias Raw. « La vaccination est actuellement tardive et n’est pas vraiment efficace dans ces régions ».

Virus eT embryonLa fabrique a mis sept ans avant d’être prête car il a fallu surmonter une série d’étapes et d’obstacles. Outre les ques-tions bureaucratiques liées au choix de l’entreprise de construction et à l’importation d’équipements spéciaux comme les ultracentrifugeuses, il a fallu également mettre au point une machine qui détruit ce qui reste des œufs après avoir séparé le liquide rempli de virus où baigne l’embryon. Ce matériel doit être réduit en poudre pour être trans-porté avec sécurité et incinéré pour ne pas servir d’aliment aux oiseaux ou à d’autres animaux car il suffirait de quel-ques virus vivants pour disséminer la maladie. « Il s’agit d’un processus très complexe qui utilise une technique spé-cifique pour injecter la souche du virus dans chaque œuf, pour séparer le suc du virus, le purifier et le repurifier et offrir un traitement écologiquement correct au

matériel écarté », déclare Hernan Chai-movich, Surintendant de la Fondation Butantan. Comme le vaccin immunise contre trois types d’influenza, la pro-duction se concentre sur une souche à la fois. Avant de passer au prochain virus, la fabrique doit s’arrêter quelques jours et subir un processus rigoureux de désin-fection. Le laboratoire Sanofi, qui accom-pagne la production des premiers lots, a attesté la conformité de la fabrique aux normes de la communauté européenne depuis cette année. Les investissements pour l’exécution du projet ont dépassé les 100 millions de réaux, avec des finan-cements du gouvernement de l’État de

São Paulo, du Ministère de la Santé et de la Fondation Butantan. Ces chiffres sont négligeables face aux millions de réaux d’économie réalisés par le Brésil en n’ayant pas besoin d’acheter le pro-duit aux laboratoires internationaux », affirme Jorge Kalil, directeur Général de l’Institut Butantan, dans un article publié dans le journal Folha de S. Paulo. « Cette avancée technico-scientifique gigantes-que nous permet d’être aujourd’hui le seul pays d’Amérique Latine à produire des vaccins contre l’influenza ».

aLLianCe gLobaLe La capacité de production de vaccins par des institutions publiques brésiliennes a attiré l’attention de la Fondation Bill et Melinda Gates, qui a également con-tacté d’autres institutions étrangères. L’année dernière, L’Institut Butantan a donc reçu la visite de Tachi Yamada, pré-sident du Programme de Santé Globale de la Fondation, intéressé par la capacité de production de l’institution pauliste. L’entité philanthropique du propriétai-re de Microsoft cherche des partenaires pour produire des vaccins à bas prix qui seraient destinés aux pays en dévelo-ppement. Une proposition de collabo-ration a été récemment formalisée entre l’Institut Butantan, l’entreprise Serum Institute et l’Institut Bio-Manguinhos, de la Fondation Oswaldo Cruz (Fiocruz), à Rio. L’objectif de ce partenariat est la production d’environ 30 millions de doses d’un vaccin pentavalent contre la diphtérie, le tétanos, la coqueluche, l’hépatite B et l’hémophilie B (cause de méningite et autres maladies). L’Institut Butantan a remis une proposition con-cernant la fourniture de 100 millions de doses qui seraient livrées en 2014 au prix unitaire de 1,50 US$ et attend une répon-se. L’articulation pour la recherche de nouveaux fournisseurs entre la fondation Bill et Melinda Gates et l’Alliance Globale pour les Vaccins et l’Immunisation (Gavi, sigle en anglais) a déjà produit des effets notables. Le mois dernier, quatre géants pharmaceutiques, GSK, Merck, Johnson & Johnson et Sanofi-Aventis, se sont mis d’accord pour vendre à Gavi des vaccins contre la diarrhée à prix coûtant. La ré-duction du prix est de 70%. En outre, deux entreprises indiennes, Serum Insti-tute et Panacea Biotec, se sont engagées à fournir du vaccin pentavalent au prix de 1,75 US$ la dose. n

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70 pubLié en février 2011

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éliminer les femelles à l’état larvaire est une stratégie qui commence à être testée

solution génétique

Pour les animaux, l’acte sexuel est la voie qui permet de perpétuer l’espèce. Un objectif primordial qui est en train de s’inverser, du moins pour l’Aedes aegypti, le moustique transmetteur de la dengue.

À travers la manipulation génétique, une popula-tion de mâles créée en laboratoire a reçu un gène modifié qui produit une protéine qui tue la pro-géniture issue du croisement avec des femelles normales vivant dans n’importe quel environne-ment. Cette stratégie peut amener à la suppression d’un grand nombre d’individus de cette espèce, à la réduction de la pulvérisation d’insecticides vi-sant à éliminer les moustiques et par conséquent à la diminution de l’incidence de la maladie chez les êtres humains.

Le premier lâcher dans la nature brésilienne de ces animaux génétiquement modifiés a été autorisé en décembre 2010 par la Commission Technique Nationale de Biosécurité (CTNBio). Le lignage transgénique de l’Aedes aegypti, développé par l’en-treprise britannique Oxford Insect Tecnologies (Oxitec), devra être lâché à partir de ce mois dans la commune de Juazeiro, dans l’État de Bahia, par la biologiste Margareth Capurro, de l’Institut de Sciences Biomédicales (ICB) de l’Université de São Paulo (USP), en partenariat avec l’entreprise Mosca-med Brésil, installée dans la même ville bahianaise.

La dengue est l’un des principaux problèmes de santé publique au monde, spécialement dans les pays tropicaux comme le Brésil. Selon l’Organisa-tion Mondiale de la Santé (OMS), 50 millions de personnes contractent la maladie chaque année, provoquant 550 000 hospitalisations et 20 000 décès. Aujourd’hui, la seule manière de la contrô-ler est d’éliminer son transmetteur, le moustique Aedes aegypti. Les insectes transgéniques déve-

loppés par Oxitec pourront être une option pour réaliser cette tâche. Les mâles du lignage OX513A, selon la dénomination de l’entreprise, sont lâchés pour s’accoupler aux femelles sauvages. Les des-cendants de ces accouplements héritent de la pro-téine létale et meurent durant la phase larvaire ou de nymphe. Pour que leur production en labora-toire soit possible, ils ont été programmés pour survivre quand ils reçoivent l’antibiotique tétra-cycline. Sans cet antidote qui réprime la synthèse de la protéine létale, il n’y aurait pas de survivant à lâcher dans la nature. La souche transgénique contient un marqueur génétique fluorescent qui devient visible quand les larves sont exposées à une lumière ultraviolette. Ceci permet un plus grand contrôle de la qualité dans la production et de la dispersion sur le terrain. Le lâcher continu et en nombre suffisant de ces insectes génétiquement modifiés dans des environnements infestés, devrait avec le temps ramener la population de moustiques sauvages à un niveau en deçà du nécessaire pour transmettre la maladie.

L’histoire du travail de Margareth Capurro sur ces moustiques a commencé au cours d’une ren-contre fortuite, lors d’une conférence en 2007, avec le scientifique britannique Luke Alphey, de l’Université d’Oxford et fondateur d’Oxitec. Il lui a proposé de tester au Brésil les transgéniques qu’il avait développés. À cette époque, la chercheuse avait estimé que l’expérience ne serait pas possible en fonction des entraves légales et bureaucratiques. Peu de temps après, elle a changé d’avis et a décidé de réaliser l’expérience.

Elle a alors sollicité l’autorisation de la CTN-Bio, responsable de la réglementation des trans-géniques dans le pays, pour importer les insectes. « L’importation a été autorisée le 21 septembre

des moustiques transgéniques seront lâchés à Juazeiro,

dans l’état de bahia, pour combattre la dengue

evanildo da silveira

_bioteChnoLogie

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2009 », se rappelle Margareth Capurro. « Une semaine plus tard, nous avons re-çu gratuitement d’Oxitec une enveloppe contenant 5 000 œufs ». La chercheuse a alors commencé à élever l’Aedes aegypti transgénique dans l’insectarium de son la-boratoire à l’ICB. Mais avant d’être lâchés et testés dans la nature, ils devaient être élevés à une grande échelle. En outre, un local approprié et isolé serait également nécessaire, avec une incidence de mous-tiques sauvages propice à leur lâcher.

L’ancien professeur de l’USP et fonda-teur de Moscamed, Aldo Malavasi, s’est alors proposé de produire les moustiques transgéniques dans sa bio-usine et a sug-géré qu’ils soient lâchés sur place, dans des villages isolés de Juazeiro. Margareth Capurro a accepté cette proposition. Un accord a été signé entre l’entreprise et l’USP pour pouvoir la mettre en œuvre. Moscamed ne perçoit rien pour ce travail. «Avec ces tests nous gagnons en visibilité, en formation technique et dans le même temps nous avons la possibilité de contrô-ler ces insectes», déclare Aldo Malavasi. Son entreprise a de l’expérience dans l’éle-vage en masse d’insectes. Elle produit des mâles stériles par irradiation de cobalt sur la mouche méditerranéenne (Ceratitis ca-pitata) et sur la lucilie bouchère (Cochlio-myia hominivorax), qui sont lâchées dans des vergers de la région de Juazeiro et de Petrolina, dans l’État du Pernambouc, dans la vallée du São Francisco, pour concur-rencer les mâles sauvages au cours de l’ac-couplement avec les femelles.

inseCTes en masse Après l’accouplement, il n’y a plus de nais-sance de nouvelles mouches. Les popula-tions de ces insectes diminuent ainsi avec le temps. « Comme nous élevons des in-

le prochain pas sera la réalisation d’étude de propagation pour évaluer la taille des populations locales d’Aedes aegypti. Ce-ci est nécessaire pour calculer le nombre d’insectes transgéniques qui devront être lâchés. Margareth Capurro explique qu’il faut lâcher 5 à 10 moustiques transgéniques pour chaque mâle sauvage. La chercheuse ne s’attend pas à une réduction significative des populations sauvages dès le premier lâcher des insectes produits en laboratoire. « Pour que cela se produise, il faut que des insectes transgéniques soient lâchés au moins durant deux étés », explique-t-elle.

À en juger par les résultats obtenus dans d’autres endroits du monde où les mous-tiques d’Oxitec ont été lâchés, il y a de bonnes chances de croire que l’expérience sera un succès au Brésil. Des tests réalisés l’année dernière aux îles Caïman, dans les Caraïbes, avec 3 millions de moustiques génétiquement modifiés ont montré une réduction de 80% de la population sauvage sur le lieu du lâcher. Des résultats iden-tiques ont été obtenus en Malaisie. Ces ré-sultats motivent d’autres pays à également réaliser des expériences avec les insectes transgéniques de l’entreprise britannique. Oxitec indique sur son site que la France, l’Inde, Singapour, la Thaïlande, les États-Unis et le Vietnam ont déjà autorisé l’im-portation de ces insectes.

Le chemin tracé par Oxitec pour dé-velopper des moustiques génétiquement modifiés est à peine un exemple parmi les différentes voies choisies à travers le

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Larves d’Aedes transgéniques avec un

marqueur génétique fluorescent

Le proJeTpromouvant la mortalité de l’Aedes aegypti infesté par le virus de la dengue nº 08/ 10254-1

moDaLiTÉsoutien régulier au projet de recherche

CoorDonnaTriCeMargareth Capurro – usp

inVesTissemenT347 263,34 réaux (fapesp)

sectes en masse depuis un certain temps, nous allons participer à cette expérience et utiliser l’infrastructure de Moscamed pour multiplier les moustiques transgé-niques », explique Aldo Malavasi. «À cet effet, nous avons construit un laboratoire pour développer les transgéniques qui a déjà été approuvé par la CTNBio».

L’équipe de Moscamed a choisi des en-droits propices pour les tests de terrain dans la région semi-aride des alentours de Juazeiro. « Il s’agit de cinq endroits isolés, des plantations, des routes ou des zones dépeuplées ayant une incidence élevée d’Aedes aegypti », déclare Margareth Ca-purro. «Nous avons trouvé environ 300 larves du moustique dans un seul réservoir d’eau d’une résidence». La chercheuse cite les autres avantages offerts par les endroits choisis. « Comme Moscamed travaille déjà dans la région, la population locale est ha-bituée au lâcher d’insectes dans l’environ-nement », explique-t-elle. « C’est pour cela qu’ils n’auront pas peur des insectes que nous allons lâcher ». Margareth Capurro tient en outre à souligner que seuls les moustiques mâles seront lâchés et qu’ils ne piquent pas ni ne transmettent la maladie. Avec l’autorisation de la CTNBio en main,

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PESQUISA FAPESP 73

monde. Un autre exemple a été rendu public au début de l’année 2010 dans un article publié par la revue scientifique Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) et signé par une équipe de scientifiques internationaux dont fait partie le biologiste brésilien Osvaldo Mari-notti, ancien chercheur de l’USP et actuel-lement professeur à l’Université de Cali-fornie d’Irvine (UCI), aux États-Unis. Au lieu d’élever des mâles de l’espèce Aedes aegypti qui laissent un héritage mortel à leurs descendants, ils ont développé une femelle transgénique qui est incapable de voler. Pour cela, ils ont utilisé une dif-férence naturelle entre les deux sexes.

iL ne resTe que Les mâLesLes muscles qui permettent au moustique de voler sont plus forts chez les femelles. On ne sait pas exactement pourquoi, mais on suppose que cela est dû au fait que ce sont les moustiques femelles qui sucent le sang d’autres animaux, y compris de l’homme et qui portent les œufs. Elles transportent plus de poids et elles ont donc besoin de plus de force dans les ailes. Sur le plan génétique, cette différence s’explique par le fait que les muscles qui donnent de l’impulsion au vol des femelles dépendent d’une protéine, appelée actine-4, qui est codifiée (produite) par un gène bien plus actif chez elles que chez les mâles. Ces derniers possèdent le même gène mais qui s’exprime de manière plus atténuée. Les mâles possèdent un autre type d’ac-tine qui agit sur les muscles responsables du vol. Sachant cela, les scientifiques ont projeté un gène qui produit une substance toxique pour l’actine-4 qui empêche que cette protéine, présente dans les cellules des muscles du vol, développe sa fonction. Il en découle des femelles qui se dévelop-pent normalement jusqu’à la phase lar-vaire mais qui, en devenant adultes, sont incapables de voler. Elles ne peuvent donc pas sortir de l’eau et meurent sans se re-produire et s’alimenter de sang. Elles ne laissent donc pas de descendants ni ne transmettent la dengue. Les mâles trans-géniques arrivent à voler mais cela ne pose pas de problèmes car ils ne s’alimentent pas de sang mais de nectar et de sucs végé-taux. En outre, ils restent toujours sexuel-lement actifs et continuent de s’accoupler avec des femelles sauvages, transmettant à leur descendance le gène qui empêche les moustiques femelles de voler.

D’autres lignes de recherche sur les

moustiques transgéniques sont au centre des études de Margareth Capurro. L’une concerne le transmetteur du paludisme et l’autre celui de la dengue. Dans le pre-mier cas, elle retire un gène de la tique qui produit un peptide, fragment de pro-téine antimicrobien, appelé microplusine. « Ce gène est modifié pour pouvoir être introduit dans un moustique », explique la chercheuse. « Une fois introduit dans le génome de l’insecte, il commence à pro-duire la microplusine qui élimine le pro-tozoaire Plasmodium (microorganisme cellulaire vecteur du paludisme) avant qu’il ne soit transmis à l’être humain. »

Dans le cas du moustique de la dengue et dans un projet financé par la FAPESP, Margareth Capurro manipule le génome d’un insecte à tel point que quand la fe-

melle transgénique est infectée par le virus de la dengue en s’alimentant de sang, des protéines sont produites qui accélèrent le processus de mort cellulaire (apoptose), causant également la mort du propre in-secte. «La présence du virus de la dengue déclenche l’activation de la protéine in-ductrice de l’apoptose, provoquant la mort cellulaire dans tous les tissus des mous-tiques infectés, causant la mort de la fe-melle et permettant de bloquer à 100% la transmission virale», déclare Margareth Capurro. Il y a certaines techniques d’in-troductions géniques qui sont testées pour introduire ces moustiques transgéniques dans la nature. L’une de ces méthodes s’ap-pelle Médée parce qu’elle induit, à travers des systèmes biotechnologiques, la mort de la progéniture non transgénique issue du croisement de femelles normales avec des mâles au génome manipulé. Seule la progéniture qui porte le transgène survit. L’introduction du transgène dans une po-pulation de moustiques par la méthode Médée ne prend que huit générations.

Si les recherches et le temps montrent que ces stratégies, utilisant l’ingénierie gé-nétique pour créer des moustiques trans-géniques, sont efficaces pour contrôler des maladies comme la dengue et le paludisme, elles offriront également un autre avantage car ce type de contrôle diminuera le besoin d’utiliser des insecticides et des larvicides. Ces produits peuvent à court terme de-venir moins onéreux, mais avec le temps les insectes développent des résistances à ces poisons. Ainsi, l’utilisation de mous-tiques transgéniques stériles semble être une bonne option pour l’avenir. n

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Aedes : le mâle, à gauche, est inoffensif. La femelle transmet la dengue

L’utilisation de moustiques transgéniques réduit l’utilisation d’insecticides. ainsi, les insectes ne développent plus de résistances à ces poisons

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74 Publié en Mai 2011

un film sensible prévient

le consommateur en cas de

détérioration des aliments

couleur liée aux champignons

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photos eduardo Cesar

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PESQUISA FAPESP 75PESQUISA FAPESP 75

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ph + basique

le manioc, plante traditionnelle originai-re du sud-est de l’Amazonie et déjà con-sommée au Brésil bien avant l’arrivée des Portugais – il constituait la base alimen-taire des Indiens –, a acquis de nouvelles

fonctions technologiques avancées. Des films plas-tiques biodégradables faits à partir de l’amidon de ce végétal pourront être utilisés dans la production d’un emballage actif, capable d’inhiber la crois-sance de champignons, ou intelligent, qui change de couleur quand l’aliment commence à s’abîmer. Le polymère est aussi testé dans des chirurgies cardiaques, tant pour revêtir l’implant veineux et lui donner plus de résistance au cours de la phase initiale que pour la libération de médicaments.

Les études qui ont donné lieu aux films plas-tiques à base de l’amidon du manioc, un polysac-charide qui a pour fonction principale d’emma-gasiner l’énergie produite par la photosynthèse, ont débuté en 2004 à l’Université de São Paulo (USP). Le groupe de recherches coordonné par la professeur Carmen Cecilia Tadini, du Laboratoire d’Ingénierie Alimentaire du Département d’In-génierie Chimique de l’École Polytechnique de l’USP, développe des pellicules qui ont en commun dans leur composition l’addition de glycérol, une substance plastifiante connue commercialement sous le nom de glycérine. Sous-produit de la fabri-cation du biodiesel, le glycérol a un coût réduit.

Trois types de films plastiques sont étudiés. Chacun est caractérisé par les substances pré-sentes dans sa composition, et deux d’entre eux contiennent des nanoparticules d’argile pour les

rendre plus résistants. Dans le cas de la pellicule antimicrobienne, ce sont les huiles essentielles de clou de girofle et de cannelle qui possèdent des principes actifs agissant contre les micro-orga-nismes. Les tests réalisés en laboratoire avec le polymère contenant ces essences ont montré qu’il est capable d’empêcher la croissance de champi-gnons. Carmen C. Tadini observe : « Aujourd’hui, ces micro-organismes sont combattus avec des substances antifongiques appliquées sur les pro-duits emballés. […] Au cours des tests faits sur les films que nous développons, nous avons constaté que cette capacité peut durer jusqu’à sept jours ».

L’un des défis à relever pour produire ce film fut de déterminer le dosage exact des essences de clou de girofle et de cannelle qui devait entrer dans sa composition. En cas de surdosage, l’odeur forte et caractéristique de ces épices pouvait contami-ner les aliments emballés ; et à l’inverse, un do-sage trop faible n’était pas efficace pour éviter la croissance des microbes. Ce défi a été confié à la doctorante Ana Cristina de Souza, qui a suivi un stage au Laboratoire de Haute Pression et Tech-nologie Supercritique de l’Université de Coimbra, au Portugal. Elle y a appris à dominer la technique qui utilise du gaz carbonique à l’état supercritique pour incorporer les huiles essentielles aux poly-mères. Elle explique que l’état supercritique est atteint quand la température et la pression d’une substance sont supérieures à son point critique – qui se produit quand on atteint une pression donnée et que l’équilibre liquide-vapeur cesse d’exister. La substance dans cet état possède de

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76 Publié en Mai 2011

grandes applications dans des processus d’extraction et de séparation chimique. 

Le deuxième plastique est fait à par-tir de la même base que le premier, avec de l’amidon de manioc, de la glycérine et des nanoparticules d’argile. Il se dif-férencie d’après le quatrième élément de sa composition, à savoir un extrait riche en anthocyanines – un composant naturel de fruits violets ou violacés tels que le raisin, l’açaï, le jaboticaba et la mûre, par exemple. Carmen C. Tadini explique que « la caractéristique des anthocyanines dont nous tirons profit dans notre travail, c’est leur capacité à changer de couleur quand le pH change. Comme l’altération du pH est un des premiers indicateurs de détérioration d’un produit alimentaire, nous utili-sons cela pour produire un film pour des emballages intelligents. Il change de couleur quand l’aliment commence à s’abîmer. Une palette de couleurs sur l’emballage peut indiquer au consom-mateur si le produit est bon ou pas ».

Le troisième polymère est en phase de test avec l’équipe du professeur Jo-sé Eduardo Krieger, directeur du La-boratoire de Génétique et Cardiologie Moléculaire de l’Institut du Cœur (In-Cor), de la Faculté de Médecine de l’USP. Le plastique est utilisé pour améliorer l’efficacité des greffons veineux utili-

pour améliorer la performance et rendre plus durable le pontage par greffe vei-neuse saphène. Eduardo Krieger ob-serve que la perte des greffons veineux atteint 50 % après 10 ans, comme si « la garantie expirait dans la moitié des cas ». Le travail de l’équipe vise à découvrir une alternative pour augmenter ce délai. Dans ce sens, deux fonctions du film développé par Carmen C. Tadini et son équipe sont testées. Dans la première, il est utilisé pour envelopper, c’est-à-dire pour revêtir extérieurement le greffon veineux afin de lui donner plus de résis-tance et de soutien dans les premières phases postchirurgicales. Après cela, la veine artérialisée acquiert un soutien qui lui est propre. Ainsi, le film perd sa fonction et l’absorption par l’organisme devient avantageuse.

Dans la seconde fonction, le film est utilisé comme plate-forme pour libérer des médicaments ou des substances. De l’avis d’Eduardo Krieger, « découvrir les gènes ou les protéines impliquées dans l’artérialisation, différente chez chaque patient, permettra d’interférer sur le pro-cessus à des fins thérapeutiques. Si un gène est plus actif que ce qu’il devrait être, nous pouvons par exemple le dé-sactiver avec des médicaments ». Pour que la pellicule développée par Carmen C. Tadini puisse exercer cette fonction, elle doit être imprégnée de médicaments, de la même manière que les autres plas-tiques avec des substances antimicro-biennes ou qui la font changer de couleur. Pour l’instant, les tests en laboratoire de Krieger sont effectuées in vitro avec des segments vasculaires et des cellules, à travers des modèles expérimentaux uti-lisant des souris. Par la suite, les expéri-mentations pourront être faites sur des lapins et des porcs.

sés dans les chirurgies de revasculari-sation myocardique, plus connues en tant que pontages par greffe veineuse saphène. Le film utilisé n’a pas de nano-particules d’argile dans sa composition, afin qu’il puisse être absorbé par l’orga-nisme du patient avec le temps. En plus de l’amidon de manioc et du glycérol, il contient une substance dénommée car-boxymethylcellulose (CMC), un poly-saccharide extrait de la cellulose et qui a pour fonction d’améliorer les propriétés mécaniques du plastique.

rÉsisTanCe naTureLLe Dans les pontages par greffe veineuse saphène, quand cette veine est retirée de la jambe et placée au niveau du cœur pour fonctionner comme artère, l’exi-gence de résistance est plus élevée que celle comparée à sa fonction naturelle. Eduardo Krieger explique que la rapi-dité du flux et la pression du sang cir-culant dans les veines sont plus faibles que dans les artères, d’où des parois plus fines. Lorsqu’une veine comme la veine saphène est greffée sur le cœur, elle su-bit une altération brusque de fonction et doit s’adapter rapidement à son nouveau rôle. Comprendre comment cela fonc-tionne et ce qui se passe quand une veine « s’artérialise » est l’objectif du travail de recherche développée par Krieger à l’In-Cor. « Nous cherchons à savoir quels sont les gènes et les protéines qui sont impli-qués dans ce processus », précise-t-il.

Une fois compris cela, il est possible de penser à de nouvelles interventions

Le film rose possède de l’extrait de raisin dans sa composition, et le film transparent de la cannelle

Le proJeT emballage actif biodégradable à base de fécule de manioc et d’additifs naturels comestibles : élaboration, caractérisation et évaluation - nº 2005/ 51038-1

moDaLiTÉLigne régulière d’aide au projet de recherche

CoorDonnaTriCeCarmen Cecilia tadini – usp

inVesTissemenT85 401,19 réaux et 58 250,00 us$ (fapesp)

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PESQUISA FAPESP 77

Le projet de développement du film pour envelopper les veines du cœur est plus récent. Initié en 2009 avec le doc-torat d’Helena Aguiar et le financement du Conseil National de Développement Scientifique et Technologique (CNPq), il compte sur la participation du groupe de chercheurs de l’Institut de Chimie de São Carlos, de l’USP, dirigé par le professeur Douglas Franco. Le travail le plus avancé est celui du développement du plastique aux propriétés antimicrobiennes, dé-buté en 2004. « Nous en sommes déjà à la phase de viabilité de la production à l’échelle industrielle », précise Car-men C. Tadini. Ce projet bénéficie du financement de la FAPESP. Pour le déve-loppement du film intelligent, le groupe a obtenu des bourses du CNPq et de la Coordination de Perfectionnement du Personnel de Niveau Supérieur (Capes).

homogène eT bioDÉgraDabLe L’évolution de l’intégration des nanopar-ticules d’argile aux plastiques a bénéficié du travail de la doctorante Otilia de Car-valho, qui a suivi un stage à l’Université française de Strasbourg, plus précisé-ment au Laboratoire d’Ingénierie des Polymères pour les Hautes Technologies (Lipht). Elle signale que son « principal objectif pendant le stage a été d’élaborer un film à base d’amidon, nanocomposé d’argile et plastifié avec du glycérol. […] Vu qu’il y a une faible compatibilité entre l’amidon et l’argile native, j’ai testé deux modifications et obtenu des matériaux beaucoup plus homogènes ».

Une étude présentée en avril 2011 par l’institut allemand Fraunhofer montre également l’utilisation de films qui changent de couleur quand des ali-ments comme la viande ou le poisson sont avariés. Dirigée par le professeur Anna Hezinger, la recherche a utilisé des capteurs chimiques dans des emballages plastiques qui répondent aux amines, des molécules présentes dans la dété-rioration des viandes, et qui changent la couleur du film qui enveloppe le produit. Hezinger a obtenu le soutien financier du Ministère de l’Éducation et de la Re-cherche, et à présent elle recherche des partenaires dans le secteur industriel pour produire ces capteurs chimiques pour emballages.

Quant aux plastiques biodégradables en général, il s’agit d’un domaine en développement dans le monde entier. Nombres de ces films sont aujourd’hui produits dans plusieurs pays comme le Japon, les États-Unis, la Hollande et le Brésil. Ils sont fabriqués à partir de plu-sieurs sources, dont le manioc, le maïs, la pomme de terre, le soja et la cellulose. Le Brésil produit à une échelle pilote un plastique biodégradable à partir de la canne à sucre et qui possède des pro-priétés similaires à celles du polypropy-lène. Appelé Biocycle, il a été développé de concert par l’Institut de Recherches Technologiques (IPT) et le Centre de

Technologie de la Copersucar (CTC) au début des années 2000. Eduardo Brondi, gérant administratif de l’entre-prise PHB qui produit le bioplastique, observe : « Aujourd’hui, la technologie de production est au point. Toute la pro-duction est destinée au développement et au test d’application, conjointement avec de nombreux partenariats dans le monde entier ». Parmi ces applications se trouvent des pièces automobiles, des jouets, des verres et des couverts.

Conformément à une étude de l’Euro-pean Bioplastics – association créée en 2006 et qui représente les fabricants, les traiteurs et les utilisateurs de bioplas-tique et polymères biodégradables et leurs produits dérivés –, en 2007 (don-née disponible la plus récente) la ca-pacité de production mondiale de bio-plastique équivalait à près de 0,3 % de la production mondiale de plastiques, principalement dérivés de sources pé-trochimiques. La prévision est que la production de bioplastiques atteigne 2,33 millions de tonnes en 2013 et 3,45 millions de tonnes en 2020. n

emballage intelligent pour des raisins, qui change de couleur s’ils sont avariés

Les films développés à l’usp sont imprégnés de plusieurs types de substance en accord avec la fonction qu’ils vont exercer

articles scientifiques1. KECHICHIAN, V.; DITCHFIELD, C.; VEIGA-SANTOS, P.; TADINI, C.C. Natural antimicrobial ingredients incorporated in biodegradable films based on cassava starch. LWT - Food science and Technology. v. 43, p. 1.088-94. 2010.

2. VEIGA-SANTOS, P.; DITCHFIELD, C.; TADINI, C.C. Development and evaluation of a novel pH indicator biodegradable film based on cassava starch. Journal of Applied Polymer science. v. 120, p. 1.069-79. 2011.

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PESQUISA FAPESP 79

La métropole en mouvement

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Le profil migratoire de são paulo est marqué par

les allées et venues et par l’internationalisation

peu de gens savent que la Région Mé-tropolitaine de São Paulo n’est plus le grand pôle d’absorption d’immigrants internes et étrangers comme ce fut le cas durant une grande partie du XXe

siècle. Le solde des entrées et des sorties a été sen-siblement négatif au cours de la première décen-nie du XXIe siècle. 100 000 personnes ont émigré dans la Région Métropolitaine et 800 000 l’ont quittée pour se rendre en province pour ce seul État. Le nouveau profil migratoire, que ces chiffres dissimulent d’une certaine manière, est encore moins connu. Le flux migratoire ne s’explique plus par la dynamique de l’industrie et la créa-tion d’emplois formels qui attiraient auparavant de nouveaux habitants. La grande nouveauté est un phénomène de réversibilité où les séjours ont tendance à se raccourcir, le mouvement migra-toire se caractérisant désormais par des allées et venues, outre les retours définitifs.

Décrire de manière détaillée ces nouvelles configurations démographiques, leurs implica-tions et leurs conséquences est la tâche assu-mée par l’Observatoire des Migrations du Noyau d’Études de la Population (Nepo) de l’Université Publique de Campinas (Unicamp), financé par la FAPESP et coordonné par Rosana Baeninger, professeur du Département de Sociologie de l’Institut de Philosophie et de Sciences Humaines (IFCH), également à l’Unicamp. Le projet englobe l’étude d’une large période allant de 1880 à 2010 ainsi qu’un large éventail interdisciplinaire per-mettant aux nouvelles études thématiques, ac-tuellement au nombre de 16, d’apparaître au fur et à mesure que les recherches avancent.

márcio Ferrari

« Notre objectif est que chaque chercheur puisse dévoiler les processus que les grands chiffres ne montrent pas », dit Rosana Baeninger. « L’enjeu pour nous est de partir à la recherche de nouvelles sources de données car les recensements ne nous fournissent pas d’informations sur les migrations internes et étrangères, par exemple ». Les résul-tats définitifs seront publiés dans un atlas théma-tique et feront partie d’une banque de données. De nouvelles approches bibliographiques natio-nales et étrangères permettent également de les comprendre dans un cadre plus large, outre les nouvelles sources d’information utilisées. L’un des points de départ des études de l’observatoire est que « la compréhension des processus migratoires n’a de sens que si nous considérons les dimensions spatiales et territoriales ».

Nous sommes ainsi arrivés à la constatation qu’au XXIe siècle, comme on pouvait déjà l’entrevoir de-puis les années 90, la Région Métropolitaine de São Paulo a suivi le même parcours que les migra-tions internationales. « La métropole possède une caractéristique tournée davantage vers le marché international, comme faisant partie d’une chaîne de villes globales », déclare Rosana Baeninger. Dans ce large spectre, alors que les processus économiques se multiplient spatialement, le temps se mondia-lise. C’est ce que le sociologue britannique Anthony Giddens appelle « mécanismes de délocalisation ».

Aujourd’hui, São Paulo est autant la destina-tion de main d’œuvre hautement qualifiée que de travailleurs sans papiers et sans formation spé-cifique mais qui s’insèrent dans des mécanismes de production flexibilisés et adaptés à la mobi-lité du capital. Dans le premier cas de figure se

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80 Publié en juin 2011

distinguent les argentins et les chiliens qui viennent en ville occuper des postes de direction avec une autorisation de permanence pour des périodes renou-velables de deux ans qui sont comptabi-lisés par le Ministère du Travail. Ils sont au nombre de 20 000 selon les données les plus récentes. Dans le deuxième cas se trouvent les boliviens qui immigrent de leur lieu d’origine et qui échappent aux statistiques officielles. Leur nombre total est estimé à 200 000 selon des or-ganisations privées comme l’organisme Pastoral do Imigrante. Ainsi, d’après le sociologue, « 100 ans après la migration européenne, São Paulo est redevenue la porte d’entrée des migrations inter-nationales qui maintenant ne sont plus subventionnées par le gouvernement ».

Comme on le sait, car c’est un phé-nomène qui existe depuis trois décen-nies, les boliviens viennent principale-ment pour travailler dans l’industrie de la confection qui est contrôlée par les immigrants asiatiques ou leurs descen-dants. La migration bolivienne qui en est à sa deuxième génération a eu un impact urbain sensible comme le changement bien connu du profil démographique du quartier Bom Retiro, traditionnellement

d’origine pour profiter de la haute saison de l’industrie touristique. L’augmenta-tion du coût de la vie urbaine explique également les courts séjours ou les re-tours. Les banlieues avaient auparavant leur propre routine ainsi qu’un potentiel d’absorption des nouveaux habitants, mais aujourd’hui, selon Rosa, « la banlieue n’est plus séparée du centre ; ces régions se sont densifiées et se sont reconfigurées ». Les retours sont un trait caractéristique du profil migratoire du XXIème siècle dans la Région Métropolitaine de São Paulo. Il s’agit de l’endroit du pays qui perd le plus de population par an, principale-ment en matière de migration interne. En contrepartie, c’est l’État qui reçoit le plus de main d’œuvre qualifiée.

rÉseaux Les réseaux sociaux, groupes articulés de soutien à la permanence temporaire et formés principalement par des parents, sont un facteur important dans la struc-ture sociale qui favorise la circulation des immigrants, tant internes qu’étran-gers. Grâce à eux, ils ont la possibilité de laisser leurs enfants durant un certain temps sur leur lieu d’origine pendant qu’ils exercent un travail saisonnier. Les réseaux sociaux fonctionnent aux deux extrémités de la migration et ne sont pas un phénomène nouveau (certains réseaux existent depuis 60 ans), mais ils ont acquis une importance primor-diale dans la sustentation de la tempora-lité migratoire entre des espaces si éloi-gnés. Ceci a permis de faire apparaître de nouveaux systèmes organisés et dyna-miques de transport comme les autobus qui partent de la région de São Miguel Paulista, dans la Zone Est de São Paulo.

L’État de Goiás est devenu aujourd’hui le grand axe migratoire du pays. « C’est le grand pôle d’absorption », déclare Rosana Baeninger. L’agro-industrie attire d’ailleurs de la main d’œuvre qualifiée pauliste. En outre, un centre producteur de céréales comme la ville de Rio Verde offre des cours de gestion publique qui attirent des tra-vailleurs qualifiés venant d’autres États.

L’expansion de l’agro-industrie dans la province pauliste continue également d’attirer des immigrants venant d’autres régions, de la capitale, de centres voisins et à une moindre échelle de l’étranger. À l’agro-industrie s’ajoute la robustesse des niches économiques tournées vers le marché extérieur que différentes régions

un bolivien passe devant des annonces d’offres d’emploi, à La paz, en 2007

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occupé par le commerce et la présence judaïque et aujourd’hui siège des princi-paux ateliers de confection qui emploient une main d’œuvre latino-américaine.

Il s’agit déjà d’une activité basée sur un principe de chaîne de production in-ternationalisée car les tissus viennent de Corée. Depuis ces dernières années, le secteur développe des systèmes élaborés qui permettent à beaucoup de boliviens de travailler saisonnièrement en fonc-tion de besoins spécifiques et selon les époques de lancement de ligne de vête-ments (été et hiver), ce qui renforce le mouvement général de va et vient chez les immigrants urbains. Aujourd’hui, de nombreux travailleurs boliviens sont issus de zones urbaines et arrivent avec une formation professionnelle.

Le travail saisonnier est devenu ha-bituel et il s’est intensifié chez les im-migrants internes, principalement des nordestins. À titre d’exemple, il y a un gros contingent de personnes qui tra-vaillent dans la vente de billets de lote-rie dans les rues durant quelques mois et qui reviennent ensuite sur leur lieu

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PESQUISA FAPESP 81

sont parvenues à consolider, comme les chaussures dans la zone de Franca, les bijoux à Limeira, les meubles à Votupo-ranga, le secteur hôtelier soutenu par la tournée des rodéos à Barretos etc. Le réseau routier est suffisamment efficace pour que beaucoup d’employés qualifiés qui habitent dans une ville puissent aller travailler dans une autre, provoquant « la densification de petites villes aupara-vant marquées par l’évasion ».

Un retour à la campagne ? « Non », dit Rosana Baeninger. « Même si le travail se déplace vers la zone rurale, les per-sonnes vivent dans des villes que nous appelons zones d’extension urbaine non répertoriées, c’est-à-dire des zones avec des caractéristiques urbaines sans qu’elles en aient le statut officiel ». Avec cette uni-formisation, la migration sur de courtes distances et le va et vient régional ont beaucoup augmenté, au point de s’inter-roger sur un plan théorique : les personnes qui se déplacent de la sorte peuvent-elles être considérées comme des immigrants ? Selon la conception en vigueur dans les années 60, d’après le professeur, le temps d’adaptation d’un immigrant appartenant à la zone rurale traditionnelle dans un environnement urbain moderne était en-viron de 10 ans. Aujourd’hui, dans la pro-vince pauliste, les modèles d’urbanisation et de consommation sont pratiquement identiques entre les régions.

impaCT Le mode de fonctionnement des re-cherches de l’Observatoire des Migra-

Rosana Baeninger, le problème des réfu-giés et des immigrants sans papiers crée des situations qui réclament des politiques sociales en faveur de leurs droits et de leur protection contre la discrimination, et qui n’ont pas encore été instituées.

Une étude particulièrement intéres-sante de l’Observatoire des Migrations sur la présence guarani à São Paulo est menée par la sociologue Marta Maria do Ama-ral Azevedo, également de l’Unicamp. Il y a actuellement 20 communautés dans la région de l’État et quatre d’entre elles dans la capitale. Le processus migratoire, originaire du Paraguay, de l’État du Mato Grosso du Sud et de l’Argentine, a com-mencé au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle. On a toutefois observé qu’il perdurait, « menant souvent à des impasses en matière de politiques pu-bliques et sur la question des terres ». L’étude cherche, entre autres choses, à quantifier cette population et à tracer sa généalogie. « Les recherches existantes indiquent des motivations religieuses et économiques, comme la recherche d’une terre sans maux, un endroit où il est possible de vivre à la manière guarani ou selon le guarani reko, qui est la manière d’être de ce peuple », dit Marta. « Il y a aujourd’hui de larges réseaux sociaux structurés à partir des liens de parenté, des affinités religieuses, des échanges économiques et de la pratique du concept oguatá qui est de cheminer, ce qui peut si-gnifier une visite à un parent ou un voyage pour consulter un pajé (NT: un sorcier), ou même pour une réunion de famille ». n

Coréens devant un magasin de meubles d’occasion dans le quartier bom retiro

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tions basé fortement sur l’interdiscipli-narité et la coopération avec d’autres institutions académiques brésiliennes et étrangères ont favorisé l’apparition d’études de phénomène en moindre quan-tité, mais qui sont importantes du point de vue sociologique et anthropologique. À titre d’exemple, un projet inédit à l’étude concerne l’impact social des transferts de pénitenciers dans des villes de province de l’État de São Paulo et la réaction de certains groupes à cette mesure.

Une étude en cours explique la migra-tion de réfugiés dans la région métropoli-taine au cours de ce siècle. Il y a une pré-sence significative de colombiens (et de certains cubains) qui ont été forcés de quit-ter leur lieu d’origine à cause de conflits internes. « Le Brésil possède l’une des lé-gislations les plus ouvertes en termes de réfugiés en Amérique Latine, ce qui favo-rise ce flux », déclare Rosana Baeninger. On calcule qu’il y a 1 800 réfugiés dans la ville de São Paulo. Les plus récents sont les colombiens qui, en général, ont une famille dont le conjoint et les enfants sont brésiliens. Ils ont normalement des quali-fications professionnelles mais ils ont des difficultés à s’insérer car leurs diplômes ne sont pas reconnus. À titre de comparaison, de nombreux réfugiés de la ville de Rio sont composés d’africains célibataires qui arrivent habituellement comme étudiants et qui plus tard demandent l’asile. Selon

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82 Publié en aVRil 2011

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PESQUISA FAPESP 83

des chercheuses brésiliennes rencontrent une

recette de la pierre philosophale à la royal society

Carlos haag

c’est en prenant au pied de la lettre la devise de la Royal Society, Nullius in verba (« ne croire personne sur pa-role », c’est-à-dire qu’il est essentiel de « mettre la main à la pâte » en science)

que les chercheuses Ana Maria Alfonso-Gold-farb et Márcia Ferraz, du Centre Simão Mathias d’Études en Histoire de la Science (Cesima) de l’Université Catholique Pontificale de São Paulo (PUC-SP), ont fait une découverte surprenante en 2008. Après avoir épluché des montagnes de documents de l’institution anglaise, elles ont trouvé la « recette » de l’alkahest, un prétendu « dissolvant universel » alchimique qui pourrait dissoudre toute substance en la réduisant à ses composants primaires. Il manquait cependant quelques éléments pour « clore le dossier », et plus particulièrement le nom de l’auteur de la copie de la recette retrouvée. En se replongeant dans les archives, les chercheuses ont finalement mis fin à un mystère pour en révéler un autre, encore plus étonnant : la découverte d’une recette de la fameuse pierre philosophale qui, selon la croyance, transmuterait des métaux « vils » en or.

Ana Maria Alfonso-Goldfarb déclare : « Ce fut une grande surprise, presque embarrassante parce qu’en tant qu’historiennes de la science il est de plus en plus difficile de vérifier combien l’alchimie a joué un rôle majeur dans la consolida-

Des documents qui valent de l’or

_ histoire de La sCienCe

peinture de Jan van der straet de 1570, représentant un alchimiste dans son laboratoire

tion de la nouvelle science en plein XVIIIe siècle. Mais il est important de souligner que cette per-manence de la quête pour la transmutation était plus pensée à partir de son caractère chimique, surtout comme un instrument d’avancée de la médecine, que de son caractère ésotérique. Cela apparaît clairement dans les propos d’hommes de renom comme Boyle ou Newton, par exemple, qui croyaient en l’existence de la pierre philo-sophale ». Les chercheuses considèrent que les travaux sur la pierre philosophale étaient réalisés dans le cadre de la science de l’époque, même s’il existe d’autres points de vue. D’après l’historien Theodore Hoppen, professeur de l’University of Hull et auteur de l’étude The nature of the early Royal Society, « le baconisme est entré à la Royal Society distordu par la perspective d’un groupe lié à Samuel Hartlib, un des fondateurs de l’ins-titution. Ce cercle poussait à l’extrême les pré-ceptes de Bacon sur l’étude ‘du nouveau, du rare et de l’étrange’ et les unissait à un intérêt tenace pour la découverte d’inventions ‘utiles’, sans lais-ser de côté les idées hermétiques en reprenant des travaux de Paracelso et Helmont. Il suffit de voir combien Boyle entretenait un intérêt pour le moins délicat pour des questions de philosophie naturelle ; il était disposé à accepter tout type de phénomène du moment qu’il pouvait être expli-qué selon des principes mécaniques. Cela incluait

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la pierre philosophale. Dans une lettre à Henry Oldenburg, secrétaire de la Royal Society, Newton en vient à se plaindre de son collègue, qui devrait selon lui ‘se taire’ et ne pas diffuser des ‘secrets d’un véritable philosophe hermétique’ ».

LaTin Henry Oldenburg est d’ailleurs au centre du nouveau mystère révélé par les cher-cheuses brésiliennes. Après plusieurs ten-tatives d’identification de l’écriture de la recette de l’alkahest, elles ont rencontré un document écrit en latin qui contenait en marge des observations en français. « L’écriture nous a semblé connue et nous avons vu qu’elle était d’Oldenburg, qui écrivait ses annotations personnelles en français. Le mystère était alors résolu : c’est lui qui avait retranscrit la recette de l’alkahest. Mais quand nous avons lu le texte en latin écrit d’une autre écriture, nous avons vu qu’il s’agissait d’une recette de la pierre philosophale », raconte les chercheuses. Le titre du texte, qui date-rait selon elles de 1659, était : Processus de bois. Au départ, elles ont cru qu’il s’agis-sait d’expérimentations sur le brûlage de bois, mais en vérifiant la présence d’élé-ments de la pierre philosophale elles ont compris qu’il s’agissait du nom d’une per-sonne. En France, elles ont recherché un Du Bois qui aurait travaillé sur la célèbre transmutation et découvert, après un véri-table travail de détective, l’histoire de Noël Picard, dit Du Bois, pendu à la Bastille en 1637 sur l’ordre du cardinal Richelieu. La

raison ? Il avait tenté de tromper le puis-sant ministre de Louis XIII en affirmant être capable de produire de l’or à partir du plomb. Après une vie rocambolesque de voyages et de conversions de père ca-pucin à luthérien, Du Bois rentre à Paris et s’attire la sympathie du père Joseph, confesseur de Richelieu. D’après Márcia Ferraz, « le cardinal y a vu là la chance d’augmenter la richesse de la France et de résoudre les problèmes financiers que connaissait le royaume. Il a alors fait ap-pel à Du Bois pour qu’il fabrique de l’or avec sa ‘poudre de projection’, et ce en présence du roi, de la reine et d’autres notables, parmi lesquels Richelieu ». Muni d’une coupelle et d’un creuset, Du Bois est allé au Louvre et s’est mis à travailler en demandant aux gardes de lui apporter des balles de mousquet. Après les avoir chauf-fées et aspergées d’une poudre, il les a re-couvertes avec des cendres. Enthousiaste, le roi a tenu à souffler personnellement sur le mélange, couvrant ainsi sa royale figure, celle de la reine et des membres présents. Mais l’émotion compensait tout dans la mesure où on pouvait voir de l’or au fond du récipient. Louis XIII à étreint le pauvre Du Bois, lui a donné le titre de noble sur-le-champ et même concédé le privilège de chasser sur les terres royales. Richelieu, ravi, a entraîné le père Joseph dans un coin et l’a salué comme s’il tenait entre les mains un futur chapeau cardina-lice. L’entrain général n’a pas été affecté par les orfèvres de la cour, qui ont vérifié qu’il s’agissait d’un or à 22 carats. Du Bois leur a répondu que c’était seulement un échantillon des possibilités.

Richelieu lui a dit que le roi avait « seu-lement » besoin de 800 000 francs hebdo-madaires en or, et il lui a donné 20 jours pour débuter la production. Il avisa le roi que cela allait permettre de ne plus faire payer d’impôts au peuple et de devenir le monarque au pouvoir le plus puissant d’Europe. Toutefois, Du Bois a utilisé le délai pour chasser avec ses amis. Soup-çonneux, le cardinal a ordonné qu’on le surveille ; et irrité par le retard, il a fait construire un laboratoire pour que le prétendu alchimiste réalise, cette fois en tant que prisonnier, la « grande œuvre » au château de Vincennes. Mais ce fut un nouvel échec, qui conduisit le « noble » à la Bastille où il fut torturé et finalement tué pour ne pas avoir fourni la recette de la pierre philosophale. En dépit des événe-ments, ses bourreaux pensaient qu’il était

« à la royal society du xViie siècle, des hommes brillants croyaient en l’existence de la pierre philosophale pour ‘ouvrir l’or’ », explique ana maria alfonso-goldfarb.

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La préparation de la pierre philosophale

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Pour Paulo Alves Porto, historien de la chimie et professeur de l’Institut de Chimie de l’Université de São Paulo, « les travaux de Paracelso et de Van Helmont, entre autres, se sont développés à un mo-ment où l’on reconsidérerait la médecine galénique. Il y avait également de nou-velles maladies qui exigeaient d’autres so-lutions plus efficaces. Leur recherche pour l’alkahest, par exemple, révèle cette pré-occupation médicinale ». Dans son article Alchimy and iatrochemistry, l’historien américain Allen Debus écrit qu’« entre les XVIe et XVIIIe siècles, la signification de la chimie doit être recherchée au niveau de sa relation avec la médecine, même si la transmutation est restée une constante jusqu’au siècle des Lumières, y compris quand on opérait déjà la séparation entre la chimie et la médecine ». Selon lui, la relation s’établit au départ à partir de la rivalité avec les galénistes pour progres-ser au niveau des explications chimiques de processus physiologiques – la base de l’œuvre de Van Helmont –, ce qui a fini par entraîner la séparation entre la

réellement capable de produire de l’or mais qu’il essayait d’en cacher le secret. Vingt ans plus tard, en 1659, Oldenburg se trouvait en France et il a fini par tomber sur la recette de Du Bois ; il l’a envoyée en Angleterre où elle a semble-t-il été reçue de manière exaltante. Et Ana M. Alfonso-Goldfarb d’ajouter : « À la Royal Society, en plein XVIIe siècle, ces hommes brillants étaient persuadés que Du Bois avait vraiment réussi à ‘ouvrir l’or’, c’est-à-dire à le dissoudre pour préparer d’autres matériaux, une fonction attribuée à la pierre philosophale ».

pierres De l’avis d’Ana M. Alfonso-Goldfarb, « au centre de tout cela se trouvait le souci de résoudre des problèmes de santé, en particulier la dissolution de pierres de l’organisme – l’une des principales causes de décès à cette époque. On pensait que la solution idéale était de les dissoudre avec des acides minéraux, mais sans porter at-teinte à la vie du patient. Il fallait trouver quelque chose qui ait le pouvoir de l’acide et pas ses problèmes. Et c’est alors que sont apparus l’alkahest et la pierre philoso-phale qui, réunis, seraient le médicament idéal ». Le premier allait réduire les effets négatifs de l’acide et la pierre constituait le complément parfait parce qu’elle était suffisamment puissante pour dissoudre un métal noble et résistant comme l’or et en même temps « faible » contre l’orga-nisme. « Bien sûr, cela n’empêchait pas de penser à la pierre comme un élément capable de produire de l’or pour des rai-sons financières, mais les raisons pécu-niaires n’étaient pas les seules ni même les plus importantes » observe Márcia Ferraz. Tout était relié. Si la pierre avait le pou-voir de « perfectionner » des métaux en les changeant en or – conséquence de la croyance des alchimistes en l’unité de la matière –, cette « médecine » des métaux pourrait être étendue à la médecine des hommes, qui serait alors « perfection-née » à son tour. Partant de là, beaucoup évoquèrent la pierre comme l’élixir de la vie ou le grand élixir, une panacée pour toutes les maladies et capables de pro-longer la vie. Puisque l’or en tant que métal ne rouillait pas, on a commencé à le voir comme symbole de l’immortalité. La conséquence fut de penser à son uti-lisation dans la médecine des anciens et dans l’alchimie chinoise qui recherchait l’élixir de la longévité.

chimie et la médecine pour d’autres ob-jectifs non pharmaceutiques : « le travail de Lavoisier n’a pa eu besoin de s’adres-ser à une chimie basée sur la médecine à cause de ce long processus. L’importance qu’a eu la médecine dans l’ascension de la science moderne était quelque chose de peu évoqué ». Ce n’est qu’à la fin du XVIIIe siècle que la transmutation a per-du un peu de sa force. Du point de vue de l’historien Lawrence Principe, de la Jons Hopkins University et auteur de Alche-my tried in the fire, « un mouvement est parti de l’Académie Royale des Sciences de Paris pour laisser de côté la pratique et domestiquer la chimie dans une dis-cipline professionnelle qui est entrée à l’académie. Il fallait rompre une fois pour toutes avec le passé alchimique et tout recommencer de zéro pour donner à la chimie une nouvelle identité et un sta-tut. Néanmoins, la démarche n’a pas été totalement un succès ». Ana M. Alfonso-Goldfarb pense que « le réseau de docu-ments et de personnes intimement liés à la transmutation et mis en avant dans notre recherche s’enrichit chaque jour de nouvelles ramifications et de nouvelles données. Cela peut être la pointe d’un grand iceberg documentaire. n

vision ironique de la tentative de faire la « grande œuvre »

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un matériel cartographique révèle

l’imaginaire colonial portugais

un matériel cartographique précieux est en train d’acquérir une grande visibilité grâce au travail du grou-pe de chercheurs de l’Université de São Paulo (USP), responsable de la

construction de la Bibliothèque Numérique de Cartographie Historique. L’accès en ligne du site Internet www.cartografiahistorica.usp.br est ouvert à tous. Né d’un concept développé par le Laboratoire d’Études de Cartographie Historique (Lech), le site n’offre pas seulement une collection de cartes rares imprimées en-tre le XVIe et le XIXe siècle : il permet aussi de réaliser une série de références croisées, de comparaisons et d’interprétations avec la plu-ralité et la rapidité d’Internet. Iris Kantor, l’une des coordonnatrices du projet et professeur du Département d’Histoire de l’USP, remarque qu’en fin de compte « une carte seule ne fait pas le printemps ». L’ensemble révèle beaucoup plus que des informations géographiques. Il donne la possibilité de percevoir l’élaboration d’un imaginaire dans le temps, dévoilé par des visions du Brésil conçues en dehors du pays. Le travail fait partie d’un vaste projet thématique intitulé Dimensions de l’empire portugais, coor-donné par le professeur Laura de Mello e Souza et soutenu par la FAPESP.

La mine des cartes

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Jusqu’à présent, la collection de cartes repose sur deux sources majeures : la première est l’en-semble des annotations produites pendant 60 ans par l’amiral Max Justo Lopes, un des princi-paux spécialistes brésiliens de cartographie. La deuxième est la collection privée de la Banque Santos, acquise en 2005 par l’État pendant la procédure d’intervention sur le patrimoine du banquier Edemar Cid Ferreira. Une décision ju-diciaire a transféré la garde des cartes à l’Institut des Études Brésiliennes (IEB) de l’USP – une initiative louable vu que la collection « était en-treposée dans un hangar dans des conditions très précaires, sans aucun souci de conditionnement adéquat », observe Iris Kantor. Près de 300 cartes ont été recueillies. On sait que la collection origi-nale en comptait beaucoup plus, mais on ignore où se trouvent les autres.

La première démarche fut de récupérer et de restaurer les pièces. Comme elles sont arrivées à l’USP « totalement nues », un travail de datation et d’identification de l’œuvre et de l’auteur s’est avéré nécessaire. Au cours de 2007 et 2008, le La-boratoire de Reproduction Numérique de l’IEB a fait des recherches, acquis et utilisé la technologie appropriée pour reproduire en haute résolution la collection de cartes. Plusieurs tentatives ont été menées avant d’atteindre la précision désirée d

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n vision du brésil qui révèle l’exploration

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des traits et des couleurs. Puis le Centre d’Informatique du campus de l’USP à São Carlos (Cisc/USP) a développé un logiciel spécifique pour créer une base de données capable d’interagir avec le catalogue général de la bibliothèque de l’USP (Dedalus), mais aussi de recueil-lir et de transférer des données d’autres bases disponibles sur le réseau Internet. L’une des sources d’inspiration des cher-cheurs a été le site du collectionneur et artiste graphique anglais David Rum-sey, qui abrite 17 000 cartes (cf. www.davidrumsey.com) ; une autre fut la Bi-bliothèque Virtuelle de la Cartographie Historique (pionnière en la matière) de la Bibliothèque Nationale, qui réunit 22 000 documents numérisés (cf. www.bn-digital.bn.br/cartografia). Dans l’avenir, les archives cartographiques de l’USP intégreront la Bibliothèque Numérique de Cartographie Historique. La priorité a été donnée aux cartes de la Banque Santos parce qu’elles n’appartiennent pas à l’université et peuvent à tout mo-ment être judiciairement récupérées pour régler des dettes.

Iris Kantor indique qu’aujourd’hui la Bibliothèque Numérique comporte « des informations cartobibliographiques et biographiques, des données de nature technique et éditoriale ainsi que des en-trées explicatives destinées à contextua-liser le processus de production, de cir-culation et d’appropriation des images cartographiques ». En affirmant qu’« il

qui ont produit ou commandé la carte ont fait partie de cette manipulation. L’historien Paulo Miceli de l’Université d’État de Campinas (Unicamp), sollicité comme consultant par la Banque San-tos au début de la décennie précédente pour l’organisation de la collection, rap-pelle que le premier registre cartogra-phique de ce qui s’appelle aujourd’hui le Brésil fut une carte du navigateur espagnol Juan de la Cosa (1460-1510). Datée de 1506, elle montre « la ligne de démarcation du Traité de Tordesillas, l’Afrique aux contours très nets et, à sa gauche, un petit triangle pour indiquer l’Amérique du Sud […] Le Brésil a surgi d’une sorte de brouillard de documents, notamment conditionné par la rigueur de la couronne portugaise sur le travail des cartographes qui pouvaient risquer jusqu’à la peine de mort ». Cette ap-parition « progressive » du Brésil sur la scène géopolitique impériale est le thème de sa thèse de postdoctorat, très justement intitulée Le dessin du Brésil sur la carte du monde – à paraître sous forme de livre par la maison d’édition de l’Unicamp. Le titre fait référence au Theatrum orbis terrarum (Théâtre du monde) du géographe flamand Abraham Ortelius (1527-1598), considéré comme le premier atlas moderne.

naVigaTeurs Contrairement à ce que l’on pense, les cartes anciennes n’avaient pas pour fonc-tion principale, et pratique, d’orienter les explorateurs et les navigateurs. Jusqu’au XIXe siècle, ces derniers se valaient de « cartes de navigation », une sorte d’iti-néraire écrit – d’après Miceli –, sur des « parchemins sans beauté ni ambiguïté, troués de compas et autres instruments, et qui sont devenus des couvertures de dossiers dans des archives cartogra-phiques ». Iris Kantor observe que « les cartes étaient des objets d’ostentation et de prestige, valorisées et utilisées comme ornements par les nobles et les érudits. […] Un des trésors du Vatican était sa collection cartographique ». Les itiné-raires de navigation, par contre, étaient simplement manuscrits et non imprimés. Or, c’est précisément le processus d’im-pression qui donnait aux cartes le statut de documents privilégiés. Les plaques de métal d’origine avec les altérations effectuées au cours du temps duraient jusqu’à 200 ans et restaient toujours

n’existe pas de simples cartes », elle sous-entend que la réunion de ces informations est nécessaire pour comprendre ce qui se cache sous la superficie des contours géo-graphiques et de la toponymie. Et d’ajou-ter : « L’historien part du présupposé se-lon lequel toutes les cartes mentent ; la manipulation est une donnée importante pour toute pièce géographique ».

Les intérêts géopolitiques et com-merciaux de l’époque donnée et de ceux

Carte hollandaise à partir de Jean de Léry

Les cartes étaient des objets d’ostentation, mises en valeur et utilisées comme ornements par les nobles et les érudits, observe iris Kantor

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tairement commises dans un effort de contre-information, nommé par Miceli d’« adultération patriotique ». C’est le cas des cartes qui falsifient la localisa-tion des ressources naturelles, comme les fleuves, pour favoriser les Portu-gais ou les Espagnols dans la division du Traité de Tordesillas.

La carte Brasil, produite en 1565 par l’école vénitienne et reproduite au début de ce reportage, constitue une évidence de la fonction quasi propagandistique de la cartographie. La précision géogra-phique n’y apparaît pas clairement. Iris Kantor observe : « La toponymie n’est pas très intense, même si toute la côte avait déjà été nommée à cette époque. […] C’est une œuvre destinée à un public profane, peut-être plus pour les commer-çants, comme l’indiquent les bateaux ornés d’armoiries de la France et du Por-tugal. On y voit le commerce du bois pau-brasil, encore sans identification de la souveraineté politique. La région semble être d’accès libre. La représentation des indigènes et leur contact avec l’étranger transmettent cordialité et réciprocité ».

« Au fond, les cartes servent de re-présentation de nous-mêmes », pour-suit l’enseignante de l’USP. « L’étude de la cartographie brésilienne post-indé-

entre les mains de « familles » de carto-graphes, éditeurs et libraires. Parfois, ces familles étaient des groupes consanguins aux fonctions héréditaires, d’autres fois des ateliers hautement spécialisés. Pour Miceli, les artistes qui accumulaient de l’expérience au long des décennies ne voyageaient pas et recueillaient leurs in-formations de « navigateurs très souvent analphabètes ». Pour donner une idée du prestige attribué à la cartographie, il rappelle que l’Atlas Maior du hollandais Willem Blaue (1571-1638), peint avec de la peinture d’or, a été considéré comme le livre le plus cher de la Renaissance.

Les « écoles » de cartographes sont l’un des critères de recherche de la Bibliothèque Numérique de Carto-graphie Historique, parmi lesquelles l’école flamande, la française et la vé-nitienne – rappelant ainsi que le savoir fondamental provient des navigateurs et cosmographes portugais. Iris Kantor pense qu’elles s’interpénètrent et envi-sage dans le futur de remplacer le terme « école » par celui de « style ». L’équipe a également pour projet de reconstituer la généalogie de la production de cartes sur la période considérée. L’étude de ces documents comprend l’identification de ceux qui contiennent des erreurs volon-

pendance, par exemple, met en avant notre vision d’identité nationale basée sur une culture géographique roman-tique, libérale et naturaliste, qui repré-sente le pays comme un continuum géo-graphique entre l’Amazonie et le fleuve Plata. À cette époque, l’idée du peuple n’était pas si homogène. Ce n’est pas un hasard si les hommes qui ont conquis l’indépendance et constitué l’assise lé-gale du pays étaient liés aux sciences de la nature, à la cartographie, etc. La question géographique a été essentielle dans la création de l’identité nationale ».

Un exemple très différent d’utilisa-tion des ressources numériques dans la recherche avec les cartes est en cours à l’Unicamp : il s’agit de l’étude Cartes thématiques de Santana et Bexiga, dérivé du projet Travailleurs au Brésil : identi-tés, droits et politique coordonné par le professeur Silvia Hunold Lara et financé par la FAPESP. L’étude se penche sur le quotidien des travailleurs urbains entre 1870 et 1930 (cf. www.unicamp.br/ce-cult/mapastematicas). D’après la cher-cheuse, il est possible de reconstituer le quotidien des habitants des quartiers, qui ne sont « pas dissociés de leur mode de travail et de leurs revendications pour des droits ». n márcio Ferrari

Carte très curieuse de la mer du sud, 1719

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folie de dali dans La maison du docteur Edwardes

Les troubles mentaux vus par le septième art

alexandre agabiti Fernandez

Parmi toutes les formes d’art, le cinéma est celui qui se prête le mieux à la re-présentation des troubles mentaux. Pa-ranoïaques, psychotiques et autres ma-lades mentaux fascinent ou perturbent

le spectateur, parce que la folie interrompt l’ordre immanent du monde et les modalités habituelles de sa perception. Premier du genre publié au Bré-sil, l’ouvrage Cinema e loucura – Conhecendo os transtornos mentais através dos filmes [Cinéma et folie – Connaissance des toubles mentaux à travers les films, éd. Artmed], de J. Landeira-Fernandez & Elie Cheniaux, propose une classification systé-matique des troubles mentaux de personnages ci-nématographiques. Chaque chapitre décrit les as-pects cliniques d’un trouble mental donné et offre une présentation commentée d’exemples cinéma-tographiques. Au total, les auteurs se penchent sur 184 films, la plupart d’entre eux très connus du public. J. Landeira-Fernandez, professeur du Département de Psychologie de l’Université Ca-tholique Pontificale de Rio de Janeiro (PUC-RJ), voit ce livre comme « un outil universitaire pour l’enseignement de la psychopathologie et de la psychiatrie ; il fournit des exemples concrets qui, en salle de classe, sont traités de manière plus abstraite ». Et pour Elie Cheniaux, professeur de l’Institut de Psychiatrie de l’Université Fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ), « utiliser des films motive l’étudiant et est tout particulièrement intéressant dans les cas d’étudiants qui n’ont pas accès à des patients en chair et en os ».

Le rapport entre le cinéma et le psychisme est une évidence, car le septième art représente l’hu-main sous toutes ses formes – des plus cocasses aux plus sombres. D’un autre côté, le dispositif cinématographique lui-même (la salle obscure où sont projetées les images, avec un spectateur en situation de passivité relative, d’immobilité)

Folie artistique

détermine un état régressif artificiel qui renvoie au rêve. Si dans le rêve le sujet s’éloigne du réel et est impliqué dans ses images, le spectateur vit quelque chose de similaire au cinéma. En outre, l’expérience du rêve avec ses associations libres peut également être comparée au montage ci-nématographique qui fait coexister des mondes apparemment hétérogènes.

Au-delà de ces analogies, il convient de rap-peler que le cinéma et la psychanalyse, issue de la psychiatrie, sont pratiquement nées en même temps : entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe. Et tous deux ont révolutionné l’approche de la réalité. Disciple de Freud, Hans Sachs fut l’un des premiers psychanalystes à s’intéresser au cinéma. Jacques Lacan, autre pionnier de la psychanalyse, a effectué dans son séminaire une analyse du personnage principal de Tourments (1953), de Luis Buñuel, un célèbre cas de paranoïa.

Flávio Ramos Tambellini, professeur coordon-nateur de l’école de cinéma Darcy Ribeiro, de Rio de Janeiro, observe : « La dramaturgie se base sur le conflit. Dans le modèle classique, un film com-prend trois actes : l’introduction des personnages, le développement de conflits entre eux et la réso-lution des conflits. La plupart de ces conflits sont de nature mentale. Un film avec des personnages ‘normaux’, sans difficultés ni conflits, n’attirerait pas l’attention du public. Mais un film avec des figures perturbées, en marge de la normalité, apporte des conflits qui font avancer le récit. Le personnage ‘fou’ est plus cinématographique. La déviance séduit ; la norme, non ».

Dans Cinéma et Folie – Connaissance des troubles mentaux à travers les films, les person-nages cinématographiques sont envisagés comme des cas cliniques. Le poison (1945), de Billy Wil-der, retrace parfaitement la richesse des symp-tômes présents dans le tableau clinique d’abs-

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tinence d’alcool. Annie Hall (1977), de Woody Allen, présente le trouble dysthy-mique (caractérisé par des symptômes dépressifs moins intenses que ceux ob-servés dans une dépression typique) ain-si que le trouble de l’anxiété généralisée.

Cependant, nombreux sont les films où les troubles mentaux ne sont pas bien représentés, notamment quand ils obéis-sent à des injonctions artistiques et com-merciales et ne visent pas un objectif éducatif. Elie Cheniaux remarque que « les scénaristes et les cinéastes ne sont pas obligés d’être fidèles à la réalité. Le cinéma n’est pas tenu d’être didactique. C’est de l’art, pas de la science ». Mais de telles distorsions ne discréditent pas l’approche proposée par les auteurs. Au contraire. Dans Un homme d’exception (2001), où Ron Howard présente la bio-graphie de John Nash, mathématicien et prix Nobel d’économie, la schizophrénie

rentrent pas dans les catégories décrites dans le Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux (DSM-IV-TR), qui a servi d’orientation aux auteurs.

Néanmoins, les problèmes de dia-gnostic sont loin d’être une spécificité du cinéma. D’après Cheniaux, « en mé-decine les maladies sont définies à par-tir de leurs causes. Mais en psychiatrie les catégories sont décrites seulement à partir des symptômes et cela reste très discutable. Souvent, un même patient présente en même temps les critères diagnostiques de plus d’une catégorie nosologique. Il est pourtant difficile de croire qu’il a trois ou quatre maladies psychiatriques au même moment. C’est donc jusqu’à un certain point quelque chose d’arbitraire ».

Au cours des premières décennies du siècle dernier, les « fous » étaient géné-ralement confinés au genre fantastique et la plupart du temps criminels. Avec Le cabinet du docteur Caligari (1919), film classique de l’expressionnisme allemand réalisé par Robert Wiene, la folie entre dans les modalités de représentation ci-nématographique. De même que dans d’autres films expressionnistes, les décors fortement stylisés et la gestualité brusque des acteurs traduisent symboliquement la mentalité des personnages et leurs états d’âme. Caligari affirme une volonté de pouvoir paranoïaque ; c’est un médecin fou qui hypnotise César, son assistant, pour qu’il commette des crimes. Le per-sonnage principal de Dr Mabuse le joueur (1922), de Fritz Lang, est une autre figure perverse et intelligente de cette époque. Il s’agit d’un psychiatre qui recourt éga-lement à l’hypnose pour manipuler les personnes et commettre ses crimes. Ma-buse est rongé par le désir de gouverner au moyen de l’argent, tandis que la soif de pouvoir de Caligari est abstraite. La folie de Mabuse et la passivité morbide de ses victimes montrent la décadence de la société allemande de l’époque et le chaos qui régnait alors sur le pays.

Dans M le maudit (1931), Fritz Lang s’intéresse de manière plus réaliste à la psychologie des personnages. La figure centrale est un tueur de jeunes femmes, toutefois il est montré avec humanité dans son horreur. Mais la société n’est pas meilleure : devant l’incapacité de la police à l’arrêter, il est « jugé » par d’autres délinquants, préfigurant ain-si ce qui allait se passer en Allemagne

du personnage est mal décrite. Landei-ra-Fernandez observe qu’« il a des hal-lucinations visuelles, cénesthésiques et auditives. Or, les schizophrènes ont des hallucinations unimodales, la plus com-mune étant la modalité auditive. Dans la réalité, le vrai John Nash ne présentait que des hallucinations auditives. Même si elle est incorrecte, la représentation du symptôme sert déjà d’exemple négatif ».

Dans d’autres cas, le personnage a un comportement qui ne rentre dans aucune catégorie diagnostique. Souvent, cette « folie » reflète le sens commun, très dif-férent des symptômes d’un vrai malade mental. Le livre effectue aussi une com-pilation des films emprunts de ces distor-sions. Dans Répulsion (1965), de Roman Polanski, le personnage de Carole - tenu par Catherine Deneuve - a horreur de la pénétration et présente une série de comportements étranges. À quel trouble mental pourrait-on associer ces carac-téristiques ? Les troubles de Carole ne

Le fou de nicholson dans Shining

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réduite à une méthode capable de ré-soudre les conflits obscurs par le biais du déchiffrage d’un ensemble de signes généralement très clairs.

À partir des années 1950, et sous l’im-pact des horreurs de la Seconde Guerre mondiale, on commence à questionner la réclusion du malade. Dans le même

quelques mois plus tard avec l’arrivée des nazis au pouvoir.

À partir des années 1940, la psycha-nalyse gagne davantage d’espace dans les milieux de communication. Appa-raissent les thrillers psychanalytiques, qui utilisent l’arsenal de la psychana-lyse de manière rustique et naïve. Le prototype de ces films est La maison du docteur Edwardes (1945), d’Alfred Hitchcock. Constance (Ingrid Bergman) est une jeune psychiatre d’un asile qui tombe amoureuse du nouveau directeur. Mais très vite elle se rend compte que l’homme qu’elle aime (Gregory Peck) est en fait un malade mental qui se fait pas-ser pour le docteur Edwardes. À partir des rêves du malade et après une séance d’analyse, Constance découvre qu’il a perdu la mémoire et comprend pour-quoi il a assumé un crime qu’il n’avait pas commis : il a été témoin de la mort du véritable Edwardes, assassiné par l’ancien directeur de l’asile, et en plus il a été indirectement responsable de la mort de son jeune frère au cours d’un jeu d’enfants. Au-delà de l’angoisse en face de la folie, le film montre l’angoisse de la folie. La peur du personnage est figurée par des rêves (dessinés par Sal-vador Dali) qui révèlent un monde rem-pli d’hallucinations et de symboles pré-tendument produits par l’inconscient. Dans ce film et dans d’autres tournés à la même période, la psychanalyse est

temps surgissent de nouveaux médi-caments psychotropes, qui provoquent de graves effets secondaires et amènent beaucoup de patients à refuser le traite-ment. L’antipsychiatrie qui voit le jour en réaction à la psychiatrie de l’époque occupera une place importante dans les années 1960, lorsque la contre-culture bat son plein. Certains films retracent ce mo-ment avec justesse, à l’exemple de : Family Life (1971), de Ken Loach ; Une femme sous influence (1974), de John Cassavetes ; ou encore Vol au-dessus d’un nid de coucou (1975), de Milos Forman, qui critique une société préférant confiner les ma-lades plutôt que de les aider à soulager leur souffrance, en offrant comme seuls traitements la camisole de force, les élec-trochocs et les médicaments.

Ces films proposent une nouvelle vi-sion du cinéma sur la folie, en s’attachant à dévoiler le poids de la société sur les in-dividus. Certains d’entre eux interrogent la « folie » de cette société et de la famille en posant la question de la normalité.

Le grand précurseur de cette ap-proche est Ingmar Bergman, qui a fait de la folie un de ses thèmes obsession-nels. Pourtant, malgré les modifications de représentation de la folie par le ciné-ma, la grande majorité des films conti-nue à banaliser la folie en privilégiant de vieux clichés qui font des malades mentaux des criminels de film policier ou des nigauds de comédie. n

à partir des années 1940, la psychanalyse gagne de l’espace au cinéma et les thrillers psychologiques voient le jour, à l’exemple de ceux du réalisateur alfred hitchcock

scène de Répulsion (1965)

PESQUISA FAPESP 93

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94 Publié en août 2011

_ CLasseMent {

excellence en sciences humaines

la société Quacquarelli Symonds (QS), qui évalue et classe annuellement depuis 2004 des universités du monde entier, a publié en juillet 2011 le premier clas-sement mondial séparé par domaines

de connaissance (disponible sur le site Internet www.topuniversities.com). Certains cursus bré-siliens sont relativement bien placés entre les 200 premiers, en particulier dans les groupes généraux de « sciences sociales » et « arts et hu-manités ». Les listes spécifient les positions de 1 à 50 puis réunissent en trois groupes, par ordre alphabétique, les institutions qui se situent entre les positions 51-100, 100-150 et 151-200. Six insti-tutions brésiliennes apparaissent dans le calcul général des sciences humaines : deux universités d'état (Université de São Paulo et Unicamp), deux universités fédérales (Université Fédérale de Rio de Janeiro et Université Fédérale de Minas Ge-rais), la Fondation Getúlio Vargas (FVG) et l'Uni-versité Catholique Pontificale de Rio de Janeiro (PUC-Rio). À noter également la présence de deux universités d'autres pays latino-américains (Université Nationale Autonome du Mexique et Université Catholique Pontificale du Chili).

De l’Université de São Paulo (USP), la philoso-phie et la sociologie se sont classées dans le groupe 51-100, et la géographie et les relations internatio-nales dans le groupe 151-200. L'Université de Cam-pinas (Unicamp) se situe entre 101-150 en philo-

Les cursus brésiliens se distinguent

sur la scène internationale

iLLustration bel Falleiros

Page 95: Édition Spéciale 2012

PESQUISA FAPESP 95

sophie et entre 151-200 en statistiques et recherche opérationnelle. Avec ces deux mêmes cursus, l’Université Fédérale de Rio de Janeiro occupe les positions in-verses. La Fondation Gétulio Vargas appa-raît entre 151-200 pour les relations inter-nationales et l’Université Fédérale de Mi-nas Gerais est dans le même groupe pour la philosophie. À titre de comparaison, seules trois universités sont représentées dans les domaines des sciences exactes et biomédicales : USP (agronomie entre 51 et 100 et ingénierie civile entre 151 et 200) ; Unicamp (ingénierie électrique et électronique, entre 151 et 200) ; et PUC-Rio (ingénierie civile, entre 151 et 200).

D'après Modesto Florenzano, vice directeur de la Faculté de Philosophie, Lettres et Sciences Humaines (FFLCH) de l’USP – qui abrite trois départements cités dans le classement (philosophie, sociologie et géographie) –, « les critères qui orientent ces classements ne peuvent être considérés comme uniques ou même infaillibles, cependant il serait absurde de méconnaître leur utilité et la visibilité qu'ils apportent ». Spécialiste en sciento-métrie, l'étude des aspects quantitatifs de

la science et de la production scientifique, Rogério Meneghini explique que « la plus grande finalité de ces listes – et c’est là-dessus qu'elles sont économiquement ba-sées –, c’est d'offrir aux personnes qui ont l'intention d'entrer dans les institutions un panorama des universités. Par consé-quent, faire une recherche par discipline est une bonne initiative. […] Les classe-ments n'ont pas été faits pour donner une vision large de la qualité des universités, mais elles ont fini par servir à cela ».

Située au Royaume-Uni avec des bu-reaux dans plusieurs pays, la QS élabore intentionnellement ses classements pour aider les étudiants qui veulent étudier en dehors de leur ville ou, surtout, de leur pays d'origine. C'est pour cette raison qu'elle met particulièrement l'accent sur le degré d'internationalisation des institutions évaluées. Le dernier classe-ment a été fait sur la base de trois grands critères : réputation universitaire (des professeurs ont été invités à évaluer des cours et des universités qui ne sont pas les leurs), réputation par les employeurs (sur la qualité des professionnels sortis des institutions) et nombre de citations dans des publications universitaires.

La société QS considère que l'inclusion de l'item « employabilité » est le grand dif-férentiel de ses classements, même si les critiques estiment qu'il s'agit d'un indice qui n'a pas nécessairement de rapport avec la qualité de la production intellec-

tuelle des universités. Ben Stower, chef de l'unité d'information de la QS, explique : « Pour notre public cible, il serait dispro-portionné d'intensifier encore plus l'ac-cent déjà donné à la recherche universi-taire. En outre, les autres classements le font déjà, en partie par le type de données disponibles internationalement et en par-tie par rapport à l'histoire de leur appari-tion. Le premier classement international a été créé par le gouvernement chinois [via l'Université de Shanghai] pour distinguer les prouesses de la recherche scientifique dans leurs universités en comparaison avec celles de l'Occident ».

Toutefois, le classement de la QS n'est pas non plus exempt de données biaisées. Un premier coup d’œil sur les listes suf-fit pour constater la présence massive et prédominante d'universités de pays de

PESQUISA FAPESP 95

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96 Publié en août 2011

amérique latine dans les classements de la qs university : sciences socialesstatistiques & reCherChe opérationneLLe

101-150

151-200

151-200

soCioLogie

44

51-100

151-200

poLitiques & reLations internationaLes

151-200

151-200

101-150

droit

51-100

éConoMie & éConoMétrie

151-200

institution

université nationale autonome du Mexique

université de são paulo

université fédérale de rio de Janeiro

université Catholique pontificale du Chili

fondation getúlio vargas

université d'état de Campinas

université Catholique pontificale de rio de Janeiro

SoUrCE quacquaRelli syMonds

langue anglaise (pas seulement les États-Unis et le Royaume-Uni, mais aussi le Ca-nada et l'Australie). Dans le classement de philosophie, par exemple, les institutions des pays qui ont le plus contribué histo-riquement (et jusqu'à aujourd'hui) à ce champ du savoir, la France et l'Allemagne, sont peu et faiblement représentées. D'où l'interrogation de Ricardo Ribeiro Terra, professeur du Département de Philoso-phie de la FFLCH-USP et coordinateur du domaine des sciences humaines et sociales de la FAPESP (philosophie) : « Comment l'université de Frankfurt, qui compte Jür-gen Habermas et Axel Honneth, peut-elle se trouver en bas de la liste ? ».

Ricardo R. Terra observe également une quantité faible ou nulle d'articles dans des publications internationales de certains cursus brésiliens, y compris bien évalués comme celui de sociologie : « Cela soulève des doutes quant à l'ensemble des revues choisies et amène à supposer qu'on se limite à la philosophie analytique du type hégémonique des États-Unis ».

FinanCemenTD’un autre côté, la langue anglaise comme paramètre international reste une donnée incontournable. D’après Ro-gério Meneghini, « l'intérêt d'étudiants étrangers pour venir étudier au Brésil est perceptible, en grande partie pour la possibilité de réussir un financement

sation n'est pas chose facile. Ricardo R. Terra observe que « dans le domaine des sciences sociales, la plupart des travaux se réfèrent à des questions brésiliennes, et ils ne sont naturellement pas diffusés dans des publications étrangères. Il faudrait penser à des critères qui évaluent égale-ment l'impact interne ». En même temps, les caractéristiques régionales peuvent être à l'origine du prestige de certaines recherches brésiliennes. « La haute com-plexité territoriale et sociale du Brésil a exigé la création d'une théorie sophisti-quée », affirme Antonio Carlos Robert de Moraes du Département de Géographie de la FFLCH-USP et coordonnateur du domaine des sciences humaines et so-ciales de la FAPESP (géographie).

Les observateurs des classements in-ternationaux sont unanimes pour affir-mer que vu leur création récente, les critères doivent encore subir plusieurs améliorations. Même la société QS est d'accord sur ce point, et la décision de créer un classement par domaine a eu pour objectif de rendre plus spécifiques et utiles les classements.

Paula Montero, professeur du départe-ment d'anthropologie de la FFLCH-USP et coordinatrice adjointe de la direction scientifique de la FAPESP, pense que « la question la plus délicate concerne la possi-bilité de produire des critères compatibles avec les différentes façons de produire de la connaissance dans les diverses disci-plines ». Elle considère le critère de consul-tation des pairs (réputation universitaire) comme le plus important : « Quand un do-maine de connaissance est suffisamment développé et diversifié, ce type d'évaluation externe fonctionne très bien ».

Même s'il est le mieux établi, le critère de citations dans des publications univer-sitaires est également la cible de restric-

pour la recherche à un stade initial de la carrière universitaire. Même la bourse paraît attractive, mais la majorité ne vient pas parce que le portugais est vu comme une barrière ».

Dans ce sens, le poids attribué par la QS à l'internationalisation dans ses éva-luations est vu comme correcte – et pa-rallèlement, tous sont d'accord pour dire qu'il y a encore peu d'étudiants étrangers dans les universités brésiliennes. Pour Stower, « les principales universités ont toujours été des points de rencontre des meilleurs esprits du monde. Une grande partie de la mise en avant de l'internatio-nalisation n'est pas seulement effectuée par les institutions individuellement, mais aussi par des politiques gouverne-mentales. Dernièrement, les universités sont devenues centrales pour la politique économique, parce que les gouverne-ments se sont aperçus que recherche et innovation jouent des rôles-clés dans la stimulation de la croissance ».

Mais peser la qualité des cours à partir de critères numériques d'internationali-

Page 97: Édition Spéciale 2012

PESQUISA FAPESP 97

nous avons déjà commencé « internationalisés » et sommes partis d’une forte tradition humaniste, affirme Florenzano de la FFLCh

qs World university classements mondiaux : philosophie

1

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9

10

51-100

101-150

151-200

151-200

institutionuniversidade harvard

université harvard

université d’oxford

université de Cambridge

université de Californie, berkeley

université princeton

université nationale d’australie

université de toronto

université stanford

université yale

université de Chicago

université de são paulo

université d’état de Campinas

université fédérale de Minas gerais

université fédérale de rio de Janeiro

paysétats-unis

royaume-uni

royaume-uni

états-unis

états-unis

australie

Canada

états-unis

états-unis

états-unis

brésil

brésil

brésil

brésil

universitaire99,6

100,0

94,5

88,4

80,1

73,8

77,1

74,8

73,2

71,1

26,8

16,1

10,7

14,4

eMpLoyeur96,3

95,4

100,0

65,4

39,7

52,8

60,6

46,0

64,4

50,4

5,9

0,0

0,0

0,0

Citations50,3

41,0

51,9

73,3

81,6

95,1

36,1

56,7

22,1

13,8

5,0

9,8

8,5

0,0

ponCtuation94,3

93,6

90,8

84,6

76,2

73,8

71,4

70,1

67,2

63,3

tions. « Jusqu'à aujourd'hui, je n'ai pas vu de mesures qui tente d'évaluer la qualité de la recherche », dit Meneghini. D'autre part, les données sur cette question sont recueillies en nombres bruts, ce qui fait que des universités immenses comme l’USP sont avantagées dans la compétition.

moDesTie Malgré tout, le bon classement des cours de la FFLCH-USP ne surprend pas. Ro-bert de Moraes observe : « Sans fausse modestie, le Département de Géographie de l’USP forme le reste du pays et donne le ton de la discipline en Amérique la-tine ». « Notre présence à l'étranger est très expressive et nous organisons une grande quantité de rencontres interna-tionales », poursuit Ricardo R. Terra. Cela est en partie dû à l'origine de la FFLCH, qui fut le noyau central de la création de l’USP dans les années 1930 avec la venue de professeurs étrangers et en particulier français. « Nous avons déjà commencé internationalisés et nous sommes ve-nus d'une forte tradition humaniste », indique Modesto Florenzano.

Du point de vue de Paula Montero, « les sciences sociales au Brésil ont tou-jours eu un niveau relativement bon pour des raisons historiques. Néanmoins, le déclin de la qualité de l'école publique, la massification de l'enseignement su-

ria Hermínia Brandão Tavares Almeida, directrice de l’institut, explique : « Je vais être très sincère. Je crois que dans ce clas-sement nous avons été entraînés dans le sillage du Département de Sciences Poli-tiques, bien plus ancien et connu que l’IRI, qui a été créé en 2004 et ne dispose d'un troisième cycle que depuis deux ans ». Ce nonobstant, la qualité du cours se reflète d'une certaine manière dans le classement.

Finalement, la présence sur des listes comme celles de la QS est à la fois im-portante et relative. Marcelo Ridenti, diplômé en sociologie de l’USP, profes-seur de l’Unicamp et coordinateur du domaine des sciences humaines et so-ciales de la FAPESP (sociologie), dit que « seules des universités peu consistantes se laissent diriger par des demandes de ce type de recherche, mais elles peuvent être un élément à prendre en compte dans les directives universitaires ». Me-negheni, qui a participé aux commis-sions d'évaluation de l'université avec la présence de spécialistes étrangers, estime que « la procédure d'évalua-tion doit partir de la propre université, à l'exemple des collectes de données que fait périodiquement l’USP ». Florenza-no est d'accord : « Nous devons surtout diagnostiquer la qualité des premier et deuxième cycles, c'est le point de départ le plus important ». n márcio Ferrari

périeur, le manque d'évaluation de la performance des universités et l'isole-ment relatif des sciences humaines par rapport au débat international sont des facteurs qui ont joué contre l'expansion et la consolidation de cette qualité ».

La tradition se reflète même dans un cursus récemment créé et qui ne fait pas partie de la FFLCH, celui de l'Institut des Relations Internationales (IRI). Ma-

2

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98 | Publié en noVeMbRe 2011

Glove Trotter, 1991 Cotte de mailles et balles de plusieur tailles, couleurs et matériaux, 25 x 520 x 420 cm

arT

Comme un gantL’installation présentée ci-dessus – une surface en mailles

d’acier qui entoure des boules de plusieurs couleurs et

tailles – est l’un des travaux les plus remarquables de

l’artiste brésilien Cildo Meirelles, intitulé glove trotter.

Cildo Meireles a été l’un des artistes vedettes du 32º

panorama das artes, qui a été présenté jusqu’en décembre

2011 au Musée d’art Moderne (MaM) de são paulo.

actuellement, l’artiste prépare la présentation d’une autre

installation, abajour, au Musée de serralves, dans la ville

de porto (portugal), en 2013, et postérieurement à Madrid

(espagne). L’œuvre s’est distinguée lors de la 29º biennale

de são paulo (2010). Le travail de Cildo Meireles a fait

l’objet d’un reportage dans la section art de la revue

pesquisa fapesp du mois de novembre 2011.

Page 99: Édition Spéciale 2012
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