Edition Marginale - Léo Poisson

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Édition réalisée dans le cadre de ma première année à l'ESAL Épinal.

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À mon oncle Olivier qui est parti, tôt, ce matin.

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I N T R O D U C T I O N :

Comme une invitation à se ballader dans ces photogra-phies, ces musiques, ces films, ces personnes... que j’ai pu rencontrer au hasard de recherches, de discussions...

J’ai pensé, à la relecture de ce corpus que le sujet commun à toutes ces analyses pouvait-être celui de la marginalité: Passant d’un reportage pho-tographique sur un squat vénezuelien haut de 45 étages dont le travail est effectué par un jeune artiste en opposition avec les injustices commises par son pays et l’état de crise traver-sé par celui-ci; Au récit d’une enfance et d’une adolescence en autisme, racon-té avec poésie par un comé-dien aujourd’hui sorti de ce com-bat contre les autres et contre l u i - m ê m e ;Au peuple tzi-gane, tantôt photographié, filmé, rappé, chanté... À des époques parfois très lointaines les unes des autres mais dont

les buts restent les mêmes: - Se battre pour l’image de ce peuple qui, de-puis qu’il est ar-rivé en Europe, a été chargé de tous les vices, de tous les péchés... - Préserver sa mémoire, le montrer tel qu’il est, l’aimer, et le faire découvrir par quelques personnes qui, dans des an-nées, voudront peut-être savoir ce qu’était ce peuple tzigane qui a disparu...;-Aux habi-tants d’une zone indus-trielle française, aux poèmes

d’un Robert Desnos intemporel, au blues chanté dans le Port de Py-rée dans les années 20, à ce Blues de l’an 2000 que l’on rappe de pa-name à la Côte d’Azur, au cinéma de Bertrand Blier, finissant sur un Prévert engagé et utopiste, un enfant visionnaire, une enfant seul, un être lunaire à la crinière étoilée né de la plume d’un Baudoin amou-reux, et sur l’ascenscion d’un ange déchu dont l’histoire nous est ra-contée par un Souleymane Diamanka à la voix suave pleine de sueur et de sang, portant en lui l’héritage d’un peuple de nomades poètes... . . . . . . . . . . .

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T h e O t h e r S i d e O f T h e T o w e r

La Photographie que j’ai choisi de te présenter est celle du jeune photographe Vénézuélien Alejandro Cegarra. Cette photo est tirée d’une série d’un reportage photo que le jeune homme a effectué en 2014. Pendant une durée de cinq mois, trois fois par semaine, le photographe est allé capturer des scènes de la vie quotidienne des quelques 1300 habitants de la Tour David. Un squat de 45 étages situé dans le centre ville de Caracas au Vénézuela. Le plus haut du monde. Construit en 1990, sa construction fut abandonnée en 1994 en raison de la crise é c o n o m i q u e qui toucha le Vénézuela. Le building n’était construit qu’à 60%. Treize ans plus tard, en 2007, la c o n s t r u c t i o n reprit et près de 2000 familles vinrent peu à peu s’y installer i l l é g a l e m e n t . Selon le dernier recensement, il y a environ 1300 personnes vivant a c t u e l l e m e n t là-bas. La Tour de David est devenu un symbole emblématique de la ville de Caracas: Il

r e p r é s e n t e les espoirs de Caracas pour rester un centre é c o n o m i q u e majeur, et l’échec de le faire.De la même manière, la Tour de David r e p r é s e n t e l’ensemble de la société du Vénézuela. Elle a la réputation d’y abriter les plus dangereux criminels; Ironie du sort les habitants sont attirés pas la tour en raison de la sécurité qu’elle leur offre. Leur mode de vie est un combat contre les paramètres

sociaux dans lesquels ils sont considérés comme une communauté «  dysfonctionnelle ». Les habitants ont pourtant constitués toute une ville dans l’enceinte, avec ses magasins, son dentiste, ses terrains de jeux… Cependant la tour reste fermée à l’extérieur, les habitants ont peur d’être victimes de discrimination en raison de leurs conditions de vie. En juin 2014, le gouvernement Vénézuélien a commencé la relocalisation des habitants de le tour de David. Le travail de Cegarra est de braquer les projecteurs sur ces habitants sans qui la tour ne serait qu’une tour fantôme.

« Je pense qu’il y avait quelque chose à dire. La photographie est devenue

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ma façon de protester contre la situation dans laquelle se trouve mon pays, et la Tour de David fait partie de cette situation. » A.Cegarra.

Il m’a été assez dur de choisir parmi cette série de photographies. Chacune d’entre elles est assez touchante, les cadrages et les lumières bien travaillés.

Toute la série est en noir et blanc en format paysage. Elle s’appelle The Other Side of the Tower. Pour la photo, je ne pense pas qu’elle en aie un.

La photo est très contrastée. Au premier plan, une femme semble lire ses papiers. Se tenant debout, elle se situe à gauche de l’image. Au centre se trouve une sorte de canapé r e c o u v e r t d’affaires, de v ê t e m e n t s en désordre. On semble en apercevoir la structure. À droite de l’image se trouve une caisse de bouteilles en verre comme on peut en trouver en restauration lorsque les

bouteilles sont consignées. Le premier plan est très sombre en raison du fait de la lumière provenant du second plan. La lumière arrive par une grande baie vitrée dont les verres sont comme polis par la saleté. Sur cette baie vitrée sont accrochées des décorations de noël. Des feuilles de houx, des maisons enneigées ainsi qu’une cloche entourée de ses boules de noël. En plus de ces décorations vitrales, le mot «  Feliz  »

(joyeux/heureux) trône fièrement en haut de l’image.Au troisième plan se découpe la ville de Caracas et ses immeubles, ses chaînes de montagnes aux nuances de gris très variées. Le ciel, nuageux, les surplombe et offre au décor en arrière-plan un caractère fantomatique. Caractère accentué par la saleté des vitres.La profondeur de l’image est accentuée par cette succession de plans. Passant d’un premier plan au noir très profond à des gris de moins en moins intenses.La lumière quant à elle semble découper chacun des éléments du premier plan, des vêtements, à la structure du canapé, aux décorations situées sur les vitres… Elle vient caresser le visage et le devant du corps de la femme, en offrant

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un contraste plus important au niveau de ses épaules, son dos et ses fesses. Une grue surplombe la tour au centre de l’image. Je trouve assez ironique de trouver cette banderole arborant le mot «  feliz  », étant donné que la situation des habitants de la tour ne l’est sûrement pas. Ce détail veut peut-être marquer le fait que ces gens soient heureux malgré la misère apparente dans laquelle ils peuvent vivre.

Ce travail me fait penser à celui de Lucien Clergue(1934-2014), photographe français qui a beaucoup photographié le peuple gitan situé dans le sud de la France dans les années 50. Ses premières i m a g e s montraient le pèlerinage des Saintes-Marie-de-la-Mer en 1955. Ses photos représentaient des scènes de fêtes, des scènes du quotidien dans lesquelles des familles gitanes vivaient, c h a n t a i e n t , d a n s a i e n t , s ’ a i m a i e n t autour de leurs roulottes.

Je pense également au groupe sud-Africain Die A n t w o o r d et à leur clip

Baby’s on fire.Composé de Ninja et de Yo-Landi Vi$$er qui appart iennent au Zef: S o u s - c u l t u r e s u d - A f r i c a i n e qui ressemble un peu à l’idée a m é r i c a i n e des “Ghettos F a b u l o u s ” ,G h e t t o blanc rêvé. C’est au travers de leur univers, de leurs musiques et de leurs clips que ce groupe rend hommage à ces quartiers et à cette marginalité dans laquelle ils ont grandis. Ne les empêchant c e p e n d a n t

pas d’en tirer dresser une satire, d’en exposer les travers. Yo Landi défend l’idée “d’avoir du style malgré le fait d’être pauvre”..

Cette idée de rire de la misère et de mettre en lumière les travers de la société me permet de me rapprocher de la série télévisuelle américaine Shameless, adaptée de la série britannique du même nom de Paul Abott. La série suit la famille Gallagher, habitant dans le quartier industriel et résidentiel Back of The Yards, du secteur New City de Chicago. La série aborde avec un certain humour des sujets sérieux comme l’alcoolisme, la drogue, la sexualité, la délinquance,

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la gentrification et la vie des classes populaires américaines.

La Cité de Dieu est un film dramatique Brésilien de Fernando Meirelles et Katia Lund. Sortie en 2003, il suit les parcours différents de deux enfants habitant les favelas de Rio de Janeiro. L’un deux commence la photographie, médium lui permettant d’aborder autrement son quartier et de s’en éloigner progressivement, tandis que l’autre rejoint les cartels et gravit un à un les échelons du narcotrafic.

Ces oeuvres ont toutes en commun le fait de parler d’une classe sociale, dont on ne parle habituellement pas. Tout comme J’ai toujours rêvé d’être un gangster de Samuel B e n c h e t r i t t , Le Grand Soir, Louise Michel ou Mammuth de Benoit Délepine et Gustave K e r v e r n . Leurs films se déroulent dans des banlieues commerciales, dans des villes o u v r i è r e s , au bord d ’a u t o ro u t e s , en France, en

Belgique… Et ont pour héros des punks à chiens, des ouvriers d’usines ou encore des ouvrières a n a l p h a b è t e s comme dans Louise Michel. Rejetés de par leur pauvreté, leurs origines…

Le travail de Cegarra, comme celui de Paul Abott, de Lucien Clergue, Samuel B e n c h e t r i t t . . rejoint celui de chanteurs et poètes comme Claude Nougaro ou encore Georges M o u s t a k i . Avec des

chansons comme Bidonville, Le Tango de Demain ou Flamenco…

Ces artistes se servent de leur statut, de leurs appareils photos, de leurs caméras ou bien de leur plume pour mettre en lumière une partie de la population mondiale trop souvent marginalisée, déshumanisée…

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Lucien Clergue, mariage gitan, Arles, 1958, épreuve argentique.

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L ’ e n f a n t S e u l

Bonjour la classe, je vais aujourd’hui vous parler d’un livre qui me tient à coeur. « une ballade en autisme » comme c’est écrit sur le bouquin. Ce livre s’intitule L’Empereur C’est Moi. C’est un récit autobiographique quoi qu’un peu romancé d’Hugo Horiot. Hugo Horiot est un autiste Asperger. Le syndrome d’Asperger se manifeste par des difficultés de la communication et des rapports sociaux. Les per-sonnes qui en sont atteintes ont souvent un comportement répétitif, des intérêts et des activités spéci-fiques. Les per-sonnes Asper-ger sont souvent très intelligentes, peuvent avoir une mémoire exceptionnelle, parlent bien et certains ont d’ex-cellents résultats scolaires, mais ils ont des diffi-cultés de coordi-nation, de temps et d’espace. Ils présentent sou-vent dans leur façon de se comporter un côté rigide. On le voit d’ailleurs dans le livre. Hugo est -même enfant- très dur avec les autres. Il renvoie au

monde qui l’en-toure et à cha-cun, beaucoup de sa dureté. Enfin, bref on en reparle-ra plus tard dans l’exposée.

En 1990, sa mère, Françoise Lefèvre a racon-té son histoire dans un livre, Le Petit Prince Can-nibale. Hugo a six ans et c’est un peu le Pe-tit Prince: il ha-bite une autre planète, s’isole en se créant son monde, écoute le si-lence, officielle-ment catalogué comme ma-lade. Il «dévore»

sa mère. Et elle, tandis qu’elle essaie de l’apprivoiser -tel un renard- ,de le sortir de cette prison, tente de poursuivre son oeuvre d’écrivaine.

Hugo Horiot a aujourd’hui 33 ans et il écrit ce livre comme pour s’auto-exor-ciser. C’est l’autoportrait d’un enfant en colère, qui mène une guerre sans merci contre lui même et contre les autres. Il construit autour de lui -comme il l’appelle étant enfant- une sorte de «château-fort». Il s’emmure dans sa solitude et tente tout au long du livre de se retrouver, mais aussi à retrouver sa place dans le groupe, dans la société. Aujourd’hui, « l’orage de l’autisme » comme il aime le dire, est passé. Le « guerrier aux bras nus » est devenu

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un adulte serein. Alors, il a décidé de replonger en enfance. « Personne ne guérit de son enfance » comme le dit si bien Oxmo Puccino dans l’Enfant Seul.

« T’es comme une bougieQu’on a oublié d’éteindre dans une chambre videTu brilles entouré de gens sombres voulant te soufflerCelui qui a le moins de jouetsLe moins de chouchousCelui qu’on fait chierLe coeur meur-tri et meurtrière est ta jalousie;L’enfant seul se méfie de tout le monde, pas par choix, mais dépitPense qu’en guise d’ami son ombre suffitUne solitude qui te suit jusque dans le sexeMon texte coupe l’enfant seul en deux espèces :Ceux qui baisent à l’excès mais souhaiteraient seFixer à une femme plutôt qu’à mille fessesQuand l’autre sorte écoute souvent la mêmeChanson dans le

poste, et porte le deuil d’uneR e l a t i o n morte et reste l’oeil humideLa tête baissée laisse le coeur sur l’estomacL’estomac sur les genoux, ma tris-tesse n’a d’égaleQue le coup de gueule muet de l’enfant seulQue nul ne calcule

[Refrain] :

T’es l’enfant seul (je sais que c’est toi)Viens-tu des b a s - f o n d s

Ou des quar-tiers neufs ?B r e f ,

au fond tous la même souffrance

T’es l’enfant seul (je sais que c’est toi)Viens-tu des bas-fondsOu des quartiers neufs ?Bref, au fond tous la même souffrance

T’es l’enfant seul (je sais que c’est toi)Viens-tu des bas-fondsOu des quartiers neufs ?

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Bref, au fond tous la même souffrance

T’es l’enfant seul (j’suis sûr que c’est toi)Viens-tu des bas-fondsOu des quartiers neufs ?Bref, au fond tous la même souffrance

Mes mots s’emboîtent les gens s’y voient comme dans une flaque d’eauÇa leur renvoie un triste reflet, mais est-ce ma faute ?T’es l’enfant seul c’est pas facile, on se comprendPeu l’savent, que je le sache ça te surprendIl mate par la vitre la solitude qui le mineFait passer la quinine pour un sucreFaut être lucide, il faut qu’on se libère, disent-ilsIls n’en discutent pas, confondent la rime et l’acteLa fuite et le suicide, un pacte, une pro-mo sans tractPas trop de mots nobody n’a cap-té le sale souhaitL’envie de se laisser par le cou pendu

Pour punir les parents, qui pour aimer l’enfantOnt trop atten-du, car si l’amour est une courseL’enfant naît c’est le départ en tête, l ’embêtementComme passe-temps en fait des parents bêtes !Maîtrise lan-cinante, sen-timents en ci-ment sinonDans six ans on me re-trouve ciseaux dans le crâneDans le sang gisant

[Refrain] (dis-moi que c’est toi)

L’enfant seul c’est l’in-

connu muet du fond de classeCelui de qui l’on se moque, rond commeColuche, ou le boss dans le hall, au groupeMassif - l’os dans le steak haché - plantantChaque postulant à son posteVu que les conneries de gosses des rues couvrentSouvent un jeune qui souffre d’un gros gouffre affectifGrandir sans père c’est durMême si la mère persévèreÇa sert, mais pas à trouver ses repères c’est sûr !

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Perdre sa mère c’est pire ! Demande à Pit j’t’assureT’as pas saisi enlève la mer de la Côte D’AzurQuand ces gosses poussent leur souffrance aussiNous savons tous que personne ne guérit de son enfanceMême un torse poilu ne peut oublier sa vie deGosse du divorce rossé par son beau-pèreL’enfant seul c’est toi, eux, lui, elleOxmo Puccino.

Voix de miel.»

Plongeant dans sa mémoire d’enfant autiste, Hugo raconte sa souffrance d’être différent, son refus de parler, son désir d’être un autre jusqu’à vouloir chan-ger de nom. Au début du livre, vers 4 ans, il dit à sa mère avoir «tué Hugo» et souhaite chan-ger de prénom, il souhaite s’ap-peler Julien. Ce qui est in-croyable c’est que quand il évoque ses quatre ans, il parle comme un enfant de quatre

ans, quand il en a six, il s’ex-prime comme tel, même chose quand il traverse l ’adolescence pour arriver à l’âge adulte. On a parfois l’im-pression d’être à sa place, d’être dans ses yeux, dans son cerveau. On partage sa fas-cination pour les roues qui tournent qui lui rappellent que la Terre tourne au-tour du soleil et qu’il est sur une boule géante appelée la Terre. Il pense même à la gravité, à l’âge de six ans…On en vient

même à partager sa décision de retourner dans le ventre de sa mère ou de devenir un vampire (Dans le ventre de sa mère, que c’est beau!)Ce livre nous permet de mieux cerner ce qui se passe dans la tête d’un autiste extrêmement intelligent; de partager ses obsessions, ses an-goisses, que l’on a parfois rencontrées; son regard sur notre monde que l’on a partagé si souvent.C’est le récit d’un rebelle, sans concessions vis-à-vis des autres enfants, des profs et des psys. Il y a une noirceur parfois étonnante dans son regard d’enfant. Et c’est d’une

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justesse parfois assez troublante, d’une sincérité profonde, et d’une grande poésie malgré toute la cruauté que peut renfermer son propos. C’est très beau.

Il est sauvé par l’amour et l’abnégation de sa mère qui pour l’éloigner des institutions destructrices décide de l’élever seule. Il raconte sa lutte contre lui-même, contre les autres. Comment il sort de cette lutte, de son renfermement, par le théâtre, qu’il rencontre lorsque s’ouvrent à lui les portes de l’âge adulte. Aujourd’hui devenu comédien, Hugo Horiot met en scène son livre, il l’interprète ou le lit dans des salons, des mé-diathèques… Il continue à faire vivre son his-toire, son com-bat.. À surmon-ter ses craintes en apprenant à vivre avec. Très beau bouquin. Je vais mainte-nant terminer par la lecture d’extraits du livre qui m’ont par-t i c u l i è re m e n t t o u c h é s . Les noms de chacun des cha-pitres sont liés aux images utili-sés dans celui-ci.

Celui là s’appelle:

T o u r t e r e l l e mon Amour:

«Souvent rou-coule la tour-terelle. Cette musique est agréable. J’aime ce chant. J’aime la tourterelle. Je l’aime tellement que l’entendre m’est insuppor-table. Je crie à mon tour. Tais toi tourterelle! Cesse de me ramener à ma condition d’hu-main, à ma pri-son. Tu es libre, toi! Tu peux vo-ler et chanter. Moi je ne peux faire ni l’un ni l’autre. Je suis enfermé dans

ce corps de Julien qui lui même est enfermé dans le monde des autres. Je passe ma vie avec des petits êtres grouillants, criants et gesticulants que je ne veux ni voir ni entendre. Toi, tu es belle, tu chantes et tu voles..Je suis dans la salle de classe, prison autour de ma prison. Quand la fenêtre est ouverte au mois de juin, toi tu chantes et tu voles. Par-tout où je vais, tu me suis. Tu es là pour me rappeler sans cesse ce que je ne sais que trop bien: Je suis prisonnier et toi tu es libre. Libre de vivre dans les grands espaces, libre de partir, libre de chanter, libre de rester. Tu me tues avec ta liberté que j’e n’aurai jamais, sauf quand je serais mort. Qu’essaies-tu de me dire à la fin? Tu me nargues?

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Un jour ma mère m’a parlé de la réincarnation. Si c’est vrai, j’aimerais me réincarner en toi. Je chanterais et je volerais au dessus des prisons des autres. Je sais que je suis en prison et que je suis une prison. Une fois en voyant Peter Pan, j’ai pris conscience que si je rencontrais la fée clochette, je la mettrai dans une cage comme le capitaine Crochet. Pe-tite cage dorée dans laquelle je contemplerais sa tristesse et sa souf-france toute la journée. Sans rien faire. Ma prisonnière, ma captive.»-Comme dans l’Ancien Temps de Joann Sfar d’ailleurs. Quand l’Homme Arbre abrite la sorcière en son corps pour la protéger des hommes qui la pourchassent. Attendant le dé-part des assail-lants, le dilemme est le suivant: La garder captive à ses côtés jusqu’à la fin des Temps (Comme la rose du petit prince, mise sous clo-che). Ou bien la libérer, la laisser partir et risquer de ne jamais plus la revoir.- r e p r e n o n s — .«Je lui offrirais un cadeau de temps en temps. je lui donne-rais des graines. Comme ça, peut-être arrive-rai-je à oublier un peu que je souffre moi aus-si. Au moins,

nous souffririons ensemble. C’est tout ce que j’ai à offrir. Si je t’at-trape tourterelle, je te ferais subir le même sort parce que je t’aime. Comme la fée clochette. Je t’aime tel-lement que ta liberté m’est in-supportable. Je t’aime. Trop fort. T o u r t e r e l l e , tu me tues.»

Quand je rêve: Extrait.

«Quand je rêve, je vois une image, je bloque cette image et j’entre dans mon rêve.

Ces images s’entrechoquent, disparaissent et re-viennent. j’ai peur qu’elles ne s’échappent. Alors je les dessine. Et elles existent. À l’école, on me re-garde en souriant et on me dit que je suis un « cerveau lent ». Ils ne savent pas comme les images défilent vite dans ma tête. Je leurs réponds intérieurement, puisque « répondre » au pro-fesseur est interdit, que si je suis un « cerf-volant », qu’at-tendent-ils pour me lâcher? Dans tête, je tache d’y passer le plus de temps possible, et ça ne plait pas vraiment aux autres. (…)»

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Autre extrait de je ne sais plus quel chapitre:

Hugo est en maternelle, alors que les enfants sont entrainés dans la ronde des poussins, il trouve beaucoup plus intéressant de faire le vilain petit ca-nard. Il joue à tourner sur lui même: «Je tourne des roues toute la journée, mais ça ne fait pas passer le temps plus vite. Alors je me concentre sur ce geste circulaire qui me propulse vers l’infini, loin des autres, loin de ce monde là. Je pars. Je pars très loin. Je fais des kilomètres et des kilomètres avec ma roue. J’ai dû tourner des millions de ki-lomètres avec cette roue bleue. Peut-être même s u f f i s a m m e n t pour sortir de la galaxie et m’éloi-gner encore plus loin de ce carré qui m’étouffe. Là où je vais, vous ne me rat-traperez jamais. Il vous faudrait dépasser la vi-tesse de la lu-mière pour ça, et jusqu’à présent, personne n’y est encore arri-vé, à moins de se dématériali-ser pour devenir de la poussière d’étoile. Moi, c’est là où je vais.

J’ai 4 ans et je veux rejoindre la poussière d’étoile pour tout recommen-cer au début. Mais avant le dé-but, il y a quoi?»

Un petit der-nier pour la route, page 51:

« De toute fa-çon je ne veux pas voler. Ce n’est pas grave d’être en cage quand on ne sait pas voler. »

«Le programme improvisé res-pirait le bon parfum. Il l’em-mènerait faire un tour dans le jardin des

merveilles et lui ferait savoir qu’un de ces soirs il serait roi.Mais avant les premiers mots arrivèrent les derniers.

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Oxmo Puccino et Ibrahim Maa-louf, Tomber Longtemps, tiré de l’album «Au Pays D’Alice», 2014.

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J ’ a i T a n t R ê v é D e T o i

« J’ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité. Est-il encore temps d’at-teindre ce corps vivant Et de baiser sur cette bouche la naissanceDe la voix qui m’est chère?J’ai tant rêvé de toi que mes bras habituésEn étreignant ton ombreÀ se croiser sur ma poitrine ne se plie-raient pas Au contour de ton corps peut-être.Et que, devant l ’ a p p a r e n c e réelle de ce qui me hante Et me gouverne de-puis des jours et des années,Je deviendrais une ombre sans doute.-L’ombre de ton chien, l’ombre de ta main, ne me quitte pas - Ô balances sentimentales.J’ai tant rêvé de toi qu’il n’est plus temps Sans doute que je m’éveilleJe dors debout, le corps exposéÀ toutes les a p p a r e n c e s de la vieEt de l’amour et toi, la seule

Qui compte a u j o u r d ’ h u i pour moi,Je pourrais moins toucher ton front Et tes lèvres que les premières lèvres Et le pre-mier front venu.J’ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé, couché avec ton fantômeQu’il ne me reste plus peut-être,Et pourtant qu’à être fantômeparmi les fan-tômes et plus ombre Cent fois que l’ombre qui se promène Et se promène-ra allègrementSur le cadran so-laire de ta vie. »R o -

bert Desnos est mort en 1945. Le lendemain de sa libéra-tion. il était dans un camp de concentration. il avait le typhus.Avant de mourir, il a écrit quelques poèmes, en voici un, qu’il a écrit à sa femme Youki.Ça s’appelle Le Dernier Poème :J’ai rêvé tellement fort de toiJ’ai tellement marchéTellement parléTellement aimé ton ombreJ’ai tellement couché avec ton fantôme Qu’il ne me reste plus rien de toi

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Il me reste d’être l’ombre parmi les ombresD’être cent fois plus ombre que l’ombre qui vien-dra et Reviendra dans ta vie ensoleillée

C’est ce que nous dit, nous chante Trintignant dans son album rendant hommage à Vian, Prévert, Desnos«« Au commencement de la liberté est la poésie.» Ce disque où s’entendent trois grands poètes libertaires le rappelle. Jean-Louis Trintignant est deve-nu le musicien de sa voix, violoncelle qui a pris avec l’âge le grain âpre, moelleux des grands crus. A 81 ans, des cen-taines de films au compteur, moitié moins de fortes présences en scène, Trin-tignant donne ce qui pourrait rester son chef-d’oeuvre. Des poèmes qu’il a choisis et qui constituent un portrait du co-médien, lui qui s’est toujours mis avec une éton-nante absence de narcissisme au service... de l’art ? De la vie ? Pour lui, c’est tout un. Il le dit, avec les mots de Vian, après avoir dit aussi

les horreurs de Je mourrai d’un cancer de la co-lonne vertébrale : « Pourquoi que je vis ? Parce que c’est joli. »Rien de plus dangereux que la joliesse, que le doux poison de la mélancolie instillé par l’ac- cordéon céleste de Daniel Mille, la caresse au violoncelle de Grégoire Korni-luk et la voix de Trintignant au sourire tendre-ment carnassier. Ces trois-là font entendre l’émoi, le souffle popu-laire qui pour-rait devenir une autre marée,

murmurant dans la nuit « Insurgeons-nous », et faire apparaître le soleil. »»

Michel Contat pour Telerama.

En réalité ce poème date de 26 et aurait été dédiée à Yvonne Georges. Les paroles que je vous ai lues(que je vous écrit maintenant) sont celles de Trintignant qui a raccourci le texte du poème original. Ce texte explore la rêverie amoureuse en en soulignant les ambivalences et les dangers: Re-fuge, elle nous conduit au retrait du monde réel et à la disparition de soi.L’image que j’ai choisi est une capture d’écran d’un court métrage: « I Have

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Dreamed of You so Much » d’Emma Vakarelova. Réalisé en 2014, il est tiré d’une mini série dédiée à la poésie nommée « En sortant de l’école ».L’image sélectionnée représente un homme à la peau blanche démesurément grand.Habillé d’une cape d’étoiles, ses yeux sont fermés. Un soleil semble s’envoler de sa cape. Il encercle de ses très grands bras ce qui nous semble être une grande étendue d’eau sur laquelle sa bien aimée vient de disparaitre. Ses pieds apparaissent à l’opposé de sa tête, de l’autre côté de l’étendue d’eau.Situés au centre de l’image, ils sont entourés de nuages rouges et bleus et verts gris, d’un fond mé-langeant toutes ces couleurs au noir de sa cape. Et parmi les étoiles s’échap-pant de sa cape apparaissent les textures d’une sorte de papier beige. Emma Vakarelova mé-lange très aisé-ment collage, peinture et des-sin numérique.En ayant vu le film, je peux savoir qu’il la retient, qu’il es-saye de retar-der l’heure de son départ, si-gnant alors la fin de leur amour.Ce film est un « film sur l’Horizon

et son amour impossible »...Cela me fait pen-ser à Résidents de la République de Bashung: « Un jour je te parlerais moins, peut-être le jour où tu ne me par-lera plus(...) Un jour je t’aimerais moins, peut-être le jour où je ne t’aimerais plus. »(Tiré de l’al-bum «Bleu Pé-trole» d’Alain Bashung, 2008)

Au début de mon écrit est apparu dans mes oreilles le thème du film de Michel Gondry Eter-nal Sunshine of

the Spotless Mind par la chanteuse Jon Brion. Drôle de hasard étant donné que ce film parle lui aussi de l’amour et de l’oubli.Il raconte l’histoire d’une rupture amoureuse. Celle de Joël et Clémentine. Dans ce film, il est possible d’effacer ses souvenirs, d’oublier une personne au moyen d’une opération. Au cours de celle-ci, le personnage principal, décide d’oublier tous les moments, joyeux et tristes de leur histoire. Mais en remontant le fil du temps lors de l’intervention, Joël redécouvre ce qu’il aimait depuis toujours chez Clémentine. L’inaltérable magie d’un amour dont rien au monde ne devrait le priver. Alors commence un combat contre l’oubli de ces instants de beauté. Il emmène Clémentine dans les méandres

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de sa mémoire, dans des endroits que ne trouverait pas la machine. Ils fuient alors dans des souvenirs n’ayant jamais partagés tous les deux..Dans son enfance, son adolescence, il lutte contre la perte de cet être cher, contre l’oubli de ses instants de bonheur partagé...

de sa mémoire, dans des endroits que ne trouverait pas la machine. Ils fuient alors dans des souvenirs n’ayant jamais partagés tous les deux..Dans son enfance, son adolescence, il lutte contre la perte de cet être cher, contre l’oubli de ses instants de bonheur partagé...

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(Saez chante aussi l’oubli, notamment dans sa chanson Usé « Usé par l’oubliOn oublie pourtantQu’un jour on s’est aimé,Qu’un jour on a vécu, Que la vie est passée, Que le passé n’est plus Qu’un jour on s’est aimé Que ce jour n’est plus Qu’une postéritéNoyée dans l’inconnu »).Coïncidence encore plus grande lorsque je tombe sur une interview de Desnos, parlant du cinéma.Dans cette inter-view et dans ses écrits le poète rattache le ciné-ma et le domaine du rêve et de l’érotisme, qu’il ne dissocie ja-mais de l’amour. Pour lui, le film comme le rêve est une aven-ture, il permet d’échapper à la réalité sordide et d’atteindre le merveilleux. Il retrouve dans les conditions même de la re- p r é s e n t a t i o n c i n é m a t o g r a -phique(faisceau lumineux/ obs-curité/ solitude) un équivalent de l’état oni-rique, entre le

réel et l’iréel, le conscient et l’in-conscient. Le ci-néma devient en quelque sorte une machine à rêves « capable de reproduire les conditions du sommeilet de l’avène-ment du rêve ».Desnos imagine un réalisateur capable de faire un film comme on rêve, le rêve étant pour lui « un cinéma plus merveilleux que tout autre...»

Je me demande alors ce qu’il aurait pensé du cinéma de Mi-chel Gondry, de Jean-Pierre

Jeunet, de Jim Jarmusch, de Yasujiro Ozu...Et la liste est longue.Cependant je m’éloigne.

Qu’aurait-il pensé de cette idée d’animer ses écrits comme l’a si bien fait Emma Vakarelova?

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R é b é t i k o

Né dans les ghettos du port de Pirée à Athènes dans les an-nées 20, le rébétiko est un blues, une sorte de fado, de com-plainte . C’est une musique rhizomatique, empruntant à l’héri-tage musical Turc, des îles grecques et des musiques continentales.Elle est la conséquence de la rencontre dans les années 20 des réfu-giés d’Asie mineure et des émigrés dans les ghettos Athénien. Exclus de la société Grecque du fait de leur « orientalité » ou de leur pauvreté.Interdits à la dif-fusion dans les années 30 sous la dictature de Metaxás, son statut est beau-coup discuté et fait naitre une multitude de discussions, de question-nements entre p e r s o n n a g e s de l’élite cultu-relle par articles de journaux in-terposés. Dans cette discussion historique sur le rébétiko se joue la question dou-loureuse de la politique cultu-relle d’une Grèce qui voit ses codes et ses tra-ditions dictés par le modèle

occidental, re-foulant alors son orientalité.C’est en 1950 que se joue le devenir-majo -ritaire du rébé-tiko. De mu-sique mineure, le rébétiko devient musique majeure lorsque Vassilis Tsitsanis sortit son bou-zouki non plus dans les tékkés (bars clandes-tins) du Pirée, mais dans les tavernes cos-sues d’Athènes. Doucement, le rébétiko se fait « laïko », à me-sure qu’il se fait d o m e s t i q u e r, qu’il abandonne les apologies

du haschisch et de l’alcool, de la plus-que-peine et de la vanité pour le thème prépondérant de l’amour et de la douleur de la séparation.L’image que j’ai choisie est tirée de la bande dessinée Rébétiko de David Prudhomme. C’est un dessin mélant le crayon à papier à l’encre de chine. Le papier sur lequel est posé le dessin est d’un blanc cassé tirant vers le jaunâtre. Au premier plan de cette image se dressent six personnages, dont les quatre principaux, situés au centre de l’image, sont des musiciens. Le premier personnage sur la gauche, coupé par le cadrage de la case, est endormi. Les cheveux courts, les joues creusées et moustachu. Il est avachi, le coude posé sur le second. Musicien recroquevillé sur

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son instrument. Il est assis sur une sorte de tabouret, les jambes croi-sées. Sa veste est ouverte sur son torse, son pantalon est rapiécé au genou droit, et l’un de ses pieds est nu. Il n’est vétu que de couleurs claires, dé-notant alors avec le troisième personnage portant un pantalon noir. Son haut, de couleur claire, est ouvert de quelques boutons au niveau du col. Il est assis en tailleur sur le sol, les pieds nus. Il joue lui aussi d’un instrument à cordes, tout comme le quatrième de ces musiciens. Sa moustache est taillée et ses cheveux sont courts et gominés.Le troisième, également assis en tailleur sur le sol, les pieds nus, joue de l’ac-cordéon. C’est sûrement le plus vieux des musi-ciens. Son visage est marqué, les yeux plissés, ses joues sont creusées. Il porte sur la tête une sorte de ruban. Son haut est noir et son pantalon blanc, à l’inverse du personnage précédent. Son regard porte sur le dernier des musiciens, si-tué à sa gauche. Joueur de bou-zouki(sorte de luth à manche long fretté Grec) aux cheveux courts et mous-tachu comme ses compères, il est aussi as-

sis au niveau du sol. Adossé à la voute en pierre sous laquelle se trouve l’en-semble des per-sonnages. Les vêtements clairs, le haut débou-tonné à plusieurs endroits, il porte une sandale au pied droit, tandis que son pied gauche est nu. Ses jambes sont croisées. Le dernier des personnages se trouve en bas à gauche de l’image. Lui aussi coupé par le ca-drage, il est plus en avant que les autres, bien que plongé dans l’ombre. Un ru-

ban entoure sa tête, son visage est emmacié, ses sourcils et sa mous-tache sont plus garnis que celle des autres. Il fume sur une grosse pipe très sûrement remplie de haschich comme il était coutume dans les tékkés. Ses traits et ses yeux sont marqués, ce qui appuie cette supposition.

«Le nez écarquillé, inhalant un narguiléDans sa tête, l’esprit éparpillé»(Oxmo Puccino et Ibrahim Maalouf, Les Conseils D’une Chenille, Au Pays D’Alice, 2014.)Tous ces personnages ont les yeux fermés, ou rivés sur l’instrument. Le

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sol est constitué de grosse pierres, tout comme la voûte en pierre au pre-mier plan qui est d’ailleurs gravée sur deux pierres à droite de l’image. Un coeur transpercé par une flèche, une sirène, un voilier et ce qui semblerait-être un cobra.Le premier plan est plus sombre étant donné que le lumière pro-vient d’une fenêtre au second plan. Les personnages sont comme à contre jour, bien que l’on distingue chacun de leurs traits.Dans ce second plan, les personnages sont plus loins, le dessin est donc plus simple et les détails sont moindres. Au niveau de cette fenêtre, si-tuée à gauche de l’image, sont avachis deux p e r s o n n a g e s sur des sortes de poufs. Entre eux est as-sis un homme qui parle à l’un deux. À droite de l’image se touve le dernier personnage. Si-tué dans l’ombre de l’encadrure de la porte. Il est très certaine-ment «le videur» du tekké. Il porte un chapeau et semble fumer une cigarette. La porte comporte une petite ou-verture qui per-met sûrement au videur de vé-rifier l’identité

des personnes entrant dans le tekké-qui étaient interdits et donc recherchés par la police grecque-.

L ’ a m b i a n c e est posée par l’utilisation du crayon à pa-pier. Au premier plan, où les per-sonnages sont dans l’ombre, le crayon est très présent. Il est estompé au se-cond plan, voir même inexistant pour suggérer les rayons du so-leil entrant par la fenêtre. J’ai choi-si cette image car c’est une des seules en noir et blanc dans

la bande-dessinée. Elle retranscrit parfaitement la mélancholie de cette musique aux accents méditerranéens. La tristesse et l’ivresse dans laquelle se trouvent les joueurs de r é b e t i k o .

Malgré le manque de couleur, cette image dégage une cer-taine chaleur du fait du nombre des musiciens, de leurs postures, et du caractère «intimiste» de l’image. Lors de la lecture, tu te re-trouves comme imergé dans ce pays, dans ces fumoirs, ces villages, ces cabarets et autres endroits que traversent les personnages.

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L’histoire se déroule dans un quartier malfamé d’Athènes en octobre 1936. On y suit l’histoire de Markos, Stavros et d’autres, virtuoses-nés et glandeurs grandioses, un peu dandys, un peu voyous. Armés d’un bouzouki dont ils tirent des rythmes hypnotiques ou des lamentations déchirantes, mis en condition et inspirés par le haschich qu’on fume intensivement dans les té-kés. Ils ne craignent ni la castagne, qui tient du rituel, ni la taule, ni la chasse à l’homme acharnée que mènent contre eux les sbires à la solde du dicta-teur Metaxás. L’histoire ne raconte pas énormément, elle s’arrête sur des ins-tants, sur des parenthèses de leurs journées. La lecture se déroule au rythme de leur vie, lente et lanci-nante comme les danses pra-tiquées dans les fumoirs, le z e i m b e k i k o , le tsifteteli, le k a r s i l a m a s . . .Tombé amou-reux de ces musicos’, des ambiances, des lumières et du si beau dessin de Prudhomme, je me suis em-pressé d’aller voir mon père pour lui parta-ger ma décou-verte. Je me ra-pelle lui avoir demandé s’il conaissait. Féru de musique, il me conseilla Tsistsanis dont

je n’avais jamais entendu par-ler auparavant. Il me sortit un album «Gree-ce-Homage to Tsitsanis». Il ré-sonait quelques minutes plus tard dans ce sa-lon que nous habitions autre-fois ensemble. Son air plein de mélancolie, ses cordes pincées et sa voix à la li-mite du nasillard m’a accompagé plus d’une fois depuis ce jour. C o m p a g n o n parfait pour mes nuits de travail lycéennes chez ma grand-mère a u j o u r d ’ h u i m a l a d e .

Cette musique m’emplit désormais d’une mé-lancolie plus grande qu’à cette époque. Cette musique s’écoute à petit feu de ciga-rettes. Fumer revet dans ce moments là un caractère sacré, mais il faut avoir fumé pour s’en sou-venir. Sous la lumière d’une lampe tamisée.La plume à la main et les poils de la peau hérissée.Les yeux humides. Rouges de fumée, de manque de som-

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meil et des embruns transportées par cette belle méditerranée que chantait si bien Moustaki.

Je pense d’ailleurs à lui,«Dans ce bassin où jouent Des enfants aux yeux noirs, Il y a trois continents Et des siècles d’histoire,Des prophètes des dieux, Le Messie en personne.Il y a un bel été Qui ne craint pas l’automne,En Médi-t e r r a n é e .Il y a l’odeur du sang Qui flotte sur ses rives Et des pays m e u r t r i s Comme autant de plaies vives, Des îles b a r b e l é e s , Des murs qui emprisonnent. Il y a un bel été Qui ne craint pas l’automne, En Médi-t e r r a n é e .Qui ne craint pas l’automne,En Médi-t e r r a n é e .

Il y a des oliviersQui meurent sous les bombesLà où est apparueLa première c o l o m b e ,Des peuples o u b l i é sQue la guerre m o i s s o n n e .Il y a un bel étéQui ne craint pas l’automne,En Médi-t e r r a n é e .

Dans ce bas-sin, je jouaisL o r s q u e j’étais enfant.J’avais les pieds dans l’eau.Je respi-rais le vent.Mes compa-gnons de jeuxSont devenus des hommes,

Les frères de ceux-làQue le monde abandonne,En Méditerranée.

Le ciel est endeuillé,Par-dessus l’AcropoleEt liberté ne se dit plusEn espagnol.On peut toujours rêver,D’Athènes et Barcelone.

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Il reste un bel été.

...

(Nina m’a prêté un livre, L’amertume et la Pierre, recueil de poèmes écrits dans le camp de Makronissos de 1947 à 1951, je n’en ai lu que quelques pages, piochées au hasard.

«Nous nous trou-vons ici, à peu près trois millehommes ordi-naires, travail-leurs, instruitsavec une cou-verture trouée sur l’épauleavec un oignon, cinq olives et un quignon de lumière dans la musettedes hommes o r d i n a i r e s comme des arbres au soleildes hommes n’ayant commis d’autre faute que celle d’ai-mer comme toil a l i b e r -té et la paix.. . . » (Yannis Ritsos)

à écouter et à voir, réécou-ter et revoir, à découvrir:

M o u s t a k i - P o r t u g a l F a d oF a t o u - F a t o u m a t a D i a w a r aL ’ a v e u - C o s t a G a v r a sP a p i l l o n - S t e e v e M c Q u e e n , D u s t i n H o f f m a n nS m a ï n - F i l m H a r k i sP h i l i p p e L é o t a r dC o m p l a i n t e C o r s e , O ï T z i g a n éA n g é l i q u e N a t o s -C o m p l a i n t e L a n c i n a n t eA n d r é e C h e d i d

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P r é p a r e z V o s M o u c h o i r s

L’image choisie est tirée du film de Bertrand Blier Préparez vos Mou-choirs, paru en 1978. Les acteurs principaux de ce film sont Pa-trick Dewaere, Gérard Depardieu, Carole Laure et Michel Serrault.Trois hommes vêtus d’une chemise blanche sont attablés autour d’un repas. Celui du milieu, au centre de l’image s’adresse aux deux autres. Il tourne la tête vers celui de droite, qui est à sa gauche. Ses mains sont légèrement levées, sa bouche entrouverte et ses sourcils sont tous les deux relevés comme pour ex-primer son éton-nement. Ou bien peut-être parle t-il simplement en faisant de grands gestes. Il porte des bre-telles de couleur bordeaux et sa chemise est dé-boutonnée au niveau du col. Ses cheveux courts et grison-nants coiffés vers le côté droit. Son visage arbore une moustache noire. Il s’agit de Michel Ser-rault. Les deux autres person-nages semblent l’écouter atten-tivement, les deux mains po-sées sur la table

et le regard tourné vers lui.Celui de droite semble tenir un couvert, il joue peut-être avec en écoutant ce-lui du centre par- ler. Sa chemise est également entrouverte et ses cheveux coiffés sont à mi-chemin entre le brun et le châ-tain. Son visage est rasé, ce-lui-là c’est Gégé. D e p a r d i e u .Celui de gauche a les cheveux fri-sés et une barbe taillée d’un brun très foncé se r a p p r o c h a n t du noir. Le re-gard enfantin, le dos vouté,

c’est Patrick Dewaere.Tous les trois sont réunis autour d’une table recouverte d’une nappe blanche comme leurs chemises. Elle est recouverte d’une banette de pain coupé en osier, de deux bouteilles de blanc,l ‘une d’elles est à moitié vide: c’est un film de Blier... Trônant fièrement sur cette table, un plat en métal plein de viande décoré de feuilles de persil. Au centre de cette table se trouve un bouquet de fleurs des champs contenu dans un verre. Le couvert est dressé et les verres à vin sont à moitié pleins. Derrière eux, à gauche de l’image se trouve une commode en bois sur

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laquelle sont disposés plusieurs éléments: Une assiette pleine de fruits: clémentines, poires, pommes.. On ne voit pas directement le haut de cette pile car l’image est coupée en son angle supérieur gauche. Nous pou-vons cependant l’apercevoir grâce à la présence du miroir accroché au mur derrière la commode. À droite de cette assiette se trouvent égale-ment une plante en pot également coupée par le cadrage, un cendrier en verre ainsi que d’autres objets difficilement identifiables. Sur le mur est accroché ce qui semblerait être une sculpture. Les ombres de cette sculpture et de la plante sont projetées sur le mur aux couleurs grisâtres.Un meuble est incrusté dans le mur à droite de l’image. Son encadrure et ses planches sont grises.Très peu de livres y sont en-treposés, cou-chés. Au fond de ce meuble, un tissu imprimé blanc aux motifs végétaux noirs. Il est possible que le tissu soit en fait celui de rideaux et que le meuble se soit construit de-vant une fenêtre.Le bas de l’image - constitué des pantalons des deux person-nages situés aux deux extrémités

de l’image ainsi que du dessous de la table - est noir. Contrastant alors avec la cou-leur blanche de la nappe et des chemises des trois compères.Cette image a des allures de Cène, Michel Serrault figurant le rôle du Christ, Depardieu et Dewaere ce-lui des apôtres.« Finalement, les films tout à la fois féro-cement drôles, touchants, pro-vocants et poé-tiques, sont plutôt rares. Quelques Wil-der, quelques Almodovar, et

quelques Blier. Triste butin. Quatre années après son étincelant, son né-cessaire Les Valseuses, Bertrand Blier réclame de nouveau le moteur pour croquer cette fois encore le portrait de deux paumés, balourds et doux, qui recherchent - rien de moins - que de comprendre la Femme. Avec un infantilisme attachant, les deux adolescents aux corps d’adultes intellectualisent la question dans tous les sens, le mauvais comme l’inter-dit. Le bon leur sera soufflé par un gamin de 13 ans, intelligent et pré-coce, bien plus que ses deux inattendus grands frères réunis, et qui pro-fitera seul du sourire angeleur de la délicate Carole Laure. Auréolé de son Oscar de meilleur film étranger (ce qui n’est pas rien), le parolier

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et cinéaste Blier enchante littéralement, et de bout en bout. Jamais de gags, mais toujours de l’humour, un effeuillage tranquille des tabous sociétaires, un couple de comédiens inégalé et inégalable, et ce sens inné du surréaliste, ce goût prononcé pour l’incertain, le singulier, et le formidable Oui, c’est incontestable, Préparez vos mouchoirs est un chef d’œuvre sans commune mesure, et oui, il est plus qu’évident aujourd’hui, qu’aucun film, jamais, ne retrouvera la fougue et la fantaisie de ce bijou.Constat d’autant plus amer et déprimant que le seul cinéaste qui fut à même de prolonger la magie - Blier lui-même - semble présentement anesthé-sié, ou tout du moins dépourvu de ce culot créa-tif qui l’habitait autrefois. Tout comme il est également triste depuis, de son-ger à toutes ces années passées sans la présence du très regretté Patrick Dewaere, ou encore d’as- sister à la perpé-tuelle décrépi-tude de Gérard Depardieu( . . . )Dans Préparez vos Mouchoirs, Depardieu et Dewaere étaient grandioses. L’al-lure rebelle du premier, menton en avant et ré-plique fusante, égalait presque

la désinvolture du second, la moue naïve et gracieuse sur le faciès. Un phra-sé unique et dé-complexé finis-sait d’emballer un texte somp-tueux, irréel, et la complicité de ces deux géants faisait s’envoler le film dans une sphère autre, m e r v e i l l e u s e , peuplée de pe-tits suisses dé-vastateurs, de p r o m e n a d e s en forêt et de voisins aller-giques à Mo-zart. Scène après scène, surprise après surprise, cerise après cerise, le gâ-

teau mijoté par Blier n’en finit plus de regorger de saveurs, et semble si incommensurable qu’il faut se passer le film en boucle pour en ap-précier toutes les subtilités, et savourer l’intelligence du propos. »Yannick Vély pour le site de critique cinématographique «Film De Culte».Ce film est une sorte d’épopée amoureuse comme sait si bien les faire Bertrand Blier. Les moments sont simples, ce sont des moments de grâce, de honte, de poésie de l’ordinaire Michel Piccoli disait quelque chose de semblable dans une interview sur Vincent, Francois, Paul et les Autres, film de Claude Sautet avec Serge Reggia-ni, Yves Montand, Depardieu(à ses débuts) et lui même. Parlant d’une scène

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du film. Un repas dominical entre amis de longue dates pendant laquelle le personnage de Piccoli s’emporte en découpant le gigot, à la suite d’une réflexion lancée par l’un de ses amis. Il s’énerve et s’en va faire un tour dans le jardin. Aussitôt rejoint par son ami qui quitte la table pour venir s’excuser.La beauté de cette scène ne réside pas seulement dans ce qui est dit par l’un ou l’autre mais également dans leur attitude, dans cette faiblesse qui les empare.C’est également le cas dans Préparez vos Mouchoirs.Michel Serrault joue en fait un voisin qui vient les engueuler, une nuit, parce que Dewaere et Depardieu écoutent trop fort Mozart. Les coupant dans un instant de grâce, où Dewaere parle de « son pote », Mozart, dont De-pardieu imagine la réincarnation. Il faudrait peut-être d’abord re-garder la scène. Le Petit Père Mozart, ex-trait disponible sur Vimeo.

Puis la lire:Raoul est joué par Depardieu, Stéphane par Dewaere, le voi-sin par Serrault et Solange par Carole Laure.Raoul : [la bouche pleine] Putain, le mec à la clarinette c’est pas un

manchot, hein !Stéphane : Cherche pas c’est le meil-leur : Gervase de Brumer. [à Solange] ça te plait ? Hein ?Solange : oui, j’aime bienStéphane : Ecoute la reprise de la clarinette là non mais t’as vu ? T’as vu com-ment il tripote son instrument le père Gervase ?Raoul : Alors là, chapeau.[ 4 0 ’ ’ ]Raoul : C’est vrai-ment la musique d’un type qui a jamais été heu-reux en amour. Ça c’est sûr.Stéphane : Tu

parles, le pauvre mec il est mort à trente-cinq ans ! Trente-cinq ans ! Mais tu te rends compte de la perte ? Quelle époque de con ! On claquait pour un rien !Raoul : Forcément, ils passaient leur temps à te sai-gner. Un rhume ? Allez hop ! Ils te pompaient deux litres.Stéphane : Remarque, aujourd’hui c’est les accidents de la route alors ça vaut guère mieux. Raoul : Mais parce que les gens conduisent comme des cons !Solange : c’était quoi sa maladie à Mozart ?Stéphane : On sait pas exactement. Probablement qu’avecun bon antibiotique il aurait écrit qua rante sym-phonies de plus, et Beethoven, il aurait pu s’aligner.

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[1’30]- [Solange tricote en arrière-plan, le torse nu]Raoul : Voilà un type, Mozart, j’aurais bien aimé le connaitre.Stéphane : Putain ! Et moi, quand je pense à toutes les fois où il m’a sauvé de la déprime. C’est pas compliqué, avant de te rencontrer c’était mon seul pote.Raoul : L’inviter à becqueter, tiens. Ça, ça aurait été chouette. L’emmener à la campagne. Il aimait ça, la campagne ?Stéphane : Mais bien sûr ! Il aimait tout ! Il était pas chiant.Raoul : On lui aurait filé la môme, on lui aurait dit : « tiens, Wolf-gang, elle est à toi. Solange elle s’appelle. Cadeau d’admirateur ! »Stéphane : Il en aurait fait une sonate

[ 2 ’ 1 5 ]Raoul : Dis-doncStéphane : OuaisRaoul : Ecoute ça voir. Ima-gine qu’il soit réincarné. Sté-phane : Qui ça ?Raoul : [se lève, visionnaire et m a g n i f i q u e ]Ton pote. Mo-zart. Tu vois le coup ? Réincar-né l’bonhomme. Tu me suis ? Il est là en bas, dans la rue, il marche, un peu étourdis, avec ses vêtements fripés, il sait pas où il est. Y’a per-sonne de- hors,

tout le monde roupille. Tout à coup qu’est-ce qu’il entend ? Notre musique. Sa musique. [Dewaere se lève à son tour, fasciné comme un gamin par ce que lui raconte D e p a r d i e u ]Son concer-to qui vient de quelque part. Ça lui scie les pattes au mec Mo-zart ! Il en croit pas ses oreilles.[Dewaere rigole, un peu fou]

Alors il se laisse guider par le son, les larmes aux yeux. Il s ’ a p p r o c h e de notre mai-

son, il se dit : « une vieille maison, ça doit venir de là », il pousse la porte, il entre, il hésite. Maintenant il entend mieux sa musique. Ça ré-sonne dans le hall, ça l’attire, irrésistiblement. Il se dirige vers l’esca-lier. Il se dit « c’est pas possible qu’il y ait tout un orchestre dans cette baraque, ou alors c’est que vraiment je suis devenu très populaire ».[Dewaere rigole encore]Il s’engage dans l’escalier, il monte tout doucement, marche par marche, avec ses escarpins et ses bas blancs. A chaque marche, son concerto est plus présent. Premier étage, deuxième étage, il arrive sur le palier. Il s’arrête. Il bouge plus. Il reste là, tremblant, juste derrière notre porte.

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Il écoute. En retenant sa respiration. Jamais il a enten-du son concerto si bien joué. Gervase De Brumer, un cla-rinettiste comme jamais il avait osé en espérer un... [coups à la porte] – 4’30Le voisin : Je tiens à vous signaler qu’il est trois heures du ma-tin et que je me lève à cinq heures pour aller aux halles ! Alors vous allez arrêter votre zinzin, sinon je vais chercher les flics ! Raoul :Toi tu vas fermer ta gueule et écouter Mozart avec nous ! Concerto pour clarinette.Le voisin : Oui mais moi j’en ai rien à branler de la musique ! Moi ce que j’aime c’est le silence !Raoul : Gervase De Brumer ! Meilleur clarinet-tiste du monde ! Alors assieds-toi, ferme ta gueule et ouvre tes oreilles.[Ils l’asseyent de force, le rete-nant par le col de son pyjama]Le voisin : Mais enfin puisque je vous dis, que ce que je veux moi c’est dormir, c’est tout sim- plement dormir ! Je suis fatigué ! Je suis un pe-

tit commerçant fatigué, bouffé par les grandes surfaces, pour-suivi par leshuissiers, j’ai, j’ai l’fisc au cul. J’ai l’Urssaf au cul, j’ai la caisse de retraite au cul, j’ai la France en-tière au cul. Et je peux même pas dormir à cause de votre mu-sique, alors j’en ai rien à foutre de votre Mozart, moi je le connais pas ce mec-là ! Je l’emmerde ! Ou alors qu’il me prête du po- gnon pour payer mes traites.Stéphane : Laisse Mo-zart tranquille,

parce que c’est mon pote. Hein ? Lui aussi il en avait des dettes. Sur la fin de sa vie il avait même pas d’quoi s’acheter du bois pour se chauffer le cul, et il composait quand même, alors.Raoul : Il vendait pas des légumes, lui ! Le voisin : Ben et alors qu’est-ce que vous avez contre les légumes ? C’est un crime de vendre des légumes ? Vous en mangez pas des légumes ?Raoul : On préfère la viande !Stéphane : Tu vas boire un coup ?Le voisin : Non merci.

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Raoul : Comment ça non merci. Tu vas peut-être essayer de nous faire croire que t’es pas pico leur? Y’a qu’à voir ta tronche! Une vraie réclame pour Casanis![arrivée du premier pastis]-6’00Le voisin : Ça m’est strictement interdit par mon médecin.Raoul : Les médecins c’est des cons. Moins tu les écoutes, mieux tu te portes. Stéphane : Allez, lève-le ton vieux coudeRaoul : Bois, ou je me considère comme offensé[il boit son pastis]-6’45Raoul : A la bonne heure Stéphane : Merci Mozart Le voisin : Comment ?Stéphane : « Merci Mo-zart », on dit.Le voisin : Mer-ci, Mozart. Raoul : T’es aus-si bien là que dans ton plu-mard, non ?Stéphane : Tu veux encore un coup de pastis ?Le voisin : Non, non, non, non, non Raoul : Mais on t ’accompagne-ra aux halles, on te portera tes légumes.[le second pas-tis arrive]-7’07Stéphane :

Ferme tes yeux, bois, et écoute Mozart ;Le voisin : J’ai sommeil, je vous assure que j’ai sommeil.Raoul : Mais y’a un lit là, ins-talle-toi, t’as qu’à dormir là ! On te laisse plus partir, maintenant on peut plus s’pas-ser de toi, t’avais qu’à pas monter. Le voisin : Ma-demoiselle So-lange : Monsieur. Raoul : Si t’arrive à la faire rigoler, on te la laisse, elle est à toi. Ça fait des semaines qu’on essaye de lui arracher un sourire. Rien à

faire. C’est à se flinguer. On te demande ça comme un service, fais la rire.Le voisin : Je serai ravi de vous dépanner, mais je vois vraiment pas ce que je... Stéphane : Mais trouve un truc, nom de Dieu ! Démerde-toi !». . .Et tout ça sur l’Adagio du Concerto pour clarinette de Mozart... « Lorsqu’apparaît dans l’histoire l’adolescent surdoué au charme du-quel va succomber la dépressive Solange – interprétée par Carole Laure – Mozart n’est plus le musicien unique. Christian Beloeil(l’ado), est un Mozart à sa façon, avec son QI de 158, dit lui préférer Schubert

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– s’opposant en cela à son père, inconditionnel de Wa-gner, et se plaçant du côté de sa mère, pianiste.La dernière scène du film nous montre une Solange enceinte des œuvres de l’adolescent – que l’on voit jouer au billard, jeu dont le vocabulaire associé est grandement sexué – tandis que Raoul et Stéphane – le mari et l’amant – sont rejetés hors de l’histoire, cramponnés aux grilles de la maison de maître, spectateurs d’un bonheur que ni l’un ni l’autre n’ont su procurer à la femme aimée. La musique que l’on entend durant cette scène est la Mélodie hon-groise de Schubert. Parfaitement désemparé, Stéphane ne peut que s’écrier : « C’est pas de Mozart, ça ! »Le générique, ensuite, défile le en silence. Depuis le mot attribué à Sa-cha Guitry, on sait, on sent, on ressent, que le silence qui suit la musique de Mo-zart est encore du Mozart. En clin d’œil, sans doute passé ina-perçu, Bertrand Blier s’amuse avec la sentence : le silence qui suit Schubert, ici, est encore de Schubert. »(Christine Bini pour La Lec-trice à L’oeuvre.)Préparez vos Mouchoirs, c’est

Trop Belle Pour Toi, sous la tutelle m o z a r t i e n n e . Dans Trop belle pour toi, film du même Bertrand Blier, sorti en 1989, la part belle sera don-née à Schubert :Père : Qu’est-ce que c’est que cette musique ? Fil : Un impromp-tu de Schubert.Père : C’est toi qui as acheté ça ?Fil : Euh oui !Père : Pour quoi faire ?Fil : Comment ça pour quoi faire ?Père : T’as très bien entendu ! Je te demande pour quoi faire !Mère : Mais enfin l’engueule pas !

C’est son prof de musique. Il a un exposé à faire sur Schubert. Père : Un exposé ?Fil : Oui, un exposé. Sa vie, son œuvre, son influence Père : Oui, mais moi elle me bouleverse, cette musique !La scène se déroule lors d’un repas de famille. Plus tard, plus loin dans le film, dans le même décor, on entend à nouveau l’Impromp-tu de Schubert, et le père, exaspéré, hurle : « Il est pas encore fini ton exposé ? » La musique de Schubert devient insupportable. Dans Trop Belle Pour Toi, le père est incarné par Gérard Depar-dieu (encore oui). Dans chacun de ces films, Depardieu incarne

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– au vrai sens du terme – le corps. Dans Préparez vos Mouchoirs,il est l’époux qui ne satisfait pas son épouse. Dans Trop Belle pour Toi, il est l’époux de la belle épouse, attiré par la secrétaire boulotte. Dans chacun de ces films, la défaite du personnage incarné par Depardieu passe par l’ap-prentissage de la musique, apprentissage émotionnel et non intellectuel.

A p p r e n t i s s a g e « c h a r n e l »

S o u r c e s :

Y o u t u b e h a m s t e r d e o -ro.blogspot. f r V i m e oLe Nouvel Obs archive.filmde-c u l t e . c o m

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L ’ e n f a n t P h a r e

C L A U D E N O U G A R O

Ce titre est extrait de l’album : «L’enfant Phare», sorti en 1997 chez Mercury.

Où est-il l’enfantL’enfant l’enfant phareQui débarque en fanEn fan fanfareOù est-il l’enfantOù est-il ?Sur une île ici-bas ?Sur une aile ici-haut. Marche-t-il sur les eauxLes os des vieux combats?Où est-il ?C h e v a u c h e - t -il une licorneEn criant hou hou hou!Et en faisant les cornesAux méchants l o u p s - g a r o u s ? Où est-il ?Est-il déjà né ?Où encore e n f e r m éDans le ventre d’une mèreDu prochain m i l l é n a i r eOù est-il ?

Dans quelle s t r a t o s p h è r eQuel l d’éternitéEn atten-dant, que faireQue nous l’ayons mérité ?Où est-il l’enfantL’enfant l’en-fant phareQui dé-barque en fanEn fan fanfareOù est-il l’enfant ?Où est-ilL ’ e n f a n t qui chanteLes fameux len-demains L’en-fant qui enfanteUn nouveau genre humainOù est-il ?L’enfant qui tueL’enfant qui tue le vieil homme Et qui reconstitue

Le paradis, la pommeOù est-il ?Où est-il ?Où est-il ?

Ce texte comme une analyse d’un texte, d’un poème. Et comme à mon habitude une manière de ricocher d’un texte à un autre..L’enfant Phare de monsieur Claude Nougaro sorti en 1997. Titre en hommage à son jeune fils, qui figure d’ailleurs sur la couverture de l’album également nommé «L’enfant Phare».

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C’est un album qui réveille en moi des sonorités et des images de l’enfance. C’est un album que l’on écoutait lors des voyages en voiture, l’album perdu parmi une dizaine d’autres à l’avant de la voiture entre mon père, conduisant, et ma mère. Nous l’écou-tions également à la maison, très fort, comme celui de Tsitsanis.(Tu te rapelles? À partir de ce texte, ce sera comme quand tu lis Tintin ,il faudra avoir lu les autres pour tout saisir). Nous finissons ce travail d’écriture Julie et moi et on a chacun lu le texte de l’autre. C’est alors que j’ai compris qu’il me manquait certaines connexions entre mes différents textes. Que certains d’entre eux man-quaient d’abou-tissement, de développement.En revenant à ce morceau, dont les textes ainsi que la musique commencent en fanfare. Utilisant aussitôt la mé-taphore, l’image poétique, pleine de sens, sens toujours nou-veaux au fil des écoutes, Nouga-ro crée ici une musique d’en-fant pour les en-fants.. C’est un grand enfant, qui malgré sa grande expé-rience, n’a pas perdu l’enfant qu’il gardait en son sein. C’est

également une belle manière de passer le re-lai à son fils. «l’enfant qui tue le vieil homme et qui recons-titue le para-dis, la pomme». Comme un tes-tament sur un air de Bossa Nova, accompagné de ses vieux potes: Eddy Louiss et Maurice Van-der, jazzmen de génie.«Ça émeut en proportion aussi, comme un testa-ment d’amant, ou comme une femme qu’on a tellement aimé qu’on goûte à l’iden-tique le gris de

ses cheveux. Désormais Nougaro musarde, comme par distrac-tion, dans le classicisme quiet, et la petite lumière de «L’enfant Phare» est son clin d’oeil.»(Christian Larrede pour Les Inrocks).Cet album arrive à un moment où Nougaro a été viré de chez Barclay, après avoir joué avec les plus grands, fait frissoner plus d’une personne avec sa déclaration d’amour à sa ville natale dans Ô Toulouse, la ville rose; Après Cécile ma fille, autre déclaration d’amour à sa fille, naissante.Qui est d’ailleurs une chanson écrite en prévision d’un avenir sans père pour sa fille. Une chanson à écouter et à comprendre une fois le père parti. Comme un message post mortem, que l’on siroterait aux soirs

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de lassitudes, bercé par cette nostalgie qui sait parfois nous prendre. Après nous avoir fait voyagés à Nougayork, Rio, aux États-Unis avec sa re-prise haletante du Blue Rondo à la Turque de Dave Brubeck... Nougaro est avant tout un conteur, une sorte de grio.. Lorsque Nougaro sort cet album, tout a vielli sauf son esprit.. Il est comme je l’ai dit plus haut un enfant. Il a ce-pendant accepté la vieillesse, ce qui «l’autorise évidemment à parler (beau-coup) de sa mort, dans la mousse des rochers de Biarritz, et à promener sa poésie touristique de garrigue en glacier.»(toujours Christian Larrede)Ce texte est également un prétexte pour parler du sujet de l’enfance, du génie et de la folie qui offre, en plus de la pureté de son regard à l’enfant toute sa grâce.Comme dans le film D’amore si vive (On ne vit que d’amour), de Silvano AGOSTI.«Une quête de multiples véri-tés sur l’amour, la tendresse et la sexualité, le désir de com-prendre ce qui pousse l’Homme à aimer malgré tout, telles sont les raisons qui ont amené le réalisateur et écrivain italien Silvano Agosti à interroger près de 7000 per-

sonnes à Naples pendant trois ans. Trois années de rencontres étonnantes, à la découverte de l’Autre... et à la fin, un documen-taire extrême-ment poignant regroupant sept e n t r e t i e n s .D’amore si vive, on ne ressort pas indemne. Les t é m o i g n a g e s recueillis par Agosti, qui d’une mère, d’une an-cienne prosti-tuée, d’un enfant précoce ou d’un transsexuel, tour à tour boule-versent, amusent ou émeuvent le specta-teur. Ces por-

traits variés sont empreints de pudeur et le désespoir affleure souvent, dans un regard qui se perd au-delà de la caméra, un sourire qui vacille...Oscillant sans cesse entre insistance et distance, sans jamais se dépar-tir de son humour et de sa verve, Agosti parvient à pénétrer l’intimité de ses sujets. Il entraîne par là même le spectateur dans sa quête, l’ame-nant à s’interroger sur sa propre vision de l’amour, son vécu personnel...C’est toute la force de ce documentaire exceptionnel que de tou-cher à l’universel à travers des portraits atypiques et bouleversants.»D’amore si vive, de Silvano AGOSTI (1984). Edizioni L’immagine.Le portrait qui m’intéresse ici est celui de Franck. Un petit gar-

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çon agé de 7 ans, aux allures d’un enfant sauvage comme ce-lui de Francois Truffaut. Jouant parfois avec un chaton, mangeant son goûter et se frottant les yeux lorsqu’il parle.. L’attitude d’un en-fant et le parler d’un adulte servant un propos plein de sagesse.«- Moi l’école, je la vis un peu mal- C ’ e s t - à - d i r e ?- Parce que je ne l’aime pas...- Comment voudrais-tu qu’elle soit, l’école?- D’accord, étudier... Mais après... Jouer, quoi... hmm... Jouer! Jouer toute la jour-née! - Et alors? Allez, parle-moi de l’école, bon sang! Al-lez! Et alors?- Et alors... On étudie toujours... Il y a... Une de-mie heure de ré-création... Dans l’après-midi, une heure...C’est-à-dire... Ce n’est pas très pré-cis... Et puis l’école, c’est une chose... C’est rester en cage...C’est que... À l’école tu ne peux pas vivre, tu ne peux pas... Jouer, tu ne peux pas faire l’amour...N o n ?Alors... pour moi

l’école c’est une grande conne-rie... Et puis... tu sais quand la maitresse t’ap-pelle... C’est un peu débile, parce qu’il peut y en avoir un qui n’a pas étudié, elle lui met une note...Tout ça n’a rien à voir avec la vie... Les notes... Tout ça n’a rien à voir avec la vie...

Au contraire, la vie a à voir avec l’amour, la joie, le bonheur, dé-couvrir la vie! À hurler... Jeveux vivre! Je veux être libre! Tu vas en Chine, en Amé-rique, à New

York, tous les endroits du monde... Comme ça tu peux découvrir... Que dans le monde il y’a d’autres... D’autres... Façons de penser.- Je te pose une dernière question: Pourquoi d’après toi les en-fants sont traités d’une façon aussi étrange par les adultes?- Parce que les adultes croient que les enfants... Sont des bons à rien...-Et alors?- Mais peut-être que les enfants sont supérieurs aux grands parce qu’ils ont une autre façon de penser... Ils imaginent les choses plus belles, plus pures, tandis que les grands, avec laideur...C o m m e t o i . . . ! »

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En réalité ce texte est réellement né du visionnage de cette vi-déo sur internet hier soir. Au hasard de ballades, j’ai ensuite trou-vé ce texte de Pierre Rabhi, sur l’enfance et ce qu’elle «devrait-être»:« Il est urgent d’éradiquer ce principe de compétition qui place l’enfant, dès sa scolarité, dans une rivalité terrible avec les autres et lui laisse croire que s’il n’est pas le meilleur, il va rater sa vie. Beaucoup répondent à cette insé-curité par une accumulation stupide de richesses, ou par le déploiement d’une violence qui vise à dominer l’autre, que l’on croit devoir surpasser.Aujourd’hui, on est tout er lorsqu’un enfant de 5 ans sait manipuler la sou-ris de l’ordina-teur et compter p a r f a i t e m e n t . Très bien. Mais trop d’enfants accèdent à l’abs-traction aux dé-pens de leur intériorité, et se retrouvent dé-calés par rap-port à la décou-verte de leur vraie vocation.Dans notre jeune âge, nous appré-hendons la réali-té avec nos sens, pas avec des concepts abs- traits. Prendre connaissance desoi, c’est d’abord prendre connaissance de son corps, de sa façon d’écou-ter, de se nour-

rir, de regarder, c’est ainsi que l’on accède à ses émotions et à ses désirs. Quel dommage quel’intellect prime à ce point sur le travail manuel. Nos mains sont des outils magni ques, capables de construire une maison, de jouer une so-nate, de donner de la tendresse.Offrons à nos enfants ce prin-temps où l’on goûte le monde, où l’on consulte son âme pour pouvoir défi-nir, petit à pe-tit, ce à quoi l’on veut consa-crer sa vie. Of-

frons leur l’épreuve de la nature, du travail de la terre, des saisons. L’in-telligence humaine n’a pas de meilleure école que celle de l’intelligence universelle qui la précède et se manifeste dans la moindre petite plante, dans la diversité, la complexité, la continuité du vivant. » – Pierre RabhiEt c’est en travaillant aux côtés de Julie, qui me lisait mes textes après que j’ai lu les siens que m’est venu l’idée d’incorporer à ce texte celui de Jacques Prévert, Page d’écriture. Julie me l’a sugger-ré lors de la lecture du chapitre Tourterelle mon Amour, situé à la fin de mon exposée sur le livre L’empereur c’est Moi d’Hugo Horiot.J A C Q U E S P R É V E R T

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«Deux et deux quatre. Quatre et quatre huit huit et huit font seize... Répétez ! dit le maître. Deux et deux quatre quatre et quatre huit. Huit et huit font seize. Mais voilà l’oiseau-lyre qui passe dans le ciel. L’enfant le voit, l’enfant l’entend, l’enfant l’appelle : Sauve-moi joue avec moi oiseau !Alors l’oiseau descendet joue avec l’enfantDeux et deux quatre...Répétez ! dit le maîtreet l’enfant jouel’oiseau joue avec lui...Quatre et quatre huithuit et huit font seizeet seize et seize qu’est-ce qu’ils font ? Ils ne font rien seize et seizeet surtout pas t r e n t e - d e u x de toute façonet ils s’en vont.Et l’enfant a ca-ché l’oiseau dans son pupitreet tous les enfantse n t e n d e n t sa chansonet tous les enfantse n t e n d e n t la musiqueet huit et huit à leur tour s’en vont et quatre et quatre et deux et

deux à leur tour fichent le camp

et un et un ne font ni une ni deux un à un s’en vont également.Et l’oi-seau-lyre joueet l’enfant chanteet le profes-seur crie :Quand vous aurez fini de faire le pitre ! Mais tous les autres enfantsé c o u t e n t la musiqueet les murs de la classes’écroulent tran-q u i l l e m e n t .Et les vitres rede-viennent sablel’encre re-devient eaul e s

pupitres redeviennent arbresla craie redevient falaisele porte-plume redevient oiseau.»Dans ce poème Prévert s’oppose à «l’esprit anti-intellectuel et anti-aca-démicien» qui peut être observée dans les établissements d’éducation d’hier, d’aujourd’hui et (je ne l’espère pas) de demain. C’est en ce point qu’il rejoint la philosophie de Jean-Jacques Rousseau qui considérait déjà en son temps la civilisation comme une « menace » et prônait éga-lement un retour à la nature. Selon Rousseau, la civilisation et la culture empêchent l’homme à vivre librement comme un « sauvage heureux ». On

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retrouve cette pensée à la fin du poème de Prévert: «Les murs de l’école s’écroulent, la craie redevient falaise, le porte–plume redevient oiseau, etc.. ». C’est-à- dire on quitte la civilisation, tout ce que l’homme a acquis en uti-lisant ce que la nature offre. On jette tout cela par terre et on recommence à vivre dans la nature sauvage comme un oiseau, un animal*. C’est ce qui m’amène à penser à plusieurs autres oeuvres de Prévert, notamment au Roi et L’oiseau, film d’animation réalisé aux côtés de Paul Grimault en 1979. L’histoire prend place dans le royaume imaginé, de Takicardie. Sur lequel règne en maître le «Roi Charles V et Trois font Huit et Huit font Seize»(comme dans le poème). Il raconte l’his-toire d’amour entre la belle bergère et le petit ramoneur, tous deux pour-suivis par le ty-ran. Lui- même amoureux de la bergère qu’il veut épou-ser sous la contrainte. Ai-dés par l’Oiseau dont ils sauvent l’oisillon en dé-but de film, leur aventure les mènent à ren-contrer des ha-bitants de la ville basse qui

n’ont jamais vus le soleil, des fauves enfermés qu’ils libèrent, un ours po-laire, un aveugle joueur d’ogre de barbarie... Et c’est à leurs côtés qu’ils se soulèvent, re-tournant contre le Roi l’automate avec lequel il les poursuivait.Les dernières minutes du film se déroulent sur les ruines de la cité, baignées par la lumière de l’Aube nais-sante. La plaine est déserte, il ne reste plus que le robot géant et le minuscule oisillon, sauvé

en début de film par le ramoneur et la bergère. Le robot est assis sur le tas de gravats, adoptant la pose du Penseur de Rodin, tandis que le petit oiseau est encore dans sa cage, essayant de s’envoler, sifflant dé-sespérément dans l’attente d’être sauvé. Le robot ouvre la cage de ses doigts gigantesques, l’oiseau s’envole. Le robot écrase la cage d’un coup de poing. Et c’est sur ce plan final que finit le film. Tout ça sur la mu-sique orchestrée et composée par Wojciech Kilar, compositeur de mu-siques de films et de musiques classique Polonais (né en 1932 et mort en 2013) qui a brillamment su improviser sa musique sur les images du film.*(Mr. Oizo - Vous êtes des animaux, tu connais sûrement)

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J’ai trouvé lors de mes recherches un bel article nommé «Main de velour dans un gant de fer» sur cette très belle fin de film. Rédigé par Anima, bloqueur à l’identité inconnue. Il nous en dit un peu plus sur cette fin et sur son histoire.«Délicatement, le géant de fer, qui vient de raser l’intégralité du palais du ty-ran Charles V et Trois font Huit et Huit font Seize, a ouvert la cage qui retenait le dernier oisillon prisonnier. Telle une sanction divine châtiant la folie destruc-trice des hommes, la main du robot écrase le symbole de l’oppresseur anéanti.Le dernier plan du Roi et l’oiseau est l’un de ceux qui furent rajoutés par Paul Grimault pour respecter l’esprit originel du scénario co-écrit avec son ami Jacques au début des an-nées 1950. La fin de La bergère et le ramoneur, sorti sans leur consentement en mai 1953, proposait une réunion finale joyeuse des pro-tagonistes. Ici, point de mièvre allégresse mais un poing final frappé à l’empla-cement même où le film a com-mencé. Derrière le choc sourd, en tendant bien l’oreille, on entend Pré-vert scander de sa voix mo-nocorde : «[...] Quelle connerie la guerre ! [...]

Mais ce n’est plus pareil et tout est abimé. C’est une pluie de deuil terrible et désolée.»»En fin d’article est cité Paul Gri-mault, anima-teur et co-réali-sateur du film:«Quinze jours avant sa dispa-rition, Jacques travaillait encore une dernière fois avec moi. C’était à La Hague, où il s’était isolé. Il souffrait déjà beaucoup. Mais on avait parlé en-semble des nou- veaux éléments du film que je lui avait amenés.Le plan final où le Robot libère le

petit oiseau et écrase la cage a été la dernière scène sur laquelle nous avons travaillé avec Jacques avant son départ. Finalement, le film, maintenant, est beaucoup plus près du scénario original tel que le public ne l’a jamais connu.»(Propos de Paul Grimault, recueillis en mars 1980, ci-tés dans le cahier pédagogique «Ecole et cinéma» consa-cré au film Le Roi et l’Oiseau, rédigé par Pascal Vimenet.)

Une image ricochet, celle de l’oeuvre «Iron Fist», sculpture monumen-tale du plasticien chinois Liu Bolin. Artiste contestataire connu interna-tionalement pour ses photos de lui-même dissimulé dans ses paysages.

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À l’occasion d’Art Paris, qui mettait en 2014 en avant la Chine, l’artiste Liu Bo-lin présentait devant le Grand Palais l’œuvre monumentale Iron fist, haute de 3,60 mètres et pesant sept tonnes. Art Media Agency avait rencontré l’artiste.

«Comment a été organisée votre collaboration avec Art Paris ?La première sculpture Iron fist a été réalisée en 2006, et la galerie Paris-Bei-jing [qui exposait l’artiste sur son stand] m’a permis de pouvoir présenter l’œuvre à Paris aujourd’hui. J’avais déjà réalisé d’autres exemplaires de cette pièce, mais pas dans un format si important. Celle-ci a été produite spé-cialement pour l ’é v é n e m e n t . Cette œuvre comporte le slo-gan de la ville de Pékin, le Beijing Spirit : « Patrio-tisme, innova-tion, intégration et vertu ». Les lignes de vie sont très importantes en Chine, et ce poing corres-pond au mien, donc à mes lignes de vie.Q u ’a v e z - v o u s voulu expri-mer à travers cette œuvre ?Quand j’étais petit, j’ai vécu la révolution culturelle, cela m’a beaucoup marqué. Trente ans après, je ré-

fléchis encore à l’impact de cet événement sur les condi-tions sociales. Quels ont été les changements ?Est-ce donc critique ?Je ne dirais pas qu’il s’agit d’une critique, mais plutôt une réflexion, une invitation à la réflexion.Considérez-vous vos photogra-phies comme les témoins de vos performances ou unique-ment comme un travail pho-t o g r a p h i q u e , esthétique ?C’est une très bonne

question ! La première performance, Hide in the City no 02, Suojia Vil-lage, a été réalisée après la destruction de mon atelier, ce fut un moyen d’exprimer ce que je ressentais. A ce moment-là, c’est comme si mon corps avait également disparu. Je fusionnais avec cet événement.Quel est le message ?Chaque œuvre a pour base une interrogation, une question posée par le système. J’aborde les différentes problématiques auxquelles sont confrontés les Chinois. Je m’intéresse à la condition humaine, aux liens entre l’homme et son environnement social. Lorsque je réalise une œuvre dans un supermarché, cela traduit l’inquiétude qu’ont les Chinois

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face à la sécurité alimentaire, qui n’est toujours pas assurée aujourd’hui.Il y a donc toujours une question sociale dans votre travail, mais pensez-vous que vous et l’ensemble des artistes chinois peuvent amener à changer les choses ?Cela permet en tout cas de réfléchir à ces sujets. C’est donc forcément positif.Quel regard portez-vous sur votre succès commercial ?Je suis un artiste, je ne me préoccupe pas de ces questions.»

L’oeuvre est un point gigantesque écrasé sur le sol, semblable à celui du robot du Roi et L’oiseau, écrasant la cage de l’oisillon. Je la vois comme un ultime geste de révolte face au gouverne-ment Chinois, et aux injus-tices commises par celui-ci.

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J’avais trouvé lors de mon premier jet un article sur ce poème de Prévert. Avec du recul, loin de l’état de fatigue dans lequel j’étais lors de la rédaction, j’ai décidé avec l’avis d’Yvain de le retirer. Ce texte me faisait passer pour un espèce de jeune réac. J’avais trouvé cet article sur le site d’une église réformée aux idées parfois un peu Anar’, ce qui me faisait rire et m’amènait à penser à Guy Gilbert, un prêtre catholique aux allures de vieux motard. Non pas pour le côté réac mais pour le côté catho’ rebelle. Surnommé le «prêtre des loubards», il s’occupe depuis plus de 42 ans de ceux que le système a oublié. Comme diraient Bohringer et Grand Corps Malade, dans La Course contre la Honte.. Tra-vaillant auprès de jeunes re-jetés, de déte-nus, de toxicos, de malades... Il a décidé de lui aussi s’opposer à certaines abé-rations que l’on peut rencontrer dans le système dans lequel nous vivons. Qui bien trop sou-vent rejette... Comme ceux de ces villes basses que l’on retrouve dans des Roi et l’Oiseau, dans des Metropo- lis, film de Fritz Lang réalisé en 1927,dans des Gandahar, film de René Laloux,

réalisé en 1988, et encore bien d’autres... Qui m a l h e u re u s e-ment ne sont pas si fictifs que ça...Je finis ce texte en ricochant une dernière fois avant de laisser retom-ber la pierre dans l’eau. Et c’est sur les mots du slammeur S o u l e y m a n e Diamanka que ricoche cette dernière pierre.« S o u l e y m a n e Diamanka a grandi à Bor-deaux tout en cultivant ses ra-cines peules, peuple no-made d’Afrique de l’Ouest

qui a fait de la parole un art.Avec son album «L’hiver Peul» (paru en 2007), Souleymane Diamanka perpétue ce savoir faire ancestral. D’une voix grave, suave et puis-sante, il nous raconte des histoires simples où chaque mot est choisi avec soin, pour son sens et sa musicalité. Les riches textes de Souleymane ainsi créés, sont illustrés par des musiques va-riées, volontairement dépouillées pour mettre en relief ses mots.Jazz, soul, classique, funk, pop, rythmes africains...une diversité qui re-flète parfaitement la culture plurielle de cet artiste..» (propos recueillis sur le site de Fip). Qui nous parle aussi bien d’amour, d’exils, d’Afrique,

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d’enfance, du poète, du peintre que du jeune rejeté. L’un de ses enfants seuls que nul ne calcule dont parle également Oxmo. C’est encore ce-lui-là dont nous allons parler. Je rectifie. Dont Souleymane va parler:«Dans la rue il plane comme un vent de menace, cli-mat malsain. Et j’écris sur la haine pour trouver son vaccin.Car chacun regarde le problème comme si ce n’était pas le sien. La société fait des gosses et ne leur donne pas le sein.Pour eux c’est cité fantôme appart’ mal peint.Un papa mal payé mais on ne meurt pas de faim.Ils dévalent la pente de la vie et ils n’ont pas de freins.Je trainai je traine et je trai-nerai ma sœur ça n’a pas de fin.J’écris sur la haine pour trou-ver son vaccin.Mais c’est juste un poème sur un calepinÇa ne mange pas de pain.Ici les chagrins s’enveniment et ils nourrissent,Les grosses lignes des faits divers quand ils pourrissent.Tous les enfants sont des anges, il s’est passé quelque chose.Pour que ces

gosses envoient leur propre vie sur les roses.On nous montre la violence des jeunes dans des rues infestées.Mais je sais que la haine c’est un chagrin qui s’est infecté.Il n’y a pas de malaimés il n’y a que des i n c o m p r i s .Le chagrin des angesLes anges ont ou-bliés leurs rêves pour la plupart.Debout sur des passerelles qui ne mènent nulle part.Ils passent des nuits à attendre que les jours se relèvent.

Et souvent ils parlent si bas qu’il faut lire sur leur lèvres.Ils s’appellent par des surnoms qu’ils se sont donnés.Chacun les sourcils froncés sous son bonnet.Dans leurs histoires de bagarre, des coups de coudes dessoudent des nez. Dus aux bastons du diable et se foutent d’être soupçonnés.Les anges se sont perdus entre silence et colère.Après avoir gagné les parties d’échec scolaire.Chacun tourne le dos à son avenir.Comme s’il avait une mauvaise réputation à tenir.Je caresse l’espoir que les choses changent.

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Mais les punitions soignent-t-elles le chagrin des anges?Ils ont vu leurs parents pleurer dans leur têtes ça se mélangentC’est difficile de n’avoir rien quand tout marche à l’échangeIl n’y a pas de malaimés il n’y a que des incompris

Nul n’est poète en son pays et pourtantJ’ai vu ceux qui suent et ceux qui saignent Devenir ceux qui sèment les mots qui soignent»

...

S O U R C E S :

T e x t e s :

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- h t t p : / / w w w .greatsong.net/PAROLES-SOU-LEYMANE-DIA-M A N K A , C H A - G R I N - D E S -

A N G E S , 1 0 2 4 1 2 2 2 2 . h t m lM u s i q u e à é c o u t e r :- https://www.youtube.com/watch?v=w5chjI-j r I e 0 & i n d e x = 1 6 & l i s t = P L 8 7 A 0 A 4 B E 7 4 2 5 E C B E- https://www.youtube.com/watch?v=KC-tBl4LE2w&in-d e x = 2 0 & l i s t = P L 8 7 A 0 A 4 B E 7 4 2 5 E C B E- http://www.deezer.com/album/6339955V i d é o s :- Le Révolutionnaire D’AMORE SI VIVE:h t t p s : / / w w w . y o u t u b e . c o m / w a t c h ? v = l 5 m 4 H C e P o i M

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J’ai décidé dans le cas de cette prochaine analyse d’en lier plusieurs et de rebondir de l’une à l’autre. Je n’ai pas encore celle sur Tony Gatliff qui est un peu plus longue que prévue. Je compte cependant trouver une transi-tion entre chacune d’elles une fois l’ensemble des dix textes écrits car j’ai réalisé que chacune d’entre elles était liée à une autre par une référence, un thème... Par les connexions que j’établis entre ces différents textes à chaque relecture, à chaque réécriture. Conscient que pour l’instant certains de mes textes ne sont pas encore parfaits. Ils sont ma manière de relier mes décou-vertes, mes intêrets, mes idées... De parler des oeuvres et des gens que j’aime, qui me n o u r i s s e n t , m ’ i n s p i re n t . . .Dans le prochain épisode, de l’ac-tion, de l’exil, du cinéma, Louis Aragon, des ci-gognes Algé- riennes en quête de faux papiers pourre jo indre l ’ A l l e m a g n e , Léo Ferré,Tony Gatliff, son regard, ses films, des gi-tans, l’Espagne, Mathieu Pernot et ses photos, peut-être même Yolande Mo-reau... Et encore bien d’autres...A suivre dans les deux jours qui viennent... dans les pages à suivre.

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N é s D ’ u n e C i g o g n e

Du Brassens dans les oreilles, il est 1h44 lorsque j’écris ce texte et je ne sais pas s’il saura retranscrire toute l’euphorie et tout l’amour que je peux avoir en parlant de ces films à tous ceux qui m’entourent. Brassens a lais-sé place à Solaar, Hasta La Vista tombe bien pour commencer à écrire.

Partant de cette première image tirée du film Latcho Drom de Tony Gatlif sorti en 93. Ce texte, qui est pour l’instant le dernier que tu liras, parle-ra des films de Gatlif que j’ai vu, Je Suis Né D’une Cigogne, Gadjo Dilo, Exils, Tr a n s y l v a n i a , Latcho Drom... De ce que j’ai pu ressentir en découvrant cet homme ren-dant hommage chaque fois de manière en-core plus belle au peuple gi-tan, aux arabes,

aux nomades, aux éxilés... Ce mec te donne envie de t’en-voler, d’étudier l’histoire de ces peuples trop souvent meurtris dont tu ne sais vraiment rien, la tienne dont tu ne sais pas grand chose non plus...

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De tomber fou amoureux d’une femme, de voyager à ses côtés, d’aimer des femmes, des hommes et des paysages sans compter... Il te donne envie de vivre une vie de bohème, il te fait rêver cet idéal qui comme tout autre idéal n’en est pas vraiment un, mais qui semble déjà mieux que celui dans lequel tu vis. Aimer la vie à en crever d’ivresse, pleurer, crier, danser, comme possédé par la musique, courir, se révolter. Il y a comme un retour aux sources, à l’essence même de l’homme dans ces films. Tony Gatlif est un cinéaste libertaire, j’y reviendrais plus tard.Gitan andalou par sa mère, Kabyle par son père, Michel Dahmani alias Tony Gatlif est né en 1948 dans un campement de la banlieue d’Alger. À 12 ans, en pleine guerre d’Algé-rie, il part seul en France, vit de petits boulots et de larcins, passe par des maisons de correction et finit par un jour atterir dans un atelier de théâtre parisien. Il y rencontre le comédien Michel Simon qui le prend sous son aile, lui permettant alors de deve-nir l’artiste qu’il rêvait d’être.. Il joue alors dans des pièces de

théâtre puis réa-lise son premier film en 1975, La Tête en ruine. Film que je n’ai pas vu mais que j’ai hâte de découvrir..À partir de 1981, il aborde le thème qu’il a p p r o f o n d i r a de film en film : les Roms du monde entier, dont il devient à bien des égards le chantre, sé-duit par une «communauté en mouvement» et par un «uni-vers sonore et musical» d’une très grande ri-chesse et d’une grande diver-sité. Cepen-

dant, manifestement étranger à l’idée d’un rattachement exclusif à une communauté, Gatlif se définit lui-même comme un « méditerranéen », à la manière d’un Moustaki, un «Citoyen du monde» comme pourrait éga-lement le dire Kaddour Hadadi. (Fondateur du groupe HK et les Saltim-banks, dont le style est plutôt porté sur le blues, le chaâbi ou encore le re-ggae, et membre du groupe de hip hop Ministère des Affaires Populaires.Le groupe écrit des textes engagés qui décrivent les dérives d’une partie de la société ; ainsi, on y retrouve des thèmes récurrents tels que l’exclu-sion sociale, les inégalités, la surconsommation. HK, fils d’immigré et rou-baisien, a développé des idées d’utopies nomades et conté les histoires

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de SDF, touaregs, révolutionnaires dans le premier album intitulé «Citoyen du Monde», sorti le 31 janvier 2011 après plus de trois années de tournée, en particulier dans les festivals français. Cet album porte bien son nom : il raconte la vie des personnes sans patrie, sans attachement, avec des sons venus de tous ces lieux. D’où le bref rattachement à l’oeuvre de Gatlif.. )

Gitan et «gadjo» (non-gitan) à la fois, Tony Gatlif est le seul cinéaste à pou-voir raconter ses histoires à la fois de l’intérieur de la communauté des gens du voyage, et de l’extérieur. Dès Les Princes en 1983, il devient celui qui donne à voir, dans des fic-tions surtout et quelques do-c u m e n t a i r e s , la réalité d’une minorité dis-criminée, voire persécutée, où qu’elle vive. Fas-cinante par sa culture, rejetée parce qu’elle défie les règles.

Le Gadjo Dilo ( « L ’ é t r a n g e r fou», 1997) plein d’humour de Tony Gatlif illustre à mer-veille ce double regard. C’est l’histoire d’un jeune Parisien prénomé Sté-phane - interpré-té par Romain

Duris - qui dé-barque dans un village rom de Transylvanie à la recherche de Nora Luca, une chanteuse dont il ne connaît que la voix sur une bande enregis-trée. Et dont on apprend en cours de route que c’est un en-r e g i s t r e m e n t de son père au-jourd’hui dispa-ru. Lors de ses pérégrinations, il rencontre le tsi-gane Izidor qui le force à boire et à passer la nuit dehors malgré le couvre-feu, car son fils Adriani vient d’être arrê-té et emprisonné.

ce que l’on ne comprend pas immédiatement en raison de l’absence de sous-titres. Stéphane se réveille dans une des baraques de la communauté rom.Il est tout d’abord rejeté avec virulence par les habitants du village : il est le « gadjo dilo », littéralement le non-Tsigane ou l’étran-ger fou. Il est ainsi la cible de préjugés qui sont d’ordinaire l’apanage des non-Tsiganes en-vers les Tsiganes : on le traite de voleur depoules, d’assassin, on craint pour les en-fants... Malgré la prégnance de barrières culturelles

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vivaces, Stéphane va peu à peu s’intégrer et adopter les codes de la petite communauté(en apprenant le romanès, par exemple). Il se lie également avec Sabi-na(jouée par Rona Hartner), une rom qui a laissé son mari en Belgique. Mais il va aussi connaître les difficultés de la vie des Tsiganes en Rou-manie et faire l’expérience, directe ou indirecte, du racisme ambiant.Romain Duris cherche alors à poursuivre le travail de son père et se met à organiser des concerts, à les enregistrer et à enregistrer les musiciens et les personnes qu’il rencontre. (À la manière de Tony Gatlif, qui a cherché avec ce film à c o m p r e n d r e comment l’on pouvait tomber amoureux d’un son, ou d’une voix au point d’être prêt à faire des milliers de kilomètres pour l’entendre...) À la fin du film, Stéphane dé-truit toutes ses cassettes et les enterre au bord de la route. Il en arrose la sé-pulture de vo-dka et y laisse la bouteille cou-chée contre la terre. Comme il avait vu faire son ami Izidor sur la tombe d’un ami dispa-ru. Partageant

comme une der-nière fois danse et alcool avec son ami disparu.

Dans un en-tretien pour le site Regards.fr, Tony Gatlif parle de cette fin de film. Il y cite cet autre poète li-bertaire grâce auquel je porte ce prénom:«Cette fois, je casse le rêve gitan qui était la route. Gadjo Dilo est l’abou-tissement des autres films, c’est pour cela qu’il y a cette li-berté d’expres-sion, ces choses jetées, ces idées données,

très réelles parce que j’ai tourné avec des non-comédiens et, là aussi, je dis à la fin que ce n’est pas du cinéma, qu’il ne faut pas oublier que nous sommes dans une réalité douloureuse. Et lorsque Stéphane brise et enterre les cassettes, c’est ma façon de dire « nous qui sommes des artistes, qui voulons être purs, nous faisons du commerce sans même le vouloir parce que c’est comme ça qu’est la société «. Je m’intéresse, en ce moment, à Solitude, une chanson de Léo Ferré mais les droits coûtent cent mille francs. C’est un non-sens par rapport à la bataille que Ferré a menée toute sa vie, avec ses tripes, par rapport à ce que le texte dit.»Comme dans la plupart de ses films, Gatlif a composé une partie de la mu-

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sique et les textes de certaines chansons. Quatre ans plus tôt, il a livré unefresque d’une exceptionnelle intensité, LatchoDrom («Bonne route» en romani), qui lui a valu de nombreuses récompensesdont le prix Un Certain Regard à Cannes. «Pour les Gitans, la musique est la seule trace historique. Elle est la mémoire collective d’un peuple sans écri-ture», a dit Gatlif à propos de ce documentaire musical qu’il présente au FIFF(Festival International de Films de Fribourg). La route commence chez les nomades du Rajasthan, au nord de l’Inde, dont des ancêtres sont partis, vers l’an 1000, en direction du Moyen-Orient puis de l’Eu-rope, consti-tuant les visages d’une diaspora où musique, chant et danse unissent les gé-nérations. Ainsi en Egypte, en Roumanie (avec le groupe Ta-raf de Haiduks), en France (avec le guitariste Tchavolo Sch-mitt) et pour fi-nir en Andalou-sie où s’élève le cri de douleur du flamenco.

«Tony Gatlif pro-pose encore aux spectateurs du FIFF de décou

vrir le film qui, en 1967, a mar-qué une rupture dans la manière de montrer les gens du voyage: pour J’ai Même Rencontré des Tziganes Heu-reux, le Serbe y o u g o s l a v e Aleksandar Pe-trovic fait jouer des Gitans de son pays, dans leur langue. C’est une révo-lution car les stéréotypes (Gi-tans voleurs, Gitanes séduc-trices fatales) font la place à un regard plus social et docu-mentaire. Le film a reçu le Grand Prix du

Festival de Cannes et été nommé pour l’Oscar du meilleur film étranger. L’Irlande a aussi ses gens du voyage, les «travellers», dont parlent peu de films. Tony Gatlif a choisi Into the West (1992) de Mike Newell - qui a en-suite signé Quatre mariages et un enterrement. Deux enfants sont les hé-ros de ce conte où un cheval blanc, symbole de liberté, sort de la mer...»

FLORENCE MICHEL pour le quotidien Romand édité à Fribourg, La Liberté.

Je trouve lors de mes recherches un mémoire de séminaire sur les relations in-tercommunautaires, l’appréhension de l’altérité et la construction de l’identité

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dans l’oeuvre de Gatlif. Ce mémoire est écrit par Marie Parodi, étudiante au Sé-minaire Sociologie des Acteurs et Enjeux du Champ Culturel, sous la directionde Max Sanier. Marie Parodi s’y interroge sur la stéréoty-pisation que l’on trouve en nombre dans les productionsaudiovisuelles. Étant donné qu’il fait 91 pages, je n’en citerais que quelques parties qui me semblent importantes à la constitution de ce corpus.«Une sorte de mythe veut que les Tsiganes soient tous des étrangers et des nomades, passent leur temps à chanter, à danser, à jouer de la guitare et à vivre en para-sites, insouciants et heureux mais aussi violents et à l’occasion dan-gereux, comme peuvent l’être des gens in-cultes, des pri-mitifs. La place qu’occupent les Tsiganes dans l ’ i n c o n s c i e n t collectif est tou-jours définie par le mystère et le fantasme, qu’il soit posi-tif ou négatif. Les stéréotypes prolifèrent tant dans les repré-sentations que les non-Tsiganes ont des Tsiganes que dans les productions au-diovisuelles sur

le sujet (qui sont souvent le fruit de réalisateurs étrangers à la communauté). Ma question de départ est fon-dée sur le désir de démêler le vrai du faux sur les Tsiganes, qui sont toujours caractérisés de manière radi-cale. Il s’agit de ne plus consi-dérer que les at-tributs qui leurs sont associés sont naturels (dire par exemple qu’ils sont tous voleurs, ou au contraire qu’ils sont des musiciens nés), mais d’adopter une démarche

sociologique constructiviste. Ainsi, nous pourrons comprendre les mé-canismes qui soustendent la création de ce réseau d’a priori autour des Tsiganes. Le choix de Tony Gatlif m’est apparu pertinent car le réalisateur s’inscrit à contre-courant de ces tendances stigmatisantes, et échappe par exemple à la critique développée par Annie Kovacs-Bosch (cf. ci-dessus). Il est animé par la volonté de montrer les Tsiganes au plus près du réel.»Tony Gatlif «fait de certaines thématiques propres aux Tziganes son che-val de bataille, comme l’importance de la transmission orale pour pallier l’oubli, la tentation constante entre le nomadisme et la sédentarité ou encore la musique comme fondement identitaire de la communauté.»

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Selon moi Gatlif se raconte au travers de ses personnages. Il raconte tan-tôt le Tzigane, tantôt l’Espagnol, l’Arabe, le Pied noir, le Français... Comme pour parler de sa propre histoire. Dans Exils Gatlif raconte l’histoire de Zano(Romain Duris) et Naïma(Lubna Azabal). Tous deux nés en France de parents algériens. Ces enfants de la seconde génération d’immigrés vivent de petites débrouilles dans une cité HLM de la banlieue parisienne. Au dé-but du film, las de cette existence sinistre et sans avenir, ils décident de tout plaquer pour retrouver leurs racines, en Algérie. Ils s’embarquent pour une odyssée qui, via la France et l’Espagne, doit les conduire sur la terre de leurs ancêtres, cette Algérie my-thique que leurs parents ont fuie quarante ans plus tôt. Au gré de leur périple, ils font des ren-contres, goûtent à la liberté, s’ar-rêtent dans un camp gitan puis en Andalousie, embarquent sur un bateau qui n’est pas le bon...

Le premier plan du film présente Zano regardant dehors, le corps nu face au péri-phérique et aux tours d’acier et de ciments, du haut de sa fe-nêtre de HLM. Il lâche son

verre de bière dans le vide et dis ensuite à sa compagne qu’il veut aller en Al-gérie. Elle lui rit au nez. «Qu’est-ce que tu veux qu’on aille foutre en Algérie?» Le plan d’après, Zano emmure son violon et les clés de son a p p a r t e m e n t sur lesquelles sont attachées un porte-clé en forme de monde. Ils partent ensuite tous les deux vers cette Algé-rie, retournant aux origines et aux souvenirs d’une famille perdue. Leur

point commun est d’être tous les deux des enfants déracinés malgré eux. Lui, est un descendant de pieds noirs, sa famille a vécue longtemps en Algérie et a du fuir au moment de la guerre. Elle, est algérienne par son père, qui n’a jamais voulu lui apprendre l’arabe, lui raconter son histoire... Ils sont tous les deux des étrangers à leurs histoires, ce voyage est alors comme une quête initiatique, un retour aux sources, comme on peut le retrouver dans la bande déssinée Portugal de Pedroza ou dans le film Qu’Allah Bénisse la France du rappeur et poète Abd Al Malik. Portugal raconte l’histoire d’un auteur de BD français aux origines portugaises qui retourne sur les lieux où s’est jouée l’histoire de sa famille. L’histoire est divisée en trois parties, trois

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époques. Celle du fils(3ème génération), de son père et de son grand-père. L’histoire du fils commence en France, les couleurs sont grises et ternes. C’est en retournant au Portugal, en apprenant la langue et l’histoire de son pays qu’arrivent des couleurs chaudes, que les bulles deviennent rose oran-gée... C’est une BD qui m’a beaucoup touchée, tant par son histoire que par son dessin et ses couleurs vibrantes... Qu’Allah Bénisse la France raconte l’histoire d’Abd Al Malik, qui a décidé de se raconter au travers d’un film qu’il a réalisé. Amoureux de cet homme que mon père nous a fait écouter à mon frère et moi depuis très jeune, je suis allé le voir à sa sortie il y a un an. Tout de noir et blanc vétu, le film commence dans une ban-lieue «difficile» de Strasbourg, le Neuhof, où l’on suit Régis. Jeune homme venant de cité, doué pour la littérature et la philosophie. Il se fait remar-quer par ses professeurs qui propose de l’en-voyer en prépa’ à hypokhâgne. Il est la fierté de sa mère, catho-lique d’origine congolaise qui les élève seule, lui et ses deux frères. Passioné par le parler et par le flow, Ré-

gis fonde avec ses potes un groupe de rap, New African Poets. Il chante au début du film des paroles de Spleen et Idéal, réécriture du poème de Ver-laine du même nom, du groupe Beni Snassen. Groupe dont fait partie Abd Al Malik. Fon-dé en 2008, ce groupe porte ce nom en rappel à la confédéra-tion tribale des Béni Snassen, dans l’oriental marocain. (Ce territoire mon-tagneux qui a accueilli de-puis des siècles

des tribus bien distinctes revendiquant pourtant leur unité, n’hésitant pas à exprimer leur désaccord,leur résistance toujours avec respect, honneur et bravoure à l’image du groupe et à sa diversité artistique.)

«Il pleut sur la tess comme il pleure dans mon cœurLe Spleen gris béton armé ajoute à l’aigreurJe lis les lettres à Lucilius comme si j’étais en zonz’Faire obstacle au supplice de cette tombeJe regarde, à travers la fenêtre d’mon HLMNot’ monde n’est-il pas celui de George Orwell

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Mes rêves furent littéraires, et ma vie fut prisonnièreD’un environnement où fallait avoir pour enfin être( . . . )L’HLM malmèneLes existences comme la mienneC’est ça le blème( . . . )La rue enlève les rêves, ramène au cauchemar( . . . )La rue, ses ava-tars les tasses et les couche-tardJ’allais a la fac quand d’autres allaient au mitardQuelle est mon histoire ? Celle du peuple noir, j’aime la FranceToi pourquoi tu veux pas le voir( . . . )La seule vérité absolue c’est que tout est relatifJ’ai décon-struit je suis allé au-delà des ap-parences videsRêves de cailles parce qu’il y’a trop de failles en toiEn nous, comme ce monde on de-vient tous fous( . . . )

La rue est de-venue le plus grand théâtre de l’absurdeObscure comme ma peau dans le regard d’une ordurePoétiser la merde n’en change pas la natureMais j’ai trans-cendé la ban-lieue avec ma plume( . . . ) .Ma biblio-thèque, mes livres sont mes seuls bling bling( . . . ) »

Beni Snassen - Spleen et Idéal

«Un univers plombé, sans autre issue que

le rap, porteur d’énergie et d’espoir, et la délinquance, moyen de sub-sistance et d’intégration à un groupe. Régis (interprété par Marc Zin-ga) a la chance d’aimer les mots, la littérature. Le jour, il est bon élève, la nuit, il deale. Une double casquette difficile à porter longtemps.Avec son noir et blanc contrasté, ses cadrages graphiques, ses joutes oratoires incessantes, le film est une sorte de petit frère de La Haine. Il n’échappe pas au déjà-vu, à certains tics de clip. Abd Al Malik rend compte, malgré tout, des changements survenus depuis 1995 et le film de Kassovitz. D’abord en montrant les dégâts collatéraux du trafic de drogue, sans renchérir sur la violence, mise à distance à coups d’ellipses,

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de métaphores et d’allusions (jolie séquence où Régis vient rembourser le dealer en jogging qui l’a naguère aidé, devenu, entre-temps, un caïd en costume). Le film se distingue, surtout, grâce à sa dimension humaniste, en décrivant un cheminement personnel qui s’ouvre sur le monde. Ce que la prof de français clairvoyante (Mireille Périer) de Régis résume en expli-quant à son protégé qu’il a su faire « un choix : celui d’aimer la vie ». — Jacques Morice- «Critique lors de la sortie en salle en 2014 pour Télérama»

C’est d’abord par l’écriture, par le rap et ensuite par sa conversion à l’Is-lam que Régis, devenu Abd Al Malik, se construit. C’est une nouvelle vie qui s’offre à lui lorsqu’il traverse le détroit de Gibraltar pour al-ler vers le Maroc. Où il y rencon-trera son maitre spirituel, son «cheikh», dont il parle d’ailleurs dans sa chanson Gibraltar de l’al-bum du même nom sorti en 2006. J’ai réel-lement compris cette chanson en visionnant le film. Lors de sa traversée, Abd Al Malik est face au vent, au soleil rayonnant, riant

et pleurant... Je l’ai d’ailleurs ac-compagné, assis sur le sol de ce cinéma aux cô-tés de mon ami Pablo avec le-quel nous avons beaucoup écou-té Malik... Ber-cé par Gibraltar et par la mélo-die samplée de Sinnerman de Nina Simone.

«Sur le détroit de Gibraltar, y’a un jeune noir qui pleure, un rêve qui pren-dra vie, une fois passé GibraltarSur le détroit de Gibraltar, y’a un jeune noir qui se d’mande si l’histoire

le retiendra comme celui qui portait le nom de cette montagneSur le détroit de Gibraltar, y’a un jeune noir qui meurt sa vie bête de gangsta rappeur maisSur le détroit de Gibraltar, y’a un jeune homme qui va naître, qui va être celui qu’les tours empêchaient d’êtreSur le détroit de Gibraltar, y’a un jeune noir qui boitDans ce bar où les espoirs se bousculent, une simple canette de FantaIl cherche comme un chien sans collier le foyer qu’il n’a en fait jamais euEt se dit que p’t-être, bientôt, il ne cherchera plusEt ça rit autour de lui, et ça pleure au fond de lui

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Faut rien dire et tout est dit, et soudainSoudain il s’fait derviche tourneurIl danse sur le bar, il danse, il n’a plus peurEnfin il hurle comme un fakir, de la vie devient discipleSur le détroit de Gibraltar y’a un jeune noir qui prend vieQui chante, dit enfin « je t’aime » à cette viePuis les autres le sentent, le suiventIls veulent être or puisqu’ils sont cuivreComme ce soleil qui danse, ils veulent se gorger d’étoilesEt déchirer à leur tour cette peur qui les voile

Sur le détroit de Gibraltar, y’a un jeune noir qui n’est plus esclaveQui crie comme les braves, même la mort n’est plus entraveIl appelle au courage celles et ceux qui n’ont plus confianceIl dit : «ramons tous à la même c a d e n c e »Dans le bar, y’a un pianiste et le piano est sur les genouxLe jeune noir tape des mains, hurle comme un fouFallait qu’elle

sorte cette haine sourde qui le tenait en laisseQui le démontait pièce par pièceSur le détroit de Gibraltar, y’a un jeune noir qui enfin voitLa lune le poin-ter du doigt et le soleil le prendre dans ses brasM a i n t e n a n t il pleure de joie, souffle et se rassoitD é s o r m a i s l’Amour seul, sur lui a des droitsSur le détroit de Gibraltar, un jeune noir prend ses valisesSort du piano bar et change ses quelques d e v i s e s

Encore gros d’émotion il regarde derrière lui et embarque sur le bateauIl n’est pas réellement tard, le soleil est encore hautDu détroit de Gibraltar, un jeune noir vogue, vogue vers le Maroc tout procheVogue vers ce Maroc qui fera de lui un hommeSur le détroit de Gibraltar, sur le détroit de GibraltarVogue, vogue vers le merveilleux royaume du MarocSur le détroit de Gibraltar, vogue, vogue vers le merveilleux royaume du Maroc...»

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«Depuis Latcho Drom, je ne fais plus des films pour régler mes comptes avec des gens qui n’aimeront jamais ni les Tziganes ni les Arabes parce qu’ils auront toujours besoin de boucs émissaires. Je me bats pour l’image de ce peuple Tzigane(...)mais je ne veux surtout pas être un donneur de leçons. Je ne dis jamais au spectateur : vous ne connaissez pas les Tziganes, regardez comme ils sont. Jamais. Ce que j’aime, ce que j’ai toujours fait, c’est, non pas le prendre par la main, mais l’inviter à entrer dans une maison, sans faire le ménage.»

Dans ce même entretien trouvé sur le site Regards.fr, Tony Gatlif rejoint p a r f a i t e m e n t le propos et le combat d’Abd Al Malik et celui de Je suis Né D’une Cigogne, film dont je vais parler en cloture de texte. Celui de dénoncer, de lutter au travers de son oeuvre contre l’oppres-sion, l’illétrisme, la précarité...

«Vous tournez un nouveau film que vous mon-tez en parallèle. S’agit-il toujours des Tziganes ?

T. G. : Il y a en France - et en Europe aus-si - des gens qui connaissent

une vie aus-si dure que les Tziganes, ceux qui sont dans la rue, pas seu-lement les SDF qui n’ont rien mais aussi ceux qui touchent le RMI. Qu’est-ce que c’est le RMI ? («Dans les bas-fonds on rêve des fonds du FMIMais au fond on sait qu’les fa-milles sont sou-vent proches du RMI...»McSolaar, RMI, «Cinquième As», 2001) Un pe-tit pansement de rien du tout. Il y a des prio-rités. Je pense qu’il se pré-pare des choses

très graves qui risquent de survenir, comme le mouvement de La Commune, des laissés-pour-compte, des chômeurs beaucoup plus nombreux qu’on ne le dit, de la jeunesse des cités. C’est de cette jeunesse dont je veux parler dans ce film, du non-conformisme.

Vous avez vous-même eu une jeunesse difficile, vous vous reconnaissez dans la jeunesse d’aujourd’hui ?

T. G. : Elle connaît une situation beaucoup plus grave. Moi, je voulais cambrioler l’argent du monde, («Parfois je rêve de mettre un gun dans un paquet d’chips

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De braquer la Banque Mondiale. Pour tout donner aux townships...», toujours Claude Mc, Les Colonies, «Cinquième As», 2001). Il en avait, puis, quand je suis devenu acteur, je voulais construire le monde, j’avais ma vie devant moi qui était un espoir. C’est quoi, aujourd’hui, l’espoir d’un jeune de dix-neuf ans qui habite une cité ou à côté d’une décharge ou d’un bidonville ? Il n’a rien.»

Abd Al Malik comme le personnage de Fusée, tiré du film La Cité de Dieu (dont je parle en début de corpus) et comme bien d’autres encore nous prouvent que l’issu d’un jeune «habitant une cité ou a côté d’une décharge ou d’un bidon-ville» n’est pas nécessairement tragique. Prou-vant au monde qui les entoure que l’endroit où tu nais n’es pas obligatoirement un facteur déter-minant. Que tu n’es pas prison-nier de ton mi-lieu, de ton lieu de naissance, de ta situation financière, de ta religion, de ton éducation... Ils sont un réél es-poir pour beau-coup de jeunes.(Tu connais Banlieusards de Kery James? ) «Je pense aus-si à ces filles qu’on a regardé

de travers parce qu’elles ve-naient de cités, qu’ont montrées à coup de ténaci-té, de force, d’in-telligence, d’in-d é p e n d a n c e , qu’elles pou-vaient faire quelque chose de leur vie, qu’elles pou-vaient faire ce qu’elles vou-laient de leur vie, ça c’est du lourd.»

-Abd Al Malik- Ça C’est du Lourd (C) 2008 Poly-dor (France).

En plus de ce re-tour aux sources, il ya dans les films de Gat-

lif une irrévérence qu’incarnent parfaitement ses personnages princi-paux. Dans Exils, il y a quelque chose de provocateur et d’irresponsable dans la manière de les filmer, en train de faire le chemin inverse des im-migrés africains pour qui l’Occident est le seul espoir de survie. Zano et Naïma provoquent souvent l’étonnement chez les gens qu’ils ren-contrent, notamment en Espagne, lorsqu’ils rencontrent deux algériens voulant traverser à tous prix la frontière pour rejoindre la France; lorsque Naïma traverse en short et débardeur les rues d’Alger et qu’on la force à porter le voile, qu’elle jette quelques minutes plus tard dans un cime-tière... Les plans de Gatlif sont toujours très «imagés», métaphoriques...

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«Quand le film sort de ses schémas fictionnels (le mélo des vieilles pho-tos de famille dans la boîte à biscuits de l’appartement d’Alger) pour se laisser aller au fil du réel et y plonger sans retenue comme dans la scène de transe soufie, superbe climax en plan-séquence , il a la grâce.»Extrait d’un article de Vincent Ostria pu-blié le 1er janvier 2004 à 01h01 pour les Inrocks.

Je Suis Né D’une Cigogne est un autre film dé-calé et poétique de Gatlif sorti en 99. Dans ce film, Otto et Louna se croisent tous les matins dans le RER. Il y vend «L’Itinérant», elle se rend au sa-lon de coiffure où elle travaille. Un jour, Ali, un jeune immigré passionné de p h i l o s o p h i e , donne un revol-ver à Otto, lui faisant ainsi en-trevoir la possi-bilité d’une vie différente, nette-ment moins mo-rose. Avec son arme, Otto com-mence par s’of-frir un costume puis libère Lou-na, prise la main dans le sac dans un supermar-

ché. Tous deux volent ensuite une voiture, em-barquent Ali et prennent la route. Une ci-gogne trouvée sur le bord de la chaussée donne un sens à leur errance. Les trois amis décident d’adopter l’oi-seau, qu’ils pré-nomment Moha-med... Dans ce film, Gatlif prend fait et cause pour les sans-papiers, représentés à l’écran par... cette cigogne qui parle, et vient d’Algérie. Arrivé en France sous un camion, Mo-hamed cherche à rejoindre l’Alle-

magne. Otto, Louna et Ali l’aideront donc à se procurer de faux papiers et à l’amener jusqu’en Alsace où il traversera la frontière. Je Suis Né D’une Ci-gogne raconte la traversée métaphorique d’un migrant, au travers de celle la cigogne. C’est à la fin du film que l’on comprend réellement la portée du film. Lorsque les trois compères trouvent un passeur et qu’ils cachent la cigogne dans la citerne d’un camion. C’est une main humaine qui en res-sort pour les remercier et pour récupérer son passeport. Ce film est en fait dédié à Miloud, jeune Marocain arrivé en Europe sous un camion. Lorsque le camion repart, Otto et Louna grimpent dans un nid de cigogne qu’ils avaient trouvés pour Mohamed. Ils y font l’amour, tandis qu’Ali s’en va. Se

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retrouvant dans des décombres, des canettes éventrées en pleine forêt. Dans ses décombres se trouvent des livres, des albums, des personnalités: « Groucho Marx. Gérard Lebovici. Balthazar Gratien, Le Héros. Le Cauche-mar Immigré, Mezioud Ouldamer. Gustav Landauer, La Révolution. Ils sont tous là. Même Bob Marley! (Et son album «Uprising») Martin Luther King, La Force D’aimer. À côté d’une photo chiffonnée de Jesse Owens, athlète noir qui en 36 a joué à Berlin sous les yeux d’Hitler. Coluche, De Gaulle, Brel, Brassens, Ferré. Camus, L’étranger. Emile Zola et sa lettre au Président de la République J’accuse, en couverture de l’Aurore. Le Che. Smith et Car-los, levant leurs poings en sou-tient aux Black Panthers lors des JO de Mexico en 68. Le vinyle de Ferré, accompa-gné du groupe Zoo jouant Le Chien et la The Nana, que cite d’ailleurs Lou-na lorsqu’elle pousse un coup de gueule mo-numental à un moment du film. Qu’elle dit être une chienne, à la manière de Ferré «Je suis un Chien! » Cri-tiquant la socié-té, l’institution, les peintres, les poètes, les ci-néastes, au point d’être coupée au

montage. Idée géniale criti-quant la censure. Louna disparait, Otto est boule-versé qu’elle ait ainsi provoqué la caméra. Elle revient plus tard dans le film. J’ai appris lors de mes recherches que l’actrice jouant Lou-na(Rona Hartner) voulait absolu-ment s’absen-ter durant deux jours du plateau. Gatlif avait dé-cidé de la virer et lui fit tourner cette scène sans lui dire que son rôle s’arrêtait là. N’ayant pas la possibilité de rentrer sur Paris,

elle fut obligée de revenir dans le film. La réalité avait rejoint celle du film. Une autre anecdote raconte qu’aucun festival n’a voulu du film, sans doute à cause de la scène des «Pigeons d’Or». Scène dans laquelle Otto et Louna interrompent une cérémonie de remise de prix semblable à celle des Lions D’or ou des Césars, profitent de l’absence de lauréats pour leur voler leurs prix et s’enfuir avec. Ali cite tout au long du film Guy Debord, Jean-Paul Sartre, Che Guevara...Les acteurs interpellent sans cesse le réalisateur, le caméraman, le spectateur.. L’engagement de Tony Gatlif, qui s’est souvent défini comme un apatride, est sincère, vis-céral, de même que ses hommages express à Godard, Marx et d’autres...

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Les allures déjantées de ce film, m’ont rappelées celles d’un Bernie, pre-mier film d’Albert Dupontel, sorti en 1996: Le réalisateur y joue le rôle principal. Celui de Bernie Noël, âgé de trente ans dont le seul but est de connaître ses origines. Personnage décalé, violent mais attachant, paumé, dont le but est en fait de se recréer une famille, de tomber amoureux...

Las de travailler ce texte depuis maintenant trop longtemps, je vais mainte-nant me diriger vers l’écriture d’un dernier texte. Je dois maintenant prendre du recul sur les textes écrits, laisser le temps agir sur mon esprit. Qui pour l’instant est un peu confus. Je m’en vais rico-cher sur un autre personnage que j’affectionne par-t icul ièrement.

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L e t t r e s À U n V i e u x P o è t e

«Bonsoir monsieur Baudouin!! Je m’appelle Léo et suis actuellement aux Beaux-Arts d’Épinal en première année. Je viens d’avoir 19 ans et je te suit depuis mes 15 ans(dans ma vie c’est déjà beaucoup haha). Je t’envoie ce message pour te remercier, te dire que je t’aime et te respecte beaucoup.. Désolé de te tutoyer mais ça me parait naturel alors pourquoi se bloquer? Je dessine moi aussi depuis la petite enfance et je respecte ce choix que tu as fait. De quitter le métier de comptable pour vivre pleinement ta passion.. Putain que c’est beau! Chapeau! Si un jour je pou-vais te rencon-trer sur un salon, lors d’une dé-dicace, je serai ravi que l’on se dessine mutuel-lement. Et pour-quoi pas que l’on dessine en-semble, qui sait? Merci encore! Je commence à m’essayer à la plume et au pinceau depuis un an et tu nous aides bien mes

copains et moi. Tu as beaucoup apporté à la bande dessi-née, c’est fou. Et j’aime pas pas-ser de la pom-made.. Merci aussi de parler comme tu le fais de l’amour.. J’es-père à bientôt, R e s p e c -t u e u s e m e n t ,

Léo Poisson.»

«Bonjour Léo,Je réponds en retard, mais pu-tain, comme tu dis j’espère qu’un jour tu au-ras autant de tra-vail que moi et

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que tu auras du mal à répondre vite aux courriels.Elle est belle ta lettre et elle fait du bien. Tu dessines, je dessines, pourquoi pas un jour dessiner ensemble, comme avec mon frère Piero quand j’étais petit, ou Troubs et Craig Thomson aujourd’hui.Peut-être on le fera.

Merci encore Léo.

E d m o n d »

«Je te re-ré-pond avec plus de retard que toi la première fois haha, j’ai aussi beaucoup de travail, mais ton message m’a beaucoup touché.. C’est chouette d’avoir une réponse de quelqu’un comme toi à mon âge et à mon niveau.. Est-ce que tu me permettrais de t’envoyer une gravure par la poste? J’aime-rais beaucoup t’écrire une lettre, je com-prendrais que ça te gène mais je demande,

on sait jamais! En attendant, je continuerais à dessiner et à graver! Est-ce que tu penses que l’on pour-rait dessiner en-semble cet été?

Merci Edmond, à bientôt.»

« B o n j o u r L é o ,L’été je m’achoppe dans mon village pour essayer de regarder juste les papillons et mes amies.Mais tu peux m’écrire par la poste si tu veux :-) Edmond Bau-doin 9, rue cam-pagne Première 75014 Paris.

A m i t i é . »

J’écris ce dernier texte, bercé par la fumée d’une clope dans l’cendrier. J’écris sur Baudoin, sur un fond de bon pera. Je m’en vais te raconter une histoire, pour ensuite parler de la sienne et de sa bd « Le Voyage », parue en 1996, chez L’Association dans la collection Ciboulette. Qui est d’ailleurs une super collection, que des beaux bouquins. Que j’ai découverte et lue à Boulinier à Saint-Michel, et à la Médiathèque de Sèvres, dont j’arborais les rayons lors de mes années lycée, où je me

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terrais, entouré de livres jeunesse, de bds, de films et de disques… Baudoin est un homme que j’aime et que je respecte profondément. C’est pourquoi je le lui ai dit, c’est pourquoi je lui ai envoyé ce message lors de l’une de mes nuits Spinaliennes. Surpris de sa réponse, que j’ai vu quelques jours après, j’ai laissé couler le temps et suis retombé dessus pendant les dernières vacances. J’envoyais des cartes postales à mes amis et ma famille, de la table à manger de chez mes parents en Banlieue parisienne. Je pas-sais ma journée à écrire, à dessiner et à fabriquer des enveloppes. Comme dans mon enfance, lorsque j’étais en vacances dans le village de ma grand-mère dans le sud, parti avec ma tante et ma grand-mère, lais-sant mes parents à la maison et à leur boutique. Je passais mes journées enso-leillées à gam-bader, attendant les jours de pluie pour rester des-siner à l’intérieur. J’ai décidé de renvoyer un mail à Baudoin, qui m’a répon-du aussitôt en me laissant son adresse, que je lui avait timide-ment deman-dé. Je lui ai en-voyé l’une de mes dernières gravures, celle que j’ai réalisé

pour Dis moi dix mots. Représen-tant un homme fumant à sa fe-nêtre. Il m’a ren-voyé une lettre et un dessin que j’ai reçue en dé-but de semaine. Dans cette lettre, Edmond me propose que l’on puisse cor-respondre. Le dessin qu’il m’a envoyé est une adaptation de ma gravure à la plume et au pin-ceau. Lorsque j’ai ouvert cette lettre, je me ren-dais chez Ro-mane, Jehanic et Juliette. Co-pines et voisines de palier. Nous étions dans la

cuisine et pendant qu’elles finissaient leur petit déjeuner, je m’empres-sais de découvrir le contenu de l’enveloppe. Devant mon euphorie, Je-hanic m’a rapporté un livre, dont l’histoire faisait écho à la mienne. Lettres à un Jeune Poète et Autres Lettres de Rainer Maria Rilke, paru en 1929. Je me rend maintenant compte que ce livre m’a été conseillé plus d’une fois. Il est le fruit d’une rencontre entre un jeune poète de 19 ans, Franz Xaver Kappus, alors étudiant à l’Académie militaire de Wiener-Neustadt à Vienne et un poète plus accompli, âgé d’une trentaine d’années, Rilke. Kappus décide de lui envoyer ses premiers essais poétiques accompa-gnés d’une lettre dans laquelle il avoue douter de sa vocation. Leurs cor-

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respondances durera jusqu’en 1908, et sera publié par Kappus trois ans après la mort de son «maître». «Ces textes sont devenus immédiatement célèbres et comptent parmi les plus beaux de Rilke; au fil du temps et des réponses, ils composent une superbe méditation sur la solitude, la créa-tion, l’amour, l’accomplissement de l’être» (Claude Purcell, Flammarion). N’ayant lu que la première lettre et l’introduction du bou-quin, je m’en vais citer ces quelques phrases qui m’ont tou-chées en pleine poitrine dès mes premières secondes de lecture.

«Paris, le 17 février 1903. Cher Monsieur, Votre lettre vient à peine de me parvenir. Je tiens à vous en remer-cier pour sa pré-cieuse et large confiance. Je ne peux guère plus. Je n’en-trerai pas dans la manière de vos vers, toute préoccupation critique m’étant étrangère. D’ail-leurs, pour saisir une œuvre d’art, rien n’est pire que les mots de la critique. Ils n’aboutissent qu’à des malen-tendus plus ou moins heureux. Les choses ne

sont pas toutes à prendre ou à dire, comme on voudrait nous le faire croire. Presque tout ce qui arrive est i n e x p r i m a b l e et s’accomplit dans une région que jamais pa-role n’a foulée. Et plus inexpri-mables que tout sont les œuvres d’art, ces êtres secrets dont la vie ne finit pas et que côtoie la nôtre qui passe. Ceci dit, je ne puis qu’ajouter que vos vers ne 8 témoignent pas d’une ma-nière à vous. Ils n’en contiennent pas moins des

germes de personnalité, mais timides et encore recouverts. Je l’ai senti sur-tout dans votre dernier poème : Mon âme. Là quelque chose de propre veut trouver issue et forme. Et tout au long du beau poème À Léopardi monte une sorte de parenté avec ce prince, ce solitaire. Néanmoins, vos poèmes n’ont pas d’existence propre, d’indépendance, pas même le dernier, pas même celui à Léopardi. Votre bonne lettre qui les accompagnait n’a pas manqué de m’expliquer mainte insuffisance, que j’avais sentie en vous lisant, sans toutefois qu’il me fût possible de lui donner un nom. Vous demandez si vos vers sont bons. Vous me le demandez à moi. Vous l’avez déjà deman-dé à d’autres. Vous les envoyez aux revues. Vous les comparez à d’autres

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poèmes et vous vous alarmez quand certaines rédactions écartent vos es-sais poétiques. Désormais (puisque vous m’avez permis de vous conseiller), je vous prie de renoncer à tout cela. Votre regard est tourné vers le dehors ; c’est cela surtout que 9 maintenant vous ne devez plus faire. Personne ne peut vous apporter conseil ou aide, personne. Il n’est qu’un seul chemin. Entrez en vous-même, cherchez le besoin qui vous fait écrire : examinez s’il pousse ses racines au plus profond de votre cœur. Confessez-vous à vous-même : mourriezvous s’il vous était défendu d’écrire ? Ceci surtout : de-mandez-vous à l’heure la plus silencieuse de votre nuit : « Suis-je vraiment contraint d’écrire ? » Creusez en vous-même vers la plus profonde réponse. Si cette réponse est af-firmative, si vous pouvez faire front à une aussi grave question par un fort et simple : « Je dois », alors construi-sez votre vie se-lon cette néces-sité. Votre vie, jusque dans son heure la plus indifférente, la plus vide, doit devenir signe et témoin d’une telle poussée. Alors, appro-chez de la na-ture. Essayez de dire, comme si vous étiez le pre-

mier homme, ce que vous voyez, ce que vous vi-vez, aimez, per-dez. N’écrivez pas de poèmes d’amour. Évi-tez d’abord ces thèmes trop cou-rants : ce sont les plus difficiles. Là où des tradi-tions sûres, par-fois brillantes, se présentent en nombre, le poète ne peut livrer son propre moi 10 qu’en pleine maturi-té de sa force. Fuyez les grand sujets pour ceux que votre quoti-dien vous offre. Dites vos tris-tesses et vos dé-sirs, les pensées

qui vous viennent, votre foi en une beauté. Dites tout cela avec une sincé-rité intime, tranquille et humble. Utilisez pour vous exprimer les choses qui vous entourent, les images de vos songes, les objets de vos souvenirs. Si votre quotidien vous paraît pauvre, ne l’accusez pas. Accusez-vous vous-même de ne pas être assez poète pour appeler à vous ses richesses. Pour le créateur rien n’est pauvre, il n’est pas de lieux pauvres, indifférents. Même si vous étiez dans une prison, dont les murs étoufferaient tous les bruits du monde, ne vous resterait-il pas toujours votre enfance, cette précieuse, cette royale richesse, ce trésor des souvenirs ? Tournez là votre esprit. Ten-tez de remettre à flot de ce vaste passé les impressions coulées. Votre per-

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sonnalité se fortifiera, votre solitude se peuplera et vous deviendra comme une demeure aux heures incertaines du jour, fermée aux bruits du dehors. Et si de ce retour en vous-même, de cette plongée dans votre propre monde, des vers vous viennent, 11 alors vous ne songerez pas à demander si ces vers sont bons. Vous n’essaierez pas d’intéresser des revues à ces tra-vaux, car vous en jouirez comme d’une possession naturelle, qui vous sera chère, comme l’un de vos modes de vie et d’expression. Une œuvre d’art est bonne quand elle est née d’une nécessité. C’est la nature de son origine qui la juge. Aussi, cher Monsieur, n’ai-je pu vous donner d’autre conseil que celui-ci : entrez en vous-même, sondez les profondeurs où votre vie prend sa source. C’est là que vous trouverez la ré-ponse à la ques-tion : devez-vous créer ? De cette réponse recueil-lez le son sans en forcer le sens. Il en sortira peut-être que l’Art vous appelle. Alors prenez ce destin, portez-le, avec son poids et sa grandeur, sans jamais exiger une ré-compense qui pourrait venir du dehors. Car le créateur doit être tout un uni-

vers pour lui-même, tout trou-ver en lui-même et dans cette part de la Nature à laquelle il s’est joint. Il se pour-rait qu’après cette descente en vousmême, dans le « soli-taire » de vous-même, vous dus-siez renoncer à devenir poète. (Il suffit, selon moi, de sentir que l’on pour-rait vivre sans écrire 12 pour qu’il soit interdit d’écrire.) Alors même, cette plongée que je vous demande n’aura pas été vaine. Votre vie lui devra en tout

cas des chemins à elle. Que ces chemins vous soient bons, heureux et larges, je vous le souhaite plus que je ne saurais le dire. Que pourrais-je ajouter ? L’accent me semble mis sur tout ce qui importe. Au fond, je n’ai tenu qu’à vous conseiller de croître selon votre loi, gravement, sereine-ment. Vous ne pourriez plus violemment troubler votre évolution qu’en di-rigeant votre regard au dehors, qu’en attendant du dehors des réponses que seul votre sentiment le plus intime, à l’heure la plus silencieuse, saura peut-être vous donner. J’ai eu plaisir à trouver dans votre lettre le nom du professeur Horacek. J’ai voué à cet aimable savant un grand respect et une reconnaissance qui durent déjà depuis des années. Voulez-vous le lui

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dire ? Il est bien bon de penser encore à moi et je lui en sais gré. Je vous rends les vers que vous m’aviez aimablement confiés, et vous dis encore merci 13 pour la cordialité et l’ampleur de votre confiance. J’ai cherché dans cette réponse sincère, écrite du mieux que j’ai su, à en être un peu plus digne que ne l’est réellement cet homme que vous ne connaissez pas.

Dévouement et sympathie. Rainer Maria Rilke. »

C o ï n c i d e n c e chanceuse, Bian-ca me prête le lendemain une bd de Baudoin dans laquelle elle m’a retrou-vée. Le Voyage. Je l’ai tout de suite lue. Elle ra-conte l’histoire de Simon, père de famille et mari qui décide de tout quitter sur un coup de tête. Son crâne est ouvert, il se lie au décor, aux personnes qu’il croise sur sa route. Il est le symbole de son hyper sensibili-té, ouvert sur le monde, absor-bant tout ce qui l’entoure. Le livre

commence, et Simon ne peut pas prendre le chat avec lui en vacances, il ap-parait alors dans sa tête, qui est une prison. Puis le chat dispa-rait, laisse place aux barres d’im-meuble, au ciel, à la main d’une femme que l’on rencontre au bord de la Seine… Simon est oppressé. La mort apparait dans le métro lorsqu’il se rend à son bureau, il court, parle à sa secrétaire qui a perdue son chat. Il s’enfuit, longe les quais et y rencontre

une brune au visage long et triste. Son chat n’est pas mort. Elle a quittée son mari le matin même sans savoir pourquoi. « Vous voulez faire l’amour avec moi? -C’est quoi l’amour?». Il la quitte pour une cabine téléphonique, pris dans la cohue de la ville aux allures d’une peinture de George Grosz. Appelle sa secrétaire, lui propose de faire l’amour, raccroche, appelle chez lui et tombe sur le répondeur à qui il crie «Au Secours!» Dans un parc, il rencontre un mendiant, sorte d’Archimède le clochard. Person-nage extra lucide que l’on recroise à la fin du livre. Il dit voyager grâce à sa bouteille… Près de Montélimar, le hasard lui fait croiser la route d’Oli-vier qui a pas mal bourlingué. Olivier a vécu plusieurs vies avant de se

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stabiliser ici en créant un spectacle de marionnettes qu’il joue aux enfants des villages aux alentours. Les deux hommes vont se lier d’amitié et grâce à Olivier, Simon va rencontrer Marc et sa sœur Léa. Ces deux là se res-semblent : ils sont fragiles, un peu paumés et attirés l’un par l’autre. Avec Marc et Léa, Simon manquera de mourir par deux fois mais il échappera à la mort comme par miracle. Ou plutôt, par envie de vivre. De revivre.Tout comme Olivier, Simon s’est « fait des cicatrices et a reçu des coups » mais ces rencontres et ces épreuves de la vie ne sont pas le fruit du hasard. Elles lui permettront de se retrouver face à lui-même et de se reconstruire petit à petit.En paix avec lui-même et li-béré de ce mal qui le rongeait, une étape de son «voyage» s’achève et il tourne un cha-pitre de sa vie.

« - Qu’as-tu appris dans ton

voyage ?– Que d’aller de l’autre côté de la terre ou faire le tour de son village, c’est le même voyage. Que c’est juste

une question de regard. »

De leur amitié résulte la créa-tion du person-nage de Pitou. M a r i o n n e t t e

à la tête dans les étoiles, être lunaire. Doté d’une extra sen-sibilité. Amou-reux et volatile, il représente à merveille Simon. Je compte en faire une gravure que j’enverrais à Baudoin. Je veux faire une gravure de Pitou, ce per-sonnage auquel je m’identifie. La tête dans les étoiles, en quête de quelque chose, de quelqu’un dont il ne connait ni l’apparence ni l’existence. À la recherche de soi par l’autre, besoin d’in-trospection, de

solitude et paradoxalement du contact aux autres. Sans qui nous ne se-rions pas aussi riches. Ce qui me rappelle d’ailleurs les mots de l’écrivain Arnaud Cathrine(qu’elle est belle), introduisant cette version de Lettres à Un Jeune Poète que Jaja m’a prêté. «« Nous sommes seuls. » Dans la première traduction que j’ai eue en main, c’était, je m’en souviens très bien car je l’avais noté comme un slogan existentiel: « Nous sommes solitude. » Oui, on est seul. Et je veux croire qu’on écrit(qu’on dessine) pour l’être un peu moins. Entre autre choses, car il y a bien d’autres rai-sons d’écrire, de trouver la nécessité de l’écriture. De même on lit et je dessine pour être un peu moins seul. L’amour, l’amitié, l’art et la vie plus

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généralement tentent de nous faire oublier cette solitude mais elle est là, fondamentale, par-delà les beaux leurres que nous nous inventons. »

Edmond Baudoin est né à Nice en 1942. Après avoir passé son enfance et son adolescence à dessiner, il exerce la profession de comptable avant de revenir au dessin en 1971. Principalement en noir et blanc, son oeuvre se situe à mi-chemin entre peinture et bande dessinée. Ce qui lui a d’ailleurs valu d’être rejeté par ses premières maisons d’édition. Ses oeuvres sont bien souvent autobiographiques comme peuvent l’être celles de Gatlif, elles racontent des voyages, des amours, la Guerre... Tou-jours avec cette belle volupté et cette énergie qui caractérise son trait. Bau-doin fait partie de ces person-nages auxquels j’aimerai plus tard ressembler. C’est une fleur qui du haut de ses 74 ans n’a rien perdu de sa fraicheur. Il faut l’entendre parler des personnes qu’il aime, de ses amants perdus. Il faut également le voir effleurer sa feuille de son pinceau, parler

de la peinture comme d’un corps que l’on caresserait, gar-dant pour le dessin une pas-sion constante.

J’aimerais que de ce premier échange puisse naitre quelque chose de beau.

Je ne sais pas comment dire. Lors de mes envolées, je me rêve un bel avenir, je rêve d’un jour pou-voir faire rêver comme Edmond sait le faire. Faire des livres qui rient, pleurent, j o u i s s e n t , c o n s o l e n t ,

parlent et chantent et dansent. J’aimerais pouvoir les apporter aux enfants de nos cités, aux vieilles esseu-lées, aux mamans, aux papas, au grand-père… J’aimerais peindre sur de très grandes tours grises, peindre et dessiner dans les musées comme dans les tours. Voyager et aimer, et se battre pour y arriver, comme tous ces gens que j’ai cité. Tous ces gens qui me parlent et qui m’habitent. Qui habitent ce corpus, dans lequel j’ai essayé de les partager. De partager mon amour, ma soif de paix… Cette fin de texte est comme une longue conclusion. Je me suis retrouvé bloqué pendant un certain temps face à l’écriture de ce corpus. Comme bloqué face au fait de parler de ce que j’aime. J’ai alors

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réalisé que le problème venait peut-être du fait de parler de ce que l’on ressent. Il vient peut-être aussi du fait d’attendre le «bon moment», peut-être le dernier. Peur de conclure, de finir les choses que l’on entreprend. Peur de la fin? «On n’est jamais autant dans l’improvisation que quand on est dans la nécessité », je ne sais plus où j’ai pu entendre cette phrase et pourtant son écho résonne en moi. Le besoin de rendre à ceux qui m’on donné est très grand. Mon travail est de maintenant devenir extérieur à la rédaction, je pense pour cela devoir laisser filer le temps. Avoir assez de recul sur cet ensemble de textes, m’en éloigner comme d’un lieu que l’on quitte un ma-tin sans savoir pourquoi. Que l’on retrouve des jours, des mois, des années après en com-prenant enfin ce que l’on pou-vait y trouver.

Encore le nez et l’esprit trop plongé dans ce corpus, je laisse ouverte cette conclusion. Mar-ginale comme le reste du livre. C’est le lec-teur, peut-être même l’un de mes futurs moi qui rédigera sa propre conclu-sion, sur les pages blanches qui suivent ces derniers mots.

Le mot de la fin je le laisse à Rilke lui-même, comme un ho-rizon de vie:

« Ne point calcu-ler, ni compter; murir comme l’arbre, qui ne fait pas mon-ter sa sève plus vite qu’elle ne va et se dresse avec confiance au milieu des tempêtes du p r i n t e m p s sans avoir peur que ne vienne aucun été. »

h t t p : / w w w . l a s s o c i a t i o n . f r / f r _ F R / # ! a c c u e i lh t t p s : / / m a i l . g o o g l e . c o m / m a i l / u / 0 / # s e a r c h / e d -m o n d . b a u d o i n % 4 0 w a n a d o o . f r / 1 5 2 6 1 4 6 c 0 3 f a e b 4 7h t t p s : / / f r . w i k i p e d i a . o r g / w i k i / E d m o n d _ B a u -d o i n # A l b u m s _ d e _ b a n d e _ d e s s i n . C 3 . A 9 eh t t p : / / w w w . t e l e r a m a . f r / c i n e m a / u n - c i n e a s t e -a u - f o n d - d e s - y e u x - 2 6 - t o n y - g a t l i f , 5 3 0 2 8 . p h ph t t p : / / w w w . s o r t i e s d v d . c o m / f i l m - 6 4 9 5 . h t m lh t t p : / / e l p u e b l o a s h a n i n k a . b l o g s p o t . f r / 2 0 1 3 / 1 1 /d e s - p e i n t u r e s - d e - p h i l i p p e - l a r d y . h t m l

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"Il y aura une époque meilleure.Avec les poutres calcinées.Avec la terre et le sang.On rebâtira,Sans porte ni frontière.Et on ne vivra plus jamais d’espoir. Il y aura une époque meilleure,Avec les poutres calcinées.Avec la terre et le sang.On rebâtira,Sans porte ni frontière.Et on ne vivra plus jamais d’espoir.Plus jamais d’espoir,Plus jamais d’espoir.Et on rebâtira,Et on rebâtira.Plus jamais d’espoir.On reconstruira. Plus jamais d’espoir."

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«- Croyez en ma vieille expérience, ils n’iront pas loin, ici tout est fermé à clé. Et d’ailleurs il n’y a pas de portes. C’est une petite esca-pade sans importance. Vous les verrez bien-tôt revenir plus vite qu’ils ne sont partis.- Où sont-ils? - Si j’en crois ma vieille ex-périence, je crois bien qu’ils sont partis…Rassurez vous, le monde est si grand, ils n’iront pas bien loin, ils sont si jeunes… Ils au-ront peur, ils reviendront, et puis de toute façon, il faut bien vous faire une raison, puisque vous ne pouvez pas sortir d’ici… »

Le Roi Et L’oiseau, extraits d’un dialogue entre la vieux cavalier et la peinture du roi

Fini dans le train vers Paris le vendredi 27 mai 2016, je l’imprime demain si j’ai le temps, je rentre à Zonbe pour aider les padres au mag pour la fête des mères, bisous à toi si tu as ouvert ce bouquin, si tu as pris le temps d’en parcourir ses pages et ses personnages.

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