EDITION - Le Devoir€¦ · À l’heure numérique pour ... pour le livre numérique: «Les...

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NORMAND THÉRIAULT L’ édition québécoise est passée à l’of- fensive. Et avec succès. Car, par- lons-nous de l’en- trepôt numérique, ce projet conjoint de l’Association natio- nale des éditeurs de livres (ANEL) et de De Marque, que déjà un responsable, Clément Laberge, nous rappelle que « notre démarche, dans notre si petit marché, a suscité de l’in- térêt. En France, les groupes Gallimard, La Martinière et Flammarion utilisent la tech- nologie qu’on a développée pour les éditeurs d’ici. En Ita- lie, trois des quatre plus grands groupes d’édition se sont mis ensemble pour monter un entrepôt numérique avec nos technologies. » L’outil mis en place, vi- trine.entrepotnumerique.com, n’a donc pas à être remis en question. Et son bilan, traduit en chiffres, impressionne, car ne lit-on pas sur sa présente page d’accueil que l’entrepôt numérique, ce sont 8978 publi- cations, 118 éditeurs bran- chés, 159 729 publications ven- dues depuis août 2009 et 1 004 118 feuilletages d’extraits depuis août 2009. La formule retenue fonc- tionne donc. Mais quelle est-elle ? Papier ou électronique ? Qui fréquente via Internet les diverses librairies, ou les grands groupes que sont Quebecor ou Renaud-Bray, verra que plus d’un livre est disponible soit en version papier, soit en version électronique. Ainsi, on pourra voir afficher Griffintown, de Ma- rie-Hélène Poitras, à 14,99 $ dans sa version e-Pub et à 22,95$ en tant qu’objet li- vresque, le e-Pub étant un mode de fabrication numérique plus onéreux à produire qu’un sim- ple PDF (une saisie de page), mais offrant un plus grand po- tentiel interactif. Aussi, le défi est lancé aux éditeurs de devenir des entre- prises où papier et nu- mérique doivent fonc- tionner de pair. Car, si tout livre peut devenir un objet immatériel, il faut tenir compte du fait que plus d’un lec- teur et d’une lectrice demeure un incondi- tionnel du papier. Ainsi, dans le monde de l’essai, Denis Dion, directeur géné- ral des Presses de l’Université Laval, rapporte que « l’édition électro- nique compte pour environ 1 à 2 % de nos ventes ». L’avenir du livre traditionnel ne semblerait donc pas com- promis. Du moins, pas encore, même si les éditeurs des di- verses maisons québécoises semblent s’entendre pour dire qu’il y a obligation d’agir. Aussi, ce n’est pas par ha- sard, ni par simple souci d’être à la page, que les éditeurs ont mis en forme cet entrepôt nu- mérique qui donne une vitrine au livre francophone. Non seu- lement ce geste empêche une prise de contrôle par les géants de la distribution que sont les Amazon de ce monde, mais aussi il permet à l’édition québé- coise de déborder hors du marché local et de rejoindre tout lecteur francophone sur la planète. Avec le numérique, la distribution est ren- due facile. De plus, qui est au Québec, qui est un vrai lecteur, ce- lui ou celle qui sait qu’il faut soutenir le li- braire, lui dont les éta- lages font découvrir ce qui était jusque-là inconnu ou inespéré, aimera apprendre qu’un détour par vitrine.entrepot- numerique.com lui permet non seulement de choisir un livre à lire, mais aussi de l’acquérir par le site de sa librairie habituelle. D’autres feront de même en passant par ruedeslibraires.com, là où 200 000 titres sont mis en vitrine. Qui dira après cela que le li- vre numérique est un simple objet virtuel ? Le Devoir De Marque ouvre à tous son entrepôt Page 3 EDITION LIVRE NUMÉRIQUE Chrystine Brouillet se signale en littérature jeunesse Page 6 Les bibliothèques sont en période de mutation Page 10 CAHIER SPÉCIAL G › L E D E VO I R , L E S SA M E D I 1 9 E T D I M A N C H E 2 0 M A I 2 01 2 La révolution numérique a rejoint le monde de l’édition. Si les presses des imprimeries tournent toujours, et ce, pour le plus grand plaisir de ceux et celles dont le bonheur est d’avoir en main ces pages que les yeux parcourent, il est cependant pos- sible pour les autres, ceux et celles pour lesquels rien ne peut se faire sans tablette à la main, pour eux aussi d’avoir accès, maintenant ou dans un avenir proche, à tout ce que le monde de l’édition met en forme. Un nouveau monde, celui du livre numérique, se dévoile. ARCHIVES LE DEVOIR Que le livre soit ! Les éditeurs québécois se sont donné un entrepôt numérique Les éditeurs des diverses maisons québécoises semblent s’entendre pour dire qu’il y a obligation d’agir REUTERS/AMAZON.COM

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N O R M A N D T H É R I A U L T

L’ édition québécoiseest passée à l’of-fensive. Et avecsuccès. Car, par-lons-nous de l’en-

trepôt numérique, ce projetconjoint de l’Association natio-nale des éditeurs de livres(ANEL) et de De Marque, quedéjà un responsable, ClémentLaberge, nous rappelle que« notre démarche, dans notre sipetit marché, a suscité de l’in-térêt. En France, les groupesGallimard, La Martinière etFlammarion utilisent la tech-nologie qu’on a développéepour les éditeurs d’ici. En Ita-lie, trois des quatre plusgrands groupes d’édition sesont mis ensemble pour monterun entrepôt numérique avecnos technologies. »

L’outi l mis en place, vi-

trine.entrepotnumerique.com,n’a donc pas à être remis enquestion. Et son bilan, traduiten chiffres, impressionne, carne lit-on pas sur sa présentepage d’accueil que l’entrepôtnumérique, ce sont 8978 publi-cations, 118 éditeurs bran-chés, 159 729 publications ven-dues depuis août 2009 et1004118 feuilletages d’extraitsdepuis août 2009.

La formule retenue fonc-t ionne donc . Mais quel leest-elle ?

Papier ou électronique?Qui fréquente via Internet les

diverses librairies, ou les grandsgroupes que sont Quebecor ouRenaud-Bray, verra que plusd’un livre est disponible soit enversion papier, soit en versionélectronique. Ainsi, on pourravoir afficher Griffintown, de Ma-rie-Hélène Poitras, à 14,99 $

dans sa version e-Pub et à22,95 $ en tant qu’objet li-vresque, le e-Pub étant un modede fabrication numérique plusonéreux à produire qu’un sim-ple PDF (une saisie de page),mais offrant un plus grand po-tentiel interactif.

Aussi, le défi estlancé aux éditeurs dedevenir des entre-prises où papier et nu-mérique doivent fonc-tionner de pair. Car, sitout livre peut devenirun objet immatériel, ilfaut tenir compte dufait que plus d’un lec-teur et d’une lectricedemeure un incondi-tionnel du papier.Ainsi, dans le mondede l’essai, DenisDion, directeur géné-ral des Presses del’Université Laval,rapporte que « l’édition électro-nique compte pour environ 1 à2% de nos ventes ».

L’avenir du livre traditionnelne semblerait donc pas com-promis. Du moins, pas encore,même si les éditeurs des di-verses maisons québécoisessemblent s’entendre pour direqu’il y a obligation d’agir.

Aussi, ce n’est pas par ha-sard, ni par simple souci d’êtreà la page, que les éditeurs ont

mis en forme cet entrepôt nu-mérique qui donne une vitrineau livre francophone. Non seu-lement ce geste empêche uneprise de contrôle par lesgéants de la distribution quesont les Amazon de ce monde,

mais aussi il permetà l’édition québé-coise de déborderhors du marché localet de rejoindre toutlecteur francophonesur la planète.

Avec le numérique,la distribution est ren-due facile. De plus,qui est au Québec, quiest un vrai lecteur, ce-lui ou celle qui saitqu’il faut soutenir le li-braire, lui dont les éta-lages font découvrirce qui était jusque-làinconnu ou inespéré,aimera apprendre

qu’un détour par vitrine.entrepot-numerique.com lui permet nonseulement de choisir un livre àlire, mais aussi de l’acquérir parle site de sa librairie habituelle.D’autres feront de même enpassant par ruedeslibraires.com,là où 200000 titres sont mis envitrine.

Qui dira après cela que le li-vre numérique est un simpleobjet virtuel ?

Le Devoir

De Marque ouvre à tous son entrepôtPage 3

EDIT IONLIVRE NUMÉRIQUE

Chrystine Brouilletse signale enlittératurejeunesse Page 6

Les bibliothèques sont en période de mutationPage 10

C A H I E R S P É C I A L G › L E D E V O I R , L E S S A M E D I 1 9 E T D I M A N C H E 2 0 M A I 2 0 1 2

La révolution numérique a rejoint le monde de l’édition. Si lespresses des imprimeries tournent toujours, et ce, pour le plusgrand plaisir de ceux et celles dont le bonheur est d’avoir enmain ces pages que les yeux parcourent, il est cependant pos-sible pour les autres, ceux et celles pour lesquels rien ne peutse faire sans tablette à la main, pour eux aussi d’avoir accès,maintenant ou dans un avenir proche, à tout ce que le mondede l’édition met en forme. Un nouveau monde, celui du livrenumérique, se dévoile.

ARCHIVES LE DEVOIR

Que lelivre soit !Les éditeursquébécois sesont donné un entrepôtnumérique

Les éditeursdes diversesmaisonsquébécoisessemblents’entendrepour dire qu’il y aobligationd’agir

REUTERS/AMAZON.COM

Le réseau des bibliothèquespubliques du Québec s’ins-crit dans le sens de l’irréver-sible courant numérique quise répand dans les domainesde la culture et de l’informa-tion. Il existe déjà des plates-formes que les lecteurs peu-vent utiliser pour emprunterdes livres en format numé-rique ; elles prennent formeet se développent malgré cer-taines contraintes inhérentesaux technologies et au mondedu livre.

R É G I N A L D H A R V E Y

D irectrice de la biblio-thèque de Brossard et

présidente des Bibliothèquespubliques du Québec, SuzannePayette présente ce tableaud’ensemble des bibliothèquesquébécoises : « Il existe trois si-los, dont un coif fe les deux au-tres. Il y a Bibliothèque et Ar-chives nationales du Québec(BAnQ), qui a le mandat dedispenser des services à tous lesQuébécois ; il y a aussi le Ré-seau BIBLIO du Québec, qui estconstitué des 11 centres de ser-vices gouvernementaux ; ils exis-tent sous la forme d’organismesà but non lucratif qui sont pré-sents dans autant de régions etqui s’adressent aux municipali-tés de moins de 5000 habitantsen milieu rural ; ils rejoignentenviron 20% de la population.»

Finalement, elle trace le por-trait du vaste regroupementdes Bibliothèques publiquesdu Québec : «Ce sont nos mem-bres et il s’agit de bibliothèquesqui sont dites autonomes, quidesservent des populations deplus de 5000 habitants et quirelèvent directement d’une mu-nicipalité ou d’un conseil d’ad-ministration ; elles ont leurspropres collections et em-

ployés. » À titre d’exemple, leréseau des 43 bibliothèquespubliques de Montréal appar-tient à cet ensemble : «On ras-semble de 98 % à 99 % desgrandes municipalités et il y ena peut-être, tout au plus, une oudeux qui ne sont pas encoremembres chez nous. » Il y a 805bibliothèques publiques etmille points de ser vice auQuébec, dont plusieurs offrentdes services en ligne disponi-bles pratiquement 24 heuressur 24. En 2010, 24291064 per-sonnes les ont visités et 13mil-lions d’abonnés ont fréquentéleurs sites web.

À l’heure numérique pourl’ensemble des «biblios»

Au nombre des grands dos-siers qui relèvent de leurchamp d’action, il y a le numé-rique : « On le travaille dansune perspective nationale, parcequ’on veut que tout le monde yait accès ; donc, c’est l’ensembledes 11 régions qui se penchentsur celui-ci. » Mme Payette rap-porte ce qui en est à ce sujet :« On a développé, en partena-riat avec BAnQ, avec le RéseauBIBLIO, avec l’aide de la SO-DEQ et l’ensemble du milieu dulivre, une plate-forme qui s’ap-pelle pretnumerique.ca ; ellesert aux bibliothèques pour fairel’acquisition de livres numé-riques et, en passant par celles-ci, on fait af faire avec les li-braires qui sont agréés.»

Elle souligne le caractèrede distinction qui existe pourles bibliothèques dans le sec-teur numérique : « Un éditeurpeut décider d’of frir un livreau grand public, mais nous,on ne peut l’acquérir sans quede nombreuses conditionssoient remplies pour y avoiraccès. Finalement, si on peuty arriver, l’éditeur pose sur lefichier un Digital ReadingManagement (DRM), envertu duquel quelqu’un verrace dernier devenir i l l isible

trois semaines après avoir em-prunté un livre. »

Au cours de la dernière an-née, sept bibliothèques onttesté ce projet-pilote sous di-vers angles : « En décembre,BAnQ a lancé pretnume-rique.ca et elle a été suivie,dans les grandes villes, parBrossard, Montréal et Québec.Lorsque les gens accèdent àleurs catalogues, ils ont accèsà la section numérique ; onpeut dire qu’on a une de-mande quotidienne des ci -toyens et que les tablettes sonttrès populaires. »

Une dif ficulté majeure sepose à l’heure actuelle : «Notreplus grande frustration et notreplus gros problème, c’est lechoix de volumes, qui est plusque limité. On est rendu à laphase de négocier des lettresd’entente avec la chaîne du li-vre ; c’est en très bonne voie etc’est positif, mais il faut aussidire que cette plate-forme-là aété développée, dans un pre-mier temps, pour donner accèsau livre québécois. »

Du côté de BAnQLe numérique est apparu

avant même son ouver turechez BAnQ, qui, dès le dé-part, élargissait son offre parle biais de bases de donnéespar abonnement : « On parle

là des ouvrages de référence,tels des dictionnaires et des en-cyclopédies de toute nature,qui sont conformes à des collec-tions encyclopédiques dévelop-pées pour l’imprimé. En fait,depuis le début, il y a eu unevolonté de rejoindre les Québé-cois sur tout le territoire, et ledéveloppement des collectionset des services en ligne de-meure toujours une priorité »,laisse savoir Mar yse Tr u-deau, directrice des acquisi-tions de la collection univer-selle de Bibliothèque et Ar-chives nationales du Québec(BAnQ).

Elle abonde dans le sens desa collègue des bibliothèquespubliques relativement au faitque, dans certains cas, l’offredemeure très timide et limitéepour le livre numérique : «Lesusagers arrivent parfois dif fici-lement à comprendre qu’ils peu-vent acheter des titres, parexemple, dans le site d’Archam-bault, et qu’ils ne sont pas capa-bles de se les procurer en biblio-thèque ; ce n’est pas par manquede vigilance de notre part, maisplutôt parce que les éditeurs etles distributeurs ne sont pas en-core rendus là.»

Fort heureusement, il y en aqui le sont, de telle sorte queBAnQ a mis en ligne le site delivres québécois pretnumé-

rique.ca (4000 titres), en dé-cembre dernier : «On disposaitdéjà de livres dans ce formatdepuis 2007 environ. Il existemaintenant un carré vert iden-tifié « Livres numériques » surla page d’accueil de notre sitequi conduit vers une section oùse trouve toute notre of fre, quiatteint à peu près 70000 livres,ce qui est encore très peu encomparaison avec nos collec-tions imprimées. »

Le passage d’un monde à l’autre

Mme Tr udeau envisage ledéveloppement du numériquede cette façon : « Chez nous,comme dans les grandes biblio-thèques nord-américaines etquébécoises aussi, on est dansune période de mutation. Pen-dant quelques années, on devracontinuer à développer l’im-primé au même rythme, parceque ce n’est pas demain qu’il vadisparaître, et, en parallèle, ondevra intensifier celui du nu-mérique. De plus en plus, ducôté de la population plusjeune, on essaie de rejoindre lesusagers où ils sont, plutôt quede les attirer vers nous ; c’estaussi la façon de servir les usa-gers qui est en mutation. »

Cette démarche est entra-vée par des irritants : « Il y ena beaucoup pour les usagers,

parce que la façon que les édi-teurs et le marché ont trouvéepour sécuriser les titres, avec leDigital Reading Management(DRM), avec des verrous nu-mériques, ne représente pas larecette simple pour eux ; onsouhaite qu’un jour on puisselire les titres sans les téléchar-ger et y avoir accès avec uneconnexion WiFi, peu importeoù on est. Le processus pouremprunter un livre la pre-mière fois demeure assez com-plexe, voire pour l’acheter. »

Les bibliothèques degrande taille comme BAnQ,qui possède une of fre numé-rique importante, af frontentun autre irritant : « On multi-plie les plates-formes ; chaquefournisseur a développé lasienne. Idéalement, on n’enaurait qu’une seule, et c’est cequi est visé avec pretnume-rique.ca, où pour l’instant onne retrouve que des auteursquébécois : toute l’of fre de la bi-bliothèque pourrait se trouverlà, peu impor te où le titreaura été puisé. On voudraittendre vers cette uniformité,mais, en attendant, il y a en-core des ententes à conclureavec des fournisseurs particu-liers pour élargir les choix. »

CollaborateurLe Devoir

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BIBLIOTHÈQUES PUBLIQUES

«On est dans une période de mutation»Les lecteurs sont au rendez-vous, mais le choix de livres est encore limité

BERNARD FOUGÈRES

La Grande Bibliothèque, à Montréal

É D I T I O NL E D E V O I R , L E S S A M E D I 1 9 E T D I M A N C H E 2 0 M A I 2 0 1 2 G 11

Le monde de l’édition estsous le choc. Il voit venir letsunami du livre électronique,plus spécifiquement la domi-nation des géants américains,sur le monde du livre. En ou-tre, le fait que toute personnepeut désormais publier sespropres livres — et les ven-dre à l’échelle de la planèteen en tirant de bien meil-leures redevances — menaceleur sur vie. Que doiventdonc faire nos éditeurs pouréviter de disparaître d’iciquelques années à peine ?

C L A U D E L A F L E U R

«O ui, le livre numérique,c’est très intéressant

pour les lecteurs, sauf que, dansle système actuel, les maisonsd’édition se posent des tas dequestions par rappor t à leursurvie », confirme Tracey-LeeBatsford, porte-parole de Nu-book, une jeune firme qui sepropose d’aider les éditeurs àef fectuer la transition versl’ère numérique. «Apple, Ama-zon et les géants de ce monde es-saient d’accaparer leur busi-ness», tranche-t-elle.

«Bien sûr qu’il y aura un im-pact ! L’avantage est clair pourcertains segments de marché etmoins clair pour d’autres», relateSerge Loubier, p.-d.g. de Mar-quis imprimeur, qui produit desmilliers de titres par année. L’im-primeur prévoit d’ailleurs pro-duire 30% de moins d’imprimésd’ici trois ans seulement.

« Il y a trois ou quatre ans, enfaisant de la veille technolo-gique, on regardait ce qui s’envenait, mais, lorsque j’en par-lais aux éditeurs, rien ne bou-geait, raconte pour sa par tGontran Lévesque, p.-d.g. d’In-terscript, une firme de produc-tion graphique et numérique.Maintenant, toutefois, il y aune demande. » Pour les édi-teurs, observe-t-il, il s’agit dedéterminer si le livre électro-nique représente un marchérentable. «Et là, je pense que lasituation commence à s’éclair-cir, dit-il, puisque j’ai des de-mandes au sujet d’of fres que jepropose depuis longtemps. »

Notons que Nu-book, Inter-script et Marquis travaillent deconcert pour aider les éditeursà prendre le virage du livre nu-mérique. « Ils comptent surnous pour les encadrer et les ap-puyer, et c’est ce que nous nousef forçons de faire », résumeMme Batsford.

Du «livre plus»« La première étape que j’ai

vue, poursuit Gontran Lé-vesque, a été la conversion desfonds d’édition, c’est-à-dire qu’onme demandait de convertir deslivres existants en format numé-rique. Maintenant, je com-mence à voir la deuxième étape:concevoir du livre numériqueenrichi qui n’a plus nécessaire-ment les limites de la page. Onajoute ainsi d’autres images, dela vidéo ou du son dans le livreélectronique, ainsi que des liensvers d’autres documents, etc. Oncommence donc vraiment àamener le livre imprimé vers du«livre plus», des livres dans les-

quels on ajoute du matériel per-tinent qui apporte quelque chosede plus au lecteur.»

«Souvent, avec les livres numé-riques, on parle de démocratisa-tion, du fait qu’ils seront accessi-bles à tout le monde — ce qui esttout à fait vrai, enchaîne Tracey-Lee Batsford. Par contre, nousobservons que les maisons d’édi-tion — qui sont les gardiens du

contenu de qualité — risquent dese faire éliminer par des géants.Chez Nu-book, ce que nous vou-lons faire, c’est leur donner l’occa-sion de demeurer en vie, en fai-sant la transition vers le numé-rique de façon rentable, efficace etselon une viabilité à long terme.»

Elle rappelle qu’Amazon dis-tribue déjà des livres à grandeéchelle et que cela fait déjà

très mal aux libraires. En ou-tre, le géant américain offre àquiconque de distribuer sesouvrages. « Amazon dit doncaux maisons d’édition qu’on n’aplus besoin d’elles !, lance-t-elle.Les éditeurs en sont donc ren-dus à se demander quel rôle ilsjoueront dans tout cela ! »

Voilà pourquoi Nu-book(«new book» écrit autrement) aété créée, « puisque nouscroyons qu’il y a sans aucundoute une place pour les maisonsd’édition, insiste Mme Batsford.Bien sûr, elles devront s’adapterà l’ère numérique, mais elles ontencore un rôle à jouer.»

Nouveaux modèlesd’affaires

C’est la même pensée quianime Serge Loubier, de Mar-quis imprimeur, l ’un desgrands groupes de productiongraphique au Québec. Celui-cipermet notamment à qui-conque de produire ses pro-pres livres, imprimés à trèsbas coût. «Depuis qu’on a prisle tournant numérique avec no-tre usine de Cap-Saint-Ignace,dit-il, on est passé de l’impres-sion de 60 titres par semaine àenviron 150 à 200 titres, dit-il.Il n’est pas rare de voir que,certaines semaines, nous pro-duisons une trentaine de titresà 40 exemplaires seulement.Pour nous, c’est parfois une ac-tivité purement altruiste, maisnous considérons qu’un livreser t à favoriser l’épanouisse-ment des gens, à jeter les basesd’un projet, à transmettre del’information spécialisée, etc. »

Pour M. Loubier, les nou-velles technologies de l’im-

pression démocratisent l’édi-tion et changent les modèlesd’af faires. Ainsi, de plus enplus d’éditeurs lui demandentd’imprimer de petites quanti-tés de livres que Marquis li-vre, au fur et à mesure des be-soins, aux distributeurs. «Cer-taines firmes ont décidé de neplus tenir d’inventaire, dit-il.Nous livrons donc aux clientsde nos clients », en quelquesorte le principe du flux tendu(just in time) appliqué aumonde de l’édition.

En outre, de plus en plusd’éditeurs demandent à l’impri-meur de leur livrer en mêmetemps un fichier électroniqueprêt pour être lu sur tablettes.« Sur une base régulière, onnous demande de transformerdes livres en HTML pour le Webou de faire des versions ePub etPDF interactives, dit-il. Noussommes donc en mesure de dé-cliner le contenu sur toutes lesplateformes disponibles.»

En conséquence, l’entre-prise s’attend à diminuer sesimpressions de 30 % d’ici deuxou trois ans. « Cela ne signifiepas que 30 % des livres ne se-ront plus imprimés, nuanceSerge Loubier, mais que, aulieu d’imprimer 1000 exem-plaires, on en produira 700,puisque 300 lecteurs préfére-ront la version électronique.Les éditeurs auront donc à gé-rer davantage de formats etnous à réimprimer plus sou-vent, de sor te que toute lachaîne ira plus vite. Tout lemonde doit donc s’adapter ! »

CollaborateurLe Devoir

DE L’ÉDITION À L’IMPRESSION

«Certaines semaines, nous produisons une trentaine de titres à 40 exemplaires seulement»Nu-book, Interscript et Marquis imprimeur travaillent de concert

NU-BOOK

Le visuel du corps humain (Québec Amérique), tel que développépar Nu-book

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Les temps changent, ainsique les habitudes de consom-mation. Si c’est vrai lorsquevient le temps d’acheter de lamusique, ça l’est aussi pourles achats de littérature.Nous connaissons tous lesnoms des grands joueursdans le domaine, mais ruedeslibraires.com, ça vous ditquelque chose ?

M A R I E - H É L È N E A L A R I E

Dominique Lemieux est ledirecteur général des Li-

brairies indépendantes du Qué-bec (LIQ). Il raconte que «l’idéede la rue des libraires vient d’undésir des libraires indépendantsde se doter d’un prolongement deleurs activités dans le Web »,c’est aussi simple que ça! Mais,pour y arriver, il aura fallu tra-vailler d’arrache-pied.

Comme regroupement, lesLIQ agissent depuis une quin-zaine d’années. D’abord, avec larevue Le libraire, qui rassembleplusieurs librairies indépen-dantes qui souhaitent participerà un magazine littéraire et ledistribuer gratuitement à leurclientèle. Puis, il y a cinq ans, leregroupement a pris une formeplus importante en se transfor-mant en organisme à but nonlucratif et, depuis un an, en coo-pérative : « Le mandat des Li-brairies indépendantes du Qué-bec est de développer des outils decommercialisation et de promo-tion pour l’ensemble de ses librai-ries. On sait très bien qu’indivi-duellement chacune de ces librai-

ries, aussi présentes, aussi enga-gées et aussi actives soient-ellesdans leur milieu, n’a pas lesmoyens financiers ou techniquesde prendre un virage numé-rique, un virage cher et pas ex-trêmement lucratif, parce qu’ilest encore embryonnaire », ex-plique Dominique Lemieux.

Arrive livresquebecois.comIl y a cinq ans naissait donc li-

vresquebecois.com, un site trans-actionnel dédié uniquementaux livres des éditeurs québé-cois. «Puis, il y a deux ans, on apris le virage avec les premierséditeurs qui proposaient des li-vres numériques disponiblesdans le Web à l’époque. La pre-mière année, on avait 1000 ti-tres, alors qu’aujourd’hui on ena près de 10000», nous dit Do-minique Lemieux.

Au départ, les ventes étaientquasi inexistantes : « Si on fai-sait une ou deux ventes de li-vres numériques par semaine,on était content ! » Mais le siteexistait et vendait du livre enpapier tant au Québec qu’àl’étranger. «Notre objectif, aveclivresquebecois.com, était dedonner au livre québécois unevitrine à l’étranger. Mais il aété aussi un moyen de tester etde se positionner dans le Web,avec ce que ça comporte d’es-sais et d’erreurs », se souvientDominique Lemieux.

Le véritable décollage du li-vre numérique a eu lieu lorsde la mise en marché du pre-mier iPad, il y a deux ans :« Aujourd’hui, pour livresque-becois.com, le numérique re-présente 30% des ventes totales.Pour un site web transaction-

nel, le livre numérique est de-venu un incontournable. »

La rue des librairesprend forme

Le site ruedeslibraires.coma été lancé en août dernier.Son but est de rendre dispo-nibles le livre québécois et lelivre étranger, tant en formatde papier qu’en version nu-mérique. Le site fonctionneexactement de la même façonque livresquébécois.com, c’est-à-dire que c’est une véritablelibrairie vir tuelle : « Le li -braire, c’est d’abord et avanttout un lecteur, il conseille etpar tage ses coups de cœuravec la clientèle de sa librai-rie, ce rôle est facilementtransférable dans le Web », ex-plique Dominique Lemieux.

Et c’est ce qu’on retrouve àruedeslibraires.com : les nou-veautés, le choix des libraires,le palmarès, des thématiqueset des livres à paraître. De plus,quand vient le temps de passerune commande, le client doitnécessairement choisir une li-brairie, il peut donc encouragersa librairie préférée, qu’elle soitau bout de la rue à Montréal, àRimouski ou à Sherbrooke.«La rue des libraires est appeléeà devenir un lieu d’échange en-tre le libraire et le lecteur, mais,au-delà du site, ce que veulentles libraires, c’est une présencedans le Web avec des blogues etune participation dans les ré-seaux sociaux», rappelle Domi-nique Lemieux.

Aujourd’hui, le marché est enplein bouleversement et les ex-

perts affirment que ça ne faitque commencer. Selon l’étudeComportement du consomma-teur dans les points de vente phy-siques et virtuels de livres, me-née par Alexandre Tellier, de laChaire de commerce électro-nique de HEC Montréal, et pré-sentée lors de la 4e rencontre in-terprofessionnelle de l’Associa-tion des libraires du Québec, le28 mars dernier, un adulte surquatre achète en ligne et cesachats ont représenté 5,6 mil-liards au Québec en 2011.

Voici quelques chif fres envrac :

35 % des achats en lignesont faits pour des livres, desrevues et des journaux ;

49,3% de la vente en lignede livres américains s’effectueau Canada ;

de mai 2010 à janvier 2012,la proportion des propriétairesde tablettes numériques auxÉtats-Unis est passée de 3% à19 % ; le profil des proprié-taires de liseuses électro-niques est celui d’une femmeâgée de 19 à 45 ans, qui a unescolarité de niveau collégial ouplus et qui touche un revenuannuel de plus de 50 000 $. Ilsachètent plus de livres queceux qui n’en ont pas ;

En France, dans le domainedu livre, 62% des consomma-teurs af firment acheter enligne uniquement, 21 % enmagasin uniquement, tandisque 17% achètent en ligne ethors ligne.

En conclusion, AlexandreTellier constate qu’il y a unevéritable croissance au niveaudes ventes en ligne au Qué-bec, que le livre en papiern’est pas à l’abri de cette ten-dance et qu’il faut porter uneattention par ticulière auxpertes de marché au profit desAméricains.

Le milieu devra s’adapter auxnouvelles réalités du marché etaux manières de consommerles livres, avec la mobilité et lesréseaux sociaux qui modifientréellement les comportementsdes lecteurs. Et, pour finir, n’ou-blions pas que nous n’ensommes qu’aux premiers pasde ces nouvelles technologieset qu’on peut encore s’atten-dre à voir beaucoup de chan-gements dans l’industrie du li-vre au cours des prochainesannées.

CollaboratriceLe Devoir

RUEDESLIBRAIRES.COM

Le livre numérique représente 30% des ventes totales de livres québécoisUn nouveau site transactionnel permet de choisir sa librairie

ANEL

Il y a une véritable croissance des ventes en ligne au Québec.

É D I T I O NL E D E V O I R , L E S S A M E D I 1 9 E T D I M A N C H E 2 0 M A I 2 0 1 2 G 3

De Marque, c’est le plus grosentrepôt de livres numé-riques au Québec. Un entre-pôt invisible, dématérialisé.L’endroit où les éditeurs dé-posent les versions électro-niques de leurs bouquins,afin que ceux-ci soient dispo-nibles dans le site Internetdu plus petit des libraires in-dépendants comme aux bookstores des mégagéants Koboet Apple. Entrevue avec levice-président aux ser vicesd’édition numériques chezDe Marque, Clément Laberge.

C A T H E R I N E L A L O N D E

F ondé en 1990, De Marquedéveloppe d’abord des lo-

giciels et des applicationséducatives pour les écoles.Au fil du temps, le groupe selance plus avant dans la dis-tribution de ressources édu-catives. « C’est là que sont sur-venus les premiers rapproche-ments avec les éditeurs, autourd’ef for ts de numérisation derevues comme Cap-aux-Dia-mants et Protégez-Vous. »

Quand Clément Laberge sejoint à De Marque, il arrivede trois ans passés en Franceà œuvrer auprès du grouped’Éditis. « J’avais vu ce que çaimpliquait de mettre un sys-tème de distribution numé-rique en place. J’ai proposé àDe Marque de s’attaquer à cedossier. » Au même moment,l’Association nationale deséditeurs de livres énonce lebesoin de se lancer sérieuse-ment dans ce marché. « En2008, poursuit Clément La-berge, on a proposé de monterune infrastructure de distribu-tion de l ivres numériques collectivement. »

Maintenant, l’entrepôt DeMarque accueille quelque10 000 titres provenant de 110éditeurs. « Notre démarche,dans notre si petit marché, asuscité de l’intérêt. En France,les groupes Gallimard, LaMartinière et Flammarion uti-lisent la technologie qu’on adéveloppée pour les éditeursd’ici. En Italie, trois des quatreplus grands groupes d’éditionse sont mis ensemble pourmonter un entrepôt numé-

rique, avec nos technologies »précise le vice-président.

Les «nouveaux» librairesLes libraires, dans le monde

numérique, n’ont plus le mo-nopole de la vente. « Les édi-teurs vendent directement dansleurs sites. Certains médias s’ymettent. Apple et Kobo sont desjoueurs impor tants. Tous cespoints de vente utilisent des sys-tèmes informatiques dif férents.De Marque fait en sor te quel’éditeur puisse déposer toutesses infos à un seul endroit : cheznous. C’est notre boulot de sa-voir que tel libraire va vouloirrecevoir ses métadonnées danstel format, ou de tenir comptedes contraintes techniques d’Ap-ple dans un code, par exemple.Quand on fait bien notre job,on est invisible. »

De Marque doit donc se te-nir à la pointe des technolo-gies. « Le stockage sur disquene coûte presque rien, mais ilnous faut un système où unecentaine d’éditeurs peuvent sebrancher régulièrement pourdéposer des fichiers. Les coûtsde gestion sont importants, onse doit d’of frir toute une sériede webservices très stables.Une douzaine de program-meurs y travaillent à tempsplein. »

Moyens techniquesconsidérables

Les moyens techniques né-cessaires pour donner accèsau l ivre numérique sontconsidérables. « Si les édi-teurs ne se mobilisaient pasrapidement et de façon collec-tive pour se doter de cesmoyens, on courrait le risquede devoir remettre l’éditionquébécoise dans les mains desacteurs étrangers que sontAmazon, Google, Apple, ana-lyse M. Laberge. Il faut défen-dre la pertinence auprès d’Ap-ple que quelqu’un chez lui, àl’achat de livres, parle fran-çais. C’est un défi de lui fairecomprendre la valeur de nostextes publiés, qui s’adressentaux acheteurs du petit marchéd’ici. Aujourd’hui, la boutiqued’Apple fonctionne bien, maison y trouve en fin de compteseulement une section franco-phone dans une boutique an-glophone. Kobo fait un peumieux. Mais on est encore trèsloin d’une vraie librairie en

ligne francophone, faite pourles francophones. »

Nécessaire promotionLa promotion de la littéra-

ture devient donc essen-t ie l le . « Les géants forcentpour que les changements sefassent vite, sur un terrainvierge, sans se soucier desgens derrière eux. Les éditeursdoivent acquérir de nouveauxréflexes, en protégeant toutleur monde, parce que l’éco-système du livre ici est fragile.Je pense que les éditeurs, dansde petits marchés naturels,l inguist iquement enclavéscomme nous, ont tout à ga-gner avec le numérique. Onpeut aller là où on était inca-pable d’aller avec le livre im-primé. Le défi, qui était maté-riel, est devenu le défi de sefaire connaître. »

Et, pour De Marque, main-tenant le défi est de tenir diffé-rents r ythmes en mêmetemps. De répondre à la foisaux libraires indépendants quidébutent dans la Toile, auxgrandes chaînes enthou-siastes, aux demandes d’Ap-ple, à celles des bibliothèques.« La diversité des besoins, pourdes entreprises de tailles très va-riées, est énorme. Et le clientn’est pas neutre : c’est le mo-ment pour les lecteurs de com-menter. Ils doivent écrire, criti-quer, dire ce qu’ils veulent. Si le

lecteur reste dans une positionde pur consommateur, en necherchant que le livre le plus fa-cilement accessible au plus bas

prix, il s’exclut de la création dece nouvel écosystème. Et il n’aqu’à cliquer pour le faire. Lireen numérique, c’est être partie

prenante de l’espace avec l’édi-teur et l’auteur. »

Le Devoir

DE MARQUE

L’entrepôt numérique dessert autant Apple que la librairie locale«Gallimard, La Martinière et Flammarion utilisent la technologie développée pour les éditeurs d’ici»

ANEL

« Au niveau québécois, nousn’avons pas encore de chif-fres sur les parts de marchéconcernant le livre numé-rique, note Daniel Desjardins,président de Guides devoyage Ulysse et animateurdu comité numérique de l’As-sociation nationale des édi-teurs de livres (ANEL). Cen’est pas encore suivi. En re-vanche, pour les guidesUlysse, nous sommes depuissix mois à 4 % de par ts demarché, alors que nous avonscommencé à en distribuer il ya à peine trois ans… On peutréellement dire que le livrenumérique se développe rapi-dement maintenant.»

H É L È N E R O U L O T - G A N Z M A N N

La progression est constante.M. Desjardins ne veut pas

parler d’explosion des ventes,même si l’of fre, elle, est entrain d’exploser. « Chez Ulysse,nous proposons 650 références,affirme-t-il. C’est plus que notrecollection, car l’un des intérêtsdu livre numérique, c’est depouvoir découper les guides enchapitres. Nous avons un guideen papier sur la Nouvelle-An-gleterre. En numérique, nousavons le Maine, le Vermont, leNew Hampshire, le Massachu-setts, l’État de New York, etc.Ça plaît aux gens et ça permetde développer le marché, parceque certaines personnes ne s’envont qu’au Vermont, elles n’ontpas besoin de toute la Nouvelle-Angleterre ! »

Même chose avec le guidesur les croisières dans lesCaraïbes, qui décrit 48 ports,quand les gens ne font quede cinq à dix escales : avec lenumérique, ils ont la possibi-lité de n’empor ter avec euxque la documentation sur lespor ts dans lesquels ils sou-haitent débarquer. « Cettepossibi l i té se décline dansd’autres domaines que le tou-

risme, ajoute Daniel Desjar-dins. Prenez les ouvrages queconsultent les universitaires.Ce sont généralement dessommes, et i l est bien rarequ’ils aient besoin de tous leschapitres. Non seulement ilspeuvent consulter seulementcelui ou ceux qui leur sont né-cessaires, mais en plus, grâceau téléchargement, ils y ontaccès immédiatement. »

Le Québec, premier dans la francophonie

Au Québec, tous les édi-teurs ne sont pas encore pas-sés au livre numérique, maistous y songent, à tel point quela Belle Province se situe aupremier rang dans la franco-phonie et que la moitié des ou-vrages électroniques vendusen France viennent d’ici !«Dans le domaine du guide duvoyage, Ulysse a été le premierau monde en langue fran-çaise… Nous sommes sortis sixmois avant qu’un éditeur fran-çais ne fasse de même, fait re-marquer M. Desjardins. Au-jourd’hui, toutes les maisonsd’édition québécoises ont unprojet, mais certaines n’ont nu-mérisé qu’un ou deux titresquand d’autres proposent toutleur catalogue. Ce passage estd’ailleurs plus complexe pourcer tains que pour d’autres.Ceux qui ne préparent pas chezeux le fichier destiné à l’impres-sion, mais qui confient ce tra-vail à un tiers, ont plus de diffi-cultés parce qu’ils n’ont pas enmain le matériel qui leur per-mettrait de produire les ver-sions numériques. Ça impliquedonc des coûts. »

Passer au numériqueAutre considération : celle

du fonds, qui comprend desouvrages extrêmement inté-ressants mais qui ont pu êtrepubliés à une époque où onne produisait pas encore un li-vre via des fichiers numé-riques. « Dans ce cas, il fautnumériser ce contenu en fai-sant de la reconnaissance decaractères. Ça ne représentepas la majorité du marché,mais cet exemple est intéres-

sant car ce type d’ouvrage, sion ne le passe pas au numé-rique, est voué à disparaître. »

Vient alors toute la problé-matique du format et de lacompatibilité. « Si les romans,les essais, tous les ouvrages quine se composent que d’un textesont faciles à convertir au for-mat e-Pub, le format standard,les livres illustrés sont beau-coup plus complexes. On peuttrès bien vendre la versionPDF, poursuit M. Desjardins.Sauf que ce format ne fonc-tionne pas très bien sur les li-seuses, ces petits appareils detype Kobo, qui ne sont pas ré-tro-éclairées, contrairementaux tablettes de type iPad. Cene sera vraiment pas trèsconvivial, très figé, car l’avan-tage de l’e-Pub, c’est qu’il se re-met en pages en fonction del’écran et de la grosseur du ca-ractère qu’on souhaite avoir.Chez Ulysse, par exemple, toutnotre fonds est disponible enPDF et nous en proposons au-jourd’hui un quar t en e-Pub.On avance petit à petit, maisc’est complexe, il faut faire par-fois des pirouettes… C’est unedes dif ficultés pour les éditeursqui ont des contenus riches. Çapeut revenir cher de générer lese-Pub et ça peut prendre beau-coup de temps. »

Utile interactionAinsi, le livre numérique

n’est pas une pâle copie du pa-pier, car il est toujours plus in-teractif. Même lorsqu’il s’agitd’un PDF, il y a la possibilitéde cliquer sur la table des ma-tières pour aller directementau chapitre choisi. On peutégalement faire des re-cherches dans le texte.« Chaque lecteur y trouve sonpropre intérêt. Même pour unroman, qu’on lit généralementplutôt de manière linéaire, il ya des gens qui vont vous direque, quand on leur reparled’un personnage, ils aimentbien revenir en arrière pour sa-voir comment il avait été décritla première fois, qui ne se sou-viennent plus si c’est le beau-père ou le père, qui recherchentune citation… Même dans un

roman, parfois, on recule. C’estdif ficile de savoir si le livre nu-mérique est plus adapté à telou tel type de livre. Ça dépenddes lecteurs et des contextes delecture. »

Mais l’un des grands inté-rêts demeure le fait de pou-voir tr imbaler sa bibl io-thèque partout où on va, sim-plement en gl issant sa ta-blette ou sa liseuse dans sonsac. « Je suis arrivé un jouraux douanes, il y avait unequeue d’une heure ! J’ai sor ti

mon Kobo, c’est tout léger, çapèse quelques grammes, je mesuis replongé dans mon ro-man, la queue a avancé et j’ailu deux ou trois chapitres…Finalement, l ’attente m’aparu moins longue. Je ne suispas certain que j’aurais eu ungros bouquin à ce moment-là.Il y a quand même un avan-tage à avoir un appareil danslequel i l y a plein de bou-quins… Par fois, on par t envacances avec un ou deux ro-mans, et puis ce ne sont pas

ceux-là qu’on a envie de lire ! »Seul bémol, la tentation du

piratage que certains utilisa-teurs pourraient avoir…même si Daniel Desjardins nesemble pas très inquiet. « Desmesures doivent être prises col-lectivement pour empêcher lecopiage à grande échelle, es-time-t-il. Pour le reste, on n’ajamais interdit aux gens de seprêter des livres…»

CollaboratriceLe Devoir

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AVANT MICHELIN OU LE ROUTARD

Plus que sa collection en papier…Ulysse propose 650 références de livres numériques

ULYSSE

Daniel Desjardins, président de Guides de voyage Ulysse et animateur du comité numérique del’Association nationale des éditeurs de livres

É D I T I O NL E D E V O I R , L E S S A M E D I 1 9 E T D I M A N C H E 2 0 M A I 2 0 1 2 G 5

Les maisons d’édition litté-raires et francophones sonten plein virage numérique auQuébec et dans le reste duCanada. De plus en plus detitres sont disponibles dansles formats numériques. Cha-cun y va de sa stratégie et deson modèle d’af faires. Tourd’horizon.

M A R T I N E L E T A R T E

«L e catalogue de Boréalcontient près de 2000 ti-

tres et environ 350 sont disponi-bles en format PDF. Environ 120sont aussi disponibles en formate-Pub, qui est plus malléable», in-dique Pascal Assathiany, direc-teur général de Boréal.

Chez Alire, des 180 titres ducatalogue, environ 160 sontdisponibles en format PDF. Il yen a également 132 qui sontdisponibles en format e-Pub.« Les titres qu’on n’a pas, c’estparce qu’on ne peut pas le faire,parce qu’on n’a pas les droits.C’est le cas de certaines traduc-tions ou de certains titres qu’ona rachetés à d’autres », affirmeJean Pettigrew, éditeur et di-recteur littéraire d’Alire.

Chez Prise de parole, une pe-tite maison d’édition de la fran-cophonie canadienne, un peuplus de 100 titres sont offertsen formats PDF et e-Pub dansun catalogue d’un peu plus de200 titres. « Il y a encore beau-coup de fichiers en production»,indique Stéphane Cormier,coordonnateur du virage numé-rique chez Prise de parole.

« Nous proposons une cen-taine de livres numériques surun catalogue de près de 350 ti-tres » , indique pour sa par t

Gilles Pellerin, directeur litté-raire de L’Instant même.

Chacun sa stratégieBoréal a ef fectué ses pre-

mières ventes d’ouvrages nu-mériques à l’automne 2010.« Nous publions chaque nou-veau titre en numérique et, enmême temps, nous en profitonspour sortir, autant que faire sepeut, l’ensemble de l’œuvre del’auteur», affirme Pascal Assa-thiany. L’objectif est d’arriver àavoir les 2000 livres du cata-logue en numérique.

Chez Prise de parole, lespremiers titres numériquessont devenus disponibles il y aun an, et l’objectif est aussid’arriver à of frir tout le cata-logue. « Toutes les nouveautéssortent en formats numériques.Pour le reste, on y va avec lesauteurs-phares de la maison, etc’est certain que c’est plus faciled’aller de l’avant avec les titresplus récents pour lesquels on adéjà de bons fichiers numé-riques. Sinon, il faut numériserles pages et c’est plus coûteux»,indique Stéphane Cormier, quivient d’entrer en poste chezPrise de parole pour assurer lacohérence dans le développe-ment du livre numérique.

Alire a pour sa part été l’unedes premières maisons d’édi-tion au Québec à offrir ses li-vres en format numérique.«Nous étions là dès que la pre-mière plateforme numérique,Archambault, a ouver t, enaoût 2009. Nous étions prêtsparce que la maison d’édition aété fondée en 1996 et, dès le dé-part, nous avions prévu dansnos contrats avoir les droitspour le numérique. Pourquoi ?Certains diront que c’est parceque nous faisons de la science-

fiction et que nous pensons tou-jours à l’avenir ! », s’exclameM. Pettigrew.

L’Instant même est aussi,ironiquement, l’une des mai-sons d’édition pionnières enmatière de livre numérique.« Lorsqu’on a commencé à en-tendre parler du livre numé-rique, il y a environ quatre ans,je n’étais pas du tout enthou-siaste. Je suis à la fin de la cin-quantaine et j’aurais bien ter-miné ma carrière avec le livreen papier. Toutefois, j’ai écoutéles gens plus près de la technolo-gie et, en 2009, j’ai signé uneentente avec la boîte de dif fu-sion Cyberlibris, de Bruxelles,pour quelques livres », raconteGilles Pellerin.

L’initiative visait particuliè-rement les maisons d’ensei-gnement outremer. «Dans desendroits comme la Guadeloupeet la Martinique, l’expéditiond’ouvrages coûte une for tune.Grâce au numérique, un pro-fesseur peut télécharger un cha-pitre qu’il paye à la page. Audépart, ces activités étaient mi-nuscules, mais, depuis l’été der-nier, on voit une belle crois-sance», remarque M. Pellerin.

L’instant même publie main-tenant en format numériquepresque toutes ses nouveautés.«Pour le reste, c’est plus facilepour les livres publiés depuis2002, puisqu’ils ont un supportadéquat», précise M. Pellerin.

L’adaptation du modèled’affaires

Le livre numérique se vendtoujours moins cher que le li-vre en papier. « Il n’y a pas unesi grosse différence chez nous. Iln’est pas question de creuser latombe du livre en papier », af-firme Gilles Pellerin.

«Nous vendons le livre numé-rique environ de 25 à 30 %moins cher, indique M. Assa-thiany. C’est moins cher à pro-duire puisqu’il n’y a pas de pa-pier, mais il faut s’assurer durespect de la qualité de la miseen pages et de la langue avec lescoupures de mots. Puis, il fautpayer le diffuseur et le libraire.»

Chez Prise de parole, le livrenumérique est aussi vendu en-viron 25 % moins cher. « Noussurveillons très attentivementl’évolution des prix numériquesdans le marché », af firme Sté-phane Cormier.

Alire fait les choses autre-ment. «Nous vendons les livresnumériques 40% moins cher etnous descendons le prix lorsquele livre de poche sort, donc ça vaà environ 60%. En enlevant lescoûts d’impression, nous sommescapables d’y arriver. Par contre,si on faisait des livres seulementen numérique, je ne crois pasqu’on y arriverait parce que, ence moment, les coûts d’éditionsont compensés par la version enpapier», explique M. Pettigrew.

La fin du livre en papier?Sommes-nous rendus à envi-

sager la disparition du livre enpapier? «Non, répond Jean Pet-tigrew. Comme on presse tou-jours des vinyles, je crois qu’onimprimera toujours des livres,mais en plus petite quantité,pour les amateurs et les projetsspéciaux. Le papier reste le meil-leur support. Dans ma collec-tion, j’en ai qui datent de 1947et ils fonctionnent toujours!»

Par contre, il croit que cer-tains livres en viendront à êtrepubliés de façon numériqueseulement. « Je pense à cer-tains titres plus pointus. À desouvrages de référence aussi,

avec l’avantage en format nu-mérique d’avoir l’option « Re-chercher» dans le texte. Rien nesert de combattre la tendance,alors qu’on l’a vue dans le ci-néma et la musique. La littéra-ture n’est pas dif férente », af-firme M. Pettigrew.

Pascal Assathiany croit queles éditeurs ne pouvaient fermerles yeux sur le fait que les gensutilisent de plus en plus les ta-blettes électroniques. «Il fallaitse lancer. La demande est plusforte pour les livres numériquesdans les vastes territoires où on

ne retrouve pas ou peu de librai-ries. Grâce aux livres numé-riques, l’accessibilité est accrue.»

«Le marché est en pleine évo-lution, renchérit StéphaneCormier. Les ventes de livresnumériques représentent encorede petits chif fres, mais la crois-sance est exponentielle. »

« Je crois, dit Gilles Pelle-rin, que le livre numérique etle livre en papier agiront encomplémentarité. »

CollaboratriceLe Devoir

LITTÉRATURE

«Rien ne sert de combattre la tendance»Le virage numérique est en cours

BORÉAL

Pascal Assathiany, directeur général de Boréal

Au cours des deux dernièresannées, au Québec commeailleurs dans le monde, lemarché du livre numériques’est considérablement déve-loppé. Vu l’intérêt grandis-sant pour les formats PDF, e-Pub et autres, nombre d’édi-teurs jeunesse québécois ontamorcé un passage au numé-rique. Si, pour cer tains, cevirage s’avère déjà profitable,pour d’autres, il se veutbeaucoup plus complexe ànégocier.

É M I L I E C O R R I V E A U

A ux éditions de La courteéchelle, c’est à l’été 2010

qu’on a pris le tournant numé-rique. Le premier livre à paraî-tre en format PDF et e-Pub futle roman pour adultes Soussurveillance, de Chr ystineBrouillet, puis ont été lancésquelques romans-feuilletonsjeunesse de la collection« Épizzod ». Depuis, l’éditeur afait paraître de nombreux au-tres titres numériques, ce quilui a permis de vendre plus de15000 livres.

Pour Hélène Derome, prési-dente et éditrice de La courteéchelle, il ne fait aucun douteque le passage au numérique aété profitable pour sa maisond’édition. « C’est cer tain que,lorsqu’on se lance dans le nu-mérique, ça prend des investis-sements. Ce qui est le plus dis-pendieux, c’est de transférer lefonds existant au numérique.Pour ce qui est des nouveautés,

comme nos livres sont faits àl’interne, ce n’est pas si exigeantque ça. La chaîne ne fait que seprolonger un peu plus long-temps. À La courte échelle, ona fait le choix d’investir considé-rablement pour transférer notrefonds au numérique, afind’avoir une of fre intéressantelorsque la demande serait là.Quand je regarde le nombre delivres numériques qui ont étévendus depuis, ça me confirmeque l’investissement a por téfruit », dit Mme Derome.

Différent créneau,différente rentabilité

Mais le passage au numé-rique ne s’ef fectue pas aussifacilement dans toutes les mai-sons d’édition. Chez BayardCanada, par exemple, qui pu-blie en format de papier des li-vres jeunesse de fiction et dudocumentaire, la transition aunumérique ne s’est pas réali-sée aussi naturellement qu’àLa courte échelle, notammenten raison du créneau qu’elleexploite.

« Nous avons fait le choix detransformer en format PDFnotre collection de romanspour premiers lecteurs. Notreambition initiale était de faireégalement de l’album illustré.C’est une option que nousavons mise de côté à cour tterme, étant donné l’investisse-ment majeur que cela néces-site. Lorsqu’on veut faire unvéritable album numériqueanimé, on parle de sommes al-lant de 5000 à 15 000 dollarspar livre. Ce sont des investis-sements qui nous ef fraientconsidérablement, étant donnél’étroitesse du marché auquel

on s’adresse. Également, il y ale défi que représente la négo-ciation des droits numériquesavec les illustrateurs. C’est unchantier très complexe », af-f irme Jean-François Bou-chard, directeur du dévelop-pement stratégique chezBayard Canada.

Du côté des Éditions del’Isatis, une petite maison quine publie pas de romans et quise spécialise surtout dans l’al-bum jeunesse, on croit beau-coup à l’avenir du numérique.Toutefois, étant donné l’étatactuel du marché numériquejeunesse et la modeste taillede la maison d’édition, on ré-fléchit beaucoup aux voies àemprunter pour que le virageau numérique s’ef fectue endouceur et qu’il soit couronnéde succès.

« Deux fois par année, ontransfère nos livres sur la plate-forme numérique. On a choisile PDF parce que ça ne coûtepas trop cher et qu’on travailledéjà nos albums en papier avecce format-là. Même si c’estbeaucoup moins cher que d’au-tres formats, présentement, onne rentre pas dans nos frais.On essaie de voir le tout à longterme ; lorsque la demandepour le numérique jeunessesera plus grande, on aura déjàun bon fonds disponible et onaura fait les investissementsnécessaires. Ce qu’on se de-mande aujourd’hui, c’est si ondevrait ou non adapter nos li-vres en d’autres formats. Je necrois pas que l’album numé-rique jeunesse soit encore assezen demande pour que ça envaille la peine, mais j’y réflé-chis beaucoup » , soutient

Mme Angèle Delaunois, édi-trice chez Isatis.

Multiplier les possibilitésMais, si le passage au numé-

rique nécessite pour plusieurséditeurs d’importants ajuste-ments et investissements, illeur ouvre sans conteste laporte à de multiples possibili-tés. Notamment, pour plu-sieurs, il s’agit d’un excellentcanal pour faire connaîtreleurs collections à l’étranger.

« Je pense que, pour les édi-teurs québécois, il y a une possi-bilité importante au niveau dudéveloppement à l’international.Ça peut nous permettre d’accé-der à des marchés qui sont diffi-cilement accessibles avec des for-mats tangibles», estime M. Ro-land Stringer, fondateur et di-recteur de La montagne se-crète, une maison d’éditionjeunesse qui propose des al-bums rassemblant des contes,des chansons et des comptinessur des livres-disques, ainsique des applications pour télé-phones intelligents.

Mais, pour percer de nou-veaux marchés, encore faut-ilsavoir se distinguer du lot,puisque l’offre des librairies vir-tuelles est vaste et que le risquede se fondre dans la masse est

grand. «Le défi, ce n’est pas deplacer nos livres chez des li-braires numériques, c’est de lesfaire ressor tir de l’ensemble.Tout le travail de libraire n’estpas ef fectué de la même façondans une boutique en ligne quedans une librairie. Il y a des mé-canismes pour obtenir de la visi-bilité que nous ne maîtrisons pasencore et que nous allons devoirapprendre à mieux utiliser »,souligne M. Stringer, qui pré-voit lancer une première collec-tion de livres numériques dyna-miques cet automne.

OuvertureOutre la possibilité de

conquérir de nouveaux mar-chés, plusieurs éditeurs jeu-nesse voient également dansle numérique l’occasion de dé-velopper d’intéressants outilspour le milieu scolaire. « Àmon avis, le vrai développe-ment est à venir. Il se fera dansl’usage multiplateforme. Ducôté scolaire, il y a plusieurspossibilités intéressantes quis’of friront aux éditeurs aussi.Par exemple, il m’apparaît trèsclair que le marché du livreéducatif animé à l’usage dupréscolaire sera très intéressantà développer dans les années àvenir», estime M. Bouchard.

À cela s’ajoute la possibilitéde mieux promouvoir, par diffé-rents outils, les collections dis-ponibles en format de papier.«Chez nous, on le voit comme unexcellent outil de promotion,confie Mme Derome. Nous pen-sons qu’en utilisant les bonnesstratégies, en étant créatif, enconsidérant le format numériquecomme un complément, ça peutnous permettre de vendre davan-tage de livres en papier. Certainsdiront qu’il faut en avoir lesmoyens, mais je crois vraimentque les éditeurs doivent cesser decraindre le numérique et tenterdes expériences. Ça en vaut vrai-ment le coup.»

Les livres numériques de Lacourte échelle, de Bayard Ca-nada et des Éditions de l’Isatissont disponibles dans les pagesInternet respectives des édi-teurs. Les applications de Lamontagne secrète sont disponi-bles dans l’App Store. Pour ac-céder à la liste complète des ti-tres numériques disponibles auQuébec, consultez l’entrepôtnumérique de l’Association na-tionale des éditeurs de livres :http://vitrine.entrepotnume-rique.com.

CollaboratriceLe Devoir

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LITTÉRATURE JEUNESSE

«L’investissement a porté fruit »Il faut faire plus que simplement « copier » un livre existant

PEDRO RUIZ LE DEVOIR

Chrystine Brouillet, auteure du premier livre paru en format PDF et e-Pub

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Les éditeurs d’essais, d’ou-vrages de référence et de li-vres de vulgarisation scienti-fique font face à des défis, àdes obstacles et à des possi-bilités qui dif fèrent nettementde ceux qu’af frontent les édi-teurs qui ne publient que desœuvres de fiction.

É T I E N N E P L A M O N D O N É M O N D

O ur Choice, le livre numé-rique d’Al Gore sur les so-

lutions pour freiner le réchauf-fement climatique, a propulséà un autre niveau les possibili-tés du livre numérique et poséun nouveau jalon dans laforme que peuvent prendre lesessais. Tableaux qui évoluent,cartes géographiques interac-tives, photos qui peuvents’agrandir ou démarrer en vi-déo et extrait de la voix de l’au-teur complètent les chapitresdu texte documentaire. N’em-pêche, il s’agit encore d’uneexception. Les maisons d’édi-tion du Québec n’ont pas lesressources monétaires pourproduire de tels ouvrages devulgarisation scientifique en-globant l’ensemble de la pa-lette multimédia.

Nécessaire créativitéMais les éditeurs de livres

documentaires devront davan-tage faire preuve de créativitéque les éditeurs d’œuvres defiction en matière de livre nu-mérique. « C’est plus dif ficile,parce qu’on est en concurrenceavec toute l’information gra-tuite dans Internet », souligneJean-Marc Gagnon, présidentdes éditions MultiMonde.« Nous, notre stratégie, et c’estmême notre philosophie édito-riale, c’est de publier des chosesqui ne ressemblent à rien d’au-tre. On ouvre des niches, des pe-tits coins qui ne sont pas trai-tés, des thématiques avec desapproches nouvelles. Mais ilfaudra aussi ajouter beaucoupd’interactivité », considère-t-il.

Gilles Herman, directeur gé-néral du Septentrion, croitque, avant de se lancer dansces projets de grandeur, l’édi-teur doit actuellement réap-prendre son métier, ne serait-ce qu’en raison de la révolu-tion engendrée par l’éclate-ment de la mise en pages. Àson avis, l’éditeur doit distin-guer ce qui relève du gadgetde ce qui répond aux besoinsdes lecteurs du genre d’ou-vrage qu’il publie.

Car, selon M. Herman, le cré-neau du livre de référence seprête tout à fait au numérique.La maison d’édition compte en-viron 450 livres disponibles enversion numérique. En 2009, LeSeptentrion a plongé dans lesnouvelles technologies après yavoir décelé un côté pratique.«On est de grands utilisateurs dunumérique, parce que, pour lesouvrages qu’on publie, on doitconstamment vérifier des sources,chercher des informations.»

Le Septentrion cherchedonc à développer des outilscomplétant le contenu du livre,comme l’intégration d’un mo-teur de recherche par mot-clépour y naviguer de manièreplus efficace. Aussi, contraire-ment à bien d’autres éditeurs,

Le Septentrion a choisi de nepas mettre de verrou numé-rique (DRM) dans les textesafin de permettre le copier-col-ler. «On fait des livres qui sontamenés à être cités dans d’au-tres travaux. On voit et on cor-rige régulièrement de mau-vaises citations, des auteurs malcités. Si on peut mettre fin à lamauvaise citation…»

Une seconde vieLe numérique, pour les ou-

vrages de référence, apparaîtaussi comme un moyen dedonner une seconde vie à deslivres dont le temps est souventcompté sur les étalages des li-brairies et dont le marché nejustifie pas une réimpression,même si le contenu demeurepertinent. Ainsi, les éditeursadmettent avoir été surpris parcertaines ventes de livres, pu-bliés il y a plusieurs années enédition de papier, qui bénéfi-cient d’un second souffle dansleur version numérique.

La nouvelle donne permetaussi d’ouvrir cer tains mar-chés. Par exemple, au Septen-trion, on a observé plus d’unecinquantaine de ventes enFrance de la version numé-rique de L’intégration des im-migrants au Québec, de Kha-diyatoulah Fall et Maar tenBuyck. Même Robin Philpot,président de Baraka Books,sceptique à l’idée que les es-sais pourront avoir autant desuccès que les romans dans leformat numérique, voit cer-taines possibilités dans le mar-ché étranger pour ce type d’ou-vrage. À son avis, A People’sHistory of Quebec, version an-glaise de l’ouvrage de JacquesLacoursière, possède le poten-tiel pour rejoindre un public àl’extérieur de nos frontières.« Je pense que ça peut marcheren livre numérique chez les gensqui ont l’intention de venir visi-ter le Québec, surtout chez les

touristes américains et cana-diens», dit M. Philpot.

Reste que, malgré ces nou-veaux marchés potentiels,Jean-Marc Gagnon croit que legrand défi sera dorénavant de« survivre, parce qu’il y a demoins en moins de place pourles petits éditeurs, et même lesmoyens. On va vers de grandsportails de livres. Et ça va êtrede plus en plus difficile pour unéditeur de gagner sa vie à par-tir des ventes. »

Au Québec, plusieurs édi-teurs se sont regroupés au seinde L’entrepôt du livre numé-rique de De Marque. «C’est lastratégie qui nous a sauvés etqui nous a permis d’être là oùon est rendu », exprime GillesHerman, qui compare le Qué-bec avec les États-Unis, oùrègne le free for all .

Un Septentrionnumérique

Si les ventes de livres numé-riques augmentent annéeaprès année pour Le Septen-trion et MultiMonde, elles de-meurent encore marginales etaccaparent moins de 10 % deleur chiffre d’affaires. Le Sep-tentrion a pour sa par t inau-guré une collection de livresexistant exclusivement en for-mat numérique.

« La population n’est pas en-core rendue au numérique »,constate tout de même GillesHerman, après l’expérience duPetit guide des élections prési-dentielles américaines, écritpar Élizabeth Vallet et KarinePremont, seulement diffusé enversion numérique. Gilles Her-man souligne que ce type depublication se bute à des li-brairies encore peu adaptées àcette formule.

Pour pallier ce problème, unepetite plaquette de 20 pagesavec un code de télécharge-ment a été envoyée dans lesmagasins pour que le titre appa-

raisse dans les inventaires phy-siques et ne soit pas négligé.Dans la diffusion, il reste aussià débattre de la dynamique duprêt des livres numériquesdans les bibliothèques, alorsque la nouvelle réalité vientbousculer la Loi sur le dévelop-pement des entreprises québé-coises dans le domaine du livre,adoptée en 1981.

Du côté des éditeurs de ma-nuels scolaires, un lucratif mar-ché pourrait s’ouvrir bientôtdans le numérique. Jean Charesta annoncé, le 23 février 2011, savolonté de doter chaque classed’un tableau blanc, dit intelligent,et chaque professeur d’un ordi-nateur portable. Aussi, certainesécoles commencent à afficherleurs intentions d’implanter lesiPad dans la démarche d’appren-tissage des étudiants, comme lecollège Jean-Eudes.

Jean Bouchard, directeur duGroupe Modulo, explique quedeux types de matériels se des-sinent : un qui est très près del’édition imprimée, livrée par letruchement du tableau blancpour animer une classe, et unautre qui est beaucoup plus in-teractif, tant pour une utilisationcollective qu’individuelle, stimu-lant la résolution de problèmespar des exercices. Il assure quele développement est bienamorcé et ne s’effectue pas à tâ-tons, mais il demeure discretsur ses stratégies, vu l’impor-tante concurrence. «Dans cer-taines commissions scolaires etécoles, les gens souhaitaient déjàtravailler avec le tableau blanc.Donc, on avait déjà commencé àexaminer ça, mais c’est sûr que,comme entreprise, avant d’inves-tir des ressources dans le dévelop-pement à grande échelle, on at-tend naturellement un marchéqui est capable de soutenir le pro-duit», dit-il.

CollaborateurLe Devoir

ESSAIS ET VULGARISATION

Le « tableau blanc» de Jean Charestchangera-t-il la donne?La nouvelle réalité bouscule la loi de 1981 sur le soutien aux éditeurs

PEDRO RUIZ LE DEVOIR

Ouvrages de Jacques Lacoursière sur l’histoire du Québec

Kobo inc., dont le siège so-cial est à Toronto, est un dé-taillant mondial de livres nu-mériques. Il possède prèsd’une dizaine de librairiesvir tuelles dans autant depays et dit compter sur huitmillions de clients réguliers àtravers le monde. En plus de

la vente de livres et d’appa-reils, il of fre un ser vice delecture numérique au grandpublic et développe son cré-neau de lecture sociale. Munid’une nouvelle plate-formeen français, le libraire entenddévelopper son of fre pour leQuébec.

B E N O I T R O S E

N é en 2009 sous l’impul-sion de son directeur gé-

néral, Mike Serbinis, et de lachaîne de librairies Indigo,Kobo est depuis peu la pro-priété d’un géant japonais ducommerce électronique, Raku-ten. « Eux, ils viennent nousdonner les moyens de nous dé-

velopper au maximum, affirmele responsable de Kobo auQuébec, Christian Liboiron.Kobo est une entreprise cana-dienne, novatrice, ouver te,avec une bonne capitalisation,mais Rakuten nous permet deconcurrencer les grands commeAmazon et Apple sur le marchéinternational. » Rejoindre par-tout dans le monde un public

toujours plus vaste, telle estl’ambition du libraire vir tueltorontois. Maintenant bienépaulé, son développement estpassé en quatrième vitesse.

Nouveaux marchésLe bouquin électronique est

encore très jeune, mais un en-thousiasme se dessine. Dansune entrevue accordée au Na-tional Post le 1er mai dernier,M. Serbinis dit qu’il est indé-niable que les livres s’en vontvers le numérique, et ce, aussirapidement, sinon plus, que lamusique. « Tout à fait, croitaussi Christian Liboiron. On levoit, les ventes augmentent defaçon exponentielle. » Il se ditconvaincu que le déploiementdu livre numérique va sur-prendre. « C’est dif ficile encored’évaluer jusqu’où ça peut al-ler, mais, si on s’inspire du dé-veloppement fait par l’industriede la musique en une dizained’années, je pense qu’il a un belavenir. Et je crois même qu’ilpeut encourager la lecture engénéral. »

La plate-forme de Kobo enfrançais a été ouverte en no-vembre dernier. Elle s’adresseau Canada francophone. « Onest en plein développement au

Québec. Il y a un réel engoue-ment, constate M. Liboiron. Ledernier Noël a aidé. Beaucoupde nos appareils ont été of fertsen cadeau, et on a vu nosventes grimper par la suite. No-tre travail, évidemment, c’estd’of frir de plus en plus decontenu aux lecteurs franco-phones. » Le passage auxmains du grand Rakuten per-met aux éditeurs québécoisqui font af faire avec Kobod’avoir accès à de nouveauxmarchés. «Le potentiel d’expor-tation du livre numérique qué-bécois est grand, poursuit-il. Il ya six millions de francophonesaux États-Unis, 90 millions enEurope. Il y a des bassins par-tout dans le monde. Avec le nu-mérique, on n’a plus la frictionde la distribution des versionsen papier. »

Philosophie d’ouvertureL’entreprise produit trois

types de liseuses électro-niques : le Kobo Vox, le KoboWi Fi et le Kobo Touch. Cedernier a été sacré grand ga-gnant des e-readers par le ma-gazine américain Wired en jan-vier 2012. Dans ses pages, le

É D I T I O NG 8 L E D E V O I R , L E S S A M E D I 1 9 E T D I M A N C H E 2 0 M A I 2 0 1 2

Pour Antoine Tanguay, uneœuvre littéraire, qu’elle soitpubliée sur papier ou en ver-sion électronique, restera tou-jours une œuvre littéraire.Mais qu’adviendra-t-il le jouroù le livre deviendra un objetnouveau?

M A R I E - H É L È N E A L A R I E

L a maison d’édition Alto aété fondée par Antoine

Tanguay en 2005. D’abord unedivision des Éditions NotaBene, la maison est indépen-dante depuis 2006. Avecl’énorme succès de Nikolski,de Nicolas Dickner, Alto conti-nue de faire découvrir dejeunes auteurs et fait toujoursparler autant.

Le lemming heureuxSelon Antoine Tanguay, on

entretient une drôle de rela-tion avec l’arrivée du livre nu-mérique : « On a tendance àdonner cette impression quec’est catastrophique, alors quej’essaie de l’entrevoir autre-ment, avec enthousiasme, et jesaute dans le vide tel un lem-ming heureux : si on est pour al-ler à la perte même du principed’édition tel qu’on le conçoit de-puis ses débuts et que le numé-rique nous oblige à repensertoute la chaîne du livre, bien…faisons-le avec optimismepuisque, de toute façon, lecontenu, lui, demeurera tou-jours. »

Pour Antoine Tanguay,l’observation du milieu du li-vre est une étape importantepour développer une maisond’édit ion. Aujourd’hui , i lpose ce même regard cu-rieux sur ce qui se fait dansle numérique : « Le noyau dur

de la littérature, ce sont lesauteurs et leurs textes . Jecontinue à faire ce que je faisdepuis le début ; être utile àun auteur pour le processusde révision du manuscrit, lapromotion, l ’accompagne-ment, le développement desstratégies, c’est un réel travaild’équipe, et ça, peu impor tela plateforme sur laquelle lelivre sera publié. Je travaillesur du contenu. »

Il y a numérique et numérique

Quand on parle du l ivrenumérique, on a tendance àtout mettre dans le mêmesac, en oubliant qu’il y a due-Pub, un acronyme pour« Electronic Publication », etdu numérique interactif : « Lee-Pub, c’est comme si on pu-bliait sur du papier X plutôtque sur du papier Y. » PourAntoine Tanguay, dans cecas, le support n’a pas d’im-por tance : « Le e -Pub peutsembler plus intéressant, plusmalléable, plus facile à liresur une liseuse ou un iPad. »Mais il poursuit en mention-nant que ce qui sera vrai -ment excitant, du point devue d’un éditeur, le sera« lorsque le texte et l ’imagetravailleront ensemble et qu’àpartir de là on pourra parlerd’intertextualité et créer autrechose. »

Ici , Antoine Tanguay necache pas son admirat ionpour l ’œuvre de RichardDawkins, The Magic of Rea-lity (magicofrealityapp.com),un l ivre de vulgarisat ionscientifique qui est en faitune véri table appl icat iondans laquelle le jeune lecteurplonge pour une expériencecomplètement originale dulivre numérique, avec anima-

tions vidéo et audio, jeux etdémonstrations interactives.

Chez Alto, on est actuelle-ment à la recherche de pro-jets qui vont intégrer le texteet l’image pour créer une in-teraction aléatoire : « Le litté-raire pourra se nourrir decette technologie et ainsi celle-ci pourra nous aider à redéfi-nir la littérature », imagineM. Tanguay. On est déjà à in-venter le livre nouveau, lespossibilités sont infinies… Li-mitées seulement par les in-vestissements, qui devrontêtre massifs.

Pour l’instant, dans les édi-tions numériques d’Alto, onretrouve du contenu amé-lioré, on ajoute au livre nu-mérique ce que le papier nepermet pas d’inclure : « Parexemple, La porte du ciel, deDominique For tier, dont laversion numérique contientles photos des cour tepointesqui sont décrites dans le ro-man. La version en papier neme le permettait pas, parceque c’est trop cher. Le lecteurde la version numérique auraobtenu un petit plus. »

Dorénavant, chez Alto, onva tenter ce genre d’ajout,pour arriver à ce qu’AntoineTanguay appelle « un meil-leur partage de l’acte créatif ».Mais, ici comme ailleurs, toutest une question d’équilibreet ces ajouts ne devront pasvenir frustrer le lecteur duformat en papier. C’est pour-quoi ils seront disponiblesgratuitement dans le web viaun tout nouveau site qui seralancé en juin prochain.

Et les ventes?Parlons maintenant d’ar-

gent, puisque le sujet, aussitrivial soit-il, est primordial àaborder. Ne serait-ce que pour

parler d’exemplaires vendus,de piratage, de droits d’auteur,d’investissement pour laconstruction d’un site web…Tout ça vient ébranler lemonde du livre. De plus, la co-habitation du livre en papier etdu livre numérique n’est pasprès de s’achever et imposeses nouvelles réalités. Si onprend l’exemple d’un livrequ’on imprimait à 1000 exem-plaires, aujourd’hui, avec lenumérique qui occupe 10 %des ventes, on ne l’imprimeplus qu’à 900 exemplaires :moins d’exemplaires impri-més, plus cher chacun d’entreeux, et ainsi de suite… Est-cequ’on atteindra un plateau ?

Est-ce que les ventes conti-nueront à être exponentielles ?Chez Alto, pour l’instant, onne constate pas de fluctua-tions dans les ventes de livresen papier. Mais pour combiende temps ?

«Pour l’instant, je me concen-tre, dans les prochains mois,dans les prochaines années, surune stratégie de contenu et unestratégie de développement decontenant qui pourront aller depair », explique Antoine Tan-guay en résumant la positionde sa maison d’édition au sujetdu numérique.

CollaboratriceLe Devoir

ALTO

«Le numérique nous oblige à repenser toute la chaîne du livre»La recherche de projets qui intègrent texte et image se poursuit

KOBO

« Le potentiel d’exportation du livre numérique québécois est grand »L’entreprise torontoise entraîne le livre numérique dans la sphère des internautes

ALTO

Antoine Tanguay a fondé la maison d’édition Alto en 2005.

VOIR PAGE G 9 : KOBO

JENS-ULRICH KOCH AFP

Richard Dawkins

jury af firme que cet appareil« is the most natural e-ink rea-der we’ve ever seen» (l’écran àencre électronique le plus na-turel qui existe). Parmi les au-tres points positifs, le maga-zine souligne la rapidité de ré-ponse de son écran tactile et labonne volonté chez Kobo depermettre la lecture de conte-nus provenant d’autres entre-prises, qui utilisent le formatstandard international e-Pub.

«The best choice for a truly in-ternational e-reader», y lit-on.

Cette ouverture techniquefait partie de la mentalité del’entreprise, qui prétend don-ner la plus grande liberté pos-sible au lecteur. Elle refusedonc le principe du systèmefermé. «Notre slogan, «Lire li-brement », fait référence à cettephilosophie chez Kobo, qui im-plique que le livre numériqueacheté par un client doit lui ap-partenir et qu’il peut en dispo-ser comme il le souhaite. » L’uti-lisation du format ouver t e-Pub pour la vente de bouquins

permet à ses clients de dévo-rer leurs nouveaux achats surtoutes sor tes d’appareils demarques différentes.

Lecture sociale 2.0Dans le même ordre d’idées,

toute la bibliothèque du lec-teur est rendue disponible surses multiples suppor ts. Parexemple, il peut commencer salecture dans sa salle de bainsur son iPad, la poursuivre

dans le train sur soniPhone et la terminerau chalet sur sonKobo Touch. Leclient profite ainsi dela flexibilité of fer tepar la technologie dunuage informatique,ou infonuagique, quilui permet d’accéderà ses romans à partir

d’un compte personnel.Cette ouverture favorise aussi

ce qu’on appelle la lecture so-ciale et interactive, une brancheque l’entité torontoise s’efforcede développer. «C’est un élémentdistinctif de Kobo, affirme M. Li-boiron. Nous souhaitons créerune communauté de lecteurs pas-sionnés, qui partagent leur lec-ture avec leur entourage dans Fa-cebook et dans Twitter [avec Rea-ding Life], et même directementdans le livre avec Pulse.»

Ici, quelques explicationss’imposent. Que sont ces nou-veaux éléments de lecture

2.0 ? « Reading Life, c’est vrai-ment ta vie de lecteur, résumenotre hôte. Notre service per-met de colliger les informationsde chacun, de donner des statis-tiques telles que le nombre de li-vres et de pages lus, les périodesde prédilection, et on donne desrécompenses [virtuelles]. Pulsepermet de faire des commen-taires dans le livre. Avec les ap-plications sur iPad ou sur KoboVox, on peut annoter un pas-sage, le commenter et voir lescommentaires des autres. »C’est donc un club de lecturevirtuel et potentiellement pla-nétaire, auquel cer tains au-teurs ont même fait l ’expé-rience de participer. «Avec suc-cès », souligne M. Liboiron.

L’avenirL’avenir n’est pas écrit, dit-

on. Le livre numérique connaî-tra-t-il le même succès que les

fichiers musicaux ? La transi-tion sera-t-elle similaire ?« C’est sûr que ce n’est pas lemême aspect physique, constatenotre interlocuteur. Il y a beau-coup de lecteurs qui ont encoreun attachement à l’objet commetel. Pour le disque ou le vinyle,peut-être moins. Mais il resteque c’est un bon indicateur. Onpeut apprendre beaucoup de ceque la musique a eu comme développement. »

On peut imaginer que lesdeux formats évolueront dansle prochain siècle en complé-mentarité. D’ailleurs, l’ache-teur audiophile moderne quinourrit son af fection pour ledisque en vinyle ne reçoit-ilpas généralement un code luipermettant d’accéder aux fi-chiers numériques?

CollaborateurLe Devoir

É D I T I O NL E D E V O I R , L E S S A M E D I 1 9 E T D I M A N C H E 2 0 M A I 2 0 1 2 G 9

Bien que les approches va-rient selon l’éditeur, le viragenumérique est chose accom-plie chez les presses universi-taires québécoises. Le livrenumérique, qu’il soit en for-mat PDF ou e-Pub, est main-tenant incontournable.

P I E R R E V A L L É E

C e sont les Presses del’Université du Québec

(PUQ) qui ont fait le saut enpremier. « Nous avons mis enplace un programme de numé-risation en 2002, raconteBianca Drapeau, directrice del’édition numérique chezPUQ, et, dès 2004, nous avionsréussi à numériser l’ensemblede nos titres. »

Les Presses de l’UniversitéLaval (PUL) ont fait le saut en2008 et, là aussi, l’ensembledes titres ont été numérisés.Idem pour les Presses del ’Université de Montréal(PUM), même si le virages’est fait il y a seulement unan. Les Presses internatio-nales Polytechnique (PIP)ont commencé à numériserleurs titres l’an dernier et en-viron 25 % des titres sontmaintenant disponibles enformat numérique. De plus,tous ces éditeurs publientmaintenant toutes leurs nou-veautés dans les deux for-mats : papier et numérique.

Ventes et accessibilitéSelon Antoine Del Busso, di-

recteur général des PUM, le li-vre numérique est devenu in-contournable. « Nous sommesdes fournisseurs de contenus eton se doit d’être présent partout

où on peut l’être. Ce n’est pas ànous de décider quel format estpréférable entre le papier et lenumérique, c’est le lecteur quidécidera. Mais on doit of frir laversion numérique si on neveut pas manquer le bateau.»

Si la présence des versionsélectroniques des titres a lé-gèrement fait augmenter lesventes, le gain demeure pourl’ instant marginal. « La de-mande est encore faible, ex-plique Denis Dion, directeurgénéral chez PUL, et l’éditionélectronique compte pour envi-ron 1 à 2 % de nos ventes. » Unchiffre que confirment les au-tres éditeurs universitaires.« Ce sont des ventes complé-mentaires, souligne VirginieVendange, directrice généraledes PIP, les ventes de livresélectroniques n’ont pas eu d’in-fluence sur les ventes des livresen papier. »

La politique des prix et l’ac-cessibilité aux titres varientselon la maison d’édition. Laversion numérique d’un titrecoûte la moitié du prix du li-vre en papier aux PUM et lequar t aux PUQ et aux PIP.Seuls les titres chez PUL sevendent le même prix, peuimporte la version.

Deux des sites Internet deces maisons d’édition, soitPUM et PUL, sont transaction-nels et le consommateur peutacheter le titre directement dela maison d’édition. Dans lesite des PIP, l’achat n’est paspossible, mais le site vous re-dirigera vers un libraire. « No-tre site deviendra transaction-nel d’ici peu», précise VirginieVendange. Quant aux PUQ, lamaison d’édition a choisi uneautre voie. « Notre site étaittransactionnel jusqu’en 2008,

explique Bianca Drapeau,mais nous avons choisi de nousretirer de la vente de nos livrespour la confier plutôt aux li-braires. » Ici aussi, le site desPUQ redirigera le consomma-teur vers un libraire.

Prévoir pour demainToutes ces presses universi-

taires conviennent que le livrenumérique est un complémentdu livre en papier et que c’est,pour le moment, un service deplus qu’on offre au consomma-teur. Mais tous ces éditeurscroient aussi que le livre nu-

mérique est promis à un belavenir.

« La version électroniqued’une nouveauté peut nous ai-der à aller chercher de nou-veaux acheteurs, croit AntoineDel Busso, mais l’édition nu-mérique est aussi un excellentmoyen de remettre en circula-tion des titres épuisés dont lademande serait trop faible pourjustifier une réimpression enpapier. De plus, la version nu-mérique pourrait être enrichie,par exemple, de notes de bas depage ou de notes bibliogra-phiques, qui pourraient même

être mises à jour. » Selon DenisDion, on pourrait même agré-menter la version numériquede nouveaux contenus. « Rienn’empêcherait de rajouter, dansla version numérique, une en-trevue vidéo avec l’auteur, parexemple. »

Virginie Vendange y voit làmême un avantage, en particu-lier en ce qui concerne les ma-nuels scolaires. « Par exemple,dans un manuel de chimie nu-mérique, en plus du texte et desgraphiques qui expliquent uneréaction chimique, on pourraity rajouter une cour te anima-

tion où on verrait véritable-ment la réaction chimique. »

Quant à l’édition d’un titreinédit uniquement en versionnumérique, seules les PUQ sesont avancées sur ce terrain.Et, ici aussi, il s’agit du do-maine du manuel scolaire.« Avec notre partenaire, l’Uni-versité du Québec et ses dif fé-rentes composantes, nous allonslancer un projet d’édition demanuels scolaires uniquementen version numérique, ex-plique Bianca Drapeau. Ils’agit d’un projet-pilote qui de-vrait nous permettre de mieuxcomprendre comment on faitun manuel scolaire unique-ment en numérique. Quels élé-ments pédagogiques y inclure ?Sur quelle plateforme ? Com-ment les professeurs et les étu-diants vont-ils l’intégrer ? Leprojet servira à répondre à cegenre de questions. »

Bien que ces maisons d’édi-tion universitaires soient réso-lument engagées dans l’éditionnumérique, aucune ne croitpour tant que le livre numé-rique sonne le glas du livre enpapier. «Le livre en papier a en-core de belles heures à vivre »,estime Virginie Vendange. Etle papier est toujours aussiutile. «Des sondages réalisés auxÉtats-Unis et en Europe ont dé-montré que 80% des personnesqui font l’acquisition d’un livrenumérique finissent ensuite parl’imprimer eux-mêmes, souligneBianca Drapeau. La version nu-mérique a peut-être été plus fa-cile à acquérir, mais, dès qu’ilsdoivent travailler avec le livre,une version en papier leur sem-ble préférable.»

CollaborateurLe Devoir

PRESSES UNIVERSITAIRES

Le numérique est ici un complément du papier« On doit offrir la version numérique si on ne veut pas manquer le bateau »

SUITE DE LA PAGE G 8

KOBO

«Il y a beaucoup de lecteurs quiont encore un attachement à l’objetcomme tel. Pour le disque ou levinyle, peut-être moins. Mais ilreste que c’est un bon indicateur.»

JACQUES GRENIER LE DEVOIR

Selon Antoine Del Busso, directeur général des PUM, le livre numérique est devenu incontournable.