Ecriture Maya Déchiffrée Vollemaere, Anton

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La grande majorité des textes hiéroglyphiques mayas se trouve sur les monuments et bâtiments en pierre — stèles, autels, façades, etc. — et dans les manuscrits précolombiens (codices). Rien que pour les derniers nous avons déjà environ 10.000 glyphes. Les 62 marches sculptées de l’escalier hiéroglyphique de Copan (Honduras) représen- tent, avec 1500 à 2000 glyphes individuels, la plus longue inscription maya. Quelques fresques abî- mées ont été retrouvées sur des parois, à Bonam- pak, Uaxactun, Chichén-Itza et Tulum. On trouve aussi des inscriptions sur des objets en jadéite, métal, os et sur des coquillages travaillés et des poteries. Mais en comparant les centaines de textes hiéro- glyphiques des monuments, fresques, poteries ou manuscrits de la région maya du Mexique, Guate- mala et Honduras, il saute aux yeux que malgré la parenté évidente de leurs écritures, la composi- tion des glyphes est en général très différente d’un document à l’autre. Cela est probablement dû en premier lieu au fait que d’autres sujets sont traités. Pourtant l’analyse comparative de centai- nes de documents m’a apporté la conviction qu’ils sont écrits avec la même écriture dite maya, mais très probablement en différentes langues mayas. En effet, la nature principalement phonétique de l’écriture permettait de noter au moins la vingtaine de langues mayas. Je présume qu’il est très pro- bable que beaucoup de documents sont écrits en différentes langues, mais avec la même écriture universelle. Nous pouvons comparer ce phéno- mène à celui de l’écriture latine qui, à l’époque déjà, était utilisée comme écriture universelle pour noter plusieurs langues européennes. Pour cette raison. j’ai refusé de mélanger les documents de différentes natures — ce que beaucoup de cher- cheurs ont fait — car les difficultés de déchiffre- ment seraient augmentées énormément et très souvent d’une façon insurmontable. La seule bon- ne solution pour le déchiffrement est de traiter tous les documents par genre de support (papier, pierre, poterie,...), par sujet (stèles, fresques, ma- nuscrits,...), par site (Chichén-Itza, Uxmal, Tikal, Copan,...) et en petits groupes sélectionnés et manifestement apparentés. COMMENT DE CHIFFRER L’ECRITURE MAYA Anton Vollemaere Sources des textes hiéroglyphiques. 34 reactivation archeologique Escalier sculpté de glyphes, découvert par Pierre lvanoff dans la jungle du Petén (Yucatán). (1ère partie)

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La grande majorité des textes hiéroglyphiques mayas se trouve sur les monuments et bâtiments en pierre — stèles, autels, façades, etc. — et dans les manuscrits précolombiens (codices). Rien que pour les derniers nous avons déjà environ 10.000 glyphes. Les 62 marches sculptées de l’escalier hiéroglyphique de Copan (Honduras) représen-tent, avec 1500 à 2000 glyphes individuels, la plus longue inscription maya. Quelques fresques abî-mées ont été retrouvées sur des parois, à Bonam-pak, Uaxactun, Chichén-Itza et Tulum. On trouve aussi des inscriptions sur des objets en jadéite, métal, os et sur des coquillages travaillés et des poteries. Mais en comparant les centaines de textes hiéro-glyphiques des monuments, fresques, poteries ou manuscrits de la région maya du Mexique, Guate-mala et Honduras, il saute aux yeux que malgré la parenté évidente de leurs écritures, la composi-tion des glyphes est en général très différente d’un document à l’autre. Cela est probablement dû en premier lieu au fait que d’autres sujets sont traités. Pourtant l’analyse comparative de centai-nes de documents m’a apporté la conviction qu’ils sont écrits avec la même écriture dite maya, mais très probablement en différentes langues mayas. En effet, la nature principalement phonétique de l’écriture permettait de noter au moins la vingtaine de langues mayas. Je présume qu’il est très pro-bable que beaucoup de documents sont écrits en différentes langues, mais avec la même écriture universelle. Nous pouvons comparer ce phéno-mène à celui de l’écriture latine qui, à l’époque déjà, était utilisée comme écriture universelle pour

noter plusieurs langues européennes. Pour cette raison. j’ai refusé de mélanger les documents de différentes natures — ce que beaucoup de cher-cheurs ont fait — car les difficultés de déchiffre-ment seraient augmentées énormément et très souvent d’une façon insurmontable. La seule bon-ne solution pour le déchiffrement est de traiter tous les documents par genre de support (papier, pierre, poterie,...), par sujet (stèles, fresques, ma-nuscrits,...), par site (Chichén-Itza, Uxmal, Tikal, Copan,...) et en petits groupes sélectionnés et manifestement apparentés.

COMMENT DE CHIFFRER L’ECRITURE MAYA Anton Vollemaere

Sources des textes hiéroglyphiques.

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reactivation

archeologique

Escalier sculpté de glyphes, découvert par Pierre lvanoff dans la jungle du Petén (Yucatán).

(1ère partie)

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A mes yeux, le groupe qui présente le plus d’inté-rêt pour procéder aux premiers essais de déchif-frement de l’écriture dite maya, est sans doute celui des trois manuscrits précolombiens que nous connaissons sous les noms de codex Dres-densis, Peresianus et Tro-Cortesianus. Pour-quoi ? Dans ces codices nous rencontrons des tableaux iconographiques accompagnés de tex-tes hiéroglyphiques et des calendriers sur les-quels nous sommes très bien renseignés, ce qui représente une bonne base de travail. En outre, cette écriture appartient au même genre de com-positions graphiques de glyphes que celui pré-senté par Diego de Landa dans son fameux ma-nuscrit « Relación de las cosas de Yucatán ». Pour toutes ces raisons, il est donc logique de s’attaquer d’abord aux trois manuscrits précolom-biens, afin d’en retirer un maximum de renseigne-ments utiles au déchiffrement. Seulement après ce travail indispensable, et en connaissant alors les grandes règles et caractéristiques générales de l’écriture, nous pourrons songer sérieusement à procéder aux essais de déchiffrement d’autres documents mayas, comme les stèles par exemple.

Avant de présenter les trois codex mayas, il est bon de consulter d’abord Diego de Landa, second évêque résident du Yucatán. Par son manuscrit Relación de las cosas de Yucatán », écrit proba-blement en 1566, il est la première et principale source d’informations pour tous ceux qui s’occu-pent de la civilisation maya. En même temps, c’est la source la plus proche de la Conquête. Malgré certaines faiblesses et lacunes de son œuvre, de Landa nous fournit des renseignements précieux sur l’écriture et le calendrier. Nous ne pourrons jamais oublier les circonstances très difficiles dans lesquelles il a dû travailler. Pratiquement chaque auteur moderne a écrit sur de Landa. Les éditions en espagnol, français, anglais, russe et allemand de son manuscrit, prouvent indiscutablement la grande importance de son travail. Les glyphes que de Landa nous fournit des jours et des mois du calendrier maya, son fameux « alphabet » tant discuté, et ses renseignements ethnohistoriques, constituent une bonne introduc-tion à l’étude de la civilisation maya. La valeur de

Un exemple : l’archipel des Tonga. 35

L’alphabet de Diego de Landa.

Les manuscrits précolombiens.

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ses renseignements est en général très élevée, car il était bien placé pour les obtenir et il avait d’excellents informateurs indiens. Puisque l’écritu-re n’était pas enseignée au bas-peuple, il est clair qu’après la Conquête, faute de prêtres, la connais-sance de l’écriture hiéroglyphique s’est très vite perdue sans laisser de trace dans la mémoire des Indiens. Mais ce qui est choquant et pénible à la fois, c’est le fait que certains frères franciscains savaient non seulement lire mais aussi écrire les hiéroglyphes mayas ! II est vraiment dommage et à pleurer, que leurs notes ou manuscrits, qui au-raient pu faire avancer le déchiffrement de l’écritu-re, soient irrémédiablement perdus. Les livres indigènes étaient constitués d’une lon-gue feuille pliée en accordéon (genre livre Lepo-rello), le tout enfermé entre deux couvertures dé-corées. Nous ne connaissons pas la nature de ces couvertures puisqu’elles manquent aux trois codex mayas. Le figuier Ficus coton/fo/la H.B.K. Alamo, servant à la fabrication des feuilles est l’arbre que les Mayas appellent « copo » et les Espagnols « alamo ». La fabrication est à mi-chemin entre celle du papyrus égyptien et celle du parchemin. Les feuilles recevaient un traitement préalable — on appliquait une couche de chaux permettant une peinture facile. Le tout ressemble un peu à la tech-nique de la peinture des fresques. Présentons maintenant les trois manuscrits pré-colombiens mayas. Le codex Dresdensis est indis-cutablement le plus beau et le plus soigné des codex connus à ce jour. Il porte le nom de la ville de Dresde (RDA) où il est conservé à la Sächsis-che Landesbibliothek entre deux plaques de verre. En 1739, Götze Johan Christian, qui y était alors bibliothécaire (à l’époque Königliche Oeffentliche Bibliothek), l’achetait à un particulier à Vienne. Le codex Peresianus est le plus petit et en même temps le moins bien conservé des manuscrits mayas. Léon de Rosny, fondateur de la Société Américaine de France, le découvrit en 1859 à la Bibliothèque Nationale de Paris dans une corbeille à papier ! Puisqu’un papier d’accompagnement (perdu entre-temps) portait le nom de Perez, on le nomma codex Peresianus. Plus tard on constata que la trouvaille de Rosny n’était qu’une redécou-verte, car le codex avait été acquis en 1832 par la Bibliothèque Nationale. Le codex Tro-Cortesianus est composé de deux fragments de manuscrits : le codex Troano (35 feuilles) et le codex Cortesianus (21 feuilles). Lors d’une visite à Madrid en 1866, l’abbé Brasseur de Bourbourg découvrait le premier fragment chez un professeur espagnol de paléographie, Juan a Tro y Ortelano. Pour cette raison, Brasseur lui a donné le nom de codex Troano lors de la publication en couleur d’une reproduction du manuscrit. Le se-cond fragment, plus petit que le Troano, était en

possession de l’Espagnol Juan Palacios, qui le proposa en 1867 pour 5000 duros à la Bibliothè-que Impériale (actuellement Bibliothèque Nationa-le) de Paris, et probablement aussi au British Mu-seum à Londres. Dans sa correspondance, Pala-cios prétendit que Ernan Cortez ou Pizarro l’avait rapporté lors de son retour du Mexique. De toute façon, la vente ne fut pas conclue, car en 1875 le manuscrit fut vendu au Museo Arqueológico de Madrid par un nommé José Ignacio Miró. D’après ses dires, il en avait fait l’acquisition trois ans au-paravant en Estrémadure. Plus tard, le gouverne-ment espagnol acheta aussi le codex Troano. Les deux fragments se trouvent ainsi réunis au Museo de América à Madrid.

Le déchiffrement de l’écriture hiéroglyphique des Mayas a été, dès le début, une affaire du monde scientifique international. Sur la liste d’honneur se trouvent de multiples nationalités représentant toute une série de pays : l’Espagne, la France, l’Angleterre, l’Allemagne, les Etats-Unis d’Améri-que, l’URSS, le Mexique, le Guatemala et ... la Belgique. Puisque de Landa, le premier investigateur, nous offre trois exemples pour A, et deux pour B, K, L, O, CU, X et U, il est clair que nous n’avons pas affaire à un alphabet, mais au moins à un syllabai-re ou à des mots complets. Ce que nous pouvons supposer c’est que les glyphes représentent des mots ou syllables commençant par les valeurs indiquées par de Landa. Zimmermann s’est éton-né de trouver le signe T à une place illogique dans l’alphabet. Mais la solution est simplement que les deux traits parallèles représentent, selon mon déchiffrement, la valeur phonétique CH ou CHé = arbre. Pour une grande partie des langues mayas on emploie indifféremment soit CHé, soit Té, qui signifie aussi « arbre ». Puisque d’une part, selon l’usage espagnol, le CH vient après le C, et que d’autre part Té = CHé, ce signe était bien à sa place. De toute façon, malgré beaucoup d’objec-tions, l’auteur de cet exposé, a pu tirer profit de cet « alphabet » et des signes de jour et de mois en l’approchant sous un autre angle : l’analyse pho-nétique comparative en profondeur. L’écriture maya est, pour la première fois, portée à l’attention du monde, d’une façon scientifique et systématique, par l’abbé Brasseur de Bourbourg, dont le zèle à fouiller dans le passé de l’Amérique Centrale a sauvé maint manuscrit pré- et postco-lombien de l’ignorance ou de la destruction. C’est lui qui présenta notamment le manuscrit de de Landa, le codex Troano et le dictionnaire de Motul, pour ne citer que les livres les plus importants. Son intérêt pour les Mayas a été éveillé par son

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Historique du déchiffrement.

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contact avec les Maya-Quichés, lorsqu’il était prê-tre dans la ville quichée de Rabinal (Guatemala). Brasseur de Bourbourg (titre qu’il abandonna après la défaite de Napoléon III) reconnut les si-gnes des jours dans le codex Troano (fragment du codex Tro-Cortesianus) et apprit la signification mathématique des points et des barres qui repré-sentent respectivement les valeurs de 1 et de 5. Avec ce système, les Mayas formaient les chiffres de 1 à 19 compris. Brasseur reconnut aussi immé-diatement comme maya les codex Dresdensis et Peresianus par l’identité de leurs glyphes avec ceux de de Landa, et il réalisa que les inscriptions de Palenque et Copan appartenaient à la même classe d’écriture.

A ce moment, le codex Dresdensis était déjà pu-blié par Lord Kingsborough dans son œuvre de neuf volumes « Antiquities of Mexico ». Les ins-criptions de Palenque et Copan étaient déjà connues par les dessins splendides de Frederick Catherwood dans la publication « Incidents of tra-vel in Central America, Chiapas and Yucatán » de John L. Stephens (1841). Léon de Rosny (1876) identifia correctement au moins un glyphe de mois, de même que les glyphes qu’on supposait représenter les points cardinaux. De fait ces gly-phes sont en premier lieu et selon mes déchiffre-ments, les noms des divinités placées dans les

Le codex de Dresde.

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points cosmiques. A. Pousse (1884) découvrit comment on utilisait les chiffres rouges et noirs dans les manuscrits précolombiens et le glyphe de « 20 » employé pour les calendriers des tableaux iconographiques. Cyrus Thomas (1882-1904) identifia ce que l’on considère comme les cérémo-nies de fin d’année et de début du nouvel-an dans le codex Troano. II écrivit beaucoup au sujet de la numérotation maya et du calendrier, sans apporter toutefois une contribution importante. II faut dire que beaucoup d’auteurs n’ont fait que remanier ou copier les travaux des autres. Par contre, celui qui s’imposa dans le domaine de l’écriture hiéroglyphique fut Ernst Förstemann (1880), le bibliothécaire en chef de la Bibliothèque Royale (actuellement Sächsische Landesbiblio-thek) de Dresde. Il a apporté sa contribution fon-damentale, entre autres par l’identification des signes des mois dans le codex Dresdensis, il a reconnu que le signe d’un coquillage possédait la signification de 0 et que le symbole de la lune re-présentait la valeur de 20. II a démonté le système d’un almanach religieux de 260 jours, appelé TZOLKIN ou « compte des jours ». En plus, il a constaté que les Mayas employaient un système vigésimal jusqu’au 5° degré par superposition des chiffres. Förstemann nous a expliqué aussi les tables complexes de Vénus dans le codex Dres-densis et il comprit la signification des tables des éclipses lunaires et solaires et les maintes tables de multiplication. De plus, événement important, il annonça que le « compte long » (à cinq positions) des calendriers, était compté à partir de la base 4 AHAU 8 CUMKU et il peut expliquer les numéros encadrés, etc, etc. La liste des autres chercheurs dans le domaine de l’écriture maya est longue. Nous ne pouvons omettre de citer parmi tant d’autres : Morley, Maudslay, Goodman, Long, Teeple, Beyer, Bow-ditch, Gates, Spinden, Seler, Berlin ... Quatre as-tronomes, Robert W. Willson, Hans Ludendorff, Arnost Dittrich et Maud W. Makemson, qui appar-tiennent à la dernière génération de chercheurs, ont essayé une interprétation astronomique des codex, mais avec très peu de succès. Nous de-vons certainement mentionner J. Eric S. Thomp-son (†), qui s’est occupé sans relâche, depuis 1929, de l’écriture maya. Citons son livre de syn-thèse « Maya Hieroglyphic Writing » qui précise sa contribution au déchiffrement. En ce qui concerne les travaux relativement récents, signalons encore que Zimmermann (1956) a dressé un catalogue très valable des glyphes des manuscrits mayas ; et les publications de Barthel, Smiley, Kelley, Rauh, Hochleitner et tant d’autres, cités dans les bibliographies.

Depuis longtemps, pour ne pas dire depuis tou-jours, il y a eu deux écoles. La première présumait que l’écriture maya ne serait qu’une écriture picto-graphique - idéographique très rudimentaire qui employait le système du rébus ou, comme prétend le Professeur Thomas Barthel, une écriture « fragmentaire » (par opposition à nos écritures « totales ») qui n’est pas capable de rendre tous les éléments du langage parlé. La seconde école défendait l’idée que l’écriture maya était déjà beaucoup plus évoluée qu’on le pensait et qu’elle avait passé le stade idéographique. Un de ses défenseurs, Whorf B.L. (1933) attaqua l’écriture maya phonétiquement mais fut mal reçu par les spécialistes. Le russe Knorozov reçut le même accueil négatif, après avoir annoncé triomphale-ment qu’il avait déchiffré l’écriture maya en appli-quant une approche « marxiste-léniniste ». Ils fu-rent discrédités par d’autres chercheurs qui étaient d’avis que Whorf et Knorozov menaient leurs étu-des d’une façon trop superficielle et cela malgré certains points positifs. Une réaction fréquente, pas louable du tout, de la part de beaucoup de chercheurs qui étudient les travaux des autres, est de chercher avant tout ce qui est fautif ou erroné et de négliger la partie valable. Très souvent des contributions importantes sont rejetées, discréditées ou mises de côté uniquement à cause de quelques fautes secondaires. II est vrai, que pour ce qui concer-ne le travail de Knorozov et des trois mathémati-ciens russes de Novosibirsk, il était beaucoup trop tôt pour utiliser un cerveau électronique. Avant de faire appel à tel appareil, il faut connaî-tre la structure et les propriétés de l’écriture maya pour la programmer correctement. Si un ordinateur peut travailler beaucoup plus vite que l’homme, il ne peut cependant pas rendre ce que l’on n’y introduit pas comme information. Toute-fois, cet appareil peut être utilisé pour des tra-vaux préparatoires au déchiffrement, tels des statistiques par exemple, si toutefois les informa-tions sont correctes. De plus, les chercheurs russes ont utilisé un dictionnaire fort réduit et ils n’ont pas contrôlé les résultats. Quand on pense avoir déchiffré un document, il faut appliquer les mêmes valeurs des signes à un autre docu-ment, comme contrôle. Les mêmes remarques touchent aussi en général le travail fait au moyen d’un ordinateur par le groupe « Seminario de Estudios de la Escritura Maya » à Mexico City sous la responsabilité du Profes-seur Daniel Cazes. Jusqu’à présent, ils n’ont pas tenu compte des propriétés des éléments graphiques et du caractère principalement pho-nétique des glyphes et affixes et d’autres carac-téristiques importantes. Cela n’interdit pas d’espérer que dans un proche avenir nous serons aptes à tirer profit d’un cerveau électronique.

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L’écriture n’est certes pas la plus ancienne inven-tion de l’homme, loin de là, mais elle a certaine-ment le plus bouleversé l’aspect du monde. Elle a été, pour ainsi dire, la pierre d’angle de toutes les civilisations. Sans l’écriture, le monde ne serait pas ce qu’il est maintenant. Imaginons un seul instant notre monde d’aujourd’hui sans écriture ! L’écriture a permis à l’homme de mieux communi-quer avec ses semblables et elle a été l’outil qui lui a permis de noter toutes ses connaissances, ses pensées et les faits historiques. Que seraient de-venues les civilisations égyptienne, grecque, ro-maine, aztèque et maya sans l’écriture ? Nous pouvons dire qu’il existe environ quatre-cents écritures différentes, sans compter les va-riantes, ce qui signifie que les caractéristiques sont elles aussi différenciées au point de vue typo-logie, sens de lecture, valeur unique ou multiple des signes, etc... Songeons seulement aux écritu-res romaine, grecque ; russe, juive, égyptienne, arabe, chinoise, etc... pour nous rendre compte déjà de la différence visuelle. En général, on dis-tingue trois phases d’évolution pour les écritures anciennes : 1. la phase pictographique ; 2. la pha-se idéographique ; 3. la phase phonétique. Nous pouvons dire, par convention, que nous avons affaire à une écriture lorsqu’il s’agit d’un dessin (dans le sens large du mot) conventionnel qui contient une communication (soit pour autrui, soit pour soi-méme) qui est à lire dans un sens de lecture imposé. Les peintures préhistoriques, com-me celles des grottes de Lascaux, Altamira et tant d’autres en Europe et Afrique, peuvent déjà être considérées comme des formes précoces de l’é-criture. Dans le fond, ce sont réellement les raci-nes de ce qui deviendra plus tard les écritures. Déjà par la création de dessins, l’homme s’est distingué des animaux. II s’est rendu compte à un certain moment qu’il pouvait utiliser ces dessins stylisés d’animaux ou objets concrets pour com-muniquer avec ses semblables et soi-même et aussi — c’est du moins ce qu’il croyait — avec les esprits bienfaisants ou malfaisants qui l’entou-raient et les divinités qu’il s’est créées selon ses besoins. Ces dessins ou images stylisés sont ap-pelés « pictogrammes » et l’on parle ainsi d’écritu-re pictographique. Cette écriture rudimentaire avait ses limites puisque des objets concrets seu-lement étaient représentés. Même avec une gran-de quantité de pictogrammes on ne pouvait pas rendre toute la pensée et le langage humains. Après un certain temps, l’homme s’est rendu compte, petit à petit, qu’il pouvait augmenter énormément les possibilités d’expression de ces dessins stylisés en associant des idées suggé-

rées ou liées aux objets concrets représentés. L’exemple classique que l’on donne pour illustrer cette évolution est le suivant. Pour la plupart des peuples anciens, un cercle ou un disque repré-sentait le soleil en tant que pictogramme, mais en tant qu’idéogramme, le dessin représentait des idées associées au soleil comme « jour », « lumière » ou « chaleur ». II faut souligner qu’un des rares avantages des écritures pictographi-ques et idéographiques réside justement dans son caractère universel puisque chacun peut « lire » les pictogrammes et idéogrammes direc-tement dans sa propre langue à lui. Un Français lira le dessin du cercle comme « soleil », un Fla-mand « zon », un Espagnol « sol », un Anglais « sun », un Allemand « Sonne », etc... D’ailleurs, on utilise ces écritures aujourd’hui encore, sur le plan international, pour les panneaux de signali-sation le long des autoroutes et dans les villes. Chaque usager de la route les « lira » dans sa propre langue. Pour ce qui concerne l’écriture pictographique il faut mettre le lecteur en garde, du fait que ce genre d’écriture primitive se res-semble dans le monde entier, ce qui est logique puisque le soleil, un homme, une montagne, pos-sèdent partout la même forme, et que ce n’est que dans les détails ou dans la schématisation que résident les nuances et variétés d’écritures pictographiques. Pour cette raison, il faut veiller à ne pas tirer trop vite de conclusions dans les étu-des comparatives des écritures pictographiques. Mais même l’écriture idéographique, malgré l’amé-lioration par rapport à l’écriture pictographique et le nombre élevé d’idéogrammes, ne fournissait pas la solution idéale, puisqu’on ne pouvait pas encore exprimer chaque notion abstraite. De plus, le grand handicap était sans aucun doute le nom-bre élevé de signes que chaque écrivain, et par conséquent chaque lecteur, devait connaître par cœur. Cette écriture était forcément réservée à une « élite » fort restreinte. La solution est venue progressivement quand l’homme a eu l’idée lumi-neuse de phonétiser les signes. Ils recevaient une ou plusieurs valeurs phonétiques. Le signe était dorénavant lié à une ou plusieurs langues. A partir de ce moment, l’homme s’était perfectionné un instrument de travail puissant qui, à sa guise, pou-vait apporter le mal ou le bien. L’écriture phonéti-que peut être syllabique ou alphabétique. Le tout grand avantage de cette forme d’écriture est sur-tout qu’avec un nombre très limité de signes, on peut exprimer à la perfection tous les aspects et expressions de la langue. Il en découle que prati-quement chacun est apte à apprendre ce nombre restreint de signes par cœur. II est clair qu’on ne retrouve pas toujours les écri-tures anciennes dans un état pur de pictographie, idéographie ou phonétisme. Les transformations

Caractéristiques de l’écriture maya.

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d’une forme de l’écriture à l’autre se faisaient en général très lentement, par petites étapes. L’évo-lution nécessitait parfois des siècles. II est aussi vrai que beaucoup d’écritures n’ont jamais eu l’occasion d’atteindre cette phase finale de phoné-tisation, à cause de la destruction de leur civilisa-tion, ou par le remplacement de leur écriture par une autre imposée par l’occupant. La question se pose maintenant : « l’écriture maya était-elle déjà arrivée à la phase de phonétisation ? ». Non, selon une école, oui, selon l’autre. Pour ma part, à partir de 1966, j’ai entrepris l’étude de l’écriture des codex mayas en partant de sources ancien-nes des XVIe et XVIIe siècles comme par exemple le manuscrit de de Landa, les dictionnaires de Motul et de Vienne, la grammaire de Coronel, etc... Travaillant comme professeur d’enseigne-ment technique pour la coopération au développe-ment belge au Burundi, en plein cœur d’Afrique Centrale, j’étais coupé du reste du monde pour ce qui concernait les publications sur l’écriture maya. Dans le fond, je présume que c’était un grand avantage plutôt qu’un obstacle, car je ne pouvais être influencé par les travaux d’autres ou par des idées préconçues. Je fus obligé d’étudier dans des conditions pénibles et par mes propres moyens, et je dus me tailler seul une voie d’accès dans la jungle du déchiffrement de l’écriture maya. Mais mieux vaut une seule vérité que l’on découvre soi-même, que dix vérités que l’on apprend des autres et que l’on répète ensuite. Cela ne diminue nulle-ment le mérite des autres chercheurs dans le do-maine de l’écriture maya, et j’ai un profond respect pour leurs contributions valables. Grâce à l’appui logistique du R.P. F. Leroy, biblio-thécaire en chef de l’Université de Bujumbura au Burundi, j’ai pu procéder à une série d’analyses comparatives démontrant, d’abord en 1967, le caractère polyvalent des glyphes et ensuite, en 1968, la nature phonétique de l’écriture maya, fait que Whorf et Knorozov et tant d’autres n’avaient pas suffisamment pu démontrer. En 1969, dans ma 14e note de travail : « La conjugaison des ver-bes et l’écriture dite maya », j’ai décrit les résultats obtenus par l’application des grilles de conjugai-son des verbes de plusieurs langues et prouvé définitivement que l’écriture maya est principale-ment phonétique et que loin d’être une écriture fragmentaire ou rudimentaire, elle est capable de noter chaque particularité de la langue parlée. De 1970 à 1972, grâce au Dr. Joaquin Galarza, spé-cialiste en écriture snahuall (aztèque), chercheur au Musée de l’Homme à Paris, et surtout de l’émi-nent Professeur Jacques Soustelle de la Sorbon-ne, spécialiste de la civilisation aztèque, et qui a bien voulu être mon directeur d’études, j’ai pu m’inscrire à l’Ecole pratique des hautes études,

VIe Section, à la Sorbonne - Paris. Je pus défen-dre ainsi en public ma thèse de doctorat « Nouvelles interprétations de l’écriture des codex mayas », en janvier 1972. Selon mes analyses paléographiques, l’écriture des manuscrits préco-lombiens des Mayas serait issue d’une écriture pictographique, mais au moment de la réalisation des codex, l’écriture était déjà phonétisée en gran-de partie et elle était devenue syllabique, presque alphabétique, conservant toutefois quelques res-tes archaïques de pictogrammes, d’idéogrammes et même d’iconogrammes. Si la conquête espa-gnole n’était pas intervenue, l’écriture dite maya serait complètement phonétisée, c’est-à-dire serait devenue purement alphabétique-syllabique. Mais justement, à cause de l’interruption brutale en pleine période de transition et de perfectionne-ment, l’écriture maya possède une polyvalence qui est à la fois extraordinaire et déroutante pour nos conceptions habituelles de l’écriture. Cette polyva-lence des éléments graphiques des glyphes, des affixes et des éléments graphiques sera exposée dans le prochain numéro de KADATH.

Source des illustrations : © KADATH - P. Ferryn, p. 2 — Ed. Marietti, Turin-Rome, p. 11 — UDF-Marc Foucault, p. 17 — Catalogue Bezold, British Museum, p. 18 — Douchan Gersi, p. 21 — © Henri Lhote- Arthaud, éditeur, p. 23-24-25-26-28 — Musée national danois, p. 31 — Pierre Ivanoff, p. 34 — © Antoon Vollemaere, p. 35-37.

TELEX Agence Tass, 3 février 1976. — Le savant russe Yuri Knorozov aurait déchiffré l’écriture hiéroglyphi-que des Mayas (Mexique, Guatemala) et son livre « Inscriptions hiéroglyphiques mayas » aurait paru la veille à Leningrad. Déjà en 1952 Knorozov pré-tendait (dans la revue «Sovietskaya Etnografija) avoir déchiffré l’écriture maya. Cette revue, ainsi que d’autres publications, étaient présentées au premier étage du pavillon russe à l’Exposition Uni-verselle de Bruxelles en 1958. Trois mathémati-ciens russes : Evrenov, Kosarev et Ustinov de l’Académie célèbre de Novosibirsk avaient utilisé un ordinateur pour déchiffrer le codex Dresdensis et le codex Tro-Cortesianus, suivant les directives de Knorozov. Ces codex sont deux des trois ma-nuscrits hiéroglyphiques qui ont échappé aux auto-dafés du XVIe siècle. Le résultat de ce travail d’or-dinateur a paru en trois volumes en 1961. Dans son ouvrage volumineux de 1963, intitulé « Pismennost’ indejcev Maija » Knorozov répète avoir déchiffré l’écriture maya. Nous insistons qu’il était trop tôt pour employer un ordinateur. Les dé-chiffrements de Knorozov ont été rejetés unanime-ment par les spécialistes. Les adversaires les plus acharnés étaient les Professeurs Thompson (décédé en 1975) et Barthel. Ce dernier a démon-tré que la majorité des soi-disants déchiffrements de Knorozov étaient l’œuvre d’autres déchiffreurs. Depuis lors, Knorozov s’est occupé du déchiffre-ment de l’écriture de l’île de Pâques et celle de la vallée de l’Indus (Harappa et Mohenjo-Daro). Il est pratiquement certain que le livre récent de Knoro-zov est un remaniement de l’ouvrage de 1963, avec éventuellement quelques ajoutes, qui n’appor-tent essentiellement rien de neuf. La dépêche de l’agence Tass est ainsi à réduire aux « nouvelles réchauffées » de 1952 et 1963.

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A. V.

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1. Pictogrammes L’écriture maya a débuté comme les autres, par des pictogrammes très simples. On y retrouve le cas classique du cercle représentant le soleil. La figure nous montre d’autres exemples non-limitatifs de pictogrammes. Nous reparlerons du pictogramme « mamelle » au moment de la dis-cussion du glyphe du jour IMIX. Au pictogramme de l’ongle est liée l’histoire d’un de mes premiers essais de déchiffrement. En faisant l’étude d’un cas de parallélisme entre les pages 3 à 6 du co-dex Dresdensis — quatre tableaux iconographi-ques comprenant des représentations de ser-

pents enlacés formant un cadre pour un chiffre — je trouvais pour chaque tableau le signe PAR.01 qui était considéré comme étant le glyphe nomi-nal de CHAC. Et, en effet, on rencontre ce glyphe tout au long des codex dans les textes d’accom-pagnement des tableaux iconographiques où est figuré Chac, la divinité bienfaisante de la pluie. Donc, rien de plus facile que de conclure que ce signe représentait le nom de Chac. Mais ... Ce qui m’intriguait était le dessin d’un doigt à l’arrière du glyphe nominal. Ma réaction première fut de consulter les dictionnaires pour retrouver tous les mots en mayathan désignant les doigts, ce qui me fournit la nomenclature suivante :

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reactivation

archeologique

COMMENT JE DECHIFFRE L’ECRITURE MAYA (2ème partie)

Antoon Vollemaere Dans le précédent article, il a été démontré que l’écriture maya (le « mayathan ») est principalement phonétique. Elle serait issue d’une écriture pictographique, mais au moment de la réalisation des codex, l’écriture était déjà phonétisée en grande partie et elle était devenue syllabique, presque alphabétique, conservant toutefois quelques restes archaïques de pictogrammes, d’idéogrammes et même d’icono-grammes. Si la conquête espagnole n’était pas intervenue, l’écriture dite maya serait complètement pho-nétisée, c’est-à-dire serait devenue purement alphabétique-syllabique. Mais précisément, à cause de l’interruption brutale en pleine période de transition et de perfectionnement, l’écriture maya possède une polyvalence qui est à la fois extraordinaire et déroutante pour nos conceptions habituelles de l’écriture. Cette polyvalence des éléments graphiques est exposée plus longuement ici.

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Mais tous ces noms ne m’avançaient guère pour l’interprétation ou le déchiffrement du glyphe PAR.01, jusqu’au moment où je me rendis comp-te d’avoir commis une négligence. En effet, je n’avais pas remarqué que le dessin du doigt pou-vait encore représenter autre chose, notamment un ongle. Dans le dictionnaire de Motul et de Vienne, on donne le nom de ICHAC = les ongles. Or, le préfixe I est une forme rare de pluriel, ce qui revient à dire que CHAC = ongle ! Nous trou-vons ainsi, d’une façon inattendue, l’origine picto-graphique de l’élément graphique désignant le nom du dieu Chac. En effet, ce n’est donc pas le glyphe multiple PAR.01, ni le glyphe composé PAR.02 qui représente le nom du dieu de la pluie et du vent, mais bien un seul de leurs éléments PAR.04. Cela nous permet de conclure que, pour ce cas bien précis, nous avons affaire à une écri-ture analytique phonétique. II est clair aussi, puis-qu’un seul des éléments graphiques représente le nom de Chac, que tout le glyphe représente donc une petite phrase. II est dès lors compré-hensible qu’un cerveau électronique, tel qu’il fut programmé à Novosibirsk et à Mexico City, n’ait pu découvrir cette caractéristique importante de l’écriture maya. Ici nous avons eu besoin d’un cerveau humain. En poursuivant ce premier essai de déchiffre-ment, j’ai commis toutefois l’erreur suivante, qui me fut une bonne leçon. Sachant que PAR.04 représentait le nom de la divinité Chac, je me demandai quelle pouvait étire la signification de PAR.03. Puisque l’on trouvait quatre fois le gly-phe PAR.01 pour la séquence, je présumai qu’il s’agissait des quatre CHAC désignés pour les quatre points cardinaux : KAN.XIB.CHAC, le mâle jaune CRAC, au sud CHAC.XIB.CHAC, le mâle rouge CHAC, à l’est ZA.XIB.CHAC, le mâle blanc CHAC, au nord EK.XIB.CHAC, le mâle noir CHAC, à l’ouest, dont parle de Landa dans son exposé sur les quatre années KAN, MULUC, IX et CAUAC. La première réaction était de supposer que l’affixe (signe qui est agglutiné au glyphe) possédait la

valeur de XIB = mâle. Je me contentai trop vite de ce déchiffrement, qui était apparemment vala-ble, du moins pour la courte séquence. Mon er-reur fut de ne pas appliquer cette interprétation à d’autres combinaisons de cet affixe. Plus tard, je constatai que cet affixe accompagnait les gly-phes nominaux de... déesses. II était évident que l’interprétation de XIB = mâle, ne convenait plus pour les noms féminins. II fallait donc recommen-cer l’étude et approcher le problème d’une autre façon. On note cet affixe dans maints tableaux icono-graphiques comme « assiette » ou « écuelle », probablement faite d’argile et garnie de toutes sortes d’offrandes. II est intéressant de voir à ce sujet par exemple les pages 77 et 78 du codex Tro-Cortesianus. En cherchant tous les noms de récipients dans les dictionnaires, aucun ne sem-blait s’appliquer à notre affixe sauf le mot LAC qui signifie : « plat » ou « terrine » ou une écuelle d’un modèle courant que les Indiens utilisaient comme assiette. Rien d’étonnant donc à noter la présence de cet objet familier comme plat d’of-frande dans plusieurs tableaux iconographiques. D’ailleurs, nous savons par un témoignage inté-ressant, lors d’une inquisition à Homum, que le cœur du sacrifié était offert aux idoles dans une simple écuelle ou enfermé entre deux assiettes. On les appelait ZUHUY-LAC ou « écuelle vier-ge ». C’est probablement une terrine qui n’avait pas encore été « souillée » par quelque chose « d’impur », ou non encore utilisée — une écuelle neuve sortant directement du four du potier. Tou-tefois, le terme LAC possède une seconde signi-fication qui nous intéresse directement pour l’in-terprétation de l’affixe PAR.03. LAC signifiait aus-si « idole d’argile » ! Voilà enfin trouvées les si-gnifications vraies de l’affixe LAC = une écuelle ou terrine et une idole d’argile ou statuette. Cette interprétation nous permet d’expliquer la présen-ce de cet affixe à la fois dans les tableaux icono-

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MOCHH YAL.KAB KAB V.NA.KAB THUPIL.KAB V.CA DZIC.THUPIL.KAB TUCHUB V.CHUMUC.KAB

les doigts de la main ou les orteils du pied ; doigt de la main, en gé-néral littéralement « enfant de la main », la main étant considérée comme la « mère » ; la main ; pouce, ou, littéralement « la mère ou l’entrée de la main ». le petit doigt de la main (l’auriculaire) ; l’annulaire ; l’index ; le médius, ou littérale-ment « le milieu de la main ».

=

=

= =

=

= = =

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graphiques, comme écuelle d’offrande, et dans les textes d’accompagnement, où il possède la signification de « statuette d’argile » quand il ac-compagne les glyphes nominaux de divinités, soit comme « écuelle », soit comme troisième signifi-cation : le verbe LAC = écraser. On saisit mieux ici la polyvalence des glyphes mayas ; l’emploi alternatif comme pictogramme ou comme phono-gramme pour sa valeur d’homonyme. 2. Idéogrammes Nous savons déjà qu’un pictogramme devient idéogramme quand il rend l’idée reliée à ou sug-gérée par l’objet. Pour ce qui concerne l’écriture maya, nous pouvons présenter quelques exem-ples d’Idéogrammes à la même figure de la page précédente. La peau du serpent représente tout l’animal, le serpent, et le bord de la carapace d’une tortue, toute la tortue. La croix représente le verbe « attacher en croix » : ZINAAN en maya-than ou .« attacher, lier » : KAX. 3. Phonogrammes Un phonogramme est un signe phonétisé. II est donc lié à une ou plusieurs langues et ne permet en général qu’une seule lecture ou prononciation. Pour ce qui concerne l’écriture maya, les phono-grammes semblent être dérivés pour la plupart de pictogrammes ou d’iconogrammes. D’ailleurs, comme nous l’avons déjà signalé, une partie des signes des manuscrits mayas est utilisée parfois comme pictogrammes et à un autre endroit com-

me phonogrammes, selon les nécessités du tex-te. Nous devons toujours tenir compte de cette particularité lors de l’analyse des textes hiérogly-phiques. Le cercle (pictogramme du soleil) pho-nétisé possède la valeur phonétique de KIN en mayathan, qu’on pourrait dès lors utiliser dans des compositions pour former de nouveaux mots, comme par exemple KIN.ICH « face du soleil ». Les autres pictogrammes de la figure possèdent respectivement la valeur phonétique de IM, CHAC, BAAC, BAAT, BOOL, BE, quand ils sont utilisés comme phonogrammes. Dans ce cas-ci, nous pouvons dire qu’ils sont en même temps des logogrammes, des signes représentant un mot entier. II n’est pas toujours facile de retrouver l’origine de chaque phonogramme ; pour un nom-bre restreint j’y suis arrivé, mais dans ce domaine il y a encore beaucoup à faire. 4. Iconogrammes L’écriture maya possède une caractéristique typi-que qui, pour autant que je sache, manque aux autres écritures anciennes, c.-à-d. qu’elle em-ploie des iconogrammes. Selon la terminologie de la paléographie maya que j’ai proposée il y a six ans, un iconogramme est un dessin particulier qui fait partie des tableaux iconographiques et qui se rencontre assez rarement comme glyphe ou comme affixe dans les textes. La composition de ces iconogrammes obéit à une convention particulière. De fait, on peut considérer un icono-gramme comme un pictogramme représentant extérieurement un objet, et qui est pourvu à l’inté-

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rieur d’éléments graphiques phonétisés. Ces éléments graphiques forment le nom et/ou indi-quent les fonctions ou les particularités de l’objet représenté sous forme d’iconogramme. L’exem-ple le plus typique pour illustrer ceci est celui de l’iconogramme ICO.9 de la page 29 du codex Dresdensis. La divinité Chac, assise dans une barque, tient à la main une rame qui semble por-ter trois trous. II est clair que cette rame « trouée » doit être interprétée tout autrement. La composition graphique de cet iconogramme est la suivante : le manche possède la valeur B ou BE (route) et les trois trous AB, une des formes du pluriel. 5. Astrogrammes Dans les manuscrits précolombiens et sur certai-nes inscriptions sur pierre, des glyphes spécifi-ques sont utilisés pour représenter les corps cé-lestes ; les étoiles, les planètes, les constella-tions, le soleil, la lune... Le contour de ces gly-phes prend alors radicalement la forme carrée. II y a entre autres, aux pages 22 à 24 du codex Peresianus, des ensembles intéressants d’astro-grammes. Le tableau ci-dessous nous présente des exemples d’astrogrammes dont quelques signes étaient déjà connus comme :

AS. 01 = KIN (KIN.ICH) = le soleil, le jour AS. 03 = AKBAL = la nuit AS. 07 = U = la lune AS. 08 = NOH.EK = XUX.EK = CHAC.EK = Vénus AS. 12 = XAMAN (XAMAN.EK) = l’étoile polaire et d’autres que j’ai pu déchiffrer comme par ex. : AS. 06 = TZAR (constellation) = les Pléiades AS. 10 = ZINAAN (constellation) = Scorpion AS. 19 = les trois étoiles de la ceinture d’Orion

AS. 20 = YUM.KAAX.HAA = la pluie de Yum Kaax (divinité) AS. 21 = la Petite Ourse AS.109 = la Lune + les Pléiades AS.127 = le Soleil se trouve dans la constellation ZINAAN AS 136 = Vénus se trouve dans la constellation ZINAAN AS.137 = la Lune et Vénus sont en conjonction. L’histoire du déchiffrement du signe de la cons-tellation ZINAAN (Scorpion) est assez instructive. Le 16 mars 1973, après ma conférence à l’Uni-versité de San Carlos à Guatemala City, plu-sieurs personnes vinrent me parler. Parmi elles, le Professeur Cantoral, qui m’offrit une tranche coupée d’un arbre très particulier en guise de marque de sympathie et de souvenir d’un Guaté-maltèque qui appréciait beaucoup mes recher-ches, en me disant : « Voilà un des secrets mayas ». Ce geste spontané me toucha d’autant plus que je me rendis immédiatement compte de la valeur scientifique de l’objet. La coupe de cet arbre à tronc carré, forme déjà assez rare, pré-sentait une particularité surprenante : la moelle, qui occupe les trois-quarts de la surface, formait la figure d’une croix pattée. Longtemps on a cherché en vain « el arbol de la cruz » — l’arbre de la croix — un arbre qui pousserait en croix, tel qu’il est représenté sur certains bas-reliefs com-me à Palenque. La pièce que le Professeur Can-toral m’offrait représentait en effet un secret maya : la croix n’avait rien à faire avec la forme extérieure de l’arbre mais son dessin particulier était formé par la moelle ! Mais l’histoire ne s’ar-rête pas ici, et ne fait que commencer. Le Profes-seur Cantoral m’avait donné le nom maya de ZINAAN.CHÉ pour l’arbre, dont il ne connaissait pas la signification. Je lui expliquai que ZINAAN signifie « scorpion » et CHÉ = « arbre », donc, littéralement, l’arbre-scorpion. Je dus attendre mon retour en Belgique pour consulter ma docu-mentation. Selon le livre de Ralph Rays « The Ethno-Botany of the Maya », ZINAAN.CHÉ serait l’arbre Zanthoxylum caribaeum, Lam. (Standl.), d’une taille de cinq à vingt mètres avec un tronc épineux, « qui pique comme un scorpion ». Aux pages 22 à 24 du codex Peresianus nous trou-vons le déroulement d’une espèce de zodiaque maya, où l’on retrouve une partie des animaux associés aux constellations et planètes. Ainsi on remarque la tortue associée à Vénus (le glyphe AS.08) et le scorpion associé au signe... de la croix. Pourquoi ? II y a une seconde signification pour le mot mayathan ZINAAN. Le petit vocabu-laire de Brasseur de Bourbourg nous apprend que ZINAAN signifie aussi, employé comme ver-be : « attacher en croix » ! Tout devient ainsi compréhensible, le signe AS.10 = ZINAAN avait la double signification de « scorpion » et « attacher en croix ». Dans le fond, c’est une application courante pour les homonymes.

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6. Déterminatif L’écriture hiéroglyphique des Egyptiens possé-dait des déterminatifs qui aidaient à la lecture d’ensembles de signes. En avons-nous aussi pour l’écriture hiéroglyphique des Mayas ? II faut dire que jusqu’à présent, je n’ai trouvé qu’un seul exemple, fort douteux d’ailleurs, d’un signe qui pourrait être éventuellement un déterminatif : le signe CAAN = ciel, qui se trouve dans le glyphe de jour CIB (voir KADATH n° 15, p. 34). Ce signe pourrait être un déterminatif pour les objets cé-lestes. Toutefois, il faut souligner que l’interpréta-tion des glyphes CIB et CABAN ne me semble pas encore exacte. L’élément graphique identi-que que chaque glyphe possède devrait signifier soit CIB, soit CAB, ce qui impliquerait que pour certains signes les Mayas ne tenaient pas comp-te des voyelles. Ceci n’est pas exceptionnel, puisque dans certaines écritures sémitiques on n’en tenait pas plus compte, ce qui a d’ailleurs donné des difficultés d’interprétation aux paléo-graphes modernes. Pour le reste, je n’ai guère encore rencontré d’autres possibilités de présen-ce d’un déterminatif dans les textes hiéroglyphi-ques des manuscrits précolombiens. Bien sûr, ce qui pourrait être éventuellement considéré com-me un déterminatif d’un genre spécial, c’est la présentation de l’ensemble des glyphes sous forme de tète humaine pour les noms de divinités ou d’êtres humains, sous forme de tête animale pour les animaux divinisés ou mythologiques, et sous forme de main pour certaines actions ma-nuelles importantes. II me semble que, malgré la caractéristique de multilecture ou lecture en ana-grammes de la plupart des glyphes et des élé-ments graphiques, l’emploi de déterminatifs, ai-dant à la lecture, a été insignifiant. 7. Anagrammes Une propriété de l’écriture maya, qu’on ne sem-blait pas avoir trouvée dans le passé, est la ca-ractéristique d’anagramme des groupes de si-gnes. Chaque élément graphique possède une valeur bien déterminée. Puisque nous pouvons appliquer une multilecture aux glyphes combinés, en modifiant chaque fois l’ordre de lecture des éléments composants, il est bien compréhensible que nous obtenons des mots différents, et par conséquent, plusieurs significations. En raison-nant ainsi, l’ai détecté déjà plusieurs cas de mul-tilecture ou anagrammes et entre autres, le gly-phe de jour IMIX et les éléments graphiques NE et AN.

Selon le catalogue des glyphes de Thompson, le glyphe de jour IMIX est le glyphe le plus fréquent dans les codex et sur les inscriptions des monu-ments. IMIX signifie littéralement « mamelle de femme », puisque IM = mamelle et IX = particule de féminité. Dès lors, on ne voit pas trop bien pourquoi les Mayas écrivaient des centaines et centaines de fois, « mamelle de femme », dans leurs textes, même si on ne peut pas dénier le rôle prépondérant de la vie sexuelle dans leur vie. En analysant ce glyphe, nous remarquons que le signe supérieur représente incontestable-ment, selon les dessins iconographiques des seins de femmes dans les codex (voir la premiè-re figure), la valeur de IM = mamelle. Par déduc-tion, nous pouvons donc dire qu’en principe le signe inférieur devrait représenter la valeur de IX. Ce qui est important, c’est que nous pouvons dire sans contestation que la lecture du glyphe de jour IMIX peut se faire indiscutablement de deux façons, si on applique le principe d’anagramme ou multilecture. Cette lecture se fait soit comme IM + IX = IMIX, soit comme IX + IM = IXIM. Cette dernière lecture est révélatrice, puisque IXIM signifie dans toutes les langues mayas « maïs » ! Le maïs étant la nourriture par excellence des peuples mayas, il n’y a donc rien d’étonnant à trouver ce glyphe IMIX = IX.IM si fréquemment dans les textes hiéroglyphiques. Voilà l’explica-tion d’une caractéristique importante de l’écriture maya qui n’a pas pu être détectée par un cer-veau électronique, et dont il faut tenir compte dorénavant pour les essais de déchiffrement. Pour illustrer les possibilités offertes par ce prin-cipe d’anagramme, nous donnons quelques au-tres exemples. Aux pages 44 à 49 du codex Tro-Cortesianus nous trouvons la représentation de toute une série de quadrupèdes attachés à un arbre, probablement en guise d’appât. Ce qui nous intéresse au point de vue écriture, est le fait que le dessin de la queue de ces quadrupèdes se retrouve comme affixe dans certaines cons-tructions grammaticales de textes hiéroglyphi-ques. La queue d’un quadrupède se dit NE en mayathan et pour les langues du nord. Or NE ne possède pas de seconde interprétation utile au déchiffrement, ce qui ne mène nulle part, sauf si nous partons du système d’anagramme permet-tant deux lectures de l’ensemble des deux élé-ments composants. Le signe de devant possède la valeur phonétique de N, qui est dérivée de NIJ = nez. L’élément graphique à droite possède la valeur phonétique de E, dérivée de l’analyse du glyphe de jour EB. La lecture en anagramme donne donc d’abord la valeur de l’affixe (ou de l’iconogramme) de N + E = NE, ou queue, et E + N = EN = moi, mon, je, première personne du singulier ! II faut dire que cette dernière lecture s’impose pratiquement toujours pour les textes des codex. II est clair que cette application gram-maticale est très importante pour nos travaux de

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déchiffrement. Un troisième exemple est celui de l’élément graphique composé que nous avons déchiffré, comme ayant la valeur phonétique de AN. Ces éléments se laissent décomposer en deux : d’abord le double cercle qui représente une goutte d’eau A et l’autre élément graphique qui possède la valeur N. Une première lecture donne évidemment A + N = AN qui est le suffixe pour le participe passé. Une seconde lecture dans l’autre sens nous fournit N + A = NA, ayant plusieurs significations comme par exemple, mè-re, maison, etc. Un exemple de cette dernière lecture se trouve dans le glyphe KU.NA = « dieu-maison ou « temple ». II faut souligner que cette faculté de multilecture ou anagrammes augmentait énormément les moyens d’expression d’un signe. Le seul problè-me est celui de la lecture. Dans le cas de deux éléments graphiques, nous avons 2 x 1 = 2 lectu-res possibles. Dans le cas de trois éléments, nous avons 3 x 2 x 1 = 6 lectures et pour quatre éléments 4 x 3 x 2 x 1 = 24 lectures, etc. II est évident que dans le deuxième et le troisième cas nous obtenons plusieurs combinaisons qui don-nent des mots n’ayant pas de sens, et qu’on peut facilement éliminer. Pour choisir le mot exact il faut tenir compte du contexte. Les scribes mayas connaissaient bien sûr les règles de composition de glyphes et des phrases, mais pour nous il n’est pas toujours facile de déceler et de com-prendre les subtilités des conventions de l’écritu-re maya. Mais il n’y a pas lieu de se décourager, nous progressons énormément et le moment viendra, où le déchiffrement d’un texte hiérogly-phique maya sera relativement facile. 8. Homonymes et synonymes Nous avons déjà donné un exemple d’homony-mes. II est d’ailleurs assez normal que les homo-nymes soient représentés par le même signe. Mais une difficulté énorme pour le déchiffrement de l’écriture maya est qu’un glyphe ou élément désigne parfois aussi un synonyme. Pour un dé-chiffrement exact, permettant d’autres déchiffre-ments, le plus important, c’est de retrouver la valeur originale du signe. Nous pouvons donner provisoirement quelques exemples de synony-mes, qu’il faudra peut-être corriger ultérieure-ment. Par comparaison des glyphes des mois YAXKIN et YAX donnés par Diego de Lance, nous pouvons déterminer le glyphe qui corres-pond à YAX. Mais nous retrouvons ce même glyphe pour désigner le point cardinal NOHOL au sud. Manifestement, il y a une relation entre les deux valeurs phonétiques, mais laquelle ? La réponse nous est donnée de la façon suivante, par la nomenclature des termes de parenté : — NOHOL.MEHEN, désignant l’enfant aîné, par

rapport au père, est en même temps synony-me de YAX.MEHEN, selon les dictionnaires

de Motul et de Vienne ; — NOH ou NOHOL signifie grand, sud, — YAX signifie e.a. premier, vert, nouveau... L’explication de la relation est dès lors très sim-ple : le premier (YAX) enfant est en même temps l’aîné et, normalement, aussi le plus grand (NOHOL) des enfants. Un autre exemple de synonymes est celui de

CAUAC. En comparant le glyphe de jour CAUAC à celui du mois ZAC, nous constatons, pour ces deux glyphes donnés par de Landa, une graphie identique, à part les affixes de ZAC. Nous pou-vons donc avancer provisoirement que CAUAC représente aussi dans certains cas la valeur ZAC, qui désigne entre autres la couleur blanche. Une confirmation de cette interprétation se trouve à la page 98a du codex Tro-Cortesianus où se trouve un arbre noir et blanc, le dernier portant les éléments graphiques de CAUAC = ZAC. Les mêmes éléments graphiques se retrouvent aussi à la page 104a, surnommée « page d’abeille » du même codex, etc. Dès le début de mes recherches paléographi-ques, je me suis rendu compte de l’importance des nomenclatures raisonnées Pour cette raison, j’ai formé un groupe de travail qui prépare la compilation des dictionnaires et vocabulaires mayathan du XVlème au XVlllème siècle. Le vo-lume de travail prévu est de plus de 40.000 fi-ches, dont plus de 25.000 sont déjà préparées. La publication de la partie mayathan-espagnol est prévue, suivie de l’édition espagnol-mayathan. Comme troisième volet viendra alors une espèce d’encyclopédie classée selon des sujets particuliers comme : le corps humain, l’as-tronomie, la faune, la flore, l’architecture, etc. Quoique ce travail se fasse, en premier lieu, pour faciliter et hâter le déchiffrement complet de l’é-criture maya, ces publications seront utiles égale-ment aux anthropologues, ethnologues, linguis-tes, etc. Eléments graphiques et alphabet Mais la plus importante des découvertes est la conclusion que l’essentiel se résume à quelques dizaines d’éléments graphiques de base et quel-ques dizaines de pictogrammes, et non à des centaines voire des milliers de glyphes. Ces élé-ments graphiques simples peuvent être répétés ou composés entre eux pour former de nouveaux mots ou de nouvelles syllabes. J’ai déchiffré 30

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éléments graphiques simples, 25 éléments gra-phiques répétés, et 55 éléments graphiques com-posés, permettant ainsi le déchiffrement de cen-taines de glyphes. En ce qui concerne le déchif-frement des glyphes et les méthodes de déchif-frement, il y a lieu de consulter mes notes de travail et communications au Congrès. En tableau est reprise une liste des éléments graphiques. De cette liste, nous pouvons tirer un « alphabet » maya, qui n’était pas utilisé comme tel bien sûr. En effet, comme les Egyptiens, les Mayas n’avaient pas encore saisi toutes les facili-tés que pouvait offrir un véritable alphabet, qui permet de noter la langue au moyen de très peu de signes. Je propose donc un « alphabet maya », uniquement pour montrer une partie des possibilités de l’écriture maya, et la situation de son évolution.

1°Eléments graphiques simples (voir figure) :

2° Eléments graphiques répétés :

3° Eléments graphiques composés : 40

EG. AM ? AM ? IM ? = M1 A° = KIN picto-gramme) A° = KIN CH° = T° CHALM° AK (AL) ? M ? = N ? K°° N° KU ? = Q ?

EG. BE°° CHE ? = TE ? CHAN° ON° BA (A) C° KAP° TAN ? K ? CUM ? = MAL ? = PUCH ? TZAB°° Q° = KU°

51 52 53 54

55 60 61 64 65

68 70 71

80 85 86 87

91 94 99

100 171

225 230

EG. KU ? E° (disposition esthétique) E° CHI° I ? I ? AL ? AA° : AH° = HAAA° AK.AL ? CHII° IX°° = IM ? = M (O) ? BAL°

EG. N° = IL ? NAB° = TA ? = TOK ? KAX°° = ZIN (AAN°°) CHIJ° AB° = HAAB ? = OB ? AL° KI ? U° BA° UCH.OB ? = UCH.AL ? CHU CHU TZABAL° U° KU.OB°

88 89

90

97

101

103 111

114

119 127 129

131

132 139

140

151 167

168 170 178 182 196

226 232 239

EG. AC° IK° U.AM. ? = AM.U IM° XAU ? = AU ? = UI ? A.AM° UI ? = UIN ? KAAN ? LAC°° NE°° = EN°° X°° = AX ? = EX ? EB° CA°° = CAH° NA° = AN° KUIL ? X.MA ? IX.MA ? MIL ? = NIL ? = IL ? X.MAC ? = MACX ?

EG. AH.B° AH.B.AH° IM ? IA ? = AI ? U.OB° CUCHI° BOOL ? UCH ? = ICH ? UINAL° XIMBAL ? U.MAN.KAK. HAX ? KA(A)X° = ZIN(AAN)° ACH.NAB. ACH ? IX.MA.UOOH° KAANIL ? = CAAN° TZ KAN° = THAN° = T(H)UN° IN° = NI° Q° = KU° MA ? T(H)UM°

69 84

108

110 112

115 116 122 123 124 128

130

134 135

136

137 138 141

144

179 180 185

186 187

188 194 195 200 202 203

204

210

214 224

225 228

229 230 231

235

UO° = CIB ? = CAB ? X° B° CH°° = T°°

TAB° = Q ? KUL° TZ

73

77 78 79

233

234 240

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La langue des manuscrits Avant de commencer les essais de déchiffre-ment d’une écriture, le paléographe doit se poser la question suivante : « Quelle est la langue dis-simulée par le(s) document(s) ? ». En général, on peut y répondre assez rapidement et claire-ment, puisque la plupart du temps, les écritures anciennes étaient liées à une seule langue et à une région bien déterminée. L’aire occupée par les documents mayas couvre une partie du Mexi-que (Yucatan, Quintana Roo, Campeche, Tabas-co et Chiapas), de Belizo (Honduras britanni-que), du Guatemala et une petite partie du Hon-duras et du Salvador. Or, il se fait que 21 lan-gues mayas se parlent encore actuellement dans cette région et, a priori, chacune de ces langues était susceptible d’être à la base des trois codex mayas que nous connaissons. Comment faut-il aborder ce problème ? Si nous comparons les vocabulaires des différen-tes langues mayas, nous constatons que nous pouvons classer des centaines de mots en deux ou trois groupes et que ces mots ne diffèrent que très peu dans chaque groupe. Un premier triage consistait à déterminer dans quel groupe tombait la langue des manuscrits. Très vite, les premiers essais de déchiffrement ont démontré qu’au point de vue vocabulaire, la langue dissimulée par l’écriture des codex appartenait au groupe des langues du nord. II faut insister ici sur le fait que la nature principalement phonétique de l’écriture maya permettait de noter au moins toutes les langues mayas et il est très probable que beau-coup de documents sont écrits en différentes langues mais avec la même écriture universelle (ou internationale). Nous pouvons comparer ce phénomène à celui de l’écriture latine qui, à l’é-poque, était utilisée comme écriture universelle pour noter plusieurs langues européennes. En 1968, après la découverte de la polyvalence des signes et le caractère principalement phoné-tique de l’écriture maya, plusieurs possibilités s’offraient pour continuer mes recherches. Alors, j’ai choisi une méthode de déchiffrement sembla-ble à celle utilisée par Ventris, et inspirée par Alice Kober, pour déchiffrer l’écriture crétoise, au

moyen de grilles de déclinaisons ; c’est ainsi que j’ai utilisé des grilles de conjugaisons des verbes. Mon raisonnement était le suivant : si l’écriture maya est réellement phonétique, nous devons retrouver dans les textes hiéroglyphiques, des structures grammaticales reflétant celles de la langue parlée, et ce qu’il faut retrouver certaine-ment c’est la présence d’une conjugaison de verbe. Comment fallait-il procéder ? En partant de l’ « Arte de lengua maya », de Juan Coronel (1620), j’ai dressé un tableau de conjugaison de verbe de la langue mayathan, langue des Mayas. Trouvons-nous dans les tex-tes hiéroglyphiques une structure grammaticale, c’est-à-dire des affixes — particules de temps et pronom personnel — accolant au radical ? Oui, certainement. Dans ma note de travail 14-GR « La conjugaison des verbes et l’écriture dite maya », on trouvera tous les détails de ce genre de déchiffrement. Pratiquement tous les pro-noms personnels, une série de particules de temps et quelques autres notions grammaticales ont été déchiffrés, la figure en donne un aperçu. On est donc plus avancé dans le déchiffrement, que Champollion en son temps pour l’écriture égyptienne. J’ai refait le même travail en partant des grilles de conjugaisons des verbes en cakchiquel et quiché. Tandis que le premier ne donnait aucun résultat, le dernier nous a fourni plus de déchif-frements intéressants que le mayathan. Nous pouvons supposer que la langue des codex relè-ve d’une langue dont le vocabulaire appartient au groupe nord (comprenant le mayathan) mais qui, au point de vue grammatical, fait partie du grou-pe sud (comprenant le quiche), c’est-à-dire une langue du groupe intermédiaire chol-chorti, ou bien une espèce de mayathan classique (protomaya ?). Mais tout cela n’est plus un obsta-cle au déchiffrement définitif, comme il appert de mes communications et publications. Après les clefs de la polyvalence des signes (1967), du caractère principalement phonétique de l’écriture (1968) et celle de la structure graphi-que de la grammaire des textes hiéroglyphiques (1969), nous pouvons dire que, d’une certaine façon, l’écriture maya des codex est virtuellement déchiffrée. En effet, malgré le fait que certains travaux ne soient pas parfaits, et qu’ils doivent être corrigés, améliorés ou développés, nous sommes en mesure de déchiffrer des textes com-plets. Mais avant d’arriver à cette phase ultime, il faut terminer le travail préparatoire, c’est-à-dire rédiger les 1000 pages de notes et de tableaux sur les calendriers mayas, compiler les connais-sances grammaticales du mayathan et du qui-ché, ainsi qu’un vocabulaire le plus complet pos-sible ; et publier un nouveau catalogue des 10.000 glyphes, affixes et éléments graphiques

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TEEL°° = CHEEL°° HAA.CHEEL° AH TEEL A CHIIC° UI ? UIM ? ACH ? BA ?

KAN° = THAN° YUM.KAAX° CHAC° ON.IM ? = TZ.IM ? TZ ? TZA ? CUM(AN) ? = CUN ? ? ZAC ? KU.NA

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Antoon Vollemaere est né à Anvers le 30 mars 1929. Premiers travaux d’autodidacte en paléographie maya, en 1965. En 1967, il est accepté comme membre actif de la Société des Américanistes à Paris, grâce à l’appré-ciation du Dr. Joaquin Galarza. L’année suivante, il participe au 38ème Congrès International à Stuttgart. En 1969, il se voit attribuer le Prix Christophe Plantin. Envoyé en mission par le ministère de la Culture, il participe en 1970 au New World Writing Systems Conférence à New York, puis au 39ème Congrès des Américanistes à Lima. L’année suivante, il devient membre actif du « Düsseldorfer Institut fur Amerika-nische Völkerkunde ». Grâce au Professeur Jacques Soustelle et des auto-rités universitaires, il s’inscrit à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, VIe section, à la Sorbonne, où il pré-pare sa thèse de doctorat. Celle-ci est défendue le 28 janvier 1972, sous le titre : « Nouvelles interpréta-tions de l’écriture des codex mayas ». Elle lui vaut le titre de « docteur en études latino-américaines, spé-cialité paléographie maya », avec la mention « très bien », la plus haute distinction. Toujours la même année, il présente une nouvelle corrélation pour le calendrier maya au 40ème Congrès des Américanis-tes à Rome (rééditée dans KADATH n° 15). En février 1973, le Dr. Vollemaere donne cours à l’Université de Madrid sur le thème : « Les écritures précolombiennes et leur déchiffrement ». Ensuite, iI effectue un voyage d’études au Guatemala, Hondu-ras et au Mexique. II fonde le « Vlaams Instituut voor Amerikanistiek », pour l’étude et la promotion de la connaissance des cultures et civilisations anciennes

de l’Amérique. II publie le périodique « America anti-qua », et prépare l’édition d’un catalogue de glyphes et d’affixes mayas, ainsi qu’un dictionnaire maya-than-espagnol. En 1975, le Fonds National de la Recherche Scienti-fique lui attribue un appui logistique, mais lui refuse toutefois une rémunération de chercheur. En octobre, création de l’université populaire « Pedro de Gante », section de son Institut, où il donne cours sur l’Améri-que précolombienne. 42

* Congrès International des Américanistes (*38 Am.) Stuttgart — (*39 Am.) Lima — (*40 Am.) Roma (*New W.) : New World Writing Systems Conference, New York. (*AA) America Antiqua, Vlaams Instituut voor Amerikanistiek.

1967a 1967b 1967c 1967d 1967e 1967f 1967g 1967h 1967i 1967j 1968a 1968b 1968c 1968d 1968e 1969a 1970a 1970b 1970c 1970d 1970e 1970f

Maya-littérature Nombres cardinaux en Quiché (Popol-Vuh) Parallélisme entre le codex Dresdensis et le codex Tro-Cortesianus Les points cardinaux dans les codex Tro-Cortesianus et Dresdensis Mois lunaire Quelques glyphes de la famille CHAC Quelques glyphes de la famille KINICH, XAMAN, AHAU Quelques aspects des glyphes CIB et CABAN Les termes de parenté et l’écriture maya Le corps humain et l’écriture maya Glyphes des jours du calendrier maya Compléments des jours du calendrier maya Éléments de base de paléographie maya Éléments de base de paléographie maya

Quelques méthodes de déchiffrement de l’écriture maya La conjugaison des verbes et l’écriture dite maya Maya writing is phonetic Conjugation of verbs and maya writing L’écriture maya est phonétique La grammaire et l’écriture maya Le déchiffrement de l’écriture maya Die Maya-Schrift ist phonetisch (Ethnologie Americana, 4-1970)

1971 1972a 1972b 1972c 1973a 1973b 1973c 1974a 1974b 1974c 1974d

Nouvelles interprétations de l’écriture des codex mayas (Thèse doctorale, 267 pages - Sorbonne, Paris). Nouveaux déchiffrements de l’écriture maya Problèmes des calendriers mayas et la corréla-tion Catalogue des glyphes et éléments graphiques des codex mayas Problèmes de déchiffrement de l’écriture maya Le déchiffrement de l’écriture hiéroglyphique maya (Ministère des Affaires Étrangères, Bruxelles). The Mayan Year of 365 Days in the codices (Vlaams Instituut voor Amerikanistiek) Introduction à la paléographie des codex mayas Classification des hiéroglyphes du codex Cortesianus Die Maya-Schrift virtuell enträtselt ? Classification des hiéroglyphes du Codex Peresianus

NOTES DE TRAVAIL, COMMUNICATIONS, PUBLICATIONS

(*38 Am.)

(*38 Am.)

(*40 Am.)

(*39 Am.) (*39 Am.)

(*New W.) Am.)

(*New W.)

(*40 Am.)

(*40 Am.)

(*AA) (*AA)

(*AA)

(*39 Am.)