Ecrire-ledesiretlapeur_94

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Alain ANDRÉ Directeur pédagogique d’Aleph-Écriture Conférence prononcée dans le cadre de l’Université d’été “La place de l’écriture dans la formation des adultes” des 28-31 octobre 1991, puis parue dans les Cahiers de Fontenay, ouvrage hors collection “Écrire et faire écrire”, École Normale Supérieure de Fontenay-Saint-Cloud, 1994. Écrire : le désir et la peur Résumé L’auteur ébauche une typologie des peurs d’écrire, du chaos au sentiment d’usurpation, puis montre à quelles conditions un atelier d’écriture permet de les apprivoiser et finalement de les dépasser. “S'autoriser” à écrire Lorsqu'il a été question pour la première fois de cette conférence, j'ai commis une double imprudence. J'ai utilisé cette expression bizarre, “s'autoriser à écrire”, sans y penser. Puis j'ai accepté d'y penser : de la prendre comme fil conducteur d'une réflexion consacrée aux relations qu'entretiennent l'écriture et l'identité personnelle. Car enfin, y a-t-il davantage, dans cette expression, qu'un stéréotype moderne digne d'être épinglé dans une B.D. de Claire Brétécher ? Vous connaissez ce trait de Ramon : “Le premier qui a dit que les larmes étaient des perles était un génie, le dernier un idiot”... Quand je suis désespéré, je consulte le dictionnaire. Le verbe s'autoriser, pris

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Alain ANDR Directeur pdagogique dAleph-criture Confrence prononce dans le cadre de lUniversit dt La place de lcriture dans la formation des adultes des 28-31 octobre 1991, puis parue dans les Cahiers deFontenay,ouvragehorscollectioncrireetfairecrire,coleNormale Suprieure de Fontenay-Saint-Cloud, 1994. crire : le dsir et la peur Rsum Lauteurbaucheunetypologiedespeursdcrire,duchaosausentiment dusurpation,puismontrequellesconditionsunatelierdcriturepermetdeles apprivoiser et finalement de les dpasser. S'autoriser crire Lorsqu'il a t question pour la premire fois de cette confrence, j'ai commis une double imprudence. J 'ai utilis cette expression bizarre, s'autoriser crire, sans y penser. Puis j'ai accept d'y penser : de la prendre comme fil conducteur d'unerflexionconsacreauxrelationsqu'entretiennentl'critureetl'identit personnelle.Car enfin, y a-t-il davantage, dans cette expression, qu'un strotype moderne digne d'tre pingl dans une B.D. de Claire Brtcher ? Vous connaissez ce trait de Ramon : Le premier qui a dit que les larmes taient des perles tait un gnie, le dernier un idiot...Quand je suis dsespr, je consulte le dictionnaire. Le verbe s'autoriser, pris dans le sens que nous lui donnons, se trouve dj chez Molire. Mais au Moyen-Age,ilsignifiaitacqurirdel'autorit.C'estqu'autoriser,danslaformenon-pronominale,signifiaitrevtirquelqu'und'uneautorit.LeRoideFrance autorisait les magistrats : il s'en portait garant. Et le mot latin auctor, qui a donn toutes nos autorisations, mais aussi le mot auteur, y compris au sens littraire du terme, signifiait le garant.Au sortir du dictionnaire, la question (qu'est-ce donc que s'autoriser crire, et qui en dcide?) avait donc pris ce tour mtaphorique : si le Roi est celui qui se porte garant pour autrui, qui donc peut donc se porter garant pour le Roi c'est--dire pourlesujetdel'criture,danslasolitudeapparentedesondsiretdesapeur d'crire ?La question est videmment essentielle pour la sorte d'criture qui passionne les participants des ateliers d'criture rguliers que j'anime : personnelle, implique, vise littraire. crire y est toujours associ une prise de risque, qui ne va pas de soi. En outre, les apprivoisements de l'atelier d'criture ne dispensent pas ceux qui souhaitentallerau-delduplaisirdel'atelier,versl'affirmationd'unepratique d'crivain,decetobscurrendez-vousaveceux-mmes:l'crivain,n'est-cepas celui, prcisment, qui ne s'autorise pour crire que de lui-mme ?Mais la mme question me semble pertinente lorsqu'elle est rfre l'criture professionnelle et journalistique. Ceux qui peinent sur des articles ou des rapports, comment croire qu'ils crivent dans une pure et transparente relation technique leurobjet?Nettonnent-ilspaseuxaussiencoursd'criture,entreleurs reprsentations, une ralit incertaine et les tours que leur joue le langage ? N'est-il pas ncessaire et difficile, aussi, d'crire vraiment, en s'impliquant, quand il s'agit de rdiger un mmoire ou de faire avancer un projet ? Lesintervenantsdecetteuniversitd'tontencommunleparidepartir, lorsqu'il s'agit de faire crire, de l'investissement de la personne. En me demandant qui dcide, c'est--dire en examinant les obstacles auxquels se heurte celui qui crit,etquil'empchentdes'yportergarantdesapropreidentit,jevoudrais creuser la difficult qu'il soulve.L'exprience des ateliers d'criture, le tmoignage des crivains et ma propre exprience d'auteur et d'animateur d'atelier, me permettent d'voquer les difficults, bienrelles,quelesujetrencontresurlechemindel'autorisationdesoi-mme. Reste savoir en quoi elles consistent au juste, et pourquoi l'autorisation de soi-mmenevapassimplementdesoi:comment,endfinitive,analyserces difficults et les prendre en compte, en termes de mthode d'animation, lorsque l'on s'est mis dans ce pas dlicat de faire crire les autres ? I. Le Chaos La part de l'ombre L'undemespremiersstagestaitdestinauxtravailleurssociaux,dontla relationl'critn'estpastoujoursaise.J el'avaisintitulOsercrire,etcet intitul avait motiv la plupart des inscriptions. C'est que dans s'autoriser, il y a oser : l'origine avant l'acte d'crire , il y a la peur d'crire, autant, sinon plus, que le dsir. De quoi cette peur est-elle faite ?C'est,d'abord,lapeurdel'inconnu.Pourquifaitoeuvred'crivain,crire consiste toujours crire sur ce point aveugle qu'il a, comme tout un chacun, au fond de l'oeil : prendre acte, donc, d'une mconnaissance essentielle l'criture, et quitientlanaturemmedelarelationquelesujetentretientaveclui-mme. Ecrire, c'est toujours crire dans l'absence du savoir : inventer une rponse une question qu'on ignore, et qui pourtant se trouve la source mme de l'acte d'crire. Maintsauteursdelamodernitledisent,etvarientainsilaleonqu'nonait Maurice Blanchot au seuil de L'Espace littraire: Un livre, mme fragmentaire, un centre qui l'attire (...) Celui qui crit le livre l'crit par dsir, par ignorance de ce centre.Cette peur de l'inconnu (d'tre confront au non-savoir) se double d'une peur ancestrale, et complmentaire : la peur de savoir. Le paradoxe n'est qu'apparent. Touteentreprisederecherche,dethorisation,(etparljerejoinsdjune difficult vidente de l'criture professionnelle, dans sa dimension d'criture-pour-penser),nesuppose-t-ellepas,mentalement,uneruptureavecleconfortdes certitudesrvles,religieusesouscientifiques:travail,inventionperptuelle, tentativehasardeusedechangerdecadre,derabouterdesbribesdesavoir htrognes... Dans un simple mmoire, la question centrale elle-mme n'est-elle pas le rsultat d'unpremier travail, d'criture et de pense, visant sa formulation, c'est--dire sa dcouverte? C'est dire quel point toutes les reprsentations de l'criture comme acte de matrise, sauf vouloir rassurer, sont leurrantes.Dans le cas de l'criture personnelle, vise littraire affirme ou non, la peur est aussi peur de l'motion. crire vraiment, c'est d'abord apprendre capter ses motions,lotoutdispositifd'exprimentationscientifique(ft-ceunsimple questionnaire d'enqute de type sociologique) postule au contraire la distance. C'est donner voir et sentir. C'est retentir. De l sans doute que nous avons tendance crire plus froid, plus distanci, que ne sont les livres que nous avons le plus aims. Nous craignons et les reprsentations drangeantes et les motions trop intenses. Au fond, nous aimerions que la terre ne tourne pas quelle ide puisante, tout de mme! Au fond, nous aimons les Lettres Tho 2, et les toiles de Van Gogh, mais pour rien au monde nous ne voudrions de la vie de Vincent. Comme si le savoir, ou unesensibilitexcessive,constituaientnosyeuxdesrspasseportspourle malheur. Cette crainte se comprend bien. J 'anime un cycle de neuf week-ends destins aux participants des ateliers d'criture qui, aprs deux ou trois ans, souhaitent se confronter au roman. Au cours d'une anne scolaire environ, ils crivent chacun le leur,courtoulong,ettravaillentsurlestechniquesquesaconceptionetsa rdactionimposentdeprendreencompte.J 'observequel'critureesttoujours enracinedansl'exprienceprofondedesonauteur.Deuilamoureux,perted'un proche, difficult professionnelle ou exil : l'criture travaille en relation avec cette sorted'preuves,etc'estd'ellesqueprocdentlesquestionsinformulesqui motivent en profondeur l'criture.Delsansdoutequelalittratureapparaissesouventcommelaplaintede l'humanit. Pour ceux qui me souponneraient d'extrapoler un peu vite l'exprience particulire de l'atelier, je me contente d'voquer l'exemple d'une oeuvre un peu plus reconnue, entre cent possibles. Dans Le Grand Incendie de Londres 3 , J acques Roubaud explique qu'il est venu bout de cette entreprise romanesque un quart de sicle aprs le rve initial qu'il en avait fait, qui contenait dj cependant le projet et le titre mme du roman : la troisime tentative seulement, parce que la mort de sa compagne Alix en avait fait une recherche absolument vitale, du renoncement.Ecrirevraiment,mmes'ilexisteaussidiversjeuxetjoutesquifontde l'criture une activit plus ludique, c'est re-parcourir ce genre d'preuve, lie la ncessit profonde de l'auteur : creuser son noir, le travailler, tenter de le sublimer. C'est se retrouver seul face au monstre, au plus profond du labyrinthe de ses crits. Au fond, justement, nous savons bien que nous continuons avoir peur du noir, comme lorsque nous tions enfants. Mais, une fois adultes, la plupart d'entre nous ne veulent plus le savoir, sauf le temps d'une lecture ou d'un spectacle, celui d'une catharsis (car sinon : tait-ce bien la peine de grandir ?)Cela, que nous craignons d'affronter en acceptant cette reprise de contact avec l'intrioritqu'imposecequ'aujourd'huinousnommonscriture,portedesnoms divers.C'esthors-langage,horsdeprise,horsd'atteinte.C'estleRel. Inconnaissable. Innommable. Impossible. Le Non-Sens. J e dis le Chaos.Le Chaos se trouve l'origine de l'criture. Il a, pour chacun d'entre nous, une forme variable et singulire. J 'ai commenc crire au cours de mon adolescence, la fin d'un t au cours duquel j'avais vcu mon premier amour. Il y avait donc ce deuil, impos par la fin des vacances scolaires et l'imminence de la rentre scolaire dans un internat de cauchemar. J e refusais de partir avec ma famille (les amours d'adolescenceprtentsourire,maisn'ensontpasmoinssoumisesderudes contingences). J 'ai fait une fugue, qui s'est rduite une longue promenade le long des plages de l'le de R. Une fois suffisamment loin de mes proches, j'ai crit sur un carnet que j'avais emport, dans l'exaltation de m'prouver seul au monde, dans cette situation excrable, mais vivant. Il y avait la bruissante absurdit du paysage : les dunes, le fracas des rouleaux sur la plage, et il y avait l'criture, seule stratgie ma disposition pour sortir du non-sens. Certains affirment d'autres stratgies : la religion, la recherche scientifique ou lapeinture. Mais c'est l'criture peuprs seulequirussitpourmoilemiracle,dechangercetohu-bohuinsens,mortel, fragmentaire, du Chaos, en un ensemble cohrent et dou de sens : en texte. La prsence de l'autre Peut-tre, au cours de ce discours consacr la peur, vous demandiez-vous par quelle aberration il se trouve encore des gens assez fous pour crire. Le miracle de la transformation qu'opre l'criture me semble de nature l'expliquer. Encore faut-il tenter de prciser comment elle y parvient.Il faudrait pour cela se souvenir d'une autre tymologie : en grec, le Chaos, signifiecerteslevide,l'abme,maisaussil'ouverturedeslvres.Ecrire,c'est toujoursplusoumoinsouvrirlabouche pour appeler l'autre. C'est un appel, de l'autre dont la prsence seule peut contrebattre l'effroi. Dans les premires sances d'atelier d'criture, lorsque l'animateur suggre aux participants de lire ce qu'ils ont crit, il les introduit une exprience forte. Avant la premire sance, il leur paraissait dj incertain de pouvoir crire sur demande : de lcher leur criture en prsence d'un groupe. L'exprience de la lecture est plus forte encore. En faisant repasser l'crit par le corps et par la voix (ce qui en dplie enquelquesortelapuissancemotive),ellemetsonauteurensituationde l'affirmer dans le groupe : de le soutenir dans le regard d'autrui.L'crituresuscitelaprsenced'autrui,danslemouvementmmequila constitue comme appel. Le lien social permet la sortie d'une solitude confronte au Chaos. Mais crire, disais-je, est un acte de transformation : le Chaos ne s'affronte pas directement, mais par la mdiation de figures. Celui qui crit, prcise J acques RoubauddansLeGrandIncendiedeLondres 4,setrouvedanslapositiondu ChevalieraffrontantlaMortauxchecs.Al'enchevtrementhirsutedestermes indfinis qui constituent le Chaos, il oppose peu peu l'entrelacement bien peign de termes dfinis. Il s'agit d'une intervention de la pense, abstraite, sur le matriau motif premier. On voit par l que la peur a tort, qui s'en tient la pense magique : ce que je ne regarde pas n'existe pas. L'oeuvre, et plus gnralement le travail de l'criture, n'entrane pas vers l'ombre, vers la nuit, vers la folie. C'est dans leurs moments de lucidit, de rmission de leur mal, et non dans les crises, que Nerval, Van Gogh et lesautrescrateursmaudits,ontproduitleuroeuvre.Non:cequel'criture entreprend, c'est au contraire un travail de hlage, de ce qui gt et murmure dans l'ombre,verslesLumiresdel'intelligence,sousleregardreconnaissantde l'autre. Faire apprivoiser la peur La peur n'en existe pas moins. Animant un atelier d'criture, je dois en tenir compte. De fait, mon travail, et plus gnralement celui du collectif d'animation et derecherched'Aleph 5,repose,encequiconcernelegestecrateur,surdeux hypothsesprincipales.Lapremireconcernelecaractredoubledetoutgeste crateur.Celui-cieneffetmetenjeuunedimensionmotiveetsensible,lie l'exprience profonde du sujet, mais aussi une dimension technique, plus crbrale (quel'onseraittent,tort,deconsidrercommelaplusimportante).La spontanit du sentiment doit en somme tenir compte de la rationalit de la forme finaleproduire.UnconstatidentiqueconduitDidierAnzieuproposerune distinction, que je reprends, entre potique (le travail de la cration l'intrieur du sujet, comme on parle de travail du rve ou de travail du deuil) et potique (comme ensemble des procds et techniques susceptibles d'tre utiliss) 6. La seconde concerne le caractre moteur de la socialisation de l'criture. On crit pour tre lu, que ce soit dans un groupe, dans un tablissement scolaire ou par des lecteurs inconnus, par le truchement d'un livre ou d'une revue. Ladimensionpotique(intuitive,motive,enpartieinconsciente)dela cration mrite tout particulirement d'tre mise en vidence dans les circonstances actuelles.Lesateliersd'criturequiapparaissentaujourd'huiunpeupartouten France comblent en effet le vide produit par la disparition, lie celle des classes deRhtorique,detoutecriturelittrairedanslemilieuscolaire-universitaire partirdelaclassedeseconde:hormislecommentaire,etlecommentairede commentaire.Ilsremplissentcettefonctionenimposantunretournement systmatique,biendansleprolongementdujoliprintemps1968,dudispositif pdagogique traditionnel o, en dfintive, n'importe qui crit pour personne : le professeur n'est plus le destinataire unique (et souvent d'troites fins d'valuation dudegrdepntrationdudiscoursmagistral)deproductionsdsincarnes; l'exprienceetlesinterrogationsvraiesdeslvessontprisesencompte;les projets ne sont plus exclusivement ceux de l'enseignant.Ceretournement,querendncessaireladoublehypothsequejeviens d'noncer, impose videmment le pari fait sur l'implication du sujet comme point de dpart de toute pratique authentique de l'criture. Mais pour faire surmonter les peurs diverses qui surgissent partir de cette implication postule, chez ceux-l mmesquienexprimentledsir,ilnesuffitpasdenotersuruntableaunoir: Ecrivez librement. Il faut permettre ce dsir de se changer en pratique heureuse, en projets russis.C'est la fonction des propositions d'criture, que j'appelle ouvertures (au sens musicalduterme).Ellessoutiennentleparidel'implicationensuggrant l'criture ses domaines d'investigation : le Moi (son histoire, le systme de ses gots et particularits); le Monde (etleregardquechacunporte sur lui); les Enigmes (c'est--dire le rcit); la Langue et ses contraintes (c'est--dire la dimension ludique del'criture);etl'Autre(lescrituresrelationnelles)... Ellespermettentchacun d'apprendre capter ses motions et les transformer en des textes de plus en plus complexes, aboutis, situs, socialisables. La prsence des lecteurs -leur prise en compte par chacun au moment mme de l'criture, leur coute, leurs retours- constitue aussi un atout extraordinaire. Elle rompt la relation spculaire que chacun tend entretenir avec ses propres textes, imposeunlgerdcentrement,quisechangepeupeuenunevritable distanciation,sanslaquelleiln'estpasdetransformationdetextepossible.Elle permetunemisel'preuvepositivedestextesterminsetdiffussauseindu groupe. Ayant trouv leurs lecteurs, et en retour rassur, confort et stimul leur auteur,ilsluirestituentledsird'crire, etl'nergied'entreprendrede nouveaux chantiers. La place du lecteur Cette instance du lecteur n'est cepndant pas bonne par nature. Au dbut d'un atelier,ilconvientmmedeproscrireavecfermetleterrorismedelacritique ngative (qui traite le premier jet de la mme manire que le texte abouti, grav dans le marbre, d'un texte d'auteur, et non comme une promesse fragile).Il est en outre capital de ne pas terniser la communication orale, immdiate et systmatique des crits de premier jet au groupe entier. Elle constitue le plus sr moyen, les textes ayant t consomms (symboliquement publis), d'organiser la dsaffection du premier jet : autant dire de vouer l'impuissance en dsamorant le dsir de sa transformation en objet littraire abouti.Certainscrivantspeuventenfintretentsdecherchercotela reconnaissance du groupe au dtriment d'une avance plus exigeante en termes de ncessit intrieure : ils se font un peu vite bateleurs, et tendent privilgier, si l'animateur n'y veille, l'tre-reconnu sur l'tre. Letravailconduitdansl'atelierreposedoncsurunedialectiquefine.Pour l'crivant,l'enjeuestdetrouverlajustedistanceentrelaspontanitdeson mouvement d'criture et la recherche d'une forme prenant en compte la perspective du lecteur. Pour l'animateur, il s'agit d'aider les crivants avancer sur une sorte de lignedecrte:selonleurproprencessit,maisendevenantprogressivement aptes distancier leurs crits, et point trop dpendants de la validation immdiate des lecteurs et de l'animateur (qui n'est qu'un lecteur parmi les autres, avec un peu d'exprience en plus, mais une subjectivit non moindre).Concrtement, la validation collective est peu peu retarde : remise une sance ultrieure, au terme d'une srie de sances, puis la diffusion, l'initiative de chaque auteur, de textes aboutis, dactylographis et photocopis. Ceci suppose, on le comprend, de ne pas entrer pieds joints dans la demande des crivants, qui est toujours, inextricablement, demande d'valuation, de reconnaissance et d'amour.Pareille stratgie rencontre videmment des rsistances. La plus importante est cellequinatdujeudel'identificationprojectiveentrechaquecrivantetsa production. Ce mcanisme produit surtout dans l'atelier ce que j'ai nomm ailleurs le syndrome des trois oncles 7 , en m'appuyant sur un pisode que Kafka raconte danssonJournal 8.Surlapagedecertainsparticipants,letexteestrare,ou terriblement ratur. Les premiers jets sont oublis, perdus, voire jets la corbeille ou dchirs. C'est que toute production intime fait l'objet d'un fort investissement narcissique : si celle-ci, au cours de l'histoire du sujet, a t dvalorise, tenue pour un mauvais objet, l'auteur en retour s'prouve durablement comme incapable. Il intriorise le c'est nul : en fait un je suis nul. Pareil regard interdit videmment le dpliement du geste crateur : pour travailler transformer un objet, encore faut-il que je le peroive comme suffisamment bon, encore faut-il que je me peroive comme capable d'oprer cette transformation.Peut-on reprer plus prcisment les causes de ce syndrme des trois oncles, et des causes telles qu'elles offrent une prise l'animateur d'atelier, et pas seulement aupsychanalyste?Pourquoi,ensomme,etpourqui,l'issuedequelles expriences, l'objet semble-t-il insuffisamment bon? II. Le sige usurp L'illgitimit La premire cause est facile identifier, le procs de l'Ecole en ce domaine n'tantplusfaire.Leregardexagrmentnormatif,critiqueetcorrectifd'un matre suffit inhiber gravement le dsir d'crire.LaformationdesenseignantsdeLettresestmettreencause.Elletend produire une relation l'hritage autoritaire et fige, qui rend difficile le passage initial une criture implique. Le geste d'crire est comme mdus par la pratique exclusive de la consommation et de la critique de textes rigs en modles. Cette difficult est souvent complique, chez les enseignants qui ont suivi leurs tudes suprieures avant les annes 80 (au cours desquelles s'est opr un certain retour au rcit et l'imaginaire en gnral), par une formation intellectuelle o dominent les sciences humaines. Ces temps structuralo-marxistes faisaient assez mal la nuance entresensibilitesthtiqueettalageimpudiqued'unMoijesanspertinence thorique. Les premiers jets du coup doivent leurs auteurs. Les savoirs issus des tudes universitaires ne s'avrent pas immdiatement rinvestissables. C'est, si l'on n'y prend garde, le dsarroi, la fuite ou le refus pur et simple.lves comme enseignants, dans ce contexte, ont du mal prendre avec la bibliothque, avec l'hritage, les liberts que suppose l'appropriation sans vergogne de cette mine, pourtant publique, de formes et de procds. On touffe sous les statues du Commandeur des textes sacrs, sous les parpaings qui ont reu l'onction du Lagarde et Michard, ou de l'mission Caractres. Et tout cela pse davantage encore, bien entendu, sur le jeune en chec ou le chmeur longue dure, que sur l'tudiant ou l'enseignant s-Lettres.Au total, qui veut crire se trouve confront une montagne infranchissable. L'criture littraire apparat comme un pouvoir rserv : As-tu t reu dans les premiers la rue d'Ulm ? lui sussure une voix obstine. Enfin, pour qui te prends-tu, toi qui es n dans la banlieue Nord de Perpignan et ne connais aucun auteur vivant?Iln'envaguremieuxavecl'critureprofessionnelle:As-tuunbac littraire, toi qui prtends rdiger cette note de service ou ce compte-rendu ? Les remdes en circulation libre sont rares. Pour les aspirants-crivains, il y a l'identification un auteur vivant et en bonne sant. Pour les mmes et pour tous les autres, il y a, bien qu'encore rares, peu reconnus et de qualit ingale, les ateliers d'criture. Mais sur le fond, le problme demeure : s'asseoir sur un sige, devant un bureau, avec le projet de composer un livre, c'est toujours s'asseoir sur un sige usurp. Nous crivons, ds le premier jet, qu'il s'agisse de produire un article, une nouvelle ou un rapport, dans l'horizon du Livre, et n'crit pas le Livre qui veut. Dplier le geste d'crire

Dans les ateliers d'criture, cette difficult apparat avec force lorsque nat le dsirdefabriquerdesobjetslittrairescomplexes:rcitscomplets,nouvelles, ensembles cohrents de pomes ou de fragments, variations autobiographiques. J e m'y suis montr d'autant plus sensible que ma dmarche d'animation s'tait construitepartirdelaquestionsuivante:commentallerplusloin(quela production rptitive de premiers jets) ? C'est--dire : comment permettre au geste crateur de se dplier jusqu' son terme (d'objet fini adress un lecteur inconnu) ? J em'tais,parsuite,donncommecritred'valuationdemonpropretravail, l'aptitudedescrivantsproduiredesobjetslittrairesaboutis,gnriquement situs, socialisables : combien de participants, par exemple, l'issue de ce stage d'crituredenouvelles,taient-ilseffectivementparvenuscrireunenouvelle complte ? Avec quel degr d'achvement ?La mthode conue cette fin, qui se trouve expose dans Babel heureuse 9, repose sur une stratgie de distanciation. Les adjuvants de la transformation d'un premierjetenobjetfiniimpliquenttous,eneffet,undcentrementminimalde l'auteur par rapport son texte.Surleplandel'animation,etparrapportl'avancedescritures individuelles, ces adjuvants se prsentent comme autant de dtours. Des dmarches complmentairespermettentd'apprendreserelire;d'analyserteltexted'auteur, non des fins d'explication scolaire-universitaire, mais pour en extraire une ide ou un procd utiles; de rflchir partir des productions d'autrui et des retours faits parautruisursesproprescrits;d'apprendreformaliserunprojetde transformation de tel crit initial; de se familiariser avec divers outils de rcriture, adapts au type de texte en cours d'laboration; et, globalement, de travailler dans la perspective de la communication finale des productions.Permettreauxcrivantsd'allerplusloinaainsiimpos,onleconoit aisment,ungrostravaildeconstructiond'outilspotiques.Ilafallutraduire maints travaux de Barthes, Greimas, Ricardou ou Genette, sans parler de l'norme matire publie Outre-Atlantique dans le domaine des ateliers d'criture (qu'il est debonton,ici,d'ignoreretdempriserlafois)ennotionsetensituations d'apprentissage aussi opratoires que possible : construire la charpente potique qui pouvait seule permettre d'viter les cueils bien franais du pointillisme artiste et du formalisme.l'usage,ilestapparuquecesdiffrentesoprationsdevaienttremises constamment,etdefaonperceptible,auservicedelarussitedesprojets individuelsetdudsirdesocialisation.Cen'estqu'cetteconditionqu'on surmontait un certain nombre de rsistances que l'objectif de production d'objets aboutisfaisaitinvariablementresurgir.C'estqueladistanciationn'estpasune technique, mais un processus. Elle ne peut tre postule -beaucoup d'crivants, du reste, ne le supporteraient pas-, mais doit tre construite pas pas, et avec d'autant plus de prcautions qu'elle constitue par rapport l'cole un second retournement. Transformeruntexteimposeeneffetdereprendreencompteuncertain nombredepratiquesdontl'coleatropsouventdonnuneimagehassable.La relecture peut tre d'emble reue comme une invitation se corriger; l'analyse des textes comme un retour au genre scolaire de l'explication; le travail en sous-groupes comme une perte de temps, ou une concession aux excs de la pdagogie active;ettoutepropositiondercriture,pourfinirparleplusconnu,comme l'quivalent du A refaire inscrit en rouge dans la marge.La mise en oeuvre de cette mthode a permis de constater que les crivants qui parvenaient au cours d'un stage, ou d'une anne d'atelier, produire tel ou tel type d'objetcomplexe,n'endevenaientpaspourautantautomatiquementcapablesde recommencerseuls,sansl'appuidugroupeetdel'animateur.Ilyavaitlun problmederinvestissement,commeonditenpdagogie,particulirement complexe : la construction des savoirs potiques une fois effectue, la comptence potique (l'aptitude crer les conditions ncessaires son propre accouchement) n'tait pas donne de surcrot : elle semblait alatoire, lie de multiples enjeux personnels, supposait le franchissement de seuils incertains... Il fallait aller y voir de plus prs : en quoi consiste en effet la difficult, pour le sujet une fois revenu la solitude de son criture ? Une barre franchir A cette question, je voudrais faire une rponse mtaphorique. Certains d'entre vous ont peut-tre vu comme moi l'mission que sa compagne Catherine Binet a consacre Georges Perec 10 . L'crivain y voque son premier roman peu prs abouti, Le Condottire.C'est l'histoire d'un peintre, dj nomm Gaspar Winckler, usurpateur de talent puisque faussaire rput, mais qui, un jour, ne parvient pas excuter la commande qu'on lui a faite d'une copie du portrait d'Alessandro de Messine. Ce portrait est le prfr de Perec, cause d'une petite balafre la lvre suprieure identique la sienne. Il s'appelle en outre Le Condottire, c'est--dire celui qui ne fait pas la guerredesapropreinitiative,nes'engagequepourl'autre,commelefaussaire (condotta,c'estl'engagement,d'unvaletparsonmatre).Cescaractristiques rendentl'excutionduportraitimpossible.C'estqu'ils'agitpresqued'un autoportrait,ceparquoil'onretrouvecettedimensionspculairedel'criture littraire qui en constitue peut-tre la difficult majeure. Comment le peintre s'en tire-t-il? Il excute... le commanditaire.Nuldoutequ'aprscetteexcutionsymbolique,lepeintre(etl'crivain GeorgesPerec)pouvaienttrouverlavoiedeleuroeuvrepersonnelle.Ilfallait cesserd'trelavoixdesonmatre.Ilfallaitdevenircapablededansersurle cadavre du commanditaire. Il y a l comme une condition pralable de la cration, qui se prsente comme un affranchissement. Souvenons-nous de Van Gogh, qui ne trouva le chemin de son art qu'en renonant l'approbation de ses parents et la carrire commerante, ou de pasteur, que celle-ci exigeait. Pour mettre le cap au large, vers le sublime ocan des mots venir, il y a, outre les peurs traverser, cette barre franchir, analogue celle qui commande en Afrique l'accs la haute-mer.C'estpourquoiilnesuffitpasd'apprivoiserlesmodesdestructurationdu texte long. Il faut, certes, avoir rsolu bien des difficults techniques. Il faut aussi avoir dcouvert les modes de vie, les habitudes de travail singulires qui crent les conditions favorables son propre accouchement. Il faut, sans doute, avoir travers bien des phases d'avance et de rgression : s'tre parfois, avec fureur ou tristesse, laissdporterdenouveauverslesrcifsdecontraintesoud'habitudespeu propicesl'criture.Maistoutcelaestsecondaire:laclefdecesavances successivessetrouveailleurs,dansladcouvertepersonnelledel'enjeuque reprsente pour soi l'criture. J eviensd'acheverlepremierjetd'unromancritpartirdevingt-quatre photographies. Il a fallu crire partir d'une premire photographie, concevoir la composition d'une fiction produite partir d'un dispositif de ce genre; mais, plus encore:trouverletempsetl'nergiencessairesunecrituresuivie,quasi-quotidienne, et congdier inlassablement toutes les occasions de l'abandonner en cours de route, au nom des impratifs catgoriques singuliers dont mes instituteurs laques de parents m'ont lest. Assumer chaque jour, donc, de ne pas raliser leurs prcisesattentes.Ilm'aurafalluunevingtained'annespouryparvenir:cette lenteur me semble proportionnelle l'effort que j'ai d fournir pour me dgager. Et j'enseigne encore, puisque j'anime des ateliers d'criture, qui constituent pour moi un excellent compromis. L'autorisationcriremesembledonctoujoursconstituerletermed'un processus,longoubref(maisn'estpasRimbaudquiveut).Ilestpossiblede prciser un peu la nature de ce terme partir de la question de la signature -et de son lien avec la publication.Dans un atelier commenant, la plupart des participants, distribuant pour les premires fois leurs textes taps et photocopis, oublient les marques susceptibles de les constituer en objet rfr leur auteur : la mention du nom en fin de texte (la signature) ou en dbut (la couverture). L'envoi du texte dans le monde n'est pas assum.L'enfantdecettetrangeparturitionn'estpasreconnu.Onvoudrait encore le retenir, et du moins rendre impossible son attribution un auteur prcis.Signer,c'estaccepterdelcherletexte(cen'estpluslecorpsprsentde l'auteurquiattested'unequelconquematernit),enluiajoutantcettemarque abstraite,lenom,quipermettradelereliersonauteur.Signer,aufond,c'est toujours plus ou moins affirmer, suivant la formule dont Nina Berbrova a fait l'un de ses titres : C'est moi qui souligne, puisque cela se rsume en effet signer son nom. Faute d'y parvenir absolument, certains auteurs utilisent le subterfuge, sans doute facilitant, du ou des pseudonymes. N'empche : ce qui se signe dans cette opration de soulignement du nom, qui consiste en l'ajout d'une barre la simple criture du nom, au moment o il s'agit de faire du texte un objet social, c'est une relationassume,repriseencompte-lesoulignementn'est-ilpasunefigurede l'insistance?-, personnellement et socialement, entre l'auteur -son nom, c'est--dire son identit-, et son objet. La signature suggre que l'auteur se porte garant d'une identit : celle de sa personne et de son criture. Elle tmoigne d'un saut : dans l'oeuvre. Le travail du garant Ce compte, de toutes les difficults que rencontre le sujet avant de s'autoriser crire, inspire une typologie (dlibrment sommaire).Il y a ceux qui ne s'autorisent pas crire, par peur d'chouer, voire par peur de russir; ils sont lgion, je n'y reviens pas. Ilyaaussiceuxquis'autorisentlepremierjet,spontan,ludique-la dimension crative et sensible du passage l'criture- mais surtout pas le Livre : le travail prolong de sa composition. Certaines des personnes qui viennent travailler dans l'atelier d'un an que l'Aleph consacre au roman, butent incontestablement l-dessus.Lesfemmes,selonDidierAnzieu,figureraientennombredanscette catgorie 11 . Il y a encore ceux qui s'autorisent le travail prolong de composition, mais condition que cela ne procde pas d'une matire initiale trop motive. Il faut qu'il y ait un impratif social, ou une contrainte institutionnelle l'uvre : ouvrage li l'activit professionnelle, mmoire ou thse. Au pire on ventriloque (et ce sont tous cestextesrelevantdelalittraturegrisequinesontlusqu'desfins d'valuation), on ne se risque gure dcouvert, sans la tutelle de quelque grand systme;aumieuxoninvente,maisonviteentoutcaslescrituresoilest suggrdes'osercru(l'autobiographie,lafiction,laposie...).Leshommes seraientsocialementprdispossfairepartiedecettesecondecatgorie. L'oppositionsuggreparAnzieuesteneffetrecoupeparcequ'ilestpossible d'observerdelacompositiondesgroupesl'Aleph:laproportiondesfemmes, crasantedanslesactivitsinitiales(l'atelierrgulierycompris),tendensuite dcrotrergulirementdanslamesureoilestquestionduLivreetdela publication.Et il y a ceux, enfin et complmentairement, qui s'autorisent... faire crire les autres. Le dplacement n'est pas rare. Danscesconditions,enquoipeutbienconsister,surleplanpotique,le travail d'accompagnement de l'animateur ? Il me semble qu'avant toutes choses, cet accompagnement doit tre prudent. Il ne peut gure y avoir dans ce domaine de didactique : mais beaucoup d'coute, un soupon de maeutique, et de rares conseils, adapts chaque cas. Pas d'tapes obliges, en effet, et donc gure de progression : mais des seuils, des retours en arrireetdesavances,parrapportauxquelsl'animateurnepeuts'rigernien arbitre ni en juge. Toutes les dimensions que je viens d'voquer sont en effet co-prsentes dans l'acte d'crire, du dbut la fin. Elles le sont quelque soit le type d'objet produire. Elles le sont pour le travailleur de bas niveau de qualification. Elles le sont aussi pour l'tudiant de matrise ou l'apprenti-crivain.L'accompagnement doit tre prudent pour une seconde raison : si l'autorisation crire est le terme d'un processus, tout atelier d'criture est cet gard d'une relle brivet:quelquesjours,quelquessemaines,deuxoutroisansaumaximum. S'autoriser crire dure toute la vie. On peut y renoncer. On peut n'y accder que par clairs. On peut y parvenir vingt ou soixante ans. L'animateur ne peut donc quefaciliteruntravaildeprisedeconscience:faireunrenvoi,leverunlivre, reprer un enjeu personnel, donner les lments de mthode qui semblent utiles. Tout cela est un travail de construction singulier : j'cris bien le matin, et lorsque je suis en panne, rien n'est plus efficace pour moi que d'aller faire pied le tour du petit bois qui se trouve derrire ma maison : mais la mthode peut ne pas valoir un pet de lapin pour quelqu'un d'autre. Il ne faut pas perdre de vue, en somme, ce que suggre l encore l'tymologie : siauctor,c'estlegarant,lemotgarantdrivelui-mmed'untermeradical germanique(wahr),quisignifievrai.L'animateurseraitcegarant:nondela vritdelarelationqu'entretienttelsujetsoncriture,maisd'undispositif permettant ce sujet de la chercher. L'atelier grce lui permet au sujet, dans le meilleurdescas,detrouverlaplace,laplusjustepossible,quepeutoccuper l'criture dans sa vie, compte-tenu de sa situation, de ses projets, de ses objectifs, et les outils adquats.C'est dire qu'il n'y a pas l de norme, ni de volontarisme. Il est inutile de se frapper la poitrine : Alors, pour crire un livre, il faut travailler tous les jours ! Mais non! Non, parce qu'il ne faut pas crire un livre. Vous crirez un livre si ce livre est ncessaire pour vous, et il faut aussi longtemps, qui se dcouvre un jour dans la ncessit d'crire, pour trouver le chemin de l'criture que pour trouver celui de sa vrit (singulire, alatoire).J e me moque, mais je me suis plus d'une fois frapp la poitrine. Les choses sont devenues plus simples. J 'ai mis trs longtemps me souvenir qu' quinze ans jervaisd'crire.J 'aitentplusieursreprisesdel'oublier,nonsansuncertain succs parfois, ni une certaine tristesse. Aujourd'hui, tout bonnement, moins j'cris, et plus mal je me porte. J e travaille donc de plus en plus mener l'obscur la lumire.L'essentiel ne rside donc pas tant dans les retours de l'animateur que dans la reprisequ'enfaitononlesujet.Ilestleseuldtenirlesclefsdu rinvestissement, hors atelier, des savoirs qu'il s'y est construits. Il est le seul pouvoir faire de l'criture, cette activit lourde, mangeuse de temps, de matriel et d'argent, contrairement bien des ides reues, une activit rgulire. Il est le seul pouvoir venir bien de l'ingniosit incroyable, mticuleuse, dont nous sommes pour la plupart capables lorsqu'il s'agit de ne pas crire (et de ne pas tre heureux).Ecrire est un travail de transformation : du texte et de soi, inextricablement. Au bout du compte, il appartient au seul sujet de savoir en quoi, pour lui-mme, cette transformation consiste.Je voudrais terminer en prcisant quelles conditions, mon sens, l'animateur peut se porter vritablement garant de l'identit d'autrui dans son criture. Il faut qu'il travaille tre et rester le garant de sa propre identit dans l'criture. Ceci rend indispensable un travail d'accompagnement... de l'animateur. Alain ANDR [email protected] Editions Gallimard, 1968. 2 Editions Gallimard, 1956 et 1988 (pour la collection L'Imaginaire). 3 Paru aux ditions du Seuil en 1989. Voir plus prcisment le chapitre Rve, dcision, projet. 4 Ibid., chapitre intitul Rve, dcision, projet. 5 Aleph, cre en 1985 en tant qu'association, est depuis peu une socit de formation contrle par le collectif de ses animateurs. Sa vocation est le dveloppement de l'criture, littraire, professionnelle et journalistique. Elle propose des ateliers d'criture rguliers, de nombreux stages, des formations de formateurs, une aide aux projets d'initiative culturelle, et intervient dans de nombreux organismes : centres de formation, missions de formation des personnels enseignants, universits, entreprises, bibliothques et municipalits. Son sige est au 7, rue Saint-J acques, 75005-Paris (tl. 46.34.03.59).6 Cf. Le corps de l'oeuvre, paru aux ditions Gallimard en 1981, dans la collection Connaissance de l'inconscient. 7 Il s'agit des oncles de Kafka, qui se moquaient du fatras habituel que constituaient leurs yeux ses essais littraires. Cf. Babel heureuse, l'atelier d'criture au service de la cration littraire (ditions Syros-Alternatives, 1989), p.83.84. 8 Voir dans le Journal (paru aux ditions Bernard Grasset, 1954), la date du 19 janvier 1911. 9 Op. cit. 10 Te souviens-tu de Georges Perec?,dans Ocaniques les 26 aot et 2 septembre 1991. 11 Cf. Le Corps de l'oeuvre, op. cit.