eBook Fr Verne Jules Ici Etait Paris

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Jules VerneIci tait Paris*************+D'o venait ce document ? Que signifiait-il ? Telles furent les deux questions qui se posrent d'elles-mmes l'esprit de Sofr.Pour rpondre la premire il fallait ncessairement tre en tat de rpondre la seconde. Is'agissait donc, tout d'abord, de lire, de traduire ensuite, car on pouvait affirmer priori que la langue du document serait aussi ignore que son criture.Cela tait-il impossible ? Le zartog Sofr ne le pensa pas, et, sans tarder, il se mit fivreusement au travail.Ce travail dura longtemps, longtemps, des annes entires. Sofr ne se lassa point. Sans se dcourager, il poursuivit l'tude mthodique du mystrieux document, avanant pas pas vers la lumire. Un jour vint o il possda la clef de l'indchiffrable rbus, un jour vint o, avec beaucoup d'hsitation et beaucoup de peine encore, il put traduire dans la langue des Hommes-des-Quatre-Mers.Or, quand ce jour arriva, le zartog Sofr-A-Sr lut ce qui suit :Rosario, le 24 mai...C'est donc le 24 mai que commence le rcit des effroyables vnements que j'entends ici rapporter pour l'enseignement de ceux qui viendront aprs moi, si toutefois l'humanit est encore en droit de compter sur un avenir quelconque.En quelle langue crirai-je ? En anglais ou en espagnol, que je parle couramment ? Non ! j'crirai dans la langue de mon pays : en franais....Ce jour-l, 24 mai, nous tions huit assis autour de ma table, la lumire des lampes qu'alimentaient des groupes lectrognes installs dans le jardin. Il y avait, outre le matre de cans, son fils et sa pupille, cinq autres convives, dont trois appartenaient la race anglo-saxonne et deux la nation mexicaine....Nous arrivmes sans incident notable la fin du repas. Les paroles qu'on avait prononces jusque-l, je les ai oublies. Par contre, il n'en est pas ainsi de ce qui fut dit au moment des cigares....On en tait venu, comment, peu importe ! parler des progrs merveilleux accomplis par l'homme. Le docteur Bathurst dit, un certain moment : Il est de fait que si Adam (naturellement, en sa qualit d'Anglo-Saxon, il prononait Edem) et Eve (il prononait Iva, bien entendu) revenaient sur la terre, ils seraient joliment tonns ! Ce fut l'origine de la discussion.... D'abord, rpondit le prsident sans s'mouvoir, il est croire que la terre avait jadis moins d'habitants qu'elle n'en a aujourd'hui, de telle sorte qu'un peuple pouvait fort bien possder lui seul le savoir universel. Ensuite, je ne vois rien d'absurde, priori, admettre que toute la surface du globe soit bouleverse en mme temps. Allons donc ! nous crimes-nous, l'unisson.Ce fut cet instant prcis que survint le cataclysme.Nous prononcions encore tous ensemble cet : Allons donc ! qu'un vacarme effroyable s'leva. Le sol trembla et manqua sous nos pieds, la villa oscilla sur ses fondements.... peine avions-nous franchi le seuil, que la maison s'croulait d'un seul bloc, ensevelissant sous ses dcombres le prsident Mendoz et mon valet de chambre Germain, qui venaient les derniers. Aprs quelques secondes d'un affolement bien naturel, nous nous disposions leur porter secours quand nous apermes Raleigh, mon jardinier, qui accourait, suivi de sa femme, du bas du jardin, o il habitait. La mer !... La mer !... criait-il pleins poumons.Je me retournai du ct de l'ocan et demeurai sans mouvement, frapp de stupeur. Ce n'est pas que je me rendisse nettement compte de ce que je voyais, mais j'eus sur-le-champ la claire notion que la perspective coutumire tait change. Or, cela ne suffisait-il pas glacer le cur d'pouvante que l'aspect de la nature, de cette nature que nous considrons comme immuable par essence, et t si trangement modifi en quelques secondes ?Cependant je ne tardai pas recouvrer mon sang-froid. La vritable supriorit de l'homme, ce n'est pas de dominer, de vaincre la nature ; c'est, pour le penseur, de la comprendre, de faire tenir l'univers immense dans le microcosme de son cerveau ; c'est, pour l'homme d'action, de garder une me sereine devant la rvolte de la matire, c'est de lui dire : Me dtruire, soit ! M'mouvoir, jamais !...Ds que j'eus reconquis mon calme, je compris en quoi le tableau que j'avais sous les yeux diffrait de celui que j'tais accoutum de contempler. La falaise avait disparu, tout simplement, et mon jardin s'tait abaiss jusqu'au ras de la mer, dont les vagues, aprs avoir ananti la maison du jardinier, battaient furieusement mes plates-bandes les plus basses....Ma dcision fut rapide : l'auto ! m'criai-je.On me comprit. Nous nous lanmes tous vers la remise, et l'auto fut trane au-dehors. En un clin d'il, on fit le plein d'essence, puis nous nous entassmes au petit bonheur. Mon chauffeur Simonat actionna le moteur, sauta au volant, embraya et partit sur la route en quatrime vitesse, tandis que Raleigh, ayant ouvert la grille, agrippait l'auto au passage et se cramponnait aux ressorts d'arrire. Il tait temps ! Au moment o l'auto atteignait la route, une lame vint en dferlant mouiller les roues jusqu'au moyeu. Bah ! dsormais nous pouvions nous rire de la poursuite de la mer. En dpit de sa charge excessive, ma bonne machine saurait nous mettre hors de ses atteintes et, moins que la descente vers l'abme ne dt indfiniment continuer... En somme, nous avions du champ devant nous : deux heures au moins de monte et une altitude disponible de prs de quinze cents mtres....L'heure s'coula sans que rien ft chang dans notre situation. Dj, nous distinguions le point culminant de la cte, quand la voiture prouva une violente secousse et fit une embarde qui faillit la fracasser sur le talus de la route. En mme temps, une vague norme s'enfla derrire nous, courut l'assaut de la route, se creusa et dferla finalement sur l'auto, qui fut entoure d'cume...Allions-nous donc tre engloutis ?...Non ! l'eau se retira en bouillonnant, tandis que le moteur, prcipitant tout coup ses haltements, augmentait notre allure.D'o provenait ce subit accroissement de vitesse ? Un cri d'Anna Raleigh nous le fit comprendre : ainsi que la pauvre femme venait de le constater, son mari n'tait plus cramponn aux ressorts.Sans doute, le remous avait arrach le malheureux, et c'est pourquoi la voiture dleste gravissait plus allgrement la pente.Soudain, elle s'arrta sur place. Qu'y a-t-il ? demandai-je Simonat. Une panne ? Mme dans ces circonstances tragiques, l'orgueil professionnel ne perdit pas ses droits : Simonat haussa les paules avec ddain, entendant par l me signifier que la panne tait inconnue d'un chauffeur de sa sorte, et, de la main, il montra silencieusement la route. L'arrt me fut alors expliqu.La route tait coupe moins de dix mtres en avant de nous. Coupe est le mot juste ; on l'et dite tranche au couteau. Au-del d'une arte vive qui la terminait brusquement, c'tait le vide, un abme de tnbres, au fond duquel il tait impossible de rien distinguer. Nous nous retournmes, perdus, certains que notre dernire heure avait sonn. L'ocan, qui nous avait poursuivis jusque sur ces hauteurs, allait ncessairement nous atteindre en quelques secondes......Russirions-nous nous tirer de ce mauvais pas ? Nous ne le saurions qu'au jour. Jusque-l, il fallait attendre. L'un aprs l'autre, nous nous tendmes donc sur le sol, et je crois, Dieu me pardonne, que je m'endormis !...Dans la nuit.Je suis rveill en sursaut par un bruit formidable. Quelle heure est-il ? Je l'ignore. En tout cas, nous sommes toujours noys dans les tnbres de la nuit.Le bruit sort de l'abme impntrable dans lequel la route s'est effondre. Que se passe-t-il ?... On jurerait que des masses d'eau y tombent en cataractes, que des lames gigantesques s'y entrechoquent avec violence... Oui, c'est bien cela, car des volutes d'cume arrivent jusqu' nous, et nous sommes couverts par les embruns.Puis le calme renat peu peu... Tout rentre dans le silence... Le ciel plit... C'est le jour.25 mai.Quel supplice que la lente rvlation de notre situation vritable ! D'abord, nous ne distinguons que nos environs immdiats, mais le cercle grandit, grandit sans cesse, comme si notre espoir toujours du avait soulev l'un aprs l'autre un nombre infini de voiles lgers ; et c'est enfin la pleine lumire, qui dtruit nos dernires illusions.Notre situation est des plus simples et peut se rsumer en quelques mots : nous sommes sur une le. La mer nous entoure de toutes parts. Hier encore, nous aurions aperu tout un ocan de sommets, dont plusieurs dominaient celui sur lequel nous nous trouvons : ces sommets ont disparu, tandis que, pour des raisons qui resteront jamais inconnues, le ntre, plus humble cependant, s'est arrt dans sa chute tranquille ; leur place, s'tale une nappe d'eau sans limite. De tous cts, rien que la mer. Nous occupons le seul point solide du cercle immense dcrit par l'horizon.Nous nous regardons, pouvants. Parqus, sans vivres, sans eau, sur ce roc troit et nu, nous ne pouvons conserver le moindre espoir. Farouches, nous nous couchons sur le sol, et nous commenons attendre la mort. bord de la Virginia, 4 juin.Que s'est-il pass pendant les jours suivants ? Je n'en ai pas gard le souvenir. Il est supposer que je perdis finalement connaissance : je ne retrouve conscience qu' bord du navire qui nous a recueillis......La Virginia, qui nous porte, est un btiment mixte vapeur et voiles de deux mille tonneaux environ, consacr au transport des marchandises. C'est un assez vieux navire, mdiocre marcheur. Le capitaine Morris a vingt hommes sous ses ordres. Le capitaine et l'quipage sont anglais... terre, janvier ou fvrier.Un intervalle de huit mois spare les dernires lignes qui prcdent des premires lignes qui vont suivre. Je date celles-ci de janvier ou fvrier, dans l'impossibilit o je suis d'tre plus prcis, car je n'ai plus une exacte notion du temps.Ces huit mois constituent la priode la plus atroce de nos preuves, celle o, par degrs cruellement mnags, nous avons connu tout notre malheur.Aprs nous avoir recueillis, la Virginia continua sa route vers l'est, toute vapeur. Quand je revins moi, l'lot o nous avions failli mourir tait depuis longtemps sous l'horizon.Comme l'indiqua le point, que le capitaine prit par un ciel sans nuages, nous naviguions alors juste l'endroit o aurait d tre Mexico. Mais, de Mexico, il ne demeurait aucune trace pas plus qu'on n'en avait trouv, pendant mon vanouissement, des montagnes du centre, pas plus qu'on n'en distinguait maintenant d'une terre quelconque, si loin que portt la vue ; de tous cts, ce n'tait que l'infini de la mer.Il y avait, dans cette constatation, quelque chose de vritablement affolant. Nous sentions la raison prs de nous chapper. Eh ! quoi ! le Mexique entier englouti !... Nous changions des regards pouvants, en nous demandant jusqu'o s'taient tendus les ravages de l'effroyable cataclysme...Le capitaine voulut en avoir le cur net ; modifiant sa route, il mit le cap au nord : si le Mexique n'existait plus, il n'tait pas admissible qu'il en ft de mme de tout le continent amricain.Il en tait de mme, pourtant. Nous remontmes vainement au nord pendant douze jours sans rencontrer la terre, et nous ne la rencontrmes pas davantage aprs avoir vir cap pour cap et nous tre dirigs vers le sud pendant prs d'un mois. Quelque paradoxale qu'elle nous part, force nous fut de nous rendre l'vidence : oui, la totalit du continent amricain s'tait abme sous les flots !N'avions-nous donc t sauvs que pour connatre une seconde fois les affres de l'agonie ? En vrit, nous avions lieu de le craindre. Sans parler des vivres qui manqueraient un jour ou l'autre, un danger pressant nous menaait : que deviendrions-nous quand l'puisement du charbon frapperait la machine d'immobilit ? Ainsi cesse de battre le cur d'un animal exsangue. C'est pourquoi, le 14 juillet, nous nous trouvions alors peu prs sur l'ancien emplacement de Buenos Aires, le capitaine Morris laissa tomber les feux et mit la voile. Cela fait, il runit tout le personnel de la Virginia, quipage et passagers, et, nous ayant expos en peu de mots la situation, il nous pria d'y rflchir mrement et de proposer la solution qui aurait nos prfrences au conseil qui serait tenu le lendemain.Je ne sais si quelqu'un de mes compagnons d'infortune se ft avis d'un expdient plus ou moins ingnieux. Pour ma part, j'hsitais, je l'avoue, trs incertain du meilleur parti prendre, quand une tempte qui s'leva dans la nuit trancha la question ; il nous fallut fuir dans l'ouest, emports par un vent dchan, chaque instant sur le point d'tre engloutis par une mer furieuse.L'ouragan dura trente-cinq jours, sans une minute d'interruption, voire mme de dtente. Nous commencions dsesprer qu'il fint jamais lorsque, le 19 aot, le beau temps revint avec la mme soudainet qu'il avait cess. Le capitaine en profita pour faire le point : le calcul lui donna 40 de latitude nord et 114 de longitude est. C'taient les coordonnes de Pkin !Donc, nous avions pass au-dessus de la Polynsie, et peut-tre de l'Australie, sans mme nous en rendre compte, et l o nous voguions maintenant s'tendait jadis la capitale d'un empire de quatre cents millions d'mes !L'Asie avait-elle donc eu le sort de l'Amrique ? Nous en fmes bientt convaincus. La Virginia, continuant sa route cap au sud-ouest, arriva la hauteur du Tibet, puis celle de l'Himalaya. Ici auraient d s'lever les plus hauts sommets du globe. Eh bien ! dans toutes les directions, rien n'mergeait de la surface de l'ocan. C'tait croire qu'il n'existait plus, sur la terre, d'autre point solide que l'lot qui nous avait sauvs, que nous tions les seuls survivants du cataclysme, les derniers habitants d'un monde enseveli dans le mouvant linceul de la mer !S'il en tait ainsi, nous ne tarderions pas prir notre tour. Malgr un rationnement svre, les vivres du bord s'puisaient en effet et nous devions perdre, en ce cas, tout espoir de les renouveler...J'abrge le rcit de cette navigation effarante. Si, pour la raconter en dtail, j'essayais de la revivre jour par jour, le souvenir me rendrait fou. Pour tranges et terribles que soient les vnements qui l'ont prcde et suivie, quelque lamentable que m'apparaisse l'avenir, un avenir que je ne verrai pas, c'est encore durant cette navigation infernale que nous avons connu le maximum de l'pouvante. Oh ! cette course ternelle sur une mer sans fin ! S'attendre tous les jours aborder quelque part et voir sans cesse reculer le terme du voyage ! Vivre penchs sur des cartes o les hommes avaient grav la ligne sinueuse des rivages, et constater que rien, absolument rien, n'existe plus de ces lieux qu'ils pensaient ternels ! Se dire que la terre palpitait de vies innombrables, que des millions d'hommes et des myriades d'animaux la parcouraient en tous sens ou en sillonnaient l'atmosphre, et que tout est mort la fois, que toutes ces vies se sont teintes ensemble comme une petite flamme au souffle du vent ! Se chercher partout des semblables et les chercher en vain ! Acqurir peu peu la certitude qu'autour de soi il n'existe rien de vivant, et prendre graduellement conscience de sa solitude au milieu d'un impitoyable univers !...Ai-je trouv les mots convenables pour exprimer notre angoisse ? Je ne sais. Dans aucune langue il n'en doit exister d'adquats une situation sans prcdent.Aprs avoir reconnu la mer o tait jadis la pninsule indienne, nous remontmes au nord pendant dix jours, puis nous mmes le cap l'ouest. Sans que notre condition changet le moins du monde, nous franchmes la chane de l'Oural devenue montagnes sous-marines, et nous navigumes au-dessus de ce qui avait t l'Europe. Nous descendmes ensuite vers le sud, jusqu' vingt degrs au-del de l'quateur ; aprs quoi, lasss de notre inutile recherche, nous reprmes la route du nord et traversmes, jusque pass les Pyrnes, une tendue d'eau qui recouvrait l'Afrique et l'Espagne.En vrit, nous commencions nous habituer notre pouvante. mesure que nous avancions, nous pointions notre route sur les cartes, et nous disions : Ici, c'tait Moscou... Varsovie... Berlin... Vienne... Rome... Tunis... Tombouctou... Saint-Louis... Oran... Madrid... mais avec une indiffrence croissante, et, l'accoutumance aidant, nous en arrivions prononcer sans motion ces paroles, en ralit si tragiques.Pourtant, moi tout au moins, je n'avais pas puis ma capacit de souffrance. Je m'en aperus le jour c'tait peu prs le 11 dcembre o le capitaine Morris me dit : Ici, c Paris... ces mots, je crus qu'on m'arrachait l'me. Que l'univers entier ft englouti, soit ! Mais la France ma France ! et Paris, qui la symbolisait !... mes cts, j'entendis comme un sanglot. Je me retournai ; c'tait Simonat qui pleurait.Pendant quatre jours encore, nous poursuivmes notre route vers le nord ; puis, arrivs la hauteur d'Edimbourg, on redescendit vers le sud-ouest, en qute de l'Irlande, puis la route fut donne l'est... En ralit, nous errions au hasard, car il n'y avait pas plus de raisons d'aller dans une direction que dans une autre... On passa au-dessus de Londres, dont la tombe liquide fut salue de tout l'quipage. Cinq jours aprs, nous tions la hauteur de Dantzig, quand le capitaine Morris fit virer cap pour cap et ordonna de gouverner au sud-ouest. Le timonier obit passivement. Qu'est-ce que cela pouvait bien lui faire ? De tous cts, ne serait-ce pas la mme chose ?...Ce fut le neuvime jour de navigation cette aire de compas que nous mangemes notre dernier morceau de biscuit......Terre par tribord devant ! Quel effet magique eurent ces mots ! Tous les moribonds ressuscitrent la fois, et leurs figures hves apparurent au-dessus de la lisse de tribord. C'est bien la terre , dit le capitaine Morris aprs avoir examin le nuage qui mergeait l'horizon.Une demi-heure plus tard, il tait impossible de conserver le moindre doute. C'tait bien la terre que nous trouvions en plein ocan Atlantique, aprs l'avoir vainement cherche sur toute la surface des anciens continents !Vers trois heures de l'aprs-midi, le dtail du littoral qui nous barrait la route devint perceptible, et nous sentmes renatre notre dsespoir. C'est qu'en vrit ce littoral ne ressemblait aucun autre, et nul d'entre nous n'avait souvenir d'en avoir jamais vu d'une si absolue, d'une si parfaite sauvagerie.Sur la terre, telle que nous l'habitions avant le dsastre, le vert tait une couleur trs abondante. Nul d'entre nous ne connaissait de cte si dshrite, de contre si aride, qu'il ne s'y rencontrt quelques arbustes, voire quelques touffes d'ajoncs, voire simplement des tranes de lichens ou de mousses. Ici, rien de tel. On ne distinguait qu'une haute falaise noirtre, au pied de laquelle gisait un chaos de rochers, sans une plante, sans un seul brin d'herbe. C'tait la dsolation dans ce qu'elle peut avoir de plus total, de plus absolu.Pendant deux jours, nous longemes cette falaise abrupte sans y dcouvrir la moindre fissure. Ce fut seulement vers le soir du second que nous dcouvrmes une vaste baie, bien abrite contre tous les vents du large, au fond de laquelle nous laissmes tomber l'ancre.Aprs avoir gagn la terre dans les canots, notre premier soin fut de rcolter notre nourriture sur la grve. Celle-ci tait couverte de tortues par centaines et de coquillages par millions.Dans les interstices des rcifs, on voyait des crabes, des homards et des langoustes en quantit fabuleuse, sans prjudice d'innombrables poissons. De toute vidence, cette mer si richement peuple suffirait, dfaut d'autres ressources, assurer notre subsistance pendant un temps illimit......Le lendemain, midi, le point donna 1720 de latitude nord et 2355 de longitude ouest. En le reportant sur la carte, nous pmes voir qu'il se trouvait bien en pleine mer, peu prs la hauteur du Cap Vert. Et pourtant la terre, dans l'ouest, dans l'est, s'tendait maintenant perte de vue.Quelque rbarbatif et inhospitalier que ft le continent sur lequel nous avions pris pied, force nous tait de nous en contenter. C'est pourquoi le dchargement de la Virginia fut entrepris sans plus attendre. On monta sur le plateau tout ce qu'elle contenait, sans choix. Auparavant, on avait affourch solidement le btiment sur quatre ancres, par quinze brasses de fond. Dans cette baie tranquille, il ne courait aucun risque, et nous pouvions sans inconvnient l'abandonner lui-mme.Ds que le dbarquement fut achev, notre nouvelle vie commena. En premier lieu, il convenait...Arriv ce point de sa traduction, le zartog Sofr dut l'interrompre. Le manuscrit avait cet endroit une premire lacune, probablement fort importante d'aprs la quantit de pages intresses, lacune suivie de plusieurs autres plus considrables encore, autant qu'il tait possible d'en juger. Sans doute, un grand nombre de feuillets avaient t atteints par l'humidit, malgr la protection de l'tui : il ne subsistait, en somme, que des fragments plus ou moins tendus, dont le contexte tait jamais dtruit.