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TRANSPLANTATION PULMONAIRE AVEC DONNEURS VIVANTS QUELS ENJEUX AUJOURD'HUI ? > ESPACE ÉTHIQUE COLLECTI O N HORS- SÉRIE / 2 sous la direction de marc guerrier et jean lafond

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T R A N S P L A N TATION PULMONAIREAVEC DONNEURS VIVA N T SQUELS ENJEUX AUJ O U R D ' H U I?

>E S PACE ÉTHIQUECO L L E CTI O N

HORS-SÉRIE /2

sous la direction de marc guerrieret jean lafond

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> TRANSPLANTATIONPULMONAIRE AVECDONNEURS VIVANTSQUELS ENJEUX AUJOURD'HUI ?

ATELIER DE RÉFLEXIONMardi 23 janvier 2003

Préface de Jean Lafond

En partenariat avec Vaincre la Mucoviscidose

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© Vaincre la Mucoviscidose

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> AUTEURS> sous la direction de :> Dr Marc Guerrier

Adjoint du Directeur de l’Espace éthiqueAssistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP)

> Jean Lafond

Président de l’association Vaincre la Mucoviscidose

> auteurs :> Pierre BernardAssociation Vaincre la Mucoviscidose

> Pr Jean-Paul CouëtilChirurgien, hôpital européen Georges-Pompidou, AP-HP

> Caroline DalvaiAssociation Vaincre la Mucoviscidose

> Michel FavierAssociation Vaincre la Mucoviscidose

> Catherine GrisonAssociation Vaincre la Mucoviscidose

> Dr Alain HalounPneumologue, hôpital Laennec, Nantes

> Pr Emmanuel HirschDirecteur de l’Espace éthique AP-HP et du Département de recherches en éthiques Paris 11 / AP-HP

> Jean LafondPrésident de l’association Vaincre la Mucoviscidose

> Hervé LanierAssociation Vaincre la Mucoviscidose

> Dr Dominique ManachPneumologue, médecin de santé publique, CHUCochin et CHU Lariboisière Fernand-Widal, AP-HP

> Claire MarotAssociation Vaincre la Mucoviscidose

> Maryane Martinez-BouquetAssociation Vaincre la Mucoviscidose

> Pr Dominique MétrasChirurgien, hôpital de la Timone, Assistance PubliqueHôpitaux de Marseille (AP-HM)

> Dr Roger MislawskiChirurgien, juriste, Université de Cergy-Pontoise

> Joëlle MoulinouxAssociation Vaincre la Mucoviscidose

> Pr Jean NavarroPédiatre, hôpital Robert Debré, président du Comitéd’évaluation et de diffusion des innovations technologiques (CEDIT) de l'AP-HP

> Sylvie PucheuPsychologue clinicienne, service de psychologie clinique et psychiatrie de liaison, hôpital européenGeorges-Pompidou, AP-HP

> Dr Sophie RavillyPédiatre, directrice médicale, association Vaincre la Mucoviscidose

> Pr Philippe ReinertPédiatre, CHI de Créteil

> Dr Isabelle Sermet-GaudelusPédiatre, Hôpital Necker -Enfants malades, AP-HP

> Sylvie ZellerAssociation Vaincre la Mucoviscidose

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P 9 > AVANT-PROPOSP 9 > Dr Marc Guerrier

Adjoint du directeur, Espace éthique / AP-HP

P 10 > PRÉFACEP 10 > Transplantation pulmonaire à partir de donneurs vivants.

Et si, un jour, la question se posait pour vous ?Jean LafondPrésident de l’association Vaincre la Mucoviscidose

P 11 > 1/ ASPECTS MÉDICAUX ET CHIRURGICAUXP 12 > Techniques chirurgicales – analyses de la littérature

• La question de la pénurie• La technique de transplantation pulmonaire à partir de donneurs vivants• La question de la sélection des donneurs• La question de l’information

Pr Jean-Paul Couëtil Chirurgien, hôpital européen Georges-Pompidou, AP-HP

P 15 > Analyse des résultats : avantages et risques• Analyse des résultats de la littérature : les receveurs• Concernant la survie des patients• L’état des donneurs, leur évolution

Pr Jean Navarro Pédiatre, hôpital Robert Debré, président du Comité d’évaluation et de diffusion des innovationstechnologiques (CEDIT) de l’AP-HP

Dr Isabelle Sermet-GaudelusPédiatre, hôpital Necker - Enfants malades, AP-HP

Pr Philippe ReinertPédiatre, CHI de Créteil

Dr Sophie RavillyPédiatre, directrice médicale, association Vaincre la Mucoviscidose

P 20 > Sélection des donneurs• Les équipes de Saint Louis et de Los Angeles• Procédures élaborées à Saint Louis• Procédures élaborées à Los Angeles• Suivi et prise en charge des donneurs

Dr Sophie Ravilly Pédiatre, directrice médicale, association Vaincre la Mucoviscidose

P 24 > Réalités d’une pratique en France• Le choix de recourir à des donneurs vivants• L’organisation pratique de la transplantation et ses suites• Quel bilan ?

Pr Dominique Métras Chirurgien, hôpital de la Timone, AP-HM

> SOMMAIRE

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P 27 > Discussion• Importance de la terminologie• L’interprétation des chiffres, un vrai problème méthodologique• Risques chirurgicaux et difficultés logistiques• Hôpital européen Georges-Pompidou : l’expérience d’une équipe• De l’intérêt de croiser ses sources

P 35 > 2/ ASPECTS PSYCHOLOGIQUES ET SOCIAUXP 36 > Synthèse du groupe de travail patients/parents

Membres du groupe : Claire Marot, Michel Favier, Maryane Martinez-Bouquet, Catherine Grison, Pierre Bernard, Hervé Lanier, Caroline Dalvai, Sylvie Zeller, Joëlle Moulinoux

❶ Les significations du don• Que faire pour bien faire ?• La difficile question du don• Un excès de responsabilités

Claire Marot

❷ La notion de temps• Le temps de l’annonce• Le temps de l’attente, de l’échange et de la décision

Michel Favier

❸ Culpabilité et transplantation pulmonaire avec donneurs vivants• Culpabilité des parents vis-à-vis de leur enfant• La fratrie• Le patient atteint de mucoviscidose et son conjoint

Hervé Lanier

❹ Aspects sociaux et économiques pour le donneur vivant• La prise en charge du pré-don et du don• La prise en charge post-opératoire• Quand la société pénalise après la greffe• La question des prêts bancaires et des contrats d’assurance• La question de l’indemnisation• L’accès au dossier médical

Catherine Grison

➎ Ce que donner signifie• La réflexion éthique appartient à chacun• Que me révèle autrui en face de moi ?• Comment se situer de façon juste et vrai ?• Un temps partagé

Claire Marot

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P 49 > La préparation psychologique : expérience du Centre de transplantation de l’hôpital européen Georges-Pompidou, AP-HP• Évaluer les motivations du donneur• Qu’observe-t-on chez les protagonistes ?• Les critères prédictifs qui paraissent actuellement les plus pertinents• L’information : quand ? Comment ? Par qui ?• Un cadre d’information et de décision

Sylvie Pucheu Psychologue clinicienne, service de psychologie clinique et psychiatrie de liaison, hôpital européen Georges-Pompidou, AP-HP

P 54 > Discussion• Enjeux de la communication• Spécificités de l’approche d’un adulte à transplanter• Aspects éthiques et responsabilités engagées

P 65 > 3/ ASPECTS ÉCONOMIQUES ET ORGANISATIONNELSP 66 > Transplantations – cahier des charges : état des lieux

• L’activité de transplantation en France • Dispositifs indispensables au fonctionnement des équipes de transplantation• État des lieux des transplantations en France

Dr Alain HalounPneumologue, hôpital Laennec, Nantes

P 69 > Enjeux économiques et prospectives de la transplantation pulmonaire• Coût de la transplantation pulmonaire avec donneurs cadavériques• Coût de la transplantation pulmonaire avec donneurs vivants• Coût national• Les tarifs• Le coût est-il un facteur limitant ?• Prospectives

Dr Dominique ManachPneumologue, médecin de santé publique, CHU Cochin et CHU Lariboisière Fernand-Widal, AP-HP

P 71 > Discussion• Un déficit en termes de reconnaissance et de moyens• Des moyens mieux répartis sur l’ensemble de la chaîne• Dilemmes face au refus des greffons cadavériques• Analyser les défaillances constatées dans la chaîne du don et dans la pratique des greffes

P 81 > 4/ POSITIONS JURIDIQUESP 82 > Le droit et le donneur vivant. Lois de bioéthique ; innovations thérapeutiques

• L’exigence de connaissances acquises• Le prélèvement pulmonaire dans le cadre du soin• La recherche et le donneur vivant

Dr Roger MislawskiChirurgien, juriste, Université de Cergy-Pontoise

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P 87 > Discussion• Envisager et mettre en œuvre des procédures rigoureuses

P 90 > CONCLUSIONP 90 > Éthique et innovation thérapeutique

• L’interface du refus• De l’inédit à l’innovant• La valeur de l’innovation

Pr Emmanuel HirschDirecteur de l’Espace éthique/AP-HP et du Département de recherches en éthiques Paris 11/AP-HP

P 97 > L’ESPACE ÉTHIQUE / AP-HPUNE ÉTHIQUE DE L’HOSPITALITÉ

P 97 > Pr Emmanuel HirschDirecteur de l’Espace éthique/AP-HP et du Département de recherches en éthiques Paris 11/AP-HP

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Dr Marc GuerrierAdjoint du directeur de l’Espace éthique/AP-HP

Cet ouvrage reprend les échanges du colloqueorganisé le 23 janvier 2003 : Transplantation pulmonaire avec donneurs vivants, quels enjeuxaujourd’hui ?, résultat d’un travail de parte-nariat développé entre l’association Vaincre laMucoviscidose et l’Espace éthique Assistancepublique – Hôpitaux de Paris. L’élaboration desproblématiques par différents intervenants etpersonnes concernées dans le cadre des travauxpréparatoires interdisciplinaires a rendu possi-ble une approche plurielle encore inédite decette question. L’organisation d’un atelier public,et la diffusion de son contenu prolonge ladémarche de parents, d’acteurs du soin et decitoyens désireux d’assumer un débat responsableà dimension collective.En effet, limiter les difficultés de toutes naturesque suscite la transplantation avec donneursvivants à une question de principe résolue parquelques spécialistes n’est pas recevable. Laconfiner aux domaines de la techno-science ou àcelui du légal reviendrait à se détourner de laréalité, et à renforcer une tendance à la margi-nalisation des personnes, enfant et adultesconcernés directement par la mucoviscidoseainsi que leurs proches.Les interventions et les débats qui suivent ren-voient en effet à des questions qui interpellentchacun dans la société. Elles explorent dansleurs difficultés spécifiques la nature des déci-sions et des enjeux auxquels nous devons faireface tant au niveau individuel que collectif, neserait-ce que du point de vue des choix de santépublique.De plus, les réflexions propres aux réalités de lamucoviscidose permettent de mieux réfléchiraux questions posées par d’autres maladieschroniques, notamment dans le domaine pédia-trique, mais aussi à celles – aujourd’hui encoreobjet de débats – propres aux règles que noussouhaitons établir concernant la greffe avec

donneur vivant. Les questions abordées repré-sentent également un excellent exemple d’unecomplexité quotidienne dans le domaine hospi-talier : celle de la frontière entre l’innovation, larecherche clinique et chirurgicale, et le soin ditstandard – à l’heure où la médecine fondée surles preuves tend à devenir un modèle deconnaissance sinon de conduites.C’est dire que la substance de ce travail ne seréduit pas à des considérations par trop spéci-fiques qui ne sauraient intéresser qu’une partinfime de la société ou des soignants.L’Espace éthique / AP-HP a pour vocation defavoriser des réflexions relatives à l’éthique dusoin d’une manière rigoureuse, transparente etouverte sur la cité. Depuis 10 ans, il y est déve-loppé une culture du débat d’idées soucieuse dedépasser les sphères de la bioéthique ou de l’éthique médico-scientifique, en intégrant cesdernières dans le contexte du monde réel. Ce travail, mené en partenariat entre une insti-tution publique et l’association Vaincre laMucoviscidose, ainsi que des professionnelsspécialistes de cette maladie, constitue en lui-même un signe et la démonstration de la facultéde construire une réflexion responsable dans ladéfense de valeurs communes fondées sur lesouci du soin de l’autre.

> AVANT-PROPOS

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Jean LafondPrésident de l'association Vaincre la Mucoviscidose

> transplantation pulmonaireà partir de donneurs vivants.et si, un jour, la questionse posait pour vous ?

Le devoir d’une association est aussi d’éclairerles sujets difficiles comme celui de la transplan-tation pulmonaire à partir de donneurs vivants.À partir de l’actualité, des questions qu’elle sus-citait, notre débat interne a très vite trouvé seslimites. Il nous est alors apparu nécessaire, enseptembre 2002, de mener une réflexion éthiquesur ce sujet. C’est le fruit de cette réflexion quenous livrons aujourd’hui.Il est le résultat du travail mené en com-mun par des associations de patients, des parents, conjoints, chirurgiens, soignants, penseurs, psychologues, juristes, économistes...tous concernés par la mucoviscidose.Cette réflexion n’avait pas pour but de prendreparti mais de faire réfléchir et s’exprimer sur cethème. Elle devrait permettre de vous faire uneopinion. N’hésitez donc pas à nous en faire partcar le débat n’est pas clos.La transplantation pulmonaire à partir de don-neurs vivants n’avait jamais été abordée dansune telle perspective sous ses différents aspects(indications, méthodologies, organisation de lachaîne du don, enjeux humains, psychologiques,sociaux, législatifs, économiques). Je tiens ici àremercier Emmanuel Hirsch et son équipe del’Espace éthique Assistance publique - Hôpitauxde Paris de nous avoir fourni le cadre idéal pourmener à son terme cette réflexion jusqu’à l’ate-lier du 23 janvier 2003 dont on trouvera la trans-cription dans les pages qui suivent. Merci auxintervenants qui ont exprimé l’état de leursconnaissances avec la simplicité et la passion duvrai savoir. Ceux qui sont concernés — patients,parents, conjoints, familles — ont atteint un

niveau de réflexion remarquable qui dépassel’approche habituelle de la maladie.On le constatera à la lecture de cet ouvrage,nous sommes passé de l’examen de l’état del’Art à une dimension plus éthique. La questionfondamentale du recours à cette technique s’estposée alors que tout n’a pas encore été fait pourtrouver et utiliser des greffons à partir de don-neurs en mort encéphalique.Il n’y aura pas de conclusion, un pas seulementvers un peu plus de clarté, une lecture pour nousaider à réfléchir au cas où la question — unequestion de vie — un jour se poserait…

> PRÉFACE

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> ASPECTS MÉDICAUXET CHIRURGICAUX

Techniques chirurgicales analyses de la littérature p 12• La question de la pénurie• La technique de transplantation pulmonaire

à partir de donneurs vivants• La question de la sélection des donneurs• La question de l'informationPr Jean-Paul Couëtil

Analyse des résultats : avantages et risques p 15• Analyse des résultats de la littérature : les receveurs• Concernant la survie des patients• L’état des donneurs, leur évolution

Pr Jean Navarro, Dr Isabelle Sermet-GaudelusPr Philippe Reinert, Dr Sophie Ravilly

Sélection des donneurs p 20• Les équipes de Saint-Louis et de Los Angeles• Procédures élaborées à Saint-Louis• Procédures élaborées à Los Angeles• Suivi et prise en charge des donneursDr Sophie Ravilly

Réalités d’une pratique en France p 24• Le choix de recourir à des donneurs vivants• L’organisation pratique de la transplantation et ses suites• Quel bilan ?Pr Dominique Métras

Discussion p 27• Importance de la terminologie• L’interprétation des chiffres, un vrai problème méthodologique• Risques chirurgicaux et difficultés logistiques• Hôpital européen Georges-Pompidou: l'expérience d'une équipe• De l'intérêt de croiser ses sources

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Pr Jean-Paul CouëtilChirurgien, hôpital européen Georges-Pompidou, AP-HP

Les informations que je me propose d’apportersont purement techniques. Les quelques équipesqui ont commencé à pratiquer la transplantationpulmonaire à partir de donneurs vivants enFrance, l’ont fait en raison de la pénurie d’organes.La gestion de nos listes de transplantation estdifficile. Tout le monde le sait et en particulierles familles de malades de la mucoviscidose. Ilest nécessaire d’étendre le pool des donneurscadavériques. Ce problème se coordonne aveccelui des donneurs vivants. J’aborderai donc lestransplantations lobaires à partir de donneursvivants.

> la question de la pénurieLa pénurie d’organes est surtout importantepour les receveurs de petite et moyenne taille.Près d’un patient sur trois sur liste d’attentedécède et il s’agit essentiellement de maladesatteints par la mucoviscidose. La loi n° 94-654du 29 juillet 1994 permet la pratique detransplantation avec donneurs vivants. Lademande parentale est de plus en plus fré-quente. On s’est aperçu que les parents et lesfamilles sont maintenant très informés de l’existence de ces techniques. L’associationVaincre la Mucoviscidose, les pédiatres et tousles médecins qui entourent ces familles ont vraiment fait leur travail d’information.Les problèmes éthiques sont, bien entendu, toujours présents. Ils constituent peut-être unfrein, mais ils permettent de maintenir le débatet de limiter cette activité, en France et enEurope, à des cas particuliers.

La loi de bioéthique française n’autorise actuel-lement que les donneurs intrafamiliaux généti-quement apparentés : le père et la mère, le frèreet la sœur s’ils sont majeurs. Une extensionrécente, dont le décret d’application n’est pasencore paru, concerne les oncles, les tantes etles époux, voire même les personnes non appa-rentées. Le pool des donneurs vivants s’en trou-vera extrêmement élargi1.

> la technique de transplantation pulmonaireà partir de donneurs vivants

Cette technique a été mise au point en 1993 parl’un de nos collègues américains de Californie,Vaughan Starnes.Je serai bref concernant la stratégie opératoire,mais un point est essentiel : deux donneurs sontnécessaires. Pour toutes les autres transplanta-tions à partir de donneurs vivants, que ce soit lerein ou le foie, un seul donneur est nécessaire.Une lobectomie inférieure droite ou gauche estpratiquée : droite chez l’un des donneurs, gau-che chez l’autre. Un appariement volumétriqueentre donneurs et receveur est nécessaire. Unedes complexités est qu’idéalement trois équipeschirurgicales sont nécessaires : deux pour lesprélèvements des deux donneurs et une pour latransplantation. Au minimum, deux équipes chirurgicales sont indispensables.

Pour l’appariement des volumes des donneurs,on sait que la capacité d’un lobe inférieur repré-sente 25 % de la capacité pulmonaire totale. Lelobe inférieur droit est plutôt plus petit que lelobe inférieur gauche. Le donneur de plusgrande taille sera donc prélevé à droite. Il estutile de disposer d’un scanner en trois dimen-sions (3D). Les abaques permettent de calculer

TECHNIQUES CHIRURGICALES ANALYSES DE LA LITTÉRATURE

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assez facilement le volume des poumons et deslobes. Le scanner 3D donne très exactement levolume des lobes de chaque donneur. Cet examen est très utile pour l’appariement.

> la question de la sélectiondes donneurs

La sélection et le bilan des donneurs sont extrê-mement importants. L’âge recommandé du don-neur est inférieur à 60 ans. Il ne doit présenteraucune maladie en cours ou récente, pas ou peud’antécédents pleuropulmonaires, ainsi qu’unpassé de fumeur inexistant ou limité. Bienentendu, radio pulmonaire, ECG et EFR doiventêtre normaux. Enfin, la motivation des donneursdoit être claire et altruiste, et il faut veiller à uneéventuelle détermination contrainte. Certainscritères d’exclusions sont formels (d’autres sontplus discutables) : l’incompatibilité dans legroupe ABO, la séropositivité, l’instabilitépsycho-émotionnelle et peut-être le tabagismeimportant. L’équipe qui va choisir les donneursest donc une équipe large faisant intervenirmédecins, psychologues, psychiatres et chirur-giens pour juger, entre autres, de cette éven-tuelle instabilité psycho-émotionnelle.Par ailleurs, les familles concernées ont souventplusieurs enfants, parfois en bas âge. Si le pèreet la mère décident d’être éventuellement donneurs pour l’un de leurs enfants, cela peutposer des problèmes délicats.

> la question de l'informationL’information doit être loyale, complète et trèslarge, et communiquée par plusieurs membresde l’équipe. Elle se réfère aux données les plusactuelles de la littérature et comprend la description détaillée et écrite de la procédurechirurgicale et de toutes les complications possibles. Tout doit être indiqué aux éventuels

donneurs s’agissant des complications. Il fautpréciser que le résultat est incertain pour lereceveur et que les donneurs subiront une certaine diminution de leur capacité pulmonairetotale, avec éventuellement des séquelles.Plusieurs entretiens sont nécessaires afin d’obtenir un consentement éclairé et écrit desfuturs donneurs.Je passe rapidement sur le bilan médical completet l’évaluation psychologique. Il n’y a rien denouveau pour ces donneurs potentiels, sauf àleur dire qu’ils peuvent, à tout moment, revenirsur leur décision et doivent y être aidés par lespersonnels médicaux. À tout moment de leurbilan, ils doivent pouvoir se rétracter. Il faut les yinviter et faciliter cette démarche.

La technique opératoire pour la lobectomie infé-rieure droite ou gauche est bien maîtrisée parles chirurgiens. Elle ne présente pas de carac-tère particulier, hormis le fait que le lobe droitpeut être un peu plus difficile que le lobe gauche.Mais il faut faire très attention, puisqu’on coupeune bronche, qu’il n’y ait pas de fistule bron-chique. Toutes les précautions sont prises pourdiminuer l’incidence de la douleur. On essaie dene pas inciser les muscles pour réduire le pluspossible les risques de séquelles. Puis onsépare le lobe supérieur du lobe inférieur quisera prélevé pour transplantation. La prépara-tion du lobe explanté se fait à l’extérieur du thorax. Le poumon est immergé dans une solu-tion froide. Il est intubé et ventilé, exsufflé2 etflushé, c’est-à-dire perfusé par une solution depneumoplégie, pour le préserver, afin de pouvoirle transplanter dans la salle d’opération voisine.

La technique opératoire chez le receveur eststrictement la même pour les transplantations àpartir de donneurs vivants et à partir de don-neurs cadavériques, que cette transplantationse fasse à partir de poumons complets ou delobes. C’est en général une bithoracotomieantérieure, donc une grande incision. Chez les

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jeunes filles, l’incision cutanée passe dans lesdeux sillons sous-mammaires ; elle est presqueesthétique. En général, pour les plus petits, onutilise la circulation extracorporelle, surtoutpour les transplantations de lobes. Ce n’est pasune absolue nécessité, mais c’est très pratique.Enfin, c’est une transplantation lobaire bilaté-rale — elle intéresse les deux côtés — etséquentielle, puisque l’un et l’autre côtés sontconcernés dans le même temps opératoire.

[1] Voir à ce sujet l’extension des donneurs vivants potentielsdans le projet de loi relatif à la bioéthique (dans ce projet,l’article L. 1231-1 stipule que « […] Le donneur doit avoir laqualité de père ou mère, de fils ou fille, de frère ou sœur, oude conjoint du receveur. » Les évolutions concernant ce texteau cours de sa navette entre l’Assemblée nationale et leSénat sont accessibles sur http://www.assemblee-nationale.fr.

[2] Vidé de l'air qu'il contient.

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Pr Jean NavarroPédiatre, hôpital Robert Debré, président du Comité d’évaluation et de diffusion desinnovations technologiques (CEDIT) de l'AP-HP

Dr Isabelle Sermet-GaudelusPédiatre, hôpital Necker- Enfants malades, AP-HP

Pr Philippe ReinertPédiatre, CHI de Créteil

Dr Sophie RavillyPédiatre, directrice médicale, association Vaincre la Mucoviscidose

Depuis les premières transplantations pulmonai-res à partir de donneurs vivants réalisées parVaughan Starnes1, plusieurs autres groupes auxÉtats-unis et en Europe ont adopté cette procé-dure, tandis que les initiateurs de la méthodemultipliaient leurs expériences.Avec huit années de recul, on peut appréciermaintenant les résultats de cette procédure ententant de répondre à deux questions essentiel-les : quels sont les avantages pour le receveur?quels risques sont encourus par les donneurs?À cet égard on peut rappeler que l’avantagemajeur est théoriquement qu’une transplanta-tion pulmonaire programmée à partir de don-neurs vivants résout le problème de la carenceen greffons et devrait annuler l’incidence encoretrop élevée des décès de patients en liste d’attente. Mais ceci, bien sûr, sans prendre encompte la discussion éthique complexe qui faitl’objet même de cet Atelier de réflexion, ni ladimension organisationnelle très lourde. En effet, celle-ci est déterminée par la nécessitéde trois interventions parallèles avec recours à ungrand nombre d’opérateurs et de soignants, et,d’une façon plus générale, implique un soutien

logistique très lourd, alors même qu’il apparaîtqu’en France des difficultés logistiques ontcontraint des équipes à refuser des greffons pul-monaires d’origine cadavérique malgré des listesd’attente de plus en plus importantes.

> analyse des résultats de lalittérature : les receveurs

Au préalable, il est nécessaire de rappeler quecette analyse est difficile car les publicationssont inhomogènes et les recoupements entreéquipes peu clairs. En 1997, Barr2, de l’équipe de Los Angeles, rap-porte les résultats d’une expérience portant sur60 patients (45 adultes et 15 enfants) dont 50patients mucoviscidosiques. Avec 1 an de recul,la survie chez les receveurs est de 71 %, 1 % desdécès étant imputables à des complicationsessentiellement infectieuses (infections àPseudomonas aéruginosa, mais égalementaspergilloses et infections à CMV).Les paramètres respiratoires à 1 an font étatd’une capacité vitale forcée à 73 %, d’un volumeexpiratoire maximum seconde à 74 %. Le pour-centage de patients présentant une bronchioliteoblitérante est de 13 %.Enfin, sur 47 patients ayant bénéficié de greffespulmonaires issues de donneurs vivants, 22 ontrepris leurs activités professionnelles, 20 leurcursus scolaire et 2 patientes ont déclaré unegrossesse.

En 1999, Starnes et coll.3 procèdent à la comparai-son des évolutions observées dans le groupe desgreffes par donneurs vivants (GDV) (n=14) et danscelui des greffes par donneur cadavérique (GDC)(n=11) chez des enfants suivis par le centre de LosAngeles. Les résultats en sont résumés dans letableau I et mettent en exergue essentiellement lamoindre incidence de la bronchiolite oblitérante.

ANALYSE DES RÉSULTATS : AVANTAGES ET RISQUES

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Du groupe de Chapel Hill4, on retient une sérieplus réduite car sur 108 transplantations pulmo-naires les auteurs font état de 7 par donneursvivants et signalent 3 décès post-opératoires (2 greffons non-fonctionnels, 1 décès imputable àun épisode infectieux non contrôlé), 1 décès au 4e

mois post-opératoire lié à une infection à CMV.Les résultats seront complétés ultérieurement5:la série issue de donneurs vivants (9 cas), com-parée aux 114 cas greffés à partir de donneurscadavériques, fait apparaître que les 3 suivantssont indemnes de bronchiolite oblitérante 5 ansaprès la greffe, en opposition avec le groupetransplantation par donneurs cadavériques.En 2000, c’est l’équipe de Saint-Louis (Etats-Unis) qui fait état de 32 transplantations pulmo-naires à partir de donneurs vivants, mais ensachant qu’elles incluent 10 retransplantations,avec un pourcentage élevé de patients en venti-lation assistée6.La survie observée 1 an après greffe par don-neurs vivants apparaît moindre dans cette sériequ’après greffe par donneur cadavérique (66 %versus 77 %), dont un plus grand nombre dedécès dans les 3 premiers mois (28 % versus16 %). Mais 3 ans après la greffe, les résultatssont identiques entre donneurs vivants et don-neurs cadavériques (62 %) et surtout, ici aussi, le pourcentage de bronchiolites oblitérantes est nettement inférieur dans le 1er groupe (10 % versus 40 %).Deux nouvelles publications éclairent ces don-nées en comparant survie et pourcentage debronchiolite oblitérante selon les 2 groupes :greffes par donneurs vivants, greffes par don-neurs cadavériques. Ces résultats sont parfoisdifficiles à analyser car les groupes étudiés sontsouvent inhomogènes et, surtout, les résultatsde plusieurs équipes sont parfois publiés alorsque ceux-ci avaient été analysés séparémentauparavant.Ainsi, Barr et coll.7 rapportent l’expérience de 97patients ayant subi une transplantation pulmonairepar donneurs vivants (68 à l’Université de Sud

Californie et 29 à l’hôpital d’enfants de LosAngeles). Les données évolutives sont compa-rées à celles du registre de la SociétéInternationale de Transplantation coeur-poumonsen ce qui concerne les résultats globaux de lacohorte des transplantés pulmonaires.

> concernant la survie des patients

Pour les receveurs de poumons d’origine cada-vérique, le pourcentage de survie est respective-ment de 70 %, 60 % et 58 % à 1 an, 3 ans, 5 ans,alors qu’il est chez les receveurs de poumons dedonneurs vivants respectivement de 65 %, 52 %et 50 % chez les adultes et de 83 %, 78 % etencore 78 % chez les enfants.On retrouve également un taux beaucoup plusbas de bronchiolite oblitérante (14 % à 5 ans)chez les greffés à partir de donneurs vivants.Les données de Saint-Louis8 portent essentielle-ment sur les greffes pulmonaires à partir dedonneurs cadavériques chez l’enfant. Les résul-tats globaux montrent une survie de 77 % à 1 an,62 % à 3 ans et 55 % à 5 ans. La bronchiolite obli-térante apparaît toujours comme une complica-tion majeure, passé le cap très immédiat desrisques mortels liés au non-fonctionnement dugreffon et à l'infection.L’incidence globale de la bronchiolite oblitérantechez les greffés avec des poumons d’originecadavérique est de 46 %, ses conditions favori-santes étant l’ischémie du greffon supérieure à180 minutes et plus de 2 épisodes de rejet aigu.La bronchiolite oblitérante représente 62 % descauses de décès tardifs (versus 22 % pour l’in-fection et 14 % pour les affections malignes). Àces données s’oppose encore une fois l’incidencebeaucoup plus faible de la bronchiolite oblité-rante chez les patients greffés à partir de don-neurs vivants (10 %), dans une série du mêmecentre de 30 transplantations.Toujours issue du groupe de Los Angeles, une

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étude présentée par Woo et coll.9 oppose 29patients greffés à partir de donneurs vivants à 24patients greffés à partir de donneurs cadavé-riques pendant une période allant de mai 1993 àdécembre 1999. Il en ressort qu’il n’y a pas dedifférence significative dans l’analyse des décèsdes deux groupes en ce qui concerne l’âge dudécès, le taux de mortalité, le nombre de joursd’hospitalisation, les médications immunosup-pressives, l’incidence de l’infection, l’incidencedu rejet. Par contre, la moindre incidence de labronchiolite oblitérante dans le groupe « greffespar donneurs vivants » est significativement plusfaible que dans le groupe « greffes par donneurscadavériques » (0 % versus 71 %, p = 0.002). Lesauteurs en déduisent qu’à long terme cettemoindre incidence pourrait avoir des consé-quences majeures sur les différences de survieà venir entre les deux groupes.Enfin, la même équipe10 fait état de son expé-rience très particulière en matière de greffe pul-monaire issue de donneurs vivants dans lessituations de grande urgence : patients en situa-tion grave, ventilés par voie nasale, voire en ven-tilation mécanique par intubation. Dix patientsopérés dans de telles conditions sont comparésà 24 patients transplantés à partir de donneursvivants, mais en situation plus stable. La compa-raison entre ces 2 groupes fait apparaître qu’iln’y a pas de différence quant à la durée d’hospita-lisation post-transplantation (36.3 ± 20 j versus39.4±16j), ni du nombre de décès per-opératoires(1/10 dans le 1er groupe, 2/24 dans le 2e groupe).Seul est différent le temps d’intubation post-opératoire (7.3±4.7j dans le 1er groupe, versus4.2 ± 1.6 j dans le 2e groupe).

> l’état des donneurs,leur évolution

Dès les premiers rapports publiés par l’équipede Los Angeles3, on signalait le risque d’unediminution des paramètres fonctionnels respira-toires chez les donneurs, en moyenne d’environ15 % pour la capacité vitale forcée, de même quepour le VEMS, étude faite un an après les inter-ventions. On rapportait un cas d’épanchementpéricardique sans lendemain chez un des don-neurs et, à un an, l’absence de tout signe clinique anormal ainsi que le maintien d’uneactivité normale. Il n’y a eu heureusementaucune publication faisant état d’un accidentmortel chez un donneur.Toutefois, apparaissent avec le recul un certainnombre de complications qu’il est important desouligner ici, en particulier pour aborder avec laplus grande transparence la discussion avec lesdonneurs potentiels.Barr et coll.7 insistent sur la durée parfois pro-longée de l’intubation avec ses conséquencessur le séjour des donneurs, la fréquence desréactions pleurales, effraction d’air, épanche-ment, 2.50 % des donneurs doivent subir uneseconde exploration chirurgicale. Les réactionspéricardiques sont également non-négligeables(3 % des 194 donneurs), l’un d'entre eux devantsubir une péricardectomie. Enfin, des cas dethrombose artérielle pulmonaire peuvent entraî-ner une détresse respiratoire (1% des donneurs).Les données les plus complètes ont été expo-sées par Battafarano et coll.11 (elles font l’objetdu tableau II).Leur analyse montre la gravité potentielle desaccidents liés à la lobectomie chez les donneurs.On peut souligner en particulier le risque de chi-rurgie pulmonaire complémentaire (lobectomiesupplémentaire chez un patient), de traitementplus acrobatique (destruction des voies car-diaques conductrices pour arythmie majeure),sans compter les drainages pleuraux parfoisnécessaires, la réexploration des fistules

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bronchiques, la nécessité de dilater une sténosebronchique et même, simplement, le recours àun geste transfusionnel chez 3 patients.L’exacte connaissance de ces risques doit êtrelivrée intégralement aux candidats donneurs etmême en l’absence de cas de décès imputablesà cette chirurgie, on ne peut certainement pasexclure ce risque.En conclusion, la greffe pulmonaire par don-neurs vivants est une technique qui pourrait êtreprometteuse. Outre ses avantages théoriques(intervention programmée, réduction majeuredes décès de patients sur liste d’attente), ellepourrait s’avérer intéressante, en particulier si

les données ultérieures confirment la moindrefréquence des bronchiolites oblitérantes etlaisse espérer une survie actuarielle meilleure àlong terme. Mais on a vu qu’elle requiert desmoyens humains et logistiques très lourds, com-pétitifs avec les greffes par donneurs cadavériqueset même avec les autres pathologies, du ressortdes centres ultra spécialisés alors qu’une mobi-lisation est impérative pour permettre un fonc-tionnement décent à ces centres.Par ailleurs, les risques imputables aux donneurseux-mêmes, loin d’être négligeables, doiventêtre largement pris en compte par les candidatsdonneurs et les équipes soignantes.

D’après Starnes et coll.

Évolution des tests fonctionnels respiratoires au bout de 1 anCV* % VEMS* %

GDV 82.8 ± 25.7 73.4 ± 26.9

GDC 80.9 ± 21.7 67.3 ± 22.1

% de patients survivants et d’incidence de bronchiolite oblitérante (BO)

% de survie % de BO

recul GDC* GDV* GDC* GDV*

1 an 79 % 85 % 82 % 0 %

2 ans 67 % 77 % 86 % 0 %

* CV : capacité vitale* VEMS : volume expiré maximal en une seconde* GDV : greffe par donneurs vivants* GDC : greffe par donneur cadavérique

Tableau 1 : comparaisons évolutives : greffés par donneurs vivants (n=14) GDV, greffés par donneur cadavérique (n=11) GDC

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Tableau 2 : complications survenues chez les donneurs vivants (n=62)

D’après Battafarano et coll.

A/ Complications mineures B/ Complications majeures PAS DE DÉCÈS

Épanchement pleural nécessitant Fuites d’air 9 un drainage 4

Péricardites 9 Fistules bronchiques 3Fistule complexe

Pneumonies 9 entraînant une lobectomie LM Dt 1

Troubles du rythme cardiaque 7 Sténose bronchique 1

Atélectasies 3 Hémorragie obligeant à transfuser 1

Iléus post op. 3 Atteinte du nerf phrénique 1

Emphysème sous-cutané 3 Flutter atrial grave 1

Infection urinaire 2

Épanchement pleural résolutif 2

Transfusions 2

Colite à C. Difficile 1

Dermatite sévère 1

Problèmes de paroi 1

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Dr Sophie RavillyPédiatre, directrice médicale, association Vaincre la Mucoviscidose

La transplantation pulmonaire avec donneursvivants pose deux problèmes : le don et le choixdes donneurs. À travers les publications desdeux équipes ayant la plus large expérience,nous tenterons de faire ressortir des discoursmédical et médico-psychologique les élémentsmajeurs de ce débat. Ils seront mis en parallèleavec l’expression du groupe de travail despatients et des familles.

> les équipes de saint-louis et de los angeles

La majorité des publications sur ce sujet émanedes équipes de Saint-Louis (Battafarano etPatterson) et de Los Angeles (Starnes, Barr,Cohen et Woo). Dans le contexte nord-américain,toutes deux bénéficient de lois de bioéthiqueplus favorables à ce type de techniques qu’enFrance, puisqu’un lien de parenté n’est pasindispensable pour se proposer comme donneur(cf. infra l'exposé du Dr R. Mislawski). Pour cesdeux équipes, l’attitude proactive (transplanta-tion avec donneurs vivants proposée dès l’éva-luation initiale en identifiant des donneursvivants potentiels, au cas où…) est préférée àl’attitude réactive (proposée chez les patients enphase extrême) en raison d’un meilleur impactpsychosocial sur les donneurs.

SÉLECTION DES DONNEURS

Les critères médicaux sont comparables :

Saint-Louis Los AngelesBattafarano1, Cohen2, W J Surg 2001, JTCS 2000 Barr3, Transpl Proc 2001

Âge <60 ans 18 <Âge <55 ans

Pas de pathologie importante Bon état général

Pas d’infection virale récente Idem

Radio pulmonaire normale Idem

ECG normal ECG et Echo normaux

Pas de chirurgie du côté du don Idem

EFR, TLCO, GDS normaux EFR, GDS normauxVEMS>85 %, PaO2>80 T VEMS>85 %, PaO2>80 T

Famille et amis proches

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Les critères d’exclusion suivants, cités par l’équipe de Saint-Louis, sont probablementsemblables à Los Angeles : incompatibilité ABO ;séropositivité pour un des virus suivants : VIH,Hépatite B, Hépatite D ; tabagisme à plus de 20paquets/années. Le fait d’être parent isolé d’unjeune enfant et l’instabilité psychologique sontégalement des critères d’exclusion pour Saint-Louis. Enfin, la pression exercée par l’entourage,notamment sur la fratrie du receveur, et malressentie par le donneur potentiel, amène à nepas retenir le donneur.Poser ces critères de sélection des donneurs, etles publier, constituent des actes fondamentauxpour la rigueur de ces programmes et un guideimportant pour les équipes de transplantation.Mais diagnostiquer une instabilité psycholo-gique, reconnaître une pression ressentie s’avè-rent extrêmement difficiles et dépendent desprocédures de sélection. Concrètement, comment et par qui les donneurssont-ils sollicités, quelles sont leurs possibilitésde refuser à partir du moment où ils entrentdans le processus d’évaluation ?

> procédures élaborées à saint-louis

L’évaluation débute par une première sélectiondes donneurs potentiels : mais cette sélectionest-elle réalisée par la famille seule ou en lienavec l’équipe ? Les candidats reconnus aptessont ensuite invités à une évaluation médicale etpsychologique. Avant tout examen complémen-taire, l’équipe réunit le groupe de donneurs etdiscute longuement des risques connus à courtet long terme pour eux, des conséquences del’évaluation en elle-même, de l’absence éven-tuelle de bénéfice psychologique et, pour lereceveur, des incertitudes sur son devenir. Lesévaluations médicale et psychologique sontconduites séparément puis discutées par l’équipespécifique d’évaluation des donneurs; les examens

complémentaires et la consultation chirurgicalene sont ensuite prescrits qu’aux donneurssélectionnés. Pendant la phase d’évaluation, l’hospitalisationet le suivi, les donneurs sont pris en charge indi-viduellement et confidentiellement par uneéquipe indépendante de celle en charge du rece-veur. Des antécédents psychiatriques mineurs etbien contrôlés ne contre-indiquent pas formelle-ment le don, si le donneur est jugé apte parailleurs.Du début de ce programme jusqu’en 2000, 363candidats ont été proposés, 168 ont été évalués,et 64 donneurs ont permis de réaliser 32transplantations lobaires avec donneurs vivants.Les candidats réfutés l’ont été pour les raisonssuivantes : fonction respiratoire anormale,inquiétudes psychologiques ou ambivalence dudonneur. Plusieurs fois des donneurs potentielsont demandé «en privé» à quitter le programme.L’équipe de Saint-Louis recommande donc queles procédures d’évaluation soient méthodiques,indépendantes et confidentielles, et qu’ellessoient réalisées par une équipe de « défense desdonneurs » dans un environnement qui permettede nombreuses opportunités de désistement4.

> procédures élaborées à los angeles

Les receveurs sont encouragés à fournir uneliste de donneurs potentiels avec leurs poids,taille, âge, relation avec le receveur et consom-mation tabagique éventuelle. Initialement, seulsles membres proches de la famille étaient solli-cités, mais aujourd’hui la famille au sens largeainsi que des personnes sans lien génétiquedirect peuvent être retenues si elles partagentune relation affective forte avec le receveur.L’équipe de transplantation sélectionne sur cetteliste plusieurs donneurs possibles, qui sontalors évalués sur le plan psychosocial et sur leurdésir de donner. Une sélection préliminaire est

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réalisée. Elle concerner : le groupe sanguin(recherche de compatibilité), la radiographiepulmonaire et la spirométrie ambulatoire (nor-males) afin de réduire les coûts des examensultérieurs : explorations fonctionnelles respira-toires complètes avec gaz du sang artériels (leVEMS doit être supérieur à 85 % et la PaO2 en airambiant supérieure à 80 mmHg) ; sérologies(VIH, VDRL, CMV, EBV, hépatites), électrocardio-gramme, échocardiographie avec épreuve d’effort pour les plus de 40 ans, scintigraphie deventilation/perfusion et scanner thoraciquehaute résolution. Lorsque le donneur est éloignégéographiquement, ces examens peuvent êtreréalisés dans un hôpital plus proche de sondomicile, mais avec l’inconvénient de diminuerles échanges avec l’équipe de transplantation. En même temps que l’évaluation médicale, uneétude psychosociale approfondie est réalisée.Les donneurs potentiels sont interrogés séparé-ment (pour repérer des pressions éventuelles)puis avec le receveur et sa famille pour appré-cier la dynamique familiale. Les points cléscomprennent la motivation pour le don, la tolé-rance à la douleur, les réactions éventuelles encas d’évolution défavorable du receveur, et lacapacité à s’éloigner des obligations familialeset professionnelles3.

> suivi et prise en charge des donneurs

Sans parler des résultats et complications médi-cales — abordés dans l’exposé précédent — lesuivi des donneurs après l’intervention est pro-portionnellement moins bien décrit. Il est vraique ceux-ci ne sont pas toujours revus avec faci-lité dans le centre de transplantation. On notecependant que même lorsque le receveur estdécédé, certains se déclarent satisfaits d’avoirpu faire ce geste (Hodson)5. De même à LosAngeles 96% des donneurs considèrent l’expé-rience positive et seraient prêts à recommencer6.

Une étude par questionnaire ne démontreaucune limitation physique ou émotionnellechez 95 % des donneurs7. En 2001, les 194 don-neurs ont tous repris leurs activités quotidien-nes sans restriction3. Les publications del’équipe de Saint-Louis ne donnent par contreaucune précision sur ces aspects.La prise en charge financière de l’évaluation oude la transplantation en elle-même n’est abor-dée dans aucune des études citées. En France ledécret n° 2000-409 du 11 mai 2000 relatif à laprise en charge des frais occasionnés par lesprélèvements d’organes humains sur des don-neurs vivants est très mal connu des équipes : il précise que les frais de laboratoire, fraisd’hospitalisation, forfait journalier, frais d’héber-gement hors hospitalisation, frais de transport etindemnité pour perte de rémunération doiventêtre pris en charge par l’établissement greffeur.En conclusion, la formalisation des procéduresde sélection des donneurs pour la transplanta-tion pulmonaire avec donneurs vivants, par despublications ou des présentations dans lescongrès, constitue une étape importante. Il estbien précisé que les donneurs peuvent à toutmoment du bilan revenir sur leur décision et yêtre aidés par l’équipe « de défense des don-neurs ». La nécessité d’avoir de nombreuxentretiens pluridisciplinaires à intervalles régu-liers avec les donneurs afin d’obtenir un consen-tement vraiment éclairé exclut a priori unetransplantation dans le cadre de l’urgence. Cen’est pourtant pas ce qui vient d’être présentélors de la dernière conférence nord-américainepar l’équipe pédiatrique de Los Angeles qui aréalisé 10 des 34 transplantations avec don-neurs vivants dans le cadre de l’urgence pourdes receveurs en état critique8. Si la France choisit de s’engager plus activementdans un tel programme, il est primordial quereceveurs et donneurs soient informés au mieuxdes résultats et des complications possibles decette technique. Que des procédures de sélec-tion par une « équipe indépendante de celle qui

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s’occupe du receveur », soient mises en placepour une prise en charge médicale et psycholo-gique optimale des donneurs. C’est dans cette optique que Vaincre laMucoviscidose a souhaité ouvrir un champ deréflexions éthiques sur le problème des don-neurs vivants apparentés afin de pouvoir répon-dre aux sollicitations des familles, préserver lesparents à l’abri des dérives médiatiques trop fré-quentes sur le sujet, et apporter une aide pourpermettre à chacun de pouvoir prendre sa pro-pre décision en dehors de toute culpabilité.

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Pr Dominique MétrasChirurgien, hôpital de la Timone, AP-HM

L’expérience française que je vais exposer estplus réduite que celles dont il a été question jus-qu’à présent.La méthode de transplantation que nous avonsutilisée est très peu employée en Europe pourdiverses raisons qui pourront être discutéesensuite. En Allemagne, d’après Haverich, unseul cas a été traité à Munich et le receveur estdécédé. En Angleterre, John Dark a procédé àune transplantation à Newcastle avec le père etl’oncle comme donneurs — le patient va bien.Une dizaine de patients ont été transplantés parle groupe de Magdy Yacoub sans que nous ayonspu en obtenir les résultats. En France, hormisl’équipe de Jean-Paul Couëtil qui en a été le pré-curseur, deux transplantations ont été faites àMarseille et cinq à l’hôpital Broussais à Paris.

> le choix de recourir à des donneurs vivants

À Marseille, le choix de recourir à des donneursvivants pour deux de nos patientes résulte d’unprocessus similaire. Il s’agissait de deux fillesuniques, âgées respectivement de 21 ans et 11 ans. Ces deux jeunes filles en attente detransplantation avaient été informées depuisplusieurs mois, à la demande de leurs parents.Ensuite, les parents ont eu de nombreux entre-tiens avec les chirurgiens, les anesthésistesréanimateurs et tous les problèmes de latransplantation avec donneurs vivants leur ontété exposés. Les démarches réglementaires ontété effectuées, respectant la loi de bioéthique de1994. Il nous a paru normal d’ajouter uneconsultation psychiatrique. Le bilan pneumolo-gique très complet des parents a été fait enhospitalisation, avec scanner, scintigraphie,fibroscopie bronchique, etc.La première jeune fille, âgée de 21 ans, était

inscrite sur liste d’attente depuis plusieursmois. Son état était particulièrement préoccu-pant : une aggravation brutale (décompensation)était survenue au cours d’une gastrostomie. Elles’est retrouvée intubée et ventilée avec de fortespressions, sous une FIO2 de 11 ; elle avait unePCO22 à 180 et un drainage thoracique purulent.Très amaigrie, quasiment cachectique, ellepesait 35 kilos. Les parents avaient alorsdemandé expressément la possibilité de devenirdonneurs vivants. Cette patiente a donc ététransplantée, après cinq jours de ventilationartificielle.L’autre enfant, âgée de 11 ans, était dans un étatplus stable, hospitalisée de plus en plus fré-quemment pour l’administration d’antibiotiquesintraveineux.

> l’organisation pratique de la transplantation et ses suites

Cette lourde opération a nécessité trois équipeschirurgicales et l’utilisation simultanée de troissalles d’opération. L’ensemble des participantsa réuni l’équipe chirurgicale thoracique adulte,l’équipe chirurgicale cardio-thoracique enfant etdes équipes d’anesthésistes adulte et enfant.Une telle opération dure toute une journée. Ellecommence par la thoracotomie droite chez lepère, la dissection du pédicule et le diagnostic defaisabilité du prélèvement. Ensuite seulement,on endort la mère pour une thoracotomie gau-che et la dissection du pédicule. Une fois que lediagnostic de la faisabilité du prélèvement estfait, on endort l’enfant. On pratique une thoraco-tomie antérolatérale bilatérale, une CEC3, unepneumonectomie. À ce moment-là seulement,le prélèvement et la préservation du lobe infé-rieur sont pratiqués chez le père. Puis il esttransplanté et l'on ferme son thorax. Suivent leprélèvement chez la mère et la transplantationdu lobe. Le lobe inférieur droit a eu une ischémie4

RÉALITÉS D’UNE PRATIQUE EN FRANCE

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plus longue puisqu’il a fallu attendre que ledeuxième lobe soit implanté avant de rétablir lacirculation pulmonaire.Chez les receveurs, on observe une excellentefonction pulmonaire dans les suites immédiates.Les problèmes hémodynamiques relevés sontidentiques à ceux observés après toutes lestransplantations bipulmonaires. La premièrepatiente a néanmoins présenté, dans la nuitpost-opératoire immédiate, à cause d’un caillot,une atélectasie5 du côté droit, qui a nécessitéune fibroscopie et qui a peut-être créé, à cemoment-là, un barotraumatisme du lobe gauchequi était le seul ventilé. Les suites secondaireschez cette première patiente qui était dans unétat particulièrement grave ont entraîné unedétérioration du greffon qui a nécessité une tra-chéotomie au vingtième jour et une ventilationde longue durée. La deuxième malade a été définitivement extu-bée au cinquième jour, présentant un épisodeétiqueté « rejet », sans qu’il y ait confirmationhistologique, et qui a néanmoins été traité pardes corticoïdes.La première malade est malheureusementdécédée au cinquième mois d’une septicémie àstaphylocoque alors qu’elle était en cours desevrage de ventilation. Mais compte tenu de lamauvaise qualité des poumons nous pensionsqu’une nouvelle transplantation pulmonaireserait nécessaire.La seconde malade a connu des suites excellentes,à sept mois post-opératoires. Son scanner thora-cique, six mois après l’intervention, est considérécomme très satisfaisant. Les épreuves fonction-nelles respiratoires au sixième mois (VEMS et decapacité vitale forcée) montrent une améliorationprogressive très discrète, avec des résultatsactuellement autour de 65% des chiffres normaux.Les donneurs de la première transplantation onteu des suites très simples, avec ablation desdrains au deuxième jour postopératoire. Aucunecomplication n’est remarquée. L’état fonctionnelà distance est bon. Toutefois, comme ces

parents ont perdu leur fille, ils n’ont pas voulupoursuivre les relations avec le milieu médical.Les suites des donneurs de la secondetransplantation sont également simples, bienque la mère ait eu un bullage6 un peu prolongé,pendant cinq jours, après un épanchement etquelques douleurs thoraciques qui se sont réso-lues avec une kinésithérapie. Ils ont un bon étatfonctionnel avec, à l’heure actuelle — soit sixmois après — une certaine amputation de lacapacité vitale forcée. La mère présentequelques séquelles pleurales, légèrement supé-rieures à celles du père.

> quel bilan ?À l’occasion de cet Atelier de réflexion, j’ai voulueffectuer un bilan de notre expérience de latransplantation pulmonaire et cardio-pulmo-naire chez l’enfant et l’adolescent depuis ledébut, en 1988, jusqu’à 2002. Nous avons réalisé61 transplantations pulmonaires ou cardio-pul-monaires à la Timone chez des enfants et desadolescents, dont 53 pour mucoviscidose, parmilesquelles 5 retransplantations. Nous avonsexaminé l’expérience de ces cinq dernièresannées, époque à laquelle nous avons envisagéde commencer à pratiquer des transplantationsavec donneurs vivants. Pendant cette période de cinq ans, 30 malades ontété mis sur liste d’attente, dont 27 pour mucovisci-dose, parmi lesquels 4 pour retransplantation.Onze ont été transplantés, dont 10 pour mucovisci-dose, et 19 sont décédés en attente dont 17 pourmucoviscidose. À ce jour, 5 malades sont en listed’attente de transplantation. Même si elle est un peu ancienne, la courbeactuarielle de survie des patients qui nous ontété proposés pour transplantation pulmonairepour mucoviscidose est, dans l’ensemble, tou-jours valide. À cinq ans, la survie actuarielle estd’environ 40 %. Ceux qui n’ont pas été grefféssont tous décédés.

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La question a déjà été posée : est-il acceptablede faire courir un risque vital à une personne enbonne santé ? Ce problème peut s’appliquer àtous les donneurs vivants d’organes. Quand j’étais membre du comité médical et scientifiqueet du comité d’éthique de l’Établissement fran-çais des Greffes (EfG), j’avais écrit une lettre offi-cielle au directeur de l'établissement au sujetdes donneurs vivants en vue d’une greffe pulmo-naire en demandant si la loi de bioéthique per-mettait de proposer deux donneurs pour unreceveur. En effet, la loi indiquait que seul undonneur était envisagé pour un receveur. Laréponse officielle qui m’a été adressée, aprèsconsultation du Conseil d’État, est que s’il y avaitdémonstration d’un bénéfice pour le receveur,avoir deux donneurs pour un receveur était parfaitement acceptable.

[1] Concentration en oxygène de 100 %.[2] Taux de gaz carbonique dans le sang.[3] Circulation extra corporelle.[4] Interruption de l’irrigation sanguine.[5] Complication liée à la mauvaise ventilation d’un segment

pulmonaire.[6] Fuite d’air au niveau de la plèvre.

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> importance de la terminologie

Dr Laurent ViardRéanimateur, hôpital de la Timone, AP-HM

L’EfG se bat contre le terme « coma dépassé ».Je crois qu’il faut également bannir le terme« donneur cadavérique » quand on s’adresse àdes patients, surtout quand ils sont jeunes. Lesenfants entre 8 ans et 12 ans n’aiment pas dutout entendre parler de « donneur cadavérique ».Dans ce cas, et à cet âge, ils ont naturellementtendance à exercer une pression importante surleurs parents pour en obtenir des dons. Après 16ans, ils sont plus réticents face à l’amputation deleurs parents. Pour éviter les lapsus, il vaut doncmieux parler de donneur en état de mort encé-phalique, même si c’est un peu plus long, que decadavres.Par ailleurs, les enfants s’inquiètent du devenirde leurs propres poumons. Bien sûr, on leurrépond qu’ils seront étudiés. Même tout petit,l’enfant vit durement tout retrait. Et si on ajoutequ’il reçoit un don à partir d’un cadavre, ce n’estpas bon.

Dr Pierre Canouï Pédo-psychiatre, hôpital Necker- Enfants malades, AP-HP

Cette question de forme entame la discussionsur le problème de l’information, des motsemployés… Quand Sophie Ravilly parle des équi-pes séparées pour écouter les familles, deséquipes de défense des donneurs, je pense quecela ouvre un champ tout à fait important dans laréflexion au niveau du consentement et de l’échange de l’information.

> l’interprétation des chiffres,un vrai problème méthodologique

Dr Marc SternPneumologue, hôpital Foch, Suresnes

On constate que Vaughan Starnes est un brillantchirurgien, mais aussi un brillant communica-teur. Quand on analyse sa littérature et celle detoute son équipe, il faut faire très attention à lafaçon dont elle est écrite. Quand les Drs Starneset Wood affirment que les bronchiolites oblité-rantes sont moins fréquentes dans lestransplantations à partir de donneurs vivants,par rapport aux transplantations à partir de don-neurs cadavériques, cette assertion repose surune étude publiée sur 55 patients — 29 étaientdes cas à partir de donneurs cadavériques. Et ilest étonnant que la liste totale — la file active —soit de 90 patients au moins. Quand on analyse25 patients sur 90, l’article n’a pas besoin d’êtrelu. Il va directement à la poubelle, car il est enta-ché d’un biais méthodologique qui le rend inéli-gible. Un des problèmes majeurs des équipesaméricaines est qu’elles arrêtent l’analyse enexcluant des personnes. La façon de lire un arti-cle est un réel souci.

Pr Jean NavarroPédiatre, hôpital Robert Debré, président du Comité d’évaluation et de diffusion desinnovations technologiques (CEDIT) de l'AP-HP

Quand on fait l’analyse et les calculs, les chiffrescoïncident mal. On se dit même que, d’une publi-cation à l’autre il apparaît plus de cas qu’il n’enapparaissait dans un premier temps. L’allusionaux 90 ou 93 donneurs vivants regroupe plu-sieurs centres. Tout cela est difficile à analyser.Il me semble malgré tout que, même si une ana-lyse très rigoureuse doit être faite quand desdocuments semblent se recouper, ils laissent

DISCUSSION

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entendre qu’il y a un peu moins de bronchiolitesoblitérantes. Il est vrai que l’interprétation restedifficile car entre la publication de V. A. Starnesde 1998 et celle de 1999, par exemple, on neretrouve plus les mêmes auteurs ni les mêmeséquipes. On se demande ce qui s’est passé, cequi a été analysé, ce qui a été gardé ou non.

Pr Dominique Métras

Dans son dernier article sur la transplantation, quidate de 1999, V. A. Starnes considère la transplan-tation pulmonaire avec donneurs vivants commele procédé de choix chez les enfants. Je pensequ’il se fonde sur ses propres résultats.Mon opinion est qu’il est préférable de pouvoirse passer de donneurs vivants. Mais ce n’est pasfacile du fait de la pénurie de greffons en Franceet en Europe, tout particulièrement en pédiatrie.Nous avons utilisé un certain nombre de gref-fons provenant de jeunes adultes, que nousavons réduits. Or, un grand nombre de patientsdécèdent en liste d’attente. À l’heure actuelle,tous les parents savent que cette possibilitéexiste, qu’elle peut marcher. Nous ne leur disonspas, nous attendons qu'ils en fassent lademande. Quelqu’un a dit récemment qu’il n’était pas éthique de demander aux parents dedonner. À Marseille, personne n’a jamaisdemandé aux parents.

Pr Jean Navarro

Ici, nous sommes gênés par des limites d’inter-prétation. Il s’agit cependant d’une information quicontient des chiffres.

Dr Marc Stern

Quand on veut démontrer quelque chose, il estplus facile de le faire en restreignant son champd’action qu’en l’élargissant à la globalité. Quandon pratique la transplantation à partir de don-neurs vivants, par définition on ne dit pas, engénéral, que c’est mauvais et qu’il ne faut pas lefaire. Sinon, on change de métier. On tire de sesrésultats ce qui va dans le sens de sa démons-tration. Or, quand on ne prend qu’une cohorte de25 patients sur 95 pour démontrer qu’ils sontmeilleurs que les 25 d’une autre cohorte, cela poseun vrai problème méthodologique. Pour des spé-cialistes de la médecine fondée sur les preuves, cetype de démonstration n’est pas acceptable.Par ailleurs, il faut replacer la transplantationavec donneurs vivants dans le contexte améri-cain. Si Dominique Métras a dit que l’enquêtequ’il a réalisée au niveau de l’Europe ne cor-respond pas à la réalité des États-Unis, c’estparce que les pratiques diffèrent s’agissant desmodalités d’obtention des greffons. Des raisonsintrinsèques, structurelles aux États-Unis,expliquent le recours à des donneurs vivants quin’existent pas en Europe… Si on étudie les résul-tats du registre UNOS, San Francisco et LosAngeles se situent dans l’État qui présente lesmoins bons résultats dans l’obtention de gref-fons à partir de mort encéphalique. C’est ce quia contraint V.A. Starnes à recourir à des don-neurs vivants — ce qui, au départ, n’a pas été lecas dans les autres États.L’analyse rigoureuse d’une situation nécessite laprise en considération des aspects négatifs etpositifs pour l’ensemble des protagonistes ainsique la prise en compte de l’impact collectif deschoix effectués.

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> risques chirurgicaux et difficultés logistiques

Pr Philippe DespinsChirurgien, hôpital Laennec, Nantes

Ce débat à propos des chiffres dont on sait l’analyse difficile est central. À mes yeux, l'unedes seules justifications « validant » cette orien-tation thérapeutique des greffes avec donneursvivants est de pouvoir justifier d'une suprématieau plan scientifique et au moins médical, car ona vu par ailleurs la lourdeur des enjeux. Il estvrai aussi, comme l’a dit Marc Stern, que lesdétenteurs de la plus grande expérienceactuelle ont envie de faire passer leur sentimentprofond sur la validation que l’on doit obtenirdans un secteur extrêmement sensible.Par ailleurs, je voudrais demander à Jean-PaulCouëtil s’il peut dire, sur un plan médical et chirurgical, que l’on observe une différence dansl’évolution de ses patients à partir des greffeslobaires de donneurs après mort encéphalique.Ceci nous permettrait de savoir si la hauteur duchallenge médico-chirurgical avec la simplemodification de la partition versus poumon total,engage déjà des résultats équivalents, moinsbons, et pour quelles raisons.

Pr Jean-Paul Couëtil

Pour les partitions pulmonaires gauches oudroites, nous avons constaté des résultats glo-balement moins bons. Ils ne concernent cepen-dant pas les mêmes patients. D’un côté, il y ades adultes, de l’autre, il y a des enfants. Mais ilest vrai que les résultats à moyen terme (lespremières partitions ont commencé en 1994)sont plutôt moins bons. On pourrait penser quela complexité chirurgicale ait pu engendrerquelques difficultés, comme une plus grandemorbidité. Ce n’est pas le cas. Les résultats sontmoins bons, surtout quand on a fait des partitions

pour des adultes. À mon grand étonnement,pour les donneurs de lobes vivants destinés àdes adultes qui ont un grand thorax, les résul-tats au niveau des épreuves fonctionnellesrespiratoires sont nettement moins bons. Cesont des patients qui n’ont pas beaucoup deréserves. On en a quelques-uns avec des lobesde partition, donc grosso modo, cela se super-pose, se juxtapose au donneur vivant. Leur qua-lité de vie est moins bonne que pour des patientsde même gabarit qui auraient pu recevoir despoumons entiers. La partition est plutôt bonnepour les enfants. Pour les adultes, j’exprimebeaucoup de restrictions.

Pr Philippe Despins

Selon moi, outre les aspects d’ordre éthique, desproblèmes liés aux difficultés chirurgicalespotentielles se posent. Le parallèle est évident :les greffes par partition sur donneur après mortencéphalique sont des greffes lobaires commecelles des donneurs vivants. Je trouve qu’il y a làune difficulté supplémentaire. Si on veut retom-ber sur de bonnes bases éthiques, il faut que lesobstacles identifiés soient compensés par unsurplus de qualité observé malgré tout. Si onprend des risques chirurgicaux supplémentaires,avec la responsabilité d’assumer des difficultéslogistiques supplémentaires — DominiqueMétras a bien parlé de la mobilisation d’un blocsur une longue durée, et de plusieurs équipes,avec tous les aléas que peut avoir ce genre dechirurgie très prolongée —, je crois qu’il fauttrouver ailleurs un justificatif médical et unequalité médicale supplémentaire du résultatqu’on peut en attendre. Cela justifierait la hau-teur des investissements que vont faire lesmédecins, les chirurgiens et les familles.

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Pr Pierre BonnetteChirurgien, hôpital Foch, Suresnes

Je suis extrêmement étonné de la publication deSaint-Louis et du pourcentage incroyablementélevé des complications, même mineures, pourdes lobectomies effectuées chez des personnesne souffrant d’aucun problème de santé. Je n’observe pas du tout ces résultats quand jepratique une lobectomie à quelqu’un qui estmalade.

Pr Philippe Despins

La chirurgie de lobectomie est loin d’être béni-gne. Ces complications décrites sont habituel-les. Je ne suis pas étonné qu’elles surviennentchez des personnes en pleine santé. Les chirur-giens thoraciques confirmeront peut-être que lalobectomie inférieure droite, dans toutes lesséries, est la plus grande pourvoyeuse de fistu-les bronchiques après chirurgie pulmonaire. Jene suis pas surpris que le lot de fistules ne soitpas négligeable dans ces séries.

Pr Pierre Bonnette

La mortalité des personnes ayant subit une lobec-tomie pour cancer pulmonaire est environ de 2% à3%. Elle est essentiellement liée au problème defonction respiratoire des patients. Habituellement,ces interventions et leurs suites opératoires sontrelativement simples.Il faut souligner que les auteurs des articles pré-sentés ici se trouvent dans l’obligation de signalerles complications majeures et mineures afin d’évi-ter les critiques. De plus, il se trouve qu’un certainnombre des complications étiquetées majeuresdans ces articles ne le sont pas tellement auregard de l’enjeu que représente la vie d’un enfant.C’est le cas par exemple lorsqu’un patient doit êtredrainé pour un bullage prolongé d’une semaine.

Il y a nécessairement une ouverture du péri-carde pour prélever le lobe inférieur. Cela peutprovoquer des troubles du rythme un peu plusque dans les lobectomies habituelles pour canceroù, la plupart du temps, le péricarde est laisséintact. Deux problèmes essentiels se posent. Lepremier est d’ordre vasculaire, car il faut laissersuffisamment de vaisseaux pour le greffon etpour le donneur — ce qui est un peu plus com-pliqué que dans une lobectomie standard pourcancer. Le second est celui de la bronche du côtédroit puisque la bronche du segment de Nelsonest située en face de la bronche du lobe moyen.Donc, si on veut utiliser un greffon lobaire infé-rieur droit, il faut réaliser une coupe en biaispour disposer du segment de Nelson pour legreffon et garder le lobe moyen sur le receveur.D’où la nécessité d’effectuer une suture oblique— donc un peu minutieuse — pour fermer cettebronche lobaire inférieure. Cela entraîne unrisque de fistule à ce niveau et peut conduire àl’obligation de pratiquer une lobectomiemoyenne dans un second temps. Ainsi, au total,la personne aura finalement subi une bi-lobec-tomie. Cette dernière opération s’accompagned’une morbidité un peu plus importante puis-qu’on ne laisse dans la cage thoracique que 40 %du poumon initial qui est donc un peu petit pourla cage thoracique.Il est vrai que l’on est un peu étonné, à la lecturede ces articles, par les suites post-opératoiresdes personnes prélevées. Hormis ces fistulesliées aux prélèvements à droite, les autres com-plications ne semblent pas dramatiques. Ce quiest en revanche étonnant, c’est le fait que pourun prélèvement qui paraissait très simple, avecdes durées d’ischémie très courtes, il y ait ulté-rieurement autant de mauvais fonctionnementsdu greffon. Ceci laisse à penser que son refroi-dissement, au moment du prélèvement, n’estpas fait dans des conditions parfaites — ce quiest lié au fait qu’il est effectué sur donneurvivant. Ainsi, certains greffons ne fonctionnentpas immédiatement après, alors que la durée

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d’ischémie est très courte et que les conditionssont les meilleures avec un poumon en parfaitétat. Je considère cela comme un peu curieux.

Pr Jean Navarro

Pour l’équipe de Los Angeles et les 90 patients,dont une partie est sur place et l’autre dans unautre hôpital, j’ai compris que l’analyse portaituniquement sur les décès. Elle souligne que lesavantages potentiels en termes de prévention dela bronchiolite oblitérante, s’ils existent, ne seraientpas liés à ce qu’elle a appelé HLA mismatch, maisà un temps d’ischémie du greffon plus court danscette technique. Ceci est-il vérifiable ?

Pr Philippe Despins

La présentation de Dominique Métras n’indiquepas que les temps d’ischémies sont courts. Ilssont de 120 minutes à 130 minutes pour des prélèvements à courte distance. Cela est tout àfait comparable aux pratiques de la greffe à partirde donneurs après mort encéphalique.Je m’étais demandé si la meilleure compatibilitétissulaire pouvait aussi influer sur cette appa-rente diminution du taux de bronchiolites. Jeprécise « apparente » parce qu’on a connu lemême débat après l’initiation de la greffe cœur-poumon, lorsque l’on a assisté aux développe-ments de la greffe bipulmonaire et de la greffemonopulmonaire. Des courants d’espoir sontimmédiatement apparus, fondés sur l’idée quela greffe monopulmonaire ne donnerait pas debronchiolites. Dans un second temps, tout lemonde est revenu sur cette position.Effectivement, il n’y avait absolument aucuneraison pour que la greffe monopulmonaire nedonne pas de bronchiolites oblitérantes. Les raisons données par Marc Stern, d'une part, surl’interprétation de chiffres qui sont habilementdélivrés dans les communications et, d’autre

part, sur l’absence de justificatif vrai d’un nombre de bronchiolites moindre que dans d’au-tres cas de figure — si l’immunologie et l’isché-mie sont en cause — incitent, dans ce contexte,à la plus grande prudence.

Dr Sophie Ravilly

Pour que nos propos relatifs à l’expérience fran-çaise soient complets, il faudrait que Jean-PaulCouëtil l’évoque. Elle a été présentée la semainedernière à Toulouse. Il s’agissait de sept patientspressentis pour une transplantation avec donneurvivant dont quatre pour lesquels elle a été réalisée.

> hôpital européen georgespompidou : l'expérienced'une équipe

Pr Jean-Paul Couëtil

Notre expérience a commencé à l’hôpitalBroussais en 1997. Le premier patient venait deToulouse. Il était ventilé et intubé et il était por-teur de B. Cepacia. La communauté des expertsde mucoviscidose et de transplantation avaitconclu après délibération que l’état du patientnécessitait une transplantation d’urgence. Lesparents s’étaient spontanément proposéscomme donneurs potentiels. Nous avons prati-qué l’intervention après délibération. L’enfantest décédé d’une septicémie à B. Cepacia troisou quatre semaines après cette transplantation.Nous avions pris collégialement la responsabi-lité de la décision et cela s’intégrait difficilementdans un contexte d’urgence : d’autant moins quel’enfant était porteur de B. Cepacia. Certaineséquipes ne prennent pas de donneurs dits« standards » ou « habituels » dans le contextedes infections à B. Cepacia.Le deuxième cas était celui d’une patiente nonatteinte de mucoviscidose que nous avons

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transplantée au Liban. Cette personne était por-teuse d’une fibrose pulmonaire qui a bénéficiéd’une transplantation d’un seul côté. Le pèreavait donné un lobe. Ils ont été extubés tous lesdeux le jour de la transplantation.La troisième patiente était une jeune fille por-teuse de mucoviscidose ayant subi une pneumo-nectomie et qui n’avait plus qu’un poumon. Nousavons décidé d’appliquer la même techniquequ’au Liban — une transplantation unipulmo-naire (le donneur était le père). Nous avons étésurpris parce qu’elle est décédée d’unedéfaillance aiguë du greffon, après avoir étéretransplantée. Ce n’était pas un problème dedurée d’ischémie puisque celle-ci avait été trèscourte — moins d’une heure.Pour le patient suivant, à l’Hôpital européenGeorges-Pompidou en 2001, le père et la mèreétaient les donneurs. Le patient se porte trèsbien aujourd’hui. Néanmoins, nous avons reprisau bloc opératoire un des donneurs — le père —quelques heures après, parce qu’il avait un petitsaignement et que nous ne voulions pas letransfuser. Nous avons réalisé un petit pointd’hémostase, ce qui a évité une transfusion. La dernière transplantation a aussi eu lieu en2001. La patiente concernée, atteinte de muco-viscidose, est décédée en réanimation à cinqmois de l’intervention, dans un contexte de rejetincompréhensible. Les prélèvements ont fait letour du monde des meilleurs laboratoires poursavoir ce qui se passait dans son poumon et personne n’a jamais véritablement établi un diagnostic. Elle est décédée d’insuffisancerespiratoire terminale.En revanche, nous avons mis en bilan un nombreplus important de familles et de patients. Notreattitude consiste à freiner au maximum la tech-nique impliquant les donneurs vivants, tout enessayant de l’utiliser malgré tout. Plus de neufou dix familles ont pratiqué un bilan de donneursvivants, toujours pour des mucoviscidoses, endehors de la patiente du Liban. Notamment, en2002, pour un enfant unique de 10 ans, de

parents de plus de 40 ans. Nous n’avions pas purecourir au père et les donneurs potentielsétaient la mère et le grand-père. La situationfamiliale était terrible, car de plus il s’agissait duseul enfant de groupe B. Une fois que tout a étémis en œuvre et rendu possible, après concerta-tion avec l’Hôpital européen Georges-Pompidou,l’autorisation de l’EfG et des autorités de tutelle,j’ai tout de même freiné fortement afin d’essayerde ne pas la pratiquer avec donneurs vivants.Nous avons eu beaucoup de chance puisquedisposant d’un donneur standard ou habituel in extremis (je dis « standard » ou « habituel»s’agissant des enfants). Dans d’autres cas, nousavons également réussi, en cours de bilan, àbénéficier de donneurs standards (là aussi, unpeu in extremis). En général, c’est pour legroupe B ou AB. Notre attitude vise à promouvoircette démarche de façon extrêmement prudente.

Pr Jean Navarro

Vous prônez la technique de transplantationmonolobaire ?

Pr Jean-Paul Couëtil

Non. Nous avons réalisé des transplantationsmonolobaires dans des circonstances tout à faitparticulières : soit des fibroses pulmonaires, soitune discongruence extrêmement importanteentre le donneur et le receveur. Le cas de la per-sonne du Liban en est une excellente illustration— le père était très grand, très carré et sa filletrès petite. Le lobe du père emplissait totale-ment le poumon et c’est pour cela qu’on aobtenu un bon résultat.

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Dr Hélène HaddenPédiatre, hôpital Debrousse, Lyon

Nous avons été frappés par une expériencemenée à Lyon, concernant une petite fille pourlaquelle le père poussait beaucoup à latransplantation avec donneurs vivants. Elle avaitun petit frère de 8 ans. Les parents étaient très« supportifs » vis-à-vis de leur fille. Je ne saisplus sur quels critères, il avait été décidé defaire une bi-lobectomie. Le lobe supérieur et lelobe inférieur droits ont été prélevés chez lepère, et le lobe moyen a été rebranché sur labronche lobaire supérieure droite. Les suitesimmédiates pour la jeune fille ont été catastro-phiques puisque 24 heures après, son état étaitcritique. Elle a été retransplantée et elle estdécédée après deux mois passés en réanimation. La situation du père n’a pas été très claire initia-lement. Il a été revu ensuite à Lyon. Il souffraitde problèmes infectieux. Une sténose de l’anas-tomose s’était développée. Finalement, il a dûsubir une lobectomie et se retrouve aujourd’huiavec un seul poumon. Sur le plan professionnel,il a été reclassé. Il était manutentionnaire et adonc perdu son travail. La famille a vécu de telsdrames que les parents se sont séparés par lasuite. Je pense que cette expérience va désor-mais nous rendre réticents concernant l’implica-tion de donneurs vivants.

> de l'intérêt de croiser ses sources

Pr Dominique Métras

Dans les expériences qui ont été présentées enFrance, les patients transplantés dans un étatgrave, sous ventilation artificielle, ont connu dessuites difficiles et sont souvent décédés.Apparemment, d’après l’étude de la littératureprésentée par Jean Navarro, ce n’est pas le casà Los Angeles. J’avais discuté avec M. L. Barr

que j’avais rencontré au congrès sur la mucovis-cidose de Berlin, il y a quelques années. Dureste, à l’époque il avait fait une présentationd’une centaine de cas de transplantations pul-monaires avec donneurs vivants. De son point devue, non seulement le malade ventilé n’était pasune contre-indication, mais il considérait mêmequ’il s’agissait d’une indication au même titreque les autres.

Dr Alain Haloun

Si on ne considère pas les publications d’uneéquipe mais les publications du registre UNOS,on s’aperçoit qu’un patient ventilé de façon inva-sive présente le plus gros risque de mortalité àun an. C’est donc là un facteur de surmortalitémajeur.

Dr Jocelyne DerellePédiatre, hôpital d’enfants Brabois, CHU de Nancy

Parmi les patients qui ont présenté une bron-chiolite oblitérante après greffe avec donneursvivants, savez-vous si on dénombre plus de don-neurs non apparentés ?

Pr Jean Navarro

J’ai bien regardé la littérature ; ce n’est absolu-ment pas précis. Comme l’a souligné MarcStern, on éprouve énormément de difficultés carles chiffres ne coïncident pas, même d’uneannée à l’autre. Ce ne sont que des commentaires.J’ai cité le commentaire du Dr Wood. Il dit que cen’est pas lié au problème de mismatch, maispeut-être à la durée d’ischémie du greffon quiest plus basse. C’est tout. Aucune analysedétaillée ne permet de connaître les conditionsde greffe, de conservation, le degré de parenté,

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ni, parmi les différences dont il fait état, cellesqui sont issues de donneurs vivants apparentésversus non apparentés.

Dr Marc Stern

Il me semble que dans son dernier article, V. A.Starnes avait dit qu’il avait arrêté de faire destransplantations à partir de donneurs vivantspour des receveurs sous ventilation assistée.Une de ses explications était que l’état desmalades était trop sévère. Les résultats n’étaienten tous les cas pas meilleurs que ceux obtenus àpartir de donneurs en état de mort encéphalique.

© S.Millier

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> ASPECTS PSYCHOLOGIQUES ET SOCIAUX

Synthèse du groupe de travail patients/parents p 36

❶ Les significations du don❷ La notion de temps❸ Culpabilité et transplantation

pulmonaire avec donneurs vivants❹ Aspects sociaux et économiques

pour le donneur vivant➎ Ce que donner signifieMembres du groupe : Claire Marot, Michel Favier, Maryane Martinez-Bouquet, Catherine Grison, Pierre Bernard, Hervé Lanier, Caroline Dalvai, Sylvie Zeller, Joëlle Moulinoux

La préparation psychologique: expérience du Centre de transplantation de l'Hôpital européen Georges-Pompidou, AP-HP p 49• Évaluer les motivations du donneur

• Qu'observe-t-on chez les protagonistes ?

• Les critères prédictifs qui paraissent actuellement

les plus pertinents

• L'information : quand ? Comment ? Par qui ?

• Un cadre d'information et de décision

Sylvie Pucheu

Discussion p 54• Enjeux de la communication

• Spécificités de l’approche d’un adulte à transplanter

• Aspects éthiques et responsabilités engagées

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Membres du groupe:Claire Marot, Michel Favier, Maryane Martinez-Bouquet, Catherine Grison, Pierre Bernard, Hervé Lanier, Caroline Dalvai, Sylvie Zeller, Joëlle Moulinoux

❶ les significations du donClaire Marotpour le groupe de travail patients/parents

> que faire pour bien faire ? Notre groupe de travail d’essence associative estcomposé de patients, de parents et de conjoints.Il représente des positions différentes face à lamaladie: transplantés, non transplantés, parentsd’enfants vivants ou décédés, conjoints. Toutessituations qui créent la diversité des idées et dessentiments face à la transplantation pulmonaireavec donneurs vivants.Notre groupe a pris le temps d’organiser métho-diquement ses pensées au cours de 5 réunionsde 4 heures, programmées à intervalle de 3semaines, de septembre 2002 à ce jour. C’est lerésultat de ces échanges qui est exposé ici.La réflexion a été relativement longue — chacuna eu le loisir et la possibilité de s’exprimer avecun très grand respect et dans une écoutemutuelle attentive.Nous nous sommes inscrits, il est vrai, endehors de toute notion d’urgence pour prendreposition sur le sujet. Mieux, nous nous sommesinstallés dans un climat de calme et de sérénité,sans pour autant nier ni occulter la vitesse àlaquelle il convient de prendre les décisions faceaux situations.Nous avons essayé de comprendre cette urgencemise en avant par les médecins. Nous avons

parfaitement intégré l’obligation de décider, maisnon sans avoir pris la peine et le temps de réfléchir.Comme la plupart des familles et des couplesd’aujourd’hui, ce groupe ne détenait pas plusd’informations sur le sujet que celles délivréespar la presse. Celle-ci retransmet au mieux lesfaits, tout en laissant à chacun le soin d’en discerner les éléments. Mais l’expérience nousmontre souvent que la réalité est tout autrequand on vit au cœur du sujet. Nous avons alorspréféré partir des données que l’on met à notredisposition afin de coller au plus près possiblede l’attente des familles et non parler comme ungroupe détenteur d’informations confidentielles.Chaque participant s’était engagé par désir personnel d’être là, chacun était prêt à donnerde lui-même. Chacun, intimement sans doute,avait une idée personnelle ou était porté par unélan du cœur à répondre favorablement sanspour autant consentir à livrer tout de lui-même.Ce groupe s’est aussi placé d’emblée en dehorsde toute discussion d’opposition tranchée.Nous nous adressons directement aux médecins,chirurgiens, réanimateurs, équipes médicales,psychologues, parents, économistes et juristes.Ces propos ne contiennent certainement aucuneréponse à leurs interrogations. Mais nos ques-tions ont pour vocation d’être prises en comptedans les actions et les décisions.Bien sûr, il s’agit de l’interprétation des familles.Nous ne l’opposons pas à la position médicale,nous cherchons au contraire à nous retrouverdans un face à face plein d’humanité. Cette ren-contre est de toute façon devenue une obligationface à une situation aussi inouïe que celle quinous est proposée aujourd'hui.Sans doute est-ce le moment de se poser laquestion éthique : « Que faire pour bien faire ? »Nous voyons dans cette question toute l’interro-gation qu’elle soulève et toute l’action qui endécoule dans un souci de responsabilité, dereconnaissance du patient qui souffre en face de

SYNTHÈSE DU GROUPE DE TRAVAILPATIENTS/PARENTS

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moi, de cette famille qui, dans un élan spontanéet généreux, est prête à offrir ses poumons. Avec,pour tout le monde, le souhait tellement fort etsincère de faire reculer la mort, de ne jamais êtreséparé de celui ou de celle que l’on aime.C’est cet amour, ce don, qui sont au cœur de notredémarche de réflexion, de souffrance, de vie.Le parent, le conjoint qui donne son poumon,que donne-t-il ? Comment le fait-il et pourquoi ?Le don, qu’est-ce que c’est ?

> la difficile question du donBien des personnes savantes et expertes se sontpenchées avant nous sur cette notion de don.Elles en ont tiré des conclusions publiées etfournies. Mais peu d'entre elles — et sans doutepas celles qui en ont écrit le plus — se sontretrouvées face à cette décision de véritable-ment devoir, un matin, offrir une partie d’elles-mêmes au risque d’aller beaucoup moins bien lelendemain. Nous non plus nous n’étions pasdans cette urgence, mais nous avons la légiti-mité de pouvoir y être confrontés.C’est donc sur cette question du « don » quenous avons été invités à nous exprimer.Envisager de se dessaisir d’une partie d’unorgane vital au profit de son enfant, dans uneinspiration spontanée et la plupart du tempsconjugalement partagée, c’est revenir aux sourcesde l’échange dans cette société d’affectionqu’est la famille. De plus, on se sent « bonparent », responsable. Peut-être voit-on unefaçon de compenser une transmission « maltransmise »… On donne par amour, gratuite-ment — cela nous procure une possibilité d’action, nous avons l’impression de redonnerune chance à notre enfant, de « réparer » un peude cette culpabilité.Le don, c’est aussi une aventure, un chemin quel’on poursuit avec lui. Il suscite l’émerveille-ment, éveille notre capacité d’amour, d’atten-tion, de patience, de vie.

Le vivant reçoit la vie pour la donner. De laconception — don de la vie — à la mort — viedonnée —, l’existence humaine s’inscrit toutentière entre le don et la vie.Par nature, le don peut être reçu ou offert. Ledon ne peut pas être imposé mais attendu,accueilli. Le don est gratuit, il espère un bien, ledon désiré fait grandir, le don imposé fait violence, le don non désiré est sans doute sansvaleur.Le don d’organe de personne en situation demort encéphalique, même s’il reste sans douteinsuffisant, est aujourd’hui reconnu, compris,apprécié. Il existe des campagnes d’information,une prise de conscience de chacun d’entre nous,et la plupart sont d’accord pour donner, à leurmort, un de leurs organes. Ils le font savoir, por-tent parfois sur eux la carte d’acceptation du dond’organes.Et puis, tout à coup, renversement de situation— on butte, on hésite, on a peur, la situation estinédite, angoissante. Là où nous étions certainsqu’il fallait donner, nous nous interrogeons :faut-il donner ?Nous sommes confrontés à une situation tropcomplexe, inquiétante, parfois urgente (ce qued’ailleurs nous avons du mal à admettre), etdoutons d’une réponse réfléchie, responsable,libre. Lorsque la pression est trop forte, lorsquela survie de notre enfant, de notre conjoint est enjeu, pouvons-nous avoir une réponse argumentée,claire, responsable ?

> un excès de responsabilitésIl ne peut y avoir d’urgence dans la pensée. Il nepeut y avoir de réponse mécanique, spontanée,non réfléchie.Chacun a un secret, chacun est « mystère », ilfaut aider à prendre sa décision et essayer d’offrir une démarche d’élucidation, de compré-hension, de créativité.Cependant, même si cette idée de donner une

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partie de nous-mêmes pour sauver notre enfant,notre conjoint, a suscité beaucoup de réserves,nous ne pouvons pas oublier notre mouvementspontané et généreux : « Je ne pourrai pas direnon si on me le demande. »Face à cette générosité, il faut toutefois, noussemble-t-il, laisser à la famille et non au médecin,l’initiative première d’envisager cette possibilitéde transplantation pulmonaire avec donneursvivants.Aujourd’hui, ce don concerne une partie de moi-même, une partie de mon corps réputé « sacré »,unique, peut-être même inaliénable : ai-je ledroit d’aller volontairement mettre du désordredans quelque chose de bien établi ? Cette partiede moi que je vais offrir participe à des fonctionsvitales. C’est aussi sur cet enjeu familial d’échange (pour assurer la prolongation d’unevie incertaine de notre enfant, de notre conjoint,il faut bien sûr deux donneurs, souvent deuxparents) que le problème prend sa dimensiondramatique.C’est sur cette perspective d’absolu, d’expressionde la vie au plus haut niveau — «il n’y a pas deplus grand amour que de donner sa vie pour ceuxque l’on aime» — que le groupe s’est interrogé.- Le don constitue-t-il un geste de réparation ? Il

y a un mal que j’ai transmis, même si je ne mesens absolument pas coupable pour autant. Ledésir de vie et de vie « bonne », un peu plusconfortable que celle que nous avons offertejusqu’à présent va peut-être s’imposer.

- Est-ce un engagement inscrit dans la fonctionparentale ? Mon enfant, je le sauve, je leconserve, je fais tout pour lui. La mort d’unenfant est de toute façon tellement inacceptable,tellement peu dans l’ordre des choses : onn’enterre pas ses enfants !

- Dans cet insupportable de la fin de la vie, lesoignant croit-il sincèrement qu’il y a moyende changer les choses ? Il faut s’arrêter, pren-dre le temps, identifier clairement ce que nouspouvons, ce que nous voulons.

- Est-ce une façon de prolonger la vie du couple?

L’amour va-t-il rester lié à cet organe ? Est-ceque je donne parce que j’aime ? Oui, certaine-ment. Mais le conjoint malade, lui, souhaite-t-ilrecevoir un nouveau poumon sachant que jerisque de moins bien aller pour lui ? Nous n’ensommes pas certains. L’écho semble souventêtre : « si je ne suis plus là, refais ta vie et soisheureux… »

Ce refus de donner ou de recevoir, commentpeut-il être vécu? Celui qui refuse prend le risquede tout arrêter, d'interrompre ce chemin faitensemble. Quel respect, quelle liberté, quelleimmense délicatesse faut-il dans un instantpareil ! Ici aussi, il faudra prendre le temps des’arrêter, de s’écouter, de se comprendre.N’y a-t-il pas un excès de responsabilité pour lafamille ou pour le couple? La plupart d’entrenous risquons de nous sentir dépassés par unetelle perspective.À la question de savoir qui doit en parler en pre-mier, qui est responsable de cette annonce, notresentiment, sans vouloir être affirmatif ou catégo-rique, est qu’il appartient sans doute auxparents, avant le médecin, d’évoquer cette possi-bilité de transplantation avec donneurs vivants.Il faut en effet qu’il y ait désir. Or ce désir detransplantation avec donneurs vivants doit êtreexprimé: la parole clarifie et précise la pensée, ledésir est invisible et la demande le rend percep-tible. Le formuler est un acte d’humilité qui ouvreencore davantage à la vie. En effet, cette réflexions’inscrira forcément dans le mystère de chacun,dans la souffrance, dans la solitude et ce n’estsans doute pas au médecin d’évoquer une tellepossibilité, au risque de laisser des parentsdémunis devant une telle réflexion.Chacun a donc apporté sa propre conception dudon de soi tout en prenant en considération l’hypothèse d’une survie limitée pour une qualitéde vie médiocre et des soins lourds.Certains se sont exprimés avec beaucoup despontanéité : «si le poumon que je lui donne nesert pas, j’aurai le sentiment d’un gâchis pourtout le monde.»

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Notre réflexion s'est ainsi construite autour de 4 thèmes : la culpabilité et la responsabilité, letemps et l’aspect sociétal.Si cette thématique du don a aussi introduit la notion de sacrifice, le groupe a toutefois étéunanime pour souligner qu’ici, don et sacrificen’allaient pas de pair.

❷ la notion de tempsMichel Favierpour le groupe de travail patients/parents

Tout au long de ces réunions de réflexion sur latransplantation pulmonaire avec donneurs vivants,nous étions renvoyés au temps et à la mort.Ce groupe de travail s’est efforcé d’éclairer dansleur prise de décision, les médecins, lespatients, les familles, les conjoints…Nous avons essayé d’aborder tous les points quipouvaient avoir une incidence sur la transplan-tation avec donneurs vivants et y avons mis « nostripes », nos compétences, notre vécu.« Le temps n’attend personne. Profite de chaquemoment qui t’est donné car il est précieux.Partage le avec un être qui t’est cher et il seraencore plus précieux. »La notion de temps est subjective. Elle repré-sente pour chacun une représentation mentaled’une durée définie entre un avant et un après,une succession plus ou moins longue ressentieplus ou moins fortement en fonction d’un vécupersonnel.Dans cette histoire de temps, le premier dia-gnostic suivi de tous les autres est la ponctua-tion répétée de la limite de la durée de vie.

> temps de l'annonceAlors comment et à quel moment communiquer leou les diagnostics? Comment annoncer qu’il fautcommencer des cures d’antibiotiques, passer à

l’oxygène, débuter la nutrition entérale, s’inscriresur une liste d’attente…?Comment, face à l’urgence et en situation demanque de greffons, énoncer une proposition detransplantation à partir de donneurs vivants? Est-ce au médecin de le faire? Qu’en est-il alors de saparole et, compte tenu de tous ces éléments, est-ce bien à lui de proposer cet acte chirurgical?…Ainsi, dès l’annonce du diagnostic de la maladie,le temps va-t-il constituer un élément très impor-tant dans la vie d’un jeune atteint de mucovisci-dose comme pour sa famille: diagnostic d’unemaladie héréditaire et incurable, diagnostic de vieet de mort, véritable épreuve de réalité vécuecomme «minute éternelle» par certains, sou-mise à la succession d’annonces de nouvellesthérapeutiques. Le temps interviendra de manièreprépondérante, comme des ponctuations, pourrappeler sans cesse les limites de la vie.Chaque annonce est un choc, même lorsqu’elleest attendue, souhaitée ou redoutée.Les expressions employées sont révélatrices :« sur le coup, ce fût terrible, comme un coup demassue sur la tête… C’est le ciel qui s’effondre,etc. » Comme si la pensée s’arrêtait et qu'enmême temps mille idées s’interpellaient en toussens — moment de sidération et moment d’en-vahissement.Chaque annonce est bien souvent matérialiséepar une modification de la vie sociale : arrêt detravail, réduction des loisirs, nécessité d’hospi-talisations répétées et donc d'un éloignement dudomicile, des relations familiales qui prennentalors une autre forme dans la proximité.L’annonce — chaque annonce — est un point dedépart, le « temps zéro » d’une nouvelle vie qu’ilva falloir structurer, aménager. Ici le tempsprend toute sa dimension puisque à l'origine detout ce qui sera vécu après.La maladie n’a pas le temps — c’est de toutefaçon un temps rempli de soins et de renonce-ments. Les familles ont l’impression de luttercontre le temps qui file, d’être usées et dévoréespar le temps. Le temps consacré à l’enfant

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malade devient plus important que celui accordéaux autres enfants.À chaque annonce, le médecin doit savoir que lemalade s'imprègne des paroles qu'il entend etdont l'impact retentit non seulement dans laréalité des propos, mais également dans l’imagi-naire. Ainsi, pour les parents, à l’annonce du dia-gnostic de la maladie, « l’enfant rêvé n’est plusl’enfant du rêve ». À la joie et l’insouciance dujeune couple devant son avenir, va succéder l’in-quiétude et l’angoisse face au temps désormaiscompté et limité.Pour le patient, l’inscription sur une liste d’attentetraduit bien un réel formé de symptômes, dedéficiences, mais également une réalité quilimite le temps projeté dans l’avenir.

> temps de l'attente,de l'échange et de la décision

Le temps de l’attente d’une greffe est à la foistemps d’espoir pour une vie meilleure, pour uneprolongation de vie, mais aussi temps d’incerti-tude et d’angoisse au regard des résultats opéra-toires. Ces deux perspectives vont expliquer leshésitations qui prédominent dans le choix dupatient de se faire inscrire sur une liste d’attente.À ce moment précis, vont alors se confronterdeux positions, deux vécus de temps qui diffé-rent : celui du médecin et celui du patient. Lepremier, fort de ses statistiques et de saconnaissance de la pratique médicale, va argu-menter pour une inscription rapide au regard dela précarité vitale qui reste à vivre. Le second, enl’absence de ces connaissances précises maisinstruit dans la réalité de ses déficiences phy-siques, va développer des stratégies de vie quiseront tout à la fois empruntes de déni et d'unecertaine accommodation à la maladie.Cette confrontation peut-elle se résoudre endehors de la prise de décision du patient par lui-même ?Pour la transplantation pulmonaire avec donneurs

vivants, les parents, impliqués au premier rang,vont entrer dans cette relation médecin/parent.Pourtant, dans ce jeu de l’altérité où chaque indi-vidu a sa réalité et son identité propre, une telledécision, in fine, lui appartient, et à lui seul. Mêmes’il s’appuie sur l’avis et la réflexion de l’autre.Pour ce « couple » dont les positions peuventêtre différentes, le temps de l’échange, de la discussion, de la réflexion, de la maturation, del’intériorisation sera indispensable.Il y a, dans cet espace-temps, une notion de vraiesolitude. Seul pour faire un choix qui va changerla vie de trois personnes : le receveur qui« gagne » et deux donneurs qui « perdent ».Situation où chacun, dans son for intérieur, seulface à son image corporelle, indépendamment età la fois avec les deux autres, va devoir prendreune décision : La décision, poussée par le pro-nostic vital précaire, par le temps et l’urgence.Or, cette urgence n’est pas la même pour lecorps médical et la famille.Le chemin est souvent long avant de prendre ladécision la plus adéquate possible. Dire non,n’est-ce pas ne pas assez aimer l’autre? Aimer,introduire du temps, de la distance...Il faut laisser aux personnes concernées le tempsde changer d’avis — faire naître le désir d’accep-ter ou au contraire la possibilité de dire non, derenoncer au don, qu’il s’agisse du donneur ou dureceveur.Mais le sentiment de culpabilité est alors trèsprésent. Quelle possibilité de choix ? Quelleliberté de décider face à l’urgence, face à sonenfant en prise avec la mort, face au « mainte-nant » posé par le médecin ? « Le maintenant,c’est le fait que je suis maître, maître du possible,maître de saisir le possible » dit EmmanuelLevinas.Dans ce contexte, le possible n’est-il pas alors latransplantation pulmonaire avec donneursvivants ?Nous avons besoin d’espoir. Un terrain est librepour un événement qui peut bouleverser la vie.Dans la greffe, il y a la possibilité, la capacité de

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transformer le temps. Or, il faut inscrire latransplantation dans une dynamique de vie etnon pas dans une dynamique liée au temps.Alors nous pouvons nous poser la question : latransplantation pulmonaire avec donneursvivants va-t-elle améliorer la vie du patient entermes de qualité ? La survie — puisqu’il s’agittout de même de cela — pourra-t-elle suffisam-ment profiter à l’autre, même si nous parlons deseconde naissance ?À l’inverse, a-t-on le droit de dire combien la viede l’autre durera et s’appuyer sur cette estima-tion ? N’y a-t-il pas un temps pour s’arrêter ? Lereceveur veut-il continuer à vivre ?Nous mettons au monde un enfant, porteur detemps, mais sans jamais savoir quelle en estl’exacte durée. Cependant, la mort d’un enfantest toujours inacceptable. C'est pourquoi il nousappartient de savourer le temps ensemble, telqu’il nous est donné : « On peut penser que letemps authentique est originellement uneextase » (Emmanuel Levinas).

❸ culpabilité et transplantation pulmonaire avec donneurs vivants

Hervé Lanierpour le groupe de travail patients/parents

L’idée même de transplantation pulmonaire avecdonneurs vivants conduit aussitôt l’ensembledes acteurs à se poser un grand nombre dequestions. Un sentiment de culpabilité auxcontours plus ou moins définis et justifiés inter-pelle les uns et les autres. Ce sentiment ne doitpas être occulté et une analyse doit en être faite.

> culpabilité des parents vis-à-vis de leur enfant

Le père et /ou la mère qui ont transmis la maladie expriment parfois un sentiment de culpabilité. Au mieux s’ils n’ont pas un tel senti-ment, ils assument une responsabilité face à lamaladie de leur enfant.En souhaitant être donneur, ils pensent pouvoiraccomplir un acte réparateur. Acte, certes sou-vent inconscient, mais qui exprime le besoin deréparation pour eux-mêmes. En donnant unepartie saine, ils vont pouvoir faire renaître leurenfant, lui redonner une chance. Dès lors com-ment un parent peut-il exprimer son refus etvivre en conscience avec ce choix ? Si un tel refusdoit pouvoir être entendu et assumé par l’équipesoignante après plusieurs entretiens entre ledonneur potentiel et un intermédiaire (psycholo-gue, psychiatre indépendant de l’équipe de soinset de transplantation), il apparaît qu’un tel choixrisque d’être source de conflit au sein du coupleparental, pouvant même conduire à terme à l’écla-tement de la cellule familiale.Toutefois, si le don de la part des parents peutêtre vécu comme un acte réparateur, il convientsurtout de ne pas perdre de vue que le résultatd’un tel acte reste incertain, partiel et palliatif.De plus la transplantation pulmonaire avec don-neurs vivants peut entraîner un renforcement dela dépendance entre l’enfant et ses parents. Nerisque-t-on pas de retisser un lien qui l’empê-chera d’être lui-même ?Si l’un des parents seulement est un donneur auregard des critères médicaux, on peut sedemander comment vont évoluer les relationsentre le donneur et l’enfant, entre le non-donneur et l’enfant et entre les conjoints eux-mêmes. Celui des deux qui n’aura pas pu faire ledon souhaité ne va-t-il pas développer un senti-ment de culpabilité à l'égard de son conjoint, deson enfant ? Ne va-t-il pas se créer un lien plusmarqué entre le donneur et le receveur aurisque d’isoler le non-donneur ?

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Par ailleurs, dans le cas où la transplantations’avère être un échec pour le receveur, il peutapparaître deux sentiments opposés qui pour-ront, le cas échéant, se succéder dans le temps.Le père et la mère auront le sentiment d’avoir aumoins tout tenté pour sauver leur enfant, ou bienau contraire le sentiment de culpabilité seraravivé, car non seulement ils auront transmis lamaladie, ils n’auront pas réussi suffisamment àen retarder la progression, mais en plus ils n’au-ront pas contribué efficacement à sauver leurenfant.Enfin arrêtons-nous sur le dilemme auquel sontconfrontés les parents qui ont plusieurs enfantsatteints de mucoviscidose. Ils peuvent éventuel-lement être donneur pour un enfant mais qu’ad-viendra-t-il du ou des autres enfants malades ?

> la fratrieUn frère ou une sœur en bonne santé n’a aucuneraison de se sentir coupable de quoi que ce soitface à l’état de santé du frère ou de la sœurmalade. C’est davantage un sentiment de par-tage qui domine. La culpabilité au niveau de lafratrie est basée sur le fait que l’un est maladeet l’autre pas. Être donneur permet alors depouvoir partager sa bonne santé avec le frère oula sœur malade.

> le patient atteint de mucoviscidose et son conjoint

Généralement, le conjoint arrive dans la vie dupatient alors que la maladie est connue. Le cou-ple se construit un avenir avec la maladie. Laquestion de la transplantation pulmonaire avecdonneurs vivants se pose en termes d’amourprofond. Pour le conjoint, c’est donner une partiede lui-même pour sauver celui ou celle qu'ilaime, mais aussi sauver leur amour.

Le malade, quant à lui, peut accepter ou refuserce don. Le plus souvent, ce refus n'a qu'un seulbut : en cas d’échec, permettre à l’autre de conti-nuer à vivre, de refaire sa vie sans être diminuéphysiquement.Ce refus peut cependant mettre le couple endanger : « Comment aimer quelqu’un qui ne veutpas de mon don ? » Cette question ne pourraalors trouver une réponse que si l’on fait bien ladifférence entre aimer et donner.Dans tous les cas, le receveur doit être conscientdu don qui est consenti par les siens sans pourautant se sentir redevable. Le donneur ne doitrien attendre en échange.En marge de cette réflexion, deux remarquespour conclure.La culpabilité trans-générationnelle, en termesd’hérédité — c'est-à-dire par rapport auxgrands-parents — est souvent le terrain de que-relles familiales. L’hérédité est difficile à supporter,à entendre. Qui est coupable ?La culpabilité du corps médical, qui pratique unacte pouvant apparaître contraire à son éthique :en essayant de sauver un patient, il porteatteinte à l’intégrité physique de deux personnesqui auront à subir des conséquences médicalesnon négligeables.

❹ aspects sociaux et économiques pour le donneur vivant

Catherine Grisonpour le groupe de travail patients/parents

Le donneur vivant impressionne la société parson sacrifice et son courage. Mais cette sociétéassume-t-elle une reconnaissance des droits deces donneurs ?Habituellement, la société est reconnaissanteenvers la famille qui fait don du corps d’un êtrecher décédé en acceptant, en peu de temps, non

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seulement la mort de celui qu’elle aime maissurtout le don de l’un de ses organes pourqu’une personne anonyme puisse survive dansde meilleures conditions. La société glorifie cedon, même lorsqu’il demeure dans la discrétionet l’anonymat, et remercie globalement maisnon personnellement : la mort crée la crainte.Pour marquer d'un signe durable et personna-lisé notre gratitude, certains experts et philoso-phes ont envisagé d’instaurer un registre officieldes familles ayant accepté le don et d’apposerune plaque dans les hôpitaux. La société admiresans réserve ceux qui ont accepté de donner unepartie d’eux-mêmes (rein, lobe de foie ou depoumon) pour sauver un proche ou un inconnu(moelle), mais d’autres dons anonymes (sang,gamètes) sont également synonymes de solidarité.Le don d’organe à partir de donneurs vivantsimpressionne la société qui le médiatise souventen faisant état des progrès scientifiques etmédicaux ayant permis la prouesse technique.Est-il besoin de remercier le donneur puisqu’ilreçoit déjà une récompense de son « sacrifice » àtravers le bénéfice qu’en tire le receveur et lajoie d’avoir participé au maintien du lien de vieavec lui ?Et chacun d’affirmer : « si je me trouvaisconfronté à une telle situation, je ferais toutpour sauver mon enfant ! »Est-ce pour ne pas déteindre sur ce sentimentnoble et fort que les médias n’évoquent jamais niles examens ni les investigations préalables surle donneur et encore moins les suites post-opé-ratoires douloureuses ? L’image s’arrête sur levisage soulagé du donneur et non sur sa souf-france possible. On n’en dit d'ailleurs pas davan-tage sur le receveur qui n’a pas à se plaindre vule cadeau de vie qu’il vient de recevoir. Silenceaussi sur le fait qu’il peut lui-même se trouveraussi donneur vivant1 : cet aspect n’est jamaisévoqué puisqu’il se trouve postérieur à l’actedon-greffe, celui de la reconnaissance du premierdonneur par la société économique. Dans l’urgence, le donneur vivant potentiel ne s’en

préoccupe pas. C’est plus tard que la sociétéviendra lui rappeler que le « sacrifice » est aussiéconomique...

> la prise en charge du pré-don et du don

Le décret n° 2000-409 du 11 mai 2000 en Conseild’État, puis la circulaire n° 357 du 30 juin 2000établissent clairement que le donneur et sonaccompagnant (si nécessaire) doivent être rem-boursés de tous leurs frais, que le fait de donnerne doit rien coûter au donneur.Le décret prévoit que cette prise en chargedirecte soit organisée très largement par l’éta-blissement hospitalier préleveur pour ne pasoccasionner l’avance par le donneur. Les frais,qui ne sont pas facturables au donneur ou à safamille (ou remboursés le cas échéant) sont deplusieurs natures :• le coût des examens afférents au prélèvement

en vue du don ;• les frais liés aux démarches à effectuer pour le

recueil du consentement préalable et à tousles actes médicaux qui l’entourent, quand bienmême le donneur n’est pas retenu ou que lagreffe n’ait pas lieu. Sont aussi compris lesfrais occasionnés par tous les transports etl’hébergement du donneur et son accompa-gnant et les déplacements requis par le suivipost-opératoire du donneur vivant ;

• le coût du prélèvement est facturé à l’établis-sement transplanteur s’il est différent ;

• les frais d’hébergement hors hospitalisationsont remboursés dans la limite de 10 fois lemontant du forfait hospitalier journalier. Le décret préconise que les hôpitaux organisent leplus largement possible la dispense d’avancede frais des patients et doivent limiter aumaximum les démarches du donneur néces-saires à leur remboursement ;

• autre poste abordé, celui de l’indemnisation dela perte de rémunération du donneur et de son

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accompagnant. C’est l’établissement préle-veur qui indemnise sur la base de 100 % dutarif de référence de la Sécurité sociale, soit ledouble des indemnités maladie. La durée d’in-demnisation comprend les jours d’absencepour examens, les soins et déplacements quiprécèdent le prélèvement — dans la mesureoù ces absences ne justifient pas la prescrip-tion d’arrêt maladie a priori — et la périoded’hospitalisation du donneur incluant lapériode post-opératoire immédiate.

La société, si elle admire, ne couvre pas directe-ment les frais (même si les fonds hospitalierssont d’origine publique). En effet, donner unorgane ne constitue pas une maladie mais unacte volontaire : le régime de protection socialene s’applique donc pas car le don doit conserverun caractère d’anonymat. L’établissement préle-veur ne peut en conséquence transmettre unequelconque identification à une caisse d’assu-rance définie — il lui revient de suppléer sur sesfonds propres. Si la démarche « donneur vivant »s’amplifie, ce coût réitéré ne pourra être soutenuau-delà d’un certain budget2.

> la prise en charge post-opératoire

Compte tenu de la nature du prélèvement, l’éta-blissement préleveur assume les frais de suivi,de soins et l’indemnisation pour perte de salaire.Par contre, si le donneur n’est pas en état dereprendre son travail après sa sortie de l’hôpital,il doit être déclaré en congé maladie auprès dela caisse dont il relève pour obtenir ses indemni-tés journalières qui seront complétées par l’éta-blissement transplanteur jusqu’à concurrencede l’intégralité de sa rémunération habituelle. Sides séquelles directement liées au prélèvementapparaissent chez le donneur ou si l’hospitalisa-tion se prolonge, l’hôpital peut voir sa responsa-bilité engagée ou reconnue par une juridiction. Ilserait alors contraint de verser une indemnité en

réparation du préjudice subi par le donneur.Mais, à moins d’une transaction amiable, ceciimplique une procédure longue et coûteuse.Du côté du receveur, la société attend de lui qu’ilsoit reconnaissant pour le don qui lui a été fait, de la technique médicale, de l’entouragehospitalier…On peut s’interroger sur ce qu’il ressent lorsquedes « résidus opératoires » issus de l’interven-tion sont utilisés pour la recherche médicale,d’autant plus si ce résidu est son cœurtransplanté chez un autre donneur anonyme...De receveur, il devient alors, lui aussi, donneurvivant !

> quand la société pénaliseaprès la greffe

Le don à partir de donneurs vivants est peudéveloppé et a été particulièrement pratiquépour les greffes de rein. Les dons de moelle oude rein n’entraînent pas, normalement, de problème de santé ultérieur au rétablissement.Même si les risques sont plus élevés, le prélève-ment d’un lobe de foie implique une récupérationplus lente mais totale pour le donneur.La FNAIR (Fédération nationale d’aide aux insuf-fisants rénaux) s’est investie dans la défense desdroits des transplantés et donneurs pour leurintégration sociale. L’emploi ou le maintien à unposte, l’évolution du plan de carrière représententdes éléments sociaux primordiaux, mais d’autresaspects de la vie sont souvent relégués jusqu’au moment où ils interviennent brutale-ment — lors d’un prêt, d’une demande d’assu-rance ou d’une recherche d’emploi.

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> la question des prêts bancaires et des contratsd'assurance

Les malades chroniques sont pénalisés dès ledépart et obtiennent rarement un emprunt pouracquérir une voiture ou un outil de travail. Mieuxvaut avoir un parent pour emprunter avec descautions et des primes d’assurances (risquesdécès/invalidité/incapacité) pouvant s’avérerexorbitantes. Les malades atteints de mucovis-cidose, encore rejetés par les banques s’ilsdéclarent leur maladie, la cachent au risque dedéchéance d’assurance puisqu'il est fait obliga-tion de ne rien omettre. Les donneurs de rein setrouvent dans des difficultés identiques s’ils doi-vent remplir un formulaire de déclaration avecinterventions chirurgicales ou ablations d’orga-nes. La FNAIR dénonce qu’un simple prêt pourl’achat d’une voiture soit très souvent refusé.Les assurances s’accordent pour décourager lesclients malades et ceux qui, à la suite d’un don,n’ont plus l’intégrité totale de leur corps.L'obligation légale de déclaration auprès de l’assureur lui permet ainsi d’accepter le risquedu client donneur vivant, mais en augmentant laprime d’assurance.C'est dans ce contexte que la FNAIR vient designer un protocole avec la SDAIR (courtier d’assurance) en partenariat avec les AGF, permettant, après examen médical, l’accès àl’assurance décès liée à un emprunt pour lesdonneurs comme pour les greffés ou les dialysés.La prime est peu majorée par rapport au tarifnormal. Cette assurance propose d’autres typesde couvertures (prévoyance, incapacité, etc.) carl’assureur a mené une large enquête afin dedéterminer les risques encourus. Pour que l’opération soit rentable, il faut en effet qu’unmaximum de clients s’engagent et souscriventaux assurances annexes.Mais si le donneur d’un rein se porte bien, on nesait ce qu’il en sera du donneur d’un lobe de pou-mon. À ce stade, aucune assurance ne couvrira

quoi que ce soit et, en supposant qu’elle accepteen connaissance de cause — à travers l’actiond’une association, par exemple — elle entendraaccueillir une plus large population que celleactuellement concernée.Le cas du donneur vivant ayant souscrit à uncontrat d’assurance avant le don pose un autreproblème encore. L’assureur peut résilier lapolice d’assurance dès qu’il est informé de l’ablation volontaire. Les conséquences financiè-res, en particulier pour les professions libérales,peuvent s’avérer désastreuses pour le donneurse retrouvant non seulement sans revenu maisruiné.Quant au receveur, greffé rénal en meilleuresanté, il ne retrouve pas pour autant un statutnormal chez l’assureur ou le banquier : il n’y apas de récupération sociale.

> la question de l'indemnisation

S’il ne peut plus travailler, un dialysé rénal perçoitl’allocation d’adulte handicapé. Or la maladie asouvent écourté sa carrière professionnelle.Ainsi, après la greffe, il va voir son taux d’invali-dité réduit et sa prise en charge par les organis-mes sociaux, jusque-là de 100 %, lui être retirée.Puis ce sera l’allocation d’adulte handicapé qui,à son tour, sera supprimée.Lorsque la greffe intervient à un âge qui ne per-met plus de retrouver un emploi ou de gravir l’échelle professionnelle, il se retrouve deman-deur d’emploi et rapidement «bénéficiaire» duseul RMI. De surcroît, la société va lui demanderd’accepter un emploi mal rémunéré et dans desconditions peu adaptées à son état de greffé.Dans le cas de la mucoviscidose, le problème dif-fère puisque la greffe de poumon ne guérit pas lesautres atteintes de la maladie. Le suivi du grefféreste donc lourd et peut demander des soinscomplémentaires. On doit toutefois rester vigilantsur les suites administratives de la greffe.

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> l’accès au dossier médicalLa loi du 4 mars 2002 relative aux droits desmalades et à la qualité du système de santé per-met au patient d’accéder à son dossier médical.Or, on a pu remarquer que les premièresdemandes de patients auprès des hôpitaux éma-naient de clients d'établissements bancaires quicédaient à la pression de leur banquier exigeantde consulter ce dossier avant d’accorder un prêt.S’il est légalement interdit au banquier, à l’assu-reur ou à l’employeur de demander directementà consulter un dossier médical, rien n’interdit eneffet au malade de le communiquer...Dans le cas du donneur vivant, des questionsviennent à l’esprit : que verra-t-on inscrit dansce dossier médical ? Cela sera-t-il lié à la priseen charge de la Sécurité sociale ? Pourra-t-ons’opposer à l’officialisation de ce dossier ?Quoi qu'il en soit, une simple radiographie étantsuffisamment éloquente, on comprend l’inquié-tude du donneur devant une visite de la méde-cine du travail !

➎ ce que donner signifieClaire Marotpour le groupe de travail patients/parents

Un conte du poète persan Saadi, datant du XIIIe

siècle, relate qu'un roi souffrait d’une terriblemaladie. Les médecins déclarèrent que le seulremède possible serait de lui faire une greffe àpartir d’un être humain sélectionné. On trouvaun jeune paysan remplissant les conditionsrequises. On paya ses parents et on le ramena àla cour du roi. Le juge promulgua alors un décret au terme duquel il était permis de fairecouler le sang d’un sujet innocent dès lors qu’ils’agissait de rendre la santé au roi. Juste avantson exécution, le jeune garçon se mit à rire. Leroi lui demanda ce qui le faisait rire ainsi. Le garçon

répondit : « Le devoir des parents est de proté-ger leurs enfants, celui du juge est d’entendreles plaignants et celui du roi est de défendre sessujets ; or mes parents m’ont voué à la mort, lejuge m’a condamné et le roi y trouve son intérêt ;je ne cherche plus de refuge qu’en Dieu. » Le roi,touché par ces propos, déclara alors que samort était préférable au sang d’un innocent.L’histoire dit que, dans la même semaine, le roirecouvra la santé.En quelques mots, le décor est planté. Sansdoute de tout temps l’homme s'est-il vouluimmortel, maître de son destin, adaptant les loisà ses exigences. Et c'est avec beaucoup de poésieet d’humour que cette histoire nous montre lesouci de réparer l’un avec le corps de l’autre !

> la réflexion éthique appartient à chacun

Le recours aux donneurs vivants en transplanta-tion pulmonaire fait actuellement l’objet d’unintérêt probablement motivé par la pénurie degreffons de donneurs en état de mort encépha-lique, mais aussi du fait des résultats satisfai-sants qui nous sont présentés.Cependant, cette transplantation ne laisse per-sonne indifférent, et les patients, parents,conjoints, ont souhaité prendre part à ce débatdans un partage de points de vue.Nous insistons sur l’importance d’informer lesparents et les patients afin d’apporter des argu-ments raisonnés. Savoir ce qui se fait, connaîtreles résultats concluants ou non afin de sortir del’ignorance. Cette réalité et cette information netueront pas pour autant l’espoir. Elle apporteraau contraire un poids certain à la compétencereconnue des médecins.Lorsque cette question de transplantation pulmonaire avec donneurs vivants est envisa-gée, il est indispensable pour les familles d’avoirrecours à un intermédiaire, psychologue, psycha-nalyste. Un intermédiaire pour accompagner,

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pour aider à aller au fond de ce que l’on ne voitpas, de ce que l’on ne comprend pas, de ce quel’on ne sait pas exprimer.Cet intermédiaire doit être complètement indé-pendant de l’équipe médicale et, bien entendu,sensibilisé au sujet.

> que me révèle autrui en facede moi?

L'un d'entre nous, quand le groupe s'est consti-tué, nous a fait part de son sentiment concernantla greffe : «Oui à la personne que j’aime.» Etpuis, au fil des échanges et des réflexions, cettemême personne a dit : «Eh bien, je crois que j’aichangé d’avis : je dirai peut-être non et j’accepte-rai que mon épouse refuse le don de monorgane. » Grand moment d’émotion dans legroupe en entendant cela. Quel espace de respi-ration venait-il d’ouvrir ! Le non n’est pas culpa-bilisant, le non peut être plein d’amour, le nonn’est pas un refus, un arrêt du soin, mais plutôtun accompagnement : «Je dis non parce que jet’aime.»Tout à coup, je comprends que la vie, la mort sevit à travers le respect de la décision de l’autre ;le rapport à la vie n’est pas qu’un rapport ausoin. Il ne s’agit plus tout à coup de la questionde savoir « que faire pour bien faire ? », mais plu-tôt « qui suis-je, qui sommes-nous ? »Ni l’intelligence, ni le savoir n’éclaireront lavolonté de notre action. En reconnaissant cela,nous sommes dans la vérité. Le don est ainsiréciproque. C’est peut-être aussi une façon derisquer sa vie que d’accepter que l’autre nousrévèle, qu’il nous révèle toutes nos capacitésjusque-là ignorées — capacités d’amour, depatience, d’espérance.Oui, ce don peut être le début d’un cheminencore inexploré de celui ou de celle que j’aimeet que j’aimerais tant sauver. Pour cela, je vaisessayer de m’inscrire dans cet espace de souf-france, de solitude.

> comment se situer de façonjuste et vrai?

Nous en arrivons tout naturellement à la ques-tion de notre responsabilité. Responsabilité deparent, le don de cet enfant fragile, accueillidans la famille, va nous révéler notre capacitéd’amour, d’attention, de nutrition, de soins, d’éveil, de rire, d’éducation, de culture, deparole. C’est ce don qu’il faut favoriser dès ledépart, le jour de l’annonce du diagnostic. Il fauts’inscrire, parents, médecins dans une dyna-mique de vie. Celle-ci émergera tout naturelle-ment si le dialogue est établi dans la confiance.Cette notion de responsabilité s’est révélée aucœur de notre réflexion éthique, responsabilitépartagée par tous, patients, parents, conjoints,médecins, économistes, juristes. C’est à cetappel lancé par autrui, par le patient, que noussommes invités, à travers nos différentes ren-contres, à répondre d’un « bien agir ». La ren-contre de l’autre nous révèle nous-mêmes dansnos difficultés, nos contradictions, nos souffrances,mais aussi et surtout, aujourd’hui, dans notrecapacité d’aimer, de soigner, d’accompagner.Tous ensemble, nous voilà engagés dans unedémarche de décision. Cet appel, ce visage d’autrui doit nous inciter à construire cet avenirdans une humanité partagée, confiante, aimanteet responsable.C’est ce même visage qui, à travers sa souffrance,sa fin de vie trop précoce, va nous faire pressentircet appel : « donne… », « donne ton poumon,sauve-le, sauve-la…» En respectant la dignité demon enfant, de mon conjoint qui souffre, je vaisessayer, à ma manière, de l’accompagner. Peut-être serai-je tenté de «tout faire pour le sauver»,d’être conforme à l’image que je voudrais avoir demoi-même, «généreux» jusqu’à en mourir?En donnant une partie de moi-même dans unmoment intense, dur, unique, vais-je gommerd’un coup tout ce qui fait mon quotidien, milleagacements, mille égoïsmes, des non-dits, desnon-faits, des découragements ?…

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Le quotidien reviendra au galop. Or, sommes-nous prêts, chaque matin, à redire oui à ce donfait un jour, et que nous ressentons en respirant,en soufflant ? Suis-je prêt, à chaque inspiration,chaque expiration à renouveler mon enthou-siasme du premier jour et à dire : « oui, vraimentcela en vaut la peine » ?Nous savons tous que les petits gestes coûtentsouvent beaucoup plus qu’un grand geste degénérosité. Or notre quotidien, de quoi sera-t-ilfait ? De soins, d’une vie fragile, d’exclusion ?…

> un temps partagéIl faut essayer de faire ce que l’on peut et renon-cer à faire ce que l’on ne peut pas.N’oublions pas qu’à travers cette réflexion sejoue l’intime d’une famille, d’un enfant. L’enfantest et doit rester au centre du débat et deséchanges. Il faut le laisser s’exprimer, respecterson choix et apprendre à dire : « ta décision, on laportera avec toi, on la fera nôtre. » Cette famille,ce couple, sont dans la vie. C’est cette apparte-nance à la vie qui fait d’eux des hommes et desfemmes debout, vivants.Nous n’oublions pas qu’il faut agir et décider. Ilfaut donc réfléchir pour aider au discernementcomme à l’action. Prendre pour cela le tempsafin d’être hors de la contrainte, de la détresse,de la pression, de l’urgence.En nous inscrivant dans ce temps partagé, letemps de vie de cette famille, de ce patient quiattend des soins, une greffe, comment habiter cetemps ? Par la patience, tout simplement. Oui,nos enfants, notre conjoint sont un défi dechaque instant ; savourons-le.À nous tous d’accompagner cette vie ; la per-sonne existe jusqu’au bout du dernier souffle, letravail de tous va jusqu’à la fin et jusqu’au soula-gement. Il ne s’agit plus à présent d’échapper àla mort car «nul ne sait ni le jour, ni l’heure».Avec la transplantation pulmonaire avec don-neurs vivants, répondons-nous à l’appel de la

souffrance ou plutôt à une avancée médicaleextraordinaire, à toujours plus se dépasser, inno-ver, soulager? Y-a-t-il un droit à la vie, devons-nous toujours reculer davantage l’échéance?Il n’y a ni bonnes, ni mauvaises réponses. Il n’y ani bonnes ni mauvaises théories. Il y a à savoir sile malade va être soulagé, s’il va en tirer unequalité de vie qui nous confirmera que l’intentionest bonne, que les circonstances sont bonnes,que la liberté de chacun est respectée.La parole de notre groupe est une parole depatient, de parent, de conjoint. Elle est fragile,affective, aimante, sincère, et n’a d’autre forceque celle d’être dite et écoutée. Merci de l’avoirécoutée.

[1] Lorsque le cœur d’un receveur de greffe cœur-poumon esttransplanté sur un autre receveur.

[2] C’est à tort que des parents donneurs vivants ont été pris encharge par leur propre caisse d’assurance maladie dès lespremiers examens puis indemnisés en maladie. Cette famillepourrait devoir reverser un jour à sa caisse l’intégralité dessommes perçues simplement parce que, mal informée, ellea préféré être remboursée rapidement en envoyant les docu-ments à sa caisse plutôt qu’à l’hôpital qui n’a pas réglé ceproblème.

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Sylvie PucheuPsychologue clinicienne, service de psychologieclinique et psychiatrie de liaison, hôpital européen Georges-Pompidou, AP-HP

> évaluer les motivations du donneur

Ma pratique en transplantation apparentéeconcerne surtout la transplantation rénale appa-rentée et, plus rarement jusqu'à présent, latransplantation pulmonaire de jeunes patientsatteints de mucoviscidose. J'ai pu suivre troiscas sur les quatre effectués dans le service dechirurgie cardiovasculaire. D'un point de vuepsychique, la problématique du don d'organe se pose de manière identique dans toute greffe d'organe. En revanche, lorsqu'une greffe apparentée peut être envisagée, les donnéesmédicales ne sont pas les mêmes pour toutes les greffes, notamment en termes de béné-fices/risques.La question centrale est: quel est le prix à payerpour le donneur par rapport au bénéfice apportéau receveur? Très vite, on s'aperçoit que les ques-tions se situent aux limites du psychologique, del'éthique et des conceptions morales de tout unchacun. Cette tentative médicale très particulière,consistant à prélever chez une personne en bonnesanté une partie d'elle-même est difficile à envi-sager de la même façon qu'un traitement médica-menteux (comme il peut être fréquemmentexpérimenté dans des situations médicales horsressource thérapeutique existante).Ainsi, les questions soulevées pour le psycholo-gue ne l'engagent pas, me semble-t-il, seule-ment comme professionnel mais aussi commepersonne morale avec ses valeurs propres. Il

s'agit là de trouver la bonne distance avec lasituation médicale et familiale qui lui est présentée. Ce vécu du psychologue est particu-lièrement aigu quand il s'agit, par exemple,d'envisager un don avec le ou les donneurs alorsqu'il connaît les risques importants d'échec dela greffe apparentée, comme c'est le cas dans latransplantation pulmonaire. Sa position est doncdélicate à tenir.De la même façon que les candidats à unetransplantation pulmonaire, les candidats à unetransplantation apparentée, comme leurs don-neurs, sont évalués psychologiquement.Qu'évalue-t-on ? Schématiquement, il s'agitd’apprécier les aspects conscients et incons-cients qui motivent le donneur et ceux qui, chezle receveur, permettront de vivre dans une« redevabilité acceptable », autant de critèresparfois difficiles à apprécier. Peut-on, en effet, considérer le geste du don-neur comme « généreux, libre et gratuit » (selonles termes de la loi), soumis à aucune pressionmorale ou familiale ? Le sentiment de culpabilitéd'être en bonne santé est fréquent quand on estaux côtés d'une personne gravement malade.Celui-ci suffit-il pour autant à justifier le dond'organe ?L'évaluation psychologique du receveur consistequant à elle à apprécier sa capacité à assumerun tel don et, d'une certaine façon, à le respec-ter par une bonne observance des contraintesthérapeutiques qui prend ici un sens important. Nous n'avons pas encore, dans le domaine del'évaluation des transplantations avec donneursvivants, le recul suffisant pour définir les critè-res psychosociaux et psychodynamiques quipourraient servir de « contre-indications ».

LA PRÉPARATION PSYCHOLOGIQUE : EXPÉRIENCE DU CENTRE DE TRANSPLANTATION DE L'HÔPITAL EUROPÉEN GEORGES-POMPIDOU, AP-HP

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> qu'observe-t-on chez les protagonistes?

Du côté du donneur

Le don d'un parent à un enfant receveur est souvent vécu comme réparateur pour le parent,ultime tentative de remédier à la souffrance deson enfant, qu'il soit petit ou grand. Le « sacri-fice » apparaît comme salvateur pour allégerune culpabilité toujours présente et parfois lancinante. Une étude réalisée chez 10 parentsdonneurs de rein a montré leurs difficultés àsupporter la maladie de leur enfant et lescontraintes de la dialyse — ceux-ci avaient l'impression de souffrir davantage que l'enfantmalade. Plus inconsciemment, on pouvait déceler l'ambi-valence vis-à-vis de cet enfant qui, par sa maladie,remettait en question leur capacité à être de«bons» parents. Tous auraient d'ailleurs éprouvédes difficultés à émettre un avis sur leur don.Quant au don entre frère et sœur, où les lienssont emprunts de rivalité plus ou moins mani-feste — notamment par rapport au « partaged'amour» à l'égard de leurs parents communs —,la question est de savoir dans quelle mesurecette ambivalence peut avoir un impact psycho-pathologique après le geste réel que représentel'opération.Enfin, le don des enfants à leurs parents, s'ilexiste aussi, est à ma connaissance toujoursrefusé par les parents, ce sacrifice apparaissant« contre-nature ».Si la future loi permet le don du conjoint ou d'unepersonne proche de longue date, de quel type deliens devra-t-on s'inquiéter pour les suites psy-chiques de la greffe chez le receveur commechez le donneur ?

Du côté du receveur

La proposition de don est toujours vécue commela marque la plus significative que l'autre puissenous faire : geste d'amour, d'amitié, d'empathie(le don de parent à enfant est sans doute spéci-fique et perçu dans la continuité du don de lavie), en tout cas don de soi. Cadeau qui, pour lereceveur, apparaît comme impossible à rendreet mettant le donneur en danger. C'est sansdoute pour cela que beaucoup de patients n'acceptent que tardivement dans leur parcoursde maladie une proposition de don par un membrede leur entourage. Soit parce que la dialyse,pendant des années, représente un lot de souf-france conséquent, un prix à payer qui permettrade supporter la « redevabilité » (le greffon ano-nyme attendu n'étant jamais venu), soit parceque la vie s'en va dangereusement pour eux etqu'ils y tiennent plus que tout, comme c'est lecas pour la transplantation pulmonaire. Dans mon expérience, la reconnaissance de ladette ne s'exprime pas aisément. Pour le rece-veur, cette « redevabilité » à l'égard de l'autre estsans doute vécue de façon difficilement cerna-ble, impliquant une dépendance difficile à recon-naître, mais avec laquelle la plupart des patientsrencontrés semblent pouvoir vivre ; celle-ci,comme son anticipation, est encore moinsmesurable avant l'intervention par le patient. Après la greffe, l'inquiétude vient plutôt du rece-veur pour la santé du donneur quand, par exem-ple, celui-ci n'y prête pas suffisammentattention. En transplantation rénale, un teléchec — qui équivaut au retour en dialyse —reste souvent de l'ordre du non-dit car le rece-veur ne trouve pas de mots pour en parler.Quant au donneur, s'il se préoccupe de savoir sison rein ou son poumon permet au receveur debénéficier d'une qualité de vie retrouvée ou sim-plement de survivre, il ressentira plutôt de la tristesse pour le receveur que du regret de s'être amputé d'une partie de lui-même si teln'est pas le cas.

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Ainsi, l'évaluation — pour le receveur commepour le donneur — tournera autour de l'anticipa-tion de la greffe et ce qui peut se passer ensuiteentre les protagonistes en cas d'échec de celle-ci, par exemple, lorsqu'il aura fallu choisir entreplusieurs donneurs et qu'un seul aura étéretenu, ou encore quand la greffe suppose deuxdonneurs qui ne sont pas toujours dans la mêmedisposition psychologique.

> les critères prédictifs quiparaissent actuellement les plus pertinents

Du côté du donneur

On peut se demander s'il existe des critèresabsolus, à partir du moment où un donneur estconvaincu de son choix — là encore, en dehorsd'un contexte psychopathologique franc, mais cecas ne s'est jamais présenté. En tout cas, lepsychologue doit commencer par apprécier si cedon ne fait pas prendre au donneur des risquestrop importants pour l'instauration ou la poursuitede sa propre vie familiale, professionnelle, etc.Le critère qui paraît très important est celui dela temporalité : un projet de don qui tient dans letemps est un critère positif. On peut, entransplantation rénale, différer la décision de lagreffe et se donner le temps de voir si la décisionse maintient, ce qui est plus difficile entransplantation pulmonaire quand l'urgenceempêche la maturation de la décision. On constate d'ailleurs, lors du bilan, que ceuxqui arrivent à l'entretien sont la plupart dutemps déjà décidés à faire ce geste et lespatients prêts à recevoir le don. Tout se passecomme si le geste du don semblait « aller desoi » pour le donneur. Un autre critère importantserait donc : le donneur doit être plus décidé àfaire ce geste que susceptible d'avoir quelquechose à en dire. Peut-on parler d'un équivalentde sublimation ?...

À l'inverse, un questionnement trop importantsur les conséquences physiques et psycholo-giques du don m'apparaît comme le signe que lapersonne n'est pas prête à donner. Là aussi, letemps d'attente est nécessaire et la question sepose de savoir comment le lui faire savoir sansgénérer chez elle trop de culpabilité à s'êtrerétractée.Dans une étude effectuée sur 205 famillesconcernées par la maladie rénale d'un proche, ladécision de se porter volontaire pour un don derein était très souvent instantanée, entraînantpeu de délibération ou de recherche d'informa-tions. Elle semblait plutôt dictée par des normesmorales actives dans les relations familiales. Ilme semble que les donneurs sont souvent despersonnes qui ont l'habitude « de donner », cetteattitude faisant partie intégrante de leur identité,quelles que soient par ailleurs les raisonsinconscientes de ce comportement.

Du côté du receveur

Le receveur ne doit plus avoir trop «d'étatsd'âme» concernant ce cadeau. Tout doit être axépour lui sur le fait qu'il va enfin pouvoir être libéréde la dialyse, ou le désir de survivre avant tout. Onretrouve cette même forme de déni et de clivage,mécanismes nécessaires pour accepter la detted'un donneur anonyme ou vivant. Ici se pose plutôtla question de savoir quand envisager la greffeapparentée dans le parcours de la maladie, tantmédicalement que psychiquement. Le receveurdoit en tout cas être convaincu, comme pour toutegreffe, qu’il s’agit de la seule solution pour lui.Les greffes rénales apparentées, encore rares enFrance par rapport à l'ensemble des greffes effec-tuées, se passent plutôt bien, au moins à court oumoyen terme, tant sur un plan psychique que phy-sique. En revanche, pour les greffes pulmonaires— dont trois ont été des échecs —, le suivi conjointdu patient et des parents a été, à certainsmoments, extrêmement lourd à vivre pour les

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équipes et pour le psychologue chargé de contenirles débordements émotionnels des uns et desautres. Et ce, chez des familles sans problèmeparticulier, en dehors du fait d'avoir à vivre unesituation de crise aiguë.Nous n'avons pas beaucoup d'études nous per-mettant de connaître les suites psychiques à longterme pour les donneurs en dehors d'enquêtesnord-américaines où les donneurs ressentent une«augmentation de l'estime d'eux-mêmes» etconsidèrent le don comme l'acte le plus significa-tif de leur existence. Aucune analyse de la signifi-cation de ces termes n'a cependant été faite.La transplantation d'organe, qui plus est avecdonneurs vivants, ne pourra jamais constituer unethérapeutique comme une autre parce qu'ellesuppose que quelqu'un donne une partie de lui-même; l'amputation du donneur vivant, sa vulné-rabilité possible sont des faits, et c'est bien ce quicomplique notre réflexion. En ce sens, la questionde l'information aux donneurs vivants potentielsme paraît être fondamentale.

> l'information: quand? comment? par qui?

Malgré la divulgation de l'information dans lesmédias sur le don d'organe, il faut tout d'abordreconnaître que bien peu de personnes se pro-posent comme donneurs vivants. Manque d'in-formation ou reflet d'un « garde-fou » chez lespersonnes qui pourraient être concernées ?Peut-on parler de choix lorsqu'on est potentiel-lement donneur et que ce don représente laseule chance de survie pour le receveur ? En toutcas, à quel prix peut-on refuser ?Le médecin me semble mal placé, dans ce typede situation, pour informer de la possibilité dudon, sauf si la demande d'information vient dudonneur potentiel lui-même. En effet, la simpleinformation peut être délétère puisqu'elle peutgénérer ou faire émerger une souffrance psy-chique de laquelle le proche parvenait jusque-là

à se protéger. Souffrance liée à la maladie del'autre. Ainsi, des parents déjà très blessés, fra-gilisés par la maladie de leur enfant, ne mesemblent pas dans la meilleure situation psy-chique pour faire un choix de ce type ou sont trèsvite rendus vulnérables face à l'idée de ne paspouvoir faire autrement que de donner.La société, par l'intermédiaire de différentsmédias, doit-elle encourager, voire faire de lapublicité concernant les dons d'organe de per-sonnes vivantes ? La pénurie d'organes cadavé-riques justifie-t-elle qu'il faille encourager un telgeste ?Doit-on laisser les personnes susceptibles defaire un don s'informer elles-mêmes?Il me semble, dans le souci de protéger les per-sonnes en bonne santé qui souffrent déjà psychi-quement d'avoir un être cher gravement malade,que cette information devrait rester très géné-rale, non systématisée et encore moins objet depublicité, ceci afin de laisser à chacun la possibi-lité de se sentir ou non concerné par une tellepossibilité. Le refus de savoir exprime dans biendes cas un mécanisme de défense que tout unchacun utilise pour se protéger de la souffrancepsychique ou d'une représentation intolérable.Ceux qui veulent à tout prix donner trouveront,j'en suis sûr, l'information nécessaire.Les questions posées dans ce contexte vont au-delà, comme je l'ai dit, d'une simple probléma-tique psychique qui, dans les conditions actuelles— lorsque les donneurs-receveurs parviennent àla transplantation effective —, ne sont pas d'ordre psychopathologique. Je citerai SimoneNovaes qui souligne que ces pratiques, pourtrouver des conditions optimales d'exercice,«doivent examiner dans le même temps lesconceptions du possible, de l'acceptable et dulégitime qu'elles mettent en jeu dans le traite-ment des personnes et la manière de disposerdu corps humain». La balance bénéfice-risqueest dans ce type de transplantation encore biendéséquilibrée: beaucoup de risques pour le don-neur et peu de réussites pour le receveur. La

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dimension culturelle est certainement trèsimportante ici aussi, si l'on en juge par la placequi est faite aux greffes apparentées par rapport àl'ensemble des greffes effectuées selon les pays.En tant que psychologue de formation psychana-lytique, je considère qu'il y a lieu de s'interrogersur les décisions et les informations concernantce type d'intervention qui ne reposeraient quesur la notion d'altruisme, de générosité, les non-donneurs apparaissant vite, comme le ditSimone Novaes « (...) comme des personneslâches, indifférentes ou repliées sur elles-mêmes, incapables de se projeter au-delà deleurs besoins immédiats ou de ceux de leurentourage ». Valoriser ceux qui donnent dans uncontexte de pénurie d'organe ne peut manquerde « rappeler à leur devoir (sinon culpabiliser)ceux qui ne donnent pas ».

> un cadre d'information et de décision

Si l'on parvient à mettre en place un cadre d'information et de décision qui laisse la placeau refus de savoir et à la possibilité de ne pasdonner, sans pour autant susciter une culpabi-lité intolérable, les donneurs parvenant à cechoix seront ceux réellement prêts à le faire et à le vivre. C'est d'ailleurs ce que les études mon-trent jusqu'à présent. Les receveurs, quant àeux, ne me semblent pas avoir de réactions trèsdifférentes de celles des receveurs d'organecadavérique : la puissance des mécanismes dedéfense leur permet de vivre avec une « redeva-bilité acceptable ».Plus compliquée, me semble-t-il, est de systé-matiser une telle pratique, c'est-à-dire en enfaisant une thérapeutique comme une autre,donnant l'information aux donneurs potentielscomme s'il s'agissait de n'importe quelle infor-mation médicale.Les patients et les familles concernées doiventsavoir que la pratique des transplantations

apparentées engage aussi les soignants dansleurs choix éthiques et moraux ; qu'il paraît difficile, également, de faire de cette pratiqueune solution thérapeutique comme une autre.De plus, pour bien faire, cette interventiondemande, du point de vue psychologique, unsuivi des patients receveurs mais aussi des don-neurs (au moins à court terme), ce qui impliqueune charge importante pour le psychologue dontla présence est variable dans les servicesconcernés et parfois insuffisante pour lesbesoins déjà existants.Il me semble que la préparation psychologiquedes donneurs devrait être totalement séparée dusuivi des receveurs afin de garder une objectivitémaximale concernant le travail de décision dudon. Le psychologue du service de transplanta-tion n'interviendrait que pour l'évaluationpsychologique proprement dite de la décision.En conclusion, le don d'organe libre et gratuitd'une personne vivante, même s'il peut apparaî-tre dans une vision morale comme l'un des actesle plus « généreux » que l'on puisse faire dansune vie, n'en reste pas moins encore emprunt denombreuses questions, tant sur l'information desdonneurs potentiels que sur les conséquencesphysiques et psychiques à long terme.

• Pucheu S., Le psychothérapeute confronté à l'aventure d'une greffe d'organe, L'Information Psychiatrique, 1998 ; 74 (3) : 255-262.

• Pucheu S., La greffe rénale parmi les autres greffes d'organe : intérêt de l'éclairage psychanalytique, in :Psychologie en Néphrologie, sous la responsabilité deDominique Cupa, Éditions EDK.

• Pucheu S., À l'hôpital : évaluer et accompagnés l'observancethérapeutique, Le Journal des Psychologues, 1999, n°166.

• Novaes S. L'éthique du don, CNRS, Centre de Sociologie de l'Éthique, IRESCO, Paris.

• Manuello M., Danion-Grillat A., Fishbach M., Wolf P.,Bursztejn C., Aspects psychologiques de dons de reins appa-rentés, Psychologie Médicale, 1994 ; 26 (2) : 162-164.

• Simmons R.G., Klein S., Simmons R.L., Gift of life : the socialand psychological impact of organ transplantation, New York :John Wiley and Sons, 1997 ; pp 203-206.

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> enjeux de la communicationPr Jean Navarro

Ce que vous avez présenté nous émeut profon-dément. Je perçois de façon plus aiguë les diffi-cultés que, nous, médecins, rencontrons pourque notre discours soit cohérent. Nous devonsaborder nos analyses avec une grande humilité,en étant totalement indépendants de toutearrière-pensée. Notre devoir est d’essayer deplacer l’intelligence des analyses au niveau devotre réflexion. Je crois que ce sentiment trèsprofond est partagé par mes collègues.Je m’interroge sur la réalité de la diffusion desconnaissances et sur l’information des person-nes en général. Quel est l’état actuel de diffusionde la notion du don d’organe dans le cas de lamucoviscidose ? Si on dit que c’est aux parentsde savoir, que savent-ils réellement ? Et d’oùvient cette information ? Quelle est la part des voies nouvelles de com-munication comme Internet ? Y a-t-il des docu-ments qui circulent ? Les soignants eux aussidoivent évoquer le problème de la greffe, à lafois pour expliquer mais également pour démys-tifier, voire dire que cette éventualité n’aura paslieu d’être. Ceci veut aussi dire que l’associationVaincre la Mucoviscidose doit veiller à écrire etdiffuser des documents…

Dr Sophie Ravilly

Le Bulletin trimestriel de l’association a faitparaître, il y a environ deux ans, une interview deJean-Paul Couëtil relative à la transplantation àpartir de donneurs vivants en référence à l’expé-rience américaine. Chaque fois que se posentdes cas médiatiques, comme celui de Marseilleou de ces enfants décédés avant d’avoir pu êtretransplantés, l’association est sollicitée. Nousdonnons les informations dont nous disposons.L’information disponible sur Internet est très

vaste. Un site américain — Le programme dedonneurs vivants pulmonaires — donne toutesles informations. Aujourd’hui, les parents quiveulent savoir le peuvent.

Claire Marot

Il y a différents types d’information. Certainsparents vont un peu plus loin. Selon moi, l’infor-mation reste malgré tout insuffisante.

Pr Dominique Métras

Pendant six ans, j’ai siégé au comité médical etscientifique de l’EfG. Le président, au cours deces trois dernières années, était le professeurSoulillou qui s’occupe de transplantation rénaleà Nantes. L'un de ses désirs et l'une de ses prio-rités pendant ces trois ans ont été de développerla transplantation avec donneurs vivants enFrance. En effet, en ce qui concerne le rein, latransplantation avec donneurs vivants est trèsen retard — si on peut appeler cela un retard —par rapport à d’autres pays comme la Norvège,par exemple, où 35 % des patients transplantésrénaux le sont avec donneurs vivants. Pour lerein, cela a démontré une qualité supérieure.La réflexion du professeur Soulillou et de tout lemonde était qu’il était vraisemblablementnécessaire que chaque équipe de transplanta-tion dispose d’un document d’information à don-ner aux parents d’enfants en attente detransplantation. Or un tel document d’informa-tion, indépendamment de la conversation quel’on a avec les parents ou les receveurs poten-tiels, ne peut pas ne pas mentionner l’existencede la transplantation avec donneurs vivants.Je me suis demandé comment pouvait se fairel’information. Il se peut qu’à l’avenir, l’informa-tion se fasse si l’EfG envisageait, par exemple, deproposer, pour les équipes qui travaillent sur latransplantation, un document d’information

DISCUSSION

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destiné aux malades ou aux familles expliquantnotamment la manière dont se déroule unetransplantation, ce qu’est un donneur.

Sylvie Pucheu

Dans le domaine de la greffe rénale, un livret del’EfG existe déjà sur le donneur vivant.

Pr Dominique Métras

En ce qui nous concerne, quand nous avons desentretiens avec un patient en liste d’attente detransplantation pulmonaire, nous ne disposonspas de document d’information à lui remettre. Siun document était réalisé, je pense qu’il devraitcomporter des explications sur ce qu’est le don-neur vivant.

Dr Annabel DunbavandÉtablissement français des Greffes

Je travaille au pôle d’évaluation de l’EfG. Lesdocuments d’information représentent une trèsgrande préoccupation. Une première vague dece type de documents est parue pour les inscrip-tions en liste d’attente de reins. Dans le cadre dela réflexion de groupes de travail sur la greffecardiaque, et probablement sur la greffe pulmo-naire à l’avenir, l’EfG a les moyens de répondre àce genre d’attentes.

Dr Isabelle Sermet-GaudelusPédiatre, hôpital Necker-Enfants malades, AP-HP

Vous avez parlé des donneurs, du receveuradulte. Mais prenez-vous en charge aussi lereceveur enfant ou adolescent ? Bénéficie-t-ilaussi de cette réflexion ? Avez-vous évoqué son

attente, son temps et sa réflexion ? Est-ce qu’ondemande son avis à l’enfant ? Est-ce qu’on l’écoute dans cette décision qui est effective-ment médicale ?

Sylvie Pucheu

Je reçois toujours le donneur et le receveur —qu’il soit enfant, adolescent ou jeune adulte. Si lereceveur n’est pas prêt à recevoir, il n’y sera pascontraint. En pratique, cette situation ne se ren-contre pas. En général, quand les familles, lereceveur et les donneurs arrivent au centre detransplantation, ils sont déjà prêts. Pour tout cequi s’est passé avant, ce n’est pas moi qui les airencontrés.

Dr Pierre Canouï

Nous avons une grande responsabilité — je le disd’autant plus facilement que je me suis beaucoupintéressé et investi dans ce problème — dans nospratiques et dans le temps que l’on accorde auxpatients, aux familles, aux enfants dans la prépa-ration et l’accompagnement psychologique. Il nefaut pas se voiler la face. Quand je vois ce qui a été décrit comme les pré-requis pour une greffe!…Dominique Métras disait que la consultation psy-chiatrique et psychologique est systématique.Quand j’observe l’accompagnement que nousoffrons, j’estime que nous devrions mieux faire.Nous le faisons mal aujourd’hui, moi compris,parce que cela prend du temps, et que nous nedisposons pas de beaucoup de moyens. Le mot-clef récurrent est « information», pas seulementau moment de la décision, mais à chaque micro-décision. En travaillant sur ces mini-décisions,nous créons une charge de confiance, de réflexionqui prépare la décision. C’est tout particulière-ment dans ce domaine que nous travaillons depuisdes années. Ce travail doit se poursuivre, car selonmoi nous ne sommes pas encore à la hauteur.

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Corinne FridmannPsychanalyste, Paris

Comment les informations vont-elles être misesà la disposition des parents ? Il est parfois plusfacile de communiquer des informations médi-cales et chiffrées. Mais comment une informa-tion plus subtile peut-elle être transmise ?

Sylvie Pucheu

Psychologiquement, une transplantation habi-tuelle est extrêmement lourde pour les parents.Elle implique une période de précarité. Quand,de surcroît, ces derniers sont aussi en dangerparce qu’ils donnent leur organe, cela compliqueconsidérablement le suivi. Il faut se rendrecompte que certaines équipes pratiquent destransplantations de reins apparentées en l’absence de tout accompagnement psycholo-gique. Pour nous, bénéficier du concours d’unprofessionnel qui rencontre tous les patientsavant leur transplantation pulmonaire et qui lessuit après, préparant parfois les receveurs à latransplantation, relève du souhaitable. Nous lefaisons quand c’est possible, quand le patientn’habite pas trop loin. Mais souvent, il est plutôtsuivi dans le service de pneumologie. Nous travaillons en collaboration avec cette équipe.Même un patient qui n’est pas prêt à unetransplantation rencontre éventuellement lepsychologue qui se trouve dans le service depneumologie avant d’avoir un entretien avec moiqui suis la représentante de la transplantation,ceci pour l’aider à mieux appréhender ce qui vase passer.En soi, pour les personnes atteintes de mucovis-cidose, intégrer l’idée de la transplantationreprésente une difficulté considérable, car cettetransplantation est d’abord envisagée comme ledébut de la fin. Il faut que ces personnes puis-sent investir cette transplantation comme unesurvie possible pour eux. L’amputation de leurs

parents peut représenter une angoisse supplé-mentaire qui accentue les difficultés. Souvent, ce sont les patients qui se refusent àêtre transplantés, quel que soit leur âge. Si, parfois, la greffe n’est pas réalisée — dans lecontexte, par exemple, de la néphrologie alorsque cela peut souvent y être accompli —, c’estparce que les patients ne veulent pas. Celachange après plusieurs années, lorsqu’ils n’enpeuvent plus des dialyses. Ce phénomène existeaussi pour la mucoviscidose.Le mot « temporalité » est central. Je pense quenous sommes tous d’accord sur le fait qu’il fautprendre du temps pour ne pas faire n’importequoi. Or le temps psychique n’est pas le mêmeque celui de l’urgence. Du temps est nécessairepour qu’une personne malade soit convaincueque la greffe est la seule solution pour elle.Parfois, ce temps n’est pas toujours directementcorrélé à son état physique. La réalité de l’évolu-tion de la maladie, qui implique peu à peu unhandicap grandissant, fait souvent apparaîtreprogressivement la greffe comme la seule issue.Le fait que deux parents soient investis commedonneur constitue un enjeu spécifique impor-tant. Deux parents, cela fait beaucoup ! Il s’agitde deux personnes qui n’ont pas nécessaire-ment vécu la maladie de leur enfant de manièreidentique. Cela signifie également que ces deuxparents ont fait face à la maladie pendant desannées.Il faut également évoquer les frères et sœurs.Dans tous les cas que j’ai rencontrés, ces derniers avaient énormément souffert. Dans lepremier cas de transplantation que j'ai évoquée,le frère aîné souffre aujourd’hui d’une dépressionsévère. La sœur de la personne que j’ai évoquéepour le second cas connaît également unegrande souffrance — elle n’a pas supporté queses deux parents soient donneurs. Il faut mesurerl’importance de toutes ces conséquences.

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Pr Dominique Métras

Je voudrais rapporter le cas d’une fillette de 11ans, avec une capacité de réflexion déjà bienorganisée. Après lui avoir expliqué qu’il fallaitqu’un enfant meure, afin d’envisager concrète-ment une transplantation avec donneurs vivants,elle a refusé. Elle persistait dans son refus malgré les explications selon lesquelles elle n’yétait pour rien, qu’il s’agissait d’accidents, quel’enfant serait mort de toutes façons. « S’il fautqu’un enfant meure pour que je sois trans-plantée, je refuse… », disait-elle. Quand elle a suultérieurement que ses parents étaient volontai-res, elle a été soulagée.

Pr Pierre Bonnette

Les transplantations avec donneurs vivantsconcernent des receveurs qui peuvent être desenfants comme des adultes. Concernant lesenfants, l’information remonte assez facilementaux familles car les parents peuvent la trouversur Internet. Quand les receveurs sont des adul-tes, ils la lisent eux-mêmes. L’information peutcibler les familles d’éventuels adultes. Or il n’estpas si facile de faire remonter l’information auxfamilles pour qu’elles se déterminent sans quece soit le receveur qui remette des documentsaux parents. Cet obstacle ne me semble pasfacile à gérer pour distribuer l’information à lacible que constituent les parents.Si l’information est rendue publique (parInternet ou des revues), les adultes atteints demucoviscidose vont lire ces informations, proba-blement même plus que leurs parents, car ils seprennent beaucoup plus en charge. Dès lors, ilest important de savoir si ces parents d’adultessavent qu’ils pourraient être sollicités commedonneurs, surtout si on pense que la démarchedoit être initiée par eux et non par des équipesde transplantation. Si l'on pense que le point dedépart se situe au niveau des parents, qu’ils

prendront connaissance de l’information dansun journal ou une revue et en auront parlé avantd’aller voir le médecin, encore faut-il être sûrqu’ils disposeront de cette information. Lorsqu’ils’agit d’un enfant malade, les parents sont trèsimpliqués et sont souvent plus informés que lesadultes malades.

Claire Marot

Beaucoup de choses peuvent s’inscrire aumoment de l’annonce du diagnostic. Ce jour-làpeuvent s’instaurer une confiance et un espritd’ouverture déterminants pour la possibilitéultérieure de recevoir les informations. Dès lorsqu’une relation de confiance est établie avec lemédecin qui a annoncé que l’enfant étaitmalade, un dialogue devient possible dans letemps. Il ne faut pas avoir peur de cette infor-mation, si le dialogue est possible. Nous som-mes tous capables, comme parents, si lesconditions sont réunies dès le départ, d’entendreles choses et de les comprendre.Nous avons également besoin de quelqu’un decompétent en face de nous. Le médecin doit êtreactif dans la recherche d’information, capable derépondre sur ce qui se pratique ou pas, sur lesbons ou les mauvais résultats. Mais parfois, lesilence n’est-il pas la meilleure réponse ?

Hervé LanierAssociation Vaincre la Mucoviscidose

Les parents auxquels on vient d’annoncer le diagnostic d’un enfant représentent une popula-tion assez marginale. Je pense que dans le petitmonde de la mucoviscidose les parents sont trèsbien informés car l’information y circule beaucoup.

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Pr Pierre Bonnette

Le problème est que les parents qui recourent àune transplantation doivent rechercher s’il y a unschéma possible de donneurs vivants dans lafamille ou si cette possibilité doit émaner de laseule cellule familiale. Dans un sens, il n’y a pasbesoin d’une information bien établie.

> spécificités de l’approched’un adulte à transplanter

Pr Jean Navarro

Très sincèrement, la situation que vous décrivez,c’est-à-dire d’un adulte qui serait assez isolé,qui aurait réellement pris son autonomie, sonindépendance, et dont les parents se seraientdégagés au point de ne plus être au courant, meparaît très rare. Si cet adulte est en contactdirect avec son médecin, les parents sont quandmême très présents dans l’inquiétude partagée,dans le souci, même s’ils ne sont plus physique-ment présents.

Dr Dominique HubertPneumologue, hôpital Cochin, AP-HP

Bien entendu, nous suivons beaucoup d’adultesdont nous ne voyons plus les parents de façonrégulière. Il est extrêmement rare qu’en situa-tion d’aggravation, lorsque cela ne va pas, lesparents ne viennent pas un jour avec leur enfantdevenu adulte, marié même, ou tout au moinstéléphonent pour s’informer.Je suis de plus en plus surprise, quand se posela question d’une transplantation, que cesparents, déjà d'un certain âge, nous posent laquestion du donneur vivant. En pratique, il estévident que la possibilité d’une telle transplan-tation reste rare dans la mesure où, plus âgés,ces parents sont souvent en moins bonne santé.

La situation est donc assez difficile… Pourtant, laquestion est de plus en plus souvent posée.Entre adultes d'une même génération, lors-qu’une bonne discussion est déjà engagée sur latransplantation, la question est également sou-vent abordée. Je n’en parle pas beaucoup moi-même spontanément, mais cela peut m’arriverde donner une information très ponctuelle auxadultes. Je me dis qu’ils m’auront entendue etque s’ils veulent approfondir, ils le peuvent.Je me suis posé une fois la question, pour unepatiente qui était vraiment dans un état grave eten attente d’une transplantation, de savoir si jedevais donner l’information à son mari médecinet à ses parents sur la possibilité de transplan-tation à partir de donneurs vivants. À l’époquecela m’a beaucoup tourmentée. J’ai fini parcommuniquer, sur le bout des lèvres, l’informa-tion à son mari qui n’en a pas fait grand chose.Cette patiente a été transplantée et elle est mal-heureusement décédée lors du geste opératoirede transplantation. Elle avait eu de très nombreuxpneumothorax et l’intervention était extrême-ment difficile.Sommes-nous en droit, nous médecins, pourdes patients adultes — et au regard du secretmédical que l’on doit préserver par rapport auxfamilles — d’aller aborder les parents si rien nepasse par le patient et s’ils ne posent pas laquestion ? Ma réponse est négative.

> aspects éthiques et responsabilités engagées

Pr Philippe Despins

Nous retrouvons un schéma de crise, rupture etdépassement qui renvoie à des difficultés fonda-mentales.Je pratique aussi la transplantation cardiaque.Celle-ci s’est développée en France, un peu commela transplantation pulmonaire, quel que soit ledomaine étiologique, dans des circonstances qui

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pouvaient susciter des problèmes d’ordreéthique, notamment en termes d’annonce —nous venons d’évoquer l’importance de cettequestion. Annoncer la nécessité d’unetransplantation cardiaque à une personnemalade recèle les mêmes difficultés que cellesqui viennent d’être détaillées avec beaucoup desensibilité et d'acuité. J’y entends toute la diffé-rence entre les propos d’une famille à qui dutemps est laissé pour réfléchir, et le choc puis-sant que représente la déclaration à un patientqu’il va être transplanté cardiaque. C’est le« coup de massue », le déni, la rupture, quelque-fois l’affolement. Ces circonstances s’avèrentextrêmement fragilisantes.Les médecins ne doivent pas se détourner de leurresponsabilité. C’est à eux, d’abord, qu’il revientd’assumer ces enjeux de l’information, et non auxfamilles. Je ne crois pas acceptable de dire queles parents sollicitent Internet, se plongent dansdes ouvrages, écoutent pour se faire une opinion,puis enfin consultent le médecin en disant qu’ilsont repéré un traitement qui leur semble conve-nir, qu’ils ont réfléchi et pensent être de bonscandidats. La médecine, ce n’est pas ça! Cela necorrespond pas à la réalité de la médecine. Dansles faits, une personne en détresse vient voir unmédecin et lui demande ce qu’il faut faire. C’estaprès que se construit le reste. Nous sommes à un stade où il faut que lesmédecins, les équipes médico-chirurgicales, lespédiatres assument leurs responsabilités etpuisse affirmer : « Je suis capable d’assumerl’intervention avec l’aide des psychologues, despsychiatres, des médecins, des pédiatres, avecles familles. Je sais que mon projet est éthique-ment valable ou qu’il ne l’est pas. » Cette étapeest nécessaire avant de réfléchir aux modalitésd’information. Il faut également trouver les méthodes adaptéesde communication, le moyen d’annoncer à la foisde la façon la moins traumatisante et avec leplus d’accompagnement possible. Toutefois, ladécision à prendre maintenant à l’Espace

éthique AP-HP, devrait être la suivante : suis-jecapable, moi, médecin, de dire que j’engage desfamilles sur ce chemin ? Il s’agit à mon avis de laquestion centrale du débat.

Dr Alain Haloun

Je ne partage pas l’avis de Philippe Despins.Quand le médecin engage la discussion sur cethème, il donne déjà une information orientée etrisque de culpabiliser les familles, de les pousser dans des domaines où elles auront difficilement le choix. Notre rôle est de répondreà leurs questions. Apporter l’interrogation nous-mêmes, personnellement, je pense que tel n’estpas notre rôle.

Pr Philippe Despins

Je suis complètement d’accord avec AlainHaloun. Je pense qu’on ne s’est pas bien com-pris. S’il a cette réaction en estimant que maposition consiste déjà à formaliser une réponse,cela signifie qu’il considère que cette option thé-rapeutique n’est pas éthique.

Sylvie Pucheu

Quand quelqu’un sollicite notre avis, nous som-mes bien d’accord sur le fait que le médecin doitêtre capable de répondre et qu’il essaie de se posi-tionner par rapport à ce choix. Qui est en mesureou non de répondre à ce type de demande?En revanche, si l’information passe par l’EfG,c’est-à-dire un tiers qui n’est pas directementimpliqué, les personnes y accèderont peut-êtreplus facilement que si ce sont les médecins, eux-mêmes transplanteurs, qui la délivrent parmitoutes les autres informations qu’ils transmet-tent initialement. Le début de la maladie n’estpas un moment identique à celui de la

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transplantation. Tout un chemin existe entre lesdeux. Je ne crois pas que ce soit au médecintransplanteur de présenter une espèce d’éven-tail de propositions, quand on vient le voir pourune transplantation. Chaque médecin décide dece qu’il veut faire ou pas dans ce domaine. Laformation du public, de la société constitue alorsune question fondamentale.

Pr Jean Navarro

Je ne crois pas du tout que l’EfG soit en état depouvoir apporter ce type de réponse. Il intervientà un autre niveau qui n’est pas assez individuel,ni éthique, ni soucieux de la vie quotidienne.Par mon expérience propre, je me suis trouvéconfronté à la double question. Premièrement,quand j’en ai parlé — parce que j’ai cru que je pouvais le faire —, la personne m’a dit : «Une fois que vous m’avez dit cela, vous savez que je vais le faire…» Avec l’air de dire : «Vous me culpabili-sez.» Mais l’inverse est déjà arrivé. À force devouloir être trop respectueux, d’attendre de par-venir à une attitude commune, on m’a fait lereproche: «Comment! La situation s’aggrave etvous ne m’avez jamais parlé de cette possibilité?»Il est donc vrai que c’est extrêmement difficile. Onest obligé, à un moment donné, de s’engager.Je suis d’accord avec Philippe Despins quant àl’idée de définir au moins une plate-forme typede réponse, sinon notre discussion risque d’êtresans lendemain. Il faut que nous soyons cons-tructifs. J’espère aujourd’hui que nous pourronsau moins réunir les éléments pour élaborercette plate-forme pratique.

Dr Laurent ViardRéanimateur, Hôpital de la Timone, AP-HM

Je suis tout à fait d’accord sur le fait qu’il fautbien que quelqu’un informe. On ne peut penserque toutes les familles vont recourir à Internet !Seul 25 % des foyers sont connectés. Combienparmi ces derniers lisent l’anglais ? Quand onvisite le site de l’EfG, il est difficile de trouver lesinformations sur la greffe pulmonaire, si ce n’estles courbes actuarielles de survie qui ne sontmalheureusement faites qu’à certains moments— on a parlé de temporalité —, la plupart dutemps à partir de la greffe.On dit que les résultats ne sont pas très bons.Cependant, la première cause de décès précocedans le contexte de la greffe pulmonaire est lanon-greffe.

Dr Pierre Canouï

Il faut évoquer les différents niveaux d’information.

Pr Philippe ReinertPédiatre, CHI de Créteil

Avec Pierre Canouï, nous avons vécu une histoiretrès douloureuse. Une petite fille de 13 ans, dontl’état s’aggravait, va voir un chirurgien greffeurqui l’inscrit sur une liste d’attente. La situations’aggrave assez rapidement. Les parents ren-contrent à nouveau le chirurgien greffeur quileur parle de la possibilité d’une greffe intra-familiale. Les parents se jettent dans cette perspective à corps perdu. Mais la maman avaiteu des problèmes psychiatriques assez lourds.La greffe n’a pas pu être pratiquée. C’était undrame absolu. La sœur, qui a 13 ans, en est à sacinquième tentative de suicide. Le père s’estretrouvé en prison parce que la mère a réussi àporter contre lui de nombreuses accusations. Unvéritable cauchemar !

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Devant des parents qui ont rendez-vous avecune équipe de greffeurs et qui savent très bienque les possibilités de survie sans greffe au boutd’un an sont de 15 % à 20 %, il est difficile de direqu’il ne leur est pas possible de procéder à undon intra-familial en raison de leurs antécé-dents. Je ne vois pas comment expliquer cela àdes parents.Une deuxième expérience à peu près identique :un retard de greffe, à la suite d’ennuis dans ungrand hôpital parisien. Cela a été très dur à vivrepour toute mon équipe. Je suis d’accord avec vous. Nous, médecins, som-mes obligés d’être très précis dans notre discours.

Dr Pierre Canouï

Les parents disent qu’ils peuvent entendrebeaucoup de choses. Quand nous, médecins,avons peur de réveiller leur culpabilité, celle-ciest présente de toutes les manières. Dès quel’on met un enfant au monde, on est dans la culpabilité. Le problème est de savoir commentparler finement. Vous nous montrez qu’on peutle faire et qu’on peut aller, avec certains parents,très loin, beaucoup plus loin que ne pouvaient l’imaginer les médecins et les psychologues.

Élisabeth DabeAssistante sociale, association Vaincre la Mucoviscidose

J’ai connu beaucoup de situations identiques àcelles qui ont été évoquées. Au niveau de l’infor-mation, les parents peuvent effectivemententendre beaucoup de choses. Tout dépend àquel moment. Les retours que j’ai pu avoir, degreffes qui ont eu lieu ou pas, ont été : « Ça nousest venu trop tard. » Comment un parent peut-ilen venir à la réflexion que vous avez évoquée àpropos du temps, alors que pour lui, pour sonenfant, les jours sont déjà comptés ?

Jean Lafond

Lorsque l’on est parent d’un enfant qui a lamucoviscidose, qu’il ait 5 ans ou 35 ans, on s’in-forme en permanence. Nous sommes toujourstrès surpris au sein de l’association de constaterle degré d’information des parents qui s’adres-sent à nous. Ils sont avides d’information. Qu’ilsaccèdent à la bonne information est un autreproblème. Je disais en introduction que cetteréflexion a pour but de communiquer, de publieret d’informer. En revanche, il y a un moment oùnotre information trouve une limite. Au-delà,c’est aux médecins de prendre le relais.

Dr Isabelle Sermet-Gaudelus

Je voudrais partager, en toute humilité, les deuxhistoires que nous avons vécues dans le service.Les parents avaient évoqué la possibilité degreffe avec donneurs vivants. J’ai eu l’impres-sion qu’ils avaient pris la décision avant d’enparler à l’adolescent.La dimension supplémentaire à prendre encompte, me semble-t-il, lorsqu’on parle detransplantation avec donneurs vivants pour desenfants, c’est toute la dimension de la fratrie. Ily a souvent de petits enfants qui ont besoin deleurs parents, et cela peut faire naître un senti-ment de culpabilité extrêmement importantchez le receveur.Comme le disait Pierre Canoui, j’ai l’impressionqu’on a mal fait dans la prise en charge de cesproblèmes, notamment dans celle de l’enfantpotentiellement receveur de dons de sesparents. Dans ces deux cas, j’ai eu l’impressionqu’on ne leur avait absolument pas offertd’espace de parole. L’une a été transplantéerapidement. Elle s’est très peu exprimée.L’autre, dont la possibilité a été évoquée par lesparents, n’a absolument pas rebondi et est tou-jours en attente d’une greffe cadavérique.

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Sylvie Pucheu

Je crois que les parents doivent être tout à faitdécidés, avant de pouvoir en parler avec l’enfant.Il est inutile que l’enfant assiste à tout le ques-tionnement de ses parents. Je crois au contraireque les médecins doivent être là quand lesparents sont décidés à répondre à toutes lesquestions qu’il faut. Après, effectivement, celane dépendra que de l’enfant et de sa volonté ounon de recevoir ce don. Mais on ne parle au rece-veur qu’une fois la décision clairement et mûre-ment réfléchie. Sinon il se trouve dans unesituation où il va voir ses parents se débattre. Or,il a déjà assez à vivre avec sa maladie !

Joëlle Moulinoux

En tant que maman, je peux témoigner qu’on nedécouvre pas la greffe du jour au lendemain.Ce qui me semble le mieux est de partir de l’aideque l’on reçoit d’un pédiatre en qui l'on aconfiance. Dans notre association, nous savonsque bien des pédiatres sont plus amis avec nosenfants que nous ne pouvons l’être avec eux.Leurs messages passent alors mieux.J’ai entendu dire que chez les adultes, on voyaitmoins les parents. Là encore, je vais accuser lespédiatres. Ils passent leur temps à dire :« Laissez-le vivre, lâchez-le… » Nos enfantsnous demandent : « Les parents, vous êtes biengentils, mais si vous pouviez nous laisser… »Faites-nous confiance, même si nous faisonssemblant de les laisser vivre, nous sommesinformés et nous savons tout.Vous nous demandez beaucoup de choses : d’être présents, mais pas trop ; de savoir, mais pas trop ; de posséder tous les corps demétier médicaux : kinésithérapeute, assistantesociale... Les professionnels du soin doiventaccepter que ce soit un peu difficile pour nous etque nous ne soyons pas toujours au « top ».

Pr Dominique Métras

Je voudrais poser une question concernant uneextension de la transplantation à d’autres situa-tions. Nous sommes ici dans un milieu de muco-viscidose où une très grande information circuleentre les personnes, où des associations exis-tent. Il y a d’autres causes de transplantationpulmonaire pour lesquelles je ne sais pas si leniveau de réflexion a atteint ce degré. À l’hôpitaldes Enfants malades, que se passe-t-il pour lestransplanteurs de foie qui font des prélèvementssur donneur vivant ?J’ai été comme tout le monde extraordinaire-ment impressionné par la profondeur de ce qui aété dit. Je ne suis pas certain que les familles desparents que nous voyons soient aptes à entrerdans un niveau de réflexion aussi élevé. Pour lerein et pour le foie, cela m’intéresserait de savoirsi se développe aussi une réflexion.

Corinne FridmannPsychanalyste, Paris

J’ai eu le plaisir d’accompagner les parents pen-dant ces cinq mois et j’ai beaucoup appris. Toutparent, si on prend le temps de s’asseoir, de parler, d’écouter, peut entendre et ressortirquelque chose de différent mais de qualitéégale. Je crois qu’il vaut mieux partir de l’idéeque la personne que l’on a en face de soi est detrès grande qualité, très riche. Nous éprouvonsparfois quelques difficultés à le percevoir plutôtque de penser que la personne n’est pas capabled’entendre ni de recevoir. Nous devons resteroptimistes sur ce que l’être humain nous révèle.

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Michel Favier

Il faut réintégrer cette notion de temps. Lamucoviscidose, c’est tout un parcours de vie —j’ai parlé de diagnostics successifs —, c’est unaccompagnement permanent. Ce qui m’inté-resse, c’est qu’au-delà des mots exprimés,entendus ou formulés des signes humains decommunication passent et signifient du désir oudu non-désir. Du désir de greffe ou de non-greffe, de donner ou de ne pas donner…Quelquefois, cela va au-delà des mots.Lorsque vous dites : « moi, j’ai envie d’atten-dre… » et que Philippe Despins répond : « c’estnotre rôle de savoir ce que l’on dit », cela révèleque nous avons des approches et des percep-tions différentes. Mais, à certains moments, ilpeut y avoir des rapprochements à travers desmots, dans une poignée de main, une interpella-tion… Je crois beaucoup à la valeur des signes,du non-dit.Un patient ou un parent va peut-être regretter :« Vous ne me l’avez pas dit… » En fait, je croisqu’il exprime : « À un moment donné, je vousavais peut-être envoyé un signe ; vous auriezpu… Mais je n’osais pas… »

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© Pierre Michaud

«Nous sommes à un stade où il faut que les médecins, les équipes médico-chirurgicales, les pédiatres,assument leurs responsabilités.

Pr Philippe Despins

«

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> ASPECTS ÉCONOMIQUESET ORGANISATIONNELS

TransplantationsCahier des charges : état des lieux p 66• L'activité de transplantation en France

• Dispositifs indispensables au fonctionnement

des équipes de transplantation

• État des lieux des transplantations en France

Dr Alain Haloun

Enjeux économiques et prospectives de la transplantation pulmonaire p 69• Coût de la transplantation pulmonaire

avec donneurs cadavériques

• Coût de la transplantation pulmonaire

avec donneurs vivants

• Coût national

• Les tarifs

• Le coût est-il un facteur limitant ?

• Prospectives

Dr Dominique Manach

Discussion p 71• Un déficit en termes de reconnaissance et de moyens

• Des moyens mieux répartis sur l’ensemble de la chaîne

• Dilemmes face au refus des greffons cadavériques

• Analyser les défaillances constatées dans la chaîne

du don et dans la pratique des greffes

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Dr Alain HalounPneumologue, hôpital Laënnec, Nantes

Trop de patients sur liste d’attente de greffedécèdent — diminuer leur nombre est une préoc-cupation majeure. Je présenterai, en premier lieu quelques élé-ments globaux chiffrés sur l’activité detransplantation en France. Ces éléments sontimportants, en particulier pour évaluer la pénu-rie de greffons. Puis j'indiquerai les moyens quisemblent indispensables pour qu’une équipe detransplantation puisse fonctionner. Enfin, jedresserai brièvement un état des lieux schéma-tique sans citer, comme je m’y suis engagé, leséquipes concernées. Les chiffres que je vaisdonner sont publiés par l'EfG sur le Net(www.efg.sante.fr) de façon tout à fait détaillée.

> l'activité de transplantationen france

Quelle est l’évolution du nombre total detransplantations pulmonaires et cardio-pulmo-naires réalisées depuis une dizaine d’années(entre 1990 et 2001) en France ? Le chiffre a globalement mais notablement diminué. En1991, environ 200 transplantations étaient prati-quées chaque année. Pour les cinq dernièresannées, ce chiffre est tombé à près de 100transplantations par an — pulmonaires et cardio-pulmonaires — toutes étiologies de pathologiesconduisant à la greffe confondues.Sur ces dernières années, la comparaison dunombre de transplantations, du nombre depatients nouvellement inscrits et du nombre depatients décédés sur liste d’attente fait apparaîtreune relative stabilité du nombre de décès surliste. Mais quand on inscrit trois patients sur uneliste d’attente, deux seront greffés et un va

décéder avant d’avoir pu être transplanté. Est-ce une situation mondiale, inéluctable ? Jene suis pas de cet avis. Comparons nos chiffresà ceux des pays qui nous entourent (activité degreffe au niveau international : chiffres de l’EfG2001).L’Espagne réalise 3,4 greffes pulmonaires parmillion d’habitants alors que la France en réalise 2.Les États-unis 3,9 et l’Australie 3,8. Si les résul-tats sont moins bien connus en Espagne, enAustralie ou aux États-Unis, ils ne sont pasmoins bons qu’en France.

> dispositifs indispensables au fonctionnement deséquipes de transplantation

La transplantation comporte schématiquementtrois phases : la phase de pré-transplantation, laphase de chirurgie proprement dite et la phasede post-transplantation et de surveillance.La phase de pré-transplantation souffre déjà dela pénurie de moyens. On a rappelé, de façontout à fait démonstrative, l’importance de lamaturation du projet de transplantation, de l’in-formation qui doit prendre du temps. Il faut permettre au patient de rester maître de sa déci-sion, de la prendre en pleine connaissance detous les enjeux. Or, dans les unités nous couronsde plus en plus d’un patient à l’autre. Et cettephase risque d’être extrêmement négligée. Enoutre, je crois que le premier contact avec l’équipe de transplantation est capital pour lerapport entre l’équipe de transplantation et lemalade ou sa famille. Ces derniers exprimentbeaucoup de demandes en termes d’informa-tion. Ils ont besoin de se sentir épaulés dans leurprojet, de voir que l’équipe est structurée. C’estun moment où ils sont en grande difficulté parcequ’ils prennent conscience de la gravité de la

TRANSPLANTATIONS CAHIER DES CHARGES : ÉTAT DES LIEUX

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maladie et des possibilités de mort. L’annoncede la transplantation est vécue comme un trau-matisme. Cette phase est donc particulièrementimportante. Pourtant, j’ai l’impression que d’annéeen année on la néglige de plus en plus, faute detemps.La deuxième phase est celle de la transplanta-tion. C’est, à mon avis, la période de plus grandevulnérabilité. Tout en dépend. Si les chirurgiensne transplantent plus, il est évident que, quelleque soit la bonne volonté générale les program-mes vont s’interrompre. Il faut d’abord biencomprendre que nous travaillons toujours dansl’urgence. La transplantation ne peut pas êtreprogrammée. Ensuite, cela met obligatoirementen jeu, pour la transplantation avec donneur enétat de mort cérébrale, au minimum deux équipes chirurgicales. Et il faut au moins un chirurgien senior hautement spécialisé, capablede réaliser les sutures bronchiques ou trachéales.S’il n’y a qu’un seul chirurgien capable de faireces sutures dans une équipe, celle-ci ne peutmatériellement pas assurer une permanence365 jours par an et répondre à toutes les propo-sitions de greffe.Cela repose beaucoup sur le bénévolat et ladisponibilité. Pour démarrer un programme,c’est bien, mais quand celui-ci est en placedepuis quinze ans, il ne peut plus fonctionnercorrectement de cette façon-là.Nous sommes également très inquiets sur lacapacité de renouvellement des chirurgiens —les équipes vieillissent et beaucoup n’ont pas dejeunes collaborateurs en cours de formation.La troisième phase est celle de la surveillanceaprès la transplantation. Elle aussi est menacée.La charge de travail augmente d’année en annéepuisque le nombre de patients suivis s’étoffed’une année sur l’autre si la mortalité péri-opé-ratoire est faible. Plus le centre est performant,plus cette charge de travail augmente. Les cen-tres les plus menacés sont ceux qui sont les plusperformants.Une partie du travail est programmée, une autre

se fait en urgence. Si l’on n’est pas capable derépondre à l’urgence dans des délais brefs — unpoumon greffé est fragile —, si le délai néces-saire pour réaliser des endoscopies bronchiquespassent de quelques heures à quelques jours,les résultats vont se dégrader. L'une des quali-tés d’un centre, c'est d’être capable de solliciterrapidement un médecin spécialisé qui va pro-grammer les examens et prendre les décisionsdans un temps court. Je crains que l’on posebientôt les indications — d’endoscopie bron-chique en particulier — en fonction de la dispo-nibilité des médecins et non en fonction desproblèmes des malades. C’est ce qui nousmenace si on ne dispose pas du nombre demédecins nécessaires pour suivre ces patients.Dans le cadre de la transplantation pour muco-viscidose, il faut disposer des personnes spécia-lisées joignables 24 h/24 h, au moins partéléphone. Il convient d’être spécialisé à la foisen transplantation et en mucoviscidose car lesdeux domaines présentent des spécificités.

> état des lieux des transplantations en france

En France, plus de 85 % des transplantationsréalisées en 2001 l’ont été par quatre équipes.En termes de moyens et de charge de travail, ladisparité entre équipes est indiscutable.Concernant la charge de travail, cela est assezfacile à comprendre. Certains centres ont uneactivité d’urgence qui recouvre la transplanta-tion pulmonaire, mais aussi la transplantationcardiaque, le cœur artificiel. Ils constituent leseul centre régional chirurgical cardiaque etthoracique de grande urgence, c’est-à-dire d’urgence vitale. D’autres centres n’ont que l’activité de transplantation pulmonaire et uni-quement en urgence. Cela modifie complète-ment la sollicitation des équipes.

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En termes de moyens, la situation est aussi alar-mante. Parmi les quatre grandes équipes, troisrencontrent des problèmes de logistiquemajeurs qui peuvent compromettre la poursuitedes programmes à court ou moyen terme. Deuxéquipes sur quatre ne disposent que d’un seulchirurgien senior hautement spécialisé. La per-manence de disponibilité pour accepter un gref-fon à tout moment est donc illusoire. Dans deuxcentres—dont un particulièrement important—,la surveillance repose sur un seul médecin.Dans les deux autres, elle repose sur deuxmédecins. La permanence de la surveillance nepeut alors pas être assurée. Il faut, à mon avis,un minimum de trois médecins pour assurer unepermanence 24 h/24 h, au moins par téléphone.Et même à trois, c’est difficile. Enfin, dans uncentre, les lits de soins intensifs sont souventconsacrés à d’autres urgences, ce qui, parfois,ne permet pas d’accepter des greffons, faute delits disponibles.La transplantation avec donneurs vivants pré-sente un avantage indiscutable par rapport auxdonneurs cadavériques : l’intervention est pro-grammée. Un inconvénient est tout aussi indis-cutable et majeur : trois équipes de chirurgiesont nécessaires et compte tenu des enjeux chezles donneurs — qui sont des donneurs sains —,ce sont trois équipes de chirurgie senior. Unjeune chef de clinique ne peut pas réaliser cegenre d’intervention. Il faut également disposerde trois lits de soins intensifs au lieu d’un enpost-opératoire.Ainsi, la réalisation de transplantation avec don-neurs vivants nécessite-t-elle plus de moyensque celle réalisée à partir de donneurs cadavé-riques. Dans un contexte de pénurie de moyens,si cette possibilité thérapeutique se généraliseelle risque d’aboutir à une diminution du nombrede transplantations par an en France.

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Dr Dominique ManachPneumologue, médecin de santé publique,CHU Cochin et CHU Lariboisière Fernand-Widal, AP-HP

> coût de la transplantationpulmonaire avec donneurscadavériques

L’étude nationale des coûts (ENC) qui permet deles définir ainsi que leur échelle pour l’ensembledes séjours des patients d’un établissement, estla seule qui permet d’appréhender les coûts dece type de prise en charge.Le séjour directement en rapport avec latransplantation pulmonaire correspond au GHM116 (groupe homogène de malades), celui-ci estactuellement valorisé à 28 000 ISA, soit 54 000 €.Ces données sont à prendre avec beaucoup deprécaution dans la mesure où les échantillonssont petits (moins de 100 patients) et les coûtsobservés (de 13 000 € à 150 000 €) présententune variabilité de 1 à 10.Après le séjour de transplantation proprementdit, le patient est suivi régulièrement en hôpitalde jour. Le séjour est alors estimé à 275 ISA (soit 535 €).Des complications au décours de la transplanta-tion peuvent survenir nécessitant une réhospita-lisation. Le séjour est alors valorisé à 3000 ISA(soit 5 800 €), mais pointe en fait vers un GHMnon spécifique dans lequel ce type de séjours estpeu représenté. Ce coût est très certainementfortement sous-estimé car des études précises,centrées sur des patients réhospitalisés aprèstransplantation pulmonaire, effectuées à l’hôpi-tal Beaujon, montrent que les séjours deréhospitalisation après greffe pulmonaire pré-sentent des coûts à peu près similaires à ceuxdes séjours pour transplantation.

> coût de la transplantationpulmonaire avec donneursvivants

Le coût pour le malade n’est pas différent ducoût d’un séjour avec transplantation à partir dedonneur en état de mort apparente.Il faut ajouter le coût relatif aux séjours et auxsoins des deux patients donneurs vivants. Ledécret n° 2000-409 du 11 mai 2000 précise clai-rement que sont à la charge de l’établissementqui effectue le prélèvement d’organe chez lesdonneurs : • les frais d’hospitalisation ;• les frais d’hébergement et de transport ;• les frais de bilan de suivi pré et post don ;• les indemnisations pour perte de rémunération

au-delà du forfait sécurité sociale.

Ces frais sont intégralement à la charge de l’établissement et ne peuvent donner lieu àaucun remboursement par la sécurité sociale.Dans ces conditions, il est évident que si cestechniques devaient se développer, ceci pourraitêtre un facteur limitant pour les établissementshospitaliers.

> coût nationalSi l’on considère que 117 greffes ont été réali-sées en 2001, le coût direct estimé pour ces 117greffes est d’environ 6 M€. Cette mesure a peud’intérêt dans la mesure où elle ne prend pas encompte un certain nombre de frais fixes généra-teurs de coûts : • la rémunération des équipes qui se doivent

d’être disponibles (les frais de garde et d’astreinte) ;

• la nécessité d’un plateau médico-techniqueadapté à l’activité de transplantation ;

ENJEUX ÉCONOMIQUES ET PROSPECTIVES DE LA TRANSPLANTATION PULMONAIRE

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• les impacts sur l’aval du fait de la nécessité deréhospitalisation de quelques patients greffésprésentant des complications.

D’autre part, ces frais apparaissent comme dessurcoûts réels dans la mesure où il n’y a pas oupeu de substitution à la transplantation pulmo-naire. Il s’agit de patients dont l’espérance de vieest courte et pour lesquels il n’existe pas d’alternative thérapeutique.

> les tarifsIls ont été mis en place en 1995. Une greffe depoumon est facturée 100 000 €, une greffe cœuret poumon 76 000 €. Ce tarif s’applique dès l’entrée du séjour pourtransplantation et cesse à la sortie de réanima-tion du patient. Après la sortie de réanimation, lafacturation correspond au prix de journée despécialités coûteuses soit environ 1 500 €.

> le coût est-il un facteurlimitant ?

Si la réponse était affirmative, cela indiqueraitque le temps du rationnement est arrivé. À cestade, aucun élément ne permet de l’affirmer.Cependant, dans un contexte budgétaire res-treint il est temps de s’interroger sur la rationa-lisation qui devra être mise en place.Il est par exemple sûrement important de revoirle nombre de sites nécessaires pour assurer uneoffre adaptée à l’ensemble du territoire national.Des contrats d’objectifs et de moyens pourrontêtre envisagés avec les sites retenus.

> prospectivesLa première étape consiste à définir quel est lenombre optimal de sites. La réponse doit êtreaffinée, mais il est évident qu’il existe actuelle-ment beaucoup trop de sites (16 à 17) alors queseuls quelques-uns (4 ou 5 ?) suffiraient.La deuxième étape consiste à définir quels sontles besoins d’un site en sachant qu’il doit per-mettre d’assurer la prise en charge globale dupatient autour de la transplantation (avant, pen-dant et après). L’établissement transplanteurdoit être adapté à l’urgence, bénéficiant desstructures nécessaires : lits de réanimation oude soins intensifs, lits d’aval permettant lesréhospitalisations avec des équipes adéquatesen nombre et en qualification pour toutes lesétapes de la prise en charge.Dès lors qu’une politique de rationalisation a étémise en place avec réduction du nombre desites, le « plan greffes » devrait permettre d’apporter un soutien en renforçant les moyensdes quelques équipes reconnues.

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> un déficit en termes de reconnaissance et de moyens

Pr Jean Navarro

Depuis dix ans, on a agité ces questions organi-sationnelles d’une façon un peu informelle, endeux étapes distinctes.La première est relative à la multiplicité descentres. À un moment donné, les centres étaienten France au nombre de 17. Ensuite, sans dispo-ser d’un suivi individualisé, détaillé, tout lemonde a pris conscience des mauvais résultatsglobaux français. Il n’y avait ni le recul, ni l’expé-rience nécessaire, ni encore la concentrationdes moyens. Ceci a entraîné la concentrationdont a parlé Alain Haloun, c’est-à-dire l’identifi-cation, en France, de quatre ou cinq grands cen-tres très actifs. Ce débat ne porte évidemmentpas uniquement sur le donneur vivant. Nous sommes au cœur du problème : nous n’avons pas bénéficié des réponses nécessairesafin de donner les moyens à ces centres de réfé-rence. À mon sens, la question n’est même plusrégionale mais nationale. Des questions simplesont été posées il y a déjà plusieurs années,comme celles des prestations interrégionalespour compenser les coûts dans les centres réfé-rents. Une solution comme celle que vous avezdonnée en exemple pour les greffes de moelle àLille aboutit à reporter l’effort sur les autres. SiLille se limite à un certain nombre de greffes, ilfaudra bien réaliser les autres ailleurs. Si on nepeut pas les pratiquer ailleurs et que chaquerégion se renvoie la balle, cela veut dire que l’onn’a pas pris une décision nationale. On auraitenvie de reporter la discussion en soulignantl’importance de la reconnaissance des centresde référence à l’échelle nationale. Certes, il s’agit déjà d’un état de fait, mais reconnaîtresignifie aussi attribuer les moyens nécessaires.Sinon, ce n’est pas possible.

Pr Dominique Métras

Je suis bien entendu d’accord avec Alain Halounsur le problème que posent les centres qui pra-tiquent les transplantations, parce qu’ils s’avè-rent déficitaires en termes de moyens et depersonnels… Il faut se remémorer la façon donta débuté en France la transplantation d’organesthoraciques, il y a une quinzaine d’années. Ellereposait uniquement sur la volonté, l’enthou-siasme et le bon vouloir des personnes. On acommencé parce que c’était nécessaire et rela-tivement nouveau. Peu à peu, la désillusion estvenue, non pas uniquement à cause des mauvaisrésultats mais à la suite du désintérêt des auto-rités qui n’ont accordé aucun moyen supplé-mentaire aux équipes. Les grandes équipes sesont progressivement désinvesties parce quecela ne marchait pas. On constate une désillusion d’ensemble parmi lesprofessionnels de la transplantation. La situationest bien entendu différente s’agissant d’unestructure qui concentre la transplantation car-diaque et pulmonaire… et qui dispose de moyensimportants. À Marseille, à l’hôpital de la Timone,Laurent Viard s’occupe du post-opératoire depuisdes années. S’il décidait un jour de s’arrêter, ceserait terminé. Cela n’a jamais intéressé per-sonne d’autre que ceux qui s’y sont impliqués. Lasituation est identique pour la chirurgie.Je suis certain que cela n’intéresse pas vraimentle système de santé de développer et de consa-crer des moyens à la transplantation.

> des moyens mieux répartissur l’ensemble de la chaîne

Dr Alain Haloun

Je pense que nous nous trouvons maintenant àun carrefour. Nous ne revendiquons pas desbesoins énormes mais des moyens qui concer-nent l’ensemble de la chaîne du soin. Car on

DISCUSSION

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constate qu’en 10 ans les moyens des centresn’ont pratiquement pas évolué. Or, le nombre detransplantés et de patients pris en charge ontété multipliés par 4 ou 5 pour la même période.Nous n’avons pas seulement besoin de méde-cins, de chirurgiens et d’anesthésistes, maistout autant de kinésithérapeutes, de psycholo-gues, d’infirmières, de lits d’hospitalisation, delits de soins intensifs… C’est donc toute lachaîne qu’il faut reconsidérer, et cela sur unensemble de centres à mon avis relativementlimité.Il ne faut pas revenir à 17 centres, ce qui seraitune aberration puisque l’on sait qu’un certainnombre d’entre eux n’ont pratiqué aucunetransplantation dans l’année. Pourtant l’EfGcontinue à les interroger chaque fois qu’un greffon est disponible ! Quand un greffon est pro-posé, on sait que le temps de réponse constitueun élément important. Chaque équipe que l’oninterroge exige du temps, or on perd des gref-fons quand on perd ainsi du temps. Interrogerdes équipes qui n’ont pas greffé depuis deux ansest une aberration en termes de gestion. Il fautque les autorités et l’EfG prennent leurs respon-sabilités. Qu’il y ait un redéploiement à la foisdes moyens et de certains éléments de l’organi-sation qui, vue par ceux qui travaillent dans uncentre de transplantation, paraît parfois complè-tement aberrante. D’autres éléments que j’ignore justifient peut-être cette organisation,mais il faut que les centres de transplantationsoient plus représentés au sein de l’EfG. De monpoint de vue, il est devenu une énorme structureadministrative qui publie des courbes très inté-ressantes alors que les patients meurent enattente de transplantation…

Dr Dominique HubertPneumologue, hôpital Cochin, AP-HP

Je ne m’occupe que d’adultes. Or, il me paraîtaujourd’hui évident que pour les patients adultesqui sont de mieux en mieux pris en charge etvont de plus en plus loin, on peut considérer quela question de la transplantation va se poserpour 80 % à 90 % d’entre eux, à un moment ou unautre de leur parcours. Parvenu à un certainstade, on est confronté à un obstacle qui justifieque pour assurer la prise en charge de leur maladie la proposition d’une transplantations’impose. Nous avons de plus en plus depatients en attente sur liste de transplantationet, malheureusement, nous commençons àconstater davantage de décès sur liste d’attente.La transplantation de donneurs vivants estextrêmement liée à la transplantation en géné-ral. Si la transplantation à partir de donneurscadavériques était correctement réglée et orga-nisée, nous n’aurions peut-être pas eu besoin deconsacrer cette réflexion relative à la transplan-tation avec donneurs vivants. Il est donc extrê-mement important que nous essayions deconsidérer ce qui est en notre pouvoir en mani-festant une certaine pression pour une meilleureorganisation de la transplantation à partir dedonneurs cadavériques. Je voulais à nouveau poser ces questions car,même nous qui sommes médecins en centresde soins, nous éprouvons beaucoup de difficultéà comprendre qui sont les décideurs. Vous avezparlé de l’EfG. Qui exerce une pression sur seschoix ? Quels sont les moyens de pression à unniveau supérieur, c’est-à-dire ministériel ?Il faudrait savoir aussi comment sont concentrésles appels pour transplantation pulmonaire. Ilme semble en effet, d’après ce que j’ai pu perce-voir sur la région parisienne, que chaque centreest interrogé à tour de rôle, avec de grandesdisparités de patients en file d’attente activedans chaque centre. Cette situation qui peutfavoriser certains au détriment d’autres. Il y a

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certainement beaucoup de choses à remettre àplat à ce niveau-là, aussi bien s’agissant d’uneconcentration des moyens — régionale, natio-nale — que d’une meilleure discussion, d’unerépartition plus adéquate des greffons lorsqu’ilssont proposés.La question que je pose, in fine, est la suivante :que pouvons-nous faire, nous médecins, soi-gnants, associatifs ? J'ai le sentiment qu’il y aune très grande urgence à agir très vite.

Pr Philippe DespinsChirurgien, hôpital Laennec, Nantes

Je voudrais atténuer les propos de mon amiAlain Haloun avec lequel je suis toujours d’accord sur le fond. J’ai fait partie de l’EfG. On ytravaille beaucoup et bien. Je crois qu’il ne fautpas remettre en cause une structure commecelle-là.Ce n’est pas l’EfG qui est responsable du pas-sage aux 35 heures, du passage aux 48 heuresde durée limitée qui va intervenir avec les consé-quences que l’on sait. Il faut justement rendre àCésar ce qui est à César. Néanmoins, il est vraique nous souhaiterions beaucoup que l’EfG soitnotre partenaire pour que les instances nousécoutent. Car ce que Alain a dit au sujet de la dif-ficulté actuelle à laquelle nous sommesconfronté dans la pratique des greffes clas-siques, en particulier pulmonaires, est extrême-ment préoccupant. Il est vrai aussi que toute lachaîne du soin doit être prise en compte. Cette année, nous avons refusé six ou sept gref-fons pulmonaires pour des patients qui étaientextrêmement urgents. Six à sept greffons pulmonaires, sur une année qui compte pournous huit à dix transplantations, c’est énormepuisque cela représente presque le double denotre activité. Quand nous refusons des greffonsde cette qualité qui étaient parfaitement recevables,nous nous trouvons totalement en porte-à-fauxvis-à-vis de la responsabilité que nous avons

prise à l'égard de patients inscrits sur notre listeet pour lesquels nous sommes redevables defaire ce que nous nous sommes engagés à faire,c’est-à-dire les transplanter.C’est pourquoi, recentrant le débat sur les greffes avec donneurs vivants, je considère — etJean Navarro le sait bien — qu’il est à la limitede nos principes éthiques de se lancer dans uneentreprise de transplantation avec donneursvivants quand on a vu combien étaient lourds etdifficiles les autres enjeux : familiaux, affectifs,psychologiques, etc. On vient d’en voir le poidséconomique supplémentaire. Dans le contexted’une greffe classique caractérisé par une crisede moyens, la perspective de cette nouvelle acti-vité, qui ne va pas résoudre les problèmes éco-nomiques auxquels sont confrontés les centrestransplanteurs, mais y ajouter plutôt tout le désarroi qu’on a entendu exprimer, me paraîtnous contraindre à susciter une réflexion collec-tive relative au caractère réellement éthique dela direction que nous adoptons aujourd’hui.

Dr Alain Haloun

Nous n’avons pas le même rôle au sein destransplantations. Que l’EfG ne nous aide pas,j’en conviens malgré tout. On se situe dans unepériode de pénurie, il n’est donc pas en mesurede trouver les solutions miracles. Toutefois, nonseulement il ne nous aide pas, mais il nousassaille de papiers administratifs à remplir. Il acertainement besoin de courbes statistiques et ilfaut les faire, mais qu’on engage des attachés derecherche clinique et qu’on ne demande pas auxéquipes qui ont déjà la tête sous l’eau de passerune grande partie de leur temps à remplir desdocuments sur la sérologie des patients !

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Pr Jean Navarro

Je reprends l’analyse de Philippe Despins. Nouspartageons tous la même vision. Je voudraisrappeler les discussions préalables à cet Atelier.Initialement le sujet en était seulement : don-neurs vivants. Je crois que nous avons tousréalisé, en discutant ensemble, qu’on ne pouvaitpas dissocier de notre réflexion sur les greffespar donneurs vivants, les aspects concernant latransplantation pulmonaire en général. Jepense que nous ne pouvons pas éluder la ques-tion des donneurs vivants et il est logique de direque la situation actuelle des greffes pulmonairespratiquées en France doit se situer au premierplan de nos préoccupations. Les réponses de nos tutelles concernant le sou-tien aux centres de transplantation sont atten-dues avec impatience et inquiétude tant par lesparents, les patients que par les équipes soi-gnantes elles-mêmes. Quant à la stratégie, il meparaît clair que l’EfG n’est pas du tout en chargedes moyens à consacrer aux dispositifs detransplantation et que nos seuls interlocuteurssont les décideurs, c’est-à-dire la haute admi-nistration des hôpitaux, et, in fine, le ministère etle ministre de la Santé. L’action ne peut s’envisa-ger que comme cela.Nous sommes donc obligés de dissocier laréflexion éthique. Si un jour nous disposionsd’importants moyens, comment intégrerons-nous cette possibilité ? Dans l’état actuel deschoses, nous ne pouvons pas : ce serait au détri-ment du reste. En revanche, quelles solutionspouvons-nous proposer ?

> dilemmes face au refus des greffons cadavériques

Dr Romain GuillemainMédecin réanimateur, hôpital européenGeorges-Pompidou, AP-HP

Il y a des impératifs dont les équipes réduites nepeuvent pas s’affranchir, notamment le fait detravailler en binôme pour suivre un nombre depatients tout à fait invraisemblable. Je parle enmon nom et en celui de Catherine Amrein. Nousvoulions nous exprimer parce que nous sommesles deux médecins qui avons en charge lestransplantés de l’ancien hôpital Broussais suivisactuellement à l’hôpital européen GeorgesPompidou. Nous sommes confrontés au pro-blème des donneurs vivants puisque nous tra-vaillons avec Jean-Paul Couëtil. Nous avonsdonc une opinion pratique sur le problème.Les constatations qui nous avaient conduits à laquestion des donneurs vivants étaient les sui-vantes : la transplantation pulmonaire donnemaintenant d’assez bons résultats, la transplan-tation pour mucoviscidose est une techniquevalidée, les durées moyennes d’attente et lenombre de décès sur liste d’attente — que cesoit au niveau national ou à l'échelle de chaqueéquipe — ne font que croître. D’après les chiffres de l’EfG, ce qui nous est pro-posé couvre en gros 20 % du besoin en poumons.Il existe donc plusieurs solutions pour pallier lemanque d’organes. Les premières consistent àfaire courir un risque aux patients en leur propo-sant des techniques un peu aventureusescomme réduire le poumon afin de l'adapter auxcapacités de receveurs plus petits, faire des par-titions. Tout cela marche au prix d’une morbiditéqui n’est pas nulle. Nous n’observons pas desurmortalité, mais on peut imaginer que ledevenir à long terme de ces patients qui ont unvolume alvéolaire réduit soit moins bon que celuide patients qui auraient bénéficié d’une trans-plantation à poumon entier. En cas d’extrême

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nécessité, nous en sommes arrivés à réaliserdes transplantations monopulmonaires en enle-vant le poumon contre-latéral pour sauver despatients. En d'autres termes, nous bricolonspour pallier un manque d’organes.Et puis, cette année, nous avons été surpris —c’est très difficile de prendre du recul sur ce quise passe — par le nombre de greffons refusés.Nous avons donc repris la totalité des greffonsrefusés à l’hôpital européen Georges-Pompidou(HEGP) sur 2002. Deux statistiques différentessont disponibles. Celle de l’EfG chiffre à 60 lenombre de greffons refusés à l’HEGP. Je n’ai pasréussi à savoir auprès de l’EfG si ses statisticienscomptaient le nombre de donneurs proposés oule nombre de greffons. En effet, on peut très biennous proposer un donneur pour un greffon pulmonaire et, si nous le refusons, le proposerpour un greffon cardiaque, etc. Quelquefois, unmême donneur est ainsi proposé en cœur-pou-mon, puis en poumon, puis en cœur… Parailleurs, nous avons près du téléphone un cahierdans lequel nous notons chaque appel, sa date,le refus et sa cause. On pourrait imaginer quecette technique conduit à sous-coter le nombred’appels en pensant qu’ils ne sont pas tousrépertoriés. Mais en ajouter paraît difficilementimaginable.Nous avons donc refusé 108 greffons pulmo-naires et cardiaques au cours de l’année 2002,dont 35 pour des causes logistiques. Ce chiffreme paraît le plus important car, quel que soit lechiffre en valeur absolue, la proportion doit resterla même, il n’y a pas de raison pour qu’elle varie.On appelle «cause logistique» tout ce qui avait unreceveur potentiel acceptable et qui n’a pas puêtre fait à cause de problèmes organisationnels.5 fois, la raison n’a pas été retrouvée, simple-ment parce qu’elle n’a pas été notifiée sur lecahier ; 9 fois, c’était parce que nous n’avons pasréussi à joindre le chirurgien; 3 fois, parce qu’uneautre transplantation était en cours ; 9 fois, parcequ’il n’y avait pas de place en réanimation ou aubloc opératoire ; 7 fois, pour un refus non docu-

menté du chef de service (qui avait certainementde bonnes raisons, mais ne les a pas communi-quées) ; et 1 fois pour un problème de timing chezun patient qui était très à distance.Dans le même temps, sur cette année 2002 nousavons eu à déplorer 8 pertes de patients, décé-dés sur liste d’attente, dont 7 étaient despatients inscrits pour mucoviscidose. Nous noussommes retrouvés dans des situations « abraca-dabrantesques » avec, en pneumologie, desparents « bilantés » en vue de faire don de leurspoumons, alors que nous refusions dans lemême temps un donneur cadavérique !Il n’est pas licite, à nos yeux, de pratiquer unetransplantation avec donneurs vivants tant qu’onrefusera un seul greffon cadavérique. Car l’inci-dence des complications chez les donneurs estloin d’être nulle. Dire exactement combien s’avère très difficile car entre les deux séries lesplus importantes — celle de V. A. Starnes et cellede Saint-Louis — l'écart va de 9 % à 60 %. Onpeut imaginer que cela se situe entre les deux. Àl'HEGP, en tout cas, l'incidence est de l’ordre de60 % pour des complications dont certaines n’étaient pas bénignes.

Pr Pierre BonnetteChirurgien, hôpital Foch, Suresnes

Le plus intéressant — et il faudrait s’adresser à cepropos à l’EfG — serait de savoir combien de gref-fons reconnus comme utilisables pour des rece-veurs ne l’ont pas été en France et n’ont donc pasété utilisés. Si un greffon n’est pas accepté par uneéquipe, il l’est volontiers par une autre équipe sol-licitée dans le tour. Nous pouvons renoncer à laproposition parce que nous n’avons pas de rece-veur mais pour ma part je n’ai pas le souvenir d’a-voir refusé un greffon pour un problème delogistique. Le plus grave est de se dire que l’on pra-tique des greffes à partir de donneur vivant et que,pendant ce temps, pour des raisons de logistique,en France on renonce à des greffons utilisables.

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Dr Alain Haloun

Je suis totalement en désaccord avec PierreBonnette et ce pour plusieurs raisons. La pre-mière est que l’équipe qui éprouve le moins dedifficultés est celle de l'hôpital Foch. Toutes lesautres équipes ont refusé des greffons pour desraisons logistiques. Si on fait tourner les gref-fons, ils vont se détériorer et, à la fin, ils neseront pas refusés pour raison logistique, maistout simplement parce qu'ils seront devenusinutilisables. Ils ne seront donc plus compta-bilisés en greffons non utilisés pour raison logis-tique, mais en greffons non utilisables car demauvaise qualité. Plus le greffon est rapidementpris, plus il a de chances d’être utilisé dans debonnes conditions. La seconde tient au fait que,en dehors de vous, les équipes les plus grossessont celles qui sont le plus confrontées à des difficultés logistiques. Nous allons donc revenirà la situation qui existait il y a dix ans.Si les résultats en France sont maintenant prati-quement analogues aux résultats constatés surle registre international — en tous les cas pourles dernières années — je suis persuadé quec’est parce que les structures sont beaucoupplus adaptées qu’il y a dix ans. Parce que lenombre de transplantations s’est concentré surun nombre restreint d’équipes ayant des struc-tures adaptées à la transplantation. Si l'on conti-nue comme cela, les greffons vont retournervers les équipes qui ont peu transplanté puisquemaintenant les équipes qui transplantent beau-coup refusent des greffons. Nous n’avons jamaisrefusé 7 greffons en l’espace de 6 mois. C’est lapremière fois cette année. Or, quand quinzejours après avoir refusé un greffon le receveurdécède, nous le vivons de manière extrêmementdouloureuse. Je pense qu’un grand nombre de greffons nesont pas répertoriés car il est très étonnant quele nombre de greffons non pris pour raisonlogistique n’augmente pas. Quand on interrogen’importe quelle équipe, le nombre augmente

indiscutablement. Je mets donc cette statistiqueen doute. Ensuite, comment déterminent-ilsqu’un greffon n’a pas été pris pour raison logis-tique ? Je n’en sais rien.

Dr Romain Guillemain

Je partage totalement la position exprimée parAlain Haloun. J’aimerais juste ajouter que nousne sommes pas en train de discuter de ce qui estplus ou moins bien, ou pas bien du tout, mais dela question des donneurs vivants. L’équipe qui nerefuse pas un seul greffon, celle-là peut faire dudonneur vivant. Dans notre logistique hospita-lière, à l'HEGP, nous ne pouvons pas éthique-ment refuser des greffons — malgré tous lesefforts que nous faisons — et en même tempsréaliser des greffes à partir de donneur vivant.

> analyser les défaillancesconstatées dans la chaînedu don et dans la pratiquedes greffes

Dr Marc SternPneumologue, hôpital Foch, Suresnes

Il y a probablement de vrais problèmes detransplantation pulmonaire et cela pourrait fairel’objet d’un livre blanc de la transplantation pul-monaire, d'une mise à plat… Vous refusez desgreffons. Néanmoins, si je regarde le nombredes transplantations, celles-ci ont augmenté de12 % par rapport à l’année dernière. 12 % degreffons de plus ont été proposés par rapport àl’année dernière. C’est donc bien que ces gref-fons ont été utilisés ! L’activité de l’hôpitalBeaujon est plutôt plus importante.Il faut sortir de ce débat viscéral, mettre les chif-fres sur la table, s’asseoir, s’arrêter, discuter… Ily a probablement des problèmes logistiquesdans des équipes — je ne le nie pas. Je dis

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simplement qu’il ne faut pas les généraliser defaçon arbitraire.Pour notre part, nous avons une certainechance. Nous ne nous plaignons pas trop del’organisation parce qu'elle est complètementdifférente de la vôtre. Dès le départ, nous avonsorganisé la transplantation à quatre équipes.Nous disposons donc des forces vives que nousavons élargies à quatre équipes. Quand il n’y apas assez de pneumologues, on demande à l’undes nouveaux pneumologues de s’intéresser à lagreffe. Les réanimateurs sont au nombre desept, tous intéressés par notre démarche. Et cen’est pas nous qui assurons la réanimationparce que nous nous sommes organisés diffé-remment. Cela ne veut pas dire que notre orga-nisation est meilleure. Cela veut dire que nousavons su, dans notre organisation, amortir lescoûts en élargissant la composition de notreéquipe. Votre organisation est excellente,puisque vous obtenez d’excellents résultats.Mais elle présente un défaut qu’elle ne peut pasrésoudre. Ce n’est pas grave, cela veut simple-ment dire qu’il faut travailler sur ce sujet : com-ment faire mieux ?Il ne faut pas se tromper de cible. Nous sommesréunis à propos des donneurs vivants. Je suisd’accord avec Romain Guillemain qui ne veut pasrecourir à des donneurs vivants s’il refuse desdons cadavériques. Cependant, le donneur vivanten transplantation pulmonaire modifierait-il,même dans une situation normale où nous nerefuserions plus de greffons cadavériques, ledevenir des receveurs? C’est là la vraie question.À Los Angeles, cela a modifié le devenir des rece-veurs du fait de la très mauvaise politique enmatière de donneurs en mort encéphalique. Maisdans un certain nombre d’endroits, ils n’en ontpas eu besoin parce qu’ils avaient une excellentepolitique de mort encéphalique et que le bénéficeque donne le donneur vivant, dans ce cas, sesitue à la marge. Engager des difficultés d’orga-nisation pour un gain limité à quelques unitésparaît peu productif en termes globaux.

Dr Romain Guillemain

Je partage totalement cette opinion selonlaquelle nous ne sommes pas organisés commeil le faudrait. C’est une évidence. Le problèmeest que les choses ne peuvent pas évolueractuellement.

Dr Alain Haloun

Vous n’êtes pas représentatifs des problèmesrencontrés en transplantation. Quatre équipesassurent 80 % des transplantations. Vous êtesune équipe parmi les autres. Et vous êtes laseule qui peut faire face, qui n’a pas eu de refusde greffon pour des raisons logistiques. Les troisautres y ont été confrontées.Afin de mieux nous organiser, je suis prêt à faireréaliser un audit externe. Ce serait le meilleurmoyen de savoir ce qu’il faut faire. Je m’engageà analyser cela avec la plus grande attention.Mais quand on a multiplié par quatre ou cinql’activité dans un domaine et que le nombre depersonnes qui s’en occupent a été diminué, ellessont peut-être incapables de s’organiser, maisce n’est pas seulement un problème d’organisa-tion. C’est aussi un problème de moyens ! Cen’est pas parce que vous disposez de moyensque les autres en ont. Je ne peux pas être d’accord avec une telle position.

Pr Jean Navarro

Nous avons d’abord procédé à une analyse desrésultats, avec une discussion sur la valeur deces résultats, les analyses américaines s’avé-rant peut-être trop globales… À moins que vousm’affirmiez qu’on ne constate plus de problèmede don d’organes en France dans le domainepulmonaire, il y a quand même un avantage :celui de programmer l’intervention et donc,théoriquement, de ne plus déplorer de décès de

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patients en liste d’attente. On a beaucoup ana-lysé également tous les accidents possibles chezles donneurs, parce qu’il s’agit d’un problèmeangoissant et qui engage notre responsabilité.Mais nous avons tous été d’accord pour dire quedans la situation actuelle, vous n’êtes plus enmesure de dire que cette technique est licitedans le contexte organisationnel actuel. D’où l’idée d'essayer de définir au mieux les moyensnécessaires pour étayer les groupes qui sont ensituation de pénurie. Quand je vous vois vous suc-céder à deux en permanence, c’est inconcevable.

Pr Dominique Métras

Je voudrais répondre partiellement à JeanNavarro, même si mon propos est un peu éloi-gné de la transplantation avec donneurs vivants.Pour ce qui nous concerne, à Marseille, nouspratiquons environ dix transplantations pulmo-naires dans l’année, adultes et enfants. Je suisextrêmement étonné d’entendre que deux centresaussi importants que ceux de Nantes et del’HEGP ont refusé, pour des raisons dites logis-tiques, sept bons greffons et ont eu cent appelspour transplantation pulmonaire dans l’année.La répartition des appels est peut-être faite defaçon différente… Si des patients décèdent en liste d’attente cheznous, c’est parce qu’il n’y a pas assez de gref-fons. Ne croyez pas que nous ayons suffisam-ment résolu le problème des greffons, aucontraire. Si un appel signale un très bon greffondans une ville et qu’il faut y être dans une heureparce que le donneur est déjà en salle d’opéra-tion, mais qu’on ne peut pas y être, il s’agit effec-tivement d’un problème logistique. Habitant uneville éloignée du Nord de la France, il nous arrived’être confrontés à ces situations, mais je nesuis pas sûr que ce soit un problème logistique.Quand vous parlez de logistique, il s’agit delogistique interne qui vous empêche d’accepterle patient. Pour nous, cela s’est déjà produit pour

le cœur, mais quasiment jamais pour le pou-mon. Et nous n’avons pas autant d’appels quecela. Alors, transmettez-nous les appels, parceque nous, nous viendrons ! Ce n’est pas une plaisanterie, c’est la réalité.Je suis étonné qu’il y ait autant de problèmeslogistiques obligeant à refuser de bons greffonsavec de telles équipes. Nous rencontrons aucontraire le problème de ne pas avoir assez degreffons. On le sait très bien puisqu’en Francemoins de 8 % des greffons des donneurs poten-tiels peuvent avoir un prélèvement pulmonaire.Et ce n’est pas tellement un problème d’organi-sation du ministère de la Santé et de l’EfG, maiscelui des services d’anesthésie et de réanima-tion qui devraient être impliqués de façon plusétroite dans la prise en charge du donneur. Dureste, avec Philippe Despins et Sophie Cohen,nous avions effectué un travail à l’EfG pour ten-ter d’améliorer la situation des donneurs pul-monaires. Mais nos propositions sont restées au stade des vœux pieux qui n’ont été suivisd’aucune réalisation.

Dr Romain Guillemain

Il faut que les choses soient très claires. Nous neconstatons pas un excès de donneurs. Je n’aijamais dit cela, mais simplement que plus lapénurie est importante, plus il faut utiliser lesgreffons, et à bon escient. Simplement, dans latotalité des greffons que j’ai cités, il y a lescœurs, les poumons, les cœurs-poumons ; ce nesont pas que des poumons. Les problèmeslogistiques de durée de trajet, d’organisation, nereprésentent qu’un refus. Encore s’agissait-ild’un patient inscrit pour le foie et un problèmelogistique se posait pour trois équipes.Je partage totalement l’opinion selon laquellenous manquons de donneurs. De toute façon, sinous prélevions les patients qui représentent latotalité des refus logistiques, nous manquerionsencore de donneurs à l'HEGP (nous avons 48

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patients inscrits sur la liste). Raison de pluspour ne pas avoir à refuser ce type de donneurs.Nous avons des problèmes avec des enfants.Toutes les équipes ne pratiquent pas de latransplantation pulmonaire pédiatrique. Jemaintiens qu’il est inadmissible de refuser unpoumon d’enfant. Et vous pouvez dire que vousêtes surpris ; je le suis aussi. C’est pourtant latriste réalité.

Pr Pierre Bonnette

Un commentaire concernant l’équipe de Nantes.Il est un peu choquant de se déplacer à Nantesou à Vannes pour effectuer des prélèvements,surtout quand ils sont un peu limites. Décider deprendre l’avion pour vérifier si le greffon est correct, c’est prendre le risque de ne pas y allerpar crainte qu’il ne soit probablement pas bon.Alors que si vous greffez, il est facile d’aller voirlocalement.

Pr Philippe Despins

Si nous avions les moyens d’aller à Vannes voirun cœur limite, il est évident que nous irions.Nous sommes la plus importante région expor-tatrice de greffons. Nous avons fait un énormeeffort dans cette région pour qu’un certain nom-bre de dispositions soient très précises. Nousavions en particulier été alertés pas un tauxassez bas de propositions. Il y avait de l’autocen-sure. C’est-à-dire qu’on ne nous proposait pas, ily a encore trois ans, le tabagique qui avait fuméune cigarette (je caricature). Nous avons doncremis à plat les critères d’acceptabilité essayantd’éliminer ceux qui donnaient lieu à une auto-censure et à une non-proposition. Et en uneannée le nombre de propositions a doublé. Or, lenombre de transplantations n’a pas doublé pourautant. Pourtant, nous savons transplanter.Encore une fois, je rejoins complètement

Romain Guillemain. Avec une salle d’opérationen plus, quatre lits de soins intensifs, un pneu-mologue et un chirurgien supplémentaires, vousne viendrez probablement plus chercher despoumons dans l’Ouest. Cela ne va pas plus loin.À Nantes, nous faisons 1 200 CEC dans l’année,un nombre important d’assistances circula-toires, de la transplantation pulmonaire et cardiaque. Notre directeur est très sensible à laqualité de la vitrine, mais il n’a pas mis beau-coup de guirlandes à l’intérieur !

Jean Lafond

On peut se demander ce que fait l’associationdans tout cela, pendant ce temps. Nous avonsété alertés assez rapidement par ce phénomènede refus qui nous a fortement interpellés etavons très rapidement mis en place une cellulede crise, Jean Navarro, Sophie Ravilly, ÉvelyneLe Roux et moi-même. Nous avons obtenu des renseignements très précis. Comme nousfaisons confiance à tout le monde, mais quenous ne voulons pas être instrumentalisés, Évelyne Le Roux a établi une grille de question-nement. Nous avons utilisé cette grille pour allervous voir. J’ai accompagné Évelyne une fois oudeux pour contrôler la situation moi aussi. C’estainsi que je suis allé constater la situation à l’hôpital Sainte-Marguerite (Marseille). J’ai observé aussi une situation très contrastée —c’est d’ailleurs ce qui ressort de ce que vousdites — en ce qui concerne les moyens et les difficultés que les centres de transplantationrencontrent. À partir de là, nous nous sommes demandésquoi faire. Un certain nombre de nos adhérentschez qui la révolte et la colère grondent, vou-laient nous pousser à une action immédiate etmédiatique, ce à quoi je me suis refusé. J’aiconvaincu le conseil d’administration de ne pasle faire mais, en revanche, de mettre très rapi-dement en place une stratégie à double étage

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qui consiste, dans un premier temps, à fixer unobjectif à court terme pour pouvoir mettre enplace les moyens dont on peut disposer et, dansun deuxième temps, un objectif à moyen terme.La méthode a consisté à demander tout de suitedes rendez-vous à ceux qui sont concernés,même si nous savions que ce n’est pas l’EfG quidistribue les moyens. Nous avons rencontré sondirecteur général, Didier Houssin, et BernardLoti il y a peu de temps. Didier Houssin est cons-cient des difficultés, même s’il les analyse d’unefaçon un peu moins dure que nous. Bernard Lotiles constate à travers les statistiques. JeanNavarro, de son côté, a œuvré et rencontré ladirectrice générale de l’AP-HP et est intervenuauprès du directeur de l’hôpital européenGeorges-Pompidou. Nous avons d’ailleurs unedeuxième intervention en cours. Mais le but nese limite pas à organiser des rencontres. L’objectif est d’arriver à faire en sorte que, surun nombre de centres de transplantation réduit,tout patient sur liste d’attente puisse un jour êtregreffé dans un délai compatible avec son état desanté. Pour y arriver, nous allons proposer à cegouvernement — parce que tout cela est poli-tique et que les moyens à mettre en place repré-sentent une goutte d'eau par rapport au budgetde la Santé — de faire pour les centres detransplantation ce qui a été réalisé pour lesCentres de ressources et de compétences pourla mucoviscidose (CRCM). C’est-à-dire qu’ilssoient identifiés, labellisés, peu nombreux, maisde qualité. Cela va prendre du temps, mais si onne commence pas un jour, on n’y arrivera pas.Voilà notre stratégie. Je ne vais pas la développer,elle l'a été dans un document d'une dizaine depages.Je terminerai simplement en disant que notreaction porte sur l’ensemble de la chaîne detransplantation. Pas simplement sur la chaînede transplantation elle-même, mais depuis lasensibilisation au don d’organe — peu de publi-cité est faite pour les dons d’organes, de nom-breuses personnes ne sachant pas que l’on

peut donner des poumons —, en passant par le prélèvement, la réanimation, même lourde, lesencouragements financiers qu’il faut mettre enplace de toute évidence… Il faut penser aux rece-veurs, aux donneurs, à toutes les étapes commela préparation à la greffe, la greffe elle-même etle suivi post-greffe. Le Ministre reconnaît quenous bénéficions du concours de « fines lames ».À quoi cela sert-il réellement de greffer dans detrès bonnes conditions si, derrière, on n’est pascapable d’assurer ce suivi ?Les propositions de l’EfG, aussi séduisantessoient-elles, ne nous conviennent pas. Le tempsde la réflexion est à notre avis fini. Le temps del’action est venu. Nos 4 800 adhérents sontmobilisés. Nos dossiers sont prêts. Nous avonsde nombreux sympathisants qui sont prêts àvenir avec nous et nous irons.Je ne dramatise pas la situation, mais nous sen-tons bien qu’elle est compliquée, plus ou moinsgrave selon les points et que, plus on attend,plus elle va s’aggraver. C’est une spirale qui sereferme sur elle-même. Si nous, association,nous ne faisons rien, je crois que je n’oserai plusrentrer chez moi...

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> POSITIONS JURIDIQUES

Le droit et le donneur vivant. Lois de bioéthique ; innovations thérapeutiques p 82• L’exigence de connaissances acquises

• Le prélèvement pulmonaire dans le cadre du soin

• La recherche et le donneur vivant

Dr Roger Mislawski

Discussion p 87• Envisager et mettre en œuvre des procédures rigoureuses

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Dr Roger MislawskiChirurgien, juriste, Université de Cergy-Pontoise

> l’exigence de connaissancesacquises

Les différents exposés de cette journée ontmontré la multiplicité des points de vue sur laquestion de la greffe pulmonaire avec donneurvivant. Cependant au sein de cette diversité, ontrouve une constante, celle de l’information. Ellereprésente une préoccupation de premier planpour tous.L’information tient aussi une place centrale dansle droit de la greffe avec donneur vivant. C’estune question de respect de la dignité des personnes et le seul moyen de permettre que leconsentement à l’acte médical soit donné defaçon libre et éclairée. L’obligation légale d’infor-mation est assez précise comme nous le verrons.Elle est imposée par la société car il y va de l’ordre public.L’information doit refléter l’état des connaissan-ces de la science. Le soin, au sens du Code dedéontologie médicale mais aussi de la loi du 4mars 2002 relative aux droits des malades et à laqualité du système de santé, ne constitue pas unacte quelconque, mais doit correspondre à l’étatdes connaissances acquises au moment du trai-tement. C’est cette même connaissance qui doitservir de base à l’information.Cette exigence de connaissances acquises per-met de distinguer ce qui relève du soin et ce quirelève de la recherche clinique. La loi Huriet-Sérusclat du 20 décembre 1988 relative à la pro-tection des personnes qui se prêtent à desrecherches biomédicales s’applique aussi à lachirurgie. Dans ce dernier cas, il s’agit juste-ment d’acquérir une connaissance pour l’instantincertaine d’un protocole chirurgical.

En suivant les présentations précédentes j’ail’impression que la distinction, au regard de laconnaissance acquise, impose de réfléchir poursavoir si on se situe dans le soin ou la recherche.Il y va de la qualité et de l’éthique de l’informa-tion mais aussi du régime juridique applicable etdes éventuelles sanctions qui en découlent. Siles parents sont bien conscients de l’incertitudedes résultats cela ne se confond pas avec l’incertitude des connaissances. La délimitationde ces deux types d’activités me paraît être unerecherche à entreprendre à l’issue de cet Atelier.Nous verrons donc d’une part les dispositionsconcernant le prélèvement d’organes sur don-neur vivant dans le cadre du soin, puis les règlesapplicables en cas de recherche clinique.

> le prélèvement pulmonairedans le cadre du soin

Il faut envisager d’une part les questions relati-ves à la personne du donneur et d’autre part laquestion du consentement.

La personne du donneur d’organe

La légalité du prélèvement sur un donneurvivant pourrait sembler problématique au regardde l’article 16-3 du Code Civil qui dispose : « Il nepeut être porté atteinte à l’intégrité du corpshumain qu’en cas de nécessité médicale pour lapersonne. » Or le prélèvement en vue du donn’est pas une nécessité pour la personne maisune nécessité pour autrui. Le projet de révisiondes lois bioéthiques a pris cette rédactionimparfaite en compte et envisage une modifica-tion de l’article 16-3 du Code Civil qui lèveraittoute ambiguïté : « Il ne peut être porté atteinte àl’intégrité physique du corps humain qu’en casde nécessité médicale pour la personne ou à

LE DROIT ET LE DONNEUR VIVANT.LOIS DE BIOÉTHIQUE; INNOVATIONS THÉRAPEUTIQUES

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titre exceptionnel dans l’intérêt thérapeutiqued’autrui. »Le Code de la santé publique (CSP) régit cettepratique dans différents articles depuis 1994. Le prélèvement ne peut être effectué que dansl’intérêt thérapeutique direct d’un receveur et lereceveur doit avoir la qualité de père ou mère,fils ou fille, frère ou sœur du donneur (art. L. 1231-1). En cas d’urgence seulement, le don-neur peut être le conjoint.Il faut ajouter une restriction: aucun prélèvementne peut avoir lieu sur un mineur ou sur une per-sonne majeure ayant fait l’objet d’une mesure deprotection légale (art. L. 1231-2).Le fondement de ces dispositions oscille entre l’éthique et le biologique. La parenté permetd’espérer une meilleure compatibilité tissulaireet la limitation du cercle des donneurs à la familleévite le risque de commercialisation qui pourraitapparaître si celui-ci était largement ouvert.Ce cercle paraît cependant un peu étroit et leprojet de révision de la loi relative à la bioéthiqueenvisage de l’agrandir avec prudence, suite auxavis concordants sur ce point du Conseil d’Étatdans son rapport du 25 novembre 1999, duComité consultatif national d’éthique (CCNE,avis du 25 juin 1998) et de l’Académie nationalede médecine. Il n’y a cependant pas de consen-sus sur l’importance de cette ouverture. Dans leprojet de loi modifié par le Sénat, n° 593, déposéle 3 février 2003 il est proposé la modificationsuivante du CSP (Art. L. 1231-1) : « (...) Le don-neur doit avoir la qualité de père ou mère, de filsou fille, de frère ou sœur, ou de conjoint du rece-veur. Par dérogation au premier alinéa, peuventêtre autorisés à se prêter à un prélèvement d'organe dans l'intérêt thérapeutique direct d'unreceveur les grands-parents, les oncles ou lestantes, les cousins germains et les cousinesgermaines du receveur ainsi que le conjoint dupère ou de la mère du receveur. Le donneur peutégalement être toute personne apportant lapreuve d'une vie commune d'au moins deux ansavec le receveur. »

Au regard des législations européennes laFrance présente la conception la plus restrictivede la catégorie des donneurs vivants potentiels.Nous citerons quelques cas où la législation faitdéjà abstraction du lien de parenté en Europe.La Convention européenne sur les droits del’homme et la bio-médecine (Oviedo, 1996) estplus souple. Elle ne fait pas allusion à un lien deparenté mais impose que cette éventualité soitsubsidiaire par rapport au prélèvement surcadavre ou à une autre méthode.Le Protocole additionnel à la Conventiond’Oviedo (8 novembre 2001) précise le contenudu texte initial en vue de favoriser le don entreindividus non apparentés mais insiste sur lecontrôle qui est dévolu au pays. Le donneurvivant potentiel n’est pas obligatoirement appa-renté mais en l’absence de liens des dispositionslégales protectrices doivent être prévues ainsiqu’une instance indépendante appropriée.En Belgique, la loi autorise un prélèvement surun donneur vivant à partir de l’âge de 18 ans si lesujet est capable de fait ou de droit, sans exigerde lien familial. En cas de « prélèvement avecconséquences graves » le don est restreint auxsituations d’urgence pour le receveur et ce enl’absence d’alternative. Le consentement duconjoint est exigé. En Suisse, la possibilité d’être donneur est tota-lement ouverte. En ce qui concerne le cas desmajeurs incapables ou des mineurs, un lien deparenté entre receveur et donneur est exigé. En Grande-Bretagne, le don est possible avec ousans lien de parenté. En cas de non-apparente-ment, il faut recourir à une autorité spécifiquel’Ultra (Unrelated Live Transplant RegulatoryAuthority). Dans ce cas, après un bilan de santéet de compatibilité du receveur et une évaluationpar un spécialiste indépendant, une personnepeut être retenue pour le don. L’Ultra examine ledossier et veille à la protection du donneur.

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Le consentement et le donneur vivant

La dimension éthique du consentement ne peutêtre écartée. Dans le cas des donneurs vivants, ils’agit de consentir pour un tiers. L’intérêt dutiers et celui du donneur ne sont pas identiqueset l’intérêt du donneur est lui-même double —préoccupation de sa conservation et désir debienfaisance. Il s’agit de concilier ces intérêtsmais aussi de protéger le donneur contre lerisque excessif de la bienveillance.On ne peut bien sur admettre l’exercice d’un droitd’une personne sur une autre ou un droit de lasociété sur le corps d’un de ses membres, mêmepour sauver un malade. Cependant chacun res-sent la solidarité entre les citoyens lorsque lascience semble apporter une possibilité de traite-ment dans des maladies fatales. Il a donc été nécessaire de prendre en compte cesintérêts divergents sans poser un interdit ni undevoir. L’autonomie de la personne est essentielle.Et la question du consentement s’avère donc pri-mordiale dans cette recherche de l’équilibre.C’est sur la base de ces principes que le droit duprélèvement sur donneur vivant s’est construitet qu’un avis du CCNE du 13 décembre 2001 aprolongé le questionnement. Parmi les diffé-rentes réflexions présentées, le CCNE préconised’aborder assez précocement la question avecles donneurs potentiels afin d’éviter les déci-sions en urgence et de renforcer l’information.Le CSP dans son article L. 1231-1 alinéa 3dispose : « le donneur préalablement informédes risques qu’il encourt et des conséquenceséventuelles du prélèvement, doit exprimer sonconsentement devant le président du Tribunal de grande instance (TGI). En cas d’urgence, leconsentement est recueilli par tout moyen par leprocureur de la République. Ce consentementest révocable à tout moment et sans forme. » Le contenu de l’information doit être très com-plet afin que le consentement soit éclairé et réel.Il faut donc faire connaître au donneur potentielles risques fréquents ou graves normalement

prévisibles, les conséquences pour le donneurau plan médical mais aussi d’un point de vuesocial et familial, les résultats attendus pour lereceveur, les alternatives, le degré d’urgence.L’information est renforcée par une obligation deconseil de la part du praticien. L’information doitêtre adaptée dans tous les cas au patient.Le consentement doit être éclairé mais aussilibre. La liberté est exclue en cas de violence quipeut avoir plusieurs sources. Il peut s’agir depressions familiales comme les psychologuesnous en ont rapporté des exemples. Ce peut êtreune pression sociale : l’individu libre isolé de toutenvironnement n’existe pas. Ainsi son choixest–il toujours plus ou moins influencé par l’opi-nion publique qui est changeante et façonnable.L’information publique sur la greffe ainsi que surd’autres questions de santé par les médias estd’un grand poids dans les choix individuels.Pression des médecins enfin : la qualité de l’information et la manière dont elle est présen-tée peuvent avoir un impact décisif sur leconsentement. Faire savoir peut déjà repré-senter une pression et les familles d’enfantsatteints de la mucoviscidose ont bien formulécette question en affirmant que ce n’est pas auxmédecins de prendre l’initiative de parler decette possibilité thérapeutique.On peut probablement améliorer la neutralité etl’objectivité de l’information au regard de la pro-tection de la personne en recourant à des tiersétrangers à la réalisation de la greffe. Ainsi leprojet de révision des lois bioéthiques envisaged’instituer un comité d’experts au côté du jugepour tout prélèvement sur donneur vivant. Lecomité se prononcerait sur le respect des princi-pes généraux et sur la justification médicale del’opération en ayant accès aux informationsdétenues par les praticiens.

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> la recherche et le donneur vivant

Les essais de recherches sur la personnehumaine sont soumis aux dispositions de la loidu 20 décembre 1988 dite loi Huriet-Sérusclat(CSP, art. 1121-1 et suivants).L’article 1110-5 du CSP dispose que « toute per-sonne a le droit de recevoir les soins les plusappropriés et de bénéficier des thérapeutiquesdont l’efficacité est reconnue et qui garantissentla meilleure sécurité sanitaire au regard desconnaissances médicales avérées. »Un protocole de greffe peut donc relever de la loide 1988 si on sort de l’« état des connaissancesacquises », si on cherche à améliorer lesconnaissances biologiques ou médicales (art. L. 1121-1 du CSP). On distingue les recherchesavec bénéfice direct pour la personne qui s’yprête et celles sans bénéfice. La recherche peut donc concerner aussi bien lereceveur si on utilise un nouveau protocole, quele donneur si on ne connaît pas bien les consé-quences de l’acte ou que l’on essaie une nouvelletechnique de prélèvement. La démarcation entrece qui est connu et ce qui relève de l’essai n’estpas toujours nette dans le domaine de la greffe.On doit distinguer le promoteur qui prend l’ini-tiative de la recherche et est donc soumis à uneobligation d’assurance pour couvrir les domma-ges liés à l’essai et l’investigateur : celui quiréalise le protocole.Un principe général est posé par l’article L. 1121-2 du CSP : aucune recherche ne peutêtre entreprise si le risque prévisible encourupar les personnes qui se prêtent à la rechercheest hors de proportion avec le bénéficeescompté pour ces personnes ou l’intérêt decette recherche. Aucune recherche ne peut êtreentreprise si elle ne se fonde pas sur le dernierétat des connaissances scientifiques et sur uneexpérimentation pré-clinique suffisante.La protection de la personne est assurée à traversun organisme spécifique qui s’assure du respect

des règles et une procédure particulière pour laréalisation de l’essai. La protection de la personne est assurée par leComité consultatif de protection des personnesdans la recherche biomédicale (CCPPRB). Danschaque région est mis en place un CCPPRB (art.L. 1123-1 du CSP). Avant de réaliser un protocolede recherche l’investigateur soumet le projet pouravis au CCPPRB et envoie une lettre d’intentionau ministère de la Santé, à l’AFSSAP avec l’avis duCCPPRB (art. L. 1123-8) et à l’EfG. Les recherchesne peuvent être mises en route qu’après autori-sation du ministre de la Santé. Intervient donc uncontrôle du protocole qui doit être formalisé. Unessai multicentrique est possible.En cas d’incident grave, l’investigateur doit aver-tir l’autorité administrative qui peut suspendrel’essai. De telle sorte que s’imposent unetransparence et un suivi du déroulement desessais. La protection de la personne est assurée par unprincipe de proportionnalité selon le bénéficeattendu pour elle ou la recherche. Il est certainque, dans le cadre qui nous intéresse, le critèrede proportionnalité doit être repensé et doitinclure non seulement des éléments concernantle receveur mais aussi des critères relatifs audonneur et à son environnement socio-familial.Le site d’expérimentation doit bénéficier d’uneautorisation administrative si la recherche neprésente pas de bénéfice direct pour la personne(article L. 1124-6), ce qui constitue une garantiede sécurité pour le donneur. Enfin une prise encharge est prévue en cas de dommage de pleindroit par le promoteur ce qui n’existe pas pour lesoin.On retrouve la question du consentement de la

personne : il est formalisé par écrit après infor-mation résumée dans un document écrit (art. L.1122-1) et des sanctions pénales en l’absence derespect des dispositions sont prévues, en parti-culier si l’essai a été réalisé sans le consente-ment de la personne.On constate donc qu’une assez grande place,

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aussi bien dans la recherche que dans le soin,est laissée à la relation interpersonnelle et auconsentement. Mais les manquements à ces exi-gences éthiques peuvent être sanctionnés et ris-queraient d’inciter le législateur à édicter desnormes plus restrictives ou plus contraignantes.

© Pierre Michaud

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> envisager et mettre enœuvre des procéduresrigoureuses

Dr Sophie CohenÉtablissement français des Greffes

Les personnes affectivement liées de façondurable pourront donc faire partie des don-neurs ? J’avais pourtant le sentiment qu’on allaitrevenir un peu en arrière sur cette question,notamment au vu des amendements demandés…

Dr Roger Mislawski

Il y aura peut-être un retour. Peut-être reste-rons-nous à un statu quo. La seule différence,puisque les lois vont être discutées, sera peut-être simplement l'extension au conjoint endehors de l’urgence. Il n’y aura peut-être pasd’élargissement.On a l’impression, sur l’ensemble des lois debioéthique, que le changement ne sera peut-êtrepas aussi important. La même chose se produitdans la discussion sur les cellules souches.Dans le projet de janvier 2002, les cellules sou-ches étaient autorisées ; le blastocyste entraitdans le Code civil et dans le Code de santépublique ; le clonage thérapeutique allait êtreautorisé. Tout cela semblait absolument acquis.Tellement acquis que le ministre de laRecherche, Roger-Gérard Schwartzenberg,juste avant le changement de gouvernement,avait autorisé l’importation de cellules souchesvenant de Nouvelle-Zélande et d’Australie pen-sant que la disposition allait être votée. Uneaction a été finalement entreprise devant leConseil d’État, lequel a considéré qu’il s’agissaitd’une violation de la loi et l’a suspendu. Il n’estdonc pas sûr, contrairement à ce que l’on pou-vait penser, que la législation des lois de bio-éthique va être plus ouverte que ce qu’elle a étéjusqu’à présent.

Dr Sophie Cohen

J’avais l’impression aussi qu’on allait donneraux comités d’experts un pouvoir important, entout cas beaucoup plus que celui qui est en placeaujourd’hui pour les greffes de moelle, notam-ment la possibilité de refuser sans motivation.

Dr Roger Mislawski

C’est la question des tiers, de l’indépendanced’une information qui n’est pas obligatoirementmonopolisée. Ces tiers sont effectivement inves-tis d’un pouvoir et le magistrat peut déléguer.C’est l’homologation d’un acte qui est d’unegrande solennité. Il est garant et peut déléguer àce comité d’experts — alors qu’il était privé ducontrôle de la qualité d’information et même dela justification de l’intervention, de la greffe — lesoin de mener une enquête et d’accéder au dos-sier. C’est un pouvoir inquisitorial et de décisionqui est donné. Et la décision sera celle du comitéd’experts. C’est un changement radical.

Pr Dominique Métras

Le recours aux cousins, oncles et tantes en vued’un prélèvement n’est pas autorisé pour l’ins-tant. Seront-ils considérés comme des person-nes liées ? Il arrive de temps à autre qu’unemère demande de donner un organe à sa sœur.

Dr Roger Mislawski

Ce n’est pas légal. Dans certains articles publiésdans la presse, il semblait que le ministère avaitautorisé une dérogation, mais cela constitue unexcès de pouvoir. Il n’a pas le pouvoir législatif etcette mesure est illégale. De même que l’impor-tation de cellules souches est un excès de pou-voir, autoriser une dérogation à la loi de la part

DISCUSSION

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de quelqu’un qui n’a qu’un pouvoir réglemen-taire est aussi un acte entaché d’illégalité.

Pr Dominique Métras

Ce sera élargi à des personnes considéréescomme liées affectivement. Une tante qui veutdonner un rein, par exemple, le pourra.Une question aux représentants de l’EfG: desprotocoles relevant de la loi Huriet-Sérusclat ont-ils été déposés en matière de greffe pulmonaire?

Dr Sophie Cohen

Pas à ma connaissance. Mais je pense qu’ilspourraient relever de cette législation.

Pr Jean Navarro

Je suis un peu partagé. On ne peut pas exagérer.Même si on exprime une certaine suspicion à l’égard des résultats présentés par lesAméricains, on ne peut pas non plus dire quetout est à jeter. Je connais bien cela dans unnouveau rôle que j’occupe à l’Assistancepublique - Hôpitaux de Paris : quelle est la partde l’innovation et celle de la mise en pratique ?On est à la frontière. Pour avoir connu la situationen tant que médecin expérimentateur, j’ai desinquiétudes. Si on se lance dans des procéduresrelevant de la loi du 20 décembre 1988, on va ygagner un avantage sur le plan juridique, unavantage sur le plan de la reconnaissance despatients — parce que j’ai découvert avec horreurla non-prise en charge et ce qui incombe à l’éta-blissement. On peut imaginer ce qui se passeraitsi un jour un parent mourait, avec les suitesmajeures que cela induirait. Ma crainte est quel’on soit alors confrontés à de grandes difficul-tés. Je ne vois même pas comment on pourraitprésenter la prise en charge, sous forme d’un

essai clinique relevant de la loi Huriet-Sérusclat,dans le domaine de cette chirurgie.Ce que vous avez dit m’a beaucoup frappé. Dansla chirurgie des greffes, la période d’installationet de mise au point est continue. La chirurgie detransplantation pulmonaire ordinaire a évoluéde façon considérable. À posteriori, on pourraitla reprendre en disant que tant qu’elle a évolué,c’était de la recherche clinique. À la limite, enFrance, toute transplantation à ses débuts auraitdû relever de la loi Huriet-Sérusclat.

Dr Roger Mislawski

Cela n’existe pas et c'est peut-être heureux.Bien sûr, cela pose un problème. Il n’y a pasénormément de greffes et cette question neconcerne pas des dizaines de personnes. Celapermettrait de centraliser globalement, puis-qu’il peut y avoir un promoteur et une pluralitéd’investigateurs, ce qui est très intéressant.C'est par ailleurs le gage d'un certain nombre degaranties : tout le monde serait obligé de faireles mêmes choses, ce qui permettrait de lesrendre exploitables — alors qu’on a plutôt l’im-pression que tout le monde ne fait pas vraimentla même chose.

Pr Jean Navarro

Vous présentez un argument très fort en faveurde la loi Huriet-Sérusclat. Au-delà de positionséthiques à proprement parler, l'un de nos soucisest bien de parvenir également à des protocolesextrêmement identiques sur la façon dont onchoisit, sur les conditions de réalisation, sur lesconditions à écarter pour éviter tout sentimentd’improvisation.

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Dr Roger Mislawski

Il faut que les pratiques soient comparables. Ladirective européenne d’avril 1981, relative auxessais cliniques, tend justement à proposer uneharmonisation et à mettre en place un systèmetel que tous les essais soient centralisés, aientdes protocoles identiques, les mêmes critèresd’inclusion et d’exclusion, cela au niveau euro-péen. Il s’agit d’une manière d’éviter que chacunfasse de petits essais bricolés dont il ne peut pastirer de conséquences parce qu’il n’y a pas assezde personnes inclues. Là, au contraire, on peutavoir une population à l’échelle européenne, cequi permet d’aller beaucoup plus vite poursavoir et sortir de cette impression d’incertitude.Que l’on mette ou non en doute le protocoleaméricain, on ne peut pas dire pour autant quel’on soit sûr. Or, si l'on n’est pas sûr, il faut établir une connaissance. S’il faut établir uneconnaissance, alors on se situe dans le cadre dela loi Huriet-Sérusclat. S'il y a quelque chose quel’on ignore, que l’on ne maîtrise pas, éthiquementet légalement cela n’est pas acceptable.

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Pr Emmanuel HirschDirecteur de l’Espace éthique AP-HP et du Département de recherches en éthiquesParis 11 / AP-HP

> l’interface du refusOn l’a constaté au cours de cet Atelier deréflexion, les questions d’ordre éthique relativesà la transplantation pulmonaire avec donneursvivants nous incitent à interroger la valeur scien-tifique, la signification et l’impact social desdispositifs d’innovation thérapeutique mis enœuvre dans un tel contexte.Nombre des questions liées aux pratiques médi-cales suscitent aujourd’hui des débats desociété. Dispose-t-on de médiations suffisam-ment pondérées et pédagogiques pour enrichirnotre démocratie de la richesse d'une réflexionargumentée ? Force est d'admettre que tropsouvent le sentiment, l'opinion approximative,l'idéologie de circonstance contribuent à falsi-fier, voire à pervertir ce à quoi pourrait viser unedélibération de qualité. C'est de la sorte qu'émergent et se rigidifient des zones d'impré-cision, d'indétermination qui affectent nos prin-cipes, entament nos convictions, bouleversentnos valeurs et nos références. À quelle vision, àquelle perception de la personne humaine noussoumettent certaines expérimentations présen-tées comme des avancées, des performances,mais que l'on peut pourtant interpréter commeautant d'atteintes à ce qui est constitutif de nosprincipes de dignité, de respect — à des pra-tiques d’exception ? Je pense à certaines expéri-

mentations thérapeutiques dans le champs dudéveloppement de nouvelles molécules ou detechniques chirurgicales.Aux conditions d'une éthique de la rigueur, de laprudence, du discernement sont désormaisopposés les états de fait, les effets d’annonce quiimposent leurs logiques, règles et affectent lesmentalités du soin. Le praticien hospitalier est dans bien des cir-constances un chercheur. On l'investit d'unemission relevant d'une requête quasi métaphy-sique. Préserver l'homme de ce qui l'humanisepar trop : ses souffrances, ses déficits, sespeurs, sa mortalité ! Maintenir sa qualité de vieet satisfaire à son désir de longévité. Commentrésister, dès lors, aux droits et prérogatives de lascience, aux logiques et pratiques qu'elleinstaure ?Je n'éprouve aucun préjugé à l’égard des cher-cheurs qui, du reste, ne manquent jamais de sol-liciter la société à travers sa représentationparlementaire, afin que soient proposés desrepères et édictées des règles qui encadreraientleurs pratiques. Le législateur nous a notam-ment doté de la loi du 20 décembre 1988 relativeà la protection des personnes qui se prêtent àdes recherches biomédicales ainsi que des loisdites de bioéthique du 29 juillet 1994, conscienttoutefois que l'évolution des pratiques, l’absencede normes internationales effectivement parta-gées, la compétitivité des équipes de rechercheet des firmes pharmaceutiques, ne permettaienten rien de déterminer des règles intangibles,voire applicables en toutes circonstances. Lesdébats relatifs à l’usage des cellules souchesembryonnaires ou au clonage s’avèrent, de ce

> CONCLUSION

ÉTHIQUE ET INNOVATION THÉRAPEUTIQUE1

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point de vue, éloquents. Cela explique en grandepartie les lenteurs intervenues dans la révisiondes lois de bioéthique, initialement prévues cinqannées après leur promulgation. On ne peut quedifficilement contrer les évolutions biomédicales,d'autant plus lorsque leur est conférée une fonc-tion sociale qui légitime les audaces, les trans-gressions, voire qui les sollicite. L’ « heuristiquede la peur » proposée par Hans Jonas n’affecteen rien les dogmes de la rentabilité scientifique. Il conviendrait de développer une pédagogie dela lucidité et du discernement, soucieuse desusciter l’émergence d’une citoyenneté active etresponsable associant les membres de lasociété aux options qui la concerne. S'imposentdès lors de nouveaux espaces de médiation quipuissent favoriser une délibération de qualité parune confrontation d'arguments fondés, digned'une démocratie moderne. Communiquer c'estmettre en commun, réinstaurer des médiationsqui permettent à la relation de se reconstituer etde circuler dans le cadre d'un rapport, d'unéchange. Quel plus juste signe de solidarité etd'humanité que de se manifester à l'autre danscette relation de soutien à laquelle nous renvoieune conception éthique du soin ? À sa façon, etdans son domaine de compétence, l'Espaceéthique AP-HP constitue à la fois un lieu demédiation et, pour certains, l'interface du refus.Cette rencontre organisée avec l’associationVaincre la Mucoviscidose en témoigne.

> de l’inédit à l’innovantAuprès des différents intervenants impliquésdans les domaines de la recherche biomédicale,j’ai compris que le champ de l’innovation biomé-dicale justifiait une attention spécifique tant ilaccentuait dépendances et fragilités. On ne peutse satisfaire d’un discours faussement rassu-rant, séducteur ou par trop idéologisé, quelleque soit notre considération à l’égard d’évolu-tions qui peuvent contribuer au bien-être des

personnes malades. Dans les domaines de la santé, les équilibressont précaires, d'autant plus en ces temps où lafonction du médecin semble nécessairementrelever non seulement de ses compétencesscientifiques, mais plus encore de ses capacitésd'innovation, d'invention de concepts inéditssusceptibles de ramener la destinée humaine àdes procédures et protocoles qui en assureraientune certaine maîtrise. La déontologie du méde-cin a ses propres règles qui prévalent sur lesconsidérations strictement techniques, de tellesorte qu’il convient d’apprécier ce qu’il en est dela rigueur scientifique d’une expérimentationthérapeutique dans le contexte du soin. Les bon-nes pratiques du chercheur et son propos peu-vent différer des obligations du médecin àl’égard de son malade — une confusion des gen-res peut parfois susciter des ambiguïtés préjudi-ciables à son intérêt direct. Les pré-requis d’unessai, les exigences méthodologiques requisespour l’inclusion dans une cohorte expérimentalerelevant de règles générales peuvent susciterdes dilemmes. Dans un contexte de compétiti-vité internationale, de performances financières,les grands principes résistent mal aux contrain-tes et plus encore aux principes d’une éthique de la recherche biomédicale. Promue parl’Association médicale mondiale, la Déclarationd’Helsinki2 ne stipule-t-elle pas pourtant dansson article 5 que « Dans la recherche médicalesur les sujets humains, les intérêts de la scienceet de la société ne doivent jamais prévaloir sur lebien-être du sujet » ? Le sujet de la recherchen’est-il pas parfois dépossédé de son éminentstatut de personne au nom d’intérêts estiméssupérieurs ? L’éthique biomédicale ne se voit-elle pas ainsi réduite à une fonction de substitut,de caution atténuant les dernières inquiétudes ?Abordons plus spécifiquement — à titre d’appro-fondissement — les enjeux éthiques de l’innova-tion thérapeutique. Ils nous confrontent toutd’abord à la question que suscite la prise encompte de l’intérêt direct de la personne

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susceptible de bénéficier d’un traitement inno-vant. « Innover ne va pas sans risque. Le risquejusqu’où ? Le risque admis par qui ? » Cette posi-tion de Georges Canguilhem3 interroge les pra-tiques médicales dès lors qu’elles exposent leprofessionnel au devoir d’évaluer la pertinenceet les conséquences possibles de son action. Lesintérêts ou avantages de la personne peuvents’avérer moindres que l’attrait d’une connais-sance, quand bien même elle serait susceptible,à terme, de bénéficier à d’autres malades. On yperçoit les difficultés d’un raisonnement posédans le cadre de considérations plus généralesqu’individuelles, ce qui se retrouve dans certai-nes décisions de santé publique, de sécuritésanitaire.En matière de thérapeutiques innovantes, l’approche éthique limite trop souvent sonchamp de discussion aux notions du possible etdu permis. En ce domaine, il me semblerait toutautant justifié de traiter du souhaitable, voire dupréférable, dans un contexte caractérisé par desdilemmes trop souvent réduits à l’audace despratiques, pour ne pas reprendre le terme quiconvient : celui de tentative. Le cumul et l’intensification des évolutions inter-venant notamment dans le champ des sciencesdu vivant mettent à mal notre système de réfé-rences. Nous y sommes d’autant plus sensiblesqu’elles touchent à la santé de l’homme. Cesavancées que l’on présente trop souvent porteu-ses des plus hautes promesses et comme autantde défis portés à la fatalité trouvent leur placedans notre vie sociale, dans nos représentationset nos mythes modernes — à un point tel qu’ons’en remet à leurs performances pour nousassurer un devenir à la mesure d’attentes etd’espérances d’autant plus fortes qu’elles sem-blent illimitées.On l’aura compris, il paraît à bien des égardsimmoral de soumettre des pratiques souventinédites à une délibération affranchie d’inextrica-bles contingences. La critique semble indécente,inappropriée, inéthique… Seul le principe de

précaution saurait désormais imposer un mini-mum de pondération là où l’approche éthiques’avère difficilement recevable, avec les consé-quences péjoratives que l’on constate parfois parson recours en toutes circonstances.S’agit-il alors de nous satisfaire de ces espacesd’exception inaccessibles à la moindre mise encause, ou ne convient-il pas plutôt de ramenerces pratiques aux conditions plus habituellesdes pratiques médicales ? Une telle question mesemble d’autant plus déterminante que biensouvent les personnes malades, elles-mêmes,revendiquent comme un droit la possibilité d’accéder à des traitements expérimentaux, ycompris en affirmant le choix d’être considéréeset traitées comme des cobayes. Ne s’agit-il pasde tout tenter, de tout oser, faute d’une alterna-tive thérapeutique ? Les médecins sont ainsiconfrontés à ces circonstances qu’il paraîtinconséquent d’apprécier, voire de juger à dis-tance, tant elles s’avèrent douloureuses et com-plexes. À quelles références recourir pour éviterque la compassion compromette le sens mêmeet la teneur de la relation de soin, ou que la personne malade éprouve le sentiment d’être enquelque sorte abandonnée, révoquée dans sondroit d’accéder à un traitement ?Je considère que le préambule du premier Codede déontologie médicale édicté en avril 19414 estsusceptible de proposer un repérage adéquat,dans la mesure où il consacre la notion d’indé-pendance professionnelle dans la complexité deses significations : « Le médecin est au servicedes malades ; c'est un service sacré. Il doit l'assurer en toutes circonstances, même au prixde son propre intérêt et au risque de sa vie. Ildoit garder le sens de la responsabilité socialeet ne jamais aliéner son indépendance profes-sionnelle. Par la dignité de sa vie, il doit fairerespecter en sa personne la médecine toutentière. » Cette intégrité du praticien, qui relèvepour beaucoup de son souci éthique, touche à safaculté de préserver sa liberté au regard de toutesformes de contingences — ce que l’on retrouve

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de manière constante, certes parfois discutable,dans les textes de morale médicale. Leslogiques de l’innovation médicale mettent encause l’espace de liberté et donc la faculté dejugement critique qu’il convient de préserverdans la relation de soin. C’est là où elles éclai-rent une réflexion qui touche essentiellement àla liberté de la personne.Entre les effets d’annonce de thérapies innovan-tes et l’évaluation de celles qui ont effectivementinnové, la distance demeure impressionnante, etpour les personnes directement concernées elles’avère décevante. Cela suscite fort paradoxale-ment le doute, la méfiance et parfois mêmel’hostilité de notre société à l’égard d’une com-munauté scientifique qui semble promettre plusqu’elle ne peut et — on peut se le demander —qu’elle ne devrait. Il en est même pour estimerque certaines de ses interventions menacentdavantage qu’elles ne restaurent, protégent ousoignent.À eux seuls, l’inédit et l’innovation ne sauraienten aucun cas constituer l’indice d’une perti-nence ou d’une légitimité, quand bien mêmenous ne serions épris que par ce qui nous donneune impression de nouveau, d’inattendu, d’inespéré, voire d’impensable.Se constitue dès lors un espace dévolu etcomme livré à des pratiques affranchies de touteconsidération autre que méthodologique — ellesvisent essentiellement à une maximalisation dela productivité scientifique dans un contexted’urgence qui justifierait tout. Il semble dès lorsinconvenant d’y implanter une réflexion tou-chant aux principes de la responsabilité et auxvaleurs constitutives de l’idée d’humanité, d’au-tant plus lorsque nous manquent des conceptsqui permettraient véritablement de les penser.Ces tentatives se parent, de surcroît, des vertusde la bienveillance et de la bienfaisance, là oùles détresses humaines et les souffrances nousincitent à y chercher l’issue, le traitement jusqu’alors improbable. C’est donc en termes dedignité, de droit et de justice que les personnes

revendiquent le bénéfice escompté d’innovationsmédicales susceptibles de leur permettre desurmonter un mal jusqu’alors incurable.Thérapeutiques innovantes pour qui et pour quoi?Quelle en est la fin et quel bénéfice nous procu-rent-elles ? Entre acquisition des savoirs etsagesse pratique, la distance n’a jamais étéaussi inquiétante. Comment concilier les impéra-tifs de la connaissance avec la nécessité d’enaccompagner et d’en pondérer les procéduresdans un contexte qui accentue les incertitudes? Lamesure et même la rigueur sont-elles tolérablesquand semblent s’imposer, en dernier recours, lapréconisation des traitements dits compassion-nels que l’on prodigue aux malades pour lesquelsaucune thérapeutique n’est efficace?

> la valeur de l’innovationUne fois énoncés, ces quelques considérationsne sauraient en aucun cas nous inciter à neconsidérer la valeur et l’intérêt de l’innovationmédicale qu’à l’aune d’une critique générale forcément discutable. Depuis ses premierstemps, la médecine s’affirme dans la force et lecourage d’une imagination, d’une créativité,d’une inventivité directement ou non au servicede la personne malade. Cette démarche s’inscritdans une constante contestation de la fatalité oude conceptions sans fondements. Elle nous apermis de gagner en liberté, en autonomie, enconnaissances et ainsi en capacité d’influer surnotre destinée.Toutefois, la santé de la personne demeuredepuis toujours la référence supérieure qui jus-tifie, oriente et encadre l’intervention médicale.À ce propos, les Principes d’éthique médicaleeuropéenne5 se situent dans la continuité de lamorale hippocratique : « Dans l’exercice de saprofession, le médecin s’engage à donner lapriorité aux intérêts de santé du malade. Lemédecin ne peut utiliser ses connaissances professionnelles que pour améliorer ou maintenir

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la santé de ceux qui se confient à lui, à leurdemande ; en aucun cas il ne peut agir à leurdétriment. »Lorsque le médecin est forcément confronté auxdevoirs du soin de la personne et à la nécessitéde s’investir dans une recherche scientifique auxobjectifs plus généraux, comment parvient-il àpréserver les équilibres que lui impose la déon-tologie médicale ? : « Le médecin, au service del’individu et de la santé publique, exerce sa mis-sion dans le respect de la vie humaine, de lapersonne et de sa dignité. (…)6» Il convient donc de s’interroger sur la définitionmême de l’innovation médicale. Intervient-elledans le champ d’une pratique raisonnée ou plu-tôt dans celui de l’expérimentation ? Certainesinnovations sont-elles plus justifiées que d’aut-res, notamment en situations d’urgence et d’im-passe thérapeutique ? L’innovation chirurgicalerelève-t-elle des mêmes pré-requis que ceux quiconcernent l’accès à de nouvelles molécules7 ?Certaines innovations peuvent-elles être expéri-mentées alors que l’on dispose déjà d’approchesdûment validées et qu’elles peuvent exposer lapersonne à des risques évitables ? De quellemanière et avec quels instruments établir lavaleur, la pertinence et le sens d’une innovation?À cet égard, le Code de Nuremberg8 fixe deslignes de conduite intangibles qui peuvent éclairercertaines situations : « (…) L’expérience doitavoir des résultats pratiques pour le bien de lasociété impossibles à obtenir par d’autresmoyens : elle ne doit pas pratiquer au hasard, etsans nécessité. (…) On doit faire en sorte d’écarterdu sujet expérimental toute éventualité, si mincesoit-elle, susceptible de provoquer des blessures,l’invalidité ou la mort. (…) »D’autres points justifient notre attention.Comment et en se fixant quelles règles, sollici-ter le consentement de la personne pour soninclusion dans une procédure innovante ?Quelles informations communiquer sans dissi-muler les incertitudes et les aléas, voire leseffets préjudiciables ? L’article n° 2 du Rapport

du 14 septembre 1998 élaboré par le Comitéconsultatif national d’éthique9 insiste sur cepoint : « Les principes qui sous-tendent larecherche de consentement des malades auxsoins médicaux ou à la recherche sont lesmêmes (respect de la liberté du patient) et ilsmènent vers le même objectif : la responsabilitéet la confiance partagées entre deux partenaireségalement autonomes, le malade et le médecin.»Responsabilité et confiance semblent parfaite-ment définir ce que signifie un consentement —cette délégation conditionnelle de responsabilitéqui doit s’exercer au seul service de la personnemalade.Le principe de précaution et la judiciarisationdes pratiques sont-ils conciliables aujourd’huiavec les exigences de ce que serait une éthiquede l’innovation dans le champ du soin ?A priori, l’innovation médicale me sembleincluse dans le champ de la recherche médicale.Elle trouve à la fois sa justification et ses limitesdans sa capacité de se développer dans un cadrestrictement déterminé qui respecte la personnedans ses droits et ses intérêts propres. Elle doitconcilier le service de la personne malade et lesenjeux d’un gain en savoirs applicables à lasanté de tous.La Déclaration sur les droits du patient10 nousouvre à une dimension parfois négligée de nosobligations professionnelles qui engage à mieuxdéfinir les règles qui s’imposent dans uncontexte expérimental : « (…) Dans le cadre de larecherche biomédicale portant sur des person-nes humaines — y compris la recherche biomé-dicale non-thérapeutique — le sujet peutprétendre aux mêmes droits et à la même atten-tion qu’un patient dans une situation thérapeu-tique normale. » C’est dire que l’innovation nesaurait autoriser une pratique d’exception. Aucontraire, par son caractère très spécifique elleimpose des dispositifs rigoureux susceptiblesd’éviter la moindre dérive.L’innovation médicale ne constitue donc pas un ter-ritoire livré aux seules logiques de la recherche,

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que certains considéreraient affranchies desprincipes de la déontologie. Au contraire, ellesoumet les professionnels aux obligationscumulées de l’éthique médicale et de l’éthiquede la recherche. L’exigence éthique se situe danscette mise en commun des valeurs de nature àpréserver la personne d’excès préjudiciables àses intérêts, tout en lui permettant de bénéficierde traitements qui pourraient favoriser son étatde santé. C’est du reste ce qu’affirme le Conseilpour les organisations internationales dessciences médicales dans une résolution adoptéeavec l’Oms en 1993 : « Toute recherche concer-nant des sujets humains devrait être menéeconformément à trois principes éthiques fonda-mentaux, c'est-à-dire respect des personnes,caractère bénéfique et justice. »C’est dans l’Éthique à Nicomaque d’Aristote queje trouverai matière à enrichir notre approche. Iln’est de bonnes conduites que pour autant quesoient définies et respectées de bonnes pra-tiques. On ne saurait donc se satisfaire d’uneconception moralisatrice de l’innovation médi-cale, alors que l’on sait d’expérience la valeur etl’intérêt de démarches inédites dans nombre decirconstances délicates — tout particulièrementlorsque le médecin est démuni de réponses thé-rapeutiques avérées. C’est dire qu’il semblejudicieux de nous interroger sur les conditionsd’un exercice professionnel dans bien des cassoumis à l’appréciation, au cas par cas, de ceque représente un moindre mal pour une per-sonne qui ne peut plus qu’escompter l’éventuelbénéfice tiré d’un traitement innovant. Il ne fau-drait donc pas renoncer, au nom d’un rigorismeexcessif, là où nos obligations nous sollicitentdans un devoir de non-abandon. Les quelquesprincipes évoqués peuvent, tout au moins, cons-tituer d’utiles repères.« La prudence au contraire ne s’applique qu’auxchoses essentiellement humaines et à celles oùla délibération est possible pour la raison del’homme ; car l’objet principal de la prudence,c’est, à ce qu’il semble, de bien délibérer. Mais

jamais on ne délibère sur les choses qui ne peu-vent être autrement qu’elles ne sont, ni sur leschoses où il n’y a pas un but précis à poursuivre,c’est-à-dire un bien qui puisse être l’objet denotre action ; et d’une manière générale et abso-lue, l’homme dont on peut dire qu’il est de bonconseil est celui qui sait trouver, par raisonne-ment, ce que l’homme peut réaliser de meilleurdans les choses soumises à son action.11» La perception que l'on a du champ de nosresponsabilités s'amplifie à mesure que nousavons le sentiment que nos actes portent desconséquences dont on maîtrise mal la portée. Ilconvient de s'interroger sur ce que recèlent lesmentalités indifférentes à l’esprit de prudence,de retenue, lui préférant l’aventurisme, la fuiteen avant, toujours pour de nobles raisons quel’on ne tente pas même d’expliciter.Quelles fins devrait se fixer notre besoin, notrevolonté d'émancipation par acquis scientifiquescumulés ? Que faire de ces données d'une telleampleur que nous nous découvrons dans l'inca-pacité d'en renouer les fils, le sens ? Nous déte-nons une masse d'information qui nousprovoquent à un excès de demandes toujoursinsatisfaites et nous font éprouver plus dure-ment les limites de notre condition humaine.« Avec ses applications qui ne visent que la com-modité de l’existence, la science nous promet lebien-être, tout au plus le plaisir. Mais la philoso-phie pourrait nous donner la joie.12»

[1] Extrait de : Emmanuel Hirsch, Le devoir de non-abandon.Pour une éthique hospitalière et du soin, Paris, Cerf, 2004.

[2] Déclaration d’Helsinki, Principes éthiques applicables auxrecherches médicales sur des sujets humains, Associationmédicale mondiale, 52e Assemblée générale, Edimbourg,octobre 2000.

[3] Journées annuelles d’éthique, Paris, la DocumentationFrançaise, 1986, p. 64.

[4] Code de déontologie et statuts de la profession médicale,Bulletin de l'Ordre des médecins, n° 1, avril 1941, p. 12.

[5] Principes d’éthique médicale européenne, CIOMS, 1995,article 2.

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[6] Code de déontologie médicale, décret n° 95-1000 du 6 septembre 1995, Devoirs généraux des médecins, article 2.

[7] René Leriche, ibid., pp 49-50: «En 1937, dans ma leçon d'ou-verture du cours du Collège de France, j'écrivais déjà :Entraînée dans un tourbillon de découvertes, la médecineest comme étourdie. Ivre d'analyses et de nouveautés, elleaspire à une minute de synthèse. Elle voudrait pouvoirreprendre haleine sous les platanes de Cos. Sans se l'avouer, elle a peur. Elle sent que la multiplication des tech-niques, l'émiettement de ses plus vieilles traditions lui fontcourir un danger auquel elle ne va, peut-être, plus pouvoirrésister : celui d'oublier, à côté de ses humeurs, l'homme quiest son objet, l'homme total, être de chair et de sentiment. Etd'instinct, elle se demande s'il ne faudrait pas que soitremise à sa place l'éminente primauté de l'observation del'homme par l'homme, afin qu'on ne voie pas s'effondrer levieux sens hippocratique devant la dictature des appareils.Ces mots sont toujours actuels. Pour ne pas se laisser allerà oublier l'intérêt du malade, pour ne pas dépasser ce qui luiest permis, il faut que la chirurgie conserve le souci de l'humain, le chirurgien demeurant le serviteur compréhensifet respectueux de l'homme malade. Tout chirurgien doitavoir le sentiment profond du respect dû par chacun de nousà la personne humaine. »Présence de l'homme dans la chirurgie pourrait-on dire.

[8] Code de Nuremberg, extrait du jugement du tribunal améri-cain, 1947.

[9] « Consentement éclairé et information des personnes qui seprêtent à des actes de soin et de recherche », Rapport n° 58,Paris, CCNE, septembre 1998.

[10] Déclaration sur les droits du patient, AMM, 1981, 1995,Préambule.

[11] Éthique à Nicomaque, trad. de J. Barthélémy, revue parAlfredo Gomez-Muller, Paris, Le Livre de Poche, 1992, chapitre V, § 9, p. 250.

[12] Henri Bergson, L’intuition philosophique, Paris, ÉdouardPelletant Helleu et Sergent, 1927, pp 81-94.

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Emmanuel HirschDirecteur de l’Espace éthique AP-HP et du Département de recherche en éthiqueParis-Sud 11 / AP-HP

> un lieu d’humanitéNotre perception de l'hôpital ne peut aucune-ment se réduire aux prouesses biomédicales quifascinent nos contemporains. C’est un lieu oùconvergent les souffrances humaines, lesdétresses, les incertitudes et les solitudes.Faute de relais, des situations sociales ignoréesou méprisées s'y révèlent en dernier recours,bien au-delà des fins thérapeutiques. C'est dire le surcroît de fonction qui nous revient,comme l’attention humble et discrète que nousdevons consacrer à l'accueil, voire au recueil. Ils’agit souvent de défendre, de protéger une per-sonne affaiblie et menacée, parfois totalementdépendante.L'institution hospitalière apporte des réponsesfortes et significatives. Elle engendre, au cœurd'une société incertaine, des principes et desrepères propres à maintenir une certaine cohé-sion. La responsabilité en question procède dudevoir de non-abandon et, plus encore, de lavolonté d'affirmer une conception humaine denos devoirs sociaux.Accompagner la personne durant ces momentsde vulnérabilité et de profonde interrogation quereprésente la confrontation à la maladie, cettemise en cause d'une identité et d'un projet ;compenser sa dépendance, ses altérations, toutce qui affecte son intégrité ; maintenir une pré-sence, un lien, une cohérence jusque dans lessituations extrêmes — c'est manifester uneconscience morale de nos obligations.Confrontés à des demandes chaque jour plusfortes et complexes, nous travaillons à retrouverdes repères qui ne soient pas seulement déonto-

logiques, mais qui favorisent un investissementpersonnel plus juste et plus intense au sein del'institution. Seules les personnes malades etleurs proches confèrent valeur et légitimité à ceque nous faisons.Les choix s'avèrent d'autant plus complexesque les enjeux peuvent paraître contraignantset contradictoires — cela dans un contexte oùla demande de soins équivaut souvent au droit d'être soigné et, plus encore, à celui de guérir.Si l'on y ajoute l'extension de la notion de soinà de nouvelles pratiques, et son souci d’exigen-ces, ne serait-ce qu’en termes de qualité et desécurité, on comprend mieux l’ampleur desconfrontations et des dilemmes.Aujourd'hui, notre conception de la responsabi-lité nous incite à maintenir un lien de sens etune volonté de vie, auprès des personnes pourlesquelles la maladie représente, sous uneforme ou une autre, un état de relégation.Notre société prend encore trop lentement enconsidération les territoires jusque-là insoup-çonnés ou évités du soin. Nous sommesconcernés individuellement et collectivement,dans la mesure où s’imposent des choix coura-geux qui nécessitent un débat public argu-menté. Qu’il s’agisse du devoir d’information, de laliberté de consentement, du combat contre ladouleur, de l’accueil des handicaps, de l’accom-pagnement des personnes démentes ou en finde vie, le respect des personnes justifie compé-tence, retenue mais aussi un attachement pro-fond aux valeurs de la démocratie. Il n’est donc pas évident aujourd’hui de fonderune réflexion éthique dans les réalités de l’hôpi-tal. Cette institution suscite les controverses etsemble confrontée au cumul de mises en caused’autant plus véhémentes, qu’elles concernentun champ sensible et complexe dont chacunperçoit intimement les enjeux.

> L’ESPACE ÉTHIQUE/AP-HPUNE ÉTHIQUE DE L’HOSPITALITÉ

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> une nouvelle culture de la relation de soin

On constate donc qu’à tous les niveaux de l’en-semble hospitalier, il s’avère nécessaire ques’introduise une dimension éthique parmi lesfacteurs qui conduisent à la prise de décision.Autre que strictement médicale, l’éthique hospi-talière et du soin se distingue donc de la bio-éthique et concerne les pratiques ainsi que lesresponsabilités des professionnels. Les réalitésdu soin sollicitent une qualité de discernementet d’argumentation qui relève directement de laconcertation menée au sein des équipes, en rela-tion avec la personne malade et ses proches.Le législateur en a été conscient, puisque la loidu 4 mars 2002 relative aux droits des maladeset à la qualité du système de santé affirme :« (Les établissements de santé) mènent, en leursein, une réflexion sur les questions éthiquesposées par l’accueil et la prise en charge médi-cale. » Le contexte hospitalier justifie un surcroîtd’exigence, de vigilance et de considération. Ilsemble donc opportun de conférer une recon-naissance, une cohérence et une visibilité à toutedémarche attentive aux significations et enjeuxdu soin. L’hôpital se doit d’afficher et d’affirmerun engagement exemplaire dans les domainesde l’éthique. Il y va non seulement de ses mis-sions mais du fondement de sa légitimité. Aucœur de la cité, souvent exposée à ses réalitésextrêmes, on attend de l’institution hospitalo-universitaire qu’elle contribue aux évolutionsindispensables afin de mieux concilier excel-lence technique, humanité, dignité et justicedans le soin. Dès sa création en 1995, la réflexion menée ausein de l’Espace éthique AP-HP s’est enracinéedans un « autre part » de l’hôpital, sollicitantdélibérément les situations limites des pra-tiques de l’institution hospitalière et du soin :soins palliatifs, états végétatifs persistants,grand âge, précarités, toxicomanies… La capa-cité de se laisser interroger par de telles situa-

tions représentait pour nous une valeur essen-tielle. Qu’en est-il de la responsabilité de soi-gner l’autre dans de telles circonstances ?Jusqu’où l’engagement est-il possible dans larelation de soin ? Nous devons nous efforcer de promouvoir uneéthique de l’hospitalité qui permette aux person-nes malades, à leurs proches comme aux pro-fessionnels d’investir l’hôpital comme unauthentique lieu de vie. Nos institutions ne sontpas des lieux retranchés aux marges de la cité.Nuit et jour, elles accueillent et tentent d’apaiserles souffrances de l’existence. Notre quotidienest fait de rencontres pour autant que l’onprenne le temps de mieux découvrir ce quesignifie l’échange à travers le soin.Pourtant, les réalités du soin ne permettent pastoujours aux professionnels de trouver les res-sources personnelles qui favorisent leur ouver-ture à l’autre. Il leur faut constammenthiérarchiser les choix, au risque, parfois, deparaître indifférent ou peu disponible. On n’a pasassez conscience de ce que représente pour unsoignant l’incapacité de parvenir au bout de sessoins. Au-delà de l’insatisfaction personnelle, ils’agit là d’une mise en cause de la vocation pro-fonde des soins, au service de personnes dontles demandes doivent être honorées.Le seul mérite de l’Espace éthique AP-HP estpeut-être d’avoir anticipé une tentative deréponse à un besoin ressenti dans de très nom-breux milieux hospitaliers. Il ne s’agit pas de dispenser des sagesses ou dessavoirs définitifs et rétifs à la discussion, ou d’in-vestir d’une autorité discutable quelques déten-teurs de compétences spécialisées dans lesdomaines de l’éthique. Au plus près des pra-tiques hospitalières, affranchi des idéologies,des pouvoirs et des arbitraires aujourd’huicontestés, l’Espace éthique AP-HP favorise uneconcertation pluraliste.Une pédagogie de la responsabilité partagées’impose au cœur des dispositifs de soin. Lesquestions de santé concernent des choix qui

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touchent à la vie démocratique et à la significa-tion du vivre ensemble. Dès lors, chacun doitenvisager d’argumenter et de justifier ses déci-sions et leurs éventuelles conséquences entenant compte d’enjeux souvent complexes, d’unenature bien différente des consultations d’éthiqueou de la judiciarisation des pratiques.L’éthique de la relation justifie un respect réci-proque, mais également l’acquisition de compé-tences et d’une culture qui permettent decomprendre les valeurs et les enjeux d’humanitéengagés dans l’exercice des responsabilités àvivre avec la personne malade et ses proches.L’éthique hospitalière concerne aussi bien le quo-tidien de la relation de soins, les situations d’exception, les innovations thérapeutiques, lesrapports interindividuels — y compris au sein deséquipes —, que les choix institutionnels et plusglobalement les politiques de santé publique. On observe que c’est en termes d’éthique profes-sionnelle que se sont exprimées au cours des der-nières années les revendications qui ont contribuéaux évolutions les plus évidentes dans notremanière de penser les missions du soin. Je pensetout particulièrement au VIH-sida, aux soins pal-liatifs et à l’accueil au sein de nos hôpitaux despersonnes en situation de vulnérabilité sociale. Il convient donc de mettre à la disposition desprofessionnels mais aussi de notre société lescompétences et les outils indispensables à l’accompagnement et au renforcement desmutations qui interviennent dans le champhospitalier. Faute d’une ambition volontaire etcohérente dans des domaines particulièrementsensibles, nous risquons d’accentuer les défian-ces du corps social à l’égard de ceux qui soignent.Il ne s’agit pas de renforcer des contrôles, là oùles procédures en matière de sécurité sanitaireexercent déjà des contraintes qui s’ajoutent auxencadrements budgétaires. Au contraire, ilimporte de reconquérir et de réhabiliter unespace de liberté et de responsabilité qui tient àla vigueur des principes véritablement assumésdans le soin.

> la discussion réfléchieDe nouvelles alliances doivent se concevoirentre les soignants et la société. Elles procèdentde l’attention témoignée à la dimension éthiquedes missions dont ils sont comptables. La placedésormais reconnue aux membres de la citédans la vie de l’hôpital — associations de béné-voles, de personnes malades et d’usagers —justifie également de les associer à l’échangedes savoirs qui contribuent au partenariat dansle soin. Leur relation avec les professionnelsrelève bien souvent de considérations d’ordreéthique. La démocratie hospitalière rend indis-pensables des échanges de qualité entre leshospitaliers et la société. Les choix relèventnécessairement d’une délibération publique.Telles apparaissent aujourd’hui la significationet la responsabilité politiques d’un Espaceéthique hospitalier. À travers les années nousavons mieux compris que notre pays est riched’approches différentes et plus encore de géné-rosité et de talents humains trop souvent igno-rés. Le rôle d’autres instances comme l’Ordrenational des médecins, le Comité consultatifnational d’éthique et les Sociétés savantes despécialités médicales, me semble égalementdéterminant. La pertinence de leurs réflexionset propositions nous permet de préserver uneposture qui nous est propre, dans le strict cadrede nos compétences — en quelque sorte aucœur et aux marges de réalités toujours singu-lières. Notre fonction sollicite davantage la pon-dération d’une délibération au plus près despratiques que la rigueur de préconisations habi-tuellement considérées comme des normesindiscutables. Nous voilà renvoyés à cette notionaristotélicienne « de la discussion réfléchie ».Une certaine conception de la liberté ne peutque favoriser l’exercice de responsabilités ainsicaractérisées comme objets de débats.Didier Sicard, co-fondateur de l’Espace éthiqueAP-HP exprime les quelques principes qui ani-ment ceux qui bâtissent avec nous cette éthique

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hospitalière et du soin : « Prendre soin, c'estdonc assumer notre métier pour en faire peutêtre le dernier rempart face à l'indifférence denotre monde, le dernier refuge de l'humanité denotre société » [« Prendre soin », la Lettre del’Espace éthique AP-HP, n° 15-18, hiver/été2002, p.2.]. Notre originalité peut se comprendre comme latentative de dépasser le strict domaine de l’éthique médicale ou biomédicale afin de favori-ser cette éthique hospitalière et du soin qui s’élabore progressivement. À cet égard, dansson esprit la loi du 4 mars 2002 relative auxdroits des malades et à la qualité du système desanté consacre les intuitions des soignants quiont conçu l’Espace éthique AP-HP à partir deleurs expériences. Nous ne sommes donc enrien éloignés des activités quotidiennes du soinpuisque tout ce que nous réalisons y renvoie, aurisque, en fait, de paraître parfois trop engagés,voire trop exposés. Ce mouvement constantentre les pratiques et les réflexions qu’elles suscitent contribue à cette dynamique d’unepensée qui se construit, évolue et permet mêmed’inventer d’autres conceptions du soin : « Ladémarche éthique, notamment dans la traditionphilosophique occidentale, vise le sens et la plé-nitude réelle de l'existence humaine » [PierreBoite, « La pratique clinique comme sourcepotentielle de questionnement éthique », Quelleéthique pratique en médecine ?, Bruxelles,E.C.C.E. a.s.b.l., 1995, p. 8.].

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© Pierre Michaud

«Innover ne va pas sans risque. Le risquejusqu’où ? Le risque admis par qui ?

Georges Canguilhem

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Créée en 1965, Vaincre la Mucoviscidose(Association Française de Lutte contre laMucoviscidose) est reconnue d’utilité publiquedepuis 1978 et membre du Comité de la Chartede déontologie des organisations sociales ethumanitaires. Elle regroupe des patients, desparents, des médecins, des chercheurs, dessympathisants et est animée par des bénévoleset des permanents au Siège national à Paris.Elle dispose également de délégations régio-nales et départementales. Comme son nom l’indique, elle a un objectif unique : vaincre lamucoviscidose.

L’association a fixé quatre priorités :

• Guérir la mucoviscidose en soutenant et enfinançant la recherche.Thérapie génique, infections et inflammations,molécules pharmacologiques, recherche clinique.

• Soigner la mucoviscidose en améliorant laqualité des soins. Subventions aux centres de soins, suivi de la mise en place des Centres de Ressources etde Compétences et du dépistage néonatal,observatoires épidémiologiques, formationdes soignants.

• Vivre mieux avec la mucoviscidose en amélio-rant la qualité de vie des patients.Soutien direct et individuel aux patients et auxfamilles (aides financières, matérielles etmorales personnalisées), prise en charge collective de la maladie (pression auprès desPouvoirs publics).

• Sensibiliser le grand public à la mucovisci-dose et informer parents et patients.Manifestations et collecte de fonds, sensibili-sation des Pouvoirs publics et partenaires,communication interne et externe (bulletin trimestriel, brochures thématiques, site internet …).

Association Vaincre la Mucoviscidose181, rue de Tolbiac 75013 ParisTéléphone : 01 40 78 91 91Télécopie : 01 45 80 86 44www.vaincrelamuco.org

> VAINCRE LA MUCOVISCIDOSE

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Le devoir d’une association est aussi d’éclairer les sujets difficiles comme celui de la tra n s p l a n -tation pulmonaire à partir de donneurs vivants.À partir de l’actualité, des questions qu’elle suscitait, notre débat interne a très vite trouvé seslimites. Il nous est alors apparu nécessaire de mener une réflexion éthique consacrée à cesujet. C ’ e st le fruit de ce t te re c h e rche que nous livrons aujourd’hui. Il est le ré s u l tat du tra va i lmené en commun par des associations de patients, des parents, conjoints, chirurgiens, soignants, penseurs, psyc h o logues, juristes, éco n o m i stes... tous co n cernés par la mucov i s c i d o s e .La transplantation pulmonaire à partir de donneurs vivants n’avait jamais été abordée d a n sune te l le pers p e c t i ve sous ses différents aspects (indications, méthodologies, org a n i s a t i o n dela chaîne du don, enjeux humains, psychologiques, sociaux, législatifs, économiques). On leconstatera à la lecture de cet ouvrage, nous sommes passé de l’examen de l’état de l’Art à unedimension plus éthique. La question fondamentale du recours à cette technique s’est poséealors que tout n’a pas encore été fait pour trouver et utiliser des greffons à partir de donneursen mort encéphalique.

Jean LafondPrésident de Vaincre la Mucoviscidose

> transplantation pulmonaire avec donneurs vivantsQUELS ENJEUX AUJOURD'HUI ?

ISBN : 2-9511402-6-6

PRIX10 A

T R A N S P LAVEC DONQUELS EN

• Université Paris-Sud 11Département de recherche en éthique Paris-Sud 11/AP-HP

• En partenariat avec Vaincre la Mucoviscidose