Dzo rule ! Un side sur le toit du monde - Vintage Rides · 2019. 8. 29. · le Monde de tout en...

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RAD MAG 52 Quand notre pote Jean Burdet décide de se faire un side-car sur mesure et d’emmener sa smala (compagne, descendance et complices) regarder le Monde de tout en haut, on se dit que ça colle bien au personnage qui aime associer vieux tromblons et hauteur de vue. Récit à 5602 mètres d’altitude, au top de l’Himalaya carrossé. Dzo rule ! Rouler pour mieux s’arrêter, et profiter du panorama, ou reprendre son souffle Le père, le fils et le saint esprit du side-car qui les a accompagné à 5602m I l y a en pour qui l’idéal se nomme « Sam Suffit ». Pas Jean Burdet, qui baptise son side explorateur « Dzo » : dzo, le fils du yack et de la vache, créature hybride, infatigable et bossue, une allure « quoi ma gueule ? » , une adaptation innée à la montagne et surtout, une vraie bonne nature. Et quand on sait que la femelle du dzo s’appelle la dzomo, on réalise que l’analogie entre le créateur et son œuvre est moins anodine qu’elle n’y paraît. Car non, le hasard n’existe pas. Le side et le Fils des Banlieues Sud, c’est déjà une longue histoire d’amour, une proportion de sa longue carrière motocycliste (Jean, tu as une idée de combien de km tu as fait à moto, à la louche ?) ayant été couverte à plus de 60 % au guidon d’un side, Jean ne pouvait écrire ce chapitre supplémentaire de que sous l’angle du partage et il avait aussi envie de revivre un vrai truc avec son fils Gene-Vincent, à l’image d’un de leurs précédents voyages, dont l’objectif était d’aller visiter le musée MZ à Zschopau (ex-RDA), mais en MZ 250 attelée et en février sinon c’est doublement pas drôle. Après un plan pareil où, outre un bref salut à Walter Kaaden (ce génie1 !), l’essentiel du trip consiste quand même à se geler les nougats, y’en a qui se seraient brouillés pour la vie. Pas Jean et Gene-Vincent, ce dernier admettant malgré tout qu’il a failli frôler l’amputation des poumons ou d’autres organes vitaux tellement ça meulait. A côté de ça, l’Himalaya, ça allait être peanuts. Ou pas. ABBÉ PIERRE Demandez à Vasco de Gama, à Alexander Humboldt, à Sir Ernest Shackleton, à Philippe de Dieuleveult, à Nicolas Hulot et tous les autres voyageurs de l’extrême ; la réussite d’une épopée héroïque se joue dans les plus petits détails. Du coup, on serait tenté de penser que Jean a confié la réalisation de son side à la NASA. Eh bien pas du tout : il a utilisé un bureau de R&D encore plus rigoureux et paradoxalement plutôt moins cher. Le sien. C’est d’ailleurs lui faire hommage que de dire que Jeannot a conçu Dzo à son image : solide et rustique, ouvert et bien gambergé, plein d’astuces et de générosité. Sa méthode ? D’abord, prendre une belle feuille blanche format A4. Ensuite, un crayon de papier bien taillé. Enfin, dans la lueur d’un vieux néon cliquetant, à l’heure où la ville vibre des pulsations ronflantes des citadins endormis, laisser cours à sa créativité. Soudain, tandis les paupières deviennent lourdes comme un vilebrequin tombé au fond d’un vieux carter en fonte, le miracle fut : l’idée de Dzo prit forme, tout comme celle de le faire réaliser par des élèves d’un lycée technique adjacent, le Jean-Macé de Vitry-sur- Seine (94). «Que veux-tu, c’est mon côté Abbé Pierre», déclare Jean, avant de s’enflammer : «J’aime impliquer des gamins de banlieue, leur faire prendre conscience de la diversité et de la grandeur du monde contemporain, les faire entrer dans un projet concret alliant découverte des autres, économie de moyens et conception de formes de mobilité non conventionnelles, leur inculquer calendrier de travail, esprit de groupe et amour de la belle soudure». On connaît des recteurs d’académie qui parlent moins bien. Note pour plus tard : appeler mes potes de France 2 pour leur demander s’ils ne veulent pas tourner une suite de l’Instit avec Jean à la place de Gérard Klein et une Bullet bien tapée (carbu Amal, échappement fishtail et queue de tigre obligatoires !) à la place de la BM, ça aurait nettement plus de gueule. En Inde, on trouve même des poids lourd et des flics à contresens sur l’autoroute, alors Jean s’est dit qu’il pouvait garder son side à droite dans un pays où ça roule à gauche. Et à regarder son fils G-V dans le rôle du crash test dummy façon Euro-NCAP, avec OFF ROAD Un side sur le toit du monde Texte : Phil G. Photos : Galago Expéditions

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  • RAD MAG52

    Quand notre pote Jean Burdet décide de se faire un side-car sur mesure et d’emmener sa smala (compagne, descendance et complices) regarder le Monde de tout en haut, on se dit que ça colle bien au personnage qui aime associer vieux tromblons et hauteur de vue. Récit à 5602 mètres d’altitude, au top de l’Himalaya carrossé.

    Dzo rule !

    Rouler pour mieux s’arrêter, et profiter du panorama, ou reprendre son souffle

    Le père, le fils et le saint esprit du side-car qui les a accompagné à 5602m

    Il y a en pour qui l’idéal se nomme «  Sam Suffit  ». Pas Jean Burdet, qui baptise son side explorateur « Dzo » : dzo, le fils du yack et de la vache, créature hybride, infatigable et bossue, une allure « quoi ma gueule ? » , une adaptation innée à la montagne et surtout, une vraie bonne nature. Et quand on sait que la femelle du dzo s’appelle la dzomo, on réalise que l’analogie entre le créateur et son œuvre est moins anodine qu’elle n’y paraît. Car non, le hasard n’existe pas. Le side et le Fils des Banlieues Sud, c’est déjà une longue histoire d’amour, une proportion de sa longue carrière motocycliste (Jean, tu as une idée de combien de km tu as fait à moto, à la louche ?) ayant été couverte à plus de 60 % au guidon d’un side, Jean ne pouvait écrire ce chapitre supplémentaire de que sous l’angle du partage et il avait aussi envie de revivre un vrai truc avec son fils Gene-Vincent, à l’image d’un de leurs précédents voyages, dont l’objectif était d’aller visiter le musée MZ à Zschopau (ex-RDA), mais en MZ 250 attelée et en février sinon c’est doublement pas drôle. Après un plan pareil où, outre un bref salut à Walter Kaaden (ce génie1 !), l’essentiel du trip consiste quand même à se geler les nougats, y’en a qui se seraient brouillés pour la vie. Pas Jean et Gene-Vincent, ce dernier admettant malgré tout qu’il a failli frôler l’amputation des poumons ou d’autres organes vitaux tellement ça meulait. A côté de ça, l’Himalaya, ça allait être peanuts. Ou pas.

    ABBÉ PIERREDemandez à Vasco de Gama, à Alexander Humboldt, à Sir Ernest Shackleton, à Philippe de Dieuleveult, à Nicolas Hulot et tous les autres voyageurs de l’extrême ; la réussite

    d’une épopée héroïque se joue dans les plus petits détails. Du coup, on serait tenté de penser que Jean a confié la réalisation de son side à la NASA. Eh bien pas du tout : il a utilisé un bureau de R&D encore plus rigoureux et paradoxalement plutôt moins cher. Le sien. C’est d’ailleurs lui faire hommage que de dire que Jeannot a conçu Dzo à son image : solide et rustique, ouvert et bien gambergé, plein d’astuces et de générosité. Sa méthode  ? D’abord, prendre une belle feuille blanche format A4. Ensuite, un crayon de papier bien taillé. Enfin, dans la lueur d’un vieux néon cliquetant, à l’heure où la ville vibre des pulsations ronflantes des citadins endormis, laisser cours à sa créativité. Soudain, tandis les paupières deviennent lourdes comme un vilebrequin tombé au fond d’un vieux carter en fonte, le miracle fut  : l’idée de Dzo prit forme, tout comme celle de le faire réaliser par des élèves d’un lycée technique adjacent, le Jean-Macé de Vitry-sur-Seine (94). «Que veux-tu, c’est mon côté Abbé Pierre», déclare Jean, avant de s’enflammer  : «J’aime impliquer des gamins de banlieue, leur faire prendre conscience de la diversité et de la grandeur du monde contemporain, les faire entrer dans un projet concret alliant découverte des autres, économie de moyens

    et conception de formes de mobilité non conventionnelles, leur inculquer calendrier de travail, esprit de groupe et amour de la belle soudure». On connaît des recteurs d’académie qui parlent moins bien. Note pour plus tard : appeler mes potes de France 2 pour leur demander s’ils ne veulent pas tourner une suite de l’Instit avec Jean à la place de Gérard Klein et une Bullet bien tapée (carbu Amal, échappement fishtail et queue de tigre obligatoires  !) à la place de la BM, ça aurait nettement plus de gueule. En Inde, on trouve même des poids lourd et des flics à contresens sur l’autoroute, alors Jean s’est dit qu’il pouvait garder son side à droite dans un pays où ça roule à gauche. Et à regarder son fils G-V dans le rôle du crash test dummy façon Euro-NCAP, avec

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    OAD Un side sur le toit du monde Texte : Phil G. Photos : Galago Expéditions

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    dans la rue devant les locaux de nos amis de Vintage Ride à New Delhi, comptez en permanence une cinquantaine de pékins (ou plutôt de nouveaux-delhiottes) à regarder inlassablement l’ovni d’un air curieux au lieu de faire avancer le pays. Sur les routes, le nombre de saluts, de photos et de travelling filmés des voitures tutoie l’infini. Les sourires des enfants dont l’intensité passe de l’étonnement à la surprise puis à l’excitation sont autant d’étoiles filantes éclairant et guidant notre parcours. Sous son air de vieux dur à la peau tannée, Jean savoure évidemment ces moments de bonheur partagé. Dans ce scénario, l’homme le plus envié est évidemment Gene-Vincent. Barbiche pré-hipster, t-shirt jamaïcain, tatouages flamboyants et guitare dans le dos, notre rasta-rasé ne fait pas qu’équilibrer l’attelage. Il le guide, assure son équilibre ou le fait virevolter au besoin. G-V va à l’affron-tement face aux camions enguirlandés. G-V fait voguer le navire dans les gués caillouteux. G-V bouffe de la poussière et du coup de soleil, se fait secouer la couenne sur la tôle ondulée. Singe, c’est un métier à plein temps, m’sieurs-dames. Car l’attelage a beau avoir été conçu avec abondance de bonnes idées et d’économies de moyens, il est un peu plus lourd que prévu et il faut emmener la logistique, les pièces détachées, l’essence supplémentaire.

    DURS AU MALEssence ? Non, la Bullet n’est pas soudainement devenue gourmande, ce serait contre sa vraie nature. Elle reste même étonnement sobre, au vu des traitements qu’on lui fait subir : comptez de 3 à 3,5 l/100 pour les solos, et 3 litres de plus pour le side. Et pourtant, il prend cher le vieux mono culbuté  ! Pas pour aller vite, non, ça sert à rien, c’est contre la philosophie du trip et en plus c’est pas possible. Après 16 jours de

    route, on a calculé du 60 km/h de moyenne sur les quelques autoroutes et du 20/25 sur les pistes himalayennes. Une fois la bonne carburation trouvée en se faisant aider au besoin du réparateur local, vieux briscard rocker qui parle mieux que personne aux aiguilles et pointeaux de carbu, l’Enfield trace sa route, en souplesse, dans le gras du couple et dans le dur de la déflagration de son mégaphone fatigué. C’est sûr, on nous entend de loin, l’épopée se fait désirer, habite les fonds de vallée d’un vert intense où les locaux cultivent en terrasse pour optimiser le moindre demi-are. L’équipage halète à grands coups de pistons dans les déclivités raides comme un petit matin après une nuit blanche bourbonnée, mais l’Enfield avance. On mentirait en vous disant que Jean n’a pas sorti la clé de 12 plus que de raison, et par-delà, démontré aux locaux incrédules, qu’un Blanc peut aussi parler le Bullet couramment. Avec plus de 40 000 bornes au compteur, nos Enfield fatiguées ont certainement perdu quelques chevaux dans des batailles antérieures. Doit en rester une petite vingtaine à tout casser. Peu importe, car Jean mettait un point d’honneur à faire ce trip en ayant recours à un max de ressources locales. Ces motos sont dures au mal, subissant la circulation chaotique de Delhi, les grandes plaines à rizières par 40 °C, les grimpettes infernales. Car sous son aspect «  carte postale  », l’Himalaya se mérite. On enchaîne les cols allant de 3900 à 5600 mètres d’altitude, sur des pistes péniblement entretenues par des ouvriers colmatant comme ils peuvent ce que la montagne tente de reprendre chaque hiver. Ici, la distance n’a pas de sens  : nos 1600 km de Delhi au Kardhung La doivent se traduire en heures de route, en moments à décrypter la piste, à éviter des camions, à franchir des gués, à rebondir sur des cailloux. À rouler. Et surtout à

    s’arrêter. Rouler pour mieux s’arrêter  : cette phrase belle comme du Barbelivien porte en elle l’essence même du voyage. Jean, G-V et leurs Bullet sont allé découvrir de nouveaux horizons à chaque sommet, avant d’atteindre le dernier, ultime, à 5602 mètres. De quoi alors se retourner avec le sentiment du défi achevé, rembobiner toutes les étapes depuis le départ  : revivre le regard des bergers dans les montagnes, l’éternité des temples surplombant des paysages millénaires façonnés de l’époque où les Dieux s’envoyaient des monceaux de granit à la tronche.

    5602 MÈTRES D’ALTITUDEPrendre conscience que l’homme est si petit dans cet univers minéral et s’en rappeler pour mieux vivre le retour à Paname, revivre les scènes de vie dans les villages traversés, les plats de lentille dans cette tente posée au milieu de rien sous une constellation étoilée à nulle autre pareille, les couleurs des marchés, surmonter ensemble le mal des montagne qui attaque sournoisement à plus de 4500 mètres d’altitude, se gaver de lacets, de virages, attendre avec gourmandise et avidité le prochain panorama, prendre la photo souvenir si futile en haut, près du panneau, qui pose le point final. On a beau, comme Jean, vivre sa passion au quotidien et être entouré de scooters historiques, de brélons magiques et de la bonne clique d’allumés qui les font rouler, ce genre de panorama vous remet les chacras à niveau et tout le reste en perspective. Ça y est, Jean, son fils, sa meuf et ses potes sont en haut du monde, on en a la preuve. Mais eux seuls savent la richesse de l’expérience, la force du moment vécu entre père et fils… Combien de lecteurs de RAD doivent désormais se dire : dis Jean, tu veux pas nous adopter ?

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    tout ces véhicules n’évitant le choc frontal qu’au dernier instant, certes avec le sourire et sans un brin d’animosité, on commence à se re-questionner sur la définition de l’amour paternel. Mais avant de rentrer dans des considérations qui donneraient des cauchemars à Françoise Dolto, il suffit de regarder autour de soi : à Delhi, le commuter moyen roule sur une petite cylindrée, genre Honda-Hero ou Bajaj, il porte souvent un casque mais des fois un turban, et il peut avoir sa petite amie en amazone derrière,

    sans aucune protection autre qu’un sari et des tongs, sa dulcinée tenant parfois un nourrisson à bout de bras. Et là, on ne se pose pas la définition de l’amour familial, c’est comme ça, le rapport à la réalité est divergent sur notre belle planète.

    BONHEUR PARTAGÉC’est ça qui est bien, en Inde  : rien n’est évident, rien n’est compréhensible du premier coup, mais tout se fait plutôt dans la bonne humeur. Les apprentis routards et

    sociologues débutants qui prétendent tout analyser du premier coup d’œil ne font que montrer la pauvreté de leurs lunettes. Avec son œil de vieux renard, Jeannot préfère donner dans l’humilité et dans l’humanité. Le plaisir se vit, se donne et se partage, voilà une belle philosophie façonnée au fil des rubans de bitumes et des pistes caillouteuses. Il est malgré tout une vérité universelle  : le side-car est un formidable accélérateur de rencontres. À l’accouple-ment de la nacelle avec une vieille LeanBurn,