Éducation et francophonie, vol. 29, no 1

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SOMMAIRE Le renouvellement de la profession enseignante : tendances, enjeux et défis des années 2000 Éducation et francophonie Volume XXIX, numéro 1, printemps-été 2001 Maurice Tardif - Université de Montréal, (Québec) Canada Claude Lessard - Université de Montréal, (Québec) Canada Joséphine Mukamurera - Université de Sherbrooke, (Québec) Canada ARTICLES TIRÉS À PART Liminaire Maurice Tardif - Université de Montréal, (Québec) Canada Claude Lessard - Université de Montréal, (Québec) Canada Joséphine Mukamurera - Université de Sherbrooke, (Québec) Canada Article complet L'influence des normes d'établissement dans la socialisation professionnelle des enseignants: le cas des professeurs des collèges périphériques français Agnès Morcillo - C.N.R.S., France Article complet | Résumé de l'article La construction sociale de la profession enseignante: un réseau d'histoires Isabel Lelis - PUC-Rio, Brésil Article complet | Résumé de l'article La profession enseignante en France: permanence et éclatement V. Lang - France Article complet | Résumé de l'article Pluralité des mondes et culture commune: enseignants et élèves à la recherche de normes partagées Yves Dutercq - INRP, France Article complet | Résumé de l'article Les futurs enseignants confrontés aux TIC : changements dans l'attitude, la motivation et les pratiques pédagogiques Thierry Karsenti - Université de Montréal, (Québec) Canada Lorraine Savoie-Zajc - Université du Québec à Hull, (Québec) Canada François Larose - Université de Sherbrooke, (Québec) Canada Cherchez dans Éducation et francophonie: Recherche par mots-clés Index des auteurs Consultez cette section pour avoir accès à de nombreux rapports de recherche en éducation de langue française. Associez-vous à la revue Éducation et francophonie et faites-vous connaître auprès d’un vaste réseau en éducation de langue française. La revue compte plus de 5000 abonnés répartis sur tous les continents.

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SOMMAIRE

Le renouvellement de la profession enseignante : tendances, enjeux et défis des années 2000Éducation et francophonie Volume XXIX, numéro 1, printemps-été 2001

Maurice Tardif - Université de Montréal, (Québec) Canada Claude Lessard - Université de Montréal, (Québec) Canada Joséphine Mukamurera - Université de Sherbrooke, (Québec) Canada

ARTICLES TIRÉS À PART

Liminaire

Maurice Tardif - Université de Montréal, (Québec) CanadaClaude Lessard - Université de Montréal, (Québec) CanadaJoséphine Mukamurera - Université de Sherbrooke, (Québec) Canada

Article complet

L'influence des normes d'établissement dans la socialisation professionnelle des enseignants: le cas des professeurs des collèges périphériques français

Agnès Morcillo - C.N.R.S., France

Article complet | Résumé de l'article

La construction sociale de la profession enseignante: un réseau d'histoires

Isabel Lelis - PUC-Rio, Brésil

Article complet | Résumé de l'article

La profession enseignante en France: permanence et éclatement

V. Lang - France

Article complet | Résumé de l'article

Pluralité des mondes et culture commune: enseignants et élèves à la recherche de normes partagées

Yves Dutercq - INRP, France

Article complet | Résumé de l'article

Les futurs enseignants confrontés aux TIC : changements dans l'attitude, la motivation et les pratiques pédagogiques

Thierry Karsenti - Université de Montréal, (Québec) CanadaLorraine Savoie-Zajc - Université du Québec à Hull, (Québec) CanadaFrançois Larose - Université de Sherbrooke, (Québec) Canada

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Les défis de l'enseignement en milieu francophone minoritaire: le cas de l'Ontario

Diane Gérin-Lajoie - Université de Toronto, (Ontario) Canada

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De l'histoire et de l'avenir de la formation des maîtres au Canada anglais: la tradition dans la pratique des formateurs des maîtres

David N. Boote - University of Central Florida, USAMarvin F. Wideen - Simon Fraser University, (Colombie-Britannique) CanadaJolie Mayer-Smith - University of British Columbia, (Colombie-Britannique) CanadaJessamyn O. Yazon - University of British Columbia, (Colombie-Britannique) Canada

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Au-delà des renforcements intrinsèques : les relations émotionnelles des enseignants avec leurs élèves

Andy Hargreaves - University of Toronto, (Ontario) Canada

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Les transformations actuelles de l'enseignement : trois scénarios possibles dans l'évolution de la profession enseignante

Claude Lessard - Université de Montréal, (Québec) CanadaMaurice Tardif - Université de Montréal, (Québec) Canada

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Le renouvellement de la profession enseignante : tendances, enjeux et défis des années 2000, Volume XXIX , No 1, printemps 2001.

Liminaire : continuités et ruptures dans l'évolution actuelle du métier d'enseignant

Maurice TARDIF, Professeur, directeur du CRIFPE CRIFPE, Faculté des sciences de l'éducation Université de Montréal (Québec) Canada. Claude LESSARD, Professeur, directeur du LABRIPROF CRIFPE, Faculté des sciences de l'éducation Université de Montréal (Québec) Canada. Joséphine MUKAMURERA, Faculté des sciences de l'éducation Université de Sherbrooke, (Québec) Canada

Table des matières

■ Préambule ■ Quelques transformations récentes de l'enseignement ■ Un métier à évolution lente malgré tout ? ■ Contenus du numéro ■ Bibliographie

Préambule

Longtemps assimilé à une vocation, voire à du maternage, représentant un métier peu valorisé et peu rémunéré qui exigeait un faible niveau de formation, et cela un peu partout au Canada et dans les autres sociétés occidentales, l'enseignement est devenu depuis une cinquantaine d'années une occupation plus stable et plus spécialisée dans laquelle il est possible de faire carrière et qui exige une formation universitaire supérieure ou l'équivalent. Cette évolution de l'enseignement s'inscrit dans l'évolution plus globale des systèmes scolaires à partir de la Seconde Guerre mondiale, qui vont rapidement se démocratiser pour s'ouvrir à l'ensemble des enfants, tout en se bureaucratisant et en se modernisant. L'école traditionnelle se transforme alors en « école de masse » ouverte à tous, placée sous la responsabilité directe des états nationaux qui, pour la plupart, vont investir massivement en éducation et mettre en oeuvre des réformes importantes autant des structures scolaires que des curriculums et des idéologies pédagogiques (éducation nouvelle, centration sur l'enfant, psychologie de l'apprentissage, humanisme scientifique, etc.).

Cette évolution de l'enseignement répond aussi aux transformations de la société elle-même, car celle-ci s'est complexifiée à tous les points de vue. Elle exige des nouvelles générations une formation de plus en plus longue, tant sur le plan des normes qui président à l'organisation de la vie sociale et à l'exercice de la citoyenneté que sur le plan des compétences nécessaires au renouvellement des fonctions socio-économiques. De plus, tous les observateurs s'accordent pour dire que cette évolution est loin d'être terminée. Elle s'accélère au contraire et les conditions économiques, sociales et culturelles dans lesquelles évoluent les enseignants changent à vue d'oeil, les forçant à s'adapter sans cesse à des problèmes inédits et à relever de nombreux et nouveaux défis. L'expansion extraordinaire des connaissances et le foisonnement des nouvelles technologies de l'information et de la communication, la transformation des structures familiales et communautaires, la mouvance des repères culturels

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et moraux, l'appauvrissement des enfants, le pluralisme culturel et le relativisme éthique, les comportements anomiques et l'usage de la drogue chez les jeunes, les mutations du marché de l'emploi constituent quelques-uns de ces problèmes et défis parmi tant d'autres. Cette évolution de plus en plus rapide et d'apparence parfois chaotique de la société se répercute directement sur l'enseignement, transformant aussi bien les conditions d'accès à la profession que son exercice, ainsi que les cheminements de carrière de ses membres et leur identité professionnelle.

À cause de tous ces changements, l'époque est définitivement révolue où il suffisait de connaître les rudiments d'une matière et quelques recettes permettant de contrôler des élèves turbulents pour se voir aussitôt accorder le titre d'enseignant. En effet, on sait désormais que le travail enseignant représente une activité professionnelle complexe et de haut niveau, qui fait appel à des connaissances et des compétences dans plusieurs domaines : culture générale et connaissances disciplinaires; psychopédagogie et didactique; connaissance des élèves, de leur environnement familial et socioculturel; connaissance des difficultés d'apprentissage, du système scolaire et de ses finalités; connaissance des diverses matières au programme, des nouvelles technologies de la communication et de l'information; savoir-faire en gestion de classe et en relations humaines, etc.). Cette activité professionnelle nécessite aussi des aptitudes et des attitudes propres à faciliter l'apprentissage chez les élèves : respect des élèves; habiletés communicationnelles; capacité d'empathie; esprit d'ouverture aux différentes cultures et minorités; habiletés à collaborer avec les parents et les autres acteurs scolaires, etc.; ainsi qu'une bonne dose d'autonomie et l'exercice d'un jugement professionnel respectueux autant des besoins des élèves que des exigences de la vie scolaire et sociale.

Bref, l'enseignement est devenu un travail spécialisé et complexe, une activité exigeante réclamant, chez celles et ceux qui l'exercent, l'existence d'un véritable professionnalisme.

Quelques transformations récentes de l'enseignement

On constate que cette évolution d'ensemble de l'enseignement est marquée depuis les années 1980 et surtout depuis le début des années 1990 par des transformations plus récentes encore :

● On observe aujourd'hui une tendance importante à un renouvellement des agents scolaires partout en Amérique du Nord. Bien que les données à ce propos soient difficiles à interpréter car plusieurs facteurs sont en cause, on s'attend à ce que 30 % à 40 % des enseignants nord-américains prennent leur retraite au cours de la présente décennie. Mais à quel rythme, par qui et comment seront-ils remplacés ? On l'ignore pour le moment. Comme V. Lang le souligne dans son article, la situation est sensiblement la même en France où plus de 40 % des enseignants doivent partir dans les dix prochaines années. Conjuguée au renouvellement des enseignants, la lente et difficile insertion de nouveaux agents scolaires, à commencer par les jeunes enseignants, soulève toute la question de leur préparation à un métier de plus en plus complexe. Au Canada, ces dernières années, plusieurs provinces ont réduit leur corps enseignant, comme c'est le cas en Ontario (-4,5 %) et au Québec (-2,5 %). La précarité d'emploi s'accroît, les cheminements dans l'enseignement se font plus instables alors que les phases d'insertion s'allongent et que les carrières dans l'enseignement deviennent plus éclatées et imprévisibles. On retrouve dans plusieurs pays des phénomènes similaires liés aux difficultés d'insertion des nouvelles générations d'enseignants, aux problèmes de rétention, aux compressions budgétaires, au nouveau « public management » qui s'installe à l'intérieur des établissements et qui affecte la sélection du personnel scolaire, le roulement et la mobilité des enseignants, etc. Aux États-Unis, seulement la moitié des diplômés d'un programme de formation d'enseignants accède à l'enseignement; de cette moitié, 50 % quittent le métier au cours des cinq premières années de pratique, ce qui est un taux de perdition de 75 %.

● Depuis le début des années 1980 et encore plus fortement au début des années 1990, les vagues de compressions budgétaires en éducation ont frappé durement les enseignants qui doivent affronter des défis et des problèmes de plus en plus nombreux mais avec des ressources moindres. Dans plusieurs pays, les enseignants se sentent souvent isolés, essoufflés et partout leur message est le même : ils manquent de temps pour tout faire et leur niveau de stress augmente devant les obstacles et difficultés multiples qu'ils rencontrent dans leur travail quotidien. Sur le plan quantitatif (heures, semaine de travail, nombre d'élèves par groupe, etc.), la tâche des enseignants n'a guère varié depuis les années 1960, mais il en va autrement sur le plan qualitatif, car plusieurs facteurs contribuent à l'alourdir et à la complexifier. Par exemple, les groupes d'élèves sont plus hétérogènes qu'auparavant et leurs besoins sont plus diversifiés. De plus, particulièrement au secondaire et dans les grands établissements, la rigidité et la fragmentation de l'organisation de l'enseignement rendent plus difficile le contact personnalisé avec les élèves et leur encadrement. Dans plusieurs pays, on constate aussi un appauvrissement d'une partie importante des

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enfants, notamment ceux qui vivent dans les familles monoparentales. Il en découle que la charge de travail des enseignants est plus lourde qu'avant mais surtout plus prenante, plus accaparante et plus exigeante, tandis que les moyens et les financements ont diminué comme une peau de chagrin.

● Le désengagement relatif des états dans le financement de l'éducation s'est traduit aussi par le développement de nouveaux modes de régulation des systèmes scolaires qui ont des effets importants sur les enseignants : la décentralisation; la mise en place de systèmes d'indicateurs de rendement et de performance; la rationalisation du travail des agents scolaires; la reddition de comptes dans le cadre de contrats de réussite; la place plus grande occupée par les parents et les communautés locales dans la gestion des établissements; la compétition entre les établissements; l'essor des projets pédagogiques locaux; l'autonomie « obligée » des acteurs de la base; etc. Il y a fort à parier que de telles tendances vont redessiner peu à peu le paysage organisationnel et le discours idéologique sur l'enseignement au cours des prochaines années, modifiant en profondeur les modalités mêmes d'exercice de la profession enseignante. Par exemple, jadis conçue comme un service public, l'éducation est désormais de plus en plus considérée comme un investissement, ce qui se traduit par des mesures et des exigences nouvelles face au travail des enseignants : ils doivent être performants et viser l'excellence; adhérer à un professionnalisme caractérisé par un engagement passionné, une exigence élevée et une éthique du service à l'égard de leurs « clients ». Cette évolution heurte jusqu'à un certain point les anciennes formes de solidarité et de défense internes au corps enseignant, à commencer par le syndicalisme, mais aussi les visions plus socio-communautaires et politiquement engagées du métier d'enseignant.

● En Amérique du Nord et en Europe, le mouvement de professionnalisation de l'enseignement constitue également un élément qui peut modifier cette occupation dans la prochaine décennie. Au Canada, la création d'ordres professionnels des enseignants en Colombie-Britannique (1986) et en Ontario (1996) ainsi que la tentative de création en cours au Québec vont dans le sens général de ce mouvement de professionnalisation de l'enseignement. On retrouve des initiatives apparentées dans d'autres provinces (Alberta, Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse), qui visent à hausser les standards de formation à l'enseignement et à mieux en contrôler la qualité. La professionnalisation s'accompagne aussi d'efforts importants pour décentraliser les systèmes éducatifs, réduire la bureaucratie, accroître l'autonomie et la responsabilité des acteurs sur le terrain. Cependant, ces objectifs demeurent encore pour la plupart à l'état d'idéaux. En effet, au Canada, il n'est pas évident que les relations de travail au sein des systèmes scolaires, les vagues successives de compressions budgétaires et l'alourdissement de la tâche des enseignants vont dans ce sens. On retrouve sensiblement les mêmes phénomènes dans plusieurs autres pays.

● Sous l'effet des technologies de l'information et de la communication, les bases techno-pédagogiques de l'enseignement commencent à se transformer. Longtemps métier de parole placé sous l'autorité de l'écrit et du livre, l'enseignement a passé par-dessus la fausse révolution audiovisuelle sans en être durablement affecté, mais tout porte à croire que les technologies de la communication auront un impact beaucoup plus profond et durable, car elles peuvent vraiment modifier en profondeur les formes de la communication pédagogique ainsi que les modes d'enseignement et d'apprentissage en usage dans les écoles depuis quatre siècles. Elles peuvent aussi, ce qui est complètement nouveau par rapport à la pseudo révolution audiovisuelle, transformer l'organisation même de l'enseignement et du travail enseignant. Dans différents pays, on tente actuellement des expériences d'enseignement qui ne sont plus basées sur la coprésence des enseignants et des élèves au sein de classes traditionnelles. À l'heure actuelle, il est difficile d'entrevoir exactement les formes et l'ampleur que prendront dans un proche avenir ces expériences. Mais, d'ores et déjà, on peut faire l'hypothèse plausible qu'elles vont se tailler une place de plus en plus importante plus importantes.

● Profession au coeur même de la transmission des savoirs scolaires (connaissances, disciplines, normes, valeurs, etc.) et de leur acquisition par les nouvelles générations, l'enseignement est profondément affecté par la crise du savoir dans notre société moderne avancée ou, comme on dit volontiers aujourd'hui, post-moderne. Cette crise n'est pas bien sûr celle de la production du savoir, qui fonctionne aujourd'hui comme jamais à plein régime, mais bien celle de sa valeur au sein du monde social, communautaire et individuel. Il semble que le savoir ait perdu sa force d'unification et qu'il existe désormais uniquement sous les modes de la dispersion, de la fragmentation et de l'éclatement. Les bases mêmes de la formation scolaire deviennent alors problématiques tandis que les contenus et les modes de connaissance que les enseignants doivent présenter aux élèves s'avèrent incertains, contestables et contestés.

● Enfin, profession fondée sur une incontournable responsabilité éthique envers les jeunes qu'elle prend en charge, l'enseignement est confronté à des phénomènes comme l'appauvrissement des enfants, l'exclusion, l'éclatement des modèles d'autorité, ainsi qu'à une certaine dualisation des sociétés. En effet, si la structure du monde du travail a beaucoup évolué depuis le tournant du siècle, il y a néanmoins, aujourd'hui, de plus

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en plus d'exclus, de chômeurs et d'assistés sociaux, des jeunes sans travail et sans avenir. La « société du savoir » semble vouloir se structurer en marginalisant et en excluant de sa dynamique de croissance une portion importante de la population et notamment une part importante des jeunes générations. Alors les anciens clivages, qu'on croyait disparus lors des années de croissance glorieuse (1950-1980), réapparaissent sous des formes qui, bien que peut-être post-modernes, engendrent le même lot traditionnel d'inégalités sociales, de souffrance, de perte de sens, de violence et de conduites extrêmes.

Nul besoin d'être devin ou sorcier pour prédire que ces tendances vont se maintenir, s'accentuer et s'amplifier au cours de la prochaine décennie.

Un métier à évolution lente malgré tout ?

Pourtant, il serait illusoire de croire que l'école et l'enseignement changent au même rythme et s'adaptent rapidement à tous ces phénomènes dont certains peuvent d'ailleurs être contradictoires. Dans une remarquable étude sur l'évolution de l'enseignement de 1890 à 1990 aux États-Unis, Larry Cuban (1993), historien américain de l'éducation, a montré que la très grande majorité des enseignants enseignent aujourd'hui à peu près comme leurs prédécesseurs enseignaient il y a siècle. Or, lorsqu'on connaît la somme de changements et de réformes qui a marqué l'école américaine au XXe siècle, ce constat est pour le moins étonnant. Pour certains chercheurs en éducation (Hargreaves (1994)), le système scolaire semble un véritable dinosaure. Érigé à l'époque de la société industrielle moderne, il continue sa course comme si de rien n'était et semble avoir beaucoup de peine à intégrer les changements en cours. Bref, il apparaît comme une structure figée une fois pour toutes, une organisation fossilisée.

Sans aller jusque-là, on observe cependant que l'enseignement, malgré les changements et les réformes des dernières décennies, malgré les nouvelles tendances actuelles qui se dessinent, a beaucoup de mal à échapper aux formes établies du travail enseignant : apprentissage du métier sur le tas; valorisation de l'expérience; métier à forte dimension féminine; classes fermées qui absorbent l'essentiel du temps professionnel; individualisme en enseignement et donc peu de collaboration entre les pairs; pédagogie traditionnelle; vision souvent statique du savoir scolaire; faible connaissance des cultures non européennes; etc. Ces phénomènes recoupent les conclusions de nombreuses recherches menées en France et ailleurs (États-Unis, Canada, Grande-Bretagne, etc.) sur les pratiques pédagogiques des enseignants de métier : loin d'adhérer massivement aux changements et d'épouser spontanément les nombreuses réformes, les enseignants apparaissent volontiers « traditionnalistes » et souvent méfiants envers les tentatives de transformation de leur métier. Certes, ils ne rejettent pas automatiquement les efforts pour « améliorer » leurs pratiques et les adapter aux dernières innovations pédagogiques; cependant, s'ils changent, c'est toujours en intégrant le nouveau à l'ancien et en incorporant l'innovation aux traditions établies. Autrement dit, si les enseignants transforment leurs pratiques pédagogiques et les adaptent, ce n'est jamais que lentement et comme à reculons.

Bref, traversée et marquée par des tendances lourdes porteuses de transformations profondes aussi bien de l'école que de l'univers du travail enseignant, la profession enseignante demeure en même temps par bien des côtés une occupation traditionnelle et en continuité avec le passé, une sorte de métier artisanal qui survit tant bien que mal au sein de la grande industrie scolaire de l'école de masse.

Partant de ce constat, le propos de ce numéro thématique s'intéresse donc, sous l'angle des continuités et des ruptures, aux évolutions qui façonnent actuellement la situation de la profession enseignante, notamment au Canada mais aussi dans les autres pays qui vivent des expériences comparables.

Les responsables de ce numéro thématique ont par conséquent invité des chercheurs de différents pays et de divers horizons disciplinaires (sociologues, historiens, pédagogues, psychologues, didacticiens, etc.) qui, partant de travaux de recherche, d'études de systèmes, de situations ou de cas, ainsi que de données solidement établies, se sont efforcés de dégager et de préciser ce qui leur semble être des tendances lourdes, des enjeux importants ou des défis incontournables qui caractérisent et caractériseront l'évolution de la profession enseignante au cours de la décennie qui commence.

Contenus du numéro

Ce présent numéro s'ouvre sur un article de Agnès Van Zanten, sociologue de l'éducation en France. Zanten s'intéresse ici à la socialisation professionnelle des enseignants du secondaire en France qui travaillent dans des

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collèges réputés « difficiles », situation que l'on retrouve bien sûr dans plusieurs pays et particulièrement dans les grandes zones urbaines défavorisées. Se situant dans une perspective interactionniste, elle propose de concevoir l'établissement comme « un cadre central dans l'émergence de normes professionnelles contextualisées en milieu urbain défavorisé ». Elle s'attache à montrer les écarts entre la conception dominante et officielle du rôle des enseignants et leurs conditions réelles et difficiles d'exercice du métier; ces écarts renforcent l'importance d'une socialisation au sein même des établissements, laquelle est susceptible d'engendrer de profondes révisions identitaires. L'article montre que ces révisions identitaires procèdent, d'une part, d'une « régulation autonome » reposant surtout sur les interactions avec les élèves et avec des collègues plus anciens qui ont su vivre, malgré les difficultés quotidiennes, une carrière somme toute positive, et d'autre part, d'une « régulation contrainte » provenant des enseignants plus jeunes et des chefs d'établissement. Toutefois, ces deux types de régulation laissent, comme l'indique bien Van Zanten, irrésolue toute la question des difficultés du métier d'enseignant dans ces établissements particulièrement difficiles. Ces éléments d'analyse permettent de mieux comprendre les liens entre l'identité, la socialisation professionnelle et la réalité des établissements. Ils mettent en lumière le rôle structurant des contextes quotidiens du travail dans la construction des identités enseignantes, et l'importance fondamentale du rapport aux élèves et, secondairement, du rapport aux collègues.

Directrice du département d'éducation de l'Université pontificale catholique de Rio de Janeiro, Isabel Lelis raconte l'histoire de la profession enseignante brésilienne en montrant que celle-ci est d'abord et avant tout une construction issue d'un véritable réseau d'histoires de vie où s'entremêlent l'histoire sociale des enseignantes, l'histoire des femmes, leurs histoires familiales, personnelles et professionnelles, mais aussi l'histoire des luttes des enseignantes dans un contexte de sélection sociale et scolaire impitoyable, l'histoire des résistances de la profession enseignante face à la déqualification dont elle est l'objet de la part du pouvoir public et de l'université. Utilisant la notion d'habitus professionnel inspirée des idées de Pierre Bourdieu, Lelis montre que celui-ci est différencié en fonction des trajectoires de vie des enseignantes, de leur enracinement social et de leur expérience de la résistance face à certains pouvoirs (état, université, etc.). De ce point de vue, il y aurait lieu de concevoir un professionnalisme enseignant lui-même pluriel, comportant des formes particulières de vivre le travail, qui ne sont pas nécessairement visibles, ni revêtues de caractéristiques communes.

Vincent Lang présente un brillant raccourci de l'évolution récente du corps enseignant en France et des enjeux les plus importants qui marquent sa situation actuelle. Comment penser, après les nombreux bouleversements qu'a connus le système scolaire français (massification, démocratisation, bureaucratisation, nouvelles idéologies pédagogiques, etc.), la dialectique identitaire des changements et des continuités qui structure cet imposant corps professionnel qui possède, à l'inverse des corps enseignants nord-américains, une vieille et longue histoire, mais sans unité professionnelle ? En effet, historiquement, la profession enseignante n'a jamais eu d'unité en France, particulièrement au secondaire, et entre le secondaire et le primaire. Lang offre d'entrée de jeu quelques repères sociographiques sur les enseignants en France, sur les générations qui se succèdent et s'additionnent, sur l'évolution des conditions de leur recrutement et les transformations de leurs formations initiales. Il souligne que les nouvelles formations et les IUFM peuvent être lus comme des terrains d'unification de la profession enseignante. Pourtant, on continue toujours d'observe un éclatement de l'unité postulée des corps enseignants (primaire/secondaire, ancien/nouveau, titulaire/agrégé, etc.), débouchant aujourd'hui sur un travail collectif de réélaboration du sens du métier.

Mais ce sens du métier ne peut pas se construire indépendamment des autres acteurs de la quotidienneté avec lesquels travaillent les enseignants, à commencer par les élèves. Comme le rappelle Yves Dutercq, il ne peut pas exister, au sein des établissements scolaires et des classes, de situations d'enseignement sans un partage minimal de normes sociales entre les acteurs qui y sont engagés et qui co-construisent ensemble ces mêmes situations. Ce constat soulève par conséquent toute la question du partage de normes entre les enseignants d'un même établissement, mais aussi entre ces enseignants et leurs élèves : comment se réalise aujourd'hui un tel partage, alors que l'institution scolaire et la société elle-même sont travaillées et tiraillées de l'intérieur par une multiplicité de normes parfois sans commune mesure entre elles ? C'est à cette question que s'attaque l'article de Dutercq, en se situant dans la lignée de la tradition ethnographique anglo-saxonne, mais en cherchant aussi à élargir ses perspectives en prenant en compte la pluralité des « mondes » (famille, quartier, bande de copains, etc.) dans lesquels vivent les élèves, mondes qu'ils amènent avec eux dans les classes et les établissements puisqu'ils sont constitutifs de leur subjectivité et de leurs représentations. Menant son étude dans un établissement situé dans une zone difficile, Dutercq met en évidence les processus de négociation maître/élèves qui sous-tendent l'enseignement en classe et les rapports dans l'établissement. Ces processus correspondent à la recherche « d'un accord entre des mondes au départ très étrangers les uns aux autres » et seule l'atteinte d'un certain équilibre dans les situations d'enseignement en classe permet d'établir un certain ordre dans l'établissement. L'analyse proposée par Dutercq permet de mieux saisir les « processus fins » qui contribuent, malgré l'éclatement des systèmes normatifs traditionnels en éducation, à façonner les situations d'enseignement au jour le jour et à les ancrer dans un équilibre, certes précaire et contingent, mais néanmoins viable.

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Alors que les articles précédents avaient en commun une orientation nettement sociologique, l'article de Thierry Karsenti, Lorraine Savoie-Zajc et François Larose se situe davantage dans le champ de la psycho-sociologie. Il porte sur un sujet à l'ordre du jour dans la plupart des pays nord-américains et européens : l'intégration des technologies de l'information et de la communication (TIC) dans l'enseignement et, par conséquent, dans la formation des enseignants. S'inspirant d'une approche « socio-constructiviste », les auteurs s'intéressent aux représentations et aux motivations des futurs enseignants face à l'intégration des TIC. Après avoir défini certains concepts fondamentaux (motivation, attitude, pratique pédagogique, etc.), les auteurs insistent sur l'idée que l'intégration des TIC exige de la part des futurs enseignants une modification du rapport au savoir et entraîne un virage majeur sur le plan des pratiques pédagogiques. Cette idée les conduit à critiquer les visions strictement instrumentalistes des rapports entre les TIC et la formation des maîtres, où les TIC sont considérées comme des outils techniques et supplétifs qui devraient faire l'objet d'un apprentissage spécialisé de la part des futurs maîtres. Au contraire de ces visions, les auteurs plaident pour une intégration systématique et vécue des TIC dans tous les cours de formation à l'enseignement, car, selon eux, l'apprentissage des TIC passe par l'acquisition de compétences transversales qui concernent la totalité de leur formation. Dans cette foulée, les auteurs placent le futur enseignant au centre de l'apprentissage des TIC, tout en tenant compte du contexte lui permettant de construire sa propre compétence.

Au cours de la dernière décennie, bon nombre de systèmes d'enseignement occidentaux ont été confrontés à la nécessité d'éduquer et d'instruire des groupes d'élèves provenant de milieux culturels de plus en plus variés. Ces élèves proviennent de cultures minoritaires qui doivent se définir par rapport aux cultures majoritaires qui dominent habituellement l'école. Ils doivent non seulement assimiler la culture scolaire officielle mais également la culture majoritaire sur laquelle repose cette culture scolaire. L'article de Diane Gérin-Lajoie, professeure à l'Université de Toronto et chercheure au Centre de recherches en éducation franco-ontarienne de l'Institut d'études pédagogiques (OISE), aborde cette question des rapports dialectiques minorité/majorité en étudiant le cas des minorités francophones vivant en Ontario, la plus populeuse et prospère province du Canada. Elle s'intéresse plus particulièrement au rôle des enseignants et des établissements comme agents de reproduction culturelle et aux tensions qui affectent le vécu quotidien des enseignants face à la différentiation linguistique et culturelle de leurs élèves. En effet, les élèves de la minorité francophone ne forment pas un groupe homogène et leurs compétences « langagières » varient considérablement, de même que leur culture constamment soumise aux formidables pressions de la langue anglaise dont la présence est multiforme : langue de la rue et des amis; langue des médias; langue de plusieurs familles; etc.

Dans ce cadre, les enseignants ont une lourde responsabilité face à l'exigence de survie du français et, dans certains cas, ils sont véritablement des « agents de production » de la langue de la minorité francophone face à certains élèves qui ne parlent pas ou très mal le français. Toutefois, assumer cette responsabilité nécessite des ressources, notamment des formations mieux adaptées aux réalités des enseignants nouveaux et expérimentés qui oeuvrent en contexte minoritaire. Gérin-Lajoie étudie par conséquent les besoins des enseignants en cette matière. Son étude montre que des projets d'école et des projets de perfectionnement des enseignants auxquels collaborent l'ensemble du personnel grâce à un leadership éclairé des membres de la direction représentent une excellente façon d'amener les enseignants à solutionner collectivement les problèmes de l'éducation en milieu minoritaire.

En s'inspirant d'Anthony Giddens, sociologue britannique, et de son analyse de la tradition, l'article de David Boote, Marvin F. Wideen, Jolie Mayer-Smith et Jessamyn O. Yazon propose une histoire critique des traditions sociales, culturelles et éducatives qui ont façonné la formation des maîtres au Canada Anglais. Ces auteurs examinent plus particulièrement les rapports entre la tradition, le pouvoir social, le savoir et les mécanismes du changement social dans la formation des maîtres. Essentiellement, leur article montre que la formation à l'enseignement et les formateurs de maîtres sont toujours au centre de lutte de pouvoirs pour s'assurer de leur contrôle par les autorités sociales. Les traditions jouent alors un rôle puissant dans ce contrôle, car elles permettent de lier le présent et l'avenir au passé, en définissant les connaissances, les valeurs et les attitudes acceptables chez les enseignants et les formateurs d'enseignants.

Avant le XIXe siècles, les traditions éducatives étaient, au Canada, globalement celles d'une société rurale et religieuse, dominée par le clergé, les élites traditionnelles et un état central faible et peu interventionniste. À partir du XIXe siècle, ces traditions et ces pouvoirs sont contestés avec l'émergence de la modernisation sociale où l'état joue un rôle grandissant, tandis que se mettent aussi en place d'autres formes de contrôles modernes, comme la bureaucratisation, la rationalisation, la standardisation et la croyance au pouvoir des savoirs scientifiques dans la gestion des faits sociaux et éducatifs. Mais les individus (notamment ceux qui appartiennent aux nouvelles élites modernes liées à l'étatisation et à l'expertise professionnelle et scientifique) ne sont pas que les marionnettes de ces macroprocessus, car ils y trouvent aussi des ressources nouvelles pour consolider ou accroître leurs pouvoirs. En même temps, dans ce processus de modernisation, les anciennes traditions sont récupérées et servent de justifications aux changements que les réformateurs tentent de faire passer pour naturel

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et découlant du passé.

Boote et alii montrent que la formation des enseignants et ses formateurs ont toujours été liés aux traditions et élites traditionnelles. Longtemps rattachés à l'église, ils vont s'en détacher en s'inscrivant dans les nouvelles traditions sociales de la bureaucratie, de l'étatisation et de la science. La formation des maîtres va devenir « scientifique » et ses formateurs vont essayer d'obtenir un statut de savants et de chercheurs au sein des universités modernes. Mais aujourd'hui, ces traditions modernes sont à leur tour contestées dans le sillage de la modernité avancée, mais aussi de la globalisation et de l'accélération des changements qui marquent la société canadienne. Les traditions perdent alors leur sens et leur force d'intégration, et certains individus recherchent compulsivement à répéter le passé pour assurer leur sécurité dans un monde sans attaches stables et sécurisantes. Les formateurs actuels de maîtres, pour échapper à cette contestation généralisée, utilisent diverses ressources tels que de hautes prétentions scientifiques et théoriques, le désengagement vis-à-vis la pratique enseignante et ses idéaux de la formation. En même temps, dans les dernières décennies, on assiste à une politisation de l'éducation et de l'enseignement via des groupes et mouvements sociaux qui cherchent à y accroître leur influence (gens d'affaire, féministes, etc.). Les formateurs sont alors confrontés à une multitude d'attentes auxquelles ils tentent de répondre, ce qui diminue leur pouvoir, tout en augmentant l'incertitude leur position et statut.

Lors de la dernière décennie, beaucoup de formateurs se sont engagés dans une série de changements importants de la formation des maîtres, en contestant leurs propres traditions scientifiques, disciplinaires et universitaires. Mais faute de comprendre la stabilité et les forces de ces traditions, ces formateurs sont maintenant largement épuisés pour leur tentative de transformation et leurs réformes elles-mêmes marquent le pas, tout en suscitant d'énormes résistances chez leurs collègues attachés aux traditions universitaires et scientifiques de la modernité. À notre avis, l'analyse proposée par Boote et alii est très éclairante concernant les enjeux sociaux actuels qui structurent la formation des enseignants; elle permet de voir autrement cette formation, en introduisant des considérations politiques et historiques trop rarement prises en compte par les universitaires en sciences de l'éducation.

Les études aussi bien sociologiques que psychologiques sur les motifs qui poussent certaines personnes à choisir et à persévérer (et même à s'y plaire!) dans le métier d'enseignant ne se comptent plus. C'est sur ce thème que le sociologue canadien, Andy Hargreaves, conduit sa réflexion qu'il situe, en guise d'hommage, dans la lignée des travaux du chercheur britannique, Peter Woods. Comme il l'écrit lui-même, « les enseignants n'enseignent pas pour de l'argent [...] ni d'ailleurs pour les vacances ». Alors pourquoi enseignent-ils ? Dans son article, Hargreaves s'efforce de montrer que les gratifications émotionnelles sont au coeur de l'enseignement et qu'elles proviennent essentiellement des rapports des enseignants aux élèves. Cette thèse recoupe d'ailleurs les idées de plusieurs articles de ce numéro soulignant l'importance de la relation aux élèves dans la construction de l'identité enseignante. Par ailleurs, comme l'indique Hargreaves, la thèse n'est pas nouvelle car elle se trouve déjà clairement formulée dans la célèbre recherche de Dan Lortie (1975), qui a mis en évidence le rôle majeur joué par les « récompenses psychiques » dans le métier d'enseignant. En fait, comme s'attache à l'établir Hargreaves, les émotions jouent un rôle si important chez un grand nombre d'enseignants aussi bien du primaire que de secondaire que l'enseignement apparaît, par bien des côtés, un travail émotionnel.

Toutefois, Hargreaves apporte plusieurs nuances à ce constat. Il souligne en premier lieu le risque de prendre pour argent comptant la vision un peu romantique propagée par certaines enseignantes du primaire à propos de leurs rapports aux élèves : comme les autres professionnels, les enseignants avouent difficilement que leurs « clients » leur causent une foule de problèmes et que leurs relations à eux sont surtout négatives ! Il met également en évidence les différences qui marquent, sur le plan des relations émotionnelles aux élèves, le fait, pour des enseignants, de travailler au primaire ou au secondaire. Dans les deux cas, les émotions sont fondamentales, mais la manière de les vivre, notamment les émotions négatives, varie d'un ordre d'enseignement à l'autre.

Ce numéro se termine avec un article de Claude Lessard et Maurice Tardif qui assument également la direction de ce numéro thématique avec Joséphine Mukamurera. Ce texte à saveur prospective utilise la méthode des scénarios. Après avoir circonscrit la notion de « crise de l'enseignement » et analysé un ensemble de phénomènes qui y contribue (l'ambivalence des politiques éducatives oscillant entre le néo-libéralisme et les préoccupations de justice, d'égalité et d'équité sociale, le désengagement relatif de l'État en éducation, l'introduction d'une logique marchande et le développement des nouvelles technologies), Lessard & Tardif proposent d'envisager l'avenir de la profession enseignante à partir de trois scénarios d'évolution : celui de la restauration du modèle canonique de l'enseignant dispensateur d'une culture scolaire et agent de sélection d'une élite socialement déterminée; celui de la prise de contrôle de l'école par des entrepreneurs technophiles; et celui de l'organisation apprenante et professionnelle. Ce dernier scénario apparaît aux auteurs le plus prometteur.

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En définitive, les différentes contributions réunies dans ce numéro thématique permettent, d'une part, de bien cerner la réalité quotidienne du métier d'enseignant et de mieux en comprendre les multiples facettes et ressorts, et d'autre part, d'anticiper certains des changements qui semblent aujourd'hui dessiner au coeur ce travail où l'humain joue malgré tout encore et toujours le premier rôle.

Bibliographie

Cuban, L. (1993) How Teachers Taught. Constancy and Change in American Classrooms, 1880-1990. 2e édition. New York : Teachers College Press.

Hargreaves, A. (1994) Changing teachers, changing times : teachers' work and culture in the postmodern age. London : Cassell.

Lortie, D.C. (1975) Schoolteacher. A sociological study. Chicago : The University of Chicago Press.

Association canadienne d'éducation de langue française (ACELF) 268, rue Marie-de-l'Incarnation, Québec (Québec) G1N 3G4 Téléphone: (418) 681-4661 - Télécopieur: (418) 681-3389 Site Internet: http://www.acelf.ca/c/revue/ © Copyright ACELF, Québec 2001.

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Le renouvellement de la profession enseignante : tendances, enjeux et défis des années 2000, Volume XXIX , No 1, printemps 2001.

L'influence des normes d'établissement dans la socialisation professionnelle des enseignants: le cas des professeurs des collèges périphériques français

Agnès Van ZANTEN, Chargée de recherche Centre National de la Recherche Scientifique, Observatoire Sociologique du Changement C.N.R.S. - Fondation Nationale des Sciences Politiques, France.

Table des matières

■ Résumé Abstract Resumen ■ Introduction ■ La socialisation professionnelle par les élèves: fuite, adaptation et

développement ■ La socialisation professionnelle par les pairs: collégialité autonome,

cohésion procédurale et travail en équipe ■ La socialisation par le chef d'établissement: élan charismatique, collégialité

« contrainte » et production locale de sens ■ Conclusion ■ Bibliographie ■ Notes

Résumé

L'objectif de ce texte est de dégager quels sont les différents éléments à l'oeuvre dans la socialisation professionnelle des enseignants in situ en France et le type de régulation dont ils relèvent. Il analyse les perspectives des professeurs du secondaire qui font une partie tout au moins de leur carrière dans des collèges périphériques réputés « difficiles ». L'hypothèse sous-jacente est que, dans ces établissements, l'écart très important entre la conception dominante du rôle et les conditions réelles d'exercice du métier renforce l'importance d'une socialisation secondaire susceptible d'engendrer de profondes révisions identitaires. L'établissement est donc conçu comme un cadre central dans l'émergence de normes professionnelles contextualisées en milieu urbain défavorisé. L'analyse montre l'importance d'une régulation autonome qui repose largement sur une interaction avec les élèves, médiatisée par la prise en compte du point de vue et des façons de faire des collègues insérés de longue date dans l'établissement, ainsi que d'une régulation contrainte impulsée par des enseignants plus jeunes et par les chefs d'établissement. Mais elle laisse aussi entrevoir qu'aucun de ces modes de régulation ne s'avère en mesure de réduire la situation de dépendance des établissements de la périphérie.

Abstract

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The Influence of Institutional Standards in the Professional Socialisation of Teachers : The Case of Teachers in Peripheral French Schools

The objective of this article is to determine the different elements at work in the professional socialization of teachers in France and the types of regulation they fall under. It analyzes the perspectives of secondary school teachers who spend at least a part of their career in peripheral colleges, reputed to be "difficult". The underlying hypothesis is that, in these institutions, the very large gap between the dominant concept of the role and the actual conditions of practicing the profession, confirms the importance of a secondary socialization capable of bringing about significant reappraisals of identity. The institution is thus conceived as a central framework in the emergence of professional standards in the context of an underprivileged urban milieu. The analysis shows the importance of independent regulation, which relies heavily on interactions with students, mediatized through consideration of the perspectives and behaviours of colleagues who have been part of the institution for a long time, as well as obligatory regulation driven by the youngest teachers and heads of the institution. However, it also suggests that neither of these modes of regulation may be able to reduce the peripheral institutions' situation of dependency.

Resumen

La influencia de las normas escolares en la socialización profesional de los maestros:

el caso de los profesores de los colegios periféricos franceses

El objetivo de este texto es de mostrar los diferentes elementos que actúan en la socialización profesional de los maestros en Francia y el tipo de regulación de la que dependen. Se analizan las perspectives de los profesores de secundaria que inician su carrera en los colegios periféricos reconocidos como « dificiles ». La hipótesis subyacente es que, en dichos establecimientos, la distancia entre la concepción dominante del rol del maestro y las condiciones reales del ejercicio de la profesión es muy importante, lo que refuerza la importancia de una socialización secundaria susceptible de engendrar profundos cuestionamientos identitarios. El establecimiento escolar se concibe pues como un cuadro central en el surgimiento de normas profesionales conextualizadas en un medio urbano desfavorizado. El análisis demuestra la importancia de una regulación autónoma que reposa ampliamente sobre la interacción con los alumnos, mediatizada por la influencia que ejercen los puntos de vista y las maneras de actuar de los colegas que desde hace mucho tiempo laboran en el establecimiento escolar, así como de la coacción ejercida por los maestros más jóvenes y los directores de dichos establecimientos. Pero el análisis permite pensar que ninguno de esos modos de regulación es capaz de disminuir la situación de dependencia de los establecimientos escolares de la periferia.

Introduction

L'influence du lieu d'exercice dans la socialisation professionnelle des enseignants n'avait pas reçu beaucoup d'attention de la part des sociologues de l'éducation jusqu'à une date récente car celui-ci semblait jouer un rôle mineur pour au moins trois séries de raisons. La première est le caractère abrupt de la prise de fonction qui laisse peu de place à la pénétration diffuse des normes du milieu professionnel concret. En effet, contrairement à d'autres métiers dans le cadre desquels l'apprentissage s'étend sur plusieurs années et le néophyte passe progressivement des tâches simples d'exécution à des tâches plus complexes exigeant davantage de responsabilités sous la supervision de personnes compétentes, les enseignants assument souvent, du jour au lendemain, après des stages dont la durée dépasse rarement quelques mois, la responsabilité totale d'une classe. La deuxième est le caractère solitaire de l'expérience professionnelle. L'organisation « cellulaire » du travail dans les établissements d'enseignement (un enseignant, une classe) fait que les enseignants exercent la plupart du temps leur activité dans un lieu soustrait au regard des collègues et de l'administration, avec pour conséquence majeure le fait que ce sont les élèves, plus que ces derniers, qui contribuent quotidiennement à la socialisation des nouveaux arrivants. Enfin, la troisième raison renvoie à l'absence d'un milieu professionnel constitué en raison aussi bien de la faiblesse des bases théoriques sur lesquelles pourrait s'appuyer une « technologie de l'enseignement » que de l'autonomie réduite dont disposent les organisations scolaires. Ces facteurs conduisent les enseignants à adopter des solutions individuelles ad hoc, en privilégiant le recours à leur propre expérience

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d'élèves, à l'intuition et à des « recettes », plutôt qu'à élaborer des réponses collectives et durables en prenant appui sur des sources extérieures d'information et d'aide (Lortie (1975); Hargreaves (1984); Huberman (1989)).

Un certain nombre de recherches et de recherches-action menées depuis la fin des années 1980 ont néanmoins contribué à modifier partiellement cette vision. Les conclusions de ces travaux permettent en effet d'avancer trois types d'arguments différents en faveur d'une reconsidération de l'importance actuelle de la socialisation professionnelle des enseignants dans les établissements d'enseignement. Le premier concerne le fait que, grâce à l'universitarisation de la formation initiale, à la plus grande ouverture de celle-ci aux connaissances produites ces dernières années par les sciences de l'éducation et à des actions d'accompagnement et de formation continue encouragées par des chercheurs ou par divers spécialistes, les enseignants seraient aujourd'hui plus capables que par le passé d'opérer un retour réflexif sur leur pratique. Celui-ci permettrait de fonder une compétence enracinée dans l'expérience mais intégrant des savoirs théoriques (Tardif et Gauthier (1998); Perrenoud (1998)). Le deuxième s'appuie sur les conclusions de diverses recherches portant sur les différences de fonctionnement entre établissements scolaires. Il y apparaît en effet que la plus grande autonomie dont ces derniers ont été dotés à partir des années 1980 dans la plupart des pays s'est traduite par des différences plus affirmées - ou tout au moins plus visibles - concernant le développement par les acteurs scolaires de cultures locales de collaboration (Lieberman (1990); Gather-Thurler (1994); Talbert et McLaughlin (1996); Kherroubi (1997); Cousin (1998); Kherroubi et van Zanten (2000)). Le troisième concerne l'impulsion donnée d'en haut pour transformer les établissements scolaires, de même que la plupart des organisations, à travers l'introduction d'un modèle « entrepreneurial » mettant l'accent sur la décentralisation des décisions, la construction autonome des projets, la coopération entre agents, et l'adaptation souple à la demande des usagers (Derouet et Dutercq (1997)). Les recherches montrent en effet que ce modèle induit de nouveaux modes de relation collégiale entre enseignants et de nouveaux modes de rapport à la hiérarchie (Demailly (1993); Ball et van Zanten (1998); Verhoeven (1999); Tardif et Lessard (2000)).

Sans s'inscrire nécessairement dans le droit-fil de ces recherches qui visent pour certaines tout autant à transformer les pratiques pédagogiques des enseignants à travers une vision renouvelée de la « professionnalisation » (Lang (1999)) qu'à comprendre la réalité actuelle, l'objectif de ce texte est de dégager quels sont les différents éléments à l'oeuvre dans la socialisation professionnelle des enseignants in situ en France et le type de régulation dont ils relèvent. Par socialisation professionnelle, nous entendons ici, dans une optique interactionniste, l'intériorisation problématique - comprenant des résistances, des adaptations et des recompositions identitaires - non seulement d'un ensemble de techniques, mais aussi de valeurs, de représentations et de modes de solidarité associés à l'exercice d'une expertise dans un cadre organisationnel (Becker et Strauss (1956); Hughes (1958)). Nous souhaitons notamment évaluer l'influence respective desnormes locales élaborées de façon autonome par les enseignants et des normes qui relèveraient davantage d'une collégialité contrainte ou d'une régulation de contrôle impulsées par la hiérarchie (Hargreaves (1992); Reynaud (1988)). Pour cela, nous allons nous intéresser aux professeurs du secondaire qui font une partie tout au moins de leur carrière dans des collèges périphériques, c'est-à-dire dans des établissements qui se caractérisent par une position de marginalité vis-à-vis des normes édictées par le centre, à la fois en raison des caractéristiques de leur public, de leurs modes de fonctionnement et de leur position de domination dans le système scolaire (1). Le postulat sous-jacent est que, dans ces établissements, l'écart très important entre la conception dominante du rôle forgée autour du stéréotype de l'élève idéal ou « ordinaire » au cours de la scolarisation et de la formation professionnelle initiale d'une part et les conditions réelles d'exercice du métier d'autre part, renforce l'importance de la socialisation secondaire en situation (Berger et Luckmann (1966); Dubar (1991); Dubet (1991)). Nous partons également du principe que dans ce travail identitaire, les élèves jouent certes un rôle central, mais qu'il faut simultanément étudier de plus près l'influence des collègues et des chefs d'établissement (ainsi que celle des parents et des agents scolaires non enseignants que nous laissons de côté ici). L'établissement est donc conçu comme un cadre central dans l'émergence de normes professionnelles contextualisées en milieu urbain défavorisé (Kherroubi (1997); van Zanten (1999); van Zanten (2000)). Pour explorer ces pistes de recherche, nous nous appuyons sur un travail mené dans deux collèges de la banlieue parisienne, que nous appellerons dans le texte « Apollinaire » et « Verlaine », entre 1995 et 1999 et qui comprend notamment des entretiens avec trente-huit enseignants, avec une vingtaine d'agents non enseignants, avec quatre principaux, avec trente-six élèves et avec un petit groupe de parents (2).

La socialisation professionnelle par les élèves: fuite, adaptation et développement

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Quelles que soient les transformations intervenues dans le fonctionnement actuel des établissements d'enseignement, le contact quotidien avec les élèves continue à jouer un rôle central dans la socialisation professionnelle des enseignants. Cette influence est encore plus importante dans les établissements périphériques car les enseignants s'aperçoivent très vite de la difficulté à mettre l'oeuvre les connaissances et les techniques apprises au cours de la formation initiale et à suivre les instructions officielles. Ainsi, si pour la plupart des enseignants débutants l'entrée dans le métier s'accompagne d'une prise de conscience de la nécessité de construire un ordre local avant de pouvoir enseigner, celle-ci est beaucoup plus brutale chez les enseignants affectés dans les établissements les plus « difficiles ». En effet, quatre enseignants débutants sur dix, disent rencontrer « très souvent » ou « assez souvent » des problèmes de discipline; cette proportion s'élève à sept sur dix de ceux qui ont été affectés en zone d'éducation prioritaire (Antigny (1994)). Mais, ce qui est plus important encore, c'est qu'il ne s'agit pas seulement dans ces contextes d'enseignement d'un problème de débutant. Alors qu'ailleurs les enseignants peuvent encore espérer résoudre ces difficultés en s'appuyant notamment sur le rôle de régulation que jouent la compétition pour les meilleures notes et les sanctions, dans ce type d'établissement, l'indiscipline est un problème chronique étant donné le rapport plus complexe des élèves aux savoirs scolaires et aux normes institutionnelles (van Zanten (2000b)).

Il n'est donc pas étonnant de constater que beaucoup d'enseignants optent pour la fuite. Celle-ci peut prendre des formes plus ou moins radicales: l'abandon pur et simple de la profession, ce qui est assez rare en France où la sécurité de l'emploi liée à la fonction publique est une valeur très prisée sur le marché du travail; la demande courante de mobilité horizontale vers d'autres établissements, perçus comme moins pénibles; ou encore l'absentéisme chronique. Plus souvent encore, ce que l'on observe chez beaucoup d'enseignants au bout de quelques années d'exercice dans ce type d'établissement, c'est un désengagement profond qui se traduit par le développement d'un rapport routinier, ritualiste ou désabusé au travail. Cette attitude fait souvent suite à l'épuisement des stratégies de survie que mettent en oeuvre les jeunes débutants. Ceux-ci conçoivent le séjour dans ces établissements comme une étape courte et difficile de leur carrière. Ils sont pourtant parfois conduits à y rester en raison de la difficulté à intégrer d'autres établissements ou des bénéfices extrinsèques liés à l'exercice du métier dans ces contextes (bonification indiciaire permettant de partir pour un établissement « meilleur » plus tard, davantage de moyens au titre de la discrimination positive, des loyers à bas prix à proximité de Paris (Becker (1952); Woods (1977)). Ces stratégies relèvent de deux logiques. La première est une logique de « positivation » des élèves. Elle se traduit par le recours à la fraternisation, plus courante chez les hommes, c'est-à-dire à des attitudes et à des pratiques qui jouent sur la proximité d'âge, de références culturelles et de goûts pour bâtir une connivence susceptible de favoriser l'implication scolaire des élèves, ou à la compassion, plus courante chez les femmes, c'est-à-dire à des attitudes et à des pratiques dictées par la sensibilité à la souffrance que l'on perçoit chez ces élèves. La deuxième est une logique plus professionnelle où l'on peut percevoir l'influence de nouveaux modèles de formation qui insistent sur l'acquisition des compétences. En effet, ces « nouveaux » enseignants adoptent un point de vue qui les conduit à concevoir les établissements « difficiles » comme un terrain d'expérimentation et d'apprentissage d'un ensemble de savoirs et des savoir-faire susceptibles d'être réutilisés ailleurs, sans que l'on puisse toujours exclure l'hypothèse qu'il s'agisse d'une rationalisation destinée à réduire les insatisfactions professionnelles du moment:

« J'ai choisi de rester ici parce que, justement, l'année dernière avec une de mes sixièmes, ça s'était très mal passé et je n'ai pas voulu rester sur ce sentiment d'échec. Et je me suis dit que, pour moi, personnellement, il fallait que je remette le pain sur la planche et que je revienne au même endroit et que je recommence et que je progresse ici. S'il y avait un endroit où je pouvais progresser, c'est un endroit où je n'avais pas été satisfaite et il fallait que je recommence, jusqu'à ce que je fasse des progrès, que j'aie l'impression, vraiment, d'avoir progressé dans le métier. Parce que l'objectif quand même, à long terme, c'est de devenir un bon prof! Donc, voilà, je pensais que j'avais encore plein de choses à apprendre et que, à partir du moment où l'on arrive à faire des choses ici, à faire progresser les élèves et qu'on a de petites victoires ou des satisfactions ici, je pense qu'on est à peu près capable d'aborder n'importe quel type d'établissement et n'importe quel type d'élèves, de classes, quel que soit l'endroit où on va après. Et que, cette étape de formation, même si elle est un peu à la hussarde, il faut la faire maintenant parce que je ne pense pas que j'y reviendrai à 40 ans, quoi! »

(Professeure certifiée d'histoire-géographie, collège Verlaine, depuis 2 ans dans l'établissement)

Mais si les « stratégies de survie » permettent de faire face pendant quelques années aux difficultés quotidiennes rencontrées dans l'exercice du métier, il apparaît difficile de bâtir un projet à long terme sur cette perspective. Dès lors qu'il n'y a pas fuite réelle ou virtuelle des établissements « difficiles » et que les enseignants cherchent à continuer à avoir des satisfactions professionnelles dans l'exercice de leur activité, un processus d'adaptation

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contextuelle se met en place qui ne relève pas seulement de la simple réaction à des situations. Il s'agit d'une construction plus complexe d'un modèle pratique de ce qu'il est possible, pertinent et acceptable de faire dans les établissements concentrant les publics le plus en difficulté (Burgess (1988)). Une première dimension de cette adaptation est la capacité à faire face aux problèmes de maintien de l'ordre grâce au maniement de diverses techniques. Chez les femmes, ces techniques relèvent le plus souvent du rapprochement affectif et d'une approche psychologique « douce ». Les professeurs hommes et certains professeurs femmes qui adoptent plutôt un style masculin ont davantage recours à l'humour ou à la répartie comme moyen de réguler les échanges. Si l'on peut concevoir ces techniques comme une élaboration plus complexe des stratégies de survie, il faut néanmoins souligner la dimension de maîtrise du métier que sous-tend leur utilisation. L'expérience permet en effet d'acquérir une forme d'assurance fondée sur la capacité à prévoir les réactions des élèves et les siennes propres et de s'en servir habilement, ainsi que sur la capacité à prendre de la distance, à jouer un rôle. L'enracinement dans l'établissement favorise en outre l'acquisition d'une réputation à l'intérieur et à l'extérieur qui fonctionne aussi comme un mécanisme central de régulation des problèmes de discipline et qui peut être perçue comme un des principaux avantages d'une carrière de longue durée dans ce type d'établissement (Becker (1952)):

« Maintenant, je n'ai plus besoin en début d'année de m'imposer aux élèves, puisque j'ai maintenant les enfants d'anciens élèves; j'ai toute une réputation par les cités, les familles, les grands frères. Les gamins, quand ils arrivent, savent à peu près à quoi s'en tenir. Donc ils ne me testent pas, ce qui est très pénible. Ils savent, et pour certains parents, ça les rassure [...] Je suis devenue beaucoup plus sûre de moi. Il y a une sûreté en moi qui fait que je n'ai pas besoin de prendre des sanctions contre certains élèves. Moi, si un élève me menace, je me moque de lui, je peux être très provocatrice aussi, c'est-à-dire faire l'inverse de ce qu'ils attendent [...] De toute façon, ils savent qu'ils ne m'atteignent pas, ils le sentent! »

(Professeure certifiée d'histoire-géographie, collège Apollinaire, depuis 27 ans dans l'établissement)

Mais l'adaptation contextuelle concerne aussi les objectifs, les contenus et les activités d'enseignement. Confrontés à un public rencontrant des difficultés multiples face aux apprentissages, les enseignants sont tout d'abord conduits à opérer une forte sélection au sein des programmes officiels. Parmi les enseignants exerçant en ZEP, 83 % déclarent ne pas remplir entièrement les programmes (Antigny (1994)). Parmi ceux que nous avons interrogés, la majorité avoue y opérer « des coupes sombres », « sabrer », prendre seulement ce qu'ils jugent « positif ». Cette sélection s'accompagne également d'un ajustement des objectifs. Les exigences des programmes sont adaptées au niveau supposé des élèves et modulées en fonction des classes et des groupes, et même des dispositions, pouvant changer d'un jour à l'autre, des élèves, ce qui amène certains enseignants à abandonner toute planification de cours et d'autres, au contraire, à préparer plusieurs scénarios. Une partie des enseignants interrogés évoque aussi l'importance du travail destiné à rendre les contenus plus accessibles et plus attrayants qui implique notamment une transformation des pratiques d'enseignement allant dans le sens d'une place grandissante accordée à l'oral et à l'image et des stratégies pédagogiques fondées sur le jeu ou la théâtralisation (Rochex (1995)). Enfin, l'adaptation a également des répercussions importantes en matière d'évaluation. On observe notamment que l'attente de résultats en termes d'apprentissages cognitifs cède la place à l'attente de résultats en termes de motivation, de rapport au travail et de prise de confiance chez les élèves, ce qui revient à une remise en cause profonde de la place centrale occupée par la transmission de connaissances et le principe méritocratique dans l'enseignement secondaire français:

« Alors qu'avant on visait un résultat, quelque chose à laquelle ils aboutissaient, qui était valorisant pour eux, maintenant je constate que plus ça va, plus ce sont des enfants qui d'année en année sont dévalorisés, qui le sont depuis le C.P. et qui n'ont pas du tout confiance en eux, qui ratent parce qu'ils sont saturés d'explications; depuis qu'ils sont petits ça ne marche pas. Donc j'ai beaucoup plus l'objectif de les rassurer, de les réconforter par rapport à ce qu'ils peuvent faire et c'est vrai que je n'ai plus tellement cet objectif de l'aboutissement. »

(Professeure certifiée d'arts plastiques, collège Apollinaire, depuis 5 ans dans l'établissement)

« Tenir » dans ce type d'établissement, y éprouver des satisfactions professionnelles et y donner un sens au travail quotidien auprès des élèves supposent en fait une transformation profonde, non seulement des pratiques, mais aussi des principes qui guident ces pratiques. Ce qui distingue en fait de façon cruciale l'adaptation contextuelle des stratégies de survie est l'émergence progressive d'une éthique professionnelle contextualisée.

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Cette éthique repose tout d'abord sur le développement d'un regard positif sur le public. Ce regard renvoie à une construction cognitive et morale plus complexe que celle que sous-tend les stratégies de fraternisation et de compassion et implique souvent une disqualification des parents car, en leur faisant porter la responsabilité des comportements déviants de leurs enfants, ces derniers sont en quelque sorte « dédouanés ». Toutefois, la « rédemption » sociale des adolescents va souvent de pair avec une vision très négative de leurs capacités intellectuelles en tant qu'élèves. De façon cohérente, cette conception conduit alors à attribuer une valeur très positive au rôle d'éducation que jouent les enseignants. Contrairement aux enseignants travaillant dans des contextes favorisés qui mettent en avant leur rôle de transmetteurs des connaissances, les enseignants s'inscrivant dans une logique d'adaptation qui leur permet de « durer » dans les établissements difficiles mettent en avant le caractère engagé, voire humanitaire de leur rôle. Ceci leur permet de retrouver le sens d'une mission qui n'est pas très éloignée de celle d'autres acteurs engagés dans l'action sociale auprès des pauvres et des populations en situation précaire (Bourdieu (1993)):

« On ne reste pas le prof qui déballe un savoir et puis c'est tout... Oui, j'adhère tout à fait à cette évolution du métier, c'est un peu ce que je reproche au lycée, on a une obsession, c'est le bac, c'est important, c'est tout à fait normal, mais ici on a un rôle humain. »

(Professeure certifiée de sciences naturelles, collège Apollinaire, depuis 19 ans dans l'établissement).

Cette adaptation contextuelle nous semble l'orientation dominante parmi les enseignants qui choisissent de rester dans les établissements périphériques aujourd'hui sans adopter une posture totalement désenchantée. En effet, si la proportion d'enseignants qui adoptent des postures de fuite, réelle ou virtuelle, est moins importante que ne le laisse entendre un certain discours alarmiste, il faut également souligner que les enseignants « mobilisés », pour qui l'expérience participe d'un mode de développement professionnel lié à un projet social, constituent eux aussi une minorité. Ces enseignants semblent réussir à faire le lien, de façon plus ou moins durable, entre les élèves « comme ils sont » localement et des finalités éducatives globales. Dans la pratique, ces enseignants cherchent à construire l'élève à partir d'une posture visant à découvrir les capacités de chacun et à les développer à travers une expérimentation pédagogique permanente qui entraîne beaucoup de remises en question. À l'instar d'autres professionnels travaillant auprès de publics « difficiles », les enseignants renoncent ici à une expertise fondée principalement sur la qualification par les diplômes pour développer une compétence professionnelle fondée sur le retour réflexif sur l'expérience, mais à partir de cadres élaborés collectivement avec d'autres collègues de l'établissement ou avec l'aide de divers spécialistes à travers la formation continue (Demailly (1987); Bautier (1995)). Toutefois, si la réflexion didactique et pédagogique occupe chez ces enseignants une place centrale, leur modèle repose aussi sur une éthique professionnelle qui met au centre la construction de la citoyenneté en essayant de bâtir un lien entre le monde des élèves et celui de la Cité.

La socialisation professionnelle par les pairs: collégialité autonome, cohésion procédurale et travail en équipe

Le processus d'adaptation dans les établissements « difficiles » est le plus souvent conçu comme un processus individuel. Pourtant, si la solitude dont se plaignent de nombreux enseignants correspond à une absence de communication fréquente dans des établissements où cohabitent des enseignants exerçant leur métier de façon désengagée et d'autres qui songent surtout à partir, les difficultés rencontrées dans l'exercice du métier tendent aussi à favoriser des rapprochements plus forts entre enseignants que dans les établissements « ordinaires ». En effet, la déstabilisation engendrée par le contact avec des publics en difficulté pousse à rechercher le soutien moral des collègues. Or à travers ces échanges informels à l'intérieur de l'établissement, qui se poursuivent parfois à l'extérieur, les collègues exercent une influence d'autant plus importante que son caractère diffus lui permet d'échapper au contrôle de l'administration. Il s'agit donc d'un mode de régulation autonome qui doit être analysé autrement que comme une façon pour les enseignants de soulager un peu en coulisses la tension ressentie dans les situations où ils occupent le devant de la scène face aux élèves (Woods (1983)). Ces relations collégiales ne s'établissent cependant pas avec tous les collègues: des clivages multiples entre différents réseaux sont souvent perceptibles (Dutercq (1991)). Celui qui nous est apparu le plus important dans notre enquête est celui qui oppose les « anciens », pour qui ces relations relèvent d'un modèle de type fusionnel lié à un ancrage temporel long dans l'établissement et à un attachement de caractère affectif à celui-ci, aux « nouveaux » enseignants. Ceux-ci, à l'instar d'autres jeunes professionnels du service public, développent des relations plus éphémères et plus affinitaires dans un lieu de travail qui est vécu comme une étape dans la carrière et comme un

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temps et un espace public nettement distinct du temps et des espaces privés (Francfort et alii (1995)).

Pour les « anciens », les échanges répétés avec les collègues jouent un rôle essentiel de réaffirmation identitaire. Ils permettent en effet de forger une définition commune de la situation qui réduit fortement les incertitudes professionnelles. Un modèle communautaire tend alors à se développer qui éloigne ce segment du groupe enseignant du modèle réglementaire d'un Corps régi par des statuts fixés par l'État et le rapproche du modèle de la communauté autogouvernée d'égaux (Bucher et Strauss (1961)):

« Je dirais que l'une des conditions qui fait qu'aujourd'hui encore, bien qu'on soit zone sensible, c'est encore tout à fait vivable dans ce collège, c'est parce qu'il existe cette équipe de gens qui se retrouvent régulièrement, qui mangeons ensemble et qui avons cette vision relativement voisine. »

(Homme, PEGC de maths-physique, collège Apollinaire, depuis 26 ans dans l'établissement)

Cela est rendu possible par l'effet conjugué de différents facteurs. Le rapprochement entre les enseignants qui choisissent de rester dans ces établissements peut être tout d'abord attribué à la proximité des âges, des origines sociales, des trajectoires scolaires et professionnelles. Ainsi, parmi la quinzaine d'« anciens » qui subsistent encore au collège Apollinaire, on trouve une majorité d'enseignants ayant entre cinquante et soixante ans, issus de milieu populaire, ayant connu une ascension sociale à travers l'école et qui ont débuté leur carrière comme professeurs d'enseignement général de collèges (PEGC) ou comme maîtres auxiliaires. Mais ces traits communs ne favorisent la fusion que parce qu'ils sont « activés » dans un contexte d'enseignement spécifique où les titres, et la qualification professionnelle qu'ils sanctionnent, ne protègent pas de façon évidente de la pénibilité du travail (Demailly (1987)). Peu à peu, la hiérarchie des statuts - agrégé, certifié, professeur d'enseignement général de collège, ou maître auxiliaire - et celle des rattachements disciplinaires - du professeur de mathématiques jusqu'au professeur d'arts plastiques ou de musique - s'effacent au profit d'une égalité de condition entre enseignants:

« Moi, je suis prof d'EPS, mais à côté de cela je suis professeur au collège Apollinaire. Il n'y a pas ce préjugé lié aux matières. L'enseignant est un adulte face à des gosses un peu difficiles, ça casse la structure classe. »

(Professeur certifié d'EPS, collège Apollinaire, depuis 14 ans dans l'établissement)

L'existence d'une communauté d'« anciens» soudée autour d'un certain nombre de valeurs et de manières de faire favorise la transmission de celles-ci aux « nouveaux ». Cette transmission informelle, qui passe par des échanges de points de vue, des conseils et des « coups de main », a beaucoup de chances de jouer un rôle important dans tout ce qui concerne le maintien de l'ordre. En effet, dans cette dimension de l'activité, les directives officielles sont de peu de secours et les « anciens » peuvent faire la preuve devant les « nouveaux » que « l'union fait la force », c'est-à-dire que la solidarité peut jouer un rôle essentiel de régulation informelle vis-à-vis des élèves sans avoir recours aux agents non-scolaires et au chef d'établissement. En revanche, la transmission réussie des normes d'établissement est plus problématique en matière d'enseignement. D'une part, dans ce domaine, la qualification peut davantage concurrencer la compétence et chaque discipline a son propre système normatif en matière de techniques didactiques et d'évaluation. D'autre part, il est clair que si un certain nombre d'« anciens » estime avoir une bonne maîtrise des problèmes de maintien de l'ordre, tel n'est pas le cas en matière d'enseignement où l'insatisfaction professionnelle est beaucoup plus grande face à l'échec scolaire d'une majorité d'élèves. Pourtant les incertitudes liées à l'écart entre les programmes et le niveau des élèves dans ces établissements portent davantage les jeunes à consulter leurs collègues plus âgés sur la pertinence de leurs choix que dans les établissements « ordinaires », et à adopter leurs façons de faire:

« Mes collègues m'ont beaucoup aidé au début de l'an dernier à mon arrivée. Ils m'ont apporté beaucoup de matériels pédagogiques, m'ont donné leurs sujets d'interro, leurs cours, m'ont montré les exercices qu'ils préféraient faire et ceux qu'ils ne voulaient pas faire. Mme B. m'a donné énormément de fiches faites par elle-même, ce qui a fait qu'elle m'a enlevé énormément de travail de côté là [...] Se concerter avec les collègues c'est un peu ce qui rassure aussi à défaut d'inspection car je n'ai jamais eu personne dans ma classe, j'ai peu de retour et j'ai un peu peur aussi d'être à côté de la plaque. »

(Professeur certifié de mathématiques, collège Apollinaire, depuis 2 ans dans l'établissement)

Cette transmission n'est cependant possible que dès lors qu'il y a une forte stabilité et une forte solidarité parmi

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les « anciens » comme au collège Apollinaire. Dans de nombreux établissements périphériques, la situation est plus proche du celle du collège Verlaine où les départs des « anciens », liés aux dynamiques démographiques et à un désengagement professionnel en fin de carrière que traduisent les demandes de mutation, et l'arrivée importante de « nouveaux », qui restent quelques années avant de demander eux aussi à leur tour leur mutation, empêche ce mode cohésion plus « mécanique » de subsister. Dans beaucoup de ces établissements, le taux très élevé de rotation des enseignants conduit à ce que les liens entre les professionnels de l'éducation s'affaiblissent ou disparaissent, entraînant un fonctionnement de type anomique. D'autres établissements, comme le collège Verlaine, réussissent à « tenir », mais rentrent dans un processus de balkanisation (Hargreaves (1992)). Les logiques communautaires et fusionnelles cèdent la place à une fragmentation en petits groupes formés sur la base des goûts et des intérêts communs partiels. Les « nouveaux » enseignants y développent une sociabilité générationnelle sélective à travers des échanges qui leur permettent de se soutenir mutuellement face aux multiples épreuves quotidiennes. Toutefois, contrairement aux « anciens », on observe chez-eux un désir plus fort de séparer ce qui relève du soutien moral et des échanges amicaux et ce qui relève d'une cohésion de type plus procédural autour de projets pédagogiques. En effet, ces « nouveaux » enseignants adhèrent, bien plus que les « anciens », à une certaine logique de professionnalisation à forte connotation managériale, acquise à travers la formation dans les nouveaux Instituts Universitaires de Formation de Maîtres (3) et encouragée par les textes officiels et par une partie des autorités hiérarchiques. Sans être toujours conscients de la façon dont ces nouvelles technologies sont des formes de contrôle permettant une gestion « libérale » du social dans les sociétés post-capitalistes (Bernstein (1996); Boltanski et Chiapello (1999); Courpasson (2000)), ils ont une vision du travail collectif au sein de laquelle les dispositifs formalisés, les procédures d'organisation et les techniques de gestion jouent un rôle important (Derouet et Dutercq (1997); Verhoeven (1999)) :

« Dans ce collège, il y a beaucoup de groupes de travail et c'est une très bonne chose. Il y a des réunions à l'initiative des enseignants; il y a des groupes de concertation qu'on appelle l'heure bleue. C'est l'occasion de mettre en place des devoirs communs, de parler des résultats d'une classe à l'autre. Il y a des choses. On ne rentre pas chez-nous le soir après avoir terminé notre dernière heure de cours. »

(Professeure certifiée d'allemand, collège Verlaine, depuis 1 an dans l'établissement)

Or, si tous ces enseignants évoquent le fait qu'ils travaillent en équipe, le sens donné à ce terme est très variable et ne correspond que chez une minorité à l'idée d'une collaboration en vue d'atteindre des objectifs pédagogiques ou éducatifs précis. Pour beaucoup d'enseignants, « anciens » et « nouveaux », le travail en équipe semble constituer au moins autant un moyen de se retrouver autour de certains modes de travail et d'un certain rapport au métier, que d'agir en direction des élèves. On fait des choses ensemble parce qu'on s'aime bien, à la limite indépendamment ou presque de ce qu'on fait, la dimension relationnelle prenant le pas sur l'efficacité pédagogique. Pour les « anciens », l'influence des réseaux de sociabilité est particulièrement importante car le travail en équipe, qui repose bien davantage sur des contacts et sur des connivences implicites que sur des procédures formelles de travail en commun, joue également un rôle symbolique important de valorisation d'une identité positive et d'une éthique professionnelle qui dépasse très largement son rôle proprement pédagogique:

« Est-ce que dans les `bons' établissements, type Henri IV ou Janson de Sailly, est-ce que le travail en équipe apporte les mêmes joies? Je n'en sais rien. Mais j'ai vraiment ancré en moi cette idée que, dans les établissements difficiles, seul le travail en équipe peut être une solution et une issue aux difficultés qu'on rencontre. De ça, je suis vraiment convaincu. »

(Homme, PEGC de maths-physique, collège Apollinaire, depuis 26 ans dans l'établissement)

En revanche les « nouveaux », qui critiquent la confusion qu'opéreraient les « anciens » entre la convivialité et les échanges proprement professionnels, insistent davantage sur la nécessité de renforcer les dispositifs formels. Ils sont néanmoins tellement préoccupés par les problèmes organisationnels engendrés par la mise en place de ces dispositifs que le travail en équipe finit par devenir un objectif en soi plutôt qu'un moyen au service d'un projet. Seuls quelques groupes semblent en mesure de faire du travail d'équipe à la fois un outil de développement professionnel et un outil d'amélioration des conditions de scolarisation de leur public. Il s'agit dans ce cas souvent des groupes où travaillent ensemble des « anciens » et des « nouveaux », qui s'appuient sur des apports extérieurs à travers des lectures, des stages et des expérimentations diverses, et qui sont soutenus par le chef d'établissement ou par des membres de la hiérarchie administrative.

La socialisation par le chef d'établissement:

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élan charismatique, collégialité « contrainte » et production locale de sens

Avec la massification et la décentralisation, les attentes à l'égard des chefs d'établissement se sont considérablement alourdies. Dans les collèges populaires notamment l'administration exige des principaux qu'ils maintiennent la paix dans l'établissement et qu'ils y impulsent des projets permettant de réduire l'échec scolaire. Pourtant, en France, ceux-ci n'ont jamais pu jouer un rôle important de coordination hiérarchique auprès des enseignants étant donné qu'ils ont peu de contrôle sur l'essentiel, c'est-à-dire l'activité pédagogique dans la classe. Il est vrai que la décentralisation et les injonctions institutionnelles de travail par projet, en équipe, dans le cadre de contrats d'objectifs susceptibles de faire l'objet d'évaluations externes au sein des établissements, ont doté aux chefs d'établissement de ressources nouvelles pour assurer une coordination associative. Celle-ci laisse cependant une marge d'appréciation et d'autonomie importante aux associés, c'est-à-dire aux enseignants, ce qui pose le problème de la façon dont ceux-ci conçoivent le rôle du chef d'établissement et les fondements de sa légitimité à encadrer leur activité. Or si les enseignants des établissements « difficiles » sont plus portés que leurs collègues à accorder un rôle important à la direction, leurs attentes à son égard ne sont pas nécessairement convergentes.

Chez les « anciens », il peut y avoir une certaine tendance à nier l'importance du rôle d'impulsion du chef d'établissement. Comme nous l'avons vu, dès lors que la compétence est essentiellement rapportée à l'expérience, l'ancienneté, la bonne connaissance des élèves et du quartier, ainsi que la cohésion interne, quand elle existe comme au collège Apollinaire, permettent de revendiquer une certaine autonomie de fonctionnement, une « autogestion » des difficultés et une prise en charge collective de la socialisation professionnelle de nouvelles recrues. Cette tendance a d'autant plus de chances de se développer que, dans de nombreux établissements périphériques, les chefs d'établissement ne restent que quelques années avant de repartir vers des établissements plus tranquilles et plus prestigieux. Pourtant, ces enseignants sont au fond toujours demandeurs d'une personnalité capable de donner un élan de type charismatique à l'activité en direction des publics les plus en difficulté par un engagement personnel dans une mission. Quand le chef d'établissement ne semble pas pouvoir assumer ce rôle, celui-ci est souvent au moins partiellement dévolu à un enseignant qui assume le leadership des projets pédagogiques et se pose souvent en concurrent potentiel du chef d'établissement. Ceci n'empêche pas cependant les enseignants de regretter une absence de soutien qu'ils lient à l'investissement plus important du chef d'établissement dans d'autres activités:

« Les principaux actuellement s'occupent beaucoup de finances et de commerce extérieur, c'est de la relation publique, de la communication, tous les mots à la mode, mais ils ne sont plus dans l'établissement [...] M. P. est un excellent public relations. Il est excessivement brillant dans ce domaine, tant mieux pour nous! Disons que le collège est particulièrement représenté à l'extérieur; alors je souhaite que ce qui se passe à l'intérieur soit à la hauteur de ce qui se dit à l'extérieur. »

(Professeur certifié d'EPS, collège Apollinaire, depuis 14 ans dans l'établissement)

D'ailleurs, l'absence du chef d'établissement est d'autant plus condamnée que dans ce modèle, le maintien de l'ordre dans l'établissement est aussi perçu comme reposant largement sur la capacité du chef d'établissement à imposer son autorité aux élèves par un savant dosage de rapprochement et de prise de distance et par l'instauration informelle d'un ensemble de normes locales de fonctionnement. De fait, la légitimité de type charismatique qui est attribuée au chef d'établissement fait que la cohésion et la motivation de la communauté émotionnelle que forment, jusqu'à un certain point, les enseignants sont toujours fortement menacés par sa disparition ou par sa présence « en pointillée » dans l'établissement.

Les « nouveaux » enseignants sont quant à eux plus portés à mettre l'accent sur le rôle du chef d'établissement en matière d'adéquation des moyens aux fins visées par l'institution. C'est souvent en fonction de critères se rapportant à cette logique (compétences en matière de coordination, d'animation et d'évaluation des projets et des équipes) que ces enseignants évaluent positivement ou négativement l'activité de l'administration de l'établissement:

« Il n'y a pas d'impulsion ni d'élan donné par le principal. Il a la volonté d'assumer un rôle pédagogique, mais il ne sait pas mobiliser une équipe. Je crois qu'il y a un problème de formation à la gestion du groupe, un groupe, ça se gère et ça se gère au niveau de la communication interne et je crois que le gros écueil dans un collège qui est une entreprise à une toute petite

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échelle, c'est la synergie. »

(Professeure certifiée d'espagnol, collège Verlaine, depuis deux ans dans l'établissement)

Dans le modèle, que l'on peut appeler rationaliste-managérial, on attend moins du chef d'établissement des certitudes morales ou une présence intensive, qu'une capacité à coordonner les actions des uns et des autres. Ce modèle en apparence plus égalitariste donne cependant lieu à de multiples conflits de pouvoir car les enseignants perçoivent de façon confuse qu'il relève d'une « collégialité contrainte » qui est en fait, dans les organisations libérales, au moins autant un nouveau mode de contrôle qu'un moyen de résolution collective des problèmes (Hargreaves (1992); Ball (1994)) :

« Au début, il y avait un groupe de pilotage pédagogique qui réfléchissait sur le projet d'établissement et qui était très chapeauté par le chef d'établissement et tellement chapeauté que, finalement, il y a eu une impression de non-sens du travail que nous fournissions, parce que ce qui ressortait de notre travail était peu pris en considération et que, finalement, les décisions étaient toujours prises en amont et qu'elles nous tombaient dessus sans plus de concertation, ni de négociations. Donc, du coup, on a suspendu ce travail du groupe de pilotage pédagogique et on a formé de petits groupes beaucoup plus informels de réflexion entre nous, entre collègues. »

(Professeure certifiée d'espagnol, collège Verlaine, depuis deux ans dans l'établissement)

Parmi les enseignants les plus engagés collectivement dans des actions visant à réduire l'échec scolaire et l'exclusion des adolescents de la périphérie, les attentes des « anciens » et des « nouveaux » coexistent avec une beaucoup plus grande insistance sur la nécessité pour le chef d'établissement de donner un sens local à leur investissement. Si ces enseignants cherchent clairement un leader susceptible de mobiliser et de remobiliser les troupes, ils attentent surtout de celui-ci qu'il soit capable d'énoncer clairement les finalités des actions. Ils souhaitent aussi qu'il ou elle soit capable de soutenir les enseignants dans leurs doutes, leurs tâtonnements et leur construction progressive d'un mode de fonctionnement approprié aux besoins de leur public et de redresser les erreurs commises en cours de route grâce à son expérience professionnelle et à la possibilité, grâce à sa fonction, d'adopter un point de vue plus détaché par rapport aux situations concrètes. Ces enseignants exigent aussi du chef d'établissement des compétences organisationnelles, mais celles-ci sont subordonnées à une capacité plus globale, celle d'être en mesure d'édicter, voire d'incarner une norme éducative d'établissement:

« Moi je crois que si le chef d'établissement croit en un certain nombre de valeurs et en un certain nombre de choses, il peut faire en sorte que l'établissement tourne d'une certaine manière, et donc impulser, jouer un peu comme le chef d'orchestre qui arrive à faire sortir de chaque personne le meilleur pour la même cause, c'est-à-dire satisfaire le public. »

(Professeur certifiée d'italien, suivant actuellement une formation pour devenir chef d'établissement, collège Verlaine)

Or beaucoup de ces chefs d'établissement ne peuvent que décevoir profondément ces attentes qui entrent en contradiction avec leurs logiques de carrières et avec la vision qu'ils ont eux-mêmes de leur métier. Ainsi, les chefs d'établissement répugnent à s'investir dans le maintien interne de l'ordre qui est à leurs yeux une activité bien moins noble que l'enseignement et bien moins prestigieuse que le travail externe de coordination, de promotion et de représentation de l'établissement (Grellier (1998)). Certes, ils se présentent souvent à l'extérieur, notamment auprès des parents d'élèves, comme les garants de la Loi non seulement à l'intérieur de l'établissement mais aussi par rapport au quartier en opposant la règle scolaire à l'anarchie de la cité. À l'intérieur, ils se font également volontiers les porte parole d'un discours officiel sur la citoyenneté qui s'adresse à tous les personnels, mais plus particulièrement aux enseignants, et qui leur permet de manifester à la fois leur adhésion aux objectifs institutionnels et leur prise en compte des caractéristiques de leur public. Ils peuvent aussi trouver une forme de valorisation dans le fait de jouer un rôle de conseil, notamment auprès des personnels débutants, au nom d'une logique éducative globale et d'une prise en compte de la spécificité du public:

« Il arrive qu'un enseignant ait un comportement qui nécessite un entretien et que je lui dise : est-ce que vous auriez fait ça à votre propre enfant? donc il n'y a aucune raison de le faire à un autre ou si quelqu'un avait fait ça à votre gamin, comment est-ce vous auriez réagi?. Je ne vais pas adopter cette approche avec tous, mais je crois que c'est important d'avoir cette approche-là. »

(Principal collège Apollinaire)

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En revanche, ce que les chefs d'établissements travaillant dans des établissements périphériques cherchent à tout prix à éviter, c'est de se mêler de la gestion quotidienne de la discipline et des multiples conflits qui ne manquent pas de surgir entre les enseignants et les élèves et également entre les enseignants et les autres catégories de personnel. Ceci donne lieu à un phénomène classique de délégation en direction des principaux adjoints et des conseillers d'éducation, ces derniers devenant d'autant plus les représentants « internes » du chef d'établissement que celui-ci est monopolisé par les échanges avec l'extérieur (Kherroubi et van Zanten (2000)).

Beaucoup plus nombreux sont les chefs d'établissement qui souhaitent s'investir davantage dans le domaine éducatif. Un certain nombre ont d'ailleurs quitté l'enseignement car ils s'inscrivaient en opposition aux logiques individualistes de travail dominantes dans la profession. Ils approuvent les nouvelles directives managériales de l'administration qui élargissent leurs compétences dans ce domaine et ce d'autant plus qu'ils ont tout intérêt à relayer les incitations institutionnelles pour se faire apprécier par leurs supérieurs (Pélage (1998)). Beaucoup se présentent d'ailleurs comme jouant un rôle d'intermédiaires entre les normes officielles et les pratiques professionnelles à partir d'une critique de l'immobilisme, des cloisonnements et du passéisme du monde enseignant:

« Ils ne travaillent pas beaucoup en équipe, ce qui de nos jours est quand même une faute quasiment, professionnelle. Ils ne sont jamais aux avant-postes, donc ils font plutôt figure d'éléments un peu nostalgiques d'un passé qui ne reviendra pas, d'une époque où il y avait 200 élèves en sixième, 200 en cinquième et puis, tout d'un coup, il n'y en avait plus que 100 en quatrième, c'est fini ça! Il y en a 200 en cinquième, il y en a 200 en quatrième (rire) et il faut s'en occuper, voilà! [...] Nous, notre problème, c'est parfois d'avoir l'impression qu'on ne réussit pas assez à faire bouger les profs. Bon, maintenant, quand on se dit qu'il y en a plus de la moitié qui sont dans des actions de projets, qui font des parcours diversifiés, qui se réunissent, qui font du travail d'équipe, on se dit que ça marche quand même. »

(Principal collège Verlaine)

Pourtant, les chefs d'établissements sont souvent conduits à délaisser cette dimension de leur travail en raison des sollicitations et des pressions externes en provenance de l'administration, des collectivités locales ou des parents. Surtout, leur investissement est fortement limité par le fait qu'ils ne se sentent pas en mesure d'assumer un véritable leadership pédagogique, faute de temps, de moyens, et surtout d'un projet cohérent au niveau national qu'ils pourraient décliner localement:

« Je rencontre beaucoup de profs qui sont malheureux, qui n'ont plus foi dans leur mission qui en fait ne se sentent pas bien dans leur peau, dans leur métier, dans leur convictions, mais je ne sais pas comment on peut leur donner la foi dans leur métier, ce n'est pas à moi de le faire. »

(Principal collège Verlaine).

Ils adoptent de fait une position qui met beaucoup plus l'accent sur la régulation procédurale que sur la régulation normative.

Conclusion

Cette analyse des modes de régulation de l'activité enseignante dans les établissements scolaires de la périphérie montre l'importance, dans les établissements qui sont encore préservés de la spirale anomique engendrée par la fuite et le désengagement des enseignants, d'une régulation autonome qui repose largement sur une interaction avec les élèves, médiatisée par la prise en compte du point de vue et des façons de faire des collègues. En effet, l'observation indirecte ou directe des pratiques des autres, les discussions informelles à l'intérieur et à l'extérieur de l'établissement, les échanges d'avis sur les élèves, des « recettes » en matière de discipline ou de devoirs et d'exercices permettent de construire progressivement des normes communes qui diffèrent de celles en vigueur dans des établissements accueillant des proportions moins importantes d'élèves en difficulté. Si tous les enseignants n'adhèrent pas au même degré à ces normes, la présence d'une minorité importante et soudée qui les partage et s'en fait le vecteur auprès des nouveaux arrivants dans l'établissement, joue un rôle central dans le maintien d'un certain niveau d'engagement et de cohérence dans le travail qui empêche la prolifération de conduites déviantes chez les élèves et l'intervention « musclée » de l'administration.

Parallèlement, on observe aussi l'introduction dans ces établissements de nouveaux modes de collégialité

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contrainte promus par l'administration pour assurer un contrôle plus souple et moins pesant. Ces nouveaux modes de régulation, qui reposent sur des procédures comme le projet, le travail en équipe ou l'évaluation externe, sont véhiculés par une large fraction des « nouveaux » enseignants pour qui ils s'inscrivent dans une logique de « professionnalisation » à laquelle ils adhèrent fortement. Ils sont en revanche regardés avec beaucoup de suspicion par les « anciens » pour qui il s'agit de « gadgets » destinés à produire une bonne image de l'établissement et surtout de son chef. En effet, les chefs d'établissement sont aussi, par obligation mais aussi de façon relativement volontariste, porteurs d'un discours sur ce type qui leur permet de mieux asseoir leur autorité pédagogique à l'interne, auprès des enseignants, et notamment des plus jeunes d'entre eux, et leur image dynamique à l'externe, auprès des parents, des collectivités locales et de l'administration. S'il n'est pas toujours évident de départager ce qui relève d'un changement dans le discours et d'un changement réel dans les pratiques, cette collégialité contrainte exerce aussi des effets non négligeables sur l'engagement temporaire des jeunes enseignants, sur une certaine redistribution des tâches et sur l'ajustement aux demandes de certaines catégories de parents (van Zanten (2000a)).

Pourtant, il apparaît évident qu'aucun de ces deux modes de régulation ne permet actuellement aux établissements de la périphérie de sortir de la situation de dépendance qui est la leur et de mettre leur autonomie au service de l'intégration des adolescents appartenant aux couches les plus défavorisées de la population. La collégialité autonome, notamment lorsqu'elle fonctionne en quasi-autarcie par rapport au reste du système scolaire et par rapport à des instances administratives, de formation ou de recherche susceptibles d'apporter un suivi et un regard extérieur aux enseignants, donne lieu à des formes d'adaptation contextuelle qui, tout en limitant la rébellion des élèves ou la révolte de leurs parents, ne fait in fine que reproduire les inégalités et les processus d'exclusion. La collégialité contrainte relève plus souvent du discours incantatoire que d'un changement réel au niveau du management des organisations scolaires, mais il peut néanmoins accroître la domination des établissements « périphériques » qui, au nom de la « modernisation » et de l'adaptation à la demande, ne proposent plus de projet clair en direction de la majorité de leurs élèves (van Zanten (2001)). On conçoit donc la très grande difficulté qu'éprouvent la poignée d'enseignants très mobilisés en faveur d'une amélioration de la scolarisation en milieu « difficile » à soutenir cette mobilisation dans la durée, à l'étendre à un nombre plus large des collègues et à bénéficier d'un appui effectif de la part des chefs d'établissement et des administrations locales.

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Notes

(1) Nous présentons une analyse d'ensemble sur le fonctionnement des établissements périphériques et ses effets sur l'évolution globale du système scolaire dans A. van Zanten (2001).

(2) Nous avons privilégié des entretiens de type « compréhensif » permettant de saisir la compréhension théorique qu'ont les acteurs des fondements de leurs activités et la surveillance réflexive qu'ils exercent sur elles et sur celles des autres (Giddens, 1984). De même, dans la construction des typologies présentées ici nous avons procédé par un va-et-vient continuel entre les catégories mises en oeuvre par les acteurs pour rendre intelligible leur environnement et pour agir sur lui et des catégories issues de l'analyse des données et de la littérature pertinente.

(3) Les Instituts Universitaires de Formation des Maîtres, créés en 1991, ont pour but d'offrir aux enseignants du primaire et du secondaire une formation initiale centrée sur une revalorisation de la

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dimension professionnelle par l'articulation des savoirs scientifiques et pédagogiques et par le développement de compétences, non seulement disciplinaires, mais également relationnelles et organisationnelles.

Association canadienne d'éducation de langue française (ACELF) 268, rue Marie-de-l'Incarnation, Québec (Québec) G1N 3G4 Téléphone: (418) 681-4661 - Télécopieur: (418) 681-3389 Site Internet: http://www.acelf.ca/c/revue/ © Copyright ACELF, Québec 2001.

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ACELF - Résumé

RÉSUMÉ

L'influence des normes d'établissement dans la socialisation professionnelle des enseignants: le cas des professeurs des collèges périphériques français

Agnès Morcillo - C.N.R.S., France

Éducation et francophonie Volume XXIX, numéro 1, printemps-été 2001 Le renouvellement de la profession enseignante : tendances, enjeux et défis des années 2000

RÉSUMÉ - ABSTRACT - RESUMEN

RÉSUMÉ

L'objectif de ce texte est de dégager quels sont les différents éléments à l'oeuvre dans la socialisation professionnelle des enseignants in situ en France et le type de régulation dont ils relèvent. Il analyse les perspectives des professeurs du secondaire qui font une partie tout au moins de leur carrière dans des collèges périphériques réputés « difficiles ». L'hypothèse sous-jacente est que, dans ces établissements, l'écart très important entre la conception dominante du rôle et les conditions réelles d'exercice du métier renforce l'importance d'une socialisation secondaire susceptible d'engendrer de profondes révisions identitaires. L'établissement est donc conçu comme un cadre central dans l'émergence de normes professionnelles contextualisées en milieu urbain défavorisé. L'analyse montre l'importance d'une régulation autonome qui repose largement sur une interaction avec les élèves, médiatisée par la prise en compte du point de vue et des façons de faire des collègues insérés de longue date dans l'établissement, ainsi que d'une régulation contrainte impulsée par des enseignants plus jeunes et par les chefs d'établissement. Mais elle laisse aussi entrevoir qu'aucun de ces modes de régulation ne s'avère en mesure de réduire la situation de dépendance des établissements de la périphérie.

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ABSTRACT

The objective of this article is to determine the different elements at work in the professional socialization of teachers in France and the types of regulation they fall under. It analyzes the perspectives of secondary school teachers who spend at least a part of their career in peripheral colleges, reputed to be "difficult". The underlying hypothesis is that, in these institutions, the very large gap between the dominant concept of the role and the actual conditions of practicing the profession, confirms the importance of a secondary socialization capable of bringing about significant reappraisals of identity. The institution is thus conceived as a central framework in the emergence of professional standards in the context of an underprivileged urban milieu. The analysis shows the importance of independent regulation, which relies heavily on interactions with students, mediatized through consideration of the perspectives and behaviours of colleagues who have been part of the institution for a long time, as well as obligatory regulation driven by the youngest teachers and heads of the institution. However, it also suggests that neither of these modes of regulation may be able to reduce the peripheral institutions' situation of dependency.

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RESUMEN

El objetivo de este texto es de mostrar los diferentes elementos que actúan en la socialización profesional de los maestros en Francia y el tipo de regulación de la que dependen. Se analizan las perspectives de los profesores de secundaria que inician su carrera en los colegios periféricos reconocidos como « dificiles ». La hipótesis subyacente es que, en dichos establecimientos, la

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ACELF - Résumé

distancia entre la concepción dominante del rol del maestro y las condiciones reales del ejercicio de la profesión es muy importante, lo que refuerza la importancia de una socialización secundaria susceptible de engendrar profundos cuestionamientos identitarios. El establecimiento escolar se concibe pues como un cuadro central en el surgimiento de normas profesionales conextualizadas en un medio urbano desfavorizado. El análisis demuestra la importancia de una regulación autónoma que reposa ampliamente sobre la interacción con los alumnos, mediatizada por la influencia que ejercen los puntos de vista y las maneras de actuar de los colegas que desde hace mucho tiempo laboran en el establecimiento escolar, así como de la coacción ejercida por los maestros más jóvenes y los directores de dichos establecimientos. Pero el análisis permite pensar que ninguno de esos modos de regulación es capaz de disminuir la situación de dependencia de los establecimientos escolares de la periferia.

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EF Vol. 29:1:05 - La construction sociale de la profession enseignante: un réseau d'histoires.

Le renouvellement de la profession enseignante : tendances, enjeux et défis des années 2000, Volume XXIX , No 1, printemps 2001.

La construction sociale de la profession enseignante: un réseau d'histoires

Isabel LELIS, Professeure et directrice Chercheuse dans l'équipe du Programme d'études graduées en sciences de l'éducation Département des sciences de l'éducation Pontifícia Universidade Católica do Rio de Janeiro, Rio de Janeiro, Brésil.

Table des matières

■ Résumé Abstract Resumen ■ Introduction ■ Entre le public et le privé, à quoi ressemble l'image de l'enseignement? ■ Temps et espaces de la formation ■ La force de l'école dans la socialisation professionnelle des enseignants ■ En guise de conclusion ■ Bibliographie ■ Notes

Résumé

Ce texte a comme objectif de mettre en lumière l'identité sociale des enseignants, forgée dans des processus de socialisation familiale, scolaire et professionnelle. Il s'agit de présenter, à partir d'histoires de vie d'institutrices, les significations attribuées à la profession dans des contextes de sélection sociale et scolaire. En s'appuyant sur des contributions de la sociologie, cette recherche a exploré la constitution de l'habitus chez les enseignants et enseignantes, les stratégies développées au sein de trajectoires ayant comme but la conquête de titres scolaires, les entrées informelles dans la profession, ainsi que le poids de la formation initiale et de l'école, en tant que locus de travail, dans la façon dont les enseignants et enseignantes vivent leur travail. En tenant compte du fait que la représentation sociale de l'enseignement, au moment de l'émergence d'une école de masse, a été modifiée, mettant ainsi en évidence des processus de déqualification des enseignants et enseignantes, cette étude remet en question les images de passivité, de négligence et d'incompétence technique qui leur sont attribuées par le pouvoir public et l'université. Elle suggère aussi qu'il est possible de travailler la dimension de la personne de l'enseignant, celle de l'organisation scolaire et celle de la profession comme étant une dimension collective et ce, par la voie de politiques publiques répondant davantage aux besoins concrets du corps enseignant.

Abstract

The Social Construction of the Teaching Profession: Intertwining Stories

The objective of this article is to shed light on the social identities of teachers, forged within the family, academic and professional socialization processes. Using the life stories of elementary school teachers, the article discusses the significance attributed to the profession in the contexts of social and academic selection. Supported by contributions from sociology, this research explores the constitution of the habitus in teachers, strategies developed during career paths whose goal is achieving academic qualifications, informal admission to the profession, the weight of early training and school, as well as work location, in the way teachers experience

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their work. This study challenges the images of passivity, negligence and technical incompetence that are attributed to teachers by public authorities and universities, by recognizing that the social representation of teaching, at a time when a school of the masses is emerging, has been modified, and thus demonstrating the processes of teacher dequalification. The author also suggests that it is possible to work on the dimension of the teacher as a person, as well as the academic organization and the profession as a collective dimension, through public policies which respond better to the concrete needs of the teaching force.

Resumen

La construcción social de la profesión docente: historias entrelazadas

Este texto tiene como objetivo arrojar luz sobre la identidad social de los aestros, identidad forjada por los procesos de socialización familiar, escolar y profesional. Se trata de presentar, a partir de historias de vidas de institutrices, las significaciones atribuidas a la profesión en contextos de selección social y escolar. Apoyándose en las contribuciones de la sociología, se busca explorar la constitución del habitus entre los maestros y las maestras, las estrategias desarrolladas durante las trayectorias cuyo fin era la obtención de títulos académicos y el ingreso informal en la profesión, asi como el peso de la formación inicial y de la escuela en tanto que lugar de trabajo en la manera en que los maestros y maestras viven su trabajo. Tomando en consideración el hecho de que la representación social de la docencia, al momento de surgir la escuela de masas, se modificó, y evidenciando los procesos de descalificación de los maestros y maestras, este estudio cuestiona las imágenes de pasividad, de negligencia y de incomptencia técnica que les han sido atribuidos por el poder público y la universidad. Se sugiere asimismo que es posible trabajar la dimensión personal del maestro, la de la organizacion escolar y la de la profesión como si fueran una dimension colectiva mediante politicas públicas que ofrezcan mejores respuestas a las necesidades del cuerpo docente.

Introduction

L'idée d'investir dans la recherche sur des trajectoires de vie d'institutrices (1) est née de l'insatisfaction face à un discours dominant sur la dévalorisation des savoirs et des pratiques des enseignants, considérés comme techniquement incompétents et politiquement désengagés vis-à-vis de l'enseignement dans les milieux défavorisés. Né à partir des années 80 au sein des bureaucraties de l'éducation et des universités, ce discours escamote les changements profonds qui se sont produits dans les modes d'intervention de l'État sur les systèmes d'enseignement et vient conforter le besoin de contrôler l'autonomie de l'instituteur à travers la rationalisation (et la privatisation) du travail qu'il réalise à l'intérieur de l'école et de la salle de classe (Nóvoa (1998)).

Certes, des formes de régulation de la profession enseignante sont nécessaires. Mais elles doivent être respectueuses de l'expérience du maître et prendre en considération des processus dynamiques et interactifs de formation continue, vécus dans des espaces concrets par le collectif que constitue ce groupe professionnel. Toutefois, ce à quoi on assiste aujourd'hui, dans plusieurs pays du monde, obéit à une logique qui privilégie la rationalisation technique du travail professoral à plusieurs niveaux (évaluation, curriculum, etc.), à partir d'une perspective scientiste, élaborée au sein des agences gouvernementales et des universités (Nóvoa (1998)).

En ce sens, travailler avec des biographies narratives signifie qu'il est possible de remettre en question cette logique qui se manifeste dans la représentation d'une catégorie professionnelle, marquée par des classifications aprioristes, en définissant un palier de formation initiale qu'elle doit posséder, les savoirs et les compétences qu'elle doit dominer, et le degré de professionnalisme qu'elle doit atteindre. Cette démarche représente également une solution de remplacement aux approches fondées sur des systèmes qui délimitent et qui moulent le monde comme il doit être (Popkewitz (1992)), ces approches étant, à mon avis, prisonnières aussi bien d'une tendance à un « abstractionnisme » lorsqu'elles ignorent la dynamique des pratiques scolaires (Azanha 1992)) que d'un « substantialisme » qui anéantit les mouvements des agents sociaux dans le temps et dans l'espace.

J'ai opté pour l'approche biographique parce que j'ai la conviction qu'aucune histoire de vie n'est qu'une simple trajectoire isolée.

« Au contraire, elle est toujours inscrite dans une matrice, plus au moins ample et complexe, de rapports sociaux qui, dans une large mesure, l'informent et dont elle retire une partie considérable de sa logique, de sorte qu'elle finit nécessairement par la refléter ». (Ribeiro (1995, p. 133))

En utilisant cette voie, il a été possible d'identifier des lignes d'orientation de la vie sociale et professionnelle, à partir de conditions sociales d'existence révélatrices des valeurs, des attitudes et des comportements des agents

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et des groupes sociaux (Velho (1987)).

S'il est vrai que la littérature internationale de la dernière décennie sur la profession et la professionnalisation de l'enseignant a été extrêmement stimulante, tant du point de vue des dangers qui entourent le contrôle politique du travail enseignant, ayant pour conséquence la séparation des activités de conception et d'exécution, que de celui des idéologies qui sous-tendent le principe de la rationalité technique présente dans la propre définition de la profession enseignante, il est également vrai qu'il faut investir dans la compréhension des significations attribuées au travail enseignant au-delà de certaines formulations qui perpétuent le débat sur le statut de l'enseignement, à savoir s'il s'agit d'une profession à part entière, d'une occupation semi-professionnalisée ou d'une occupation en voie de professionnalisation (Nóvoa (1998); Perrenoud (1996)).

Ce débat semble être attaché à un discours qui progresse peu sur la tension entre la pluralité des significations attribuées à la profession par les enseignants et un projet davantage organique capable de faire face aux défis liés à l'école de masse et à la valorisation de ses agents, les professionnels de l'enseignement, en particulier ceux qui travaillent dans des contextes marqués par la sélectivité sociale et scolaire.

Dans un livre publié récemment sur le métier d'enseignant, Arroyo (2000) introduit l'image d'une culture du professorat constituée de nombreux fils. En ne privilégiant qu'un seul d'entre eux, on court le risque de ne pas saisir toute la complexité du travail enseignant. En m'appuyant sur cette image, je me propose, dans ce texte de réfléchir sur l'identité sociale des enseignants, forgée dans des processus de socialisation familiale, scolaire et professionnelle. J'ai donc choisi d'utiliser les histoires de vie d'enseignantes habitant la ville de Rio de Janeiro et travaillant dans des écoles primaires (2) publiques et privées, et ce, dans le but de dévoiler des fragments des processus invisibles de la constitution de l'habitus professionnel, pour ainsi parvenir à relativiser les images de passivité, de négligence et d'incompétence technique qui sont attribuées à ces enseignantes par le pouvoir public et l'université. Il s'agit d'affirmer que l'histoire sociale du professorat est une arène faite d'un ensemble d'histoires qui s'interpénètrent :

● l'histoire de la construction du champ intellectuel de l'éducation et de la profession;

● celle des luttes et des stratégies des enseignants et des enseignantes par rapport à l'État;

● celle de la construction de l'école et du savoir qui y circule;

● mais aussi celle construite à partir de la manière dont les enseignants et les enseignantes « agissent, pensent, sentent, vivent, et ce, à l'intérieur et à l'extérieur du travail, dans la totalité de leurs espaces, de leurs temps et de leurs relations sociales » (Arroyo (2000, p. 199)).

Entre le public et le privé, à quoi ressemble l'image de l'enseignement?

Plus que celle de n'importe quelle autre catégorie professionnelle, la situation actuelle des enseignants de l'école primaire au Brésil a été abondamment décriée par les médias et par la production académique. Que ce soit du point de vue de l'origine sociale, du degré d'instruction obtenu ou encore des conditions de travail, la reconnaissance de la diversité sociale et culturelle existant chez les enseignants augmente les difficultés du débat entourant leur image sociale et publique. D'un côté, il y a la dévalorisation issue du passage à l'école de masse et de la démocratisation de l'enseignement, entraînant la perte du prestige lié à la possession d'un savoir inaccessible à la majorité de la population. D'un autre côté, l'image demeure positive, tout au moins sur le plan symbolique, puisque l'on fait reposer sur les enseignants l'expectative et la responsabilité sociale d'un avenir meilleur (Nóvoa (1998)). Entre ces deux tendances, ce qui est mis en cause, c'est le projet d'une école de masse qui ne réussit pas à faire face à l'augmentation du nombre d'élèves, à leur hétérogénéité socioculturelle et à l'impact des nouvelles manières de traiter le savoir et l'enseignement (Lelis (1997b)).

Malgré la complexité de la place sociale occupée par les enseignants, ce qui se vérifie dans les récits des institutrices, si l'on considère leurs origines familiales, c'est un mouvement plutôt ascendant de leurs trajectoires sociales et institutionnelles. Provenant, en grande partie, des milieux défavorisés, les enseignants et enseignantes ont développé, tout au long de leurs itinéraires, des stratégies de conquête de titres scolaires, au prix d'un renoncement et d'une austérité en termes de style de vie, d'une ascèse, dans le sens dont parle Bourdieu (Nogueira (1991)).

C'est le cas d'Isolda, une institutrice noire habitant dans un quartier ouvrier de la ville de Rio de Janeiro, dont la trajectoire de vie est marquée par la ténacité à surmonter des obstacles de toutes sortes, au plan social et économique. Débutant à l'âge de douze ans sa vie d'institutrice en donnant des cours privés pour aider matériellement sa famille, elle a gravi peu à peu les marches de la scolarisation jusqu'à ce qu'elle obtienne son diplôme de lettres dans une université fédérale de prestige. Après avoir achevé son cours universitaire, Isolda a toujours passé avec succès les concours publics d'écoles prestigieuses auxquels elle a participé. Cependant, ne possédant pas d'expérience dans des institutions d'enseignement supérieur, elle ne réussit pas à être admise. Le diplôme d'enseignement supérieur, conquis avec beaucoup de difficulté grâce à sa volonté personnelle et malgré

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la fatigue de ses journées de travail, a provoqué un déplacement de position dans son champ professionnel, dans la mesure où elle devient également enseignante au deuxième cycle du primaire. Interrogée sur le poids de son expérience universitaire, elle relativise la fonction du savoir académique, en tant qu'outil de compréhension de la réalité et de perfectionnement de sa pratique. Après plusieurs années d'enseignement passées dans des écoles publiques fréquentées par les élèves les plus défavorisés, à inciter les jeunes à pratiquer la lecture et l'écriture, en ayant recours à la recherche dans la presse ou à la mise en scène de pièces de théâtre, Isolda justifie les mouvements réalisés à l'intérieur de la profession comme étant l'expression de la tension entre l'instabilité professionnelle et le maintien de la position conquise dans sa trajectoire, typique des couches sociales moyennes instruites.

À partir du cas d'Isolda et de tant d'autres institutrices, il devient clair qu'il faut, comme nous l'indique Nóvoa (1998), repenser le processus de professionnalisation de la profession d'enseignant au-delà de la logique de l'espace académique et des politiques de l'État inscrites dans un champ de pouvoir et de contrôle. De plus, ces exemples mettent en évidence le défi que constitue le fait d'accueillir, à la fois, un degré d'universalisme implicite dans le terme « profession » (Tardif (2000)) et la possibilité d'inclure des façons particulières d'entrer dans la profession et de vivre le travail d'enseignant dans des contextes sociaux où le problème de l'inégalité sociale et de la sélectivité scolaire n'a pas encore été résolu. À la limite, ils stimulent la réflexion sur la signification de l'expérience et du savoir universitaire pour la pratique professionnelle (Tardif (2000)), en particulier pour les segments des classes ouvrières qui investissent dans « l'étude » en tant que projet construit en fonction d'un code, d'expériences socioculturelles, de vécus et d'interactions interprétées.

« Le projet n'est pas absolument rationnel, mais c'est le résultat d'une délibération consciente à partir de la circonstance, du champ de possibilités dans lequel s'insère le sujet ». (Velho (1987, p. 27))

Il est certain que l'investissement dans la recherche sur des vies d'enseignants peut constituer une clé d'analyse féconde pour le développement professionnel plus que la simple possession de titres académiques acquis dans des institutions universitaires.

Toutefois l'identité sociale des enseignantes comporte également l'image, surtout depuis les deux dernières décennies, d'un épuisement des ressources culturelles, engendré par des conditions de travail défavorables, que ce soit le cumul de plusieurs postes d'enseignante dans divers établissements d'enseignement, ou le fait de travailler dans le domaine de l'éducation mais pas comme enseignante, ou encore le fait d'avoir d'autres occupations qui ne sont pas reliées à l'enseignement (Gatti et alii (1998)). La double ou triple journée de travail a des répercussions sur le quotidien des institutrices de bas statut socio-économique, par exemple la diminution des voyages et de la fréquentation des musées, des concerts de musique et des cinémas. Dans les témoignages obtenus, sauf exceptions, on observe un certain ressentiment face à la perte graduelle du goût pour la lecture, aux restrictions vécues en termes d'accès aux biens culturels et à leurs répercussions sur le style de vie et le travail de ces professionnelles (Lelis (1997a)).

À ce tableau s'ajoutent les difficultés de perfectionnement auxquelles doivent faire face les enseignants du réseau public, ce qui se traduit par un taux relativement bas de fréquentation de cours, de séminaires et d'ateliers de formation. Dans une étude réalisée auprès d'enseignants du réseau public de trois États du Brésil (le Maranhão, le Minas Gerais et São Paulo) et constituée d'un échantillon de 304 questionnaires classés selon la localisation, le degré scolaire, la discipline et le niveau socio-économique de la clientèle, Gatti et alii (1998) attirent l'attention sur le fait que la pratique de la lecture s'est révélée n'être que très peu significative.

Quoique 69 % des enseignants aient déclaré qu'ils lisent des revues spécialisées en éducation, l'activité de lecture spécialisée de la part des enseignants ne semble pas être très intense : 14 % des enseignants ont déclaré n'avoir rien lu dans les dernières années et 52 % affirment n'avoir lu que quelques textes ou articles. Seulement 18 % déclarent avoir lu des livres régulièrement. Une bonne partie de ceux qui ont affirmé avoir lu quelques textes dans les trois dernières années n'a pas été capable de citer le moindre auteur ou titre, et un pourcentage significatif n'en a cité qu'un seul. (Gatti et alii (1998, p. 256)).

Ana, qui est professeure de portugais, a deux tâches d'enseignement dans une école municipale, située dans un quartier de la zone sud de Rio de Janeiro. Elle a fait des études en lettres, en musique et en arts dans une université fédérale, et elle a obtenu des titres académiques reconnus sur le marché scientifique. Cette enseignante provenant d'une famille d'artistes paraît avoir hérité de la structure du capital familial, c'est-à-dire un volume plus grand de capital culturel (3). Son père a été professeur de mathématiques et a publié des livres de poésie. L'atmosphère de la maison a été marquée par la valorisation du goût pour le théâtre et pour la musique. Le style de vie d'Ana a subi des changements importants dans les dernières décennies, se traduisant par une restriction dans l'achat de livres et dans la fréquentation des théâtres et des concerts de musiques, ainsi que par une diminution des voyages. Dans sa narration, il ressort que la perte du pouvoir d'achat résultant de la détérioration

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des salaires payés aux enseignants du réseau municipal en est même arrivé à compromettre son existence, en rendant difficile l'accès aux régimes d'assurance maladie privés.

Ce que son histoire révèle, et qui pourrait s'appliquer à une bonne partie du corps enseignant, c'est un effort d'incorporation du capital culturel, où « l'avoir » est devenu « l'être », une propriété faite corps, devenue partie intégrante de sa pratique, un habitus (Bourdieu dans Micelli (1974)) qui a sûrement des répercussions sur la pratique professionnelle. Contradictoirement, le fait d'avoir incorporé un « brevet » de capital culturel ne constitue pas une garantie que les avantages des biens culturels et sociaux seront conquis (Bourdieu cité par Accardo et Corcuff (1986)).

Considérant que les transformations du style de vie ont fini par atteindre la subjectivité et la sociabilité de ces agents sociaux, l'image publique des enseignants et des enseignantes, lorsqu'on la compare avec celle des décennies passées, apparaît comme problématique puisqu'à côté de la représentation sociale de gens peu compétents ou peu qualifiés pour l'exercice de leur profession, l'imaginaire social actuel est encore fondé sur la rhétorique de la mission, du sacerdoce et de la vocation, archétype qui imprègne fortement l'histoire de ce groupe professionnel.

Sans partager l'idéal de vocation qui suggère des mots comme personnalisme, don, grâce divine (Haguette (1991)) et qui escamote la position occupée par les enseignants dans l'espace social, les enseignants, en réfléchissant aux conditions de vie des élèves et aux besoins que celles-ci imposent à la dynamique scolaire, comme par exemple la violence domestique, l'absence des parents dans le processus de scolarisation des enfants, la consommation de drogues chez les enfants et les jeunes, sont amenés à développer des stratégies d'enseignement et d'interaction qui prennent en considération les nouvelles caractéristiques de la clientèle. En ce sens, contrairement à ce qui ressort de la littérature des années 80, ils n'ont pas tourné le dos aux conditions d'existence de leurs élèves. En considérant que l'enseignant a eu besoin de changer sa pratique face à la faim, à la misère, aux jeunes mères célibataires, aux familles désintégrées, Vorraber Costa (1995) souligne la distance qui existe entre, d'une part, le discours objectif et rationnel sur le professionnalisme, réaffirmé dans les rhétoriques néo-libérales, dans les universités, ainsi que dans les textes officiels et, d'autre part, les pratiques sensibles et solidaires qui sont développées par des enseignants et qui sont très éloignées des logiques porteuses de la définition de ce que doit être la profession enseignante. Étant donné que l'objet du travail de l'enseignant est constitué d'êtres humains, les savoirs qui découlent de cette expérience ont besoin d'être légitimés éthiquement (Tardif (2000)), sous peine de voir disparaître une dimension structurante de la pratique. Voilà cependant un aspect de la profession qui demeure invisible et qui appartient au domaine privé, n'étant pas exploité de manière consistante dans les programmes de formation.

Culpabilisés parce qu'ils ne répondent pas aux exigences de l'activité scolaire quotidienne, les enseignants se retrouvent au milieu d'un feu croisé de pouvoirs et de contre-pouvoirs, dans une histoire d'isolement à l'intérieur de la salle de classe, ce qui contribue à empêcher un changement de leur statut socioculturel, malgré les mouvements entrepris par des associations professionnelles et des syndicats, surtout depuis la fin des années 70.

En réfléchissant à des solutions pour la construction d'une nouvelle identité d'enseignant, Nóvoa (1998) signale le besoin de surmonter la vision de misérabiliste qui a fini par envelopper les enseignants et qui interfère sur l'action pédagogique et sur l'ethos des enseignants du primaire. Seule une culture de coopération, de partenariat entre les écoles, l'État, les universités et les organismes existant au sein de la société civile, respectueuse des outils didactiques dont les enseignants disposent dans l'espace scolaire, pourra contribuer à la gestion des problèmes que des sociétés comme la nôtre présentent encore et qui se manifestent à travers les comportements et les pratiques des élèves.

Temps et espaces de la formation

Plus que n'importe quelle autre profession, l'enseignement au primaire est historiquement associé à l'imaginaire social fondé sur le don ou sur l'aptitude que seules les femmes posséderaient de façon naturelle. Le choix de cette profession s'expliquerait alors par l'opportunité qu'aurait la femme de mettre en pratique des habiletés apprises depuis sa naissance (Bruschini (1978)), ce qui traduirait en même temps une stratégie de survie et un puissant sens de la réalité face aux contraintes imposées à la femme jusqu'à aujourd'hui. La recherche sur des trajectoires de vie démontre que le sexe est un paramètre important pour comprendre les motivations qui poussent à choisir ce métier, si on le relie à la classe sociale, à l'ethnie et à la génération, puisque nous ne sommes pas caractérisés seulement par notre sexe ou par ce que la culture en a fait (Lopes (1991)). Différentes constructions sociales du genre féminin se manifestent dans la façon dont les enseignantes sont entrées dans le métier et y sont demeurées, ainsi que dans leur manière d'exercer la profession. Des facteurs comme une certaine familiarité avec le métier, développée à l'intérieur des groupes de référence, le poids de l'éducation féminine, un nombre restreint de possibilités sur le plan socio-économique, le besoin immédiat d'obtenir un emploi sûr dans un marché du travail ouvert et la conciliation entre l'étude et le travail (Lelis (1996); Gatti et alii (1998)) concourent à la constitution de dispositions plus ou moins favorables aux enseignants. Autrement dit, dans les récits des enseignantes, la force de socialisation familière, exprimée par des pratiques culturelles, des réseaux sociaux de circulation et des contraintes économiques a été largement citée.

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Cependant, un autre élément aide à comprendre l'image sociale de l'enseignante. À l'encontre du débat portant sur les critères de recrutement pour la carrière d'enseignant ou d'enseignante, ainsi que sur les savoirs et les habiletés qu'il ou elle doit posséder, les histoires de vie des enseignantes originaires de milieux défavorisés ont indiqué un parcours qui débute, de façon précoce, par des écoles improvisées à la maison et par des cours privés en tant que « répétitrices » (4) pour des élèves qui vont vers un échec scolaire dans les établissements publics. Il s'agit d'un réseau parallèle au système officiel d'enseignement, où se développe un travail marqué par la domesticité, porte d'entrée pour la profession, empruntée par quelques-unes des interviewées dans leur processus informel pour devenir enseignante. Dans le travail à domicile, les enseignantes jouent le jeu qui leur est possible de jouer et gèrent la continuité, ou la discontinuité, du temps de travail, en fonction de leur propre quotidien.

Clara raconte que, déjà lorsqu'elle était enfant, elle aimait jouer à « donner des cours », utilisant des boutons qui, dans son imagination, étaient vus comme étant la classe d'élèves. Le début de sa pratique s'est effectué à travers des cours privés qui, suite à leur succès, sont devenus une « petite école », fonctionnant dans sa maison, dans la zone rurale de la ville. Cette activité qui s'est prolongée pendant de nombreuses années était considérée comme une stratégie nécessaire pour payer le cours supérieur de lettres qu'elle a suivi, le soir, dans une institution d'enseignement supérieur de bas prestige académique, située près de chez-elle. Elle obtint également un diplôme de pédagogie, de manière à élargir le champ de possibilités professionnelles. Quelques années plus tard, elle commence un cours universitaire de deuxième cycle en littérature enfantine, dans une université fédérale, cours qu'elle n'a pu conclure à cause de sa triple charge de travail. Son insertion formelle dans la carrière d'enseignante du réseau public s'est effectuée par l'intermédiaire d'un concours pour enseigner dans les classes les plus avancées de l'enseignement fondamental (de la cinquième à la huitième). Cependant, elle a choisi de travailler encore pendant quelques années dans une école improvisée, située dans une paroisse proche d'un bidonville. Elle affirme que son entrée dans la carrière d'enseignante s'est faite par des chemins tortueux où elle « est revenue en arrière », faisant allusion à sa préférence pour l'enseignement au niveau primaire, dans les milieux défavorisés, plutôt qu'à l'école secondaire.

En analysant le métier d'enseignant, Weber (1997) nous montre combien cette problématique est complexe et comment la domesticité peut devenir un sérieux obstacle au processus de professionnalisation de l'enseignant puisque, pour la surmonter, cela n'implique pas seulement la définition d'autres modèles de rémunération, mais aussi la délimitation de compétences, l'institutionnalisation de préalables du point de vue de la formation initiale et de l'exercice de l'activité elle-même. Son existence renvoie à la problématique de la profession vue comme un champ, dans le sens donné par Bourdieu (1974), marqué par une logique particulière, par des hiérarchies et par des disputes. Cette notion permet de voir les enseignants et les enseignantes comme des sujets occupant des positions distinctes et contribuant, avec les outils théoriques et pratiques dont ils ou elles disposent et ceux acquis tout au long de leurs parcours, au changement ou à la permanence de l'institution scolaire et à l'intérieur de celle-ci.

La trajectoire de Clara nous amène à réfléchir sur son expérience d'enseignante en tant que synthèse de réussites et d'équivoques. Plutôt que de juger cette trajectoire, il s'agit de réfléchir sur les rapports que cette enseignante a établis avec le savoir et le savoir-faire. Autrement dit, quel est le poids de la socialisation scolaire et professionnelle dans les pratiques qu'elle a construites tout au long de sa trajectoire ? Comment le savoir académique a-t-il modifié les dispositions nées au début de sa carrière, au moment où elle expérimentait encore, à la maison et de façon intuitive, des ressources didactiques, alors que les paradigmes de formation des enseignants ont tendance à traiter « les élèves comme des esprits vierges et ne prennent pas en considération leurs croyances et leurs représentations antérieures » (Tardif (2000, p. 19)) ?

Quand nous considérons les institutions responsables de la formation des enseignants et des enseignantes au Brésil, le défi réside dans l'hétérogénéité de ces institutions au point de vue de la qualification académique offerte (5). S'il est vrai que le transfert de la formation des maîtres vers l'enseignement supérieur, au cours de la dernière décennie, est le résultat des revendications des éducateurs pour assurer un fondement théorique plus consistant au futur enseignant et un rapport plus direct avec la théorie que seule l'université peut offrir, il y a toutefois d'autres dimensions de ce phénomène qui ont besoin d'être analysées sous peine de passer à côté des différents sens que la formation préalable aux études académiques prend dans les itinéraires des enseignants et des enseignantes. Considérant qu'au Brésil, les cours du soir de l'enseignement supérieur prolifèrent dans les écoles privées et ce, dans des conditions de fonctionnement et d'enseignement très précaires, et qu'il « serait naïf de croire que la formation initiale peut être le seul moteur de professionnalisation », d'autant que « la formation des enseignants et des enseignantes ne peut influencer leurs pratiques que dans des conditions déterminées et dans des limites précises » (Perrenoud (1993, p. 153)), il est compréhensible que la majorité des enseignantes ait fait référence à cet espace et à ce temps comme étant peu stimulants au point de vue intellectuel. Des affirmations comme « ce n'est pas la faculté qui fait l'élève, c'est l'élève qui arrive là avec son bagage » ou « moi, je n'avais aucune envie de suivre le cours de pédagogie; j'ai fini par laisser tomber à la fin du premier semestre », nous font réfléchir à la nécessité de remettre sur le tapis la complexité de la profession d'enseignant et, comme corollaire, la formation des enseignants et des enseignantes. Pour Nóvoa (1998, p. 44), le défi consiste en « l'analyse historique du curriculum des cours de formation des enseignants qui oscillent entre trois pôles :

1. le pôle méthodologique, où l'accent est mis sur les techniques et les instruments d'action;

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2. le pôle disciplinaire, centré sur la maîtrise d'un savoir;

3. et le pôle scientifique (pédagogique) ayant comme référence les sciences de l'éducation, elles-mêmes encadrées, par les sciences sociales et humaines, en particulier la psychologie ».

Ce type de logique finit par reproduire des dichotomies (savoir fondamental / savoir appliqué ; science / technique ; savoir / méthodes ; etc.) qui ne contribuent pas à faire réfléchir sur la relation qui existe entre les enseignants et le savoir (Nóvoa (1998)).

En ce qui concerne les écoles normales - ces institutions traditionnellement vouées à la formation des enseignants, particulièrement dans les régions moins développées du Brésil -, Gatti et alii (1998) attirent l'attention sur des problèmes qui traînent depuis des décennies comme, par exemple, la désarticulation entre les différents types de savoirs qui constituent le curriculum, la réduction et l'élimination des disciplines de caractère instrumental, ainsi que l'absence de projets pédagogiques organiquement construits par les enseignants. Malgré le fait que des contingents expressifs de jeunes passent par les écoles normales, les années passées dans ce lieu pourraient bien être considérées comme des « années décolorées », tel est le manque de « glamour » de l'institution (Lelis (1996)), situation aggravée par le non-choix et la non-adhésion à un « devenir enseignant » (Weber (1997)).

Pour les enseignants et les enseignantes qui glorifient cet espace de formation, les souvenirs portent sur la qualité de l'enseignement, la consistance du travail réalisé par les professeurs et la bonne formation culturelle. Malgré des images tellement différentes sur le rôle de la formation initiale dans la construction d'une manière d'être enseignant, deux catégories de questions méritent d'être soulevées.

La première se rapporte à la force de la socialisation familiale et scolaire dans la configuration de systèmes de pensée communs à toute une génération. Autrement dit, les dispositions durables et transférables qui organisent la pensée et la pratique des enseignants sont tributaires de ces deux institutions, la famille et l'école, ce qui ne signifie pas qu'elles ne comportent pas un « art d'invention » (Bourdieu (1974)). Situant le transit entre l'expérience scolaire et le début de l'exercice professionnel, Nóvoa nous offre une piste pour mieux comprendre ce processus de passage :

Ce fait accentue un des traits sociologiques de la profession enseignante : un instituteur passe d'un rôle, celui d'étudiant, à un autre opposé, celui d'enseignant. Dans le processus de leur entrée dans la profession, les enseignants effectuent un rôle-transition au lieu d'un rôle-réversion et, au début de leur activité professionnelle, ils utilisent fréquemment des références acquises alors qu'ils étaient élèves ; dans un certain sens, on peut dire que la période cruciale de la professionnalisation de l'enseignant n'a pas lieu au cours de l'apprentissage formel, mais pendant l'exercice de son métier. (Nóvoa (1991, p. 91))

La deuxième question fait référence aux exigences qui doivent orienter la formation initiale des enseignants indépendamment du niveau de cette formation. Que cette formation ait lieu à l'université, qu'elle se développe dans des écoles normales ou encore dans des instituts supérieurs d'éducation, le défi consiste à reconnaître qu'aucune de ces instances ne pourra, de façon isolée, répondre à la totalité des exigences de la formation. Il est important de considérer l'école comme étant l'axe structurant de la formation et l'espace central de promotion de l'apprentissage et de la réflexion théorico-méthodologique sur la pratique (Gomez (1992)). Cependant, pour produire une conscience critique et une action qualifiée chez le futur enseignant, il ne faut pas cesser de soutenir l'enseignant, l'organisation scolaire et la profession sur un plan collectif (Nóvoa (1998)).

La force de l'école dans la socialisation professionnelle des enseignants

La dernière décennie a vu proliférer une littérature qui présente les enseignants comme des chercheurs et des chercheurs réflexifs, tentant ainsi de les réhabiliter sur le plan social et professionnel. Ce n'est pas par hasard que nous avons assisté à l'émergence de perspectives qui, en s'appuyant sur le principe que le « mode de vie » personnel finit par interférer sur le plan professionnel, valorisent des méthodes biographiques. Malgré l'hétérogénéité des oeuvres présentant ce type d'approche et le danger qui guette la propre utilisation des récits autobiographiques (6), il est important de retenir quelques consensus. Le premier fait référence au besoin de soutenir l'importance des dimensions théoriques, techniques et personnelles du travail enseignant, lorsqu'on garde en tête la sauvegarde de l'autonomie professionnelle des enseignants qui est menacée par la rationalisation et la privatisation de l'enseignement. Le second se rapporte à la valorisation des « savoirs de référence de la profession, à partir de la réflexion que les enseignants font sur leur pratique » (Nóvoa (1995)). Or, c'est l'école qui est l'endroit privilégié par excellence pour redimensionner les savoirs dont sont porteurs les enseignants et qui se manifestent dans l'action pédagogique, ainsi que les conceptions qui concernent les processus d'enseignement

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et d'apprentissage et qui expliquent une série de comportements et d'attitudes.

Katia est une enseignante qui travaille, à la fois, dans une école publique et dans une école privée, situées, toutes les deux, dans un quartier de la zone nord de la ville de Rio de Janeiro. En fait, cette enseignante a construit son identité professionnelle à l'école privée où elle travaille depuis vingt ans. Il s'agit d'une école prestigieuse, par rapport à l'ensemble des institutions privées, à cause des résultats obtenus par ses élèves à l'examen d'entrée à l'université. Katia n'a pas réussi à suivre le cours de pédagogie parce qu'elle a une double charge de travail et qu'elle est soutien de famille. Plus que socialisatrice, cette école privée a joué le rôle d'instance formatrice d'idées, de valeurs et de pratiques dans la vie de cette enseignante, puisque l'école publique se trouve dans un processus de détérioration, étant donné le taux élevé de roulement des professeurs. Dans son récit, Katia ne fait pas référence aux séminaires, aux ateliers de formation continue, aux cours, ni aux loisirs ou à l'achat de livres. Katia est enseignante en classe d'alphabétisation et affirme utiliser une série de ressources pour enseigner à lire et à écrire aux enfants : des chansons pour introduire les phonèmes et du matériel concret varié pour l'enseignement des mathématiques.

Face à cet extrait de témoignage, deux questions se posent. Le fait que Katia soit plongée dans une institution ayant une atmosphère pédagogique particulière peut l'avoir poussée à revêtir « l'habit de moine » dont nous parle Bourdieu (1983), en ne lui permettant pas « de trouver étrange le familier » (Velho (1987)), à cause de son adhésion au projet pédagogique de l'institution dont elle a été une des administratrices. Si, d'un côté, il semble y avoir de l'espace dans cette école pour une réflexion collective, puisque l'idéal de l'institution passe par un réseau de relations personnelles et professionnelles, le défi consiste à savoir si cette adhésion permettra que sa réflexion sur l'action soit moins captive des contraintes imposées par l'institution elle-même. La seconde question fait référence à l'hypothèse selon laquelle la dimension pédagogique du travail est liée à d'autres secteurs de la vie sociale. Autrement dit, les pratiques des enseignants ne sont pas aseptiques dans le sens où elles ne sont pas prisonnières des positions qu'elles occupent dans l'espace social. Les dispositions professionnelles des enseignants sont la synthèse vivante d'un ensemble d'expériences liées aux marques laissées par la scolarisation à laquelle ils ont été soumis, aux processus de formation préalable et à la culture de l'organisation scolaire où ils ont construit leur propre façon d'enseigner, personnelle et intransmissible.

En guise de conclusion

Présenter la construction sociale du travail enseignant à partir de trajectoires de vie d'enseignantes a demandé un certain effort pour passer par-dessus les perspectives ethnocentriques qui tendent à définir la profession à partir d'un regard tourné « vers l'intérieur », enfermé dans le champ scientifique et politique. Ce regard a tourné le dos depuis longtemps à une trame complexe de pratiques, de valeurs et de savoirs, de ceux-là même qui font l'école dans le quotidien. Au-delà de la passivité, de la négligence et de l'incompétence technique des enseignants, telles que jugées et arbitrées par les agences gouvernementales et les universités, il est important de comprendre que les enseignants occupent des positions différenciées par rapport aux ressources dont ils disposent et qu'ils ont construites tout au long de leurs histoires. Ainsi, il n'y aurait pas qu'un seul professionnalisme, mais plutôt des formes particulières de vivre le travail, qui ne sont pas nécessairement visibles, ni revêtues de caractéristiques communes, y compris du point de vue d'un seuil en terme de formation initiale souhaitable. Les différences doivent être affirmées puisqu'elles renferment des conditions objectives de production des sujets à partir desquelles ont été établies des façons de percevoir et de classifier le monde. Le caractère polysémique du travail enseignant ne doit cependant pas servir de prétexte à l'immobilisme des institutions responsables de la formation des enseignants et des enseignantes (les administrations publiques, les universités et les syndicats). Il doit constituer l'axe pour la définition de politiques publiques orientées vers la valorisation sociale de l'enseignement, dans ses nombreux sens.

Si cette réflexion représente une des versions de l'histoire sociale de la profession au Brésil en cette fin de siècle, l'avenir reste ouvert et dépendra du jeu de pouvoirs et de contre-pouvoirs, des tensions et des conflits qui entourent la profession enseignante.

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Notes

(1) Ce travail est basé sur ma thèse de doctorat, La polysémie du professorat : entre mythes et histoires, soutenue en 1996 à la PUC-Rio. Le choix des enseignantes interviewées a été fait en fonction des critères suivants : travailler dans l'enseignement primaire; être en salle de classe depuis au moins 15 ans; avoir une insertion dans des espaces variés : école privée laïque, école privée religieuse et école publique municipale, situées dans les quartiers des zones nord, sud et ouest de la ville de Rio de Janeiro.

(2) L'école primaire (ou l'enseignement fondamental) comporte huit années d'étude regroupées en deux cycles de quatre ans chacun.

(3) La notion de capital culturel, chez Bourdieu, assume trois formes : l'état « incorporé »; l'état « objectivé »; et l'état « institutionnalisé ». L'incorporation exige un travail d'investissement personnel, où l'avoir devient l'être, une propriété devenue partie intégrante de la personne, un habitus (Bourdieu cité par Accardo et Corcuff (1986)).

(4) L'existence de la « répétitrice », une enseignante laïque qui ne répond pas aux exigences nécessaires à l'exercice de la profession, est l'expression des inégalités sociales et scolaires très fréquentes dans les régions nord et nord-est du Brésil.

(5) Il y a plusieurs types d'établissement formant des enseignants au Brésil : les écoles normales, les universités, ainsi que les instituts et écoles normales supérieurs d'éducation, ces deux derniers ayant été récemment introduits de force par décret présidentiel. Ils peuvent faire partie des systèmes publics d'enseignement (au niveau fédéral, municipal et de l'État) ou d'entreprises privées et d'ordres religieux.

(6) Bourdieu (1996) attire l'attention sur l'illusion biographique et se sert de la métaphore du nom propre pour faire allusion aux soi-disant permanences qui sont attribuées par filiation, état civil ou profession, et qui sont l'expression d'institutions juridiquement institutrices de positions dans des espaces sociaux.

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ACELF - Résumé

RÉSUMÉ

La construction sociale de la profession enseignante: un réseau d'histoires

Isabel Lelis - PUC-Rio, Brésil

Éducation et francophonie Volume XXIX, numéro 1, printemps-été 2001 Le renouvellement de la profession enseignante : tendances, enjeux et défis des années 2000

RÉSUMÉ - ABSTRACT - RESUMEN

RÉSUMÉ

Ce texte a comme objectif de mettre en lumière l'identité sociale des enseignants, forgée dans des processus de socialisation familiale, scolaire et professionnelle. Il s'agit de présenter, à partir d'histoires de vie d'institutrices, les significations attribuées à la profession dans des contextes de sélection sociale et scolaire. En s'appuyant sur des contributions de la sociologie, cette recherche a exploré la constitution de l'habitus chez les enseignants et enseignantes, les stratégies développées au sein de trajectoires ayant comme but la conquête de titres scolaires, les entrées informelles dans la profession, ainsi que le poids de la formation initiale et de l'école, en tant que locus de travail, dans la façon dont les enseignants et enseignantes vivent leur travail. En tenant compte du fait que la représentation sociale de l'enseignement, au moment de l'émergence d'une école de masse, a été modifiée, mettant ainsi en évidence des processus de déqualification des enseignants et enseignantes, cette étude remet en question les images de passivité, de négligence et d'incompétence technique qui leur sont attribuées par le pouvoir public et l'université. Elle suggère aussi qu'il est possible de travailler la dimension de la personne de l'enseignant, celle de l'organisation scolaire et celle de la profession comme étant une dimension collective et ce, par la voie de politiques publiques répondant davantage aux besoins concrets du corps enseignant.

RETOUR

ABSTRACT

The objective of this article is to shed light on the social identities of teachers, forged within the family, academic and professional socialization processes. Using the life stories of elementary school teachers, the article discusses the significance attributed to the profession in the contexts of social and academic selection. Supported by contributions from sociology, this research explores the constitution of the habitus in teachers, strategies developed during career paths whose goal is achieving academic qualifications, informal admission to the profession, the weight of early training and school, as well as work location, in the way teachers experience their work. This study challenges the images of passivity, negligence and technical incompetence that are attributed to teachers by public authorities and universities, by recognizing that the social representation of teaching, at a time when a school of the masses is emerging, has been modified, and thus demonstrating the processes of teacher dequalification. The author also suggests that it is possible to work on the dimension of the teacher as a person, as well as the academic organization and the profession as a collective dimension, through public policies which respond better to the concrete needs of the teaching force.

RETOUR

RESUMEN

Este texto tiene como objetivo arrojar luz sobre la identidad social de los aestros, identidad forjada por los procesos de socialización familiar, escolar y profesional. Se trata de presentar, a partir de historias de vidas de institutrices, las significaciones atribuidas a la profesión en contextos de

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ACELF - Résumé

selección social y escolar. Apoyándose en las contribuciones de la sociología, se busca explorar la constitución del habitus entre los maestros y las maestras, las estrategias desarrolladas durante las trayectorias cuyo fin era la obtención de títulos académicos y el ingreso informal en la profesión, asi como el peso de la formación inicial y de la escuela en tanto que lugar de trabajo en la manera en que los maestros y maestras viven su trabajo. Tomando en consideración el hecho de que la representación social de la docencia, al momento de surgir la escuela de masas, se modificó, y evidenciando los procesos de descalificación de los maestros y maestras, este estudio cuestiona las imágenes de pasividad, de negligencia y de incomptencia técnica que les han sido atribuidos por el poder público y la universidad. Se sugiere asimismo que es posible trabajar la dimensión personal del maestro, la de la organizacion escolar y la de la profesión como si fueran una dimension colectiva mediante politicas públicas que ofrezcan mejores respuestas a las necesidades del cuerpo docente.

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Le renouvellement de la profession enseignante : tendances, enjeux et défis des années 2000, Volume XXIX , No 1, printemps 2001.

La profession enseignante en France: permanence et éclatement

V. LANG France.

Table des matières

■ Résumé Abstract Resumen ■ Introduction ■ Le contexte ■ La formation initiale

❍ L'héritage ❍ Les IUFM et la professionnalisation des enseignants ❍ Quels enjeux pour les acteurs?

■ Les transformations du métier ❍ Des évolutions tendancielles ❍ Qu'en pensent les enseignants?

■ Conclusions ■ Bibliographie

Résumé

Après avoir rappelé les caractéristiques sociographiques des corps enseignants en France et les principales transformations de l'appareil éducatif et du contexte sociétal de l'exercice professionnel, on examine d'abord les évolutions des conditions de recrutement et les transformations des formations initiales du groupe professionnel en s'interrogeant sur ce qu'elles mettent en cause des statuts et professionnalités anciennes. Si d'autre part les enquêtes montrent, à un niveau général, une stabilité des pratiques professionnelles, les approches de type ethnographique révèlent la complexité des adaptations aux conditions locales d'exercice et la diversité des mobilisations professionnelles. S'il y a permanence de la mission d'enseignement, on observe un éclatement de l'unité postulée des corps enseignants, accompagnée d'un travail de réélaboration du sens du métier, travail dont la temporalité est en décalage par rapport aux transformations de la scolarisation et aux attentes de l'institution.

Qui sont les enseignants en France aujourd'hui ? Héritiers d'une longue tradition, sont-ils porteurs des cultures professionnelles et des valeurs qui les ont socialement constituées dans le passé ? Le développement d'une scolarité longue, les mutations du public scolarisé, les transformations des rapports sociaux, des conditions de vie, de l'accès à l'information ou les incertitudes quant aux valeurs éducatives ont nécessairement des effets sur l'exercice professionnel et les manières d'être au métier. On se demandera ici essentiellement comment comprendre une apparente stabilité des pratiques et des identités professionnelles, vite assimilée à l'immobilisme d'un groupe protégé, alors que celui-ci a vu sa composition transformée, ses conditions d'exercice bouleversées, ses missions redéfinies.

Abstract

The Teaching Profession in France: Permanence And Rupture

This article first reviews the sociographic characteristics of the teaching corps in France and the principle

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transformations within the educational system and in the societal context of professional practice. The author then looks at the evolution of recruitment conditions and transformations in early training for the profession, examining what they question in terms of prior status and professionalism. Studies may show stability, at a general level, in professional practices, but ethnographic approaches reveal the complexity of adaptations to local conditions and the diversity of professional mobilizations. If there is permanence in the teaching profession, a rupture can also be seen in the postulated unity of the teaching force, accompanied by a reworking of the profession's direction, in which temporality is lagging with respect to transformations in teaching and the expectations of the institution.

Who are the teachers in France today ? Heirs to a long tradition, do they carry on the professional culture and values that made up their social constitution in the past ? The development of long academic careers, changes of an educated public, transformations in social life, living conditions, access to information, and uncertainty with respect to educational values have necessarily had their effects on the profession and ways of practicing it. The article essentially questions how to understand an obvious stability in professional practice and identity, hastily compared to the immobility of a protected group, while this same group has seen its composition transformed, entry requirements completely changed, and its goals redefined.

Resumen

La profesión docente en francia: permanecia y fracturas

Después de haber presentado las características sociográficas del cuerpo docente en Francia y las principales transformaciones del aparato educativo y del contexto societal del ejercicio profesional, se examinan las evoluciones de las condiciones de contratación y las transformaciones de las formaciones iniciales del grupo profesional interrogándose sobre los cuestionamientos que se hacen en torno a los status y profesiones pasadas. Si las encuestas muestran, por otra parte, una estabilidad de prácticas profesionales a nivel general, los acercamientos de tipo etnográfico muestran la complejidad de las adaptaciones a las condiciones locales de ejercicio y la diversidad de las movilizaciones profesionales. Si bien permanece la misión educativa, se observa la fractura de la postulada unidad del cuerpo docente, acompañada de un trabajo de re-elaboración del significado del oficio, trabajo cuya temporalidad no coincide con las transformaciones de la escolarización ni con las expectativas de la institución.

¿Quiénes son los maestros actualmente en Francia? Herederos de una larga tradición: ¿portan aun las culturas profesionales y los valores a través de los cuales se contituyeron socialement en el pasado? El desarrollo de un largo proceso de escolarización, las mutaciones del público escolarizado, las transformaciones de las relaciones sociales, de las condiciones de vida, del acceso a la información o de las incertidumbres en lo que se refiere a los valores educativos, necesariamente han afectado el ejercicio profesional y las maneras de ser en el oficio. Tratamos de comprender la aparente estabilidad de las prácticas y de las identidades profesionales, rápidamente asimiladas al inmovilismo de un grupo protegido que ha visto trasformarse su composición, cuyas condiciones de ejercicion han sido afectadas y sus misiones refedinidas.

Introduction

Qui sont les enseignants en France aujourd'hui ? Héritiers d'une longue tradition, sont-ils porteurs des cultures professionnelles et des valeurs qui les ont socialement constituées dans le passé ? Le développement d'une scolarité longue, les mutations du public scolarisé, les transformations des rapports sociaux, des conditions de vie, de l'accès à l'information ou les incertitudes quant aux valeurs éducatives ont nécessairement des effets sur l'exercice professionnel et les manières d'être au métier. On se demandera ici essentiellement comment comprendre une apparente stabilité des pratiques et des identités professionnelles, vite assimilée à l'immobilisme d'un groupe protégé, alors que celui-ci a vu sa composition transformée, ses conditions d'exercice bouleversées, ses missions redéfinies.

Le contexte

Selon les données ministérielles, le primaire regroupe en 1998 360.000 enseignants dont 315.000 pour l'enseignement public ; les non titulaires sont très peu nombreux (700 dans le réseau public), le taux de féminisation est très élevé (77 % dans le public, plus de 91 % dans le secteur privé). Si les effectifs ont crû régulièrement de 1960 au milieu des années 1980 (plus de 38 % pour le public), ils sont restés ensuite relativement stables.

Le secondaire (général et professionnel) compte plus de 496.000 enseignants, dont près de 94.000 dans le secteur privé ; la proportion des non-titulaires est très variable selon les périodes, oscillant pour le public entre

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14.000 et 31.000 au cours de la dernière décennie ; le taux de féminisation s'élève à 57 %, avec de fortes variations selon le type d'établissement et les disciplines. Le secondaire a connu une très forte croissance au cours de la seconde moitié du 20e siècle ; en cinquante ans les effectifs publics ont été multipliés par 14.5, avec de fortes variations selon les catégories : de 5.100 à 41.800 pour les professeurs agrégés, de 11.200 à 223.850 pour les professeurs certifiés et assimilés, sur la même période (les deux corps se distinguent par leur niveau de recrutement théorique, bac+4 pour les agrégés, bac+3 pour les certifiés, par leur salaire, leurs obligations de services) ; ces dernières années, cette croissance reste soutenue (14 % en 10 ans). Dans l'ensemble, l'effort de la puissance publique est resté très élevé durant la période.

Le groupe professionnel des enseignants du secondaire constitue un monde composite malgré l'image d'un corps soudé et homogène qu'en a l'opinion. Des lignes de clivage séparent les enseignants selon qu'ils sont titulaires ou non-titulaires, selon la discipline qu'ils enseignent, leur type d'établissement d'exercice et plus encore selon leur corps administratif d'appartenance : corps des agrégés (11,2 % des effectifs), des certifiés (60 %), des Professeurs de lycée Professionnel (16,2 %), des adjoints d'enseignement (2,5 %), des anciens Professeurs d'enseignement général de collège (PEGC, 10 %). La croissance des effectifs des professeurs du secondaire, devenus plus nombreux que leurs collègues du primaire, produit un effet de banalisation du métier ; cette perte de prestige social est renforcée par la prédominance du corps des certifiés, alors que le groupe professionnel était auparavant composé majoritairement d'agrégés. La déqualification est d'autant plus vivement ressentie que d'une part la position des instituteurs a été nettement revalorisée par la création récente du corps des « professeurs des écoles », dont la carrière est organisée sur le modèle de celle des professeurs certifiés, et que d'autre part le niveau théorique de recrutement de ces derniers n'a pas bougé depuis 60 ans au moins, alors que l'ensemble de la population voit son niveau de qualification fortement augmenter. La traditionnelle rivalité avec les enseignants du primaire, exacerbée par cette lente déqualification, a profondément marqué les identités professionnelles, comme en témoigne par exemple les luttes âpres concernant les questions de syndicalisation qui aboutiront en 1992 à l'éclatement de l'ancienne Fédération de l'éducation nationale.

La question de l'origine sociale des enseignants a donné lieu à un certain nombre d'études qui tendent à montrer que le recrutement des enseignants du premier degré serait devenu moins populaire et traduirait un « lent embourgeoisement général » de ce groupe professionnel (Berger (1979)), dû en particulier à l'élévation progressive du niveau de recrutement (Charles et Clément (1997)) ; pour le second degré, les résultats sont plus incertains. Une étude récente (Degenne et Vallet (2000)), portant sur une longue période, conduit à revenir sur certaines de ces conclusions ; cet « embourgeoisement » correspond à un mouvement, commun à toute la population active, d'élévation progressive de la qualification paternelle : pour le premier degré, jusqu'à la fin des années 1970 la composition du groupe professionnel se rapproche de celle de l'ensemble des actifs, puis reste stable ; pour le second degré, ce rapprochement se poursuit, de façon atténuée, jusqu'en 1997, comme l'avait déjà montré Thélot (1993). De même si les enseignants du secondaire sont traditionnellement d'origine sociale plus élevée que ceux du primaire, cet écart tend à diminuer. Il paraît donc légitime de parler d'une dilution des caractéristiques socioculturelles des corps enseignants. C'est bien ainsi que les enseignants du premier degré perçoivent ainsi leur propre situation : Maresca (1995) constate qu'ils estiment que leur propre origine sociale augmente, à chaque génération.

D'un point de vue sociographique, on observe enfin que les pyramides des âges des différents groupes d'enseignants sont très déséquilibrées et que plus de 40 % des agents doivent partir dans les dix prochaines années : ce renouvellement de très grande ampleur affectera sans doute les identités professionnelles des enseignants et transformera les professionnalités de façon plus radicale que les actions actuelles de formation en cours de service.

Pour comprendre l'évolution des professionnalités, outre les évolutions des corps enseignants il faut examiner les transformations des conditions d'exercice, et en premier lieu celles du contexte organisationnel. Comme dans beaucoup de pays, l'appareil éducatif a été profondément remodelé dans la seconde moitié du 20e siècle ; les politiques scolaires ont privilégié quatre transformations majeures :

● la prolongation de la scolarité dans un double souci de démocratisation de l'accès aux études et d'élévation du niveau général de qualification de la population active ; en termes de finalités il s'agit de recruter des élites sur une base démocratique, ce qui suppose d'ouvrir massivement l'enseignement secondaire à des catégories sociales qui traditionnellement n'y entraient pas et tend à produire un effet de pilotage par l'aval pour l'enseignement primaire, lourd de conséquences en terme d'identité professionnelle.

● la massification des études secondaires, en repoussant progressivement les paliers d'orientation de plus en plus tard.

● la rationalisation de la gestion des flux d'élèves en fonction des orientations définies par une planification qui visera dans un premier temps à mettre en correspondance les « niveaux » de sortie de la scolarité, les aptitudes individuelles, les filières de formation et les besoins du pays, transformant profondément l'appareil éducatif traditionnellement organisé en ordres séparés (réseau primaire, réseau secondaire puis réseau technique) en un système unifié fondé sur une sélection rigoureuse par l'orientation.

● enfin la décentralisation et la déconcentration de la gestion de l'appareil éducatif au cours des années 1980 ; elles ouvriront un espace d'autonomie et de concurrence locales pour les établissements et

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permettront l'émergence de politiques éducatives des collectivités territoriales, qui parfois entreront en compétition avec celle de l'État.

D'une part le système ne sépare plus les classes sociales selon deux réseaux de scolarisation et d'autre part les missions d'instruction et d'éducation ne sont plus dissociées de l'insertion socio-professionnelle et de la formation professionnelle : la fin de cette double dissociation marque une rupture dans l'histoire de l'école républicaine (Raynaud et Thibaud (1990)).

Les conditions de l'exercice professionnel ont été profondément bouleversées non seulement par des transformations de grande ampleur des finalités et de l'organisation de l'appareil scolaire, mais aussi par les évolutions du contexte sociétal, conduisant à une réelle crise de la relation pédagogique, dont on soulignera ici trois aspects. En premier lieu, l'ensemble des experts relève une difficulté proprement pédagogique à prendre en compte l'hétérogénéité des élèves, hétérogénéité de niveaux, de socialisation, d'aspirations ; plus que de compétence technique, il est question d'une attitude professionnelle nouvelle lorsqu'il s'agit de prendre en charge des élèves en difficulté scolaire, des « populations à hauts risques » (Perrenoud (1993)) et plus généralement de transformer un enseignement élitiste en un enseignement de masse. En second lieu, les relations adultes / « jeunes » se sont profondément modifiées dans la société, rendant difficile la communication entre élèves et professeurs parce que sans doute les comportements acceptés en famille - droit à la parole, participation aux décisions, droit à l'explication, autonomie, etc. - « passent » souvent mal dans l'institution scolaire française, ou lui sont inadaptés. Plus fondamentalement, pour la quasi-totalité des jeunes, l'adolescence se vit dorénavant dans l'institution scolaire ; or d'une part l'école ne leur offre pas de repères suffisamment clairs pour se construire une identité, d'autre part les enseignants ont le sentiment d'un transfert de responsabilité de la part des familles, accru par la multiplication d'injonctions éducatives, comme si l'école devait prendre en charge une grande part des problèmes politiques et sociaux : violence dans les cités, instauration d'une nouvelle citoyenneté, drogue, ou sécurité routière, etc. Ni la culture professionnelle des enseignants, ni leur formation ne les préparent à jouer ces rôles éducatifs, d'autant moins qu'auparavant la socialisation juvénile s'effectuait très largement dans le monde du travail. Enfin le mode de relation traditionnel élève-professeur est caractérisé par un triple déphasage : d'une part l'évolution des savoirs scolaires après des décennies de stabilité et les nouveaux modes d'accès à l'information par les technologies modernes conduisent à une sorte de désacralisation de la position de l'enseignant, la transcendance de la culture étant garante de son autorité traditionnelle ; d'autre part la grande masse des élèves manifeste une distance, voire une défiance, vivement ressentie par les enseignants (Dubet (1991)); ces relations d'évitement se traduisent par une dégradation du climat de la classe et mettent en cause l'image de soi et l'identité des enseignants ; enfin, l'émergence d'un rapport très instrumental à la scolarité instaurent un profond décalage entre les attentes des professeurs et les aspirations de leurs élèves, particulièrement pour ceux qui tentent de poursuivre une scolarité en ayant de grandes difficultés à conférer une valeur et un sens cognitifs et culturels aux activités d'apprentissage et aux contenus de savoir (Charlot, Bautier, Rochex (1992)). On observe que, si dans le passé la différenciation des populations scolarisées s'opérait en amont de l'établissement, les familles choisissant un type de formation et d'établissement, elle se construit dorénavant à l'intérieur des établissements : cette fonction d'orientation pèse fortement sur la relation pédagogique, en particulier en termes de mobilisation / démobilisation des « futurs orientés » ou des « déjà orientés ».

À partir des années 1980, les responsables de la conduite de l'institution vont ajouter, aux réformes de structure, une politique de développement professionnel visant à redéfinir le champ et la teneur des métiers enseignants et à promouvoir de nouvelles compétences. L'idée de «travailler autrement» ne prendra corps, en France, que dans une nouvelle approche du fonctionnement du système éducatif, fondée sur l'idée de traiter les problèmes tels qu'ils se posent au niveau local et sur l'émergence corrélative de la notion d'acteur. Elle se manifestera d'abord par une forte pression, institutionnelle et sociale, pour prolonger de fait la scolarité jusqu'à 18 ans pour la plupart des élèves ; cette demande d'efficience pour tous, vécue parfois comme une injonction de résultats et comme un déni des savoir-faire des enseignants, est une exigence nouvelle, absente des anciennes professionnalités, plus centrées sur les savoirs que sur les élèves apprenant. Pour transformer les cultures et les identités enseignantes, l'institution tentera de s'appuyer sur trois leviers : la refondation de la formation initiale, le développement d'une formation en cours de service, la « modernisation » de l'organisation et de son fonctionnement. Examinons les transformations de ces formations professionnelles initiales.

La formation initiale

On examinera ici les enjeux des transformations des conditions de recrutement et de formation, pour mieux en comprendre les effets sur les professionnalités.

L'héritage

L'ancienne formation initiale de l'enseignement primaire était une véritable formation professionnelle conçue en fonction des conceptions que l'on avait à l'époque du processus enseigner-apprendre (Lang (1999)); mais elle

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masquait l'aspect technique du métier sous ses dimensions socio-politiques. Cette formation fonctionnait selon un modèle charismatique (Bourdoncle (1990)), privilégiant le compagnonnage, la vertu de l'exemple, insérant l'individu dans un réseau d'interactions denses qui favorisent les processus d'imitation et d'identification et permettent l'acquisition de savoir-faire et l'intériorisation des valeurs du milieu professionnel. On peut dater de la fin des années 1960, le commencement du processus de transformation générale de cette formation initiale : les enseignants du premier degré seront dorénavant systématiquement recrutés au niveau du baccalauréat et rapidement l'ancien système de « clôture » en internat à l'École normale tombera en désuétude ; en même temps ces établissements vont connaître une période de remise en cause profonde des anciens modes de formation et, avec une grande autonomie, vont souvent s'impliquer dans des dynamiques d'innovations et dans les réformes des programmes de l'école élémentaire. En une trentaine d'années, le niveau de recrutement des enseignants-stagiaires passe de «bac-3» (fin de la classe de troisième) à «bac+3» (licence) et le niveau de titularisation de «bac+1» à «bac+4» ; le régime actuel, généralisé depuis 1991, marque la disparition des Écoles normales et de l'institution des Instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM). Il n'est donc pas étonnant que les enquêtes (Maresca (1995); Migeon (2000)) donnent l'image d'un groupe professionnel peu homogène par ses caractéristiques, liées à l'histoire de son recrutement : les modalités d'accès à la formation initiale ont profondément modifié les identités et cultures professionnelles.

L'enseignement secondaire ignore pendant longtemps toute formation professionnelle, en droit comme en fait : « la fréquentation intensive et prolongée d'un domaine d'études universitaires constitue à soi-seul une expérience profondément éducative et suffisante » (Bourdoncle (1990)) ; dans un contexte de forte proximité entre enseignants et public scolarisé, l'apprentissage diffus au cours des études suffisait à assurer sans difficulté majeure la transmission effective des pratiques pédagogiques de l'époque. On observe cependant dès 1941, pour certaines catégories d'enseignants, la mise en place d'une formation initiale dont l'objectif avoué est de suppléer l'insuffisante formation académique, la norme d'excellence en la matière étant l'agrégation ; c'est dans cet esprit que furent créés en 1952 des Centres pédagogiques régionaux (CPR) pour le nouveau corps des certifiés : ils perdureront jusqu'à l'ouverture des IUFM. La nécessité d'une formation professionnelle des professeurs du secondaire sera manifeste lorsque la population scolaire se diversifiera, afin de répondre à l'hétérogénéité croissante des élèves ; les années 1980 verront alors basculer cette formation du modèle de l'homme cultivé à celui d'un praticien. Ce tournant marque un souci de privilégier l'adaptation active aux conditions d'exercice, mais le dispositif adopté relève d'une formation sur le tas aménagée (tutorat), qui privilégie de fait l'imitation de tuteurs expérimentés, la formation théorique se limitant la plupart du temps à une transmission d'informations disparates.

Si l'on examine les conditions de recrutement par type de corps administratif, on constate en premier lieu que l'agrégation demeure durant toute la période un concours très sélectif et que l'accès interne au corps des agrégés reste limité ; on observe également une augmentation tendancielle du niveau de formation initiale : en 1994 35 % des professeurs agrégés déclarent un niveau «bac+5», 54 % un niveau supérieur. Les autres corps, certifiés, PEGC, enseignants du secteur professionnel, se caractérisent par leur forte hétérogénéité interne, due principalement à l'évolution des conditions de recrutement, à une sélectivité des concours variable selon les périodes et à des dispositifs d'intégration de personnels d'origines diverses. Le niveau actuel de formation initiale des professeurs certifiés reflète à la fois cette diversité des recrutements et une tendance à la hausse de la qualification initiale : 6 % ont un niveau inférieur ou égal à «bac+2», 17 % égal à «bac+3», 38 % à «bac+4», 28 % à «bac+5», 11 % supérieur à ce dernier niveau (Périer (1994)). Quant aux professeurs d'enseignements professionnels, on observe une transformation culturelle radicale, le recrutement passant de l'ouvrier professionnel au début des années 1950 au diplômé de l'enseignement supérieur, des secteurs techniques (à partir de 1975), puis scientifique. En conclusion, on constate donc que chacun des corps enseignants porte, à des degrés divers, les traces de son histoire récente : les cursus scolaires, les trajectoires professionnelles, les modes d'accès à l'enseignement varient fortement selon les âges. La croissance des effectifs, l'hétérogénéité des formations et des niveaux, s'accompagnent nécessairement d'une perte des références communes, de la fin des «esprits de corps». On observe également que le niveau de diplôme acquis tend à monter dans tous les corps : cette surqualification vise au maintien du statut social.

La création des IUFM en 1989 s'inscrit dans une conjoncture marquée à la fois par une crise massive de recrutement des enseignants, par une rénovation largement amorcée des formations initiales, par l'achèvement progressif d'une école moyenne unique, par l'harmonisation programmée des statuts des nouveaux professeurs des écoles et des professeurs certifiés. Cette conjoncture rend légitime l'idée d'une formation partagée dans des mêmes centres universitaires et professionnels.

Les IUFM et la professionnalisation des enseignants

Quelles transformations des métiers enseignants les nouvelles formations dessinent-elles ? Les plans de formation, ambitieux, illustrent la difficulté à changer les paradigmes définissant les métiers de l'enseignement. Quatre principes permettent à la fois de dessiner les changements en cours et les tensions qu'ils suscitent.

L'affirmation de la continuité du développement professionnel tout au long de la carrière, faisant alterner les phases de travail ordinaire, d'innovation et de perfectionnement, constitue un projet à long terme et reçoit un

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accueil plutôt favorable des acteurs. Dans cette perspective, les projets d'aide à la prise de fonction des enseignants débutants ou le très récent rattachement de la formation continue des enseignants du second degré aux IUFM, pour complexes qu'ils soient, ouvrent de nouvelles perspectives.

En second lieu, l'universitarisation de la formation cristallise un certain nombre de tensions : elle renvoie d'une part à des enjeux de requalification (premier degré) ou de déqualification relative (second degré), d'autre part à des conflits de territoire entre IUFM et universités, à propos en particulier du contrôle des préparations des concours du second degré qui a conduit à un retour au statu quo ante après une brève tentative de professionnaliser ces concours ; enfin sur un plan pédagogique cette universitarisation ne va pas de soi, pouvant couper la formation des lieux d'exercice professionnel (Bourdoncle (1994)), outre les conflits de modèles de formation qu'elle suscite entre les différents acteurs selon leur position dans l'institution.

Le troisième principe opère un renversement de perspective, inscrivant la formation sur le lieu de travail des praticiens, lieu de mobilisation, de production, de transmission des compétences professionnelles. La référence au « praticien réflexif » est devenue dominante dans les instituts de formation qui sont confrontés, pour construire une « formation intégrée », à deux chantiers particulièrement difficultueux au regard du poids des héritages. Il s'agit d'une part de mettre en réseau des ressources traditionnelles de formation, afin de construire des synergies entre les différentes institutions (université, IUFM, établissement de stage ou d'exercice), les types d'intervenants (enseignants-chercheurs, formateurs de l'IUFM, formateurs de terrain, pairs). Le second défi vise à articuler au sein de la formation des savoirs de nature différente, scientifique, didactique, pédagogique, mais aussi à déterminer la place et le mode d'intervention des savoirs construits par les sciences sociales et humaines, pour répondre au caractère multidimensionnel de l'exercice professionnel ; or l'intégration de ces savoirs évoque facilement la formation traditionnelle des enseignants du premier degré : elle est porteuse, pour le second degré, d'un fantasme de perte d'une « haute culture », de dilution des compétences disciplinaires spécialisées dans des fonctions d'animation et de travail social.

En quatrième lieu, il s'agit de développer les nouvelles compétences qui élargissent les métiers traditionnels des enseignants selon quatre registres principaux : la formation vise le développement d'une culture organisationnelle, d'une formation à la relation, d'une réflexion éthique sur le métier et ses conditions d'exercice actuelles, d'une culture collégiale de coopération entre collègues. Si la demande sociale est pressante (liée à la violence dans les établissements par exemple) et les difficultés sur les terrains massives (relations avec les élèves, contrôle disciplinaire), les réponses ne vont pas de soi et les instituts se retrouvent relativement démunis en termes de ressources et de savoir-faire. Cette culture d'acteur est d'autant plus complexe à construire qu'elle porte l'idée conflictuelle d'une culture commune à l'ensemble des enseignants, qui reste cependant mineure dans les faits en termes de volumes horaires et ne paraît être un enjeu d'importance, dans l'architecture des formations, ni dans les constructions identitaires ni dans la formation pédagogique.

Quels enjeux pour les acteurs ?

L'enjeu principal de la mise en place des IUFM ne relève pas d'une nouvelle conception de la professionnalité enseignante ou d'un bouleversement des dispositifs de formation : sur ce terrain, la continuité l'emporte largement sur les transformations (Lang (1999)). Ces nouvelles formations ont d'abord un impact d'ordre symbolique en en reconnaissant l'existence d'une professionnalité enseignante spécifique ; elles touchent également la position sociale et les statuts des enseignants, en particulier par le recrutement généralisé au niveau de la licence et par le rassemblement de toutes les formations dans une même institution relevant de l'enseignement supérieur, attestant sans doute la continuité de la scolarité des élèves, mais plus encore l'unité de la fonction enseignante (Hirschhorn (1993)). Dès lors, l'enjeu stratégique de l'ouverture des IUFM concerne la redéfinition des identités des enseignants, pour eux-mêmes et pour autrui, ce que tendent à montrer les enquêtes menées auprès de nouveaux professeurs : ils montrent un degré de satisfaction et un sentiment de reconnaissance sociale plus élevés que leur prédécesseurs immédiats, il est vrai dans un contexte général de crise de l'emploi.

Les enseignants du premier degré trouvent à court terme des bénéfices évidents à la politique de professionnalisation : un développement de l'autonomie dans la pratique professionnelle, parce que les normes prescriptives traditionnelles s'effacent au profit d'une initiative croissante dans l'exercice professionnel ; l'arrêt d'une lente déqualification relative au sein de la population s'accompagnant d'un gain statutaire et financier, au prix sans doute de la perte d'une identité professionnelle spécifique qui leur valait jadis une forte reconnaissance de la population.

Pour les enseignants du second degré, la création des IUFM affiche clairement la reconnaissance d'une identité professionnelle qui ne se réduit pas à la seule compétence culturelle personnelle, mais la formation continue est sans doute plus «stratégique» pour le développement de leurs compétences. Quant à leur position sociale, la mise en place des IUFM se traduit par un certain nombre de craintes, autour d'un déclassement relatif du groupe, d'une normalisation de la profession par l'imposition de standards de compétences, d'une mise en cause des statuts au nom de nouvelles compétences et d'une qualification en situation.

On ne peut donc guère être surpris des résultats des enquêtes portant sur les effets de la formation. D'une part soumis à de fortes contraintes (place des concours, urgence de la prise de fonction), les formateurs des IUFM

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s'inscrivent dans des formations professionnalisantes ; leurs objectifs visent les pratiques et l'efficacité professionnelles, en privilégiant des attitudes d'analyse et de réflexivité, rompant avec les anciennes formations modélisantes ou fondée sur l'accumulation d'expérience ; on constate cependant que ce qui élargit le métier d'enseignant au-delà de la classe n'est souvent pas une priorité, comme si l'établissement ou le cycle n'avaient guère de réalité dans les pratiques professionnelles (Lang (2001)). D'autre part, on observe qu'après la période de prise de fonction, les jeunes enseignants rencontrent, sur les terrains, les mêmes difficultés professionnelles que leurs aînés, et revendiquent des motivations voisines ; s'ils portent une meilleure appréciation sur la formation reçue en IUFM que leurs prédécesseurs sur celles des institutions antérieures, ils estiment que les formations non disciplinaires sont peu utiles, sauf lorsqu'ils sont confrontés à des publics scolairement difficiles ; globalement les nouvelles formations semblent moins produire une transformation substantielle du métier qu'une meilleure adaptabilité aux changements de situation (Robert et Terral (2000)).

Les transformations du métier

Quelles sont les principales évolutions des métiers que l'on peut repérer ? On s'appuiera à la fois sur l'analyse des conditions d'exercice et sur des enquêtes, nationales ou locales, privilégiant le point de vue des acteurs.

Des évolutions tendancielles

Les pratiques professionnelles sont étroitement liées aux conditions réelles d'exercice et, plus que d'autres, les établissements qui accueillent les publics populaires et immigrés doivent inventer des solutions pédagogiques et organisationnelles pour à la fois améliorer le niveau d'instruction, prendre en charge les différences scolaires des élèves, mais aussi tenir compte des cultures particularistes familiales, locales ou juvéniles, ou des politiques de la ville (sécurité, lutte contre l'exclusion), alors que d'autres sont confrontés aux stratégies des parents sur le « marché scolaire » (Van Zanten (1998)).

Ce sont d'abord, dans le travail quotidien, les activités traditionnelles d'enseignement qui doivent être adaptées, à la fois par une centration sur l'élève-apprenant par une préoccupation d'adaptation de l'enseignement à l'hétérogénéité des groupes d'élèves dans le cadre d'objectifs nationaux. Il s'agit par exemple de prendre en compte les conceptions des élèves, de construire de nouvelles médiations entre les connaissances scolaires et les savoirs des élèves, de travailler sur leur implication dans les situations proposées, mais aussi de développer l'aide méthodologique au travail personnel, etc. Bien que s'inscrivant dans la continuité de la mission d'enseignement ces adaptations interrogent les pratiques traditionnelles : qu'est-ce que préparer une leçon ? Que faut-il mobiliser pour « faire cours » ou faire apprendre ? Qu'est-ce qu'évaluer ? Elles posent alors des questions éthiques sur la nature du métier, le type d'intervention auprès des élèves, la fonction sociale de la scolarité, etc.

Ces transformations des conditions d'exercice, comme on l'a déjà évoqué, concernent également l'ensemble de la vie scolaire, dans ses multiples dimensions : rapports sociaux et interpersonnels quotidiens, socialisation, éducation citoyenne, qui se construisent parfois selon des formes étrangères aux cultures enseignantes traditionnelles : quelle autonomie pour la Maison du lycéen, quelle liberté pour le journal lycéen, etc. ? Plus généralement, il s'agit d'un élargissement du cadre de référence de l'action pédagogique qui s'inscrit désormais dans le contexte d'un établissement.

Enfin, un dernier trait est essentiel ici : les anciennes frontières entre l'intérieur et l'extérieur de l'établissement, traditionnellement marquées en France, sont devenues perméables ; on ne peut plus ignorer un environnement dont les pressions sont multiples, qui est considéré à la fois comme ressource et obstacle et traversé par des logiques d'actions hétérogènes ; les parents sont à la fois des partenaires des actions mis en place et des consommateurs sur un marché scolaire globalement devenu plus concurrentiel, qui oblige à tenir compte de l'image de marque de l'établissement (palmarès de performances, mise en valeur des conditions de travail, développement d'options ou de filières recherchées, souci de la réputation de l'établissement sur le marché local du travail, etc.). Dans le cadre de la décentralisation et de la déconcentration de l'appareil éducatif, l'environnement est perçu comme un ensemble complexe d'institutions à mettre en rapport, par le montage de projets et de budgets, etc. Construire et mener des projets pédagogiques, travailler collégialement, s'investir dans des partenariats éducatifs, donner à voir une image positive de l'établissement sont des dimensions de l'exercice professionnel fortement mises en valeur aujourd'hui, qui requièrent des savoir-faire de type organisationnel, relationnel qui n'appartiennent pas aux cultures professionnelles traditionnelles.

Qu'en pensent les enseignants ?

Les enquêtes mesurent plus les représentations que les pratiques et montrent en général un continuum des attitudes les plus militantes aux plus figées.

Si l'on interroge les enseignants sur ce qu'ils pensent être leurs missions prioritaires, ils proposent des réponses étroitement liées à la définition de leur métier. Dans l'enseignement primaire, donner le goût du savoir est

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premier, puis l'accent est mis sur les compétences globales (méthodes de travail, autonomie,savoir lire, etc.), les plus jeunes enseignants et les plus diplômés privilégiant ce type de compétences plus que l'acquisition d'outils (Maresca (1995)). Dans le secondaire, il s'agit d'abord de faire acquérir des connaissances, dans une visée de formation de la personne et d'utilité sociale (Maresca (1997)), puis d'apprendre à développer des méthodes de travail, de devenir autonome dans les apprentissages, de donner aux élèves les moyens de comprendre le monde et de s'y situer (Périer (1994)). Par rapport aux recherches antérieures, le rapport au monde, en termes de compréhension et d'insertion, est devenu plus important et le caractère gratuit d'une formation libérale réservée à quelques-uns appartient au passé.

Parmi les motifs de satisfaction professionnelle affichés, les débutants dans le second degré placent au premier rang le plaisir d'enseigner la discipline, puis le contact avec les élèves ; après quelques années cet ordre s'inverse et ces jeunes enseignants retrouvent les choix de l'ensemble des professeurs ; ensuite sont mis en avant l'envie de transmettre des connaissances et l'autonomie dans l'exercice du métier. On retrouve les mêmes attitudes dans le premier degré : parmi les raisons du choix du métier le désir d'enseigner est prépondérant chez les plus jeunes, le désir de s'occuper d'enfants croissant selon l'ancienneté de ces enseignants ; sont ensuite privilégiés, loin derrière, l'autonomie dans le travail et le temps libre. En termes de satisfaction procurée par le métier la relation avec les enfants est très largement en tête, à tous les âges de la carrière.

Quelles sont les principales difficultés que les enseignants disent rencontrer dans l'exercice de leur métier ? On observe ici encore que les plus jeunes enseignants ont des réponses identiques à celles de leurs aînés après quelques années d'exercice. Dans le secondaire, les objectifs les plus difficiles à atteindre sont par ordre décroissant : intéresser les élèves les moins motivés, faire travailler les élèves de niveaux hétérogènes, atteindre les objectifs de travail dans le temps prévu et faire travailler individuellement les élèves. Dans le primaire, les objectifs les plus difficiles à atteindre sont les mêmes, mais classés différemment.

Quelles places les enseignants donnent-ils à de nouvelles pratiques ? Pour le secondaire, les mobilisations actuelles portent d'abord sur le travail d'équipe, reconnu comme indispensable par 80 % des enseignants et pratiqué à des degrés divers par 64 % d'entre eux ; quant à la pédagogie différenciée, 70 % y sont favorables et 51 % estiment la pratiquer ; pour la pédagogie du contrat, les chiffres correspondant sont de 51 et 38 %. Il faut relativiser ces indications : l'usage régulier de ces nouvelles pratiques reste minoritaire et varie selon l'établissement ou le diplôme ; ainsi le travail en équipe est estimé plus efficace par les enseignants des filières technologiques que parmi les agrégés littéraires de lycée (42 % contre 24 %). D'autres indicateurs montrent la prégnance des pratiques anciennes : ainsi le manuel est très souvent utilisé, surtout dans l'enseignement général et au collège, alors que les nouvelles technologies le sont peu. Trancart (1996) distingue trois groupes d'enseignants répartis entre deux pôles : les uns déclarent une pédagogie centrée sur les élèves (34 %); les seconds constituent un groupe intermédiaire (42 %); les troisièmes revendiquant des pratiques traditionnelles individualistes (25 %).

À l'école primaire, la quasi unanimité des enseignants affirme l'intérêt des techniques de pédagogie différenciée et 75 % déclarent les pratiquer, mais certaines formes de différenciation ne sont pas étrangères aux pratiques traditionnelles de ce groupe professionnel. Le travail en équipe est très valorisé mais ses aspects les plus ambitieux ne mobilise que le tiers des enseignants, sa pratique régulière environ un quart d'entre eux (Maresca (1995)) ; il est plus fréquent pour l'harmonisation des évaluations, pour les projets périscolaires et les formes les plus coopératives du travail se trouvent dans les premiers niveaux de l'école élémentaire, comme si ces évolutions restaient à la périphérie du métier traditionnel.

Toutes les enquêtes montrent évidemment la variabilité de ces conceptions des enseignants : les représentations du métier sont fortement corrélées au corps d'appartenance, à la discipline enseignée, au type d'établissement et à sa localisation. Les pratiques ne semblent donc évoluer que très lentement et cette stabilité apparente peut être référée à certaines caractéristiques de l'exercice professionnel : la forte indétermination des tâches d'une part, l'incertitude des finalités, la diversité et le caractère composite des accords locaux d'autre part (Derouet (1992)), enfin l'isolement de beaucoup d'enseignants qui travaillent seuls devant leurs élèves favorisent la reproduction des pratiques traditionnelles plutôt que l'émergence de nouvelles compétences.

D'autres enquêtes, plus qualitatives, montrent cependant une image différente de l'évolution des activités professionnelles en insistant sur les variabilités locales des conditions d'exercice, des pratiques mises en oeuvre, des éthiques professionnelles, en particulier entre les établissements « ordinaires » et les établissements difficiles des zones d'éducation prioritaires (ZEP). Pour les deux-tiers des instituteurs, exercer dans un quartier favorisé ou dans un quartier difficile de grande ville n'est plus le même métier (Maresca (1995)). Pour le secondaire plus particulièrement, dans les établissements réputés difficiles, la demande de l'enseignant se déplace fréquemment des savoirs et des performances de l'élève au rapport que celui-ci entretient à son travail et aux contenus de connaissance. Ceux qui s'investissent dans ces établissements développent localement un certain nombre de stratégies (Rochex (1995); Van Zanten (1999)) : dans leur manière d'être au métier, les enseignants mettent en avant l'importance de l'improvisation réglée, de l'adaptation en situation, de la modulation des exigences et des objectifs en fonction des publics ; ils soulignent le poids croissant de l'ordre disciplinaire et de leur rôle d'éducateurs pour faire tenir la situation scolaire et pour que les jeunes puissent se positionner eux-mêmes comme élèves ; face aux problèmes d'indiscipline et de violence, les modes de réponse sont multiples en termes de réputation établie pour les plus anciens, d'humour, etc. ; ces enseignants développent une éthique de

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l'honnêteté, de l'implication personnelle et de la gestion collective des difficultés, même si le recours à des solutions collectives n'est pas l'attitude générale. Pour une part de ces enseignants, la définition de leur métier est liée à leur contexte particulier de travail, qu'elle ne saurait être généralisée à l'ensemble du groupe professionnel, que l'établissement est un élément essentiel de leur mobilisation et de leur identité professionnelles (Kherroubi (1997)). Ces enquêtes récentes ouvrent de nouvelles perspectives de compréhension des transformations des métiers enseignants, l'identité professionnelle des acteurs étant étroitement liée à la construction locale de l'ordre scolaire.

Conclusions

Le bilan d'ensemble pourrait se limiter à des constats triviaux : depuis une trentaine d'années les corps enseignants sont engagés dans des évolutions lentes, à des degrés divers selon leur place dans l'institution ; derrière une unité de façade, réactionnelle bien souvent, l'hétérogénéité est très forte ; le changement de génération à venir va amplifier ces évolutions et marginaliser les anciennes cultures professionnelles étroitement liées à des états antérieurs du système éducatif. Trois perspectives peuvent modifier ce point de vue.

En premier lieu, la continuité n'est pas seulement la reproduction d'un état antérieur, c'est d'abord l'affirmation de la permanence et de l'approfondissement d'une mission et du sens du métier ; les enseignants de tous âges privilégient des finalités d'instruction, d'éducation plus que d'insertion ou de développement du lien social. Les résistances auxquelles s'affrontent les enseignants aujourd'hui sont autant de point aveugles des anciennes professionnalités qui s'appuyaient sur une série de présupposés (Lang (1999)) : l'affirmation d'une motivation par les seuls contenus, l'idée que la maîtrise des savoirs disciplinaires suffit pour « faire classe », la certitude qu'il est possible de passer outre l'hétérogénéité des élèves, le postulat d'une causalité directe entre le cheminement intellectuel du maître et celui des élèves, etc. De même les enquêtes sur la qualité des enseignants montrent à la fois la continuité des engagements personnels et des ruptures dans l'exercice professionnel par valorisation de la fonction éducative, contextualisation de l'excellence professionnelle, recentrage sur les conditions d'apprentissage (Altet (1993)). Dès lors les changements professionnels relèvent de l'adaptabilité et du « faire face » personnels en l'absence de normes du bon exercice. Plus encore, lorsque les conditions de travail sont difficiles, on observe un travail de ré-élaboration de ce qui paraît « naturel » aux enseignants dans leur histoire personnelle, réinterrogeant le sens de la culture scolaire pour les élèves et pour eux-mêmes, les conditions pour en faire encore aujourd'hui une culture vivante sollicitant chacun au-delà de lui-même (Rochex (1995)).

Dans une seconde perspective, la stabilité apparente des métiers repose sur le postulat d'une homogénéité forte des enseignants, d'une identité professionnelle commune aux enseignants d'un même degré ; une approche interactionniste a l'opposé définit le groupe professionnel comme « conglomérat de segments en compétition et en restructuration continue » (Bucher et Strauss (1992)) et non comme unité organique. Dès lors le problème est moins de rechercher les transformations globales des cultures professionnelles ou des métiers que de s'attacher aux carrières des individus, définies en termes de parcours d'une personne au cours de son cycle de vie, mettant en relation trajectoire biographique et système d'emploi ; il s'agit de comprendre les conditions de mobilisation, les résistances, les adaptations, les éventuelles recompositions identitaires « qui s'opère au sein des établissements et qui renforce la segmentation du groupe professionnel » (Van Zanten (1999)).

En troisième lieu, on observe que les évolutions des pratiques enseignantes ne suivent pas en quelque sorte un rythme « attendu », comme en témoigne les nouvelles formes de régulation internes à l'institution. À partir des années 1980, on observe l'émergence d'un mode de régulation qui tente de promouvoir une obligation de résultats, s'inscrivant à la fois dans une dynamique de rationalisation technique de l'activité, abandonnant la normalisation antérieure des moyens désormais laissés à l'initiative locale, préconisant une culture de l'évaluation et de la communication, les acteurs devant tenir et rendre compte des effets de leurs actions tant à l'intérieur de l'institution qu'à destination du public. Sans doute la légitimité de cette rationalisation moderniste peut heurter de front les sensibilités des enseignants traditionalistes qui se réclament volontiers d'un double système de références, le micro-espace de la classe, l'horizon de finalités universelles, qu'elles soient d'ordre politique ou culturel, ignorant ainsi l'ordre construit localement et son organisation. Plus fondamentalement, ces régulations internes, au sein d'un établissement, ne peuvent être que de type normatif : si l'autonomie des enseignants est condition de l'accomplissement de leur métier, parce que toute action pédagogique est une construction personnelle et sociale irréductible à une rationalité technique de transmission d'informations, il s'agit alors de transformer les manières d'être au métier, les attentes, les définitions du bien, développées par les individus et les groupes professionnels ; ces régulations reposent donc sur un travail d'enrôlement pour obtenir le consentement ou l'adhésion des acteurs, dans la mesure où les postures éthiques (et politiques) sont essentielles dans l'exercice professionnel, sauf à réduire l'éducation à une activité de prestation de services. Cette mobilisation-conversion ne relève pas d'une gestion prévisionnelle des emplois et nous renvoie de fait à la pluralité et la contextualisation des mondes enseignants.

L'enseignement au tournant du millénaire ? Un univers composite qui requiert de revisiter ses propres fondements et dont la temporalité n'est pas réductible à celle des agendas politiques.

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RÉSUMÉ

La profession enseignante en France: permanence et éclatement

V. Lang - France

Éducation et francophonie Volume XXIX, numéro 1, printemps-été 2001 Le renouvellement de la profession enseignante : tendances, enjeux et défis des années 2000

RÉSUMÉ - ABSTRACT - RESUMEN

RÉSUMÉ

Après avoir rappelé les caractéristiques sociographiques des corps enseignants en France et les principales transformations de l'appareil éducatif et du contexte sociétal de l'exercice professionnel, on examine d'abord les évolutions des conditions de recrutement et les transformations des formations initiales du groupe professionnel en s'interrogeant sur ce qu'elles mettent en cause des statuts et professionnalités anciennes. Si d'autre part les enquêtes montrent, à un niveau général, une stabilité des pratiques professionnelles, les approches de type ethnographique révèlent la complexité des adaptations aux conditions locales d'exercice et la diversité des mobilisations professionnelles. S'il y a permanence de la mission d'enseignement, on observe un éclatement de l'unité postulée des corps enseignants, accompagnée d'un travail de réélaboration du sens du métier, travail dont la temporalité est en décalage par rapport aux transformations de la scolarisation et aux attentes de l'institution. Qui sont les enseignants en France aujourd'hui ? Héritiers d'une longue tradition, sont-ils porteurs des cultures professionnelles et des valeurs qui les ont socialement constituées dans le passé ? Le développement d'une scolarité longue, les mutations du public scolarisé, les transformations des rapports sociaux, des conditions de vie, de l'accès à l'information ou les incertitudes quant aux valeurs éducatives ont nécessairement des effets sur l'exercice professionnel et les manières d'être au métier. On se demandera ici essentiellement comment comprendre une apparente stabilité des pratiques et des identités professionnelles, vite assimilée à l'immobilisme d'un groupe protégé, alors que celui-ci a vu sa composition transformée, ses conditions d'exercice bouleversées, ses missions redéfinies.

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ABSTRACT

This article first reviews the sociographic characteristics of the teaching corps in France and the principle transformations within the educational system and in the societal context of professional practice. The author then looks at the evolution of recruitment conditions and transformations in early training for the profession, examining what they question in terms of prior status and professionalism. Studies may show stability, at a general level, in professional practices, but ethnographic approaches reveal the complexity of adaptations to local conditions and the diversity of professional mobilizations. If there is permanence in the teaching profession, a rupture can also be seen in the postulated unity of the teaching force, accompanied by a reworking of the profession's direction, in which temporality is lagging with respect to transformations in teaching and the expectations of the institution. Who are the teachers in France today ? Heirs to a long tradition, do they carry on the professional culture and values that made up their social constitution in the past ? The development of long academic careers, changes of an educated public, transformations in social life, living conditions, access to information, and uncertainty with respect to educational values have necessarily had their effects on the profession and ways of practicing it. The article essentially questions how to understand an obvious stability in professional practice and identity, hastily compared to the immobility of a protected group, while this same group has seen its composition transformed, entry

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ACELF - Résumé

requirements completely changed, and its goals redefined.

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RESUMEN

Después de haber presentado las características sociográficas del cuerpo docente en Francia y las principales transformaciones del aparato educativo y del contexto societal del ejercicio profesional, se examinan las evoluciones de las condiciones de contratación y las transformaciones de las formaciones iniciales del grupo profesional interrogándose sobre los cuestionamientos que se hacen en torno a los status y profesiones pasadas. Si las encuestas muestran, por otra parte, una estabilidad de prácticas profesionales a nivel general, los acercamientos de tipo etnográfico muestran la complejidad de las adaptaciones a las condiciones locales de ejercicio y la diversidad de las movilizaciones profesionales. Si bien permanece la misión educativa, se observa la fractura de la postulada unidad del cuerpo docente, acompañada de un trabajo de re-elaboración del significado del oficio, trabajo cuya temporalidad no coincide con las transformaciones de la escolarización ni con las expectativas de la institución. ¿Quiénes son los maestros actualmente en Francia? Herederos de una larga tradición: ¿portan aun las culturas profesionales y los valores a través de los cuales se contituyeron socialement en el pasado? El desarrollo de un largo proceso de escolarización, las mutaciones del público escolarizado, las transformaciones de las relaciones sociales, de las condiciones de vida, del acceso a la información o de las incertidumbres en lo que se refiere a los valores educativos, necesariamente han afectado el ejercicio profesional y las maneras de ser en el oficio. Tratamos de comprender la aparente estabilidad de las prácticas y de las identidades profesionales, rápidamente asimiladas al inmovilismo de un grupo protegido que ha visto trasformarse su composición, cuyas condiciones de ejercicion han sido afectadas y sus misiones refedinidas.

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Le renouvellement de la profession enseignante : tendances, enjeux et défis des années 2000, Volume XXIX , No 1, printemps 2001.

Pluralité des mondes et culture commune : enseignants et élèves à la recherche de normes partagées (1)

Yves DUTERCQ, Chargé de recherche Groupe d'études sociologiques, INRP, Paris, France.

Table des matières

■ Résumé Abstract Resumen ■ Introduction ■ Analyser les divergences entre enseignants et élèves ■ Incommunicabilité ou capacités critiques? ■ La classe et la guerre des mondes ■ Conclusion ■ Bibliographie ■ Notes

Résumé

Ce texte analyse l'engagement des enseignants d'un établissement situé en milieu difficile dans leurs efforts de mise en cohérence de leurs missions d'enseignement et de socialisation des élèves. Pour bien mesurer les tenants des incompréhensions et des affrontements qui apparaissent entre élèves et enseignants, l'auteur s'interroge sur les modalités mêmes de l'apprentissage au sein des classes. Il montre que non seulement la situation d'enseignement est une co-construction d'acteurs au statut différent, des adultes et des élèves, mais aussi que ce travail d'acteurs en interrelation dans la classe peut tout autant être analysé comme la recherche d'un accord entre des mondes au départ très étrangers les uns aux autres. Si les enseignants et les élèves ne visent pas toujours les mêmes objectifs, il est toutefois possible d'affirmer qu'ils tentent, de manière volontaire, d'établir entre eux des procédures de stabilisation de la situation. Bien plus, on peut considérer que les équilibres découverts ou non dans les situations d'enseignement contribuent à mettre ou à ne pas mettre de l'ordre au niveau de l'établissement, l'ordre dans l'établissement étant fortement dépendant de l'accord (et du partage) des normes et des procédures entre adultes et élèves. Construire favorablement la situation d'apprentissage, c'est d'abord s'accorder sur un partage de normes et la mise en place de procédures qui ne vont pas de soi. Il serait faux de l'ignorer comme de ne pas constater que ce travail n'est pas seulement un effort des enseignants mais un effort partagé entre élèves et enseignants, chacun avec ses ressources.

Abstract

This article analyzes the involvement of teachers at institutions located in difficult environments in their efforts to bring coherency to their teaching and to the socialization of students. To assess the misunderstandings and confrontations which arise between students and teachers, the author examines the teaching methods used in the classroom. He demonstrates that the teaching situation is not only a co-construction of actors of different status, i.e., adults and students, but also that the task of actors interrelating in the class can be analyzed as the search for harmony between worlds very different from each other from the outset. If teachers and students do not always have the same objectives, it is nevertheless possible to say that they try, in an intentional way, to establish procedures for stabilizing the situation between themselves. Moreover, the degree of stability achieved in teaching situations helps establish order at the level of the institution, an order which depends to a large extent on the agreed sharing of standards and procedures between adults and students. To

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favourably construct the learning situation, there must be agreement on shared standards and the establishment of procedures which are not necessarily self-evident. It would be a mistake to ignore or overlook the fact that this task requires an effort not only on the part of teachers, but is a shared undertaking between students and teachers, each with their own resources.

Resumen

Este texto analiza la participación de los maestros de un establecimiento situado en un medio dificil y de los esfuerzos que realizan para dar coherencia a su misión de enseñar y de socializar a los alumnos. Con el fin de bien evaluar los pormenores de las incomprensiones y las confrontaciones que surgen entre maestros y alumnos, el autor se interroga sobre las modalidades mismas de la aprendizaje en la clase. Muestra que la situación de enseñanza no es sólo una co-construcción de actores de status diferentes, de adultos y alumnos, sino que también este trabajo de actores en interrelación en la clase puede ser analizado como la búsqueda de un acuerdo entre universos que en un principio se perciben como totalmente ajenos uno del otro. Aunque los maestros y los alumnos no siempre persíguen los mismo objetivos, podemos afirmar que tratan, en forma voluntaria, de establecer entre ellos procedimientos de estabilización de la situación. Más aún, podemos considerar que los equilibrios descubiertos o no en las situaciones de enseñanza contribuyen o no a ordenar el establecimiento, orden que depende mucho del acuerdo (o del reparto) de normas y procedimientos entre adultos y alumnos. Construir favorablement la situación de aprendizaje significa, por principio, ponerse de acuerdo en lo concerniente al reparto de normas y procedimientos que en sí mismas no son evidentes. Sería erróneo ignorarlo y no constatar que dicho trabajo no sólo es un esfuerzo de los maestros sino que es un esfuerzo compartido entre alumnos y maestros según los recursos de cada uno.

Introduction

Voulant répondre aux questions posées par la gestion de la diversité des élèves de collège, une équipe associant sociologues et didacticiens a analysé l'engagement des enseignants d'un établissement situé en milieu difficile dans leurs efforts de mise en cohérence de leurs missions d'enseignement et de socialisation des élèves (Dutercq et alli (1999). Ce collège, modèle jadis de l'éducation en milieu populaire, est en proie au doute depuis quelques années : les élèves issus des classes moyennes le désertent et les relations entre les enseignants et les élèves se sont tendues. Pour y remédier, les adultes de l'établissement se sont imposé des règles de rapport aux élèves strictes : l'enseignement est très encadré, la discipline étroitement contrôlée, la gestion des relations oscille entre paternalisme et maternalisme. Cette forme de mobilisation exige une grande attention entre pairs (Hammersley et Woods (1984): les échanges d'informations entre adultes sont nombreux et les nouveaux arrivants sont « formés » et soutenus par le noyau des anciens.

Mais cela ne suffit pas : ces règles de conduite sont constamment mises à l'épreuve en classe. De la même manière que les adultes exposent leur solidarité et la cohérence de leur action pédagogique, les élèves affirment face aux enseignants une solidarité juvénile parfois déstabilisante : les violences dont l'établissement a été le lieu, peu d'années auparavant, en ont constitué une expression extrême, à laquelle la communauté des adultes n'était absolument pas préparée. En fait, des affrontements, souvent contradictoires et pas forcément violents, ont chaque jour la salle de classe pour terrain. Les analystes de l'école ont montré, depuis le milieu des années soixante-dix, que la classe est un monde non stable : si l'enseignant y dispose a priori d'un pouvoir statutaire, celui-là est contesté par les élèves qui ont pris conscience qu'ils avaient également des ressources pour imposer leur propre définition de la situation, ce que Willard Waller, dans un ouvrage étonnamment précurseur, avait mis en évidence dès 1932 (Waller 1932). Certes l'on peut, comme l'ont fait les théoriciens de la résistance, voir dans cette lutte de pouvoir les traces d'autres luttes, entre classes sociales, entre ethnies, entre sexes (Giroux (1981 et 1983)). Mais l'observation des situations, le travail ethnographique réalisé auprès des enseignants et des élèves permet d'aller plus loin dans l'analyse des processus interactionnels et dans la compréhension de la construction des inégalités et partant des échecs scolaires (Mehan 1979 et 1992)).

Pour bien mesurer les tenants des incompréhensions et des affrontements qui apparaissent entre élèves et enseignants, il faut s'interroger sur les modalités mêmes de l'apprentissage au sein des classes. Le travail présenté ici essaie de faire ressortir l'interaction essentielle, de ce point de vue, entre mondes du dehors et monde du dedans : les conflits observés et analysés portent clairement sur la transmission des savoirs, mais s'y s'entremêlent éléments internes, propres à la situation, et externes, qu'ils viennent de ce qui se passe dans l'établissement ou de ce qui se passe sur les autres lieux de vie des élèves.

Analyser les divergences entre enseignants et élèves

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L'étude du collège à laquelle cette contribution se réfère s'est déroulée sur le long terme et est passée par plusieurs phases d'enquête successives dont les objectifs étaient à la fois particuliers et articulés (voir Encadré 1). En simplifiant, on peut dire que ce fut d'abord un travail sur les enseignants : l'équipe cherchait à comprendre quelles formes pouvait revêtir aujourd'hui l'enseignement dans un collège scolarisant des élèves issus presque exclusivement de milieux sociaux défavorisés. Beaucoup considèrent que la seule adaptation possible dans de telles conditions est la baisse des exigences. Il nous semblait qu'il était possible d'analyser autrement les choix opérés en matière d'adaptation : les enseignants composent avec le programme officiel pour construire un curriculum ajusté aux possibilités des élèves. Ce curriculum est local, moins par la réduction apportée aux objectifs du programme d'enseignement officiel que par la forme pédagogique qui le porte et qui est souvent très soigneusement travaillée par les équipes enseignantes. Les professeurs sont donc tout à fait conscients de procéder à une forte adaptation, mais seuls les élèves peuvent dire si cette adaptation leur permet de profiter au mieux de l'enseignement qui leur est délivré. C'est pourquoi nous avons décidé de prolonger l'enquête aux élèves afin de clairement les interroger sur leur interprétation de ce qui leur est enseigné.

Encadré 1. Les dispositifs d'enquête

D'abord un dispositif d'enquête classique à partir d'un recueil de documents et d'entretiens essentiellement auprès de membres de l'établissement.

L'objectif est de récupérer des «grands récits» de l'établissement, de déceler et de (faire) analyser les points de tension ou de litige.

Ensuite une enquête auprès des enseignants.

Des binômes pour enquêteurs (un didacticien et un sociologue).

Un travail en trois temps autour d'un cours standard (ni exemplaire ni catastrophique, mais laissé au choix de l'enseignant) :

● un entretien préalable, axé sur l'interprétation du curriculum prescrit et le travail d'adaptation et de mise en forme auquel l'enseignant procède en fonction des circonstances;

● une observation du cours retenu, enregistré et retranscrit intégralement;

● un entretien postérieur, où l'enseignant confronte son analyse du cours à celle des enquêteurs.

Enfin un travail étendu aux élèves

Protocole similaire au précédent, sauf qu'à la suite du cours au second entretien avec l'enseignant s'ajoute...

un entretien collectif avec un petit groupe d'élèves de la classe observée.

L'objectif est alors une confrontation de trois regards : celui de l'enseignant, celui de l'équipe de recherche et celui des élèves.

Une analyse d'un établissement qui ne prend pas clairement en compte le point de vue des élèves n'a forcément qu'un sens restreint, limité à l'organisationnel et à un organisationnel désincarné qui ne considère les élèves que sous l'aspect du nombre et des typologies disponibles. Si l'analyse veut entrer plus avant dans le fonctionnement pédagogique et donc dans le monde des apprentissages et de la classe, elle doit s'appuyer sur les points de vue des personnes, considérées comme des interactants, à savoir enseignants et élèves. Pour que cette confrontation des points de vue soit productive, nous avons dû réunir plusieurs conditions : constituer un petit échantillon d'élèves à la fois volontaires et, sur le plan scolaire, à peu près représentatifs d'une classe observée, les placer dans un cadre de discussion propice à la libre parole mais aussi nettement inscrit dans leur collège (nous avons pu utiliser un lieu confortable et convivial, le centre de documentation), proposer des questions ouvertes aux différentes formes de réponses, personnelles, collectives, contradictoires, avec une place laissée au débat, nous centrer, au moins pour commencer, sur le cours récemment observé, ainsi que nous avons pu le faire dans les entretiens ex-post avec les enseignants.

En orientant les entretiens avec les élèves autour d'une situation précise, vécue, nous leur donnons la faculté d'ancrer leur point de vue et de centrer l'échange. Au bout du compte, l'intention principale du dispositif d'enquête est de faire varier les points de vue autour d'une même situation-problème : confronter le sens que donnent les enseignants et les élèves à telle ou telle situation d'apprentissage, mais aussi aux propres interprétations de l'enquêteur. La discussion qui peut s'installer autour des interprétations d'un cours entre enseignant et équipe de recherche permet de construire une analyse contradictoire très fine : les hypothèses interprétatives sont confrontées, précisées, enrichies. C'est une manière de procéder à une première validation de ces interprétations : enseignant et chercheur font évoluer leurs points de vue et aboutissent à une analyse plausible, éventuellement ouverte si des divergences ont persisté entre les lectures des situations. Lorsque s'ajoute le point de vue des élèves, le débat bascule dans une autre dimension. Les élèves ont sur la situation de cours un regard tout autre que celui des adultes. Les entretiens ou les discussions que leur proposent les chercheurs livrent des interprétations, dont l'écart avec les analyses des adultes est parfois important : par exemple, les jugements

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qu'ils portent à cette occasion sur les enseignants, les critères qui leur paraissent pertinents pour les caractériser et les regrouper aboutissent à une carte de l'établissement qui interroge celle que proposent les adultes.

L'intérêt pour la sociologie que nous pratiquons, c'est que l'on peut ainsi faire émerger une vision commune de l'établissement (minimale ou non), passer souvent de l'impression de diversité et d'éclatement à la compréhension d'une relative communauté ou au moins aux éléments qui peuvent participer à la construire. Les spécificités du dispositif choisi étaient destinées à chercher à la base, dans la classe, ces éléments de diversité ou de communauté.

Cela nous a conduits, lors de la phase d'analyse du matériau recueilli, à centrer notre réflexion sur quelques questions clés, parfois de simples mots, autour desquels se creusent les malentendus. Que signifient pour les uns et les autres difficulté ? travailler ? comprendre ? etc. autant de «mots-valises» qui créent des décalages entre élèves et professeurs (Barrère (1997))... Les élèves affirment travailler mais ne comprennent pas forcément (et ils le reconnaissent). Quant aux professeurs, ils attribuent leurs mauvais résultats et leur incompréhension à leur insuffisance de travail. Ces deux points de vue ne peuvent être pris au sérieux que si l'on accepte de considérer qu'élèves et professeurs n'ont pas la même définition du travail (voir Encadré 2).

Encadré 2. Des divergences d'interprétation

QS = sociologue

QD = didacticien

QS - Vous me disiez que vous pouviez dire à votre prof que vous n'êtes pas arrivés à faire votre travail : c'est quelque chose qu'il prend bien ?

Didier - Ça dépend.

Federico - Oui, l'autre jour on avait un devoir et on n'est pas arrivés à le faire, alors il nous a un peu engueulés quoi. On ne savait pas le faire.

Didier - Parce qu'on n'avait pas appris à le faire. Même en travaillant je crois pas qu'on aurait pu le faire.

QS - Il a eu tort alors ?

Federico - Oui

QS - Comment ça se passe quand vous avez l'impression que le prof soit se trompe, soit a mal expliqué ? Ça peut arriver, hein. Vous allez lui dire ?

Didier - Oui, on lui dit. Mais il croit... (hésitation)

Joël - Mais il croit que c'est parce qu'on n'a pas voulu le faire, quoi, qu'on n'a pas voulu chercher.

QS - Vraiment ?

Joël - Enfin, il l'avait donné trois jours avant, alors quand on va le voir il nous dit qu'il va donner les devoirs deux semaines à l'avance si ça nous a pas suffi et qu'on n'a pas su le faire en trois jours.

QS - Il y a des élèves qui le diront plus facilement que d'autres et qu'il écoutera plus que d'autres ?

Joël - Ouais, c'est sûr. Ceux qui travaillent mieux, il va plus les écouter.

QD - Quand il y a quelque chose d'un peu difficile, que vous ne comprenez pas, vous allez vous-mêmes poser la question ou vous préférez passer par un camarade dont vous pensez que le professeur va mieux l'écouter ?

Didier - Non, on essaie de demander au copain et s'il a pas compris aussi on va demander au prof.

On retrouve encore ces divergences dans l'interprétation contradictoire du travail de groupe : les élèves travaillent en groupe mais non pas de la manière souhaitée par le professeur, qui lui-même, tout en reconnaissant une certaine validité à leur conception, ne peut en accepter le principe car elle ne correspond pas à un fonctionnement répertorié du travail scolaire. Les élèves peuvent en effet avoir une conception à la fois subtile et inattendue de leurs différents rôles : ainsi Federico, alors qu'il a compris, va jusqu'à exprimer une demande d'explication car il sait que d'autres n'ont pas compris. Chaque élève sait aussi vers qui se tourner quand il ne comprend pas : il y a une pratique instinctive et renouvelée de l'enseignement mutuel, peu utilisé par les enseignants dont beaucoup considèrent là encore qu'il n'est pas une forme acceptable du travail scolaire. Leïla appelle cela «se rendre service» (voir Encadré 3). Certes quelques-uns n'en tirent que peu de fruits, de leur propre aveu et plus encore selon le jugement de l'enseignant, mais l'échange entre pairs permet à un grand nombre de s'en sortir et dans certains cas de «produire» à terme un travail autonome, qui étonne l'enseignant.

Encadré 3. Des divergences d'interprétation (suite)

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QS = sociologue

QD = didacticien

QS - Oui, ça, c'est pour les maths. Et en français ?

Sokona - Ça va, moi, je comprends.

Raffi - Ça va trop vite.

Sokona - Oh, c'est vrai qu'elle va trop vite. J'essaie d'écouter et j'ai une fille dans la classe, Isolde, elle m'explique. Je lui demande de m'expliquer quand je ne comprends pas.

QS - Donc, en fait, pratiquement pour toutes les matières vous avez une copine qui est bonne.

Leïla - Oui

QS - Comme Bernarda ou un copain, que vous pouvez taxer pour...

Sokona - Je lui demande de m'expliquer, c'est tout.

QS - Oui.

Raffi - Quand elle dicte, il y en a qui sont encore à la première phrase, elle a déjà fini.

QD - Elle va trop vite ?

Raffi - Trop vite quand elle dicte. On n'a pas le temps d'écrire.

QD - En maths ?

Leïla - En histoire, hein, quand je ne comprends pas, elle explique. On se rend service.

Incommunicabilité ou capacités critiques?

L'observation des situations (voir Encadré 1) nous invite à faire une importante différence entre ce qui se passe quand on oppose le monde des adultes de l'établissement à celui des élèves (solidarité contre solidarité), et ce qui se passe en classe quand le professeur est seul face aux élèves et réinterprète les normes du grand groupe de ses pairs.

Nous pourrons ainsi étayer une hypothèse forte : non seulement la situation d'enseignement est une co-construction d'acteurs au statut différent, des adultes et des élèves, ce que les ethnométhodologues américains (Mehan (1979)) comme les ethnographes anglais (Stebbins (1975); Woods ed. (1980 et 1981)) ont depuis longtemps montré, mais nous ajouterons que ce travail d'acteurs en interrelation dans la classe peut tout autant être analysé comme la recherche d'un accord entre des mondes au départ très étrangers les uns aux autres. Si les enseignants et les élèves ne visent pas toujours les mêmes objectifs, il est toutefois possible d'affirmer qu'ils tentent, de manière volontaire, d'établir entre eux des procédures de stabilisation de la situation. Bien plus, on peut considérer que les équilibres découverts ou non dans les situations d'enseignement contribuent à mettre ou à ne pas mettre de l'ordre au niveau de l'établissement, l'ordre dans l'établissement étant fortement dépendant de l'accord (du partage) des normes et des procédures entre adultes et élèves.

Ce partage n'est pas donné et n'aurait guère de chances de voir le jour s'il était supposé émaner d'un accord global présupposé, tel qu'il pouvait exister dans une école jadis fondée sur la connivence culturelle ou encore sur la confiance de principe.

Dans le collège étudié, il existe une conception forte de la communauté éducative à laquelle les enseignants ou les adultes sont tous censés adhérer, et par là réservée dans un premier temps aux seuls adultes : la maîtrise des situations passe par une solidarité sans faille entre adultes qui elle-même passe par l'échange systématique des informations. Cette maîtrise construit un véritable modèle de fonctionnement du collège destiné à le faire tenir et qui repose donc sur le partage (entre adultes de l'établissement) de normes sociales acceptables, selon eux, pour des élèves de familles défavorisées. L'arrivée progressive de jeunes professeurs qui n'ont plus les mêmes références (en particulier en matière de vision du monde mais aussi de conception du métier enseignant) ébranle cette vision commune du collège.

Les adultes proposent en effet un cadre, une progression, des contenus, des valeurs de référence qui constituent des choix personnels sous une influence plurielle correspondant à leur inscription plurielle, qui renvoient à autant de «nous» non assimilables : dans le tissu de l'établissement (nous, les enseignants ou les personnels de ce collège), dans leur discipline (nous, les spécialistes ou les représentants de tel savoir) dans le système éducatif (nous, les enseignants) et dans la société (nous, les adultes, les citoyens, etc.). Ainsi selon qu'ils sont agrégés titulaires, anciens maîtres du primaire, enseignants contractuels, jeunes remplaçants, etc. leur vision des choses sera différente (Dutercq (1993)).

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En situation de classe, ces divergences, ces tiraillements, qui peuvent aboutir à des arrangements plus ou moins acceptables (comme les survival strategies dont parlent Hammersley et Woods (1977), à des formes de négociation (Woods (1979)), ressortent car la lecture de la situation par les élèves est souvent en décalage par rapport à celle du professeur, l'éprouve et d'une façon suffisamment lucide pour être déstabilisante. C'est ce que montrent les entretiens avec les élèves qui mettent en lumière une capacité critique à l'encontre des choix et des propositions de leur enseignant dans la gestion même du cours. Ces capacités critiques se retrouvent dans la mise en question de la gestion des rapports entre adultes et élèves au sein de l'établissement, dont les violences ont été les révélateurs. Mais un de ces conflits porte bien, à la base, sur le problème de la transmission du savoir.

Il arrive par exemple qu'enseignant et élèves aient une lecture diamétralement opposée de telle ou telle partie d'un cours (voir Encadré 4). Si le chercheur peut, avec profit, comparer les interprétations globales que font professeurs et élèves des situations autour de grands thèmes, notre méthode d'enquête incite à travailler sur des moments précis, par exemple l'interprétation de ce qu'un professeur de mathématiques, M. Houvier, a fait durant le début de son cours sur l'algèbre (rappel de notions de base de géométrie sur le calcul du périmètre et de l'aire des quadrilatères).

Encadré 4. Les capacités critiques des élèves

À propos du cours de mathématiques de M. Houvier

QS = sociologue

QD = didacticien

QS - Et est-ce que vous pensez que ça a bien marché son cours ce matin ? Est-ce que vous pensez qu'il aurait pu faire autrement ou qu'il a bien procédé ?

QD - Je vais peut-être compléter un peu : est-ce que ça vous a plu ou est-ce que vous auriez préféré qu'on passe un peu plus de temps sur une partie ?

Federico - Il aurait fallu être sûr que sur l'aire ce soit bien acquis pour passer aux exercices

QS - Tu penses qu'il aurait peut-être fallu d'abord un retour sur l'aire, revoir certaines notions avant d'attaquer ça ?

Federico - Oui.

QD - Et toi Joël qu'est-ce que tu en penses ?

Joël - Moi, ben je pense que Monsieur Houvier il enseigne bien mais quand on doit savoir un truc, par exemple quand on doit savoir des règles, il pense que c'est acquis. Pour ceux qu'ont un meilleur niveau, pour les périmètres, les aires et tout ça, c'est déjà vu en quatrième, alors il va passer moins de temps avec ça.

Federico - Il va pas chercher à comprendre.

Joël - Oui, il va pas chercher à comprendre et il va passer moins de temps avec ça que pour les x qu'on vient d'apprendre. Enfin on est en train de les apprendre.

QD - Vous pensez que le fait d'avoir un travail avec des aires et des périmètres, plutôt que de vous aider, ça a pu vous gêner ce matin ?

Joël - Oui c'est ça en fait.

Federico - Parce que y en a, le fait de calculer un périmètre...

Joël - Ils savent pas s'en servir.

Les élèves ne réagissent pas à la proposition de l'enseignant comme il le prévoyait, comme il lui paraissait normal qu'ils le fassent : ils ont eux-mêmes des positions déjà fortement construites, qu'ils importent et qui influent sur la gestion de la situation de cours. M. Houvier a pourtant la réputation de bien expliquer (les élèves le citent parmi ces professeurs qu'ils aiment bien parce qu'ils expliquent bien). Pourquoi, le jour de notre observation, n'ont-ils pas bien compris ce que le professeur leur a expliqué ? Selon les élèves, il ne leur a pas fait réviser des éléments indispensables pour comprendre la nouvelle leçon. Or le professeur a effectivement commencé par cela : les exercices qu'il leur a proposés au début du cours étaient destinés à leur rappeler les notions nécessaires. Ils ne l'ont pas vu ou plutôt ils n'ont pas fait le lien qui leur aurait permis de comprendre.

Si l'on se place d'un point de vue didactique, on peut faire l'hypothèse que la logique du professeur ne rencontre pas celle des élèves parce que sa démarche est conduite sans correspondance avec un besoin ou une demande des élèves, elle est en quelque sorte rapportée. Bien que le professeur soit ouvert et attentif aux réactions des élèves, il construit le savoir dans sa seule logique, et non dans celle des élèves. Le rappel de notions qu'il a

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proposé en début de cours est de l'ordre de ce que les didacticiens appellent la logique transmissive : il s'appuie sur des pré-requis mais il n'est pas sûr que les élèves voient les choses de la même façon, qu'il faille par exemple aller du plus simple au plus compliqué. Les correspondances à établir pour aider les élèves à rapporter les nouveaux éléments que l'enseignant veut introduire à un ensemble de connaissances qu'ils possèdent déjà ne sont pas fixes et dépendent d'un état des choses qui varie forcément d'un élève à l'autre, d'une classe à l'autre : la difficulté est évidemment alors pour l'enseignant d'analyser cet état des choses et d'établir ces correspondances. Mais ce travail n'est pas obligatoirement inter-individuel, même si les élèves réagissent différemment, en fonction notamment de ce qu'ils savent déjà, toute la classe ou au moins certains élèves y participent et contribuent à aider l'enseignant dans cette tâche.

Une nouvelle hypothèse peut être avancée sur le travail de traduction nécessaire pour une partie des élèves à la compréhension de ce que le professeur a dit. On a vu que des élèves servent de passeurs, c'est le cas de Federico, déjà cité, mais chaque groupe a semble-t-il le sien, d'autres (parfois les mêmes) sont de véritables traducteurs - au sens que donne Bruno Latour à ce terme (Latour (1984)). Nous voulons dire que ces élèves se situent dans un espace intermédiaire entre leurs camarades de classe et les enseignants : ils peuvent, dans certains cas, tout simplement exprimer dans la langue des élèves ce que le professeur a dit dans la langue des adultes «cultivés», ce qui renverrait à une forme simple de la traduction; plus souvent ils s'appuient sur leur connaissance des différents mondes, plus large que celle que les autres possèdent (notamment le professeur), pour établir les correspondances et les liens nécessaires à l'apprentissage : ils ménagent les passages d'un monde à l'autre, en se livrant à un travail de mise en connexion, forme plus complexe de la traduction.

La classe et la guerre des mondes

L'observation de la situation de classe et de son évolution permet de comprendre les tenants de ces interactions entre univers de référence, dans leur instantanéité et dans ce qu'elles portent d'éléments extérieurs. Autrement dit : les situations de cours construisent la situation d'établissement, l'influencent fortement, mais à l'inverse elles sont pleines aussi de ses règles de fonctionnement (explicites et implicites), des rapports inter-individuels mais plus encore inter-générationnels, dont il est la scène. Elles sont pleines également des formes interactionnelles et des normes en la matière qui gouvernent les autres mondes auxquels appartient chacun.

Quand, à la suite d'un cours, nous avons interrogé les élèves d'un professeur d'anglais, Madame Rossignol, ils nous ont rapidement entraîné vers des pistes qui dépassent l'analyse de la situation de cours : ils ont longuement parlé de ce qui se passe sur le chemin qui les mène de leur quartier au collège, de la vie dans leur cité, oubliant parfois l'objet de l'entretien, mais faisant aussi souvent de subtiles relations entre les relations qui se tissent ici et là-bas, relations entre eux, élèves et jeunes de la cité, relations au collège, relations à la scolarité, relations à la culture scolaire ou, simplement, à l'«apprendre» (voir Encadré 5).

Encadré 5. La guerre des mondes

QS = sociologue

QD = didacticien

QS - Et toi, tu disais qu'il y a des fois où tu ne viens pas ?

Leïla - Oui.

Thérèse - Oui, Madame. Quand on pense à la classe, à l'ambiance.

Raffi : Oui, voilà.

QS - Ça vous décourage à ce point ?

Leïla - Franchement, Monroë, quand il m'a parlé comme ça, franchement.

QS - C'est Monroë qui t'a dit ?

Leïla - Voilà. La prochaine que tu fais ça, je te dérouille. Je te nique ta mère, en plus.

Thérèse - Madame, on est parties au fond, on n'écoutait même plus la prof.

QD - Mais attends, la prochaine fois que tu fais quoi ? Que tu réponds, c'est ça ?

Leïla - Des fois, j'ai envie de répondre mais...

QD - Oui ?

Raffi - Je m'en fous moi, je réponds, on ne me dit rien, je réponds quand même.

QD - Il te, il te menace, toi et ta famille ?

Leïla - Non, il ne connaît pas ma famille.

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Raffi - Mais Madame, c'est des injures sur les parents, quoi.

QD - Oui, oui, absolument. Mais je voulais savoir jusqu'où ça allait.

Raffi - Pas les parents.

Leïla - Quand même pas les parents.

Raffi - Quand même pas.

Leïla - Mon cousin, il le connaît, c'est comme des frères, mon cousin et Monroë. Et quand j'ai dit ça à mon frère, à mon cousin, quand j'ai dit ça, il m'a dit "on est des amis je vais lui parler", j'ai dit "non, c'est pas la peine de lui parler de toute façon".

Raffi - Parce que, après, il va lui dire et c'est toi qui vas te faire engueuler.

Ce qui se passe dans le cours d'anglais, y compris sur le plan de la transmission des savoirs, ne peut être compris que si l'on connaît les autres mondes des élèves. L'analyse sociologique se différencie de l'analyse didactique par le fait qu'elle porte sur une durée longue, sur l'en-deça et l'au-delà des situations. Selon les événements vécus par les élèves avant ou autour du cours, leur comportement et, plus fondamentalement, leur capacité à comprendre ce que l'enseignant leur propose seront plus ou moins favorables. Il est certainement de mauvaise méthode de projeter sur l'analyse d'une situation un ensemble de connaissances concernant ceux qui en sont les acteurs, connaissances qui risquent d'induire la compréhension de son sens. Mais il ne saurait être question non plus de limiter l'analyse de cette situation à son observation. Les protagonistes, élèves et enseignant, nous fournissent des éléments de connaissances propices à une compréhension plus globale du déroulement le situation, de ses référents extérieurs et de ses implicites, sans pour autant préconstruire l'interprétation. Les élèves interrogés à l'issue de leur cours d'anglais replacent ce cours dans une globalité, celle de la journée d'adolescents habitant un quartier difficile : l'analyse de la situation de classe ne se réduit pas à celle d'un «ici et maintenant» des rapports croisés entre élèves, enseignant et savoir.

L'enseignant a évidemment un rôle important à jouer dans l'installation d'une situation propice à l'apprentissage mais les élèves, en fonction de ce qu'ils apportent de l'extérieur, préoccupations et conflits divers (voir Encadré 5) ou au contraire désir d'apprendre et manières d'apprendre (parfois différentes de celles couramment admises par les enseignants, cf. supra), agissent fortement sur la réussite de la construction voulue par l'enseignant. Ce dernier ne peut l'ignorer et son attention doit être grande pour saisir les opportunités d'ajustement qui se découvrent à lui : il peut, dans quelques cas, ramener les élèves à son cours tel qu'il l'avait préparé, mais il doit, plus souvent, réorienter ses prévisions pour tenir compte de la capacité réceptive de ses élèves.

Comme nous l'avions noté pour les enseignants, mais à un degré bien plus problématique, on découvre chez les élèves un véritable tiraillement, un quasi écartèlement entre des mondes pluriels dans lesquels ils vivent et qui leur crée de grandes difficultés d'interprétation, au point de les conduire à confondre quelquefois les situations et les modes sociaux qui les sous-tendent : monde familial, monde des copains (bande, cité), monde de l'école. Cette confusion est une source d'explication de nombre de dérapages et de violences, de ces débordements dont la soudaineté les fait paraître incompréhensibles.

Conclusion

Dans la plupart des établissements scolaires, le travail de mise en cohérence doit aujourd'hui composer des référents différents de nature et de niveau, sans que l'un l'emporte a priori sur les autres (van Zanten (1998); Derouet dir. (1999)).

Les normes nationales, aussi bien les grandes missions fixées à l'école en matière de formation et de socialisation des plus jeunes que les programmes d'enseignement, constituent des points d'appui essentiels pour beaucoup de professeurs, spécialement les plus anciens. Cependant, tous ont appris à réinterpréter ces normes à la mesure d'expériences successives d'enseignement : certains s'en sont éloignés davantage que d'autres. Les élèves sont tout autant tiraillés entre des mondes qui proposent des modèles culturels dispersés (Dubet et Martucelli (1996); Rayou (1998)). L'établissement devient alors lieu de rencontre de cette pluralité de références. Ce constat se décline en plusieurs dimensions que nos observations ont fait ressortir.

Le curriculum local est une coproduction des enseignants et des élèves, d'autant plus positive que le rapport entre eux a été clairement installé, sur la base de l'explicitation des règles en vigueur et de l'utilisation maximale des ressources disponibles.

Les compétences critiques dont disposent professeurs et élèves constituent de telles ressources, pour autant qu'elles soient prises au sérieux et utilisées pour réajuster le curriculum, au moins sous ses aspects pédagogiques, au sens des moyens et des manières d'apprendre.

L'ajustement passe effectivement par un travail transversal entre enseignants (échange d'informations, continuité des enseignements, etc.) et par la construction d'un cadre cohérent qui permettent que les élèves s'y retrouvent

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et fassent le lien d'un cours à l'autre.

Mais cet ajustement passe aussi par un travail avec les élèves qui doivent pouvoir exprimer leurs difficultés et leurs attentes et contribuer ainsi, y compris par le recours à leurs capacités critiques, à construire les conditions favorables à leur apprentissage.

Nous avons fait à plusieurs reprises référence aux travaux des ethnographes de l'éducation anglo-saxons, mais notre point de vue diffère de manière essentielle du leur en ce qu'il propose une analyse plus ouverte des rapports qui s'instaurent en classe entre enseignant et élèves, y compris dans les établissements difficiles comme celui qui nous a servi de terrain d'enquête. Les adultes, et souvent également les élèves, participent à des tentatives de stabilisation qui permettent de travailler ensemble et si possible de réussir (Demailly (1993); Kherroubi, Peignard et Robert (1997 et 1998); Bourreau (2000)). Les équilibres, forcément provisoires, mêlent donc des contingences nationales et locales, globales et particulières. Non seulement l'observation des situations de classe mais encore l'analyse qu'en développent leurs protagonistes, enseignants et élèves, lorsqu'ils racontent ces mêmes situations, font ressortir la complexité de l'interpénétration des mondes, mondes communs de la classe et de l'établissement, mondes particuliers à chaque groupe et à chaque individu.

Construire favorablement la situation d'apprentissage, c'est d'abord s'accorder sur un partage de normes et la mise en place de procédures qui ne vont pas de soi. Il serait faux de l'ignorer comme de ne pas constater que ce travail n'est pas seulement un effort des enseignants mais un effort partagé entre élèves et enseignants, chacun avec ses ressources.

Bibliographie

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Bourreau J.-P. (coord.) (2000) Monographie d'un établissement difficile: le collège Nicolas Poussin, à Breillac, Rapport de recherche Paris : INRP.

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Les transformations des pratiques et des éthiques professionnelles dans les établissements. In Les professions de l'éducation et de la formation, Bourdoncle R. et Demailly L. (dir.), Lille : Presses du Septentrion.

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Woods P. (ed.) (1980) Teacher Strategies, London : Croom Helm.

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Notes

(1) Cet article doit beaucoup aux discussions menées autour du matériau d'enquête avec plusieurs chercheurs de l'équipe. Je remercie tout particulièrement ma collègue sociologue, Marie-Claude Derouet-Besson (Groupe d'études sociologiques, INRP Paris), et mes deux collègues didacticiens Christine Barré-de Miniac (IUFM de Grenoble) et Pierre Fillon (Didactiques des disciplines, INRP Paris).

Association canadienne d'éducation de langue française (ACELF) 268, rue Marie-de-l'Incarnation, Québec (Québec) G1N 3G4 Téléphone: (418) 681-4661 - Télécopieur: (418) 681-3389 Site Internet: http://www.acelf.ca/c/revue/ © Copyright ACELF, Québec 2001.

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ACELF - Résumé

RÉSUMÉ

Pluralité des mondes et culture commune: enseignants et élèves à la recherche de normes partagées

Yves Dutercq - INRP, France

Éducation et francophonie Volume XXIX, numéro 1, printemps-été 2001 Le renouvellement de la profession enseignante : tendances, enjeux et défis des années 2000

RÉSUMÉ - ABSTRACT - RESUMEN

RÉSUMÉ

Ce texte analyse l'engagement des enseignants d'un établissement situé en milieu difficile dans leurs efforts de mise en cohérence de leurs missions d'enseignement et de socialisation des élèves. Pour bien mesurer les tenants des incompréhensions et des affrontements qui apparaissent entre élèves et enseignants, l'auteur s'interroge sur les modalités mêmes de l'apprentissage au sein des classes. Il montre que non seulement la situation d'enseignement est une co-construction d'acteurs au statut différent, des adultes et des élèves, mais aussi que ce travail d'acteurs en interrelation dans la classe peut tout autant être analysé comme la recherche d'un accord entre des mondes au départ très étrangers les uns aux autres. Si les enseignants et les élèves ne visent pas toujours les mêmes objectifs, il est toutefois possible d'affirmer qu'ils tentent, de manière volontaire, d'établir entre eux des procédures de stabilisation de la situation. Bien plus, on peut considérer que les équilibres découverts ou non dans les situations d'enseignement contribuent à mettre ou à ne pas mettre de l'ordre au niveau de l'établissement, l'ordre dans l'établissement étant fortement dépendant de l'accord (et du partage) des normes et des procédures entre adultes et élèves. Construire favorablement la situation d'apprentissage, c'est d'abord s'accorder sur un partage de normes et la mise en place de procédures qui ne vont pas de soi. Il serait faux de l'ignorer comme de ne pas constater que ce travail n'est pas seulement un effort des enseignants mais un effort partagé entre élèves et enseignants, chacun avec ses ressources.

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ABSTRACT

This article analyzes the involvement of teachers at institutions located in difficult environments in their efforts to bring coherency to their teaching and to the socialization of students. To assess the misunderstandings and confrontations which arise between students and teachers, the author examines the teaching methods used in the classroom. He demonstrates that the teaching situation is not only a co-construction of actors of different status, i.e., adults and students, but also that the task of actors interrelating in the class can be analyzed as the search for harmony between worlds very different from each other from the outset. If teachers and students do not always have the same objectives, it is nevertheless possible to say that they try, in an intentional way, to establish procedures for stabilizing the situation between themselves. Moreover, the degree of stability achieved in teaching situations helps establish order at the level of the institution, an order which depends to a large extent on the agreed sharing of standards and procedures between adults and students. To favourably construct the learning situation, there must be agreement on shared standards and the establishment of procedures which are not necessarily self-evident. It would be a mistake to ignore or overlook the fact that this task requires an effort not only on the part of teachers, but is a shared undertaking between students and teachers, each with their own resources.

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RESUMEN

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ACELF - Résumé

Este texto analiza la participación de los maestros de un establecimiento situado en un medio dificil y de los esfuerzos que realizan para dar coherencia a su misión de enseñar y de socializar a los alumnos. Con el fin de bien evaluar los pormenores de las incomprensiones y las confrontaciones que surgen entre maestros y alumnos, el autor se interroga sobre las modalidades mismas de la aprendizaje en la clase. Muestra que la situación de enseñanza no es sólo una co-construcción de actores de status diferentes, de adultos y alumnos, sino que también este trabajo de actores en interrelación en la clase puede ser analizado como la búsqueda de un acuerdo entre universos que en un principio se perciben como totalmente ajenos uno del otro. Aunque los maestros y los alumnos no siempre persíguen los mismo objetivos, podemos afirmar que tratan, en forma voluntaria, de establecer entre ellos procedimientos de estabilización de la situación. Más aún, podemos considerar que los equilibrios descubiertos o no en las situaciones de enseñanza contribuyen o no a ordenar el establecimiento, orden que depende mucho del acuerdo (o del reparto) de normas y procedimientos entre adultos y alumnos. Construir favorablement la situación de aprendizaje significa, por principio, ponerse de acuerdo en lo concerniente al reparto de normas y procedimientos que en sí mismas no son evidentes. Sería erróneo ignorarlo y no constatar que dicho trabajo no sólo es un esfuerzo de los maestros sino que es un esfuerzo compartido entre alumnos y maestros según los recursos de cada uno.

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Le renouvellement de la profession enseignante : tendances, enjeux et défis des années 2000, Volume XXIX , No 1, printemps 2001.

Les futurs enseignants confrontés aux TIC : changements dans l'attitude, la motivation et les pratiques pédagogiques

Thierry KARSENTI, Professeur CRIFPE, Faculté des sciences de l'éducation Université de Montréal, (Québec) Canada. Lorraine SAVOIE-ZAJC, Professeure Département des sciences de l'éducation Université du Québec à Hull (Québec) Canada. François LAROSE, Professeur CRIFPE, Faculté des sciences de l'éducation Université de Sherbrooke (Québec) Canada.

Table des matières

■ Résumé Abstract Resumen ■ Introduction■ Contexte et objectif de l'étude■ Problématique■ Cadre théorique

❍ Le construit de socioconstructivisme et son implication sur le recours aux TIC en milieu de pratique

❍ Le concept de pratiques pédagogiques ❍ Le construit de motivation ❍ La motivation à l'apprentissage et le recours aux TIC ❍ Le concept d'attitude ❍ L'intégration des TIC en enseignement supérieur: des résultats de

recherche partagés ■ Le processus de changement et les transformations des pratiques

pédagogiques ■ Les niveaux d'implantation de changement

❍ Méthodologie ■ Échantillon ■ Méthodes de collecte de données de type qualitatif ■ Méthodes de collecte de données de type quantitatif ■ Traitement et analyse des données qualitatives ■ Traitement et analyse des données quantitatives

❍ Présentation et analyse des résultats ■ Changement du type de motivation des étudiants ■ Changement des attitudes des étudiants ■ Changement dans les pratiques pédagogiques

■ Conclusion■ Bibliographie ■ Notes

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Résumé

La présente étude porte sur les tendances, enjeux et défis liés à l'intégration des TIC dans la formation à la profession enseignante et dans la pratique enseignante. Elle a pour objectif de mieux comprendre le changement opéré chez les futurs enseignants confrontés aux TIC (à partir de l'innovation pédagogique que représente les cours « en ligne »), sur le plan de leur motivation face à l'intégration des TIC en pédagogie universitaire, de leurs attitudes face à ce nouveau mode d'apprentissage, de leurs pratiques pédagogiques en salle de classe. Les premières « expériences » de cours en ligne ont eu lieu à l'automne 1998. Les résultats présentés sont donc basés sur des données recueillies entre septembre 1998 et mai 2000 (quatre sessions).

L'expérience de médiatisation de cours sur le Web réalisée à l'Université du Québec à Hull a permis de constater qu'un changement s'opère chez les futurs enseignants lorsqu'ils sont confrontés aux TIC dans leur formation pratique ; un changement sur le plan de leur motivation à apprendre avec les TIC, un changement d'attitude face à l'intégration des TIC en pédagogie universitaire, mais aussi un certain changement - pour le quart des étudiants ayant participé à l'expérience - sur le plan de leurs pratiques pédagogiques en salle de classe. Leur expérience vécue en tant qu'apprenants - une intégration des TIC dans le cadre de leurs cours - est également susceptible de soutenir chez-eux une attitude favorable favorable à l'intégration des TIC, ou encore de créer des conditions favorables à la modification des structures représentationnelles du rôle ou de l'utilité des TIC soit par rapport à leur apprentissage ou à leur pratique d'enseignement (stages ou pratique future). Celles-ci, possiblement parce qu'elles ont été expérimentées dans un contexte socioconstructiviste, sont alors vues comme des outils d'apprentissage pour lesquels l'apprenant accroît son autonomie, son sens critique parce que lorsque confronté à des dilemmes, il doit trouver des sources d'information crédibles et pertinentes afin de répondre à son questionnement.

Abstract

Prospective Teachers and ICTs : Changes in Educational Attitude, Motivation and Practice

This study examines the tendencies, issues and challenges related to the integration of ICTs into training for the teaching profession and into the teaching practice itself. Its objective is to deepen our understanding of the changes occurring among prospective teachers presented with ICTs (beginning with the educational innovation of « on-line » courses), with respect to their motivation vis-à-vis the integration of ICTs into university teaching, their attitudes to this new learning mode, and their in-class teaching practices. The first experiments with on-line courses took place in the fall of 1998. The results presented are based on data collected between September 1998 and May 2000 (four academic sessions).

The experiment of course mediatization on the Web at the Université du Québec à Hull indicated that a change takes place among prospective teachers when they are presented with ICTs in their teacher training. Changes were noted in terms of their motivation to learn with ICTs, their attitudes with respect to the integration of ICTs into university teaching, and - for a quarter of the students participating in the experiment - some changes in their teaching practices in the classroom. Their actual experience as learners, integrating ICTs into their courses, was also likely to lead to a favourable attitude towards the integration of ICTs, or to the creation of conditions supportive of modifying structures representational of the role or utility of ICTs, either in their learning or teaching (practicum or future professional practice). Possibly because the experiments were conducted in a socio-constructivist context, ICTs are thus viewed as learning tools in which learners increase their autonomy and critical faculties, since they must find sources of reliable and relevant information when searching for answers to problems.

Resumen

Los futuros maestros frente a las TIC : cambios en la actitud, la motivación y las prácticas pedagógicas

El presente estudio aborda las tendencias, los retos y los problemas que conlleva la integración de las TIC en la formación de los maestros y en la práctica docente. Tiene como objetivo comprender el cambio que se ha registrado entre los maestros confrontados a las TIC (tomando como punta de partida la innovación pedagógica que representan los cursos « en línea »), con respecto a su motivación frente a la integración de las TIC en la pedagogía universitaria, sus actitudes frente a esta nueva forma de aprendizaje y sus prácticas pedagógicas en el salón de clase. Las primeras « experiencias » de cursos en línea se realizaron en el otoño 1998. Los resultados aquí presentados se basan en datos obtenidos entre septiembre 1998 y mayo 2000 (cuatro

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sesiones).

La experiencia en la mediatización de cursos por el web realizada en la Universidad de Quebec en Hull permitió verificar que se ha registrado un cambio entre los futuros maestros que fueron confrontados a las TIC durante su formación práctica ; un cambio en el plan de su motivación de aprender con las TIC, un cambio de actitud en lo que respecta a la integración de las TIC en pedagogía universitaria, y un cierto cambio - un cuarta parte de los estudiantes que participaron en esta experiencia - en lo que respecta a sus prácticas pedagógicas en el salón de clases. La experiencia vivida en tanto que educandos - integración de las TIC en sus cursos - es igualmente susceptible de promover entre ellos una actitud favorable para la integración de las TIC, o bien de promover actitudes favorables para modificar las estructuras representacionales del rol o de la utilidad de las TIC, sea en relación con sus aprendizajes o con sus prácticas docentes (durante el período de prácticas o para un empleo futuro). Probablemente porque éstas se experimentaron en un contexto socio-constructivista, se perciben como útiles de aprendizaje que permíten al educando aumentar su autonomía, su sentido crítico, pues al confrontar dilemas, el educando debe localizar fuentes de información fiables y pertinentes para así dar respuesta a sus interrogaciones.

Introduction

Au cours des 50 dernières années, un grand nombre de changements ont affecté la société dont les nouvelles technologies de l'information et de la communication communément appelées NTIC ou TIC. Ces innovations, jumelées aux transformations des habitudes familiales et des valeurs sociales ont certainement eu un impact particulier sur les étudiants, notamment ceux qui ont grandi au coeur de ces transformations sociétales et de cette révolution technologique. Les nouvelles générations, contrairement aux anciennes, ont ainsi des attentes et des besoins nouveaux qui semblent particulièrement présents dans les milieux d'enseignement tels l'université.

Contexte et objectif de l'étude

Dans l'espoir de répondre aux nouveaux défis que pose l'enseignement universitaire, particulièrement en ce qui a trait à la motivation des étudiants, à la construction de compétences visant l'autonomie intellectuelle, à l'alphabétisation informatique des futurs enseignants et au développement d'environnements technologiques de plus en plus riches et stimulants, il a été décidé de développer et d'expérimenter des cours en ligne sur les inforoutes à l'Université du Québec à Hull (Canada).

La présente étude porte particulièrement sur les tendances, enjeux et défis liés à l'intégration des TIC dans la formation à la profession enseignante et dans la pratique enseignante. Elle a pour objectif de mieux comprendre le changement opéré chez les futurs enseignants confrontés aux TIC (à partir de l'innovation pédagogique que représente les cours « en ligne »), sur le plan de leur motivation face à l'intégration des TIC en pédagogie universitaire, de leurs attitudes face à ce nouveau mode d'apprentissage, de leurs pratiques pédagogiques en salle de classe.

Il semblait d'autant plus opportun de réaliser cette expérience en formation des maîtres puisqu'une étude récente de Larose, David, Lafrance et Cantin (1999) montrait que c'est souvent en formation des maîtres que l'intégration des TIC se fait plus difficilement :

[...] Ils (les professeurs de sciences humaines) font partie de celles et de ceux qui recourent le moins fréquemment à ces moyens didactiques. Enfin, un élément distingue le sous échantillon enseignant de la faculté d'éducation de l'ensemble de l'échantillon. Les professeures et les professeurs de cette faculté ont une attitude nettement moins favorable que leurs collègues (des sciences appliquées) au regard de l'utilisation pédagogique des TIC et un sentiment d'anxiété significativement plus élevé que [...].

Nous postulons ainsi que les nouvelles technologies ne peuvent plus être tenues, comme elles l'ont été jusqu'ici, pour des perfectionnements extrinsèques et instrumentaux, des cours détachés de la pratique professionnelle quotidienne. Au contraire, nous soutenons qu'elles sont susceptibles d'amener un changement profond sur la formation en milieu de pratique ainsi que sur le profil de pratique futur des enseignants en formation.

Problématique

Depuis six ans au Québec, tant le curriculum de l'enseignement primaire et secondaire que celui de la formation à la profession enseignante sont en plein bouleversement. Non seulement les paradigmes classiques cèdent-ils le pas à de nouveaux paradigmes, mais les fondements épistémologiques des pratiques pédagogiques et didactiques

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établies sont systématiquement remis en question, tant sur le plan curriculaire que sur celui de la formation initiale et continue à la profession enseignante. Depuis 1990, l'État a invité les universités québécoises à réformer la formation à la profession enseignante, et ce, en se centrant sur une formation professionnalisante recourant à divers savoirs (d'expérience, d'altérité, etc.) ancrés dans des pratiques exercées en milieu scolaire : les stages (Gouvernement du Québec (1997, 1998, 1999)). L'État a par ailleurs invité les universités à faire une place de choix à l'intégration des TIC, tant en formation à la profession enseignante que dans la pratique actuelle des enseignants, dans une perspective de cohérence de la formation initiale avec les nouvelles réalités scolaires et professionnelles (MEQ (1997a)). En 1995, suite à la Réforme de la formation des maîtres, tous les programmes de formation initiale à l'enseignement au Québec ont rendu obligatoire un cours portant sur les TIC. Le 29 janvier 1997, le MEQ lançait son Plan d 'intervention : les technologies de l'information et de la communication en éducation (MEQ (1997c)). L'objectif était de contribuer à une meilleure préparation des futurs enseignants au regard de l'intégration des TIC dans leur enseignement. À l'intérieur de ce plan d'intervention, on retrouvait deux principales critiques liées à l'intégration des TIC en formation des maîtres :

● le nombre de cours offerts est faible (1 seul par université);● les technologies sont généralement présentées comme une spécialité et non comme un instrument

d'application générale en didactique et en pédagogie.

Le ministère de l'Éducation remettait en question, dans la même foulée, les orientations curriculaires traditionnelles en privilégiant des approches socioconstructivistes, invitant les formateurs de tous les ordres d'enseignement à cibler la construction de compétences plutôt que de privilégier l'acquisition de connaissances (MEQ (1997b)). Ce virage requiert de la part des futurs enseignants une modification du rapport au savoir privilégié et induit un virage majeur sur le plan des pratiques pédagogiques. Comme le soulignait le Comité de l'éducation de l'OCDE (1998) dans son compte rendu du séminaire portant sur les TIC, il ne suffit pas de greffer l'utilisation de l'outil informatique sur les pédagogies existantes, il est préférable d'adapter l'enseignement aux nouvelles possibilités et avantages qui s'offrent.

Depuis quelques années déjà, le MEQ appuie de façon systématique l'informatisation des classes primaires et la formation initiale et continue des enseignants. Plusieurs projets-pilotes réalisés à l'intérieur du réseau scolaire, avec ou sans la participation de chercheurs universitaires, montrent l'intérêt et l'utilité des TIC en tant qu'instrument didactique ou qu'environnement d'apprentissage. Cependant, malgré l'augmentation du nombre de postes de travail disponibles dans les écoles et notamment des ordinateurs reliés au réseau Internet - le ministre de l'Éducation du Québec annonçait le 14 juin 1999 que toutes les écoles du Québec étaient branchées à Internet (1) -, la croissance réelle de l'utilisation pédagogique des TIC dans les écoles québécoises demeure relativement limitée. Selon Larose, David, Dirand, Karsenti, Grenon, Lafrance et Cantin (1999), la forme que prend cette utilisation varie essentiellement selon trois paramètres :

1. le degré d'alphabétisation informatique de l'enseignant;2. la représentation qu'il a du rôle que l'informatique scolaire peut jouer sur le plan de l'apprentissage;3. et les stratégies d'intervention pédagogique qu'il privilégie.

Or, il semble que pour agir sur ces trois variables déterminantes dans l'utilisation des TIC dans les écoles, les futurs enseignants inscrits en formation des maîtres ne doivent pas nécessairement suivre des cours portant sur les technologies, mais plutôt les « vivre » dans tous les cours (Chartrand, Moore et Lourie-Markowitz (2000)). Les TIC ne doivent pas être un objet d'apprentissage ; les TIC doivent être au service de la pédagogie pour que les futurs enseignants soient exposés à des modèles efficaces d'intégration pédagogique des TIC. À l'instar de ce que soulignait le Ministère de l'Éducation du Québec (2000) pour la Réforme des programmes au primaire et au secondaire, les compétences technopédagogiques sont des compétences transversales qui devraient être construites par les futurs enseignants dans l'ensemble de leurs activités d'apprentissage, et non pas dans un seul cours portant sur les technologies.

La documentation scientifique récente suggère que si ces technologies font l'objet de cours spécifiques dans le curriculum mais qu'elles n'ont pas d'usage dans le cadre des enseignements réguliers vécus par les formés, ceux-ci développent certaines compétences informatiques mais ne les opérationnalisent pas dans leurs pratiques professionnelles, tant dans le cadre de leurs stages qu'en situation d'insertion professionnelle (Brummelhus et Plomp (1994); Byard (1995); Larose (1997); Karsenti (2000)).

Dans le contexte des nouveaux curricula de formation à la profession enseignante, l'observation des pratiques de la part de professionnels chevronnés pourrait donc jouer un rôle prépondérant dans la formation initiale (Lenoir, Larose et Spallanzani (1999)). La faible fréquence d'exposition à des pratiques didactiques et pédagogiques recourrant aux TIC de la part des enseignants associés risque fort de renforcer la perception de la formation à l'utilisation pédagogique des TIC en tant que formation instrumentale ayant une utilité sur le plan des pratiques privées mais ne se transposant guère en tant que matériel ou que contexte didactique. La réforme de la formation à la profession enseignante doit permettre une adéquation entre le profil de pratique des professionnels et les

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visées de la réforme de l'enseignement à l'ordre primaire et secondaire, tant dans le sens d'une éducation permettant la construction de compétences chez les formés que dans celui d'un recours plus systématique aux TIC au sein des pratiques enseignantes ( MEQ (1997a), (1997b)).

Mentionnons enfin, à l'instar de plusieurs chercheurs (Warschauer (1996); Relan (1992)), que ces lacunes rencontrées dans la formation à la profession enseignante sur le plan de l'intégration des TIC pourraient être comblées, du moins en partie, par une motivation accrue des futurs enseignants et futures enseignantes à apprendre et à intégrer les TIC dans leur pratique pédagogique. Une motivation accrue permet, de façon général, un plus grand intérêt pour les tâches scolaires en général (Deci et Ryan (2000)), une plus grande facilité à faire face aux problèmes scolaires rencontrés (Arunkumar, Maehr et Midgley (1995)), une plus grande capacité à concentrer ses efforts sur des buts fixés (Scholes et Kardash (1995)), une plus grande flexibilité cognitive (Deci et Ryan (2000)), un meilleur apprentissage (Chapman et Tunmer (1995); Obach et Moely (1995)), plus de curiosité (Deci et Ryan (2000)).

Cadre théorique

Notre recherche recourt au construit de motivation, au construit d'attitude, au concept de pratiques pédagogiques, au processus d'intégration des NTIC en enseignement supérieur et au processus de changement. Ces concepts seront donc présentés brièvement en fonction de notre objet d'étude. Aussi, puisque notre approche s'inscrit dans une théorie socioconstructiviste de l'apprentissage, ce construit sera d'abord traité.

Le construit de socioconstructivisme et son implication sur le recours aux TIC en milieu de pratique

Le développement et l'application massive des TIC en enseignement en lieu et place des logiciels exerciseurs tirent son origine historique de la rupture du milieu de l'éducation par rapport aux thèses béhaviorales. Avec le temps, les chercheurs en éducation et en psychologie ont adopté progressivement des positions épistémologiques évoluant du béhaviorisme au néobéhaviorisme (cognitivisme nord-américain) à un constructivisme plus ou moins radical en passant par des nuances piagétiennes. Notre approche s'inscrit d'abord dans une théorie socioconstructiviste néopiagétienne de l'apprentissage où l'interaction sociale est importante et où l'apprenant doit être placé dans un contexte qui lui permet de construire sa connaissance (Boulet (1998)). Pour Becker (1999), une approche socioconstructiviste en éducation conçoit l'intervenant comme un facilitateur de l'apprentissage et non pas un « transmetteur d'un contenu prédéterminé ». Les étudiants y sont encouragés à être plus autonomes dans leur apprentissage. Ils sont également encouragés à travailler en équipes, à apprendre par les interactions sociales, à se frotter à des problèmes qui n'ont pas qu'une seule solution et à oeuvrer sur des projets à plus ou moins long terme. De façon simplifiée, nous identifions trois caractéristiques théoriques qui définissent le point de vue socioconstructiviste de l'apprentissage.

1. Premièrement, l'apprentissage est toujours un phénomène contextualisé socialement et, en conséquence, l'interaction sociale, par exemple entre l'apprenant et ses pairs ou le formateur, forme le fondement et demeure une partie intégrante du processus d'apprentissage.

2. Deuxièmement, si l'apprentissage est une réalité dialectique, chaque individu construit ses représentations du réel, certes dans un contexte social particulier, mais aussi à partir d'un rapport au savoir qui lui est particulier.

3. Troisièmement, le socioconstructivisme considère qu'il y a apprentissage lorsque l'individu prend conscience d'une inconsistance entre ses structures représentationnelles (univers de connaissance) et son expérience (situation inusitée à laquelle il est confronté) (McKnight (1996)).

Le recours aux TIC en éducation a été rapidement perçu comme une condition facilitant l'individualisation des rythmes d'apprentissage. Le réseautage des environnements d'apprentissage (salles de classe) a été identifié comme une condition permettant d'encourager la coopération entre apprenants, lorsque les liens sont de type synchrone, tout en respectant les rythmes individuels lorsque les liens utilisés sont de type asynchrone (Dalgarno (1996)).

Le concept de pratiques pédagogiques

Nous croyons que l'aspect pédagogique ou encore de « design instructionnel » (Bourdeau (1999); Kahn (1997)) est fondamental dans l'intégration des TIC en pédagogie universitaire, puisque le but d'intégrer les TIC ne devrait pas être de séduire par un artifice de fioritures sans fondements. L'intégration pédagogique des TIC à l'université

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devrait avoir pour but de favoriser, faciliter l'apprentissage. Selon Clark et Dunn (1991) et Ornstein (1995), la pratique pédagogique est liée à la représentation de l'enseignement, à la planification effectuée, à l'organisation de la classe, au type d'apprenants préférés, et aux caractéristiques personnelles intégrées dans l'acte d'enseigner et dans les méthodes d'évaluation utilisées. Lors de recherches antérieures (Karsenti (1998); Karsenti et Thibert (2000)), nous avions montré que les éléments composant la pratique pédagogique d'un enseignant, tels que retrouvés dans la littérature, peuvent se regrouper en deux grandes catégories :

1. des éléments observables comme les comportements et les actions des enseignants ;2. et des éléments non observables, comme la représentation de l'être humain et la représentation de

l'apprentissage propre à chaque enseignant, ce qui renvoie au concept de croyances épistémiques de l'enseignant (Depover et Noël (1999)).

Nous avions alors avancé que la pratique pédagogique est « le concept opératoire de l'agencement spécifique et personnel d'attitudes, d'activités et d'interventions particulières à chaque situation pédagogique, mais aussi le reflet de qualités personnelles de l'enseignant exprimées dans l'acte éducatif, avec le but de déclencher et de soutenir l'apprentissage des élèves ». À l'instar des résultats des travaux de Buriez (1981), nous avions également constaté l'importance des comportements manifestes de l'enseignant, du formateur mais aussi leurs significations latentes, telles que perçues par les apprenants.

Ainsi, selon nous, l'intégration des TIC aux pratiques pédagogiques se situerait à trois niveaux : sur le plan des pratiques anticipatives (toutes les pratiques pédagogiques ayant trait à la préparation ou à la planification de l'enseignement); sur le plan des pratiques effectives (les pratiques actuelles en salle de classe - virtuelle ou non - qui peuvent parfois être différentes de celles anticipées); sur le plan des pratiques réflexives (Schön (1994)).

Le construit de motivation

La motivation forme un construit central des théories de l'apprentissage. Elle est un concept hypothétique représentant des processus physiologiques et psychologiques (Vallerand et Thill (1993)). D'après Pintrich et Schunk (1996: 4), la motivation est le processus par lequel une activité orientée par un but précis est suscitée et soutenue. De plus, pour ces chercheurs, il est possible que les buts ne soient pas clairement formulés ou qu'ils changent avec le temps ou l'expérience. Toutefois, toujours selon Pintrich et Schunk, l'important est que l'individu ait un but en tête et qu'il essaie de l'atteindre. Même si leur théorie est intéressante et relativement récente, Pintrich et Schunk (1996: 4) limitent la motivation à un processus dans lequel un individu poursuit une activité de façon soutenue en vue d'atteindre un but. En fait, pour ces chercheurs, les activités dans lesquelles s'engagent les élèves ont toutes pour objet l'atteinte d'un but. Mais y a-t-il forcément toujours un but au delà de toute activité réalisée? Une personne ne peut-elle pas, comme le soutient Deci (1975), réaliser une activité pour le plaisir et la satisfaction retirés par l'activité elle-même? Est-il nécessaire de toujours chercher à satisfaire un but? Il est certain que les théories cognitives de la motivation comme celle de Pintrich et Schunk (1996) mettent en évidence l'importance des buts, mais il semble toutefois que ces conceptions de la motivation soient souvent incomplètes. Viau (1994) est un de ceux qui se sont inspirés de chercheurs ayant une approche sociocognitive comme Pintrich et Schrauben (1992), Schunk (1991), et Zimmerman (1990) pour définir la motivation en contexte scolaire, mais toujours en fonction de l'atteinte d'un but :

La motivation en contexte scolaire est un état dynamique qui a ses origines dans les perceptions qu'un élève a de lui-même et de son environnement et qui l'incite à choisir une activité, à s'y engager et à persévérer dans son accomplissement afin d'atteindre un but. (Viau (1994: p. 7)).

Lors de récent travaux, nous avons montré que la motivation n'était pas toujours dirigée par un but (dans le cas de motivation intrinsèque par exemple) et que ce concept était plutôt le tenseur des forces d'origine interne et externe qui influencent un individu sur le plan cognitif, affectif ou comportemental (Karsenti (1998)). La motivation serait donc un processus qui agit éventuellement sur le déclenchement, la direction, l'intensité, la persistance et la fréquence de comportements ou d'attitudes (Karsenti (1998)). Il s'agit d'un construit hypothétique complexe relié à celui d'attitude en ceci que la motivation implique l'intentionnalité et fonde la zone d'interface entre la proactivité, l'inertie ou le retrait du sujet. Dans le domaine de l'apprentissage scolaire, la motivation est aussi reliée au concept d'autonomie en ce que la proactivité implique la capacité du sujet à procéder à une analyse de contexte, à se fixer un but et à déterminer des étapes et des moyens d'atteinte de ce but (Atkinson et Raynor (1974); Weiner (1986)). En psychologie cognitive, la motivation à la réussite est fonction du désir de l'individu (attentes) de son sentiment d'efficacité personnelle, et du renforcement ou de l'appui qu'il trouvera dans son environnement social (Pintrich et Schunk (1996)); elle est donc une caractéristique individuelle de l'apprenant. Deci et Ryan (1991, 2000) mettent en évidence deux grandes catégories de conduites :

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1. celles qui sont autodéterminées ou qui émanent de la personne,2. et celles qui sont contrôlées, gouvernées par un processus de « soumission ».

Des conséquences positives sont engendrées par des comportements autodéterminés et des conséquences négatives sont susceptibles d'être engendrées par des comportements non autodéterminés. Contrairement à d'autres théories qui ne distinguent qu'un ou deux types de motivation - la motivation intrinsèque (MI) et la motivation extrinsèque (ME) - leur modèle permet de considérer la motivation de façon multidimensionnelle. Aussi, parce qu'ils soutient l'existence de différents types de motivation (la MI, la ME et l'amotivation), ce modèle facilite l'identification des déterminants et les conséquences reliées à ces types de motivation.

La motivation à l'apprentissage et le recours aux TIC

Les aspects motivationnels de l'apprentissage soutenu par les TIC sont relativement bien documentés, quoique parfois de façon contradictoire (Warschauer (1996)). La documentation scientifique attribue l'impact positif du recours aux TIC (ou encore aux applications pédagogiques de l'ordinateur - APO) sur la motivation à quatre éléments :

1. le fait de travailler avec un nouveau médium (Fox (1988); Karsenti (1999e)); 2. la nature de l'enseignement plus individualisé permis par les TIC (Relan (1992)); 3. les possibilités d'une plus grande autonomie pour l'apprenant (Williams (1993); Viens et Amélineau (1997);

Karsenti (1999a, 1999b); 4. et enfin, les possibilités d'un feed-back fréquent et rapide (Wu (1992); Karsenti (1999c)).

Le concept d'attitude

Selon Legendre (1993: 112), l'attitude est un état d'esprit (sensation, perception, idée, conviction, sentiment, etc.), disposition intérieure acquise d'une personne à l'égard d'elle-même ou de tout élément de son environnement (personne, chose, situation, événement, idéologie, mode d'expression, etc.) qui incite à une manière d'être ou d'agir favorable ou défavorable. Sur le plan de l'intégration ou de l'utilisation des TIC par les futurs enseignants, on peut donc considérer l'attitude comme un état d'esprit ou une disposition intérieure qui inciterait (ou non) à utiliser et à intégrer les TIC dans la pratique pédagogique.

L'intégration des TIC en enseignement supérieur: des résultats de recherche partagés

De plus en plus de professeurs et de chargés de cours intègrent les TIC à leur pratique pédagogique, qu'il s'agisse du simple plan de cours en ligne au cours exclusivement sur le Web. L'intérêt quasi-démesuré de tout vouloir médiatiser à l'université semble né, outre une mode sociétale appuyée par une remarquable évolution technologique des modes de communication, de plusieurs études qui ont démontré qu'un étudiant apprenait souvent mieux grâce aux TIC, aux APO et aux cours en ligne qu'en face à face dans une salle de classe « normale » (Haughey et Anderson (1999); Martel (1999); Schutte (1999); Thurston, Cauble et Dinkel (1998); Brett (1997); Proctor et Richardson (1997); Najjar (1996); Yildiz et Atkins (1996); Ehrmann (1995); Zirkin et Sumler (1995); Howe (1994); Bialo (1993); Jacobson et Spiro (1993); Jonassen et Wang (1993); Orey et Nelson (1993)).

Plusieurs toutefois s'insurgent, parce qu'au nom du progrès, de plus en plus de cours qui intègrent les TIC sont proposés aux étudiants (Russell (1999); Wisher et Priest (1998); Clark (1994a)). Peut-on vraiment apprendre avec les TIC ? Y a-t-il des cours dont le contenu s'adapte plus à l'environnement TIC ou virtuel ? Y en a-t-il d'autres qui ne devraient pas être dispensés avec les TIC ? L'opinion des experts semble partagée. Même si un nombre important d'études montrent que l'intégration des TIC favorise plus l'apprentissage que les cours « réguliers » (Haughey et Anderson (1999)), une littérature importante souligne aussi qu'il n'existe pas de différence significative au niveau de l'apprentissage (Russell (1999); Clarke (1999); Wisher et Priest (1998); McAlpin (1998); Goldberg (1997); Clark (1994a)). Le dernier ouvrage de Russell (1999) intitulé The no significant difference phenomenon dans lequel sont répertoriées plus de 355 publications vient en tête de cette littérature qui soutient qu'il n'existe aucune différence entre un enseignement en ligne intégrant les TIC et un enseignement en régulier en salle de classe. Il y a également les nombreux travaux de Clark (1994a, 1994b) qui soulignent, entre autres, que :

there are no learning benefits to be gained from employing any specific medium to deliver

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instruction [...] The best current evidence is that media are mere vehicles that deliver instruction but do not influence student achievements any more than the truck that delivers our groceries causes changes in our nutrition. (Clark (1994a: p. 28)).

Cette dichotomie relative dans les résultats de recherche semble être causée, du moins en partie, par le type d'intégration des TIC effectuée, mais aussi par l'outil ou l'environnement que l'on désire « didactique ». À l'instar des conclusions des études de Boshier, Mohapi, Moulton, Qayyum, Sadownik et Wilson (1997); de Karsenti (1999a), de Drent (2000), pour n'en nommer que quelques-unes, il semble évident que le type d'intégration des TIC de même que les outils ou les environnements d'apprentissage peuvent varier. Par exemple, Boshier (1997) et ses collègues précisent clairement que ce ne sont pas tous les cours qui suscitent l'intérêt des étudiants. Les résultats de leur recherche suggèrent, entre autres, qu'il « existe des cours ennuyants au possible qui ne sont rien de plus que des notes d'enseignement affichées sur le Web ». À l'autre extrême, il y aurait « [...] des cours truffés d'hyperliens, d'animations, de fioritures, et de décors enchanteurs qui éblouiraient Liberace lui-même ». En outre, soulignent-ils, les cours en ligne sont souvent créés sans fondements pédagogiques. Comme l'indique Marton (1999), force est de constater que malheureusement, de façon générale, on semble y recourir plus pour l'attrait du nouveau et du moderne que pour des objectifs précis de formation. Depover, Giardina et Marton (1998) rappellent aussi que les fondements sur lesquels les environnements multimédias devraient être construits, soit les principes régissant la communication, la sémiotique, l'apprentissage, la systémique, etc. ne sont pas toujours respectés. Ces auteurs mettent également en garde, à l'instar de Marton (1999), contre la tendance à voir les TIC comme étant en soi une solution. Selon eux, le haut niveau de technologie ne garantit pas de facto sa qualité et encore moins sa pertinence éducative. Marton (1999) abonde dans la même direction et il souligne que le problème du multimédia est souvent le manque de rigueur pédagogique. La réflexion fondamentale de Saint-Onge (1993) - Moi j'enseigne, mais eux, apprennent-ils ? - peut également aider à mettre en lumière la dichotomie qui existe dans les résultats de recherche portant sur l'intégration des TIC.

Le processus de changement et les transformations des pratiques pédagogiques

S'engager dans un changement important tel que celui proposé par la réforme scolaire québécoise implique de nombreux ajustements en général, et l'insertion des TIC comme outils d'apprentissage en est un particulier. Fullan et Stigelbauer (1991) ont déjà proposé que tout changement en éducation comportait toujours trois facettes.

1. La première est fondamentale puisqu'il s'agit des croyances pédagogiques que l'enseignant possède. C'est à partir de ses croyances que l'enseignant évaluera la situation de changement vue comme étant plus ou moins compatible à ce qu'il prône déjà.

2. La seconde facette est celle des pratiques pédagogiques qui articulent en quelque sorte les croyances individuelles.

3. La troisième facette est celle des outils qui sont développés pour opérationnaliser les croyances et les pratiques.

Il ne s'agit pas de voir ces trois facettes comme s'enchaînant de façon linéaire les unes aux autres mais bien intimement imbriquées les unes dans les autres. Dans une situation de changement complexe comme celui de la présente réforme scolaire, on assiste non pas à la modification d'une des trois facettes et aux répercussions de ce changement sur les autres mais bien à la transformation des trois facettes en même temps : les croyances pédagogiques sont remises en cause; les pratiques pédagogiques sont interpellées et réorientées ainsi que les ressources pédagogiques sujettes à renouvellement, et incluant, notamment, les TIC.

Selon Fullan et Stiegelbauer (1991) toute démarche de changement implique que l'individu cherchera à donner du sens, à établir un rapport individuel, profondément subjectif avec le changement envisagé. Qu'est-ce que ce changement signifie pour moi, comme enseignant ? Comment affecte-t-il la représentation que j'ai de mon rôle, de mes responsabilités ? Les représentations, les liens que les individus tissent avec l'objet du changement, nommée dimension subjective, demandent du temps pour se développer. Elles sont toutefois essentielles à mettre en place afin que la personne soit motivée à poursuivre son engagement dans le changement. Fullan et Stiegelbauer parlent aussi de la dimension objective du changement. Elle désigne la nature même du changement et les habiletés spécifiques qui sont à acquérir pour être capable d'effectuer une tâche :

● comment effectuer une telle tâche ?● comment utiliser un pareil outil de travail ?

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● comment l'intégrer dans l'enseignement ?

Les habiletés spécifiques requises par le changement s'acquièrent lors d'activités de formation. Celles-ci sont instrumentales et doivent tenir compte des liens subjectifs que l'enseignant est en cours de développer avec l'objet du changement. C'est à partir de sa représentation individuelle et hautement subjective du changement envisagé que la personne décidera de l'intégrer ou non. C'est à cette condition, selon Fullan et Stiegelbauer, que se situe le véritable changement.

Le changement consiste ainsi en un processus de transformation qui affecte l'individu. Il convient toutefois de positionner cet individu comme membre d'un groupe. L'apport de la collectivité est important dans un processus de transformation des pratiques. Le caractère social et partagé de la pratique enseignante fait que celle-ci doit être clarifiée, exprimée, argumentée, justifiée à l'intérieur d'un groupe de pairs. C'est par le discours de l'enseignant sur sa pratique, ou par l'activité réflexive (Schön (1994)), que celui-ci est en mesure de clarifier ses postulats, ses valeurs pédagogiques, ses présupposés, les examiner avec l'aide de ses collègues, de façon critique et obtenir aide et support de ses pairs pour y apporter des changements (Pfeiffer et Featherstone (s.d.), cité par Wilson et Berne (1999)). Une telle vision du changement comme processus individuel et social est tout-à-fait congruente avec la perspective socio-constructiviste telle que définie par Berger et Luckman (1966), perspective qui est à la base des principes sur lesquels repose la réforme scolaire et qui supporte l'interprétation des TIC dans l'apprentissage. C'est dans un esprit de collaboration et d'échanges entre les pairs que les transformations de pratiques sont possibles.

Les niveaux d'implantation de changement

Parler de changement, c'est référer à un processus hautement dynamique dont l'issue repose sur le caractère des individus invités à s'y engager. Il convient donc de s'intéresser aux niveaux d'implantation de changement. Pour Fullan et Stiegelbauer (1991) l'implantation désigne un processus de re-socialisation et d'apprentissage pour la personne qui s'engage dans un changement. Le processus d'implantation, longtemps négligé des théoriciens du changement (Gross, Giacquinta et Bernstein (1971)), a ainsi été décrit par Berman et McLaughlin (1976) comme pouvant être observé selon quatre niveaux : l'implantation symbolique; la cooptation; l'apprentissage technologique; et l'adaptation mutuelle. Le Tableau suivant illustre les paramètres de variations des quatre niveaux.

Le projet d'innovation

n'est pas modifié n'est pas modifié

Les enseignants ne s'ajustent pas 1- implantation symbolique 2- cooptation

Les enseignants s'ajustent 3- apprentissage technologique 4- adaptation mutuelle

Le niveau 1 :

L'implantation symbolique décrit un état où l'implantation n'a pas lieu. Le projet d'innovation suscite l'indifférence générale : le matériel didactique est présent, disponible. Sa présence n'inspire toutefois aucun intérêt d'appropriation.

Le niveau 2 :

La cooptation désigne un niveau d'implantation où le projet d'innovation est intégré partiellement dans l'environnement scolaire, c'est-à-dire que l'enseignant en fait usage. Son utilisation n'implique toutefois aucune modification au niveau des comportements et des attitudes des individus. Il s'agit alors davantage d'un changement par substitution alors qu'un produit en remplace un autre, sans que la pratique comme telle ne soit affectée.

Le niveau 3 :

L'apprentissage technologique consiste en un stade d'implantation où les enseignants établissent un lien de dépendance avec le projet d'innovation, c'est-à-dire que les procédures prévues par le nouveau matériel à implanter sont respectées à la lettre, sans modifications aucune de la part des enseignants. Des adaptations à la pratique sont toutefois effectuées par les personnes afin d'intégrer convenablement le changement à la pratique.

Le niveau 4 :

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Le dernier niveau (4), l'adaptation mutuelle, désigne selon Berman et McLaughlin (1976) le véritable stade d'implantation alors que la pratique se transforme pour intégrer un nouvel élément qui a aussi subi des modifications afin d'être cohérent avec les façons de faire déjà bien ancrées chez l'enseignant. Il s'agit donc d'une implantation d'un changement qui est réfléchie, critique et qui tient compte de la pratique actuelle de la personne impliquée. Il sera donc intéressant de vérifier à quel type d'implantations ces nouveaux enseignants parviennent lorsqu'il est question de l'intégration des TIC, tant dans la pratique actuelle (stages) que dans la pratique future.

Méthodologie

En fonction de l'objectif de l'étude, soit de mieux comprendre le changement de motivation, des attitudes et des pratiques pédagogiques chez les futurs enseignants confrontés aux TIC, nous avons opté pour une méthodologie mixte (Savoie-Zajc et Karsenti (2000)) où seront mises à profit des méthodes de collecte et d'analyses de données qualitatives et quantitatives. Dans la présente recherche, nous ne considérerons pas les méthodes de recherche dites qualitative quantitative comme deux pôles d'une dichotomie, mais plutôt comme deux pôles d'un continuum où il est possible de puiser tant d'un côté que de l'autre, en fonction du problème, de la question et des objectifs de recherche. Les données quantitatives seront particulièrement exploitées en vue d'évaluer et de mieux comprendre le changement de motivation des futurs enseignants. Les données qualitatives permettront une meilleure compréhension du changement dans les attitudes et les pratiques pédagogiques des futurs enseignants.

Échantillon

Nous avons constitué un échantillon de convenance, soit l'ensemble des étudiants inscrits au cours Introduction à la recherche en éducation, cours qui est exclusivement enseigné « en ligne » (2). Il s'agit d'un cours obligatoire dans les programmes de formation des maîtres à l'Université du Québec à Hull, tant au baccalauréat en enseignement au préscolaire et au primaire qu'au baccalauréat en enseignement au secondaire. Les premières « expériences » de cours en ligne ont eu lieu à l'automne 1998. Les résultats présentés sont donc basés sur des données recueillies entre septembre 1998 et mai 2000 (quatre sessions). En tout, 327 étudiants (206 femmes et 121 hommes) ont participé à l'étude.

Méthodes de collecte de données de type qualitatif

Les résultats présentés plus bas sont aussi issus de l'analyse de messages électroniques reçus (un échantillon de 3 553 productions parmi plus de 5 000 reçus), et de transcriptions de conversations en mode synchrone - chat/clavardage (n = 40). Une enquête par questionnaire a également été réalisée auprès de 151 étudiants après l'obtention de leur diplôme (et qui avaient déjà suivi le cours en ligne), afin de vérifier, entre autres, si les TIC étaient ou non intégrées à leurs pratiques pédagogiques en salle de classe.

Méthodes de collecte de données de type quantitatif

En ce qui a trait à l'évaluation du changement de la motivation des étudiants et des étudiantes, des versions équivalentes d'une échelle de motivation, l'ÉMITICE (Échelle de motivation lors de l'intégration des technologies de l'information et des communications dans l'enseignement), ont été administrées aux étudiants. Il s'agit de l'adaptation d'une échelle développée à l'origine par Vallerand, Blais, Brière et Pelletier (1989) et qui est basée sur la théorie motivationnelle de Deci et Ryan (1985, 1991, 2000). Les résultats des analyses effectuées montrent que l'ÉMITICE possède des niveaux de fidélité et de validité très intéressants. En ce qui a trait à la fidélité, l'ÉMITICE possède des niveaux de cohérence interne relativement élevés (.74 à .91). Les résultats de la présente étude sont également concluants sur le plan de la validité : une analyse factorielle effectuée sur l'ensemble des données recueillies avec l'ÉMITICE montre que les différents types de motivation sont présents.

La première mesure a eu lieu lors de la première semaine de cours, alors que les étudiants n'étaient pas vraiment au courant du mode d'enseignement du cours (sur le Web). La deuxième mesure a eu lieu entre la 3e et la 4e semaine de cours, alors que les étudiants étaient plus conscients de la nature particulière de cet environnement d'apprentissage. Enfin, la troisième mesure a eu lieu entre la 12e et la 13e semaine de la cours.

Traitement et analyse des données qualitatives

Puisque cette recherche vise essentiellement la compréhension plus approfondie d'un phénomène, le traitement et l'analyse des données est surtout de type qualitatif. L'analyse des données s'est inspirée des démarches proposées par L'Écuyer (1990), Sedlack et Stanley (1992) et Huberman et Miles (1991, 1994). Nous avons

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privilégié une approche de type « analyse de contenu ». Selon Sedlack et Stanley (1992) et L'Écuyer (1990), l'analyse de contenu est :

« une méthode de classification ou de codification des divers éléments du matériel analysé, permettant à l'utilisateur d'en mieux connaître les caractéristiques et la signification » (L'Écuyer (1990; p. 9)).

Les analyses ont été effectuées à l'aide du logiciel NUD-IST4. Il nous paraît important de souligner que l'analyse qualitative de textes des messages électroniques et des conversations en mode synchrone semble une avenue de plus en plus prometteuse en éducation, tout particulièrement avec les moyens didactiques et l'environnement d'apprentissage proposés aux étudiants dans les cours en ligne (Winiecki (1999)).

Traitement et analyse des données quantitatives

Dans la présente recherche, l'échelle de motivation (ÉMITICE) a été utilisée pour évaluer le changement de motivation des étudiants. Les résultats de ces deux mesures permettront de faire des inférences sur la motivation des élèves. Selon plusieurs auteurs (Lord (1956); Richards (1974); Corder-Bolz (1978); Willet (1988-1989)), l'utilisation du gain, soit la différence brute entre les sommes obtenues à deux mesures différentes pour un même test, est la meilleure méthode pour mesurer adéquatement le changement d'une caractéristique individuelle. La vérification de la présence éventuelle d'un changement sera d'abord effectuée pour la période observée, et cela pour chacun des types de motivation mesurés. Cette analyse sera faite à l'aide du test « t » de Student entre les scores obtenus au post-test et au pré-test, pour l'ensemble des sujets présents aux deux mesures.

Présentation et analyse des résultats

L'objectif de la présente étude est de mieux comprendre le changement de motivation, des attitudes et des pratiques pédagogiques chez les futurs enseignants confrontés aux TIC, à partir de l'innovation pédagogique que représentent les cours « en ligne ». L'analyse effectuée met en évidence un grand changement : celui de la motivation et de l'attitude des étudiants face à l'intégration des TIC dans la pédagogie universitaire. Ce premier constat est particulièrement évident lorsque l'on constate les résultats des étudiants au test de motivation ou lorsque l'on procède à une analyse « chronologique » de courriers électroniques reçus. Le dernier changement se situe au niveau de la pratique enseignante en salle de classe, bien après avoir suivi le cours en ligne.

Changement du type de motivation des étudiants

Les scores des étudiants à l'échelle de motivation (ÉMITICE) mettent en évidence la baisse significative des motivations autodéterminées (IDEN, MI) entre la première et la quatrième semaine de cours. Les motivations autodéterminées sont celles qui, selon Deci et Ryan (1985, 1991, 2000) et plusieurs autres (Pintrich et Schunk (1996)), favorisent un plus grand apprentissage et des attitudes positives face à l'apprentissage. En ce qui a trait aux motivations non autodéterminées (AMO, REG, INTR), dont Deci et Ryan (2000) soupçonnent un impact très négatif sur l'apprentissage, on remarque une hausse significative (Tableau 1, Figure 1).

Tableau 1 : Représentation du score moyen du profil motivationnel des étudiants à la semaine 1 et 4.

Types de motivations peu ou pas autodéterminés (dont on soupçonne un impact négatif en éducation)

Types de motivations autodéterminés

Amotivation Régulation externe

Régulation introjectée

Régulation identifiée

Motivation intrinsèque

Semaine 1 1.42 2.16 3.05 5.62 5.29

Semaine 4 1.98 2.73 3.42 4.05 3.74

Signification (p) du gain

t = 4.92 p < 0,0001

t = 7.18 p < 0,0001

t = 8.03 p < 0,0001

t = 15.97 p < 0,0001

t = 22.79 p < 0,0001

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Analyse Hausse significative

Hausse significative

Hausse significative

Baisse significative

Baisse significative

Figure 1 : Représentation du score moyen du profil motivationnel des étudiants à la semaine 1 et 4.

La Figure 2 et le Tableau 2 illustrent le changement - éventuellement positif et significatif - des motivations autodéterminées entre la 1re semaine de cours et la 13e semaine de cours, mais aussi entre la 4e semaine de cours et la 13e semaine de cours. Sur le plan des motivations non autodéterminées, on constate une baisse significative, entre la 1re semaine de cours et la 13e semaine de cours, mais aussi entre la 4e semaine de cours et la 13e semaine de cours. La Figure 3 met particulièrement en évidence le changement qui s'est opéré entre la 1re et la 13e semaine sur le plan des motivations autodéterminées.

Tableau 2 : Représentation du score moyen du profil motivationnel des étudiants à la semaine 1, 4 et 13.

Types de motivations peu ou pas autodéterminés (dont on soupçonne un impact négatif en éducation)

Types de motivations autodéterminés

Amotivation Régulation externe

Régulation introjectée

Régulation identifiée

Motivation intrinsèque

Semaine 1 1.42 2.16 3.05 5.62 5.29

Semaine 4 1.98 2.73 3.42 4.05 3.74

Semaine 13 1.12 1.96 2.76 5.97 6.12

Signification (p) du gain entre les semaines 1 et 4

t = 4.92 p < 0,0001

t = 7.18 p < 0,0001

t = 8.03 p < 0,0001

t = 15.97 p < 0,0001

t = 22.79 p < 0,0001

Analyse (semaines 1 et 4)

Hausse significative

Hausse significative

Hausse significative

Baisse significative

Baisse significative

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Signification (p) du gain entre les semaines 1 et 13

t = 6.62 p < 0,0001

t = 4.72 p < 0,001

t = 5.04 p < 0,0001

t = 7.31 p < 0,0001

t = 14.36 p < 0,0001

Analyse (semaines 1 et 13)

Baisse significative

Baisse significative

Baisse significative

Hausse significative

Hausse significative

Signification (p) du gain entre les semaines 4 et 13

t = 16.54 p < 0,0001

t = 18.26 p < 0,0001

t = 21.30 p < 0,0001

t = 23.95 p < 0,0001

t = 38.93 p < 0,0001

Analyse (semaines 4 et 13)

Baisse significative

Baisse significative

Baisse significative

Hausse significative

Hausse significative

Figure 2 : Représentation du score moyen du profil motivationnel des étudiants à la semaine 1, 4 et 13.

Figure 3 : Représentation du score moyen des étudiants à la semaine 1, 4 et 13,

pour les motivations autodéterminées.(3)

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Les résultats obtenus par les étudiants à l'ÉMITICE mettent en évidence que l'intégration des technologies, et notamment les environnements d'apprentissage virtuels comme les cours sur le Web, participent éventuellement à leur motivation à apprendre, mais qu'une période de démotivation s'installe dès le début. Cette démotivation temporaire pourrait possiblement être expliquée par les niveaux d'implantation du changement (Fullan et Stiegelbauer (1991)) où les apprenants seraient, au début du cours sur le Web, au niveau 1, c'est-à-dire au niveau de l'implantation symbolique que Fullan et Stiegelbauer (1991) décrivent comme un niveau où l'implantation n'a tout simplement pas lieu. Puis, au fur et à mesure que le cours progresses, les apprenants pourraient cheminer vers des niveaux plus élevés. D'un point de vue plus motivationnel, cette baisse de motivation est peut-être due à ce que Festinger (1957) appelle la dissonance cognitive. La dissonance cognitive est présente lorsqu'un individu est déstabilisé cognitivement et qu'il n'arrive pas (ou peu) à prévoir ce qui arrivera. Il y a alors dissonance entre l'environnement de l'étudiant et l'interprétation qu'il a l'habitude d'en faire. Cette dissonance est certainement causée, entre autres, par le nouvel environnement d'apprentissage que représente les cours en ligne.

Changement des attitudes des étudiants

L'analyse des transcriptions de conversations réalisées en mode synchrone (clavardage ou chat) et des courriers électroniques reçus met aussi en évidence comment un cours virtuel a un impact négatif, mais temporaire, sur la motivation et les attitudes des étudiants face à ce nouveau mode d'apprentissage.

Cette analyse est aussi très révélatrice du changement d'attitude des étudiants face à ce nouvel environnement d'apprentissage, en particulier lorsqu'une attention particulière est portée aux problèmes rencontrés par les étudiants. En effet, les données électroniques recueillies ayant trait aux défis et aux difficultés rencontrés par les étudiants mettent en évidence le changement d'attitude qui s'est opéré chez-eux.

L'analyse de contenu des 3 553 courriers électroniques reçus nous permet de les regrouper en quatre catégories :

● des messages reliés au cours (questions, etc.);● des messages reliés aux écueils quant à ce nouveau mode d'apprentissage;● des messages comportant des travaux (les travaux étaient également envoyés par courriel);● des messages portant sur des sujets divers qui n'étaient pas directement liés au cours.

La Figure 4 illustre la répartition des 3 553 courriers électroniques reçus en fonction de ces quatre catégories. Cette figure montre clairement que les écueils (problèmes rencontrés par les étudiants) représentent le type de message reçu le plus souvent.

Figure 4 : Répartition des courriers électroniques reçus selon les catégories de l'analyse de contenu.

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Afin de mieux comprendre le changement d'attitude des étudiants face à ce nouveau mode d'apprentissage, nous avons décidé d'analyser, de façon chronologique et détaillée, le contenu des messages liés aux problèmes rencontrés par les étudiants (les écueils). Nous avons réussi à regrouper les courriels-écueils (problèmes reçus des étudiants par courrier électronique) en trois grandes catégories, soit :

● les problèmes techniques;● les problèmes liés à l'autonomie des étudiants;● les « autres » types de problèmes.

Au début de l'analyse de contenu, la catégorie « problèmes liés à l'autonomie des étudiants » avait d'abord été étiquetée « problèmes liés au fait d'apprendre par soi-même ». Néanmoins, comme l'illustrent les extraits de courriers électroniques reçus et présentés ci-dessous, il semble que les courriels-écueils classés dans cette catégorie soient surtout des problèmes d'autonomie plutôt que des problèmes liés au fait d'apprendre par soi-même. Un étudiant qui met en cause des difficultés techniques pour ne pas avoir lu... un chapitre de livre, ou encore une étudiante qui ne peut lire le guide (de quelque 200 pages) parce qu'elle dit ne pas comprendre l'informatique, sont de bons exemples de problèmes liés à l'autonomie. Il s'agit ainsi de problèmes surprenants pour des étudiants qui en sont à leur dernière année de formation en enseignement. Néanmoins, il semble important de noter que ce ne sont pas des problèmes exclusifs aux étudiants de l'Université du Québec à Hull puisque le cours virtuel auquel les étudiants ont participé était également dispensé à l'Université du Québec à Montréal, et des problèmes similaires avaient aussi été identifiés. Viens (sous presse) note également des problèmes similaires lors de la mise en place d'environnements virtuels auprès d'étudiants en formation des maîtres à l'Université de Montréal.

Exemples de courriers électroniques reçus et classés dans la catégorie « manque d'autonomie ».

[courriel reçu à la 4e semaine, cours Hiver 2000]

Monsieur, excusez-moi pour le retard. Je fais beaucoup de suppléance ces jours-ci et je n'ai pas tellement le temps pour votre cours [...]. J'espère que c'est OK avec vous [...] et que je ne perdrai pas de points.

[courriel reçu à la 6e semaine, cours automne 1999]

[...], Désolé pour le retard. Je ne suis pas très bon en informatique [...] c'est pour ça que je n'ai pas eu le temps de lire mon chapitre [...]

[Échange par courriel entre le professeur et un étudiant à la fin de la 3e semaine, hiver 1999 (la partie du professeur est en gras et en italique)]

Monsieur, pouvez-vous m'expliquer ? Qu'est-ce qu'il faut faire ? Je ne comprends rien! Qu'est-ce que tu ne comprends pas ? Il faut débuter par le Module... 1. As-tu lu le guide ? Non. Je n'ai pas lu parce que (sic) je ne comprends pas.

[courriel reçu à la 4e semaine, hiver 1999]

Monsieur [...], qu'est-ce qu'il faut faire dans le cours ? Est-ce qu'il y a des travaux à remettre ?

[courriel reçu à la 4e semaine, hiver 1999]

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Monsieur, est-ce qu'il fallait faire le premier Module ?

[courriel reçu à la 4e semaine, aut. 1998]

Monsieur, quels sont les modules que vous allez corriger et qu'il faut faire ?

La Figure 5 met en évidence la répartition des types de problèmes rencontrés par les étudiants, et ce, pour lors des quatre premières semaines de cours. On remarque que les problèmes techniques représentent 34 % des courriels-écueils reçus, mais que les problèmes liés à l'autonomie sont plus important avec une proportion de 49 %.

Figure 5 : Répartition des courriels-écueils selon les catégories de l'analyse de contenu (semaines 1 à 4).

La Figure 6 illustre la répartition des courriels-écueils pour les semaines 5 à 8. Lorsque comparée à la Figure 4, on remarque que les problèmes techniques ne sont presque plus présents (3 %), et que les problèmes liés à l'autonomie des étudiants représentent le type de courriels-écueils reçus le plus souvent (78 %).

Pourquoi une telle baisse de courriels-écueils liés aux problèmes techniques? Comme le cours ne présentait pas particulièrement de difficultés technologiques (la connaissance du courriel, des attachements - pièces jointes -, de la navigation sur les inforoutes et le téléchargement de fichiers pdf constituaient les seules habiletés techniques nécessaires à la poursuite du cours (4)), il est possiblement normal que les étudiants ne rencontrent plus de problèmes techniques après quatre semaines. En outre, plusieurs travaux « obligatoires » devaient être remis avant la fin de la quatrième semaine, et pour les réaliser les étudiants devaient maîtriser les habiletés instrumentales préalablement énumérées.

Figure 6 : Répartition des courriels-écueils selon les catégories de l'analyse de contenu (semaines 5 à 8).

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La Figure 7 (Répartition des courriels-écueils, semaines 9 à 11) indique que les problèmes d'autonomie éprouvés par les étudiants ont diminué de façon très significative par rapport aux semaines précédentes. Ils ne représentent plus que 18 % des courriers-écueils reçus, alors qu'ils étaient de 78 % lors des semaines 5 à 8. Un extrait de conversation en mode synchrone illustre bien ce « changement d'attitude » face à ce nouveau mode d'apprentissage que représentait ce cours sur le Web.

« [...] au début, je n'étais pas habituée à me discipliner. Mais, après quelques semaines, j'ai trouvé ça vraiment bien. C'était la première fois depuis longtemps que je me sentais responsable de ce que j'allais apprendre [...]. » (extrait de conversation; étudiante)

Avec la Figure 7, on remarque également que les problèmes techniques représentent toujours un très faible pourcentage des courriels-écueils reçus (0,2 %), alors que les autres types de problèmes rencontrés représentent 81,8 % des courriels-écueils reçus.

Figure 7 : Répartition des courriels-écueils selon les catégories de l'analyse de contenu (semaines 9 à 11).

La Figure 8 montre que les problèmes d'autonomie (3 %) représentent un faible pourcentage des courriels-écueils reçus dans les semaines 12 à 15, tout comme les problèmes techniques (0,2 %). Là, encore, ce sont les autres types de problèmes qui représentent le plus fort pourcentage de courriels-écueils reçus (96,8 %).

Figure 8 : Répartition des courriels-écueils selon les catégories de l'analyse de contenu (semaines 12 à 15).

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Il semble toutefois important de noter que même si les autres types de problèmes rencontrés par les étudiants semblent représenter un fort pourcentage des courriels-écueils reçus au cours des semaines 9-11 et 12-15, ils ne représentaient qu'un faible pourcentage du nombre total de courriels-écueils reçus. La Figure 9 illustre la répartition du pourcentage du nombre total de courriels-écueils reçus, et ce, pour chacune des périodes chronologiques d'analyse des courriels-écueils. On remarque que 62 % des courriels sont reçus lors des quatre premières semaines de cours, et que près de 90 % des courriels-écueils sont reçus dans les huit premières semaines de cours.

Figure 9 : Pourcentage de courriels-écueils reçus, selon les quatre périodes d'analyse des données

Avant l'analyse des courriers électroniques et des conversations en mode synchrone, nous avions supposé que la baisse de motivation et les attitudes négatives face à ce nouvel environnement d'apprentissage étaient causées, en grande partie, par le nouvel environnement d'apprentissage qui recourt aux TIC. Cependant, bien qu'il soit facile de présumer que la technologie ait été le principal obstacle auquel ont fait face les étudiants inscrits au cours, les résultats de notre analyse montrent clairement que ce n'est pas le cas : les difficultés reliées aux TIC viennent au deuxième rang. Le problème majeur rencontré par les étudiants semble donc être leur manque d'autonomie. À l'instar de ce que soulignait Lamontagne (1999), les étudiants avaient de la difficulté à « réapprendre à apprendre ». Cette constatation est particulièrement évidente après quatre semaines de cours, lorsque l'environnement d'apprentissage était devenu plus familier et que tous pouvaient naviguer avec aisance dans le site du cours.

Malgré ces obstacles, l'analyse des transcriptions de conversations réalisées en mode « chat » (clavardage) et des courriers électroniques reçus met en évidence comment un cours virtuel participe, éventuellement, au développement de la motivation à apprendre des étudiants. Cette analyse chronologique des courriels-écueils

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reçus illustre aussi le changement d'attitude des étudiants face au nouvel environnement d'apprentissage que représente un cours sur le Web. On remarque une phase de déstabilisation évidente au début du cours, en particulier lors des quatre premières semaines, puis les étudiants semblent s'adapter, voire adopter une attitude beaucoup plus positive face à l'intégration des technologies en pédagogie universitaire.

Changement dans les pratiques pédagogiques

L'enquête par questionnaire auprès des étudiants s'est effectuée par courrier électronique. Le questionnaire envoyé à 151 étudiants, qui avaient déjà obtenu leur diplôme et qui avaient déjà suivi le cours en ligne, avait pour but, entre autres, de mieux comprendre si les TIC étaient intégrées à leurs pratiques pédagogiques en salle de classe. Une des questions posées était :

● Intégrez-vous les technologies de l'information et des communications (TIC) à votre pratique pédagogique en salle de classe ?

Les nouveaux diplômés devaient répondre sur une échelle de Likert où 1 représentait « aucunement », et 5 « toujours ». Le taux de réponse a été de 28,5 % (43 répondants sur une possibilité de 151). Parmi les étudiants ayant répondu, 88,4 % (n = 38) soulignaient intégrer « de façon significative » les TIC à leur pratique enseignante (au moins 4/5 à l'échelle de Likert).

Ce pourcentage ne reflète toutefois pas la réalité vécue par tous les étudiants puisque la méthode d'enquête par questionnaire électronique est possiblement biaisée au départ. Il est possible, par exemple, que seuls les étudiants « branchés » aient répondu, ou encore que seuls les étudiants qui intègrent à tire-larigot les technologies aient complété le questionnaire. Il y aurait donc lieu, dans des recherches futures, de varier les méthodes d'enquêtes afin qu'elles comportent moins de biais.

Néanmoins, les données recueillies permettent d'affirmer que 38 des 151 étudiants ayant suivi le cours en ligne intègrent de façon significative les TIC à leur pratique enseignante, soit 25,2 %. Cela représente un changement important par rapport aux études précédentes (Truog (1998); Robertson (1996)) qui montrent que les nouveaux enseignants intègrent peu ou pas les TIC à leurs pratiques pédagogiques en salle de classe. Il serait éventuellement intéressant, de poursuivre l'étude afin de mieux décrire leurs pratiques intégratrices et d'identifier les niveaux et les types d'implantation que ces jeunes enseignants effectuent.

Conclusion

Avec la Réforme de l'éducation au Québec, le développement des compétences informatiques est identifié en tant que compétence transversale devant être construite par l'élève dans le cadre de l'ensemble des activités des diverses matières scolaires (Ministère de l'Éducation du Québec (2000)). De la même façon, la nouvelle Réforme de la formation des maîtres ne devrait-elle pas assurer la cohérence entre la formation initiale des enseignants et les enjeux de la Réforme au primaire et au secondaire? Dans le contexte actuel de l'enseignement universitaire et de la formation des maîtres (modification de programmes, expérimentations de projets-pilotes d'intégration des technologies à l'enseignement supérieur, etc.), il devient dès lors très important de s'attacher aux effets de ces nouveaux contextes d'enseignement-apprentissage sur les futurs enseignants et sur leur pratique dans les milieux d'enseignement. En ce sens, les résultats obtenus dans la présente étude semblent pertinents et pourraient apporter une contribution significative à l'avancement des connaissances dans ce domaine.

L'expérience de médiatisation de cours sur le Web réalisée à l'Université du Québec à Hull a permis de constater qu'un changement s'opère chez les futurs enseignants lorsqu'ils sont confrontés aux TIC dans leur formation pratique; un changement sur le plan de leur motivation à apprendre avec les TIC, un changement d'attitude face à l'intégration des TIC en pédagogie universitaire, mais aussi un certain changement - pour le quart des étudiants ayant participé à l'expérience - sur le plan de leurs pratiques pédagogiques en salle de classe. Leur expérience vécue en tant qu'apprenants - une intégration des TIC dans le cadre de leurs cours - est également susceptible de soutenir chez-eux une attitude favorable à l'intégration des TIC, ou encore de créer des conditions favorables à la modification des structures représentationnelles du rôle ou de l'utilité des TIC soit par rapport à leur apprentissage ou à leur pratique d'enseignement (stages ou pratique future). Celles-ci, possiblement parce qu'elles ont été expérimentées dans un contexte socioconstructiviste, sont alors vues comme des outils d'apprentissage pour lesquels l'apprenant accroît son autonomie, son sens critique parce que lorsque confronté à des dilemmes, il doit trouver des sources d'information crédibles et pertinentes afin de répondre à son questionnement.

Les cours virtuels semblent donc avoir un impact très positif sur les futurs enseignants, mais il ne faut pas oublier qu'il existe encore un fossé important entre la salle de classe à l'université et la salle de classe virtuelle, comme en témoignent les 3 553 courriels reçus et analysés. L'intégration des TIC en pédagogie universitaire représente ainsi un défi immense et les perturbations qui inévitablement l'accompagneront doivent être relevées à la fois avec dynamisme et prudence. Cependant, cette intégration semble incontournable (MEQ (1997a); MEQ (1997b);

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MEQ (2000)), car il semble qu'à défaut d'expérience directe ou modelée (observée directement chez un tiers) et à défaut d'une formation spécifique portant sur les divers aspects de l'intégration des TIC à l'enseignement, les nouveaux enseignants ne seront pas outillés pour intégrer les TIC dans leur pratique actuelle (les stages) ou future.

Les résultats de notre recherche pourraient éventuellement permettre aux responsables de la formation des maîtres, aux intervenants et aux décideurs de bénéficier d'informations importantes quant à l'impact des pratiques d'intégration des TIC (par les formateurs de la formation à la profession enseignante) sur le changement d'attitudes et de motivation, mais aussi sur les habiletés des futurs enseignants à intégrer les TIC dans les milieux de pratique. En outre, dans un contexte social où les initiatives d'intégration des TIC en pédagogie universitaire sont plurielles, les résultats obtenus pourraient faire bénéficier les acteurs de l'ensemble du réseau universitaire de la Francophonie d'un éclairage pertinent quant à la nature à la fois épistémologique et technologique des avantages et des écueils d'une formation accrue à l'intégration pédagogique lors de la formation initiale.

Lors de recherches futures, il serait intéressant de chercher à mieux comprendre l'impact de l'intégration des TIC en pédagogie universitaire sur les pratiques pédagogiques actuelles et futures des enseignants en formation. Mieux comprendre à quel niveau et à quel type d'implantation ces nouveaux enseignants situent leurs pratiques intégratrices des TIC pourrait aussi s'avérer pertinent. Il serait enfin intéressant de vérifier si les nouveaux enseignants ayant reçu une formation accrue en vue d'intégrer les TIC de façon pédagogique bénéficient d'une insertion professionnelle beaucoup plus riche et « réussie ». Au lieu d'être perçus comme de « nouvelles recrues » dans l'école, seraient-ils perçus comme des « personnes ressources »?

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Notes

(1) Allocution du ministre de l'Éducation du Québec, 14 juin 1999 : http://www.meq.gouv.qc.ca/CPRESS/cprss99/c990614.htm

(2) Pour une description complète du cours, il est suggéré de lire Karsenti, T. (1999a). Cours médiatisés sur le Web en formation des maîtres. In Formation et profession, Vol. 6 (1), pp. 14-24.

(3) L'axe des absissses (x) débute à 3 afin de mettre en évidence le changement significatif qui s'est produit.

(4) Des ateliers sur ces aspects techniques du cours étaient offerts aux étudiants au début de la session.

Association canadienne d'éducation de langue française (ACELF) 268, rue Marie-de-l'Incarnation, Québec (Québec) G1N 3G4 Téléphone: (418) 681-4661 - Télécopieur: (418) 681-3389 Site Internet: http://www.acelf.ca/c/revue/ © Copyright ACELF, Québec 2001.

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ACELF - Résumé

RÉSUMÉ

Les futurs enseignants confrontés aux TIC : changements dans l'attitude, la motivation et les pratiques pédagogiques

Thierry Karsenti - Université de Montréal, (Québec) Canada Lorraine Savoie-Zajc - Université du Québec à Hull, (Québec) Canada François Larose - Université de Sherbrooke, (Québec) Canada

Éducation et francophonie Volume XXIX, numéro 1, printemps-été 2001 Le renouvellement de la profession enseignante : tendances, enjeux et défis des années 2000

RÉSUMÉ - ABSTRACT - RESUMEN

RÉSUMÉ

La présente étude porte sur les tendances, enjeux et défis liés à l'intégration des TIC dans la formation à la profession enseignante et dans la pratique enseignante. Elle a pour objectif de mieux comprendre le changement opéré chez les futurs enseignants confrontés aux TIC (à partir de l'innovation pédagogique que représente les cours « en ligne »), sur le plan de leur motivation face à l'intégration des TIC en pédagogie universitaire, de leurs attitudes face à ce nouveau mode d'apprentissage, de leurs pratiques pédagogiques en salle de classe. Les premières « expériences » de cours en ligne ont eu lieu à l'automne 1998. Les résultats présentés sont donc basés sur des données recueillies entre septembre 1998 et mai 2000 (quatre sessions). L'expérience de médiatisation de cours sur le Web réalisée à l'Université du Québec à Hull a permis de constater qu'un changement s'opère chez les futurs enseignants lorsqu'ils sont confrontés aux TIC dans leur formation pratique ; un changement sur le plan de leur motivation à apprendre avec les TIC, un changement d'attitude face à l'intégration des TIC en pédagogie universitaire, mais aussi un certain changement - pour le quart des étudiants ayant participé à l'expérience - sur le plan de leurs pratiques pédagogiques en salle de classe. Leur expérience vécue en tant qu'apprenants - une intégration des TIC dans le cadre de leurs cours - est également susceptible de soutenir chez-eux une attitude favorable favorable à l'intégration des TIC, ou encore de créer des conditions favorables à la modification des structures représentationnelles du rôle ou de l'utilité des TIC soit par rapport à leur apprentissage ou à leur pratique d'enseignement (stages ou pratique future). Celles-ci, possiblement parce qu'elles ont été expérimentées dans un contexte socioconstructiviste, sont alors vues comme des outils d'apprentissage pour lesquels l'apprenant accroît son autonomie, son sens critique parce que lorsque confronté à des dilemmes, il doit trouver des sources d'information crédibles et pertinentes afin de répondre à son questionnement.

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ABSTRACT

This study examines the tendencies, issues and challenges related to the integration of ICTs into training for the teaching profession and into the teaching practice itself. Its objective is to deepen our understanding of the changes occurring among prospective teachers presented with ICTs (beginning with the educational innovation of « on-line » courses), with respect to their motivation vis-à-vis the integration of ICTs into university teaching, their attitudes to this new learning mode, and their in-class teaching practices. The first experiments with on-line courses took place in the fall of 1998. The results presented are based on data collected between September 1998 and May 2000 (four academic sessions). The experiment of course mediatization on the Web at the Université du Québec à Hull indicated that a change takes place among prospective teachers when they are presented with ICTs in their teacher training. Changes were noted in terms of their motivation to learn with ICTs, their attitudes with respect to the integration of ICTs into university teaching, and - for a quarter of the students

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ACELF - Résumé

participating in the experiment - some changes in their teaching practices in the classroom. Their actual experience as learners, integrating ICTs into their courses, was also likely to lead to a favourable attitude towards the integration of ICTs, or to the creation of conditions supportive of modifying structures representational of the role or utility of ICTs, either in their learning or teaching (practicum or future professional practice). Possibly because the experiments were conducted in a socio-constructivist context, ICTs are thus viewed as learning tools in which learners increase their autonomy and critical faculties, since they must find sources of reliable and relevant information when searching for answers to problems.

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RESUMEN

El presente estudio aborda las tendencias, los retos y los problemas que conlleva la integración de las TIC en la formación de los maestros y en la práctica docente. Tiene como objetivo comprender el cambio que se ha registrado entre los maestros confrontados a las TIC (tomando como punta de partida la innovación pedagógica que representan los cursos « en línea »), con respecto a su motivación frente a la integración de las TIC en la pedagogía universitaria, sus actitudes frente a esta nueva forma de aprendizaje y sus prácticas pedagógicas en el salón de clase. Las primeras « experiencias » de cursos en línea se realizaron en el otoño 1998. Los resultados aquí presentados se basan en datos obtenidos entre septiembre 1998 y mayo 2000 (cuatro sesiones). La experiencia en la mediatización de cursos por el web realizada en la Universidad de Quebec en Hull permitió verificar que se ha registrado un cambio entre los futuros maestros que fueron confrontados a las TIC durante su formación práctica ; un cambio en el plan de su motivación de aprender con las TIC, un cambio de actitud en lo que respecta a la integración de las TIC en pedagogía universitaria, y un cierto cambio - un cuarta parte de los estudiantes que participaron en esta experiencia - en lo que respecta a sus prácticas pedagógicas en el salón de clases. La experiencia vivida en tanto que educandos - integración de las TIC en sus cursos - es igualmente susceptible de promover entre ellos una actitud favorable para la integración de las TIC, o bien de promover actitudes favorables para modificar las estructuras representacionales del rol o de la utilidad de las TIC, sea en relación con sus aprendizajes o con sus prácticas docentes (durante el período de prácticas o para un empleo futuro). Probablemente porque éstas se experimentaron en un contexto socio-constructivista, se perciben como útiles de aprendizaje que permíten al educando aumentar su autonomía, su sentido crítico, pues al confrontar dilemas, el educando debe localizar fuentes de información fiables y pertinentes para así dar respuesta a sus interrogaciones.

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EF Vol. 29:1:02 - Les défis de l'enseignement en milieu francophone minoritaire: le cas de l'Ontario.

Le renouvellement de la profession enseignante : tendances, enjeux et défis des années 2000, Volume XXIX , No 1, printemps 2001.

Les défis de l'enseignement en milieu francophone minoritaire: le cas de l'Ontario

Diane GÉRIN-LAJOIE, Professeure agrégée Centre de recherches en éducation franco-ontarienne Département de curriculum, d'enseignement et d'apprentissage Institut d'études pédagogiques de l'Ontario, Université de Toronto, (Ontario) Canada.

Table des matières

■ Résumé Abstract Resumen ■ Introduction ■ Le contexte de travail du personnel enseignant des écoles franco-

ontariennes ❍ L'éducation de langue française en Ontario

■ L'Église ■ La famille ■ L'école

❍ La clientèle scolaire ■ Les difficultés vécues par le personnel enseignant des écoles minoritaires

de langue française ❍ Le personnel enseignant débutant ❍ Le personnel enseignant d'expérience

■ Les mesures d'appui souhaitables pour le personnel enseignant ❍ Le personnel enseignant débutant ❍ Le personnel enseignant d'expérience

■ Conclusion ■ Bibliographie ■ Notes

Résumé

L'article qui suit se veut une réflexion sur les défis que doivent relever les enseignantes et les enseignants qui travaillent dans les écoles canadiennes de langue maternelle française, à l'extérieur du Québec. En faisant directement référence à la situation qui prévaut en Ontario, la question de l'enseignement en milieu francophone minoritaire sera traitée sous deux angles particuliers : celui du rôle de l'école comme agent de reproduction linguistique et culturelle et de la place qu'occupe le personnel enseignant dans ce processus; de même que sous celui de la différentiation à laquelle fait face le personnel enseignant dans son travail quotidien. En ce qui concerne cette différentiation, une attention particulière sera portée à la fragmentation des langues et des cultures, phénomène de plus en plus présent dans les écoles franco-ontariennes et sur la façon dont le personnel enseignant compose avec cette nouvelle réalité. La présente réflexion se fonde sur le discours de membres du personnel enseignant ayant participé à trois études effectuées au cours des dernières années en Ontario. Ces études ont porté en grande partie sur la façon dont ces derniers conçoivent leur travail, sur leurs besoins et sur les mesures d'appui qu'il serait souhaitable de leur fournir dans leur travail quotidien. Certaines de ces mesures seront d'ailleurs examinées dans la dernière section du présent article.

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EF Vol. 29:1:02 - Les défis de l'enseignement en milieu francophone minoritaire: le cas de l'Ontario.

Abstract

The Challenges of Teaching in a Minority Francophone Milieu : The Case of Ontario

The following article is a reflection on the challenges that arise for teachers working in Canadian French-language schools, outside of Quebec. By making direct reference to the prevailing situation in Ontario, the problem of teaching within a minority francophone milieu is approached from two specific angles : the role of the school as an agent of linguistic and cultural reproduction and the place of the teaching staff in this process, as well as the differentiation confronted by teaching staff in their everyday work. With respect to this differentiation, the article specifically focuses on the fragmentation of languages and cultures, which are increasing in Franco-Ontarian schools, and the ways in which teachers are coming to terms with this new reality. This reflection is based on discussions with teachers who participated in three studies carried out recently in Ontario. These studies mainly looked at the ways in which these teachers view their work, as well as their needs and the support measures they should be provided with in their everyday work. Some of these measures are examined in the last section of the article.

Resumen

Los retos de la enseñanza en un medio francófono minoritario: el caso de Ontario

Este artículo es una reflexión sobre los retos que deben tomar en cuenta los maestros y las maestras que trabajan en las escuelas canadienses de lengua materna francesa, al exterior de la provincia de Quebec. Refiriéndose directamente a la situación que prevalece en Ontario, la cuestión de la enseñanza en medio francófono minoritario se abordará bajo dos ángulos particulares : el rol de la escuela como agente de reproducción linguística y cultural y el lugar que ocupan los maestros en dicho proceso, así como bajo el ángulo de la diferenciación que confrontan los maestros en su trabajo cotidiano. En lo que concierne a esta diferenciación, daremos una atención particular a la fragmentación de las lenguas y las culturas, fenómeno cada día más presente en las escuelas franco-ontarianas, y sobre la manera en que los maestros transígen con esta nueva realidad. Esta reflexión se fundamenta en los discursos de los maestros que participaron en tres estudios efectuados durante los últimos años en Ontario. Dichos estudios abordaron en buena medida la manera en que los maestros conciben su trabajo, sus necesidades y las medidas de apoyo que desean se les ofrezcan en su trabajo cotidiano. Algunas de estas medidas de apoyo serán examinadas en la última sección del presente artículo.

Introduction

Le monde de l'enseignement a connu des transformations importantes au cours des dernières années. Le système scolaire dans son ensemble, et en particulier les enseignantes et les enseignants font face, aujourd'hui, à une réalité de travail grandement influencée par ces changements. Hargreaves (1994) constate que le processus par lequel ces transformations s'opèrent, tant au niveau de la profession, qu'au niveau du personnel enseignant lui-même, présente une certaine ironie. Toujours selon ce même auteur, cette ironie réside dans le fait que le système scolaire actuel, qui persiste à se définir à partir de critères associés à la modernité, doit par ailleurs refléter la réalité d'un monde post-moderne, monde qui se trouve en constante mutation. L'environnement social dans lequel nous vivons entre ainsi en contradiction avec la structure actuelle de l'école. En ce qui concerne plus spécifiquement le personnel enseignant, le contexte social dans lequel ce dernier évolue vient influencer son expérience en salle de classe, ainsi que son rapport au travail d'enseignant.

La réflexion qui suit portera sur un contexte précis, celui du milieu francophone minoritaire canadien, plus précisément l'Ontario, où l'école, en tant qu'institution, revêt une importance capitale pour la communauté qu'elle dessert. En effet, l'école, dans ce milieu, ne fait pas simplement transmettre des connaissances et socialiser les élèves aux valeurs de la société (Hurn, 1978; Mellouki, 1983), mais elle possède aussi une mission linguistique, puisque celle-ci joue un rôle de premier plan dans la sauvegarde de la langue et de la culture françaises (Mougeon et Canale, 1979; Heller, 1994; Gérin-Lajoie, 1993a, 1995a, 1996). En Ontario, l'école a été, depuis toujours, un puissant agent mobilisateur au sein de la communauté minoritaire de langue française. À cause de son rôle d'intervention auprès de la communauté, on lui a reconnu un rôle politique, puisqu'elle a été mêlée de près aux luttes liées à la revendication des droits des francophones (Welch, 1988).

Dans un tel contexte, le travail des enseignantes et des enseignants prend ainsi une toute autre signification, si on le compare à celui effectué par le personnel enseignant qui travaille en milieu majoritaire. Dans les deux cas, le

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personnel enseignant joue un rôle important auprès des élèves (Hargreaves, 1986; Giroux, 1981). Mais dans le contexte de l'éducation minoritaire de langue française, ce rôle est encore plus lourd de responsabilité, étant donné la place qu'occupe l'école dans la reproduction de la communauté francophone, en ce qui a trait à la langue et à la culture françaises. Les enseignantes et les enseignants deviennent ainsi de puissants agents de reproduction linguistique et culturelle auprès de la clientèle scolaire desservie.

Or, ce rôle de reproduction est, dans bien des cas, difficile à maintenir dû, en grande partie, à la présence d'une clientèle scolaire de plus en plus hétérogène au point de vue de la langue et de la culture, où les compétences langagières en français peuvent varier grandement. En effet, d'une population rurale relativement francophone, la communauté est passée, au fil des ans, à une population urbaine de plus en plus hétérogène (Welch, 1988). La nouvelle réalité en est une où l'anglais domine. De plus, une population d'origines ethniques variées est venue récemment se greffer à la communauté francophone existante (Gérin-Lajoie, 1995b, 1997, à paraître). Le personnel enseignant se retrouve, à l'intérieur de la salle de classe, face à une diversité linguistique et culturelle importante, phénomène auquel, dans les conditions actuelles, ce dernier n'est pas bien préparé à affronter. Des études récentes portant sur l'enseignement en milieu francophone minoritaire ont indiqué, en effet, des besoins spécifiques en matière d'appui. Il semble, cependant, que peu ait été accompli jusqu'à présent pour remédier à la situation, tant au niveau de la formation initiale, que continue (Bordeleau, 1993; Gérin-Lajoie, 1993b; Gérin-Lajoie et Wilson, 1997).

Le présent article se veut donc une réflexion sur les défis que doit relever le personnel enseignant qui travaille en contexte francophone minoritaire et sur le discours qu'entretient ce dernier à ce sujet. À partir d'études que j'ai menées sur le sujet en Ontario (1), je tenterai de résumer les propos tenus par un groupe d'enseignantes et d'enseignants sur les problèmes auxquels elles et ils se voient confrontés de façon quotidienne et sur leur rôle d'agents de reproduction linguistique et culturelle auprès d'une clientèle scolaire fortement hétérogène. Je m'attarderai, en effet, sur la diversité de plus en plus marquée de la clientèle scolaire qui fréquente les écoles minoritaires de langue française, en ce qui a trait, en particulier, à la fragmentation des langues et des cultures et sur la façon dont les enseignantes et les enseignants composent avec cette réalité.

Le contexte de travail du personnel enseignant des écoles franco-ontariennes

C'est au Ministère de l'éducation de l'Ontario (MEO) que revient la responsabilité d'assurer une éducation de qualité à la population ontarienne, tant en langue anglaise qu'en langue française. L'Ontario n'étant pas officiellement bilingue, comme dans le cas du Nouveau-Brunswick par exemple, où il existe un système parallèle sur le plan administratif entre l'éducation de langue anglaise et celle de langue française, c'est à la Direction générale de l'éducation de langue française du MEO que revient la responsabilité de veiller aux intérêts des francophones de la province en matière d'éducation. Cette direction possède donc une certaine influence auprès du ministère en ce qui a trait aux questions relatives à l'éducation de langue française. Mais en dernière instance, c'est encore le ministère, dirigé en grande majorité par des anglophones, qui détient le pouvoir décisionnel en matière de politiques et de programmes d'enseignement, peu importe la langue d'instruction.

Le système scolaire de langue française ontarien se trouve ainsi à la remorque du milieu anglophone majoritaire, puisque ce dernier demeure toujours l'instance décisionnelle en matière d'éducation. Malgré les efforts de la Direction générale de l'éducation en langue française, nous sommes toujours en présence de rapports inégaux entre les francophones de la province et l'État, en matière d'éducation. Toute intervention de la part du MEO continue de se faire à partir des intérêts et des besoins du groupe majoritaire anglophone (2).

Par exemple, on constate que dans son rapport de 1995, la Commission royale sur l'éducation de l'Ontario ne consacre que quelques pages à l'éducation minoritaire de langue française dans son quatrième et dernier volume, et ses propos portent principalement sur l'admissibilité des élèves et la gestion autonome. Quatre recommandations, sur un total de 167, lui sont réservées. Dans le troisième volume, entièrement consacré au personnel enseignant, il n'y figure aucune mention de la particularité de l'enseignement en milieu minoritaire et de la réalité sociale des enseignantes et des enseignants qui y travaillent - sur 36 recommandations, dont 24 d'entre elles portant sur la formation du personnel enseignant, aucune n'adresse cette question spécifique. De ces recommandations, a découlé la création du corps professionnel de l'Ordre des enseignantes et des enseignants de l'Ontario. Encore une fois, bien que les francophones soient représentés au sein de ce nouveau corps professionnel, le pouvoir décisionnel revient toujours au groupe majoritaire anglophone, puisque ses représentants et représentantes sont plus nombreux au sein du conseil d'administration. Malgré ces embûches, le système scolaire franco-ontarien est néanmoins bien implanté et demeure une institution centrale pour les francophones de la province.

L'éducation de langue française en Ontario

La province de l'Ontario comptait en 1993, 97 677 élèves inscrits dans plus de 475 écoles élémentaires et

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secondaires, dont la gestion relève, depuis 1998, de conseils scolaires exclusivement francophones (3). Avant cette date, la gestion de l'éducation en langue française était sous la responsabilité des conseils scolaires anglophones, par le biais des sections de langue française. Les écoles minoritaires de langue française se retrouvent encore, en majorité, dans le système confessionnel, c'est-à-dire, catholique, mais une proportion grandissante de celles-ci appartiennent à présent au système non-confessionnel, c'est-à-dire, public (Gérin-Lajoie, Labrie et Wilson, 1995).

Lorsque l'on fait un bref retour en arrière et que l'on examine l'histoire de la communauté franco-ontarienne, on constate que trois institutions ont été des plus fondamentales pour la communauté franco-ontarienne. Ce sont la famille, l'Église et l'école. Elles ont toutes trois tenu un rôle de premier plan en ce qui a trait à la survie de la communauté, en assurant la reproduction de la langue et de la culture françaises.

L'Église

L'Église a joué un rôle de première importance dans l'établissement des institutions franco-ontariennes, dont en particulier les écoles (Welch, 1988). La religion catholique a été pendant longtemps, au même titre que la langue d'ailleurs, une pratique culturelle partagée par la très grande majorité des membres de la communauté. Il s'avère cependant, que l'influence de l'Église a diminué de façon significative au cours des dernières années. Selon Welch (1991), cela s'explique par la montée de l'industrialisation et de l'urbanisation, de l'arrivée massive de francophones de l'extérieur de l'Ontario et de l'intervention accrue de l'État dans la communauté. On note ainsi que les francophones fréquentent moins l'église que par le passé. On remarque également, depuis une quinzaine d'années, une augmentation du nombre d'écoles de langue française non confessionnelles en Ontario, même si ces dernières demeurent encore en minorité.

La famille

La deuxième institution d'importance pour la communauté francophone est celle de la famille. En effet, c'est à l'intérieur de la famille que se transmet, au départ, la langue et de la culture, peu importe le milieu d'origine. Or, lorsqu'elle se trouve en situation minoritaire, la famille n'est plus toujours en mesure d'assurer cette reproduction (Williams, 1987). Ce constat vient s'appliquer sans difficulté à la situation qui prévaut au Canada français, à l'exception du Québec. Deux facteurs principaux viennent, en effet, contribuer grandement à cette réalité. Premièrement, l'Ontario français connaît un taux d'exogamie toujours croissant - situation où un parent est francophone et l'autre anglophone, où il n'est pas rare dans ce cas précis, que l'anglais devienne la langue d'usage avec les enfants, ce qui occasionne un taux de transfert linguistique important vers l'anglais. Deuxièmement, l'Ontario français est témoin de la bilinguisation montante de la famille francophone, surtout chez les enfants, où l'on a tendance à privilégier de plus en plus l'usage de l'anglais plutôt que du français, dans les échanges verbaux quotidiens. Dans le cas où le milieu familial n'est plus en mesure, pour une raison ou pour une autre, d'assurer la transmission de la langue et de la culture françaises, elle en remet souvent la responsabilité à l'école.

L'école

Le milieu scolaire peut devenir, en effet, dans certains cas, le seul endroit où les enfants font l'expérience du français dans leur vie quotidienne. La situation actuelle exige donc une vigilance constante de la part de l'école si cette dernière veut remplir le mandat défini par la Direction générale de l'éducation de langue française, qui est d'assurer, ni plus ni moins, la reproduction de la communauté francophone. Ce mandat se lit comme suit :

● favoriser la réussite scolaire et l'épanouissement des élèves...;

● favoriser chez les élèves le développement de l'identité personnelle, linguistique et culturelle et le sentiment d'appartenance à une communauté franco-ontarienne dynamique et pluraliste;

● promouvoir l'utilisation du français dans toutes les sphères d'activités à l'école comme dans la communauté;

● élargir le répertoire linguistique des élèves et développer leurs connaissances et leurs compétences en français;

● permettre d'acquérir une bonne compétence communicative en anglais;

● encourager divers partenariats...;

● donner aux élèves les outils nécessaires pour participer à l'essor de la communauté franco-ontarienne (Ministère de l'Éducation et de la Formation de l'Ontario, 1994, p. 9).

On remarque donc que la plupart des éléments contenus dans le mandat de l'école franco-ontarienne visent, en

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très grande partie, la reproduction de la langue et de la culture françaises, dans un contexte scolaire où la clientèle est de plus en plus hétérogène.

La clientèle scolaire

Les changements encourus dans la composition de la communauté francophone ont donc été substantiels au cours des dernières années. Cela a eu un impact majeur sur la clientèle qui fréquente les écoles minoritaires de langue française. Un autre facteur de changement important au sein de la clientèle scolaire est, depuis 1982, la garanti constitutionnelle du droit à l'instruction dans la langue de la minorité officielle, partout au Canada, par l'intermédiaire de l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés. Les élèves qui répondent aux critères d'admissibilité tels que stipulés dans l'article 23 sont appelés des « ayants-droit » (4). Ces ayants-droit peuvent ainsi posséder des compétences langagières des plus diversifiées, étant donné que la connaissance du français par l'élève ne constitue pas un critère d'admissibilité en soi. De plus, pour les élèves qui ne répondent pas aux critères de l'article 23, ces derniers peuvent être admis dans les écoles minoritaires de langue française par le biais d'un comité d'admission (5).

Les ayants-droit sont issus de deux clientèles particulières. La première se compose d'élèves que l'on peut qualifier de « franco-dominants », c'est-à-dire, des élèves qui, à leur arrivée à l'école maîtrisent avec succès la langue française, cette dernière étant généralement la langue parlée à la maison. Dans le cas de la deuxième clientèle, on retrouve des élèves « anglo-dominants », c'est-à-dire, des élèves dont les compétences langagières en français sont limitées et parfois même inexistantes, et dont la langue d'usage est le plus souvent l'anglais, que ce soit à la maison, dans les activités à l'extérieur de l'école et parfois même, dans la salle de classe.

Parmi les élèves des comités d'admission, c'est-à-dire, ceux qui ne peuvent pas se prévaloir du droit à l'éducation de langue française selon l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, nous retrouvons d'une part, les élèves anglophones canadiens qui viennent de familles dont la langue maternelle n'est pas la français, où ni l'un ni l'autre des parents ne possède de compétences en français et qui n'ont pas fait leurs études en français; d'autre part, nous y trouvons également les élèves qui appartiennent à divers groupes ethniques, dont les parents ne sont pas des citoyens canadiens et qui sont venus s'établir au Canada, à titre de réfugiés ou à titre d'immigrants. Ces élèves d'origines ethniques diverses habitent surtout dans des centres urbains tels que Toronto et Ottawa, où ils se retrouvent de plus en plus nombreux. Pour ce groupe d'élèves, le français peut représenter une langue première, seconde et même dans certains cas, une troisième langue. Néanmoins, leur maîtrise du français est généralement bonne.

Le personnel enseignant des écoles se retrouve ainsi en présence d'élèves qui possèdent un capital linguistique des plus diversifiés, ce qui représente parfois un défi de taille pour ce dernier.

Les difficultés vécues par le personnel enseignant des écoles minoritaires de langue française (6)

Le personnel enseignant représente, dans le contexte dont il est ici question, un agent de reproduction important. On peut même aller plus loin en disant que, dans certains cas, les enseignantes et les enseignants deviennent en quelque sorte des agents de « production » de la langue et de la culture françaises, puisque certains élèves ne possèdent aucune connaissance de la langue française à leur arrivée à l'école. Le travail entrepris par le personnel enseignant auprès de ces jeunes n'en est alors que plus significatif. Dans ce contexte, le travail enseignant est lourd de conséquences pour les élèves et n'est pas toujours facile à accomplir. Comme l'ont fait remarquer Fullan et Connelly (1987) :

[...] l'enseignement franco-ontarien a longtemps été caractérisé par un sentiment de mission linguistique et culturelle, mission qui est sans cesse redéfinie en raison de l'évolution constante de la communauté, mais qui a toujours créé des exigences particulières en ce qui a trait à la pratique de l'enseignement.

Fullan et Connelly (1987, p. 48)

Or, il s'avère que la plupart des enseignantes et des enseignants semblent être mal préparés pour faire face à la réalité de la salle de classe. Il semble en effet que les maisons de formation aient tendance à former le personnel enseignant comme si ce dernier allait immanquablement oeuvrer dans un milieu majoritaire. Par exemple, dans les deux universités ontariennes qui offrent le programme de formation initiale pour les enseignantes et les enseignants des écoles minoritaires de langue française, il y peu d'informations et, par le fait même, peu de formation sur la problématique de l'enseignement en milieu minoritaire. Pour le personnel enseignant qui vient de l'extérieur de l'Ontario, en très grande partie du Québec, c'est la réalité du milieu majoritaire qui a, de façon générale, dominé la formation reçue.

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Le personnel enseignant débutant

Ce manque de connaissances en ce qui a trait à l'enseignement en milieu minoritaire affecte particulièrement le personnel qui débute en carrière. La première étude dont il sera ici question a été réalisée en 1993, auprès de 15 enseignantes et enseignants débutants qui travaillaient dans des écoles élémentaires du sud et du sud-ouest de l'Ontario. L'objectif de cette étude était d'amener le nouveau personnel enseignant à s'exprimer sur leur réalité de travail et sur leurs besoins en matière d'appui. Les résultats ont mené aux conclusions suivantes :

1. le personnel enseignant interrogé ne se trouvait pas assez informé sur la réalité du milieu francophone minoritaire et que de plus amples informations devraient lui être fournies afin de faciliter son adaptation à la salle de classe;

2. le personnel enseignant interrogé a particulièrement insisté sur l'importance de mieux connaître la clientèle scolaire. On s'est dit, en effet, pour le moins surpris de constater autant de niveaux de compétences langagières chez les élèves, situation avec laquelle d'ailleurs, on a avoué ne pas savoir très bien comment composer;

3. le personnel enseignant interrogé a fait part de son désir de travailler avec un mentor, c'est-à-dire, avec une personne d'expérience qui pourrait, en effet, lui fournir une aide précieuse;

4. le personnel enseignant interrogé s'est plaint de la difficulté à se procurer du matériel en français qui reflète le contexte environnant;

5. enfin, le personnel enseignant interrogé a souligné l'importance de recevoir une aide ponctuelle en ce qui concerne la planification de la programmation scolaire, tâche difficile à réaliser sans appui (Gérin-Lajoie, 1993a) (7).

Le personnel enseignant d'expérience

En ce qui concerne les enseignantes et les enseignants expérimentés, la salle de classe franco-ontarienne continue de représenter, même après plusieurs années de travail, un défi pour plusieurs d'entre eux. Les changements survenus ces dernières années chez la clientèle scolaire amènent le personnel enseignant à s'interroger sur la façon d'intervenir auprès des jeunes qui fréquentent maintenant l'école minoritaire de langue française. La deuxième étude dont il sera ici question a été effectuée encore une fois à l'aide d'entrevues individuelles semi-structurées, menée cette fois-ci auprès de 31 enseignantes et enseignants de deux écoles secondaires de la région métropolitaine de Toronto (8). Les conclusions en sont les suivantes :

1. plusieurs des personnes interrogées se disent alarmés par les attentes élevées, et parfois même irréalistes des parents et de la communauté en général, face à leur rôle d'agents de reproduction linguistique et culturelle. On déplore le fait et, en même temps, on trouve injuste qu'un nombre grandissant de parents remettent pratiquement à l'école l'entière responsabilité de « franciser » leurs enfants;

2. le personnel enseignant perçoit sa tâche comme étant lourde;

3. le personnel enseignant se questionne lui-même sur son rôle d'agent de reproduction linguistique et culturelle. La question de l'hétérogénéité linguistique a été soulevée à plusieurs reprises. Comment, en effet, travailler avec des jeunes qui vivent dans un milieu fortement anglicisé? Comment arriver à les sensibiliser à l'importance de la langue et de la culture françaises?

4. le personnel enseignant interrogé a aussi fait remarquer la présence de plus en plus grande d'élèves d'origines culturelles diverses. On avoue se sentir dépourvus de moyens face à une salle de classe de plus en plus diversifiée sur le plan ethnique.

Enfin, une troisième étude, dont nous venons récemment de compléter la cueillette des données, indique à peu près les mêmes préoccupations chez le personnel enseignant interrogé qui oeuvrent dans trois écoles secondaires du sud et de l'est de l'Ontario - un total de 44 individus ayant participé à des entrevues semi-structurées (9). Les conclusions en ont été les suivantes :

1. le personnel enseignant s'inquiète de la montée alarmante du phénomène de l'anglicisation, qui est, en quelque sorte, une préoccupation constante dans leur discours et ce, même dans les écoles de l'est de la province, où la population francophone est plus nombreuse que dans le sud et où il demeure, malgré tout, plus facile de vivre en français. On note, par exemple, que les élèves parlent davantage l'anglais dans les corridors de l'école;

2. certaines des personnes interrogées se disent inquiètes de la façon dont les jeunes se comportent face à la langue et à la culture françaises et de leur préférence marquée pour l'anglais;

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3. en ce qui a trait aux compétences langagières des élèves, le personnel enseignant du sud de la province fait remarquer la très grande diversité qui existe au sein de l'école. Ces mêmes enseignantes et enseignants se questionnent sur la façon de travailler avec leurs élèves et disent ne pas toujours avoir les ressources nécessaires pour mener à bien leur tâche;

4. dans les deux régions de la province, le personnel enseignant a soulevé la question du pluralisme ethno-culturel au sein de la clientèle scolaire. Dans l'est, comme dans le sud de l'Ontario, les personnes interrogées nous ont avoué qu'elles ont de la difficulté à rejoindre ces élèves, étant donné qu'elles ignorent souvent tout de leur milieu d'origine et de leur culture. Les enseignants et les enseignants ne savent pas comment atténuer le choc culturel que ces élèves subissent lors de leur arrivée à l'école, choc qui perdure souvent même après plusieurs années de résidence au Canada.

Les mesures d'appui souhaitables pour le personnel enseignant

D'après les discussions menées, au fil des ans, auprès des enseignantes et des enseignants qui travaillent en milieu francophone minoritaire, il semble qu'il existe un besoin pour la mise sur pied de mesures d'appui afin de faciliter leur travail auprès des élèves.

Le personnel enseignant débutant

En ce qui concerne ce groupe, il a déjà été mentionné par ce dernier qu'il doit faire face à trois défis de taille (Gérin-Lajoie, 1993a) :

1. Le premier consiste à affronter la salle de classe pour la première fois en tant qu'enseignante ou enseignant, responsable à part entière d'un groupe particulier d'élèves. Ce défi est commun à tout personnel débutant. Fullan et Connelly (1987) parlent de cette expérience comme une de frustrations, de craintes et d'anxiétés diverses. Dans ces conditions, le personnel enseignant fait appel à son instinct de survie, afin d'arriver sain et sauf à la fin de l'année scolaire.

2. Le deuxième défi, pour sa part, s'applique spécifiquement à la réalité du milieu minoritaire. Dans ce contexte particulier, le nouveau personnel enseignant se demande comment il peut arriver à enseigner à une clientèle d'élèves qui possèdent des compétences langagières aussi variées, allant d'une absence totale de maîtrise de la langue française à la maîtrise complète de celle-ci. En ce qui concerne la culture à enseigner, on se questionne aussi sur les valeurs qu'il faut tenter d'inculquer aux jeunes afin que ceux-ci développent un sens d'appartenance à la communauté francophone. Comment arriver, en fait, à en faire des francophones convaincus?

3. Enfin, le troisième défi consiste à apprendre à travailler avec des programmes et du matériel qui reflètent rarement la réalité du milieu environnant. Les enseignantes et les enseignants doivent souvent travailler dans des structures définies par le groupe majoritaire pour leurs propres élèves, que ce soit les anglophones de l'Ontario ou les francophones du Québec - par exemple, comme le matériel en français ne se fait pas des plus abondants en Ontario, on puise souvent dans des ressources du Québec, mais ce matériel ne colle pas toujours à la réalité du milieu francophone minoritaire. Le personnel enseignant doit donc être en mesure d'adapter programmes et matériel à ses propres besoins.

Compte tenu des problèmes exprimés lors des entrevues, il s'avère important de mettre en place certaines mesures susceptibles de venir en aide au personnel enseignant débutant (10). Il serait souhaitable, par conséquent, que les enseignantes et les enseignants débutants bénéficient de programmes d'initiation à l'enseignement - connu en anglais sous le nom d'induction programs. Ces programmes pourraient les aider à s'adapter, d'une part, à la culture de l'école dans son sens large et d'autre part, à la culture de l'école de langue française située en milieu minoritaire, en particulier. Un programme d'initiation qui réponde aux besoins des enseignantes et des enseignants débutants pourrait comprendre les éléments suivants :

a. des informations sur le nouveau milieu de travail et sur l'enseignement en milieu minoritaire, qui pourraient être transmises lors de journées d'orientation avant la rentrée scolaire;

b. un système de mentors qui permettrait un appui continu pendant, au moins, la première année d'enseignement;

c. un appui structuré du conseil scolaire, par le biais des services pédagogiques et finalement;

d. l'établissement de partenariats entre les conseils scolaires, les facultés d'éducation et les associations de parents, qui conjointement s'assureraient que le personnel enseignant débutant s'adapte bien à son nouvel environnement de travail, par le biais d'un suivi assidu.

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Le personnel enseignant d'expérience

Ce groupe pourrait, sans aucun doute, bénéficier lui aussi d'un appui par le biais d'un plan de perfectionnement professionnel mettant l'accent sur l'enseignement en milieu francophone minoritaire. Comme l'ont démontré les recherches dont il a été question dans le présent article, le personnel enseignant d'expérience éprouve, lui aussi, des difficultés lorsqu'il travaille dans les écoles de langue française. Un plan de perfectionnement professionnel équilibré pourraient viser trois objectifs particuliers :

1. amener les enseignantes et les enseignants à entamer une réflexion critique sur leur rôle en situation francophone minoritaire, en tant qu'agents de reproduction linguistique et culturelle;

2. fournir des outils pour faciliter le travail du personnel enseignant dans le contexte minoritaire, particulièrement en termes de matériel et d'approches pédagogiques mieux adaptés aux besoins dans ce contexte particulier;

3. développer une meilleure collaboration entre les conseils scolaires, de même qu'entre les écoles d'un même conseil scolaire, afin de briser le sentiment d'isolement ressenti par plusieurs enseignantes et enseignants (Gérin-Lajoie et Wilson, 1997).

Il est important de souligner, par ailleurs, que le perfectionnement professionnel relié à la réalité du milieu francophone minoritaire constitue rarement une priorité pour les conseils scolaires de langue française en Ontario. Il faut d'abord répondre aux exigences du Ministère de l'éducation, dans la mise en oeuvre des divers changements apportés au système scolaire ces dernières années, changements qui visent à la fois les anglophones et les francophones - je pense ici par exemple, au nouveau bulletin scolaire ou encore, aux tests d'évaluation du rendement des élèves qui sont devenus très populaires auprès du présent gouvernement ontarien.

Somme toute, il m'apparaît essentiel de développer, de façon générale, une « culture » du perfectionnement professionnel chez les enseignantes et les enseignants et plus particulièrement chez le personnel qui travaille en milieu minoritaire, de façon à créer à la fois un milieu de travail qui soit dynamique pour ce dernier, de même qu'un milieu d'apprentissage qui soit stimulant pour les élèves.

Conclusion

Malgré les problèmes qui ont été soulevés tout au long de la présente réflexion, il ne faudrait pas penser par ailleurs que le travail exigé des enseignantes et des enseignants dans les écoles situées en milieu francophone minoritaire représente un défi impossible à relever. Tel n'est pas le cas, en effet. Dans certaines écoles, les membres de la direction travaillent étroitement avec le personnel enseignant, dans le but de fournir à ce dernier l'appui nécessaire pour exceller dans son travail. Par exemple, l'élaboration de « projets d'école » spécifiquement dévoués à faciliter l'enseignement en milieu minoritaire, c'est-à-dire, des projets qui impliquent tous les membres du personnel enseignant, sous le leadership éclairé des membres de la direction représentent une excellente façon d'amener les enseignantes et les enseignants à améliorer leur enseignement tout en faisant preuve d'un certain esprit de collaboration. Des efforts plus systématiques devraient être déployés auprès des directrices et des directeurs d'école afin de les inciter à mettre sur pied des projets collectifs de perfectionnement professionnel au sein même de leur école. On pourrait ainsi, dans un premier temps, briser l'isolement dont souffre le personnel enseignant, pour ensuite arriver à responsabiliser ce dernier afin qu'il prenne en main son propre perfectionnement professionnel.

Il ne fait pas de doute que l'enseignement en milieu francophone minoritaire représente un défi pour les enseignantes et les enseignants qui choisissent d'y oeuvrer. Cependant, les obstacles que ces derniers rencontrent sur leur chemin ne sont pas insurmontables, la preuve étant qu'ils demeurent fidèles aux écoles de langue française en y faisant carrière. L'enseignement en milieu minoritaire représente un domaine de recherche encore peu documenté, pratiquement ignoré des divers paliers gouvernementaux. Cependant, le travail accompli par les enseignantes et les enseignants qui choisissent d'y oeuvrer est d'une importance capitale pour les communautés francophones qui vivent à l'extérieur du Québec. Dans ce contexte particulier, l'école, malgré ses nombreuses contradictions, demeure une institution essentielle à la survie du groupe minoritaire.

Bibliographie

BORDELEAU, Louis-Gabriel (1993) Besoins en formation du personnel enseignant des écoles de langue maternelle française, Québec: Association canadienne d'éducation de langue française, 1993.

Commission Royale sur l'Éducation de l'Ontario (1995)

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Notes

(1) Pour illustrer mes propos, je ferai en effet référence à trois projets de recherche que j'ai menés au cours des dernières années. Comme ces études de type qualitatif ne constituent pas comme tel le coeur de ma réflexion, car elles servent plutôt d'illustrations, elles ne seront pas décrites ici en détails à cause de l'espace limité réservé au présent article. Pour plus d'informations sur le sujet, j'invite les personnes intéressées à communiquer directement avec moi à l'adresse suivante: [email protected]

(2) Même si les francophones détiennent la gestion complète de leurs écoles depuis 1998, année de la promulgation de la loi 160, il n'en demeure pas moins qu'ils sont toujours dépendants du MEO en ce qui a trait aux ressources financières, aux politiques et aux programmes affectés à leurs écoles, puisque c'est à ce niveau que les décisions se prennent. Pour une discussion plus élaborée sur le sujet, voir Gérin-Lajoie (1997).

(3) Il ne faut pas confondre, en effet, les écoles dont il est ici question avec celles consacrées à l'immersion française, qui de leur côté, sont gérés par les conseils scolaires anglophones. La mission de ces deux types d'école diffère grandement.

(4) Les critères d'admissibilité sont les suivants : les parents doivent être citoyens canadiens et 1) avoir comme première langue apprise et encore comprise celle de la minorité officielle, 2) ou avoir fréquenté une école élémentaire dans la langue de la minorité et résider dans une province où la langue d'instruction est celle de la minorité, 3) ou avoir un enfant qui a reçu ou reçoit son éducation dans la langue de la minorité.

(5) Le comité d'admission comprend la directrice ou le directeur de l'école où l'élève désire s'inscrire, une représentante ou un représentant du conseil scolaire et un membre du personnel enseignant de cette même école.

(6) La section qui suit fera référence à trois études menées auprès du personnel enseignant de quelques écoles de langue française en Ontario. À cause d'un espace limité, j'ai choisi délibérément de ne pas présenter textuellement les propos des enseignantes et des enseignants. Ce qui suit est cependant un résumé fidèle des propos tenus par ces derniers lors des entrevues.

(7) Pour plus de détails sur cette étude, voir Gérin-Lajoie (1993b).

(8) Pour plus d'informations sur cette étude, voir Gérin-Lajoie et Wilson (1997).

(9) Ce dernier projet de recherche s'intéresse aux parcours identitaires des jeunes qui fréquentent les écoles secondaires minoritaires de langue française et la façon dont ces derniers interprètent leur rapport à la langue et à l'identité. Ce programme de recherche de trois ans (1997-2000) a été subventionné par le Conseil de recherches en science humaine du Canada. Dans le cadre de cette étude ethnographique, un certain nombre d'enseignantes et d'enseignants ont participé à des entrevues individuelles semi-structurées qui ont porté, en grande partie, sur l'enseignement en milieu minoritaire et leur rôle d'agents de reproduction. Nous en sommes présentement à l'analyse des données.

(10) Ces suggestions ne sont pas, ici, présentées en détails, ceci n'étant pas l'objet du présent article. Il m'a semblé néanmoins important d'en faire mention dans la présente section.

Association canadienne d'éducation de langue française (ACELF) 268, rue Marie-de-l'Incarnation, Québec (Québec) G1N 3G4 Téléphone: (418) 681-4661 - Télécopieur: (418) 681-3389 Site Internet: http://www.acelf.ca/c/revue/ © Copyright ACELF, Québec 2001.

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ACELF - Résumé

RÉSUMÉ

Les défis de l'enseignement en milieu francophone minoritaire: le cas de l'Ontario

Diane Gérin-Lajoie - Université de Toronto, (Ontario) Canada

Éducation et francophonie Volume XXIX, numéro 1, printemps-été 2001 Le renouvellement de la profession enseignante : tendances, enjeux et défis des années 2000

RÉSUMÉ - ABSTRACT - RESUMEN

RÉSUMÉ

L'article qui suit se veut une réflexion sur les défis que doivent relever les enseignantes et les enseignants qui travaillent dans les écoles canadiennes de langue maternelle française, à l'extérieur du Québec. En faisant directement référence à la situation qui prévaut en Ontario, la question de l'enseignement en milieu francophone minoritaire sera traitée sous deux angles particuliers : celui du rôle de l'école comme agent de reproduction linguistique et culturelle et de la place qu'occupe le personnel enseignant dans ce processus; de même que sous celui de la différentiation à laquelle fait face le personnel enseignant dans son travail quotidien. En ce qui concerne cette différentiation, une attention particulière sera portée à la fragmentation des langues et des cultures, phénomène de plus en plus présent dans les écoles franco-ontariennes et sur la façon dont le personnel enseignant compose avec cette nouvelle réalité. La présente réflexion se fonde sur le discours de membres du personnel enseignant ayant participé à trois études effectuées au cours des dernières années en Ontario. Ces études ont porté en grande partie sur la façon dont ces derniers conçoivent leur travail, sur leurs besoins et sur les mesures d'appui qu'il serait souhaitable de leur fournir dans leur travail quotidien. Certaines de ces mesures seront d'ailleurs examinées dans la dernière section du présent article.

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ABSTRACT

The following article is a reflection on the challenges that arise for teachers working in Canadian French-language schools, outside of Quebec. By making direct reference to the prevailing situation in Ontario, the problem of teaching within a minority francophone milieu is approached from two specific angles : the role of the school as an agent of linguistic and cultural reproduction and the place of the teaching staff in this process, as well as the differentiation confronted by teaching staff in their everyday work. With respect to this differentiation, the article specifically focuses on the fragmentation of languages and cultures, which are increasing in Franco-Ontarian schools, and the ways in which teachers are coming to terms with this new reality. This reflection is based on discussions with teachers who participated in three studies carried out recently in Ontario. These studies mainly looked at the ways in which these teachers view their work, as well as their needs and the support measures they should be provided with in their everyday work. Some of these measures are examined in the last section of the article.

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RESUMEN

Este artículo es una reflexión sobre los retos que deben tomar en cuenta los maestros y las maestras que trabajan en las escuelas canadienses de lengua materna francesa, al exterior de la provincia de Quebec. Refiriéndose directamente a la situación que prevalece en Ontario, la cuestión de la enseñanza en medio francófono minoritario se abordará bajo dos ángulos particulares : el rol de la escuela como agente de reproducción linguística y cultural y el lugar que ocupan los maestros

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ACELF - Résumé

en dicho proceso, así como bajo el ángulo de la diferenciación que confrontan los maestros en su trabajo cotidiano. En lo que concierne a esta diferenciación, daremos una atención particular a la fragmentación de las lenguas y las culturas, fenómeno cada día más presente en las escuelas franco-ontarianas, y sobre la manera en que los maestros transígen con esta nueva realidad. Esta reflexión se fundamenta en los discursos de los maestros que participaron en tres estudios efectuados durante los últimos años en Ontario. Dichos estudios abordaron en buena medida la manera en que los maestros conciben su trabajo, sus necesidades y las medidas de apoyo que desean se les ofrezcan en su trabajo cotidiano. Algunas de estas medidas de apoyo serán examinadas en la última sección del presente artículo.

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Le renouvellement de la profession enseignante : tendances, enjeux et défis des années 2000, Volume XXIX , No 1, printemps 2001.

De l'histoire et de l'avenir de la formation des maîtres au Canada anglais: la tradition dans la pratique des formateurs des maîtres

David N. BOOTE, Assistant Professor Educational Studies, University of Central Florida, USA. Marvin F. WIDEEN, Professor Emeritus, Director Emeritus Institute for Studies in Teacher Education, Faculty of Education Simon Fraser University (Colombie-Britannique) Canada. Jolie MAYER-SMITH, Associate Professor Department of Curriculum Studies University of British Columbia (Colombie-Britannique) Canada. Jessamyn O. YAZON, Doctoral Candidate Department of Curriculum Studies University of British Columbia (Colombie-Britannique) Canada.

Table des matières

■ Résumé Abstract Resumen ■ Introduction ■ Loi de l'école pré-communale : l'apprentissage traditionnel de

l'enseignement ■ La tradition : pouvoir, savoir et changement social ■ La période coloniale : de 1786 à 1900

❍ L'inspectorat et le financement gouvernemental ❍ Les Écoles Normales ❍ Les mécanismes du changement au début de la modernisation

■ La Bureaucratisation : 1900-1945 ❍ Amélioration du statut social de la profession enseignante ❍ La formation des enseignants et la connaissance pédagogique ❍ La standardisation ❍ Bureaucratisation et scepticisme : la double action du changement

social ■ La période actuelle : de 1945 à nos jours

❍ La formation des maîtres à l'université ❍ La diversité des perspectives ❍ Globalisation et coercition ❍ La tradition dans le présent et l'avenir de la formation des maîtres ❍ L'impact de la recherche en formation des maîtres

■ Pour conclure ■ Bibliographie ■ Notes

Résumé

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Au Canada, la formation des enseignants traverse une période riche en réformes. Toutefois, la plupart de ces efforts piétinent complètement ou n'ont qu'un faible impact. Nous soutenons ici que cette situation découle d'une absence de perspectives historiques. Nous analysons l'histoire de la formation des enseignants au Canada anglais, en montrant comment les diverses institutions de formation des enseignants qui se sont succédées se sont systématiquement appropriées le pouvoir social d'autorités traditionnelles. Cette analyse sociale de la tradition oriente notre attention sur les interrelations entre les institutions, les rôles sociaux, le pouvoir, et les connaissances. En explorant ces interrelations, nous montrons comment les formateurs d'enseignants, sur le plan individuel et collectif, et les forces historiques sociales plus élargies, entrent en complicité pour maintenir le statu quo. Nous concluons en avançant que les formateurs d'enseignants ne peuvent devenir des agents de changement social plus efficaces qu'en réexaminant la manière dont ils se situent au plan socio-historique et en articulant de manière discursive la nouvelle autorité basée sur l'habileté plutôt qu'en récapitulant de manière compulsive les structures traditionnelles de pouvoir.

Abstract

There is a great deal of activity reforming the training and education of teachers in Canada, but most of these efforts flounder entirely or have only modest impact. We contend that they flounder because they are ahistorical. We analyze the history of teacher education in English-speaking Canada, elaborating how successive institutions have systematically appropriated social power of traditional authorities. This social analysis of tradition focuses our attention on the interrelations among institutions, social roles, power, and knowledge. By exploring these interrelationships we show how teacher educators, individually and collectively, and broader historical social forces "conspire" to maintain the status quo. We conclude by arguing that teacher educators can only become more effective agents of social change by re-examining their socio-historical situativity and by discursively articulate new authority based upon ability rather than compulsively recapitulating traditional power structures.

Resumen

En Canadá ha habido muchas reformas en la formación y la educación de los maestros, aunque en su mayor parte estos esfuerzos han zozobrado o han tenido un impacto limitado. Nosotros sostenemos que es el caracter ahistórico de dichos esfuerzos que los conduce hacia al naufragio. Analizamos la historia de la educación de los maestros en el Canadá anglófono, precisando cómo las instituciones que se han sucedido se han apropiado sistemáticamente del poder social de las autoridades tradicionales. Este análisis social de la tradición enfoca su atención en las interrelaciones entre las instituciones, los roles sociales, el poder y el saber. Mediante la exploración de estas interrelaciones, mostramos como los educadores de los maestros, de manera individual y colectiva « conspiran » con fuerzas sociales históricamente más amplias para mantener el statu quo. Argumentamos, en conclusión que los educadores de los maestros pueden convertirse en agentes efectivos del cambio social si re-examinan su situación socio-histórica y articulan discursivamente una nueva autoridad basada en la aptitud y no en la recapitulación compulsiva de las estructuras tradicionales de poder.

Introduction

Au Canada, la formation des maîtres connaît actuellement une période très intéressante. Les facultés d'éducation expérimentent et élaborent de nouveaux programmes qui ont le potentiel d'améliorer de façon significative les modèles traditionnels de préparation des maîtres (1). Nous avons la chance de ne pas être touchés par les interventions gouvernementales, comme c'est le cas dans d'autres juridictions (Wideen et Grimmett, (1995)) (2). Cependant, au moins trois aspects des tentatives actuelles posent problème. D'abord, nombre de ces réformes visant à améliorer la formation des maîtres au Canada anglais ne semblent pas refléter ni même tenir compte du développement historique des institutions. Elles ne font que créer une illusion de renouveau et d'innovation, mais n'arrivent pas, en général, à combler les attentes qu'elles ont elles-mêmes créées. Nous croyons que ces obstacles réflètent notre ignorance collective des traditions et des tensions sociales qui ont façonné les courants dominants actuels. Deuxièmement, l'absence d'un vocabulaire spécifique empêche le développement d'une autocritique efficace. Sans une telle critique constructive, les tentatives de réforme peuvent passer outre aux plus profonds problèmes de changement dans la formation des maîtres. Enfin, comme Wideen, Myer-Smith et Moon (1998) le font ressortir, restructurer et re-conceptualiser la formation des maîtres, selon les demandes exprimées, a peu d'impact si l'on n'aborde pas de façon plus large les questions relatives à la culture institutionnelle et à la transmission du savoir des formateurs de maîtres aux jeunes enseignants (3). Afin de cerner ces trois préoccupations, nous devons examiner et comprendre le rôle de la tradition dans la formation des maîtres et plus particulièrement les rapports entre la tradition, le pouvoir social, le savoir et les mécanismes du changement

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social.

Afin d'instaurer une perspective critique sur le développement de la formation des maîtres, nous retraçons son histoire et son évolution au Canada anglais. Depuis sa conceptualisation jusqu'à son institutionnalisation, la formation des maîtres s'est systématiquement appropriée le pouvoir traditionnel, d'abord celui du clergé, puis celui du gouvernement et enfin celui des universités. Parce que les formateurs des maîtres cherchent à réorganiser les rapports de force en leur faveur, le principal mécanisme de cette appropriation systématique de la tradition passe par un scepticisme méthodologique de la modernité qui cherche à remplacer le pouvoir traditionnel par un pouvoir légal.

Afin de comprendre la position centrale qu'occupe la tradition dans notre société post-traditionnelle, notre analyse de l'histoire de la formation des maîtres et de ses implications dans la société post-traditionnelle au Canada puise d'abord ses sources dans l'essai fonctionnalités de Giddens (1996). Certains lecteurs peuvent trouver irrecevable cette lecture de la théorie sociale et de l'historiographie. Durkheim et le fonctionnalisme ont souvent été critiqués (et plus souvent rejetés) parce qu'ils semblent laisser peu de place aux agents individuels, se concentrant plutôt sur la compréhension des « facteurs sociaux » qui façonnent, voire déterminent, le comportement individuel. Néanmoins, nous affirmons que les formateurs des maîtres se doivent de mieux comprendre la place qu'ils occupent dans une histoire sociale complète et dans leurs institutions, et de saisir comment cette histoire sociale affecte leurs prétentions au savoir. En ayant recours à cette méthode, nous utilisons l'un des « trucs » de Becker et How (1997) en recherches sociales. Plutôt que d'essayer d'expliquer comment changer la formation des maîtres, nous cherchons à comprendre pourquoi ses pratiques sont si stables et si durables. L'analyse sociale de la tradition faite par Giddens nous fournit un angle efficace pour examiner les interrelations qui existent entre les institutions, les rôles sociaux, le pouvoir et le savoir. En explorant les interrelations entre ces différents facteurs, nous démontrons comment les formateurs des maîtres, individuellement ou collectivement, et d'importantes tensions historico-sociales « conspirent » afin de maintenir le statut quo.

Pour les besoins de notre analyse, nous avons divisé l'histoire canadienne de la formation des maîtres en quatre périodes, chacune représentant une phase différente du développement et de l'évolution des institutions propres à la formation des maîtres :

1. Dans notre analyse de la période « traditionnelle », nous démontrons comment les gens ont appris à enseigner avant la création de véritables institutions d'enseignement.

2. Nous avons nommé la période s'échelonnant de 1816 à environ la fin du XIXe siècle la phase « coloniale ». Dans l'étude de cette période, nous nous penchons sur la création de l'inspectorat, du contrôle provincial des écoles et des Écoles Normales. En se dotant de moyens légaux, ces institutions se sont systématiquement approprié le pouvoir traditionnellement détenu par le clergé.

3. S'étendant environ du début du XXe siècle à la Deuxième Guerre Mondiale, la phase de « bureaucratisation » témoigne de la transformation des Écoles Normales en Collèges d'enseignants. Au cours de cette période, les institutions légales de la formation des maîtres se sont solidement implantées, initiant une standardisation dans la façon d'enseigner au Canada.

4. Finalement, dans l'analyse de la phase « actuelle », s'échelonnant de la Seconde Guerre Mondiale à nos jours, nous nous penchons sur le passage de la formation des maîtres vers les universités, permettant aux formateurs des maîtres d'acquérir une certaine renommée et un meilleur statut social. Cependant, durant cette même période, l'apprentissage de l'enseignement a été touché par des préoccupations de plus en plus variées, nuisant d'autant plus aux démarches des formateurs des maîtres.

Afin d'illustrer la nature changeante de la tradition dans chacune des phases, nous nous concentrons sur certaines questions :

a. les responsables de la formation des maîtres ;b. les responsables de la certification des enseignants ;c. les critères d'admission à cette vocation ;d. le programme de formation ;e. les méthodes utilisées pour faciliter l'apprentissage de l'enseignement ;f. la période de temps consacrée à l'apprentissage de l'enseignement ;g. et les relations entre les formateurs des maîtres et ceux qu'ils cherchent à influencer.

Loi de l'école pré-communale : l'apprentissage traditionnel de l'enseignement (4)

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Au cours des années précédant l'impact de la révolution industrielle et de la formation de l'État sur la plupart des Canadiens, la majorité de la population vivait de l'industrie primaire dans de petites communautés agraires, alors que quelques communautés urbaines plus importantes étaient situées dans les villes des capitales régionales. Le manque d'écoles ouvertes à tous et subventionnées par les fonds publics signifiait que, pour la majorité de la population, la culture continuait à se transmettre oralement. La segmentation et la stratification sociales, dans un système en perte de contrôle, signifiaient que la tradition continuait à jouer un rôle crucial pour la plupart des habitants des premières colonies. La lenteur des communications et la pauvreté du contrôle exercé par les puissances coloniales à Londres, en Angleterre, tout comme celles des capitales régionales signifiaient que les autorités locales, en elles-mêmes, étaient tout à fait libres d'interpréter à leur façon les innovations et les influences extérieures. Le clergé local et les fonctionnaires du gouvernement ont interprété et occasionnellement défié les directives et les interdictions des autorités coloniales.

À l'origine, l'éducation publique canadienne n'était pas soumise au contrôle direct et à l'administration des fonctionnaires coloniaux. Au contraire, les églises prirent la responsabilité de l'enseignement et de l'éducation dans les années 1700. Dans les plus anciennes provinces, les églises et les sociétés religieuses comblaient le plus souvent les besoins en enseignants en faisant venir des gens éduqués de la Grande-Bretagne. Au Nouveau-Brunswick, par exemple, les missionnaires envoyés par l'Église d'Angleterre ont commencé à travailler avec les étudiants dans 500 écoles de la province bien longtemps avant l'ouverture de sa première École Normale en 1847. Même avec l'aide des groupes religieux et des églises, les écoles ne pouvaient combler adéquatement leurs besoins en personnel enseignant et la pénurie de personnel nécessitait l'embauche de professeurs inexpérimentés. Les personnes ayant des handicaps physiques, les personnes âgées, les étudiants récemment gradués et les immigrants fraîchement arrivés se sont retrouvés dans la profession enseignante puisque c'était souvent le seul genre d'emploi disponible. Cette pratique démontre à quel point les enseignants avaient un statut social bas, ayant le même salaire que les travailleurs manuels. Puisque la plupart des écoles étaient dirigées par le clergé ou par des personnes étroitement affiliées à une congrégation religieuse, les églises contrôlaient le choix des enseignants.

Durant cette période, « la formation des maîtres » était la responsabilité de l'individu. Puisqu'on jugeait qu'il n'était pas nécessaire de recevoir une formation préparatoire, la plupart des gens apprenaient à devenir professeur simplement par un travail d'observation et par des stages informels. On croyait alors qu'il était suffisant d'observer un professeur expérimenté pour apprendre à enseigner. Il était insensé de prolonger la formation puisque la plupart des gens considéraient l'enseignement comme une forme acceptable d'emploi temporaire. Même les connaissances des meilleurs professeurs et des plus expérimentés ne dépassaient pas celles de leur discipline. Aucun cadre bien défini de ce que nous appellerions aujourd'hui la connaissance pédagogique ou la connaissance du contenu pédagogique n'existait alors. Le principal souci était plutôt que les futurs enseignants possèdent une certaine connaissance des lettres et de l'arithmétique et qu'ils aient de bonnes moeurs, celles-ci étant démontrées par leur présence régulière aux services religieux et par leur fidélité à la Couronne. Comme c'était le cas dans la plupart des aspects de la vie coloniale, l'enseignement et l'apprentissage de l'enseignement furent supportés et appuyés par les relations et les structures du pouvoir traditionnelles, lesquels tendaient à être hiérarchisées.

La tradition : pouvoir, savoir et changement social

La notion de tradition est au coeur même de notre analyse de l'histoire de la formation des maîtres au Canada. La tradition est une valorisation du passé. Dans les cultures traditionnelles, les comportements passés influencent grandement les comportements actuels. Ainsi, dans une société traditionnelle, on apprend à enseigner en observant les professeurs et en essayant simplement de reproduire leur comportement. Mais la tradition concerne aussi l'avenir; la répétition permet de définir, du moins de cerner, la complexité de l'avenir. En se basant sur le passé pour définir l'avenir, un enseignant a besoin ni de peser ni d'improviser chaque action. Comme nous le démontrerons, cette valorisation du passé et de son rôle dans la définition de l'avenir a des répercussions importantes sur la formation des maîtres, spécialement en ce qui a trait aux questions de connaissance, de pouvoir et de changement social. Puisque l'enseignement est depuis longtemps considéré comme une profession respectable, il est utile de comparer l'apprentissage de l'enseignement durant la période « traditionnelle » avec la formation requise pour les professions sociales ayant un pouvoir réel ou symbolique dans la communauté : les professionnels traditionnels, incluant le clergé, les avocats et les médecins ; les officiers militaires, les fonctionnaires et les membres respectés des communautés. Comprendre comment la tradition fait partie du développement du savoir, du pouvoir et du changement social sera à la base de notre comparaison avec les périodes ultérieures.

C'est une tâche inhérente aux autorités traditionnelles que d'être responsables des devoirs sociaux fondamentaux. Le clergé marie et enterre les gens, les avocats entament des poursuites légales, les médecins soignent et les militaires protègent. Par rapport aux pouvoirs réels et symboliques attribués aux autorités traditionnelles, les professeurs détenaient très peu d'autorité morale ou pratique. Durant la période pré-industrielle, pour la plupart des Canadiens, l'enseignement était un luxe. Il était important d'apprendre à lire pour les cérémonies religieuses. L'écriture et l'arithmétique étaient aussi utiles à l'occasion, mais les connaissances essentielles à la survie et à la prospérité de chacun étaient transmises par les parents, le clergé et les membres de la communauté. Les

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professeurs, qui étaient pour la plupart des jeunes sans expérience, des femmes, des handicapés ou des immigrants récemment arrivés, n'étaient pas aptes à aider les jeunes d'une communauté à apprendre ce qui était vraiment important pour vivre dans une société pré-industrielle. Le statut social des professeurs était relativement bas puisque leur enseignement n'était alors tout simplement pas considéré comme quelque chose d'important.

Il manquait plus spécifiquement aux premiers enseignants canadiens un bagage de connaissances et d'habiletés qui soit cohérent et utile. D'un autre côté, les autorités traditionnelles avaient recours de manière systématique à des doctrines : un savoir standardisé, réservé à un petit nombre, quoique largement accepté, acquis au fil d'années d'enseignement formel et informel, devenant de véritables rites de passage. Le respect machinal et ritualisé de ces doctrines, disant aux gens comment ils doivent se comporter et à qui ils doivent se soumettre, crée des structures de pouvoir dans une communauté donnée. L'adhésion à ces doctrines permet de diviser les individus en deux catégories importantes. D'abord, on distingue l'ami de l'étranger par sa connaissance et son acceptation des dogmes. En se basant sur ce principe, les représentants des gouvernements locaux et le clergé ont pu départager les gens des bonnes moeurs des gens amoraux. Deuxièmement, les gens n'appartenant pas à une profession étaient tenus à l'écart du pouvoir. Durant cette période, au Canada, les enseignants n'avaient pas accès à ces savoirs et, par conséquent, la position sociale qu'ils occupaient ne leur permettait pas de remettre en cause publiquement les dogmes de l'Église ou les Édits locaux et coloniaux. Le pouvoir décisionnel des enseignants était très limité : ils ne pouvaient pas, par exemple, choisir eux-mêmes les livres qu'ils allaient utiliser.

Parce que les autorités traditionnelles disposaient d'un bagage de connaissances spécifique et bien défini, elles seules étaient capables d'interpréter le passé afin de guider le comportement présent et futur des gens. Les autorités traditionnelles n'étaient non seulement capables de se prononcer sur ce qui pouvait être fait dans une culture, mais elles étaient aussi en mesure de dire ce qui devait être fait. En s'attachant à la tradition, les gens ont obtenu une sécurité ontologique parce qu'on leur disait à quoi s'attendre et comment se conduire. Ce pouvoir normatif explique pourquoi le clergé et d'autres autorités traditionnelles envahissantes contrôlaient l'enseignement. Ils détenaient le pouvoir et avaient la responsabilité des bonnes moeurs des anciens Canadiens. Comme nous le verrons dans les périodes subséquentes, la capacité d'intervention des autorités externes demeure un point important des revendications des enseignants et des formateurs des maîtres en ce qui concerne leur statut professionnel, prenant des décisions basées sur des connaissances privilégiées.

Au Canada, au cours du XIXème et du XXe siècle, l'enseignement devint un emploi beaucoup plus important, autant au niveau symbolique que dans la pratique même. La formation des maîtres et l'apprentissage de l'enseignement ont changé et se sont approprié les traditions, d'abord du clergé, de la bureaucratie gouvernementale légale et enfin des universités. Dans ce qui suit, nous démontrerons comment la tradition affecte le savoir, le pouvoir et les modes du changement social dans la formation des maîtres par des moyens de plus en plus considérables et contradictoires.

La période coloniale : de 1786 à 1900 (5) (6)

Il est difficile de déterminer la fin de la période « traditionnelle » de l'enseignement et de l'apprentissage de l'enseignement, parce qu'une large part de la société contemporaine est alors encore traditionnelle et ce, de manière marquée. Cependant, durant la première moitié du XIXe siècle, trois importants changements institutionnels se sont produits dans la formation des maîtres, lesquels indiquent clairement le déclin du pouvoir traditionnel. D'abord, dans le Haut-Canada (devenu l'Ontario), les lois des Écoles Communales de 1816, 1824, 1841 et 1846 ont progressivement transféré la responsabilité de l'enseignement primaire des Églises aux gouvernements. Deuxièmement, les diverses lois des Écoles Communales ont transféré le contrôle décisionnel de facto quant à qui pouvait enseigner, des Églises et des populations locales aux inspecteurs du gouvernement. Tandis que la population canadienne était encore extrêmement religieuse et que l'enseignement de la Bible devait constituer une partie importante de l'éducation, le contrôle gouvernemental cherchait généralement à effacer l'influence de sa rivale confessionnelle. Alors qu'un grand nombre d'inspecteurs faisaient au départ partie du clergé, ils relevaient plutôt du gouvernement que de l'Église. Enfin, vers le milieu du siècle, on reconnut qu'une formation rigoureuse augmenterait les compétences des enseignants et les premières Écoles Normales ouvrirent leurs portes, influencées par les modèles américains et britanniques. Au fil de ces changements, l'autorité légale pris le pouvoir sur l'autorité traditionnelle. Ces transferts de pouvoir ont progressivement changé les traditions dans la formation des maîtres et dans l'apprentissage de l'enseignement, les influençant encore aujourd'hui.

L'inspectorat et le financement gouvernemental

Par l'entremise de la Loi sur les Écoles Communales de 1816, John Strachan, Évêque du Haut-Canada, propose que les fonds gouvernementaux aident à financer les écoles communales. On formula divers arguments pour appuyer cette innovation, mais généralement l'accent était mis sur l'importance accrue de l'enseignement et sur la conviction que le gouvernement pourrait mieux organiser et financer ces projets que les églises et les fonds privés. Par cette loi, Strachan a mis de l'avant la création d'un Bureau Provincial de l'éducation pour réglementer le fonctionnement des écoles, surveiller la certification des maîtres, approuver le recrutement des

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enseignants, inscrire les manuels scolaires au programme et convenir de bulletins scolaires. Toutefois, les Conseils de district et les Conseils d'administration locaux ont continué à exercer ces fonctions jusqu'à la promulgation de la Loi sur les Écoles Communales de 1824. Cette loi proposait un changement de pouvoir dans les écoles et une plus grande implication provinciale dans l'enseignement local par l'établissement d'un Bureau Général de l'éducation. Elle exigeait aussi que les enseignants des écoles publiques soient des sujets Britanniques et que le Bureau de district certifie les enseignants en lieu et place des Bureaux scolaires locaux.

La Loi sur les Écoles Communales de 1841 exigeait la création d'un poste de surintendant des écoles communales, la mise sur pied d'un contrôle local par l'entremise des dirigeants de districts et des villes, et l'établissement d'écoles séparées qui étaient par nature sectaires. Le district du surintendant des écoles communales devait couvrir les écoles publiques élémentaires du Canada de l'Ouest (devenu l'Ontario) et du Canada de l'Est (devenu le Québec). Cependant, jusqu'à ce que le Canada de l'Est et le Canada de l'Ouest ne possèdent chacun leur propre surintendant, le système administratif n'était pas efficace. Parmi ses responsabilités, le surintendant devait allouer des fonds aux écoles communales, recevoir les rapports des écoles et approuver les décisions des districts locaux. Les Bureaux de district décidaient des répartitions des fonds, des programmes scolaires et des manuels à utiliser, des salaires des enseignants, des examens et des taxes scolaires. La loi de 1846 a également instauré deux sortes de certification des maîtres réglementées par le surintendant de district : un certificat d'enseignement d'un an émis par le surintendant permettant d'enseigner dans une école déterminée; et un certificat général valable jusqu'à ce qu'il soit révoqué. L'émission par le département de l'éducation des « Instructions et des Règlements généraux » conjugués aux devoirs du personnel enseignant a permis d'opérer le passage du pouvoir détenu par les autorités scolaires locales vers le département de l'éducation et le surintendant provincial.

Le Bureau de l'éducation a supervisé les surintendants et imposé l'uniformité dans l'administration scolaire. Selon Egerton Ryerson, premier surintendant en chef des écoles du Haut-Canada,

« the primary object[s] of inspecting a School are to enable the Superintendent to acquaint himself with the real state and character of the School » (cité dans Curtis (1992) p. 85).

En recherchant une direction plus ferme et un plus grand contrôle de la gérance et de l'organisation des écoles, Ryerson a voulu que les inspecteurs scolaires procèdent à des visites éclairs des écoles afin d'examiner comment on dépensait les subventions et les autres sommes d'argent, d'inspecter les équipements et les registres de l'école et de s'assurer de l'utilisation des manuels prescrits. Ces visites étaient aussi un moyen de contrôler la fréquentation des élèves, les qualifications des enseignants, de vérifier ce qu'ils enseignaient et comment ils le faisaient, et de faire part de commentaires sur les méthodes d'enseignement. On devait inspecter les écoles une ou deux fois l'an et les rapports sur ces écoles étaient utilisés afin de déterminer les sommes d'argent attribuées à ces écoles. Curtis (1992) compare Ryerson à Horace Mann du Massachusetts en ce que

« his requests for information, and the use of information he received, were in some respects the key elements of his influence over the development of the common school... he used these reports to show how much needed to be done to improve the schools and, as the years went by, how much he had accomplished ». Curtis (1992) p. 198

De même, Curtis voit l'usage de l'inspectorat comme une tentative de la classe moyenne montante d'assurer un contrôle systématique, centralisé et dirigé, des activités éducatives au Canada durant cette période.

Curtis (1992, p. 19) identifie la « fonction d'inspection » des dirigeants de l'éducation coloniale comme

« the development of connections between central authorities and local sites that centered upon knowledge/power relations ».

En établissant des postes de surintendants et d'inspecteurs, le gouvernement central a voulu maintenir et renforcer la supervision et le contrôle des districts scolaires locaux. La fonction de ces départements était de fournir une direction centralisée, responsable des ressources locales, et de clarifier et d'organiser les fonctions administratives.

Nous retrouvons cette même situation partout à travers le Canada, bien qu'elle advint beaucoup plus tard dans l'Ouest. L'Ordonnance d'Amendement des École Communales (1870) en Colombie Britannique a amendé la loi de 1869 et prévu la nomination d'un Inspecteur Général des Écoles. Les enseignants étaient nommés par le Gouverneur ou par le Bureau Général de l'éducation (1865-1869). Ils n'étaient pas officiellement diplômés, mais devaient démontrer leur compétence au Bureau ou au fonctionnaire du gouvernement chargé de l'école. En 1872, le Bureau Provincial de l'éducation fut établi (puis aboli en 1879) et le premier surintendant de l'éducation, John Jessop, fut nommé. Le Bureau provincial déterminait les qualifications et les certifications des enseignants du système public. Pour enseigner, les professeurs devaient avoir la première, deuxième ou troisième licence de certification. Les trois premiers certificats étaient émis sur la base d'examens dirigés par les

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inspecteurs, alors qu'on octroyait les certificats académiques aux enseignants qui avaient complété leurs études dans les universités de l'Empire Britannique. Le surintendant visitait les écoles et rendait compte de la situation des enseignants et des élèves. Il signalait la situation se rattachant à l'école, à l'ordre, la discipline et à la fréquentation scolaire.

Les inspecteurs d'écoles avaient des qualifications professionnelles avancées reconnues par le Ministère de l'éducation. Ils étaient habituellement d'anciens directeurs, principaux ou enseignants. Aussi, beaucoup d'entre eux sont devenus professeurs dans les Écoles Normales.

Les Écoles Normales

Au début du XIXe siècle, quelques institutions privées de formation des maîtres commencèrent à ouvrir leurs portes, dirigées en majorité par le clergé et des diplômés des Écoles Normales britanniques. En 1846, la loi sur les Écoles Publiques en Ontario créa un Bureau Provincial d'éducation (dont le Surintendant en chef était membre). Parmi ses responsabilités, il devait établir et administrer une École Normale. De cette façon, l'École Normale constituait une branche du Ministère de l'éducation. Ryerson était responsable de la préparation des règles pour les rapports d'écoles et de la surveillance de l'École Normale provinciale.

Jusqu'au début du XXe siècle, la formation à l'École Normale était encouragée sur une base volontaire, puis la certification des maîtres devint obligatoire. Même sans formation, les enseignants devaient détenir les diplômes qui démontraient leurs compétences non reliées à la profession d'enseignant. Au Nouveau-Brunswick, par exemple, le fait de servir dans la Société pour la Diffusion de l'Évangile permettait d'obtenir un permis d'enseignement du Gouverneur. L'Évêque octroyait une licence à celui qui manifestait du zèle pour le christianisme, du respect pour le gouvernement et de la fidélité à l'Église d'Angleterre.

Par la suite, des Écoles Normales pour la formation d'enseignants au niveau élémentaire furent ouvertes dans d'autres provinces : au Nouveau-Brunswick et en Ontario en 1847 ; en Nouvelle-Écosse, à l'Île-du-Prince-Édouard et au Québec en 1857 ; en Colombie-Britannique, en Alberta, en Saskatchewan et au Manitoba de 1882 à 1905. La durée des programmes pour les enseignants variaient grandement. Les candidats à l'admission devaient généralement être âgés de 14 ans ou plus, détenir un certificat de bonnes moeurs, être capables de lire et d'écrire en anglais et posséder des connaissances en arithmétique. Les premiers programmes de formation des maîtres étaient de nature non professionnelle. Ils incluaient la révision des matières enseignées dans les écoles primaires et mettaient l'accent sur les procédés d'enseignement. L'enseignement pratique faisait aussi partie de certains programmes.

L'institutionnalisation de la formation canadienne des maîtres s'est faite de la même façon dans les différentes provinces : les églises ont d'abord pris en charge les enfants et, plus tard, le gouvernement provincial a exercé un certain contrôle sur la certification et les enseignants. Les gouvernements provinciaux ont ensuite assumé une responsabilité et un pouvoir accrus. Ceux-ci comprenaient l'organisation, l'exploitation, l'inspection des écoles, l'autorisation des programmes et des manuels scolaires, la certification des enseignants et la supervision de la formation des maîtres.

Les mécanismes du changement au début de la modernisation

Contrairement au présupposé commun en sociologie et en anthropologie selon lequel la tradition est statique, Giddens avance que la tradition change toujours et est toujours contestée. Ces contestations revêtent deux formes qu'il est difficile de séparer en pratique. Avec les conditions changeantes de la culture, les gens cherchent aussi à changer la tradition, spécialement lorsque les éléments de celle-ci qui étaient autrefois utiles se sont mal adaptés. Les gens se disputent aussi le pouvoir, cherchant à s'approprier la tradition et le pouvoir qu'elle confère d'une façon qui leur soit bénéfique. Au cours de l'histoire de la formation des maîtres, tout comme présentement, nous retrouvons des éléments des deux types de changement social. Pendant la période coloniale, comme le besoin de savoir lire, écrire et compter était grandissant et que l'intervention gouvernementale avait très certainement amélioré la qualité de l'enseignement, l'enseignement et la formation des maîtres étaient de plus en plus importants pour la société canadienne. Cependant, la motivation des individus impliqués n'était pas désintéressée. Nous remarquons plutôt que les individus impliqués ont systématiquement tenté de s'approprier les rôles sociaux traditionnels, le savoir établi et les institutions dans leur propre intérêt, bien que dissimulés en rhétorique de progrès social.

Mise à part la motivation, le mécanisme principal du changement social consistait (et consiste toujours) à encourager les gens à remettre en question la charge émotive du passé qui les poussait à reproduire le comportement passé dans des circonstances nouvelles. Se détacher des anciennes allégeances a donné aux gens l'opportunité de se créer un avenir d'après des décisions différentes de celles du passé. Aussi, les gens avaient besoin d'instaurer de nouvelles procédures afin de se débrouiller au jour le jour pour leur confort ontologique. Ces procédures aident un professeur à faire des choix hors de tout doute, afin de venir à bout efficacement de toutes les autres éventualités auxquelles il doit faire face quotidiennement.

Il n'y a rien de fondamentalement diffèrent dans le processus de changement social dans les sociétés modernes et

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dans les cultures traditionnelles. Cependant, certains aspects du changement social sont différents. Comme Durkheim (1984) l'a démontré dans fin du siècle, les sociétés traditionnelles et modernes diffèrent par la vitesse du changement. Dans les sociétés traditionnelles, les gens, comme les cultures, avaient le temps de s'ajuster car les révolutions sociales étaient relativement rares et l'évolution sociale passablement lente, s'échelonnant sur plusieurs générations. Mais lorsque Durkheim écrit à la fin du XIXe siècle, il n'était pas certain que le monde dans lequel grandirait un enfant serait le même que celui dans lequel sa mère avait vécu. Ceci présentait des complications particulières pour l'ordre social, lequel était encore en grande partie orientée vers les normes traditionnelles. La présomption clé étayant les normes sociales dans une société traditionnelle - dans laquelle le passé fournit le cadre nécessaire à l'interprétation du présent et au contrôle de l'avenir - est que le passé, le présent et l'avenir seront tous relativement similaires. Dans une société traditionnelle, le pouvoir symbolique et réel des autorités traditionnelles possédait en effet une valeur fonctionnelle, mais comme la vitesse du changement social a augmenté, la valeur de la tradition a diminué.

Cette vitesse croissante du changement a, à son tour, bouleversé l'apprentissage de l'enseignement. Comme nous l'avons démontré, il y a toujours eu un besoin pour une improvisation et une interprétation actives, mais l'improvisation et l'interprétation étaient habituellement laissées aux autorités traditionnelles. Pour les non professionnels des sociétés traditionnelles, le domaine de l'interprétation était assez limité. Mais comme le rythme du changement social s'est accru, la capacité d'interpréter la tradition devait elle aussi augmenter. Comme ce besoin de questionner la tradition ouvertement devint très présent, remettre celle-ci en question devint en soi une vertu. Giddens appelle cette tendance à questionner et à défier l'autorité traditionnelle le « scepticisme méthodologique ». Le rythme croissant du changement culturel et le scepticisme méthodologique ont modifié le savoir, le pouvoir et le changement social, chacun de ces éléments méritant d'ailleurs que l'on s'y attarde.

Le début de la période de formation conventionnelle des maîtres a vu s'opérer un changement social majeur. S'éloignant du clergé et des autorités locales, le pouvoir est passé aux mains de l'autorité coloniale et laïque (mais non pas, jusqu'à tout récemment, en faveur des enseignants). Les réformateurs de l'éducation cherchaient à prendre (ou à forcer) des décisions sans précédents. Mais qui prenait ces décisions et comment étaient-elles appliquées demeurent des questions fondamentalement de pouvoir. Le terme « décision » n'implique pas nécessairement un « choix ». De plus, la remise en cause des hypothèses traditionnelles ne signifie pas qu'une simple enseignante était alors libérée des manigances politiques et libre d'agir à sa guise dans sa classe. La plupart de ces décisions continuaient d'être dans les mains d'autres personnes : le clergé, les administrateurs, les fonctionnaires des gouvernements, les parents et les élèves, pour ne nommer que les plus importants. Tout simplement, permettre à un public plus large de prendre des décisions ne relevait pas nécessairement du pluralisme démocratique, parce que cette tactique n'était encore qu'un instrument du pouvoir et continuait à être utilisée pour la stratification sociale.

Dans ces luttes de pouvoir, les réformateurs ont tenté de légitimer leurs décisions, les faisant paraître comme étant traditionnelles. Nous le voyons clairement dans chacun des trois changements institutionnels. Au départ, les Écoles Normales ont utilisé des formes de pédagogie, de contenu des programmes scolaires et de structure sociale qui étaient traditionnelles. En effet, il était difficile de les distinguer des écoles élémentaires dans lesquelles les élèves-maîtres enseigneraient éventuellement, ce qui présentait d'énormes avantages puisque cela impliquait que les élèves-maîtres pourraient simplement transférer dans leur enseignement ce qu'ils avaient appris et la manière dont ils avaient appris dans les Écoles Normales. Cependant, comme les Écoles Normales était de plus en plus considérées par les réformateurs tels que Ryerson comme la scène d'un changement en éducation et spécialement comme un lieu pour inculquer de nouvelles normes pédagogiques, les élèves-maîtres et le public en général manifestèrent une certaine résistance face aux nouvelles méthodes qui rompaient avec les moyens traditionnels d'enseignement et d'apprentissage (7). Relier la certification à la fréquentation d'une École Normale a fourni aux formateurs des élèves-maîtres un vrai pouvoir, celui de faire connaître et de renforcer leurs croyances à propos d'un bon enseignement. Ce pouvoir a par la suite été légitimé par les inspecteurs scolaires qui pouvaient exiger que les enseignants utilisent les nouvelles normes pédagogiques et les nouveaux textes admis. Ils détenaient un pouvoir réel parce qu'ils avaient le contrôle des rapports et des fonds scolaires. Bien que cela semble être démagogique, de réels avantages venaient du changement institutionnel qui s'opérait alors. En permettant aux enseignants de rompre avec la tradition dans leur propre enseignement et dans l'usage qu'ils faisaient des nouvelles méthodes pédagogiques, les formateurs des maîtres et les réformateurs de l'enseignement ont donné plus de pouvoir aux enseignants et ont amélioré la qualité de l'enseignement à travers tout le pays.

Dans le discours pédagogique, nous retrouvons une tendance erronée qui tend à associer la « tradition » au conservatisme politique et social. Les réformateurs de l'éducation ont plutôt cherché à remplacer les vieilles doctrines par de nouvelles, là où les nouveaux dogmes éducationnels consolidaient leur pouvoir social. Mais alors que beaucoup des changements étaient de nature dogmatique, ceux-ci étaient bénéfiques parce que plus appropriés à la culture qui avait changé. La tradition étant considérée comme quelque chose de naturel, les réformateurs ont essayé de se faire voir comme relatant simplement les choses telles qu'elles sont, diminuant les occasions pour les non professionnels de chercher à occuper d'importants postes décisionnels ou la possibilité de choisir. En s'appropriant la tradition et la sagesse établie, les formateurs des maîtres cherchaient à être reconnus. Dans ces démarches rhétoriques, les notions symboliques de « nation » et de « progrès social » en tant que dépositaires séculiers de la moralité et de la norme étaient spécialement importants. Alors que les nouvelles institutions se sont développées et solidement implantées, elles ont adapté des facettes des vieilles institutions et en ont développé lentement de nouvelles. De nouveaux dogmes, rituels et doctrines furent créés afin de donner

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du pouvoir aux nouvelles institutions et à ceux qui en faisaient partie.

La Bureaucratisation : 1900-1945 (8)

À la suite des trois principaux chargements institutionnels dans le financement de l'enseignement public, de l'inspection et des Écoles Normales pendant la période coloniale, vint une période de forte bureaucratisation. Cela coïncidait avec la consolidation continue de l'État-Nation à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. Au début du XXe siècle, les efforts des spécialistes de l'éducation ont permis de gagner la confiance d'assez de Canadiens pour qu'ils puissent affirmer que, dans la plupart des provinces, plus de la moitié des nouveaux enseignants avaient reçu une formation rigoureuse dans une École Normale. Après avoir franchi ce tournant, les démarches des fonctionnaires du gouvernement et des formateurs de maîtres se sont axés sur l'implantation et sur la standardisation des programmes utilisés dans la formation des maîtres. En cherchant à améliorer le statut social de la profession enseignante, en rattachant la certification des maîtres à la fréquentation des Écoles Normales, en augmentant le recours à la formation des maîtres pour inculquer des principes pédagogiques et en mettant l'accent sur la standardisation de la formation des maîtres, on cherchait à implanter un pouvoir réel et légal.

Amélioration du statut social de la profession enseignante

À la fin du XXe siècle, la population rurale et les professeurs masculins furent forcés de chercher des emplois plus payants. Au fil du temps, les salaires des enseignants n'avaient pas augmenté, même si ceux des travailleurs non spécialisés, des dactylographes, des commis et des infirmières s'étaient accrus. Le nombre des enseignantes avait augmenté (représentant plus de 75 % du corps professoral) alors que les salaires des enseignants demeuraient modeste (9). À partir de 1900, il y avait un tel manque d'enseignants qualifiés dans les écoles rurales et celles des régions éloignées qu'on se devait d'engager des professeurs qui détenaient simplement des diplômes provisoires ou des qualifications inférieures. Procurant un incitatif additionnel, les salaires étaient plus élevés dans les Territoires du Nord-Ouest et dans les provinces de l'Ouest. À cause de la situation économique et des salaires inadéquats, les exigences pour les enseignants sont restées faibles même si le Ministère de l'éducation exerçait un contrôle sur les programmes de formation des maîtres pour satisfaire adéquatement aux besoins des écoles.

En 1949, on pouvait encore prendre conscience du statut social modeste des enseignants, puisque dans les instituts de formation des maîtres, on acceptait principalement des candidats venus de familles de statut socio-économique inférieur. Il y avait six fois plus d'enseignants venant des foyers de fermiers que de tous les autres groupes professionnels réunis, et davantage de groupes de travailleurs non-spécialisés que de groupes de professionnels. En ce qui concerne la nationalité, la plupart des postulants n'avaient pas d'antécédents anglo-saxons ou français, et n'étaient donc pas francophones ou anglophones de naissance. Les données recueillies pendant la période 1947-1948 révèlent que, parmi les postulants, uniquement 30 % d'entre eux voulaient devenir des enseignants permanents. Aussi, environ 23 % d'entre eux croyaient que la formation serait facile, les congés plus longs, que l'enseignement serait un bon emploi temporaire en attendant le mariage ou que ce serait une étape vers une autre profession, ce qui en dit long sur leur engagement face à la profession d'enseignant. Une interprétation de ces statistiques nous porterait à croire que la plupart des enseignants débutant dans la profession n'y voyaient pas une vocation. Une autre lecture pourrait nous amener à croire que l'enseignement constituait une profession de plus en plus respectée parmi les classes inférieures et n'était utilisée qu'en vue d'obtenir un avancement social.

Vers la fin de cette période, on augmenta les critères d'admission afin d'accroître la sélectivité, quoique le succès et l'utilité de ceux-ci aient beaucoup varié. Quelques Écoles Normales ont expérimenté de nouvelles méthodes de sélection, incluant le recours à des tests d'aptitude, des entrevues avec les étudiants, des périodes de probation, des services de conseil et d'orientation ou des jugements personnels. Cependant, la plupart avait recours principalement au système d'évaluation maîtres-élèves, au certificat médical et aux lettres de références. Pourtant, avec le peu d'enseignants qualifiés disponibles, on continuait à engager des candidats non qualifiés et on leur octroyait des diplômes.

En 1905, un tollé provoqué par le fait que la moitié des enseignants des Maritimes souffrait d'un manque de formation, a manifesté la considération croissante accordée à la formation des maîtres. Puisque les premières réglementations permettaient la certification d'enseignants non formés, les fonctionnaires gouvernementaux ont cherché à limiter considérablement le nombre d'enseignants non qualifiés et à exiger la formation afin d'obtenir la certification. Pendant ces décennies, pour obtenir un certificat d'enseignement, les enseignants du primaire devaient avoir complété des études secondaires et les enseignants du secondaire devaient suivre une formation universitaire, en plus d'une année de stage professionnel probatoire. L'éducation formelle requise variait grandement selon les provinces, quoique cela ait, en moyenne, augmenté. À partir de 1949, toutes les provinces ont formellement exigé au minimum un stage professionnel d'une année pour obtenir un certificat, bien qu'il y ait eu encore moins de types de certifications émis dans les régions où il était difficile de recruter des enseignants qualifiés.

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La formation des enseignants et la connaissance pédagogique

Le programme des Écoles Normales consistait habituellement en une révision des matières des écoles primaires avec une attention particulière portée aux méthodes d'enseignement. Cependant, au fil du temps, la formation des maîtres dans les Écoles Normales s'est concentrée davantage sur les enfants et moins sur les manuels scolaires et le contenu de la matière. D'une certaine manière, l'accent s'est déplacé de la planification des cours vers l'orientation et le service de conseil. Dans les programmes, une attention accrue était aussi portée à la psychologie et à l'histoire de l'éducation.

Aussitôt qu'en 1890, l'influente École de pédagogie de l'Ontario était établie à Toronto. Son cours de 14 semaines, représentatif des pré-requis de la formation des maîtres du début du XXe siècle, incluait des cours sur la psychologie de l'éducation, l'histoire de l'éducation, l'administration scolaire et des cours de méthodologie pour des matières particulières (enseignées par le corps professoral de l'Université de Toronto), mais ne comportait pas d'enseignement pratique.

À la fin de la Seconde Guerre Mondiale, neuf des plus importants instituts de formation des maîtres rapportaient que le travail d'observation des élèves-maîtres s'échelonnait de 12 à 58 heures et que la pratique en classe allait de 50 à 175 heures. Dans l'ensemble, la plupart des écoles dévièrent de l'enseignement pratique de leçons hors contexte, proposant plutôt un stage d'enseignement pratique de quatre semaines en classe, avec la possibilité d'enseigner dans des classes particulières, une semaine à la fois. La plupart de ces stages étaient donnés à des niveaux du primaire différents et approximativement 75 % d'entre eux étaient faits dans les écoles rurales. La tendance consistait à avoir plus de temps pour l'enseignement pratique, le travail continu en classe pour un nombre de jours donnés, incluant des activités en dehors de l'école avec des groupes de jeunes. On sentait le besoin d'engager les élèves-maîtres dans les activités sociales. Dans les institutions de formation, on encourageait cette socialisation par l'entremise de réunions amicales, de thés, d'engagements dans des organismes sociaux, académiques et artistiques. En plus des activités para-scolaires, certaines institutions offrirent le logement, encourageant les relations avec des étudiants d'autres facultés.

La standardisation

En comparant la formation des maîtres au début et à la fin de cette période, on peut comprendre le besoin d'une plus grande standardisation. De la fin des années 1890 au début des années 1900, les exigences pour l'obtention de la certification des maîtres variaient d'une province à l'autre. On allouait les diplômes de premier, deuxième et troisième niveau en fonction du degré d'enseignement et du nombre de mois de formation. Le diplôme de premier niveau était destiné à ceux qui avaient complété le programme d'études de douzième année. L'obtention du diplôme de deuxième niveau nécessitait des études académiques de neuvième, dixième ou onzième année (selon la province), plus un stage professionnel de dix mois, tandis que le diplôme de troisième niveau exigeait la réussite de la huitième, neuvième ou dixième année, avec un stage professionnel de quatre à dix mois.

Le besoin de standardisation s'articulait autour d'une rhétorique comparant le statut social relativement bas des enseignants au statut social plus élevé des professions traditionnelles. À la fin de la Seconde Guerre Mondiale, il existait 53 certificats d'enseignement différents dans les dix provinces canadiennes. Ces certificats démontraient les qualifications des enseignants, non pas dans un champ de spécialisation, mais pour l'enseignement des matières de base des programmes en vigueur dans les écoles primaires et secondaires. En outre, la durée des programmes variait d'une période aussi courte que six semaines à une période aussi longue que six ans et deux sessions d'été. La nécessité de standardiser la durée des programmes, les exigences d'admission et de certification était sentie. Des changements pour améliorer les programmes d'enseignement pratique furent suggérés par le personnel enseignant. Les formateurs des maîtres ont proposé l'augmentation de la quantité de stages et que l'enseignement pratique soit fait en milieu rural ou dans de petits centres urbains qui seraient, fort probablement, le milieu où les nouveaux enseignants travailleraient au début de leur carrière.

Durant cette période, la formation des maîtres a fait siennes les normes bureaucratiques du pouvoir social. Dans cette section, nous avons démontré que ces démarches visaient l'amélioration du statut social des enseignants grâce à leur affiliation avec les autorités traditionnelles, l'enseignement de méthodes pédagogiques avancées par les formateurs des maîtres et l'établissement de standards nationaux en formation des maîtres. En s'appropriant ces nouvelles normes bureaucratiques de pouvoir social, les formateurs des maîtres furent en mesure d'augmenter leur compétence et leur pouvoir à influencer les pratiques d'enseignement.

Bureaucratisation et scepticisme : la double action du changement social

Pour comprendre cette période, nous devons saisir quelque chose des relations entre les organisations bureaucratiques et le savoir-faire relié à la tradition. Les individus ont un besoin émotionnel et cognitif d'intimité dans leurs lieux de travail comme dans leurs vies, l'attachement à un rituel et à la tradition est un moyen de réduire l'anxiété dans un monde de plus en plus imprévisible. Mais pour des raisons dont nous avons déjà discutées, la tradition ne constitue plus le principal moyen d'établir cette stabilité. Toutefois, la socialisation et

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l'éducation doivent nous permettre de faire connaître les leçons du passé de façon à ce qu'elles agissent de manière significative sur le présent pour maîtriser l'avenir. Les institutions bureaucratiques, centrées sur la routine et les procédures-types, touchent à ce besoin émotionnel fondamental d'un environnement stable. Elles sont le principal mécanisme de contrôle social et de pouvoir des sociétés où le pouvoir légal a remplacé l'autorité traditionnelle. Les procédures adéquatement sélectionnées augmentent l'autonomie collective et personnelle en permettant aux gens de concentrer leur énergie sur l'amélioration de leurs comportements de façon à ce qu'ils soient productifs. Pour cette raison, les institutions bureaucratiques ont aussi été l'un des principaux véhicules du progrès et de l'égalité sociale, parce qu'elles tentent de créer des pratiques standardisées d'opération et de décision qui ne soient pas influencées par des choix biaisés du passé. Quoique cela n'obtienne pas beaucoup de respect, le modèle conventionnel de formation des maîtres (et le modèle standardisé d'éducation qu'il appuie) vaut mieux que la formation traditionnelle des maîtres et que l'enseignement que l'on retrouvait il y a un siècle (10).

Dans une bureaucratie, le pouvoir décisionnel est entre les mains de spécialistes qui ont prétendu avoir une compétence ou une connaissance spécifique que les non professionnels n'ont pas. Au fil du temps, les formateurs des maîtres furent considérés comme des spécialistes. Leur pouvoir dépendait de leur capacité à prendre des décisions qui semblaient cohérentes et acceptables. De la même façon, l'institutionnalisation de l'inspectorat et des Écoles Normales reposait non seulement sur les relations de pouvoir entourant la certification, mais aussi sur l'affirmation plus subtile voulant que les formateurs des maîtres puissent enseigner et évaluer un savoir spécialisé. Ce savoir présente beaucoup d'avantages : par la spécialisation, les spécialistes sont capables d'améliorer la qualité de l'enseignement, leur savoir étant bien défini et complet. Mais les changements que les formateurs des maîtres et les réformateurs de l'éducation ont mis de l'avant reposaient sur des arguments rationnels et des institutions légales, les deux pouvant être réfutés. Ce changement de statut, passant d'autorités traditionnelles incontestables à des spécialistes pouvant être remis en question, a entraîné un important changement social.

Tel que mentionné auparavant, le scepticisme méthodologique est l'un des mouvements instigateurs du modernisme. Le fait que ce scepticisme soit en continuelle recherche de vérités universelles engendre une tension dialectique entre le scepticisme spécialisé et l'universalisme, ce qui donne une saveur particulière aux débats des spécialistes. Dans une société traditionnelle, dans toute controverse, on présumait l'existence d'une autorité suprême et les mécanismes de résolution de ces conflits étaient compris (du moins tacitement) par les représentants du pouvoir. Les sociétés non-traditionnelles étaient dépourvues de ces autorités suprêmes. Comme le savoir-faire des formateurs des maîtres les avait éloignés de la pratique locale d'enseignement, leur savoir devint moins fidèle à l'enseignement traditionnel. Contrairement aux sociétés traditionnelles, ceux qui étaient désavantagés par les décisions des spécialistes pouvaient alors remettre en question ces choix d'après des arguments légaux et rationnels. Ainsi, au cours du siècle dernier, les enseignants et les formateurs des maîtres ont vu leur pouvoir être continuellement défié même si leur statut social s'améliorait. Ironiquement, quand leur savoir-faire était contesté, ils se repliaient et défendaient leur compétence en référant à des doctrines de l'autorité traditionnelle.

Le problème était (et continue d'être) non seulement que le savoir-faire était un élément perturbateur des hiérarchies du pouvoir, autant qu'il constituait une influence stabilisatrice. Pour les enseignants et les formateurs de maîtres, l'effet du changement social est à double tranchant : il est à la fois libérateur et dérangeant. Libérateur, parce qu'ils ne devaient plus obéir à une seule source d'autorité souvent oppressante et provoquant de l'anxiété, parce qu'ils se faisaient couper l'herbe sous le pied. Les règles formelles de la bureaucratie tendent à nier cette même ouverture à l'innovation qui est le sceau du savoir-faire. La bureaucratisation exige d'abord l'abandon de la tradition et des coutumes et, deuxièmement, la réorganisation des relations sociales. Comme l'enseignement et la formation des enseignants étaient de plus en plus bureaucratisés, les enseignants et les formateurs des maîtres se sont retrouvés dans une fâcheuse position (quoique cela ait rarement été reconnu comme tel). Les formateurs d'enseignants dans les Écoles Normales, et plus tard dans les universités, devaient former les gens de façon à ce qu'ils aient confiance en la bureaucratie, parce que leur pouvoir et leur capacité à effectuer du bon travail dépendaient de cette confiance. En vue de rendre le système éducatif digne de cette confiance, l'amélioration du statut social des enseignants devint l'un des principaux soucis des formateurs des maîtres. Malgré cela, cette même connaissance spécialisée qui permettait aux enseignants et aux formateurs des maîtres de revendiquer un meilleur statut social, mine aussi la crédibilité des systèmes bureaucratiques, privés des mécanismes traditionnels de confiance.

Au cours de la première moitié du XXe siècle, ces effets négatifs de la spécialisation et de la bureaucratisation n'étaient pas un grave problème. Toutefois, ces changements contribuèrent avec succès à l'amélioration du savoir spécialisé et de la situation sociale de l'enseignement et de la formation des maîtres dans une société en rapide évolution. L'enseignement et la formation des maîtres devinrent les lieux privilégiés pour l'amélioration sociale. Cependant, cette période a aussi mis en place une foule de contradictions qui devinrent de plus en plus manifestes au cours de la seconde moitié du siècle.

La période actuelle : de 1945 à nos jours (11)

À la suite des précédentes décennies d'implantation et de bureaucratisation, les années d'après-guerre ont vu s'opérer deux changements institutionnels très importants dans la formation des maîtres. Durant cette période,

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l'enseignement public est devenu l'une des institutions sociales prépondérantes dans la vie des jeunes Canadiens. Dans les périodes antérieures, les enfants étaient grandement influencés par diverses autorités traditionnelles comme les églises, les organisations civiques et la famille élargie. Depuis la guerre, la laïcisation et la fragmentation sociale de la société canadienne ont de plus en plus confié la responsabilité de la socialisation et de l'éducation aux écoles. Cette importance croissante de l'enseignement était aussi nourrie par le « baby boom » et la croissance économique des années d'après-guerre, ainsi que l'accent accrû mis sur l'instruction comme moyen d'avancement social et de résolution des problèmes sociaux.

Le changement institutionnel le plus marquant durant ces années a été le passage de la formation des maîtres aux universités. On a rarement reconnu la présence de plus en plus forte de divers groupes cherchant à utiliser le nouveau pouvoir social des écoles afin de promouvoir leurs différentes causes. Implicitement, la formation des maîtres a été perçue comme l'un des principaux lieux d'essais d'un changement des traditions de l'enseignement afin d'atteindre à un changement social plus complet.

La formation des maîtres à l'université

Les universités sont depuis longtemps engagées, de diverses manières, dans la formation des maîtres. En 1860, l'Université Laval et l'Université McGill étaient impliquées dans la formation des maîtres par l'entremise de leurs Écoles Normales affiliées. Cependant, cette implication peut sembler négligeable, le programme n'étant pas dirigé par le personnel universitaire. Vers les années 1870, des chaires académiques en éducation étaient établies pour donner des conférences sur la théorie et la pratique de la pédagogie aux étudiants non diplômés qui projetaient d'enseigner. En 1889, l'Université Queen's prit des arrangements pour les étudiants hors faculté afin de leur permettre de poursuivre leurs études en vue d'obtenir un B.A. sans avoir à fréquenter les classes. Aussi, les universités offraient des programmes de formation continue durant l'été et, plus tard, des programmes pour diplômés permettant aux enseignants de gagner un meilleur salaire. Durant les années de l'entre deux guerres, les quatre provinces de l'Ouest (la Colombie-Britannique, l'Alberta, le Manitoba et la Saskatchewan) ont enregistré une croissance importante dans la formation des maîtres, spécialement quand les universités ont commencé à offrir des cours d'été aux enseignants déjà engagés dans la pratique. Ces premières aventures avec les départements provinciaux d'éducation ont mené à la fondation des Facultés d'éducation dans les universités de ces provinces : en Colombie-Britannique en 1923 ; en Saskatchewan en 1927 ; en Alberta en 1928 ; et au Manitoba en 1935. Ces universités offraient aussi des programmes d'un an aux diplômés universitaires pour qu'ils puissent enseigner au secondaire. De plus, des programmes universitaires conduisant au Baccalauréat en éducation (B. Ed.) et à la Maîtrise en éducation (M. Ed.) ont été mis sur pied en Saskatchewan, en Alberta et au Manitoba. La Colombie Britannique a suivi cette tendance et a instauré son programme de Baccalauréat en éducation (B. Ed.) en 1942.

Toutefois, ce n'est qu'après la Seconde Guerre Mondiale que les universités ont formellement pris en charge la formation des enseignants du primaire. Lorsque quelques Écoles Normales changèrent leurs noms pour Collège Normal ou Collège d'enseignants, indiquant qu'il s'agissait d'institutions post-secondaires, on commença alors à noter un changement dans leur notoriété. Résultant de la formation des enseignants du primaire et des changements sociaux relevés précédemment, le nombre d'admission dans les institutions de formation des maîtres dans les universités canadiennes a monté en flèche durant cette période, passant de 667 en 1940-1941 à 10 473 en 1960-1961.

Trois principaux facteurs étaient généralement considérés comme étant à l'origine du passage des collèges d'enseignants aux universités :

1. l'aptitude des universités à attirer des candidats de haut calibre à l'enseignement et à améliorer la réputation de l'enseignement ;

2. la capacité des universités à effectuer les recherches nécessaires à l'amélioration de la qualité de l'enseignement, avec l'objectif de développer une « science de l'éducation » ;

3. et la capacité des universités à créer de nouveaux modèles de pratique, étant alors bien placées pour les inculquer et les mettre en oeuvre.

La tendance cherchant à améliorer davantage le statut social de la profession enseignante transparaît dans les exigences d'admission. Les attentes académiques élevées et l'importance décroissante du caractère moral des candidats doivent être soulignées. Avec le passage de la formation des maîtres aux universités, les candidats aux programmes d'enseignement devaient avoir complété les études secondaires et réussit l'examen de fin d'études. Au cours des dernières décennies, on a de plus en plus exigé l'obtention d'un baccalauréat (souvent avec la mention « honneur ») pour être admis, de même que la preuve certaine d'une expérience substantielle de travail auprès des enfants pour indiquer le sérieux de l'engagement dans la profession enseignante. En contrepartie, ces exigences ont amené des candidats plus matures.

En vue d'octroyer du temps aux formateurs des maîtres pour les recherches en éducation, quelques réformateurs ont fait des pressions pour limiter les heures d'enseignement des enseignants, aussi tôt qu'en 1950. On appuyait

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cet argument en avançant que la recherche en éducation pourrait être mise en pratique et au bout du compte pouvait apprendre aux élèves-maîtres des habiletés d'apprentissage et de recherche. Avec la transition vers les universités, les formateurs des maîtres devaient commencer à effectuer des recherches. La plupart des formateurs des maîtres étaient peu formés par rapport à ceux des facultés universitaires. Puisque cela soulevait de difficiles questions relatives à la carrière universitaire, plusieurs universités, spécialement en Ontario, ont opposé une résistance à la fusion des Collèges d'enseignants et des Écoles Normales. Avec le besoin de se qualifier pour une carrière universitaire et d'obtenir le statut social que cela confère, il devint crucial pour les formateurs des maîtres d'avoir une formation académique disciplinaire, spécialement au niveau du Doctorat.

La nouvelle communauté de formateurs des maîtres aptes à la recherche a eu des effets positifs sur l'ensemble de la qualité de l'enseignement, sur les formateurs des maîtres et sur le statut de la recherche en éducation. Malheureusement, cette formation en recherche signifiait aussi que l'enseignement de la didactique et des programmes disciplinaires enseignées était renforcé. Les cours de fondement de l'éducation et de psychologie de l'éducation sont devenus presque universels et les cours des programmes se concentrèrent de plus en plus sur la théorie plutôt que sur la pratique. Les traditions disciplinaires de la formation des maîtres sont encore trop fortes dans la plupart des écoles de formation. La plupart des étudiants éprouvent de grandes difficultés à saisir les relations entre les divers cours non reliés qu'ils doivent suivre durant leur formation. En contrepartie, ces programmes centrés sur la discipline tendaient à éloigner les professeurs engagés dans la pratique et les étudiants qui avaient de bonnes raisons de s'interroger sur le savoir des formateurs des maîtres en ce qui a trait à la pratique de l'enseignement. Pendant plusieurs décennies, la spécialisation disciplinaire a freiné le pouvoir de la formation universitaire des maîtres à influencer les traditions d'enseignement à un degré élevé. Le fait que la plupart des formateurs des maîtres s'identifient d'abord à une discipline ou un champ a aussi rendu les programmes de formation des maîtres difficiles à réformer.

La diversité des perspectives

Plus particulièrement depuis les années 1960, avec la réforme des programmes et les mouvements de revendication des droits civils, l'enseignement est devenu un champ de bataille idéologique. Avec la nouvelle prééminence des écoles perçues comme le lieu privilégié de la socialisation et de la formation, les regroupements d'affaires, les groupes religieux, les minorités ethniques, les associations féministes, les politiciens et les parents de toutes les convictions politiques ont tous cherché à accroître leur influence. Les moyens de ces groupes hétérogènes cherchant à changer les traditions scolaires ne sont pas simplement contradictoires, ils sont démesurés (Egan (1978)). Jusque dans les années 1960, on sentait clairement que les traditions de l'enseignement pouvaient être contrôlées et que les responsables de ces changements semblaient compétents. Parce que le rythme des réformes de l'éducation à partir de cette période était lent (ou possiblement parce que lent), les réformes étaient bien coordonnées avec la formation des maîtres. Les formateurs des maîtres universitaires et d'autres réformateurs des programmes furent capables de changer lentement les pratiques de l'enseignement. Il semble maintenant clair que le rythme accéléré et les multiples forces exercées sur l'enseignement ont mené à une forte tension qui rend les changements en éducation moins faciles à maîtriser et parfois chaotiques.

À la lumière des difficultés rencontrées afin d'amener les enseignants qui pratiquent à changer leurs habitudes d'enseignement, beaucoup de réformateurs se sont tournés vers la formation des maîtres comme un moyen de changer les normes de l'éducation. Cependant, bien que les professeurs canadiens en éducation soient, si l'on généralise, des libéraux progressistes, il existe encore une diversité considérable d'opinion à l'intérieur de n'importe quel programme donné concernant les problèmes les plus pressants et les solutions appropriées. Cette diversité est rappelée dans les recherches des formateurs des maîtres, celles-ci sont si éloignées d'une véritable « science de l'éducation » qu'il serait mieux de les décrire comme de la polyphonie proche de la cacophonie.

Globalisation et coercition

Plus tôt, nous avons abordé la question de la tension entre la bureaucratisation et la spécialisation et au cours de la période actuelle, nous avons vu cette tension devenir de plus en plus manifeste. Le scepticisme méthodologique a cherché à remplacer l'émotivité par la rationalité et a supposément échanger un rituel et une tradition irréfléchis par des institutions bureaucratiques. Mais les doubles agendas du changement rationnel et du contrôle bureaucratique sont en eux-mêmes incompatibles parce que les réformateurs n'ont pas réussi à reconnaître la position centrale de la motivation dans la tradition et le rituel. Dans les premières phases de la modernisation, les gens étaient encore habitués au respect traditionnel des organismes qui contrôlaient leurs vies. Toutefois, dans une société post-traditionnelle, les routines sont vaines à moins qu'elles ne se rattachent aux processus réflexifs institutionnels qui leur permettent de s'adapter au contexte social donné. On peut facilement faire confiance aux procédures bureaucratiques pour qu'elles se figent, comme c'est le cas dans les sociétés traditionnelles. De par leur tendance à la « coercition » et à la « globalisation », nous croyons que ces thèmes vont de pair.

La diminution du pouvoir social des formateurs des maîtres est intimement liée aux processus de « globalisation » (12) par l'entremise de laquelle une clientèle toujours croissante exige que les institutions

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bureaucratiques s'occupent de leurs revendications. Le modernisme était au départ caractérisé par le contrôle des périphéries par le gouvernement central de façon impérialiste ou colonialiste. Durant cette période, la communication entre les formateurs des maîtres et les citoyens canadiens se faisait principalement à sens unique. Par opposition, aujourd'hui, dans notre société moderne, les relations de pouvoir sont de plus en plus décentralisées. Des collectivités éloignées bouleversent de plus en plus les actions présentes des enseignants et des formateurs des maîtres et une gamme très diversifiée de gens cherchent à influencer le travail des formateurs des maîtres auprès des élèves-maîtres. De cette façon, le caractère réflexif de la globalisation appelle à une remise en question de toute la tradition, évacuant la sécurité ontologique et le pouvoir des formateurs des maîtres, spécialement leur considération sociale en tant que professeurs d'université et la véracité épistémologique de leurs prétentions au savoir (voir McWilliams (1994)).

Quand la société est dépouillée du pouvoir social traditionnel, le rituel conduit les gens à des comportements compulsifs. Comme l'écrit Giddens :

« Compulsiveness, when socially generalized, is in effect tradition without traditionalism : repetition which stands in the way of autonomy rather than fostering it » (Giddens (1996, p. 23)).

L'étude de Freud sur l'affection psychologique au cours de laquelle une personne névrosée utilise inconsciemment ses expériences antérieures pour interpréter le présent de façon mal adaptée était axée sur la compulsion. Alors que les circonstances présentes sont superficiellement similaires, elles sont insuffisamment similaires pour faire en sorte que la réponse soit appropriée, ce qui provoque le transfert des expériences antérieures mal adaptées. Le taux croissant de changement social signifie que beaucoup de comportements pris pour acquis sont de moins en moins appropriés. Cependant, sans vouloir minimiser ce point, une recherche approfondie des normes et procédures qui façonnent nos vies est très difficile à faire. Comme les processus de globalisation appelle de plus en plus à la remise en question de toutes les positions normatives, le comportement compulsif devient l'une des manifestations clés de la modernité. Nous soutenons que cette compulsion individuelle et sociale engendrée par la société est au centre des difficultés dans la réforme de la formation des maîtres (Boote (en révision)).

La compulsion peut être abordée à la fois au niveau individuel et collectif de l'analyse. Individuellement, les formateurs des maîtres développent des moyens de travailler et d'interagir avec les élèves-maîtres. Ces routines individuelles ont une certaine force d'attraction simplement à travers la répétition régulière. Les réformateurs de l'enseignement décrivent les pratiques traditionnelles comme étant faciles à remplacer, mais les recherches ont démontré que ce n'est pas le cas (Hargreaves (1998)). Il est facile de sous-estimer l'importance psychologique de la pratique traditionnelle. Les routines et la pratique standardisée réduisent la somme de tension cognitive et émotionnelle sur les formateurs des maîtres, leur procurant une sécurité ontologique. Les habitudes structurent la continuité à travers différents champs d'activité de la formation des maîtres. Par exemple, nous présumons que les pratiques intellectuelles du questionnement critique et du respect de l'évidence empirique apprises dans la formation des diplômés se répercutent sur le travail des formateurs des maîtres dans la formation des enseignants.

Le comportement compulsif devient manifeste dans les procédures collectives des formateurs des maîtres, façonnant les cultures dans lesquelles les formateurs des maîtres socialisent et travaillent. Les routines et les pratiques communes des formateurs des maîtres se sont renforcées et sont devenues des habitudes dans leurs pratiques sociales. Que ces routines constituent des traits personnels ou qu'elles soient plus étroitement reliées aux coutumes sociales, elles ont été adoptées au fil du temps comme pratique habituelle et elles ont perdu la plupart de leurs liens avec les contextes sociaux dans lesquels elles s'étaient adaptées. Parce que la formation universitaire des maîtres représente la voix de l'autorité des universités, leurs pratiques ont longtemps été considérées comme étant incontestables et non problématiques. Cependant, depuis quelques années, la diminution de l'autorité traditionnelle des universités et la position relativement faible des Facultés d'éducation au sein des universités ont provoqué une remise en question des pratiques collectives et individuelles des formateurs des maîtres qui étaient auparavant acceptées. Ainsi, le comportement des formateurs des maîtres peut être considéré comme étant compulsif lorsqu'ils prennent pour acquis, par exemple, que les enseignants qui pratiquent partagent leur considération pour l'évidence empirique, alors que ce n'est pas le cas pour plusieurs. Ce n'est qu'un exemple du comportement compulsif qui mine la reconnaissance sociale des formateurs des maîtres et l'efficacité de leur travail avec les enseignants. Comprendre ce comportement sera toujours plus important dans les années à venir, alors que nous essayerons de préserver la considération sociale qui nous reste.

La tradition dans le présent et l'avenir de la formation des maîtres

À travers les périodes de bureaucratisation et de colonisation, la tradition était appelée à générer un pouvoir personnel et collectif, un savoir et un changement social. Les enseignants et les formateurs des maîtres avaient une faible identité dans le Canada traditionnel. Les réformateurs de l'éducation et les formateurs des maîtres ont cherché à soutenir leur autorité et leur identité en s'appropriant les pouvoirs symboliques et pratiques des autorités traditionnelles. Ceci a conduit à l'amélioration de l'éducation et de la formation des maîtres, par

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l'entremise de la grande croissance des Écoles Normales et, plus tard, du développement des Facultés d'éducation. Mais les promesses rationnelles et légales utilisées pour s'approprier le pouvoir devinrent progressivement sur-utilisées. La trop grande utilisation du pouvoir et de l'autorité a conduit à un questionnement et à une remise en cause qui se poursuit encore aujourd'hui. Nous sommes plus que jamais disposés à abandonner la tradition et peut-être avons-nous un plus grand besoin de le faire, mais le statut épistémologique de notre « science de l'éducation » légale et rationnelle est de plus en plus fragile. Le nombre de questions à considérer croît de façon exponentielle et notre capacité à y faire face semble diminuer dans une proportion inverse. Ainsi, suivant le développement des institutions de la modernité, on distingue l'identité des formateurs des maîtres comme étant un problème fondamental, mais - de manière contradictoire - ce problème a été « résolu » en invoquant le pouvoir de la tradition. Les Canadiens l'ont perçu spécialement quand les formateurs des maîtres devinrent des membres des Facultés universitaires, suscitant un tout nouvel ensemble de traditions afin d'améliorer leur statut social, mais étant en même temps de plus en plus ébranlés par le savoir réfutable associé à ce nouveau statut social.

En provoquant la réforme des institutions d'apprentissage de l'enseignement, l'évolution de la formation des maîtres est revenue à son point de départ. Ironiquement, ceux qui ont remis en question le pouvoir en sont eux-mêmes venus à s'appuyer sur la tradition, la routine et les coutumes pour guider leur pratique. Il est intéressant de constater que dans beaucoup de cas les pratiques modernes de formation des maîtres incitent ceux qui entrent dans la profession à problématiser, à interroger et à remettre en question la tradition. Ceci a inévitablement produit une nouvelle génération d'enseignants qui maintenant questionnent et remettent en cause la « nouvelle autorité ». Vu de manière analytique, il n'existe que quatre façons, dans n'importe quel contexte social, de résoudre les conflits de valeurs entre les individus et les collectivités :

1. L'enracinement de la tradition

Dans ces institutions de formation des maîtres où la tradition exerce une influence dominante, spécialement là où les formateurs des maître gagnent leur pouvoir par la revendication d'un savoir disciplinaire ou d'un savoir-faire en tant que professeurs, l'ampleur des questions ouvertes à un examen approfondi diminue (13). Le pouvoir des formateurs des maîtres est largement masqué et l'intégration culturelle prend la forme de la segmentation intellectuelle, principalement sous la forme de conférences disciplinaires et de pratiques non reliées. Les formateurs des maîtres sont capables de réaliser cela par l'organisation spatio-temporelle des programmes de formation des maîtres qui créent des obstacles à la communication non locale.

Alors que le scepticisme méthodologique rend possible l'investigation systématique en éducation, pour la population non professionnelle la connaissance pédagogique conserve certains aspects de doctrines ou de dogmes. Nous remarquons ces tendances dogmatiques sous forme de respect et de pouvoir attribués aux idées et pratiques de quelques formateurs des maîtres. Malheureusement, afin de maintenir leur statut social, une large part des prétentions de savoir au sujet de l'éducation sont si minces et limitées qu'ils doivent être vues comme des doctrines.

La nature dogmatique de la recherche en éducation et le bas statut social des formateurs de maîtres dans les universités semblent être un fait connu et admis du public. Un adage courant au sujet des formateurs des maîtres démontre ce point de vue :

« Ceux qui le peuvent, travaillent. Ceux qui ne peuvent pas, enseignent. Ceux qui ne peuvent pas enseigner, enseignent aux enseignants ».

Les formateurs des maîtres sont rarement perçus par les élèves-maîtres comme ayant une expérience substantielle de l'enseignement ou de la formation. Là où leur savoir est reconnu, il est rarement perçu comme étant quelque chose de pertinent pour les enseignants débutants. Le travail antérieur à la formation des maîtres est plutôt considéré le plus souvent comme étant l'une des « étapes à traverser » en vue d'obtenir des références en tant qu'enseignants. Les formateurs des maîtres qui continuent de s'appuyer sur leur situation sociale de spécialistes en pédagogie, de critiques et de chercheurs - nos rôles traditionnels - continueront à voir leur statut social diminuer et leur pouvoir miné.

2. Désengagement

Une autre manifestation de ce même phénomène est le désengagement. Une fois de plus, ceci peut se produire tant au niveau individuel que collectif (Wideen, Boote et Myers-Smith (en révision)). Plusieurs des formateurs des maîtres avec lesquels nous avons travaillé reconnaissent que les méthodes de travail qu'ils utilisent et qui sont aussi utilisées dans les institutions sont largement inefficaces et malgré tout, ils ne voient aucune possibilité de changer la situation. Ils se sont éloignés des idéaux qui les avaient amenés à enseigner aux futurs enseignants et ils se laissent simplement porter par le courant, faisant ce qu'ils peuvent. Ce désengagement est perçu par les étudiants qui protestent contre les formateurs des maîtres qui leur font la morale au sujet de l'apprentissage actif. Les élèves-maîtres se rendent compte assez clairement de l'hypocrisie des positions prises par leurs formateurs au sujet de la pédagogie.

Cependant, peu d'élèves-maîtres comprennent les conditions sociales dans les Facultés d'éducation qui ont

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mené à ce comportement inadapté, dont la priorité de la recherche et de la publication sur l'enseignement et la sécurité ontologique de beaucoup de formateurs des maîtres qui découlent de leur statut de spécialistes. Les formateurs des maîtres apprennent qu'ils peuvent (et pour leur santé d'esprit, doivent) simplement ignorer la plupart des exigences divergentes qui sont faites de leur temps et de leur énergie. Au niveau institutionnel, ce désengagement advient au moment où les administrateurs abandonnent les tentatives de venir à bout de l'inertie institutionnelle et de la fragmentation qui caractérisent la formation de maîtres contemporaine.

3. La coercition

Comme nous l'avons vu durant la période coloniale, les formateurs des maîtres et les administrateurs scolaires peuvent forcer les enseignants à se conformer en ayant recours à des modèles coercitifs d'administration. Cependant, leur conformisme sera toujours peu enthousiaste. Nous avons vu beaucoup moins de cette coercition gouvernementale au Canada que chez les formateurs des maîtres aux États-Unis, en Grande-Bretagne ou en Australie où les gouvernements utilisent de plus en plus leur pouvoir afin de forcer les gens à se conformer.

Un développement très intéressant apparu au fil de ces lignes est la création des Collèges des enseignants en Colombie-Britannique et plus récemment en Ontario. Comme c'est le cas pour les professions traditionnelles, les gouvernements de ces deux provinces ont créé de manière législative des unités indépendantes visant à superviser la discipline et les professionnels chargés d'émettre les diplômes. Les universités détiennent toujours un monopole sur l'avenir prévisible de la formation des maîtres, mais dans ces deux provinces, ils doivent maintenant travailler étroitement avec leurs collèges professionnels. Ceci dit, la manière dont les collèges affecteront la formation des maîtres à long terme reste encore à être définie. Quelques formateurs des maîtres universitaires se plaignent déjà de l'interférence des Collèges qui apprennent à exercer leur considérable pouvoir de certification. Tour à tour, ces corps professionnels peuvent introduire une saine analyse réflexive dans les Facultés d'éducation.

4. Le discours

Dans certains cas relativement rares, les gens semblent aptes à discuter des traditions divergentes afin d'explorer les fondements de leurs désaccords. Ceci peut être très difficile à admettre, et l'est d'ailleurs fréquemment. Les formateurs des maîtres doivent reconnaître que leurs visions traditionnelles de la formation des maîtres sont inadéquates en elles-mêmes, mais qu'ensemble, ils peuvent travailler pour améliorer la qualité de l'apprentissage de l'enseignement. Chaque tradition de l'apprentissage de l'enseignement peut être exprimée et défendue par des arguments ; chacune d'elles peut être justifiée par la valeur qu'elle possède dans un univers de valeurs plurielles divergentes. On peut défendre les traditions sur la base de leurs propres termes ou d'après des antécédents plus dialogiques. En essayant d'agir ainsi, le pouvoir réflexif peut s'articuler à plusieurs niveaux. Une défense discursive de la tradition ne compromet pas nécessairement la doctrine. C'est fait d'être prêt à entamer le dialogue tout en suspendant la menace de coercition qui a le plus de répercussions. La recherche en formation des maîtres a joué un rôle important dans ces quelques cas où on a pu examiner de façon discursive et adapter les programmes canadiens de formation des maîtres (voir Wideen, Boote, Mayers-Smith et Moon (1998)).

L'impact de la recherche en formation des maîtres

Durant les deux dernières décennies, la recherche en formation des maîtres a joué un rôle important dans la réforme et la re-conceptualisation de celle-ci. Tandis que la recherche en formation des maîtres remonte à plusieurs décennies, elle était, jusqu'à tout récemment, le domaine d'une élite intellectuelle. Elle est maintenant perçue comme un secteur respectable d'investigation et beaucoup de facultés l'ont adoptée pour satisfaire leurs standards d'érudition. En contrepartie, ceci a mené beaucoup de formateurs des maîtres à concentrer leurs énergies sur l'amélioration de la pédagogie et des programmes de formation des maîtres. Un bon nombre de programmes en éducation ont expérimenté avec les nouveaux programmes résultant de ces études.

Bien qu'entièrement diversifiés, ces nouveaux programmes ont quelques caractéristiques en commun (voir Wideen, Boote, Mayers-Smith et Moon (1998)). Ils ont diminué la concentration disciplinaire en mettant l'accent sur les habiletés et la connaissance immédiatement applicables à la pratique des enseignants débutants. En contrepartie, ceci est rendu plus facile par la diminution du nombre de conférences et l'utilisation d'un plus grand nombre de présentations de pratiques pédagogiques variées de manière appropriée. Nous remarquons aussi qu'il y a moins d'accent mis sur « l'enseignement pratique », là où nous nous attendons à ce que les étudiants appliquent strictement ce qu'ils ont expérimenté à l'université. L'accent est plutôt mis de plus en plus sur l'utilisation de stages d'enseignement en tant qu'opportunités pour les élèves-maîtres d'explorer les questions pertinentes pour eux et de transférer ce qu'ils ont appris en stage à l'université. Finalement, un certain nombre de programmes de formation des maîtres se sont explicitement concentrés sur la résolution des problèmes sociaux, les abordant de front. Ils agissent ainsi en faisant des problèmes tels que de préparer des enseignants pour les écoles en milieu urbain ou de s'attaquer au racisme, des questions centrales à la formation des maîtres, et mettent l'acent sur l'apprentissage des habiletés et du savoir nécessaires pour résoudre ces questions.

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Alors que nous avions audacieusement prédit, il y a quelques années, que ces tendances nous menaient au « carrefour d'une pratique d'avant-garde » de formation canadienne des maîtres, ces changements sont loin de la norme et rencontrent des difficultés considérables. Plusieurs institutions de formation des maîtres semblent s'embourber davantage dans les formes traditionnelles de la formation des maîtres et sont incapables pour le moment de changer de manière substantielle. Nombre des initiatives prometteuses, telles que celle de l'Université Queen's qui possédait plusieurs de ces caractéristiques, se sont heurtées à une résistance considérable. Alors que beaucoup d'enseignants appuient les changements, d'autres membres des facultés universitaires semblent indifférents, réfractaires ou incapables d'adopter de nouvelles méthodes de travail avec les élèves-maîtres. Cette résistance est amplifiée par le reste de l'université, le grand public et les élèves-maîtres qui se méfient des changements des traditions académiques de la formation des maîtres. Ce malencontreux renversement de situation souligne l'importance de la tradition dans la formation des maîtres.

Pour conclure

À l'heure actuelle, nous espérons qu'il est clair que le but de dissocier entièrement la tradition de la formation des maîtres n'est pas possible et que les tentatives de le faire ont eu du bon et du mauvais. Le rêve d'une « science de l'éducation » est tout simplement incompatible avec les manières dont les gens se comportent. En même temps, les conditions de la culture et le rythme du changement culturel rendent l'attachement à la tradition impossible. Nous avons plutôt besoin de rendre la double action de la tradition transparente : elle est liée au pouvoir et à l'autorité sociale, mais il est aussi nécessaire de protéger les gens des éventualités de la vie.

L'analyse de l'histoire de la formation canadienne des maîtres fournit un angle pour tenter de comprendre les problèmes actuels et soulève d'intéressantes retombées pour l'avenir de la formation des maîtres. Toutefois, encore beaucoup de formateurs des maîtres comptent sur leur position sociale dans les facultés universitaires ou sur leur statut de pédagogues spécialistes pour que les élèves-maîtres aient confiance en à leur autorité. Mais des liens sociaux doivent être créés dans une société post-traditionnelle, plutôt qu'hérités du passé. Bien que ce soit une tâche difficile pour les formateurs des maîtres, autant sur un plan personnel que collectif, cela annonce de grands bénéfices. Le détachement par rapport à la tradition exige que les formateurs des maîtres se détachent de l'image qu'ils ont d'eux-mêmes en tant qu'autorité et qu'ils se dépouillent de la sécurité ontologique dont ils dépendent pour le pouvoir social. Afin de s'assurer d'un avenir discursif, il est nécessaire que nous recentrions notre travail sur les opportunités et les dilemmes de l'enseignement, et que nous nous concentrions sur des nouvelles formes d'interdépendance. Ce sera une tâche difficile puisque que la plupart des formateurs des maîtres ne possèdent pas actuellement ces habiletés et les traditions de la formation des maîtres dans les universités vont à l'encontre même de cet objectif.

Le monde discursif de formation des maîtres est prometteur, mais atteindre ce potentiel demeure un défi. Le doute profond de la société post-traditionnelle alimente une grande anxiété et le redressement des structures du pouvoir qui devait apporter une plus grande égalité sociale l'a considérablement diminué. Le premier pas consiste à reconnaître la nature compulsive de la formation des maîtres. C'est probablement le plus difficile pas à faire. Giddens écrit que :

« Beyond compulsiveness lies the chance of developing authentic forms of human life that owe little to the formulaic thruths of tradition, but where the defense of tradition also has an important role » (Giddens (1996, p. 63)

Il sera difficile d'initier ou de soutenir ce dialogue tant que les formateurs des maîtres ne comprendront pas les valeurs et les dilemmes impliqués dans les traditions qui les ont conduits là où ils sont. Une littérature de recherche plus détaillée sur les convictions et les pratiques des formateurs des maîtres doit être produite afin que nous puissions comprendre les manières contradictoires et multiples que la tradition a d'affecter l'apprentissage de l'enseignement dans la formation des maîtres contemporaine.

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Notes

(1) Au sujet de ces initiatives, voir Wideen, Boote, Mayer-Smith et Moon (1998), Wideen et Holborn (1986) et Sheehan et Fullan (1995).

(2) Par exemple, ni les voies alternatives menant à la certification aux États-Unis, ni les restructurations gouvernementales qui ont lieu en Angleterre et en Australie ne se produisent au Canada (voir Wideen et Grimmett (1995).

(3) Notre étude empirique sur les formateurs de maîtres a démontré qu'ils sont préoccupés, de manière implicite ou explicite, par la transmission de leurs valeurs aux étudiants (Wideen, Boote et Mayer-Smith (en révision) ; voir aussi Weber (1990). Ces valeurs incluent les domaines intellectuel, moral et politique. Nous sommes aussi de plus en plus conscients de l'incapacité de la formation des maîtres à amener les étudiants à adhérer aux croyances et aux pratiques qui sont valorisées. Les réformes actuelles semblent ignorer la diversité des intérêts ainsi que leur manifestations culturelles et institutionnelles.

(4) Les sources secondaires décrivant l'histoire canadienne de la formation des maîtres sont décrites de manière charitable comme étant désorganisées et dispersées. Nous nous appuyons grandement sur Harris (1976) et Wilson et alii (1970) pour les descriptions allant jusqu'à 1960, spécialement celles précédent 1800.

(5) Notez que nous réfèrons ici à la « colonisation » de l'apprentissage de l'enseignement et non à celle du continent.

(6) Dans cette section, nous nous sommes basés spécialement sur Houston et Prentice (1988), Curtis (1988 et 1992) et Dunae (sans date).

(7) Nous voyons un écart grandissant entre les formateurs des maîtres qui gagnent leur crédibilité en s'associant aux normes dominantes d'enseignement et les formateurs des maîtres qui gagnent la leur en prônant la « nouvelle et meilleure » pédagogie. Cet écart se creuse d'ailleurs au cours du siècle suivant.

(8) Dans cette section, nous nous sommes basés sur Putnam (1925), MacDonald (1996) et Lazerte (1950).

(9) Notez que la différenciation de genre dans les sociétés port-modernes se perpétue dans de nouvelles formes institutionnelles. Au cours de la période de l'institutionnalisation de l'enseignement, l'enseignement (surtout élémentaire) était perçu comme un travail de femmes, alors que les formateurs des maîtres et les inspecteurs étaient majoritairement des hommes. De cette façon, le statut social inférieur des femmes était renforcé dans un nouveau secteur social. On observe maintenant que ce modèle se reproduit dans les faculté d'éducation, une des seules où les femmes et les hommes sont représentés de manière équitable, où le statut social de l'éducation en tant que discipline est très peu considéré dans les universités.

(10) Quels que soit leurs problèmes, les institutions bureaucratiques de formation des maîtres augmentent les possiblités que les étudiants seront libérés des caprices des formateurs des maîtres, que les formateurs des maîtres sont raisonnablement bien formés et que les programmes offrent au minimum une formation adéquate. Rien de cela ne pouvait être soutenu il y a un siècle.

(11) Dans cette section, nous nous appuyons sur MacDonald (1996), Paterson (1984), MacLeod (1966), Ellis (1968), Schaller et Lang (1982), Luther (1972), Smitheram (1971), Myers et Saul (1974), Myers (1974) et Tomkins (1969).

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(12) Alors que le terme globalisation est habituellement lié à des questions comme le commerce international et les marchés de la main-d'oeuvre, ce qui est relativement loin de l'environnement de la plupart des enseignants, nous l'utilisons ici dans un sens quelque peu différent. Là où la tradition est caractérisée par l'immédiat et le face-à-face, utilisant le passé pour comprendre le présent et maîtriser l'avenir, la globalisation est marquée par « une mise à distance de l'action ».

(13) Dans ces cas, la tradition peut devenir fondamentaliste. Le « fondamentalisme », qu'il soit religieux ou académique, présuppose seulement la direction à prendre contre la prédominance du doute fondamental. Ce n'est rien de plus ou de moins que « la tradition au sens traditionnel », bien qu'aujourd'hui elle soit la cible d'attaques et non plus influente. Le fondamentalisme peut être compris comme une revendication des doctrines, sans se soucier des conséquences. Voir Boote (sous presse).

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ACELF - Résumé

RÉSUMÉ

De l'histoire et de l'avenir de la formation des maîtres au Canada anglais: la tradition dans la pratique des formateurs des maîtres

David N. Boote - University of Central Florida, USA Marvin F. Wideen - Simon Fraser University, (Colombie-Britannique) Canada Jolie Mayer-Smith - University of British Columbia, (Colombie-Britannique) Canada Jessamyn O. Yazon - University of British Columbia, (Colombie-Britannique) Canada

Éducation et francophonie Volume XXIX, numéro 1, printemps-été 2001 Le renouvellement de la profession enseignante : tendances, enjeux et défis des années 2000

RÉSUMÉ - ABSTRACT - RESUMEN

RÉSUMÉ

Au Canada, la formation des enseignants traverse une période riche en réformes. Toutefois, la plupart de ces efforts piétinent complètement ou n'ont qu'un faible impact. Nous soutenons ici que cette situation découle d'une absence de perspectives historiques. Nous analysons l'histoire de la formation des enseignants au Canada anglais, en montrant comment les diverses institutions de formation des enseignants qui se sont succédées se sont systématiquement appropriées le pouvoir social d'autorités traditionnelles. Cette analyse sociale de la tradition oriente notre attention sur les interrelations entre les institutions, les rôles sociaux, le pouvoir, et les connaissances. En explorant ces interrelations, nous montrons comment les formateurs d'enseignants, sur le plan individuel et collectif, et les forces historiques sociales plus élargies, entrent en complicité pour maintenir le statu quo. Nous concluons en avançant que les formateurs d'enseignants ne peuvent devenir des agents de changement social plus efficaces qu'en réexaminant la manière dont ils se situent au plan socio-historique et en articulant de manière discursive la nouvelle autorité basée sur l'habileté plutôt qu'en récapitulant de manière compulsive les structures traditionnelles de pouvoir.

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ABSTRACT

There is a great deal of activity reforming the training and education of teachers in Canada, but most of these efforts flounder entirely or have only modest impact. We contend that they flounder because they are ahistorical. We analyze the history of teacher education in English-speaking Canada, elaborating how successive institutions have systematically appropriated social power of traditional authorities. This social analysis of tradition focuses our attention on the interrelations among institutions, social roles, power, and knowledge. By exploring these interrelationships we show how teacher educators, individually and collectively, and broader historical social forces "conspire" to maintain the status quo. We conclude by arguing that teacher educators can only become more effective agents of social change by re-examining their socio-historical situativity and by discursively articulate new authority based upon ability rather than compulsively recapitulating traditional power structures.

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RESUMEN

En Canadá ha habido muchas reformas en la formación y la educación de los maestros, aunque en su mayor parte estos esfuerzos han zozobrado o han tenido un impacto limitado. Nosotros sostenemos que es el caracter ahistórico de dichos esfuerzos que los conduce hacia al naufragio. Analizamos la historia de la educación de los maestros en el Canadá anglófono, precisando cómo las

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ACELF - Résumé

instituciones que se han sucedido se han apropiado sistemáticamente del poder social de las autoridades tradicionales. Este análisis social de la tradición enfoca su atención en las interrelaciones entre las instituciones, los roles sociales, el poder y el saber. Mediante la exploración de estas interrelaciones, mostramos como los educadores de los maestros, de manera individual y colectiva « conspiran » con fuerzas sociales históricamente más amplias para mantener el statu quo. Argumentamos, en conclusión que los educadores de los maestros pueden convertirse en agentes efectivos del cambio social si re-examinan su situación socio-histórica y articulan discursivamente una nueva autoridad basada en la aptitud y no en la recapitulación compulsiva de las estructuras tradicionales de poder.

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EF Vol. 29:1:09 - Au-delà des renforcements intrinsèques: les relations émotionnelles des enseignants avec leurs élèves

Le renouvellement de la profession enseignante : tendances, enjeux et défis des années 2000, Volume XXIX , No 1, printemps 2001.

Au-delà des renforcements intrinsèques : les relations émotionnelles des enseignants avec leurs élèves (1)

Andy HARGREAVES, Professeur, directeur du ICEC International Centre for Educational Change Ontario Institute for Studies in Education University of Toronto (Ontario) Canada.

Table des matières

■ Résumé Abstract Resumen ■ Introduction ■ Renforcements intrinsèques et relations émotionnelles ■ Les émotions au primaire ■ Les émotions au secondaire ■ Émotion mixte

❍ Les renforcements intrinsèques ❍ Les émotions du secondaire ❍ Les émotions au primaire

■ Conclusion ■ Bibliographie ■ Notes

Résumé

Les enseignants ne travaillent ni pour l'argent, ni pour les vacances. Malgré toutes les contraintes du métier, en définitive, les enseignants oeuvrent pour les enfants. Ce sont les enfants et la vie de la classe qui constituent la récompense primordiale des enseignants; parfois c'est souvent même la seule. Ce fait est soutenu par cette recherche. En effet, l'auteur étudie la relation pédagogique, telle que perçue par les enseignants, et ce que les enseignants du primaire et du secondaire en retirent. Ce sont les émotions associées et produites par l'enseignement, ainsi que leurs effets sur l'enseignement, qui sont au centre de l'étude. Celle-ci s'appuie sur trois enquête réalisées par entrevues auprès d'enseignants ontariens du primaire et du secondaire. L'analyse révèle que les enseignants valorisent beaucoup la relation affective avec leurs élèves et l'attachement ressenti de part et d'autre; ils estiment qu'une compréhension emphatique des élèves est un ingrédient essentiel d'un bon enseignement et que les émotions doivent être reconnues et intégrées. De plus, la dimension affective influence l'enseignement dispensé, sa planification et sa structuration. Enfin, l'étude met en lumière des différences significatives dans la place faite aux émotions entre l'ordre primaire et l'ordre secondaire.

Abstract

Teachers do not work for the money or for the vacation time. In spite of all the constraints of the teaching profession, when all is said and done, teachers work for the students. For teachers, the children and the life in class are the most important rewards, and at times they may be the only reward. This finding is supported by this research paper. More specifically, the author examines the teaching relationship as it is understood by teachers, and what primary and secondary school teachers gain from it. The emotions associated with and produced by teaching, as well as their effects on teaching, are at the centre of this study. The research is

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EF Vol. 29:1:09 - Au-delà des renforcements intrinsèques: les relations émotionnelles des enseignants avec leurs élèves

based on three surveys carried out by means of interviews with primary and secondary school teachers in Ontario. The analysis shows that teachers place a high value on the emotional relationship with their students and the attachment felt by both parties; they consider that an empathic understanding on the part of the students is an essential ingredient of good teaching, and that emotions should be recognized and integrated. Moreover, the emotional dimension has an influence on teaching, as well as its planning and structure. Finally, the study examines the significant differences between the importance given to emotions at the primary and secondary levels.

Resumen

Los maestros no trabajan por el dinero o por las vacaciones. A pesar de todas las obligaciones propias del oficio, definitivamente los maestros trabajan por los niños. Son los niños y la vida en el salón de clases que constituye la recompensa primordial de los maestros; incluso a veces es la única recompensa. Este hecho ha sido corroborado por la investigación. En efecto, el autor estudia la relación pedagógica tal y como la perciben los maestros y lo que los maestros de primaria y secundaria obtienen. Son las emociones asociadas y producidas por la enseñanza, así como su efecto sobre la enseñanza, lo que constituyen el núcleo del estudio. Se apoya en tres encuestas realizadas mediante entrevistas entre los maestros de primaria y secundaria de Ontario. El análisis muestra que los maestros valorizan la relación afectiva con sus alumnos así como el apego mutuo; consideran que una comprensión enfática de los alumnos es un ingrediente esencial de una buena enseñanza y que las emociones deben ser reconocidas e integradas. Además, la dimensión afectiva influye la enseñanza dispensada, su planificación y su estructuración. Finalmente, el estudio destaca las diferencias significativas del lugar que ocupan las emociones en los niveles primario y secundario.

Introduction

Les enseignants n'enseignent pas pour l'argent. Quelques-uns disent que les vacances ne les retiennent pas non plus dans leur emploi. En dépit d'insupportables charges de travail, des pressions externes, des changements déraisonnables d'agendas et de toutes les autres insatisfactions qui empoisonnent leur travail, finalement, les enseignants font ce qu'ils font pour les enfants. Ce sont les enfants et la vie de classe qui rendent l'enseignement valorisant, fournissant la principale et parfois l'unique source de renforcements du travail des enseignants. Ce n'est pas seulement une banalité du métier. Une recherche influente est là pour le prouver.

Mais qu'en est-il si, quand on demande aux enseignants ce qui les satisfait en général ou leur rapporte des renforcements, ils exagèrent l'importance de leurs élèves ? Qu'en est-il s'ils renchérissent sur la perfection et donnent des réponses qui se caractérisent autant par la convenance professionnelle que par n'importe quoi d'autre ? Après tout, combien de professionnels, de tous genres, admettraient officiellement que leurs clients les mettent en colère et que ce n'est parfois pas très satisfaisant de traiter avec eux ? Peut-être que de questionner directement les enseignants sur les renforcements et satisfactions crée des portraits excessivement positifs de leurs relations avec les élèves - sous-estimant les difficultés, les dangers et les éléments insatisfaisants qui imprègnent aussi ces rapports.

Ce texte aborde donc l'étude des rapports perçus entre les enseignants et leurs élèves et, d'un autre côté, ce qu'ils en retirent. Il aborde la question des émotions reliées à l'enseignement en classe - un sujet pour lequel Peter Woods (en l'honneur duquel j'écris ce livre) a manifesté un intérêt nouveau et exceptionnel au cours des dernières années (Woods et al, (1997); Woods et Jeffrey (1996); Woods (1993), (1995); Jeffrey et Woods (1996)), un intérêt de longue date, inhérent à toute une carrière vouée à l'étude de l'identité et de la vie des enseignants (e.g. Sikes, Measor et Woods (1985)).

Sous plusieurs égards, l'analyse de Woods sur les émotions des enseignants en classe repose sur les fondements classiques du Schoolteacher de Dan Lortie qui souligne l'importance capitale des renforcements intrinsèques ou affectifs que les enseignants ont récoltés de leur travail et de leurs relations avec les élèves et qui ont été pour eux des sources importantes de satisfaction et de motivation. Dans ce chapitre, j'examinerai comment la recherche de Woods reproduit et enrichit l'analyse initiale de Lortie des renforcements intrinsèques génériques de l'enseignement. Deuxièmement, puisant dans trois de mes propres études sur l'enseignement, respectivement dans les écoles primaires et secondaires, je me positionnerai au-delà du travail de Lortie et de Woods et indiquerai comment ces renforcements intrinsèques en apparence universels sont en réalité façonnés de façon très différente dans les deux secteurs - de manières qui ne sont pas toujours bénéfiques pour les élèves.

Renforcements intrinsèques et relations émotionnelles

Avec sa fructueuse étude des enseignants et de l'enseignement menée à la fin des années 1960, Dan Lortie

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EF Vol. 29:1:09 - Au-delà des renforcements intrinsèques: les relations émotionnelles des enseignants avec leurs élèves

(1975) est devenu l'un des premiers auteurs et chercheurs à accorder un intérêt approfondi aux aspects affectifs de l'enseignement. 76 % des enseignants qu'il a interviewés ont désigné les renforcements intrinsèques comme principale source de satisfaction, comparativement à un faible 12 % qui mentionnaient les renforcements extrinsèques, comme la paie, et un autre 12 % qui choisissaient les renforcements auxiliaires, comme les heures de travail qui concordent avec les exigences de la vie familiale (p. 104). Ces renforcements intrinsèques impliquaient de parvenir à « rejoindre » les élèves et de les aider à réussir. Elles découlaient du bienfait moral qui attirait les gens dans l'enseignement, et d'une structure d'enseignement dans laquelle les enseignants pouvaient mieux concentrer leurs énergies, là où ils sentaient qu'ils pourraient faire une différence, c'est-à-dire dans les salles de classe.

Les renforcements intrinsèques de l'enseignement étaient de trois types. D'abord, ils impliquent l'obtention des résultats sur le plan moral avec les élèves : tenter d'en faire de bons citoyens; d'insister sur la bonne citoyenneté; de les préparer pour la vie de façon à ce qu'ils soient prêts à vivre en société (p. 112). Ensuite, les renforcements sont venus de l'attachement des élèves à l'école et à l'apprentissage : de leur faire aimer l'école; brûlants du désir d'apprendre de nouvelles choses; de développer intérieurement un amour d'apprendre; et de les faire réfléchir par eux-mêmes (p. 114). Enfin, les renforcements intrinsèques se sont multipliés, tous les élèves en bénéficiant, et pas seulement un petit nombre d'entre eux : arriver à faire lire chaque enfant du mieux qu'il peut; ou les rejoindre tous les trente par exemple (p. 115).

Le gain des renforcements intrinsèques parmi les enseignants de Lortie était plus évident lorsque les enseignants avaient des succès spectaculaires, changeant les élèves du tout au tout (p. 123), quand les diplômés leur rendaient hommage et les remerciaient pour leur influence (p. 123), et quand leur travail était rendu visible et reconnu par d'autres à travers des présentations et des expositions publiques (p. 125). Dans tous ces cas, quand les élèves démontraient de l'affection et du respect envers leurs enseignants, et montraient qu'ils appréciaient leur apprentissage, c'était une source de renforcement pour les enseignants - d'avoir cette affection et de savoir qu'ils avaient atteint leurs buts (p. 120) « Psychic rewards », conclut Lortie :

« rotate around classroom events and relationships with students; the cathexis of classroom life undertakes much of what teachers feel about their works » (p. 187).

Toutefois, on ne peut jamais prendre pour acquis ces renforcements, ni présumer de leur durabilité - la non-conformité, le manque d'enthousiasme et l'échec des élèves rappellent constamment aux enseignants que leur travail demeure inachevé (p. 116).

Ailleurs, dans un langage différent, d'autres études ont démontré que les plus importants renforcements de l'enseignement proviennent des élèves en classe. C'est de là que découle la satisfaction de l'enseignant (Nias (1989); Dinham et Scott (1997)). Les enseignants du primaire en particulier prétendent non seulement avoir l'affection des élèves mais, dans plusieurs cas, affirment même qu'ils les aiment (Nias (1989); Hargreaves (1994)). Les enseignants sentent que leur travail et leur valeur sont définis, à bien des égards, par les élèves à qui ils enseignent - surtout ceux qui enseignent aux élèves des classes moyennes qui ont du succès, ressentant en général davantage de renforcements que les enseignants des écoles urbaines dont la réussite scolaire des élèves est plus souvent une lutte (McLaughlin et Talbert (1993)).

Dans l'une de ses études sur l'enseignement au primaire, Woods approfondit l'analyse et l'illustration des renforcements intrinsèques des enseignants en examinant leur façon de décrire et d'évaluer les aspects émotifs de l'enseignement et de l'apprentissage (Woods et Jeffrey (1996)). Il démontre :

How they work affectively to be more effective in the learning situation. They generate relationships that feature excitement, interest, enthusiasm, inquiry... discovery, risk-taking and fun... The cognitive `scaffolding' is held together with emotional bonds (Woods et Jeffrey (1996, p. 71)).

Woods et Jeffrey décrivent comment leurs enseignants éduquent leurs enfants en tant que personnes, mettant l'emphase sur les habiletés de la vie, la communication et le respect mutuel plutôt qu'uniquement sur la dimension cognitive des élèves; ils mettent en relief l'importance d'établir des liens affectifs avec leurs élèves en les traitant comme des sujets émotifs, en développant des relations et en étant compréhensifs, et en s'occupant des aspects émotifs de l'apprentissage en classe. Leur étude ajoute une texture émotive et la richesse de la voix des enseignants du primaire à l'analyse plus concise des renforcements intrinsèques apportée par Lortie.

Mais est-ce que tous les enseignants sont aussi affectueux et attentionnés que les enseignants du primaire particulièrement « créatifs » que Woods et Jeffrey ont choisi d'étudier ? Les renforcement intrinsèques des enseignants du primaire moins « créatifs » sont-ils façonnés différemment ? Est-ce que les renforcements intrinsèques des enseignants du secondaire semblent différents, en termes émotifs, que ceux de leurs collègues du primaire/élémentaire ? À quoi ressemblent les renforcements intrinsèques des enseignants lorsque nous nous y penchons plus soigneusement - et pouvons-nous assumer que les élèves en bénéficient toujours ?

Pour examiner ces résultats de manière plus approfondie, je puiserai maintenant dans trois de mes propres

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études dans lesquelles les émotions reliées à l'enseignement ont joué un rôle important - toutes trois menées en Ontario, Canada. Pour la première étude, 32 enseignants de 7e et 8e années (correspondant à la fin des études élémentaires au Canada) ont été interviewés, provenant de 16 écoles différentes et qui avaient été identifiés comme ayant un engagement sérieux et soutenu envers l'obtention de résultats au niveau de l'apprentissage général, des programmes intégrés et des formes alternatives d'évaluation et des bulletins. L'étude a déterminé comment les enseignants interprétaient et exécutaient ces changements pédagogiques dans leurs classes (pour plus de détails méthodologiques et des dates plus complètes, voir Hargreaves (1998); Hargreaves et Earl (sous presse)). L'importance de l'influence des émotions des enseignants sur leur enseignement et des changements qu'elles y ont apporté est rapidement devenue évidente quand on a analysé les données de manière rigoureuse. La seconde étude impliquait la cueillette des données d'entrevue d'enseignants représentatifs d'environ une douzaine d'enseignants dans chacune des quatre écoles secondaires impliquées avec mes collègues et moi dans un projet d'amélioration scolaire. Une partie de l'entrevue mettait l'accent spécifiquement sur comment les enseignants prenaient soin des émotions des élèves dans leurs classes et sur les méthodes utilisées pour stimuler la réussite des élèves. Les données provenant de l'une de ces écoles sont relatées ici. La troisième étude, se concentrant directement sur les émotions de l'enseignement et les changements en éducation, se base sur un échantillon mixte de soixante enseignants d'écoles primaires et secondaires. Cet article analyse trente réponses des enseignants à l'une des questions de l'entrevue qui leur demandait de décrire les incidents positifs et négatifs qu'ils avaient vécus avec les élèves sur le plan émotionnel. La comparaison des données de ces études permet d'établir plus fermement quels points communs et quelles différences existent dans l'ensemble des renforcements intrinsèques des enseignants, à la fois entre et au sein des communautés des écoles primaires et secondaires.

Les émotions au primaire

Notre analyse des enseignants des 7e et 8e années a révélé que le changement en éducation a modifié les réactions émotives des enseignants face aux structures, pratiques, traditions et routines de leurs vies professionnelles, de telle sorte que ce changement est apparu à travers les sentiments des enseignants envers leurs élèves. Ces derniers étaient au coeur de leur enseignement et des raisons pour lesquelles ces enseignants divergeaient par rapport aux normes d'éducation. Les desseins ou les buts sociaux affectifs que les enseignants avaient pour les enfants et les liens affectifs ou les relations que les enseignants ont établis avec eux étayaient virtuellement tout ce que les enseignants faisaient d'autre.

Les données de cette étude ont été relatées ailleurs dans leur totalité (Hargreaves (1998); Hargreaves et Earl (sous presse)), aussi un sommaire des conclusions clés suffira à ce stade.

● Les enseignants valorisent leurs relations émotionnelles et leurs rapports avec les élèves - ils ont aimé et se sont même attachés à leurs élèves, ils ont apprécié ceux qui sont revenus les remercier pour ce qu'ils avaient fait, et ils ont pris un grand plaisir à aider les élèves en difficultés à réussir.

● Les enseignants avaient des visées socio-affectives pour leurs élèves. Ils se sont vus eux-mêmes comme des citoyens en développement et non seulement dans leur dimension cognitive d'élèves. En classe et dans les programmes, ils ont insisté sur l'importance des tolérances multiculturelles, même dans les écoles qui comptaient en majorité des élèves blancs, d'intégrer avec succès dans les groupes réguliers des élèves qui ont des besoins particuliers, et sur les bénéfices du travail de groupe sur la collaboration et le sentiment d'appartenance.

● Les enseignants ont valorisé l'établissement de liens affectifs étroits avec tous leurs élèves - ce que Denzin (1984) appelle la compréhension émotionnelle - comme un fondement pour un apprentissage et un enseignement réussis (et pas simplement comme un moyen de prévenir ou de faire face aux crises personnelles des enfants).

● Les buts, les rapports et les liens affectifs que les enseignants ont valorisés dans leur relation avec les élèves ont imprégné tout ce qu'ils ont fait - ainsi en est-il de leurs propres besoins intenses de se sentir émotivement engagés et stimulés par leur enseignement.

● Les préférences des enseignants en regard des structures scolaires, par exemple, ont été grandement influencées par leurs propres orientations émotives. Par exemple, ils préféraient les structures de groupes stables (plutôt que l'enseignement spécialisé et fragmenté) qui prolongeaient leur temps passé avec les élèves et augmentaient l'éventail de leurs responsabilités, de telle sorte qu'ils ont pu « rouler » avec les projets et « suivre le flot » dans leurs classes, suivant l'élan d'intérêt et d'apprentissage. Quelques-uns ont aussi préféré suivre leurs élèves d'un degré à un autre « parce que vous les connaissez tellement bien, vous connaissez leur humeur » et leurs familles, et « vous pouvez commencer tout de suite avec eux en classe ».

● Les préférences pédagogiques des enseignants étaient aussi influencées émotivement. Les enseignants ont employé une gamme de stratégies extrêmement vaste pour tenter « d'atteindre » les élèves de toutes les façons qu'ils le pouvaient. À tout moment, leur choix de méthodes était aussi établi par ce qu'ils pressentaient être les besoins de leurs élèves, aussi bien intellectuellement qu'émotivement - s'impliquant

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activement, faisant de la classe un lieu rassurant où ils se sentent en sécurité, créant une base de sécurité dans laquelle on pourrait plus aisément prendre des risques, etc. Il est important de souligner que ces stratégies incluaient aussi un enseignement « traditionnel ». Peu d'enseignants, voire aucun, étaient de grands timides, de simples « guides parallèles ». Ils aimaient être vus, être entendus et bouger. Ils n'avaient pas honte d'aimer exposer à l'intérieur des répertoires de stratégies d'enseignement extrêmement vastes qu'ils maîtrisaient.

● La planification des enseignants était aussi bien rationnelle qu'émotionnelle. Comme l'évoque l'origine latine du mot « émotion » - emovere (faire sortir, agiter) - ils ont rendu leur planification dynamique, impliquant les élèves et les collègues dans le développement d'unités d'étude où les idées reposaient sur les épaules de chacun, « rebondissant » de l'un à l'autre, « se faufilant » de tous côtés, « tournant » de l'un à l'autre dans une « pagaille générale » comme dans « une machine à boules ». Les enseignants demeuraient conscients des aspects rationnels de la planification, étant soucieux des objectifs et des résultats des programmes et y revenant - mais ils n'ont pas laissé cet aspect détruire l'improvisation « énergisante » et le « flot » d'un processus de planification efficace.

Les données de cette étude des 7e et 8e années projette le sens des renforcements intrinsèques au-delà des clichés, des sermons et des banalités au sujet de l'éducation des enfants. Dans cette étude, non seulement les enseignants ont accordé une grande importance émotionnelle à l'enseignement et à l'apprentissage, mais aussi (encore plus que dans l'étude de Woods et Jeffrey (1996)), les buts et les liens émotifs des enseignants avec leurs élèves ont modelé et remodelé tout ce qu'ils faisaient - leur façon d'enseigner, leur façon de planifier et les genres de structures qu'ils préféraient. De manière importante, ces enseignants ont semblé tirer leurs satisfactions émotives et leurs renforcements intrinsèques non seulement des meilleurs élèves et de ceux qui réussissent le mieux, mais aussi des élèves de toutes les origines, tempéraments et capacités - même « les enfants infernaux! », comme les avait baptisés une enseignante d'une classe particulière à laquelle elle avait enseignée.

Il y avait des indices ailleurs dans ces commentaires d'enseignants, bien que leur approche personnelle des émotions en classe n'était peut-être pas typique de celle de leurs collègues. Certains de leurs collègues du primaire avaient été dépeints comme étant plus égoïstes et moins centrés sur les besoins des élèves dans leurs attitudes face aux structures scolaires et à l'emploi du temps, par exemple : désirer se soustraire aux règlements; annuler les périodes libres et réintégrer leurs matières. Aussi, on s'inquiétait du fait que les enseignants du secondaire pourraient être moins attentionnés que ceux du primaire, moins susceptibles de veiller au bien-être de leurs élèves. L'une des enseignantes de Woods et Jeffrey (1996, p. 63) a comparé sa propre pratique émotive avec celle de ses homologues de l'école secondaire qui « n'ont pas une vision globale... qui n'ont pas le contact » et où « beaucoup de relations humaines sont perdues ». Et Lortie (1975, p. 119) lui-même a noté comment

[...] elementary teachers tend to use affectively hot terms such as `students adore her' or `students love her' (while) high school teachers [...] employ more restrained language, substituting words like `respect' and `estime'.

Afin d'examiner de telles comparaisons de manière plus complète, je me tournerai maintenant vers nos propres données du secondaire.

Les émotions au secondaire

Dans le cadre d'un projet continu d'amélioration en association avec quatre écoles secondaires d'un large district métropolitain, mes collègues et moi avons recueilli les données d'entrevue, avec jusqu'à douze enseignants dans chaque école, lesquelles incluaient les réponses aux questions concernant leurs sources de satisfaction et leur façon de veiller aux émotions des élèves dans la classe. L'une des écoles desservaient auparavant un petit village à la limite de la ville, mais au cours des dernières années, elle a été entouré par un nouveau développement domiciliaire et a connu l'affluence d'une population d'élèves beaucoup plus visiblement diversifiée. Les élèves avaient changé, mais le personnel était resté largement le même, avec une moyenne d'âge dans la quarantaine avancée, ce que les composantes de notre échantillon avaient reflété.

Quand on les questionnait de manière générale sur les sources de satisfaction dans leur travail, les enseignants de l'école, en faisant remarquer qu'ils tiraient leur plus grand plaisir de leur travail avec les élèves, ont reflété la littérature antérieure sur les renforcements intrinsèques et la satisfaction des enseignants. Ce qu'ils ont particulièrement aimé était :

● « la réaction des élèves »;● « de travailler avec les enfants - leur exubérance et leur enthousiasme »;● le fait qu'en éducation physique, « les enfants veuillent encore être actifs dans leur vie, ils veulent être en

forme »;● « la joie continuelle d'être autour de jeunes gens »;

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● « le contact avec les enfants (qui) brûlent du désir d'apprendre, et ils sont plaisants et ils apportent un tel enthousiasme à la vie »;

● « quand vous les motivez et changez un élève et que vous voyez la lumière dans leurs yeux, le concept atteint la cible »;

● et « les enfants - c'est le bien le plus important que vous possédiez ».

Comme un enseignant l'a plus longuement expliqué :

J'aime travailler avec les adolescents. Je ne peux m'imaginer faire autre chose. Je trouve cela vraiment stimulant et intéressant. J'aime travailler avec les élèves et les voir arriver en 9e année, par exemple, et ensuite, pendant les quatre ou cinq prochaines années, les voir devenir mâtures et tout à fait responsables.

Dans tous les cas sauf un, les élèves et l'émotion positive que beaucoup ont apportée avec eux en classe étaient la plus puissante source, et quelques fois pratiquement la seule source d'encouragement dans le travail des enseignants.

En outre, tandis que tous nos enseignants du secondaire ont affirmé qu'ils essayaient de prendre conscience et d'être sensibles aux émotions des élèves dans la classe, ils l'ont fait surtout quand ils sentaient que ces émotions pouvaient interférer dans l'apprentissage des élèves. Généralement, les enseignants ont essayé de tenir compte des émotions dérangeantes que les élèves amenaient en classe. Dans certains cas, les émotions étaient traitées comme des dispositions psychologiques générales qui avaient besoin d'être gérées pour que la classe puise devenir un environnement de travail. Une enseignante a fait allusion aux élèves qui étaient « surexubérants (rires), émotifs et d'ordinaire, il s'agit simplement de leur demander de se calmer ou quelque chose de ce genre ». Cependant, elle a aussi indiqué que c'était important de déterminer s'ils « sont vraiment surexubérants ou s'il y vraiment quelque chose qui ne va pas et qu'ils tentent de faire passer, parce qu'il y a un gros problème sous-jacent ».

Pourtant, quand nous fouillons plus profondément nos données, à l'intérieur de notre échantillon d'enseignants de 7e et 8e année, des modèles plutôt différents ont émergé parmi ces réactions émotives générales face aux élèves. Tout d'abord, les enseignants semblaient retirer leurs plus grands renforcements intrinsèques des élèves diplômés, plus âgés et plus aptes - les plus jeunes et moins motivés étant vus davantage comme un défi. Pour la plupart des enseignants, une si faible motivation était perçue comme étant établie extérieurement, non pas comme quelque chose qu'ils pourraient ou devraient développer eux-mêmes.

Être conscient des problèmes plus importants qui étaient inquiétants émotivement pour les élèves et qui dérangeaient la classe représentait quelque chose à laquelle les enseignants essayaient d'être particulièrement attentifs. Ils s'efforçaient d'être « conscients des sentiments (des élèves) et... de les aider à les gérer de manière positive ». Ce que d'autres enseignants ont aussi reconnu.

Je ne crois pas que vous puissiez enseigner sans prendre en considération que vous regardez trente personnes qui, à chaque jour, viennent tous d'un matin émotionnel différent. Quelque-uns viennent à l'école après avoir affronté beaucoup de problèmes à la maison. D'autres viennent affamés à l'école. Certains y arrivent avec d'autres choses en tête de telle sorte que l'apprentissage constitue la dernière chose à laquelle ils voudraient penser. Parfois, vous avez le sentiment que ce n'est qu'une mauvaise journée pour eux ou que, peut-être, ils viendront vous en parler dès le début de la classe : « J'ai vraiment une mauvaise journée; puis-je m'asseoir et faire ceci? »

Les enseignants étaient préparés à intervenir et à tenir compte individuellement de ces cas d'intrusions et de troubles émotifs (2).

Je suppose que cela dépend si nous savons que l'élève passe une mauvaise journée et que nous savons qu'habituellement ils ne sont pas dans cet état, auquel cas nous essaierions d'être compatissants et serions compréhensifs ou quelque chose comme ça et/ou (nous reconnaîtrions) que les élèves aiment toujours ça. Je suppose... bien, nous essayons simplement de traiter ça de la meilleure façon possible. Mais, vous savez, vous essayez de reconnaître les élèves en tant qu'individus, que ça leur soit typique ou non. J'encouragerai les élèves s'ils passent une mauvaise journée où ils sont définitivement dans les nuages, s'ils ne se sentent pas bien ou s'ils n'ont pas bien dormi la nuit précédente ou s'il y a un problème qu'ils ne peuvent pas me raconter au début du cours et je ne les inciterai pas à avoir un comportement actif autant que je l'aurais normalement exigé. Ainsi, ils peuvent dire ceci ou ils peuvent dire « aujourd'hui, j'ai besoin d'un jour de congé. J'ai juste besoin de m'asseoir. Ne me posez aucune question ». Et si cela arrive trop souvent, alors nous devons évidemment avoir une conversation à ce sujet. Peut-être que quelqu'un passe une mauvaise journée. S'ils peuvent le reconnaître, habituellement, cela dépend

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surtout de l'intuition de l'enseignant. S'il se passe quelque chose à la maison ou s'il y a quoi que ce soit d'autre dans leurs vies, alors vous vous dites, « O.K., écoutez, traitons de cela plus tard ou maintenant, comme vous voudrez ».

Ces réponses des enseignants sur leur façon de gérer les émotions de leurs élèves démontrent, d'une part, un effort des enseignants d'être attentifs aux états émotionnels des élèves, tandis que, d'autre part, ces problèmes émotifs sont considérés comme des bouleversements ou des déviations par rapport au déroulement normal de la classe. Les émotions en classe sont perçues comme des intrusions du monde extérieur - de la famille, de la vie familiale et personnelle - dans le cadre de l'apprentissage. Elles sont considérées comme des déviations par rapport aux journées normales, à l'âge normal ou aux niveaux académiques normaux. Ces normes sont utilisées pour édifier une compréhension émotive des élèves (bien que cela puisse souvent être, dans la pratique, de l'incompréhension émotive) (3). Comme un enseignant l'a remarqué :

Je vais devoir savoir le niveau d'âge auquel vous enseignez, lequel englobe le niveau émotif actuel et le niveau académique, parce que si un enfant a alors une mauvaise journée, vous pouvez comprendre que c'est typique d'un élève de quatorze ans, et que cela vous permet aussi d'adapter vos cours aux individus. Alors vous devez vraiment comprendre l'enfant.

On remarquent les émotions quand elles s'écartent de ce qui est « normal » au niveau académique et au niveau du développement. Ce sont des exceptions perceptibles, caractéristiques de « mauvaises journées » ou de journées durant lesquelles les élèves sont « dans les nuages ».

La solution à ces perturbations consiste à faire la part des choses et à s'ajuster aux individus, à essayer d'écouter et de comprendre, à les rencontrer individuellement avant ou après l'école ou pendant l'heure du dîner, à ne pas prendre de manière personnelle les accès d'émotions, « à trouver un beau petit endroit tranquille pour qu'ils se sentent confortables », et à essayer de gérer les problèmes émotifs en dehors du cadre d'apprentissage de la classe elle-même (dans une salle séparée et tranquille, par exemple). Derrière ces réponses d'enseignants, invisible et passé sous silence, apparaît l'environnement émotif stable de leurs classes et du processus d'apprentissage et d'enseignement lui-même. Il semble y avoir un code émotif implicite à l'enseignement au secondaire dans ces réponses où les émotions sont normalisées et neutralisées afin de rendre le processus pédagogique aussi souple et facile que possible pour les enseignants. On s'occupe de ces émotions quand elles empiètent sur ce code, menaçant de troubler l'ordre qu'il représente. Les émotions semblent menacer de noyer la classe ou de faire dévier la capacité des élèves d'en bénéficier - de sorte qu'on doit les tolérer, les gérer et s'en accommoder.

Dans l'ensemble, les classes sont perçues comme des arènes où les émotions des élèves sont gérées, non pas comme dans des endroits qui peuvent, qui devraient activement générer des genres particuliers d'émotions chez les élèves (soit positives ou négatives), par et pour eux-mêmes. Les enseignants ne se référaient que rarement au savoir de la classe et à l'école elle-même en tant que lieu qui était aussi responsable de la création d'émotions d'élève négatives ou comme endroit qui prenait ou devrait prendre la responsabilité de construire une émotion positive chez l'élève. Seulement deux enseignants ont reconnu que les problèmes émotionnels peuvent surgir chez les élèves, résultant de ce qu'ont fait l'école et les enseignants (et pas seulement à cause des facteurs externes dans la vie personnelle ou le foyer des élèves). Un membre du Comité scolaire d'amélioration de l'école a soutenu que beaucoup de ses collègues :

Ne s'attaquent pas aux (choses) du point de vue d'un élève. Dans beaucoup de cas, je pense qu'ils s'y attaquent du point de vue d'un enseignant, de telle sorte que si un enfant est frustré, ils sont frustrés, et je ne pense pas, dans certains cas, qu'ils savent comment les traiter.

L'un des enseignants-bibliothécaires a admis comment « dans la bibliothèque, vous devez être vraiment conscients des pressions subies par ces enfants pour remettre leurs devoirs à temps... durant la période d'examens ». Ainsi, « leurs émotions sont tout près, et peut-être que nous les voyons plus qu'ils ne les montrent à leurs enseignants ».

Ces enseignants, qui étaient davantage prêts à créer un climat émotif dans leurs classes de façon à ce qu'il soutienne les élèves, avaient des rôles spécialisés ou exceptionnels en comparaison avec le reste de l'échantillonnage - rôles qui tendaient à attirer leur attention sur les besoins émotifs de tous leurs élèves. Par exemple, les enseignants de l'éducation spécialisée, qui ont reconnu que « je ne suis pas sûr que certains de mes collègues seraient d'accord avec moi », ont dit qu'ils cherchaient à :

Procurer un niveau de confort à tout le monde. Si bien que, s'il arrive qu'ils n'aiment pas la matière que je leur enseigne, ils peuvent tout de même avoir envie de venir ici leurs 45 ou 75 minutes d'interaction leur seraient agréables et non pas quelque chose qu'ils doivent appréhender à chaque jour. Pendant de nombreuses années, j'ai débuté, dans n'importe quel groupe où j'enseigne, en disant comme préambule quelque chose à l'effet que les élèves sont plus

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importants pour moi en tant qu'individus qu'en tant qu'élèves en math, en sciences, en histoire ou en anglais, que je crois qu'à la fin d'un semestre j'ai accompli quelque chose avec ces élèves, que j'ai vu chez eux une croissance positive en tant qu'êtres humains. Et j'ai beaucoup plus de rapports avec eux en tant qu'êtres humains que comme élèves.

En général, cependant, procurer un support émotif supplémentaire aux élèves, non pas comme une attention exceptionnelle mais comme des processus incorporés aux routines de l'organisation de l'apprentissage en classe et de l'écoute de la voix des élèves, peut créer des problèmes aux enseignants qui organisent leurs classes et leurs relations avec les élèves de façon particulière. À cet égard, une personne interviewée a fait un commentaire sur la façon dont l'intérêt manifeste du nouvel administrateur concernant les élèves et leurs besoins avait provoqué des problèmes parmi les enseignants de ce type justement.

À certains égards, les choses ont changé, et je pense que l'administration écoute peut-être les enfants un peu plus qu'elle ne le faisant dans le passé. Je pense que certains enseignants se sentent menacés et sentent qu'ils ne reçoivent pas l'appui de l'administration. Ils veulent, vous savez ils veulent des règlements solides, et quand les règles doivent être détournées à cause d'une situation particulière, ils sont très malheureux.

Même quand on demande spécifiquement aux enseignants comment l'école encourageait les émotions positives comme la joie de vivre et le plaisir, tout ce qu'ils ont mentionné se situaient à l'extérieur des processus centraux d'apprentissage et d'enseignement en classe. Un enseignant a pensé que l'école n'avait pas réellement encouragé l'émotion positive, un autre a senti qu'il n'accordait pas une attention suffisante à de telles questions, et un troisième a été visiblement déstabilisé par la question. Les exemples que d'autres enseignants avaient relevés prenaient tous la forme de remise de prix dans l'ensemble de l'école, de cérémonies, d'événements sportifs, de rallyes, de compétitions de danse, de bulletins hebdomadaires et d'autres initiatives comme de la musique dans la cafétéria. Tandis que les rituels, les cérémonies et les célébrations sont certainement une part importante du développement et de la célébration des émotions positives dans toute vie institutionnelle - une façon pour que l'organisation rejaillisse de manières positive et valorisée sur ses membres - parmi les enseignants que nous avons interviewés, ils ne semblaient pas prendre place à l'intérieur même de la classe.

En définitive, cet échantillon d'enseignants du secondaire était indiscutablement « attentionné » envers les élèves et « très intéressé à » eux, et se plaignait rarement des élèves au salon des enseignants. De plus, tandis que les enseignants apparaissaient comme étant toujours prêts à tenir compte des élèves qui ont des problèmes personnels ou qui passent de mauvaises journées, ils ont fait peu de références au changement des processus fondamentaux en classe afin d'être plus sensibles aux desseins et aux besoins de tous les élèves ou d'être capables de créer des rapports positifs et des engagements par rapport au changement et à l'apprentissage. Les émotions semblaient être perçues comme une menace à l'ordre de la classe et de l'enseignement individuel - les influences dangereuses et dérangeantes qui se répandaient de d'autres aires de vie des élèves et que les enseignants devaient alors gérer. Repenser la vie et l'apprentissage en classe de façon à ce que ces choses puisent être plus positives émotivement pour tous les élèves, et s'enorgueillir davantage de la place donnée aux élèves, aux desseins et à la voix des élèves (desquels dépend partiellement l'émotion positive) ont été à peine mentionnés. C'est un portrait très différent des renforcements intrinsèques de l'enseignement et des émotions de la vie de la classe de celui fourni par les enseignants des 7e et 8e année dont nous avons discuté plutôt.

Mais est-ce que certaines de ces différences pourraient être attribuables au fait que l'échantillon des 7e et 8e années (comme celui de Woods et de Jeffrey) est celui d'un groupe hautement innovateur, d'enseignants d'avant-garde, tandis que l'échantillon du secondaire se concentre autour d'un groupe d'enseignants moins spectaculaires, en milieu ou en fin de carrière, dans un cadre plus conventionnel ? Est-ce que les données révèlent des différences dans les renforcements intrinsèques et les réactions émotives entre les enseignants conventionnels et ceux d'avant-garde plus qu'entre les enseignants du primaire et ceux du secondaire ? Pour établir une distinction entre ces possibilités, je me tournerai maintenant vers les données d'une troisième étude d'un échantillon d'enseignants du primaire et du secondaire plus large et plus varié.

Émotion mixte

Dans une récente étude par entrevues de 60 enseignants du secondaire et du primaire parmi 16 écoles réparties dans 4 districts scolaires, nous avons demandé de décrire de récents incidents avec les élèves qui ont eu des connotations émotives à la fois positives et négatives (4). Environ 30 enseignants de l'échantillon ont répondu directement à cette question (5). Parmi les incidents « négatifs », 16 enseignants du secondaire ont fourni des réponses utilisables (6 hommes, 10 femmes; 6 de plus de 40 ans, 10 de moins de 40 ans). Parmi les incidents « positifs », l'échantillon du secondaire était presque le même, excluant deux enseignants et en incluant deux nouveaux (i.e. 4 hommes, 12 femmes; 8 en haut de 40 ans, 12 en-dessous). Dans l'échantillon des enseignants du primaire, 14 enseignants ont fourni des réponses utilisables concernant les incidents « négatifs » (5 hommes, 9 femmes; 8 de plus de 40 ans, 6 de moins de 40 ans) et 15 au sujet des incidents « positifs » (5 hommes, 10

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femmes; 8 de plus de 40 ans, 7 de moins de 40 ans) (6). Par souci de brièveté, on a ici analysé leurs réponses de façon narrative au lieu de faire usage de plus longues citations. On accordera une attention particulière à trois questions :

1. d'abord, les contrastes et constances par rapport aux résultats originaux de Lortie sur les renforcements intrinsèques de l'enseignement;

2. ensuite, les renforcements intrinsèques acquis;3. et les réponses émotives faites aux élèves du primaire et du secondaire.

Les renforcements intrinsèques

Lortie a désigné trois façons par lesquelles les enseignants ont acquis des renforcements intrinsèques de leur travail avec les élèves : la satisfaction de voir des diplômés qui sont revenus remercier leurs enseignants; les prestations publiques et les célébrations; et les succès spectaculaires avec certains élèves. Seulement l'une d'entre elles était étayée par ma propre analyse de l'émotion positive chez les enseignants. Uniquement deux des 30 incidents qui ont stimulé l'émotion positive parmi les enseignants de l'étude étaient des cas de diplômés - les deux cités par des enseignants masculins du secondaire plus âgés qui faisaient référence aux élèves qui étaient revenus remercier leurs enseignants de leur aide professionnelle et personnelle et pour les avoir efficacement préparés pour l'université. D'autres enseignants du secondaire - six d'entre eux - ont mentionné des manifestations de reconnaissance, de respect, d'appréciation et de gratitude qui étaient beaucoup plus directes, et moins différées que dans l'étude de Lortie. Ces enseignants appréciaient quand les élèves leur disaient régulièrement « Bonjour! » dans les corridors et leur montraient qu'ils les aimaient en les remerciant et en leur apportant des cadeaux pour avoir fait quelque chose de spécial, comme de permettre aux élèves de cuisiner pendant un cours d'anglais, quand ils étaient respectés par les élèves plus âgés dans un autre rôle en dehors de la classe, comme en athlétisme, (même quand il y avait de la bisbille dans leur relation) ou quand les élèves montraient spontanément qu'ils allaient s'ennuyer des enseignants qui les quittaient, par des affiches démontrant ce fait, par exemple. Les enseignants du secondaire de mon étude, comme ceux de Lortie, présentent des réactions positives face aux élèves davantage à travers un langage réservé de reconnaissance et de respect que par le langage de l'amour et de l'attachement. Mais cette gratitude n'était habituellement différée jusqu'à ce que les élèves aient quitté l'école, étant exprimée plus directement aux enseignants à l'école même. Ceci indique que la qualité de l'interaction et des commentaires directs de élèves envers leurs enseignants du secondaire (et par conséquent les rapports sur lesquels elles se basent) peut bien s'être améliorée depuis l'époque de Lortie.

Les célébrations et les performances publiques étaient une deuxième source de renforcements intrinsèques pour les enseignants de Lortie. Dans mon étude, ces genres d'événements étaient complètement absents en tant que sources d'émotion positive pour les enseignants. Quoiqu'ils puissent bien avoir été évalué par les enseignants, ils n'étaient clairement pas assez importants pour justifier leur présentation en tant qu'incidents produisant une émotion positive particulière.

Le troisième exemple des renforcements intrinsèques de Lortie - celui relatif aux spectaculaires cas individuels d'élèves difficiles ou exigeants qu'ils ont tant bien que mal réussit à changer complètement contre toute attente - a continué à être fortement représenté parmi les enseignants de mon étude. En effet, les cas spectaculaires étaient assurément la source d'émotion positive la plus fréquemment mentionnée parmi les enseignants du secondaire (la moitié de l'échantillon des enseignants) - qui, de façon intéressante, étaient toutes des femmes, en grande partie en milieu ou en fin de carrière. Les enseignants du primaire ont aussi fait allusion à sept cas spectaculaires de ce genre. Parmi les deux secteurs, ces cas incluaient l'enseignement d'habiletés utiles de la vie à un élève désavantagé; aider un élève difficile par la production d'une pièce de théâtre hasardeuse mais couronnée de succès; donner à un élève qui échouait auparavant la rare consécration d'une note parfaite; encourager les élèves à prendre leurs responsabilités pour solutionner un problème majeur en classe et les voir réussir; être assez perspicace pour identifier un élève avec une difficulté d'apprentissage et ensuite modifier avec succès son développement; regarder une élève qui manque de confiance en lui étendre ses ailes et décider, après beaucoup de tergiversations, de quitter l'école pour l'université; stimuler un élève de la maternelle pour qu'il s'entête à apprendre à écrire son nom et voir le plaisir que cela lui procure de réussir; voir des élèves tirer profit de leur persévérance; motiver un enfant insécure et moins apte à réussir en mathématiques; et, après un travail de consultation considérable avec les parents et un travailleur social, réussir à intégrer avec succès un enfant qui avait été abusé sexuellement dans un cours sur l'abus sexuel - au point où sa participation mâture a influencé le reste de la classe. Comme dans l'étude de Lortie, il semble que, tandis que les enseignants dépensent leurs énergies dans leurs classes, ils continuent d'investir leurs espoirs dans les individus.

Une nouvelle source d'émotion positive dans ma propre étude, qui n'était pas tellement explicite dans l'examen des renforcements intrinsèques de Lortie, était la satisfaction que les enseignants ont retirée des rapports en classe intenses et réconfortants - spécialement dans les écoles primaires (7 mentions, comparativement à 3 au niveau secondaire). Je développerai le discussion autour de cette question dans la section qui se rapporte aux enseignants des écoles primaires. Le point qui devrait être réaffirmé ici est que, par rapport au moment où l'étude de Lortie a été faite, les enseignants, spécialement au niveau primaire, semblent aujourd'hui retirer, à l'intérieur de leurs propres classes, du plaisir, des émotions positives et des renforcements intrinsèques de leurs rapports

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immédiats, et non pas des rapports différés, avec les classes (en tant que groupe, et non pas en tant qu'individu).

Cependant, quelques-unes des différences entre les résultats de cette étude et celle de Lortie pourraient aussi être imputables à au moins deux différences-clés de méthodologie et pas seulement de changements apparus au fil du temps. En premier lieu, Lortie a déduit la nature des renforcements intrinsèques de l'enseignement en questionnant directement les enseignants sur les moments de fierté de leur travail. Dans ma propre étude, cependant, quand on leur a demandé de nommer spontanément les émotions positives qu'ils ont expérimentées avec leurs élèves, seulement un enseignant sur cinq a nommé la fierté. Les enseignants du secondaire ont principalement parlé d'un sentiment de reconnaissance, de respect, de notoriété et de valorisation, tandis que ceux du primaire ont semblé spécialement utiliser un langage plutôt généralisé et incontestablement pauvre concernant l'émotion positive, exprimé par des mots comme « bon », « bien » et « positif ». Réclamer des enseignants qu'ils discutent uniquement d'une émotion peut, dans un sens, produire une sous-estimation de la gamme des renforcements intrinsèques que les enseignants retirent de leur travail. En deuxième lieu, tandis que la majorité de l'insatisfaction des enseignants de Lortie semblait provenir de l'extérieur de la classe, une stratégie qui consiste à questionner les enseignants directement sur les émotions négatives avec les élèves, comme c'est le cas dans cette étude, peut susciter des réponses moins circonspectes et moins « correctes professionnellement ». Certes, les enseignants de mon échantillon n'avaient pas la moindre difficulté à identifier et à discuter des exemples d'émotions négatives résultant d'incidents avec des élèves qui, au moins un certain nombre d'enseignants l'ont dit, arrivaient fréquemment ou tout le temps. Nous verrons ensuite précisément comment le paysage de l'émotion négative et positive dans la relation avec les élèves est configuré parmi les enseignants du primaire et du secondaire.

Les émotions du secondaire

En général, les conclusions de cette étude présentent les classes du secondaire comme des endroits où il manque une intensité émotive - du moins, du point de vue des enseignants. Comme dans l'étude de Lortie, nous avons déjà vu que les enseignants étaient plus susceptibles de décrire leurs rapports avec les élèves en termes de reconnaissance et de respect plutôt qu'en termes d'amour et d'attachement. D'autres illustrations ont confirmé cette tendance.

D'abord, seulement les enseignants du secondaire (par rapport à ceux du primaire) ont mentionné, comme source d'émotion positive, le fait de voir les élèves sous un nouveau jour, en dehors de leurs propres classes (il y avait trois cas de la sorte). Réciproquement, bien sûr, ceci a aussi entraîné les élèves à voir leurs enseignants sous un éclairage nouveau. En voici deux exemples.

J'avais un élève l'année dernière qui n'était pas particulièrement motivé en classe. Depuis quelque temps, j'avais affaire à lui en tant que membre d'une équipe d'athlétisme. En tant qu'athlète, il est une personne très différente de ce qu'il est comme élève en classe. Interagir avec l'individu dans un contexte différent peut être très positif. Comme élève de la classe, la personne peut être très turbulente. Comme athlète, elle peut être un individu très positif... Si la priorité d'une personne ne correspond pas à ce qui se déroule dans votre classe, cela peut être très frustrant. Vous sortez de la classe et vous traitez avec les mêmes individus là où se trouve leur champ d'intérêt, vous pouvez remarquer, dans ce domaine, que ce qu'ils recherchent n'est que le succès dans quelque chose de différent, et cela vous donne un éclairage beaucoup plus positif de cet individu dans ce contexte différent. Dans le cours d'art (dans lequel cet enseignant en mathématiques remplaçait alors que l'enseignant était absent), je lui ai montrée comment faire le devoir de mathématiques (pour lequel elle avait imploré que l'enseignant l'aide)... La plupart du temps, c'est surtout une interaction avec les élèves en-dehors de la classe sur une base d'égal à égal ou dans un petit groupe. Vous les voyez à la cafétéria où je ne dois pas toujours être leur enseignant, en charge de la discipline à l'intérieur de la classe. Je peux me détendre un peu et aussi les voir sous un éclairage différent.

Dans ces trois cas, on fait allusion au fait que les enseignants du secondaire sentent qu'ils ne connaissaient pas les élèves ou que ces derniers ne les connaissent pas bien - ces classes du secondaire ne sont pas des lieux où les enseignants développent des buts sociaux affectifs communs avec leurs élèves ou ont des liens affectifs étroits ou des relations avec eux. Bien sûr, cela signifie que les enseignants ne sentent pas non plus que leurs élèves les connaissent en tant que personnes sensibles, morales, et ceci est une grande source d'émotion négative pour eux - celle qui est la plus fréquemment mentionnée par les enseignants du secondaire dans notre échantillon (8 mentions).

Dans ces cas, les enseignants se plaignent d'être incompris, injustement accusés, traités comme un stéréotype, et de n'être par reconnus. Les exemples incluaient des cas d'élèves surpris pendant une conversation au cours de laquelle ils faisaient référence (de manière fautive) à un enseignant considéré comme homosexuel à cause de son rire très aigu; d'enseignants accusés d'être des « rats » parce qu'ils avaient révélé par inadvertance des confidences d'élèves à d'autres enseignants ou à des membres de leurs familles; d'enseignants accusés injustement de s'en prendre à des élèves alors qu'ils essayaient de les aider; d'enseignants accusés de racisme

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pour ne pas avoir permis à un élève qui traîne dans le corridor d'être exempté de la classe quand il avait déjà un dossier pour avoir rôder autour de l'école; d'élèves qui s'attendaient à ce qu'on leur enseigne comme à la maternelle et qu'on écrive les réponses au tableau pour qu'ils les copient; d'enseignant traité non pas comme un professionnel engagé, mais comme n'importe quel enseignant type, dont les efforts ne méritent aucune reconnaissance spéciale.

De façon intéressante, à l'exception d'un cas (le prétendu homosexuel), tous ces exemples de non reconnaissance des enseignants en tant qu'individus ont été mentionnés par des femmes enseignantes. Aussi, dans notre étude, aucun exemple de manque de reconnaissance, comme cause d'émotion négative, n'a été mentionné par les enseignants du primaire. En outre, tandis que seulement un enseignant du primaire a fait allusion, même vaguement, à des expériences avec des élèves en dehors de la classe comme étant une cause d'émotion positive pour eux, ceci était un modèle courant (n=6) parmi les enseignants du secondaire, et en effet tous les hommes enseignants au secondaire de notre échantillon citaient les expériences vécues à l'extérieur plutôt qu'à l'intérieur de la casse comme la source d'émotion positive dans leur interaction avec les élèves.

Avec Oatley (1991), j'ai soutenu que les mauvaises relations ou l'absence de relation sont l'une des causes des émotions négatives. Lorsque les buts de ces relations sont contradictoires, cela devient une autre source d'émotion négative. Selon notre argumentation, aux yeux des enseignants, les classes du secondaire apparaissent comme des endroits où de tels modèles et causes d'émotions négatives sont largement répandus. Les enseignants du secondaire se sentent souvent méconnus par leurs élèves; pour leurs collègues du primaire, leurs liens affectifs avec leurs élèves semblent plus distants qu'ils n'y paraissent en réalité; et leurs intentions sont souvent éloignées de celles de leurs élèves, érigeant une barrière émotive entre eux. Les meilleures chances d'ouverture, d'atteindre l'élève et de développer une relation positive se réalisent en-dehors de la classe, où les enseignants ont la chance de voir leurs élèves et d'être vus par eux sous un éclairage nouveau. Les hommes semblent spécialement susceptibles d'acquérir leurs renforcements intrinsèques avec les élèves en-dehors des cours au secondaire et les femmes sont les plus susceptibles de réagir négativement à l'incompréhension de leurs élèves. De plus, les problèmes académiques d'apprentissage en classe provoquent plus souvent des émotions négatives plutôt que positives dans les cas des enseignants que nous avons étudiés.

Ce n'est pas que les enseignants du secondaire ne se préoccupent pas des élèves ou ne veulent pas de liens affectifs avec eux. Ce problème semble plutôt se situer dans le modèle organisationnel bureaucratique et spécialisé dans la vie au secondaire qui rend très difficile la compréhension d'un lien affectif avec un grand nombre d'élèves dans le cadre du secondaire, où le contact avec eux est habituellement très fragmenté (Hargreaves (sous presse)). Le résultat est que, par rapport aux classes du primaire, celles du secondaire semblent manquer d'intensité émotive.

Les émotions au primaire

Les classes du primaire apparaissent sans aucun doute comme étant plus intenses que celles du secondaire. Dans notre étude, tous les incidents émotifs positifs mentionnés par les enseignants du primaire étaient ancrés en classe. En effet, les rapports à l'intérieur de la classe avec les élèves ont été une grande source d'émotion positive parmi les enseignants du primaire - étant rapportée plus fréquemment que tout autre facteur (7 fois). Les enseignants appréciaient le fait que leurs élèves s'ennuyaient d'eux quand ils étaient absents; d'être leur enseignant favori; d'avoir de petits groupes d'élèves plus âgés qui les accompagnaient volontairement pour travailler avec des groupes de maternelle; d'être aimés par les élèves; de profiter avec eux de l'humour et de la simplicité; et de créer une atmosphère générale dans laquelle ils font l'expérience beaucoup de « chaleureuses pagailles » avec leurs classes!

Cependant, si les rapports en classe étaient davantage valorisés comme source d'émotion positive chez les enseignants du primaire, cela ne signifie pas que l'enseignement au primaire était constamment défini par l'affection, la confiance et l'attention - comme pourrait le faire croire les stéréotypes populaires de la majorité de la littérature sur les enseignants du primaire (Elbaz (1990)). Comparés aux enseignants du secondaire, les enseignants du primaire de notre étude se sont révélés comme étant non seulement plus positifs émotivement dans la classe, mais aussi plus négatifs. Sous ces deux aspects, leurs classes sont plus intenses émotivement. Par exemple, tandis que seuls les enseignants du secondaire se plaignaient de ne pas être reconnus par leurs élèves, au moins quatre enseignants du primaire ont relaté des moments où leurs élèves les détestaient vivement. Dans ces cas, les élèves manquaient de courtoisie; ils imitaient les enseignants et répétaient leurs paroles devant d'autres enfants comme des perroquets; ils ont publiquement perdu confiance en la compétence de leur enseignant à les préparer de manière adéquate; ou ils ont dit effrontément à leur enseignante qu'ils la haïssaient.

Parce qu'il y a une plus grande différence d'âge, de grandeur et de raisonnements stratégiques entre les enseignants et les élèves dans les écoles primaires, les enseignants du primaire possèdent plus de pouvoir dans la classe et manifestent plus d'affection que leurs collègues du secondaire. En général, ce pouvoir n'est peut-être pas explicite et peut être demeuré tacite beaucoup plus que dans l'enseignement au secondaire, où l'on discute beaucoup plus ouvertement du comportement d'un élève, mais en dépit, ou peut-être à cause de sa nature plus latente, le pouvoir des enseignants est une composante particulièrement importante de la vie scolaire au primaire (voir aussi Hargreaves (1994)).

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Ceci est clairement illustré dans nos données sur la colère. Les enseignants du primaire ont décrit plus d'incidents où ils étaient en colère avec ou au sujet de leurs élèves que ne l'ont fait ceux du secondaire (7 contre 4). Ils se sentaient aussi frustrés plus souvent par leurs élèves (8 contre 5). Les enseignants du primaire se fâchaient contre des élèves qu'ils essayaient d'aider, mais qui avaient refusé de travailler dur et de coopérer et dont « les attitudes puent au nez »; contre un élève qui a insisté pour faire « sa propre affaire », ne se conformant pas aux règles qui s'appliquaient au reste de la classe; contre un élève qui se plaignait après tous les efforts que l'enseignante avaient faits pour amener sa classe dans une galerie d'art; contre l'élève qui se moquait et « répétait comme un perroquet » les paroles de l'enseignant en présence d'autres enfants; contre un élève difficile qui « refuse de faire sa part » quand plusieurs enseignants déploient leurs meilleurs efforts dans leur intérêt; contre un enfant de cinq ans qui déteste son enseignante et dit qu'il souhaite qu'elle meurt; ou contre un garçon qui a refusé d'aller au bureau du directeur tel que demandé avec comme conséquence que « vous ne pouvez pas faire autrement que de vous mettre en colère et vous agitez quand ces genres de choses se produisent ». En d'autres termes, la colère augmentait quand les élèves défiaient leurs enseignants et les humiliaient devant les autres ou faisaient défaut d'apprécier ou de réagir aux efforts quand les enseignants en avaient fait un peu plus pour eux.

De façon intéressante, contrairement à la littérature sur les genres et l'émotion qui soutient que les femmes sont moins susceptibles que les hommes d'exprimer leur colère (tendant plutôt à intérioriser leur colère en une dépression ou un sentiment de déception personnelle), dans cette étude, les femmes n'étaient pas moins susceptibles que les hommes d'exprimer leur colère relative à leurs élèves (Crawford et alii (1992)). Cette découverte quelque peu surprenante peut s'expliquer par le fait que, tandis que dans la société considérée dans son ensemble, les femmes occupent habituellement beaucoup plus de positions subalternes à l'intérieur des rapports de force, dans les classes des écoles primaires, le contraire est vrai. Dans sa recherche sur les émotions et le pouvoir, Kemper (1995) démontre que la colère est plus probable quand la cible de cette colère n'est pas dans une position qui peut menacer la personne, riposter ou lui faire du tort d'une autre façon - répondre à la colère par la vengeance. Par rapport à leurs homologues des écoles secondaires, les enseignants du primaire sont beaucoup plus fermement établis, du moins dans leurs classes, dans cette position micropolitiquement supérieure. Le fait que les enseignants du primaire, en particulier les plus âgés, étaient même plus susceptibles que leurs collègues du secondaire d'exprimer une émotion négative en rapport avec les problèmes de comportement de l'élève (11 enseignants contre 7) vient appuyer cet argument.

Conclusion

Les données de ces trois études confirment que les renforcements intrinsèques ou affectifs provenant du travail avec les élèves sont encore extrêmement importants pour les enseignants. Tout comme dans l'étude classique de Lortie, les enseignants retirent encore une grande satisfaction émotive des succès spectaculaires avec des élèves dont ils ont réussi à changer du tout au tout la vie et l'apprentissage. Ils ont aussi retiré du plaisir des élèves qui les remerciaient pour leurs efforts - mais par rapport à la période de l'étude de Lortie, maintenant, les enseignants n'ont pas à attendre que leurs élèves les quittent avant que cette reconnaissance ne leur parvienne enfin. C'est un indice plus qu'évident de la diminution du contraste émotif entre les enseignants et les élèves dans la classe même. Le renforcement intrinsèque additionnel que les enseignants du primaire ont spécialement mentionné dans ma propre étude (qui n'était pas mentionnée par Lortie), celui d'avoir des relations solides et satisfaisantes avec leurs élèves en tant qu'individus et en tant que groupes, met en évidence ce développement. Ces nouvelles sources de satisfaction peuvent aussi expliquer pourquoi les enseignants n'ont pas mentionné les célébrations et les présentations publiques comme sources d'émotion positive dans les études rapportées ici (7). À certains égards, il semble au moins que l'enseignement ait évolué émotivement depuis l'époque de l'étude de Lortie.

Le travail de Peter Woods, aussi bien que le mien rapporté ici, comme celui d'enseignants créateurs, innovateurs et d'avant-garde, a approfondi la compréhension des rapports émotifs des enseignants avec leurs élèves. Cela a permis de démontrer comment les enseignants de ce genre se préoccupent profondément de leurs classes. Ils valorisent pour eux l'établissement des buts socio-affectifs et se lient avec eux - et ces buts et ces liens imprègnent tout ce que ces enseignants innovateurs font en développant de larges répertoires de stratégies d'enseignement, en supportant les structures qui soutiennent leurs relations avec les élèves et en planifiant leur enseignement aussi bien émotivement que rationnellement. Mais les données provenant d'autres enseignants dont nous avons discutées ici suggèrent que l'intensité de l'attention et l'importance de l'émotion positive que les enseignants vont chercher et investissent dans leur relations d'apprentissage avec leurs élèves n'est pas constamment présente parmi l'ensemble des enseignants. Nous devrions alors prendre garde de considérer les voix émotives d'une minorité d'enseignants particulièrement créatifs ou attentionnés comme représentatives de la voix émotive de l'enseignement en général (Hargreaves (1996)). Il y a une plus grande diversité émotive dans l'enseignement que cela. Méthodologiquement, l'approche adoptée ici a permis non seulement une compréhension plus riche de la satisfaction des enseignants en classe, mais aussi d'exposer leurs insatisfactions.

Parmi les enseignants du secondaire, la tendance citée dans ce chapitre suggère que, alors que les enseignants sont généralement attentionnés envers leurs élèves, leurs classes manquent d'intensité émotive. Ils ont le calme nécessaire pour repousser et venir à bout de l'émotion négative qui menace de faire intrusion dans leurs classes,

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mais les classes ne sont pas des endroits où se développent des émotions émotives en elles-mêmes. C'est en dehors de la classe, et non pas à l'intérieur, que les enseignants du secondaire acquièrent la majorité de leurs renforcements affectifs et construisent des relations sérieuses avec les élèves. Dans leur classe, les enseignants se sentent souvent méconnus ou incompris par les élèves. Leurs buts et leurs intentions entrent souvent en contradiction avec ceux de leurs élèves. L'apprentissage académique est plus souvent pour eux une source d'émotion négative que positive. Les écoles secondaires peuvent ne pas être des déserts émotifs, mais leurs structures, leurs programmes, leurs buts et leurs pratiques semblent créer des environnements de classe qui sont plus arides sur le plan affectif qu'au primaire/élémentaire.

Comparativement au secondaire, l'enseignement primaire est imprégné d'une plus grande richesse émotive. Les enseignants attachent une grande valeur à leurs rapports avec les élèves qu'ils considèrent comme une source d'émotion positive, et prétendent tirer toute leur émotion positive des événements qui se produisent en classe. Cependant, l'enseignement au primaire n'est pas intense émotivement uniquement dans un sens positif. Sans se soucier de la mode et d'une façon de moins en moins contrastante par rapport aux données tirées exclusivement des enseignants d'avant-garde, l'enseignement au primaire, encore plus que l'enseignement au secondaire, est imprégné aussi bien par des émotions reliées au pouvoir que par de l'affection. Comme source d'émotion négative, les enseignants au primaire rapportent des événements où ils ont été activement détestés plutôt que ceux où ils ont été simplement méconnus; et ils sont beaucoup plus susceptibles que les enseignants du secondaire de signaler qu'ils s'étaient fâchés contre leurs élèves (et c'est vrai autant pour les femmes que pour les hommes). L'enseignement au primaire n'est pas simplement une question d'amour et d'attention; c'est aussi une question de pouvoir et de contrôle.

Les émotions sont exceptionnellement importantes dans l'enseignement - ce qui est évident dans les travaux d'écrivains comme Lortie et Woods et dans les données rapportées ici. Les enseignants d'avant-garde démontrent comment le fait de développer des rapports riches émotivement avec les élèves procurent une base solide pour un enseignement et un apprentissage vraiment réussis. Mais en général, l'enseignement au secondaire semble dépourvu de cette intensité émotive. Si les réformateurs s'inquiétaient réellement de la qualité de l'enseignement, ils feraient mieux de détourner leur attention de l'uniformité des programmes, des processus d'inspection, d'autres technologies de contrôle et des mesures de responsabilité pour développer des structures, des buts et des programmes d'enseignement au secondaire qui aideront les enseignants et les élèves à construire une compréhension émotive mutuelle plus solide sur laquelle peut véritablement reposer un enseignement réussi (Hargreaves (sous presse)).

Entre temps, nous devons être prudents pour ne pas être séduits par une illusion romantique voulant que parce l'enseignement au primaire est plus explicitement et intensément émotif, toute cette émotion est nécessairement une bonne chose. De mauvaises émotions d'adultes sont des armes dangereuses quand on leur laisse libre cours parmi les jeunes. En termes plus personnels, l'intelligence émotive, comme le soutient Goleman (1995), signifie être capable aussi bien de gérer ses propres émotions que de les exprimer, de telle sorte qu'elles n'échappent pas à notre contrôle - les programmes de perfectionnement des enseignants du primaire/élémentaire feraient bien d'y porter attention. Sur le plan politique, il y a peut-être encore davantage de travaux de réforme à effectuer afin de redistribuer le pouvoir dans les classes du primaire/élémentaire pour rendre les élèves plus responsables de leur propre apprentissage, de sorte que les enseignants qui sont attentionnés mais aussi contrôlants et qui veulent tout organiser eux-mêmes ne se sentent pas injustement blessés quand des élèves immotivés ne parviennent pas à apprécier leurs efforts « après tout ce qu'ils ont fait » pour eux.

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Notes

(1) Je remercie l'Université de Barcelone, où j'ai été enseignant-chercheur invité en novembre et décembre 1998, pour son support professionnel et financier, ce qui m'a donné l'opportunité et l'espace nécessaires pour développer l'analyse et la réflexion que met de l'avant cet article.

(2) Tous les enseignants, excepté un, ont fait de longs commentaires du genre de ceux énumérés ci-après - par souci de brièveté, seulement quelque-uns d'entre eux sont rapportés ici.

(3) Pour une élaboration des concepts de compréhension émotive et d'incompréhension émotive de Denzin (1984) appliqués à l'enseignement à l'intérieur d'une théorie globale de l'enseignement et des émotions, voir Hargreaves (sous presse).

(4) La méthode permettant d'obtenir les émotions rapportées en demandant aux personnes interviewées de décrire des incidents critiques négatifs et positifs découle de l'étude classique de Arlie Hochschild (1993) sur le travail émotif dans The Managed Heart.

(5) D'autres enseignants ont répondu à ces questions ailleurs dans l'entrevue - et leurs réponses sont présentement analysées - ou ont fourni des réponses qui étaient trop vagues pour une catégorisation significative.

(6) Dans l'échantillon scolaire général, on avait demandé aux administrateurs de chaque école d'établir un échantillon de 4 enseignants incluant ceux qui enseignaient à l'école pendant les plus courtes et longues périodes, un mélange d'enseignants qui favorisaient le changement ou qui y étaient sceptiques, une représentation des deux genres, au moins un participant appartenant à une minorité ethnoculturelle; et

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(dans les écoles secondaires) des enseignants d'un éventail de matières.(7)

C'est peut-être aussi parce que Lortie a sous-estimé l'importance pour les enseignants des relations en classe parce qu'il a choisi de se concentrer sur la fierté comme seule émotion positive - alors que les relations chaleureuses avec les élèves peuvent constituer une source de plaisir et de satisfaction pour les enseignants, elles ne seront pas nécessairement aussi une source de fierté.

Association canadienne d'éducation de langue française (ACELF) 268, rue Marie-de-l'Incarnation, Québec (Québec) G1N 3G4 Téléphone: (418) 681-4661 - Télécopieur: (418) 681-3389 Site Internet: http://www.acelf.ca/c/revue/ © Copyright ACELF, Québec 2001.

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ACELF - Résumé

RÉSUMÉ

Au-delà des renforcements intrinsèques : les relations émotionnelles des enseignants avec leurs élèves

Andy Hargreaves - University of Toronto, (Ontario) Canada

Éducation et francophonie Volume XXIX, numéro 1, printemps-été 2001 Le renouvellement de la profession enseignante : tendances, enjeux et défis des années 2000

RÉSUMÉ - ABSTRACT - RESUMEN

RÉSUMÉ

Les enseignants ne travaillent ni pour l'argent, ni pour les vacances. Malgré toutes les contraintes du métier, en définitive, les enseignants oeuvrent pour les enfants. Ce sont les enfants et la vie de la classe qui constituent la récompense primordiale des enseignants; parfois c'est souvent même la seule. Ce fait est soutenu par cette recherche. En effet, l'auteur étudie la relation pédagogique, telle que perçue par les enseignants, et ce que les enseignants du primaire et du secondaire en retirent. Ce sont les émotions associées et produites par l'enseignement, ainsi que leurs effets sur l'enseignement, qui sont au centre de l'étude. Celle-ci s'appuie sur trois enquête réalisées par entrevues auprès d'enseignants ontariens du primaire et du secondaire. L'analyse révèle que les enseignants valorisent beaucoup la relation affective avec leurs élèves et l'attachement ressenti de part et d'autre; ils estiment qu'une compréhension emphatique des élèves est un ingrédient essentiel d'un bon enseignement et que les émotions doivent être reconnues et intégrées. De plus, la dimension affective influence l'enseignement dispensé, sa planification et sa structuration. Enfin, l'étude met en lumière des différences significatives dans la place faite aux émotions entre l'ordre primaire et l'ordre secondaire.

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ABSTRACT

Teachers do not work for the money or for the vacation time. In spite of all the constraints of the teaching profession, when all is said and done, teachers work for the students. For teachers, the children and the life in class are the most important rewards, and at times they may be the only reward. This finding is supported by this research paper. More specifically, the author examines the teaching relationship as it is understood by teachers, and what primary and secondary school teachers gain from it. The emotions associated with and produced by teaching, as well as their effects on teaching, are at the centre of this study. The research is based on three surveys carried out by means of interviews with primary and secondary school teachers in Ontario. The analysis shows that teachers place a high value on the emotional relationship with their students and the attachment felt by both parties; they consider that an empathic understanding on the part of the students is an essential ingredient of good teaching, and that emotions should be recognized and integrated. Moreover, the emotional dimension has an influence on teaching, as well as its planning and structure. Finally, the study examines the significant differences between the importance given to emotions at the primary and secondary levels.

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RESUMEN

Los maestros no trabajan por el dinero o por las vacaciones. A pesar de todas las obligaciones propias del oficio, definitivamente los maestros trabajan por los niños. Son los niños y la vida en el salón de clases que constituye la recompensa primordial de los maestros; incluso a veces es la

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ACELF - Résumé

única recompensa. Este hecho ha sido corroborado por la investigación. En efecto, el autor estudia la relación pedagógica tal y como la perciben los maestros y lo que los maestros de primaria y secundaria obtienen. Son las emociones asociadas y producidas por la enseñanza, así como su efecto sobre la enseñanza, lo que constituyen el núcleo del estudio. Se apoya en tres encuestas realizadas mediante entrevistas entre los maestros de primaria y secundaria de Ontario. El análisis muestra que los maestros valorizan la relación afectiva con sus alumnos así como el apego mutuo; consideran que una comprensión enfática de los alumnos es un ingrediente esencial de una buena enseñanza y que las emociones deben ser reconocidas e integradas. Además, la dimensión afectiva influye la enseñanza dispensada, su planificación y su estructuración. Finalmente, el estudio destaca las diferencias significativas del lugar que ocupan las emociones en los niveles primario y secundario.

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Le renouvellement de la profession enseignante : tendances, enjeux et défis des années 2000, Volume XXIX , No 1, printemps 2001.

Les transformations actuelles de l'enseignement : trois scénarios possibles dans l'évolution de la profession enseignante

Claude LESSARD, Professeur, directeur du LABRIPROF CRIFPE, Faculté des sciences de l'éducation Université de Montréal (Québec) Canada. Maurice TARDIF, Professeur, directeur du CRIFPE CRIFPE, Faculté des sciences de l'éducation Université de Montréal (Québec) Canada.

Table des matières

■ Résumé Abstract Resumen ■ Introduction ■ L'état actuel de l'enseignement: un modèle en décomposition? ■ Les forces du changement et leurs conséquences contradictoires

❍ L'orientation des politiques éducatives ❍ La transformation du rôle de l'État ❍ L'évolution vers une logique de marché ❍ L'introduction des technologies de l'information et de la

communication ■ Trois scénarios évolutifs plausibles pour penser l'avenir de l'enseignement

❍ Scénario 1 - La restauration nostalgique du modèle canonique et des inégalités

❍ Scénario 2 - La prise de contrôle des entrepreneurs technophiles ❍ Scénario 3 - La marche prudente mais ouverte des organisations

apprenantes et professionnelles ■ En guise de conclusion ■ Bibliographie ■ Notes

Résumé

Après avoir rappelé les trois acceptions de la notion de crise (rupture d'équilibre ; résistance à la modernité ; exacerbation des contradictions sociales Charlot (1987)), les auteurs analysent quatre forces de changement à l'oeuvre : l'orientation actuelle des politiques éducatives ; la transformation du rôle de l'État ; l'évolution vers une logique de marché ; les nouvelles technologies de l'information et de la communication. Ils en dégagent trois scénarios possibles, ainsi nommés : 1) la restauration nostalgique du modèle canonique et des inégalités ; 2) la prise de contrôle des entrepreneurs technophiles ; et 3) la marche prudente mais ouverte des organisations apprenantes et professionnelles. Ils concluent à la difficulté de dégager l'ensemble des conséquences de ces lignes d'évolution pour le travail enseignant, les changements en cours étant pluridimensionnels dans leurs implications.

Abstract

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Current Transformations in Teaching : Three Possible Scenarios in the Evolution of the Teaching Profession

The authors begin by reviewing the three accepted notions of crisis (imbalance; resistance to modernity; and exacerbation of social contradictions Charlot (1987)). The authors then analyze the four forces of change at work : the current orientation of educational policies ; the transformation of the role of the State ; the evolution towards a market-based thinking ; and new technologies of information and communication. From this, they determine three possible scenarios : 1) nostalgic restoration of the canonical model and its inequalities ; 2) complete take-over by entrepreneurs in high-tech fields ; and 3) proceeding cautiously but openly in teaching and professional organisations. They conclude that it is difficult to determine all the consequences for the teaching profession of these evolutionary trends, since the changes occurring are multi-dimensional in their implications.

Resumen

Las transformaciones actuales en la enseñanza : tres posibles escenarios de la evolución de la profesion docente

Después de haber hecho una breve revisión de las tres acepciones de la noción de crísis (ruptura del equilibrio; resistencia a la modernidad; exacerbación de las contradicciones sociales Charlot (1987)), los autores analizan cuatro fuerzas de cambio en acción : la orientación actual de las políticas educativas ; la transformación del rol del Estado ; la evolución hacia una lógica de mercado ; las nuevas tecnologías de la información y de la comunicación. Muestran los tres escenarios posibles, cuya nominación es la siguiente : 1) la restauración nostálgica del modelo canónico y de las desigualdades ; 2) la toma de control de los empresarios tecnófilos ; y 3) el avance prudente pero abierto de las organizaciones de educandos y de profesionales. Concluyen que es dificil identificar el conjunto de consecuencias que dichas líneas evolutivas tiene para el trabajo docente, los cambios emprendidos poseen implicaciones pluridimensionales.

Introduction

L'enseignement est une des plus anciennes occupations, aussi ancienne que la médecine et le droit. Réalité familière à tout un chacun, l'enseignement a été longtemps présenté comme une vocation, un apostolat, un sacerdoce laïc; son exercice reposait alors avant tout sur les qualités morales que le bon maître se devait de posséder et d'afficher au su de tous ceux qui contrôlaient d'une manière ou d'une autre son travail avec les jeunes. Au cours des dernières décennies, dans le contexte de généralisation et de massification de l'éducation, et par extension dans le cadre de la bureaucratisation des systèmes éducatifs, le syndicalisme enseignant et les associations professionnelles ont insisté, à juste titre, pour que l'enseignement soit reconnu comme un métier et que les enseignants, en tant que travailleurs qualifiés, soient convenablement traités par leur employeur, tant au plan matériel, social que symbolique. Plus récemment encore, certaines politiques éducatives nationales (Lang (1999)), faisant écho au discours de bon nombre de formateurs de maîtres à travers le monde (Tardif, Lessard, Gauthier (1998)), estiment que ce métier doit évoluer selon une logique de professionnalisation, celle-ci étant entendue à la fois dans le sens d'une reconnaissance de statut par la société et aussi en tant que développement par le corps enseignant lui-même d'un répertoire de compétences spécifiques et de savoirs propres à contribuer à la réussite éducative du plus grand nombre possible de jeunes et d'adultes.

On peut penser que ces trois conceptions (vocation, métier et profession) expriment la ligne d'évolution de l'enseignement. Toutefois, cette ligne reste proche des construits des acteurs, et le chercheur doit tenter de s'en distancer, afin que son analyse ne soit pas qu'un écho savant du terrain. De plus, nous sommes ici dans l'ordre des représentations; il n'est pas certain que celles-ci correspondent à la réalité, comme le soutiennent les sociologues d'allégeance critique qui préfèrent voir dans les tendances récentes tout le contraire de la professionnalisation, c'est-à-dire diverses formes de déqualification et de prolétarisation du métier (Apple (1980); Harris (1982); Ozga (l995); Seddon (l997)).

Cependant, si l'on reste un temps dans le domaine des représentations, il peut être utile d'envisager l'enseignement actuel comme étant une composition de ces trois conceptions qui n'apparaissent alors plus comme une succession d'étapes historiques mais comme révélant des dimensions fondamentales du travail enseignant, sans cesse redéfinies et recomposées en fonction des contraintes et des conditions dans lesquelles s'exercent ce travail. L'évolution n'est plus alors saisie comme unidimensionnelle et unidirectionnelle; elle apparaît plutôt comme un processus de complexification et de recomposition d'un travail qui tente de reconnaître et d'incorporer des dimensions en quelque sorte intrinsèques de l'activité enseignante.

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Partant de cette perspective, ce texte propose une réflexion sur l'évolution actuelle de l'enseignement. Basée sur nos travaux empiriques des dernières années sur l'histoire de la profession enseignante et une relecture de plusieurs travaux contemporains, cette réflexion se veut un essai de scénarisation de l'avenir de l'enseignement, c'est-à-dire une mise en forme intelligible et relativement cohérente de quelques scénarios évolutifs susceptibles de rendre compte, de manière plausible, de certains des principaux enjeux, forces et tendances qui façonnent actuellement le devenir de la profession enseignante.

Cette réflexion procédera en trois temps : dans un premier temps, nous présentons et discutons de ce qu'on appelle la crise de l'enseignement et du sens à lui donner; dans un second temps, nous tentons d'identifier les principales forces de changement à l'oeuvre et leurs effets sur l'enseignement; enfin, nous proposons trois scénarios construits à partir de paramètres explicites.

L'état actuel de l'enseignement: un modèle en décomposition?

L'enseignement, et particulièrement l'enseignement secondaire, est en « crise ». Du moins c'est ce que répètent beaucoup de personnes depuis plusieurs décennies. Personnellement, comme membre de la génération d'après-guerre, nous n'avons pas connu d'autre discours dominant sur l'enseignement que ce discours de la « crise ». Et comme le souligne Meirieu :

« on ne sait pas très bien quand les choses commencèrent à se dégrader; ou, plus exactement, il était sans doute trop tard quand on s'en aperçut » (Meirieu (1990, p. 15)).

À la suite de Charlot (1987: 27-33), on peut distinguer trois concepts de crise qu'on peut appliquer utilement à notre propos : la crise comme rupture d'équilibre ; comme résistance à la modernité ; et comme exacerbation des contradictions sociales. D'entrée de jeu, signalons que les trois scénarios présentées plus avant dans ce texte renvoient à ces trois concepts de crise et, par extension, de sortie de crise.

Selon Charlot, « le premier concept pose que lorsque l'équilibre d'un système est rompu, ce système subit un malaise, un trouble, un ébranlement qui perturbe son fonctionnement et sa reproduction. Le désordre s'installe, des tensions apparaissent : le système est en crise » (Charlot (1987: 28)). Suivant que le système en question sera saisi dans ses aspects statiques ou en mouvement dynamique, la sortie de crise passera soit par une ou des formes de « restauration » de l'état ancien, soit par une adaptation à de nouvelles réalités.

En tant que résistance à la modernité, la crise apparaît comme « due aux rigidités, aux blocages, qui s'expriment dans la société à travers les corporatismes de toutes sortes. Les interprétations de la crise de l'école en termes d'archaïsme, de routine, de pétrification des structures, de corporatisme enseignant, relèvent de ce mode de pensée » (Charlot (1987: 30)). La sortie de crise passe par la rénovation, l'innovation, le changement qui en quelque sorte par définition incarnent le progrès (1).

Finalement, comme exacerbation des contradictions sociales, la crise semble indissociable de la vie sociale puisque tout système social est toujours travaillé par des contradictions, par ailleurs multiples et articulées entre elles, mais non réductibles à une seule. Ici, il n'y a pas de scénario prédéfini de sortie de crise : il n'y a que des groupes et des forces qui écrivent l'histoire dans leur confrontation.

Suivant l'une ou l'autre de ces acceptions ou les trois réunies, l'enseignement serait en crise. Et celle-ci durerait depuis, disons, la fin de la deuxième guerre mondiale. Ses causes apparaissent donc historiques et datées : elles sont liées à la massification et à la généralisation de l'enseignement secondaire, à son insertion dans un système éducatif unifié et voué à la préparation d'une main-d'oeuvre hautement qualifiée pour assurer et accentuer le développement économique, et aux tentatives de démocratisation de l'école, du collège et du lycée. Ces multiples changements ont été les fruits d'une politique explicite et relativement consensuelle, fondée sur une demande sociale forte de scolarisation, et rendus possibles grâce à la prospérité d'après-guerre. Ils ont également entraîné d'autres changements dans l'offre d'éducation, notamment dans les filières et leur hiérarchie, dans les curriculums et leur importance relative, ainsi que dans les pratiques enseignantes.

Mais tous ces changements ne furent pas nécessairement ni toujours pour le mieux, soulignent les acteurs déçus de l'évolution. Baisse du niveau des études, laxisme généralisé, diplôme à rabais, déclin de la culture générale, curriculum cafétéria et école fourre-tout, autant d'expressions maintes fois utilisées pour caractériser l'évolution des dernières décennies en matière d'enseignement. La diversification socio-économique et socioculturelle des populations scolarisées de plus en plus longtemps a aussi transformé le rapport enseignant-enseigné, engendrant parfois de l'impolitesse, ou de la familiarité excessive, diverses formes d'irrespect pour la fonction enseignante, sinon pour l'adulte qui la remplie, ou encore une incapacité à fonctionner selon les règles usuelles de civilité de l'institution, le refus de s'engager dans le travail scolaire, de l'indiscipline et une violence gratuite, etc. Bref, la liste des plaintes est longue, mais probablement n'est-elle pas totalement le fruit d'une imagination dérapant dans la morbidité !

Pour certains acteurs scolaires, rien n'est plus comme avant : l'école et l'effort pour apprendre ne font pas

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beaucoup de sens pour plusieurs jeunes; qu'ils soient rebelles actifs ou passifs silencieux, des drops-out ou des drop-in, bon nombre de jeunes vivent l'école comme un passage obligé, une imposition du milieu familial et de la société, et non pas comme une expérience signifiante dont ils pourraient tirer un profit personnel. Ils y fonctionnent mal ou minimalement. Ils ont hâte d'en sortir et l'endurent en y faisant n'importe quoi, sauf ce qui est attendu d'eux. Le métier d'élève nécessite le développement et la maîtrise affichée de moult stratégies pour s'en tirer avec le minimum, sans s'investir profondément, en gardant ses distances par rapport au jeu scolaire et en évitant soigneusement de s'y faire prendre.

L'école a quelque chose ici du parking, et la fonction enseignante est assimilée à du gardiennage. Les jeunes sont à l'école parce que la société ne veut pas qu'ils soient ailleurs, notamment dans la rue ou au centre commercial, et parce qu'il n'y a pas ou plus d'alternative à l'école pour occuper les jeunes. Ces jeunes de la télévision et de l'Internet consomment des cours et ceux qui les donnent, comme ils consomment une émission de télévision, un clip ou une publicité; ils accrochent ou « zappent »; ils ont un rapport émotif - « j'aime ou j'aime pas » - et utilitariste au savoir - « à quoi ça sert, Monsieur, de savoir ça ? ». Les enseignants vivent parfois mal ces évolutions et constatent, impuissants, qu'ils ne sont guère concurrentiels face aux médias de plus en plus envahissants et efficaces par leur puissance de séduction.

Baudelot et Establet (1989), sans toutefois nier le malaise enseignant, ont procédé à une convaincante critique d'une partie de cette vision de l'évolution, du moins celle qui s'exprime dans le discours sur la baisse de niveau. Mais force est de constater que ce discours a la vie dure et qu'il est fort présent, pour ne pas dire plus, chez les enseignants du second degré. Une telle constance doit bien correspondre à quelque chose d'important au plan du vécu professionnel des enseignants. À cet égard, l'analyse de Dubet apparaît fondée et met en perspective celle de Baudelot et Establet : ce discours de la crise de l'enseignement secondaire exprime la décomposition du modèle d'enseignement classique, sans qu'un autre modèle alternatif ait pu jusqu'à maintenant émerger ou s'imposer, c'est-à-dire apparaître pertinent et suffisamment consistant pour prendre la relève et combler le vide laissé par le modèle classique. Dans pareille situation anomique, où l'institution ne fournit plus de modèles de référence forts, les enseignants sont laissés à eux-mêmes, dans leur rapport quotidien aux élèves, comme dans la construction du sens qu'ils essaient de trouver ou de donner à leur expérience. D'autres analyses, comme celle de Derouet (1988), laissent voir que les enseignants font face à la musique, comme on dit, comme ils le peuvent. Ils se construisent une « identité composite » ou participent à la construction de « compromis » viables dans leur établissement, à partir de divers principes de justice. En somme, ils font leur « possible », en pratiquant un métier « impossible », selon l'expression de Freud (Bouchard (1992)). D'autres, comme Cousin (1998), montrent que certains établissements, grâce surtout à une capacité de mobilisation collective dont ni les enseignants ni le chef d'établissement ne sont absents, arrivent à créer des conditions telles que les enseignants accomplissent plus que convenablement leur mission et en tirent une forte satisfaction professionnelle et identitaire.

Quel que soit le bien-fondé de la caractérisation du malaise enseignant qui précède, quels que soient les contours particuliers de la rhétorique de ce qu'il est convenu d'appeler le discours de la plainte enseignante (Ranjard (1984)), la crise de l'enseignement, c'est ici l'impossibilité de maintenir un modèle du métier en pleine décomposition. Celui de l'enseignant disciplinaire et savant, transmettant le plus clairement possible grâce à sa parfaite maîtrise de l'exposé magistral et à sa passion intellectuelle, le patrimoine national et la grande culture universelle, à des élèves triés sur le volet, de par leur origine de classe, proches de la culture scolaire et de ses codes implicites, et destinés au statut de membre de l'élite méritocratique, bref des « héritiers », au sens où Bourdieu et Passeron (1970) en parlaient à la fin des années soixante. L'enseignant, porteur d'une culture distinctive, préparait alors l'élite intellectuelle et professionnelle de la nation. Ce modèle était valorisant et valorisé au sein du corps professoral dont l'accès reposait sur un parcours scolaire impeccable et la réussite à un concours exigeant et difficile (2).

Si le modèle traditionnellement valorisé est en décomposition avancée, plusieurs éléments rendent difficile l'émergence d'un et d'un seul nouveau modèle dominant et canonique. Ou plutôt, ces éléments sont source de tensions et de conflit car ils s'éloignent du modèle canonique. En ce sens, la crise devient permanente, alors que les tensions et les contradictions notées apparaissent de plus en plus intrinsèques au métier, tel qu'il s'est transformé au cours des dernières décennies. Suivant Charlot, on pourrait dire que la crise a évolué de la première acception vers la troisième. En font foi plusieurs travaux contemporains (Dubet et Martucelli (l996); Hargreaves (l994); Lang (l999); Perrenoud (l996)) soulignant les contradictions qui traversent la relation pédagogique et, plus généralement, l'institution éducative.

Mais s'il est vrai que la crise de l'enseignement dure dans nos imaginaires depuis plusieurs décades, le système éducatif et son environnement ont connu ces dernières années des transformations dont il importe de comprendre le sens et la portée. La donne est en train de changer, mais dans quel sens ? Peut-on voir un peu plus clairement les effets de ces transformations sur le métier ? C'est l'objet de la seconde partie du texte.

Les forces du changement et leurs conséquences contradictoires

Au-delà de cette question de la crise de l'enseignement, quelles sont les forces actuelles qui influent réellement sur l'école et la façonnent ? Pour scénariser l'avenir de l'enseignement, quels paramètres incontournables doivent

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être pris en compte ?

Il semble clair que nous assistons aujourd'hui à un mouvement généralisé de restructuration scolaire auquel souscrivent plusieurs pays. Les composantes essentielles en sont : la décentralisation des décisions et l'introduction d'une participation intensive des parents et de la communauté dans un esprit de gestion en partenariat; l'imputabilité des décisions; la professionnalisation de l'enseignement et la prescription d'un programme national commun recentré sur les savoirs de base.

À cela s'ajoute également une série de mesures communes à l'ensemble des pays, touchant surtout les aspects administratifs et pédagogiques. Ces mesures sont d'ailleurs fortement encouragées par les organisations internationales. Il s'agit principalement de la centration sur la réussite éducative et sur la qualité de l'enseignement, de l'allongement du temps de la formation (encouragement à la précocité de la scolarisation et à la formation continue), du resserrement des liens entre le système scolaire et l'institution familiale, du développement d'une relation maître-élève plus personnalisée, du renforcement de l'offre en formation professionnelle et technique, du développement de modes d'apprentissage novateurs impliquant une part plus active du milieu économique (par exemple, l'alternance travail-étude) ; de l'assouplissement du cursus scolaire, ce qui comprend une flexibilisation des flux d'entrée et de sortie, l'ouverture des séquences horaires, la réversibilité possible dans l'orientation scolaire, l'évaluation des apprentissages plus régulière et, enfin, un engagement affirmé dans le virage technologique (connexions aux réseaux informatisés, achat d'équipement, adaptation de l'enseignement, développement pédagogique).

À l'intérieur de ce vaste mouvement, insistons sur quatre ingrédients particulièrement importants qui induisent des nouveaux modes de régulation de l'éducation : le tiraillement entre une politique éducative néo-libérale et une politique humaniste-égalitaire; la transformation du rôle de l'État; la montée de ce que Derouet (1992) appelle le modèle marchand; et la mondialisation et le développement des technologies de l'information et de la communication.

L'orientation des politiques éducatives

Parmi l'ensemble des options politiques prises, deux grandes tendances semblent se dessiner pouvant être associées à deux pôles distincts. Le premier pôle s'inspire d'un courant néo-libéral, le projet éducatif évoluant dans la perspective du développement du potentiel humain ; le second pôle peut être qualifié d'« humaniste/citoyen », compte tenu que l'éducation est surtout envisagée sous l'angle de l'idéal de justice sociale. Dès lors, la question formulée par M. Crahay (l999) devient centrale : l'école peut-elle être à la fois juste et efficace ?

Ainsi, les États-Unis et l'Angleterre, produits d'une culture politique pragmatique, se situent résolument sur le premier pôle, celui de l'efficacité. Inspirés par une idéologie de la performance et de la productivité, les orientations de ces pays visent surtout la gestion maximale du potentiel humain, attribuant ainsi aux services éducatifs un caractère surtout instrumental. Nous retrouvons dans les orientations canadiennes et québécoises une tendance néo-libérale, mais qui ne semble pas à ce jour aussi prononcée et radicale. En effet, il n'y a pas au Canada et au Québec un encouragement ministériel aussi évident à l'instauration d'un climat de compétitivité entre les institutions scolaires, stratégie qui sert aux Etats-Unis de levier principal de rehaussement de la qualité de l'enseignement. De plus, aux États-Unis et en Angleterre où le resserrement des contenus s'accompagne d'une augmentation des standards de réussite, l'État promeut le développement des écoles privées ou des écoles publiques fortement autonomes, créées à l'initiative des parents et de toutes autres organisations locales, à travers notamment le mouvement des Charter schools. Les dirigeants américains encouragent la diffusion publique des caractéristiques des écoles (résultats, spécificités des programmes, etc.) ; c'est une façon d'accroître la performance et de contrôler l'atteinte des standards dont la responsabilité incombe dorénavant directement aux établissements d'enseignement, à ses dirigeants et aux enseignants. Cette approche radicale se manifeste aussi chez les Britanniques depuis le règne politique des Conservateurs et n'a pas été démenti par le retour au pouvoir ces dernières années des Travaillistes. L'important virage vers la décentralisation administrative que connaît actuellement le Canada et le Québec, avec dans ce dernier cas, l'instauration des conseils d'établissement et des plans de réussite, suit cette tendance dont les maîtres-mots sont effficacité, obligation de résultats et reddition de comptes devant la collectivité locale. En effet, le Canada et le Québec, comme les pays anglo-saxons, encouragent la participation des parents et des organisations communautaires locales, et octroient des pouvoirs accrus aux établissements locaux. À la fois attirés par les potentialités positives de la gestion participative par les gens « d'en bas » et inquiets des répercussions négatives possibles (clientélisme, projets locaux trop particuliers, recrudescence des inagalités, implosion du système national d'éducation, etc.), les différents ministères de l'Éducation du Canada suivent jusqu'à un certain point le mouvement néo-libéral propre aux pays anglo-saxons et aux options idéologiques et politiques des organisations internationales, comme la Banque Mondiale et l'OCDE.

D'autre part, certaines des options privilégiées par le Québec s'inscrivent plutôt dans le second pôle, plus humaniste, axé sur l'égalité ou l'équité et la démocratisation du savoir, et le maintien d'un service public d'éducation contribuant à la constitution d'une collectivité citoyenne à la fois forte et pluraliste, cohésive et diversifiée. Traditionnellement, du moins au plan du discours, ce pôle était incarné par la France qui associait fortement l'école à des idéaux d'équité et de justice sociale. En effet, la France a longtemps affirmé haut et fort la place centrale de l'État à titre de grand organisateur de l'éducation et a insisté sur le caractère national d'une

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éducation égalitaire. Dans une perspective où la nation est un idéal de premier plan, l'éducation, le développement d'une culture commune égalitaire et la préparation à l'exercice de la citoyenneté sont indissociables. S'il y a bien toujours une sensibilité française persistante à la centralité de l'État dans le dessein du projet éducatif, toutefois la diversification et le pluralisme lié à l'immigration, les problèmes des banlieues, ainsi que l'avènement de la Communauté européenne imposent à la France de nouveaux questionnements. Par exemple, dans un contexte national pluraliste, quelle éducation civique transmettre alors qu'émergent des nouvelles formes de citoyenneté et que « se mondialisent » les institutions ?

Plusieurs orientations prises par le Québec rejoignent ce pôle « humaniste/citoyen », comme l'indiquent les discussions de la Commission des États généraux sur l'éducation autour des finalités de l'éducation et l'énonciation, par le ministère de l'Éducation, des trois grandes missions de l'école : « instruire, socialiser, qualifier » (MEQ (1997)). Ainsi, si dans la façon de définir les grandes finalités, on tente de centrer l'école sur le développement intellectuel et la maîtrise des connaissances et sur le devoir de préparation des jeunes à la vie active, on lui commande également de contribuer à l'appropriation du sentiment d'appartenance collective et à l'exercice de la citoyenneté. Au Québec, l'école contribue explicitement au développement de la cohésion sociale :

« celle-ci doit transmettre les valeurs qui fondent notre société démocratique (l'égalité, les libertés fondamentales, le respect de l'autre, la justice, la coopération, la solidarité) et le respect des institutions communes tout en demeurant un lieu d'exploration des valeurs » (MEQ (1996: p. 5)).

La transformation du rôle de l'État

À y regarder de près, il faut bien admettre que les gouvernements occidentaux sont loin de se désintéresser de l'éducation, même si sa prise en charge prend de nouvelles formes. Ce n'est pas parce qu'il se voit imposer une cure d'amaigrissement que l'État central renonce pour autant à exercer une responsabilité en matière d'éducation. Cependant, à ce qu'il semble, son rôle se transforme progressivement. Tout se passe comme s'il prenait une certaine distance par rapport au fonctionnement quotidien du système et à l'exercice des mandats confiés aux pouvoirs organisateurs locaux désormais responsables de l'allocation de leurs ressources et de l'atteinte de leurs objectifs. L'État central s'en tient à l'élaboration de politiques, notamment sur le plan curriculaire (symbole de l'unité et de l'intégrité d'un « système » éducatif), reposant le plus possible sur de larges consensus, et, par la mise en place de mécanismes d'évaluation, il surveille l'atteinte des buts et objectifs convenus. Dans les pays anglo-saxons, cette redéfinition du rôle de l'État est assez avancée : on parle de la fin de l'État-providence ou de l'État-pédagogue et de l'émergence de l'État-accompagnateur, récemment renommé l'État distant ou l'État-évaluateur (Whitty et alii (1997)). La France apparaît à cet égard « exceptionnelle », car on assiste dans plusieurs pays à ce que Henchey (1996) appelle une diffusion du pouvoir en matière éducative.

Par exemple, les États-Unis, où l'éducation est déjà largement décentralisée, ont connu au cours de la dernière décennie un fort mouvement, dit mouvement des standards : l'État, directement ou par le biais d'organismes publics qu'il mandate, définit des standards, des profils de sortie, des compétences que les élèves doivent maîtriser à la fin de telle ou telle étape de la scolarité. Il fait de même pour les institutions éducatives, en tant qu'organisations devant dispenser un service de qualité ; on l'a vu dans la section précédente, en diffusant les résultats de ces évaluations, il instaure une compétition entre établissements qu'il estime nécessaire à l'amélioration de l'ensemble ; par organismes interposés, il soutient un fonctionnement analogue pour la formation des maîtres, fonctionnement fondé sur des standards et des procédures d'accréditation des institutions dispensant cette formation. Le Canada, par l'intermédiaire de son Conseil des ministres de l'Éducation, travaille dans le même esprit : ses provinces possèdent les mêmes indicateurs qui, à la fois, décrivent l'état de l'éducation dans chacune d'elles, et constituent des critères d'évaluation de rendement (par exemple : taux d'analphabétisme, de décrochage, durée des études, etc.). L'Angleterre n'est évidemment pas en reste, ni les organismes internationaux, parmi lesquels il importe de pointer la Banque Mondiale et l'OCDE qui répandent cette « bonne nouvelle » dans leurs pays membres et dans tous les pays du Sud. Il y a standards et standards : certains sont très précis et concrets, d'autres sont plus généraux et abstraits. Mais en tout état de cause, on assiste à la mise en place généralisée d'une nouvelle forme de régulation, qui suppose la production continue d'une information tant sur les processus que sur les résultats, l'analyse publique de cette information et l'ajustement des systèmes et des pratiques en fonction d'objectifs relativement précis. Peut-être n'est-ce pas si nouveau qu'il n'y paraît, mais à l'évidence, cette « technologie » se répand à travers le monde, notamment par le biais des grands organismes internationaux.

L'État n'a donc pas disparu de la scène ; il demeure un acteur avec lequel il faut compter, un pouvoir régulateur de premier plan. Cependant, il ne construit plus ni ne cherche à étendre des monopoles ; il s'éloigne de la gestion immédiate ; il navigue plutôt à travers des eaux troubles à la recherche de partenaires, comme les organismes de formation des adultes, ainsi que les parents et les organismes communautaires pour l'éducation des jeunes, partenaires qui lui permettront en quelque sorte de maintenir au moins un rôle de chef d'orchestre. Peut-être ne peut-il plus payer convenablement ses musiciens, mais il aimerait bien continuer à choisir la partition ou le programme musical ! Les syndicats ont compris cette évolution, eux qui, après avoir critiqué au cours des années 1970 l'État libéral « reproducteur des inégalités et au service de la classe dominante » suivant la rhétorique de

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l'époque, s'en prennent maintenant au néo-libéralisme et réclament un État fort.

Cette transformation du rôle de l'État en éducation prend la forme d'une décentralisation (ou une déconcentration) de l'autorité vers les écoles de telle sorte que celles-ci puissent prendre des décisions significatives au plan de l'allocation des ressources, mais à l'intérieur d'un cadre national qu'on renforce tant bien que mal. Avec ce déplacement de la responsabilité et de l'autorité, des mécanismes d'imputabilité et d'évaluation sont mis en place ; ces temps-ci, l'auto-évaluation et l'évaluation institutionnelle font courir les cadres scolaires et assurent le succès de colloques et de publications spécialisées ! Les autres principaux éléments de convergence des politiques éducatives sont les suivants : un curriculum national défini par l'État central et construit selon une double logique, celle liée à l'approche par compétences et celle marquée d'un souci d'évaluation rigoureuse ; une bureaucratie sérieusement mise au régime et guidée par une culture administrative de l'efficience ; un souci de rapprocher l'école de la communauté locale, des parents, des organismes communautaires et des agents économiques. L'idéologie du partenariat véhicule cette nouvelle porosité des frontières entre l'institution scolaire et son environnement.

Difficile de ne pas voir ici à l'oeuvre une rationalité technicienne et administrative, un fonctionnalisme qui ramène le débat sur les finalités éducatives à une question d'indicateurs et le développement culturel à des rendements mesurés à l'aune de standards et de comparaisons internationales. Difficile de ne pas y voir les traces d'une culture managériale, celle de l'entreprise moderne, qui prétend allier souplesse, flexibilité et autonomie de ses unités à une totale soumission aux règles de la compétitivité et du rendement. À cet égard, Pinar et alii (1995) affirment que l'on demande à l'école de changer de modèle et d'image organisationnelle : elle fonctionnait depuis un siècle selon le modèle de la manufacture ; on lui demande dorénavant de se mouler sur l'entreprise que la réingénierie a rendu performante et adaptée à la nouvelle donne économique et que Hargreaves (1994), quant à lui, nomme la « mosaïque mobile » (moving mosaic) ; dans les deux cas, on l'aura compris, la référence organisationnelle est la même, c'est celle d'une administration souple, efficace et efficiente, de type privée et moderne. Le passage d'un modèle à l'autre est probablement un progrès dans une logique fonctionnelle, mais qu'en est-il sur les autres plans ?

Cette rationalité est compatible avec la professionnalisation de l'enseignement, une professionnalisation qui reconnaît aux enseignants toute la compétence et leur accorde toute la marge de manoeuvre requise pour fonctionner à l'intérieur du cadre défini par les nouvelles politiques et les nouveaux modes de régulation. En fait, elle exige d'eux de nouvelles compétences. Cependant, c'est une professionnalisation qui voit réduit à une peau de chagrin l'aspect service public de l'éducation, d'où, probablement, provient une partie du malaise des enseignants, plus ou moins accentué selon les contextes nationaux.

L'évolution vers une logique de marché

Les pouvoirs centraux ne font pas que redéfinir leur rôle. La forme qu'ils donnent à leur prise en charge de l'éducation ouvre la porte à une logique de marché ou, même, l'encourage. L'espace nous manque pour décrire cette évolution, mais signalons dans plusieurs pays l'existence d'un secteur privé important et le libre choix de l'établissement, la possibilité pour les usagers de déterminer les orientations propres à leur établissement, la mise en place de divers types d'établissements avec des projets particuliers, le mouvement des Charter Schools et des bons d'éducation aux États-Unis, ainsi que la menace de fermer les écoles dites non-performantes. Certains parlent de « marketisation » de l'école (Whitty et Power (1998)).

Du côté de la demande, correspondant à cette logique, l'appelant en quelque sorte et la reproduisant, une mentalité de consommation semble prévaloir et devoir étendre son emprise notamment en Amérique du Nord. Labaree (1997) analyse l'évolution de l'école américaine en ces termes : sa fonction dominante semble être de doter les individus, en mal de mobilité sociale ou de maintien de statut, du capital nécessaire à la réussite individuelle et que chacun monnayera à l'âge adulte sur les différents marchés de la réussite ; elle devient donc de plus en plus un bien privé et de moins en moins un bien public, l'occasion de constituer une communauté politique ou une culture nationale. Labaree, un historien de l'éducation américaine, estime que la formidable poussée de la scolarisation américaine tout au long du XXe siècle s'explique bien davantage par cette forte demande de mobilité sociale par le biais de l'éducation que par une quelconque demande objective du marché du travail.

Pour la France, Dubet et Martucelli (1996) parlent du durcissement de la compétition scolaire, la sélection ne se faisant plus en amont par un tri social préalable à l'inscription même dans les études, mais se réalisant plutôt dans le flux même des parcours scolaires, « comme un long processus de distillation fractionnée » (Dubet et Martucelli (1996: p. 41)), ce qui, notent-ils, change l'image de l'école auprès de celles et ceux qui la font. Ces derniers, notamment au secondaire, n'apparaissent plus comme les agents de démocratisation du savoir et d'égalisation des chances, mais plutôt comme les agents de la sélection.

Pour Labaree (1997), cette forte compétition renforçant une vision individualiste de l'école serait en définitive anti-éducative, engendrant chez les jeunes et leurs familles des stratégies et des comportements trop exclusivement calculés par rapport à des objectifs de maintien de statut ou de mobilité sociale. Dans un tel contexte, les bonnes réponses aux questions suivantes sont cruciales et lourdes de conséquences :

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● Comment puis-je obtenir le diplôme au meilleur coût ?● Comment choisir les établissements, les filières et les enseignements, voire les enseignants, de façon à

maximiser mes chances de réussite, minimiser les risques d'échec et contrôler les coûts ?

Cette vision largement répandue pénètre le monde de l'éducation, public comme privé, un peu partout. Le monde de l'éducation s'en accommode en développant des stratégies de différentiation des établissements, des filières et des enseignements, en adoptant des stratégies de mise en marché pour attirer et retenir les « bons » élèves de « bonnes » familles, bref en se concevant comme au service de publics ciblés, au lieu de se présenter comme un service public. En ce sens, on peut parler de la montée d'un modèle marchand, que Derouet (1992) a dégagé, sans que cela se traduise nécessairement par une privatisation du système dans son ensemble.

Ce modèle marchand peut tolérer une certaine professionnalisation de l'enseignement ; il peut même en faire un élément important de publicité : des enseignants dûment formés suivant des standards explicites, dans des institutions formellement évaluées et accréditées, et dont les instances assument une responsabilité au plan de la formation continue et donc du maintien de la compétence, rendent crédible le produit scolaire mis en marché.

En d'autres termes, si la transformation du rôle de l'État et la montée du modèle marchand modifient les modes de régulation de l'éducation, en retour, une certaine professionnalisation de l'enseignement paraît parfaitement fonctionnelle, adaptée et intégrée à ces développements. En ce sens, elle peut contribuer à leur renforcement. Selon cette lecture, nous nous retrouverions en quelque sorte avec trois modes de régulation de l'éducation, imbriqués dans une dynamique tendue, faite à la fois de complémentarités et de conflits : l'État, le marché et éventuellement, la profession enseignante.

Il y a dans ces développements quelques dangers et écueils dont sont conscients bon nombre d'enseignants, notamment celui de voir leur compétence et les savoirs qui la fondent un peu trop étroitement circonscrits et enfermés dans l'aire des moyens.

L'introduction des technologies de l'information et de la communication

L'impact des technologies de l'information et de la communication (TIC) sur les sociétés post-industrielles est majeur. En dehors du fait que les TIC entraînent de nouvelles exigences pour les curriculums scolaires, les possibilités qu'elles créent au niveau des rapports sociaux ou, simplement, à celui de l'accès à l'information, ont des conséquences considérables sur le contrôle qu'avait jusqu'à récemment le système public d'éducation sur les programmes d'études et sur les valeurs communes à promouvoir auprès des jeunes. L'obligation de fréquenter l'école, l'approbation de programmes officiels ajustés aux missions confiées à l'école par les pouvoirs publics, l'établissement de critères pour la sélection du matériel didactique, l'évaluation des apprentissages par le moyen d'examens ministériels sont autant de moyens de contrôle sur le savoir à acquérir et les valeurs à partager dans ce passage obligé de l'école.

Or, le contrôle de l'école s'érode progressivement, en partie parce que, avec leur propre logique, les TIC occupent maintenant une place grandissante dans ce qu'on peut désormais appeler le marché de l'éducation et de la formation. On reconnaît que d'autres phénomènes avaient déjà contribué à entamer le monopole des pouvoirs publics en éducation, particulièrement la multiplication des bibliothèques publiques ou des centres culturels, l'avènement des communications de masse et de l'audiovisuel. Mais les changements apportés par les TIC risquent d'être plus décisifs. En effet, parce que l'offre de formation et le nombre des interlocuteurs se trouvent multipliés, le contrôle ne peut plus s'exercer d'en haut; il se déplace plutôt vers le consommateur de services ou, encore, vers l'apprenant. Les TIC contribuent de la sorte à adapter les produits de l'école virtuelle aux études de marché, c'est-à-dire à la demande des individus ou des groupes, ce qui s'éloigne irréversiblement de la régulation de l'offre de service de l'école publique en fonction d'objectifs collectifs.

Par ailleurs, la conception et la mise en marché de produits éducatifs multimédias sont elles aussi soumises aux jeux de la concurrence, et le pouvoir du savoir multimédiatisé se consolide dans les multinationales de l'édition et des communications. Pendant que les produits éducatifs multimédias sont diffusés partout dans le monde, la culture s'uniformise: séduction de l'image, certes, mais aussi logique du rapport au savoir dépendante des possibilités de l'informatique, limites incontournables au regard de la force symbolique des différentes langues et transformation du rapport à l'écriture. L'école publique a peut-être réussi en maints endroits à maintenir à sa périphérie la culture populaire véhiculée par les médias (Cuban (1997)), mais le développement des TIC est en voie de créer pour les jeunes et les adultes une école parallèle, loin des programmes officiels et des pratiques éducatives. Quoique l'accès au savoir demeure en partie lié au produit qui le médiatise et au pouvoir qu'ont sur ce produit les compagnies multimédias, il n'en demeure pas moins que les TIC modifient profondément le rapport au savoir au point d'entraîner de nouvelles critiques de l'école et de nouvelles attentes.

D'aucuns craignent entre autres que les programmes scolaires obligatoires soient devenus désuets et qu'ils ne puissent réduire les écarts entre les jeunes qui sont familiers avec les TIC et ceux qui en sont privés. À cause du rapport au traitement de l'information propre aux TIC, il va sans dire que les enfants qui n'y ont accès que d'une façon limitée à l'école auront vraisemblablement plus de difficultés à l'intérieur du système éducatif. D'autres

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s'empresseront de faire l'éloge de la délocalisation de l'éducation et de la formation; les TIC rendent en effet possibles le cours des études et l'acquisition des diplômes hors des établissements publics.

Pour l'enseignement en tant que métier, les TICs peuvent être considérées comme des ennemies ou comme des alliées, suivant le point de vue adopté. Elles sont des ennemis quand leur incorporation à l'école et plus globalement leurs impacts sur l'éducation et l'apprentissage n'obéissent qu'aux volontés de l'économie des communications dont le développement semble l'exemple le plus frappant de ce que les théoriciens de la post-modernité appellent l'accélération du changement. Elles sont des ennemis aussi quand elles ne contribuent qu'au divertissement ou à une prolifération telle de l'information qui circule que nous soyons tous davantage incapables de la structurer et de la maîtriser. Par ailleurs, elles peuvent être des alliées lorsqu'elles rendent accessibles à chacun des informations de qualité, permettent la recherche, la création et l'interaction.

En définitive, dans un cas comme d'autre l'autre, les TICs semblent tout à fait incontournables et les enseignants doivent apprendre à les utiliser à des fins pédagogiques. Elles peuvent transformer le rôle de l'enseignant, en déplaçant son centre de la transmission des connaissances vers leur assimilation et leur incorporation par des élèves de plus en plus compétents pour réaliser de manière autonomes des tâches et des apprentissages complexes.

De ce rapide survol des forces de changement, retenons que les systèmes publics d'éducation se trouvent aujourd'hui tiraillés entre des finalités difficiles à concilier :

● l'efficacité et la justice;● et entre le bas - la décentralisation, la prise en compte du local et de la diversité - et le haut -

l'internationalisation et la mondialisation.

Comme leurs collectivités d'appartenance, ils subissent aussi la logique du marché quand ils n'y sont pas tout simplement intégrés.

Retenons aussi que l'enseignement, comme métier, est sérieusement ébranlé par la disparition de certains repères traditionnellement significatifs, comme des politiques précises déterminées par le pouvoir central et des structures de contrôle bureaucratique. Ce n'est pas que ces éléments soient dorénavant absents, mais ils partagent leur influence avec des forces nouvelles, dont on connaît mal les effets, comme l'introduction de la logique marchande, l'autonomisation des unités dans le cadre d'une décentralisation plus poussée du système, et les nouvelles technologies de l'information. Ces dernières pourraient soit supplanter l'école comme système de distribution du savoir, soit pénétrer les systèmes éducatifs de manière à en bouleverser radicalement les pratiques. On a le sentiment que présentement, les multinationales engagées dans l'économie de l'information et des communications essaient ces deux stratégies, calculant probablement qu'elles se renforcent mutuellement.

Pour l'enseignement en tant que métier, ces phénomènes sont porteurs de conséquences ambiguës et contradictoires, ainsi que le révèlent bon nombre d'analyses contemporaines. Ainsi, selon certains auteurs, par l'intensification du travail, la privatisation et une certaine marchandisation des outils curriculaires, par la précarisation de l'emploi, l'embauche de personnel non-qualifié assumant une partie de la fonction enseignante, et par une détérioration globale des conditions de travail, l'enseignement serait en processus de prolétarisation (Ozga (l995)). D'autres estiment que les choses ne sont pas aussi simples et univoques, ainsi que le couple professionnalisation/prolétarisation le laisse entendre, et qu'en fait, il serait plus juste de dire que le professionnalisme enseignant serait en voie de transformation et de recomposition : l'ancien professionnalisme fondé ultimement sur un ethos de service public serait remplacé par un professionnalisme de type « managérial », l'enseignant incorporant dans son identité les nouvelles réalités du marché et du nouveau management éducatif (Seddon (l997)).

Trois scénarios évolutifs plausibles pour penser l'avenir de l'enseignement

Tenant compte d'une part de la décomposition du modèle canonique (partie 1) et d'autre part d'un ensemble d'éléments de nature à transformer la régulation traditionnelle des systèmes éducatifs (partie 2), il est temps maintenant de pousser la réflexion sur l'évolution prochaine de l'enseignement en proposant trois scénarios plausibles.

D'entrée de jeu, un petit rappel qui incite à la plus grande prudence dès qu'il est question d'anticiper l'avenir : la méthode des scénarios a été inventée et utilisée la première fois par la multinationale Shell qui néanmoins a été incapable de voir venir la crise pétrolière du début des années soixante-dix ! Il importe donc d'être prudent avec cette méthode en tant qu'outil d'anticipation de l'avenir : elle est utile pour cerner des choix, des décisions et des enjeux qui pourraient s'avérer importants, bien davantage que pour identifier le tracé précis mais toujours hypothétique de ce qui pourrait advenir. Par principe, cette méthode amplifie les oppositions entre des scénarios ou des modèles de développement, justement pour faciliter la prise de conscience de leurs différences. N'oublions donc pas qu'avec cette méthode, ce qui importe c'est d'éclairer les forces à l'oeuvre et les termes d'un débat

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auquel nous pouvons et souvent devons participer.

Ces scénarios illustrent des enjeux, bien davantage que des séquences d'événements à venir. Ils indiquent des lignes d'évolution vraisemblables, même si nous savons que la vie de l'institution scolaire prendra fort probablement d'autres voies que notre imagination est incapable d'entrevoir. Il est possible que nous ne soyons pas toujours complètement surpris des formes qui émergeront et que nous soyons même portés à nous dire: « Ah! oui. Je n'avais pas anticipé telle forme d'évolution, mais elle fait sens par rapport au passé et au présent récent ». Les scénarios sont justement des formes possibles d'évolution qui font sens; ils peuvent être utiles pour orienter nos actions et nos stratégies, telle une carte certes imprécise, mais comprenant néanmoins quelques éléments essentiels du relief.

Scénario 1 - La restauration nostalgique du modèle canonique et des inégalités

Dans le premier scénario, il s'agit ici de freiner le plus possible le changement et de renforcer le modèle et l'identité professionnelle traditionnelle des enseignants du secondaire. Profitant d'un certain courant de conservatisme, peut-être lié au vieillissement des populations et à une réaction au tourbillon de la mondialisation de la culture et des communications, ce scénario cherche à ranimer la puissance des cultures distinctives, comme la culture humaniste traditionnelle ou la culture scientifique, et à restaurer l'autorité du professeur comme dispensateur d'un savoir légitime.

En fait, ce scénario ne peut se matérialiser que pour une élite et peut-être est-ce là son véritable but : l'accentuation des tendances à la dualisation des système éducatifs, et à la mise en place d'un système éducatif à deux vitesses, la grande vitesse pour les enfants bien préparés à leur métier d'élève et socio-économiquement favorisés et une vitesse ralentie pour les enfants de milieu socio-économiquement défavorisé ou déclassé par les transformations économiques actuelles.

Déjà, en Amérique du Nord, on voit et on anticipe l'accélération de cette tendance : d'un côté, des écoles efficaces et efficientes, axées sur la formation académique de haut niveau et dont les caractéristiques sont bien documentées par un courant de recherche important (Cousin (1998); Reynolds et alii (1996)); de l'autre ce que les américains appellent des « full-service schools », c'est-à-dire des centres d'éducation communautaire, intégrant l'ensemble des services sociaux, économiques et culturels offerts à une population - faites de jeunes et de leurs parents, ainsi que d'autres adultes - d'un quartier pauvre ou défavorisé, dans une logique à la fois compensatoire et d'équité sociale. Dans ce deuxième type d'institution éducative, la gestion concertée d'un ensemble de problèmes sociaux fait sens, mais il est évident que ce type d'école, à cause des concentrations élevées d'enfants et de familles défavorisés, doit mettre l'accent sur la socialisation, davantage que sur l'instruction. D'un côté, des écoles pour enfants « doués » ou bien disposés à apprendre, à recrutement national et international, avec curriculum enrichi et professeurs dispensant toute leur culture, de l'autre des écoles profondément tributaires du milieu local, luttant quotidiennement contre le redoublement, le décrochage, la violence ou l'incivilité. Entre les deux, un fossé qui se creuse, les meilleures écoles devenant plus performantes, et à cause de cela, attirant toujours les meilleurs élèves, et les autres, tel Sisyphe, recommençant sans cesse leur lutte à l'exclusion d'élèves condamnés précocement à la non-participation à l'« économie du savoir ».

Ce scénario reproduit en milieu scolaire une certaine dualisation de nos sociétés ; il est vraisemblable, ne serait-ce que parce qu'on peut déjà en déceler les premières manifestations. On ne sait cependant s'il se généralisera et se figera dans sa dualité potentiellement conflictuelle. Le tiraillement des politiques éducatives précédemment relevé est ici pertinent : si l'air du temps au niveau des décideurs est nettement néo-libéral, plusieurs acteurs sociaux néanmoins sont conscients des effets antisociaux des politiques éducatives néo-libérales et cherchent sinon à les éliminer, du moins à en minimiser les effets les plus inégalitaires. À plusieurs endroits, le thème de la cohésion sociale, du lien social nécessaire et qu'il importe de construire à l'école, réapparaît, comme si plusieurs réalisaient qu'il y a des seuils et des limites à ne pas franchir en terme de différentiation socio-éducative, et que même la compétitivité économique repose sur une certaine solidarité sociale, du moins au sein d'une société d'appartenance. Les économistes (Paquet (1999)) parlent de « co-opétition », mélange éthique de collaboration et de compétition; le concept est intéressant, ne serait-ce que parce qu'il révèle que même les plus libéraux des économistes reconnaissent qu'une économie florissante ne peut être une jungle et qu'elle doit être socialement encadrée.

Par rapport au métier d'enseignant, ce scénario de la restauration permet, au moins dans certaines enclaves protégées, dans certains segments du marché éducatif, la restauration du modèle canonique, d'autant plus facilement qu'une certaine décentralisation et une certaine désectorisation de l'éducation rendent possible le jeu effectif de l'offre et de la demande en éducation. En effet, les études de Baillon (1982) et de Dubet (1994) montrent clairement que les classes instruites et économiquement favorisées recherchent, dans un contexte de massification de l'éducation, un avantage compétitif pour leur progéniture, le bon lycée, la bonne filière, la grande école ou encore l'université étrangère de haut renom.

Peut-être ne s'agit-il que du baroud d'honneur du modèle canonique avant sa disparition définitive ou sa mutation telle que dessinée par les scénarios deux ou trois. Quoi qu'il en soit, par rapport aux caractéristiques précédemment analysées, ce scénario accentue une différentiation essentiellement sociale de la demande éducative; il fait de la reproduction de celle-ci d'ailleurs un de ses principaux résultats, qu'il associe au plan

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qualitatif au maintien des cultures scolaires traditionnelles, humanistes ou scientifiques; enfin, il s'accommode fort bien de la décentralisation, pour autant que celle-ci permette le maintien et le développement de son projet éducatif particulier.

Si le modèle canonique survit dans les écoles de l'élite, les autres écoles, de nécessité, sont amenées à explorer, développer et rationaliser le modèle émergent, celui du paradigme de l'apprentissage.

Scénario 2 - La prise de contrôle des entrepreneurs technophiles

Au contraire du premier, le deuxième scénario est tout entier axé sur le changement et la transformation de l'école et des pratiques pédagogiques des enseignants qui y oeuvrent. Il combine une grande foi dans les vertus éducatives des nouvelles technologies - à la fois comme dépositaires et outils de transmission du savoir, outil de développement des compétences intellectuelles des élèves et médium de communication et d'interaction - et la conviction que diverses formes d'entreprise privée sont les mieux à même d'actualiser ce potentiel. C'est le scénario de l'école électronique et privée tout de suite.

Cette combinaison des deux éléments - renvoyant à deux forces analysées précédemment - est importante, car elle donne toute sa force à ce scénario. Des pédagogues novateurs voient dans l'ordinateur l'outil de réalisation des idéaux pédagogiques préconisés par divers courants tout au long du XXe siècle; des entrepreneurs informatiques voient dans l'éducation un champ privilégié du développement de leur domaine et de leur entreprise.

Est ici affirmée l'incapacité des systèmes éducatifs publics, bureaucratiques et centralisés, d'opérer cette révolution technologique de l'enseignement: ils sont ici perçus comme étant par définition en retard, en décalage par rapport à une profonde transformation qui se passe d'abord ailleurs, dans leur environnement. De plus, les tenants de ce scénario sont d'avis que les systèmes publics et le personnel qui y oeuvre craignent les nouvelles technologies et se comportent comme des technophobes ou comme les artisans à l'époque de la révolution industrielle : les technologies sont craintes parce qu'elles menacent des emplois ou court-circuitent les lignes de communication traditionnelles et les hiérarchies de pouvoir fondées sur le contrôle de l'information ; elles rendent caduques la transmission traditionnelle de l'information et une identité professionnelle fondée sur la possession d'un savoir désormais facilement accessible et surtout complètement noyé dans une mer de « savoirs sauvages », pour reprendre l'expression de Meirieu (1990). Pour toutes ces raisons, le potentiel éducatif des nouvelles technologies ne se matérialisera, suivant ce scénario, que si on neutralise les résistances traditionnelles de l'establishment éducatif et du corps professoral ; pour ce faire, l'entrepreneuriat et la pression du marché - ultimement celle des consommateurs d'école - sont de puissants leviers.

Ainsi que le souligne Cuban (1997), ce scénario postule que l'école et le métier d'enseignant seront transformés par le biais de la technologie, alors que les principales réformes éducatives au cours du XXe siècle ne furent pas liées à des technologies mais plutôt à des idéaux comme la démocratisation du savoir, le progressivisme, les pédagogies actives, etc. Cuban (1997), historien de l'éducation américaine, pose la question suivante :

vivons-nous présentement le cycle familier de l'innovation, nous amenant de l'extase à la déception, et éventuellement, au reproche ? En éducation, recommence-t-on toujours le même cycle ?

Selon Cuban (1997: p. 18), « le rêve qui anime les technophiles est peuplé d'élèves qui apprennent davantage et avec bien moins de difficultés que dans les classes traditionnelles, et d'enseignants qui aident les élèves à comprendre les contenus et à utiliser des compétences qui ne seraient que très rarement apparues au cours de leçons et de commentaires de textes s'adressant à des groupes complets ». Utopistes, les technophiles minimiseraient le pouvoir des traditions et des pratiques pédagogiques qui durent depuis trois siècles, ainsi que celui de croyances culturelles qui disent qu'enseigner c'est dire, apprendre c'est écouter, que le savoir est incorporé dans des matières enseignées par des pédagogues et des manuels, et que la relation élève-enseignant est un élément crucial de tout apprentissage. Ils minimiseraient aussi l'importance de la croyance dans l'organisation pédagogique par degrés, la valeur des classes indépendantes les unes des autres, et des programmes divisés en segments de connaissance. Bref, les technophiles croient que le temps est venu de balayer la forme scolaire du XVIIe siècle et que nous sommes en mesure de le faire grâce aux nouvelles technologies, compatibles avec les principes du « self-directed learning », l'intégration des savoirs, l'apprentissage coopératif, le réseautage et l'auto-évaluation.

En Amérique du Nord, par certains indices, on voit poindre ce scénario, profondément déstabilisateur pour l'institution scolaire traditionnelle. Certaines firmes développent un concept pédagogique à la fine pointe de la modernité pédagogique et intégrant les nouvelles technologies. Elles diffusent des vidéos donnant à voir ce qu'elles pourraient faire si on leur en donnait la chance ou la licence. On ne sait cependant s'il y a là un marché véritablement lucratif pour le secteur privé, ou si celui-ci ne se spécialisera pas dans un aspect ou l'autre de cette révolution : production de logiciels, de matériel didactique, de cours, etc., ou s'il évoluera vers la constitution de véritables réseaux d'écoles intégrant les nouvelles technologies, le souci de l'efficacité et des résultats propres à

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l'entreprise privée. On apprend que la multinationale Walt Disney entend investir des sommes astronomiques dans le concept de l'« édutainment ». Une histoire à suivre...

Par rapport aux caractéristiques précédemment analysées, le scénario deux prétend répondre à une forte demande sociale d'intégration des TICs dans l'apprentissage ; plus, il se voit incarner le sens de l'histoire et la modernité pédagogique, notamment sur le plan des résultats qualitatifs (développement de compétences intellectuelles de haut niveau, liées au traitement de l'information et à la responsabilisation de l'apprenant) ; il prétend combiner le souci de l'efficacité et de l'efficience avec celui d'un apprentissage à la fois significatif et de grande qualité. En ce sens, il a quelque chose de véritablement utopique. Aussi, il va plus loin que la décentralisation et pourrait s'accommoder d'une privatisation du système éducatif, quitte à se soumettre à une réglementation de type standards ou profils de sortie. Il est ainsi parfaitement compatible avec un type de management centré non pas sur le contrôle exclusif des processus, mais sur une reddition de compte axée sur les résultats anticipés et mesurés d'une manière ou d'une autre.

Pour les enseignants, ce scénario transforme leur identité traditionnelle, ainsi que le cadre d'exercice de leur métier. Nous nous éloignons d'une éthique du service public, pour avancer vers celle d'une entreprise performante et moderne, gérant le savoir et son acquisition ; nous nous éloignons d'un métier de parole et de savoirs et nous avançons vers une fonction d'organisation d'environnements pédagogiques et de médiation. Le scénario implique-t-il une prolétarisation du métier ou est-il compatible avec une certaine professionnalisation du métier ? Difficile de répondre de manière assurée ; il est probable que les deux tendances soient possibles. Mais elles impliquent un important travail de reconstruction identitaire.

Scénario 3 - La marche prudente mais ouverte des organisations apprenantes et professionnelles

Ce dernier scénario est difficile à dessiner, en partie parce qu'on n'en voit pas encore avec netteté et suffisamment d'étendue, des manifestations concrètes. En ce sens, il est plus indéterminé que les deux premiers.

Aussi, il est à cheval sur les deux premiers : il est moins réactionnaire, au sens strict du terme, que le premier ; il en refuse le côté nostalgique et surtout il lutte conte ses effets inégalitaires ; contrairement au second, il saute moins, pieds et poings liés, dans l'utopie du marché et des nouvelles technologies de communication, mais il est en marche vers autre chose que le statu quo ante : il regarde en avant. Il n'est pas nostalgique d'un passé idéalisé et reconnaît que l'environnement et la culture ont profondément changé et qu'on ne peut plus faire apprendre comme au temps où l'école avait en quelque sorte un monopole sur la distribution des savoirs codifiés.

Ce dernier scénario essaie de concilier ce qui est peut-être impossible à concilier : une éthique du service public en éducation et la lutte aux inégalités sociales renforcées par l'école, le souci d'assurer des apprentissages de haut niveau et de qualité à tous les élèves, en même temps que la formation/sélection d'une élite méritocratique ; un service public tirant parti des avancées managériales du domaine de l'entreprise privée, réglant cependant le marché éducatif et la compétition de manière à assurer l'équité sociale ; une pédagogie de l'entraînement et du traitement de l'information (le paradigme de l'apprentissage), un souci avec le développement des compétences, sans les déconnecter des savoirs, sans faire de celles-ci des algorithmes vides et généraux ; une prise en compte des spécificités locales en même temps que les exigences d'une appartenance à un ensemble national ou international plus grand, l'ouverture à la culture qui se fait, y compris dans et par les nouvelles technologies, et le souci de donner vie au patrimoine culturel et au savoir universel accumulé au fil des siècles.

Ce scénario est celui de l'« organisation apprenante », en ce sens qu'il met l'accent sur un processus d'apprentissage collectif. Il n'a pas au départ toutes les réponses et n'offre pas toutes les garanties ; il accepte de cheminer sans les avoir au préalable ; en ce sens, il assume l'incertitude et l'ambiguïté ; il a une idée relativement précise de sa destination, mais la carte et la boussole ne sont pas tout à fait au point, en tout cas pas assez pour réduire au minimum ou faire disparaître tout risque ; ayant déjà accumulé une bonne expérience de l'innovation et de la gestion du changement, il anticipe des écueils, se méfie de certaines dérives possibles, mais il avance quand même et apprend dans ce mouvement même. Il est moins affirmatif et sûr de lui, mais il demeure néanmoins têtu et obstiné dans son parti-pris pour l'apprentissage significatif et le développement de personnes autonomes et libres.

Dans ce scénario de la complexité, de la contradiction et de l'expérience construite, la professionnalité enseignante est plus exigeante que dans les deux scénarios précédents, car il n'y a pas ici de modèle canonique extérieur à la pratique enseignante, et imposé aux enseignants, soit par le passé de l'institution, soit par les forces du marché et les nouvelles technologies. Il y a plutôt une appropriation individuelle et collective tant du passé que des possibilités présentes et une recomposition identitaire à partir de ces éléments.

T. Seddon (à paraître), au terme d'une étude ethnographique d'une école secondaire australienne sérieusement bousculée par la logique marchande et des politiques éducatives néo-libérales, constate que les enseignants, ou du moins des éléments dynamiques parmi eux, avaient réussi à conserver et développer une réelle capacité d'action professionnelle (« capacity-building »), qu'elle associe aux neuf caractéristiques suivantes :

1. une sensibilité contextuelle, la capacité de comprendre et de répondre de manière inventive et

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« opportuniste » à des circonstances changeantes;

2. des valeurs démocratiques, collectives et de type « caring »;

3. un engagement communautaire, la communauté étant perçue comme un ensemble de réseaux sociaux dotés de propriétés culturelles spécifiques;

4. la reconnaissance de l'importance de soutenir et de développer les ressources culturelles communautaires (savoir, habiletés, attitudes et capacités d'action) si les communautés sont pour survivre;

5. une orientation organisationnelle, l'organisation étant considérée comme un outil pour construire la collégialité et la collectivité;

6. la reconnaissance de la diversité des publics et un engagement à publiciser les réussites afin de rendre compte, construire le soutien extérieur et pour rejoindre des communautés plus larges;

7. des convictions pédagogiques centrées sur l'apprentissage comme moyen d'accroître les capacités d'action individuelles et de groupe, pour le bénéfice de tous;

8. des « nous » politiques qui analysent les possibilités d'action d'une manière non-sentimentale et lucide, tout en étant capables d'assouplir les voies du changement;

9. un optimisme de la volonté et une belle humeur engageante (« lightness of spirit »), qui ne plie pas sous le poids de l'incertitude, de la rancoeur ou du pessimisme irrationnel.

Seddon propose de nommer cet ensemble de capacités, d'attitudes et de valeurs « ethical entrepreneurialism »; mais peu importe le nom de baptême, ce qui importe à nos yeux, c'est qu'il y a des équipes enseignantes, dans le troisième scénario, battantes et mobilisées, usant d'intelligence, de ruse et d'énergie pour réconcilier des orientations et convictions éducatives d'une part, et les exigences de la nouvelle régulation de l'éducation, d'autre part.

Dès lors, la question se pose : comment constituer ces équipes, et surtout comment les soutenir et les accompagner dans leur développement personnel et professionnel ? Comment les valoriser ? Comment transformer la formation continue des enseignants en véritable processus d'apprentissage collégial d'une pratique pédagogique en transformation et d'une organisation du travail à la fois plus décloisonnée et mieux adaptée aux besoins des élèves ?

En guise de conclusion

Il est bien sûr encore trop tôt pour statuer de manière définitive sur ce qu'il adviendra des trois scénarios formulés. Rappelons que ces scénarios ont été construits en tenant compte d'un certain nombre de couples d'oppositions classiques : le passé et l'avenir; l'État et le marché; le local, le national et l'international; la rationalité instrumentale et la rationalité expressive; le public et le privé; la tradition et le changement; l'enseignement et l'apprentissage; le certain et l'incertain; etc. La notion de crise avancée au départ de cette réflexion a beaucoup à voir avec la généralisation du sentiment que ces oppositions sont, en milieu scolaire, exacerbées, ballottant le système éducatif dans tous les sens, lui faisant perdre son équilibre traditionnel et le rendant en quelque sorte impuissant à contrôler son évolution et sa destinée. Les trois scénarios renvoient aux trois stratégies de sortie de crise typiques suggérées par Charlot (1987).

On peut aussi les associer à trois attitudes ou trois positions à l'égard du changement éducatif, ou du changement social en général :

1. une attitude de résistance de la part de ceux que leurs opposants nommeront des « dynosaures »;

2. celle du converti enthousiaste ou du « missionnaire »;

3. et celle de l'acteur pragmatique et opportuniste (dans le sens positif du terme), à la recherche d'un meilleur être, en marche vers autre chose que le statut quo, mais critique et lucide.

Pour les enseignants, qui, comme groupe, oscillent entre ces trois attitudes et adoptent tour à tour ces trois positions stratégiques, ainsi que le souligne Seddon et Brown (1997), les tendances évolutives ne sont pas univoques dans leurs implications. Rien n'est ni totalement blanc, ni totalement noir. Il y a fort à parier qu'un travail de reconstruction identitaire est en cours chez les enseignants, à partir des matériaux que l'évolution sociale, économique et culturelle leur fournit, et tels que l'institution scolaire les saisit et les retraduit à la lumière des contraintes imposées de l'extérieur et de ses visées de plus en plus négociées tant à l'interne qu'à l'externe.

Au fond, une ligne d'évolution probable tend vers la recomposition de ces trois scénarios, c'est-à-dire une sorte de montage composite et sous tensions d'éléments issus de ces trois scénarios qui vont former une réalité hybride et riche de contradictions, dans laquelle les enseignants du proche avenir devront apprendre à cheminer et construire leur identité.

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Mais d'une certaine manière on peut penser qu'il en a toujours été ainsi, l'enseignement et l'institution scolaire jouant en quelque sorte le rôle d'un filtre entre la société et la culture d'une part, et les jeunes générations, d'autre part : l'enseignement reprenant à son compte différents éléments du contexte social, y compris des éléments potentiellement contradictoires. Ce qu'il y a de nouveau, c'est l'accélération de la transformation tant de la société que de la culture, qui rend la fonction de l'école, certes tout aussi importante qu'autrefois, sinon davantage parce qu'elle rejoint tous les membres d'une génération et pour plus longtemps qu'autrefois, mais plus risquée et difficile pour les enseignants parce que les matériaux de construction du travail sont moins assurés que naguère.

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Notes

(1) Charlot rappelle que l'étymologie du mot crise (crisis) renvoie à l'action de distinguer, de séparer, de choisir, et donc, à la décision, au jugement, au dénouement. La crise sépare le vieux et le moderne et décide en faveur de l'innovation (Charlot (1987: p. 31)).

(2) Pour la France, Meirieu note : « L'unification des systèmes éducatifs des premiers cycles secondaires a entraîné, en France et ailleurs, des problèmes qui sont loin d'être résolus. Tant que le milieu préparait spontanément les élèves sélectionnés à recevoir par le discours des informations intégrées on ne sait comment, les problèmes didactiques ne se posaient pas. Ils se posaient à la rigueur pour ceux qui échouaient dans des conditions particulières et le «petit cours» devait suffire à les tirer d'affaire. Quant aux autres, une destination sociale d'exécutants manuels permettait de se satisfaire d'un dressage utilitaire » (Meirieu (1990: p. 11)). Pour le Québec, rappelons que la réforme scolaire des années soixante a sonné le glas de ce modèle d'enseignement secondaire d'élite, et l'a poussé vers le haut, à l'ordre d'enseignement collégial, du moins dans ses filières pré-universitaires. La France a opéré un choix similaire avec la mise en place des collèges uniques.

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ACELF - Résumé

RÉSUMÉ

Les transformations actuelles de l'enseignement : trois scénarios possibles dans l'évolution de la profession enseignante

Claude Lessard - Université de Montréal, (Québec) Canada Maurice Tardif - Université de Montréal, (Québec) Canada

Éducation et francophonie Volume XXIX, numéro 1, printemps-été 2001 Le renouvellement de la profession enseignante : tendances, enjeux et défis des années 2000

RÉSUMÉ - ABSTRACT - RESUMEN

RÉSUMÉ

Après avoir rappelé les trois acceptions de la notion de crise (rupture d'équilibre ; résistance à la modernité ; exacerbation des contradictions sociales (Charlot (1987)), les auteurs analysent quatre forces de changement à l'oeuvre : l'orientation actuelle des politiques éducatives ; la transformation du rôle de l'État ; l'évolution vers une logique de marché ; les nouvelles technologies de l'information et de la communication. Ils en dégagent trois scénarios possibles, ainsi nommés : 1) la restauration nostalgique du modèle canonique et des inégalités ; 2) la prise de contrôle des entrepreneurs technophiles ; et 3) la marche prudente mais ouverte des organisations apprenantes et professionnelles. Ils concluent à la difficulté de dégager l'ensemble des conséquences de ces lignes d'évolution pour le travail enseignant, les changements en cours étant pluridimensionnels dans leurs implications.

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ABSTRACT

The authors begin by reviewing the three accepted notions of crisis (imbalance; resistance to modernity; and exacerbation of social contradictions, Charlot (1987)). The authors then analyze the four forces of change at work : the current orientation of educational policies ; the transformation of the role of the State ; the evolution towards a market-based thinking ; and new technologies of information and communication. From this, they determine three possible scenarios : 1) nostalgic restoration of the canonical model and its inequalities ; 2) complete take-over by entrepreneurs in high-tech fields ; and 3) proceeding cautiously but openly in teaching and professional organisations. They conclude that it is difficult to determine all the consequences for the teaching profession of these evolutionary trends, since the changes occurring are multi-dimensional in their implications.

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RESUMEN

Después de haber hecho una breve revisión de las tres acepciones de la noción de crísis (ruptura del equilibrio; resistencia a la modernidad; exacerbación de las contradicciones sociales Charlot (1987)), los autores analizan cuatro fuerzas de cambio en acción : la orientación actual de las políticas educativas ; la transformación del rol del Estado ; la evolución hacia una lógica de mercado ; las nuevas tecnologías de la información y de la comunicación. Muestran los tres escenarios posibles, cuya nominación es la siguiente : 1) la restauración nostálgica del modelo canónico y de las desigualdades ; 2) la toma de control de los empresarios tecnófilos ; y 3) el avance prudente pero abierto de las organizaciones de educandos y de profesionales. Concluyen que es dificil identificar el conjunto de consecuencias que dichas líneas evolutivas tiene para el trabajo docente, los cambios emprendidos poseen implicaciones pluridimensionales.

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Page 161: Éducation et francophonie, vol. 29, no 1

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