DU MÊME AUTEUR -...

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DUMÊMEAUTEURCHEZLEMÊMEEDITEUR

AlbumdefamilleLaFindel’étéIlétaitunefoisl’amourAunomducœurSecretsUneautrevieLaMaisondesjoursheureuxLaRondedessouvenirsTraverséesLesPromessesdelapassionLaVagabondeLovingLaBelleVieUnparfaitinconnuKaléidoscopeZoyaStarCherDaddySouvenirsduVietnamCoupsdecœurUnsigrandamourJoyauxNaissancesDisparuLeCadeauAccidentPleinCielL’AnneaudeCassandraCinqjoursàParisPalominoLaFoudreMalveillanceSouvenirsd’amourHonneuretCourageLeRanchRenaissanceLeFantômeUnrayondelumièreUnmondederêveLeKloneetmoiUnsilongchemin

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UnesaisondepassionDoubleRefletDouce-AmèreMaintenantetpourtoujoursForcesirrésistiblesLeMariageMamieDanVoyageLeBaiserRuedel’espoirL’AiglesolitaireLeCottageCourageVœuxsecretsCoucherdesoleilàSaint-TropezRendez-vousAbonportL’AngegardienRançonLesEchosdupasséSecondechanceImpossibleEternelsCélibatairesLaClédubonheurMiraclePrincesseSœursetamiesLeBalVillanuméro2UnegrâceinfinieParisretrouvéIrrésistibleUnefemmelibreAujourlejourOffrirl’espoirAffairedecœurLesLueursduSudUnegrandefilleLiensfamiliaux

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DanielleSteel

COLOCATAIRES

Roman

Traduitdel’anglais(Etats-Unis)parCatherineBerthet

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Amesmerveilleuxenfants,Beatie,Trevor,Todd,Nick,Sam,Victoria,

Vanessa,MaxxetZara,quej’aimedetoutmoncœur.Prenezsoindevous,soyezprudents,soyezheureux,soyezaiméset,sic’estpossible,soyezaussisages,

compatissantsetindulgents.uissiez-voustoujoursavoirdelachanceetêtreenpaix.

C’estunerecetteparfaitepourtraverserlavie.

Avectoutmonamour,

Maman/d.s.

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FrancescaThayerrestaassiseàsonbureau,jusqu’àcequeleschiffresfinissentparsebrouillersoussesyeux.Elleavaitrefaitsescomptesaumoinsunecentainedefoisaucoursdesdeuxderniersmois,etelle venait de passer tout un week-end à essayer de réduire les dépenses. En vain. Les chiffresressortaientàl’identique.Ilétaittroisheuresdumatin,etelleavaittantpassélesmainsdansseslongscheveuxblondsquesesbouclesétaient toutemmêlées.Ellevoulaitabsolumentsauversonaffaireetsamaison,etellen’avaitpasencoretrouvédesolution.Sonestomacsecontractaàl’idéequ’ellerisquaitdeperdrelesdeux.

Toddetelleavaientouvertunegaleried’artàNewYorkdanslequartierdeWestVillagequatreansauparavant.Ilsexposaientlesœuvresd’artistesdébutants,qu’ilsvendaientàdesprixtrèsraisonnables.Francesca repérait les artistes, travaillait avec eux, et organisait les expositions. Todd s’occupait dufinancementetréglaitlesfactures.

Francescaétaitprofondémentattachéeauxpeintresqu’elleprésentaitet,àladifférencedeTodd,elleavaitunegrandeconnaissancedumondedel’art,ayantdéjàtenudeuxgaleriesàManhattanaprèsavoirobtenu son diplôme : la première dans un quartier chic et une autre à Tribeca, le nouveau quartierbranché.

CelledeWestVillage représentait l’aboutissementd’un rêvepourFrancesca,diplôméedesbeaux-arts et fille d’un peintre célèbre.Dès son ouverture, la galerie avait eu d’excellentes critiques. Todd,collectionneurd’artcontemporain,avaitétéséduitparl’idéed’aiderFrancescaàconcrétisersonprojet.Al’époque,sacarrièred’avocatàWallStreet l’amusaitmoins.Ilavaitmisdel’argentdecôtéet ilsedisait qu’il pouvait se permettre de relâcher la pression pendant quelques années. Son plan dedéveloppement pour la galerie prévoyait des rentrées financières importantes sur une période de troisans.Iln’avaitpascomptéaveclapassiondeFrancescapourlesœuvresd’artistestotalementinconnus.Pasplusqu’ilnes’était renducomptequeFrancescaavaitavant toutpourbutd’exposerdes tableaux.Elleétaitmécèneautantquegaleriste.Ils’étaitditquecechangementdecarrièreseraitexcitant,aprèsavoirpassédesannéesàfairedudroitfiscaletdelagestiondepatrimoinepourunefirmeimportante.Aprésent,ilenavaitassezd’écouterlesprotégésdelagalerieépancherleurâmetropsensible,etdevoirsafortuneseréduirecommepeaudechagrin.PourTodd,cen’étaitplusdrôle.Ilavaitquaranteans,etilvoulaitrecommenceràbiengagnersavie.QuandilenparlaàFrancesca,ilavaitdéjàtrouvéunnouveaujob dans un cabinet deWall Street, où on lui promettait un poste d’associé dans l’année.La vente detableaux,cen’étaitplussontruc.

Francesca,elle,s’entenaitàsonobjectif:fairedesagalerieunsuccès.Et,contrairementàTodd,lemanquedemoyensnelagênaitpas.Surunplanpersonnel,l’annéeprécédente,leurrelations’étaitmiseàbattre de l’aile, ce qui rendait leur entreprise encore moins attrayante aux yeux de Todd. Ils sequerellaientsurtout:leursloisirs,leursfréquentations,lagestiondelagalerie.Ilss’étaientrencontréscinqansauparavant.Francescavenaitjusted’avoirtrenteansetTodd,trente-cinq.

Elleavaitdumalàcomprendrequeleurrelationdecouplequisemblaitsisolideaitpusedétérioreràcepointenl’espacededouzemois.Aquaranteans,Toddavaitsubitementdécidéqu’ilvoulaitunstyledevieplusconventionnel.Ilnevoulaitpasattendrepluslongtempspourdevenirpèreetneconcevaitpasd’avoirdesenfantshorsdesliensdumariage.Audébutdeleurrelation,Francescaavaitététrèsfrancheavec lui : elle avait une aversion pour le mariage, ayant été aux premières loges pour observerl’obsession de samère, Thalia, à se trouver unmari. Francesca ne voulait pas commettre lesmêmes

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erreurs.Samèreluiavaittoujoursfaitunpeuhonte,etcen’étaitpasmaintenantqu’elleallaitsemettreàsuivresestraces.

Sesparentsavaientdivorcéquandelleavaitsixansetelleavaitvusonpère,unhommeextrêmementbeau, charmant et irresponsable, glisser d’une liaison à l’autre, avec de très jeunes filles qui nes’attardaient généralement pas plus de six mois dans sa vie. Le comportement de ses parents l’avaitrendueallergiqueàtoutengagementjusqu’àsarencontreavecTodd.Cedernier,marquéparledivorcepénible de ses propres parents quand il avait quatorze ans, était lui-même un peu frileux vis-à-vis dupassagedevantmonsieurlemaire.Maisrécemment,Toddavaitchangé:ilenavaitpar-dessuslatêtedeleurviedebohème,etdetouscesgensquitrouvaientnormaldevivreensembleetd’avoirdesenfantssansêtremariés.Apeineeut-ilsoufflélesbougiesdesonquarantièmeanniversaireque,sanscriergare,ilpritengrippesonenvironnement.

Il se plaignit deWest Village, que Francesca adorait, et dont il trouvait les rues et les habitantscrasseux.Pourcompliquerleschoses,peudetempsaprèsl’ouverturedeleurgalerie,ilsétaienttombésamoureux d’unemaison en trèsmauvais état. Ils l’avaient découverte par un après-midi de décembrefroidetenneigé, s’étaientemballés,et l’avaientobtenueàunprixexceptionnel,àcausedesonétatdedélabrement. Ils l’avaient restaurée ensemble, faisant la plus grande partie des travaux eux-mêmes.Lorsqu’ilsnetravaillaientpasàlagalerie,ilss’occupaientdelamaison.Enunan,toutl’intérieuravaitétérefaitàneuf.Ilsavaientachetédesmeublesdanslesbrocantes,et,petitàpetit,l’avaienttransforméeenunniddouillet.Aprésent,Toddprétendaitqu’ilavaitpassélesquatredernièresannéesàréparerdesfuites sous l’évier et à repeindre lesmurs. Il avait envie d’un appartementmoderne et facile à vivre.Francesca luttait avec l’énergie du désespoir pour la survie de leur affaire et de leurmaison.Malgrél’échecdeleurrelation,ellevoulaitgarderlesdeux.Elleétaitdéjàbienasseztristed’avoirperduTodd.

Ilsavaient tout tentépoursauverleurcouple:consulterunconseillerconjugal,essayerchacununethérapie individuelle,seséparerpendantdeuxmois. Ilsavaientdiscutéàenperdrehaleine.Ilsavaientfaitlemaximumdecompromis.Envain.Toddtenaitàfermerlagalerie,oubienàlavendre,cequiauraitbrisélecœurdeFrancesca.Ilvoulaitsemarieretavoirdesenfantsalorsqu’ellen’enavaitaucuneenvie,ou,dumoins,pasencore.Peut-êtremêmen’enaurait-ellejamaisenvie.Ellesehérissaitàl’idéedesemarier,fût-ceavecl’hommequ’elleaimait.ElletrouvaitlesnouveauxamisdeToddtristesàpleurer.Luitrouvaitlessiensterriblementbanalsetlimités.Ilenavaitassezdesvégétaliens,desartistessanslesou,etdecequ’ilconsidéraitcommedesidéauxgauchistes.Francescan’auraitsudirecommentilsenétaientarrivéslàensipeudetemps,maisc’étaitlaréalité.

Ils avaient vécu l’été précédent chacun de son côté.Au lieu de faire du bateau ensemble dans leMainecommeàleurhabitude,Francescaavaitpassétroissemainesdansunerésidenced’artistes,tandisqueTodds’étaitrenduenEurope.Enseptembre,aprèsavoiressayépendantuneannéeentièredesauverleurcouple,ilsconvinrentquelasituationétaitsansespoir.

Cesurquoiilsneparvenaientpasàs’entendre,enrevanche,c’étaitsurcequ’ilsdevaientfairedelagalerieetdelamaison.Francescaavaitinvestitoutesseséconomiesdansl’achatdeleurmaison.Pourlagarder, elle devait racheter la part de Todd. Sinon, ils seraient obligés de vendre. Ils avaient moinsinvestidans lagalerie, et la sommequeTodd lui réclamaitn’étaitpasexcessive.Leproblème,c’étaitqu’ellenel’avaitpasplus.Toddluiavaitlaisséletempsdes’organiserjusqu’àlafindel’année,maisonétaitdébutnovembre,etellen’avaittoujoursaucunesolutionenvue.

Toddcontinuaitmalgrétoutàl’aideràlagaleriequandilenavait letemps,maislecœurn’yétaitplus.Etc’étaitpoureuxdeplusenplusstressantdevivresouslemêmetoit,alorsqueleurcoupleétaitmort. Ils n’avaient plus fait l’amour depuis desmois, et, dès qu’il le pouvait, Todd partait passer leweek-endchezdesamis.C’étaittriste.Francescaavaitdanslabouchelegoûtamerdeladéfaite,etelledétestaitça.

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Assiselàdevantsatable,danssonvieuxjeanetsonsweat-shirt,leschiffressouslesyeux,elleavaitbeauadditionner, soustraire etmultiplier, elle revenait toujours aumême résultat : ellen’avaitpas lesmoyens.Leslarmesauxyeux,ellecontemplafixementlescolonnesdecomptes.

Ellesedoutaitdéjàdelaréactiondesamèrequis’étaittoujoursvigoureusementopposéeàcequesafille crée une affaire et achète une maison avec un homme qu’elle aimait, mais qu’elle n’avait pasl’intentiond’épouser.

Samèrepensaitquetouteviedecoupledevaitcommencerparuncontratdemariageetfiniravecunepensionalimentaire.

«Que sepassera-t-ilquand tu rompras?avait-elledemandé– issuequ’elle tenaitpour inévitablepuisque quatre de sesmariages sur cinq s’étaient terminés par une séparation. Comment feras-tu sansargent?

—Ceseracommepourundivorce,maman,avaitréponduFrancesca,agacéecommetoujoursparlesproposmaternels.Avecunbonavocat,debonnesmanières,unrespectmutueletautantd’affectionqu’onpeutenavoirpoursonconjoint,àcestaded’uneviedecouple.»

Samèreétaitrestéeamieavectoussesex-maris,etcesderniersl’adoraient.ThaliaHamishAndersThayer Johnson di San Giovane était belle, chic, choyée, égocentrique, séduisante, et son attitudeoutrancièrelafaisaitpasserpourexcentrique.Francescalaqualifiaitgentiment«d’originale»,maisenréalitéelles’étaitsentietoutesaviehumiliéed’avoirunemèrecommelasiennequiavaitépousétroisAméricains et deux aristocrates européens, l’un britannique, l’autre italien. Il y avait eu un auteur àsuccès,unartiste–lepèredeFrancesca–,lerejetond’uncoupledebanquiersbritanniquescélèbres,unriche propriétaire terrien texan qui lui avait offert une pension considérable et deux galeriescommerciales,cequiluiavaitpermisd’épouserensuiteuncomteitalienabsolumentcharmant,maissansle sou.Celui-ci l’avait laissée veuve, ayant trouvé lamort àRome au volant de saFerrari, huitmoisaprèsleurunion.

PourFrancesca,ilétaitclairquesamèrevenaitd’uneautreplanète.Ellesn’avaientstrictementrienencommun.EtFrancescasavaitqu’àl’annoncedesaruptureavecTodd,cequ’ellen’avaitpasencoreeulecrandefaire,samèredéclarerait:«Jetel’avaisbiendit!»Ellen’avaitnullementenvied’entendresoninévitablediscoursmoralisateur.

Thalia ne lui avait pas proposé d’aide financière quand elle avait acheté la maison et ouvert lagalerie. Francesca avait tout à fait conscience qu’elle ne le ferait pas davantage aujourd’hui. Samèren’aimaitpasWestVillage,etellepensaitquelamaisonn’étaitpasuninvestissementintelligent.Al’instardeTodd, elle conseillerait àFrancescade lavendre et d’enpartager lesbénéfices avec sonex.MaisFrancescarestaitpersuadéequ’illuiseraitpossibledegarderlamaison,mêmesiellen’avaitpasencoretrouvédequellemanière.Etellen’espéraitpasquesamèrepuisseluiapporterdesidées.Thalian’avaitaucunsenspratique:toutesavie,elles’étaitreposéesurunmari.Ellen’avaitjamaisgagnéunsou,sinonparsesmariagesetsesdivorces,et,poursafilleunique,quinemâchaitpassesmotsquandils’agissaitdesamère,celas’apparentaitàdelaprostitution.

Francescaétaitindépendanteettenaitàlerester.L’exempledesamèrel’avaitconfortéedansl’idéequ’ilnefallaitcomptersurpersonne,etsurtoutpasunhomme.Sonpère,HenryThayer,n’étaitpasplusraisonnable que sa mère. Des années durant, il avait vécu en artiste pauvre, bon à rien charmant etcoureur de jupons. Mais à cinquante-quatre ans, il avait eu la chance incroyable de rencontrer uneavocate,AveryWillis.Ill’avaitengagéecommeconseildansunprocèsquil’opposaitàunmarchanddetableauxindélicat,etelleavaitgagné.Elleluiavaitapprisàplacersonargentaulieudeledépenseravecdesfemmes.Et,dansuntraitdegénie,leseulqu’ilaitjamaiseuselonFrancesca,ilavaitépouséAveryun an plus tard qui, à cinquante ans, semariait pour la première fois. En dix ans, elle l’avait aidé àconstruire une belle fortune, qui consistait en un portefeuille d’actions et d’excellents placementsimmobiliers. Elle l’avait persuadé d’acheter unemaison à SoHo, où ils vivaient ensemble et où il se

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consacraitàsonart.IlsavaientaussiunerésidencesecondairedansleConnecticut.Averyétaitdevenuesonagentartistique,etlesprixdesesœuvresétaientmontésenflèche,suivantlamêmecourbequesesplacementsfinanciers.Henryadoraitsafemme,etlaportaitauxnues.Pourlapremièrefoisdesavie,ilavait eu l’élégance d’être fidèle. C’était la seconde femme – après la mère de Francesca – enverslaquelle il s’était engagé et qu’il avait épousée, mais Avery et Thalia étaient aussi différentes quepossible.

Averyavaitfaitunecarrièred’avocate,sansjamaisdépendred’unhomme.Aprésent,sonmariétaitson seul client. Sans être glamour, elle était jolie. Sérieuse et pragmatique, elle brillait par sonintelligence.Francescaetelles’étaientadoréesdèsleurpremièrerencontre.Averyauraitpuêtrelamèredesabelle-fille,maisellenevoulaitpasjouercerôle.Ellen’avaitpasd’enfants,etjusqu’àsarencontreavecHenryavaitmontrélamêmeréticencequeFrancescapourlemariage.Elleaussiavaiteu,commeelle le disait elle-même, des « parents timbrés ».Au fil du temps, Francesca et sa belle-mère étaientdevenuestrèsproches.Asoixanteans,Averyavaittoujoursuneallurejeuneetnaturelle.

Parfaitementheureuse,mariéeàunhommequ’elleadoraitetdontelletoléraitlesexcentricitésavecbonnehumeur,Averyconnaissaitsoncomportementvolagepassé.IlavaitcouchéavecdescentainesdefemmessurlacôteEst,lacôteOuest,etdanstoutel’Europe.Ilaimaitàdirequ’ilavaitétéun«mauvaisgarçon»avantdelarencontrer,etFrancescapouvaitentémoigner.Ilavaitété«mauvais»,c’est-à-direparfaitement irresponsable,commepèreetcommemari,et il resteraitunenfant jusqu’àsamort,mêmes’ildevaitvivrejusqu’àquatre-vingt-dixans.Samèreétaitexactementcommelui,letalentenmoins.

Toutcequecettedernièredésiraitàprésent,àsoixante-deuxans,c’étaitdetrouverunnouveaumari.Elleétaitpersuadéequelesixièmeseraitledernieretlemeilleurdetous.Francescan’enétaitpasaussicertaine, et elle espérait que sa mère aurait la sagesse de s’abstenir. Elle pensait que la rechercheobstinéedeThaliapourcefameuxnumérosixavaitéloignéd’elletouslescandidatsacceptables.Ilétaitdifficiledecroirequ’elleétaitveuvedepuisseizeans,etseuleendépitd’unemultituded’aventures.Samèreétaittoujoursunejoliefemme.Cependantelledisaitsouvent,avecunepointedetristesse,queleschancesdetrouverunmaris’amenuisaientavecl’âge.

Toutbienconsidéré,Averyétaitlaseulepersonnesenséedansl’entouragedeFrancesca.Elleavaitlespiedssurterre,etsabelle-filleauraiteugrandbesoindesonavisencemoment,maisellen’avaitpaseulecouragedel’appeler.C’étaittellementdifficile,dereconnaîtrequ’elleavaitfaitfausseroutedanstouslesdomaines:danssarelationdecoupleetaussidanssonaffaire.

Francesca finitparéteindre la lumièredesonbureau,adjacentà lachambre.Elleallaitdescendredans lacuisinepoursepréparerune tassede laitchaudquandelleentenditunbruitd’eau.C’étaitunepetite fuite provenant de la lucarne ; les gouttes tombaient sur la rampe de l’escalier et s’écoulaientlentementsurleboisciré.Lafuitenedataitpasd’hier:Toddavaitessayédelaréparerplusieursfois,maiselleréapparaissaitchaqueannéeaveclesfortespluiesdenovembre.Etcesoiriln’étaitpaslàpouryremédier.Il luidisaittoujoursqu’ellenepourraitjamaisentretenircettemaisontouteseule,peut-êtreavait-ilraison.Néanmoinsellevoulaitessayer,quoiqu’illuiencoûte.Ilpouvaitbienyavoirdesfuitesdans la toiture, et la maison pouvait même s’écrouler autour d’elle, Francesca n’était pas prête àrenoncer.

D’un pas décidé, elle se dirigea vers la cuisine. En remontant dans sa chambre, elle disposa untorchon sur la rampe pour absorber l’eau. C’était tout ce qu’elle pouvait faire en attendant que Toddrevienne de sonweek-end.Elle soupira et se promit d’appeler sa belle-mère dès le lendemainmatin.Avery aurait peut-être une solution à laquelle elle n’avait pas pensé. C’était son dernier espoir. Ellevoulait absolument garder samaison deCharles Street qui prenait l’eau et sa galerie avec ses quinzeartistespeintresinconnus.Elleavaitinvestiquatreansdesaviedanscesdeuxprojets,et,quellequesoitl’opiniondeToddoucelledesamère,ellerefusaitderenonceràsesrêves.

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SaconversationautéléphoneavecAvery,lelendemainmatin,futplusdécontractéequ’ellenel’auraitcru.Francescasesentitmieuxdèsqu’elleentenditlavoixdesabelle-mère.Ellesbavardèrentquelquesminutes,riantdesdernièrespitreriesdesonpère.Parbiendescôtés,Henryavaitgardélecharmed’unadolescent,cequ’Averytrouvaitadorable,etcequiavaitconduitFrancescaàluipardonnersesdéfauts.PuisFrancescaenvintàl’affairequilapréoccupait.Lagorgenouée,ellel’informadesaruptureavecToddetluiexposasondésarroiconcernantlagalerieetlamaison.

—Jesuisdésolée,ditAveryavecunesincèrecompassion.Jesentaisbienqu’ilyavaitanguillesousroche.Nousn’avonspassouventvuTodd,cesderniersmois.

Enfait,ilsnel’avaientpasvudutout.FrancescaleuravaitrenduvisiteseuledansleConnecticut,àplusieurs reprises au cours de l’été. Elle avait trouvé des excuses pour expliquer l’absence de soncompagnon,maisAveryn’avaitpasétédupe.Henrynonplus.Néanmoins ilnevoulaitpass’immiscerdanslaviedesafilleaucaractèresecret.

« S’il se passe quelque chose, elle nous le dira elle-même quand elle se sentira prête », avait-ildéclaré.

Averynefutdoncpasgrandementsurpriseenapprenantlanouvelle.—Celaposeeffectivementunproblèmepourlagalerie.Est-cequetuperdsdel’argent?EllesedemandaitsiFrancescapourraittirerunprofitdelaventedelagalerie.—Pasvraiment.Nousarrivonstoutjusteàéquilibrerlescomptes.Maisjenepensepasséduireun

acheteur si ellenegénèrepasdebénéfices.Toddpenseque, si j’augmentais leprixdesœuvres,nousserionsbénéficiairesenl’espacededeuxoutroisans.Etilditaussiquesijecontinueàprésenterdesartistesémergents,lagalerienerapporterajamaisbeaucoupd’argent.Maisjen’aivraimentpasenviedememettreàexposerdesartistescélèbres.C’estunaspectdumétierentièrementdifférent,etcen’estpascequejevoulaisfairequandj’aiouvert.

Francescaavaitunevisiontrèsidéalistedel’art,cedontToddseplaignait.Ilauraitvoulumettreenplace une stratégie plus commerciale, mais Francesca ne voulait pas de ce genre de compromis.Toutefois,elleserendaitcompteàprésentqu’elleallaityêtreobligée,quecelaluiplaiseounon.Elleaimait les artistes véritables, même inconnus. Elle venait juste de signer un contrat avec un peintrejaponaisqu’elleconsidéraitextrêmementtalentueux.Ilavaiteud’excellentescritiquespoursapremièreexposition, et Francesca vendait ses tableaux pour trois fois rien. Elle ne se sentait pas le droit dedemanderpluspourunjeuneartiste,elleavaituneéthiquetrèsstricteàcesujet.

— Tu seras sans doute obligée de faire quelques concessions et de vendre des artistes dont lacarrièreadéjàdémarré,suggéraAveryavecsonhabituelespritpratique.

Elleavaitbeaucoupapprissurlemondedel’artaucontactdupèredeFrancesca,etensavaitlongsur l’aspect financier.Mais lepèredeFrancescavivaitdansunmondedifférent, etgrâceàAvery sestableauxatteignaientàprésentdesprixastronomiques.

—Parlonstoutd’aborddelamaison.Ya-t-ilquelquechosequetupourraisvendreafinderéunirlasommenécessairepourracheterlapartdeTodd?

Francescafutaccablée.Ellen’avaitrien.Etc’étaitlàtoutleproblème.—Non, jenevoispas.J’ai investi toutceque jepossédaisdanscettemaison.C’estàpeinesi je

parviens à payerma part des remboursements pour l’emprunt.Mais si je prenais des locataires, troisseraientsuffisants,çarégleraitaumoinsceproblème.

—Jenetevoispasvivreavecdesétrangers,rétorquaAveryavecfranchise.

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Elle savait que sa belle-fille était une personne extrêmement réservée. Enfant unique, elle avaittoujourseuungoûtpour lasolitude.Sielleproposaitdeprendredes locataires,celasignifiaitqu’elleétaitvraimentdécidéeàgarderlamaisoncoûtequecoûte.

—Mais si tu te sens capable de supporter ce genre de situation, cela résoudra le problème desmensualités.Etquecomptes-tufairepourremboursersapartàTodd?

Avery posa la question d’une voix pensive, mais elle ne laissa pas le temps à sa belle-fille derépondre.

—J’aiuneidée,Francesca,maisjenesaispascequetuenpenseras!Tupossèdessixtableauxdetonpère,ilsfontpartiedesespremièresœuvresetsontexcellents.Jesuissûrequetuenobtiendraisunbonprix.AssezentoutcaspourpayeràToddcequetuluidois.Jepeuxappelersagalerieprincipale,situlesouhaites.Ilsferontn’importequoipourmettrelamainsurdesœuvresdejeunesse.

Francescafitlamoue.Laseulepenséedevendrelestableauxdesonpèresuffisaitàlaculpabiliser.Ellen’avaitjamaisrienfaitdeteljusqu’àprésent.Maisjamaisnonplusellenes’étaittrouvéedansunesituationaussidésespérée.Etellen’avaitriend’autredemonnayable.

—Commentleprendrait-il,d’aprèstoi?demandaFrancesca,unpeuinquiète.Malgré lesreprochesqu’elleavaitpuluifaire,Francescaaimaitsonpère,etelleavaitunprofond

respectpoursontravail.Elletenaitbeaucoupauxsixtoilesqu’ellepossédait.—Jecroisqu’ilcomprendra,réponditgentimentAvery.Avantnotremariage,ilvendaitsansarrêtses

œuvrespoursurvivre.Ilsaitmieuxquepersonnecequec’estdeseretrouverdanscettesituation.Unefois,ilamêmevenduunpetitPollockpourdonneràtamèrel’argentqu’illuidevait!Faiscequetudoisfaire,Francesca.

—Jepourraispeut-êtremecontenterd’envendrecinq.J’engarderaiaumoinsun.Papam’aoffertcestoiles.Jenesuispasfièredelesvendrepouracheterunemaison.

—Tun’aspaslechoix,ilmesemble.—Non,c’estvrai.L’espace d’uneminute, elle envisagea de vendre lamaison plutôt que les toiles.Mais cela ne la

satisfaisaitpasnonplus.—Tuveuxbienappelersonmarchand,pourvoircequ’ilendit?Sijepeuxenobtenirunbonprix,je

pensequejemedécideraiàlesvendre.Maisproposes-encinqseulement.Francescaétaitextrêmementsentimentale.Cetteventeallaitreprésenterungrandsacrificepourelle.

Undeplus.— Jem’en occupe, promitAvery. Sonmarchand a une liste de collectionneurs intéressés par ses

œuvres.Jepensequ’ilss’empresserontdesautersurl’occasion.Amoinsquetunepréfèresattendreuneventeauxenchères?

—Jenepeuxpasattendre,avouaFrancesca.Toddm’alaisséjusqu’àlafindel’annéepourluipayersapart.C’est-à-diredansdeuxmois.Jen’aiplusdetemps.

—Danscecas,j’appelledèsquenousauronsraccroché.C’estalorsqu’Averyeutunenouvelleidée.Ellenesavaitpasencorecequesonmarienpenserait,

maisellelaconfianéanmoinsàFrancesca.—Tonpèreestenthousiasmépar le travailque tuaccomplisà lagalerie.Henryestcomme toi, il

adore découvrir de nouveaux artistes. Peut-être aimerait-il collaborer avec toi. Devenir une sorte decommanditairedansl’ombre.Bienquetonpèrepréfèregénéralementlalumière;maisiltrouverapeut-êtreexcitantdet’aider,jusqu’àcequelagaleriecommenceàgénérerdesbénéfices.D’aprèscequetumedis,lapartqueteréclameToddnereprésentequ’unesommeassezmodeste.

Todd avait été très fair-play.La sommequ’il demandait était presque symbolique, d’unmontant àpeineplusélevéquecequ’ilavaitinvestiaudépart.Pourlamaison,c’étaituneautrehistoire.Celle-ciavaitprisunevaleurconsidérableenl’espacedequatreans,maislàaussiilsemontraitjuste.Ilespérait

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cependantretirersuffisammentd’argentdeCharlesStreetpouracheterunappartement.Lasituationétaitdifficile pour lui aussi, et la fin de leur vie de couple lui causait une grande déception. Tous deuxvoulaientenfinirleplusvitepossible.

—Jen’aijamaispenséàdemanderàmonpèredes’investirdansmagalerie,répondit-elle,intriguéeparcetteidée.Tupensesqu’ilseraitintéressé?

—C’estpossible.Pourluiceseraitpassionnant,etenplusjesuissûrequ’ilaimeraitt’aider.Celanereprésentepasunsigrandinvestissement.Pourquoinel’invites-tupasàdéjeunerpourluisoumettrecetteidée?

CettesuggestionplutàFrancesca.Sonpèreétaitplussusceptibledel’épaulerquesamère,quiavaitdésapprouvésesdeuxprojetsdèsledépart.Thalianes’étaitjamaisintéresséeàlapeinture,bienqu’ellepossédât plusieurs tableaux de son ex-époux, d’une valeur considérable. Au début, elle les avaitconservésparattachementsentimental,et,aujourd’hui,ladizained’œuvresdejeunessed’Henryquiétaitrestéechezellereprésentaitunepetitefortune.Elledisaittoujoursqu’ellenevendraitjamaiscestoiles.

Pourlapremièrefoisdepuisdeuxmois,Francescaentrevitunelueurd’espoir.—Jevaisl’appeleretl’inviteràdéjeunerdemain.Tufaisdesmiracles,Avery.Tuesgéniale,mon

pèreadelachancedet’avoirépousée.—Et j’en ai aussi de l’avoir rencontré. C’est quelqu’un de bien, surtout depuis qu’il a cessé de

collectionnerlesmaîtresses.AveryétaitbienplusréalistequetouteslesfemmesqueHenryavaitconnuesavantelle.Etelleaimait

bienaussi lamèredeFrancesca.Thaliaavaitunetellefaçond’êtrechoquanteetoutrancièrequ’elle latrouvaitamusanteetéprouvaitunecertaineaffectionpourelle.Cequinel’empêchaitpasdecomprendreque Francesca soit mal à l’aise avec sa mère. Même Avery, avec toute l’indulgence dont elle étaitcoutumière,devaitbienreconnaîtrequel’attitudedeThaliaétaitembarrassante,surtoutpouruneenfantqui rêvait par-dessus tout d’avoir une mère comme les autres. Henry, de son côté, n’était pas moinsexcentrique.Ilsétaient tout lecontrairedeparents traditionnels,cequiavaiteupourrésultatderendreFrancescaexcessivementeffacée.AveryétaitconscientequeHenryetThaliaavaientdûformeruncoupletrèsparticulier. Ils étaient si différents l’unde l’autrequ’elle étaitmêmeétonnéeque leurmariage aitduré sept ans.La seule chosepositive issuede leurunion, c’était leur fille.Thaliade soncôté aimaitbeaucoupAvery.Maisquinel’aimaitpas?C’étaitunepersonnequ’onnepouvaitquerespecter,etsesmanières amicales, intelligentes, décontractées emportaient l’adhésion. Authentique, saine, modeste,Averyavaitbeaucoupdeclasse.ToutlecontrairedelamèredeFrancesca.

—Jecroisquemesproblèmessontrésolus,ditFrancescaavecunsoupirdesoulagement.—Pastoutàfait.Ilfautencorequej’appellelemarchanddetableauxdetonpère,etquetuparlesà

Henrydetagalerie.Maisilmesemblequec’estenbonnevoie,déclaraAveryd’untonencourageant.Elle espérait de tout cœur que les choses s’arrangeraient pour sa belle-fille. Elle la tenait pour

quelqu’undebienquiméritait d’être récompensépour son travail ; ellen’auraitpas aimé lavoir toutperdreàcausedesaruptureavecTodd.

—Jesavaisquetum’aideraisàtrouverunesolution,ditFrancesca,heureusepourlapremièrefoisdepuisdesmois.Jenevoyaispasd’issue.

—C’estparcequetuesplongéejusqu’aucoudanstesproblèmes,expliquaAveryavecsimplicité.Parfois,lessolutionsparaissentplusévidentesdel’extérieur.Espéronsquetoutcelavamarcher.Dèsquej’aurai parlé aumarchandde tableaux, je t’appellerai.Lemoment est trèsbien choisi, car il vapartirbientôtàlafoireinternationaleArtBasel,quisetientàMiami.Mêmes’iln’apasdéjàsouslamaindecollectionneurintéresséparlespremièresœuvresdetonpère,ilrencontrerabeaucoupdemondelà-basetpourraprobablementtrouverunacheteurd’icilafindel’année.

—CelaferaplaisiràTodd,ditFrancescaavecunepointedetristesseenpensantàlui.

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Avec ou sans contrat de mariage, ils avaient beaucoup de questions à résoudre et de partages àopérer.Leurséparationétaitpresqueaussicompliquéequ’undivorce.

—Celateferaplaisiraussi,siçatepermetdegarderlamaison.—Oui, je seraiheureusedepouvoir lagarder, confirmaFrancesca. Je croisqu’il vautmieuxque

j’avertissemesparents,pourTodd.Adirevrai,jeredoutecemoment.Papanemeposerapasvraimentdeproblème,maismamanvamesermonner.Elletrouvaitquec’étaitdelafolied’acheterlamaisonetdecréeruneaffairesansêtremariés.

—C’est pourtant ce que font les gens de nos jours. Beaucoup de couples placent leur argent encommun,alorsqu’ilsnesontpasmariés.

—Tudevraisleluiexpliquer,répliquaFrancescaavecunsourireironique.—Jen’essayeraimêmepas!Complices, les deux femmes rirent à l’unisson : Thalia avait des idées bien à elle, et il était

impossibledelafairechangerd’avis.—Tiens-moiaucourantpourlemarchanddetableaux.—Oui,c’estpromis.Etnebaissepaslesbras,Francesca.Toutfinirapars’arranger,affirmaAvery

d’untonrassurant.JamaisThalian’auraitprononcécesparolesderéconfort,etpourtantc’étaitellequiauraitdûlefaire.

Enréalité,Thaliaétaitplusunetanteexcentriquequ’unemaman.EtAvery,plusqu’uneamie.Francesca demeura un long moment à réfléchir avant de prendre à nouveau son téléphone. Cette

conversationavecsabelle-mèrel’avaitremontée.Commeellel’espérait,Averyl’avaitaidée.Elleavaittoujours de bonnes idées, généralement fructueuses, comme le prouvait la réussite de son père.Henryavaitététrèsimpressionnéparsadeuxièmefemmeaudébutdeleurviecommune,etil l’étaittoujours.Elleavait accomplidesmiraclespour lui, lapreuveenétait leur styledevie, très confortable.Averyavaitunefortunepersonnelle.Elleavaitmenéunecarrièreprofessionnellelucrative,etavaitsufairedesinvestissements judicieux.L’idéededevoirdépendredequelqu’und’autrequ’elle-même luiparaissaitrisible.Commeelle ledisaitsibien,ellen’avaitpaspassétoutesavieà travaillercommeunedinguepourêtretributaired’unhomme.Elleavaittoujoursfaitcequ’ellevoulaitdesonargent,etellecontinuait.Rien n’avait changé quand elle s’était mariée. Henry avait retiré beaucoup plus d’avantages qu’elle-mêmedeleurunion.Financièrement,ilavaiteubesoind’elle,alorsqu’ellen’avaitnullementbesoindelui.Mais, sentimentalement, ilsdépendaient l’unde l’autre, cequiparaissaitnormalàFrancesca.ElleavaitcruavoirlemêmetypederelationavecTodd.Elles’étaittrompée,etmaintenantleurséparationlafaisaitsouffrir.Enormément.

Lecoupdefilsuivantfutpoursamère.C’estàpeinesiThalialuidemandadesesnouvelles,avantdese lancerdansunlongmonologuecentrésurelle-même.Sursesactivités, lesgensqui l’agaçaient,sondécorateurnul,lesmauvaisplacementsdesonbanquier,ettouslessoucisquecelaluicausait.

—Cen’estpascommesij’avaisunmaripourmesoutenir,selamenta-t-elle.—Tun’aspasbesoind’unmari.Don t’a laissédequoivivre tranquillement jusqu’à la finde tes

jours.Ses deux galeries commerciales s’étaient multipliées comme des petits pains, si bien qu’elle en

possédait dix désormais. Et ce n’étaient pas ses seuls investissements. Elle était donc loin d’êtreindigente, commeen témoignait sonélégantpetit appartement sur laCinquièmeAvenue.L’endroit étaitsuperbe,etelleavaitunevueimprenablesurCentralPark.

—Jenedispaslecontraire.Maisc’esttrèsangoissantpourmoidenepasavoirunmaripourmeprotéger, réponditThaliad’unevoixquiauraitpu laisserpenserqu’elleétait fragile,cequ’ellen’étaitpasnonplus.

Francescas’abstintdeluifaireobserverqu’elleauraitdûs’habitueràvivreseule,seizeansaprèslamorttragiquedesonmariàRome.CedernierluiavaitléguéletitredeContessa,cequ’elleappréciait

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beaucoup.Sonseulregret,c’étaitquesonépouxn’aitpasétéprince.ElleavaitavouédesannéesplustôtàFrancescaqu’elleauraitadoréêtreprincesse,mais,aprèstout,comtesse,cen’étaitdéjàpassimal.ElleportaitdoncletitredeContessadiSanGiovane.

Francescadécidadesejeteràl’eau,têtelapremière.—J’airompuavecTodd,annonça-t-ellecalmement.—Quand? réponditThaliad’unevoix étonnée, commesi, contrairement àAveryet àHenry, elle

n’avaitrienvuvenir.—Cela couvait depuis plusieursmois.Nous avons essayéde continuer à vivre commeun couple

normal,maisc’étaitimpossible.Ilvaretournertravaillerdansuncabinetd’avocats,etilveutquejeluiremboursesapartdelagalerieetdelamaison.

—As-tulesmoyensdelefaire?interrogeasamère,sansdétouretsanscompassion.—Pasencore.Maisj’espèretrouverunesolutionavantlafindel’année.Par délicatesse, pour ne pas la blesser, elle se garda de révéler à samère qu’elle avait demandé

conseilàAvery.—Jet’avaisbienditquetun’auraispasdûacheterunemaisonetcréeruneaffaireaveclui!C’estde

lafoliequandonn’estpasmariés,çanepeutconduirequ’audésastre.Est-cequ’iltefaitdesdifficultés?Thalia aimait bienTodd.Cequine lui plaisait pas, c’était qu’ils n’aientpasvoulu semarier.Par

certainscôtés,curieusement,ellesemontraittrèsvieuxjeu.—Pasdutout,maman.Ilesttrèsgentil.Maisilveutrécupérerlapartquiluirevientsurlamaison,et

surl’affaire.—Pourras-tuluidonnertoutcequ’ilréclame?—Peut-être. Sinon, il faudra que je vende lamaison et que je ferme la galerie. Je fais toutmon

possiblepouréviterça.—Queldommagequetutesoisautantengagéeaveclui!Jen’aijamaistrouvéquec’étaitunebonne

idée.Etellenelaissaitpassafillel’oublieruneminute.—Oui,jesais,maman.Maisnouspensionsquenotrecoupleallaitdurer.—Chacunlecroit,jusqu’àcequetouts’écroule.Etquandçaarrive,ilvautmieuxseretrouveravec

unepensionalimentaireetunerente,plutôtqu’avecuncœurbrisé.C’étaittoutcequeThaliaavaitappris,etlaseulecarrièrequ’elleaitjamaisfaite.—Unepensionalimentaireneremplacepasuntravail,maman.Paspourmoi,dumoins.Avecunpeu

de chance, je trouverai une solution, rétorqua-t-elle agacée comme toujours par les commentairesmaternels.

— Tu n’as qu’à vendre la maison. De toute façon, tu ne pourras pas l’entretenir sans lui. Cettebaraqueestsurlepointdes’effondrer.

Toddavaitemployé lesmêmesmotset soulignéqu’ellene s’ensortiraitpas toute seule.Elleétaitbiendécidéeàleurprouveràtouslesdeuxqu’ilsavaienttort.

—As-tuaumoinsdequoipayerlesmensualités?demandasamère,sanspourautantluiproposerdel’aider.

Francescan’enfutnullementétonnée.Jusqu’ici, laconversations’étaitdérouléeexactementcommeellel’avaitprévu,àcommencerparlefameux:«Jetel’avaisbiendit»!D’ailleurs,avecsamère,iln’yavaitjamaisdesurprise.

—J’ail’intentiondeprendredeslocataires,déclara-t-elle,d’unevoixtendue.LaréactiondeThalianesefitpasattendre.—Tuesfolle?s’exclama-t-elle,horrifiée.C’estunpeucommesi tu invitaisdesauto-stoppeursà

dormircheztoi.Tun’espassérieuse?Loueràdesinconnus?

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—Jen’aipaslechoixsijeveuxgarderlamaison,maman.Jeseraiprudente,jenemettraipasunesimplepancartedanslarue!Jevérifieraid’abordàquij’aiaffaire.

—Ettufinirasparteretrouveravecuntueurensériesoustontoit!—J’espèrebienquenon.Avecunpeudechance,jetrouveraideslocatairescorrects.—C’estuneidéeépouvantable,etjesuissûrequetuleregretteras.—Sic’estlecas,tuaurasledroitdedirequetum’avaisprévenue,rétorquaFrancesca,narquoise.—J’exigequetureviennessurtadécision.—Jenepeuxpas,ilfaudrabienquejepaielesremboursementsunefoisqueToddseraparti.Quand

lagaleriecommenceraàrapporterdel’argent,jecesseraideprendredespensionnaires.Enattendant,jen’aipasd’autresolution.Ilfaudraquejeserrelesdentsetquejetiennebonsurcepoint.

Et sur tout le reste. Elle allait devoir renoncer à beaucoup de choses pour garder la galerie et lamaison:àsavieprivéeenprenantdeslocataires,etauxtableauxdesonpèrepourpouvoirdonnersapartàTodd.Etsi sonpère refusaitd’investirdans lagalerie,elle risquaitde laperdrecomplètement.L’idéelabouleversatellementqu’ellepréféranepasypenser.

—C’estcomplètementfou,repritThalia.Jenevaisplusdormirlanuitenpensantauxgensquiviventdanstamaison.

—Jen’enprendraiquetrois,jepensequeçaira.—Peut-être,maiscen’estpassûr.Etsituleurfaissigneruncontratdelocation,tuserasobligéede

lesgarderpendanttouteladuréedubail.Tunepourraspaslesmettreàlaportesitut’aperçoisensuitequ’ilsneteconviennentpas.

—Non,c’estvrai.J’aiintérêtàbienchoisir,répliquaFrancescad’untonplat.Ellemitfinàlaconversationaussivitequepossible.Elleavaitcommuniquéàsamèrelesnouvelles

lesplusimportantes:saruptureavecTodd,etsonespoirdegarderlagalerieetlamaison.Thalian’avaitpasbesoind’ensavoirplus,nideconnaîtrelesdétailssordides.Entoutcas,samèreavaitagiexactementcommeprévu:ellel’avaitcritiquée,sansluioffrirsonaide.Certainespersonnesnechangeaientjamais.

Lecoupdefilàsonpèrefutàlafoisplusbrefetplusdécontracté.Francescal’invitasimplementàdéjeuner le lendemain, et il accepta. Elle avait l’intention de tout lui annoncer au cours du repas. Ilsconvinrent de se retrouver à La Goulue, son restaurant préféré dans le quartier chic de Manhattan.L’établissementétaitprochedesagalerie,etHenryydéjeunaitsouvent–ilfaisaitpartiedescélébritésduquartier.Ilparutcontentd’avoirdesnouvellesdesafille.

—Toutvabien?s’enquit-ilaumomentderaccrocher.Francescal’invitaitrarementàdéjeuner,etilsedemandaitlaraisondecerendez-vous.—Assezbien.Nousenparleronsdemain.—D’accord.Ilmetardedetevoir.Malgrésessoixante-cinqans,ilavaittoujoursunevoixdejeunehommeautéléphone.Et,commesa

femme,ilfaisaitbeaucoupplusjeunequesonâge.Francescatrouvaitquesamèrevieillissaitmoinsbien.Saquêtefrénétiqued’unmariluidonnaitunairquelquepeudésespéré,etcedepuisplusieursannées.Sonpèreétaitplusdétendu.C’étaitsanature,etc’étaitaussigrâceàlaprésenceapaisanted’Avery.

Samèren’avaitpluseudeliaisonsérieuseavecunhommedepuisdesannées.Poursafille,laraisonenétaitsimple:Thaliavoulaitabsolumenttrouverunmari,etcelasevoyaittrop.C’étaituneleçonqueFrancescaavaitintérêtàgarderentêtemaintenantqu’elleseretrouvaitlibrepourlapremièrefoisdepuiscinqans.

Cettepenséeladéprimaprofondément.Ellen’étaitpasprêtepourdenouveauxrendez-vousgalants.Quelle plaie ! Il fallait avant tout qu’elle trouve trois locataires pour partager les frais, et peut-êtreensuite se remettrait-elleà sortiravecdesamis,maisellen’étaitpasobligéed’ypenser toutdesuite.Toddn’avaitmêmepasencoredéménagé.

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Lejoursuivant,ledéjeuneravecsonpèresedéroulaagréablement.Henrysortitd’untaxidevantLaGoulue,aumomentprécisoùFrancescaarrivaitdelastationdemétro.Commedecoutume,ilétaittrèschic.SonmanteauentweednoiretblancachetéàParisdesannéesauparavant,etdontilavaitrelevélecol pour se protéger du vent, son vieuxBorsalino qui venait deFlorence, son jean et ses bottines luidonnaientunlookà lafoisartisteetaussiélégantqu’unecouverturedeGQ, lemagazinepourhommeshautdegamme.Sonvisageminceetridéauxtraitstaillésàlaserpeétaitrehausséd’unemâchoirecarréeetd’uneprofonde fossette aumentonqui fascinaitFrancescaquandelle était enfant. Il l’étreignit avecchaleur.Beaucoupplusexpansifquesamère,ilavaitl’airenchantédelavoir.

Lui annoncer sa séparationd’avecTodd fut plus facile qu’elle ne s’y attendait.Henry avouaqu’iln’était pas étonné, et qu’il avait toujourspenséqu’ils étaient tropdifférents l’unde l’autre.Francescaconsidéraitaucontrairequ’ilsavaienttoutencommun.

—Iln’étaitqu’untouristedanslemondedel’art,déclarasonpère.Il avait commandé une soupe à l’oignon et des haricots verts. Rien d’étonnant s’il avait gardé sa

silhouettelongueetmince,quin’étaitpassansrappelercelledesafille.Apparemment,lacuisinesaineetlégèred’Averyluiconvenaitàmerveille.Francescan’étaitpastrèsregardantepoursesrepas,surtoutcesdernierstemps,depuisqu’ellenelespartageaitplusavecTodd.Laplupartdutemps,ellen’avaitpaslecouragedeseprépareràdînerlesoiretelleavaitperdudupoids.

—J’aitoujourspenséqu’ilfiniraitparretourneràWallStreet,ditsonpère,enattaquantsasoupeàl’oignon.

Francesca,elle,avaitcommandéunesaladedecrabe.—C’estdrôle,fit-elle,pensive.Maistudoisavoirraison.Ilditqu’ilenaassezd’êtrepauvre.Sonpèresemitàrire.—Oui,moiaussij’enavaisassez!EtpuisAverym’asauvé.Elle expliqua alors à son père qu’elle voulait rembourser à Todd la part qu’il détenait dans la

maison,etluiavouad’unaircoupablequ’ellepensaitêtreobligéedevendresestableaux.Ilréagitavecbeaucoup de gentillesse. Francesca comprenait pourquoi les femmes le trouvaient irrésistible. Il étaitcharmant,facileàvivre,rarementcritique,etd’unegrandeindulgence.Illamittoutdesuiteàl’aise,etluiassuraqu’ilneluienvoulaitpasdutout.Lorsquelecaféarriva,elleavaitdéjàtrouvélecouragedeluiparlerdelagalerie.Ilaccueillitsesproposavecunsourire.Averyl’avaitprévenu,àmotscouverts,queFrancescaavaitbesoindeluietqu’ildevraitluiprêteruneoreilleattentive.Cequ’ilauraitfaitdetoutefaçon.Francescaétaitsonseulenfant,et,silégeretinsouciantqu’ilsesoitmontréentantquepère,c’étaitessentiellementquelqu’undebon.

—Jesuisflattéquetumedemandesça,dit-ilsimplement,ensirotantuncaféléger.Jenepensepasensavoirplusquetoisurlafaçondetenirunegalerie.Enfait,j’ensaisprobablementbeaucoupmoins.Maisj’aimeraisvraimentdevenirtonassocié,mêmesijeresteraienretraitdansunpremiertemps.

Elle lui annonça alors la somme dont elle avait besoin pour dédommager Todd. Ce n’était pasénorme,maistoutdemêmeplusquecequ’ellepossédait.

— Tu pourras toujours racheter ma part une fois que la galerie aura démarré, suggéra-t-il avecoptimisme.Tun’espasobligéedemegarderavectoiéternellement.

—Merci,papa.Ils se regardèrent en souriant, un sourire qui accentua leur ressemblance. Francesca était

profondémentreconnaissante,etsesyeuxs’embuèrentdelarmes.Sonpèreacceptaitdel’aideràsauverl’entreprisedanslaquelleelleavaitmistoutesonénergiedepuisquatreans.

Aprèsledéjeuner,ellereçutunappeld’Avery.Lemarchandd’artquis’occupaitdesœuvresdesonpère était enthousiaste. Il avait déjà aumoins trois acheteurs intéressés, et pensait pouvoir vendre lesdeuxtableauxrestantsàMiami,endécembre.Lasommeobtenueparlaventedestroispremierstableauxsuffiraitd’oresetdéjààcontenterTodd.

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IlsemblaitàFrancescaavoiréchappédejustesseàlaguillotine.Grâceàsonpère,auxtableauxqu’illuiavaitoffertsetquiavaientpristantdevaleuraufildesans,elleallaitpouvoirconservertoutceàquoielleétaittantattachée.Jamaisdanssesrêveslesplusfousavait-elleosél’envisager.

Alorsqu’elledescendaitl’escalierdumétro,unlargesourires’épanouitsurseslèvres.Leschosesseprésentaientbienpourelle,et sa ruptureavecTodd luiparaissaitdéjàmoinsdramatique. Ilyavaitdel’espoir.Elleavaitencoreuneaffaire,unemaison,etunadorablepapa.

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3

Dès qu’elle arriva chez elle, Francesca appela Todd à son bureau pour lui annoncer la bonnenouvelle.Elleluiexpliquaqu’ellepensaitavoirl’argentquiluirevenait,oudumoinsunebonnepartiedelasomme,danslesprochainessemaines.Sonpèreluiavaitpromisqu’AveryluiremettraitlelendemainmêmeunchèquereprésentantlapartdeTodddanslemarchand.EtAveryavaitassuréquelagaleriedeHenryeffectueraitcemois-ciunpaiementpourlestroispremierstableaux.

—Celasignifiesansdouteque je feraisbiendememettreà la recherched’unappartement,dit-ild’unevoixteintéedetristesse.Jevaisenvisiterquelques-unsceweek-end.

Elle eut l’impression de recevoir un coup de poignard en plein cœur. Ils parlaient pourtant de cedéménagement depuis des mois, et Todd ne restait jamais là le week-end.Mais soudain, la situationdevenaittropréelle.Toutétaitbienfinientreeux.

—Riennepresse,dit-elledoucement.Ilss’étaientaimés, ilsavaientcruqu’ilspasseraient toute leurvieensemble,et ils regrettaientque

leurcouplen’aitpasrésisté.Ilétaitplusfaciledeseconcentrersurlesdétailsfinanciersquedeparlerdusentimentdepertequ’ilséprouvaientchacun.C’étaitlamortd’unrêve.Ilsavaienttousdeuxconnudesrupturesauparavant,maisilsn’avaientjamaisvécuavecquelqu’und’autre.Leurséparationressemblaitvraiment à un divorce. Cette pensée était douloureuse. Qu’allaient-ils faire de tout ce qu’ils avaientachetéensemble?Lecanapé,leslampes,lavaisselle,letapisdusalonquileurplaisaittant…Ilsallaientdevoirrenonceràcequiavaitétéleurviecommune,etToddenétaitaussimalheureuxqu’elle.

—Jetediraicequej’aitrouvé,dit-ilavantderaccrocherprécipitammentcarilétaitappeléensallederéunion.

Quand recommencerait-il à sortir, quand rencontrerait-il une autre femme ? Peut-être était-ce déjàfait?Francescanelequestionnaitpassurcequ’ilfaisaitdurantlesweek-ends,maisellenepensaitpasqu’ilvoyaitquelqu’un.Ilssecroisaienttrèspeuàlamaison,désormais.Ilrentraittardetdormaitdansunechambred’amisàunautreétage.

Leurconversationluirappelaqu’elledevaitsemettreàchercherdeslocataires.Pouvoirgarderseulelamaisonreprésentaitunénormesoulagement.Mais,d’unautrecôté,ellesesentaitpleinedetristesse.Todd et elle ne se détestaient pas. Simplement, ils ne s’entendaient plus et voulaientmener des viesdifférentes.Toddavaitparlédes’installeruptown,danslesquartierschics.C’étaitsonmonde.Iln’avaitemménagé downtown, dans West Village, plus bohème, que pour lui faire plaisir, et maintenant ilretournaitvers l’environnementqui lui était familier.Peut-être sonpèreavait-il raison,peut-êtreToddn’avait-ilétéqu’untouristedanssavie.Unpeucommecesgensquipartentvivredansunpaysétrangeretdécident de rentrer chez eux au bout de quelques années. Elle ne lui reprochait rien. Elle était justedésoléequeçan’aitpasmarchéentreeux.

Cesoir-là,elleeutunelongueconversationavecAveryàcesujet.Sabelle-mèreétaitd’unegrandesagesse.

—Tunepeuxpasobligerlesgensàdevenircequ’ilsnesontpas,luidit-elle.Toddveuttoutcedonttuneveuxpas.Dumoins,c’estcequ’ildit.Lemariage,desenfantstoutdesuiteavantd’êtretropvieux,WallStreet,lemilieudesavocatsetpasceluidel’art,unmondeetunmodedevieplustraditionnels.Iltetrouvebohème,etcen’estpascommeçaqu’ilveutvivre.

—Jesais,reconnutFrancesca.Maisjesuistriste.Ceseratrèsdur,unefoisqu’ilauradéménagé.Pourtant,lavieavaitétédifficilependantunan,carilssequerellaientsanscesse.Aprésent,c’està

peine s’ils s’adressaient la parole, sinon pour parler des détails qui mettraient un point final à leur

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relation. Au cours des cinq dernières années, Francesca avait oublié quelles souffrances pouvaitengendreruneséparation.Averylaplaignaitdetoutcœur,etelleétaitcontentequeHenryaitacceptédel’aider. Ainsi Francesca n’avait pas tout perdu. Elle comptait chercher de nouveaux artistes dès quepossible. Ilyavait tantà fairepourque lagalerie sedéveloppe !Etelleavait le sentimentdedevoirquelque chose à son père à présent, bien qu’il lui eût assuré qu’il ne s’impliquerait pas trop dansl’affaire, d’autant qu’il était très occupé en cemoment par la préparation de sa prochaine exposition,prévueauprintemps.Francescaconnaissaitsonmétierettousdeuxétaientconscientsqu’ilallaitfalloirdu temps pour que la galerie rapporte de l’argent. Henry comprenait cela bien mieux que Todd, quivoulaitdesrésultatsimmédiats.Lesgaleriesd’artnefonctionnaientpascommeuneentrepriseclassique.Sonpèreavaitraison.Toddétaitpassédanssonuniversenvisiteur,etmaintenantilrepartaitdanslesien.

Cesoir-là,elleconsultadanslesjournauxetsurInternetlesdemandesdecolocationetdechambresàlouer.Riennecorrespondantàcequ’ellecherchait,elledécidadepasseruneannonce.Elleenvisageaitdediviser lamaisondeCharlesStreet par étages.Audernier se trouvait unepetite pièce ensoleillée,jouxtantunechambreencorepluspetite,etuneminusculesalledebains.C’étaitexigu,maissuffisantpourunepersonne.D’ailleurs,c’était lapartiedelamaisonqueToddoccupaitencemoment.Al’étageau-dessous,ilyavaitsaproprechambre,qu’ellepartageaitautrefoisaveclui,undressing,etunesalledebains en marbre qu’ils avaient installée eux-mêmes. Francesca disposait également d’un petit bureauattenantàlachambre,oùelletravaillaitparfoisenrentrantdelagalerie.

Au-dessousencorese trouvait l’actuellesalleàmanger,qu’ellecomptait transformerensalon. Ilyavaitégalementunesalled’eauetunebibliothèquequiseraittransforméeenchambre.Lesalonprincipalétaitsituéàl’étageinférieur,etellepensaitlegarderpoursonpropreusage.Quantàlacuisine,elleétaitencore au-dessous, en rez-de-jardin. Elle était vaste, ensoleillée, et comportait un espace repasconfortablequetouslesoccupantsdelamaisonpourraientutiliser.Acôtédelacuisinesetrouvaituneautrepiècetrèsspacieuse,oùToddavaitinstallésonmatérieldegymnastique.Lesfenêtresdonnaientsurle jardin, il y avait une belle salle de bains, si bien que cette pièce pourrait devenir un studio et luipermettredeprendreuntroisièmepensionnaire.Francescaavaittoutcalculéauplusjuste.Ilyavaitassezd’espacepourquatrepersonnes,àconditionquechacunsemontrerespectueuxdesonvoisin,prévenant,etpoli.Ilfallaitdoncqu’elletrouveàlouerlestroisespacesdontelledisposait,etelleétaitbienrésolueàcequecelafonctionne.

Ellefitcesoir-làsursonordinateurunedescriptiondétailléedechaquepartieàlouer,etyjoignitdesrenseignementsplusgénérauxsur lamaison.Elleenvisagea toutd’aborddene louerqu’àdes femmes,maiselleavaitbesoindetousleslocatairespossibles.Aussi,ellen’exprimaaucunerestrictiondanssonannonce.

ElleétaitentraindeserelireunedernièrefoisquandToddfrappaàlaportedesonbureauetrestasurleseuil,àl’observerd’unairgrave.

—Tuvasbien?Ilétait inquiet. Ilcontinuaitdepenserqu’ellenepourraitpassedébrouillerseule,etqu’elleferait

mieuxdevendre.Ilsavaitaussiqu’ellen’enferaitrienetqu’elleétaitprêteàtoutpourgarderlamaison,ycomprislogerdesinconnuschezelle.Cettesolutionluisemblaittrèsimprudente.

—Oui,trèsbien,répondit-elled’untonlas.Ettoi?—Jenesaispas.C’estbizarre,non?Deseséparercommeça…Jenem’attendaispasàcequece

soitaussidouloureux.Il avait l’air si affligé et si vulnérable qu’elle repensa à tout ce qu’elle aimait tant chez lui. Son

chagrinempira.—Moinonplus,répondit-elleavecfranchise.Mais iln’étaitplus tempsderecoller lesmorceaux.Leursdivergencesétaient trop importantes. Ils

avaientdespointsdevueirréconciliables,selonlestermesutiliséslorsdesdivorces.

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— Je déteste te voir partir, reprit-elle. Je vais peut-être me rendre chez mon père, dans leConnecticut,pournepasêtrelàquandtudéménageras.

Toddhochala têtesansunmot.Ilétaitprêtàrecommencerunenouvellevie,maistristedelaisserFrancesca derrière lui. Elle était toujours aussi belle que lorsqu’il l’avait rencontrée, toujours aussiséduisanteetchaleureuse.Maisilsnes’appartenaientplusl’unl’autre.

— Si jamais tu as besoin de moi après mon départ, tu pourras toujours m’appeler. « MonsieurRépare-Tout»demeureàtonservice.D’ailleurs,dansmaprochainevie,j’aidécidéd’êtreplombier.

Ilsouritd’unairpiteux,etellel’imita.Toddenavaitplusqu’assezdefairedesréparationsdanslamaison, mais restait disposé à lui prêter main-forte. Le pire, dans leur histoire, c’était qu’ilsn’éprouvaientpasderancœur.Etc’étaitjustementpourcelaquelasituationétaitsitriste.Toutauraitététellementplusfaciles’ilsavaientétéfâchés.

—Jetelaisseraimesoutils,promit-il,tropcontentdeneplusavoiràs’enservir.Francescasemitàrire.—Merci.Ilvafalloirquej’apprenneàbricoler!—Tun’aspaspeurdelogeruncinglé,ouuncriminel?Ousimplementunescroc,quelqu’uncapable

demettrelamaisonàsac?Ils’inquiétait,maisilsavaitaussiqueFrancescaétaitforteetavaitlatêtesurlesépaules.Elleavait

survécutrenteans,avantqu’iln’entredanssavie.Ilsupposaitdoncqu’ellesauraitsedébrouiller.Ellelui manquerait. Elle n’était peut-être pas la femme qu’il lui fallait, mais elle n’en était pas moinsquelqu’undespécial,unepersonnequiavaitmarquésavie.Il luigarderait toujourssonaffectionetsesoucieraitdecequ’elledevenait.Ilsavaitquecesentimentétaitréciproque.

—Lescinglés,jelesferaipartir,dit-elled’untonferme.Ilmontadanssachambre,etFrancescaimprimasonannoncepourmieuxlarelire,puislamettresur

Internetlejoursuivant.Dieuseulsavaitcequisepasseraitalors.Elleavaitdumalàs’imaginervivantdanscettemaisonavectroisétrangers.Ceseraituneexpérienceinéditeetunegageure.

Elle avait l’intention de vérifier avec soin les références de ses pensionnaires, qui ne pourraientemménager tant que Todd n’aurait pas trouvé d’appartement. Il lui semblait néanmoins préférable decommencer à chercher dèsmaintenant. Lorsqu’elle alla se coucher ce soir-là, elle était en proie à unsentiment étrange. Elle avait hâte que Todd s’en aille, car l’attente était douloureuse.Mais ce qui latourmentaitencoreplus,c’étaitdenepassavoirquiallaitseprésenterpour louer leschambres.Le44CharlesStreetallaitbeaucoupchanger.

DemêmequesaviesansTodd.

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4

Francescareçutuncourrierabondantenréponseàsonoffredelocation.Laplupartdeslettresétaientdéconcertantes. Elle fut stupéfaite de voir ce que les gens étaient disposés à révéler sur eux-mêmes.Certains sortaient de cure dedésintoxication, ne se sentaient pas prêts à prendreun appartement et sedisaientenchantésàlaperspectivedevivrechezelle.Ladescriptiondelamaisonsemblaitplaireàtous.Plusieurscouplesrépondirentàl’annonce,etFrancescaleurexpliquaquelesespacesàlouerétaienttroppetits pour les accueillir. En outre, elle n’avait pas envie de partager son foyer avec plus de troispersonnes.Undescouplesavaitdeuxenfants,etproposaitdelouerdeuxespacessurtrois,cequineluiconvenait pasnonplus.Les enfants étaientdesgarçonsde trois et cinq ans, et elle craignait qu’ilsnedétruisent toutdans lamaison.Deuxhommes luidirent être récemment sortisdeprison.L’unavait étécondamné pour agression sexuelle, et l’autre pour une fraude financière qu’il prétendait ne pas avoircommise.Francescaneleurdemandapasdedétails.

Quatre couplesde lesbiennesdésiraient louer lamaisonensemble, etvoulurent savoir si elle étaitdisposéeàquitterleslieux.Elleréponditparlanégative,carcelaallaitcomplètementàl’encontredecequ’elle essayait de faire, c’est-à-dire continuer à vivre chez elle. Enfin, un bon tiers des candidatspossédaientdeschiens,laplupartdegrandetaille.Desbergersallemands,deslabradors,deuxlévriersirlandais,undogueallemand,unridgebackrhodésien,unrottweiler,etunpit-bull.Ellen’étaitpasprêtenonplusàsupportercegenrededésagrément.Ellecommençaitàdouterquequelqu’undenormaletdefacileàvivre,sansconjoint,sansenfant,sanschien,sansaddictionàunesubstanceillicite,etsanscasierjudiciaire,seprésente.ElleperdaitespoiretcommençaitàsedirequeToddetsamèrepourraientavoirraison.Peut-êtreétaient-ilstousfous.Oualors,c’étaitellequiétaitfolledecroirequ’elleallaittrouvertroislocatairessainsetsansproblèmes.Celan’existaitsansdoutepasdansunevillecommeNewYork.

Enfin,deuxjoursavantThanksgiving,ellereçutl’appeld’unejeunefemmenomméeEileenFlanders.Celle-ciavaitobtenusondiplômedelaLoyolaMarymountUniversity,àLosAngeles,enmaidernieretvenaittoutjusted’arriveràNewYork,oùelleavaittrouvédutravail,commeéducatricespécialiséepourlesenfantsautistes.Elleneparlapasdecurededésintoxication,nidesortiedeprison,ditsimplementqu’elleétaitcélibataireetn’avaitnichiennienfant.C’étaitundébutencourageant.Francescacraignaittout demême qu’elle ne soit couverte de tatouages et de piercings, et coiffée à l’iroquoise. La jeunefemme espérait emménager rapidement. Pour l’instant, elle était logée dans une auberge YMCA, etpensaitpouvoiryresterquelquessemainesdeplus.ToddvenaitdetrouverunappartementdansEast81stStreet,prèsdufleuve. Ilprojetaitde fairesescartonsentreNoëlet lenouvelan,et seraitpartidès lepremier janvier. Francesca ne voulait pas que quelqu’un emménage avant cette date. Ce serait troppénible d’avoir un étranger dans la maison, alors qu’ils vivraient le bouleversement que serait sondépart.Eileendéclaraquecelaluiconvenait;elleretournaitdetoutefaçonchezelleàSanDiegopendantlesfêtes.Francescapritrendez-vousavecellepourlelendemainaprès-midi,afindeluifairevisiterleslieux.

Le jour suivant,quandelleouvrit laporte etvitEileen, elle éprouvaun immense soulagement.Lajeune fille portait un jean et des Nike, une veste rouge à brandebourgs, des moufles blanches et unbandeaucache-oreilles.OnauraitditunlutindecartedeNoël.Elleavaitdescheveuxroux,destachesderousseur,desyeuxbleus,etlaissaitvoirunetrèsjolierangéededentsblanchesquandellesouriait.Elleneportaitpasdemaquillage,nesemblaitpasavoirplusdequinzeans,etattenditd’unairunpeunerveuxqu’onl’inviteàentrer.

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Francescas’effaçapourlalaisserpasser,etlesdeuxjeunesfemmessemirentàbavarderdanslehall.Aprèsavoirregardéautourd’elle,Eileendéclaraquelamaisonétaittrèsjolie.Ilyavaitunvitrailcoloréau-dessus de la porte d’entrée, et un escalier en colimaçon étroit mais élégantmenait à l’étage. Elleremarqua aussi la cheminée de marbre du salon par la porte entrouverte ; et Francesca lui expliquaqu’elle gardait cette pièce pour son usage personnel et que certainsmeubles, qui appartenaient à sonactuelcompagnon,allaientdisparaître,maisqu’ellelesremplaceraitaussivitequepossible.LachambredudernierétageétaitcependantmeubléeavecdesobjetsdontToddnevoulaitpas.

ElleconduisitEileenaudernierétage,où traînaientquelquesvêtementsdeTodd.Eileenadmira lavuesurlejardinduvoisin.Puisellejetauncoupd’œildanslasalledebainsetdanslesplacards,etcequ’ellevitparutluiplaire.Elle-mêmeplaisaitàFrancesca.Elleavaittoutdelajeunefilledeprovincesans problème débarquant dans la grande ville. Elle raconta à Francesca qu’elle était l’aînée de sixenfants, et lui demanda s’il y avait une église catholique dans le quartier.Elle collait à l’imagede lapensionnaireidéalequeFrancescas’étaitforgée.Laquintessencedelagentillepetitevoisinequetoutlemonde apprécie. Il n’y avait rien chez elle d’inquiétant ni de repoussant. Les deux jeunes femmessemblaientégalementsoulagéesdes’êtretrouvées.

Francescaluifitvisiterl’étageau-dessousdusien,luiexpliquaquelasalleàmangerallaitdevenirunsalonet lebureau-bibliothèque,unechambre.C’étaitplusvastemaismoins lumineuxqu’audernier.Todd et elle avaient peint les murs en vert sapin, ce qui était adapté pour une salle à manger maissemblait un peu trop sombre et tropmasculin pour le salon d’une jeune fille. Le logement du rez-de-chausséeneplut pas àEileen.Elle craignait quequelqu’unn’entre par les fenêtres coulissantes, et sesentaitplusensécuritéàl’étage.Ellefutemballéeparlajoliecuisineàl’aspectdouilletetcampagnardque Todd et Francesca avaient aménagée. En réalité, c’était Todd qui avait œuvré, Francesca secontentantdeleregarder,deluipassersesoutils,etdeluiservirducafé.C’étaitleurpiècepréférée,etcefutaussicelled’Eileen.

—Onal’impressionqu’ilyaeubeaucoupd’amourdanscettemaison.Francescaacquiesçasansunmot.EllenevoulaitpasqueEileens’aperçoivequ’elleavaitleslarmes

aux yeux. Oui, il y avait eu beaucoup d’amour, et aussi beaucoup d’espoir, au 44 Charles Street. Aprésent,touscesespoirsétaientanéantisetelleseretrouvaitlà,aveccelutindeSanDiego,aulieud’êtreavecTodd.Cen’étaitpasjuste,maisc’étaitlavie.

Et la jeune fille était de loin la pensionnaire la plus convenable qu’elle ait vue jusque-là. Si sesréférencesbancairesétaientàlahauteur,Francescanedemandaitpasmieuxquedeluilouerledernierétage.Elleluiannonçaleprix,etEileenn’eutpasl’airchoquée.Lemontantduloyern’étaitpasénorme,ilsuffisaitnéanmoinsàcouvrirlequartdesremboursementsmensuels.

—Jecroisqueçaira.Jevoulaisprendreunappartement,etpeut-êtrelepartageravecuneautrefille,maistoutcequej’aivujusqu’iciétaitinabordable.Votreloyerresteélevé,maisilestdansmesmoyens,etj’aimebienl’idéedevivreavecd’autresgens.Jemesentiraiplusensécurité,etjesouffriraimoinsdelasolitude.Connaissez-vousdéjàlesautreslocataires?

—Pourl’instant,vousêteslaseulepersonnequej’aivuequimeparaîtconvenir,réponditFrancescaavecfranchise.

Puiselle luiexpliquaqu’ellevenaitdeseséparerdesoncompagnon,quecelui-ciétaitentraindedéménager,etquec’étaitlapremièrefoisqu’elleallaitvivredanscettemaisonavecdeslocataires.

—Jesuisdésolée,ditEileen, l’airabsolumentsincère.Jeviensmoi-mêmedevivreuneruptureàLosAngeles.C’estlaraisonpourlaquellejesuispartie.Noussommessortisensemblejusteaprèsmondiplôme,maisils’estmisàperdrelespédales.Ilacommencéàmesuivrepartoutquandjeluiaiditquej’avaisbesoind’unpeude liberté.Unenuit, il est entrépar la fenêtreet a essayédem’étrangler. J’aiquittémontravail le lendemain,et jesuisvenueàNewYork.Celas’estpassé lemoisdernier.J’aieuvraimentdelachancedetrouverunjobtoutdesuite.

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Elleavaitl’airsisoulagéed’avoirmistoutecettedistanceentreelleetsonassaillantqueFrancescaeut de la peine. Avec son air doux et innocent, son allure proprette, on avait dumal à imaginer quequelqu’unveuillel’étranglerouluifairepeur.

—Vousavezbienfaitdepartir,dit-ellealorsqu’ellesregagnaientlehallprincipal.Ilyapasmaldegensquiontl’espritdérangé.

Elleenavaitrencontréuncertainnombre,parmiceuxquis’étaientportéscandidatsàlalocation.—Il faudraquevoussoyezprudentedansunevillecommeNewYork.Néanmoins,cequartierest

trèssûr.Jevaisautravailàpied,etjen’aijamaiseudeproblème.Jedirigeunegaleried’artàquelquesruesd’ici.

—Cedoitêtrepassionnant!s’exclamaEileen,enthousiaste.J’adorevisiterlesgaleriesdepeintureleweek-end.

Elle donna ses références bancaires à Francesca pour le prélèvement du loyer, et le numéro detéléphone de son ancien propriétaire à Los Angeles. Francesca lui promit de la rappeler dès qu’elleauraitprocédéauxformalitésetvérifiésesréférences.CommeThanksgivingapprochait,ellenepourraitlefaireavantlelundi.

EileendesoncôtéespéraitvraimentqueFrancescal’accepteraitcommelocataire.Safuturelogeuseluiplaisait,etaussilamaison,quiressemblaitàcelleoùelleavaitgrandi.Elles’ysentaitdéjàchezelle.De fait, l’arrangement serait parfait pour les deux jeunes femmes. Eileen était exactement le genre delocatairequeFrancescaavaitespérétrouver:quelqu’unquineluicauseraitaucunsouci.Ilétaitrarederencontrerunejeunefemmeaussiimpeccable.Francescaseditqu’elleavaitbeaucoupdechanceetellesesentaitréconfortée.ElleappréhendaitlafêtedeThanksgiving,carc’étaitlapremièrefoisdepuiscinqansqu’elle la passerait sansTodd.Celui-ci rejoignait sa famille àBaltimore, et elle-même se rendaitchezsonpèredansleConnecticut.SamèreétaitdéjàpartieàPalmBeachchezdesamis.

Le matin du départ, Francesca croisa Todd dans le hall. Ils échangèrent un regard empreint dechagrin,etillaserradanssesbras.

—PasseunbonThanksgiving,dit-elleàvoixbasse.—Toiaussi.Ill’embrassasurlajoue,etsortitprécipitamment.Ellesoupira,enproieàunsentimentdemalaise.

Cetteséparationn’enfinissaitplus.EllesedemandaitsiceseraitpireoumieuxaprèsledéménagementdeTodd.

Surlaroute,sespenséess’orientèrentdenouveauversEileen.Elleétaittellementcontented’avoirtrouvésapremièrelocataire.Cettefilleétaitparfaite.Elleespéraquetoutiraitbienducôtédelabanque.

Amidi,quandFrancescaarrivachezsonpère,unedizainedepersonnesbuvaientdéjàduchampagneautourdelacheminée,pendantqu’Averys’affairaitdanslacuisineavecletraiteur.Ladinde,d’unbrundoré et croustillant, avait l’air délicieuse.Francesca avait l’intentionde rester pour la nuit, cequi luiéviteraitdereprendrelevolantaprèsledîner.Laplupartdesinvitésétaientdesgensducoin,oubiendesartistes. Elle reconnut les proches voisins, qui possédaient une ferme magnifique, et le marchand detableauxnew-yorkaisdeHenry.

Touscesgensformaientunpetitgroupeintéressantd’artistesetd’intellectuels.Francescaconnaissaitlaplupartd’entreeux,etellesesentaitbienenleurcompagnie.Henryn’avaitjamaisétévraimentunpèrepour elle, et il la traitait plus comme une amie pour qui il avait de l’affection. Cela n’ennuyait plusFrancescaàprésent.Elleluiétaitprofondémentreconnaissantedel’aidequ’ilétaitprêtàluiapporter.

Aucoursdudéjeuner,ilannonçaàtoutlemondequ’ilétaitdésormaisl’associédesafille.Unpeuplus tard, son agent confiadiscrètement àFrancescaqu’il venait devendrepour elleune autrede sestoiles, à un prix faramineux. Grâce à la vente de ces quatre tableaux, elle allait pouvoir rembourserpresquelatotalitédesadetteàTodd.Encoreun,etletourseraitjoué.Ledernier,ellelegarderaitpour

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elle. Tout s’était très bien passé, en un temps record. Il ne lui restait plus qu’à trouver deux autreslocatairespourpartagerlestraitesmensuelles.

Francesca retourna en ville le vendredi après-midi. Elle avait fermé la galerie deux jours pourThanksgiving,maiselleavaitl’intentionderouvrirlesamedi.Beaucoupdevisiteurspassaientenfindesemaineetparmieuxsetrouvaientparfoisdesacheteurs.

AlagrandejoiedeFrancesca,lajournéefuttrèsanimée.Plusieursjeunescouplesentrèrentdanslagalerie;unpeuhésitantsd’abord,craignantquelesprixnesoientrédhibitoires,ravisensuitedeconstaterque les toiles présentées étaient tout à fait dans leur budget. C’était dans cet esprit que Francescatravaillait :ellevoulaitattirerdescollectionneursdébutantset leur fairedécouvrirdesartistesdont lacarrièrecommençaitàpeine.Ellevendittroistrèsbellestoilesquipouvaientconstituerlesbasesdeladécoration d’unemaison.Ces ventes étaient loin de représenter un gain financier important pour elle,maiscelalamitd’excellentehumeur.Enoutre,ellesavaitquesesartistesseraientaussiexcitésquelesamateursquivenaientd’acheterleursœuvres.Ceux-ciétaientsienchantésdeleursacquisitionsqu’elleen fut profondément touchée. Elle était impatiente d’en informer ses protégés, qui avaient tousdésespérémentbesoindevendre.Ellecouvaitchacund’euxunpeucommeunemèrepoule.Laveille,elleavaitbavardéaveclesamisdesonpère,dontcertainsétaientdesartistesreconnus,etcesdiscussionsluiavaientremontélemoral.Ellesesentaitàl’aisedanslemondeartistique,etelleaimaitlerôlequ’elleyjouait.Elleétaitlelienentrelescréateurs,douésparfoisd’unimmensetalent,etlescollectionneurs.Elleavait un talent inné pour dénicher de nouveaux artistes, elle savait les conseiller, et elle devinait àl’avancecequisevendrait.C’estpourquoielleavaitlaconvictionqu’avecunpeudetempssagaleriefiniraitparêtrereconnue.Francescapassaitdesheuresdanslesateliersdesesartistes,àparleraveceuxdeleurstechniques.Oubienellelesguidaitdansunenouvelledirection,quandilsarrivaientàunmomentclédeleurcréation.Sonsoutienàtouteépreuveluivalaitunprofondrespectdeleurpart.

Francesca passa son dimanche à vider des placards et à préparer le dernier étage pour sa futurelocataire.Lelundimatin,elleappelalepropriétaired’EileenàLosAngeles.Celui-cidéclaraquec’étaitunejeunefemmeadorable,quineluiavaitjamaiscausélemoindresouci,etquipayaitsonloyerrubissurl’ongle.Troisjoursplustard,elleeutleretourdelabanque,quiluiappritquesasituationfinancièreétaitsaine.Ellen’avait jamaiseudedécouvertbancaire,nidechèquesenbois,nidepoursuitesjudiciairespour impayés. Francesca appela donc Eileen pour lui annoncer qu’elle pourrait emménager dès le2janvier,c’est-à-direlelendemaindudépartdeTodd.Eileenfutauxanges.

Illuirestaitencoreàtrouverdeuxautreslocataires.Etvucequ’elleavaitpuconstateraucoursdumois écoulé, cela n’allait pas être facile. Eileen était une perle rare. Pourtant il devait bien existerquelquepartàNewYorkdeuxautrespersonnescommeelle,oudumêmegenre.Ellecontinuadefaireparaîtresesannonces,maisnereçutquedesappelsdegensbizarres.Parfois,elleavaitaffaireàdetelsphénomènesqu’ellenepouvaits’empêcherderireenraccrochant.

Le week-end suivant Thanksgiving, elle dîna avec sa mère dans un petit bistrot français qu’ellesappréciaienttouteslesdeux.D’untonvictorieux,Francescaluiracontacommentelleavaitdécouvertlamerveilleuse Eileen. Thalia continuait de penser qu’elle était folle. Mais, après tout, c’était aussil’opinionqueFrancescaavaitdesamèredepuisdesannées.Pourrienaumonde,ellen’auraitacceptédelaprendrecommelocataire!

ThalialuidécrivittouteslesréceptionsmondainesauxquelleselleavaitassistéàPalmBeach.Elleavait toujours eu une vie sociale extrêmement active, avec une nette préférence pour les stationsbalnéaires l’été, où qu’elles se trouvent dans le monde : Palm Beach, New Port, Saint-Tropez, laSardaigne.L’hiverétaitconsacréàlamontagne:Saint-Moritz,Gstaad,avecuneexceptionpourSt.Bart.Thalianeserefusaitrien,etFrancescal’avaittoujoursconsidéréecommeuneenfantgâtéeégocentrique.

Elleavaitétéinvitéeàunfabuleuxbaldedébutantesleweek-endprécédentàPalmBeach,etellesecrut obligée de décrire avecminutie à sa fille la tenue qu’elle portait pour l’occasion. Sa robe était

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sûrement très belle,mais Francesca s’enmoquait,même si elle feignait le plus grand intérêt. Elle sedemandaitsouventcommentsesparentsavaientpuêtreattirésl’unparl’autre.Laseuleexplication,c’estqu’àl’époquesonpèreétaitjeuneetsexy,etqueThalian’étaitpasencoresnobetcapricieuse.

C’était une femme saisissante, encore très belle. Grande et blonde comme sa fille, elle avaitbeaucoupd’allure,degrandsyeuxverts,etunepeaudouceetcrémeuse.Grâceàsoncoachpersonneletunrégimealimentairetrèsstrict,ellerestaitdansuneformeéblouissante.Pourleurdéjeuner,elleportaitunmanteaudefourrure,desbouclesd’oreillesensaphir,etunerobeenlainagebleumarinetrèschicdechez Dior. Les hommes tournaient autour d’elle comme des abeilles autour du nectar, mais aucun nes’attardaitbienlongtempsauprèsd’elle.Elleétaitunpeutropexcessive,unpoil tropexcentrique,elleavait l’allure d’une femme trop chic et trop choyée.LorsqueFrancesca qualifiait samère d’originale,c’étaitpournepasdirequ’elleavaitungrain.Thaliairaitprochainementfaireunséjourdansuncentrederemiseenforme,etelleavaitprisrendez-vouspouruneplastieabdominaleavantl’été.Malgrésonâge,elleétait superbeenmaillotdeuxpièces.Francescaaussi,mêmesiellen’avaitque rarement le tempsd’enporterun.

Elleneputs’empêcherdesourirequand,sebaissantsouslatablepourramassersaserviettequiavaitglissé,ellevitquesamèreportait lesescarpinslesplussexyqu’elleait jamaisvus,encuirverninoiravecdes talonsd’unehauteurvertigineuse.Francescaquantàelle,qui avait livrédeux tableauxàdesclients juste avant ledéjeuner,portait un jeanetdesbaskets.Lesdeux femmesn’auraientpuêtreplusdifférentes.

—Quevas-tufairepourNoël?demandaThaliaavecungrandsourire.Al’entendre,Francescaauraitpuêtrelafilled’unedesesamies,oubienuneniècequ’ellevoyaitune

foisparan.IlétaitclairqueThalian’avaitpasl’intentiondepasserlesfêtesavecelle.D’ailleurs,ellenelefaisaitjamais.EngénéralellepartaitskierenSuisse,ous’envolaitpourSt.Bart,danslesCaraïbes,surtoutsiquelqu’unl’invitaitsursonyacht,cequiarrivaittrèssouvent.Savieressemblaitàdelonguesvacances.

—J’iraipeut-êtrepasserNoëlchezpapa.—Jecroyaisqu’ilpartaitskieràAspen,fitremarquersamèreenfronçantlessourcils.Ilmesemble

quec’estcequ’Averym’adit.Ilyadéjàquelquetempsquenousn’avonspasparléensemble.—Dans ce cas, je resterai à lamaison.De toute façon, la galerie sera ouverte cette semaine-là,

j’auraidoncdutravail.EtTodddoitdéménager.—Queldommage!Vousauriezdûvousmarier.Vousseriezpeut-êtrerestésensemble.— Le mariage ne t’a jamais poussée à rester avec quelqu’un quand ça n’allait plus entre vous,

répliquaFrancescad’untonuni.—C’estvrai,avouasamèreavecunsourire.Jefinistoujourspartomberamoureusedequelqu’un

d’autre.Francesca se garda de souligner que cela faisait déjà un certain temps qu’elle n’avait pas été

amoureuse.—Jerencontreraipeut-êtrequelqu’unàSt.Bart,ajoutaThaliarêveusement.PourThalia,laviesansmariétaitundésert,etelleétaitsanscesseàl’affûtdelaperlerare.Francesca changea de sujet, et orienta la conversation sur sa pensionnaire. Samère prit alors une

expressiondésapprobatrice.—Jememoquequ’elleait l’aird’unegirlscout,etqu’elleressembleàunepetitefillesortied’un

dessinanimé.Tuesfolledefaireentrerdesinconnuscheztoi.Tunesaispasquisontcesgens,etquiilsrisquentd’attirersoustontoit.

—Sijeveuxgarderlamaison,jen’aipaslechoix,maman.—Tuseraisbienmieuxseuledansunappartement.—Jeneveuxpasvivredansunappartement.J’aimecettemaison.

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—Onnepeutpasvivredansunemaisonsansunhomme.Cen’estpasprudent.—Peut-êtrequ’undemeslocatairesseramasculin,rétorquaFrancesca.Elle repensa à tous les gens qui avaient répondu à son annonce et n’avaient pas du tout le profil

qu’ellerecherchait…Elles’abstintd’enparleràsamère.—Iltefautunmari,Francesca,déclaraThalia,demêmequ’àmoi.Francesca préféra garder le silence. Samère lançait toujours ce genre de remarque,mais elle ne

mordaitplusàl’hameçon.—Quandpars-tupourSt.Bart?demanda-t-elle,afinderamenersamèreenterrainneutre.—DeuxjoursavantNoël.Ilmetardedeprendrel’avion,j’enaiassezdufroidetdel’hiver.J’irai

toutdemêmeskierenSuissejusteaprès.Tudevraisessayerdeprendredesvacances,toiaussi.Samèrevivaitsuruneautreplanète.Ellenes’étaitjamaisrenducomptequesafilletravaillaitdur.

ToutcequeFrancescapossédait, elle l’avait acquisetconstruit elle-même,à la forcedupoignet.Sonpèreluiavaitpayésesétudes,aprèsquoielleavaittoujourssubvenuseuleàsesbesoins.

Francesca quitta sa mère avec l’impression d’être vaguement restée sur sa faim, sur un planémotionneldumoins.C’étaittoujoursainsiavecelle.Iln’yavaitriendesatisfaisantdansleurséchanges,riendeprofondnidesignificatif.Sonpèreaumoinsétaitdrôle.

Ilpassaàlagalerieaucoursdelasemaineetachetaunpetittableaupourl’offriràAvery.Francescaluifitlaremisedueàunassocié,cequiramenaitletableauàunprixridicule.Henryadoraitcequ’ellevendait.Presquetoutcequ’elleavaitchoisiluisemblaitdetrèsbonniveau.Ilétaitpersuadéqu’aumoinsunoudeuxdesartistesexposésferaientunegrandecarrière.Francescainformasonpèrequeceluidontilvenaitd’acheterunetoilesevendaitbien.PlusieursdesesœuvresdegrandformatétaientpartiesdepuisThanksgiving.Henryentiraargumentpourluidirequelesprixqu’ellepratiquaitétaienttropbas.

Francescafitremarquerquelesgenssemblaientplusenclinsàdépenseravantlesvacances.Sonpèreavaitlui-mêmeeulasatisfactiondevendreuntableauassezimportantrécemment,etilavaitl’intentiond’utiliserunepartiede la sommegagnéepouroffriruneRangeRoveràAvery,voituredont elle avaitenviedepuis longtemps.Malgrésa réussite,ellesedéplaçait toujoursdanssavieilleToyota,etHenrytrouvaitceladangereux.IlprojetaitdeluifairelasurprisepourNoël,avantdepartirpourAspen.

Le24décembreausoir,lorsqueFrancescafermalagalerie,ellefutfrappéeparlefaitqu’aucundeses parents ne l’avait incluse dans leurs projets de réveillon. Chacun avait toujours eu son propreprogramme,cequiavait conféréune importanced’autantplusgrandeà sesvacancesavecTodd.MaiscetteannéeToddavaitorganiséquelquechosedesoncôté.Francesca,elle,avaitrefusédeuxinvitations.D’humeurmélancolique, elle préférait rester seule. En rentrant chez elle, elle vit les cartons deToddentassésdanslehall,etlatristessel’envahit.Commentaurait-ilpuenêtreautrement?

Ce soir-là, elle regardades filmsà la télévisionenmangeant cequ’elle avait rapportédu traiteurchinois.Ellen’avaitpasachetédesapin,etcelaneluimanquaitpas.Cequ’ellesouhaitait,c’étaitquelesvacancespassentleplusvitepossible.Aprèslenouvelan,ellepourraitenfinprendreunnouveaudépart.Seule.

Sesparentsl’appelèrenttouslesdeuxlelendemain,etellecroisaToddaumomentoùilsortait.Illuifitunpetitsignedelamainetluisourit,l’oreillecolléeàsonportable.Ilportaituncostume,etFrancescasedemandaoùilallaitetavecqui.Elleavaitàprésentdumalàimaginerqu’ilsaientpuvivreensemble.

L’après-midi,elle fitune longuebaladedansWestVillage,etsouritencroisantdescouplesquisepromenaientavecdesenfants.Certainsserendaientchezdesamis,despilesdecadeauxdanslesbras.EllevitunPèreNoëlencostumedevelours rougedescendred’unevoiture,mettresonchapeauetunefaussebarbeàtoutevitesseavantd’entrerdansunemaison.C’étaitunpeuétrangedesetrouverseuleuntel jour,mais curieusement cela ne la dérangeait pas. Cela valaitmieux que de faire semblant d’êtreheureuse.

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EllepensaàsamèrequiseprélassaitsurunyachtdanslesCaraïbes.ElleimaginaensuiteAveryetsonpèreàAspen.Ellesecouchatôt,heureusedevoirlajournéeseterminerenfin.

Puislemomentqu’elleredoutaitdepuisdesmoisfinitpararriver.Lesoirdunouvelan,ellesemitaulitàneufheures.Lelendemainmatin,elleentenditToddmonteretdescendrel’escalieravecsescartons.Ilavait louéunecamionnette,etdeuxamisétaientvenusl’aider.Francescaentradanslesalonjusteaumomentoù ilsenlevaient lecanapé.Quand ilsavaientopéré lepartagedesaffaires, ilsavaientdécidéd’uncommunaccordqu’ill’emporterait.C’étaitunjolimeubledecuirbrunquisemariaitbienavecledécordelamaison.Francescadevraitleremplacer.Toddavaitacceptédeluilaisserlelitetlesmeublesde lachambre,bienqu’il lesaitpayéseuxaussi.En revanche, ilprenait lesdeux fauteuilsassortisaucanapé. Francesca avait le cœur serré. C’était un peu comme si son corps venait d’être coupé enmorceaux,chacund’euxemballédansuncarton.Etquelquepart,entre lepapierbulleet lesdébrisdepolystyrène,biencaléentrelesverresàvinencristal,setrouvaitsoncœur.

Dans l’après-midi, quand la camionnette fut pleine à craquer, Todd la rejoignit dans la cuisine.Anéantie,ellecontemplaitlejardinparlafenêtre.

—Jem’envais,dit-ildoucement.Ilvitdeslarmesroulersursesjoues,etillapritdanssesbras,semettantàpleureraussi.—Jesaisquecelavaparaîtreridicule,maintenant,maisjet’aime.Jesuisdésoléquetoutsesoitfini

decettefaçon.—Moiaussi,jet’aime.Maisquelquesoitleurchagrin,laséparationétaitpréférableetmêmeinévitable.—Appellesituasbesoindemoi.Jeviendrait’aider.Ellehochala tête, incapabled’articulerunmot.Toddl’embrassasur lefront,puis tournaledoset

remonta l’escalier. Francesca demeura dans la cuisine. Quelques minutes plus tard, la porte d’entréeclaqua.Ilétaitparti.

LecœurdeFrancescaétaitenlambeaux.Ilneluirestaitplusqu’àreprendresavieenmain.Todd,lui,semblaitdéjàavoirtournélapage.

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5

Lelendemain,Francescadisposadesfleursdanspresque toutes lespièces.Ellenettoya lacuisine,passal’aspirateurdanslescouloirs,etfitletourdudernierétagepours’assurerquetoutétaitenordre.Amidi, lorsqueEileenarriva,lamaisonétaitreluisantedepropreté.Lajeunefemmeentraetsourit, l’airenchanté. Elle avait quatre valises, plusieurs cartons et trois sacs en plastique remplis de chaussures.Francescal’aidaàportersesbagages,etEileendésignalessacsd’unairunpeugêné.

—Désolée. J’aipété lesplombsàNoël. J’étais tellementdépriméeque j’ai craqué sur toutes leschaussuresquejevoyais.Iln’yavaitplusdeplacepourellesdansmavalise.

—Nevous inquiétez pas, répondit Francesca avec un sourire indulgent. J’ai l’habitude.Mamèreaussiestunecollectionneusedechaussures.Elleportedestalonssihautsquejemecasseraisunejambesij’essayaisdel’imiter.Moi,j’aiunfaiblepourlesNike.

—J’aimelesescarpins,avouaEileen,tandisqu’ellesdéposaientsesaffairesdanslachambre.Elleredescenditaussitôtprendreunautrechargement.L’atmosphèrede lamaisonparut radicalementdifférente àFrancesca, cet après-midi-là.Laveille,

elleavaiteul’impressiond’êtreendeuil.Aujourd’hui,elleseréveillaitavecunsentimentdeliberté.Lepasétaitenfinfranchi,Toddétaitparti.Lepireétaitderrièreelle.Lefaitqu’ilnesoitpaslàneferaitpasune grande différence, puisqu’ilsmenaient des vies séparées depuis desmois. Simplement, elle ne leverraitplusalleretvenir.

Unpeuplustarddansl’après-midi,quandelleseretrouvaavecEileendanslacuisine,elleseditquec’étaitsympad’avoirunefilledanslamaison.

Eileeneutunlargesourireenlavoyant.Onauraitditunpetitenfantexcitéparunnouveaujouet.—J’adoremonappartement.Ilestravissant.Etjevousremerciepourlesfleurs.Francescaavaitdéposéunvased’œilletsetderosesdanssachambre.—J’ail’impressiond’êtreenfinchezmoi.DepuisquejesuisarrivéeàNewYork,jevisdansmes

valises.C’estsuper,d’avoirenfinunendroitoùseposer.Quandellevitl’ordinateursurlatable,sonvisages’éclaira.—Celanevousennuiepasquejeconsultemesmails?Jen’aipasencored’ordinateurportable.—Pasdeproblème.Toddetelles’enservaientrarement,maisc’étaitpratiquedel’avoirsouslamain.Elleenavaitun

autredanssonbureau.—Jen’enaiquepouruneminute.Eileenseconnecta,etlutsesmailsensouriant.L’und’euxlafitmêmerire.Francescaretournadans

sachambre.C’étaitagréabled’avoiruneprésence.Lamaisonparaissaitdéjàplusvivanteetplusjoyeusequ’au cours des mois précédents. Elle regrettait presque de devoir encore trouver deux locataires.PartagerlamaisonuniquementavecEileenauraitsansdouteétéidéal,malheureusementellen’enavaitpaslesmoyens.Ilfallaitdeuxautrespensionnaires,maispersonnedecorrectnes’étaitprésentédepuislajeunefemme.Lesdétraquésavaientfaitunretourenforcequandelleavaitpubliéunenouvelleannoncejuste avant Noël. Une seule femme avait paru convenir. Tout juste arrivée d’Atlanta, elle avaitmalheureusementtrouvéunautrearrangementavantmêmed’avoirvisitéle44CharlesStreet.Francescaavait intérêt à trouver quelqu’un d’autre rapidement. Elle ne pourrait pas rembourser sesmensualitéssinon.

Francesca fit une sieste dans l’après-midi, ce qui était rare, mais le départ de Todd l’avaitbouleverséeetfatiguée.Cedernierluiavaitpromisdel’appeler,maisellen’étaitpassûrequ’il tienne

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parole,etellenesavaitmêmepassielleavaitvraimentenvied’avoirdesesnouvelles.Ellenevoulaitpas leperdredevue,maisellene tenaitpasnonplusàêtre tropsouventencontactavec lui. Il fallaitqu’ilsavancentchacundeleurcôtéàprésent,s’ilsvoulaientrefaireleurvie.

Francescaredescenditdanslacuisineàl’heuredudîner.Eileenétaitlà,lesyeuxfixéssurl’écrandel’ordinateur ; elle mangeait un bol de soupe. Elle s’excusa, dès que Francesca entra. Mais la soupequ’elleavaitfaitchaufferétaitàelle,etellen’avaitrientouchédecequiappartenaitàFrancesca.Celle-cipensaquec’étaitbonsigne,etqueEileenseraitsansdouteunecolocatairerespectueusedesautres.

Lorsqu’elles’assitàtable,elles’aperçutqueEileens’étaitconnectéeàunsitederencontresenligne,etqu’elleregardaitdesphotosd’hommes.

—Vousn’avezjamaisessayé?demanda-t-elleàFrancescaavecunriremalicieux.J’adoreça.C’estunpeucommesivouscommandiezquelquechosechezletraiteur,saufquecesontdeshommes,etpasdesplats!Jemesuisinscritequandj’étaisàl’université.J’airencontrédestypessuperàLosAngelesetàSanDiego.Jesuissortieavecl’und’entreeuxpendantpresqueunan.Unjourilatropbu,etils’estengagédanslesMarines.

—Jenesavaispasqu’onfaisaitencorecegenredechose.Jeveuxdires’engagerdanslesMarinesaprès avoir trop bu ! Et non, je n’ai jamais rencontré quelqu’un par Internet. Je pense que c’est tropdangereux,onnepeutpasvraimentsavoiràquionaaffaire.

L’idée de rencontrer des hommesde cette façon lui déplaisait.Le procédé lui paraissait tellementdésespéré.Ilétaitbeaucoupplussûrdefairelaconnaissancedesgensparl’intermédiaired’amis,mêmesielleconnaissaitplusieursfemmesquiavaientrencontréleurmarigrâceàInternet.

—Enfait,ondéveloppeunsixièmesensquipermetdesavoirquionaenfacedesoi,affirmaEileen.Jen’enairencontréqu’unoudeuxquiavaientl’airbizarre.

—Vousvousconnectezsouventsurdessitesderencontres?s’enquitFrancesca,étonnée.Elletrouvaitétrangequ’unejeunefemmeàl’allureaussisaineetcharmantequeEileenaitbesoinde

ce biais pour faire des rencontres.Elle pouvait sûrement sortir avec tous les hommes qu’elle voulait,mêmes’iln’étaitpassifacilequeçaderencontreruncélibataire.

—Pasvraiment.C’estjusteunedistractionagréablequandjen’airiend’autreàfaire.Francescasedemandasielleallaitdevoirétablirdesrègles,concernantlesvisitesquerecevraient

seslocataires.Puiselleseditqu’ellen’enavaitpasledroit.Elleétaitlapropriétairedulogement,paslagardienned’undortoirdejeunesfilles,etencoremoinsleurmère.Eileenpouvaitramenerquiellevoulaitchez elle, cela ne la regardait pas. Elle remonta dans sa chambre enmâchonnant sa pomme, laissantEileenàsesrecherches.Silajeunefemmerencontraitquelqu’unsurInternet,c’étaitàellededécidercequ’elledevaitfaire.QueFrancescatrouvecelaraisonnableounon.

Eileen était une jeune fille pleine de vie, qui voulait se faire des amis dans une nouvelle ville.Francescaétaitplusâgéeetpluscirconspecte.Ellenesesentaitpasprêteàfairedesrencontres.Oualorsd’unefaçonplustraditionnelle.Pardesconnaissances,oubienàlagalerie,ouencoredansunesoirée.Ellen’avaitpasenviedeprovoquerunerencontre.Detoutefaçon,ellen’enavaitpasletemps.Toutcequ’elleespéraittrouvergrâceàInternet,c’étaitunoudeuxlocatairessupplémentaires!Cequifinitparseproduire deux semaines plus tard, à la mi-janvier. Elle reçut une réponse d’un homme, un designergraphiquequitravaillaitlaplupartdutempschezlui.Ilsedéplaçaitdetempsàautrepoursesaffairesetcherchaitunlogementexactementdanslegenredeceluiqu’elleproposait.Commeilvenaitdedivorcer,iln’avaitpasdemobilier,etilavaitbesoind’unechambreetd’unpetitbureauoùinstallersatabledetravail et son ordinateur. L’appartement du deuxième étage, où se trouvait naguère la salle à manger,correspondaitentouspointsàcequ’ilcherchait.Francescapritrendez-vouspourunevisite.Lorsqu’ilseprésenta,illuiprécisaqu’ilavaittrente-huitans,etunfilsdeseptansquipassaitunweek-endsurdeuxaveclui,depuissondivorce.

—Est-cequecelavousposeunproblème?demanda-t-ild’unairinquiet.

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Francescahésitaunlongmomentavantderépondre,etfinitparhocherlatête.Deuxweek-endsparmois,cen’étaitpasbeaucoup.

—Jepensequeçaira,puisqu’ilneserapaslàtoutletemps.ChrisHarleyeut l’airsoulagé.Grandetmince,avecdescheveuxblondcendréetdesyeuxgris, il

arborait une expression grave. Il était si pâle que Francesca songea que sa peau n’avait pas dû êtreexposéeausoleildepuisdesannées.Ilauraitétébeau,s’iln’avaiteul’airaussitriste.

Chrisparlapeu.Iljetauncoupd’œilàl’appartementetparutsatisfait.—Jeleprends,dit-ilàvoixbasse.Il ne poussa pas d’exclamation admirative, ne lançapas de«Oh», ni de «Ah», commeEileen.

Francescaletrouvaextrêmementréservé,maiscelaneladérangeaitpas.Cethommen’étaitpasunpetitcopainpotentiel,ilsn’étaientpasobligésdeseplaire,oudedeveniramis.Toutcequ’elleavaitbesoinde savoir, c’était s’il était sérieux et s’il paierait son loyer tous les mois. Après lui avoir montrél’appartement, Francesca le conduisit en bas et lui montra la cuisine et le studio en rez-de-jardin. IlproposaàFrancescad’acheterlui-mêmelemobilierpourlachambre,etelleaccepta.

Eileen se trouvait encore devant l’ordinateur.Depuis son arrivée, elle passait beaucoup de tempsdevantl’écran,nonseulementpourchercherdespetitsamis,maisaussipourenvoyersoncourrier.Elleleva la tête et sourit en voyant Chris. Comme elle le confia plus tard à Francesca, elle le trouvait«mignon». Francesca commençait à croire qu’elle était un peuobsédée par les hommes.Elle sortaitsouventlesoir,maisaucundesessoupirantsn’étaitencorevenuàlamaison.

Francesca demanda à Chris Harley les mêmes garanties qu’à Eileen, et il lui communiqua sescoordonnéesbancaires.Enleregardantmieux,elletrouvaquesonairneluiétaitpastotalementinconnu.Etait-ce une impression ou l’avait-elle déjà vu quelque part ? Elle lui assura que lorsqu’elle auraiteffectué lesvérificationsnécessairesauprèsde labanque ilpourraitemménagerquandilvoudrait– leplustôtseraitlemieux.

Chris Harley dessinait des emballages industriels, et il lui donna sa carte professionnelle. Ils seséparèrent sur une poignée de main franche, et Francesca eut une bonne impression. Elle se fiaitgénéralementà son instinct,etcethomme,à l’allureunpeuconventionnelle,apparemmentsainetbienélevé,semblaitposséderlesqualitésrequisespourfaireuncolocataireagréable.

C’estcequ’elleditàEileen,quandellesseretrouvèrenttouteslesdeuxàrangerlacuisine.—Etilestbienphysiquement,cequinegâcherien,commentaFrancesca.Eileenhaussalesépaules.—Oui,maisilal’airconformisteetrasoir.Cen’estpasmongenre.Francescafuttentéedeluidemanderquelétaitsongenre,endehorsdeshommesdontellescrutaitles

photossurInternet.—Etpuisce serait idiotd’avoirunehistoireavecquelqu’unquivitdans lamêmemaison,ajouta

Eileen.Celaposeraittropdeproblèmes.Surcepoint-là,ellestombèrentd’accord.—Siçan’allaitplus,l’undenousdeuxseraitobligédepartir.Jepréfèresortiravecdeshommesque

jerencontreàl’extérieur,oubienenligne.Eileenavaitunedemi-douzainedecontactsavecquiçamarchait trèsfortencemoment.Francesca

ignoraitlesquelselleavaitdéjàrencontrés.A la grande joie de Francesca, la banque répondit que Chris Harley avait un excellent indice de

solvabilité. Elle décida qu’il serait son deuxième locataire, bien qu’elle n’ait pas encore fait laconnaissancedesonfils.Cen’étaitpasindispensable:l’enfantn’avaitqueseptansetilneseraitlàquequatrejoursparmois.ElleappeladoncChrisetluiannonçaqu’ilpouvaitemménagerquandilvoulait.

— Formidable ! s’exclama-t-il, ravi. Je vais m’installer dès ce week-end. Je n’ai pas beaucoupd’affairesàtransporter.J’iraiachetercequ’ilfautpourlachambredemain.

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Francescaétaitcurieusedesavoirpourquoiiln’avaitpasplutôtcherchéunappartementindépendant,maiselleneluiposapasdequestion.Illuiditaucoursdelaconversationqu’ilavaitdonnétoutcequ’ilavaitàsonex-femme.Ilnepossédaitplusquesesvêtements,unepiledelivres,etdeuxtableaux.Ilavaitlaissé tout le reste dans l’appartement occupé par sa femme et son fils, et pour l’instant il logeait àl’hôtel.Celaduraitdepuisdeuxmois.L’idéedevivredansunemaisonplutôtquedansunappartementleséduisaitbeaucoup.

Quandilemménagea,l’atmosphèredelamaisonconnutunnouveauchangement.Ilamenaavecluiuneimpressiondesolidité.IlétaitsicalmeetsisérieuxqueFrancescafutsûrequ’ilneluiposeraitjamaisdeproblème, et qu’il serait facile à vivre. Il correspondait exactement à ce qu’elle attendait d’uncolocataire.QuandelleenfitlaremarqueàEileen,celle-cineparutpastrèsconvaincue.

—Ilesttroptranquille,répondit-elle,avecindifférence.Detoutefaçon,ilétaittropâgépourelle.Elleaimaitlesgarçonsdesonâgequisortaienttoutjustede

l’université.Atrente-huitans,Chrisparaissait trèsmûr,etparcertainscôtésilfaisaitmêmeplusvieuxqueTodd.Peut-êtreétait-cesondivorceoulefaitd’avoireuunenfantquil’avaitfaitmûrir.

Il apporta sa table à dessin et tout son matériel de travail. Il les disposa soigneusement dans lachambre,ainsiqueseshaltères,unécranplat,unechaînehi-fi,et sesvêtements.Lemobilieravaitétélivrélaveille,etFrancescafutétonnéedevoirqu’ilavaitcommandédeslitssuperposés.Celaluisemblaunpeuétrange,etellesupposaquec’étaitpoursonfils.

Puis il se retira dans son appartement et Francesca se rendit à la galerie. Lorsqu’elle rentra à lamaison,ilavaitdéjàdînéetétaitretournédanssachambre.QuantàEileen,elleétaitpartiepourleweek-end.

Lamaisonétaitsilencieuse,etbienrangée.FrancescanerevitpasChrisjusqu’audimanche.Elleletrouva aumatin dans la cuisine, en train de faire du café.Elle lui demanda si tout lui convenait, et ilréponditparl’affirmative.Assistranquillementàlatabledelacuisine,ilbutsoncafé,lutlejournal,seresservit une deuxième tasse, puis remonta chez lui. Il n’essaya pas d’engager la conversation, et elleremarquauneombredetristessedanssesyeux.Quoiqu’ilaitvécu,iln’avaitvisiblementpasenvied’enparler. Il restaitagréable,poli,etdétaché,commelorsde leurpremièrerencontre.ToutcelaconvenaitparfaitementàFrancesca.

QuandAveryl’appelacesoir-là,elleluiparladunouveauvenu.—Celocatairesembleparfait,ditsabelle-mère.Ilsaitgardersesdistances,iladebonnesmanières,

etunboncompteenbanque.Tuasrencontrésonfils?—Pasencore.Jesupposequ’ilviendraleweek-endprochain.—Espéronsqueceneserapasunvilaingarnement.—Chrisn’apasl’aird’êtrelegenreàtolérerça.Ilyaquelquechosedetristechezlui,etilneparle

pasbeaucoup.—Ilapeut-êtretraversédesépreuvesdifficiles.Oubienc’estsoncaractère.Toutlemonden’estpas

aussicharmantetbavardquetonpère.Lesdeuxfemmeséclatèrentderire.Avery était impressionnée par la facilité avec laquelle les choses s’étaient mises en place.

Apparemment,Francescaavaiteu lachancededénicherdeuxcolocataires idéaux.L’uneétaitdouceetagréable,l’autresérieuxetdiscret.Difficiledefairemieux.

—DesnouvellesdeTodd?—Ilm’aappeléeà lagalerie ilyaquelques jours,mais j’étaissortiechercherdes toileschezun

artiste.Afind’économiserde l’argentetde réduire les fraisgénéraux,Francescaaccomplissaitelle-même

touteslestâchessubalternes.

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—Ilm’alaisséunmessageendisantqu’ilespéraitquej’allaisbien.Jesuisobligéedereconnaîtrequ’ilmemanque.Maisc’estleToddquej’aiconnuaudébutquimemanque,pasceluiqu’ilétaitdevenuladernièreannée.Aprésent,jemèneunevietrèstranquille.Jetravaille, jerentrelesoir, jemange,jeregardelatéléetjevaismecoucher.C’esttout.

—Çanedurerapas.Ilfautquetuaillesdansdesvernissages,desréceptions.MaisFrancesca n’était pas d’humeur à sortir.Elle parla àAvery d’un nouvel artiste qu’elle avait

découvert par l’intermédiaire d’un autre peintre, à Brooklyn. Puis elle s’enquit de son père. Celui-citravaillaitdurenvuedesaprochaineexposition,etAveryajoutaqueses toutderniers tableauxétaientfabuleux.Elleétaitsaplusgrandeadmiratrice.Leurconversationachevée,Francescaéteignitlalumièreet restaallongéesur son lit,dans l’obscurité.Elleentendait la télévisiondans lachambred’Eileen,etChris aller et venir à l’étage au-dessous. C’était rassurant de savoir qu’elle n’était pas seule dans lamaison,mêmesiellenelesconnaissaitpastrèsbien,nil’unnil’autre.Ellelaissasespenséesdivaguer,etnetardapasàs’endormir.

La semaine suivante, Francesca organisa une nouvelle exposition à la galerie. Les vernissagesconstituaienttoujoursunesourcedestress.Elledevaits’assurerqu’ellerecevraitlestableauxàtemps,cequisignifiaitqu’elleharcelaitlesartistessansrelâchejusqu’àladernièreminute,pourqu’ilssoientprêtsau jour J. Elle devait envoyer les cartons d’invitation aux clients, faire venir les critiques d’art pourobtenir des articles, s’occuper elle-même de l’accrochage des tableaux et de l’éclairage. Lorsque lagaleriefutenfinprêtepourlevernissage,Francescaétaitexténuée.

L’artistequ’elleprésentaitcettefois-ciétaitquelqu’undedifficile,quil’obligeasanscesseàchangerlestableauxdeplace.Ilsvendirentquatretoileslepremiersoir.Ensuite,pendantplusieurssemaines,ellefut trop occupée pour consulter les réponses qu’elle avait reçues à son annonce. Elle avait pourtantbesoin de ce troisième locataire.Elle ne voyait presque jamaisChris etEileen.Trois semaines aprèsl’emménagement de Chris, elle fit la connaissance de son fils. Assise dans la cuisine, en train deconsultersesmails,elleentenditdubruitetlevalatête:unpetitgarçonvêtud’unjeanetd’unsweaterrougel’observaitavecintérêt.

—J’aimebientamaison,déclara-t-ilensouriant.Ilavaitlescheveuxbruns,degrandsyeuxbleus,etneressemblaitpasdutoutàsonpapa.—Jem’appelleIan,dit-ilpoliment,enluitendantlamain.C’étaitunenfanttrèsmignon,quiauraitputournerdansdesfilmspublicitaires.—Etmoi,jem’appelleFrancesca.Tuveuxmangerquelquechose?Ilétaithuitheuresdumatin,etChrisdemeuraitinvisible.ApparemmentIanavaitdécidédedescendre

toutseul.—Oui,jeveuxbien.Tuasdesbananes?Francescaenpritunedansunsaladiersurleréfrigérateur.Illaremercia.—Veux-tuaussidescéréales?Ilacquiesça,etelleversadescorn-flakesdansunbol,danslequelelleajoutadulait.— Je préparemoi-mêmemon petit déjeuner tous lesmatins, annonça-t-il fièrement.Maman aime

dormirtard.Ellesortsouventlesoir,ajouta-t-ilenguised’explication.Francescanefitaucuncommentaire.Enfait,ellenesavaitpasquoidire.Ellen’avaitpasl’habitude

deparleravecdesenfantsdecetâge.—Dansquelleclassees-tu?L’enfantvenaitd’engloutirdeuxmorceauxdebananequigonflaientsesjoues.Ilnepouvaitparlerla

bouchepleine.Elleattenditensouriant.Illuifallutuneminuteavantdepouvoirrépondre.

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—EnCE1.J’aichangéd’écolecetteannée.Jepréféraisl’ancienne,maismamanditquec’esttroploin.

ChrisentradanslacuisinependantqueIanparlait.Ilsouritàsonfils,puisàFrancesca.Elleneluiavaitencorejamaisvuunairaussiheureux.Ilétaitdétendu,amical,chaleureux.Manifestement, ilétaitfoudesonfils,etilenétaitaussitrèsfier.

—Mercideluiavoirdonnéàmanger.Iladûdescendrependantquej’étaissousladouche.—Nousavonspasséuntrèsbonmoment,lerassuraFrancesca.Ianeutl’aircontentdesoncommentaire.Luiaussiavaitpasséunbonmoment.C’étaitunenfanttrès

autonome,etparfaitementàl’aiseaveclesadultes.—Nousallonsauzoo,expliqua-t-ilàFrancesca.Ilyaunnouveloursblancetunkangourou.—Celameparaîttrèsintéressant,lança-t-ellespontanément,tandisqueChrisfaisaitfriredesœufs.—Tuveuxvenir?proposaIan,toutheureux.—J’aimeraisbien,maisj’aidutravail.—C’estquoitontravail?—Jepossèdeunegaleried’art,àquelquesruesd’ici.Jevendsdes tableaux.Tupourrasvenir les

voir,situveux.—Nousleferonspeut-être,ditChrisenposantunœufauplatdevantIan.Ils’assitàcôtédesonfilsavecsonassiette.Francescarepritlalecturedesesmailspendantqu’ils

mangeaient.Elle avait reçuune réponsed’une femmeduVermontqui cherchait unpied-à-terre àNewYork.Elledonnaitsonnumérodetéléphone,écrivaitqu’elleespéraitquelachambreétaitencorelibreetqueFrancescal’appellerait.

Francescanota lenuméro,àcôtédeceluid’uneautrecandidate.LafemmeduVermontsemblait laplusintéressantedesdeux.Elleneseraitpeut-êtrepaslàtoutletemps,cequiprésentaitdesavantages.Leurvieà troisdans lamaisonétait trèsagréablecommeça. Ianétaitunpetitpluscharmant,de touteévidencec’étaitungentilgamin.

Ellebavardaencorequelquesminutesaveceux,puisleursouhaitaunebonnejournéeauzooavantderemonterchezelle.Lorsqu’ellesortit,ChrisetIanétaientdéjàpartis.

Elleeutunejournéebienremplieàlagalerie,oùellevenditencoreuntableau.Touteslestoilessevendaientbien,etcedepuisdesmois.Maislesprixn’étaientpasassezélevés,etelleenvisageaitdelesaugmenter.Averyinsistaitbeaucouppourqu’ellelefasse.

Cenefutqu’enmilieud’après-midiqueFrancescarepensaàlacandidateduVermontetl’appela.Lapersonne qui répondit semblait être à peu près du même âge qu’elle. Sa voix était gaie et agréable.Francesca lui dit que le studio était encore disponible, et elle le lui décrivit aussi précisément quepossible,sansenexagérerlesqualités.Elleexpliquaquelachambreétaitpetite,avecunesalledebainattenante,unejolievuesurlejardin,etqu’ellesetrouvaitàcôtédelacuisine.

Lajeunefemme,quis’appelaitMaryaDavis,déclaraquecelaluisemblaitparfait.Ellen’avaitpasbesoin d’un très grand espace, mais elle utilisait beaucoup la cuisine. Est-ce que cela posait unproblème?

—Non, car je travaille tous les soirs jusqu’à sept heures, six jours par semaine. Je ne suis passouventlà,etlesautreslocatairesnonplus.L’und’euxtravailleunepartiedutempsàlamaison,maisilest trèsdiscretetsortpeudesonappartement.L’autrecolocatairevientdequitter l’université,elleestéducatricespécialisée,etsortpresquetouslessoirs.Lamaisonesttrèstranquilleetpersonnenesesertbeaucoupdelacuisine.Jesuisgénéralementtropfatiguéepourcuisiner,etjemecontented’unesaladeoud’unplatquej’achètechezletraiteurlesoir,enrentrant.Lesautresfontcommemoi.Vouspourrezdoncdisposerdelacuisineàvotreguise.

—Ceseraitmerveilleux.JeviensàNewYorklasemaineprochaine.Pourrez-vousattendrejusque-là?ajoutaMaryaavecunsoupçond’inquiétude.

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Francescasemitàrire.— Je dois appeler quelqu’un d’autre dans la journée,mais comme je vous ai eue la première au

téléphone,jevousdonnerailapriorité.Quandaimeriez-vousvenir?—Mercredivousconviendrait-il?—Parfait.Elles convinrent d’une heure et raccrochèrent. L’autre candidate que Francesca avait en vue avait

déjà trouvésonbonheur.Onétaitdébutfévrier,etFrancescanes’étaitpasattendueàcequecesoitsilong pour trouver trois locataires. Mais elle s’était montrée très prudente, et n’avait pas voulu fairevisitersamaisonàn’importequi.Personneneluiavaitsembléconvenirendehorsd’EileenetdeChris,et peut-être maintenant cette Marya Davis qui lui avait confié qu’elle souhaitait faire des séjoursfréquentsàNewYorkcarleshiversdansleVermontétaienttrèsrigoureux.

Lesoir,FrancescarevitbrièvementlefilsdeChris.Elleluiavaitrapportéunesucettedelagalerie,où elle avait toujoursunpotpleinde friandisespour les enfants.ElledemandaàChris sapermissionavantdelaluioffrir.Apparemmentlavisiteàl’oursblancavaitétéungrandsuccès,etilyavaitaussiunbébétigreauzoo.Ianfutravidelasucette,etfitdegrandssignesdelamainàFrancescaquandilpartitle lendemain.Francescan’avaitpas spécialementenvied’avoirunenfant àelle,maiselleaimaitbienvoirceuxdesautres.Elleavaitquinzeartistessurlesbras,quiremplaçaientlargementlesenfantsqu’ellen’avaitpas.Elles’ensatisfaisait,dumoinspourlemoment,etpeut-êtrepourtoujours,vuqu’ellen’avaitpasd’hommedanssavie.CroiserlechemindepetitsgarçonscommeIansuffisaitàluifournirsadosedematernité.

Lemercredisuivant,Marya,lafemmeduVermont,sonnaàlaportedu44CharlesStreetcinqminutesavant l’heure du rendez-vous. Elle portait un pantalon de ski, des après-ski, et une parka avec uncapuchon.C’étaitl’hiver,etilfaisaittrèsfroidàNewYorkaussi.Elleavaitdescheveuxgriscoupésaucarréetneressemblaitpasdutoutàl’idéequeFrancescas’étaitfaited’elle.Elleétaitbienplusâgéequesavoixnel’avaitlaissésupposerautéléphone.Francescaappritqu’ellevenaitdeperdresonmariàlasuited’unelonguemaladie.Toutefois,c’étaitunepersonnegaie.Elleavaitunesilhouettedéliée,etunealluretrèsjeune.Elleprécisaqu’elleavaitcinquante-neufans.Unpeudéconcertée,Francescaserenditcomptequ’elleavaitpresquel’âgedesamère.C’étaitapparemmentleurseulpointcommun.

Marya s’intéressa beaucoup plus à la cuisine qu’au studio qu’elle allait occuper, se contentant dejeterunrapidecoupd’œilàlachambreavantd’annoncerquecelaluiconvenait.

—Sijecomprendsbien,vousaimezcuisiner?demandaFrancescaensouriant.—Oui.C’estunepassion,depuisl’enfance.J’ailachanceinouïedepouvoirfairecequej’aime.Je

n’aijamaisl’impressiondetravailler.Soudain,Francescacompritàquielleavaitaffaire.Ilfallaitqu’elleaitétébiendistraitepournepas

avoir compris tout de suite qu’il s’agissait deMaryaDavis, la célèbre cuisinière. Elle avait écrit aumoins une demi-douzaine de livres culinaires, et Francesca en avait même deux exemplaires sur sesétagères. C’était un des chefs les plus en vue du moment, et elle s’était spécialisée dans la cuisinefrançaise.Elleconcevaitdesrecettessimplifiéespourlegrandpublicetpourlesgensquin’avaientpasle temps de passer des heures dans leur cuisine à mijoter des petits plats. Elle avait su démystifierplusieursgrandsplatsfrançais,écrivantnotammentunlivreentiersurlessoufflés.

Etc’étaitcettecélébritéquiétaitlà,au44CharlesStreet,assisedanssacuisine!—Jetravailleàunnouveaulivre,expliquaMaryaavecsimplicité.Jemesuisditqueceseraitplus

drôle de passer un peu de temps àNewYork, pour écrire. L’atmosphère est trop calme là où je vis,surtoutmaintenantquejesuisseule.

Elleprononçacesmotssanstristesseapparente,plutôtavecmélancolie.—Votremariaussiétaitchef?s’enquitFrancescaaveccuriosité.

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Avec ses yeux pétillants et son grand sourire, Marya était la personne la plus chaleureuse queFrancescaait jamais rencontrée.Elleétaitaussid’unegrandemodestie,et semblait totalementà l’aisedans la cuisine de Francesca. Celle-ci songea que si Marya emménageait chez elle, il y aurait demerveilleuxplatsàgoûter.

LaquestiondeFrancescafitriresoninterlocutrice.—Non,monmariétaitbanquier.Mais iladoraitmanger,surtout lacuisinefrançaise.Nousallions

touslesanspasserunmoisenProvence,etj’enprofitaispouressayerdenouvellesrecettes.Nousnousamusionsbeaucoupensemble,ilmemanque.Aussi,jemesuisditqu’ilseraitbonquejemelancedansquelquechosedenouveauetdansunnouvelenvironnement.LacampagneesttrèsbelleauprintempsdansleVermont,mais,commejeneskieplus,j’aimeautantpasserlesmoisd’hiverici.

Francesca éprouva un vrai plaisir à discuter avec elle, ravie à l’idée que cette femme adorablevienne vivre à Charles Street. Marya Davis avait du talent, de la personnalité, de l’humour, et uneindéniableprofondeur.Décidément,elleétaitvernie,avecsestroislocataires!

Ellesabordèrentensuitelesdétailsmatérielsdelalocation.Maryatrouvaleprixtoutàfaitcorrect.Lestudiocorrespondaitàcequ’elledésirait,etelleétaitenchantéed’êtreàcôtédelacuisine.

—J’espèrequevousm’autoriserezàvousfairegoûtermesrecettes,dit-elletimidement.—Ceseraunhonneur,madameDavis,réponditFrancesca,enchantée.Cettefemmeétaitsidouce,siagréable,qu’ellel’auraitvolontiersserréedanssesbras.—Jevousenprie,appelez-moiMarya.«Madame»medonneunsacrécoupdevieux.Maisjesuis

vieille,jesuppose,puisquej’auraisoixanteansl’annéeprochaine.Elleenparaissaitdixdemoins.Sasimplicitéetsamodestielarendaientimmédiatementattachante.

Francescaétaitimpatientedelavoirs’installerici.Avantdepartir,Maryal’embrassasurlesdeuxjoues.Dansl’escalier,FrancescacroisaEileen.—Tuasl’airheureuse,ditcelle-ci.Lesdeuxjeunesfemmesétaientrapidementpasséesaututoiement.—Jelesuis.MaryaDavis,lacélèbrecuisinière,vientjustedelouerlestudiodurez-de-jardin.Elle

m’aditqu’ellenousprépareraitdesrepas.Nousallonsêtresescobayes.—Génial!s’exclamaEileen,avecunsourirebéat.Moiquidétestecuisiner!—Moiaussi,réponditFrancesca.Lacuisinen’avaitjamaisétésonfort.Todds’yentendaitbienmieuxqu’elle.—Ehvoilà.Lamaisonestpleine,àprésent,conclutFrancesca,soulagée.Lestroisloyerscouvriraientlargementlesremboursementsdel’emprunt.Contrairementàcequesa

mère lui avait prédit, et contrairement aussi à ce qu’elle craignait, elle avait trouvé trois locatairesimpeccables.

C’était parfait.LamaisondeCharlesStreet était occupée et pleinedevie.Et quandMarya auraitemménagé,ilsauraientenplusdemerveilleuxrepasàdéguster.

Quedemanderdeplus?

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6

MaryaemménagealejourdelaSaint-Valentin.Avantmêmededéfairesesvalises,elleleurpréparadescookiesaugingembreàlapâtefineetdélicate,enformedecœur.Cejour-là,Chrisétaitrestéàlamaisonpour travailler surunnouveauprojetdestinéàunclientparticulièrementexigeant.Legenredetravail qui demande beaucoup de concentration.L’odeur appétissante des biscuits cuisant dans le fourmontajusqu’àlui,l’empêchadefixersonattention,etlepoussaàdescendreàlacuisine,oùildécouvritMaryaaffubléed’unpetittablieràcarreaux,quifredonnaittoutens’affairantauxfourneaux.Bienqu’ilaitétéprévenudesonarrivée,iln’avaitpasencoreeul’occasiondelarencontrer.Ellel’accueillitavecungrandsourire,posaunplateaudecookiessurlatable,etluiserralamain.

—Jen’avaisjamaissentid’odeuraussidélicieuse!s’exclama-t-ilenlançantuncoupd’œilverslefour.

Marya lui tendit une assiette, et il engloutit aussitôt cinq cœurs à la texture fondante et au goûtirrésistible.

— C’est une vieille recette que j’ai un peu dépoussiérée, dit-elle avec la modestie qui lacaractérisait.

Une fois assis, Chris prit conscience d’une multitude d’effluves délicieux. Marya avait prévu deconcocter un repas pour la Saint-Valentin, laissant chacun libre de venir se servir s’il avait prévu deresteràlamaison.C’étaitlecasdeChris,aussil’invita-t-elleàrevenirunpeuplustard.

—C’estformidabledepouvoircuisinerpourvoustous!Maryasesentaittrèsseuledepuislamortdesonmari.Cettecolocationétaitidéalepourelle.Dèssa

premièrevisite,elleétaittombéesouslecharmedelacuisine.—Onm’aditquevousaviezunravissantpetitgarçon,dit-elletandisqu’ilseservaitunverredelait.Chrissourit.—Oui, il est adorable. Il vit chez samaman,mais je l’ai unweek-end sur deux, et je le prends

généralementlemercredisoir,aprèsl’école.—Ilmetardedefairesaconnaissance.Maryan’avaitpaspuavoird’enfant.Etelleappartenaitàuneépoqueoùlesdifférentesméthodesde

luttecontrelastérilitén’existaientpasencore.Sonmarietelleavaientacceptéleursort,etavaientvécul’unpourl’autre.Maryaétaitdoncvraimentseuledepuisqu’ilétaitparti.LamaisondeCharlesStreet,avecsestroisautreshabitants,étaitbeaucoupplusgaieetagréablepourellequesonfoyerduVermontauquelelleétaitpourtant trèsattachée.Elleétait enchantéeà laperspectivedesanouvellevieàNewYork et avait hâte de visiter lesmusées, de fréquenter les restaurants et de voir des amis. De naturejoyeuseetoptimiste,elletrouvaittoutcelatrèsexcitant.

Chrisremontachezluiseremettreàlatâche.Quelquesmomentsplustard,Eileenrentradutravailetsedirigeaverslacuisinepourconsultersesmails.Elleavaitsentilesdélicieusesodeursculinairesdèsqu’elleavaitouvertlaported’entrée.

—Waouh ! fit-elle en se retrouvantnezànezavecMarya,dont elleadmira la silhouetteminceetsportivequeletablierneparvenaitpasàdissimuler:Qu’est-cequisentsibon?

Eileenn’auraitsudiresic’étaitsaléousucré.Maryaavaitmisunpouletàdorerdanslefour,ellefaisait cuire des asperges, et projetait de préparer un soufflé au fromage une fois tout lemonde à lamaison.Elleavaitaussifaitungâteauauchocolatenformedecœurpourledessert.Unvraifestin.

—Jenesavaispassitoutlemondedînaitàlamaisoncesoir,maisj’aiquandmêmeprislerisque.J’adorelaSaint-Valentin.

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C’étaitunexcellentprétextepourunbonrepas.Eileensourit, regardasesmails, etvitqu’elleavaitun rendez-vousce soir-là.C’était sapremière

rencontre avec un homme qui correspondait avec elle depuis quelques jours. Jusqu’ici, elle avaitrencontré des gars vraiment sympas, et quelques gros nuls, dont elle s’était débarrassée très vite, neramenantquedeuxhommesà lamaison.Cela avaitmisFrancescaunpeumal à l’aise,mais ellen’enavait touchémotàEileen.Ellenes’ensentaitpas ledroit.La jeunefemmeétaitadulte,elleétaitchezelle, et sa propriétaire n’avait pas à filtrer ses fréquentations. Il semblait toutefois un peu risqué àFrancescadelaisserdeparfaitsinconnuspasserlanuitàCharlesStreet.CommeEileenrencontraitceshommes par le biais d’Internet, on pouvait en déduire qu’elle ne les connaissait pas bien. C’étaitd’ailleurslaraisonpourlaquelleFrancescan’avaitjamaisététentéepardetelssites.Detoutefaçon,ellen’avait pas envie de faire des rencontres. Il n’y avait que six semaines que Todd était parti. Il luimanquait,etellenes’étaitpasencorehabituéeàl’idéequ’ilétaitsortidesaviepourtoujours.Parfois,c’étaittrèsdur.Elleavaitperdul’hommequ’elleaimait,maisaussisonmeilleuramietsonassocié.Sesseulesautresrelationsàprésentétaientlesartistesqu’ellereprésentait.

Elle arrivabonnedernièreà lamaisonce soir-là, aprèsavoir fermé lagalerie à septheures.Elleavait vendudeuxpetites toiles pour laSaint-Valentin et s’était sentie déprimée tout l’après-midi.Elleavait oublié que Marya devait emménager aujourd’hui, et fut bien surprise de trouver ses troiscolocatairesbavardantdanslacuisine,autourd’unebouteillequeMaryavenaitdedéboucher.ElleavaitrapportéduVermontquelquescaissesdevinsfrançais,chilien,etespagnol.Celuiqu’ilsétaiententraindedégustersemblaitlesravir.

—Bienvenueàlamaison!s’exclamajoyeusementMarya.LemoraldeFrancescaremontad’uncran.Elleavaitredoutédeseretrouverdanslamaisonvideen

ce jour de Saint-Valentin. Todd accordait beaucoup d’importance à cette fête, et chaque année ill’emmenaitdînerdansungrandrestaurant.Ellen’avaitpaseudenouvellesdeluiaujourd’hui,etc’étaitaussibiencommeça.Néanmoins,celaluiavaitdonnélecafard.

ElleeutunsourireradieuxquandMaryaluioffritunverredevin.Ledînerétaitprêt.Ellen’avaitpasprévudemanger,maiss’assit toutdemêmeavecEileenetChrisà la tablede lacuisine,etdévora ledélicieuxdînerqueMaryaleurservit.Lesaspergesetlasaucehollandaiseétaientirrésistibles,lesouffléincroyablementréussi,etlepouletfarciauxchampignons,cuitàpoint.Ilsmangèrentaussidelasalade,desfromagesfrançais,etfirentunsortaugâteauauchocolatendiscutantavecanimationdenourriture,devoyages,deleursexpériences,etdeleursamis.Maryavenaitàpeined’arriver,etdéjà lamaisonétaitpleinedevie.Francescan’avaitpasvuChrisaussiamicaletbavarddepuissoninstallation.AcroirequeMaryaétaitdotéed’unpouvoirmagique,qu’elleexerçaitsurlesgenscommesurlanourriture.Francescan’arrivaitpasàcroireàsachance.Marya,elle,étaitauxanges.

IlsrirenttellementqueEileenfaillitoubliersonrendez-vousgalant,etsortitsansprendreletempsdesechanger.Elleenfilaseschaussuresàtalons,vaporisaunpeudeparfumsursesvêtements,etdisparutdanslecouloirenleurfaisantunpetitsigned’adieu.Francesca,ChrisetMaryarestèrentassisautourdela table.Marya leurservit lecaféavec lescookiesen formedecœuretdes truffesauchocolat.Chrisdéclaraqu’iln’avaitjamaisaussibienmangédesavie,etFrancescarenchérit.Endépitdel’absencedeTodd,c’étaitlameilleuresoiréedeSaint-Valentinqu’elleaitpasséedepuislongtemps.

ChrisetelleaidèrentMaryaàrangerlacuisine,maiscelle-ciavaittoutnettoyéaufuretàmesure,sibienque tout futnet enquelquesminutes.Ensuite,Maryaalladéfaire sesbagages, tandisqueChris etFrancescaremontaientlentementl’escalier.

—Jeredoutaiscettejournée,avouaFrancesca.C’estlapremièrefoisquejepasselaSaint-ValentinsansTodd.GrâceàMarya,nousnoussommesbienamuséscesoir.

Chrishochalatête,unpeuplusdistantmaintenantqu’ilseretrouvaitseulavecelle.IlétaittoujourstrèsréservéquandilparlaitàEileenetàFrancesca,sauflorsqueIanétaitlà.Maryaavaitvraimentréussi

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àlefairesortirdesacoquille.Qu’avait-ilbienpuluiarriverdanslepassépourqu’ilsemontreaussirenfermé ? Francesca commençait à croire que c’était moins son caractère que le résultat d’untraumatisme.

—CettejournéeadûêtredifficilepourMaryaaussi,carelleaperdusonmari,remarquaFrancesca.C’est une femme adorable. Je suis contente qu’elle se soit installée ici. Elle cuisine remarquablementbien.Nousallonstousdevenirobèsessiellenousfaitmangercommeçatouslesjours.

SaremarquefitsourireChris.—Oui,cesoirétaitexceptionnel.CelafaitdesannéesquejenecélèbrepaslaSaint-Valentin.Jen’y

pensemêmepas.C’estunefêtepourlesgaminsetpourlesamoureux.Il n’était ni l’un ni l’autre. Il avait appelé Ian dans l’après-midi, et lui avait envoyé une carte de

Saint-Valentin. Ianavait lebéguinpour samaîtressed’école etpourunepetite fillede sa classe, et ilavaitconfiéàsonpapaqu’illeuravaitdonnéunecarteàchacune.

Ilssesouhaitèrentbonnenuitdevantl’appartementdeChris.Francescasedemandacommentilavaitaménagé sa salle à manger et son ancienne bibliothèque. Elle monta lentement l’escalier jusqu’à sachambre, de nouveau en proie à un sentiment de solitude. C’était inévitable. On faisait tellement debattageautourdelaSaint-Valentinquesionn’avaitpasd’amoureuxc’étaitunjourredoutable.

FrancescaentenditEileenrentrer,tarddanslanuit.Ilyavaitunhommeavecelle,etelleespéraquec’était quelqu’un de correct. La confiance de la jeune femme dans ses rencontres par Internet et soninnocence l’inquiétaientconsidérablement.Elle lesentenditchuchoteret rirequand ilspassèrentsur lapointe des pieds devant sa porte. Elle fit la connaissance de l’inconnu le lendemain matin, au petitdéjeuner.Maryaleuravaitlaissédespetitspainsetdescroissants,avantdepartirenbalade.Laconquêted’Eileenétaitentraind’engloutirlescroissants,etlasaluaàpeinequandelleentra.L’hommeavaitl’airunpeufruste,maisEileengloussaitenbavardantaveclui,visiblementcontentedesaprésence.Francescafut un peu contrariée de devoir le supporter pendant le petit déjeuner. Chris ne paraissait pas trèsenthousiastenonplusquandilseservitunetassedecafé.

—Commentvousvousêtesrencontrés,tous?Vousvivezensemble,touslesdeux?demandalepetitamid’Eileen.

Chris lui lançaun regardnoir,versadescorn-flakesdansunbol, etnepritmêmepas lapeinederépondre.Francescaexpliquasimplementqu’ilsétaientcolocataires,etnes’attardapasdavantagesurlesujet. L’homme avait les cheveux longs, et il avait remonté les manches de sa chemise, comme pourexhiber ses tatouagesmulticolores. Il leur dit qu’il travaillait à la télévision commemachiniste, et iltapotalesfessesd’Eileenquandcelle-civints’asseoir.Chrisfaillitéclaterderireenvoyantl’expressionhorrifiée de Francesca. C’était un peu trop pour elle, si tôt le matin. Eileen, loin de se formaliser,embrassapassionnémentDoug,quisemontratoutaussifougueux.

Francescaavaitquelquescoupsdefilàdonnerdesachambre,etChrisannonçaqu’ilavaitrendez-vous avec un client à dix heures : il devait lui présenter le projet sur lequel il travaillait depuis dessemaines,desemballagespourunemarquetrèsconnue.Quelquesminutesplus tard, ilquitta lamaisonavecsoncartonàdessins,etEileenpartitpeudetempsaprèslui.Francescafutladernièreàsortirdelamaison.Revenuedesapromenade,Maryaavaitnettoyélacuisine,etétaitressortie.

Lamaisonétaitdevenueunlieutrèsanimé.Francescaavaitdemandéàunesociétédeservicesdepasserfaireleménagedeuxfoisparsemaine.

Leslocatairespartageaientladépense.Toutenmarchantdanslarueendirectiondelagalerie,sousunefinebruinedefévrier,Francescasedemandas’ilsreverraientDougàCharlesStreet.Elleespéraquenon.C’étaitunpersonnagegrossier, etEileenméritaitmieux,mêmesi elleparaissaitplus intéresséepar laquantitéqueparlaqualité.Elleferaitbienderéduirelechampdesesrecherches,etdeselimiteràdeshommesplusdignesd’elle.Eileenétait jeuneetnaïve.Francescaauraitété très inquiètepourelle s’il

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s’était agi de sa petite sœur.Mais elle n’était que sa locataire. Elle souhaitait néanmoins que Eileenralentisselerythmedesesconquêtes.

Francescaavaitdestableauxàaccrochercetaprès-midi-là.L’expositionqu’ellepréparaitdepuisdesmois regroupait trois artistes. Deux peintres abstraits et un sculpteur, dont les œuvres se mettaientmutuellement envaleur.Ladisposition était importante pour que leur travail ne se fasse pas d’ombre.L’undesartistespeignaitdestoilesimmenses,etelleavaitbesoind’aidepourlessuspendre.MaintenantqueToddn’étaitpluslà,elleavaitdûdemanderàl’undesesartistesdevenirluidonneruncoupdemain.Celui-ci gagnait un peu d’argent en installant les œuvres dans diverses galeries. Il était gentil etserviable,maisjamaistrèsprécisencequiconcernaitseshorairesdetravail.Bobétaitundespremierspeintresaveclesquelselleavaitsignéuncontrat,etsestableauxsevendaientbien.Iltravaillaitdur,avaitfaitdebonnesétudes,etprenaitsonarttrèsausérieux.Pourunefoisilarrivaàl’heure,etFrancescaluiexpliquaprécisémentoùellevoulaitpositionner les tableaux.Une foisquecela fut fait, ildemeuradelonguesheuresperchésurl’échelleafind’ajusterl’éclairage.Ilétaitplusdesixheureslorsqu’ilseurentfini,fatiguésmaiscontentsdurésultat.BobavaitdixansdemoinsqueFrancesca,etilétaittrèsmignon.

—Alors,quedevientTodd?demanda-t-il,d’untondégagé.Francescaavaitprévenuverbalementlaplupartdesartistesqu’elledevenaitseulepropriétairedela

galerie,maiselleneleuravaitpasencoreenvoyédecourrierofficiel.Ellen’enavaitpaseulecourage.Quelques-unsl’avaientquestionnée,maispresquetousavaientdevinéqu’ilétaitparti.

—J’airachetésapart,répondit-ellesurlemêmeton.C’estmonpèrequiestmonassocié,àprésent.Toddareprissonmétierd’avocat.

Legarçonhochalatête.—Toujoursensemble?demanda-t-ilpar-dessussonépaule,enrangeantl’échelle.—Non,c’estfini.Francescasedétourna,àlafoisgênéeetpeinéeparlaquestion.Ellen’auraitsudirepourquoi,cette

séparationluifaisaitl’effetd’unéchecpersonnel.CommesielleavaitétéincapabledegarderTodd,oud’avoir avec lui une relation harmonieuse. Ce sentiment était détestable, et elle se demanda si Toddéprouvaitlamêmechose.

—Jemeposais laquestion,poursuivitBob.Cela fait longtempsque jene l’ai pasvu.Vous avezvendulamaison?

—Non,jel’aigardéeetj’aipristroislocatairespourpartagerlesfrais.—Jesuiscontent,réponditlejeunehommeavecunlargesourire.Celafaitdesannéesquej’attends

queTodds’enaille.Ondîneensemble,undecessoirs?Illaregarda,pleind’espoir.IladmiraitFrancescapourletravailconsidérablequ’elleaccomplissait.

Quandlajeunefemmeprenaitunartistesoussonaile,ellefaisaittoutsonpossiblepourpromouvoirsacarrière.

Ellehésitauncourtinstantavantderépondre.—Jenepensepas,Bob.J’ai tendanceànepasmélanger le travailet leplaisir.Jenesuis jamais

sortieavecundemesartistes,etjenecroispasquejevaiscommencermaintenant.Elleavaitprisunairfroidetprofessionnel,maisBobnes’avouapasvaincu.—Ilyatoujoursunepremièrefois,suggéra-t-il.—Peut-être,maispaspourmoi.Mercitoutdemême.Jenemesenspasprêteàsortiravecquelqu’un

d’autrepourlemoment.Aprèscinqansdeviedecouple,cen’estpasfacile.—Oui…Jesuisdésolé…Il partit quelquesminutes plus tard, l’air déçu. Francesca ferma la galerie et regagna lamaison à

pied.Lapluieétaitplusdruequedanslamatinée,etletempsétaitassortiàsonmoral.L’idéedesortiravecunautrehommequeToddladéprimait.Pourtant,ilsavaientcessédefairel’amourbienavantleurrupture.Elle savait qu’elle aurait dumal à s’habituer àquelqu’undenouveau, et pour lemoment elle

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n’avaitvraimentpas envied’essayer.Lecœur lourd, trempée jusqu’auxos, ellegravit lesmarchesduperrondu44CharlesStreet.

Elle monta directement dans sa chambre, se passa de dîner et s’endormit en pleurant. De touteévidence, elle n’avait pas encore fait son deuil de sa relation avec Todd. Combien de temps celaprendrait-il?Luifaudrait-illavieentière?

Lelendemainmatin,Francescasesentaitmieux.Ellesouritenentrantdanslacuisine.Ilétaittôt,etelles’attendaitàêtreseule,maisMaryapréparaitdespancakespourIan.Ilsavaientlaformed’unetêtedeMickey, avec une cerise confite en guise de nez, et des raisins secs pour les yeux. Ian etMaryavenaientjustedefaireconnaissance.Onétaitsamedi,etlepetitgarçonétaitlàpourleweek-end.

—Salut,Ian!lançaFrancesca,commesielles’adressaitàunvieilami.Ilssontsupercespancakes,pasvrai?

L’enfanthochalatête,etFrancescasouritàMarya.Ilétaitirrésistible,avecsongrandsourireetsonregardsolennel.

—Maryaaditqu’ellemeferaitaussidescookiesauxpépitesdechocolat.Mamanenfaisaitavecmoi,avant,expliqua-t-ilenhésitant.Maintenant,ellenecuisineplus.Elleest souventmal,etelledorttoutletemps.Parfois,quandjerentredel’école,elleestencoredanssonlit.

Lesdeuxfemmeséchangèrentuncoupd’œil,maisnedirentrien.FrancescasedemandasilamèredeIanavaitunemaladie.

—Moiaussi,j’aimelescookiesauchocolat,dit-ellepourdétendrel’atmosphère.— Tu pourras nous aider, si tu veux, proposa généreusement Ian, alors que Chris entrait dans la

cuisine.Maissitudoisallertravailler,jet’engarderaiunpeu.—C’esttrèsgentil.Francesca lui sourit. Eileen entra à cemoment avecDoug, qui demanda des pancakes. Francesca

intervintaussitôt.Maryan’étaitpasleurcuisinière.C’étaitunchefderéputationmondiale,quileurfaisaituneimmensefaveurenpréparantdespetitsplats.

— Cette cuisine appartient à tous et chacun prépare ses repas, expliqua-t-elle simplement. Al’exceptiondeIan,quibénéficied’unrégimedefaveur.

Doughaussalesépaules,agacé,etseservitunetassedecafé.MaryaremerciaFrancescad’uncoupd’œil.Chrisavaitobservé lascèneensilence.Dougne luiplaisaitpas. Ilétaitgrossier,malélevé,ettenaitàcequenuln’ignorequ’ilcouchaitavecEileen.Iansortitquelquesminutesdelacuisine,etDougen profita aussitôt pour laisser entendre qu’ils venaient de passer une nuit torride. Si Eileen ne seformalisapasdececomportement,lesautresfurentgênéspourelle.C’étaitunmanquederespectévident,maislajeunefemmenesemblaitpasvouloirleremarquer.

Inconscientdecequi sepassait, Ian revint finir sespancakes,et remerciapolimentMarya.Puis ilrinçasoigneusementsonassiette,avantdelarangerdanslelave-vaisselle.Francescaleregardafaire,etpensaqu’ildevaitavoirl’habituded’agirainsichezsamère.Ilétaitexceptionnellementdégourdipourunenfantdeseptans.

Ilsétaienttousencoredanslacuisine,quandlasonnettedelaported’entréeretentit.Francescamontaouvriretfutconsternéededécouvrirsamèresurleseuil.ElleportaitunjoggingdechezChaneletdesbaskets Dior. Ses cheveux étaient attachés en queue-de-cheval et elle était superbe, même sansmaquillage.C’étaitladernièrepersonnequeFrancescaavaitenviedevoircematin.Ellenevoulaitnilaprésenteràseslocataires,niêtreobligéed’écouterensuitelescommentairesqu’elleferaitsureux.

—Bonjour,maman,dit-elleenhésitantuninstantsurlaconduiteàtenir.Quefais-tulà?Elle espérait vaguementque samère repartirait sans entrer,maisThalia était trop curieuse et trop

obstinée.

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— Je vais consulter une dermatologue à SoHo. Il paraît qu’elle est fabuleuse ; j’ai pensé que jepouvaispassertevoiravantd’alleràmonrendez-vous.Jepeuxentrer?

Letonétaitimpérieux,etFrancescan’eutd’autrechoixquedes’effacerpourlalaisserpasser.Ellesesentaitcommeuneenfantpriseenfaute.Thalian’allaitpasdutoutaimercequ’elleallaitvoirdanslacuisine.Dougetsestatouagesn’avaientaucunechancedeluiplaire.

Soncœurseserra.—Biensûr,maman.—Quelleodeurdélicieuse!s’exclamaThalia.Francesca,perplexe,hésitaitàl’emmenerdanssachambre,oùlelitn’étaitpasfait,danslesalon,où

iln’yavaitnullepartoùs’asseoir–ellen’avaitpasencoreremplacélecanapéetlesfauteuilsqueToddavaitemportés–,oudans lacuisine,unpeu troppeuplée.Elledétestait l’idéededevoirprésentersescolocatairesàsamère.

—Marya est un chef très connu, expliqua-t-elle, alors que samère empruntait déjà l’escalier quidescendaitàlacuisine.

Francescaluiemboîtalepasàcontrecœur.Chrisétaitassisàtable,avecsonfilsquifaisaitundessin.Marya,avecsonpetittablierdecuisineà

carreaux, tenaitàdeuxmainsunplateaudecroissants.EtDoug,dont les tatouagesmulticoloresétaientbien visibles, s’était collé à Eileen comme un boa. La jeune femme, vêtue d’une nuisette légèrementindécente sous son peignoir ouvert, gloussait de ravissement. Ce n’était pas exactement la scène queFrancescaavaitenviedemontreràsamère.Ellefitnéanmoinslesprésentations.Thaliaavaitleslèvrespincéesetuncertaindécouragementselisaitsursonvisage.L’idéequesafillevivaitaumilieudetouscesgens la rendaitmalade.Elle trouvaDougaffreux.Elledaignaaccorderun regardàMarya,qui luisemblaprobablementlaseulepersonneciviliséedanslapièce.

—Jesupposequec’estvous,lecélèbrechefdecuisine?— C’est moi. Aimeriez-vous prendre le petit déjeuner avec nous, madame Thayer ? demanda

gentimentMarya,unpeusurpriseparl’alluredelamèredeFrancesca.Mêmeentenuedesport,Thaliaétaitaussialtièrequesielleportaitunerobedebal.—JenesuispasMmeThayer,jesuislacomtessediSanGiovane,rectifiaThalia,avecl’accentque

luiavaitinculquésonderniermari.Elleneprononçaitsonnomàl’italiennequedanslescirconstancesofficielles.Cematin,c’étaitsa

manièredelaisserentendreauxautresqu’elleétaitquelqu’undeplusimportantqu’eux.Lemessagefutreçucinqsurcinq.Chrisluilançauncoupd’œil,neditrien,etseremitàparleràvoixbasseavecsonfils.DougembrassaEileendanslecou,etcelle-cineputs’empêcherdeglousser.Cen’étaitpasl’accueildontThaliarêvait.Francescaeutenviededisparaîtresousterre.

—Biensûr,madamelacomtesse,réponditMaryasanssourciller.Puis-jevousoffrirdescroissantsetunetassedecafé?

—Trèsvolontiers.Thalias’assitàcôtédeIan.Celui-ciladévisageaunmomentavecintérêt,puisreportasonattention

sursondessin.MaryaposadevantThaliauneassiettepleinedecroissantschaudsetune tassedecaféfumant,undélicieuxmélangequ’elleavaitrapportéduVermont.Lamortdansl’âme,Francescas’installaàlaseuleplacedelibre,faceàsamère.

Lesautresselevèrentpourallervaqueràleursoccupations.Maryasemitànettoyerlacuisine,ChrisremontaavecIan,Dougs’eclipsaavecEileenenleurfaisantsavoirqu’ilsallaientserecoucher.LehalodesaintetéquiavaituntempsentouréEileensedissipaitdesecondeenseconde.SeulesFrancescaetsamèredemeurèrentassisesàtable.Cettedernièresemblaitprêteàfondreenlarmes.

—Jen’arrivepasàcroirequetuvisavectouscesgens!dit-elle,horrifiée,commesiMaryan’étaitpaslà.Tuesdevenuefolle!

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—Ilfautquejeremboursemonprêt,etilssonttoustrèsgentils,répliquaFrancescad’untonplat.Maryacontinuaitderangerlavaisselle,commesiderienn’était.—Etcethomme,aveclestatouages?—Iln’habitepasici.Ilsortaveclalocatairedudernierétage.Eileenestuneéducatricespécialisée

pourenfantsautistes.—Alavoir,onnes’endouteraitpasuneseconde,réponditsamèred’unairdésapprobateur.Elle n’avait pas tort. Au fil des jours, l’attitude d’Eileen s’était relâchée, et ses jupes avaient

raccourci.—Elleestjeune,ditFrancesca,prenantspontanémentsadéfense.Cependant,ellenesupportaitpasDoug,etelleétaitcontrariéequeEileensoitdescenduedéjeuneren

nuisetteetenpeignoir.C’étaitunefautedegoût.Pourautantcen’étaitpasuncrime.—Toutlemondes’entendtrèsbien,déclaraMaryad’untonrassurant.Ilssonttoustrèsconvenables.Thalialuilançaunregardmorne,réconfortéecependantd’avoirtrouvéunealliéedanslegroupe.—Vousn’êtespasaussiinquiètequemoi?—Pasdutout,réponditMarya.Jesuisheureusedelogerici,aveccesgentilsjeunesgens.J’aiperdu

monmariilyaquelquesmois,etjesuisbiencontentedevivreaveceuxplutôtquetouteseuledansleVermont.

—Dequoiest-ilmort?s’enquitThalia,soudainintéressée.—D’unetumeuraucerveau.Ilétaitmaladedepuislongtempsetlesderniersmomentsontétéassez

difficiles.C’estunsoulagementpourmoidepouvoirm’évader.LesséjoursàNewYorkmefontdubien.—Cen’estpaslemeilleurendroitpourtrouverunhomme,rétorquadebutenblancThalia.Francescaéclataderirepourcachersagêne.Samèrenechangeraitjamais:elleétaitincapablede

penseràautrechosequ’àlachasseaumari.Etàelle-même,bienentendu.—Surtoutànotreâge,ajouta-t-elle,faisantrire,cettefois-ci,Marya.Le franc-parlerdeThaliane lamettaitpasmalà l’aise.Elleavait euaffaireàdesgensbienplus

déplaisantsdanssavie.Beaucoupdechefsavec lesquelselleavait travailléétaientconnuspour leurscapricesdedivas,etpouvaientêtrefranchementodieux.Laplupartdutempsparjalousie.

—Jenechercheaucunhomme,précisa-t-elle.J’aieulemeilleurquiaitjamaisexisté,pendanttrente-sixans.Personnenepourra luiarriverà lacheville.Toutceque jeveux,c’estprendreunpeudebontemps,fairemontravail,etrencontrerdenouveauxamis.

Thalia ladévisageacommesi elleparlait une langue inconnue.Maryaétait une femmeséduisante.Elledevaitmentir.Toutefemmeseulecherchaitforcémentunmari.

—Vouschangerezsansdouted’avisdansquelquesmois,répondit-elled’untonentendu.—Non,jenecroispas.Jen’aipasbesoind’unhommepourêtreheureuse.Elleavaitl’airsûred’elle;Thalialaconsidéraavecstupeur,commesielleavaitperdulatête.Francescaconsultasamontre.Elleavaitrendez-vousavecunclientàdixheuresàlagalerie,avant

l’ouverture,afind’examinerlestableauxqu’elleavaitenstock.—Jesuisdésoléemaman,maisjedoism’enaller.—Çanefaitrien,machérie,ditsamèrequin’avaitvisiblementpasl’intentiondebouger.Jevais

resterbavarderavecMarya.J’aiencoreunpeudetempsdevantmoiavantmonrendez-vous.Francescafutenvahieparlapanique,maisMaryalarassurad’unsignedetête,avantdesetourner

versThalia.— Voulez-vous une autre tasse de café, madame la comtesse ? demanda-t-elle d’un ton aussi

respectueuxquesielles’adressaitàunereine.Thaliasourit.—Jeveuxbien, ilestexcellent.Etappelez-moiThalia, jevousenprie.Jen’aimeraispasque les

autresenfassentautant,maisiln’yapasderaisonquevous,vousmedonniezmontitre.

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Apparemment,elleavaitdécidéqueMaryaetellesetrouvaientsurunpland’égalité,aussibienparl’âgequeparleurstatutsocial.

—Voussavez,j’aiachetédeuxdevoslivres.J’aimebeaucoupvotrerecettedelasaucemousseline.Elleestsifacilequemêmemoi,jelaréussis.

—Merci,Thalia.Radieuse,Maryaluitendituneautreassiettedecroissants.—Jesuisdésoléededevoirtequitter,maman,balbutiaFrancesca,malàl’aise.Enréalité,ellen’avaitpasconfianceensamère.Ellen’avaitaucuneidéedecequ’elleallaitdire,ou

de la façondont elle se comporterait.Et elle nevoulait surtout pasqu’elle offenseMaryadequelquefaçon.

—Nesoispasidiote,machérie.Jet’appelleraiunpeuplustard.Après un dernier coup d’œil anxieux àMarya, Francesca se décida à s’en aller, etmonta en hâte

cherchersonsac.Quelquesminutesplustard,ellemarchaitd’unpaspressédanslarue,toutenpensantàsamère.Tôtoutardellel’entendraitdirepisquependredeseslocataires.Saufpeut-êtredeMarya,pourlaquelleellesemblaits’êtreprised’affection.

Pendantcetemps,lesdeuxfemmescontinuaientàfaireconnaissancedanslacuisine.MaryatrouvaitThaliadivertissante,mêmesiellenelemontraitpas.

—Vousnepouvezpassavoircommejem’inquiètepourmafille,surtoutdepuisqu’elleaeucetteidéecomplètementfolle,luiconfiaThalia.ElleauraitdûépouserTodd,aulieud’acheterdel’immobilieraveclui.Ilauraitétéobligédeluiverserunepensionalimentaire,etlamaisonseraitàelle.C’estdelafoliepureetsimple,devivreparmitouscesgens.

Elleavaitl’aireffondré.Maryasefitrassurante.—Manifestement,toutsepassebien.Chrisestunhommerespectable,ilaunebonneéducationetson

filsestunamour.Quantàlajeunefilledudernierétage,elleestjusteunpeujeuneetunpeusotte.Ellesort à peine de l’école, et elle est très excitée de se trouver dans une grande ville. Elle finira pars’assagir.

—Cethommeal’airdesortirdeprison,insistaThalia,auborddeslarmes.Maryapassaunebonneheureà lacalmer,etquandThaliapritcongé,ellesesentaitunpeumieux.

Après son départ, Marya demeura un moment assise dans la cuisine, songeuse. La comtesse di SanGiovanen’étaitpasdetoutrepos!CommentFrancescaétait-elleparvenueàêtresinormaleetàgarderlespiedssurterreavecunemèrepareille?Thalialuifaisaitl’effetd’uneécervelée.Ellesn’avaientparléquede sondésirde trouverunépoux.Thalian’avaitpas euhonted’avouerque, sansmari, ellene sesentait pas vraiment femme et qu’elle avait la sensation de ne pas exister. Son identité dépendait del’hommeavecquielleétaitmariée.Elleétaitàl’opposédeMarya,quin’avaitbesoindepersonnepourêtreelle-même.EllecomprenaitmieuxlaremarquedeFrancesca:l’obsessiondesamèredetrouveràtoutprixunnouveaumarifaisaitfuirhommes.

A la galerie, Francesca avait sorti pratiquement toutes ses toiles en stock. Son client, un dentisted’une cinquantaine d’années qui venait du New Jersey, voulait acheter une grande toile. Il disaitapprécierlesjeunesartistesdébutants,maisn’étaitpastrèssûrdesesgoûts.Quellequesoitladirectiondans laquelle Francesca l’orientait, cela ne semblait jamais lui convenir. Il lui expliqua qu’il étaitdivorcé,etqu’auparavantc’étaitsafemmequichoisissaitlesobjetsd’art.Aprésent,ilvoulaitfairesapropresélectionmaisilnesavaitpascomments’yprendre.Francescaselassadeseshésitations,et,àmidi,ellecrutqu’ellenepourraitlesupporteruneminutedeplus.Ilpromitfinalementderéfléchir,etdel’appeler la semaine suivante, s’il se décidait. Les clients dans son genre étaient particulièrementfrustrantsetagaçants.

Francescaluidonnadesphotos,ainsiqu’unedocumentationsurlesartistesquil’intéressaient;celasemblaleplongerdansuneencoreplusgrandeconfusion.

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— Et si nous en discutions ce soir au restaurant ? demanda-t-il, en l’enveloppant d’un regardéloquent.

IlétaitapparemmentplusintéresséparFrancescaqueparlesœuvresqu’ellevendait.Desoncôté,lajeunefemmetrouvaitqu’iln’avaitvraimentrienpourluiplaire.

—Désolée,répondit-elleensouriantgentiment.Jenesorsjamaisavecmesclients.—Jenesuispasunclient,puisquejenevousaiencorerienacheté,répliqua-t-ildutacautac.Defait,elleauraitpréférédeloinluivendreuntableau,plutôtquedesortiraveclui.Ellesedemanda

sitoutsoncomportementjusqu’icin’avaitpasétéqu’unerusepourl’approcher.Danscecas,c’étaitunepertedetempspourtouslesdeux.

Ellesecoualatête,ensignederefus.—Désolée,jenepeuxpas.—Vousavezunpetitami?Francescahésita,puisdécidaqu’unpieuxmensongeétaitsansdoutepréférableàlavérité.—Oui,répondit-elled’unairinnocent.—C’estdommage.Ilfinitparprendrecongé.Soulagée,Francescaselaissatomberdanssonfauteuil.Elleétaitépuisée,

et la journéeétait loind’être terminée!Lepetitdéjeuneravecsamère,puisdeuxheuresentêteà têteavecunclientindécis,quifinissaitparl’inviteràdîner…c’étaittrop!

ElleappelaMaryapoursavoircommentelleavaitsurvécuàl’entrevueavecsamère,etsanouvellelocatairelarassura:toutallaitbien.

—J’aipasséuntrèsbonmomentavecelle.Ellenevousressemblepasdutout,déclaraMaryaavecunpetitrireamusé.

—C’estleplusgrandcomplimentquevouspuissiezmefaire.Toutemavie,j’aieuunepeurpaniquededevenircommeelle.

—Çanerisquepas!Jevoussouhaiteunebonnejournée,àcesoir.Francesca raccrochaet semitau travailavec lasensation réconfortantedes’être faitunenouvelle

amie.

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7

Lasemainesuivante,Francescafutdébordée.Ellevisita troisateliers, réorganisa lerangementdestoilesqu’ellegardaitenstock,etrenditauxartistescellesquines’étaientpasvenduesdepuisuncertaintempsafindefairedelaplacepourdenouvellesœuvres.Elledressaégalementunelistedesexpositionsgroupéesqu’elledésiraitprogrammerpourl’annéesuivante.Celan’étaitpasuneminceaffairededéciderquelsartistesexposerensembledefaçonqueleursœuvressemettentnaturellementenvaleur.

Aubeaumilieude ce tourbillond’activités, quatre de ses artistes passèrent la voir, juste pour luirendre visite. Francesca s’efforça de leur réserver le même accueil qu’à ses clients, mais elle avaitbeaucoupàfaire,etelleétaitpresséeparletemps.Ellevenditmalgrétoutplusieurstoiles.Asagrandestupéfaction, le dentiste du week-end précédent la rappela et lui acheta trois tableaux. De nouveauxclients firent leur apparition, envoyés par d’autres.Deux consultants en art contemporain l’appelèrentpour de gros contrats, et une architecte d’intérieur connue passa à la galerie et apprécia les œuvresexposées.Francescaétaitravie.

Ellerentraittardchaquesoir,etnevitpresquepasseslocataires.Maryaluilaissaitdespetitsmotsdans la cuisine, lui expliquant ce qu’elle trouverait dans le réfrigérateur. Ces attentions touchaientFrancesca. Ce n’est que le vendredi soir qu’elle trouva enfin le temps de souffler. Sa mère l’avaitappelée à plusieurs reprises dans la semaine, mais Francesca n’avait pas le temps de discuter. Levendredisoir,allongéesursonlit,ellesongeaavecsoulagementqu’ellen’avaitplusqu’unejournéedetravail.Elle avait enviedepasser ledimanche au lit avecunbon livre.Riend’autrene la tentait.Ceweek-end,seslocatairesallaienttouss’absenter,chosetoutàfaitexceptionnelle.Chrisluiavaitditqu’ilpartait,sansdonnerplusdedétails.Eileenavaitannoncéqu’elleallaitskieravecunnouveaucopain,etMarya retournait dans le Vermont pour voir si tout allait bien chez elle. Le samedi soir en rentrant,Francescaseretrouvaseule.Celaluiparutmerveilleuxaupremierabord.Maisledimanchematinelles’aperçut,unbrinétonnée,qu’ellesesentaitdéprimée.

La présence quotidienne des autres habitants la protégeait des fantômes du passé, dont le plusimportantétaitnaturellementTodd.Ellen’avaitplusdenouvellesde luidepuisplusd’unmois,cequisignifiaitprobablementqu’ils’étaitmieuxadaptéqu’elleàleurrupture.Danslesmomentsdecalmeetdesolitude,illuimanquait.Ellecommençaitàsedemandersicesentimentallaitperdurer.

Ledimancheaprès-midi,sérieusementdémoralisée,elleregrettal’absencedesespensionnaires.Ellese demandait si Chris avait passé le week-end avec une copine. D’une très grande discrétion, il neramenaitjamaisdefemmeàlamaison.

Aseptheuresdusoir,personneencoren’était rentré.Elle se renditcomptealorsàquelpoint leurprésenceluiétaitindispensable.Elleauraitétémalheureusecommelespierressielleétaitrestéeseuledanscettemaison,sanspersonneàquiparler.

EllesepréparaitdesœufsbrouillésdanslacuisineenpensantauxplatsdélicieuxdeMarya,quandellepritconsciencetoutàcoupd’unbruitd’eautombantgoutteàgoutte.Ellefitletourdelacuisinepourlelocaliser.Lafuiteprovenaitduplafond,etgagnaitenimportancedeminuteenminute.Celaprovenaitsûrementdestoilettesàl’étage.Francescas’yrenditetvitqu’untorrents’écoulaitdel’étagesupérieuràl’emplacementdelasalledebainsdeChris.Ilyavaitdéjàeudesfuitesaumêmeendroitparlepassé.Ellemontal’escalierencourant.Ilyavaitdel’eaupartout,quitraversaitlemur,s’écoulantsansdouted’untuyaupercé.Paniquée,FrancescaredescenditàtoutevitessechercherlacaisseàoutilsdeTodd.Aupassage,elleagrippasonportableetl’appela.Ilréponditàladeuxièmesonnerie.

—Quedois-jefaire?s’exclama-t-elledansletéléphone.

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Toddtentadeluiexpliquercommentarrêterlafuite.Elleposal’appareil,suivitsesinstructions,envain.L’eaus’échappaitdeplusenplusfort.

—Fermelerobinetd’arrivée!criaToddàl’autreboutdelaligne.Il lui indiqua l’endroit,maiselle futarroséede la têteauxpiedsavantde l’avoir trouvé.C’estce

momentquechoisitChrispourfairesonentrée.Ilfutsidéréenvoyantlascènequisedéroulaitdanssasalle de bains. De l’eau jusqu’aux chevilles, Francesca lui lança un regard affolé. Il la repoussagentiment,s’emparadelacléanglaisequ’elletenaitàlamain,etcoupal’eau.Legeysersetaritnet.

—Jesuisdésolée.Merci,ditFrancescaenrepoussantlescheveuxplaquésdevantsesyeux.Chrissourit,amusé.—Tuaspassétoutleweek-endcommeça?demanda-t-ild’untontaquin.Ellesecoualatête.—Non,jeviensjustededécouvrirlafuite.L’eaus’écoulaitparleplafonddelacuisine.Elles’interrompit,etpoussauncriaigu.—Oh,monDieu!J’aioubliélapoêlesurlefeu!Elle se précipita au rez-de-chaussée. Marya, qui était rentrée entre-temps, s’était mise à frotter

consciencieusementlapoêle,auxrestescalcinés.—Oh,jesuisdésolée,ditFrancesca.C’estalorsqu’elleserappelaqu’elleavaitlaisséToddenplanautéléphone.Sonappareilétaitresté

posésurlelavabodeChris.Toddavaitraccroché,maisilréponditimmédiatementlorsqu’ellelerappela.—Veux-tuquejevienne?proposa-t-il.—Non,c’estinutile.Monlocataireacoupél’eau,etjepréviendraileplombierdemainmatin.—D’oùvenaitleproblème?—Toujourspareil.Labaignoireàcôtédelabibliothèque.—Undecesjoursilfaudraqueturefassestoutelaplomberie.Çatecoûteraunefortune.Tudevrais

vendreavantd’enarriverlà.LaremarquedeToddlacontraria.Iln’aimaitpeut-êtrepluscettemaison,maiscen’étaitpassoncas.

Elleleremercianéanmoinsd’avoirréponduaussipromptementàsonappel,etcoupalacommunication.Chris l’aida à sécher le sol. Le désordre et la saleté causés par l’inondation n’avaient pas altéré sonhumeur. Contrairement à Todd, qui se plaignait toujours, surtout la dernière année, du travail que luidonnaientcesfuitesàrépétition.Chrisavaitdetouteévidenceunenaturepluscalme.

—C’esttoujourscommeça,danslesvieillesmaisons.J’enaieuuneilyalongtemps,àlanaissancede Ian.Je l’adorais,mêmesic’étaitcasse-piedsd’avoirsansarrêtune réparationàeffectuer.Maisaufondçam’amusait,j’aifaitlaplupartdestravauxmoi-même.

Chris n’en avait jamais autant dit sur sa vie, et il ne parlait jamais de lamère de Ian.C’était unhommed’uneincroyablediscrétion,etFrancescaaimaitbiencetraitdecaractère,mêmesicelalefaisaitparfoisparaîtretaciturne.

—Nousavonsfaitpareilici,expliqua-t-elle.Lamaisonétaitdansunétatatrocequandnousl’avonsachetée.Nousenétionstombésamoureux,avecTodd.

—Oui, elle a beaucoup de charme.Quand j’étais plus jeune, je gagnaisma vie en restaurant desvieillesmaisons.C’étaitunjobextraordinaire,maislesprixdel’immobilieronttropaugmenté.Çamemanque.

—Ehbien,tupeuxt’amuserdanscettemaisonautantquetuvoudras,déclara-t-elle.Ilspataugeaient,piedsnus,dansdeuxcentimètresd’eau.Chriséclataderire.—J’essayeraidenepasl’oublier.Elle allait lui demander s’il avait passé un bonweek-end,mais elle se ravisa. Il aurait pu croire

qu’ellelesurveillait.Cequ’ilfaisaitdesontempslibrenelaregardaitpas.Ilétaitsonlocataire,passonami.Elle se répéta lamêmechose lorsqu’elleentenditEileen rentrer.La jeune fillepassa la têtedans

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l’embrasuredelaportedesachambreetluiannonçaqu’elleavaitpasséunweek-endfantastique,avecuntypegénial,etqueDougétaitdel’histoireancienne.Francescasongeaquec’étaitunpeutôtpourpartirenweek-endavecuninconnu,maisquiétait-elle,pourémettrecegenredejugement?Eileenétaitjeune,elleavait douze ans demoins qu’elle, et appartenait à une autre génération. Dans l’ensemble, c’était unegentillefille,mêmesielleétaittrèslibredanssaviesentimentale.ToddavaitétélepremiergrandamourdeFrancescaetellenel’avaitconnuqu’àtrenteans,mêmesielleavaiteud’autresrelationsavantlui.

Quoiqu’ilensoit,Francescafutheureused’apprendrequeDougnereviendraitpas.Ellesedemandaaussiàquoiressemblaitlenouveau,maisellen’eutpasàattendrelongtempspourlesavoir.Ellefitsaconnaissanceàlatabledupetitdéjeunerlelendemainmatin.Ilavaitbongenre,semblaitunpeuvieuxjeuet légèrement gêné d’être là. Francesca le trouva très bien. Puis elle se moqua d’elle-mêmeintérieurement:ellecommençaitàressembleràsamère!

Sasemainefutencoretrèschargée.EllevisitadeuxgaleriesetassistaàunvernissagetrèsimportantauMoMA.Acetteoccasion,on luiprésentaunphotographedunomdeClayWashington.Elleacceptaaussitôtsoninvitationàdîner,unpeusurpriseparsapropreréaction.MaisAveryavaitraison,ellenepouvait pas passer le restant de son existence enfermée à Charles Street. Clay l’emmena dans unrestaurantchinoisdeMottStreet.Saconversationétaitintéressante.Ilavaitvoyagédanstoutel’Asie,etvécuplusieursannéesenIndeetauPakistan.Ilétaitbeau,intelligent,ettrèsdifférentdeTodd,cequilatroublait. Todd l’aurait qualifié de bohème. Il avait en tout cas une personnalité qui ne laissait pasindifférent.Illaramenachezelleentaxiaprèsdîner,etelleneluiproposapasd’entrer.Ilpromitdelarappeler.Cen’étaitpaslecoupdefoudre,maiselleavaitpasséunebonnesoiréeetcelaluisuffisaitpourlemoment.

Clay la rappela trois jours plus tard, et l’invita à déjeuner chez Bread. Il passa la prendre à lagalerie, admira l’exposition en cours, et fut très impressionné en apprenant que son père était HenryThayer. Clay était bien en tous points, sauf qu’elle ne se sentait pas attirée par lui. Lorsque Clayl’embrassasurleslèvresàlasortiedurestaurant,ellelelaissafaire,maisneressentitrien.Commesiquelquechoseétaitmortenelle,ousimplementengourdi.Toddaurait-ilemportésoncœurenpartant?

EllefitpartàMaryadesessentimentscesoir-là,pendantunmomentdecalme.—C’étaitvraimentbizarre,dit-elle.J’aieul’impressiondetromperTodd.—Ilfautdutempspourselibérerdequelqu’un.Ilm’estarrivéquelquechosedesimilaire,ilyatrès

longtemps.J’étaisfiancée,avantderencontrermonmari.Monfiancés’esttuédansunaccidentdebateau.Pendantdeuxans,jen’aipasregardéunautrehomme.Jenepouvaispas.J’aimêmeenvisagéd’entreraucouvent, ajouta-t-elle en souriant. J’étais très jeune. Et puis j’ai rencontré John, et je suis tombéefollement amoureuse de lui. Je me suis remise à vivre, avec plus d’énergie que jamais. Nous noussommesmariés l’année suivante. Laisse faire le temps. Ce n’est pas parce qu’une personne est bien,qu’elleestforcémentbienpourtoi.Cephotographepeutsansdoutedevenirunami.Quandturencontreraslabonnepersonne,tulesauras.

FrancescafutreconnaissanteàMaryapourlasagessedesesconseils.Elleavaitsûrementraison.LorsqueClaylarappela,elleluiditqu’ellen’avaitpasletempsdesortir.Elleenvisageaitd’allerà

uneventeauxenchèreschezChristie’s,etelleavaitpenséluiproposerdel’accompagner.Maisaufond,ellen’enavaitpasvraimentenvie.Elles’yrenditdoncseule.C’étaitplusfacilequed’yalleravecunhommequin’était pas lebon.Après lavente, très animée, ellepassaun longmoment àdiscuter avecdiverses connaissances ; elle s’apprêtait à partir quand elle aperçut une silhouette familière. Elle lereconnutàsadémarcheetàsesgestes.Soncœurfitunbond:c’étaitTodd,entraindediscuteravecunejoliejeunefemme.Celle-cipassasonbrassouslesienetilsourittoutenparlant.Exactementcommeilfaisaitavecelle,audébut.Francescaauraitvouludisparaîtresousterreoudansuntroudesouris.Elleétaithypnotisée,soncœursombrait.Alorsqu’elleétaitincapabled’éprouverlemoindresentimentpourunautre,luiparadaitaubrasd’unejoliefemme,l’airsubjugué.

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Leslarmesauxyeux,Francescaquittalasalledesventesàlahâte,s’engouffradansuntaxi,etdonnaau chauffeur l’adresse deCharles Street. Elle sanglota tout le long de la course, et se faufila dans lamaisonenrasantlesmurs.Ellenevoulaitvoirpersonne.Toutcequ’ellevoulait,c’étaitsemettreaulitetmourir.

Ce fut pour elle une piqûre de rappel. Elle pleurait un homme avec lequel elle avait pourtant étéprofondémentmalheureusependantunan,unhommequ’elleavaitaimémaisquin’étaitpas lebon. Ilsavaientrompu,etToddavaitcontinuésonchemin,alorsqu’elleseraccrochaittoujoursàleurhistoire…Adessouvenirs,aufantômedesaprésence,àlarelationqu’ilsauraientvouluavoirmaisn’avaientpassuconstruire.LaréactiondeToddétaitplussainequelasienne.Ilvivaitsavie,ellenon.Elleeutsoudainl’impression d’avoir reçu une douche glacée. Elle aurait voulu savoir s’il était amoureux de la jeunefemme vue chez Christie’s, sauf qu’il ne lui appartenait plus, ne lui appartiendrait plus jamais. Lemessagequ’elleavaitreçucesoirétaitclair.C’étaitfiniavecTodd.Ilfallaitqu’ellerefassesavie.MaispasavecClayWashington,lephotographeduMoMA.Ildevaitbienyavoirquelquepartdanslemondeun homme fait pour elle, et elle avait le droit de le rencontrer.Mais peut-être avait-il déjà trouvé lapartenaire idéale, lui ?Quoi qu’il en soit, il fallait qu’elle se remette à exister, et pas seulement à lagalerieouàCharlesStreet.Elleavaitbesoind’unenouvellevie,des’ouvriràunmondeplusvaste.

N’empêche, le faitd’avoirvuToddavecuneautreavaitétéextrêmementdouloureux.Elleypensalonguementcesoir-làdanssonlit.Elleétaitencorebouleverséelelendemainmatinquandelledescenditàlacuisineets’assit,lesyeuxdanslevague.Aupointqu’ellen’entenditmêmepasChrisentrer.

—Çavasimalqueça?demanda-t-ild’untontaquin,enpréparantlecafé.—Hum?Quoi?Désolée…Défaite,épuisée,elleavaitmaldormi;sestraitstirésetsesyeuxcernéslatrahissaient.—Tun’aspasl’airdanstonassiette,dit-ilsansambages.Quelquesminutes plus tard, il posa gentiment devant elle une tasse de café. Ils entretenaient des

rapportsamicaux,àforced’habiterensemble.—Jesuisjustepoursuivieparunfantômedupassé.J’aivumonanciencopain,hiersoir,avecune

autrefemme.Çam’aremuéeplusqueçan’auraitdû.—Iln’yapasdedroitsetdedevoirsdanscedomaine,déclaraChrisens’asseyantenfaced’elle.

Quidécidequetunedoispasêtredanstoustesétats?Tuasreçuunchoc?C’estcommeça.Tuasledroitd’éprouverduchagrin.D’ailleurs,c’estuneépreuvebouleversante.

On aurait pu croire qu’il était lui-même passé par là. Francesca ne se hasarda pas à lui poser laquestion.Elle le remercia seulement pour sa gentillesse.Marya entra, gaie et souriante. Elle semblaittoujoursdebonnehumeuretoffraitcematinuncontrastesaisissantavecFrancesca.

Celle-ciallumasonordinateuretunescèneincroyableapparutsurl’écran:deuxfemmesentraindefairel’amouravectroishommesdansdespositionsacrobatiques!FrancescacompritsoudainqueEileenavait dû regarder des films pornos avec son nouveau petit ami. Sortant finalement de sa transe, elleéteignit l’ordinateur et continuadecontempler l’écranavec stupeur.Chris riait deboncœur, etMaryaaussi. Ils étaient tous adultes, et Francesca savait qu’il n’y avait pas de quoi être horrifié, mais ellen’aurait jamais imaginéune telle« inventivité».Chris,quin’avaitpourtantpas l’aird’êtredugenreàregarderduporno,semblait trouverextrêmementcocassel’incongruitéd’untelfilm,debonmatin,àlatabledupetitdéjeuner.

—J’ail’impressionquelapetitebergèren’estpasaussiinnocentequ’elleenal’air,remarqua-t-il.Pourluic’étaitsansgrandeimportance.Toutefoisiln’auraitpastrouvécelaaussidrôlesiIanavait

étélà.—Jeluidemanderaideneplusseservirmonportablepourcegenredechoses,déclaracalmement

Francesca,enpensantàIan.

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L’enfantaimaitbienjoueràl’ordinateur,etsavaitremarquablements’enservir.Francescanevoulaitpasqu’ilpuissetombersurcegenredescène,etellenevoulaitpaslesvoirnonplus.ElleaimaitbienEileen,maiselleavaitsouvent l’impressiond’êtreunesurveillantedansundortoirde jeunesfilles.Salocataireétaitcommeunepetitecampagnardedans lagrandeville,étourdiepar toutcequ’ellevoyait,butinantd’ungarçonàl’autreavecinsouciance.

Le soir, Francesca demanda discrètement à Eileen de ne plus visionner ce genre de film surl’ordinateurdelacuisine,àcausedeIan.

—Oh,jeneleferaiplus!s’exclamaEileen,horrifiée.Nousavonsregardéparcequenoustrouvionsçadrôle. J’aidûoublierd’éteindreavantd’allermecoucher. J’avaisunpeu tropbuhier soir. Je suisvraimentdésolée,Francesca.

Elleprononçacesmotsavec l’expressiond’unbambinpris lamaindansunpotdeconfiture, l’airtellement contrit que Francesca la plaignit presque. Soudain, elle se sentit heureuse de ne pas avoird’enfant. Elle détestait dire aux autres ce qu’ils devaient faire, ou les réprimander pour leurcomportement.Cen’étaitpasàelled’expliqueràEileencommentelledevaitseconduire.Maisellenevoulait pas trouver d’images pornographiques chez elle.Après s’être excusée,Eileen la prit dans sesbras.Francescasoupira,lecœurlourd.Elleavaitl’impressiond’êtresagrandesœur.

Chrisriaitencoredel’incidentlelendemainsoir,endînantavecFrancescaetMarya.Cettedernièreleur avaitpréparéun rosbif succulent, avecdes légumesetdesYorkshirepuddings.Eileenétait sortieavecsonpetitami.

— Nous devrions peut-être leur acheter des DVD pornos, au lieu de les laisser se servir del’ordinateur,suggéra-t-il.

Il étaitdebonnehumeur,etparlaitplusqued’ordinaire.Maryaavaitouvertunedesesmeilleuresbouteillesdevin.

ElleétaitentraindeflamberuneomelettenorvégiennequandletéléphonedeChrissemitàsonner.Ille sortit de sa poche et répondit en contemplant le fabuleux dessert. AvecMarya dans lamaison, ilsavaientl’impressiondevivredansunrestaurantquatreétoiles.Elleadoraitcuisinerpoureux,etalternaitlesrecettesanciennesetlesinnovations.

Les deux femmes discutaient entre elles quand elles virent Chris se lever, le visage grave. Il sedirigea vers le hall d’entrée, son téléphone collé à l’oreille, et Francesca l’entendit poser plusieursquestionsd’unevoixsèche.Uninstantplustard,ilseruadanslacuisine,l’airpaniqué.

—Toutvabien?demandaFrancesca,inquiète.—Non, ça ne va pas, répondit-il en enfilant nerveusement sa veste, avant de se précipiter dans

l’escalier.—C’estIan?écriaFrancesca,encourantderrièrelui.—Non.Oui…jen’aipasletempsdet’expliquer.C’étaitlapolice.Ilfautquej’aillelechercher.—Oh,monDieu…Ellenevoulutpasleretarderenposantdesquestions,etpriaintérieurementpourqu’ilnesoitrien

arrivéàIan.Maryaetelleserassirentàtable,consternées,etpersonnenetouchaaumagnifiquedessert.Ellesnepouvaientpenserqu’aupetitgarçonsiattachant.

Maryanettoyalacuisine,etFrancescaluidonnauncoupdemain.Désemparées,ellesnesavaientniquoidireniquoifaire.Chrisétaitlivideenquittantlamaison.Qu’avait-ilbienpusepasser?Francescasedoutaitdepuis longtempsque laviede Iann’étaitpasordinaire, etqueChrisn’étaitpas tranquille.Cela avait probablement un rapport avec lamaladiede son ex-femme.Amoinsque cene soit encorepire…

Elles se retirèrent toutes les deux dans leur chambre. Elles ne pouvaient rien faire d’autrequ’attendre.Aminuit,Chris n’était toujours pas rentré et ne les avait pas appelées. Francesca songea

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qu’il ne lui devait aucune explication : il ne lui devait rien, si ce n’est l’argent du loyer. Sa viepersonnellenelaregardaitpas.

Ellefinitpars’endormiràdeuxheuresdumatin,laissantsaporteentrouverteaucasoùChrisauraitbesoind’unsoutien,oud’uneaidequelconque,àsonretour.Maisellen’entenditrien.Lelendemain,ellevit que sa porte était fermée.Et il n’était pas encore descendu quand elle partit pour la galerie à dixheuresetdemie.

Les événements de la veille demeuraient unmystère. Ils avaient tous leurs chagrins secrets, leurstraumatismesàsurmonter.Seuls.

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8

Quand Francesca rentra de la galerie ce soir-là, elle trouva Ian assis sagement à la table de lacuisine,entraindemangerunboldesoupe.Maryaluilisaitunehistoire.Francescasongeaaussitôtqu’onétaitjeudi,etqueChrisnevoyaithabituellementpassonfilscejour-là.Detouteévidence,quelquechosen’allaitpas.

Francescaposasonsac,s’assitàcôtédeluiavecungrandsourire.Elleavaitenviedeleserrerdanssesbras,maisnevoulaitpasl’embarrasser.

—Jesuiscontentedetevoir,Ian,dit-elledoucementenluipassantlamaindanslescheveux.Ilposasurelledesyeuxsitristesqu’ellesentitsoncœurseserrerdouloureusement.—Mamanaétémaladehiersoir,expliqua-t-ilcalmement.Elles’estendormie,etellenevoulaitplus

se lever. J’ai essayéde la réveiller,mais jen’y suispas arrivé. Il y avait beaucoupde sang. J’ai cruqu’elleétaitmorte,etj’aiappeléle911.

S’efforçantdedissimulerlechoccauséparlerécitdupetitgarçon,Francescahochalatête.—Tuasdûavoirtrèspeur.Ilacquiesça,etellen’eutpas lecouragede luidemandersisamamanétaitencoreenvie. Ilavait

l’aird’unpetitorphelin,etelleeutenviedel’entourerdesesbraspourleprotéger,maiselleretintsongeste.

—Elleestàl’hôpital,maiselleesttrèsmalade.Jevaisdevoirrestericiavecpapa.—Jesuiscontentequetuhabitesavecnous,ditdoucementFrancesca.—Moi aussi, ajouta Marya. Tu vas m’aider à préparer mes cookies. Tu pourras en emporter à

l’école,situveux.L’enfant fit un signede tête.Sonpèreentradans la cuisine, l’air aussi traumatiséque son fils.De

largescernessombressoulignaientsesyeux.Ilsemblaitexténué.Chriss’assitàtableetsouritàIan,commes’ilsvenaientdelivrerensembleuneluttecontrelamort.

Cequiétaitsansdoutelecas,àenjugerparcequeFrancescavenaitd’entendre.—Commenttesens-tu,petitchampion?—Bien,réponditIan,quiavaitmangétrèspeudesoupe.—Nousavonstouslesdeuxbesoindenouscouchertôtetdedormir.Qu’enpenses-tu?—D’accord,réponditIan.L’enfantheureuxetpleindeviequeMaryaetFrancescaconnaissaientavaitdisparu.L’horreurdece

quis’étaitpasséselisaitsursonvisage.Maryaluipressagentimentl’épaule.Chrisluilançaunregarddegratitude;elles’étaitoccupéede

l’enfanttoutel’après-midi.Unpeuplustardcesoir-là,ChrismontavoirFrancesca.L’airprofondémentmalheureux,ilpritplacedanslefauteuilqu’elleluidésignait.

—Désolépour touscesdrames.Pournous,celan’a riendenouveau,maisc’estàchaque foisunchoc.LamèredeIanestaccroàl’héroïne.Hiersoir,elleafaituneoverdose.Ellem’avaitditqu’elleavaitdécroché,maisenréalitéellenes’estjamaisarrêtée.Jenesaispasaujustecequis’estpassé,jecroisqu’ellea rencontréungarspas très recommandable,cesderniers temps.Elles’est shootée, s’estouvertlesveines,etafailliseviderdesonsangsouslesyeuxdeIan.Illuiasauvélavieenappelantle911. Les secours l’ont trouvé en train d’appuyer les doigts de toutes ses forces sur ses veines pourempêcherlesangdecouler.Ilétaitcouvertdesang.Quandellesortiradel’hôpital,elleferaunenouvellecure de désintoxication. Je suis désolé de te raconter tout ça, Francesca.C’est assez glauque, et c’estsurtouttrèsdurpourIan.Lorsqu’elleiramieux,ilretournerasansdoutevivreavecelle.Celamedéplaît

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fortement,maisjen’ypeuxrien.Commelesjugesn’aimentpasenleverlesenfantsàleurmère,jusqu’iciilsluionttoujourslaisséunechancedesereprendre.EtIanesttrèsloyalenverselle.C’estsamère,etill’aime.Chaquefoisqu’ilassisteàcegenredescène,çaledémolit.Etmoiaussiparcontrecoup.Ilyaeuuntempsoùj’auraisvoululatuerpourça.Maintenant,j’espèrejustequenotrefilss’ensortirasansvoirsaviedétruite.Elleabienfaillidétruire lamienne.J’aimeraisobtenirsagardeexclusive,maisquandmonex-femmen’estpassousl’emprisedeladrogue,elles’exprimetrèsbienetsait jouerlacomédie,unevéritableMèreTeresa.Lesjugesselaissentprendreàsonjeu.

Ilétaitauborddeslarmes.Francescaimaginaitcequ’avaitdûêtreleurviemaritale.Chrisétaitbienladernièrepersonnequ’elleauraitsoupçonnéed’avoirdesliensavecunedroguée.Ilétaitsidroitetsiraisonnable.Onnepouvaitjamaisconnaîtrelaviedesgens,enréalité,songeaFrancesca.EtdirequeIanvivaitencoredanscetteatmosphèredecauchemar.

—Jesuismontétevoir,poursuivit-il,carjenesaispascombiendetempsIanvaresteravecmoi.Quandsamèresortiradel’hôpital,elleestcenséeallerencurededésintoxication.Sielleaccepte,bienentendu.Ellelefera,maisrienneditqu’ellenechangerapasd’avis.Ianneretournerapasvivreavecelletantqu’ellen’aurapassubitouslesexamensprouvantqu’elleestclean.Maisdanstroismois,ellepeutreplonger.Et unde ces jours, elle risqued’enmourir. Je t’avaisdit que Ianneviendrait ici quedeuxweek-endsparmois,maisçanevaplusêtrelecaspendantuncertaintemps.Jesuisvenutedemandersitupréféraisquejem’enaille.Jecomprendraistrèsbienquetuneveuillesplusdenous.

Francescaledévisagea,horrifiée.—Tuplaisantes?Tucroisvraimentquejetedemanderaisdepartir,avectoutcequiarriveàIan?

Tonfilsestlebienvenuici.Iln’estpasquestionquetudéménages!NousaimonstoutesIan,etjeveuxfairetoutcequejepeuxpourlui.Il traverseunmomentterrible, lescirconstancessonttrèsdurespourvousdeux.Jesuisnavréequevousvousretrouviezdansunetellesituation.

—Etmoidonc,répondit-il,hantéparlavisiondesonfilscouvertdesang.Aucungaminneméritedevivreunechosepareille.Sisamèreavaitunpeudecœur,oudejugeote,ellerenonceraitàsondroitdegarde.Maiselleneleferapas.Elleapeurdelaréactiondesafamille,etcraintqu’elleneluidonneplusd’argent.C’estpourcetteraisonqu’elles’accrocheàIan.Ellen’estpascapabledes’enoccuper,maissesparentsneveulentpasqu’ellel’abandonne.Jedoismeprésenterautribunaldemainpourobtenirundroit de garde temporaire. Je suis malade à l’idée de le renvoyer chez elle lorsqu’elle semblera ànouveauclean.C’estlatroisièmefoisqu’undramedecegenresurvient,etchaquefoisqu’elleressortdedésintoxication,Ianluiestrendu.Lepèredemonexestunpersonnagetrèsinfluent:celapèsedanslabalanceaumomentdujugement.

—EtIan,quepréfère-t-il?—Ilapeurquesamèremeures’iln’estpaslà.C’estladeuxièmefoisqu’illuisauvelavie.Maisun

decesjoursilnepourrarienfaire,etellemourrasoussesyeux,uneseringueplantéedanslebras.Deslarmesroulèrentsursesjoues.Francescaselevapourleserrerdanssesbras.—Veux-tuquejet’accompagneautribunaldemain?Chrisrefusad’unsignedetête.—Jesuisdéjàpasséparlà,etjeneveuxpast’imposerunechosepareille.C’estmonproblème,pas

letien.Mercidetonoffrenéanmoins,tonamitiémetouche.Celadevraitallertrèsvite,cen’estqu’unedécisionprovisoireetsonavocatnepourrapasdiregrand-chose,aprèscequis’estpasséhiersoir.

FrancescacomprenaitmieuxàprésentpourquoiChrispassaittantdetempsseul.Traumatisépartoutcequesonex-femmeluiavaitfaitvivre,toutcequ’ilvoulaitàprésent,c’étaitêtreavecIanetmeneruneviecalme.Maisilsavaitaussiques’ilessayaitd’éloignerdéfinitivementl’enfantdesamère,cedernierse reprocherait toujoursdenepasêtreauprèsd’ellepour laprotéger.C’étaituncauchemar.Les rôlesétaientinversés:Ianétaitlesoignant,etsamère,l’enfant.

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Ilsparlèrentencorequelquesminutes,puisChrisretournadanssonappartement.Cettenuit-là,Ianfitdeterriblescauchemars.Desachambre,Francescaentenditsescris,puislavoixgravedeChristentantdeleconsoler.

Lelendemainmatin,MaryagardaIantandisqueChrispartaitpourl’audienceautribunal.Avecsoncostumesombreetsacravate,ilavaitl’airplussérieuxquejamais.Lecœurserré,Francescaleregardamonterdansuntaxi.Iann’ignoraitriendecequiallaitsepasser.IlexpliquatoutàMaryaetàFrancesca,leurdisantqu’unefoissamamansortiedel’hôpital,ildevraitretournerchezellepourveillersurelle,sinonellerisquaitdemourir.IlavaitleregardleplustristequeFrancescaaitjamaisvu.ChrisluiavaitconfiélaveillequeIanvoyaitunpsychothérapeutedeuxfoisparsemaine.Francescatrouvaitcrimineldefairesubirunteltraitement,doubléd’unodieuxchantage,àunenfant.

Ian avait pu parler à samère tôt lematin, au téléphone. Il savait qu’une fois qu’elle aurait quittél’hôpitalpourlacurededésintoxication,ellenepourraitplusl’appelerjusqu’àcequ’ellesoitguérieetautorisée à sortir. Il pouvait se passer des mois avant qu’il l’ait de nouveau au téléphone, et celareprésentaitpourluiunchagrindetouslesinstants.AssissurlesgenouxdeMaryaquil’entouraitdesesbras, il semblaitporter ledeuild’unêtre aimé. Il finit toutefoispar sepelotonner contreFrancescaets’endormir.IlsommeillaittoujourslorsqueChrisrentraàlamaison,àonzeheures.Commeprévu,lejugeluiavaitaccordélagardetemporaire.IlremerciaMaryaetFrancescaàmi-voix,pritlegarçonnetdanssesbrasetmontadanssachambre.

Francesca pensa à eux toute la journée. Elle aurait voulu faire quelque chose pour les aider demanièreconcrète,mais,àpartêtrelàpourlessoutenirmoralement,ellenevoyaitpascomment.Ledrameles avait rapprochés les uns des autres, et de véritables liens amicaux s’étaient noués.A présent, leshabitantsdu44CharlesStreetformaientpresqueunefamille.

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9

Avec l’arrivéede Ian, l’atmosphèrechangea totalement,au44CharlesStreet.Lamaisondevintunvrai foyer,abritantunefamilleetunenfant.Maryapréparait les repasdeIanet legardaitquandChrisavaittropdetravailpours’occuperdeluiaprèsl’école.Francescal’emmenaitàlagalerie,etorganisaitdessortiesavecluileweek-end.Iladoraitrencontrerlesartistesetilétaitfascinéparlestableaux.

Eileendéployaitsestalentsd’éducatrice,jouaitavecluiàdesjeuxextraordinaires,etluiapprenaitàconfectionnerdesorigamisoiseaux.Sousladirectiondelajeunefemme,ilspassèrentunweek-endentieràfabriquertousensembledesmarionnettesenpapiermâché.Lacuisineétaitsensdessusdessous,maislerésultat fut magnifique, et Ian était aux anges. Eileen savait étonnamment bien s’y prendre avec lesenfants;Ianlasuivaitpartout,commedansLeJoueurdeflûtedeHamelin.Ilallaitdanssachambre,etelle lui lisait ses histoires préférées. Du jour au lendemain, le garçon s’était découvert une nouvellegrand-mèreetdeuxtantes.Chrisétaitpleindegratitude.

PourPâques,ilspeignirenttousensembledesœufs,puislesrangèrentdansdespetitspanierscolorésetremplisdebrinsd’herbeencellophanevertvif.

Avery et le père de Francesca vinrent dîner le dimanche de Pâques. Marya prépara, suivant latradition,unsomptueuxjambon.Latableétaitparseméed’œufsmulticoloresaumilieudesquelstrônaitungigantesqueœufenchocolat,queIanfutautoriséàmangerendessert.

L’enfant alla plusieurs fois rendre visite à sa grand-mèrematernelle,mais c’était àCharles Streetqu’ilsesentaitleplusaimé,etqu’ils’amusaitleplus.Lestroisfemmesdelamaisonétaientfollesdelui,ets’enoccupaientchacuneàsamanière.

Rayonnantdejoie,Chrisregardaitsonfilss’épanouirdejourenjour.Aussifut-ilextrêmementabattulejouroùildutserendreautribunal,aucoursdumoisdemai.Sonex-femmevenaitdeterminersacurededésintoxication.QuandChrisrevintdutribunal, ilétaitblême:unefoisdeplus,avecl’aidedesonpère,lamèredeIanavaitréussiàconvaincreletribunaldeluirendrel’enfant.Elleétaitapparuedevantlejugesousdestraitsangéliques,etrongéederemords.Chrisétaitobligédeluiramenerleurfilsdèslelendemain,etilsreprendraientlerythmedesvisitescommeavant.

Ianleurdittristementaurevoir.— On te voit le week-end prochain, dit Marya pour le consoler. Nous ferons des cookies aux

amandes.Asamedi,Ian.Lagorgenouée,Francescalepritdanssesbras.Eileenluioffritsonoursenpeluche.Chrisetlepetit

garçonmontèrentdansuntaxi,etlestroisfemmesrentrèrentenpleurantdanslamaison.LorsqueChrisrevint, ilétaitravagéparlechagrin.Ilmontadanssachambre,semitaulit,etn’en

bougeapluspendantdeuxjours.Maryaluimontadesplateaux-repaspourleréconforter,maisilrefusademanger. Il vécut dans un état second jusqu’au week-end suivant. Ian revint alors passer deux jours àCharlesStreet,maisrepartitledimanchesoir.

Lesadultes reprirent leurshabitudesd’avant.Marya fitun sautdans leVermont.Eileen se remit àsortirpresquechaquesoir,etFrancescaseditqu’ilfaudraitbienqu’ellevoiedumonde,elleaussi.

Maisdurantlesweek-endsoùlepetitgarçonvenaitàCharlesStreet,ilconcentraittoutel’attention.Chrisétaittouché.Ilavaittrouvéunenouvellefamille,ettroisamiessurquiilpouvaitcompterencasdecoupdur.Pourlemoment,àenjugerparlestests,sonex-femmeétaitclean.

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Juin fut un mois très chargé pour tout le monde. Marya travaillait à son livre, et ils avaient denouveauxplatsàdégustertouslessoirs.Chrisadoraitlataquiner.

—Sijenetrouvepaschaquesoirunmenucinqétoilesenrentrantàlamaison,jesuisfrustré.J’aidûprendrecinqkilosdepuisquej’habiteici,déclara-t-ilavecunpetitsourireencoin.

—Tuenavaisbesoin,répliquaMarya,amusée.Aufuretàmesurequeletempspassait,ChrissedétendaitetsemblaitmoinsinquietpourIan,même

s’ildoutait toujoursde lacapacitéde sonex-femmeà resterclean très longtemps. Il savaitque tôtoutard,ellefiniraitparreplonger.Ilenavaiteul’expériencemaintesfoisendixansdeviecommune.Iann’étaitpasencoreconçuquandilavaitdécouvertquesafemmesedroguait.Leseulmomentoùelleavaitvraimentdécroché,c’étaitpendantsagrossesse.Maistroismoisaprèslanaissance,elleavaitsuccombéànouveau.Chrisneparvenaitplusàcroirequ’ellepouvaits’abstenirdéfinitivement.Ilavaitlacertitudequelepirepouvaitarriverdujouraulendemain.Toutcequ’ilespérait,c’étaitqueIanneseraitpaslàpouryassister.

Eileenleuramenaunnouveaupetitami,delacatégoriedesporteursdepiercingsetdetatouages.Lajeune femme balançait entre des jeunes gens BCBG travaillant dans la publicité, la banque,l’enseignement,oud’autressecteursconventionnels,etdesexcentriquesquigagnaientleurvieàlamargedu monde artistique. Cette fois-ci toutefois, son nouveau copain était mécanicien spécialisé dans lesmotos.Francescaletrouvaitd’unegrossièretéinsupportable.Certes,Bradétaitbeau.Etsexy.Elleétaitconscientedel’attraitphysiquequ’ilexerçaitsurlajeunefille,maisilyavaitchezluiquelquechosequimettaittoutlemondemalàl’aise.Ilprétendaitcontrôlertouslesfaitsetgestesd’Eileen,etcelle-ciétaitflattéedecette tentatived’emprisequ’elleprenaitpourunepreuved’amour.PourFrancesca,cen’étaitque de lamaltraitance. En outre, il n’hésitait pas à semoquer de la jeune femme devant eux, et à larabaisser.Unmatin,alorsqueMaryavenaitdepréparerlepetitdéjeunerpourtoutlemonde,Bradavaitparlé à Eileen sur un ton franchement désagréable. Francesca s’était hérissée, tandis que Eileen,mortifiée,contemplaitsonassiettesanspipermot.Ellen’aimaitpaslecontrarier.

—Pourquoilatraitez-vousainsi?lançaFrancescad’untondedéfi.—Qu’est-cequeçapeutvousfaire?Illuijetaunregardvenimeux,cherchantvisiblementàl’intimider.Sanssuccès.Ilneréussitqu’àla

mettreencoreplusencolère.—C’estmesquin.Eileenestune fille formidable, etnous sommes sesamis.Pourquoiparlez-vous

d’elledecettefaçon?BradavaittraitéEileenàplusieursreprisesdegourde,cequ’elleétaitloind’être,saufpeut-êtreavec

lui.Etletonsurlequelilprononçaitcemotn’avaitriend’affectueux.Uninstantplustard,BradpritbrutalementlacafetièredesmainsdeFrancesca.Ils’étaitsentihumilié

parsonintervention.UnegouttedecafébrûlanttombasurlamaindeFrancesca.Visiblement,il l’avaitfaitexprès.Lajeunefemmepoussauncriperçant.

—Vousvousêtesbrûlée?demanda-t-ilavecunsouriresarcastique.Désolé,machère.Toutenparlant, ilseservit,etretournaverslatable,satasseàlamain.IlseheurtaàChrisquile

défiaduregard.—Ne refaitesplus jamais cegenrede chose, articulaChris.Nous formonsune famille, ici.Nous

nous serrons tous lescoudes, etvousavezde lachanced’être là.Alors,vous feriezmieuxd’être trèsaimableavectoutlemonde,ycomprisEileen.C’estcompris?

Francescasentitl’animositéentrelesdeuxhommes.Christremblaitdecolère.Bradluilançauncoupd’œil,jetasaserviettesurlatable,etsortitdelacuisineprécipitamment.Eileens’excusa,etcourutaprèslui. Ils entendirentBrad l’insulter à la porte d’entrée, et un instant plus tard samotodémarra dansunvrombissementsonore.

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—Cetypeestodieux,ditChris,lesmâchoiresserrées.Ilestdangereux.JenecomprendspascequeEileenfaitaveccegenredemec.

LesautreshabitantsdeCharlesStreetnonplus.SansdouteEileenétait-ellevictimedusyndromedumauvaisgarçon.Oupeut-êtresortait-elleavecluiuniquementparcequel’occasions’enétaitprésentée,etqu’elles’imaginaitcontrôlerlasituation.L’interventiondeChrissuffiraitpeut-êtreàtenirBradéloignédelamaison.

Cemois-là,Francescas’étaitmise,elleaussi,àfréquenterungarçon.Elleétaitsortiedéjàtroisfoisaveclui,maisellenesesentaitpasamoureuse.

C’était un artiste. Il avait des idées d’extrême gauche, et il tenait le père de Francesca pour un«traître»,parcequ’ilvendaitsestoilestrèscher.Selonlui,onnedevaittravaillerquepourl’artetlepublic,cequeFrancescatrouvaitexagéré.Néanmoins,ilétaitdrôle,intelligent,maislégèrementpuéril,commebeaucoupd’artistes.D’unecertainefaçon, il lui rappelaitunpeusonpère jeune:mêmeallure,mêmecharme,etaussidistrait.

Orellen’avaitpaslapatienced’Averyetn’éprouvaitaucundésirdelematerner.Il luisuffisaitdedînerensacompagnie:ellesesentaitdenouveaufemme,cequiétaitplutôtagréable.

Le lendemain de l’altercation entre Chris et Brad, Marya annonça le lancement d’une nouvellerecette. Ils promirent tous d’être là pour le dîner, enchantés de jouer les critiques gastronomiques.Cependant, au moment où ils prenaient place autour de la table, Eileen appela Francesca sur sontéléphonemobile pour lui dire de ne pas l’attendre, car elle avait attrapé froid et qu’elle avait de lafièvre.

Ellen’avaitpasquittésachambredelajournée,etMaryas’inquiéta.—Pauvrepetite.Jevaisluifairechaufferunboldesoupe.Ellepréparaun joliplateau,queFrancescamonta jusqu’àsachambre.Laporteétait ferméeàclé.

Eileenrefusad’ouvrir.—Maryat’apréparéunrepas,expliquaFrancesca,del’autrecôtédubattant.Eileenréponditqu’elleétaittropmaladepourmanger.—Jen’osepasredescendreleplateauàlacuisine,j’aipeurdelavexer.—Pose-ledevantlaporte!lançaEileen.Jeneveuxpastepassermesmicrobes.—Pasdedanger.J’aiunesantédefer.Eileenpersistadanssonrefusd’ouvrirlaporte.—Tuessûrequetutesensbien?insistaFrancesca.Tum’inquiètes.Laisse-moientrer.Jet’aiaussi

apportéduparacétamol.—Mets-lesurleplateau.Jeleprendraiplustard.Francescal’entenditpleureràtraverslaporte.—Laisse-moientrer,ordonna-t-elle.Elleavait consciencedes’immiscerdans lavieprivéedesa locataire,maisEileenn’avaitpas la

voixdequelqu’unquiavaitprisfroid.Ilyeutunlongsilence,chacunerestantcampéedepartetd’autredelaporte.Francescapatienta.Elleentenditenfinleverroutourner,etelleouvritelle-mêmelaporte.

Eileensetenaitderrière,vêtuedesachemisedenuit,pleurantensilence.Elleavaitunœilaubeurrenoiretlevisagetuméfié.Francescaaperçutaussidesbleussursesbrasetsursapoitrine.Elleavaitétébattue.

—C’estBradquit’afaitça?Aprèsunmomentd’hésitation,Eileenhochalatêteetsemitàsangloter.—Ne le dis à personne… je t’en prie, promets-moi que tu ne le diras pas… Ilm’a reproché de

l’avoirhumiliédevanttoutlemonde…etdenepasavoirprissadéfense.Francescaeutenviedepleurer,elleaussi,etserraEileendanssesbrastandisquecelle-cisanglotait

deplusbelle.

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—Tudoisappelerlapolice.— Il a dit qu’il me tuerait si j’allais voir la police, et je le crois. Jure-moi de ne rien faire,

Francesca.Jenelereverraiplusjamais,jetelepromets.—Jeneveuxpasqu’ilremettelespiedsici.Francesca était grandement tentée d’appeler la police, mais elle ne voulait pas exposer Eileen

davantage.—Veux-tuquejet’emmèneauxurgences?—Non,marmonnaEileen,d’untonpitoyable.Ilsseraientpeut-êtreobligésdefaireunrapportàla

police.Jevaisbien.J’aidéjàvécuça,tusais.Monpèreestunalcooliquequinousbattait,mamèreetmoi,quandj’étaispetite.C’estàcausedeluiquej’aiquittélamaison.

—Jesuisdésolée.Francescaauraitvouluagir.Etd’abord,envoyerBradlàoùétaitsaplace:enprison.—Eileen,tunepeuxpascontinueràfréquenterdestypescommeça.Tunesaisriend’eux.C’estsans

doutedrôleetexcitantdefaireleurconnaissanceenligne,maisregardecequivientdet’arriver.—Jeneleferaiplus,jetelejure,sanglotaEileenensecramponnantàelle.Jet’enprie,nem’oblige

pasàpartir.J’adorehabiterici.C’estleseulvraifoyerquej’aieeujusqu’àmaintenant.Francescaeutlecœurserréenl’entendantparlerainsi.—Alors,àpartirdemaintenant,tudoisêtretrèsprudente.—Jetelepromets…Jeferaiattention…Elleluilançaunregardcoupable,etajouta:—Ilm’aprismaclé.J’aiessayédel’enempêcher,maisilestpartiencourantaprèsm’avoirbattue.

Ilm’aditqu’ilreviendraitetqu’ilrecommenceraitsij’enparlaisàquelqu’un.—Jevaisfairechangerlaserrure,déclarafermementFrancesca.ElleembrassaEileensurlefront,luipromitdereveniraprèsledîner,etredescenditenhâte.—Qu’est-cequisepasse?s’enquitChris.Çafaitunboutdetempsquetuesmontée.Elledoitêtre

drôlementmalade.—Maladecommeunchien,confirmaFrancesca.Ellenevoulaitpaslesalerter,etnesavaitpascommentdonnerlechange.Elleneprononçapasun

motdetoutledîner,etChriss’aperçutdesontrouble.QuandMaryapartitconfectionnerlachantillyetlacrèmeanglaisepouraccompagnerlesouffléauchocolat,illuidemandaàvoixbasse.

—Quesepasse-t-il?Francescaeutquelquessecondesd’hésitation,puissedécidaàtoutluiraconter.Elleavaitbesoinde

sesconseils.—Bradl’abattuecommeplâtre.Ellealecorpscouvertd’hématomes,etunœilaubeurrenoir.—Seigneur!fit-il,furieux.Elleaappelélapolice?Francescasecoualatête.—Iladitqu’illatueraitsielleenparlaitàquelqu’un.Ellenepeutmêmepasallertravailler.Elleest

dansunétatpitoyable.— Tu crois qu’elle devrait déménager ? demanda-t-il tandis que Marya, affairée avec le fouet

électrique,nepouvaitentendreunmotdecequ’ilsdisaient.—Ellem’asuppliéedenepasl’obligeràpartir.Jeluiaiditqu’iln’étaitpasquestionqu’ilremette

lespiedsici.Illuiaprissaclé,etjevaisdevoirfairechangerlaserruredèsdemain.Pourcesoir,nousmettronslachaînedesécurité.

Chrissoupiraetserenversacontreledossierdesachaise.—J’espèrequ’ellen’estpasaccroàcetype.Lamaltraitancephysiqueestunedesdépendancesles

plusduresàbriser.Unedespires.

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—Amonavis,c’estunhasard.Unmauvaisgarçonqu’ellearencontrésurInternet.J’aimeraisqu’ellerenonceàcettehabitude.C’estunegentillefilleetellenepensepasàmal,maisellenousmet tousendangerautantqu’elle-même.

Maryaarrivaàcemomentavecledessert.Francescachipota,maisChrisengloutitàluiseulpresquetoutlesoufflé.D’uncommunaccord,ilsdécidèrentdeneriendireàMarya.

PuisFrancescaremontavoirEileen.Lajeunefilleétaitdansunétatépouvantable,maiselleavaittoutdemêmemangéunpeu,etellesesentaitmieux.EllefitmillepromessesàFrancesca.

Ce soir-là, Francescamit la chaîne de sécurité.Chris appellerait le serrurier le lendemain. Ils nepouvaient pas faire grand-chose de plus, à part se tenir sur leurs gardes, au cas oùBrad tenterait depénétrer dans la maison. Francesca avait prévenu Eileen qu’elle préviendrait la police s’ilréapparaissait.

Elleeutdumalàtrouverlesommeilcettenuit-là.SespenséesrevenaientsanscesseversEileenetson visage déformé par les hématomes. Qu’avait voulu dire Chris, au sujet de la dépendance à lamaltraitance?Quipouvaitbienaimerêtrebattu?Celan’avaitaucunsens.

Elle était sûre que cet épisodemalheureux servirait de leçon àEileen, et qu’elle resterait loin deBrad.

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10

Chris fit changer la serrure, et Eileen prit une semaine de congé maladie. Elle expliqua à sescollèguesqu’elleavaiteuunaccidentdevoiture,etfinitparavoueràMaryacequiluiétaitréellementarrivé.Choquée,celle-cicompatitauxmalheursd’Eileenqu’elleconsidéraitcommeunejeunefilledouceet innocente. Même si elle se montrait imprudente en choisissant ses rencontres sur Internet, elle neméritaitpaspourautantd’êtrebattue.Personneneméritait cela.L’idéeque lesproblèmesd’Eileennevenaient pas seulement d’Internet effleura Francesca. Les sites étaient juste un espace de rencontre,comme un bar ou n’importe quel autre endroit public. Le vrai problème, c’était le manque dediscernementd’Eileensurleshommes,etl’attirancequ’elleéprouvaitpourlesplusmauvaisd’entreeux.

Illeurfallutàtousunpeudetempspourseremettredecetépisode.Francescacontinuaitàsortiravecsonartiste.C’étaitunhommeagréable,maisFrancescaserendait

comptequ’ilsn’avaientstrictementrienencommun.Ellenetenaitpasàrefairelamêmeerreurqu’avecTodd, et elle décida demettre un terme à leur relation. En fait, le célibat lui convenait, en dépit desremarquescontinuellesdesamère.

Thalia lui conseilla d’aller consulter sonpsychiatre.Francesca répondit en riant qu’elle se sentaittrèsbien.Ellen’étaitpaspresséedes’engageravecquelqu’un.

Peudetempsaprès,Toddl’appelaàlagalerieetluiannonçaqu’ilétaitfiancé.Cettenouvelleluifitl’effetd’unedouchefroide.

—Déjà?s’exclama-t-elle,stupéfaite.Iln’yaquecinqmoisquetuesparti.Tuétaissipressédetecaser?

—J’aiquaranteetunans.Jeveuxmemarieretavoirdesenfants.—Est-celagrandeblondeavecquijet’aiaperçuilyaquelquesmoischezChristie’s?Francesca se sentit brusquement très triste. C’était difficile d’admettre que Todd aimait une autre

femme.—Probablement.Nousnousfréquentonsdepuislemoisdefévrier.Nousallonsnousmarieraudébut

de l’année prochaine. J’ai préféré te l’annoncer avant la publication des bans. Tu es la première àl’apprendre.

—Merci,murmura-t-elle.Elleauraitdûseréjouirpourlui,maisellesouffrait.Toddlesavait.Elleluisouhaitabonnechanceet

passalerestedelajournéedansunesortedebrouillardcotonneux.ElleétaittoujoursaussidépriméequandellerentraàCharlesStreet.EllecroisaChris,quivenaitde

déposersonprojetchezundirecteurartistique,unemballagepourlessiveaudesignNewAge.Ilparutcontentdelavoir.C’étaitréconfortantpourtouslesdeuxdeseretrouverenrentrantlesoir.—Lajournéeaétébonne?luidemanda-t-il.—Pastellement.Toddm’aappeléepourm’annoncersesfiançailles.—Ah,c’estrude!s’exclamaChrisenlasuivantdansl’entrée.Ilsn’avaientplusbeaucoupdesecretsl’unpourl’autreàprésent,endehorsdesrêvesetdesespoirs

qu’ils gardaient pour eux. Depuis le drame provoqué par la mère de Ian, ils étaient devenus assezproches.

—Lanouvellet’asecouée?Francescaposasurluiunregardunpeuégaré.Ellenes’attendaitpasàcequeTodds’engageavec

uneautrefemmesitôtaprèsleurséparation.

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—Oui,unpeu,avoua-t-ellesansdétour.J’imaginequejedevraisleprendremieuxetdirequejesuisheureusepourlui,maisjenesuispassûrequecesoitvrai.Jesuistoujourstristequeçan’aitpasmarchéentrenous.

—Vousavezaumoinseulasagessedel’admettreetdelimiterlesdégâts.Ilm’afalludixanspourfaire lamême chose. J’ai attendu queKimberly ait presque détruitma vie avec la sienne. Je voulaiscroirequ’ellefiniraitparsurmontersonaddictionetnaïvementjecroyaisquejepourraisl’aideràguérir.Mais jeme trompais :personnenepeut aiderundrogué.Toddet toi,parcontre, étiezdesgens sains,seulementvousaviezdesaspirationsdifférentes.Ilatrouvéquelqu’unquiluicorrespond,ettutrouverasaussi.Vousnevousêtespasdétruitsmutuellement.

—Tun’espastropvieuxpourtrouverquelqu’und’autre,toinonplus,fit-elleremarquergentiment.—C’estvrai,jen’aiquetrente-huitans.Maisjesuistropmeurtriparmonpassé.Jenecroispasque

jeseraicapableànouveaudefaireconfianceàquelqu’un.Kimcouchaitavecsondealer.Ellemementaitsans arrêt. Les drogués peuvent être incroyablement convaincants, ce sont des affabulateursextraordinaires.Cequ’elleinfligeàIanmemethorsdemoi.

Francescacompatitd’unhochementdetête.Elleétaitsûrequ’ilsfiniraientl’unetl’autrepartrouverl’âmesœur:ilsétaienttropjeunespourrenoncerdéfinitivementàl’amour.

—AllonsvoircequeMaryanousapréparécesoir,dit-ilpourdétendrel’atmosphère.Ils offraient tous régulièrement de contribuer à la confection des repas,mais la plupart du temps

Maryainsistaitpours’enoccuper.C’étaituncadeaugénéreuxdesapart,etilsl’appréciaientàsajustevaleur.Chaquefoisqu’ils lepouvaient, ils laremerciaientpardepetitsprésents.EtChrisapportaitdetrèsbonsvins.

Francescaluiemboîtalepasetilsdescendirentàlacuisine.Ilseurentlasurprised’ydécouvrirungrandetbelhommeauxcheveuxblancsetlongsetauxyeuxd’unbleuintense.Illesdévisageauninstantd’unairsoupçonneux,puissonvisagesefenditd’unlargesourire.

—VousdevezêtreChrisetFrancesca?demanda-t-ilavecunfortaccentfrançais.Il seprésenta sous lenomdeCharles-EdouardPrunier, etFrancesca se souvint qu’il était un chef

françaistrèsconnu.MaryaapparutuninstantplustardetleurexpliquaqueCharles-Edouard,depassageàNewYork,préparaitlerepascesoir;ceseraitàl’encroireuneexpérienceinoubliable.Surce,illuilançauncoupd’œilmalicieux.

Ils trinquèrentauchampagnequ’ilavaitapporté.Eileenarrivaquelquesminutesplustardavecdesfleurs pourMarya et Francesca, et une bouteille de vin pour Chris. Charles-Edouard leur apprit queMaryaetluiseconnaissaientdepuistrenteans.Detouteévidence,ilavaitlebéguin,etilflirtaitavecelletoutencuisinant.Cesoir-là,Maryajouaitlesseconds.Elledécoupaitleslégumespendantqu’iljonglaitavec une demi-douzaine de poêles et de saladiers. De temps à autre, elle lui adressait un sourireaffectueux.Ilssemblaienttrèsàl’aiseensemble.

Lerésultatfutstupéfiant.Lesinvitésfurentunanimes:c’étaitledînerleplusextraordinairedeleurvie.Charles-Edouardétaittoutàlafoismodeste,drôle,provocant,etillançaitsanscesseàMaryadesregards langoureuxqu’elle ignoraitostensiblement. Ilsenvisageaientd’écrireun livreensemblesur lesherbes de Provence et les différentes façons de les utiliser. Visiblement, le beau Français souhaitaitcollaboreravecelledansbiend’autresdomainesencore.

Aprèslerepas,ChrisetCharles-Edouardallèrentfumeruncigaredanslejardin,tandisquelestroisfemmesfaisaientlavaisselle.

—Ilestadorable,chuchotaFrancescaàMarya,etilestfoudetoi.Alors,tuenpensesquoi?Charles-EdouardetMaryasemblaientàpeuprèsdumêmeâge,etelle trouvaitqu’ils formaientun

trèsbeaucouple.—Nesoispasidiote!répliquaMaryaavecunpetitriretimide.Tusais,ilestmarié!Ilaépouséune

femmeadorable,quiaétésonsecondpendantdesannées.Illuiatoujoursétéinfidèle.

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Al’entendre,onauraitpucroirequ’elleparlaitd’undesespetitsfrèresquiseconduisaitmal.—Tucroisqu’ildivorcerait?—Biensûrquenon.IlestfrançaisetlesFrançaisnedivorcentpas.Ilstrompentleurfemmejusqu’à

leurmortquisurvientgénéralementdanslelitdeleurmaîtresse.Jenepensepasquesafemmeluisoittrèsfidèlenonplus,etilprétendqu’ilsn’ontjamaisétéheureuxensemble.Maisilcoucheavectouteslesfemmesqu’ilrencontre,danstouteslescuisinesoùilmetlespieds.Jenetienspasàentrerdansladanse.Jepréfèrelegardercommeami.

—C’estdommage. Il est adorable.Et trèsbelhomme.Ne leprésente surtoutpasàmamère, elleseraitcapabledeluimettrelegrappindessusetdeletraînerchezl’avocatleplusprochepourlefairedivorcer.Tudevraispeut-êtreenvisagercettesolutiontoiaussi.

Maryaéclataderire.—Tamèreseraitsansdoutedetailleàsemesureràlui.Moinon.Jenesaispasm’yprendreavecce

genred’homme.Johnetmoisommesrestésfidèlestoutenotrevie.Charles-Edouardestbeauetattirant,maisc’estuntrès,trèsmauvaisgarçon!

— Il agit comme mon père avant son mariage avec Avery. Parfois, ces hommes-là finissent parchanger,rétorquaFrancesca.

—Oui,unefoissurunmillion.Jen’aimepaslesparis.Jemecontentedetravailleraveclui,réponditfermementMarya.Commecela,ilestleproblèmed’uneautre,paslemien.

Acemoment,ChrisetCharles-Edouardrentrèrentdanslacuisine,aveccequirestaitdeleursgroscigarescubains,quelefameuxchefavaitapportésencontrebande.Charles-Edouardremplitdesverresde cognac et, tout en buvant, il déclara que cela faisait trente ans qu’il était amoureux deMarya. Ilenveloppacelle-cid’unregardd’adoration,etelleeutunpetitriremoqueur.Elleprenaitsesdéclarationsauseconddegré.

—Oui, tu es amoureuxdemoi et dedixmille autres femmes.Cela fait une longue liste,Charles-Edouard,letaquina-t-elle.

Illuirenvoyalaballeavecunsouriremalicieux:—Peut-être,maistuastoujoursétéenhautdelaliste!—C’estparcequetusaisquetunepourrasjamaism’avoir.Etpuisj’aimebientafemme.—Moiaussi,répliqua-t-ildutacautac.Maisjenesuispasamoureuxd’elle.Jecroisquejenel’ai

jamaisété.Noussommesbonsamis,àprésent.Unefois,ellem’acourséavecuncouteaudeboucher.Ildésignasonentrejambedelapointedesoncigare,etilssemirenttousàrire.—Depuis,jem’efforced’êtretrèsgentilavecelle.Ilajoutaqu’iln’avaitpasd’enfant,etqu’iln’avaitjamaiseuenviededevenirpère.—Jesuismoi-mêmeunenfant,avoua-t-il.Il était absolumentcharmant.Grâceà lui, la soiréeavaitétémagique,et il leurpromitdecuisiner

encoreune foispoureuxavantde repartirpourParis.Francesca regrettaitqu’ilne soitpas librepourMarya.Sonamiesemblaits’êtreépanouieaucoursdelasoirée,commeunefleursouslesoleil.C’étaitmerveilleux de la voir ainsi, admirée par un homme. C’était une si jolie femme, si gentille et sitalentueuse,queFrancescaétaittristedelasavoircélibataire.Maryaneparaissaitpasensouffrir,maisFrancescaétaitsûrequ’elledevaitparfoissesentirseule.Aladifférencedesamère,elleneclaironnaitpassurtouslestoitsqu’ellecherchaitunhomme,etcelanelarendaitqueplusattirante.Charles-Edouardétaitfoud’elle,maisilnedivorceraitsansdoutejamais.Décidément,ilétaittrèsfrançais!

FrancescaaccompagnaChrisdevantsonappartementaprèsavoirsouhaitéunebonnenuitàMarya.Ilsbavardèrentquelquesminutes.AucundesdeuxneprononçalenomdeTodd.Chrispournepasl’attrister,etFrancescaparcequ’ellen’avaitpasencoredigérélanouvelledujour.

Quandchacuneut regagnésachambre, il régnadans lamaisonunprofondsilence. Ilsavaient tousbeaucoup bu. Les vins étaient délicieux et issus de grands crus. Charles-Edouard leur avait servi un

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château-yquem avec le dessert, et le cognac les avait achevés. Ils étaient donc tous profondémentendormis lorsqueEileen descendit l’escalier sur la pointe des pieds, ses stilettos à lamain.Discrètecomme une petite souris, elle ouvrit la porte d’entrée et la referma sans bruit derrière elle. Bradl’attendaitdanslarue.Samotoétaitgaréedevantletrottoir,etilavaitl’aircontrarié.

—Pourquoias-tumissilongtemps?Çafaituneheurequejet’attends.—Jesuisdésolée,dit-elleenluilançantunregardcraintif.Elle arrivait à dissimuler les hématomes sous du maquillage à présent. Brad avait réussi à la

persuaderqu’elleavaitbienméritésacorrection,carellenel’avaitpasdéfenducommeellel’auraitdûdevantsesamisetçaluiavait«foutulesboules».Sonpèreaussiluidisaittoujoursquec’étaitsafautes’illespoussaitdansl’escalier,elleousamère.Illuiavaitcassédeuxfoislebras.

—Ilafalluquej’attendequetoutlemondesoitcouché,expliqua-t-elle.Bradl’entraînaverslamoto,furieux.—Quelâgetuas?Douzeans?Tupayesunloyer,non?Cetteputen’apasàtedirecequetudois

faire.—Cettemaisonluiappartientetellepeutmemettreàlaportequandelleveut.—Putain!Illuitendituncasque.Uneminuteplustard,lamotodémarraenpétaradant.Eileensecramponnaàla

tailledeBrad.Commeelleavaitcatégoriquementrefusédelelaissermonterchezelle,ilsallaientchezlui. Eileen voulait se faire pardonner de l’avoir contrarié. Il avait raison, elle aurait dû prendre sadéfenses.Ill’avaitconvaincuequ’elleétaitnulle.Cesoir,ellevoulaitluiprouverquecen’étaitpasvrai.

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11

Eileenrentraencatiminilelendemainmatin,avantquelesautressoientlevés.Elleavaitl’impressiond’êtreuneadolescentequifaitlemur.Bradnel’avaitpasramenéeàCharlesStreet,etdetoutefaçonellenevoulaitpasqu’onentendesamotodans la rue.Elleavaitdoncprisun taxi. Ilétait tôt,etelleavaitamplementletempsdesedoucheretdes’habilleravantdepartirtravailler.

Bradavaitétéincroyablementgentil,aimant,doux,etellen’avaitjamaiseuautantdeplaisiràfairel’amour.Elletrouvaitdommagequelesautresneleconnaissentpasmieux.C’étaitquelqu’undebien.Ilsavaient juste pris un mauvais départ. Mais, avec un peu de temps, elle espérait que Francescas’adouciraitetqu’elle luipardonneraitde l’avoirbattue.Elleen toutcas luiavaitdéjàpardonné.Elleallaitlerevoirlesoirmême.Cetterelationétaitgrisante.

Endébutdesoirée,tousleshabitantsdeCharlesStreetvaquaienttranquillementàleursoccupations.Marya étudiait des recettes, Francesca faisait sa lessive, et Chris lisait dans son lit. Eileen annonçaqu’elle sortait avec des collègues de travail. Ils avaient passé une soirée si tardive la veille avecCharles-Edouardqu’ilsavaientdécidédesecouchertôt,etMarya,enprévision,avaitlaisséunemarmitedesoupesurlefeuàdisposition.FrancescaremontaitavecunpanierdelingeproprequandChrissurgitdesonappartement,paniquéetfurieuxàlafois.

—Kimberlyarecommencé!s’écria-t-il.Elleestdanslecoma.Ianétaitprésent.Souslechoc,ilestdevenumutique. Il y avait aussi un gars avec elle, et il estmort.Lesmédecins disent qu’elle ne s’ensortirapeut-êtrepas,cettefois.

Quelquepartaufonddesoncœur,Chrisespéraitcetteissuefuneste.CeseraittellementplussimplepourIan.Ildévalal’escalieretfranchitlaporteencourant.

Francesca les attenditunepartiede lanuit. Ils finirentpar arriver àquatreheuresdumatin.ChristenaitIan,endormi,danssesbras.

—Commentva-t-il?Chrisétaitexténué.—Ilaprononcéquelquesmotsavantdes’endormir.Ilavulegarsmourird’overdose,tuimaginesle

traumatisme!LesmédecinsdisentqueKimberlyestresponsable.Quandquelqu’unfaituneoverdose,lessurvivants sont accusés d’homicide.C’est pour cette raisonque personnen’appelle les flics quand çaarrive.Ellevaprobablementêtrecondamnéeàunepeinedeprison,àmoinsquelesavocatsdesonpèreneparviennentunefoisdeplusàlasortirdecemauvaispas.

—Commentest-elle?— Vivante, malheureusement, répliqua-t-il avec colère. Elle commençait à reprendre conscience

quandjesuisarrivé.JenepeuxpaslaisserIanvivrecegenred’épreuveencoreunefois.Francescalesuivitdanssachambre.Ildéposasonfilstoujoursendormisurlelit.—Ilsontdûluidonnerunsédatif,ilétaithystériqueàl’hôpital.Ilcroyaitquesamèreétaitmorte.

Cettefois,jevaismebattrepourobtenirsagarde,etjegagnerai.Aucunjugesaind’espritnepeutdéciderdeluidonnerlagarde,aprèscela.

Francescadescenditdanslacuisineluipréparerunetassedelaitchaud.ElleremontaitquandellevitEileensefaufilerdiscrètementdanslamaison.Pourunesoiréeavecdescollègues,celaseterminaitbientard!Etàenjugerparlesvêtementsqu’elleportait,ilyavaitfortàparierqu’elleétaitenréalitéavecunhomme. Francesca espéra qu’elle avait enfin trouvé quelqu’un de bien. L’air heureuse, Eileen montarapidementdanssachambre.Assisdansunfauteuil,ChrisregardaitIanprofondémentendormidanssonlitlorsqueFrancescalerejoignit.

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—Sisamèrevaenprison,çavafaireundrôledegrabuge,dit-il.Maissicelaluipermettaitd’avoirlagardedeIan,ilnes’enplaindraitpas.Sonseulsouci,c’était

sonfils.Ilavaitcessédepuisdesannéesdes’inquiéterpoursonex-femme.—Net’enfaispas,murmuraFrancescadanslapénombre.Essaiededormir,tuverrasçademain.—Merci,dit-ilàmi-voix.Francescaregagnasachambre.Lemystèrequiplanaitsur l’identitédelamèredeIannetardapasàêtre levé.Lenomdecelle-ci

s’étaladès le jour suivantenpremièrepagedes journaux.KimberlyArchibaldappartenait à l’unedesfamilleslesplusenvuedelaCôteEst.Sonpèreétaitunimportantbailleurencapital-risque,quiavaitréussiàamasseruneimmensefortune.L’articlerésumaitàpeuprèscequeChrisavaitdéjàexpliquéàFrancesca.Sonex-femmeétaitaccuséed’homicide,à la suitede lamortchezelled’uncompagnondedéfonce.D’aprèslejournal,c’estellequiavaitachetéladrogue.Francescafutsidéréequandellelutledeuxièmeparagraphe,oùapparaissaitlenomdeChris.IlétaitécritentouteslettresqueKimberlyavaitdivorcédeChristopherHarley,issudelafamilledepoliticiensdumêmenom,originairedeBoston.Plusimportantencore, lamèredeChrisétaituneCalverson.Ceux-ciavaientdes liensdeparentéavecdessénateurs,desgouverneurs,etdeuxprésidents.LemariagedeChrisetKimberlyavaitunideuxdespluspuissantesfamillesdupays,l’unedanslafinanceetl’autredanslapolitique.Chrisn’étaitpasunsimplegraphiste qui gagnait sa vie avec ses créations et louait un petit logement à Charles Street, commeFrancescal’avaitcru.C’étaitl’héritierd’unegrandefamille,dontilsemblaitvouloirs’éloignerafindemeneruneviesimpleettranquille.Ilétaitd’uneincroyablemodestie.

FrancescacachalejournaldansuntiroirafinqueIannelevoiepasquandildescendraitprendresonpetitdéjeuner.Maryanesavaitpascequis’étaitpassélaveille.Ellefutsurprisedevoirl’enfant,maisnefitaucuneremarquesursapâleurinhabituelleetsestraitstirés.L’enfantneprononçapasunmotpendanttout le petit déjeuner, même lorsqu’elle lui servit ses pancakes préférés en forme deMickeyMouse.L’effet des calmants qu’on lui avait administrés la veille ne s’était pas totalement dissipé, il toucha àpeineaucontenudesonassiette.

—Ques’est-ilpassé?chuchotaMaryaàFrancescaquandChrisremontadanslachambreavecsonfils.

Francesca sortit le journal et lemontra àMarya qui poussa une exclamation de stupeur en lisantl’articleenune.

—Oh,monDieu!J’espèrequeChrisvaobtenirdéfinitivementlagardedeIan,àprésent!—Ceseraitlogique,surtoutsiellevaenprison.MaisChrispensequesonbeau-pèrevasedémener

pourquecelan’arrivepas.—EntoutcasIanaunemineépouvantable.—Ilavuunhommemouriretsamèrefaireuneoverdose.—C’estatroce.Chrisarrivasurcesentrefaites,sanssonfilsqu’ilavaitlaissédanslachambre,pourlirelejournal.

Quandilvitlestitres,ilpâlitetpinçaleslèvres.—Joli,hein?dit-ild’unairsinistre.Lesévénementsétaientdéjàassezdramatiqueseneux-mêmes,maisiln’appréciaitpasnonplusque

lesjournalistesaientétaléàlaunesonarbregénéalogique.Ilrestaitunechancepourquelesgensquileconnaissaient auquotidienne fassent pas la relation entre le nomd’une famille célèbre et lui.Et, fortheureusement,lesjournalistesavaienttenucomptedesseptansdeIanets’étaientabstenusdedirequ’ilsetrouvaitsurplaceaumomentdesfaits.

—Brûle-le,tuveuxbien?demanda-t-ilàFrancescaavantderemonterchezlui.Eileenétaitarrivéeentre-temps;Francescaluiexpliquarapidementlasituation.Aucunedesdeuxne

fitallusionàl’heureàlaquellelajeunefemmeétaitrentréecettenuit-là,niàsonemploidutempsdela

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soirée.Francescacontinuaitdepenserquecelanelaregardaitpas,tantqueEileennelesmettaitpasendangerenramenantn’importequiàlamaison.

Chrisn’envoyapasIanàl’écolecejour-là,et,quandEileenetFrancescarentrèrentdutravail,ellesletrouvèrentencoretrèstaciturne.Charles-EdouardavaitpassélajournéeàCharlesStreet.Toutl’après-midi,Maryaet luiavaientrevudesrecettes,etdiscutédulivrequ’ilsallaientécrireàquatremains. Illeurproposadepréparerunrepas léger, ilavaitachetédescrabesbleusetquelqueshomards,etdelapâteàpizzapourIan.Maryal’avaitmisaucourantpourlepetitgarçon.

QuandIandescendit,Charles-Edouardluidemandas’ilvoulaitbienl’aider.Illuimitunœufdanssamain et lui ordonna de rester parfaitement immobile. Le regard dans le vague, Ian obéit. L’airextrêmementgrave,Charles-Edouardfitsoudainsortirl’œufdel’oreilledupetitgarçon.

—Pourquoituasfaitça?dit-ilalorsavecleplusgrandsérieux.Jet’avaisditdetenirl’œufdanstamain,pasdelemettredanstonoreille!

Iansouritmalgrélui,oubliantunbrefinstantsonchagrin.—Allons,c’esttrèssérieux,repritCharles-Edouard.Tiensbiencetœuf,s’ilteplaît.Etcettefois,ne

bougepas.Ah,etprendsunecarottedansl’autremain.Excellent.Ecoutebienmesinstructions,jeteprie,jesuislechefcuisinier.

Cettefois, l’œufsemblasortirdunezdeIan,et lacarotteducoldesachemise.L’enfantéclataderire.Enl’espacedecinqminutes,Charles-Edouardl’avaitcomplètementdéridéavecsestoursdepasse-passe.Bientôt,unautreœufapparutsoussontee-shirt,etuncitrondanslapochedesonjean.

— Je ne peux vraiment pas te faire confiance ! s’exclamaCharles-Edouard, avant de semettre àjongleravectroisœufs,quelqueslégumesetdeuxcuillères.

Un des œufs finit par lui échapper et s’écraser sur le sol, ce qui fit hurler de rire le garçonnet.Charles-Edouardfitmined’êtrecontrit,puislaissatomberlesdeuxautresœufs.Ianlevalesyeuxaucieletletraitad’idiot.Toutlemondeavaitlesourire.Francescalesobservait,leslarmesauxyeux.Charles-Edouardétaitmerveilleux;étaitaussidouédanssonrôledeclownquederrièrelesfourneaux.

Maryanettoyalesol,etCharles-Edouards’assit,enprenantIansursesgenoux.—Tuveuxbienm’aideràpréparerledîner?Ian acquiesça. Cinq minutes plus tard, après lui avoir calé une toque sur la tête, il lui expliqua

comment fairecuire lescrabeset lehomard.Etquand ildéposa lesplats sur la table, ildemandadesapplaudissementspoursonjeunesecond.Illuiavaitaussimontrécommentfairetournerlapâtedepizzaenl’air,commeunvraipizzaiolo.Unefoisdeplus,ledînerfutdélicieux.Etsurtout,Ianavaitretrouvésalangue.

Chris remercia chaleureusement Charles-Edouard lorsqu’ils sortirent fumer des cigares dans lejardin.Lechefderenomméemondialeavaitfaitpluspoursonfilsquetouslestravailleurssociauxetlespsychiatresréunis.

Ilproposaderevenirpréparerunrepasaucoursduweek-end,etMaryasuggéraqueFrancescainvitesamère,épreuveredoutablepourlajeunefemme…

Commeelles’endoutait,Thaliaacceptal’invitation.Lelendemain,Chrisdutserendreàl’audiencepourlagardedeIanetaffronterlecirquemédiatique.Lesavocatsdesonex-femmenefirentrienpourdécourager les journalistes. Ils étaient trop occupés à essayer de faire tomber les charges d’homicideinvolontaire qui pesaient contre Kimberly. L’avocat de Chris les avait avertis qu’il exigeait la gardedéfinitivedeIan.Lejugeallaencesens.

Ilfutquestiondel’affaireauxinformationscesoir-là.LamèredeFrancescal’appeladèslafindujournaltélévisé.

—Sais-tu d’où il vient ? demanda-t-elle, impressionnée d’apprendre à quelle famille appartenaitChris.

Francesca,elle,étaitsurtoutimpressionnéeparsamodestieetsadiscrétion.

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—Oui,jesais.—C’estl’unedesfamilleslesplusinfluentesdupays.—Oui,ilparaît.Iln’enparlejamais.Etcetteaffaireavecsonex-femmeesttrèsdureàvivrepour

sonfilsetlui.—Cettefemmeestdansunétatdéplorable.C’estdésolantpoursesparents.— C’est désolant pour son fils surtout. Il n’a que sept ans, et il a déjà vécu un nombre de

traumatismesincroyablesàcaused’elle.Thalianefitpasdecommentaire,etorientalaconversationversdessujetsplusagréables.—Jen’enrevienspasqueCharles-EdouardPrunierprépareledînercheztoidemainsoir.Ilmetarde

defairesaconnaissance.Commentas-tufait?—C’estunamideMarya.— C’est vraiment bien d’avoir des locataires, répondit Thalia, comme si l’idée de louer des

chambresétaitvenued’elle.C’étaitainsiqueçafonctionnaitsamère.Sileschosestournaientmal,ellen’étaitpasresponsable.

Maissiellestournaientbien,elles’arrogeaittoutlemérite.FrancescaauraitaiméavoirégalementsonpèreetAveryàsa table le lendemain,maissesparents

étaientplusagréablesprisséparément.Parfois,ThaliacherchaitàrivaliseravecAvery,cequimettaitsafillemalàl’aise.

Samèrearrivasursontrenteetun.Elleportaitunerobenoirecourteetsexy,etdestalonsaiguilles.Charles-Edouard ouvrit de grands yeux en la voyant, ce qui amusaMarya. Cette dernière portait desmocassins, un jean, et un sweater noir sous sa tunique de chef. Ian avait remis sa toque et semblaitenchanté.

Ilsdégustèrentdescapelliniaucaviar,etdeschateaubriandsauxtruffesnoiresetfoiegras.Lerepasfutexquis.Thalia,unpeuétourdieparlevin,flirtasansretenueavecCharles-Edouard,commesafilleleredoutait.Maryanesemblapasenprendreombrage.

— Il est merveilleux, n’est-ce pas ? dit Thalia à sa fille, quand les hommes sortirent fumer,accompagnésparIan,baguesdecigareaudoigt.

—Netemetspasdanstoustesétats,maman,ditFrancescad’untontaquin.Ilestmarié.Etfrançais.Cequisignifiequ’ilnedivorcerapas.

—Onnesaitjamais.Onadéjàvudeschosesplusétrangesseproduire,répliquaThaliasurletondelaconfidence.

—PasenFrance!ripostèrentMaryaetFrancescaàl’unisson.Lesdeux femmeséclatèrentde rire.Eileenétait sortie, prétextantun rendez-vousavecunnouveau

copain.Elleétaittrèsoccupéeetsemblaitheureuse.L’épisodeavecBradétaitdel’histoireancienne.—C’estuntrèsbelhomme,vraimentcharmant,repritThalia,songeantàCharles-Edouard.Francescalafitbrutalementretombersurterreenfaisantremarquerqu’ilétaitéprisdeMaryadepuis

desannées.—Cen’estpas juste!fitThaliaense tournantversMarya.Vousnevoulezpasd’unhomme,c’est

vous-mêmequimel’avezdit.Moi,j’enveuxun,maisilestamoureuxdevous.— Il n’est amoureux de personne, répondit Marya d’un ton désinvolte. Il aime les femmes, en

quantité.Noussommesseulementdebonsamis.—Quelgaspillage,marmonnaThalia,maussade.A cemoment, les hommes rentrèrent dans la cuisine, et elle fit de nouveau du charme au célèbre

cuisinier. Malgré la gêne que sa mère lui causait parfois, Francesca devait admettre qu’elle étaitmagnifique. Avec sa robe noire et ses hauts talons, elle faisait un effet sensationnel. Elle croisait etdécroisaitostensiblementsesjambesàlagrâcejuvénile,maisCharles-Edouardn’avaitd’yeuxquepourMarya.

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Thalia repartit, un peu dépitée. Pour une fois, son charme et sa beauté étaient restés sans effet.Charles-Edouardlatrouvait trèsbelle,maiscen’étaitpassongenre.Entoutcas, ilsavaientpasséunesoiréemerveilleuse,eudesconversationspassionnantesautourd’unsomptueuxdîner.Charles-Edouards’intéressaitnonseulementàlacuisine,maisaussiàl’histoireetàlalittérature.

Le lendemain matin, personne ne travaillait. Charles-Edouard vint chercherMarya, car il voulaitessayeravecelleunrestaurantchinois.Ilconnaissaitdéjàlechef,qu’ilavaiteul’occasionderencontreràPékin.ChrisetIanavaientdécidéd’allerjusqu’àl’étangpourvoirlesmaquettesdebateaux.Francescapréféraitresteràlamaison,etEileenn’étaitpasrentréedesasoiréedelaveille.

Francescaexaminaitlesœuvresdenouveauxartistessurdesdiapositivesquandelleentenditlajeunefemme pénétrer dans l’entrée. Elle aperçut sa silhouette courbée en deux sur la première marche del’escaliereteutunhaut-le-corps.Eileenavaitétébattuedenouveau.

—Quit’amisdanscetétat?demanda-t-elleenluipassantunbrasautourdelataillepourlasoutenir.Pleurantàchaudeslarmes,Eileenrefusaderépondre.—TuasrevuBrad?Ellehochalentementlatête.—Ilétaittellementgentil,bredouilla-t-elle.Siaffectueux.Etpuisjel’aicontrarié,etilacruqueje

memoquaisdelui.Ilm’aditquejel’avaishumiliédevantsesamis.—Eileen,jure-moiquetuvastefaireaider.Ilnefautpasquetulerevoies.—Jesais.Detoutefaçon,ilm’aditqu’ilnevoulaitplusjamaismerevoir.Toutestfinientrenous,il

neveutplusquejelerappelle.Ilestparti.Francescasavaitquecen’étaitpasvrai,qu’ilnepartiraitjamais.Ilallaitrevenir.Pourlafrapperde

nouveau.IlfallaitquecesoitEileenquilequitte.EtFrancescacraignaitqu’ellen’enaitnilaforcenilecourage.

Ellel’aidaàmonter,etnelaquittaquelorsqu’ellefutcouchée.Puiselleredescendit,lecœurlourd.LescraintesdeChrisserévélaientexactes.EileenétaitaccroàBrad.

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12

Cette fois-ci, lesoccupantsdu44CharlesStreet témoignèrentmoinsdecompassionenversEileen,mêmesiMaryaluimontapendantcinqjoursdelasoupeetdespuréesdelégumes,etluifitunsermontrèsmaternel.Bradluiavaitnonseulementfaitlesyeuxaubeurrenoir,maisill’avaitfrappéetellementfortau visage que plusieurs dents étaient déchaussées. Elle dut se rendre deux fois chez le dentiste enl’espacedetroisjours.Francescaluiparlaaussitrèsfermement,etlasuppliadesefaireaider.Chris,lui,nevoulaitplusrienavoiràfaireavecelle.

— J’en ai par-dessus la tête des dingues, des drogués, et des gens qui s’autodétruisent, dit-il àFrancesca.Elleestaccroàcetype.Mêmesitul’enchaînesaumurdesachambre,elletrouveralemoyendes’enfuirpourallerlevoir,etillabattradenouveau.C’estunemalade.J’aivéculemêmeproblèmeavecKimetladrogue.Tunepeuxpasguérircesgens-là,etàlafinc’esttoiquiauraslecœurbrisé.

—Jenepeuxpourtantpasresterassiselàsansrienfaire,protestaFrancesca,unpeuchoquéeparlafroideurdeChris.

—Tu perds ton temps. Il faudrait d’abord qu’elle veuille de ton aide.Tant qu’elle n’en aura pasenvie,riendecequetupourrasdireoufairen’aurad’effet.

Eileenoffraituneimagepitoyable.C’étaitunefilletropgentille,quin’avaitaucuneestimedesoi ;sonpèrelaluiavaitôtéeàcoupsdepoing.Lamaltraitanceluisemblaitnormale,ellepensaitlamériter.

Sesemployeursperdirentpatience.Ellefutobligéedeprendreunenouvellesemainedecongé,avantdepouvoirdissimulerseshématomessousdumaquillage.Maisquandelleretournaautravail,cefutpourêtrelicenciée.

Francescacommençaitàse rendrecomptequeChrisavait raison.Lamaltraitancepouvaitêtreuneaddiction.Eileenétait enétatdemanque,bienqueBrad l’aitbattue.Et elle refusaitde se faire aider.Francesca espéra que Brad se tiendrait à distance assez longtemps pour permettre à Eileen de sedésintoxiquer.Celle-cidemandaitsanscesseàFrancescasiellepensaitqu’ilallait larappeler.C’étaitmalsain.

—J’espèrequenon,luirépondaitsystématiquementFrancesca.

Lamère de Ian exigea qu’on lui amène son fils en prison.Chris refusa tout net.Deux psychiatresabondèrentdanssonsens.L’enfantétaitheureux,etmenaitunevienormaleavecsonpère.Chriset luiavaientdesoccupationssaines,quiconvenaientàunenfantdesonâge.

Charles-EdouardpassaitbeaucoupdetempsàCharlesStreet,pourvoirMaryaetpréparerleurlivre.Chaquefoisqu’ilétaitlà,Ianlesuivaitcommesonombre.Ilapprenaitaupetitgarçonàparlerfrançais,etàcuisinerdesplatssimples.Ilsavaitmerveilleusements’yprendreaveclesenfants,bienqu’iln’enaitlui-mêmejamaisvoulu.

Ianadoraitsestoursdemagie.Chaquefoisqu’ilfaisaitsemblantdesortirunœufdesonoreille,Ianlesuppliaitderecommencer,etlegrandchefdecuisines’exécutait.

—Ilestsouventlàcestemps-ci,tunetrouvespas?ditFrancescaavecdésinvolture,unjourqu’ellesetrouvaitseuledanslacuisineavecMarya.

—Noustravaillonsànotrelivre,réponditcelle-cid’untoninnocent.—Tuessûrequ’ilestaussiattachéàsafemmequetuledis?Ils allaient si bien ensemble ! Francesca aurait été ravie queCharles-Edouard semette en couple

avecMarya.Maiscelle-cinetenaitpasdutoutàavoiruneaventureavecunhommemarié,etCharles-

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Edouard lesavait,mêmes’il lapoursuivaitdesesassiduitésdepuis trenteans.Maryasecontentaitderireetdesemoquerdelui,luirappelantrégulièrementl’existencedesafemme.

Charles-Edouarddevait repartir àParis à la findumois,pourgagner ensuite le sudde laFrance.Marya prévoyait de l’y rejoindre en juillet, afin de poursuivre avec lui l’élaboration de leur livre.Ensuite, elle comptait se rendre en Espagne et en Italie, pour rencontrer des chefs et visiter desrestaurantsdontellesouhaitaitétudierlacuisine.Puisellepasserait lemoisd’aoûtdansleVermont,etreviendraitàNewYorkenseptembre.Elleallaitdoncs’absenterpendantplusdedeuxmois,etFrancescasavaitdéjàqu’elleallaitluimanquer.Elle-mêmen’avaitencoreaucunprojetpourl’été.

Maryaluiavaitsuggérédel’accompagnerenEurope.Samèreégalement.Maiselleavaitplutôtenvied’allerfairedubateaudansleMaineavecdesamis,commeelleetToddl’avaientfaitchaqueétépendantquatreans.C’étaientsesamisàlui,maisilsétaientdevenuslessiens.Toddprojetaitaussideleurrendrevisiteavecsafiancée,maisàunautremoment.

« Ce n’est pas sain, lui avait fait remarquer sa mère. Tu continues de faire les mêmes activitésqu’aveclui.Tudoispasseràautrechose.»

SamèreallaitcommechaqueannéeàSaint-TropezetenSardaigne.Elleétait,elleaussi,unecréatured’habitudes.

Chrisajoutasongraindesel.— Tu es sûre de vouloir aller au même endroit que lui, même si vous choisissez des périodes

différentes?Jetrouvecelaunpeurisqué.Francescas’entêta.—J’adorefairedubateau.—Tupourraisvenirnousrendrevisite,àIanetmoi,àMartha’sVineyard.Celanousferaitplaisir.Chris comptait passer tout juillet et la plus grande partie dumois d’août là-bas avec son fils. Sa

famillepossédaitune immensepropriété,maisFrancescaneseseraitpassentieàsaplace.Chrisétaitseulement un ami. Et maintenant qu’elle en savait plus sur ses parents, elle les trouvait terriblementintimidants.

Elle aurait bien aimé se rendre dans un ranch duMontana ou duWyoming, pour visiter le parcnationaldeGrandTeton,maisellen’avaitpasenviedevoyagerseule.

Leplusfacile,c’étaitdoncderetournerdansleMaine,solutionquiavaitlemérite,enoutre,denepas être trop onéreuse. Elle refusait de voir les implications psychologiques de son attachement à laroutineestivalequ’elleavaiteueavecTodd,etaussilefaitqu’ellevivaitdansleurmaisonetcontinuaitàtenirlagaleriecrééeensemble.

—Tudevraispeut-êtrelâcheruntrucoudeux,suggéragentimentChris.Elle était dans une impasse. Mais elle ne voulait pas l’admettre ni même se l’avouer en secret.

QuelquesjoursdevoiledansleMainel’aideraientaumoinsàchangerd’airetdepaysage.Elledécidadoncd’ypasserlestroispremièressemainesd’août.

Eileenétait la seule ànepas avoirdeprojet pour l’été.Commeelle avait perdu sonemploi, ellen’avait plus lesmoyens de prendre des vacances. Francesca lui suggéra d’aller voir sa famille à SanDiego,maisellen’enavaitpasenvie.AprèstoutcequeEileenluiavaitracontésursonpère,Francescapouvaitcomprendre.LajeunefemmeavaitenvoyédesC.V.àplusieursécolesspécialisées,etjusqu’iciaucuneneluiavaitrépondu.Lesréférencesdesonemployeurprécédentn’étaientpasfameusesenraisondesestropnombreuxarrêtsmaladie.Toutcela,àcausedeBrad.Nonseulementill’avaitbattue,maisillui avait aussi fait perdre son gagne-pain. Eileen était toujours sans nouvelles de lui, au grandsoulagementdeFrancesca.Peut-êtreavait-ildéfinitivementdisparudelacirculation.

Chrisn’étaitpasaussinaïf.—Unhommeviolentneperdjamaisdevuesaproie.Ilreviendra.—Ils’estpeut-êtretrouvéuneautrefemmeàmaltraiter,réponditFrancescaaveccynisme.

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—Ilreviendraquandmême.C’est à peine si Chris adressait la parole à Eileen désormais. Son comportement lui rappelait

douloureusementsonex-femme.Ilpensaitquel’addictiond’Eileenàlamaltraitanceétaitpathologique.Maintenant qu’elle n’avait plus de travail, elle passait le plus clair de son temps au lit à pleurer et àpenseràBrad.Francescavoyaitbienqu’elleétaitentraindeperdrepied,maisellen’avaitaucunmoyendelarameneràlaraison.

Charles-Edouard fut lepremieràquitter lapetite familledeCharlesStreet, laissantungrandvidederrièrelui.Lequotidienétaitbienplusdrôlequandl’exubérantFrançaisétaitlà.Maryaavouaqu’illuimanquait,maisellesavaitqu’elleallaitleretrouverquelquessemainesplustardenProvence.

—Peut-êtrequittera-t-ilsafemmecetété,hasardaFrancesca,pleined’espoir.Maryasecontentaderire.—Iln’yapasdeplacedansmaviepourunconjoint.J’aimemavietellequ’elleest,etd’autrepart,

jesuistropvieille.Francesca ne put s’empêcher de la comparer une fois de plus à sa mère. Comme elles étaient

différentes!Thalianevivaitquedansl’espoirderencontrerunhommeàSaint-TropezouàPortoCervo.Elleresteraitabsenteaumoinsdeuxmois,commechaqueannée,etelleavaitprévuderetrouverdesamisun peu partout. Elle avait même rendez-vous à Venise pour une immense réception. Ses étés étaienttoujoursbeaucoupplusintéressantsqueceuxdesafille.

ChrisetIanpartirentàMartha’sVineyardpourleweek-enddu4-Juillet,fêtenationale.LafamilledeChrisavaitprévud’organiserdespique-niques,desbarbecuesetdesmatchsdefootball,etIanpasseraitl’étéavecsescousins,loindesépreuvesqu’ilavaitsubiesavecsamère.IlyavaittoujoursdesfêtesetdesréceptionsàVineyard,etChrisyretrouveraitsesvieuxamis.Ilévitaitsoigneusementcegenredeviependantl’année,maislesvacancesvenues,ilselaissaitaller.Sesparentsseraientlà,etbienqu’ilnesoitpas trèsproched’eux, ceux-ci avaient enviedevoir leurpetit-fils.Au retour, Ian rendraitvisite à sesgrands-parentsmaternels, àNewport.Chrisdétestait ce lieu,qu’il trouvait tropmondain,mais il avaitpromis à ses beaux-parents de leur laisser Ian tout un week-end. Il n’en ferait pas davantage. Ilscontinuaientàdéfendrerésolumentleurfille,reprochaientàChrisdel’avoirquittée,etniaientqu’elleaitdes problèmes, bien que leur position devienne de plus en plus difficile à tenir à présent, avec lesaccusationsd’homicidequipesaient surelle.Kimberlyétait toujoursderrière lesbarreauxet,endépitdes manœuvres de son père, le juge avait refusé de lui accorder la liberté sous caution. Sa cure dedésintoxicationsefaisaitdoncenprison.

Marya partit pour la France le 10 juillet, afin de fêter sur place l’anniversaire de la prise de laBastille.Ellepasseraitquelquesjoursdanslacapitale,etenprofiteraitpourrendrevisiteàsescopainscuisiniers,dontcertainstenaientlesmeilleursrestaurantsdeParis.Elleavaitfaitsesétudeslà-basdanssajeunesse,etelleyavaitencoredesamischers.Ensuite,elles’achemineraitverslaProvencepoursemettreautravailavecCharles-Edouard.

Une foisqu’ils furentpartis,un silencedemort envahit lamaisondeCharlesStreet.Francescaenprofita pour faire effectuer quelques réparations, et se reposer. Elle rentrait de la galerie plus tôt,l’activitéétantquasinulleenété.Ilsnevendaientjamaisrienenjuillet,etelledécidadefermerlaplusgrandepartiedumoisd’août.Ellemitcetempslibreàprofitpourclassersesdossiersetvisionnerlesdiaposdenouveauxartistes.

Maislamaisonluifaisaitl’effetd’untombeau.Pousséeparl’ennui,ellecommitl’erreurdesortirunsoiravecl’undesesartistes.Ilsburentplusquederaison,etlegarçonfonditenlarmesenévoquantlapetiteamieaveclaquelleilvenaitderompre.Francescafinitlasoiréeencoreplusdéprimée.Lepeintrel’appelalelendemainpours’excuser.Cefiascoluirappelaqu’ellenedevaitpassortiraveclesartistesqu’elleexposait.

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Bien qu’elle n’eût toujours pas trouvé de nouveau job, Eileen paraissait un peu moins triste.Néanmoins,elleavaitencoredessentimentspourBrad,etFrancescaavaitdécidédeneplusabordercesujetavecelle,refusantd’alimenterparsaconversationlanévrosed’Eileen.Ellesdînèrentquelquefoisensembledansuneambiancetranquille.Francescaavaitlasensationqu’ilexistaitunlienprofondentreelles. L’innocence naturelle d’Eileen et sa douceur lui déchiraient le cœur. Elle était si confiante, siaffectueuse, si ouverte. Elle manquait des défenses nécessaires pour se protéger du monde extérieur.Francescaauraitvouluqu’ellesedurcisseunpeu,qu’ellesoitmoinsvulnérable,maisalorsellen’auraitpeut-êtreplusétélajeunefemmequ’elleappréciait.

Commeellesesentaitcoupabledelalaisserseulependanttroissemaines,elleluiproposadeveniravec elle dans le Maine. Eileen refusa, affirmant qu’elle se débrouillerait très bien. Elle avaitrecommencéàsefairedesamisvia Internet,cequimettaitFrancescatrèsmalàl’aise,sansqu’ellesesenteledroitd’intervenir.Internetétaitl’épicentredel’existenced’Eileen,c’estlàqu’elletrouvaittousses amis. Elle était reliée constamment à l’ordinateur comme par un cordon ombilical. La générationd’Eileen ne savait communiquer que par e-mail ou texto, à la différence de celle de Francesca, quipréféraitprendre son téléphonepourappeler lesgensetentendre leurvoix.Seulhic :Eileensemblaitattirercommeunaimantlestypeslouches.

Lederniersoir,Francescal’invitaàdîneraurestaurant.EllesserendirentàWaverlyInnetpassèrentunebonnesoirée.IlyavaitencorebeaucoupdemondeàNewYork.Eileenétaitplusgaie,etd’humeurpluslégèrequ’ellenel’avaitétécesdernierstemps.Francescaluiconfiaquelamaisonluifaisaitl’effetd’unpensionnatquetoutlemondequittel’étépourrentrerchezsoi,avantdeserappelerqueEileen,elle,n’avaitnullepartoùaller.Eileen lui expliquaqu’ellecomptait allerà laplagequandsa recherchedetravailluienlaisseraitletemps.Toutiraitbien.D’ailleurs,elleavaitbesoind’êtreunpeuseule.

Francescaeutmalgrétoutlecœurserréenprenantsontaxipourl’aéroportlelendemain.Deboutsurleperron,Eileenagitaitlamainensouriant.Avecsonshortencotonetsesnattes,onauraitditunepetitefille.

Lorsque Eileen rentra dans la maison, son téléphone sonnait. Elle prit la communication. C’étaitBrad.

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13

L’étépassaàtouteallure.Ce futMarya qui effectua le plus grand périple. Elle fit le trajet de Paris jusqu’en Provence en

voiture, se renditàSaint-Paul-de-Vence,etpassaunweek-endàAntibesavecdesamis.Puisellepritl’avionàNice et gagna l’Espagnepour rendrevisite à sonamiFerranAdrià au restaurantElBulli, àRoses,oùilproposaitdescréationsinnovantes.Ilavait inventélacuisinemoléculaire,quiconsistaitàtransformer la nourriture et à la reconstituer. Son restaurant était fermé depuis un certain temps, et ilpensait lerouvriraprèss’être livréàquelquesrecherchesgastronomiques.Maryaétait fascinéedepuistoujours par ses idées et son génie créateur. De là, elle se rendit à Florence, à Bologne, àVenise, àPadoue,àRome,puiselleretournapasserquelquesjoursàParis.Maryaavaitdesamispartout,etceux-cifurentcommed’habitudeenchantésdelavoir.

DeretourdansleVermont,ellefutheureusedeseretrouverchezelle,dedormirdanssonlit,d’êtredanssacuisine,bienqu’elleressentîtprofondémentl’absencedesonmari.Celafaisaitunanqu’ilavaitdisparu,etilluimanquaittoujoursautant,endépitdesesjournéesbienremplies.

Néanmoins, elle avait passé un été très agréable. Avec Charles-Edouard, elle avait sillonné laProvence,cequileuravaitpermisdedécouvrirdenouvellesrecettes.Ilsétaientprêtsàsoumettreleplandeleur livreà leuréditeur,etpensaientsemettreàécriredèsseptembre.Maryaajoutadeuxnouveauxchapitresalorsqu’elleétaitdans leVermont,puisellepartitpour leNewHampshire.Lesnuitsétaientdéjàfraîchesetl’airsentaitl’automne.Lesfeuillestombaientenvirevoltantsurlesroutesdecampagnequ’elleparcouraitenvoiture.EllerestaunpeuplusdetempsqueprévuchezsesamisàNorthConway,avantderentrersanssepresser.Enarrivantchezelle,ellefutstupéfaitededécouvrirCharles-Edouardquil’attendaitsurleperron.Sescheveuxétaientpluslongsetplusdécoiffésquejamais,etsesyeuxd’unbleuaussipurquelecielduVermont.

Ilsemblaitàlafoisimpatientetsoulagédelavoirarriver.—Quefais-tuici?demanda-t-elle,sidérée.JetecroyaisàSaint-Tropez.IlpossédaitunemaisonàRamatuelle,oùilavaitprévudepasserlemoisd’août.Maryan’avaitplus

eudesesnouvellesdepuisleurséjourenProvence,etnes’attendaitpasàenavoir.IlsavaientprévudeserappeleràsonretouràNewYork.

Apeineeut-ellemislepiedsurlapremièremarche,qu’ilsemitàluiraconterd’unevoixprécipitée:—Ellem’aquittépourundemesseconds!Tulecrois,ça?Elleafaitsesvalisesetelleestpartie

enunclind’œil.—Dequiparles-tu?Toutd’abord,Maryacrutqu’ilparlaitde la chefdecuisinequi tenait son restaurant àParis.Cela

faisaitdesannéesqu’ilavaitavecelleunerelationorageuse,etellelemenaçaitàtoutboutdechampderendresontablier.

—Demafemme.Arielle,répondit-il,l’airoutragé.—Tafemmet’aquittépourtonsous-chef?bredouilla-t-elle,abasourdie.—Elleveutdivorcer.J’aireçuunelettredesonavocatilyacinqjours.J’aiprislepremieravion,

maisj’aitrouvéportecloseenarrivantici.—Tuauraispumetéléphonerpourmeracontertoutça…—Jetenaisàlefairedevivevoix.Maryafouilladanssonsac,ensortitsesclésetdéverrouillalaporte.

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—Pourquoi?Notreéditeurn’estpasencorerentrédevacances.Aufait,j’aiajoutédeuxchapitreslasemainedernière. Jepensequ’ils teplairont.L’unest dédié entièrement aux épices et à leurusage, etl’autreauxpoissons.

—Jenesuispasvenupourteparlerdepoisson,maugréa-t-il,àmi-voix.—Alors,quefais-tuici?Elle fitdistraitement le tourdu rez-de-chaussée,etalla s’asseoirdans lecanapé.Charles-Edouard

pritplaceàcôtéd’elleetlaregardadanslesyeux.—Jesuisvenutedireenpersonnequejesuisunhommelibre.Pendanttrenteans,tuasrefusédeme

prendreausérieuxsousprétextequej’étaismarié,ettoiaussi.Maintenantjenelesuisplus,oudumoinsjeneleseraiplusdanspeudetemps.Elleveutépousercetidiot,etçam’estégal.Celafaitdesannéesquejenel’aimeplus.Marya,jesuistombéamoureuxdetoiaupremierregard.Etjenetelaisseraiplusrepoussermesavances.Jet’aime.Tuesunefemmemerveilleuse,etungrandchefcuisinier.Tuesaussilaseulefemmequejeconnaissepourquij’aienvied’êtrefidèle.Jenepartiraipasd’icitantquetun’auraspasacceptédem’épouser.Voilàcequejesuisvenutedire.

Surcesmots, il l’embrassa.Etourdie, lesoufflecoupé,ellenesutquerépondre.Puisellesemitàrire.

—Charles-EdouardPrunier,tuescomplètementfou.Fouàlier.Jet’adore,moiaussi,maisjeneveuxpasmeremarier.Anotreâge,onnesemariepas.Jeseraislariséedetoutlemonde,ettoiaussi.

Soncœurpalpitait,elleétaitémue.Elleavait toujourséprouvéunegrandetendressepourCharles-Edouard,toutens’interdisantdetomberamoureusedelui.Etaujourd’hui,lesobstaclesavaientdisparu.

—Jem’enmoque,riposta-t-ilavecunregardardent.L’amourn’apasd’âge.Tupourraisavoircentans, çameserait égal.Tuavais trenteansquand je t’ai rencontrée, et jen’ai jamaiscesséde t’aimer.Maisjen’aipasenvied’attendretrenteansdeplus.

Ill’embrassadenouveau.Malgréelle,elleluirenditsonbaiser,etlessentimentsqu’elles’efforçaitd’ignorer depuis si longtemps firent surface. Elle avait pourtant profondément aimé son mari de sonvivant.

ElleposasurCharles-Edouardunregardconsterné.—MonDieu,qu’allons-nousfaire?—Cequ’ilconvientdefairedanscegenredesituation.Nousmarier.Maryaéclataderire.—Certainementpas.—Ohquesi,rétorqua-t-il.Jenerenonceraipas.—Tuesfou.Jepersisteàdirequenoussommestropvieux.—Pasdutout.D’ailleurs,jeveuxavoirunbébéavectoi.Elleritdeplusbelle,etilajouta:—Oubienécriredeslivres.Oufairecequetuvoudras.Pourtoninformation,j’aidécidédelaisser

la maison de Ramatuelle à ma femme, ainsi que notre appartement parisien. Je n’ai jamais aimé lequartier.Jepréfèreallerailleurs.J’achèteraiunbelappartementpourtoi.

—Attendsuneseconde.Calmons-nous.Tuparlessérieusement?Décontenancée,elleneparvenaitpasàvoirs’ilplaisantaitounon.—Crois-tuquejeseraisvenufairelepieddegruetouslesjoursdelasemainesurleperron,sans

raison?J’aiattenducemomenttoutemavie,Marya.—Situparlessérieusement,alorsj’aibesoindetempspourréfléchir.Jenesuispassûredevouloir

memarier.—Pourquoipas?Nemerépondspasquetuestropvieille.Jerefused’entendrecettebêtise.— Je ne crois pas que nous ayons besoin de nousmarier. Tu es français, et les Français ont des

aventures.Nouspourrionsavoiruneaventurependanttrenteans.Ceseraitpeut-êtresuffisant.

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—Quoi?Cen’estpasdutouttongenre,répliqua-t-il,faisantmined’êtrechoqué.—Jenesaispas.J’aiatteintunmomentdemavieoùcelameditbien.Elle qui n’avait jamais eu l’intention de vivre avec un autre homme que sonmari se retrouvait à

parlermariageetaventures!—Nouspourrionsessayerquelquetemps,etvoircommentçamarche?suggéra-t-elleavecleplus

grandsérieux.Jenetienspasàépouserunhommequimetrompera,etjesaisbienquetuasvécucommeçatoutetavie.Tun’asjamaisétéfidèleàArielle.

—Cesontmesparentsquim’ontpousséàl’épouser.Ellenem’aimaitpasnonplus.Etjetefaislapromessesolennellederesterfidèle.

Ilparaissaitsincère,maisellen’étaitpassûrequ’ilsoitcapabledetenirparole.—Prouve-le-moi.Situesfidèle,situnetrichespas,jet’épouserai…peut-être.Ellejouaitlescoquettes,ettrouvaitcelaabsolumentdélicieux.Apresquesoixanteans,untrèsbeau

Françaisluidéclaraitsaflammeetlademandaitenmariage.Cetteidéecommençaitàluiplaire.—Quiferalacuisine,sinousnousmarions?demanda-t-elleavecunsourireencoin.Laquestionlefitréfléchir.—Touslesdeux.Nouslaferonsensemble,finit-ilparrépondre.—Maisquiserasecond?Toioumoi?—Toi.Tuesunefemme.—Tuesterriblementmacho!s’exclama-t-elle,ravie.Elles’amusaitbeaucoup,etluiaussi.Ellesesentaittrèsjeune,toutàcoup.Cesoir-là, il l’invitaàdîner,et ilsparlèrentde leursprojets.Allaient-ilsvivreàParisouàNew

York?Ilsdécidèrentqu’ilspréféraientlacapitalefrançaise.Maryaavaiteutoutesavieenviederésiderlà-bas.Charles-Edouarddéclaraqu’ilsachèteraientunappartementsurlarivegauche,danslesixièmeouleseptièmearrondissement.

Surlecheminduretour,ilsn’avaienttoujourspasréglélaquestiondumariage.Maryatenaitvraimentà tester sa fidélité, etCharles-Edouardn’avaitaucuneexpériencedanscedomaine ! Il fallait àMaryaquelquesmois pour voir s’il pouvait changer de comportement. Si c’était le cas, elle laissa entendrequ’ellepartiraitàParisavec luivers lafinde l’année,et ilsdécideraientensuites’ilssemariaientounon.Charles-Edouard lui proposadepasser quelquesmois àNewYork avec elle. Ils enprofiteraientpourécrireleurlivre.

Ensuite, tout se passa très naturellement. Ils allèrent jusque dans la chambre, leurs vêtementsdisparurent comme par enchantement, et ils se retrouvèrent dans les bras l’un de l’autre. Ils eurentl’impression d’avoir été ensemble toute leur vie, et de pouvoir le rester pendant les cent prochainesannées.

Maryaeutl’exquisesensationderedevenirunetrèsjeunefille.

Des vacances en famille, c’était exactement ce dont Ian avait besoin cette année, et elles firentégalementuntrèsgrandbienàChris.Sonfilsputredevenirunpetitgarçoncommelesautres,quijouaitavecsescousinsetallaitnagertouslesjours.Ilpritdesleçonsdeskinautique,etsefitpleind’amis.Savie était si normale et insouciante qu’il en oublia presque que sa maman était en prison. Kimberlyl’appelaitunefoisparsemaine.Chrisredoutaitcescoupsdefil,carilsramenaientIanàlaréalité,etluirappelaientlesépreuvespéniblesqu’ilavaittraversées.MaisàVineyard,sesblessurescommencèrentàguérir.Cependant, lesconversationsentreChrisetsafamilleausujetdeKimberlyétaient toujourstrèsdésagréablespourlui.Sesparentsétaientd’avisqu’ilfallaitcomplètementretirerIanàsamère,mêmesicela signifiait le mettre en pension, ce que Chris refusait d’envisager une seule seconde. Ian étaitbeaucouptropjeune,etilentendaitgardersonfilsauprèsdelui.Sesparentsn’étaientpasd’accord.

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—Tuneluioffrespasunvraifoyer,déclarasévèrementsamèreunjour,aprèsledéjeuner.C’estunfait,mêmesijenecomprendspaspourquoituagisainsi.Tuvisdansunemaisonavecdescolocataires,commeunétudiant.Tuasunenfant,Chris,etsitun’espascapabledeluidonnerunfoyernormal,tudoisl’envoyerenpension.Oualors,prendsunappartementetunegouvernantepourveillersurlui.Plusilseraloindesamère,mieuxcelavaudra.Ilfaudraitqu’illavoielemoinspossible.

SiChrisétaitd’accordsurcedernierpoint,ilétaitfarouchementopposéauxautressuggestionsdesamère. Ian était son fils, pas celui de ses parents. Il était facile pour eux de critiquer, ce qui agaçaitd’autant plus Chris qu’ils ne s’investissaient pas personnellement dans l’éducation de leur petit-fils.Néanmoins ils pensaient avoir le droit de donner leur avis sur la façon dont Chris élevait Ian, etd’exprimerleurdésapprobation.

— Je ne vis pas en communauté, rétorqua-t-il vivement. Mes colocataires sont des personnesmerveilleuses et intelligentes, qui procurent à Ian une grande ouverture sur la vie. Bien plus quen’importequellegouvernantenesauraitlefaire.JemesuisinstallélàavantqueIanneviennevivreavecmoi,parcequejen’avaispasenviedeprendreunappartementetquejetrouvaiscelapluspratique.Etàprésent, je vois tout ce que ces gens apportent à Ian. Ce serait une perte pour nous deux, si nousdéménagions.

Samèrenefutpasconvaincueparsesarguments.—Toutcelaestunpeutropmodernepourmoi,dit-elleavecbrusquerie.Lesenfantsontbesoind’un

père,d’unemère,etd’unvraifoyer.Dansuncascommeletien,avecunemèrecommeKimberly,Ianestcertainementmieuxseulavectoi.Aconditionquetupuisseslefairevivred’unefaçonsaineetnormale,certainementpasdansunechambre,chezquelqu’und’autre.Jesuisdésolée,maisjenetecomprendspasdutout,Chris.Cen’estpascommesitun’avaispaslesmoyensd’avoirunappartementàtoi.C’estdelapure paresse de ta part, et c’est Ian qui payera les pots cassés, plus tard. Que peut-il raconter à sescamaradesà l’école?Commentexplique-t-il laprésencedecesgens?Tues tropvieuxpourvivreencolocation,Chris,tuasunenfant.

—J’ensuisbienconscient,mère,réponditChrisavecfroideur.Sonpèreluiavaitfaitlesmêmesremarques,àplusieursreprises.Ilprétendaitqueson«styledevie

alternatif»neconvenaitpasàunenfant.Ilsavaienttousdeuxdesidéestrèsconservatrices,etlefaitqueChrisloueunechambredansWestVillageetyfassevivreleurpetit-filsleursemblaittotalementdéplacé.Sonpère le traitaitd’irresponsable,et samèrene le jugeaitpasmieux. Ilnepouvait leurexpliquer lagentillesseetlessoinsattentifsqueFrancesca,MaryaetEileendéployaientenversIan.MêmeCharles-Edouard s’étaitmontré adorable avec lui. Ian ne vivait pas seul avec son père, il faisait partie d’unetribu.Chrisavaitlesentimentquec’étaitlemeilleurantidotecontretouteslessouffrancesquesamèreluiavait infligées.Parailleurs,personneneniait l’irresponsabilitépathologiquedeKimberly.Néanmoins,c’étaitlamèredeIan,lepetitgarçonl’aimaitetilavaitledroitdelavoir,tantquecelasepassaitdansdebonnesconditionsetqu’ilnecouraitaucundanger.

SesparentsauraientpréféréqueKimberlyneseremettepasdesonoverdose.IlspensaientqueIans’en serait trouvébeaucoupmieux s’il avait pu laisser tout çaderrière lui et passer à autre chose.Laréalitén’étaitpasaussisimple.

—J’espèrequeturéfléchirasàl’idéedelapension,répétasamèreenvoyantChrisserenfrogner.Il détestait ce genre de conversations avec ses parents. Ils se souciaient plus de ce qui était

«convenable»quedubiendel’enfant.C’estainsiqu’ilsavaientélevéleurproprefils,ettoutcequ’ilsavaientréussiàfaire,c’étaitdedonneràChrisunprofonddégoûtpourleurstyledevieettoutcequ’ilreprésentait.

Chrisavaitbeaucoupderespectpourlestraditionsfamiliales,ilappréciaitlesvacancesàVineyard,oùlafamilleseréunissait,toutesgénérationsconfondues.C’étaitpourcetteraisonqu’ilrevenaitchaqueannée.Enrevanche,ilnesupportaitpasquesesparentss’accrochentàleursidéesd’unautreâge,quine

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lui étaient d’aucune aide dans sa situation. Jamais il n’enverrait Ian en pension. Son fils avait nonseulementunpère,maisaussitouteunemaisonnéequisesouciaitdesonbien-êtreetluitenaitcompagnie.LesparentsdeChrisétaient loind’enfaireautant.Ilsaimaientrecevoir leurspetits-enfantsàconditionque leurs parents ou une gouvernante s’en occupent. Ils gardaient leurs distances, n’essayaient pasvraimentdecommuniqueraveceuxoudelesconnaître.Chrisn’avaitjamaisvusamèreprendreundesespetits-enfants dans ses bras. Et tout ce qui intéressait son père, c’était de leur demander comment ilstravaillaientàl’écoleetquelétaitleursportpréféré.

Chris n’avait jamais été proche d’eux. C’était même pour cette raison qu’il avait fini par quitterBostonpours’installeràNewYork.Ilétouffait.Sesparentsl’aimaient,maisilavaitétéprivédecontactsaffectifspendantsonenfance;ilnevoulaitpasqueIanvivelamêmechose.Ilcommettaitpeut-êtredeserreursdansl’éducationdesonfils,maisaumoinsilluidonnaitl’amouretl’attentiondontilavaitlui-mêmetellementmanqué.

Pour sesparents, ladignité et le standingde la famille avaient toujoursétéplus importantsque lebonheurdeleursenfants.Ilsn’avaientpasagiainsiparméchancetéoumêmeparindifférence.Ilsavaienteux-mêmesgrandi et vécu avec tant de contraintes, de conventions sociales et d’obligations, qu’ils nes’en libéreraient jamais. Ils continuaient de vivre comme les générations qui les avaient précédés,gouvernéspardesrèglesquinesignifiaientplusrienpourleurfils.

Adulte,Chrisn’avaitpluseuqu’uneidéeentête:échapperàtoutcela.Cequi,danssonmilieu,avaitfaitdeluiunrebelle,uninadaptésocial.Ilcontinuaitdevenirvoirsesparentspourlesvacancesetlesfêtes,maisils’arrêtaitlà.SonséjouràVineyardcetétéserévélaitparticulièrementépineux,sesparentssesentantautorisésà lui fairedesremarquessursavieetcelledeIan.SesproblèmesrécurrentsavecKimberlyfaisaientdeluiuneciblefacile.

Parfois,Chrispensait àFrancesca.CharlesStreet luimanquait.S’ilobtenait lagardecomplètedeIan,ilenvisageaitdeprendreunappartement,maisilcraignaitquesonfilsetluinesesententtrèsseuls.MaryaetFrancesca,deuxvéritablesbaby-sitters,s’occupaienttendrementdeIan.EileenétaitaussipourIanuneamieaffectueuse,mêmesiChrisavaitdesréservesàsonsujet.Quoiqu’ilensoit,ilstrouvaienttousbeaucoupd’avantagesàvivreainsiensemble.

Chris n’avait pas de nouvelles des trois femmes, mais il espérait qu’elles se reposaient tout enprofitantdeleursvacances.SavisiteauxparentsdeKimberlyàNewportfutuneétapedéplaisante.Ilnesupportapasdelesentendreselamentersurlesortdeleurfille.Sonpèrefaisaittoutsonpossiblepourlafairesortirdeprison,sanssuccèsjusque-là.Ilsparlaientd’elleàIancommed’unesainteetmartyre.

Iansavaitquesesparentsnes’entendaientpasetilavaitdevinéqueChrisn’aimaitpaslesparentsdesamaman. Il savait aussique sesgrands-parentspaternelsn’aimaientpasKimberly.Tout lemondeenvoulaitàquelqu’un,etcelaneluiplaisaitpasdutout.

IlparlaittrèssouventdeFrancescaetdeMarya,etquelquefoisd’Eileen.Quandonluidemandaitquielles étaient, il répondait qu’elles étaient ses amies. Il confia àChris qu’il lui tardait de rentrer pourmangerdenouveaulespancakesdeMaryaenformedeMickeyMouse.IlsrirentenpensantàCharles-Edouardetàsestoursdemagie.Iann’oublieraitpaslafoisoùilavaitlaissétombertouslesœufssurlesoldelacuisine.

Tout bien considéré, les vacances eurent l’effet escompté. Ian grandit de plusieurs centimètres, etChrisfinitparsedétendre.Bienqu’ilssoientmoinsprochesqu’autrefois,ilappréciaitlacompagniedeson frèreetde sa sœur,qui ressemblaientbeaucoupà leursparentsetn’avaient jamaisbrisé lemouledans lequel ilsavaientgrandi. Ianadorait lebateaudesesgrands-parents,unbeauvoilieravecquatrecabinesetunlargepontenteck.Ilpassaitpresquetoutsontempsàbordencompagniedesescousins.Chris savaitqu’il allait bientôtdevoir recommencer à sebattrepour lagardede son fils. Il étaitbiendécidéàremporterlabataille.

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Francescapassaquelquesjoursdelibertéetd’insouciancedansleMaine.LesamisdeToddétaientmerveilleux.IlsnefirentjamaisallusionàToddniàsafiancée,venuslasemaineprécédenteetavecquiils avaient passé de bonsmoments. Ils appréciaient tout autant la compagnie deFrancesca, qui put sedétendre, s’amuser, etoublier lagalerie.Ellen’avaitqu’àpenser auventdans lesvoilesdubateau, àl’heuredudînerquiapprochait,àsapréférencepourlehomardoulesteak.Devraiesvacances.

Elle ne reçut pas un seul appel sur son portable, ni même de texto ou de mail. Son BlackBerrydemeurasilencieuxtoutaulongdecestroissemaines.Exactementcedontelleavaitbesoin.Toutefois,samère avait raison. L’année prochaine, il faudrait qu’elle innove. Finalement, c’était un peu bizarre depassersesvacancesaveclesamisdeTodd,etdemarcherdanssespas.ElleiraitenEurope.Ouailleurs,seule.Elleétaitpresqueprêteàfranchirlecap.

Alafinduséjour,Francescaremercialonguementseshôtes.Ellepritl’avionàBangorpourBoston,oùellefitescaleavantderegagnerNewYork.

Lorsquel’avionatterritàLaGuardia,sespenséesétaienttournéesversChrisetIan.Ilsétaientpartisdepuislongtemps,etilsluimanquaient.IlluitardaitderevoirlapetitefrimoussedeIan,etdeparleravecChris.CommentlamèredeIansupportait-ellesonséjourenprison?

Untaxilaramenaenville.Bronzéeetlescheveuxplusblondsquejamais,ellesesentaitheureuseetdétendue. Il luisemblaitêtrepartiedepuisdesmois,et lamaison luiparutdouilletteetconfortabledel’extérieur. Tout en faisant tourner la clé dans la serrure, elle se demanda si Eileen avait retrouvé unemploi. Il fallait espérer que l’été s’était bienpassé pour elle.Eileenn’avait répondu à aucunde sesmessages.

ApeineFrancesca fut-elle entréequ’elle éprouvaune sensation étrange.Tout semblait pourtant enordredanslamaison.Sansqu’ellesachepourquoi,lespoilsdesesbrassehérissèrentetunfrissonglacéluiparcourutledos.Saréactionluiparutstupide.Rienn’avaitchangédeplace,etcependantelleavaitl’impressiond’une présence.Elle appelaEileen, sans réponse.En se retournant, elle s’aperçut que laportede sa sallede séjour était ouverte et qu’unechaise avait étébrisée contre lemur.Elle se figea.Quelquechosen’allaitpas.Soninstinctlapoussaàfuir.Elleseprécipitaverslaported’entréeetseruadehors.Unefoissurleperron,elleinspiradegrandesboufféesd’air.Elletremblaitcommeunefeuille,sanspouvoirexpliquerpourquoi.

Uninstant,ellesongeaàappelerTodd,maisn’osapas.Nesachantversquisetourner,ellecomposale numéro de Chris pour lui demander conseil et se calmer. Son téléphone à la main, elle descenditl’escalierets’assitsurlapremièremarche.IlyavaitbeaucoupdebruitautourdeChrisquandilrépondit.C’estàpeinesiellel’entendait.Elleavaitl’impressionqu’ilsetrouvaitsurunterraindejeux,entouréd’enfants,cequin’étaitpasloindelavérité.Defait,illuiappritqu’ilétaitdanslapropriétéfamiliale,etquelanombreuseprogénituredesescousinsjouaitautourdelui.Ilparutcontentd’entendresavoix.

Ellesesentaitvaguementidiote,àprésent.Toutallaitsansdoutetrèsbiendanslamaison.Maisellenepouvaitexpliquerpourquoiunechaiseavaitétébriséedanslesalon,etelleavaittoujourslachairdepoule.S’agissait-ild’uncambriolage?Maisdanscecas,pourquoiEileennel’avait-ellepasavertie?

—J’aipasséd’excellentesvacances,commença-t-elle.Ettoi?—Formidables. Nous sommes descendus àNewport il y a quelques jours, et c’est notre dernier

week-endici.TunevaspasreconnaîtreIan.Ilmesureprèsdetroismètres!Francescasouritetinspiralonguementpourseressaisir.— Je suis désolée de te déranger, jeme sens un peu idiote de t’appelermaintenant.Mais je suis

rentréeàlamaisonilyacinqminutesetj’aieuunesensationbizarreenfranchissantlaporte.Celavatesemblerunpeudingue,maislaportedemonsalonétaitouverteetapparemmentquelqu’unafracasséunechaise.J’aitrouvéçatellementétrange,tellementinquiétantquejesuisressortieillico.Etmêmesijeme

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senscomplètementdébile,j’aipeurderetourneràl’intérieur.Imaginequ’ilyaitquelqu’un?Desintrus,descambrioleurs?Eileenn’apasl’aird’êtrelà.

L’alarme n’était pas branchée. Francesca n’avait même pas pensé à téléphoner à Eileen avant derentrer, une stupidité de plus. Et maintenant, elle se trouvait vraiment nulle d’appeler Chris à larescousse, comme une « demoiselle en détresse », une froussarde assise sur le perron de samaison.Cependantelleétaitterrifiée.

Chrisréponditsansunmomentd’hésitation:— Fie-toi à ton instinct. Ne retourne pas à l’intérieur. Et appelle les flics. Il y a beaucoup de

cambriolagesl’été.—Ilsvontmeprendrepourunefolle!—Ilvautmieuxpasserpourunefollequed’êtreagresséeparuncambrioleur.Rappelle-moiquand

ilsserontlà.—D’accord.Francescaraccrochaetappelalapoliceenexpliquantlasituation.Lespolicierspromirentd’arrivertrèsvite.Apeinecinqminutesplustard,unevoituredepatrouille

avecdeuxhommess’arrêtaàsahauteur.Francescaleurracontal’impressionbizarrequ’elleavaiteueenentrantetcequ’elleavaitvudanslesalon.Ilsluidirentd’attendreàl’extérieur.Ilsluidemandèrentsiquelqu’und’autrevivaitlà.Elledécrivitrapidementlesautresoccupantsetexpliquaqu’ilsétaientpartisenvacancesàl’exceptiond’Eileenquisetrouvaitpeut-êtreautravailencemoment,àmoinsqu’ellenedormedanssachambre,audernierétage.Elledécrivitégalementladistributiondespièces.

Lesdeuxpolicierspénétrèrentchezelle,visiblementsurleursgardes,lamainposéesurleurarme.De toute évidence, ils prenaient ses craintes au sérieux. Francesca eut envie de rappelerChris tandisqu’elle attendait, mais elle n’osa pas le déranger une nouvelle fois, de peur de passer pour unehystérique.Ilétaitplusqueprobablequelespoliciersnetrouventriend’autrequelachaisecassée.Ellesedétenditunpeu:pasdecoupsdefeu,pasdecambrioleurcherchantàfuirparlaporteoulafenêtre,c’étaiten touteprobabilitéunefaussealerteet lachaisedémolie lefaitd’uncopaind’Eileenquiavaitpétélesplombsaprèsavoirtropbu.

Vingtlonguesminutess’écoulèrentavantquel’undesdeuxpoliciersressorte.Ildescenditlentementlesmarches,etposasurFrancescaunregardindéchiffrable.Soncoéquipierétaitrestéàl’intérieur.

—Toutvabien?demanda-t-elleavecunsouriregêné,craignantdelesavoirdérangéspourrien.—Votre instinct ne vous avait pas trompée, répondit l’homme d’une voix grave. La locataire du

dernierétageestmorte.Eileen ?Oh,monDieu.Non, ce n’était pas possible. Francesca sentit le sol se dérober sous ses

pieds.Lepolicierluipritlebraspourlaramenerverslesmarchesetl’aidaàs’asseoir.Elleétaitsipâle,qu’il lui dit de pencher la tête entre ses jambes. Il fallut uneminute à Francesca pour reprendre sonsouffle.

—Ellenepeutpasêtremorte,murmura-t-elled’unevoixétouffée.Ellen’aquevingt-troisans.—Apparemment elle est décédée depuis aumoins trois jours. Elle a été violemment battue, puis

étranglée.Nousnesavonspasencoresielleaétéviolée,maisc’estpossible.Elleestnuedanssonlit.Avait-elle un petit copain ? Un ex-mari ? Visiblement, ce n’est pas l’œuvre d’un inconnu ni d’uncambrioleur. Presque rien n’a été touché dans la maison. Nous n’avons trouvé que deux chaisesrenversées.

Francescalecontemplait,lesyeuxécarquillés.—Elleavaitunpetitamitrèsviolent,maisilsavaientrompu.Ill’avaitbattueàdeuxreprises.Jesuis

partieenvacancesilyatroissemaines,etjecroisqu’ellenel’avaitpasrevudepuislemoisdejuin.Jene saispas…Jepensequ’ellenem’apas toutdit.Cedoit être lui qui a fait ça…oubienunhommequ’ellearencontrésurInternet…ellesurfaitbeaucoupsurlessitesderencontre…

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L’homme avait sorti un calepin et prenait des notes. Le deuxième agent avait appelé des renforts.Troisvoituresdepoliceetuneambulancearrivèrentpendantqu’ilsparlaient.

—Vousconnaissezlenomdupetitami?interrogealepolicier,tandisquelesautress’engouffraientdanslamaison.

—Brad.BradTurner.C’étaitvraimentunsaletype.—Voussavezoùiltravaille?—Non.Toutcequejesais,c’estqu’ilestmécanicienmoto,etqu’ilabeaucoupdetatouages.—Seriez-vouscapabledelesdécrire?Francescafermalesyeux,tentantdeseconcentrer.Elletremblaitdetoussesmembres,etavaitenvie

devomir.— Un aigle… une rose… un gros serpent sur un bras… une espèce de truc chinois… je ne me

souvienspasdesautres.Ellerouvritlesyeux,obsédéeparl’idéequeEileenétaitmortelà-hautdanssachambre.Lepolicierlaregardad’unairnavré.—Jesuisdésolé,maisquelqu’undoitidentifierlecorps,pourquenoussoyonssûrsquec’estbien

elle.Vouspensezpouvoirlefaire?Francescafuteffarée.—Jesuisobligée?EllenevoulaitpasvoirEileencommeça.Ellen’avaitencorejamaisvudemort.—Nousnevoudrionspasfaired’erreursurl’identitédelapersonne.Francescahochalatête,etvituneautrevoituredepolicearriver.Samaisonétaitdevenueunescène

decrime,etgrouillaitdepoliciers.Celuiqui l’avait interrogéeentraun instantdans lehall, etelleenprofitapourrappelerChris,tenantletéléphoned’unemaintremblante.

Celui-ciréponditimmédiatement.—Francesca?Alors,qu’ont-ilsdit?Lavoieestlibre?Unlongsilences’écoulaavantqu’elleparvienneàarticulerunmot.—Eileenestmorte,Chris.Elleaétébattue,étranglée,etpeut-êtreviolée.Ilsl’onttrouvéenuedans

sonlit.ElleadûrevoirBradaprèsmondépart.Oubienquelqu’und’autreaussidangereuxquelui.Chrisgardalesilenceunmoment,letempsd’amortirlechoc.—C’estaffreux.—Cen’étaitqu’uneenfant. Ilsveulentque j’identifie lecorps. Jenesuispassûred’yarriver. Ils

disentquecen’estpeut-êtrepaselle.Ellevoulaits’accrocherencoreàunfiletd’espoir.Chrisnedoutaitpasunesecondequ’ils’agissait

d’Eileen,etaufondd’elle-mêmeFrancescan’endoutaitpasnonplus.—Veux-tuquejereviennetoutdesuite?proposaChris.Jepeuxêtrelàenquelquesheures.—Non,nefaisrien.Celaneserviraitqu’àperturberIan.Quandavais-tuprévuderentrer?—Danstroisjours.Maisjepeuxécourtermonséjouretarriverdemain.Jecroisquetunedevrais

pasresterseule.—Iln’estpasquestionquejedormeici.J’iraiàl’hôtel.— Je suis désolé que tu sois obligée d’identifier le corps. S’ils peuvent attendre un peu, jem’en

occuperaiàmonretour.Celanel’enchantaitpas,maispourFrancesca,ill’auraitfait.—Non,celanepeutpasattendre,ilsdoiventavertirsesparents.Son père ne serait probablement pas attristé par la nouvelle.Mais Eileen avait unemère et cinq

frèresetsœurs,quidevaientêtremisaucourant.ElleavaitdonnélenumérodesamèreàFrancesca,aucasoùelleauraiteuunaccident.

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Deux des policiers sortirent à cemoment et lui proposèrent d’entrer dans lamaison, si elle s’ensentait la force. Ils avaient allongé le corps sur un brancard et l’avaient recouvert d’un drap et d’unecouverture, avant de le descendre dans le hall. Ils demandèrent à Francesca si elle était prête. Elleacquiesçad’unsignedetêteenagrippantlamaindel’agentàcôtéd’elle.Celui-ciluipassaunbrasdansledospourlasoutenir.

L’undespoliciersrabattitledrap.C’étaitbienEileen.Sonvisageétaitréduitenbouillie,maisellelareconnutsansdoutepossible.Ellehochalatête,etilsemportèrentlebrancard.

Francescaselaissatombersurlesol.Onl’emmenadansl’unedesvoituresdepolice.Ellesongeauninstant demanière absurde que les voisins devaient croire qu’on venait de l’arrêter.On lui offrit unebouteilled’eau.EllepleuraitàchaudeslarmesquandellerappelaChris.

—C’estelle.Ill’atellementbattuequ’elleestdéfigurée.— Je suis vraiment navré, Francesca. Je vais laisser Ian ici avec ses cousins et revenir en ville,

qu’enpenses-tu?Jen’aimepastesavoirseule.—Merci,parvint-elleàmurmureravantdecouperlacommunication.Ellesepenchaàl’extérieuretvomit.Les policiers emmenèrent Francesca au commissariat, et prirent sa déposition. Ils exécutèrent un

portrait-robot deBrad sur ordinateur selon sa description, et lancèrent un avis de recherche. Ensuite,après être allés chercher le numéro de téléphone dans le bureau de Francesca, ils appelèrent lamèred’Eileen.Puislamaisonfutmisesousscellés.

Lamèred’Eileenvoulaitquesafillesoitincinérée,etsescendresenvoyéesàSanDiego.Iln’yauraitnienterrementniservicereligieuxàNewYork.Eileenn’yavaitpasd’amis,endehorsdeshabitantsdelamaisonetdeshommesdénichéssurInternet.Cetteobsessiondesrencontresenligneavaitfiniparlatuer.Francescaseditques’iln’yavaitpaseuBrad,celaauraitétéunautre.Lajeunefemmeprenaittropderisques.

Francescanepouvaitcroireque l’adorable jeune filleauxnattes roussesetaux tachesde rousseurétaitmorte.Elleseremémoralejourdesondépartenvacances:Eileenluifaisaitsignedelamainsurleseuildelamaison.

LespoliciersemmenèrentFrancescaàl’hôtelGansevoort.Ellepritunechambreets’assitsurlelit,tremblante.LorsqueChrislarappela,illuisemblaqu’uneéternités’étaitécoulée.Elleavaitperdutoutenotion du temps.Chris venait d’arriver àNewYork, et voulait savoir où elle se trouvait.Quand elleouvritlaportepourlelaisserentrer,elles’effondraenlarmesdanssesbras.Illatintserréecontreluiavantdes’asseoiravecellesurlelit.

—Quelleidiote,cettegamine.Cefuttoutcequ’ilparvintàdire.Ilétaitàlafoistristeetfurieux.CequiétaitarrivéàEileenaurait

aussibienpuarriveràsonex-femme.Unjour,onlaretrouveraitmorteavecuneseringueplantéedanslebras,etIanseraitravagéparlechagrin.Ildétestaitcesfemmespourlesrisquesqu’ellesprenaient,lemalqu’ellesfaisaient,lescœursqu’ellesbrisaient,etleslarmesqu’ellesfaisaientcouler.

Francescas’endormitcettenuit-làdanssesbras.Ilrestaallongéàcôtéd’elle,l’enlaçantcommeillefaisait avec Ian quand celui-ci avait du chagrin. Le lendemainmatin, la police appela Francesca. Ilsavaient retrouvéBrad.Ses empreintes correspondaient à celles retrouvées sur la scène du crime.DestestsADNallaient être pratiqués,mais toutes les pièces du puzzle semettaient en place.Les preuvesconcordaient.

BradavaittuéEileen.

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14

Francescaseréveillagroggy,lesidéesconfuses,etavecl’impressionqu’ils’agissaitd’unmauvaisrêve.Elles’étaitendormietouthabillée.Ellesetournasurlecôté:Chrisétaitallongéàcôtéd’elle,maisilnedormaitpas.

—Est-cequej’airêvé?Ilsecoualatête.Non,cen’étaitpaspossible.Celanepouvaitpasêtrevrai,cen’étaitpasjuste!Eileenétaitmorte.

Son addiction à Internet l’avait tuée.Ou plutôt c’était sonmanque épouvantable de discernement, sonattirancepourleshommesviolents,etsonaccoutumancedepuisl’enfanceàlamaltraitance.L’ensembledecesfacteursavaientcontribuéàsafintragique.

Tout le monde connaissait des tas de gens bien qui s’étaient rencontrés en ligne, étaient tombésamoureuxets’étaientmariés.Maisparmieuxsecachaientquelquesfousdangereux,dontBrad.Eileen,trophabituéeàlaviolencepourmettreleholààcetterelation,étaitretournéeversluiunedernièrefois.Unefoisdetrop.

Chriss’étaitrenseignéaupostedepolice.Brad,toujoursengardeàvue,étaitsuspectédemeurtre.Les policiers voulaient queChris et Francesca aillent l’identifier aumilieu d’autres délinquants, pourpouvoir l’inculper le lendemain.Les testsADNétaientencours, afindevérifier s’ils correspondaientauxparticulesprélevéessouslesonglesd’Eileen.Danstroisjours,ilsauraientdesrésultatspartiels.

Lecorpsd’Eileenétaitàlamorgue.L’incinérationn’auraitlieuqueplusieursjoursaprèsl’autopsie.Le cœur au bord des lèvres, Francesca se demanda si tout cela avait vraiment de l’importance,désormais.Quoiqu’onfasse,celane ramèneraitpasEileenà lavie.C’étaitunepauvreenfantperdue.Francescapensaauxmarionnettesdepapiermâchéqu’elleleuravaitfaitconfectionneravecIan.Puislascènedelaveille,aumomentoùelleavaitdûreconnaîtrelecorps,luirevintàl’espritetellepartitdansla salledebains, enproieàuneviolentenausée.Elleétait agenouillée sur le soldecéramiquequandChrisvintlarejoindre.Illuicaressaledosetimprégnad’eautièdeuneserviettedetoilette.

—Jesuisdésolée,murmura-t-elleens’essuyantlevisageaveclaserviette.Chrissecoualatête,l’airaccablé.—Lesviolencesphysiquessontunechoseépouvantable,maislaviolencepsychologiqueestpresque

aussigrave,etellecréeaussiunedépendance.Lavictimeresteavecsonbourreau,oubienrevientverslui,dansl’espoirderenverserlavapeuretdeleconvaincrequ’elleestquelqu’undebien.Maisellenerécoltequedesreproches.Etparfois,ellesefaittuer.Eileenn’étaitpasassezforte,niassezéquilibréejesuppose,pourrefuserderevoirBrad.

Francesca retourna s’allonger sur le lit. Il lui semblait qu’elle n’aurait plus jamais la force de selever.Elleavaitenviederester làpour toujours,avecChrisqui luicaressait lescheveux,assisàcôtéd’elle.

MaryaetCharles-Edouardrevenaientjusted’unepromenadematinalequandChrisappelaMaryasursonportable.L’appareilétaitposésur sonbureauetelleprit tout son tempspour répondre.Encoreenmodevacances,ellen’attendaitpasd’appel important,etvoulaitprofiterpleinementde laprésencedeCharles-Edouard.Elleeutlasurprised’entendrelavoixdeChris.

—Bonjour,Marya,dit-ild’unevoixrauqueetmorne.

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Il n’avait pas beaucoup dormi. Il avait consacré la plus grande partie de la nuit à Francesca, quis’étaitréveilléeàdenombreusesreprises,enlarmes.Ilétaitàlafoistristeetfatigué.

—Quellebonnesurprise!s’exclamajoyeusementMarya.CommentvaIan?Oùêtes-vous,touslesdeux?

—JesuisàNewYorkavecFrancesca,réponditChris.IanesttoujoursàVineyard.Jevaisretournerlechercherdansunjouroudeux.

—Quelquechosenevapas?Francescaaunproblème?MaryatrouvaitbizarrequeChrissetrouveavecelle.Etletondesavoixl’inquiétait.Iln’avaitpas

l’airdanssonassiette.—Elleestrentréehier.Etjesuisdésolédet’appelerpourt’annoncerunemauvaisenouvelle,maisil

s’estpasséunechoseterribleàlamaison.Eileenaététuéeilyaquelquesjours.ProbablementparBrad.—Oh,monDieu!C’estaffreux!DeslarmessurgirentinstantanémentdanslesyeuxdeMarya.—C’estFrancescaquil’atrouvée?Elleespéraitquenon.—Non.Elles’estaperçuequequelquechosen’allaitpasdèsqu’elleafranchileseuil.Alors,elle

m’atéléphoné,etjeluiaiconseilléd’attendredehorsetd’appelerlapolice.CesontlespoliciersquionttrouvéEileen,mortedanssachambre.Bradl’avaitbattueetétranglée.Ilestengardeàvue.

IlneditpasàMaryaqueFrancescaavaitdûidentifierlecorpsd’Eileen.Allongéesurlelit,lesyeuxfermés,Francescaécoutaitleurconversation.Elleétaitd’unepâleurextrême.Chrisluitenaitlamain.

—Veux-tuquejeviennevousrejoindre?Nouspourrionsêtrelàdansquelquesheures.Chris trouva le « nous » curieux,mais il mit cela sur le compte de la confusion et de l’émotion

causéesparl’annoncedelamortd’Eileen.—Tunepourraispasfairegrand-chosedeplus.Çavaaller,ajouta-t-il,bienqueniluiniFrancesca

n’ensoitpersuadé.—VousêtesàCharlesStreet?L’idéeenelle-mêmeétaitunpeuchoquante,maisMaryanevoyaitpasoùilsauraientpualler.—Non,nousavonsdormiauGansevoort,expliquaChris.Lapoliceleuravaitcommuniquélenomd’uneentreprisespécialiséedanslenettoyagedesscènesde

crime.Une fois qu’ils auraient recueilli toutes les preuves dont ils avaient besoin et photographié leslieux, l’entreprise viendrait faire disparaître toute trace dumeurtre. Si nécessaire, ils repeindraient lachambre.Uneéventualitéqui,apprirentChrisetFrancesca,étaitfréquenteencasdecoupsdefeu.

—Toutdevraitêtrerentrédansl’ordrelorsquetureviendras,Marya.Francescaavaitdécidécematinqu’ellenereprendraitpasunnouveaupensionnairepourremplacer

Eileen.Ellenevoulaitmêmeplusremettrelespiedsdanslestudio,carellecraignaitdenepouvoir lesupporter.

—Jesuisbouleversée,ditMarya.JeneveuxsurtoutpasdérangerFrancesca,maissijepeuxfairequoi que ce soit, appelez-moi.En casdebesoin, je peux sauter dans la voiture et être là enquelquesheures.Jevaisrentrerleplusvitepossible,detoutefaçon.Est-cequequelqu’unaprévenusesparents?

— Oui, la police s’en est chargée. Le corps sera incinéré après l’autopsie, et ils enverront lescendresàsafamille.Iln’yaurapasdeservicedefunéraillesàNewYork.

—Nouspourrionspeut-êtreorganiserunserviceentrenous,suggéraMarya.AprèsavoirdemandéàChrisdetransmettresonamitiéetsonsoutienàFrancesca,elleraccrocha.—Ques’est-ilpassé?luidemandaCharles-Edouard.—C’estEileen,lajeunefillequioccupaitledernierétagedelamaison.Elleaétéassassinéedanssa

chambre.Battueetétranglée.—Paruncambrioleur?

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—Non,ilspensentquel’assassinestunhommeaveclequelellesortait.Ilestengardeàvue,etilvaêtreinculpédemeurtre.

Laminedécomposée,Maryaselaissatombersurlecanapé.Charles-Edouards’assitàcôtéd’elleetluipassaunbrasautourdesépaules.Lapremièrejournéedeleurnouvelleviecommençaitdemanièreunpeutriste.Lanaissancedeleurrelationcoïncidaitaveclamortd’unejeunefemme.Lavierévélaitunefoisdeplussasaveurdouce-amère.Maisencetinstant,c’étaitl’amertumequidominait.

Marya leva lesyeuxvers soncompagnon,puis seblottit entre sesbras et laissa libre cours à sonchagrin.

IlsattendirentdesheuresaupostedepolicedelasixièmecirconscriptiondeWestTenthStreetquelaséance d’identification commence. Enfin, un groupe d’hommes d’apparence très différente fut conduitdanslasalle.Tousétaient tatoués.Unseulavait lescheveuxlongs.Troisd’entreeuxétaient interrogéspourdiversdélits,l’unétaitunpolicier,unautreétaitenlibertésurveillée,etledernierétaitBrad.Ilssetenaientdel’autrecôtédumiroirsanstainetsebalançaientd’unpiedsurl’autre,malàl’aise.ChrisetFrancescaidentifièrentBradsansl’ombred’undoute.Leshommesressortirentenfile indienne.C’étaitterminé.Bradseraitinculpédèslelendemain.

ChrisetFrancescarentrèrentàl’hôtelàpied,carilsavaientbesoindeprendrel’air.Pendantqu’ilsmarchaient,IanappelaChris.Celui-ciditàsonfilsquetoutallaitbien,etFrancescaluienvoyaquelquesbisous.Chrisavaitditaupetitgarçonqu’ilserendaitàNewYorkpoursontravail,etaussipouraiderFrancescaàfairedestravauxdanslamaison.Ilnevoulaitpasquel’enfants’inquiète,ets’imaginequ’ilsoitarrivéquelquechoseàsamèrependantsonséjourenprison.Ianétaittoujourssoucieuxpourelle.Ajustetitre,hélas.Chrisdoutaitfortquesonpèreparvienneàlasortirdecetteaffaired’homicide.

Selon les policiers, la maison serait complètement nettoyée vers le milieu de la semaine. Enattendant,ChrisetFrancescaavaientprévuderesterà l’hôtel.Chrisavait retenuunechambrepour luiavantdepartiràlaséanced’identification.Ilycoucheraitounon,seloncequesouhaiteraitFrancesca:ilétaitprêtàpasserletempsqu’ilfaudraitàsonchevet.

Ils firent un crochet pour éviter Charles Street, et Francesca se demanda si elle avait envie d’yretourner.Pourraient-ilsyrevivreenpaix?Oubiencemeurtreleshanterait-iltoujours?Ellen’avaitrienmangédepuislaveille,etChrisparvintàlaconvaincred’allerchezDaSilvanoprendreunplatdepâtes.Onlesservitàl’extérieuroùtouteslestablesétaientbruyammentoccupées,maisellenetouchapasàsonassiette.SespenséesrevenaientsanscesseversEileen.

Dans la chambre de Francesca, Chris alluma la télévision. Pendant qu’il regardait un match debaseball,Francescasecoucha.Ellefitunoudeuxcauchemars,selevapouralleràlasalledebains,etserendormitjusqu’aumatin.Chriss’assoupit touthabillédanslefauteuil,etoubliad’éteindrelepostedetélévision.

Ils se firent servir le petit déjeuner dans la chambre, et Marya téléphona pour prendre de leursnouvelles.Cette fois, elle parla avecFrancesca et elles pleurèrent ensemble.Maryane lui dit rien ausujetdeCharles-Edouard.Ilneluisemblaitpasconvenabled’annoncercettebonnenouvellealorsqu’ilsétaienttousenproieauchagrin.

— Veux-tu venir passer quelques jours à Vineyard avec moi ? suggéra Chris pendant leur petitdéjeuner.

—Jenecroispas.Jen’aipasenviedevoirdesgens.Etpuis,ilfautquejerouvrelagalerieetquejemeremetteautravail.

Celaluiprocureraitunedistractionfortbienvenue.Ellepouvaitaussiserendrechezsonpère,dansleConnecticut, si elle éprouvait le besoin de changer d’air. Avery et lui venaient tout juste de rentrerd’Aspen.

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Elle appela Avery dans l’après-midi pour lui raconter ce qui s’était passé. Sa belle-mère futhorrifiée.

—Cen’étaitpeut-êtrepasunesibonneidéequeçadeprendredeslocataires,enfindecompte,dit-elledoucement.

ElleétaitdésoléepourFrancesca,etcraignaitqu’ellen’éprouvedésormaisdelarépulsionpourcettemaison.Francescaruminaitceladepuisdeuxjours,maisellen’auraitsudirecequ’elleressentait.

—Quevas-tufaire?Vendrelamaison?Unetelledécisionpouvaitparaîtreradicale.Maiscontinuerdevivredansunlieuoùunejeunefemme

qu’ils aimaient avait été assassinée ne serait pas chose simple, pour aucun d’entre eux. A présent,Francescaavaittropdemauvaissouvenirsaccumulésdanscettedemeure.Averylaissaentendrequecelanevalaitpeut-êtreplustroplapeinedesedonnerautantdemalpourlaconserver.

PuiselledemandaàFrancescasielleavaitprévenusamère.—Pasencore,réponditlajeunefemmeensoupirant.A-t-ellebesoindelesavoir?Toutcequ’elle

fera,ceserademedirequ’elleavaitraisondepuisledébut,quec’étaitunetrèsmauvaiseidéedegarderlamaisonetdeprendredeslocataires,etellemepousseraàvendre.J’aibesoinderéfléchirseuleàcequejesouhaiteréellement.

—Laissefaireletemps.Ilestencoretroptôt.Amoinsquetunesoisabsolumentcertainedevouloirvendre.

—Jenesuiscertainederien.J’aimecettemaison,maiscequis’yestpassém’horrifie.Jen’arrêtepasdemedemandersi j’auraispuchangerlecoursdeschoses,oubiensi j’auraisdûmemontrerplusferme avecEileen.D’un autre côté j’étais sa logeuse, pas samère. Je nepouvais pas lui interdire derevoirBrad.Jepouvaistoutjusteluidemanderdenepasl’ameneràlamaison.Jeluirépétaisdesefaireaider et de laisser tomber les rencontres sur Internet.Eileen était plus tourmentéequ’il n’yparaissait.Chacundenousasoncombat,ilnefautpassefierauxapparences.Moi-même,jenemesuispasencoreremisedemonhistoire avecTodd.Maryan’apas surmonté lamort de sonmari, etChris sebat pourgardersonfils.

Surcesparoles,Francescaéclataensanglotsensongeantàlafinatroced’Eileen.Aulieudefuiràtoutesjambes,lajeunefemmeavaitcrupouvoirrestermaîtressedesonaddictionàBrad.Elleavaitpayédesaviesadépendance.

AveryrappelaàFrancescaquesoixante-quinzepourcentdeshommesquimenaçaientleurcompagnedelatuerfinissaientparmettreleurmenaceàexécution.

ChrisretournachercherIanàVineyardlejoursuivantenpromettantàFrancescadereveniraussivitequepossible.Francesca luiassuraqu’elleallait trèsbien.Elleouvrit lagalerieetgardasachambreàl’hôtelGansevoort.Elleyfit transporter lesvalisesqu’elleavait laisséesdans lehallde lamaisonaumomentdudrame.Lachambred’Eileenavaitéténettoyéedefondencomble,àlavapeur,etrepeinte.Lesmeublesavaientétéenlevés.Unefoisquelapoliceeutpassésesaffairesaupeignefinetpriscedontilsavaientbesoinpourleurenquête,toutfutentassédansdescartonsetexpédiéàSanDiego.

PourFrancesca,ledernierétagedelamaisonétaitbanni.Etmêmesicelasignifiaitqu’elleallaitêtreobligéedepayerseulelamoitiédel’emprunt,commeàl’époqueoùellevivaitavecTodd,ellenevoulaitpas d’un autre locataire pour remplacer Eileen. Resteraient au 44 Charles Street trois adultescélibataires,capablesdediscernement,quimenaientuneviesaineetnefaisaientpascourirderisqueauxautresniàeux-mêmes.Etquis’occupaientd’unpetitgarçonqu’ilsadoraient.

Francesca s’en voulait de ne pas avoir compris plus tôt, avant le drame, que Eileen étaitprofondémentblesséeparlavie.Peut-êtrequesiellen’étaitpasrestéeseuletoutl’été,elleseraitencoreenvie.

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Lapolicel’informaqueBradavaitétéinculpé.Lorsdesacomparutionautribunal,ilavaitplaidénoncoupable, sur le conseil de son avocat commis d’office. Il voulait un procès en bonne et due forme.Toutefois, lespolicierspensaientqu’il tenteraitdenégocieraveclejugepourobtenirunallégementdepeine en plaidant coupable lors du procès – les tests d’ADN pratiqués au début avaient prouvé saparticipationaumeurtre.LespoliciersexpliquèrentàFrancescaqu’ilfaudraitenvironunanavantqu’ilpasse en jugement, et que, jusque-là, il resterait derrière les barreaux sans possibilité de libertéconditionnelle.

Francescasongeaàl’ex-femmedeChris,quielleaussiétaitenprison,etattendaitsonprocès.Sesavocatsessayaientdenégociersaremiseenliberté,maisleprocureurnevoulaitpasenentendreparler.Elle était responsable de lamort du toxicomane avec lequel elle s’était shootée, et auquel elle avaitfourniladrogue.Ettoutcecidevantsonfils.IanavaitconfiéàChrisqu’illesavaitvussepiquer,etquecen’étaitpaslapremièrefois.Chrisavaitl’intentiondes’appuyersurcesfaitsgravespourdemandersagardeexclusive.IlallaitaussiexigerquelesvisitesdeIanàsamèresoientsupervisées,etaientlieuenterrain neutre.L’enfant ne devait plus se retrouver en tête à tête avec elle. Selon lui, il n’y avait plusd’espoirdelavoirrenonceràladrogue.

Francescafinitparréintégrerle44CharlesStreet.Inquietdelasavoirseule,Chrisl’appelaplusieursfois deVineyard.Sa voix était déprimée,mais elle le rassura en affirmant qu’elle allait bien.Elle nevoulutpasluiavouerqu’ellesesentiraitmieuxquandMaryaetluiseraientlà.Lefaitdeseretrouversanseuxdanslamaisonl’angoissait.

Marya cependant n’était pas pressée de revenir. Elle n’avait toujours pas annoncé à Francesca labonnenouvelleconcernantsavieamoureuse,carlemomentluiparaissaitmalchoisi.Elleétaitheureusedans leVermont avecCharles-Edouard. Ils apprenaient à se connaître dans une relation qui leur étaitinconnue jusque-là. Charles-Edouard avait déjà téléphoné deux fois à son avocat. La procédure dedivorceétaitenbonnevoie:safemmevoulaitqueleschosessefassentrapidement,afindeseremarieravecsonsecond.Elledemandait lamoitiédesbiensdesonmari,etaprès trenteansdeviecommune,Charles-Edouard trouvait cela juste. Il expliqua àMaryaque sonpatrimoine,mêmeamputédemoitié,restaittoutàfaitcorrect.Detoutefaçon,Maryanevoulaitriendelui.

Ellen’auraitjamaiscrurefairesavie.C’étaituneimmensesurprisepourtouslesdeux,quiexigeaitqu’ils s’adaptent à la nouvelle situation. Mais ils étaient sincères, flexibles, et tolérants pour leursexcentricitéspropres.Enoutre, ilsavaient lecœursur lamain,aimaient lavie,ets’aimaient.Charles-Edouardtenaittoujoursàsemarier,etnedésespéraitpasdeconvaincreMarya.Desoncôté,elletenaitabsolumentàcequ’illuiprouvequ’ilétaitcapablederesterfidèle.Aprèstrente-sixansdebonheuravecJohn,ellenevoulaitpasépouserunhommevolagenimêmepartagersaviehorsdesliensdumariage.MaisCharles-Edouardjuraitqu’illuiresteraitfidèleàjamais.

IlspassèrentplusieursjoursformidablesdansleVermont.Ilsmangèrentduhomard,etdesrepastoutsimplesdansdesaubergesdecampagne. Ilsallèrentaumarchéacheterdirectementauxproducteurs,etpréparèrentlacuisineàlamaison,tantôtensemble,tantôtséparément.Ilsessayèrentdenouvellesrecettespourleurlivre,récoltèrentdeslégumesdanslejardindeMarya,cueillirentdesfleursdeschamps,firentde longues promenades, se baignèrent dans le lac. Ils allèrent pêcher et cuisinèrent le produit de leurpêche, pataugèrent dans les cours d’eau, et firent l’amour tous les jours, ce qui stupéfiaMarya. Ellen’auraitjamaiscruqu’ilétaitpossibled’avoirunetelleviesexuelleàleurâge.Charles-Edouardavaitlecharmeet lavigueurd’unhommeplus jeune,et savait luiprouversa flamme.Maryas’épanouissaitdejourenjour,combléeparsesattentionsetparsonamour.

La seule ombre au tableau durant ces vacances fut la nouvelle de lamort d’Eileen.Marya en futprofondémentattristéeetserenditàl’égliseavecCharles-Edouardprierpourl’âmedelajeunefille.Lesyeuxmouillésdelarmes,elleallumaunciergeensouvenirdesajeunecolocataire.

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QuandMaryaetCharles-EdouardarrivèrentàNewYork,débutseptembre,aprèsleweek-enddelafêtedutravail,Maryaétaitbronzée,heureuse,etéclatantedesanté.LesyeuxbleusdeCharles-Edouardpétillaientdebonheur,etsonépaissetignassedecheveuxblancscontrastaitavecsonvisagehâlé.Devantle44CharlesStreet,ilssortirentducoffredespanierspleinsdefruitsetdelégumesfraisprovenantdujardin,etdumarchédesfermiersduVermont.Maryasoupiraencontemplantlafaçade.LavieallaitêtretrèsdifférentesansEileen,sajeunesseetsavitalité.

ChrisfutsurprisdevoirCharles-Edouard.Ilétaitévidentquecelui-ciavaitséjournédansleVermontavecMarya.Ilsallaientsibienensemble.C’étaitdommageque…

—Bienvenueàlamaison!s’écriaChris.Iansurgitdelacuisine,avecuncookie,etunemoustachedelait.Sonvisages’illuminaquandilvit

Marya,etilsejetadanslesbrasdeCharles-Edouard.—J’aiunœufdansl’oreille!cria-t-il,surexcité.Maisaulieud’unœuf,cefutunepiècedemonnaiequeCharles-Edouardfitsortirdel’oreilledupetit

garçon.—Tuvois,tuaséchangélesœufscontredel’argent,dit-ilenluidonnantlapièce.Puis il embrassa l’enfant et donnaune accolade àChris qui avait fini par s’habituer auxmanières

démonstrativesduFrançais.IanaidaCharles-Edouardàtransporterlespaniersdanslacuisine,etChrisenprofitapouravertirMaryaàmi-voixqu’iln’avaitpasencoreannoncéà Ian lamortd’Eileen. Il luiavaitseulementditqu’elleétaitretournéeenCalifornie.C’étaitundemi-mensonge,préférableàlavéritéqui aurait effrayé Ianau-delàde tout.Marya l’approuva, et le serradans sesbras ; ils échangèrentunregardpleind’affectionetdemutuellecompréhension.

—Comment s’estpassé tonété ?demanda-t-il.Nousnous sommesbienamusésàVineyard.Noussommesrentréslasemainedernière.

Ianetluiavaientbonnemine,etilsétaientaussibronzésqu’elle.Endehorsdelatragédiequis’étaitdérouléeici,lesvacancesavaientétébénéfiquespourtoutlemonde.

—NousavonspassédesvacancesmerveilleusesdansleVermont,déclaraMarya,lesyeuxbrillants.Etl’Europeesttoujoursaussiextraordinaire!Ilyaunmoisquejesuisrentrée,maisj’ail’impressionqueçafaituneéternité.

Riendanslamaisonnelaissaitpenserqu’undrameavaiteulieu.Lachambred’Eileenétaitferméeàclé. Francesca avait finalement acheté des meubles de salon, pour remplacer ceux que Todd avaitemportéshuitmoisauparavant.Lapièceétaitmaintenanttrèsconfortable,etelleavaitdécidédenepasvendreCharlesStreet,endépitdelamortd’Eileen.Ilyavaiteuunetragédie,maisilsdevaientcontinueràvivrenormalement.

Chrisavaitapprouvésadécision,et futaussi soulagé. Ianet luiétaientheureuxdanscettemaison.C’étaitunenvironnementaffectifparfait,etilnepouvaitplusimaginerlaviesansMaryaniFrancesca,desamiespour lui,etdes tantespourIan,qui leschérissait.Eileen luimanqueraitsûrement : ilaimaitqu’elleluilisedeshistoiresetqu’elleluiapprenneàfabriquerdesorigamis.

CommetoujoursquandMaryaétaitlà,ilsseréunirentdanslacuisine.Ellemitàréchaufferleveloutédechampignonsqu’elleavaitpréparélematinmêmedansleVermont,avantdepartir.Charles-EdouardcommençadestoursdemagieavecIan.Soudain,lamaisonfutdenouveaupleinedebonnesodeurs,decris,etderires.MaryaetCharles-Edouard,parleurvitalitéetleurénergie,faisaientfuirlesilence.

Quandelleouvrit laported’entrée à son retourde lagalerie,Francescaentendit les riresdans lacuisine. Le sourire aux lèvres, elle descendit l’escalier et vitMarya, qui cuisinait déjà, vêtue de songrandtablierblanc.Elleavaitmisunpouletaufourpourledîner.Charles-Edouarddisposaitunpâtédesacompositionsuruneassiette.Lorsqu’ilvitFrancesca,ilallalaprendredanssesbras,etl’embrassa.

—Aaah!Voilàlachâtelaine!s’exclama-t-il,enchanté.Le44CharlesStreetétaitloind’êtreunchâteau,maisc’étaitleurmaison,etilss’ysentaientbien.

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—Lebronzagetevatrèsbien,Francesca,ettescheveuxsontblondscommedel’or.TandisqueMaryas’affairait,Francescarangeaquelquesobjetssurl’étagère,puiselles’aperçutque

l’ordinateurde lacuisineavaitdisparu.Lespoliciers l’avaientemportécommepièceàconviction.Detoutefaçon,Eileenétaitlaseuleàs’enservir.

Ilsavaienttantdechosesàseraconterquetoussemirentàparlerenmêmetemps.C’étaitlapremièrefois,depuisqueFrancescaétaitrevenueduMaine,quelamaisonétaitaussianimée,etqu’ilyrégnaituneatmosphèreaussigaie.Chacunapportaitsapierreàl’édifice,commeunevraiefamille.

Tout à coup, Francesca remarqua que Marya et Charles-Edouard se comportaient différemment.Lorsqu’elledébarrassaavecMaryalesassiettesàsoupe,ellechuchotaàl’oreilledesonamie:

—Jemetrompe,oubienilsepassequelquechoseentreCharles-Edouardettoi?Lechangementétaitsubtil,maisilétaitbienlà.Chrisl’avaitremarquéégalement,maisilétaittrop

bienélevépouryfairelamoindreallusion.Maryaeutunsourireespiègleetréponditdansunchuchotement:—Safemmel’aquittépendantl’été.Elleademandéledivorce.Elleveutépousersonsecond.Francescaladévisageaavecstupéfaction.—Incroyable!C’estsérieux?Elleserenditcomptequ’elleavaitélevélavoixsanslevouloir,etreprituntonplusbas:—Vousallezvousmarier?—Jene saispasencore. Jevoudrais savoir s’il est capablede rester fidèleplusdecinqminutes

d’affilée.Maisenattendant,noussommesheureuxcommeça.Toutcelaesttrèsrécent.Iladébarquéchezmoi,dansleVermont,ilyaàpeinequelquessemaines.

Sesyeuxbrillaient,elleétaitbelleetavaitl’airjeune.Charles-Edouardlesregardaetdevinadequoiellesparlaientlorsqu’ellessemirentàriresouscape.Ilfitunclind’œilàMarya.

Quandellesrevinrents’asseoiretqueMaryaposalepouletsurlatable,ildemandaàFrancesca.—Maryat’amiseaucourant?Francescaacquiesçad’unsignedetête,etluisourit.Chrislesregarda,interloqué.—Jesuistrèsheureusepourvousdeux.C’estunenouvellemerveilleuse!Elleselevaetallalesembrassersurlesdeuxjoues,àlafrançaise.—J’aimanquéun truc?demandaChris,éberlué. Il s’estpasséquelquechoseentrevous,pendant

l’été?—Nous sommes amoureux.Ma femmea demandé le divorce, annonçaCharles-Edouard, les yeux

pétillantsdebonheur.—C’estmerveilleuxpourvous!—C’estarrivéquand?—DansleVermont,expliquaMarya.Charles-Edouardselevapourservirlechampagne.Ilsportèrentuntoastauxamoureux.Toutàcoup,Francescasentitsagorgesenouer.Ellelevadenouveausonverre.—AEileen.J’espèrequ’elleestplusheureuselàoùellesetrouveàprésent.Ilsburenttous,l’airsoudainplusgrave.— Pourquoi elle est retournée en Californie ? demanda Ian, d’une petite voix plaintive. Elle me

manque.Elleétaitsympa.— Oui, elle était très gentille. Mais parfois, les gens que nous aimons s’en vont, dit sobrement

Francesca.Ian hocha la tête et semit à picorer sonmorceau de poulet. La conversation revint surMarya et

Charles-Edouard,puissurcequ’ilsavaienttousfaitpendantl’été,etsurleursprojetspourl’automne.Ian entrait enCE2. Francesca avait un programme très chargé à la galerie, dont deux expositions

consacréeschacuneàunartiste.EllecomptaitaussiserendreàlafoireArtBasel,quisetenaitàMiami

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endécembre.Charles-EdouardetMaryaavaientleurlivreàterminer.Pour la première fois depuis des semaines, le quotidien retrouvait une certaine normalité. Eileen

n’étaitpasoubliée,etelleneleseraitjamais.Maislavieavaitreprissoncoursau44CharlesStreet.

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15

SurlademandeinsistantedeMarya,Francescainvitasamèreàdînerlasemainesuivante.Detoutefaçon, il était naturel qu’elle la voie à son retour d’Europe.Un dîner préparé parMarya et Charles-Edouardseraitl’occasionidéalepourseréunir.

Thalia accepta, enchantéede l’invitation.Elle avait passéunété fabuleux.Sansoublierdedonnerquelquesnouvellesà sa fille.Cequiétaitplutôt rare.Quandelleétait encompagniedesesamis,elleoubliaitgénéralementsafamille.Elleluiconfiaqu’elleavaitséjournépluslongtempsqueprévuàVenise,etqu’elles’étaitbeaucoupamusée.

EllevintdoncdîneretappréciagrandementlerepaspréparéparMaryaetCharles-Edouard.Elleneseprivapasdeflirteraveccedernier,maisavecmoinsd’ostentation.Cettefois,àlaplacedesarobecourteetdesestalonsaiguilles,elleavaitrevêtuunpullnoirsobreetunpantalondelamêmecouleur.Ilsenétaientàlamoitiédurepas,quandelledemandadesnouvellesd’Eileen.Francescaneluiavaitriendit.Unsilencepesants’ensuivit.

—ElleestretournéeenCalifornie,expliquaIanavecnaturel.ASanDiego.Personnenefitdecommentaire,maisFrancescaetMaryaéchangèrentunlongregard,queThaliane

remarquapas.—Alorsquelssontvosprojets,àprésent?s’enquit-elletandisqu’ilssavouraientunedélicieusetarte

auxpoires.Avez-vousdesvoyagesenvue?Moi,jecomptemerendreàGstaad,enSuisse,pourNoël.SesamisdeVenisel’avaient invitéeà lesretrouverdansleurchalet,situédanscettestationdeski

huppéeoùseretrouvaitlajet-setd’Europe.Thalias’yrendaitunefoisparan,etparfoisdeux.LeshabitantsdeCharlesStreetquantàeuxn’avaientpasencoreformédeprojets.Lesvacancesde

find’annéeleursemblaientàdesannées-lumière.Charles-EdouardetMaryamettraientladernièretoucheàleurlivrederecettes.Francescaseraittrèspriseparsagalerie,etChrisdevraitcomparaîtreàtoutuneséried’audiencesau tribunalafind’obtenir lagardedéfinitivede Ian.Toutefois, iln’ensoufflapasunmotdevantThalia.Cen’étaitpasuneperspectiveparticulièrementréjouissante.

ThaliaavaitremarquéunenouvelleintimitéentreMaryaetCharles-Edouard,etneputs’empêcherdequestionnerMaryaavantdepartir,quiadmitqu’elleavaitvujuste.

—Est-cequ’ilvadivorcer,oubienas-tusimplementfiniparcéderàsesavances?demandaThalia,aveccuriosité.

ElleavaitrencontréplusieurshommesmariésséduisantsàVenise,maisellen’aimaitpaspartager.—Safemmel’aquittépendantl’étéetademandéledivorce.J’aidelachance,ajoutaMaryaavec

simplicité.Avraidire,ellesesentaitlégèrementcoupabled’avoirtrouvéunhommesanslechercher.—Tupeuxledire,réponditThaliad’untonplaintif.Jenecomprendsvraimentpas.Tunevoulaispas

d’unhomme,maismoisi.Tuentrouvesun,etmoinon.C’estlemondeàl’envers!Maryan’osapasluidirequ’ellecherchaitsansdoutetrop.—Il fautcroirequec’est ledestin,déclara-t-elleavecdiplomatie.Tout finitpararriver.Ton tour

viendra,fit-elle,rassurante.—J’espèrequetuasraison.Thaliasoupiraenenfilant lavesteblanchequ’elleavaitachetéeàParis.Elleétaitcommetoujours

trèsélégante,etextrêmementapprêtée.Elleportaitunrangdeperles,desbouclesd’oreillesendiamants,etpasuncheveunedépassaitdesacoiffureimpeccable.Dequoiterrifierplusd’unhomme!

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—Je n’ai rencontré personne d’à peu près acceptable cet été.A Saint-Tropez, on ne trouve plusqu’un ramassis d’Européensminables et desRussesmal élevés.Enplus, ils ont tousdouze ansd’âgemental.EtailleursenEurope,tousleshommessontmariésettrompentleurfemme.

—Ilyasûrementunhommequit’attendquelquepart,réponditMaryad’untonapaisant.Francescaraccompagnasamèreàlaporte,etlamitdansuntaxi.Elleétaittoujourssoulagéedela

voir partir : sa présence lui causait un stress permanent,même siThalia semontrait agréable.Cequiavaitétélecascesoir.Samères’entendaittrèsbienavecMaryaetCharles-Edouard,etelleéchangeaitdespolitessesavecChris,cequirendaitsesvisitessupportables.Ilétaitplusfaciledelavoirdanscesconditionsquededîner en tête à tête avecelle, cequidonnaitgénéralement àFrancesca l’impressiond’êtretombéeentrelesmainsdel’Inquisition.

Ellepassaleweek-endsuivantdansleConnecticutavecsonpèreetAvery.Henrytravaillaitàunenouvelletoile,etpassaitleplusclairdesontempsdanssonatelier.CeladonnaàFrancescal’opportunitédefairedelonguespromenadesavecAvery,etdesedétendre.

Elleadoraitdiscuteravecsabelle-mère.Celle-ciluiouvraitd’autresperspectivessurlavie,etelleétaittrèsbienveillante.C’étaituneamieformidable.

—Commentvousremettez-vousdelamortd’EileenàCharlesStreet?demandaAvery.Francescasoupira,lecœurlourd.—Ellenousmanque.Eileenmettaitungrainde jeunesseetdefantaisiedansnotregroupe.Jen’ai

toujours pas annoncé sa mort à ma mère, et je pense que je ne le ferai pas. Elle m’accablerait dereproches,etlamortd’Eileenm’adéjàfaitassezdemalcommeça.

—Ettavieamoureuse?Elleenestoù?Averys’inquiétait.IlyavaitplusdehuitmoisqueToddavaitrompu,etFrancescanesemblaitfaire

aucuneffortpourrencontrerquelqu’un.—Nullepart.Jenecroisepersonned’intéressantdansmontravail.Lesartistesquejeconnaissont

décevants, imbusd’eux-mêmesetnarcissiques.Etlesclientsquimefontdesavancessonttoujoursdescrétins.Ceuxquisontbiensontdéjàmariés.

—Tuestropjeunepourrenoncer,protestaAvery.—Jene sais pas.Peut-êtrepas. J’aimerais avoir quelqu’undansmavie,mais je neveuxpasme

trompercommeavecTodd,etm’enrendrecomptecinqansaprès.Pourfinir,tuaslecœurbriséettuasperducinqans.Jetrouvecelaunpeutropcherpayé.

—J’aientendudirequeTodds’étaitfiancé.—Oui ! Il est très pressé de semarier et d’avoir des enfants.Dieu seul sait si la femmequ’il a

choisie est la bonne. Tout ce qu’il veut, c’est une poulinière pour la reproduction, et quelqu’un qu’ilpourraameneràlafêtedeNoëldesoncabinetd’avocat.Jenesuisnil’unenil’autre.

—Tuesunpeudure,fitgentimentremarquerAvery.ElleaimaitbienTodd.Maiselleavaittoujourspenséqu’iln’étaitpaslegenred’hommequ’ilfallait

àFrancesca,mêmeaudébut,quandilssecroyaientdestinésl’unàl’autre.Averyneletrouvaitpasassezcaptivantpoursabelle-fille.

—Jenesaispas,réponditFrancesca.Jenesaispluscequejeveux.Unartiste,oulecontraire,memarier,nepasmemarier,justevivreensemble,oumêmepas.Toutcelaestbigrementcompliqué;àmonâge,toutlemondeadéjàétééprouvéparlavie,paruneexpérience,etmoiaussi.

Elle pensait à Chris en disant cela. Celui-ci avouait être allergique à toute nouvelle relationamoureuse,etellen’étaitpasloinderessentirlamêmechose.

—Jemesenspeut-êtretropbientouteseule.Audébut elle s’était sentie désespérément esseulée, sansTodd.Cen’était plus le cas.Elle aimait

bienpouvoirfairecequiluiplaisait,sansêtreobligéededemandersonavisàquelqu’un.

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—Mes colocataires me tiennent compagnie, et Ian est l’enfant qui manquait à ma vie. J’ai mesartistespourmefairetournerenbourrique,commed’éternelsadolescentsautourdemoi.Pourquoiaurais-jebesoind’unhomme?

—Quandas-tufaitl’amourpourladernièrefois?demandaAverydebutenblanc.Tuneveuxtoutdemêmepasrenonceràça,àtrente-cinqans?C’estplutôtagréable.

—Oh,ça,réponditFrancescaavecunsourirepenaud.Celanememanquemêmeplus.Jen’ypensepas.Etl’avantage,c’estquejen’aimêmeplusbesoindem’épilerlesjambes.

—Commec’estséduisant!plaisantaAvery.Enréalité,sabelle-fillel’inquiétait.Francescas’étaitrepliéesurelle-même,ferméeaumonde.Illui

avaitfallupluslongtempsqueprévupourseremettredesaruptureavecTodd.Etdetouteévidence,cettedéceptionavaitétépourelleplustraumatisantequ’Averynel’auraitcru.Maisilestvraiquecinqansdeviecommunenes’effacentpasenunjour.Etlescomplicationsfinancièrespourgarderàlafoislagalerieetlamaisonl’avaientéprouvée.

—Pourtant, j’aienviedem’attaqueràdeschosesnouvelles.Cetteannée, jevaisme rendreàArtBaselàMiami.Justepourleplaisir,puisquejen’exposeraipas.Etl’étéprochain,jechoisiraiuneautredestination que le Maine. Je me suis beaucoup amusée cet été, mais cet endroit est trop chargé desouvenirs. Ce sont les amis de Todd que j’ai retrouvés, pas les miens. Je ne sais pas… L’annéeprochaine,j’iraipeut-êtreenEurope.Pasavecmamère,précisa-t-elleaussitôt.

Avery semit à rire.Thalia n’était pas une compagnede voyage légère, et des vacances avec elletourneraientrapidementaucauchemarpourFrancesca.

—Jeferaipeut-êtreunvoyageavecMarya,siellen’estpasmariéed’icilà,repritFrancesca.—Maryavasemarier?—C’estpossible.Ellen’apasencoreprissadécision.Charles-Edouardestamoureuxd’elle,et il

estentraindedivorcer.—Ça,c’est formidable. Ilsvont trèsbienensemble.Tuconnais ledicton,«àchaquemarmiteson

couvercle».Ilfautquetutrouvesletien.Leproblème,c’étaitqueFrancescanefaisaitrienpourledénicher.Etcen’étaitpaslePèreNoëlqui

allaitleluiapporterdanslacheminée!Avery ne se rappelait que trop tous les hommes avec lesquels elle était sortie avant Henry. Les

relations destructrices, les déceptions, les chagrins, et aussi les moments heureux. Avery avait voulurencontrerlebonpartenaire,aveclequelellepartageraitsavie.Ellen’avaitjamaisrenoncé.Elleavaitmiscinquanteanspourletrouver,maisdèsl’instantoùelleavaitposélesyeuxsurHenryThayer,elleavait su que c’était lui. Cela n’était pas encore arrivé pour sa belle-fille. Avery doutait que lacohabitationsoitunebonneidée:lespensionnairesdeFrancescaformaientunesorted’écranentreelleetla réalité, lui ôtant l’envie de rencontrer quelqu’un. Il était si facile de se contenter de vivre en leurcompagnie,sansrelationamoureuse.

Henrysortitàcemomentdelagrangetransforméeenatelier.—Comment vamon associée préférée ? demanda-t-il en embrassant sa fille. Sommes-nous enfin

riches?Francescasourit.—L’annéeprochaine,peut-être.Lagaleriemarchaitbien.Mieuxquel’annéeprécédente.Peuàpeu,Francescaconsolidaitsonaffaire,

et celle-ci commençait à faire des bénéfices. Pas encore très importants, mais suffisamment pour luidonnerdel’espoir.

AvantdequitterleConnecticut,Francescapromitàsonpèreetàsabelle-mèredelesinviter,unsoiroùMarya et Charles-Edouard auraient préparé un de leurs fabuleux dîners. Son père fut enchanté. Il

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trouvaitqueCharles-Edouardétaituntypeextraordinaire.IlaimaitaussisescigaresdeCuba,mêmesiAveryfaisaitlamoueenlevoyantfumer.

Francescapensaàeuxsur lecheminduretour.Unefoisdeplus,Avery l’avaitaidéeàyvoirplusclair.Ellesongeaàl’imageducouverclequ’elleavaitemployée.Leproblème,c’étaitqu’ellenesavaitplustrèsbienelle-mêmequielleétait.Danscesconditions,ilallaitêtredifficiledetrouverlecouvercleadapté!Elleavaitl’impressiond’avoirbeaucoupchangécetteannée,depuissaruptureavecTodd.Ellesesentaitplussûre,etelleétaitplusépanouiesansluiqu’aveclui,cequiendisaitlongsurleurrelationet sur elle-même. A présent, elle n’était plus unemoitié de quelque chose,mais une personne à partentière.Celaluiavaitfaitdubiend’avoirdeslocatairesetdedevoirs’adapteràleurstyledevie,ellequi,filleunique,n’avaitjamaiseuàsesoucierdesautreslorsqu’elleétaitjeune.Elleavaitdel’affectionet du respect pourMarya etChris – pourtant tous trois avaient des personnalités très différentes –, etc’étaitunplaisird’avoirIanàlamaison.C’étaitlapremièrefoisqu’ellevivaitdansunetelleproximitéavecunenfant.Elleneredoutaitplusautantd’enavoirelle-même,s’ilsdevaientêtreaussimignonsquelepetitgarçon.Maisellen’avaitaucunegarantiesurcepoint,naturellement,carIanétaitleplusadorabledesenfants.

Enarrivantàlamaison,elleentenditdubruitàlacuisine,commedesseauxquis’entrechoquaient.Elledescenditvoircequisepassaitetdécouvritlapiècenoyéesousvingtcentimètresd’eau.Piedsnus,coifféd’unpanamaetvêtud’unshort,Charles-Edouardagitaitsoncigareendonnantdesordres.Maryaavaitenfilédesbottesencaoutchoucetessayaitd’éponger,l’aireffondré.Latableetleschaisesétaientreléguéesdanslejardin,jonchéesd’objetsdetoutessortessauvésdeseaux.Ensweat-shirtetmaillotdebain,Chrispataugeaitsousl’évier,tentantsanssuccèsd’identifierletuyauresponsabledel’inondation.

— Oh merde ! s’exclama Francesca en ôtant ses chaussures et en remontant son jean pour lerejoindre.Qu’est-cequejepeuxfaire?

Chrisluilançauncoupd’œilpar-dessussonépauleetsourit.Francescasesentitcoupabledenepasavoirétélàquandlacatastropheavaiteulieu.C’étaitexactementcegenredesituationqueTodddétestaitdanscettemaisonancienne,et laraisonpourlaquelleilavaitvoulus’endébarrasser.Charles-Edouardremplit unverre devin, et le tendit àFrancesca.Une fête improvisée aumilieududéluge ! Ian et luisemblaients’amusercommedesfous.Ilsétaientbienlesseuls!

—J’aipucouperl’eau,expliquaChris.L’inondationaeulieualorsquetoutlemondeétaitsorti,etçaadûcouler toute la journée.Il faudrafairevenirquelqu’unpourassécher lesoldemainmatin,puisappelerunplombier.Jecroisque,cettefois,leproblèmeestau-dessusdemescapacités.

Iansautadelapremièremarchedel’escalier,etatterritdansl’eauenéclaboussanttoutautourdelui.—Cool!s’écria-t-il,toutjoyeux.Chrisfronçalessourcilsetluiordonnad’arrêterouderemonterdanssachambre.Laminedupetit

garçons’allongea,etilrejoignitCharles-Edouardentraînantlespieds.Chrisessayaencoreunefoisdelocaliserlafuite,puisilabandonna.Ilsnepouvaientpasfairegrand-

chosede plus pour ce soir. Francesca, qui avait tenuune lampe torche sous l’évier pour l’aider, étaittrempéeelleaussi.Sonjeanétaitmouilléjusqu’àlataille.

—Vousavezdîné?demanda-t-elle,navrée.Charles-Edouardréponditparlanégative,etelleproposad’allerjusqu’àlapizzeriavoisine,oubien

desefairelivrerparletraiteurchinoisetdedînerdanssonsalon.Soudain,ellesongeaqueCharles-EdouardetMaryanepourraientpasdormirchezeuxcettenuit:la

moquetteétaitcomplètementdétrempée.Elle leuroffritdoncsachambre,endisantqu’ellepasserait lanuitsurlenouveaucanapédesonsalon.Maryasefitunpeuprier,maisFrancescainsista,enexpliquantquecelaneladérangeaitpasdutoutdedormirausalon.

Ilssedécidèrentpourlapizza,etsortirenttousensemble,endiscutantbruyamment.Leurpetitgroupeoffraituntableauinsolite:Charles-Edouardtoujoursenshort,Maryaavecsesbottesencaoutchoucaux

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pieds… Seuls Chris et Francesca avaient pris le temps de mettre un jean sec. Ian aurait bien aiméretourners’amuserdanslapiscineimprovisée,maisChrisrefusatoutnet.

Ilspassèrentuneexcellentesoiréeetrentrèrentdefortbonnehumeur.Alamaison, l’eaus’écoulaitlentementdanslejardinparlesportes-fenêtreslaisséesouvertes,maisilyavaittoujoursdixcentimètresliquidesausoldelacuisineetlachambredeMaryan’étaitguèremieux.Dansdesmomentscommecelui-ci,FrancescasedemandaitsielleneferaitpasmieuxdevendreCharlesStreet.

ElleavaitfaitpartdesesdoutesàChrissurlecheminduretour.—Unplombier,çasetrouvetoujours,Francesca.C’estunetrèsbellemaison,etilnefautpasbaisser

lesbraspoursipeu.—C’estvraietjel’aime.Maisellepèsetroplourdsurmesépaules.Financièrement,commesurles

autresplans.J’espèrequelesréparationsdeplomberienevontpasmecoûterunefortune.Nonseulementlaperted’unloyerluiavaitportéuncoupdur,maisêtrepropriétaired’unemaison,à

fortiori ancienne, demandait beaucoup de travail et d’investissement. Chaque fois qu’elle parvenait àmettreunpeud’argentdecôté,lasommeétaitabsorbéepardesréparationsurgentes.

Chris la raccompagna jusqu’au salon, tandis que Marya et Charles-Edouard montaient dans sachambre.Elleavaitchangélesdrapsavantd’allerdîner.Ianfilasecoucherpourregarderlatélévisiondans son lit.QuandChrisavait installé les lits superposés, il s’étaitditque Ianadoreraitdormirdansceluiduhaut.Cen’étaitpasundécortrèsromantique,maisl’arrangementétaitparfaitpoureuxdeux:ilsavaient plus d’espace qu’avec un grand lit aumilieu de la chambre, dontChris n’avait aucune utilité,puisquepersonneavecquilepartager.

Chriss’accordaunpetitmomentdedétentedanslecanapéàcôtédeFrancesca.Ilétaitdésolédenepasavoirpuréparerlafuite.IlssemirentàrireenrepensantàCharles-Edouard,avecsonshortetsonpanama, en train de donner des ordres, et Ian sautant dans l’eau du plus haut des marches pouréclaboussertoutlemonde.

—Cettemaisonseraitterriblementtristesivousn’étiezpastouslà,ditFrancescaavecunsouriredegratitude.

—Tun’enaspaspar-dessuslatête,denousvoirenvahirtonespace?Parfois,jemedemandesijenedevraispasprendreunappartementpourIanetmoi.Maistunousmanquerais,etjecroisquemonfilssesentiraitseuls’iln’yavaitquenousdeux.

—Ceseraitpirepourmoi.Vousmettezunpeudepimentdansmavie.Si elle s’était résolue à la location par nécessité financière, elle aimait beaucoup la communauté

familialequ’ilsformaientàprésent.—Tusais,dit-ilensouriant,jetesuistrèsattaché,Francesca.Tuesuneamiemerveilleuse.—C’est lamêmechosepourmoi, répondit-elle timidement. Jene saispas si j’aurais surmonté la

mortd’Eileensanstoi.—TuesuncadeaudeDieupourIan…etpourmoi.Ettoutàcoup,sansprévenir, ilsepenchaet l’embrassa.Francescalefixa, lesyeuxécarquillésde

surprise.—Qu’est-ceque…tuasfait?bredouilla-t-elle,aussidéconcertéeques’ilvenaitdeluidonnerun

coupsurlatête.—Jecroisquejet’aiembrassée,dit-il,l’airplutôtcontentdelui.Ilavaitenviedelefairedepuislesoiroùilss’étaientretrouvésseulsaprèslamortd’Eileen.Maisil

n’avaitjamaistrouvélebonmoment.Iln’étaitpassûrquecelui-cilesoit,maisilavaitsaisilaballeaubond,etilcontemplaFrancescaensouriant.

—Jeveuxdire,pourquoi?Pourquoitum’asembrassée?—Es-tuencolèrecontremoi?demanda-t-il,inquiet.Francescasecoualatête.

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—Non, je ne suis pas fâchée,mais je ne comprends pas. Je croyais que tu avais définitivementrenoncéàl’amour.

—C’estvrai.Peut-êtreque jeviensdechangerd’avis.C’était justeunbaiser,Francesca.Pasunedemandeenmariage.Détends-toi.

—Jecroisquej’ailaphobiedesrelationsamoureuses,murmura-t-elleensongeantàlaconversationdelaveilleavecAvery.

—Non,tuesmeurtrie,c’esttout.C’estdifférent.Moiaussi,laviem’ablessé,maisçanedoitpasêtreirrémédiable.Ilfautdutempspourguérir.L’annéedernière,aprèsl’échecdetoncouple,tuescommeentréeenhibernation.

—Oui,c’estvrai. J’avais l’impressionquequelquechoseétaitmortenmoi,que jeneseraisplusjamaisvivante.

—Cequelquechosen’étaitpasmort.Ilétaitjusteensommeil.—Commentlesais-tu?riposta-t-elle,perplexe.—Jevaistemontrer.Ill’embrassadenouveau.Cettefois,quandleurslèvresseséparèrent,ellesemitàrire.Cebaiserlui

avaitplu.Chrisavaitpeut-êtreraison,finalement.Ellen’étaitpassimortequecela.—Tuvoiscequejeveuxdire?Ilmesemblequetuesentraindeteréveiller.Ill’embrassaencore,etelleluirenditsonbaiserensecoulantdanssesbras.Quandilss’écartèrent

l’undel’autrepourreprendreleursouffle,ellefronçalessourcils.Cebaiseravaitétépluspassionnéqueleprécédent.Ilss’enflammaienttousdeuxdemanièretotalementinattendue.

—Chris,quefaisons-nous?s’exclama-t-elle,l’airpaniqué.Jet’aimebien.Jenevoudraispasquel’undenousdeuxensouffre.

—C’estun risqueà courir.Quine risque rienn’a rien.C’estuneexpressionunpeubanale,maisc’estvrai.Etjecroisquejesuisprêtàprendreunrisquepourtoi.

IlfallutàFrancescauneffortd’adaptationmentalepours’appropriercetteidée.Legrandphobiquedel’engagement,l’oursréfractaire,venaitdequittersatanière.Etellel’avaitimité.Çafichaitlafrousse.

—EtIan?Tunepensespasqu’ilseraitépouvantés’ilnousvoyait?—Ilt’adore.Jecroisqu’ilseraittrèscontent,aucontraire.Chrisyavaitdéjàréfléchi.— Je l’adore aussi, dit doucement Francesca. Je pensais justement à lui ce soir, en rentrant à la

maison.C’estunpetitgarçonmerveilleux.Et toiaussi, tuesmerveilleux,ajouta-t-elleavecunsourirelumineux.

—Tun’espasmalnonplus.Ilfaudraitvoiroùtoutcelapeutnousmener.Çateplairaitdedîneravecmoi,cettesemaine?

—Quoi?Unrendez-vousentêteàtête?s’exclama-t-elle,choquée.—Quelquechosecommeça.Undînertouslesdeux,tuvois?Etpeut-êtremêmeunbaiserpourse

direbonsoir,quandjeteraccompagneraicheztoi.Mardi,çateva?—Jen’aimepaslesrendez-vousentêteàtête,marmonna-t-ellenerveusement.J’avaisdécidédene

plussortiravecquiquecesoit.—Oui,moiaussi.Mais,avectoi,jeveuxessayer.Voilà presque neufmois qu’il vivait là, le temps de se sentir à l’aise avec elle, d’apprendre à la

connaître,danstoutessortesdesituationsdelaviequotidienne.Etilaimaittoutd’elle.Deplus,elleétaitmerveilleuseavecIan.Quedemanderdeplus?Celaluisemblaitunbondébut.Unerelationfondéesurl’amitié,etnonsurlapassionousurunespoiraveugle.

—D’accord,dit-ellecalmementtandisqu’unetempêtesedéchaînaitsoussoncrâne.Ellenes’attendaitpasdutoutàcequivenaitdesepasserentreeux:enréalité,pasgrand-chose,une

étincelle,unepossibilité.Maiselleavaitenviedetentersachanceelleaussi.

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—Etsiçanemarchepas?Tuvasmedétester,tuserasfâchéettuvoudrasdéménager,etjenevousreverraiplusjamais,Ianettoi.Ceseraitterrible,Chris.

—Oui,ceseraitterrible.Aussi,nousallonsfaireensortequeçan’arrivepas.Ilfautqueçamarche.Francescaacquiesçad’unhochementdetête.Ill’embrassadenouveau,puiss’écartaetseleva.Elle

leraccompagnajusqu’àlaportedusalonetilremontadanssonappartement,lesourireauxlèvres.Ians’étaitendormidevantlatélévision.Chrisréprimauncridetriompheenentrantdanslachambre.

Ill’avaitembrassée!Enfin!Elleétaitmerveilleuse,etilavaittotalementconfianceenelle.Etquellemeilleurealliancequecellededeuxblessésde lavie,allergiquesà l’amouretmortsde

peur?Tantmieuxqu’ilsaientcommencéparêtreamis!

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Leplombiervintlelundimatinréparerlafuite,etilsfinirentd’assécherlacuisine.LedégâtdeseauxcoûtadeuxmilledollarsàFrancesca,cequireprésentaituntrouconsidérabledanssonbudget.

Lemardisoir,quandChrisemmenaFrancescadîneraurestaurant, ildemandaàMaryaetCharles-Edouarddejouerlesbaby-sitters.FrancescafutdoncobligéedemettreMaryadanslaconfidence,pourexpliquercettesortieinopinée.

—Unrendez-vousenamoureux?s’exclamaMarya,ébahie.Elle n’avait pas perçu l’ombre d’une histoire entre eux. Pourtant elle les adorait, et les aurait

volontiersvusencouple.Maisàsongrandregret,ellen’avaitjamaiseul’impressionquecetteidéelestentait.

—Oui,unrendez-vousentêteàtête,admitFrancesca,unpeugênée.Elleavaitdumalàenparler.Enfait, ilyavaitquelque tempsqu’ellenepensaitplusêtredans la

course.Ellesesentaithorscircuit!—Dumoins,c’estcequ’ilm’adit.Maisn’enparleàpersonne.—Aquivoudrais-tuque j’enparle?Aux journalistesduNewYorkPost ? ditMarya, semoquant

gentimentd’elle.Francescaperditcontenance:—Jenesaispas…àIan,àmamère,àCharles-Edouard.Jeneveuxpasdonnertropd’importanceà

cettesortie.C’estjusteundîner,aprèstout.Undîner,oui,maisaurestaurant,etavecChris.Etcedernierl’avaitembrassée.Maryalaregardaavecinsistance:—C’estimportantpourtoi?—Peut-être…jenesaispas…pasencore.Celapeutdevenir important…ounon.Ilvaudraitsans

doutemieuxqueçaneledeviennepas.Nousavonstroppeur,touslesdeux.—Etsiçamarchait?Francescaeutl’airsoudainpaniqué.—Cetteseulepenséemefaitencorepluspeur!—C’estexactementcequejeressentaisavecCharles-Edouard.Quelquesoitl’âge,c’esttoujoursun

peu effrayant de s’engager dans une relation. Plus on vieillit, plus la personnalité s’affirme, plus onconstruitsavie,etplusildevientdifficiled’assemblerlespiècesdupuzzle.

—Commentçava,entrevous?demandaFrancescapourchangerdesujet.— C’est fantastique. Charles-Edouard est l’homme le plus extraordinaire que j’aie rencontré, en

dehorsdemonmari. J’aibeaucoupdechanced’avoir connudeuxhommesaussimerveilleux. Jene leméritesansdoutepas,maisj’appréciececadeaudelavie,dit-elleavecmodestie.

—Tulemérites,répliquaFrancesca.Parcontre,net’étendspastropsurlesujetavecmamère,carelleseraitfolledejalousie.Acroirequelavieneluiapassouridéjàcinqfois.

—Encequiconcerne tonhistoireavecChris, jen’aiqu’unseulconseilà tedonner, répondit sonamie,c’estdeprofiterdumomentprésent.N’anticipe rien,ne faispasdeprojet,ne t’attendspasàcequ’ildeviennecequ’iln’estpas,etn’essayepasd’êtrequelqu’und’autre.Reste toi-même.Prends leschosescommeellesviennent.

C’étaitunbonconseil,etFrancescasepromitdenepasl’oublier.—Net’inquiètepaspourIan,repritMarya.Jesuistrèsheureusedem’occuperdelui,etvouspouvez

me le laisser chaque fois que cela vous arrange. Charles-Edouard l’adore. Nous lui ferons faire des

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cookies…Etpasseunebonnesoirée,ajouta-t-ellealorsqueFrancescamontaitsepréparer.Pourlapremièrefoisdepuisdesmois,Francescasefitcoulerunbainetpritletempsdes’épilerles

jambes.Elle ne savait pas encorequelle serait sa tenuepour la soirée,mais quoi qu’elle décide celan’avaitpasderéelleimportance.L’essentiel,c’étaitdeseretrouverseuleavecChris.

—Bienvenuedanslemondedesvivants,murmura-t-elleenseglissantdanslabaignoire.Etelleéclataderire.

Francesca avait finalement choisi une jupe de cuir noir, un pull rouge, et des escarpins à talonsaiguilles.Elleavaitlesentimentderessemblerunpeuàsamère,etcraignaitd’enavoirtropfait.Ellenevoulaitsurtoutpasdonnerl’impressiondevouloirséduireChrisàtoutprix.

En fait, elle ne savaitmême plus comment il fallait s’habiller pour un premier rendez-vous et sagarde-roben’étaitplusadaptéeàcegenredecirconstance.Jusqu’àprésent,sessortiesavaientétéassezlimitées,maispourquelqu’unqu’elleappréciait,commeChris,elleavaitenvied’êtrejolieetsexy.Ellen’aurait su dire si le but était atteint,mais quand elle était descendue et avait frappé à la porte de sachambre pour lui dire qu’elle était prête, il avait eu un sourire admiratif. Ian était déjà douché et enpyjama,lescheveuxhumides.Illuiditqu’elleavait«desfringuesdemalade».

—Ahbon?fit-elle,décontenancée.—C’estuncompliment,expliquaChris.Quelquechosecomme«unlookd’enfer».—Oh,merci,Ian.Toiaussi,tuasunlookd’enfer,dit-elleavantdedévalerl’escalieravecChris.Ian savait qu’il devait descendre rejoindre Marya et Charles-Edouard dans la cuisine, pour un

concoursdecookies.—Etalors,qu’as-tuditàmesbaby-sitters?demandaChris,lorsqu’ilsfurentdehors.—Quetudétestaisleurcuisine,etquetuvoulaisabsolumentsortirpourfaireunrepasdignedece

nom.—Trèsdrôle.Iln’encroyaitpasunmot.—J’aiditàMaryaquetum’invitaisàdîner.—Etqu’a-t-ellerépondu?Ilétaitcurieuxdesavoircommentleursamisallaientréagir,s’ilssemettaientàsortirensemble.Ian

avaitdéjàannoncéqu’iltrouvaitcelabizarre,maisiln’étaitpasalléplusloin.Ils’étaitseulementmoquédesonpapa,quandill’avaitvus’habilleravecsoin.

—Elleatrouvéquec’étaitunebonneidée.Etmoiaussi.Sortir avecChris l’attirait deplus enplus.Elle avait cependantpassédeux joursdans l’angoisse,

terrifiée à la pensée de tous les désastres susceptibles de survenir s’ils s’engageaient ensemble. Ellen’avaitpasannulélasoiréepourautant!

Chris emmenaFrancesca chezDaSilvano,un restaurantqui leurplaisait à tous lesdeux,pas tropguindé.Francescaétaitravie.C’étaitsibondesesentirdenouveaujeuneetféminine,deporterunejupesexy,etdesortiravecunhomme!

Lemaîtred’hôtel leurdonnaune tableà l’intérieur,car la soiréeétait fraîche.L’hiverarrivait, lesfeuilles d’automne jonchaient déjà le sol. Chris portait un jean, une chemise blanche et une veste develoursmarron,avecdesmocassins.Ilétaitbeauetélégant.Francescaremarquaqu’ils’étaitraséavantdesortir,etcedétailluiplut.Ellen’avaitjamaisaiméleshommesàlabarbedecinqjours.C’étaitpeut-êtreunlookbranché,maiselle trouvaitquecela leurdonnaituneallurenégligéeetpeuengageante.LatenuedeChrisétaitsimpleetimpeccable,etilsformaientuncoupleharmonieux.

Ils commandèrent des pâtes et de la salade, avec une bouteille de napa valley. En attendant leursplats,ilssemirentàdiscuterdetoutetderien.L’inondationdelacuisine,cequeCharles-Edouardavait

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ditetfaitcejour-là,combienilssesentaientbêtesdansleurstenueshabillées.Quandelleyrepensaplustard, Francesca fut incapable de se rappeler de quoi ils avaient parlé,mais elle savait qu’ils avaientpasséunbonmoment.Untrèsbonmoment.C’étaitsympadesortirdelamaison,d’échapperautravail,àlaroutine,etmêmeàIan,pourpasserunesoiréeentreadultes.

Ils prirent un dessert, sirotèrent leur café, et furent les derniers clients à quitter le restaurant. Ilsrentrèrentàpied,sanssepresser.Toutlemondeétaitdéjàcouchéquandilsarrivèrentàlamaison.Iandormaitprofondément,blottisoussacouette.

—J’aipasséunesoiréemerveilleuse,ditChrisenl’embrassantdevantlaportedesachambre.Ill’avaitraccompagnéejusquesurlepalier,commeaprèsunvrairendez-vousgalant.—Moiaussi,chuchota-t-elle,entredeuxbaisers.— Je ne sais pas pourquoi nous n’avons pas compris plus tôt que nous nous plaisions, dit-il en

souriant.J’ail’impressiond’avoirperdubeaucoupdetemps.—Non,nousn’avonsrienperdu.Nousn’étionspasprêts.Ilsavaientapprisàseconnaître,etc’étaitbienmieuxainsi.Chris hocha la tête, et l’embrassa de nouveau. Il la tint un instant dans ses bras, retardant le plus

possible le moment de la quitter. Puis elle s’écarta et entra dans sa chambre, et il dévala vivementl’escalierpourrentrerchezlui.

Francescaeutunpetitriredeplaisir.Pourunpremierrendez-vous,c’étaituneréussite!

FrancescaetChrisessayèrentdesecomportercommeà leurhabitude,mais ilétaitévidentqu’ilyavait quelque chose de nouveau.Marya souriait chaque fois qu’elle les voyait ensemble, et Charles-EdouarddonnaitàChrisdegrandestapesamicalessurl’épaule.

Lelendemainmatin,aupetitdéjeuner,ChrisnecessaitdesourireàFrancesca,cequilafaisaitrougir,commeunejeunefilletimide.Ilavaitenviedel’embrasser,maisilnepouvaitpas.Pourlemoment,ilnevoulaitencoreriendireàIan.Maissonfilsn’étaitpasidiot,etilriaitsouscape.

Chris invita de nouveau Francesca le vendredi soir. Cette fois, ils allèrent dans un restaurantmexicain,puisaucinéma.Lesamedimatin,Ianpiquaunecrisedefourireenlesregardant,attablédevantsonbaconetsespancakesMickeypréférés.Maryalesavaitfaitspourluicarilnes’enlassaitpasetluienréclamaitjouraprèsjouravecautantd’insistance.Elleétaitpartiepasserleweek-enddansleVermontavecCharles-Edouard, en leur laissant lepetitdéjeuner toutprêt.Leuramourétait aubeau fixe, et ilsavaientl’airtrèsheureux.FrancescaetChrisaussi.Lebonheurestcontagieux.

—Alors,çayest?Tul’asembrassée?demandaIanàsonpère,lorsqueFrancescaremontachercherunromanqu’ellevoulaitprêteràChris.

—Dequoiparles-tu?demandaChrisd’unairinnocent.Ianneselaissapasmenerenbateau.—Quand tuemmènesunefilleau restaurant, tudois l’embrasser.Tout lemondesaitça.Et tu l’as

déjàemmenéedeuxfois.Situnel’embrassespas,ellevacroirequetuesgay.—Commentconnais-tucemot?s’exclamaChris,abasourdi.—C’estungrandquimel’aditàl’école.Çaveutdirequetuesefféminéetquetun’aimespasles

filles.—Ehbien,nedisjamaisàungarsqu’ilestgay.Ilrisquedenepasaimerça,etdetecollerunœilau

beurrenoir.—D’accord.Bonalors,tul’asembrassée?—Celaneteregardepas,ripostaChris.—Si,çameregarde.Francescaestmonamie.Sijel’emmenaisaurestaurant,jel’embrasserais.—C’estbonàsavoir.

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C’estlemomentquechoisitFrancescapourréapparaîtreaveclelivre.ElleletenditàChris:c’étaitunthrillerécritparunnouvelauteur;elleespéraitqu’ill’aimeraitautantqu’elle.

—Dequoiétiez-vousen traindeparler?demanda-t-elle innocemment,enseservantune tassedecafé.

— J’ai demandé à papa s’il t’a déjà embrassée, mais il ne veut pas me le dire, déclara Ian enengloutissantladernièrebouchéedepancake.Alors,ill’afaitoupas?

IlplantasonregarddansceluideFrancesca,etcelle-ciavalasagorgéedecafédetravers.—Tuseraiscontrariésitonpapam’embrassait?lequestionna-t-elleavecménagement.Ianéclataderire.—Biensûrquenon!Jet’adore,Francesca.Etjecroisquemonpapat’aimeaussi.Ilatroppeurdete

ledire,c’esttout.Moi,jeluiaiditques’ilnefaisaitrien,çavoulaitdirequ’ilétaitgay!Francescaécarquillalesyeux.Ellenes’attendaitpasàça.— Je ne pense pas qu’il soit gay, dit-elle en jetant un regard en coin àChris pour quémander un

conseil.Celui-cifitunsignedetêtepresqueimperceptible.—Oui,ilm’aembrassée,finit-ellepardire.—Alors,c’estqu’iln’estpasgay.Iantopadanslamaindesonpèrepourfêtercebaiser,etFrancescaeutl’impressiondeseretrouver

dansunvestiairedelycéens.C’étaitunepremièrepourelled’êtrel’objetd’unhigh-five.—Jem’endoutaisunpeu,dit-elletrèssérieusement.Alors,çateva?Pourunefois,elleétaitcontentequeMaryaetCharles-Edouardnesoientpaslàpourassisteràcette

discussion.—Oui,çameva,confirmaIan.Çameplaît,quetusoisnotreamie.—Jesuisvotreamie,mais jeneveuxpasfairequoiquecesoitqui te rende triste.Vousêtes très

importantspourmoitouslesdeux,etjenevoudraispastoutgâcher.—Tuveuxdire,commemamaman?Ilss’aventuraiententerrainglissant.—Jenesaispascequ’afaittamaman,Ian,ditprudemmentFrancesca.Iln’yaquetoiettonpapaqui

soyezaucourant.Maisjeneveuxpasvouscontrarierouvousdécevoir,Chrisettoi.—Oh,non,tuneleferaspas,ditIan,avecassurance.Visiblement,ilavaitunetotaleconfianceenelle.—Onfaitquoiaujourd’hui?ajouta-t-il,passanttoutnaturellementausujetsuivantmaintenantqu’on

avaitréponduàsaquestion.Illeurfitpartdesonenvied’alleràCentralPark.Sautantensuiteprestementdesachaise,ilfiladans

lachambrepourallerregarderlatélévision.—Ehbien, jenem’ensuispas tropmal sortie,ditFrancesca, soulagée. Jecraignaisqu’ilne soit

contrarié.Chrissourit.—Jen’aipaspenséunesecondequ’ilpourraitl’être.Il se pencha pour l’embrasser, puis se glissa sur la chaise voisine de la sienne, pour l’enlacer et

l’embrasser plus tendrement.A cet instant précis, Ian rentra dans la cuisine. Ils ne s’aperçurent de saprésencequelorsqueleurslèvresseséparèrentetqu’ilsreprirentleursouffle.Ianlesregardaenriant.

—Vas-y,papa!claironna-t-ilavantderessortiravecunpaquetdegalettesderizàgrignoterdevantlatélévision.

— Il va falloir que je pige le truc, balbutia Francesca, un peu troublée. Je nem’attendais pas ausoutiend’uneclaquesurlesgradins!

Maisaufond,elleétaitcontentequeIanapprouveleurrelation.

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—Ilsparlenttropdesexeàl’école,grommelaChris,vaguementagacé.Ils débarrassèrent la table, et nettoyèrent la cuisine.Ce jour-là, ils décidèrent dedéjeunerdehors,

avantd’alleràCentralPark.Ilsfirentletourdulac,sebaladèrentauzoo,achetèrentdesglaces,jouèrentunpeuaufootballetcoururentdansleparc.Ilsavaientlasensationdeformerunefamille.Ilsrentrèrenttardàlamaison,aprèsavoirachetéquelquesDVD.ChrisinvitaFrancescadansleurappartement,etelleregardalatélévision,assisedanslecanapéàcôtédelui,tandisqueIans’allongeaitsurletapis.

Celafaisaitdesannéesqu’ellen’avaitpasétéaussiheureuse.Etleplusformidabledetout,c’étaitl’approbationdeIan.

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17

Lejouroùdevaitavoirlieul’audiencestatuantsurledroitdegardedeIan,Chrisselevaàsixheures.Maryaluiavaitproposéd’emmenersonfilsàl’école.ToutcequeIansavait,c’estqu’ilyavaitencoreunedecesséancesautribunalausujetdesamaman,etqueçadevaitêtreimportant,carsonpapamettaitchaquefoisuncostume.Chrisnevoulaitpasluiexposerlesdétailsdel’affaire.Quellequesoitl’issuedel’audience,Ianresteraitaveclui,aussirefusait-ildel’inquiéterpourrien.

Kimétaittoujoursenprison,elleétaittoujoursdépendante,etellenesortiraitpasdesitôt.Laseuledifférence, siChris gagnait aujourd’hui, c’est que Ian ne retournerait plus vivre avec elle. Elle auraitnaturellementundroitdevisite,supervisépardestravailleurssociaux,maisiln’yauraitpluscesscèneshorriblesoùChrisétaitappeléparlapoliceparcequ’ellevenaitdefaireuneoverdoseoudes’entaillerlespoignets,etqueIanessayaitdeluicomprimerlesveinesenattendantl’arrivéedessecours.

Aprèsledépartdel’enfantpourl’école,FrancescaproposaàChrisdel’accompagnerautribunal.Ilrefusaendisantquec’étaittropéprouvant.

—Quoi?Tumeprendspourunepoulemouillée?Jesaiscequec’estqu’undrogué.JesaiscequeIanavécu.Jemesouvienstrèsbiendujouroùtuesallélechercherparcequ’elleavaitfaituneoverdose.Je sais qu’elle est accusée d’homicide et qu’elle risque la prison. Pourquoi ne pourrais-je venir tesoutenir?

—Imaginequejen’obtiennepaslagarde?répondit-il,lestraitscreusésparl’inquiétude.—Raisondepluspourquejesoisprèsdetoi.Etsic’estlecas,ajouta-t-elled’unevoixferme,nous

recommenceronslaprocédure.Tuneperdraspas,Chris.Tonex-femmeestentropmauvaiseposture.—Sonpèreesttrèsinfluent.—Le tienaussi.Pour l’amourduciel,Chris, tuesapparentéàdeuxanciensprésidentsdesEtats-

Unis!JeneparlepasdeBenjaminFranklinoudeThomasJefferson,maisdeprésidentsrécents.Çapèsedanslabalance.

—Ma famille n’apprécie pas d’être sous la lumière des projecteurs, mêlée à un scandale. Mesparents sont d’avis que je n’aurais jamais dû épouser Kimberly. A l’époque, elle ne prenait pasd’héroïne, mais elle était déjà déboussolée. J’ai cru que j’allais tout arranger, et faire d’elle uneprincesse.Aulieudecela,elleestdevenueune loqueetn’a jamaispuremonter lapente.Commemesparentsonthonted’elle,ilspréfèrentignorerlasituationetsesconséquencespourIan.Ilsviventdansledéni.LepèredeKimberly,lui,estprêtàmentir,tricher,voler,tuerpourquesafillenesouffrepasdessuitesdesesactes.Cequiexpliqueenpartiepourquoiellen’ajamaisétécomplètementclean.Ellen’enapas eubesoin,puisqu’il fait sans cesse leménagederrière elle.Ellen’a jamaispayé leprixde seserreurs.Toutlemondelefaitàsaplace,ycomprissonfils.

—Jepeuxvenir?répétaFrancesca.Ilhochalatête,etellel’embrassa.Leurrelationn’enétaitqu’àsondébut,maisilspassaientdetrès

agréablesmomentsensemble,etChrisl’invitaitsouventàdîner.Ilsn’avaientpasencorefaitl’amour.Ilsn’étaient pas pressés, ils avançaient à pas prudents, d’autant plus que Chris avait été préoccupé à laperspectivedecetteaudience.Toutiraitbienmieuxunefoisqu’ilauraitquittéletribunal.Qu’ilperdeouqu’ilgagne,l’épreuveseraitderrièrelui.

Ilsprirentuntaxipourlepalaisdejustice,situédansLafayetteStreet.Ilsarrivèrentponctuellementàdix heures.L’avocat deChris les attendait à l’extérieur du bâtiment.CommeKimétait en prison, ellen’assistaitpasàl’audience,maissonavocateétaitlàpourlareprésenter.C’étaitunefemmedéplaisante

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etredoutable,queChrisdétestait.Sonseulbutétaitdedéfendresacliente,sansjamaistenircomptedubien-êtredeleurfils.

L’avocatdeChris,unhommeàlaminegrave,portaituncostume,unecravatesombreetdeslunettescerclées d’acier. Chris fit les présentations, et l’homme serra la main de Francesca. Il lui fit bonneimpression,aucontrairede l’avocatedeKimberly,dont le regardméchantsemblaitvouloirdardersurChrisdesflèchesempoisonnées.

Ils entrèrent tous dans la salle d’audience et prirent place sur les bancs. Francesca s’assit justederrièreChris,etluitouchadoucementl’épaule.Uninstantplustardlejugeentra,annoncéparl’huissier.A leur entréedans le tribunal,Chris avait discrètementdésignéàFrancesca lepèrede sonex-femme.Toutlemondesavaitqu’ilétaitlà,ettoutlemondesavaitaussiquiilétait.

Ilauraitétédifficiledel’ignorer.IlfaisaitchaqueannéelacouvertureduTimeetdeNewsweek,etson nom et sa photo paraissaient régulièrement dans les journaux. Le juge ne manquerait pas de lereconnaître. Sa présence constituait une sorte de tentative d’intimidation silencieuse ; lemessage étaitclair.

Onprésentalesdeuxpartiesenprésence.Ilfutquestiondel’amourmaterneldeKimberly,etdesonattachement à Ian. De son adoration pour lui. De cette mère dévouée, qui irait tout droit en cure dedésintoxicationdèssasortiedeprison,carellevoulaitêtreenbonnesantépoursonfils.L’avocatequilareprésentaitsetournaverslejuge.AvecleregardleplusfrancqueFrancescaaitjamaisvu,elledéclaraqu’iln’yavaitrienaumondequeKimnesoitprêteàfairepoursonenfant.Ellepromitpersonnellementaujugequelepetitgarçonnecourraitplusjamaislemoindrerisque,etquelagardeconjointedevaitêtrepréservée. Il fallait éviter à toutprixquecet enfantdehuit ans soitprivéde samèreune foisqu’elleserait libre, ou qu’il se sente abandonné par elle si jamais Chris obtenait la garde exclusive à sondétriment. Cette dernière éventualité allait à l’encontre des intérêts de l’enfant, et la seule solutionbénéfiquepour lui était la garde conjointe.Elle usade tous les artifices, à l’exceptiond’un chœurdepleureusesaccompagnédesgrandesorgues.

Le juge, apparemmentdemarbre, semblait concentré sur laplaidoirie.Francesca levitplusd’unefois lanceruncoupd’œilendirectiondupèredeKimberly.Chris le remarquaégalement.C’étaitceàquoiils’attendait.Lesgensinfluentstiraientlesficelles,illeursuffisaitd’êtrelàetderegarderlejuge.

LafamilledeKimberlyvoulaitfairesavoirqu’ellen’avaitpasl’intentiondeperdrececombat.Lemessageétaitimportant,etChriscraignaitquelejugenesoitconvaincudemaintenirlagardeconjointe.Mêmes’ilnecroyaitpasunesecondequel’entouragedeKimberlyn’aitentêtel’intérêtdel’enfant.

Francesca se sentit mal à l’aise quand l’avocat de Chris prit la parole. L’homme était plusprofessionnelquepassionné.Ilsemblaitextrêmementfroidetsec,comparéàl’avocatedeKimquiavaitutilisésansretenuetouslesressortsdel’émotion.UndétectiveprivétravaillantpourChrisavaitdénichédesinformationsdontpersonnen’avaiteuconnaissanceauparavant,etsûrementpasletribunal.L’avocatexpliquadanssonexposéintroductifqueChrisn’avaitpaspourbutdeséparerIandesamère,etqu’ilétait favorable à des visites sous surveillance, une fois que la jeune femme serait en mesure de lesassumer.Ilnesouhaitaitpasempêcherl’enfantdevoirsamère.Toutcequ’ilvoulait,c’étaitqu’ilviveensécurité dans une atmosphère propice à son développement. Etant donné le passé de la mère, et sonmanqueflagrantdediscernement, l’avocatdeChrisétaitd’avisquetoutes lesdécisionsconcernantIandevaientêtreprisesparlepère:scolarité,visitesmédicales,éducationreligieuse…Celasignifiaitqu’ildevaitavoirlagardeexclusivedesonfils.Cequi,pourFrancesca,tombaitsouslesens.

Detoutefaçon,Chrissechargeaitdéjàdetout.Puisl’avocatcommençalalecturedurapportétabliparledétective.C’étaitunelonguelisted’actes

terrifiants,d’échecs,deméfaits,d’épisodesdangereux,etdepreuveschoquantesdemanquedebonsens,voiredenégligencecriminelle.FrancescaavaiteuconnaissancedecertainsfaitsparChris,maisceux-cin’étaientqu’unegoutted’eaudanslamer,encomparaisondetoutcequel’avocaténuméra.

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KimberlyHarleyavaitmislaviedesonfilsendangerdemillefaçons,endemultiplesoccasions.EtcelafaisaitdesannéesqueChrisluttaitcontreellepourprotégerl’enfant.Lesdifférentstribunauxavaientjusqu’icitenucomptedufaitqu’elleétaitsamère,etrespectécelien.Aprésent,lespreuvesaccumuléesétaient trop nombreuses. Tout ce que l’avocat citait était nouveau pour la Cour, et Chris lui-mêmedécouvraitcertainsfaits.

D’aprèslesnombreuxtémoinsquiavaientsignéleurdéclaration,KimavaitlaisséIanencompagniededrogués,ellel’avaitabandonnédansdesrelaisroutiersetdesrestaurants,etilavaitdûêtreramenéchezluipardesinconnus.Oubliantqu’ilétaitavecelle,ellel’avaitlaissésurlebas-côtédel’autoroute.Unjourquandilétaitbébé,elle l’avait laissé tomber,carelleétaitsousl’emprisedeladrogue.Chrisconnaissaitcethorribleincident.Uneautrefois,ellel’avaitoubliédanssonsiègesurletoitdelavoiture,et c’était Chris qui l’avait secouru avant qu’elle ne démarre. Elle l’avait laissé dans une fumerie decrack,uneautre foiselleavaitnégligéde lenourrirpendantplusieurs jours, avait tentéde se suiciderdevantluiàplusieursreprises,avaitpointéunearmesurlui,avecl’intentiondeletueretdesesuiciderensuite.C’étaitunautredroguéquiluiavaitretirél’armedesmains,sauvantlaviedel’enfant.L’avocatajoutaqueIanavaitappeléle911àplusieursreprises,chaquefoisqu’ellefaisaituneoverdose.Lalistes’allongeait,encoreetencore…

L’impassibilitéde l’avocatdeChris,quin’usaitpasdesartificesetdu tralaladesaconsœur,étaittrèsefficace.Ilavaitdespagesetdespagesdefaitsbienréels,derapportsdepolice,etdedépositionssignées,poursoutenirsaplaidoirie.

FrancescasetournaverslepèredeKimberly.Cedernierdonnaitl’impressiondevouloirétranglercelui qui énonçait toutes ces vérités sur sa fille. Les preuves étaient accablantes et incontestables.Entendant tout cela et connaissant Ian, Francesca, les larmes aux yeux, songea que la prison était unepunition encore trop douce pourKimberly.C’était unmiracle que le petit garçon ait survécu à pareiltraitement,etiln’étaitpasétonnantqueChrissoitdevenuaussiphobiquedesrelationsamoureuses.Mariéàune femmecommeelle, quimettait sans cesse laviede leur fils endanger,mêmebébé…Commentaurait-ilfaitconfianceàuneautrefemme?

Enfin, l’avocatarrivaauboutdesonénumérationet s’approchadu jugepour luidonnercopiedesdocuments.CedernierobservaChrisensilence.Puisilsuspenditlaséanceetdemandaauxavocatsdeseretireraveclui.

Francesca se pencha vers Chris pour lui demander à voix basse si le juge savait que Kim étaitactuellementinculpéepourhomicideparimprudence,etilréponditd’unbrefhochementdetête.

LevisagedeChris était fermé. Il essayait d’oublier toutes les occasions au coursdesquellesKimavaitrisquélaviedeleurfils.

—Etmaintenant?demandaFrancesca.—Lejugepeutsoitnousfairepartdesadécisionaujourd’hui,soitlasoumettreparécritauxavocats

aprèsavoir relu ledossieret réfléchià laquestion.Laplupartdes juges remettentunedécisionécritepour éviter de se faire casser la figure dans la salle d’audience.Certaines personnes sont promptes àmontersurleursgrandschevaux,surtoutquandils’agitdudroitdegarded’unenfant.

Aprèstoutcequ’ellevenaitd’entendre,Francescan’endoutaitpas.—Lalisteétaitlongue,commenta-t-elleavectristesse.Chrisacquiesça.Ledétectiveavaitaccompliun travail remarquable.Pauvrepetitgarçon.Toutesa

vie, Francesca avait considéré samère comme un poids ou une gêne.Mais jamais comme un dangerpotentiel.LamèredeIanavaitfaitcourirdesrisquesàsonenfantdèsl’âgedetroismois,aumomentoùelles’étaitremiseàsedroguer.Francescaeutlecœurserréàl’idéequeChriss’efforçaitdésespérémentdeprotégersonfilsdepuistantd’années.

Les avocats réapparurent dixminutes plus tard.Avec une expression indéchiffrable, le conseil deChris leur fit signedequitter lasalled’audienceenmême tempsque lui.L’avocatedeKimsedirigea

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droitverslepèredesacliente,etilssemirentàdiscuteràvoixbasse,aufonddelasalle.LepèredeKimdésignaplusieursfoislejuged’ungestedupouce.Iln’étaitvisiblementpascontent,maisl’avocateavaitaccompliuneexcellenteperformance.Dumoinsdupointdevuethéâtral.Carc’étaitunecomédiequ’elleavaitjouée,danslaquellelajusticen’entraitpasenlignedecompte.

L’avocatdeChris lesescortadanslecouloird’unpasvif.Ilssetrouvaientaubasdel’escalierdemarbrequand il s’arrêta enfin, et se tournavers eux.Craignantquequelqu’unn’ait alerté lapresse, ilavaitpréférélesentraîneraussivitequepossibleloindelasalled’audience.

—Ques’est-ilpassédanslebureaudujuge?s’enquitChris,anxieux.Sonavocatsouritetluiposaunemainsurl’épaule.—VousavezobtenulagardeexclusivedeIan.Lejugeneveutplusentendreunseulmotdelapartie

adverse.Ilm’aditquetantqu’ilsiégeraitdanscetribunal,Ianseraitsousvotregardeunique.Sisamèrelemettaitparextraordinaireencoreunefoisendanger,illaferaitincarcérer.Ilnecomprendpascommentelleapuobtenirlagardeconjointedecetenfantaussilongtemps.

DeslarmessemirentàroulersurlesjouesdeChris,etFrancescasentitsagorgeseserrer.—Maintenant,sortonsd’iciavantquequelqu’unnecomprennequivousêtesetn’appellelesmédias.

Cettefois,jepensequelepèredevotreex-femmesegarderabiendelefaire.Chrisleremercia,radieux,ethélauntaxi.Unefoisdanslavoiture,Francescafonditenlarmesetse

jetadanssesbras.Lavictoireétaittotale.MaryaetCharles-Edouardlesattendaientàlamaison.Envoyantl’expressiondeChrisetleslarmes

deFrancesca,ilsdevinèrentimmédiatementlerésultatdel’audience.—Dieusoitloué!s’exclamaMaryaenprenantChrisdanssesbras.Charles-Edouardl’imita,serrantlejeunehommecontrelui.C’étaitunintensesoulagementpoureux

tous.LerapportsuccinctqueFrancescafitdesméfaitsdeKimépouvantaMarya.Aprèsleuravoirbienrecommandédenepassoufflermotdel’affaireàIanlorsqu’ilrentreraitdel’école,Chrismontaenfilerunetenueplusdécontractée.Ilétaitàlafoisbouleverséetsurexcité.

Kimnepourraitplusfairedemalàleurfils.Iann’auraitplusàsubirceshorreurs.C’étaittoutcequeChrisvoulait.Lejugeavaitaussioptépourdesvisitessuperviséesparuntiers.Ilsavaientdoncgagnésurtoutelaligne.

Cettevictoireleurparutencoreplusimportantelasemainesuivante,quandChrisdécouvritunarticledanslejournal.Francescalevitcrisperlesmâchoirestandisqu’illisait,puisilluitenditlejournalensilence.Cettefois,lesavocatsdupèredeKimavaientgagné.Pasencequiconcernaitlepetit-filsdeleurclient,maisencequiconcernaitsafille.

Le drogué qui avait succombé à une overdose à côté d’elle était un dealer, avaient-ils prétendu,payantsansdoutegénéreusementlesgensquiavaientacceptédecorroborerleursdires.C’étaitdoncluiquiavaitmislaviedeKimendanger,etnonl’inverse.Unefoisledéfuntpointécommedélinquant,celajetait un doute certain sur la culpabilité de la jeune femme. Les avocats avaient plaidé un équilibrepsychologique fragile,unesantédéfaillante,etavaientmisenavant tous lesarguments susceptiblesdetransformer l’accusation d’homicide en simple délit. Le procureur avait accepté de négocier avecl’accusée.Etfinalement,lejugeavaitprononcéunecondamnationàsixmoisd’emprisonnement,dontunegrande partie avait déjà été effectuée en préventive. Pour le reste,Kim avait obtenu une réduction depeinepourbonneconduite.Dansquelquessemaines,elleseraitdonclibérée,etpourraitpasserlesfêtesdeThanksgivingchezelle.

L’articleprécisaitqu’elle iraitaussiquelquessemainesencurededésintoxicationdansuncélèbrecentreà lacampagne,pourserefaireunesantéaprèscedurpassageendétention.Ellepourraitquitter

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l’endroit lorsqu’elle en exprimerait l’envie, et, la connaissant, Chris savait qu’elle l’appellerait sanstarderpourexercersondroitdevisite.

Chrisétaitfurieuxqueleschargescontreelleaientétéallégéesetqu’ellepuissesortirrapidementdeprison.Elleallaitréapparaîtreenmoinsdetempsqu’iln’enfallaitpourledire,demanderàvoirIan,etleurempoisonnerlavie.

—Jenepensaispasquesonpèreparviendraitàlatirerd’affaire,dit-ilblêmedecolère.Saplaceestenprison.Ellereprésenteundangerpourelle-mêmeetpourtoutsonentourage.

—C’estvrai.Maismaintenantaumoins,Iann’aplusrienàcraindre,réponditFrancesca.Ellen’auradroitqu’àdesvisitesstrictementencadrées.

— J’espérais tout de même qu’elle disparaîtrait de la circulation pendant quelques années,grommela-t-il,laminesombre.

Chrisjetalejournalàlapoubellepourqu’ilnetombepassouslesyeuxdeIanetremontachezluisansajouterunmot.Ildétestaitsonex-femme,cen’étaitunsecretpourpersonne.

FrancescaelleaussiétaitnavréedesavoirquedansquelquessemainesKimcirculeraitlibrement,etqu’elles’immisceraitdenouveaudanslaviedeIan.

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18

Aucoursdessemainessuivant le jugementdu tribunal, la relationdeChrisetFrancescaconnutunréelépanouissement.Chrissedétenditpeuàpeu,etfinitparaccepterlefaitqueKimneresteraitpasenprison,etqu’elledemanderaitàvoirsonfils.FrancescaréussitàluifairecomprendrequeIann’auraitplusrienàcraindrepuisquesesvisitesseraientsoushautesurveillance.

Cette idée libéraChris, lui permettant depenser enfin à autre chose. Il passait deplus enplusdetempsavecFrancesca.Lesoir,unefoisIanendormi,ilsallaientdanslesalonoudanslachambredelajeune femme.Mais ils n’osaient pas aller plus loin que de simples baisers, au cas où le petit garçons’éveilleraitetchercheraitsonpère.

Leweek-end,ilsorganisaientdegrandessorties:ilsvisitèrentlezooduBronx,lemuséemaritimeàlapointesuddeManhattan,etprirentleferrypourStatenIsland.FrancescalesemmenavoirsonpèreetAverydansleConnecticut.ChrisetHenrys’entendirenttrèsbien.

IlssedéguisèrenttouslestroispourHalloweenetallèrentquémanderdesfriandises,puisassistèrentà la parade dans le Village. Il y avait des années que Francesca ne s’était pas autant amusée. Lelendemain matin, alors que Ian était encore dans son lit avec une citrouille en plastique remplie debonbons,ChrisvintretrouverFrancescadanssachambre.

—Jet’échangedeuxMilkyWaycontreunSnickers,annonça-t-ilenentrant.— Pas question. Les Snickers au chocolat noir valent au moins six MilkyWay, et un paquet de

M&M’s.Jet’aivuenglisserdeuxdanstapocheànotredernièremaison.—Tuesunepetitefiloute,dit-ilenl’embrassant.Ilétaitfoudedésir.Laviemonacalequ’ilmenaitdepuisdesannéesavaitatteintseslimites.—J’aiunepropositionàtefaire,chuchota-t-il,englissantsamainsouslepulldelajeunefemme.Je

veuxpartirenweek-endavectoi.Francescaretintsonsouffle.Ilsn’osaientpasselaisseralleravecIanàproximité.Là,pourtant…—Quand?—Toutdesuite!Francescaéclataderire.IlsétaientseulsavecIantoutleweek-end,carMaryaetCharles-Edouardétaientretournésquelques

joursdansleVermontpourtravailleràleurlivre.— La semaine prochaine, ça te dit ? Marya pourra peut-être s’occuper de Ian, ajouta-t-il plein

d’espoir.—Jeluiposerailaquestionàsonretour.—Si elle refuse, je te préviens… je risque de devenir fou et de t’arracher tous tes vêtements en

public!—Calme-toi.Nousallonstrouverunesolution,dit-elled’untontaquin,enl’embrassant.Ilsmouraient d’envie d’aller quelque part où ils n’auraient pas besoin de surveiller leurs gestes,

d’êtreprudents,depenseràlaprésencedel’enfant.Il leurfallaitdutempspoureux.Celafaisaitdeuxmoisqu’ilsavaientuneconduiteirréprochable,ilsavaientassezattendu.

FrancescaenparlaàMaryaledimanchesoir,lorsqueCharles-EdouardetellerentrèrentduVermont.Commetoujours,Maryafutenchantéedepouvoirlesaider.ElleadoraitIanetapprouvaitleuridylle.

—Oùcomptez-vousaller?demanda-t-ellejoyeusement.Ilyavaitdeuxcouplesheureuxdanslamaison,àprésent.Charles-Edouardétaitmerveilleux,etillui

juraitqu’ilavaitchangé,qu’ilétaitunhommeneuf. Ilnevoulaitpasd’autre femmequ’elle.Francesca

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avaitparléàMaryadesonpère,dontlaconduiteétaitexemplairedepuisqu’ilavaitépouséAvery.Toutcequ’ilfallaitàcegenred’hommes,c’étaittrouverlafemmecapabledelestransformer.

—Nousn’avonspasencoredécidé.Jevoulaisd’abordsavoirsituacceptaisdegarderIan.— Pourquoi n’iriez-vous pas chezmoi, dans le Vermont ? C’est un lieu calme et reposant. Et la

campagneesttrèsbelleàcetteépoquedel’année,malgrélefroid.Vousserezplusàl’aisequedansunhôtel.

LapropositiondeMaryapluténormémentàFrancesca,etChrisapprouva.Ilsdécidèrentdepartirlevendrediaprès-midi,pourrevenirledimanchesoir.Letrajetétaitlong,maiscelaenvalaitlapeine.Ilsne pensèrent qu’à ça toute la semaine, etMarya de son côté fit toutes sortes de projets avec Ian. Ilspensaient aller au cinéma, au théâtre, aumusée. Ian était aux anges. Francesca demanda à l’un de sesartistesdetenirlagalerieàsaplace,levendredietlesamedi.Toutétaitenplacepourqu’ilspassentunmerveilleuxweek-end.

QuandilsquittèrentCharlesStreetenfind’après-midi,lacirculationétaitdense,maiscelaleurétaitégal,tantilsétaientcontentsd’avoirpus’échapper.Ilsseseraientcrusdansunfilm!Ianlui-mêmeleurprêta à peine attention lorsqu’ils partirent. Il les embrassa, mais ne leur demanda même pas où ilsallaient.IlétaitbientropoccupéavecMaryapours’ensoucier.Chrisluipromitnéanmoinsdel’appeler.

Ilssemirentàrirelorsqu’ilssortirentenfindelaville,etsefélicitèrentmutuellementd’avoirréussi.—J’aieupeurtoutelasemainequequelquechosenousempêchedepartirauderniermoment.Que

Ianattrapelavaricelleparexemple,s’exclamaFrancescaavecsoulagement.—Moiaussi,avouaChris.J’étaissûrqueMaryaauraitunempêchement,ouqueKimallaits’évader

de prison ou péter les plombs. Nous avons deux jours entiers devant nous ! annonça-t-il d’un tonvictorieux.Jen’arrivepasàlecroire.

—Moinonplus,renchérit-elle,radieuse.Ilss’arrêtèrentdansunepetiteaubergepourdîner,puisreprirentlarouteendirectionduVermont.Ils

arrivèrentchezMaryajusteavantminuit.C’étaitunejoliemaison,avecunverger,degrandsarbres,etdebeauxmassifsfleuris.

Chrisouvritlaporteetdébranchalesystèmed’alarme.Ilsdécouvrirentuncottageidéalpourlunedemiel.Francescafitletourdetouteslesjolieschosesquiornaientlamaison.Leséjourétaitunetrèsbellepièce, avec des lambris et une cheminée.A l’étage, la chambre d’amis étaitmeublée d’un grand lit àbaldaquin. Ils déposèrent leurs valises, et, avant même que Francesca ait eu le temps d’enlever sonmanteau,Chrislafitbasculersurlelitpourl’embrasser.Enquelquessecondes,lapassionlesembrasa.

Ils avaient attendu si longtemps que leur désir s’était exacerbé au fil des semaines. Ils s’étaientabstenusparégardpourIan;àprésent,ilsn’avaientplusaucunecontrainte.

Rapidement,ilsseretrouvèrentnussouslesdraps,secaressantl’unl’autre.Tenaillésparledésir,ilsnepurentattendrepluslongtemps.Francescas’offritàChris,quiplongeaenelleavecardeur.Jamaisilsn’avaient fait l’amouravecautantde ferveur. Ilsétaientdeuxêtresaltérésdécouvrantenfin la fontainecapabled’étancher leur soif, aprèsdesannéespasséesdans ledésert.La jouissance les submergeaaumêmemoment, et ils retombèrenthaletants et comblés sur le lit.Auboutdequelques secondes, ils semirentàrire.

—Jecroisquejesuistropvieuxpourça,ditChris,peinantàrecouvrersonsouffle.Francescaétaitallongéesurlui,lecorpshumidedesueur,lesyeuxfermés.Ellesourit.—Jedoisêtremorteetmontéeauciel,murmura-t-elle.Nil’unnil’autreneregrettaitd’avoirattendupourvivreuntelmomentdebonheur.Leursregardsse

croisèrent.—Tucroisquec’estpareilpourCharles-EdouardetMarya?demandaFrancescaensedressantsur

uncoudepourlecontempler.Ellefitglisserundoigtsursontorse,etilsemitàrire.

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—J’espèrequenon.Leurcœurn’yrésisteraitpas.Il l’embrassa, et elle se pressa contre lui. Malgré le plaisir qu’il venait d’éprouver, son désir

resurgit. Il avait des années d’abstinence derrière lui, et Francesca était restée seule longtemps, elleaussi.Cettenuit-là,ilsrattrapèrentletempsperdu.Etcontinuèrentlelendemainmatin.

Aucun des deux n’avait envie de se lever. Ils voulaient simplement rester dans les bras l’un del’autre.

Francescafinitpardescendrepréparerlecafé.Ilyavaitdespetitspainsaucongélateur,etellelesfitchaufferdanslefouràmicro-ondes.Aprèsquoi,ilsretournèrentsecoucher.

Iln’yavaitpasuneseulehabitationàdeskilomètresàlaronde,etlepaysageétaitmagnifique.Ilssedécidèrentenfinàfaireletourdupropriétaire, justepourpouvoirdireàMaryaqu’ilsavaientvisitélejardin.Ensuite,ilsseremirentaulitpourl’après-midi.

Enfindejournée,ilsappelèrentMaryapourlaremercieretluidirequ’ilsadoraientsamaison.— Je suis contente qu’elle vous plaise ! Elle est très romantique, n’est-ce pas ? ajouta-t-elle, en

gloussantcommeunepetitefille.—Oui,trèsromantique.—Je nem’en suis rendu compte que récemment ! Jusqu’àmaintenant, je trouvais simplement que

c’étaitunejoliemaison.Francescasavaitqu’ilsn’oublieraientjamaislesmomentspassésdanscecottage.Al’heuredudîner,

ils s’obligèrent à se lever pour se rendre dans une auberge des environs que Marya leur avaitrecommandée.Aprèsundélicieuxrepas,ilssepromenèrentdanslevergerauclairdelune,puisrevinrents’asseoir sous le porche et se blottirent l’un contre l’autre. NewYork leur paraissait très loin et ilsn’avaient pas envie de rentrer. Ils auraient aimé pouvoir rester indéfiniment. Francesca enviaitMaryad’avoirunesijoliepropriété;elleauraitvoulupouvoirypasserdessemainesavecChris,passeulementunweek-end.

Elle sourit en levant les yeux vers lui. Ils étaient assis dans la balancelle, et se laissaient bercerlentement.

—Tu sais, pourdes allergiques à l’amour, je trouvequenousnenousdébrouillonspas tropmal.Qu’enpenses-tu?

—Je penseque tu es en train de faire demoi unobsédé sexuel. Je n’arrive pas à penser à autrechose,avoua-t-ilavecunsourireencoin.Aurais-tumisquelquechosedansmanourriture?

—Oui,delapoudreàcanon!Tum’asépuisée,j’aidescourbaturespartout…Ilséclatèrentderire.Ilstissaientlelienfinalentreeux,leseulquileurmanquaitencore.Leuramitié

s’était nouée au fil desmois, puis l’amour avait surgi à la fin de l’été.Etmaintenant l’unionde leurscorpsvenaitcompléterlessentimentsqu’ilséprouvaientdéjà.

—Est-ceque tuaimerais temarierunjour,Francesca?demanda-t-ilalorsqu’il la tenaitdanssesbras.

—Jen’enaijamaiseuenvie.J’avaistroppeurdefinircommemamère,mariéequatorzefois.—Soisgentille,cinqfoisseulement,dit-ilpourlataquiner.—Jepensaisquemêmeunefois,c’étaittrop.Monpèreatrompétoutlemonde.Mamèreaépousé

tout lemonde. Je ne veux faire ni comme l’un ni comme l’autre, et j’ai toujours eu peur d’avoir desenfants, reconnut-ellefranchement.Celameparaît tropgrave.Imaginequetu teplantes?Tudétruisunêtrehumain.

Chris en l’écoutant fut frappé par l’ironie de la situation. Francesca ferait unemèremerveilleuse,maisellen’avaitpaseud’enfant,depeurdenepasêtreàlahauteur.EtKim,quiétaitunchampdeminesambulant, une régionhumaine sinistrée, n’avait pashésité à avoir Ian.Elle avaitmêmevoulud’autresenfantsaprèslui.Quandilavaiteucomprisàquelpointelleétaitdéséquilibrée,Chrisavaittoutfaitpourqu’elleneretombepasenceinte,bienqu’ilaitlui-mêmedésiréunegrandefamille.

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—Ian est le premier enfant que je rencontre quime donne envie d’en avoir un àmoi, poursuivitFrancesca.Maisjenesuistoujourspaspersuadéequ’ilfailleabsolumentêtremariéepourcela.C’estunedoubleépreuvequejenemesenspasprêteàaffronter.

—Moi,jepensequ’ilvautmieuxêtremarié.Lemariageestunengagement,unefaçondeprouverquetucroisenl’autre.

Chrisréfléchituneminute,puisajoutaenhaussantlesépaules:—Aprèstout,qu’est-cequej’ensais?Quandonvoitledésastrequ’aétémonmariage.Maisilfallaitvoiraussiquiilavaitépousé…—C’estsansdouteplusfacilesionépouselabonnepersonne,fitobserverFrancesca.—Jenepouvaispas tomberplusmal, c’est sûr. J’aiprobablement été aveugle.Mais elle a su se

montrerconvaincante,etnousétionsjeunes.—Est-cequetupourraissongeràteremarier?Ellenepensaitpasque la réponseseraitaffirmative,aussi fut-ellestupéfaitequand il lui répondit,

d’unevoixdouce:—Avectoi,oui.Francescagardalesilenceunlongmoment.—Cetteidéemeterrifie,avoua-t-elleenfin.J’auraistroppeurquecelagâchenotrerelation.—Quandonestfaitsl’unpourl’autre,lemariageembellittout.Ellelefittaired’undoigtsurleslèvresetl’embrassa.Ellenevoulaitpasqu’ilprononcedesmots

qu’ellen’étaitpasencoreprêteàentendre.Mais ce soir-là, dans le grand lit à baldaquin, Chris lui déclara qu’il l’aimait. Et elle lui avoua

qu’ellel’aimaitaussi.Ilss’endormirent,lovésl’uncontrel’autre.Lelendemainmatin,ilss’éveillèrentauleverdusoleil,etprirentlepetitdéjeunerdanslavéranda.Il

faisaitfrais,maisl’airétaitsec.Ilsprirentlecafédansleurpeignoirdebain,puisreprirentleurplacedanslabalancelle,unplaidsurlesgenoux.

Francescapensaitàleurconversationdelaveillesurlemariage.L’idéetrottaitaussidanslatêtedeChris,maisilneramenapaslesujetsurletapis,decraintedelacontrarier.

Ilsfirentunedernièrefoisl’amouravantdepartir,puisFrancescalaissaunpetitmotsurlatabledelacuisine. «Merci pour lemeilleurweek-end dema vie. »Chris jeta un coup d’œil au papier, prit uncrayonpourcorriger,etremplaça«mavie»par«notrevie».

Francescasouritetl’embrassa.—Merciàtoiaussi,dit-elle.Iltransportaleursvalisesdanslavoiture,puisilsrebranchèrentl’alarme,etverrouillèrentlaporte.

Chrisdémarraaumomentoùlesoleilsecouchait.Francescasepenchapourl’embrasser.—Jet’aime,Chris.—Jet’aimeaussi,Francesca.Illuicaressatendrementlajoue,puisilsroulèrentquelquetempsensilence.Ilyavaittantdesujets

de réflexion, tant de souvenirs à graver dans leur mémoire. Tout se passait exactement comme ilsl’avaientespéré.Pourlapremièrefoisdeleurvie.

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19

Lessemainessuivantes,ChrisetFrancescanepensèrentqu’aumerveilleuxweek-endpassédansleVermont. Marya était ravie qu’ils aient séjourné dans sa maison, et leur répétait qu’ils pouvaient yretournerquandbonleursemblait.

Ils avaient décidé d’être sages jusqu’à ce qu’ils puissent repartir quelque part, mais se rendirentcomptedèslelendemainquec’étaitimpossible,pourl’uncommepourl’autre.IlsattendirentqueIansoitendormi,etChrissefaufiladansl’escalierpourallerlaretrouverchezelle.Ilsfermèrentlaporteàclé,etfirent l’amourpassionnément.Ensuite,Chris redescendit chez lui.Une routine s’installapour leurplusgrandbonheur.Maisunenuit,ilseplaignitdedevoirlaquitter.Ildétestaitselever,redescendredanssachambre,etfinirlanuitsanselle.

— Tu ne peux pas venir t’installer ici et laisser Ian seul en bas, expliqua Francesca. Il nous envoudrait.

—Jesais.Maistumemanquesquandjesuisàl’étageendessous.Tuestroploindemoi.Cetaveul’attendrit,elleéprouvaitlemêmemanque.Unenuit,Chriss’endormitetnes’éveillaqu’aupetitmatin.Ianfaillitlessurprendre.Francescadut

téléphoner àMaryapour lui demanderd’attirer Iandans la cuisine.Quelquesminutesplus tard,Chrisentradanslapièce,lejournalsouslebras,enexpliquantqu’ilétaitallélecherchersurleperron.Ianlecrutsurparole.Sansl’aidedeMarya,ilsauraientétéprisaupiège.

Parfois, après avoir fait l’amour, ils prenaient un bain dans l’immense baignoire de Francesca etbavardaient.Laplupartdutemps,ilsretournaientsecoucherensuite.Ilsvivaientl’âged’ordeleuridylle.Unmoisdenovembrequ’ilsn’oublieraientjamais.

ThanksgivingapprochaitetCharlesStreetétaiteneffervescence.Thalia annonça à Francesca qu’elle partait chez des amis, à San Francisco. Ceux-ci voulaient lui

présenterquelqu’unquipossédaitunmagnifiqueyacht.HenryetAveryiraientàSunValley.LafamilledeChrisseréunissaitàMartha’sVineyard,commechaqueannée.Cettefois,ChrisavaitdécidéderesteràNewYorkavecFrancesca.

Charles-EdouardetMaryaleurproposèrentdepréparerladindetraditionnelle,etFrancescaacceptaavecjoie.ChrisvoulaitpasserlafêtedeThanksgivingàlamaison,avecIanetelle.CharlesStreetétaitdevenuleurvraifoyer.

LerepaspréparéparMaryaetCharles-Edouardfutunvraifestin.Ilyavaittoutessortesdelégumesen garniture, et une dinde qui aurait pu figurer en couverture d’unmagazine culinaire.Avec quelquestouchespurementfrançaises.Sanscompterlesaccompagnementstraditionnels:cannebergesetpuréedemarrons,écraséedepommesde terre,petitspains,petitspois,carottes,épinardset,pourcouronner letout,desaspergesaccompagnéesdelafabuleusesaucehollandaisedeMarya.

Cefut lemeilleurrepasdeThanksgivingpourlesAméricainsdela tablée!Ilssesentirent tousunpeu lourds en sortant de table, et Charles-Edouard et Chris allèrent dans le jardin fumer un cigareaccompagné d’un verre de château-yquem, leur sauternes préféré. Charles-Edouard avait réussi à lesinitieràquelques-unsdesplaisirslesplusraffinés.ChrisadoraitsescigaresdeCuba,maisiln’enfumaitqu’aprèsungrandrepas,etjamaisdanslamaison.

Marya et Francesca rangèrent la cuisine, et Ian s’endormit sur le lit deMarya, tandis que Chrisexposait àCharles-Edouard les règles de base du football américain. Leur entente à tous était solide,harmonieuse,et ils s’aimaient.PourFrancesca,enceJourd’actiondegrâce, lesgrâcesnemanquaientpas,sil’onexceptaitlatragédiequiavaitmarquélafindel’été.C’estpourquoiellen’étaitpasdutout

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prête à entendre la nouvelle queMarya leur annonça, la fête terminée, après avoir jeté un coupd’œilhésitantàCharles-Edouard,quil’encourageaduregard.

—NousallonsretournerenFrance,dit-elleleslarmesauxyeux.—PourNoël?s’enquitFrancesca,d’untonenjoué.Maryasecoualatête.—Nouscomptonsyrestersixmois,peut-êtredavantage,voireunan.Charles-Edouardadesaffaires

àrégler.Ilveutfermersonrestaurant,ettrouverautrechose.Ilfautaussiqu’ilrèglelesdétailsconcernantlepartagedesbiensavecsafemme.EtnouspasseronsquelquetempsenProvencepourmettreladernièremainànotrelivre.Nousavonslouéunemaisonlà-bas.J’espèrequevousviendreznousvoir.

SonregardpassadeChrisàFrancesca,etdeslarmesperlèrentsoussespaupières.Ellen’avaitpasenviedepartir.MaiselleformaituncoupleavecCharles-Edouardàprésent,etellen’avaitpasenvienonplusderestericisanslui.IlyavaitpirequepasseruneannéeenFrance!Oud’alleryvivre,cedontilsdiscutaientégalement.

LanouvelleattristaFrancesca,etl’emplitdedésarroi.—Est-cequetucomptesvendrelamaisonduVermont?Maryasecoualatête.—Non,jenepourraispas.Allez-yautantquevousvoudrez.Charles-Edouardm’apromisquenousy

passerionsunmoisl’étéprochain.Jenepensepasquenousreviendronsavant.La vie deCharles-Edouard était enFrance. Il avait passé les quatre derniersmois auxEtats-Unis

pourMarya,mais ilavaitbesoinderetournerdanssonpays.Ilavaitdeschosesàrégler,uneaffaireàmeneroubienàvendre.Ensonabsence,leschosesallaientàvau-l’eau.

FrancescaetChrisavaientdumalàimaginerlamaisonsansMarya.Ianallaitêtretriste:Maryaétaitdevenueunegrand-mèredesubstitution,plusprésenteetplusgentillequesesdeuxvraiesaïeules.EtpourMarya, l’enfant représentait le petit-fils qu’elle n’aurait jamais, d’autant plus que Charles-Edouardn’avaitpaseud’enfantnonplus.

—Jeveuxquevousmepromettiez tous lesdeuxdevenirnousvoirdèsquevousenaurezenvie.Nousformonsunefamilleàprésent,ajouta-t-elleenlesprenanttouslesdeuxdanssesbras.

IlsmontèrentdanslesalondeFrancesca,pourdiscuterdeleursprojets.Chrisallumalefeudanslacheminée.Francescademandaàleursamiss’ilscomptaientsemarier.SaquestionfitsourireMarya.

—Pasencore.MaisCharles-Edouardsetienttrèsbien!Jesuisimpressionnée.Ilsl’étaienttous.Charles-EdouardétaittoujoursunvraiFrançais,etilengardaitlesbonscôtés.Mais

il semblait avoircorrigé sanaturevolage,etn’avaitplusd’yeuxquepourMarya,quiavait totalementconfiance en lui. Dans le fond, c’était un homme sincère, en dépit de son infidélité passée. Il avaittoujoursadmissesaventures.Iln’avaitjamaismentiàArielle,etilnementiraitpasàMarya.

Celle-cileurexpliquaquec’étaitaucoursdesdernièressemainesqu’ilsavaientprisladécisionderetourner enFrance.Pourelle, c’étaitundéchirement,mais c’était lameilleurechoseà faire.Unevienouvellelesattendait.

—Quandpartez-vous?demandaFrancesca,enretenantsonsouffle.—Dansunmois.Charles-EdouardvoudraitêtrederetouràParispourNoël.Nousprendronssans

doutel’avionlevingt-troisdécembre.Celasignifiaitqu’ilslibéreraientlestudio:ilsn’avaientplusbesoind’unechambreàNewYork.Ils

pourraientveniràCharlesStreetlorsqu’ilsseraientdepassage,maisilsn’avaientaucuneraisondeluipayer un loyer. Une nouvelle charge financière en perspective pour Francesca, mais cette fois ellen’envisageaitplusdevendrelamaison.Chris,Ian,etelleétaientheureuxici.Elletrouveraitunesolutionpour continuer à vivre à Charles Street. Elle ne reprendrait plus de locataires. D’une part, elle neretrouveraitplusjamaisuneautreMarya,et,d’autrepart,ellenevoulaitpascourirlerisquedetombersuruneEileen,avecledramequienavaitdécoulé.

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—J’espèrequevousséjournereziciquandvousviendrezàNewYork,déclara-t-elletristement.Maryalapritdanssesbras.—C’est promis. Et tu viendras chez nous, à Paris. Chris, tu pourras nous envoyer Ian, quand tu

voudras.Ceseraitmerveilleuxdel’avoiravecnous,etsûrementtrèsintéressantpourluidevisiterParis.—Crois-tuquevousreviendrezvivreauxEtats-Unissivousvousmariez?demandaFrancesca.— Nous ne le savons pas encore. Tout dépend de ce que fera Charles-Edouard quand il aura

réorganisésesaffaires.Illuifaudraitcertainementopérerquelquesréajustements,unefoisqu’ilauraitdonnélamoitiédeses

biensà sonex-femme,comme il l’envisageait.Ledivorce luicoûtait cher,mais ilne s’enétait jamaisplaint,mêmepasauprèsdeMarya.

Leur projet laissait entrevoir un immense changement. Ils perdaient tous des amis chers, qu’ilsavaientpris l’habitudedecôtoyerauquotidien.EtCharles-Edouardavait finipars’intégrer luiaussiàleurpetitefamille.

Ianpleuraquandilsluiannoncèrentlanouvellelelendemain,etFrancescaelle-mêmeeutdumalàretenirseslarmes.Ellesesentaitdéprimée.PourconsolerIan,Maryaluiditqu’ilpourraitveniràParis,voirlatourEiffel,l’Arcdetriomphe,etsepromenersurlaSeineenbateau-mouche.

—Maisjeneparlepasfrançais,marmonna-t-il,maussade.—BeaucoupdegensparlentanglaisàParis,lerassuraMarya.Charles-Edouardetmoi,nousserons

làpourt’aider.Nousnousoccuperonsdetoi,etj’aimeraisqueFrancescaettonpapaviennentaussi.L’enfanthochalatête,d’unairpeuconvaincu.Parisétaittroploinpourlui.Ilavaitenviedegarder

sesamisauprèsdelui.Le dimanche, Chris trouva Francesca en train d’examiner ses comptes à son bureau. Elle avait

l’impression d’être revenue à l’époque où elle essayait de sauver samaison et son affaire, et où ellecraignaitdetoutperdre.LedépartdeMaryaallaitrendrelasituationfinancièredélicatepourelle.Ellen’avaitpasl’intentionderelouerl’étaged’Eileen.Lessouvenirscontenusdanscettechambreétaienttropabominables.Enoutre,par respectpourEileen, ellenevoulaitpasquequelqu’unprenne saplace.Lelogementétaitpropre,vide,etlaporteverrouillée.Francescan’yétaitpasentréedepuislemeurtre.Bradn’avaitpasencoreétéjugé,etilneleseraitprobablementpasavantdesmois.Lapolicerestaitencontactavecelle.

Elleavaitsouventpenséàtéléphoneràlamèred’Eileen,maisellen’avait jamaispus’yrésoudre.Quelquechoseluidisaitqu’elleneseraitpasbienaccueillie.Ellesepromittoutefoisd’envoyerunecartedeNoël à la famille de la jeune femme.Elle leur avait déjà adressé une lettre de condoléances danslaquelle elle exprimait avec sincérité tout le bien qu’elle pensait d’Eileen, et la perte ressentie. Ellen’avaitpasreçuderéponse.Peut-êtresesprochesnesavaient-ilspasquoidireoucommentledire.

Chrisremarquasonexpressionsoucieuse,tandisqu’ellepassaitlesfacturesenrevue.—Desennuis?— En quelque sorte. Je ne sais pas pourquoi, la galerie n’a pas fait beaucoup de bénéfices en

novembre.Nous n’avons presque rien vendu. Pourtant lemois d’octobre a été excellent, et septembren’était pasmal non plus. Chaque fois que j’ai l’impression d’avoir atteint l’équilibre, quelque chosedérape.Jen’aipastellementderéservessurlecompte,etjen’aitoujourspasfinidepayercettemauditefacturepourledégâtdeseaux.

Ces deuxmille dollars représentaient une somme exorbitante pour son budget. Le plombier avaitheureusementacceptéd’êtrepayéendeuxfois,maisilfallaittoutdemêmesortircetargentdelacaisse.

—LedépartdeMaryaestunchocetunecatastrophesurtouslesplans,dit-elletristement.Ellevatellementmemanquer.

Maryaétaitdevenuenonseulementuneamie,maisaussiunesortedemèredesubstitution.Francescaadoraitleursconversationsquotidiennes.

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—Etjeneveuxpasrelouerlachambred’Eileen.Celam’estimpossible.Detoutefaçon,personnen’envoudrait.Cequis’estpassélà-hautesttropaffreux.Etjeneveuxplusfaireentrerdesinconnuschezmoi.C’esttroprisqué.

Finalement,elleenétaitarrivéeàlaconclusionque,pourunefois,samèreavaitraison.ElleavaiteudelachanceavecChrisetMarya.

—Pourtant,çaabienmarchéavecmoi,lataquinaChris.Francescasourit.Elleétaitsiheureuseensacompagnie.—Oui,j’aibienfaitdeteprendrecommelocataire.MaissansMaryaniEileen,elleperdaitlesdeuxtiersdesesloyers.C’étaitungrandtroudansson

budget.—Commentfaisais-tuquandToddhabitaitlà?demandaChrisaveccuriosité.Ilneluiavaitencorejamaisposélaquestion.—Nous remboursionschacun lamoitiéde l’emprunt.C’étaitunpeudur,maisonyarrivait. Jene

peuxpasassumerceremboursementseule.—Jepourraispartageravectoi.Tun’auraispasbesoinderelouerlestudioàquelqu’und’autre,et

nousvivrionsicitouslestrois,commeunefamille.—Çapourraitmarcher,répondit-elle,pensive.Maisilmesemblequecelaneseraitpasjustepour

toi.Tun’occupesquedeuxpièces.Chriséclataderire.— Jeme disais que je pourraism’installer à l’étage supérieur avec toi, si tu es d’accord. Et Ian

resteradansmachambreactuelle.Jepeuxmêmepayerdeuxtiers,situveux,puisquenoussommesdeuxetquetuesseule.

Chrisétait juste,généreux,et ilvoulait lui faciliter lavie. Ilavait lesmoyensde le faire. Ilvivaitsimplement,etnefaisaitpasdedépensesinutiles.Sontravaildegraphisteluirapportaitsuffisamment,etilavaitprobablementdel’argent,àenjugerparlemilieudontilétaitissu.Francesca,elle,avaitpeudemargedemanœuvre,etellenevoulaitpasvendrelederniertableaudesonpère,saufencasdenécessitéabsolue.Elleétaitdéjàtristed’avoirdûvendrelesautrestoiles.

— Je crois qu’il vaut mieux que nous partagions à cinquante-cinquante, répondit-elle aveccirconspection.NouspourrionstransformertonlogementenchambrepourIan,avecunesalledejeux,etutiliser lesalondurez-de-chaussée.Nousdormirionsdansmachambre,et lestudiodeMaryapourraitdevenirtonbureau.Aveclesportes-fenêtressurlejardin,c’estunepièceensoleillée,trèsagréablepourtravailler.Ettupourrast’yenfermerpourfumerteshavanes,plaisanta-t-elle.

—Cetarrangementmeplaît.Jen’aipasenviequetureprennesdeslocataires,moinonplus.Ainsi, Francesca gardait sa maison. Si un jour Chris voulait partir, s’ils se séparaient, elle

envisageraitpeut-êtredereprendredespensionnaires.Enattendant,riennel’yobligeait.—Çapourraitmarcher,répéta-t-elle,soulagée.Jemefaisaisdusouci.Ils’enétaitrenducompte,etilétaitdésoléqu’elleaitautantdedifficultés.Ilsedoutaitbienquele

départdeMaryaposaitproblème,maisilnesavaitpasquesonbudgetétaitaussiserré.Ilcommenceraitparl’aider,enpartageantavecelleleremboursementdel’emprunt.Celaallaitdoublersonloyer,maisencompensationilauraitl’usagedetoutelamaison.Ilsallaientvivreicicommeuncoupleavecunenfant.L’èredelacohabitationàquatreétaitrévolue.

—J’aid’autresidéespourtesimplifierlavie,ajouta-t-il.Nousenparleronsuneautrefois.Francesca acquiesça, tout en se demandant quelles pouvaient bien être ces idées. Elle lui était

profondémentreconnaissantedel’avoirtiréed’affaire.Cesoir-là,alorsqu’ellespréparaientledînerensemble,Maryaluidemandasielleallaits’ensortir.—Jesuisnavréedetelaisserenplandujouraulendemain.MaisCharles-Edouardalancécetteidée

ilyaquelquessemaines,etilabeaucoupinsisté.Jen’aiprismadécisionquelasemainedernière,c’est

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pourquoijenet’aipasavertieplustôt.TupourrasresteràCharlesStreet?—Toutirabien.Chrisvam’aider.—C’estcequej’espérais.Quelssontvosprojets,àtouslesdeux?—Pourlemomentaucun,ditFrancescaensouriant.Nousallonssimplementvivreiciavecl’espoir

quetoutmarcheracommesurdesroulettes.Marya souhaitait qu’ils semarient, etFrancesca formait lesmêmesvœuxpour son amie.Charles-

Edouard voulait l’épouser dès que le divorce serait prononcé. Les derniers documents devaient êtretransmis au juge dans quelques semaines. Ensuite, il serait libre. Mais Marya n’était pas pressée.Francescanel’étaitpasdavantage.Elleavaitsoigneusementévitélemariagejusqu’àprésent,etellenevoulaitpaschangerd’avismaintenant,malgrél’amoursincèrequ’elleportaitàChris.

—Jeneveuxpasdevenircommemamère.—Tupourraisvivremilleanssans jamais lui ressembler!s’exclamaMarya.Vousêtes totalement

différentes.Jel’aimebien,maisvousn’avezpasdutoutlemêmegenre.MaryavoyaitThalia tellequ’elleétait :unefemmefrivole,superficielle, tropgâtée,etégoïste.En

revanche,elleavaitunprofondrespectpourFrancesca,qu’elleaimaitcommesafille.—Tupourraistemarierdixfois,quetuneluiressembleraistoujourspas!—Jepréfèrenepasprendrelerisque.Jemedemandesielletrouveraunjourunenouvellevictime.

Celafaitdesannéesqu’elleestàlarecherchedunumérosix.Asaplace,j’auraisabandonné,maiselleestinfatigable.Jesuissûrequ’àquatre-vingt-dixans,elleferatoujourslacourseaumari.

Ladescriptioncontenaitunfonddevérité,etlesdeuxfemmessemirentàrire.Cesoir-là,ChrisetFrancescadiscutèrentduréaménagementdelamaison.Francescasedemandait

quandilsdevraientmettreIanaucourantdeleurprojet.—Tucroisqu’ilseracontrarié,situt’installesenhautavecmoi?Chrisl’embrassa.—Cessede t’inquiéter. Ilseraravid’avoirunesallede jeuxrienqu’à lui.Jevais luiacheterune

télévisiongrandécranpourqu’ilregardesesfilms.Etnousseronsjusteàl’étageau-dessus.L’idéed’avoirenfinlamêmechambrelesenchantait.Ilsnevivaientplusunesimplehistoired’amour,

ilsselançaientdansunevraieviedecouple.Francesca lui rappelaqu’ils allaient àMiami leweek-end suivantpourArtBasel.C’étaitunedes

plusbellesfoiresd’artcontemporainaumonde,justeaprèscellequiavaitlieuàBâle,enSuisse,aumoisdejuin.Unedizained’autresévénementssurl’artcontemporaindevaientégalementavoirlieuàMiami,aucoursdumêmeweek-end.Francescaétaitimpatiented’yêtre.

SielleétaitencorebouleverséeparledépartdeMarya,elleavaitdestasdeprojetsréjouissantsenperspectiveencompagniedeChris;leurviecommunen’enétaitqu’àsesbalbutiements.

PourNoël,Chrisvoulaitqu’ellel’accompagneàBostondanssafamille.Francescaavaitaccepté,etIanétaitauxanges,maiscetteidéelaterrifiait.Ellecraignaitdenepasplaireàsesparents,oudenepasêtrejugéedignedelui.Aprèstout,ellen’étaitqu’unepetitemarchandedetableauxdeWestVillage,lafille d’un simple peintre,même s’il était connu. La famille deChris regorgeait de gens importants etinfluents.

—Mesparentsvontt’adorer,j’ensuissûr,ditChrisd’untonrassurant.Francescadécidaderemettresesinquiétudesàplustard,etdeseconcentrerpourlemomentsurleur

voyageàMiami.EntreledépartdeMarya,lesréaménagementsdanslamaisonlesfêtesdeNoëldanslafamilledeChris,lemoisdedécembreallaitêtrebienrempli.

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20

Marya et Charles-Edouard avaient proposé à Chris de garder Ian quand Francesca et lui iraientpasserleweek-endàMiami.Francescaétaitimpatientedevisitertouteslesexpositions,surtoutScopeetRedDot.Entout,ilyavaitseizeexpositionsenplusdeArtBaseloùlesœuvresexposéessevendaientàdesprixexorbitants.L’agentdesonpèreyavaitunstand.AveryetHenrys’yrendaientchaqueannée,etelleleuravaitpromisdelesappeler.

FrancescaavaitréservéunechambreauDelano.Chriseutlecoupdefoudrepourcethôtel.Chaqueascenseurétaitéclairéd’unecouleurdifférente,etleschambresavaientétédécoréesparPhilippeStarck.Il faisait un temps doux et humide lorsqu’ils arrivèrent ; Chris mourait d’envie de faire un tour à lapiscine. Francesca, elle, ne pensait qu’à filer directement à la foire, pour commencer à explorer lesstands.Ilsverraientplusdetableauxendeuxjoursquelaplupartdesgensn’envoyaientdanstouteleurvie.

Art Basel se tenait au Convention Center de Miami Beach, dans un hall immense. D’autresexpositionsavaientlieuauIcePalaceStudio,etd’autresencoreétaientdisséminéesdanstoutelaville.Certainesdemoindreimportanceavaientréquisitionnédeshôtelsentiers,chaquechambreétantoccupéeparunmarchanddifférent.Ilyavaitdesréceptionsdansunedouzained’endroits,boîtesdenuit,hôtels,restaurants… Francesca avait reçu toute une pile d’invitations. Ce week-end représentait le premiercontactdeChrisaveclemondeartistiquedepremierplan–uneimmersioncomplète.EnchantédefairecetteexpérienceavecFrancesca, ildécidade s’en remettrecomplètementàelle.Toutefois, il la retintavantqu’ellepuissequitterlachambre,etilsrestèrentunedemi-heureaulit.Unbondébutdevoyage!Ilssedouchèrentetsechangèrentavantderessortir.

Ils prirent un taxi devant l’hôtel pour se rendre au Convention Center. Un bâtiment séparé étaitconsacréauxjeunesartistesetauxœuvresd’avant-garde.LerêvedeFrancescaétaitdepouvoirexposerunjourauRedDot.Elleavaitl’intentiondeleurprésenterundossierl’annéesuivante,siellesesentaitprête.De toute façon, elle se préparait à passer plusieurs années sur liste d’attente. Pour accéder auxfoiresd’artcontemporain,ilfallaitintriguer,connaîtredumonde,fairejouersesrelations.Avecsonpère,elledisposaitd’uneentrée rêvée,maispour l’instantellepréféraitnepasenpasserpar là.Ellene serésoudraitàexploitercefilonquesiellenepouvaitvraimentpasfaireautrement.

—Jen’hésitepasàmemettreàplatventrequandc’estpourmesartistes,dit-elleàChrisenriant,alorsqueletaxis’arrêtaitdevantl’immensehalld’exposition.

Francescaavaitobtenuuneaccréditationparl’agentdesonpère,etquelquesminutesplustardilsseretrouvèrentàarpenter lesallées,enarrêtdevantchaquestandpouradmirer les toilesexposées.Chrisn’en croyait pas ses yeux : un nombre incalculable demarchands de grande renommée vendaient destoiles prestigieuses. Enmoins de cinqminutes, il repéra trois Picasso qui coûtaient chacun une vraiefortune.IlvitégalementunMatisse,unChagall,deuxdeKooning,unPollock,etdeuxtableauxdupèredeFrancescaexposésparsonagent.L’und’euxavaitunpointrougecollésurlecadre,cequisignifiaitqu’ilétaitvendu.Ledeuxièmeavaitunpointblanc,cequisignifiaitqu’ilétaitréservépourunclient.Ilfallaitunbudgetcolossalpouracheterdanscegenredelieu.

—D’oùviennenttoutescestoiles?demandaChris,époustouflé.Il n’avait jamais vu autant de tableaux à la fois, et l’envergure des artistes exposés était

impressionnante.—D’Europe,desEtats-Unis,deHongKong.

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Lesmarchandsd’artdumondeentierseretrouvaientlà.Ungrandnombredegaleriesd’avant-gardeexposaient des œuvres destinées à choquer le public. Il y avait des installations de vidéos, de l’artconceptuel,etsurl’undesstandsilsvirentmêmeungrandtasdesablesurlesol.Cetteœuvre,installéelàparl’artiste,audemeurantfortconnu,étaitvenduecentmilledollars.

Chrisfaisaitdescommentairessurlestoiles,aufuretàmesurequ’ilslesdécouvraient,etFrancescaluiparlades artistesqu’elle connaissait.Ellepassaunexcellentmoment,heureused’être avec lui. Ilsrestèrentjusqu’àvingtheures,puisprirentuntaxipourserendreàunesoiréeàlaquelleFrancescaavaitétéinvitée.Celle-ciavaitlieuauB.E.D,unrestaurantoù,commesonnoml’indiquait,lesclientsétaientassis ou couchés sur desmatelas, et dînaient à la mode romaine. Toutes les conversations tournaientautourdel’art,desartistes,delapeinture,delaqualitédel’exposition,destoilestrèschèresquiavaientdéjàétévendues.Francescarencontraplusieursconnaissancesqu’elleprésentaàChris.Elleétaitdansson élément, profitait de chaqueminute avec délices.Chris appréciait aussi la soirée, fasciné de voirqu’unegrandepartiedesgensprésentssemblaientconnaîtresacompagne.

Ilsnerentrèrentàl’hôtelqu’àdeuxheuresdumatin,nonsansavoirfaitunehaltepourdanserdansunefêteorganiséedansuneboîtedenuit.

Ilsn’avaientpasencorereprispiedsurterrelelendemainmatin,quandlasonneriedutéléphonelesréveilla.Ianvenaitd’acheterunsapindeNoëlavecMarya,qu’ilsétaiententraindedécorer.Ilsallaientfairecuiredesbiscuitsenformed’étoilespourlessuspendreausapin,etIanétaitsurexcitépartouscespréparatifs.ChrissouritàFrancescaaprèsavoirraccroché.

—C’est un enfant formidable, tu ne trouves pas ? demanda-t-il en se lovant contre elle, sous lacouverture.

—C’estvrai.Ettoiaussi,tuesformidable,rétorquaFrancescaenl’embrassant.Uneheureaprèsl’appeldeIan,ilsarpentaientdenouveaulesalléesdelafoire.Ilsypassèrenttoute

la journée, jusqu’au moment où Chris demanda grâce, clamant qu’il ne pouvait pas regarder un seultableaudeplus.Francesca,elle,voulaitencorevoirRedDotetScope.Elleacceptadefaireunepause,etdepasseruneheureavecChrisà lapiscine. Il s’allongeaàcôtéd’elleavecsoulagement,unverredebièreàlamain.

—Seigneur,ilsnemententpasquandilsdisentquec’estlaplusgrandefoiredumonde,murmura-t-il,l’airsiépuiséqueFrancescasemitàrire.

Elleavaitencorebeaucoupdechosesàvoir,tropprobablement.Heureusement,ilsavaientprévuderentreràNewYorklelundiaprès-midiseulement.

Le dimanche, Chris déclara forfait. Il avait une indigestion de tableaux, et Francesca se moquagentimentde lui endisantqu’il lui rappelait Ian. Il avait enviede retournerà l’hôtelpour regarderunmatchdefootball.Ilsdécidèrentdeseretrouverenfind’après-midi.

Cesoir-là,ilsdînèrentdansunrestaurantchicetbranchédeSouthBeach,avecHenry,Avery,etleuragent, un homme passionnant. Chris eut une intéressante conversation avec lui sur l’art italien de laRenaissance,puisildiscutalonguementavecHenrydesestoiles,etdel’évolutiondesonstyle.Lesdeuxhommess’entendaientàmerveille,etAveryadressaunclind’œilcompliceàFrancesca,toutensuivantlaconversationd’uneoreille.Jusqu’ici,toutsepassaitbien.Francescadevinaàl’expressiondesonpèreet à ses manières exubérantes que Chris lui plaisait. Il était difficile de ne pas l’aimer. Intelligent,intéressant,solideetd’unecompagnieagréable,ilavaitàcœurdedécouvrirlemondedanslequelelleévoluait.

Ledimanchesoir,exténuée,Francescafutelleaussiheureuseetsoulagéederegagnerl’hôtel,aprèscette longue immersion dans l’artmoderne. Elle avait encore trois expositions à visiter le lendemain,mais Chris refusa tout net de l’accompagner, déclarant qu’il resterait à la piscine de l’hôtel. Elle neprotesta pas, elle avait tant de choses à voir et tant de gens à rencontrer qu’elle n’y voyait pas

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d’inconvénient.Lelundimatin,Averyetellevisitèrentensembledeuxpetitesexpositionsorganiséesdansdeshôtelsdemoindreimportance.

—Chrismeplaîtvraiment,ditAveryd’untondétaché,alorsqu’ellesdéambulaiententrelesstands.Ilplaîtaussiàtonpère.C’estungarçondrôle,intelligentet,cequimeréjouit,ilestmanifestementfoudetoi.

— Je suis folle de lui aussi.Au fait, je ne te l’ai pas encore dit,mais je ne prendrai pas d’autrelocataireaprèsledépartdeMarya.Chrisetmoiallonspartagerlamaison.

Averyfutsoulagéedecettenouvelle.Alorsqu’elleengageaitlaconversationavecunamiquitenaitunegalerieàCleveland,letéléphonedeFrancescasemitàsonner.C’étaitChris,etilavaitl’airpaniqué.

—Oùes-tu?Tupeuxrentrerleplusvitepossible?—Jevisiteuneexpo,dansunpetithôtelprèsdelaplage.Pourquoi?Quesepasse-t-il?Ilyavaitdubruit,beaucoupdegensparlaientautourd’elle,etlaconnexionn’étaitpastrèsbonneà

l’intérieurdel’hôtel.Francescas’éloignadanslehallpourmieuxentendre.—KimaprisIanàl’école.Ellel’akidnappé,expliquaChris,deslarmesdanslavoix.—Oh,monDieu.Commenta-t-ellefait?LapaniqueenvahitégalementFrancesca. IlssavaientqueKimétaitsortiedeprisondeuxsemaines

plus tôtetqu’ellese trouvaitencurededésintoxicationdansunétablissementde luxeduNewJersey.Elleétaitcenséeyséjournerjusqu’àNoëlmaiselleétaitlibred’alleretdeveniràsaguise,etChrissedoutaitqu’elleuseraitdecette liberté. Il avait recommandéàMaryade faire très attention, et celle-cin’étaitpresquepassortieavecIandetoutleweek-end,exceptépouracheterlesapindeNoël.Charles-Edouardetelleavaientoccupél’enfantàlamaison,enluifaisantpréparerdesdécorationsdeNoëletdescookies.

— Elle s’est présentée à l’école ce matin en disant que c’était son jour de visite, et qu’ellel’emmenaitchezlemédecinpourunrappeldevaccin.Ilsl’ontcrue.JesupposequeIanétaitheureuxdelavoiretqu’ill’asuiviesansproblème.L’écolevientjustedem’appelerpourvérifierquetoutétaitenrègle.JenesaispasoùKimestallée.Jen’aiaucuneidéedecequ’ellecomptefairedeluinidel’endroitoùelleveutl’emmener.

—Allons,ellenepeuttoutdemêmepasêtrefolleàcepoint,ditFrancescaenespérantlecalmer.Pourlapremièrefoisdepuisqu’elleleconnaissait,Chrissemitàcrier.—Elleestcomplètementcinglée!rugit-ildansletéléphone.Jevaistuertouscescrétinsdel’école!

Ilssaventqu’ellen’adroitqu’àdesvisitessupervisées, jeleuraidonnéunecopiedel’ordonnancedutribunal.IlfautretourneràNewYorkimmédiatement.Ilyaunvolàuneheuredel’après-midi,jeveuxleprendre.Jevaispréparertavalise.Rejoins-moiàl’aéroportdevantlebureaud’enregistrementdeUnitedAirlines.

FrancescaretrouvaAveryetluiexpliquacequisepassait.Sabelle-mèrefutatterrée.—Tucroisquelepetitestendanger?Elleneluiferapasdemal,n’est-cepas?—Jenecroispas.Dumoins,pasintentionnellement.Elleestplussusceptibledesefairedumalà

elle-même, en faisant une bêtise. Elle veut peut-être simplement flanquer la frousse à Chris, ou luiprouverqu’ellepeutfairecequiluichante.Elleavraimentungrain.

Francescarepensaàlalistedeshorreursquel’avocatavaiténuméréesautribunal.MaisIanavaithuitansàprésent,etilétaitplusdébrouillardquelaplupartdesgossesdesonâge.Ilavaitbienfalluqu’ilapprenne à l’être, lorsqu’il vivait avec sa mère. Elle embrassa rapidement Avery, se précipita àl’extérieurethélauntaxienmaraude.QuandelleretrouvaChrisàl’aéroport,ilétaitauxcentcoups.Ilvenaitjustedefaireenregistrerleursbagages,etilluitenditsonmanteau.

—Elleapeut-êtretoutsimplementemmenéIanchezelle,suggéraFrancescad’untonapaisant.Peux-tuappelerlapolice?

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—C’estdéjà fait, répondit-il,crispé.Jenecomprendspaspourquoi Ian l’asuivie. Il saitqu’ilnedoitpasresterseulavecelle.Ilauraitdûrésister.

— C’est sa mère, dit doucement Francesca, alors qu’ils franchissaient la porte de la salled’embarquement.

Ilsfurentlesdernierspassagersàmonterdansl’avion.Aquelquesminutesprès,ilsauraientratélevol.

—Ellenerépondpasautéléphone.Lespolicierssontàsarecherche.JeleuraiditqueIanétaitendanger,etjelecroissincèrement.Cettefemmeestfolle.

Chrisnedesserrapaslesdentsdetoutlevoyage.Francescaeutl’impressiondevivrelestroisheureslespluslonguesdesavie.Ellelesurveillaitducoindel’œil,conscientequel’angoisselemettaitàlatorture.Ilétaittoutsimplementterrifié.

Auboutd’unmoment,ellerenonçaàessayerdeluiparler,etsecontentadeluitenirlamain.Ilavaladeuxwhiskiescoupsurcoup,puisparvintàsomnolerunpeu.Jusqu’àl’atterrissage,ilsnepouvaientrienfaire.

A l’aéroport deNewYork, ils prirent un taxi et filèrent à lamaison oùMarya les attendait.Bienqu’ellenefûtpourriendanscequivenaitdesepasser,elleétaiteffondrée.Chrisavaitappelélapoliceàlaminutemêmeoù ils avaientatterri,mais iln’yavait riendenouveau.Lespoliciers s’étaient renduschezKim,ellen’yétaitpas.Leportiernel’avaitpasrevuedepuissasortiedeprisonetsondépartencurededésintoxication.

AssisdanslacuisinedeCharlesStreet, la têteentrelesmains,Chrisréfléchissait.Oùpouvait-ellebiensetrouver?Oùpouvait-elleavoiremmenésonfils?Soudain,uneidéeletraversa.

—Siellen’estpasentraind’acheterdeladope,oumortequelquepartaufondd’uneruelle,ilyaunbar dans leWest Side où elle emmenait souvent Ian, expliqua-t-il à Francesca etMarya. Ils ont desflippersetdesjeuxd’arcade.Ianadoreça,etcen’estpastrèsloindechezsondealer.

Ilavaitdonnéàlapolicel’adressedudealer,dumoinsledernierdontilavaitentenduparlerparIan.Ilsortitdelamaisonentrombe,etFrancescalesuivit,négligeantdeprendresonmanteaumalgrélefroidmordant.Chrishélauntaxi.

—Retourneàl’intérieur.Jet’appelleraiquandj’aurairetrouvéIan!lança-t-il,lestraitscreusésparl’angoisse.

—Non,jeviensavectoi.Il eutuneseconded’hésitation,puisouvrit laportièred’ungestebrusque. Iln’avaitpasenvieque

Francesca assiste à cette descente aux enfers,mais elle aimait Ian et elle faisait partie de leur vie àprésent.Ycomprisdanslesmomentsdifficiles.Ilseglissasurlesiège,etelles’engouffraaveclui.

Chrisdonnal’adressedubarauchauffeur,enprécisantqu’ilsétaientpressés.Lechauffeurs’engageasurlaWestSideHighway,etilsarrivèrentendixminutes.C’étaitunendroitlouche,etentempsnormalFrancescan’y serait jamais entrée.Chris poussa la porte de l’établissement et pénétra à l’intérieur. Ilfaisaittrèssombre.L’espaced’uneseconde,ilfutaveugléparleslumièresclignotantesdesmachines.Unbarmanessuyaitlecomptoir.Ilyavaitdeuxserveusesendécolletéplongeant,jupecourteennylonetbasrésilles.Deux hommes jouaient au flipper.Et soudain il le vit, tout au fond, face à un jeu vidéo.Uneminusculesilhouettedevantunemachine.Ilyavaitunefemmeàcôtédelui,affaléesurlatable.

Chrisseprécipita,pritsonfilsdanssesbras,lesoulevaetlecontemplalonguement.Deslarmessemirentàcoulersursesjoues,sansmêmequ’ils’enrendecompte.Francescasemitàpleureraussi,desoulagement.Ianlesdévisagea,sesgrandsyeuxsombressemblaientluimangerlevisage.

—Tuvasbien?demandaChris.L’enfanthochalatête.—Çava,dit-ild’unepetitevoix.Maiselleestmalade.Cequivoulaitdirequ’ellevenaitdeseshooter.Lascènen’étaitnouvellenipourIannipourChris.

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—Jem’enoccupe,réponditChris,lesmâchoiresserrées.IlconfiaIanàFrancesca.Kimn’avaitpasbougé.—Ramène-leàlamaison.Francesca répondit d’un signe de tête, Ian lui donna la main, et ils sortirent pendant que Chris

secouaitsonex-femmeparl’épaule.Iln’obtintaucuneréaction.Ilsedemandasiellen’avaitpasfaituneoverdose.Inquiet,ilcherchasonpoulsdanslecou.Acemoment,ellepoussaungrognementetfutprisedevomissements.Elledemeuranéanmoinslatêtesurlatabledanssesvomissures.Uneserveusevoyantcequisepassaits’approchaavecuneserviettehumide,etladonnaàChrisquisaisitKimparlescheveuxpourluireleverlatête.Lajeunefemmeouvritlesyeux,etilnettoyasonvisagesouilléaveclaserviette.Illahaïssait.L’héroïneluifaisaittoujoursceteffet-là,surtoutsiellen’enavaitpasprisdepuislongtemps.Or,aprèsdeuxsemainesdesevrage,lepremiershootpouvaitêtrefatal.

—Oh…salut,bredouilla-t-elle,d’unairhagard.OùestIan?—Ilestrentréàlamaison.Etalors,sansmêmes’enrendrecompte,illuiposaunemainsurlecouetserra.Elleécarquillales

yeux,maiselleétaittropdroguéepouravoirpeur,soncerveauneréagissaitplus.—Sijamaisturefaisça…situletouches,situleprendsavectoi,situl’emmènesquelquepart…Si

tulevoisendehorsdesvisitessupervisées…jetejurequejetetuerai,Kim.Sesdoigtsseresserrèrent,et ileut réellementenviede l’étrangler.Pendantunmomentdefolie,un

désirdemeurtreincontrôlables’emparadelui.Ilfuttentédeluibriserlecou.Tremblantdelatêteauxpieds,illarelâcha.

—Net’approcheplusjamaisdelui,net’aviseplusdel’emmeneravectoinullepart,etsurtoutpasdanscegenred’endroit.

Puis,sansunmot,illasoulevapourlaremettresursespieds.Elles’approchadeluienchancelant.Illapritparlebras,l’entraînaàl’extérieur,oùellevomitdenouveau.

—Jetehais,dit-ilquandelleposalesyeuxsurlui.Jehaistoutcequetureprésentes,toutlemalquetunousasfait.JehaiscequetuinfligesàIan.Ilneméritepasça.

Pireencore,Chrisdétestaitcequ’ildevenaitensaprésence.Elleagissaitsurluicommeunpoison,quil’emplissaitderage.L’espaced’uninstant,danslebar,ilavaiteuenviedelatuer.Personned’autrequ’ellenelemettaitdansuntelétat;ellen’envalaitvraimentpaslapeine.

Un sanglot lui noua la gorge et, sans lâcher le bras deKimberly, il fit signe à un taxi.La voitures’arrêtaàleurhauteur.Ilouvritlaporte,etlapoussaàl’intérieur.Ellesentaitlevomi,etluiaussi.Elleavaittrente-deuxans,elleavaitétésuperbe,maisilnerestaitplusriendesabeautéd’autrefois.

Chrisdonnaquarantedollars auchauffeur, avec l’adressedupèredeKim.Puis il lançaà sonex-femmeunregarddedégoût.Laragecouvaitencoreenlui.

—Vavoirtonpère.Ils’occuperadetoi.Etnet’approcheplusdeIantantquetuneseraspasguérie.—Merci,marmonna-t-elle,enessayantnonsansmaldesoutenirsonregard.Puis elle laissa retomber sa tête contre le dossier et ferma les yeux. Chris claqua la portière. Il

tremblaitdetoussesmembres.Ilavaitfaillilatuer.Ilenavaiteuledésir.Cetteidéeleterrifia.Il fit quelques centaines de mètres à pied, puis arrêta un autre taxi auquel il donna l’adresse de

CharlesStreet.Ilregardaparlafenêtre,lesyeuxdanslevague,encoresouslechocdecequivenaitdesepasser.

S’ilavaitperdulecontrôledelui-mêmeetl’avaittuée,savieetcelledeIanauraientétédétruites.Ilnevoulaitplusjamaislarevoir.Ellereprésentaitcequiluiétaitarrivédepiredanssavie.Ianétaitlemeilleur.

Ils’efforçadeseconcentrersurcetteidéelerestedutrajet.

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21

En entrant dans lamaison, Chris entenditMarya et Francesca qui s’activaient dans la cuisine, encompagniedeIan.Charles-Edouardétaitentraindeleurprépareràdîner.Chrismontadanslachambre,pritunedouche,etchangeadevêtements.Ilétaitencorebouleverséparcequ’ilavaitfaillifairedanslebar.Durant tout levoyagedeMiami àNewYork, il avait été rongépar lapaniquededécouvrir queldangerKimfaisaitcouriràleurfils.

Pâleetabattu,ildescenditl’escalierquimenaitàlacuisine.Ianlevalesyeuxenentendantsonpas.Avoirleregarddupetitgarçon,onauraitpucroirequec’étaitceluid’unadulteavecunematuritéinfinie.LecœurdeChrisseserradouloureusement.

—Oùestmaman?Il était inquiet, et craignaitque sonpèrene soit fâchécontre lui.Maiscen’étaitpas lecas,Chris

n’étaitpasencolère,ilavaitpeur.Peurdecequiauraitpusepasser,etpeuraussidecequ’ilauraitpufaire.Saréactionétaitunesortedesonnetted’alarme,unemiseengarde.

—Jel’aienvoyéesereposercheztongrand-père.Ilsauracequ’ilfautfairepourlasoigner.Sonbeau-pèrerenverraitsafilleencurededésintoxication,pouruneénièmefois,etelles’enfuirait

denouveau.Jusqu’aujouroùellemourrait.Chrisn’avaitpasbesoindelatuer,carelleétaitdéjàmorte.Elle était morte des années plus tôt, quand elle avait commencé à se shooter, bien avant qu’ils serencontrent.Maisilnelesavaitpas.

—Net’enfaispas,Ian,çavaaller.Unjourpeut-être…—Jesuisdésolé,jenevoulaispastefairepeur.Maisj’étaistrèsinquiet.Jeneveuxplusjamaisque

tupartesavecelle.Tupeuxlavoir,maisilfautqu’ilyaitquelqu’unavecvous.IanhochalatêteetChrislepritdanssesbras.—Jesuisdésoléquetuaiesvuça.De fait, le petit garçon avait déjà vu la même scène des milliers de fois. Comment pouvait-il

demanderpardonàsonfils,deluiavoirdonnéunemèrecommeKim?Unfrissonleglaçaàlapenséequ’ilavaitmanquélatuer.Ianperçutsonfrémissement,etsesentitdésolépoursonpère.

—Cen’estrien,papa.Ellen’allaitpastropmal,elleétaitjusteunpeumalade.Lesparolesde l’enfantétaient terribles.Elles signifiaientqu’il avaitvécudesmomentsbienpires

quecelui-ci.Chrisauraitvouluprendreunbainquipuissenettoyersesentrailles,sonespritetceluideIandetouslessouvenirsquiyétaientincrustés.Hélas,cen’étaitpaspossible.Ianauraitunjouràréglertout cela, personnellement. C’était l’héritage que lui avait laissé sa mère. Lui et son père étaientdescendusenenferetenétaientrevenus.

ChrisseretournaetvitFrancesca.Ilnel’avaitpasremarquéeenentrantdanslacuisine.Illuisourit,ellesemblaitbouleversée,elleaussi.

—Mercid’avoirramenéIanàlamaison.Chriss’assitàlatable,etelles’installaàcôtédelui.—Çavaaller,Chris.Çavas’arranger,pourvousdeux.EllesouritàIan,quivintseblottirsursesgenoux.—Ehbien,nousavonseuunejournéemouvementée!dit-elled’untonenjoué.Iansemitàrire,etlatensionsedissipadoucement.Marya aida Charles-Edouard à finir de préparer le repas, puis Ian et elle montrèrent à Chris et

FrancescalesdécorationsdeNoëlfabriquéesaucoursduweek-end.Lepetitsapinétaitsuperbe,etIan

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étaittrèsfier.Peuàpeu,lecauchemars’effaça.L’épisodeauraitpuavoirunefintellementplustragique.—Pourquoinepartirions-nouspas tous ensemblepasser leprochainweek-enddans leVermont ?

suggéraMarya.C’estsansdouteladernièrefoisquenouspourronslefaire!L’idéeemballaFrancesca.C’étaitdanscettepetitemaisonqueleurviedecoupleavaitcommencé,à

Chrisetelle.Ianétaittoutexcité,etChrisesquissaunsourire.Plustarddansl’après-midi,ChrisetFrancescaseretrouvèrententêteàtête.—Jesuisdésoléquetuaiesassistéàtoutça.Cettepartiedemavien’estpasbelleàvoir.Ilavaithonte,commes’ilétaitresponsabledecequis’étaitpassé.Etencoreplushontedecequ’il

avaitfaillifaireàKimberly.—Ce n’est pas ta faute, dit doucement Francesca en nouant ses bras autour de son cou. Je suis

contented’avoirétélàpourtoi,etpourIan.—Moiaussi.Sanselle,songea-t-il,peut-êtresafolieaurait-elleprisledessus.Ill’embrassa,eteutl’impressiond’échapperauxgriffesdupassé.Avecelle,c’étaitunenouvellevie

quis’offrait.Kimétaitlecauchemar,Francescalerêve.

SuivantlapropositiondeMarya,ilsserendirentdansleVermontoùilspassèrentunexcellentweek-end. Ils jouèrent dans la neige, firent de longues promenades, et prirent des tonnes de photos. Ilsfréquentèrentlesrestaurantsducoinetlesaubergesdecampagne.Tôtledimanchematin,ChrisemmenaIandansunestationdeski,louadumatériel,etfitquelquesdescentesaveclui.Ilsvoulaienttousprofiterdechaqueinstant.Nulnesavaitquandilsseretrouveraientensemble.AussiCharles-Edouardprit-ilunedécision.

—L’été prochain, vous viendrez nous voir tous les trois dans le sud de la France.Marya etmoiallonslouerunevillaenjuillet.

Ianapplauditavecenthousiasmeàcettesuggestion,etChrisetFrancescaacceptèrentl’invitationavecsimplicité.

Ils allaient tous commencer une nouvelle vie. Chris avait expliqué ce matin à son fils qu’ils’installeraitchezFrancesca.Commeça,Ianauraitunechambrepourluitoutseul.

—Tantmieux,avaitrépondulegarçonnetd’untongrave.Parcequeturonfles,jetesignale.— Par exemple ! s’était exclamée Francesca, secrètement soulagée que Ian ne prenne pasmal la

nouvelle.Tout le long de la route jusqu’àNewYork, ils entonnèrent des chants deNoël, en français et en

anglais.Marya leur laissa les clés de la maison du Vermont, pour qu’ils s’y rendent quand bon leursemblerait.

Ians’étaitendormipendantlevoyageetChrisleportadirectementdanssachambreenarrivant.Lepetit garçon entrouvrit les yeux, et regarda sonpère comme s’il avait quelque chosed’important à luidire.

—Papa,onpeutadopterunchien?—Biensûr!s’exclamaChrisenriant.Quelgenredechien?—Undanois,ditIan,d’unevoixensommeillée.—Pasquestion!Unteckelpeut-être,ouunlabrador.Ian hocha la tête et se rendormit. Chris l’installa dans son lit, le borda, et descendit retrouver

Francesca.Celle-ci était en traindedéfaire sesvalises, et lui sourit.Quelle chance il avait euede larencontrer!songea-t-il,attendri.Iln’enétaittoujourspasrevenu.

—Jepeuxdormiricicettenuit?MonpetitcopaindechambréeestdanslesbrasdeMorphée.—Biensûr.

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Ils avaientpartagé lamêmechambredurant tout leweek-end, et elle aurait étéunpeu tristede seretrouverseulecettenuit.

Chriss’allongeadanslelit,etlaregardasedéshabilleretenfilersachemisedenuit.Ilétaitimpatientdepartagerchaquesoiravecellecesmomentsd’intimité.

—Maryavamemanquer,dit-elled’unevoixtriste,enseglissantentrelesdraps.Chrisdormaitentee-shirtetboxer.Lerestedesesvêtementsjonchaitlesol.Ilsesentaitdéjàcomme

chezluidanslelitdeFrancesca.—Nouslesverronsl’étéprochain,enEurope.Ceserasympa.Francescaapprouvad’unsignedetête.Ilsétaientenchantésàl’idéedepouvoirutiliserlamaisondu

Vermont.C’étaituncadeaud’uneincroyablegénérositédelapartdeMarya.—Tucroisqu’ilsvontsemarier?demandaFrancesca,lorsqu’ilseurentéteintlalumière.Elleadoraitsentirsoncorpscontrelesien,ets’éveillerprèsdeluilematin.—Probablement.Entoutcas,ilssecomportentcommesic’étaitfait.Francescaavaithâted’enarriverlàavecChris.Cen’étaitpasencoretoutàfaitlecas.Dansunsens,

ceseraitbienpoureuxd’avoirlamaisontoutentièreàleurdisposition.—Bonnenuit,chuchota-t-elle,ensepelotonnantcontrelui.Chrissourit,etdemeuraencoreunlongmomentéveillé,contemplantlevisagedeFrancescadansla

pénombre.Puisilfinitpars’endormiretlatintserréecontreluitoutelanuit.

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22

La dernière semaine deMarya etCharles-Edouard àNewYork fut chaotique. Francesca aida sonamieàfairesesbagages.Ilfallaittouttrier,envoyerunepartiedesbiensàParis,l’autredansleVermont.MaryadonnalaplupartdesesinstrumentsdecuisineàFrancescaetjetaunebonnepartiedesesaffaires.

—C’estahurissant, lenombredechosesquel’onpeutaccumulerenunandansunsipetitstudio!s’exclamaMaryaenregardantautourd’elle.

Ilyavaitdescartonsentasséspartout,etquelquespaquetsdestinésàGoodwill,uneœuvrecaritative.Celafaisaitdesjoursqu’ellesemballaientdesobjets.LamèredeFrancescavintsaluerMaryaavantsondépart,carelleprenaitl’avionpourZurichlesurlendemain,afind’êtreàGstaadpourNoël.

— Je t’appellerai à Paris lors de mon prochain passage, promit-elle à Marya. Et si tu épousesCharles-Edouard,nem’invitesurtoutpasaumariage.Jeseraistropjalouse.

L’homme au yacht qu’elle avait rencontré à San Francisco pour Thanksgiving n’avait pas faitl’affaire.Thaliaétaittoujoursàlarecherchedunumérosix.

—Nousnesommespaspressés,assuracettedernière.—CommentçavaentreChrisetFrancesca?demandaThalia,alorsqueMaryaluidonnaituncadeau

d’adieu,undeseslivresderecettesqueThalian’avaitpasréussiàseprocurer,carilétaitépuisé.—Ilsont l’air trèsheureux.Ilsnesontqu’autoutdébutde leurrelationamoureuse.Jepensequ’il

leur faudradu temps.Chrisavécudeschosesépouvantablesavecsonex-femme,etFrancescaest trèsprudente,commetulesais.

Maryaleurservitduthé.Thaliaserenditcomptequ’elleallaitluimanquer.Ellefaisaitlelienentresa fille et elle, car Francesca ne lui faisait jamais de confidences. Elles parlèrent de Paris encore unmoment,puisThaliaselevapourprendrecongéetserraMaryadanssesbras.

—Prendsbien soinde toi, dit-elledoucement.Tuvasmemanquer, etpas seulementparceque tuformesuntraitd’unionentremafilleetmoi.

Maryaétaitdevenueuneexcellenteamiepoureuxtous,etThaliapensaitqu’elleméritaitlebonheurqu’elleavaittrouvéauprèsdeCharles-Edouard.Elleapportaitdelajoieetdubien-êtreauxautres,etcen’étaitquejusticequ’elleaitaussisapartd’amour.Lesdeuxfemmessejurèrentderesterencontact.

Enpartant,ThalialaissadescadeauxdeNoëlpourFrancesca,Chris,etIan,etpromitàsafilledel’appelerdeGstaad.Elles’envolaitpourl’EuropeunjouravantMarya,etelleallaitêtre trèsoccupéejusqu’àsondépart.

AveryaussipassapourdireaurevoiràMarya,etdéposersescadeauxdeNoël.CeluideFrancescaétaiténorme,etilétaitfacilededevinercequisecachaitsousl’emballage.C’étaitunetoiledesonpère,quivenaitcompenserunpeulapertedescinqtableauxqu’elleavaitdûvendre.

L’œuvre enthousiasma Francesca. Chris l’aida à l’accrocher dans le salon, à la place d’une toilequ’ellen’avaitjamaisbeaucoupaiméedel’undesartistesqu’elleexposaitautrefois,maisquinefaisaitpluspartiedesespoulains.Christombaenadmirationdevantlapeinture.IlsavaientdécritenlongetenlargeàMaryaetCharles-EdouardArtBasel;Chrisn’avaitjamaisvuautantdetableauxdesavie.

Maryaauraitaimévoirça.ElleavaittoujourseuenviedevisiterlaFoiredeBâleaumoisdejuin.Maintenantqu’elleallaitvivreàParis,ceseraitpossible.Ilyavaittantdechosesquilatentaient.Elleétaittristedepartir,maisplusladatedudépartapprochait,plussonexcitationgrandissait.

IlsavaientprévudepasserNoëlàCourchevel,encompagnied’amisdeCharles-Edouard.C’étaitunestationdeskitrèschicauxnombreuxrestaurantsréputésqueMaryaétaitimpatientededécouvrir.Savieallaitêtrebienpluspassionnantequel’existencetranquillequ’elleavaitmenéeàCharlesStreetpendant

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un an, ou bien auparavant dans leVermont. Charles-Edouard voyageait beaucoup ; il voulait lui fairevisiterPragueetBudapest.

Lejourdudépartarrivaenfin.Cefutundéchirement.FrancescaetMaryaétaientenpleurs.Maryagardait Ian dans ses bras, et Charles-Edouard dut la séparer gentiment du petit garçon et l’emmenerjusqu’à la porte, où un taxi les attendait. Elle promit à Francesca d’envoyer desmails régulièrement.Francescalaserraunedernièrefoiscontreelle.

—Faisbienattentionàtoi,chuchotaMarya.—Tuvastellementmemanquer,balbutiaFrancesca,àtraversseslarmes.Elleressentaituneperteimmense.Ianétaittrèstristeaussi.—Nousnousverronsl’étéprochain,etnousauronsl’occasiondenousparlerbienavantcela,promit

Marya,ensepenchantpourembrasserlefilsdeChrisunedernièrefois.ChrisenlaçaFrancescaetserralapetitemaindeIandanslasiennelorsquelavoitures’éloigna.Ils

rentrèrenttouslestroisdanslamaison,oùrégnaitdésormaisunsilencedeplomb.Francescan’étaitpasmécontentedepartirbientôtdanslafamilledeChrisàBostonpourlesfêtes.Ellesesentaitencoreunpeuangoisséeàl’idéederencontrersesparents,maisilétaitpréférablequ’ilsnepassentpasNoëlici,danscettemaisonquiparaissaitmaintenantdixfoistropgrande.

— Notre cuisine vient juste de perdre cinq étoiles, annonça Chris avec un sourire empreint detristesse.

—Tupréfèresquoipourledîner?Unepizzaouunplatdutraiteurchinois?demandaFrancesca.Chrissemitàrire,etIanoptapourletraiteurchinois.—Nousavonsunproblème.L’undenousvadevoirapprendreàcuisiner,ditFrancesca.En fait,Marya lui avait enseigné quelques petits trucs, il suffisait qu’elle trouve le temps de les

mettreàexécution.Ianétaitdevenuexpertencookiesdetoutessortes,etCharles-EdouardavaitlaisséàChrisuncoffretdehavanes.Maistouslestrésorsqu’ilsleuravaientlaissésnepouvaientcompenserlapertededeuxamischers.

ChrisetFrancescaallaientdevoirs’habitueràleurabsence.Toutlerestedelasemaine,lamaisonleurparutvideettriste.LevoyageàBostontombaitàpic,d’autantqueIanétaitimpatientderetrouversescousins.

Francesca,quantàelle,sentaitlapeurlagagner,àmesurequelesvacancesapprochaient.Chrisavaitlâchéquelquesallusionsàsa famille,qui lui faisaientcraindre lepire.«Conservateurs.Colletmonté.Pasaussirigidesqu’ilsenontl’air.Croyantspratiquants.Vieuxjeu.»

—Queferons-noussijeneplaispasàtesparents?luidemanda-t-elle,laveilledudépart.—Danscecas,jenelesverraiplus,répondit-ilavecsimplicité.Tuoubliesàquij’aiétémarié.Ilne

serapasvraimentdifficiledeprendrelasuitedeKimberly.Mamèreestunpeuaustère,maismonpèreestunbravetype.Ilsvontt’adorer,c’estsûr.

—Aufait,commentvaKim?Tuaseudesnouvellesparsonpère?—D’aprèsmonavocat,elleestretournéeencurededésintoxication.Maisçanedurerapas.Çane

durejamais.Chris avait perdu espoir. Il avait déposé une plainte par l’intermédiaire de son avocat quand elle

avaitenlevéIanàl’école.Sonacteétaitconsidérécommeunegraveinfraction,etChrisétaitconvaincuqu’ellen’oseraitpasrecommencer.Ellen’avaitpasenvoyédecadeaudeNoëlàIan.C’étaitlegenredechosesqu’elleoubliaittoujours,commesonanniversaire.Iln’yavaitpasdeplacedanssaviepourlesfêtes.Soitelleessayaitdeseprocurerdeladrogue,soitelletentaitdesedésintoxiquer.C’étaitpourelleunesortedetravailàplein-temps.Sonaddictionremplissaittoutesavie.

LamèredeFrancescaavaitoffertà Ianunadorablepetitblousond’aviateurencuir,qu’iladorait.Francescaétaittouchéequ’elleaitfaitl’effortdepenseraupetitgarçon.Thaliaavaitaussiachetéunstylo

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en argent pourChris et un sac de soirée pour Francesca, ravissant,mais qu’elle n’aurait pas souventl’occasiond’utiliser.

Avery et Henry avaient offert à Ian un superbe album à dessiner avec des tubes de peinture, despastels etdescrayonsdecouleur.Sesnouveauxgrands-parents l’avaientgâté.Quant àFrancesca, elleaimaittantletableaudesonpèrequ’elles’attardaitdanslesalonchaquejourpourlecontempler.

Dès leur retour de Boston, elle aurait de quoi faire, car elle comptait transformer la chambre deMaryaenbureaupourChris,queceprojetenthousiasmait.Ilsallaientoccupertoutl’espace.

LademeuredeCharlesStreetétaiten trainderedevenirunevraiemaisondefamille, ilsn’avaientplus besoin de faire de la place à des locataires. Ian laissait une pile de jouets dans la cuisine, et iladoraitregarderlatélévisionavecsonpèredanslelitdeFrancescalesoir.Ledimanchematin,ilvenaitsouventlesretrouverdansleurchambre.

Chrisetluiavaientenfinunvraifoyer.

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23

LaveilledeleurdépartpourBoston,Francescamitdesheuresàpréparersavalise.Ellenesavaitpasquoiemporter.Destenueshabillées,maispastrop,etuntailleurstrictpourl’égliselesoirdeNoël?Unerobedecocktailpourledîner?Etait-cetropsexy?Tropcourt?Tropdécolleté?Troptriste?Elleétaitterrifiéeàl’idéedefaireunfauxpas.

Chrisluiconseilladenepastropréfléchir,etdeporterunjean.Maisellesavaitquecen’étaitpaslasolution.Sesparentsdevaientêtreplutôtàchevalsurlesbonnesmanières.Finalement,elleseretrouvaavecdeuxgrossesvalisesàembarquerdansl’avion.

—Maisqu’est-cequetutransportes?grommelaChris,consterné.—Tout!répondit-elleavecungrandsourire.Elleavaitpréféréprendrel’ensembledesagarde-robe,oupresquepournecouriraucunrisque.Aux

deuxgrossesvalises,ilfallutenrajouterunetroisièmepluspetiterempliedecadeauxpourIan,Chrisetsafamille.

Al’aéroport,cefutlabousculade.Lesbureauxd’enregistrementétaientprisd’assaut,etleurvolétaiten retard car il neigeait surBoston. Ils ne purent décoller avant dix heures, et atterrirent versminuit.Malgrél’heuretardive,lepèredeChrislesattendait.

IlétaitaussigrandqueChris,maisavaitlesépaulespluslarges,unevoixgrave,unepoignéedemainferme et un air sympathique. Il n’avait sans doute pas beaucoup changé depuis l’époque où il étaitdéfenseurdanssonéquipedefootballàHarvard,quelquecinquanteansauparavant.IlregardaIanavecaffectionetluiserralamain,ungestequiparutcurieusementformelàFrancesca.

Unblizzards’étaitabattusurlarégion,etl’aéroportfutferméjusteaprèsleurarrivée.Ilsregagnèrentlentement le centre-ville sur des routes enneigées. Les deux hommes parlèrent football et politiquependantletrajet.ChrisavaitexpliquéàFrancescaqu’ilétaitlabrebisgaleusedelafamille,cariln’avaitpas voulu étudier à Harvard, et qu’il était parti vivre à New York. Il avait passé sous silence lesobjections soulevées par ses parents quand il avait décidé de louer une chambre chez elle. Ceux-cin’avaientjamaiscomprispourquoiilavaitpréféréêtredesignerplutôtquedeselancerdanslafinanceoudanslapolitique.SonmariageavecKimavaitétélepompon.Sibienqu’ilsn’approuvaientaucunementleschoixdeleurfils,quoiqu’ilspuissentpenserdeFrancesca.Cequiallaitrendresonséjourdélicat.

LesparentsdeChrisvivaientàBrattleStreet,danslequartierdeCambridge,commeleprésidentdeHarvard.Tous leshommesde la familleétaientpassésparcetteuniversitéavantdedevenir sénateurs,gouverneurs,ouprésidents.Leurfamilleformaitunclanimpressionnant.Chrissemblaittellementsimpleetmodeste,quandonconnaissaitsesorigines.

Samère lesattendaità lamaison.C’étaitunepetite femmeauxcheveuxd’unblancneigeux,etauxyeuxbleuscommeceuxdeChris.Elleportaitunerobeen lainagegrisanthracite,etunsimplerangdeperles.Iln’yavaitriendevoyantchezelle,toutlecontrairedelamèredeFrancesca.

Elleemmenaelle-mêmeFrancescajusqu’àsachambre.Ilauraitétéhorsdequestionqu’ellepartagelelitdeChris,mêmesiIanavaitétéabsent.LamèredeChrisavaitattribuéàlajeunefemmeunepiècequisetrouvaittoutauboutducouloir,aussiéloignéequepossibledelachambredeChris.Lemessageétaitclair :pasquestiondefairedesfredainessoussontoit!AprèsavoiradresséàFrancescaunclind’œilcomplice,Chrisressortitdelapiècesurlestalonsdesamère.

Francescasedemandas’ilcomptaitrevenirunpeuplustard.Iandormaitdanslamêmechambrequesonpère,celledeChrisquandilétaitenfant.Lamaisonétaitentièrementoccupéeparlesfamillesdesonfrère,de sa sœur,etdenombreuxautresparentsquiétaientvenuspasser les fêteschezeuxavec leurs

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enfants.Lademeureétaitimmense.Chrisluiavaitdéjàexpliquéquiseraitprésent,maiselleavaitdumalàsesouvenirdechacund’eux.Entrelespetits-cousins,unetante,sesfrèreetsœur,sesneveuxetnièces,lesparentsparallianceetleursenfants,cettefamillecomptaittantdemembres,dontcertainsavaientlemêmeprénom,qu’ellemélangeaittout.

Francesca était assise sur son lit, un peu perdue, quandChris revint et referma vivement la portederrière lui. Elle venait de se rendre compte que samère ne s’était pas adressée directement à elle,exceptépourlasalueretluisouhaiterbonnenuit.

—Mamèren’estpasencorecouchée,chuchota-t-il.Jereviendraiunpeuplustard.Francescacompritquelorsqu’ilétaitchezsesparents,ilobservaitlesrèglesétablies.Iln’étaitpas

question,mêmepourlui,delesignorer.C’étaitd’ailleurslaraisonpourlaquelleilvivaitàNewYork,etavaitdécidéd’alleràl’universitéàStanford,surlacôteOuest.Sesparentsavaientconsidérécechoixcommeunetrahison.

—Sijecomprendsbien,tunepeuxpasdormirici?chuchota-t-elle.Chrissemitàrire.—Simamèrenoussurprenait,elleappelleraitlaBrigadedesmœursetnousferaitjeteràlaporte.

C’estquelqu’undetrèscommeilfaut.—Jevois.Chris avait trente-huit ans, et il n’avait pas le droit de faire entrer une femme dans sa chambre.

Francescaavaitl’impressionquesaproprefamilleétaitconstituéedelibertinssansfoiniloi.Ici,onétaitàBoston,etonobservaitlesrèglesduvieuxBoston.DelaVieilleGarde.

Mais Chris savait aussi détourner le règlement… Une demi-heure plus tard, alors qu’un profondsilencerégnaitdanslavieillemaison,ilrevintsurlapointedespieds.

—Jesuisfinprêt!déclara-t-ilavecungrandsourire.Ilétaitenjean,piedsnus,etavaitprissabrosseàdents.Toutcequ’ildevaitfaire,c’étaitretourner

dans sachambre le lendemainmatinà septheures, avantque samèredescendepour lepetitdéjeuner,commeelle le faisaitponctuellementchaquematin.Toutétaitparfaitement régléetordonnancédanssademeure,etellesurveillaitdeprèscequis’ypassait,ainsiqu’ellelefaisaitàVineyard.Rienn’échappaitàsonœild’aigle.

—Mèreesttrèsvieuxjeu,expliqua-t-il.Iln’enavaitrienditauparavant,pournepasl’effrayer.Francescaneparvintmêmepasàimaginerle

scandalequeKimavaitdûcauserquandilss’étaientmariés,avecsonaddictionàl’alcooletàladrogue.Les parents deChris avaient dû être terrifiés. Et encore plus par ses dernières frasques peu après sasortie de prison, l’enlèvement de leur petit-fils. D’après Chris, ils la détestaient, et elle comprenaitfacilement pourquoi.Elle espérait seulement qu’ils seraient plus indulgents à son égard.Même si elletrouvait leurs principes un peu ridicules, Francesca était décidée à respecter leur façon de vivre tantqu’elleseraitsousleurtoit,saufencequiconcernaitlesnuits,puisquec’étaitChrisquidécidait.

Ils passèrent la nuit dans sa chambre, etChris programma l’alarme de son portable à sept heuresmoinslequart.Al’instantmêmeoùlasonneriesefitentendre,ilbondithorsdulit,embrassaFrancesca,enfila son jean et sa chemise, et courut dans sa chambre à l’autre bout du couloir, où Ian était encoreprofondémentendormi.Francescaseditqu’ilsallaientpasserunweek-endtrèsamusantàjoueràcache-cachedanslescouloirspourquesamèrenelesdécouvrepasensemble.

Quandils’agissaitderaisonsgraves,Chrisn’hésitaitpasàtenirtêteàsesparents.Ill’avaittoujoursfait.MaisilnevoulaitpasfairedevaguesencemomentnileurdonneruneraisondeprendreFrancescaengrippe. Ilespéraitaucontrairequ’elleallait leur fairebonne impression,etqu’ils reviendraientsurleur opinion négative concernant sa décision de vivre chez elle. Il voulait qu’ils puissent se rendrecomptequ’elleétaitquelqu’undebien,etqu’elleaimaitIan.

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Francesca s’attendait presque àvoir lamèredeChrisdébarquerpour l’inspectionde sa chambre,commedansunpensionnat.Elleleuravaitapportéunebouteilledevin,etcraignaitquecenesoitpasuncadeausuffisantpourunetelleinvitation.Peut-êtreaurait-elledûleurfaireenvoyerdesfleurs?Ilsétaientsiconvenablesqu’elleredoutaitdesetromper.LamèredeChriss’étaitmontréepolie,maissesmanièresn’avaientriendechaleureux.

Chrisprit lepetitdéjeuneravecsamère,puisvintrejoindreFrancesca,quis’habillait.Elledevaitpetit-déjeunerdanslasalleàmangeràhuitheuresetdemieaveclesautresinvités,etsetrouvaassiseàcôtédeHilary, lasœurdeChris.Celle-ciétait tropoccupéeavecses jumeauxdequatreanspourdireautrechosequ’unsimplebonjour.

Toutelafamilleserendaitàl’égliseàdixheures,etChrissuggéraàFrancescadelesaccompagner.Elle n’y voyait aucune objection, mais il était évident que ces gens avaient l’habitude de tout faireensemble.Elleavaitunpeul’impressiond’êtredansuneécolemilitaireouuncampscout.Deplus,ellenotaitqueChrisétaitmoinsdécontractéqu’àNewYork.

Leshommesétaientcensésjoueraugolfdansl’après-midi,maisChrisluiditqu’ilsn’iraientpass’ilcontinuait à neiger. En été, àVineyard, ils organisaient de grandsmatchs de football. Lamaison étaitpleinedetrophéessportifs.UndescousinsdeChrisavaitgagnéunemédailled’orauxjeuxOlympiques,etsonfrèreavaitétécapitainedel’équiped’avirondeHarvard.Francescafitsaconnaissanceaprèslepetit déjeuner. Il la toisa brièvement, et la salua d’un ton sec.De quatre ans l’aîné deChris, il avaitl’intentiondebriguerunsiègeauCongrès l’annéesuivante. IlprésentaFrancescaà sa femme,puis ilsmontèrent se préparer pour l’office. Ils étaient tous très différents de Chris. C’étaient des gens quiaimaientlacompétition.Letennisetlefootballn’avaientriend’unsimpledivertissementpoureux.

Francescaneconnaissaitrienausportetnesavaitparlerquedepeinture.Commeellenepouvaitpasparticiper à la conversation à table, elle garda le silence. QuandChris la retrouva après le repas, ils’aperçutqu’elleétait trèsmalàl’aise.Lematin,elleavaitrevêtuunpantalondecuiretunpullnoirs.Touteslesautresfemmesportaientdestwin-setsetdesjupesécossaisesàmi-mollet.Francesca,elle,nepossédaitpasuneseulejupeàcarreaux,courteoulongue.

Al’église,elles’assitàcôtédelamèredeChris.Cedernierseglissasurlemêmebancqu’elle,etIansemitentreeux.Sonfrèreetsasœursetrouvaientdepartetd’autre,avecleursenfants.Francescaétaitcertainequeleurmèresavaitquipriaitetquifaisaitsemblant,etqu’elleavaitquasimentundondedoublevue.Elles’étaitchangéeavantdepartir,etavaitoptépouruntailleurnoir,sibienqu’elleavaitàprésent l’impressiond’être trophabillée.LamèredeChrisportaitun twin-setbleumarineetune jupegrise.

Iln’yavaitpasunseulvêtementdanslesvalisesdeFrancescaquiluiparûtadaptéauxcirconstances.Cesgensavaientuneallureà la fois sportiveet trèsconventionnelle.LamèredeChris semontra fortpolieettrèsaimable.Sescousinsavaientl’airgentils,sonpèresemblaitpleind’entrain.Sonfrèreetsasœurétaientdistantsmaisamicaux.

Legrand-pèredeChrisavaitétégouverneurduMassachusetts.Lafamilleréunieformaitunensembleintimidant.Elle s’imaginaitmal leur raconterqueThalia s’étaitmariéecinq fois.LamèredeChris seserait évanouie. Ses parents étaientmariés depuis quarante-quatre ans. Ils représentaient réellement lavieille aristocratie américaine, aumode de vie désuet, ce qu’on appelait laVieilleGarde. C’était unmondetrèsfermé,etChrisétaitleseulàsortirdulot.

Cependant, vers la fin de l’après-midi, Francesca commença à se détendre. Nombre des invitéss’étaient rendus à leur club de tennis ou de squash. On avait emmené les enfants jouer quelque part.Commeilneigeait,personnen’étaitpartiaugolf,ettousdevaientseréuniràsixheurestrenteprécisesausalon,pourlecocktail.Ledîneravaitlieuàseptheuresetdemie,et,commeonétaitlaveilledeNoël,c’étaitunévénementimportant.

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Lesenfantsavaientunetabledansunepièceàpart,etlesadultesdînaientdanslasalleàmangerderéception. A onze heures et demie, ils repartiraient pour l’église assister à la messe de minuit. Lamaîtressedemaisondéclaraquec’étaitfacultatif,cequi,d’aprèsChris,signifiaitqueleurabsenceleurvaudraitlapeinecapitale.

Riende ce queChris lui avait raconté auparavant n’avait préparéFrancesca à une telle ambiancefamiliale.Cesgensconstituaient les fondations inébranlablesde l’Establishment, c’est-à-dire la classedirigeantedupays.ChriscraignaitqueFrancescanesoiteffrayée,etilguettaitsanscessechezelledessignesdepanique.Jusqu’àprésentiln’enavaitdéceléaucun.

Cequi frappait surtout la jeune femme,c’était la froideurdecette famille. Ilsétaientd’unegrandepolitesse,secomportaientparfaitement,etsemontraientgentilsaveclesenfants,maisellenevoyaitchezeuxaucunsigned’affectionoudechaleur.Personneneriait,personnenes’embrassait,iln’yavaitpasdediscussionanimée.Ilsétaientpourtanttousintelligents,etFrancescaéprouvaitunpeudetristesseàlesobserver.SurtoutpourChris.Cequimanquaitleplusdanscetenvironnement,c’étaitl’amour.

A six heures et demie pile, Francesca se trouva dans le salon. Elle avait revêtu une robe noired’alluresuffisammentsage,portaitdestalonstrophauts,ettenaitàlamainlesacdesoiréebeaucouptropvoyant, en velours noir décoré de strass, que samère lui avait rapporté deParis.Elle avait noué sescheveuxenchignon,cequisemblaitderigueur.LamèredeChrisportait,elle,unerobenoiretrèssimpleàcolmontantet longuesmanches,etsonéternelcollierdeperles.Francesca lasoupçonnaitdedormiravec. Elle imagina leurs deuxmères côte à côte, et cette idée lui parut si saugrenue qu’elle manquas’étranglerenravalantunrire.

—Commentvousêtes-vousrencontrés?luidemandalamèredeChris,unverreàlamain.Pendantquelquessecondes,Francescanesutquoirépondre.«Ilvivaitchezmoi»nesemblaitpas

approprié. « Je suis sa logeuse… Je tiens une pension de famille… Nous nous sommes vus àl’église?»Impossibledetrouveruneréponseacceptable.Chrisluiavaitdemandédenepasdirequ’ellehabitaitau44CharlesStreetaveclui.

—Nousnoussommesrencontréschezdesamis.Chris,quiavaitentenduleurconversation,lesrejoignitpourluivenirenaide.Francescaleremercia

d’unsourire.Ellecraignaitsanscessedefaireunegaffe.LepèredeChrisluidemandaquelmétierexerçaitsonpère,etelleréponditqu’ilétaitpeintre.Quand

elleprononçasonnom,ilsfurentimpressionnés,etelleenéprouvauncertainsoulagement.Maisensuite,lorsqu’elleditquesamèreétaitpartiepasserlesfêtesàGstaad,ilssemblèrentunpeuchoqués.QuesonpèrerésideàSunValley,c’étaittrèsbien.Ilsconnaissaientcetendroitetl’appréciaient.MaisunestationdeskienEurope…Poursamère,c’étaitSodomeetGomorrhe.

—Iln’yaqu’une seule façonde supporter cesdîners, lui chuchotaundescousinsdeChris alorsqu’ilspassaientàtable.C’estdeboirelepluspossible,etdenejamaiscesserdesourire.

Francescasemitàrire.Lasuggestionlatentaitbeaucoup,maisellen’aurait jamaisosélamettreàexécution.Illuifallaitgarderlatêtefroidepoursoutenirlefeuroulantdesquestions.Ilsvoulaientsavoiroùelleavaitgrandi,oùelleétaitalléeàl’école,sielleétaitalléeenpension,sielleavaitétémariée,etoùpassait-ellesesvacances?LeMaine,oh,c’étaitbien.

Directrice de galerie d’art, c’était sujet à caution, mais comme son père était peintre, on luipardonnaitcettefaiblesse.LefrèreetlasœurdeChrisluiadressaientlaparoledetempsàautre.Alafindu dîner, elle eut l’impression d’avoir passé la soirée à jouer au tennis. Elle s’écroula sur son lit uninstant,avantl’officereligieux.LafamilledeChrisétaitplusintimidantequ’ellenes’yétaitattendue,etlefaceàfaceaveceuxétaitaussiplusrisqué.Surtoutquandellesetrouvaitseuleavecsamère.Ellesesentaitdéfailliràlaseuleidéed’êtredanslamêmepièce.Celasignifiaitque,sielledevaitépouserChrisunjour,laseulesolutionseraitdes’enfuiraveclui.Ilétaitstrictementimpossiblederéunirsafamilleetcelle de Chris sous le même toit, encore moins pour un mariage ! Seule Avery aurait pu être jugée

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passable.Sonpère,avec toutesaverve,n’avait riendeconventionnel. Iln’étaitpasalléàHarvard, ildétestait le sport, et ne connaissait rien au football. Quant à présenter sa mère à des gens aussiconservateurs,c’étaitinenvisageable.

Ils étaient tout ce qu’il y avait de plus blanc, puritain, pratiquant, bien-pensant, sportif. Pourcouronnerletout,ilsétaientprospères,influentsetimportants.Iln’yavaitpasderebelledanslegroupe,endehorsdeChris,unrenégatauvudeleurscritères.

Chris éclata de rire en la voyant allongée sur son lit, aussi épuisée que si elle avait couru lemarathon.Elleavaitétaléunedizainedetenuesdifférentessurlelit,envuedesprochainsévénements.

—Tunet’espasbienamusée?demanda-t-ilpourlataquiner.Net’inquiètepas.MamèreaunpeudeCharybdeetunpeudeScylla.AmoinsquecenesoitundesCerbèrespostésauxportesdel’enfer.Maisunefoisquetuauraspassél’épreuveetgagnésonapprobation,tupourrasfairetoutcequetuvoudras.Iltesuffirad’êtreàl’heurepourlesrepas,etdenepaslacontrarier.

—C’esttamère,jeneveuxpasl’offenser.Francescanepouvaitimaginer,mêmeenrêve,obtenirunjourl’approbationdelamèredeChris.—C’estimpolid’accablerquelqu’undequestionscommeellel’afaitavectoi,rétorquaChris.C’est

ellequidevraitcraindredet’avoiroffensée.Pose-luidesquestionsàtontour.Demande-luiquelleécoleelle a fréquenté, par exemple.Elle adore ça.Elle est allée àVassar, à l’époqueoù c’était encoreuneécoledefilles,etelleenesttrèsfière.

C’étaituneentréeenmatièreassezfacile,pouruneconversationlégère.—Cela nem’est encore jamais arrivé d’aller à l’église deux fois dans lamême journée, déclara

Francescad’unairaccablé.SiDieumevoit,Ilmejetteradehors,ettoutel’assembléeserafrappéeparlafoudre.

Chrissourit,attendriparsapatience.—C’est un bon point pour toi, tu gagnes ta place au paradis, dit-il en lui prenant lesmains pour

l’aideràselever.Jesuisdésolé,maisilestl’heuredepartir.Ilsétaientungroupedevingtàsemettreenroutepourlamessedeminuit.Francescaneparvenaitpas

àserappelerlesnomsdetoutlemonde.Pourelle,ilsétaienttousdesHarley.Leseulàsedétacherdelamasse,c’étaitChris.Elleluienvoulaitpresqueunpeudel’avoiremmenéeàBoston,maiscelaauraitététoutaussidéprimantderesterseuleàNewYork.Etpuis,ellel’aimait.

Sisonpèrel’avaitvueencemoment,serendantàl’églisepourladeuxièmefoisenmoinsdedouzeheures,ilseseraitmoquéd’elle.Samèreaussiauraittrouvéçadrôle,ellequin’étaitmêmepasalléeàl’églisepoursestroisderniersmariages.

Francescas’endormitpendantlesermon.Unefoisrentrée,elleregagnasachambreavecsoulagement.LaBrigadedesMœurs,souslestraitsdelamaîtressedemaison,montasecoucheraprèsavoirsouhaitéàtoutelafamilleunjoyeuxNoël,eninsistantsurle«Noël»,etnonsurle«joyeux».Francescaremarquaquepersonnenes’embrassait,etquepèresetfilssecontentaientdeseserrerlamain.Iln’yavaitpasdegrandesdémonstrationsd’affectiondanscettefamille.

Une demi-heure plus tard, Chris rejoignit Francesca.A trente-cinq ans, elle avait l’impression deredeveniruneadolescente,presqueunedélinquantemineure.Etsielleseretrouvaitbrusquementenfoyerd’accueil,endétention,enprison?

—JoyeuxNoël,machérie,ditChrisenl’embrassant.Il lui donnaun coffret qu’il sortit de la pochede saveste.La longueboîte en cuir venait de chez

Tiffany,etquandellel’ouvritelledécouvritunbraceletenorornédepetitscœurs.Chrisleluiattachaaupoignet,etlapritdanssesbras.Francescaluiavaitachetéuneécharpegriseencachemire,quiluiplutbeaucoup.

Francescasongeaavecsoulagementqu’ilsn’avaientplusquedeuxjoursàpasserici.Lelendemainfutcependantplusagréable,carc’étaitNoël.Lemomentdudéballagedescadeaux,tantattenduparles

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enfants,futsuiviparungrandrepaspourtrentepersonnes.Unefoisdeplus,unetablefutdresséeàpartpourlesenfants.Touteslespetitesfillesportaientunerobeenvelours.

L’après-midi,leshommesorganisèrentunegrandepartiedetouch-footballsurlapelousegelée.Puisilsburentduvinchaud,tousréunisautourdelacheminée.LamèredeChrisjouaaubridgeavecsonmari,safille,etl’unedesesnièces.ChrisrestaassisprèsdufeuavecFrancesca,tandisqueIanjouaitaveclesautresenfants.Aminuit,FrancescaremontadanssachambreavecChris.Plusqu’unejournée,etensuiteilsrentreraientàNewYork.Francescaattendaitcemomentavecimpatience.

—Tut’amusesbien?—Oui, répondit-ellepournepas lui fairedepeine.Mais j’ai tout le tempspeurde fairequelque

chosedemal.J’ail’impressiond’êtreretombéeenenfance.—Ignore-les.Ilscroienttousavoircréélemonde,maisilssetrompent.C’estlaraisonpourlaquelle

jeneviensdansmafamillequedeuxfoisparan.MaisjemesensmieuxàVineyard,l’ambianceestplusdétendue.

Chrisétaitbienconscientquesa famillepouvait rendre foun’importequi. Ils réussissaient toutcequ’ilsentreprenaientets’attendaientnonseulementàcequelesautresenfassentautant,maisaussiàcequ’ilsseconformentàleurfaçondevivre.CelafaisaitdesannéesqueChrisnesuivaitplusleurexemple,mais il ne s’opposait plus à eux ouvertement. Il se contentait de mener la vie qui lui convenait.Néanmoins,ilaimaitrevenirchezluipourNoël,retrouverlestraditionsfamiliales.IlétaitheureuxqueFrancescal’aitaccompagné.

Il savait que ce n’était pas facile pour elle d’être sans cesse observée. Sa famille vivait dans unmondefigé,oùchacunsecomportaitdelamêmefaçon,oùtouteslespiècess’emboîtaientparfaitementdanslepuzzle.Francescavenaitd’unmilieuoùpersonnenesecoulaitdanslemoule,nisonpèrenisamère.L’uneavaituncomportementoutrancier,l’autreétaitunartisteexcentrique.

—Tamèreauraituneattaquesiellevoyaitmesparents,ditFrancescad’untonmélancolique.—Oui, c’est vrai. Et alors ? Je n’approuve pas non plus la façon de vivre demes parents. Leur

existenceestincroyablementbornée,etjem’ennuieàmouriraveceux.Ilétaitdoncdumêmeavisqu’elle.LesparentsdeChrisétaientdesgensrespectables,maiselleétait

malàl’aiseenleurcompagnie,endécalage.Etc’étaitpareilpourChris.Cettepenséelaréconforta.Cettenuit-làencore,ilvintlarejoindredanssonlit,etpartitavantseptheurespourallerprendrele

petitdéjeuneravecsamère.C’étaitlelendemaindeNoëlettoutlemondeétaitplusdétendu,mêmeelle.Pourunefois,ilsnefurentpasobligésd’alleràl’église.Toutlemondepartitjouerautennisetausquash,cequisemblaitêtreunrituelquotidienquandlafamilleseréunissait.

Francescaneparvenait toujourspasàretenir touslesprénoms,aupointqu’ellesedemandasiellen’était pas atteinte d’alzheimer précoce. Il faut dire que les hommes s’appelaient tousChris, Bob, ouWilliam.Pourlesfemmes,c’étaitElizabeth,Helen,etBrooke.LamèredeChriss’appelaitElizabeth,etunnombreincalculabledepetitesfillesdelafamilleportaientlemêmeprénomqu’elle.

Leseulquis’amusaitvraiment,c’étaitIan.Iladoraitsescousinsetétaittristeàl’idéedelesquitter.Lejourdeleurdépart,Chrispritunedernièrefoislepetitdéjeuneravecsamère.Sonpèrelesconduisitàl’aéroport et leur dit qu’il avait été enchanté de faire la connaissance de Francesca. Celle-ci avaitl’impressiond’avoirpassétroisjourshorsdumonde.C’étaitleNoëlleplusétrangedesavie.Malgrétout,sonamourpourChrisétaittoujoursaussifort.Ellen’avaitqu’uneenvie:seretrouveràNewYorkaveclui.

QuandilsentrèrentdansCharlesStreet,elleeutenviedepousseruncridejoie.Ilsn’étaientpasàlamaisondepuisdixminutesqueThalialesappelaitdeGstaad.

— J’espère que vous avez passé un bon Noël, dit-elle gaiement. J’ai rencontré un hommemerveilleux.Ilestsuisse,maisilvitàNewYorketilestbanquier.Ilvam’inviteràdîneràmonretour.

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Francescaimaginalesourireradieuxdesamère,etpoussaungémissement.Apparemment,lenumérosixseprofilaitenfinàl’horizon.SilesHarleysavaientça…

—Neteprécipitepas,dit-ellefaiblement.Riennepouvaitarrêtersamèrequandelleavaitunhommeenvue.Or,celafaisaitlongtempsqu’elle

n’avaitpasrencontrédemaripotentiel.—Biensûrquenon.C’estjusteundîner,voyons.Iln’estpasquestiondemariage.—Ah,jesuistranquillisée.—Tun’aspasconfianceenmoi,n’est-cepas?réponditThaliaenriant.—Non.Jesupposequ’undecesjourstufiniraspartrouverlenumérosix.—Qu’ya-t-ildemalàcela,sijesuisheureuse?Francescagardaunmomentlesilence,toutenréfléchissantàlaquestion.—Tuasraison,finit-elleparreconnaître.Celanefaitpasdegrandedifférence.Cinqmarisousix,du

momentquetuesheureuse,onsemoquedecequepensentlesautres.Ellevenaitdepassertroisjoursaveclesgenslesplusconservateursetlesplusennuyeuxdumonde,

bienplusdétestablesquesamère.Thaliaavaitaumoinsdel’espritetduchic.—Vas-y,maman, lança-t-elleen riant.Faiscequi teplaît.Maissi tume lances tonbouquetà ton

prochainmariage,jet’étrangle!—D’accord,machérie.Jepasseraitevoirdèsmonretour.Quand Francesca raccrocha, elle s’aperçut que Chris la regardait. Il était heureux qu’elle l’ait

accompagnéàBostonetqu’elleaitjouélejeu.Sesparentsluiavaientmêmeconfiéqu’elleleurplaisait.—Mamère est folle, annonça-t-elle d’un ton neutre.Mais je viens deme rendre compte que je

l’aimebientellequ’elleest.Sansdouteavait-ellegrandi.C’étaitentoutcasunegrandepremière.Ilsmontèrentsecoucher.Francescan’avaitjamaisétéaussiheureused’êtredanssonlit,avecChrisà

côtéd’elle.Elleneseraitplussoumiseàunebatteriedequestions.Chrisn’auraitpasàse leveravantseptheurespourretournerdanssachambre.Etellen’avaitplusàsedemandercequelesgensallaientpenserdecequ’elleportaitoudecequ’elledisait.Ellepouvaitêtreelle-même,adaptéeàsonmondeàelle,àsamaison.

Etellesesentaitparfaitementheureusedanssonpetitunivers,avecChrisàcôtéd’elleenboxerettee-shirt,etIanendormiàl’étageau-dessous.

Leurvieétaitjolimentcosy.

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24

Aladernièreminute,ChrisetFrancescadécidèrentd’allerpasserleweek-enddunouvelandansleVermont, chez Marya. Les festivités organisées en ville ne les tentaient pas. Chris avait reçu desinvitationspourquelquesréveillons,etFrancescaaussi.Maisilspréférèrentfêterlanouvelleannéeàlacampagne,enfamille.

Ilspartirentenvoiturelaveilledu31.Al’arrivée,Francescaallaacheterdesprovisionsàl’épicerievoisinetandisqueChrisallumaitlefeudanslacheminée.Ian,lui,avaitemportédesjouetsetdesDVDpours’occuper.Ilschoisirentleurschambres,ChrisetFrancescas’installèrentdanscelledeMaryaetIanpritlelitàbaldaquindelachambred’amis.

Quandilss’éveillèrentlelendemainmatin,lacampagneressemblaitàunecartedeNoël.Ilneigeait.FrancescaregrettaqueMaryanesoitpaslàpourvoirça.Elleserappelatoutefoisqu’ellesetrouvaitàCourchevel,danslesAlpes;cen’étaitpasmalnonplus.

Lesoir,FrancescaetChrisjouèrentauMonopolyavecIan,etàplusieursautresjeuxdesociété.Lelendemain matin, après avoir fait la grasse matinée, ils sortirent dans le jardin confectionner unbonhommedeneige,entreprirentunebatailledeboulesdeneige,etIans’essayaaupatinàglacesurlelac gelé. En rentrant à la maison, ils firent fondre de la guimauve dans le feu. Ce fut une journéeabsolumentparfaite.

Le lendemain matin, Francesca entendit sonner son téléphone portable et faillit ne pas répondre.Finalement, elle se leva, sortant de son agréable léthargie et décrocha.C’étaitMarya qui appelait deParis.

—Devineoùnoussommes?s’exclamajoyeusementFrancesca.Cheztoi,dansleVermont.Ilneigedepuis deux jours, c’estmagnifique.Bonne année, ajouta-t-elle enpensant que son amie appelait pourprésentersesvœux.CommentcelaaétéàParis?

—Trèsbien.Jecroisquenousavonstrouvénotreappartement,ruedeVarenne.Exactementoùnousvoulions,dansleseptièmearrondissement.Charles-Edouardanégociétoutelasemaine.

Ellehésitauneseconde,avantd’annoncer:—J’aiquelquechoseàtedire.Nousnoussommesmariéshier.Iln’yavaitquenousetnostémoins.

Le divorce de Charles-Edouard a été prononcé juste avant Noël. Les documents nous attendaient ici,quandnoussommesrentrés.J’ail’impressiond’avoirfaitunefolie,maisjesuiscontente.Sijamaisilmetrompe,jeletue!

Ellesrirentensemble,puisCharles-EdouardsemêlaàlaconversationetFrancescalesfélicita.Lavieétaitdécidémentextraordinaire,etledestininattendu.Maryaavaitcruqu’ellepasseraitlerestedesavieseule.Aprésent,elleétaitmariée.

—Jesuistrèsheureusepourvous!s’exclamaFrancesca.—Jeregrettequetun’aiespasétélà,ditMarya.Francesca le regrettait aussi. S’il y avait unmariage auquel elle aurait aimé assister, c’était bien

celui-ci.Elleraccrochaensouriant,quelquesminutesplustard.Chrisetelleserecouchèrent,etparlèrentdeleursamis.—Quandallons-nouslesimiter?demandaChris.Francescaprittoutsontempspourrépondre.—Jenesaispas.Riennepresse.Toutvabiencommeça,etiln’yaquequatremoisquenoussortons

ensemble.

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—J’aimeraismieuxquenoussoyonsmariés.Cen’estpaspourautantquetudeviendrascommetamère!ajouta-t-ilenriant.

—C’estvrai,dut-elleadmettre.Jen’auraijamaisassezd’énergiepourtrouvercinqmaris.Etjamaisjen’enchercheraiunsixième!

—Tupourraistecontenterd’unseul?Qu’enpenses-tu?Chris roula sur le côté, s’appuya sur un coude et lui sourit. Elle lui rendit son sourire. Pour la

première foisdesavie, l’idéedumariagene la faisaitpas fuir.Ellene ressentaitpas lebesoindesemarier,maisceneseraitsansdoutepasplusmalsiellelefaisait,surtoutpourIan.

—Peut-être,murmura-t-elle.Ellenepouvaitpasendiredavantage.Ellen’étaitnisamèreniMarya.Ilfallaitqu’elleyréfléchisse.—Pourl’instant,jemecontenteraidecetteréponse,dit-ilavecunsourireheureux.Ill’embrassa,et,presqueaumêmeinstant,Iandébouladansleurchambre.LeretouràNewYorkétait

prévudansl’après-midi.—Jeveuxallerfaireunautrebonhommedeneige!annonçalepetitgarçon,toutexcité.Francescaseleva.Deuxautresbonshommesvinrenttenircompagnieàceluidelaveille.Ilsformaient

unepetitefamilledeneige,àprésent,justesouslesfenêtresdeMarya.Ian leur fit de grands gestes d’adieu lorsqu’ils se mirent en route. Ils avaient passé trois jours

idylliques.FrancescaavaitentendudirequeToddallaitsemarierauprintemps,maiscettenouvelleneluifaisait ni chaud ni froid. Elle menait sa vie, sans lui, avec Chris, un compagnon idéal. Ils étaientparfaitementaccordés.

IlsarrivèrentàNewYorktardlesoir.Iandormaitàpoingsfermés,etsonpèreleportadirectementdanssonlit.Puis,commeilsdéposaientleursbagagesdanslevestibule,Francescaregardaautourd’elle,etlamaisonluisemblaétrangementvideetsilencieuse.EllesetournaversChris:

—JeveuxvendreCharlesStreet,dit-elledoucement.Celui-cifutéberlué.—Tuessérieuse?Maispourquoi?Tul’adores.Ils savaient tous deux combien elle avait lutté pour la garder, préférant la partager avec trois

inconnus,plutôtquedes’enséparer.—Oui,jel’adore.Ouplutôt,jel’adorais.Jepréfèreremettrelecompteuràzéroavectoi,prendreun

nouveaudépart…effacer l’ardoise. Il s’estpassé tropdechoses ici. Ilyaunpassif lourd,dit-elleenpensantàToddetEileen.

Oui,c’étaitbiencelaqu’ellevoulait.Elleétaittoutaussidécidéequel’annéeprécédente,quandelleavaitvoulurester.Chrisnecherchaniàladissuader,niàabonderensonsens.

—Allonsdormir,tuyverrasplusclairdemain,dit-ilsimplement.Elleacquiesçaetilsmontèrentsecoucher.Lelendemainmatin,ellen’avaitpaschangéd’avis.—Jeveuxvendre,dit-elled’untondéterminé.J’ensuissûre.—D’accord.Mets-lasurlemarché.—Celaprendrasansdoutedutemps.C’estunevieillemaison,dit-elleprudemment.L’après-midimême,elleappelal’agentimmobilierquilaluiavaitvendue,etilsconvinrentd’unprix.

Dèsleweek-endsuivant,lamaisonseraitouverteauxacheteurs.FrancescaappelaAverypourlamettreaucourant.

—C’estunebonneidée.Lesprixgrimpentencemoment,ettudevraisfaireunebonneopération.Jene trouvaispassalutaireque tugardescettemaison,depuis lamortd’Eileen,mais jen’osaispas te ledire.

—Cen’estpasàcaused’Eileenquejeveuxlavendre.C’esttoutsimplementparcequej’enaiassez.Aprésent,jeveuxfairemavieavecChrisetjeneveuxpasd’unemaisonoùj’aivécuautrechose.Todda

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unenouvellevie,jeveuxenavoiruneaussi.Ici,j’ail’impressiondetraînerdescentainesdecasserolesderrièremoi.Jeveuxmesentirlibre.

Tout cela lui paraissait très logique àprésent.Elle annonça àAvery le prixdeventeproposéparl’agent,etsabelle-mèreapprouva.

—Tunevaspastedébarrasseraussidelagalerie?s’enquit-elle,sedemandantsiFrancescavoulaitfairetablerasedupassé.

—Non,biensûrquenon.JemesuistoutsimplementlasséedeCharlesStreet.C’estunboulet.Elleesttroplourdepourmoi,àtouspointsdevue.Ilyaeulamortd’Eileen,tuasraison,maisilyaaussilecoûtdel’entretien,leprêtàrembourser,lesréparations.Elleesttropgrandepournoustrois,etjeneveuxplusprendredelocataires.Nousachèteronsunappartement,oubienunemaisonpluspetite.

—Attendsdevoirsitupeuxlavendrefacilement,etàquelprix,suggéraAvery.Francescaserangeaàsonavis.Elleeutplusieursvisites leweek-endsuivant,et,deuxsemainesplus tard,elle reçutunepremière

offre.On luiproposaitpratiquement leprixqu’elleendemandait.Ellen’avaitpascachécequis’étaitpassé,c’est-à-dire lamortviolented’Eileen.Maiscelan’avaitpasdécouragé lesacheteurs,uncoupleavecquatreenfants.Francescaétaitenchantée,etChriségalement.Ilnel’auraitjamaispousséeàvendre,et l’auraitmêmeaidée àgarder lamaison si cela avait été sonchoix,mais il était heureuxqu’elle aitdécidédepartir.L’idéedetoutrecommenceràzérol’enthousiasmait.Celavoulaitdireunenouvelleviebienàeux,dansunlieuneuf.

Il fut convenu que les nouveaux propriétaires emménageraient le 15 mars. Le jour de la Saint-Valentin,FrancescaetChristrouvèrentunappartementenlocationquileurplaisait,etilss’yinstallèrentquinzejoursplustard.Leschosesallaienttrèsvite,cequipourFrancescasignifiaitqu’ellenes’étaitpastrompée.LesacquéreursdeCharlesStreet étaient ravis.Tout lemondeétait content.Francesca, IanetChrisavaientunnouveaufoyer, ils formaientunenouvelle famille,etunenouvellevie leurouvrait lesbras.

Le lendemain de leur déménagement, Francesca retourna seule à Charles Street pour la fermer. Ilfallait brancher l’alarme et verrouiller la porte d’entrée, et elle voulait s’en charger elle-même. Unesociétéspécialiséeviendraitnettoyerleslieuxettoutastiquerpourlesnouveauxoccupants.

Francescapassadepièceenpièce,ensongeantauxbonsmomentsqu’elleyavaitvécus,etaussiauxmauvais.Ellepénétrapartout,exceptédanslachambred’Eileen.Ellesourit,seuledanslacuisine,enserappelantlesmerveilleuxrepasconcoctésparMaryaetCharles-Edouard.

Lamaisonavait jouésonrôleensontemps.Chrisavait raison,elle l’avaitadorée,etelle l’aimaitencore.Maisilenallaitdesmaisonscommedesgens:parfoisilfallaitlesquitter.C’étaitunequestiondemoment,detournantàprendredanslavie.

Ellesetintdanslehallpourladernièrefois,etlecontemplatoutenbranchantl’alarme.Puis,aprèsavoirchuchotéunaurevoir,elledévalalesmarchesduperron,sautadansuntaxipourretrouverChrisetIan,etsanouvellevie.

Uneodeurdélicieuseflottaitdansl’airlorsqu’elleentra.Ianavaitfaitdesbiscuits.—Regardecequ’onapréparépourtoi!s’exclama-t-il,toutjoyeux.C’étaientdespetitsgâteauxenformedetrèflesàquatrefeuillespourlaSaint-Patrick,saupoudrésde

sucrevert.Francescasepenchapourlecâliner,puiselleembrassaChris.—J’aibeaucoupdechance!dit-elle.Nonseulementelleavait trouvélebon«couvercle»,commedisaitAvery,maisellen’avaitmême

paseubesoindelechercher.C’estluiquil’avaittrouvée,toutseul.

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Elle avait été bien inspirée finalement de se battre pour garder lamaison. Sans cela, jamais ellen’auraitconnuChris.Toutavaitbienfonctionnédanscetarrangement,saufpourlapauvreEileen.Maisilsn’auraientrienpufairepourlasauver.

Francesca prit un biscuit et regarda autour d’elle. Il y avait des cartons partout et des tonnesd’affairesàdéballeretàranger.L’idéedes’installericiétaittrèsexcitante.

Francesca avait enfin trouvé les siens, et sa place. Ce n’était plus le 44 Charles Street, quiappartenait à une autre vie, une autre époque, et maintenant à une autre famille qui l’aimeraitprobablementautantqu’elle.

Le44CharlesStreetétaitbienplusqu’unemaison.C’étaitunchapitredesavie.Lechapitrevenaitdeseterminer,unautrecommençait.

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LesPressesdelaCitéetDanielleSteelsontheureuxdevousfairedécouvrirenavant-premièrelespremièrespagesdesonprochainroman,

Enhéritage,quiparaîtrale13septembre2012enFrance.

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DANIELLESTEEL

ENHÉRITAGE

Traduitdel’anglais(Etats-Unis)parEvelineCharlès

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1

Une neige abondante tombait sur Boston depuis la veille au soir. Au bureau des admissions del’université,BrigitteNicholsonétudiaitlesdossiersdecandidatureavecunsoinméticuleux.Mêmesisescollègues avaient déjà tout vérifié, elle préférait s’assurer, comme chaque année, qu’il ne manquaitaucune pièce. Dès le début des inscriptions, Brigitte recevait des dizaines d’appels et de mails deconseillers d’orientation soucieux d’aider aumieux leurs protégés. Elle accordait un rendez-vous auxjeunes gens qui la sollicitaient et joignait alors ses propres remarques à leur dossier. Mais, pourl’essentiel, les notes, les recommandations des enseignants, les activités extrascolaires et le sportpesaientlourdementdanslabalance.Ils’agissaitavanttoutdecernerlapersonnalitéducandidatafindedéterminer s’il constitueraitunatoutpour la faculté.Dans six semaines, la commissionchoisirait ceuxqu’ellesouhaitaitintégrer,faisantquelqueseizemilleheureuxettoutautantdemalheureux.Conscientedel’importance de sa tâche et de la lourde responsabilité qui lui incombait, Brigitte ne négligeait aucundétail.

Lajeunefemmeéprouvaitunefiertémêléed’étonnementàl’idéequ’elleexerçaitsesfonctionsdepuisdixans.Lesannéesavaientpasséàlavitessedel’éclairdepuisledébutdesesétudessupérieures.

Sa licence d’anthropologie en poche, qu’elle avait complétée d’un certificat sur la répartition desrôlesdanslasociétéenfonctiondusexe,elleavaitacceptédepetitsjobsavantdetravaillerdurantdeuxansdansunfoyerpourfemmesauPérou,puisauGuatemala,sanscompterunpériplededouzemoisenIndeetenEurope.DeretourauxEtats-Unisàvingt-huitans,elles’étaitinscriteàl’universitédeBostonpourunmasterenanthropologie.Audépart,elleavaitacceptéleposteaubureaudesadmissionsletempsde terminer ses études, car elle comptait séjourner un an en Afghanistan. Mais comme bon nombred’étudiants qui occupaient un emploi temporaire à l’université, elle l’avait conservé. Le poste neprésentait pas de difficultés particulières, la place était sûre, et elle en était venue à apprécierl’atmosphèreprotégéequi régnaitdans leservice.Aprèssonmaster,elleavaitentaméundoctorat : lemondeuniversitaire, aussidouilletque leventrematernel, était addictif etconstituaitunhavredepaixpourlajeunesseetlesintellectuels.Lesdéfisdel’esprit,l’acquisitiondenouvellesconnaissancesetdetitres honorifiques faisaient, eux aussi, partie de ses agréments. Il devenait alors facile d’occulter lemonderéeletsesexigences.Brigitten’auraitpasditqu’elleadoraitson travail,maiselle l’appréciaitvraiment.Atrente-huitans,sonsortlasatisfaisaitpleinement.Ellesesentaitutileets’efforçaitd’aiderles étudiants de valeur à intégrer l’université. En parallèle, elle effectuait des recherches pour sondoctorat,suivaitunoudeuxcoursparsemestreettravaillaitdepuisseptanssurlarédactiond’unlivreconcernantlevotedesfemmeset,pluslargement,lerespectdeleursdroitsdanslemonde.Cetouvrageferaitautorité.Lorsqu’ellepréparaitsonmaster,elleavaitd’ailleursrédigédenombreuxarticlessurlesujet.Selonelle, la façondont lespays traitaient levotedesfemmes lesdéfinissaiten tantquenation.Cette question était à ses yeux absolument cruciale. Certains collègues qui en avaient lu quelqueschapitresavaient été impressionnés, retrouvantdans sesécrits laminutieet le sérieuxdontelle faisaitpreuveaubureaudesadmissions.S’ilsformulaientunecritique,c’étaitqu’ellesefocalisaittropsurlesdétails,audétrimentd’unevued’ensemble.

Sympathique, fiable, bienveillante, bosseuse et consciencieuse, Brigitte était appréciée, et chacunsavait qu’on pouvait compter sur elle. Amy Lewis, sa meilleure amie, lui reprochait seulement demanquerdepassion.A l’entendre,Brigitte intellectualisait tout, obéissant à son cerveauplusqu’à soncœur.Celle-cirétorquaitquelapassion,ausensoùl’entendaitAmy,étaitundéfautplutôtqu’unequalité.Ellepouvaitmêmeserévélerdangereuse,envousfaisantperdretoutrecul,touteperspective.Incapable

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d’agirsouslecoupd’uneimpulsion,lajeunefemmeétaitd’ailleurslapremièreàadmettrequ’ellemettaitdutempsàprendreunedécision,tantellepesaitlepouretlecontre.

Ellepréféraitmaintenirlecapetnejamaisperdresesobjectifsdevue.C’étaitlecaspoursonlivre.Elle pensait en avoir déjà rédigé la moitié et espérait l’avoir terminé dans cinq ans. Son doctorataboutirait àpeuprèsaumêmemoment.Avecun travail àplein tempsetdescoursà suivre, lesdouzeannéesconsacréesàsarédactionluisemblaientraisonnables,vul’importancedusujet.Riennepressait.Elleseraitpleinementsatisfaited’atteindresesdeuxobjectifsàquarante-troisans.UnelenteurquirendaitAmyfolle:sonamieauraitdûprofiterdelavieetsaisirlesoccasionsauvol.Elle-mêmeexerçaitaveccompétence ses fonctions de conseillère conjugale et familiale, ainsi que d’assistante sociale. Elleaccompagnait les étudiants dans leurs études et prodiguait, sans compter, ses conseils àBrigitte. Ellefaisaittouttrèsvite,quecesoitdanslesdomainesaffectif,intellectuelouprofessionnel.

Dissemblables en tous points, excepté leur apparence juvénile, les deux femmes n’en étaient pasmoinslesmeilleuresamiesdumonde.Grandeetd’uneminceurquiconfinaitàlamaigreur,Brigitteavaitune chevelure d’un noir de jais, des pommettes hautes et le teint mat. On l’aurait crue originaire duMoyen-Orient ou d’Italie, alors que ses ancêtres venaient d’Irlande et de France. Les gènes paternelsirlandaisexpliquaientlacouleurdesescheveux.

Petiteetblonde,Amyavaittendanceàprendredupoidssiellenefaisaitpasdesport.Ellecroquaitlavieàpleinesdents,contrairementàBrigitte,commeelleaimaitàluifaireremarquer.Desoncôté,cettedernière l’accusait d’hyperactivité et, moqueuse, affirmait que ses facultés de concentration nedépassaientpascellesd’unepuce,cequi lesfaisait rire toutes lesdeux.Amyavaitcontinuellementdenouveauxprojets et exécutait sanspeineplusieurs tâches à la fois.Pendant queBrigitte poursuivait larédactiondel’ouvraged’unevie,sonamieavaitdéjàpubliétroislivressurl’éducationdesenfants.Bienquecélibataire,elleenélevaitdeux.Aquaranteans,aprèsunesuccessiondeliaisonsmalheureusesavecdes jeunes diplômés ou des enseignants mariés, elle avait eu recours à une banque du sperme.Aujourd’hui,sesdeuxgarçons,deunettroisans,lacomblaientdebonheurtoutenlafaisanttournerenbourrique.Sanscesse,elletentaitdeconvaincreBrigittequ’elledevraitsongeràfonderunefamille.Iln’yavaitplusdetempsàperdre,aimait-ellerépéter,car«tesovulesvieillissentdeminuteenminute».Brigitterétorquaitquelesavancéesdel’obstétriquepermettaientdeconcevoirdesbébésàunâgebienplusavancéquedu tempsde leursmères.Endépitdesprédictionseffrayantesd’Amy,ellen’étaitpasinquiète:elleauraitdesenfantsunjouretépouseraitvraisemblablementTedWeiss,bienqu’ilsn’aientjamaisabordé le sujet.Celui-ciétaitplus jeunede troisanset secomportait commeungamin,dont ilavaitd’ailleursl’allure.Aprèsdesétudesd’archéologieàHarvardetundoctoratàBoston,iltravaillaitdepuis six ans pour le département d’archéologie et rêvait demener son propre chantier de fouilles.L’université deBoston en possédait un peu partout dans lemonde : Egypte, Turquie, Pakistan,Chine,Grèce, Espagne et Guatemala. Il les avait tous visités au moins une fois. Brigitte ne l’avait jamaisaccompagné, profitant de ses absences pour poursuivre ses propres recherches. Les voyages nel’intéressaientplusautantqu’autrefois.Aprésent,elleétaitparfaitementheureusederesterchezelle.

Ted et elle s’étaient rencontrés six ans auparavant, et leur relation était sansnuages. Ils habitaientséparément, toutprèsl’undel’autre,maispassaient lesweek-endsensemble, leplussouventchezTedparcequesonappartementétaitplusspacieux.ContrairementàBrigitte,ilsavaitcuisiner.Ilsavaientdesamisparmilesétudiants,enparticulierlesdoctorantscommeelle,etfréquentaientaussilesenseignantsdeleurdépartementrespectif.Ilsappréciaienttouslesdeuxlavieuniversitaire,bienqueletravaildelajeunefemmeauservicedesadmissionsnerequîtaucuneérudition.Laplupartdutemps,ilsnesesentaientpasdifférentsdesétudiants.Ilsavaientsoifdeconnaissancesetadoraientcetteambianceintellectuelle,mêmesil’universitéavaitsonlotdescandalesmineurs,deliaisonsetdejalousiesmesquines.

BrigittesevoyaitsansproblèmemariéeunjouràTed.Pourl’instant,ilsn’avaientaucuneraisondesauterlepas,puisqu’ilsn’envisageaientpasdedevenirparentsdansunfuturproche.Ilssesentaienttrop

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jeunespourmeneruneexistencerangée.Al’instard’Amy,samère lui rappelaitqu’ellenerajeunissaitpas.Brigitteleurriaitaunez,ajoutantqu’ellen’avaitnulbesoindemettrelegrappinsurTed,puisqu’iln’allaitnullepart.Acetargument,Amyrépondaitavecuncertaincynisme:«Onnesait jamais.»Sesexpériencesmalheureusesenamouraffectaientsonjugement:ellerestaitconvaincueque,sionleurendonnaitl’occasion,leshommesnemanquaientpasdevousdécevoir.ElledevaitpourtantreconnaîtrequeTedétaitcharmantetsansuneoncedeméchanceté.

Brigitte ne cachait pasqu’elle l’aimait,mais ils neparlaient pas souvent d’amour, pasplusqu’ilsn’abordaientlaquestiondel’avenir.Ilssecontentaientdevivrel’instantprésent,parfaitementsatisfaitsde leur organisation, qu’ils jugeaient commode et agréable.Cerise sur le gâteau, ils ne se disputaientjamais.

Toutsuivaituncoursrégulier,sansheurts:sonmétier,sarelationamoureuse,etlarédactiondesonlivrequ’ellecomptaitbienpublierauxpressesuniversitaires.

Elle ne recherchait pas les sensations fortes et avançait dans l’existence à son rythme,même s’iln’étaitpas très rapide.Unpeucommesi elleavait entreprisunvoyage : sansêtrepresséed’arriveràdestination ni de prendre des décisions hâtives. Malgré les inquiétudes de sa mère, les prédictionssinistresetlecynismedesameilleureamie,ellepoursuivaittranquillementsonchemin.

Unsouriremalicieuxauxlèvres,Amyfitirruptiondanssonbureau.—Dequias-tugâchélavie,aujourd’hui?Brigittepritunairfaussementsévère.— Comment peux-tu tenir des propos aussi désobligeants ? Bien au contraire, je vérifie que les

dossierssontcomplets.—Ouais,pourtepermettredemieuxenrejetercertains.Pauvresgosses!Jen’aipasoubliétoutes

ceslettresaffreusesquej’aimoi-mêmereçues:«Bienquenoussoyonstrèsimpressionnésparletravailquevousavezaccomplienterminale,nousnecomprenonspascequevousavezfabriquépendantvotreannéedepremière.Etiez-vousivre,droguéeouabominablementparesseuse?Nousvoussouhaitonsderéussir vos futures études,mais ce ne sera pas chez nous. »Merde ! J’ai pleuré chaque fois que j’enrecevaisune,etmamèreaussi.Elles’imaginaitquejedeviendraisserveusechezMcDoalorsqu’ellemerêvaitenmédecin.Illuiafalludesannéespourmepardonnerden’être«qu’une»assistantesociale.

Brigittesavaitquesonamieexagérait : sesnotesobtenuesenpremièren’étaientpassimauvaises,puisqu’elleavaitfaitsalicenceàBrownetobtenuunmasterenbiologieàStanfordavantd’intégrerlaColumbiaSchoolofSocialWork,oùelleavaitdécrochésondiplôme.

L’université de Boston était peuplée de snobs. Au sein dumonde universitaire, l’endroit où vousaviezobtenuvosdiplômescomptait toutautantquelenombredevospublications.SiBrigitteavaitétéenseignante, elle n’aurait pas eu le loisir de lambiner sur la rédaction de son livre : il aurait fallu lepublier le plus vite possible. C’était pour cette raison que son travail au bureau des admissions laréjouissait tant. Elle était dépourvue de l’esprit de compétition nécessaire pour être professeur.Amy,elle, enseignait la psychologie aux étudiants de premier cycle, tout en exerçant ses fonctions deconseillère,etellemenaitàbiensesdeuxmissions.Elleaimaitlajeunesse,ettoutparticulièrementsesélèves.Confrontéedurantsespremièresannéesd’exerciceauxidéessuicidairesdebonnombred’entreeuxetàplusieurspassagesàl’acte,elleavaitcréélapremièrelignetéléphoniqued’urgenceauseindelafac.Brigitte n’aimait pas penser que le rejet des candidatures pouvait causer le désespoir de certainsjeunesgens.Elleavaithorreurd’envisagersontravaildecettefaçon.MaisAmyallaittoujoursdroitaubutetexprimaitbrutalementsonopinionàsescollèguescommeàsesamis.Ellenemâchaitpassesmots,alorsqueBrigitteformulaitleschosesavecdavantagedediplomatie.

—Alors,qu’est-cequetufaiscesoir?demanda-t-elleens’asseyantenfacedeBrigitte.

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—Pourquoi?Ilyauneraisonparticulière?Amylevalesyeuxauciel.—Celadevrait,situfréquenteslemêmetypedepuissixans.Toncasestvraimentdésespéré.C’est

la Saint-Valentin, pour l’amour du ciel !Tu sais… les fleurs, les déclarations d’amour, les bagues defiançailles,lesdemandesenmariage,lesexe,lamusiquedouce,leschandelles…Vousnesortezpas,Tedettoi?

Malgréseshistoiresd’amourratées,Amyrestaitunegranderomantique.Asesyeux,TedetBrigittene l’étaient pas assez, même s’ils formaient un couple adorable. On aurait dit des lycéens sortantensemble,nondesadultesfaisantdesprojetsd’avenir.

—Jecroisquenousl’avonstouslesdeuxoubliée,avouatimidementBrigitte.Tedrédigeunarticle,etjesuistrèsabsorbéeparlesdossiersdecandidature.Parailleurs,j’aideuxtravauxàrendrepourmoncoursdedoctorat.Sanscompterqu’ilneige…Unenuitànepasmettrelenezdehors.

—Alors,célèbrelaSaint-Valentinaulit!Peut-êtreTedva-t-iltedemanderenmariageaujourd’hui?suggéraAmyavecespoir.

Sonamieéclataderire.—Çam’étonnerait,vuquesonarticledoitêtrepubliévendredi!Ilvaprobablementm’appelerenfin

dejournée,etnouscommanderonsdesplatschinoisoudessushis.C’estvraimentpasunproblème.—Celadevrait,pourtant, lagrondaAmy.Jeneveuxpasque tudeviennesunevieille fillecomme

moi.—Cen’estpascequejesuis,ettoinonplus.Noussommescélibataires,c’estdifférent.C’estnotre

choix,pasunetare.Etpuisonconnaîtdespersonnesplusâgéesquenousquideviennentmères.—Ouais…tufaissansdouteallusionàSarah,danslaBible.Quelâgeavait-elle,déjà,quandellea

accouché?Aumoinsquatre-vingt-dixans,si jemesouviensbien.Anotreépoque,celanecorrespondpastoutàfaitauxstatistiquessurlafécondité.Alasiennenonplus,d’ailleurs.Puis-jeterappeleraussiqu’elleavaitunmari?…

—C’estdevenuunevéritableobsession!Jeteferairemarquerquetunecourspastoi-mêmeaprèsunépoux,alorspourquoidevrais-jem’yemployer?Ilsetrouvequelasituationnousconvientparfaitement,àTedetàmoi.Et,d’ailleurs,enquoiest-cesiimportant?

—Le temps file.Un jour, tu auras quarante-cinq ans, puis cinquante, et ce sera fini pour toi. Tesovules appartiendront à l’ère préhistorique, et Ted pourra même écrire un article à leur propos. Tudevraispeut-êtreledemanderenmariage.

Amys’exprimaitavecunedrôlerieempreintedeconviction.—Ne sois pas bête, répliquaBrigitte avec insouciance.Nous avons tout le temps d’y penser. Je

souhaited’abordterminermonlivreetobtenirmondiplôme.Jeveuxêtredocteurquandjememarierai.—Encecas,dépêche-toi!Tueslapersonnelapluslentedetoutelaplanète.Tut’imaginesquetu

serastoujoursjeune,maisj’aiunemauvaisenouvelle:toncorpsconnaîtlesloisdelanaturemieuxquetoi.Tudevraissérieusementenvisagerdetemarieretd’avoirdesenfants.

—Jeleferai…dansquelquesannées.Ettoi,tuasprévuquoipourcesoir?Amy n’avait pas fréquenté un seul homme depuis sa première grossesse, quatre ans auparavant.

Absorbéeparsesenfants,elleavaitrenoncéàtouteviesociale.Elleétaittropoccupéeàtravaillerouàs’amuseravecsesgarçonspourypenser.ElleauraitsouhaitéqueBrigitteconnaissecemêmesentimentdeplénitudeetcebonheur.Ellesestimaientd’ailleurstouteslesdeuxqueTedferaitunpèremerveilleux.Sesétudiantsl’adoraient.Chaleureux,gentiletintelligent,ilavaittoutcequ’unefemmepouvaitsouhaiterchez un homme. En bref, il était adorable et, comme tout le monde, Brigitte l’aimait pour toutes cesraisons.

—J’aiunrendez-vousenamoureuxavecmesenfants,avouaAmyavecunsourireradieux.Pourledîner,nousallonsdégusterunepizzaet,à19heures,ilsserontaulit.Jepourrairegarderlatélévisionet

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mecoucherà22heures.Cen’estpasexactementcequ’onappelle«célébrer laSaint-Valentin»,maiscelameconvient.

Sur ces mots, Amy se leva. Elle devait recevoir un étudiant étranger de première année que luiadressait un conseiller pédagogique. Le jeune homme en question était profondément déprimé de seretrouver loin de chez lui pour la première fois de sa vie. Amy voulait d’abord lui parler avant del’envoyerchezlemédecinuniversitairepouruntraitementmédicamenteux.Souventconfrontéeàcegenredeproblème,Amyétaitextrêmementvigilante.ToutcommeBrigitte,elleprenaitsonmétieràcœur.

—Celameparaîtunbonplan,remarquaBrigitte.Demoncôté,jevaisrappeleràTedquec’estlaSaint-Valentin, au cas où il l’aurait oublié. Peut-être que c’est évident pour lui que nous dîneronsensemble.

Celane l’auraitpasétonnée.Elleréagissaitparfoisdemême.Leurrelationcoulaitdesource,sansqu’il soit nécessaire de la définir avec desmots. Au bout de six ans, Brigitte supposait qu’ils ne sequitteraientjamais.Inutiledelecriersurlestoitsoudel’écrireaubasd’unparchemin.Peuimportaitcequ’enpensaientAmyetsamère, ilsétaientheureuxet lasituationleurconvenait.«Confortable»étaitl’adjectif qui venait àBrigitte pour qualifier leur liaison. Etmême siAmy estimait qu’ils auraient eubesoin d’y mettre un peu plus de romantisme et de passion, Ted et Brigitte n’en ressentaient pas lanécessité.

Pure coïncidence, Ted l’appela dix minutes après le départ d’Amy. Il semblait à la fois pressé,bouleversé et légèrement essoufflé, ce qui ne lui ressemblait pas. Plutôt cool de nature, il s’emballaitrarement.

—Çava?l’interrogeaBrigitteavecunecertaineinquiétude.Tun’aspasdeproblème?—Non, ilm’arrivejusteuntrucunpeufou.Ils’estpassépasmaldechosesaujourd’hui.Ondîne

ensemblecheztoi?— Bien sûr. Amy vient juste de me rappeler que c’est la Saint-Valentin, aujourd’hui. Ça m’était

complètementsortidel’esprit.—Bonsang,àmoiaussi!Jesuisdésolé,Brig.Tupréfèresdîneraurestaurant?—Commetuveux.Jeseraitoutaussicontentederesteràlamaison,surtoutparcetemps.Lesfloconstombaientdeplusenplusdru,etlacirculationseraitdifficileavectrentecentimètresde

neigesurlachaussée.—Jevoudraiscélébreravectoiunévénementspécial.SiondînaitplutôtchezLuigi?Tupeuxvenir

dormirchezmoicesoir,situenasenvie.Ensemaine,ilétaitrarequ’ilsrestentlanuitchezl’unoul’autre.Chacunpréféraitseleverdansson

propreappartementpourseprépareravantd’allertravailler.Brigitteétaitlégèrementperplexe.LavoixdeTedcachaitmalsonexcitation.—Qu’est-cequenousfêtons?—J’aimemieuxteledireentêteàtête,pournepasgâcherlasurprise.Nousenparleronspendantle

dîner.Impatiented’apprendrelanouvelle,elleinsista:—Tuaseuunepromotion?Pour toute réponse, Ted se contenta de rire. Ce comportement inhabituel rendit la jeune femme

quelquepeunerveuse.Etsi,commeAmyl’espérait,ilprofitaitdelaSaint-Valentinpourlademanderenmariage?Lecœurbattantlachamade,ellefutprisedepanique.

—C’estbienplus importantquecela,dit-ilenfin.Celane t’ennuiepas,deprendreun taxi?Je terejoindraichezLuigi.Jesaisquecen’estpastrèsromantiquedenepasvenirtechercherlesoirdelaSaint-Valentin,maisjesuiscoincéaubureau.

—Pasdeproblème.Onseretrouveaurestaurant,dit-elled’unevoixtremblante.—Jet’aime,Brigitte,souffla-t-ilavantderaccrocher.

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Lajeunefemmefixalerécepteuravecétonnement.Tedprononçaitrarementcesmots,saufaulit.Denouveau, elle sedemanda si les souhaitsd’Amyallaient se réaliser.Cetteperspective l’effrayait.Ellen’étaitpasdu tout sûred’êtreprêtepourunedemandeenmariage.En fait,elleétaitmêmecertaineducontraire.Unedemi-heureplustard,ellegagnalebureaudesonamie,levisagesoucieux.Depuisleseuil,ellelafoudroyaduregard.Celle-civenaitdeterminersonentretienavecl’étudiantdepremièreannée,qu’elleadressaitàunpsychiatre.

—Jecroisquetum’asportélapoisse,ditBrigitte.Visiblementstressée,ellevints’asseoir.—Aquelpropos?s’étonnaAmy.—Tedvientdem’appelerpourm’inviteràdîner.Ilm’aditqu’ilavaitunesurprise…Quelquechose

de plus énorme qu’une promotion. Il semblait aussi nerveux que je le suismaintenant. Seigneur ! J’ail’impressionqu’ilvamedemanderdel’épouser…Jenemesenspastrèsbien.

—Alléluia !Cen’estpas trop tôt ! Il était tempsque l’undevousdeux recouvreun semblantderaison.C’estuneexcellentenouvelle,aprèssixansdeviecommune!

—Jeterappellequenousvivonsséparément.Nousnepassonsquelesweek-endsensemble.—Ettupréféreraisqueçaduresixansdeplus,jesuppose.Etpourquoipasdixpendantquetuyes?

SiTedcomptetedemanderenmariage,ilabienraison.Lavieestcourte.Tuenvisagesderestertoujoursenstand-by?

—Etsiçanousconvient?—IlsembleraitqueTedenveuilledavantage.Entoutcas,illedevrait,ettoiaussi.—C’est le cas, sauf que je ne sais pas si j’en ai enviemaintenant. Pourquoi tout bouleverser ?

«Inutilederéparercequin’estpascassé»,ditleproverbe.Notrearrangementestparfaittelqu’ilest.—Illeseraencoreplussivousvousengagezvraimentl’unenversl’autre.Vousavezlapossibilité

deconstruireunevieensemble,defonderunefamille.Vousnepourrezpastoujoursfairesemblantd’êtreétudiants.C’est ledéfautdebonnombred’entrenous, ici à la fac.Onsepersuadequenous resteronstoujoursjeunes,maisc’estfaux.Unjour,onseréveille,ons’aperçoitqu’onavieillietqu’onestpasséàcôtédel’existence.Evited’enarriverlà.Vousméritezmieuxqueça,Tedettoi.Lechangementt’effraiesansdoute aujourd’hui,mais tuneperdraspas au change.Crois-moi, tu as besoindepasser à l’étapesuivante.

AmyestimaitaussiqueBrigittedevaitaussifaireévoluersavieprofessionnelleetprendrelatêtedubureaudes admissions.On le lui avait proposé,mais elle avait refusé.Son statut actuel la satisfaisaitpleinement.Decette façon,argumentait-elle,ellepouvait seconcentrer sur son livre, sesétudeset sesrecherches. Sans compter que les responsabilités engendrées par un tel poste lui semblaient bien tropstressantes.Ellen’aimaitpassemettreendanger.Amyétaitcertainequ’il fallaitenchercher l’originedansl’enfancedesonamie.Unjour,Brigitteluiavaitconfiéquesonpère,unetêtebrûlée,s’étaitsuicidéaprèsavoirperdutouteleurfortuneenBourse.Samèreavaitdûtravaillerdurpendantdesannéespourlesmaintenirà flot,safilleetelle.Plusque toutaumonde,Brigittecraignaitdes’exposeraumoindrepéril.Siellesesentaità l’abri,ellenesortiraitpasdesa tanière.Tedsemblaits’encontenter,mais ilfaudraitbien,àunmomentouàunautre,queBrigitteailledel’avant,mêmesicelaluifaisaittrèspeur,aulieuderesterenracinéeaumêmeendroittoutesavie.Sionneprenaitjamaisderisque,onnegrandissaitpas.Amyespéraitdetoutcœurqu’ilyauraitunedemandeenmariagelesoirmême.

—Essaiedenepastropt’inquiéter,larassura-t-elle.Vousvousaimez.Toutvabiensepasser.Soudain,Brigittepensaàsonpère:—Ets’ilmourait,unefoisquenousseronsmariés?Elle fixait son amie de ses yeux pleins de larmes. Comprenant son angoisse, Amy lui parla avec

sollicitude:—Nousmourronstous,maisjenepensepasquetuaiesàt’eninquiéteravantlongtemps.

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LesterreursdeBrigitteétaienttropancréespourqu’elleselaisseconvaincreaussifacilement.Ellenevoulaitpourrienaumondeseretrouverveuveavecunjeuneenfantàcharge,commesamère.Plutôtrestercélibatairetoutesavie.

—Tusais,jemesouviensdecequemamèreavécuàlamortdemonpère.Al’époque,elleétaitâgéedeonzeans.Samèrenecessaitdepleurer:sansressources,cettedernière

avait finipar trouverunpostedansunemaisond’édition,qu’elleavaitquittée l’annéeprécédentepouruneretraitebienméritée.Désormais,elleavaitletempsdefairetoutcequineluiavaitpasétépermispendantsilongtemps:voirsesamies,joueraubridgeetaugolf,fairedelagymetprendredesleçonsdecuisine.Depuisplusieursannées,sesrecherchessurlagénéalogiedeleurfamillelafascinaient.

Plusjeune,Brigitteavaitsuiviunethérapiepourapaiserletraumatismecauséparlesuicidedesonpère. Pourtant,même après lui avoir pardonné son geste, elle n’avait jamais pu vaincre sa crainte duchangementetsapeurdel’inconnu.

Avantdepartirpourlerestaurant,Brigitteappelasamère,quidevinaàsavoixsesinquiétudes.Debutenblanc,elleluiparladesonpère,unsujetqu’ellesn’avaientpasabordédepuisdeslustreset luiposapourlapremièrefoislaquestionquiluitraversaitsouventl’esprit.

—Est-cequeturegrettesdel’avoirépousé,maman?—Biensûrquenon,puisquejet’avais!—Etendehorsdecela?Est-cequeçavalaitlapeinedesubirtouteslesépreuvesquetuasvécues?Samèresetutunlongmomentavantderépondre.Elleavaittoujoursétéhonnêteenverssafille,ce

quiexpliquaitenpartielaforcedulienquilesunissait.Toutesdeuxétaientd’autantplusprochesqu’ellesavaientsurvécuensembleàlatragédie.

—Oui,çaenvalaitlapeine.Jen’aijamaisregrettéd’avoirépousétonpère,mêmeavecledramequis’est produit. Je l’aimais de tout mon cœur. Dans la vie, on peut seulement faire de son mieux. Lesévénementsquisurviennentparlasuitesontdéterminésparlehasard.Onespèrequetoutsepasserabien,maisonnepeutques’enremettreàlaprovidence.Etjepensevraimentcequejeviensdetedire:tuaslargementcompensélesmomentsdifficiles.Sanstoi,mavien’auraitpaseudesens.

—Merci,maman,réponditBrigitte,leslarmesauxyeux,avantderaccrocher.Sans le savoir, sa mère lui avait fourni la réponse dont elle avait besoin et qu’elle avait espéré

entendre.Malgré lesconséquencesdésastreusesdusuicidedesonmari,ellene regrettait rien.Brigitteignoraitsielleétaitprêtepourlemariage,àcetinstantdesavie–etpeut-êtreneleserait-ellejamais–,mais,siTedleluiproposait,elleprendraitlerisqued’accepter.EllevoulaitcroirequesamèreetAmynesetrompaientpas.Cetteperspectiveavaitbeaulatroublerprofondément,enmontantdansletaxiellesesentaitpleinedecourage.

Pendantletrajet,soncourageseteintad’excitation.Aprèstout,sonamourpourTedétaitimmenseetpeut-être était-ce la meilleure solution pour eux deux. L’expérience pouvait même se révélermerveilleuse.Tedneressemblaitenrienàsonpère,ilétaitsolide.Lorsqu’ellepénétradanslerestaurant,ilétaitdéjàlà.Enapprochantdelui,ellesouriait.Avantqu’ellenes’assoie,ilselevapourl’embrasseravecuneeuphoriequ’elleneluiconnaissaitpas.Sonhumeurétaitcontagieuse,sibienqu’ellesesentitplusromantiquequ’ellenel’avaitétédepuisdesannées.Ilcommandaduchampagne,etilstrinquèrentlesyeux dans les yeux.Malgré la température hivernale qui sévissait dehors, une atmosphère chaleureuserégnaitàleurtable.

Pendantledîner,Tedparladetoutetderien.Surdescharbonsardents,Brigitteattenditnéanmoinspoliment,sansluiposerdequestion:ilaborderaitsûrementlesujetquandiljugeraitlemomentopportun.Vusoncomportementexubérant,ilnerestaitplusaucundoutedansl’espritdelajeunefemme.Amyavaitraison, un événement considérable se profilait à l’horizon.Aumoment du dessert, on leur apporta ungâteauauchocolatenformedecœuroffertparlamaison.Unlargesourireauxlèvres,Tedlaregarda.Ilavaitvisiblementbeaucoupdemalàcontenirsajoie.LescraintesdeBrigittes’évanouissaientpeuàpeu.

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Amyluiavaitsouventrépétéqu’ilsn’étaientpassuffisammentpassionnés,maisenréalité,bienquepeudémonstratifs l’un envers l’autre, ils l’étaient. Pourmieux comprendre ses travaux de recherche, Tedavait passé un certificat en anthropologie et l’encourageait, tant au niveau de son travail que de sesrecherches.Ellepouvaitcomptersurluiet,lorsqu’elles’autorisaitàpenseràl’avenir,l’enviedepassertoute savie avec lui ressemblait àuneévidence.En tout cas, ce soir elle enétait certaineet attendaitpatiemmentqueTedfassesadéclaration.Maisiltournaitautourdupot,luirépétantcombienillatrouvaitmerveilleuse, combien il l’admirait et l’aimait. S’il avait voulu la voir sans tarder, c’était pour luiannoncerquesonrêveseréalisaitenfin…lerêvedetoutesavie.Ilneluiavaitjamaisrienditd’aussitendre,etellesavaitqu’ellen’oublieraitjamaiscetinstant.

Lechampagneluifaisaitunpeutournerlatête,maisiln’yavaitaucundoutesurcequiallaitsuivre.Lemomentcrucialseprésentaitsimplementbienplustôtqu’ellenel’avaitprévu.IlnerestaitàTedqu’àlui poser la question, et elle dirait oui. Il savait forcément qu’elle accepterait, tout comme elle avaitdeviné ce qu’il allait lui demander. C’était justement parce que leur vie était si prévisible qu’elle sesentaitensécurité.

—Ilnem’est jamaisrienarrivéd’aussiexcitant,Brigitte,commença-t-il,visiblementému.Jesaisqueceneserapasfacile,maisj’espèrequetut’enréjouiras,toiaussi.

Enprononçantcesderniersmots,ilsemblaitsinerveuxqu’elleenfuttouchée.—Biensûrqueoui.—J’ensuisconvaincuparcequetuesbienveillante,généreuseetquetum’astoujourssoutenudans

montravail.—Tufaislamêmechosepourmoi.—Etc’estaussicequiexpliquequenousnousentendonsaussibien.Pourmapart,jesaiscombien

tonmétierettonlivresontimportantspourtoi.Moinsquel’archéologiepourlui,songeaBrigitte,maiselleappréciasaconsidération.Jusque-là,il

l’avaittoujourscomplimentéesursestravauxetpartageaitsesconvictionssurlesdroitsdesfemmes.—Jeteseraitoujoursreconnaissantdecequetuasfaitpourmoi,déclara-t-il.L’espaced’uninstant,illafixadanslesyeuxavecunesortedenostalgie.—Jen’arrivepasà croireà cequim’arrive, reprit-ild’unevoix tremblante. J’ai attendu toute la

journéedepouvoirteledire…Brigittecrutentendreunroulementdetambour.—Aujourd’hui,onm’adonnémonproprechantierde fouilles.Tu te rendscompte? J’enaurai la

pleineresponsabilité.Jeparspourl’Egyptedanstroissemaines,etj’aiconsciencequeceseradurpourtoi.

Ilavaitdébitésatiraded’untraitet,maintenant,ilselaissaitallercontreledossierdesachaise,lesourire aux lèvres.Brigitte avait l’impression d’avoir reçu un coup dematraque dans le ventre. Il luifallutuneminutepourrespirerànouveauetrecouvrerlaparole.Elleétaitabasourdie.

—Tespropresfouilles?EnEgypte?Tuparsdanstroissemaines?Commentest-cepossible?—Tusaisquechaqueannée jeposaismacandidature. J’avais finiparperdreespoir,maisonme

disaitque,tôtoutard,onaccéderaitàmademande.C’estchosefaite!Onm’offredeconduirelesfouillesdegrottesquiviennentd’êtremisesaujour.C’estincroyable!Monrêveseréaliseenfin.

Pendantuneminute…etmêmeplusieurs…Brigitteavaitcruquec’étaitellequiincarnaitsonrêve.Elleattenditquelques instantsdeplus, fixant lapartdegâteau intactedanssonassiette.Enfin,elle

levalesyeuxverslui,luttantpourconserversoncalmealorsqu’elleavaitenviedehurlersadéception.Aumomentoùellesesentaitenfinprêteàaccepterdel’épouser,voilàqu’illuidéclaraitqu’ilpartaitenEgypte…

—Qu’est-cequecelaimpliqueencequinousconcerne?

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C’était évident, mais elle voulait que Ted le lui dise en face. Cette fois, la question était tropimportantepourselimiteràdessuppositions.Ellevoulaitentendrecequ’ilavaitprévupourleurcouple,dumoinss’ilyavaitsongé.

—Noussavionstouslesdeuxquecelaarriveraitunjouroul’autre,déclaratranquillementTed.Jenepeuxpast’emmeneravecmoi.Iln’yapasd’emploipourtoi là-bas,et,detoutefaçon,onrisquedeterefuserlevisasitunepeuxpasjustifiertaprésence.Et,d’ailleurs,qu’est-cequetuferaisdetontemps?Je saiscombien ton travail est importantpour toi.Nousavonspassé sixbellesannéesensemble, et jet’aime.MaisjevaisresterenEgypteentretroisetcinqans,davantagesilesfouillessontfructueusesousi l’onmedonneunautresiteàexplorer.Jenereviendraidoncpasavant longtempset jenepeuxpasexigerpasdetoiquetum’attendes.Nousdevonschacuncontinuerlecoursdenosvies.Lamienneestlà-bas, la tienne ici. Nous sommes des gens raisonnables et nous savions qu’une telle éventualité seprésenteraitunjour.

Ils’étaitexpriméavecdétachement.«Ons’estbienamuséspendantsixans,aurevoiretàbientôt»:voilàtoutcequ’iltrouvaitàdire!—Pourmapart, jen’avaisrienprévudecegenre,répliqua-t-elle, levisagedéfait.Jepensaisque

nousferionsnotrevieensemble.Elleneretenaitpasleslarmesquiruisselaientlelongdesesjoues.Ilvenaitdeluiasséneruntelcoup

qu’elleavaitdumalàréfléchir.—Nousn’avonsjamaisrienditdetel,corrigeaTed.Nousendiscutionsdemanièreabstraite,mais

nous n’avions jamais fait de projets d’avenir, et tu le sais parfaitement. Si je n’avais pas obtenu cechantier,leschosesseraientpeut-êtredifférentes.Maispourêtrehonnête,depuisunanenvironj’aiprisconscience que l’engagement n’était pasmon truc. Dumoins, pas au sens classique. J’apprécie notrerelation,maisellemesatisfaisaitenl’état.Jepensaisquenousétionssurlamêmelongueurd’onde.Tun’asjamaisétéunedecesfemmesprêtesàtoutpoursemarierouavoirdesenfants.C’estbienpourcetteraisonqueçamarchaitaussibienentrenous.

—Jepensaisqueçamarchaitparcequenousnousaimions,répondit tristementBrigitte.Ilestvraiquejenesuispas«prêteàtout»,commetuledis,pourobtenirunmariageetdesenfants,maisjepensaisquenousferionslesdeux,unjour.

Cetteprésomption lui semblait incroyablementstupideàprésent.Elleconstataitavecdouleurqu’ilavaithâtedepartirseuletdecommencersesfouilles.

—Tupeuxencoreréalisertessouhaits,dit-iltranquillement,maissansmoi.Jeseraiabsentpendantlongtemps.Quisait?Silesiteserévèleproductif,jeresteraipeut-êtrelà-basdixans,voiredavantage.J’ai attendu cette occasion toutema vie. Je ne suis pas pressé de revenir et je ne veux pas que desobligationsmecompliquentl’existence.

Aprésent,elledevenaitune«complication».Cesmotsluifendirentlecœur.—Jecroyaisquenousavionsunaccordtacite,ajoutaTed.Celuidevivreainsitantquecelaallait

bienetsansfairedeprojetsd’avenir.—C’estleproblème,aveclesaccordstacites:chacunlesinterprèteàsafaçon.Pourmapart,j’étais

convaincuequenousétionsengagésl’unenversl’autre.LavoixdeBrigittevibraitd’unecolèrecontenue,teintéedetristesse.—Jenet’aijamaiscachéquemontravailétaitmapriorité,luireprocha-t-ildoucement.Tednevoulaitpasqu’onleculpabilise.Samères’yemployaitdepuis toujours,et ildétestaitcela.

Brigitte,elle,ne l’avait jamaisfait. Ilvoulait fêter labonnenouvelleavecelle,etnonincarner lesaletypequis’enallaitsansunregardenarrière.Cetteinterprétationdesfaitsétaitunpeusimplistecar,defait,sondépartmettaitfinàleurliaison.Et,augrandétonnementdeBrigitte,c’étaitleprixqu’ilétaitprêtàpayer.Elleprenaitsoudainconsciencedesonpropreaveuglement.Riend’autrenecomptaitpourTedquesesfouilles.

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—Jesuisdésolé,Brigitte.Jesaisquec’estunpeusoudain,etc’estduraussipourmoi,maiscelan’ariendechoquant.Nousnevivonsmêmepasdanslemêmeappartement.Jevoulaisd’ailleursteproposerderécupérercertainesdemesaffaires.Jedonnerailereste.Endehorsducanapé,jen’aiquasimentaucunmeubleintéressant.

Ilsl’avaientachetéensemblel’annéeprécédente,etmaintenant,ils’endébarrassaitaussifacilementqu’ilsedébarrassaitd’elle.Ellenes’étaitpassentieaussibouleverséeetabandonnéedepuislamortdesonpère.Tandisqu’ellelefixaitsansmotdire,illuivintunepenséefulgurante,incongrue.

— Et mes ovules ? demanda-t-elle, les joues ruisselantes de larmes, incapable de contrôler sesémotions.

—Tesovules?répéta-t-ilsanscomprendre.— Mes ovules… les bébés que nous n’aurons jamais… Il se peut qu’en ce qui me concerne

l’occasionneseprésenteplus.J’aitrente-huitans.Quesuis-jecenséefaire?Mettreuneannoncesurletableaud’affichagepourmetrouverunmarisusceptibledemefairedesenfants?

Tedpritunairoffusqué.—C’esttoutcequejereprésentaispourtoi?—Non.Tuétaisl’hommequej’aimais,ettul’esencore.Lasimplicitédenotrerelationm’ainduite

en erreur, si bien que je n’ai jamais posé les bonnes questions parce que je ne les croyais pasnécessaires.Pourquoinepuis-jepast’accompagner?

LaquestionsemblagênerTed.—Jenepeuxpasm’embarrasserd’unefemmeetd’enfantsquandj’auraiunetâcheaussiimportanteà

accomplir.Ceseraitunetropgrosseresponsabilitéetcelamedétourneraitdel’essentiel.D’ailleurs,jeneveuxpasdecegenred’engagement.Pourtoicommepourmoi,ilesttempsd’allerdel’avantetdevoircequelavienousréserve.Jenesuismêmepascertaindevouloirmemarier,entoutcaspasavanttrèslongtemps.

C’est-à-dire trop tard pour elle, commeAmy nemanquerait pas de lui rappeler. Brigittemesuraitaujourd’hui sa stupidité d’avoir présumé des intentions de Ted et fait preuve d’un tel manque dediscernement.Ellen’avait jamais imaginéqu’ilaurait fallumettre leschosesauclair.Leur relationdecoupleavaitétésifaciletoutescesannéesqu’elles’étaitlaisséporteraugréducourant.Etaujourd’huiTed la jetait horsde l’embarcationet continuait àpagayer tout seul, lui faisant clairement comprendrequ’il ne voulait pas d’elle, nimaintenant ni plus tard. Elle ne pouvaitmême pas l’en blâmer, sachantparfaitementqu’elleétaitaussi responsableque luidecemalentendu. Ilne l’avaitpas trompéesursesintentions.Depuisledébut,ilsavaientsimplementvécuaujourlejouretdeweek-endenweek-end.Enl’écoutant,jamaisellenes’étaitsentiesiseule.

—Commentveux-tuquenousprocédionsavantmondépart?luidemanda-t-ilgentiment.IlvoyaitBrigitteanéantieparcequ’ilvenaitdeluiannonceretilenétaitnavré.Elleneseréjouissait

pasdesonbonheur,ainsiqu’ill’avaitespéré,etilcomprenaitmaintenantcombiencettehypothèseavaitétépeuréaliste.Brigitteavaiteudesattentescapitalespourleurcouplesansjamaisluiavoirfaitpartdesesespoirs.Maintenant,sesrêvesbrisésetsessuppositionserronéesluiexplosaientàlafigure.

—Qu’est-cequetuveuxdire?balbutia-t-elle.Ellesemouchasanscesserdepleurer.—Jeneveuxpas te rendre leschosespluspéniblesqu’ellesne lesontdéjà.Mondépartestdans

troissemaines.Veux-tuquenousrestionsensemblejusque-là,oumevoirlemoinspossible?—Sij’aibiencompris,tondépartéquivautàunerupture?demanda-t-elletristement.Ilhochalatête.—Commejetel’aidit,jenepeuxpasm’installerenEgypteetcontinuernotrerelationàdistance.Et

puis,jecroisquenousaurionsdetoutefaçonrompuunjouroul’autresij’étaisresté.

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Onen apprend tous les jours ! songeaBrigitte,mais elle n’avait pas envied’endébattre.Lagifleinattenduequ’illuiavaitportéel’avaitmiseàterre.

—Encecas,jepréfèreenfinirtoutdesuite,répondit-elleavecdignité.Jeneveuxplustevoir,Ted:celaneferaitqu’empirerleschoses.C’enétaitfinidenotrerelationdèslemomentoùtuasacceptécechantier…

… Et peut-être même avant, puisqu’il n’avait jamais considéré leur liaison comme un véritableengagement.

—Celan’arienàvoiravectoi,Brigitte.L’existencenousréserveparfoiscegenredesurprise.Aceciprèsqu’ilnes’inquiétaitnullementdelaviedeBrigitte,maisuniquementdelasienne.Ellese

rendaitcomptepourlapremièrefoisàquelpointilétaitégoïste.Iln’yenavaitquepourlui,etpoursonsitearchéologique.

Elleselevaetenfilasonmanteau.—Biensûr,jecomprends,dit-elleenleregardantdroitdanslesyeux.Toutesmesfélicitations,Ted.

Jemeréjouispourtoi,mêmesijesuistristepournousdeux,etpourmoi.Elle s’efforçait vaillamment d’être aimable. Il en fut touché, quoique un peu déçu qu’elle ne le

soutiennepasavecplusd’enthousiasme.Maisilcomprenaitaussiquesondésirdepoursuivresoncheminsansellepuisselablesser.Ilpensaitàuneséparationdepuisuncertaintemps,sansenavoireulecouragejusqu’àmaintenant.Sondépartnepouvaitpasmieuxtomber…pourluientoutcas.

—C’estgentil,Brigitte.Jevaisteraccompagnercheztoi.Denouveau,ellefonditenlarmesetsecouavigoureusementlatête.—Non…Jevaisprendreuntaxi.Mercipourledîneretbonnenuit.Surcesmots,elleseprécipitahorsdurestaurant,espérantquepersonnenelaverraitpleurer.« Merci pour le dîner, et pour ces années passées ensemble. Je te souhaite tout le bonheur du

monde…»Toutentrébuchantdanslaneige,enquêted’untaxi,ellepensaitauxerreursqu’elleavaitcommises

depuissixans.Commentavait-ellepuêtreaussistupide?Tedn’étaitpas«dugenreàs’engager»,ilnesavait pas s’il voudrait jamais une épouse et des enfants. Leur relation avait été facile. Confortable.C’étaitlemot-clé,ettoutcequ’elleavaitdésiré.Maiscethommeavecquielleavaiteuunerelationsi«confortable»laplaquaitsansautreformedeprocèsets’enallaitenEgypteaccomplircedontilavaittoujours rêvé. Il luiavait fait sesadieuxcommeàuneétudianteouunecollaboratrice,pasà la femmedont il étaitamoureux.Ellecomprenaitmaintenantqu’ilne l’étaitpas,etpeut-êtrene l’aimait-ellepasnonplus.Elleavaitnégligél’engagementetlapassionauprofitdelaroutineetduconfort.Pendantsixans,elles’enétaitcontentée,etvoilàcequecelaluirapportait.Unefoisdansletaxi,ellepleuratoutlelongdutrajet.C’étaithorribledepenserquetoutétaitfinietqu’ellenelereverraitjamais.Pireencore,elleavaitcruqu’ilallaitlademanderenmariage.Commeelleavaitétéstupide!

Elle franchissait le seuil de son appartement quand son téléphone portable sonna. Jetant un coupd’œilàl’écran,ellevits’afficherlenumérodeTed.Ellenedécrochapas.Aquoibon?Iln’allaitpaschangerd’avis.Leurruptureétaitconsommée.Toutcequiluirestaitàlaplacedel’amour,dorénavant,c’étaitl’apitoiementsurelle-mêmeetlesregrets.

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Titreoriginal:44CharlesStreet

©DanielleSteel,2011

«Cetteœuvreestprotégéeparledroitd’auteuretstrictementréservéeàl’usageprivéduclient.Toutereproductionoudiffusionauprofitdetiers,àtitregratuitouonéreux,detoutoupartiedecetteœuvre,eststrictementinterditeetconstitueunecontrefaçonprévueparlesarticlesL335-2etsuivantsduCodedelaPropriétéIntellectuelle.L’éditeurseréserveledroitdepoursuivretouteatteinteàsesdroitsdepropriétéintellectuelledevantlesjuridictionscivilesoupénales.»

©PressesdelaCité,2012pourlatraductionfrançaise

EAN978-2-258-09472-7

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