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DUMÊMEAUTEURDANSLAMÊMECOLLECTION
LePiègedel’innocence,àparaîtreennovembre2016
KELLEYYORK
SOUSLAMÊMEÉTOILE
Traduitdel’américainparLaurenceRichard
Àmacompagne,àtoiquichéristantmespersonnagescabossés.
Hunter
Lors de notre première rencontre, Chance Harvey jouait avec des poupées Barbie. Pas à leshabiller,non.Ilenavaitaccrochéuneparleschevillesauboutd’unecanneàpêcheetlaremontaitaumoulinetdepuisleruisseauderrièrelamaisondenotrepère.Mêmeàhuitans,mademi-sœurAshlinetmoiavionstrouvécelabizarre.
Setournantversnous,ilnousavaitfixésdesesyeuxverts,rondscommedesbilles,encontrastetotalavecsaphysionomie.Àforcederampersurlestalusquibordaientleruisseau,ilétaitcouvertd’herbeetdeboueet,lesjouesstriéesdepeinturedecamouflage,ilnousavaitregardéscommesilesplusbizarres,c’étaitnous.
—Vousêtesqui?avait-ildemandé.C’étaitunedemi-portion,plusprocheentailled’Ashquedemoi,etjesavaisquej’auraispuavoir
facilementledessuss’ils’étaitmisentêtedenouschercherdesnoises.—C’est lamaisondemonpère, j’avaisdéclaré, sourcils froncés,endésignant le toitque l’on
discernait à travers les arbres. Et cette partie du ruisseau est à lui. Il est flic, et tu vas avoir desproblèmessijeluidisquetueslà.
A posteriori, j’ignore quel besoin j’avais eu alors dememontrer siméchant. Je n’étais qu’ungamin,etj’imaginequejouerlesdursm’avaitsembléêtrelachoseàfaire,surtoutdevantmasœur.Mais Chance, à ma grande déception, n’avait pas paru impressionné par ma menace, et il s’étaitcontentédenoustournerledos.
—Laisse-moifinir;après,jepartirai.J’avaiscroisélesbras,attendantqu’ildéguerpisse,quandAshlins’étaitécriéedesapetitevoixde
souris:—Tufaisquoi?Regardantderrière lui,Chance lui avait adresséun sourireencoin, commes’iln’avait attendu
qu’unechose,quel’undenousluiposecettequestion.—Çasevoitpas?Jesuisenpleineopérationdesauvetage.Lesyeuxécarquillés,Ashs’étaitapprochée.—Tusauvesqui?Barbie?Chance s’était relevé, et, redressant le dos, avait posé la main sur sa hanche. Je me souviens
m’êtreditquecesimplegestesuffisaitàlefaireparaîtreplusadultequenous.— Ouais ! Mais le problème, c’est qu’il y en a tellement là-dedans que je sais pas par où
commencer.Tumefilesuncoupdemain?Masœurn’avaitpasmêmeattendumonavis.Passantdevantmoi,elle s’étaitprécipitéedanssa
robe d’été et ses baskets tachées d’herbe, puis s’était accroupie près de Chance qui avait alors
entrepris de lui donner des instructions précises. Bien que s’adressant àAsh, jamais il nem’avaitquittédesyeux.
C’étaitainsiquetoutavaitcommencé.EnrepêchantdespoupéesBarbieduruisseau.
Novembre
Hunter
Depuisquej’aicinqans,nouspassonslesétéscheznotrepère.Touslesans,àlafindel’annéescolaire,Ash,quihabitaitavecsamèresurlacôteOuest,prenait l’avionpourOtter ’sRest,dansleMaine,tandisquemoi,onmemettaitsimplementdansuncaroudansuntrain,carj’habitaisaveclamienneàl’autreboutdel’État.
Et,quandnousarrivions,Chanceétaitlàànousattendre.—C’estpastroptôt!s’exclamait-il,deboutsousnotrevéranda,mainssurleshanches,piedsnus,
cheveuxébouriffés,sesgrosseslunettessurlenez.JeseraisbienincapabledevousdireoùChancehabitait,quelleécoleilfréquentait,oucomment
s’appelaient sesparents.Mais jepourraisvousciter saglacepréférée, ainsique la façondont il ladégustait(parfum«rockyroad»,chocolat,guimauveetnoisette,enretirantlesmorceauxdenoisetteetlaguimauvepourlesmangerendernier),qu’ilconnaissaitparcœurtouteslesparolesdeQueen,qu’ilavaitunfaiblepourlesanimauxetlesmélosquiluifaisaientmonterleslarmesauxyeux.
Pourmoi,jeconnaissaisdeChancetoutcequiimportaitvraiment.Chanceétaitl’étrangetéetlafantaisieincarnées.Ilétaitnotreami,àAshlinetàmoi,unamiànulautrepareil.
Chanceétaitnotreété.Nous ne le voyions ni ne lui parlions de tout l’hiver, mais quand nous arrivions, nous nous
retrouvions comme si nous n’avions jamais été séparés. Sept années durant, tout ce quime faisaittenirpendantcesinterminablesjournéesd’écoleetmaviemonotoneavecmamèreetsoncopainétaitlaperspectivedepartirenfinretrouverChance.
C’est lapremière foisdepuismesquinzeansque je suischezmonpèrepourplusdequelquesjours, et je saisqu’endeuxansquantitédechosespeuvent changer. J’aidûbatailler avecmamèrepourqu’elleme laissepartir : ellevoulaitque jem’inscriveen fac,etmoi, jevoulaisprendreuneannéesabbatique.Pourlapasseravecmonpère.AvecAshlinaussi.Pourpenseràmonavenir.Etpeut-être,simplement,pourrevoirChance.
C’estbizarred’arriveravectoutecetteneigefondue,desentirl’airfroidethumide.Lamaisondemonpère,nichéeàl’écartdelaroute,paraîtdifférente,entouréedesquelettesd’arbresaulieuduvertestival.
Chancen’estpaslààm’attendresouslavéranda.Bien sûr, je pensais pas l’y trouver ; comment aurait-il été au courant demon arrivée ?Nous
venionsici tous lesétés,sansexception, jusqu’àcequenotrepère,deuxansplus tôt,soitblesséenserviceparuneballequi l’avaitatteintà lacolonnevertébrale ;pendantsaconvalescence,onnous
avaitgardéschacunànosdomiciles respectifs.Loindenotrepère, loin lesunsdesautres, loindeChance,sansmoyendelecontacter.
Jen’aipaslamoindreidéedel’endroitoùletrouvernidelafaçondem’yprendre.J’ignoreoùilhabite, jen’aipas sonnumérode téléphone, jene saispas s’il adesamisenville…Une fois, j’aiappelélesrenseignements,maisjeneconnaissaismêmepaslesprénomsdesesparents.Quantàmonpère,iln’étaitpasdansuneformephysiquequiluiauraitpermisdemenerunsemblantd’enquête.
QuandAshlin sera là,nous réfléchironsaumoyende le joindre.D’ici là, jepasseraidu tempsdehors,peuimportelefroid,tantpissij’ailespiedsgelés.Jeresteraiàguetteretàattendreceluiquejen’aipasréussiàmesortirdelatête.CarChanceestainsifait.Ilobsèdelesautres.Etmêmeaprèssondépart,ilserappelleànouscommeunedouleurlancinante.Unsouvenirchaleureuxquicontinuedesedérober.
Ashlinarrive le lendemain.Monpèreetmoi,nousnousentassonsdans savieille fourgonnettepourlelongtrajetjusqu’àl’aéroport.Jen’aipasvumademi-sœurdepuissixmois.
Quand elle franchit la porte d’arrivée, je distingue le reste d’un hâle estival et des taches derousseursursonnezetsesjoues.Avant,ellelesdétestait,jusqu’àcequeChanceluidisequec’étaitmignon;depuis,ellenechercheplusàlescamouflersousdumaquillage.Elles’avanced’abordversnotrepèreet le serredélicatementdanssesbras.Un légersourirenaît sur les lèvresdenotrepèrealorsqu’ilpasseunbrasautourd’elle,sanslâcherdel’autrelacannesurlaquelleils’appuie.
—Machérie,soupire-t-il.Tum’asmanqué.—Tuchangeraspeut-êtred’avisquandonaurapasséplusieursmoischeztoi.Ashs’écarteetsetourneversmoi.—Salutl’avorton!jeluilanceaffectueusement.Ash me gratifie d’un sourire jusqu’aux oreilles, et se jette à mon cou. Je n’ai jamais trouvé
vraimentnormald’êtreéloignéd’elleetdenotrepère.C’estainsiqueleschosesdevaientêtre :masœur,notrepère,moi,tousensemble.
IlnemanquequeChance.
***
Audébut,Chancenousaposédestasdequestionssurnosparents.Ilsavaitquenotrepèreétaitflic,quenouspassionslesétésiciaveclui.Maisilnecomprenaitpaspourquoi,lerestedel’année,nousnevivionspasaveclamêmemère.L’idéeluiparaissaittotalementincongrue.Pournous,c’étaitaussinormalquelanuitsuccédantaujour.
—Notrepèreétait encoupleavecmamère, j’avaisexpliqué. Ils se sontdisputésetont rompupendantunecourtepériode,maisquiasuffiàmonpèrepoursortiravecquelqu’und’autre…
Puisc’estdevenudugrandn’importequoi.Pourfinir,monpèren’est restéavecaucunedecesdeux femmes,et a récoltédeuxenfantsaupassage.Peut-être s’est-ilmalcomportéavecnosmèresrespectives–commeelles seplaisentànous le répéter–,mais il a toujoursétéunbonpère. Ilditavoir dumal à considérer sesmauvais choix amoureux commedes erreurs, car c’est grâce à euxqu’ilnousa,Ashetmoi.
Je crois que je leur en ai voulu, au début. À lui et à Ashlin. Je les jugeais responsables dessouffrancesdemamèreet,parextension,desmiennes.Pourtantilaétédifficiledecontinueràleurenvouloir:monpèrefaisaittantd’effortsetAshmecomprenaitsibien,parcequ’ellevivaitlamêmechose.Soit,notrevieétaitpeut-êtrebizarre,maisnousnousaimions.Pournous,çafonctionnait.
En revanche, la vie deChance était unpuzzle demille pièces impossibles à assembler. Il nousracontait que ses parents partaient très souvent en déplacement professionnel, le laissant seul à lamaison.Ilavaitdonccette libertédenousretrouver tousles joursoupresque.Maisquandnousluiavonsdemandésonnumérodetéléphoneouuneadressee-mail,ilarétorquéqu’iln’avaitpasledroitde recevoir d’appels et que ses parents ne voulaient pas de l’Internet chez eux. Et aller à labibliothèquepourliresese-mailsétaittropprisedetête.
Plus j’y pense, plus les choses qui, à l’époque, ne semblaient pas logiques paraissent encoremoinscohérentesaujourd’hui.
Lesoirdesonarrivée,audîner,Ashposelaquestionànotrepère:—Tu crois que tu pourrais demander à quelqu’un au poste de trouver l’adresse de Chance ?
Parcequesinon,ilnesaurajamaisqu’onestlà.—Tusaisquejenesuispasautoriséàsollicitercetyped’informations,répond-ilsansreleverla
tête.Pourtant,aprèsuneautrebouchée,ilajoute:—Jevaisvoircequejepeuxfaire.Au moment d’aller se coucher, je prends quelques minutes pour appeler ma copine, Rachel.
Depuisquenoussortonsensemble,c’estlapremièrefoisquenoussommesséparéspourunepériodeaussilongue.
Ellesembleheureusedem’entendre,maisàcetteheuretardive, jesaisqu’elleestplongéedanssesrévisionsetqu’ellen’aurapasdetempspourmoi.
—Jesuisdésolée,Hunter.Ilfautvraimentquetutedébrouillespourappeleràunautremoment.Onpeutseparlerplustard?Tumemanques.
—Biensûr.Toiaussi,tumemanques.C’estlavérité,maisjen’iraipasjusqu’àdirequejerenonceraisàêtreicipourlavoir.Rachelne
voulaitpasquej’aillechezmonpère,etnousnoussommesdisputéssurlesujetpendantdessemaines.Yrepenserestencoredouloureux.Venirici…C’étaitvraimentimportant,etRachel,mamèreetsoncopain…ilsontessayédemeretenir,insistantsurlefaitqueleplusimportantmaintenantétaitd’alleràlafac.
Je raccroche etm’écroule dansmon lit.Àmon arrivée, la première chose que j’ai faite, c’estdéchirerlesvieillesaffichesdefilmsetlesposters,sidatésquec’enétaitdouloureux.
Lacarteducielphosphorescenteauplafonddemachambreestleseulélémentdedécorationquej’aiconservé.Un été,monpère etmoi avions passé beaucoupde temps à la déployer d’un bout àl’autre du plafond. Je n’avais pas le cœur de la retirer. Aujourd’hui encore, il y a quelque chosed’apaisantàsuivredudoigtletracédesconstellations,dansmonlit,quandlespenséesbouillonnentdansmatêteaupointquejenesuispluscapablederéfléchiravecdiscernement.
CesconstellationsmerappellentlesfoisoùAsh,Chanceetmoicontemplionsleciel,allongéssurlaterrasseàl’arrièredelamaison.Chanceavaitunehistoirepourchaqueconstellation.Lapréféréed’AshétaitOrion,carlestroisétoilesquiformaientsaceintureétaientlesseulesqu’elleparvenaitàidentifiersansaide.Chance,quantàlui,préféraitlaconstellationduDragon,plusinsaisissable.
Il aimait les étoiles, et il aimait les dragons. Pour lui, cette constellation était une évidence. Ildisaitquesamèrel’avaitemmenéunefoisauplanétariumquandilétaitpetit.C’étaitàcemoment-làqu’ilétaittombéamoureuxducielnocturne.
Jepenseàtoutcequej’aivouludireàChancecesdernièresannées.Auxlettresquej’aivoululuiécriresansnullepartoùlesenvoyer.Auxchosesquejevoulaisluidemandersursavieaulycée,surcequ’il comptait faire après, s’il voudrait venirme rendrevisite. Je tenais à ce qu’il sache à quel
point il comptait. Pour moi. Pour Ash. Pour mon père. Et lui dire aussi que, quelques annéesauparavant,quandcelaavaitétédifficilepourmoi,c’étaitluiquim’avaitpermisdetenir.
Jecherche laconstellationduDragonauplafond.Chanceposait la tête surmonventre,Ash lasiennesurceluideChance,et ilnous racontait laconstellationduDragon,enroulantautourdesesdoigtsunemèchedescheveuxd’Ash.Unehistoirepleinededragons,dechevaliersetdeprincesses,qu’il agrémentait de sorcières et de fantômes. Je ne me souviens plus de l’histoire exacte, maissouventjemesuisendormienmeremémorantsavoixmurmurantcontesetsecrets.
Ashlin
C’estlapremièrefoisquejerevoispapadepuisqu’ilpeutdenouveaumarcher.Quandonluiatirédessus, lesmédecinsont affirméqu’il resterait en fauteuil roulant.Lorsdemadernièrevisite,Isobel–une infirmièredevenueamiede la famille–devait l’assisterpour tout. Jecroisqueça l’aénormémentaffectédeseretrouveraussidiminué.
Decooletsouriant,ils’estferméets’estmisàbroyerdunoir.L’ombredecettedépressionplaneencore,mais je suis sûre que nous avoir, Hunter etmoi, avec lui pour l’hiver va lui remonter lemoral,mêmesicen’estqueletempsdedécideràquellefacnousinscrireàlarentrée.Pendanttoutesaconvalescence,ilnousaréclamés,jurantsesgrandsdieuxqu’ilétaitenétatdenousrecevoir.Maisnosmèresrespectivesontsautésurcetteexcusepournousempêcherd’yaller;maman,parcequ’ellene s’est jamais remise de la séparation, et la mère de Hunter, parce que en son absence, elle seretrouvaitseuleenchargedufoyer.
À voir papa, je sais qu’il apprécie d’avoir retrouvé de l’autonomie et de pouvoir remarcher,mêmesic’estavecunecanne.Cependantilyaquantitédechosesquirestentimpossiblesàfairepourlui:montersuruneéchelle,porterdescartonsoudéplacerdesmeubles.Isobelenfaitbeaucoupplusqu’elleledevrait.Maismaintenantquenoussommeslà,ellevapouvoirleverunpeulepied.
Hunteretmoi,nousnouslançonsavecenthousiasmedansungrandnettoyaged’hiver:ménageàfond, réparations, tri. Un peu inquiet, papa nous regarde remonter de la cave de vieux cartonscontenantvêtements,photos,bric-à-brac,dossiers.Ilsedétendquandilcomprendquenousn’avonspasl’intentiondejeterquoiquecesoitd’important.
Nousempruntonssafourgonnettepourallerfairelescoursespasloin.AvecHunt,ilnousfautlequart du temps que mettrait papa, et une heure plus tard nous voilà de retour. Tandis que nousrangeonslessacs,Huntremarquequepapanousobserve.
—Quoi?demande-t-il.Papasecouelatête.—Rien.Jemedemandaisseulementàquelmomentvousaviezgrandicommeçatouslesdeux.Hunteretmoinousregardonsenhaussantlesépaules.Chezmoi,jenemeproposejamaispour
lescorvées,parcequemamans’endéchargesurmoiparparesse.Chezlui,Hunters’occupedetoutesceschoses,ildoitavoirl’habitude.Jelevoissourire.L’habitude,peut-être,maisjeparieraisqu’onneleremerciepassouvent.
Quandnousavonsfini,noustrouvonspapaplongédanslejournal,unmugdecaféàlamain.Ilfaitglisseralorsversnous,surlatable,unboutdepapier.Avecuneadressequejenereconnaispas.
—Soyezprudentsauvolant,ditpapa.
Pasbesoindeluidemanderoùetcommentilaeucetteadresse.Nideleremercier.(D’ailleurs,ilse contente d’un vague grognement pour toute réponse.)Après avoir cherché l’itinéraire surmontéléphone,nousremettonsnoschaussuresetressortonsàlahâte.
C’estHunterquiconduit,j’aihorreurdelafourgonnette,jesuistrophabituéeàlaminusculeJettade maman. La neige s’est calmée, mais les routes sont encore glissantes. L’application sur montéléphonenousindiquequel’adressesetrouveàunedizainedeminutesenviron,dansunedirectionopposée aux endroits où nous nous sommes déjà aventurés. Passé Pearson Street, les arbresdeviennentplusdenses,plussombres,larouteplusrocailleuse,moinsentretenue,etellesetermineencul-de-sac.Nousmanquonsderaterl’alléeétroitemenantàunlotissementdemobilehomes,àpeinevisiblederrièrelesarbres.
L’espaced’uneseconde,letempspourHuntdegarerlafourgonnettedevantl’entréeprivée,jemedisqu’ildoits’agird’uneerreur.Chancenousavaitparlédesamaisonetdesesimmensesfenêtres;il les détestait, car tout le monde pouvait venir jeter un coup d’œil en l’absence de ses parents.Cependant,d’aprèslui,commesachambresetrouvaitàl’étage,elleétaitàl’abridesregardscurieux.Ilsavaientungrandsous-solavecunetabledeping-pong,ainsiqu’unepiscinedanslejardin.Ilnousdisait àquelpoint ildéploraitque sesparents lui interdisentd’inviterdesamis, carHunteretmoi,nousaurionssûrementtrouvél’endroitgénial.
Or,l’endroitquenousdécouvronsneressembleenrienàcequeChancenousadécrit.Iln’yaguèreplusdehuitmobilehomesetunepoignéedecaravanesdanslefonddulotissement.
Ilssontespacés,blottiscontrelalignedesarbres,commepourresterleplusàl’écartpossiblelesunsdesautres.Àpremièrevue,onpourraitcroirel’endroitabandonné.Orj’aperçoisquelquesvoituresgaréesçàetlà,ainsiqu’unrideauquis’écarteànotrearrivée,avantdeserefermervivement.
Hunteretmoiéchangeonsunregardavantdedescendredelafourgonnette.—C’estquoi,l’adresse?demandeHunt.—6015StonemanDrive.Jegardepourmoimonimpressionquequelquechosecloche,etHunterenfaitautant.Assaillisde
questions,nousn’avonslecouraged’enformuleraucune.Chancenousa-t-ilmenti?Pensait-ilquecelaauraitfaitunedifférencepournousdesavoirqu’ilnevivaitpasdansunmanoir?Cen’estpascommesinousvivions,nous,dansunevilladerêve.EnCalifornie,j’habiteavecmamèredansunebellemaison,maisHunter,CaroletBob,sonmec,occupentundeux-pièces.Peut-êtreChancea-t-ildéménagé.Peut-êtrequesesparents,aprèsavoirperduleurtravail,ontétécontraintsdes’installerici.
—Tusais,dis-jeàvoixbasse,jecroisqueleruisseauremonteparlà.Jepariequec’estcommeçaqueChanceestarrivécheznouslapremièrefois.
—Ill’asuivi,acquiesceHunter,enmettantlesmainsdanssespoches.Nousapprochons.Certainsmobilehomessontenmeilleurétatqued’autres.CeluideChancese
trouvequelquepartaumilieu;pasdetoiteffondréouaffaissé,pasdefenêtrecassée,maisilauraitgrand besoin d’un bon coup de peinture, et les marches du perron grincent dangereusement. Àgauche,nous apercevonsunebalançoire rouillée etbancale sur laquellepersonnen’adûposer lesfessesdepuisdesannées.Devantlamaisonestgaréeunvieuxvangris.
Hunter frappe à la porte, pendant que j’enprofite pour examiner la véranda. Il y aurait besoind’unbonnettoyage.Cetendroitmefilelachairdepoule.SansHunter,jenesuispassûrequej’auraiseulecrandedescendredelafourgonnette.
Quelquesminutess’écoulentsansquepersonnenevienneouvrir,etjesensmoncœurseserrer.—Etsipapas’étaittrompé?dis-je,inquiète.—Arrêtedet’angoisser.Jesuissûrquec’estlà.
Prenantuneprofondeinspiration,Hunterfrappedenouveau,plusfort.Finalement,despassefontentendre,etlaportes’ouvre.
La femme qui nous regarde derrière lamoustiquaire paraît beaucoup plus âgée quemamère,maispasaupointd’êtreunegrand-mère.Ellea lescheveuxcourts,delongueurinégale,commesielle se les coupait elle-même, et son visage est émacié et fatigué.Elle porte un peignoir gris tropgrand pour elle par-dessus une chemise de nuit, et des chaussons roses qui ont connu des joursmeilleurs.
Ellefroncelessourcils.—Jepeuxvousaider?Hunterhésite.Commeilestmalàl’aisedèsqu’ils’agitdeprendrelaparole,jem’avance.—Bonjour.Désoléedevousdéranger.OnaimeraitvoirChance.Lafemmeouvre lamoustiquaire,nousforçant tous lesdeuxàreculer tandisqu’ellesortsur le
paillassonsale.CettefemmeaforcémentunlienavecChance,tantleursyeuxseressemblent.Elleadûêtretrèsjolie.Aujourd’hui,ellesemble…usée.
—Qu’est-cequevous luivoulez, àChance?demande-t-elle,maintenantde sahanche laporteouverte,unecigaretteauboutdesdoigts.
—Onestdesamis.Jem’appelleAshlinJackson.Etvoicimonfrère,Hunter.—Commeonétaitenville,ons’estditqu’onpourraitpasserlevoir.Je lui tendsmamain gantée.La femme la regarde un longmoment avant de la serrer, sans la
moindrechaleur,d’ungestemécanique.Derrière,unevoixbourrues’élève:—Quic’est,Tabby?LapossiblemèredeChancetireuneboufféedesacigarette, jetantuncoupd’œildanssondos,
tandisqu’unhomme–lepèredeChance?–apparaîtderrièreelle.—DesamisdeChance.L’hommea lesépaules larges,etsonvisageimpassibleporte l’ombred’unebarbedeplusieurs
jours.Sur lepli sévèrede ses lèvres, impossiblepourmoid’imaginerun sourire commeceluideChance.Sachemiseest tachéedegraisse. Ila toutdu typepatibulaireque jen’aimeraispascroiserdansuneruellesombre.
—Iln’estpaslà.J’essaiedemasquermadéception.—Voussavezquandildoitrentrer?—Commentjelesaurais?Ilnesedonnejamaislapeinedenousdireoùilva.Tournantlestalons,M.Harveybatenretraitedanslamaison.Mrs.Harvey,quisembleplusdétendueaprèsledépartdesonépoux,tireunenouvellefoissursa
cigarette.Ellenesemblepasparticulièrementtriste.—Voussavez,ilfaitsestrucsàlui.Jeluidiraiquevousêtespassée,Ashley.—Ashlin,rectifieHunter.Mrs.Harveyluiretourneunsourirecreux.—Oui,c’estça.Ehbien,aurevoir.Àsontour,ellerentredanslamaison.Laporteserefermedansunodieuxclaquementmétallique.
Hunter
Quelgenredeparent ignoreoùse trouvesonfils?Mamèreauraituneattaquesi jamais ilmeprenaitl’enviedesortirsansqu’ellesacheoùjevais,avecqui,etquandjerentre.
Ashetmoipassons lesdeuxsemainessuivantesprincipalementà lamaison.Nousenprofitonspourvidernoschambres (et celledenotrepère,par lamêmeoccasion)afinde refaire ladéco, etnousrestonsàattendre…queChanceviennefrapperànotreporte.
Envain.Touslesdeuxjours,nousallonsnouspromenerlelongduruisseau,etAshprenddesphotosde
toutetderiencommeàsonhabitudedepuisquenotrepèreluiaoffertunappareilpoursesdixans.Nousavonsété touchésparunevague…nondechaleur,maisdedouceur?Iln’apasneigédepuisplusd’unesemaine,etlatempératureesttropélevéepourqueleruisseaugèleensurface.L’eaucouledoucement,charriantdesplaquesdeneigesalequisedécrochentdesberges.
Chaquefoisqu’Ashyvapourprendredesphotos,jenesuispastranquille.Ilm’estdéjàarrivédelarattraperparlecolpourl’empêcherdeglisser.Àunmoment,distraitparlechantdesoiseaux,jetournelatête.C’estalorsquej’entendsAshlâcherunjuron.Jefaisvolte-face,prêtàlasouleverdansmesbraspourl’empêcherdetomber.
Ellegrimaceenmontrantsonappareilphoto.—Macartemémoireestpleine.Tuveuxbienallerm’enchercheruneautre?Jesoupire.Jeprendsl’appareilet,aprèsluiavoirdécochéunregardnoir,rebroussecheminvers
lamaison.Enunriendetemps,jemetslamainsurlacartemémoire;lanuitdernière,allongésursonlit,j’airegardéAshentransférerlecontenusursonordinateur.J’échangelescartes,rempochel’appareilphoto.Jeressorsdelamaisonaumomentoù…
J’entendsAshcrier.Dévalantlesmarchesdelavéranda, jefonceàtraversbois, lecœurquicognedanslapoitrine.
Ashlinn’estpluslàoùjel’ailaissée,elleadûsuivreleruisseau,etj’ignoreoùellesetrouve.—Ash!—Parici!Savoixmeparvientauloin,sansinflexiondepanique.M’enfonçantparmilesarbresblanchis,je
lesaperçoistouslesdeux:Chancefendantl’eau,Ashsuspendueàsoncou.Quandillèveversmoisesyeuxsivertsetsourit,j’enailesoufflecoupé.
—Opérationdesauvetage,dit-il,haletant.J’aisauvéBarbiedelanoyade.Je me passe la main dans les cheveux en réprimant un fou rire. Les berges du ruisseau sont
boueusesetabruptes;ChancesoulèveAshpourqu’elleattrapemamainetsehissehorsdel’eau.Elle
adesairsdechatmouilléavecsescheveuxblondsplaquéssurlevisageetdanslecou,sesvêtementscollésaucorps.Sesbottescouinentquandjeladéposesurlaterreferme.
— J’aimerais vraiment que tu réfléchisses à deux fois avant de te fourrer dans ce genre desituation,dis-jesurletondureproche.
Chancerepoussemamaintendueets’extirpesanseffortdel’eauens’agrippantauxracinesetauxrochers.
Jemedemandes’ilmetrouvechangé.Oubliées,sesénormeslunettes,cequimeréjouit,carsesyeux…Onpourraitseperdrededans,maisj’essaiedenepasypenser,parcequec’estbizarreetunpeutordu.Ils’estteintlescheveuxennoir,lesportecourtsetcoiffésaupetitbonheur.Sonpantaloncargonoir,aunombreincalculabledepoches,goutteparterre.Avant,j’étaisdeuxfoisplusgrandquelui;désormais,ilestàpeinepluspetitquemoi.Cinqcentimètresàtoutcasser.
—Allô,laTerre?s’exclameAsh.File-moilaclédelamaison!Je cille, rompant le contact visuel avec Chance pour chercher la clé dans ma poche. Ash me
l’arrachedesmainsetpartencourant.Ilmefautquelquesinstantspourcomprendrequ’elleestpartiesechanger.
Je me retrouve seul avec Chance. Pour une raison obscure, le sourire paresseux dont il megratifiemedonneunpeuchaud.Delasueurperlesurmonfront.Jeréfléchisàcequejepourraisbiendire,sansrientrouverd’intelligentoudechaleureux.Jem’entiensà:
—Salut!Commentçava?—Unpeumouillé,répondChanceenhaussantlesépaules.Cettefois,jesensmesjouess’empourprer.—Oh!désolé,viens,rentrons.Enété,nousaurionspunoussécherenmoinsdedixminutesausoleil.Maispasencettesaison.Et
puis,ilasalisesvêtementsenremontantsurlaberge.Enchemin,jenecessedeluijeterdescoupsd’œilàladérobée.Aprèstoutecetteattente,ilestlà,
etj’aidumalàycroire.Dansmatête,j’aistockétouteslespenséesetlesquestionsquej’aieuenviedeluiposer,etàcetinstant,plusriennemerevient.
—Noussommespasséscheztoi,ilyaquelquessemaines.Ilhochelatête.—Ouais,c’estcequ’onm’adit.—Oncommençaitàsedemandersitun’avaispasdéménagé.Ilpartd’unrirebrusque.—Tudéconnes?J’aiprisperpètedanscetteville.Jecommençaisàmedirequec’étaitplutôtvous
quim’aviezlaissétomber.—Nosmèresn’ontpasvoulunouslaisservenir.Nousmontonslesmarchesdelavérandaenfaisantattentionànepasglissersurleboisverglacé.—J’imaginequetusaiscequiestarrivéànotrepère?Noussommesvenusàplusieurs reprises lui rendrevisite,pendant lesvacances scolaires,mais
nousn’avionsaucunmoyendecontacterChance.Etpuis,qu’auraitpensénotrepèresi,entroisjoursdevisite,j’avaispréférépasserdutempsavecunami?
Unpeu coupable, jeme rends compte que c’est ce que j’aurais sûrement fait.Ne serait-ce quequelquesheures.Jepouvaisenvoyerdese-mailàmonpèreouluiparlerautéléphone.Maisquandjen’avaispasChancesouslesyeux,quejenepouvaispastendrelamainetletoucher,nousavionszérocontact.Etilm’avaitmanqué.
—Biensûr.Commentilva?
—Mieux.Beaucoupmieux.Nous entrons par la porte de derrière. Chance reste dans la cuisine pendant que je vais lui
chercher une serviette.Àmon retour, il est en train de regarder les photos de famille aumur, sesvêtements gouttant sur le sol sans qu’il semble s’en soucier. Je lui lance la serviette, qu’il attraped’unemain.
—Onpourraitsepasserd’unepiscinedanslacuisine,jeluidis.Ilhausselesépaulesetgagnelabuanderieadjacente,laissantlaporteàdemi-ouverte.Jel’entends
retirersesvêtements.Chemise,pantalon,chaussettes.Jem’appuiecontre lemontantde laporte, lesyeuxdanslevide.
—Tupeuxmettretesvêtementsdanslamachine.Ilobtempère,puisressortdelapièce,laserviettedrapéeautourdesépaules,quicouvresontorse
dénudé.Iladégotéunpantalondejoggingquidoitêtreàmoi,etjenepeuxm’empêcherdesourireen voyant à quel point il nage dedans.Nous sommes presque de lamême taille,mais je suis pluscostaudquelui.
—T’asgrandi,remarque-t-il.Ett’es…plusmusclé.T’asfaitdelamuscu?J’esquisseunfaiblesourireenmemassantlanuque.—Natation et vélo.Mamère préfère me savoir occupé pendant mon temps libre ; j’imagine
qu’elleapeurquejefassedesconneries.Chanceappuiesonépaulecontrelemur.—Commeentrerdansungang,braquerunebanque,cestrucs-là?—Voilà!—C’esttouttoi,delavraiegrainedevoyou!Ilpenchelatête,regardederrièremoi.Ashadécidédenousfairelagrâcedesaprésence.Oh!
elles’estfaitebelle.Elleapasséunerobe,etelleapris le tempsdesemaquillerunpeu–rougeàlèvresetmascara.Ellearelevésescheveuxmouillésàl’aidedebarrettesetdepinces.Jecomprendsmieuxpourquoielleétaitpresséederentrer.
Ellesefaufileàcôtédemoi,offrantàChancesonsourirelepluslumineux.—Jecroisquejedoisteremercierdem’avoirsauvélavie.—Jet’enprie.Chancen’essaiemêmepasd’êtrediscretenreluquantlesinterminablesjambesd’Ash.Jen’arrive
pasàsavoirsilenœuddansmonventreestdûaufaitqu’illamatecommeçaouparcequ’elleaussilecouvedu regard.Quoi qu’il en soit, sur lemoment, je neme sens vraiment pas àmaplace.Et cesentiment empire encore quand Ash se penche vers Chance et, posant un doigt sur son torse, luidemande:
—T’asquoi,surledos?Laisse-moivoir.Chance arque les sourcils, mais obtempère et se retourne. Comment ai-je fait pour ne rien
remarquer ? Là, sur son dos, se déploie la constellation du Dragon, et chacune des étoiles estreprésentéedefaçonminutieuse,reliéeàlasuivanteparuntracédélicat.Cedragonqu’ilaimetant.Avec sa constitutionmince, chaque respiration, chaquegestemet enmouvementunmuscleouunearticulation,quifaitondulerlespetitesétoiles.
— Ça t’a fait mal ? demande Ash, fascinée, en regardant le tatouage comme si elle mouraitd’envied’ensuivredudoigtletracécomplexe.Toutcommemoi.
Toujoursdouépourattirerl’attentionsurlui,Chancesourit.—Pasvraiment.Çateplaît?
—C’est génial, répond-elle en souriant.Mes parents péteraient un câble si je leur demandaisl’autorisationdemefairetatoueravant,aubasmot,mestrenteans.
Ilhausselesépaules.—Si,àtrenteans,t’enesencoreàdemanderàtesparentsl’autorisationdefairelemoindretruc,
c’estquet’asdeplusgrosproblèmesquelerisquequ’ilsterépondentnon.Elleluidonneunepetitetape,etiléclatederire,avantdeluiattraperlepoignetetdeluitordre
doucementlebrasdansledos.Ilmaintientsaprise,etelleritàsontour,m’appelantàl’aide.Jemedécideàintervenir,etjepassemonbrasautourducoudeChancepourl’attirerenarrière.
C’est incroyable, jeme dis.Moins de vingtminutes après nous être retrouvés, les choses sontcomme elles l’ont toujours été. Comme elles devraient toujours l’être. Nous retrouvons cettecomplicitéquin’appartientqu’ànous,entre taquineriesetfourire,etçameplaît.Commecelam’amanqué,demesentirchezmoi.
Ashlin
JevaismecoucheraveclacraintedemeréveillerdemainmatinenCalifornie.Loindepapa,deHunteretdeChance.Maislelendemain,Chanceesttoujourslà,toutcommelejoursuivant,etceluid’après.Ilnousattend,Hunteretmoi,commequandnousétionsgamins.Parfois,nousleretrouvonsau ruisseau, parfois sur le perron à l’arrière de lamaison.De temps en temps, papa l’aperçoit etl’invite à entrer, et nous le trouvons attablé devant son petit déjeuner dans la cuisine quand nousdescendons,encoreenpyjama.
Aujourd’hui, Chance nous attend au bord du ruisseau, dont la surface recommence à geler.Dehors, il faitunfroiddecanard,maisChancen’a toujourspasdemanteau. Il jetteavecforcedespierresdansl’eau,etjemedemandecequeleruisseauabienpuluifaire.
—Commenttutedébrouillespournepastomberenhypothermie?jedemande.Chancemegratified’unsourire.—Jenesuispasunepetitenature,commevous,lesCaliforniens,quin’avezjamaisvudeneige.—IlyadelaneigeenCalifornie.Maispasoùj’habite.Ilhausselesépaules.—Situledis.Oùesttonfrangin?Onadestrucsàfaire.Jenepeuxréprimerunsourire,impatientedesavoiroùChanceaprévudenousemmener.Même
leplusbanaldesendroitsdevientpassionnantaveclui.Aprèsdesjoursàbatailleravecmaman,quiveutcontrôlertouslesaspectsdemavie,meretrouvericietpartiràl’aventureavecChanceetHunterestuneboufféed’air.
—ProbablementautéléphoneavecRachel.Ilnevapastarder.—Rachel?répèteChanceenhaussantunsourcil.—Ouais.Sacopine.Nousfaisonsdemi-tourverslamaison.—Ilnet’apasparléd’elle?Compte tenu du temps que nous avons passé ensemble ces derniers jours, c’est étrange que le
sujetn’aitpasétéévoquéaumoinsunefois.—Non!Ildétourneleregard,sonexpressionestindéchiffrable.—Çanedoitpasêtrebiensérieux.—Si, c’est très sérieux entre eux, je réplique, en prenant, un peu curieusement, la défense de
Rachel,sansdouteparcequ’ellen’estpaslàpourlefaire.Ilssontensembledepuisprèsd’unan.—Ah…—Caroll’adore.
MêmesiHuntnes’étaitjamaissouciédecequesamèrepouvaitpenserdesescopines.—Etpapaaussi.Je fantasme un peu leur relation. Ce qu’elle devrait être. Un amour de lycée idyllique qui se
poursuitàl’universitéetseconclutenapothéoseparunmariageetdesenfants.Legenred’amourquej’aitoujoursdésirévivresansréussiràletrouver.Certes,jen’aipasrencontréRachel,pourautantjen’ai jamais entendu ne serait-ce qu’un commentaire négatif sur elle. « Elle est très gentille et trèsintelligente»,m’aditCarolunefoisautéléphone.«C’estlegenredefilleparfaitepourHunter.Ellel’aideraàgarderlespiedssurterre.»
Chanceesquisseunsouriredefaçade.—LesparentsdeHunterl’adorent.Maislui?Je rougis. J’auraismieux faitdeme taire.Après tout,pourquoi?Racheln’estpasun flirt sans
conséquence,etChancenedevraitpassous-entendrelecontraire.D’ailleurs,Hunterauraitdûparlerd’elle.Rachelseraitblesséed’apprendrequ’ils’estabstenu.Àsaplace,jeleserais.
Nousarrivonsdevantleperron.Avantquej’aieletempsderépondre,Huntersortdelamaison,lescheveuxenbataille.
—Désolé,dit-ild’unevoixenrouéeparlesommeil.Qu’est-cequ’onfait?LevisagedeChancesembles’animerdenouveau,etsesyeuxs’éclairent.—OnpeutprendrelafourgonnettedeMrJ.?Huntsepasselamaindanslescheveux.—Euh…ouais.—Super.Etlespelles?Hunteretmoiéchangeonsunregard.InutiledequestionnerChance.Ilnousdiracequ’ilaentête
quandill’auradécidé.C’estlejeu,non?Nous nous entassons dans la Toyota, et Chance nous indique le chemin. Au départ, j’ai
l’impressionquenousprenonsladirectiondesamaison,maisnousladépassons,etChancenousfaitsignedecontinuer.Noussuivonstoujoursleruisseau;ilmesemblel’apercevoirdetempsentempsquandlesarbressontmoinsdenses.PuisChanceindiqueàHuntdes’arrêtersurleborddelaroute,etnousdescendonsduvéhicule.
—Enpleinmilieudenullepart,jedisenfermantlafermetureÉclairdemonmanteau.C’estquoi,leplan?Enterrerdescorps?
Lelieusembleeneffettoutdésigné.Isolé,àl’écartdesroutesprincipales.—Non!Onpartàlaguerre.Chanceprendunepelleàl’arrièredelafourgonnette.Iln’yaaucunsentierapparententrelesarbres,maisChancesemblesavoiroùilva.Auboutd’un
kilomètreàtraversbois,nousatteignonsuneclairière.Assezgrande,unedouzainedemètres,peut-être,d’unboutàl’autre.
Àcetendroit, laneigeformeuntapisimmaculé.Unecouvertureblancherecouvrantlaterre.Jeréprimel’enviedemeroulerdedans.Nousnousarrêtonsenborduredelaclairière,nospellesàlamain.Chanceinspire,puissoufflesursesmainsnuesetlesfrottel’unecontrel’autre.Sonvisageesttoutrouge,maisilsourit.
—Bien.Huntervaprendrececôté.Toi,Ash,turestesici.Moi,jevaislà-bas.C’estlaseuleexplicationqu’ilnousdonneavantdedécrireuncercleautourdupérimètre.Hunter
hésite,avantdegagnerl’endroitquiluiaétéassigné,tandisquejeresteoùjesuis.NousregardonsChanceennousdemandantcequenoussommescensésfaire.Chancecommenceàpelleterlaneigeetàlamettreentasàcôtédelui.Ilnousfautquelquesminutespournousrendrecomptequ’ils’estattelé
àlaconstructiond’unesortedemur.Detempsàautre,ilprenddelaneigedanssesmains,latasseavecsoinavantdelamettredecôté.Desboulesdeneige.
Hunts’appuiesursapelle,sourcilarqué.—T’essûr?Tunenoustrouvespasunpeuvieuxpourça?Chancerelèvelatête,lèvrespincées.—Del’avisdequi?—Euh…dunôtre.Etdel’avisgénéral?Ce qui nem’empêche pas, pourtant, de commencer à pelleter demon côté pour bâtir unmur.
Inutiledenousdisputer.Nouspouvonssoitjouerlejeu,soitleplanterlàetrentrer.Detoutefaçon,iliraauboutdecequ’ilaentête,avecousansnous.
—C’estdébile.Chanceformeunenouvelleboule,setourneetlalancesurHunter.Ellel’atteintaubrasetexplose
enfloconspoudreux,luiarrachantuncridesurprise.Chances’essuielesmains.—Bouge-toi,j’enaid’autresenréserve!Hunterouvrelabouchepourrépliquer,puisilseraviseetsemetàpelleter.Malgrémesgants,jesensquemesdoigtscommencentàs’engourdir.Destroismursterminés,le
mienestleplushaut.Ilformeundemi-cercleautourdemoi,meprotégeantàl’avantetsurlesdeuxcôtéssijemebaisseunpeu.Hunterbatailleaveclesien–jel’aivus’écroulerplusieursfois.Chancetermineavantnous,etjelevoisentassersesmunitions.Nousautresnousefforçonstantbienquemald’augmenternosdéfenses.
D’ailleurs, il n’a pas le fair-play d’attendre.La première boule de neigeme frôle la tête, et jem’immobilise,souslecoupdelasurprise.Chanceéclatederire.Hunter,dansunevaillantetentative,leviseàsontour,maisiln’apastassésuffisammentlaneige,etlaboulesedésagrègeenl’air.Monessaiestpresquecouronnédesuccès : laboulen’éclatepasen l’air.Mais j’aivisé tropbas,etelleexplosecontrelemurdeChance.
Nous finissons par avoir le coup de main. Nous visons mieux et réussissons de plus en plussouventà fairemouche.Nousnousprenonsaussipourcible,Hunteretmoi. J’ai ledessus.Chaquefois qu’il m’atteint, il suffit que je gémisse, l’air malheureux, pour que Hunter s’arrête, les yeuxécarquillés,inquietdem’avoirvéritablementfaitmal.Justeletempspourmoideluilancerunebouleenpleinefigure.
Bientôt,monmuretceluideHunternesontplusquedestasdeneigeànospieds.SeulceluideChancetientlecoup.C’estunexpertenconstruction…etlaseulesolutionqu’ilnousreste,àHuntetmoi,c’estl’attaquefrontale,pourqu’ilnepuisseplussecacher.
Chancecrievictoire.Sanscesserdelancersesmunitions.Depuissafortification,ilréussitàjetersurmoiunepleinebrasséedeneige.Quandelleglissedansmondos,lelongdemaparka,jepousseuncri.Tandisquejesautillesurplacepourlafairetomber,HuntattrapeChanceparlataillepourlemaintenirloindemoi.Maisiltrébuche,ettouslesdeuxs’écroulentdanslaneige.AlorslefouriresonoredeChanceemplitlaclairière.
C’estl’occasionoujamais!M’accroupissant,jeprendsunepleinebrassée.Lesdeuxgarçonssonttrop occupés à batailler pour faire attention àmoi. Aumoment où jeme redresse, Hunt a plaquéChanceàterre,ilsontdelaneigedanslescheveux,lescils,levisagerougi.
Chance,àboutdesouffle,esquissesonsouriresicaractéristique.—T’aspasdeproblèmeà te retrouveràhaleter,allongésuruncorpsquin’estpasceluide ta
copine?Hunters’immobilise.
Delaneigefonduemecouledansledos.Chance a le visage tendu, comme animé par des émotions contradictoires. Tiraillé entre
satisfaction et frustration, ce moment de triomphe, n’étant pas, en définitive, aussi génialqu’escompté.Latension,palpable,vientchassertouslesinstantsdeplaisiretdejoiequenousvenonsde vivre. La pique deChance ne devrait pas provoquer chezmoi de sentiment de culpabilité. Elledevraitsurtoutmemettreencolèrequ’ilsoitcapabledelanceruntrucpareilàlafacedeHunter.Enquoiçaleregarde?Qu’est-cequeçachange,queHunteraitunecopine?
Cen’estpascommeçaqueleschosesauraientdûsepasseraujourd’hui.Nouspassionsunbonmoment. J’avais soignéma tenue,m’étais fait unbrushing– j’avais essayédeme faire belle pourChance.Etluin’afaitquepenseràHunteretàsacopine?
Uneseulechosemepasseparlatête,etjedéversesureuxmabrasséedeneige.Hunterena lesoufflecoupé.Chance tousseetgigote jusqu’àcequeHunt lui lâche lesbras, le
libérantpourlelaissers’essuyerlevisage.Ilsseredressentet,sansunmot,meregardentdonner,derage,uncoupdepieddanslemurdeneigedeChance.Luietsesmursdébiles.Uncoupbienasséné,etvoilàsonmurquis’écroule,loind’êtreaussibienconstruitquecequej’avaisimaginé.
Puisjemeretourneverseux,lesmainssurleshanches,essoufflée,unsouriretristeauxlèvres.—J’imaginequeçaveutdirequej’aigagné.Vousn’avezplusqu’àm’offrirledéjeuner.
Hunter
—PourquoituneluiaspasparlédeRachel?Toutelajournée,j’aiattenduqu’Ashmeposecettequestion.ÀlasecondeoùChanceafaitcette
allusionàmacopine,j’aisuqu’elleallaitmecoincerdèsquenousnousretrouverionsseuls.Jefeinsd’êtretotalementabsorbéparmalecturepournepasavoiràleverlatêteetàlaregarder.
—Quoi?—Non,pasdeçaavecmoi.Elleporteundesesdébardeursautissusoyeuxetunminishortquidonneraitdessueursfroidesà
notrepères’il lavoyaitdedans.Maisnoussommesà l’étage,etellene risque rien : saufnécessitéabsolue,ilyapeuderisquesqu’ils’aventurejusqu’ici.
J’aidumalàmefaireà l’idéequemasœurn’estplusunepetite fille.Raisondepluspourmeconcentrersurl’écrandemonordinateur.
—Jenesaispas,Ash.C’estsiimportant?Detoutefaçon,ilestaucourant,maintenant.—Ouais, et jemesuis sentievraimentconnede l’avoirmentionnée,alorsque jepensaisqu’il
étaitaucourant.Dansmavisionpériphérique, je lavoisqui sedandined’unpiedsur l’autre–sérieusement, sa
mère lui achète ce genre de fringues ? –, avant de se décider à venir s’asseoir à côté demoi. Jesoupire,refermeleportableetleposeplusloin,etjem’appuiecontrelescoussins.
—Jen’yaipaspensé,c’esttout.— Il nous a demandé texto où nous en étions dans nos vies.Nous a posé des questions sur le
lycée,nosamis,toutça.Oh!commejedétestesontonréprobateur.—Ilm’ademandé,àmoi,sij’avaisuncopain.Ilnet’apasdemandésituavaisunecopine?—Non.Jen’airiendit,maisuniquementparcequ’ilnem’apasexplicitementposélaquestion.—Jeneluiauraispasmenti.—C’estpourtantcequet’asfait.Çateditquelquechose,lemensongeparomission?Ellemedonneuncoupdecoudedanslebras.—EllevientpourNoël.Qu’est-cequet’avaisentête?FairelasurpriseàChance?Ah,lesfilles.Avecelles,unpetitrien,etc’estchaquefoislafindumonde.Chancem’alancéune
pique,maisàmidic’étaitoublié, il riait,plaisantaitavecmoietpicoraitdansmonassiette.Affaireclassée.
— D’accord, je suis désolé. Qu’est-ce que tu attends de moi ? Pourquoi en faire toute unehistoire?
—Jen’enfaispastouteunehistoire.MaisChancesemblaitvraimentblesséquetuneluienaiespasparlé.Rachelettoi,c’estsérieux,non?
Je finis par lever les yeux vers elle. La façon dont elle me regarde, les sourcils froncés, enessayantdemesonder,déclencheenmoiunnouveausentimentdeculpabilité.Jen’airienàdire.Jenesuispaspluscapabledementireffrontémentàmasœurque jenesuiscapabledementiràChance.Ashsaitcequ’ilenétaitaudébutdemarelationavecRachel.Quej’aimaissonintelligence,qu’elleaitlespiedssurterre,qu’elleplanifielesmoindresaspectsdesonavenir.Rachelreprésentaitlasécurité,cedontjepensaisavoirbesoin.
Or,reveniricivientébranlercettecertitude.Sur la commode, mon téléphone sonne. Trois personnes seulement sont susceptibles de
m’appeler.L’uneestenbas,etjesuisentêteàtêteavecladeuxième.ÇanepeutêtrequeRachel.Ashsepinceleslèvres.—Tucomptesrépondre?JemedemandesijedoiscontinuercetteconversationavecmasœurouparleràRachel.Jechoisis
lasecondeoption.Ashmeregardemepenchersurlematelaspoursaisirletéléphone.Jelafusilledesyeux,jusqu’àcequ’ellesaisisseetquittemachambre.
Oh! jevoisbienqu’ellen’estpassatisfaitedemesréponses.Àvraidire, jene lesuispasnonplus.J’aimeraisavoirquelquechosedeplusconsistantàoffrirque:Jen’enaipasparléàChance,parce que je ne voulais pas qu’il sache que je sors avec quelqu’un. Car cela aboutiraitimmanquablementà:Pourquoi tunevoulaispasqu’ilsacheque tusorsavecquelqu’un?Etalors,quepourrais-jebienrépondre?
Queçanemesemblaitpasunebonneidée?Que je ne suis pas amoureux de Rachel et que je ne suismême pas sûr d’avoir envie qu’elle
vienneàNoël?Parcequemavieicietcellequejevischezmoin’ontrienàvoir,etquejen’aipaslamoindreidéedelafaçondontjepourraislesconcilier.
—SalutRach!—Jecommençaisàpenserquetun’allaispasdécrocher.Dansmabouche,lesmotssontpâteux.Commentest-ilpossibledeseréjouird’entendrelavoix
dequelqu’untoutenleredoutantenmêmetemps?Ellesoupire.—Tun’espassuperjoignabledepuisquet’escheztonpère.Tropoccupéàsortiravectesamis.
Sijeneteconnaissaispasmieux,jepenseraisquejenetemanquepasdutout.Soyons juste : elle avait déjà appelé dans lamatinée. J’étais resté à fixer le téléphone. Puis la
sonneries’étaitarrêtée.Sicelaavaitétéimportant,elleauraitrappelé,non?C’étaitcequejem’étaisrépétéunebonnepartiedelamatinée,quandjecommençaisàm’envouloirunpeu.
Enproieàlaculpabilité, jem’affaledansmonlit,etmecachelesyeuxdemonbras.Ilyaunedifférenceentrenepasavoird’affectionpourquelqu’unetnepasêtreamoureux.J’aide l’affectionpourRachel.Jesaisquecequejedis–etcequejenedispas–peutlablesseraussirapidementquelafairesourire.
—Jesuisdésolé.J’avais…latêteailleurs.C’estunpeuunegrandetransition.Commenttuvas?Mesparolessemblentl’apaiser.Savoixsefaitplusdouce,plusagréable.—Ne t’inquiète pas. Tumemanques, tu sais. Je voisMadison et son copain ensemble tout le
temps,etc’estjuste…J’écouteattentivement,audébuttoutdumoins.Maiselleparlependantprèsd’uneheuredulycée,
desesparentsetdelaFloride.Toutàcoupquelqu’unsemetàjeterdescaillouxcontremavitre.
Je me lève pour regarder et j’aperçois Chance sous la véranda. Dans la neige qui couvre laterrasse,ilatracédelapointedesachaussure:
LESCLOWNSVONTMEMANGERJEPEUXDORMIRICI?
J’éclatederire.Rachels’interrompt.—Qu’est-cequitefaitrire?—Rien,désolé.Jemetsmamain surma bouche. J’entendsRachel prendre une inspiration, retenir son souffle
quelquesinstants,puisellereprend,décidantdenepascommentercequivientdesepasser.Elleseremetàparlerdescours,etmedonnetellementdedétailsquej’ail’impressionquejepourraisfairesadissert’àsaplace.Letéléphonecoincéentremonépauleetmoncou,j’attrapeunefeuilledepapier,surlaquellej’écrisleplusgrospossibleaumarqueur,avantdelaplaquercontrelavitre:
UNESECONDE
Chanceplisselesyeuxpourlire,puiseffaçantsonmessageprécédent,ilinscritalors:
FRRRROID
Cesontplusdesgribouillisquedevéritableslettres.Ilaserrésesbrasautourdeluietmarcheenrondpourseréchauffer.Levoirfairemerendhilare.Commeilneportenigantsnimanteau,jevaisdevoirletirerdelàavantqu’iln’attrapeunepneumonieounetombemalade.
—Hmm…, je dis en sortant dema chambre, et je descends l’escalier sur la pointe des pieds.Rach,ilestasseztard.Jeferaispeut-êtremieuxd’allerdormir.Ons’appelledemain?
Ouplustarddanslajournée,devrais-jedire,étantdonnéqu’ildoitêtreminuitpassémaintenant.Rachelacquiesced’unhmm.Nousparlonsdepuisunmomentdéjà,et,aumoins,ellem’épargne
sonsoupirdefrustration.—D’accord.Vatecoucher.DisbonjouràLouisetàAshlindemapart.Rachel n’ayantparléqu’unpetit nombrede fois au téléphone avecmonpère, je trouveunpeu
étrangequ’elle l’appelleparsonprénom.Chance leconnaîtdepuisdesannéeset l’appelle toujours«MrJ.»,alorsmêmequemonpèreluiamaintesfoisdemandédel’appelerparsonprénom.
—Biensûr.Àdemain.Dorsbien.—Hunter?Jedéverrouillelaportedederrière.—Oui?—Jet’aime.Par la vitre, je regardeChance, la neige dans ses cheveux, ses joues rougies par le froid, ses
longscils.—Moiaussi.J’ouvrelaporte,etChancesefaufileàl’intérieur.Cen’estqu’aprèsavoirraccroché,alorsqu’il
estdeboutdevantmoi,frissonnant,àmesourire,quejemesurecequejeviensdedire.Unan,aucoursduquelj’airéussiàéviterdeprononcercesmots,quejesavaisnepaspenser.Un
an.Etjeviensdetoutfairefoirer.Chancegardelesbrasautourdelui,lamâchoireserréepouréviterdeclaquerdesdents.—Ça caille vraiment, dit-il. Qu’est-ce qu’il se passe ? T’as la tête de quelqu’un qui vient de
découvrirqu’onacrachédanssonboldecéréales.
Cequidécritassezbiencequejeressens.Jesecouela têteetmetourneversl’escalier.Chancem’emboîte lepas,sansinsister.Jemedemandecequ’ildiraitsi je luienparlais.Serait-ilagacédem’entendreparlerdeRachel?Oume traiterait-ild’imbécilepouravoirparlé tropvite?Cela tientpresqueduréflexe.Quelqu’unvousdit« je t’aime»au téléphone,etvousen faitesautant.CommechaquefoisavecmonpèreouAsh.«D’accord.Jet’aime.Àbientôt.»
Rachelvaleprendreexactementcommeilnelefautpas.Dois-je laisser couler en espérant qu’elle n’y repenseraplus ?Faire gaffe à nepas le redire ?
Dois-jel’appelerpourluipréciserleschoses–aufait,cen’estpascequejevoulaisdire.Àtâtons,nousmontonsàl’étage.JenevaispasréveillerAsh.SiChancevoulaitlavoir,ilaurait
jetédescaillouxàsafenêtre,quidonnesurl’avantdelamaison.C’estdéjàarrivé.Maisàl’idéequeChancelavoiedansceboutdetissuquiluisertdechemisedenuit,jesensmonventresenouer.
Dèsquelaportedelachambreestfermée,jejetteletéléphonesurmacommode,commes’ilmebrûlait lesdoigts.Bien joué.Riende telpourpourrir lasituation.Chancem’attrapeparderrière. Ilnouesesbrasfrigorifiésautourdemoncouetcollesonvisagecontremondos.
—Oh!là,là!Qu’est-cequeçacaille!Ettumelaissesmegelerdehors.T’esdingue,ouquoi?!Mapeauestparcouruedepicotementsaucontactdeceglaçonhumain.Jemeretourne,luireste
suspenduàmoncoucommeunepoupéedechiffon.Mêmeànotreâge,lecôtétactiledeChancenemedérangepas.Sicelavenaitd’unautregarçon,ceseraitdifférent.Maisc’estChance.Dèsqu’ils’agitdelui,iln’yaplusderègles.
—Jevaistechercherdesvêtementssecs.Horsdequestionquetudormesdansmonlitcommeça.Ce devrait être bizarre, de laisser un garçon dormir dansmon lit.Avecmoi.Gamins, nous le
faisions tout le temps.Àhuitans,onseditseulementquec’estcool,d’avoirsonmeilleurami toutprèsdesoi.
Puisondevientado,etonserendcomptequ’onregardesonamidormirensongeantàquelpointilsembleapaisé.Onestfascinéparlacourbedeseslèvresquisemblentsidouces.Onsedemandecequ’onressentiraitenglissant lesdoigtsdanssescheveux,oucomment ilestpossibled’adoreràcepointlespommettesd’unautre.
Soudain,cen’estplussicool.Quandils’écartedemoipoursedéshabiller,jeluitendsunechemiseenflanelleetunpantalonde
jogging.Lesdeuxseronttropgrandspourlui,maisc’estmieuxquerien.J’allumelatélévision,unechaîneauhasard,pouravoirunbruitdefond.
Chanceesttorsenu,etsontatouagededragonestmagnifique.J’aienviedeletoucher,delaissercourirmesdoigtsd’uneétoileàuneautre,encore…pourformerlaconstellationduDragontatouéesursapeau.Sanslevouloirvraiment,jecontinuedebaisserlesyeuxetj’aperçois,sursahanche,unetachesombre.Marbréedenoiretdebleu.
Jemeredresseunpeu,c’estsûrementuneillusiond’optique.Chancedoitsentirmonregardpesersurlui,car,d’ungestevif,ilmeprendlachemisedesmains
ets’empressedelapasserenmetournantledos.—Prendsunephoto,pendantquetuyes!—Tut’esblessé?Jedemande.Tuas…desbleus.—Quoi?Il passe le pantalon de jogging et se tourne vers moi. Il a mal boutonné sa chemise, et
manifestementils’enfiche.Ilpassesamaindanssescheveuxhumidesetselaissetombersurlelitàcôtédemoi,s’allonge.Çamedémangedesouleversachemisepourmontrercedontjeparle,etvoircommentilvaréagir.
Maisjem’abstiens,jeleregardeetmedemandesijen’aipastoutimaginé.Unbleusurlahanche,onpeut se le fairedemille etunemanières, etChanceest assezmaladroit.Et puis, il va sûrementpenserquequelquechosenetournepasrondchezmoipourlefixercommeça.C’estsansdoutevrai,toutça–leregarder,imaginerrelierlesétoilessursapeauavecmondoigt–m’amisunpeumalàl’aise.Etsaproximitéphysiquenefaitriennonpluspourapaiserlefeudemonvisage.
Nousnesommesplusdesgamins.Est-cequetoutestvraimentcommeavant,sansconséquences?Jedevraispeut-êtreluientoucherdeuxmots,maisjenevoispascommentformulercesréflexionspour ne pas le blesser. Chance ne voit pas les choses comme la plupart des gens. Nous avionsl’habitudededormirensemble,dirait-il,alorsqu’est-cequiachangé?
Allongésurledos,ilcontempleleplafondétoilé.Illèvelamainverslespointslumineux.—Elleesttrèsbrillante,cesoir.Jen’aipasbesoindesuivresondoigtpoursavoirqu’ilparledelaconstellationduDragon.—Cesontdesétoilesenplastique,Chance.Ellesbrillenttoutesdelamêmemanière.Unpliseformeentresessourcils.—Non.Regarde.Laplusbrillante,c’estleDragon.Ilprendmonvisagedanssesdoigtsfroidsetlelèveversleplafond.Bizarre.Jejureraisqu’ila
raison.Que,dufaitdeledire,lesétoilesformantsaconstellationpréféréesesontmisesàbrillerplusquelesautres.J’esquisseunsourire,unpeulimitéparsesdoigtsquiappuientsurmajoue.
—Non.Ellesbrillenttoutespareilles,jeréponds.—Faispastonchieur.N’oubliepasquetum’asmenti.Oh!Etmoiquiavaisespéréqu’ilauraitlaissécouler.Lesétoilesmedonnentunpointsurlequel
rivermonregard.—Jesuisdésolé.Jenecroyaispasquec’étaitsiimportant.—Siçanel’étaitpas,tuenauraisparlé.Ilmefixe.—Rachelseraitprobablementblessée.Leprobablementestsuperflu.Rachelatoujoursétésoucieusedemoninvestissementdansnotre
relation.Depuisunanquenoussortonsensemble,endépitdemeseffortspourchanger, rienn’yafait.Etcesderniersmois,jedoisbienadmettrequemonenviedefairedeseffortsafaibli.
Maisc’estsanscomptercequejeluiaiditautéléphone…Dansquellemesurecelava-t-ilchangerleschosesentrenous?Qu’est-ceque jevaisdire, laprochainefoisqu’elleappelleraetqu’ellemedira«jet’aime»?Leluidireaussi,mêmesijenelepensepas?Changerdesujet,cequiaboutirafatalementàdesquestionsetàunedispute?
Chancesetournesurlecôtéetmeregarde.—Dequoielleal’air?La dernière chose dont j’ai envie, c’est parler d’elle. Je ne veux pas courir le risque d’une
collision entre cesdeux antipodes.Son regard insistantmemetmal à l’aise, alors jem’agite, prisd’uneenviefolledesortirdulit.
—C’estunefillepassionnée,unpeuautoritaire.Maisc’estunebûcheuse.Elleestintelligente.L’intelligencedeRachel est la première chose à laquelle je pensequandonmedemandede la
décrire.Iln’yarienqu’ellenepuisseapprendre.Ellemedonnaitdescourspour lesmatièresdanslesquellesj’avaisdesdifficultés.C’estlegenredefilleàsedocumenteravantd’allervisiterunmuséeetàensavoirprobablementpluslongqueleguidesurlesujet.
—Elleestcanon?—Ouais,elleestbelle.
—Blonde?—Brune.Delatailled’Ash,plusoumoins.Jefinisparmetournerverslui.—Onjoueauxdevinettes?Ilhausselesépaules,puisbaissantlatête,tiresurunfildelachemisequejeluiaiprêtée.—J’essaiedemel’imaginer.—Detel’imaginer…?—C’estunfantômedansmatête.J’essaiedet’imagineravecelle.Autantqu’ilsoitprévenu.—Tuvaspouvoirlarencontrer.EllevientàNoël.S’écartantdemoi,ilremontelescouverturesjusqu’aumenton.—Voilàquiprometd’être…intéressant.J’ail’impressiond’êtrepasséàcôtédequelquechosed’importantdanscetteconversation.Mais
Chanceestcommeça–ilauneconscienceaiguëdecequiesttu.Denouveau,j’aipresqueenviedem’excuser. Mais mieux vaut laisser couler. Lui laisser le temps de dépasser ce qui pourrait letracasser.Alors, jem’installeconfortablementauprèsde lui,devant l’écrandetéléallumé,aveclesétoilesquibrillentauplafond,etdeuxcentimètresàpeineentrenosdeuxcorps..
Décembre
Ashlin
Mamann’encroitpassesoreillesquandjeluiannoncequej’aitrouvéunboulot.—Mais enfin, pourquoi ? demande-t-elle, estomaquée, au téléphone. Je continue de verser de
l’argent sur ton compte. Dis-moi, ton père ne le dépense pas pour picoler, aumoins ? Parce quesinon,jetejureque…
Jelèvelesyeuxauciel, réfléchissantà lapertinencedeluiraccrocheraunez.C’est toujours lamêmehistoire.Ellenevoulaitpasquej’aillechezpapa.Etn’apasenvied’entendrequ’ilfaitdesonmieuxavecnous.Çaatoujoursétélecas.Maisjecroisqu’ellecraintqu’ilfassetoutfoirer,commeavecelleouaveclamèredeHunter.
—Papaneboitpas,maman.Etjedoutequ’ilsachequetumedonnesdel’argent.—Oh,génial!Alors,commeça,ilpensequejesuisunemèreindigneincapabledes’occuperde
safilleet…—Lepetitdéjeunerestprêt,etHuntm’attend.Jet’aime.Salut.Ellecontinuesonlaïusalorsquejeraccroche.Jesuisvexéequ’ellemecroieincapablededécrocheruntravail.Jusqu’àprésent,jen’enaipaseu
besoin. Hunter a eu plusieurs petits boulots, parce que sa mère et lui s’en sortent moins bienfinancièrement.Papaatoujoursverséunepensionalimentaire,etsiquelqu’unclaquedel’argentdansl’alcool,c’estsûrementBob,lemecdeCarol.
Hunterm’attendenbas. J’ai commencéà la librairie lapremière semainededécembre ;Hunt,quant à lui, a décroché un emploi demagasinier à l’épicerie.C’est pratique pour nous de faire letrajetensemble.
Chancen’apasététrèsheureuxdenousvoirtrouveruntravailquinousprenneautantdenotretempslibre,endépitdenotreargumentimparable:cetargentnouspermettraitdenepluslimiternossortiesàcettevillequenousconnaissionsparcœur.Iln’avaitrienvouluentendre–maisilavaitfiniparsecalmerens’apercevantqu’ilpourraitpassertoutelajournéeàlireàlalibrairiependantquejetiendraislacaisse.
Parfois, ilvientnousposerdesquestions,auxautresfillesetàmoi–«Oùjepeuxtrouverdeslivresdedéveloppementpersonnelsurlagrossessemasculine?»,«Oùvousplanquezlesmagazinesdecul?»,«Jechercheunexemplairede laBible»,« Ilssontoù, lesessais?»–,pour lesimpleplaisirdevoirjusqu’oùilpeutpoussermescollègues.Fortheureusement,ellesontvitevuàquiellesavaientaffaire.
En revanche, papa a été emballé que nous prenions l’initiative de nous occuper de façonutile.Mêmesionestcensésprofiterdecetteannéeavantlafac,jesaisqu’iltrouvequec’estdutempsperdu
detraîneràlamaisontoutelajournéeànerienfaire.Raisonpourlaquelleilmegratified’unsourireradieuxquandjedescends.
Ilaterminésonpetitdéjeuner,maisHunterdévoreencorelesiend’unbelappétit.Isobeldoitêtrevenue tôt ce matin s’occuper de papa et cuisiner. En fait, papa n’a plus besoin d’infirmière. Uneévidence qu’il élude quand je lui demande pourquoi Isobel et lui passent encore tant de tempsensemble.
Nonquecela soitunemauvaisechose.Aucontraire. J’adore Isobel, et jemesuis sentiemoinsanxieuse à l’idée d’être loin de papa ces deux dernières années sachant qu’il avait quelqu’un pourprendrebiensoindelui.
—Tuasbeaucoupdetravailàlalibrairie?demande-t-il.Jemelaissetombersurmachaise.—Oui.Noëlapproche,alorsilyadequoifaire.Non que l’activité soit démentielle dans cette petite ville, mais nous ne restons jamais à nous
tournerlespouces.La porte de derrière s’ouvre. J’entends Chance qui s’essuie les pieds sur le paillasson avant
d’entrer.—Hola!lesvoisins.Bonjour,MrJ.Papaluirépondd’unsignedetête.—Ilyaàmangersurlacuisinière.Sers-toi.Inutiledeleluidiredeuxfois.Ilsejettesurlerestedebaconqu’ildévore,toutens’efforçantde
faireusagedebonnesmanières.Àcroirequesesparentsneluidonnentjamaisàmanger.Quoique… Après avoir vu sa maison et rencontré sa mère, il y aurait de quoi se poser des
questions. Mrs. Harvey ne m’a pas vraiment donné l’impression d’être une mère avec un boulotimportantetdenombreuxdéplacements,contrairementàcequeChancenousavaitdit.
—Ettoi,Chance,tuaspenséàchercherdutravail?demandepapa.HunterouAshlinpourraientpeut-êtretefaireentrerdanslemagasinoùilstravaillent.
Huntermanque de s’étrangler en buvant son lait. Je réprime un sourire ; Chance lui lance unregardblessé.
—Jenecroispasqu’untravailàlalibrairieouàl’épicerieplairaitàChance,jedis.Chanceengloutituneautretranchedebacon.—Pourquoi?J’enseraiscapable.Jepourraisfairedelamanutention.—Etparlerauxclients?demandeHunter.—Toutàfait!J’adorelesgens!Quelmenteur!Ilprendlaplupartdeshabitantsdecettevillepourdesdemeurésprofonds.Jene
peuxpasvraimentluidonnertortmaintenantquej’encôtoietouslesjoursauboulot.Maisquandilleveut,Chancepeutsemontrertoutàfaitcharmant.
—Comment il ferait pour y aller tous les jours ? demandeHunt. PourAsh etmoi, c’est déjàcompliquéavecuneseulevoiture.
Chanceseglissesurlesiègeàcôtédemoi,dubaconpleinlabouche.—J’saispas.Peut-êtrequecettevoituredevantestpourmoi.Hunter laisse tomber sa fourchette. Nous échangeons un regard, avant de nous s’exclamer à
l’unisson:—Unevoiture!Papalaisseéchapperunsoupirthéâtral.—Voilà!Ilavendulamèche!
Iltireunjeudeclésdesapochequ’ilglissesurlatable.Jelesfixe,fascinée.—Unevoiture?répèteHunter,luiaussiabasourdi.—Jeme suisdit quevousaviezbesoind’unvéhicule tous lesdeuxpour être indépendants.Et
vousêtesunpeuàl’étroit,entassésàtroisdanslaToyota,non?C’est le cas, même si nous ne nous en sommes jamais plaints. Parfois, Chance s’installe à
l’arrière.Etquandçaluiprend,ilselèveaufeurougeettapesurletoitdansuncodequ’ilprétendêtredumorse.Autants’abstenirdelementionneràpapa.
—Nispécialenijolie.Justeunevoiture.Paparepoussesachaise,attrapesacanneetselèveengrognant.—Alors,vousvenezvoir?Hunteretmoi,nousnouslevonsetsortonsentrombe.Chanceaussi,maisseulementaprèsavoir
chipélebacondansmonassiette.Papaaraisonsurlefaitquelavoituren’estpastrèsbelle.Elleestprobablementaussivieilleque
nous, et la peinture bleue s’écaille par endroits.Mais les pneus semblent neufs, et l’intérieur a étérefait récemment. Elle est assez grande pour nous tous, sans toutefois être un monstre comme lafourgonnette.Peut-êtrequej’arriveraiàlaconduiresansavoirenviedefermerlesyeuxchaquefoisquejedoistourner.
TandisqueHuntlafaitdémarrer,jenouedélicatementmesbrasautourducoudepapaetleserrecontremoi.
—Tun’étaisvraimentpasobligé,maismerci.Etvoilàqu’ilsourit!Unvraisourireradieux.Jenemesouviensplusdeladernièrefoisoùjel’ai
vuaussiheureux.—Ouais,ouais.Unsimple«ouais,ouais».Aucuneexplicationdecequil’apousséànousfairececadeau.—EtremerciezaussiIsobelquandvouslaverrez.C’estellequil’atrouvéeetl’agardéeauchaud
letempsquejelafasseréparer.Maintenant,enroute,ouvousallezêtreenretardauboulot.Je rentre prendre mes affaires et celles de Hunter. Quand je ressors, Chance s’est installé
confortablement sur la banquette arrière, et Hunt tripote tous les boutons. Autoradio, lecteur decassettes(«Onvadevoirchanger lesystèmeaudio»,dit-il.),chauffage.Surtout lechauffage.Papanousfaitunsignedelamainennousregardantpartir.Et,scrunch,scrunch,scrunch,Chancecontinuedemastiquer sonbacon, savourant lederniermorceau. Je jurequ’ilpourraitengloutir l’équivalentd’uncochonentier.
—Bon,dit-il,jecroisquejevaistenterlecoup,pourceboulot.Hunterleregardedanslerétroviseur.Endépitdel’âgedenotrenouvellevoiture,laconduiteest
étonnammentfluideetsilencieuse.—Jepeuxentoucherdeuxmotsàmonpatron,situveux.—Tudéconnes!Jeneparlaispasdetonboulot.Horsdequestionquejeportedescartonstoutela
journée.Ilglisselamainentremonsiègeetlaportière,etmepincelebras.—JevaisallertravailleravecAsh.J’éclate de rire et lui donne une petite tape sur la main, m’efforçant de ne pas sembler aussi
réjouiequejelesuisàl’idéequ’ilpréfèreveniravecmoi.—Leproblème,c’estquetoutlemondeteconnaît,àmonboulot.T’esleparesseuxquisquattele
canapé toute la journéesans jamaisranger les livresqu’ilconsulte.Et tun’achètes jamaisriennonplus.
Chanceesquisseunsourire.—Jedécrocheraiunboulot,tuverras.Une fois en ville,Hunter nous dépose à la librairie. Comparé à d’autresmagasins de la ville,
LotsaBooks n’a rien de la petite échoppe. En fait, nous ne sommes pas trop de quatre pour fairetourner la boutique : répondre aux questions des clients, encaisser les achats, cataloguer les livresd’occasion, gérer les commandes sur Internet. Je ne dis pas àChance que l’une des responsables,Debbie,acommencéàchercherunecinquièmepersonnepour lapériodedes fêtes,maintenantquel’activitéaredémarré.Àquoibonluidonnerdefauxespoirs,alorsqu’ilrisquedesefairejeter?
J’avancejusquedanslefonddelaboutiquepouryrangermonsacetmondéjeunerpendantqueChance, j’imagine, semet à arpenter les rayonnages et sélectionne des livres pour s’occuper. Or,quandjeressorsdelaréserveavecuntabliermarquéd’un«Vousaimezleslivres?»nouéautourdelataille,jel’aperçois,appuyénonchalammentaucomptoir,àbavarderavecDebbie.
Uneseulepenséemetraversel’esprit:Ohnon!ilsvontleficherdehors.Oumerenvoyer.Oulesdeux,leficherdehorsetmerenvoyer.
Jemeprécipiteverseux,saisisChanceparlebras.—Bonjour,Deb!Euh,désolée,Chancedoitjustement…Debbiem’interrompt.—Laisse-leparler,Ashlin.Laisse-leessayerdem’expliquerpourquoijedevraisl’engager.Chancem’adresseunsouriretriomphant.—Commejel’expliquais…Àcestade,iln’yapasunseullivrequejenesacheoùtrouver.Je
peux tout vendre. Avec Noël qui approche, n’est-ce pas ce dont vous avez vraiment besoin ?Quelqu’unquisoitcapabledeboosterlesventes?
Inclinant la tête, il la gratifie d’un de ses sourires dont il a le secret.Un sourire contre lequelHunteretmoisommesdésormaisimmunisés,etauquelDebnecroitprobablementpasunseulinstant,maisquiprouvequ’avecsabellegueuleilpourraitvendreunsystèmeaudiosurroundàunsourd.
Debbiesepinceleslèvres,tapotesonbiccontrelecomptoir,commeellelefaittoujoursquandelleréfléchit.Puisellemeregarde.
—Unavis?C’estl’histoiredumarteauetdel’enclume.Jenepeuxpasluidirequ’ellenepeutpasembaucher
Chanceparcequ’ilesttrop…lui.J’aitouteslespeinesdumondeàl’imaginerarriveràl’heuretouslesmatins.Touteslespeinesdumondeàl’imaginerprendresurluipournepasenvoyerboulerunclient qui lui ferait une remarque qui ne lui plaît pas. Et vraiment toutes les peines du monde àl’imagineraccepterdesordresd’unechefaussibrusqueetlunatiquequeDebbie.
—Ne luiposezpas laquestion, intervientChance.Laissez-moi fairemespreuves.Laissez-moitravailleraujourd’hui,etjevousgarantisqu’àl’heuredelafermeturevousmesupplierezderester.
Debmeregarde,puislui.Et,commeellen’apasgrand-choseàperdre–misàpartdesclients,ai-jeenviedeluirappeler–,ellesoupireethausselesépaules.
—Qu’àcelanetienne.Ashlin,apporte-luiuntablier.Elles’éloignepourprendresoncafédumatin.Chancesourit.
Hunter
Après le travail, je fonceà lapizzériaduquartierpour retrouverChanceetAsh.Monportablesonne. Il n’a pas cessé de la journée. Je ne répondspas, parce que je sais queRachel pensequ’untempspartieldansuneépicerienepeutêtreconsidérécommeunvrai travail.Raisonpour laquelleellesepermetdem’appeleroudemedéranger.
Ennerépondantpas,j’affirmequelquechose.Cen’estquejustice,non?Depuisque je luiaiditque je l’aimais, leschosesontchangé.Deschangements subtils, certes,
maisdeschangementstoutdemême.Elleappelleplussouvent.Ellesembleplusjoyeuse–cequi,bienévidemment,estunebonnechose–,maisc’estunpeu…
Étouffant.Ouais,c’estlemot.Etcomptetenudufaitquejemesentaisdéjàunpeuoppressé,celanemevapastrop.J’aidéjàcommandéunegrandepizza,desgressinsetdesboissons,etj’attaquemadeuxièmepart
aumomentoùChanceetAsharrivent.Chancesouritjusqu’auxoreillesenselaissanttombersurlabanquetteàcôtédemoi,sajambecontrelamienne,etsoudain,toutcequiatraitàRachelmesortdelatête.Ashs’assiedenfacedenous,perplexe.
—Chanceadécrochéleboulotàlalibrairie,dit-elle.Jelesregardetouràtour,surpris.—Vraiment?Maisc’estgénial!Jecroyaisquetudisaisquetaresponsableétaitunechieuse?—Oh,c’enestune,confirmeChanceensepenchantcontremoipourprendreunepartdepizza.
Maisjesuisbientropmignonpourqu’ellemerésiste.Ashlèvelesyeuxauciel,sesertàsontour.—Non.Cen’estpasçadutout.Chanceluiaforcélamainpourqu’elle le laissefaireunessai
d’unejournée,histoiredeluiprouverqu’ilétaitcapabledefaireleboulot.Auboutducompte,ilaenregistréhuitcommandesspéciales,etlesclientsl’adorent.
— Parce que je suis mignon, répète Chance, la bouche pleine. On a rempli tous les papiers.J’aurailesmêmeshorairesqu’Ash,commeçajepourraifaireletrajetavecvous.
Je hausse les épaules. C’est génial que Chance ait trouvé du travail, et je devrais me réjouirdavantage. Si j’avais su que c’était vraiment sérieux pour lui, j’aurais pu lui trouver un poste àl’épicerie.
—Super!Onpasserateprendre.Ilfaittropfroidpourquetufassesletrajetàpiedtouslesjoursdepuischeztoi.
Instantanément,sonsourires’évanouit.Ensilence,ilprendletempsdemordredanssapizza,demastiquer,dedéglutir,avantderépondre:
—Non.Çanemedérangepasdemarcher.
—Pourlemoment,insisteAsh.Maist’essérieux?Papaditquelestempératuresicidégringolentenhiver.Passerteprendrecheztoi,çanenousfaitpasfaireungrosdétour.
—J’aiditnon,répèteChanced’untonsansréplique.Voyantlechocsurlevisaged’Ashlin,ildétourneleregardets’emploieàretirerlespoivronsde
sapizza.—C’estplussimple.Jepréfèrevenirchezvousàpied.Ashouvrelabouche,commesielles’apprêtaitàrépliquer.Jeluidonneunpetitcoupdepiedsous
la table, elle se ravise, sourcils froncés, et baisse les yeux vers son assiette.Manifestement, nousavonstouchéunpointsensible.PousserChanceàenparlerrisquedeproduirelecontrairedel’effetescompté.Ilnenousregardemêmeplus.Pourlui,lesujetestclos.Ilalesyeuxrivéssurlavieilletéléaccrochée au plafond ; le volume est trop faible pour que nous entendions, mais les sous-titresdéfilentenbasdel’écran,décoususetincohérents.
Ashetmoi,nousnouspoussonspourvoir.C’esttoujoursmieuxquedefixerlatableenmangeantdansunsilencegêné.Lejournalisteparled’unefamilleduNewJersey,assassinéedesang-froidparleurfille,quiaempoisonnéaucoursdudînersesparents,sonjeunefrèreetsapetitesœur.
—Commentuneadopeut-ellefaireunechosepareille?demandeAsh.Biensûr,mamère, j’aiparfoisenviedeluifilerdesbaffes,maisdelàà…
—Solutionradicale,commenteChanceenretirantlacroûtedesapizza–ilnelamangejamais.Ellenes’entendaitpeut-êtrepasavecsesparents.
—Elleadix-septans,répliqueAshenfixantChance.Mêmesielleétaitterriblementmalheureuse,ellen’avaitpluslongtempsàattendreavantdepouvoirpartirdechezelle.
—Danscertainscas,cen’estpasleproblème.Chancelèchelagraissesursesdoigts,lentement,sanscesserdefixerlatélévision.Etpoursuit:—Desgensquiassassinent leurconjoint, leursenfants, leursparents…Ilestclairquequelque
chosenetournepasrondchezeux.Ilsavaientbesoind’aide,etpersonnen’aétéenmesuredeleurenapporter.
—Çan’excuserien,persisteAsh.—Biensûrquenon.Jedisjusteque…cettefille,elleavaitpeut-êtrel’impressiondenepasavoir
d’autres solutions.Peut-êtreque, pour certains, iln’yenapas.Quandon se sent à ce point piégé,oppressé,brisé…Quandonal’impressiondecouler,onpeutavoirenvied’entraînerlesautresavecsoi.
Chance finitparposerdenouveau lesyeuxsurnous.L’agacementquiétait làquelques instantsplustôtadisparu,remplacéparunelueursombre,unvidequimemetmalàl’aise.
—Parfois,conclut-il,lesgenssombrentdansledésespoir,etpersonnenelesentend.Ashlinnerépondrien.JeressensuneforteenviedetoucherlajouedeChance,d’essayerdefaire
renaîtrelesouriresursonvisage,carencetinstant,sonexpressionm’estinsupportable.Cen’estpaslui.Jen’enfaisrien,parcequemongesterisqueraitd’êtremalinterprété.J’aidéjàditàmacopinequejel’aimais,alorsquecen’estpaslecas;j’aienquelquesorteatteintmonquotaannuelenmatièrederelationsfoirées.
Unefoisnotredéjeunertardifterminé,nousnousentassonsdanslavoiturepourrentrer.Aulieudenousarrêteràlamaison,jecontinuelaroutejusqu’auchemindeterredeStonemanDrive.Chanceseredressesurlesiègearrière.
—Qu’est-cequetufous?Auboutdesarue,jem’arrête,àl’écartdulotissementdemobilehomes.Jejetteuncoupd’œilà
Chancedanslerétroviseur.
—Uncompromis.Leconceptteditquelquechose?Chancesepinceleslèvres,maissesépaulessontrelâchéesquandilouvrelaportière.—Ouais.Jevousvoisdemain?—Biensûr,répondAsh.Nousnetravaillonspaslelendemain,cequisignifiequeChancenousapeut-êtreconcoctéunede
sesjournéessurprisesdontilasecret.Ildescenddevoitureets’éloignelesmainsdanslespoches.—Ilapeut-êtrehontedesamaison,murmureAsh.Oudesesparents.Manifestement,ilsnesont
pascommeilnouslesavaitdécrits.—Peut-être.C’est la première fois que nous le formulons à voix haute : Chance a menti. Sur quantité de
choses.Sursagrandemaison,etsesparentstoujoursendéplacement.CequimeforceàreconsidérertoutcequeChancem’adit,parcequecesmensongesnesontpasanodins.Onn’enestpasà:C’estpasmoiquiaimangéledernierbiscuit.Mais:Mavien’arienàvoiraveccequej’aiprétendujusqu’ici.
Jerepenseauxecchymosessursoncorpslanuitoùilestrestédormir.Ashprétendqu’ilahonte;j’espèrequ’il n’y a riend’autre.Dommagequ’avec lui les chosesne soient jamais simples. Jemesouviensdel’annéeoùils’estcassélebras.Lesfoisoùilrefusaitd’allernagerparcequ’ilnevoulaitpasretirersonT-shirt.Toutescellesoùpapafaisaitquelquechosedegentilpourlui,etqueChancelevaitversluidesyeuxrondsendisant:«Vousêteslemeilleurdetouslespères,MrJ.»CommesiluioffrirunT-shirtouuneglacefaisaitdenotrepèreunsuper-papa.
Jeremetstoutenquestiondésormais,jetraquelessenscachés.Chercheàdémêlerlevraidufaux.Tandisque je redémarreet faisdemi-tour, j’aperçoisChancequiquitte la route. Il s’éloignede
chezluiets’enfoncedanslesbois.
***
Enfants, nous allions souvent à la plage, mais jamais à Harper ’s Beach. Ce n’est pas la plusagréable:plutôtrochersquesable,etunemaréeparfoistraîtresse.Maissurtout,notrepèrenevoulaitsans doute pas susciter chez nous des questions surHollow Island. Il redoutait sûrement que nousnousmettionsentêtedevisiterl’île.
Ilavaitraison.Nousnousserionsmisentêtetoutessortesd’idées.C’estavecChancequenoussommesallésunefoisencachetteàHarper ’sBeach.Là-bas,tandisquel’eauclapotaitànospieds,Chance,alorsâgédetreizeans,nousavaitraconté
l’histoiredel’île.Nousl’avionsécouté,pétrifiés.—Ilyaeudesprojetsdeconstructiond’unpontpourrelierl’îleaucontinent,avait-ildit.Ilya
desbâtiments,del’autrecôté.Ondiraitpas,hein?Maisilssontbienlà.Ilyaaussidesmaisons.Destasd’accidentsbizarressontarrivéspendantqu’ilstravaillaientàlaconstructiondupont,alorsilsontfiniparlaissertomberetparabandonnerl’île.Certainsprétendentqu’elleesthantée.
Jen’avaispaspenséàdemanderquiétaientces«ils».Desfonctionnairesdelaville,j’imagine.Jen’aijamaisfaitderecherchessurInternetàcesujet,etjen’aipasenvied’enfaire,carcequejetrouveraisrisqueraitdefaireévanouirtoutelamagiedontChancel’avaitauréolée.L’îleavaittouteslesapparencesd’unelanguedeterreoubliée.
—Unefois,j’ysuisalléàlanage,avaitdéclaréChance.Ash s’était extasiée, comme elle le faisait à chacune de ses histoires, mais j’avais froncé les
sourcils.
—Jenetecroispas.—Si,c’estvrai!—C’estàdeskilomètres.Personnenepeutnageraussiloin,saufpendantlesjeuxOlympiquesou
untrucdugenre.—Non,c’estpasàdeskilomètres,s’étaitinsurgéChance,enlançantunepierredansl’eau.Etje
pourraislerefaire,sijevoulais.J’avaiscroisélesbras.—Benalors,vas-y.C’était toujourscommeça,entrenous.Onpassaitnotre tempsàseprovoquer.Leplussouvent,
c’estmoiquifaisaismarchearrière,parcequelesdéfisquemeposaitChanceétaientbientroposéspourmoi.CommevolerlebeignetgéantsurletoitdeHappyDonut,oualleraucentrecommercialhabilléaveclesvêtementsd’Ash,quidetoutefaçonnemeseraientjamaisallés.Chance,enrevanche,étaitprêtàtout.Pasgrand-chosenel’auraitfaitreculer.
Pourtant,cefutl’unedesraresfoisoùils’étaitdégonflé,mêmesi,biensûr,iln’avaitpasvuleschoses ainsi. Il avait plissé le nez, une expression indéchiffrable sous les lunettes de soleil quimangeaientsonvisageparsemédetachesderousseur.Ils’étaitdétourné.
—C’estdébile.Pourquoijenageraisjusqu’àlà-baspendantquevous,bandedetrouillards,vousresteriezici?
***
Chanceconnaît lesmeilleurspointsdevuepourdécouvrirHollowIslandet lesendroitsparoùdescendresanstropderisqueslelongdesfalaisesjusqu’àdespetitescriques.Lesarbresquibordentlesfalaisesontperduunegrandepartiedeleursfeuilles,etleursbranchesdécharnéess’élèventverslecielgrisetmaussade.Lesvaguesquis’écrasentsurlarivesemblentplusfurieusesquedansmonsouvenir,plusurgentes,etleventmefouettelescheveuxets’engouffresousmonmanteau.Chanceest debout sur la corniche qui surplombe Hollow Island et la plage, si près que le bout de seschaussuresestdanslevide.Parréflexe,j’attrapesonbras;ilmeregardeetéclatederire.
Cen’estpasquej’aielevertige,c’estvoirChancesiprèsdubordquimefaitpeur.Ladescentedelafalaiseestlaborieuse.Chanceouvrelamarche,assurantsesprises,etilévolueavecunetelleagilitéqu’il est évident qu’il n’en est pas à sa première tentative. Je passe en second, procédant pluslentement,etveillantbienànepasregarderenbas.Jenecomprendspaspourquoinousneprenonspas lavoiturepour faire lesdeuxkilomètresetdemi jusqu’àHarper ’sBeach,maisChanceneveutrienentendre.C’estl’endroitqu’ilaime.
Ashlinnebougepasduhautdelafalaise.PasavantqueChanceetmoinesoyonsarrivéssainsetsaufsenbasetque,levantlesyeuxverselle,nousl’encouragionsàdescendreàsontour.
—N’aiepaspeur,toutvabien!jeluicrie,lesmainsenporte-voix.—Onterattrapera!renchéritChance.Nosvoixsontassourdiesparlesvagues.Ashdonnel’impressiond’avoirenviedetournerlestalonspourallerverslavoiture,maiselle
finitparentamersadescente.Àenvirondeuxmètresdusol,ellesauteetgrimacequandelleatterritparterresurlesfesses.Jel’aideàserelever,incapabledecontenirmonfourire.
—Tuvois?demandeChance.Cen’étaitpassiterrible.
Nousavançonssurlesrochersjusqu’auborddel’eau.Lameresttropfroidepourquejeretiremeschaussures.Maisellevientmouillerlatoiledemesbasketsetmeschaussettesàl’intérieur,ettrèsvitej’ailespiedstoutengourdis.
D’ici,nousavonscequeChancequalifierait–etjenesuispasloind’êtredesonavis–deplusbellevuedeHollowIsland.
J’inspire profondément en écartant les bras. Ici, en hiver, l’air marin est un vrai bonheur.Revigorant.
—Bon…onestlà.Etmaintenant?Chances’accroupit,sanssesoucierdelamerquivientlécherlebasdesonjean.—J’aiprisunedécision.—Ahoui,laquelle?demandeAsh.—Onvaallersurl’île.Les brasm’en tombent.AvecAsh, nous regardonsChance comme s’il avait perdu l’esprit. En
voyantnotreexpression,ilfroncelessourcils.—Quoi?Pasdepanique,jen’aipasditqu’oniraitàlanage!Onvaacheteruncanot.—Uncanot?répétons-nousenchœuravecAsh.—Ouais,ungroscanotpneumatiquegonflable.Iln’apasbesoind’êtresophistiqué.Avecnotre
prochainsalaire.Onpeutendégotterunpourunecentainededollars.ÇapourraitêtremoncadeaudeNoël.
—Onauraaussibesoinderames,fait remarquerAsh.Lescanotspneumatiquesn’avancentpastoutseuls.
Chancehausselesépaules.—Ouais,ouais.—Etqu’est-cequ’onferasurl’île?jedemande.—Onvisitera.Onprendradesphotos.Onpourraaussijoueràcache-cache,jem’enfiche;l’île
estgénialepourça.Ashfroncelessourcils.—Qu’est-cequet’ensais?Ilfaitlamoue.—Jevousaiditquej’yétaisdéjàallé.Oui,ilnousl’adit.Ilnousamêmeditqu’ilyétaitalléàlanage,cequej’aitouteslespeinesdu
mondeàcroire.—Non,c’estimpossible.—Ahouais?rétorqueChanceensoupirantbruyamment.Ilyaungrandbâtimentenbriqueau
centredel’îled’oùonpeutvoirdanstouteslesdirections.Maisdécidez-vous,vousenêtesoupas?Sinon,jepeuxyallertoutseul.
Jeregardel’île.Souslabrisemescheveuxmefouettentlevisage,etmesjouescommencentàmepiqueràcausedufroid.Rachelvaarriverdansquelquesjourspour lesfêtesdefind’année,etellen’approuveraitpascetteidée.Enfait,elleyseraittellementopposéequ’ellepourraitbienavoiruneattaque.Savenueprometd’êtreintéressante–etpar«intéressante»,jeveuxdirequ’aumomentoùellerepartiraj’enseraispeut-êtreàavoirenviedesauterd’unevoitureenmarche.
Mais j’aienvied’allersurcette îledepuis longtemps,depuisqueChancenousaamenés icidesannéesplustôt.Combiend’autresaventuresdecegenreaurai-jelachancedevivreavantd’alleràlafacetquetoutçasoitderrièremoi?Rachelprétendquec’estça,grandir.
—Ouais…ouais.D’accord.Maisilvanousfalloirunboncanot.Sionseretrouveéchouéssurl’île,onestfoutus.Ash?
Ellen’arienloupédenotreéchange.—Jemarcheàcentpourcent.Chancesautesursespieds,etpasseunbrasautourd’Ashensouriant.—Ah!Ça,c’estmacopine!Çavaêtregénial.
Ashlin
Hunter raconte que Rachel et lui se sont rencontrés au lycée en cours demaths, quand elle aacceptéde luidonnerdescoursparticulierspour releversamoyennedeCàA,carc’était laseulematièredanslaquelleilavaitdesdifficultés.Enfait,c’estellequiluiademandédesortiravecelle.Puisilsonteuleurdiplôme,etRachelachoisiunefacdansleSud,enFloride,poursespécialiserenbiochimie.Évidemment,elleasuppliéHunterdeveniravecelle.
Ilauraitpuyêtreadmis:sesnotesétaientsuffisantes,etl’universitéavaituncursusqu’ilauraitpusuivrepourobteniraumoinsuneboursepartielle.
MaisHunterveutresterdansleMaine.Ou,dumoins,ilneveutpasdéménageraussiloin.Cetteannée,ilvoulaitêtrelàpourpapa,etilvoulaitaussipasserdutempsavecChanceetmoi.Laballequia faillinous ravirnotrepèrem’aaussiprivéed’un tempsprécieuxavecmon frère.Mêmesinouséchangionspresque tous les jourspare-mail, textoet téléphone, cen’étaitpaspareil. Jevoulais levoir. Je voulais rentrer à lamaison etme disputer avec lui à propos d’un truc débile, comme lestâches ménagères, savoir qui allait préparer le dîner, quel film nous allions regarder. Nos viesauraient pu être différentes si nous avions vécu ensemble toutes ces années.Ce lien entre nous neseraitpeut-êtrepasaussi fort, etnousnepourrionspeut-êtreplusnous supporter. Jen’enaipas lamoindreidée.
Toutcequejesais,c’estqueHuntern’apaslamoindreidéedecequ’ilveutfairedesavie.«Jeluiaidemandédemelaisserletempsd’yréfléchir.»C’esttoutcequ’ilabienvoulumedire.«Elleveutqu’onprenneunappartensembleprèsducampus.»Maislafaçondontilenparlelaisseentendrequ’ils’agitlàdesprojetsdeRachel,etnondessiens.
J’aimeàpenserqueRachelacomprislebesoinqu’aHunterdeprendreuneannéesabbatiquedansleMaine,maiselleesthumaine,etunefilledont lecopainpasserait l’année loind’ellenepourraitjamaissesatisfaired’untelarrangement.Jepariequ’elleestfolledejoieàl’idéedevenirpendantlesvacances.
JenecomprendspaspourquoiHuntern’estpasplusimpatient.Il l’était à notre arrivée. Puis l’enthousiasme s’est estompé.En fait, si je ne le connaissais pas
mieux,jediraisqu’ilredoutesavisite.Ilatraînélespiedspourpréparerlachambred’amipourelle.(Pourquoi papa pense-t-il qu’ils vont faire chambre à part, je l’ignore. J’imagine que ça letranquillise.)Etàl’aéroport,sesépaulessontunpeutendues,sesbrascroisés,sesmâchoiresserrées,commes’ilsepréparaitmentalementàsonarrivée.
Ça me travaille. Le manque d’enthousiasme de Hunter, couplé à son désir de vivre aussilongtemps loin d’elle commence à sapermes représentations de l’amour idéal. Hunter a toujoursparléavecaffectiondeRachel,mêmesi–etjesuislapremièreàl’admettre–iln’estpasdugenre
expansif. N’empêche : j’avais l’impression qu’ils étaient heureux. Pourquoi sortir avec quelqu’unpendantunansicen’estpaslecas?
L’aviondeRachelestpileà l’heure.Ellepasse lesportes,vêtuedebottes,d’un leggingetd’unpull blanc, ses cheveux bruns ondulés rassemblés en queue-de-cheval – on ne dirait pas qu’elle apasséplusieursheuresdansunavion.Moi,quandjesuisarrivée,mescheveuxétaienttoutdécoiffés,monmaquillageavaitcoulé,etj’avaisdetellesvalisessouslesyeuxqu’onauraitpumecompterunsupplémentbagage.
MaiselleressembleàlaRachelquej’aiimaginée.Apprêtéeetjolie.EnapercevantHunter,elleluiadresseunlargesourire.Maispointdegrandesretrouvaillescommecellesquej’aiimaginées.Elles’avance,posesesbagagesàterreet l’embrassesurla joue.Surla joue.Pasd’étreintenidebaiserpassionné.Çamedéconcerteunpeu,maispourquoipas.C’estpeut-êtreparretenue.Parcequ’ellesetrouvedansunendroitpublic,etquejesuislà.
Il me semble que l’expression de Hunter s’est adoucie, et son visage s’est éclairé d’un petitsourire.
—Comments’estpassétonvol?—Bien,trèsbien.Rachelmedécochesonjolisourire.—TudoisêtreAshlin.C’estsuperdeterencontrerenfin.Elleme serre,moi,dans ses bras, ce qui me surprend, alors je lui rends maladroitement son
étreinte.—Ouais,c’estsuper.Laisse-moiprendretesbagages.Pendantlelongtrajetderetour,Racheletmoidiscutonsdefaçonfluide.Ellemeparledelafacet
de ses cours, et moi, je lui donne des nouvelles de notre père. Et, bien sûr, je parle de Chance.Commentpourrait-ilenêtreautrement,quandilpassepresquetoutsontempscheznous?
Pourtant,quandnousarrivonsàlamaisonetqueChanceestassissurlecanapéàregarderlatélé,Rachelparaîtsurprise.
JenecroispasquelaprésencedeChanceiciaitquoiquecesoitdefortuit.Ilaattenduparcequ’ilvoulaitlarencontrer.
Ilse lève.Lachemiseet lepullqu’ilporteappartiennentàHunteretnesontpas toutàfaitàsataille.Sescheveuxsontmouillés,ilsortdeladouche.Ilafaitcommechezlui,commed’habitude,cequi nous a toujours convenu. Auparavant, cette situation ne m’avait jamais semblé étrange.Maintenant,envoyantlatêtedeRachel,jemedemandel’impressionqueceladonneauxautres.
—Ah,vousvoilà!J’aiditàMrJ.quej’attendraispourêtresûrquevousn’ayezpaseuunpépinsurlaroute.
Ilsourit,laparolefacile,maisladuretédanssesyeuxmerendnerveusepourHunter.Jesaisquec’estimportantpourluiquesacopineetsonmeilleuramis’entendent.
Surmontantsasurprise,Rachelsourit.—TuesChance.—Leseuletl’unique.Ilsemblesatisfaitqu’ellesachequiilest.Cequi,j’imagine,estcompréhensible,étantdonnéqu’il
auraitpunepassavoirquielleétaitsijen’avaispasvendulamèchedessemainesplustôt.—Ettoi,tueslamystérieuseetjolieRachelLi.Son compliment semble apaiser le malaise de Rachel, et elle penche la tête, le visage plus
chaleureux.—Oh,ça,jen’ensaisrien.Entoutcas,c’estgentilàtoid’êtreresténousattendre.
Huntersurprendmonregard,etjeneseraispasétonnées’ildisparaissaitparuntroudanslesol.NoussavonstouslesdeuxqueChancenevapasrentrerchezluiàcetteheure.Detoutefaçon,nousnelelaisserionspasfaire.Pasparcefroidetparcetteroutenonéclairée.
—Euh,Hunt,tudevraismontrersachambreàRachel.Jesuissûrequ’elledoitêtreépuisée.Ilsemblereconnaissantdel’occasionquiluiestdonnéedes’éclipser.—Àdemainmatin,lesjeunesfous!s’exclameChanced’untonenjoué,cequiluivautunregard
perplexedeRachellorsqu’ellesuitHunterdansl’escalier.Dès l’instantoù ilsnesontplus là, lesouriredeChances’évanouit,etunsilence inconfortable
retombedanslapièce.Chancenemeregardepas.J’éteinslatéléetlalampedechevet,noussommesplongésdansl’obscurité,puis,d’uncoupdecoude,jelepousseversl’escalier.Iln’ajamaisdormisurlecanapé,etcen’estpasmaintenantqu’ilvacommencer.Ilgrogne,maisobtempère.
Il n’a pas dormi dans mon lit depuis l’été de notre rencontre. Ensuite, il nous était arrivé dedormir tous les trois par terre dans le salon ou de nous allonger sur la terrasse derrière pourregarderlesétoiles.Rienàvoiraveclefaitdeseretrouverensembledansunlit.Jegagnelasalledebains pour enfiler un short et un sweat-shirt, et quand je reviens, Chance s’est déjà installéconfortablementdansmonlit.PapaadoreChance,maisjenesuispassûrequ’ilapprécieraitunetelleproximitéentrenous.
Maiscequ’ilignorenepeutluifairedemal.JemecoucheprèsdeChance,quimequestionne:—Alors,j’aiétéassezpoli?Jeluilanceunregardobliqueenremontantlescouverturessurmoi.Mêmeavecladistanceentre
nous,jesenslachaleurirradierdesoncorps.Jemedemandecequ’ildiraitsijemeblottissaiscontrelui.Moncorpscontrelesien.
—C’étaitsidifficilequeça?Ilfixeleplafondsansmeregarder.—Çanes’estpasvu?Alors,jesuismeilleuracteurquejelepensais.—Pourquoiest-ceunteleffort?Qu’est-cequetureprochesàRachel?Elleal’airsympa.Unefoisseulementquej’aiéteintlalampedechevet,ilmeregarde.Dansl’obscurité,jedistingue
à peine les traits de son visage, mais je ne suis pas sûre qu’en plein jour j’aurais été capabled’interprétersonexpression.
—Jeneluireprocherien.Ilsemblesous-entendreque,justement,cen’estpasnormal.—Maisellenevapasm’aimer.Jemetourneverslui.—Biensûrqu’ellevat’aimer.Pourquoiellenet’aimeraitpas?Ilsetourneversmoietprendentresesdoigtsunemèchedemescheveux.Legesteestsimachinal
quejemedisqu’illefaituniquementparcequ’ilestincapablederesterimmobile.Jen’enappréciepasmoinsl’intention.
—Jolie,intelligente,quisaitsedémerderetquiréussit.Ellevamedétester.—Oh,c’estméchant!jeproteste,indignée.Moiaussi,jesuisintelligenteetjesaismedémerder.Plusoumoins.Jen’aipaslamoindreidéedecequejevaisfaireaprèsmonannéesabbatique.J’ai
pensé aller à la fac ici, suivre une formation de photographe ou de journaliste, et je nourrissaisl’espoirdelouerunpetitstudioseule,oùChanceauraitpuvenirmerendrevisitedèsqu’ilenauraiteuenvie,mais…
Jecroisqu’ilsourit.
—Rienàvoir.—Vraiment?—Souviens-toidecequejetedis,Ash.—Ellen’estpassidifférente,tusais.Elleestintelligente,maistoiaussi,tul’es.Demonindex,jeluitapotelefront.—T’ensaislongsurquantitédesujets.Elleestjolie,ettoi,t’esbeaumec.—Maisonnepeutpasvraimentdirequemaviesoituneréussite.—Biensûrquesi.Tuprends leschosesenmain.Tuasdécrochéun jobet tuasune famille–
nous–quit’aime.J’aipréférépréciser,carquoiqu’ilsepasseavecsafamille,dontilévitedenousparler,ilnousa,
Hunter,papaetmoi.Noussommessafamille.Nousl’avonstoujoursété.—Alors,jepoursuis,maintenantcite-moiunechosequeRachelaetquetun’aspas.Jem’attendspresqueàcequ’ilrépondeenplaisantant«desseins»ouunevannedecegenre.Ce
seraittoutlui,parcequ’ils’empressedechangerdesujetdèsqu’onessaied’avoiruneconversationsérieuse. Sous la couverture, il passe un bras autour dema taille etm’attire à lui. La tête sur sonépaule, lagorgenouée,prèsdesoncorpschaudetaccueillant, j’oubliecomplètementcedontnousétionsentraindeparler,jusqu’àcequ’ilréponde:
—ElleaHunter.
Hunter
Rachelposesessacsdanslachambred’ami.Jerestesurleseuil,jen’ainulleenvied’entrer,jepréfère lui souhaiter bonne nuit et tourner les talons avant qu’il se passe quoi que ce soit. Elleparcourtlapièced’unregardapprobateur.
—Alors,commeça,jerécupèrelaplusgrandechambre?—C’étaitlachambredemonpère,j’explique,enfrottantmespiedssurlesol.Lasalledebains
estdanslecouloiràdroite.Tusaisoùmetrouversituasbesoindequoiquecesoit.Elleacquiesceens’asseyantsurleborddulit.Ellemeregarde.Attend.Depuisquandest-cesibizarredemeretrouveravecmacopine?Toutallaitbienentrenous la
dernièrefoisquenousnoussommesvus.Elleavaitpleuréunpeuetm’avaitembrassé,alorsquesesparentss’apprêtaientàlaconduireenFloride.Nousnouscomportonsdefaçonnormalel’unenversl’autre, selon les critères communs. Sans tendresse excessive. Nous n’avons pas encore couchéensemble,etl’uncommel’autre,nousnesommespasfriandsdegrandesdémonstrationsd’affectionenpublic,quandils’agitd’allerau-delàdesetenirlamain.Etcen’estpasparcequejenesuispastendre.J’aimequandChances’agrippeàmoi.Etçanemegênepasquandmasœurmeprendlamainouqu’ellenouesesbrasautourdemoncou.Danscescas-là,jemefichedecequelesgenspeuventpenser.MaisavecRachel…jenesaispascequisepasse.
Encetinstant,ellemeregardecommesielles’attendàcequejereste.Ouàcequejeluidemandedevenirdansmachambre.
Je tiens àmon espace, et j’ai déjà franchi avec elle une ligne que je n’avais nulle intentiondepasser.
Jeluisouris.—Bon,ehbien…bonnenuit.Faisdebeauxrêves.—Hunter?Merde.Elle se lève, embarrassée.Unechose sur laquelle tout lemondes’accorde surRachel : elleest
canon, avec sa chevelure soyeuse et ses grands yeuxmarron. Je devrais me rendre compte de lachance que j’ai. Passant ses bras autour de mon cou, elle se hisse sur la pointe des pieds pourm’embrasser.Pourdevrai,cettefois.Pascommeàl’aéroport.
Je me détends assez vite. Ses baisers m’ont manqué. Il me faut à peine une minute pourm’abandonneràladouceurdesaboucheetdesoncorpspressécontrelemien.Est-ceparcequejeluiaimanqué?Ouàcausedecequej’aiditautéléphone?Si«jet’aime»étaitlesésamepourcoucheravecRachelLi,jeconnaispasmaldetypesquin’auraientpashésitéàlecrier.
Mais ce n’est plus tout à fait pareil, plus comme il y a quelquesmois.Quelque chose enmoim’empêche de me laisser aller à cette étreinte. Peut-être est-ce l’insistance avec laquelle ellem’embrasse,oulapenséequ’ellelefaitparcequejeluiaiditquelquechosequejenesuispassûrderessentir.Ouparcequemasœuretmonmeilleuramisetrouventderrièreuneporteàquelquesmètresdanslecouloir.
Jesuislààembrasserunefillecanon,aveclaperspectiveprobablederesterpourlanuit–aveccequeçapourraitimpliquer–,etjen’arrêtepasdegamberger.Qu’est-cequiclochechezmoi?
Auboutd’unmoment,elles’écarte.Justeassezpouresquisserunsouriretoutcontremeslèvres.—Tum’asvraimentmanqué.—Jevoisça.Mavoixestplusrauquequej’aimerais.Jepourraisresteravecelledanssachambre.Essayerde
fairetairemespensées,mais…après?Etsijemeréveilledemainmatinenmerendantcomptequejene suis toujours pas amoureux d’elle, mais que j’ai assez d’affection pour elle pour me sentirimmensémentcoupabledecequej’aifait?
Non.Horsdequestionquecelaarrive.Jem’écarteenbaissantlatêtepouréviterdecroisersonregard.—Tuaseuunetrèslonguejournée…levoyage…toutça.Bravo,Hunter,vraimentintelligent.—Jeferaismieuxdetelaisserdormir.Rachel sourit, entre perplexité et incrédulité. Mais heureusement, elle me laisse partir sans
argumenter. Alors je regagne ma chambre, tête basse, et, songeant à prendre une douche froide,j’essaiedemepersuaderquejesurvivraiàsavisite.
***
Aprèscequ’ils’estpassélaveilleausoir,j’appréhendedemeretrouverseulavecRachel.Cequi,àbienyréfléchir,estcomplètementdébile.Cen’estpascommesielleallaitm’attirersurunparkingdésertetmesauterdessusdèsqu’elleenaural’occasion,maisc’estjuste…
C’estjustequec’estplussimplequ’onneseretrouvepasseulstouslesdeux.Lepetitdéjeunernesepassepastropmal,parcequepapaetIsobel–quiestarrivéeavecdesbeignets,ravieàl’idéederencontrerRachel– l’accaparentpendant tout le repas.Ashnecessedeme fairedupiedet, la têtepenchée,articuleensilence:«Çava?»
J’aibeauacquiescer,meconcentrantsurcequejemange,Ashmeconnaîtcommesiellem’avaitfait.Jenesaispasceque jedeviendraissanselle.Sielleproposed’alleraucentrecommercial,cen’estpasparcequ’elleadescoursesàfaire,maisparcequ’ellechercheavanttoutàm’aider.Rachelhésite,maisjem’empressed’avalerunecuilleréedepuddingauchocolatpourm’exclamer:«Ouais,super idée !», avantqueRachel ait le tempsde trouverune formulationpoliepour refuser.Aprèsavoirengloutilerestedenotrepetitdéjeuner,nousremercionsIsobel,promettonsànotrepèred’êtresages(ah!),puisnouspartons.
Si jem’écoutais, jeserreraisAshdansmesbras!Dansunlieupublic, iln’yaurapasautantdesilencesgênés.Nousseronsenterrainneutre.SanscompterquejepourraigarderRachelàdistancedeChancesileschosesdevaientsegâterentreeux.
J’ignorepourquoijesuisencoreaussinerveux.EtpourquoilesregardsincessantsdeChancemeserrentlecœur.Jemesenscoupable,sansvraimentcomprendrepourquoi.Chanceestmonmeilleur
ami, et Rachel ma copine. Il est normal que j’éprouve un peu d’appréhension alors qu’ils serencontrent.Maisàcepoint?Certainementpas.
Nousdescendonsdevoiture.Ashm’attrapeparlebrasetsepencheversmoi.—Qu’est-cequ’ilsepasse?—Rien.Pourquoiveux-tuqu’ilsepassequoiquecesoit?Jepasseunbrasautourdesesépaulesensouriant.Ellem’enfoncesondoigtdanslescôtes,ceque
jesensàpeine,heureusement,àtraversmaparka.—Pasdeçaavecmoi,frangin.Detoutlepetitdéjeuner,tun’aspasarrêtédemeregarderaveccet
airimplorant.Letempsquetacopineestlà,tunedevraispas,jenesaispas,lepasseravecelle?Denouveau,laculpabilitém’assaille,etjem’efforcedelachasser.—Pourl’instant,c’estunpeubizarre,Ash,dis-jeensoupirant.Laisse-moiletempsd’yvoirclair,
d’accord?Pas le temps d’argumenter. Fuyant la neige, Chance et Rachel se dirigent vers le centre
commercial,etcettedernièren’arrêtepasdemelancerdescoupsd’œilfurtifs.Commesiellesavaitque je parle d’elle. C’est pareil avec Ash. Comment les filles se débrouillent-elles pour sentir cegenredechoses?
Ilesttôt,etlaplupartdesgensàl’intérieursontlesadhérentsduclubdemarchequiviennentpourleurpratiquequotidienne.Surtoutdespersonnesâgéesen joggingbonmarchéqui ferontquelquestoursdecentrecommercial,où ilne faitni tropchaudni trop froid, avecquantitéd’endroitspourfairedespauses.Lesboutiques sont en traind’ouvrir.Dans l’airede restauration, les stores sont àpeinerelevésetlesfoursallumés.
J’aimecetteheuredelajournée.Iln’yanifouleniqueue,etquasimentpasdegaminsbraillardsquivouspoussentetgesticulentdanstouslessens.
Oh,voilàjeparlecommeunvieux!Après avoir flâné dans les boutiques – rectification : après que les filles ont fait quelques
boutiques pendant que Chance et moi les suivions patiemment –, Chance s’achète un bretzel qu’ilpartageavecAsh,tandisqueRachelprendunsmoothiepourelleetmoi.J’auraispréféréunmorceaudubretzel.Chancelècheleselsursesdoigts,avantdem’interpeller:
—Aufait,Hunt…Lesmoothie100%biodeRachel a legoûtdepuréed’herbe.Encoreheureuxquenousayons
petit-déjeunéavantdevenir,etquejen’aiepasl’estomacdanslestalons.—Quoi?—Onn’apasfaitmatchnul,ladernièrefoisqu’onestvenuici?IldonnelerestedesonbretzelàAshqui lemangeavecgourmandise.Rachelmejetteuncoup
d’œilinterrogateur,etjenepeuxréprimerlesourirestupidequimemonteauxlèvres.—Non.J’aigagné.Simplement,t’asjamaisvoululereconnaître.C’estundéfi,et jamaisChancenereculequandj’affirmeêtremeilleurqueluiàquelquechose.
Probablement une idée stupide.La dernière fois que lui etmoi avons fait la course dans le centrecommercial,nousavionsquinzeans,etcegenredebêtiseétaitàpeuprèsdenotreâge.Nousaurionspublesserquelqu’un.Ounousblesser.Sanscompterquelasécuriténousétait tombéedessusaprèsquenous avons franchi notre ligned’arrivée imaginaire.Encore heureuxqu’ils n’aient pas appelémonpère.
Depuisquandjemesouciedetrucspareils?C’étaitilyadesannées,maislesouvenirdessensationséprouvéesalorsestencoretrèsvivace.
Messouvenirsd’étésontainsi,dessensations,plutôtquedesdétailssurquiaditoufaitquoi.Mais
c’estlepassé,etaujourd’hui,jen’imaginequetropbiencequeRachelressentiraitenmevoyantmecomportercommeungamindansunlieupublic.Elleahorreurqu’onlamettemalàl’aiseenpublic.
—Pasvrai,rétorqueChance.—Si.Rachel nous regarde tour à tour, tandis qu’Ash lance un « lesmecs…» d’avertissement.Mais
Chancenel’écoutepas.Ilmeregardeaveccettelueurspécialedanslesyeux,toutensautillantcommes’ils’échauffait.
—Trèsbien.Onremetça.Jefaisuneffortconsidérablepourarrêterdesourire.Envain.—Onn’estplusdesgamins.Onnevapassedonnerenspectacle.—Alors,reconnaisquej’aigagné.—C’estfaux.Maishorsdequestionquejefasselacourse.—Allez!—Non.Chancefaitvolte-face,etlevoilàquis’élance,lessemellesdesesbasketscouinantsurlelino.—Oh!s’exclameRachel,médusée,avantdes’écrier:Hunter!Car,niunenideux,jem’élanceaprèslui.Nousfaisonslacoursedanslecentrecommercial,tandisqu’àmesoreillesrésonnentlebattement
demonpoulset le rireessoufflédeChance.Nousslalomonsentre lesquelquesvisiteursmatinaux.Chance contourne un banc, tandis que je saute par-dessus pour reprendre l’avantage, de quelquesmètresàpeine.
Soudain,c’est l’été, etnousavonsdenouveauquinzeans.Chance, toutdégingandé, sonvisageparsemédetachesderousseur,unT-shirt tropgrandpourluietdesbasketsuséesjusqu’àlacorde.C’estl’undecesinstantsoùtoutleresteestreléguédansunsecondplanflou,cariln’yaplusqueChanceetmoi,etquejen’aiqu’uneenvie,conserverenmoilavisiondesesyeuxbrillantsdeplaisiretdesonvisageeuphorique,pourlachériràtoutjamais.
Dansuncoinducentrecommercial,uneairedejeuxaétéinstalléedepuismadernièrevisite.Despetitstunnels,untobogganetunepiscineàboules,d’unesoixantainedecentimètresdeprofondeuraumaximum. Je ralentis, par crainte de heurter de plein fouet un pauvre gamin ou ses parents quin’auraient rienvuvenir,maisChancese jette la tête lapremièredans lapiscineàboules, riantauxéclats,maissiessouffléquesonrireestàpeineaudible.
Lapoitrinemebrûle.J’ailesjambesencoton.Maisquellesensationgéniale!etmoiaussijeris,m’approchant du bord de la piscine d’un pas mal assuré, avant de me pencher, les mains sur lesgenoux,pourreprendremonsouffle.Jenemesouvienspasdeladernièrefoisquej’airessentiça.
— J’ai gagné ? demande Chance, haletant, allongé sur le dos parmi les boules de plastiquerouges,bleuesetjaunes.
Jesouris,essoufflé,etjeluitendsunemainqu’ilsaisit.—Ouais.Cettefois,t’asgagné.Aulieudes’extirperdesboulesdeplastique,ilmetired’uncoupsec,etjemeretrouveàmoitié
couchésurlui,tandisquesonrirerésonneàmonoreille.Nousrestonsallongéslàuneminuteoudeux,letempsdereprendrenotresouffle.Oupeut-êtreà
attendredevoirsilasécuritévanousjeterdehors.RacheletAshsontlespremièresànousrejoindre.Ma sœur semble amusée,mais le joli visagedeRachel est barréd’unpli désapprobateur, et elle acroisélesbras.Chanceetmoi,nousnousrelevons,etnesubsistedecemomentdejoiequ’unevague
douleur résiduelle dansmes poumons.Dommage que l’air boudeur deRachel nous gâche un peunotrejoie.
Jem’extirpedelapiscine.Chances’accrocheauxpassantsdemonjeanpoursereleveràsontour,etmanquebiendenousrefairetombertouslesdeux.
—J’aigagné,annonce-t-ilfièrement.Rachelnemequittepasdesyeux.—C’étaitquoi,ça?—Quoi?Jemepasselamaindanslescheveux,feignantl’innocence.—C’étaitpours’amuser.C’estrien.—Tuauraispufoncerdansquelqu’un,proteste-t-elle.Etsituavaisfaittomberunenfant?—À cette heure-ci, il n’y a jamais de gamins, intervient Chance. Je n’en ai jamais vu à cette
heure,depuistoutletempsquenousvenonsici.Sinon,onn’auraitpasfaitça.Rachel lui lance un regard aigre ; manifestement, elle n’apprécie pas qu’il se mêle à notre
conversation.Ellen’apasl’habitude.Quandellemefaitdesreproches,noussommesengénéralentête-à-tête.
Jedétestequandellemefaitlamoralecommeça.J’ail’impressiond’avoircinqans.Mainsdanslespoches,épaulesvoûtées,jesuistirailléentrel’enviedem’excuserpourapaisersacolèreetcelledenepasmontreràAshetàChancequec’estainsiqueçasepasseentrenous:Rachelquim’enveut,etmoiquiabdiquepourcalmerlejeu.
—Jesuisdésolé,jefinispardire.C’esttoutcequ’ellepeuttirerdemoi,maisellesembles’ensatisfaire.Ellesoupire,sesépaulesse
relâchent,et,aumoins,sonagacementretombe.—Partonsd’ici,m’enjoint-ellealorsd’unevoixdouce.J’essaiedemedétendre,soulagéqueleschosesenrestentlà.Etjefaisensorted’ignorerlafaçon
dont Chance lève les yeux au ciel et passe son bras autour d’Ash quand nous quittons le centrecommercial.
***
Nous déjeunons dans un petit resto en face. Les filles s’assoient d’un côté, Chance et moi del’autre,avecluisiprèsquejemeretrouvecolléaumurquandj’essaiedemettreunpeudedistanceentre nous. Son coude s’enfonce dansmes côtes. Il a demandé à la serveuse unmenu enfant pouravoirlescrayonsdecouleurquivontavecetdessinerensirotantsaboisson.
Lenezdansmonassiette, jemangemonpoulet-frites.Ash etRachel discutent.Du lycée et desgarçons.Tiensdonc.
—Jen’aipasdecopain,ditAshensirotantsonsodaàlapaille.Enfin,j’enaieuquelques-uns.Maisilssontunpeu…euh,commentdire?Aveccombiendegarçonst’essortieaulycée?
—Deux, dit Rachel.Mais je ne suis pas sûre que le premier compte. Nous ne sommes sortisensemblequequelquessemaines.
—Oh,arrête!C’estladuréedelaplupartdemeshistoires.Pourquoiçan’apasmarché?—Je ne sais pas.Le premier était un garçon avec qui j’étais amie depuis des années. Je crois
qu’ons’étaitmisentêtequeceseraitgénialdecommenceràsortirensemblequandonseraitaulycée.Mauvaiseidée,crois-moisurparole.
Elleponctuesesproposd’unregardappuyéàChance.C’estquoi,uneallusion?— L’autre, je l’aimais beaucoup, mais il m’a larguée pour une autre. À l’époque, j’ai été
effondrée.Ilembrassaitsuperbien.J’ignoresiRachellefaitexprèspourm’énerveroumerendrejaloux,peuimporte,çanemarche
pas.Ou pas tout à fait. En tout cas ça nemarche pas pour les raisons qu’elle croit. Çam’énerveuniquementparcequej’aiencorel’impressionqu’ellechercheàmefaireréagir,cequejeneveuxsurtoutpas.
—Veinarde!s’exclameAshensoupirant.Tousceuxavecquijesuissortielaissaientfranchementàdésirerdececôté-là.
Jemeraidis.Noteàmoi-même:répertorierlesmecsavecquimasœurestsortieetleurbriserlesjambes.
Alorsquejecroyaisqu’iln’écoutaitpas,Chanceintervient,sansleverlatête:—C’estparcequej’aiplacélabarretrophaut,enétanttonpremier.Ashéclatederire.—Ça, jenesaispas.Hunt,suruneéchelledeunàdix,quellenote tudonneraisauxbaisersde
Chance?Jesensmonestomacsenoueretmesjouess’empourprer.J’aienviededisparaîtresouslatable.
Oudem’enfoncermafourchettedanslacarotide.Sijemevidaisdemonsang,jesuissûrqueRachelnemeregarderaitpasaveccetairhorrifié!
Lorsdenotredernierétéici–enfait,àpeuprèsàlamêmepériodequelacoursedanslecentrecommercial–notrepèrenousavaitdéposésunaprès-midiauborddulac,avecdespistoletsàeau,uncanotpneumatique,etdespetitspainschaudsàlacannelleachetésdansunsnackenbordderoute.Àunmoment,nousenétionsvenusàparleravecAshlind’ungarçondulycéequ’elleaimaitbien,puis,defilenaiguille,desortiravecquelqu’un,d’embrasserquelqu’un…etAshavaitalorsdéclaré:
—Detoutefaçon,jenesauraispasm’yprendrepourembrasserungarçon.—C’estpassorcier,regarde!avaitrépliquéChance,unpetitpainàlacannelledanslamain.Ils’étaitpenché.J’avaisfeintdem’absorberdanslegonflageducanotpneumatique,maisjeles
observaisducoindel’œil.Ashnepouvaits’arrêterderirenerveusementquandChanceavaitappuyésabouchecontrelasienne.
Auboutd’unlongmoment,Chances’étaitécartéenriant.—Tuvois?C’estaussisimplequeça.Ash avait surpris mon regard, ainsi que mon expression blasée, puis elle avait rougi en me
prenantàpartie:—Qu’est-cequeturegardescommeça?Faispasceluiquiadéjàembrasséquelqu’un.—Si,j’aidéjàembrasséquelqu’un.J’avaismenti.En fait, j’auraispu…si j’avaisvoulu.Un jour,une filledemoncoursd’anglais
m’avaitcoincédanslescouloirspourmedirequ’ellem’aimaitbien,etelles’étaitpenchée,attendantunbaiser.Quejeneluiaipasdonné.Paniqué, jem’étaisenfuiencourant.Donc,d’unpointdevuetechnique,j’auraispu,maisj’aipréférénepaslefaire.Çacomptequandmême.
—Non,c’estfaux,avaitinsistéAsh.Chanceavaitmordulentementdanssonpainàlacannelle,prenantletempsdemastiquer.J’avais
placé la valve sur le canot pneumatique, leur tournant le dos, résolu à ne pas poursuivre cettediscussionquiseseraitterminéesoitparl’aveuquej’avaismenti,soitparunmensongequiauraitétésansdoutedécouvertplustard.
Jenel’avaispasvuapprocher.Jemepréparaisàmettrelecanotàl’eauquand,soudain,Chances’étaitretrouvétoutprèsdemoi.
Soncorpsmouilléétait lisseet fraiscontre lemien.Saboucheavaitcapturé lamiennedansunbaiserinsistantetavide.Jen’avaisplusétécapabledepenser.Deréagir.Deformerlamoindrepenséecohérente,autrequesesdoigtsétaientcollantsetqu’ilsentaitlacannelle.Puisilavaitglissésalanguedansmabouche,etj’avaisdécouvertqu’ilenavaitaussilegoût.
Ashlinavaitapplaudienpoussantdespetitscrisaigus,commes’ils’étaitagid’unnuméro,alorsjem’étaisécartéd’unbond,lesoufflecourt.Chanceavaitsouri.
—Voilà.Commeça,tun’aurasplusàmentir.S’ilyavaitunmomentdemaviedontj’auraissouhaitéqu’Ashnesoitpasletémoin,c’étaitbien
celui-là.Et,alorsqueChancetendlamainpourpiquerunefritedansmonassiette, jeprendsconscience
quejeregrettequemasœuraitététémoindecemoment,maispasqu’ilsoitarrivé.Oh,non!Maisqu’est-cequiclochechezmoi?—Eh,uneminute!s’exclameRachelenreposantsafourchette,leregardbraquésurmoi.Chance
ettoi…—C’étaitjusteunbisousurlajoue,intervientChanceavecunriresec.Pourdéconneretlemettre
malàl’aise.Çamarcheàtouslescoups.Ash nous regarde tour à tour, Chance etmoi, et son expression neutre semble forcée. Rachel
s’efforcedesourire,maisellefroncelessourcils.Elleestcontrariée,maisseditsûrementqu’iln’yapasdequoienfairetoutunplat.Degratitude,j’auraispuembrasserChancepourm’avoirtirédeceguêpier.
Euh,non…plutôtleserrerdansmesbras.C’estmoinsdangereux.
Ashlin
Rachelestfurax.SoitHunternes’enrendpascompte,soitill’ignoredélibérément.Soit, « furax»n’estpeut-êtrepas le termeadéquat.Disonsalorsqu’elle estpeut-êtreunpeu…
refroidie.Troublée.Malàl’aise.Jen’ensaisrien.MaisdepuisqueChanceetHuntsesontdonnésenspectacle au centre commercial et qu’elle adû affronter les regardsdesgens, elle est étrangementsilencieuse.Et audéjeuner, onne peut pas dire que la conversation sur « qui a embrassé qui » aitvraimentarrangéleschoses.
—Ilsfonttoujourscegenredetrucs,ai-jeditàRachel.Maisjecroisqueçan’afaitqu’empirerleschoses.Hunter a toujours eu tendance à faire l’imbécile, surtout quand il se trouve avecChance.À en
jugerparlaréactiondeRachel,ilnesecomportepeut-êtrepascommeçaavecelle.LeHunterauquelje suis habituée n’est peut-être pas celui qu’elle connaît. Du coup, jeme demande simoi aussi jeconnaisvraimentmonfrère.
Parcequemêmesi leHunterauquel jeparlepare-mail, téléphoneet textodepuis laCalifornien’estpasdugenretrèsexpansifavecsacopine,jesaisqu’iladel’affectionpourelle.Jesaisqu’ilsvontmangerdessushis,généralementaveclesparentsdeRachel,etqu’ilsvontaucinéouvoirdesexposplusieursfoisparmois.Maintenantquej’ypense,celan’arienàvoiraveccequ’onfaitquandonseretrouveicitouslestroisavecChance.
Chancen’estqu’ungrandado.EtHuntetmoi,onlesait.Jenepeuxpasparlerpourmonfrère,maismoi,çameplaît. Jen’aipas tropenviedegrandir si c’estpour ressemblerà touscesadulteshyper sérieux qui ne font plus de trucsmarrants. Comme des batailles de boules de neige ou descourses-poursuites dans des endroits improbables. Ou encore partir à l’aventure jusqu’à une îlecoupéedetout.
Chance ne manque pas une occasion d’y faire allusion. Quand nous nous rendons au seulsupermarché de la ville pour acheter de quoi grignoter et boire pour une soirée ciné,Chancemeprend par lamain et se dirige vers le rayon sports dumagasin. Plus précisément vers les canotspneumatiques.
Deboutdevant lesmodèlesexposés,partagéeentreexcitationetnervosité, j’ai labouchesèche.Nousallonsvraimentlefaire.Allerencanotjusqu’àHollowIslandoù,semble-t-il,personnen’amislespiedsdepuisdesannées.
J’aitoujoursétéletémoindesdéfisqueselancentChanceetHunter.Desdéfisdébiles,laplupartdu temps, etmoi, je joue les arbitres. Là, c’est une de premières fois où je vais participer. Etmeretrouverdanslevifdel’action.
Uneinterrogationmetraversel’esprit.
—Onlefaitquand?Chance, accroupi, lit les informations sur le carton d’un modèle. J’espère qu’il sait ce qu’il
cherche,parcequemoi,c’estsûrquenon.—Euh…Jepensaisauréveillondu31décembre.Tune trouvespasqueceseraitunechouette
façondefêterlanouvelleannée?C’estbiencequejecraignais.—Rachelrepartle1erjanvier.Sonexpressionnechangepas.Ilnelèvepasmêmelesyeuxversmoi.—Danscecas,ellen’auraqu’àveniravecnous.Je ne sais pas pourquoi,mais j’ai l’impression que Rachel ne va pas être super emballée par
l’idée.Si elle est choquéepar une course-poursuite dansun centre commercial, il y a des chancesqu’une excursion en canot pneumatique àminuit vers une île abandonnée lui déclenche une crisecardiaque.Avantquej’aieletempsderétorquerquoiquecesoit,RacheletHunt,poussantuncaddieremplidechosesàgrignoteretdeboissons,arriventdanslerayon.
—Vousregardezlescanots?ditRachel.JemedemandesiellecontinuedejouerlareinedesglacesavecHunter.Àenjugerparlamoue
fatiguéedecedernier,j’enconclusqueoui.—Ouais.—Pourquoi?—Euh…pourfaireducanot,répondChanceavecunetrèslégèreinflexiondevoixquisemble
signifierle«pétasse»qu’ilneformulepas.—Ahbon?Ensemble?Chance tapote un carton. Il adresse un regard à Hunter, et celui-ci s’approche pour l’aider à
souleverl’emballageet ledéposerdanslecaddie.Deuxcentsdollarspouruncanotpneumatiqueetdes rames. J’aimerais demander à Chance comment il peut se payer tout ça,mais je ne crois pasl’avoir vu dépenser une grande partie de son salaire depuis qu’il travaille à la librairie. Il doitéconomiser.
—Évidemment,répond-il,unefoislecartonplacédanslecaddie.Désormais,HuntetChancedoiventpousserlecaddieàdeuxenévitantdefoncerdanstout.—Leréveillondu31.Ondoittemontrerlemeilleurendroitdelavilleavanttondépart,non?Rachel croise les bras sans répondre.Aumoins, elle n’est pas ouvertement opposée au projet,
mais,làencore,ellen’enconnaîtpastouslesdétails.Etjen’aiaucuneenvied’êtrecellequilesluidonnera. Raison pour laquelle j’essaie de rester à côté de Chance, en vain : Rachel réussit àm’aborder près du rayon cosmétiques, alors que les garçons se mettent en quête d’une caisse àlaquelleiln’yauraitpasunequeued’unkilomètre.
—Ducanot?demande-t-elle.Huntern’enajamaisfait,oujemetrompe?—Jenecroispas.Jememords les lèvres.Jen’aivraimentaucuneenvied’avoir cetteconversation.Mais si jene
peuxpasmedéfiler,autantessayerdeluifairecomprendrequeleschosesnesontpasaussiterriblesqu’ellesenontl’air.
—Ily aune île, j’explique, avecdesbâtiments abandonnés.Onavaitpenséaller l’explorer encanot.
Rachelplisselesyeux,bouchebée,àmesurequ’ellecomprend.Sondosseraidit.—On…Jel’arrêteparlebraspourl’empêcherd’allerparleràHunter.
—Écoute,Rachel,jesaisquetunetesenspastoutàfaitàl’aiseici.Maisc’estlegenredechosesqu’onfait,nous,ici,ettouts’esttoujoursbienpassé.Depuisqu’onestgosses,onsepromènedanslesboisàlanuittombée,onplongedansdeslacsdepuislacimedesarbres,onescaladedesfalaises.Etonesttoujoursentiers!C’estjusteunepetiteviréeencanot,etpuis,onseratouslesquatre,cen’estpascommesionseretrouvaittoutseulàerrerdanslanature…Tucomprends?
Samouesceptiquesetransformeengrimace.Ellen’estpasconvaincue,maiscommeellegardelesilence,jepoursuismonexplicationmaladroite.
—Ona toujours fait ça. Je saisqueçapeutparaîtrebizarre auxautres,maisChancen’estpasseulementunami.Ilestcommeunmembredenotrefamille,etnousl’aimons.Mais…
Jeprendsuneprofondeinspiration,prêteàmesacrifier.—Maissivraiment tune tesenspasde le faire, je resteraià lamaisonavec toi.Onpourrase
faireunesoiréefilles.Cetteperspectivemerendsi tristeque jepourraismemettreàpleurersurplace.J’attendscette
excursionavectantd’impatiencequelaperspectivederestersurlatouche,unefoisencore…Rachel se tourne vers les garçons, qui, presque arrivés à la caisse, se chamaillent comme des
gamins de cinq ans pour un paquet de chewing-gums. Non, Rachel ne peut sans doute pascomprendre. Tout ce que ça nous apporte, à quel point ça nous fait du bien.À quel point Chancecomptepournous.
Maisjesaisaussiqu’elleestcoincéeparmaproposition.Envoyantsaréactionquandj’aiaffirméplustôtqueChanceavaitembrasséHunter,jesuisprêteàparierqu’ellenetientpasspécialementàleslaisserseulstouslesdeux.Afortiori,suruneîleabandonnée.AprèsmaconversationavecChancelanuitdernière,jenesaisplustropquoipenser.Iln’yarienentreeux,jelesais.Toutdumoins…pasphysiquement.Nil’unnil’autrenepourraitmecacheruntrucpareil.Jamaisdelavie.Chanceaurait-ildessentimentspourmonfrère?C’estpossible.Etdanscecas,qu’enest-ildeHunter?Jemesenssiimpuissantedeneriensavoir…toutenredoutantdeposerlesquestions.
Rachelsoupire.—Peut-êtrequejemefaisdesfilms.—Surquoi?—Jenesaispas.Jesuisinjusteet…jalouse.Elledécroiselesbras.—Aprèstout,pourquoipas?CeseramadernièresoiréeavecHunter.Jeneveuxpaslagâcher.Jesouris, tandisquelesgarçons,impatientsdenousvoiràlatraîne,nousfontsigned’avancer.
Unefoisquenouslesavonsrattrapés,RachelglissesonbrassousceluideHunteretluisourit.
***
Impossible de trouver une explication valable à donner à papa pour le canot, alors nous lelaissons,biencaché,dans lecoffre.Enfant,papas’enestdonnéàcœur joieavecsesamis,à jouerdanslesruisseaux,lescollinesetsurlesplages,etjamaisilnenousinterdiraitquoiquecesoit.Maisdelààsauterauplafondàl’idéedenoussavoirentrainderamersurunocéanglacial,pourgagneruneîleabandonnéeoùnousrisquerionsdenousblesseràtoutmoment…
À l’approche deNoël,masquer l’impatience de notre petite expédition n’est pas trop difficile.Racheletmoi,nousfaisonsensemblenoscoursesdeNoëletlaissonslesgarçonsfairelesleursdeleurcôté.Rachels’estmontréeunpeuréticente,etjenesaispastropsijedevraism’enoffusquer.Je
saisbienqu’ellem’apprécie,maiselleauraitaimépartagercemomentavecHunter.Depréférence,sansChancepourtenirlachandelle.
NousarrivonsaucentrecommercialtôtunmardimatinaprèsavoirdéposéHunteràsontravail.Chancen’estpaspassécheznous,etcommeilne travaillepasce jour-là, ilapeut-êtredécidé,unefoisn’estpascoutume,denepassortir.C’estbizarrecommec’estdurpourluideresterchezlui.
Hunter et moi avons décidé d’offrir à Chance un téléphone portable. Ça nous rend dingue denepassavoiroùle joindre,alorsc’est lecadeautout trouvé.Jepenseacheterdeschemisesàpapa.Peut-êtreaussiquelqueslivres.C’estlaseulepersonnequejeconnaissedanslavraieviequilisedeswesterns,etj’aiuneréductiondefolie.
PourHunter, je choisis un coffret luxeduParrain,ses films préférés.On pourrait croire que,comme c’est un garçon, c’est assez facile de lui trouver un cadeau. Pourtant, il n’est pas branchéfringues,ni jeuxvidéoni sports– sauf si samère le force–,cequi restreint lapalettedecadeauxsusceptiblesdeluiplaire.Rachelregardemesachatsavecuneexpressionbizarre,enfaisantlamoue,et,franchement,j’enaiunpeuassezqu’ellefasselagueule.Sielleaquelquechoseàdire,qu’ellelefasse!
Ensoupirant,jetendsl’argentàlacaissière.—Ilyaunproblème?RachellèvelesyeuxducoffretdeDVD,mefixe,avantderegarderdenouveaudanslevague.—Jecroisquejet’envie.Bon.Pasfranchementlaréponseàlaquellejem’attendais.—Pourquoi?Ellehausselesépaules.—MêmesitunevoispassouventHunter,tusemblessavoirexactementcequivaluifaireplaisir.
Poursonanniversaire,j’aipassédeuxmoisàchercheruncadeau,etjenesuismêmepassûrequeçaluiaitvraimentplu.
En toute franchise, je suis incapable de me souvenir de Hunter me parlant de ses cadeauxd’anniversaire.Autrementdit,mêmes’ilsne luiontpasdéplu, ilsne luiontpasnonplus laisséunsouvenirimpérissable.Bienévidemment,jevaisgardercetteréflexionpourmoi.
—Jesuissûrequ’ill’aadoré.Cen’estpasquelqu’undecompliqué.Iln’apasenviedetonnesdetrucs.
Je prendsmamonnaie et le sac, puis nous sortons dumagasin.Même si l’humeurmorose deRachelmetapesurlesnerfs, jeregrettequesonséjouricinesepassepastrèsbien,etcommeellesemblesincèrementattachéeàHunteretvouloirfairequelquechosedegentilpourlui…
—Tiens,luidis-jeentendantlesac.Elles’immobiliseetleregardeenfronçantlessourcils.—Quoi?—Rembourse-moipourlecoffret,etoffre-leàHunt.Jeluitrouveraiautrechose.—Jenepeuxpasfaireça,Ashlin.Maisellesemordlalèvre,etjesaisqu’elleréfléchitàmaproposition.Jerestelàsansriendire,
lamaintendue,jusqu’àcequ’ellemeprennelesacdesmainsavecunsouriregêné.—Seulementsituessûre…Je suis un peu déçue. Mais elle a raison : je ne vois que rarement Hunter, pourtant je sais
exactement ce qui peut lui faire plaisir.Même siRachel fait la tête, et en dépit de la tension entreChance et elle, je sais qu’elle fait des efforts. Je sais qu’elle tient àHunter, et parfois, je doisme
souvenirquetoutecettesituationestaussiétrangepourellequ’ellel’estpourlui.Alorsjesourisenhaussantlesépaules,avantdeluidonnerunpetitcoupdecoude.
—Pasdesouci.Viens,ondoitencoretrouveruncadeaupourmonpère.
Hunter
Chancedéchirelepapiercadeauavecl’aviditéd’unlionaffamésejetantsurunzèbre.Ilacollélenœudsurlesommetdesatête,etunrubanluipendsurlefront.
J’avaispenséqu’il auraitdormichez luihierpour fêterNoëlavec sesparents.Quelleque soitleur relation, il devrait au moins passer les fêtes avec eux, non ? Il m’a dit que ça n’avait pasd’importance,qu’ilavaitpasséd’autresNoëlchezlui,etqu’ilpouvaitbienfêtercelui-ciavecnous.Cematin,quandilavulesapinaveclescadeauxaupied,sesyeuxsesontécarquillésdesurpriseetunsourireradieuxailluminésonvisage.J’enaieulecœurserré.
Aprèsavoirparticipéàl’achatducanotetclaquéunbonpaquetdefricencinés,essenceetrestos,Ashetmoin’avionsplusdequoiacheter lemodèledetéléphoneportablederniercri.Peuimporte.Chancedécouvrelaboîteetlafixe,uneexpressionconfusesurlevisage.
—C’estquoi…?—Untéléphone,Einstein.Àtonavis?luidis-je.—Ça,j’avaispigé.Chance nous regarde tour à tour, Ash etmoi. Rachel a les yeux baissés, elle fixe les boucles
d’oreilles qu’Ash lui a offertes. Aurais-je dû lui demander si elle voulait participer à l’achat dutéléphonepourChance?Celui-cibatailleaveclaboîtepourl’ouvrir.
—Mais…c’estque,voussavezbien,jenepeuxpas…—C’estuntéléphoneprépayé,expliqueAsh,délaissantpar terresamontagnedepapiercadeau
pour venir s’asseoir sur le canapé à côté demoi. Tu rachètes desminutes àmesure que tu en asbesoin.C’estbeaucoupmieuxqu’unefacture,cartunepaiespaslesminutesquetun’utilisespas.
Chancehésite,puissourit.Jesoupiredesoulagement.—Jepeuxm’enservirpourvousenvoyerdestextos?Ildéballeletéléphoneavecmilleprécautions,commes’iln’avaitjamaistenuobjetplusdélicat.—Évidemment,jeréponds.—Etpuisqu’onnevapas loin sansminutes…, intervient Isobel tandisquenotrepère tendune
enveloppe.Chance prend l’enveloppe et en ouvre le rabat. À l’intérieur se trouve un paquet de cartes
rechargesdecentminutes.Pasdonné,etcomptetenuquenotrepèreaoffertàAshunnouvelappareilphotoetàmoiunordinateurportable,jediraisqu’iléconomisedepuisunpaquetdetemps.
LesouriredeChances’élargitencore.Ilpasseunbrasautourd’Ashetl’attireàlui,plantantungros baisermouillé sur son front, et elle semet à gigoter et à glousser. Je ne saurais dire si cesmarquesd’affectionmedérangent.IlyaquelquechosedesijoyeuxetdesiinnocentdanssafaçondesecomporteravecAshquejenecroispasavoirderaisonsdememonterlatête.PuisChanceselève
etvaembrassernotrepèreetIsobel.Puisilmeregarde.Etquefaire,sinonsourirequandilsejetteàmoncou,meserrantfortcontrelui,m’embrassantsurlajoue?
Pastantsurlajouequ’unpeuplusbas,lelongdelamâchoire.Deuxcentimètresdedifférencequimultiplientpardixl’intimitédesonbaiser.Unfrissonagréablecourtdansmondos.Quandils’écartepourretourners’asseoir,jepeuxdireà
latensiondesesépaulesqueRachell’aremarqué.Jefaissemblantdenepasvoirlafaçondontellemefixe.C’estNoël.C’estcenséêtreunjourdefête,etjeneveuxpaslepasseràmedisputeravecelle.
Surtoutàproposdechosesdont,moiaussi,jecommenceàmerendrecompte.Deschosesquejenecherchepasànommer.Qu’ilya-t-ildemalà laisser leschosesen l’état?Pourquoi toutdoit-iltoujourschanger?
***
LedînerdeNoëlsecomposedesauceauxcanneberges,dejambonaumiel,depuréeetdesalade,letoutaveclescomplimentsdeRachel.C’estpeut-êtrelapremièrefoisdelajournéequ’ellesembleheureuse.Mêmelorsqu’elleadéballélecollierquejeluiaioffert–avecsapierredenaissanceetsonnomgravé–,l’absencedejoiesincèresursonvisagem’alaissépenserquej’étaiscomplètementàcôtédelaplaque.Chancem’avaitprévenuquec’étaitunemauvaiseidéed’offrirunbijouàunefille.
Maispourl’instant,ellesourit.Peut-êtreparceque,tantquenoussommesàtable, ladiscussiontourne autour du délicieux repas qu’elle a préparé, et elle a toujours aimé être au centre desconversations.Maisjedoisleluiconcéder:elleestbonnecuisinière.Moiaussi,jenemedéfendspastropmal,maiselleestvraimentau-dessusdulot.
Chancedévore lecontenudesonassiette sansunmotoupresque,etune fois le repas terminé,aprèsquenousavons ramassé lesmorceauxdepapier cadeauet lesboutsde rubanqui traînent, ilannoncequ’ilesttempspourluiderentrer.
Immédiatement,jeprendsmesclésdevoituresurlecomptoir.—Jeteraccompagne.—Jepeuxy aller à pied, répondChance.Avec le nouveaumanteauquem’aoffertMr J. et le
téléphonequevous,vousm’avezacheté,jesuisparé.—Nesoispasridicule,intervientRachelenseséchantlesmainssuruntorchon.Tuasregardé
parlafenêtre?Laneigen’arrêtepasdetomber.Chances’apprêteàprotesterencore,maisnotrepèreluilanceunregardsévère.—Tunerentreraspasàpiedcheztoi,mongarçon,déclare-t-ilenposantsatassedansl’évier.Si
jevousaiachetéunevoiture,c’estbienpourvouséviterd’êtredehorsparuntempspareil.Ledébatestclos.Notrepèreestpeut-êtrelaseulepersonneaumondequeChanceécouteunpeu.
Sansrépliquer,celui-ciesquisseunsourireforcéenremontantlafermetureÉclairdesonmanteau.—Entendu,MrJ.AshrestepouraiderpapaetIsobelàfinirderanger,tandisqueChance,Racheletmoimontonsen
voiture,lechauffageàfond.Jen’aipastrouvéletempsd’installerunnouveausystèmeaudio,alorsonécoutelaradiotoutletempsquedureletrajet.Surlabanquettearrière,Chanceestsilencieuxetregardepar lavitre.C’estdansdesmomentscommecelui-cique jedonneraischerpoursavoircequ’illuipasseparlatête.Quellessontlespenséesquitempêtentsoussoncrâne?Ilparlebeaucoup,maisj’aisanscessel’impressionquepourunmotquipasselabarrièredeseslèvres,vingtautressontretenus,verrouillés.
—Arrête-toiici,dit-iltandisquenousarrivonsenborduredulotissementdemobilehomes.J’ignoresarequête,parcequ’ilyaencoreunpetitboutdecheminjusqu’àchez luietqu’il fait
nuitnoire.Jemegare justeàcôtédechez lui,et je remarque levisagequinousobservedepuis lafenêtre.Cen’est pasMrs.Harvey,mais le père deChance. Je nedistingueque la lignedure de samâchoire, son regard inflexible braqué dans notre direction.Çame fait froid dans le dos. Puis lerideausetire,etMrHarveydisparaît.
L’instantd’après,tandisqueChancedéfaitsaceinturedesécurité,Rachelbaisselevolumedelaradioenfronçantlessourcils.
—Vousn’avezpasentenducrier?Chanceglissesontéléphonenondanssapochemaissouslaceinturedesonjean.—Mercidem’avoirinvité.Ledînerétaitsuper,Rach.Alorsqu’ilouvresaportière,çanefaitpluslemoindredoutecettefois:uncrinousparvientde
chezlui.—Àplus.Ilnousquittesansunmotdepluset,danslaneige,s’avancejusqu’àchezlui,puisilredresseles
épaulesetinspireprofondément,commepoursedonnerducourageavantd’entrer.Àl’idéedelelaisser,jesensmonventresenouer.Etsij’allaisfrapperchezlui?Luidemanderde
reveniravecnous?Devenirs’installer cheznous?Quoiqu’il sepassederrière cesmurs, j’ai lasensationirrépressiblequ’ilmefautenprotégerChanceetl’ysoustraire.
Maisj’ignorecomment.Ilsedérobesystématiquement.—Hunter?Onyva?demandeRachel.Mesdoigtsagrippentlevolant.Sansunmot,parcequejenesuispassûrd’êtrecapabledeparler,
jefaisdemi-tourpourrentrer.
Ashlin
C’est à peine siHunter articule un « bonne nuit » quand il rentre. En fait, il est déjàmonté àl’étage.Jem’enrendscompteseulementquandRachelentredanslacuisineetmeproposesonaidepourterminerderanger.Jepenchelatêteendirectiondubruit,àl’étage;uneportequ’onreferme.
—C’estquoi,leproblème?Rachelhausselesépaules.—Jenesaispas.UntrucavecChance.Fronçantlessourcils,jereposelemoded’emploidemonnouvelappareilphoto.—Chanceaditquelquechose?—Non.Quandonl’adéposé,onaentendusesparentsquihurlaient.Huntern’apasdécrochéun
motdetoutletrajetderetour.Bon,jevoisletopo.Avecunsourireironique,jemeplongedansl’étudedemonappareilphoto.—T’asdelachancequ’iln’aitpasbondidelavoiturepourseprécipiter.Enfait,jesuismême
surprisequ’iln’enaitrienfait.Appuyéecontrelaporte,Rachelcroiselesbrassursapoitrine.—Pourquoi?C’estquoi,ça,commequestion?—ParcequeHunterestcommeça.Ilestprotecteuret…Jehausselesépaules.—Siç’avaitétémoi,j’ajoute,Hunterseseraitprécipitéàl’intérieuretm’auraitsortiedelàmanu
militari.—C’estcequ’ilauraitfaitavecChance,sijen’avaispasétélà?Je n’aime vraiment pas la tournure que prend cette conversation. Ces questions sur Hunter et
Chance…Jeposel’appareilphotoetjelèvelesyeux.—Sit’asquelquechoseàdire,vas-y.Jevoissesmâchoiressecontracter.—Trèsbien.JecroisqueChanceaunfaiblepourHunter.—Bon.—Etjenesuispassûrequeçanesoitpasréciproque.Unrirenerveuxmonteenmoi,quejem’efforcederéprimer.Jeneveuxpasavoircegenrede
conversationavecelle.Jeneveuxpasypenser.SiChanceadessentimentspourHunter,alorsiln’enapaspourmoi,et…
—Huntern’estpashomo.
—Avoirdel’affectionpourquelqu’undumêmesexenefaitpasdetoiunhomo,Ashlin.—Exact, j’approuve en croisant lesdoigtsderrière lanuque.Écoute…Hunter ade l’affection
pourtoi.Ilt’ademandédevenirpourNoël,pourvoirsamaison,rencontrersafamille,mêmesiçal’angoissaitunpeu.Çaenditlong.Situn’aspasconfianceenlui…
Elles’écartedelaporteensecouantlatête.—Cen’estpasàHunterquejenefaispasconfiance,réplique-t-elled’unevoixétranglée.Sur ce coup-là, je ne vois pas comment je peux défendre Chance. S’il a des sentiments pour
Hunter,jeneluifaispasconfiancenonplus:ilessaieradegagnerlecœurdemonfrère.L’avoirvusitristelanuitoùnousavonspartagélemêmelitrenforcecetteconviction.Chancenelaissejamaisrienluiminerlemoraltroplongtemps.Cen’estqu’unequestiondetempspourqu’ilsedécideàagir.
—Touslesdeux,vouscouchezensemble?jedemande.Rachelaunmouvementdesurprise.—Quoi?—Vousêtesensembledepuisdesmois.Alorsj’aicru…Maisaprèstout,qu’est-cequej’ensais?Jen’aipaseul’occasiondeposerlaquestionàHunter.—Non,répondRachel.Ça,jenem’yattendaispas.—Ahbon?dis-jeenhaussantunsourcil.Ellesemblegênée,etunpeusurladéfensivequandellereprendlaparole.—Jenel’aipasvraiment…entreprissurlesujet.Pasencore.Cequi,curieusement,meréjouit.JedoutequeHuntersachecequ’ilveutdansquelquedomaine
desavie,etjenepeuxqu’approuverqu’iln’aitrienfaitdestupidecommecoucheravecunefilles’iln’estpassûràcentpourcent.
Autrement dit, j’ai zéro conseil à donner àRachel. Je ne peux pas vraiment l’encourager à semontrerplusentreprenante,cequirisqueraitsoitd’accentuerencorelapressionsurHunter,soitqu’illarepousse.
Làencore,jenepeuxpasfairegrand-chosed’autrequ’essayerdelarassurer:—Huntertientàtoi.C’estlavérité.Sinon,ilneluiauraitjamaisdemandédevenir.Elleacquiesce,mesouhaitebonnenuit,puissortdelacuisine.Jel’entendsmonterl’escalier,etje
songealorsque j’auraispeut-êtredûdireautrechosepour la réconforter.Quelquechosecomme :Huntern’estpasattiréparChance.Jamaisdelavie.Ilssontjusteamis.MaislalimiteestténueentresoutenirRacheletnepasluimentir,surtoutquandjen’aiaucunecertitudesurrien.
Engrandissant,ChanceetHunteronttoujoursétéplusprochesl’undel’autrequemoidechacund’eux.Certes,j’aitoujoursfaitpartiedutrio,jenemesuisjamaissentieexclue,maisjenesuispasaveugle. J’ai toujours eu conscience que quelque chose les poussait l’un vers l’autre,irrépressiblement,alorsquemoi,j’étaissimplementlàpourleurdonnerlaréplique.J’avaistoujourscruquec’étaituntrucdemecs.
Pourtant, tout ce temps, j’étais celle qui les accompagnait en pensant que, peut-être, un jour,Chancemeregardaitcommeunefilleàpartentière.Jolie, intéressante,avecqui,peut-être, ilauraitenvie qu’il se passe quelque chose.Hunter et lui partageaient quelque chose de spécial.Moi aussi,c’estcequejevoulais.Quelquechoseàpartager,rienquenousdeux.
Detempsàautre,ilm’arrivedemedirequec’estpeut-êtrelecas.C’étaitaveclui,monpremierbaiser, et je revois aussi son regard le jour où ilm’a repêchée du ruisseau. Je nem’étais jamais
demandésilelienspécialquiexistaitentreChanceetHunterétaitcequejesouhaitaispourChanceetmoi.
Jerallumel’appareiletfaisdéfilerlesphotosprisescematin.Iln’yenaqu’uneseuledeHuntetde Chance ensemble, ils sourient, et Chance a ce nœud débile collé sur le front. Ils ont l’air siheureux.Naturels.Commes’il s’agissaitde l’ordrenormalde l’univers,etqueriend’autren’avaitd’importance.
Maisoùestnotreplace,àRacheletàmoi,dansceplancosmique?
Hunter
Aumomentoùnoussommesrentrés,lavoitured’Isobelnesetrouvaitplusdansl’allée.Maislalumièredelacuisineétaittoujoursallumée.Jen’étaispastropd’humeuràresterpapoteravecAshoumonpère,alors,aprèsavoir retirémonmanteau, jesuismontésansbruit.Rachelnem’apassuivitoutdesuite,ettoutcequej’espère,c’estqu’onpourraallersecouchersansenpasserparcescâlinsunpeugauchesqu’ellemefaitpourmesignifierqu’ellesouhaiteallerplusloin.
J’ai eu quelquesminutes de tranquillité avant qu’elle arrive en frappant d’un coup léger àmaporte–letempsdemechangeretdemeconvaincredenepasretournerchezChancepourleramenercheznous.JeprendsvraimentsurmoipournepasdireàRacheldemeficherlapaix.Soispassalaud,Hunter.C’estNoël,etjesuisentraind’envoyerboulermacopine,parceque…
Jemepasselesmainssurlevisageetm’assoissurlelit.—Entre.Rachelouvrelaporteetseglisseàl’intérieur.—Désolée.Jedisaisbonnenuitàtasœur.Elles’assoitsurlelitàcôtédemoi.—Çava?—Ouais.Jem’allongesurlelit,lesyeuxversleplafondétoilé.—Çava.Juste…—Je suis sûre que tout va bien pourChance. Ses parents semblaient se disputer,mais rien de
grave.Elles’allongeàcôtédemoi,enappuisuruncoude.Desesdoigts,ellerepousselesmèchesqui
metombentsurlesyeux,avantdesuivrelecontourdemonvisage.Jeserrelesmâchoires.Ellenesaitriendel’histoiredeChanceetdesafamille;commentpeut-ellefairepareillesupposition?
Toutjuste, jemedisalors.Ellenesaitrienparcequejeneluiairiendit.Jenepeuxpasluienvouloirpourdeschosesqu’elleignore.
—Noëlnedevraitpasseterminersurunenotetriste.LamaindeRachel s’aventure plus bas, dansmon cou, s’attarde surma clavicule puis descend
versmontorse.—Jemedisaisque…commec’estNoël,onpourraitpeut-être…Jelaregarde.Avecsesallusions,etlefaitqu’elles’allongesurmonlitsansaucuneinvitationdemapart,jem’y
attendais. Mais que répondre ? J’ai tourné et retourné la question dans ma tête, en cherchant desfaçonsderépondre«non»sanslablesser.Envain.
—Onpourraitpeut-être…?Faisl’imbécile.Génial,Hunter.Quelcourage.Elleplisselesyeux,soupçonnantquejechercheàbotterentouche.Ellesepencheversmoi.Ses
cheveuxnoirsretombentencascadesursonépaule…commeelleestjolie.—Tusaisdequoijeparle.Jesaisqu’audépartc’étaitmonidée,d’attendre,maisjepense…que
peut-êtrec’estlebonmoment.Jecroiselesmainsderrièrematête.—Qu’est-cequiachangé?Ellefermelesyeux,puislesrouvrelentement.—Quoi?—Qu’est-cequiachangédepuisladernièrefoisquetum’asditquetun’étaispasprête?Unedernièrefoisquidoitbienremonterà…septmoisenviron.J’aiessayéuneseuleetunique
fois,etsaréactionasuffipourquejefassemachinearrière.Jenevoulaispasêtrelegenredetypeàenfaireundrame.Enoutre,unepartdemoienavaitpresqueétésoulagée.
Ellesoupireetseredresse,passesamaindanssescheveuxlongs.—C’étaitilyasuperlongtemps.Onnesortaitensemblequedepuisquelquesmois.Çafaitunan,
maintenant,et…jetel’aidéjàdit,Hunter.Jet’aime.Jeveuxquecequ’ilyaentrenousdurevraimentlongtemps.
—Etpourça,ondoitcoucherensemble?dis-jeenesquissantunsourire.Mauvaiseidée,àenjugerparlafaçondontellefroncelessourcils.—Siçat’amuse,jepeuxpartir.—Non,non.C’est…Jemerassoisetluiprendslesmains.J’essaied’imaginercequ’Ashlinmeconseilleraitdedire,
carjemesenslargué.—Mapuce,jesuisvraimenttouché.Maissitun’espassûreàcentpourcent…Ellepressemesmains.—Jelesuis,Hunter!Jelesuisdepuisunmoment.Êtreloindetoitoutcetempsm’apermisd’en
prendreconscience.Puis la pressionde sesmains se relâche. J’ignore cequ’ellevoit dansmonexpression–peur,
nervosité,oul’incertitudequejechercheàmaîtriser–,maisquoiqu’ilensoit,j’ailesentimentquecetteconversationvamalfinir.
Ellelâchemesmains.—Pastoi,c’estça?Jemesenstotalementpaumé.J’ouvrelabouche,aucunmotn’ensort,parcequ’iln’yarienqueje
puissedire.Cettefois,iln’estpasquestiondechercheràlarassurer.Alors,jelaregardecommeunidiot,sanslamoindreexcuseàluifournir.
Ellesecouelatêteetselève.—Ilyaquelqu’und’autre?—Iln’yapersonned’autre.Tum’asvuparleràd’autresfilles,Rach?Elleplisselesyeuxsansrépondre.Jeluidoisuneexplication.Mêmesic’estdifficile,jedoistrouverlameilleurefaçond’expliquer
àmacopinecequisepasse.Sic’étaitarrivéilyaquatreoucinqmois,j’enauraisétécapable–jel’auraisfait.Alors,quelestleproblèmeaujourd’hui?
Tusaistrèsbienquelestleproblème:Chance,Chance,Chance.
—D’accord.Tusaisquoi?Tuasraison,jedisenlevantlesmainsensignedereddition.Jenesuis pas prêt.Les choses sont tendues depuis que tu es arrivée, alors j’ai l’impressionque c’est tafaçonde…
—Dequoi?—D’essayer…d’arrangerleschoses,j’imagine.Soupir.Décidément,parlern’estpasmonfort.Rachelestunpeususceptible.C’estaussicequi
rendAshetChancesispéciauxàmesyeux:jepeuxtoutleurdire,etilsréussissentàmecomprendremêmequandjeformuleleschosesavecleQ.I.d’unpoissonrouge.
Elledécroiselesbras.Est-ceunbonsigne?Puisposelesmainssurseshanches.Mauvaissigne.—Jetel’aidit,j’ypensaisavantmêmedevenirici.Etlaseuleraisonpourlaquelleleschosesont
été tendues, c’est qu’il a fallu que je bataille pour réussir à passer quelques heures seule avec toi.Chaquefoisqu’onvaquelquepart,c’estavecChanceetAshlin.
—Etenquoiest-cedifférentdesortiravectesamisoutafamille?jerépliqueenhaussantleton.Lestroismoisquiontprécédémondépart,jepeuxcomptersurlesdoigtsd’uneseulemainlesfoisoùtoietmoi,ons’estretrouvéentête-à-tête.
—Tum’asditquetuaimaismesamisetmafamille!—Ettoi,tun’aimespasAshetChance?Ellelèvelesyeuxauplafond.—Tusaisparfaitementquej’appréciebeaucoupAshlin…Nousyvoilà.—Maistun’aimespasChance.—Cen’estpasquejenel’aimepas,c’estjuste…Elleagitelesmains,signequ’elleesttroublée,carellecherchesesmots.—Ilesttellement…ondiraitungamin,Hunter!Legenredemecquiveutcontinuerd’avoirseize
anstoutesavie.Ilsecontenterad’habiteravecsesparents,detravailleràlalibrairiepourunsalaireminableetdes’attirerdesennuisensortantleweek-end.
Pluselleparle,moinsj’aienviedelaregarder.Alors,jegardelesyeuxfixéssurmesmains,surmesgenoux,etjesenslatensionmonterenmoietprendredouloureusementpossessiondemoncouetdemesépaules.
—NeparlepasdeChancecommesituleconnaissais.—Ilest imprévisibleet,pourêtre franche,parfois ilm’inquièteunpeu.C’est legenredemec
dontonentendparleraux infosetqui,un jour, faituncartonparmi lesélèvesdeson lycée. Jemetrompe?
Je grimace. Elle n’a pas tort. Chance est impulsif et infantile, et après avoir découvert que safamillen’arienàvoiraveccequ’ilnousaditd’elle,difficiledesavoirquandilditlavérité.Pourtant,rien de tout cela ne compte vraiment.Chance, c’estChance, il compte pourmoi, et je ne vais paslaisserRachelaffirmerqu’ellesaitcommentilfonctionne,alorsque,mêmepourmoi,ilresteunvraimystère.
—Ouais.Complètement.Parcequet’imaginesmêmepasceparquoiilpassechezlui,niquesonpère le tabassesûrement,niquenotrepère luiaoffertunmanteauàNoëlparcequesesparentssefichentroyalementqu’ilsegèle.Ett’imaginesmêmepasàquelpointjemesenscoupable,parcequetoutescesannéesChanceadûaffronterçatoutseul,carj’étaistropconpourvoirlessignes.Alors,oui, il se comporte comme un ado attardé,mais il a des excuses. Et peut-être que toi, tu pourraisarrêterdetecomporterenvieillecoincée.
Ellesepinceleslèvres.
—Ilmesemblaitquec’étaitcequej’étaisentraindefaire.—Etjetedisquecen’estpaslebonmomentpourmoi,Rachel,d’accord?Voilà.Parcequeçaserésumeàça,non?Jen’aipasenvie,et…—Quand tuas refusé, jen’aipas insisté. J’aiditqu’iln’yavaitpasdeproblèmeet jen’aipas
insisté.Pourquoitoi, tuauraisledroitdemefaireculpabiliserde tedirenon?C’est toujoursdeuxpoids,deuxmesures.Unefilleauraitledroitdenefairel’amourquequandelleestprête,etunmecdevraitfairel’amourquandlafilleenaenvie.
Elleouvrelabouche,maisjevoisquemonargumentaporté.—Hunter,je…—Net’excusepas,dis-jeenhaussantlesépaules,meforçantàlaregarderalorsquejen’enaipas
envie. Je suis désolé si jeme suismontré…distant ou quoi que ce soit.On passera la journée dedemaintouslesdeux,situveux.Oniradéjeunerouauciné.
—Unrencard,toietmoi?Ellelèvelesyeuxversmoienesquissantunpâlesourire.La douleur dansmon dos s’estompe àmesure que la tension retombe.Que se passe-t-il, entre
nous?Leschosesn’allaientpassimal,avant.Quandnousavonscommencéàsortirensemble,c’étaitchouette.Onsemarrait.Onneparlaitderiend’important.Cetteamitié-làmemanque.Etsurtout,lalégèretémemanque, quand tout était fluide et ne demandait pas tant d’efforts. J’aimais quand nosconversationsnetournaientpasautourdenotreavenircommun.
Serait-cemafaute?Jenefaispasassezd’efforts?Ai-jeététropaccaparéparChanceetAshlinetpasassezdisponiblepournousdeux?Pourquoiessayervraiment? Jem’envoudraisdenepas lefaire.Ellerepartbientôt,etdansletempsqu’ilnousreste…jedois–non,j’aibesoindeluiconsacrerplusd’attention.
Jeprendssesmains,effleurantsespoignetsdemespouces.—Toutàfait.Unrencard.
Ashlin
Chancefaitbonusagedesonnouveautéléphone.Ilm’envoiedestextostouslesjours,supertôt,cequiauraitpum’agacerparcequejenesuispasdesplusmatinales,maisilm’aévitéplusd’unefoisd’êtreenretardauboulot.
J’aienviedeluiposerdesquestionssurHunteretlui.AprèsavoirdiscutéavecRacheletretournéçadans tous lessensdansmatête, jen’arrêtepasdepenserqu’ilyapeut-êtrequelquechoseentremonfrèreetlui.Sijeluienparlais,Hunterseraitimmédiatementsurladéfensive.NonqueChancesoitunmodèled’ouvertureetdefranchise,maisj’ail’impressionque…luienparlerl’aideraitàsesentirmieux.Moiaussipar lamêmeoccasion.Àmoinsque jechercheàmeprotéger,que jefassetout pour ne pas avoir le cœur brisé par le garçon avec qui j’ai envie d’être, mais qui, à aucunmoment,n’aressentilamêmechosepourmoi.
AulieudeluiposerdesquestionssurHunter,jetentedeparlerdelanuitdeNoëletdeladisputeentresesparentsqueRachetHuntontentendue,maisilesquivelesujetetm’éviteensuiteautravaillerestedelajournée.Commentparleràquelqu’unquivousfuit?
Lasemainesepoursuitsans tropdepsychodrames.J’essaied’occuperChancepourqueRachelpuissepasserdutempsavecHunter.CequipourraitsemblerlameilleureoptionsiHunterlui-mêmeneparaissaitpasaussicontrariéparlefaitdenousvoirpasser,Chanceetmoi,autantdetempstouslesdeux.Ilnefaitaucuneremarqueetsortplusieursfoisentête-à-têteavecRachel,maisjevoisdanssesyeuxqu’iln’estpascontent,etelleaussidoitlevoir.
Ilyaunetensionnouvelleentreeux.Etquin’arienàvoiraveclanervositéqu’elleressentaitàsonarrivée.Maintenant, jelasensvraimentmalheureuse; iladûsepasserquelquechose.Lorsquej’essaied’enparleràHunter,ilnerépondrien.Ilyatantdenon-ditsentrenoustousqueçamerenddingue.
Quant au réveillon du 31 décembre, j’hésite. Nous allons nous retrouver coincés sur un frêlecanotpneumatique,àessayerd’atteindreHollowIsland,etunefoislà-basnousn’auronsriend’autreàfairequetuerletempsennousregardantenchiensdefaïence.
Enfin,j’aideshésitations,maispasaupointderenoncer.Ilfait trèsfroid.Nousnouscouvronsbienetpromettonsàpapad’êtreprudents–nousallonsà
unefêteenvillechezdesamis.Unmensongedontjedoutequ’illegobe,maisnoussommesmajeurs.Ilnepeutpasfaireautrementquenouslaisserpartir.Isobelestlàcesoir.Ellepassesonbrassouslesienetnousfaitaurevoirdelamainquandnousnousenallons.Jenem’enfaispaspourpapa.
Hunt conduit jusqu’à la plage. De là, la distance jusqu’à l’île est plus grande que depuis lesfalaises,maislamerestpluscalme,sanscompterqu’ilseraitimpossiblededescendrelecanotparlesfalaises(etRachelnepourraitpassuivre).Levents’engouffredansmaparka.Laneigetombesurla
plagerocheusependantquenousnousescrimonsàsortirlecanotdesoncartonpourlegonfler.Iln’apasl’airaussisolidequedanslemagasin,maisbon,onacepourquoionpaie.
Chancesortde lavoitureuneglacièrequenousavons rempliedeboissonsetdenourriture,etdanslaquellesetrouveaussimonappareilphotoetdeslampestorches,dansunsacenplastiquequilesprotégeradel’eau.Rachelestemmitoufléedanssonmanteaubleulayette,lesmainsprotégéespardesmoufles,ets’inquièted’avoirleslèvresgercées.
—Vousêtessûrsquecetrucestsûr?—Onledécouvriravite,répondChance.Avecungrognement,ilcommenceàtirerlecanotpourlemettreàl’eau.Hunterl’aide.—Ilestassezgrand?—Le carton dit qu’il peut accueillir jusqu’à quatre personnes. Ça ira.Mais si tu ne veux pas
venir…Rachelluilanceunregarddur,et,dégageantlescheveuxdesonvisage,leuremboîtelepas.Ces
derniersjourspassésentête-à-têteavecHunterontboostésaconfianceenelle:detoutelajournée,ellen’apashésitéàremettreChanceàsaplaceetelleestrestéeauprèsdeHunterdèsqu’elleenavaitl’occasion.
Pourmettrelecanotàflotetmonterdedans,nousdevonsreleverlebasdenospantalons,retirernoschaussuresetpataugerdansl’eauglaciale.Aprèsplusieursminutesd’essaisinfructueuxponctuésde cris, d’éclaboussures et de gestes désordonnés, nous réussissons à monter dans la frêleembarcation. Les vaguesmenacent de nous repousser contre les rochers,mais à grand renfort demanœuvresetd’ordreshurlés,HunteretChanceparviennentànousorienterdanslabonnedirection.
Plusnousnouséloignonsdelarive,plusilestfacilederamer.Cependantilfaitunfroidglacial.Insupportable. Le ventme pique le visage et lesmainsmême à traversmes gants. Je continue deserrer la glacière contre moi pour l’empêcher de passer par-dessus bord si une vague venait àsouleverlecanot.
Jen’aipaslamoindreidéedutempsquenousmettons,maisaumomentoùnousaccostonssurlariveescarpéedeHollowIsland,nousclaquonsdesdents,etlesdeuxgarçonssontépuisés.Noustironslecanothorsdel’eaupourlemettreàl’abri,aveclesrames,derrièrelesvestigesd’unmurenbrique,làoùilnerisquerapasd’êtreemportéparlamarée.Puisnousrestonsquelquesinstants,haletants,àregarderl’îlenoirequis’étenddevantnous.Frissonnants,maistriomphants.
— Alors, ça ressemble à ce que t’avais vu quand t’étais venu à la nage ? demande Hunter àChanceavecunpetitsourire.
—Quoi?rétorqueChanceenlevantlesyeuxauciel,avantdedonneruncoupdecoudeàHunter.Tais-toietavance.Allumeleslampestorches!
Jetienslaglacièrependantquelesautressortentlestroislampesquenousavonspudégotter.Carmoins d’une heure avant le départ, personne n’avait pensé que nous pourrions en avoir besoin.Bonjourl’organisation.
L’îlesentleseletlapoussière.Toutautourdenoussetrouventdesbâtimentsàdemidémolisparlesassautsd’unventviolentetdesvaguesquimordentlacôte.Ilssonttouscondamnés,cequisignifieque, légalement, l’accèsà l’îleest interdit. Jedouteque lesamendesaientunpouvoirdissuasif surceuxqui sontdéterminés à se rendre sur l’île, or jen’aipasvud’autresbateaux sur la côte.Nouspouvonsdoncraisonnablementsupposerquenoussommesseuls.
Chancesedirigeversunvieuxbâtimentqui,misàpartunmurmanquant,estenrelativementbonétat.Jeposelaglacièreet luiemboîtelepas.Ilmanquelesmarchesenboisquidonnaientaccèsau
perron.Huntermehisse,etleperroncraquedeprotestationsousmonpoids,puismonfrèresetourneversRachelpourlasouleveràsontour.
Ellecroiselesbrasensecouantlatête.—Jevousattendsici.Hunter fronce les sourcils. Il s’apprête à répliquer, mais se ravise et se contente d’acquiescer
avantdesautersurleperronetdepasserlaportequinetientplusqueparunecharnière.—Onauraitpeut-êtredûfaireçaleweek-endprochain,jemurmureàHunter.Chances’avanceavecprécautionsurleplancher,pours’assurerqueleboisvermoulunecèdepas
soussonpoids.Légèrementinquiet,Huntersuitdesyeuxlemoindredesesmouvements.—Non.Jeluiaiproposéderesteràlamaisonavecellesiellenevoulaitpasvenir.Maisellea
insistépourqu’onlefasse.Siellepréfèrebouder,grandbienluifasse.Horsdequestionqu’ellenousgâchelasoirée.
Normal.Hunteretmoi luiavons tous lesdeux laissé lapossibilitéde fairemachinearrière,cequ’elle a refusé. Je secoue la tête, tandis queChance nous fait signe de venir voir les vestiges demachinesdanslapièce.
Nousexploronsl’endroitdefondencomble.Soit.Peut-êtrepaslescombles,parcequel’escaliermenantàl’étageestimpraticableetqueHunterrefusedelaisserChances’yaventurer.Rienneparaîtsolideici.Nisûr.C’estenpartiecequirendl’aventuresiexcitante.
Et, franchement, c’est génial. Je sorsmon appareil et photographie tous azimuts. Chance posedansuncoinde lapièce,dosà l’objectif, têtebaissée,à lamanièred’unecréature toutdroit sortied’unfilmd’horreur.Jephotographielesplafondseffondrés,lesmursmanquants,lesendroitsoùlanatureaempiétésurlesréalisationshumainespourreprendrepossessiondeslieux.Del’herbepousseà travers le plancher. Des toiles d’araignée sur les avant-toits s’accrochent àmes cheveux etmesépaules,commedesdoigtseffrayants.
À mesure de notre exploration d’un bâtiment à l’autre, nous nous enhardissons, défions lesfragilitésdesconstructions,nousaventurantparfoisjusqu’aupremierétagepouradmirerlavuedesfenêtres, avançons parmi les débris de verre et les traces occasionnelles témoignant que des êtreshumainsontbeletbienvécuettravailléici.Unboutdetissuquiauraitpuêtreunechaussette.Sousunepierre,desfeuillesdepapierdepuislongtempsjaunies,surlesquellesl’encres’esteffacée.
Pendant tout ce temps,Rachel restedehors ànous regarder, assise sur laglacière.Quandnousnousenfonçonsdansl’île,elleselèveetl’emportepournoussuivre,puislaposeetserassoit.Jenesais pas si je dois me sentir mal pour elle. Agacée qu’elle se montre aussi chiante. Ou un peucoupablequetoutcepériples’avèresiennuyeuxpourelle.
JeprêtemonappareilàChancepourqu’ilprenneunephotodeHuntetmoidevantunbâtimentpenché.Chance annonce alors qu’il seraminuit dansunedemi-heure.Prèsdu centrede l’île, noustrouvons le bâtiment le plus intact : grand, en brique rouge, tel que Chance nous l’a décrit. Il nepouvaitconnaîtresonexistenceàmoinsdes’êtredéjàrendusurl’île.Surleseuil,jem’arrêteetmetourneversHunter,qui,aprèsuncoupd’œilaubâtiment,merenvoieuneexpressiondesurprisequireflètebiencequejeressens.
Les constructions alentour ont probablement protégé ce bâtiment, qui a mieux résisté,suffisamment dumoins pour nous permettre demonter – avec précaution au cas où desmarchesseraient endommagées. Cette fois, Hunter réussit à convaincre Rachel de nous accompagner. Ellegrimpe, accrochée au bras deHunter, et j’ai peur qu’ils passent tous deux à travers le plancher etqu’ellel’entraînedanssachuteparcequ’elleaurarefusédelelâcher.
Surletoit,nousavonsunevueimprenabledel’île.Certes,ilfaitnuitetnousnedistinguons,icietlà,quelevaguecontourdesarbresetdesbâtiments,recouvertsdeneige,ainsiquelescintillementdel’océan.Peut-êtrepourrons-nousvoir au loin l’undes feuxd’artifice tirés sur le continentpour leNouvelAn.
Noussommesàdeskilomètresdenosvies,etc’estd’unebeautéàcouperlesouffle.
Hunter
Lesmotspeinentàdécrirecequenousvoyons.L’îleestdésolée,coupéedetout,étrange,cequiluiconfèreuncharmeéthéré.D’unebeautéenvoûtantedanssadésolation.
ChanceetAshsontdemonavis,maismanifestementpasRachel.Ellemedécochebienquelquessouriresforcésquandellecroisemonregard.Lerestedutemps,quandellepensequejenelaregardepas,cenesontquesoupirslasetmouesblasées.Maisqu’est-cequej’ypeux?DepuisnotredisputeàNoël, j’ai vraiment essayé de passer du temps avec elle. Nous sommes allés au cinéma, faire lesboutiques,nouspromener…
Cesjoursontétélesplusennuyeuxdepuismonarrivéechezmonpère.Hier soir encore, je lui ai proposé, à contrecœur, de rester à la maison avec moi pour le
réveillon,maiselleaaffirméqu’ellevoulaitvenir.«ParticiperauxaventurespérilleusesdesJacksonet de leur leader intrépide,Chance. »Ce sont sesmots exacts.Mais le tonde sa voixquand elle aprononcéleprénomdeChanceasuffiàmefairecomprendrequetoutnevapasaussibienquenousleprétendonstouslesdeux.
Maintenantquenoussommesici,jevoisbienqueçaneluiplaîtpas.Elleregardetoutavecunemouedédaigneuse,commesicetendroitn’étaitpasdigned’elle,commesitoucherquoiquecesoitouprendreunrisqueunefoisdanssaviepourraitluiêtrefatal.Sijeréussisàlaconvaincredenousaccompagnerdanslegrandbâtimentenbriquerouge(Chancedisaitdonclavéritéquandilsevantaitd’être déjà venu, j’en suis scotché), c’est grâce à l’argument : « On mangera sur le toit s’il estsuffisamment solide. »Autrement dit, soit elle nous accompagne, soit elle fête leNouvelAn touteseule.
Rachel recule, regarde le bâtiment en faisant la tête, mais me laisse, réticente, l’entraîner àl’intérieur.Commentellesedébrouillepournepastrouverçagénial?Lavued’enfer,leseffluvesdel’océanetlesembruns.C’estlafaçonidéaledepasserleNouvelAn,etellesembledéterminéeànepasenapprécieruneseuleseconde.
—C’estnotrechâteau,expliqueChance,deboutprèsdelacorniche,tropprèsdelasailliepoursapropresécurité.Ceciestnotreroyaume.C’estpasgénial?
—Si,génial!répondons-nous,Ashetmoi,enchœur.Rachelregardeseschaussures.—Jecroyaisqu’onallaitmangeruntruc.Ilestpresqueminuit.Jejetteuncoupd’œilàmonportable.Toutjuste,ilestmoinsdix.—Oùestlaglacière?—JecroyaisqueRachell’avaitprise,répondAsh.—Jel’ailaisséeenbas.Elleétaittroplourdepourquejelaporte.
JetiresurlamanchedeChancepourlesortirdelatransedanslaquellelacontemplationdel’îlel’aplongé.
—Viens,tamajesté.Tesloyauxsujetsontfaim.Chance fait volte-face et agrippemonbras, en souriant comme si je venais de lui annoncer la
meilleurenouvelledelasoirée.Nouslaissonslesfillesetredescendonsl’escalier.Enapercevantlaglacièredevantlaporte,jesoupire,soulagé.—Elleesttoujourslà.—Oùtuvoulaisqu’ellesoit?Tusais,lesespritsdel’îlesontenvacancespendantlesfêtes.Il prend une poignée et moi l’autre. La glacière n’est pas vraiment lourde – mais assez
encombrante.Iln’yapasdeglaceàl’intérieur.Àquoibon?Ilfaitsuffisammentfroiddehors.C’étaitpluspourgarderleschosesausecqu’aufrais.
—Minuitmoins cinq, j’annonce alors que nous arrivons au premier étage. On ferait bien des’activer,sinononn’apasfinid’enentendreparler.
—Oh!Chancetrébucheetlâchelapoignéedelaglacière.—Mes jambes !Mes pauvres jambes ! Je doute de pouvoir faire un pas de plus.Ramer aussi
longtempsm’a…achevé!Ilselaisseglisserparterre,unemainsurlefront.—Allez!Arrêtetesconneries.Ilnenousrestequequelquesminutes.Ilredevientsérieux.—Avantquoi?—Avantminuit,Einstein.—Etàminuit,quelleestlacoutume?Jemetrompe,ouonestcenséembrasserlapersonneavec
quionaenvied’êtredansl’année?Ilmefixe,etcommejesuisincapabled’articulerlemoindreson,jemecontentedeleregarderà
montour.Ils’éclaircitlagorge.—Danscecas…jesuisexactementlàoùj’aienvied’être.Jenerisplus.Enréalité,moninstinctmehurledemeprécipiterenhautpourrejoindreRachel,et
tantpispourlaglacière!C’estavecRachelquejesuiscenséfêterlepassageàlanouvelleannée.Alors pourquoi suis-je encore ici, à regarder Chance bêtement comme si je n’avais pas la
moindreidéedecequ’ilmeracontait?Commesil’uncommel’autrenousnetournionspasautourdecetrucsansenparlerdepuisquenousnoussommesretrouvés?
Non,depuispluslongtemps,enfait.Celadatemêmedenotreadolescence.Dumomentoùilm’aembrassé.Quandildormaitdansmonlitetquejemeréveillais,samainsurmontorse,sa têtesurmonépaule.ÀNoël,quandilm’aeffleurélajouedeseslèvresdecettefaçonunpeuintime,commes’ils’agissaitd’unsecretentrenous.
J’ailagorgesèche.Cettegrandepiècevideetdélabréeparaîttroppetitepournousdeuxettoutcequin’aéténiditnifait.
—Ondevraityaller…Chancese lèveet,aulieudeprendrelaglacière,montedessus.Mesyeuxarriventauniveaude
sontorse.Ilpassesesbrasautourdemesépaules.Jedevraism’enfuir.Maisjenepeuxpas.Jenepeuxpas.Jenepeuxpas.
—Quelleheureest-il?demandeChance.Avec un effort surhumain, je sors mon portable pour que nous regardions tous deux l’écran.
23h59.Chanceacquiesce.
—Acceptable,dit-il,enlevantmonvisageverslui.Puisilm’embrasse.Je m’y attendais. Je savais que cela arriverait. Pourtant, je me retrouve réduit au silence, à
l’immobilité, toutefacultédepenserévanouie.Saboucheestdouceetses lèvressaléespar labrisemarine.Elles ont beau être froides, sa langue est chaude, et desmillions de souvenirs de nos étésd’enfantsmesubmergentd’uncoup.
Chance,lebrascassé,s’efforçantd’avancerdansleruisseausansmouillersonplâtre,jusqu’àcequejelehissesurmesépaules.
Noustroisentraindenousdéguiseretdenousmaquillerpourjouerdessketchsdevantmonpère.Allongés à la belle étoile pendant que Chance nous raconte des histoires que nous avons
entenduesdescentainesdefoisetdontnousraffolons.Chance,quinousparledesesrichesparents,nousditàquelpointilsl’aiment,quinousraconte
sesprojetsd’allerétudierdansuneuniversitéchicenGrèce–ouàLondres,àRomeouauJapon–aprèslelycée.
Chance,qui,désignantlaconstellationduDragon,affirme:«Lesdragonsnekidnappentpasdeprincesses. Ils n’incendient pas non plus les villages. Ce sont des créatures nobles. Honorables.Vénéréesdansdenombreuxpays.Lesdragonsprotègent.»
Je pense à la constellation tatouée dans son dos, tandis que ma main l’effleure à travers sachemise, et jeme demande si c’est ce qu’il avait en tête quand il se l’est fait tatouer.Les dragonsprotègent.Uneprotectionsecrète,cachée,aumomentoùilenavaitleplusbesoin,quandiln’yavaitriennipersonnepourl’assurer.
Puis j’entends du bruit en haut. Un rire. Des cris de joie, et des « Bonne année ! », et je merappellealorsquelemondenetournepasautourdeChanceetmoi.Enhaut,ilyaunefillequejesuiscensé embrasser àminuit.Elle, pas cegarçon, qui garde ses secrets bien cachés, quiment sur deschosesanodinespour lesimpleplaisirde lefaire,etquimebrise lecœurchaquefoisquejem’enrendscompte.
Jem’écarted’unbond,sanssavoirsijesuisplushorrifiéparlefaitqu’ilm’aitembrasséouquejeluiaierendusonbaiser,neserait-cequ’uninstant.
—Tun’auraispasdûfaireça,jeréussisàarticulerenmereculantdequelquespas.Pourquoit’asfaitça…J’aiunecopine.
LevisagedeChances’assombrit.—Oh,s’ilteplaît!—Si,j’aiunecopine.Mavoixsebrise.—Tun’espasamoureuxd’elle.—Qu’est-cequet’ensais?Ilcroiselesbrasetdescenddelaglacière.—Tul’es?J’ouvrelabouche.Lareferme.Rachelcomptepourmoi.Pourrienaumondejeneluiferaisdu
mal.ÀNoël,j’aiprisconscienceàquelpointmonmanqued’effortsl’avaitblessée,alorsjemesuisressaisi.Enessayantderetrouvercequim’avaitdonnél’enviedesortiravecelle.
Maisenai-jevraimenteuenvie?Ai-jefinalementcessédefairesemblant?—Çane te regardepas,Chance.Et quoi qu’il en soit, je suis encore son copain, et je nevais
pas…Ilm’interromptd’unrireamer.
—T’es nul comme copain !À faire semblant d’avoir des sentiments que t’as pas, alors qu’ensecrettudésiresquelqu’und’autre.
Jemeursd’enviedelegifler.—J’aivraiment faitbeaucoup,beaucoupd’effortspourqueçamarche,elleetmoi. Jen’aipas
l’intentiondetoutfairefoirermaintenant.—Pourquoi?Illaisseretombersesbraslelongdesoncorps.—J’aimeraisbienlesavoir.C’estparcequ’elleestjolie?Douéeaulit?Pourquoitutienstantà
cequeçadure?—Parcequec’estnormal,jeréplique.Çateva,commeraison?C’estnormal,comparéàtoutce
qu’ilnel’estpasdansmavie.Est-cequet’aslamoindreidéeàquelpointc’estgalèrederaconteràd’autresneserait-cequelamoitiédeschosesquimesontarrivéesdansmavie?Commed’avoirunedemi-sœurdemonâge,parcequemonpèreatrompémamèreetaeuuneaventured’unenuit?Lafaçondontcepetitarrangementdefamilleafonctionnétoutescesannées?Pourquoijemecomportecommelechefdefamillechezmoi,parcequemamèreetBob-son-mecsonttropoccupésàpicolerennepensantqu’àeux?
J’aihorreurdeça.Vivre là-basavecmamère.Cen’estpasqu’ellenem’aimepas ; c’est justequ’ellealesentimentd’avoirfaitsapartetqu’onn’aplusrienàluidemander.Lesraresamisquej’aieus,jenelesaijamaisinvitéschezmoi,parcequemamèrenetrouvaitjamaisriendemieuxàfaireque de leur raconter l’histoire familiale. Elle présentait Bob-son-mec en veillant bien à préciser :«Oh,cen’estpaslepèredeHunter…Sonvraipèreestunsalementeur.»
Et peu importe qu’elle etBob-son-mec n’aient pas l’alcoolmauvais.Ce sont quandmême desalcooliques.Mamèrecontinuedemeréveilleràpasd’heurelanuitpourmeracontersestrucs,puisme tiredu lit lematindebonneheureparcequ’ellea trop lagueuledeboispourpréparer lepetitdéjeuneroualleràl’épicerie.
—Ouquand lesgensmedemandentpourquoi jen’ai jamaiseudecopineavantdesortiravecRachel?j’ajoute.Jusqu’àcequejelarencontre,mamèreetBobétaienttoutletempssurmondos,àmeprendrelatêtepoursavoirpourquoijenem’intéressaispasauxfilles.Parcequejen’arrêtaispasdepenser…
Non.Jem’interromps.Avantdedireunechosequejepourraisregretter.Unechosesurlaquellejene pourrais pas revenir. Rachel et Ash vont venir nous chercher, et je ne veux pas qu’elles noustrouventenpleinedispute.
Chancemeregardel’airentendu,commesiriendecequejeluiracontenelesurprend.Cequinefaitqu’accroîtremacolère.Pourquoi jenepourraispasavoirdesecrets,moiaussi?Luienadesmillions, je peux bien en avoir quelques-uns. Pourtant, il me regarde comme s’il pouvait voir àtraversmapeau,discernerlemoindremuscle,lemoindreos,lemoindrenerfquimeferaitréagir.Cen’estpasjuste.
—Hunter,je…Jelèvelamain.—Non.Quoiquetut’apprêtesàdire,s’ilteplaît…tais-toi.Ilprenduneprofondeinspirationetattrapelapoignéedelaglacière.Jesuisàdeuxdoigtsdelui
diredenepasresterplantélàcommeçaetdedirequelquechose,saufquejeviensdeluidemanderdese taire, ce qui est contradictoire.Alors, je prends l’autre poignée, et, en silence, nous portons laglacièredansl’escalier,tandisquejem’efforcedechassersongoûtdemabouche.
Sur le toit, Chance abandonne la glacière, me laissant la porter seul jusqu’aux filles. Ash seretourne;ellesourit.Lalueurfugaced’interrogationsursonvisagemeditqu’ellesaitqu’ilsepassequelque chose, mais quand elle articule en silence : « Ça va ? », je me contente d’acquiescer etd’ouvrirlaglacièrepourensortirunsoda.
—J’aicruquevousvousétiezperdus,touslesdeux,ditRachel.Surpris,jelavoisnouersesbrasautourdemoncou,puisplanterunbaiserdéterminéetchaudsur
meslèvres.Jusqu’àprésent,jamaisellenem’avaitembrasséenpublic.Direquej’avaispenséqu’elleseraitcontrariéequejenesoispaslàpourlesdouzecoupsdeminuit.
J’aurais préféré qu’elle attende, au moins que Chance et Ash ne soient pas là. Car je vois ladouleur et l’amertume dans les yeux de Chance, et quand j’embrasse à mon tour maladroitementRachel, tout ceque j’ai à l’esprit estChanceen traindegrimper sur laglacièreetmoiquiprendsconsciencedecequ’ils’apprêteàfaire.
Maisjenem’écartepasdeRachel.Peut-êtreparcequejesaiscequ’illuienacoûtédefaireçaenpublic.Oupeut-êtreparceque j’essaiedeprouverquelquechoseàChance–etàmoipar lamêmeoccasion.C’estça,lanormalité.Ceàquoij’appartiens.Jenesuispeut-êtrepasamoureuxdeRachel,maisjesaisqu’elleestsincère.N’est-cepasleplusimportant?
Une fois l’excitationdupassage à la nouvelle année retombée, nousnous concentrons sur nosassiettes,avantdenousallongerpourregarderleciel.Jen’aijamaisvuaussibienlesétoilesqu’ici.Nousne sommespasgênéspar lesarbrescommechezmonpère.Nibrouillardnipollution. Justenous, l’océan, et des milliards de milliards d’étoiles. Quand Chance se met à nous parler desconstellations,quandilmeregarde,jepourraisjurerquechacuned’ellessereflètedanssesyeux.
—C’estsitriste,murmureRachelàcôtédemoi.SaremarquetireChancedesatransenarrative.IlfixeRachel.—Commentça?luidemande-t-ild’untontranchant.Elles’assoit.—Elles sont si belles, ces étoiles,mais tellement loin.Vousne trouvezpasque c’est triste, de
penseràl’immensitédel’universetquenousn’yavonspasvraimentnotreplace?Il la regarde avec une telle dureté que ses yeux pourraient transpercer le métal. Je devrais
intervenir,luireprocherleregardaccusateurqu’illuiadresse,maisjeneluiaipasadressélaparoledepuisquenoussommesremontés,etjen’aipasl’intentiondelefaire.
—Sic’estcequetupenses,déclare-t-il,alorsc’estquetunelesregardespascommeilfaut.Évidemment,ellen’ariencompris.Commetousceuxquinesontpasdumêmeavisquelui!—D’accord,ditRachel.Danscecas,explique-moicomment.Il se tourne, rabattant la capuche de son manteau sur ses cheveux ébouriffés. Il se lève et
s’approcheduborddu toit.Par réflexe, je tends lamainet l’attrapepar lamanche, inquietà l’idéequ’ilpuisseglisserettomber.
— C’est vrai, commence-t-il, que l’univers est immense, et que les êtres humains n’enexploreront probablement jamais qu’une infime partie.Mais cela ne signifie pas que nous soyonsseulsouquenousn’yayonspasnotreplace.Tousces éléments, tout cequi existe autourdenous,toutes les composantes de la Terre et de la vie – même l’air que nous respirons – trouvent leurorigine dans ces étoiles. Nous en sommes une partie. Orion, le Dragon, Sirius… elles font aussipartiedenous.
Jel’écoute,incapabledelequitterdesyeux.MêmeRachel,àsagrandesurprise,estenproieàlafascination.
Je ne peux m’empêcher d’y penser, à cette idée que nous serions tous originaires d’étoilesdifférentes,àdesannées-lumière.Etdemedemandersi,peut-être,Chanceetmoineviendrionspasdelamême.Sic’estcequiexpliqueraitquedeuxêtresontl’impressiondes’êtreconnusdansunevieantérieure.
Non,pasdansunevieantérieure,plutôtqu’uneseuleetmêmechosesoitàl’originedel’existencededeuxêtres.
Jemedemandesic’estpourcetteraisonquejen’arrivepasàmedétacherdelui.Pourquoiunepartsiimportantedemavietourneautourdelui.
—Alors,noussommestousdelapoussièred’étoiles,dis-jedansunmurmure.Jem’étaispourtantjurédemetaire.Il se tourne versmoi, et un sourire triste apparaît sur son visage quand ses yeux croisent les
miens.—Oui,noussommestousdelapoussièred’étoiles,dit-il.Nousbrillonsdemillefeux,avantde
nouséteindreetdedisparaître.
Ashlin
Nousrestonssurletoittroisheuresencore,letempsdemangercequenousavonsapportéetdedevenirpresqueaphonesàforced’essayerdeparlerdanslefroid.Nousaurionspeut-êtrepuanticiperetapporterdescouvertures,parcequ’ilnenousestpasvenuàl’espritque,frigorifiéscommenouslesommes,leretouràlaramerisqueraitd’êtrevraimentdifficile.Maisnousparvenonsàrentrer.Et,deretoursurlaterreferme,nousessayonsdedégonflerlecanotpourleremettredanslecoffreaveclesramesetlaglacière.
Ilestprèsde4heuresdumatinquandnousrentrons,etjeréussisàconvaincreChancederestercheznousplutôtquederentrerchezlui.
Ilesttrèssilencieux.Non,plusqueça:Hunteretluis’ignorent.Ilsontjouélejeusurletoit,maisenyrepensant,ilsne
sesontpasvraimentparlé.Ilsnousontparléànous,Racheletmoi.Ques’est-ilpasséletempsoùilsn’étaientquetouslesdeux?ImpossibledeposerlaquestiontantquejenesuispasseuleavecChance.
Cheznous,ChanceregardeRacheletmonfrèregagnerlachambredeHuntercommes’iln’allaitjamais les revoir. Il ne leur souhaite pas bonne nuit. Je l’attrape par le bras et l’entraîne dansmachambre.
—D’accord,dis-je,enappuisurunejambetandisquejeretiremeschaussetteshumides.Crachelemorceau.
Chancejetteundernierregardàlaporteavantdem’accordersonattention.—Quoi?J’attrapeunpyjamaquejelancesurlelit.Jedoismechanger.Mesvêtementssententl’eaudemer
etlesel.Entoutefranchise,unedoucheneseraitpassuperflue,maisçaattendrademainmatin.—Vousvousêteséclipséstouslesdeux.—Onestpartischercherlaglacière.Ilcommenceàsedéshabiller.Dansmonplacard,ilyaunpantalondejoggingetunT-shirtàlui,
de ladernièrefoisoù ilest restédormir.Enfait, jecroisqu’ilssontàHunter.Aufildesans,monfrèrearefilésanss’enrendrecomptepasmaldefringuesàChance.Jecroisqu’ils’enfiche,etpapan’ajamaisfaitlamoindreremarque.
—Etquandvousêtesrevenus,c’estàpeinesivousvousregardiez.Sansparlerdelafaçondont,toutelasoirée,tuasfusilléRachelduregard.
Ils’immobilise.Lespectacleestassezdrôle,comptetenuqu’ilétaitentrainderetirersonT-shirtqui reste coincé autour de sa tête. Il prend une profonde respiration, sa poitrine et ses épaules sesoulèvent.IlroulesonT-shirtenbouleetlejetteaupieddulit.
—Qu’est-ce que ça peut bien te faire ? Qu’est-ce que tu veux savoir, Ash ? Peut-être que tudevraisluienparler.C’estluiquin’estpasbiendanssatête.
—Jeveuxsavoircequisepasseentrevousdeux.Ilgrogne,sepasselamaindanslescheveux.—Jel’aiembrassé,çateva?Jel’aiembrassé,çaluiadéplu.Findel’histoire.—Tu…Jerespireprofondément,enessayantdeprendrelamesuredecequ’ilvientdemedire.Chanceet
Hunter.Quis’embrassent.Çanedevraitpasmesurprendre,etpourtant…c’estdouloureux.—Ilaunecopine.Pourquoituluiasfaitça?—C’estdrôle,iladitlamêmechose,répond-ilavecunsourireforcé.Maistusaiscequ’iln’a
pasdit,danstoutessesprotestationsmoralisatrices?—Quoi?—Iln’ajamaisditqu’ilneressentaitrienpourmoi.Jesuislapremièreàadmettrequ’ilyacequeditHunter.Etcequ’ilneditpas.—D’accord,dis-je,incertaine.Incertainedelafaçondontjedoisprendrecequejeviensd’entendre.Cen’estpasparcequej’ai
rassemblélespiècesdupuzzlequejesuisauclairaveccequejeressens.ChanceestattiréparHunter.Etilyafortàparierquelaréciproqueestvraie.Commejemeseraissentiehumiliéesij’avaisavouéàChancecequejeressentaispourlui,sanssavoircequ’ilsepassaitenréalité!
Quand je l’appréhende de loin, l’idéeme déroute totalement.Mais quand je l’examine de plusprès,enprenantencomptelespluspetitsdétails,lesétoilesquiformentlaconstellation,commediraitChance,soudain…toutfaitsens.
Commentmesuis-jedébrouilléepournepasm’enrendrecompteplustôt?Biensûr, jenemesuis jamaisvraimentsentieexclue,maisChanceetHunter,c’étaienteux, les
deuxinséparables.Chance,quivoulaittoujourssuivreHunterpartout.Chance,quienfaisaittoujoursdestonnesdèsqu’ilsavaitqueHunterleregardait.Chance,quiavaitembrasséHuntercejour-lààlaplage, par plaisanterie, avant de passer le reste de la journée à le regarder comme si le reste dumonden’existaitplus.ChanceenorbiteautourdeHuntercommeunastreautourduSoleil,désirantardemments’enrapprochersansjamaiss’yrisquer.
Jusqu’àmaintenant.Chanceposesesmainssur lemur,departetd’autredelafenêtre,etregardedehors.Mesyeux
sontattirésparuneecchymoseàl’arrièredesonbras.—Ilnemefaitpasconfiance.Jem’approchepar-derrière.Quand je fais le tourde sonbras avecmamain,monpoucevient
recouvrirpresqueparfaitementlebleu.C’estlamarquelaisséeparquelqu’unquil’aattrapéetserréfort.Peut-êtrepourletirer.Uneecchymosesensiblementplusgrandequel’empreintedemonpouce–unemainplusgrandequelamienne.Àmoncontact,sesmusclesseraidissent,uneréactionsirapidequ’ilnepeuts’agirqued’unréflexe.
—Pourquoituneparlesjamaisdetesparents?jeluidemande.—J’enaidéjàparlé.Illaisseretombersesbraslelongdesoncorpsetsembledéroutéparlechangementdesujet.À
ceciprèsqu’ilesttoujoursquestiondeconfiance.—Tu nous as dit que tamère était chercheuse et que ton père faisait de la politique, et qu’ils
étaienttoutletempsendéplacement.—Etalors?
—Alors,j’aivutamère,Chance.Ellen’estpaschercheuse.Jenesuismêmepassûrequ’elleétaitsobre,maispassons.
Parsonregarddistant,jedevinequ’ilestdansl’évitement.—S’ilsepassedestrucsgravescheztoi,ilfautquetusachesqueHuntetmoi,onestlàpourtoi.
Etpapaaussi.Riennechangerajamaisça.Maiscommentpeut-ontefaireconfiancesitunenousdisjamaislavérité?
—Si,jevousdislavérité!—Ahbon?Commecequetunousasracontésurtamaison?Ouencorelefaitquetesparents
allaientt’envoyerfairetesétudesàl’étranger?Etleurboulot?Ouqu’ilsnevoulaientpasquetuaiesdecontactavecnous?
—Onahabitédansuneplusgrandemaison, réplique-t-il, sur ladéfensive, en ignorant tout lereste.Onl’aperdueilyadeuxans.
J’aimeraislecroire,maispourquoia-t-ilmentisurleresteaussi?Cen’estpasparcequ’iln’apasderaisonsdementirqu’ilditlavérité.
—D’accord.Etlereste?Ilvas’asseoirsurleborddulit.Ilprendmonappareilphoto–levieux–surlatabledechevetet
leretournedanssesmainsavecmilleprécautions.—Jepeuxtel’emprunter?L’enviemeprenddeluiarracherl’appareildesmains.Pourleluijeteràlafigure,peut-être.—Chance.—Justepourquelquesjours?J’enprendraisoin.Jetelepromets.Tuenasunneuf,maintenant.D’unmouvementdelatête,ilmontrel’appareilqu’onm’aoffertpourNoël.Frustrée,jetournesonvisageversmoidansl’espoird’obtenirdenouveautoutesonattention.—Cequej’essaiedetedire,c’estquetuesleseuletuniqueresponsabledumanquedeconfiance
deHunterentoi.Unpeumoinsdesecrets,çaneferaitpasdemal.Peut-êtrequesitut’ouvraisàlui,situtemontraisfranc,pourchanger,çafaciliteraitleschoses.
Illèvelatêteetplisselesyeux,pensif,cequimelaissecroirequej’aidenouveausonattention.Maisildit:
—Alors,jepeuxtel’emprunter?Je l’aiperdu.Totalement.Nousneparlonspasde lamêmechose,et ilnem’écouteabsolument
pas.Mesépauless’affaissent,jesoupire.—Oui,Chance.T’asqu’àfairecequetuveux..
Janvier
Hunter
Jepasselamatinéeàessayerd’aiderRachelàfairesesbagages,jusqu’àcequ’ellemedisequejelaperturbedanssonorganisation.Alorsjem’assoissurlelitetlaregarde,enessayantdesavoircequejeressensàlaperspectivedesondépart.Jecroisqu’ellevamemanquer,etenmêmetemps,jemesenssoulagé.Ç’aétéstressantpourmoid’essayerdecombinermesdeuxvies.Jemedemandesielleestcontentederepartiretdereprendrelescours.
JeveuxluidirequeChancem’aembrassé,mais jenesaispascommentm’yprendre.Peut-êtrevaut-ilmieuxneriendire,parcequecelan’estpasamenéàsereproduire,etquecelaneferaitquelablesser.Lebonheurserait-ildansl’ignorance?Nousavonsbienassezdeproblèmes.
Unefoissavalisefermée,ellesoupireetsetourneversmoiensouriant.—Voilà,nousysommes.Valisebouclée.Ellevients’asseoirsurmesgenoux.—Tuvasmemanquer.—Tuenessûre?jedemandeenl’enlaçantmachinalement.Tunet’espasbeaucouppluici.Ellesoupire.—Cen’estpasça.C’estjusteque…tusais.C’esttrèsdifférentdecheznous.Ouais.Cheznous.Ladifférenceessentielleentreicietlà-bas,c’estquelà-basnosviestournaient
autourd’elle.Decequ’ellevoulaitfaire.Desgensqu’ellevoulaitvoir.Pasétonnantqueçaneluiaitpasconvenuendehorsdecesderniersjours,passésentête-à-tête,àfairecequ’ellevoulait.
Jelaregardesansrépondre.Ellemefixe,pensive.—Tusais,onnepeutpasdirequetutesoismontrésuperenthousiastedem’avoirici.—Cen’estpasça.C’estjuste…J’esquisseunsourire.—Cen’estpaspareil.Elle prendmon visage dans sesmains. Sa peau sent toujours bon. L’odeur de son lait pour le
corps.C’estl’unedesrareschosessimpleschezelle.Elleest incapabledesortirdechezellesiseschaussures ne sont pas assorties à sa tenue, mais elle n’a pas besoin de se mettre une tonne demaquillagenides’aspergerdeparfum.J’aimeraisquetoutsoitaussinaturelchezelle.Elleseraitplusfacileàvivre.Etnotrerelationaussi.
Chancenonplusn’a riendesimple.Maissacomplexitéestd’une toutautrenature.Sur leplanémotionneletmental,j’arriveàsuivreRachel.MaispasChance.
Pourquoiest-cequejepenseencoreàlui?MacopineestsurlepointderepartirpourlaFloride.Jen’aipaslamoindreidéedequandnousnousreverrons.Ettoutceàquoijepense,c’est…
—Ondevraityaller,jedis.Jedétourneleregard,incapabledesupporterlafaçondontellemescrute.Elleselèvesansfaire
d’histoires,maisjesaisàlafaçonraidedontelleprendsonbagageàmainetsedirigeverslaportesansunmotnimêmeunbaiser–carellenem’embrasserapasenpublicà l’aéroport–qu’elleestcontrariée.Jeneluiaipasdonnélesréponsesqu’elleattendait.Commed’habitude.Elleveutquejelarassuresur lefaitquejen’aipasmalvécusaprésenceici.Cen’estpas lecas–enfin, jedoisbienreconnaîtrequec’étaittendu.JeredoutaistoutletempsqueChanceetellesesautentàlagorge,etsiellen’estpasdisposéeàme rassurer,pourquoi,moi, ledevrais-je?Avecelle, c’est toujoursdeuxpoids,deuxmesures.Jesuissupposéavoiràsonégarddesattentionsetdesgentillessesqu’ellenemetémoignejamais.
Chanceavaitpeut-êtreraison.Danslerôledesoncopain,jesuisnul.En bas, Rachel dit au revoir à mon père et à Ashlin. Ni l’un ni l’autre ne propose de nous
accompagner à l’aéroport, mais j’aurais bien aimé, ce qui m’aurait évité de me retrouver aussilongtempsentête-à-têteavecelledanslavoiture.Mêmeaveclaradioallumée,lesilenceentrenousestassourdissant,ettoutceàquoijepense,c’estquejedevraisavoirhontedevouloirarriverleplusvitepossibleàl’aéroport.
Lesilenceperdureentrenousjusqu’àcequenousnoustrouvionsàunevingtainedeminutesdel’aéroport.Alors,ellelâcheunebombe:
—Tun’aspasl’intentiond’alleràl’universitéavecmoi,n’est-cepas?Comme je suis sur l’autoroute, je ne peux pas vraiment me tourner vers elle. Un coup d’œil
m’informequ’ellefixelaroutedroitdevantelle,lesmainssurlesgenoux.Est-cevraimentlemomentdeparlerdeça?
—Rach…—Parceque si tunecomptespas t’y inscrire, j’aimerais autantque tume ledisesmaintenant,
plutôtquedecontinueràmefairedevainespromesses.—Cen’étaitpasdevainespromesses.Jenepeuxm’empêcherd’êtresurladéfensive.Quesait-elledemasincérité?—Jenet’aijamaisditquej’étaissûrdem’inscrire.J’aiditquej’yréfléchirais.—Tuaseulargementletempsd’yréfléchir,Hunter.Tuasmêmeeudesmois.Combiendetemps
tucomptesmefaireattendre?Àcecompte-là,j’auraiterminélafacavantmêmequetut’yinscrives.Jepourraisluidired’arrêterdememettrelapression,maisenréalitéelleesttoutàfaitdansson
droit.Jedemandetoujoursdutempspourréfléchir,etbienqu’elleaitinsistéàplusieursreprisesetfaitd’innombrablesallusions,ellem’alaissécetemps.Etenretour,jeneluiairiendonné.Jen’aijamaisrempliledossierdesafacprèsdeMiami,alorsquejemesuisrenseignésurdesuniversitésdansleMaineetdescampussurlacôteEst.J’aimêmerepousséàplustardlemomentdefairel’amouravecelle.Neserait-cequepourcetteraison,quantitédetypesmediraientquejesuisàcôtédelaplaque.
Avecellecommepourtoutdansmavie,j’airepousséleschoses,jelesairemisesàplustard.Delamêmefaçonque j’aiévitédechercherunefacailleursquedans leMaine.Ailleursque làoùvitmonpère.
Parcequejevoulaisêtre…Non,non,non.Nepaslepenser.Nepasmêmele…Lafranchise.C’estlemomentoujamais.—Jenepeuxpas tepromettrede remplirundossierd’inscriptionpourune fac enFloride. Je
veuxrestervivreavecmonpère.Alleràlafacici.
Rachelestsiraidequesijenel’avaispasdansmonchampdevision,jepenseraisquejesuisseuldanslavoiture.
—Çanemarchepas,n’est-cepas?finit-ellepardire.Savoixsebrise,cequim’indiquequ’elleadûsemettreàpleurer.J’aimeraispouvoirm’arrêter
sur le bas-côté,mais avec la chance que j’ai, nous risquerions de rater son avion, et nous serionscoincésensemblepourletrajetduretour–etjusqu’àsonprochainvol.
Par réflexe, j’aimerais la réconforter,m’excuser encoreet encore, luidire àquelpoint je suisdésolé,luidemanderdemelaisserencoreunpeudetempspourréfléchir…
Jesuisvraimentlepetitcopainleplusnuldumonde.Àm’accrocheràquelquechosedenormalpour les apparences, pour rester dans quelque chose de familier et de sûr, car l’alternative est siterrifiantequejen’arrivemêmepasàlaconcevoir.Çan’arienàvoiraveclefaitqu’ils’agissed’unautregarçon,ettoutàvoiraveclefaitqu’ils’agitdeChance.Chancequiréussitàmedésintégrerencesminusculesfragmentsdel’étoiledontjesuiscenséprovenir.
Quis’engageraitlà-dedanslecœurléger?Jen’aipaslesmotspourarrangerleschoses.Entouscas,paslesmotsquejepourraissoutenir
pardesactes.Alors,jeluidislaseulechosequejepensevraiment–chacunedessyllabes,avecplusdesincéritéquetoutcequej’aijamaispuluidire:
—Jesuisdésolé.Elleregardeparlavitre.—Désoléderompreavecmoi,oudésoléd’êtretroplâchepourenadmettrelavraieraison?Jesensunetensionnaîtredansmesépaulesetsediffuserdansmondos.Jegardelesilence.Ce
qui,auboutd’uninstant,mevautunsourireamerdeRachel.—Ettuesmêmetropflippépourrépondre.Enfin,Hunter!Tumeprendspouruneconne?Ça
n’arienàvoiravectonpère.TuveuxresterdansleMainepourêtreprèsdeChance.—Nelemêlepasàça,luidis-jecalmement.J’arrête la voiture dans le terminal de l’aéroport, et je reste là. À ce stade, je ne suis pas sûr
qu’elleveuillequejel’accompagnejusqu’àlaported’embarquement.—Çan’arienàvoiravec…—Biensûrquesi!Ellesetournevivementsursonsiègepourmefaireface.—J’aibienvulafaçondontvousvousregardez,touslesdeux.Ettoutcequevousditesoufaites
pourobtenirl’attentiondel’autre.Tuneveuxrienfairequirisquedeluidéplaire,etc’estàpeines’ilmesupporte–ets’illefait,c’estseulementpourtoi.Jevoisbienàquelpointtuesdifférentaveclui.
—Peut-êtrequec’estavectoiquejesuisdifférent.Çat’ajamaiseffleurél’esprit?Jem’efforcedechasser lacolèreet la frustrationque jesensbouillonnerenmoi, toutenétant
conscientquejesuissurladéfensive,parcequejesaisqu’ellearaison.—C’estterminé.Jesuisdésolé.Jenesuisqu’unpauvrecon.Onpeutenresterlà?—C’est toujours lamêmechoseavec toi ! s’énerveRachel.«C’est fait, alorspourquoionen
parleencore?»Onenparleraaussilongtempsquej’enauraienvie,HunterJackson,parcequec’estmoi,ici,enversquitut’esmalconduit.Pendanttouteladuréedemonséjour,j’aimesuisretrouvéeenrivalitéavecChance…
—C’estfaux!—…et,dansunsens,jesuissoulagéeden’avoirplusàl’être.Elleouvrelaportièreetdescend.Enpestant,jecoupelecontactetlarejointpourl’aideràsortir
sesbagagesducoffre.Ellerepoussemonbraspours’enchargerelle-même.Aumoins,ellemelaisse
fermerlecoffre,tandisqu’elletiresesvalisessurletrottoir.—Rachel…Elles’arrête,prenduneprofondeinspirationetfinitparsetournerpourmefaireface.Sacolère
est retombée, remplacéeparune sorted’expressionblesséeet résignée,qui estbienpire.Sesyeuxnoirssontrougisparleslarmes.Ceseraitlemomentidéald’avoirunesorted’épiphanie,deprendreconsciencequ’elleest la femmedemavieetque,biensûr, j’iraienFlorideavecelleparceque jel’aime.
J’aivraimentdel’affectionpourelle.Maisriend’autre.Unesorted’affectionquin’estpassidifférentedecellequej’aipuéprouver
pourlesfillesaveclesquellesj’aiétéami.Uneémotionsimplesanspassion.Unamoursansrisqueetfamilierquinem’ajamaisrendudingue,nem’ajamaisbrisélecœurouréconciliéaveclavie.
L’épiphanie espérée ne se produit pas, et quand Rachel en arrive à la même conclusion, ellerespireunboncoupets’essuielesyeux.
—J’espèrequ’enrentrantcheztoitucommencerasvraimentàréfléchiràcequetuveuxdanslavie.
Ellem’embrassesurlajoue.—Avantdebriserunautrecœur.
Ashlin
ToujoursaucuneréponsedeChanceàmestextos.Bizarre,d’habitude,ilrépondpresqueaussitôt.J’imaginequ’ildoitêtreoccupé,oualorsilaoubliéderechargersontéléphone.
Isobelpasseapporterdescourses,etenprofitepourviderlelave-vaisselleetpréparerlecafé,carHunteraoubliédelefaireavantdepartirpourl’aéroport.Elleévoluedanslacuisinecommesiellevivaitici,etpapalaregardecommes’ilaimeraitquecesoitlecas.
Çamefaitsourire.Onauraitpupenserqueçameposeraitunproblèmequepapasoitintéresséparuneautrefemme
quemamère.Mais cegenrede chosesn’a jamais eud’importancepourmoi.Notre configurationfamilialeestunpeubizarre,maisfonctionnebien.Papanousaime.Iln’aimepasnosmères.Iln’yariendemalàça,etj’aimeraislevoirheureux.
Isobelestplusjeunequenosmères.Elleestplusordinaire,unpeuronde,avecdescheveuxbrunsternes,maisunsouriretrèsdoux.Ellepréparelecaféetmegratifiedesonsouriretrèsdoux.
—Tuveuxunpetitdéjeuner,Ash?—Oui,s’ilteplaît.Jem’assoisàtable,heureusepourunefoisdemelaisserservir.Papalèveunsourcil.—C’estIsobel,l’invitée.Ceneseraitpasplutôtàtoideluifaireàmanger?Isobeléclatederire.—Cen’estpasunproblème,Lou.Fiche-luilapaix.Jetirelalangueàpapa.Illèvelesyeuxauciel.—Tonfrèreafilétôtcematin.Jel’auraiscrumoinspressédeconduireRachelàl’aéroport.Jefeinsd’êtreoccupéeàquelquechosesurmonportablepournepasavoiràleregarder.—Oui.J’imagine.—Tuimagines?—Jenesaispas,papa,jedisensoupirant.Parles-enàHunter.Ducoindel’œil,jelesvois,Isobeletlui,échangerdesregardspréoccupés.—Ilyadel’oragedansl’air,entreeux?murmureIsobel.—Mêmesic’estlecas,déclarepapa,jesuiscertainqu’ilsréglerontça.J’aimeraisenêtresisûre.Toutecettevisionidéaliséequej’aidumariagedeHuntetRachel,moi
en demoiselle d’honneur, leur vie de couple parfaite… On dirait que tout a volé en éclats.Décidément,laréalité,çacraint.
EtilyaChance,sonexpressiontristeetlasse.SileschosescapotentavecRach,est-cequeHunteretlui…?
Jenesuistoujourspascertainedeparveniràenvisagerleschosesainsi.
Desheuresplustard,alorsquejerépondsauxe-mailsdemesamis,jeréfléchisencoreàlafaçond’enparleravecHunter.Parfois,ilsecomportevraimenttypiquementcommeunmec.Sijen’abordepas les choses avec délicatesse, il sera sur la défensive et demauvaise humeur, et la conversationtourneraeneaudeboudin.
Isobeletpapasontsortispourl’après-midi,cequimelaisseunpeudetemps,seuleàlamaison.Hunterentresansfairedebruit.Jen’entendsmêmepaslaported’entrée,seulementsespasdanslecouloirquand ilpassedevantmachambre.Soit ilpenseque lamaisonestvide,soit ilessaiedesefairediscret,cequiestunsignetrèsnetquequelquechosecloche.
Refermantmonordinateur, jem’aventuredanslecouloir.Laportedelachambredemonfrèreestentrouverte,cequejeprendscommeuneinvitationàlapousseretàentrersansfrapper.
—Hunt?Maisc’estChance,etnonHunter,quejetrouvedeboutprèsdelafenêtre.Ilsursauteetseredresse,
avantdesetournerversmoi.Lecôtégauchedesonvisageestunemeurtrissurenoireetviolacée.Desecchymosescourentlelongdesamâchoire,sursajoueetautourdesonœil.Jeplaqueune
mainsurmabouchepourm’empêcherd’exprimerlechocetl’horreurmêlésquimeglacentlesang.Quelqu’unl’atabassé.Quelqu’unatabassénotreChance.—Oh!monDieu!Chance…Ilcille,avantd’esquisserunsourire.Làdevantmoi,aveclatêtedequelqu’unquis’estfaitfrapper
avecunebattedebase-ball,ilsourit.—Quoi, ça?demande-t-il enportant lamainà sonvisage.Riendegrave. Jemesuiscassé la
figure.—Tut’escassélafigure,jerépéte.M’avançantverslui,jelèvelamainverssonvisage.Sansletoucher,biensûr,carj’oseàpeine
imagineràquelpointcedoit êtredouloureux.Qu’est-cequ’on fait danspareil cas ?Onmetde laglace?Ouplutôtquelquechosedechaud?Onconduitlapersonnechezlemédecin?
—Commenttut’esdébrouillépourtefaireça?—Jesuistombédevantchezmoi.Chancesedérobeàmoncontact.—J’aiglissédetoutmonlongsuruneplaquedeverglas.Jenemesuispasraté.Impressionnant,
hein?—Oui,impressionnant,commemensonge.Mêmesisonexplicationparaîtvraisemblable,comptetenudesonpassif,jenelecroispas.Sonexpressionnechangepas.—Jenemenspas.—Si.Tumenstoutletemps,Chance!Je lève lesmains au ciel et fais volte-face, guettant lemoindre bruit susceptible d’indiquer le
retourdeHunter.Aveclesentimentqu’ilestdemondevoirdegérerlasituationsur-le-champ,avantsonretour.
—Çasuffit,dis-moilavérité.C’esttonpère,c’estça?—Ash…— On doit faire quelque chose ! J’ignore ce qui se passe chez toi, mais tu as dix-huit ans
maintenant, et tu n’as pas à subir ça. Barre-toi de là. Viens t’installer ici. Tu le sais, que papat’accueilleraitdanslaseconde!
—MrJ.lâcheraitaussiseschienssurmesparentss’ilapprenaitqu’ilsepasseuntrucchezmoi,réplique-t-ilsanscesserdesourire(unsourireunpeucrispétoutdemême).Etcommejen’airienfaitdemal,jenevoispaspourquoijepartiraisdechezmoietleurcréeraitdesproblèmes.Jesuistombé.Pigé?C’esttout.Jenepeuxm’enprendrequ’àmoisijesuismaladroit.
LevisagetuméfiédeChancesetroubledevantmesyeux.J’aimeraislecroireparcequec’estplusfacileetmoinsdouloureuxquedepenserquequelqu’unseraitcapabledeluifaireça.Pourquoiest-iltoujoursentrainde…Pourquoinepeut-ilpassimplement…Huntetmoisommes-noustellementnulscommeamisqu’ilnepeutpascomptersurnous?Ousement-ilàlui-mêmeaupointd’êtredansledéni?Seraconte-t-illesmêmeshistoiresdepuissilongtempsqu’ilcroitàsespropresmensonges?
Ensecouantlatête,jemelaissetombersurleborddulit.Jeportemesmainsàmesyeux,pouressayerderéprimerleslarmesquimontent.Desmillionsdepenséessebousculentdansmatête.Lemoindrebleudepuisquejeleconnais.Touteslesfoisoùilarefuséd’allernagerouderetirersonT-shirt.Était-cepournouscacherquelquechose?L’étéoùils’estcassélebras–ilavaitdonnélamêmeexcusequ’aujourd’hui:«j’aiglissé».
Commentdémêlerlevraidufaux?Etquefaire,ensuite?Ils’accroupitdevantmoi,posesescoudessurmesgenoux.Etquandilmeparle,savoixestd’une
douceurétonnante.—Allez,s’ilteplaît…Arrête.Jevaisbien,d’accord?Netemetspasdanscetétat-làpourmoi.—T’esqu’unconnard,jeparviensàarticulerd’unevoixsecouéeparlessanglots.Puis je retire lesmainsdedevantmesyeuxpour le regarder.Voir lesecchymosesd’aussiprès
accroîtencoremonenviedepleurer.—Pourquoitunenouslaissespast’aider?Ilessuiequelqueslarmesdemonvisage.—Parcequepersonnenemecroira.J’ailaissétomberlelycéeetj’ailaréputationdechercher
lesennuis.—T’aspasfinilelycée?—Àquoibon?Monpèrenem’yamenaitjamais,etc’étaittrop,fairetoutcetrajetàpiedjusqu’à
l’écoleenvilleoupourallertravailler.Quoiqu’ilensoit,c’estmaparolecontrelaleur.J’aibesoind’éléments.Depreuves.
Il a laissé tomber le lycée. Encore une chose que nous ignorions, même si je ne peux pasréellement affirmer qu’il nous aitmenti sur le sujet. Il ne nous a jamais dit qu’il avait obtenu sondiplôme,nousl’avonsjuste…supposé.Sesaveuxsoudainsmelaissentsansvoix.Jefixesesyeuxetsonsouriretriste.
—Lapreuve,tulaportessurlevisage,Chance.Ausenspremier.Ilhausselesépaules.—Non.Encoreunefois,c’estmaparolecontrelaleur.Ilsdirontquejesuistombé.—Passituracontescequis’estpasséauxamisdepapadanslapolice.Tusaisqu’ils…—Jeneraconterairienàpersonne.Ilsecouelatêtepuislaposesurmesgenouxensoupirant.—Jefaiscequejepeux.Juste…fais-moiconfiance.Personnenemefaitjamaisconfiance.Jeluifaisconfiance.Peut-êtrepaspourmedirelavérité,maispourêtrelàsij’aibesoindelui.Je
pourraisluiconfiermavie.Maislereste?Commentlepourrais-je?Commejenesaispasquoidire,jeposematêtesurlasienneetglissemesdoigtsdanssescheveuxemmêlés.
—Huntervapéterlesplombsentevoyant.J’espèrequetulesais.Ilpousseunsoupirlas.
—Ouais,j’imagine.Cequiveutdirequejeferaismieuxdedéguerpirauplusvite.Jememordillelalèvre.—Nemedispasquetuvasrentrercheztoi!Ilhausselesépaules.—Pourquoipas?Jen’ainullepartailleursoùaller.Çanesebousculepas,questionamis.—Alors,resteici.Aubesoindansmachambre.Jeparleraid’abordàHunteret…Jem’interromps.Etquoi?Qu’est-ceque je lui raconterai?Peuimporte, lasécuritédeChance
primelaréactiondeHunter.Ilselève,selisselescheveux.—Non. Il fautque j’yaille.C’est jamaisunebonne idée,dem’enfuirde lamaison.Undeces
jours,ilvamechoper.Peut-être…Peut-êtrequejedevraisluitomberdessusenpremier.Enfait,jenesaispasbienpourquoijesuisvenuici.
—Parcequeici,tuesensécurité.Denouveau,leslarmesmemontentauxyeux.JeneveuxpaspenseràChanceentraindesebattre
avecsonpère.Commentpeut-ilne serait-ceque l’envisager? Ilyaura forcémentunblessé. Je luiprendslamainetlaserre,essayantdeluicommuniquerlapeuretl’inquiétudequimesubmergent,etlaconfusiondanslaquellejesuisplongéeàlevoiragircommesitoutcelan’avaitpasd’importance.
—Reste.S’ilteplaît.Ilpressemamainetmefaitmelever.Desamainlibre,ilmesaisitparlecouetseslèvresfroides
seposentsurmonfront.—Çavaaller,Ash.Fais-moiconfiance.
***
Papam’appellepourmedirequ’Isobeletluiontprévudedînerdehorspuisd’alleraucinéma;Huntetmoisommesdoncseulspourlasoirée.Legenredesoiréeoù,d’ordinaire,Chance,Huntetmoinousempiffronsdeburgers/fritesoupizzas,avantd’éteindretoutesleslumièresetdebaisserlesstores pour jouer à cache-cache.Ce qui n’est pas si débile qu’il y paraît.Nous n’avons plus notretaille d’enfant, ce qui nécessite beaucoup plus de créativité pour trouver de bonnes cachettes. Ladernièrefoisquenousyavonsjoué,Chances’étaitcachéenhautdufrigo.Dansl’obscurité,ilnousafalluuntempsfoupourletrouver.
Aujourd’hui,c’estuneautrehistoire…HunterrentreuneheureaprèsledépartdeChance,qu’endépitdemesarguments jen’aipas réussi à convaincrede rester.Ce soir, l’ambiance risqued’êtrepesante.Cesoir,jedébattraiavecmapropreconsciencepourdéciderdecequej’expliqueàHunteretdecequejelaissedecôté,etsiouiounonilvautmieuxquejeracontetoutàpapa.
Il y a quelques années, nous aurions peut-être pu faire davantage. Chance étaitmineur, et celaauraitrelevédelamaltraitancesurenfant.Maintenantqu’iladix-huitans,qu’enest-il?Papasaurait.J’ail’impressionquec’estsonpèrequiletabasse.IlestpossiblequeChancerestepoursamère,ouparcequ’ilatrophontepourvenirs’installercheznous.Jen’ensaisrien.
Jenesaisriendutout.Mais…jecroisvraimentqu’il fautque j’enparleàquelqu’un,parceque sinon jevaisdevenir
dingue.Pourlemoment,Hunterestleseulàquijepeuxenparler.Mêmesi l’expressionabattuedesonvisagequandilentredanslesalonetselaissetombersurlecanapéàcôtédemoim’indiquequecen’estpeut-êtrepaslemomentidéal.
—J’aicruquetut’étaisperdu,jedis.Ilmeposeunsacdefast-foodsurlesgenoux.Desburgers.Miam.—Qu’est-cequinevapas?Ilsecouelatêteetsepasselesmainssurlevisage.—Rien.—Menteur.Jesorsunburgerdusacetmordsdedans.J’aifaitl’impassesurledéjeuner,jen’avaispasenvie
d’unsandwich.Çacraintdeseretrouverseuleàlamaisonsansvoiture.—Recommence,etcettefoispasdebaratin,s’ilteplaît.Ilgrogne,lesyeuxrivésàlalueurdéprimantedelatélévision.J’ailetempsd’avalerlamoitiéde
monburgeravantqu’ilréponde:—Racheletmoi,onarompu.Je m’arrête de mastiquer pour intégrer l’information. Finis de mastiquer. Avale. Tout en
continuantdedigérercequ’ilvientdemebalancer. Jenesuispassurprise.Triste,déçue,maispassurprise.
—Ques’est-ilpassé?—Commed’hab.Elleveutquejel’accompagneenFloride.Jeveuxresterici.Manifestement,ça
nepouvaitpascoller.—Ah!là,là!vousvoyezvraimentleschosesàcourtterme,touslesdeux.Jeprendsunesecondepourfinirmonburger.—Vous ne serez pas étudiants toute votre vie, j’ajoute. Beaucoup de couples ne vont pas à la
mêmefacets’installentensembleaprès.—Jelesais.Maisonn’étaitpasheureux,Ash.C’esttout.Jecompactel’emballageenunepetiteboule.—ÀcausedeChance.Ilseraidit,parfaitementimmobile.—Chancem’aditqu’ilt’avaitembrassé.AuNouvelAn.Hunterposelesmainssursesgenoux,puisselève.—Jevaismecoucher.Peutmieuxfaire,côtésubtilitédel’approche.Jeluijettemabouledepapierdansledos.—Lemondenevapasimplosersituenparles.—Iln’yarienàdire,aboie-t-il.Jenesuispas…Tusaisbienquejenesuispasintéressé…—Parlesgarçons?—Parlui.Ilseretourne,lesbrasécartés.—Pourquoijechercheraisàgâcheruneamitiévieilledeplusdedixans?Jem’adosse au canapé, j’observe sa silhouette éclairée par l’écran de télévision. Sans dire un
mot,carjesensqu’iln’apasterminé.—Jenepeuxpasêtreavecquelqu’unquin’aaucunprojetdevie,ouquiestincapablededirela
véritésuruntrucaussibasiquequelaprofessiondesesparents.Fous-moilapaix.Ilsemetàarpenterlapièce,unemainsurlahanche,l’autrefourrageantdanssescheveux.C’est
raredelevoiraussibouleversé.D’habitude,c’estmoiquipètelesplombs,etlui,lavoixdelaraison.Maisils’agitdeChance.Etdèsqu’ils’agitdelui,plusaucunerèglenes’applique.
Hunterpoursuit.
—Ilestirrationneletimpulsif.Évidemment,c’estchouettedefairedesconneriesaveclui.Maisonagrandi,etçanelefaitpas,dehors,danslavraievie.Jen’aipaslamoindreidéedecequejevaisfairecommeboulot,dansquellefacjevaism’inscrire,etc.Maiscedontjesuissûr,c’estquejenevaispasfairesemblantderesterunadotoutemavie,àgobertouslesbobardsqu’ilauraenviedemebalancer.
Ilessaied’aborderleschosesdemanièrerationnelle.Parcequec’estsapersonnalité,etquec’estsafaçond’avancer.IlseditqueBobestcequiapermisàsamèredeseremettredelaruptureavecpapa.Qu’elle croitbien faire en le surchargeantd’activités sportives,pour fairebonne impressiondanslesdossiersd’inscriptionenfac.Ouquecen’estpasgravesiBobetCarolpicolent,carilsn’ontpasl’alcoolmauvais.Ilrationnalisetout.AvecChance,etseulementlui,ilselaissealleràfairedestrucsdébilesouimprudents.
Jenesaispassilesconsidérerensembleseraitunebonneouuneterribleidée,maisquoiqu’ilensoit,jemedoisdeluifairelamêmeremarquequecellequem’aservieChance.
—Jecroisquetudramatises.—Non,pasdutout.Tunecomprendspas.—Jecomprendsparfaitement,jeréplique.Parceque,tusaisquoi?jeressenslamêmechose.Ils’immobiliseetm’observeenlaissantretombermollementsesbraslelongducorps.—Quoi?C’estplusquecequej’avais l’intentiondedire,maispeut-êtreest-ceunebonnechosequecela
sorte.JeposelesmainssurmesgenouxetlesfixepouréviterdecroiserleregarddeHunter.Voyantquejeneparlepas,iloseun:
—Luiettoi?—Non.Iln’yapasdeluietmoi.Ilyacequejeressenspourlui,etilyaluiettoi.—Pourquoitunem’enasjamaisparlé?—Oh,s’ilteplaît!Tulesaistrèsbien.Tum’accusestoutletempsdeflirteraveclui.Ilfroncelessourcils,l’aircoupable.—Jepensaisjusteque…—Non,Hunter,çanet’estjamaisvenuàl’esprit.Soudain,jemesens…terriblementlasse.Detoutça.Ilsm’épuisent,touslesdeux.—Tusais,jecomprends,j’ajoute.Vraiment.Jecomprendsqueçateterrifiedeneriencontrôler
danstavieetdenepassavoircommentçavasepasser.Maistoutcequetufais,c’esténumérerlesexcusespourlesquellesvousdeuxn’agissezpasenaccordaveccequevousressentez,quoiqueçapuisseêtre.
—Qu’est-cequejedoisfaire?—Si,entoutefranchise,tun’envisagespasd’êtreaveclui,pourquoialorsnepasluidirequetu
neressenspaslamêmechose?Aulieud’avancertouscesargumentspourlesquelsunehistoireentrevousseraitvouéeàl’échec.Pourquelqu’underationnelcommetoi,çaseraitlachoselapluslogiqueàfaire.
Il me regarde comme si je venais de lui décocher un direct dans l’estomac ce qui est uneconfirmationsuffisantepourmoi.
—Tunepeuxpasledireparcequecen’estpasvrai,n’est-cepas?Tuesamoureuxdelui.Sesmâchoiressecrispent.—Jenevoispaspourquoinousparlonsdeça.—Parcequec’estnécessaire ! je répliqueenpointant ledoigtvers lui.TureprochesàChance
d’avoirdessecrets,maistut’esvu?Laseuledifférence,c’estqueChanceinventedeshistoirespour
remplirlesblancs,alorsquetoi, tulaissestoutenl’état,sansriendire.Tucroisquetuvauxmieuxquelui?
—C’estpaspareil,murmure-t-il.Jepenchelatête.—Parcequ’ilmentsursesparentsquiletabassentetpastoi?Lesmotsretombent,nouslaissantétourdis,sansvoix.Jeviensdedirecequenoussavionstous
lesdeuxsansavoirlecouragedeleformuler.Chancesefaitmaltraiterparsesparents.Depuisqu’ilestenfant.Jeferaismieuxdeneriendire,maiscommentpuis-jedécemmentenappeleràlafranchisedeHunter si je nememontre pas franchemoi-même ?Comment lui cacher queChance est venuaujourd’hui?
—Ilestpasséplustôt.Ilavaitdesmarquesdecoupssurlevisage.Hunterportesamainàsesyeuxetsedétourne.Jelevoisinspirer,expirer,s’efforçantd’intégrer
cequejeviensdeluiapprendre.—C’estgrave?JetriturelebasdemonT-shirt.—Ilprétendêtretombé.—C’estgravecomment?Çavamalfinir.—Assez.Il acquiesce d’un signe de tête et se dirige vers la porte d’entrée. Je bondis sur mes pieds et
m’élanceaprèslui.—Hunter!—Resteici,m’ordonne-t-il.Cependant,ilnem’arrêtepasquand,réussissantàsortirdelapièce,jemecampedevantluipour
luibloquerlepassagedemonbrastendu.—Pasquestion!Tun’iraspaslà-baspourjeterdel’huilesurlefeu.Tuveuxbient’arrêterune
secondeetutilisertatête?Ils’immobilise,etquandiltournelevisageversmoi,jevoisqu’ilalamâchoirecontractée.Jene
l’avais jamaisvuaussi furieux, et s’il n’étaitpasmonours enpeluchedegrand frère, ilme feraitmêmepeur.Lentement,jetendslamainverslasienne,quiserrelesclésdevoiture,etenroulemondoigtautourdel’anneaudesclés.Ilneleslâchepas,maisj’aisonattention.
Jeprendsuneprofondeinspiration.— Tu ne sais pas dans quoi tu mets les pieds. Si jamais, en allant là-bas, nous ne faisions
qu’aggraverleschoses?Danssesyeux,jevoispasserunelueurdedouteetd’inquiétude.—Jeveuxlesortirdelà,Ash.—Jelesais.Etmoiaussi.Maisleforceràpartirennousconfrontantàsesparentsn’estpasla
bonnesolution.Illaisseéchapperunsoupirlourd.Sacolèreretombe,etilsemetàréfléchir.Dieusoitloué.—Etsionallaitluiparlerlà-bas?Pourluidemanderdepartiravecnous?Jem’interroge.Lerisqueestqu’unefoislà-basHunterperdesonsang-froid.Cesdeuxdernières
semainesontétédifficilespourlui.—J’yvaisseule.—Pasquestion.—Alorsrien.
Ilarqueunsourcil,esquisseunsourire.—Tucroisquetupourraism’empêcherdepasser?—Tunemecroispascapabledetedonneruncoupdepiedstratégiquepourteprendrelesclés?
jeréplique.Parfait.Onyvatouslesdeux,maisc’estmoiquiconduis,etturestesdanslavoitureunefoislà-bas.
Ilmeregarde,dubitatif,puis,lentement,sesdoigtsserelâchent.Ilmelaisseprendrelesclés.Unpointpourmoi.
Hunter
Cematin,lecielétaitdégagé,maisàunmomentsurletrajetdepuisl’aéroport,laneiges’estmiseàtomberdru,sansdiscontinuer,mêmeàlatombéedelanuit.Conduiresurlaroutemalentretenueetnonéclairéequimèneau lotissementoùvitChancen’estpasunepartiedeplaisir.Ashsecolleaupare-brise,scrutantl’obscurité.Çapourraitêtrelapremièrescèned’unfilmd’horreur.
UneseulefenêtreestéclairéedanslamaisondeChance.Levieuxvandéglinguédesesparentsestgaréedevant.Parhabitude,jem’apprêteàdéfairemaceinturedesécurité,avantdemerappelerquej’aipromisderesterdanslavoiture.Ashouvresaportière,laissantentrerunairglacialquimefaitfrissonner.Jemeratatinesurmonsiège.Elles’avanceetmontelesmarchesavecprécaution,puisellefrappeunpetitcoupàlaportemoustiquaire.
Elledoit frapper trois foisavantqu’onvienneouvrir.Difficilededistinguerquoiquecesoitàtravers la neige et les vitres embuées, mais à en juger par la silhouette, c’est le père de Chance.J’abaissemavitrepourmieuxvoir,m’efforçantd’ignorerlamorsuredel’airglacialsurmonvisage.Dansl’obscurité,jenedistinguequesasilhouette,penchéesurAshcommeunours.
—Iln’estpaslà,dit-il.Sontonn’estpasagressif,juste…sec.Brusque.—Voussavezàquelleheureildoitrentrer?Ash reste à unedistanceprudente, sansdoutede façon inconsciente. Jemedemande cequ’elle
ressentprèsdelui,maintenantquenoussavonscequ’ilfaitàChance.Jesensunecolèreintensemonterenmoi,maisjem’efforcedelaréprimer.Ashavaitraison.Je
nepeuxpasallervoircethommeetfaireunscandale.Celaneferaitqu’empirerleschoses.Jenesaispas comment elle parvient à rester aussi calme, surtoutmaintenant que je sais queChance signifietellementpluspourellequecequejecroyais.
—Non.Revenezplustard.M.Harveyrentredanslemobilehome,etlaportesereferme.Ashprendquelquesinstantspourse
ressaisir,puis,ensoupirant,redescendlesmarchesetregagnelavoiture.—Iladit…,commence-t-elle,unefoisréinstalléederrièrelevolant.— J’ai entendu, je réponds en remontant la vitre. Etmaintenant, qu’est-ce qu’on fait ? On lui
envoieuntextoenespérantqu’iln’estpastropfurieuxaprèsmoipourmerépondre?— Tout juste, approuve-t-elle avec un sourire timide. Il ne reste jamais trop longtemps sans
donnersignedevie.Net’angoissepas.Nepass’angoisser.D’accord.Ellefaitminedenepasêtreinquiète,maisjesaisqu’aufondc’est
parcequ’illuiestimpossibledefaireautrement.
***
Lesdeuxnuitssuivantes,jemeréveilleàplusieursreprises,envérifiantsurmontéléphonesij’aidesnouvellesdeChance. Ilnenousapasappelés.N’apasenvoyéde textos.Enfait, son téléphonebasculedirectementsurlamessagerie.Donc,soitdébranché,soithorsfonction.Danslesdeuxcas,cen’estpasbonsigne.
Tout comme le fait qu’il soit absentdepuisdeux jours au travail. Jedoutequ’il ait encore sonpostequandilsedécideraàredonnersignedevie.PauvreAsh,quiadûsubir lacolèredesachef.Heureusement qu’elle ne l’avait pas recommandé, sinon j’imagine que ça aurait pu se retournercontreelle.
DepuisnosretrouvaillesavecChance,nousn’étionspasrestésplusdevingt-quatreheuressanscontact avec lui. C’était déjà arrivé quand nous étions enfants ; il disparaissait plusieurs joursd’affilée, avant de refaire surface en expliquant que ses parents l’avaient emmené à l’improvisterendrevisiteàdelafamilleouenvacances.Maintenantquenoussavonscequ’ilenest,ladistanceetnepassavoiroùilestrendentleschosesinsupportables.
Presquesoixante-dixheuressansnouvelles.Mêmenotrepère,audîner,poselaquestion:—OùestpasséChance?Ashetmoiéchangeonsun regard,et je suisprêtàparierqu’elleaautantenviequemoide lui
racontercequ’ilsepasse,maisjenesaispassiceseraitunebonnechose.Quesepassera-t-ilsinotrepère téléphone à ses potes flics, qu’ils arrêtent les parents deChance, et que celui-ci se rétracte…Chanceseraitfurieuxcontrenousd’êtreintervenus.Quantàsesparents…
Iln’yapasdebonneréponse.Ashnoielepoisson.—Ilaeudestrucsàfaire,etenplus,ilaattrapéunrhume,àsebaladerdehorsdanslaneigesans
manteau.Cen’estpasfautedel’avoirprévenu…—Hmm,faitnotrepère,peuconvaincu.D’habitude,ilvientvoustrouverpourquevouspreniez
soindeluiquandilestmalade.Ashhausselesépaules.Nousn’avonspasd’explicationpourça.Riend’autreàdirequelavérité,
maisc’estimpossiblepourlemoment.Quelquessecondespassent,etjenepeuxm’empêcherdeluidemander:
—Dis-moi,t’asdéjàcroisélesparentsdeChance?Notrepères’arrêtedeboireetreposesonverredelait.—Pourquoitumedemandesça?Jem’enfoncesurmachaise.—Commeça.—Non,jenecroispas.Ilm’observe.—Ettuconnaisleprénomdesonpère?demandeAsh.Jesaispourquoielleinsiste.Notrepèredoitsavoirquelquechose;aprèstout,c’estluiquinousa
trouvél’adressedeChance.Nousconnaissonsleprénomdesamère.Tabby,quidoitêtrelediminutifde Tabitha. Si nous connaissions le prénom de son père, nous pourrions peut-être trouver où iltravaille.Queferions-nousdel’information?Jen’ensaistroprienencore.Jenecroispasquecelase
passerait trèsbiensinousnousprésentionssurson lieude travailpour luidemandersiChancevabien.
—Hé!qu’est-cequec’estquecet interrogatoire?demande-t-il,en levant lesmains.Qu’est-cequevousmecachez,touslesdeux?
Nousleregardons,silencieux.Ilfinitparabandonner.—Trèsbien.J’aicompris.Après le dîner, Ash et moi retournons chez Chance. Nous nous arrêtons à mi-chemin, car la
neige,tropépaisse,nousempêched’avancer.Personnenes’estdonnélapeinededéblayercetterouteperdueàpeine fréquentée.Avec la fourgonnettedenotrepère, nous aurionspupasser.Mais là, ceseraitrisqué.Dansnossièges,surlebas-côtédelaroute,nousfixonslaroutedroitdevantnous,letapisdeneigeimmaculéàtraverslesarbres.
—Onpourraityalleràpied,suggèreAsh.En temps normal, j’aurais repoussé immédiatement l’idée.Mais je ne peux ignorer ce terrible
pressentimentquimenoueleventre.Alorsj’ouvrelaportièreetm’extirpedelavoiture.Jen’aipasvu lesbleusdeChance, alors je les imagine, et jenepeuxm’empêcherdemedemandercequi sepasseraitsi,unjour,sonpèredécidaitde…nepaslelaisserpartir.
Cettesimplepenséemeglacelesang.Letrajetàpiedestlent,difficile,brascroisés,mainssouslesbras,têtesbaisséespouraffronterle
froidet laneige.Dans l’obscurité, sinousavionsétéenvoiture,nousaurionssûrementmanqué labifurcationpourlelotissement.Desépavesetdesvéhiculesabandonnésdansleschampssontàdemienfouissouslaneige,etlesmobilehomesinoccupéssemblentavoirétéoubliésparletemps.
Le lotissement semble abandonné. Dans la maison de Chance, c’est le noir complet. Nousfrappons, attendons quelquesminutes, frappons de nouveau. Recommençons. Personne ne répond.Inutilederesteràattendredanslefroidqu’onviennenousouvrir.Abattus,nousrebroussonschemin.S’iln’yapersonnechezChance,alorsjeveuxrepartirauplusvitedecetendroithorrible.
Alorsquenousdescendonslesmarches,Ashmesaisitparlebras.—Regarde!Faisantvolte-face,j’aperçoislemouvementinfimedurideaudelafenêtreàcôtéàlaporte.—C’étaitsamère,ditAsh.Elleestchezelle.Etellen’apassouhaiténousouvrir.Jeremontelesmarchesetfrappedenouveau,plusfortcette
fois.—Mrs.Harvey,ouvrezs’ilvousplaît!Làencore,seullesilencenousrépond.Quefait-elle?Pourquoisecache-t-elle?—S’ilvousplaît,jeplaideavecinsistance.—NoussommesinquietspourChance!Ashcollesonvisageàlavitrepouressayerdevoiràl’intérieur.CommeTabithaHarveypersiste
à ne pas répondre, j’ouvre la portemoustiquaire, qui n’est pas verrouillée.Ash sursaute, les yeuxécarquillés.
—Qu’est-cequetufabriques?J’actionne la poignée. Elle ne bouge pas.Ce gesteme tire de l’état second dans lequel je suis
plongé.Qu’est-cequej’avaisentête?Entrerdeforceetterroriserunefemmeenexigeantdesavoiroùestsonfils?Jerecule.
—Rien.Viens,allons-nous-en.
Nousnousattardonsencorequelquessecondes,pourtenterd’apercevoirlamèredeChance.Ellenerefaitpasl’erreurdesemontrer.
Nousregagnonslavoitureensilence.Ilfaitvraimenttropfroidpourparler.Nousdéblayonsunpeu laneigequi,pendantnotreabsence,s’estaccumuléeautourdespneus,avantdemonterdans levéhiculeetdemettrelechauffage.Ashplaquesesmainssurl’arrivéed’air.
—Onpeutdirequeç’aétéproductif!Pourquoiellesecache?—Aucune idée. Elle en a peut-être marre qu’on vienne. Et il est possible que Chance lui ait
demandédeneriennousdire.Ashfroncelessourcils.—Ilneferaitpasça.—Ilyaunesemaine,tul’auraiscrucapablededisparaîtredelasurfacedelaTerre?—Tumarquesunpoint.—Maismonintuitionmeditqu’iln’estpaschezlui.Etdanscecas…Jeprendsuneprofondeinspiration.—…danscecas,ilestquelquepartdehors.Dans l’habitacle,nousnous réchauffons,absorbésdans lacontemplationde laneigequi tombe
sansdiscontinueretl’obscuritéalentour.Justenousetlesfloconsquis’amassentsurlepare-brise.ÀpenseràChance,quisecachequelquepartdehorsdanslefroid.
***
Notrepères’estendormidans lecanapé.Ashs’estéclipséepoursechanger,carnos jeanssontmouillés. Je réveille mon père et l’aide à gagner sa chambre, avant de monter dans la mienne àl’étage.
Ilnemedemandepasoùnoussommesallés.Ilnelefait jamais.Peut-êtrequ’unepetitepartdemoilesouhaiterait,carsinousrépondionsquenoussommesalléschezChance,maisquecederniern’étaitpaschezlui,celadéclencheraitd’autresquestions.Notrepèreestintelligent;ilcomprendraitquequelquechosecloche.Peut-êtres’endoute-t-ildéjà.
Jemesensperdu.Toutemavie,monpèreaétélàpourmoi,pourm’aideràgérerlesépreuveslesplusdifficiles.Enfait,peut-êtrequeleplusdurdanstoutcequisepasse,c’estd’avoiràaffronterçaseul.
Aprèsavoirenfiléunpantalonde joggingetunT-shirt, jepassedirebonnenuitàAshdanssachambre.Elleregardedesphotossursonappareil.Noël.LeNouvelAn.Chance,aveclenœudsurlatête.Ilsourit.Jem’assoissurlelitàcôtéd’elle.
— Ilm’a empruntémon vieil appareil, dit-elle sans lever la tête. Ilm’a juré qu’il allaitme lerapporter.Alors,s’iladisparusanslefaire,est-cequeçaveutdirequ’illuiestarrivéquelquechose?
—Tut’inquiètestrop,jeluidis,enlaprenantparlesépaules,avantdedéposerunbaisersursatempe.Ilvabien.Toutvas’arranger.
Elle acquiesce sans un mot. Rien de ce que je pourrai dire ne la convaincra ni même ne laréconfortera,maisc’esttoutcequej’aienstock,alorsquej’ailesplusgrandesdifficultésmoi-mêmeàcroirequetoutvas’arranger.Jerestejusqu’àcequ’elleseglissesouslescouvertures,puisj’éteinsetjeregagnemachambre,enessayantdemepersuaderquelesommeilestprobablementlemeilleurremèdecontrecetteangoissequimeronge.
Jerangeunpeu.Joueenligne.Lismese-mailsetrépondsàunmessagedeRachel.Lelendemainde son départ, je lui avais écrit pour m’assurer qu’elle était bien arrivée chez elle. Elle m’avaitinforméqu’elleétaitbienrentrée.Sonmessageétaitbrefetsec,rienàvoiravecceuxqu’ellem’avaitenvoyés jusqu’à maintenant. Mais je devais m’y attendre. En toute franchise, je m’estime mêmeheureuxqu’ellem’ait répondu.Si la situationavaitété inversée, jenesuispas sûrque j’aurais faitpreuved’autantdegentillesse.
Jemelancedansunetentativedeconversationunpeupitoyable,enluidemandantsielleahâtederetournerencoursaprèslesvacancesd’hiver.C’estlemoinsquejepuissefaire.Cen’estpasparcequenousavonsrompuquejen’aipasd’affectionpourelle,et jeneveuxpaslaperdre.Jen’aipasbeaucoupd’amis.Entoutcasd’amisproches,àpartAshlin,ChanceetRachel.
Auboutd’uneheureàessayerdesuivreuntalk-show,j’éteinslatéléetm’allonge,m’absorbantdans la contemplation des étoiles au plafond. Les fichues constellations de Chance. Je me suistoujoursditquesijenelesavaisjamaisretirées,c’étaitparégardpourmonpère,pourletravailquecela avait représenté de les accrocher.En réalité, c’est parce queChance les adorait et que je n’aijamaispumerésoudreàaffronterladéceptiondanssesyeuxsijamaisjelesavaisenlevées.
Delapointedel’index,jesuisletracédesconstellations,m’arrêtantsursespréférées,nonsansmedemandercequilefascineautantchezelles.Lalibertéqu’ellesévoquent?Ladistanceparrapportàsonquotidien?
Quelimbécileilfait!Jeneparlepasdesafascinationpourlesétoiles,maisdetoutlereste.Detoussesmensonges,etdetouteslesfoisoùiln’apasvouludel’aidequej’auraispuluioffrir–quejeluiauraisvolontiersofferte.J’aibeauessayer,jen’arrivepasàenvisagerleschosesdesonpointdevue. S’il était depuis si longtemps dans cette situation terrible, pourquoi n’a-t-il pas cherchédésespérémentà s’en sortir ?N’aurait-il pas été prêt à tout essayer ?Quelques annéesplus tôt, onauraitretirésagardeàsesparents,etilauraitétéplacédansunefamilled’accueil,maisjenedoutepasuneseulesecondequenotrepèreauraittoutfaitpourluiéviterça.IlauraitprisChanceaveclui,etles tribunaux ne l’en auraient probablement pas empêché. Pas un ex-flic comme lui à la carrièreexemplaire.EtmaintenantqueChanceestmajeur,qu’est-cequil’empêchedepartir?Jen’arrivepasàcroirequ’ilaitpus’enfuir.PassansAshetmoi.Passansnousledire.
Incapable de trouver le repos, je repousse les couvertures et me lève. Et s’il lui était arrivéquelquechose?Quelquechosedegrave,d’irréparable?
Jefaislescentpasdansmachambre,essayantdesoulagerlesfourmillementsdansmesjambes,unetensiondansmonépaule.Devantlafenêtre,jem’arrêtebrusquement,saisi.Jemefrottelesyeux,persuadéd’êtrevictimed’unehallucination.
Chanceestsouslavéranda,danslaneige,latêtelevéeversmafenêtre.Lorsquenosregardssecroisent,ilporteundoigtàseslèvrespourm’intimerlesilence.
Pasfaciledetraverserlamaisonsansréveillerpersonne,maisj’yparviens.Chancem’attendàlaporte, de la neige jusqu’aux chevilles, dans ses chaussures qu’il porte sans chaussettes, et sansmanteaunonplus.Jevaisl’étrangler!Apparemmentquelqu’uns’enestdéjàprisàlui.Ilneditrien.Jeprendssamainfrigorifiéeetleconduisjusqu’àmachambre,etilselaissefaire,plusdocilequejamais.
—Tuesgelé!Àcetinstant,jesuistropbouleverséetsoulagépourluireprochertoutel’inquiétudeparlaquelle
jesuispassé.Parailleurs,jenesuispascertainquelapersonnequisetrouvedevantmoin’estpasunfantôme.
Il lâchemamain et s’assoit sur le lit. Il plie les doigts, comme s’il cherchait à retrouver unesensationoubliée.Suruncôtédesonvisage, les restesd’ecchymosessontvisibles–probablementcelles dontm’a parléAsh.Mais il y en a d’autres. Plus récentes. Elles apparaissent le long de samâchoire, par-dessus les anciennes. Des bleus qui ont la forme de doigts autour de sa gorge. Lapreuve indéniablequequelqu’un l’a agressé.Aucune excusebidonpossible.S’il essaiedemedirequ’ilesttombé,jecroisquejeseraicapabledelefrappermoi-même.Maisilgardelesilence,etpourlemoment,jeneparvienspasàtrouverlesmots.
Mais,chaquechoseensontemps.Dansmacommode, jeprendsunepairedechaussettes etdesvêtements.Quand jem’accroupis
pour l’aider à retirer ses chaussures à moitié gelées, je m’attends presque à voir ses orteils sedétacher.Sespiedssontcommedesblocsdeglace.Jesuisfrigorifiérienqu’àlesregarder.
J’essaie de réchauffer un peu sa peau, avant de lui enfiler les chaussettes qui se chargeront dureste.Puis jemeredresse, je luimarmonnedesinstructions,se lever,sechanger.Ilobtempère, ilabesoindemonaidepourretirersachemiseetsonpantalon.Uneopérationquiauraitdûmeparaîtreétrange, mais mes yeux sont trop occupés à examiner le moindre centimètre carré de sa peaudécouvrantlesecchymoses.Sursescôtes.Unbras.Mêmesondos,quandilsetournepourenfilerleT-shirtsec.
Une autre, contre son omoplate, tout près du tatouage de la constellation du Dragon. Ils’immobilise,leT-shirtdanslamain,etjem’aperçoisquejesuisentraindetouchersontatouage.Deletoucher,lui.Desuivredudoigtledessin,quisembleêtrelaseulepartieindemnedesachairpâle.
Ilsetourneversmoi.—Tuveuxsavoirpourquoijemesuisfaittatouerundragon?Qu’est-cequiclochechezlui?Iladisparudepuisdesjoursetdébarquechezmoi,destracesde
coupssurtoutlecorps,àpeinevêtudanslaneige,etilmeparlededragon?Sesyeuxsontsombresetdistants,ses lèvresentrouvertes.Sonexpressionestcalmeetcontrôlée; jevoissesdoigts tremblerlégèrement.
—C’esttaconstellationpréférée,jeréponds.Ellel’atoujoursété.Ilacquiesce.—Tutesouviensdecequetuportaislejouroùons’estrencontrés?C’étaitilyauneéternité.Commentlepourrais-je?Jesecouelatête.Ilvaudraitmieuxquecette
discussionmèneàquelquechose.—UnT-shirtrouge.Ilposelamainsurmontorse,justeau-dessusdemoncœur,lesdoigtsécartés.—Avecundragonsurledevant.Contresapaume,lesbattementsdemoncœurs’accélèrent.Est-cequ’illesent?—Qu’est-cequetuveux…—Etlepremiercadeauquetum’asoffert,tuterappellescequec’était?—C’étaitilyadesannées,Chance.—Undragonvertdansunebouleàneige.Oui,jem’ensouviens,maintenant.C’étaitunebabioledénichéeaumagasin«Toutàundollar».
Le vert m’avait rappelé ses yeux, et j’avais utilisé mon argent de poche pour le lui acheter ledeuxièmeétécheznotrepère.Ill’avaitprisdanssesmainsavecbeaucoupdedélicatesse,commesimêmesonsoufflerisquaitdelabriser.
—Surlecahierqu’onserefilaittouslestroisavecdespetitsmotsetdescartesautrésor,l’étéoùtuesparti,ilyavait…
—Undragon,jeterminedoucement.D’autreschoses,aussi,mereviennenttoutàcoupenmémoire.Uneexcursionauplanétarium,un
été, pour que Chance puisse en apprendre plus sur les étoiles, notamment sur la constellation duDragon.Le livre sur lesmythes liés auxdragonsqu’il avait chipédansunvide-grenier.Uneboîtedéjeuner avec un motif d’étoiles, dans lequel il avait juré pouvoir reconnaître le tracé de laconstellationduDragon.
— Certaines civilisations orientales les considéraient comme des protecteurs. Comme lesgardiensdelaTerre,desporte-bonheur,toutça.
Commehypnotisé,ilfixesesdoigtssurmontorse.Samains’estréchaufféeàmoncontact.Jem’écarte,exaspéré.Ilpourraitencoretendrelamainetmetoucher,maisils’enabstient.—Oùtuveuxenvenir?Sonregardestdurquandillelèveversmoi.—Àdixans,j’airapportécetoisillonqu’onavaittrouvédansleruisseau,tut’ensouviens?Celui
quejepensaispouvoirsauver.Danslapièce,latempératurechute.Jeveuxcesserdeleregarder,regarderailleurs,maisjesuisclouéparsonregardacéréetdistant.—Lelendemain,tum’asdemandécequ’illuiétaitarrivé,etjet’airéponduquejeluiavaisrendu
saliberté.Enfait,monpèrel’atrouvédansmachambreetapiquéunecrise.Ill’alâchédanslesboisetm’afrappésifortquejen’aipaspuallernageravecvouspendantdessemaines.
Iléclatederire–unrirebref,faible–etsedétourne,sepasselamaindanslescheveux.—C’étaittoujoursàcaused’uneconneriesansimportance.Quelquechosequej’avaislaissélàoù
ilnefallaitpas.Ouquandjeramenaisàlamaisonunpetitanimalquiavaitbesoindemoi.Ilvalaitmieuxquejeparteleplussouventpossible,etj’aipensé…qu’ilsuffisaitquejem’accroche.Queçairaitmieux.Jusqu’à…
Jesaismaintenantoùilveutenvenir.Jelesais.Maisjeneveuxpasqu’illedise.—Chance,jet’enprie…Ilnesetournepas.—Quinzeans.Oùm’avez-voustrouvé,cetété-là?Je m’appuie au montant du lit, résistant à l’envie de m’asseoir. Près de Harper ’s Beach. Les
falaisesd’oùonapercevaitl’îleet,toutenhaut,tropprèsdubord,Chance,fixantl’eauetleciel,ettoutcequisetrouvaitentrelesdeux.
—J’essayaisd’imaginercommentc’étaitdevoler,explique-t-ild’unevoixrêveuse.J’étaissurlepointdesauter.Personnenem’auraitretrouvé.Mêmesi j’avaissurvécuàlachute, j’auraisététropblessépourremonter.Lamaréem’auraitemporté,etpersonnen’enauraitjamaisriensu.
Jemesouviens.Jemesouviensqu’Ashetmoiétionsarrivéstard.Enfourchantnosvélos,nousavionseffectuéle
longetpénibletrajetjusqu’àlaplagesansenparlerànotrepère,carc’étaitleseulendroit,àpartleruisseau,oùnouspouvionsallerdansl’espoirdetrouverChance.
Comme j’aimerais croire qu’ilmement encore !Mais les pièces du puzzle s’assemblent tropbien.AshavaitaperçusonT-shirtjaunevifàtraverslesarbres,àl’écartdusentier.Nousavionslaissénosvélospournousprécipiterjusqu’àlui,hurlantsonprénom.Deboutenhautdelafalaise,aubordduprécipice,Chanceavaitlesbrasécartésetlesalentementbaissésensetournantversnous.
—Ça,c’estdutiming,avait-ildit.Jemesouviensdesesyeuxhagards.Jemesouviensd’avoirpenséqu’ilsauteraitsijenefaisais
ne serait-ce que murmurer son prénom. Je repense à notre soirée du Nouvel An, au malaise qui
m’avaitsaisienlevoyantsiprèsdelacorniche.Jel’avaistiréenarrière.Ilaraison.Ilauraitpusauter,etpersonnen’enauraitjamaisriensu.—Àcetteépoque,ajouteChance, j’étais sûrde tenir lecoup tantque je savaisquevousalliez
revenir.Toi,Ash,Mr J…Vous êtesmes seuls bons souvenirs,Hunter. Puis il y a eu ces quelquesannéesoùvousn’êtespasvenus,etmêmesijecomprenaispourquoi,jenepouvaism’empêcherdepenserquetum’avaisabandonnéetquetunereviendraisjamais.
Je voulais de la franchise, je suis servi.Mais je ne suis pas bien sûr de ceque je peux encoreencaisser.Jemesensfaiblesurmesjambes.Jemelaissetombersurlelit.
—Quet’est-ilarrivé?Chancelèveundoigtetsecouelatête.— Jeme suis fait tatouer un dragon en souvenir de toi. Pourme rappeler que le garçon que
j’aimaisreviendraitunjouretqu’ilseraittoujourslàpourmoi.Ilesquisseunsourirelasetlèvelesyeuxauplafond.Verslesétoiles.—Çadoitteparaîtreridicule.Jenesaisquedire.Jenesaisquepenser.Sicen’est…—Tunem’aimespas.Sonsourires’évanouit.—Désolé.J’oubliaisquetusaismieuxquemoicequejeressens.—Non, je répliqued’un tondur.Tunem’aimespas,Chance.Sic’était lecas, iln’yauraitpas
touscessecrets.Tunem’auraispascachétantdechoses.Tum’auraisparlé.Ilsetourneversmoi,etsonvisagetuméfiéestbouleversé.—Quandj’étaispetit,trèspetit,mamèrem’apromisqu’elleetmoi,onpartiraitloindelui.Elle
venait d’hériter d’un lot deBarbie.Des éditionsCollector, j’imagine, qui valaient pasmal de fric,parce qu’elles étaient en super bon état. Pendant troismois, tout ce à quoi j’ai pensé, c’est qu’elleallaitvendrecesfichuespoupéespourqu’onpuissesebarrer.Puis…pouruneraisonquej’ignore,elleenaparléàmonpère.Jelesaientendusparlerdecequ’ilspourraientfaireavecl’argent.Eux.
Jecommenceàcomprendre.—Lejouroùont’arencontré…lesBarbieaveclesquellestujouais…Ils’enétaitdébarrassé.Parcequ’ilrefusaitquesonpèrepuisseprofiterdel’argentquiétaitcensé
lesauver.Ils’installesurlelitàcôtédemoi.Sapeauestencorefroide,maismoinsqu’avant.—Etcen’estpasparcequemonpèren’avaitpasd’argent.C’estun supermécanicien.Mais il
crame tout au jeu, endrogues, ou tout ce qui lui fait envie.À causede lui, on a perdunotre joliemaison,notrevoiture,etdèsquequelquechosenemarchepascommeilveut,ils’enprendàmamèreetàmoi.C’estpourçaquejenepouvaispaspartir.Ilfallaitquequelqu’unsoitlàpourlaprotéger.Elleestmaseulefamille,etjel’ailaisséetomber.
Jecherchesamain,j’entouresonpoignetfin,undoigtaprèsl’autre.—Tunel’aspaslaissétomber.C’estellequiauraitdûteprotéger,Chance.Pasl’inverse.C’est
autantlafautedetonpèrequecelledetamère.Sesépauless’affaissentcommesiunpoidsvenaitd’enêtreenlevé.—Jenesaispluscequejefais.Jesuissifatigué,Hunter.J’aitellementvouluqueçachange.Il y a tant de choses à dire. Toutes ces choses que j’ai pensé dire ces dernières semaines.Des
parolesrassurantes,desparolesderéconfort…maisencetinstant,riennemevientàl’esprit,sicen’est:
—Çavaaller.Jevaisprendresoindetoi.Laisse-noust’aider.
Ilsecouelatête,esquisseunfaiblesourire.Lentement,ilpasselebrasautourdemesépaulesetapprochesabouchedemonoreille.
—Est-cequetum’aimes?Unfrissoncourtdansmondos.Nousyvoilà.Lemomentdevérité. Je repenseàRachel sur le
trajetde l’aéroport, à lanuitoù je luiaidit accidentellementque je l’aimais,parceque toutesmespensées, toutemonattentionétaientdirigéesversChance,sibeau,dehors,dans laneige.Jesensunchatouillement sur mes lèvres en repensant à son baiser, puis aux baisers de Rachel, et commentensuitejen’aipum’empêcherdecomparerlesdeux.
Chanceesttotalementimmobile,maisjesenssapoitrinesesouleverets’abaissercontremoi;jenevoispassonvisagecarnoussommesjouecontrejoue,etc’estpeut-êtreunebonnechose.Sinon,jedoutemêmedepouvoirarticulerlemoindremot.
Alorsqu’iln’yapasplussimplecommequestion,enfait.Jenecessed’yréfléchir,pourtantc’estévident.Simplement,cettevéritémedéplaît,carelleestterrifiante.Ellememetenpositiond’êtrelaseulepersonneaumondecapabledesauverChanceHarvey,etquefairedecetteresponsabilité?Decetteattente?Comments’ouvrirtotalementàquelqu’unenquionnepeutavoirconfiance?
Ilnemedemandepassic’estunebonneidée,oucequejecomptefaire.Seulementsijel’aime,etjeluidoisd’êtrehonnête.Jeledoispeut-êtreaussiàAshlin,pourm’avoirencouragé,mêmesicelaadûluibriserlecœur.
—Oui,jemurmure,etlesmotsaccrochentdansmagorge.Jet’aime.Il s’écarte, lesyeuxécarquillés, les lèvresentrouvertes.Presqueétonné.Comme il s’attendait à
tout sauf ça. Je fouille son regard, cherchant désespérément quelque chose à dire pour me sentirmoinsvulnérable.Jen’yparvienspas,etilsepencheversmoipourm’embrasser.
Cen’estpasdifférentde ladernière foisauréveillonduNouvelAn.L’excitationet lapeurquis’insinuentdanslamoindrefibredemoncorpsetprovoquentunemontéed’adrénaline.Àceciprès,maintenant,qu’ilyacetteabsencedeculpabilitévis-à-visdeRachel.Jen’aipaslamoindreidéedecequejesuisentraindefaire,maisj’embrasselegarçonquej’aienvied’embrasserdepuisdesannées.
Ilprendmonvisagedanssesmains,etjel’enlace,jeveuxl’attirerplusprès.Jepensealorsquejerisque de lui faire mal, à cause de ses bleus, mais il ne dit rien, et je ne pense plus alors qu’àl’embrasser comme il lemérite. Je suis frappépar le contraste entre la chaleurde sabouche et lefroiddeseslèvres.
Mesmainsagrippentsonbassin,etjeperçoisladifférenceparrapportàRachel.C’estdifférent.Mieux. Parce que c’estChance. Je sens tout de lui. La moindre de ses respirations. Le moindrebattement de son cœur, qui se confond avec le mien. Sa bouche, la chaleur et la lumière qu’ellediffuse,commeuneétoile,danstouteslesfibresdemoncorps.
Jenesaispascequenoussommesentraindefaire.Sic’estbienoumal.Simêmejem’ensoucieencore.
Iln’yaplusqueluiquicompte.Lecontactvraidesoncorps,legoûtdesabouche,sessoupirscontremeslèvresquandnousnousallongeons,moisurlui,surlelit.Etpeuimportemoninquiétude,oumonincertitude.C’estbon.Iln’yaqueChanceetmoi.Deuxêtresvenusdelamêmeétoileilyadesmilliardsd’années,quisesontcherchésl’unl’autredansl’immensitédel’univers,etquiviennentseulementdesetrouver.
—Tuserasensécuritéavecmoi,jemurmurecontreseslèvres.Jeteprotégerai.Jetelepromets.Sabouchesecourbeenunsouriretriste.Sesmainsmecaressentletorse,lesépaules,seglissent
dansmes cheveux.Comme s’il dessinait la carte demon corps. Jeme lance dans l’exploration dusien.Soudainilgrimace,j’aitouchéuneecchymose.
Jem’écarteimmédiatement,etlerestedumondeserappelleàmoi.—Désolé,je…—Tais-toi.Il ritetm’attirecontre lui, j’ai la têtesursonépaule.C’estbizarre,noscorpsnes’adaptentpas
comme les piècesd’unpuzzlemagique.Le sienne semoulepas aumien commecelui deRachel.Maisc’estparfait,etjenedisrien.
Ilregardeverslesétoilesduplafond,lesyeuxmi-clos,etmecaresselescheveuxd’unairabsent.—TuasvucommelaconstellationduDragonbrille,dit-il.Cenesontquedesétoilesenplastique.Maissiçalerendheureux,jenevoispaspourquoijele
contredirais.Jefermelesyeux,mêmesim’endormirestladernièrechosequej’aieentête.D’ailleursjenepensepasenêtrecapable.
—Tuvasrester,hein?Onparleraàpapademain?Ilmerépondparungrognementquin’estpasunoui,avantdedire:—Peut-être.Jenepourraiprobablementrienentirerd’autre.Ilenfouitsonvisagedansmescheveuxetinspirelonguement.—Redis-le.—Quoi?—Quetum’aimes.Avecmesjambes,j’essaiederemonterlescouverturessurnous.Ilvamefalloirunpeudetemps
pourm’habitueràcegenredechoses.—Oui,jet’aime.—Quoiqu’ilarrive?—Oui,Chance.Quoiqu’ilarrive.
***
Lelendemainmatin,Chancen’estpluslà.Soncôtédulitestencorechaud;iln’estdoncpaspartidepuislongtemps.Jeroulesurlecôtéen
grognant,jemepasselesmainssurlevisage,etsongequej’aipeut-êtrerêvétoutcequ’ils’estpassélanuitdernière.
Mais les vêtements que Chance m’a empruntés ont disparu, tout comme ceux qu’il portait enarrivant chez moi. Il doit bien m’avoir piqué un quart de ma garde-robe au fil des années.Aujourd’hui,jemedemandesic’étaitparnécessité–parcequ’ilenavaitbesoinetn’auraitjamaisosémeledemander–ouparcequeçalefaisaitsesentirplusprochedemoi.Peut-êtrelesdeux.
Jemelève,unpeusonné.Etmaintenant?Queva-t-ilsepasser?Chanceest-ilretournéchezlui?Sic’estlecas,ilfautquejem’habilleetquej’aillelerechercherlà-bas.Unefoispourtoutes.
Ashdortencore.Ellerâlequandj’entredanssachambreenl’appelant,maisilsuffitquejedise«Chanceétait làhiersoir»pourqu’elleseredresse,essaiedemettreenordresescheveuxtoutenrepoussantlescouvertures,etcherchemalgrésavoixpâteuseàparaîtreplusalertequ’ellenel’est.
—Pourquoitunem’aspasréveillée?—Ilnevoulaitpasqu’onlevoie.Cequiestundemi-mensonge,parcequebiensûrilvoulaitmevoir,moi.Ets’ilavaitvouluvoir
Ash,ill’auraitdit.Ilestcommeça.
—Viens.Onvaallerlechercherchezluietleramenerici,mêmesiondoitenfoncerlaporte.—Çaneparaîtpastrèslégal,toutça,murmure-t-elle.Néanmoins,ellemepousseverslaportepourquejelalaisses’habiller.Dix minutes plus tard, nous descendons l’escalier, avec l’intention de partir sur-le-champ en
faisantl’impassesurlepetitdéjeuner.Àmi-hauteur,j’entendslavoixdenotrepère,etdepuislesalon,nous le voyons à la porte d’entrée, en train de parler à deux hommes en uniforme. Je reconnaisvaguement l’und’eux,uncertainRoger,uncollèguepolicieretamidenotrepère.L’autre typeestplusjeune.Pasmal.
Ils nous aperçoivent, et leur expression sombrem’informe qu’il ne s’agit pas d’une visite decourtoisie.Notrepèresetourneversnous,levisageferméetinquiet.Lapeurmesubmerge,enserrantmoncœur.
—Papa?ditAsh.Qu’est-cequ’ilsepasse?NotrepèreregardeRoger,quirépond:—NouscherchonsChanceHarvey.Unsonétranglésortdemabouche.Ilslecherchent.C’estuncranau-dessousde:ilaétéretrouvé
mortdansunfossélanuitdernière.Pasgénial,maisçapourraitêtrepire.Jeréfléchis.Avantquejepuisserépondre,Ashsecouelatête.
— On ne l’a pas vu depuis plusieurs jours. On a essayé de le joindre. Il s’est passé quelquechose?Ilvabien?
Elle estplusdouéequemoipourmentir. Je fixe lesdeuxofficiers etmonpère, sansciller, enessayantdegardermoncalme.Deréfléchirdefaçonlogique.Qu’a-t-ilbienpusepasser?
Prenantunegrandeinspiration,monpèreannonce:—LamèredeChanceaétéassassinée.
Ashlin
Jesuissonnée.Commesi j’avaispercutéunmurdebrique.Hunters’effondresur lecanapé, latêtebaissée,sesmainsfourragentdanssescheveux.Doucement,jem’assoisauprèsdeluiettendlamainverslasienne.Jelelaissemelaserreraussifortqu’ilenabesoin.J’enaibesoinmoiaussi.
—Samère,jerépète.Çan’apasdesens.Papafaitentrerlesagentsdepoliceetrefermelaporte.Luiaussivients’asseoiràcôtédeHunter,
pour resterprèsdenous.Rogerprendplacedans le fauteuildepapa, tandisquesoncollèguerestedebout.
—Écoutez,ditRogerd’unevoixdouceens’adressantànous,toutcequevouspourreznousdirenousaideraconsidérablement.
Oh,ilyaquantitédechosesquenouspourrionsluidire.JemedemandemaintenantsinousavonsbienfaitdetairelaprésencedeChanceicilanuitdernière.Aurions-nouspuluiservird’alibi?A-t-ilseulementbesoind’unalibi?
—Nousne l’avonspas vudepuis plusieurs jours, je répète.On a été unpeu… Il a été… Il sepassaitdestrucschezlui,etons’estditqu’ilavaitdeschosesàgérer.
—Quelgenredetrucs?Monfrèreetmoiéchangeonsunregard.—Ilestsuspect?jedemande.—C’est une éventualité, répond le plus jeune des agents de police.Mais commençons par le
commencement : nous aimerions savoir s’il va bien. À en juger par l’état de la maison, on peutsupposerqu’ilyaeulutte,etZekeHarveyluiaussiadisparu.
Roger lance un coup d’œil à son coéquipier, comme si ce dernier en avait trop dit, avantd’ajouter:
—Chancedoitvenir aupostepour répondreàdesquestions.Nousnepouvonsécarter aucunehypothèse.
— Chance ne s’en serait jamais pris à sa mère, martèle Hunter. S’il devait s’en prendre àquelqu’un,çaseraitàsonpère.
Rogerposelescoudessursesgenoux,lesmainsjointes.—Etqu’est-cequitefaitdireça?Jefermelesyeux,sachantquejamaisHuntern’auraitditunechosepareilles’iln’avaitenvisagé
dedéroulertoutel’histoire.Maintenant,queChanceleveuilleounon,nousallonséventersonsecret.Hunterfixesesmains,uneexpressionindécisesurlevisage.
—Parcequ’ilsefaittabasserparsonpère,finit-ilpardire.
***
Il nous faut deuxheurespour raconter àRoger et àAllen– son coéquipier– tout cequinousparaîtutile.Enfin,utileàChance.Nousveillonsbienàneriendirequipuisseledesservir.Cen’estpasmentir.Pasvraiment,entoutcas.NoussavonsqueChancen’estpascoupable,etcelanesertàriendedonneràlapolicedesraisonsdeleharceler.Jemesenstoujourstiraillée.SinousleuravouonsmaintenantquenousavonsmentietqueChanceétaiticilanuitdernière,ilspourraientmettreendoutetoutcequenousleuravonsdit.Ilsnenousdonnentquetrèspeud’informationssurlemeurtre.Noussavonsseulementquec’estarrivéhier,dansl’après-midiouensoirée,etquelesvoisinsontsignaléavoirentenduuncoupdefeu.IlsemblelogiquededéduirequececoupdefeuaétéfatalàlamèredeChance.
Apparemment,c’étaitpeudetempsaprèsnotrepassage.IlestpossiblequenoussoyonsmêmelesdernièrespersonnesàavoirvuTabithaHarveyenvie.
Quand les policiers repartent,Hunter est lessivé, et papa n’a pas décroché unmot.Dès que laported’entréesereferme,ilselèveetgagnelacuisineenboitillant.Sansriendire.Hunteretmoilesuivons.
—Papa?jedis.Ilnoustourneledos,ilprépareuncafé.Sesgestessontempruntsdelourdeur.Puis,auboutd’un
instant:—Jen’airienvu.—Nousnonplus,murmureHunter.— Vous étiez des gosses. L’adulte, c’était moi. Je voyais davantage Chance que ses propres
parents,etj’auraisdûreconnaîtrelessignes.J’aitoujourssuqu’iln’étaitpasheureuxchezlui,maisça…
Il secoue la tête. Il s’en veut. Je déteste le voir comme ça. Ce n’était pas sa faute. Comme ils’énervesurlacafetière,jelepoussedoucement.Ilsoupireetvas’asseoiràlatabledelacuisineentraînantlespieds.
—J’aiessayéquelquefoisde luiparler…je luidemandais siçasepassaitbien…Ila toujourschangédesujet.
—C’étaitpareilavecnous,jedis.Hunters’assoitenfacedepapa.—Tunecroispas…qu’ilaitpulefaire?Papacroiselesmainssurlatableensoupirant.—Chancen’estpasleseulsuspect.Cen’estpasun«non»,maiscen’estquandmêmepasun«si».Jem’encontenterai.—Sonpère…— Zeke Harvey, acquiesce papa, l’air grave. Il est mécanicien dans un garage en ville, a dit
Roger. Je n’y suis jamais allé, mais je suis passé devant de nombreuses fois. Il a une certaineréputation…
—C’estforcémentlui.Hunterserelève,tropagitépourresterassis.—C’estsûr.IltabasseChancedepuistoutescesannées,etonavusamère,pasvrai,Ash?Elleest
flippée. Ça nem’étonnerait pas qu’il la frappe aussi. Chance a dit que, toutes ces années, il avait
essayédelaconvaincredequittersonmari,etpeut-êtrequ’elleétaitsurlepointdelefaireetqu’ill’adécouvert…
Papaluilanceunregardpensif.—Quandest-cequ’ilt’aracontétoutça?QuandHuntouvrelabouchepourrépondre,ilseressaisitauderniermomentavantdedirehier
soir.MêmesipapasouhaitedetoutsoncœurprotégerChance,iln’approuveraitabsolumentpasnotredécisiondementiràlapolice.
—Jenesaisplus.Ladernièrefoisqu’ons’estvus.—Hmm.Jeplaceunetassedecaféfumantdevantlui.Illafixe,commes’iln’étaitpastoutàfaitsûrdece
qu’ildevaitenfaire.—Rogermetiendrainformédesdéveloppementsdel’enquête.Cedontj’aibesoin,c’estquetous
lesdeux,vousessayiezderetrouverChance.Sivouslevoyezouluiparlez,vousmetenezaucourant,compris ? À l’heure actuelle, la meilleure chose qu’on puisse faire pour lui, c’est l’amener àcoopéreraveclapolicepoursedisculper.
Hunteretmoiéchangeonsun regard.AmenerChanceàcoopéreravec lapolice?Cen’estpasgagné.
***
Lesdeuxjoursquisuivent,jemefaisporterpâleauboulot.Quandj’yretourneletroisièmejour,toutlemondesetaitàmonarrivée.Jemetsunebonnevingtainedeminutesavantdecomprendrequeles flics ont dû se présenter ici, à la recherche deChance, qu’ils ont appris qu’il n’était plus venutravaillerdepuisquelquetempsetqu’ilavaitétérenvoyé.Dumoinsill’auraitété,siDebavaitpuluimettrelamaindessus.
Debm’entraînedansunbureauàl’arrière,letempsdemedire:—J’espèrequecequ’ilsepasseavecChancen’arienàvoiravectoietquecelanevapasaffecter
tontravail.Jerêve!Ellepensevraimentquejepourraisavoirquelquechoseàvoirdanstoutça?—Jenelecachepasdansmapoche,sic’estquevouspensez,jerépliqued’untonferme.Deb me fixe sans répondre. Génial, même ma chef me traite comme une lépreuse. Je vais
reprendremontravail.Enpassantmon tablier, jedécidede faireprofilbasetdemeconcentrersurmon travail.C’est
mieuxpourChance.Etpourmoiaussisijeveuxgardercejob.Vivementquecettejournéeseterminepourque jepuisseme tireretcontinueràchercherChance. Je songequeHunter, luiaussi, estallétravailler,etqu’ildoitêtreaussipeuconcentréquemoi.
Toute la journée, j’envoie des textos à Chance, dès que je trouve un instant pour sortir montéléphone.Cela fait trois jours. Jenesaispourquoi,chaquefois, jecroisde façonunpeumagiquequ’ilvamerépondre.Maislesflicsnel’ontpasretrouvé,etn’ontpasnonplusretrouvéZeke,cequin’estbonsignepouraucundesdeux.
Pourmapausedéjeuner, jem’isoleà l’arrièredubâtimentavecmonsandwichetunebarredecéréales. Aucune envie d’aller dans la salle de repos. Avant, je déjeunais avec mes collègues,aujourd’huijenepeuxmêmepasyallerpourm’asseoiruninstantsansqu’onmeregardecommeunebêtecurieuse.Quellequesoitlafaçondontc’estarrivé,unepersonneestmorte.Jen’étaispeut-être
pas laplusgrande fandeMrs.Harvey,et ellen’auraitpas remporté leprixde lamèrede l’année,maisquoiqu’ilensoit,c’étaitunêtrehumain.Elleneméritaitpasça.Maisçan’empêchepaslesgensd’yallerdeleurscommérages,etjenetienspasàlessubir.
Du coup, c’est dehors et seule. Je travaille en soirée, de sorte que, techniquement, la pausedéjeunerestunepausedîner.Bienqu’ilfassetropfroiddehorspourprofitervraimentdecettepause,jegrignotemabarredecéréales,parcequ’ilfautbienquej’avalequelquechose,tandisquejevérifieencoresurmontéléphonesij’aiunappelenabsenceouuntextoquejedésespèrederecevoirunjour.
—Situnecomptespasmangertonsandwich,jepeuxl’avoir?Enentendant lavoixdeChance, je tournesivivementla têtequejemecognecontrelemur.Je
grimaceenmefrottantlanuque,j’enaileslarmesauxyeuxetmavuesebrouillealorsqu’ils’assoitàcôtédemoi.
—Tut’espasratée!Çava?—Siçava?j’articuleavecpeine,enfrottantlabosseentraindeseformer.Siçava?Espècede
connard!T’étaisoù?Lesflicstecherchentpartout!Chance porte sa parka, capuche relevée. Qui ne suffit pas à dissimuler les ecchymoses. Je
comprendspourquoiHunterétaitaussibouleversé.Çavireaumarronetau jaune–çaguérit,maislentement.Ilhausselesépaules.
—Icietlà.Qu’est-cequ’ont’araconté?—Quetamèreaétéassassinée.Jel’observe.Àpartunelueurfugacedechagrinquipassedanssesyeux,ilneréagitpas.—Tudoisallertrouverlapolice,Chance.Etleurracontertoutcequetusais.Ilstecroientsoit
mort,soitsuspect.—Etmefairearrêter?dit-ilavecunegrimace.Jenecroispas,non!—Pourquoiest-cequelesflicst’arrêteraientsitun’espascoupable?—Parcequejesuistoujourssuspect.Etjesuisprêtàparierqu’ilstrouveraientunmoyendeme
garder.—Uniquementparcequetucherchestoujoursàt’enfuir.Situétaisallélestrouvertoutdesuite,il
n’yauraitpaseudeproblème.Ilsoupire toutenentortillant, l’airabsent,unemèchedemescheveux.Legeste,si familier,me
rappellecruellementàquelpointtout,quelquesjoursplustôt,étaitnormal.—Tusais,c’estmaparolecontrelasienne.Onétaittouslesdeuxsurplace.Immédiatement,macolèreretombe.Jesuistotalementvidée.—Tuétaislà…?Ilhausselesépaules,leregarddanslevague.Ilestassisjusteàcôtédemoi,maisjelesensàdes
kilomètres.Sansparlerdesecchymoses,ilalestraitstirés,fatigués,etlesyeuxrougis.—Chance.—Quoi?Jepassemesmainsautourdesonbras,etjelevoisgrimacer.—Parle-moi.—Iln’yapasgrand-choseàdire.Lesflicsdoiventattrapermonpèreetlemettreenprison.C’estbref,maissonintonationchangeàlamentiondesonpère.—Jen’airienàvoiravectoutça,ajoute-t-il.—Tunepeuxpasfuiretleséviterjusqu’àcequetonpèresoitinculpé.Cen’estpascommeça
queçamarche.Tuaspeur,et jecomprends,moiaussi, j’auraispeur.Defait, j’aipeur.Maisfuiret
ignorercequisepassenevapasarrangerleschoses.Tuviensdeperdretamère,ettudétienspeut-êtredespreuvessusceptiblesd’aideràcoincerlecoupable.
Ilfinitparmeregarder,avecunsouriretriste.—J’aibiendespreuves,maispassurmoi.Jefroncelessourcils.—Quellespreuves?Haussementd’épaules.—Peuimporte.Je résiste à l’envie de le frapper avec le reste dema barre de céréales. Perdremon calme ne
serviraitàrien.—Tudoisallertrouverlapolice.—Etsijen’yvaispas(ilprendlesandwichauqueljen’aipastouché,lemetdanslapochedesa
parkaetselève),tuvaslesappelerpourleurdireoùmetrouver?Jerelèvelatête.Danssabouche,cen’estpasundéfi.Cen’estqu’unequestion,simpleetdirecte.
Tumedénoncerais?Tumecroiscoupable?Commejegardelesilence,ilpoursuit.—Simonpèremeretrouve,ilmetuera.Sijesuisarrêté,mêmepaslongtemps,ildisparaîtra,et
jamaisonneleretrouvera.Tantquejesuisenlibertéetenfuite,ilmecherchera,etilfiniraparfaireuneerreuretparsefaireprendre.
Àcet instant, je lehaispresquedemefaireça.Demeforcer lamain–demeforceràchoisirentrelaloietcequiestjustepourlui.Parcequ’ilapeut-êtreraison.Ensuite?SiChanceestarrêtéetque, le temps qu’il soit disculpé,ZekeHarvey s’enfuit,Chance devra-t-il passer des semaines, desmois,desannéesàregardersanscesseautourdelui,àsedemanderquandsonpèreleretrouvera?D’unautrecôté,siChancesecache,quesepassera-t-ilsiZekeleretrouve?Iln’aurapersonnepourleprotéger.
Épuisée,jemepasselamainsurlevisage.QueferaitHunter?Jen’enaipaslamoindreidée.Enfait,jenecroispasqueluinonplussauraitquoifaire.Alors,jenerépondsrien.
—Vousdeux,vousdevezarrêterdemechercher,déclareChance,encommençantàs’éloigner,lesmainsdanslespoches.Sinon,vousaurezdesennuis.
Iltournelecoindelarue,etjemeretrouveseule,sanssandwich,aveclamoitiéd’unebarredecéréales,etplusdequestionsquederéponses.
Hunter
Monpèreme tuerait s’ilme voyait en cemoment, assis dansma voiture devant le garage quiemploieZekeHarvey.Ils’envoudraitaussidenousavoirrévéléoùtravaillelepèredeChance.Nonqu’ilnousaitdonnélenomdugarage,maisiln’yenapasbeaucoupdanscettepartiedelaville.CelaconfirmecequeChancem’aditlanuitdernièresurlemétierdesonpère.Lesmécaniciensgagnentbienleurvie.Àcestade,j’imaginequ’iln’aplusrienàcacher.Aucuneraisonpourluidecontinueràmentir.
Je ne sais pas trop pourquoi je suis ici, si ce n’est faire le peu qui est enmon pouvoir pourtrouver Chance… ou Zeke. Ce qui est stupide. C’est le dernier endroit où Chance ou son pèrechoisiraientd’allersecacher.Nuldoutequelesflicssontdéjàpassésici.Ilsdoiventmêmesurveillerles lieuxetontsûrementdemandéauxautresmécaniciensde leursignaler toutcequipourrait leurparaîtresuspect.
Me pointer dans le garage en leur demandant où est Zeke ? Ouais, je parie qu’ils pourraientsignalermoncomportementcommesuspect.
Tout commemon stationnement sur ce parking. Je devrais vraiment aller chercherAsh à sontravail,mais je n’arrive pas àme sortir de la tête que je dois continuer les recherches. Et que jedevraissavoirprécisémentparoùcommencer.
JesuistellementconcentrésurlegarageetlesvisagesétrangersquiyentrentetensortentquejeneremarquepasRoger,jusqu’àcequ’ilcogneàlavitredemavoiture.Jesursaute,affolé,etj’abaisselavitre.
—Ah,Roger!Bonjour.Detoussescollègues,Rogerestceluiquemonpèreconsidéreraitcommeunvéritableami.Ilsont
été coéquipiers. Roger nous offrait des glaces et des bonbons, quand on n’avait pas le droit d’enmanger,sejustifiantparun:«Simoi,jen’aipasledroitdevousgâter,quil’a?»Isobelmiseàpart,c’estluiquiaaidéleplusmonpèrependantsaconvalescence.Mêmesinousnel’avonspasvudepuisplusieursannées,jeleconsidèrecommeunesorted’oncleéloigné.Etàlevoirfroncerlessourcils,jemeratatinedansmonsiège.
—Ai-jevraimentenviedesavoircequetutrafiquesici,Hunter?demande-t-il.—Jevoulaisjuste…Siseulementjesavaismieuxmentir…Maisdetoutefaçon,Rogers’enrendraitsûrementcompte.
Mieuxvautdirelavérité.—Jem’inquiètepourChance.Illissesamoustache,etsonexpressionagacées’adoucitunpeu.—Hunter…
—Ilpourraitêtrepartout.EtsiMrs.Harveyn’étaitpaslaseulevictime?Àcetteidée,jesensmagorgeseserrer,etmavoixtremblequandj’ajoute:—Ets’ilétaitmortquelquepartdanslesbois?Çaneluiressemblepasdedisparaîtresansrien
nousdire,àAshetàmoi.S’iln’estpasblessé,alorsilsecache.Etilapeur.Rogerécoutepatiemment,lesbrascroisés,enacquiesçant.— Je comprends,Hunter, je t’assure.Mais tu penses vraiment que tu le trouverais ici ?Qu’en
penseraittonpère?Jefixel’enseignedugarage,sapeintureécaillée,commes’iln’yavaitriendeplusfascinantau
monde.—Etvous,qu’est-cequevousfaitesici?Vousavezunepiste?Unsourireamusénaîtsurseslèvres.—J’aibienpeurquenon.Jesuisjustevenuvoirlesemployés.—Detoutefaçon,mêmesivousaviezunepiste,vousnemelediriezpas.Ilenparleraitpeut-êtreàmonpère.Maiscertainementpasàmoi.Rogersecouelatête.—Fichelecampd’ici,Hunter.Onseverraplustard.Etarrêtedejouerlesdétectives.Ildonneunetapesurletoitdelavoitureetrecule,ilattendquejedémarre.Danslerétroviseur,je
levoisquimeregardepartir.Pours’assurer,j’imagine,quejeprendsbienladirectiondechezmonpère.
J’ai vingt minutes de retard quand j’arrive pour chercher Ash à son travail, et elle m’attenddehors,latêtebasse,unpeudeneigesursonmanteauetsescheveux.Coupable,jemontelechauffageàfonddanslavoiturequandelleseglisse,frissonnante,surlesiègepassager.
—Jesuisdésolé.Jen’aipasvul’heurepasser.—Cen’estpasgrave,murmure-t-elle.C’estpascommesiçacaillaitdehors.Elleestronchon;jeleseraisaussi.Maiscen’estpasseulementparcequej’aitardéàpasserla
prendre. Elle se tourne de façon àme signifier que ça ne va pas et qu’elle n’a aucune envie d’enparler.Mais,alorsquej’engagelavoituredansnotrerue,jedécidequejen’aipaslamoindreenvieaujourd’huidemeconformeràcesrèglesimplicites.
—Mauvaisejournée?jedemande.Elleacquiesceengrommelant.—Pastoi?Depuis que nous avons appris pourMrs. Harvey, toutes nos journées sont cauchemardesques.
Certes,jen’appréciaispasbeaucoupcettefemme,maiscen’estpaspourçaquejedésiraissamort.Etpuis,penserqueChanceseretrouveseulàgérerçamerendmalade.
—Leboulot,ç’aété.Qu’est-cequ’ils’estpassé?—Danscecas,tescollèguessontplussympasquelesmiens.Elles’écarteencore,etpressesonfrontcontrelavitre.Jegrimace.—Lesflicssontvenusinterrogertoutlemonde,c’estça?—Toutlemondeleconnaissait,alorschacunyvadesesconclusions.Etilsessaientdemefaire
parlerdecequ’ils’estpassé.Oumefairediresijesaisoùilsetrouve.—Jesuisdésolé, jedisenm’engageantdansl’alléepourmegarerderrièrelafourgonnettede
notrepère.Maisjesuissûrqu’ilvabien.—Jel’aivuaujourd’hui.
Elle ouvre la portière pour descendre. Je reste derrière le volant, estomaqué. Puis je coupe lemoteuretmeprécipitederrièreelle.
Jelarejoinsdansl’entréeoùjelatrouveentrainderetirerseschaussures.L’attrapantparlebras,jeluiparleàvoixbasse,pourquenotrepère–oùqu’ilsoit–n’entendepas.
—Commentça,tul’asvuaujourd’hui?— Il est passé à la librairie pendant ma pause déjeuner, répond-elle en se dégageant de mon
emprise.Ilm’aditqu’ilfallaitqu’onarrêtedelechercher,parcequ’ilnevoulaitpasqu’ons’attiredesennuis.
Jepeineàintégrerlesinformationsqu’ellemedonne,tropoccupéàassimilerlefaitqu’ellel’aitvu.Ilvabien,ilestvivant,enunseulmorceau.Lesjambesencoton,jem’adosseàlaported’entréeenessayantdemesouvenircommentrespirer.
— Il neveutpas aller trouver lapolice,Hunt. Il pensequ’il vautmieuxattendrequeZeke soitarrêté.J’aiessayédeluifaireentendreraison,mais…
Mais.Ouais.Qu’ajouterd’autre?Chanceestégalàlui-même.C’estexaspérant.—Tuauraispuappelerlesflics.—J’auraispu.Ellesuspendsonmanteau,puissetourneversmoi.—Tul’auraisfait?—Jen’enaipaslamoindreidée.Elleesquisseunsouriretriste.—Ouais.Elles’éloigneàl’intérieurdelamaison.Monpèren’estpasdanslesalonàregarderlatélé,donc
ildoitêtredanssachambreentraindelire.JeretrouveAshàl’étage,oùilestplusfaciledeseparler,àl’abridesoreillesindiscrètes.Elleposesonsacetselaissetombersursonlitensoupirant.Jefermedoucementlaporteetm’assoissurlefauteuil.
—Tucomptesmeracontercequ’ilt’adit,outuvasmelaissermacérerdansmonjuscommeça?—Çapourraitêtredrôle,répond-elleenscrutantleplafond.Jet’aidéjàtoutraconté:lesflicsne
croirontpascequ’ilpourraitdire,ceseraitsaparolecontrecelledesonpère,etilpréfèrecontinueràsecacher.C’estàpeuprèstout.
C’esttoutChance.Semontreraussimystérieuxetvaguequ’ilesthumainementpossibledel’être.Jepourraisl’étrangler.
—Ilnet’apasracontécequ’ils’estpassé?— Simplement qu’il se trouvait sur place quand c’est arrivé. Aucun détail, ajoute-t-elle en se
couvrantlesyeux.Ilétaitlà.Ilsetrouvaitchezlui,danslamaison,quandsamèreaétéassassinée.J’essaiedem’imagineràsaplace.Mamèreetmoiavonsunerelationtendue,maisjel’aime.Etje
saisqueChanceenvoulaitàsamère,maisaussiqu’ill’aimaitetsouhaitaitlaprotéger.C’étaitcequ’ilatentédedirecettenuit-làdansmachambre.Ilpensel’avoirlaisséetomber,parcequ’iln’apaspuéviterqu’ellesefassetuer.Avoirétéletémoindesonmeurtreetseretrouvertoutseul,dehors,aveclesentimentquemêmelajusticenepourrapasl’aider…
Queressent-il?Qu’est-cequ’illuipasseparlatête,encetinstant?Quesuis-jecenséfaire?—Quoiqu’il puissepenser, c’estun témoinoculaire, et son témoignageconstitueunepreuve,
non?
—Ilprétendavoirunepreuve,maispassurlui…jenesaispastropcequeçaveutdire.Jefroncelessourcils.—Commentça,unepreuve?Etilnel’aplus?Ill’aperdue?Unesecondepasse.Ash,lesyeuxdanslevague,semblechercheruneréponse.—Jen’enaipaslamoindreidée,finit-ellepardire.Écoute,jesuisépuisée.Onpourraitparlerde
toutçademain?Quandest-cequetutravailles?—Lesoir,encore,jedisavecunsoupir.— Moi, demain, je ne bosse pas. Heureusement. Plus vite tout sera fini, plus vite les gens
arrêterontdemeregardercommesij’étaislacopinedeCharlesManson.Ellelèvelesyeuxaucieletagitelamain,mechassantdesachambre.Je suis trop fatiguépour argumenter.Les événementsdesderniers joursnousontpompé toute
notre énergie, à Ash, papa et moi. Plusieurs fois, j’ai entendu papa s’entretenir avec Roger autéléphone,luidemanders’ilavaitdunouveau,lamoindrechosequ’ilpourraitnousapprendre.
Toutvas’arranger,jemerépétepourm’enconvaincre.Dansmamessagerie,jetrouveuneréponsedeRachel.Sese-mailssontencoreunpeufroidset
distants,maisaumoins,ellemerépond.Jeneluiaipasracontécequ’ilsepasseavecChance.Jenepeuxm’yrésoudre.Celanesefaitpasvraiment,deparleràsonexdelapersonnequi,techniquement,estàl’originedelarupture…
Ce n’est pas comme si Chance etmoi étions ensemblemaintenant. Non ? Ce qu’il s’est passél’autrenuit…
Jenesaispas.Parfois, de façon fugace, j’ai comme une certitude sur l’issue de toute cette affaire. Zeke sera
arrêté,Chanceviendravivreavecnous, luietmoiarriveronsàdépatouillercequ’il sepasseentrenous,quoiquecelapuisseêtre,ettoutirabien.
Ilseraensécurité.Nousseronsheureux.Puisjemerappellequejen’aipaslamoindreidéedel’endroitoùilsetrouve,etquej’ignores’il
nevapasfinirparfaireunebêtise.Parcequec’estquelqu’undecomplexeetdehorsnormes,quipeutsemontreraussistupidequegénial.
MaisjenepeuxriendiredetoutcelaàRachel.Jenepeuxmêmepasenparleràmonpère;quantàAshlin,elleasuffisammentdesoucisencemomentpourquejeluiimposelesmiens.ÇaadûêtredurpourelledevoirChanceetd’êtreincapabledel’aider,d’obtenirdeluidevraiesréponses.
Jenepensepasquejem’enseraismieuxsorti.
Ashlin
Cettenuit,lesommeilmefuit.Sanscessejemetourne,jemelève,etj’arpentelapièce,lecerveauensurrégime.Àimaginerdessolutions.Réfléchir.Planifier.
L’appareilphoto.Pourquoin’yai-jepaspenséplustôt?Despreuves,aditChance.Quellespreuvespourrait-ilbienavoirquelespoliciersn’aientpasdéjà
trouvées sur la scène de crime ? Échantillon de sang, fibres de tissu, fragments de balles, ADN,empreintes…ilsauraienttrouvétoutça.
Mais auraient-ils trouvé l’appareil photoqueChancem’a emprunté ?Et contient-il des imagessusceptiblesdeledisculper?
LeproblèmeestqueChancenerisquepasdes’approcherdechezlui.Àl’heureactuelle,lapoliceen a probablement terminé là-bas. Le ruban jaune est peut-être toujours posé pour empêcherquelqu’und’entrer,maisleséquipesdelapoliceontcollectétoutcedontellesavaientbesoin.Papan’apasmentionnéd’appareilphoto.
Jen’enparlepasàHunter,car jemerendsbiencomptequemon idéeestcomplètementbarge.Nousavonsdéjàmentiàlapoliceetàpapa,etjen’aipasmentionnéquej’avaisvuChance,alorsquej’auraisdûlefaire.Ai-jevraimentenvied’aggraverencoremoncas?
Cequim’inquiète,c’estqueHunternes’arrêterapas.Qu’ilenaitconscienceoupas,qu’ill’aitounonditàChance,jecroisquejesuisauclairaveclefaitquemonfrèreestamoureuxdel’undemesmeilleursamis.Maismessentimentsn’ontpasdisparupourautant.Moiaussi,j’aimeprofondémentChance,etdanscetteaffaire,jefaisplusconfianceàmonjugementqu’àceluideHunter.
Isobelestlàquandjemelève.Toutelasemainedernière,elles’estefforcéedenoussouteniretdenousaiderdanscetteépreuve.Ellemesouritquandjem’attabledevantmonpetitdéjeuner.Jepourraism’habitueràcequequelqu’uncuisineenpermanencepourmoi.
—Ondiraitquetun’aspasfermél’œil,mabelle,dit-elleenposantunverredejusd’orangeàcôtédemonassiette.
—J’aibeaucoupdechosesentête.Jemefrotte lesyeux.Commentse fait-ilque jesois lapremièreàdescendre,alorsque jesuis
probablementladernièreàavoirtrouvélesommeil?Isobeltireunechaiseets’assoitàcôtédemoi.—Quelquechosedonttuaimeraisparler?J’ai l’embarras du choix. Mais j’ignore si ce que je pourrais lui dire ne parviendrait pas
immédiatementauxoreillesdepapa.Quandbienmême,jen’aimeraispaslaplacerdansunesituation
où elle aurait à garder un demes secrets. Je hausse les épaules et sirote une gorgée demon jusd’orange.Jen’aipasfaim,pourtantlesœufssontappétissants.
—Jenecroispasquejepuisset’enparler.—Essaietoujours.Jeprendsunegrandeinspirationetjemeredresse.—Bon…d’accord.Jepeuxteposerunequestion?Àlafaçondontsesyeuxs’illuminent,jecomprendsqu’elleestraviequejem’ouvreàelle.Isobel
setrouvesurlalignedecrêteentreledésirdeserapprocherdenousetladifficultéàlefaire.Cequiestdrôle,ettristeàlafois,carHunteretmoil’adorons.
—Jet’écoute.Jem’éclaircislagorgeetréfléchisàlafaçondeposerlatrèssérieusequestionquej’aientête.— Dans combien de temps papa et toi comptez-vous nous dire officiellement que vous êtes
ensemble?Isobelrougitviolemment.—Quit’adit…?—Personne,maisonn’estpasstupides.Jeposelescoudessurlatable,lementondanslamain,etjesavourel’expressiondeconfusion
sursonvisage.Elleestadorable,j’aienviedelaserrerdansmesbras.—Lefilmquevousêtesallésvoirl’autresoir,c’étaitbienunecomédieromantique?—Euh…oui.Jeprendsmafourchetteetl’agitesoussonnez,avantdelapiquerdanslanourriture.—Papafaittoutunsecretdufaitqu’ilaimelescomédiesromantiques.S’iltel’aditetqu’ilest
alléavectoiaucinémapourenvoirune…c’estvraimentqu’iltientàtoi.Isobel réprimeun sourire. Je la vois jeter un coupd’œil derrièremoi, avant d’entendre lepas
caractéristiquedepapa,quivientd’entrerdanslacuisine.Nousnousretournonstouteslesdeuxpourleregardersedirigerverslacafetière.
Quandilsetourneversnous,satasseàlamain,etnousvoitentraindel’observer,ils’arrête.—Qu’est-cequ’ilya?— Rien, répond Isobel avec un clin d’œil à mon intention. Ta fille veut savoir quand nous
comptonsleurannoncerquenoussommesensemble.Papamanquedes’étrangleravecsoncafé.Ils’éclaircitlagorgeetposesatassesurlatable.—C’estpasletéléphonequisonne?Jecroisavoirentenduunesonnerie…Non,cen’estpasletéléphone,maisjelelaisses’entirercommeça.Unefoisqu’ilestsortidela
cuisineengrommelant,Isobelselèvepourpréparersonpetitdéjeuner.Avantdeserasseoir,ellesepencheversmoiet,déposantunbaiserausommetdematête,ellemurmure:
—Jesuislàsituasbesoindeparler.Jenesaispascommentluiexpliquerquejemesensdéjàmieux.
***
Hunterparttravaillerenfind’après-midi,bienemmitouflépourrésisteràlatempêtedeneigequisévitdehors.Alorsqu’ilseprépareàsortir,jelenargueenmeréjouissanthautetfortd’êtreencongéaujourd’hui.Ilmedécocheunsouriretristeavantdes’enaller.
Maintenant,lejeudepatiencecommence.
Huntertravaillejusqu’àminuit,cequidevraitmelaisserdutempspourmettreàexécutionl’idéefolle qui a germédansma tête. Je dîne tôt et, réglé commeune horloge, papa va se coucher vers9 heures. J’attends que le rai de lumière qui filtre sous sa porte s’éteigne, puis je coupe la télé etmonteàl’étage.
Jem’habilletoutennoir,aussichaudementquepossible,etenfileunbonnetetdesgants.Avantdesortir,jeglisseunelampetorchedansmapoche.Letrajetvaêtrelong,etilfaitunfroidglacial,maisjesongealorsqueChancel’afaitpendantdesannées,etqu’iln’yaaucuneraisonquejen’yarrivepas.
Lanuitetsouslaneige,lelotissementpourmobilehomesestsinistre.Iln’yadelalumièrequedansunseul,danslefond,maisj’inspectelesenvironspourm’assurerqu’iln’yapersonneavantdem’approcher de celui de Chance. Tout ce qu’il manque, c’est mon thème perso de Mission :Impossible.
Lerubanjaunedelapolicesesoulèvedanslevent;ilestdéfaitàplusieursendroits,cequilaissepenserqueleséquipesdelapolicenesontpasrevenuesicirécemment,sinonellesl’auraientremisenplace.
Laported’entréeestpeut-êtreverrouillée,etenpassantpardevant,jerisquedemefairerepérer,alorsjefaisletourpar-derrière,dansl’obscurité.Iln’yapasd’autreporte,maisunefenêtrequejepeuxatteindreenmontantsurunepiledevieuxparpaings.Jedoisforcerunpeu,etelles’ouvreengrinçant.
Jemarqueunepause.Jesuissurlepointdepénétrerdansl’antredulion.J’ignorecequejevaistrouver,simêmejenerisquepasdemefairesurprendre.Jefixelapièceobscuredevantmoi.Jenesaispasoùregarder,nimêmesijenefaispastoutcelapourrien.J’ail’habituded’avoirHunterouChanceauprèsdemoiquand jeme lancedansquelquechosequim’effraie.Pour lapremière fois,j’affronteleschosesseule.
Jenepeuxpasreculer.J’aidéjàfaittoutcechemin.Jemehisse jusqu’à lafenêtreetpasseune jambedans l’encadrement, tâtonnantdupied jusqu’à
trouverquelquechose–unmatelas–pourmelaissertomber.Un silence absolu règne dans le mobile home. Il y a une odeur de moisi et de renfermé. Un
effluve demauvaise herbe, et d’autre chose aussi, de plusmétallique.Du sang séché ?L’odeur nem’estpasfamilière,maisellemeretournel’estomac.
Je referme la fenêtre derrière moi, comptant ressortir par celle de la chambre de Chance.L’appareilphotodevrait se trouver là-bas, et lapièceoù jeme trouvepour lemomentdoit être lachambre de Zeke et de Tabitha. Elle est encombrée, la police a dû tout retourner. Les tiroirs sontouverts,lesvêtementsjonchentlesol,lelitestdéfait.
L’espaced’uninstant,jesuissaisied’unmalaise.Est-ceiciqu’elleaétéassassinée?Surcelit?Jem’empresse d’en descendre et je balaie la pièce de ma lampe torche, sans distinguer ni sang niélémentstendantàprouverqu’uncrimeaétécommisici.
Respire,respire.Souviens-toipourquoitueslà.Prudemment,jesorsdelapièceetm’aventuredanslecouloir.Lasalledebainsestsurmadroite,
lesalonsurmagauche…l’entréeestbarréeelleaussiparunrubandepolice.C’esticiquecelaadûse passer.Alors, je n’ai qu’une chose à faire : passer devant sans regarder et sans y penser. Il nemanqueraitplusquejevomissealorsquejem’efforcedenepaslaisserlamoindrepreuvedemonpassage.
Presque au bout du couloir, je trouve une porte ouverte donnant sur ce que j’imagine être lachambredeChance.Comme je n’ose pas allumer, je ne peux compter que surmapetite lampede
poche,quej’utilisepourinspecterlapièce.Direquejetrouvaisquec’étaitlefoutoirdanslachambredeZeke…CelledeChanceestunvéritablecapharnaüm.
Despostersdegroupesdontjen’aijamaisentenduparlerornentlesmurs.Repousséesaupieddulit,quelquescouverturesrâpées,maispasdedrapsurlematelas.Sesvêtementssontenpiledansuncoinprèsdelafenêtre,etlesolestjonchédemagazines,devêtementsetdecoquillages.Àenvironunmètrecinquantedanslapièce,jemanquedetrébuchersurunechaussetteavecquelquechosededans.Jeregardemieux:c’estunepierre.Unechaussetteavec,dedans,unepierre.Qu’est-cequec’estquecetruc?
Ilyapeudemeublesdanslapièce.Tantmieux.Unerapideinspectiondelacommodenerévèleriend’autrequedesvêtementsetdesbabioles.Uneboîtededéjeuneravecundragondessus,quimesemble vaguement familière, et à l’intérieur, une boule à neige dragon, quelques photos. Moi,Chance,Hunter.Nousplusjeunes,avantquemonpèresefassetirerdessus.Quelques-unesdeChanceetdesamère,surtoutquandilétaitpetit.Lesphotossontjauniesetlesbordsabîmés.Àl’intérieursetrouveaussiune têtedeBarbie, sanscorps,quime rappelleaussitôt le jouroùnousnous sommesrencontrésaubordduruisseau.Àfixersonvisagedépourvud’expression,j’aiunfrisson.Jerefermelaboîteetlaremetsàsaplace.
L’armoiren’apasdeporte.Enbas,deschaussuresenpagaillequidoiventêtrelàdepuisDieusaitcombiendetemps.Certainessonttrouées,etj’aperçoisunepairequejereconnais.Desbasketsrougevif, bien trop petites pour Chance aujourd’hui. Il a gardé les chaussures qu’il portait enfant. Onpourraitlesaligneretsuivresacourbedecroissance.
Je farfouille dans l’amas qui jonche le sol, cherche sous le lit, sans rien trouver à part desvêtementsetquelquesexemplairesdumagazineRollingStone.Ensoupirant, jem’assoiset inspectedenouveaulapièceavecsoin.Soudain,danslapiledevêtements, lefaisceaudelalampeaccrochequelquechosedebrillant.Jereviensenarrière.
Lagorgenouée,jemeprécipiteverslelitdeChancepourprendrel’appareilphoto,disposéaumilieudeT-shirts,objectifsorti.Commes’ils’enétaitservidecaméradesécurité.Soitlapolicen’apasfouillélachambre,soitellenel’apasfaitavecminutie.J’appuieplusieursfoissurleboutondemiseenmarche,maisriennesepasse.Labatterieestmorte.
Maisjel’ai.Jel’aitrouvé.Etcomptetenudel’endroitoùilsetrouve,ilestraisonnabledepenserquesoncontenurecèlequelquechosequenousallonspouvoirutiliser.Jevaisrentreretlemettreàcharger,etnousauronsdequoidisculperChance.
Laportedumobilehomes’ouvre.
Hunter
J’ignorepourquoi,cesoir,undescamionsdelivraisondumagasinnes’estpasprésenté.C’estunproblème,vuquejesuischargédelaréception,etque,quelquesheuresavantlafinréglementairedemajournéedetravail,jen’aiplusrienàfaire.Plutôtquedemepayeràrienfaire,machefmeditdepartir.
—Rentre chez toi.Va te reposer.Onvaavoirune journéechargée,demain,onauraenplus àdéchargerlecamionquimanquaitàl’appelcesoir…
Çameconvientd’autantmieuxque jene travaillepasdemain.Certes, elleauraitpu trouverdequoim’occuper,maisellesait–toutlemondesembleaucourant–quejesuisproched’unepersonnesuspectéedansuneaffairedemeurtre.C’estunepetiteville,etmêmesionneseconnaîtpastous,àcausedumeurtre,lesinfoscirculentvite.
Jesautedansmavoiture,puism’attardesurleparking,nesachantpasquoifaire.Àpartconsultermon téléphoneportable.Encore.Etessayerd’appelerChance.Encore.Comme ilne répondpas, jejette le téléphone sur le siège passager et je ferme les yeux. J’essaie de m’imaginer ce que jeressentiraissijenedevaisplusjamaislerevoir.C’étaitdéjàterribledenepouvoirlecontactertoutescesannées…
Alorsquejem’apprêteàmettrelecontact,montéléphonesemetàsonner.Ash, sûrement. Ou mon père. Je ne vois pas ce qu’ils pourraient bien me vouloir au travail.
Jedémarrelemoteurpourmettreenroutelechauffage,puisjeporteletéléphoneàmonoreilleensoupirant.
—Allô?—Tudevraisvraimentarrêterdem’appeler.Moncœurbonditdansmapoitrine.—Chance.Laligneestmauvaise.Ilsembleloin,commes’ilappelaitdepuisl’extrémitéd’untunnel.—J’aiditàAsh…vousdevezarrêter…peler,sinonvousallezvousattirerdes…—Jet’entendsmal,jeluidis.Ilcontinuedeparler,etjenesaispass’ilm’entend.—Chance,t’esoù?Laisse-moivenirtevoir,etonparlera.Silence.Jecrainsqu’ilaitraccroché.Puisildit:—Jen’auraispasdût’entraîner…ça.C’estmafau…cesproblèmes.—Net’inquiètepasdeçamaintenant.Magorgeseserre.J’essaiederespirer.J’essaiedenepashurler,deneriendirequipourraitle
faire raccrocherou lemettre encolère.Toutdans savoixparaît fatigué, lourd, froid. Je l’entends
tremblerquandilparle.Ilestdehorsdepuistroplongtemps.—Dis-moijusteoùtues.Jevienstechercher.Moiseulement,d’accord?—Non, parvient à articulerChance.Hors de question.C’est la dernière…que j’appelle,Hunt.
Pourtedirequejet’aime.Promets-moideneplusm’appe…—Chance!—Promets-le-moi.J’ai la bouche sèche, avant que je puisse répondre, j’entends un clic, la communication est
rompue.Ilaraccroché.Enjurant,j’essaiedelerappeler.Jetombedirectementsursamessagerie.Merde.Merde.—Ducalme,j’intimeàmonrefletdanslerétroviseur.SituétaisChance,tuiraisoù?OùChancesesentirait-ilà l’abride lapolice,deZeke?Oùsecacherait-il?Dansquelendroit
froid,avecunemauvaiseréception?Lavillen’estpassigrande,ilneseraitpaspartitroploin…Oui.Çayest.Techniquement,iln’estplusenville.
***
Surlaplage,leventetlaneigehurlent.Lesrocherssontglissants,etlefroidmebrûlelesyeux.Jetirelecanotderrièremoi,unpasaprèsl’autre,implorantlespuissancessupérieures,sijamaisellesexistent,denepaslelaissersedéchiquetersurunrocher,carc’estleseulmoyendontjedisposepourrejoindreChance.
Àsupposerquej’aievujuste.Etquejen’aiepascomplètementperdul’esprit…J’aitéléphonéàAshsurlechemin,sansréussiràlajoindre.Jeneveuxpasperdredetempsenfaisantledétourparlamaisonpourlatirerdulit.Sijetardetrop,Chanceserapeut-êtreparti…oupireencore.
Souslalumièredelalune,jebataillepourgonflerlecanotetlemettreàl’eau.L’eautourbillonneautourdemeschevilles;monjeanestmouilléjusqu’auxgenoux,lefroidm’engourditlesorteils,etjecontractelesmâchoirespourm’empêcherdeclaquerdesdents.Jefaispeut-êtrefausseroute,maisc’estmaseulepiste.
Maseulechance.Jerangemontéléphonedansunepocheintérieuredemaparka,enpriantpourqu’ilresteausec,
puisjepousselecanotetmontededans.Manœuvrerseul,quiplusestparcetemps,nevapasêtreunepartie de plaisir. La marée menace de me rejeter sur la rive tant que je n’aurais pas réussi àm’éloignersuffisamment.
Souslecielnocturne,l’îlen’estqu’uneformefloueauloin.Leventprojettesurmonvisagedesbourrasquesdeneigequim’aveuglentet,àchaquecoupde rame, je redoutededévierde labonnetrajectoire.
Chance est peut-être là-bas. Quelque part sur cette île, seul, effrayé, presque mort de froid.Pourquoi,pourquoi,pourquoi?Pourquoineveut-iljamaismelaisserprendresoindelui?
Enfin,parmiracle,parlagrâcedesétoiles,lecanottouchelarivedel’île,lesrochers,laterre,lesable.Jesautedel’embarcationetlatiresurlaterrefermepourquelecourantnelarejettepasàla
mer.Derrière lesvestigesdumuroùnous l’avions laissée la foisprécédente, jedécouvreunautrecanot.
Uncanotpluspetit.Pouruneoudeuxpersonnes.LecanotdeChance?Quid’autrepourraitveniriciparcetemps?Personnen’estaussistupide.Il
adûacheter lepluspetitqu’ila trouvé. J’ignorecomment il a fait,oucomment il s’estdébrouillépourletransportersansvoiture.Jenedevraisjamaissous-estimersadétermination.
Lesmainsenporte-voix,jecriesonnom.J’écoutelesilencequimerépond.Danslesarbresetlesbâtiments en ruine, le souffle sinistre du vent porte jusqu’à mes oreilles des centaines de voixfantômes,etjenesaisoùaller.
L’îlen’estpassivaste.Jem’engagesurlesentierprincipalentrelesbâtimentsdélabrés,cherchantquelquechose,n’importequoi.Unesourcelumineuse,unfeu,unsignedevie.IlfautqueChancesoitlà.Etqu’ilaillebien.
Je trouve le bâtiment dans lequel nous avions pique-niqué au Nouvel An et, par l’escalier, jemonte jusqu’au toit pourmieux voir alentour. Jem’approche de la bordure à quatre pattes, car lasurfaceestglissanteetleventmenacedemefairetomberpar-dessusbord.
Delà-haut,j’aivuesurunebonnepartiedel’île.Laneigeimmaculéescintillesouslalune,etj’yaperçoisdestracesetdesempreintesquinesontpaslesmiennes.Ellesnepeuventappartenirqu’àuneseulepersonne.
Je fais la seule chose à faire : je suis ces traces à travers l’île.Ellesmeconduisent jusqu’àunbâtiment incliné.Les empreintes décrivent un cercle autour de la construction, puis disparaissent àl’entrée,unelourdeporteenboistenantparuneseulecharnière.Jelapoussedel’épaule;ellebuttecontrelesolendommagé.Àl’intérieur,ilnefaitguèrepluschaud.Maisaumoins,leventglacialn’ysouffleplus.Quoiqu’ilensoit,aucunêtrehumainnepourraitsurvivreicibienlongtemps.
—Chance?Pasderéponse.J’inspectelapremièrepièceenhâte,àlalueurdemalampetorche.Unbruitfurtifdansunepièce
adjacenteattiremonattentionsuruneportedansl’anglequej’aifaillimanquerdansl’obscurité.Cepourraitêtreunanimal.CepourraitêtreChance.
—Chance,c’estmoi.J’avancesurleparquetabîméjusqu’àl’autrepièce.Ilnemerépondpas,maisjelevois.Àterre.
Dans le coin le plus éloigné.Recroquevillé sur lui-même, tête baissée, capuche sur la tête, serrantdanssesbrassesgenouxremontéscontresapoitrine.Minusculeetimmobile,maisbienlà.Envie.
Jel’airetrouvé.Lalampetorchetombeparterreavecunbruitmétallique.Jem’agenouilledevantlui,toucheses
bras,abaissesacapuche.—Chance.Chance,regarde-moi.Lentement, il penche la tête, et cette esquisse de mouvement semble lui demander un effort
considérable.—Ah,murmure-t-il,avantd’ajouter:Salut.Je laisseéchapperunsoupirdesoulagement. Jeposeunemainsursa joue, retenantàpeineun
mouvementde recul. Il est si froid ! Il cille, ferme lesyeux. Je leprendspar l’épauleet le secouedoucement.
—Non.Tudoisresteréveillé,pigé?Jevaistesortirdelàettemettreauchaud.Jeretiremaparkaetlaluipasse.Instantanément,jesensàtraversmonpulllamorsuredufroid,
quej’essaied’ignorer.Jetireletéléphonedelapochedemavesteetessaiedecomposerlenuméro
dessecours. Iln’yapasde réseau,mais lesappelsd’urgencepassentpardes relais satellitemêmelorsqueleréseauestindisponible.
J’indiqueaurépartiteuroùnousnoustrouvons,etqueChanceabesoind’uneambulancedetouteurgence. On me demande de ne pas raccrocher, mais je n’ai pas le choix. Impossible de savoircombien de temps il leur faudra pour arriver jusqu’ici en hélicoptère, nous devons au moinsretournerjusqu’àlaplage.
Chancesoupirequandjepassesonbrasautourdemesépaulesetlemienautourdesataillepourlemettredebout.Ilpeutàpeinetenirsursesjambes,etjedoisquasimentleporter.
—Onretourneàlaplage?demande-t-ildansunmurmure.—Oui.J’avanceendirectiondelaporte.Ducalme,Hunter,ducalme.Ilestconscient,ilparle.Peut-être
pasdefaçoncohérente,maisilparletoutdemême.—Oui,onvaàlaplage.Resteéveilléetcontinueàmeparler.Ensemble,nousrebroussonschemindanslaneigejusqu’àlaplage.Chancetremble.Jelemène
jusqu’aux canots en lui posant des questions auxquelles il murmure des réponses incohérentes.N’importequoipourvuqu’ilcontinueàparlertandisquenousmarchons.
Je neme sens pas de reprendre le grand canot. Je ne vois pas non plus comment je pourraissimultanémentlemettreàl’eauetyinstallerChance.Lepetitcanotestplusfacileàmanœuvrer,etjelepousse.Sansménagement, jeplaceChancededans,quiprotested’ungrognementrauque.Àmontour, je monte dedans et je prends Chance dans mes bras, le tenant serré contre moi pour luicommuniquerunpeudemachaleur.
Le canot deChance est une frêle embarcation bas de gamme, aisémentmalmenée par le vent,mêmeaveclepoidsdedeuxpersonnesàsonbord.Jeramejusqu’àenavoirlesbrasquimebrûlent.Jusqu’àceque jeme rendecomptequenousallonsdans lamauvaisedirection, sansplusde forcepour continuer.Chance etmoi allons dériver, sous les étoiles qu’il aime tant, jusqu’à ce que nousmourionsdefroid.
Finalement, la marée nous pousse vers Harper ’s Beach. Jeme glisse dans lamer glaciale. Jem’attendaisàavoirdel’eaujusqu’àmi-cuisse,or,ellem’arriveàlapoitrine.Lechocdufroidglacialmetétaniseetjesuisincapabledebouger.Maislariveestjustelà.Aveccequ’ilmerested’énergie,jeposelepiedsurlaterrefermeettirelecanotjusqu’àcequej’entende,satisfait,lefondrâpersurlesable.
JetireChancedel’embarcation,sansmesoucierquelesramessoientemportéesparlamer.Nousn’enauronsplusbesoin.Chancelaisseretombersatêtesurmonépaule,etjegravislaplage,haletant,frissonnant, les muscles en feu à force de porter un poids mort.Mais je réussis à retourner à lavoiture,etj’installeChanceàl’arrièreavecmoi,avantdefermerlesportièrespournousprotégerdufroid.
Jemepenchepourmettreenroutelechauffage.Avantd’êtreaussimalenpointquelui.J’appuiela tête contre la vitre, essayant de reprendre mon souffle et de me dire que nous sommes tirésd’affairedésormais.Chanceposesonvisagedansmoncou,etjesenssonsoufflechaudettremblantcontremapeau.
—Jelesvoispas,murmure-t-il.Mavoixadumalàsortir,etjeluifrottelesbraspourleréchauffer.—Tuvoispasquoi?—Lesétoiles.Ilremueleslèvres,jelessensdansmoncou.Tellementfroides.
—Jevoispaslesétoiles.Évidemment.C’est tout lui de penser à ça dans unmoment pareil ! Jem’écarte pour voir son
visageetglisseunemaindanssescheveux.—Noussommesdelapoussièred’étoile.C’est toi-mêmequi l’asdit.Etsi,pour l’instant, tu te
contentaisdemeregarder?Ilouvreplusgrandsesyeuxverts.Jecroismêmevoir l’esquissed’unsouriresurseslèvres.Il
n’essaieplusdeparler.Jelelaissemeregarder,pendantquejeluicaresselevisage,lescheveux,quejel’embrassesurlefront.
Lessecoursarriventauboutdedixminutes,lumièrestourbillonnantesetsirènesassourdissantes.Ils m’enlèvent Chance et le placent sur une civière. Je veux le suivre, mais un secouriste m’enempêche.
—Çavaaller,ons’occupedelui,fiston.Ilvaudraitmieuxnepaslaissertavoitureici.Tun’asqu’ànoussuivrejusqu’àl’hôpital.
Il a raison,mais je reste encore un peu, le temps qu’ils lemontent dans l’ambulance et qu’ilsrepartent.Culpabilité,colère,inquiétude,touts’agiteenmoi.Ilestsauvé.Ilvavivre.
Maisira-t-ilbien?
Ashlin
Jem’immobilisependantlescinqsecondesqu’ilfautàmoncerveaupourcomprendrequejenesuispasseuledanslamaison.Etpuisquej’ail’intuitionqu’ilnes’agitpasdeChance,jesuisdansunsacrépétrin.
J’éteins ma lampe de poche. Je me tourne, bien décidée à m’éclipser par la fenêtre, mais enessayant de la soulever, je m’aperçois qu’elle est clouée. Jamais Chance n’aurait fait une chosepareille;sansdouteuneinitiativedeZeke.Ill’aclouéepourempêchersonfilsdefilerendouce.
Jen’auraipasletempsdemefaufilerdanslecouloir.Laseulecachettepossibleestsouslelit.Lapoussièremechatouille lenez, ainsique l’odeurde linge sale, et jenepeux rien faired’autrequepriertouteslesdivinitésauxquellesjepensedemerendreinvisible.
Les pas progressent dans le couloir. Lentement et prudemment. Donc, ce n’est pas la police.Franchement, jepréféreraismefairepincerparRogerouparn’importequel flicplutôtquedemeretrouvernezànezavecZekeHarvey.
J’ai une bouffée d’adrénaline, mais j’essaie de rester parfaitement immobile. Peut-être qu’ilpasseradevantlapiècesanss’arrêter.Peut-êtrequ’iliradirectementdanssachambresansentrerici–merde!est-cequej’airefermélafenêtre?
Lespass’arrêtentdevantlaporte.Montéléphonesonne.Ilestsurvibreur,maisc’estdéjàunson,etj’ignoreàquelpointilestaudible.Etsiquelqu’unpeut
l’entendredepuislecouloir.Dansmapochearrière,ilvibreplusieursfois;j’expirelepluslentementpossible. C’est peut-être papa.OuHunter.Qui que ce soit, cette personne va s’inquiéter de ne pasavoirpumejoindre,et…
LaportedelachambredeChances’ouvre.Jeportelesmainsàmabouche.Respire,Ash.Respirelentement.Tranquillement.Ducalme.Del’endroitoùjesuis,jevoisdespieds.Deschaussuresdetravailusées,auxlacetsnouésserré.
Legenredemodèlesusceptibled’êtreportéparZekeHarvey.Ilavanceparmiledésordreparterreets’arrêteaupieddulit.Illuisuffiraitdesepencheretderegarderdessouspourm’apercevoir…etmetuer.
J’aitellementpeurquej’aienviedefermerlesyeux,maiss’ilregardesouslelit, ilfautquejesois prête à me dégager et à m’enfuir. Courir le plus vite possible. Gagner la porte d’entrée etdisparaîtredanslesboisoùilnemeretrouverapas,puisrentrerchezmoienlongeantleruisseau.
Unpland’évasion.Toutvabiensepasser.Detoutemavie,jamaisjen’aisouhaitéaussiintensémentquemonfrèresoitauprèsdemoi.
Zekesedirigeverslapiledevêtementsprèsdelafenêtre.Jecroisqu’ilregardedehors.Quandilseretourne,ilbutecontreunepierreglisséedansunechaussetteettrébuche.
—Putain!jure-t-ilenramassantlachaussetteavantdelajetercontrelemur.Jeluiéclaterailatête,àcevaurien…
Je comprends alors que les pierres ne sont pas une lubie de Chance. Elles lui ont servi à seprotéger.UnemanœuvrededissuasionpourempêcherZeked’entrerdanssachambre.Ou,aumoins,pourlaisseràChanceunepossibilitédes’enfuir.Sachambreestunecoursed’obstacles.
Sanscesserdejurer,Zekesort.Jetendsl’oreillepoursavoiroùilsetrouve,jemedemandesijepeux risquer un coup de fil et appeler la police pour les prévenir qu’il est dans la maison. Ilsarriveraientpeut-êtreassezvitepourl’arrêter.Jedevraism’expliquersurmoneffraction,maispeuimporte.
Non,unechoseaprèsl’autre.Jedoisd’abordsortird’ici.Sijepassaisuncoupdefilmaintenant,Zekem’entendrait,etalorsjeneseraisplusenmesured’aiderpersonne.
Après quelquesminutes de silence angoissantes, j’entends de nouveau les pas de Zeke dans lecouloir,ainsique lebruitdequelquechosequ’il tireou…fait rouler?Unevalise?Est-il repasséchezluipourprendredesaffairesavantdes’enfuir?Ets’iln’avaitpaspourprojetderesterenville,commelepenseChance?Ets’ildécidaitdesetirerd’icipendantqu’illepeutencore?
Jesensmonestomacsenouerquandlaported’entrées’ouvreetserefermedenouveau.Jelaissepasserencorequelquessecondes,puis,tremblante,refoulantmeslarmes,jesorsdedessouslelitetempochel’appareilphoto.
Ilfautquejeparted’ici.Toutdesuite.Jefoncedanslecouloir jusqu’àlachambredeZeke,sanschercheràsavoircequ’ilaemporté
aveclui.Lafenêtreestfermée.Jen’arrivepasàmesouvenirsic’estdemonfait.Jel’ouvreetpassema jambe dans l’encadrement pour sortir. Mes pieds touchent le bloc de parpaings, avant des’enfoncerdanslaneige.Jesuislibre.Envie.
Puis,metournant,j’aperçoisZekeàquelquesmètresdemoi,quimefixe.Sabouchesefendd’unrictus.—Toi…Jenelelaissepasterminersaphrase.Jem’enfuisendirectiondesbois,aussivitequemesjambes
peuventmeporter.Ils’élanceaprèsmoi.Dansl’obscurité,jenesaispasquelledirectionprendre.Ilmehurledem’arrêter.C’estça.Commesij’allaisobtempéreretm’arrêterquanduntaureauenfuriemefoncedessus.
Lebruitduruisseauestunesymphonieàmesoreilles.Jeprendsàgauche,esquivantlesbranches.Je cherchema lampe de poche. Sansme rendre compte queZeke est là. Jusqu’à ce que sesmainspuissantesserefermentautourdemonbrasetmefassentfairevolte-face.
Maisnoussommestoutprèsduruisseaudésormais,etlesolesttrèsenpente.J’utilisetoutesmesforcespourlerepousser.Surpris,ilvacille…etm’entraîneavecluidanssachute.
L’espaced’uninstant,toutdevientnoir.Quand je reprendsmes esprits, une douleur atroce irradie dansmon épaule droite. Je sens la
neigemouillée dansmondos. Je cherchema lampede poche : disparue.Mon téléphone : disparu.Dansmapoche,jeneretrouvequel’appareilphoto.J’ignores’ilestencoreenétatdemarche.Maisjen’aipasl’intentiondem’attardericipourledécouvrir.
Àcôté,Zekegrogneetchercheàse relever.Je roulesur ledospourm’éloigner,meredresse,tandisqu’ilrampedanslaneigeversmoi.Unfiletdesangmecoulesurlevisage.
—Oùilest?éructeZeked’unevoixrâpeuse.OùestChance?
Letalondemachaussureaccrocheunepierresolidementfichéedanslesolgelé,cequimedonnesuffisammentd’appuipourmehisser et remonter la colline. Jene réponds rien. Jene regardepasderrièremoi.Jegrimpeleplusvitepossiblejusqu’àceque,lespoumonsenfeu,jemeretrouveenfinsurlaterreferme.Làseulement,jejetteuncoupd’œilversl’arrière.Zekesetrouvetoujoursenbas,àessayerdegrimper.Jereculeencore,etdéplorelapertedemontéléphone.
Maisj’ail’appareil,etàcetinstantc’esttoutcequicompte.Jemefondsdansl’obscurité,espérantretrouverlechemindelamaison.
Hunter
Je n’ai pas le luxe de griller tous les feux rouges comme l’ambulance, aussi, quand j’arrive àl’accueildel’hôpital, jemedisqu’ilsontdéjàprocédéàl’admissiondeChance.Lesurgencessontétonnammentcalmesàcetteheuredelanuit.Quelquesparentsetleursenfantsaunezquicoule;unefemmeâgéeencombréed’unemauvaisetoux.Jesuistrempéetj’aifroid,alorsjefaisundétourparlestoilettespourmechangeretpasserlesvêtementsderechangepourletravailquejegardetoujoursdanslecoffredemavoiture.
Àl’accueil,iln’ypasdefiled’attente,aussijemedirigedroitverslaréceptionniste.—Monamivientd’êtretransportéici.SonnomdefamilleestHarvey.Lafemme,assezjeune,aveclescheveuxtressésetdeslunettesauxverresépais,vérifiesurson
ordinateur.—Hmm…Non,jeregrette,jen’aipersonnedecenom.—Jesaisqu’ilestici,jecommenceàdire,avantdecomprendre.Je n’ai pas donné son nomde famille aux secouristes. Ils doivent donc ignorer son identité, a
fortiorisiChancen’avaitpassespapiers.—Ilestarrivéenambulance,ilaàpeuprèsmonâge.Ceuxquil’ontamenénedoiventpassavoir
commentils’appelle.Commeellecontinuedemefixersansrépondre,j’ajoute:—S’ilvousplaît.Vouspouvezvousrenseigner?Elleaccèdeàmarequête,etjelavoisdécrochersontéléphonepours’enquérird’unadolescent
quiviendraitd’êtreadmis.Jetendsl’oreille,maislavoixàl’autreboutdufilesttropassourdie.Aprèsavoirraccroché,laréceptionnistepenchelatêteversmoi.—Ilesthorsdedanger.Ilesttraitépourhypothermie,ildort.Jeposelesmainssurlecomptoirenexpirant.—Jepeuxlevoir?—Jeregrette.Ilfautêtredelafamille.—Commentsavez-vousquejenesuispasdesafamille?—Vousavezditqu’ilétaitvotreami.Ellem’adresseunlégersourire.— Je suis désolée. Mais nous apprécierions toutes les informations que vous pourriez nous
donnersursonidentité.Iln’avaitpasdepapierssurlui.Quelnomdefamilleavez-vousmentionné?Harvard?
Jeplisselesyeux.—Alorscommeça,jen’aipasledroitdelevoir,maisj’ailedroitdevousdirequiilest?
Jem’écarteducomptoir.—Nonmerci.Ellen’essaiepasdemeretenirquandjem’éloigne.C’estuneréactionexagérée,àmettresurle
comptede la frustration, etpeut-êtredevrais-je retourner luidonner lenomde familledeChance,maisenquoicelal’aiderait-il?Quesepasserait-ilsi,ensaisissantsonnomdanssonordinateur,elledéclenchaitunealerteauprèsdelapolice?Est-cequ’elleviendraitjusqu’icipourl’arrêter?Jepeuxsupporterbeaucoupdechoses,maispasdevoirChancemenottéetpousséàl’arrièred’unevoituredepatrouille.
Jenepeuxpasrentrerchezmoi.Jenepeuxpasnonplusresteréternellement ici,dans l’espoirqu’uneinfirmièremeprenneenpitiéetmelaissevoirChance.Monpère,enrevanche,sauraitpeut-êtrequellesficellestirerpourquejepuisseluirendrevisite,maisçavoudraitdireque…
Jedevraistoutluiraconter.JedevraisluidirequejesuisalléchercherChancesurHollowIsland.Commentnepasêtresûr,alors,qu’ilnepréviennepasRoger?
Jemelaissetombersurunbancdehors,épuiséparlefroid.Maisjeneveuxpasmeretrouveràl’intérieur avec ces gens, leurs rhumes, leurs gamins morveux, et leur petits problèmes biennormaux,alorsquemonmondeabasculédansunedimensiondélirante.J’essaied’yvoirclair.
Premièrement, et c’est le plus important, Chance va s’en tirer. Certes, l’hypothermie peut êtrefatale,mais il était conscient et pouvait parler, alors son état n’est pas trop grave.Deuxièmement,même si les flics l’embarquent, même s’il est arrêté et condamné pour avoir fui la police, ce nepourrapasêtrepirequecequ’ilavécupendantsafuite.Cenepeutpasêtrepirequedemourirdefroid.Etcertainementpaspirequ’unenouvelleconfrontationavecZeke.
Troisièmement, mon père risque de me passer un sacré savon, mais il sera aussi heureuxd’apprendre queChance est sain et sauf.Avec le temps (et quantité de discoursmoralisateurs), sacolères’estompera,alorsquesiChanceétaitmort…jen’osemêmepasimaginer.
Quand j’ai repris suffisamment mes esprits, je sors mon téléphone pour rappeler Ash. Lasonneriebasculedirectementsursamessagerie.Bizarre.Malheureusementpourmoi,çasignifiequejenepeuxfaireautrementqued’appelermonpère,parcequ’iln’ypasdefixeàlamaison,etmêmesinousenavionsun,jedoutequ’Ashyrépondrait.
Auboutdequelquessonneries,monpèredécroche,d’unevoixfatiguée:—Allô?—C’estmoi.Silence.—J’airetrouvéChance.Immédiatement,jelesensvifetalerte.—Oùest-il?Ettoi…tuasvul’heure?...Oùtues?—Àl’hôpital.Jegrimaceenentendant ses juronsbien sentis.Çane lui arrivepas souvent, alorsquand il s’y
met…— Je vais bien. Chance va bien. Il est en hypothermie, mais il va s’en sortir. Est-ce que tu
pourrais…Je suis fier d’être plutôt quelqu’un de coriace.D’équilibré. Je ne pleure pas. Je ne suis pas un
bébé. Je ne compte pas sur les autres pour m’aider. Mais en cet instant, dans cette épreuve danslaquellejemesenssiperdu,confus,jemerendscompteque…
J’aiterriblementbesoindemonpère.Parcequ’ilmecomprendsansquej’aiebesoindeterminermaphrase.
—J’arrive,Hunter.Tiensbon.
Ashlin
Jen’aijamaisétéaussiheureusederetrouverlamaison.Mesarticulationsmefontsouffriraprèsavoirautantmarchédanslaneige.Dehors,àl’heurequ’ilest,c’estunevéritabletempête.
La lumièredans la chambredepapa est toujours éteinte, et je peuxmonter sansbruit dansmachambre,oùjem’écroulesurmonlit.
Enlarmes.Jepressemonvisagedansmesmains,partagéeentrerireetlarmes.Parcequejeviensd’entrer
pareffractionchezquelqu’un.Parcequ’unmeurtrierm’apoursuivieàtraverslesbois.Parcequejenepeuxenparleràpersonne,j’aibesoinderecouvrermesesprits,respirer,merépéterquetoutvabien,quejevaisbien,etquele jeuenvalait lachandelle.Zekenesaitpasoùjevis ; ilnepeutpassuivrelapistejusquechezmoi.Aucunrisque.Ilestsûrementremontédanssonvan,ets’esttiré.
J’airatél’occasiond’appelerlapoliceetdelefaireappréhender,maisaumoins,s’ilestloin,ilnes’enprendraplusàChance.
Je m’accorde quelques minutes : je pleure, je ris, je reprends mon souffle, et je chassel’engourdissement demes doigts. Puis je sors l’appareil photo dema poche, effleure du pouce lafêluresurl’écran.Génial.
Maisl’appareilenlui-mêmen’estpasleplusimportant.Jeretirelacartemémoireetl’insèredansmonordinateur,quej’allume.Jeregardel’heure.Hunterauraitdéjàdûêtrerentré.Malheureusement,mon seulmoyen de le contacter pour lemoment se trouve, probablement enmiettes, quelque partdanslesboisprèsdumobilehomedeChance.
La carte mémoire contient des tonnes de sous-dossiers. L’appareil en crée automatiquement àchaquedatedeprisedevue. Jedevraispeut-êtrecommencerpar la fin,mais jen’arrivepasàm’yrésoudre.Cequis’ytrouve,quoiquecelapuisseêtre,neserapasbeauàvoir,j’enailepressentiment.Jeferaispeut-êtremieuxd’attendreHunter.Jeferaispeut-êtremieuxde…
Prendresurmoietmecomportercommeunegrandefille.C’étaitmadécision.Enoutre,jedoisaussiprotégerHunterdecequecontiennentcesdossiers;quandils’agitdeChance,jegèremieuxleschosesquelui.
J’ouvrelepremierdossier.Il contient quelques photos anodines. Le ciel, des arbres, la chambre deChance.Comme si ce
dernier avait testé l’appareil pour voir s’il marchait bien. Je les fais défiler avec une impatiencegrandissante,désireused’arriveràcequiestimportant.Jen’aipasrisquémaviepourdesphotosdepaysage.
Puis ilyaunevidéo.Courte.Trente secondes. Jedois rassemblermoncouragepour lancer lalecture.
Le visage de Chance apparaît, souriant, joyeux, sans ecchymoses. Compte tenu de l’angle, jediraisqu’ilaposél’appareilsursacommode,cequiluipermetdeparlerenétantassissursonlit.
«Salut ! dit-il avec un petit geste de la main.C’est Chance Harvey. Si vous êtes en train deregarderça,c’estquevousêtessoitAsh,soitHunter,oulesdeux.Commentçava,lesamis?»
Jesensmoncœurseserreretfondretoutàlafois.LeChancedecettevidéon’aplusrienàvoiravecceluiquej’aivul’autrejourdanslaruelleaprèsleboulot.
Ilpoursuit.«Etsivousaveztrouvéça,c’estquequelquechoses’estpassé.Çacraint,hein?Maisjemesuis
ditque jepourraisutilisercetappareilpour rassemblerdes indices.Despreuves.Alors,quoiqu’ilarrive…j’espèrevraimentqueçapourraservir.»
Il sourit, fait un petit salut de lamain, puis se lève et arrête l’enregistrement. J’avais vu juste.Chances’estservidel’appareilpourfilmercequ’ilsepassaitchezlui.Pouravoirunepreuvedecequesonpèreleurfaisait,àluietàsamère.Jeprendsunegrandeinspirationpourmecalmer,puisjemeremetsàconsulterlesphotos.
Aprèscettevidéo,elleschangentradicalement.Desecchymoses.Untroudanslemur.Unnezensang.Çaadûsepasserpendant lapériodeoù ilnousaévités. Ilnevoulaitpasquenoussachionsce
qu’onluiavaitfait.Unelèvregonflée,unœilaubeurrenoir.Puis une autre vidéo. Cette fois, l’appareil filme depuis la cachette – la pile de vêtements de
Chance.Dissimulé, il enregistre, sansquepersonne s’endoute.Cettevidéoest plus longue : trenteminutes.EllecommenceparmontrerChancequiplacel’appareilets’assurequel’objectifn’estpasrecouvert,maissesmouvementssontprécipités,désordonnés,etonentendZekehurlerquelquepartàl’arrière-plan.
Chance,quantàlui,neditrien.Ilestrecroquevillésursonlit, immobileetsilencieux.Fixantlaporte.On entendune autre voix– celle deTabitha, j’imagine.Elle crie aussi. Pleure.En entendantcettevoix,Chancese relèveprécipitammentdeson litet sortde lapièce,et sescriss’ajoutentà lacacophonieambiante.
Desbruitsdeverre.Puis lessanglotsdeTabitha.Et lescrisdeChanceetdeZeke, lesond’unebagarre.
Lebruitdequelquechosequicognecontrelemur,encoreetencore,puislesmenacesdeZeke–«Jevaistetuer,espècedepetitingrat…»–,etTabithaquilessupplied’arrêter.
Après,ilyad’autresphotos.DespreuvesdecequeZekeafait,au-delàdescrisetdesmenaces.Puisd’autresvidéos.Certainescommelapremière.Rienqu’unepiècevideetdescrisàl’arrière-
plan.Surd’autres, j’aperçoisdesimagesfugacesdebagarredanslecouloir.Etd’autresencore,oùChance se réfugie dans sa chambre, haletant, le nez en sang, lesmains tremblantes sous l’effet del’adrénaline.
«J’auraisdût’enfermerdansunsacettenoyer.»Zekeouvrelaporteavecunetelleforcequelapoignéefaituntroudanslemur.Danssachambre,
Chancecourtmoinsderisques.Ilestvifetconnaîtlespiègesdisposésparterre,etilbonditpourseplacerhorsdeportée, tandisqueZeke,ententantdesejetersurlui, trébuchesurdeschaussures,etgrimaçantetjurant,secognelesorteilscontrelespierresdissimuléesdansleschaussettes.
Uneautrefois,Zeke,débouleenfuriedanslachambre,arméd’unmarteauetd’unepoignéedeclous.Chancerecule,pensantsûrementqu’ilsluisontdestinés,maispourunefois,Zekel’ignoreets’avanceverslapiledevêtements.Verslafenêtre.L’appareilphotoestdéplacé,recouvertparlecotond’unT-shirt,etlesonestassourdi.
«Onverrabiensitupourrasfiler,maintenant.»Despas.Lesilence.LesgrognementsdeChancequandilessaie–jesuppose–deforcerl’ouverturedelafenêtre.«Lefilsdepute.»Savoix,faible,furieuse,fatiguée.J’arrêteaprèscettevidéoetmefrottelesyeux.J’arrêteparcequej’aicruentendredubruitenbas.
Laportedelachambredepapa,jecrois.Ilselèvesûrementpourallerauxtoilettes.JemedemandepourquoiHuntern’estpasencorerentré.Je visionne d’autres vidéos au contenu similaire, cris et bagarres, et regarde une douzaine de
photos.Unedernière,jedécide,puisjem’occuperaidesavoirpourquoimonfrèreestencoredehorsàcetteheure-là.
Danscettevidéo,laplupartdesblessuresdeChancesontguéries,outoutdumoins,nonvisibles.J’entendslavoixdeTabitha:
«…Peuxteparler?—Entre,répondChanceenlâchantl’appareilphoto.»Cette fois, ilne lepositionnepascommepour lesautresvidéos,et jemedemandes’il se rend
compte qu’il est en train d’enregistrer. Il se rassoit sur son lit. L’objectif de l’appareil cadre sonvisage à partir du cou.C’est une première sur toutes les vidéos, queTabithaHarvey entre dans lachambredesonfils,endépitdunombredefoisoùilavoléàsonsecours.Jamaisuneseulefoisellen’aessayédes’interposerentreChanceetsonpère.Quelgenredemèrefaitça?Quelgenredeparentignoreainsidefaçonaussiflagrantelessouffrancesinfligéesàsonenfant,surtoutquandtoutsepassesoussonnez?
Tabithaaunclaquementde langue réprobateurenvoyant l’étatde lachambre,maisChance secontentedelaregarder,etelles’assoitsurlelitàcôtédelui.
« J’ai eu un coup de fil de l’avocat. Tout ce que j’ai à faire, c’est d’aller signer les papiersdemain,etl’argentestàmoi.»
Ellesemblesiexcitée,sipleined’espoir.Est-cedonccequ’ils’estpassé?Tabithaétait-elleenfinsurlepointdequittersonmarietdepartir?EtZekel’a-t-ildécouvert,etpétélesplombs?
«T’asdéjàditçaavant,murmureChance.—Unpeuderespect,jeunehomme,répondTabitha.Nefaispasl’ingrat.Tuveuxquejetelaisse
ici?C’estça?Parcequej’ensuiscapable.»Chanceretiredesboulochessurlatoiledesonmatelas,lesyeuxrivésàsespiedsnus.«Alors,j’attends!ditTabitha.—Non,maman.»Ilnerelèvepaslatête,maistoutdanssonattitudeparaîtétriqué,vulnérable,commes’ilredoutait
d’être abandonné. Elle le ferait sans doute. De toute sa vie, elle ne l’a pas protégé, pourquoicommencerait-ellemaintenant?
Lavidéosetermine.Iln’yaplusqu’undossier.—Ashlin!Lavoixdepapametiredemaspiraledequestionsangoissantes.Jepivotesurmonfauteuilpour
metournerverslecouloir.Qu’est-cequ’ilfabriquedeboutàuneheurepareille?Etsurtout,pourquoi
est-cequ’ilcriecommeça?Je roulemon fauteuil jusqu’à la porte et passe la tête dans l’entrebâillement pour lui répondre
avantqu’ilfassequelquechosedevraimentstupidecommemonterl’escalier.—Quoi?—Descends,toutdesuite!Jesens lespoilsdansmanuquesehérisser.OùestHunter?Je jetteuncoupd’œilà l’écrande
monordinateurenmemordillantlalèvre.LespreuvesdeChancedevrontattendre,j’enaibienpeur.Pourl’heure,j’éteinsl’écranetdescendsl’escalier.Papaesthabillé,ilalevisagefatigué,etdesplissoucieuxluibarrentlefront.Ilmeregardedelatêteauxpieds.
—J’aiessayédet’appelersurtontéléphone–tunedormaispas?Jelefixe,lesyeuxvides.Ilajoute:—Tuesencorehabillée.Jefaiscequejepeuxpourresterimpassible.—Ouais,euh,qu’est-cequ’ilsepasse?Toutvabien?Ilserrelesdentsetsepasseunemainsurlevisageavantdesedétourner.—Metsteschaussures.—Papa?Sérieusement,ilcommenceàmefaireflipper.Jegagnel’entréepourmettremeschaussures,en
priantpourqu’ilneremarquenimonjeanmouilléni laflaquedeneigefonduequemesbottesontlaisséeparterre.
S’il s’aperçoit de quelque chose, il ne fait aucun commentaire. Il prend juste son manteau etl’enfile. Ilest soitbouleversé, soitencolère–merde, jen’arrivepasàsavoir. Jene l’ai jamaisvuvraiment furieuxou inquiet. Il estplutôt legenredepersonneàprendre leschosescalmementetàrassurerlesautres.Jelelaissedanssabulledesilenceletempsderejoindrelafourgonnette.Puis,mevoyantderrièrelevolant,ilsembleprendreconsciencequ’ildoitmedirecequ’ilsepasse,carj’aizéroidéedelàoùilveutquej’aille.
—L’hôpital,finit-ilpardire,d’unevoixfatiguée.HunteraretrouvéChance.Mesmainssecrispent si fort sur levolantqueçame faitmal. Je redoute le sondemavoixsi
j’essaiedeparler.C’estlaraisonpourlaquelleiln’arienvouludire–parcequ’ilvaudraitmieuxquejem’abstiennedeconduiresijesuisbouleversée.Parcequeluil’est…
—Jecroisqueçavaaller,lâchepapa.Maissavoixestdistante,jenesaispascequ’iladanslatête.Ilcontinuedesesentircoupable.Maisc’estpareilpourmoi.EtpourHunter.Nousn’avonspasarrêtédedirequeChancefaisaitpartiedelafamille,ettous,nousnoussommes
montrésincapablesdeleprotéger.J’acquiesceensilence, jegardemescommentairespourmoi.Çavaaller,c’estonnepeutplus
vague.Çapeutpresques’appliqueràtout,non?Àpartlamort.Çavaaller,çaveutdireenvie,maispasnécessairementqueçavabien.Ladifférenceestdetaille.
Inutiled’essayerdeseréconfortermutuellement.Jepourraisluipromettrequetoutvas’arranger,queleplusdurestderrièrenous,maisàquoibon?Noussavonstousledeuxquetoutpourraitmalfinir.QuelesmeilleuresannéesdenotrevieavecChancepourraientêtrederrièrenous,etquetoutcequinousattenddésormais…
L’angoissemenoueleventre.Ladernièrefoisquej’aimis lespiedsdansunhôpital,c’étaitquandpapas’estfait tirerdessus.
D’ailleurs,cequisepassecettenuitn’estpassansmerappelerl’incident.Hunteretmoiétionsseulsà
lamaison,papaétaitauboulot.Ilavaitditqu’ilrentreraitpourdîneretnousavaitlaissédel’argentpourqu’onsefasselivrerunepizza.L’heuredudînerétaitpassée,iln’étaittoujourspasrentré.Nousnousétionsinstalléspourregarderunfilm,moiblottiecontreHunter,àmesentirseulesanspapaetsansChancepourégayerl’atmosphère.
Cedevaitêtrel’unedesfoisoùilavaitdisparupendantquelquesjours.Enyrepensant,ils’étaitsûrementfaittabasseretilnevoulaitpasqu’onluiposedequestions.
Il était près de 23 heures, ce soir-là, quandRoger était arrivé pour nous informer de ce qu’ils’étaitpassé.Deuxtypesrecherchésdansplusieurscomtéspourbraquagedebanque…etpapafaisaitpartiedugroupequiavaitessayédelesintercepterquandilsavaientétérepérésenville.Ilétaitaussileseulàavoirététouché,etsesjoursétaientendanger.
NousavionsdormichezRogercettenuit-là,danslachambred’amis,Hunteretmoidanslemêmelit.NousavionssuppliéRogerdenouslaisserrestercheznous,carsinon,commentChanceaurait-ilpu apprendre ce qu’il s’était passé ? Mais Roger n’avait rien voulu entendre et avait refusécatégoriquementdenous laisserpasser lanuit seulsdans lamaison.Nousn’avionspasappelénosmères.Pastoutdesuite.Biensûr,quandpapaavaitreprisconnaissance,ilnousavaitsermonnés,etlelendemainlamèredeHuntervenaitlechercher,etmoij’étaisdansunavionpourlaCalifornie.
Nousavonsétéséparésdenotrepère,qui,j’ensuispersuadée,avaitbesoindenous,etnousavonsétéséparésl’undel’autre.J’avaisbesoindeHunteraumoinsautantqueluiavaitbesoindemoi…etnousavionstouslesdeuxbesoindeChance.
Jenesuispassûred’avoirjamaispardonnéàmamèredem’avoirfaitça.Nidem’êtrepardonnéeàmoi-mêmeden’avoirpasplusbataillé.
Cettefois,leschosesnesepasserontpascommeça.Jetendslebrasetposemamainsurcelledepapa.Ilsursaute,puisillaprend.Je trouve à me garer directement devant l’entrée. Les urgences sont-elles toujours aussi
tranquilles la nuit ? Je saute du van et fais le tour pour surveiller papa qui descend à son tour ets’avanceavecsacannesurleparkingverglacé.
—Attentionànepasglisser,jeluidis.—Siçaarrive,répond-il,aumoinsnoussommesàl’hôpital.Àl’intérieur,l’odeurestbizarre.Stérile,maispaspropre,sitantestquecelaaitunsens.Comme
silesodeursdejaveletdedésinfectantsmasquaientcellesdemicrobesetdebactériessurlessiègesdelasalled’attente,lesboutonsdesdistributeurs,lesstylosàl’accueil.
Parmi les personnes présentes, j’aperçois Hunter, le dos voûté, les yeux rivés à l’écran detélévision fixédans l’anglede la pièce. Il ne semblepasvraiment la regarder,mais plutôt la fixercommesielleluipermettaitd’occuperunepartiedesoncerveau.
Quandpapa l’appelle, il sort de sonhypnosevolontaire et se lève immédiatement. Il ouvre lesbrasdanslemêmegesteréflexequimepousseàm’yblottiretàleserrertoutcontremoi.Ilbaisselatêteetmurmure:
—Ilsneveulentrienmedire.Parcequejenesuispasdesafamille.Ilcrachelederniermotcommes’ilétaitemplidevenin.Commesilepersonnelicin’avaitpasla
moindreidéedecequ’étaitvraimentunefamille.—Tuneleuraspasdonnésonidentité,n’est-cepas?demandepapa,enallants’asseoir.JegardelamaindeHunterdanslamienne.Monfrèresecouelatête.—Non.Jemesuisunpeu…énervéparcequ’onnevoulaitpasmelaisserlevoir,etj’airefuséde
direquoiquecesoit.Papasoupire.
—Onvadevoirleurdonnersonnom.Sinon,turisquesd’êtrepoursuivipourcomplicitédedélitdefuite.
Hunterredresselesépaules,sondosseraidit.Lasimpleidéedeprévenirlapoliceleheurte.Jenepeuxpasdirenonplusqu’ellemeplaise.
—Commenttul’asretrouvé?jedemande.Papahochelatête.Detouteévidence,laréponsel’intéresseluiaussi.—Ilm’aappelé.Huntaleregarddanslevide.Sonpoucecaresseledosdemamain.—J’aidécouvertqu’ilsetrouvaitsurHollowIslandetje…ilfallaitquej’aillelechercher.S’il
avaitpenséquej’appelleraislapolice,ilseseraitdenouveauenfui.Etonnel’auraitjamaisretrouvé.Papaacquiesceensoupirant.Maisunsoupirn’estpasunreproche.Jenesuispassûrequ’ilpuisse
reprocheràHunterquoiquecesoit,étantdonnéqu’ilacontribuéàsauverlaviedeChance.Aussi,ilsecontentededemander:
—Ettoi,çava?Hunterfinitparreleverlatête.Iln’apasbesoinderépondre,papaacompris.Jeposelatêtesur
l’épauledeHunter,satêtereposesurlamienne.Papametlamainsurl’épauledemonfrère.Nous restons assis là, une famille, dans la salle d’attentedesurgencesd’unhôpital, en sachant
tous ce qu’il convient de faire. Sans qu’aucun de nous, pourtant, ne puisse à s’y résoudre. Sansqu’aucundenouscomprennecommentnousavonsfaitpourenarriveràuntelfiasco.Àrepenseràcequenousaurionspufaireautrement.Àregrettercequenousn’avonspasfait.
Papafinitparselever.—Jeferaismieuxd’appelerRoger.Çavaaller,ici?Hunternerépondpas.—Oui,net’inquiètepas.Papa tire son téléphonede sa poche et, de sonpas hésitant, sort de la salle d’attente.Hunter le
regardes’éloigner.—J’aiessayédet’appeler.Çabasculaitdirectementsurmessagerie.— C’est sûrement parce que j’ai perdu mon téléphone quelque part dans les bois, près de la
maisondeChance.QuandHuntouvredesgrandsyeux,jefroncelessourcils.—Tupeuxparler,toiquiesalléàlanagejusqu’àuneîleenpleinetempêtedeneige.—Jen’ysuispasalléàlanage.J’aiprislecanot.—EtChance,commentilavaitfaitpouryaller,alors?—Luiaussiavaituncanot.J’imaginequ’ilapréféréenacheterunplutôtquedevolerlenôtre.—Peut-être.Oupeut-êtrequ’inconsciemmentilespéraitquetudécouvriraisoùilétaitetquetu
iraislesauver.Cettepenséememetencolèreetmebouleversetoutàlafois.Jamaisiln’auraitdûmettreHunter
danscettepositionoului fairecourircedanger.Jamais iln’auraitdû lui-mêmesemettredansunetellesituation.Ildevaitbiensavoirquenousn’abandonnerionspasavantdel’avoirretrouvé.
Hunterapprouved’ungrognement.—Qu’est-cequetufabriquaischezChance?Je sais que nous sommes seuls. Autant que possible dans une salle d’attente, du moins.
N’empêche,jejetteuncoupd’œilalentourpourm’assurerquepersonnenenousécoute.—J’aifaillimefairechoperparZekeHarvey.J’aimonappareilphoto.Chanceaenregistrédes
trucs.
Hunterblêmit.Ilsembletirailléentreledésirdemequestionnersurcequ’ils’estpasséavecZekeetl’enviedesavoircequecontientl’appareilphoto.
—Destrucs?Est-cequ’ila…—Jenesaispas.Jen’aipaseuletempsdefinirdelesvisionneravantqu’onpartepourl’hôpital.
Maissic’estlecas,onauradespreuves,ettoutirabienpourChance.Ilhochelatêtelentement,intégranttoutcequejeviensdeluidire.Del’index,jeluidonneune
petitepousséedanslescôtes.—Çan’apasl’airdeteréjouir.Pourtant,c’estunebonnechose.—Jesais,dit-ilsansbouger.Jeveuxlevoir.—Ondevraitpouvoirdèsqu’ilseraréveillé,j’imagine.Àmoinsquelesflicsdébarquenticietinterdisenttoutevisite.J’ignorecommentçasepasse,tout
ça.Quandpaparegagnelasalled’attente,sonexpressionestindéchiffrable.Jeneluienveuxpas.Ce
qu’il adû faire…Évidemmentquec’étaitdifficile.Avertir sescollèguesqu’il saitoù se trouveungarçonrecherchéetqu’ilconsidèrecommel’undesesenfants…
—Ilssontenroute.J’aiconvainculesinfirmièresdevousaccorderquelquesminutesaveclui,sivousvoulezlevoir.
Hunterrelèvelatêted’uncoup.—Onpeutyaller?Maiscomment…Papaesquisseunpetitsourire.—Tuasoubliétoutletempsquej’aipassédanscethôpital?Toutlemondemeconnaît,ici.Dumenton,ilmontrelesdoublesportes.— Mais vous feriez mieux d’y aller maintenant. Les policiers ne seront pas très contents
d’apprendrequejemesuisdébrouillépourqu’ilaitdelavisite.Pasbesoinqu’onnousledisedeuxfois.Paparesteenarrièrepourfaireleguet,tandisqueHunter
etmoiprenonsunbadgevisiteuràl’accueil,obtenonslenumérodechambredeChanceetpassonslesdoublesportes.
L’imagedepapa,allongédansunlitd’hôpital,àpeineconscientàcausedesmédicaments,resteassezvivacepourquej’appréhende,unpeunauséeuse,devoirChancedansunétatsimilaire.J’espèrequ’ilestréveillé,pourqu’onpuisselerassureretluidireque,maintenant,toutvas’arranger.Huntermeserrelamainavecunetelleforcequej’envisagepresquedelelaisseryallerseulpourqu’ilsaientun peu d’intimité… Non. C’est peut-être de l’égoïsme, mais moi aussi, j’ai besoin d’être là. J’aibesoindeluidirepourl’appareilphoto.
C’estunechambredoubledont l’autre litest inoccupé.Nousentronset refermons laporte.LesvêtementsdeChancesontrepliéssoigneusementsurlatabledechevet.Ildort.Reliéàdesmachines.Petit et vulnérable.Hunter s’immobilise une fractionde seconde avant d’avancer jusqu’au lit, je lesuissansunmot.
Je regarde le visage de Chance, ça n’a finalement rien de commun avec papa. Chance a l’airnormal. Aussi normal que possible pour quelqu’un en chemise d’hôpital, sous une tonne decouverturesquigrattent,reliéàdesmoniteursetàdestubes.
—Commenttuletrouves?jedemandeàHunt.Comparéàavant.Hunt tend lamain.Dubout des doigts, il effleure la joue deChance avec une douceur quime
bouleverse.—Mieux.Avant,ilétaitsi…livide.Froid.Jel’aicrumort,quandjel’aitrouvé.—C’estpaspoli,murmureChance.
Noussursautons.Jem’assoissurlelitetprendssamain.—T’esréveillé.—Vousfaitesdubruit,dit-ild’unevoixquisonneàmesoreillescommeduverrebrisé.Trèslentement,ilouvrelesyeux,lesposesurHunter,etdit:—Salut.—Salut.Hunters’effondresurunechaise,l’approcheetposesescoudessurlelit.Ilnepeuts’arrêterde
toucherChance.Sonépaule,sonvisage,sescheveux,avecuneexpressiondesoulagement.—Tum’asfichuunedecestrouilles,espècedecrétin.LesdoigtsdeChanceserefermentsurmamain.—Laissez-moideviner.Lesflicssontenroute.Huntetmoiéchangeonsunregard.—Oui,jeréponds.Chancelèvelesyeuxversleplafond.—Etl’appareilphoto?demandeHunter.Chancenousdévisage.—Quelappareilphoto?—Celui que tu as caché dans ta chambre, je dis. Je me suis introduite chez toi pour aller le
chercher.Jemeforceàsourire.—C’estlapreuvedonttuavaisbesoin,non?Donttumeparlais?Ilmeregarde,àlafoisamuséettriste.—Génial.Tuasregardécequ’ilcontient?—Enpartie.J’aidûpartirpourl’hôpitalavantd’avoirputerminer.Jeledonneraiauxflics,eten
unriendetempstuserasdisculpé.—Tu t’es introduitechezmoi?demande-t-il avecun rireéraillé.EtHuntera traversé l’océan
sousunetempêtedeneigepourmesecourirsuruneîle.Touslesdeux,vousn’arrêterezjamaisdemesurprendre.
—Àquoiçasert,lafamille?jedis.—Fautvoir.Lavôtre,oulamienne?—Tufaispartiedenotrefamille,insisteHunter.Chancegrogne.Onfrappeàlaporte,puisuneinfirmièrepasselatête.—Désoléedevousinterrompre…Votrepèrem’ademandédevenirvouschercher.Iladitqu’il
étaittempsdepartir.Décidément, il ne plaisantait pas en parlant de minutes. Pas de temps pour des questions, pas
detempspourquoiquecesoitd’autre.JedescendsdulitaprèsunedernièrepressionsurlamaindeChance.Ilessaiederetarderlemoment,uneexpressiond’angoissesurlevisage.
—Tuessûrquetudoispartir?Huntersoupire.—Personnen’estautoriséàtevoir.Maisonreviendradèsqueceserapossible,d’accord?Eten
unriendetemps,tupourrasrentreràlamaison.Cheznous.—Tusais…UnsourireapaisépassesurleslèvresdeChance.—Çamediraitvraimentbien.—Àtrèsbientôt.
J’envoie à Chance un baiser et me dirige vers la porte. Du coin de l’œil, je vois Hunter quis’attarde,puisilsepencheetembrasseChancesurlabouche.
C’estlapremièrefoisquejevoisça.Unvraibaiser.Pascelui,pourjouer,delaplage,lejouroùChancenousavaitembrasséstouslesdeux.Celamesembleêtrelachoselaplusnaturelledumonde,cequiposequantitédequestions.Parexemple:quandtoutseraterminé,arriveront-ilsàclarifiercequ’ilyaentreeux?Hunterprésentera-t-ilChancecommesonpetitami?
Jesensmoncœurseserrer,j’aimalgrétoutenviedesourire.Etsi,finalement,toutseterminaitbien?
Hunter
Quandje l’embrasse,Chancem’agrippepar lachemise.Ses lèvressontsèches,maissaboucheest chaude, et je me dis alors… que c’est ainsi que les choses devraient être. Chance et moi.L’embrasser quand j’en ai envie. C’est ainsi que cela se passera quand toute cette affaire seraterminée,etlesavoirvamepermettredetenirlecoup.Nouslepermettreàtouslesdeux.J’aiétéàdeuxdoigtsdeleperdre,etjenelaisseraipaspareillechosesereproduire.
Ashlins’éclaircitlagorge.Jem’écarte,levisageenfeu,maisjenelaregardepas.Pasenviedevoirsonsourireentendudesalegosse.
LesyeuxdeChancerestentrivésauxmiens.—Jet’aime,dit-il.Cesmotsaccentuentencore larougeurdemonvisage,et jesensque je lui retourneunsourire
béat.Jeplongemamaindanssescheveux.—Moiaussi,jet’aime.Jerevienstevoirbientôt.Jetelepromets.Quandsesdoigtsrelâchentmachemise,j’emboîtelepasàmasœur.Danslecouloir,Ashmeprendlamainetmedonneunpetitcoupdecoude,ensouriant.Jeconnais
cetteexpression.—Hunterestamoureux…Jelapoussegentimentàmontour.—Bienvenueàlamaternelle!Ettoi?Est-ceque…t’esOKavecça?Masœurhausselesépaulesd’unefaçonquisuggèrequ’ellen’ensaitrienmaisqu’elles’efforce
del’être.C’esttoutAshlin.Seréjouirpourlesautres,mêmesiellesouffre.—Jecrois…quetouslesdeux,vousavezbesoinl’undel’autre.Jecroisquec’estainsiqueles
chosesdoiventêtre.Maisjedoisteposerlaquestion:est-cequeçaveutdirequ’onvaallerdraguerlesmecsensemble?Ceseraittop.
Jeprendssurmoipournepasleverlesyeuxauciel.—Cen’estpascommeçaqueçamarche.C’estjuste…Jenetrouvepaslesmots.Commentdécrireleschoses?—Chanceestspécial,ditAsh.Voilà, résumé en troismots, ce que je ne réussissais pas à dire en une centaine. J’esquisse un
demi-sourire.—Oui.Chanceestspécial.Notrepèrenousattenddanslasalled’attente.Aucunsignedespolicierspourlemoment,maisje
suissûrqu’ilsnevontplustarder.Ilselève,nousregardel’unaprèsl’autre.—Alors?
Jepasseunbrasautourdel’épauled’Ash,l’attireàmoi,tandisqu’ellerépond:—Ilvabien.Ilestréveillé.Surlevisagedenotrepère,lesoulagementestpalpable.—Bien.C’estbien.Lapolicenevapastarderàarriver,alorsondevraityaller.J’imaginequ’ils
aurontdesquestionsàteposerdemainsurlafaçondonttuasretrouvéChance.Super.Ilnemanquaitplusqueça.Maissicequejepeuxdireestsusceptibledel’aiderenquoique
cesoit,sijepeuxrépéterdenouveauàlapolicequeChanceafuiuniquementparcequ’ilavaitpeur,peut-êtrequ’ilsneretiendrontpasdechargescontrelui.
L’espoirfaitvivre,non?Le trajet jusqu’à lamaison est tranquille.Ash reconduit notre père avec la fourgonnette, et je
rentre tout seul en voiture, trop fatigué pour allumer la radio.Dans quelques heures, il fera jour.Heureusement, je ne travaille pas, j’envisage donc de rentrer dormir quelques heures, puis deretourneràl’hôpital.Etallervoirlapolice,quelquepartentretoutça.
Nousmontonsdanslachambred’Ash.Cen’estqu’unefoisàl’intérieurquej’ail’impressiondepouvoirenfinexprimermonsoulagement.
—C’estàpeinecroyablequejem’ensoissortisansleçondemorale.—TuassauvélaviedeChanceetaidélapolice.Jecroisquepapapensedevoirpasserl’éponge
surtoncomportementstupide.Pourl’instant.Elleselaissetombersurlefauteuil.— C’est l’hôpital qui se fout de la charité ! Qu’est-ce qu’il dirait s’il découvrait que, non
seulementt’esentréepareffractiondansunemaison,maisqu’enplust’estombéenezànezavecunmeurtrierencavale?
—Àmadécharge,iln’étaitpascenséêtrelà.Jem’assoissursonlit,d’oùjepeuxvoirl’écrandesonordinateur.—Tun’asrienditàpapaàproposdel’appareilphoto.Ellehausselesépaules,allumel’écran.—Jenepouvaispas!Ilm’auraitdemandécommentjemel’étaisprocuréet…ilauraitpétéles
plombs.ÇaseraitplussimplesiChanceracontaitàlapolicequ’ilm’adonnél’appareil,ouuntrucdugenre.Jen’ensaisrien.Jen’aipasréfléchiencoreàcequejevaisdire.
Ellemarqueunepauseetfaitpivotersonfauteuilversmoi.—T’essûrd’êtreenétatdevisionnerlesvidéos?Ellessont…Jesaisquetucroisenavoir la
force,maisils’agitdeChance,et…Jemeraidis.—Horsdequestiondemedéfilersousprétextequejerisqued’êtrebouleverséparcequejevais
voir.Chance,lui,n’apaseucettepossibilité.Ashacquiesce,apparemmentsatisfaiteparmaréponse.—Ilmerestaitquelquesphotosàvoiretuneoudeuxvidéosàvisionner…Àvraidire, jenesaispassi j’enaivraiment la force,et jen’enauraispaspluss’il s’étaitagi
d’Ash,demonpèreoudemamère.Voirlesgensqu’onaimenonseulementsouffrir,maissouffrirparl’actiondequelqu’und’autre?
Jepensaisceque j’aidit :Chancen’apaseucechoix.Ashlinacourud’énormes risquespourrécupérerces images.Lemoinsque jepuisse faire,c’estdesavoircequenousallonsdonnerà lapolice.
Elle ouvre le dernier dossier et commence par la première photo.Qui n’est pas une photo deChance,maisdesamère.Commeelletourneledosàl’appareil,Tabithanedoitpasserendrecompte
qu’elleestphotographiée.—Regarde.Ashtouchel’écranpourmemontrerunebandesombresursonbras.Desecchymoses.Ilyena
uneautresursonavant-bras.Sonpoignet.Commesielles’étaitcognéeouquesamainavaitheurtéviolemmentquelquechose.Lapreuve,n’est-cepas,queChancen’étaitpasleseulàsefairetabasser?LapreuvequeZeken’hésitaitpasàfrapperetsonfilsetsafemme.
—Dansunedesvidéos,elleparlaitàChanced’unavocatetd’argent.Ashclique sur laphoto suivante.Ellemontreun troudans lemur,probablement faitparZeke.
Uneautre,d’unplacarddelamaison,oùunelampeinfrarougeestalluméeetorientéesurunplantdecannabis.
—Ondiraitqu’elleavaitpourprojetdepartird’iciavecChance.Peut-êtrequeleschosesavaientencoreempiré…
—Zekeatoutdécouvert,etilapétélesplombs,jeconclus.Ashacquiesce.Heureusement,iln’yapasdephotosdeChance.Avantdepasseràladernièrevidéo,Ashhésite.
Peut-êtrequ’ons’excitepourrien.Ellen’apeut-êtrerienàvoiraveclemeurtredeTabitha.Detoutefaçon,ondisposedéjàdesuffisammentdepreuves.
—Onyva?demande-t-elle.—C’estmaintenantoujamais.Ashlancelalecture.
***
LachambredeChanceestunepagaillesansnom.Desvêtements,deslivres,dubazarpar terre.Chances’affairantsurl’appareilphoto.Haletant.Lesyeuxécarquillés.
Despas.Quelqu’unquiseprécipitedanslecouloir.Chanceseredressed’unbond, lesmusclesbandés,sur lequi-vive,prêtàfuir.Laportes’ouvre
et…Cen’estpasZeke,maisTabitha.Lesecchymosesautourdesoncouformentcommeuncollier.
Elleclaquelaporte,essaiedelaverrouiller,lapoussantdel’épaule.«Ilacasséleverrou.»Chance saute sur son lit, debout, comme si être en hauteur, au-dessus d’elle, lui donnait le
sentimentdemaîtriserlasituation.Desesentirmoinsimpuissant.Ilparaîtcalme.Plusagacéqu’autrechose.
«Sorsd’ici,maman.»MaisTabithane réagit pas suffisammentvite.Zekeouvre laporte avecune force telle qu’il la
projetteausol.Safureur,ensoi,estdéjàimpressionnante,maisenplus,ilaunearmeàlamain.Zeke s’élance vers Tabitha. Chance – avec les réflexes de quelqu’un qui l’a fait un nombre
incalculable de fois – saute du lit et pousse son père, dans le seul but de faire diversion et deconcentrersafureursurlui.
«Fous-luilapaix!»Zekefaitvolte-faceetposelecanondesonarmesurlatempedeChance.Cedernierchancèleet
s’appuieaumurpouressayerdegardersonéquilibre.Maisçaamarché.Lafureurdesonpèreestdésormaisfocaliséesurlui.Tabitha,enlarmes,recroquevilléeparterre,n’aplusd’importance.
«Tutemetstoujoursentravers!hurleZeke.Tutecroisplusmalinquetoutlemonde!»Chance sort de la chambre en titubant. Mais Tabitha ne bénéficie que d’un répit temporaire,
pendantqueZekehurleaprèssonfils.PuisZekes’enprenddenouveauàelle.Ill’attrapeparlebrasetl’entraîne,gémissante,endehorsdelachambre.
«Tusaisquituprotèges,espècedepetitmerdeux?»beugleZeke.On l’entend,mais on ne le voit pas. La pièce est vide. La dispute se poursuit ailleurs dans la
maison.Ilyadelabagarre.Descorpsquicognentcontredesmurs.Descoupsdepoing.Lacaméran’enregistrequelessons.
Haletant,Zekedit:«Baisse ça – elle avait l’intention de nous quitter tous les deux ! Je parie que t’étais pas au
courant,pasvrai?—Onallaitsetirerd’iciensemble,riposteChance.Onallaitrécupérerlefricetsebarrerleplus
loinpossibledetoi,etsit’essayaisdenousretrouver…—C’estpourçaqu’elleétaitentraindefairesavalise?Hein?Jet’aipasvufairelatienne.»Silence.«Dis-lui,Tabby.Dis-lui.Tucomptaisl’emmeneravectoi?»Tabithagémit,sesexplicationsseulementaudiblesdesonmarietdesonfils.Chanceréagit.Savoixestincrédule.Douloureuse.«Tucomptaisvraimentpartirsansmoi?—Non…C’estfaux…C’estpascequetucrois…Jeseraisrevenuetechercher!»Lafin.Lavérité.TabithaHarvey,quiavaitfiniparenavoirassezdesonmari,étaitsurlepointdelequitter.Etelle
avaitdécidéd’abandonnersonfilsetdelelaissergérerseullesconséquencesdelacatastrophe.Chanceaunriregrave.«Non,c’estpasvrai.»Ensuite,ilsepassequelquechose.Quelqu’unessaiedes’enfuiroudeprendrel’arme.Descris.Duverrebrisé.Tabithacrie.Zekehurledesmenaces.SeulChancerestesilencieux.Puis,uncoupdefeuretentitdanslechaos,ettoutredevientsilencieux.
***
Jesensdesfrissonscourirdansmondos,commesiunmillierdeminusculesaraignéesavaiententreprisunpèlerinagelelongdemacolonnevertébrale.
La vidéo continue. Des mots étouffés. Des pas. Effrayés, paniqués. Des portes qui claquent.PersonneneretournedanslachambredeChance.L’appareilcontinuedefilmer.
Encoreetencore.Jusqu’àceque labatteries’épuise,etque l’images’arrête.Masœuretmoin’avonspasbougé.
N’avonspasparlé.Elleaportélamainàsabouche.Sesyeux,quandellefinitparsetournerversmoi,sontécarquillésetsansvie.
—Qu’est-cequ’ilvientdesepasser?murmure-t-elle.J’ailabouchesèche,commeducoton,etmalanguerefused’obéir.Jenesaispas,jeveuxdire.Je
n’yparvienspas.Avantquel’undenouspuisseréagir,lasonneriedemontéléphoneretentit.
Chance
ToutdesuiteaprèsledépartdeHuntetd’Ash,jemelèvedemonlit.Jedébranche lesmachinesdumur, avantd’arracherd’uncoup sec laperfusionetde retirer le
moniteurfixéàmonindex.Celuiquiainventéleschemisesd’hôpital–surtoutcellequ’onnouedansledosetquivouslaissentlesfessesàl’air–mériteraitdesbaffes.
Mes vêtements, pliés sur une table à côté du lit, sont sales. Je vais devoir les jeter et medébrouillerpourm’enprocurerd’autresquelquepart.
Jemedépêchede les enfiler.Mesmembresnem’obéissentpas comme j’auraisvoulu, ils sontd’unelenteurinsupportable.Hypothermie,c’estça?Quoiqu’ilensoit,jedevraisfinirparrécupérer.
Machambresetrouveaupremierétage.Remercionslesétoilespourlespetitscoupsdemain.Jeprendsmon téléphone,enfilemeschaussuresetouvre la fenêtre.Je l’enjambe,etme laisse tombersurlesol,dansl’herbe.Etjeprendslafuiteavantquelesmoniteursalertentleposteinfirmier.Ouquelesflicssepointent.
S’ilspensaientquej’allaisattendrebiensagementdansmonlitquelapoliceviennememenottercommeunvulgairecriminel,ilssegourent.
Ilsnesaventrien.Necomprennentrien.Commentlepourraient-ils?Ilnepeutyavoirdehappyend.J’auraisaiméqueHunteretAshlinmecroientquand j’aiessayéde le leurdire.Toutauraitété
beaucoupplusfacile.Lesétoilesbrillentdanslanuit.Lumineusesetmagnifiques.J’aimerais queHunter soit là pour les contempler avecmoi.La constellationduDragon est la
plusbrillante,maisilnemecroitjamaisquandjeleluidis.Surl’île,j’avaisunevueincroyabledesétoiles.Plusjelesregardais…plusjemedisaisquej’auraispuresteràlesadmirerjusqu’àcequelefroidm’emporte.
Manifestement,Huntervoyaitleschosesautrement.Jechoisisunedirectionetmemetsàcourir.Jesuissûrquecetteroutememèneraàl’autoroute,
puisàlaliberté.Quellebelleidée.Suivreuneroutepourêtrelibre.J’espère,carcetteidéemeplaît.Pasautantqu’habiterchezlesJackson.Maisquellemeilleureperspectivepourrait-ilexisterquand
je redoutede resterdans lesparagesparcequ’il y aquelquechosedans l’appareilphotoqu’ilsnedevraientpasvoir.
Tucomptaispartirsansmoi…Cen’estpasqueHunternecomprendraitpas.Aprèstoutcequemonpèreafait,toutcequema
mèren’apasfait…Baissecettearme.Baisse…cette…arme.
C’est difficile d’être triste. Véritablement triste.Mamère est morte, et c’est terrible, bien sûr.C’estunévénementtriste.Lamort,quandellesurvient,esttriste.Lesgensontdel’importance,etlafin d’une vie doit être pleurée.Mais comment, moi, pourrais-je être capable de ressentir pareilleémotion?
Jevoulaisprotéger.Jevoulaisêtreprotégé.Jevoulaisseulementm’enaller.M’éloignerdelui.Decettemaison.JevoulaisvivreavecHunter
etAsh,avecMrJ.etmêmeIsobel.Unebelleetgrandefamilleheureuse.Aveceux, jepourraisêtrenormal.Jepourraisêtre…meilleur.Quelqu’undebon.Jepourraisaimeretêtreaimé.
Jen’aipasdemotspourexpliqueràquelpointcettesensationestétrangepourmoi.Qu’est-cequ’ilt’apris?Qu’est-cequ’ilt’a…Commentcerêves’est-ilécroulé?Àmoinsquejel’aiesabotémoi-même?Car,regardonsles
chosesenface,jenesuispasdignedefairepartiedeleursvies.Pascommeça.Pendantdesannées,j’aiétédansleurorbite,gravitantautourdelachaleuretdelalumièredelafamilleJackson.
Endéfinitive,onn’apasd’autrechoixqued’abandonnertoussesrêves.Auprofitdelaréalité.Etmaréalitéestlasuivante:jenepeuxpasrester.HunteretAshlins’ensortiront.MrJ.prendra
soind’eux.Hunterne serait peut-êtrepasd’accordpourdirequemondépart estunebonnechose,pourtantc’estlavérité.Jenepourraisquelesentraînerverslebas.Commeça,ilsirontàl’université,ferontquelquechosedegénialdeleurvie.Peut-êtrequ’unjourjelesverraiàlatéléouàlauned’unmagazine.Etpeut-êtrequ’ilsferontallusionaugarçonqu’ilsontconnudansleurjeunesse.
Car après tout, j’ai beau ne pas vouloir qu’ils me cherchent, je ne veux pas non plus qu’ilsm’oublient. Il fait nuit, et l’autoroute est déserte, à part un camion de temps en temps. J’ai faitbeaucoupdestopenpériphériedelaville,maisjamaisici.Jamaisaussiloin.
Dansmapoche,montéléphoneestaussilourdqueduplomb.Lapolicepourrait-ellemeretrouvergrâceàlui?Quisait.C’estpossible.Maislegarderestgarderunlienaveceux.Etpourl’instant,ceseraitinjuste,etégoïste.
Hunterdécrocheàlapremièresonnerie.—Chance?—J’appelaispourdireaurevoir.Çacraint.Commetouslesaurevoir.—Vousavezfinidevisionnercequ’ilyavaitsurl’appareil?—Oui.—Bien.Çamefaitsourire.Ilvoulaitdelafranchise,etiln’yapasplusfrancquecequ’ilsontdécouvert.Qu’est-cequ’ilt’apris?Tul’astuée…Lesévénementsdecettenuitsontdouloureusementprésentsdansmamémoire.Jeluttepourles
repousser.Uncamionpasse,etlebruitfaitréagirHunter.—Maist’esoù?—Peuimporte.Continueràmarcher.Àmettredeladistance.Chaquepasrendleschosesplusfaciles.Ilparaît.—C’étaitchouette,maisçarisquededevenirplutôtmoche.Touslesdeux,vousauriezmieuxfait
denepasessayerdemeretrouver.Alors…jevaisfaireensortequevousnepuissiezpluslefaire.—Nefaispasça.
Savoixmebouleverse.CommentuntypecommeHunter,quisembleparfoissiinsensible,peut-ilme fendre le cœur par une seule inflexion de sa voix ? Quand il me parle comme ça, je feraisn’importequoipourlui…Jeferaisn’importequoi…pourleprotéger.
C’estcequejefais.Jeleprotège.—Jedoisyaller,Hunt.Net’inquiètepaspourmoi,d’accord?Donnecesphotosetcesvidéos
aux flics. Qu’ils arrêtent ce pauvre type pour le foutre en prison, même si ce n’est pas pourlongtemps.Ets’ilteplaît,nemedispasquecen’estpascequivasepasser,parcequej’aimeassezl’idéequemonpèrepourrisseenprisonpouravoirlevélamainsurmoi.
Jecommenceàécarterletéléphonedemonoreille.—Attends!Jeveuxsavoirquelquechose.Je feraisvraimentmieuxde raccrocher, sinon il va continuer àmeparlerpendantdes jours et
finirparmeconvaincrederebrousserchemin.Etpourtant,jesuspendsmongeste.—Justeunechose.Hunterprenduneprofondeinspiration.J’espèrequ’ilestconscientdelagravitédumoment.Une
seulequestion.Àlaquellejerépondrai,etceseraterminé.Àunmoment,ilfauttirerunecroix.Ilselance:—Ya-t-ilquoiquecesoitquetum’aiesditquiaitétévrai?Lavérité.Ah!qu’est-cequelavérité?Lavéritéestdanslesyeuxdeceluiquiécoute.Lesmensongesne
sont-ilspasquedesimplesvariationsdelavérité?Unfaitqu’onétirejusqu’àletransformer?Mêmelesétoilessontdesmensonges.Ellesbrillentdemillefeux,maisleurlumièremetdesannéesànousatteindre.Pourcequej’en
sais, la constellation du Dragon pourrait s’être éteinte. Je ne le saurai jamais. Comment puis-jeaffirmerquecequej’aipudiredansmavieétaitvrai,ycompriscequej’aiditàHunteretàAshlin?
Oh,si.Ilyaunechose.Laseuleàproposdelaquellej’aiunecertitudeabsolue:—Jet’aime.Ç’aétévraidepuislejourdenotrerencontre.Raison pour laquelle je ne le laisse pas continuer à parler. Je raccroche,me tourne, et jette le
téléphonedetoutesmesforcesdanslechampenborduredel’autoroute.Terminé.C’esttoutmoi,couperlesliensavectoutetavectousceuxquim’ontblessé.Etavectousceuxquej’aiblessés.Àchérirmalibertéaussilongtempsquejelepourrai.Jelèvelamain,pouceenl’air,pourfairesigneàuncamionsurlaroute.Peut-êtresuis-jemoiaussiuneétoiledéjàéteinte,etpersonnenes’enestencorerenducompte..
Remerciements
Souslamêmeétoileneressemblepasauxautreslivresquej’aiécrits.Pourlapremièrefois,j’enavaistoutelatrameavantdecommencer.J’avaisledébut,lemilieu,lafin.Etj’aibénéficiéaussidel’aide de cette faiseuse demiracles qu’estmon éditrice, StacyAbrams, pourmemaintenir dans labonnedirectionetfixerdèsledébuttouslesdétailsdel’histoire.Elleacontribuéàlafluiditédetoutleprocessusd’écriture,etj’espèrequenousauronsl’occasionderetravaillerdelasorte.
Je souhaiterais également adressermes remerciements àmes premiers lecteurs critiques pourleurs encouragementspendant lesmomentsdedoute, et notamment àNyraeDawn.Merci d’être lapremièrepersonneàlirecequejetape.Jesaisquesielleaimemespersonnages,c’estgagné,parcequejen’écrispaslegenrederomansverslesquelselleiraitnaturellement.Pourmaplusgrandejoie,ellecontinuedemelireetdedonnersachanceàchacunedemesidées.
Maiscommetoujours,mesplusgrandsremerciementsvontàmeslecteurs.Mercidedonnerunechance à mes livres. Merci d’aimer mes personnages, qu’ils soient décalés, heureux, tordus outotalementbrisésparlavie.J’aibienconscienced’écriredesromansquines’inscriventpasdanslestendances dumarché, et le fait que vous choisissiez mes livres entre tous ne cesse jamais de mesurprendreetdemeréjouir.
Ce livreestavant tout l’histoiredeChance,unpersonnageplusgrandquenatureque, j’espère,tous les lecteurs aimeront, en dépit de ses failles. Merci, chers lecteurs, de m’avoir laissé vousracontercettehistoire.Vousêtesmerveilleux.Vousêtesbeaux.Vousêtestousparfaits.
Danslamêmecollection:découvrezunextraitde
LaVéritésurAlicedeJenniferMathieu
JENNIFERMATHIEU
LAVÉRITÉSURALICE
Traduitdel’américainparCécileTasson
Titreoriginal:TheTruthaboutAlice.
©2014,JenniferMathieu.
©2016,éditionsPocketJeunesse,départementd’UniversPoche,pourlatraductionfrançaise.
Elaine
Moi,c’estElaineO’Dea,etj’aideuxchosesincroyablesàvousraconter:1.L’étédernier, juste avantqu’on rentre enpremière,AliceFranklina couchéavecdeuxmecs
d’affiléesousmontoit.Elles’esttapélepremieretgenre…cinqminutesaprès,paf!l’autre.Sérieux.Toutlemondeestaucourant.
2.Ilyadeuxsemaines,justeaprèslebaldepromo,undesdeuxmecs,BrandonFitzsimmons(untypehyperpopulaire ; luietmoionseconnaissait très… intimement, sivousvoyezceque jeveuxdire)estmortdansunaccidentdevoiture.C’estlafauted’Alice.Toutlemondelesaitaussi.
Ledeuxième,c’estunétudiant,TommyCray…unanciendeHealyHigh.Maisjecroisqu’avantdeparlerdesgarçons,ilfautquejevousendiseplussurAlice.
C’estbizarre.AliceFranklin,c’estpasunnomdefilleàscandale.Çafaitplutôtélèveparfaitequinotebientoutencoursouquipassesesvendredissoiràfairedubénévolatàlamaisonderetraiteenservantdupunchetdesbiscuits(ouautre:jenesaispascequ’ilsfontlevendredisoir,àlamaisonderetraite). D’ailleurs, Alice, c’est un prénom de grand-mère. Vous savez, le genre qui cache desmouchoirsdanssesmanches,quiperdsanscessesonsacetpassesontempsdevantDeschiffresetdeslettres?RienàvoiravecAlice,quoi.Maisalors,pasdutout.
AliceFranklin,c’estunegrossesalope.Enlavoyant,onnediraitpaspourtant.Elleestunpetitpeuplusgrandequelamoyenne,sansêtre
une girafe, et je dois admettre qu’elle est plutôt bien foutue. En tout cas, elle n’a jamais eu deproblèmes de poids. Peut-être que samère lui fait compter les pointsWeightWatchers, comme lamienne,maisj’endoute.Lasiennen’amêmepasl’airdes’inquiéterquetoutelavilletraitesafilledetraînée.Quantàsonpère,jenesaispascequ’ilenpense.Jenel’aijamaisvudepuisqu’onseconnaîtetonseconnaîtdepuistoujours.
Alice a les cheveux courts, à la garçonne. Elle fait partie de ces filles qui ont la bouchenaturellementpulpeuseetelleporte tout le tempsdu rougeà lèvres framboise.Sonvisageest joli,sansplus.Elleaplusieurspiercingsauxoreilles,maisellen’estpaspunk,ni…bizarre.Enfait,elles’habilleplutôtbien.Dumoins,c’était lecasavanttoutesceshistoires.Satenuefétiche,c’était jupedroiteethautmoulant,pourfaireressortirsapoitrine,avecdessandales.Mêmeenfévrier.
Aprèstoutcequis’estpassé,ondiraitqu’elleaarrêtédesepréoccuperdesonlook.Cesdernierstemps,ellenemetplusquedesjeansetdessweats,lacapucheleplussouventrelevée.Parcontre,ellen’apasrenoncéaurougeàlèvres.Jetrouveçabizarre.
Elle n’a jamais été hyper populaire commemoi (on dirait que jeme la raconte,mais c’est lavérité,j’ypeuxrien)…maisellen’étaitpasnonplusauniveaudeKurtMorelli,labêtedefoiredulycée,avecsonQIde540,quineparleàpersonnesaufauxprofs.Imaginezunpeuquelapopularité
soit un immeuble : quelqu’un commeBrandonFitzsimmonsoccupe l’appartement-terrasse, tout enhaut.Lesmétalleuxdormentpar terredans lacave,etKurtMorellin’amêmepas ledroitd’entrerdanslebâtiment.Alice,elle,apasséunegrandepartiedesaviedanslesétagessupérieurs.
Ducoup,elleétaitassezcoolpourveniràmafête.Il faut que vous compreniez que l’histoire d’Alice qui a couché avec deuxmecs et lamort de
BrandonsontlesplusgrostrucsquisoientarrivésàHealydepuisuneéternité.Etiln’yapasqu’aulycéequ’onenparle:toutelavilles’yintéresse.C’estdrôleparcequed’habitudelesadultespigentrien à notre façon de vivre… Ils ne savent pas ce que veut dire tel ou tel mot, ou pourquoi uneémissionadusuccès,etilssonttoujourssuperexcitésàl’idéedetemontrerunevidéod’unchatquiéternuesurYouTubealorsqueçafaitcentansquetul’asvue.
MaisAlice a couché avecdeuxmecs etBrandon estmort, et tout lemonde sansdistinctionneparle plus que de ça. Les femmes en discutent aux réunions de parents d’élèves, elles posent desquestionsà leurs fillesetquandellescroisent lamèred’Aliceausupermarché,elles lui lancentunregarddu style :«Tume faispitié,mauvaisemère, va. » (Je le sais, parceque lamienne l’a fait,c’étaitaurayonyaourts,quandellecherchaitundessertWeightWatchersà2pointsqu’il lui fallaitabsolument.)
Sil’accidentafaitautantdebruit,c’estparcequelavictimen’estautrequeBrandonFitzsimmons,l’espoirsportifdetoutelaville.Unquarterbackàtomberparterrequetoutlemondeconnaissait.Leshommes en discutent aux réunions du club des supporters et en faisant la queue à Norauto. Ilssecouent la tête et disent tous que c’est vraiment dommage que Brandon Fitzsimmons soit mortquelquessemainesaprèsledébutdelasaison.(Jelesais,parcequemonpèrel’afait,mêmequ’ilademandé à voix haute pourquoi cette garce d’Alice Franklin s’est sentie obligée de ruiner notremeilleurechancederemporterlechampionnat.)
LefootballaméricainprenduneplaceénormeàHealy,maislavilleenelle-mêmeestassezpetite.Il y a deux supermarchés, trois pharmacies, et à peu près un milliard d’églises cachées entre lesmagasins.Lecinémanepassequ’unfilmàlafois,donconn’apastroplechoix,etlaseulechoseàfaireleweek-endquandonamoinsdevingtans,c’estsquatterleparkingdulycéeetdiredumaldesautres en buvant de la bière. Sauf si les parents de quelqu’un quittent la ville, là, on organise unesoirée.Iln’yapasdejustemilieu:soitonadorecegenredetrucsetonveutrestervivreicipourtoujours,soitondétesteetonahâtedesetirer.
J’aimevivre ici.Bonok, jen’ai rien connud’autre…mais j’adore entrerdansn’importequelmagasin,ensachantque lesgensvontmereconnaître. Ilsmesourientetprennentdesnouvellesdemesparents.Ilsmedemandentsijefaispartiedel’équipedespompomgirlscetteannée(oui),sijecomptem’inscrireaucomitédubal(oui)etsijepensequelelycéeaseschancespourlechampionnat(toujours).Etpuis,ondiraitque lesautresélèvesveulent tout fairecommemoi.Quandonétaitenseconde,mescopinesetmoi,ons’estservidecure-dentspourgraversurnotrevernisdesmessagescomme«Ilove<3you<3»ou«BestFriend».Enl’espaced’unesemaine,touteslesfillesdenotreannéenousavaientimitées.
Bref.AliceFranklin.Danslesfilms,lesfêtesdelycéenssonttoujoursdessoiréesdedinguesaveccinqcentspersonnes
etdesgensnusquisautentdanslapiscinedepuisle toit.Danslavraievie,çan’arienàvoir.PasàHealyentoutcas.Ici,onpasselasoiréeassisdanslesalonàboire,às’envoyerdesSMSalorsqu’onestdanslamêmepièce,àregarderlatéléet,detempsentemps,quelqu’unvachercherunebièredansla cuisine.Des fois, deuxpersonnesmontent dansune chambre, et tout lemonde les charrie.Puis,versminuitouuneheuredumat’,lesgenss’endormentsurlecanapéourentrentchezeux.
Ditcommeça,çan’apasl’airgénial.Enfait,cequiestexcitant,c’estl’idéequ’undecesjours,pendantl’unedecesfêtes,ilpourraitsepasserquelquechose.
Etçaafinipararriver.
Kelsie
Lesoirdelafêted’ElaineO’Dea,j’étaisàl’agonieavecquarantedefièvre.Jen’ysuispasallée.Siçan’avaitpasétéunequestiondevieoudemort,vouspouvezmecroire,jen’auraispasraté
ça.L’ancienneKelsie,cellequej’ailaisséeàFlint,existeencoreaufonddemoi.DansleMichigan,jefaisais partie des intellos. Desmoins que rien. Ici, je suis populaire. Je n’arrive toujours pas à ycroire. Le soir de la fête, j’étais persuadée que si je ratais une seule occasion de rappeler monexistenceauxautres,j’allaismeretrouveràmangertouteseuleàlacantine,condamnéeàterminerlelycéeàlatabledelahonte.J’auraisalorsdûrenoncerauplaisirdefairepartieduclubd’élite.Onn’apasdepoignéedemainsecrèteetonnetapepasenmorsesurlaporteavantd’entrer,maislejeuenvautlachandelle.
Enfin,pour êtrehonnête, jene suispas tout enhautde l’échelle sociale, commepeuvent l’êtreElaine O’Dea et sa bande, mais si, pour n’importe quelle raison, celles-ci se retrouvaient dansl’impossibilitéd’assurerleurrôlede«filleslespluspopulairesdulycée»,j’auraislachancedefairepartiedesdauphines.Etentantquetelle,jepossèdecertainsprivilèges.Parexemple…lasatisfactiond’entrer dans la cantine en sachant que je peuxm’installer n’importe où. Ou le fait que les profsconnaissentmonnomdèslepremierjour.Ouencorelajoiedenepasavoiràm’inquiéteruneseulesecondedespersonnesavecquijevaissortirleweek-end.Toutlemondeveutpasserdutempsavecmoi.Danslasemaineaussi,d’ailleurs.Ons’envoiedesmessages,onparle,ons’appelle,onboit,ons’embrasse,onrit,ondanse,onboit,ons’envoiedesmessages,onparleetonboit.Jesuistoujourslàoùilfautêtre.
Maislesoirdelafêted’Elaine,j’étaistellementmaladequejenemesuisfaitaucuneillusion:jesavais que je n’irais pas. Alors, j’ai agrippé la cuvette des toilettes et j’ai déversé ma colère enpensantàElaine,Alice,Josh,Brandonettouslesautresensemble,sansmoi.
Jedétesteêtremiseàl’écart.Jedétesteraterleschoses.Etlà,j’enairatéunebelle.Le trucdontonn’apasarrêtédeparlercetteannée.Jel’aisudèsle
lendemain,quandAliceFranklin,mameilleureamie,m’aappeléeetquejel’aiécoutéeenmangeantdesbiscottesetenbuvantduCanadaDry.
—Dis-moilavérité.Est-cequetuasreçudesmessagesausujetd’hiersoir?a-t-ellechuchoté,d’unairgrave.
Siçaavaitétémoi,j’auraisétéenlarmes.MaisAlice,elle,nepleuraitpas.Pasencore.—Justeun.J’en avais reçu trois, mais je ne voyais pas l’intérêt de le lui dire. Le premier venait d’une
élèvedesecondecomplètementtaréedontlaspécialitéétaitderépandredesrumeurs:
Alices’esttapéTommyCrayETBrandonF.àlasoiréed’Elaine.OMG.
Enlelisant,j’aisentimonestomacseretourneretçan’avaitrienàvoiravecmesnausées.C’était
àcausedeTommyCray.Jenesavaispasqu’ilétaitlà.Çaavaitsansdouteétésadernièreoccasiondefaire la fêteavantde retournerà la fac.Maisquandonmentionnesonnom, jepense forcémentauTrucTropHorriblequim’estarrivél’étédernier.Personnen’estaucourant.PasmêmeAlice.
—Cen’estpasvrai,Kelsie!Tulesais.J’aiaucuneidéedepourquoiBrandonestalléraconteruneconneriepareille.Ilnes’estrienpassé!Onétaitàlasoiréeensembleetilaessayédemedraguer,maisj’avaistropbuetjeluiaiditquejen’avaispasenvie.Etpuis,jesuispartie.Dis-moiquetumecrois!
—Biensûrquejetecrois,luiai-jerépondu.Maispasvraiment,enfait.Pourêtrefranche,jenesavaispasquoipenser.ÇadevraitvousendirelongsurAliceFranklin.Aprèstout,ellem’abienmentiàproposdece
qu’ellea faità lapiscine.Etonparleencoredecequis’estpasséentreBrandon,Elaineetelle,aucollège.Elledevait sedouterque tout lemondeallait s’en rappeler.C’estpeut-êtrepourçaqu’ilyavaitcommedelapaniquedanssavoix,mêmesiellefaisaittoutpourlacacher.
Pourêtrehonnête,jecommençaisàpaniqueraussi.Jecroisquec’estlàquejemesuisdemandépour la première fois si le fait d’être lameilleure amie d’AliceFranklin n’allait pasm’attirer desennuis.Sipersonnenejugeaitquecequ’elleavaitfaitétaitgrave,toutiraitbien.Maissijamaiselleétaitalléeunpeutroploin…j’avaispeurqu’onmemettedanslemêmepanier.Avoirdéjàcouché,c’estunechose.Setaperdeuxmecsenunenuit,c’enestuneautre.
Audépart,jenesavaispascommentlarumeurallaitêtrereçue.Jelejure.Sivousnevousenétiezpasencoreaperçu,j’essaied’êtrelaplushonnêtepossible.Silarumeurn’avaitpastransforméAliceenparia,lechoixauraitétéfacile.TommyCrayounon,çaauraitétéplussimplepourmoideresterson amie. Jeme serais contentée deme rallier à lamajorité. Très franchement, si Alice avait étéapplaudieàHealyHighpourcequ’elleavaitsoi-disantfait,j’auraiscontinuéàlafréquenter.
Jesais,c’estmonstrueux,maisj’assume.C’est commequand on a luLe Journal d’AnneFrank, en cinquième. Je suis persuadée que, si
j’avaisvéculaguerre,j’auraiséténazie,parcequejen’auraispaseulecouraged’êtreautrechose.Parceque j’auraiseu troppeurd’alleràcontre-courant. J’auraisétépassive,maisdans lemauvaiscamp.Bien sûr, je ne l’ai pas dit à voix haute…mais jeme souviens que pendant le cours tout lemonde disait : « J’aurais aidéAnne. Jeme serais rebellé. Je ne comprends pas comment on a pulaisser de telles choses arriver, bla-bla-bla. » Si tout le monde pense comme ça, alors pourquoiseulementunepoignéedepersonnesaagiàl’époque?Çaprouvebienquejesuislaplushonnête!
Bref.Cettefêteaeulieuàlafindel’étéetonvenaitàpeinedereprendrelescoursquandBrandonestmort.C’étaitilyaquelquessemaines,justeaprèslebaldepromo.C’estàcemoment-làquetoutestpartienvrille.JoshWaverly,sonmeilleurami,étaitavecluidanslavoiture.IladitàlamèredeBrandon que l’accident était la faute d’Alice. Les choses n’étaient déjà pas faciles pour elle avantl’accident,alorsaprès,ellesontprisdesproportionsinimaginables.
Alicem’aappeléeenpleurspourm’enparler. Je luiai réponduque j’étaisvraimentdésoléeetquejesavaisqu’ellen’avaitrienàvoirlà-dedans.Lafoissuivante,jen’aipasdécroché.Après,jeluiai fait croire que ma mère voulait que je l’aide à préparer à manger. Elle a arrêté d’essayer lasemainedernière.Peut-êtrequ’elleneleferaplusjamais.Autoutdébutdel’année,avantqueBrandon
meureetqueleschosesempirent,ellem’aproposéderegarderdescomédiesmusicalesringardes,commequandonétaitentroisième.Lejourmême,j’aidécommandéenprétextantquej’étaismalade.Lavérité,c’estqu’ElaineO’Deam’avaitinvitéechezelleavecd’autresfilles.Commesij’allaisdire«non»àElaineO’Deapourtraîneraveclaplusgrossegarce(supposée)dulycée!
Lavérité, c’estquecesdernières semaines, j’ai«oublié»d’attendreAlicedevant soncasieràl’heuredudéjeuner.Quandellearriveàlacantine,iln’yaplusqu’uneoudeuxplacesàlatabledeslosers.Oupasdutout.Enguised’excuses,jehausselesépaulesetjeluifaissignedelamain,sansgrandenthousiasme.Jesuisune tellepoulemouilléeque,malgré tout, jeneveuxpasqu’ellem’enveuille.Voustrouvezçaridicule,vousaussi?C’estcomplètementhypocrite,jesais.
Onnes’estpasdisputées.Onn’apascausédescène.AliceFranklinétaitmameilleureamie,puispetitàpetit,elleestdevenuemoinsproche,uneconnaissance, jusqu’àneplusêtrequoiquecesoitpourmoi.
Leplusterrible,c’estque,àl’instantoùj’ailulemessage,jesavaisquenotreamitiéétaitfinie.Çapeut paraître injuste et superficiel… LaKelsie Sanders que j’étais à Flint n’aurait jamais fait unechosepareille.Maisj’aipassétropd’annéesàmangerseuleàlacantinepourqueçarecommence.
Plutôtmourir.
Josh
Jenemerappellepasgrand-chosedel’accident.Quandjemesuisréveilléàl’hôpital,jenesavaispascequejefaisaislà.Puis,monpèreestentrédanslachambreetm’aracontécequis’étaitpassé.Ilm’a annoncé que Brandon étaitmort. À cemoment-là, j’ai eu l’impression de quittermon corps.Commej’avaisentenduparlerdecegenredechosesàlatélé,pendantuneseconde,j’aicruquej’étaisentraindemourir,moiaussi.Pourtantmonpèrem’avaitdéjàannoncéquej’étaishorsdedanger,engrandepartieparcequej’avaisattachémaceinture.
Au bout d’une heure ou deux, l’inspecteur Daniels est venu me poser quelques questions. Jel’avaisaperçuàtraverslaporteentraindediscuteravecmesparents.Quandilestentré,mamèrel’asuiviets’estassiseàcôtédemoisurunechaiseenplastiquevert.
—Brandonettoi,vousaviezbuavantdeprendrelavoiture?m’a-t-ildemandéd’unairdétachéenfeuilletantsonpetitcarnet.
Toutçasansmeregarder.Ilnes’étaitmêmepasassis.Jeneluiaipasrépondutoutdesuite.LapièceempestaitlapisseetlaJavel.Çamedonnaitenvie
devomir.—Mongarçon…Nousavonsprocédéàdes testsd’alcoolémie surBrandonet toi,dit-il.Vous
étieztouslesdeuxau-dessusdelalimiteautorisée.Alors,cen’estpaslapeinedementir.Quandilm’aditça,jecroisquejemesuissentisoulagé.Jeluiairéponduque,ouais,Brandonet
moi, on s’était descendu une bière ou deux avant que sa mère nous demande d’aller acheter descouchespoursapetitesœur.
L’inspecteurDanielsagribouilléquelquechosesursoncalepin.—Brandonaurait-ilpuêtredistraitparautrechose?m’a-t-ildemandé.Dérouté par la question, j’ai fermé les yeux le plus fort possible pour essayer dem’éclaircir
l’esprit. Jeme souvenais du crissement des freins juste avant que la voiture quitte la route. Jemesouvenaisdem’êtremordu la langueetdugoûtmétalliquequim’avaitempli labouche,commesij’avaisléchéunepiècedemonnaie.
Delonguesminutesavaientdûs’écouler,parcequemamèreestintervenue.—Josh?Qu’as-tuàdireàl’inspecteurDanielsàproposdecequis’estpassé?J’examinailestylodupolicier.Onauraitditqu’unratl’avaitmordillé.J’essayaidenepaspenser
àladouleurlancinanteauniveaudemonépaule.J’essayaidenepenseràrien,enfait.—Hébien…Iljouaitavecsonportable,répondis-jeauboutd’unmoment.Danielssecoualatête.—C’estdevenud’unbanal,denosjours!annonça-t-ilàmamère,commesijen’étaispaslà.
Ilnotaencorequelquestrucs,meditqu’ilavaittoutcedontilavaitbesoinetmesouhaitademerétablirauplusvite.
—Au fait, lança-t-il juste avant de se retourner pour partir. Félicitations pour le match, mongarçon.
—Merci,monsieur,répondis-je.Mamèreetmoi,onrestaunpetitmomentsilencieux.Puis,ellesepenchapourm’embrassersur
lefront.Ellereniflalégèrement,commesielleseretenaitdepleurer.
ÇafaitpresqueunmoisqueBrandonestmort.Physiquement,jenesuispasencoreautopdemaforme, mais le docteur pense que je pourrai reprendre l’entraînement à temps pour les derniersmatchsdelasaison.
Commesic’étaitcequim’inquiétaitleplus.Joueraufoot.Alorsquemonmeilleurpoteestmort.Mamère,monpèreetmonpetitfrèren’arrêtentpasdemeregardercommesij’allaisdisparaître.
Commesij’auraisdûmourirdansl’accidentetquej’avaisunechancefolledem’ensortir,ouuntrucdanslegenre…alorsilvautmieuxnepasmelâcherdesyeux.Onnesaitjamais.Desfois,mamèrepleureenmeregardant.Elleestgrave.
Malgrémafracturedelaclaviculeetmesdouleursmusculaires,j’aiassistéàl’enterrement.Jenepouvaispasnepasyaller.Ilyavaitunmondededingue.Mêmeenarrivantàl’heure,certainssesontretrouvés tout au fond. Des gens sont restés dans le hall pour essayer d’écouter, alors qu’ils nevoyaientrien.Lemairelui-mêmeétaitprésent.LesparentsdeBrandonetsesfrèresetsœursétaientassisdevant.Samèreétaitenlarmes,limitehystérique,cequifaisaitpleurerlesautresmèresencoreplusfort.L’équipedanssonintégralitéetHendricks,notreentraîneur,setrouvaientjustederrièrelafamille.Hendricksn’arrêtaitpasdesecouerlatête.
Jecroisqu’AliceestlaseuleélèvedeHealyHighànepasêtrevenue.MêmeKurtMorelliétaitlàavec sa grand-mère.Remarque, il habite à côté de chezBrandon depuis lamaternelle, c’est plutôtlogique.
Pendant le service, le pasteur a raconté tout un tas de trucs à propos de Jésus et a expliquépourquoi lesmauvaises choses se produisent,mais je ne l’ai pas vraiment écouté. J’essuyaismesmainsmoites surmes genoux. Je n’arrêtais pas de penser au fait que j’étais receveur et Brandonquarterbarck,etqu’ons’entraînaittoutletempsensemble,rienquetouslesdeux;onn’avaitmêmeplusbesoindeseparlerpoursecomprendre.Onsavaitoùl’autreallaitcourir,dansquelledirectionilallait lancer la balle. Je pensais à ses passes en spirales parfaites quime tombaient direct dans lesmains.Illançait,j’attrapais.Onauraitpucontinuercommeçapourl’éternité.
Oncommuniquaitsansseparler.
JepenseàBrandon,jepenseàlacérémonie,jepenseàl’hôpital,maissurtoutjepenseàcejour,peu après l’enterrement. Celui où sa mère est venueme voir chez moi. Lamiennem’obligeait àpassermesjournéessurlecanapé,pournepasmeperdredesyeux.
—MonDieu,Josh,sij’avaissuqueBrandonavaitbu,jeneluiauraisjamaisdemandéd’alleraumagasin,m’aditmadameFitzsimmons.Maisjenesuispasstupide,mongrand.Ilavaitl’habitudedeboire une bière ou deux. La police affirme que c’est son alcoolémie qui a causé l’accident, maisl’inspecteurDanielsm’aditquetuavaismentionnéquelquechoseàproposdesonportable?Tupeuxm’endireplus?Jet’enprie,Josh.Ilfautquejesachetoutcequis’estpassécejour-là.
Le sonde la téléavait étécoupé.Pendantuneminute, jegardai lesyeux rivés sur la chaînedesports.MadameFitzsimmons,elle,étaitassiseaubordduvieuxfauteuildemonpère.Mamère lui
avaitoffertunverredethéglacéqu’elletenaitsursesgenoux,maisellen’yavaitpasencoretouché.Ellesecontentaitdeleserrerdanssesmains.
—Hébien,enfait…,commençai-je.Moncœurbattaittrèsfort.— Je sais que tu ne veux causer de tort à personne, mais il me semble qu’il y a une autre
explicationquecesquelquesbières,m’encourageaMmeFitzsimmons.Elleposasonverresurlatablebasseetmepritlesmains.Lessiennesétaientfroidesetmoites.
Peut-êtreàcauseduthé.Oupeut-êtrequ’ellesétaienttoujourscommeça.Jerepensaiàtouteslesfoisoùj’étaisalléchezBrandonquandj’étaispetit.MadameFitzsimmonsavaittoujoursététrèsgentilleavecmoi,presquecommeunedeuxièmemaman.
Je sentismes lèvres bouger et desmots en sortir.Tout à coup, jeme retrouvai à lui parler demessagesqu’Aliceluiavaitenvoyés.
—AliceFranklin?medemanda-t-elle,lessourcilsfroncés.Jehochailatête.C’étaitcarrémentgênant,deparlerdeçaàlamèredeBrandon,maisj’étaissûr
quelesrumeursétaientarrivéesjusqu’àelle.Toutlemondeneparleplusquedeça.Alors,jeluiavouaique,pendantqu’onétaitsurlaroute,Aliceavaitenvoyédestasdemessagesà
Brandonetqu’elleavaitrefuséd’arrêter.— Des messages ? Quel genre de messages ? me demanda madame Fitzsimmons. Qu’est-ce
qu’ellepouvaitbienavoiràluidire?Jejetaiuncoupd’œilàl’écrandetélévision,puisauverredethéglacéposésurlatablebasse.
J’étaisincapabledelaregarder,elle,danslesyeux.—Euh.Jesuisdésolé,maisc’estvraimentgênant,luiconfiai-je.—Maisnon,net’inquiètepas,Josh.Cesmessages,c’étaitquoi?Duharcèlement?—C’était, euh, sexuel, lui répondis-je.Des trucs àproposde la fête et euh,des chosesqu’elle
voulaitfaireàBrandon…—Combien demessages lui a-t-elle envoyé pendant qu’il essayait de conduire ?me demanda
madameFitzsimmons.—Beaucoup.Tellementquej’aiarrêtédecompter.Touteslesdeuxsecondes.Quandellehochalatête,ilétaitclairqu’ellen’étaitpascontente,maissonexpressions’étaitun
peudétendue,commesiunepartied’elle-mêmeressentaituncertainsoulagement.Cettefois,ellebutunegorgéedethé.
—Donc,tudiraisqu’ilaétédistraitparcesmessages?medemanda-t-elle.—Ouais,répondis-je.Onpeutdirequ’ilétaitdistrait.—Merci,Josh.Mercidem’enavoirparlé.Jesaisqueçan’apasdûêtrefacile.J’acquiesçai, mais j’étais content qu’elle change de sujet, même si c’était pour parler de
l’enterrement.Elleavaitététouchéequ’autantdepersonnessesoientdéplacées.Çaauraitfaitplaisiràsonfils.OncontinuadediscuterunpeupluslongtempsdeBrandonetduvidequ’ilavaitlaissé.Detempsentemps,madameFitzsimmonss’interrompaitets’essuyaitlesyeuxavecsaserviettepournepas fondre en larmes. Quand elle se décida enfin à partir, elleme serra dans ses bras, en faisantattentionàmonépaule.
—Josh,mongrand, jeveuxquetusachesquetuseras toujours lebienvenucheznous,medit-elle.Tupeuxvenirn’importequand.Jeneveuxpasqu’onperdecontact.J’espèrequetulesais.
Jehochai la têteencoreune fois,presséde lavoirpartir. Jem’envoulaisdepenserunechosepareille,maisj’avaisjusteenvied’êtreseul.
Avant de sortir, elle s’arrêta dans la cuisine pour parler à ma mère. Malgré les cris quis’échappaientdelatélévision,j’entendaisdesbribesdeleurconversation.J’adoremamère,cen’estpasleproblème,maiselleestincapabledegarderquoiquecesoitpourelle.EtdansunevillecommeHealy, le genre d’informations que je venais de partager se répand à la vitesse de la lumière. Jesupposequemamèrel’aditàuneautrequielle-mêmeenaparléàuneautreetcelle-cienapeut-êtreparléàsongosse.Toutçapourdirequequandj’aireprislescours,AliceFranklinn’étaitplusjustelasalopequiavaitcouchéavecdeuxgarçonsàunesoirée.
ElleétaitdevenuelasalopequiavaittuéBrandonFitzsimmons.
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Noussuivresur
Titreoriginal:MadeofStars
Collection«Territoires»dirigéeparPaulineMardoc
Loino49956du16juillet1949surlespublicationsdestinéesàlajeunesse:juin2016.
Copyright©2013,KelleyYork,EntangledPublishing.
©2016,éditionsPocketJeunesse,départementd’UniversPoche,pourlatraductionfrançaiseetlaprésenteédition.
Couverture:KatiaMonaci.Photos:©Istocket©KeithLadzinski/NationalGeographic–ImageSource/GettyImages
«Cetteœuvreestprotégéeparledroitd’auteuretstrictementréservéeàl’usageprivéduclient.Toutereproductionoudiffusionauprofitdetiers,àtitregratuitouonéreux,detoutoupartiedecetteœuvre,eststrictementinterditeetconstitueunecontrefaçonprévueparlesarticlesL335-2etsuivantsduCodedelaPropriétéIntellectuelle.L’éditeurseréserveledroitdepoursuivretouteatteinteàsesdroitsdepropriétéintellectuelledevantlesjuridictionscivilesoupénales.»
CompositionnumériqueréaliséeparFacompo