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INSTITUT D'ÉTUDE DU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

58, boulevard Arago - 75-Paris-13e Tél. : 402-28-01

Fondateur : HENRI LAUGIER Professeur honoraire à la Sorbonne

Ancien Secrétaire général adjoint des Nations-Unies Directeur : FRANÇOIS PERROUX Professeur au Collège de France

Directeur de l'Institut de Science Economique Appliquée

Collection "TIERS MONDE"

Cette collection comprend des ouvrages qui ont chacun pour auteur une personnalité française ou étrangère et qui constituent des études très approfondies sur un aspect du développement ou sur un pays déterminé.

Études " TIERS MONDE "

Cette série groupe des rapports d'experts, des comptes rendus d'exposés, de colloques ou de tables rondes. Ces documents constituent des éléments d'information originaux, utiles pour les recherches sur les pays en voie de développement, ou pour le public s'intéressant à ces problèmes. Les différents textes réunis dans chaque étude sont consacrés soit à une région géographique déterminée, soit à une discipline particulière.

La Revue " TIERS MONDE " Cette revue est trimestrielle, interdisciplinaire et conçue dans un cadre international. Elle parait sous la forme d'articles, de chro- niques et de comptes rendus bibliographiques, consacrés aux pro- blèmes du développement.

ABONNEMENTS ET VENTE PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE

Département des Périodiques : 1, place Paul-Painlevé - 75-Paris-5e Tél. : 033-64-10 C.C.P. : Paris 1.302-69

ABONNEMENTS ANNUELS POUR 1966 : France et Communauté : 25 F — Etranger : 30 F

Le numéro 8 F

Numéros hors série : « L'ALGERIE DE DEMAIN » : 12 F « PROBLEMES DE L'ALGERIE INDEPENDANTE » : 12 F

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L'AGRICULTURE INDIENNE ou

" L'ART DU POSSIBLE "

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COLLECTION "TIERS MONDE "

Croissance • Développement • Progrès

L'AGRICULTURE INDIENNE ou

" L'ART DU POSSIBLE Il par

GILBERT ÉTIENNE Professeur à l'Institut Universitaire

de Hautes Études Internationales, Genève

PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE 108, boulevard Saint-Germain, Paris-VIe

1966 -

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DU MEME AUTEUR :

L'Inde - Economie et population, Genève, Droz, 1955. Inde sacrée, Paris-Neuchâtel, Ides & Calendes, 1955.

De Caboul à Pékin, rythmes et perspectives d'expansion économique, Genève, col. de l'Institut universitaire de hautes études interna- tionales, Droz, 1959.

La voie chinoise, Paris, I.E.D.E.S., collection Tiers-Monde, P.U.F., 1962. Mis à jour et traduit en allemand : Vienne, Europa Verlag, 1963, et en italien : Milan, Comunita, 1963.

Collaboration à l'ouvrage collectif : Les nouveaux Etats dans les relations internationales, Paris, Cahiers de la Fondation nationale des Sciences politiques, 1962.

Dépôt légal - 1re édition - 2" trimestre 1966 Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation

réservés pour tous pays (g) 1966. Presses Universitaires de France

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Aux paysans de Khandoï, à la noblesse de leurs traditions et à leur amitié.

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LES ETATS DE L'INDE

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INTRODUCTION

Où va l'agriculture de l'Inde ? Question brutale qu'il faut d'emblée poser. Stagnation, carence des réformes agraires, disette ou famine, répon- dra-t-on. Ces opinions pessimistes sont encore renforcées par trois années successives de mauvaises récoltes (1961-64) où, sans l'afflux de blé amé- ricain, le pire aurait pu se produire.

L'observation des faits aboutit à des conclusions plus nuancées qui font songer à la vieille formule des alchimistes : « Solve et coagula ». Ici, les forces anciennes tendent à se dissoudre pour laisser passer des courants nouveaux ; ailleurs, elles restent coagulées, dressant des barrières mal franchissables. Des régions importantes sont engagées — et parfois de longue date — dans un large processus de croissance économique. D'autres demeurent assoupies ou sortent à peine de leur engourdissement

Bien que nous ayons abordé plusieurs problèmes techniques, nous n'avons pas entrepris — ce dont nous serions bien incapable - une sorte de traité d'agronomie. Notre but est d'analyser l'économie rurale de l'Inde, en particulier les facteurs qui influencent la production agri- cole. Celle-ci constitue le fil conducteur de notre cheminement dans les campagnes.

Tout en plaçant le développement économique au centre de nos préoccupations, nous avons fait des incursions dans les domaines de la science politique et de la sociologie lorsqu'elles étaient indispensables à la compréhension des phénomènes économiques. Dans le même ordre d'idées, nous nous sommes arrêté aux problèmes de l'administration et de l'éducation.

Quelque peu insolites, nos conclusions heurtent des « mythes » solidement établis, ce qui nous oblige à préciser notre position et notre méthode de travail. Trop d'économistes abordent l'agriculture à partir

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des grandes villes et de rapides visites dans les campagnes. Après avoir procédé de la sorte au cours de différents séjours en Inde, depuis 1952, nous avons choisi la voie inverse en passant le plus clair de notre temps dans les villages de quatre districts, sans parler de trente mille kilomètres en voiture sur les routes (1).

Le contact étroit du monde rural nous éloigne des idéologies et des doctrines préconçues pour nous amener à des solutions qui s'inspirent de « l'art du possible » : toute issue ou tout remède peut être bon à condition d'être réalisable et efficace, vérité évidente et pourtant si souvent oubliée.

Cette conception assez simple nous permet de dégager les idées- force mises en pratique ou susceptibles de l'être. Certaines se limitent à l'Inde, d'autres peuvent s'appliquer à de nombreux pays sous-développés.

Genève, avril 1965.

Depuis l'achèvement de notre manuscrit, de graves événements sont survenus. Après le sursis accordé par les récoltes exceptionnellement favorables de l'automne 1964 et du printemps 1965, la nature a frappé l'Inde d'une manière plus impitoyable que jamais dans la seconde partie de 1965, au point qu'un réel danger de famine menace plusieurs régions du pays. Par ailleurs, les opérations militaires entre l'Inde et le Pakistan ont eu des répercussions importantes aussi bien sur la planification de l'économie que sur la situation politique intérieure. Finalement, au début de 1966, le premier ministre Shastri est mort à Tashkent et a été remplacé par Mme Indira Gandhi.

Loin de mettre en question les conclusions auxquelles nous étions arrivé, ces événements ne font que les renforcer ainsi que nous le mon- trerons par quelques mises à jour, notamment à la fin du chapitre XXVII.

Genève, février 1966.

(1) Les questions de méthode étant particulièrement 'complexes dans une étude de ce genre, il nous a paru préférable de leur consacrer tout le premier cha- pitre, plutôt que de les incorporer à l'introduction.

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REMERCIEMENTS

Cette étude a pu être entreprise grâce à l'appui du Fonds national suisse pour la recherche scientifique auquel je tiens à exprimer ma reconnaissance.

J'ai le plaisir de remercier également M. Tarloq Singh, membre de la Commission du plan, M.Y.D. Gundevia, ancien secrétaire du ministère des Affaires étrangères, aujourd'hui secrétaire du Président de la République, ainsi que les services de l'ambassade de Suisse à New Delhi, qui ont grandement facilité mes démarches et l'organisation de mon travail. MM. D.P. Singh, secrétaire-adjoint (Agriculture) à la Commission du plan; J.P. Bhattacharjee, directeur de l'Organisation pour l'évaluation des programmes; D. Hopper, de la Fondation Ford, à New Delhi, n'ont ménagé ni leur temps, ni leur concours. Leur expé- rience de l'agriculture indienne m'a été particulièrement utile. Surendra Pal Singh, député au Parlement central, a été, lors de mon séjour dans le district de Bulandshahr, un ami aussi généreux que compétent par sa solide connaissance du terroir où il réside.

Mes remerciements s'adressent à tous les hauts fonctionnaires, cadres moyens et subalternes, qui m'ont accueilli avec beaucoup de bonne grâce et une rare obligeance. Quant aux paysans, si j'ai cité en particulier ceux de Khandoï, je n'oublie pas les liens plus brefs, mais fort amicaux également, dont j'ai bénéficié dans les autres villages.

Le professeur Louis Dumont, directeur d'études (sociologie indienne) à l'Ecole pratique des hautes études, a bien voulu me faire profiter de son expérience, en particulier à propos du pays tamoul. M. Jacques Carluy, ingénieur-agronome, ancien attaché agricole près l'ambassade de France à New Delhi, m'a permis de préciser certaines questions techniques.

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Ami de longue date, Jean-Luc Chambard, professeur de civilisation indienne à l'Ecole des langues orientales, a beaucoup facilité ma tâche grâce à sa connaissance du milieu rural indien. Ma dette à son égard est lourde, aussi bien pour la préparation de cette mission que pour celle de ce livre.

J'aimerais enfin remercier ma soeur, Marceline de Montmollin, pour son fidèle appui lors de la rédaction de cet ouvrage. Quant à ma femme, son aide m'a été précieuse, dans mes recherches sur place comme dans leur mise au point.

Si j'ai pu bénéficier de nombreux appuis, il va sans dire que les faits et conclusions présentés n'engagent que ma seule responsabilité.

Transcription des noms anglais ou indiens : u = ou j = dj

ch = tch sh = ch

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PREMIERE PARTIE

LE CADRE GÉNÉRAL

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CHAPITRE 1

CONDITIONS D'ENQUÊTE, MÉTHODE DE TRAVAIL ET BUT RECHERCHÉ

« N'allez pas à Etawah (1), c'est un district modèle ». Les conditions d'enquête en Inde se trouvent résumées dans ce seul propos, tenu par un jeune fonctionnaire en présence de son chef, responsable de la planifi- cation dans l'Uttar Pradesh.

Alors que dans plusieurs Etats sous-développés le chercheur étranger — ou indigène — est en butte à diverses restrictions, notre liberté d'action fut complète. Grâce à nos amis de la Commission du plan et du ministère des Affaires étrangères, nous avons reçu un accueil cordial à tous les échelons, nous permettant d'assister aux séances du conseil de village comme aux réunions de l'état-major du bloc et du district. Les archives nous étaient ouvertes, rapports sur le développement, dossiers d'affaires spécifiques et parfois délicates.

Ministres du gouvernement central et des départements provinciaux, hauts fonctionnaires et personnel subalterne se sont confiés à nous avec la plus grande franchise.

S'il ne nous est pas toujours possible de faire état d'entretiens privés et confidentiels, ceux-ci ont contribué à éclairer notre jugement et se trouvent ainsi intégrés à notre ouvrage.

Dans toutes les régions où nous avons résidé, l'accueil des paysans n'a pas été moins favorable, sans xénophobie ni méfiance. Les villageois se sont prêtés de bonne grâce à nos questions parfois fastidieuses et embarrassantes.

(1) District-pilote où débuta le programme de développement communautaire.

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Les sources

Les sources habituellement consultées — rapports du gouvernement central, travaux d'économistes indiens ou étrangers — ont bien entendu retenu notre attention. Nous avons eu également recours à la presse, démarche justifiée dans un pays dont les journaux ont gardé un sérieux — même un fumet légèrement victorien — devenu assez rare ailleurs. Dans la partie principale de notre ouvrage, nous nous sommes appuyé sur des documents en général peu utilisés, au moins par l'étranger. Ce sont les plans des Etats, ceux des districts, des blocs de développement et des villages. Nous avons consulté les procès-verbaux des panchayats (conseils de village, de bloc ou de district).

Les registres fonciers, véritables mines d'or beaucoup trop peu exploitées, nous ont permis d'établir la situation de base : superficie cultivée, zones irriguées, type de cultures, dimensions des propriétés.

A côté des sources écrites, nous avons largement utilisé, auprès des paysans, la méthode de l'interview mise sur fiche, suivant un questionnaire- type. Nous avons pris garde d'obtenir un échantillonnage caractéristique en choisissant des représentants des diverses castes, des propriétaires grands, moyens et petits, des manœuvres agricoles.

Dans une telle étude, la question linguistique est primordiale. Le gros de nos recherches a porté sur l'Uttar Pradesh, où notre pratique du hindi — et dans une moindre mesure de l'urdu — nous a permis un contact direct avec les paysans, sans l'intermédiaire d'un interprète. Au niveau du village, tous les documents sont en langue locale et très rares sont les personnes sachant l'anglais. Même aux deux échelons supérieurs, bloc de développement et district, la langue locale est indis- pensable pour suivre les délibérations des fonctionnaires, prendre connais- sance des documents (dans l'Uttar Pradesh, certains sont en hindi, d'autres en anglais).

Dans l'Etat de Madras, l'anglais est plus répandu et ce n'est qu'au niveau du village que nous avons dû recourir à un interprète.

Au Maharashtra, nous avons étudié les sources écrites en langue locale avec un traducteur (1), lequel nous a suivi dans nos interviews avec les paysans qui ne parlaient pas hindi.

(1) Le marathi utilisant le même alphabet que le hindi, nous pourrons au moins faire certains contrôles.

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Le choix des régions

Un problème fort délicat se posait au départ : l'Inde compte 564.718 villages (recensement de 1961), répartis sur plus de trois millions de kilomètres carrés. Ces chiffres s'opposent d'emblée à une étude générale, sans parler de la variété des hommes, des coutumes et des climats. Nous nous trouvions placé devant le choix suivant : parcourir l'Inde à grandes enjambées en visitant le plus grand nombre possible de villages ou en étudier un seul de manière approfondie.

Ces deux solutions ne sont pas satisfaisantes. La première conduit à une analyse superficielle car ce n'est pas en quelques jours que l'on digère la vie économique d'un village. Un chercheur expérimenté doit compter environ deux semaines de séjour continu pour commencer à faire du travail sérieux. La seconde solution a l'inconvénient d'omettre les multiples aspects de l'Inde.

Nous avons tenté de trouver un compromis en commençant par l'étude aussi complète que possible d'un village au prix d'un séjour de cinq mois (septembre 1963-février 1964), suivi d'une nouvelle et brève visite en août 1964. Nous avons pu analyser en profondeur les méca- nismes déterminant l'évolution économique d'une région limitée. Cette tâche remplie, nous avons entrepris trois courtes enquêtes ou études par contrastes dans le but de mettre en relief les différences et les simi- litudes des régions en question.

Tout en menant le gros de nos recherches au niveau du village, nous avons suivi les échelons de l'administration et de la planification indienne : village, bloc de développement, district, Etat (province).

Les régions étudiées

Notre premier choix s'imposait : avec ses 73,7 millions d'habitants sur 439 millions (1961), l'Uttar Pradesh est le plus grand Etat de l'Inde. Nous avons sélectionné deux districts fort différents : à l'ouest, Bulandshahr, avec dominante blé; à l'est, Bénarès, avec dominantes blé et riz.

Du bassin du Gange, nous nous sommes dirigé vers une zone deltaïque du sud, essentiellement rizicole, le district de Tanjore (Etat de Madras). Nous y trouvions un autre motif d'intérêt puisqu'il s'agit d'un district où se pratique le programme intensif de développement (package programme) avec l'appui de la Fondation Ford.

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Après ces trois régions alluviales et très peuplées, il nous fallait un exemple du Deccan avec ses sols pauvres et sa population moins dense : ce fut le district de Satara, au Maharashtra.

La sélection des villages s'est basée sur les critères suivants : dimen- sion et localisation. Trois d'entre eux ont 1.200 à 1.500 habitants, le quatrième 2.500 — chiffres assez représentatifs puisque 25 % de la population rurale habitent des villages de 1.000 à 2.000 âmes et un peu plus de 20 % des villages de 2.000 à 5.000 habitants (recensement de 1961).

Le gros des agglomérations rurales indiennes se trouve encore loin des grandes routes. Khandoï, le village de Bulandshahr, est accessible avec peine en automobile; quinze kilomètres de chaussée empierrée depuis la route asphaltée du district, puis quatre kilomètres de piste, carrossable en saison sèche uniquement. Nahiyan se situe à une trentaine de kilomètres de Bénarès, dans une zone peu touchée par les influences de l'urbanisation (route empierrée et mauvaise piste de deux kilomètres). Kila Ulur, dans le district de Tanjore, est à un kilomètre et demi (à pied) de la route du district. Quant à Eksal (Satara), c'est le seul de nos villages desservi par l'autobus.

La constellation des castes, les dimensions des propriétés, le rapport propriétaires-manœuvres agricoles sont représentatifs de conditions très largement répandues.

En matière de développement, nos villages sont aussi peu excep- tionnels que possible, pareils à des milliers d'autres par leurs problèmes et les solutions qu'on y pratique ou qu'on y tente (1).

Administration et politique

La situation politique des Etats et la qualité de l'administration ont une influence primordiale sur le développement rural. Il fallait, dans ce domaine également, un échantillonnage varié.

Depuis plusieurs années, l'Uttar Pradesh est victime d'une instabilité politique dont les répercussions ont de sérieuses conséquences sur l'admi- nistration et le développement. La même instabilité se retrouve, avec des nuances, au Bihar ou au Madhya Pradesh par exemple.

(1) Sauf, dans une certaine mesure, Kila Ulur, ainsi que nous l'expliquerons

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Il existe, en Inde, des Etats plus stables et mieux gouvernés, où l'administration fonctionne plus efficacement. C'est le cas de Madras et du Maharashtra.

Cet éventail est évidemment limité. Il laisse de côté de vastes régions et ne comprend ni les plantations ni les grands projets d'irri- gation. Le lecteur regrettera peut-être que nous ayons exclu l'exemple du Gujrat ou de quelques zones du Deccan central, oriental et occidental.

Nous répondrons : qu'une hausse très marquée de la production du thé semble peu probable à court et à moyen terme; que les grands projets d'irrigation font intervenir des opérations à long terme même si nous approchons aujourd'hui de leur phase de rendement.

Et les zones peu peuplées du Deccan ? Il est très douteux qu'elles soient destinées à jouer un grand rôle dans le proche avenir. Les sols sont pauvres, les facilités d'irrigation limitées et la paysannerie souvent lente à s'éveiller aux techniques modernes.

L'Inde est placée devant un grave problème alimentaire. Dans l'immédiat, les enjeux décisifs se trouvent dans le bassin du Gange, les bandes côtières et les régions relativement prospères du Deccan — d'où notre choix.

Principaux thèmes

Partant des faits et les suivant d'aussi près que possible, notre méthode rencontre des écueils qui ne sont pas tous évitables. Les faces changeantes de la réalité que nous décrivons s'opposent parfois à des conclusions bien tranchées.

Nous n'avons pas pu appliquer rigoureusement le même schéma dans nos quatre cas. Le premier fait l'objet d'une étude plus poussée que les autres. En outre, les sources et les documents disponibles de même que le système administratif et législatif ne sont pas identiques dans tous les Etats, sans parler de la langue et des autres moyens d'information.

Les principes suivants nous ont paru adéquats : 1) se placer au niveau du paysan, montrer ses conditions de vie,

ses problèmes et ses réactions envers les mesures prises en sa faveur par le gouvernement et l'administration;

2) se placer au niveau des autorités et des services chargés de sou- tenir les paysans, étudier le fonctionnement des rouages administratifs

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et les conceptions des hommes politiques et des cadres en matière de développement agricole.

Au cours de notre enquête, quelques idées-force se sont peu à peu dégagées : l'attitude du paysan devant le progrès économique, les condi- tions d'une hausse accélérée de la production selon un ordre sévère de priorités et la concentration des moyens sur les points décisifs. Dans ces perspectives, le rôle et l'organisation de l'administration sont de première importance. Non moins nécessaire est l'appréciation réaliste de l'incidence des facteurs sociaux, en particulier l'éducation (1), sur l'agriculture.

Avant d'entrer dans le vif du sujet, il convient de fixer le cadre général dans lequel évolue l'agriculture, d'où une première partie qui rappelle les traits caractéristiques du milieu politique indien et de la planification.

Dans les deuxième et troisième parties, nous présentons le dossier des faits que nous avons pu observer. Les chapitres consacrés à l'Uttar Pradesh comportent, comme nous l'avons indiqué ci-dessus, deux zones rurales ainsi que l'étude de la filière administrative qui nous mène du village, au bloc de développement et au district, pour finalement aboutir à Lucknow, la capitale de l'Etat.

La troisième partie suit un plan analogue mais avec moins de détails. Dans les deux cas, après avoir situé les problèmes généraux de l'Etat, nous reprenons la ligne village-bloc-district.

La quatrième partie est un essai de synthèse où nous nous efforçons de situer, dans le cadre général de l'Inde, les faits que nous avons ana- lysés. Notre but est de voir quels sont les moyens qui pourraient stimuler la production encore davantage et quelles sont les leçons à tirer de l'expé- rience accumulée depuis le début du premier plan quinquennal.

(1) Sujet étudié à Madras et au Maharashtra où l'effort entrepris est spécia- lement intense.

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CHAPITRE II

INSTITUTIONS POLITIQUES ET PLANIFICATION DE L'ECONOMIE

Si la dernière phase de la décolonisation a été rapide (1), les fon- dements politiques et économiques de l'Inde contemporaine sont le fruit d'une longue gestation découlant de son cadre géographique, de ses insti- tutions traditionnelles et du régime britannique.

Complexe en lui-même, cet héritage l'est plus encore par les dimen- sions du territoire, la population (439 millions en 1961), l'extraordinaire diversité des coutumes, des races, des religions, des langues, des climats.

De surcroît, l'histoire de l'Inde est rythmée par l'alternance de forces centrifuges conduisant à l'émiettement du pouvoir politique, et de tendances au regroupement. Les Britanniques ont contribué à renforcer ces dernières, sans pour autant éliminer tout risque de division (2).

Un régime de démocratie parlementaire

La plupart des Etats asiatiques et africains ont adopté, soit immé- diatement, soit peu après leur indépendance, un régime politique de type autoritaire aux teintes changeantes : ici libertés individuelles réduites comme la peau de chagrin et presse sévèrement contrôlée, là système ferme sans être trop oppressant.

Contrairement à ces raisonnements simplistes si souvent entendus, il est faux d'associer régime autoritaire, voire dictatorial, avec rapide développement économique. Les exemples abondent où le premier ne

(1) Indépendance annoncée par Lord Mountbatten le 3 juin 1947, promulguée le 15 août de la même année. (2) Cf. en particulier Selig Harrison, India, the most dangerous decades.

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mène pas au second mais à la stagnation, au progrès insuffisant, ou au déclin de l'économie. Cela ne signifie pas a contrario que la démocratie détienne le secret du développement, comme le montre l'île de Ceylan. Simplement, il n'existe pas de corrélation automatique entre la forme du régime choisi et le taux de croissance économique.

L'Inde a choisi la démocratie parlementaire inspirée des idéologies occidentales où la liberté de presse et d'opinion est très large. Le gouver- nement en donne lui-même l'exemple par un effort d'auto-critique rare dans les pays sous-développés.

Des élections générales au suffrage universel ont eu lieu à trois reprises, en 1952, 1957, 1962. A quelques irrégularités près, il ne s'est jamais agi d'une vaste opération truquée dans le décompte des voix ou par les pressions exercées sur les électeurs.

En matière de politique économique, ce type de régime pose deux problèmes : le rejet des formules autoritaires, la nécessité de tenir compte du corps électoral.

Le premier est abondamment précisé dans la Constitution et dans d'autres textes officiels : « Le principe de base d'une planification démo- cratique est que la société peut se développer comme un tout... sans haine ni violence ». Affirmé au début du premier plan quinquennal (1951), ce principe est répété dix ans plus tard : « Depuis l'indépendance, la planification de l'Inde a été guidée par deux objectifs : construire par des moyens démocratiques une économie se développant rapidement, et établir un ordre social basé sur la justice (1) ».

Dans leurs déclarations comme dans leurs conversations, les diri- geants de l'Inde ont toujours confirmé leur répugnance pour les solutions violentes. Lors d'un entretien privé, en septembre 1959, le premier ministre Nehru nous déclarait : « Oui, nous sommes en faveur des coopé- ratives (1) », mais il ajoutait spontanément : « C'est sans contrainte que nous cherchons à les introduire ».

Comme nous le verrons, un développement plus poussé est possible sans altération du système démocratique. Cependant, il ne faut pas perdre de vue l'existence d'un cadre juridique et politique qui parfois barre la route aux solutions les plus pratiques. Les lois et les règlements ne dépendent pas du bon plaisir des technocrates et les législateurs ont, au moment des élections, des comptes à rendre.

(1) First five year plan, p. 31, et Third five year plan, p. 4. (1) Sujet provoquant alors de vives controverses.

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Un exemple précisera notre pensée. Il existe en Inde une véritable sous-fiscalité rurale. Le paysan paie aujourd'hui le même montant qu'il y a une quarantaine d'années, malgré la baisse du pouvoir d'achat de la roupie et la hausse de la production. Pourquoi ne pas relever l'impôt foncier ? Dans l'actuel contexte socio-politique des campagnes, une telle mesure serait très difficile à faire passer devant une assemblée législative, les députés craignant de compromettre leur réélection. (Seuls certains Etats y sont parvenus).

Le même phénomène se répète dans le district où le politicien fera volontiers bon marché de mesures économiques nécessaires mais impo- pulaires, dans le seul but de conserver ou de gagner des voix. Cette attitude risque un jour de se retourner contre lui. Dans l'immédiat, elle complique fort le développement.

Le cadre fédéral

Plusieurs Etats asiatiques manquent d'homogénéité. Ils doivent créer un pouvoir central assez fort pour assurer un minimum de cohésion nationale et instituer des liens assez souples pour ne pas s'aliéner une partie de leur population. Dans des proportions variables, la Birmanie, Ceylan et l'Indonésie n'ont pas encore surmonté cette difficulté.

Les données historiques et sociologiques de l'Inde lui imposaient un système fédéral où les prérogatives du Centre et des Etats fussent soigneusement dosées. La Constitution adoptée à la fin de 1949 établit le régime suivant : au centre, le cabinet et le parlement composé du Lok Sabha (Chambre du peuple) et du Rajya Sabha (Chambre des Etats). Le territoire de l'Union est divisé en Etats régis par un cabinet et une assemblée législative (1).

La refonte des Etats sur une base linguistique (1956) (2), la division de Bombay (1960) et la création du Nagaland (1963), permettent de dénombrer aujourd'hui seize Etats. En plus, des territoires (Union Terri- tories) sont rattachés directement au Centre, dont notamment Delhi, Himachal Pradesh, la N.E.F.A., les anciennes possessions françaises et portugaises.

(1) Certains Etats ont adopté un système bicaméral. (2) En 1953, Madras avait perdu une partie de son territoire au profit d'un

nouvel Etat, l'Andhra.

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Un ouvrage consacré au développement n'a pas à analyser en détail le droit constitutionnel de l'Inde et son application. Seules en seront retenues les répercussions sur l'essor de l'économie.

Bien rares sont ceux qui reprochent à l'Inde son système fédéral. Les particularismes locaux (en anglais communalism) sont très accusés : les attaches religieuses, linguistiques, coutumières et de castes sont autant de poudrières qu'aurait fait sauter une centralisation trop rigoureuse.

Du point de vue économique, la décentralisation est tout aussi judi- cieuse. Il eût été impossible de mettre en marche et de diriger la lourde machine de planification uniquement de New Delhi. Des délégations de pouvoir aux autorités locales étaient indispensables (1).

A côté de ces avantages, le système fédéral a ses points faibles, en partie inévitables. Selon la Constitution, le pouvoir central peut inter- venir dans les cas extrêmes où l'exécutif et le législatif locaux, bloqués par les luttes des partis politiques, n'arrivent plus à gouverner, faute de majorité (cas du Kerala à trois reprises). L'Etat est alors administré par le Centre jusqu'à ce que de nouvelles élections clarifient la situation. New Delhi est, en revanche, sans moyens d'action lorsque l'instabilité politique locale et l'inefficacité des autorités se situent en deçà de la banqueroute totale et au-delà du minimum propre à assurer une saine gestion de l'économie.

La situation intérieure des Etats n'étant pas uniforme, les rythmes de développement et les réalisations sont, de même, inégaux. A côté de Madras et du Maharashtra bien administrés, la lourde masse de l'Uttar Pradesh est semi-paralysée par les factions qui déchirent le parti du Congrès. Le développement progresse avec peine, montrant au niveau provincial que, faute d'un minimum de stabilité et de continuité poli- tiques, un véritable essor économique est fort difficile.

Les pouvoirs politiques des Etats vont de pair avec de grosses responsabilités en matière de planification, ce qui rend malaisée une analyse globale de l'économie indienne. Pour comprendre cette dernière, il faut l'étudier à la fois à l'échelon national et sur une base régionale, dans le cadre des Etats et parfois même des districts. L'agriculture en est l'exemple le plus clair.

(1) Bien qu'elle se prête mieux que 1 Inde a des tormules centralisées, la Chine a connu, et connaît encore, ce problème dans sa planification.

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La répartition des activités économiques entre le Centre et les Etats

Les grandes lignes de la planification sont établies par le gouvernement central en liaison avec la Commission du plan : volume et répartition des investissements, modes de financement, aide étrangère, grands projets hydro-électriques et d'infrastructure, industrie du secteur public. Dans ces domaines, New Delhi a les mains relativement libres sous réserve de pressions politiques parfois puissantes en matière de localisation des projets.

Les Etats, eux, sont maîtres de leur législation agraire et de la fiscalité rurale, le Centre se bornant à des suggestions (annexe n° 7 de la Constitution). D'emblée se trouvent confrontés les intérêts des poli- ticiens locaux, soumis à la sanction de leurs électeurs, et les impératifs du développement.

A côté des projets administrés par le Centre, le plan quinquennal se divise en plans établis par chaque Etat avec l'approbation de New Delhi; l'agriculture y occupe une place de choix.

Chiffres en millions de roupies. 4,75 roupies = 1 dollar U.S. ; 1 roupie = 1 NF, cours officiels.

Pour le premier plan, il s'agit des dépenses effectives ; pour les deux autres plans, des dépenses projetées.

Quoique la réalité soit quelque peu différente, les proportions, en gros, restent les mêmes.

Ce tableau montre bien le rôle déterminant des autorités provin- ciales dans l'agriculture. L'écart entre investissements du Centre et des Etats est d'ailleurs encore plus élevé, car les statistiques ne comportent pas les contributions locales, levées par l'administration des villages ou réunies sous forme de collectes.

Est-ce à dire que le gouvernement central ne dispose d'aucun moyen pour faire exécuter la politique agricole qu'il recommande ?

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Les Etats ne couvrent qu'une partie de leurs besoins, le Centre faisant l'appoint. Ainsi, pour le premier plan, il a assuré 39 % des som- mes totales dépensées dans les plans provinciaux. Pour le deuxième, sur un total de 22,4 millions de roupies, les Etats ne pouvaient en réunir que 12,8 milliards. Pour le 3e plan, les Etats escomptent un montant de 14,6 milliards, la contribution du Centre étant de 23,7 milliards (1). Malgré ces apports, le contrôle financier du Centre rencontre des difficultés.

Au début de 1964, la Commission du plan informait les Etats que l'aide du gouvernement central serait réduite si des fonds destinés à l'agriculture et au développement communautaire recevaient une autre affectation, sans autorisation préalable de New Delhi (2). Le cas ne se régla pas rapidement (ce qui était prévisible), puisque le 24 juillet 1964, le ministère central de l'agriculture et la Commission du plan furent obligés de répéter leurs instructions (3).

Autre défaut, les Etats doivent augmenter leur effort fiscal. Or, en novembre 1963, la Commission du plan rappelle leur retard à huit Etats : Uttar Pradesh, Kerala, Bihar, Madhya Pradesh, Andhra, Mysore, Rajasthan et Assam. Disons, en passant, que les quatre premiers au moins sont victimes d'une situation politique instable.

En mars, le ministre des finances, M. T.T. Krishnamachari estime « qu'il y aurait lieu d'être préoccupé si des crédits destinés à des projets productifs étaient utilisés pour combler les trous dans les revenus des Etats (4) ».

Dans son rapport sur l'exercice 1961-62, le Public Account Com- mittee du Parlement condamne la « léthargie » de certains Etats en matière fiscale. Il n'est pas rare, en outre, que tel argentier provincial sous-estime ses revenus et surestime ses dépenses (5).

De son côté, l'éditorial du Hindustan Times (26-2-64), consacré aux budgets en passe d'être votés, constate que « la santé financière des Etats varie de la position presque catastrophique du Bihar au relatif bien-être du Maharashtra et du Bengale ».

(1) Pour ces chiffres et ceux du tableau, cf. First five year plan progress report, pp. 19 et 24, Second five year plan, pp. 55 et 87, Third five year plan, pp. 58 et 102.

(2) Cf. Hindustan Times, 2-1-64. (3) Cf. Hindustan Times, 25-7-64. (4) Rapporté par le Northern Patrika, mars 1964. (5) Hindustan Times, 19-3-64.

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Le rapport sur le plan de 1963 déplore l'écart entre la progression des revenus centraux et le « modeste début » des Etats pour réunir des ressources additionnelles. Ce document mentionne les dépenses pour les trois premières années du plan (1961-64). Bien que certaines d'entre elles soient étalées sur les cinq ans ou interviennent à la fin du plan, en règle générale, les Etats où les sommes déboursées sont les plus faibles sont précisément ceux qui se portent le plus mal. Se situent en-dessous de 50 % : le Bihar, 46,8 % ; l'Uttar Pradesh, 48,5 % ; le Madhya Pradesh, 49,4 % (1).

Dans ce domaine complexe des relations gouvernement central- Etats, New Delhi n'est pas non plus exempt de tout reproche ; le gouver- nement de l'Uttar Pradesh se plaint, par exemple, du temps anormalement long que met la capitale à sanctionner des projets qui demandent une exécution immédiate (2).

La question reçoit une attention croissante. Les ministères centraux et la Commission du plan se sont mis à envoyer des missions d'enquête en province, afin d'améliorer les relations. Toutefois, le système consti- tutionnel s'oppose à un contrôle vraiment rigoureux. Le seul remède sûr dépend d'un renforcement du pouvoir politique et de l'administration dans les Etats fragiles. Or, là aussi, la marge d'initiative et de manœuvre de New Delhi est assez restreinte.

La forme socialiste de société

A la fin de 1954, le Parlement indien adopte la formule du « socialist pattern of society » comme principe directeur de sa planifi- cation. Cette inclination vers des formules socialisantes n'est pas nou- velle, elle apparaît bien avant l'indépendance dans les déclarations et les écrits de Jawaharlal Nehru et de plusieurs autres leaders nationalistes. L'Inde fera d'ailleurs école, ouvrant cette sorte de troisième voie, ni capitaliste, ni communiste, que recherchent la plupart des Etats asiatiques et africains.

Bien que teintée d'influences marxistes, l'approche se veut avant tout pragmatique et adaptée aux besoins. Elle n'exclut pas une certaine souplesse, marquée dans les textes : « Ce type de société ne s'enracine

(1) The Third plan : mid-term appraisal, pp. 22 et 32. (2) Govt. of Uttar Pradesh, Third live year plan, Vol. I, p. 25.

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dans aucune doctrine, ni aucun dogme. Chaque pays doit se développer selon son génie propre et ses traditions (1) ».

Cette idéologie est mise en pratique : le secteur public de l'industrie s'est considérablement développé, ce qui n'a pas empêché les entreprises privées de connaître un essor remarquable. De plus, après des difficultés, le pendule semble osciller aujourd'hui vers des formules plus réalistes que celles du IIe plan. Les encouragements donnés aux investissements privés étrangers sont caractéristiques à cet égard.

Le pouvoir entend intervenir également dans l'agriculture. C'est dans cet esprit socialisant que, bien avant l'indépendance, le Congrès avait souligné le besoin de réformes agraires. Il n'est pas question d'éli- miner la propriété privée du sol, mais de favoriser, surtout depuis la session du Congrès à Nagpur, en 1959, les fermes coopératives « vitales pour le progrès des régions rurales (2) », sans parler des coopératives de crédit et de vente.

En résumé, les mécanismes du développement agricole sont déter- minés par un régime démocratique qui exclut la contrainte ou les pres- sions abusives et qui, du même coup, concède une grosse influence aux politiciens locaux ; par un système fédéral qui accorde de larges pouvoirs aux Etats ; par une planification qui, sans recourir aux formules radicales de l'U.R.S.S. ou de la Chine, cherche à limiter les abus de la propriété privée tout en encourageant un système de coopératives de services et de production.

(1) Second five year plan, p. 23. (2) Third five year plan, p. 49.

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CHAPITRE III

L'AGRICULTURE DANS LES PLANS QUINQUENNAUX

Le premier plan (1951-56) représente la phase initiale et modeste d'un processus de développement qui s'est élargi au terme de chaque période quinquennale. Le rythme des investissements s'est accéléré en même temps que se modifiait leur répartition.

La priorité doit-elle revenir à l'agriculture ou à l'industrie ? Débat par excellence entre les différentes idéologies qui président à l'élabo- ration d'un programme de développement. Comment a-t-il été tranché en Inde ?

En 1950/51, à la veille du premier plan, la situation agricole est extrêmement sérieuse. Le spectre de la famine du Bengale (1943) se profile à l'horizon et seules des importations massives permettent de le tenir en échec. Cet état critique se reflète dans l'élaboration du plan où, à juste titre, « l'agriculture, y compris l'irrigation et l'électricité, reçoit la toute première priorité (1) ».

Des raisons plus profondes incitaient à faire porter l'effort maximum sur l'agriculture. Dès le début du xxe siècle, la corde se tend entre la population et la production agricole (2). Premier indice : l'Inde cesse peu à peu d'exporter des céréales. Vers 1880, elle exporte en moyenne 1,2 million de tonnes par an. Entre 1905 et 1910, ce volume tombe à 520.000 tonnes. Par la suite, l'Inde doit importer : 160.000 tonnes par an (1920-25), 1,2 million de tonnes (1930-35). Dans les années de l'après-guerre, les importations annuelles atteignent environ 3 millions de tonnes.

(1) First five year plan, p. 44. (2) Entre 1891 et 1921, se produit une sorte de « tassement » démographique,

la population demeurant à peu près stationnaire à la suite de redoutables famines et épidémies. Depuis 1921, la hausse devient continue et progressive.

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Quant à la superficie cultivée par habitant, elle diminue de plus de 20 % entre 1921 et 1951 (1). Cette baisse n'a pas été compensée par une hausse des rendements, qui ne varient guère à l'échelle nationale (2). De toute évidence, il s'agit d'enrayer le déclin d'un secteur assurant la moitié du revenu national.

Au terme du premier plan, la situation s'est nettement améliorée. Après avoir atteint un sommet de 4,7 millions de tonnes en 1951, les importations de céréales tombent à 840.000 tonnes en 1954 et 755.000 en 1955 (3).

PRODUCTION ALIMENTAIRE DE BASE (food grains : céréales et légumineuses)

Nous nous limitons aux céréales et aux légumineuses, produits qui constituent la base de l'alimentation et sont, de ce fait, l'instrument de mesure le moins inadéquat. Au cours du deuxième plan quinquennal et au début du troisième, l'évolution a été la suivante :

(1) Pour ces chiffres et les précédents, cf. Census of India 1951, Vol. I, General Report, pp. 141, 164, 166.

(2) Cf. notamment les chiffres donnés par W. Malenbaum, Prospects for Indian development, pp. 124-125.

(3) Review of the first five year plan, p. 1 et Second five year plan, p. 100. (4) Third five year plan, p. 302, Eastern Economist, annual n° 1963, the Hindu,

2-5-64 et The Economic Weekly Review, annual n°, Febr. 1965, p. 293.

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Grâce à la priorité que lui donne le premier plan, la production remonte, les prix baissent, le niveau alimentaire d'une partie au moins de la population se consolide. Le vent en poupe, l'Inde aborde une étape beaucoup plus délicate avec son deuxième plan, qui engage des investissements plus de deux fois supérieurs au premier.

Cet élargissement s'accompagne d'une réorientation des objectifs, faisant de l'industrialisation le pivot de l'expansion générale. Elle absorbe 20 % des investissements du secteur public (contre 4 % pour la période 1951-56), tandis que la part de l'agriculture est ramenée de 15 à 11 % et celle de l'irrigation (grands et moyens travaux) de 16 à 9 % (1).

Ce relâchement sur le front agricole se justifiait-il ? La Commission du plan évalue en ces termes les gains acquis : « Bien que la tendance générale de la production alimentaire soit à la hausse, il faut admettre que les saisons favorables ont joué un rôle sensible et qu'un élément d'instabilité subsiste (2) ». Le rapport du premier plan quinquennal met en évidence les généreuses moussons de 1953 et 1954. Cet avertissement n'a pas été retenu puisque la même Commission ne mentionne pas l'agri- culture dans ses quatre objectifs principaux pour les années 1956-61 :

a) élever le revenu national, b) procéder à une industrialisation rapide avec l'accent majeur mis

sur l'industrie lourde, c) améliorer les conditions d'emploi, d) réduire l'inégalité de fortune et de revenu (3). Cette attitude s'explique par le jeu des influences de la planification

socialiste (type U.R.S.S.) et de l'attraction, si souvent de mise dans le tiers-monde, pour les grands projets industriels, ce à quoi s'ajoute un excès d'optimisme à propos de l'agriculture.

Deux ans plus tard, en 1957/58, la nature rappelle aux hommes, avec une rare brutalité, qu'elle n'a pas dit son dernier mot. Des condi- tions atmosphériques particulièrement adverses font tomber de 10 % la production. Outre la crise agricole, de graves difficultés surgissent dans le domaine financier.

(1) Third five year plan, p. 33. (2) Review of the first plan, pp. 100-101. (3) Second five year plan, p. 24.

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Par la suite, la nature se montre plus clémente et même nettement favorable dans la dernière année du plan, où les récoltes dépassent les 80 millions de tonnes prévues.

La leçon de 1958 a porté : aux quatre points prioritaires du deuxième plan, le troisième plan en ajoute un cinquième qui se place au deuxième rang, après l'accroissement du revenu national et avant l'industrie : il s'agit de se libérer des importations alimentaires en faisant faire un bond de 32 % à la production des céréales et légumineuses. N'y voyons pas toutefois le signe d'une réorientation fondamentale. On veut bien reconnaître que « le taux d'accroissement dans l'agriculture est un des principaux freins au progrès de l'économie » et qu' « il faut donc pousser au maximum l'agriculture ». Il n'empêche que le plan, et avec lui de nombreux hommes politiques dont le premier ministre, continue de préconiser une industrialisation aussi massive que possible. Le pourcentage des investissements industriels reste inchangé (20 %). Celui des investissements consacrés à l'irrigation est également maintenu (9 96) ; en revanche, la part de l'agriculture passe de 11 à 14 % des investissements totaux du troisième plan (1).

Malgré l'exécution des objectifs du deuxième plan, le déséquilibre s'accentue entre la population et la production agricole. Lors du recen- sement de 1961, la première dépasse toutes les prévisions avec le chiffre de 439 millions (taux d'accroissement décennal 1951-61 = 21,5 %). L'Inde est entrée dans la phase d'accroissement démographique rapide que connaissent déjà depuis dix ou quinze ans nombre d'autres pays asiatiques où la baisse accélérée de la mortalité avait commencé plus tôt. A l'heure actuelle, le taux annuel doit se situer autour de 2,5 %, soit une augmentation de 10 à 11 millions d'habitants par an.

Au cours des trois années suivantes, la progression agricole piétine en dépit des mesures prises (2). La situation rappelle un peu 1958, à cette différence près qu'il n'y avait eu alors qu'une seule année catas- trophique. Il ne s'agit plus ici d'une chute brutale mais d'une stagnation étalée sur trois ans.

Ce déséquilibre peut se mesurer par les importations de céréales. Après avoir réussi, en 1954 et 1955, à rejeter presque entièrement ce fardeau, l'Inde en est de nouveau tributaire, et le déficit aug-

(1) Nous parlons comme plus haut des investissements du secteur public ; pour le détail des plans, voir annexe.

(2) C'est là un des principaux problèmes que nous tenterons d'éclaircir dans le terrain.

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mente. Celui-ci est en grande partie comblé par les surplus agricoles des Etats-Unis, livrés aux conditions très favorables de la Public Law 480 (1). De 1956 à 1960, les accords signés portent sur 2,3 milliards de dollars (10,9 milliards de roupies). Le premier (29-8-56) assure la livraison de 3,7 millions de tonnes de céréales. Le troisième (1960) — le plus considérable — prévoit 17 millions de tonnes réparties sur quatre ans, soit de 1960 à 1964 (2). (Par la suite, ce chiffre a été réduit à 15,8 millions de tonnes). En fait, au terme de cette période, 13 millions de tonnes ont été importées. Un nouvel accord succédera au précédent ; on parle de 15 millions de tonnes pour quatre ans.

Devant la gravité de la situation alimentaire, il a fallu accélérer au maximum les livraisons de grain : au début de 1964, 300.000 tonnes par mois ; en juillet, 440.000 tonnes ; en août, 500.000. En septembre, 120 navires chargés de 1.748.000 tonnes de blé ont fait route vers l'Inde (3). En Octobre, on attendait encore 600.000 tonnes transportées par 46 cargos battant divers pavillons.

Si dans l'immédiat, la P.L. 480 accorde un répit, les livraisons américaines ne sauraient suffire à long terme. Elles ont comblé le gros du déficit de ces dernières années : environ 3 à 4 millions de tonnes par an. Qu'adviendrait-il si l'écart entre la production et les besoins attei- gnait un ordre de grandeur de 10 à 20 millions de tonnes ? En 1959, la mission de la Fondation Ford lançait un avertissement : « Si la pro- duction alimentaire continue à progresser au rythme actuel, l'écart entre les disponibilités et les besoins sera d'environ 28 millions de tonnes en 1965/66 (4) ».

D'après diverses personnalités indiennes, il s'agirait moins d'une insuffisance de production que de lacunes dans l'appareil de distribution et la circulation des grains. En effet, dès que les marchands, et même parfois les paysans, disposent de surplus, ils ont tendance à spéculer sur les prix en stockant des réserves excessives en période difficile. Cette question mériterait une étude approfondie qui, à notre connaissance,

(1) Crédits remboursables en monnaie locale. Une grande partie des paiements est utilisée ensuite pour financer divers projets sur place.

(2) Pour ces chiffres, cf. External assistance 1960, p. 8 et Hindustan Times, 21 mars 1964. (3) Le déchargement de livraisons aussi massives pose de très sérieux problèmes,

cf. Times of India, 20-8-64 et Statesman, 12-9-64. (4) Report on India's food crisis and steps to meet it, p. 12. Prévision fort

exagérée comme on s'en est aperçu.

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fait défaut. Nous nous bornerons aux impressions recueillies dans les régions que nous avons parcourues. Il ne fait guère de doute que la situation ne soit aggravée par la spéculation, notamment dans les grandes villes. Les milieux ruraux sont moins touchés, étant donné l'importance de l'auto-consommation et du troc. Selon le rapport précité de la Fon- dation Ford, seuls 25 % de la production entrent dans le circuit moné- taire (p. 98). Si, certains jours de juillet 1964, la farine avait disparu du marché de Koregaon (district de Satara, Maharashtra), il faut y voir, pour une bonne part, le résultat de mauvaises récoltes. On rapporte par contre qu'ailleurs (Madhya Pradesh), la récolte de blé, excellente en 1964, serait stockée dans les villages voisins des villes rationnées.

Dans le district de Bulandshahr, au plus fort de la crise (août 1964), quelques rares grands propriétaires conservent des stocks très inférieurs à ceux des dernières années. Les paysans qui, normalement, disposaient d'un faible surplus, arrivent juste à tourner et les propriétaires encore plus modestes sont déficitaires.

Autre aspect de la question : l'approvisionnement des marchés urbains. De 62,3 millions en 1951, la population des villes a passé à 78,8 millions en 1961. Une partie des gains alimentaires reste dans les campagnes, assurant une nourriture un peu meilleure aux paysans. C'est là un phénomène devenu classique et fort préoccupant, en Chine notam- ment (1). Son impact sur l'économie indienne est d'autant plus impor- tant que celle-ci est beaucoup moins dirigée.

En résumé, même si l'on tient compte des pertes dues aux spécu- lations (au reste extrêmement difficiles à éliminer) et à la circulation défectueuse des campagnes vers les villes, la situation n'en est pas moins sérieuse. Seul un accroissement très substantiel de la production pourra contrecarrer les inévitables à-coups d'une nature capricieuse et souvent meurtrière.

Cette constatation prend des proportions dramatiques à la fin du IIIe plan. Le bref répit accordé par la mousson exceptionnellement géné- reuse de 1964 est suivi d'une sécheresse catastrophique qui va mener la production en-dessous du niveau de 1960-61. Or, même en temps normal,

(1) « Au cours de ces trois dernières années, la population des villes et des districts miniers et industriels a augmenté de 20 millions de personnes en Chine... Les stocks de produits agricoles réunis par l'Etat n'ont pas suffi aux nouveaux besoins ». Article du Takung Pao, 2-2-61, traduit en anglais : Survey of China Mainland Press, N° 2466, Consulat Général des Etats-Unis, Hong Kong.

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l'accélération de la progression agricole était devenue indispensable pour maintenir et élargir l'écart entre elle et le taux démographique, lui-même en pleine expansion (1).

Le débat agriculture-industrie

Faut-il, comme plusieurs économistes, reprocher aux autorités indien- nes d'avoir négligé l'agriculture au profit de l'industrie ?

Les circonstances qui entourent le développement de l'Inde nous font douter du rôle décisif attribué au financement. L'agriculture eût- elle vraiment progressé beaucoup plus vite si elle avait disposé d'un surplus de capitaux libérés par une industrialisation moins poussée ? En d'autres termes, n'aurait-on pas pu obtenir de meilleurs résultats même sans modifier la répartition des fonds entre les deux secteurs ? Question difficile à trancher, qu'il convient aussi de poser à propos d'autres pays sous-développés. Pour l'instant, gardons-nous de considérer le capital comme le seul facteur-clé.

Il y a lieu de mettre en évidence deux types d'erreurs. En premier lieu, une erreur psychologique engendrant, parmi les cercles dirigeants, un certain relâchement à l'égard de l'agriculture dès le deuxième plan. Si les hommes politiques et de nombreux économistes évoquent le besoin d'une industrialisation rapide, ils semblent méconnaître le rôle initial de l'agriculture, oubliant cette vérité enseignée par l'Europe et le Japon du xixe siècle : une véritable industrialisation ne peut prendre racine que sur un terrain préparé par un niveau de production agricole relativement élevé. En U.R.S.S. aussi, le développement agricole, survenu de la fin du xixe siècle à la première guerre mondiale, a facilité la préférence donnée par les Soviétiques à l'industrie (2).

Seconde erreur d'appréciation : le manque de réalisme dans l'étude des problèmes agricoles. Nous aurons l'occasion de revenir sur le fossé qui se creuse entre l'intelligentsia urbaine et la population rurale. Certains responsables de la politique agricole n'ont pas toujours fait preuve d'une expérience solide — condition préalable à toute entreprise de déve- loppement.

(1) De 1951 à 61 la production agricole progresse de 2,5 à 3 % par an (cf. chap. XXVII), alors que le taux démographique décennal est de 21,5 %, niveau qui pour l'Asie demeure modéré. Des pays comme les Philippines, la Malaisie, Taiwan ont dépassé le cap des 3 % par an, la Thaïlande et, peut-être, l'Indonésie s'en approchent.

(2) Cf. entre autres, Agriculture in economic development, p. 23.

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Les déclarations optimistes n'ont pas non plus contribué à galvaniser les énergies. A titre d'exemple, citons le ministre de l'agriculture et de l'alimentation (à l'époque S.K. Patil) disant, en 1960, devant le Parle- ment, que les importations de surplus américains seraient temporaires. Selon lui, le pays se suffirait à lui-même lorsque, grâce au IIIe plan, la production aurait atteint 105 millions de tonnes (1).

L'expérience des dernières années ne justifiait pas de telles décla- rations, qui passent sous silence l'écart possible entre un but théorique et sa réalisation.

Le climat psychologique et les excès d'optimisme n'expliquent pas tout ; d'autres faiblesses apparaissent au niveau opérationnel. Il s'agit de l'administration et du fonctionnement des organismes chargés de sou- tenir l'agriculture, où de gros progrès sont réalisables, sans grandes mises de fonds supplémentaires.

La stratégie du développement agricole joue un rôle également primordial. Plutôt que de gonfler à tout prix les investissements, il faut en prévoir la judicieuse répartition. La politique des grands ensembles d'irrigation, par exemple, méritait d'être revue comme elle l'est aujour- d'hui. Les progrès auraient été plus rapides si l'on avait encouragé au maximum et dès le début, les petits travaux d'irrigation, d'exécution simple et peu coûteuse et d'un rapport immédiat. En mars 1956, les projets de grande et moyenne importance avaient créé un potentiel irri- gable de 2,5 millions d'hectares, dont 1,6 million seulement étaient cul- tivés. Au cours du IIe plan, il y avait un rapport de 3 à 2 entre l'accrois- sement des surfaces irrigables et celles qui étaient réellement irriguées (2).

Autre point faible : le lancement de nouveaux projets avant l'achè- vement des précédents, qui se sont souvent trouvés freinés faute d'argent et de personnel qualifié (3).

Ces exemples et d'autres, que nous présenterons en détail, suffisent à montrer l'importance du facteur-organisation dans le développement.

En conclusion, une amélioration tant dans les méthodes que dans l'exécution des programmes devrait relever le taux de croissance agricole et ceci plus sûrement que de simples allocations additionnelles de capitaux.

(1) Cité dans The Overseas Hindustan Times, 31-3-60. (2) Times of India, 6-6-57 et The third plan : mid term appraisal, p. 103. (3) Ibidem, p. 102.

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Les statistiques agricoles

Nos réserves à l'égard des statistiques agricoles apparaîtront plus nettement au terme de cet ouvrage. Il importe néanmoins de les évoquer dès maintenant.

Quel crédit peut-on accorder aux statistiques publiées par les ser- vices de l'agriculture ? Pour sa part, le National Sample Survey (N.S.S.), bureau indépendant de statistiques, parvient à des résultats fort diffé- rents. Dans son premier rapport (first survey) de décembre 1952, il estime que les chiffres officiels sont inférieurs de 25 % à ses propres calculs, ce qui provoqua à l'époque de très vives polémiques. Pour les années 1958/59, le rapport N° 73 du N.S.S., publié en 1963, obtient des écarts de 30 % et plus. Pour 1960/61, les statistiques officielles donnent 80 millions de tonnes contre les 96 millions du N.S.S.

En l'état actuel des études faites à ce propos, il n'est pas possible de conclure. Comme le suggère David Hopper, la vérité se situe peut-être entre les deux (1).

Malgré leur incertitude, ces chiffres indiquent en gros les tendances de la production. Les signes ne manquent pas pour qualifier telle année d'exceptionnellement favorable et telle autre de mauvaise. De surcroît, les mouvements des prix et des importations ne laissent aucun doute quant à l'aggravation de la situation au cours de ces dernières années.

(1) David Hopper a longuement étudié ce problème. Il est actuellement au service de la Fondation Ford à New Dehli.

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Institutions et développement agricole au Maghreb G. Lazarev : L'Auto-gestion agricole en Algérie. J. DUBOIS : Pour une réforme de l'administration agricole au Maroc ..... F. 13 »

René DUMONT : Développement agricole africain ..... - 14 »

Félix ROSENFELD : Techniques d'analyse et d'évaluation des projets d'investissements, 112 pages, 5 figures, 25 tableaux »

Alain CoT-rA : Analyse quantitative de la croissance des pays sous-développés (en préparât.)

Albert MEISTER : Le développement économique de l'Afrique Orientale . . . . . . . . . . . . (en préparat.)

EDIT. 29061 B Imp. FABRE & Cie - PARIS — IMPRIMÉ EN FRANCE —

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