DU DROIT - spirale-edu-revue.fr · tamment avec Kohlberg (1971) ... Ainsi quand le Roi Créon,...

22
Spiral-E - Revue de Recherches en Éducation – 2009 Supplément électronique au N° 43 (23-44) Johanne MASCLET À PROPOS DES REPRÉSENTATIONS SOCIALES « DU DROIT » CHEZ DES COLLÉGIENS, DES ENSEIGNANTS ET DES JURISTES QUELS ENJEUX ? Résumé : Le contexte social actuel amène à poser la question du rapport des adoles- cents au droit. Au début du siècle dernier, Piaget cherchait déjà à le comprendre au travers de l’étude du jugement moral chez l’enfant. Depuis, les travaux sur le sujet n’ont cessé d’évoluer. Pour ce travail nous avons mis en relation droit et psychologie et nous avons étu- dié la représentation sociale du droit de trois populations : des collégiens, des enseignants de collège et des juristes. Nous pensons que le droit peut être un objet social autour duquel il existe un enjeu, voire même un conflit… Mots-clés : Droit – collégien – représentation sociale – enseignant – juriste. INTRODUCTION Le contexte social actuel nous a amené à poser la question du rapport que les adolescents entretiennent avec le droit. En effet, les questions de violence, d’incivi- lité, de non respect d’autrui semblent préoccuper le monde éducatif. C’est dans ce cadre que nous avons mené une recherche auprès de collégiens de troisième. En 1932, Piaget cherchait à comprendre le développement du jugement mo- ral chez l’enfant. Depuis les travaux sur le sujet n’ont cessé de se développer no- tamment avec Kohlberg (1971) qui a déterminé plusieurs stades de développement du jugement moral. Dans la lignée de ces auteurs, Lehalle, Aris, Buelga et Musitu (2004) ont quant à eux montré qu’il existait des facteurs susceptibles de promouvoir cette évolution développementale chez l’individu. Pour cette recherche, nous avons envisagé le problème sous un angle diffé- rent, en utilisant le concept de Représentation Sociale. On sait que ce concept re- couvre aussi bien les croyances, que les connaissances, les opinions, les attitudes produites et partagées par les individus d’un même groupe à l’égard d’un objet so- cial donné. Par ailleurs, nous avons pris le parti d’engager cette recherche sur le ter- rain du droit et non de la morale bien que ces deux concepts soient intimement liés. Ce choix se justifie par l’interpénétration de deux mondes celui de l’éduca- tion et celui de la justice face aux problématiques de violence en milieu scolaire. Il

Transcript of DU DROIT - spirale-edu-revue.fr · tamment avec Kohlberg (1971) ... Ainsi quand le Roi Créon,...

Page 1: DU DROIT - spirale-edu-revue.fr · tamment avec Kohlberg (1971) ... Ainsi quand le Roi Créon, reproche à Antigone d’avoir enterré son frère malgré la défense qui lui en avait

Spiral-E - Revue de Recherches en Éducation – 2009 Supplément électronique au N° 43 (23-44)

Johanne MASCLET

À PROPOS DES REPRÉSENTATIONS SOCIALES « DU DROIT » CHEZ DES COLLÉGIENS,

DES ENSEIGNANTS ET DES JURISTES

QUELS ENJEUX ?

Résumé : Le contexte social actuel amène à poser la question du rapport des adoles-cents au droit. Au début du siècle dernier, Piaget cherchait déjà à le comprendre au travers de l’étude du jugement moral chez l’enfant. Depuis, les travaux sur le sujet n’ont cessé d’évoluer. Pour ce travail nous avons mis en relation droit et psychologie et nous avons étu-dié la représentation sociale du droit de trois populations : des collégiens, des enseignants de collège et des juristes. Nous pensons que le droit peut être un objet social autour duquel il existe un enjeu, voire même un conflit…

Mots-clés : Droit – collégien – représentation sociale – enseignant – juriste.

INTRODUCTION Le contexte social actuel nous a amené à poser la question du rapport que les

adolescents entretiennent avec le droit. En effet, les questions de violence, d’incivi-lité, de non respect d’autrui semblent préoccuper le monde éducatif. C’est dans ce cadre que nous avons mené une recherche auprès de collégiens de troisième.

En 1932, Piaget cherchait à comprendre le développement du jugement mo-ral chez l’enfant. Depuis les travaux sur le sujet n’ont cessé de se développer no-tamment avec Kohlberg (1971) qui a déterminé plusieurs stades de développement du jugement moral. Dans la lignée de ces auteurs, Lehalle, Aris, Buelga et Musitu (2004) ont quant à eux montré qu’il existait des facteurs susceptibles de promouvoir cette évolution développementale chez l’individu.

Pour cette recherche, nous avons envisagé le problème sous un angle diffé-rent, en utilisant le concept de Représentation Sociale. On sait que ce concept re-couvre aussi bien les croyances, que les connaissances, les opinions, les attitudes produites et partagées par les individus d’un même groupe à l’égard d’un objet so-cial donné. Par ailleurs, nous avons pris le parti d’engager cette recherche sur le ter-rain du droit et non de la morale bien que ces deux concepts soient intimement liés.

Ce choix se justifie par l’interpénétration de deux mondes celui de l’éduca-tion et celui de la justice face aux problématiques de violence en milieu scolaire. Il

Page 2: DU DROIT - spirale-edu-revue.fr · tamment avec Kohlberg (1971) ... Ainsi quand le Roi Créon, reproche à Antigone d’avoir enterré son frère malgré la défense qui lui en avait

J. MASCLET

24

s’explique également par le fait que le droit est devenu une préoccupation du monde de l’éducation.

Nous pouvons à ce titre rappeler l’annexe de l’arrêté du 1er juillet 2002 ac-compagnant la mise en place de L’Éducation Civique Juridique et Sociale au lycée « le seul savoir nouveau auquel il faut initier les élèves, grâce à l’ECJS, concerne le droit, trop ignoré de l’enseignement scolaire français ». Par ailleurs ce texte précise que « de très nombreux professeurs, par leur savoir, leur culture, leur implication dans la vie du lycée, ont vocation à contribuer à cet enseignement. La participation d’intervenants extérieurs, témoins dans un champ social étudié, est évidemment souhaitable. »

Cependant, nous pensons qu’autour de l’objet social « droit », il existerait des enjeux, voire des conflits de représentations entre adolescents et adultes, ce qui pourrait constituer un obstacle dans les processus d’enseignement et d’apprentissa-ge.

Pour ce faire, nous délimiterons notre champ d’investigation sur les aspects théoriques du droit, nous recenserons les études en psychologie qui ont déjà abordé le problème, pour en tirer un schéma d’investigations expérimental. Nous comptons recueillir suffisamment de données pour répondre aux problèmes initialement sou-levés.

CHAMP THÉORIQUE DE L’ÉTUDE

Les approches théoriques du droit Pour Planiol (1934) « Le mot droit désigne l’ensemble des lois, c’est-à-dire

les règles juridiques applicables aux actes des hommes ». Selon Carbonnier (1991), « le droit est l’ensemble des règles de droit, tel qu’il s’exprime dans les sources formelles, loi et coutume […] ». On peut donc le définir comme l’ensemble des rè-gles de conduite codifiées qui, dans la société, gouvernent les relations des hommes entre eux. De plus la spécificité de ces règles est qu’elles s’imposent à eux, y com-pris par le moyen de la contrainte étatique. De fait, elles se distinguent d’autres rè-gles de conduite qui structurent la vie en société, notamment les règles de bien-séance, religieuses ou encore morales. Donc si la règle de droit s’impose à l’homme, il semble nécessaire de s’interroger sur sa définition et son fondement.

Sa définition est controversée. Au milieu du siècle dernier, Dabin (1969) constatait combien il était difficile d’en donner une définition satisfaisante, tant les débats idéologiques sur le sujet semblaient intarissables.

Buffelan-Lanore (2007) explique par exemple que la règle de droit répond à deux besoins : besoin de sécurité et besoin de justice. Pour le premier besoin, elle permet de différencier ce que nous pouvons faire de ce que nous devons tolérer de la part des autres. Pour le second, l’idée est que l’homme tolère que ses désirs soient limités par une règle de droit à condition que celle-ci soit juste. Dès lors deux ques-tions se posent, ce besoin de justice peut-il être satisfait par la règle de droit et le droit peut-il être fondé sur la justice ?

Page 3: DU DROIT - spirale-edu-revue.fr · tamment avec Kohlberg (1971) ... Ainsi quand le Roi Créon, reproche à Antigone d’avoir enterré son frère malgré la défense qui lui en avait

REPRÉSENTATIONS DU DROIT CHEZ DES COLLÉGIENS, DES ENSEIGNANTS ET DES JURISTES,

25

Les débats sur le sujet sont complexes, mais nous pouvons donner quelques pistes de réflexions susceptibles de les clarifier :

Généralement pour répondre à ces questions, deux doctrines s’opposent : la doctrine idéaliste ou école du droit naturel et la doctrine positiviste.

Pour l’école du droit naturel, la règle de droit a son fondement dans la jus-tice. Ce courant de pensée est très ancien et apparaît déjà dans la philosophie grec-que. Ainsi quand le Roi Créon, reproche à Antigone d’avoir enterré son frère malgré la défense qui lui en avait été faite, Sophocle lui fait répondre : « J’ignorais qu’en vertu de tiennes ordonnances une simple mortelle eût droit de piétiner de non-écrites lois, infaillibles, divines, non de ce jour, non point d’hier, mais de tout temps vivan-tes lois dont nul ne connaît l’origine ».1

Cette théorie va se développer avec le christianisme et les anciens auteurs français. On peut notamment citer St Thomas d’Aquin qui diffuse et approfondit la pensée d’Aristote et distingue 3 lois : la lex aeterna (ou « loi divine ») ; la lex natu-ralis (« loi de la raison » : ce que l’homme connaît de la loi divine grâce à sa rai-son) ; la lex humana qui est le droit positif. Le principe est que toute loi humaine doit concourir au bien commun.

La théorie va se laïciser aux XVIIè et XVIIIè siècles, avec notamment le Hol-landais Grotius puis plus tard J.-J. Rousseau. Dans le Contrat social, ce dernier ex-plique que les hommes ont d’abord vécu à l’état de nature, puis par le « contrat so-cial » ils ont abandonné au pouvoir social une partie de leur prérogative, mais une partie seulement. Ils ont conservé certaines latitudes, inhérentes à la nature humaine telles que le respect de la vie, la liberté d’aller et venir, de conscience, etc. Ces droits sont des droits naturels et le pouvoir ne peut y porter atteinte. A la base de ce « contrat social », il y a l’idée que les gouvernants n’agissent qu’en fonction des pouvoirs que le peuple leur a délégués.

La déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 reprend d’ail-leurs ces droits naturels. L’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme précise que la loi est « l’expression de la volonté générale ».

Cette théorie du droit naturel a été critiquée aux XVIIè et XVIIIè siècles mais surtout au XIXè siècle sous l’influence du jurisconsulte allemand Savigny et de l’École historique. Selon eux, le droit n’est que le résultat de l’évolution historique d’un pays. L’idéal que nous concevons est soumis à l’évolution. Ce qui semblait in-juste autrefois peut paraître juste aujourd’hui. Ceci ne signifie pas que l’idéal de jus-tice n’existe pas mais la conception que nous en avons évolue. La critique essen-tielle relève de la difficulté de s’entendre sur le contenu du droit naturel. De plus, ceux qui tentent de le définir sont forcément influencés par leurs opinions philosophiques, leurs croyances religieuses. Pascal disait « Plaisante justice, qu’une rivière ou une montagne bornent ! Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà ». Comme le rappelle Buffelan-Lanore (2007), il est vrai que certains principes qui semblent fondamentaux comme le respect de la vie humaine, ne l’ont pas toujours été, ainsi le pater familias romain donnait le droit de vie et de mort sur ses enfants. Il en était de même à propos de l’esclavage. Or cette variabilité du droit naturel est 1 Citation tirée d’Antigone de Sophocle 441 av. J.C. collection Bordas 1973, p. 63.

Page 4: DU DROIT - spirale-edu-revue.fr · tamment avec Kohlberg (1971) ... Ainsi quand le Roi Créon, reproche à Antigone d’avoir enterré son frère malgré la défense qui lui en avait

J. MASCLET

26

même à propos de l’esclavage. Or cette variabilité du droit naturel est contraire à sa définition comme droit universel et immuable. De fait quand, dans la pratique, elle est poussée à son paroxysme, la théorie du Droit Naturel, qui justifie la résistance à toute loi injuste, peut conduire à l’anarchie.

A l’opposé de cette vision, la conception positiviste ne reconnaît d’autre droit que le droit positif, c’est-à-dire l’ensemble des règles de droit objectives en vigueur dans un État à un moment donné. C’est l’efficacité qui compte : la loi doit être respectée, non parce qu’elle est juste, mais parce qu’elle est la règle qui assure la sécurité, le bien commun, au besoin par la force. Ce droit ne se justifie pas par le recours à un idéal, notamment l’idéal de justice, il s’impose par le fait qu’il est dé-crété par un souverain. Ce positivisme se manifeste essentiellement par trois cou-rants de pensée : le positivisme étatiste ou juridique, le positivisme sociologique, le positivisme marxiste.

Le premier courant de pensée envisage l’État comme seule source de droit positif, qui est le seul droit. Courbe (2003) explique qu’au XIXè siècle, pour Ihering, juriste allemand, le droit est le fruit d’un combat permanent, il est « la politique de la force ». Dans une société, la contrainte de l’État prime toutes les autres. Elle est la seule source du droit. Courbe (2003) rappelle également qu’au XXè siècle, d’après Kelsen, les normes juridiques s’organisent en une pyramide. Chaque norme tire sa force obligatoire de sa conformité à la norme supérieure. L’État est la seule entité qui désigne cet ordonnancement juridique et la conception du droit doit être épurée de toute idéologie.

Pour l’école sociologique, la question du droit est posée différemment. Pour Durkheim, le fondement de la règle de droit n’est plus recherché dans la volonté des gouvernants, mais dans la conscience des masses. Le droit dans cette conception est un fait social, il est le reflet de l’observation d’une réalité sociale, il n’émane pas de la volonté discrétionnaire des gouvernants, mais est imposé par la conscience collec-tive du groupe. En effet, dans la pratique, il est difficile d’imposer une règle de droit qui n’est pas admise par le corps social et le législateur est parfois amené à modifier une règle existante pour la rendre conforme aux souhaits du corps social. Le droit est alors un produit de l’évolution du peuple et la loi consacre seulement le résultat de cette création historique.

Enfin pour le dernier courant de pensée, issu de l’idéologie marxiste, le droit est un produit de l’économie. Courbe (2003) explique que pour Marx le droit positif exprime les intérêts de la classe dominante, celle qui est propriétaire des moyens de production. L’idée est que c’est l’évolution des relations de production (facteurs économiques) qui constituent l’infrastructure de la société, et qui détermine les transformations de la superstructure (les idéologies), donc le droit. Si la lutte des classes s’achève par la libération du prolétariat, les classes disparaissent ; il n’existe plus donc de contrainte et le droit dépérit dans la société communiste idéale.

Les doctrines positivistes, n’ont pas manqué d’être critiquées et d’induire certaines questions. Pour certains, la seule évolution sociale peut-elle justifier qu’un État impose telle règle et non telle autre ? Par ailleurs, admettre la conception du droit telle que l’envisagent les positivistes étatiques amène à dire qu’il faudrait alors

Page 5: DU DROIT - spirale-edu-revue.fr · tamment avec Kohlberg (1971) ... Ainsi quand le Roi Créon, reproche à Antigone d’avoir enterré son frère malgré la défense qui lui en avait

REPRÉSENTATIONS DU DROIT CHEZ DES COLLÉGIENS, DES ENSEIGNANTS ET DES JURISTES,

27

accepter les règles les plus despotiques sans se poser la question de savoir si elles sont justes. Le totalitarisme trouverait alors sa justification.

Face à ces deux courants de pensée que tout semble opposer, le premier à tendance individualiste, où la société n’a pas d’existence en soi et où le but recher-ché est le respect de l’activité de chaque individu, l’autre plutôt socialiste, où seule la société a une valeur permanente et où le but recherché est l’intérêt social, quelle position adopter ?

Pour Buffelan-Lanore (2007) il faut rechercher un équilibre entre l’intérêt général et les intérêts individuels pour assurer les buts économiques, sociaux ou po-litiques souhaités par l’État, c’est-à-dire le bien commun.

Au XVIIIè siècle, Portalis disait du droit naturel qu’il devait servir de bous-sole au droit positif et qu’en quelque sorte il serait une valeur morale, un élément de comparaison permettant d’interpréter les lois, qui guiderait le législateur.

Ce bref exposé permet de constater que le droit est bien un objet complexe. L’équilibre entre ces deux points de vue, peut s’avérer difficile en pratique, quand il s’agit de se positionner sur l’un des plateaux de la balance, symbole de justice.

Cet objet d’étude n’a pas échappé aux sciences humaines. En effet si le droit fait partie de notre organisation sociale, les individus en ont inévitablement une per-ception, une représentation. C’est ce que certains chercheurs en psychologie ont es-sayé d’étudier.

L’approche cognitive de la socialisation juridique Pour Piaget (1932), l’idée de justice est d’abord affaire de morale. Selon lui,

il existe un parallèle entre le développement moral et le développement intellectuel de l’enfant. Ses travaux ont mis en évidence une relation entre la nature des règles du jeu des enfants et leur jugement moral. Ils l’ont conduit à la conclusion qu’il existerait deux phases dans le développement moral de l’individu. La première est l’hétéronomie : l’enfant obéit aux règles de l’adulte sans conscience de la nécessité sociale. L’obéissance à la règle se fonde sur le respect unilatéral de l’enfant envers les plus âgés. Dans la seconde phase, l’enfant prend conscience des principes de ré-ciprocité et d’égalité. L’obéissance se fonde alors sur le respect mutuel entre indivi-dus conçus comme égaux. Pagoni-Andréani (1999) explique que, selon Piaget, les fondements de cette autonomie sont essentiellement rationnels et celle-ci s’appuie sur un système formel des relations interpersonnelles construit dans l’interaction du sujet avec son environnement. Il s’agit d’une conception révolutionnaire de l’éducation morale, traditionnellement basée sur l’acceptation passive des règles so-ciales déjà existantes.

Kohlberg (1971), s’inspirant de ces travaux, va repérer une évolution du ju-gement moral. Pagoni-Andréani (1999) explique que, selon lui, il existe trois ni-veaux de développement moral, se déclinant chacun en deux stades.

Le premier niveau est dit « pré-conventionnel ». Le stade 1, est marqué par l’égocentrisme de l’individu qui admet difficilement un point de vue différent. Une action est juste si elle est conforme à la règle. Au stade 2, la perspective est indivi-dualiste, avec la possibilité de reconnaître le point de vue de l’autre. L’action juste

Page 6: DU DROIT - spirale-edu-revue.fr · tamment avec Kohlberg (1971) ... Ainsi quand le Roi Créon, reproche à Antigone d’avoir enterré son frère malgré la défense qui lui en avait

J. MASCLET

28

est celle de quelqu’un qui respecte les règles, tout en essayant de les mettre en profit de ses propres intérêts.

Le deuxième niveau est dit « conventionnel ». Au stade 3, l’enfant a l’idée que ce qu’il faut faire n’est pas seulement lié à son propre intérêt ou à une autorité. L’action juste est celle qui est en adéquation avec les rôles attribués par l’entourage. Au stade 4, l’individu s’interroge sur le but et le rôle social des lois. L’action juste est celle qui soutient l’ordre social et l’individu suit sa conscience sociale pour ef-fectuer son devoir vis-à-vis de la société.

Le troisième niveau est dit « post-conventionnel ». Au stade 5, l’individu dif-férencie les règles et lois conventionnelles d’une société donnée du respect des droits humains qui méritent d’être défendus. Le sujet, confronté à d’autres groupes ou sociétés, prend conscience qu’il existe des normes et des systèmes de valeurs dif-férents de ceux ayant cours au sein de sa propre société. Ici l’action juste est celle qui défend les règles sociales établies tout en respectant les droits des minorités dont la défense est prévue par le Contrat Social établi avec l’État. Enfin au stade 6, selon Tostain (1999), les sujets considèrent les lois comme valables quand elles reposent sur le respect de principes éthiques universels. Ceux-ci tournent autour d’idées plus générales de justice telles que la vie, la liberté, l’égalité des droits des hommes.

Pour Kohlberg (1971), tout individu n’atteindra pas obligatoirement le stade 6. De plus, selon lui, pour accéder à un stade, le passage par les stades inférieurs est nécessaire.

La validité de ce modèle a été critiquée, en particulier par rapport à l’universalité des stades 5 et 6 dont la présence semble être très rare dans les recher-ches effectuées.

Selon Lehalle et al. (2004), cependant, d’un point de vue strictement déve-loppemental, la description d’une évolution ne peut être invalidée par le simple fait que les stades ultimes d’un développement restent régulièrement peu fréquents. En effet, un système de stades indique un cheminement nécessaire s’il est toutefois ren-du possible par la persistance des sollicitations environnementales adéquates. Il ne s’agit donc en aucune manière d’une évolution prédéterminée devant obligatoire-ment se produire à des âges bien identifiés. Lehalle et al. (2004) pensent que le ni-veau d’éducation pourrait avoir une influence sur leur émergence.

Ces approches développementales permettent d’établir que le rapport que l’individu entretient avec la loi n’est pas le fait du hasard, mais bien le fruit d’un processus complexe.

Mais si ce point de vue permet une compréhension du développement du ju-gement moral de l’enfant et l’adolescent et de son rapport à la loi, une autre appro-che semble possible qui prend davantage en compte la dimension sociale.

La notion de socialisation juridique Percheron (1991) explique que l’identité sociale du sujet influence les repré-

sentations sociales qu’il a de la loi et de la justice. Selon elle, le développement dé-crit par Piaget ne peut être considéré comme dépendant uniquement du monde co-gnitif. De plus, précise-t-elle, les sujets étudiés par celui-ci se situaient dans l’enfan-

Page 7: DU DROIT - spirale-edu-revue.fr · tamment avec Kohlberg (1971) ... Ainsi quand le Roi Créon, reproche à Antigone d’avoir enterré son frère malgré la défense qui lui en avait

REPRÉSENTATIONS DU DROIT CHEZ DES COLLÉGIENS, DES ENSEIGNANTS ET DES JURISTES,

29

ce ou dans le début de l’adolescence, or la socialisation ne s’arrêterait pas avec l’adolescence. S’appuyant sur les données d’une enquête d’opinion de 1987, auprès de Français de 16 à 21 ans, elle montre l’évolution de la conception des lois chez ces sujets. Elle note l’action de diverses variables dans le phénomène de socialisa-tion : le sexe, l’appartenance socioculturelle, l’expérience, etc. Elle déduit que l’identité sociale et les expériences de vie du sujet influenceraient ses perceptions de la loi et de la justice, et en conséquence ses attitudes.

Kourilsky (1991) s’est intéressée au phénomène de socialisation juridique. Elle le définit comme le processus par lequel le sujet intègre les éléments fondamen-taux du Droit qui régit sa société, dans son système de représentations et de connais-sances. Par cette démarche le sujet ferait sienne son identité juridique, son identité en tant que sujet du Droit et sujet de droits. Cette appropriation se produit en deux étapes. Le sujet intérioriserait d’abord les représentations dominantes du Droit dans la culture de sa société. Ensuite il y aurait une sorte d’acculturation par le sujet des concepts juridiques. En d’autres termes le sujet recréerait ces concepts en fonction de ses valeurs propres de manière à leur donner un sens dans sa propre culture.

En résumé, le sujet joue entre la culture juridique dominante et sa propre culture. La première a trait aux normes et aux savoirs collectifs, relatifs au droit d’un pays. La seconde concerne ses propres représentations, construites à partir des savoirs et valeurs transmises par son groupe d’appartenance.

Aussi, très tôt, l’enfant apprend ce qu’il a le droit de faire ou non, ce qu’il est obligé de faire, en tant qu’enfant. Ensuite, ses apports sociaux s’enrichissent et se complexifient et lui permettent de comprendre progressivement au cours de conver-sations ou d’enseignements scolaires quels sont les droits, les devoirs, le rapport au droit, dans la société dans laquelle il vit. Il construit donc au fur et à mesure et en fonction des enseignements reçus par ses environnements familial et scolaire et par ses expériences personnelles, son système de valeurs et de représentations person-nelles, celles-ci comprenant notamment celles relatives au droit.

Dans une autre recherche effectuée en France et en Pologne auprès de popu-lations similaires de 11-12 ans, de 13-14 ans et de 16-18 ans, concernant l’évolution développementale en fonction de l’âge de l’acculturation juridique, Kourilsky (1991) montre une différence de conception du droit entre les jeunes de 13-14 ans français et polonais. En effet, en France, les adolescents associent en premier le droit à la « liberté », puis à « l’autorisation ». En Pologne, au contraire, le droit est davantage associé à « l’autorité ».

Par ailleurs, bien que dans les deux cultures, la loi soit majoritairement re-présentée, chez les 11-12 et 13-14 ans, comme étant impérative et s’imposant à tous, par le biais d’obligations et d’interdictions, cette représentation semble se renforcer chez les 16-18 ans polonais, alors qu’elle se modifie chez les français. Chez ces derniers, la notion de norme consentie prend le pas sur la notion de loi impérative.

Cet écart pourrait s’expliquer selon Kourilsky (1991) par la différence de ré-gime politique, la Pologne ayant connu pendant toute une période, un système poli-tique autoritaire.

Page 8: DU DROIT - spirale-edu-revue.fr · tamment avec Kohlberg (1971) ... Ainsi quand le Roi Créon, reproche à Antigone d’avoir enterré son frère malgré la défense qui lui en avait

J. MASCLET

30

Dans une étude longitudinale menée de 1993 à 2000 Kourilsky (2002) mon-tre d’ailleurs que le changement de contexte sociétal a été une variable fondamen-tale dans la représentation du droit chez le citoyen russe. La représentation pénaliste et répressive du droit, prédominante, observée chez celui-ci en 93, et que l’on pou-vait rapprocher du stade pré-conventionnel de Kolhberg et du stade de l’hétérono-mie chez Piaget s’estompe et laisse place en 2000 à une représentation plus proche de celle des français en 93. En effet, Kourilsky (2002) note un développement au cours de l’adolescence qui va dans le sens d’une conception « socialisée » et « juridicisée » de l’égalité (égalité devant la loi, égalité des droits), d’une liberté vue sous l’angle des libertés civiques (liberté d’opinion, liberté de pensée,…) et surtout de l’apparition de réflexions sur la nécessité des limites apportées à la liberté de chacun par la liberté de l’autre.

L’intérêt de telles études est de monter que l’appréhension du droit peut évo-luer selon le contexte social voire même sociétal.

Toutefois ces différents travaux qui ont utilisé la notion de représentation l’ont souvent fait sur une base très générale. Or ce concept représente un champ très important et bien circonscrit de la psychologie sociale.

Jodelet (1991) définit la représentation sociale de la façon suivante : « la re-présentation sociale est une forme de connaissance courante, dite « de sens com-mun ». Elle est caractérisé par les propriétés suivantes : elle est socialement élaborée et partagée, elle a une visée pratique d’organisation, de maîtrise de l’environnement et d’orientation des conduites et communications. Elle concourt à l’établissement d’une vision de la réalité commune à un ensemble social ou culturel donné »

Ainsi l’ensemble des représentations permet à l’individu de se situer dans son environnement et de le maîtriser.

L’examen des représentations sociales peut donc s’avérer tout à fait essentiel pour appréhender et expliquer certaines pratiques sociales, mais aussi pour com-prendre comment différents groupes peuvent être amenés à ne pas s’entendre sur un même objet social.

C’est dans cet esprit que nous avons entrepris d’étudier la représentation « du droit » de trois populations différentes à savoir une population d’adolescents, une population d’enseignants, une population de juristes.

Nous pensons que cette connaissance pourrait permettre de dégager des pis-tes de réflexion et des points d’ancrage pour faciliter la communication entre ces trois populations qui peuvent être amenées à se rencontrer notamment dans le cadre de l’éducation civique et plus particulièrement en Éducation Civique Juridique et sociale en classe de seconde. N’oublions pas par ailleurs que la rencontre des ensei-gnants et des élèves à propos du droit est journalière dans les lycées et les collèges. Soulignons aussi que celle des jeunes et des juges, même si elle reste minoritaire et réservée à l’adolescence délinquante, n’est pas toujours simple sur le plan de la communication. Ainsi la connaissance mutuelle des représentations des autres faci-literait substantiellement les échanges.

Page 9: DU DROIT - spirale-edu-revue.fr · tamment avec Kohlberg (1971) ... Ainsi quand le Roi Créon, reproche à Antigone d’avoir enterré son frère malgré la défense qui lui en avait

REPRÉSENTATIONS DU DROIT CHEZ DES COLLÉGIENS, DES ENSEIGNANTS ET DES JURISTES,

31

CADRE MÉTHODOLOGIQUE En fonction de ce qui a été exposé précédemment, nous faisons l’hypothèse

que la représentation sociale du « Droit » d’adolescents de troisième se différencient de celle des enseignants de collèges et de celle de juristes.

Population

La population des élèves Ces élèves se situent avant l’entrée en seconde, c’est-à-dire avant d’aborder

l’Éducation Civique Juridique et Sociale. Notre population d’élèves étudiée regroupe 196 sujets de collèges du Nord et

du Pas de calais. Elle est composée de 102 garçons et 94 filles. Les critères que nous avons re-

tenus pour le choix de cette population sont les suivants : Les élèves suivent un en-seignement dans un établissement scolaire. Ils sont scolarisés en classe de 3ème, lors de l’étude. Les élèves ont suivi un enseignement quasiment complet d’éducation ci-vique puisque nous avons souhaité mener cette étude en fin d’année scolaire.

La population des enseignants de collège Notre population enseignante étudiée regroupe 78 sujets de collèges du Nord

et du Pas-de-Calais. Elle est composée de 37 hommes et 41 femmes. Les ensei-gnants de collège retenus pour l’enquête ont à leur charge au moins une classe de 3ème.

Population des juristes La population étudiée regroupe 64 sujets issus d’universités du Nord de la

France. Elle est composée de 29 hommes et 35 femmes. Il s’agit d’étudiants en droit de niveau Master 2 en alternance professionnelle, au moment de l’étude. Ce choix est motivé par diverses raisons. La première est que ces étudiants ont une pratique professionnelle depuis plus d’un an. La deuxième est que ces jeunes juristes sont encore en formation et que notre problématique veut questionner aussi le contenu de cette formation au moins pour ce qui concerne les relations humaines.

Choix théorique des outils d’investigation : La notion « de représentation sociale » La représentation est « le produit et le processus d’une activité mentale par

laquelle les individus reconstruisent la réalité et lui attribuent une signification spé-cifique » (Abric, 1976).

La pensée sociale est axée sur la communication, sur la notion d’interaction. Si un objet constitue un enjeu social (même limité), la représentation correspondante sera le produit d’un vaste ensemble d’interactions (internes au groupe). La représen-tation sociale est donc générée collectivement, de ce fait elle est partagée.

Sur la question de la structuration des représentations sociales, il existe deux grands champs théoriques qui n’ont rien d’antagoniste : L’école de Genève avec sa théorie des principes générateurs de prise de position et l’école aixoise avec sa théo-rie du noyau central.

Page 10: DU DROIT - spirale-edu-revue.fr · tamment avec Kohlberg (1971) ... Ainsi quand le Roi Créon, reproche à Antigone d’avoir enterré son frère malgré la défense qui lui en avait

J. MASCLET

32

La présentation de ces deux champs nous permet d’argumenter notre choix préférentiel de la théorie du noyau central, plus adaptée à notre recherche.

La théorie des principes générateurs de prise de position Pour Doise et Palmonari (2002) les représentations sociales sont « des prin-

cipes générateurs de prises de position liées à des intentions spécifiques dans un en-semble de rapports sociaux et organisent les processus symboliques intervenant dans ces rapports ». Cette double origine nous amène à évoquer une notion clé chez Bourdieu, la notion de champ, champ étant entendu en tant qu’ensemble d’objets sociaux ayant entre eux des relations de hiérarchie et d’opposition, qui structurent « la répartition d’un capital spécifique de valeur sociale ». La grande différence en-tre la théorie du noyau central (Abric, 1976) et la théorie des principes générateurs de position (Doise, 1986) se situe dans la notion de structure. Pour Doise, la struc-ture de la représentation est une structure de données (analyse factorielle), soit les relations entre les éléments d’un champ représentationnel. Cela se manifeste par :

- des relations d’interdépendance ou d’analogie - des relations d’indépendance ou d’antagonisme L’intérêt de cette théorie réside dans le fait qu’elle met en lien direct la repré-

sentation sociale et la prise de position, c’est à dire l’attitude d’un individu à l’égard d’un objet social donné. L’attitude étant selon Moscovici « la dimension première de la représentation », c’est-à-dire le médiateur entre la représentation et les prati-ques sociales d’un individu ou d’un groupe.

La théorie du noyau central La théorie du noyau central (Abric, 1976) enrichit le cadre théorique de

Moscovici et reprend l’idée du noyau figuratif. On va considérer que la représenta-tion fonctionne comme une entité (Abric, 1976) qui est organisée autour d’un noyau central dont la fonction est structurante. Les éléments qui composent ce noyau en-tretiennent entre eux des relations de forte connexité et constituent de ce fait un noyau de significations prépondérantes. Le noyau central permet donc la gestion du sens et fournit les moyens de sa cohérence. De nombreuses expériences montrent par ailleurs que la remise en cause des éléments centraux engendre un effondrement du sens chez l’individu.

Cependant, la représentation sociale fonctionne grâce à deux composantes différentes, mais complémentaires : le système central et le système périphérique.

Le système central est le fondement de la structuration de la représentation. Il va jouer un rôle spécifique et fondamental, notamment par principe d’économie, pour la gestion de la représentation. Le système central est lié à l’histoire du groupe et à sa mémoire collective, il est stable, cohérente et rigide. Il est peu sensible au contexte immédiat, résiste au changement et garantit la pérennité de la représenta-tion.

Le système périphérique est, quant à lui, sous la dépendance du système cen-tral. Il est souple, flexible, évolutif et adaptatif. Par ailleurs il est sensible au

Page 11: DU DROIT - spirale-edu-revue.fr · tamment avec Kohlberg (1971) ... Ainsi quand le Roi Créon, reproche à Antigone d’avoir enterré son frère malgré la défense qui lui en avait

REPRÉSENTATIONS DU DROIT CHEZ DES COLLÉGIENS, DES ENSEIGNANTS ET DES JURISTES,

33

contexte immédiat, permet l’intégration des expériences et des histoires individuel-les et supporte l’hétérogénéité et la diversité au sein du groupe

Il est important de constater que le système périphérique joue le rôle de « tampon » permettant de conserver la structure du système central. De plus, le fait qu’il soit évolutif permet de défendre la représentation, selon le contexte, et de concrétiser le système central (dont les croyances doivent rester consensuelles et structurées afin de ne pas perdre le sens de la représentation). Le système périphéri-que joue aussi un rôle de médiation dans l’interaction avec l’environnement ; c’est grâce aux éléments périphériques que la représentation s’ancre dans la réalité.

Nous avons choisi cette approche parce que nous ne cherchons pas à faire le lien entre la représentation sociale du droit et la prise de position des adolescents à propos de son objet, mais à décrire sa structure et ses variations selon les caractéris-tiques des populations étudiées.

PROCÉDURE DE RECUEIL DES DONNÉES

L’étude du noyau central de la représentation Il existe différentes techniques permettant de repérer le noyau central d’une

représentation2. Pour des raisons de commodité et d’efficacité une méthode d’association de

mots, avec le terme « le droit » a été utilisée pour le recueil de nos données. Cette méthode est utilisée dans de nombreuses études sur les représentations sociales. C’est donc la méthode rang/fréquence qui s’est imposée comme la plus évidente à mettre en œuvre pour analyser les résultats.

Selon Verges (1992), c’est le rang d’apparition des mots associés qui est à prendre en compte pour la construction expérimentale de la représentation. Mais la technique du rang d’importance, selon des études plus récentes, semble mieux ap-propriée dans l’hypothèse de l’existence d’une zone muette des représentations so-ciales (Abric, 2003). Dans l’objectif d’adopter cette thèse il a été demandé aux su-jets interrogés un travail d’ordre métacognitif sur leurs réponses. Ils ont été invités à hiérarchiser leurs réponses de 1 à 10, du terme le plus proche au terme le moins pro-che du mot droit (1 correspondant au terme le plus proche et 10 correspondant au terme le plus éloigné).

Ainsi, ont d’abord été sélectionnés les éléments du champ représentationnel par un critère préconisé dans la plupart des études (c’est à dire les éléments dont la fréquence n > 10 : éléments cités par plus de 10 % des sujets).

Ensuite, selon la méthode rang/fréquence, les éléments centraux de la repré-sentation sont les éléments ayant une forte fréquence d’apparition et un rang

2 -La méthode rang/fréquence (Verges, 1992) -La méthode des schèmes cognitifs de base (Guimelli et Rouquette, 1992) -L’induction par scénario ambigu (Moliner, 1993) -L’analyse de similitude (Flament, 1962) -La technique de mise en cause (Moliner, 1988).

Page 12: DU DROIT - spirale-edu-revue.fr · tamment avec Kohlberg (1971) ... Ainsi quand le Roi Créon, reproche à Antigone d’avoir enterré son frère malgré la défense qui lui en avait

J. MASCLET

34

d’importance moyen faible. Donc, pour ce faire, il convient de calculer la moyenne des fréquences des éléments de représentation et la moyenne des rangs moyens.

Les éléments du noyau central sont ceux qui satisfont à la double exigence suivante :

- Fréquence ≥ fréquence moyenne - Rang moyen < moyenne des rangs moyens Le tableau 1 nous permet ainsi de classer les termes du champ représenta-

tionnel de nos populations dans 4 zones différentes explicitées dans la partie « méthodologie » : le noyau central, la 1ère périphérie, la zone des éléments contras-tés et la 2è périphérie.

Tableau 1 Construction de la représentation

Moyenne des rangs moyens

< à la moyenne des rangs moyens ≥ à la moyenne des rangs moyens Case1 Case2

≥ à la moyenne des fréquences moyennes

Noyau central 1ère périphérie

Moyenne des fréquences moyennes

Case3 Case4

< à la moyenne des fréquences

moyennes Éléments contrastés 2ème périphérie

Cette technique nous permettra d’évaluer l’existence ou non de différences

entre les représentations des sujets de l’expérience. A l’aide de l’indice de Jaccard nous essaierons de comprendre en quoi consistent ces différences de représenta-tions, et notamment quelles dimensions les structurent.

L’étude de la structure de la représentation L’objectif de cette analyse va consister à évaluer la force de la liaison entre

les unités de sens de la représentation. Pour ce faire nous utilisons donc l’indice de Jaccard. Cet indice évalue, pour chaque paire d’unités, à quelle fréquence l’une est présente quand l’une des deux au moins est présente. La matrice d’associations ainsi obtenue sera simplifiée par l’analyse en Graphe d’Extension Minimale (Minimum Spanning Tree Analysis). Celle-ci permet d’élaborer un graphe non orienté des as-sociations inter-unités. Ceci nous donnera une image très synthétique des associa-tions sémantiques les plus fortes. Le graphe obtenu sera codé sous la forme d’une matrice symétrique, où chaque unité apparaîtra à la fois en ligne et en colonne, et où l’on codera par des 1 et des 0 la présence ou l’absence d’un lien entre deux unités.

Page 13: DU DROIT - spirale-edu-revue.fr · tamment avec Kohlberg (1971) ... Ainsi quand le Roi Créon, reproche à Antigone d’avoir enterré son frère malgré la défense qui lui en avait

REPRÉSENTATIONS DU DROIT CHEZ DES COLLÉGIENS, DES ENSEIGNANTS ET DES JURISTES,

35

Afin d’avoir une représentation graphique du réseau ainsi obtenu, on utilisera une analyse des correspondances sur la matrice de graphe. On appelle « analyse de la contiguïté » cette application particulière de l’analyse des correspondances à des matrices de graphe.

RÉSULTATS

Les représentations sociales des groupes d’étude à propos de la notion de « Droit » Comme dit précédemment la méthode rang/fréquence (Verges 1972, Abric

2003) s’est imposée comme la plus évidente à mettre en œuvre pour le traitement des résultats permettant de montrer la diversité des Représentations.

Étude du contenu de la représentation sociale du « Droit » des élèves Le tableau 2 permet de repérer les différents éléments du champ représenta-

tionnel des élèves de 3ème. Tableau 2 : Fréquence et rang moyen des mots cités par les élèves de troisième

MRM* 4,49

< MRM ≥ MRM

≥ MFM 64,3 % Justice (rm 3,29) 34,2 % Droits de l’homme (rm 3,66) 27,6 % Liberté (rm 3,13)

35,7 % Avocat (rm 5,09) 34,2 % Tribunal (rm 5,57) 31,6 % Juge (rm 5,21) 30,1 % Police (rm 6,42)

MFM** 24,9 %

< MFM

23,0 % Droit d’expression (rm 4,40) 21,4 % Droit de l’enfant (rm 4,05) 20,9 % Egalité (rm 3,59) 20,4 % Lois (rm 3,88) 19,9 % Respect (rm 3,97) 16,8 % Loi (rm 2,76) 14,3 % CPE (rm 4,39) 12,2 % Règles (rm 3,46) 11,7 % Droit de la femme (rm 4,00)

24,5 % Droit de vote (rm 5,25) 14,3 % Prison (rm 8,64) 16,3 % Politique (rm 4,53)

(MRM *: moyenne des rangs moyens et MFM** : moyenne des fréquences moyennes) On note que : - Le noyau central du champ représentationnel est composé des termes sui-

vants : Justice ; droit de l’homme, liberté - Les éléments périphériques du champ représentationnel peuvent être classés

de la façon suivante :

Page 14: DU DROIT - spirale-edu-revue.fr · tamment avec Kohlberg (1971) ... Ainsi quand le Roi Créon, reproche à Antigone d’avoir enterré son frère malgré la défense qui lui en avait

J. MASCLET

36

- 1ère périphérie : Avocat, tribunal, police, juge - Zone des éléments contrastés : droit d’expression, droit de l’enfant, égali-

té, lois, loi, CPE, règles, droit de la femme - 2ème périphérie : droit de vote, respect, prison, politique

Étude du contenu de la représentation sociale du « Droit » des enseignants Le tableau 3 permet de repérer les différents éléments du champ représenta-

tionnel des enseignants de collège.

Tableau 3 : Fréquence et rang moyen des mots cités par les enseignants

MRM* 4,75

< MRM ≥ MRM

≥ MFM

57,7 % Justice (rm 3,09) 38,5 % Respect (rm 3,43) 37,2 % Devoir (rm 4,45) 23,1 % Droits de l’homme (rm 3,83) 21,8 % Lois (rm 2,53) 21,8 % Loi (rm 2,59) 21,8 % Devoirs (rm 3,59)

32,1 % Liberté (rm 5,64) 28,2 % Avocat (rm 6,00) 26,9 % Juge (rm 4,86) 23,1 % Code pénal (rm 4,94)

MFM** 21 %

< MFM

19,2 % Règles (rm 4,20) 19,2 % Droits et devoirs (rm 4,13) 16,7 % Egalité (rm 2,85) 15,4 % Droit de l’enfant (rm 4,67) 11,5 % Démocratie (rm 2,44) 11,5 % Droit de la femme (rm 2,56)

19,2 % Tribunal (rm 5,67) 15,4 % Interdictions (rm 8,17) 14,1 % Code civil (rm 5,27) 12,8 % Autorisation (rm 7,00) 12,8 % Etudes universitaires (rm 7,60) 10,3 % Droit du travail (rm 5,25) 11,5 % Sanctions (rm 5,56) 11,5 % Société (rm 6,44) 11,5 % Avoir le droit (rm 6,67)

(MRM *: moyenne des rangs moyens et MFM** : moyenne des fréquences moyennes) De la même manière que précédemment, ce tableau permet de repérer les dif-

férents éléments du champ représentationnel des enseignants : - Le noyau central du champ représentationnel est composé des termes sui-

vants : justice, respect, devoir, droits de l’homme, devoirs, loi, lois - Les éléments périphériques du champ représentationnel peuvent être classés

de la façon suivante : - 1ère périphérie : liberté, avocat, juge, code pénal - Zone des éléments contrastés : règles, droits et devoirs, égalité, droit de

l’enfant, démocratie, droit de la femme -2ème périphérie : tribunal, interdictions, code civil, autorisation, études de

droit, droit du travail, sanctions, société, avoir le droit

Page 15: DU DROIT - spirale-edu-revue.fr · tamment avec Kohlberg (1971) ... Ainsi quand le Roi Créon, reproche à Antigone d’avoir enterré son frère malgré la défense qui lui en avait

REPRÉSENTATIONS DU DROIT CHEZ DES COLLÉGIENS, DES ENSEIGNANTS ET DES JURISTES,

37

Étude du contenu de la représentation sociale du « Droit » des juristes Le tableau 4 permet de repérer les différents éléments du champ représenta-

tionnel des juristes.

Tableau 4 Fréquence et rang moyen des mots cités par les juristes

MRM* 5,25 < MRM ≥ MRM

≥ MFM

MFM** 20,7 %

76,6 % Justice (rm 2,59) 40,6 % Avocat (rm 4,88) 28,1 % Loi (rm 3,94) 25,0 % Tribunal (rm 3,75)

23,4 % Société (rm 5,60)

< MFM

15,6 % Juriste (rm 3,20) 14,1 % Règles (rm 3,89) 12,5 % Liberté (rm 4,63) 12,5 % Equité (rm 4,88) 12,5 % Défense (rm 5,00) 12,5 % Egalité (rm 5,13)

18,8 % Juge (rm 6,08) 18,8 % Magistrat (rm 6,75) 12,5 % Lois (rm 5,88) 12,5 % Code (rm 6,13) 12,5 % Jurisprudence (rm 6,88) 12,5 % Contrat (rm 7.13) 12,5 % Etudes universitaires (rm 8.13)

(MRM *: moyenne des rangs moyens et MFM** : moyenne des fréquences moyennes) De la même manière que précédemment, le tableau 4 permet de repérer les

différents éléments du champ représentationnel des juristes : - Le noyau central du champ représentationnel est composé des termes sui-

vants : justice, avocat, loi, tribunal. - Les éléments périphériques du champ représentationnel peuvent être classés

de la façon suivante : - 1ère périphérie : société - Zone des éléments contrastés : juriste, règles, liberté, équité, défense,

égalité - 2ème périphérie : juge, magistrat, lois, code, jurisprudence, contrat, études

de droit

Structure des représentations Comme nous l’avons déjà évoqué, la structure des représentations va être re-

pérée à l’aide l’indice de Jaccard et représentée à l’aide d’un Graphe d’Extension Minimale (Minimum Spanning Tree Analysis) qui permet d’élaborer un graphe non orienté des associations.

Par cette méthode, chaque sujet est projeté à la moyenne des positions des mots qu’il avait utilisés. En représentant les statuts des sujets (Enseignants, Élèves, Expert) par des symboles graphiques, il est ainsi possible d’observer des points de vue différents sur le même espace sémantique (non métrique). Il n’y a pas de test

Page 16: DU DROIT - spirale-edu-revue.fr · tamment avec Kohlberg (1971) ... Ainsi quand le Roi Créon, reproche à Antigone d’avoir enterré son frère malgré la défense qui lui en avait

J. MASCLET

38

statistique associé à cette procédure car la représentation par analyse de contiguïté est une pure commodité qui assure que les arêtes du graphe ne se recouvrent pas, et elle n’a pas de sens métrique. Il n’y a donc pas de modèle de distribution naturelle pour ces objets. L’analyse vise à une visualisation immédiate et en deux dimensions d’une structure sémantique complexe. Par analogie avec l’interprétation des facteurs dans les analyses dimensionnelles, nous indiquerons dans les graphiques des inter-prétations de sous-régions de la figure, en fonction des unités qui s’y trouvent ré-unies.

Figure : Nature de la structure des représentations des différentes populations observées

DISCUSSION Comme nous pouvons le constater, le nombre et le type d’items recueillis par

la méthode d’association de mots (c’est à dire la taille et la nature du champ repré-sentationnel) diffèrent pour chaque groupe. Par ailleurs, on remarque que la simila-rité de champ représentationnel intergroupe est plutôt faible. Ceci a tendance à con-firmer l’idée que « le droit » est un objet social non consensuel, sur lequel il y a di-vergence de points de vue selon les catégories sociales.

Page 17: DU DROIT - spirale-edu-revue.fr · tamment avec Kohlberg (1971) ... Ainsi quand le Roi Créon, reproche à Antigone d’avoir enterré son frère malgré la défense qui lui en avait

REPRÉSENTATIONS DU DROIT CHEZ DES COLLÉGIENS, DES ENSEIGNANTS ET DES JURISTES,

39

Le champ représentationnel le plus vaste est celui des enseignants de collège. Plusieurs facteurs peuvent l’expliquer comme la diversité des disciplines enseignées par les professeurs de notre échantillon (renvoyant à des cursus scolaires fortement diversifiés) ; ou que le fait d’enseigner nécessite de connaître de nombreux objets sociaux dans leur globalité afin de s’adapter au mieux à un public hétéroclite et de niveaux variables (6ème-3ème).

Le champ représentationnel le plus restreint est celui des juristes. En fait, il semblerait que l’expertise dans le domaine, permette d’élaborer une représentation fortement consensuelle de l’objet (liée à la culture juridique, basée sur l’acquisition de notions et de valeurs communes) et donc plus opérationnelle.

Le champ représentationnel des élèves est également peu étendu. On peut no-ter, que le noyau central de celui-ci est particulièrement axé autour d’idées abstraites générales.

Toutefois, nous pouvons le remarquer, que le terme « justice » apparaît au sein du noyau central de chacune des trois populations. Le terme « droits de l’hom-me » apparaît uniquement dans celui des populations des élèves et des enseignants et le terme « loi » dans celui des enseignants et des experts. Aux vues des données théoriques, les premiers constats permettent de faire deux remarques : tout d’abord, concernant les adolescents, comme le montraient déjà les travaux de Kourilsky (1991, 2002) ils associent le droit à la « liberté ». Ensuite, le terme « justice » est récurrent à nos trois groupes. Mais derrière l’utilisation de ce même terme, ont ils la même vision de la justice ? La question qui pourrait venir à l’esprit : sont-ils dans une vision idéaliste ou dans vision positiviste ?

L’analyse à l’aide de l’indice de Jaccard nous permet d’affiner cette étude. En effet le champ représentationnel des enseignants semble davantage se structurer autour de grands principes et concepts. Leur représentation se construit surtout au-tour des thèmes de liberté, démocratie, respect, droits de l’homme en général et réfé-rence aux codes (civil et pénal) fruits de la révolution française. La représentation du juriste quant à elle s’ancre davantage dans la réalité et se structure autour de no-tions concrètes propres à l’exercice de leur profession. On retrouve notamment la présence d’acteurs et de lieux tels que les magistrats, juges, avocats et tribunal. On découvre aussi la référence à différents principes tels que la défense, l’égalité et l’équité. Enfin on trouve également la dimension pratique du droit, avec la référence au contrat, à la règle et la jurisprudence. Selon nous, la représentation des ensei-gnants tend à se rapprocher de la vision idéaliste du droit alors que celle des juristes peut s’interpréter relativement à une vision plus positiviste qui vise à l’efficacité. Cependant, nous garderons quelques réserves quant à cette interprétation. Un com-plément d’étude notamment par l’intermédiaire d’entretiens individuels, est prévu pour affiner cette interprétation.

Les élèves quant à eux ont un champ représentationnel très différent qui se construit davantage dans une réalité proche avec des connaissances concrètes et pal-pables. Ainsi la représentation se structure autour de la police, de la prison et de données très contextualisées. On trouve également la référence à deux principes, ce-lui du droit de vote et du droit d’expression.

Page 18: DU DROIT - spirale-edu-revue.fr · tamment avec Kohlberg (1971) ... Ainsi quand le Roi Créon, reproche à Antigone d’avoir enterré son frère malgré la défense qui lui en avait

J. MASCLET

40

Ces différentes observations nous amènent à dire qu’il existe une vision de l’objet « droit » relativement différente chez chacune des trois populations étudiées.

Néanmoins, quelques constats plaident dans le sens d’une contiguïté de re-présentation entre professeurs et élèves.

En effet, si nous observons la représentation sociale du « droit » des profes-seurs, il est vrai que celle des élèves s’en différencie, puisque pour ces derniers, elle se structure plutôt autour d’éléments du vécu. Cependant, du point de vue du conte-nu, certains éléments plaident dans le sens de l’existence d’une transmission des professeurs vers les élèves. Ainsi au niveau du noyau central des élèves, on retrouve « la liberté » et « les droits de l’homme ».

Ce dernier constat n’est pas étonnant si l’on se réfère aux programmes d’édu-cation civique du collège. Cependant, si ces éléments sont importants pour les élè-ves (rappelons qu’ils sont présents dans le noyau central) il semble encore difficile pour eux de les rendre socialement utiles puisque la structure de leur représentation s’articule dans « une réalité de proximité ». Néanmoins, nous pouvons considérer que cette représentation sociale « du droit » n’est pas définitive vu l’âge de la popu-lation étudiée.

EN GUISE DE CONCLUSION : L’ENSEIGNEMENT DU DROIT À L’ÉCOLE Au vu de ces résultats, l’introduction de l’enseignement du droit à l’école

n’est pas sans poser un certain nombre de questions. Bien avant l’introduction de l’Éducation Civique Juridique et Sociale en 2002 au lycée, Robert (1999) posait le problème en ces termes : en France, l’enseignement juridique en milieu scolaire se partage entre deux traditions bien distinctes, mais d’ancienneté égale. Il existe un enseignement non spécialisé de contenus juridiques dans l’instruction (aujourd’hui éducation civique). La forme rénovée que prend aujourd’hui cet enseignement dans nos collèges prend plus fortement que jamais appui sur des contenus et des concepts juridiques. Ses initiateurs avaient placé cet enseignement sur le terrain des valeurs, et même principalement sur celui des valeurs politiques. Le positiviste Paul Bert (1882) lui même, dans la préface qui ouvre son manuel d’instruction civique, chasse sur les terres de l’affection et de l’action bien plus sur celles de la connaissance : on trouve dans ce très court texte les verbes aimer, se dévouer. honorer. vénérer. dé-fendre. améliorer. haïr. mépriser. Robert (1999) explique que né à la même époque, un enseignement « pratique » du droit est dispensé dans les classes de commerce et d’industrie. Celui-ci est l’épreuve exacte en négatif du précédent : essentiellement descriptif, très réifié, il consiste en l’exposé d’un certain nombre de connaissances de droit positif censément utiles à la vie professionnelle, dénué de tout appel au sen-timent ou à l’action, et de tout examen de valeurs. Pour Robert (1999) ce n’est pas ce droit là qu’il faut inciter à enseigner. Il préconise la réflexion sur les grands prin-cipes plutôt que sur la connaissance des règles. Car selon lui l’éducation juridique doit privilégier des attitudes et des comportements intellectuels. Ceux-ci sont direc-tement issus des principes qui permettent le fonctionnement du droit. Ainsi Robert

Page 19: DU DROIT - spirale-edu-revue.fr · tamment avec Kohlberg (1971) ... Ainsi quand le Roi Créon, reproche à Antigone d’avoir enterré son frère malgré la défense qui lui en avait

REPRÉSENTATIONS DU DROIT CHEZ DES COLLÉGIENS, DES ENSEIGNANTS ET DES JURISTES,

41

(1999) donne quelques exemples, telles que la décentration qui consiste à adopter un point de vue différent, la controverse qui permet « de ne rien tenir pour vrai avant examen » ou encore l’argumentation qui conduit à faire du débat le cours d’une pra-tique du droit trop souvent mal connue. Il insiste également sur un enseignement du droit qui doit se garder de toute technicité. Pour Robert (1999), si la formation des enseignants peut s’avérer nécessaire, elle n’a pas besoin de techniciens aux savoirs « pointus ». Au contraire selon lui « […] on observe bien souvent des techniciens mal à l’aise dans l’oeuvre de vulgarisation ». Il propose une pratique de l’enseigne-ment du droit qui aiguillonne l’esprit critique et qui privilégie « le développement des techniques du débat en classe, du jeu de rôle, des simulations plutôt que la con-naissance du droit ». Ainsi conçu, le droit devient pour lui « un moyen de réfléchir, un objet intellectuel très attrayant. »

Si Robert (1999) exprime l’idée selon laquelle les enseignants ont un rôle primordial dans l’enseignement de cette discipline, il ne semble pas reconnaître d’intérêt particulier à la participation d’intervenants extérieurs sur le champ social qu’est le droit. Pour lui, l’expertise dans ce domaine particulier semble davantage un frein qu’un facilitateur de transmission d’un savoir qui serait socialement utile.

En 2002, les textes relatifs à l’introduction de l’Éducation Civique Juridique et Sociale (ECJS) au lycée vont en partie dans le sens de Robert (1999) : « seul sa-voir nouveau auquel il faut initier les élèves, grâce à l’ECJS, concerne le droit, trop ignoré de l’enseignement scolaire français. Il s’agit de faire découvrir le sens du droit, en tant que garant des libertés, et non d’enseigner le droit dans ses techni-ques. ». Par ailleurs : « de très nombreux professeurs, par leur savoir, leur culture, leur implication dans la vie du lycée, ont vocation à contribuer à cet enseignement. » Mais il est ajouté que « La participation d’intervenants extérieurs, témoins dans un champ social étudié, est évidemment souhaitable. »

En 2006 Bergougnioux fait le constat qu’il subsiste par rapport à cet ensei-gnement un certain nombre de difficultés. L’une des premières difficultés est celle du positionnement des enseignants par rapport à la discipline. En effet, si l’essentiel de l’éducation civique est assuré par les enseignants, les difficultés de cet enseigne-ment pour lequel de nombreux professeurs ne se sentent pas préparés demeurent. Comme le préconisaient les textes, un partenariat tend alors à se développer avec les différents représentants des pouvoirs publics, en particulier avec les magistrats qui participent à l’information des élèves (sur la justice, la nationalité, etc.) avec les per-sonnels de police ou de gendarmerie intervenant au sein de l’École à titre d’informa-tion et de prévention (ou à l’extérieur au titre de la répression). Mais, si il semble nécessaire que l’éducation civique puisse être appuyée par des personnels qualifiés qui apportent notamment leurs savoirs juridiques, ce travail reste trop irrégulier, dis-continu et anecdotique pour être formateur. Enfin une deuxième difficulté s’ajoute, celle de l’articulation difficile entre les approches pédagogiques effectuées en classe et les activités éducatives à portée civique menées en dehors de l’établissement.

Cette dernière remarque est tout à fait fondamentale, dans la mesure où né-gliger ce travail d’articulation entre les transmissions des enseignants et celles des professionnels du champ revient à les juxtaposer, sans assurer de liens entre elles.

Page 20: DU DROIT - spirale-edu-revue.fr · tamment avec Kohlberg (1971) ... Ainsi quand le Roi Créon, reproche à Antigone d’avoir enterré son frère malgré la défense qui lui en avait

J. MASCLET

42

De fait, le risque est de noyer les élèves dans un flot d’informations cogniti-vement ingérable et en d’autres termes il est pensable que les élèves assimilent tem-porairement les informations sans jamais les accommoder. L’étude menée montre cependant que ce travail d’articulation n’est pas aisé, dans la mesure où nos trois populations à savoir juristes, enseignants et élèves ont une représentation sociale du droit bien différente.

Ceci nous sensibilise à l’obstacle qui pourrait être rencontré du point de vue de la communication entre élèves/juristes, mais aussi enseignants/juristes. Et la mé-thode pédagogique qui consisterait à faire intervenir les juristes dans les classes, sans précaution ou sans préalable pourrait se révéler contraire aux attentes.

Ces différents constats font penser que le droit, en tant qu’objet social, diffé-remment perçu par des groupes sociaux amenés à se rencontrer dans le cadre de transmissions, doit nécessairement faire l’objet de médiations pour que la compré-hension et la communication entre ces groupes soient réellement efficaces.

Si l’on suppose qu’en classe de troisième, la représentation sociale du droit chez les élèves est amenée à évoluer, alors la collaboration d’intervenants extérieurs dans la transmission peut présenter un intérêt pour les élèves. Ce peut être l’occasion pour eux, par exemple, de découvrir une vision plus positiviste du droit. Et cela peut contribuer à modifier leur représentation sociale dans ce sens. L’objec-tif final étant de faire en sorte qu’elle soit socialement utile. Mais cela nécessite, de la part des juristes et des enseignants de réaliser un véritable travail en amont de ces rencontres en commençant par une prise de conscience des uns et des autres que leur culture de métier les amène à avoir des positionnements différents par rapport à cet objet social qu’est le droit. Ce travail préalable est selon nous le passage indispensa-ble pour permettre une articulation efficace entre les approches pédagogiques effec-tuées en classe et les activités éducatives à portée civique menées par des profes-sionnels qualifiés qui apporteraient notamment leurs savoirs juridiques.

De fait, si la question du droit nécessite une formation des enseignants, ne se-rait-il pas aussi intéressant de sensibiliser les juristes aux problématiques et préoc-cupations du monde de l’éducation ? Il serait tout aussi intéressant qu’ils constatent que leurs représentations sociales « du droit » divergent de celles des enseignants et élèves, notamment quand il s’agit des médiations de plus en plus fréquentes qu’ils sont amenés à avoir, entre ces deux populations.

Johanne MASCLET

UVHC Laboratoire Psitec

Lille – Nord de France Abstract : The current social context brings to raise the question of the report of the

teenagers to the right. At the beginning of last century, Piaget already sought to understand it through the study of the moral judgement in the child. Since, work on the subject did not cease evolving. For this work we connected law and psychology and we studied the social

Page 21: DU DROIT - spirale-edu-revue.fr · tamment avec Kohlberg (1971) ... Ainsi quand le Roi Créon, reproche à Antigone d’avoir enterré son frère malgré la défense qui lui en avait

REPRÉSENTATIONS DU DROIT CHEZ DES COLLÉGIENS, DES ENSEIGNANTS ET DES JURISTES,

43

representation of the law of three populations : teenagers, teachers of college and lawyers. We think that the law can be a social object around of which there is a stake, and even a con-flict…

Keywords : Law – schoolboy – social representation –teacher – lawyer.

Références bibliographiques

Abric J.-C. (1976) Jeux, conflits et représentations sociales. Thèse de Doctorat de 3e cycle, Universités de Provence.

Abric J.-C. (1994) Pratiques sociales et représentation. Paris : PUF. Abric C. (2003) Méthodes d’étude des représentations sociales. Ramonville-Saint-

Agne : ERES. Bergougnioux A (2006) « L’école et l’éducation civique » – La Revue de l’inspec-

tion générale 3 (54-60). Buffelan-Lanore Y. & Larribau-Tereyre V (2007) Droit civil. Paris : SIREY. Carbonnier J. (1991) Droit civil. Paris : PUF. Colby A. & Kohlberg L. (1987) The measurement of moral judgment, Vol 1. Cam-

bridge UK : CUP.. Colby A., Kohlberg L., Speicher B., Hewer A., Candee D., Gibbs J. C., & Power C.

(1987) The measurement of moral judgment, Vol 2. Cambridge UK : CUP.

Courbe P. (2003) Introduction générale au droit. Paris : Dalloz. Dabin J (1969) Théorie générale du droit. Paris : Dalloz. Doise W. & Palmonari A. (2002) L’étude des représentations sociales. Lausanne :

Delachaux et Niestlé. Flament C (1962) « L’analyse de similitude » – Cahiers du Centre de Recherche

Opérationnelle 4 (63-97). Guimelli C. & Rouquette M.-L. (1992) « Contribution du modèle associatif des

schèmes cognitifs de base à l’analyse structurale des représentations sociales » – Bulletin de Psychologie XLV, 405 (196-202).

Kohlberg L. (1971) « From is to ought : How to commit the naturalistic fallacy and get away with the study of moral development » – in: T.H. Mischel (ed.) Cognitive Development and Epistemology (151-235). New-York : Academic Press.

Kourilsky C. (1991) « Socialisation juridique et identité du sujet » – Droit et Société 19 (273-291).

Kourilsky C. (2002) « Le citoyen russe aujourd’hui : appartenir à la Russie et regar-der l’Europe » – Droit et Culture 43, 1 (177-204).

Lehalle H., Aris C., Buelga S & Musitu G. (2004) « Développement socio-cognitif et jugement moral. De Kohlberg à la recherche des déterminants de la différenciation du développement moral » – L’Orientation Scolaire et Professionnelle 33, 2 (289-314).

Page 22: DU DROIT - spirale-edu-revue.fr · tamment avec Kohlberg (1971) ... Ainsi quand le Roi Créon, reproche à Antigone d’avoir enterré son frère malgré la défense qui lui en avait

J. MASCLET

44

Moliner P. (1988) La représentation sociale comme grille de lecture. Thèse de Doc-torat de l’Université de Provence.

Moliner P. (1993) « Cinq questions à propos des représentations sociales » – Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale 20 (5-14).

Moscovici S. (1961) La psychanalyse, son image et son public. Paris : PUF. Moscovici S. (1984) Psychologie sociale. Paris : PUF. Pagoni-Andréani M. (1999) Le développement socio-moral, des théories à l’éduca-

tion civique. Villeneuve d’asq : Presses Universitaires du Septentrion. Percheron A. (1991) « Représentations de la loi et de la justice chez les Français de

16 à 21 ans » – Droit et Société 19 (385-397). Piaget J. (1932) Le jugement moral chez l’enfant. Paris : PUF. Planiol M. (1934) Traité pratique de droit civil. Paris : Dalloz. Robert F. (1999) Enseigner le droit à l’école. Paris : ESF. Robert F. (1999) « La place des valeurs de la morale politique dans l’enseignement

scolaire du droit » – in : S. Solère-Quéval (ed.) Les valeurs au risque de l’école (153-159). Villeneuve d’Ascq : Presses Universitaire du Septentrion.

Sophocle (1973) Antigone. Paris : Bordas Tostain M. (1999) Psychologie, morale et culture, l’évolution de la morale de

l’enfance à l’âge adulte. Grenoble : Presses Universitaires de Greno-ble.

Verges P. (1992) « L’évocation de l’argent : une méthode pour la définition du noyau central d’une représentation » – Bulletin de Psychologie XLV, 405 (203-209).