Du cubisme à l'abstraction réalisteexcerpts.numilog.com/books/9782307065326.pdfpar Pierre de...

22

Transcript of Du cubisme à l'abstraction réalisteexcerpts.numilog.com/books/9782307065326.pdfpar Pierre de...

Page 1: Du cubisme à l'abstraction réalisteexcerpts.numilog.com/books/9782307065326.pdfpar Pierre de VILLEMAREST. 6. L'an 1 du système gaulliste, par Jean-André FAUCHER. 7. Louis Rossel
Page 2: Du cubisme à l'abstraction réalisteexcerpts.numilog.com/books/9782307065326.pdfpar Pierre de VILLEMAREST. 6. L'an 1 du système gaulliste, par Jean-André FAUCHER. 7. Louis Rossel

DU CUBISME A L'ABSTRACTION REALISTE

Page 3: Du cubisme à l'abstraction réalisteexcerpts.numilog.com/books/9782307065326.pdfpar Pierre de VILLEMAREST. 6. L'an 1 du système gaulliste, par Jean-André FAUCHER. 7. Louis Rossel

DANS LA MEME COLLECTION

1. La troisième guerre mondiale est commencée, par Pierre DEBRAY.

2. Le sacre de la liberté, par Vincent CORDONNIER.

3. Le syndicalisme et la nation, par Pierre MAXIME.

4. La dictature qui vient. La technocratie, par Jean BOURDIER.

5. Le 14e complot du 13 mai, par Pierre de VILLEMAREST.

6. L'an 1 du système gaulliste, par Jean-André FAUCHER.

7. Louis Rossel (1844-1871), pensée et action d'un officier insurgé, par Hubert SAINT-JULIEN.

Page 4: Du cubisme à l'abstraction réalisteexcerpts.numilog.com/books/9782307065326.pdfpar Pierre de VILLEMAREST. 6. L'an 1 du système gaulliste, par Jean-André FAUCHER. 7. Louis Rossel

PUBLIÉS SOUS LA DIRECTION DE HUBERT SAINT-JULIEN

8

DU CUBISME A L'ABSTRACTION

REALISTE PAR

FRANÇOIS PLUCHART

PRESSES CONTINENTALES 40, rue du Cherche-Midi, PARIS -VI

Page 5: Du cubisme à l'abstraction réalisteexcerpts.numilog.com/books/9782307065326.pdfpar Pierre de VILLEMAREST. 6. L'an 1 du système gaulliste, par Jean-André FAUCHER. 7. Louis Rossel

© by Presses Continentales, 1967.

Page 6: Du cubisme à l'abstraction réalisteexcerpts.numilog.com/books/9782307065326.pdfpar Pierre de VILLEMAREST. 6. L'an 1 du système gaulliste, par Jean-André FAUCHER. 7. Louis Rossel
Page 7: Du cubisme à l'abstraction réalisteexcerpts.numilog.com/books/9782307065326.pdfpar Pierre de VILLEMAREST. 6. L'an 1 du système gaulliste, par Jean-André FAUCHER. 7. Louis Rossel
Page 8: Du cubisme à l'abstraction réalisteexcerpts.numilog.com/books/9782307065326.pdfpar Pierre de VILLEMAREST. 6. L'an 1 du système gaulliste, par Jean-André FAUCHER. 7. Louis Rossel

Trois ans après la trahison de Picasso, Johan- nes Baader, au cours d'un office dans la cathé- drale de Berlin, en ce novembre d'armistice 1918, proclama Dada sauveur du monde. Les certitudes remises en cause et les morphologies traditionnelles refusées, la conscience s'ouvrait aux dimensions d'un univers en continuelle mé- tamorphose. La civilisation technicienne piéti- nait l'idéal et asservissait le sacré. L'humanisme renaissant cédait face à ce qui ne tarderait pas à se définir comme une logique de l'irration- nel. Ce monde sauvé par Dada mit un demi- siècle pour appréhender la rupture, tandis que, se prêtant à tous les caprices de la mode, le premier peintre espagnol depuis Goya parve- nait à incarner l'esprit moderne.

Avec Les Demoiselles d'Avignon où il don- nait un coup d'art nègre aux formes cézan- niennes qu'il venait d'assimiler, Picasso, pas- sant d'une influence à l'autre, mettait fin aux périodes mièvres et maniérées de ses débuts.

Page 9: Du cubisme à l'abstraction réalisteexcerpts.numilog.com/books/9782307065326.pdfpar Pierre de VILLEMAREST. 6. L'an 1 du système gaulliste, par Jean-André FAUCHER. 7. Louis Rossel

Cette rencontre avec la sculpture africaine dont Matisse lui avait depuis un an souligné l'inté- rêt aboutissait à la création d'un style auquel Braque, Léger, Delaunay et Juan Gris appor- tèrent les contributions les plus fortes : Braque et Juan Gris celle d'une affirmation plus poé- tique, Léger et Delaunay celle d'une percée non- figurative. Le cubisme accomplissait l'œuvre inachevée de Cézanne. Il exterminait les roman- tismes hystériques et l'art de boudoir. Par lui, la peinture retrouvait une vigueur constructi- viste que ni les impressionnistes, quels que soient leurs mérites, ni Toulouse-Lautrec, pri- sonnier de ses rancœurs et de ses refoulements mondains, n'avaient su lui rendre.

Ce qui était intuition dans l'œuvre de Braque et de Picasso trouva une base mathématique dans l'esprit de Gleizes auquel se rallièrent de la Fresnaye, Marcoussis, Metzinger et Jacques Villon. Ils approchèrent de plus près la notion d'abstraction, mais il leur manquait pour l'ins- taurer l'intelligence de Kandinsky, de Malévitch et de Mondrian. Bien que leur influence sur la deuxième génération abstraite soit indéniable, ils laissèrent du même coup échapper le rôle historique qu'ils auraient pu tenir. Il y a de toute manière de nombreuses places vides dans les musées de province.

La sculpture cubiste fut plus heureuse. Le passage du plan au volume impliquait une reconsidération et, de quelque manière, une réinvention du langage. Duchamp-Villon, qui fut le premier à se rallier à la nouvelle esthé- tique, se laissa rapidement dépasser par Lau- rens et Lipchitz, puis par Archipenko, le plus

Page 10: Du cubisme à l'abstraction réalisteexcerpts.numilog.com/books/9782307065326.pdfpar Pierre de VILLEMAREST. 6. L'an 1 du système gaulliste, par Jean-André FAUCHER. 7. Louis Rossel

pur et le plus vaste dans l'invention. Indépen- dant, ne faisant qu'approcher du cubisme sans jamais y adhérer, Brancusi domine la sculp- ture de son époque qu'il a conduite avec une intransigeance sans failles vers les formes les plus tendues de l'abstraction. Arp et Henry Moore comme plus tard Gilioli lui doivent tout. Plus encore que Rodin qui avait géniale- ment sorti la sculpture de l'impasse académi- que, Brancusi a fait accomplir à la sculpture sa plus grande transformation depuis Michel- Ange. Fou du volume et de la forme pleine, il a ouvert la voie à toute l'esthétique volumé- trique contemporaine. En portant la sculpture au plus haut sommet de la pureté formelle, en lui faisant atteindre à l'émotion directe, fonc- tionnelle, il a dessiné le destin des formes in- dustrielles d'aujourd'hui.

En quelques années, le cubisme tourna court. Braque devenu décorateur et Picasso ayant opté pour l'illusionnisme en portent la responsabilité. Leurs suiveurs immédiats ajou- tèrent à la dilution des formes révolutionnai- res. L'erreur de Braque est d'avoir voulu assu- mer la part française du cubisme, d'y intro- duire la grâce et le charme. La faiblesse de Picasso est d'avoir cru à une nécessaire valo- risation de son expressionnisme héréditaire. Ces attitudes contraires ne peuvent cependant justifier ni les petits paysages de mer du pre- mier ni la pauvreté d'invention et la facilité des dessins académiques du second. Sans eux, la peinture portait autre part ses ambitions.

Page 11: Du cubisme à l'abstraction réalisteexcerpts.numilog.com/books/9782307065326.pdfpar Pierre de VILLEMAREST. 6. L'an 1 du système gaulliste, par Jean-André FAUCHER. 7. Louis Rossel

PICASSO SERT SON PLAT DU JOUR

Picasso est un matador. Ses chefs-d'œuvre, qui le placent parmi les premiers peintres de ce siècle, l'ont assez prouvé. Mais il lui faut les jeux de l'arène, les agacements du tau- reau, les clameurs de la foule. Il aime à pro- longer les passes de muleta avant de donner l'estocade. Rendu à l'expressionnisme, il défor- me et parfois grimace. Il se fait acteur. Il se plaît à ce qu'on vienne cracher sur la vitrine de son marchand et donne raison au public de l'indignation que son œuvre entraîne. Il pratique consciemment le scandale mais, gé- nial, il scandalise avec génie.

Inventeur d'un jeu fort habile : le dialogue pictural, Picasso prend le meilleur de Pous- sin, de Cézanne, de Van Gogh, de Manet, de Matisse, de Mondrian et de tous ses contem- porains, il réchauffe ces grands maîtres à la flamme du scandale et sert tout chaud son plat du jour. Le public admire et croit qu'il a affaire à un grand cuisinier. La recette est sem- blable à celle du pudding des pâtisseries de

Page 12: Du cubisme à l'abstraction réalisteexcerpts.numilog.com/books/9782307065326.pdfpar Pierre de VILLEMAREST. 6. L'an 1 du système gaulliste, par Jean-André FAUCHER. 7. Louis Rossel

quartier. C'est celle, sans doute proposée par Picasso, que Cocteau divulgua dans un apho- risme sur l'originalité de l'artiste qui copie. Mais la création commence au-delà du sophis- me. Picasso l'a rarement dépassé. Il lui im- porte de plaire et de faire applaudir le sacrilège et le saccage de la beauté. Il aime les rappels de rideau. Il irrite et séduit dans le même temps en suivant pas à pas le travail des jeu- nes. Il s'approprie tout ce qui passe à sa por- tée : le futurisme, de dadaïsme, le surréalisme, l'abstraction et il en fait tout autre chose. Il ne nomme pas ses emprunts. On appela un style cette oeuvre hybride, cette œuvre de vul- garisation faite de morceaux à l'image de l'habit de ses Arlequins. Mais avec Picasso, l'hé- roïsme est l'élégance de la lâcheté.

Cette volonté de séduire, ce doute mêlé à une satisfaction de soi le trahirent. Picasso eut peur du présent. Il n'osa pas conduire le cubisme jusqu'à ses ultimes conséquences non- figuratives, il refusa de même le dadaïsme alors que le choix était entre la destruction des va- leurs démonétisées et l'instauration d'un nou- veau langage qui, se privant des facilités de la référence, mesurait l'action de la couleur sur la sensibilité. Par cet abandon, tout son œuvre est, de quelque manière, un jeu, certes porté par des chefs-d'œuvre, mais esthétisme barbare, plaisir de l'arabesque, exaltation d'un acte stupéfiant au niveau des badauds.

Picasso n'a pas de morale plastique, pas de rigueur conceptuelle, pas de but. Parce qu'il a bafoué la morphologie humaine, une vaine querelle l'accuse de s'être moqué de ce qui,

Page 13: Du cubisme à l'abstraction réalisteexcerpts.numilog.com/books/9782307065326.pdfpar Pierre de VILLEMAREST. 6. L'an 1 du système gaulliste, par Jean-André FAUCHER. 7. Louis Rossel

dans l'homme, pourrait être d'essence divine. La seule question qui regarde ce domaine est celle dont la réponse ferait connaître à quel degré son œuvre, ainsi que pour tout autre artiste, a su faire accéder une morphologie à la nature particulière de l'art. Cette réponse est admirable au temps du cubisme, contes- table ensuite et nulle depuis Guernica. Occupé à séduire, ce n'est cependant qu'au sortir de la seconde guerre mondiale que Picasso, pour assurer ses vieux jours, se prit d'un même in- térêt pour la poterie, la verrerie, la lithogra- phie, son œuvre, les foulards et les boutons de manchettes. En se rendant public, Picasso se fit admirer comme le plus grand peintre de son siècle. Il faudra en revenir pour faire place à Kandinsky, Mondrian et Malévitch qui, comme la plupart des créateurs intransigeants de cette époque, commencèrent à faire fortune peu de temps après leur mort. Cette fortune, il est vrai, ne cesse de s'arrondir. A partir de leur œuvre, Courrèges et Yves-Mathieu Saint- Laurent ont fait des robes, Dorothée des gants, Michèle Rosier des fourrures et les esthéti- ciens des maquillages abdominaux. Vous en verrez d'autres.

Page 14: Du cubisme à l'abstraction réalisteexcerpts.numilog.com/books/9782307065326.pdfpar Pierre de VILLEMAREST. 6. L'an 1 du système gaulliste, par Jean-André FAUCHER. 7. Louis Rossel

KANDINSKY BRISE LA FORME

Le cubisme courait à l'abstraction. Ce n'est cependant pas lui qui donna les premières œu- vres non-figuratives. L'évolution de la pensée, la découverte des œuvres archaïques, la re- connaissance de l'art roman, le refus des vo- lontés décoratives du modern style condui- saient à une remise en question de la signifi- cation de l'image artistique et de la fonction de l'objet dans celle-ci. Depuis Cézanne et Seu- rat, Van Gogh et Gauguin, quelle que soit son expression, l'art se déterminait plus mentale- ment que jamais. La démonétisation de tous les académismes ralliait les ambitions divergentes des créa- teurs. Cubisme, futurisme, dadaïsme et abs- traction procèdent, sous un certain regard, d'une volonté commune d'en finir avec des moyens émotionnels périmés. La puissance du cri, la densité de la révolte séparent plus que tout les différentes formes d'expression en lutte pour l'instauration d'un dispositif en accord avec les exigences de l'époque, la densification de la perception et l'accélération du phéno- mène de saturation de la sensibilité.

Page 15: Du cubisme à l'abstraction réalisteexcerpts.numilog.com/books/9782307065326.pdfpar Pierre de VILLEMAREST. 6. L'an 1 du système gaulliste, par Jean-André FAUCHER. 7. Louis Rossel

Les idées fortes s'incarnent d'autant plus pro- fondément qu'elles sont retenues. Parfois déter- minées par le hasard, une pensée rigoureuse les conduit, marche par marche, vers l'efficacité. Ayant assimilé les leçons chromatiques du fau- visme et écarté les principes constructifs du cubisme, Kandinsky, en brisant la forme, ouvrit une percée brutale sur la peinture non-objec- tive. Une toile posée à l'envers lui montra que la description des objets nuisait à la qualité de sa peinture. Il sut en prendre conscience et en tirer la conclusion. L'abstraction, en tant que phénomène historique et concept mental, com- mençait. Elle allait par la suite devenir un art fonctionnel.

L'expressionnisme allemand, le fauvisme de Vlaminck et de Derain, de Marquet et de Dufy, plus encore que celui de Matisse, trop clarifié pour lui, préparaient le bouleversement de Kandinsky. Au départ de son œuvre, il poursuit la tradition ouverte par Van Gogh et Munch, puis par les fauves, principalement par Derain auquel il emprunta sa manière d'étendre la couleur. Mais ce que les fauves ne surent pas dépasser et désavouèrent vite à l'exception de Matisse, ce que Franz Marc et August Macke n'eurent pas le temps d'accomplir, ce que dé- laissa Jawlensky, occupé à rendre la force ex- pressive de la figure, ce que Van Dongen détrui- sit dans la mondanité, Kandinsky le mesura. Le premier, il se sépara de l'identifiable. Cette pé- riode dramatique ouvrait la porte aux déci- sions de l'inconscient dont le surréalisme et l'abstraction lyrique feront plus tard leur am- bition première.

Page 16: Du cubisme à l'abstraction réalisteexcerpts.numilog.com/books/9782307065326.pdfpar Pierre de VILLEMAREST. 6. L'an 1 du système gaulliste, par Jean-André FAUCHER. 7. Louis Rossel

C'est donc un hasard qui plaça Kandinsky sur le chemin de l'abstraction, mais c'est un hasard calculé, conscient, voulu. Des centaines de toiles où l'objet était emporté d'un mouve- ment fougueux avaient préparé sa première abstraction, une aquarelle de 1910 où l'art est devenu, sans le truchement d'aucune référence, une pure dictée de l'esprit, l'expression fulgu- rante et accomplie du dynamisme intérieur du peintre.

Tout préparait Kandinsky à cette rupture avec l'apparence. Il avait en lui la fougue et le raisonnement, la tension psychique et la logi- que, et cette part de calcul et de compréhen- sion hautaine de son époque sans lesquels au- cun peintre n'écrira jamais l'histoire.

Fauve et non pas des plus importants, si l'on s'en réfère aux œuvres antérieures de Matisse ou de Derain, Kandinsky dépassa rapidement tous ses maîtres. Il croyait à une transforma- tion de la sensibilité artistique, il savait ce qu'il voulait et là où il allait. Ayant fait le tour des découvertes picturales de son temps, il se hissa au-dessus d'elles par la seule force de l'intelligence qui raisonne sur le présent.

C'est moins une détermination sensible qu'une détermination intellectuelle qui dirige Kandinsky. Il voit le parti qu'un peintre peut tirer des découvertes qui l'entourent. A cha- cune, il apporta la réponse de son lyrisme et de ses convictions. Son œuvre se développe constamment sous ce double aspect de l'émo- tion à atteindre et à communiquer et de la place à prendre dans l'histoire de l'art.

Lorsque Kandinsky peignit la première œu-

Page 17: Du cubisme à l'abstraction réalisteexcerpts.numilog.com/books/9782307065326.pdfpar Pierre de VILLEMAREST. 6. L'an 1 du système gaulliste, par Jean-André FAUCHER. 7. Louis Rossel

vre abstraite non décorative connue en Occi- dent, le problème était dans l'air. Il avait han- té Cézanne à l'approche de la mort, il préoc- cupait Franz Marc, tandis que Delaunay et Kupka n'allaient pas tarder à tenter eux aussi leur chance sur l'abstraction. Lorsqu'en 1921, Kandinsky rapprocha son œuvre du construc- tivisme russe, il y avait déjà huit ans que Malé- vitch en avait posé les premières bases. Sa période parisienne, plus théorique et plus sè- che, succède au surréalisme dont le mouve- ment se réclamait de lui tout aussi bien que de Chirico ou de Redon. Mais à l'exception des œuvres antérieures à 1908 où son génie s'affirme déjà avec clarté, si Kandinsky donne parfois l'impression de suivre son époque, en réalité, il l'a devance toujours, car son œuvre vise à reconstruire une abstraction qui ne se- rait pas que géométrie mais où soufflerait la vie.

Kandinsky n'est ni un sentimental ni un uto- pique. Il ne s'attarde pas aux problèmes réso- lus. Il a tué l'objet, alors, il en crée d'imagi- naires. Cette passion pour la forme pure et sensible, forte de lyrisme, l'occupa toute sa vie. Créateur conscient de ce qu'il apporte, Kandinsky semble n'être jamais satisfait de son apport comme s'il craignait toujours de n'avoir pas dit assez d'émotions neuves. Théo- ricien intransigeant, ennemi acharné de Mon- drian, il contraint son lyrisme vers le futur. Découvreur de l'abstraction, réorganisateur du constructivisme, précurseur de l'art cinétique et de l'accumulation formelle, Kandinsky oc- cupe une place unique dans l'histoire artis- tique du vingtième siècle.

Page 18: Du cubisme à l'abstraction réalisteexcerpts.numilog.com/books/9782307065326.pdfpar Pierre de VILLEMAREST. 6. L'an 1 du système gaulliste, par Jean-André FAUCHER. 7. Louis Rossel

SURVAGE CREE LE FILM ABSTRAIT

Tandis que Johannes Baader allait réussir le coup le plus parfait de sa carrière, Picasso ve- nait de montrer comment il en userait mainte- nant avec les autres peintres depuis que, con- trairement à ce qu'il écrivait un peu plus tôt à son marchand, il avait abandonné l'idée de dé- goûter tout le monde de sa peinture. Apolli- naire, comprenant que le cubisme originel avait fait son temps, cherchait la nouvelle orienta- tion de la peinture. Il la trouva, non sans quel- que raison, dans l'œuvre de Survage qui expo- sait pour la première fois. Sa préface, en forme de calligramme, qui exaltait d'abord la nou- veauté du Rythme coloré, soulignait l'origina- lité d'une représentation de l'univers dans ce qu'il a de plus poétique et de plus moderne. Picasso sentit le danger d'un dépassement du cubisme et y pallia en entraînant tout son groupe hors de la galerie. La mort d'Apollinaire consomma l'isolement de Survage, parfois ran- gé, par ignorance et sottise, dans la catégorie des cubistes mineurs.

Survage a privilégié le rythme. Au morcelle- ment des surfaces, il opposa une perspective à

Page 19: Du cubisme à l'abstraction réalisteexcerpts.numilog.com/books/9782307065326.pdfpar Pierre de VILLEMAREST. 6. L'an 1 du système gaulliste, par Jean-André FAUCHER. 7. Louis Rossel

deux dimensions. Dans cette synthèse plastique, les lignes structurelles de l'objet ou leurs pro- longements rencontrent d'autres lignes structu- relles afin de faire surgir un rythme organisé par le peintre. Rythme coloré, dont Gaumont devait tourner un film, donne sa pleine mesure à cette interprétation inédite de la surface.

Ce premier film abstrait dont la guerre sus- pendit la réalisation visait à donner un équiva- lent pictural de l'émotion produite par la musi- que. Il permettait d'établir la progression né- cessaire au développement temporel du rythme.

En musique, la combinaison des sons pro- duit des phrases qui, arrangées selon un certain rythme, restituent le dynamisme intérieur du compositeur. Survage remplaça le son par la couleur et la phrase musicale par une suite de formes colorées. En modifiant les arrange- ments chromatiques, la faculté lui était don- née de rythmer une émotion visuelle.

Chaque couleur, par le pouvoir symbolique et dynamique qu'elle possède, détermine une action sur les sens. Cette action varie selon l'in- tensité de la couleur, sa pureté, sa forme. Dans Rythme coloré, les transformations successives dans les relations entre la forme et la couleur permettaient de faire parcourir en quelques se- condes de larges zones de la sensibilité, et cela d'autant plus que le dynamisme du rythme am- plifiait l'harmonie jusque-là contrainte à l'inté- rieur d'un inévitable statisme.

L'époque est rarement prête à recevoir les découvertes des créateurs. Méprisé dans son invention, Survage l'abandonna et quitta du mê- me coup l'émotion abstraite. On peut le regret-

Page 20: Du cubisme à l'abstraction réalisteexcerpts.numilog.com/books/9782307065326.pdfpar Pierre de VILLEMAREST. 6. L'an 1 du système gaulliste, par Jean-André FAUCHER. 7. Louis Rossel

ter. Par la diversité dans l'intention, par le nombre et la qualité des moyens plastiques mis en cause, Rythme coloré est l'un des plus ori- ginaux langages de l'époque. En donnant un équivalent visuel de la musique, Rythme coloré dotait le cinéma d'une dimension picturale, mais il allait beaucoup plus loin. Dans les diver- ses planches qui le composent, Survage fit le tour de la peinture abstraite. Inventant libre- ment des formes, créant des rythmes et ne s'assurant jamais sur aucune image préexis- tante, il établissait un répertoire non-figuratif qui préfigure étrangement l'œuvre d'un grand nombre de peintres des générations apparte- nant au dernier après-guerre. Rythme coloré le place à côté de Delaunay parmi les créateurs et les premiers maîtres de l'abstraction.

Pour un dessinateur comme Survage, passer de la figuration à l'abstraction exigeait un sa- crifice suprême. Il n'a pas voulu s'y résoudre. Comme Chirico abandonnant la métaphysique au moment où les surréalistes prenaient la re- lève, Survage ayant accompli son rôle de pein- tre abstrait renonça à l'abstraction pour orien- ter son œuvre dans une direction poétique et onirique qui en désigne la singularité. Mais surréelle, elle n'accepte jamais le stupéfiant. Survage est un solitaire ayant formé seul son langage. Il n'en fallait pas davantage pour qu'on le tienne un demi-siècle à l'écart.

Le dialogue entre la peinture et le cinéma n'était pas un fait entièrement neuf lorsque Survage l'engagea. Dès la fin du dix-neuvième siècle, des cinéastes pressentirent l'intérêt d'une rencontre. L'introduction, par Max Skla-

Page 21: Du cubisme à l'abstraction réalisteexcerpts.numilog.com/books/9782307065326.pdfpar Pierre de VILLEMAREST. 6. L'an 1 du système gaulliste, par Jean-André FAUCHER. 7. Louis Rossel

Prix: 12 F

Page 22: Du cubisme à l'abstraction réalisteexcerpts.numilog.com/books/9782307065326.pdfpar Pierre de VILLEMAREST. 6. L'an 1 du système gaulliste, par Jean-André FAUCHER. 7. Louis Rossel

Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement

sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

Cette édition numérique a été réalisée à partir d’un support physique parfois ancien conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

Elle peut donc reproduire, au-delà du texte lui-même, des éléments propres à l’exemplaire qui a servi à la numérisation.

Cette édition numérique a été fabriquée par la société FeniXX au format PDF.

La couverture reproduit celle du livre original conservé au sein des collections

de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

*

La société FeniXX diffuse cette édition numérique en vertu d’une licence confiée par la Sofia ‒ Société Française des Intérêts des Auteurs de l’Écrit ‒

dans le cadre de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012.