Du conteneur à la logistique vers la dissolution des modes de transport

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Du conteneur à la logistique vers la dissolution des modes de transport f Jacques Colin D EPUIS la fin du xvm e siècle, lorsque des préoccupa- tions industrielles prirent le pas sur l'esprit de négoce, la réflexion sur le transport a privilégié l'analyse des iiifrastructures nécessaires aux opéra- tions de transport, comme en témoigne la tradition de l'Ecole nationale des ponts et chaussées : construction de routes, de canaux, de ports, puis de voies de chemin de fer et enfin d'aéro- ports et d'autoroutes. Il s'en est fort logiquement dégagé la certi- tude d'une forte originalité du secteur des transports qui doit son essor au développement spectaculaire de réseaux de transport spécialisés et aux progrès réalisés dans les techniques de propul- sion. C'est du couplage d'un réseau particulier et d'une techni- que de propulsion qu'est née la notion de mode de transport : mode routier, mode fluvial, mode maritime, puis mode ferro- viaire et enfin mode aérien. Les opérations d'exploitation relati- ves à chaque mode sont alors appréhendées comme spécifiques, car intimement liées à deux régimes de contraintes qui, d'un mode à l'autre, ne se posent pas en des termes identiques. L'usa- ger du transport de marchandises se trouve confronté à un sys- tème d'offres fortement marquées par des « impératifs » techni- ques, qu'il doit accepter et insérer en l'état dans son dispositif industriel et commercial, révélant ainsi le caractère « structurant » du transport. Plus largement, le secteur des transports, au-delà de sa diversité et de son hétérogénéité, n'apparaît comme comparable et a fortiori comme réductible à aucun autre : sa dynamique provient avant tout de la résultante des forces internes qui le fon- dent. Or, depuis le milieu des années 70, et dans un mouvement qui s'accélère, le transport de marchandises fait l'objet d'une pro- fonde transformation sous la pression de la démarche logistique des industriels et des distributeurs. Ceux-ci veulent maîtriser et gérer au plus près la circulation physique des flux de marchandi- ses que leurs entreprises reçoivent, transforment et expédient. Ils considèrent que les opérations de transport ne sont que l'une des composantes techniques de la circulation physique qu'une « manoeuvre logistique » peut intégrer aux autres composantes, que sont les opérations de distribution, de stockage, de manuten- tion, de production, d'approvisionnement, voire même de main- tenance. Dans la mesure où chaque opération devient étroite- ment dépendante de toutes les autres, et inversement, les contraintes d'exploitation propres à tel ou tel mode de transport peuvent devenir, le cas échéant, des obstacles que l'entreprise voulant assumer une stratégie logistique d'ensemble doit impéra- tivement surmonter. Dans cet article, nous voudrions montrer en quoi le déve- loppement de la logistique chez les usagers du transport de mar- chandises, s'il met en crise une certaine conception traditionnelle du transport, peut constituer aussi pour lui une source de renou- veau. 1. LE TRANSPORT ET LE DÉVELOPPEMENT DE LA LOGISTIQUE 1.1. Le poids des infrastructures et de la technique dans l'offre modale de transport La construction des grands réseaux de transport 1 , qui a mobilisé d'énormes moyens financiers, et les innovations techni- ques réalisées dans la propulsion, qui se succèdent depuis mainte- nant près de deux siècles 2 , ont permis le développement d'une économie largement dépendante de l'offre de transport. Chaque mode de transport, en couplant un réseau spécialisé et une tech- nique de traction spécifique, a développé une offre de transport, éventuellement concurrente et/ou complémentaire d'une autre 3 , mais avant tout dominée par des contraintes d'exploitation parti- culières liées au réseau et aux engins mis en oeuvre. L'offre de transport résultait d'une technique qui s'imposait à l'usager 4 ,

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  • Du conteneur la logistique vers la dissolution des modes de transport f

    Jacques Colin

    DEPUIS la fin du xvme sicle, lorsque des proccupa-tions industrielles prirent le pas sur l'esprit de ngoce, la rflexion sur le transport a privilgi l'analyse des iiifrastructures ncessaires aux opra-

    tions de transport, comme en tmoigne la tradition de l'Ecole nationale des ponts et chausses : construction de routes, de canaux, de ports, puis de voies de chemin de fer et enfin d'aro-ports et d'autoroutes. Il s'en est fort logiquement dgag la certi-tude d'une forte originalit du secteur des transports qui doit son essor au dveloppement spectaculaire de rseaux de transport spcialiss et aux progrs raliss dans les techniques de propul-sion. C'est du couplage d'un rseau particulier et d'une techni-que de propulsion qu'est ne la notion de mode de transport : mode routier, mode fluvial, mode maritime, puis mode ferro-viaire et enfin mode arien. Les oprations d'exploitation relati-ves chaque mode sont alors apprhendes comme spcifiques, car intimement lies deux rgimes de contraintes qui, d'un mode l'autre, ne se posent pas en des termes identiques. L'usa-ger du transport de marchandises se trouve confront un sys-tme d'offres fortement marques par des impratifs techni-ques, qu'il doit accepter et insrer en l'tat dans son dispositif industriel et commercial, rvlant ainsi le caractre structurant du transport.

    Plus largement, le secteur des transports, au-del de sa diversit et de son htrognit, n'apparat comme comparable et a fortiori comme rductible aucun autre : sa dynamique provient avant tout de la rsultante des forces internes qui le fon-dent. Or , depuis le milieu des annes 70, et dans un mouvement qui s'acclre, le transport de marchandises fait l'objet d'une pro-fonde transformation sous la pression de la dmarche logistique des industriels et des distributeurs. Ceux-ci veulent matriser et grer au plus prs la circulation physique des flux de marchandi-ses que leurs entreprises reoivent, transforment et expdient. Ils

    considrent que les oprations de transport ne sont que l'une des composantes techniques de la circulation physique qu'une manuvre logistique peut intgrer aux autres composantes, que sont les oprations de distribution, de stockage, de manuten-tion, de production, d'approvisionnement, voire mme de main-tenance. Dans la mesure o chaque opration devient troite-ment dpendante de toutes les autres, et inversement, les contraintes d'exploitation propres tel ou tel mode de transport peuvent devenir, le cas chant, des obstacles que l'entreprise voulant assumer une stratgie logistique d'ensemble doit impra-tivement surmonter.

    Dans cet article, nous voudrions montrer en quoi le dve-loppement de la logistique chez les usagers du transport de mar-chandises, s'il met en crise une certaine conception traditionnelle du transport, peut constituer aussi pour lui une source de renou-veau.

    1. LE TRANSPORT ET LE DVELOPPEMENT DE LA LOGISTIQUE

    1.1. Le poids des infrastructures et de la technique dans l'offre modale de transport

    La construction des grands rseaux de transport1, qui a mobilis d'normes moyens financiers, et les innovations techni-ques ralises dans la propulsion, qui se succdent depuis mainte-nant prs de deux sicles2, ont permis le dveloppement d'une conomie largement dpendante de l'offre de transport. Chaque mode de transport, en couplant un rseau spcialis et une tech-nique de traction spcifique, a dvelopp une offre de transport, ventuellement concurrente et/ou complmentaire d'une autre3, mais avant tout domine par des contraintes d'exploitation parti-culires lies au rseau et aux engins mis en uvre. L'offre de transport rsultait d'une technique qui s'imposait l'usager4,

  • dont la seule libert tait de choisir l'offre qui lui convenait le mieux pour dployer dans l'espace ses activits industrielles et commerciales.

    Ainsi, la S N C F a longtemps propos une offre de transport extrmement simple (quelques types de wagons, deux rgimes d'acheminement) et une offre de traction aux industriels qui dis-posaient de leur propre parc de wagons : toutes deux, bien sr, taient strictement lies aux points desservis par le rseau ferr (gare, embranchements particuliers). Les transporteurs routiers offraient les capacits de transport trs limites de leurs camions, mais roulant sur un rseau routier capillaire et quasi illimit. Quant aux armateurs, ils limitaient leurs interventions au seul transport maritime, comme les bateliers limitaient la leur au transport fluvial, en se dsintressant trs largement des pr et post-acheminements terrestres.

    Cependant, certains transporteurs ont trs rapidement su utiliser successivement le mode routier et le mode ferroviaire pour raliser leurs oprations de groupage (collecte) et de dgroupage (livraison), de mme que les transitaires organisaient des trafics internationaux comprenant souvent un achemine-ment maritime. Ces transporteurs, plutt placs en position d'in-termdiaire, pratiquaient ce que nous pourrions appeler l'additi-vit des modes de transport.

    Pour le chargeur industriel, ou pour le ngociant, le rle du transport tait de lui permettre (et lui permet encore maintenant) d'acqurir une certaine matrise de l'espace. Il en attendait avant tout une aptitude transfrer les flux massifs et peu diffrencis, qui correspondaient bien au stade de l'conomie de masse que la France a connu jusque vers 1960. Mais, progressivement, la trop grande rigidit technique des diffrentes offres modales de transport s'est rvle tre un obstacle au dveloppement d'une conomie de la singularit caractrise par des flux diffus,

    fortement diffrencis et frquemment renouvels. En effet, confrontes des marchs de plus en plus fluc-

    tuants, alatoires, insaisissables et exigeants, les grandes entrepri-ses de production 5, puis de distribution, ont progressivement labor une dmarche logistique de matrise6 et de gestion de la circulation de leurs flux physiques qui s'coulent d'amont en aval, ce qui les a conduites totalement repenser le problme de leurs transports.

    1.2. Chanes logistiques et chanes de transport : la dyna-mique de la gestion de la circulation physique en temps rel

    1.2.1. Des chanes logistiques Les chanes logistiques, labores par des chargeurs indus-

    triels ou distributeurs, expditeurs ou destinataires, leur permet-tent d'organiser au moindre cot et au meilleur service rendu la continuit et la fluidit t l'coulement de leurs marchandises. L'objectif de continuit s'attache liminer les risques de ruptu-res intempestives (de stock, de production, etc.) gnratrices de surcots, quant celui de fluidit, il tend rduire la sous-utilisa-tion des capacits (de production, de transport, etc.) galement gnratrice de surcots. Les frais directs de la logistique repr-sentant de 10 15 /o du chiffre d'affaires d'une entreprise, avec de fortes disparits selon les secteurs d'activit, ce sont ces frais qui peuvent tre incorpors un cot logistique, budgt et confi une instance responsable. Mais, et peut-tre surtout, la logistique gre ou influence de 30 70 /o des actifs (capacits de production, stocks, mobilisation plus rapide des crances, etc.) : au-del de son cot direct, elle exerce un effet indirect sur les cots du pro-cessus de cUstribution-production, dont les performances vont largement dpendre de celles de sa qualit de service...

    Le conteneur grand gabarit en cours de chargement sur un wagon multifret, au port du Havre.

  • Les chanes logistiques procdent la rgulation7 d'aval (le march) en amont (l'outil de distribution-production) des flux physiques de marchandises, puis leur rglage8 et enfin leur suivi9, grce un systme et un rseau d'informations relatives la marchandise en cours de circulation. Elles intgrent ainsi les phases de distribution (de produits finis, de pices de rechange, etc.), de production (de demi-produits et d'en-cours, etc.) et d'approvisionnement (en matires premires, en fournitures, en quipements divers, etc.), dont les flux voient alors leurs rythmes tre synchroniss. Elles associent des oprations commerciales de distribution, des oprations industrielles de transformation, des oprations d'achat, des oprations de stockage et de trans-port, etc., dont les dclenchements tendent tre simultani-ss . En effet, l'optimum recherch tend obtenir en temps rel et, selon une squence logique prdtermine, le dclen-chement juste temps , ni trop tt, ni trop tard, de chacune des oprations de la chane logistique, dont les acteurs sont alors mobiliss.

    Le paradigme de la chane peut alors apparatre comme une figure cyberntique idale, irraliste, voire dangereuse, car trop parfaitement boucle pour ne pas tre perue comme cen-tralise, autoritaire et dictatoriale. Les premires organisations logistiques prsentrent effectivement ces caractres quelque peu inquitants ; par contre, les organisations logistiques contempo-raines tmoignent d'une complexit beaucoup plus grande. Si elles conservent un rle de coordination de l'ensemble des opra-tions d'un rseau, que la tl-informatique centralise leur per-met de jouer, elles poussent les acteurs de la base faire preuve d'une relle autonomie, ce qu'autorise la micro-informa-tique dcentralise, mais relie au centre , de faon qu'ils puis-sent faire preuve de souplesse et d'une vraie capacit grer en temps rel les invitables alas du terrain. Les impratifs de qua-lit de service et de matrise des cots, qui sont ceux de la logisti-que, ne peuvent que renforcer cette tendance, parfaitement illus-tre par le dveloppement acclr de chanes de transport qui, tant souvent communes plusieurs chanes logistiques, doivent disposer d'un fort degr de libert dans la dfinition de leurs choix d'exploitation.

    1.2.2. Des chanes de transport Autour d'un noyau dur constitu par des oprations de

    transport, certains transporteurs agrgent de trs nombreuses oprations connexes qui leur sont directement lies pour finale-ment construire des chanes de transport, ventuellement inter-nationales. Celles-ci, en associant de multiples oprations moda-les ou autres (manutentions ; rception des marchandises ; contrles de quantit et de qualit ; stockage ; gestion informati-se des stocks ; prlvement et fractionnement ; reconditionne-ment ; tiquetage et emballage ; traitement informatis et prpa-ration des commandes ; livraison ; prfacturation), proposent des prestations de transport enrichies, plus ou moins tendues et intgres.

    Les chanes de transport peuvent ainsi devenir l'un des maillons, toujours essentiel et souvent spectaculaire, d'une ou plusieurs chanes logistiques, qui les choisissent si elles se rvlent adquates aux objectifs des chargeurs qui les mettent en uvre. Le transport, en s'insrant trs finement dans la logistique des chargeurs dont il peut reprsenter jusqu' 40 % du cot, prsente alors la double caractristique de conserver une forte autonomie et de devenir indissociable des dispositifs logistiques qui l'ont intgr eux. En effet, pour tre en mesure d'laborer des moda-lits optimales d'exploitation communes plusieurs chanes logistiques, les prestataires de transport doivent disposer d'une grande libert d'action, mais ils deviennent simultanment les

    partenaires ncessaires des chargeurs qui veulent disposer de chanes logistiques efficientes et performantes. Le recours ces oprateurs logistiques spcialiss, que sont devenus certains transporteurs, permet aux entreprises industrielles et commer-ciales de bnficier d'conomies d'chelle importantes (le cot d'une prestation logistique varie en raison inverse du volume d'activit qu'elle traite) et de la comptence de prestataires qui se sont professionnaliss (leurs personnels trs qualifis et leurs quipements bien adapts garantissent la qualit et la stabilit e leur offre).

    Le transport, en s'insinuant au sein mme des processus de distribution-production, permet, s'il sait faire preuve d'une inal-trable efficacit (en cot, en qualit de service), de concrtiser des choix conomiques et organisationnels trs innovateurs.

    Ses expressions les plus contemporaines sont la gestion de production en flux tendus (alimentation la pice ) des ateliers de l'industrie) et la rduction corrlative du niveau des stocks (le stock zro de produits finis, de demi-produits et de matires premires) 1 0, comme le montrent les exemples suivants.

    1.2.3. Deux exemples de l'imbrication de la logistique et du transport

    La Rgie Renault a fait le choix industriel d'alimenter en flux tendus et la pice l'unit d'assemblage de Kenosha, prs de Chicago, dans le Wisconsin, dont le process de montage dure sept jours et qui appartient sa filiale amricaine AMC, plutt que de recourir la technique traditionnelle du C K D (Comple-tely Knock Down), c'est--dire la livraison d'un nombre entier de collections (une voiture complte en pices dtaches). Le client amricain, trs difficile, exige en effet d'tre livr dans les trente jours et dans la variante qu'il a choisie parmi plusieurs dizaines de milliers qui lui sont proposes (une variante, c'est--dire un modle proposant de nombreuses options).

    Il est tout fait exclu de livrer sur stocks une gamme pr-sentant autant de combinaisons ; de plus, dans la mesure o cette gamme (Alliance et Encore) est en fait drive de modles de base europens (R9 et R I 1), la Rgie dsirait en faire fabriquer les composants dans ses usines europennes de faon bnficier d'conomies d'chelle. Les diffrentes ventes d'une semaine sont clates en besoins de fabrication de pices et organes, ils font l'objet d'une commande par lots , tltransmise Billancourt qui les rpartit aussitt entre les diffrentes usines concernes (du groupe ou sous-traitantes). Celles-ci doivent acheminer trs rapidement leurs pices (le dlai de livraison France-Kenosha est de douze jours) dans des conditionnements modulaires spcifi-ques (leurs volumes sont des sous-ensembles homothtiques d'un conteneur de vingt pieds aux normes I S O 1 1 ) vers une plate-forme d'expdition de conteneurs maritimes implante Grand-Couronne. Les conteneurs sont empots et expdis par mer sur des lignes rgulires conteneurises vers les Etats-Unis, ils constituent une charge homogne, forme de toutes sortes de pices dtaches. Chacune de celles-ci, ainsi que le conteneur mre , fait l'objet d'un tiquetage par codes barres, qui per-met de suivre le parcours de chaque pice (de l'usine fournisseur Kenosha), dans la mesure o chaque tape a fait l'objet d'une lecture optique : toute dfaillance constate par la tour de contrle logistique de Billancourt dclenche une intervention de secours. Les performances obtenues par cette chane logisti-que d'alimentation la pice d'une usine de montage sont assez remarquables pour tre notes : les cots d'acheminement ont t diviss par deux par rapport la technique C K D , le cot de la non-qualit par rapport la technique C K D est tomb de 40 F 5 F pour 10 000 F de pices expdies, les crances de Renault sur A M C ont vu leur dlai de recouvrement passer de quatre semai-

  • ns dix jours, les seuls stocks de Kenosha sont ceux en cours de transfert, etc. Il n'est pas excessif d'attribuer au systme d'infor-mation logistique et la chane transport-logistique interna-tionale qui lui est couple le succs de cette organisation de la production qui permet de produire exactement le modle vendu, mme si en 1986 les ventes d'Alliance et d'Encore sont en chute libre, compte tenu de la dsaffection du march amricain pour la gamme des subcompactes . La meilleure logistique du monde n'est pas suffisante pour assurer la russite d'un produit sur le dclin...

    En concurrence avec les logistiques de distribution physi-que mises en place par la plupart des grandes entreprises de l'in-dustrie agro-alimentaire, les grandes firmes de distribution (cha-nes d'hypermarchs et de supermarchs, grandes surfaces sp-cialises, etc.) commencent organiser la logistique d'approvi-sionnement de leurs points de vente, trs souvent confie des prestataires issus du secteur des transports. En effet, dans la dis-tribution galement, la tendance est au stock zro : le seul stock disponible dans le point de vente est celui prsent la vente sur les rayons. Chaque point de vente est rattach un ou plusieurs entrepts rgionaux spcialiss par familles logisti-ques de produits, qui rceptionnent et stockent en grande quantit les livraisons des fournisseurs par units de charge compltes (trains, wagons, caisses mobiles et conteneurs, camions, etc.), puis assurent la relivraison quotidienne des points de vente par charges compltes formes de trs nombreuses rf-rences. Les distributeurs peuvent se concentrer sur leurs fonc-tions commerciales et les dvelopper, sans tre freins par les oprations logistiques qui leur sont lies, tout en rduisant les cots et en en amliorant l'indispensable qualit. L aussi s'im-pose l'informatisation de l'ensemble de la chane liant chacun des points de vente un dpt rgional, ventuellement rattach un entrept central, lui-mme livr par les fournisseurs, de faon en assurer le rglage et le suivi, compte tenu de la trs faible inertie laisse au systme (rduction des stocks).

    Nous voudrions distinguer les chanes logistiques des for-mes d'organisation industrielle dj anciennes mais qui, morpho-logiquement, peuvent lui ressembler au point que beaucoup les confondent encore... Certains secteurs ont, depuis de trs lon-gues annes, cherch intgrer leur aval, non pour en obtenir la rgulation de leur amont, mais pour assurer des dbouchs sta-bles leurs capacits de production. Celles-ci ont en effet mobi-lis d'normes investissements dont elles cherchent garantir la rentabilit. Ce sont les cas bien connus de l'industrie ptrolire ds l'entre-deux-guerres, trs fortement intgre de l'extraction la distribution, et de l'industrie sidrurgique allemande, tradi-tionnellement diversifie dans la mtallurgie. Nous voulons contraster le modle de la logistique, qui rgule d'aval en amont un systme qui produit ce qu'il a dj vendu , du modle de l'intgration industrielle, qui stabilise l'amont par le contrle de l'aval pour tre en mesure de vendre ce qu'il a dj produit .

    Un intrt nouveau apparat pour la gestion des oprations de transport, de la qualit desquelles dpend largement l'effica-cit de l'appareil productif. L'analyse du transport s'en trouve bouleverse : plus que les problmes poss par les infrastructures et les techniques de propulsion, c'est la capacit des entreprises de transport laborer, proposer et raliser les prestations complexes adquates aux multiples contraintes logistiques de leurs clients qui retient l'attention. Nous pensons qu'il s'agit l d'une volution irrversible : l'attention porte aux infrastructu-res et la propulsion est une phase de l'histoire des transports (la matrise de l'espace de distribution production), ncessaire

    l'mergence de la phase suivante, tout aussi dcisive, consacre la matrise du temps de distribution production et dont les acteurs ne sauraient se laisser enfermer dans l'exploitation de quelque mode que ce soit 1 2.

    2. LA DISSOLUTION ACCLRE DES MODES DE TRANSPORT : CRISE OU RENOUVEAU ?

    2.1. Eclatement et hirarchisation du secteur des trans-ports

    Les entreprises industrielles et commerciales, en se dotant d'une dmarche et d'une organisation logistique, modifient leur demande de transport, qui passe d'une demande de transport trs classique et le plus souvent modale, une demande beau-coup plus complexe de prestations de service logistiques dont le transport ne constitue que le noyau central. Le schma suivant dcrit le processus gnral de la pression des chargeurs qui s'exerce des degrs divers et avec des dcalages chronologiques sur l'ensemble des composantes du secteur des transports, qui s'adaptent avec plus ou moins de bonheur.

    Les entreprises de transport peuvent soit rester tradition-nelles, soit au contraire s'intgrer des chanes logistiques et construire des chanes de transport pour prendre en charge tout ou partie des oprations logistiques de leurs clients 1 3 : elles rpondent ainsi la demande des chargeurs importants et peu-vent proposer une offre qualifie aux petits chargeurs, auprs desquels elles diffusent leur technologie.

    Il semble que cette volution se soit d'abord faite sous la pression des chargeurs importants dots d'une dmarche logisti-que et d'une volont de sous-traiter leurs oprations logisti-ques, qui leur apparaissent comme relevant de la comptence des spcialistes en mesure de raliser les investissements ncessaires (en hommes, en organisation, en structures, en matriels). Une fois qualifis en logistique, ces transporteurs ont pu largir leur march en allant au-devant des chargeurs encore peu au fait de la rvolution logistique : ils deviennent alors tout la fois conseils et prestataires et se comportent comme de vritables vecteurs de la gnralisation de l'innovation logistique.

    Le secteur des transports s'est dualis et hirarchis en deux catgories d'entreprises bien distinctes mais profondment lies entre elles :

    des entreprises traditionnelles, qui se cantonnent dans l'exploitation d'une activit restreinte, la traction, que nous qua-lifions d'oprateurs modaux ;

    des entreprises modernistes, qui ont su s'affranchir de leur mode de transport originel et sont devenues des organisa-teurs gestionnaires de chanes de transport sachant mettre en uvre, au coup par coup, tel ou tel oprateur modal.

    2.1.1. Des oprateurs modaux centrs sur la traction Il s'en trouve deux fractions principales : la fraction la plus dynamique s'est, en attendant peut-

    tre de constituer des chanes, concentre sur des trafics exigeant des matriels (ou des infrastructures) trs spcialiss et coteux 1 4 : la S N C F qui exploite un outil ferroviaire en est un exemple, comparable la Socit du pipe-line sud-europen ; les transporteurs par citernes spcialiss (liquides, pulvrulents, etc.) et les transporteurs de fret volumineux (par exemple la SAVAM) en sont d'autres ; les armateurs qui investissent dans des navires ultraspcialiss (mthaniers, porteurs de charges lourdes indivisi-bles, porte-conteneurs affrts par des armateurs gestionnaires de chanes ou par des pools) sont aussi des exploitants modaux. Dans certaines circonstances, leur extrme spcialisation peut les

  • conduire largir leur rle pour, eux aussi, construire des chanes ; ainsi s'est constitue la chane du froid. La tentation pour la S N C F de devenir un prestataire, et non plus un simple transporteur, relve du mme phnomne ;

    l'autre fraction, moins dynamique, ne dispose pas de la relative autonomie que confre l'exploitation d'une technique prcise et dlimite ; elle est au contraire intgre une chane, mais maintenue dans des formes d'exploitation traditionnelles. Le meilleur exemple que l'on puisse en trouver est celui du trac-tionnariat. Ces artisans chauffeurs routiers sont leur compte et ne travaillent qu'avec un seul donneur d'ordres, lui-mme bien organis et parfaitement mme d'insrer dans une chane moderne cette manifestation apparente d'archasme que consti-tue le tractionnariat.

    2.1.2. Des organisateurs-gestionnaires de chanes de transport : vers le transport amodal f

    En voluant, le secteur des transports chappe au confine-ment dans des problmes d'exploitation modale.

    En effet, la notion de mode est de moins en moins perti-nente : un grand nombre de transporteurs font appel des tech-niques de transport qui ne sont pas les leurs l'origine (les distri-buteurs physiques 1 5, souvent issus du transport routier, embran-chent systmatiquement leurs entrepts) ; les transports combins se dveloppent (technique rail-route par semi-remor-ques kangourou ou caisses mobiles ; conteneurs). C'est dire que la prise en compte des multiples contraintes inhrentes l'or-ganisation d'une chane de transport a conduit certains opra-teurs de transport parmi les plus dynamiques intgrer de plus en plus de missions et d'oprations, et largir leur sphre d'in-tervention bien au-del de leur mode ou de leur fonction d'ori-gine, dont ils se dmarquent parfois ouvertement.

    La comptence de ces organisateurs consiste donc dans l'laboration de chanes compatibles avec les contraintes logisti-ques du ou des donneurs d'ordre et en une capacit faire inter-venir des oprateurs spcialiss, qui se voient imposer un cahier des charges contraignant et le suivi permanent de leurs interven-tions : un tel transporteur moderniste peut ainsi s'assurer de la matrise des activits qu'il a su dlguer.

    Chaque chane articule entre elles des squences qui sont conduites par des agents dont l'activit est centre sur l'accom-plissement de tches de plus en plus spcifiques et dpourvues d'autonomie fonctionnelle. Il en va ainsi de nombreux transpor-teurs routiers, fluviaux, d'une trs large fraction de l'activit de la S N C F et de certains armateurs dont la fonction est alors d'assu-rer des oprations de traction insres dans des chanes logisti-ques et/ou de transport (d'industriels, de distributeurs, de transporteurs modernistes ). Ces oprateurs modaux s'ins-rent dans les organisations modernistes qui savent rcuprer leurs capacits productives et leur attribuer une place et une fonc-tion dans leur chanes. C'est cet aspect simultanment trs nou-veau et trs traditionnel des chanes qui en rend l'analyse dlicate : certains en nient mme les dimensions innovatrices.

    Pour rendre compte de ce phnomne de hirarchisation du secteur des transports, nous proposons la notion d' amoda-lit pour exprimer la capacit qu'a l'organisateur de transport de choisir les modes de traction qui lui conviennent, cas par cas, et de s'affranchir de son mode d'origine. Nous prfrons cette notion celles de transmodalit1 6 pour indiquer que l'entre-prise amodale cherche plus s'autonomiser par rapport quel-que mode que ce soit (tre organisateur/gestionnaire de chane ne signifie pas forcment tre transporteur), qu' tre prsente dans tous les modes la fois sans tre gn par le passage d'un mode un autre.

    La mise en uvre de l'amodalit semble passer par un double mouvement, de rupture d'abord, puis de recomposition de l'organisation du secteur des transports, qui s'observe directe-ment dans la division technique, sociale et spatiale du travail. Les professions s'organisent alors selon le double critre de leur place dans la dynamique des chane (organisateur/organis) et de leur spcialisation technique (par mode de traction et, au sein de chaque mode, par spcialisation troite de l'outil). De plus, quel-ques spcialisations rgionales apparaissent ; mais surtout, on observe une tendance trs forte des organisateurs tendre leur champ d'action au domaine international, contrairement aux oprateurs modaux rests plus nationaux (sauf en maritime).

    2.2. La crise pour certains, le renouveau pour les autres Nous l'avons soulign, les mutations induites par la gn-

    ralisation de pratiques logistiques chez les usagers du transport de marchandises ne se sont pas manifestes de faon homogne au sein des diffrentes composantes modales 1 7 du secteur des transports.

    En France, le transport fluvial est rest trs largement en retrait de la dynamique logistique, particulirement les bate-liers. Ce mode n'a pas su sortir de l'eau.

    Par contre, la SNCF, comme son inopportun mot d'ordre de l't 1985 1 8 l'exprimait clairement, cherche sortir de ses rails pour surmonter le dclin de son trafic de marchandises. Elle est prsente dans presque tous les modes de transport (fer, route, maritime, arien, combin) et dans l'entreposage, mais elle n'a, jusqu' prsent, pas cherch laborer une stratgie d'int-gration de tous ses moyens. Est-ce possible ? Se poseraient alors des problmes de taille de l'entreprise et peut-tre aussi de comptences managriales. Si le groupe dispose d'ores et dj de tous les moyens matriels pour devenir une entreprise amodale, il ne lui manque que la stratgie logistique qui en dcoule et sans doute aussi les hommes pour l'laborer et la conduire. L ' esprit cheminot reste en effet fondamentalement traction-naire, et l'extraordinaire palette de moyens dont dispose le groupe ferroviaire nous semble infiniment plus relever d'une stratgie financire classique que d'une stratgie industrielle dominante logistique. Une telle stratgie serait-elle souhaitable ? Elle dsquilibrerait en tout cas le march des transports et dclencherait certainement une intervention vigoureuse de l'au-torit de tutelle... L'autonomie de la S N C F connat l une limite difficile franchir.

    Cependant, la S N C F labore une dmarche qui vise mieux coordonner ses moyens (Fercam, Ferdom, Distriplus, etc.) et mieux rpondre aux exigences logistiques de ses clients (ETNA, Cogerail, etc.), mais elle reste indfectiblement fidle au wagon, symbole du chemin de fer, et se mfie du transport combin (conteneur international aux normes ISO, conteneurs et caisses mobiles intrieurs un peu plus grands). Nous revien-drons sur ce sujet l'occasion du dveloppement consacr au conteneur.

    Les transporteurs routiers, aux structures organisation-nelles plus flexibles que la S N C F et, de par leur taille, plus sensi-bles (vulnrables ?) aux sollicitations logistiques de leurs clients, ont rapidement mis en place une gamme de prestations trs diversifies (cf. 1.2) et trs rmunratrices (cf. note 13).

    C'est sans doute dans le transport routier que la coupure entre organisateurs et organiss est la plus franche. A ct d'un petit nombre d'entreprises trs prospres qui, malgr (ou cause de ?) la crise, connaissent des taux de croissance importants 1 9 de leur chiffre d'affaires et de leurs marges bnficiaires, la grande masse des transporteurs routiers survit difficilement20, et sert souvent de volant de traction aux premires.

  • Le transport arien est rest tractionnaire pour l'es-sentiel, mais les responsables fret commencent dvelopper des messageries rapides bien adaptes aux "colis urgents (pour ali-menter des chanes de production juste temps par exemple) et/ou forte valeur (pour viter le financement d'un stock).

    Les professions intermdiaires, et parmi elles, plus les transitaires traditionnellement organisateurs d'oprations de transport complexes que les simples commissionnaires actuelle-ment en dclin, ont bien entendu su tirer avantage de la politique de sous-traitance dveloppe par la logistique des chargeurs.

    Si par dfinition, ils ne sont pas lis un mode d'origine et ont pu, par l mme, jouer fond de leur statut amodal pour tendre leurs activits, ils se sont rapidement confronts aux entreprises de transport qui dlaissent leur origine modale.

    Avec le spectaculaire dveloppement du conteneur, le transport maritime de lignes rgulires connat depuis la fin des annes 60 une transformation radicale. Nous y reviendrons.

    Le renouveau des entreprises qui s'orienteraient vers l'or-ganisation et la gestion de chanes de transport passe par la dci-sion de procder des investissements massifs, ce qui risque d'exclure de fait les PME de transport :

    Investissements matriels: Matriels de transports spcialiss par type de trafic (cais-

    ses mobiles, vhicules de tonnages divers) ou par familles de pro-duits (densit des produits, transport sous temprature dirige), de plus en plus dots de moyens de communication (radiotl-phone) et de traitement d'information (micro-ordinateurs embarqus).

    Infrastructures terminales pour traiter le fret (rseaux hirarchiss d'entrepts, de dpts rgionaux et de plates-formes d'clatement dots de puissants moyens de manutention et de stockage classiques, ou trs automatiss, voire mme robotiss) et les informations qui lui sont associes (quipements en moyens tlinformatiques et micro-informatiques pouvant aller jusqu'aux terminaux portables dont sont frquemment pourvus les manutentionnaires ou leurs chariots lvateurs, codage bar-res des colis, chanes de tri robotises, etc.).

    Il est d'ailleurs remarquable de noter que ces terminaux (ceux des transporteurs modernistes, mais aussi ceux que la logistique des distributeurs et/ou des producteurs veut exploiter en moyens propres) tendent tre implants dans des zones de fret qui regroupent en un seul site l'ensemble des partenaires lis par des chanes logistiques ou de transport. Elles sont locali-ses en un petit nombre de points du territoire et commencent s'organiser spontanment en rseaux l'chelle rgionale, natio-nale, voire mme europenne. Elles sont raccordes la route, au fer, parfois la voie d'eau, et se trouvent souvent proximit immdiate d'un port et/ou d'un aroport : ce sont des investisse-ments d'infrastructures trs importants qui, de toute vidence, rsultent d'une conception amodale du transport.

    Investissements immatriels: Ils sont directement lis aux prcdents : l'exploitation de

    moyens informatiss exige des techniques de gestion volues utilisant de nombreux logiciels et progiciels qui permettent d'obtenir une relle compatibilit entre chanes de transport et chanes logistiques : projet E T N A de gestion informatise des acheminements la SNCF, logiciels d'optimisation des tournes de livraison, logiciels de gestion des stocks, etc.

    En outre, des efforts en marketing sont ncessaires pour raliser une meilleure adquation entre l'offre du transporteur et les besoins exprims ou latents des chargeurs et pour identifier de nouveaux segments de march. En particulier, certaines entre-prises de transport ont engag, en concertation avec les char-

    geurs, une rflexion approfondie sur les familles logistiques de produits et agrgent des marchandises, apparemment htro-gnes, voire mme htroclites, mais dont les caractristiques de circulation sont identiques (cf. note 15).

    Investissements en moyens humains: Un prestataire moderniste ne peut plus se contenter d'un

    personnel d'excution peu qualifi, souvent marginalis, et d'un encadrement restreint comme cela s'observe encore dans de trs nombreuses entreprises de transport :

    La structure des emplois a chang : la part des personnels d'exploitation traditionnels dcrot au profit des employs quali-fis et des cadres, de mme, la proportion des personnels rou-lants dcrot au profit de celle des sdentaires. En 1982, dans les entreprises de transport routier de moins de dix salaris, on trouve 3,13 roulants pour un sdentaire alors que dans les entre-prises de plus de 200 salaris on ne trouve que 0,84 roulant pour un sdentaire. Bien sr, les grandes entreprises font appel des sous-traitants factionnaires (SNCF, PME de transport rou-tier, etc.) pour se concentrer sur les tches d'organisation, de ges-tion, ainsi que sur la ralisation de prestations complmentaires au transport.

    Les types de qualification voluent : le prestataire dve-loppe une fonction technico-commerciale importante pour ngocier avec des chargeurs de plus en plus exigeants, pour concevoir de nouvelles prestations et pour largir son march aux PMI ; les tches d'exploitation requirent de plus en plus de comptences en gestion, compte tenu de la diversit et de la complexit des oprations confies par la logistique des char-geurs, qui impliquent une bonne matrise de l'outil informatique ; les tches de contrle se multiplient pour s'assurer du respect des normes dictes par les chargeurs (contrle de gestion, audit), ce qui exerce un effet bnfique sur l'entreprise qui, connaissant mieux ses cots, peut se spcialiser dans les pres-tations les plus rentables.

    Les formations requises s'levant progressivement, l'en-treprise de transport, en raison des comptences attendues de son personnel, ne peut plus se contenter de cadres sortis du rang sans formation complmentaire. Elle procde donc au recrute-ment de personnels d'un niveau lev, et se dote souvent d'un instrument de formation permanente pour recycler son propre personnel.

    Le statut des personnels s'est modifi : la prcarit des emplois, frquente dans le transport (personnels de conduite, manutentionnaires), laisse place des emplois beaucoup plus sta-bles et ceci pour deux raisons :

    o la qualification plus leve est en soi un facteur de stabi-lit: le personnel est d'autant moins facile remplacer qu'il est qualifi ;

    o le fonctionnement d'une chane-transport au sein d'une chane logistique doit prsenter des caractres de fiabilit et de continuit affirms : l'affaiblissement d'un maillon met en dan-ger l'ensemble d'une chane, dont la stabilisation peut tre notamment obtenue par celle des personnels.

    Tout cela contribue faire perdre ses spcificits l'entre-prise de transport moderniste, et tout particulirement ses carac-tristiques modales.

    2.3. L'hgmonie du conteneur dans le transport mari-time et les incertitudes du transport combin

    A l'origine du conteneur se trouve sans doute le cadre , une caisse de dimensions variables, utilise comme une facilit de manutention et un emballage par la S N C F ( C N C signifiait autre-fois Compagnie nationale des cadres) et accessoirement par les transports maritimes et routiers.

  • Ce n'est qu'en 1956 que MacLean, transporteur routier l'origine, cre une liaison maritime conteneurise entre New-York et Houston, avec des conteneurs, pour remplacer la noria de camions semi-remorques qu'il exploitait sur cette relation. Ds l'origine, le conteneur maritime est un transfuge du trans-port terrestre, routier en particulier. La premire ligne conteneu-rise transadantique date de 1966 et, vingt ans plus tard, plus de quatre millions de conteneurs maritimes aux normes I S O sont en circulation travers le monde.

    Actuellement, le conteneur est tout la fois une unit de charge standardise21, une unit de manutention permettant des oprations de chargement/dchargement trs rapides (un porti-que peut traiter un conteneur toutes les deux minutes), une unit d'emballage contenant et protgeant des marchandises diverses. Mais, peut-tre et surtout, il tend tre considr par les trans-porteurs comme un module-marchandise standardis, dont il ignore de plus en plus souvent le contenu et qui lui permet d'aug-menter considrablement la productivit de ses engins de trans-port, dont les temps improductifs sont rduits au rninimum 2 2. Le transport maritime s'est trouv boulevers par la gnralisation du recours au conteneur sur toutes les lignes rgulires : en effet, compte tenu des normes investissements consacrs aux navi-res 2 3 , comme au parc de botes 2 4 , les armateurs ne peuvent plus se permettre qu'un navire en escale attende l'arrive des conteneurs qu'il doit charger. En outre, l'extrme rapidit des oprations de chargement implique que la totalit des marchan-dises 2 5 soit prte embarquer.

    Les armateurs ont donc labor des chanes de transport qui organisent la circulation des conteneurs sur leurs parcours maritimes comme sur leurs parcours terrestres et mis en place une logistique du conteneur 2 6 pour en grer et suivre la totalit des mouvements et alas. Ces chanes de transport remontent trs loin l'intrieur des terres et mettent en uvre des moyens de transport routiers, ferroviaires et fluviaux : le service rendu par l'armateur est rapidement pass du port port au porte porte, et mme maintenant peut-tre au poste poste (de fabrica-tion).

    La qualit de la chane dpend entirement de la capacit qu'a l'armateur de coordonner les mouvements maritimes, les

    plus simples et les plus massifs car desservant un petit nombre de ports, et les mouvements terrestres, beaucoup plus diffus, plus complexes, plus alatoires et susceptibles de recourir successive-ment plusieurs modes de traction. Certains armateurs en vien-nent se considrer non plus comme des entreprises lies l'ex-ploitation du seul mode maritime, mais comme des transpor-teurs amodaux 2 7 et affirment que la bataille du transport mari-time 2 8 se gagnera sur terre ! De mme, les grands ports commen-cent prendre conscience que leur rle traditionnel d'organisa-tion des chargements/dchargements de navires s'estompe au profit d'une capacit raliser une articulation optimale entre rseaux de transport terrestres et lignes maritimes (mise en place de dessertes routires, ferroviaires et fluviales, chantiers de manutention, surfaces de stockage, formation d'une communaut portuaire dynamique compose de professions plus soucieuses de ce qui pourrait les unir que de ce qui les spare, etc.).

    S'il n'est pas douteux que le conteneur contribue large-ment la transformation du transport maritime, il n'en va pas de mme pour les entreprises de transports terrestres qui restent lar-gement hostiles au transport combin rail-route . Ce dernier, qui associe un parcours ferroviaire principal et des pr et post-acheminements routiers, progresse rgulirement2 9 mais n'est port par aucune dynamique d'entreprise ; il reste soit prisonnier de la route qu'il doit mnager (Novatrans et ses chargeurs d'ori-gine routire 3 0), soit prisonnier de la tradition wagon qu'il ne doit pas trop concurrencer ( C N C 3 1 ) . Il reste en France marginal et n'est port que par sa dynamique technique. Aucune entreprise3 2

    n'a pu en faire son axe de dveloppement commercial, il ne fait l'objet d'aucune stratgie de dveloppement.

    Le cas du wagon mrite d'tre pos : la S N C F doit-elle conserver cet engin ou doit-elle miser sur le tout transport combin comme le firent les British Railways dans les annes 70, avec des rsultats catastrophiques3 3 ?

    Un wagon est amorti sur vingt ans, il faut cinq ans pour le concevoir et le construire ; s'il est construit pendant cinq annes, la dure de vie d'un type de wagon s'lve trente ans ! Dans le contexte de modification acclre du march des transports, qui pourrait tre assez audacieux pour concevoir un engin suscep-

    SCHMA La diffusion de la logistique dans le secteur des transports et auprs des petits et moyens chargeurs

    Chez certains chargeurs importants structuration logistique

    des flux de marchandises

    Formulation d'une nouvelle demande de prestations complexes

    (transport + stockage + manutention + livraisons)

    ACTION Chez certains transporteurs

    largissement de la gamme des prestations offertes pour rpondre la demande

    Hirarchisation du secteur des transports

    entre

    Petits et moyens chargeurs dont la logistique est conue

    et prise en charge par des prestataires RTROACTION

    Prestataires modernistes formant une offre de transport

    largie une offre de prestations logistiques

    Transporteurs rests traditionnels

    souvent utiliss par les prestataires

    Secteurs d'activits industriels et commerciaux Secteur des transports

  • tibie de correspondre encore une demande l'chance de trente ans ? La solution ne pourrait-elle pas passer par la dissocia-tion du wagon en deux engins distincts : une plate-forme rou-lante amortissable sur vingt ans, capable de recevoir un grand nombre de types de caisses, amortissables sur cinq ans, conues en fonction de l'volution de la demande et des caractristiques des marchandises transporter et susceptibles d'tre charges sur un camion ou sur tout autre mode de traction.

    Les problmes de verrouillage, de scurit, de gestion de deux parcs, le handicap du poids supplmentaire du systme de verrouillage ne doivent pas tre insurmontables, cela d'autant plus que les considrations de volume tendent l'emporter actuellement sur des considrations de poids : les wagons de marchandises gnrales forte valeur ajoute (le trafic dif-fus ) tendent tre remplis pleine charge plus vite en volume qu'en poids. Bien videmment, de nombreux trafics de masse ne verront pas de bouleversements fondamentaux dans les dcennies venir (crales, minerais, citernes chimiques, etc.) et auront encore besoin, et pour longtemps, de wagons spcialiss.

    Ce rejet du transport rail-route par la plupart des entre-prises de transport terrestres traduit leur rticence abandonner l'engin de transport sur lequel elles ont fond leur croissance et qui symbolise leur activit (le camion, le wagon), et cela malgr les trs fortes sollicitations dont elles sont l'objet de la part de la logistique de leurs clients chargeurs. A cet gard, on peut obser-ver que les principaux utilisateurs du rail-route sont les grands intermdiaires (auxiliaires de transport) et les grandes entreprises de transport d'origine routire 3 4 qui ont su imaginer une gamme de prestations organises en chanes de transport, compatibles avec les chanes logistiques de leurs clients et qui, sans nostalgie, dveloppent une conception rsolument amodale du transport !

    CONCLUSION Nous voudrions limiter notre conclusion deux grandes

    interrogations. Dans un environnement logistique qui, croyons-nous, pousse la dissolution des modes de transport et la gn-ralisation des technologies de l'information et de la communica-tion 3 5 pour matriser et optimiser la totalit des oprations de cir-culation physique des marchandises, comment vont voluer les mtiers du transport et que vont devenir ces grandes figures que sont le routier, le cheminot, le marin, le batelier et le pilote, tous trs profondment lis la mise en uvre de techniques modales trs spcifiques ? Comment va pouvoir s'orienter la politique des transports de l'Etat qui fondait ses interventions rgulatrices sur le principe de la coordination de modes de transport pour-vues chacun d'une forte identit ?

    Notes

    1. Rseaux routiers : l'extrme fin du xvrae sicle, les routes royales ; entre les deux guerres, les routes nationales ; dans les annes 70, les autoroutes.

    Rseau ferroviaire :pour l'essentiel, il est achev sous le second Empire, puis complt par les chemins de fer d'intrt lectoral la fin du XIX e sicle.

    Rseau fluvial: il n'a jamais t vritablement ralis, l'exception notable du rseau Freycinet.

    Quant aux infrastructures terminales (ports, aroports, centres de trans-ports terrestres plurimodaux), elles ont t reconstruites ou construites aprs la Seconde Guerre mondiale. Seules les gares ont peu volu, mis part les termi-naux de transport combin (chantiers de transbordement de conteneurs).

    2. Les rseaux de communication (tlphone, tlex, tlcopie, etc.) et de transmissions de donnes (Transpac, etc.) qui, comme l'a montr A. Chandler, jouent un rle dterminant dans la gestion des activits lies au transport, et plus largement la logistique, ne sont probablement pas encore parvenus leur matu-rit.

    3. Ds le milieu du xix e sicle, la navigation fluviale ligrienne fut limine par le chemin de fer. Si les chemins de fer ont rapidement desservi les grands ports, l'interconnexion des rseaux est pourtant loin d'tre systmatique, comme en tmoigne aujourd'hui encore la situation des grands aroports franais peu, mal ou pas desservis par le chemin de fer...

    4. N'est-il pas rvlateur que, aujourd'hui encore, la direction commer-ciale marchandises de la SNCF, d'ailleurs de cration rcente, soit trs largement investie par des ingnieurs ?

    5. En France, le fait logistique a d'abord touch les secteurs des biens de grande consommation, avant de se gnraliser l'ensemble des secteurs, en pre-nant toutefois des formes spcifiques selon les types de marchandises concer-nes. Ainsi, la logistique des industries agro-alimentaires est surtout oriente vers la distribution physique, celle de l'industrie automobile vers la gestion de pro-duction et celle de l'industrie aronautique militaire vers le soutien et la mainte-nance des appareils en service.

    6. Pour nous, la matrise exerce par une entreprise sur la circulation de ses flux physiques porte sur les rythmes, les quantits (dbits) et les caractristi-ques qualitatives des flux (modalits concrtes de circulation, type de marchandi-ses, modes de conditionnement et d'acheminement, etc.), mme si certaines op-rations d'exploitation affrentes sont dlgues des prestataires. H convient de distinguer la matrise (concept conomique) qui s'applique des activits, du contrle (concept de gestion) qui renvoie aux modalits concrtes d'exercice de la matrise et s'applique des oprations prcises.

    7. Rgulation globale des flux de distribution-production. 8. Rglage : pilotage des flux pour raliser de faon permanente l'adqua-

    tion charges/capacits. 9. Suivi permanent des flux pour tre en mesure de les rajuster en fonc-

    tion d'invitables alas. 10. Il est classique d'affirmer que l'une des spcificits du transport est

    que ce service ne peut pas se stocker et doit tre produit et consomm simultan-ment. Or, le modle de la production en flux tendus tend promouvoir l'li-mination de toute forme de stockage. Ainsi, ce que le transport a toujours tenu pour une contrainte pnalisante devient l'un des objectifs majeurs de l'ensemble de l'appareil de distribution-production. Cette convergence de fait souligne l'tonnante (et trop longtemps ignore) modernit du secteur des transports et sa compatibilit avec les autres secteurs d'activit.

    11. International Standardization Organization. 12. Il reste encore dvelopper cependant le transport spatial, qui est

    aussi un mode de transport selon notre dfinition, mais il s'agit l d'une autre aventure peine engage... (Cf. la Nasa, Ariane-Espace, etc.)

    13. Dj, certaines grandes entreprises de transport routier ralisent plus de la moiti de leur chiffre d'affaires et les deux tiers de leur marge bnficiaire dans la vente de prestations annexes au transport. Mais peut-on encore les quali-fier d'entreprises de transport routier ?

    14. De ce fait, ils prennent des risques considrables lis l'ventuelle obsolescence de leur technique.

    15. Les distributeurs physiques sont les prestataires qui, sans tre grossis-tes, assurent les livraisons terminales d'un grand nombre de points de vente par-tir de dpts rgionaux o ils grent des stocks de marchandises homognes car appartenant une mme famille logistique , c'est--dire obissant une mme logique de circulation physique :

    mmes structures de commercialisation et mmes rseaux de distribu-tion ;

    mmes contraintes techniques (de transport, de stockage, etc.) ; mmes paramtres de gestion (dlais de livraison, taille moyenne des

    commandes, etc.). 16. L'intermodal traduit l'aptitude d'une entreprise passer d'un mode

    l'autre, les utiliser successivement ou alternativement. Le transmodal reflte la prsence d'une entreprise dans plusieurs modes

    qu'elle exploite simultanment. 17. Par commodit, nous conservons ce terme consacr par l'histoire des

    transports car il permet (encore) soit de reprer l'origine modale d'une entreprise qui ne l'est peut-tre plus, soit de reprer une entreprise qui l'est encore (trop ?).

    18. L'anne noire de la SNCF, marque par trois catastrophes ferroviai-res. Le message tait : La SNCF sort de ses rails.

    19. Dans le transport routier de marchandises, sur 27 670 entreprises, on comptait, fin 1983, 74% d'entreprises de moins de six salaris qui ont ralis

  • 19,1 % des recettes et seulement 1,6 % d'entreprises de plus de cinquante salaris, mais qui ont ralis 31,1 % des recettes...

    20. La dmographie des entreprises de transport routier en France est assez stable : il ne disparat pas plus d'entreprises qu'il n'en nat. Cependant, cel-les qui naissent sont en gnral plus petites que celles qui disparaissent...

    21. Les normes ISO ont dfini deux dimensions pour les conteneurs : 20 pieds (31,8 m3 de capacit pour environ 18 tonnes de charge utile) et 40 pieds. Il en existe de nombreuses versions : classiques, frigorifiques, toit ouvrant, etc. Une modification des normes ISO pourrait prochainement intervenir (augmen-tation de la taille des conteneurs) : elle rendrait obsoltes tous les matriels actuels.

    22. Il faut deux minutes pour charger un conteneur sur un camion et moins d'une heure pour charger un train d'une vingtaine de wagons avec l'aide d'un seul portique. En une escale d'une journe, un grand navire porte-conteneurs peut tre l'objet de 1 500 mouvements (en couplant le travail de plu-sieurs portiques).

    23. Les navires porte-conteneurs sont ultraspcialiss : leurs cales sont amnages en alvoles cellulaires qui reoivent les botes (les plus grands navi-res peuvent recevoir jusqu' 4 400 botes de 20 pieds). Chaque navire dispose d'un jeu de botes gal au triple de sa capacit, compte tenu des nombreux temps de transport terrestre, de stockage et de rparation que connaissent les conteneurs.

    24. La Compagnie gnrale maritime gre plus de 65 000 conteneurs. 25.1 500 conteneurs charger reprsentent environ de 30 000

    40 000 tonnes de marchandises selon le type de conteneurs : cela explique les immenses surfaces de stockage caractristiques des terminaux conteneurs.

    26. La logistique des conteneurs (celles des contenants) qui s'attache la gestion d'un parc ne doit pas rentrer en contradiction avec la logistique des mar-chandises qu'ils contiennent (celle du contenu).

    27. Quelques-uns ont franchi le pas : ils n'ont plus de navires. Ce sont les Non Vessel Operators Common Carriers (NVOCC).

    28. Une concurrence exacerbe oppose les grands armements dont cer-tains (United States Lines, Evergreen) ont organis des lignes tour du monde . De grandes manuvres de concentration sont en cours : l't 1986 a vu un veto du gouvernement franais au regroupement CGM et Chargeurs runis, ce qui n'empche pas les conversations de se poursuivre... en y associant un troisime grand, la NCHP qui dpend de la Navale Worms.

    29. Le transport combin est pass de 5,9 milliards de tonnes kilomtri-ques en 1980 (soit 9,1 % du trafic total de la SNCF) 6,7 milliards en 1985 (soit 12,4% du trafic total de la SNCF) : il connat donc une croissance modeste (+ 13,5 %), qui dissimule le fait qu'il reprsente une fraction grandissante du tra-fic total de la SNCF ( + 3 6 % en 5 ans). Cela signifie un report de trafic du wagon vers l'engin de transport combin dans une conjoncture dpressive (diminution des trafics ferroviaires) et d'une substitution technique, qui inquite les tenants du wagon... (Statistiques DTT - septembre 1986.)

    30. Novatrans organise l'acheminement de trains chargs de caisses mobiles (conteneurs lgers lgrement plus grands que les conteneurs ISO et donc non susceptibles d'tre chargs sur un navire porte-conteneurs) et des semi-remorques.

    31. La CNC, devenue Compagnie nouvelle de conteneurs, assure la trac-tion des conteneurs maritimes ISO ainsi que de conteneurs intrieurs, les maxi-cadres, comparables aux caisses mobiles.

    32. Sauf une, mais son parc de semi-remorques et de caisses mobiles est trs faible (moins de trois cents units) et ne lui permet d'quilibrer et de rentabili-ser que de rares relations, alors que les armateurs, qui disposent de dizaines de milliers de botes, procdent des rquilibrages de parc l'chelle du monde.

    33. La mutation fut, semble-t-il, accomplie avec trop de prcipitation (trop vite, trop tt).

    34. Le modernisme de l'entreprise de transport routier peut, selon nous, se reprer son aptitude mobiliser la technique rail-route. En Allemagne fdrale, c'est encore plus net.

    35. Ce dernier phnomne, qui n'est en rien caractristique du secteur des transports, contribue le rapprocher considrablement des autres secteurs et mettre en question la trop fameuse spcificit derrire laquelle il s'est longtemps enferm pour se protger des influences extrieures...