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La lettre N° 30 Décembre 2010 Leçons inaugurales : Ismail Serageldin, Anselm Kiefer Colloque de rentrée 2010 : La mondialisation de la recherche Journées européennes du patrimoine Fête de la science du Collège de France 30

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La lettre

N° 30 D é c e m b r e 2 0 1 0

Leçons inaugurales :Ismail Serageldin, Anselm Kiefer

Colloque de rentrée 2010 :La mondialisation de la recherche

Journées européennes du patrimoine

Fête de la science

du Collège de France

30

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SOMMAIRE

� Leçons inauguralesPr Ismail Serageldin, chaire Savoirs contre pauvreté, 2010-2011 p. 4Pr Anselm Kiefer, chaire de Création artistique, 2010-2011 p. 5

� Actualité des chairesImpact de l’apprentissage de la lecture sur le cerveau, Pr Dehaene p. 6

� Centre interdisciplinaire de recherche en biologie, Pr Prochiantz p. 8� Professeurs invités

Hans Ulrich Gumbrecht p. 10Marc Tessier-Lavigne p. 11Susan S. Taylor p. 13Sir Geoffrey Lloyd p. 14Hans Helander p. 15

� Journées européennes du patrimoine 2010 p. 17� Fête de la science p. 19

Actualité

� Développement corporel et relation avec autrui p. 22Pr Alain Berthoz� Deuxième colloque annuel de l’ITMO Technologiespour la santé, Pr Patrick Couvreur p. 24� Quel est l’avenir à long terme de l’épidémie du sida ?Pr Peter Piot p. 25� Priorité cerveau, Claire Cachera p. 27� Aux abords de la clairière, Silvia D’Intino, Caterina Guenzi p. 28� Colloque de rentrée du Collège de France :La mondialisation de la recherche : compétition, coopération,restructurations, Pr Gérard Fussman p. 30

Mémoire � Fernand Braudel, toujours présentPr Jean Guilaine p. 39

Publications p. 47

Image de couverture : Le bâtiment de biologie, de chimie et de physique du Collège de France.

Hommage � Pierre HadotPr John Scheid, Pr Carlo Ossola p. 43

Colloques

Éclairage � Les professeurs du Collège de France : démographie d’une populationpluricentenaire, Pr Henri Leridon p. 33� Quelle Europe pour le XXIe siècle ?Pr Carlo Ossola p. 37

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ÉDITORIAL

3N° 30 - LA LETTRE

« Enseigner la recherche en train de se faire », telle est lamission du Collège de France. Il ne s’en acquitte passeulement en dispensant ses cours et séminaires et en lesdiffusant par le biais d’internet auprès du public le pluslarge. Le Collège de France s’attache également à laformation de jeunes chercheurs en les accueillant, pourdes séjours de recherche de durée variable (de 6 mois à3 ans), auprès de ses chaires et dans ses laboratoires.

On compte ainsi aujourd’hui près de 150 post-doctorantset doctorants répartis sur les trois sites parisiens du Collègede France. Ce nombre est appelé à croître avec l’ouverturede nouveaux laboratoires à l’horizon 2013. Certains de cesjeunes chercheurs sont recrutés sur les postes de maîtres deconférences associés ou d’ATER dont dispose le Collège deFrance, les autres sont financés de diverses manières(contrats de travail, allocations de recherche, etc.).

Les post-doctorants forment environ 1/3 du contingent.Les autres sont doctorants. Ces derniers sont inscrits dansles universités, le Collège de France ne délivrant pas dediplômes. Un certain nombre d’entre eux préparentnéanmoins une thèse sous la direction d’un professeur duCollège de France ou d’un chercheur habilité à diriger desrecherches. Près de 40 % des post-doctorants oudoctorants sont d’origine étrangère. Certains post-doctorants sont accueillis dans le cadre des conventionsde partenariat que le Collège de France a passées avec desinstitutions étrangères.

Améliorer les conditions d’accueil et de séjour de cesjeunes chercheurs, leur donner l’occasion de se rencontreret de partager leurs expériences, entretenir un réseau des« anciens », à l’image des alumni des universitésaméricaines, constituent autant de préoccupations quepartagent aujourd’hui l’administration du Collège deFrance et l’association CHADOC. Les jeunes chercheursaccueillis chaque année sont, en effet, dispersés entre leschaires, les bâtiments et les divers sites du Collège, ce quipeut se traduire par un certain isolement.

Il serait dommage que le Collège de France ne bénéficiepas de la présence de cette communauté de jeuneschercheurs, et qu’en retour ces derniers aientl’impression d’être perdus dans un établissement où ilstravaillent pendant deux ans sans participer vraiment àsa vie. Moins important chez les scientifiques, qui sontintégrés dans les communautés des laboratoires, cetisolement peut être réel pour les chercheurs associés auxchaires de sciences humaines et sociales. Pour parer àcette situation, et pour faire se rencontrer les diversescommunautés de jeunes chercheurs du Collège deFrance, a été créée en 2008 une association loi de 1901.

Officiellement enregistrée en septembre 2009, cetteassociation « CHercheurs Associés et DOCtorants duCollège de France / CHADOC » s’est donnée pourobjectif de rassembler les jeunes chercheurs autourd’activités à caractère scientifique ou d’événements festifs.Un exemple en est la Fête de la science, organisée pour ladeuxième année consécutive par les CHADOC de lachaire de Chimie de la matière condensée, dont ontrouvera le compte rendu dans la présente Lettre.

Depuis son lancement, l’association CHADOC aconnu trois présidents : Aude Bandini (rattachée à lachaire du Pr Bouveresse, 2008-09), Damien Aubriet(chaire du Pr Knoepfler, 2009-10) et, depuis ladernière rentrée, Matthieu Vernet (chaire duPr. Compagnon). Sous l’impulsion de ses présidentset grâce à l’implication des membres de son bureau,l’association s’est fait connaître et jouit aujourd’huid’une solide assise au sein du Collège de France.

Le 27 octobre dernier, à l’occasion de l’assembléegénérale de l’association CHADOC, l’administrateurdu Collège de France a offert une réception enl’honneur des post-doctorants et doctorants. Au coursde cette réception, le prix de la Fondation Hugot duCollège de France, qui récompense chaque année deuxjeunes chercheurs particulièrement prometteurs, a étéremis à MM. Luca d’Ambrosio (ATER auprès duPr Delmas-Marty) et Nicolas Roch (post-doc auprèsdu Pr Devoret).

L’association CHADOC s’efforcera de maintenir lecontact avec les post-doctorants et doctorants après leurdépart du Collège de France, pour constituer ainsiprogressivement un réseau international « d’anciens » quicontribueront au rayonnement de l’institution. �

Prs Alain Prochiantz, John Scheid, Jean-Christophe Yoccoz

de gauche à droite :Pr Alain Prochiantz, Processus morphogénétiquesPr John Scheid, Religion, institutions et société de la Rome antiquePr Jean-Christophe Yoccoz, Équations différentielles et systèmes dynamiques

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Ismail SERAGELDIN

a donné sa leçon inauguralele 18 novembre 2010.Son cours intitulé « La faim et la sécuritéalimentaire dans le monde »commençera le 5 janvier 2011.

Extrait de la leçon inaugurale :« Pourquoi ce cours, pourquoi ce sujet ? Parcequ’en occident, on s’est tellement habitué à fairebonne chère qu’on a largement oublié lesfamines. La dernière vraie famine qui ait frappél’Europe est sans doute la famine irlandaise, auXIXe siècle, qui a causé la mort d’un grandnombre de personnes et provoqué une émigra-tion massive. Mais la famine continue à frapperles gens dans d’autres parties du globe. Lafamille humaine continue à souffrir de la faimquotidiennement. Alors que l’on affronte degrands problèmes d’obésité aux États-Unis,ailleurs, c’est de la pauvreté que l’on parle. Je disque si, au XIXe siècle, des hommes ont considéréla condition de l’esclavage et se sont levés pourdire que c’était indigne et inhumain et qu’ilfallait abolir l’esclavage – ce sont les abolition-nistes –, aujourd’hui, au XXIe siècle, dans unmonde productif, connecté et riche, il est impen-sable que près d’un sixième de la famillehumaine ne puisse pas manger à sa faim.

À une époque où tant de gens jettent auxordures les surplus de leurs repas, dans d’autresparties du monde, on ne trouve pas de quoimanger. Que pouvons-nous faire ? Pour abolirla faim au XXIe siècle, il faut montrer la mêmepassion que l’on avait montrée au XIXe sièclepour abolir l’esclavage.

Dans cette leçon inaugurale, je voudrais melivrer à un tour d’horizon pour évoquer briève-ment presque tous les sujets qui seront traitésplus en détail dans chacune des leçons qui cons-titueront le cours.

J’évoquerai tour à tour les thèmes suivants :� la faim et la sécurité alimentaire,� diagnostiquer la pauvreté,� la faim et la pauvreté urbaine,� la faim et la pauvreté rurale,

� la dimension du genre,� la dimension environnementale,� le rôle de la science,� les instruments permettant de réaliser nosobjectifs : prix, taxes, subventions et commerce,� la transformation de l’agriculture mondiale.

Comment se fait-il qu’aujourd’hui, plus d’unmilliard de personnes souffrent de malnutritionchronique. La grande majorité d’entre eux setrouve en Asie et dans le Pacifique (642 million),mais leur nombre est en train de s’accroître enAfrique subsaharienne (265 millions). Parmi lesspécialistes, l’opinion dominante est quel’Afrique subsaharienne demeure beaucoup plusvulnérable que l’Asie : c’est là que le problèmeva s’accroître dans les années à venir.

En regardant la carte du monde de la faim et descarences chroniques en nourriture publiée en2010 par la FAO, l’Organisation des Nationsunies pour l’alimentation et l’agriculture, onconstate qu’elle correspond à peu de chose prèsà la carte des revenus par habitant. Ceux qui ontfaim, ce sont les pauvres : c’est aussi simple quecela, en première analyse. Or l’Afrique subsa-harienne, comme je l’ai indiqué, demeure larégion la plus vulnérable, mais c’est aussi celleoù l’on peut s’attendre à la plus grande crois-sance démographique. Dans des zones très éten-dues de cette région, on s’attend à undédoublement de la population d’ici 2050, c’est-à-dire dans une quarantaine d’années.

Il est désolant de constater que tous nos efforts,depuis la fin des années 1960, n’ont presquepas changé la situation de la faim dans lemonde. Le nombre de personnes qui ontfaim a augmenté après la flambée des prixde 2002, et se trouve aujourd’hui très au-dessus des objectifs que nous nous étionsfixés en 2000, au moment où nous noussommes engagés à réduire la pauvreté demoitié. Partant de 850 millions, nousvoulions arriver en 2015 à réduire à425 millions le nombre de personnes quiont faim : en réalité, bien loin de diminuer,le chiffre de départ a augmenté et la faimdans le monde s’est étendue. » �

Économiste enéducation et

ressourceshumaines,

directeur de laBibliothèque

d’Alexandrie.

LEÇONS INAUGURALES

La leçon inaugurale seradisponible prochainement

aux éditions Fayard.La vidéo est disponible sur

le site internet duCollège de France.

CHAIRE SAVOIRS CONTRE PAUVRETÉANNÉE ACADÉMIQUE 2010-2011

La chaire reçoit le soutien del’Agence française de développement

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Anselm KIEFER

a donné sa leçon inauguralele 2 décembre 2010.Son cours intitulé « L’art survivra à sesruines »commençera le 10 janvier 2011.

Extrait de la leçon inaugurale :« Je vous dirai qu’il n’y a pas de définition del’art. Toute tentative de définition se défait auseuil de son énoncé, au même titre que l’artmême, qui ne cesse d’osciller entre sa perte et sarenaissance. Il n’est jamais là où on l’attend,où l’on espérait le saisir. En me référant à l’évan-gile selon Saint Jean, je dirai : « là où il setrouve, nous ne pourrons jamais l’atteindre ».

Plutôt que de développer une quelconquethéorie esthétique, je vais évoquer avec vousma pratique artistique. Nous allons examinerd’autres œuvres que les miennes, d’artistesmodernes et contemporains, mais aussi depoètes, écrivains et philosophes, […] investirles champs les plus divers : la littérature, l’as-trophysique, la mystique, la théorie de l’évo-lution, l’alchimie, la biologie, etc. Car rien nepeut échapper à l’art. Je suis artiste en effet, jesuis peintre et sculpteur, et au cours de cesleçons, je vais vous parler d’œuvres d’art, detableaux et de poèmes. Je n’ai foi que dansl’art. Sans lui, je suis perdu. Seuls les poèmesont une réalité. Vous l’aurez compris, il m’estimpossible de vivre sans poème ni tableau,non seulement parce que je ne sais rien faired’autre, parce que je n’ai rien appris d’autre,mais pour des raisons quasi ontologiques :parce que je me méfie de la réalité, tout ensachant qu’à leur niveau, les œuvres d’art sontégalement illusion.

Les leçons qui vont suivre auront un caractèretrès personnel. Il n’y sera nullement questiond’argumentation scientifique, et bien souvent,je ne serai pas en mesure de citer mes sources.Certains d’entre elles me sont restées littérale-ment en tête, d’autres, en revanche, ont subi detelles transformations qu’elles ne sauraientrévéler leur origine. […] J’arrive de plus en plussouvent à la conclusion que ce qui estpersonnel, ce qui est créateur au sens le pluscourant employé au XIXe siècle, de fait n’existe

pas. Étudiant, je m’amusais des débats houleuxqui avaient lieu parfois à l’académie des Beaux-arts, et qui consistaient à dénoncer les empruntsdes uns et des autres. Mais c’est ainsi : les idéescirculent, elles sont dans l’air. Les découvertesont de tout temps eu lieu simultanément endifférents endroits du globe sans que leursauteurs ne se connaissent. Plus de 8000 scien-tifiques travaillent au CERN à Genève, etnombreux sont ceux qui planchent sur lemilliardième de seconde qui a succédé au BigBang afin d’affiner leur connaissance sur cetinstant où tout advient dans l’histoire de l’uni-vers : la matière, l’antimatière, les constantesde la nature etc. […] Mais lequel parmi cesscientifiques est le plus avancé : l’inventeur oule créateur ? Est-ce une personne, un sujet ? Oun’est-ce pas plutôt une intelligence collectivequi opère dans ce domaine ? Cependant, il fautreconnaître que l’histoire des sciences compted’illustres personnages qui ont fait individuel-lement de grandes découvertes. Galilée a faiten sorte que l’astronomie devienne une scienceà part entière, révolutionnant ainsi la sciencepar autolimitation. C’est à travers cette spécia-lisation que la science a pu entamer sa marcheen avant. Mais c’est aussi à cause de cette limi-tation que la conception du monde qui en adécoulé s’est révélée plus étroite et s’est réduite.En matière scientifique, nous le savons, lesrésultats sont provisoires, car les sciencesévoluent continuellement d’un stade à l’autre.De son côté, l’art, qui se développe, lui, sansspécialisation précise, passe également par desdegrés d’évolution, comme par exemple l’in-vention de la perspective à la Renaissance. Celane signifie pas pour autant qu’il ne soit paspossible, dans son propre processus de créa-tion artistique, de revenir à ce qui a précédé.De nos jours, de nombreux tableaux ne sont-ils pas dépourvus de perspective ? On enrencontre même qui semblent appartenir austade de développement des peintures deLascaux. Il est évident que les artistes du paléo-lithique étaient très différents de nos contem-porains. Cependant, ce que nous appelonsprogrès, au sens strict du terme, n’agit pas obli-gatoirement dans le domaine de l’art. Celasignifie que l’art est entéléchie, qu’il relève del’union parfaite entre le matériel et le spirituel,y compris dans son incarnation apparemmentla plus rudimentaire.» �

CHAIRE DE CRÉATION ARTISTIQUEANNÉE ACADÉMIQUE 2010-2011

Artiste plasticien,Praemium Imperial

Prize(Tokyo, 1999),prix de la Paixdes libraires et

éditeurs allemands(2008)

La leçon inaugurale seraprochainement disponible

aux éditions Fayard.La vidéo est disponible sur

le site internet duCollège de France.

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La revue Science a publié en ligne le11 novembre 2010 les résultats d’uneétude menée par une équipe internationalecoordonnée par Stanislas Dehaene(Collège de France, unité Inserm-CEA deNeuroimagerie cognitive, Saclay) etLaurent Cohen (Inserm, AP-HP), menéeen collaboration avec des chercheurs del’AP-HP et des universités Paris-Sud 11 etPierre et Marie Curie, et impliquant deséquipes brésiliennes, portugaises, et belges.

Les chercheurs ont obtenu pour lapremière fois des images détaillées de l’im-pact de l’apprentissage de la lecture sur lecerveau. En comparant l’activité cérébraled’adultes analphabètes avec celle depersonnes alphabétisées durant l’enfanceou à l’âge adulte ils ont démontré l’em-prise massive de la lecture, à la fois sur lesaires visuelles du cerveau et sur celles utili-sées pour le langage parlé.

L’acquisition de la lecture soulèveplusieurs questions scientifiques impor-tantes quant à son influence sur le fonc-tionnement cérébral. L’écriture est uneinvention trop récente pour avoirinfluencé l’évolution génétique humaine.Son apprentissage ne peut donc reposerque sur un « recyclage » de régions céré-brales préexistantes et dédiées à d’autresfonctions, mais suffisamment plastiquespour se réorienter vers l’identification dessignes écrits et leur mise en liaison avec lelangage parlé. C’est dans ce cadre que leschercheurs essaient de mieux comprendrel’impact de l’apprentissage de la lecturesur le cerveau.

Pour cela, ils ont mesuré, par IRM fonc-tionnelle, l’activité cérébrale d’adultesvolontaires diversement alphabétisés, dansl’ensemble du cortex, avec une résolutionde quelques millimètres, tandis qu’ils leurprésentaient toute une batterie de stimuli :phrases parlées et écrites, mots et pseudo-

mots parlés, visages, maisons, objets,damiers, etc. 63 adultes ont participé àl’étude : 10 analphabètes, 22 personnesnon-scolarisées mais alphabétisées à l’âgeadulte et 31 personnes scolarisées depuisl’enfance. La recherche a été menée enparallèle au Portugal et au Brésil, paysdans lesquels, voici quelques dizainesd’années, il était encore relativementfréquent que des enfants ne puissent pasaller à l’école uniquement en raison de leurenvironnement social (isolement relatif,milieu rural). Tous les volontaires étaientbien intégrés socialement, en bonne santé,et la plupart avaient un emploi. Les étudesont été réalisées avec des imageurs IRM à3 Tesla au centre NeuroSpin (CEA Saclay)pour les volontaires portugais et au centrede recherches en neurosciences de l’hôpitalSarah Lago Norte à Brasilia1 pour lesvolontaires brésiliens. Grâce à ces travaux,les chercheurs apportent des éléments deréponse à plusieurs questions essentielles.

Comment les aires cérébrales impliquéesdans la lecture se transforment-elles sousl’influence de l’éducation ? En comparant directement l’évolution del’activation cérébrale en fonction du scorede lecture (nul chez les analphabètes etvariable dans les autres groupes), les cher-cheurs ont montré que l’impact de l’al-phabétisation est bien plus étendu que lesétudes précédentes ne le laissaient penser.� Apprendre à lire augmente les réponsesdes aires visuelles du cortex, non seule-ment dans une région spécialisée pour laforme écrite des lettres (précédemmentidentifiée comme la « boîte aux lettres ducerveau »), mais aussi dans l’aire visuelleprimaire.� La lecture augmente également lesréponses au langage parlé dans le cortexauditif, dans une région impliquée dans lecodage des phonèmes (les plus petitséléments significatifs du langage parlé,comme « b » ou « ch »). Ce résultat pour-

PSYCHOLOGIE COGNITIVE EXPÉRIMENTALE

Pr Stanislas Dehaene

Impact de l’apprentissage de la lecture sur le cerveau

1. Les hôpitaux Sarah sont une chaîne d’hôpitaux privés sous contrat de l’état Brésilien, spécialisés dans la réhabilitation neurologique.

Référence : « How learning to read changes thecortical networks for vision andlanguage ». Stanislas Dehaene,Felipe Pegado, Lucia W. Braga,Paulo Ventura, Gilberto Nunes Filho,Antoinette Jobert, GhislaineDehaene-Lambertz, Régine Kolinsky,José Morais, and Laurent Cohen.Science, online, 2010Référence des équipes : � NeuroSpin/I2BM/DSV/CEA, Saclay,unité de Neuroimagerie cognitive(Inserm/CEA) - université Paris-Sud 11, Orsay� Collège de France, Paris� Université Pierre et Marie Curie,faculté de médecine Pitié-Salpêtrière,Paris� AP-HP, Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, département de neuro-logie, Paris

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ACTUALITÉ DES CHAIRES

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rait correspondre au fait que les analpha-bètes ne parviennent pas à réaliser des jeuxde langage tels que la délétion du premierson d’un mot (Paris / aris). � La lecture induit également une exten-sion des aires du langage et une commu-nication bidirectionnelle entre les réseauxdu langage parlé et écrit : chez un bonlecteur, voir une phrase écrite active l’en-semble des aires du langage parlé,entendre un mot parlé permet de réactiverrapidement son code orthographique dansles aires visuelles. Chez les personnes quin’ont pas appris à lire, le traitement dulangage est moins flexible et strictementlimité à la modalité auditive.

À quoi servent les aires cérébrales impli-quées dans la lecture avant qu’une personnen’apprenne à lire ? L’apprentissage de lalecture implique t-il toujours un gain defonction, ou bien l’augmentation desréponses aux mots s’accompagne-t-elle dediminutions des réponses à d’autres caté-gories de connaissances ?Chez les analphabètes, l’aire visuelle del’hémisphère gauche qui, chez les lecteurs,décode les mots écrits, répond à une fonc-tion proche : la reconnaissance visuelle desobjets et des visages. Dans cette région, aucours de l’apprentissage, la réponse auxvisages diminue légèrement à mesure quela compétence de lecture augmente, et l’ac-tivation aux visages se déplace partielle-ment dans l’hémisphère droit. Le cortexvisuel se réorganise donc, en partie, parcompétition entre l’activité nouvelle delecture et les activités plus anciennes de

reconnaissance des visages et des objets.On ne sait pas, aujourd’hui, si cettecompétition entraîne des conséquencesfonctionnelles pour la reconnaissance oula mémoire des visages.

Les modifications cérébrales liées à l’al-phabétisation peuvent-elles se produire àl’âge adulte ? Ou bien existe-t-il une« période critique » pour cet apprentissagedans la petite enfance ?

La très grande majorité des effets de l’ap-prentissage de la lecture sur le cortex sontvisibles autant chez les personnes scolari-sées dans l’enfance que chez celles qui ontsuivi des cours d’alphabétisation à l’âgeadulte. Bien entendu, ces dernières n’at-teignent que rarement les mêmes perfor-mances de lecture, mais cette différencepourrait n’être due qu’à leur moindreentraînement. À performance de lectureégale, il n’existe pratiquement pas de diffé-rence mesurable entre les activations céré-brales des personnes qui ont appris à liredans l’enfance ou à l’âge adulte. Lescircuits de la lecture restent donc plas-tiques tout au long de la vie.

Ces résultats soulignent l’impact massif del’éducation sur le cerveau humain. Ils nousrappellent également que l’immense majo-rité des expériences d’IRM cérébraleportent sur le cerveau éduqué et que l’or-ganisation cérébrale en l’absence d’éduca-tion constitue un immense territoirelargement inexploré. �

Figure : un aperçu des vastes réseauxcérébraux dont l’activité augmenteavec le score de lecture, en réponse àdes phrases écrites. Dès qu’unepersonne sait lire, la réponse auxmots écrits augmente rapidementdans diverses aires visuelles, dontl’une est spécialisée dans l’analyse dela forme des lettres (graphe de droite).De plus, l’ensemble des régions del’hémisphère gauche impliquées dansle traitement du langage parlé(médaillon) devient susceptible des’activer également en réponse aulangage écrit.Crédit : CEA

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La recherche en Biologie au Collège deFrance est distribuée entre plusieurs sites,en France et à l’étranger, distributiongéographique qui varie avec les titulairesdes chaires. Mais il y existe aussi unerecherche en biologie importante sur le siteMarcelin Berthelot, portée dans les annéesrécentes par les chaires de Médecine expé-rimentale, de Physiologie de la perceptionet de l’action et de Neuropharmacologie,et dont les titulaires respectifs sont ouétaient les professeurs Pierre Corvol, AlainBerthoz et Jacques Glowinski. S’y ajou-tent des équipes accueillies, le plus souventdes unités INSERM ou CNRS, qui mènentpour une durée limitée à quatre ou huitans des recherches indépendantes de cellesdes professeurs titulaires.

Cette organisation a permis d’attirer sur lesite Marcelin Berthelot un ensemble dechercheurs de très haut niveau. Cependant,l’ouverture de plusieurs milliers de mètrescarrés de laboratoires (bâtiment C du site)suivie de la nomination et de l’installationdu titulaire de la chaire des Processusmorphogénétiques (l’auteur de ces lignes), aconduit à modifier l’organisation de larecherche en biologie sur le site. À vrai dire,elle en a été l’occasion, tant les conditionsde la recherche ont été bouleversées aucours des dernières années, en particulierdans ce champ scientifique. De plus en plus,en effet, les travaux sont menés par depetites équipes indépendantes rassembléesen centres, départements, ou instituts– qu’importe le terme – et utilisatrices deplateaux technologiques partagés. Au pointque les financeurs, publics ou non, interna-tionaux, nationaux ou régionaux, mettentsouvent ce type d’organisation commecondition à l’octroi d’un financement.

C’est dans ce contexte que l’administra-teur du Collège de France m’a chargé demettre en place un centre de recherche surle site Marcelin Berthelot. Mais le Collègede France n’est pas une institution banaleet ce changement ne pouvait faire fi decertaines contraintes et spécificités. Enpremière ligne figurait le respect d’une

pluridisciplinarité propice à l’accueil detoute équipe dirigée par un professeur qui,une fois nommé, voudrait faire valoir sesdroits à travailler sur le site. Cela n’a pasposé de problème, car j’en suis persuadé,les instituts pluridisciplinaires sont d’unetrès grande richesse. Je préfère les lieux oùles objets sont entrés un par un à la suited’un choix esthétique à ceux dessinés parun décorateur. La biologie se définit parsa diversité et faire place à cette diversiténe pouvait que me réjouir. Bien entendu, ilfaut veiller à entretenir la vie intellectuelleet s’assurer d’un usage partagé des outils.Mais ayant vécu cette situation commedirecteur du département de biologie del’École normale supérieure, je n’étais paseffrayé par le concept.

Il est d’ailleurs souhaitable qu’au sein dece centre interdisciplinaire de rechercheen biologie (CIRB et, peut-être, dans lefutur, Centre Claude Bernard) cette diver-sité aille au-delà de la seule biologie. Noussouhaitons soit accueillir des équipes dechimistes et de physiciens, soit tisser desliens étroits avec des équipes relevant deces deux disciplines qui sont déjà sur lesite Marcelin Berthelot ou viendront s’yinstaller une fois que les laboratoiresauront été rénovés. L’interaction avec cesdisciplines est importante. Pour la chimie,elle se place dans une tradition toujoursvivante, initiée au Collège de France parles collaborations entre Claude Bernardet Charles Barreswil (de la chaire deThéophile Pelouze) ou, évidemment,Marcelin Berthelot. Pour ce qui est de laphysique, les interactions sont plusrécentes, illustrées par les physiciens de la« matière molle » école de pensée trèsactive dans notre pays et dont Pierre-Gilles de Gennes fut un des plus éminentsreprésentants. Évidemment nous n’ou-blions pas les mathématiciens et la modé-lisation. Le CIRB recrutera en fin d’année2010 une ou deux équipes relevant decette discipline.

Ce qui m’amène à la question de lagouvernance et des recrutements. Le CIRB

Pr Alain Prochiantz

CRÉATION DU CENTRE INTERDISCIPLINAIRE DE RECHERCHE

EN BIOLOGIE – CIRB

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Marcelin Berthelot, titulaire dela chaire de Chimie organiquede 1865 à 1907.

Claude Bernard, titulaire de lachaire de Médecine de 1855 à1878.

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a été initié par la fusion des équipes déjàen place, mais sera progressivementcomplété par de nouvelles équipes. Troisviennent d’être recrutées et une ou deuxautres, dans le domaine des mathéma-tiques, le seront dès cette année. Le modede recrutement est très important pours’assurer du maintien de la qualité scien-tifique. À la suite d’un appel d’offre inter-national publié dans les medias appropriés(Science, Nature,…), les candidats sontauditionnés par un conseil scientifiqueinternational auquel sont associés desreprésentants des tutelles. Tous lesmembres du CIRB peuvent assister auxprésentations mais les délibérations et leschoix sont de la seule autorité du conseilqui propose un classement. Le CIRBouvrira en janvier 2011. Toutes leséquipes, à l’exception des équipes dechaire, sont recrutées pour une période dequatre ans, renouvelable une fois. Pour cequi est de la gouvernance, elle est régie parles règles habituelles : indépendance totaledes équipes, mutualisation des moyens,décisions prospectives et budgétaires prisesen commun par le conseil du CIRB. Letout dans le respect des règles qui s’im-posent statutairement à une unité derecherche mixte entre Collège de France,CNRS et INSERM.

Pour finir la présentation de ce nouveloutil de recherche, il ne nous a paséchappé que le Collège de France n’étaitpas isolé sur la Montagne Sainte-Geneviève. C’est la raison pour laquellel’Institut de biologie de l’École normalesupérieure (IBENS) – dirigé par AntoineTriller – et le CIRB ont mutualisé leursplateaux techniques de protéomique,d’imagerie et de génomique fonctionnelle,

ces deux derniers plateaux ayant reçu lelabel IBISA. Cette première mutualisation,nous l’espérons, en annonce d’autrespuisque le CIRB et l’IBENS ont, avecquelques équipes de l’École supérieure dephysique et chimie industrielle (ESPCI),déposé une demande de Labex. Au-delà,nos relations avec l’Institut Curie sontexcellentes et j’ai ici le plaisir d’annoncerque le 4 mars 2011, nous aurons celuid’entendre au Collège de France des confé-rences données par les responsables dejeunes équipes récemment recrutées parl’École normale supérieure, l’Institut Curieet le CIRB.

Un dernier mot, important : le CIRB ouvreen janvier 2011, mais ne sera officielle-ment inauguré qu’en mai de la mêmeannée. Nous avons pris le parti de faire decette inauguration un événement scienti-fique de haute tenue, au cours duquel nousentendrons des professeurs du Collège deFrance, des membres du conseil scienti-fique international du CIRB, des repré-sentants éminents des institutions voisineset des responsables d’équipes du CIRB.Nous espérons que la présence de nom-breux collègues assurera le succès de cesjournées inaugurales des 16 et 17 mai2011 et augurera bien de celui du centreinterdisciplinaire de recherche en biologie.Je demande donc à tous de retenir cettedate et de venir nombreux fêter avec nousla naissance du CIRB. �

Pr Alain Prochiantz

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Le Centre vient d’ouvrir uneanimalerie de poissons qui permetaux équipes d¹avoir accès à unmodèle expérimental de plus enplus prisé.

Entre le Collège de France et Notre Dame de Paris, les conduits et photons de la plate-forme d¹imagerie.

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Hans Ulrich GUMBRECHTProfesseur à l’université de Stanford (États-Unis),invité par l’Assemblée des professeurs sur la proposition du Pr Michel Zinka donné en mars 2010 deux conférences intitulées :

Peut-on éviter Heidegger ?Pourquoi on n’a pas oublié Heidegger.

PROFESSEURS INVITÉS

Pendant les trois dernières décennies lesdébats sur l’oeuvre de MartinHeidegger ont été dominés – et sérieu-sement obscurcis – par le retour obsessifà deux questions qui avaient trouvé desréponses affirmatives depuis long-temps : la question de la participationactive du philosophe au mouvementnational-socialiste et la question de l’af-finité entre la pensée de Heidegger etl’idéologie du parti dont il était devenumembre en mai 1933. L’objectif desconférences données par Hans UlrichGumbrecht était de se concentrer sur lapossible valeur systématique de laphilosophie heidegerienne pour notreprésent (« Peut-on éviter Heidegger ? »)et sur les raisons historiques et institu-tionnelles de sa survivance jusqu’au-jourd’hui (« Pourquoi on n’a pas oubliéHeidegger ») tout en partant de la certi-tude – sans doute douloureuse – de sonengagement et de ses affinités intel-lectuelles avec le nazisme.

Si notre présent épistémologique estsurtout caractérisé par l’incapacité dedépasser l’éloignement progressif entrele sujet cartésien comme observateur dumonde et le monde des choses commeobjet d’observation, processus qui seheurte chaque fois au désir – réputé« naïf », mais cependant puissant – derevenir aux régimes référentiels de lavérité ; et s’il est vrai que la croissanceprobablement exponentielle de nossavoirs s’accompagne de l’accumula-tion dramatique de problèmes pratiquesessentiels qui résistent à toute solution,on s’explique bien la fascination persis-tante exercée par la pensée deHeidegger. Elle réside dans la tendanceouvertement anticartésienne – et par là

antimoderniste – de ses présupposésépistémologiques fondamentaux. Cettetendance est tout d’abord constituée parla notion du Dasein qui remplace unenotion de la subjectivité exclusivementbasée sur le cogito en y ajoutant unedimension spatiale et une proximitéprimaire aux choses du monde ; maiscette tendance antimoderniste seconfond aussi avec la notion du Sein(« Être ») qui est différente de celle du« sens » en tant qu’elle participe de ladimension de la substance ; et différenteaussi de la notion « d’objet » en tantqu’elle échange la passivité de l’objet,son inertie épistémologique contre l’ini-tiative que l’Être prend vers son « auto-dévoilement ».

Du coté historique, une des conditionscentrales de la survivance de la penséeheidegerienne a résidé dans un habitusintellectuel de réception qui, au lieu dese lier à l’obligation (peut-être impos-sible) d’une lecture d’ensemble de sonœuvre, a pris la liberté d’en isolercertains philosophèmes, de se laisserinspirer par eux, et mème de lescombiner d’une façon libre et associa-tive. C’est le style typique de la réceptionintense et extrêmement variée des écritsde Heidegger parmi un grand nombrede philosophes français depuisAlexandre Kojève en 1933, en passantpar l’assimilation particulièrementproductrive de ses textes dans lespremières œuvres de Jean-Paul Sartre,jusqu’aux livres de Jacques Derrida. Siaucune tendance cohérente ne domineles différentes lectures françaises deHeidegger, il est vrai malgré tout qu’ellesont été la raison la plus forte de la persis-tance de sa présence intellectuelle.

Finalement, une question posée parJacques Derrida, celle de savoir siHeidegger aurait pu figurer parmi lesphilosophes les plus importants duXXe siècle sans la proximité de sa penséeà l’idéologie national-socialiste, nousconduit à une solution de l’énigme queconstitue le retour obsessif à sa biogra-phie. Sans aucun doute, la notion deDasein est proche des valeurs « du sanget de la terre » (Blut und Boden) dufascisme et de la SA, de même qu’uncertain autoritarisme dans la notion de« l’Être » montre une ressemblanceavec la mentalité hiérarchique de la SS.Mais dans un moment culturel commele nôtre qui est revenu à l’habitude delire les textes des classiques d’une façonexistentielle ou même existentialiste,c’est-à-dire en établissant un rapportentre les textes et les problèmes de l’in-dividu, dans un tel moment, les destinsbiographiques – mêmes s’ils sont desdestins coupables – augmentent lafascination pour les œuvres, y comprisdes œuvres philosophiques.

Si la pensée de Heidegger est inévitablepour nous, c’est ainsi parce qu’il seraitirresponsable de se priver de sonénergie inspiratrice. Mais pour profiterde cette énergie il faut accepter de payerle prix d’une proximité qui risque denous contaminer. C’est un prix peut-être acceptable – mais il est lourd etjamais sans problèmes. En mêmetemps, ce prix, ce risque de contami-nation a en lui-même la faculté de nousmettre à distance et de nous y main-tenir. Nous pourrions donc nousexposer à la philosophie de Heideggersans courir le danger de nous yperdre. �

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Le cerveau est l’organe le pluscomplexe du corps. Il est le siège de laperception, de la cognition, et ducontrôle du mouvement ; il fait denous ceux que nous sommes. Cesfonctions multiples du cerveau sontdéterminées par la centaine demilliards de neurones qui le compo-sent, et par le réseau de connexionsentre ces neurones. Ce réseau appa-raît pendant le développementembryonnaire, quand chaqueneurone émet un prolongementmince, appelé axone, qui naviguedans le cerveau jusqu’à atteindre sescibles et établir des connexions spéci-fiques, ou synapses, avec d’autresneurones. L’axone peut se ramifier,permettant ainsi à chaque neurone deformer des synapses avec plusieurscibles (plus de cent en moyenne pourles connexions d’un neurone corticalà ses cibles corticales).

Le fonctionnement du cerveaudépend de la précision de cesconnexions et de leur intégrité. Undéfaut de constitution des circuits ducerveau pendant le développementpeut entraîner une maladieneurologique. Dans les maladiesneurodégénératives, les synapses sontperdues, les axones dégénèrent, et lescircuits sont de ce fait interrompus,ce qui peut conduire à la démence ouà des troubles moteurs, comme dansla maladie de Parkinson parexemple. À la suite d’une lésion dela moelle épinière ou d’un accidentvasculaire cérébral, les axones sontinterrompus, entraînant la paralysieet d’autres dysfonctionnements ; lesaxones doivent repousser pourrétablir leurs connexions avec lesautres neurones.

Au cours des deux dernières décen-nies, des progrès importants ont étéréalisés dans l’identification desmolécules impliquées dans ledéveloppement, la dégénérescenceet la régénération des connexionsneuronales. Les trois premièresconférences ont résumé ces progrès,avec une référence particulière à nostravaux sur ces sujets, tandis que laquatrième conférence a examiné lesperspectives de transfert de cesdécouvertes dans le domainemédical, par l’industrie pharmaceu-tique et biotechnologique, pourtraiter certaines maladies neuro-logiques.

Assemblage des neurones ducerveau : logique et mécanismes duguidage axonal

Dans l’embryon, l’élongation desaxones est guidée par des moléculeschimio-attractives et chimio-répul-sives. Dans les années 1990, quatrefamilles canoniques de protéinesimpliquées dans l’orientation desaxones en croissance ont été décou-vertes : nétrines, sémaphorines,ephrines et protéines slit. Cesmolécules sont conservées dans l’évo-lution, et peuvent être bifonction-nelles, attirant certains axones et enrepoussant d’autres. Desmorphogènes (membres des famillesHedgehog, Wnt et BMP) et desfacteurs de croissance sont égalementimpliqués. D’autres signaux deguidage axonal continuent d’êtreidentifiés (notamment des membresde la superfamille des immuno-globulines), mais toutes cesmolécules ne peuvent rendre totale-ment compte du cheminement d’un

axone depuis son origine jusqu’à sacible, ce qui indique que notreconnaissance de ces signaux estencore incomplète. Des mutations degènes codant pour des molécules deguidage axonal ont été identifiéesdans plusieurs maladies neuro-logiques familiales.

Pour parcourir de longues distances,les axones doivent traverser descibles intermédiaires. L’axone estd’abord attiré par la cible, puis,quand il l’atteint, repoussé par elle,ce qui lui permet de poursuivre sontrajet. Les mécanismes permettantl’alternance entre attraction et répul-sion des axones par une cible inter-médiaire sont encore mal compris,mais ils font l’objet de recherches trèsactives, car leur compréhensionpourrait être mise à profit pourtenter de réparer des lésionsaxonales.

Recâblage du cerveau :mécanismes de la régénérationneuronale

En cas de blessure de la moelleépinière, les axones reliant le cerveauà la moelle épinière peuvent êtrerompus, ce qui conduit à uneparalysie. Chez les vertébréssupérieurs, cette paralysie est souventdéfinitive parce que les axones neparviennent pas à se régénérer. Lesmécanismes qui empêchent larégénération des axones dans lesystème nerveux central sont encoremal compris. Les axones du systèmenerveux périphérique, quant à eux,peuvent se régénérer grâce à la réac-tivation d’un programme de crois-sance embryonnaire dans les

Marc TESSIER-LAVIGNEVice-President exécutif de la recherche et responsable scientifique de Genentech Inc. (Californie, États-Unis)invité par l’Assemblée des professeurs à l’initiative du Pr Christine Petita donné en mars-avril 2010, quatre conférences intitulées :

Développement, dégénérescence et régénération des circuits neuronaux

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neurones correspondants. Laconférence a présenté les progrèsdans l’identification des moléculesimpliquées dans ce programme, qui,s’il est activé dans les neurones dusystème nerveux central, pourraitstimuler la régénération axonale. Larégénération est également bloquéepar des facteurs inhibiteurs, présentsdans l’environnement des axoneslésés, et qui sont activement recher-chés. Ont également été discutés lesrésultats récents suggérant que lesmolécules de guidage axonal quifonctionnent durant la vie embryon-naire pourraient être réutilisées pourbloquer la régénération axonale, cequi offre des perspectives thérapeu-tiques intéressantes pour stimuler laréparation.

Auto-destruction neuronale etmaladies neurodégénératives

Pendant le développement embryon-naire, les axones sont produits enexcès, et leur nombre décroît ensuitepar un mécanisme de dégénéres-cence, dont les bases moléculairessont encore mal comprises. De précé-dentes études avaient suggéré que lesmécanismes de la dégénérescenceaxonale sont très différents de ceuxqui président à la mort des neuroneseux-mêmes. Cependant, des étudesplus récentes suggèrent l’implicationd’un module canonique de mortcellulaire impliquant Bax et descaspases effectrices, avec cependantquelques différences mineures. Lesmécanismes qui déclenchent ladégénérescence axonale, et qui sontsitués en amont de ce module, ontégalement été présentés, en mettantl’accent sur l’implication desmolécules de guidage axonal. Laconférence s’est terminée par unediscussion sur un mécanisme dedégénérescence chez l’embryon, quiimplique la protéine précurseuramyloïde, facteur causal dans lamaladie d’Alzheimer. Cette constata-tion suggère que la dégénérescencechez l’embryon et à l’âge adulte peutimpliquer des mécanismes similaires.Ces découvertes constituent autant

de pistes à explorer dans la recherchede nouveaux traitements contre lesmaladies neurodégénératives.

Révolution biologique, médecinemoléculaire, et avenir de labiotechnologie

L’explosion des connaissances ensciences biologiques au cours desdeux dernières décennies a accélérénotre compréhension des méca-nismes des maladies humaines. Cetteconnaissance est actuellementexploitée pour développer desmédicaments contre les maladiesqu’on sait encore mal traiter. Cetteconférence a décrit comment laprogression spectaculaire de nosconnaissances sur le cancer, à partirdes années 1990, a stimulé ledéveloppement de centaines demédicaments anticancéreux, qui sontactuellement en phase d’essai cli-nique. Les autres domaines de lapathologie sont en train de s’ouvrir àcette démarche, notamment l’im-munologie, les maladies infectieuses,et les maladies du métabolisme. Laneurologie est à la traîne, malgré desprogrès certains dans la compréhen-sion des maladies neurodégénéra-tives, mais la compréhension destroubles psychiatriques est encorebalbutiante. Les défis que doit releverl’industrie pour exploiter cesnouvelles connaissances ont étédiscutés. Un modèle de découvertede médicaments s’appuyant sur l’or-ganisation de la recherche scien-tifique à Genentech a été présenté. �

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Les protéines kinases représententune des plus grandes super-famillesencodées par le génome humain.Elles fonctionnent comme des inter-rupteurs moléculaires qui activentou désactivent la plupart desprocessus biologiques tels que lamémoire, la différenciation, la divi-sion cellulaire, le métabolisme et lamort cellulaire. De nombreusesmaladies, et notamment le cancer,sont liées à des déficiences deprotéines kinases spécifiques. Ainsi,les protéines kinases jouent un rôlecritique pour la survie et la régula-tion de chaque cellule. Les protéineskinases AMPc-dépendantes, omni-présentes dans toutes les cellules desmammifères, servent de prototypepour cette grande famille deprotéines signaux.

Structure et fonction de la protéinekinaseCette conférence présente l’histoirede la phosphorylation des protéineset décrit les caractéristiques essen-tielles des protéines kinases actives.Les protéines kinases AMPc-dépen-dantes (PKA) découvertes en 1968et cristallisées en 1991 servent deprototype pour comprendre lastructure, la fonction et la régula-tion de cette famille d’enzymesainsi que son évolution à partir dekinases procaryotes. Outre lesmotifs fonctionnels intégrés au seindu noyau conservé des protéineskinases, nous décrivons l’architec-ture globale de la protéine ainsi quele mécanisme complexe etdynamique qui régule la confor-mation de la kinase par phospho-rylation.

Régulation allostérique de laprotéine kinase (PKA) par l’AMPc(adénosine monophosphatecyclique)Cette conférence décrit le mécanismeallostérique fondamental de la régu-lation de la PKA par l’AMPc. L’AMPcyclique joue le rôle d’un secondmessager intracellulaire universel, quiconvertit un signal extracellulaire enune réponse biologique. Le domainede liaison de l’AMPc a également étéconservé partout en biologie et cemodule très dynamique fait office desite d’attache pour l’AMPc. Le sous-domaine de ce module définit lesdeux états allostériques qui serventde médiateur au signal de l’AMPc.Deux domaines de liaison de l’AMPcsont contenus dans les sous-unitésrégulatrices de la PKA, et ellesconstituent les récepteurs principauxde l’AMPc dans toute celluleeucaryote. En l’absence d’AMPc, lasous-unité régulatrice dimérique se lieà deux sous-unités catalytiques, cequi engendre un complexe holo-enzyme tétramérique inactif. Laliaison de l’AMPc à la sous-unitérégulatrice produit un changement deconformation majeur, qui conduit àla dissociation de la sous-unité régu-latrice et à l’activation de l’activitécatalytique. La transition entre cesdeux états définit la base allostériquedu signal de la PKA.

Assemblée d’holoenzymestétramériquesPour comprendre comment fonc-tionne une molécule, quelle qu’ellesoit, il faut connaître la totalité de sastructure et les régulations exercéessur elle par d’autres molécules. Onn’y parvient qu’au moyen d’un éven-

tail de techniques incluant non seule-ment la cristallographie par rayon X,mais aussi des méthodes de résolu-tion telles que la diffusion derayons X et de neutrons aux petitsangles, la résonance magnétiquenucléaire (RMN) les analyses parfluorescence, le mappage des surfacespar spectrométrie de masse H/D.Toutes ces approches ont été utiliséesafin de recréer pour la première foisla structure intégrale d’une holoen-zyme PKA tétramérique. Cette struc-ture est ce qui permet de commencerà prendre la véritable mesure desprocessus physiologiques hautementallosté-riques qui produisent l’inhibi-tion et l’activation des PKA.

Le signal dans le temps et dansl’espace : la limitation de la PKAaux complexes macromoléculairesde signalisation.Un mécanisme clé pour rendre spéci-fique les signaux de la PKA consiste àles limiter à des sites spécifiques dansla cellule. L’un des principaux mécan-ismes de limitation de la PKA utiliseles protéines kinases A d’ancrage(AKAP) qui lient le domaine dedimérisation des sous-unités de régu-lation de la PKA. Nous montronscomment une hélice amphipatiquedans les AKAP présente une forteaffinité avec le domaine de dimérisa-tion des sous-unités de régulation puisla relaie vers différents sites : canaux,transporteurs ou mitochondries. LaPKA ainsi liée fonctionne comme unélément d’un complexe macro-moléculaire dynamique qui sert à larégulation d’événements tels que l’ou-verture ou la fermeture de canaux,l’internalisation du transporteur ou lafission/fusion des mitochondries. �

Susan S. TAYLORProfesseur à l’université de Californie, San Diego (USA)invité par l’Assemblée des professeurs à l’initiative du Pr Marc Fontecavea donné en mai 2010, quatre leçons intitulées :

La protéine kinase AMPc-dépendante et la régulation des signauxcellulaires par phosphorylation des protéines

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La fabrique des disciplines

L’organisation de l’enseignementuniversitaire dans différents payscontribue à créer l’impression super-ficielle que notre classification desdisciplines intellectuelles est grossomodo valable partout dans lemonde. Il nous semble assez faciled’identifier des départementsuniversitaires de mathématiques, desciences naturelles, de médecine,d’histoire, de droit, et même dephilosophie et de religion, ou dumoins de théologie. Dans mon livreDisciplines in the Making récem-ment publié par Oxford UniversityPress, je mets en doute ces présup-positions, et dans cette conférenceje m’emploie à donner une idée demes tactiques et de mes résultats ence qui concerne le droit, la médecineet l’historiographie en particulier.

Mon but est d’examiner les sourcesqui nous fournissent des informa-tions sur la création d’enquêtessystématiques dans une variété desociétés différentes et à des périodesdifférentes, de poser la question desavoir pourquoi ces disciplinessavantes étaient définies et prati-quées comme elles l’étaient, d’exa-miner les arguments qui soutenaientles prétentions d’expertise en lamatière et d’analyser les effets de laprofessionnalisation des domainesde recherche qui en résultait. Monpoint de départ doit être, bien sûr,des similitudes qui servent de liai-sons avec les concepts qui nous sontfamiliers, mais j’arrive finalement àune compréhension beaucoup pluslarge de l’étendue des disciplines en

question. Chemin faisant, je tâched’identifier quelques-uns desfacteurs qui stimulent ou qui empê-chent la croissance des enquêtes etd’en tirer les conséquences pournotre propre situation contempo-raine, en particulier en ce quiconcerne les effets inhibiteurs desfrontières qui séparent les disci-plines.

Pour un réexamen des sciences dansles sociétés anciennes : Grèce,Chine, Mésopotamie

Jusqu’à une date assez récente, leshistoriens de la science se concen-traient pour la plupart sur lesaccomplissements grecs. La sciencegrecque était le fons et origo de lascience occidentale. Archimède,Ptolémée et Galien étaient les grandshéros de l’invention de la rationa-lité elle-même. Mais maintenanttout cela a bien changé grâce auxbouleversements dans l’historiogra-phie du sujet aussi bien que dans laphilosophie de la science. C’est doncpeut-être le bon moment pour enfaire un nouveau bilan, non pas uneGrande Théorie comme c’était lamode au début de l’histoire dessciences, mais un réexamen duprésent état de la question. Je meconcentre dans cette conférence surla Mésopotamie, la Chine et laGrèce pour indiquer d’abord lesnouveaux documents et les tech-niques de recherche dont nousdisposons, ensuite comment desdéveloppements dans la philosophiede la science ont changé notrecompréhension des investigationsentreprises dans ces trois civilisa-

tions. Chaque société pose cesproblèmes particuliers et je m’effor-cerai d’indiquer où les comparai-sons et les contrastes entre les troispeuvent éclairer ce qui s’est passédans chacune.

Il faut sans doute renoncer aux hypo-thèses globales sur « la » sciencegrecque ou « la » science chinoise :les objectifs et les méthodes sont tropdiversifiés pour conforter de tellesgénéralisations, et en même tempscette variété tend à réfuter l’idée queleurs sciences sont déterminées parles caractéristiques des langues utili-sées. Il nous reste pourtant la possi-bilité de suggérer quelquescorrélations, dans les deux cas, entreles institutions dans lesquelles lessavants travaillaient et les moyensqu’ils utilisaient pour persuader lepublic particulier auquel ils adres-saient leurs études. �

Sir Geoffrey LLOYDProfesseur à l’université de Cambridge (Grande-Bretagne)invité par l’Assemblée des professeurs à l’initiative du Pr Anne Chenga donné en juin 2010, deux conférences intitulées :

1. La fabrique des disciplines2. Pour un réexamen des sciences dans les sociétés anciennes :Grèce, Chine, Mésopotamie

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Pendant les XVIIe et XVIIIe siècles, lestatut du latin a été progressivementtransformé et les fonctions du latindes Romains ont changé radicale-ment. H. Helander a essayé dedécrire cette métamorphose.

Jusqu’au XVIIIe siècle, les genséduqués apprenaient presque toutce qu’ils savaient par l’intermédiairede textes écrits en latin. Cela vautpour toutes les disciplines, sciencesnaturelles comprises. Dans l’Europemoderne, les textes latins reflètentla naissance des États-nations, lesdécouvertes géographiques, lemouvement protestant, la Contre-Réforme et la révolution scienti-fique. Le latin était le véhicule detoutes les idées, croyances etopinions nouvelles produites par cesprocessus, du début de laRenaissance jusqu’à la fin duXVIIIe siècle. C’est une longuepériode d’innovations dynamiques,et le monde des savants italiens duXVe siècle est très différent ducontexte du theatrum mundibaroque au milieu du XVIIe siècle, etceux-ci sont à leur tour tout à faitdiverses du Siècle de la Raison quis’ensuivit. Outre les œuvres savanteset scientifiques, les érudits ontproduit une quantité énorme d’épo-pées et de panégyriques en latin.Cette littérature était en grandepartie circonstancielle, exaltait lesvertus des souverains dans leur luttepour la « vraie Religion », et imitaitsouvent étroitement les hommagesque Virgile, Horace et Ovide avaientrendus à Auguste.

De toutes les publications mention-nées dans la Bibliothèque raisonnéedes ouvrages des savants del’Europe 1728-1740, 31 % étaientencore en latin1. Dans beaucoup depays européens, des dissertationsuniversitaires étaient normalementrédigées en latin au moins jusqu’audébut du XIXe siècle.

Il faut tenir compte des différencesgéographiques entre les divers payset régions d’Europe, mais le modèlegénéral pour l’Europe occidentalesemble être remarquablementuniforme. Les fonctions chan-geantes du latin peuvent êtrecomprises et expliquées comme l’ex-pression du développement culturelet mental général qui reflète la tran-sition européenne entre le mondebaroque de l’orthodoxie religieuseet de l’absolutisme royal au Siècledes Lumières.

Au début du XVIIIe siècle, les condi-tions de base pour la rédaction desœuvres en latin changent. En une oudeux décennies, le monde sembleêtre devenu différent. L’esprit dudébut du Siècle des Lumières atransformé en quelques décenniesl’Europe, et les savants qui sont néset ont été élevés dans la deuxièmemoitié du XVIIe siècle ont nécessai-rement subi l’influence de ces idéesnouvelles. Dans ce nouveau mondeil n’y a tout d’un coup plus besoind’œuvres épiques et de panégyriqueslatins en l’honneur de rois guerriers.Le zèle religieux et l’obscurantismerefluent lentement mais progressi-vement. Les Muses accordent leurs

lyres pour de nouveaux airs, leshumanistes commencent à célébrerleurs souverains en langue vernacu-laire, en français ou d’autreslangues, et le changement deperspective et d’objectif témoignedes changements que les Lumièresont introduits dans la conceptioneuropéenne du monde.

Les fonctions changeantes du latinet l’utilisation du latin dans lessciences ont été fréquemment discu-tées par des savants européenséminents. C’était un sujet trèsimportant, qui possédait un intérêtimmédiat pour toute la respublicaliteraria.

La préface de la première édition(1751) de l’Encyclopédie ouDictionnaire raisonné des sciences,des arts et des métiers constituel’une des expressions les plusconnues de ces nouvelles attitudes.D’Alembert affirme qu’il est ridiculed’écrire des vers latins et despanégyriques en latin. C’est unelittérature qui appartient définitive-ment au passé. Néanmoins,continue d’Alembert, le latin méritebien d’être la langue principale dessciences. Le célèbre philosophe fran-çais fait ainsi une différence claireentre le latin littéraire et la languepratique et technique des diversesdisciplines scientifiques.

Pour résumer : la littérature latinecirconstancielle est morte au débutdu XVIIIe siècle, tandis que le latinscientifique et savant a continué àprospérer pendant la période scien-

Hans HELANDERProfesseur émérite à l’université d’Uppsala (Suède)invité par l’Assemblée des professeurs à l’initiative du Pr John Scheida donné en octobre 2010, une conférence intitulée :

Les fonctions du latin dans l’Europe moderne

1. Cette statistique est tirée de Françoise Waquet, Le Latin ou l’empire d’un signe, 1998, p. 105.

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tifique particulièrement florissantequi dominait la scène intellectuelleeuropéenne au cours du XVIIIe siècle.Et les scientifiques eux-mêmes ontété tout au long de ce siècle lesdéfenseurs enthousiastes de l’usagedu latin. Il vaut la peine de direquelques mots au sujet de certainstraits typiques de ce néo-latin scien-tifique et savant qui a prospéré bienplus longtemps que le latin littéraire.

La langue latine utilisée pendant cessiècles était sujette au changement,comme toute autre langue vivante.Le vocabulaire général était ferme-ment – et bien sûr par principe –enraciné dans le latin antique, maisil était néanmoins constammentaffecté par de petits changementssémantiques et les vicissitudes de lamode. Et, surtout, le progrès dessciences a nécessairement favoriséles néologismes afin de fournir auxdisciplines une nouvelle termino-logie et une nouvelle nomenclature.

Par conséquent, des mots nouveauxétaient constamment inventés.C’était inévitable en raison del’énorme croissance des connais-sances. Les savants qui commententces pratiques se sentent parfoisobligés de citer la phrase célèbre deCicero dans le De finibus 3,3 :Imponenda nova novis rebusnomina, qui peut être traduit ainsi,d’une manière légèrement moder-nisée : « Il faut inventer denouveaux mots pour de nouveauxconcepts ».

Un très grand nombre de nouveauxmots latins ont été ainsi forméscomme termes techniques, aumoyen de nouvelles dérivationsbasées sur des racines existantes.C’est particulièrement dans lessciences biologiques que descentaines de nouveaux adjectifscomposés ont été formés pourdécrire les propriétés des diversesespèces. Le vocabulaire latin étaitsouvent perçu comme insuffisant.En conséquence, les ressources dugrec ont été systématiquement

exploitées dans un processus créatifqui a produit des centaines determes techniques depuis laRenaissance jusqu’à nos jours.L’élément grec est si important qu’ilexige un traitement spécial.

L’étude de la prose latine savante etscientifique n’a pas attiré beaucoupde savants du néo-latin. Les lati-nistes modernes seront souventétonnés par des mots et des expres-sions qui appartiennent au latinantique mais y sont rares, ou biensemblent avoir changé de sens d’unemanière inattendue. Il est remar-quable que plusieurs mots quiappartiennent aux catégoriesmentionnées plus haut servent eneffet de mots clés dans la langue dela dissertation et dans le jargonuniversitaire. Ce sont des mots quitouchent au cœur même d’un traité,c’est-à-dire : à l’objectif de l’œuvre,aux délimitations, aux définitions,à la classification et aux subdivi-sions du matériau, à l’objectif prin-cipal de la recherche et à sesrésultats. Nous trouvons des expres-sions comme proponere sibi scopum(viser) ; ad id collimare (essayerd’obtenir ; viser) ; haec conside-randa veniunt (ces choses devraientêtre prises en compte) ; de rebushaec concernentibus (au sujet dechoses en rapport avec ce sujet) ;intuitu primae originis (en considé-rant particulièrement la premièreorigine de…) ; qua animum... quacorpus (en ce qui concerne l’âme...en ce qui concerne le corps) ; inquinque libros illam dispescit histo-riam (il divise son récit en cinqlivres).

Le latin scientifique et savanttémoigne de la croissance rapide desconnaissances à partir du XVe siècledans tous les domaines et disci-plines. De nouveaux mots ont étéemployés pour exprimer denouveaux concepts, et ces néolo-gismes ont été formés régulièrementà partir du latin – et de façon consi-dérable – à partir de racinesgrecques. Cette langue était une

langue vivante avec ses traits carac-téristiques, son propre jargon, sesexpressions et ses phrases. �

Traduction : Despina Chatzivasiliou

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Samedi 18 et dimanche 19 septembre2010, le Collège de France a ouvertses portes à l’occasion de sa premièreparticipation aux Journées euro-péennes du patrimoine. L’ouverture aupublic ne constitue pas en soi unévénement pour une institution dontles conférences, cours et séminairessont d’accès libre et gratuit afin d’as-surer la diffusion, au public le pluslarge, des savoirs qui s’y constituent.Dès lors, pourquoi ouvrir le Collègede France lors de ces journées, alorsque le public y est invité toute l’année? Pour faire partager au plus grandnombre le message de la continuitépatrimoniale et intellectuelle d’une deplus anciennes institutions d’ensei-gnement supérieur et de recherchefrançaise. Le thème retenu par leministère de la Culture et de lacommunication pour l’année 2010,« les grands hommes : quand femmeset hommes construisent l’Histoire »,constituait en effet une belle occasionde faire dialoguer le souvenir desprofesseurs et les lieux qui en conser-vent la trace. Le succès de cet événe-ment a montré l’intérêt du public pourcette première : 6 200 visiteurs ontdécouvert au cours de ce week-end lepatrimoine immobilier, architecturalet scientifique ainsi que le patrimoineimmatériel, celui des grands hommesqui font le Collège de France et celuides connaissances qu’il transmet. Le

programme des conférences proposaitaussi de découvrir les plus récentsprojets scientifiques et de diffusionnumérique des savoirs.

Les visiteurs étaient accueillis par dixportraits photographiques en noir etblanc, accrochés le long des grilles dela rue des Écoles et de la rue Saint-Jacques, représentant des hommes etdes femmes, scientifiques et littéraires,qui ont marqué la vie intellectuelle duCollège de France au cours desdernières décennies. Puis, munis dudépliant explicatif de la visite qui leuravait été remis à l’entrée, ils étaientinvités à découvrir les cours intérieuresdes bâtiments conçus par Jean-François Chalgrin et Paul Letarouilly :la cour Guillaume Budé, son portailet son décor italianisant et la cour PaulLetarouilly à l’architecture néoclas-sique. Le portique à décor allégorique,les sculptures, les statues, et les bustesdes savants et érudits des siècles précé-dents, faisaient l’objet de commen-taires détaillés disposés sur des cartelstandis que dans la cour d’honneur uneexposition de photographies montraitles activités de recherche des labora-toires, restés fermés aux visiteurs. Lavisite du grand foyer et de l’amphi-

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JOURNÉESEUROPÉENNESDU PATRIMOINE 2010

« LES GRANDS HOMMES »

Journées européennes dupatrimoine : l’architecture et

l’histoire du Collège de Franceont attiré 6 200 visiteurs

Ces journées ont permis auCollège de France de présenterle patrimoine architectural dusite Marcelin Berthelot et de

proposer au public un parcoursau cœur de son histoire

scientifique et intellectuelle.

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théâtre Marguerite de Navarrepermettait à ceux qui découvraient leCollège de France d’admirer l’archi-tecture contemporaine de ces lieuxconçus par les architectes BernardHuet et Jean-Michel Wilmotte et inau-gurés en 1998.

Pour la première fois le grand publicpouvait pénétrer dans des lieux qui luisont habituellement inaccessibles etcontempler l’architecture préservée dudéambulatoire Budé et des petits salonsvoûtés du XVIIIe siècle. Les objets prove-nant des fouilles archéologiquespréventives réalisées lors des grandstravaux de rénovation retenaient parti-culièrement l’attention. Le public voyaitse reconstituer, grâce aux vitrines et auxexplications fournies, des pans de l’his-toire de Lutèce : du vaste établissementthermal antique (les « thermes duCollège » datant de la fin du Ier siècle à

la fin du fin IIIe siècle après J.-C.) auxdifférents Collèges qui animaient lequartier latin au Moyen Âge.

La découverte de la salle d’assembléedes professeurs constituait l’aboutis-sement de la visite. En franchissant leseuil, le public était invité àcomprendre combien le lieu symbo-lise et traduit par son organisation,son mobilier et sa décoration, lagouvernance académique profondé-ment originale de l’institution.

Les grands tableaux du XIXe siècleillustrant l’histoire du Collège deFrance faisaient l’objet de noticesdestinées à montrer la continuité histo-rique du Collège de France depuis sacréation par François Ier jusqu’à sonactualité, représentée par la salle oùsiègent aujourd’hui les professeurs enassemblée. Sur la grande table étaientdisposés plusieurs volumes d’une Biblepolyglotte du XVIIe siècle issue de laréserve précieuse de la bibliothèquegénérale.

En outre, le Collège de France propo-sait deux conférences inédites dansl’amphithéâtre Marguerite deNavarre. Présentant « La rénovationarchitecturale du Collège de France »,le professeur Jacques Glowinski,administrateur honoraire du Collègede France a retracé l’histoire politiqueet architecturale de la rénovation, sonesprit de tradition et d’innovation etson adéquation avec les projets scien-tifiques et de diffusion des savoirs. Aucours de sa conférence intitulée« Pourquoi ne peut-on se passer duCollège de France au XXIe siècle ? », leprofesseur Pierre Corvol, administra-teur du Collège de France, a brossé leportrait du Collège actuel et futur :une institution qui s’empare des tech-nologies les plus novatrices pour déve-lopper ses recherches, en transmettreles résultats et atteindre un public deplus en plus vaste, international etnomade.

Ces conférences ont permis de faire lelien entre le patrimoine des bâtimentsqui enracine l’institution dans ses

traditions et celui des connaissances,qui fait appel aux plus récentes inno-vations numériques pour sa diffusion.

Ces deux journées ont beaucoupmobilisé l’institution et les personnelssollicités pour accueillir le public etorganiser les visites, fournir la docu-mentation, réaliser les supports d’in-formation, etc. Elles ont remporté unvif succès : en témoigne l’affluencenombreuse et l’attention des média,qui ont salué l’entrée du Collège deFrance dans le programme 2010 desJournées européennes du patrimoineet ont longuement fait état desannonces dans la presse écrite et dansles émissions de radio et de télévision.

L’événement a montré le grand intérêtsuscité par le Collège, qui, en dehorsdes auditeurs réguliers, demeure uneinstitution mystérieuse dont onconnaît mal le statut, les missionsspécifiques et la place originale dansl’enseignement supérieur et larecherche publique. Le nom et les bâti-ments sont familiers dans le paysage etl’histoire intellectuelle, mais la réalitéde l’institution reste encore trop peuconnue du grand public. Les Journéeseuropéennes du patrimoine consti-tuent une nouvelle opportunité pourfaire découvrir le Collège de France àun large public. �

Marylène Meston de RenDirecteur général des services

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À l’occasion de la semaine nationalede la Fête de la Science, les doctorantset post-doctorants du laboratoireChimie de la matière condensée deParis ont entrepris d’organiser unévénement intitulé, comme en 2009,« Faites de la Science au Collège deFrance ». Ils ont ainsi mis en placeplusieurs stands permettant d’illustreret d’expliquer, par le biais d’expé-riences ludiques et visuelles, différentsconcepts de physique et de chimie.

Sept classes du lycée Le Corbusierd’Aubervilliers étaient invitées les 21 et22 octobre. Les lycéens ont faitmontre d’un réel intérêt pour les expé-riences et ont apprécié la dimensioninteractive des présentations : « Faitesde la Science » était bien une invita-tion à participer, et les spectateurspouvaient mettre la main à diversesexpériences.

Les thèmes abordés allaient de laphysique fondamentale à la chimie

douce en passant par la cuisine molé-culaire, les énergies du futur et lesnanotechnologies.

Stands inspirés des cours deJacques Livage « chimie douce » et

« couleur et lumière »

ChimiluminescenceComment peut-on créer de lalumière à partir d’une réactionchimique ?Lors de la réaction entre deux molé-cules chimiques, une nouvelle molé-cule dite « excitée » est obtenue. Cettemolécule dans un état instable varetourner à son état dit « fonda-mental » en émettant une lumière quipeut être visible. Nous appelons cephénomène la chimiluminescencepuisque cette lumière provient d’uneréaction chimique. Par exemple, leluminol et l’eau oxygénée en réagis-sant ensemble créent une moléculequi, en se désexcitant, émet uneintense lumière bleue. Cette réactionpeut être accélérée en présence d’uncatalyseur comme un sel de fer. Unprincipe analogue basé sur la chimilu-minescence est aussi utilisé dans lesbracelets lumineux ou les bâtons desécurité routière qui, en se cassant,permettent le mélange de deux réac-tifs et ainsi la création de lumière.

Sol-gel coloréComment créer du verre coloré àbasse température ? Le verre est traditionnellement élaboréà partir de silice fondue au dessus de1000° C. Cependant, en s’inspirant de

la nature, des chercheurs ont déve-loppé une voie de synthèse pourproduire du verre à basse température.Cela permet non seulement deconsommer moins d’énergie mais enplus de créer toute une nouvellegamme de matériaux hybrides inor-ganiques / organiques originaux. Eneffet, la matière organique brûle à400 °C et ne résiste pas au processusstandard de fabrication du verre. Cettenouvelle voie de synthèse, appelée« sol-gel » comprend deux étapes :l’hydrolyse et la condensation. Enprésence d’eau, les précurseurs de siliceSi(OR)4 s’hydrolysent pour former desespèces Si(OH)4 réactives qui, àtravers des réactions successives depolycondensation, conduisent à laformation de gels. Les applications deces matériaux sont nombreuses, onpeut citer les verres colorés (les lasersà colorants solides), les revêtementsfonctionnels sur des vitres et pour lamicro-optique et micro-électronique,les capteurs et les bio-capteurs, etc.

Jardins minérauxComment cultiver des jardinschimiques ?C’est ce que la chimie se propose deréaliser en faisant croître, de manièreétonnante, des architectures semblablesà s’y méprendre au vivant. La poussede ces minéraux peut s’expliquer pardeux phénomènes chimiques diffé-rents : l’osmose et la chimie sol-gel.Dans ce dernier cas, l’insertion d’unesolution de cation métallique (fer,cuivre, cobalt, etc.) dans une solutionbasique de silicate de sodium va

FÊTE DE LA SCIENCE2010

« Faites de la Science »Événement organisé parGuillaume Muller etFrédéric Colbeau-Justin,laboratoire Chimie de la matièrecondensée de Paris,du 21 au 23 octobre 2010.

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entraîner localement une modificationde pH. Le silicate de sodium, trèssensible au pH, se condense autour ducation qui se retrouve bloqué dans unréseau de silice. On est ainsi capable decontrôler la croissance de structuresminérales qui ressemblent à desarbres. De plus, suivant le cationutilisé, ces plantes minérales peuventavoir des couleurs différentes : orangepour le fer, bleu pour le cuivre, etc.

Cuisine moléculaireQuand la chimie se mêle à la cuisine.� Comment créer des perles liquidesaromatisées ?L’alginate est issu d’algues brunesséchées, lavées et broyées. Il estcomposé de longs brins de polysac-charides. L’alginate de sodium possèdedes groupements chargés négative-ment (COO-). Lorsqu’on mélangedans l’eau de l’alginate et des ionscalcium Ca2+, un ion Ca2+ va relierentre eux deux brins d’alginate en s’ac-crochant aux groupements COO-. Leliquide devient alors plus épais et plusdur : formant un gel de même textureque la confiture. En mélangeant parexemple de l’alginate à du sirop dementhe et en versant de petites gouttesde ce mélange dans une solution decalcium, on obtient des perles au siropde menthe constitué d’un milieuliquide et d’une coque gélifiée.

� Comment faire des meringues àl’azote liquide ?Lorsqu’on les fouette, on introduit desbulles d’air dans l’eau des blancsd’œuf. Plus on fouette, plus les bullesd’air sont petites et plus la neige estferme. Les protéines contenues dansle blanc d’œuf se déploient par l’ac-tion du fouet et forment un film à lasurface de la bulle. Ce film stabilise lesbulles et les empêche de fusionner.Que se passe-t-il si l’on plonge la

préparation à base de blanc d’œufbattu en neige dans l’azote liquide ?La température de l’azote liquide estde -196°C, bien en dessous de latempérature ambiante. À cette tempé-rature, le blanc d’œuf gèle instantané-ment. L’extérieur des meringues encontact direct avec l’azote se rigidifieformant avec le temps une meringue àl’azote liquide.

La matière hydrophile et hydro-phobeComment modifier le caractèrehydrophile / hydrophobe d’unesurface ?� Par la texturation de surface. Lafeuille de lotus est un exemple desurface hydrophobe (qui n’aime pasl’eau). Sa surface est recouverte d’in-nombrables reliefs micrométriques quisont autant de minuscules plots : lagoutte d’eau se dépose sur le sommetdes plots sans jamais toucher lasurface interne de la feuille, commesur un tapis de fakir. Ainsi, les gouttesd’eau perlent et roulent sur la surfacesans la mouiller. Pour créer un maté-riau hydrophobe, il suffit de copiercette surface en laboratoire. Il suffit derecréer sur un matériau adéquat cetype de texture par un processus denano-impression, comme un tamponqui imite la surface de la feuille delotus.

� Par ajout de groupement chimique ensurface : il existe des groupementschimiques hydrophiles et d’autreshydrophobes. Par exemple, la surfacedu verre et du sable présentent desgroupements hydroxyles OH qui sonthydrophiles : la goutte s’étale donc. Aucontraire, à la surface des poêles Téfal,on trouve des groupements CF3 hydro-phobes : donc la goutte est sphérique etroule. Si on veut rendre le verre ou lesable plus hydrophobe, on peut donc

ajouter en surface des groupementschimiques hydrophobes, tels que desCF3. On obtient alors du sable« magique » : il ressort sec d’un bécherplein d’eau, et permet de faire sous l’eaudes sculptures en trois dimensions.

Les nanotechnologiesQuelle est l’échelle de taille desnanoparticules ? Comment lesfabriquer ? à quoi servent-elles ?Les nanoparticules sont des objetsde quelques dizaines à quelquescentaines de nanomètres (10-9 m).Contrairement à ce qu’on peut lireparfois, il ne s’agit pas de l’infini-ment petit : les atomes et lesélectrons sont beaucoup plus petitsencore.

Il existe deux grandes voies desynthèse des nanoparticules. Lapremière est l’approche descendanteappelée top-down : on broie un maté-riau massif pour obtenir des particulesde taille nanométrique. La seconde estl’approche ascendante dite bottom-up : on « colle » des petites moléculesles unes aux autres jusqu’à l’obtentiondes nanoparticules.

L’oxyde de titane, TiO2, sous formede nanoparticules est le photocataly-seur le plus utilisé aujourd’hui, c’estun semi-conducteur capable d’ab-sorber des rayonnements ultraviolets.À la surface du photocatalyseur seproduisent des réactions de dégrada-tion de molécules organiques adsor-bées. Il suffit donc d’illuminer TiO2avec de la lumière UV pour dégradertoutes sortes de molécules organiquesen CO2 et H2O. Ce principe est utilisépour dépolluer l’eau ou l’air sous l’ac-tion, soit d’une lampe UV, soit de lalumière du soleil. C’est sur ce prin-cipe que sont développées les vitresauto-nettoyantes.

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La magnétite, composée d’oxyde defer Fe3O4, peut être mélangée à unliquide organique (l’octane) et du faitde ses propriétés magnétiques, enapprochant un aimant de ce fluide, onpeut donner au ferrofluide toute unegamme de morphologies. On voitapparaître des pics caractéristiques del’influence du champ magnétiqueproduit par l’aimant. Les ferrofluidesne sont pas seulement spectaculaires :l’an dernier, une équipe a proposé deles utiliser dans la lutte contre le cancerpour mieux cibler les zones infectées.

Le magnétismeQu’est ce que le magnétisme ?Le magnétisme est une propriétéélectronique. Les électrons possèdentune charge négative et leur mouve-ment de rotation induit un faiblechamp magnétique. Lorsque lesélectrons sont animés de mouvementsstochastiques non coordonnés, cespetits champs magnétiques s’annulententre eux. Par contre, quand lesélectrons présentent un mouvementcollectif, les petits champs s’addition-nent pour donner un grand champmagnétique permanent : c’est ce quise passe dans le cas des aimants. Lesexpériences réalisées sur le standpermettent de visualiser le champmagnétique. Avec des aimants et de lalimaille de fer, il est possible de voir les« lignes de champs » qui sont issuesdu champ magnétique.

Il existe dans la nature des matériauxqui ne sont pas des aimants mais quiréagissent sous l’influence d’unaimant. Dans leur état normal, lesélectrons de ces matériaux ont desmouvements incohérents. Enrevanche, s’ils sont disposés à proxi-mité d’un champ magnétique, lesélectrons s’organisent et produisent unchamp magnétique, qui disparaît

quand on éloigne l’aimant. C’est le casdu fer, du cobalt mais aussi du dioxy-gène. Une expérience consiste à liqué-fier de l’oxygène grâce à de l’azoteliquide. Quand on approche unaimant des gouttes d’oxygène, ellessont attirées par l’aimant ! Le magné-tisme ne dépend pas de l’état de lamatière, c’est un phénomène pure-ment électronique.

Les énergies du futurQuelles sont-elles ? On cherche pour le futur des énergiesrenouvelables. De nombreuses sourcesd’énergie renouvelable sont à notredisposition : l’énergie solaire, éolienne,géothermique, l’hydraulique ainsi quel’énergie de la biomasse sont les plusimportantes.

Comment peut-on capter l’énergie, lastocker, la réutiliser ?Dans le cas de l’énergie solaire, onpeut produire de l’électricité à partird’une cellule photovoltaïque. Cettecellule est constituée de deux couchesde silicium où on a introduit du borepour la couche électroniquement posi-tive et du phosphore pour la coucheélectroniquement négative : c’est cequ’on appelle une jonction PN. Cettejonction permet de séparer les chargeset utilise l’énergie du soleil (rayonne-ment ultraviolet) pour faire circuler lescharges (électrons) passant dans uncircuit électrique.

L’électricité produite est alors soitstockée dans des batteries, soit trans-formée en un vecteur gazeux, le dihy-drogène (H2). Cette deuxième solutionde stockage est réalisée par électrolyse,un procédé qui forme du dihydrogèneet du dioxygène grâce à l’énergie élec-trique apportée par une énergie renou-velable (comme le soleil). Quandensuite on a besoin à nouveau

d’énergie électrique, on inverse leprocessus en utilisant une pile àcombustible qui libère l’énergiechimique contenue dans les gaz enénergie électrique.

Le cycle de l’énergie est alors réalisé,de sa source renouvelable à son utili-sation en passant par son stockage. �

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L’association des CHADOC (CHercheursAssociés et DOCtorants du Collège deFrance) a tenu le 27 octobre dernier sonassemblée générale annuelle, au cours delaquelle a été institué un nouveau bureau.L’association souhaite répondre aux besoinsdes jeunes chercheurs en développant unréseau social (activités conviviales, site Internetpour le réseau des anciens) et en soutenant desprojets scientifiques. Elle a institué lapossibilité d’un soutien financier et logistiquepour la tenue de séminaires, colloques ouconférences dont l’initiative serait prise par unjeune chercheur. À cette fin, l’association dispose d’un budgetde fonctionnement autonome. Elle s’efforce dedévelopper des financements extérieurs afin desoutenir ses projets et d’assurer sa pérennité.

Matthieu VernetPrésident des CHADOC

[email protected]

de gauche à droite : Cécile Galanth, Thomas Fontecave,Benjamin Le Ouay, Tamar Saison, Matthieu Vernet,Guillaume Muller, Frédéric Colbeau-Justin,Céline Redard, Katia Juhel

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Ce colloque avait pour thème « Ledéveloppement corporel et la relationavec autrui » et était organisé enhommage à Julian de Ajuriaguerra,qui occupa la chaire deNeuropsychologie du développementau Collège de France de 1975 à 1981.Ajuriaguerra fut, et reste, une figuremonumentale de la psychiatrie fran-cophone. Il réalisa une synthèse desdifférentes approches de la psychia-trie qu’il apprit avec Clérambault,Guiraud et Marchand ; de la psycha-nalyse, dont il fit personnellementl’expérience ; de la neurologie àlaquelle l’initièrent les grands neuro-logues André Thomas, et Lhermitte ;de la psychologie dont il retintsurtout les efforts de synthèse dePiéron et Wallon et l’œuvre cons-tructiviste de Piaget ; et, à la fin de sacarrière, de la biologie et des théoriesqui mettent l’accent sur les facteursgénétiques dans le développement. Ence sens, Ajuriaguerra est un authen-

tique précurseur du mouvementactuel des sciences cognitives et d’unepsychopathologie développementale« intégrative ». Il s’est efforcé derompre les barrières disciplinaires etles interprétations étriquées (ou lesquerelles d’écoles qu’elles suscitent)en étudiant le développement desfonctions mentales, perceptives etmotrices, chez l’adulte et surtout chezl’enfant.

Cette orientation est déjà perceptibledans ses premiers travaux : jeuneinterne en psychiatrie à la Salpêtrière,il fait une thèse sur la douleur. Ilsoutient déjà que la douleur est avanttout une fonction. Il recherche,derrière les bases neurales et les symp-tômes, le rôle actif de l’individu, «sujet de la maladie qu’il subit ». Ilobtient, en 1938, le prix Déjerinepour un travail sur les polynévritesexpérimentales. Puis, élève devenucollaborateur de Lhermitte, il publieavec lui un volume consacré à laPsychopathologie de la vision où sontrassemblées les connaissances sur ladégradation des fonctions visuelles,des plus élémentaires (comme lacécité corticale) jusqu’aux pluscomplexes (comme les hallucina-tions).

Professeur agrégé de neurologie etpsychiatrie en 1946, il prend alors,jusqu’en 1959, la direction, du labo-ratoire d’Anatomie pathologique duCentre neurochirurgical de l’hôpitalHenri Rousselle de Paris, où il animeun groupe de recherche et de réédu-cation en neuropsychiatrie infantile.Son travail de clinicien est accom-pagné de grandes synthèses dans laligne de son projet. Il publie avecHécaen, en 1948, un volume sur leCortex cérébral dont le sous-titre« Étude neuro-psycho-pathologique »est significatif puisqu’il devait, dansson esprit, ouvrir la voie à une disci-pline appelée « psycho-neurologie »,qui deviendra effectivement, par un

renversement des termes, la neuro-psychologie. Toujours avec Hécaen, ilpublie un autre ouvrage sur laméconnaissance et les hallucinationscorporelles. Il y tente un rapproche-ment des connaissances sur unproblème fondamental et aujourd’huiencore d’une grande actualité : leproblème de l’intégration de laperception du corps propre, appelée,suivant les auteurs et les disciplines,« image du corps », « schémapostural », « schéma corporel »,« image de soi », « somatognosie ».C’est à travers la désintégration decette perception cohérente et uniquedu soi à travers les illusions multiples,les dissociations sensori-motrices,qu’il tente d’en comprendre les basesneurales. Il constate, toutefois,l’étendue du problème qui dépasse lesstrictes données anatomo-cliniques.« II faudrait faire, dit Ajuriaguerra,la différence entre le corps perçu, lecorps connu, le corps représenté, lecorps vécu, qui ont des sens différentsaux divers moments du développe-ment ». Devenu, en 1959, directeurde la clinique universitaire depsychiatrie de Genève, Julian deAjuriaguerra y reprendra le problèmede l’intégration perceptivo-motrice etde ses désorganisations en utilisantdes techniques développées par Piagetpour l’étude du développement del’enfant pour analyser les effets de ladémence chez des sujets très âgés.Avec la vivacité du basque enthou-siaste qu’il était, il racontait volon-tiers à ses amis une expérience qui,disait-il, marqua sa pensée de façondécisive et le convainquit qu’aucunecause n’était perdue : assurant unjour la tournée du département descas les plus graves dans la clinique BelAir à Genève, il découvre un maladeprostré qui, lui dit-on, était aban-donné depuis longtemps dans uneposture figée, les médecins ayantperdu tout espoir de le traiter.Ajuriaguerra se met en colère, prescritun traitement de choc. Le lendemain,

DÉVELOPPEMENT CORPOREL ETRELATION AVEC AUTRUI

Colloque enhommage à Juliande Ajuriaguerra(1911-1993)organisé par lachaire dePhysiologie de laperception et de

l’action (Pr A. Berthoz) et l’associationCorps et Psyché (Dr F. Joly).1er et 2 Juillet 2010

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ne trouvant pas le malade, il s’en-quiert et apprend que ce dernier s’estévadé. Quelques temps après, il lerencontre faisant la queue à laboulangerie. Ce patient lui dit quel’annonce d’un traitement de chocl’avait terrorisé et qu’il avait soudainretrouvé des forces pour fuir.Ajuriaguerra avait retenu cette anec-dote parce qu’il était convaincu que ledéveloppement cognitif dépend, defaçon majeure, de facteurs affectifs etrelationnels, opinion que Wallonavait déjà défendue, qui est loin d’êtrepartagée par tous aujourd’hui, maisqui marqua une génération depsychologues de l’éducation enFrance.

Un autre problème, qui attire sonattention, est celui du tonus muscu-laire. Cette fonction physiologique,en apparence triviale, intéresse,depuis longtemps, psychiatres, neuro-logues et psychologues. Déjà avecAndré Thomas, Ajuriaguerra avaitétudié le développement des relationsentre tonus et mouvement chez lenouveau-né. Il avait montré lesrapports entre l’apparition du réper-toire des réflexes et le maintientonique des attitudes. Ces travauxsont résumés dans l’ouvrage L’Axecorporel qu’ils publient ensemble. Lestravaux de Wallon sur les relationsémotion-tonus, et ceux de Piaget surles relations entre le tonus et lapremière période dite « de l’intelli-gence sensorimotrice », ont donné àcette question une dimension cogni-tive supplémentaire qui passionneAjuriaguerra. C’est dans leurs mani-festations cliniques qu’il va étudier lesrelations entre tonus et émotion etmontrer le rôle essentiel des facteursémotifs tels que la surprise, la joie, lerire, etc., dans le déclenchement destroubles toniques paroxystiquescomme la cataplexie, l’épilepsie, lesautomatoses, etc.

L’œuvre de Ajuriaguerra relative audéveloppement de l’enfant concerned’abord les désordres psychomoteurs,tels que la débilité motrice, les trou-bles de l’écriture, etc. : « Les désor-

dres psychomoteurs dit-il, ne répon-dent pas à une lésion en foyer. Ilsoscillent entre le neurologique et lepsychiatrique, entre le vécu plus oumoins voulu et le vécu plus ou moinssubi, entre la personnalité totale plusou moins présente et la vie plus oumoins jouée ». On lui doit aussi desétudes sur la spécialisation hémisphé-rique et ses conséquences sur la laté-ralisation de l’écriture, dont ilcomprend l’origine neurologique.Avec Hécaen, il publie Les Gauchers,prévalence manuelle et dominancecérébrale. Ses travaux lui inspirentdes méthodes pédagogiques nouvellespour aider les gauchers. Les donnéesanatomo-cliniques concernant ladominance hémisphérique confir-ment la relation entre la lésion decertaines zones du cortex cérébral etles déficits observés. Ajuriaguerramontre, par exemple, la relation entrela lésion du lobe pariétal et lesyndrome asomatognosique, la lésiondu lobe temporal et l’aphasie, lalésion occipitale pour l’agnosievisuelle. De même, il constate le rôleprédominant de l’hémisphère droitpour les troubles des notions topo-graphiques. Il travaille aussi sur lesdésordres du langage chez l’enfant.Avec son équipe à Henri Rousselle età Genève, il étudie l’aphasie, lesdysphasies, la dyslexie et la dysor-thographie. Il montre, ici encore, lacomplexité de l’étiologie de ladyslexie et la combinaison probablede facteurs génétiques et épigéné-tiques qui en font un syndromeoriginal non réductible à une simplecombinaison de désorganisations.Enfin, il faut mentionner des tenta-tives de compréhension de la dégra-dation de la fonction symboliquechez les enfants psychotiques ; parexemple, il montre leur réticenceparticulière à l’égard des phénomènesaléatoires.

Ajuriaguerra a initié l’école françaisede psychomotricité, qui est apparuelors de ce colloque comme le para-digme d’un ensemble de pratiquesrééducatives et psychothérapeutiques,mais aussi comme un modèle

précieux pour toute la psychopatho-logie. Plus encore, il a proposé etincarné, à côté de ses fonctions dechercheur et de théoricien, diversesperspectives cliniques et thérapeu-tiques depuis la technique de consul-tation, des méthodes de rééducations,des techniques de relaxation ou dethérapeutique psychomotrice, avecdes choix d’indications différentielles.À l’image du maître, ses élèves seretrouvent aux frontières des disci-plines et tentent d’intégrer les dimen-sions de la personnalité et de sesdésordres dans les contraintessociales, ou familiales, du développe-ment. Grand démocrate, authenti-quement engagé dans la guerred’Espagne et dans la résistance aunazisme, esprit audacieux, sachantdéfier les bastions des disciplinesinstallées, maître généreux de sapersonne et de ses idées, Julian deAjuriaguerra a honoré l’esprit et lavocation du Collège de France, qui sedevait de lui rendre hommage.

Le colloque sera publié aux éditionsdu Papyrus par l’association Corpset Psyché sous la direction deA. Berthoz et F. Joly. �

de gauche à droite : Pr J.-P. Raynaud, M. Rodriguez,S. Wampfler, F. Giromini, Pr A. Berthoz

Thème des sessions :� L’homme Ajuriaguerra et son œuvredans l’histoire� Le psychiatre Ajuriaguerra et quelquesenjeux psychopathologiques� Ajuriaguerra : une conception complexedu développement précoce� Ajuriaguerra et l’école francophone depsychomotricité� Développement actuels : l’héritaged’Ajuriaguerra

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Le 25 juin dernier, la chaired’Innovation technologique LilianeBettencourt et l’Institut thématiquemulti organismes Technologies pourla santé organisaient conjointement,au Collège de France, un colloquedestiné à faire le point sur les avancéesles plus récentes (conception denouveaux médicaments, améliorationdes techniques d’imagerie, suppléancefonctionnelle, etc.) dans le domaine dela nanomédecine. L’objectif de larencontre était aussi d’identifier lesverrous qui limitent encore l’applica-tion des nanotechnologies au domainemédical. Comme l’a rappelé PatrickCouvreur dans son exposé introductif,la nanomédecine offre en effet denouvelles perspectives thérapeutiques,scientifiques et technologiques, maistous les aspects de cette nouvelle disci-pline ne sont pas encore maîtrisés.

La session du matin a été consacrée à laconception de nanomédicaments(molécules biologiquement activesvectorisées vers les cellules ou tissuscibles à l’aide de systèmes nanoparti-culaires), principalement dans ledomaine du cancer. La résistance autraitement par les anticancéreux est, eneffet, un problème majeur qui réduitles chances de succès de nombreuseschimiothérapies. Bien que les méca-nismes de résistance soient multiples, ila été démontré (C. Dubernet, universitéParis-Sud) que les nanotechnologiespermettaient, dans plusieurs cas, decontourner ces mécanismes et derestaurer la sensibilité des cellulescancéreuses à la chimiothérapie.C. Malvy (université Paris-Sud et IGR)a montré l’intérêt de la vectorisationd’oligonucléotides et de siRNA orientés

contre des oncogènes de jonction (prin-cipalement le sarcome d’Ewing et lecarcinome papillaire de la thyroïde).Les nanovecteurs permettent, en effet,de protéger ces courts fragmentsd’acides nucléiques de la dégradationpar les 3’ exonucléases et de favoriserleur pénétration intracellulaire.

Les aspects toxicologiques ont égale-ment été abordés par M. Moghimi(université de Copenhague). En effet,l’administration intraveineuse decolloïdes thérapeutiques a induitl’émergence de pseudo-allergies chezcertains patients. Ces effets secon-daires sont le plus souvent béninsmais, dans certains cas, ils ont donnélieu à des événements cardiopulmo-naires sévères. Ces réactions qui neproduisent pas d’augmentation desIgE sériques sont attribuées à l’activa-tion du complément et à la produc-tion de cytokines pro-inflammatoires.Les mécanismes d’activation ducomplément ont été abordés dans ledétail (voie classique et voie alterne,notamment). Clinicien et chercheur al’hôpital d’Hadassa (Israël),A. Gabizon a montré comment un purconcept de laboratoire (des liposomesde doxorubicine recouverts de poly-éthylèneglycol) pouvait aboutir à ladécouverte d’un nanomédicamentanticancéreux (le DoxilR). Les aspects

de la recherche clinique qui a permis lamise sur le marché de ce médicamentont été discutés dans le détail.

La seconde partie de ce symposium aabordé d’autres domaines de la nano-médecine comme la suppléance fonc-tionnelle, la biologie à grande échelleou l’utilisation de nano-objets pourl’imagerie médicale.

Une première présentation de SergePicaud (UPMC, Institut de la vision) etde Philippe Bergonzo (CEA) a portésur la mise au point d’implants réti-niens capables de transmettre au nerfoptique les informations visuellesrecueillies par une caméra embarquée.L’originalité du travail présenté est dedévelopper un implant souple, micro-ou nano-structuré, constitué par unréseau de microélectrodes en diamant(microelectrode array) déposé sur unfilm de polyimide. Par rapport auxmicroélectrodes métalliques, le recoursau diamant a l’avantage d’offrir unemeilleure biocompatibilité et unemeilleure « durabilité ». Ce travail, quidevrait déboucher sur des applicationcliniques, permet d’envisager, à moyenterme, de redonner une « vuepartielle » à des personnes aveugles.

Michael Roukes (professeur dephysique et de bio-ingénierie au

DEUXIÈME COLLOQUE ANNUEL DE L’ITMODES TECHNOLOGIES POUR LA SANTÉ

Colloque organisé par la Chaired’Innovation technologiqueLiliane Bettencourt et l’Institutthématique multi organismes(ITMO) Technologies pour lasanté25 juin 2010

Patrick Couvreur (chaire d’Innovation technologique Liliane Bettencourt) et Jacques Grassi (directeurde l’Institut des technologies pour la santé)

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California Institute of Technology) aprésenté une revue de l’évolution dessystèmes nano-électromécaniquesdéveloppés grâce à une approchemultidisciplinaire utilisant des analo-gies entre le fonctionnement d’objetstechnologiques (circuits électriquespar exemple) et le fonctionnementdes milieux biologiques. Les princi-pales réalisations de ces dernièresannées portent sur le développementde microsystèmes (biopuces, systèmemicrofluidique, etc.) permettant dedétecter, d’analyser à haut débit etd’enregistrer en continu des flux debiomolécules. Les applications dansle domaine du diagnostic moléculairefont l’objet d’une collaborationétroite entre scientifiques et ingé-nieurs de Caltech et du CEA/LETI àGrenoble.

Pour conclure la partie strictementscientifique de la réunion, BenoitDubertret (ESPCI) a fait le point surles derniers travaux de son laboratoiresur la production et la caractérisationde « Quantum dots » adaptés à l’ima-gerie optique fluorescente in vivo.Cette présentation a mis en évidenceles très importants progrès faits dansce domaine pour améliorer lespropriétés optiques de ces nanoparti-cules fluorescentes (absence de cligno-tement, émission dans le procheinfrarouge) et diminuer leur toxicité(un des reproches classiquement faitsaux quantum dots). Finalement, lapossibilité d’accéder à une imageriemultimodale en combinant la tomo-graphie par émission de positons(TEP) à la fluorescence a été illustréepar quelques exemples. Cette

approche qui implique le marquagedes quantum dots par du 18F ouvreaussi la perspective d’une imagerie« multi-dimension » permettant d’ex-ploiter au mieux les caractéristiquesdes deux types d’imagerie.

La journée s’est terminée par quelquesinformations sur les activités del’Alliance Aviesan et de l’ITMOTechnologies pour la santé, en pré-sence d’A. Syrota, président directeurgénéral de l’INSERM. La présentationde Jacques Grassi (ITMO TS) a étésuivie d’une discussion avec la salle surles missions de l’Alliance Aviesan etdes ITMO. �

Introduction au colloque :� Peter PiotDans la série de cours que j’aidonnée au Collège de France, j’aiessayé de retracer l’aventure sansprécédent de la lutte contre le Sida,en mettant l’accent sur les résultatsobtenus et sur l’importance ducontexte dans lequel sont mis enœuvre la science et la politique. Ladernière leçon concernait l’avenir duSida. Nous sommes dans une phaseimportante et paradoxale de la luttecontre le Sida, comme l’a confirméla récente conférence internationalede Vienne. Il s’en dégage trois cons-tats :

� l’épidémie de Sida n’est pasterminée, on le constate partout,même en Europe, avec une recru-descence de nouvelles infections,

surtout – mais pas uniquement –parmi les homosexuels ;

� l’annonce de l’efficacité d’unmicrobicide, le Tenofovir, qui faitl’objet d’essais menés en Afrique duSud en 2010, a engendré de vérita-bles problèmes, y compris du pointde vue scientifique et pratique ;

� la riposte mondiale est à bout desouffle et connaît un début de diffi-culté financière : le temps de l’ex-pansion des investissements, annéeaprès année, semble terminé, aumoins provisoirement. Un grandbesoin de stratégie à long terme sefait jour.

Dans ce contexte, quand j’aiproposé à Jean-François Delfraissyd’organiser un colloque de réflexionsur l’avenir à long terme du Sida encollaboration avec l’Agence natio-nale de recherche sur le Sida(ANRS), il a tout de suite donné sonaccord, et je l’en remercie, ainsi quel’ANRS. Je remercie également

l’Agence française de développe-ment (AFD), non seulement pour lesoutien apporté à la chaire, maisaussi pour son investissement intel-lectuel dans cette problématique quitouche au développement interna-tional, social et économique.

Nous sommes dans une nouvellephase de la lutte contre le Sida, oùnous aurons besoin de toutes lesconnaissances et de toutes les créa-tivités, aussi bien scientifiques quepolitiques et de gestion. Prévoyant

QUEL EST L’AVENIR À LONG TERMEDE L’ÉPIDÉMIE DU SIDA ?

Colloque organisé par lePr Peter Piot (chaire Savoirs contrepauvreté)14 septembre 2010

Peter PIot

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la nécessité d’aborder sur le longterme la question du Sida, j’avaislancé il y a trois ans une réflexionsur ces stratégies à long terme, dansun projet appelé AIDS 2031 – 2031marquant le centenaire de la décou-verte du virus du Sida en 1981. Plusde 500 chercheurs, représentantsdes associations, etc., ont participé àce travail. Leur rapport sera publiéle premier décembre prochain dansle Financial Times Science Press. Cerapport vaut par son contenu, bienque les recommandations princi-pales soient sans surprise, mais aussipar le fait que ces recommandationssoient exprimées pour la premièrefois dans un projet d’ensemble.

L’objectif du colloque d’aujourd’huiest de relancer le débat sur les stra-tégies à long terme : que faut-il fairemaintenant pour avoir les meilleursrésultats à long terme ? Cela signifiequ’on ne doit pas attendre vingt anspour mettre en place une stratégie,mais qu’il faut agir dès à présentdans une perspective à long terme.

� Jean-François DelfraissyDans quelques jours s’ouvrira à NewYork le sommet de l’ONU sur lesobjectifs du millénaire, où l’ensembledes dirigeants du monde doiventdébattre notamment des moyensd’accélérer les progrès sur la préven-tion du VIH pour 2015. Notrecolloque se situe donc dans uncontexte politique assez fort, commel’a indiqué Peter Piot. Cet événementest organisé dans le cadre de la chaireSavoir contre pauvreté du Collège de

France, soutenue par l’Agence fran-çaise du développement, et en parte-nariat avec l’Association nationale derecherche sur le Sida. Cette associa-tion représente bien l’histoire de lalutte contre le Sida et des efforts quiont permis de faire barrage à l’épi-démie, avec tout ce que cela impliquede volonté politique, d’engagementfinancier, mais aussi d’effort derecherche et d’acquisition de connais-sances.

La recherche est un élément essentielqui a jalonné la lutte contre le Sida,depuis la découverte du virus. Il y aeu différentes étapes – j’en citequelques unes : les trithérapiesdepuis 1996, les données médico-économiques sur les pays du Sud,l’arrivée des médicaments géné-riques, les connaissances sur latransmission materno-foetale, etc.

Nous sommes probablement arrivésaujourd’hui à un tournant. Alorsque l’on oppose parfois traitementet stratégie de prévention, ou plutôt,alors qu’on a connu une alternancede périodes privilégiant le traitementet la prise en charge ou la préven-tion, nous pouvons maintenantnous appuyer sur une volontéd’avancer ensemble, avec denouvelles questions sur la préven-tion – sur la circoncision, l’utilisa-tion des antirétroviraux commenouvel outil de prévention, etc. Laconférence de Vienne a illustré cetteévolution.

Dans le domaine de la constructionde la recherche, on voit un certain

nombre de dirigeants, en Francecomme dans le monde, passer desquestions de recherche thérapeu-tique ou de recherche translation-nelle aux grandes questions deprévention en utilisant les nouveauxoutils biomédicaux. On considèreparfois que la France a pris un peude retard en matière de rechercheopérationnelle sur la prévention, parrapport à l’approche de l’épidémio-logie anglo-saxonne et à la LondonSchool, par exemple. Je pense quenous sommes désormais dans labonne démarche, avec l’idée demonter de grands consortiums dansle domaine de la prévention.

La recherche est nécessaire, elle abesoin de moyens, dans un contextefinancier difficile. On entend direquelquefois que la communautéconstituée autour du VIH et deshépatites a trop de moyens parrapport à d’autres pathologies. Jen’en suis pas certain, ayant à m’oc-cuper d’un paysage plus global demaladies infectieuses. N’oublionspas que cette épidémie se poursuitde façon majeure, et que cette fois laFrance est au premier rang del’agenda dans la recherche sur leVIH, le Sida et les hépatites, où ellese situe au 2e ou 3e rang interna-tional. Il y a donc un retour surinvestissement, et notre budgetdevrait être à peu près reconduitpour 2011. C’est dans ce contexteglobal difficile que se déroule cecolloque. �

Yves Lévy Papa Salif Sow Bertran Auvert

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Le colloque « Priorité cerveau » aréuni un grand nombre de cher-cheurs, médecins, responsables asso-ciatifs, économiques et politiquespour réfléchir aux enjeux de larecherche sur le cerveau.

Les tables rondes ont permis dedresser un état des lieux desconnaissances sur le cerveau et dedessiner les priorités en termes derecherche et de besoins des patients.Les intervenants ont montré qu’il est

indispensable de progresser dans lacompréhension de l’organisation etdu fonctionnement du cerveaunormal pour mieux comprendre lesdysfonctionnements à l’origine desmaladies. Seul un lien fort entrerecherche fondamentale et finaliséepermettra de développer des traite-ments curatifs qui font encoresouvent défaut, que ce soit dans lesmaladies neurologiques ou dans lesmaladies psychiatriques.

En termes humains, ces maladiesretentissent lourdement sur lespatients et leurs familles. Elles sontsouvent cause d’exclusion et dehandicap. Mais elles ont aussi desconséquences économiques préoc-cupantes ainsi que le souligne unrapport de l’European BrainCouncil. De plus, ces coûts irontcroissant en raison de l’augmenta-tion de la durée de vie et de la chro-nicité de ces maladies. La réflexiondu colloque a donc aussi porté sur

les moyens financiers, matériels etméthodologiques nécessaires pourfertiliser la recherche.

En conclusion du colloque, ÉtienneHirsch et Olivier Lyon-Caen, aunom des trois sociétés organisa-trices, ont présenté dix propositionspour progresser dans les connais-sances du cerveau et soigner sesmaladies. Un livre Priorité Cerveau,paru aux Éditions Odile Jacobprésente l’état des connaissances surle cerveau ainsi que ces proposi-tions.

L’acteur Vincent Lindon est venusoutenir cette cause. Dans un plai-doyer engagé, il a souligné l’impor-tance de cet enjeu national et lancéun appel en faveur d’un soutienprioritaire à la recherche sur lecerveau. �

Claire Cachera

PRIORITÉ CERVEAU

Colloque organisé par la Société desneurosciences, la Société françaisede neurologie et la Fédération pourla recherche sur le cerveau,sous le haut patronage deMonsieur Nicolas Sarkozy,président de la République et avecla participation de MadameValérie Pécresse, ministre del’Enseignement supérieur et de larecherche16 septembre 2010

de gauche à droite : M. Germon, O. Lyon-Caen,C. Cachera, E. Hirsch , F. Thibaut, J. Mendlewicz

au pupitre : B. Giraud-Chaumeil

10 propositions

1. Renforcer la recherche fondamentale sur la connaissance dudéveloppement, du vieillissement et de la physiologie du cerveau.

2. Renforcer le caractère pluridisciplinaire de la recherche enneurosciences en promouvant notamment les interfaces avec lachimie, les nanotechnologies, les mathématiques, et les scienceshumaines et sociales.

3. Créer des centres de recherche translationnelle entre la recherchefondamentale et la neurologie.

4. Renforcer la recherche en psychiatrie en favorisant la création denouvelles équipes.

5. Créer des centres de gestion, de stockage et d’analyse des donnéescliniques, d’imagerie et biologiques pour les maladiesneurologiques et psychiatriques.

6. Renforcer les moyens en personnel de soutien à la rechercheclinique et de laboratoire.

7. Créer des postes mixtes hôpital-recherche comme il existe des postes hospitalo-universitaires.

8. Promouvoir les interactions entre recherche académique etrecherche finalisée, en particulier par une meilleure articulationavec la recherche pharmaceutique et les entreprises debiotechnologies.

9. Accroître de façon organisée institutionnellement les interactionsde la communauté des chercheurs avec celle du monde associatifreprésentant les patients et leurs familles.

10. Obtenir une ligne de financement propre pour la recherche sur lecerveau qui pourrait émaner d’une fondation dédiée.

Vincent Lindon

Valérie Pécresse

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Charles Malamoud rappelle que leterme loka, qui désigne en sanskrit lemonde, est apparenté au latin lūcus,dont le sens premier est « clairière ».Le loka est un lieu de lumière, éclairépar les astres du jour et de la nuit. Iln’est cependant pas directementperçu comme une vaste clairière s’op-posant à la forêt sans le « non-monde » (aloka) qui l’entoure.Réfléchir aux abords de la clairièresignifie donc saisir du même regard laforêt tout autour, penser l’articula-tion nécessaire entre monde et non-monde.

Le programme des deux journéesétait reparti en quatre sessions :1. rite, 2. textes, 3. monde, 4. poésieet théâtre. Dans l’ouverture ducolloque, G. Fussman a rappelé letemps des maîtres communs,l’époque de Louis Renou etd’Armand Minard, qui enseignaientdans les salles du sous-sol de laSorbonne, et qui avaient su construireautour d’eux un petit monde chaleu-reux, une sorte de grande famille.

La réflexion sur le rite est constam-ment présente dans l’œuvre deCharles Malamoud, depuis l’éditiondu Taittiriya-Aranyaka (livre II),consacré à la récitation personnelledu Veda (Le svādhyāya, 1977)jusqu’au recueil Cuire le monde. Riteet pensée dans l’Inde ancienne(1989), livre qui fait écho à celui deJean-Pierre Vernant Mythe et penséesdans la Grèce ancienne, et pose lesbases d’un nouveau comparatisme.

Le rite, ou pour mieux dire la « scènesacrificielle » habite (hante) encoreses derniers ouvrages (Le jumeausolaire, 2002 ; La danse des pierres,2005). La première session a étéouverte par J.C. Heesterman (« Ladakṣiṇā et l’arrière-plan du sacri-fice »), dont les essais sur le rituelvédique sont désormais des clas-siques. À partir de l’article de CharlesMalamoud « Terminer le sacrifice.Remarques sur les honoraires rituelsdans le brahmanisme1 », Heestermana montré comment, avec l’évolutiondu rituel, les honoraires réservés auxofficiants déclenchent un court-circuitfécond, canalisant les forces « libéra-toires » du sacrifice. La circularité durituel védique était le thème de lacommunication de J. Houben (« Les‘perfectibles’ (sādhya) entre circula-rité et causalité du rituel védique »).La formule sanskrite yajñena yajñamayajanta devāḥ « les dieux sacrifièrentle sacrifice par le sacrifice »(L. Renou) traduit admirablement cetaspect du rituel, et des divinités peuconnues, les « perfectibles » (sādhya),semblent en être la projection.

F. Staal (« The Ritual of the FireAltar »), dont la vision du rituelvédique, fondée sur l’analyse formellede ses éléments afin d’en dégager lelangage, avec sa syntaxe et ses « fonc-tions » a marqué profondément lesétudes indiennes, a présenté des docu-ments relatif à un sacrifice védiquerécent (2007), en mettant l’accent surl’extraordinaire continuité de lapratique rituelle. Si le rite est un jeu(F. Staal, Jouer avec le feu, Paris1990), il s’agit d’un jeu sérieux etdangereux, où de nouveaux espacessont arrachés à la mort par la parolerituelle associée à son double, l’actionrituelle. Le lien indissoluble entre cesdeux entités résume toute la force dela civilisation védique. En Grèce,comme le rappelle R. Calasso

(« Ciguë et libation »), la mort deSocrate condense la violence et letragique de leur séparation. La litté-rature du rituel, cependant, ne semblepas toujours concernée par l’adéqua-tion entre geste et parole. Quel degréde réalité faut-il accorder aux descrip-tions fabuleuses, aux chiffres prodi-gieux (des sessions rituelles demille ans !) contenus dans les traitésdu rite ? C’est la question posée parG. Thite (« Practical Aspects of VedicRitual »), une mise en perspective duphénomène rituel à l’époque de laglobalisation.

La session Textes portait sur la genèseet/ou la continuité de différentestraditions textuelles : que signifie l’in-sertion d’un hymne védique (ou faus-sement archaïque) au début duMahābhārata, C. Minkowski (« ThePraise of the Aśvins and the Enigmaof the Mahābhārata ») a présenté lesréponses que les auteurs de la tradi-tion sanskrite ont données à cettequestion. Dans l’Orphisme classique,C. Calame (« Pouvoir du nom desdieux, forme poétique et pratique

AUX ABORDS DE LA CLAIRIÈREÉTUDES INDIENNES ET COMPARÉES

Colloque international enl’honneur de Charles Malamoudorganisé par la chaire d’Histoire dumonde indien (Pr Gérard Fussman)et la chaire de Religion, institutionset société de la Rome antique(Pr John Scheid)7 et 8 octobre 2010

1. Cf. M. Biardeau et Ch. Malamoud, Le sacrifice dans l’Inde ancienne, Paris 1978, p. 155-204.

F. Staal

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rituelle : l’Orphisme classique ») asouligné l’impact de la pratiquerituelle lorsqu’on veut rendre comptedes divers niveaux sémantiques asso-ciés à une formule sacrée. L’exemplede la « profération » du nom divin,regardé à travers un commentaireattribué à Orphée d’un hymnecosmo-théogonique publié récem-ment (le Papyrus de Derveni), montrela pertinence de ces enjeux. Autretradition textuelle : la théorie du droitet ses premiers traités, tradition quia été présentée par P. Olivelle(« Patañjali and the Beginnings ofDharmaśāstra. An Alternate SocialHistory of Early DharmasūtraProduction ») à la lumière ducontexte historique et social de sonémergence.

L’article de Charles Malamoud« Village et forêt dans l’idéologiebrahmanique2 » était le sous-textede la session Monde (la « clai-rière »). Le contraste entre espacehabité et désert, qui renvoie aussi àl’opposition construit/naturel,composé/violent, se prolonge jusquedans la littérature moderne del’Inde, comme l’a montréF. Bhattacharya (« La forêt et lerenoncement, le village et la femmedans l’œuvre romanesque deBankim Chandra Chatterji [1838-1894] : choix poétique et rappelconceptuel »). À l’articulation entreces deux pôles conceptuels, le rôlede l’imagination poétique (bhāvanā)permet de regarder de près lesconditions particulières de l’émer-gence d’une « anthropologie de lanature » dans la poésie de l’Inde

moderne, comme l’a montréD. Shulman (« Imagining Nature inSixteenth-century Andhra ») àtravers l’analyse de quelques poèmestélugu et tamoul du XVIe siècle. Dansles récits malayalam évoqués parF. Zimmermann (« Pluie de mangues »),le manguier germe à la frontièreentre village et forêt, au croisemententre le naturel et l’humain ; il cris-tallise une nouvelle polarité, entredésir (kāma) et illusion (māyā). À lalisière entre deux mondes, on trouveégalement les nymphes de l’antiquitégréco-romaine dont J. Scheid aesquissé le portrait (« Des divinitésqui meurent. Réflexions sur lesnymphes »). Bien qu’immortelles,elles peuvent disparaître. Leurmortalité n’est pas un choix, ni une« chute » ; elle est associée à leurfonction, et à la vision que lesRomains se faisaient de la capacitéd’action d’une divinité.

Toute représentation du monde va depair avec l’idée qu’on se fait de salangue : comment les Européens sesont-ils représenté la langue chinoiseau fil des siècles ? Cette question poséepar V. Alleton (« Les représentationsdu monde et des langues : le caschinois ») faisait écho à l’analyse deJ.-N. Robert (« Sous le sceau deMahāvairocana : le rôle des ‘lettresbrahmiques’ dans la mise en valeur dela langue japonaise »), qui a présentél’impact du sanskrit, sa valeur« mytho-linguistique », dans la cons-truction de la langue japonaise.

Expérience « non-mondaine » (alau-kika) par excellence, le théâtre était

au centre de deux communications :L. Bansat-Boudon (« Aesthetica innuce dans le mythe d’origine duthéâtre indien ») a dégagé une esthé-tique de la « cordialité » ou sensibilitédans le mythe d’origine du théâtreindien interprété par Abhinavagupta(XIe siècle) ; E. Gerow (« Le théâtreindien et la séance chamanique ») arelevé, au cœur de la visiond’Abhinavagupta, la présence d’élé-ments « chamaniques » – magiqueset thérapeutiques – ayant un impactdécisif sur l’expérience joyeuse duspectateur qui accompagne l’intuitionde la nature universelle et permanentede l’homme.

Comme le théâtre, la poésie est unevoie d’accès au réel. Évoquant lamémoire du poète LokenathBhattacharya, M. Deguy (« Poésie etcroyance ») a présenté des notes surle travail du poète et sa relationrituelle (un faire qui est un croire) à laparole : croyance dénudée, visant àse défaire de toute métaphore.

La table ronde conclusive a prisforme à partir des remarques deCharles Malamoud, qui a dégagédeux fils conducteurs dans la tramedu colloque. D’un côté, l’auto-référentialité : comment le rite, lapoésie, le théâtre nous disent deschoses d’eux-mêmes, de leurs propreslangages ; de l’autre, comment, parle biais d’un regard extérieur, se révèletel ou tel caractère d’une langue oud’une société. �

Silvia D’Intino (CNRS)Caterina Guenzi (EHESS)

2. Cf. Ch. Malamoud, Cuire le monde. Rite et pensée dans l’Inde ancienne, Paris 1989, p. 93-114.

Gérard Fussman et Ganesh U. Thite John Scheid et David Shulman

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Depuis 2001, à l’initiative de Jean-Pierre Changeux, le Collège de Franceorganise vers le milieu du mois d’oc-tobre, c’est-à-dire au moment de lareprise des cours et conférences, ungrand colloque multidisciplinaireconsacré à une question de société ouà un thème d’intérêt général. Lecolloque 2010 était ainsi consacré aubicentenaire de la naissance deDarwin, celui de 2009 à Parole etmusique : aux origines du dialoguehumain. La raison d’être de cescolloques est d’essayer de montrer en

deux jours, à un public de spécialisteset de non-spécialistes, la difficulté etl’utilité de la mission du Collège deFrance : enseigner à un très hautniveau, tout en restant compréhen-sible, la recherche en train de se faire,la recherche que nous sommes entrain de faire. La science n’est plus lepasse-temps d’un génie isolé. C’est unmoteur collectif du progrès. Ses résul-tats doivent être le plus largement et levite possible diffusés afin que le plusgrand nombre puisse les connaître,que la société puisse en reconnaîtrel’intérêt et lui donner les moyens, deplus en plus coûteux, de continuer àprogresser.

Le colloque 2011, organisé par lesProfesseurs Gérard Fussman,Antoine Compagnon, PhilippeDescola et Philippe Kourilsky,voulait rendre compte du bondquantitatif et qualitatif de larecherche dans les dix dernièresannées et des problèmes éthiques,épistémologiques, financiers, orga-nisationnels que cette révolutionentraîne. Son sujet, la mondialisa-tion de la recherche, compétition,coopérations, restructurations, étaitd’actualité à un moment où, partoutdans le monde, de profondesréformes de structures se mettent enplace dans la recherche et l’univer-

COLLOQUE DE RENTRÉE 2010 :

LA MONDIALISATION DE LA RECHERCHECOMPÉTITION, COOPÉRATIONS, RESTRUCTURATIONS

Collège de France14 et 15 octobre 2010.

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Programme du colloque (portraits des orateurs, de gauche à droite, par ordre d’intervention) :� Introduction : Gérard FUSSMAN, professeur au Collège de France� La révolution numérique dans les sciencesGérard BERRY, Directeur de recherches à l’INRIA, professeur au Collège deFrance (2008-2010)discutant : Jean-Louis MANDEL, professeur au Collège de France� Recherche académique et industrie biotechnologiqueJean-Paul CLOZEL, Président d’Actelion Pharmaceuticals Ltd, professeur au Collège de France (2007-2008),discutant : Pierre JOLIOT, professeur honoraire au Collège de France� Les moyens lourds des sciences cognitives et leurs résultatsDenis LE BIHAN, Directeur de recherches au CEA, Directeur et fondateur de Neurospin, professeur à l’université de Kyotodiscutant : Claudine TIERCELIN, professeur au Collège de France� Nouveaux moyens, nouveaux financements, nouvelles problématiques en archéologieJean-Paul DEMOULE, professeur, université Paris I, ancien Président de l’Institut national de recherches archéologiques préventivesdiscutant : Michel GRAS, Directeur de l’École française de Rome� Nouveaux outils, nouvelles contreverses en démographieHervé LE BRAS, Directeur d’études à l’EHESSdiscutant : Brigitte DORMONT, professeur d’économie, univ. Paris- Dauphine, Directrice de la chaire Santé, Fondation du risque� Restructuration des « quartiers », construction des villes nouvellesRoland CASTRO, Architecte-urbanistediscutant : Michel LUSSAULT, professeur de géographie à l’ENS-Lyon, Directeur de l’Institut d’urbanisme de l’ENS de Lyon� Bibliothèques de recherche et information scientifique. Permanences et métamorphosesDaniel RENOULT, Doyen de l’Inspection générale des bibliothèquesdiscutant : Roger CHARTIER, professeur au Collège de France� L’estimation de la productivité scientifique à partir des bases de donnéesJacques MAIRESSE, Directeur d’études honoraire, EHESS, Président du comité scientifique, Observatoire des sciences et techniquesdiscutant : Serge HAROCHE, professeur au Collège de France

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sité, à un moment aussi où tous lesgouvernements, conscients desénormes investissements querequiert la recherche contempo-raine, se demandent comment lesrépartir.

Nous avions donc demandé auxmeilleurs spécialistes, dont beau-coup de professeurs du Collège deFrance, de donner un éclairage surles conditions actuelles de larecherche. Le premier exposé amontré comment l’informatiqueavait bouleversé le recueil dedonnées et en même temps estdevenue l’outil indispensable pourles ordonner et les comprendre à unmoment où partout dans le mondese multiplient les centres derecherche. La croissance de l’infor-mation est exponentielle au pointque même l’informatique ne suitplus. Nous avons parlé ensuite de la

fausse opposition entre rechercheappliquée et recherche fondamen-tale, la recherche fondamentaleétant seule la source de l’innovationvéritable, et la recherche appliquée,dont les coûts croissent démesuré-ment au point d’entraver la créationde nouveaux produits, ne pouvantse passer de la confidentialité desrésultats et de l’apport financier desbrevets, dont la durée de vie réelle,en pharmacie tout au moins, nedépasse pas dix ans.

Nous avons bien sûr parlé de larévolution des sciences cognitives etde ses implications philosophiques.Nous avons aussi montré commentdans des domaines qui dépendentmoins des grands équipements, maistout autant de l’informatique et dela coopération internationale, l’évo-lution de la connaissance a été sirapide qu’elle bouscule toutes les

vérités depuis longtemps considéréescomme intangibles. Or cela a unimpact direct sur la société : lesprogrès de l’archéologie françaiseremettent en cause les conceptsmême de terroir, de paysage etd’identité nationale ; l’étude fine descourbes démographiques invite à aumoins nuancer les vérités admises etpartout répétées en matière defécondité féminine, d’augmentationde la durée de vie en bonne santé,du coût prévisible du vieillissement,etc.

L’augmentation de la population, lesmigrations intérieures et extérieuresont abouti à un tel bouleversementde l’habitat que l’on ne peut plusparler de ville au sens du XIXe siècle.L’opposition ville-campagne n’aplus guère de sens. Urbanistes,géographes et architectes ont à envi-sager une nouvelle façon de struc-

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� L’essor de la recherche dans les pays dits émergents et la coopération internationaleMarc FONTECAVE, professeur au Collège de Francediscutant : Jacques LIVAGE, professeur honoraire au Collège de France� La mutualisation des savoirs à l’échelle mondialeGabriele VENEZIANO, professeur au Collège de France, professeur émérite au CERNdiscutant : Xavier LE PICHON, professeur honoraire au Collège de France� Changements d’échelle et mutualisation mondiale des moyens en biologiePhilippe KOURILSKY, professeur au Collège de Francediscutant : Pierre CORVOL, professeur au Collège de France� Petites et grandes fraudes scientifiques : le poids de la compétitionAnne FAGOT-LARGEAULT, professeur honoraire au Collège de Francediscutant : Alain PROCHIANTZ, professeur au Collège de France� Le rôle « désintéressé » du chercheur dans la promotion d’un nouvel ordre juridique mondialMireille DELMAS-MARTY, professeur au Collège de Francediscutant : Peter PIOT, Directeur, London School of Hygiene and Tropical Medicine, professeur au Collège de France (2009-2010)

� Table ronde :Stephan LEIBFRIED, professeur de sciences politiques, univ. de BremenJacob PALIS, professeur, Institut de mathématiques pures et appliquées deRio de JaneiroJean-François SABOURET, Directeur de recherches, CNRS, Directeur duRéseau-AsiePierre VELTZ, professeur, École des sciences politiques et École des ponts-ParisTechElias ZERHOUNI, Former Director, National Institutes of Health (États-Unis), professeur au Collège de France (2010-2011)

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turer et de rendre habitable unespace urbain en expansion spatialeininterrompue.

Pour les sciences humaines, cesprogrès et la mainmise de grandessociétés commerciales sur l’éditionscientifique amènent à reconsidérerle rôle des bibliothèques aussi biendans la diffusion et le tri de l’infor-mation que dans la conservation etla numérisation de l’écrit. Pourtoutes les sciences, les coûts de larecherche sont tels que les orga-nismes financeurs doivent choisir etcherchent des indicateurs objectifspour le faire : l’évaluation des orga-nismes et des chercheurs est devenuecruciale. Le colloque fut l’occasionde constater à quel point une vuepurement quantitative et statistiquede cette évaluation est contestée parles chercheurs car, malgré les étudesd’impact, affectées par les effets demode, elle ne tient pas compte de lanouveauté réelle de certainesproductions scientifiques.

La recherche n’est plus l’apanage dumonde occidental. De grands paysémergents, l’Inde, la Chine, le Brésil,les pays du Maghreb même en sontdésormais des acteurs reconnus etsouvent de premier plan. Les coopé-rations sont nécessaires et, danscertaines domaines, il faut aller bienau-delà de la coopération entrequelques États. Seules des organisa-tions mondiales font sens dans desdomaines comme la physiquenucléaire, la géodynamique, l’astro-nomie etc. Cette mondialisation dela recherche, aussi bénéfique etindispensable qu’elle soit, n’est passans problèmes : la multiplicationdes chercheurs et des donnéesamène parfois à se demander si l’onpeut encore dominer l’informationet si celle qui est produite dans descentres au nombre sans cesse crois-sant n’est pas en grande partieredondante. La course aux finance-ment entraîne un manque de recul,une perte d’historicité, une difficultéde vues synthétiques, et parfois desfraudes scientifiques. Mais celles-ci

ne portent généralement que sur desfaits déjà connus par ailleurs, etn'apportent rien de nouveau. Lavéritable innovation peut difficile-ment faire l’objet d’une fraude, ous'expose à être rapidement dénoncée,car ses résultats ne peuvent pas êtrereproduits.

Les chercheurs ne sont pas absentsnon plus de la gestion mondiale dela planète. Le juriste doit opposerson savoir et sa diplomatie auxÉtats tentés d’imposer au reste dumonde ou aux autres membres deleur confédération les règles de droitqui leur sont propres. Le respect descultures pousse au contraire à unehybridation des règles de droit,garantie d’un meilleur fonctionne-ment de la gouvernance mondiale.Dans les grandes organisationsinternationales, le chercheur doitimposer son savoir à une gouver-nance faite de politiques débordéset parfois peu au fait des problèmes.S’il n’y arrive pas, les conséquencesdans le domaine de la santé, de l’ali-mentation etc. peuvent se compteren dizaines de milliers de morts.

La dernière après-midi a été consacréeà un tour de table où nous avonsessayé de voir comment les problèmesabordés au cours du colloque étaient

envisagés dans le reste du monde,quelles mesures prenaient les gouver-nements pour organiser et financer larecherche et ce qu’en pensaient leschercheurs concernés, y compris lesdirecteurs de grands organismes. Lesregroupements sont certes souhaita-bles, ils ne sont pas la panacée et lataille ne fait pas tout.

Les conférences sont consultablessur le site du Collège de Francewww.college-de-france.fr, ongletaudio/vidéo : Événement

Les actes du colloque seront publiésen édition électronique dans la collec-tion « Les conférences du Collège deFrance » sur la plateforme revues.org(www.revues.org). �

Pr Gérard Fussman

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de gauche à droite : Michel Gras, ancien Directeur de l’École française de Rome,Pr Gérard Fussman, Jean-Paul Demoule, ancien Président de l’INRAP

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En 1530, les quatre premiers « lecteurs royaux »nommés par François Ier ont ouvert une liste qui depuiss’est allongée et comptait, au 1er janvier 2010,693 noms. Si les premiers lecteurs étaient nommés, etrévoqués, par simple décision du roi, la collectivité desenseignants s’est progressivement organisée en corpo-ration, et elle a obtenu le droit de contrôler le processusde recrutement (même si la nomination reste, in fine,un acte administratif pris par la plus haute autorité del’État) et de s’opposer aux tentatives de révocation parle même pouvoir, sans y parvenir toujours : le Collègea connu 19 cas de révocation entre 1821 et 1944, dont7 sans réintégration ultérieure. Peu à peu les chaires sesont « consolidées » et le principe du remplacementautomatique par une élection, après chaque vacance,s’est imposé. Depuis les travaux d’Abel Lefranc, notam-ment, on connaît de façon quasi certaine la liste de tousles professeurs titulaires, bien que quelques incertitudessubsistent sur la position administrative exacte de telou tel, dans les périodes anciennes.

Évolution de l’effectif des titulaires

Cinq lecteurs ont été nommés au cours de l’année 1530.L’effectif1 a cru lentement, culminant à 20 vers 1600, etse stabilisant vers 18-22 pendant les deux sièclessuivants (figure 1). À la veille de la Révolution, le

Collège comptait 21 professeurs. S’ouvre à partir de1831 une période de forte croissance qui porte l’effectifde 21 en 1820 à 50 en 1927. Depuis 1930, l’effectif aoscillé entre 40 et 50. Au 1er janvier 2010, le Collègecompte 52 postes de professeurs titulaires, dont 47 sontoccupés, et 5 chaires annuelles.

Avec un effectif aussi limité, surtout au cours des troispremiers siècles, le renouvellement était forcément lent.D’une élection par an en moyenne jusque vers 1820, ce

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LES PROFESSEURSDU COLLÈGE DE FRANCE :

DÉMOGRAPHIE D’UNE POPULATIONPLURICENTENAIRE

PR HENRI LERIDONtitulaire de la chaire de Développement durable

année académique 2008-2009

Sources et conventions adoptéesPour la présente étude, nous avons utilisé principalement la listeétablie au 1er janvier 2009 par la direction des Affaires culturelles duCollège (DAC), complétée par celle tenue à jour au service desBibliothèques et archives et par l’historique des chaires publié danschaque Annuaire du Collège. Nous traiterons à part le cas des chairesannuelles, créées à partir de 1989, dont les occupants ont le titre de« professeur associé ».Nous remercions le professeur Antoine Compagnon pour descorrections concernant la période 1936-1946, ainsi que ClaireGuttinger, du service des Archives, pour l’accès à divers documents.Contenu de la source : la liste utilisée comporte les nom et prénom dechaque professeur, ses années de naissance, de décès, de début et de find’occupation de la chaire, avec l’intitulé de celle-ci (ou, le cas échéant,des chaires occupées successivement). Les fonctions précises occupéespar le professeur sont aussi mentionnées : les périodes pendantlesquelles les personnes citées ont occupé les fonctions de préparateur,répétiteur, assistant, adjoint, sous-directeur (de…), suppléant,remplaçant, chargé de cours, chargé de cours complémentaires, ont étéignorées. Seule exception : les six cas où la personne n’a occupé quedes fonctions de chargé de cours ou de suppléant, sans devenirtitulaire, tout en utilisant les crédits d’une chaire précise, et qui sontlistés à la fois dans la liste DAC et dans l’historique des chaires del’Annuaire.Périodes particulières : quand un professeur a occupé deux chairessuccessivement, on a constitué une seule période globale. Les épisodes« révoqué en… puis réintégré en… » ont été ignorés (on n’a pas tenucompte de l’interruption) (12 cas). Il y a eu 7 révocations définitives.Données manquantes : 108 dates de naissance sont manquantes,toutes pour des chaires occupées avant 1900 et presque toutes (104)avant 1800 ; 5 dates de décès sont inconnues ; il manque une date dedébut d’occupation, et 5 dates de fin (toutes avant 1700). Au total,6 durées sont inconnues et ne pourront donc pas être exploitées.

1. Nous nous intéressons ici à l’effectif des professeurs en fonction, non à l’effectif théorique ou budgétaire.

Figure 1. Effectif des professeurs titulaires en fonction etdes chaires annuelles, 1530-2009

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chiffre passe à 2 un siècle plus tard et se stabilise à 2,5-3 en moyenne au cours du XXe siècle.

Âges en début et fin d’enseignement

Pendant le premier siècle, l’âge moyen en début d’ensei-gnement est inférieur à 40 ans (figure 2, courbe supé-rieure). Il reste ensuite de l’ordre de 40 à 45 ans jusqu’àla fin du XIXe siècle, pour s’élever ensuite assez régulière-ment : vers 1920, il est passé à 50 ans, vers 1940 à 55 ans.De 1950 à 1980 il se stabilise vers 52-53 ans, puis monteà 58 ans en 1990-95. C’est d’ailleurs à ce moment que lePr Jean-Marie Zemb présente à l’Assemblée des profes-seurs une petite étude pour alerter ses collègues sur cetteévolution rapide, dans un contexte où l’âge en fin d’en-seignement est contraint par celui de la retraite (70 ansdepuis 1936). Pour la décennie 2000-2009, la moyenneest revenue à 55,7 ans ; un quart ont été élus avant 52ans, et un quart après 61 ans.

Une telle évolution est assez habituelle pour l’entrée dansdes « corps » qui ne sont pas régis par des règles d’âge.On peut, par exemple, se comparer aux Académies, quirecrutent aussi leurs membres en cours de carrière. Nousavons ainsi pu montrer2 que l’âge moyen à l’élection desacadémiciens français des sciences, qui était de l’ordrede 45 ans environ de 1666 à 1860, avait approché 65 ansen 1960-64, pour redescendre ensuite vers 55-60 ans. Latendance a été encore plus marquée aux académies desSciences morales et politiques ou de Médecine, avec unâge moyen de 67-68 ans vers 2000, ou à l’Académie fran-çaise (71 ans). Une interprétation possible de cette évolu-tion « spontanée » est que l’élévation de l’âge moyen desmembres (qui sont aussi les électeurs) les conduise àréviser la notion qu’ils ont d’un « jeune collègue » et àretarder l’élection des nouveaux membres.

Pour l’anecdote, nous avons relevé six professeurs élusavant d’avoir atteint 25 ans. Le record semble détenu (si

les dates sont exactes) par Jérôme Goulu qui succède àson père à 22 ans, en 1603 (comme Jean Duret l’avaitfait à 23 ans en 1586). Pour les périodes plus récentes,notons l’élection de Jean-Pierre Serre à 30 ans en 1956.

L’âge moyen en fin d’enseignement a longtemps coïn-cidé, dans la majorité des cas, avec celui au décès(figure 3) : jusqu’au milieu du XVIIIIe siècle, moins de15% des professeurs décédaient après avoir abandonnéleur enseignement, et la proportion était encore de 30%vers 1925. Pendant longtemps, en effet, il n’existait pasde limite d’âge, et chaque professeur décidait de la dated’arrêt de son enseignement ; il pouvait aussi, après 20ans de service ou en cas d’incapacité durable, proposerun suppléant pendant quelques années. La courbed’évolution de l’âge moyen en fin d’enseignement suitdonc d’assez près celle de l’âge au décès, avec un écartde l’ordre de 3 à 5 ans sur toute la période 1600-1930.C’est seulement après cette date que l’écart se creusepour atteindre une douzaine d’années : l’imposition d’unâge limite réglementaire (75 ans vers 1930, puis 70 ansen 1936) devient alors déterminante.

13 professeurs ont occupé leur chaire jusqu’à 80 ans etplus. Le record de longévité est détenu conjointementpar Antoine Portal (élu en 1769) et Paul Foucart (élu en1877) avec 90 ans.

Précisons, au passage et sans surprise, que l’espérancede vie des professeurs dépasse celle de la populationfrançaise globale : en tenant compte du fait que l’élec-tion n’intervient guère avant 50 ans, on peut comparerl’espérance de vie (masculine) à 50 ans avec la durée devie des professeurs. L’écart est de l’ordre de 5 à 7 ans enfaveur de ces derniers depuis au moins deux siècles.

La différence entre les dates de fin et début d’enseigne-ment donne la durée d’occupation de la chaire. Celle-ci

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Figure 2. Âge moyen à l’élection et durée d’enseignement, 1530-2009(par périodes de 10 ans)

2. Leridon Henri,. « Démographie d’une académie. L’Académie des sciences (Institut de France) de 1666 à 2030 », Population, 59(1), 2004.

Figure 3. Âge moyen au décès et en fin d’enseignement, 1530-2009(par périodes de 25 ans)

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augmente au cours des deux premiers siècles, et restede l’ordre de 20-25 ans de 1730 à 1930 (figure 2, courbeinférieure). L’élévation de l’âge à l’élection, combiné àl’obligation de retraite à 75 puis 70 ans, abaisse ensuitela durée d’enseignement en dessous de 20 ans. La duréemoyenne a été de 17 ans pour les professeurs retraitésdans les 10 dernières années ; un quart avait enseignépendant moins de 9 ans, et un quart pendant plus de24 ans.

Ces valeurs moyennes recouvrent donc une très grandevariabilité. Si près d’une trentaine de professeurs n’ontoccupé leur chaire que pendant un an ou deux, tout aulong de l’histoire du Collège, les très grandes durées ontété fréquentes. Le record a été établi par Antoine Portal,déjà mentionné, avec 63 ans d’occupation de la chaire.Il est suivi par Jean-Baptiste Biot, décédé en 1862 après61 ans, aucun autre cas ne dépassant 53 ans.

Âge moyen des titulaires. Honorariat

Contraint par les âges d’entrée et de sortie, l’âge moyendes professeurs en fonction a fortement varié au fil desans (figure 4). De l’ordre de 50 ans de 1550 à 1625, ilfluctue ensuite autour de 55 ans jusqu’au début duXXe siècle. Depuis, la tendance est plutôt à la hausse,l’âge moyen actuel étant de 63 ans.

Le règlement de 1829 a créé une possibilité « d’hono-rariat » pour les professeurs ayant quitté leurs fonc-tions. En considérant que tout professeur nouvellementretraité a été élu honoraire, le nombre de ceux-ci estsimplement égal à celui des professeurs encore en vieau-delà de leur âge de retraite. Jusqu’en 1930, l’effectifdes honoraires varie entre 0 et 11, avec une pointetemporaire à 12-14 de 1854 à 1857 (figure 5). À partirde 1930, il augmente rapidement et, depuis quelquesannées, l’effectif des honoraires dépasse celui des titu-laires : ils étaient 52 au 1er janvier 2009, contre 48 titu-laires en fonction.

Les chaires annuelles

Il a existé dans le passé des « chaires temporaires » dontl’existence était souvent liée aux crédits d’une fondation.Elles sont prises en compte dans les analyses ci-dessus, sileur occupant a eu le titre de professeur. Depuis 1989 unenouvelle catégorie de chaires a été créée, dans lesquelles lesenseignants (qui ont le titre de « professeur associé ») sesuccèdent pour une année d’enseignement. Il en existe 5actuellement, et au premier janvier 2010, 47 professeursavaient occupé ce type de chaire : ils s’ajoutent donc aux693 titulaires, sauf deux d’entre eux qui sont devenus ulté-rieurement professeurs titulaires. L’âge moyen à l’électionde ces enseignants a d’abord été un peu supérieur à celui destitulaires, mais il n’en diffère maintenant plus guère.

Les évolutions par discipline...

Il est possible de reclasser les chaires en deux grandsgroupes : sciences mathématiques, physiques et naturelles,ou « SMP » (mathématiques, physique, chimie, biologie,médecine) ; et sciences humaines et sociales, ou « SHS »(philosophie, anthropologie, sociologie, économie, histoire,archéologie, littérature, linguistique…). Si le nombre dechaires SMP est resté quasi stable des origines à la fin duXIXe siècle, autour de 10, celui des chaires SHS s’est élevéde 10 en 1800 à 35 vers 1920. On constate depuis uneconvergence entre les deux nombres, et l’on approchaitl’égalité en 2010 avec 24 chaires SHS et 23 SMP.

L’âge moyen à l’élection n’était guère différent entre cesdeux groupes au cours des années 1725 à 1925. Avant etaprès cette période, on constate que les enseignants SHSont été recrutés 3 à 5 ans plus tard que les SMP, l’écarts’étant à nouveau réduit au cours des années récentes.

… et par sexe

Comme la plupart des institutions académiques, leCollège ne s’est ouvert aux femmes que tardivement.

N° 30 - LA LETTRE

Figure 4. Âge moyen des titulaires :valeurs annuelles et lissées sur 11 ans, 1530-2009

Figure 5. Effectifs des titulaires et des honoraires,1800-2009

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La première, Jacqueline de Romilly, a été élue en 1973,et au total sept femmes ont été nommées sur une chairedu Collège (plus deux sur chaires annuelles) ; plusieursautres sont en cours de recrutement.

En conclusion

L’effet de l’allongement de la durée de vie, principale-ment au-delà de 40 ou 50 ans, a des effets « méca-niques » sur un corps non régi par des limites d’âge, etrisque donc d’entraîner un vieillissement.

Cette évolution est cependant sans effet sur l’âgemoyen au recrutement, qui résulte des choix exercésau fil des élections. On observe pourtant ici, commechez les académiciens, une tendance au recrutementplus tardif, comme si les électeurs voulaient éviterun allongement de la durée de présence (tant qu’iln’existe pas de limite d’âge supérieure), ou uneréduction du rythme des élections annuelles : àeffectif constant (N) et comportements inchangés, eneffet, les deux variables (respectivement D et r) sontétroitement liées par la formule N = D x r. Selon lesconditions actuelles, par exemple, où N=52 et D=17ans, le nombre d’élections possibles annuellement est52/17= 3. Mais il faut y ajouter les cinq chairesannuelles, qui permettent un élargissement desthématiques enseignées au Collège.

L’effet de l’évolution de la mortalité est encore plus netaprès 1930, quand l’espérance de vie au-delà de 60 anscommence vraiment à augmenter : le nombre des profes-seurs honoraires croit alors très rapidement, passantd’une dizaine à cinquante en une soixantaine d’années. �

Pr Henri Leridon

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Bibliographie :Collège de France, direction des Affaires

culturelles et Relations extérieures.Liste des Professeurs depuis la fondationdu Collège de France en 1530. Paris,2009.

Collège de France, service des Bibliothèqueset archives.Liste des Professeurs du Collège deFrance. Paris, 2009.

Collège de France.Cours et travaux du Collège de France.Historique 2008-2009 (et annéesantérieures).

Goujet, Claude-Pierre (Abbé). Mémoire historique et littéraire sur leCollège Royal de France A.M. Lottin,1758.

Lefranc, Abel.Histoire du Collège de France. Hachette,1893.

Lefranc, Abel et al.Le Collège de France (1530-1930). Livrejubilaire composé à l’occasion de sonQuatrième centenaire. PUF, 1932.

1926 2010

L’Assemblée des professeurs en 1926 et en 2010

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Lorsque j’ai été élu au Collège de France, en 1999, lapossibilité venait d’être accordée de nommer titulairesde chaires permanentes des chercheurs étrangers. LaFrance savante redevenait la res publica literaria deshumanistes. L’Europe était, à son tour, une conquêtepolitique, mais elle se présentait et se présente aujour-d’hui comme une tâche, un espace, une mission visantà former une patrie commune de vie et d’idées. Onpourrait dire, comme pour le Risorgimento italien duXIXe siècle : « nous avons fait l’Europe, il nous reste àfaire les Européens ».

Le Collège de France a une responsabilité spécialeenvers l’Europe des esprits, à la fois par ses origines deconciliation érasmienne et par son histoire récente (cesont, entre autres, Paul Hazard avec sa Crise de la cons-cience européenne, Fernand Braudel, Marcel Bataillonet, plus récemment, Marc Fumaroli, ayant choisi avantmoi d’intégrer ce mot « Europe » à l’intitulé de sachaire, qui ont maintenu vivante cette instance euro-péenne, de même que les titulaires de la « chaire euro-péenne » et de la « chaire internationale », de BronisławGeremek à Umberto Eco).

Comment penser cette « civilisation de l’Europe1 » ? Jene suggérerai que deux exemples.Je commencerai, dans le temps, par la GalliaNarbonensis. Lorsque vous entrez dans Narbonne, parla route nationale, vous êtes encore accueilli par unpanneau de bienvenue généreux et solennel :« Narbonne, première fille de Rome hors d’Italie. »Rome fut tout à la fois un creuset, un carrefour, unchemin de terre et d’eau pour toute la Méditerranée ; untronçon de la Via Domitia passe encore, à ciel ouvert,devant l’ancien palais des archevêques et la cathédraleSaint-Just-et-Saint-Pasteur.

Quand on considère ce qui a suivi, les siècles « identi-taires », partout se lisent les signes des massacres commisau titre de la vérité et de la pureté : d’Albi à Carcassonne,ces terres sont celles de la croisade contre les Albigeois ;

ici – quelques siècles plus tard, lors des guerres de reli-gion – la splendide abbaye cistercienne de Valmagne estmise sous siège par l’ancien abbé Vincent Concombletde Saint-Séverin, rallié à la Réforme, et tous les moinessont rendus à une vie meilleure au fil de l’épée ; l’abbayeelle-même est réquisitionnée pendant la Révolution,archives, mobilier et instruments du culte sont brûlés,puis elle est vendue à un producteur viticole qui installe,dans chacune des chapelles latérales, ses énormes foudresaux mesures parfaitement adaptées aux voutes – lesquelsy trônent encore aujourd’hui, l’abbaye ayant été trans-mise à d’autres producteurs de vin, pourvus quant à euxd’un titre de noblesse et tout aussi fidèles à cet héritagerévolutionnaire.

Les signes d’une civilisation pacifiée sont rares, presquetous – de Béziers à Pézenas – de type toscan, témoignagesd’une Renaissance de jardins et de villas importée par lafamille florentine de Piero Bonsi [Pierre de Bonzi], intimede Mazarin, mais aussi de Colbert, qui pendant près d’unsiècle – depuis la fin du XVIe siècle jusqu’à la fin du XVIIe –gouverna évêchés et abbayes du Languedoc, donnant àPézenas l’aspect de cette élégante coulisse italienne oùvoient le jour les premières pièces de Molière.

Remarquable exception – qui à elle seule suscite uneréflexion sur ce qu’est, et devrait rester, la civilisationeuropéenne –, l’abbaye de Fontfroide ; fondée en 1093– et superbe structure cistercienne alliant le Moyen Âgeà la Renaissance –, elle aussi en ruines après laRévolution, puis, au XXe siècle, prête à connaître lamême fin que les cloîtres de Saint-Guilhem-le-Désert etSaint-Michel-de-Cuxa, que l’Américain George GreyBarnard acheta, démonta, et emporta à New York, oùils sont encore exposés, précisément au musée desCloisters, l’abbaye de Fontfroide échappe à ce mêmedestin parce que Madeleine et Gustave Fayet, eux aussimarchands de vin aisés, établis à Béziers, l’achètent en1908 et investissent tous leurs biens dans sa restaura-tion. Fayet, bon peintre, devient en 1900 le conservateurdu musée de Béziers ; il a du goût et commence à acheter

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QUELLE EUROPE POUR LE XXIe SIÈCLE ?

PR CARLO OSSOLAtitulaire de la chaire de Littératures modernes de l’Europe néolatine

1. Voir, notamment, la leçon inaugurale de l’année académique 2010-2011 de Francisco Jarauta, El Futuro de Europa, Murcia, Universidades Públicas dela Región de Murcia, 2010.

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des Gauguin (Les Trois Tahitiens, Les Seins aux fleursrouges) ; en 1901, il organise à Béziers une expositiond’actualité et d’un grand raffinement, où sont présentésnon seulement Degas, Renoir, Cézanne et Pissarro, maisaussi Odilon Redon – qui deviendra un ami proche deFayet – et surtout un certain « M. Picasso, Espagne »,peut-être pour sa première exposition hors d’Espagne –il a alors à peine vingt ans. Fayet devient un des princi-paux promoteurs de l’œuvre de Gauguin, et on conçoitaisément ce qu’aurait pu être son parcours de collec-tionneur au XXe siècle. Mais en 1908, avec OdilonRedon et Richard Burgsthal, peintre et célèbre maîtreverrier, il découvre Fontfroide et, comme dans la para-bole évangélique [Matth., XIII, 44-46], il vend sesGauguin, dont une partie – sur grès et sur bois – sontdésormais au musée d’Orsay, afin de restaurer l’abbayeet de la munir de nouveaux vitraux.

Qui visite Fontfroide aujourd’hui trouve le sens profondde la mission de l’Europe : préserver le passé, choisir avecrigueur au cœur du présent et promouvoir l’avenir, c’est-à-dire peut-être les M. Picasso qui, dans chaque métier etchaque art, passent près de nous, inaperçus ; et restersurtout la « première fille de Rome », comme lerappellent encore les monuments aux morts de Bézierset de Narbonne, et leurs espaces sacrés, dédiés aux soldatstombés lors de la Première Guerre mondiale : nomsitaliens, basques, espagnols, portugais, français. Vuedepuis le lieu-temps de n’importe quelle ville d’Europe,la seule frontière, c’est notre peur ; et les seules caravanesà chasser sont celles de notre ignorance.

Pour une telle Europe, les vertus de sociabilité qu’apromues sur tout le continent le XVIIIe siècle desLumières et de la conversation, avec ses salons, ses

théâtres et ses itinéraires de kavaliertour, ne suffisentplus. Nous sommes aujourd’hui, comme l’a bienobservé Zygmunt Bauman, dans des « sociétésliquides », sans forme et sans berges, en diffluence dansle champ infini de l’arbitraire, sans plus de véritableBildung apte à former une conscience européenne. LesÉtats sont fragiles, les idéaux modestes, et souventégoïstes, la jeunesse a peu d’espoir d’avenir. Il est néces-saire – et c’est ma proposition – que nos poleis revien-nent aux vertus de la Politique, définies par Aristotedans son troisième livre (chapitre III : sur la vertu del’homme de bien et du bon citoyen) et formulées en latinpar Cicéron dans le premier livre de son De officiis,puis fixées par Ambroise et Augustin : la prudentia, lajustitia, la fortitudo, la temperantia2. Telles étaient les« vertus cardinales » qui guidaient l’action du citoyen,piliers de l’homme « inébranlable », fermement appuyésur les quatre angles de ces colonnes de Bildung et derésistance. À ces vertus, confirmant ainsi le monde grecet latin, le christianisme a ajouté les trois vertus théo-logales consacrées par saint Paul dans la Première Épîtreaux Corinthiens (XIII, 13) : la foi, l’espérance et lacharité, parmi lesquelles la plus grande est la caritas(l’amour pour l’homme).

Les traités médiévaux en sont nourris ; et le but ultime deces vertus, cardinales et théologales, est – comme lerappellera Dante dans son Monarchia (I, 4, 1-4 ; et I,16) – l’instauration de cette paix que le Messie a apportéeaux hommes : pax hominibus bonae voluntatis. Plusencore dans la Divine Comédie, Dante célèbre les« quatre étoiles / jamais vues, sinon à l’âge d’or de l’hu-manité » (Purgatoire, I, 23-24 et VIII, 89-93). Peu après,Ambrogio Lorenzetti, dans sa magnifique fresque del’Allégorie du bon et du mauvais gouvernement (1338-1339), salle des Neuf du Palazzo Pubblico de Sienne,fixera définitivement ce canon de vertu, y ajoutant laMagnanimité, et plaçant au centre de tout la Paix. Il seraitinstructif de reparcourir l’histoire de la magnanimitas,mais je renverrai simplement ici au récent ouvrage deRob Riemen, Adel van de Geest3, qui la retrace avec unepertinence qui ne renonce pas à l’engagement.

Aujourd’hui, nous avons besoin de ces cardini [gonds,axes] pour l’Europe à venir ; Shakespeare observait déjàque The time is out of joint (Hamlet)4. Seule une cons-cience forte de ces vertus « cardinales », aristotéli-ciennes, cicéroniennes et chrétiennes, peut former unejeunesse européenne digne de son héritage et féconded’avenir. �

Pr Carlo Ossola

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2. Voir M. Becker, Die Kardinaltugenden bei Cicero und Ambrosius : De officiis, Basel, Schwabe, 1994.3. La Noblesse de l’esprit : un idéal oublié, Paris, Nil, 2009.4. Voir aussi le beau livre d’Agnès Heller, The time is out of joint : Shakespeare as philosopher of history, Boston, Rowman, 2002.

Ambrogio Lorenzetti,Allégorie du bon et du

mauvais gouvernement(Allegorie ed effetti del

Buono e Cattivo Governo,fresque), Palazzo Pubblico,

Sienne, 1338-1339.

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Nous publions à cette occasion un bref portrait de Fernand Braudel, avec un compte-rendu de la noticede Denis Crouzet, figurant dans l’ouvrage publié sous la direction de Pierre Toubert et Michel Zink, MoyenÂge et Renaissance au Collège de France (Fayard 2009), des passages tirés de la présentation de la chaireà l’assemblée des professeurs du Collège (27 novembre 1949) par Marcel Bataillon, et des extraits de laleçon inaugurale de Fernand Braudel.

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À l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de ladisparition de Fernand Braudel (1902-1985), deuxmanifestations ont honoré la mémoire de l’historien quioccupa au Collège de France, de 1950 à 1972, la chaired’Histoire de la civilisation moderne.

Le 10 avril 2010 à Nîmes, à l’invitation del’Association Maurice Aliger, s’est déroulé un colloquequi avait pour titre : Fernand Braudel, l’homme. Aprèsune introduction de Jean-Marc Roger, président del’Académie de Nîmes, des proches de l’historien(Mme Braudel et ses filles) ont apporté sur sa person-nalité des témoignages inédits. Mme Plouvier etMM. Aymard, Le Roy Ladurie, Guilaine, Carbonell,

Amalvi et Biloghi ont évoqué différents aspects de lapersonne et de l’œuvre de Fernand Braudel.

La région Sicile et l’université de Palerme avaient tenuégalement à marquer cet anniversaire en organisant, les28 et 29 mai, un colloque sur le thème : RicordandoBraudel : Mediterraneo, un mare condiviso. Introduitepar A. Accardi et S. Tusa, cette réunion s’est déroulée endeux sessions. La première, à Palerme, a permis d’en-tendre des évocations personnelles (F. Quilici).Archéologues (M. Tosi, J. Guilaine, C. Broodbank,M. Marazzi), historiens et anthropologues (M. Aymard,P. G. d’Ayala, P. Corrao, V. Guarazzi, S. D’Onofrio,A. La Gumina, F. Martino, A. Buttitta, F. VergaraCaffarelli) sont intervenus et ont débattu sur des thèmesliés à Braudel, à l’histoire, à la Sicile et à laMéditerranée.

Les participants se sont ensuite retrouvés sur l’îled’Ustica où, lors d’une cérémonie publique, une plaquea été scellée dans la mer en mémoire de l’historien. Unetable ronde s’est ensuite attachée à cerner les contoursd’un futur observatoire de la Méditerranée. �

Pr Jean Guilaine

FERNAND BRAUDELTOUJOURS PRÉSENT

� Denis Crouzet réunit dans une notice unique sa présen-tation de Lucien Febvre et de Fernand Braudel. Son texte,intitulé « De 1933 à 1950, Lucien Febvre et FernandBraudel ou deux hommes dans un bateau », est appuyé surl’événement de ce trajet en mer de 1937. Le navire qui lesramène d’Amérique latine est le lieu d’une rencontre déci-sive qui les réunit dans la défense d’une manière nouvellede faire de l’histoire, laissant derrière eux les terres à leursyeux devenues stériles de l’histoire historicisante.

Cette rencontre, selon Crouzet, est le moment de lareconnaissance d’une affinité d’intuitions qui prend les

allures d’une filiation intellectuelle et même « spiri-tuelle ». L’orientation qu’allait prendre Braudel « futun fait d’individus se parlant et se communiquant desintuitions, entrant chacun dans l’intimité de l’autrejusqu’à s’attribuer l’un une figure paternelle, l’autrel’identité d’un fils héritant de l’avenir de l’histoireconçue comme un legs devant être à la fois défendu etfructifié. Elle fut le fait de personnages se pensant eux-mêmes de grands personnages, ayant une conceptionquasi héroïque de leur rôle refondateur de l’Histoire etse créant dans ce cadre une parenté intellectuellecommune afin de faire de cette parenté un outil de

Pr Jean Guilainetitulaire de la chaire de

Civilisations de l'Europe auNéolithique et à l'Âge du Bronze

de 1995 à 2007

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conquête du champ de l’écriture historique. […] Deuxego partageant non seulement une foi messianique dansl’histoire, mais surtout un infini amour de l’histoire1 ».Crouzet veut montrer que ces leçons données en 1933et en 1950 sont « empreintes d’une pratique mimé-tique » qui traduit « une sorte d’alliance intime » scelléeà la faveur de ce rapprochement fortuit. « Febvredevient effectivement l’inspirateur et le guide d’un histo-rien en qui il voit sans doute l’historien appelé à pour-suivre ses propres Combats pour l’histoire. Il est lemagister vitae. » Il l’introduit aux Annales, le pousse àpasser à la rédaction de sa thèse, l’encourage mêmependant la détention de Braudel dans les oflags alle-mands. Febvre reconnaît en lui l’idéal nouveau de l’his-torien, qu’il exprime dans son livre Combats pourl’histoire : ne pas se soumettre aux vues trop étroitesde l’histoire événementielle, mais penser pleinement lefait humain, et refuser de professer « la soumission pureet simple à ces faits, comme si les faits n’étaient pas desa fabrication, comme s’ils n’avaient point été choisispar lui, au préalable2 ». La Méditerranée et le mondeméditerranéen à l’époque de Philippe II, le livre qui feratrès vite la renommée de Braudel, apparaît à Febvrecomme « un manifeste. Un signe3 ». Braudel sera sonsuccesseur au Collège de France. Sa leçon inaugurale,selon Crouzet, fait étroitement écho à celle de Febvre :« même déclaration d’intention contre une histoireholiste qui se fixerait comme but de tout pouvoir savoir,de tout pouvoir dire ; même évocation d’une contre-histoire qui serait marquée par une complexité structu-relle et structurale et qui se refuserait au réductionnismecausaliste ; même repositionnement de l’Histoire commeétant “la vie”, ou “au cœur de la vie”. L’Histoire,“comme la vie elle-même”, s’oppose au concept fixistede tableau. Il faut voir qu’elle est avant tout principe etévidence de mobilité ».

� Au Collège de France, c’est Marcel Bataillon, titu-laire de la chaire de Langues et littératures de la pénin-sule ibérique et de l’Amérique latine de 1945 à 1965,qui présente la chaire et le candidat à l’assemblée desprofesseurs. Défendant le maintien de la chaire d’his-toire de la civilisation moderne au Collège de France, ilévoque, pour expliquer le genre d’histoire qu’il s’agitde pérenniser, le mot d’Unamuno déplorant dès la fin duXIXe siècle l’insuffisance de l’histoire traditionnellecentrée sur les événements qui ont « fait du bruit dansl’histoire », et soulignant par contraste l’importance de« l’intrahistoire, la intrahistoria tramée au jour le jour

par les hommes silencieux qui font leur besogne lelendemain comme la veille d’une de ces grandes datesalignées dans les manuels4 ». Le livre de Braudel est aupremier chef, pour Marcel Bataillon, une œuvre d’intra-histoire. Dans ce vaste tableau du monde méditerra-néen, à la fois histoire géographique et géographiehumaine de ce monde au seuil des temps modernes, ilsouligne l’effort visant par exemple à « toucher la réalitémême de la navigation au XVIe siècle ». Il y voit « l’his-toire de la civilisation moderne prenant appui sur latechnologie en même temps que sur la géographie histo-rique ». Mais c’est aussi et surtout un livre consacré au« domaine de la vie économique, de la production etdes échanges, de la circulation des richesses, du mouve-ment de ces valeurs plus difficilement saisissables quesont les biens de civilisation, les formes d’art parexemple, domaine enfin des forces collectives consti-tuées, classes sociales qui se fortifient ou se désagrègent,États, empires ». Cette histoire, renouvelée « par unénorme matériel documentaire, par l’éclairage résultantde l’attention aux constantes et aux contraintes de laréalité intrahistorique », constitue une œuvre « où lapoésie est égale à la passion de la vérité ». Elle estappuyée, dit Bataillon, sur « une histoire économiqueinstallée dans un cadre si ample, avec un sens si sûr deses attaches à la terre, un tel intérêt pour les enchevê-trements de l’économique avec le social et le politique,même avec le spirituel, bref, avec un tel sens de la grandehistoire et de l’histoire profonde, qu’elle serait à sa placedans la chaire d’histoire de la civilisation moderne ».Elle exige un professeur « ouvert à toutes les sugges-tions offertes à l’histoire par les autres sciences socialeset par la vie même d’aujourd’hui » et qui, « sans avoirla superstition du document d’archive, aimant aucontraire illustrer une statistique du XVIe siècle parBandello ou Cervantès, s’imposerait d’exploiter à fondla documentation où est empreinte la vie d’autrefois. » �

1. Denis Crouzet, « De 1933 à 1950, Lucien Febvre et Fernand Braudel ou deux hommes dans un bateau », in Pierre Toubert et Michel Zink (sous la direc-tion de), Moyen Âge et Renaissance au Collège de France : Leçons inaugurales, Paris, Fayard, 2009, p. 299-318.2. Lucien Febvre, « Sur une forme d’histoire qui n’est pas la nôtre. L’Histoire historicisante », in Combats pour l’histoire (1953), Paris, A. Colin, 1992,p. 114-119. Cité in Pierre Toubert et Michel Zink, op. cit., p. 312.3. Denis Crouzet, loc. cit. p. 313.4. Marcel Bataillon, « Pour le maintien de la chaire d’Histoire de la civilisation moderne », Assemblée des professeurs du 27 novembre 1949, Archives duCollège de France.

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� Fernand Braudel, Leçon inaugurale1er décembre 1950 (extraits)5

C’est une tâche difficile – condamnée à l’avance – que dedire en quelques mots ce qui a vraiment changé dans ledomaine de nos études, et surtout comment et pourquoile changement s’est opéré. Mille détails nous sollicitent.Albert Thibaudet prétendait que les vrais bouleversementssont toujours simples sur le plan de l’intelligence. Alors,où se situe cette petite chose simple, cette novation effi-cace ? Certainement pas dans cette faillite de la philoso-phie de l’histoire, préparée longtemps à l’avance et dontpersonne, avant même le début de ce siècle, n’acceptaitplus les ambitions et les conclusions hâtives. Pas davan-tage dans la banqueroute d’une histoire-science, à peineesquissée d’ailleurs. Il n’y avait de science, disait-on hier,que capable de prévoir : elle devait être prophétique oune pas être… […] Mais à quoi bon discuter sur ce mottrouble de science, et sur tous les faux problèmes qui endérivent ? Autant s’engager dans le débat, plus classique,mais plus stérile encore, de l’objectivité et de la subjecti-vité en histoire dont nous ne nous délivrerons pas tant quedes philosophes, par habitude peut-être, s’y attarderont,tant qu’ils n’oseront pas se demander si les sciences lesplus glorieuses du réel ne sont pas, elles aussi, objectiveset subjectives à la fois. […] Ce n’est pas entre peintre ettableau, ou même, audace qu’on eût trouvée excessive,entre tableau et paysage que se situe le problème de l’his-toire, mais bien dans le paysage lui-même, au cœur de lavie.

Comme la vie elle-même, l’histoire nous apparaît un spec-tacle fuyant, mouvant, fait de l’entrelacement deproblèmes inextricablement mêlés et qui peut prendre,tour à tour, cent visages différents et contradictoires. Cettevie complexe, comment l’aborder et la morceler pourpouvoir la saisir ou du moins en saisir quelque chose ? Denombreuses tentatives pourraient nous décourager àl’avance.

Nous ne croyons plus ainsi à l’explication de l’histoirepar tel ou tel facteur dominant. Il n’y a pas d’histoireunilatérale. […]

La tâche est justement de dépasser cette marge premièrede l’histoire. Il faut aborder, en elles-mêmes et pour elles-mêmes, les réalités sociales. J’entends par là toutes lesformes larges de la vie collective, les économies, les insti-tutions, les architectures sociales, les civilisations enfin,elles surtout – toutes réalités que les historiens d’hier,certes, n’ont pas ignorées, mais que, sauf d’étonnantsprécurseurs, ils ont trop souvent vues comme une toile defond, disposée seulement pour expliquer, ou comme si

l’on voulait expliquer les actions d’individus exception-nels autour desquels l’historien tourne avec complaisance.

Immenses erreurs de perspective et de raisonnement, carce que l’on cherche ainsi à accorder, à inscrire dans lemême cadre, ce sont des mouvements qui n’ont ni lamême durée, ni la même direction, les uns qui s’intègrentdans le temps des hommes, celui de notre vie brève etfugitive, les autres dans ce temps des sociétés pour quiune journée, une année ne signifient pas grand-chose,pour qui, parfois, un siècle entier n’est qu’un instant dela durée. Entendons-nous : il n’y a pas un temps sociald’une seule et simple coulée, mais un temps social à millevitesses, à mille lenteurs qui n’ont presque rien à voir avecle temps journalistique de la chronique et de l’histoiretraditionnelle. Je crois ainsi à la réalité d’une histoireparticulièrement lente des civilisations, dans leurs profon-deurs abyssales, dans leurs traits structuraux et géogra-phiques. Certes, les civilisations sont mortelles, dans leursfloraisons les plus précieuses ; certes elles brillent, puiselles s’éteignent, pour refleurir sous d’autres formes. Maisces ruptures sont plus rares, plus espacées qu’on ne lepense. Et surtout, elles ne détruisent pas tout également.Je veux dire que, dans telle ou telle aire de civilisation, lecontenu social peut se renouveler deux ou trois foispresque entièrement sans atteindre certains traitsprofonds de structure qui continueront à la distinguerfortement des civilisations voisines. Il y a, si l’on veut,plus lente encore que l’histoire des civilisations, presqueimmobile, une histoire des hommes dans leurs rapportsserrés avec la terre qui les porte et les nourrit ; c’est undialogue qui ne cesse de se répéter, qui se répète pourdurer, qui peut changer et change en surface, mais sepoursuit, tenace, comme s’il était hors de l’atteinte et dela morsure du temps.

Si je ne me trompe, les historiens commencent à prendreconscience, aujourd’hui, d’une histoire nouvelle, d’unehistoire lourde dont le temps ne s’accorde plus à nosanciennes mesures. Cette histoire ne s’offre pas à euxcomme une découverte facile. Chaque forme d’histoireimplique, en effet, une érudition qui lui corresponde. Puis-je dire que tous ceux qui s’occupent des destins écono-miques, des structures sociales et des multiples problèmes,souvent d’intérêt menu, des civilisations, se trouvent enface de recherches auprès desquelles les travaux desérudits les plus connus du XVIIIe et même du XIXe sièclenous semble d’une étonnante facilité ? Une histoire neuven’est possible que par l’énorme mise à jour d’une docu-mentation qui réponde à ces questions neuves. Je doutemême que l’habituel travail artisanal de l’historien soit àla mesure de nos ambitions actuelles. Avec le danger quecela peut représenter et les difficultés que la solution

5. Pierre Toubert et Michel Zink (sous la direction de), Moyen Âge et Renaissance au Collège de France : Leçons inaugurales, Paris, Fayard, 2009,p. 411-425.

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implique, il n’y a pas de salut hors des méthodes du travailpar équipes. […]

L’histoire des techniques […] découvre, elle aussi, de tropvastes paysages, pose de trop larges problèmes...AuXVIe siècle, la Méditerranée, la Méditerranée prise en bloc,a connu toute une série de drames techniques. Alors […]se produit une lente et curieuse diminution des tonnagesmarins. Les coques deviennent de plus en plus mesuréeset légères. Venise et Raguse sont les patries des groscargos : leurs voiliers de charge jaugent jusqu’à milletonnes et au-delà. Ce sont les grands corps flottants de lamer. Mais un tel luxe est bientôt hors des moyens deVenise. Contre les géants de la mer se marque partout lafortune des petites voiliers, grecs, provençaux, marseillaisou nordiques. À Marseille, c’est l’heure victorieuse destartanes, des saètes, des naves minuscules. On tiendrait cesesquifs au creux de la main ; rarement ils dépassent centtonnes. Mais, à la besogne, ces navires de poche font leurspreuves. Le moindre vent les pousse ; ils entrent dans tousles ports ; ils chargent en quelques jours, en quelquesheures, alors que les navires de Raguse mettent dessemaines et des mois à avaler leurs cargaisons.

Qu’un de ces gros cargos ragusains se saisisse par fortuned’un léger navire marseillais, s’adjuge sa cargaison et,jetant à l’eau l’équipage, fasse tout disparaître en uninstant du navire rival, le fait divers illustre, un instant, lalutte des gros contre les petits esquifs de la mer. Maisnous aurions tort de croire le conflit circonscrit à la MerIntérieure. Gros et petits se heurtent et se dévorent surles sept mers du monde. En Atlantique, leur lutte est laplus grande lutte du siècle. Les Ibériques envahiront-ilsl’Angleterre ? […] Si la résistance ibérique continue, c’esttout de même que passent, à peu près indemnes, guidéspar la main de Dieu, disent les Génois, les convois degalions qui vont vers les Antilles et en reviennent chargésd’argent ; c’est que les mines du Nouveau Monde restentau service des maîtres ibériques... L’histoire des naviresn’est pas une histoire en soi. Elle est à resituer entre lesautres histoires qui l’entourent et la soutiennent. Ainsi lavérité, sans se refuser, se dérobe une fois de plus devantnous.

[…] Si l’on quitte le domaine de l’économique, de la tech-nique, pour celui des civilisations, si l’on rêve à ces insi-dieuses, presque invisibles fêlures qui, en un siècle oudeux, deviennent de profondes cassures au-delà desquellestout change de la vie et de la morale des hommes, si l’onrêve à ces prestigieuses révolutions intérieures, alors l’ho-rizon, lent à se dégager, s’élargit et se complique avec plusd’intensité encore. Un jeune historien italien, à la suite depatientes prospections, a le sentiment que l’idée de la mortet la représentation de la mort changent du tout au toutvers le milieu du XVIe siècle. Un profond fossé se creusealors : à une mort céleste, tournée vers l’au-delà – et

calme – porte largement ouverte où tout l’homme (sonâme et son corps presque entier) passe sans trop se crisperà l’avance, à cette mort sereine se substitue une morthumaine, déjà sous le premier signe de la raison. Jerésume mal le passionnant débat. Mais que cette mortnouvelle, lente à montrer son vrai visage, naisse, ousemble naître longtemps à l’avance dans les complexespays rhénans, voilà qui oriente l’enquête, et nous met aucontact de cette histoire silencieuse, mais impérieuse, descivilisations. Alors nous naviguerons au-delà de l’habi-tuel décor de la Réforme, non sans tâtonner, d’ailleurs, àforce de précautions et de patientes recherches. Il faudralire les livres de dévotion et les testaments, collectionnerles documents iconographiques, ou dans les villes, bonnesgardiennes de leurs chartriers, comme à Venise, consulterles papiers des Inquisitori contra Bestemmie, ces« archives noires » du contrôle des mœurs, d’impres-criptible valeur.

Mais il ne suffit pas, vous le savez, de se réfugier danscette nécessaire et interminable prospection de matériauxneufs. Ces matériaux, il faut les soumettre à des méthodes.Sans doute celles-ci, certaines au moins, varient-elles d’unjour à l’autre. Dans dix ou vingt ans, nos méthodes enéconomie, en statistique ont des chances d’avoir perdude leur valeur […]. Ces informations, ces matériaux, ilfaut aussi les soulever, les repenser à la mesure de l’hommeet, au-delà de leurs précisions, il s’agit, si possible, deretrouver la vie : montrer comment ses forces se lient, secoudoient ou se heurtent, comment aussi, bien souvent,elles mêlent leurs eaux furieuses. Tout ressaisir, pour toutresituer dans le cadre général de l’histoire, pour que soitrespectée, malgré les difficultés, les antinomies et lescontradictions foncières, l’unité de l’histoire qui est l’unitéde la vie. �

Fernand Braudel, élu àl’Académie française, le

14 juin 1984 au fauteuild’André Chamson (15e) et

reçu le 30 mai 1985 parMaurice Druon.

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Pierre Hadot est le professeur de philosophie quechacun de nous aurait désiré avoir. Simple, modeste,parlant toujours avec une légère ironie, clair et ennemidu « maniérisme » jargonnant qu’il dénonçait dans saleçon inaugurale, il a su éveiller de nombreuses voca-tions en restituant à la philosophie de l’époque hellé-nistique son originalité et sa profondeur. Son œuvreimpressionnante n’a laissé insensibles ni l’historien, nile littéraire ni le philosophe.

Le côté clair et innovateur de Pierre Hadot est sans doutele résultat du parcours particulier qui fut le sien. Homonovus, comme il se plaisait à le répéter, il est entré enphilosophie par un itinéraire très personnel qui leconduisit du séminaire à la recherche scientifique, enpassant par l’ordination sacerdotale, suivie pendant lapériode de la guerre d’un brevet d’ajusteur dans un atelierde démontage et de réparation de locomotives. Après laguerre, Pierre Hadot poursuivait ses études de philoso-phie, tout en enseignant à Charleville et à Paris. Il s’ins-crivit en thèse, fut admis au CNRS et fréquentait les coursà l’Institut catholique, à la Sorbonne, et à l’EPHE.

En 1950, il quittait le sacerdoce et l’Église, et se consa-crait désormais entièrement à la préparation de son

doctorat d’État en tant que chercheur au CNRS.Comme beaucoup de ses recherches antérieures etcomme son diplôme de l’EPHE, cette thèse portait surun néo-platonicien chrétien du IVe siècle de notre ère,Marius Victorinus, un auteur sur lequel Pierre Hadottravaillera pendant vingt ans, avant de soutenir en 1968un doctorat d’État sur Porphyre et Victorinus, publiéen 1972. En 1964, Pierre Hadot fut élu à l’EPHE, dansla section des sciences religieuses, à une directiond’études sur la Patristique latine en référence à sestravaux sur Marius Victorinus. Cette chaire qui parais-sait faire de Pierre Hadot un spécialiste de textes latins,ne correspondait toutefois plus à la réalité de ses recher-ches, bien plus proches du Plotin ou la simplicité duregard qu’il venait de publier en 1963 ou de ces néo-platoniciens grecs, Proclus et Damascius, qu’il lisait aubord de la Meuse pendant la pause de midi, lorsqu’ilenseignait dans les « froides Ardennes », je le cite, dansun pensionnat de jeunes filles. Quelques années plustard, l’assemblée de la section des Sciences religieuses,qui avait fait de lui entre-temps son secrétaire chargé dela scolarité et de l’administration, l’autorisa à changerl’intitulé de la direction d’études en « Théologies etmystiques de la Grèce hellénistique et de la fin del’Antiquité ». Cet intitulé révèle effectivement toutel’ampleur des recherches de Pierre Hadot. L’intituléplace au premier plan de ses recherches et de son ensei-gnement le monde hellénistique dans toute son exten-sion temporelle et spatiale, ainsi que la mystique qui n’acessé de l’intéresser et de l’intriguer tout au long de savie. Autant que la mystique, ce sont les exercices spiri-tuels qui étaient au centre de ses recherches de PierreHadot. Dans ses séminaires de l’EPHE il pouvait libre-ment travailler et enseigner sur Plotin, Marc Aurèle, etc’est cet aspect qui marque son livre suivant, Exercicesspirituels et philosophie antique, en 1981. Mais à cette

Pierre HADOT (1922-2010)chaire d’Histoire de la pensée hellénistique

et romaine, 1982-1991

Pr John Scheidtitulaire de la chaire de

Religion, institutions etsociété de la Rome antique

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date, la carrière de Pierre Hadot prit une nouvelle direc-tion puisqu’il fut élu au Collège de France, en 1982, surune chaire consacrée à l’Histoire de la pensée hellénis-tique et romaine, dont l’intitulé confirmait sa volontéde traiter de la philosophie des siècles postérieurs àl’Athènes classique. Même s’il a souvent fait allusion àSocrate, son attention se portait avec prédilection versles néo-platoniciens et la philosophie tardive, dont il alargement contribué à relancer l’étude. Il était soucieuxd’échapper à la philosophie des programmes universi-taires pour analyser en historien le statut de cettescience dans la société hellénistique et dans le monderomain. Son refus d’opérer une quelconque distinctionentre grands auteurs et auteurs moins connus, peuattractifs pour les programmes de concours, entrephilosophes de Grèce et philosophes du monde romain,l’a conduit à publier, en 1992 : La citadelle intérieure.Introduction aux pensées de Marc Aurèle. Cet ouvragelui permit d’une part de faire justice à cet auteur, en leréinsérant dans l’histoire de la philosophie, et à fondersa conception de la vie philosophique comme un exer-cice spirituel avant tout. Comme il l’écrivait déjà dansla leçon inaugurale, les Pensées de Marc Aurèle font« comprendre les rapports entre théorie et pratiquedans la philosophie de l’époque ». À la suite de l’em-pereur philosophe, mais aussi d’Épicure, de Porphyreou de Plotin, et bien sûr de Socrate, Pierre Hadot appe-lait à ne pas considérer la théorie abstraite, l’accumu-lation de raisonnements et de connaissances acquisescomme une fin en soi, comme la fin ultime de l’exercicephilosophique. C’est plutôt l’union de la théorie avecla nature et avec la vie qui lui paraît mériter le nom desagesse, un objectif qui était réalisé par la méditation etl’exercice spirituel, des exercices qui menaient certainsjusqu’au mysticisme. Pierre Hadot traita souvent de cesujet.

L’activité de Pierre Hadot comprenait également un vifintérêt pour les textes, pour les sources. Non seule-ment, il n’agitait pas le concept, mais s’attachait àcommenter des sources antiques, et il a toujours été untraducteur, un commentateur et un éditeur de textes. Entémoignent par exemple trois volumes des Ennéadesde Plotin aux éditions du Cerf, les Écrits pour lui-mêmede Marc Aurèle aux Belles lettres, en 1998, le Manueld’Épictète, en 2000, et déjà en 1977 l’Apologie deDavid, d’Ambroise de Milan, aux Sources chrétiennes,qui souligne une autre originalité des définitions de laphilosophie par Pierre Hadot : il ne marquait pas nonplus de distinction entre la philosophie néo-platonicienneou stoïcienne, et la pensée chrétienne contemporaine.Toutes ces pensées, qui d’ailleurs se nourrissaient l’unede l’autre appartiennent à la pensée antique. C’est cetrait qui, aux yeux d’un historien, caractérise le mieuxpeut-être l’œuvre de Pierre Hadot : il a rendu son origi-nalité à la philosophie antique. Il l’a débarrassée du

carcan scolaire des programmes de licence et deconcours, et a insisté sur ce que représentait la philo-sophie comme manière de vivre contre la pure accu-mulation de connaissances. Il a surtout restitué augenre philosophique, aux textes philosophiquesantiques et même à la pensée hellénique dans sonensemble leur véritable sens.

Déjà dans la leçon inaugurale, Pierre Hadot a insisté surles griefs faits aux auteurs antiques par les modernesqui leur reprochent souvent de mal composer, de secontredire et de manquer de cohérence. Or cette diffi-culté provient de la méconnaissance de la philosophieet plus généralement de l’ignorance de la cultureantique. Pierre Hadot s’est toujours attaché à soulignerl’originalité de cette culture qui, plutôt que de composerdes ouvrages nouveaux, n’a cessé de reprendre lesgrands textes du passé qu’elle commentait ou traduisaitpar exemple du grec en latin. Et au cours de ces reprisesse produisaient inévitablement « des incompréhensions,des glissements, des pertes de sens, des réinterpréta-tions, pouvant aller jusqu’au contresens ». L’histoirede la pensée hellénistique et romaine a précisémentpour mission de reconnaître et d’analyser l’évolutiondes sens qui se faisait ainsi. Il a notamment pu montrercomment Philon d’Alexandrie a employé des formulesplatoniciennes pour commenter la Bible, commentAmbroise de Milan traduit le texte de Philon pourprésenter des doctrines chrétiennes. « On s’intéressemoins, disait-il, à l’idée en elle-même, qu’aux élémentspréfabriqués dans lesquels ont croit reconnaître sapropre pensée. » C’est par ce « bricolage » que lapensée évolue en reprenant des éléments préexistantsauxquels elle donne un sens nouveau, dans l’Antiquité,mais encore dans la philosophie actuelle, comme sescommentaires des Méditations cartésiennes de Husserlet son beau volume sur Le voile d’Isis l’ont prouvé.

Pierre Hadot était l’homme des citations. En reprenantcette phrase de Michelet qu’il cite dans le beau volumed’entretiens avec Jeannie Carlier et Arnold Davidson(La philosophie comme manière de vivre, Paris, 2001,233), selon laquelle il essayait d’être « le lien destemps », pour d’assurer « cette chaîne vitale qui dupassé mort en apparence fait circuler la sève versl’avenir », nous pourrions résumer son œuvre par lefait qu’il a rendu son originalité à la philosophieantique.

Pierre Hadot avait, de par sa double culture nourriepar la lecture des auteurs français et allemands, unevision très nette de la culture dans la conscience euro-péenne, dont témoigne une belle phrase extraite de sonchapitre dans l’ Histoire de la philosophie édité parJacqueline Russ, et qui tracent son propre portrait :« Ce sont moins les concepts que des idéaux et des

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Exercices spirituels

Pierre Hadot affirme, dans une communication auCollège de philosophie, en 1993, que « la philosophiedoit se définir comme un ‘exercice spirituel’1 ». Il ajouteque cette réflexion « remonte aux années 1959-1960, àsa rencontre avec l’œuvre de Wittgenstein ». Dans lacitation appuyant cette affirmation, il n’y a pourtant pascette formule « exercices spirituels » et j’ai l’impressionqu’elle fut autorisée, en réalité, par l’œuvre de RolandBarthes, Sade, Fourier, Loyola, de 1971, où les Exercicesde Loyola retrouvent leur force de mise en place d’unespace intérieur et théâtral des images spirituelles.

C’est tout un mouvement qui conduit Michel Foucaultà proposer au Collège de France d’abord RolandBarthes (en 1977) et, à sa suite, Pierre Hadot, dans unemême continuité théorique : la quête de soi.

L’œuvre de Pierre Hadot se concentre sur cette périodede l’antiquité classique de Sénèque à Marc-Aurèle, où la« méditation » va prendre l’ampleur de règle de vie, où« apprendre à vivre », « apprendre à dialoguer »,« apprendre à mourir » (ce sont les chapitres de ce livre)font tout un.

Nous pourrions ajouter que Pierre Hadot occupel’espace exact que Marguerite Yourcenar a admirable-ment évoqué dans les notes complémentaires aux

Mémoires d’Hadrien, où elle cite un passage de lacorrespondance de Flaubert : « Les dieux n’étant plus,et le Christ n’étant pas encore, il y a eu, de Cicéron àMarc Aurèle, un moment unique où l’homme seul aété. »

Position stoïcienne ? Je dirais que non.

À plusieurs reprises (dans ses Exercices mais aussi dansQu’est-ce que la philosophie antique ?) Hadot cite unpassage de G. Friedmann, La puissance et la sagesse,1970, que je me permets de vous lire :

Prendre son vol chaque jour ! Au moins un momentqui peut être bref, pourvu qu’il soit intense. Chaquejour un « exercice spirituel » – seul ou en compa-gnie d’un homme qui, lui aussi, veut s’améliorer.Exercices spirituels. Sortir de la durée. S’efforcer dedépouiller tes propres passions, les vanités, le pruritde bruit autour de ton nom (qui, de temps à autre,te démange comme un mal chronique). Fuir la médi-sance. Dépouiller la pitié et la haine. Aimer tous leshommes libres. S’éterniser en se dépassant.

Cet effort sur soi est nécessaire, cette ambition, juste.Nombreux sont ceux qui s’absorbent entièrementdans la politique militante, la préparation de la révo-lution sociale. Rares, très rares, ceux qui pourpréparer la révolution, veulent s’en rendre dignes.2

« Prendre son vol » : je pense que toute la philosophiede Pierre Hadot se résume dans cet élan vers la « Citéd’en haut » qu’il découvre, bien avant saint Augustin,dans l’Eis heauton de Marc-Aurèle3.

Je voudrais même préciser que la nature de la pensée dePierre Hadot n’est point stoïcienne mais plutôt prochedu Deus ludit in orbe terrarum, comme il le précise dansun chapitre – La Nature prodigue – de son Voile d’Isisoù il cite un passage de Nietzsche :

N° 30 - LA LETTRE

Pr Carlo Ossolatitulaire de la chaire de

Littératures modernes del’Europe néolatine

expériences morales que l’époque hellénistique aléguées à notre civilisation occidentale : le modèle dusage, transcendant la condition humaine, l’idée d’hu-manité, de fraternité entre les hommes, de cosmopoli-tisme, l’expérience de la liberté morale, c’est-à-dire dela pureté d’intention, de l’indépendance à l’égard des

biens extérieurs, de la tranquillité d’âme, du consente-ment au destin, mais aussi l’expérience de la liberté dejugement, de la remise en cause des opinions dogma-tiques, de l’activité critique ». �

Pr John Scheid

1. Pierre Hadot, « Mes livres et mes recherches », republié in Exercices spirituels et philosophie antique, Paris, Albin Michel, 2002 [« Nouvelle édition revueet augmentée »], p. 367.2. G. Friedmann, La Puissance et la sagesse, Paris, 1970, p. 359 ; cité par Pierre Hadot, Exercices spirituels, op. cit., p. 19 et Qu’est-ce que la philosophieantique, Paris, Gallimard, 1995, p. 416.3. Pierre Hadot, Introduction à la pensée de Marc-Aurèle, p. 338 : « Cette Cité la plus auguste, c’est la Cité d’en haut, dont l’homme est le citoyen et “dontles autres cités ne sont que les maisons” (III, 11, 2) ».

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L’idée de jeu conduit à celle de liberté, de fantaisie,de prodigalité, c’est-à-dire, finalement, à la destruc-tion de la conception aristotélicienne d’une naturebonne économe et bonne ménagère. Chez Nietzsche,la prodigue exubérance de la nature devient unthème central :

Dans la nature, règne non pas la situation dedétresse, mais au contraire la surabondance, laprodigalité, jusqu’à l’absurde même.

Vous voulez vivre en conformité avec la nature ?Ô nobles stoïciens, quelle duperie dans les mots !Imaginez-vous un être qui soit comme est lanature, prodigue sans mesure, indifférent sansmesure, sans intentions ni égards, sans pitié nijustice, fécond et stérile et incertain à la fois !

La nature, comme elle est, avec tout le caractèregrandiose de cette prodigalité et cette indiffé-rence, qui nous révoltent, mais qui n’en sont pasmoins aristocratiques4.

« Prendre son vol » ne conduit pourtant pas à unepoétique du sublime, mais à une dialectique du « haut »et du « bas » de la condition humaine, que Pierre Hadotdéveloppe magnifiquement dans son dernier livreN’oublie pas de vivre. Goethe et la tradition des exer-cices spirituels (2008), dont je me contente ici, pourtémoigner de la qualité poétique de sa pensée et de sonécriture, de ne vous présenter que quelques citations,où alternent la « contemplation d’en haut » et la« compassion d’en bas »:

Quand, le jour, le zénith et le lointainS’écoulent, bleus, dans l’infini,Quand, la nuit, le poids écrasant des astresClôt la voûte célesteAu vert, à la multitude des couleurs, Un cœur pur puise sa force.Et aussi bien le haut que le basEnrichissent le noble esprit5.

L’âme – dit Sénéque6 – possède, en sa forme achevéeet plénière, le bien que peut atteindre la conditionhumaine, lorsque, foulant aux pieds tout le mal, ellegagne les hauteurs et qu’elle parvient jusqu’au seinle plus intime de la nature. Elle se plaît à planer aumilieu des astres.

Le regard d’en haut peut devenir aussi un regardimpitoyable porté sur la petitesse et le ridicule de cequi passionne les hommes. Car, dans la perspectivede la vue d’en haut, la terre n’est qu’un point parrapport à l’immensité de l’univers ou des univers.« La terre me parut si petite », dit Scipion racontantson rêve chez Cicéron, « que j’eus honte de notreempire romain7 ».

Comme fouettés par des esprits invisibles, leschevaux solaires du temps s’emballent en emportantle frêle char de notre destin, et, à nous, il ne resterien, sinon de courageusement tenir les rênes, et,tantôt à droite, tantôt à gauche, de détourner lesroues, ici du rocher, là de l’éboulis. Où va-t-on ?Qui le sait ? Notre char se souvient à peine d’où ilest venu8.

Je n’ai rien faict d’aujourd’huy. – Quoy ? avez-vouspas vescu ? C’est non seulement la fondamentale,mais la plus illustre de vos occupations […] Nostregrand et glorieux chef-d’œuvre, c’est vivre à propos.C’est une absolue perfection et comme divine, desçavoyr loiallement de son estre9.

Dans son for intérieur, la pensée de Pierre Hadot faitrevivre la célèbre expression de Hölderlin :

Voll Verdienst, doch dichterish, wohnet derMensch auf dieser Erde,plein de mérite, mais poétiquement,habite l’homme sur cette terre. �

Pr Carlo Ossola

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4. Id., Le Voile d’Isis. Essai sur l’histoire de l’idée de Nature, Paris, Gallimard, 2004, p. 207-208 [« La Nature prodigue »]. 5. W. Goethe, « Génie planant », cité par Pierre Hadot, N’oublie pas de vivre. Goethe et la tradition des exercices spirituels, Paris, Albin Michel, 2008, p. 138.6. Sénèque, Questions naturelles, I, Prologue, § 7.7. Pierre Hadot, N’oublie pas de vivre, op. cit., p. 104-105.8. W. Goethe, Poésie et Vérité, p. 501 ; cité par Pierre Hadot, N’oublie pas de vivre, op. cit., p. 199.9. Montaigne, Essais, III, 13, Paris, 1962, p. 1088 ; cité par Pierre Hadot, N’oublie pas de vivre, op. cit., p. 272.

Le Collège de France a la tristesse d’annoncer le décès, à l’âge de 97 ans, de

Jacqueline de Romilly,titulaire de la chaire :

La Grèce et la formation de la pensée morale et politique,de 1973 à 1984.

DISPARITION

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De l’atome au matériauLes phénomènes quantiques collectifsAntoine GeorgesColl. Leçons inaugurales du Collège deFranceParis, Collège de France/Fayard, 2010.

Le monde des matériaux présente une extraor-dinaire diversité d’architectures (cristaux,verres, mousses, gels) et de comportementsphysiques (métaux, isolants, semi-conduc-teurs, supraconducteurs). La physique de lamatière condensée cherche à comprendre leurspropriétés. Nombre de technologies modernes(le transistor ou l’imagerie médicale par réso-

nance magnétique nucléaire, par exemple) ontpour origine des découvertes fondamentalesdans ce domaine. Antoine Georges nousconvie ici à un voyage fascinant qui, partantdes formes organisées que prend la matière àl’échelle macroscopique, nous entraîne jusqu’àses constituants intimes, à l’échelle de l’atome.

Né en 1961, Antoine Georges est physicien.D’abord chercheur au Laboratoire de physiquethéorique de l’École normale supérieure, il estdevenu, en 2003, professeur de physique à l’Écolepolytechnique. Depuis 2009, il est professeur auCollège de France, titulaire de la chaire de Physiquede la matière condensée.

PUBLICATIONS

La Patrie de NarcisseDenis KnoepflerParis, Odile Jacob – Collège de France, 2010.

Par un de nos plus grands érudits peut-être enmatière d’Antiquité grecque, voici une éton-nante enquête pour retrouver les traces bienréelles de la figure de Narcisse.

On connaît le mythe, on sent sa présence dansl’art et la littérature à toutes les époques. Maiscomment s’est-il construit ? Quel rôle jouait-il ? À quelle époque remonte-t-il ?

Au bout du chemin, on découvrira sa véritablepatrie, en Grèce bien sûr, dans la région d’Éré-trie, petite cité disparue de l’île d’Eubée, quifait l’objet d’intenses recherches archéolo-giques. Et c’est le visage même de Narcisse quisort modifié de cette exploration. Car derrièrel’aimable jeune homme qu’ont fait connaîtreles poètes et les peintres de l’époque hellénistico-romaine, relayés par une foule d’écrivains etd’artistes à travers les âges, une puissante divi-nité de la nature se profile, née durant laprotohistoire de la Grèce.La mythologie éclairée par l’archéologie etl’épigraphie.

Darwin : 200 anssous la direction d’Alain ProchiantzParis, Odile Jacob – Collège de France, 2010.

Deux cents ans après la naissance de Darwin,ses idées irriguent plus que jamais les sciencesdu vivant et nourrissent les réflexions et lesdébats sur la place de l’être humain dans lanature. Elles ne sont pas toujours, pour autant,bien comprises ni admises : aujourd’huicomme hier, renvoyer l’homme à son animalitéreste inacceptable pour bon nombre de gens.

Le colloque du bicentenaire organisé en 2009par le Collège de France a voulu répondre àdeux séries de questions :- faire le point sur l’histoire de l’évolutionnismeet sur nos conceptions actuelles : la théorie del’évolution, à la différence des dogmes, est elle-même évolutive et fait l’objet de discussionsscientifiques souvent passionnées ;

- explorer l’être humain selon deux perspec-tives, celles de l’hominisation et de l’humani-sation, afin d’articuler l’évolution biologique àses dimensions culturelles et sociales.

Conformément à l’esprit du Collège de France,les auteurs viennent de nombreuses disci-plines : biologie, bien sûr, mais aussi philoso-phie, droit, sociologie, anthropologie,littérature. Grâce à ces regards multiples, celivre offre un précieux outil de réflexion surl’évolution passée et future de notre espèce.

Contributions de Jean-Michel Besnier, Michel Brunet, Jean-Pierre Changeux,Antoine Compagnon, Lorraine Daston,Stanislas Dehaene, Mireille Delmas-Marty,Philippe Descamps, Anne Fagot- Largeault, Jean Gayon, Catherine Malabou,Isabelle Olivieri, Armand de Ricqlès,Allan Young.

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Pour une politique climatique globaleBlocages et ouverturesRoger GuesnerieParis, Éditions Rue d’Ulm, collection duCEPREMAP, 2010

À partir d’une discussion sur le marché euro-péen des droits d’émission de gaz à effet deserre et sur la défunte taxe carbone à la fran-çaise, cet opuscule examine les questions depolitique climatique sous tous leurs aspects. Ilrevient longuement sur la question cruciale desinstruments : taxe ou mar ché de droits,exemptions pour faciliter une transition douce,ajustements aux frontières. Ce faisant, ilsouligne les enseignements tirés du savoir éco -nomique comme les contraintes posées parl’économie politique (la lucidité limitée donttémoigne le récent avis du Conseil constitu-

tionnel sur la taxe carbone, le lobbying pourla gratuité des quotas...).

La conception de l’architecture internationaleest, elle, dominée par deux questions essen-tielles : les effets du dispositif sur les prix descombustibles fossiles : la nécessaire intégra-tion des pays en développement, qui pour êtregénéreuse doit renoncer à l’angélisme. Carl’accumulation d’initiatives locales ne peut êtresuffisante pour éviter un dépassement rapidedu plafond de CO2 défini par les climatolo-gues, alors que l’échec de Copenhague illustreles obstacles politiques à un accord global effi-cace. Roger Guesnerie propose des voies poursurmonter ces blocages et concevoir ainsi uneRealpolitik climatique globale.

Livres anciens, lectures vivantessous la direction de Michel ZinkParis, Odile Jacob, 2010.

« Lire un texte vieilli, c’est ce que fait toutlecteur dès lors qu’il lit autre chose que lejournal du jour ou un roman de l’année. Danstous les cas, la distance ainsi créée suffit à elleseule à en faire, quel qu’il soit, de la littérature.Cette distance est la première cause qui fait dela littérature une expérience du temps et un arra-chement à soi-même. Pour mieux se retrouver.Plus le texte est ancien, plus le lecteur s’étonneet se réjouit d’être touché par lui, d’être enharmonie avec lui, de se reconnaître en lui.

Il n’existe pas au monde de civilisation dont lalittérature ne s’enracine dans des poèmes, des

légendes, des récits, des mythes supposés issusdu passé le plus reculé. Partout, la littératurese fonde sur des classiques et un canon qui neretient par définition que des textes déjà vieux.Autrement dit, ce qui la définit, c’est ladistance créée par le vieillissement du texte.

Distance subie, car le texte ancien est difficile,mais aussi goûtée. »

Contributions de G. Angeli, A. M. Babbi,Y. Bonnefoy, J. Cerquiglini Toulet, A. Compagnon, C. Galderisi, D. Heller-Roazen,P. Labarthe, M. Mancini, E. Mochonkina, R Oster-Stierle, K. Stierle, H. Tétrel,J.C.- Vegliante, H. Weinrich, M. Zink.

Rationalité, vérité et démocratieActes du colloque du 28 mai 2010 au Collègede FrancePublié avec le concours du Collège de FranceParis, Éditions Agone, n° 44, 2010

« L’habitude de fonder les opinions sur laraison, quand elle a été acquise dans la sphèrescientifique, est apte à être étendue à la sphèrede la politique pratique. Pourquoi un hommedevrait-il jouir d’un pouvoir ou d’une richesseexceptionnels uniquement parce qu’il est le filsde son père ? Pourquoi les hommes blancsdevraient-ils avoir des privilèges refusés à deshommes de com plexions différentes ?

Pourquoi les femmes devraient-elles êtresoumises aux hommes ? Dès que ces questionssont autorisées à apparaître à la lumière dujour et à être exa minées dans un espritrationnel, il devient très difficile de résister auxexigences de la justice, qui réclame une distri-bution égale du pouvoir politique entre tousles adultes. »

Bertrand Russell (1961)

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La santé par quels moyens et à quels prix ?Pierre-Yves Geoffard, Roger Guesnerie,Julian Le GrandParis, PUF , 2010

Le point de vue des économistes dans le débatsur la santé est réducteur. Mais tout réducteurqu’il soit, ce point de vue est aussi inévitable.En matière de santé comme ailleurs, nossociétés ont à faire des choix que l’on qualifiehabituellement d’économiques. La question dela bonne affectation des ressources entre lesdifférents besoins de santé est donc« incontournable » : arbitrer entre ces besoinsest aussi difficile qu’inévitable.

On peut s’interroger sur les raisons profondesde l’introduction et de l’essor d’une problé-matique de concurrence dans des domaines oùelle n’était peut-être pas initialement présente.Nous ne sommes plus dans des sociétés desubsistance. Nous sommes dans des sociétésdans lesquelles le nombre de biens et deservices qui sont fournis s’est considérable-ment multiplié. Cette situation exacerbe lesdifficultés de toute planification. L’intervention« centrale » pour décider de ce qui doit êtreest de plus en plus difficile : comment déciderd’en haut ce qui est bon pour une personne

déterminée, dans un monde où cette personnefait des arbitrages complexes entre les postesde sa consommation. Certes cette diversité deschoix possibles est inégalement accessibleselon le revenu. Mais nous vivons dans unmonde de biens multipliés, dont beaucouprelèvent de ce que l’on appelait autrefois lesuperflu et non du nécessaire. La légitimité desmécanismes de type décentralisé s’accroît, etavec elle s’affaiblit le tabou sur la recherchede profit. Ceci vaut, même si c’est de façonatténuée, pour le secteur de la santé, non seule-ment parce qu’une partie des soins relève de ceque l’on nomme parfois le confort, mais parceque le progrès s’accompagne d’un accroisse-ment des biens mis à disposition, les traite-ments par exemple, et d’une indéterminationcroissante du registre du nécessaire.

Liste des contributeurs :Claudine Attias-Donfut,Marie-Odile Bertella Geffroy, Jean-Louis Bourlanges, Jean-Marc Ferry,Maurice Godelier, Roger Guesnerie,Pierre-Yves Geoffard, Julian Le Grand,Joseph Maïla, Serge Marti.

Études avestiques et mazdéennes vol. 3Le long préambule du sacrificeJean KellensColl. dirigée par Pierre Briant, chaired’Histoire et civilisation du mondeachéménide et de l’empire d’Alexandre,Collège de FranceParis, Persika 15, 2010.

Le préambule du sacrifice s’éternise. Aprèsavoir bu le Haoma en conclusion du Hōm Stōmet façonné leur personnalité sacrificielle par ladéclaration frauuarānē, les officiants sont enmesure d’inviter les dieux au sacrifice. Enprocédant à cette invitation, les chapitres Y16-18 suivis de Vr7-8 nous livrent l’exactecomposition du panthéon que l’arrangeur duYasna entend honorer : c’est celui qui donne sastructure au calendrier dit zoroastrien, sansexclure quelques divinités qui n’y ont pastrouvé place. Le Bagān Yašt (Y19-21) justifie lastructure de ce panthéon en même temps qu’ilévoque l’origine cosmogonique du sacrifice :les entités de la première semaine, auxquellesest cependant refusée la spécificité du titre

aməš�a spən�ta, sont « les créations créées enpremier ».

Jean Kellens, titulaire de la chaire de Langueset religions indo-iraniennes du Collège deFrance, a consacré sa carrière à la philologie del’Avesta. Il est notamment l’auteur de : Lesnoms-racines de l’Avesta, Ludwig ReichertVerlag, Wiesbaden, 1974 ; Le verbe avestique,Ludwig Reichert Verlag, Wiesbaden, 1984 ;Les textes vieil-avestiques, en collaborationavec Éric Pirart, 3 vol., Ludwig ReichertVerlag, Wiesbaden, 1988-1991 ; La quatrièmenaissance de Zarathushtra, La Librairie duXXIe siècle/Seuil, Paris, 2006 ; Le Ratauuō vīspemazišta (Yasna 1.1 à 7.23, avec Visprad 1 et 2).Études avestiques et mazdéennes, vol. 1,« Persika » 8, de Boccard, Paris, 2006 ; LeHōm Stōm et la zone des déclarations, (Y7.24 –Y15.4, avec les intercalations de Vr3 à 6),Études avestiques et mazdéennes, vol. 2,« Persika » 10, de Boccard, Paris, 2007.

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LA LETTRE - N° 3050

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Médecine, religion et société dans la ChinemédiévaleÉtude de manuscrits chinois de Dunhuang etde TurfanSous la direction de Catherine DespeuxAvec la collaboration de Isabelle AngInstitut des hautes études chinoises,hors collectionParis, Institut des hautes études chinoises duCollège de France, 2010.

Ouvrage publié avec le concours de laFondation Chiang Ching-Kuo, du Centre derecherche sur les civilisations de l’AsieOrientale, CRCAO et de la Commission despublications du Collège de France

AUTRES PUBLICATIONS

À la recherche du paradisJean DelumeauParis, Éditions Fayard, 2010.

Le pessimisme qui nous envahit aujourd’huisuscite plus que jamais une demande deparadis chez un public inquiet devant l’avenir.D’où cette synthèse en un seul volume, sansnotes et la plus limpide possible d’une Histoiredu paradis en trois volumes et traduite enplusieurs langues.

Jean Delumeau y conserve le même itinérairedu « jardin des délices » au « bonheuréternel », en passant par l’attente de « milleans de paix sur terre ». Mais le ton est ici plus

personnel et place est faite aux interrogationsd’aujourd’hui sur le sens de la vie et de lamort.

Ce nouveau livre se présente donc comme unemédi tation, à base d’histoire, sur le thème del’espérance, qu’avaient précédée ses travauxantérieurs sur la peur et le besoin de sécurité.

Toujours proche de ses lecteurs, Jean Delumeauleur parle dans une langue simple, amicale etpacifiante qui invite au dialogue.

L’image médiévale : le livre enluminéRoland Recht224 pages, 277 illustrations en couleurs,éditions de la Réunion des muséesnationaux, Paris, 2010.

Cet ouvrage a été commandé à l’auteur par laRMN, soucieuse de publier dorénavant, à côtédes catalogues d’expositions qui constituaientjusqu’ici son activité éditoriale, des livress’adressant à un public cultivé mais nonspécialisé. L’auteur s’est donc efforcé d’offrirun texte accessible qui prépare à une lectureinformée et sensible des œuvres marquantesde l’enluminure médiévale.

L’image est considérée d’abord comme uneœuvre d’art dont l’exécution est confiée à unpeintre dont le talent doit rejaillir sur lacommande et doit augmenter la valeur du

livre. Mais l’initiale ornée, l’image pleine-pageou encore les décorations dans les marges sontd’abord conçues en accompagnement d’untexte que parfois elles illustrent littéralementou dont elles constituent de véritablescommentaires figurés. Dans l’un et l’autre cas,l’artiste peut, tout en respectant une traditionfigurative plus ancienne, donner toute lamesure de ses capacités créatives.

Dans le livre du Pr Recht, les illustrationssouvent reproduites en pleine page, le nombredes vues d’ensemble accompagnées de vues dedétail mettent l’accent sur cette dimensionesthétique de l’enluminure.

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Poils et sangCahiers d’anthropologie sociale 06Cahier dirigé par Dimitri KaradimasOuvrage publié avec le soutien du Collège deFranceParis, Éditions de l’Herne, 2010

Depuis l’article d’Edmund Leach « MagicalHair » sur la pilosité et les cheveux, la théma-tique a faiblement mobilisé l’anthropologie,sans pour autant se faire oublier de l’ethno-graphie. La plupart des monographies consa-crent quelques lignes, parfois plus, auxpratiques et à l’imaginaire liés à la pilosité engénéral, à la chevelure et, surtout, aux poils(distinction catégorielle qui, soulignons-le,n’existe pas dans toutes les langues, loin delà). Dans ces travaux, les questions ayant traità la pilosité sont souvent redoublées par cellesliées aux interdits concernant les humeurscorporelles et plus particulièrement, au sang :ni vraiment humeurs et pas encore véritable-ment chair, la pilosité reste la partie la plus

facilement détachable et transportable ducorps sans, toutefois, qu’elle ne se corrompe.Les dix contributions qui constituent cevolume se proposent d’aborder le sujet de lapilosité suivant, d’une part, une approchecomparative liée aux pratiques, notammentcelles portant sur les humeurs corporelles – enparticulier le sang – et, de l’autre, à l’imagi-naire que les deux catégories entretiennentavec cette notion plus générale, mais aussi plusvague, qu’est la vitalité. Sauvagerie, sexualitéet vitalité d’un côté, comportement policé,retenue et abstinence de l’autre ; tels seraientles deux extrêmes du balancier conceptuel queparcourraient la pilosité et le sang dans lespratiques et l’imaginaire humains.

Contributeurs : Anne-Marie Brisebarre,Salvatore D’Onofrio, Corine Fortier, Jean-Pierre Goulard, Dimitri Karadimas,Gaëlle Lacaze, Nathalie Manrique,Marika Moisseeff, Karine Tinat,Priscille Touraille.

N° 30 - LA LETTRE 51

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L’enchantement du virtuelMathématique, physique, philosophieGilles ChâteletOuvrage publié avec le soutien du Collège deFranceParis, Édition de Charles Alunni etCatherine Paoletti, Éditions rue d’Ulm, 2010

L’Enchantement du virtuel regroupe unensemble de textes inédits ou devenus introu-vables. Prolongeant Les Enjeux du mobile.Mathématique, physique, philosophie (LeSeuil, 1993), il questionne la physique et laphilosophie du XXe siècle et éclaire d’un journouveau une œuvre singulière. Penseur de l’in-dividuation et de la magnification des libertés

humaines, mais aussi théoricien du virtuel etdu diagramme, Gilles Châtelet montre l’arti-culation entre algèbre et géométrie, entremathématique et réalité physique, entre lesopérations d’un être fini et l’auto-manifestationde la nature. On trouvera dans ce recueil leséchos de son débat avec des figures contem-poraines majeures : Alain Badiou, GillesDeleuze, Roger Penrose ou René Thom, ainsique son dernier manuscrit.

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CONFÉRENCES

� Andrew GLASSNew Tools for the Study of Gāndhāri: the Gāndhāri computerized project.6 janvier 2011, 17 heures.

� Hitoshi ISHIILong-Time Asymptotic Solutions of Hamilton-JacobiEquations3, 10, 17 et 24 janvier 2011, 11 heures.

� Christian MICHELLe titre du tableau26 janvier, 2, 9 et 16 février 2011, 14 heures.

� Dariusz KOLODZIEJCZYKLe Khanat Tatar de Crimée, l’Empire ottoman etl’Europe centrale (XVe-XVIIIe siècle)1. Les Ottomans et l’Europe de l’Est : le rôled’Antemurale christianitatis relève-t-il du mythehistorique ?2. Les frontières de l’Empire ottoman, de la Hongrieau Yémen3. La chancellerie du Khanat Tatar de Crimée entre lestraditions mongole, orthodoxe, ottomane et latine4. Le Khan Tatar de Crimée face au sultan ottoman :vassal ou souverain à part entière ?19, 26 janvier, 2 et 9 février 2011, 17 heures.

A G E N D A

La Lettre du Collège de FranceDirecteurs de la publication : Pierre CORVOL, Administrateur du Collège de France et

Florence TERRASSE-RIOU, Directrice des Affaires culturelles et relations extérieuresDirection éditoriale : Marc KIRSCH - Patricia LLEGOU

Conception graphique : Patricia LLEGOU - Relecture : Céline VAUTRIN

Crédits photos : © Collège de France, PATRICK IMBERT, JEAN-PIERRE MARTIN - Reproduction autorisée avec mention d’origine.ISSN 1628-2329 - Impression : ADVENCE

11 place Marcelin-Berthelot – 75231 Paris cedex 05Prix

: 4 €

TOUTETOUTE LL’’ ACTUALITÉACTUALITÉ SURSUR WWWWWW.. COLLEGECOLLEGE -- DEDE -- FRANCEFRANCE .. FRFR

LEÇONS INAUGURALES

� Elias ZERHOUNIchaire d’Innovation technologique Liliane Bettencourtannée académique 2010-201120 janvier 2011, 18 heures.

� Martin ABADIchaire d’Informatique et sciences numériquesannée académique 2010-201110 mars 2011, 18 heures.

Les lundis d’Aubervilliers

au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers 2, rue Édouard Poisson

métro Quatre-Chemins, Bus 150, 170

� L’écrivain au travailPr Antoine Compagnon, chaire de Littérature françaisemoderne et contemporaine lundi 7 février 2011, 19 heures.

� Travail et économiePr Roger Guesnerie, chaire de Théorie économique etorganisation socialelundi 14 mars 2011, 19 heures.

� Travail et dignitéJack Ralite, sénateur, maire honoraire d’Aubervillierslundi 6 juin 2011, 19 heures.

au lycée Le Corbusier d’Aubervilliers 44, rue Léopold Réchossière

métro Quatre-Chemins, Bus 249

� Le travail à l’épreuve de la mondialisationPr Mireille Delmas-Marty, chaire d’Études juridiquescomparatives et internationalisation du droitlundi 23 mai 2011, 19 heures.

Entrée libre

Réservation indispensable au 06 21 20 59 55