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Déterminants et significations des conduites d’hypertravail : une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs et des travailleuses des secteurs du multimédia et des services informatiques Thèse Christine Gauthier Doctorat en sciences de l’orientation Philosophiæ doctor (Ph.D.) Québec, Canada © Gauthier, Christine 2016

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Déterminants et significations des conduites

d’hypertravail : une approche psychosociale et

systémique

Le cas des travailleurs et des travailleuses des secteurs du

multimédia et des services informatiques

Thèse

Christine Gauthier

Doctorat en sciences de l’orientation

Philosophiæ doctor (Ph.D.)

Québec, Canada

© Gauthier, Christine 2016

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Déterminants et significations des conduites

d’hypertravail : une approche psychosociale et

systémique Le cas des travailleurs et des travailleuses des secteurs du

multimédia et des services informatiques

Thèse

Christine Gauthier

Sous la direction de :

Geneviève Fournier, directrice de recherche

Brigitte Almudever, codirectrice de recherche

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Résumé

Loin de la réduction pressentie du temps de travail et de l’émergence d’une société des

loisirs, est plutôt observé, depuis une trentaine d’années, un accroissement du temps

consacré au travail pour les travailleurs les plus qualifiés, au Québec comme dans la plupart

des sociétés occidentales (Burke et Cooper, 2008; Lapointe, 2005; Lee, 2007). Dans un

contexte où les « arrangements temporels » (Thoemmes, 2000) tendent à s’individualiser de

façon à mieux prendre en compte les réalités et les besoins des salariés et salariées tout

comme ceux des organisations, cette thèse interroge le caractère « volontaire » des

conduites d’hypertravail observées chez les travailleurs et les travailleuses des secteurs des

services informatiques et du multimédia. Elle s’attarde plus particulièrement aux processus

psychosociaux qui sous-tendent la construction de ces conduites.

Inscrite au sein d’une approche psychosociale et systémique, notre recherche articule une

théorie qui met en résonance les fonctionnements individuel et organisationnel, soutenue

par le modèle du Système psychique organisationnel (Aubert et de Gaulejac, 1991), et une

théorie de la socialisation plurielle et active, soutenue par le modèle du Système des

activités (Baubion-Broye et Hajjar, 1998; Curie, 2000). Opérationnalisée selon une grille

articulée autour de cinq niveaux d’analyse (intra-individuel, interpersonnel, positionnel,

idéologique et de la tâche et de l’organisation du travail), nous avons mené 34 entretiens

biographiques (26 hommes et 8 femmes) auprès de salariés et salariées des secteurs des

services informatiques et du multimédia.

Les résultats mettent en évidence trois types de processus menant à l’adoption de conduites

d’hypertravail ; un cas-type qui illustre un processus de renforcement d’une identité

professionnelle de « grand travailleur » ; un cas-type qui rend compte d’un processus de

suraffiliation organisationnelle et d’assujettissement de la vie hors-travail; et un cas-type

qui expose le maintien d’une conduite d’hypertravail défensive, dans un contexte de mise à

l’épreuve organisationnelle. Au final, les résonances particulières observées entre ces

niveaux et facteurs nous amènent à souligner l’intérêt de mieux comprendre l’hypertravail

en prenant en compte les significations que les individus donnent à leurs conduites, à partir

d’un regard diachronique et synchronique. Nous discutons également du caractère

dynamique et évolutif de la relation individu-collectif-organisation et du rôle différencié

des organisations et des collectifs de travail dans la construction des conduites

d’hypertravail. Nous relevons enfin certaines implications des nouvelles pratiques et

normes de temps de travail observées dans ces organisations, favorables au développement

et au maintien de l’hypertravail.

Mots-clés : temps de travail, longues heures de travail, conduites d’hypertravail,

articulation travail-vie personnelle, socialisation plurielle et active, domination au travail.

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Abstract

Far from the anticipated decrease in working time and the emergence of a leisure society,

we have instead noted, over the last 30 or so years, an increase in the time devoted to work

by the most qualified workers, both in Quebec and in most other Western societies (Burke

and Cooper, 2008; Lapointe, 2005; Lee, 2007). In a context where “temporal arrangements”

(Thoemmes, 2000) tend to be individualized in order to better take into account the realities

and needs of both employees and organizations, this thesis questions the “voluntary” nature

of patterns of overwork observed among workers in the data processing and multimedia

sectors. It focuses in particular on the psychosocial processes underlying the construction of

these behavior patterns.

As part of a psychosocial and systemic approach, our research is structured around a theory

that resonates with individual and organizational operations, supported by the Psychic

organizational system model (Aubert and de Gaulejac, 1991), and a theory of a plural and

active socialization, based on the Activities system model (Baubion-Broye and Hajjar, 1998;

Curie, 2000). Operationalized according to a grid structured around five levels of analysis

(intra-individual, interpersonal, positional, ideological, and task and organization of work),

we conducted 34 biographical interviews (26 men and 8 women) among workers from the

data processing and multimedia sectors.

The results highlight three types of processes leading to the adoption of “hyperwork

behaviour”: a case study illustrating a process of reinforcing a professional and “super

worker” identity; a case study outlining a process of organizational hyper-affiliation and

the subjugation of life outside work; and a case study describing sustained defensive

overwork behavior, in a context of organizational trial. Lastly, the particular resonances

observed among the levels and factors lead us to underline the importance of better

understanding overwork by taking into account, from a diachronic and synchronic

perspective, the meanings that individuals give to their behavior. We will also discuss the

dynamic and evolving nature of the individual-collective-organizational relationship and of

the differentiated role of organizations and work collectives in the construction of

hyperwork behaviour. We conclude by highlighting certain implications of new work-time

practices and norms that help develop and maintain hyperwork behaviour observed in these

organizations.

Keywords : working time; overwork; hyperwork behaviour; work/non-work articulation;

plural and active socialization, domination at work.

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Table des matières Résumé .................................................................................................................................. iii Abstract .................................................................................................................................. iv

Table des matières .................................................................................................................. v Liste des tableaux .................................................................................................................. xv Liste des figures ................................................................................................................. xvii Remerciements ...................................................................................................................... xx Introduction ............................................................................................................................. 1

Chapitre 1 : Le temps de travail au regard de l’évolution du contexte productif .... 12

1.1 Les évolutions du monde du travail .................................................................. 12

1.1.1 Le développement d’un nouveau modèle de production : le dépassement du

modèle fordiste ......................................................................................................... 13

1.1.2 Le passage d’une économie industrielle à une économie du savoir ............. 16

1.1.3 Les incidences de ces évolutions pour les travailleurs et travailleuses : entre

opportunités et contraintes ........................................................................................ 17

1.2 Vers un temps de travail flexible et dé-standardisé .......................................... 19

1.2.1 Du temps de travail au temps de l’emploi .................................................... 20

1.2.1.1 Le temps de travail sous l’ère industrielle ................................................ 21 1.2.1.2 Le temps de l’emploi sous l’ère post-industrielle ..................................... 25

1.2.2 De nouvelles normes temporelles et formes de régulation du temps de travail

27

1.2.2.1 De nouvelles normes temporelles ............................................................. 27 1.2.2.2 De nouvelles formes de régulation du temps de travail ............................ 29

1.2.3 Le temps de travail flexible : des tensions nouvelles avec les autres temps de

vie ? 31 Des possibilités nouvelles…. ........................................................................ 32 De nouveaux inconvénients… ...................................................................... 33

1.2.4 Que savons-nous à propos du temps de travail des travailleurs et des

travailleuses de l’informatique et du multimédia ? ................................................... 36

1.3 À propos des longues heures de travail ............................................................ 41

1.3.1 La durée du travail ........................................................................................ 41 1.3.1.1 La durée légale du travail au Québec et au Canada .................................. 42 1.3.1.2 Quelques chiffres à propos de la durée du travail ..................................... 45

La polarisation du temps de travail ............................................................... 46 L’importance du phénomène des longues heures de travail ......................... 47

1.3.1.3 Les « longues heures de travail » en question .......................................... 50 1.3.1.4 Les longues heures et la délimitation de « l’hypertravail » ...................... 52

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1.3.2 Les risques et les conséquences des longues heures de travail ..................... 53

Chapitre 2 : Conduites de fort investissement au travail ou d’hypertravail?

Synthèse critique des connaissances .............................................................................. 57

2.1 Entre « surtravail » et « workaholism » : un éventail de concepts ................... 58

2.2 Deux grands types d’approches théoriques des conduites d’investissement

intensif au travail .......................................................................................................... 60

2.2.1 Les approches explicatives centrées sur la personne .................................... 60 2.2.1.1 Le workaholism : entre dépendance et passion au travail......................... 60

2.2.1.2 L’engagement au travail : une identification du sujet à son travail .......... 65

2.2.1.3 L’engagement organisationnel : une identification du sujet à son

organisation ........................................................................................................... 66

2.2.2 Les approches explicatives centrées sur les interactions entre

fonctionnement organisationnel et fonctionnement psychique ................................ 69 2.2.2.1 L’hyperactivité au travail : une défense psychique face aux contraintes de

l’organisation du travail ........................................................................................ 69 2.2.2.2 L’hypertravail : un effet de résonance au sein d’un système psychique

organisationnel ...................................................................................................... 72

2.3 Des modèles descriptifs plurifactoriels et des modèles explicatifs spécifiques 75

2.3.1 Des modèles descriptifs plurifactoriels ......................................................... 76

2.3.1.1 Le modèle « intégrateur » de Feldman (2002) .......................................... 76 2.3.1.2 Le modèle « comparatif » de Brett et Stroh (2003) .................................. 78

2.3.2 Des modèles explicatifs référés à des théories spécifiques ........................... 80 2.3.2.1 La théorie de l’identité sociale et les hypothèses identitaires de Ng et

Feldman (2008) ..................................................................................................... 80 2.3.2.2 La théorie des attributions causales et le modèle général du Fort

investissement au travail de Snir et Harpaz (2012) .............................................. 82

2.3.2.3 La théorie de la maximisation de l’utilité économique et la catégorisation

de Douglas et Morris (2006) ................................................................................. 84

2.4 Synthèse critique des connaissances ................................................................. 86

Chapitre 3 : Saisir et comprendre les conduites d’hypertravail : orientations de la

recherche, ancrage théorique et grille d’analyse ......................................................... 91

3.1 Paradigme, postulats et positions au cœur de la recherche ............................... 92

3.1.1 L’hypertravail : choix du concept et définition ............................................ 93

3.1.2 Une approche constructiviste et systémique du développement des conduites

humaines ................................................................................................................... 98

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3.1.3 Une discipline « psychosociologique » : objets d’analyse et liens avec le

travail 101 3.1.3.1 Psychologie sociale et psychosociologie : particularités et fondements . 102

3.1.3.2 Une approche psychosociale des conduites d’hypertravail .................... 103

3.2 Deux modèles systémiques pour appréhender le développement des conduites

d’hypertravail ............................................................................................................. 104

3.2.1 Les conduites d’hypertravail, entre tentatives d’assujettissement par

l’organisation et processus de subjectivation : regard sur le modèle du système

psychique organisationnel ....................................................................................... 105 Subjectivité et processus de subjectivation selon la sociologie clinique .... 106 Manipulation, aliénation et emprise organisationnelle ............................... 108

Les liens inconscients entre le fonctionnement organisationnel et le

fonctionnement individuel .......................................................................... 111 L’idéal du moi pour cible ............................................................................ 112

Le déni de limites et la culture de l’excellence ........................................... 113 L’emprise de l’excellence et les conduites d’hypertravail .......................... 114

Synthèse à propos des apports du modèle managinaire pour comprendre le

développement des conduites d’hypertravail .............................................. 114

3.2.2 Le développement des conduites d’hypertravail à l’aune de l’articulation de

l’ensemble des sphères de vie : regard sur le modèle du Système des Activités .... 116 La personnalisation et l’interstructuration des conduites d’hypertravail :

l’importance de prendre en compte l’ensemble des sphères de vie et les

temporalités ................................................................................................. 118

Le fonctionnement du Système des Activités : appréhender le

développement d’un Système des Activités fondé sur l’hypertravail ......... 121 La personnalisation et le surinvestissement au travail ................................ 123

Synthèse à propos des apports du Système des Activités pour comprendre le

développement des conduites d’hypertravail .............................................. 124

3.3 Une approche multidimensionnelle ................................................................ 125

3.3.1 Facteurs du niveau intra-individuel ............................................................ 127

3.3.2 Facteurs du niveau interindividuel .............................................................. 132

3.3.3 Facteurs du niveau positionnel ................................................................... 134

3.3.4 Facteurs du niveau idéologique .................................................................. 136

3.3.5 Facteurs du niveau de la tâche et de l’organisation du travail .................... 139

Synthèse à propos de l’approche multidimensionnelle ........................................... 142

3.4 Objectifs de recherche .................................................................................... 142

Chapitre 4 : Aspects méthodologiques de la recherche ............................................. 146

4.1 Le paradigme interprétatif de la recherche ..................................................... 147

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4.2 Une méthode qualitative par entretiens biographiques ................................... 148

4.2.1 Le choix de l’entretien individuel semi-directif comme méthode de recueil

des données ............................................................................................................. 148

4.2.2 L’entretien biographique appuyé sur l’approche du Parcours de vie ......... 151

4.2.3 Principale limite de l’outil .......................................................................... 156

4.3 Le guide d’entretien ........................................................................................ 157

4.3.1 L’élaboration et la validation du guide d’entretien ..................................... 157

4.3.2 Les cinq parties du guide d’entretien .......................................................... 159

4.4 Déroulement de l’enquête ............................................................................... 161

4.4.1 Stratégies de recrutement des participants et difficultés rencontrées ......... 161

4.4.2 La conduite des entretiens et la confidentialité des données ...................... 164

4.5 L’échantillon ................................................................................................... 166

4.5.1 Formation de l’échantillon .......................................................................... 166

4.5.2 Description de l’échantillon ........................................................................ 169

a) Caractéristiques sociobiographiques ....................................................... 169 b) Caractéristiques socio-professionnelles .................................................. 170

c) Caractéristiques relatives aux heures de travail ...................................... 172

4.6 La méthode d’analyse des données ................................................................. 175

4.6.1 Analyse de contenu ou analyse du discours : deux types d’approches

distinctes ................................................................................................................. 176

4.6.2 Une analyse de contenu thématique, verticale et horizontale ..................... 177

4.6.3 Une démarche en six étapes, réalisée selon deux périodes d’analyse ........ 179 a) Étape 1 : La lecture flottante ................................................................... 181

b) Étape 2 : Le découpage par thèmes ........................................................ 182 c) Étape 3 : La catégorisation et la classification ........................................ 183 d) Étape 4 : Le traitement statistique des données ...................................... 185

e) Étape 5 : La description scientifique des catégories ............................... 185 f) Étape 6 : L’interprétation des résultats ................................................... 186

Chapitre 5 : Résultats descriptifs des différents niveaux d'analyse : derrière les

conduites d'hypertravail, des trajectoires et des situations très variées .................. 188

5.1 Examen des facteurs du niveau intra-individuel ............................................. 188

5.1.1 Le parcours professionnel et les événements marquants de ce parcours .... 189 Une carrière ascendante dans l’entreprise .................................................. 191 Une mobilité inter-entreprises fructueuse ................................................... 192 Une bifurcation professionnelle satisfaisante après un faux départ ............ 193

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D’une insertion plus chaotique vers un maintien « correct » en emploi ..... 194

5.1.2 Le sens du travail et l’évolution du rapport au travail au cours du parcours

196

Le « tout au travail » : centralité dans la vie et nécessité psychologique ... 197 Le travail comme un des piliers de vie : relative importance dans la vie et

nécessité psychologique .............................................................................. 199 Le travail « une job » : important mais utilitaire ........................................ 200

5.1.3 Satisfaction professionnelle par rapport aux autres sphères de vie ............ 201

Satisfaction centrée sur la vie professionnelle conjuguée à une grande

satisfaction dans les autres sphères de vie .................................................. 202 Satisfaction centrée sur la vie professionnelle mais sentiment de déséquilibre

.................................................................................................................... 203

D’autres sphères de vie sont plus satisfaisantes que la vie professionnelle

mais les sujets ne parviennent pas à s’y accomplir comme ils le

souhaiteraient .............................................................................................. 204

5.1.4 Rapport à l’avenir professionnel : nature des projets professionnels ......... 204

Faire carrière dans l’entreprise ................................................................... 205 Faire carrière dans son domaine professionnel ........................................... 206 Une possible réorientation de la carrière .................................................... 207

5.1.5 Rapport à l’avenir personnel : l’articulation des projets personnels avec les

projets professionnels ............................................................................................. 209

L’anticipation possible des projets personnels malgré les longues heures de

travail .......................................................................................................... 211

L’anticipation difficile des projets personnels en raison des heures de travail

.................................................................................................................... 211 L’anticipation possible des projets personnels en réduisant les heures de

travail .......................................................................................................... 212

5.2 Examen des facteurs du niveau interindividuel .............................................. 213

5.2.1 Qualité, nature et importance des relations développées dans la sphère

professionnelle ........................................................................................................ 214 Des relations au travail de clan et de mentorat ........................................... 215

Des relations au travail cordiales et agréables ............................................ 217 Des relations au travail distantes ou tendues .............................................. 218

5.2.2 Qualité et importance des relations développées dans les sphères de vie hors-

travail 219

Le maintien des relations significatives hors-travail .................................. 220 Des relations significatives hors-travail atrophiées, de moins en moins

développées ................................................................................................. 221 Des relations hors-travail peu significatives : un investissement accru au

travail .......................................................................................................... 222

5.2.3 Le soutien social professionnel et extra-professionnel ............................... 223

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Un soutien logistique et moral des proches pour appuyer les sujets dans leur

gestion du temps et dans leur choix ............................................................ 225 Un soutien d’entraide professionnelle des collègues/superviseur pour

soutenir la charge de travail ........................................................................ 226 Un soutien psychologique institutionnel (interne ou externe) pour tenter de

retrouver l’équilibre .................................................................................... 227 Un soutien défaillant du milieu de travail ou des proches .......................... 227 Pas besoin de soutien .................................................................................. 228

5.3 Examen des facteurs du niveau positionnel .................................................... 229

5.3.1 Les attentes du milieu professionnel à l’égard du rôle professionnel ......... 230 Des attentes d’optimisation constante des ressources : en faire « toujours

plus » ........................................................................................................... 232 Des attentes de rendement élevé jumelées à une forte autonomie

professionnelle ............................................................................................ 234

Des attentes doubles de fort leadership et d’engagement ........................... 235

5.3.2 Les attentes des milieux extra-professionnels à l’égard des rôles

professionnels et extra-professionnels .................................................................... 236 Des attentes à l’égard du rôle de principal pourvoyeur: Le renforcement du

rôle professionnel en regard des choix conjugaux et familiaux .................. 238

Des attentes d’engagements significatifs dans les rôles de la vie hors-travail

mais incapables d’y répondre ..................................................................... 238

Des attentes d’engagements significatifs dans les rôles de la vie hors-travail

et capables d’y répondre (ou pas d’attentes spécifiques) ............................ 240

5.4 Examen des facteurs du niveau idéologique ................................................... 240

5.4.1 La culture organisationnelle du temps de travail : valeurs, normes et règles

241

Une culture des longues heures de travail soutenue par des pratiques

informelles .................................................................................................. 244

Le temps supplémentaire exigé mais sous surveillance : une culture

paradoxale du temps de travail ................................................................... 246 Une culture du laisser-faire, a priori centrée sur des heures « normales » de

travail .......................................................................................................... 248

5.4.2 Philosophie, culture et valeurs de l’organisation ........................................ 249

Une culture « compétitive » : l’idéal du surpassement au service de la

mission de succès de l’entreprise ................................................................ 252

Une culture « familiale » axée sur la mise en valeur de chaque personne pour

le développement de l’organisation ............................................................ 253 Une culture « communautaire » axée sur le caractère altruiste de la mission

.................................................................................................................... 255 Une culture non précisée ............................................................................. 256

5.4.3 Normes sociales d’implication au travail chez les proches ........................ 257

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L’hypertravail est la norme auprès des proches: la norme des longues heures

de travail « tout azimut » et jamais contestée ............................................. 258 L’hypertravail n’est pas la norme selon les proches: les longues heures de

travail critiquées, une conduite « marginale » ............................................ 260

5.5 Examen des facteurs du niveau de la tâche et de l’organisation du travail .... 261

5.5.1 Charge de travail et fonctions ..................................................................... 262 En surcharge de travail : urgence et « débordement professionnel » ......... 263 Une forte charge de travail mais « soutenable » ......................................... 264

5.5.2 Flexibilité de l’organisation du travail et autonomie décisionnelle ............ 266 Une organisation du travail peu flexible et fortement sous contrainte ....... 267 Une organisation du travail flexible mais piégée ........................................ 269

Une organisation du travail libre, transférée aux salariés et salariées ........ 271

5.5.3 Dispositif d’évaluation du rendement et de reconnaissance ....................... 272 Le cercle vertueux : fort investissement contre récompenses généreuses .. 273

Un dispositif sobre, axé sur des marques de reconnaissance psychologiques

.................................................................................................................... 275

La carence de récompenses : un investissement en mal de reconnaissance276

Chapitre 6 : Construction d'une typologie des modes d'engagement dans les

conduites d'hypertravail: résonance entre les niveaux et identification de cas-types

........................................................................................................................................ 279

6.1 Analyse des processus de construction des conduites d’hypertravail :

identification de trois cas-types .................................................................................. 280

6.1.1 Premier cas-type : Renforcement d’une identité professionnelle de « grand

travailleur », ancrée dans la culture familiale ......................................................... 281 6.1.1.1 Des événements de vie déterminants à l’origine des conduites

d’hypertravail ...................................................................................................... 282

Des événements difficiles jusqu’à une bifurcation professionnelle

satisfaisante ................................................................................................. 282

6.1.1.2 Renforcement de sa « valeur » professionnelle et renouvellement de ses

engagements et de ses priorités vis-à-vis du travail ............................................ 285 Le travail comme pilier de vie : la forte valorisation du travail et la

préférence envers les activités liées au travail ............................................ 285

Les objectifs et projets professionnels prioritaires pour l’avenir ................ 288 6.1.1.3 Le culte de l’hypertravail : intériorisation du modèle familial et rejet des

« 35 heures » ....................................................................................................... 290

6.1.1.4 Les relations et les positions hors-travail utiles pour favoriser l’ancrage

dans l’hypertravail .............................................................................................. 291 Peu d’attentes à l’égard des rôles hors-travail ............................................ 291 Les relations hors-travail : entre mise à distance et recherche de soutien aux

conduites d’hypertravail ............................................................................. 292

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6.1.1.5 La souplesse de l’organisation du travail au service de la construction de

la conduite d’hypertravail ................................................................................... 294 Des attentes « raisonnables » du milieu de travail, axées sur l’autonomie

dans l’emploi ............................................................................................... 294 Une culture organisationnelle généralement peu favorable à susciter le

développement de conduites d’hypertravail ............................................... 295 Une organisation du travail et une charge de travail flexibles .................... 296 Des marques de reconnaissance et de récompenses très hétérogènes ........ 297

6.1.2 Deuxième cas-type : Dynamiques conflictuelles de l’assujettissement de la

vie hors-travail à une suraffiliation organisationnelle ............................................ 299 6.1.2.1 Événements et étapes charnières : le moment critique de la « rencontre »

avec l’organisation .............................................................................................. 300

Parcours aisé et carrière ascendante : un début de vie professionnelle marqué

par le succès ................................................................................................ 300

« Rencontre » avec l’entreprise et conduite d’hypertravail ........................ 301 6.1.2.2 Vers une emprise organisationnelle de plus en plus forte ...................... 302

Un univers idéologique organisationnel favorable à l’hypertravail ............ 303 L’importance de « l’effet groupe » : attentes perçues et renforcement de

l’hypertravail ............................................................................................... 307

Un travail organisé en équipe, un investissement au travail fortement

récompensé ................................................................................................. 308

6.1.2.3 Une sphère du travail « auto-suffisante » : la mise à distance de relations

hors-travail, d’activités et d’engagements dans les autres sphères de vie .......... 311 Le niveau interindividuel marqué par le développement de relations

amicales au travail ...................................................................................... 312 Des rôles et des engagements hors-travail repoussés ................................. 315

6.1.2.4 L’importance du travail et de l’organisation renforcées sur le plan

individuel ............................................................................................................ 318

Un rapport au travail très positif, à la recherche d’une reconnaissance

absolue ........................................................................................................ 318 Un avenir souhaité au sein de l’entreprise, des projets personnels reportés

.................................................................................................................... 320

6.1.3 Troisième cas-type : Des conduites d’hypertravail défensives dans un

contexte de mise à l’épreuve organisationnelle ...................................................... 322 6.1.3.1 Événements et étapes charnières : un départ difficile à l’origine d’un plus

fort investissement au travail .............................................................................. 323

Emplois précaires et pertes d’emploi : un début de parcours chaotique

menant vers un maintien correct en emploi ................................................ 323 Des événements perturbateurs externes qui précipitent l’entrée dans

l’hypertravail ............................................................................................... 324

6.1.3.2 La détérioration de l’environnement de travail et le poids des contraintes

organisationnelles ............................................................................................... 326 Une idéologie organisationnelle fondée sur la compétitivité, la disponibilité

et le surtemps .............................................................................................. 326 Surcharge, contraintes organisationnelles et faible reconnaissance ........... 328

Page 13: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

xiii

Des attentes très élevées du milieu organisationnel à l’égard du rôle

professionnel ............................................................................................... 331 Les relations interpersonnelles au travail : mise à distance et éloignement 332

6.1.3.3 Redéfinition de ses valeurs et priorités de vie et revalorisation des

engagements extra-professionnels et des sphères de vie hors-travail ................. 333 Conflits dans la conciliation travail/vie personnelle et satisfaction à l’égard

de la vie hors-travail ................................................................................... 334 Le travail important mais utilitaire : « une job » ........................................ 335

Un avenir professionnel à distance de la situation actuelle et une carrière

hors de l’organisation .................................................................................. 338 6.1.3.4 Le soutien psychologique des proches et/ou institutionnel nécessaire ... 339

6.2 Éléments de synthèse à propos des trois cas-types ......................................... 340

6.2.1 Éléments de synthèse à propos du processus de renforcement de l’identité de

« grand travailleur » : le fonctionnement individuel sous la loupe ......................... 341

6.2.2 Éléments de synthèse à propos du processus de suraffiliation

organisationnelle : un assujettissement consenti? ................................................... 342

6.2.3 Éléments de synthèse à propos des conduites d’hypertravail défensives dans

un contexte de mise à l’épreuve professionnelle : un écart qui se creuse entre les

valeurs et les objectifs de vie et le temps alloué pour chacune des sphères de vie . 343

Chapitre 7 : Déterminants et significations multiples: discussion sur les formes de

l’hypertravail ................................................................................................................. 349

7.1 Regard diachronique sur le développement des conduites d’hypertravail: une

compréhension renouvelée ......................................................................................... 350

7.1.1 Des conduites d’hypertravail signifiées différemment selon les événements

professionnels vécus et les projets anticipés : l’importance de la perspective

diachronique ............................................................................................................ 350

7.1.2 De l’entrée au maintien dans les conduites d’hypertravail : une dynamique

évolutive, des conduites difficiles à « déconstruire » ............................................. 353

7.2 Saisir l’hypertravail à la lumière des échanges entre les sphères de vie : un

décloisonnement nécessaire ....................................................................................... 355

7.2.1 Conduites d’hypertravail et sphères de vie: décloisonnement et perméabilité

des « frontières » ..................................................................................................... 356

7.2.2 Empiètement de « l’organisation-providence » sur l’ensemble des sphères de

vie : incertitudes et risques ...................................................................................... 358

7.2.3 Entre forte identification au travail et clivage identitaire ........................... 360

7.3 Le rôle différencié des organisations et des collectifs de travail dans la

construction des conduites d’hypertravail .................................................................. 362

Page 14: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

xiv

7.3.1 Environnement organisationnel et pratiques managériales : une dimension

souvent déterminante de l’hypertravail, mais de façon hétérogène ........................ 363

7.3.2 Idéologies et idéaux organisationnels: une nouvelle conception de l’idéal de

soi ? 368

7.4 Entre pratiques formelles et informelles et normes de temps de travail : une co-

construction individu-collectif-organisation .............................................................. 370

7.4.1 La flexibilité du temps de travail : une arme à double tranchants pour les

sujets 371

7.4.2 Co-construction des normes temporelles et groupe de référence ............... 373

7.5 À propos de la construction de l’hypertravail et du genre dans deux secteurs à

forte prédominance masculine ................................................................................... 375

Conclusion .......................................................................................................................... 379 Bibliographie ...................................................................................................................... 390

Annexe 1 : Guide d’entretien .............................................................................................. 415 Annexe 2 : Appel à participer à une recherche ................................................................... 432

Annexe 3 : Feuillet d’informations destiné aux responsables des ressources humaines .... 434 Annexe 4 : Appel (révisé) à participer à une recherche ...................................................... 437 Annexe 5 : Message diffusé sur les réseaux sociaux .......................................................... 439

Annexe 6 : Formulaire de consentement ............................................................................ 440

Page 15: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

xv

Liste des tableaux

Tableau 1- Moyenne des heures hebdomadaires de l’emploi principal au Québec et au

Canada - comparaison ................................................................................................... 45

Tableau 2 : Pourcentage de travailleurs canadiens âgés de 20 à 64 ans travaillant plus de 50

heures par semaine selon le sexe .................................................................................. 49

Tableau 3 : Catégories de travailleurs selon Spence et Robbins, 1992 ................................ 63

Tableau 4 : Description de l’échantillon au croisement du secteur d’activités et du sexe des

sujets ........................................................................................................................... 171

Tableau 5: Description de l'échantillon selon quelques caractéristiques sociobiographiques

et socioprofessionnelles .............................................................................................. 173

Tableau 6: Différents parcours professionnels jusqu’aux conduites d’hypertravail ........... 190

Tableau 7 : Rapport au travail et conduites d’hypertravail ................................................. 197

Tableau 8 : Satisfaction professionnelle relative et conduites d’hypertravail .................... 202

Tableau 9: Rapport à l’avenir professionnel et conduites d’hypertravail ........................... 205

Tableau 10 : Rapport à l’avenir personnel et conduites d’hypertravail .............................. 210

Tableau 11 Qualité, nature et importance des relations professionnelles et conduites

d’hypertravail .............................................................................................................. 215

Tableau 12 : Qualité et importance des relations hors-travail et conduites d’hypertravail 220

Tableau 13 : Formes de soutien et conduites d’hypertravail .............................................. 224

Tableau 14 : Attentes du milieu professionnel et conduites d’hypertravail ....................... 231

Tableau 15 : Attentes du milieu personnel et conduites d’hypertravail ............................. 237

Page 16: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

xvi

Tableau 16 : Culture du temps de travail et conduites d’hypertravail ................................ 243

Tableau 17 : Culture organisationnelle et conduites d’hypertravail ................................... 251

Tableau 18 : Normes sociales d’implication au travail et conduites d’hypertravail ........... 258

Tableau 19 : Charge de travail perçue et conduites d’hypertravail .................................... 262

Tableau 20 : Flexibilité de l’organisation et autonomie décisionnelle et conduites

d’hypertravail .............................................................................................................. 267

Tableau 21 : Dispositif d’évaluation du rendement et de reconnaissance et conduites

d’hypertravail .............................................................................................................. 273

Tableau 22: Regard sur les facteurs et niveaux à l’étude et comparaison des trois cas-types

.................................................................................................................................... 346

Page 17: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

xvii

Liste des figures

Figure 1 : Le modèle multidimensionnel de Feldman: « Managers’ Propensity to Work

Long Hours ». ............................................................................................................... 77

Figure 2: Le modèle de Snir et Harpaz : « A model of Heavy Work Investment (HWI) » .... 83

Figure 3: Le modèle de Douglas et Morris : « The economist’s utility-maximization model :

a conceptual model of voluntary work effort that explains the work effort decision of

individuals » .................................................................................................................. 85

Figure 4: Grille d'analyse multidimensionnelle des conduites d'hypertravail .................... 127

Figure 5: Processus de renforcement de l’identité de "grand travailleur" .......................... 282

Figure 6: Processus de suraffiliation organisationnelle et d’assujettissement de la vie hors-

travail .......................................................................................................................... 300

Figure 7: Processus de mise à l'épreuve professionnelle et hypertravail défensif .............. 323

Page 18: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

xviii

À mes filles, Laurélie, Mara et Séverine, à

qui je souhaite une grande liberté et une forte

autodétermination de leur parcours de vie. À

Etienne, pour son amour et pour la très

grande confiance dont il me témoigne pour

aller jusqu’au bout de mes projets, même

ceux les plus risqués.

Page 19: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

xix

« Si on bouge sans cesse, il n’y a plus de

mouvement. Le mouvement n’existe que dans

la possibilité d’un arrêt. L’immobilité est au

cœur du mouvement. Mais qui organise cette

course folle? Et pour aller où? Chacun fait

ce qu’il veut de sa vie, mais ma vie, que je le

veuille ou non, n’échappe pas au rythme

collectif. »

Dany Laferrière

L’art presque perdu de ne rien faire

Page 20: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

xx

Remerciements

L’aboutissement de ce projet découle en grande partie du soutien, de l’affection et de

l’accompagnement de plusieurs personnes significatives dans ma vie personnelle comme

dans ma vie professionnelle.

La réalisation de cette thèse n’aurait pas été possible sans le soutien indéfectible et la

confiance témoignée par ma directrice, Geneviève Fournier, à toutes les étapes de la

recherche. Au fil de toutes ces années d’étroite collaboration, elle m’a notamment enseigné

la rigueur et la persévérance au travail, la responsabisation professionnelle et l’autonomie

intellectuelle. Je la remercie tout particulièrement d’avoir accepté de m’accompagner dans

cette recherche sur « l’hypertravail » qui me tenait tant à cœur et de m’avoir appuyée dans

ce choix, tout comme dans la conciliation de mes différentes sphères de vie. Parmi ses

nombreuses qualités personnelles, je souligne son sens de l’humour, sa générosité, sa

grande disponibilité, son dévouement et son dynamisme.

Mes remerciements les plus vifs vont également à Brigitte Almudever, professeure à

l’Université de Toulouse-Jean Jaurès et co-directrice de la recherche, qui m’a si bien

accueillie au sein de l’équipe de Psychologie sociale du travail et des organisations

(Laboratoire de Psychologie de la Socialisation-Développement et Travail) au cours de la

première moitié de l’année 2010. Cette expérience marquante, tant sur le plan professionnel

que personnel, a été pour moi profondément enrichissante et stimulante. Je la remercie

également pour ses relectures minutieuses, ses remarques avisées et son accompagnement

soutenu tout au long de la rédaction de la thèse malgré l’éloignement physique. Je souligne

au passage son enthousiasme contagieux, sa bienveillance et son énergie.

Plusieurs autres professeurs ont marqué mon parcours d’études et ont, de différentes

manières, contribué à alimenter mes réflexions épistémologiques et à consolider ma

compréhension du monde du travail. Je remercie plus particulièrement Louise St-Arnaud,

Paul-André Lapointe, Marie Larochelle, Bruno Bourassa, Kamel Béji et Alain Barré pour

vos enseignements et vos accompagnements. Je remercie également les experts Angelo

Soares, Estelle Morin et Louise St-Arnaud qui ont accepté, comme membres du jury de

thèse, de relire et de commenter ce travail qui, par leurs remarques et questions judicieuses,

ont permis de le bonifier.

Je tiens également à exprimer toute ma gratitude à mes collègues et amis du CRIEVAT

pour les discussions partagées, le plaisir dans le travail et votre présence soutenue tout au

long des étapes – heureuses ou difficiles – qui marquent le cheminement doctoral. Simon,

Anne, Isabelle, Jonas, Hélène, Mariève, Jean-Simon, Michaël et tous les autres, vous faites

la différence.

Je remercie très sincèrement toutes les personnes qui ont accepté de raconter leur

expérience et de livrer en toute confiance leur « modèle de vie » en hypertravail, teinté de

leurs choix et de leurs valeurs, mais aussi de rapporter, comme témoin privilégié, une partie

de leur « monde » organisationnel.

Page 21: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

xxi

Sur le plan personnel, je dédie d’abord mes remerciements à Étienne, mon amour, pour son

inébranlable confiance et pour ses encouragements dans la poursuite de mes aspirations

personnelles. C’est une grande source de bonheur, d’intensité et d’inspiration que de

partager ma vie à tes côtés. À ma chère famille et à ma belle-famille, sachez que je me sens

très privilégiée de vous avoir dans ma vie. Votre présence et votre soutien sont très

précieux pour moi. Un merci tout spécial à mes parents Céline et Michel pour votre

confiance et pour votre amour. À mes chers amis-es, je nous souhaite de continuer à

ébranler les « certitudes » et de continuer à réfléchir et à œuvrer ensemble à un monde plus

beau, plus juste. Merci d’être toujours là pour partager les rêves, les joies et les doutes.

Enfin, je suis fortement reconnaissante du soutien financier reçu du Conseil de recherches

en sciences humaines du Canada (CRSH), du Fonds d’enseignement et de recherche de la

Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval, du Groupe d’intégration et

d’intervention en emploi, du Centre de recherche et d’intervention sur l’éducation et la vie

au travail (CRIEVAT) ainsi que du Fonds Desjardins en développement de carrière.

Page 22: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

1

Introduction

Loin de la réduction pressentie du temps de travail et de l’émergence d’une « société

des loisirs », est plutôt observé depuis une trentaine d’années un accroissement du

temps consacré au travail pour les travailleurs et les travailleuses les plus qualifiés, au

Québec comme dans la plupart des sociétés occidentales (Burke et Cooper, 2008;

Devetter, 2008; Kuhn et Lozano, 2008; Lapointe, 2005; Lee, 2007). Est également

observée l’émergence de nouvelles normes et de nouvelles pratiques de temps de

travail, qui se sont fortement diversifiées dans les organisations : temps

supplémentaire non rémunéré, arrangements temporels personnalisés, extension du

travail à toutes périodes de la journée (soirs et week-ends inclus), télétravail et heures

réalisées hors de l’organisation.

Le premier chapitre vise justement à approfondir ces changements et ces « normes »

en émergence. Il présente un portait général de l’évolution du temps de travail depuis

l’époque des Trente Glorieuses, au regard de l’évolution du contexte de production.

Entre les nouvelles réalités liées à la gestion de la production (ex. pression accrue à

une plus grande flexibilité temporelle dans les organisations) et les préférences

exprimées par les travailleurs (ex. aménagements du temps de travail pour faciliter la

conciliation travail-vie personnelle), nous examinons différents éléments ayant pu

contribuer à la déstandardisation des normes généralement admises de temps de

travail et, par le fait même, au recul du modèle social des « 35 heures semaine »1

(Supiot, 2001 ; Martinez, 2010). De fait, entre la forte concurrence internationale

propulsée par une économie en marche 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 et les

demandes de flexibilisation temporelle provenant tant des employeurs que des

travailleurs, la rigidité de la semaine de travail de « 9 à 5 » a été clairement mise à

rude épreuve.

1 Pour la France. Au Québec, la norme se situe entre 35 et 40 heures par semaine, selon les métiers et

professions.

Page 23: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

2

On constate qu’une part relativement importante de travailleurs et travailleuses –

entre 10 et 20% selon différentes sources (Lee, 2007; Tremblay, 2003; Usalcas, 2008)

– est dorénavant inscrite dans une situation durable de longues heures de travail,

travaillant 48 heures et plus par semaine de façon régulière. Plusieurs chercheurs ont

observé que ces longues heures de travail peuvent révéler des conduites dites

d’hypertravail, qui se caractérisent par un investissement excessif a priori volontaire

envers le travail (Rhéaume, 2006). Plusieurs changements organisationnels et sociaux

ont contribué à cette augmentation du nombre de travailleurs et travailleuses

fortement investis au travail. Par exemple, le fait que les organisations soient

dorénavant beaucoup plus flexibles et moins technocratiques, davantage centrées sur

la réalisation de projets et la mise en valeur de l’autonomie et de l’initiative des

travailleurs (Boltanski et Chiapello, 1999) a certainement pu accroître l’intérêt des

personnes envers le travail. Invités par ailleurs à collaborer et à soutenir les

transformations et les innovations organisationnelles ainsi qu’à améliorer leurs

pratiques et leur efficacité au travail (Appelbaum, 2004), les travailleurs et

travailleuses sont sommés de s’investir subjectivement au travail et d’accroître

continuellement leur performance. C’est dans ce contexte des transformations du

travail, voire de « métamorphose » du travail, que s’inscrit la présente thèse. Qu’est-

ce qui poussent des salariés et salariées à consentir aux nouvelles attentes de

l’hyperdisponibilité temporelle et à travailler presque sans limites?

Le deuxième chapitre a pour objectif de présenter quelques approches

psychologiques et psychosociologiques explicatives de ces conduites de fort

investissement temporel au travail. Il met en relief la variété de notions cherchant à

désigner et expliquer ces conduites, dont les plus populaires sont certainement, en

psychologie, ceux du workaholism et de l’addiction au travail, et en sociologie, celui

du surinvestissement. Dans le large champ de la psychologie du travail (où l’on peut

ranger le champ de la psychologie de la santé occupationnelle « occupational health

psychology », et la psychopathologie du travail), on oppose souvent la passion à

l’addiction (Burke, 2009), l’engagement à la dépendance (Shaufeli et al., 2008), la

productivité à la pathologie (Peirpel et Jones, 2001). Ces oppositions permettent ainsi

de dégager un côté positif et un côté négatif à un tel investissement intensif au travail.

Page 24: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

3

Du côté positif, les personnes qui adoptent ces conduites sont épanouies et

passionnées par leur travail au point où les activités tendent à se cristalliser autour de

la sphère de la vie professionnelle. Du côté négatif, elles se trouvent prises au piège

par le travail et soumises à une forme d’addiction semblables à celle observée chez

les alcooliques et les joueurs compulsifs : les travailleurs et travailleuses sont ici

incapables de réduire le rythme de travail malgré ses effets nocifs sur la santé et

l’équilibre de vie. Sous cet angle fortement individuel et bipolaire, le rôle joué par la

personne semble alors avoir une importance déterminante dans le fait qu’elle se

trouve à l’une ou l’autre de ces extrémités. Elle se trouve du côté des passionnés,

heureuse et engagée envers son travail, si elle a développé une forte identification et

satisfaction vis-à-vis de son travail. À l’inverse, elle se trouve du côté des addictifs,

malheureuse et aliénée au travail, si elle a des troubles de personnalité ou des traits de

caractère personnels difficiles (ex. besoin de contrôler).

D’autres explications, en sociologie clinique (par ex. Aubert et de Gaulejac, 1991) ou

en psychodynamique du travail (par ex. Dejours, 1993 ; Dejours, 2004) par exemple,

s’éloignent d’une approche exclusivement centrée sur cette vision polarisée d’une

conduite motivée par une « bonne » ou une « mauvaise » raison psychologique. Elles

s’attachent à une théorisation plus englobante de ces « conduites d’hypertravail »,

comprises dans l’articulation entre les fonctionnements individuel et organisationnel.

Leurs explications mettent de l’avant le rôle important de l’organisation du travail et

de l’idéologie organisationnelle et professionnelle dans le développement et le

maintien de ces conduites par les personnes. Perçues comme anormales, elles sont

appréhendées comme une forme d’aliénation à l’organisation ou comme des

mécanismes de défense individuels ou collectifs pour se protéger du travail qui fait

souffrir. Enfin, d’autres concepts, par exemple celui de surinvestissement et celui

d’overwork, rendent compte essentiellement de la dimension organisationnelle du

surinvestissement au travail et des rapports de domination qu’exercent l’organisation

sur l’individu.

Après avoir identifié certaines limites de ces approches et de ces modèles, le

troisième chapitre propose d’y pallier en formulant des objectifs qui se trouvent au

Page 25: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

4

cœur de la présente thèse. Ces objectifs de recherche concernent la genèse de ce fort

investissement au travail et questionnent les processus de construction de ces

conduites d’hypertravail chez les salariés et salariées des secteurs du multimédia et

des services informatiques. Ils visent à examiner les facteurs déterminants et les

significations allouées à ces conduites, sous l’angle des processus psychosociaux qui

y ont mené. Plus précisément, les objectifs spécifiques visent à : 1- analyser les

événements critiques et les étapes charnières qui, au cours du parcours professionnel,

ont contribué à l’adoption des conduites d’hypertravail ; 2- saisir le poids des facteurs

psychosociaux et organisationnels en jeu dans la construction des conduites

d’hypertravail et les relations qu’ils entretiennent entre eux ; 3- comprendre les

relations entre les conduites d’hypertravail et les activités, engagements et priorités

poursuivis dans les autres sphères de vie ; 4- examiner les différentes significations

attribuées par les sujets à leurs conduites d’hypertravail.

Pour tenter d’y répondre, nous nous sommes appuyée sur un cadre théorique qui

repose sur l’apport de deux modèles systémiques, l’un emprunté à la sociologie

clinique : le Système psychique organisationnel (Aubert et de Gaulejac, 1991); et

l’autre à la psychologie sociale développementale : le modèle de la socialisation

plurielle et active et son Système des Activités (Baubion-Broye et Hajjar, 1998; Curie,

2000; Malrieu, 2003). Le premier s’attarde aux liens systémiques entre le

fonctionnement individuel et le fonctionnement organisationnel. Ce modèle théorique

soutient que c’est la promesse de l’atteinte de l’Idéal de soi, à travers la poursuite des

idéaux organisationnels, qui amène les travailleurs à s’investir toujours plus au

travail. La socialisation organisationnelle dans les entreprises dites de « l’excellence »

ferait ainsi appel à l’imaginaire et aux émotions des individus – en suscitant des

angoisses mais aussi en sollicitant des désirs, ce qui entraînerait « la captation de

l’Idéal du moi par les idéaux organisationnels ». La peur de perdre l’amour de

l’organisation deviendrait alors un moteur puissant d’investissement au travail.

Le modèle théorique de la socialisation plurielle et active, développé notamment par

Malrieu (2003), soutien que, puisque l’individu est inscrit dans une pluralité de

Page 26: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

5

milieux de vie, il doit parvenir à dénouer les contradictions et les incompatibilités

rencontrées dans la mise en commun de ces divers lieux de socialisation.

Ce modèle est soutenu par le « Système des Activités » qui permet de comprendre,

comme le disent Baubion-Broye et Hajjar (1998), « comment les activités accomplies

ou projetées par les sujets dans les milieux et temps de leur socialisation forment

systèmes ».

En ce qui concerne plus particulièrement le processus de construction et de

signification des conduites d’hypertravail, l’individu doit organiser/ré-organiser son

Système d’Activités en hiérarchisant ses différents investissements, et il doit aussi

négocier ces investissements avec les autrui significatifs relevant de la sphère

professionnelle (supérieurs hiérarchiques, collègues, clients…) comme des autres

sphères de sociabilité (conjoint(e), compagne (on), enfants, amis…).

Plus avant, cela nous a menée au développement d’une grille d’analyse plus

intégratrice, que nous avons développée essentiellement à partir des niveaux

d’explication en psychologie sociale de Doise (1982). Cette grille prend en compte

des facteurs relevant des niveaux intra-individuel, interindividuel, positionnel,

idéologique, ainsi que de l’organisation du travail et de la tâche, pour comprendre ce

qui amène les travailleurs à faire de longues heures de travail et à adopter de telles

conduites d’hypertravail. Par rapport aux travaux existants, cette grille présente

l’originalité de mettre l’accent sur le déroulement des événements jusqu’à « l’entrée »

dans l’hypertravail au cours du parcours professionnel. Cette approche en termes de

processus suggère que l’hypertravail prend sens notamment au regard de la manière

dont elle s’est progressivement développée au fil du temps. L’originalité de cette

grille réside également dans la prise en compte de l’ensemble des sphères de vie qui

composent l’univers de la personne, pour comprendre l’entrée et le maintien dans

l’hypertravail. Bien plus que la lecture du contexte de vie personnelle (ex. situation

conjugale, enfants ou non à charge) au moment de l’enquête, c’est surtout la manière

dont la personne a transigé entre des demandes, attentes et objectifs de sa vie

professionnelle et des demandes, attentes et objectifs relatifs à ses autres sphères de

vie, qui est mise en questionnement dans notre modèle. Notre posture accorde ainsi

Page 27: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

6

une importance cruciale au regard que posent les sujets sur leurs conduites de façon à

saisir plus finement les différentes significations qu’ils attribuent à ce fort

investissement temporel au travail. À la fois systémique et diachronique, notre

posture vise donc à « détecter des modifications dans la constitution même des

facteurs qui interviennent dans le processus, mais aussi des événements, des

situations critiques » (Mendez, 2010, p. 13) et ainsi à mieux comprendre les

processus psychosociaux qui conduisent de plus en plus de travailleurs et de

travailleuses à adopter de telles conduites d’hypertravail.

Le quatrième chapitre présente les différents aspects méthodologiques de la

recherche. De façon à cerner les processus de construction des conduites

d’hypertravail et à atteindre nos objectifs de recherche, une enquête empirique

qualitative a été menée auprès de 34 salariés et salariées œuvrant dans les secteurs des

services informatiques (TI) et du multimédia dans les régions de Québec et de

Montréal. Pour être éligibles à l’étude, les participants et participantes devaient

travailler régulièrement 48 heures et plus par semaine, ne pas être rémunérés pour

l’ensemble des heures supplémentaires effectuées et être âgés entre 25 et 50 ans. Des

entretiens semi-dirigés d’une durée moyenne de 90 minutes ont permis d’appréhender

l’ensemble des facteurs de la grille, à partir d’une approche narrative inscrite dans la

tradition de l’approche du Parcours de vie (Bessin, 2009 ; Elder et al., 2003). Les

entretiens ont été entièrement retranscrits et intégrés au logiciel d’analyse de données

qualitatives QDA Miner. L’analyse de contenu a permis la structuration du matériau

de recherche et la codification des données. Celle-ci a été effectuée en deux temps :

dans un premier temps, l’analyse a visé à établir une fine catégorisation des différents

facteurs structurants repérés dans le contenu des entretiens; dans un deuxième temps,

l’analyse a visé à intégrer les résonances observées entre certains facteurs afin de

mieux comprendre les interactions entre les niveaux d’analyse, permettant au final de

dégager trois cas-types, illustrant chacun un processus particulier de construction des

conduites d’hypertravail.

Les cinquième et sixième chapitres présentent les résultats de l’enquête. Dans le

cinquième chapitre, l’accent est mis sur la catégorisation et la description de chacun

Page 28: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

7

des facteurs de la grille d’analyse, au regard de la manière dont ils sont associés aux

conduites d’hypertravail. À partir de l’analyse fine des 34 témoignages de travailleurs

et de travailleuses concernés par ce phénomène, il s’agissait de mettre en évidence

comment et de quelles manières chacun de ces niveaux contribue au développement

de ces conduites. Pour chacun d’eux, des catégories exclusives ont été identifiées puis

décrites à partir des extraits des récits des salariés et salariées interrogés.

Au total, seize facteurs sont analysés puis décrits selon les manières distinctives dont

ils expliquent les conduites d’hypertravail pour chacun des cinq niveaux de la grille.

Par exemple, l’analyse du parcours professionnel et des événements marquants au

niveau intra-individuel a permis de faire ressortir quatre types de parcours rattachés

aux conduites d’hypertravail, tel que mener une carrière ascendante dans l’entreprise

depuis l’entrée sur le marché du travail ou, encore, connaître une bifurcation

professionnelle satisfaisante après un « faux départ ». Au niveau interindividuel, trois

facteurs ont été pris en compte, soit la qualité, la nature et l’importance des relations

développées dans la sphère professionnelle, la qualité et l’importance des relations

dans les sphères de vie hors-travail, ainsi que la provenance et la forme du soutien

interindividuel. Les résultats indiquent notamment que plus du tiers de nos sujets ont

développé des relations professionnelles très significatives avec leurs collègues de

travail et leur superviseur, de même que le soutien des proches ou du milieu de travail

est souvent nécessaire pour maintenir à plus long terme de telles conduites

d’investissement au travail.

Au niveau positionnel, la diversité des attentes provenant des milieux professionnel et

extra-professionnel à l’égard des rôles professionnels et extra-professionnels a fait

l’objet d’une analyse de contenu approfondie. L’analyse des facteurs du niveau

idéologique et des liens observés avec les conduites d’hypertravail traduit également

des expériences variées. Par exemple, en ce qui concerne la culture du temps de

travail dans l’organisation, trois types de cultures ont été repérés: une culture des

longues heures de travail soutenue par des pratiques informelles, une culture plutôt

paradoxale du temps de travail, où si le temps supplémentaire est « exigé », il est

aussi sous surveillance et, enfin, une culture davantage axée sur le « laisser-faire », a

Page 29: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

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priori centrée sur les heures normales de travail. Les facteurs relatifs à la culture et les

valeurs de l’organisation, de même que les normes sociales d’implication au travail

chez les proches ont également été approfondis. Enfin, au niveau de la tâche et de

l’organisation du travail, la charge de travail, la flexibilité de l’organisation du travail

et l’autonomie décisionnelle, de même que le dispositif d’évaluation du rendement et

de reconnaissance ont été pris en compte dans notre étude.

Dans le sixième chapitre, est visé l’établissement de diverses configurations de

facteurs constitutives d’une typologie des modes d’entrée et d’ancrage dans

l’hypertravail. En recoupant les cas semblables et en analysant les résonances ou les

interactions entre les niveaux et facteurs qui apparaissent les plus importants et

déterminants dans le développement des conduites d’hypertravail, nos analyses ont

permis d’identifier trois cas-types de processus de construction des conduites

d’hypertravail.

Le premier cas-type fait ressortir les rôles déterminants des niveaux intra-individuel

et idéologique – plus particulièrement du facteur référant à la norme sociale

d’implication au travail chez les proches – dans le développement de l’hypertravail.

Au niveau intra-individuel, on voit bien comment la conduite prend racine au regard

des événements plus difficiles vécus au début du parcours professionnel et comment,

par la bifurcation satisfaisante vers un emploi ou un domaine d’emploi mieux arrimé

à leurs aspirations personnelles, ces personnes renforcent la place et l’importance du

travail dans leur vie et concentrent progressivement leurs activités dans la sphère

professionnelle au point de délaisser certaines activités dans les autres domaines de

vie.

Le deuxième cas-type observé rend compte de l’imbrication des cinq niveaux

contributifs au développement des conduites d’hypertravail. Il met l’accent sur les

rôles joués par l’organisation – surtout son « univers idéologique » et son système de

reconnaissance et de récompenses – et par le collectif de travail dans l’adoption de

telles conduites par les salariés et salariées. Ce cas-type met en évidence le fait que

l’organisation vise à combler plusieurs besoins – relationnels ou de divertissements

par exemple – susceptibles d’entraîner une mise à distance des relations hors-travail,

Page 30: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

9

de même que le report ou l’abandon d’activités et d’engagements dans les autres

sphères de vie. Au final, ce renforcement du lien individuel avec une organisation

renforce la définition de projets d’avenir élaborés au sein de l’entreprise.

Le troisième cas-type illustre un processus où les conduites d’hypertravail sont

surtout défensives, dans un contexte de mise à l’épreuve organisationnelle. Si au

départ l’entrée dans l’hypertravail est relativement bien vécue malgré qu’elle soit

motivée par la forte concurrence et le fonctionnement de l’organisation, le maintien

de cette conduite à plus long terme apparaît de plus en plus « forcé » par

l’environnement idéologique organisationnel (ex. forte culture compétitive, norme de

l’hypertravail dans l’entreprise) et par l’organisation du travail (charge de travail,

attentes « impossibles », etc.). On y observe un écart de plus en plus marqué entre les

valeurs et les attentes de l’individu, qui redonne de l’importance à leurs activités et à

leurs relations dans leur vie hors-travail, et le système social organisationnel,

favorable à un investissement et une disponibilité toujours plus grands envers

l’organisation.

Enfin, dans le septième chapitre, nous proposons de discuter de ces résultats et des

nouvelles connaissances que ceux-ci apportent à la compréhension du phénomène de

l’hypertravail. Nous soulignons la pertinence de notre approche, à la fois

synchronique et diachronique, pour étudier les conduites d’hypertravail. La thèse

permet d’abord de montrer que l’adoption de telles conduites apparaît comme le

résultat de dynamiques biographiques et temporelles spécifiques : celles-ci prennent

sources et prennent sens au regard notamment de l’enchaînement des événements

marquants du parcours professionnel et des objectifs et projets professionnels et

personnels poursuivis.

La thèse permet également de mieux comprendre les significations allouées par les

personnes à leurs conduites d’hypertravail au regard de l’ensemble de leurs sphères

de vie et des événements qui ont ponctué leur parcours professionnel depuis leur

entrée sur le marché du travail. Les résultats obtenus nous amènent à souligner

l’importance de pouvoir opérer des échanges entre les sphères de vie pour maintenir

Page 31: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

10

ce type de conduites, bien que les décloisonnements opérés par les sujets soient

signifiés de différentes manières par ces derniers.

La thèse fait également ressortir les rôles et les implications diverses des

organisations et des collectifs de travail dans le développement de ces conduites,

parfois de façon explicite (ex. norme de l’hypertravail dans l’organisation), parfois de

manière plus implicite (ex. engagement attendu envers les valeurs du dépassement de

soi promues par l’organisation). Celle-ci met en évidence la pluralité de facteurs qui,

mis en interaction, suggèrent diverses interactions et dynamiques entre la personne,

les personnes significatives dans la vie hors-travail, l’équipe de travail et

l’organisation, susceptibles de favoriser ou de soutenir l’adoption de ces conduites. À

propos des réflexions soulevées relativement à la co-construction des normes

temporelles de temps de travail, cette recherche montre que le contexte

organisationnel souvent flou en matière de délimitation du temps de travail rend plus

difficile l’articulation du travail avec les autres temps sociaux. Si les individus sont

davantage impliqués dans l’établissement de leurs balises de temps de travail et

peuvent prendre des décisions relativement au temps qu’il convient d’investir au

travail, ils le font toutefois à partir de comparaisons sociales et de pressions plus ou

moins formelles à travailler plus, susceptibles de renforcer leur investissement au

travail.

Au final, la thèse permet d’approfondir les processus de socialisation et de

personnalisation à l’œuvre dans une situation de régulation plus informelle du temps

de travail et transférée, du moins partiellement, à l’individu. Tenant compte à la fois

des préférences individuelles comme des exigences liées au travail (organisation,

équipe de travail, organisation du travail), c’est toute la dynamique d’autorégulation

et de pouvoir réel de ses temps de vie – d’articulation des temps de travail et hors-

travail – qui est en jeu. En ce sens, la thèse alimente le débat à propos de l’émergence

de nouvelles formes de domination au travail, au regard notamment des normes et des

pratiques managériales suscitant l’implication subjective des salariés et salariées dans

le nouveau contexte productif post-fordiste, caractéristique de l’économie du savoir.

Page 32: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

11

En guise de conclusion, nous évoquons quelques limites de la recherche, puis nous

défendons certaines implications pratiques de ces résultats pour les gestionnaires, les

professionnels et professionnelles de la gestion des ressources humaines et les

intervenants et intervenantes en psychologie et en counseling et orientation. Nous

terminons en évoquant quelques pistes de recherche futures.

Page 33: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

12

Chapitre 1 : Le temps de travail au regard de

l’évolution du contexte productif

Ce premier chapitre a pour principal objectif de poser un regard sur les

transformations contemporaines du temps de travail, en mettant tout particulièrement

en évidence les nouveaux enjeux de flexibilisation et de déstandardisation des normes

temporelles du travail. Nous verrons d’abord que ces transformations s’inscrivent

plus largement dans les « évolutions » du contexte productif des quarante dernières

années, marqué principalement par le passage d’une économie industrielle vers une

économie du savoir, et par des changements organisationnels en profondeur, tant sur

les plans du système de production, de l’organisation du travail que des relations

d’emploi (Bélanger, Giles et Murray, 2004).

Nous montrerons ensuite comment ces transformations du temps de travail ont eu des

impacts sur l’articulation des différents temps de vie et comment aussi cette

flexibilisation a pu contribuer à l’allongement du temps de travail au point où un

nombre élevé de personnes travaillent désormais régulièrement 48 heures et plus par

semaine. Enfin, nous ferons un bref état des lieux à propos de la durée du travail et du

phénomène des longues heures de travail. Après avoir présenté les lois québécoises et

canadiennes relatives à la durée du travail, nous exposerons quelques statistiques à

propos du pourcentage de travailleurs et de travailleuses touchés par les longues

heures de travail, ainsi que des principaux risques individuels et sociaux qui sont liés

à un tel régime de temps de travail.

1.1 Les évolutions du monde du travail

Cette section s’intéresse aux évolutions du marché du travail et des modèles

productifs, maintenant bien connues (Boltanski et Chiapello, 1999; Boyer et

Freyssenet, 2000; Coutrot, 1999; Murray, Bélanger, Giles et Lapointe, 2004). Entre le

transfert d’une économie industrielle vers une économie du savoir et le

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développement de nouvelles manières de produire et d’organiser le travail, le rôle et

l’implication des travailleurs dans l’activité productive se trouvent considérablement

modifiés. Durant la même période, les pratiques de gestion se sont elles aussi

beaucoup transformées : beaucoup moins hiérarchiques et pas seulement

« formelles », celles-ci se centrent dorénavant sur de nouvelles formes de pouvoir et

de mobilisation au travail, qui ont des incidences à la fois positives et négatives pour

les travailleurs et les travailleuses comme nous le verrons dans cette section.

1.1.1 Le développement d’un nouveau modèle de production : le

dépassement du modèle fordiste

Les transformations du contexte productif prennent leurs sources dans un contexte

global d’évolution des économies capitalistes depuis les quarante dernières années.

Celles-ci sont si fondamentales qu’il est désormais admis de parler d’un « nouveau

modèle de production » (Bélanger, Giles et Murray, 2004), de nouveaux « milieux de

travail à haute performance » (Appelbaum, 2000) ou encore de « modèle post-fordiste

» (Bélanger et Lévesque, 1992), en référence au dépassement du modèle fordiste qui

a connu son apogée dans les Trente Glorieuses (env. 1945-1975).

Les travaux de Bélanger, Giles et Murray (2004) sur l’émergence d’un nouveau

modèle de production amènent les auteurs à distinguer trois sphères du milieu de

travail en évolution : 1) la gestion de la production, marquée par une production plus

flexible et par une standardisation des processus; 2) l’organisation du travail, dominée

par une plus grande polyvalence et une autonomie accrue allouée aux travailleurs et,

3) les relations d’emploi, caractérisées par un transfert du risque et de l’incertitude

économiques sur les employés (ex. à contrats) et par l’exigence d’un engagement

accru des salariés et salariées envers l’entreprise.

C’est d’abord une gestion de la production beaucoup plus fluide et adaptative qui

s’est développée face à l’évolution rapide des technologies et à la demande accrue

pour des produits et services diversifiés. Tout en cherchant à maintenir une

production de masse et des processus uniformisés, les entreprises ont développé des

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méthodes de production axées vers une grande flexibilité d’ajustement, permettant

ainsi de modifier rapidement la production en cours de façon à répondre aux

nouvelles exigences du marché (Bélanger, Giles et Murray, 2004).

Ces milieux de travail se caractérisent ensuite par des formes d’organisation du

travail plus flexibles, centrées sur la réalisation de projets et la mise en valeur de

l’autonomie et de l’initiative des travailleurs (Boltanski et Chiapello, 1999). Les

connaissances des travailleurs sont ainsi primordiales dans l’activité de production.

Dans le cadre d’équipes multidisciplinaires, ces travailleurs sont amenés à résoudre

des problèmes complexes, à mobiliser de manière accrue leurs compétences et leurs

savoirs, et à agir plus concrètement sur l’organisation du travail, c’est-à-dire, en

raison de leur plus grande autonomie, à influencer l’enchaînement et la réalisation des

activités productives (Bélanger, Giles et Murray, 2004). Rompant avec la

spécialisation des tâches et la bureaucratie développées au sein du modèle fordiste, le

développement d’équipes de travail temporaires et partiellement autonomes se trouve

ainsi au cœur de la gestion par projet. Ce type d’organisation du travail apparaît

particulièrement développé dans les secteurs des services technologiques et du

multimédia (Legault et Chasserio, 2006 ; Tremblay et Amherdt, 2004). Bref, certains

auteurs ont mis de l’avant l’existence de nouveaux milieux de travail à haute

performance (« High Performance Work System ») où les pratiques

organisationnelles visent l’amélioration continuelle de la performance des

organisations (Appelbaum, 2004; Kalleberg, 2001).

Enfin, les relations d’emploi et les pratiques de gestion des ressources humaines se

sont transformées sous le poids de ces changements dans les manières de gérer la

production et d’organiser le travail. Au-delà de l’engagement, un tel contexte de

travail requiert l’adhésion sociale des travailleurs (Bélanger et al., 2004). C’est sur la

profondeur de cet engagement et l’intégrité de cette adhésion que reposent le succès

commercial du projet (ou de la relation de service) et la possibilité d’y parvenir dans

les meilleurs délais. La mobilisation « subjective » (c’est-à-dire cette implication

toute personnelle dans le travail) et l’adhésion des employés et employées aux valeurs

de l’organisation et aux objectifs qu’elle poursuit représentent la pierre angulaire

Page 36: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

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autour de laquelle se sont développées les nouvelles pratiques managériales. Ceux-ci

sont ainsi dorénavant invités à collaborer et à soutenir les transformations et les

innovations organisationnelles, ainsi qu’à améliorer leurs pratiques et leur efficacité

au travail (Coutrot, 1999; Linhart, 2010).

Selon de nombreux auteurs (par ex. Amado, 2009; Berrebi-Hoffmann, 2012 ; Briand

et Bellemare, 2010; Linhart, 2011; Mercure, 2013), la stimulation de cet engagement

a favorisé l’instauration de nouvelles dynamiques de pouvoir plus insidieuses entre

les employés et l’organisation (ses représentants). Pour Mercure (2013), il est clair

que cet assujettissement des employés à la logique de marché et leur sur-

responsabilisation dans l’atteinte des objectifs organisationnels se retrouvent au cœur

des nouvelles formes de pouvoir développées par les organisations. Par exemple, les

nouvelles pratiques de gestion des ressources humaines plus individualisées, telles

que la gestion par les compétences individuelles (Baraldi, Durieux et Monchatre,

2002; Sharone, 2004) ou le transfert sur les salariés et salariées de la gestion du temps

et de l’espace de travail (Devos et Taskin, 2005), s’apparente à un nouveau rapport de

domination psychologique fondé sur les liens interpersonnels (Mercure, 2013).

D’autres formes de contrôle ont également été observées. Par exemple, dans l’étude

qu’elle a menée dans le secteur des services informatiques, Berrebi-Hoffmann (2012)

a pu distinguer quatre familles de relations hiérarchiques qui représentent autant de

nouveaux modes de coordination et de contrôle des salariés et salariées : 1) la

renonciation au contrôle, marquée par le recours à des travailleurs sous-traitants et

l’absence de contrat; 2) la contractualisation et les incitations, liées au management

par objectifs et aux salaires individualisés (ex. bonis selon le rendement, actions de

l’entreprise); 3) le lien hiérarchique réinventé, favorable au recours au mentorat ou à

des figures charismatiques; 4) le recours aux normes et aux valeurs, caractérisé par

des codes de comportement et une culture d’entreprise qui mettent subtilement en

place un contrôle par l’engagement des salariés et salariées dans les activités

collectives et hors-travail.

Page 37: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

16

1.1.2 Le passage d’une économie industrielle à une économie du

savoir

Le développement rapide de nouvelles technologies et la recherche d’une plus grande

efficience dans un contexte de forte concurrence ont entraîné des changements

importants dans la composition de la main-d’œuvre sur le marché du travail. De fait,

les nombreuses restructurations, fusions et rationalisations qu’ont connues les

entreprises au cours des dernières décennies, ajoutées à l’automatisation de la

production et à la croissance des nouvelles technologies de l’information et de la

communication, ont entraîné la perte considérable et durable d’emplois ouvriers dans

les secteurs industriels, au profit de la création et de l’augmentation d’emplois dans

les secteurs des services (Sweet et Meiksins, 2008). Parmi les nouveaux emplois

créés dans ce secteur, plusieurs exigent des compétences de pointe et des savoirs

spécifiques, tels que les programmeurs informatiques, les développeurs de site web

ou les conseillers en gestion et informatique. De fait, au Québec, la

« professionnalisation » des emplois, entendue essentiellement comme

l’augmentation des compétences et des qualifications exigées sur le marché du

travail, est un phénomène en croissance (Le Capitaine, Grenier et Hanin, 2013). Selon

Lapointe (2005), 35% des emplois sont liés aux « professions du savoir » et ce sont

ces professions qui, depuis les quinze dernières années, ont connu la plus forte

croissance. Face à ces bouleversements majeurs, plusieurs sociologues du travail et

économistes conviennent maintenant du déclin de l’ère industrielle au profit d’une

nouvelle ère dite « du savoir » (Castells, 2001; Gadrey, 2000).

Comme l’indique l’OCDE (1996), cette « nouvelle » économie reconnaît le rôle

central du savoir et de l’information dans la croissance économique et la productivité

d’une société. Elle se caractérise par des investissements accrus des entreprises dans

les techniques, la recherche et le développement, l’amélioration des produits et les

services technologiques. Contrairement à l’économie industrielle, dont les ressources

matérielles et l’automatisation des procédés se retrouvent au cœur de la production de

la richesse, l’économie du savoir repose essentiellement sur le capital humain dont

dispose une entreprise, c’est-à-dire ses travailleurs, leurs compétences et leurs

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17

connaissances. Ces compétences et connaissances, ainsi que les divers réseaux et

relations que les travailleurs entretiennent, sont au cœur de la productivité et de la

performance des organisations (Tremblay et Audebrand, 2003). De fait, comme l’a

fait remarquer Drucker (1996, cité dans Lesemann et Goyette, 2003), ces

« travailleurs du savoir » ont comme particularité de mettre continuellement à profit

leurs connaissances dans l’exercice de leur travail. Ces développements du marché du

travail ont ainsi suscité non seulement une demande accrue pour une main-d’œuvre

qualifiée mais aussi des attentes nouvelles vis-à-vis des travailleurs quant à la

formation continue et à l’apprentissage tout au long de la vie.

Ces transformations importantes du système productif que nous avons brièvement

évoquées ont favorisé l’émergence de nouvelles pratiques de gestion et de milieux de

travail qui reposent sur une plus grande autorégulation et autonomie des travailleurs

et travailleuses, sur leur capacité à s’affirmer et à décider de leurs actions (Lallement,

2007). Or, ces transformations ne sont pas sans incidence sur leur qualité de vie au

travail, de même que sur leur « mise au travail ».

1.1.3 Les incidences de ces évolutions pour les travailleurs et

travailleuses : entre opportunités et contraintes

Pour les travailleurs et les travailleuses, cet appel à la participation et à la

mobilisation subjective pose de nouveaux enjeux. D’un côté, tel que nous l’avons

évoqué précédemment, les nouvelles configurations des emplois du savoir exigent de

plus en plus la mise à profit d’un nombre important d’habiletés et de compétences,

personnelles et professionnelles, susceptibles de valoriser l’activité de travail.

L’autonomie et l’augmentation du pouvoir des travailleurs sur leur travail comptent

également parmi les aspects positifs de ces nouvelles pratiques. Le travail permet

alors de mieux répondre aux aspirations profondes des individus (ex. être reconnu) et

à leurs attentes personnelles et professionnelles (Linhart, 2008). Plus globalement,

ces changements ont pu favoriser le développement de nouveaux rapports au travail,

plus positifs, qui confèrent au travail une valeur importante et une dimension

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expérientielle2 pour les individus, tout particulièrement pour les plus qualifiés

(Mercure et Vultur, 2010).

De l’autre côté, l’exigence de participation adressée aux travailleurs et travailleuses,

dans un contexte d’intensification du travail et de fortes pressions au rendement,

devient un outil de gestion qui banalise le stress et l’implication au travail (de

Gaulejac, 2008a). L’augmentation de l’intensité et de la cadence du travail est à un

point tel que certains sociologues et psychosociologues parlent dorénavant d’un

« culte de l’urgence » (Aubert, 2003), mettant ainsi à l’avant-plan la « normalité »

croissante que constituent ces situations de travail en surcharge (Aubert, 2008;

Rhéaume, 2008). La performance individuelle et la poursuite d’un idéal au travail –

alors même qu’elles renvoient souvent à des objectifs rendus inatteignables –

deviennent de plus en plus normalisées et banalisées (Dujarier, 2006). Cette situation

pose également des défis majeurs aux individus en termes de conciliation vie

professionnelle et vie personnelle. Par exemple, face au caractère souvent immatériel

et ambigu de leurs activités de travail (ex. résolution de problèmes complexes), ces

derniers peuvent éprouver des difficultés à contrôler la durée et la cadence de travail,

qui empiète alors sur les autres temps de vie, par exemple pour remettre à temps les

projets (Du Tertre, 2006). Ils se trouvent également confrontés à des indicateurs de

performances élevés mais dont le temps nécessaire pour les atteindre apparaît difficile

à évaluer, ce qui peut conduire à augmenter le nombre d’heures de travail pour

« rentrer dans les délais ». Enfin, les travailleurs et travailleuses qualifiés sont invités

à développer leurs compétences tout au long de la vie, et ce, le plus souvent en dehors

des heures de travail, empiètant sur le temps de vie personnelle (Bouteiller et Gilbert,

2005).

Parmi les autres effets négatifs, mentionnons enfin que si l’engagement subjectif est

attendu par les nouvelles formes d’organisation de travail, la flexibilité des nouvelles

contractualisations du travail exige du même coup que l’individu puisse se

2 Mercure et Vultur (2010) entendent par « expérientielle » la finalité dominante immatérielle du

travail, c’est-à-dire axée sur l’importance de l’expérience vécue, à laquelle s’oppose la finalité

dominante matérielle, axée sur l’importance économique.

Page 40: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

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désengager tout aussi rapidement du projet auquel il est rattaché ou encore de

l’organisation pour laquelle il est embauché (Périlleux, 2001), ce qui ne va pas sans

un coût psychologique élevé.

Cette section a permis de jeter un bref regard sur l’évolution du modèle de production

dans une économie fondée sur le savoir et de mieux comprendre quelques-unes des

incidences de ces mutations pour les travailleurs et les travailleuses. Nous

approfondirons maintenant les changements du temps de travail qui marquent les

nouvelles façons de produire, d’organiser et de gérer les relations d’emplois, et leurs

impacts possibles pour l’articulation des différents temps et domaines de vie.

1.2 Vers un temps de travail flexible et dé-standardisé

Cette section vise à répondre aux questions suivantes : Quelles sont les

transformations du temps de travail? Comment la flexibilisation et la

déstandardisation du temps de travail ont-elles contribué à l’allongement de la durée

du travail pour une partie des salariés et salariées? Qu’en est-il de la flexibilisation du

temps de travail et de l’articulation des différents temps de vie?

Il s’agira tout d’abord de rendre compte des multiples facettes du temps de travail

négociées et édifiées à l’époque fordiste. Seront par la suite exposées les nouvelles

réalités du « temps de l’emploi » (Thoemmes, 2000) qui font de plus en plus reposer

sur les travailleurs et travailleuses et les organisations (via leurs représentants) la

construction de balises temporelles plus « individualisées ». Face à une gestion du

temps de travail partiellement transférée aux salariés et salariées en fonction des

exigences de leur emploi et de leurs préférences individuelles, de nouvelles pratiques

individuelles et organisationnelles – beaucoup plus hétéroclites et informelles – se

sont développées. Nous verrons comment ces changements se traduisent pour

plusieurs par un « temps de l’urgence » (Bouton, 2012), mais aussi par la

prépondérance, toujours bien réelle, du temps de travail sur l’organisation des autres

Page 41: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

20

temps de vie; à savoir ces temps de vie qui incluent plus globalement les divers temps

sociaux (ex. famille) mais aussi le temps personnel ou le temps libre. C’est donc sur

une définition englobante de tous les temps de vie, du travail et du hors-travail, que

repose cette analyse des nouvelles temporalités, un peu à distance des travaux qui

jettent un regard ciblé sur le travail et les autres temps sociaux comme la famille

(Tremblay, 2004; 2008).

1.2.1 Du temps de travail au temps de l’emploi

La transformation des temps de travail est aujourd’hui largement admise

(Bouffartigue ; 2012 ; Devetter et de Coninck, 2012 ; Michon, 2005 ; Pronovost,

2007 ; Thoemmes, 2000). Elle concerne tant le quotidien des individus que

l’ensemble de leur parcours de vie, aujourd’hui moins linéaire et davantage exposé à

des périodes de travail intense suivies de périodes sans emploi (Devetter et de

Coninck, 2012 ; Fraccaroli et Sarchielli, 2007 ; Lallement, 2003). Les

bouleversements sont tels qu’ils touchent à la fois, pour reprendre les catégories

distinguées par Lallement (2003) ; le temps au travail, qui renvoie à l’organisation du

travail et à l’accomplissement de tâches et de responsabilités selon une période de

temps alloué, le temps du travail, qui concerne la catégorisation sociale et

l’acquisition d’un statut par une activité de travail ou de formation, et le temps de

travail, défini principalement par la frontière avec le temps de la vie hors-travail et

rapporté essentiellement à sa durée.

C’est tout particulièrement le temps de travail qui se trouve à l’avant-plan de cette

thèse intéressée par les conduites d’hypertravail, c’est-à-dire par des conduites qui

rendent compte d’une durée du travail anormalement élevée (en comparaison avec

une norme empiriquement établie) et qui bousculent les frontières habituelles des

temps de vie au travail et de vie hors-travail3. Sous cet angle et à l’instar de Metzger

et Cléach (2004), les temps de transport, les temps de « mobilisation subjective » (où

3 Le concept sera approfondi au début du troisième chapitre.

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21

on est joignable en dehors des heures habituelles de travail) ainsi que les temps de

formation et d’apprentissage nécessaires à la réalisation du travail, parce que ce sont

des temps consacrés à l’activité professionnelle, doivent être inclus dans la

comptabilisation du temps de travail.

Dans les prochaines pages, seront exposées les principales transformations qui, du

passage de l’ère fordiste à l’ère post-fordiste, ont touché le temps de travail, tant sur

la durée, les horaires que sur les frontières avec le hors-travail. Nous verrons que de

nouvelles formes de régulation du temps de travail se sont développées pour favoriser

des arrangements temporels plus individualisés, entre un travailleur et son

organisation, et que cette flexibilisation a permis l’émergence de nouvelles normes

temporelles plus diversifiées et plus atypiques. Nous verrons également que si une

plus grande part de liberté est dorénavant accordée aux individus et aux entreprises

pour établir des pratiques et des balises temporelles qui correspondent davantage à

leurs besoins et à leurs préférences, cette déstandardisation du temps de travail pose

de nouvelles questions et de nouveaux enjeux pour les individus qui se trouvent

devant une plus grande latitude dans la modulation des temps mais se voient aussi

confrontés à des contraintes nouvelles.

1.2.1.1 Le temps de travail sous l’ère industrielle

Metzger et Cléach (2004) nous rappellent qu’Émile Durkheim a montré il y a déjà

fort longtemps4 que le temps de travail, entendu ici au sens large, résulte d’une

organisation et d’une construction collectives. Le temps de travail peut ainsi être

compris comme le résultat de négociations entre des acteurs concernés, tels que les

employeurs, les syndicats et les groupes de travailleurs et travailleuses, et élevées

ensuite comme normes sociales. En France notamment, il faudra près de 150 ans

avant que les ententes négociées soient dûment inscrites dans des institutions légales,

supportées par l’État (Thoemmes, 2000). À ce sujet, la montée du syndicalisme

4 Durkheim, É., 1912 (1ère édition). Les formes élémentaires de la vie religieuse. Le système totémique

en Australie. Paris : Presses Universitaire de France.

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22

depuis la seconde phase de la révolution industrielle a permis de renégocier

successivement à la baisse la durée du temps de travail. En France, la durée légale de

travail était de 65 heures par semaine en 1900 (Haicault, 2000) : elle sera réduite

graduellement pour atteindre 40 heures à l’apogée de l’ère fordiste (Thoemmes,

2000), et diminuer ensuite à 35 heures en 1998. Aux États-Unis, la durée du travail a

aussi commencé à baisser après 1870. Selon Schor (2013), elle atteignait environ 3

000 heures par an en 1870 (+/- 60 heures par semaine), 2 342 heures par an en 1929

(+/- 45 heures) et 1 887 heures par an en 1973 (+/- 36 heures). Cette diminution

constante du temps de travail s’est par ailleurs avérée signer « la reconnaissance et la

légitimité de l’acte productif au cœur des sociétés industrielles » (Lallement, 2003, p.

161), en ce sens que l’amélioration de l’efficacité productive dans les industries

devait être jumelée à une baisse du temps de travail pour les salariés et salariées.

Dans ce contexte, et pendant 150 ans environ, la réduction du temps de travail a

d’ailleurs été associée à une amélioration des conditions de vie et a constitué un enjeu

important de luttes sociales (Lallement, 2003).

La période fordiste est caractérisée par un compromis social qui repose sur un

engagement des travailleurs et travailleuses dans l’amélioration de la productivité de

l’entreprise en échange d’une plus grande protection (emploi salarié, possibilités

d’avancement, protections sociales) et d’une amélioration de leur bien-être

(meilleures conditions d’emploi et de salaire). Sous l’ère fordiste, le temps de travail

dans les industries – tant les horaires que la durée – est prévisible, uniforme et

normatif (Devetter, 2002 ; Lallement, 2003). D’abord, les salariés et salariées sont

contraints à des horaires de travail définis et prédéterminés, affectés à des quarts de

travail dont les temporalités (durée, rythmes de travail) sont déjà négociées et

entendues. Toutes les activités professionnelles se déroulent sur les lieux physiques

de l’entreprise et l’on cesse de travailler dès lors qu’on en franchit la porte. Ensuite,

chacune des heures de travail effectuées pour l’employeur (et même, avec l’aide d’un

« pointeur », chacune des minutes) est comptabilisée et rémunérée. En contrepartie de

leur prestation de travail, les salariés et salariées reçoivent un salaire horaire, c’est-à-

dire une rémunération pour chaque heure subordonnée à l’employeur, mais où le

nombre d’heures quotidien, hebdomadaire et annuel à accomplir est par ailleurs déjà

Page 44: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

23

entendu. Dans ce contexte, le temps supplémentaire est non seulement rémunéré mais

il est rémunéré à temps et demi (150%) : il en coûte ainsi considérablement plus cher

à l’employeur d’user de la force de travail du salarié au-delà de 40 heures par semaine

et il vaut mieux, dans ce cas, recourir à l’embauche d’une nouvelle personne surtout

si la période de temps supplémentaire doit se prolonger5. La productivité d’un salarié

est donc fortement tributaire de l’organisation du travail et du temps de travail,

justifiant ainsi la « chasse aux temps morts » des superviseurs propre aux logiques de

rentabilité, cherchant à maximiser le rendement des employés dans le temps prescrit.

Enfin, le temps de travail est linéaire, répétitif, reposant sur la reprise en boucle des

mêmes tâches et des mêmes horaires, jusqu’à la retraite.

Ce temps linéaire, structuré et fortement prévisible façonne une conception du temps

qui influence, voire détermine, les représentations sociales et les conduites

individuelles. À ce propos, Fraccaroli et Sarchielli (2007) évoquent à quel point la

durée du temps de travail établie par les industries et les sociétés à cette époque vient

réguler les comportements attendus et encadrer les conduites individuelles. D’abord

on s’attend à ce que le travailleur respecte la discipline imposée du temps de travail.

Se conformer aux heures de travail prescrites par l’organisation et le champ

professionnel revient ainsi à faire la démonstration d’une « bonne » socialisation

professionnelle et sociale. Ensuite la durée du temps de travail déterminée impose un

schéma rigide du déroulement des activités hors-travail et « cadre » les opportunités

et les possibilités de la vie hors-travail. Autrement dit, la prépondérance du temps de

travail sur les autres temps de vie est si forte qu’elle influence non seulement

l’organisation du temps hors-travail mais aussi les attentes que peuvent formuler les

personnes vis-à-vis des sphères du travail et du hors-travail, en fonction du temps qui

peut être alloué à chacune d’elles :

« La durée a une importance évidente puisque, de fait, elle détermine la

quantité résiduelle de temps qui n’est pas occupée par le travail et elle

influence les attentes des personnes par rapport aux résultats du travail

5 Rappelons toutefois que certains groupes de travailleurs, tels que les cadres et les salariés et salariées

agricoles, sont excluent de ces dispositions sur la Loi sur les normes du travail.

Page 45: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

24

et aux modalités d’utilisation du temps hors-travail. » (Fraccaroli et

Sarchielli, 2007, p. 23)

Sur le plan personnel, cette régulation collective plutôt rigide des horaires et de la

durée du travail comporte à la fois des avantages et des inconvénients selon plusieurs

auteurs qui se sont récemment intéressés à la question du temps de travail et des

temps de vie (voir notamment Bouffartigue, 2012 ; De Terssac et Tremblay, 2000 ;

Devetter, 2002 ; Lallement, 2003 ; Thoemmes, 2000). Parmi les avantages, deux

éléments apparaissent particulièrement importants. Premièrement, puisque l’usage du

temps est délimité par des balises formelles et prévisibles, il y a peu de risque

d’empiètement ou de débordement du travail sur les autres sphères de vie. Nettement

séparés, voire cloisonnés, les temps du travail et du hors-travail semblent se diviser

en deux mondes distincts : il y a un temps pour le travail, fortement standardisé par

les lois du travail et les conventions collectives, et un temps pour la vie personnelle

(familiale, loisirs, etc.), généralement le temps restant. Ancré dans la tradition

religieuse, le temps du hors-travail est essentiellement le week-end, et tout

particulièrement le dimanche, jour de repos (Lallement, 2003). Ce clivage favorise la

conciliation des buts et des objectifs poursuivis dans chacune des sphères, en ce sens

qu’il y a peu de risque de perturbations de l’ordre temporel établi. Deuxièmement, ces

régulations plutôt rigides réduisent les tensions dans la gestion des temporalités

biographiques et sociales puisqu’elles sont non seulement bien arrimées sur la vie

quotidienne et concrète des individus (ex. vie sociale, institutions scolaires), mais

aussi sur leurs rythmes physiologiques et biologiques (ex. repas, temps de repos).

Parmi les principaux désavantages, on peut relever la faible maîtrise individuelle des

temporalités. De fait, il y a peu de marges de manœuvre pour négocier,

individuellement, des aménagements du temps de travail de façon, par exemple, à

revoir le nombre d’heures allouées à la vie au travail et à la vie hors-travail en

fonction de ses préférences et/ou de ses engagements professionnels et extra-

professionnels. À cette faible maîtrise individuelle des temporalités peut être évoqué

un deuxième désavantage qui concerne la monotonie d’une telle régularité

temporelle, cette « temporalité répétitive souvent la même, pour une même tâche,

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pour un individu donné pendant de longues périodes sinon toute une vie » (Sivadon et

Fernandez Zoïla, 1983). Plus globalement, c’est l’ensemble du mode de vie qui est

soumis à cette routine travail/hors-travail et à cette structure des temps de vie imposés

qui, même en changeant d’emploi, sera reproduite.

Ces avantages et désavantages liés à la rigidité et à l’uniformité du temps de travail

jouent un rôle inversé dans le contexte de flexibilisation qui teinte l’ère post-

industrielle, comme nous le verrons ci-après.

1.2.1.2 Le temps de l’emploi sous l’ère post-industrielle

Bien que cette forme d’organisation du temps reste dominante (Devetter, 2002), les

bouleversements du contexte productif ont ébranlé ce modèle rigide et uniforme du

temps de travail. Dès les années 1970, des spécialistes des relations industrielles et de

la sociologie du travail se sont intéressés aux transformations en cours. Les horaires

de travail variables ont fait l’objet d’études approfondies et sont révélés dans des

ouvrages portant sur la question (voir, par exemple : Baudraz, 1974 ; Bohlander,

1977 ; Evans, 1973 ; Swart, 1978). Mais c’est surtout dans les deux décennies

suivantes, dans les années 1980 et 1990, que la profondeur des changements en cours

et leurs impacts pour les travailleurs et travailleuses, les familles et les organisations

ont été le plus fortement mis en évidence. On s’est intéressé alors non seulement aux

nouveaux aménagements du temps de travail (Barthélemy, 1989 ; Byers, 1997 ;

Kapp, 1986 ; Michau, 1981), mais aussi à l’articulation des différents temps de vie.

La conciliation travail-vie personnelle et la qualité de vie des personnes ont pu être

bousculées par ce nouveau contexte de flexibilité (Larouche et Trudel, 1983 ; McRae,

1989). Est ainsi mise en questionnement la possibilité réelle, pour les individus, de

bénéficier d’aménagements du temps de travail (par ex. horaires de travail flexibles)

qui leur soient favorables et dont les conséquences sont heureuses (Agassi et

Heycock, 1989 ; Gottlieb, 1998 ; Ronen, 1981). On questionne également l’intérêt de

ces nouvelles pratiques pour la préservation et la création de nouveaux emplois. Des

idées telles que le partage de l’emploi et la réduction du temps de travail (Hayden,

1998 ; Hoffmann et Lapeyre, 1995 ; Tremblay et Villeneuve, 1998) semblent alors

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porteuses de solutions durables favorables à l’emploi pour tous à une époque

profondément marquée par la morosité économique, alors que la précarité d’emploi,

le chômage et l’exclusion socio-professionnelle montent en flèche (suite à la crise

sévissant à la fin des années 1980) et bouleversent la société salariale (Castel, 1995 ;

Paugam, 2000). La panacée de la réduction du temps de travail prend une connotation

particulière en France, où les débats scientifiques et politiques vont progressivement

mener, en 1998 et en 2000, à la loi sur les 35 heures. Il s’agit d’ailleurs du seul pays

européen qui a légalement adopté une mesure en ce sens. Or, les ouvrages publiés sur

les conséquences de cette nouvelle loi attestent en grande partie de « l’échec des 35

heures » (Bouffartigue, 2012 ; Dufau, 2008), qui semblent avoir davantage mené à

intensifier le travail qu’à favoriser l’emploi.

La problématique sociale des longues heures de travail fait également surface dans le

débat scientifique : les Américains (notamment) travaillent de plus en plus et la part

des loisirs recule (Hochschild, 1997 ; Schor, 1991). Entre la croissance du travail à

temps partiel et les horaires réduits d’un côté et l’allongement des heures de travail de

l’autre côté, l’on se demande « où va le temps de travail » (de Terssac et Tremblay,

2000). Devant cet éclatement et ce temps multiforme, on allègue même d’un « temps

de travail en miettes » (Freyssinet, 1997). Plus récemment, c’est la question des

balises du temps de travail – ou plutôt l’absence de balises de temps de travail – qui

est soulevée dans les ouvrages sur ce thème. Laflamme et Lapointe (2005) dénoncent

« le travail tentaculaire » et son emprise sur la vie personnelle, tandis que Cingolani

(2012 a) s’interroge sur « les formes de captation du temps libre par le temps de

travail » et pose la question suivante : sommes-nous face à « un travail sans

limites ? ».

Chose certaine, le temps de travail a beaucoup changé au cours des dernières

décennies. C’est à cette transformation du temps de travail que s’attardent les

prochaines pages.

Page 48: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

27

1.2.2 De nouvelles normes temporelles et formes de régulation du

temps de travail

Derrière ces changements qui marquent le passage de plus en plus affirmé vers un

« temps de l’emploi », ce sont de nouvelles normes temporelles et de nouvelles

formes de régulation du temps de travail qui se sont progressivement dessinées. Face

à ces nouvelles normes, se distingue alors une transformation subtile mais durable de

« l’utilisation » et de l’articulation des temps sociaux et, plus globalement, des

différents temps de vie.

1.2.2.1 De nouvelles normes temporelles

Tel que mis en évidence au début de ce chapitre, une pluralité de facteurs socio-

économiques et organisationnels ont participé à la transformation des milieux de

travail. Parmi celles-ci, se trouvent notamment les nouvelles règles de compétitivité

dans une économie en marche 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7,

« l’intellectualisation » du travail et la convocation des savoirs des travailleurs et

travailleuses dans l’organisation du travail, ou encore les nouvelles formes de la

concurrence internationalisée. Ces transformations des milieux de travail

s’accompagnent, selon plusieurs observateurs, de nouvelles formes de disponibilité

temporelle envers le travail (ou, autrement dit, de nouvelles contraintes temporelles)

qui ont favorisé l’émergence de nouvelles normes de temps de travail. De manière

générale, un mot permet de caractériser le temps de travail contemporain : celui de

flexibilité.

Différents cadres d’analyse rendent compte de la dimension flexible du temps de

travail (Martinez, 2010). Parmi ceux-ci, plusieurs divisent ce temps selon le degré de

stabilité de la relation d’emploi. C’est le cas de Thoemmes (2000), qui oppose le

« temps protégé flexible » des permanents, au « temps de la subsistance » des

précaires. C’est aussi le cas de Bouffartigue (2012), qui dégage deux normes

émergentes en réaction à l’érosion de la norme fordienne du temps de travail (ou de la

perte de l’hégémonie de la norme fordiste): la « norme flexible hétéronome » et la

« norme flexible autonome » (Bouffartigue et Bouteiller, 2003 ; Bouffartigue, 2012).

Page 49: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

28

La première norme observable touche surtout les travailleurs et travailleuses qui

détiennent des emplois atypiques et dont les formes de mises au travail sont très

variables : travail à temps partiel ou occasionnel, contractuel, horaires en alternance,

travail de nuit, etc. Ces travailleurs comptent parmi les travailleurs dits

« périphériques » (par opposition aux travailleurs permanents ou « centraux »,

Savickas et al., 2010) dont le parcours professionnel est fondé sur l’emploi atypique

récurrent et auquel est associé l’enjeu de la précarité (Fournier, Zimmermann et

Gauthier, 2011 ; Malenfant, LaRue, Mercier et Vézina, 2002 ; Paugam, 2000). Cette

norme flexible de temps de travail se caractérise notamment par une faible régularité

et prévisibilité des horaires, une durée du travail plus courte et irrégulière en fonction

des prestations de travail, ainsi qu’une difficile synchronisation avec les autres temps

de vie (ex. dans le cas d’horaires de travail de soir ou de nuit). La deuxième norme

observable, la norme flexible autonome, touche les travailleurs et travailleuses les

plus qualifiés, tels les cadres et les professionnels, qui sont embauchés de façon

permanente par les organisations. Faisant partie de la catégorie des travailleurs dits

« centraux », qui peuvent compter sur un emploi à long terme, c’est ici l’enjeu de la

charge de travail qui est au cœur de la nouvelle norme temporelle développée. Si elle

se caractérise par une meilleure prévisibilité et régularité des horaires, ces travailleurs

et travailleuses se retrouvent cependant face à une durée plus longue du travail et à

une séparation plus difficile avec les autres temps de vie (Bouffartigue, 2012). En

partie autonomes dans la gestion et l’aménagement de leur temps de travail (et aussi,

dans une moindre mesure, dans la charge de travail), on retrouve ici un nombre

important de travailleurs et travailleuses qui ne comptent plus les heures allouées au

service de l’entreprise et qui consacrent régulièrement de longues heures à leurs

activités professionnelles.

Ces nouvelles normes ont donc participé à la mise en place d’une pluralité

d’arrangements temporels entre les employeurs et les travailleurs. Le démontre la

prolifération de nouveaux arrangements plus atypiques, tant en ce qui concerne la

durée quantitative du travail, plus courte ou plus longue que la journée ou la semaine

normale (ex. semaine de 4 jours, semaine de 50 heures, journée de 12 heures), qu’en

ce qui concerne les horaires et l’étalement de la durée du travail sur tous les jours de

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la semaine, soirs et week-ends compris. Par ailleurs, d’autres modalités

d’aménagement du temps de travail transforment aussi le rythme et les séquences

entre travail / hors-travail : long congé après une période de temps de travail intensif,

congé sabbatique ou différé, voyages et vacances de longue durée.

1.2.2.2 De nouvelles formes de régulation du temps de travail

Ces transformations des normes temporelles s’accompagnent de nouvelles formes de

régulation du temps de travail, marquées par une individualisation des ententes.

Désormais beaucoup plus décentralisés et négociés au sein même des organisations,

en fonction des politiques de gestion de ressources humaines en vigueur et bien

souvent entre le travailleur et son supérieur immédiat (Thoemmes, 2000), les

nouveaux arrangements temporels permettent, selon plusieurs auteurs, de mieux

prendre en compte les besoins des organisations tout comme les préférences

individuelles des travailleurs et travailleuses (Devetter, 2002 ; Messenger, 2007 ;

Peper, Den Dulk, Van Doorne-Huiske, 2005). Autrement dit, ces nouvelles pratiques

contribuent à offrir plus de latitude aux employeurs et aux travailleurs dans

l’aménagement du temps, en fonction à la fois des exigences de l’emploi et des

aspects de la vie personnelle. Dans la foulée de ces changements, plusieurs des

arrangements privilégiés au cours des vingt dernières années ont ainsi visé une

meilleure conciliation travail-famille (ou conciliation travail-vie personnelle), qu’il

s’agisse par exemple d’une plus grande flexibilité des heures d’entrée et de sortie du

lieu de travail, des pratiques du télétravail, ou encore de la semaine réduite (semaine

de travail de 4 jours). Cet aménagement du temps étant rapporté de plus en plus à un

enjeu individualisé, les salariés et salariées peuvent, en cas de conflits dans

l’articulation de leurs temps sociaux ou d’une durée du travail inadaptée à leurs

aspirations poursuivies dans la vie hors-travail, négocier de nouveaux arrangements

temporels avec l’employeur.

Pour Thoemmes (2000), il est clair cependant que ces arrangements temporels

individualisés entre les travailleurs et travailleuses et l’organisation se trouvent

davantage arrimés à la réalité du contexte productif plutôt qu’aux préférences

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individuelles. Dans un contexte où les exigences de production et du marché sont

liées à une économie privée de tout temps d’arrêt, domine alors une organisation du

temps de travail rythmée par ces nouveaux impondérables. D’ailleurs, le fait que le

temps de travail apparaisse de moins en moins « calqué » sur la réalité de la vie

quotidienne des individus (ex. vie sociale et rythme biologique) constitue une preuve

additionnelle de la supériorité de l’un par rapport à l’autre. Lallement (2003) partage

sensiblement le même point de vue et constate que le nouvel usage du temps de

travail, marqué par l’assouplissement des règles, s’avère essentiellement un outil

dédié aux fins de la rationalisation économique : entre temps partiel et contrats courts

d’un côté et surtemps et temps supplémentaire gratuit de l’autre côté, la polarisation

des travailleurs selon la durée du temps de travail prend sens au regard d’une logique

économique qui tire les ficelles du temps pour mieux répondre à ses besoins de

rentabilité et de performance. Si les salariés et salariées travaillent sans limites ou se

satisfont d’un temps réduit, c’est qu’ils n’ont pas le choix, laissés à la merci d’une

organisation du travail flexible qui dicte les temps de travail (Martinez, 2010) et

soumis à de nouveaux modes de subordination et de contrôle (Chasserio et Legault,

2005 ; Cingolani, 2012 a). De la notion de temps de travail peut alors être dérivée

celle de « temps de l’emploi » (Thoemmes, 2000), qui suppose de travailler

sporadiquement de façon intensive selon les délais, les mandats et les échéances, bref

selon les besoins ponctuels de l’entreprise et en fonction des exigences et des

spécificités de l’emploi occupé.

En somme, si le temps de travail a pendant longtemps été normatif et standardisé, le

contexte actuel favorise plutôt son hétérogénéité et sa déstandardisation (Supiot,

2001). Arrimés à un moindre contrôle étatique, les aménagements diversifiés du

temps de travail visent à mieux répondre aux besoins des entreprises et, dans une

moindre mesure, à prendre en compte les préférences des individus. Ces changements

ont globalement entraîné la redéfinition de la norme temporelle de travail –

antérieurement référée à la « semaine normale de travail » – autour du « contrat

annualisé de travail », adaptable selon les moments forts de productivité de

l’entreprise (Lallement, 2003).

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C’est dans ce large contexte des transformations du temps de travail que s’inscrit

cette étude portant sur les conduites d’hypertravail. Nous soutenons que c’est en

partie au regard de ces nouvelles normes plus flexibles, qui accordent davantage

d’autonomie à l’individu pour personnaliser son mode vie et gérer son temps et ses

diverses temporalités en fonction des exigences du travail et de ses préférences, que

ces conduites ont pu se développer et se multiplier au cours des trente dernières

années. Fortement concernés par la durée du travail plus longue et par les heures

supplémentaires « gratuites », les travailleurs et travailleuses qualifiés de l’économie

du savoir sont de fait directement touchés par la norme flexible autonome. La

prochaine partie s’intéresse de manière plus approfondie aux aspects individuels du

rapport au temps et à la modulation (ou à l’articulation) des différents temps de vie

considérant cette nouvelle flexibilité temporelle.

1.2.3 Le temps de travail flexible : des tensions nouvelles avec les

autres temps de vie ?

Ce contexte de temps de travail plus flexible fait en sorte que les personnes se

trouvent fortement impliquées dans la gestion des temps travail/hors-travail et dans

l’articulation des activités concurrentes liées à l’ensemble de leurs sphères de vie. Si

ces nouvelles marges de manœuvre offrent à l’individu une plus grande autonomie

pour aménager son temps de travail et concilier ses diverses temporalités, cette

situation s’accompagne aussi de certaines difficultés. Ainsi, sur le plan individuel,

quels sont les principaux avantages et inconvénients de la flexibilité du temps de

travail ? Quels sont les principaux défis que rencontrent les travailleurs et

travailleuses dans l’articulation des nouvelles exigences temporelles du travail avec

celles des autres sphères de vie ? C’est ce que nous approfondirons au cours de cette

section. Celle-ci s’attarde plus spécifiquement à comprendre l’allongement du temps

de travail des salariés et salariées soumis à la norme flexible autonome et aux enjeux

liés à l’articulation des aspirations, des engagements et des projets formulés dans les

différentes sphères de vie. Les éléments de réponses apportés permettront de mieux

comprendre le nouveau rapport au temps qui s’est développé dans un contexte qui

exige une forte disponibilité temporelle au travail (Bouffartigue, 2012 ; Devetter,

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2002) ainsi que les choix (et non choix) qui sont faits en matière de préférences

individuelles. Se pose ainsi la question, formulée par Mercure (2013) : pour les

salariés et salariées qui font régulièrement de longues heures de travail, existe-t-il un

décalage entre l’investissement temporel souhaité et les heures concrètement

travaillées ?

Des possibilités nouvelles….

Moins soumis au dictat du temps segmenté par quart de travail, les travailleurs et

travailleuses qualifiés de l’économie du savoir sont nombreux à bénéficier de mesures

flexibles de temps de travail (Beaudry, 2008 ; Bosch, 1999 ; Tremblay, 2003). Il

semble assez évident que, sur le plan individuel, la flexibilité du temps de travail (et,

parfois, du lieu de travail) présente quelques avantages. À ce propos, au moins deux

éléments positifs sont fréquemment rapportés dans les écrits scientifiques (voir

notamment Anxo et al., 1998 ; Taskin et Schots, 2005).

Le premier élément positif concerne l’articulation des différents temps de vie,

supposément facilitée par un temps de travail plus souple et individualisé. Au

quotidien, la conciliation des activités et des responsabilités professionnelles et extra-

professionnelles apparaît clairement plus aisée pour les personnes qui détiennent le

pouvoir de réguler individuellement leurs horaires. Par exemple, la possibilité de

jongler avec des heures variables d’entrée et de sortie du travail ou de faire du

télétravail peut permettre de répondre plus aisément à des demandes provenant de la

vie hors-travail. C’est le cas si, pour compenser les heures non travaillées en raison

d’une activité personnelle ou familiale, il est possible de reporter les heures de travail

en soirée, au domicile. Pour les personnes qui travaillent de longues heures, la

variabilité des horaires représente un avantage certain. C’est du moins ce qui ressort

de l’étude menée par Bourne et Forman (2014) auprès de dix entrepreneurs féminins :

cette étude souligne que ce n’est pas tant la durée du travail que la rigidité des

horaires de travail, rendant alors particulièrement difficile la gestion des horaires et la

conciliation travail-famille, qui affecte le plus négativement ces femmes détenant de

nombreuses responsabilités familiales et professionnelles. Le sentiment de « manquer

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de temps » est également moins présent chez les personnes qui, malgré le fait qu’elles

travaillent plus de 50 heures, jouissent d’un horaire flexible :

« En comparaison d’un horaire de travail rigide, un horaire de travail

flexible réduit d’environ cinq points de pourcentage la probabilité d’être

à court de temps des personnes travaillant de longues heures » (Hébert et

Grey, 2006 Gouvernement du Canada).

Le deuxième élément positif renvoie à la possibilité de moduler le temps en fonction

de ses aspirations individuelles, de ses buts et engagements et de ses projets. La

diversité des comportements temporels observés au travail et la prolifération des

mesures organisationnelles favorables à la conciliation travail-famille (et, plus

largement, à la conciliation travail-vie personnelle) offrent, de fait, de nombreuses

opportunités permettant d’en arriver à une répartition individuelle souhaitée entre

temps au travail et temps hors-travail. D’un côté, les négociations relatives à la durée

du travail, aux aménagements possibles des horaires de travail et à l’alternance

travail-hors-travail (ex. contrats) peuvent permettre un déplacement vers des temps de

vie qui correspondent mieux à leurs préférences, par exemple travailler quatre jours

par semaine, à temps partiel, ou selon des horaires variables ou en alternance. D’un

autre côté, la diversité des durées du travail et des horaires font qu’il est aussi

possible de travailler de longues heures et de développer une multitude de projets

dans la sphère professionnelle.

De nouveaux inconvénients…

Ces possibilités nouvelles offertes à l’individu pour articuler ses temps de vie et,

ultimement, se réapproprier son destin rencontrent toutefois des obstacles dans sa

mise en œuvre au quotidien : elles posent alors des conflits qui exigent des

compromis et des régulations individuelles. L’analyse des écrits scientifiques met en

évidence trois éléments du contexte actuel, fortement imbriqués les uns aux autres et

qui rendent particulièrement difficiles l’articulation des différents temps de vie et le

dépassement de ces conflits : les nouvelles exigences de disponibilité au travail ; les

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TIC et la perte de repères temporels ; l’inscription des actions contemporaines dans

un « temps de l’urgence », dans l’instantanéité.

Premièrement, les exigences de la disponibilité temporelle au travail s’imposent

toujours fermement dans l’articulation des temporalités individuelles et sociales. La

forte disponibilité temporelle attendue dans la sphère professionnelle fait en sorte que

l’articulation des temps de travail / hors-travail est d’abord et principalement

organisée en fonction du travail et de ses contraintes (Bouffartigue, 2012). Il répond à

des règles de fonctionnement social et il tient compte de contraintes liées à la

production et dont dépendent d’autres personnes (collègues, superviseur, clients).

Encore aujourd’hui et malgré ses multiples facettes, « le temps de travail rythme avec

force les temps individuels et la séquence des activités » (Fraccaroli et Sarchielli,

2007, p. 48). Dans une économie toujours en mouvement, alors que les délais sont

raccourcis et les contraintes resserrées, font que cette disponibilité au travail s’est

étendue bien au-delà de la durée réelle du travail (Bouton, 2012). S’ajoutent à cela les

représentations collectives partagées par le groupe professionnel d’appartenance à

propos du temps de travail et des règles établies dans la pratique. Au respect des

temps propres au groupe professionnel ou à l’équipe de travail est d’ailleurs attaché

l’enjeu de la socialisation. Mettre à l’avant-plan ses propres préférences individuelles

sans tenir compte des règles développées par le groupe pourrait favoriser les tensions

et les conflits et, ultimement, menacer la socialisation (Fraccaroli et Sarchielli, 2007).

Or, il appert que pour les travailleurs et travailleuses qualifiés de l’économie du

savoir, l’articulation individuelle des temps de vie est confrontée à la norme idéalisée

du travailleur sans contrainte de temps. Fortement présente dans les organisations,

cette norme repose sur la représentation d’un « idéaltype » du travailleur construit sur

un modèle de valorisation des longues heures de travail et sans contrainte liée à la vie

personnelle (Aubert, 2004 ; Malenfant et Côté, 2013). Par ailleurs, si les horaires sont

déterminés assez librement par le travailleur, ce dernier a toutefois moins d’emprise

sur la durée de son travail, fortement tributaire des attentes et des résultats attendus

par l’organisation (Martinez, 2010).

Page 56: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

35

Deuxièmement, le découpage net des temps de vie, hérité de l’ère industrielle,

apparaît de moins en moins possible. Au contraire, ceux-ci se superposent et varient

de plus en plus (Devetter, 2002). Cette superposition et cette variabilité des temps

tendent à effacer les frontières entre la vie professionnelle et la vie personnelle et à

accentuer la perte de balises et de repères temporels. Invitées à développer leurs

propres balises temporelles, il apparaît de plus en plus difficile aux personnes de

jongler entre les différents temps de vie, confrontées qu’elles sont à des demandes

multiples du travail et du hors-travail à toute heure du jour. Au quotidien, sur le plan

synchronique, cette situation est exacerbée par l’emprise des technologies de

l’information et des communications (téléphone portable offert par l’employeur,

tablette multimédia, etc.). À la maison, à l’épicerie ou dans les transports, le travail

vient s’inviter et s’imposer en dehors du lieu qui lui est réservé et vice-versa. Sur le

plan diachronique, la flexibilité du temps de travail suppose des réajustements

constants dans l’allocation des ressources temporelles entre les différentes sphères de

vie, selon que les personnes connaissent des périodes de travail intensives ou des

périodes sans emploi.

Troisièmement, les temporalités contemporaines s’inscrivent dans un « temps de

l’urgence » (Bouton, 2013), souvent érigé en « culte » (Aubert, 2003), qui impose une

rapidité d’action au travail comme dans l’ensemble des domaines de vie. Au travail,

la pression temporelle est de plus en plus dénoncée. Les diverses technologies de la

communication (courriels, textos, …) exigent des réponses immédiates, les

échéanciers tiennent dans des délais de plus en plus courts et les décisions sont prises

dans l’instant. On dénonce la véritable course contre la montre dans laquelle sont

engagés les travailleurs et travailleuses et l’intensification du travail qu’elle a

partiellement occasionnée (Isaac, Campoy et Kalika, 2007). La « prescription » à

toujours mieux utiliser le temps, à augmenter sans cesse la « rentabilité », font que

l’inaction (incluant la réflexion) est perçue très négativement. L’urgence tient aussi à

la difficile conciliation des divers temps sociaux, comprimés eux aussi dans une

logique de la mise en action constante, favorable à une pluriactivité étourdissante

pour les personnes et les familles engagées dans une multitude d’activités planifiées.

De plus, comme le souligne Bouton (2013), l’urgence se vit au présent, le sujet étant

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36

entièrement occupé par la tâche à accomplir. Pris dans l’action immédiate, les

perspectives temporelles et les préoccupations futures s’estompent. Ultimement, ce

contexte vient exacerber les tensions entre le temps de travail et les autres temps de

vie : pris dans une spirale quotidienne de l’urgence, il peut entraîner le sentiment de

perte du sens de l’existence (Aubert, 2003).

Devenu « tentaculaire », plusieurs chercheurs dénoncent ainsi l’emprise et

l’empiètement croissant du travail sur la vie hors-travail (Laflamme et Lapointe, 2005

; Aubert, 2008 ; Cingolani, 2012). Insérés dans des emplois dont la durée et les

horaires de travail sont devenus imprévisibles, la conciliation quotidienne des temps

de vie de même que la réalisation des projets de l’existence semblent s’être

complexifiées pour les travailleurs et les travailleuses. Malgré la plus grande liberté

individuelle dans la gestion et l’organisation des temps de vie, les contraintes du

travail dans cette ère de l’instantanéité font qu’il apparaît difficile de faire valoir ses

préférences en matière de temps de travail. Au mieux, cela exige des régulations

favorables à des accords qui puissent s’approcher d’une situation gagnant-gagnant,

c’est-à-dire qui tient compte des besoins des organisations (ex. suivis rapides des

demandes des clients) et des besoins des travailleurs (ex. congés flexibles).

Pour toutes ces raisons, il est probable que le temps consacré au travail ne reflète pas

toujours la préférence des individus.

1.2.4 Que savons-nous à propos du temps de travail des travailleurs

et des travailleuses de l’informatique et du multimédia ?

Les réflexions soulevées par ces questions nous ont amenées à constater que le

phénomène des longues heures investies au travail, autrefois réservé à quelques

groupes professionnels, s’est étendu à une large frange de la main-d’œuvre et qu’il

touche maintenant de nouvelles catégories socioprofessionnelles, dont les

professionnels et les techniciens de secteurs technologiques en croissance. De fait, la

recension des écrits a montré que les travailleurs et travailleuses qualifiés de

l’économie du savoir sont fortement concernés par les enjeux de flexibilité temporelle

Page 58: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

37

et d’allongement du temps de travail (Habtu, 2003 ; Lapointe, 2005 ; Legault et

Ouellet, 2012). De plus en plus nombreux, ces travailleurs du savoir œuvrent au sein

de professions et de secteurs d’activités très variés, par exemple dans le domaine de la

santé, de l’administration des affaires ou de l’enseignement et des sciences sociales.

Puisque cette thèse s’intéresse aux conduites de fort investissement temporel au

travail chez les salariés et salariées des secteurs des services informatiques et du

multimédia du Québec, il est apparu essentiel à ce stade-ci de dresser un bref portait

des principales recherches qui ont été menées au Québec pour cette population et sur

la question du temps de travail et des longues heures de travail.

Les travailleurs des secteurs de l’informatique et du multimédia6 sont, rappelons-le,

particulièrement touchés par les nouvelles normes de temps de travail7 et par les

longues heures de travail. Par ailleurs, hormis cette observation générale, que savons-

nous à propos du temps de travail des travailleurs et des travailleuses de

l’informatique et du multimédia ? Qu’ont mis en évidence les recherches récentes

focalisées sur ce sujet pour cette population de travailleurs ? Au Québec, au moins

trois études importantes ont été publiées au cours des dernières années à propos des

longues heures de travail dans l’un ou l’autre de ces secteurs.

Legault et Ouellet (2012) se sont intéressées au temps supplémentaire non rémunéré

chez les concepteurs de jeu vidéo. Les auteures cherchaient à mieux comprendre

pourquoi ces salariés et salariées acceptent de faire des heures presque illimitées de

6 Au Québec, le multimédia et les services informatiques comptent parmi les secteurs en nette

expansion depuis les quinze dernières années (Gouvernement du Québec, Investissement Québec,

2010). Il s’agit de secteurs directement concernés par les changements du contexte productif dont

l’influence sur l’allongement des heures de travail a été démontrée : l’organisation du travail par

gestion par projets et la production « juste-à-temps » abondent dans ces entreprises (Chasserio et

Legault, 2010). Selon les données rapportées par Investissement Québec (2010), le secteur multimédia

compte environ 7000 travailleurs œuvrant à l’effervescence du divertissement interactif, regroupés

dans les studios de développement de jeux vidéo, d’assurance qualité et de développement de logiciels

(par ex. animation, effets spéciaux). Le secteur des services informatiques est quant à lui beaucoup

plus vaste et emploie près de 150 000 personnes. Il regroupe des entreprises qui fournissent des

services informatiques (ex. la gestion des connaissances, la sécurité informatique, la gestion intégrée

des ressources) et d’autres qui éditent des logiciels (ex. logiciels de comptabilité ou spécialisés à une

industrie). Ce secteur se caractérise également par ses nombreux centres de recherche et

développement. 7 Par la « norme flexible autonome ».

Page 59: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

38

temps supplémentaire. À partir d’un système informel de récompenses et de sanctions

mis en place par l’organisation, Legault et Ouellet (2012) ont distingué un nouveau

mode de régulation du temps de travail et de mobilisation des travailleurs dans cette

industrie qui permet d’expliquer en partie pourquoi les salariés et salariées font des

heures supplémentaires. À la lumière de 53 témoignages, quatre formes de

récompenses ou de sanctions ont été identifiées selon que les travailleurs et

travailleuses acceptent ou non de faire du surtemps : 1) l’indemnisation des heures

supplémentaires, c’est-à-dire la possibilité d’obtenir des congés compensatoires ou

des bonis en cas de succès commercial du jeu; 2) les évaluations de la performance

individuelle et les impacts sur les promotions et la rémunération annuelle qui y sont

liées ; 3) l’enrichissement du « portefeuille de compétences » (ou portfolio) et la

possibilité d’avoir accès à la formation continue ; 4) l’inclusion au réseau informel

des collègues et la possibilité d’être référé pour des projets futurs plus intéressants.

Ne pas faire de surtemps, ce n’est pas seulement se priver de reconnaissance, c’est

aussi risquer d’obtenir des sanctions, dont celle par exemple de ne pas pouvoir

intégrer un projet plus stimulant. Au final, les auteures soulignent que si la passion

éprouvée envers le travail est forte, les heures supplémentaires ne sont jamais

totalement volontaires et consenties, ni totalement forcées par ailleurs. Ces heures de

travail se regroupent plutôt dans une catégorie plus intermédiaire, celle des heures

« volontairement consenties mais grandement attendues » (Campbell, 2002, cité par

Legault et Ouellet, 2012). À la suite de Campbell, les auteures rajoutent également

que « plus se répandent les heures gratuites, plus elles s’institutionnalisent et sont

difficiles à contester » (p. 23) dans l’organisation.

La deuxième étude repérée porte quant à elle non pas tant sur l’allongement des

heures de travail que sur la perméabilité des temps et des espaces entre travail et hors-

travail chez les travailleurs indépendants de l’informatique (Tremblay et Genin,

2009). L’objectif de cette étude visait à mieux comprendre les pratiques et les

comportements adoptés par ces travailleurs en matière de temps et de lieux de travail.

À partir d’une enquête par questionnaire regroupant 116 participants dont la moyenne

d’heures de travail est de 38h30 par semaine, les résultats de l’étude montrent que

face aux demandes des clients, ces travailleurs et ces travailleuses réaménagent leur

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39

temps et leurs espaces de travail en fonction de ce qu’ils acceptent ou refusent comme

plages horaires et lieux de travail. Plus précisément, ils mettent en évidence que les

informaticiens ont une large préférence pour augmenter les heures de travail lorsque

celles-ci peuvent être effectuées à domicile mais qu’ils ne détiennent pas toujours la

liberté nécessaire pour le faire. Face à la nécessité d’établir leurs propres balises

temporelles en fonction et à partir des demandes du marché (les clients), l’étude

révèle que toutes les options souhaitables pour le client ne sont pas acceptables pour

les travailleurs (par exemple, celle de tenir des rencontres la fin de semaine). En

fonction de leurs préférences, certains d’entre eux chercheront à maintenir le plus

possible un cloisonnement entre leurs temps de vie professionnelle et personnelle,

surtout les fins de semaine, tandis que d’autres établiront des frontières plus

perméables et accepteront de travailler le soir ou la fin de semaine, surtout depuis leur

domicile. Ces résultats amènent les auteures à conclure que les travailleurs

indépendants de l’informatique parviennent à avoir une relative « maîtrise

temporelle » malgré le fait que les clients influencent fortement leur temps et leur

espace de travail.

Une troisième étude, qualitative, s’est penchée sur les aménagements particuliers du

temps de travail dans un contexte de gestion par projets (Chasserio et Legault, 2005).

Menée auprès de travailleurs et de travailleuses de l’économie du savoir dont une

bonne partie œuvrait au sein du secteur des technologies de l’information, l’étude

visait principalement à comprendre les mécanismes de négociation et

d’aménagements temporels du travail et de la vie personnelle. Les auteures ont ainsi

analysé les intérêts et les stratégies des superviseurs (ou chefs de projet) et des

employés. L’analyse des données met d’abord en évidence que le résultat de la

négociation se conclut généralement à la faveur des superviseurs malgré un processus

de négociation qui laisse croire à un débouché « gagnant-gagnant ». Ainsi, ce sont

souvent les superviseurs qui ont le dernier mot sur la manière dont les heures

supplémentaires non rémunérées sont indemnisées, tandis que les salariés et salariées

ont, dans les faits, peu d’emprise sur l’aménagement et la reprise de ces heures

supplémentaires. L’analyse des données fait également ressortir que, contrairement à

ce que révèlent plusieurs études, ces salariés et salariées ne reçoivent pas toujours le

Page 61: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

40

soutien espéré de leur superviseur. En effet, les résultats montrent que plusieurs

d’entre eux affichent plutôt une fermeture et une forte intransigeance quant à

l’aménagement des heures supplémentaires non rémunérées. Dans ce cas, les

aménagements personnalisés du temps de travail entre l’employé et son superviseur

(et en l’absence de politiques organisationnelles claires) deviennent « un outil de

gestion à la disposition du chef de projet », qui lui offrent de nouvelles formes de

contrôle de ses employés. Celui-ci peut, par exemple, utiliser les demandes

d’aménagement pour récompenser les travailleurs qui démontrent une très grande

disponibilité temporelle et qui consentent régulièrement à faire de longues heures de

travail. C’est alors toute la question de la justice et de l’équité entre les employés qui

est soulevée par ces pratiques individualisées d’aménagement du temps de travail

(Chasserio et Legault, 2005).

Somme toute, ces recherches illustrent bien l’intérêt croissant des chercheurs vis-à-vis

des nouveaux défis posés par l’émergence et la propagation de nouvelles normes de

temps de travail chez les travailleurs des secteurs des services informatiques et du

multimédia. Les nouvelles réalités temporelles auxquelles ils font face, tout

particulièrement quant à la définition des contours plutôt flous et extensifs du temps

de travail, de même que la problématique des longues heures de travail qui y est

souvent liée, doivent être mieux comprises. Si l’on appréhende dorénavant mieux les

dynamiques relatives aux négociations des aménagements du temps de travail entre

les principaux acteurs concernés et les différentes tactiques privilégiées par les

gestionnaires et les organisations pour soutirer des heures supplémentaires gratuites

aux salariés et salariées, on sait encore relativement peu de choses sur les dynamiques

psychosociales qui concourent, du point de vue du sujet, à l’adoption de conduites

« volontaires » d’investissement intensif au travail. C’est ce que nous proposons

d’approfondir dans cette thèse, auprès d’une population de salariés et salariées des

secteurs des services informatiques et du multimédia.

Page 62: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

41

1.3 À propos des longues heures de travail

La durée du travail, et plus particulièrement le phénomène des longues heures de

travail, se trouve au cœur de cette section. Quelles sont les lois relatives à la durée du

travail au Québec et au Canada ? Combien de travailleurs et travailleuses sont touchés

par les longues heures de travail? Quels sont les risques et les conséquences

individuelles liés à ce régime de temps de travail? Pour répondre à ces questions,

certaines grandes tendances relatives à la durée du travail seront illustrées par des

statistiques récentes. Elles montreront que si de manière générale la moyenne

d’heures consacrées au travail a eu tendance à diminuer depuis les dernières

décennies, une proportion importante de travailleurs et travailleuses font aujourd’hui

régulièrement de longues heures de travail. Ceux-ci se regroupent par ailleurs dans

certaines professions particulièrement touchées par les heures de travail excessives.

Pour terminer, les principales conséquences sur la santé et l’équilibre de vie des

personnes qui maintiennent cette durée du travail à moyen et long terme seront

exposées.

1.3.1 La durée du travail

La durée du travail renvoie à une mesure quantitative du temps de travail et elle se

calcule généralement en nombre d’heures travaillées par jour, par semaine ou par

année. Certaines grandes enquêtes nationales, dont celles menées au Canada et aux

États-Unis, distinguent la durée du travail selon les heures rémunérées, les heures

supplémentaires (rémunérées ou non) et les congés fériés (Pronovost, 2013).

Fort pertinentes, ces statistiques s’avèrent cependant plus difficiles à comptabiliser

dans le contexte actuel de flexibilisation du temps de travail, et tout particulièrement

pour les travailleurs et travailleuses dont la durée du travail est longue. D’abord,

parce les heures de travail sont souvent variables d’une semaine à l’autre, par

exemple pour les travailleurs et travailleuses intégrés à un mode d’organisation du

travail par projets (Habtu, 2003). Il est alors difficile de répondre avec exactitude à

des questions portant sur la moyenne hebdomadaire des heures effectuées. Ensuite,

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42

parce que les travailleurs et travailleuses qui font de longues heures sont nombreux à

« ne pas compter le temps de travail » (Brunhes, 1999). Cadres, experts et autres

professionnels fortement investis et souvent passionnés par leur travail cumulent les

heures « gratuites », non comptabilisées auprès de l’employeur, réalisées parfois de

manière informelle pendant l’heure du lunch, à la maison ou lors de leurs

déplacements. Ainsi, les compilations de données faites sur la base de perceptions

temporelles ne sont pas toujours concordantes avec la réalité objective (Pronovost,

2013). En répondant sur la moyenne des heures habituellement travaillées

(rémunérées et non rémunérées), les personnes peuvent légèrement surévaluer ou

sous-évaluer le nombre d’heures de travail. Enfin, mentionnons que les statistiques à

propos des durées longues de travail apparaissent variables dans les études et rendent

compte d’écarts parfois plutôt considérables (+/- 10%).

Malgré ces difficultés, les données et les statistiques relatives à la durée du travail

permettent d’établir deux constats généraux : le temps de travail s’est polarisé au

cours des deux dernières décennies et une plus grande proportion de travailleurs fait

de longues heures de travail. Puis, le concept de « longues heures de travail » sera

défini à partir des données statistiques disponibles. Mais d’abord, regardons d’un peu

plus près le cadre juridique du temps de travail au Québec et au Canada.

1.3.1.1 La durée légale du travail au Québec et au Canada

Sur le plan juridique, la plupart des lois et des normes héritées de l’époque fordiste

sont aujourd’hui toujours existantes (Desrosiers, 2013). Au Canada, la loi concernant

la durée du travail se divise en deux principes généraux : 1) la durée normale du

travail est de huit heures par jour et de quarante heures par semaine; 2) il est interdit

à l’employeur de faire ou laisser travailler un employé au-delà de cette durée (Code

canadien du travail, Partie III – Durée normale du travail, salaire, congés et jours

fériés – section I, art. 169). La norme de temps autour de laquelle se sont définis les

emplois (responsabilités, tâches, etc.) s’est ainsi développée autour de cette durée du

travail (entre 30 et 40 heures), associée au travail « à temps plein ». Dès lors que cette

limite est dépassée, les dispositions légales prévues conviennent de rémunérer le

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43

temps excédentaire (ou temps supplémentaire) à 150%. La règle générale est similaire

dans la province de Québec, où la semaine normale de travail est de 40 heures selon

la Loi sur les normes du travail (Section II – La durée du travail – art. 52).

Mentionnons par ailleurs que parmi les salariés et salariées sous juridiction

québécoise exemptés de cette règle, on retrouve notamment les cadres, les travailleurs

et travailleuses affectés à des tâches agricoles au moment des récoltes et les étudiants

employés dans une colonie de vacances ou dans un organisme à but non lucratif et à

vocation sociale ou communautaire (Art. 54).

Est toutefois observée, au Canada comme dans la plupart des pays occidentaux, une

tendance à l’assouplissement des règles juridiques en matière de durée du travail et de

rémunération du temps supplémentaire, qui illustre une volonté accrue de l’État de

favoriser les régulations locales et les ententes régionales (Supiot, 2001 ; Lee, 2007).

Par exemple, parmi certains des changements au Code canadien du travail qui ont été

étudiés au cours des dernières années, relevons celui qui conduit à rémunérer à taux

simple (100%), plutôt qu’à taux et demi (150%), le temps réalisé au-delà 40 heures

par semaine, et ce, jusqu’à concurrence de 48 heures par semaine (Arthurs, 2006).

Aujourd’hui, la durée légale du travail pour les secteurs relevant des compétences

fédérales est toujours de 40 heures, au-delà de laquelle le paiement des heures

supplémentaires est de 150% du salaire horaire normal, excluant toutefois de cette

mesure un grand nombre de cadres et de professionnels: « Les gestionnaires et les

professionnels, comme les médecins, les avocats, les dentistes, les architectes et les

ingénieurs sont soustraits aux heures supplémentaires » (site Internet du

Gouvernement du Canada, Durée du travail, consulté en ligne le 4 mars 2014).

Au Québec, il est possible de déroger à cette règle en prenant entente, dès le départ,

de l’absence de limites d’heures minimum ou maximum par semaine ou en

établissant d’autres durées que celles prévues à la loi pour délimiter le temps

supplémentaire. Suivant une entente entre un salarié et un employeur, il est possible

de faire 25 heures ou 65 heures par semaine tout en conservant la même rémunération

(généralement le salaire annuel), c’est-à-dire sans souffrir d’une coupure salariale

mais aussi sans obtenir de compensation pour les heures de travail supplémentaires.

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44

De fait, en matière de calcul des heures supplémentaires, la Commission des normes

du travail du Québec (2014) indique que « pour certains salariés et salariées, c’est

l’entente de départ qui établit à quel moment ils commencent à faire des heures

supplémentaires :

Entente avec un nombre défini d’heures par semaine

Le salarié engagé à salaire fixe pour un travail au nombre d'heures

prédéterminé, et dont le taux horaire peut être calculé en divisant son

salaire par ce nombre d'heures, est comme un salarié payé à taux

horaire. Les heures travaillées au-delà de 40 heures doivent être

majorées de 50 %.

Entente sans limites minimum ou maximum d’heures par semaine

Si l’entente stipule un salaire fixe pour une prestation sans limite

d’heures par semaine, ni minimum, ni maximum, l’employeur ne peut pas

déduire les heures qui manquent si le salarié n’a pas travaillé au moins

40 heures ».

Ces changements sur le plan juridique à propos de la durée du travail et des règles de

temps supplémentaire visent à mieux s’arrimer aux nouvelles réalités du marché du

travail et du contexte productif transformé par le développement d’une économie du

savoir (Arthurs, 2006). Cependant, au Québec comme au Canada, il existe toujours

un important décalage entre les règles concernant la durée du travail et les réalités du

marché du travail, qui tendent vers une flexibilité de plus en plus forte (Desrosiers,

2013).

Page 66: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

45

1.3.1.2 Quelques chiffres à propos de la durée du travail

Qu’en est-il de la durée du travail aujourd’hui ? Selon les données compilées par

l’Institut de la statistique du Québec (2013)8, la moyenne d’heures hebdomadaires

d’un emploi, au Québec comme au Canada, a eu tendance à diminuer sensiblement

depuis les dernières années. En 2005, la moyenne était de 40,9 heures par semaine

pour les travailleurs et travailleuses canadiens ayant un régime de travail à temps

plein et de 39,5 pour les travailleurs et travailleuses québécois, comparativement à

une moyenne de 40,4 et de 39,1 heures en 2012. Le même constat est observé si l’on

prend en compte l’ensemble des travailleurs (i.e. incluant ceux et celles qui ont des

régimes d’emploi à temps partiel) alors qu’en 2005, la moyenne canadienne de

l’emploi principal était de 36,5 heures et la moyenne québécoise de 35,6 heures,

contre 36 heures et 35 heures en 2012.

Tableau 1- Moyenne des heures hebdomadaires de l’emploi principal au Québec

et au Canada - comparaison

Catégorie 2012 2005 Variation

Canada – travailleurs à temps plein 40,4 40,9 -0.5

Canada – tous les travailleurs 36 36,5 -0,5

Québec – travailleurs à temps plein 39,1 39,5 -0,4

Québec – tous les travailleurs 35 35,6 -0,6

Source : Statistique Canada (SC), Enquête sur la population active. Adaptation : Institut de la

statistique du Québec (ISQ). Compilation : Institut de la statistique du Québec (ISQ), Direction des

statistiques du travail et de la rémunération. Mise à jour sur le site Internet le 14 novembre 2013.

8Source(s) : Statistique Canada (SC), Enquête sur la population active. Adaptation de l’Institut de la

statistique du Québec (ISQ). Compilation(s) : Institut de la statistique du Québec (ISQ), Direction des

statistiques du travail et de la rémunération. Mise à jour sur le site Internet le 14 novembre 2013.

Page 67: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

46

Ces statistiques générales sont intéressantes mais elles ne permettent pas de conclure

à la réduction du temps de travail. Elles permettent au mieux d’affirmer une très

légère diminution de la durée du travail d’un emploi. De plus, si de façon générale la

moyenne d’heures consacrées à un emploi a eu tendance à diminuer pour les

travailleurs et travailleuses canadiens et québécois depuis les dernières années, des

analyses plus approfondies dévoilent une réalité plus complexe, de laquelle découlent

deux principaux constats.

La polarisation du temps de travail

Le premier constat porte sur « l’illusion de la réduction du temps de travail »

(Martinez, 2010). Ce n’est ici pas tant la réduction du temps de travail que l’on peut

observer que la régression de la semaine normale de travail au profit d’une division

assez marquée entre ceux qui travaillent plus d’heures que la moyenne et ceux qui en

travaillent moins. Plusieurs spécialistes du marché du travail observent ainsi l’effet de

polarisation de la main-d’œuvre, où l’on retrouve à un pôle ceux qui travaillent en

deçà de la semaine normale de travail (ex. à temps partiel ou occasionnel) et, à l’autre

pôle, ceux qui travaillent au-delà de la semaine normale et qui font régulièrement des

heures supplémentaires, rémunérées ou non (Hall, 1999; Jacobs et Gerson, 2004;

Lapointe, 2005; Schor, 1991 ; Tremblay, 2003 ; Usalcas, 2008). Au Canada, Usalcas

(2008) fait ressortir qu’environ seulement 60% de la population active travaillent

désormais entre 35 et 40 heures par semaine. Les proportions sont similaires au

Québec selon les données mises en évidence par Lapointe (2005), alors qu’environ 2

travailleurs sur 3 connaissent un régime de temps de travail fondé sur la semaine

normale de travail.

Cette polarisation du temps de travail est fortement divisée selon le genre. De fait, la

semaine de travail de moins de 30 heures touche bien davantage les femmes (env.

30%) que les hommes (env. 15%) ; inversement, la semaine de travail de plus de 40

heures concerne bien plus souvent les hommes (env. 30%) que les femmes (env.

15%) (Lapointe, 2005).

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47

Par ailleurs, nous constatons que les longues heures de travail ne semblent plus être

l’apanage de quelques professions ni de quelques haut placés dans les organisations,

cadres et exécutifs : le phénomène s’est aujourd’hui propagé à une multitude de

métiers et de professions. Aujourd’hui, près de 80% des travailleurs et travailleuses

qualifiés affiliés à l’économie du savoir sont concernés par les heures

supplémentaires non rémunérées (Lapointe, 2005). Les cadres, les professionnels et

les techniciens les plus touchés œuvrent en gestion des affaires et de la finance, dans

les sciences naturelles et appliquées, dans le secteur de la santé, dans le large secteur

des sciences sociales, en enseignement et en administration publique, dans le domaine

des arts, de la culture du sport et des loisirs (Lapointe, 2005, d’après des données de

Statistique Canada). Au Québec, ce sont les professions rattachées à ces secteurs qui

ont connu la plus forte croissance au cours des dernières années alors qu’elles

regroupaient, en 2002, 35% des emplois du marché du travail (Lapointe, 2005).

Mentionnons enfin que ce phénomène n’est pas spécifique au Québec et au Canada :

il touche la plupart des pays occidentaux, comprenant tant les États-Unis que la

France (Devetter, 2008 ; Golden et Figart, 2000 ; Martinez, 2010 ; Messenger, 2007).

L’importance du phénomène des longues heures de travail

De cette polarisation du temps de travail découle un deuxième constat, celui de

l’importance du phénomène des longues heures de travail9 au Québec, au Canada et

aussi au sein de nombreux pays.

Au Québec et au Canada, les chiffres varient quant à l’ampleur de la population

touchée par cette situation. Les enquêtes récentes les moins alarmistes font état de

statistiques dont le pourcentage de travailleurs touchés oscille entre 9 et 12%

(Annuaire québécois des statistiques du travail, 2010 ; Tremblay, 2003a; Usalcas,

2008). Cependant, d’autres études rendent compte d’une plus grande proportion de

travailleurs concernés par les longues heures de travail, cette proportion variant entre

9 Qui concerne les travailleurs qui font régulièrement 48 heures et plus par semaine, comme nous le

verrons dans la partie suivante – partie 1.3.1.2.

Page 69: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

48

20 et 25% (Koewn, 2007 ; Duxbury et Higgins, 2003). Cela pourrait s’expliquer par

le fait que ce pourcentage augmente lorsque sont isolés, dans ces calculs, les

travailleurs à temps plein. C’est, du moins, ce que suggèrent les chiffres rapportés

dans l’étude de Duxbury et Higgins (2003) : en 2001 au Canada, 1 travailleur à temps

plein sur 4 travaillait 48 heures ou plus par semaine, alors que seulement 1 travailleur

sur 10 en 1990 était dans cette situation.

Tout comme pour les écarts observés à la semaine normale de travail, l’inscription

durable dans une situation de longues heures de travail touche différemment les

hommes et les femmes. Ces premiers sont beaucoup plus nombreux à être associés à

un rythme temporel régulier de 48 heures et plus par semaine. Plus précisément, selon

l’Indice canadien sur le mieux-être (2010), « les hommes (15,8 %) étaient presque

trois fois plus susceptibles que les femmes (5,7 %) de travailler pendant de longues

heures en 2009 » (p. 5). Ce constat est partagé par d’autres études québécoises et

canadiennes repérées qui font état, elles aussi, de ces proportions : les hommes sont

trois fois plus touchés que les femmes par les longues heures de travail10 (Tremblay,

2003a; Usalcas, 2008).

La tendance à cette polarisation selon le nombre d’heures travaillées est-elle en

croissance ou en décroissance au Canada ? L’analyse des différentes études sur la

question permet difficilement de trancher. D’une part, certaines études observent une

réduction du nombre de travailleurs et travailleuses touchés par les horaires extrêmes

(moins de 15 heures ou plus de 48 heures). C’est le cas de celle menée par Usalcas

(2008), qui observe une baisse de 2% des personnes concernées par un nombre

d’heures habituelles élevées dans leur emploi, passant de 11,3% en 1997 à 9,2% en

2006. L’ICME (2010) abonde dans le même sens et constate que « le pourcentage de

Canadiennes et Canadiens qui travaillent plus de cinquante heures par semaine est

passé de 14,9 % en 1996 à 11,0 % en 2009 » (p. 5). Notons que cet écart de quelques

points de pourcentage entre ces deux études peut s’expliquer par le fait que la

10 Ces données comptabilisent les heures de travail effectuées dans le cadre d’un emploi rémunéré et

excluent le travail domestique.

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49

première comptabilise le nombre d’heures dans l’emploi principal tandis que la

deuxième porte plus globalement sur le nombre d’heures travaillées par semaine

(incluant donc le cumul d’emplois).

D’autre part, certaines études constatent plutôt le maintien de cette tendance sociale et

même une augmentation. Par exemple, Keown (2007) fait ressortir qu’entre 1992 et

2005, le pourcentage de Canadiens qui se sont déclarés bourreaux de travail (c’est-à-

dire qui perçoivent se consacrer « exagérément » à leur travail et se sentent immergés

par lui) n’a pas changé et se situe autour de 31%11.

Tableau 2 : Pourcentage de travailleurs canadiens âgés de 20 à 64 ans

travaillant plus de 50 heures par semaine selon le sexe

0

5

10

15

20

25

Femme Homme

2009

1999

Source : L’indice canadien sur le mieux-être (2010,) d’après l’Enquête sur la population active,

Statistique Canada

À l’échelle occidentale, l’importance et la croissance des durées longues du travail est

un phénomène assez répandu, bien qu’il touche inégalement les pays occidentaux

(Lee, 2007). De manière générale, les pays anglo-saxons, tels que les États-Unis, la

Grande-Bretagne et l’Australie, se retrouvent en tête de liste des pays comptant le

plus haut pourcentage de travailleurs dans cette situation (Lee, 2007). Pour les États-

11 Environ 40% d’entre eux affirment travailler plus de 50 heures par semaine, en comparaison avec

20% pour l’ensemble des travailleurs.

Page 71: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

50

Unis, le nombre d’hommes âgés de 25 à 59 ans qui travaillent 48 heures et plus par

semaine s’est considérablement accru depuis les dernières années, passant de 15,4%

en 1996 à 23,3% en 2006 (Kuhn et Lozano, 2008). En Australie, environ 16% des

salariés et salariées travaillaient 49 heures et plus en 2004, une hausse de 3% par

rapport à l’année 1990 (Campbell, 2005). En Europe, le problème est également

présent quoique un peu moins important. Si la France apparaît moins touchée compte

tenu des mesures prises pour réduire le temps de travail, cette situation concerne tout

de même une partie non négligeable de travailleurs, soit environ 9% des salariés et

salariées et près de 14% des actifs (incluant les travailleurs autonomes et les micro-

entrepreneurs) (Devetter, 2008).

Dans les pays orientaux, la Corée du Sud, la Chine et le Japon font face à une hausse

importante et préoccupante des décès liés au surtravail (Dan, 2013 ; Luo et Ruiz,

2012 ; Jobin et Tseng, 2014). Le Japon s’avère d’ailleurs particulièrement affecté par

les longues heures de travail – en 2000, 28% des travailleurs japonais travaillent 50

heures et plus –même si la tendance, suite à diverses mesures prises par les pouvoirs

publics, confirme la réduction du temps de travail (Kondo et Oh, 2010).

Tout compte fait, l’analyse des données disponibles au Canada ainsi que dans la

plupart des pays occidentaux et de quelques pays orientaux permet d’affirmer que le

phénomène des longues heures de travail est relativement important. Il concerne une

proportion non négligeable de salariés et salariées et touche, selon les pays et les

études repérées, entre un travailleur sur dix et un travailleur sur quatre.

1.3.1.3 Les « longues heures de travail » en question

La référence aux « longues heures de travail » fait sens au regard des règles sociales

habituelles de temps de travail : elle est ainsi comparée aux règles temporelles en

vigueur, érigées comme institutions (Messenger, 2007). Il ne s’agit pas ainsi d’une

appréciation subjective et qualitative du temps par rapport à soi, à ses préférences ou

à ses limites personnelles (ex. sentiment d’être surchargé), mais d’une mesure

objective, quantifiable et comparable. Celle-ci porte plutôt sur la durée effective et

Page 72: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

51

concrète du temps de travail. Elle évoque l’idée d’une limite de temps au-delà de

laquelle, une fois franchie, le travailleur change de catégorie. Il devient alors associé

à un groupe composé de personnes dont la durée du travail est significativement et

durablement plus longue que la moyenne. Quelle est cette limite ? À partir de

combien d’heures travaillées par semaine (ou par année) basculons-nous dans les

« longues heures de travail » ?

La limite marquant le passage aux longues heures de travail diverge dans les écrits

scientifiques. Pour certains, cette situation débute dès lors qu’est franchi le cap des

« 40 heures semaine », accolé à la limite maximum de la semaine légale et normale

de travail de la majorité des pays occidentaux. Par exemple, au Canada, Lapointe

(2005) parle de travail excessif dès que les travailleurs font des heures

supplémentaires, rémunérées ou non, au-delà de 40 heures. Pour sa part, Shields

(1999), qui a mené une importante étude sur le lien entre les longues heures de travail

et la santé, établit cette limite à 41 heures par semaine.

De manière plus générale, sur le plan national et international, la limite à partir de

laquelle on bascule dans cette catégorie de longues heures de travail (et repérée

parfois sous les concepts de travail excessif, de surtravail ou d’overwork) est

généralement fixée entre 48 à 50 heures par semaine, selon les pays (Lee, 2007)12.

Cette balise relativement homogène permet de faire des comparaisons internationales.

Il est cependant difficile de rendre compte avec précision du moment où celle-ci s’est

imposée comme étant « la » ligne de passage pour catégoriser les longues heures de

travail dans les écrits scientifiques et les études statistiques13. Néanmoins, on peut

présumer que le fait que cette norme du 48-50 heures/semaine tend à s’imposer de

plus en plus dans les débats politiques relatifs à la durée maximale du travail fait en

12 Elle est de 48 ou 49 heures par semaine au Canada et en France (Usalcas, 2008; Devetter, 2008).

De 49 heures par semaine aux États-Unis et au Japon (Lee, 2007)

Et de 50 heures par semaine dans plusieurs pays européens, tels que la Grande-Bretagne et l’Espagne,

ou encore l’Australie (Lee, 2007). 13 Il est à noter que dès les années 60, l’on peut repérer des études dont le critère de 48 heures par

semaine est retenu pour caractériser les longues heures de travail. C’est notamment le cas de l’étude de

Buell et Breslow (1960, citée dans Sparks et al., 1997) qui s’est intéressée à la durée longue du travail

et aux impacts sur la santé des travailleurs.

Page 73: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

52

sorte de renforcer son édification comme norme référentielle (et inversement).

Devetter (2008, p. 60) rappelle à ce propos que l’Union européenne a étudié, en 1993,

une nouvelle directive du temps de travail « qui fixe la durée maximale hebdomadaire

à 48 heures mais maintient de nombreuses possibilités d’opt-out ([c’est-à-dire]

permettant à une branche, une entreprise, voire un individu de déroger à la règle des

48 heures hebdomadaires maximum), largement utilisées au Royaume-Uni par

exemple ». Selon l’auteur, aucune décision n’avait toutefois été adoptée à ce sujet en

2008.

Il demeure néanmoins que d’autres découpages sont possibles. Pour la durée longue

du travail, certaines études délimitent et précisent des niveaux de gradation selon

l’importance du phénomène. Par exemple, l’étude de Grosch, Caruso, Rosa et Sauter

(2006) distingue trois paliers au-delà de la durée de travail standard : les longues

heures de travail, de 41 à 48 heures ; les très longues heures de travail ou medium

overtime, à partir de 49 heures jusqu’à 69 heures, et les heures de travail extrêmes («

extreme jobs »), à partir de 70 heures par semaine. Cette délimitation de la durée du

travail dite « extrême » apparaît également variable selon les études, établie à 70

heures par semaine selon Hewlett et Luce (2006), mais à 61 heures par semaine par

Brett et Stroh (2003).

1.3.1.4 Les longues heures et la délimitation de « l’hypertravail »

Dans cette thèse, malgré l’absence d’un consensus clair, on convient que la limite de

48 heures par semaine apparaît suffisamment généralisée dans les études et les

enquêtes statistiques canadiennes et internationales pour marquer le passage à une

situation de longues heures de travail. Par ailleurs, selon les résultats de recherches

récentes, les effets des longues heures de travail sont particulièrement délétères pour

les travailleurs lorsque ceux-ci cumulent, sur une longue période, 48 heures ou plus

de travail par semaine (Lee, 2007). Cette limite quantitative, en nombre d’heures de

travail hebdomadaire, constitue ainsi un élément important de notre définition

opérationnelle de « l’hypertravail ».

Page 74: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

53

Un deuxième élément important est celui de la durée d’un tel régime de temps de

travail puisque « l’hypertravail » est une conduite qui implique d’être « soutenue dans

le temps » (Rhéaume, 2006). Pour les fins de notre recherche, nous avons déterminé

que cette conduite est durable dans le temps lorsqu’elle est maintenue pendant au

moins une année, ce qui ne reflète alors pas une surcharge temporaire (de quelques

jours à quelques mois), qui pourrait être associée à des cycles de production. En

complément, ajoutons également que les études statistiques qui font état de la

situation des longues heures de travail présentent généralement des données

annualisées.

Évoquons maintenant quelques-uns des risques et des principales conséquences

associés aux longues heures de travail.

1.3.2 Les risques et les conséquences des longues heures de travail

Ces données sur la durée du travail mettent clairement en évidence l’importance du

phénomène des longues heures de travail dans les sociétés occidentales. Face à ce

constat, de nombreuses recherches se sont penchées sur les risques et les

conséquences individuelles et sociales potentiellement négatives des longues heures

de travail. Sans prétendre faire état ici d’une recension exhaustive de ces études,

seront tout de même énoncées les principales conclusions tirées de quelques-unes des

recherches internationales repérées à ce sujet.

Les études scientifiques menées depuis une quarantaine d’années attestent quasi

unanimement du caractère délétère des longues heures de travail et de la charge de

travail élevée sur la santé physique et psychologique, de même que sur l’équilibre de

vie des individus. De façon générale, si des pathologies sévères ne sont pas toujours

développées, elles placent toutefois ces personnes face à un risque doublé d’atteintes

à leur santé (Dembe, Erickson, Delbos et Banks, 2005; Faucher-Legault, 2004; Lee,

2007). Dans certaines études, le lien corrélationnel entre les longues heures de travail

et les atteintes à la santé physique et psychologique est toutefois confirmé. Plusieurs

d’entre elles mettent par ailleurs en évidence les effets particulièrement délétères pour

Page 75: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

54

les travailleurs et travailleuses lorsque ceux-ci cumulent, sur une période relativement

longue, 48 heures ou plus de travail par semaine (dont Barton et Flokard, 1993 et

Buell et Breslow, 1960, cités dans Sparks et al., 1996). Mentionnons brièvement

quelques-unes des principales conséquences observées.

Appuyés sur une méta-analyse regroupant une vingtaine d’études réalisées entre 1958

et 1996, les travaux de Sparks, Cooper, Fried et Shirom (1996) font ressortir qu’il

existe bel et bien une corrélation entre les atteintes à la santé et le nombre d’heures

travaillées. Ils montrent globalement que si les effets mesurés sur la santé sont

distincts d’une étude à l’autre (par. ex. hospitalisation, crise cardiaque, stress, détresse

psychologique, troubles du sommeil), les symptômes eux, augmentent en importance

au fur et à mesure que le nombre d’heures s’accroît.

Adoptées de manière durable, les longues heures de travail fragilisent la santé

psychologique. Les problèmes de sommeil, la fatigue, les troubles de concentration,

l’anxiété, l’irritabilité et autres symptômes peuvent se cumuler, pouvant alors

conduire à des états de santé plus dramatiques, comme la détresse psychologique et

l’épuisement professionnel (Caruso, Bushnell, Eggerth et al., 2006 ; Shields, 1999).

De plus, les longues heures de travail14 altèrent les fonctions cognitives, telles la

capacité de raisonnement et l’utilisation d’un vocabulaire varié (Virtanen et al.,

2009). Un peu différemment, l’étude de Gareis et Chait Barnett (2002) interroge les

conditions selon lesquelles les longues heures de travail affectent la santé

psychologique et occasionnent de la détresse chez les femmes médecins ayant de

jeunes enfants. Ils constatent que ce n’est pas tant la durée du travail ou les exigences

perçues qui permettent le mieux de prédire la détresse psychologique que les horaires

de travail longs (ex. 12 heures par jour). Ainsi, certaines études portent attention aux

caractéristiques de l’horaire de travail en plus du nombre d’heures de travail. À ce

propos, Caruso et al. (2006) proposent un cadre d’analyse plus englobant pour faire

l’étude des longues heures de travail et de leurs impacts sur la santé, en incluant aussi

une analyse qui tient compte de diverses caractéristiques de l’horaire de travail

14 Établies à 55 heures par semaine dans cette étude.

Page 76: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

55

(horaire de nuit, horaires variables, etc.). Enfin, il a été montré que le stress associé à

une charge de travail élevée est un facteur susceptible d’accroître les idéations

suicidaires (Soares, 2014).

De nombreux problèmes de santé physique peuvent également se développer. Les

troubles cardio-vasculaires, les troubles digestifs et l’hypertension comptent parmi les

plus fréquents (Sparks et al. 1996). Les longues heures de travail sont aussi associées

à l’adoption de comportements pouvant être nuisibles à la santé, tels qu’une forte

consommation de drogues et d’alcool et l’usage de tabac (Johnson et Lipscomb,

2006; Dembe, Erickson, Delbos et Banks, 2005 ; Schields, 1999). Un peu

différemment, le fait de travailler de longues heures peut aussi accroître le risque de

commettre des erreurs ou d’être victime d’un accident de travail (Legault-Faucher,

2004).

D’autres études se sont penchées sur l’articulation des temps sociaux, entre la vie au

travail et la vie hors-travail, et ont mis en évidence les impacts négatifs des longues

heures consacrées au travail, pour les travailleurs et leur famille (Caruso, Bushnell,

Eggerth et al., 2006; Jacobs et Gerson, 2001; Tremblay, 2003a; Wharton et Blair-

Loy, 2006). De manière générale, ces études ont révélé que le fort investissement au

travail, pour une période prolongée, pouvait entraîner un déséquilibre marqué entre

les différentes sphères de vie de la personne, une perte de la qualité de vie en général

et un effritement des liens familiaux. Mentionnons enfin que les longues heures de

travail peuvent progressivement entraîner une perte de satisfaction vis-à-vis de la vie

professionnelle, ce qui pourrait ultimement provoquer un retrait précoce du marché

du travail (Caruso et al., 2006).

Ce large éventail de conséquences potentiellement négatives pour les travailleurs et

travailleuses inscrits dans une situation de longues heures de travail, de même que les

coûts sociaux et organisationnels engendrés par ces conséquences (ex. perte liée à un

arrêt de travail, perte de productivité, coûts en soins de santé), démontrent la forte

pertinence sociale de l’étude de ce phénomène. Considérant le nombre relativement

important de personnes touchées par les longues heures de travail et du

développement de conduites individuelles d’investissement intensif au travail, il

Page 77: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

56

apparaît essentiel de questionner les mécanismes qui suscitent de tels comportements,

de même que les enjeux que recouvre leur constitution en tant que norme sociale

(Aubert, 2003). L’examen des conditions et des dynamiques individuelles et sociales

favorables au développement de ces conduites pourrait également permettre

d’identifier dans quels cas un fort investissement au travail peut contribuer à la santé

au travail et au développement des personnes et des organisations ou, à l’inverse, y

faire obstacle.

******

La question de la flexibilisation du temps de travail et de ses effets pour l’individu

font aujourd’hui l’objet de nombreux débats, débats certainement entretenus par la

polarisation persistante des travailleurs et travailleuses sous-employés et sur-

employés, du moins au regard du nombre d’heures travaillées. Une brève revue de la

littérature sur ces questions a mené à deux constats. Le premier porte sur les

divergences de points de vue concernant, d’une part, les marges de manœuvre

individuelles en matière de temps de travail et, d’autre part, l’articulation plus ou

moins facile des différents temps de vie dans ce contexte de flexibilisation. Le second

constat porte sur l’évolution du phénomène des longues heures de travail pour les

salariés et salariées qualifiés, favorisée en partie par les nouvelles formes de

régulations individualisées du temps de travail, et sur les mesures à adopter pour

soutenir ces nouvelles pratiques ou, au contraire, pour les contraindre et réduire ainsi

le temps de travail des salariés et salariées ayant des horaires longs.

Si l’on comprend maintenant mieux les transformations contemporaines du temps de

travail marquées par la flexibilité et la déstandardisation de la norme fordiste, on

cerne cependant plus difficilement les éléments qui poussent les salariés et salariées à

consentir aux nouvelles attentes de l’hyperdisponibilité temporelle et à travailler sans

limites. C’est à cette vaste question que s’attardera le prochain chapitre, en

distinguant les explications possibles de « l’hypertravail » et de quelques autres

concepts apparentés.

Page 78: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

57

Chapitre 2 : Conduites de fort investissement au

travail ou d’hypertravail? Synthèse critique des

connaissances

C’est dans ce contexte de « métamorphoses » du travail (Gorz, 1988) et de

transformation des pratiques et des normes de temps de travail que s’inscrit la

présente thèse. Celle-ci s’intéresse à la problématique des longues heures de travail

dites « volontaires » (sans obligation ni rétribution de toutes les heures

supplémentaires par l’employeur), et questionne les processus en jeu susceptibles de

mener à un investissement aussi intensif au travail, parfois presque sans limites. Elles

soulèvent par ailleurs plusieurs autres questions importantes. Ainsi, comment

expliquer ces conduites d’un point de vue psychosocial, c’est-à-dire dans les rapports

du sujet et de ses expériences sociales? Quelles sont les tensions en jeu entre les

déterminismes sociaux et organisationnels et la volonté individuelle? Jusqu’à quel

point ces conduites traduisent-elles un choix éclairé et intentionnel de l’individu?

Ce deuxième chapitre vise principalement à dresser un état des connaissances sur ce

que nous savons aujourd’hui à propos des conduites d’investissement intensif au

travail. Cette notion plutôt large, mobilisée pour repérer de prime abord les textes

scientifiques afférents à notre sujet, nous mènera à une première constatation

importante; celle de la grande variété des concepts utilisés pour désigner, de manière

générale, ces conduites. Le fort investissement au travail, le surtravail, le

workaholism, l’overemployment, l’hyperactivité professionnelle et l’hypertravail en

sont quelques exemples. Nous verrons ensuite que derrière chacun de ces concepts se

discernent un (ou des) angle(s) d’approche(s) particulier(s) du problème et une

théorie explicative distincte de ces conduites. Les grandes lignes de chacune d’elles

seront exposées et rapportées selon qu’elles sont centrées sur la personne ou, plutôt,

centrées sur les interactions entre le fonctionnement de l’individu et le

fonctionnement de l’organisation. D’autres modèles repérés pour expliquer ces

conduites – plurifactoriels ou référés à une théorie spécifique – seront également

distingués.

Page 79: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

58

À la suite de cette recension, un bilan critique de la compréhension que nous avons de

ce phénomène aujourd’hui sera présenté. Ce bilan évoque les multiples façons dont

cette conduite a été étudiée jusqu’à maintenant. Selon la manière dont les questions

ont été posées, il cible également certains problèmes de recherche et « angles morts »

(les angles de recherche peu ou pas étudiés) soulevés par l’état des recherches

actuelles sur ce sujet. Ces constats sur les apports et les limites des approches et des

modèles repérés mèneront à des propositions offrant de nouvelles perspectives de

recherche, perspectives qui ont été saisies dans cette thèse pour élargir nos

connaissances à propos des conduites d’investissement intensif au travail – des

conduites « d’hypertravail » – comme nous le défendrons dans le troisième chapitre.

2.1 Entre « surtravail » et « workaholism » : un éventail de

concepts

La recherche documentaire dans les banques de données spécialisées dans les

domaines de la sociologie, de la psychologie et des relations industrielles (ex.

Sociological Abstracts, PsycNet, Érudit, Web of Science) nous amène d’emblée à

constater l’éventail de concepts et de notions rattachés au phénomène des longues

heures de travail et au fort investissement temporel au travail : activisme

professionnel, addiction au travail, boulomanie, engagement au travail, ergomanie,

hypertravail, overemployment, overwork, suractivité, surtravail et workaholism, pour

ne nommer que ceux-là. Quelques-uns des textes repérés portent d’ailleurs

spécifiquement sur les différenciations marquées entre certains de ces concepts. Dans

cette étude de Golden (2013) dont l’objectif principal visait à comprendre pourquoi

certaines personnes acceptent de travailler plus d’heures que désiré, l’auteure

distingue le concept de « overemployment », qui concerne un fort investissement

temporel au travail au-delà des préférences personnelles initiales, du concept de

« overwork », qui consiste en un surinvestissement qui va au-delà des capacités

individuelles et dont les effets négatifs sur la santé peuvent être durables. Peiperl et

Jones (2001) opposent les concepts de « workaholics » et de « overworkers » et

interrogent dans quels cas il s’agit de pathologie ou de productivité. Grebot (2013)

Page 80: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

59

s’intéresse quant à elle à la notion de workaholism et la confronte à d’autres notions

similaires issues du champ de la clinique, telles que l’activisme professionnel ou

l’ergomanie. Elle montre à quel point « les définitions sont nombreuses et

divergentes », tout comme « les approches sont multiples : cognitive, systémique,

psychopathologique et psychosociale » (Grebot, 2013, p. 95).

De manière générale, nous pouvons classifier les concepts repérés selon qu’ils

mettent de l’avant la facette individuelle de la conduite d’investissement intensif au

travail, ou selon qu’ils mettent l’emphase sur le poids des transformations sociales et

organisationnelles et des pressions au travail et à la performance dans l’adoption, par

les salariés et salariées, de ce type de conduite. Les concepts de workaholism,

d’ergomanie et d’engagement au travail viennent illustrer la première facette, tandis

que ceux d’hyperactivité au travail et d’overemployement sont plutôt associés à la

deuxième facette.

Certes, tous ces modèles et approches contribuent à fournir une explication ou à

apporter un éclairage spécifique au large problème qui nous occupe dans cette thèse,

à savoir la compréhension des processus qui mènent à l’adoption de conduites

d’investissement intensif au travail. Dans les prochaines sections, nous présenterons,

de façon synthétique, les fondements théoriques de ces approches, en vue de situer

plus précisément la présente recherche dans le corpus théorique existant. Notamment,

les théories de l’addiction (i.e. workaholism), de l’engagement (i.e. engagement au

travail), de l’échange social (i.e. contrat psychologique), ainsi que les approches de la

psychodynamique du travail et de la sociologie clinique (i.e. hyperactivité

professionnelle, hypertravail) seront exposées. Cinq autres modèles développés à

partir de travaux théoriques et empiriques seront également présentés.

Page 81: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

60

2.2 Deux grands types d’approches théoriques des

conduites d’investissement intensif au travail

Si plusieurs études empiriques récentes ont mis en évidence l’importance de

nombreux facteurs dans le développement des conduites d’investissement intensif au

travail, c’est sur les approches théoriques et les modèles explicatifs plus généraux que

portera ici notre attention. Cette partie permettra de répondre à la question générale

suivante : quelles sont les principales approches théoriques et les principaux modèles

explicatifs des conduites d’investissement intensif au travail ?

Pour répondre à cette question, nous présenterons d’abord les grandes approches

théoriques selon qu’elles sont centrées sur la personne ou centrées sur l’interaction

entre l’individu et l’organisation. Nous présenterons ensuite des modèles descriptifs

plurifactoriels et des modèles explicatifs appuyés sur des théories spécifiques. Les

approches et modèles exclusivement sociologiques et/ou économiques dans cette

synthèse, trop éloignés des préoccupations du cœur de la thèse, seront par ailleurs mis

de côté. Au final, cette présentation de cinq approches et de cinq modèles théoriques

permettra de poser un regard englobant sur plusieurs explications proposées dans

divers champs de recherche (en psychologie, psychopathologie, psychologie sociale

et psychosociologie notamment).

2.2.1 Les approches explicatives centrées sur la personne

Parmi les approches centrées sur la personne, trois sont à mettre au rang des

incontournables tant elles apparaissent particulièrement développées dans les écrits

scientifiques. Il s’agit des approches associées aux concepts de workaholism,

d’engagement au travail et d’engagement organisationnel.

2.2.1.1 Le workaholism : entre dépendance et passion au travail

C’est en 1971 que le concept de workaholism fait une entrée remarquée dans le

monde scientifique. Il sera rapidement popularisé pour désigner, globalement, des

Page 82: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

61

comportements d’investissement excessif envers le travail. Avec son livre

autobiographique « Confessions of a workaholic : the facts about work addiction,

Oates (1971) fait un parallèle entre le « besoin incontrôlable de travailler

constamment » et la dépendance à l’alcool, vue comme une addiction. De ce point de

vue, le workaholism est nécessairement nocif pour la personne, aux prises avec de

sérieux problèmes psychologiques. Les tests qui se sont multipliés dans les années

1980 et 1990 rendent compte, de fait, de pathologies liées à des traits de personnalité

ou des déficiences personnelles. C’est le cas du « Work addiction risk test »,

développé par Robinson et Philips (1995), qui mesure cinq dimensions de la

pathologie: les tendances compulsives, le contrôle, le défaut de communication,

l'incapacité à déléguer, et l'amour propre (l’amour de soi par le regard des autres).

Le concept a depuis fait l’objet de maintes discussions au sein de la communauté

scientifique. Même si l’association entre le workaholism et l’addiction est

aujourd’hui de plus en plus controversée (Gauthier-David, Godefroit et Pauly, 2013 ;

Grebot, 2013), il demeure néanmoins généralement utilisé pour décrire un

comportement atypique – car excessif – d’un individu envers le travail (McMillan,

O’Driscoll, Marsh et Brady, 2001). L’opérationnalisation de ce concept repose le plus

souvent sur deux principales dimensions: 1) une dimension comportementale, soit le

fait de travailler excessivement; 2) et une dimension psychologique ou cognitive, soit

l’existence d’une pulsion interne irrésistible envers le travail (Grebot, Berjot, Lesage

et Dovero, 2011 ; Schaufeli, Taris et Rhenen, 2008, p. 175). Pour Schaufeli, Taris et

Bakker (2008), c’est à cette deuxième dimension qu’est associée la nature compulsive

ou obsessionnelle qu’entretient le travailleur vis-à-vis le travail.

D’autres définitions du workaholism ont été proposées au fil du temps. Récemment,

celle de Snir et Zodar (2008) met de l’avant trois caractéristiques du workaholism,

toutes trois associées à la dimension psychologique et cognitive : « l’engagement

cognitif permanent envers le travail, une attirance plus forte envers le travail que les

loisirs, et l’état affectif plus positif lors du travail qu’à l’occasion des activités de

loisirs » (Snir et Zodar, 2008, cité dans Grebot et al., 2011). Par ailleurs, d’autres

chercheurs ont insisté sur l’idée selon laquelle le workaholism est une tendance

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62

compulsive à travailler qui ne met pas en cause des exigences externes, dont celles

provenant de l’organisation ou du contexte professionnel par exemple (Schaufeli,

Taris et Bakker, 2008). Pour cette raison, le fort investissement au travail, expliqué

par des facteurs extrinsèques, tels que l’importance des charges financières ou encore

le style de culture organisationnelle, échappe à la définition du workaholism et ce,

même si ces facteurs peuvent avoir favorisé initialement le surinvestissement au

travail.

L’explication théorique la plus fréquente du workaholism repose sur la théorie de

l’addiction. Ce comportement atypique serait ici la conséquence d’une dépendance

psychologique de l’individu envers son travail. Cette dépendance se crée lorsqu’un

individu abuse de manière continue d’une « substance » (ici le travail) et que celle-ci

devient une nécessité psychologique, pour développer son estime de soi par exemple.

Le modèle médical de l’addiction propose quant à lui une explication physique de la

dépendance au travail. Selon ce modèle, une personne deviendrait physiquement

« addictive » par l’ingestion répétée d’une substance, qui créerait une relation

chimique avec le corps, comme dans le cas de consommation de drogues. Appliquée

à la situation de travail, le stress et les longues heures de travail favoriseraient la

production de l’adrénaline, de laquelle certains travailleurs deviendraient dépendants.

Les réserves émises quant au pouvoir explicatif de cette théorie de l’addiction

(McMillan et O’Driscoll, 2008 ; McMillan et coll., 2001 ; Golden et Altman, 2008)

ainsi que les difficultés méthodologiques et empiriques rencontrées pour mettre à

l’épreuve l’hypothèse d’une telle dépendance psychologique, ont mené certains

chercheurs vers d’autres pistes d’explication (McMillan et coll., 2001). Relevons plus

particulièrement la théorie « des traits de personnalité » (Trait Theory), qui explique

ce phénomène à partir de caractéristiques personnelles et psychologiques. Ces

caractéristiques prédisposeraient certaines personnes à développer des comportements

compulsifs envers le travail parmi lesquelles on retrouve notamment le

perfectionnisme, le sentiment de l’urgence, la difficulté à déléguer et l’impatience

(McMillan et O’Driscoll, 2006 ; Spence et Robbins, 1992). Le développement de

Page 84: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

63

comportements assimilés au workaholism serait exacerbé par la présence conjointe de

traits de personnalité spécifiques et d’un environnement de travail stressant.

Enfin, d’autres études se sont attachées à distinguer différents types de workaholics.

Ces types s’échelonnent sur un continuum allant du travailleur « passionné » au

travailleur « addictif » en passant par le travailleur « enthousiaste » (Burke et

Fiksenbaum, 2009 ; Burke, 2006 ; Douglas et Morris, 2006 ; Spence et Robbins,

1992). Ces études suggèrent ainsi que le workaholism puisse présenter des formes

plus positives dans lesquelles la passion et la satisfaction au travail (work enjoyment)

apparaissent comme des éléments importants à considérer (Forest, Mageau, Sarrazin

et Morin, 2011 ; McMillan et O’Driscoll, 2008). La typologie bien connue de Spence

et Robbins (1992) (qui est présentée dans le tableau 3 ci-dessous) est un exemple

pouvant illustrer cette affirmation, alors que les trois premiers types participent

fortement au travail mais se distinguent selon le plaisir éprouvé envers le travail et le

caractère compulsif ou non de cette forte participation.

Tableau 3 : Catégories de travailleurs selon Spence et Robbins, 1992

Participation au

travail (work

involvement)

Caractère compulsif

(driven)

Plaisir au travail

(work enjoyment)

Travailleurs

enthousiastes Élevée Faible Élevé

Workaholics Élevée Élevé Faible

Workaholics

enthousiastes Élevée Élevé Élevé

Travailleurs « relax » Faible Faible Élevé

Travailleurs non

engagés

Faible Faible Faible

Travailleurs

désenchantés Faible Élevé Faible

Appuyés sur la distinction que font Vallerand et ses collaborateurs (2003) entre la

passion harmonieuse et la passion obsessive (contrôlable vs incontrôlable), l’étude de

Forest, Mageau, Sarrazin et Morin (2011) va aussi dans ce sens. Cette équipe a étudié

Page 85: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

64

les liens entre le type de passion développée dans le milieu de travail et la santé

mentale. Les résultats indiquent globalement que les travailleurs et travailleuses qui

ont développé une passion harmonieuse au travail, c’est-à-dire qui ont un désir

intense mais contrôlable de s’investir dans leur activité de travail, parviennent à

maintenir un état psychologique et une santé mentale positive, contrairement aux

travailleurs qui ont développé une passion obsessive. La passion harmonieuse

permettrait alors de satisfaire des besoins psychologiques d’autonomie, de

compétence et d’affiliation sociale, et le fort investissement au travail serait positif

pour l’individu.

Au regard de ces études axées sur les caractéristiques psychologiques du travailleur

fortement investi au travail, une nouvelle approche récente propose de s’appuyer sur

les modèles transactionnels du stress pour étudier et mieux comprendre le

workaholism. Ces modèles reposent sur la conception selon laquelle « l’individu au

travail évalue les enjeux positifs (défi, gain) ou négatifs (perte, menace) des

demandes professionnelles et estime les ressources (cognitives, émotionnelles,

comportementales) dont il dispose pour y faire face » (Grebot, 2013, p. 96). Cette

nouvelle approche a l’intérêt d’intégrer des facteurs organisationnels à la théorisation.

Elle a aussi pour particularité, comme le mentionne l’auteure, d’aborder l’étude de ce

phénomène à partir de l’évaluation que la personne fait de la situation et dont le

résultat peut être tant positif que négatif, et ce, à trois niveaux : pour la personne, pour

le travail et pour les relations professionnelles et extra-professionnelles :

« Ces multiples évaluations peuvent avoir une issue positive (salutogène)

ou négative (pathogène) pour la personne en termes de bien-être ou de

mal-être, pour le travail en termes de performance ou d’improductivité, et

pour les relations professionnelles et extra-professionnelles en termes

d’équilibre ou de déséquilibre » (Grebot, 2013, p. 96).

Au final, cette nouvelle approche du workaholism combine ici des facteurs

organisationnels reliés au stress, une évaluation par la personne des enjeux et des

ressources dont elle dispose (et des stratégies anticipées pour y faire face) de même

que des caractéristiques psychologiques. Cette nouvelle proposition apparaît

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65

intéressante notamment parce qu’elle reconnaît le rôle des demandes provenant de

l’organisation dans le développement de cette conduite, mais elle reste pour l’instant

plutôt marginale dans le large éventail des études portant sur le workaholism.

2.2.1.2 L’engagement au travail : une identification du sujet à son travail

Parallèlement aux travaux sur le workaholism et dans le souci de développer un

courant de recherche plus positif des conduites d’investissement intensif au travail,

des chercheurs se sont attardés à distinguer les comportements associés au

workaholism de ceux qui n’en sont pas (Douglas et Morris, 2006 ; Schaufeli, Taris et

Rhenen, 2008). Certains ont ainsi proposé une nouvelle acception du concept

d’engagement au travail, à distance des approches et utilisations classiques de ce

concept en psychologie du travail et des organisations. Inscrit dans le large champ de

la psychologie de la santé occupationnelle, ce concept se rapporte à un construit

psychologique qui repose essentiellement sur la forte identification de l’individu à

son travail et sur le haut niveau d’énergie qu’il y consacre (Bakker, Schaufeli, Leiter

et Taris, 2008 ; Schaufeli, Salanova, Gonzalez-Roma et Bakker, 2002). Trois

dimensions permettent de décrire l’engagement au travail selon cette acception

(Schaufeli et al., 2002) : 1) le haut niveau d’énergie consacrée au travail, la capacité

de résilience et la persévérance dans les situations difficiles (vigor) ; 2) le fort

investissement psychologique envers le travail, ainsi que le sens du

professionnalisme, l’enthousiasme, la fierté et le désir de relever des défis

(dedication) ; 3) enfin, la grande concentration vis-à-vis du travail à faire (le temps au

travail passe très rapidement), alliée à la difficulté à se détacher du travail

(absorption).

Les concepts de workaholism et d’engagement au travail ont en commun de

caractériser des travailleurs qui, d’une part, exercent un nombre d’heures jugé

excessif et, d’autre part, ont un rapport généralement positif envers leur travail

(Schaufeli, Taris et Rhenen, 2008). Cependant, ils se distinguent au moins à deux

égards. Premièrement, l’environnement de travail est perçu beaucoup plus

négativement par les workaholics que par les travailleurs engagés envers leur travail.

Page 87: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

66

Si les workaholics ont le sentiment d’être surchargés, d’obtenir peu de soutien de la

part de leurs collègues et de leur superviseur et d’avoir peu de contrôle sur leur

travail, ce n’est pas le cas des travailleurs engagés (Bakker et coll., 2008 ; Schaufeli,

Taris et Rhenen, 2008). Deuxièmement, les personnes engagées, contrairement aux

workaholics, entretiennent d’importantes et satisfaisantes relations sociales en dehors

du travail (ex. les relations interpersonnelles développées dans le cadre d’activités de

loisir et dans les sphères de la vie personnelle) (Schaufeli, Taris et Rhenen, 2008).

Des travaux réalisés selon cette perspective ont montré que des ressources

personnelles et des traits de personnalité sont susceptibles de favoriser l’engagement

au travail. Il s’agit principalement de l’optimisme, du sentiment d’efficacité

personnelle ainsi que d’une forte estime de soi (Bakker et coll., 2008). Certains

prédicteurs relatifs à l’environnement et à l’organisation du travail ont aussi été

identifiés. Une étude longitudinale fondée sur le modèle de stress au travail « Job-

Demand-Resource » et réalisée par Mauno et ses collaborateurs (2007) fait ressortir

que les ressources de l’emploi (job resources), définies par le soutien social offert par

les collègues et le superviseur ainsi que par la possibilité d’accroître le contrôle sur la

réalisation de son travail, permet davantage de prédire l’engagement individuel au

travail que les demandes du travail (job demands), telles que la surcharge, l’ambiguïté

du rôle et l’insécurité de l’emploi. Ainsi, l’autonomie dont le travailleur dispose dans

la réalisation de son travail, le fait d’avoir une bonne supervision et de bénéficier d’un

fort soutien social de ses collègues ainsi que d’une rétroaction sur ses performances

de travail sont autant de ressources organisationnelles qui favorisent l’engagement au

travail (Bakker et coll., 2008 ; Mauno et coll., 2007). Autrement dit, si l’engagement

au travail se définit d’abord et avant tout par la dimension psychologique, il est

généralement soutenu par un contexte professionnel positif.

2.2.1.3 L’engagement organisationnel : une identification du sujet à son

organisation

Au regard du sujet qui nous occupe, le concept d’engagement organisationnel peut

apporter des éléments de réponse intéressants et pertinents. Tout comme

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67

l’engagement au travail, ce concept réfère ici aussi à un construit psychologique. Il se

définit globalement comme une construction, par l’individu, d’un lien émotionnel

envers l’organisation. Trois types de liens sont observés et répondent à des formes

d’engagements différents (Meyer et Allen, 1991; Meyer et Herscovitch, 2001). En ce

qui concerne la dimension affective, les individus qui s’identifient fortement à leur

organisation et partagent avec elle des valeurs similaires s’engageront vis-à-vis de

celle-ci lorsque leurs expériences de travail répondent à leurs attentes et à leurs

valeurs. À propos de la dimension nécessité, les individus consolideront plutôt leur

engagement face à l’organisation en raison des avantages matériels qu’ils retirent de

leur travail et de la perception qu’ils ont des coûts élevés qu’ils subiraient en la

quittant. Enfin, pour la dimension morale, les individus qui ont une éthique

professionnelle élevées développeront un engagement moral envers l’organisation,

qui repose sur « un processus de socialisation qui crée chez les employés une forme

d’obligation éthique ou de sens de réciprocité envers l’organisation » (Rouillard et

Lemire, 2003, p. 5). Selon cette forme d’engagement, comme l’entreprise nous

donne, on se sent en retour redevable.

Au cœur de la compréhension des dynamiques en jeu dans la construction et la

consolidation des rapports individu-organisation et de l’engagement organisationnel,

le « contrat psychologique », appuyé sur les fondements théoriques de l’échange

social, a particulièrement attiré l’attention des chercheurs dans le contexte du

développement des relations d’emploi contemporaines (Guerrero, 2003). La théorie

de l’échange social est issue d’une combinaison de divers modèles de psychologie

sociale (Anderson et Schalk, 1998) et vise à expliquer plus particulièrement les

relations et les obligations sociales entre deux parties. L’échange social est ainsi

entendu comme un ensemble d’obligations réciproques non écrites et implicites qui

lient deux parties ; chacune des deux a confiance que ces obligations seront assumées

par l’autre (Blau, 1964, cité dans Coyle-Shapiro et Conway, 2005).

Dans la sphère professionnelle, le « contrat psychologique » (Rousseau, 1990) réfère

aux obligations qui lient l’organisation et son employé. Les deux parties concernées

par ce contrat doivent se soumettre réciproquement aux obligations implicites qui en

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68

découlent. Pour Rousseau, ce sont les travailleurs qui formulent les obligations et les

attentes implicites de ce contrat et qui interprètent subjectivement, à partir des actions

de l’organisation, si le contrat a été ou non respecté. Le plus souvent, le contrat

psychologique est de type relationnel, c’est-à-dire qu’il s’inscrit dans une relation à

long terme entre le salarié et l’organisation. Il est ainsi fondé sur un engagement élevé

de la part du salarié envers celle-ci, en retour d’une forte sécurité d’emploi. Il peut

également être transactionnel. Dans ce cas, l’employé perçoit que le contrat

psychologique repose sur une relation temporaire, fondée principalement sur des

motifs économiques. Relevons que pour Guerrero (2003) cependant, les promesses

explicites faites par l’employeur doivent aussi être prises en compte dans la définition

du contrat psychologique.

Le contrat psychologique est étroitement associé à l’engagement organisationnel

puisque le fait que l’organisation respecte ou non ce contrat a, du point de vue des

travailleurs, des effets positifs ou négatifs sur leur engagement et leurs

comportements au travail (Guerrero, 2003), notamment sur leur mobilité mais aussi

sur leur investissement – et surinvestissement – dans l’organisation (Rouillard et

Lemire, 2003). Dans ce dernier cas et à la lumière des dimensions de l’engagement

organisationnel évoquées ci-haut, on peut présumer que trois motifs d’échange social

pourraient favoriser ce surinvestissement dans l’organisation : une parfaite adéquation

entre les valeurs de la personne et celles mises de l’avant par l’organisation ; une

évaluation négative des coûts que pourraient engendrer le départ de l’organisation,

tels des coûts salariaux ou des coûts pour la carrière, et le désir d’y rester « à tout

prix » ; le sentiment de devoir beaucoup à l’organisation et d’y être lié par une

obligation éthique.

Le bref tour d’horizon de ces approches centrées sur la personne amène à distinguer

deux pôles de la conduite d’investissement intensif au travail : un pôle négatif, qui se

caractérise par l’addiction et la dépendance envers le travail, et un pôle positif, celui

de l’investissement personnel choisi dans le travail et dans la vie professionnelle.

Développées sous cet angle psychologique, ces approches expliquent l’investissement

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69

intensif au travail à partir de pressions internes (ex. fort besoin de reconnaissance) ou

de valeurs personnelles (ex. choix de vie, préférences envers le travail).

2.2.2 Les approches explicatives centrées sur les interactions entre

fonctionnement organisationnel et fonctionnement psychique

C’est dans le champ des cliniques du travail (Lhuilier, 2006) que la psychodynamique

du travail et la sociologie clinique se sont intéressées aux conduites d’investissement

intensif au travail (Aubert et de Gaulejac, 1991 ; Aubert, 2003 ; Dejours, 2004 ;

Gaulejac, 2008a, 2008b ; Marzano, 2004). Désigné comme « hypertravail »,

« hyperactivité au travail » ou « activisme professionnel », cet investissement intensif

au travail est défini globalement comme « une surcharge de travail, dépassant de

façon significative une charge dite « normale » : elle se manifeste de façon soutenue

dans le temps et est acceptée volontairement, voire avec enthousiasme » (Rhéaume,

2006, p. 19). Dans ces approches, l’explication de l’hypertravail est à rechercher dans

l’articulation entre fonctionnement organisationnel et fonctionnement psychique : elle

est resituée dans le cadre des changements sociaux et organisationnels en cours,

marqués notamment par l’excès, l’urgence et la recherche constante de performance

au travail.

2.2.2.1 L’hyperactivité au travail : une défense psychique face aux contraintes de

l’organisation du travail

Attachée à rendre compte de la « normalité » au travail, la psychodynamique du

travail (Dejours, 1993) a mis en exergue le rôle de défenses non seulement

individuelles, mais aussi collectives dans le maintien de cette normalité. Celle-ci se

définit comme un équilibre instable entre la souffrance occasionnée par les

contraintes liées à l’organisation du travail et ces défenses inconscientes.

Selon cette approche, l’identité est « l’armature de la santé mentale », renvoyée à un

mécanisme psychologique essentiel et par lequel l’humain se constitue. L’identité est

bien sûr subjective mais aussi relationnelle, puisque sa construction exige une

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70

reconnaissance des autres, une certaine « objectivation » (Molinier, 2006). Le travail,

de par son importance dans la construction identitaire (au cœur de l’identité

individuelle et collective selon cette approche), est ainsi considéré comme une

condition essentielle de protection de la santé mentale (Dejours, 1993).

La psychodynamique du travail s’intéresse à la manière subjective dont le sujet

s’approprie l’activité de travail, à la façon dont il dégage les espaces et les marges de

manœuvre pour soutenir le travail et ses contraintes (Molinier, 2006). Parce qu’il est

confronté au « réel du travail », c’est-à-dire à la réalité du travail telle qu’elle se

présente à lui et à ce qui n’a pas été prévu, l’activité de travail est un espace où la

subjectivité du travailleur est sollicitée. Selon Molinier, « c’est par la rencontre avec

le réel que le sujet éprouve la vie en soi » (p. 76). Le travail peut ainsi permettre à

l’individu de se réaliser, de développer ses compétences et d’être reconnu : le travail

peut être source de plaisir. Le travail peut aussi être source de souffrance, par

exemple lorsque les conditions dans lequel il s’exerce ne lui permettent plus de

développer ses compétences ou d’être reconnu. Dans ces cas, l’individu (ou le

collectif, c.f. les idéologies défensives de métier) mettrait en place des mécanismes de

défense pour faire face à la situation de travail, en vue de se protéger de la souffrance

que ces conditions engendrent pour lui.

Tout comme pour l’activité, l’hyperactivité professionnelle est d’abord le fruit d’un

engagement de la subjectivité au travail en ce sens que l’activité est nécessairement

« subjectivation de la matière, de l’outil ou de l’objet technique » (Dejours, 2004). Au

fil du temps et à force d’intensité, cette accélération – et/ou extension – des activités

professionnelles entraînerait cependant une rupture du sujet avec sa subjectivité :

« Mais le fait est qu’à partir d’un certain niveau d’intensité (de

cadence par exemple) ou d’extensivité (la durée de la journée de travail

par exemple), l’activité entre en concurrence avec la subjectivité. La

surcharge de travail met en péril les conditions nécessaires au jeu du

fantasme, de l’imagination et de l’affectivité » (Dejours, 2004, p. 26).

Pour Dejours (2004), l’hyperactivité professionnelle serait surtout une réponse

individuelle ou collective – muée en défense – à la souffrance vécue au travail face

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71

aux contraintes de l’organisation du travail. En réponse à un contexte de surcharge et

confrontées à des rythmes de production difficiles à soutenir, les personnes

accélèreraient le rythme des activités de travail en vue de préserver leurs identités

individuelle et collective, constamment menacées. Une des réponses possibles au

spectre de cette souffrance psychique consisterait alors à travailler encore plus, à

accroître les activités et la cadence de travail pour bloquer et faire taire les émotions

et les affects qui nuisent à la concentration et à la performance attendue au travail.

« L’autoprescription » de travail supplémentaire serait ainsi une réponse individuelle

(ou collective) à classer au rang de ces défenses psychiques qui permettent « de ne

pas penser ce qui fait souffrir dans le travail », qui évitent, par exemple, d’avoir à

« reconnaître que la mission qui nous a été confiée est irréalisable et que l’on n’est

pas le “surhomme” attendu » (Molinier, 2006, p. 191). Le fort investissement au

travail permettrait alors de nier le réel du travail tel qu’il se présente au travailleur,

source de souffrance.

Dans le cas des collectifs de travail, il apparaît que la puissance de l’imaginaire

social, c’est-à-dire des représentations partagées par un groupe, est fortement mise en

cause dans l’adoption de ces conduites d’hyperactivité. Par exemple, l’imaginaire du

« champion » observé dans certaines professions (sélection rigoureuse à l’entrée et

formation d’une image basée sur celle d’une élite) amène les travailleurs d’un même

collectif à « tout faire » pour préserver cette image d’eux-mêmes et de la profession et

pour être reconnus dans ce qu’ils font (Molinier, 2006). L’étude de Maranda et de ses

collègues (2006, 2009), menée auprès de médecins généralistes, illustre bien ce type

de stratégies déployées par un collectif qui, lorsqu’elles se radicalisent, deviennent

une « idéologie défensive de métier » destinée à protéger l’idéal professionnel. Un

idéal soutenu, chez ce groupe professionnel, par une forte culture de la performance,

une imposante charge de travail et l’octroi d’importantes responsabilités. Puisque le

travail se trouve au cœur de l’identité et s’avère une condition importante de la santé

mentale, cette fusion entre identité et idéalité (c’est-à-dire « l’idéal » forgé pour la

profession vers ce qu’elle pourrait devenir), et l’exploitation de celle-ci par

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72

l’organisation, crée une situation fortement pathogène pour les travailleurs (Maranda

et al., 2009).

On voit comment l’imaginaire social peut donner lieu à l’exploitation, par

l’organisation et dans l’exercice du métier, de l’idéalité qui soutient la construction

identitaire. L’approche de la psychodynamique du travail (Carpentier-Roy et Vézina,

2000 ; Dejours, 1993; Maranda et al., 2006 ; Molinier, 2006), en se centrant sur les

dimensions défensives des processus de co-construction de normes collectives qui,

lorsqu’elles se rigidifient, deviennent des idéologies défensives de métier, montre

bien à quel point les conduites d’hypertravail relèvent aussi de ces instances

intermédiaires par excellence que sont les groupes et les collectifs de travail.

La sociologie clinique du travail met l’accent sur ce type de dynamique dans une

approche où il est moins question de « défenses » psychiques contre les contraintes de

l’organisation que de « résonances » psycho-organisationnelles, c’est-à-dire d’une

mise en résonance du fonctionnement psychique du sujet et du fonctionnement

organisationnel.

2.2.2.2 L’hypertravail : un effet de résonance au sein d’un système psychique

organisationnel

Au croisement de la sociologie et de la psychanalyse, la sociologie clinique du travail

(Enriquez, 1993 ; de Gaulejac et Roy, 1993 ; de Gaulejac, Aubert et Navridis, 1997 ;

de Gaulejac, Hanique et Roche, 2007 ; Pagès, de Gaulejac, Bonetti et Descendre,

2009) a pour objet de dénouer les « nœuds complexes entre les déterminismes

sociaux et les déterminismes psychiques dans les conduites des individus et des

groupes, ainsi que dans les représentations qu’ils se font de ces conduites » (de

Gaulejac et Roy, 1993, p. 14). Les conduites humaines au travail sont ici comprises

comme le fruit de quatre types de déterminations – sociales, organisationnelles,

groupales et psychiques – qui s’influencent réciproquement et se transforment.

La sociologie clinique du travail conçoit les phénomènes humains et sociaux comme

des phénomènes en mouvement. Tel que le rappelle Dujarier (2006), la démarche

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73

habituelle consiste tout d’abord à analyser le système organisationnel d’un côté, et la

structure psychique individuelle d’un autre côté. Elle vise ensuite à établir et à mettre

en dialogue les correspondances entre les deux, pour discerner comment les visions et

les messages portés par l’organisation peuvent et viennent se greffer aux aspirations

du sujet. Il n’y a ainsi a priori pas de déterminismes sociaux ou psychiques capables

d’expliquer pour tous et dans tous les cas les conduites humaines au travail. Ce sont

plutôt des interactions et des mises en résonance particulière, entre une organisation

et un individu, qui créent des espaces « intermédiaires » suffisamment ouverts pour y

intégrer les désirs des sujets et les désirs des organisations.

Aubert et de Gaulejac (1991) proposent le modèle du système psychique

organisationnel pour rendre compte de ces interactions. Ce modèle repose sur le

postulat selon lequel l’individu et l’organisation forment un système et sur le principe

d’une mise en résonance du fonctionnement psychique du sujet et du fonctionnement

organisationnel. En fait, si les individus et les organisations poursuivent des objectifs

distincts, ils partagent et s’entendent toutefois sur une zone intermédiaire, qui tient

compte à la fois du fonctionnement individuel et du fonctionnement organisationnel.

D’un côté, on peut dire que les organisations récentes attendent des individus qu’ils

soient motivés par la réussite professionnelle, par la recherche de performance et par

la reconnaissance de leurs initiatives personnelles. Elles mettent ainsi en place une

structure sociale qui permet de déployer de tels comportements. Les entreprises

« chercheraient à produire un certain type d’individus, à le façonner à leur image, à

l’adapter à leurs exigences » pour fonctionner efficacement dans l’environnement

économique et concurrentiel qui caractérise le contexte actuel (Aubert et de Gaulejac,

1991, p. 256). D’un autre côté, « les individus investissent les organisations à partir et

en fonction de leur propre fonctionnement psychique (investir = choisir et agir sur).

Ils cherchent à adapter les entreprises à leurs propres désirs […]. Ils inventent des

règles, des procédures, des dispositifs » (Aubert et de Gaulejac, 1991, p. 256). Ils

influencent ainsi l’organisation et le travail d’organisation. Ils cherchent à les adapter

à leurs besoins, à leurs désirs et à leurs aspirations – occuper des positions sociales

prestigieuses, par exemple – dans un contexte où l’entreprise devient une institution

qui est de plus en plus perçue comme porteuse de projets personnels et capable de

Page 95: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

74

donner du sens à la vie (Aubert et de Gaulejac, 1991 ; Dujarier, 2008). Les auteurs

parlent alors de « résonances » ou de « correspondances psycho-organisationnelles »

en référence à l'union existant entre les aspirations des sujets, par exemple la

réalisation de soi, et les visées de l’entreprise, par exemple la recherche de

l’excellence. Une fois mis en place, ce système psychique organisationnel vient

s’imposer aux travailleurs et l’organisation en vient alors à exercer une emprise très

forte sur ces derniers (Pagès, de Gaulejac, Bonetti et Descendre, 2009).

Les organisations modernes se sont développées autour de la recherche continuelle de

l’atteinte d’un idéal organisationnel, rendue possible par la mise en résonance avec la

recherche (et la promesse) de l’atteinte d’un idéal de soi. Cet idéal de soi est par

ailleurs à rechercher dans l’histoire de vie du sujet puisque c’est cette histoire, inscrite

plus largement dans une histoire familiale et une histoire sociale, qui participe à la

mise en place de déterminations psychiques particulières (voir à ce propos

« L’Histoire en héritage, roman familial et trajectoire sociale », de Gaulejac, 1999).

Pris dans les filets de ces déterminismes psychiques issus de son histoire, le sujet peut

alors voir détourné ses ambitions et ses visées personnelles au profit de l’atteinte des

objectifs organisationnels. Au point que cette histoire personnelle vécue peut faire en

sorte qu’une personne se sente si particulièrement interpelée par le modèle de la

réussite et de l’excellence proposé par une organisation, qu’elle participe à la

transformation de l’organisation en ce sens (Aubert et de Gaulejac, 1991). Selon cette

conception axée sur la résonance psycho-organisationnelle, la conduite

d’investissement intensif au travail – d’hypertravail – s’enracine dans une

« manipulation sociale de l’imaginaire individuel » (Dejours, 2004). C’est d’ailleurs

aussi une forme de manipulation que de donner à croire à l’atteinte d’un idéal

organisationnel: un tel idéal est inatteignable puisqu’il constitue justement une

représentation idéalisée – donc magnifiée – de ce que serait une organisation idéale

(Dujarier, 2006).

Il semble que la sociologie clinique et la psychodynamique du travail – tout en

mettant en valeur le rôle important de la subjectivité dans la construction du rapport

au travail des sujets – échappent au risque d’une explication essentiellement

Page 96: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

75

psychologique du phénomène, telle que celle suggérée par les approches centrées sur

les attitudes ou sur les traits de personnalité. Ces approches en clinique du travail

montrent le pouvoir de l’inconscient et le rôle des mécanismes psychiques dans le

développement de processus susceptibles d’amener les travailleurs et travailleuses à

adopter des conduites d’investissement intensif au travail en apparence

« volontaires ». Elles montrent aussi le rôle des organisations et de l’organisation du

travail dans les mécanismes psychiques à l’origine de ces conduites, par exemple par

le détournement des quêtes personnelles au profit de l’atteinte des objectifs

organisationnels.

2.3 Des modèles descriptifs plurifactoriels et des modèles

explicatifs spécifiques

D’autres modèles explicatifs du fort investissement au travail ont été proposés. Si

plusieurs recherches récentes ont mis en évidence le rôle de facteurs économiques,

organisationnels, sociaux, culturels et psychologiques spécifiques corrélés au

phénomène des longues heures de travail (par ex. Blair-Loy, 2004; Golden, 2009;

Hewlett et Luce, 2006; Reynolds, 2004; Sharone, 2004), nous souhaitons nous

attarder ici sur des modèles explicatifs des conduites d’investissement intensif au

travail. Il s’agit le plus souvent de modèles élaborés à partir de l’analyse de

l’interaction entre plusieurs facteurs. Parmi ceux-ci, les facteurs liés à l’organisation,

à l’emploi, à la situation familiale et personnelle du travailleur, ont été vérifiés

statistiquement.

Parmi les modèles repérés, cinq d’entre eux ont particulièrement retenu notre

attention en raison de leur ancrage psychosocial et de leur cadre d’analyse

multidimensionnel, plus proches des préoccupations qui font l’objet de cette thèse.

Nous les avons distingués selon qu’il s’agit de modèles descriptifs visant à intégrer

plusieurs facteurs, ou qu’il s’agit de modèles développés à partir de théories

spécifiques.

Page 97: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

76

2.3.1 Des modèles descriptifs plurifactoriels

2.3.1.1 Le modèle « intégrateur » de Feldman (2002)

Feldman a proposé en 2002 un modèle d’analyse multifactoriel visant à mieux

comprendre sous quelles conditions les cadres consentent à augmenter les heures

allouées au travail et ainsi à travailler plus de 40 heures par semaine. Élaboré et

construit sur la base d’une recension exhaustive des écrits scientifiques, ce modèle

inclut une multitude de facteurs. Il regroupe des facteurs individuels (parmi lesquels

sont considérés, notamment, le statut familial et les intérêts personnels), des facteurs

reliés à l’emploi (par ex. les défis offerts par l’emploi, l’organisation du temps et du

lieu de travail), des facteurs organisationnels (par ex. le leadership, la culture

organisationnelle et le processus de sélection), ainsi que des facteurs économiques

(par ex. la pression concurrentielle et la profitabilité de l’entreprise).

Chacun de ces facteurs a été sélectionné sur la base de ses liens apparents avec la

propension des personnes à allonger le temps de travail et même à travailler de

longues heures. Dans le modèle proposé, ces liens sont envisagés sous la forme de

vingt-trois hypothèses. Pour illustrer, une des deux hypothèses liées au facteur

« statut familial » suppose que les cadres sans jeunes enfants à la maison sont plus

susceptibles de travailler de longues heures que les cadres qui ont de jeunes enfants à

la maison (Feldman, 2002, p. 344).

Ces hypothèses sont formulées sur la base de résultats probants énoncés dans les

écrits scientifiques, ce qui amène Feldman (2002) à proposer un modèle fondé sur 4

dimensions et 17 facteurs pour rendre compte des conduites d’investissement au

travail (cf. figure 1, ci-dessous).

Page 98: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

77

Figure 1 : Le modèle multidimensionnel de Feldman: « Managers’ Propensity to

Work Long Hours ».

© Feldman. Traduction en français par l’auteure.

Ce modèle est intéressant à au moins deux égards. Il l’est d’abord parce qu’il met de

l’avant le rôle de nombreux facteurs susceptibles d’amener la personne à accroître le

temps investi au travail. Il l’est ensuite en raison de son approche

multidimensionnelle, faisant ainsi reposer l’explication de ces conduites sur plusieurs

niveaux, à la fois individuel, organisationnel, économique et de l’emploi. Par contre,

on ne peut que regretter le fait que ce modèle n’ait pas été testé empiriquement. Pour

cette raison, cette modélisation ne fait pas la lumière sur les facteurs les plus

déterminants dans la propension des cadres à travailler de longues heures, de même

qu’elle n’éclaire pas non plus les interactions et les jeux d’influence susceptibles de

lier de manière particulière ces différents facteurs et dimensions.

FACTEURS

INDIVIDUELS

Statut démographique

Statut familial

Personnalité

Intérêts personnels

FACTEURS

ORGANISATIONNELS

Leadership et culture

Processus de sélection et

d’attrition

Processus de socialisation

Temps monochronique :

linéaire et planifié

PROPENSION

DES CADRES À

TRAVAILLER

DE LONGUES

HEURES FACTEURS LIÉS À

L’EMPLOI

Visibilité du travail

Tangibilité des résultats

Critères d’évaluation de la

performance

Les défis du travail

Le temps et le lieu de

travail

Les conditions de travail

FACTEURS

ÉCONOMIQUES

Pressions compétitives

Profits en déclin

Menace de licenciements

Page 99: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

78

2.3.1.2 Le modèle « comparatif » de Brett et Stroh (2003)

C’est auprès de cadres masculins en situation de très longues heures de travail – 61

heures et plus par semaine – que Brett et Stroh (2003) ont cherché des réponses à ces

conduites d’investissement intensif au travail : pourquoi ces cadres travaillent-ils

autant ?

Le modèle proposé par ces auteures compare des raisons de nature économique,

sociale, psychosociale et psychologique. Les auteures ont testé cinq hypothèses

auprès d’un vaste échantillon regroupant 471 hommes et 86 femmes qui travaillent au

moins 35 heures par semaine, permettant ainsi de comparer les résultats obtenus pour

l’ensemble de l’échantillon avec la population cible. Les cinq hypothèses sont les

suivantes :

1) Deux hypothèses sont liées au compromis travail-loisirs et aux retombées

économiques qui en découlent :

Hyp. 1 : Plus les cadres travaillent, moins ils s’investiront dans les

loisirs ;

Hyp. 2 : Moins les cadres s’investissent dans les loisirs et plus ils

gagnent de l’argent ;

2) Une hypothèse est liée à la contagion sociale du milieu de travail et du

secteur d’activités :

Hyp. 3 : Les cadres qui travaillent les plus longues heures sont plus

susceptibles d’être concentrés dans les entreprises des services

financiers que dans d’autres entreprises ;

3) Une hypothèse porte sur le travail comme répit émotionnel :

Hyp. 4 : Les cadres qui travaillent de longues heures sont plus stressés

et plus insatisfaits de leur vie conjugale et familiale ;

Page 100: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

79

4) Une hypothèse associe travail et récompenses psychologiques et

intrinsèques :

Hyp. 5 : Les cadres qui travaillent de longues heures sont ceux les plus

satisfaits au travail et les plus investis psychologiquement.

Cette recherche a montré que l’hypothèse des récompenses intrinsèques et

psychologiques est celle qui propose la meilleure explication à ce fort investissement

au travail pour cette population de travailleurs et travailleuses. Plus précisément, la

forte estime de soi, le succès de la carrière et le sentiment d’accomplissement

personnel apparaissent particulièrement forts en comparaison des autres sources de

motivations mises en examen.

Cette recherche a la qualité de mettre de l’avant différentes motivations tant

économiques, sociales, psychosociales que psychologiques et de les comparer entre

elles pour comprendre les conduites d’investissement intensif au travail. Elle permet

de saisir celle qui a le plus de poids et donc, le plus fort pouvoir explicatif de cette

conduite. Par contre, cette recherche ne met pas en lumière les interrelations qui

peuvent lier ces hypothèses entre elles, par exemple entre l’accroissement des

récompenses psychologiques tirées du travail au regard de la faible satisfaction

éprouvée dans la vie conjugale.

Plus globalement, relevons que de telles démarches déductives de vérification

d’hypothèses ferment la porte à l’émergence et à la mise en évidence de nouvelles

pistes d’explication et de nouvelles hypothèses, qui pourraient plus facilement

émerger dans le cadre d’une démarche inductive.

Page 101: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

80

2.3.2 Des modèles explicatifs référés à des théories spécifiques

2.3.2.1 La théorie de l’identité sociale et les hypothèses identitaires de Ng et

Feldman (2008)

Dans cette étude récente de Ng et Feldman, la théorie de l’identité sociale de Meyer

et al. (2006) est mise au service de la compréhension des conduites d’investissement

intensif au travail. Cette théorie suppose que les individus développent leur identité

sur la base des rôles sociaux qu’ils occupent et, plus globalement, sur la base des

groupes auxquels ils s’identifient le plus (on parlera alors d’identités sociales). Selon

cette perspective, l’identité se développe et se consolide sous l’effet de valeurs et de

croyances partagées et internalisées avec les groupes d’appartenance, et sur la base du

respect mutuel. Les individus investiront plus de temps et d’énergie dans les activités

qui valident et renforcent leur identité et inversement. Sous cet angle, les conduites

d’investissement intensif au travail sont fortement liées à l’intensité des affinités

qu’elles entretiennent avec diverses formes d’identités sociales et à leur importance

relative (c’est-à-dire l’une par rapport à l’autre) pour l’individu.

Pour Ng et Feldman (2008), trois formes d’identités sociales seraient particulièrement

saillantes pour expliquer et comprendre le fort investissement temporel au travail;

l’identité organisationnelle, l’identité occupationnelle et l’identité familiale. Chacune

de ces identités sociales est opérationnalisée par une série de facteurs identifiés dans

les écrits scientifiques.

Par exemple, l’identité organisationnelle est opérationnalisée par deux facteurs

reconnus pour accroître l’identification à l’organisation et augmenter les heures

allouées au travail, et déclinés en différents indicateurs. Le premier facteur concerne

le soutien organisationnel à l’employé. Ce soutien peut se manifester par exemple par

la sécurité d’emploi, l’autonomie dans l’emploi et l’ouverture manifeste à la

formation continue. Le second facteur a trait au renforcement positif des avantages

perçus à être membre d’une organisation, par exemple s’ils peuvent bénéficier de

récompenses spécifiques, comme des bonus.

Page 102: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

81

L’identité occupationnelle est quant à elle opérationnalisée par des facteurs liés à la

carrière : le succès de carrière (ex. salaire, nombre de promotions) ; l’importance

accordée à la carrière (ex. centralité du travail) ; et le degré d’investissement dans la

carrière (ex. niveau de formation, développement du réseau professionnel,

expériences de travail).

Enfin, l’identité familiale regroupe deux facteurs : le fait d’avoir des responsabilités

familiales (ex. être en couple, avoir des enfants) et le caractère agréable des

expériences familiales vécues (ex. satisfaction de la vie conjugale, degré de cohésion

familiale). Ces deux facteurs sont a priori défavorables à un investissement temporel

intensif au travail. Enfin, mentionnons que certaines variables « contrôles », dont le

soutien social du milieu de travail et l’importance et la nature des demandes

organisationnelles – ont été prises en compte dans la mise à l’épreuve du poids relatif

de ces différentes identités dans la mise en œuvre de conduites de fort investissement

au travail.

À la lumière des résultats observés, c’est le développement d’une forte identité

occupationnelle qui est le plus fortement associé à la motivation individuelle à

investir du temps et de l’énergie dans la vie professionnelle. Par ailleurs,

contrairement à certaines études repérées par les auteurs qui suggèrent des liens forts

entre l’identité familiale et le nombre d’heures de travail, les résultats montrent à

l’inverse qu’une identité familiale faible ou forte ne serait pas liée à la décision de

consacrer plus ou moins de temps à la vie professionnelle.

Ce modèle psychosocial fait résonance avec les travaux sur l’engagement

organisationnel et sur l’engagement au travail brièvement présentés dans la

présentation des approches centrées sur la personne. Il montre qu’une approche

explicative en termes d’identité sociale est porteuse de résultats éclairants et utiles

pour comprendre les conduites d’investissement intensif au travail. Toutefois,

certaines questions restent à élucider. Parmi ces questions, on peut soulever celle des

mécanismes en amont qui favorisent l’attachement particulièrement fort à l’une ou

l’autre de ces identités sociales au cours de l’évolution du parcours professionnel,

mais aussi celle du rôle que jouent les collectifs, les organisations et les personnes

Page 103: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

82

significatives de la vie hors-travail dans l’attachement à l’une ou l’autre de ces

identités.

2.3.2.2 La théorie des attributions causales et le modèle général du Fort

investissement au travail de Snir et Harpaz (2012)

Le modèle général du « Fort investissement au travail » proposé par Snir et Harpaz

repose quant à lui sur la théorie de l’attribution causale telle que développée par

Weiner’s (1985). Les auteurs mentionnent par ailleurs avoir privilégié le concept de

fort investissement au travail (Heavy Work Investment) à celui de workaholism,

assimilé selon eux à un sous-type du fort investissement au travail : « chaque

workaholic est un travailleur fortement investi au travail, mais ce n’est pas chaque

travailleur fortement investi au travail qui est workaholic15 » (p. 232).

Le cadre théorique de l’attribution causale s’inscrit dans le domaine de la psychologie

sociale. Globalement, cette théorie renvoie à l’attribution d’un comportement à des

causes soit externes, soit internes. Les travaux de Weiner’s (1985), sur lesquels se

sont appuyés Snir et Harpaz (2012) pour développer leur modèle, distinguent ainsi

deux dimensions conceptuelles : la première, la dimension situationnelle (situational

type), est rattachée à des causes externes ; et la seconde, la dimension dispositionnelle

(dispositional type), est liée à des causes internes.

Appuyé sur un nombre défini de variables prédictives du fort investissement au

travail, le modèle de Snir et Harpaz (2012) distingue trois principaux types de

prédicteurs selon qu’ils relèvent de causes externes ou internes, ou encore des

antécédents sociobiographiques. Appliquée à l’étude des comportements au travail,

les causes externes sont, par exemple, la culture organisationnelle, les demandes de

l’employeur ou encore les charges et les besoins financiers de la personne. Les causes

internes proviennent essentiellement des valeurs et de la personnalité de l’individu.

La passion au travail et le faible intérêt envers les loisirs comptent comme deux

facteurs dits « contrôlables » et positifs, tandis que l’addiction au travail et le besoin

15 « Every workaholic is a heavy work investor, but not every heavy work investor is a workaholic ».

Page 104: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

83

d’être constamment occupé et mobilisé (la peur de l’intimité) représentent des

facteurs dits « incontrôlables » et négatifs. Les causes liées aux antécédents renvoient

au genre et au contexte familial.

Comparativement aux autres modèles, celui-ci a pour intérêt d’inclure dans la

modélisation la durée et la nature des conséquences de ce fort investissement au

travail, de même que les personnes et milieux touchés par le fort investissement au

travail. De fait, les auteurs examinent la nature des conséquences (positive, mixte ou

négative), la durée de celles-ci (à court, moyen ou long terme) et leurs impacts pour

l’individu, pour la famille et pour le milieu de travail selon que ce fort investissement

au travail prend racine dans des causes externes ou internes.

Figure 2: Le modèle de Snir et Harpaz : « A model of Heavy Work Investment (HWI) »

© Snir et Harpaz, 2012

Parmi les contributions de ce modèle, relevons l’intérêt d’une définition fondée sur

les comportements individuels de fort investissement au travail et qui prend en

compte des éléments psychologiques, sociologiques, économiques et culturels (Snir

et Harpaz, 2012). On peut cependant critiquer le fait que ces éléments ne soient pas

MODÉRATEURS

Ex. : type d’emploi,

environnement de travail, âge)

PRÉDICTEURS

1) Prédicteurs liés aux

antécédents (ex. genre,

parentalité)

2) Prédicteur externes (ex.

besoins financiers,

demandes de l’employeur)

3) Prédicteurs internes (ex.

passion au travail,

addiction)

FORT

INVESTISSEMENT (temps et intensité des

efforts)

1) Type lié à la

situation (ex. besoins

financiers, demandes

du travail)

2) Type lié à la

disposition (ex.

workaholism, dévotion

au travail)

CONSÉQUENCES du HWI

1) Nature positive, mixte ou

négative du fort invest.

2) À court, moyen ou long

terme

3) Conséquences pour :

a- l’individu (ex. satisfaction

au travail)

b- sa famille (ex. conflit)

c- son milieu de travail (ex.

productivité)

Page 105: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

84

saisis en interaction, alors qu’un prédicteur lié à la psychologie de l’individu (ex.

passion au travail) mène inéluctablement, selon ce modèle, à un type d’investissement

au travail lié à la disposition de la personne vis-à-vis du travail (très disposée à se

dévouer au travail), sans égard aux facteurs « sociologiques » (ex. les demandes de

l’employeur) qui pourraient également s’ajouter aux éléments qui expliquent un tel

comportement.

2.3.2.3 La théorie de la maximisation de l’utilité économique et la catégorisation de

Douglas et Morris (2006)

Dans leur article « Workaholic, or just hard worker ? », Douglas et Morris (2006)

cherchent à comprendre pourquoi certaines personnes travaillent de longues heures et

questionnent la nature du workaholism. Ils inscrivent leur questionnement au cœur

d’un débat amorcé par d’autres avant eux, dont Spence and Robbins (1992) : est-ce

que toutes les personnes qui consacrent de longues heures au travail sont

workaholics ? Ces derniers révèlent des formes plus positives du fort investissement

au travail, et rejettent d’emblée la théorie de l’addiction.

Le modèle qu’ils ont développé repose sur la théorie de la maximisation de l’utilité

économique des comportements humains. Dans sa forme simplifiée, cette théorie,

inscrite dans le paradigme cognitif (marqué par l’intérêt soutenu envers les pensées,

les valeurs et les croyances de l’individu), postule que le choix d’un individu à faire

de longues heures de travail doit être abordé sous l’angle du « coût d’opportunité du

travail », c’est-à-dire de l’utilité et de l’opportunité que représente pour lui le temps

passé au travail comparativement aux activités de loisir. Les auteurs proposent un

modèle qui met en évidence plusieurs raisons individuelles pouvant conduire à faire

de longues heures de travail. Formulés sur la base de quatre explications distinctes,

quatre cas de figure peuvent être repérés : les matérialistes, intéressés par la recherche

d’une augmentation de leurs revenus ; les « faibles-loisirs », qui ressentent un faible

intérêt et un faible besoin envers les activités de loisir ; les « perkaholic », intéressés

par la satisfaction du travail en lui-même pour le sentiment d’accomplissement et de

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85

réalisation de soi qu’il procure ; et les workaholics, qui travaillent pour satisfaire des

besoins psychiques et de reconnaissance.

Figure 3: Le modèle de Douglas et Morris : « The economist’s utility-maximization

model : a conceptual model of voluntary work effort that explains the work effort

decision of individuals »

© Douglas et Morris, 2006

Ici encore, il s’agit d’un modèle développé autour de diverses explications formulées

sur la base des motivations personnelles les plus communes et des besoins qu’ils

sous-tendent pour justifier la conduite d’investissement intensif au travail. Les

besoins de revenus, si la personne a une préférence marquée pour les choses

matérielles, ou encore le besoin de travailler, si les motivations à s’investir au travail

sont référées à des motivations psychiques représentent deux des quatre « utility-

maximisation » du fort investissement au travail volontaire. Dans ce modèle, le rôle

organisationnel est exclu des explications liées au développement de cette conduite,

et le rôle de la vie hors-travail se résume au faible intérêt accordé par certains aux

activités de loisir.

Page 107: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

86

2.4 Synthèse critique des connaissances

Cette recension des écrits a mis en relief les principaux modèles et approches

théoriques visant à expliquer les conduites de fort investissement au travail adoptées

par un certain nombre de travailleurs et de travailleuses. Les différentes réponses

obtenues à cette large question jettent un regard englobant sur les nombreuses

manières dont ce phénomène a été étudié jusqu’à maintenant.

Au terme de cette analyse critique des écrits scientifiques, on peut sans contredit

convenir de la multitude de facteurs et de dimensions impliqués dans le

développement de conduites d’investissement intensif au travail. En témoigne

quelques-uns des modèles empiriques repérés, qui se sont appuyés sur un nombre

important de facteurs tant individuels, organisationnels qu’économiques (Douglas et

Morris, 2006 ; Feldman, 2002). Au-delà des positions théoriques fort diversifiées, la

mise en commun de ces modèles permet d’identifier des facteurs tant psychologiques

(ex. le souci du professionnalisme et le perfectionnisme au travail), psychosociaux

(ex. l’attitude du superviseur, les perspectives de carrière offertes dans

l’organisation), organisationnels (ex. la charge de travail, l’autonomie au travail) que

liés à la vie personnelle (ex. qualité des relations entretenues en dehors du travail,

satisfaction à l’égard de la vie personnelle) dans le développement de ces conduites

d’hypertravail.

Les approches en cliniques du travail offrent aussi des explications

multidimensionnelles en approfondissant les mécanismes psychiques et inconscients

qui sous-tendent les relations employé-employeur et les conduites d’investissement

intensif au travail. Celles-ci jettent un regard complexe sur les rapports intersubjectifs

qui se jouent entre l’individu, le collectif et l’organisation, et proposent des pistes

d’explication et de compréhension qui mettent à l’avant-scène la dynamique

interactive des rapports individu-organisation. Ces approches ont aussi la qualité de

s’attarder aux processus de subjectivation à l’œuvre dans le travail, qui se joue entre

l’individu et l’organisation, montrant ainsi la face « invisible » du développement de

conduites d’investissement intensif au travail en apparence « volontaires ». Cette

Page 108: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

87

subjectivation du travail peut se traduire par le fait de « s’éprouver soi-même » dans

l’activité de travail, d’y engager sa subjectivité et son intelligence, de s’imposer

comme sujet dans un monde social fortement prescrit et contraignant (Dejours, 2001,

2004).

Malgré ces apports indéniables, on peut toutefois émettre certaines critiques à

l’endroit de ces différentes postures pour traiter des questions relatives au

développement des conduites de fort investissement au travail. La première critique

concerne plus particulièrement les approches centrées sur la personne et certains

modèles (dont celui de Ng et Feldman, 2008), où les conduites d’investissement

intensif au travail sont appréhendées sous un angle fortement psychologique. Ce sont

alors essentiellement des facteurs individuels – tels que les traits de personnalité,

l’identité, les préférences ou les valeurs personnelles – qui sont invoqués pour

expliquer l’adoption et le maintien de cette conduite. Or, ces explications, par

l’addiction ou par la passion au travail par exemple, s’avèrent très

« psychologisantes ». Ces approches et modèles minimisent le rôle des organisations

de même que l’importance des interactions entre les facteurs organisationnels et les

caractéristiques psychologiques dans le développement (ou la construction) de cette

conduite (Grebot, 2013). Si l’on peut admettre que certains travailleurs puissent être

dépendants au travail en raison de leurs traits de personnalité ou fortement investis au

travail en raison de la valeur qu’ils accordent au travail dans leur vie, on voit mal

cependant comment rendre compte de l’augmentation fulgurante du nombre de sujets

« addictifs » sans considérer les transformations qui ont marqué l’évolution du

marché du travail et les changements observés dans les organisations.

La deuxième critique concerne l’angle mort des interactions entre la vie au travail et

la vie hors-travail pour expliquer les conduites d’investissement intensif au travail,

alors que la plupart des modèles et approches explicatifs du fort investissement au

travail sont fortement centrés sur ce qui se passe dans la vie au travail des individus.

Cela dit, la question de la vie hors-travail n’est pas complètement absente du débat

scientifique. Pour Douglas et Morris (2006), la faible préférence accordée aux loisirs

comparativement au travail serait une des explications possibles au fort

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88

investissement temporel au travail. Dans leur modèle fondé sur la théorie de la

maximisation de l’utilité économique, ces conduites traduisent une préférence

individuelle envers le travail, justifiée par le faible intérêt envers les activités de

loisir. Brett et Stroh (2003), en posant l’hypothèse du fort investissement au travail

comme répit émotionnel face à une vie familiale difficile ou insatisfaisante, proposent

une hypothèse similaire, appuyée sur l’idée d’une faible satisfaction dans la sphère

familiale et conjugale pour expliquer ces conduites. Dans ces deux cas, le fort

investissement temporel au travail apparaît comme la conséquence de l’insatisfaction

(ou du faible intérêt) vécue dans la vie extra-professionnelle. De plus, l’attention est

portée exclusivement sur deux sphères de vie hors-travail davantage susceptibles de

favoriser l’adoption de ce type de conduites, les activités de loisir et la vie familiale et

conjugale, évacuant du même coup toutes les autres (amicale). On peut formuler une

critique similaire pour d’autres approches et modèles, dont celui de Feldman (2002).

Si certains facteurs relatifs à la vie hors-travail sont intégrés à l’explication théorique,

ils le sont d’une manière plutôt statique – avoir ou non des enfants par exemple – sans

toutefois se pencher sur les interactions multiples et dynamiques entre vie au travail et

vie hors-travail, comprise ici au regard de l’ensemble des sphères de vie.

Comme troisième critique, l’absence apparente d’une analyse en termes de parcours

professionnel et d’enchaînement des événements dans les écrits scientifiques pour

expliquer la conduite d’investissement intensif au travail mérite d’être soulignée.

Comme l’a fait ressortir Sturges (2013), bien peu d’études se sont penchées sur les

événements biographiques qui peuvent mener, progressivement ou brusquement, à

faire de longues heures de travail, en observant plus spécifiquement le moment où

cette conduite se cristallise plus durablement dans le parcours de la personne et au

regard du déroulement des événements qui ont précédé et qui ont pu mener à un fort

investissement temporel au travail. Aucune étude portant sur les événements en

amont de cette conduite ainsi que sur le moment où celle-ci s’est « cristallisée »

durablement au cours de la vie professionnelle n’a été repérée. Les études nous

renseignent également peu sur l’évolution des contextes organisationnel et individuel

qui ont précédé et participé au développement des conduites d’investissement intensif

au travail. En polarisant leur regard sur le temps présent, les approches et modèles du

Page 110: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

89

fort investissement temporel au travail ignorent les temporalités biographiques des

événements passés et des projets anticipés, pourtant pertinentes pour comprendre les

conduites humaines (Bessin, 2009 ; Mendez, 2010). En effet, plusieurs études

s’intéressent à la disposition psychologique particulière favorable au fort

investissement au travail au moment de l’enquête (ex. besoin de reconnaissance par le

travail), comme c’est le cas pour les approches du workaholism (McMillan,

O’Driscoll, Marsh et Brady, 2001 ; Spence et Robbins, 1992) et de l’engagement au

travail (Schaufeli, Salanova, Gonzalez-Roma et Bakker, 2002 ; Schaufeli, Taris et

Rhenen, 2008). D’autres portent plus spécifiquement sur les liens dynamiques qui

unissent un individu et une organisation particulière, dans une situation donnée et à

un moment donné, par exemple, les études sur l’engagement organisationnel (Meyer

et Herscovitch, 2001).

Enfin, la quatrième et dernière critique souligne la tendance observée à la

pathologisation des conduites d’investissement intensif au travail. Les tenants du

workaholism, fort nombreux, l’associent à une pathologie psychologique liée aux

traits de caractère personnels (ex. personnalité perfectionniste, personnalité

narcissique, troubles obsessionnels-compulsifs), tandis que certains s’inscrivant dans

le champ des cliniques du travail l’associent à des pathologies de surcharge ou à des

pathologies de la performance. Dans le premier cas, il s’agit d’un dérèglement

personnel et, dans le second cas, d’un dérèglement provoqué par le contexte

professionnel et les règles de l’économie de marché. Ce fort investissement au travail

est ainsi perçu a priori comme une conduite anormale, menaçante et déséquilibrée.

D’autres modèles, plus marginaux toutefois, proposent une analyse qui va à

l’encontre du caractère délétère et pathologique des conduites d’investissement

intensif au travail, soutenant que celles-ci peuvent être surtout le reflet d’un

investissement choisi, en conformité avec les intérêts, les motivations personnelles et

les valeurs d’une personne, à un moment donné. On peut critiquer cependant le fait

que la plupart de ces modèles interrogent bien faiblement le rôle des organisations et

des collectifs dans le développement de ces conduites et adoptent, à l’inverse, une

position relativement optimiste, voire un parti-pris « salutogène », à l’égard du fort

investissement temporel au travail.

Page 111: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

90

******

Cette synthèse des connaissances a d’abord mis en évidence la pluralité de concepts

pour rendre compte des « conduites d’investissement intensif au travail », qui

désignent de manière générale un fort investissement temporel au travail a priori

volontaire. Elle a ensuite permis de repérer et de décrire diverses explications

théoriques parmi les plus courantes, susceptibles de nous aider à mieux comprendre

ces conduites. Cela nous a permis de brosser un portrait général et plutôt vaste des

connaissances actuelles sur ce sujet, de même que de constater les manières variées

dont ces conduites ont été étudiées et expliquées jusqu’à maintenant. Enfin, cette

synthèse a été à la source d’une réflexion critique sur les nombreux angles d’analyse

privilégiés et soutenus par ces modèles et ces approches, selon les postulats et les

fondements théoriques qui soutiennent les diverses explications proposées.

Malgré des connaissances très développées sur ce sujet, plusieurs questions, qui

représentent autant d’enjeux théoriques dans le champ de la psychosociologie et de la

psychologie sociale du travail, restent à élucider pour mieux comprendre le

développement de ces conduites d’hypertravail. Les enjeux relatifs à l’identification

des déterminants psychosociaux d’une forte implication temporelle au travail, mais

aussi par rapport à la transformation et à la création de nouvelles normes individuelles

et collectives de temps de travail, en lien avec la signification et le rapport au travail

développés par les individus, comptent sans doute parmi les plus importants. Des

enjeux quant au rôle des organisations et des contextes dans les valeurs, les

comportements et les attitudes développés par les individus vis-à-vis de leur travail au

fil du temps peuvent également être soulevés.

C’est au regard des objectifs recherchés par la thèse et des orientations théoriques de

la recherche que sera défini et défendu, dans le prochain chapitre, le choix d’étudier

les « conduites d’hypertravail » observées chez les salariés et salariées des secteurs

des services informatiques (TI) et du multimédia. En plus des objectifs et des

orientations théoriques de la recherche, le troisième chapitre proposera une grille

d’analyse novatrice appuyée sur les niveaux d’explication distingués par Doise

(1982).

Page 112: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

91

Chapitre 3 : Saisir et comprendre les conduites

d’hypertravail : orientations de la recherche, ancrage

théorique et grille d’analyse

C’est au regard de ces différents écrits, mettant au premier plan les modèles et les

théories susceptibles d’expliquer les conduites d’investissement intensif au travail et

brièvement rapportés dans le deuxième chapitre, que la présente thèse trouve sa

pertinence. Ce troisième chapitre vise essentiellement à rendre compte des positions

et des orientations théoriques de la recherche ainsi que des objectifs poursuivis, en

lien avec la problématique ainsi définie.

La première partie du chapitre expose les paradigmes, postulats et positions générales

au cœur de la recherche. Inscrite au sein des paradigmes constructiviste et

systémique, notre recherche se positionne dans le champ de la psychologie sociale –

l’attention est portée sur l’individu en contexte social, c’est-à-dire sur ses activités

sociales et en regard de ses relations aux autres, aux groupes, aux institutions – et

plus spécifiquement en psychologie sociale du travail et des organisations. C’est

également dans cette partie que sera défini le concept d’hypertravail.

La deuxième partie vise à articuler une théorie de la personnalisation et une théorie de

la résonance psycho-organisationnelle. Étudier le rapport entre l’individu, le collectif

et l’organisation pour aborder l’étude des conduites humaines au travail – ici

d’hypertravail – suppose un ancrage théorique solide pour appréhender à la fois

l’expérience subjective et les marges de manœuvre individuelles, et les implications

de la socialisation organisationnelle et de l’organisation du travail dans le

développement de ces conduites. La théorie d’une socialisation plurielle et active

favorable à la personnalisation et soutenue par le modèle du Système des activités, a

été choisie (Almudever et al., 2007 ; Baubion-Broye et Hajjar, 1998 ; Curie, 2000 ;

Malrieu, 2003). Une théorie de la résonance psycho-organisationnelle, illustrée par le

modèle du Système psychique-organisationnel (Aubert et de Gaulejac, 1991), a aussi

été retenue.

Page 113: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

92

La troisième partie met en évidence la grille d’analyse novatrice qui a été développée

pour appréhender, de manière plus opérationnelle, l’étude du développement des

conduites d’hypertravail. Appuyée sur les niveaux d’explication en psychologie

sociale distingués par Doise (1982), cette grille est composée de quatre niveaux

d’analyse définis par cet auteur – intra-individuel, interindividuel, positionnel,

idéologique – auxquels nous ajoutons celui de la tâche et de l’organisation du travail.

Enfin, la quatrième partie expose, au terme de la problématisation, les objectifs de

recherche qui seront poursuivis dans la thèse.

3.1 Paradigme, postulats et positions au cœur de la

recherche

La présente thèse porte sur les conduites d’investissement intensif au travail –

d’hypertravail – observées chez les salariés et salariées des secteurs des services

informatiques et du multimédia. Elle questionne la genèse de ce fort investissement

temporel au travail et vise à appréhender les processus qui mènent à l’adoption de

telles conduites. Ce positionnement appelle à des choix épistémologiques ancrés dans

les paradigmes constructiviste et systémique, et nous amène à inscrire notre recherche

dans le large champ de la psychologie sociale du travail et des organisations.

Dans cette partie, nous définirons d’abord le concept d’hypertravail, central dans

notre recherche, puis, de façon à mieux comprendre la place des activités du travail

parmi les activités humaines, nous ferons un bref retour historique sur quelques

éléments-clés qui ont marqué l’évolution du travail humain. Nous présenterons

ensuite les paradigmes épistémologiques constructiviste et systémique de façon à

mieux comprendre comment ces paradigmes teintent notre posture de recherche et

notre approche de l’étude des conduites d’hypertravail. Enfin, nous argumenterons

brièvement de notre choix d’inscrire la thèse au sein du champ disciplinaire de la

psychologie sociale du travail et des organisations, en le distinguant d’autres champs

disciplinaires similaires.

Page 114: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

93

3.1.1 L’hypertravail : choix du concept et définition

Étudier les conduites d’hypertravail, c’est-à-dire des conduites humaines au travail,

envers le travail et en lien avec le travail, suppose d’abord de réfléchir au travail et à

sa place parmi les activités humaines.

Le travail parmi les activités humaines

Depuis le début des civilisations, les activités du travail traduisent la volonté humaine

de transformer et de maîtriser son environnement afin d’assurer la subsistance des

peuples (Jaccard, 1960 ; Rogue, 2005). Le développement de connaissances, d’outils

et de techniques ont graduellement permis à l’humain d’avoir une plus grande

emprise sur la nature, lui permettant d’assurer plus efficacement les activités

d’agriculture nécessaires à sa survie. La systématisation et la transmission des gestes

propres à ces activités marquent d’ailleurs le début du travail humain selon Jaccard

(1960).

Les activités du travail s’inscrivent également dans des actions et des échanges

réciproques entre des individus et des communautés (Jaccard, 1960 ; Rogue, 2005).

Le travail s’est donc aussi développé autour de cette exigence de « vivre ensemble »,

qui oblige le partage des ressources, les efforts et les savoir-faire entre les membres

d’une communauté. On peut dire que les activités du travail se sont avérées – et

s’avèrent toujours – une manière fondamentale « d’être au monde », avec et pour les

autres, une façon particulière de se sentir exister par sa contribution personnelle à la

vie en société (Jaccard, 1960). Si bien que, malgré l’évolution contemporaine des

techniques de travail (ex. automatisation, informatisation) et la réduction généralisée

du temps de travail (ex. précarisation et chômage pour une partie importante de la

main-d’œuvre) – qui ont mené quelques chercheurs et philosophes à annoncer la fin

du travail comme pilier ou valeur centrale de l’organisation sociale (Arendt, 1983 ;

Méda, 1995 ; Rifkin, 1996) – force nous est de constater que le travail revêt toujours

une grande importance parmi les activités humaines. Il demeure encore aujourd’hui le

fondement du lien social, au cœur des échanges économiques et sociaux (Castel,

2009; Méda et Vendramin, 2013). Il joue ainsi toujours un rôle essentiel de cohésion

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94

sociale et la place accordée à l’individu dans cette dynamique d’échanges lui confère

une existence sociale, un lieu d’investissement public et reconnu comme tel.

Le travail et les activités qui en découlent se sont par ailleurs, au cours de l’histoire,

fortement institutionnalisés. La révolution industrielle a particulièrement contribué à

cette institutionnalisation et à cet encadrement des activités du travail. Cette période

est reconnue dans l’histoire pour avoir transformé radicalement les manières de

produire et de travailler en raison des nouvelles sources d’énergie et des innovations

techniques qu’elle a vu naître (automatisation), mais aussi pour avoir occasionné de

profonds bouleversements sociaux institués par de nouveaux rapports du travail, entre

propriétaires et prolétaires, bourgeois et ouvriers (Aktouf, 1986). Cette période plutôt

sombre de l’histoire du travail a mis les ouvriers face à une activité pénible, répétitive

et aliénante. En usine, le travail était peu reconnu socialement, insatisfaisant et réduit

à sa valeur instrumentale, c’est-à-dire à l’argent qu’il procurait pour survivre et faire

vivre sa famille (Rogue, 2005). Par ailleurs, les nouveaux problèmes apparus avec

cette révolution, dont le manque de travail chronique (chômage) et les accidents de

travail, ont entraîné progressivement le développement de diverses réglementations et

de lois visant à encadrer les rapports sociaux du travail et les activités qui en

découlent, dont le droit fondamental pour les travailleurs et travailleuses de se

regrouper afin de négocier leurs conditions de travail ou encore les lois relatives à

l’âge légal et à la durée maximale du travail. Plus encore, la revendication du « droit

au travail » confère à cette activité une place « digne »; travailler devient

progressivement une norme, une façon acceptable de s’occuper (Gagnon, 1996).

Au cours du XXème siècle, le développement du courant des relations humaines a

permis de mettre encore plus en valeur la spécificité du facteur « humain » dans

l’activité de travail. Ce courant, né avec l’École de Chicago et les travaux d’Elton

Mayo, a particulièrement fait ressortir l’importance de la motivation et des relations

informelles dans les conduites au travail et démontre à quel point la reconnaissance

joue un rôle essentiel pour l’individu (Sainsaulieu, 1997). Il a montré que des

variables psychologiques et sociales influencent fortement le rendement au travail et

que l’appartenance au groupe et le caractère informel de la vie organisationnelle

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95

peuvent se révéler plus importants pour la productivité que des principes de gestion

plus formels, tel que la division stricte des tâches et des rôles.

Plus tard au cours de ce siècle, nous avons assisté à de profondes transformations des

activités du travail et du marché du travail. Peu à peu, s’est consolidé un modèle

social fondé sur l’emploi pour tous où, en échange d’un emploi relativement bien

rémunéré et protégé (ex. fonds de pension, assurances diverses, emploi à durée

indéterminée), les travailleurs et les travailleuses devaient s’engager à long terme

avec l’employeur. Or, ce « système social de production » (qui concerne l’ensemble

des institutions et des manières de produire et d’organiser le travail d’une société) a

été fortement ébranlé au cours des dernières décennies (Bélanger, Giles et Murray,

2004). Aujourd’hui, l’emploi est plus précaire et le travail s’est intensifié (Paugam,

2000; Askenazy, de Coninck et Gollac, 2006). Néanmoins, le travail demeure un

objet propice à la réalisation de soi, une sphère de vie importante qui permet de

réaliser des aspirations personnelles (Mercure et Vultur, 2010).

Considérant cette « valeur » du travail et son institutionnalisation, nous partageons en

cela la position soutenue par la psychosociologie du travail (Lhuilier, 2006; 2013) qui

préconise de saisir le travail sous sa double face. Celle, évidemment, des normes et

des contraintes sociales préexistantes à l’entrée du sujet dans un groupe ou une

organisation et avec lesquelles il doit composer; mais, aussi, celle qui tient compte de

la capacité humaine à transformer ces contraintes, entre autres par le désir de

sublimation, c’est-à-dire, énoncé très brièvement, ce désir de « s’élever au-dessus des

contingences mornes de la vie » (Enriquez, 2007, p. 152). Le travail n’est donc pas

que division des tâches ou contraintes imposées au sujet. Il peut être un moyen pour

l’individu d’agir et d’utiliser le travail pour ses fins propres, pour son plaisir.

Mais il est important de préciser ici que, dans cette thèse, ce n’est pas l’activité de

travailler, celle qui met l’humain face à la réalisation d’un produit du travail (une

tâche, une œuvre, …) dans un contexte de production collective, qui sera mis à

l’avant-plan. L’analyse des gestes et des pratiques du travail, aussi intéressante soit-

elle pour aborder la subjectivité au travail – celle par exemple de l’intelligence

technique (ou pratique) et de la créativité humaine dans la réalisation du travail –

Page 117: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

96

apporte, nous semble-t-il, moins de réponses quand on s’intéresse à la co-construction

des normes de temps de travail. C’est donc davantage le travail comme institution

(i.e. l’ensemble de règles, de normes et de conduites qui régit les relations au travail)

et comme signification (i.e. le sens du travail dans l’existence humaine) qui se

trouvera interpellé ici.

Le concept d’hypertravail

Nous nous intéressons dans cette thèse au fort investissement temporel au travail,

souvent non rémunéré et a priori « volontaire ». De façon à aborder le développement

de telles conduites par les salariés et salariées, nous nous appuyons sur le concept

d’hypertravail proposé par Rhéaume. Rhéaume (2006) désigne l’hypertravail comme

« une surcharge de travail, dépassant de façon significative une charge dite « normale

» : elle se manifeste de façon soutenue dans le temps et est acceptée volontairement,

voire avec enthousiasme16 » (2006, p. 19). Toujours selon Rhéaume, l’hypertravail se

compose de plusieurs caractéristiques (2006, p. 24-25) :

- « Elle implique un excès de travail, une « surcharge »;

- Elle est vécue comme « une réponse » à une exigence externe provenant de

l’entreprise et de l’organisation prescrite du travail, même si de fait cette

réponse résulte de choix personnels, et peut être modifiée par des choix

personnels ou collectifs;

- Elle se produit dans un contexte « permissif » où les critères de charge

normale et de surcharge sont flous ou inexistants;

- Elle est source de fierté et signe de performance;

16 En raison du caractère flou et subjectif de certains éléments de cette définition, nous précisons dans

les paragraphes suivants ce que nous entendons par « excès de travail » comparativement à une charge

« normale », par conduite « soutenue dans le temps » et par investissement subjectif au travail. Ces

précisions nous permettent de rendre un peu plus opérationnel ce concept pour notre recherche (voir

également la section 1.3.1.4., p. 68).

Page 118: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

97

- Elle peut s’accompagner d’un discours explicite peu convaincant de

« victimisation » (« je suis vraiment débordé »);

- Elle traduit un fort investissement subjectif au travail ».

Nous avons exposé dans le premier chapitre (section 1.3.1.4, p. 68) que « l’excès de

travail » tel que nous l’entendons dans cette thèse relève d’une observation extérieure

: l’on peut juger qu’une personne se trouve en hypertravail lorsqu’elle consacre un

très grand nombre d’heures à la réalisation de ses activités professionnelles en

comparaison avec une norme de référence, généralement l’ensemble des travailleurs

(Dejours, 2004). Au regard des lois québécoises et canadiennes et des articles repérés

sur les longues heures de travail et leurs effets délétères, cette norme a été établie à 48

heures de travail par semaine (cf. Chapitre 1). De la même façon, nous avons précisé

que cette conduite « soutenue dans le temps » devait être durable et ne devait pas être

associée à des cycles de production. Par conséquent, les salariés et salariées devaient

avoir maintenu un tel rythme de travail pendant au moins une année, ce qui ne reflète

alors pas une surcharge de travail temporaire.

Différemment, le caractère dynamique et interactif des rapports individu-organisation

que sous-tend la définition proposée est repris ici pour affirmer que si l’hypertravail

s’exerce dans un contexte organisationnel contraignant pour le sujet, tant sous l’angle

des rapports sociaux de production que de l’organisation du travail, l’hypertravail

résulte aussi d’un investissement subjectif – et volontaire – au travail. Par

investissement subjectif nous entendons, à l’instar de Dujarier (2008), les

contributions du sujet au travail d’organisation, par exemple pour créer et participer à

la recherche de solutions pratiques. Plus spécifiquement, est entendu ici l’idée selon

laquelle l’individu au travail doit être créatif, autonome et innovant et qu’il « ne doit

pas se conformer à son rôle prescrit » (p. 44). Dujarier (2008) précise d’ailleurs que si

une telle forme d’investissement au travail est recherchée par les individus (un

véritable désir du sujet « d’y mettre du sien » dans son travail), l’absence de

reconnaissance peut rapidement avoir pour effet de le retirer. Pour nous, et dans la

même veine que Rhéaume (2006), l’hypertravail ne résulterait ni unilatéralement de

la personne, qui serait hyperactive et éprouverait une envie irrépressible de travailler,

Page 119: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

98

ni unilatéralement de l’organisation, où la surcharge de travail occasionnée par les

nouvelles formes d’organisation du travail et l’intensification qu’elle entraîne

conduirait, sans négociation possible, les travailleurs et travailleuses à un excès de

travail.

Ces précisions sur notre définition de « l’hypertravail » étant établies, nous allons

maintenant présenter notre approche constructiviste et systémique du développement

des conduites d’hypertravail.

3.1.2 Une approche constructiviste et systémique du développement

des conduites humaines

Les fondements de notre recherche reposent sur les bases épistémologiques du

constructivisme et de l’approche systémique.

Le paradigme constructiviste renvoie d’abord et avant tout à une manière générale

d’appréhender la réalité. Ce paradigme repose sur un postulat central selon lequel la

réalité n’est pas donnée en soi. Elle « se construit à chaque instant » (Le Moigne,

1994). Contrairement au paradigme positiviste qui prétend qu’il existe des lois

universelles, le constructivisme est fondé sur le principe selon lequel la réalité est une

construction humaine et sociale. Est ainsi admis, selon cette posture, que la réalité

étudiée s’appuie, pour produire les connaissances, sur des références et des notions

« construites » scientifiquement et orientées pour « créer du sens, concevoir de

l’intelligible, en référence à un projet » (Le Moigne, 1994, p. 123).

Ce positionnement épistémologique nous amène à nous attarder à la façon dont les

sujets construisent leur réalité. Dumora et Boy (2008, p. 4) rappellent que Piaget a été

le premier auteur contemporain à utiliser le terme de constructivisme, pour rendre

compte alors du processus de construction des connaissances chez l’enfant. Piaget

s’intéresse à « l’activité productive du sujet », à la manière dont, enfant, il construit

son monde, en portant une attention à l’assimilation progressive du « réel » et aux

représentations qui sont développées. Cette position présente un constructivisme dit

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99

psychologique, où « l’accent est mis sur le sujet individuel, conçu comme interprétant

et construisant sa réalité » (Dumora et Boy, p. 3).

À ce constructivisme psychologique fortement intéressé par « l’esprit humain »,

s’oppose un socioconstructivisme ou constructivisme social, convoqué dans plusieurs

études en sociologie et en psychologie, qui accorde une importance plus grande aux

relations et au langage dans la construction des structures mentales, des valeurs et des

représentations du sujet. Est principalement postulé que « les structures sociales et les

structures cognitives se composent et se situent dans l'interaction entre les gens »

(Méhan, 1982). Autrement dit, cette posture accorde une grande importance à

l’interaction individu-social, parmi lesquels on retrouve les auteurs Vygotski et

Doise, pour qui le développement de la pensée et du raisonnement de l’individu est

enchevêtré à son environnement social et physique. C’est nécessairement dans le

rapport à l’autre, aux autres, que nous construisons nos connaissances, nos

représentations et nos conduites. Nous partageons en cela la position de Malrieu

(1989) à l’effet que « toute conduite s'effectue en fonction des réactions de

l'entourage humain, s'inscrit dans des processus de communication, eux-mêmes en

interconstruction avec des normes sociales en évolution » (p. 257). Cette position

générale du constructivisme sera étayée davantage dans ce chapitre, alors que nous

exposerons le cadre théorique choisi pour étudier et appréhender les processus de

construction des conduites d’hypertravail, au cœur des préoccupations de notre

recherche.

Nous appréhendons aussi le développement et la construction des conduites

d’hypertravail à partir d’une approche systémique. Trois principes généraux sont

généralement rattachés à cette « conception systémique des objets de la

connaissance » (Lugan, 2009, p. 5). Le premier stipule qu’il n’y a pas de relation

mécaniste ou linéaire entre les objets. L’étude des phénomènes et des conduites

humaines au travail, pour ce qui nous concerne, doit être alors envisagée de manière

circulaire, récursive, en concevant les événements en mouvement et jamais stabilisés.

On peut ainsi dire que ce premier principe « conduit à considérer que la société

produit des individus qui produisent la société » (Gaulejac, 2008b, p. 10). Cette

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100

approche systémique soutient aussi que le sujet ne peut être dissocié de l’acteur. De

ce point de vue, chaque sujet, dont l’histoire biographique est singulière, met en

forme son action au travail et dans l’organisation pour faire du sens au regard de cette

histoire. Autrement dit, l’individu est sujet de son existence et peut agir sur le social

qui agit en lui (Gaulejac, 2007). Le sujet est bien sûr toujours acteur puisqu’il est

constamment amené à encadrer ses actions au sein des institutions et d’une société, à

jouer des rôles sociaux dans lesquels il se voit attribuer des fonctions. La prise en

compte simultanée de ces deux facettes du sujet et de l’acteur, consiste à considérer

que les individus ne sont pas tout à fait libres mais disposent de marges de manœuvre

dans la réalisation de leurs activités, et plus largement pour transiger avec les

institutions sociales et les organisations.

Le deuxième principe de l’approche systémique suppose de penser l’objet d’étude en

termes de relations (Lugan, 2009). Il s’agit de prendre en compte les interactions et

les influences réciproques entre les différentes parties qui composent le système. En

interaction permanente, toute modification d’une des parties du système est

susceptible de le transformer. Il importe par ailleurs de tenir compte de tous les

éléments pertinents constituant celui-ci pour être en mesure d’en saisir pleinement les

dynamiques. Selon cette perspective et pour le sujet qui nous concerne, l’individu, le

collectif de travail, les autrui significatifs et l’organisation sont notamment considérés

comme étant des parties du système pour comprendre les conduites d’hypertravail. Il

ne s’agit ainsi pas uniquement de rendre compte des caractéristiques individuelles et

des éléments du contexte organisationnel dans l'examen de ces conduites, mais bien

de les appréhender dans une relation circulaire, où chacun des éléments du système

est susceptible d’influencer les autres éléments qui composent le dit système (Aubert,

de Gaulejac et Navridis, 1997). Dans cette perspective, les individus, les

organisations et les groupes sont interdépendants et l’apport de chacun dans le

développement des conduites d’hypertravail doit être analysé en interaction.

Le troisième principe de cette approche soutient l’idée selon laquelle le tout est plus

puissant que la somme de chacune des parties (Lugan, 2009). La richesse du système

réside par conséquent dans sa complexité et sa synergie. Le mode particulier

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101

d’organisation des diverses parties du système (hiérarchie, dominance, influence),

fortement imbriquées, doit impérativement être pris en compte pour comprendre

l’ensemble du système formé (le tout). Ainsi, il importe d’accorder une attention

particulière à la prédominance de certains éléments sur d’autres dans le

développement des conduites d’hypertravail, d’en comprendre les interactions mais

aussi les relations de pouvoir, essentiellement entre l’individu, le collectif de travail et

l’organisation, pour saisir le fonctionnement des « systèmes » propices au

développement de ces conduites.

En bref, cette approche systémique, dans les sciences sociales, repose sur la

conception d’un monde complexe, composé d’éléments constamment en interaction

et non réductibles à une explication linéaire ou causale (Le Moigne, 1994). Ce

système est fragile : l’équilibre qui le tient en place est susceptible de se transformer

de l’intérieur et/ou sous le poids de contraintes extérieures. Cet équilibre est

constamment menacé et, en cas de déséquilibre, les différentes parties seront

modifiées en vue de reformer un système. Mentionnons enfin que l’approche

systémique soutient que les systèmes sont « ouverts » et peuvent se transformer sous

le poids de leurs relations réciproques avec d’autres systèmes. Autrement dit, si

chaque système est composé de buts, de règles et d’une structure qui lui est propre,

celui-ci fonctionne de manière interdépendante et en relation avec d’autres systèmes,

qui l’influence et le transforme.

3.1.3 Une discipline « psychosociologique » : objets d’analyse et liens

avec le travail

Inscrire cette recherche au sein de la discipline « psychosociologique » exige de

présenter cette discipline et de défendre certaines conceptions – du travail, de

l’individu et du social – que l’on peut y rattacher ; des conceptions qui s’enracinent

aux fondements mêmes des choix que nous avons retenus pour aborder l’étude des

conduites d’hypertravail. Après avoir brièvement distingué les particularités et les

fondements de la psychologie sociale et de la psychosociologie, nous justifierons

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102

notre choix d’inscrire la recherche dans le champ de la psychologie sociale du travail

et des organisations.

3.1.3.1 Psychologie sociale et psychosociologie : particularités et fondements

Qu’est-ce qui caractérise la discipline « psychosociologique » (Dubost et al., 1984)?

Faut-il distinguer la psychologie sociale et la psychosociologie? Afin de situer un peu

mieux la présente recherche dans le champ scientifique intéressé par l’articulation de

l’individu et du social, nous nous attarderons à présenter brièvement quelques

fondements de cette discipline.

Derrière cette science visant la mise en relation du psychologique et du social, se

dessinent et se distinguent différents courants de recherche qui traduisent autant de

manières différentes d’aborder théoriquement et méthodologiquement cette

articulation (Dubost et al., 1984). De façon générale, la psychologie sociale cherche à

comprendre les conduites des individus à la lumière des relations qui les unissent à

d’autres personnes, à d’autres groupes, à une société. L’individu est ainsi toujours

appréhendé dans une dynamique relationnelle, dans ses liens avec le social :

« La psychologie sociale est la science qui étudie les conduites

humaines et les phénomènes sociaux comme des processus

relationnels à l’intérieur desquels le psychologique et le collectif

sont indissociables ; de façon plus précise, elle considère chaque

individu dans sa réalité d’être social et elle analyse ses conduites

en tant qu’elles s’expriment à travers des formes diverses de

relations déterminées par des niveaux de fonctionnement dont

l’influence, la représentation et la communication sont les plus

marquantes » (Fischer, 1997, p. 29).

Les problématiques propres à la psychologie sociale se posent ainsi souvent en termes

d’influences et de persuasion, au regard des pressions extérieures à l’individu et à la

manière dont elles agissent sur lui, mais aussi à la façon dont il répond ou non à ces

pressions sociales et aux déterminations sociales préexistantes à son insertion dans les

groupes et les réseaux dans lequel il s’inscrit (Fischer, 1997).

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103

Différemment, la tradition française de la psychosociologie s’est développée dans le

choix d’une posture clinique (Barus-Michel; 1987; Enriquez, 1984; Barus-Michel,

Enriquez, Lévy, 2006; Lhuilier, 2006). Cette posture clinique – qui différencie la

psychosociologie du courant, dominant, d’une psychologie sociale expérimentale –

invite à considérer les liens entre l’individu et le social, à la lumière également des

aspects de la vie psychique, pour former ainsi un triangle de relations indissociables,

propre à cette posture. À l’articulation entre le champ social, les conduites humaines

et la vie psychique, la psychosociologie porte ainsi le plus souvent son regard sur les

« systèmes médiateurs entre l’individu et le social » que sont les organisations, les

groupes et les institutions (Lhuilier, 2013, p. 12). Pour la psychosociologie, le sens

des conduites humaines doit être saisi à partir des expériences vécues, en interaction

avec d’autres, puisque l’interaction sociale et les rapports sociaux s’avèrent centraux

pour l’individu dans l’élaboration des significations et de la construction de ses

conduites (Ardoino, 1997). À propos de la spécificité de son approche, la

psychosociologie s’intéresse autant aux processus inconscients qu’aux discours

volontaires des dynamiques des groupes qu’elle étudient (organisations, collectifs de

travail, etc.), de même qu’elle s’ancre dans une tradition d’analyse et d’intervention

ayant pour rôle de soutenir la transformation du groupe en question (Enriquez, 1984).

3.1.3.2 Une approche psychosociale des conduites d’hypertravail

Cette discipline « psychosociologique », dans le domaine du travail, a plusieurs

adeptes bien que ceux-ci adoptent des approches sensiblement différentes. Parmi ces

approches, on peut évoquer la sociologie clinique du travail (de Gaulejac et Roy,

1993; Dujarier, 2006; Rhéaume, 2001), la psychologie sociale clinique et la

psychosociologie du travail (Barus-Michel, 1993 ; Barus-Michel, Enriquez, Lévy,

2006 ; Lhuillier, 2013), ou encore la psychologie sociale du travail et des

organisations (Baubion-Broye, Dupuy, Prêteur, 2013; Curie, 2000; Malrieu, 2003).

Transposée à la sphère du travail, la mise en relation de l’individu et du social

s’exprime à travers des objets de recherche divers, de la socialisation

organisationnelle jusqu’aux dynamiques collectives de travail. En accordant

globalement une attention particulière au développement des conduites humaines en

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104

interaction avec le champ social (ex. équipe de travail, organisation), ces approches

partagent un certain nombre de points en commun (Lhuilier, 2013).

La discipline « psychosociologique » s’éloigne par ailleurs d’autres disciplines

connexes, telle que la psychologie du travail, qui met l’accent sur les « phénomènes

intérieurs » et le « psychisme individuel » pour comprendre les conduites au travail

(ex. comprendre le rapport au travail des salariés et salariées), ou encore la sociologie

du travail et des organisations, qui étudie « les phénomènes collectifs en eux-

mêmes » (ex. appréhender la culture organisationnelle) (Mucchielli, 1994).

Étudier le développement des conduites d’hypertravail au regard des relations

individu-collectif-organisation, sans toutefois adopter une posture clinique, nous

permet d’inscrire la présente thèse au cœur d’une approche psychosociale, dans la

continuité des travaux de psychologie sociale du travail et des organisations.

La suite de ce chapitre sera consacrée à la présentation du cadre théorique développé

pour aborder l’étude des processus de construction des conduites d’hypertravail. Ce

cadre repose sur deux modèles systémiques (cf. section 3.3) et la distinction de

différents niveaux d’explication qui présente la grille d’analyse opérationnelle (cf.

section 3.4).

3.2 Deux modèles systémiques pour appréhender le

développement des conduites d’hypertravail

Nous présenterons, dans cette partie, le cadre théorique sur lequel nous nous

appuierons pour tenter de répondre aux questions fondamentales au cœur de cette

thèse. Ce cadre théorique met à contribution les apports de deux modèles

« systémiques » : le modèle du « système psychique organisationnel » (Aubert et de

Gaulejac, 1991) que nous avons présenté succinctement dans le deuxième chapitre et

que nous développerons ici, et le modèle du « Système des Activités » (ex. Baubion-

Broye et Hajjar, 1998 ; Curie 2000 ; Curie et Hajjar, 1987). C’est en conjuguant ces

deux modèles que nous allons appréhender les processus de construction des

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conduites d’hypertravail et rendre compte plus finement des multiples facettes de ce

processus. Comme nous le verrons, chacun de ces modèles permet d’insister sur des

aspects différents des processus en jeu dans la construction et l’adoption de conduites

d’hypertravail, qu’il s’agisse plus particulièrement des rapports entre l’individu et

l’organisation pour le premier modèle, ou des rapports et des échanges entre les

différentes sphères de vie, pour le second.

3.2.1 Les conduites d’hypertravail, entre tentatives

d’assujettissement par l’organisation et processus de subjectivation :

regard sur le modèle du système psychique organisationnel

Au regard des critiques que nous avons soulevées à la fin du deuxième chapitre, il

nous paraît essentiel d’intégrer la part de l’organisation dans l’explication théorique

des conduites d’hypertravail. De telles conduites sont nécessairement ancrées dans

des dynamiques organisationnelles particulières qu’il convient non seulement

d’étudier, mais aussi d’inclure dans l’exploration des causes et des processus qui

participent à la mise en œuvre de ces conduites. La prise en compte des contraintes et

des logiques organisationnelles, que ce soit à travers les pratiques managériales ou

l’ensemble des nouvelles formes de domination dans les organisations, apparaît ainsi

comme un niveau d’analyse indispensable à la compréhension des conduites

d’investissement intensif au travail. Les travaux de Aubert et de Gaulejac (1991)

contribuent justement à éclairer – à travers le modèle de la résonance psycho-

organisationnelle – un mode particulier d’articulation entre éléments du niveau

individuel (désirs et aspirations personnelles des travailleurs) et éléments du niveau

organisationnel (culture de l’excellence, dispositifs d’évaluation et de reconnaissance)

pour expliquer le développement de telles conduites.

Le modèle du système psychique organisationnel (Aubert et de Gaulejac, 1991)

illustre les mécanismes qui concourent à l’emprise organisationnelle de l’idéal du

moi, profitable à l’organisation pour soutirer aux salariés et salariées un

investissement intensif et subjectif envers leur travail et pouvant jusqu’à conduire à

l’hypertravail. Ce modèle est particulièrement intéressant dû au fait qu’il s’attarde

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tout particulièrement à la relation individu-organisation, qu’il aborde essentiellement

à partir de l’interaction entre la vie psychique et la vie organisationnelle.

Dans cette section nous allons présenter les principales dimensions de ce modèle

psychique-organisationnel et plus particulièrement celui dit « managinaire » pour

montrer en quoi celui-ci, au regard des tentatives d’assujettissement par l’organisation

et du processus de subjectivation, est pertinent pour aborder le processus de

construction des conduites d’hypertravail. Après avoir rappelé quelques éléments plus

généraux concernant la prise en compte de la subjectivité selon le courant de la

sociologie clinique, nous nous attarderons plus longuement à présenter ce « système

managinaire » qu’ont mis en évidence Aubert et de Gaulejac (1991, 2007), un

système particulièrement développé dans certaines entreprises dites « d’excellence ».

Nous verrons comment les processus psycho-organisationnels développés dans ces

entreprises, parce qu’ils soutiennent de nouvelles formes d’emprises

organisationnelles fondées sur les liens inconscients en prenant « l’idéal du moi »

pour cible, instaure une culture fondée sur le déni de limites au travail, susceptible de

mener les salariés et les salariées à l’hypertravail.

Subjectivité et processus de subjectivation selon la sociologie clinique

Le développement des conduites des sujets a souvent été compris sous l’angle des

processus de socialisation, celui-ci étant conçu comme la démarche par laquelle le

sujet est mené peu à peu, via la famille, les groupes et autres institutions sociales

(dont l’école et l’entreprise sont les principales représentations), à une intériorisation

totale du monde social dans lequel il s’inscrit. Pour Foucault (1994), il serait presque

impossible d’exister comme sujet en raison des multiples formes de pouvoir qui font

pression sur l’individu. Au-delà du pouvoir formel, c’est celui plus informel, qui

s’insinue jusque dans « la manière de diriger la conduite d’individus ou de groupe »,

qui guiderait les actions et les comportements des « sujets libres » (Foucault, 1994, p.

237). Ainsi, pendant plusieurs décennies, la socialisation a été essentiellement l’objet

de la sociologie et de la philosophie, abordée sous l’angle de l’acculturation et de

l’assujettissement des individus.

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107

Plusieurs chercheurs en psychosociologie et en sociologie ont aujourd’hui délaissé

cette conception déterministe, voire « aliénante » de la socialisation pour reconnaître

la part de liberté du sujet, capable de s’affirmer et d’imposer sa subjectivité, un sujet,

en somme, pas totalement assujetti à l’ordre social et aux forces politiques (parmi

lesquels Mauss, Bourdieu et Pagès, selon de Gaulejac, 2009). De ce point de vue, il

est ainsi clairement entendu que le sujet ne participe pas seulement à la production et

à la reproduction de la société, mais aussi à sa transformation (de Gaulejac, 2009).

Au-delà de l’existence même du sujet, son pouvoir réel sur sa vie et la manière dont il

peut se « déprendre » du poids des structures et s’imposer dans le monde social

continuent de faire l’objet de débats.

De Gaulejac rappelle que la sociologie clinique et la psychosociologie s’intéressent

depuis longtemps à la question de « qu’est-ce qu’être sujet » (propos rapportés par

Arnaud et Bouilloud, 2012). Il insiste sur le fait que, pour la sociologie clinique, « la

question du sujet se pose parce qu’on est d’abord assujetti : au désir de l’autre, au

désir de ses parents pour soi, à son histoire personnelle et familiale, au contexte

socio-économique, etc. » (propos rapportés par Arnaud et Bouilloud, 2012, p. 266). Il

faut ainsi d’abord examiner ce qui nous a fabriqués socialement pour pouvoir ensuite

faire advenir le sujet. Comprendre dans quels types de déterminismes (ex.

psychiques, sociaux, organisationnels) s’enracinent nos désirs, nos actions pour

pouvoir ensuite les surmonter et devenir enfin « le sujet de sa propre histoire » (de

Gaulejac, 2007 ; 2009). L’assujettissement dont il est question ici n’est pas

appréhendé simplement comme une intériorisation des règles et des normes

culturelles du monde social et de ses institutions, tel que le concevait Durkheim

(Roche, 2007). Il n’est pas non plus compris comme Foucault, à qui l’on reproche de

ne pas avoir pas suffisamment pris en compte les aspects de la vie psychique et,

particulièrement, le pouvoir parental lié à l’attachement de l’enfant à ses parents (Le

Blanc, 2004). L’assujettissement, pour la sociologie clinique, est aussi le fruit des

dynamiques psychiques et familiales qui se jouent dès l’enfance, qui contribuent à

façonner nos désirs et nos peurs, à orienter nos conduites et nos actions (de Gaulejac,

2007).

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108

Devenir « sujet », de ce point de vue, n’est possible que par la concrétisation d’un

« déplacement subjectif » (ou subjectivation), c’est-à-dire par le fait de se dégager des

places qui nous sont assignées par les institutions et la société (Roche, 2007). Le

processus de subjectivation peut ainsi être globalement compris comme celui par

lequel le sujet en arrive à s’extraire des déterminismes qui s’imposent à lui. Et ce

processus de subjectivation (ou de déplacement subjectif) ne peut se concrétiser que

sous l’impulsion et la combinaison d’affects positifs (ex. joie, désir) et négatifs (ex.

anxiété, peur), qui conduisent l’individu à rechercher une certaine libération des

déterminismes en place (Roche, 2007). Cela est possible dans la mesure où ces

émotions et ces affects sont « reconnus », sont « questionnés » et sont signifiés par

l’individu, et qu’ils permettent ainsi une « transmutation affective » (Roche, 2007).

Manipulation, aliénation et emprise organisationnelle

Si nous n’envisageons pas la détermination des conduites d’hypertravail par la seule

situation de travail, nous ne minimiserons pas pour autant l’importance du cadre

organisationnel. Les normes, règlements, valeurs, méthodes contribuent à assujettir le

travailleur à l’organisation en édictant les bonnes conduites, les bonnes pratiques.

L’entreprise s’attend à ce que le travailleur s’y soumette, bon gré mal gré, la relation

de salariat relevant d’une de domination, d’autorité, définie et encadrée comme telle

par les cadres politique et juridique qui reconnaissent la mise à disposition de la force

de travail du salarié pour l’employeur17.

Cette soi-disant soumission à une autorité organisationnelle formelle apparaît plus ou

moins bien adaptée à l’étude des conduites d’hypertravail, de cet investissement

intensif au travail et envers le travail18 dans le contexte de travail contemporain. Il

importe de rappeler par ailleurs que la définition retenue des conduites

d’hypertravail renvoie à une surcharge de travail durable, au-delà de la norme,

17 Voir la Loi sur les normes du travail Québec. 18 Ce qui permet mieux, croyons-nous, de mettre en relief le fait que ce fort investissement marqué vis-

à-vis la sphère du travail se fait au détriment / par rapport à d’autres sphères de vie, du moins en terme

de temps alloué.

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acceptée a priori volontairement, voire impulsée par l’individu (Rhéaume, 2006).

Prendre seulement la mesure de l’autorité organisationnelle formelle semble donc

fortement compromettre la saisie des stratégies plus fines utilisées par les

organisations en vue de réaliser leurs intérêts et d’atteindre leurs finalités. Ce serait

alors nier le fait que les organisations cherchent moins à exiger les comportements

souhaités au travail qu’à les obtenir, subtilement et plutôt informellement, de façon à

ce que ces comportements soient intériorisés par les individus et puissent apparaître

ainsi « volontaires » (Dejours, 2004 ; Marzano, 2008 ; Rhéaume, 2006). On peut ici

penser notamment aux nouvelles pratiques managériales basées sur l’autonomie ou

l’autocontrôle de ses objectifs de travail. Partant, nous pensons que la participation

organisationnelle dans le développement des conduites d’hypertravail ne doit pas être

occultée en raison de l’invisibilité des nouveaux rapports de domination (plus

« subtils »), se cachant derrière des rapports qui semblent harmonieux, à travers une

plus grande responsabilisation par exemple (Martucelli, 2004). Au contraire, nous

supposons qu’il est probable que ces nouveaux rapports soient liés à la croissance

observée de ces conduites d’hypertravail

En ce sens, les notions de manipulation, d’aliénation et d’emprise organisationnelle

méritent notre attention pour appréhender le développement de ces conduites. Celles-

ci nous semblent s’approcher de cette idée de l’existence de formes

d’assujettissement déguisées en conduites volontaires, fort utiles pour aborder les

heures de travail gratuites et le renforcement du fort investissement au travail,

pouvant participer au développement et à l’adoption de conduites durables

d’hypertravail.

L’existence de la perversion dans le monde du travail où, par diverses tactiques, des

organisations peuvent manipuler des individus, par exemple en leur donnant l’illusion

que leur investissement au travail est le support privilégié de leur réalisation

personnelle, est maintenant admise :

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« La perversité du système consiste, par une forme de

manipulation, à convaincre l’individu que les activités dans

lesquelles il s’engage sont, pour lui19, dignes d’intérêt. On

valorise la rationalité et on emploie des moyens de persuasion

qui jouent avec l’affectivité » (Marzano, 2008, p. 241).

Ce « pour lui » est important car il sous-entend que ce n’est pas pour d’autres, pour

l’organisation ou la société par exemple, que les activités de travail ont de l’intérêt.

Autrement dit, c’est à eux et à eux seuls que rapporte le travail et l’investissement

dans cette sphère : leur réussite personnelle, leur valeur comme personne, leur

épanouissement. Ainsi, pour que cette manipulation fonctionne, elle doit être mise en

parallèle avec une société tournée vers l’individu, vers une survalorisation du « je-

me-moi ». On trouve à cet effet plusieurs auteurs pour constater l’existence et

l’importance de cet individualisme, de ce culte voué à l’accomplissement personnel et

à la performance, vus comme valeurs suprêmes de notre époque (dont Aubert (2006),

Ehrenberg (1991) et Lipovetsky (1983), pour ne nommer que ceux-là). Plus

spécifiquement à propos du travail, cela suppose par ailleurs, comme l’ont démontré

Mercure et Vultur (2010) dans leur ouvrage sur l’ethos du travail, que la « finalité

humaine du travail altruiste par excellence, à savoir servir la société » soit de plus en

plus désuète (p. 68).

Le management s’est évidemment ajusté (et a contribué) à cette société individualiste.

Il a développé, depuis les années 1980, des méthodes et des dispositifs de gestion qui

sollicitent l’ego, souvent de manière implicite. Aubert et de Gaulejac (1991) en

répertorient plusieurs, dont le « management par la sublimation » qui fait appel au

désir de « s’élever » comme individu en étant amené à réaliser un travail ou à occuper

une place distinctive dans l’organisation, ou encore, la « compétition permanente »,

qui met en concurrence les individus entre eux, soit au sein d’une même organisation,

soit sur les marchés, en vue de les pousser à se dépasser, à être des « gagnants ».

19 Souligné par nous.

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111

Les notions d’aliénation et d’emprise organisationnelle rejoignent aussi cette idée

d’une nouvelle autorité informelle visant à orienter les conduites au travail en faveur

d’un engagement et d’un investissement accru envers l’organisation. L’emprise de

l’organisation (Pagès, de Gaulejac, Bonetti et Descendre, 2009) apporte notamment

des réponses sur ces processus socio-mentaux qui, sur une base inconsciente,

influencent les individus jusqu’à les aliéner à l’organisation. Le modèle du système

psychique organisationnel « managinaire » permet de rendre compte de ce type

d’influence.

Les liens inconscients entre le fonctionnement organisationnel et le

fonctionnement individuel

Le système psychique organisationnel « managinaire » repose sur le postulat selon

lequel les rapports et les relations entre l’individu et l’organisation évoluent à la

manière d’un système, où « certains éléments constitutifs de l’un sont reliés avec

certains éléments constitutifs de l’autre de telle façon qu’ils s’influencent et se

transforment » (Aubert et Gaulejac, 1991, p. 235). Il apparaît important de rappeler

ici qu’initialement, ce système se développe avec le concours de l’organisation et de

l’individu, en interaction. Il ne s’agit pas ainsi d’une pure création de l’organisation

visant à assujettir les individus. Mais, une fois le système en place, les individus qui

rejoignent l’organisation ayant développé ce dit système se trouvent fortement

influencés par lui.

L’objet d’étude privilégié est alors circonscrit aux rapports entre le fonctionnement

organisationnel et le fonctionnement psychique pour comprendre les « différents

processus à l’œuvre entre les structures sociales (organisations) et les structures

mentales (individus) » (Aubert et Gaulejac, 1991, p. 235). Si les fonctionnements du

sujet et de l’organisation reposent sur des logiques différentes, ils se rejoignent

toutefois dans une zone dite « intermédiaire », de « résonances », où l’un et l’autre

s’inter-influencent et se transforment. Les auteurs parlent alors de « correspondances

psycho-organisationnelles » en référence à l'union existant entre les aspirations et les

finalités recherchées par les sujets, par exemple la réalisation de soi, et les visées de

l’entreprise, par exemple la recherche de performance.

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112

C’est un système psychique organisationnel de type managérial (ou système

managinaire) qu’ont observé Aubert et de Gaulejac (1991) dans certaines entreprises

dites performantes, système qui apparaît particulièrement éclairant pour notre étude

des processus qui se jouent entre l’individu et l’organisation, susceptibles de mener à

l’adoption des conduites d’hypertravail.

L’idéal du moi pour cible

L’idéal du moi, que l’on pourrait traduire simplement par « celui ou celle qu’on

voudrait être », est fondamental dans le modèle. Dans ce système psychique

organisationnel « managinaire », l’entreprise cherche « la captation de l’idéal du moi

par les idéaux organisationnels ». Pour y parvenir, elle vient aiguiller les projections

idéales sur lesquelles l’individu peut s’appuyer, en jouant sur les cordes sensibles du

registre de la vie psychique, en « utilisant » et même en détournant les déterminismes

psychiques (qui, comme nous l’avons soulevé précédemment, se jouent souvent dès

l’enfance) au profit de l’atteinte des objectifs de l’organisation.

Plus concrètement, le fonctionnement du système managinaire s’appuie sur la base de

paradoxes « amour-déchirement », où les angoisses et les désirs individuels inclus

dans la situation de travail sont mis en tension : culpabilité de ne pas en faire assez,

craintes face aux jugements des autres, mais aussi sentiment d’être le meilleur, forte

reconnaissance de sa valeur. Peu à peu, par cette mise en tension des angoisses et des

désirs, l’organisation entraîne l’individu dans la quête d’un idéal du moi qui se

matérialise dans la poursuite des objectifs organisationnels. L’organisation reflète à

l’individu une image de lui-même très idéalisée, renforcée par des dispositifs de

reconnaissance qui visent à lui renvoyer cette image. Dans cette dynamique, « la peur

de perdre l’amour de l’organisation » devient un moteur puissant d’investissement

subjectif au travail : il faut bien se faire voir et se faire valoir, montrer qu’on existe et

qu’on est bon.

Cet « idéal du moi » est particulièrement aiguisé dans une culture organisationnelle

de l’excellence, soutenue par l’absence de limites au travail, qui laisse croire que tout

est possible, tel que nous le verrons maintenant.

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113

Le déni de limites et la culture de l’excellence

Du côté organisationnel, tout un dispositif managérial permet de valoriser et de

soutenir une culture visant à orienter les activités des travailleurs vers la recherche de

l’excellence au travail, et par le fait même à proposer un « idéal organisationnel » qui

puisse faire résonance aux individus qui travaillent dans l’organisation. Cette culture

de l’excellence, comme idéal organisationnel, est en quelque sorte la pierre angulaire

du fort lien qui unit l’individu à son travail et à son organisation puisqu’elle fait

résonance à cette quête individuelle de l’idéal du moi projeté, idéal que tente de

renforcer l’organisation pour subjuguer l’individu.

Parmi les dispositifs mis en place pour soutenir et favoriser l’excellence, on dénote

par exemple les mécanismes d’évaluation et de récompenses (ex. possibilité de

promotion rapide, actionnariat, fortes primes, management par objectifs), les valeurs

organisationnelles (ex. qualité totale, excellence) et la charge de travail (pression au

travail pour un très grand rendement, objectifs professionnels élevés). Ainsi, diverses

pratiques managériales et de gestion des ressources humaines concourent à soutenir

cette culture de l’excellence en reconnaissant et récompensant l’excellence au travail

sous toutes ses formes (Aubert et de Gaulejac, 1991).

S’inscrivant directement dans ce courant de la sociologie clinique, les travaux de

Dujarier (2006) ont aussi montré par quel processus les entreprises parviennent à

instaurer la normalisation de « l’idéal au travail », marqué par le déni de limites dans

les organisations. Cette proposition d’un idéal au travail donne à croire aux salariés et

salariées que « l’idéal » est possible, ce qui les pousse à tout faire pour rencontrer des

objectifs pourtant presque inatteignables ou, s’ils n’y parviennent pas, à taire et à

dissimuler les problèmes rencontrés. Car, dans cette mise en avant de « l’idéal au

travail » selon Dujarier (2006), la contestation n’est pas possible même si,

paradoxalement, un idéal est par définition inatteignable puisqu’il consiste en une

image magnifiée de ce qui serait le mieux.

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114

L’emprise de l’excellence et les conduites d’hypertravail

Comme nous l’avons dit, cette culture de l’excellence est favorable à un

surinvestissement au travail en raison de « l’idéal du moi » magnifié qu’il entretient.

Les dispositifs organisationnels visant à soutenir l’excellence au travail, mis en

relation avec l’idéal du moi projeté et aiguisé par diverses tactiques managériales

peuvent, au fur et à mesure que se développe la relation d’emploi, concourir au

développement de conduites d’hypertravail.

De fait, pour maintenir cette image idéalisée du moi, les individus peuvent adopter

des conduites adaptatives et défensives. Ces conduites adaptatives et défensives

s’articulent alors autour de la recherche de l’excellence au travail, du désir de

promotion (et de s’élever de plus en plus dans l’organisation), mais sont aussi

soutenues par des angoisses telles que la peur d’échouer, de ne plus être reconnu.

Elles sont renforcées par un ensemble de dispositifs organisationnels explicites, par

exemple la mise en évidence de valeurs de performance et d’excellence, mais aussi

implicites, plutôt de l’ordre du « non-dit » et des sous-entendus, tels que le sentiment

de « devoir en faire toujours plus » (Aubert et de Gaulejac, 1991). Peu à peu, par le

« maniement habile de l’imaginaire » des sujets par les organisations, ceux-ci en

viennent à s’identifier aux idéaux organisationnels et à rechercher, à travers les

opportunités offertes par l’organisation et plus globalement par le travail, le

dépassement continuel de soi, associé alors à un certain activisme (Aubert, 2008 ;

Aubert et de Gaulejac, 1991 ; Périlleux, 2001).

Synthèse à propos des apports du modèle managinaire pour comprendre le

développement des conduites d’hypertravail

Le modèle du système psychique organisationnel apporte un éclairage sur les

processus psycho-organisationnel qui, entre le sujet et l’organisation, soutiennent la

construction des conduites d’hypertravail. Nous retiendrons, pour les fins de notre

recherche, deux apports principaux. D’abord, le système psychique organisationnel

apporte un éclairage sur le rôle implicite de l’organisation dans les conduites

d’hypertravail. Il nous renseigne sur la façon dont certains dispositifs

Page 136: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

115

organisationnels (par ex. mécanismes d’évaluation et de récompenses) peuvent

influencer la psychologie des individus pour les amener à s’investir plus fortement

vis-à-vis de l’atteinte des objectifs de l’organisation. Il met en exergue le rôle joué par

les idéologies prônées par les entreprises, qui font souvent appel aux valeurs, aux

sentiments et aux idéaux personnels des travailleurs et travailleuses, de même que les

principaux éléments qui révèlent une structure sociale organisationnelle propice à

susciter des conduites d’hypertravail, tels que la culture de l’excellence et le

sentiment de devoir en faire toujours plus. Autrement dit, ce modèle permet de mieux

comprendre les aspects idéologiques qui peuvent être à la source de cette conduite,

dans un contexte où l’organisation devient « productrice » d’idéologie. Ensuite, ce

modèle nous amène à poser un regard systémique et de réciprocité sur les aspects

individuels et organisationnels associés aux conduites d’hypertravail, et ce, depuis le

début de la relation développée entre le sujet et l’organisation. Il propose de fait une

explication processuelle et systémique des mécanismes qui, entre l’individu et

l’organisation, favorisent le développement de ces conduites au fil du temps.

Si, à l’instar d’Aubert et de Gaulejac (1991) nous considérons que « tout » ne se joue

pas dans le travail pour comprendre le développement des conduites d’hypertravail, la

prise en compte des appartenances multiples du sujet, qui correspondent à autant de

milieux sociaux et de sphères d’activités (ex. amis, famille, loisirs dans lequel il

s’investit, doivent être mieux intégrés à notre effort de compréhension. C’est de fait

de manière très concrète que le développement des conduites d’hypertravail pose la

question des liens entre activités professionnelles et activités développées par les

sujets dans leurs autres domaines de vie (vie familiale, sociale, personnelle et de

loisirs). Le problème de l’allocation des ressources temporelles entre ces différents

registres d’activités et du maintien d’un « équilibre de vie » apparaît en effet souvent

comme l’enjeu premier et la principale pierre d’achoppement du développement des

conduites d’hypertravail (Wharton et Blair-Loy, 2006). Ces modèles prennent ainsi

peu en compte les sphères de vie hors-travail et la manière dont les activités,

expériences et projets développés dans les autres sphères de vie agissent comme

conditions facilitantes ou contraignantes dans le développement des conduites

d’investissement intensif au travail.

Page 137: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

116

Également, il nous apparaît essentiel de dépasser cette centration de l’analyse sur la

relation qui a été développée entre un sujet et une organisation, dans une relation

d’emploi donnée, d’autant plus que ces travailleurs et travailleuses connaissent pour

plusieurs une forte mobilité professionnelle et sont souvent accolés aux « carrières

nomades » (Tremblay, 2003b; Veilleux, 2006). La forte implication au travail, nous

semble-t-il, a alors d’autres pistes d’explication que la « capture de l’imaginaire » des

sujets par l’organisation. Malgré les dispositifs organisationnels et les messages

portés par les organisations en vue de susciter la recherche de l’excellence et

l’engagement subjectif au travail, l’écho de ces messages auprès des salariés et

salariées peut être relativisé dans un contexte marqué par la mobilité et les

bifurcations professionnelles, par les transformations rapides et radicales des

organisations (via les fusions d’entreprises par exemple), par la normalité que

constitue aujourd’hui l’incertitude des trajectoires professionnelles et sociales

(Palmade, 2003).

C’est pour dépasser ces limites que nous intégrerons le modèle du Système des

Activités à notre cadre théorique. Nous préciserons maintenant les fondements de ce

modèle et la manière particulière dont celui-ci contribue à éclairer les processus sous-

jacents à la construction des conduites d’hypertravail.

3.2.2 Le développement des conduites d’hypertravail à l’aune de

l’articulation de l’ensemble des sphères de vie : regard sur le modèle

du Système des Activités

Si nous reconnaissons l’importance de considérer les liens entre l’individu et

l’organisation, il importe également d’éclairer la genèse de cette conduite

d’hypertravail et de la replacer dans une compréhension dynamique du déroulement

de la vie professionnelle en prenant en compte les temporalités biographiques (les

événements passés, la situation présente et les projets anticipés) et de retracer la

succession et les évolutions de ces différents contextes. Est-ce que des événements

particuliers vécus au cours du parcours professionnel ont pu participer au

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117

développement de cette conduite ? Est-ce que certains cheminements individuels

particuliers sont rattachés à ces conduites?

Par ailleurs, bien que nous reconnaissons l’attention particulière qui doit être

accordée à la sphère du travail dans la problématique qui nous occupe, nous insistons

cependant sur l’importance de mettre en relation la vie au travail avec la vie hors-

travail, dont la vie familiale (ex. rôles de parent et de conjoint), la vie sociale (ex.

participation à des réseaux d’amis, engagement citoyen) et la vie personnelle (ex.

détente, voyages, loisirs). Pour autant, cette mise en relation ne doit pas être conçue

comme un lien de cause à effet – comme certains chercheurs l’ont soutenu (cf.

Chapitre 2), par exemple à l’effet qu’un faible intérêt envers les loisirs est la cause

d’un fort investissement dans le travail – mais plutôt en termes d’interaction,

permettant de penser l’influence réciproque d’une sphère sur l’autre (de la vie au

travail vers la vie hors-travail et vice-versa). De ce point de vue, la vie hors-travail et

les activités non professionnelles ne se résument pas aux seules activités familiales et

de loisirs, mais doivent être considérées plus largement au regard de la diversité des

sphères de vie – irréductible à une dichotomie travail/hors-travail – et en fonction de

la signification et de l’importance accordée à chacune d’elle par les individus.

Comment la personne signifie-t-elle ce fort investissement dans la sphère

professionnelle au regard de ses investissements dans les autres sphères de vie ? De

quelles manières les autres sphères de vie contribuent-elles ou font-elles obstacle au

développement et au maintien d’une telle conduite ?

Attaché à rendre compte de la diversité des inscriptions sociales des sujets, le modèle

théorique d’une socialisation plurielle, qui est développé dans le Laboratoire

Personnalisation et Changements Sociaux (Almudever, Croity-Belz et Hajjar, 1999 ;

Baubion-Broye et coll., 1989 ; Baubion-Broye et coll., 1998 ; Curie et Hajjar, 1987 ;

Curie et Dupuy, 2000 ; le Blanc, Dupuy et Rossi, 2000) soutient la conception d’une

approche systémique (en prenant en compte l’ensemble des sphères de vie) et

biographique (à partir des temporalités passé / présent / futur) des conduites au

travail. Comme nous l’avons évoqué, l’idée qu’il est utile de « sortir » du travail pour

comprendre les conduites au travail semble s’imposer dans ce champ de recherche

Page 139: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

118

avec plus d’évidence que dans d’autres. Pour autant, c’est la plupart du temps dans

les termes très réducteurs d’une dichotomie travail/hors-travail, ou encore

famille/travail qu’est envisagée la question de la régulation, par la personne, de ses

différents engagements en différentes sphères d’activités.

Dans cette section, nous présenterons le modèle du Système des Activités et sa

contribution à notre objet d’étude. Nous préciserons d’emblée les principaux éléments

théoriques qui soutiennent ce modèle en expliquant pourquoi, parce qu’elle est

« plurielle », la socialisation est aussi active et que par conséquent, il est possible,

pour les sujets, d’exercer leur subjectivité et « d’agir » sur la socialisation. Nous

exposerons ensuite le fonctionnement du modèle, qui distingue différents sous-

systèmes d’activités et met l’accent sur l’étude des échanges instaurés par les sujets

entre ces différents sous-systèmes pour nous aider à comprendre le développement

des conduites d’hypertravail. Nous évoquerons enfin en quoi le surinvestissement au

travail menace les possibilités de personnalisation pour les sujets.

La personnalisation et l’interstructuration des conduites d’hypertravail :

l’importance de prendre en compte l’ensemble des sphères de vie et les

temporalités

Comme pour la sociologie clinique, la psychologie sociale développementale soutient

que le sujet n’est pas complètement déterminé par le poids de la socialisation et qu’il

peut exercer sa subjectivité. Ainsi, « penser la socialisation en psychologie », pour

reprendre le titre du récent ouvrage dirigé par Baubion-Broye, Dupuy et Prêteur

(2013), amène ici aussi à s’interroger sur l’espace subjectif et l’exercice de la

subjectivité dans un monde social fortement déterminé. Si nous pouvons aisément

convenir que les conduites humaines sont largement orientées par la culture et les

principaux lieux de socialisation que sont la famille, l’école et le travail, nous

pouvons aussi convenir que les conduites humaines visent aussi à se dégager et à se

déprendre de certaines contraintes sociales, par exemple lorsque celles-ci entrent en

contradictions et semblent insoutenables (Malrieu, 2003). Pour Malrieu, la

socialisation, parce qu’elle est plurielle, est aussi active. Le sujet, parce qu’il se

socialise en une pluralité de groupes et de milieux, se trouve confronté à une diversité

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119

de modèles, normes et valeurs parfois dissonants ou contradictoires. Ces dissonances

et contradictions appellent un véritable « travail de sujet » pour dépasser les conflits

liés à ces différentes appartenances sociales et pour construire son unité malgré – et à

partir de – cette hétérogénéité. Ainsi, les conduites dans une sphère de vie prennent

sens dans les liens qu’elles entretiennent avec des conduites développées en d’autres

sphères de vie.

Malrieu forge le concept de « personnalisation » pour désigner le processus à travers

lequel le sujet cherche « le sens de son existence par rapport aux pressions

divergentes et aux opportunités concurrentes de ses milieux de vie qui se recoupent

en lui » (Curie, 2000, p. 208). Le sujet se personnalise ainsi à travers sa participation

active – en lien avec autrui – à la transformation de ses milieux de vie pour dépasser

leurs contradictions ou les obstacles qu’ils opposent à l’actualisation et au

développement de ses potentialités propres. L’actualisation et le développement d’un

pouvoir d’agir collectif, nourris eux aussi par cette hétérogénéité, en est un exemple.

Comme le souligne Guichard (2004), la question du sens – de la construction du sens

– est importante dans la personnalisation : « elle consiste en l’organisation par

l’individu de ses comportements, à partir des motifs qu’il élabore, au travers des

relations interpersonnelles et dans la construction d’un système de représentations »

(Guichard, 2004, p. 175). Ces motifs, il les élabore en fonction, nous l’avons vu, de

ses inscriptions sociales multiples, mais aussi à partir d’une pluralité de temps de

socialisation ; à partir des événements passés mais aussi des anticipations d’avenir, de

ce qu’il croit possible d’atteindre pour son avenir. Les temporalités – à travers la

signification allouée aux événements passés et anticipés et mis en parallèle avec le

présent – apparaissent donc également essentielles pour appréhender les actes de

l’individu et chercher à expliquer ses conduites (Malrieu, 1986).

Autrement dit, le modèle de socialisation proposé ici est celui d’une socialisation à

double face : les processus d’acculturation (d’apprentissage et de conformité aux

normes et modèles en vigueur dans un milieu donné) se doublent, du fait de la

pluralité des milieux de socialisation et de leurs contradictions, de processus de

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120

personnalisation qui sont, selon Malrieu (2003), une réponse à la question

fondamentale de « comment on se fait soi », comment on se construit comme sujet.

Tout comme pour la sociologie clinique, les affects jouent un rôle central dans ce

processus de personnalisation (Malrieu, 2003). Guichard (2004) rappelle que dans le

processus visant à se faire soi, quatre moments charnières sont importants selon cette

théorie de la socialisation. Au point de départ, ce sont des événements marquants qui,

soulevant des affects positifs ou négatifs, viennent déclencher le processus. Joie ou

tristesse, colère ou choc amènent dans un deuxième temps l’individu à chercher

comment dépasser ces affects, pour « édifier » son caractère et s’affirmer. Au

troisième moment surviennent des projections, des mises en perspective de

possibilités d’avenir, selon les représentations du sujet et des possibilités offertes par

le milieu. Enfin, la perception qu’a l’individu de la façon dont les autres perçoivent et

donnent du sens à ses projets est importante et constitue le dernier moment charnière

de ce processus.

C’est ainsi au regard de processus d’intersignification des conduites par lesquels « le

sujet donne sens à chacune de ses activités, et devient personne, en l’extrayant de son

domaine d’origine, en la référant à un ou à plusieurs autres domaines, au sein

desquels elle est tour à tour désignifiée et resignifiée » (Malrieu, 2003, p.67) que les

conduites d’hypertravail sont susceptibles de prendre des sens très différents selon les

sujets. Plus précisément, l’intersignification des conduites renvoie à un travail de

construction de sens par l’individu, qui établit des liens entre ses différents domaines

de vie (Almudever, le Blanc et Hajjar, 2013). L’hypertravail peut ainsi prendre le

sens d’une « compensation » au regard d’une vie sociale peu développée, d’un

« obstacle » au développement d’une vie personnelle et de loisirs stimulante, d’un

« moyen » pour atteindre des objectifs familiaux ou professionnels ou, à l’inverse,

d’une « menace » pour atteindre de tels objectifs. Il peut enfin prendre le sens d’une

« norme » imposée et/ou co-construite dans le collectif de travail, qui réfère alors

plutôt à une forme de conduite défensive.

La question de la construction du sens des conduites appelle également à saisir

l’articulation des différents temps de la socialisation des sujets et suppose l’étude des

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121

liens établis par ces sujets entre passé, présent et avenir pour comprendre les

conduites d’hypertravail. Nous verrons que ces liens faits par le sujet entre les

temporalités participent aussi à l’intersignification des conduites, un système

notamment élaboré en fonction des valeurs et des objectifs que ce dernier poursuit

dans ses diverses sphères de vie et de leur évolution tout au long de son parcours

(Baubion-Broye et Hajjar, 1998).

Nous nous attarderons maintenant à présenter les implications méthodologiques et

pratiques de ce modèle pour parvenir à faire une analyse « systémique » du

développement des conduites d’hypertravail.

Le fonctionnement du Système des Activités : appréhender le développement

d’un Système des Activités fondé sur l’hypertravail

Au-delà des implications théoriques d’une socialisation plurielle et active, la manière

dont nous pouvons appréhender le développement des conduites d’hypertravail à

partir de cette perspective sera ici exposée.

Ce modèle du Système des Activités repose sur le postulat selon lequel « les activités

accomplies (ou projetées) par les sujets dans les milieux et temps de leur socialisation

forment « système » (Baubion-Broye et Hajjar, 1998, p. 38). Ce système est composé

de différents sous-systèmes (ex. professionnel, familial, social) qui sont relativement

autonomes et interdépendants (Baubion-Broye et Hajjar, 1998 ; Curie et Hajjar,

1987). Ils sont autonomes dans la mesure où chaque sous-système (ou sphère

d’activités) a ses propres objectifs à atteindre, ses propres contraintes et ressources, et

qu’il est possible de réguler et de contrôler selon ses propres modalités. Les activités

d’un sous-système sont ainsi coordonnées et régulées par un « modèle d’action » qui

préside à la hiérarchisation des buts que le sujet poursuit dans cette sphère d’activités

et à l’organisation – dans le temps – de ses objectifs et des moyens privilégiés pour

les atteindre. Par exemple, un travailleur qui vise à être promu à un poste plus élevé

dans l’organisation pourra y parvenir en utilisant divers moyens rattachés à la sphère

de vie professionnelle (et donc au sous-système en question), notamment en

Page 143: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

122

développant de nouvelles compétences, en suivant une formation ou en encore en

investissant de longues heures au travail.

Ce « modèle d’action » de la sphère professionnelle peut se transformer et se

restructurer sous le poids de contraintes extérieures ou suite à des changements dans

les activités réalisées ou projetées par celui-ci (Baubion-Broye et Hajjar, 1998).

Ainsi, les événements, les étapes charnières et les transitions vécus dans le parcours

professionnel, depuis la fin des études, peuvent venir bouleverser ce modèle. Par

conséquent, ces moments sont propices pour saisir les « évolutions » du modèle

d’action et ainsi mieux comprendre le développement des conduites d’hypertravail.

En effet, ces moments charnières peuvent venir ébranler les priorités et les objectifs

poursuivis dans cette sphère et amener le sujet à les redéfinir. Par exemple,

l’obtention d’un nouveau poste plus qualifié peut renforcer l’importance que le sujet

accorde au développement de sa carrière et la valeur qu’il accorde à ce projet

professionnel. De fait, dans ce sous-système, les objectifs poursuivis et les moyens

privilégiés pour les atteindre dépendront aussi de la valeur que le sujet accorde à ces

objectifs (ex. obtenir une promotion) et à ces moyens (ex. investir de longues heures

au travail, reprendre une formation). Ces valeurs attribuées par le sujet structureront

la hiérarchisation et l’organisation dans le temps de ces objectifs et de ces moyens

(Baubion-Broye et Hajjar, 1998).

S’ils sont autonomes, les sous-systèmes sont aussi interdépendants : l’individu peut

établir des échanges entre ses différentes sphères d’activités ou différents sous-

systèmes, que ce soit des échanges motivationnels, informationnels ou matériels

(Baubion-Broye et Hajjar, 1998). Autrement dit, chacun des sous-systèmes peut offrir

des ressources ou poser des contraintes au fonctionnement des autres sous-systèmes.

Par exemple, le sous-système familial peut tout autant constituer une ressource

qu’une contrainte pour le fonctionnement du sous-système professionnel. Pour

reprendre notre exemple du travailleur cherchant à obtenir une promotion en raison

de la valeur qu’il accorde au développement de sa carrière, il pourra solliciter et

obtenir du soutien de sa famille pour atteindre cet objectif s’il choisit, par exemple,

d’investir plus de temps à ses activités professionnelles. Ces rapports entretenus entre

Page 144: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

123

les différentes sphères d’activités du sujet dépendent, ici aussi, des valeurs et des

significations que le sujet accorde à ces différentes activités et sont régulés par une

instance de contrôle plus large appelée « modèle de vie ».

Le modèle de vie prend ainsi en compte la hiérarchie des valeurs que le sujet accorde

à chacun de ses domaines de vie, ce qu’il fera à partir des représentations de soi et de

la manière dont son environnement est structuré (ex. réseaux) (Baubion-Broye et

Hajjar, 1998 ; Curie et Hajjar, 2000). Il a plusieurs fonctions : 1- intégrer les divers

modèles d’action spécifiques à chaque sphère de vie. Pour y parvenir, le sujet doit

évaluer ce qui est compatible et ce qui est incompatible ou contradictoire dans

l’articulation de ses objectifs et activités dans l’ensemble de ses sphères de vie ; 2-

sélectionner et hiérarchiser – voire réviser et différer – les objectifs poursuivis dans

l’ensemble des sphères de vie lorsque le sujet fait face à ces incompatibilités et

contradictions; enfin, 3- gérer et coordonner les échanges entre les différentes sphères

de vie. La personne peut, par exemple, activer ces échanges pour mobiliser des

ressources dans divers domaines de vie afin de surmonter une épreuve dans la sphère

professionnelle ou, à l’inverse, inhiber les échanges et les transferts, cloisonner les

domaines de vie de façon à limiter la diffusion des perturbations liées à la sphère

professionnelle.

Le « bon » fonctionnement du Système des Activités dépend de certaines conditions,

tel que la capacité d’établir des échanges entre ses sphères de vie et de se projeter

dans l’avenir. Nous verrons maintenant brièvement dans quels cas le

surinvestissement au travail menace les possibilités de personnalisation du sujet.

La personnalisation et le surinvestissement au travail

Mègemont et Dupuy (2013) ont récemment soulevé à quel point les nouvelles formes

de rapport au temps auxquelles se trouvent aujourd’hui confrontés les travailleurs et

travailleuses, dont la durée excessive du travail et le chevauchement des espaces de

vie au travail et hors-travail, menacent les possibilités de personnalisation. De fait, les

auteurs rappellent que la personnalisation est tributaire, pour le sujet, de la possibilité

d’opérer des échanges entre ses différents domaines de vie, de même que de la

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124

possibilité d’inscrire ses conduites professionnelles dans l’ensemble des temporalités

passé-présent-futur. Or, le surinvestissement du domaine professionnel, parce qu’il

traduit un investissement temporel et spatial centré autour du travail et du temps

présent, peut porter atteinte à la construction du sens de ses conduites et à la

personnalisation (Mègement et Dupuy, 2013).

Sans prétendre que les conduites d’hypertravail annulent toute possibilité de

personnalisation, il demeure néanmoins primordial de porter une attention particulière

à la capacité (ou non) du sujet à réguler les échanges entre ses sphères d’activités, à

les signifier les unes par rapport aux autres, à les inscrire dans des perspectives

temporelles articulées alors même qu’il est fortement investi dans sa sphère

professionnelle et pris à réaliser ses objectifs de travail à très court terme. C’est ce

que nous ferons dans cette thèse.

Synthèse à propos des apports du Système des Activités pour comprendre le

développement des conduites d’hypertravail

Au final, si le modèle du système psychique organisationnel « managinaire » ne nie

pas l’importance des autres sphères de vie et de l’histoire individuelle pour le sujet,

c’est le Système des Activités qui nous aide à appréhender, plus concrètement, les

mécanismes qui concourent, du point de vue du sujet, à l’organisation de ses

expériences sociales et à l’intersignification des conduites, permettant de mieux

comprendre l’étiologie et le sens d’un investissement marqué dans la sphère du

travail. De fait, ce modèle porte une attention particulière aux appartenances sociales

multiples et aux événements passés vécus par le sujet à partir desquelles prennent

sources et prennent sens les conduites d’hypertravail. Autrement dit, il nous amène

plus précisément à appréhender les processus de délibérations et de significations des

conduites d’hypertravail au regard des autres sphères de vie du sujet et au cours des

événements qui ponctuent son parcours, tout en accordant une importance aux

différents éléments organisationnels perçus. Par ailleurs, ce modèle nous amène aussi

à nous attarder aux relations interindividuelles développées au sein du collectif de

travail et avec des personnes significatives de la vie hors-travail pour analyser le

développement des conduites d’hypertravail. De fait, la prise en compte des différents

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125

milieux de vie du sujet et de la façon dont ceux-ci font pression sur lui et se recoupent

en lui compte parmi les éléments centraux de ce modèle, pour saisir les formes de

socialisation et les possibilités de personnalisation dans le développement des

conduites d’hypertravail.

La présentation de ces deux modèles systémiques a permis de jeter les bases

théoriques de notre approche des processus de socialisation, de subjectivation et de

personnalisation pour étudier le développement des conduites d’hypertravail. Ce

cadre théorique nous permettra d’approfondir une question importante soulevée par

Golden (2009), celle visant à distinguer plus finement ce qui relève de la volonté

individuelle de ce qui relève du processus de socialisation organisationnelle et des

déterminismes sociaux dans l’adoption de telles conduites d’hypertravail.

3.3 Une approche multidimensionnelle

De façon à articuler ce regard diachronique et synchronique, nous avons développé

une grille d’analyse opérationnelle qui permet d’appréhender plusieurs niveaux

d’explication de l’hypertravail de façon à prendre en compte les multiples facettes

impliquées dans le développement de ces conduites, c’est-à-dire à partir du point de

vue du sujet mais tout en tenant compte de ses différents milieux (organisation,

collectif de travail, famille, etc.). Cette section rend compte des aspects opérationnels

de notre recherche et de notre ambition à articuler différents niveaux d’explication

des conduites d’hypertravail. Nous le ferons en référence à la distinction opérée par

Doise (1982) de quatre niveaux d’explication en psychologie sociale – à savoir les

niveaux intra-individuel, interindividuel, positionnel et idéologique – auxquels, pour

le sujet qui nous occupe, nous ajouterons celui de la tâche et de l’organisation du

travail. Nous croyons, à l’instar de Perret-Clermont (2004), que le modèle de Doise

(1982) « pour penser l’articulation de l’individu et du collectif » est pertinent pour

« aborder la complexité des processus socio-cognitifs dans une approche non

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126

réductionniste, et invite par là même à articuler plus avant des savoirs issus de

traditions scientifiques différentes » (Perret-Clermont, 2004, p. 94). Ainsi, au-delà

des aspects individuels et organisationnels qui entrent en jeu dans l’adoption des

conduites d’hypertravail, cette approche multidimensionnelle nous invite à en saisir

l’ancrage, aussi, dans des relations interpersonnelles, des dynamiques groupales et

des rapports positionnels.

Nous présenterons dans cette section comment ces multiples niveaux seront pris en

compte dans notre démarche d’analyse multidimensionnelle. Nous définirons ces

niveaux et préciserons pour chacun d’eux quels sont, dans les travaux relatifs aux

conduites d’hypertravail, les facteurs qui apparaissent comme les plus importants

dans l’adoption de ce type de conduite. La figure 4 permet d’en donner un aperçu

synthétique. Au regard de notre positionnement théorique, nous croiserons cette

approche multidimensionnelle avec une lecture synchronique et diachronique de

l’intersignification des conduites des sujets et au regard de la relation qui s’est

développée entre le sujet et son organisation actuelle.

Page 148: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

127

Figure 4: Grille d'analyse multidimensionnelle des conduites d'hypertravail

Environnements

3.3.1 Facteurs du niveau intra-individuel

Le premier niveau d’analyse distingué par Doise (1982), le niveau intra-individuel,

concerne les processus psychologiques qui permettent « de rendre compte de la

manière dont l’individu organise son expérience de l’environnement social » (p. 11).

Comme le souligne Perret-Clermont (2004), ce niveau présente l’intérêt de saisir les

changements de mentalité, la manière dont la personne interprète les événements

vécus dans sa vie, mais aussi de voir comment elle mobilise ou non ses

Organisation du travail (5e niv.) -n Charge de travail et fonctions -o Flexibilité et autonomie décisionnelle

-p Dispositif d’évaluation et de

récompenses

Interindividuel (2e niv.) -f Qualité des relations professionnelles

-g Qualité des relations extra-

professionnelles.

-h Soutien social professionnel et

extra-prof

Positionnel (3e niveau) -i Attentes du milieu professionnel à l’égard du rôle professionnel

-j Attentes des milieux extra-

professionnels à l’égard des rôles

prof. et extra-prof.

Intra-individuel (1er niv.) -a Parcours et événements

-b Rapport au travail (sens et centralité du travail)

-c Satisfaction professionnelle

relative -d Projets professionnels

-e Projets personnels

Idéologique (4e niveau) -k Normes et règles en matière

d’implication organisationnelle -l Philosophie et valeurs org.

-m Normes sociales en matière

d’implication (soc. et proches)

Individus

Conduite

d’hypertravail et

significations

attribuées

Niv

eaux

d’an

alyse

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128

apprentissages. À ce niveau d’analyse, il conviendra d’accorder une importance

cruciale à la période d’engagement de la personne dans cette conduite d’hypertravail

de façon à examiner les questionnements, les réflexions, les hésitations, les choix et

les stratégies qui sous-tendent leur adoption. Ainsi, le passage soudain ou progressif à

ce rythme de temps de travail a pu entraîner un bouleversement dans le système des

activités tel qu’il était jusqu’alors organisé par la personne. Dans ce cas, une

réorganisation de ce système a pu s’imposer, associée à une re-signification des

investissements du sujet dans ses différentes sphères de vie. Dans l’éventualité où une

augmentation du temps consacré au travail était prévisible (par ex. en acceptant une

promotion comportant d’importantes responsabilités), ce sont aussi des processus

d’anticipation des modes de régulation qu’il est important ici d’interroger.

Cinq facteurs apparaissent déterminants à ce niveau.

a) Le parcours professionnel et les événements marquants de ce parcours

La problématique de recherche a permis d’identifier que très peu d’études se sont

intéressées aux antécédents à l’adoption des conduites d’hypertravail et plus

spécifiquement à l’enchaînement des événements, des choix et des contextes qui ont

pu y mener. Quelques-unes ont toutefois montré que des parcours-types peuvent

favoriser l’adoption de ce type de conduites. Ainsi, ces conduites apparaissent

généralement au cœur d’un parcours professionnel ponctué de promotions et de

succès (Blair-Loy, 2004). Le basculement dans l’hypertravail peut alors coïncider

avec l’obtention d’un emploi qui requiert de nouvelles responsabilités ou, encore,

avec l’insertion dans une organisation « prestigieuse » (Devetter, 2008). L’entrée

dans une profession où cette conduite est fréquente, voire normalisée (Devetter, 2008

; Maranda et al., 2009), peut aussi favoriser l’adoption d’une telle conduite dès le

moment des études ou le début de la vie professionnelle.

b) Le sens du travail et l’évolution du rapport au travail au cours du parcours

professionnel

L’évolution du sens et de l’importance accordés au travail au cours de la vie

professionnelle apparaît comme un facteur important pour comprendre le

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129

développement des conduites d’hypertravail. Nous savons que la signification

accordée au travail a tendance à se modifier au cours de la vie. Par exemple, les

jeunes de 25 à 35 ans sans enfant seraient plus nombreux à considérer le travail

comme une source importante de réalisation de soi, alors que les travailleurs et

travailleuses de 35 à 49 ans considèreraient davantage le travail comme une finalité

économique (Mercure et Vultur, 2010). L’importance du travail (de manière absolue

ou relative aux autres sphères de vie) a aussi tendance à varier au cours de la vie. On

peut supposer que l’évolution de ce rapport au travail peut être liée au temps consacré

à la vie professionnelle. L’étude de Heisz et Larochelle Côté (2006) montre

d’ailleurs que le temps consacré au travail, au cours du parcours professionnel et en

fonction du cycle de vie, a tendance à varier pour les travailleurs et travailleuses qui

ont des horaires de travail « surchargés ». De fait, les deux tiers d’entre eux qui

avaient un horaire surchargé en 1997 avaient diminué leur temps de travail en 2001 et

avaient un horaire à temps plein régulier ou à temps partiel.

À ce niveau d’explication centré sur l’individu, la prise en compte du rapport au

travail est essentielle pour nous aider à comprendre les processus par lesquels se

construisent les conduites d’hypertravail. La centralité du travail de même que les

fonctions ou significations que revêtent cette sphère d’activité méritent d’être

investiguées. La définition que donne l’individu au travail et la valeur qu’il lui

attribue sont des aspects essentiels pour cerner le rapport au travail. À l’instar de

Mercure et Vultur (2010), la centralité du travail peut être appréhendée en considérant

soit la valeur absolue du travail, pour investiguer jusqu’à quel point le travail est une

valeur importante dans la vie, soit la valeur relative du travail, c’est-à-dire la place

que le travail occupe par rapport aux autres sphères de vie (familiale, personnelle et

sociale).

Il importe aussi de saisir l’intention ou le but personnel associé au travail, c’est-à-dire

les raisons pour lesquelles un individu travaille. Morin (1996) distingue deux

« fonctions » principales du travail. La première, la fonction « expressive », est celle

où le travail est signifié comme étant une source principale de développement, de

réalisation et de satisfaction personnelles (par ex. le travail comme une activité

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130

intrinsèquement satisfaisante ou encore comme une source d’expériences

relationnelles satisfaisantes). Quant à la seconde, la fonction « utilitaire », il s’agit du

travail qui est signifié essentiellement par rapport au revenu qu’il procure ou à

l’obligation sociale qui s’y rattache. Selon Morin (1996), le rapport au travail doit

aussi tenir compte de la « cohérence du travail », qu’elle définit comme un effet de

cohérence ente le sujet et le travail qu’il accomplit, le degré d’harmonie ou

d’équilibre qu’il atteint dans sa relation avec le travail. Le travail réalisé doit ainsi

faire du sens pour l’individu : il doit permettre de se sentir utile et de contribuer à la

société de façon responsable, il doit permettre d’exercer son jugement et sa créativité,

il doit permettre d’avoir du plaisir (travailler avec ses compétences et les développer),

il doit permettre de développer des relations humaines satisfaisantes et saines. Le

travail doit se réaliser dans un contexte qui respecte les valeurs de justice, d’équité et

de dignité (Morin, 2008).

De manière peu surprenante, les études révèlent que le travail est important pour les

personnes qui consacrent de longues heures à leurs activités professionnelles (Brett et

Stroh, 2003 ; Hewlett et Luce, 2006). Selon l’étude menée par Ng et Feldman (2008),

c’est la centralité que revêt le travail pour se définir comme personne qui expliquerait

la préférence des individus à s’investir fortement dans le travail plutôt que dans

d’autres sphères de vie. De manière un peu différente, une étude réalisée au Japon a

montré à quel point la « validation de soi » (self-validation), dans un contexte où la

pression sociale à se dévouer au travail est très forte et « attendue », n’est possible

qu’en mettant le développement de sa carrière au centre de sa vie (career-centered) et

en conférant au travail une valeur centrale (Ishiyama et Kitayama, 1994).

c) La satisfaction professionnelle relative

Il est également reconnu que, pour les travailleurs et travailleuses qualifiés, la sphère

professionnelle offrirait maintes possibilités de réalisation et d’expression de soi. La

satisfaction serait alors grande envers la vie professionnelle puisqu’elle offrirait

plusieurs avantages intrinsèques, telles qu’une forte estime de soi et le développement

de compétences personnelles et professionnelles (Brett et Stroh, 2003 ; Burke et

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131

Fiksenbaum, 2009 ; Hewlett et Luce, 2006). La vie familiale, et plus largement la vie

personnelle, n’offrirait pas de sources de satisfaction aussi grande pour certains

travailleurs (Ng et Feldman, 2008). Au point que, malgré la forte satisfaction

ressentie à l’égard de la vie hors-travail, les travailleurs et travailleuses très satisfaits

de leur vie professionnelle et qui consacrent de longues heures au travail ne

souhaiteraient pas pour autant réduire leur nombre d’heures de travail (Ng et

Feldman, 2008). Autrement dit, les individus qui éprouvent une forte satisfaction

envers l’occupation de rôles familiaux et personnels choisiraient de maintenir tout de

même leur fort investissement dans la sphère du travail lorsque celle-ci est jugée très

satisfaisante. Le sentiment de parvenir à remplir adéquatement les rôles extra-

professionnels dans lesquels les individus se sont engagés contribuerait à maintenir

cet investissement au travail. Selon Valcourt (2007), le fait de profiter de mesures

permettant de concilier plus aisément la vie professionnelle avec la vie personnelle

(par exemple, avoir le contrôle de son horaire de travail) permettrait de maintenir une

forte satisfaction vis-à-vis de l’équilibre travail-vie personnelle (et des objectifs

atteints dans ces deux sphères de vie), et ce, malgré le fait de travailler de longues

heures. D’autres études font état d’une baisse de satisfaction à l’égard de la vie hors-

travail lorsque les individus consacrent de longues heures à leurs activités

professionnelles (Grosch, Caruso, Rosa et Sauter, 2006). Cette insatisfaction serait

notamment attribuable aux difficultés que ces derniers éprouvent à concilier le travail

avec la vie personnelle, et plus particulièrement avec la famille, envers laquelle ils

considèrent avoir moins de temps à consacrer en raison des activités de travail

(Grosch et al., 2006). La réduction des engagements pris dans la vie hors-travail,

parmi lesquels sont particulièrement touchés les engagements citoyens et bénévoles

ainsi que la vie sociale et amicale, pourrait aussi entraîner une insatisfaction à l’égard

de cette vie hors-travail.

d) Rapport à l’avenir professionnel et nature des projets professionnels

Des liens sont observés entre les projets professionnels anticipés et les conduites

d’investissement intensif au travail. De nombreuses études soutiennent que la

recherche de promotions et le désir d’obtenir de nouvelles responsabilités comptent

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132

parmi les principales raisons évoquées par les travailleurs et travailleuses pour

investir beaucoup de temps dans leur vie professionnelle (Burke, 2009 ; Michelacci et

Pijoan-Mas, 2007 cité dans Golden, 2009 ; Reynolds, 2004). À ce propos, plus les

chances d’avancement sont jugées bonnes, plus les travailleurs et travailleuses

consentiraient à investir du temps au travail (Reynolds, 2004). Dans d’autres cas, le

fort investissement au travail peut être une stratégie utilisée pour se maintenir sur le

marché du travail à plus long terme, lorsque la situation d’emploi est incertaine, par

exemple, dans le cas des travailleurs et travailleuses contractuels (Bluestone et Rose,

1998).

e) Rapport à l’avenir personnel : l’articulation des projets personnels avec les projets

professionnels

Au regard des projets personnels envisagés, tels que celui de fonder une famille, le

maintien d’une conduite de fort investissement temporel au travail apparaît, pour

certains, temporaire. Ainsi, même s’ils disent aimer leur travail, certains individus

prévoient modifier ce rythme de temps de travail et réduire le temps consacré à la vie

professionnelle. (Hewlett et Luce, 2006 ; Lee, 2007 ; Reynolds, 2004). Il semble en

effet que la nature des projets et des activités anticipés a une forte influence sur la

manière dont les travailleurs et les travailleuses entrevoient l’allocation du temps

passé au travail (Anxo, Flood et Kocoglu, 2002). Ainsi, on peut supposer que les

travailleurs qui formulent des projets autres que des projets familiaux voient moins de

difficultés à réaliser leurs projets personnels et à articuler ceux-ci avec la vie

professionnelle, malgré les longues heures de travail.

3.3.2 Facteurs du niveau interindividuel

Le deuxième niveau, le niveau interindividuel, nous amène à porter un regard sur les

relations et les interactions entre les individus pour observer de quelles manières ces

relations peuvent influencer la pensée et les conduites des individus ; pour

comprendre comment des relations interindividuelles significatives, d’autorité, de

dépendance ou d’entraide par exemple, interfèrent dans le processus de construction

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133

des conduites d’hypertravail (Doise, 1982). À ce niveau, seront examinées les

relations interindividuelles qu’entretiennent les travailleurs et travailleuses au sein de

la sphère professionnelle (avec les collègues, les supérieurs hiérarchiques, les clients)

et au sein de leurs sphères extra-professionnelles (ex. avec les membres de la famille,

avec les amis). On s’intéressera tout particulièrement aux régulations

interpersonnelles de l’hypertravail en tenant compte de l’ensemble des sphères de vie

(ex. soutien et transfert de tâches entre conjoints). On s’intéressera aussi aux

processus de construction du sens de ces conduites au regard des relations

développées dans l’entourage professionnel et extra-professionnel (ex. qualité et

importance des relations au travail et avec les proches). Trois facteurs sont pris en

compte pour ce niveau d’analyse.

f) La qualité, la nature et l’importance des relations développées dans la sphère

professionnelle

Aucune étude indiquant que la qualité des relations développées dans la sphère

professionnelle est associée au fort investissement temporel au travail n’a été repérée

dans la recension des écrits. Tout de même, selon Hewlett et Luce (2006), les milieux

de travail qui regroupent des personnes qui investissent de longues heures dans leurs

activités professionnelles sont généralement décrits comme étant des lieux de

rencontres agréables, qui permettent de développer des relations amicales avec les

collègues et d’entretenir de bons rapports avec le superviseur. Ce facteur pourrait

ainsi favoriser le maintien prolongé d’un fort investissement au travail.

g) La qualité et l’importance des relations développées dans les sphères de vie hors-travail

En ce qui concerne la qualité des relations entretenues en dehors du travail et les

conduites de fort investissement au travail, les études rendent compte de résultats

nuancés. D’un côté, les difficultés relationnelles vécues dans les sphères de vie

personnelle (principalement avec le conjoint ou la conjointe et la famille) peuvent

amener certaines personnes à travailler plus. Selon Hochschild (1997), le fait de

consacrer de longues heures au travail serait ainsi une réponse à une vie familiale

décevante ou difficile à vivre. La sphère du travail constituerait alors un repère

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134

protecteur face à un environnement familial stressant. Un peu différemment, ce sont

parfois les longues heures de travail qui peuvent entraîner un désengagement

progressif de la sphère de vie familiale (Halbesleben, Harvey et Bolino, 2009), ce qui

affecterait du même coup la qualité des relations avec les membres de la famille. Les

hommes seraient d’ailleurs particulièrement touchés par cette situation (Crouter,

Bumpus, Head et Mchale, 2001).

h) Le soutien social professionnel et extra-professionnel

La recherche menée par Grosch et al. (2006) a montré que le fort investissement

temporel au travail est significativement lié à un environnement social positif au

travail, mesuré par le soutien des collègues et du superviseur. Un peu différemment,

le fort soutien organisationnel perçu augmenterait l’engagement du salarié envers

l’organisation (Coyle-Shapiro et Conway, 2005), ce qui peut favoriser l’augmentation

des heures allouées au travail. Le soutien des proches est également mis en relation

avec les longues heures de travail. Le fait de pouvoir bénéficier du soutien social du

conjoint ou des amis peut contribuer à maintenir un fort investissement temporel au

travail (Blair-Loy, 2003). Ce soutien peut être matériel, par exemple lorsque le

conjoint s’occupe des tâches domestiques, mais il peut être aussi moral et émotionnel,

par exemple dans le cas où les proches viennent appuyer, plutôt que blâmer, les choix

faits en termes d’investissement au travail (Blair-Loy, 2003).

3.3.3 Facteurs du niveau positionnel

Au troisième niveau, le niveau positionnel, ce sont les rôles, les statuts et les positions

occupés, ainsi que les logiques qui les sous-tendent, qui sont placés au centre de

l’analyse (Doise, 1982). Ce sont alors des dynamiques intra et inter-groupes,

« porteuses de représentations sociales et engendrées par elles » (Perret-Clermont,

2004, p. 98) qui sont observées. À ce niveau, on s’intéressera d’abord à la position

occupée par l’individu dans une organisation, au regard des comportements adoptés

par les autres travailleurs et travailleuses qui occupent une position de même niveau

ou de niveau plus élevé, ainsi qu’aux attentes spécifiques qui découlent de cette

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135

position. C’est en outre à travers des comparaisons sociales – interindividuelles et

intergroupes – et des attentes plus ou moins tacites, par exemple des collègues, que

les conduites d’investissement intensif au travail seront signifiées ou non par la

personne comme de l’hypertravail et se verront encouragées ou inhibées. En parallèle,

les positions et rôles assumés dans d’autres sphères de vie (en tant que conjoint ou

ami par exemple) sont également concernés. Par exemple, la position occupée au sein

du couple et le jeu des relations de pouvoir peuvent faire varier la répartition des

activités (Curie et Hajjar, 2000). Deux facteurs ont été repérés pour ce niveau

d’analyse.

i) Attentes du milieu professionnel à l’égard du rôle professionnel

Les attentes rattachées au rôle occupé dans une organisation peuvent conduire les

travailleurs et travailleuses à consacrer plus de temps au travail. Ces attentes peuvent

être implicites ou explicites et provenir tant de la direction, du supérieur hiérarchique

que des collègues et de l’équipe de travail. Par exemple, selon l’étude menée par

Chasserio et Legault (2005), les travailleurs et travailleuses qui font des heures

supplémentaires non rémunérées sont davantage susceptibles d’obtenir, de la part de

leur supérieur, des congés et des mesures visant à faciliter leur conciliation travail-vie

personnelle (par ex. travailler une journée à la maison). Le temps de travail

excédentaire devient alors un moyen d’échange permettant de bénéficier de mesures

de conciliation travail-vie personnelle qui, dans un rapport inégal entre le travailleur

et son superviseur, amènent bien des travailleurs à devoir travailler plus. De manière

un peu différente, la crainte de représailles et d’exclusion du collectif de travail

pourrait être sous-jacente au maintien d’un fort investissement temporel au travail

(Burke, 2006). C’est le cas notamment des personnes dont le travail est organisé en

équipe et qui sont affectées à la gestion de projets, dont les délais de livraison sont

souvent courts. Dans une telle situation, les attentes des différents membres de

l’équipe concernent, généralement, un investissement équitable de tous les

travailleurs et travailleuses au sein de l’équipe dans la réalisation du projet, ce qui

désavantage d’ailleurs le plus souvent les femmes (Legault et Chasserio, 2009).

Page 157: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

136

j) Attentes des milieux extra-professionnels à l’égard des rôles professionnels et extra-

professionnels

Pour certains travailleurs et travailleuses, les faibles attentes entretenues à l’égard des

rôles qu’ils occupent en dehors du travail (par exemple dans la famille) peuvent

favoriser le passage et le maintien en situation d’hypertravail. Le fort investissement

temporel au travail peut être alors un palliatif à une vie hors-travail pauvre ou du

moins peu exigeante en termes de relations amicales et sociales ou d’activités de

loisir (Douglas et Morris, 2006). Au sein de la dynamique conjugale et au regard de la

répartition des rôles, il est aussi de plus en plus fréquent d’observer que les femmes

dont le conjoint fait de longues heures de travail décident de quitter le marché du

travail, généralement pour s’occuper des enfants et des tâches domestiques (Cha,

2010). Cette situation a pour effet d’accentuer la tendance vers la séparation des rôles

entre les hommes – au travail – et les femmes – à la maison – mais aussi de renforcer

la position centrale de « travailleur » pour l’homme, au sein du couple comme au sein

de la société (Cha, 2010). Rappelons ce fait que les hommes seraient trois fois plus

nombreux que les femmes à faire de longues heures de travail (Usalcas, 2008). Pour

d’autres, les attentes demeurent fortes à l’égard du rôle occupé au sein de la famille,

surtout dans les cas où les deux membres du couple ont des horaires de travail

chargés (Townsend, 2001). Dans ce cas, les stratégies pour parvenir à concilier ces

divers rôles doivent être élaborées en couple. Une des stratégies possibles et de plus

en plus privilégiée par les femmes est de devenir travailleuse autonome, ce qui

permet d’avoir un meilleur contrôle sur l’horaire de travail et, plus largement, sur la

vie familiale malgré les longues heures de travail (Humbert et Lewis, 2008). Même

dans le cas où elles font de longues heures, les femmes portent généralement la

responsabilité de veiller à la planification des activités familiales.

3.3.4 Facteurs du niveau idéologique

Le quatrième niveau, le niveau idéologique, concerne les conceptions

qu’entretiennent les individus à propos des rapports sociaux considérés comme

normaux (Doise, 1982). Il renvoie aux idéologies, aux systèmes de croyances et de

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137

représentations ainsi qu’aux normes qui sont développés par une société ou une

organisation. À ce niveau, le modèle du système psychique organisationnel (Aubert et

de Gaulejac, 1991) nous éclaire sur ce qui peut conduire certains travailleurs et

travailleuses à l’hypertravail, au regard précisément de la culture organisationnelle,

des discours et des valeurs prônées par les entreprises, et ce, tout au long de leur

trajectoire. Autrement dit, nous portons une attention particulière à ce niveau à la

manière dont les organisations façonnent des idéologies et des normes susceptibles de

mener à l’adoption de telles conduites. Par ailleurs, le niveau idéologique touche

aussi la représentation qu’a le sujet d’une « bonne » répartition de ses activités

(professionnelle, familiale, sociale, personnelle et de loisirs), selon les normes

sociales mises de l’avant dans son entourage et dans la société.

k) La culture organisationnelle du temps de travail : valeurs, normes et règles

organisationnelles en matière d’implication au travail

Les normes et les règles qui prévalent dans une organisation à propos de l’implication

au travail doivent être prises en compte au niveau d’analyse idéologique. À ce sujet,

la recherche de Riverin et Simard (2003) s’intéresse à l’exigence informelle de

participation « volontaire » aux activités périphériques de l’organisation (ex. 5 à 7,

projets spéciaux, conférences) pour les travailleurs et travailleuses qui souhaitent faire

carrière dans les secteurs associés à l’économie du savoir. Un peu dans la même

veine, mentionnons également que les normes tacites (ou convenues) de temps de

travail et d’effort au travail, instaurées entre les membres du collectif et préexistantes

à l’entrée de la personne dans l’organisation, peuvent aider à comprendre les

conduites d’hypertravail. Cela est d’autant plus vrai dans les milieux où la norme du

travailleur idéal, entendu ici comme le travailleur entièrement dévoué à son travail,

sans responsabilité familiale, est forte (Blair-Loy, 2004).

l) Philosophie, culture et valeurs de l’organisation

La culture, la philosophie et les valeurs d’une entreprise touchent le « cœur

idéologique » qui permet de donner du sens et d’orienter l’ensemble des actions

menées par les travailleurs et travailleuses. Comme nous l’avons vu, certains

Page 159: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

138

chercheurs ont mis en évidence que les entreprises dont le discours est fondé sur la

recherche de l’excellence et de l’idéal au travail sont souvent des lieux propices à

l’émergence des conduites d’hypertravail (Aubert et de Gaulejac, 1991 ; Dujarier,

2006). Dans ces entreprises, il apparaît que les fondements mêmes de ces quêtes d’un

idéal ne sont pas remis en question malgré l’atteinte improbable des objectifs fixés.

D’autres se sont plutôt intéressés au style de leadership développé par ces

organisations. Par exemple, un leadership fondé sur des valeurs altruistes, c’est-à-dire

où chaque membre du collectif est invité à y trouver sa place, à s’y sentir important

au sein de l’organisation et à y être dévoué, peut également être associé à des

conduites d’hypertravail (Fry et Cohen, 2009). Dans un tel contexte, la prescription

normative – voire l’injonction – de l’organisation est le dévouement envers

l’organisation.

m) Normes sociales en matière d’implication au travail chez les proches

Les systèmes de croyances et de représentations sociales relatives à l’action, à

l’implication et au temps de travail sont également susceptibles d’influencer le temps

individuel consacré au travail. À ce propos, Aubert (2003) s’est intéressée au « culte

de l’urgence », à cette idéologie qui consiste à être dans l’action, à réagir dans

l’immédiat et à être toujours disponible pour le travail, au point où les notions

« d’urgence » et « d’importance » sont finalement confondues (ce qui n’est pas

important est tout de même urgent). Cette « normalisation » de l’urgence et de

l’hyperactivité, dans le contexte du travail, fait qu’il semble dorénavant socialement

admis et très bien vu de surinvestir sa vie de travail – voire même de surinvestir sa vie

tout court – ce qui est par ailleurs généralement un gage de succès et de réussite

professionnelle et sociale (Hewlett et Luce, 2006). La survalorisation de l’action

apparaît alors comme une idéologie émergente dans les sociétés occidentales

contemporaines où une accélération des rythmes sociaux est observée (Aubert, 2008 ;

Brunhes, 1999). Pour Aubert (2004, 2006), cette nouvelle idéologie est renforcée par

ces exigences du dépassement de soi et « d’hyperfonctionnement de soi » véhiculées

dans la société. Vis-à-vis de la consolidation de cette culture des longues heures de

travail (Golden, 2009), travailler plus de 48 heures par semaine peut alors sembler

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139

banal et même s’avérer être un mode de vie enviable, susceptible de procurer

jouissance et respect.

3.3.5 Facteurs du niveau de la tâche et de l’organisation du travail

De portée très générale, cette grille d’analyse psychosociale que propose Doise

(1982) appelle à être spécifiée lorsqu’elle est appliquée à l’analyse de situations de

travail. Ainsi est-il utile d’adjoindre un cinquième niveau relatif à l’analyse de la

tâche et de l’organisation du travail qui participent également à la modulation et à la

régulation du temps de travail. La revue de la littérature nous a permis d’identifier

trois facteurs à prendre en compte dans l’analyse des conduites d’hypertravail : la

charge et la nature du travail, la flexibilité des horaires / des lieux et l’autonomie au

travail, ainsi que le dispositif d’évaluation du rendement et de récompenses des

salariés et salariées.

n) Charge et nature du travail

Les conduites d’investissement intensif au travail s’observent dans des contextes de

fortes charges de travail, souvent prescrites dans de très courts délais (Grosch et coll.,

2006). En plus de cette intensification du travail, c’est peut-être aussi et surtout

l’imprévisibilité de la charge et la difficulté à la transférer à autrui qui sont le plus

susceptibles d’amener les travailleurs et travailleuses à faire de longues heures de

travail (Du Tertre, 2006). Il s’avère en effet que le temps de travail, dans des

contextes de productions immatérielles, est plus difficile à définir à partir d’horaires

précis et réguliers, de même qu’il est plus difficile à déléguer : le travail peut alors

empiéter sur la vie personnelle (Du Tertre, 2006 ; Laflamme et Lapointe, 2005).

o) La flexibilité des horaires et des lieux de travail et l’autonomie

La flexibilité des horaires et des lieux de travail peut également favoriser les longues

heures de travail. D’abord, l’organisation souple des horaires de travail de même que

l’absence de périodes de travail bien définies et délimitées, conjuguées à de fortes

exigences de rendement et d’un service-client « 24h/24 », ont souvent pour effet

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140

d’amener les travailleurs et travailleuses à augmenter substantiellement leurs heures

de travail (Blair-Loy, 2009 ; Kodz, Kersley, Strebler et O’Regan, 1998). Ensuite, la

flexibilité des lieux de travail, facilitée par l’utilisation des technologies de

l’information et de la communication, constitue également un terreau fertile à

l’augmentation des heures consacrées au travail (Devos et Taskin, 2005).

Dans les secteurs des services informatiques et du multimédia, il est reconnu que les

travailleurs et travailleuses détiennent une certaine autonomie (Chasserio et Legault,

2005 ; Lallement, Lehndorff et Voss-Dahm, 2004). Ils peuvent organiser leur travail

et leur temps de travail, résoudre les problèmes qu’ils rencontrent de même que

participer à l’élaboration de leurs objectifs et à ceux de l’organisation. De manière

générale, il semble que les travailleurs et travailleuses soient davantage portés à

s’investir dans leur travail si l’activité professionnelle leur offre de l’autonomie et une

certaine latitude décisionnelle, d’autant plus si les travailleurs sont hautement

qualifiés (Golden, 2009 ; Lallement et al., 2004). Par ailleurs, faire de longues heures

de travail permettrait aux salariés et salariées qualifiés de faire la démonstration que

l’on détient une certaine autonomie que les travailleurs moins qualifiés n’ont pas

(Lallement et al., 2004).

Le contexte de production dans ces secteurs fait en sorte que la flexibilité et

l’autonomie sont cependant fortement soumises aux pressions des clients et du

marché à un point tel que « si autonomie il y a, elle est donc relative et elle est

relativement sous contrôle du marché et des réseaux » (Lallement et al., 2004, p.

198). Plus largement, Appay (2005) a bien fait ressortir le paradoxe selon lequel une

plus grande autonomie au travail pouvait s’accompagner d’un plus grand contrôle des

travailleurs. Cette « autonomie contrôlée » est possible en raison du contexte de

restructuration et de précarisation du travail, qui fait en sorte que pour garder leurs

places, les travailleurs doivent constamment se dépasser et être performants : ils sont

ainsi amenés « de façon autonome » – car responsables de leurs parcours – à se

dévouer au travail et à répondre aux attentes managériales (Appay, 2005). Pagès et al.

(2009) mentionnent par ailleurs que l’imposant système de règles dans lequel s’inscrit

la pratique d’une profession ou d’un métier, même qualifié, circonscrit fortement

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141

l’autonomie « apparente » des travailleurs. En ce sens, cette autonomie octroyée

serait surtout une façon, pour l’entreprise, de diminuer les conflits et de permettre aux

travailleurs et aux travailleuses de trouver des solutions concrètes et rapides aux

problèmes rencontrés (Pagès et al., 2009). Il s’agirait donc, en quelque sorte, d’une

« fausse » autonomie au travail puisqu’elle ne traduirait pas une réelle indépendance

ni un pouvoir de « disposer de soi-même » (De Terssac, 2012).

p) Le dispositif d’évaluation du rendement et de récompenses

Les pratiques d’évaluation du rendement reposent de plus en plus sur une méthode

qui consiste à renvoyer continuellement aux travailleurs et travailleuses l’exigence

d’améliorer leurs performances au travail. Selon l’étude de Sharone (2004), l’une des

stratégies managériales d’évaluation du rendement est de créer une forte anxiété

autour des compétences professionnelles développées (ou non) par les travailleurs et

travailleuses. Ainsi, ces derniers font face à des gestionnaires qui jettent un regard

périodique sur leurs compétences au travail et les invitent constamment à participer

activement à la gestion de leurs compétences. D’ailleurs, comme le mentionne De

Sève (2005), la pression à accroître le temps investi au travail est très forte pour les

travailleurs et travailleuses qualifiés car ils doivent continuellement être performants

pour éviter d’être déclassés ou de perdre leur pouvoir d’influence dans l’organisation.

Pour les plus jeunes, faire de longues heures de travail non rémunérées peut

permettre, dans certains cas, de pallier un manque d’expérience, notamment dans un

contexte d’évaluation par les résultats.

À ces évaluations sont associées différentes marques et formes de reconnaissance. Par

exemple, des récompenses de nature financière (ex. primes) mais aussi liées à la

carrière (ex. promotion, nouveau projet) sont généralement remises aux travailleurs et

travailleuses qui s’investissent fortement dans l’organisation (Hewlett et Luce, 2006 ;

Reynolds, 2004). D’ailleurs, l’obtention de récompenses constitue l’une des

motivations les plus fréquemment évoquées par les travailleurs et travailleuses qui

font de longues heures de travail (Stier et Lewin-Epstein, 2003).

Page 163: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

142

Synthèse à propos de l’approche multidimensionnelle

Cette approche multidimensionnelle – qui distingue cinq niveaux d’analyse et seize

facteurs psychosociaux – permet de jeter un regard qui tient compte de la complexité

des environnements de travail et hors-travail dans le développement des conduites

d’hypertravail. Ce travail d’articulation de l’individu et du collectif est sans doute

ambitieux mais il nous permettra de cerner plus finement les résonances entre des

niveaux et des facteurs particuliers. C’est à partir de l’analyse fine de témoignages de

travailleurs et de travailleuses concernés par ce phénomène que nous viserons

l’établissement de diverses configurations constitutives d’une typologie des modes

d’entrée et d’ancrage dans l’hypertravail.

3.4 Objectifs de recherche

La présente thèse porte sur les conduites d’investissement intensif au travail –

d’hypertravail – observées chez les salariés et salariées des secteurs des services

informatiques et du multimédia. Elle questionne la genèse de ce fort investissement

temporel au travail. Quels sont les principaux facteurs à l’œuvre dans l’adoption, par

les salariés et salariées, de ce type de conduites? Par quels processus les individus en

viennent-ils à investir de longues heures au travail? Quel est le sens, du point de vue

du sujet, de cette forte implication au travail?

Différemment d’autres études sur cette question, la thèse vise à approfondir

l’enchaînement des événements professionnels et des contextes qui ont pu participer

au développement de cette conduite par les salariés et salariées. Elle vise également à

saisir plus finement les échanges entre les autres sphères de vie, par exemple en

termes de priorités et de projets. Elle interroge également les liens qui unissent

l’individu, l’organisation et les personnes et groupes significatifs dans sa vie

professionnelle et extra-professionnelle en vue de dégager les mécanismes – en

apparence volontaires – qui concourent à ce fort investissement au travail.

Page 164: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

143

Nous nous appuyons sur l’hypothèse de travail selon laquelle différents processus

peuvent mener à l’adoption de telles conduites. Plus précisément, nous cherchons à

investiguer les processus qui mènent à ces conduites d’hypertravail, au regard

notamment des événements, des impasses et des transitions, des contextes

professionnels et personnels, mais aussi des processus interrelationnels entre le sujet,

le collectif de travail et l’organisation.

Ces préoccupations au cœur de la thèse se traduisent par un objectif général et quatre

objectifs spécifiques de recherche.

Objectifs de recherche

Objectif général : Comprendre les processus de construction des conduites

d’hypertravail de salariés et salariées des secteurs des services informatiques et du

multimédia.

Objectif spécifique 1

Analyser les événements critiques et les étapes charnières qui, au cours du

parcours professionnel, ont contribué à l’adoption des conduites

d’hypertravail ;

Objectif spécifique 2

Saisir le poids des facteurs psychosociaux et organisationnels en jeu dans la

construction des conduites d’hypertravail et les relations qu’ils entretiennent

entre eux ;

Objectif spécifique 3

Comprendre les relations entre les conduites d’hypertravail et les activités,

engagements et priorités poursuivis dans les autres sphères de vie ;

Page 165: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

144

Objectif spécifique 4

Examiner les différentes significations attribuées par les sujets à leurs

conduites d’hypertravail.

Ce sont ces quatre objectifs spécifiques, appréhendés conjointement, qui permettront

de comprendre les processus de construction des conduites d’hypertravail. Le premier

s’attardera à la mise en évidence des événements et des étapes importantes qui

marquent l’évolution du parcours professionnel des personnes qui adoptent des

conduites d’hypertravail. De cette façon, nous pourrons retracer la genèse du fort

investissement au travail, plus précisément, saisir à quel moment cette conduite se

cristallise dans leur parcours. Nous pourrons aussi mieux comprendre l’enchaînement

des événements susceptibles de mener à l’adoption d’une telle conduite. Le deuxième

objectif s’intéressera au poids et aux relations entre différents facteurs psychosociaux

et organisationnels pour dégager les facteurs qui sont les plus fortement en cause dans

l’adoption de cette conduite et comprendre leurs interrelations et leurs imbrications.

Le troisième objectif permettra de saisir plus finement les relations établies par les

sujets entre leurs conduites d’hypertravail et leurs autres sphères de vie. Le quatrième

et dernier objectif cherchera à saisir les significations allouées à ces conduites

d’hypertravail – en regard des contextes de vie professionnelle et personnelle et des

intentions poursuivies – selon le point de vue de la personne.

******

Les deux perspectives théoriques systémiques présentées ici pour soutenir notre

modèle présentent chacune leur originalité – l’une relève de la sociologie clinique,

l’autre d’une psychologie sociale développementale – mais convergent pour nous

inviter à articuler une approche à la fois synchronique et diachronique du processus

de construction des conduites d’hypertravail. Le développement des conduites

d’hypertravail est ainsi appréhendé, dans notre modèle, comme le fruit d’une

dynamique psychosociale particulière, vue comme l’aboutissement d’un processus.

Cette position invite à retracer le fil des événements, des séquences et des transitions

qui ponctuent la trajectoire individuelle – surtout professionnelle – pour saisir ce qui

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145

amène la personne à adopter une telle conduite à l’égard du travail. Elle invite

également à saisir les liens que fait la personne entre cet investissement dans la

sphère du travail et ses investissements dans ses autres sphères de vie, ce qui

permettra de saisir la signification particulière qu’elle accorde à cette conduite. Enfin,

les dynamiques en jeu dans la relation entre le sujet et son organisation apparaissent

aussi fortement concernées.

L’approche multidimensionnelle que nous proposons de mettre en œuvre – qui

distingue cinq niveaux d’analyse et seize facteurs susceptibles d’intervenir dans la

construction des conduites d’hypertravail – permet d’adopter un regard qui tient

compte de la complexité du phénomène étudié. Elle soutiendra notre démarche de

terrain visant notamment à examiner le poids relatif de ces facteurs et niveaux et le

jeu de leurs interactions dans le passage à l’hypertravail, comme nous le détaillerons

dans les prochains chapitres. Mais d’abord, nous présenterons de manière

approfondie les divers aspects méthodologiques de la recherche.

Page 167: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

146

Chapitre 4 : Aspects méthodologiques de la

recherche

La mise en œuvre d’un dispositif de recherche pour étudier les processus de

construction des conduites d’hypertravail est au cœur de ce quatrième chapitre. Y

sont présentées tant les décisions prises en amont, relativement à la conception de la

méthode à privilégier considérant l’objet à l’étude, que les actions menées pendant le

déroulement de la recherche et pendant l’analyse des données. Plus précisément, six

parties composent ce chapitre. La première pose les fondements épistémologiques au

cœur de la méthode qualitative et narrative choisie, en dévoilant les principaux

postulats du paradigme interprétatif de la recherche (Erickson, 1986 ; Savoie-Zajc,

2000). La deuxième s’attarde au choix de l’entretien « biographique » comme

méthode de recueil de données et en expose les principaux avantages pour cette

recherche ainsi que son inscription dans la tradition de l’approche du parcours de vie

(Bessin, 2009). La troisième porte sur l’élaboration du guide d’entretien semi-dirigé,

ainsi que sur la description de toutes les parties qui le composent.

La quatrième partie s’attarde à la mise en œuvre et au déroulement de la recherche. Y

sont abordés les différentes stratégies et difficultés de recrutement des participants, le

déroulement des entretiens ainsi que les moyens pris pour assurer la confidentialité

des données. La cinquième partie s’intéresse à la formation et à la description de

l’échantillon au regard de différentes variables sociobiographiques,

socioprofessionnelles et relatives aux heures de travail. La sixième et dernière partie

expose la méthode privilégiée pour analyser les données, ainsi que les différentes

étapes et sous-étapes franchies jusqu’à l’obtention des résultats finaux de recherche.

Page 168: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

147

4.1 Le paradigme interprétatif de la recherche

Notre recherche s’inscrit au sein du paradigme interprétatif20 de la recherche

(Poisson, 1991). Ce paradigme, dans les sciences humaines et sociales, s’inscrit en

opposition au paradigme positiviste qui consiste à considérer les faits humains et

sociaux comme des choses et à les traiter comme telles (Durkheim, 1981). Dans les

« sciences de l’interprétation », les faits sont interprétés par le chercheur, à partir des

textes et des discours, en fonction de la multiplicité de leur sens et à partir de tous les

signes et symboles (Gosselin, 2002).

Ce paradigme est généralement convoqué dans les études qui font appel aux

connaissances des personnes pour comprendre une situation sociale ou psychosociale

(Erickson, 1986) comme celle que nous menons dans cette thèse sur l’hypertravail et

ancrée dans une approche de psychologie sociale. Pour le chercheur « interprétatif »,

ce point de vue est saisi non seulement pour mettre en relief la propre subjectivité de

la personne, mais aussi pour apprendre sur son environnement, à une plus petite

échelle (Deslauriers, 2005).

Le paradigme interprétatif prend en compte la place de l’interprétation des individus

dans la structuration de leurs actions et de leurs conduites en cherchant à mieux

comprendre leurs intentions, leurs désirs, leurs motifs et leurs sentiments (Dosse,

1996). Selon cette posture, comprendre les phénomènes humains et sociaux passe

ainsi par la parole, qui donne du sens aux actions des personnes à partir des

expériences qu’elles font et des événements qui comptent pour elles (Paillé et

Mucchielli, 2008). Nous postulons ainsi « une variabilité des relations entre les

formes de comportements et les significations que leurs acteurs leur assignent à

travers leurs interactions sociales », soutenant qu’un comportement a priori identique

et observable puisse s’expliquer par des significations différentes (Lessard-Hébert,

Boutin et Goyette, 1997, p. 27).

20 Parfois aussi appelée approche interprétative de la recherche.

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148

Ce positionnement est pertinent pour soutenir notre démarche visant à reconstruire les

processus menant à l’adoption des conduites d’hypertravail, au regard des

déterminants et des significations attribuées par les sujets. Notre démarche suppose

en effet que derrière l’adoption de conduites d’hypertravail en apparence similaires,

des significations très différentes puissent se dégager des interactions sociales avec,

par exemple, le collectif de travail et l’organisation, mais aussi en regard des autres

lieux (autres sphères de vie) et des autres moments de socialisation (ex. événements

passés marquants du parcours professionnel).

4.2 Une méthode qualitative par entretiens biographiques

Cette position épistémologique a des implications méthodologiques diverses pour

appréhender la manière dont se construisent les conduites d’hypertravail et,

notamment, pour appréhender les facteurs en jeu – et leurs interrelations – dans

l’adoption de ces conduites. Au regard de cette position et des objectifs poursuivis par

la recherche, le choix d’une méthodologie qualitative par entretiens sera défendu au

cours des prochaines pages, plus particulièrement celui de mener des entretiens dits

« biographiques », développés selon la tradition de l’approche du parcours de vie

(Bessin, 2009; Elder et al., 2003). Nous verrons notamment que cette approche

accorde une place centrale à la narration des principaux événements qui ponctuent le

parcours professionnel afin de saisir le sens donné par l’individu à ses choix et à ses

conduites.

4.2.1 Le choix de l’entretien individuel semi-directif comme méthode

de recueil des données

La recension des écrits a permis de constater que les études empiriques menées pour

comprendre les comportements d’investissement intensif au travail (ou conduites

d’hypertravail) ont été réalisées, les unes, à partir d’une méthodologie quantitative,

les autres, à partir d’une méthode clinique. Dans le premier cas, si le cadre

méthodologique quantitatif s’avère pertinent à divers égards, il exige cependant que

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149

l’objet d’étude soit mesurable et quantifiable, ce qui entraîne tout un dispositif de

transformation de la réalité pour en arriver à comprendre les relations qui existent

entre une conduite spécifique et ses causes. De plus, ce cadre rend difficile la prise en

compte d’explications plus subjectives, par exemple en ce qui concerne l’imbrication

des événements de la trajectoire professionnelle vécue ou encore les transformations

au fil du temps des priorités et engagements entre les différentes sphères de vie. Par

ailleurs, si cet « arsenal » méthodologique permet aisément de faire ressortir le poids

de l’une ou l’autre des variables du modèle, il ne permet toutefois pas de saisir les

dynamiques implicites des rapports sociaux au travail ou encore les significations des

évènements professionnels vécus par les sujets. Dans le second cas, le cadre

méthodologique clinique suppose généralement une action sur le terrain et une visée

d’intervention à des fins thérapeutiques sur la souffrance vécue par les travailleurs

(Barus-Michel, 2007). Ce cadre est le plus souvent privilégié pour aborder les sources

de souffrance au travail, dans le but de comprendre les conduites ou une organisation

du travail pathogènes.

En ce qui concerne notre recherche, nous croyons que l’adoption d’un cadre

méthodologique qualitatif est pertinent pour faire ressortir la diversité des expériences

vécues par les sujets et les multiples nuances qui peuvent définir et éclairer

l’expérience de l’hypertravail et la construction des processus qui en sous-tend

l’adoption. C’est une méthodologie par entretiens biographiques que nous avons

retenue pour appréhender notre objet d’étude.

Les débats entourant la scientificité des entretiens de recherche remontent au siècle

dernier, alors que l’école de Chicago, précurseur des méthodes qualitatives, s’empare

de cette nouvelle technique de recueil des données (Poupart, 1993). Déjà à cette

époque, sont distingués différents types d’entretiens tels que les entretiens de groupe

versus les entretiens individuels, ou encore les entretiens formels et standardisés

versus les entretiens informels et non standardisés. Depuis les années 1970, cette

technique s’est fortement généralisée dans les domaines des sciences humaines et

sociales et, excepté peut-être le clivage d’une conception positiviste versus

constructiviste de l’entretien, on peut dire que la scientificité de cet outil de recueil de

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150

données n’est plus remise en cause (Poupart, 1993). Par ailleurs, l’approche

qualitative est habituellement privilégiée pour faire l’étude de processus

psychosociaux et comprendre le sens des conduites humaines (Poupart, Deslauriers,

et al., 1997). Elle est aussi particulièrement reconnue pour la richesse des données et

la profondeur de l’analyse qu’elle permet (Mucchielli, 2009).

Parmi diverses méthodes ou techniques de recueil de données caractéristiques de cette

approche, qu’ils s’agissent de méthodes collectives (ex. entretien de groupe,

observation d’une situation de groupe) ou individuelles (ex. récit de pratiques,

entretien individuel, étude de cas), l’entretien individuel s’est rapidement imposé

comme étant l’outil le mieux adapté à notre problématique. Plus précisément, trois

raisons principales ont motivé ce choix.

1. La première est associée à l’objet de recherche lui-même et aux finalités de

l’étude. Selon Savoie-Zajc (2002), l’entretien individuel est l’outil qui permet

généralement le mieux de saisir le sens donné par les sujets à leurs

expériences vécues et à leurs conduites dans l’espace social. Dans l’optique

où nous avons justement voulu comprendre ces conduites d’hypertravail à la

lumière, notamment, des arbitrages que les sujets ont effectués entre leurs

différentes sphères de vie, en fonction de leurs valeurs et en fonction des

ressources et des contraintes qu’elles représentent pour eux, la prise de parole

individuelle nous est apparue essentielle.

2. La deuxième raison a trait au caractère pratique et holistique de cet instrument

pour aborder l’étude de ces conduites à partir d’une grille d’analyse complexe

et multidimensionnelle. Comprendre de façon approfondie les divers

processus psychosociaux qui mènent à l’adoption de conduites d’hypertravail

à partir de cinq niveaux d’analyse distincts et de multiples facteurs s’y

rattachant requiert, nous semble-t-il, le recours à la parole afin de rendre

intelligibles les interactions entre ces facteurs et ces niveaux d’analyse. Ainsi,

le recueil de témoignages riches nous permettra de creuser et de nuancer la

compréhension que nous avons des conduites d’hypertravail, à partir des

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151

diverses façons dont s’articulent ou s’imbriquent les facteurs pris en compte

dans le modèle.

3. La troisième et dernière raison concerne la souplesse et l’ouverture proposées

par ce mode de recueil de données. L’entretien pourra nous permettre

d’obtenir des informations non attendues et qui n’ont pas été pressenties lors

de la construction de la grille d’analyse (Savoie-Zajc, 2002).

4.2.2 L’entretien biographique appuyé sur l’approche du Parcours

de vie

L’entretien biographique, entendu ici au sens large, a acquis une notoriété certaine

dans le monde scientifique depuis les quarante dernières années. Ce type d’entretien a

été privilégié comme méthode de recueil de données par des chercheurs d’horizons

divers et a été mis à profit dans diverses recherches. On les retrouve tant dans des

études en sociologie (Bertaux, 1976; Chevalier, 1979; Demazière, 2003), en

anthropologie (Lewis, 1967 ; 2005) ou, plus récemment, en sciences de la gestion

(Pailot, 2003; Sanséau, 2005), notamment comme stratégie d’accès au réel des

pratiques organisationnelles.

Cette approche narrative biographique s’est développée au point de rassembler

aujourd’hui plusieurs chercheurs issus de courants plus ou moins divergents, qui

proposent diverses manières de « faire » et de prendre en compte les récits et les

histoires individuelles des sujets. Sans chercher ici à faire une présentation exhaustive

de ces courants, nous tenterons néanmoins de préciser quels sont les principaux

fondements de l’approche biographique qui sera privilégiée dans cette thèse, appuyée

sur la tradition de l’approche du Parcours de vie, par comparaison avec quelques

autres approches ou types d’entretiens biographiques.

Parmi les approches méthodologiques biographiques, celle du « récit de vie », issue

de la perspective ethnosociologique (Bertaux, 1976; 2005), compte sans doute parmi

les plus connues. Elle est privilégiée pour l’identification des mécanismes sociaux et

des logiques d’action qui caractérisent une situation sociale ou un monde social

Page 173: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

152

donné. Cette perspective cherche à saisir les objets sociaux de l’intérieur, à travers le

récit des acteurs qui, par expérimentation et reproduction, peuvent restituer par la

parole les connaissances acquises par expérience et ainsi rendre compte des logiques

qui sous-tendent les dynamiques sociales d’une situation particulière (Bertaux, 2005).

Il apparaît important de mentionner que le récit de vie tel qu’entendu ici ne renvoie

pas à une conception « maximaliste » de la biographie, c’est-à-dire qui traiterait

l’ensemble de l’histoire du sujet. L’on parle plutôt de récit de vie à partir du moment

où un individu est amené à raconter, sous une forme narrative, une partie de son

expérience vécue. Cette méthode est particulièrement utile pour les sociologues qui

cherchent à mieux comprendre un phénomène ou un problème social, ainsi que pour

les ethnographes, qui souhaitent avoir accès à des connaissances nombreuses et

variées par rapport à un groupe donné : les aspects biographiques relatés par certains

membres de ce groupe peuvent alors éclairer en partie le phénomène étudié.

D’une manière différente, « l’histoire de vie » est aussi privilégiée par des chercheurs

cliniciens, qui l’utilisent comme méthode d’intervention auprès de sujets individuels,

de groupes ou d’organisations (de Gaulejac et Legrand, 2008). Dans ces cas, ce sont

surtout les éléments inconscients, tels que les paradoxes vécus et les injonctions

contradictoires, qui tentent d’être mis à l’avant-plan de façon à pouvoir intervenir

auprès des participants ou de l’institution, en vue de résoudre la situation

problématique. La sociologie clinique, par exemple, appréhende généralement la

compréhension des déterminismes dans les conduites individuelles à travers les

histoires de vie (de Gaulejac, Hanique et Roche, 2007).

L’approche biographique est également utilisée par des chercheurs qui s’inscrivent

dans une « sociologie du parcours de vie » et qui s’intéressent à la partie objectivable

de l’histoire de la personne, précisément au déroulement et au développement de la

vie humaine au fil du temps (Lalive d’Epinay et al., 2005). Le parcours de vie est ici

globalement considéré comme une institution sociale, qui se définit à partir des

aspirations des individus et des contraintes structurelles (Cavalli, 2003; Guillaume,

2009; Lalive d’Epinay et al., 2005). Legrand (1993) nous rappelle que les événements

du parcours sont analysés par les sociologues du parcours de vie dans leurs rapports

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153

avec la trajectoire sociale et les médiations sociales objectives. Autrement dit, les

actes qui relèvent de l’histoire biographique sont les objets d’étude privilégiés

puisque ce sont ces actes qui produisent le social (Legrand, 1993). Selon ce courant

sociologique, les entretiens individuels ont donc pour principal objectif de cerner le

déroulement des parcours individuels et leur inscription dans un contexte social

donné (i.e les trajectoires sociales).

C’est au regard de notre problématique de recherche que nous avons cherché à

identifier l’approche biographique la plus pertinente pour cette thèse. L’approche

retenue doit d’abord permettre de prendre en compte la problématique du

développement de la personne et du sens de ses conduites. Comme le rappellent

Hugon, Villate et Prêteur (2013), pour Malrieu (2003), appréhender le sens accordé

par chaque sujet à ses conduites, selon le modèle de la socialisation-personnalisation,

exige de recourir à la parole dans une perspective diachronique, par exemple par le

récit de vie, l’autobiographie, ou le journal intime. Comprendre les changements

d’attitudes ou de valeurs au fil du temps – c’est-à-dire, en ce qui nous concerne,

l’interstructuration et les restructurations (s’il y a lieu) des conduites des sujets entre

la vie au travail et la vie hors-travail par rapport à l’investissement temporel dont

elles font l’objet – apparaît important. Mais l’approche retenue doit aussi permettre

d’appréhender la problématique des déterminismes organisationnels et sociaux à

l’œuvre dans l’adoption et le développement des conduites d’hypertravail par les

sujets, de façon à saisir lesquels des facteurs des différents niveaux de la grille

d’analyse ont le plus de poids et de quelles manières ils interagissent les uns avec les

autres. Par ailleurs, la prise en compte des facteurs organisationnels exige que soient

rapportés par le sujet, à titre d’acteur témoin, certains éléments du contexte social et

organisationnel qui caractérisent son environnement proximal (ex. les valeurs de

l’organisation).

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154

Pour atteindre cet objectif et conjuguer ces exigences, nous avons choisi de prendre

appui sur la tradition de l’approche du Parcours de vie21 (Elder, Kirkpatrick Johnson

et Crosnoe, 2003; Elder, 2009; Heinz, Huinink, Swader et Weymann, 2009) pour

aborder et développer nos entretiens biographiques. Selon cette approche, les

parcours de vie sont influencés par de multiples facteurs, tant psychologiques,

biologiques que sociaux, dans lesquels se dessinent différentes trajectoires, plus ou

moins inter-reliées entre elles. Les trajectoires de vie professionnelle, de vie familiale

et de vie sociale (ex. amis) en sont quelques exemples.

Cinq principes majeurs, au cœur de cette approche biographique, ont guidé

l’élaboration du guide d’entretien. Ils sont ici résumés très succinctement (Bessin,

2009; Elder, Kirkpatrick Johnson et Crosnoe, 2003; Heinz et al., 2009; Lalive

d’Épinay et al., 2005) :

1) Selon le principe d’intentionnalité (agency), le sujet détient des marges de

manœuvre suffisantes pour faire des choix et mettre en œuvre des stratégies

pour construire son parcours professionnel et développer ses conduites à la

lumière des intentions et des projets qu’il poursuit. Ces choix et ces conduites

dans la sphère professionnelle sont cependant balisés à l’intérieur de structures

sociales, par exemple, pour ce qui nous concerne, l’organisation du travail ou

les normes de temps de travail. Ces structures sociales établissent donc un

cadre d’action qu’il convient de saisir pour comprendre l’inscription des

actions et des choix menés dans l’univers social et organisationnel dans

lesquels ces sujets s’inscrivent. Ce principe nous amène à nous intéresser aux

stratégies mises en œuvre par le sujet mais surtout à la manière dont il prend

ses décisions pour construire son parcours et ses conduites, selon les

opportunités et les contraintes qui se révèlent à lui;

21 À ne pas confondre avec la sociologie des parcours de vie présentée ci-haut qui consiste à

appréhender le déroulement institutionnalisé des existences humaines. Il s’agit plutôt ici d’une

approche biographique pour aborder le développement des conduites humaines, appuyée sur le

paradigme du parcours de vie (Bessin, 2009).

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155

2) L’étude et l’analyse des événements biographiques doit prendre en compte

la subjectivité de l’individu. Plus précisément, la manière dont les individus

vivent et perçoivent les événements et les transitions, leur donnent du sens,

s’avère essentielle pour comprendre et pour éclairer les processus de

construction des conduites d’hypertravail au cours du parcours. Des

événements en apparence similaires (ex. promotion, perte d’emploi) peuvent

affecter différemment les individus, en fonction des représentations qu’ils ont

de ces événements et de la valeur qu’ils accordent à certaines sphères de leur

vie par rapport à d’autres. Il importe ainsi d’appréhender les événements

biographiques des participants en tenant compte de leur subjectivité;

3) Cette approche considère que les différentes sphères de vie, jamais

totalement cloisonnées, sont interdépendantes et que l’analyse d’une conduite

qui relève de la trajectoire de vie professionnelle, ici les conduites

d’hypertravail, doit être étudiée en prenant en compte l’interdépendance de

cette trajectoire avec celles des trajectoires de vie familiale et sociale

(notamment). Des événements, des transitions ou des changements vécus dans

le parcours professionnel peuvent occasionner des impacts sur les autres

sphères de vie et, en retour, les événements des sphères de vie hors-travail

peuvent influencer le déroulement de la trajectoire de vie professionnelle;

4) Un événement ou une conduite en particulier doit être situé dans la

temporalité biographique de la personne et saisi à travers la dynamique

temporelle passé/présent/avenir. Ainsi, la conduite d’hypertravail doit être

comprise à la lumière de l’enchaînement des événements précédents du

parcours professionnel (principalement), et à la lumière des projets et des

événements anticipés pour l’avenir;

5) La dynamique des parcours, c’est-à-dire ce qui unit les événements entre

eux, doit être examinée à partir d’éléments à la fois objectifs (ex. durée de

l’événement) et subjectifs (ex. motifs personnels de changement).

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156

L’approche biographique du Parcours de vie offre ainsi un cadre d’analyse pertinent

pour appréhender les processus de construction des conduites d’hypertravail. Les cinq

principes généraux sur lesquels repose cette approche facilitent, sur le plan

méthodologique, la mise en commun des deux modèles théoriques et du cadre

d’analyse opérationnel mis à contribution pour éclairer ces processus. Il s’agit d’une

approche heuristique étayée sur les imbrications entre l’individuel et le social, entre

des aspirations personnelles et des contraintes sociales plus générales (Guillaume,

2009). Elle offre ainsi un cadre méthodologique pertinent pour étudier les conduites

d’hypertravail en s’intéressant simultanément aux processus individuels et au

contexte social dans l’analyse de ces conduites (Elder et al., 2003; Sapin, Spini et

Widmer, 2007). En prenant en compte les temporalités (passé, présent, futur), la

subjectivité des individus et le rôle des contextes et des institutions susceptibles

d’influencer et d’orienter les actions et les conduites au travail, ce type d’entretien

nous permettra de saisir les interrelations entre les aspects individuels, relationnels,

positionnels, idéologiques et organisationnels des processus (à la fois séquentiels et

interrelationnels) qui ont participé à la construction des conduites d’hypertravail.

De plus, cette approche a été privilégiée et éprouvée par d’autres chercheurs dont les

études visent elles aussi à comprendre, d’un point de vue psychosocial, les logiques

processuelles à l’œuvre dans le déroulement des parcours qui ont une incidence à plus

ou moins long terme sur leurs situations de vie (voir, par exemple, Fournier,

Zimmermann et Gauthier, 2011).

4.2.3 Principale limite de l’outil

L’entretien biographique que nous envisageons ici demeure bien entendu une

narration partielle, un récit de vie individuel orienté autour de questions précises et,

plus particulièrement en ce qui nous concerne, centrées principalement sur la

trajectoire de vie professionnelle et les conduites d’hypertravail.

L’entretien biographique renvoie donc à une narration partielle qui exige du sujet

qu’il fasse des choix et mette en cohérence son discours (Demazière, 2003). Or, dans

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157

un type d’entretien qui vise à la fois des aspects de sa biographie (ex. présentation de

ses décisions et des événements vécus tout au long de son parcours) et différents

aspects organisationnels et liés à l’emploi actuel, la mise en cohérence du discours,

pour le sujet, peut être un peu plus difficile. Afin de faciliter l’organisation de ce

discours, l’élaboration du guide d’entretien devra favoriser une narration

chronologique des événements racontés (passé, présent, futur) tout en permettant de

recueillir des informations à propos des facteurs retenus touchant l’emploi, les valeurs

et le fonctionnement de l’entreprise de même que le collectif de travail.

4.3 Le guide d’entretien

Un guide d’entretien a été spécifiquement conçu pour cette recherche. Au cours des

prochaines pages, la manière dont nous avons procédé pour construire et valider cet

outil sera présentée, et les différentes parties du guide d’entretien seront décrites.

4.3.1 L’élaboration et la validation du guide d’entretien

Un guide d’entretien semi-structuré a été conçu pour cette recherche et il s’agit du

seul outil qui a été utilisé pour le recueil des données. Au regard de la limite

précédemment évoquée, le défi de parvenir à conjuguer la saisie des différents

niveaux et facteurs de la grille d’analyse, de la dynamique temporelle et de

l’interstructuration des conduites entre les différentes sphères de vie, était grand.

Pour construire la première version de l’outil, nous nous sommes inspirée d’autres

protocoles (ou guides) d’entretien qui, dans une perspective temporelle et dynamique,

ont cherché à reconstituer le fil des événements importants du parcours professionnel

et à mieux comprendre les processus psychosociaux en jeu au regard des événements

vécus et des changements qu’ils peuvent instituer dans la vie de la personne et dans le

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158

déroulement de sa vie professionnelle22. L’analyse de ces protocoles a fait ressortir

l’importance de l’enchaînement des sections et des questions qui composent le guide

d’entretien en visant le souci de cohérence narrative qui permet de comprendre le fil

conducteur du parcours professionnel et de la conduite d’hypertravail au regard de ce

que la personne a vécu (passé), de ce qu’elle vit présentement (présent) et de ce

qu’elle souhaite vivre pour l’avenir (futur).

Mais, comparativement à d’autres types d’entretiens biographiques, ce guide devait

aussi accorder une place importante au recueil d’informations concernant le contexte

organisationnel, dont, par exemple, le système de récompenses et de reconnaissance,

la charge de travail et l’autonomie décisionnelle. Il a donc fallu élaborer des questions

qui permettent d’aborder chacun des facteurs de la grille d’analyse. D’abord, à partir

de questions générales et ouvertes pour appréhender, par exemple, divers aspects de

l’entreprise, tels que les principales valeurs qui y sont prônées, les pratiques relatives

aux heures de travail ou encore le système de reconnaissance mis en place. Ensuite,

approfondis par des questions de relance, développées en lien avec les écrits

scientifiques repérés pour chaque facteur repéré dans la revue de question.

Cette première version du guide d’entretien a été présentée lors d’un séminaire

doctoral, à un comité d’experts composé de quatre professeurs. À partir des

commentaires et des suggestions formulés, cette version a été retravaillée puis

soumise une seconde fois à l’évaluation critique d’un expert, en l’occurrence la

directrice de thèse.

L’outil élaboré a par la suite été pré-testé empiriquement. Recrutés par la méthode du

bouche-à-oreille, deux salariés (n=2) travaillant régulièrement au moins 48 heures par

semaine ont accepté de participer à cet exercice. Non seulement ils devaient réaliser

l’entretien, mais ils avaient aussi pour mandat d’émettre verbalement et « à chaud »

leurs commentaires sur le déroulement de l’entrevue (ex. longueur) et sur l’outil

proprement dit (ex. compréhension et ordre des questions). Afin de vérifier la

22 Les protocoles de Fournier et Bujold (2000) et Fournier et Gauthier (2004).

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159

cohérence des réponses obtenues au regard de chacune des questions du guide de

même que la fluidité et la cohérence du discours, ces entretiens ont été retranscrits et

réécoutés en profondeur. Il s’agit donc d’une étape visant à nous assurer de la validité

scientifique de l’outil, pour vérifier si les questions formulées sont suffisamment

claires et précises pour obtenir des réponses probables et suffisamment riches au

regard des connaissances actuelles (Savoie-Zajc, 2002). À ce stade-ci, de légères

modifications ont été apportées au guide d’entretien, modifications qui ont surtout

permis d’éliminer quelques redondances et de reformuler des questions qui

apparaissaient un peu moins claires. La version finale de l’outil a finalement été

déposée au Comité d’éthique de la recherche de l’Université Laval et a été acceptée le

6 juin 2011.

4.3.2 Les cinq parties du guide d’entretien

Le guide d’entretien semi-structuré est composé de cinq parties principales (voir

annexe 1).

La première partie permet de recueillir des informations objectives concernant des

variables sociobiographiques, socioprofessionnelles et relatives aux heures

travaillées. Le sexe, l’âge, le niveau de scolarité, la durée du lien d’emploi, le titre de

l’emploi occupé, le nombre d’heures de travail hebdomadaire moyen et le salaire

annuel sont quelques-unes des informations recueillies.

La deuxième partie collecte des informations objectives et subjectives à propos du

parcours professionnel vécu (le passé), depuis le choix d’études jusqu’à la situation

d’emploi actuelle. La personne est invitée à décrire ce qui a motivé son premier choix

d’études et à raconter, par ordre chronologique, les événements significatifs de son

parcours professionnel et leur enchaînement. Au terme de la narration, la personne est

invitée à jeter un regard rétrospectif sur l’évolution de son parcours et de sa carrière

professionnelle, de même que sur l’évolution de son rapport au travail depuis l’entrée

sur le marché du travail. Elle est amenée également à revenir sur le moment (la

période) où le temps de travail s’est accru (s’il y a lieu) de manière durable. À ce

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160

moment charnière de transition vers un investissement temporel accru au travail, les

contextes de vie professionnelle et de vie personnelle qui prévalaient à ce moment-là

ont été approfondis à partir des principaux facteurs du modèle. La manière dont la

situation a alors été vécue (ex. période difficile ou non) termine cette partie.

La troisième partie du guide d’entretien s’attarde à la situation actuelle (le présent).

Elle est divisée en deux sections. La première aborde la situation professionnelle

proprement dite. Elle vise à approfondir le contexte organisationnel dans lequel est

insérée la personne. La position occupée au sein de l’organisation, les responsabilités

et la charge de travail perçue sont notamment questionnés. Sont aussi approfondies, à

travers les perceptions et les représentations des sujets, les attentes des collègues, du

superviseur et de la direction, les valeurs mises de l’avant par l’organisation, les

méthodes d’évaluation du rendement et les récompenses privilégiées ainsi que les

normes et pratiques organisationnelles concernant le temps de travail. La deuxième

section vise quant à elle à interroger la vie professionnelle mais cette fois en relation

avec la vie personnelle. Le fort investissement temporel au travail est ici abordé en

rapport avec les autres sphères de vie. Le sentiment d’équilibre ou de déséquilibre

dans la vie, la satisfaction ressentie à l’égard du degré d’engagement vis-à-vis de

chacune des sphères de vie, la qualité des relations hors-travail et l’importance des

engagements extra-professionnels, de même que le soutien reçu ou non des proches

en lien avec ce fort investissement au travail comptent parmi les thèmes abordés dans

cette section.

La quatrième partie du guide d’entretien interroge l’avenir professionnel (futur) en

rapport avec les projets personnels anticipés par les sujets. Sur le plan professionnel,

ce sont surtout les objectifs et les projets poursuivis d’ici les deux prochaines années

qui sont questionnés. Le rôle que pourra jouer ou non l’entreprise dans la réalisation

de ces objectifs et de ces projets identifiés est également interrogé. Sur le plan

personnel, les projets poursuivis à court et moyen termes dans les autres sphères de

vie et, surtout, la possibilité de concilier ces projets avec ceux poursuivis dans la vie

professionnelle se retrouvent au cœur du questionnement.

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161

Pour la cinquième partie, la manière dont la situation des longues heures de travail est

vécue (ex. difficilement ou non) et signifiée par la personne (sens donné à la conduite

dans leur vie, notamment au regard des engagements poursuivis et souhaités dans

l’ensemble des sphères de vie) vient conclure l’entretien. Le retour avec la personne

sur certaines informations précédemment abordées pour expliquer le fort

investissement au travail permet, au terme de l’entretien, d’approfondir les

motivations principales et les contraintes apparentes qui ont pu favoriser ce fort

investissement temporel au travail. Trois brèves questions ouvertes, sur les

représentations du « travailleur idéal », terminent l’entretien.

4.4 Déroulement de l’enquête

Le déroulement de la recherche s’est étalé sur une période d’environ deux ans, du

mois de septembre 2011 au mois de novembre 2013. Lors de cette période, le

recrutement des participants s’est effectué en trois phases plus particulièrement

actives et intensives de quelques mois chacune. Au-delà de ces informations

générales, le déroulement concret de l’enquête (stratégies de recrutement et difficultés

rencontrées, conduite et déroulement des entretiens, etc.) sera exposé au cours des

prochaines pages.

4.4.1 Stratégies de recrutement des participants et difficultés

rencontrées

Le recrutement des participants s’est fait sur la base du volontariat. Les volontaires

ont été recrutés via la diffusion d’un appel à participer à la recherche (voir annexe 2).

Cette méthode s’est avérée plus ou moins efficace selon les lieux de diffusion. Tout

compte fait, c’est par les réseaux sociaux que le recrutement a le mieux fonctionné.

Voyons maintenant l’évolution des démarches engagées et des difficultés rencontrées

au cours de ces deux années de la recherche.

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162

La première vague de recrutement s’est amorcée en contactant directement des

associations de travailleurs et travailleuses de même que des entreprises des services

informatiques et du multimédia en vue de faire connaître la recherche à leurs

travailleurs ou à leurs membres, en leur transmettant l’appel à participer à la

recherche. Environ une dizaine d’entreprises de la région de Québec ont ainsi été

approchées, par contact téléphonique ou lors d’événements particuliers réunissant des

entreprises de ces secteurs (ex. Carrefour de l’emploi). Les objectifs de la recherche

et les implications de la participation de l’entreprise étaient expliqués aux

responsables rencontrés via un feuillet d’informations destiné aux responsables des

ressources humaines (voir annexe 3), qui leur était remis ou transmis par courriel

suite à un premier contact téléphonique ou en personne. La participation demandée

consistait à transmettre aux salariés et salariées de leur organisation, par courriel ou

par affichage dans leurs locaux, le document « Appel à participer à une recherche ».

Bien que l’entretien était envisagé sur la base du volontariat et en dehors des heures

de travail, cette stratégie a bien peu efficace. Si deux entreprises ont accepté de

diffuser l’appel à participer à la recherche, cela n’a toutefois pas permis de recruter de

participants. Par ailleurs, la diffusion auprès d’un large public, non directement ciblé

envers la population à l’étude (ex. listes d’étudiants et d’employés de l’Université

Laval), ne s’avéra pas davantage une stratégie très efficace. Seul un sujet aura été

recruté via ce lieu de diffusion malgré la vingtaine de courriels de personnes qui se

sont montrées intéressées par la recherche.

Bref, trois mois après le début du recrutement, nous n’avions que trois sujets. Une

révision des démarches entreprises et des lieux choisis pour la diffusion s’est alors

imposée. Trois constats sont alors posés. Premièrement, pour éviter les interactions

avec des personnes intéressées par la recherche mais qui ne répondent pas aux

secteurs ciblés, il était préférable de cibler plus directement la population du

multimédia et des services informatiques. Deuxièmement, il valait mieux éviter

d’utiliser le concept « hypertravail » dans les outils de recrutement, en raison de sa

connotation généralement très négative pour les travailleurs et travailleuses

rencontrés. Cela a sans doute pu constituer un frein à la participation. Troisièmement,

l’échec du recrutement à ce stade-ci pouvait s’expliquer en partie par le manque de

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163

coopération des entreprises. Il est probable que le caractère a priori « hors-la-loi » des

semaines de travail de plus de 48 heures ait freiné leur participation. Lors de la prise

de contact, les responsables des ressources humaines affirmaient souvent qu’aucun

travailleur de leur organisation n’était touché par cette situation (pourtant certains

d’entre eux été recrutés par la suite), ou encore que leurs règles et leurs pratiques en

matière de temps de travail ne toléraient pas une telle situation.

Face à ces constats, quelques changements ont été apportés aux stratégies de

recrutement. D’abord, la version initiale de l’appel à participer à la recherche a

légèrement été modifiée (voir annexe 4), puis amendée par le comité d’éthique de la

recherche de l’Université Laval. Le concept de « conduites d’hypertravail » a été

remplacé par celui de « conduites de fort investissement au travail », et le critère des

heures de travail supplémentaires non rémunérées a été retiré de l’annonce puisqu’il

portait à confusion, certains travailleurs et travailleuses pouvant échanger une partie

de ces heures contre des jours de congés additionnels. Ensuite, il a été convenu

d’abandonner les démarches auprès des entreprises pour privilégier le recrutement de

sujets sans intermédiaire. Enfin, pour tenter de joindre plus efficacement ces

travailleurs et travailleuses habitués aux outils informatiques et aux technologies de

l’information et de la communication, la diffusion de l’appel à participer à la

recherche via Internet et les réseaux sociaux, très utilisés par ces personnes, a été

privilégiée.

L’appel à participer à la recherche a donc par la suite été surtout diffusé sur quelques

forums informatiques, sur le réseau social Facebook et sur le réseau de contacts

professionnels Linked In. Pour Linked In, l’appel à participer à la recherche a été

diffusé à quelques reprises auprès de cinq groupes du secteur des TIC23 regroupant

des travailleurs et des employeurs des régions de Québec et Montréal. Compte tenu

du format exigé par ce réseau, une annonce raccourcie a été préparée (voir annexe 5)

23 À titre d’illustration, le groupe Technologie de l’information du Grand Montréal regroupait près de

13 000 membres; le groupe Professionnels TI de la ville de Québec comptait environ 2 900 membres.

Même si tous les membres ne consultent pas les discussions sur ces réseaux, cette méthode assurait un

échantillonnage varié et relativement diversifié (ex. salariés et salariées d’entreprises de différentes

tailles), tout en permettant de cibler plus directement les travailleurs de la population à l’étude.

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164

mais incluait un lien vers l’appel à participer à la recherche. Les travailleurs et

travailleuses du multimédia et des entreprises de jeux vidéo, plus jeunes, étaient quant

à eux beaucoup plus présents sur le réseau Facebook. À partir d’une liste

d’entreprises établie par le gouvernement du Québec, des travailleurs et travailleuses

qui œuvraient dans des compagnies multimédia ou des services informatiques ont été

repérés sur ces réseaux sociaux et ont reçu l’appel à participer à la recherche.

Tout compte fait, ce sont ces stratégies qui se sont avérées les plus efficaces : 11

participants ont été recrutés via le réseau Facebook, et 17 autres via le réseau Linked

In. Les autres participants ont été recrutés par des réseaux de contacts personnels et

par la méthode du bouche-à-oreille. Les participants à l’étude provenaient des

grandes régions de Québec et de Montréal, deux régions qui regroupent plusieurs

entreprises du secteur du multimédia et du secteur des services informatiques

(Gouvernement du Québec, 2009a, 2009b).

Afin de défrayer les frais de déplacements et de stationnements encourus, une

compensation financière de 25$ a été remise aux participants.

4.4.2 La conduite des entretiens et la confidentialité des données

L’importante étape de réalisation des entretiens exige de prendre en compte trois

paramètres : l’environnement dans lequel se déroulent les entretiens, le cadre

contractuel de communication avec les participants et les modes d’intervention de

l’interviewer durant l’entretien (Blanchet et Gotman, 2007). À propos de

l’environnement, nous avons privilégié ce qui était le plus facilitant pour les

personnes, déjà fortement sous contraintes de temps, en leur laissant le choix du lieu

de l’entretien. En leur rappelant l’importance de choisir un lieu propice à la

confidentialité et où ils se sentaient à l’aise pour raconter des aspects de leur vie et de

leur entreprise, les choix suivants leur étaient offerts : dans un local situé sur le

campus universitaire, sur leur lieu de travail (dans un bureau fermé), dans un lieu

public propice à la discussion (ex. dans le local d’une bibliothèque municipale ou

dans un café) et au domicile de la chercheure. Dans tous les cas, une très forte

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165

attention a été accordée à la confidentialité des informations divulguées lors de

l’entretien, surtout lorsque celui-ci se déroulait sur le lieu de travail ou dans un

endroit public. En aucun cas, le lieu d’entretien choisi ne semble avoir nui au

déroulement de la rencontre ni à la qualité et à l’authenticité des informations

recueillies. Tous les participants ont semblé ouverts à parler d’eux-mêmes comme de

leur entreprise et de leur milieu de travail, et aucune question n’a été évincée ou

évitée, malgré la possibilité émise dans le formulaire de consentement.

Concernant le cadre contractuel de la communication, il a été établi en deux étapes

avec chaque participant, d’abord lors du premier contact téléphonique et ensuite en

face à face, avant de débuter l’entretien. Lors du contact téléphonique, les participants

étaient avisés des objectifs principaux de la recherche et des critères importants pour

participer à la recherche. Il était annoncé aux participants que la durée de l’entretien

prévu était d’environ 90 minutes. Une fois le premier contact établi, un rendez-vous

était fixé avec les volontaires dont le profil correspondait aux critères recherchés (cf.

section 4.5.1). Avant de débuter l’entretien, les participants étaient à nouveau

informés des objectifs principaux ainsi que des aspects éthiques de la recherche. Ils

devaient alors lire et signer le formulaire de consentement qui indique les

engagements éthiques de la chercheure (voir annexe 6). Enregistrés et retranscrits

intégralement, le participant est notamment informé que les entretiens – tant les

fichiers audio que les verbatim – seront conservés dans un ordinateur verrouillé par

l’utilisation d’un mot de passe. Afin d’assurer une plus grande confidentialité des

données, les noms des participants seront remplacés par des prénoms fictifs et les

noms d’entreprises seront retirés ou renommés.

Au terme de la collecte de données, voici quelques chiffres à propos de la durée réelle

des entretiens :

La durée moyenne des entretiens est de 1 heure 33 minutes ;

La médiane est de 1 heure 35 minutes ;

L’entretien le plus court a duré 59 minutes ;

L’entretien le plus long a duré 2 heures 06 minutes ;

Au total, le corpus de données compte environ 55 heures d’enregistrement

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166

Enfin, à propos des modes d’intervention de l’intervierwer avec le participant,

rappelons simplement que nous avons fondé nos interventions à partir de questions de

relance, selon les facteurs retenus à l’étude et le discours du participant.

4.5 L’échantillon

La démarche de recherche qualitative retenue appelle à la formation d’un échantillon

non probabiliste, constitué sur une base volontaire (Neuman et Robson, 2009). La

constitution d’un échantillon diversifié, caractéristique des travailleurs et travailleuses

de ces secteurs, exige de prendre plusieurs décisions en aval et en cours de

recrutement : quels sont les critères d’inclusion / d’exclusion pour participer à la

recherche? Sur la base de quelles caractéristiques les participants doivent-ils se

distinguer? Selon quels critères pouvons-nous convenir que l’échantillon formé est

suffisamment « représentatif »? Dans la première partie, les critères relatifs à la

formation de l’échantillon seront abordés. Dans la deuxième partie, l’échantillon final

sera décrit selon différentes caractéristiques sociobiographiques,

socioprofessionnelles et relatives au temps de travail.

4.5.1 Formation de l’échantillon

Pour approfondir cette nouvelle réalité des longues heures de travail « volontaires » et

de l’adoption de conduites d’hypertravail, nous avons ciblé les secteurs des services

informatiques et du multimédia. Cette stratégie visant à cibler un secteur ou un sous-

secteur d’activités nous a semblé pertinente pour comprendre les pratiques usuelles et

les normes d’un secteur ou d’une profession et a l’avantage de cerner en profondeur

les « contours » d’une culture professionnelle ou sectorielle. Intéressée par le rôle de

l’organisation du travail et celui de l’environnement organisationnel, ce choix a par

ailleurs souvent été celui des études en clinique du travail qui ont porté sur ce sujet de

recherche (Dujarier, 2006 ; Rhéaume et St-Arnaud, 1997 ; Maranda et al., 2006). De

plus, nous avons privilégié faire l’étude de deux secteurs, plutôt qu’un seul, afin de

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167

pouvoir faire des comparaisons intersectorielles et de cerner plus en profondeur le

rôle de l’organisation et du contexte dans lequel elle s’insère pour comprendre plus

finement le développement des conduites d’hypertravail.

L’échantillon devait regrouper des salariés et salariées en situation d’hypertravail

provenant de deux secteurs d’activités associés à l’économie du savoir, celui du

multimédia et celui des services informatiques, secteurs où, rappelons-le, de

nombreux travailleurs et travailleuses sont concernés par les longues heures de travail

non rémunérées (Chasserio et Legault, 2005; Lapointe, 2005).

Selon la définition choisie de l’hypertravail qui a été opérationnalisée en critères

objectivables (voir section 1.3.1.4) et les objectifs de la recherche, voici les critères

d’inclusion retenus pour participer à la recherche :

- Travailler en moyenne 48 heures et plus par semaine. En raison du cadre posé

par les lois du travail canadiennes et québécoises et par d’autres études

scientifiques, ce critère quantitatif d’un nombre d’heures de travail

hebdomadaire a été fixé pour baliser « l’hypertravail ». Des comparaisons

difficiles entre des normes temporelles très distinctes, variables selon la

perception subjective des « longues heures de travail », pouvaient ainsi être

évitées.

- Maintenir ce rythme de temps de travail depuis au moins une année.

L’hypertravail n’est pas une conduite temporaire et circonstancielle mais

durable. Afin de circonscrire cette conduite « soutenue dans le temps »

(Rhéaume, 2006), qui n’est pas le fruit d’une surcharge temporaire associée à

des cycles de production, celle-ci devait être maintenue depuis au moins une

année. Toutefois, les travailleurs et travailleuses pour qui les heures de travail

effectuées chaque semaine étaient variables mais atteignaient la plupart du

temps au moins 48 heures / semaine ont été retenus pour l’échantillon.

- Avoir un statut de salarié. Puisque l’étude s’intéresse au rôle joué par

différents niveaux dans la construction de cette conduite d’hypertravail, dont

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168

les niveaux idéologique et organisationnel, avoir le statut de salarié – et donc

avoir un lien d’emploi avec une entreprise – était un critère essentiel. Lors de

la formation de l’échantillon, les travailleurs autonomes intéressés à participer

à l’étude ont par conséquent été exclus.

- Travailler dans les secteurs des services informatiques et du multimédia. Tel

que mentionné dans la problématique de recherche, nous avons ciblé les

secteurs des services informatiques et du multimédia comme étant un terrain

de recherche a priori particulièrement fertile pour aborder l’étude des

processus de construction des conduites d’hypertravail. Ont aussi été inclus

dans l’étude quelques sujets dont l’entreprise est rattachée à un autre secteur

d’activités mais qui étaient intégrés à un large secteur d’informatique ou de

multimédia dans leur entreprise.

- Être âgé entre 25 et 50 ans. Enfin, le critère de l’âge a semblé utile afin

d’obtenir une représentativité des différents groupes d’âge et ainsi éviter de

faire une étude qui touche exclusivement une génération. Par ailleurs, on

visait au départ à regrouper des participants qui ne soient ni trop près de leur

entrée sur le marché du travail (qui avaient au moins deux années

d’ancienneté) ni trop proches de la sortie vers la retraite. Suivant l’idée où

nous cherchons à prendre en compte la perspective temporelle dans l’analyse

des conduites d’hypertravail, il semblait important de pouvoir amener les

sujets à jeter un regard sur leurs événements professionnels passés ainsi que

sur leurs projections d’avenir.

Pendant la période de recrutement, une soixantaine de personnes ont manifesté leur

intérêt à participer à la recherche. Un écart qui paraît assez important au vu des 34

sujets qui composent, au final, l’échantillon24. Deux raisons principales expliquent cet

écart. La première est que plusieurs se sont finalement désistés, faute de temps. La

24 36 entretiens ont été réalisés mais deux d’entre eux ont finalement été retirés : un en raison de son

statut d’entrepreneur, en démarrage de son entreprise au moment de l’entretien, et l’autre parce que

toutes ses heures de travail supplémentaires étaient rémunérées et qu’il s’agissait de sa principale

motivation à faire de longues heures de travail.

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169

seconde raison est que certains d’entre eux ne répondaient pas aux critères de la

recherche, le plus souvent parce qu’ils étaient travailleurs autonomes ou encore parce

que les longues heures de travail résultaient d’un cumul d’emplois.

Une attention particulière a été accordée à la construction d’un échantillon composé à

la fois d’hommes et de femmes, avec et sans enfant à charge, vivant en couple et

vivant seuls, et dont le profil socioprofessionnel était relativement varié (ex.

différents niveaux d’emploi et de qualifications). Au final, l’échantillon est apparu

suffisamment diversifié au regard de ces critères.

Le recrutement a pris fin lorsque la saturation des données a été atteinte. Ce critère est

rempli lorsque l’ajout de nouveaux cas ne permet plus d’apporter des nuances

importantes dans les résultats trouvés (Poupart et al., 1997; Savoie-Zajc, 2002). La

représentativité des situations confère une grande validité aux données recueillies :

lorsque les données sont riches et diversifiées, on peut espérer parvenir à « produire

un sens complet » (Savoie-Zajc, 2009, p. 226) et à rendre compte de toute la

complexité des processus de construction des conduites d’hypertravail.

4.5.2 Description de l’échantillon

La description exhaustive de l’échantillon (N=34 sujets) fait l’objet de cette partie. Le

portrait des sujets qui le composent, répartis selon diverses caractéristiques

sociobiographiques, socioprofessionnelles et relatives aux heures de travail au

moment de l’entretien, y est présenté.

a) Caractéristiques sociobiographiques

L’échantillon est composé de 8 femmes (24%) et 26 hommes (76%). Bien

qu’apparemment marquée par un déséquilibre selon le genre, cette répartition est

toutefois représentative de la composition de la main-d’œuvre des domaines de

l’informatique et du multimédia. Au Québec et au Canada, environ le quart des

emplois en TI est occupé par des femmes (Chartier, 2013 ; Habtu, 2003 ;

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TECHNOCompétences, 2012). De manière générale, les femmes restent fortement

sous-représentées dans ces secteurs et la tendance ne semble pas vouloir se renverser,

le déséquilibre tend même à s’accroître au Québec comme dans d’autres pays

occidentaux (Chartier, 2013 ; Valenduc, 2011).

Selon la variable de l’âge, l’échantillon se répartit presque également entre les

travailleurs et travailleuses âgés de 20 à 34 ans et les travailleurs et travailleuses âgés

de 35 à 50 ans. Pour le premier groupe, on en dénombre 19 (56%) : 1 a moins de 25

ans, 8 ont entre 25 et 29 ans, et 10 ont entre 30 et 34 ans. Pour le deuxième groupe,

on en compte 15 (44%) : 7 ont entre 35 et 39 ans, 3 ont entre 40 et 44 ans et 5 ont

entre 45-50 ans.

La répartition de l’échantillon en fonction de la situation conjugale et familiale

apparaît diversifiée. Au moment de l’entretien, 25 sujets (74%) vivaient en couple et

9 (26%) vivaient seuls. De plus, près de la moitié d’entre eux avait au moins un

enfant à leur charge financière (ou, pour un cas, enfants du conjoint) (n=16 ; 47%)

tandis que l’autre moitié n’en n’avait pas (n=18 ; 53%).

Concernant le niveau de formation, les travailleurs et travailleuses détenant une

formation universitaire sont fortement représentés. Lorsqu’ils ont été rencontrés dans

le cadre de la recherche, environ la moitié (n=18 ; 53%) avaient décroché un

baccalauréat ou une maîtrise. Un peu plus du tiers (n=13 ; 38%) avaient obtenu un

diplôme d’études collégiales et 3 sujets (9%) avaient un diplôme d’études

secondaires. Cette présence marquée de travailleurs et de travailleuses qualifiés est

peu surprenante puisque les longues heures de travail touchent plus particulièrement

les professions qualifiées (Lapointe, 2005).

b) Caractéristiques socio-professionnelles

L’analyse des caractéristiques socioprofessionnelles fait aussi état d’un échantillon

diversifié. D’abord, on retrouve une répartition presque égale de sujets issus du

secteur du multimédia (n=14 sujets ; 41%) et du secteur des services informatiques

Page 192: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

171

(n=16 sujets ; 47%). Ils occupent pour la plupart des professions spécialisées en en

lien avec les technologies (ex. architecte technologique, chargé de projet TI, designer

de jeux vidéo), mais quelques-uns (trois, plus précisément) occupent des emplois un

peu à distance de ces professions « technos », par exemple à titre de conseiller/ère en

gestion ou en ressources humaines. Les 4 autres sujets (n=4 sujets; 12%) travaillent

dans un département d’informatique / TIC mais dans un autre secteur d’activités (ex.

ventes et services ; finances, affaires et administration).

Tableau 4 : Description de l’échantillon au croisement du secteur d’activités et du

sexe des sujets

HOMME FEMME TOTAL

Multimédia 9 5 14

Services informatiques

13 3 16

Autres (emploi lié à l’informatique)

4 0 4

TOTAL 26 8 34

Selon les informations vérifiées sur le site de la Classification Nationale des

Professions (CNP, 2011, Gouvernement du Canada), les salariés et salariées qui

composent l’échantillon se regroupent exclusivement dans les niveaux de

compétences les plus élevés (cadre / professionnel / technicien) et aucun dans les

deux niveaux « ouvriers » (ouvrier spécialisé / ouvrier non spécialisé). Les

professionnels sont les plus représentés, avec 21 sujets (61,8%). Viennent ensuite les

cadres, avec 10 sujets (29,4%) puis, enfin, les techniciens pour 3 sujets (8,8%). Il est

important de souligner qu’à l’exception d’un seul sujet, les cadres de l’échantillon ne

sont pas des hauts-dirigeants ou des exécutifs (ex. président-e, vice-président-e,

directeur/directrice général-e). Ce sont plutôt des gestionnaires de projet, des cadres

de premier niveau ou de niveaux intermédiaires, supervisant quelques employés,

Page 193: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

172

voire pas du tout, mobilisés à la mise en œuvre de projets précis ou à la direction d’un

département.

La grande majorité des sujets de l’échantillon travaillent dans une moyenne ou une

grande entreprise (82%). Plus précisément, 6 sujets sur 34 (18%) travaillent au sein

d’une petite entreprise (moins de 100 travailleurs), 11 sujets (32%) sont rattachés à

une moyenne entreprise (entre 100 et 499 travailleurs) et 17 sujets (50%) se

retrouvent dans une grande entreprise (500 travailleurs et plus).

À l’exception d’un seul pour qui le contrat est présentement à durée déterminée (mais

sera sans doute régularisé au terme de celui-ci), tous les sujets sont des salariés et

salariées permanents. Concernant la durée du lien d’emploi, la situation est

passablement variable. Quelques-uns sont à l’emploi de l’entreprise depuis une courte

durée. C’est le cas pour 7 sujets (20,5%), qui y sont embauchés depuis moins de deux

ans. Plusieurs y sont depuis quelques années, entre 2 et 5 ans (n=13 ; 38,2%) ou entre

5 et 10 ans (n=9 sujets ; 26,5%). Enfin, près de 15% (n=5) ont développé un lien

d’emploi de plus longue durée – de plus de 10 ans – avec leur employeur.

Enfin, en ce qui concerne le salaire annuel, le deux tiers des sujets de l’échantillon

gagnent plus de 60 000$ par année (n=22 ; 64,7%) et, parmi ceux-ci, 12 d’entre eux

ont des revenus annuels supérieurs à 80 000$, soit 35% de l’échantillon total. L’autre

tiers des sujets (n=12 ; 35,3%) gagnent moins de 60 000$ annuellement, dont 5

d’entre eux ont des revenus de moins de 40 000$. Ainsi, environ 15% des travailleurs

et travailleuses de notre échantillon gagnent un salaire inférieur à la moyenne

canadienne, établie à 46 557,68$ en 2012, année médiane du recrutement (Statistique

Canada, 2014).

c) Caractéristiques relatives aux heures de travail

La très grande majorité des sujets affirment travailler en moyenne entre 50 et 60

heures par semaine. Mais quelques-uns d’entre eux ont tenu à souligner qu’il était

difficile d’établir une moyenne puisque leur horaire de travail était plutôt

Page 194: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

173

variable, entre des semaines plus « calmes », généralement autour de 40-45 heures, et

des semaines de « crunch »25 (selon l’expression consacrée dans les entreprises du jeu

vidéo), pouvant aller dans les cas les plus extrêmes jusqu’à 90 heures par semaine.

Plus précisément à propos de la moyenne d’heures travaillées par semaine, 6 (18%)

travaillent entre 45 et 49 heures, 15 (44%) travaillent entre 50 et 54 heures, 11 (32%)

travaillent entre 55 et 59 heures, et seulement 2 (6%) travaillent 60 heures ou plus.

Les travailleurs et travailleuses de notre échantillon qui ont des « horaires extrêmes »

(plus de 61 heures par semaine) sont donc très rares.

En ce qui a trait à la durée de la période de longues heures de travail, le quart des

sujets (n=8 ; 24%) vivent cette situation depuis un an ou deux. Pour les autres, 6

(18%) ont ce régime temporel depuis 2 ans à 5 ans, 10 (29%) l’ont depuis 5 ans à 10

ans et 10 (29%) disent faire de longues heures de travail depuis plus de 10 ans.

Tableau 5: Description de l'échantillon selon quelques caractéristiques

sociobiographiques et socioprofessionnelles

Nom** Genre Âge Situation

conjugale et

familiale

Formation Occupation

Alain M 45-50

ans

En couple

Trois enfants

Génie informatique Architecte de

solutions

Alexia F 20-24

ans

En couple

Sans enfant

Bac en commerce

orienté TI

Coordonnatrice

aux ventes et

marketing

Anne-

Marie

F 45-50

ans

En couple

Sans enfant

Bac en informatique

de gestion

Chargée de projet

principal, TI

Bernard M 45-50

ans (51

ans)

Célibataire Collégial général Directeur des

opérations

réseaux TI

Christian M 30-34

ans

Célibataire

Un enfant

AEC programmeur

analyste

Directeur,

développement

des affaires

Frédéric M 35-39

ans

En couple

Un enfant

Bac. en dessin

industriel

Producteur

exécutif

Daphnée F 30-34

ans

En couple

Sans enfant

Bac. en sociologie Coordonnatrice,

production et

marketing

Édouard M 30-34 Célibataire AEC informatique Technicien réseau

25 « Le crunch, tous les développeurs de jeu vidéo connaissent. Il s’agit de cette période de surrégime

pendant laquelle les membres d’un studio se lancent dans un contre-la-montre par équipe pour boucler

dans les temps une version, finale ou intermédiaire, du jeu (une "build") » (Revue Business, juillet

2012).

Page 195: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

174

Nom** Genre Âge Situation

conjugale et

familiale

Formation Occupation

ans Un enfant (pas

charge

Émile M 30-34

ans

En couple

Un enfant

DEC en

informatique

Architecte

technologique

Évelyne F 35-39

ans

En couple

Sans enfant

Bac. en

photographie

Performance

Talent Manager

(à dire autrement)

Florence F 30-34

ans

En couple

Deux enfants

(conj.)

Bac. en relations

industrielles

Conseillère en

ressources

humaines

Gabriel M 35-39

ans

En couple

Un enfant

Bac. en génie

informatique

Chef de projet,

multimédia

Hubert M 25-29

ans

Célibataire

Sans enfant

Secondaire (en voie

de terminer Bac.)

Producteur de

jeux vidéo

Isaac M 25-29

ans

Célibataire

Sans enfant

Secondaire général Développeur

senior

Jacques M 40-44

ans

En couple

Un enfant

Bac. en

administration des

affaires

Gestionnaire de

livraison de

services, TI

Jean M 45-50

ans

En couple

Deux enfants

MBA Directeur des

services

professionnels, TI

Jean-

Thomas

M 35-39

ans

En couple

Deux enfants

AEC programmeur

analyste

Conseiller

principal, chargé

de projet tech.

Jérôme M 35-39

ans

Célibataire

Sans enfant

Bac. en génie

informatique

Spécialiste en

program

informatique

Katherine F 25-29

ans

En couple

Sans enfant

DEC en animation

3D

Animatrice 3D

Louis M 25-29

ans

En couple

Sans enfant

Maîtrise en design

graphique et multim

Designer de jeux

Mathieu M 30-34

ans

En couple

Sans enfant

Bac. en informatique Architecte

logiciels

Marianne F 30-34

ans

En couple

Sans enfant

Licence amén.

Territoire (=DEC)

Illustratrice

Martin M 25-29

ans

En couple

Sans enfant

AEC animation 3D Artiste marketing

Nathan M 40-44

ans

En couple

Deux enfants

Secondaire général +

cours coll. et univ

Architecte de

système

Olivier M 30-34

ans

Célibataire

Sans enfant

DEC en

informatique

Programmeur

analyste, TI

Pascal M 35-39

ans

Célibataire

Deux enfants

DEC en muséologie Chef d’équipe

service TI

Pierre M 40-44

ans

En couple

Deux enfants

Bac. en

enseignement

(éduc.)

Directeur en

informatique

Raphael M 25-29

ans

Célibataire

Sans enfant

Bac. en prog. et arts

numériques

Gestionnaire de

données

Richard M 25-29

ans

En couple

Sans enfant

Bac. en génie

informatique

Conseiller en

sécurité info et

gouvernance

Page 196: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

175

Nom** Genre Âge Situation

conjugale et

familiale

Formation Occupation

Romain M 30-34

ans

En couple

Un enfant

DEC en marketing Responsable du

dév. de

l’expertise TI

Samuel M 25-29

ans

En couple

Un enfant

Bac. en génie

mécanique

Technicien

concepteur (TI)

Sandrine F 35-39

ans

En couple

Un enfant

DEC en marketing,

ventes et comm.

Conseillère en

gestion

Thierry M 45-50

ans

En couple

Deux enfants

DEC en électronique Administrateur de

bases de données

Vincent M 30-34

ans

En couple

Sans enfant

Bac. en informatique

de gestion

Producteur de

jeux vidéo

** Il s’agit de prénoms fictifs

4.6 La méthode d’analyse des données

Dans une recherche qualitative, l’analyse des données représente une étape cruciale et

laborieuse. Face à un corpus de données volumineux et relativement peu structuré,

cette étape doit être formalisée et systématisée pour éviter de voir toutes les données

brutes comme pertinentes (Mukamurera, Lacourse, et Couturier, 2006). Avant

d’entamer le travail d’analyse proprement dit et selon ce que nous souhaitions faire au

regard de l’objet à l’étude, il s’est d’abord avéré impératif de repérer et d’évaluer

diverses procédures d’analyse et de méthodes de traitement des données. C’est ce

dont il sera question dans un premier temps. Nous exposerons ensuite notre choix de

privilégier une analyse de contenu thématique, à la fois verticale et horizontale

(Blanchet et Gotman, 1992). Enfin, la description exhaustive de la méthode telle

qu’elle a été suivie, appuyée sur les six étapes distinguées par L’Écuyer (1990),

permettra de mettre en relief l’ensemble du processus d’analyse, les décisions prises

de même que quelques-unes des difficultés rencontrées.

Page 197: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

176

4.6.1 Analyse de contenu ou analyse du discours : deux types

d’approches distinctes

Différentes approches d’analyse sont proposées dans la littérature scientifique. Parmi

celles-ci, l’analyse contextualisante, l’analyse par questionnement, l’analyse par

entretien, l’analyse propositionnelle du discours et l’analyse thématique de contenu

comptent parmi les plus populaires et les plus utilisées (Blais et Martineau, 2006;

Blanchet et Gotman, 1992; Paillé et Mucchielli, 2010). Sans chercher à toutes les

décrire ici, mentionnons que les chercheurs qui travaillent avec un corpus de données

recueillies sur la base d’entretiens biographiques privilégient généralement soit

l’analyse de discours, soit l’analyse de contenu (Demazière et Dubar, 2004). Ces deux

types d’analyse présentent des différences importantes.

L’analyse de discours est une méthode qui amène le chercheur à poser son regard sur

les structures du discours, par exemple sur la structure sémantique, afin de « rendre

compte des articulations du discours conçu comme un tout de signification »

(Fontanille, 2009, p. 243). Demazière et Dubar (2004) inscrivent leurs démarches

d’analyse des entretiens biographiques dans ce courant. Pour eux, il importe d’étudier

la structuration du discours singulier pour comprendre le récit du sujet à travers les

mots qu’il a choisis, de façon à découvrir « le code du discours qui donne sens aux

enchaînements du récit » (p. 95).

Quant à l’analyse de contenu, elle réfère globalement à « un ensemble de méthodes

d’analyse de documents, le plus souvent textuels (i.e. discours), permettant

d’expliciter le ou les sens qui y sont contenus et/ou les manières dont ils parviennent

à faire sens » (Mucchielli, 2009, p. 36). Il s’agit principalement d’une méthode

d’analyse qui vise à découper le discours en différents thèmes. Selon qu’il s’agisse

d’une approche purement inductive ou dirigée, ces thèmes peuvent émerger du

discours des sujets et/ou encore être préétablis par une grille initiale d’analyse

(Mukamurera et al., 2006; Savoie-Zajc, 2004).

Page 198: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

177

4.6.2 Une analyse de contenu thématique, verticale et horizontale

La méthode d’analyse de contenu thématique a semblé pertinente pour saisir les

processus de construction des conduites d’hypertravail. Au regard de la grille

d’analyse à cinq niveaux qui a été préalablement développé sur les plans théorique et

opérationnel, la démarche privilégiée s’inscrit dans une « logique inductive

délibérative », qui consiste à accorder une place importante aux influences théoriques

dans l’analyse des données qualitatives (Savoie-Zajc, 2004). Bien qu’il ne s’agisse

pas d’une démarche inductive « pure », dont l’analyse se fait sans a priori théorique

et uniquement à partir des thèmes émergents de l’analyse de contenu, la finalité

recherchée est la même : chercher le sens du discours à travers l’organisation et

l’interprétation des données (Paillé et Mucchielli, 2003).

Comme le mentionnent Blanchet et Gotman (2007), l’analyse de contenu thématique

peut être « verticale », c’est-à-dire que les thèmes sont étudiés et mis en relation dans

chaque entretien (que l’on appelle aussi l’analyse par entretien), ou « horizontale »,

qui renvoie à une analyse par thèmes mais qui traverse cette fois tous les entretiens.

Ce dernier type d’analyse a généralement deux fonctions principales: 1) faire ressortir

tous les thèmes qui sont pertinents pour répondre aux objectifs de la recherche et; 2)

faire des regroupements de façon à mettre en évidence les thèmes les plus

fondamentaux pour expliquer les phénomènes parmi l’ensemble des thèmes révélés

dans le corpus de données (Paillé et Mucchielli, 2010, p. 162).

La problématique évoquée invite fortement à une analyse thématique des données, et

ce, tant sur les plans vertical qu’horizontal. Sur le plan vertical, cette analyse par

entretien, niveau par niveau (voir le modèle d’analyse multidimensionnel présenté au

chapitre 3), permet de saisir et de dégager ce qui, du point de vue individuel, concourt

le plus au développement de cette conduite, en vue de reconstituer les processus

psychosociaux qui mènent à l’adoption des conduites d’hypertravail.

L’analyse par entretien repose sur l’hypothèse que chaque

singularité est porteuse du processus soit psychologique, soit

sociologique que l’on veut analyser. L’analyse par entretien se

justifie donc lorsqu’on étudie des processus, des modes

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178

d’organisation individuels en tant qu’ils sont révélateurs : (…)

d’une théorie du mode de production de l’existence (récit de vie).

L’analyse par entretien permet de déceler le mode

d’engendrement singulier des processus, qu’il soit clinique,

cognitif ou biographique (Blanchet et Gotman, 2007, p. 94).

À partir d’une grille de lecture sommaire, cette méthode invite, pour chaque entretien,

à s’attarder à chacun des objectifs spécifiques, tels que celui de dégager le sens des

conduites d’hypertravail et celui d’articuler les facteurs et niveaux entre eux, selon

leur poids et leurs interrelations en lien avec la conduite d’hypertravail. En outre,

l’identification des étapes charnières et incidents critiques du parcours ayant mené à

l’adoption de cette conduite doit être réalisée pour chaque sujet.

Afin d’élaborer un modèle explicatif des conduites d’hypertravail, l’analyse de

contenu dite « horizontale » exige de procéder à la mise en commun des thèmes

récurrents des entretiens pour en dégager des informations plus englobantes (Blanchet

et Gotman, 2007). Cette analyse horizontale des données peut être réalisée en deux

temps : premièrement, à partir de l’ensemble du corpus, chacun des thèmes (facteurs)

devant être approfondi en vue de constituer une grille d’analyse qui rende compte des

multiples facettes de ces thèmes; deuxièmement, par la comparaison et la mise en

commun des processus individuels qu’a permis l’analyse verticale, principalement au

regard des configurations de facteurs et de niveaux les plus importants dans le

développement de ces conduites.

C’est par la combinaison de ces deux méthodes d’analyse de contenu – verticale et

horizontale – qu’il nous a semblé possible de parvenir à répondre aux objectifs de la

recherche et ainsi mettre en évidence les processus de construction des conduites

d’hypertravail. Au-delà des prémisses générales qui viennent d’être exposées, la

section suivante présente plus en détails, les différentes étapes qui ont été suivies pour

analyser le corpus de données. Si la méthode est présentée de façon linéaire pour les

fins de cohérence dans ce document, il apparaît important de préciser que ces étapes

ont pu s’enchevêtrer et n’ont pas été réalisées isolément et en suivant

systématiquement l’ordre selon lequel elles sont présentées. Des précisions sur les

Page 200: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

179

allers retours effectués entre ces étapes seront apportées au fur et à mesure de leur

présentation.

4.6.3 Une démarche en six étapes, réalisée selon deux périodes

d’analyse

Les différentes méthodes repérées en vue d’accomplir le travail d’analyse de contenu

des entretiens proposent généralement, pour les approches générales inductives, entre

trois et six étapes d’analyse (Blais et Martineau, 2006 ; Creswell, 1998 ; L’Écuyer,

1990 ; Wanlin, 2007). Mais peu importe que ces étapes soient plutôt décomposées ou

regroupées entre elles, le travail du chercheur demeure essentiellement le même,

c’est-à-dire se familiariser avec le matériau recueilli, affiner l’analyse en découpant

les thèmes et les catégories à partir de segments d’entretiens, en faire une description

scientifique et en interpréter les résultats.

À titre d’exemple, les travaux de Thomas (2006) distinguent quatre étapes :

1- la préparation des données brutes dans un format comparable (ex.

retranscription mot-à-mot);

2- la lecture approfondie des données pour avoir une vue d’ensemble sur les

contenus qui sont abordés dans les entretiens (ou lecture flottante) ;

3- l’identification des catégories (repérer les thèmes et les catégories dans le

contenu des discours);

4- le raffinement des catégories (ou la description scientifique et statistique

des catégories).

Tandis que Wanlin (2007) suggère une analyse de contenu en trois grandes

étapes, induite à partir des travaux de différents auteurs :

1- la préanalyse, qui permet de choisir les documents les plus représentatifs

de l’étude, d’en faire une lecture flottante pour repérer des indicateurs qui

apparaissent importants au regard des hypothèses et des objectifs de

recherche, mais aussi de préparer le matériel en procédant aux premiers

découpages par thèmes ;

Page 201: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

180

2- l’exploitation du matériel, qui consiste principalement à élaborer une grille

de catégories pour chaque thème et à coder l’ensemble du corpus de données à

partir de ces catégories ;

3- le traitement et l’interprétation des données, qui inclut les traitements

statistiques, la préparation de tableaux et les interprétations possibles selon les

résultats.

Dans cette thèse, c’est la démarche (ou procédure) d’analyse en six étapes de

L’Écuyer (1990) qui nous a semblé la plus intéressante, et ce, pour au moins deux

raisons. La première est que celle-ci a été particulièrement développée pour faire une

analyse développementale de contenu, qui prend en compte des éléments

psychosociaux. Elle s’avère donc pertinente pour étudier des données provenant

d’entretiens biographiques, arborant un regard « évolutif » sur le développement de

conduites d’hypertravail. La deuxième raison est celle de la valeur heuristique de

cette méthode, dont chacune des étapes s’avère bien détaillée, et où l’analyse ouverte

proposée par le modèle mixte (i.e. qui tient compte à la fois des éléments

préalablement déterminés et des éléments émergents de l’analyse) apparaît tout à fait

pertinente avec notre objectif de reconstituer les différents processus de construction

des conduites d’hypertravail.

Suivant un modèle itératif d’analyse des données, la démarche réellement suivie a pu

varier légèrement par rapport aux étapes théoriques et « linéaires » exposées dans les

manuels de méthodologie (Mukamurera et al., 2006). Si la méthodologie présentée

par l’Écuyer (1990) est au cœur de la démarche, l’analyse de contenu a également été

enrichie de lectures complémentaires, de réflexions personnelles et de sous-étapes

additionnelles, au besoin. Voyons maintenant plus en détails chacune des grandes

étapes de l’analyse, divisée selon deux périodes spécifiques. La première période a

cherché à discerner les résultats principaux (c’est-à-dire les catégories et les cas-

types) à partir d’un échantillon partiel, tandis que la seconde a surtout permis, à partir

de l’ensemble de l’échantillon, de faire le traitement statistique, d’affiner les

descriptions des catégories et des cas-types, et de proposer quelques interprétations

possibles des résultats établis.

Page 202: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

181

Première période d’analyse : repérage des résultats saillants et des cas-types à partir

d’un échantillon partiel

La première période d’analyse a été réalisée sur la base de vingt entretiens. Analysés

en profondeur, le travail effectué dans cette période a été profitable pour dresser un

bon premier panorama des résultats.

a) Étape 1 : La lecture flottante

Abordée à partir d’une conception phénoménologique de la recherche, c’est-à-dire

dans le but de saisir la logique d’action du point de vue du sujet et pour chercher à

comprendre son intention de communication (Paillé et Mucchielli, 2008), la première

étape a consisté à faire une lecture flottante d’une dizaine entretiens entièrement

retranscrits, avec prises de notes. Puisque la lecture flottante a pour objectif de

s’attarder au discours du sujet, cette première lecture nécessite de mettre entre

parenthèses les connaissances et les préconceptions issues des lectures théoriques

préalables relativement au développement des conduites d’hypertravail. Il ne s’agit

donc pas, à cette étape, de chercher à donner du sens à l’ensemble des données.

Pour L’Écuyer (1990) comme pour d’autres (dont Wanlin, 2007), cette première

étape est importante. Elle permet de se familiariser avec le matériel de recherche et de

dégager les premières pistes de réflexion. Elle permet également d’avoir une vue

d’ensemble sur les thèmes dominants et récurrents abordés par les sujets, qu’ils soient

prévus ou non dans le guide d’entretien, en vue de l’élaboration d’une grille d’analyse

détaillée.

Afin de systématiser ce travail de lecture, une grille générale a été produite et a

permis de faciliter la prise de notes. Celle-ci permet à l’analyste de produire un

résumé descriptif des éléments marquants rapportés par les sujets pour chacun des

niveaux de la grille d’analyse. Cette grille a facilité la lecture des cas pris

individuellement, mais a aussi facilité la comparaison entre eux, de façon à

apercevoir plus distinctement les facteurs et les niveaux les plus fortement interpellés,

et de distinguer les cas similaires.

Page 203: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

182

b) Étape 2 : Le découpage par thèmes

La deuxième étape consiste à découper le matériel en « énoncés plus restreints

possédant un sens complet en eux-mêmes » (L’Écuyer, 1990, p. 59). À cette étape, il

faut choisir les énoncés qui serviront à analyser plus en profondeur certaines parties

des données de recherche (que l’auteur appelle des « unités de sens ») et les définir.

La définition de ces unités doit permettre de regrouper les parties du discours des

sujets qui comportent le même sens.

Au préalable à ce découpage, a été choisie une manière de ranger les extraits des

données brutes relatives aux énoncés en question. Bien que l’utilisation d’un logiciel

d’analyse ne puisse pas remplacer le travail du chercheur pour l’organisation,

l’analyse et l’interprétation des données (Wanlin, 2007), deux principaux avantages

ont motivé le choix de recourir à un logiciel d’analyse qualitative, en l’occurrence

QDA Miner, pour soutenir le traitement et la classification des données brutes.

Premièrement, le logiciel d’analyse permet une manipulation beaucoup plus

polyvalente des données et des extraits, en plus d’offrir une grande rapidité de

traitement. Une fois les extraits identifiés et codés, il est alors possible d’obtenir

rapidement des tableaux, des informations statistiques ou de faire des analyses plus

approfondies (par exemple pour croiser deux facteurs). Deuxièmement, l’utilisation

d’un logiciel permet de réduire les tâches et les manipulations manuelles des données

pouvant être à la source d’erreurs (Wanlin, 2007). Considérant le nombre élevé de

facteurs et de niveaux à l’étude, ce choix semblait tout à fait approprié.

Si la lecture flottante avait déjà permis d’identifier plusieurs thèmes, c’est à un travail

beaucoup plus systématique qu’a été confrontée la chercheure à cette étape. À partir

des thèmes repérés à l’étape 1, il a alors fallu :

1- créer les codes thématiques dans la base de données;

2- lire chacun des entretiens de l’échantillon partiel (20 entretiens);

3- pour chacun des entretiens, sélectionner les énoncés pertinents,

correspondant à chacun des thèmes identifiés.

Page 204: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

183

À ce stade de l’analyse, environ 25 thèmes ont été identifiés et codés, soit bien

davantage que les 16 facteurs de la grille d’analyse. Un découpage plus circonscrit

des thèmes a paru nécessaire pour approfondir les données. Pour illustrer, le facteur

« parcours professionnels et enchaînement des événements » a été divisé en quatre

sous-thèmes à ce stade-ci de l’analyse: le choix d’études, la période d’insertion, la

pente du parcours / mobilité, et le moment où s’installe durablement la conduite

d’hypertravail au cours du parcours professionnel.

Ce découpage thématique et le regroupement des énoncés dans le logiciel ont préparé

l’étape centrale de cette méthode d’analyse, celle de la catégorisation et de la

classification des données.

c) Étape 3 : La catégorisation et la classification

L’étape de catégorisation et de classification des données a pour but de réorganiser le

matériel de recherche en regroupant les « unités de classification » par analogie de

sens. De manière générale, cette étape vient « mettre en évidence les caractéristiques

et la signification du phénomène ou du document analysé » (L’Écuyer, 1990, p. 63).

Selon le modèle mixte26, quatre sous-étapes permettent d’y arriver :

a) regrouper les énoncés dans les catégories préexistantes et, s’il y a lieu, émergentes.

Si l’étape précédente avait permis de regrouper tous les énoncés selon chacun des

thèmes récurrents ou importants, il faut maintenant les reprendre un à un afin de

dégager les différentes catégories, c’est-à-dire les extraits d’entretien qui partagent le

même sens. Par exemple, en ce qui a trait à l’insertion, le contenu des énoncés repérés

sous ce thème nous a amenée à distinguer deux catégories de réponses possibles :

l’insertion aisée ou l’insertion difficile. Dès que tous les thèmes sont classifiés, on en

arrive alors à une première ébauche de la grille d’analyse ;

26 Selon le modèle mixte, les catégories retenues peuvent être différentes des catégories préexistantes,

c’est-à-dire que les catégories préexistantes pourront être regroupées avec d’autres éléments rapportés

dans les entretiens et former ainsi de nouvelles catégories plus pertinentes pour saisir les processus qui

mènent à l’adoption de conduites d’hypertravail.

Page 205: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

184

b) réviser chacune des unités de classification en vue de fusionner ou d’éliminer

celles jugées redondantes. Il s’agit d’en arriver à l’élaboration de catégories

distinctives et exclusives, proches du contenu des entretiens. À cette étape, plusieurs

thèmes ont été fusionnés afin de proposer une analyse enrichie et plus englobante des

données, et deux ont été retirés en raison du peu d’intérêt qu’ils offraient pour

atteindre les objectifs de la recherche ;

c) définir les catégories qui feront partie de la grille d’analyse finale. C’est lors de

cette sous-étape que le travail de définition et de description exhaustive des catégories

a pris forme. À la fois suffisamment englobantes pour relier plusieurs discours, et à la

fois suffisamment détaillées pour prendre en compte toutes les subtilités et les

nuances soulevées par les extraits, ces descriptions sont au cœur de la démarche

d’analyse et des résultats qualitatifs qu’ils mettent en évidence. La manière d’y

parvenir a été progressive et bien souvent interreliée avec les autres sous-étapes. De

fait, la description initiale des catégories a été bonifiée au fur et à mesure de la

relecture des énoncés et de l’ajout de nouveaux extraits;

d) classifier tous les énoncés à partir de la grille d’analyse finale et saisir les données

dans le logiciel d’analyse. Cette démarche a été réalisée dans un premier temps pour

20 entretiens. Des codes pour chaque catégorie ont été créés dans le logiciel

d’analyse, puis les énoncés (ou extraits d’entretien) ont été classifiés puis codés.

Une fois cette étape terminée, chacune des sous-étapes a été reprise une seconde fois

mais, cette fois-ci non plus pour repérer des thèmes dans les discours mais pour

repérer les cas-types (ou cas de figures) qui illustrent des processus distincts de

construction des conduites d’hypertravail. Brièvement, cette étape de méta-analyse

s’est déroulée comme suit : 1- les cas similaires (sujets) ont été réunis, laissant

volontairement de côté ceux plus ambigus; 2- une première catégorisation des cas-

type a été accomplie, faisant particulièrement ressortir le poids des facteurs et leurs

relations entre eux; 3- en procédant de manière systématique – niveau par niveau et

thème par thème – une première description détaillée de chacun des cas-types,

appuyée par plusieurs extraits d’entretien, a été rédigée; 4- les cas plus difficiles ont

été classifiés et ont permis d’affiner l’analyse et la description des cas-types.

Page 206: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

185

Au terme de cette première période d’analyse, une première version des résultats,

appuyée sur vingt entretiens, a été finalisée et proposée à la discussion.

Deuxième partie de l’analyse : révision des catégories, rédaction finale des résultats et

interprétation

La deuxième partie de l’analyse s’est déroulée environ 6 mois plus tard. Cette prise

de distance a été profitable pour identifier quelques redondances ou recoupements

entre certains thèmes et certaines catégories. De plus, la mise en discussion d’une

première version des résultats a été couplée avec l’ajout de nouveau cas – les

quatorze entretiens restants – qui sont venus enrichir l’analyse et ont permis de

proposer, au terme de cette deuxième partie de l’analyse, une version finale des

résultats. Cette période correspond grosso modo aux trois dernières étapes de la

procédure d’analyse de L’Écuyer (1990).

d) Étape 4 : Le traitement statistique des données

La quatrième étape est celle du traitement statistique des données. Cette étape a pour

objectif de mettre en relief la composition des catégories et des cas-types selon

certaines variables objectives plus significatives, telles que le sexe et la situation

familiale. À cette étape, toutes les codifications ont été révisées à la lumière des

ajustements apportés à la grille d’analyse et en fonction des quatorze sujets restants

ajoutés.

Au terme de celle-ci, il est alors possible d’avoir un portrait statistique de tous les

résultats, autant pour le nombre de sujets de chaque catégorie et pour chaque cas-type

que pour la description de chacun des cas-types selon quelques variables

sociobiograhiques et socioprofessionnelles prises en compte dans l’étude.

e) Étape 5 : La description scientifique des catégories

La cinquième étape a été réalisée simultanément avec la quatrième. Appuyée cette

fois sur l’ensemble de l’échantillon, celle-ci a consisté à rédiger une description

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186

scientifique finale pour chacune des catégories et pour chacun des cas-types (à partir

des catégories), en tenant compte des analyses quantitatives mais surtout qualitatives.

Autrement dit, la description des catégories et des cas-types a été révisée, et la

première version des résultats s’est vue bonifiée pour présenter une version finale.

f) Étape 6 : L’interprétation des résultats

La sixième et dernière étape est celle de l’interprétation des résultats. Elle vise à

proposer des explications relativement aux résultats obtenus et à leur signification, en

lien avec nos objectifs de recherche (L’Écuyer, 1990). Cette importante étape sera

l’objet du dernier chapitre de la thèse (chapitre 7).

Aussi, avant d’aborder plus concrètement ce travail, il a semblé pertinent de repérer

les études qui ont cherché à analyser les interactions entre plusieurs niveaux

d’explication en psychologie sociale, de façon à comparer les façons de faire. Tout

compte fait, l’étude de Faulx (2010), portant sur le harcèlement moral et

l’hyperconflit au travail, nous est apparue assez proche de cet objectif27. En cherchant

à comprendre, par une approche de psychosociologie clinique, les processus

individuels, interpersonnels, groupaux et organisationnels qui mènent à

« l’hyperconflit au travail », nous retrouvons dans cet ouvrage des pistes pour guider

l’analyse et la présentation des résultats distingués en termes de niveaux et de

configurations dynamiques de trois cas-types. Dans cet ouvrage, de façon similaire à

ce que nous avons développé dans le chapitre précédent, chacun des niveaux est

d’abord appréhendé dans les différentes manières dont il est associé à la situation de

harcèlement moral au travail. Décrit comme autant de processus distincts (ex.

processus individuels, processus interpersonnels, processus groupaux et processus

organisationnels), Faulx (2010) fait ainsi ressortir comment chacun des niveaux

27 Plus spécifiquement, cet ouvrage s’attarde à la mise en évidence de « processus relationnels

interpersonnels, groupaux et organisationnels à l’œuvre dans les situations de harcèlement moral au

travail », aux « résonances entre processus, c’est-à-dire comment les processus interagissent entre eux

», de même qu’aux « configurations de processus qui se présentent dans les situations de harcèlement

moral au travail » (Faulx, 2010, p. 23).

Page 208: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

187

contribue à provoquer la situation de harcèlement moral. Cette façon de faire est

proche de notre analyse descriptive détaillée par facteurs pour expliquer la manière

dont ceux-ci ont plus ou moins des liens avec les conduites d’hypertravail.

Une fois ce travail complété, Faulx (2010) a analysé, en interaction, les différents

niveaux. Mis en résonances, des configurations globales de processus ont été

identifiées, analysées et quantifiées en fonction du nombre de sujets concernés. De

notre côté, nous avons procédé sensiblement de la même manière : en regroupant les

cas similaires, c’est-à-dire les cas pour lesquels les niveaux et les facteurs agissent de

façon analogue pour favoriser le développement et le maintien des conduites

d’hypertravail.

******

L’ensemble des choix méthodologiques effectués pour produire les connaissances

dans cette thèse est au cœur de ce chapitre. Du choix de l’entretien biographique

comme outil de recueil des données jusqu’à celui de l’analyse de contenu thématique

en six étapes, les différentes sections et parties retracent une à une les décisions prises

et la méthode suivie en vue d’appréhender et d’étudier les processus de construction

des conduites d’hypertravail des salariés et salariées des secteurs des services

informatiques et du multimédia.

C’est à la présentation de ces résultats que nous allons nous attacher dans les deux

prochains chapitres. Le premier présente la grille d’analyse finale pour chacun des

thèmes (facteurs) et des catégories identifiés, tandis que le second présente les

différents processus de construction des conduites d’hypertravail.

Page 209: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

188

Chapitre 5 : Résultats descriptifs des différents

niveaux d'analyse : derrière les conduites

d'hypertravail, des trajectoires et des situations très

variées

Les cinquième et sixième chapitres s’attardent à la présentation des résultats de la

recherche. Le cinquième chapitre présente les résultats descriptifs selon chacun des

facteurs psychosociaux et organisationnels en jeu dans le développement des

conduites d’hypertravail. Ce chapitre détaille les facteurs psychosociaux et

organisationnels liés aux conduites d’hypertravail selon l’un ou l’autre des cinq

niveaux du modèle auquel chacun d’eux se rapporte (cf. intra-individuel,

interindividuel, positionnel, idéologique et de la tâche et de l’organisation du travail).

Dans cette première partie – plus descriptive – de la présentation des résultats, nous

nous appuierons sur une analyse fine et en profondeur du discours des sujets. Cette

façon de faire permettra de donner une vue d’ensemble de la façon dont les facteurs

psychosociaux et organisationnels mis sous examen contribuent ou non – et selon

quelles modalités – à l’adoption et au développement des conduites d’hypertravail.

Ainsi, pour chacun des facteurs, ont été discernées, à partir du discours des sujets,

différentes catégories mutuellement exclusives. Quant au sixième chapitre, il

présentera les diverses configurations dynamiques (ou cas-types) de construction des

conduites d’hypertravail.

5.1 Examen des facteurs du niveau intra-individuel

Ce niveau permet d’aborder l’évolution de la vie professionnelle, les hésitations, les

questionnements vis-à-vis du parcours de vie et vis-à-vis de l’investissement entre les

différentes sphères de vie, de même que les stratégies privilégiées pour atteindre les

objectifs fixés. Référant à des éléments qui concernent l’intériorité de la personne et

son rapport au monde social, tels que son vécu personnel, ses valeurs, ses projets et

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189

ses attentes à l’égard du travail et des autres domaines de vie, nous constatons le rôle

et l’importance variables des facteurs du niveau intra-individuel dans le passage et le

maintien de la conduite d’hypertravail. Au final, notre analyse souligne l’importance

de prendre en compte les cinq facteurs initialement retenus dans la compréhension

des processus de construction des conduites d’hypertravail : 1- le parcours

professionnel et les événements marquants de ce parcours ; 2- le rapport au travail ; 3-

la satisfaction professionnelle par rapport à la satisfaction liée aux autres sphères de

vie ; 4- le rapport à l’avenir professionnel au regard des projets professionnels et de

l’importance accordée à la carrière ; 5- le rapport à l’avenir personnel au regard de

l’articulation possible ou difficile des projets personnels avec les projets

professionnels.

5.1.1 Le parcours professionnel et les événements marquants de ce

parcours

La problématique de recherche a permis de soulever l’intérêt et l’importance de

s’attarder aux événements précédant la relation d’emploi actuelle pour comprendre

pourquoi et dans quel contexte les salariés et salariées développent des conduites

d’hypertravail. Lors de l’entretien, nous nous sommes ainsi attardée à retracer les

différents événements qui ont marqué le parcours professionnel de la personne pour

comprendre non seulement à quel moment la conduite d’hypertravail « s’installe »

dans le parcours, mais aussi pour saisir l’enchaînement des événements susceptibles

de l’y avoir conduite. Cette compréhension axée sur les événements vécus, alliant

choix d’études, période d’insertion sur le marché du travail et mobilité intra et inter-

entreprises, fait état de parcours contrastés au regard des premières années d’insertion

et de l’évolution du parcours professionnel. Pour les travailleurs et travailleuses de

notre échantillon, quatre types de parcours ont pu être distingués. Ils se différencient

selon que l’insertion fût plutôt aisée ou difficile et selon l’allure de cette trajectoire,

marquée ou non par une forte mobilité sur le marché du travail ou dans l’entreprise.

Page 211: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

190

Tableau 6: Différents parcours professionnels jusqu’aux conduites d’hypertravail

TYPES DE PARCOURS EXEMPLE-TYPE EFFECTIFS SELON LE GENRE

ET LE SECTEUR

D’ACTIVITES

Une carrière

ascendante dans

l’entreprise

« J’ai fait de plus en plus de gros projets

dans l’entreprise, je suis devenu une espèce

de référence du service, je performais

beaucoup en fait » (Hubert)

N = 10 ; 29,4%

Sexe : 9-H / 1-F

Secteur* : 4-M / 4-TI / 2-A

Une mobilité

interentreprises

fructueuse

« (…) et là j'ai eu un appel d'une ancienne

collègue de travail (…), qui me disait F., on

cherche quelqu'un pour notre équipe, je te

vois, ça te ressemble, c'est toi, tout ça, donc

j'ai dit bon ben, je perds rien dans le fond à

aller voir un peu de quoi ça retourne, et

puis c'était dans le domaine du jeu vidéo.

J'étais très craintive au départ parce que

pour moi ça m'semblait une industrie un

peu immature. J'avais des préjugés. (…)

mais je suis allée plus par curiosité mais

finalement ça a cliqué avec la directrice RH

que j'ai rencontré, elle m'expliquait sa

vision à elle des ressources humaines qui

pour moi était une révélation. » (Florence).

N = 8 ; 23,5%

Sexe : 5-H / 3-F

Secteur : 5-M / 3-TI / 0-A

Une bifurcation

professionnelle

satisfaisante après un

faux départ

« J'ai été aussi secrétaire de direction pour

l'université X. Je travaillais au département

de mathématiques et d’informatique. Ça

m'a un peu donné le goût de me lancer là-

dedans, parce que je m'ennuyais un petit

peu comme secrétaire. Je ne pouvais pas,

ce n'était pas vraiment un domaine qui me

fascinait, qui me plaisait, je n'avais pas de

défi, je n'avais pas… Fait que j'ai décidé de

retourner à l'université. » (Anne-Marie)

N = 7 ; 20,6%

Sexe : 5-H ; 2-F

Secteur : 2-M / 4-TI / 1-A

D’une insertion plus

chaotique vers un

maintien « correct »

en emploi

« J'ai rencontré plein de gens d'univers

différents, de lieux différents. J'ai travaillé

dans de bonnes compagnies, par exemple

chez X, j'ai été dans les bureaux avec les

cadres, plus de la job qui on va dire se

rapprochait de mon emploi. Mais il y a eu

des fois où je coupais des fleurs, j'ai livré

du pain, j'ai déchargé des camions (…). »

(Samuel)

N = 9 ; 26,5%

Sexe : 7-H ; 2-F

Secteur : 3-M / 4-TI / 2-A

Secteur : M = Multimédia

TI = Services informatiques

A = Autre

Page 212: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

191

Une carrière ascendante dans l’entreprise

Le premier parcours est certainement le plus stable et celui qui s’apparente le plus à la

carrière traditionnelle, à l’exception peut-être du fait que l’ascension dans l’entreprise

y est beaucoup plus rapide. Il se caractérise d’abord par une insertion aisée dans le

domaine professionnel choisi, bien souvent présenté comme un choix de carrière

passionnel :

« en fait ce qui m'a porté à ces études-là, c'est cette passion-là, c'est le

film Histoire de jouets I. Je suis allé voir ça au cinéma puis tout de suite

j'ai su que c'est ça que je voulais faire dans la vie, de l'image de synthèse.

[…] Puis oui, c'est vraiment ça. Depuis que j'ai cet âge-là, huit ans à peu

près, que je sais c'est quoi que je veux faire dans la vie ». (Martin)

Ces salariés et salariées n’ont pas connu la mobilité sur le marché du travail. De fait,

presque tous sont toujours à l’emploi de leur entreprise d’insertion, où plusieurs ont

même réalisé leur stage de fin d’études professionnelles. Si certains y travaillent

depuis seulement deux ans, d’autres ont déjà près d’une vingtaine d’années

d’expérience dans l’organisation. Fortement idéalisée avant même d’y travailler,

celle-ci est souvent présentée comme une entreprise phare, une entreprise « rêvée »

pour œuvrer et faire carrière dans ce domaine, surtout dans le cas des salariés et

salariées du domaine des jeux vidéo (secteur multimédia).

Ce parcours se caractérise également par une progression professionnelle rapide au

sein de l’entreprise, faisant état d’une mobilité intra-entreprise assez forte. La

mobilité observée peut traduire une progression verticale, en occupant des postes

hiérarchiquement plus haut placés, mais elle peut aussi présenter une progression plus

horizontale, où ce sont les possibilités de travailler sur des projets différents, parfois

plus ambitieux et plus proches de leurs intérêts, qui sont mis de l’avant. De plus, cette

progression s’avère généralement très rapide, où plusieurs se sont retrouvés à occuper

des postes à responsabilités élevées (ex. chef d’équipe, supervision de projets dont les

budgets sont élevés) après seulement une ou deux années de services dans

l’entreprise.

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192

Pour Hubert comme pour d’autres, investir beaucoup d’heures au travail leur procure

un pouvoir plus grand sur leur carrière dans l’entreprise. Car ces heures investies

permettent, selon eux, de faire la démonstration de leur engagement envers

l’entreprise. Ils se trouvent alors dans une meilleure position vis-à-vis des décideurs

et des dirigeants pour obtenir les promotions souhaitées :

« Et là c'est une période où j'ai travaillé énormément plus d'heures, j'ai

fait beaucoup de voyages, je suis allé au Japon, en Europe. (…). Et c'est

là où je me suis fait connaître des V.-P., des dirigeants de la compagnie,

des personnes plus importantes, ce qui m'a permis d'ouvrir des portes à

l'intérieur de la compagnie pour changer de boulot. Quand j'étais tanné

de tel département et que j'avais le goût de faire autre chose, il y avait

plein de portes ouvertes pour moi. » (Hubert)

Au final, ce parcours plutôt linéaire et à la verticale n’est marqué d’aucun événement

perturbateur, incident, perte d’emploi involontaire ou autre événement ayant pu

conduire à une réflexion ou à une remise en question de leur parcours et de leur place

dans l’entreprise.

Une mobilité inter-entreprises fructueuse

Ce deuxième type de parcours ressemble au premier à la différence que ces personnes

ont vécu une mobilité inter-entreprises. Ainsi, ces salariés et salariées ont connu une

insertion aisée dans la profession choisie. Après quelques années dans une première

entreprise, ils ont connu la mobilité. Si, dans certains cas, cette mobilité est initiée

pour des motifs involontaires, par exemple une réorganisation ou une fermeture

d’entreprise, cette mobilité n’a pas eu de conséquences négatives sur leur parcours

professionnel (ex. emploi moins intéressant, réorientation forcée, ou longue période

sans emploi) :

« Bien l'entreprise a eu des difficultés financières et ils ont mis des gens à

la porte, tout simplement. Mais le timing était bon parce qu'ils ont mis

des gens à la porte et à l'autre compagnie, ils venaient de s'installer et j'ai

retrouvé de la job trois semaines après. » (Marianne)

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193

Au contraire, c’est souvent l’inverse qui s’est produit, c’est-à-dire un changement qui

a mené à un emploi encore plus intéressant, plus stimulant, toujours dans le même

domaine. Comme le laisse sous-entendre Florence dans l’extrait cité dans le tableau 6

(p. 201), la rencontre avec ce nouveau milieu de travail a renforcé le sentiment

d’appartenance à la profession et le désir de s’y investir et de continuer à y

développer des compétences. Plusieurs ont alors connu un certain succès de carrière,

dont l’ascension rapide dans cette entreprise permet de faire des parallèles avec le

parcours précédent.

Une bifurcation professionnelle satisfaisante après un faux départ

Ce troisième type de parcours regroupe des travailleurs et travailleuses qui, après une

insertion professionnelle jugée insatisfaisante, ont choisi de modifier le cours de leur

vie professionnelle en investissant un domaine plus près de leurs aspirations. Il s’agit

ainsi pour eux d’une bifurcation volontaire de leur parcours professionnel, motivée

par une somme de premières expériences de travail peu intéressantes et peu

stimulantes. Dans certains cas, cette bifurcation s’accompagne d’un retrait temporaire

du marché du travail, par exemple pour suivre une formation d’appoint ou reprendre

une formation professionnelle ou universitaire. Dans tous les cas, l’aboutissement de

cette bifurcation est positif pour la suite du parcours.

Cette bifurcation vers le domaine de l’informatique ou du multimédia apparaît

importante à mettre en relief avec la signification très positive que ces travailleurs

donnent à leur emploi actuel et à leur positionnement sur le marché du travail et dans

l’entreprise. En effet, le fait d’avoir vécu des expériences de travail décevantes ou peu

intéressantes contribue à rendre encore plus idéale, à leurs yeux, la situation

professionnelle dans laquelle ils se trouvent aujourd’hui. Celle-ci est d’autant plus

satisfaisante qu’elle résulte de nombreux efforts individuels pour y parvenir. Au

regard du chemin parcouru et de la situation qu’ils occupent maintenant, ils ont le

sentiment d’avoir « enfin trouvé leur voie ». Ainsi, faire plus d’heures au travail peut

leur paraître assez naturel. C’est ce dont témoigne Vincent, dont les emplois

successifs ont mené graduellement à une plus grande satisfaction au travail et vis-à-

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194

vis de son parcours. Partant, ils ont mené peu à peu à un plus fort investissement au

travail :

« Là, (après cette expérience décevante) j'ai commencé à travailler en

publicité, je me disais que c'était un peu plus près de ce que je voulais

faire, il y a cette espèce de magie-là, cette espèce de bouillonnement-là, il

a fallu que j'en donne un peu plus (que dans mon emploi précédent), et là

on dirait que quand je suis arrivé en production de jeu, je me disais : ok,

c'est ça que je veux faire, tu y vas. (…) de sentir que j'étais au bon

endroit, c'est un peu comme si ma vie et le travail s'étaient rencontrés et

que la ligne s'était un peu brouillée. » (Vincent)

Ainsi, l’adoption de la conduite d’hypertravail au cours du parcours coïncide

généralement avec la bifurcation et l’insertion dans le nouveau domaine

professionnel.

D’une insertion plus chaotique vers un maintien « correct » en emploi

Le quatrième et dernier parcours repéré allie insertion difficile et mobilité

involontaire sur le marché du travail. Contrairement aux trois autres parcours, les

travailleurs et travailleuses regroupés ici n’ont pas toujours eu la maîtrise des

événements qui sont survenus dans les premières années d’insertion au marché du

travail. Ils ont par conséquent vécu des expériences plus négatives (ex. chômage,

emplois précaires et peu qualifiés) et ces difficultés teintent leurs représentations du

marché du travail. Cette période apparaît particulièrement difficile et traduit même,

dans certains cas, une insertion chaotique : cumul de « jobines » pas toujours en lien

avec le domaine d’étude, congédiements, chômage et faillites. Confrontés à des pertes

d’emploi ou des pertes de contrats en début de carrière, ils errent pendant quelques

années sur le marché du travail à la recherche d’une place satisfaisante ou d’un

emploi dans leur domaine d’études.

Pour la suite de leur parcours, certains vont finalement réussir à s’insérer

correctement dans leur domaine d’études, tandis que d’autres vont bifurquer

involontairement vers un domaine professionnel éloigné de leur formation. De fait,

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195

les difficultés vécues en début de parcours ont mené certains travailleurs et

travailleuses à œuvrer au sein d’une profession éloignée de leur formation initiale.

Pour quelques-uns, dont Thierry, l’ensemble du parcours s’est finalement déroulé en

dehors du champ d’études et des certifications obtenues : « je n'ai jamais rien trouvé

(dans mon domaine), je n'ai jamais travaillé dans ce que j'avais étudié. Tout ce que

j'ai fait (dans ma vie professionnelle), je l'ai appris sur le tas ». Face à cette situation,

ils se sont retrouvés à occuper des emplois sous-qualifiés, qui les ont maintenus « au

bas de l’échelle » pendant quelques années :

« J'ai commencé en bas de l'échelle, j'ai monté des rubans magnétiques,

j'ai imprimé des relevés Mastercard. J'avais un pied dans la boîte et là

j'ai fait mes études à l'université en parallèle parce que je me suis dit «

c'est quand même pas ce qu'il y a de mieux » (Jacques).

Si le lien d’emploi s’est stabilisé au cours du parcours, il n’empêche que le chemin

parcouru pour améliorer sa position dans une entreprise et sur le plan professionnel

aura été long.

Les autres qui parviendront à trouver rapidement un emploi dans leur domaine

d’études connaîtront tout de même certaines difficultés à se maintenir en emploi :

réaffectations dans l’organisation suite à des problèmes avec le superviseur, mandats

écourtés au regard de difficultés économiques ou encore retrait du marché du travail

en raison de problèmes personnels (ex. dépression suite au départ du conjoint). Bref,

de nombreux incidents et événements hors contrôle viennent affecter leur parcours et

menacer leur place sur le marché du travail. Dans quelques cas, cette précarisation du

lien d’emploi a pu amener la personne à consacrer plus d’heures au travail, pour

cumuler des heures supplémentaires payables ou pour tenter d’améliorer sa position :

« Une fois terminé mes études en animation 3D, j’ai enchaîné trois

contrats dans le domaine de la télé et du cinéma. Comme on ne sait

jamais ce qui vient après les contrats, j’ai accepté de faire des heures

supplémentaires. » (Katherine)

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196

Bref, ce type de parcours est sans conteste celui qui est le moins maîtrisé et celui qui

confronte le plus les travailleurs à différents aléas professionnels. Dans ce contexte, il

n’est pas surprenant d’observer que, le plus souvent, le développement de la conduite

d’hypertravail coïncide avec un changement a priori plus ou moins volontaire, par

exemple l’obtention d’un nouvel emploi plus exigeant ou d’un nouveau mandat.

5.1.2 Le sens du travail et l’évolution du rapport au travail au cours

du parcours

Le rapport au travail est certainement un facteur important pour comprendre

l’investissement intensif dans la sphère professionnelle et les longues heures de

travail. Ce rapport au travail a pu être saisi à partir de questions telles que :

« pourquoi le travail est important, à quelles fonctions principales répond-il, quel est

le sens du travail dans leur vie et, enfin, quelle place occupe-t-il par rapport aux

autres sphères de vie ?». Parmi les sujets que nous avons interrogés, ce rapport au

travail se distingue selon la fonction ou la signification principale attribuées au

travail, de même que selon l’importance accordée à la sphère professionnelle au

regard des autres sphères de vie. Si la majorité des sujets interviewés partagent une

vision qui accorde au travail une place importante dans la vie, principalement au

regard des besoins psychologiques et sociaux qu’il comble, d’autres ont une vision

plus utilitaire du travail, jugé moins importante sur le plan psychologique, voire

même relégué au second plan. Excepté pour ce dernier cas de figure, nous constatons

que le rapport au travail n’a pas vraiment changé ou évolué au cours de la vie

professionnelle des sujets. Au total, ce sont trois types de rapport au travail qui ont pu

être distingués.

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197

Tableau 7 : Rapport au travail et conduites d’hypertravail

TYPES DE RAPPORT

AU TRAVAIL

EXEMPLE-TYPE EFFECTIFS SELON LE

GENRE ET LA

SITUATION

CONJUGALE

Le « tout au

travail »

« C'est lourd ce que je vais dire là, mais c'est

une bonne partie de ma raison de vivre le

travail. (…) c’est mon principal vecteur de

réalisation. » (Jean - heureux en ménage et

père de deux enfants)

N = 15 ; (44,1%)

Sexe : 10-H / 5-F

Situat conj. : 5-cél /

10 en couple

Le travail comme

un des piliers de

vie

« J'y accorde quand même beaucoup

d'importance pour vrai. Honnêtement, je ne

suis pas motivé par le statut, je ne suis pas

motivé par le salaire, je ne suis pas un gars à

l'argent (…). Ce qui me motive c'est justement

le sentiment d'accomplissement. (…) Moi j'ai

comme trois sphères– ma quête ultime du

bonheur, c'est vraiment, au niveau

fondamental, c'est ma vie de couple et ma vie

familiale, mes projets personnels et mon

travail. J'essaie d'avoir une part égale pour

chacune. » (Gabriel)

N = 12 ; (32,4%)

Sexe : 10-H / 2-F

Situat conj. : 1-cél /

11 en couple

Le travail « une

job », important

mais utilitaire

« Je vais au travail parce qu'il faut que j'aille

au travail. Je ne suis pas fils de Crésus, je n'ai

pas tous ces avantages-là, je suis un citoyen

normal et il faut que j'aille au travail tous les

jours, donc ce n'est pas plus important que ça.

Faut le faire, je le fais, that's it, that's all. Ma

première priorité, c'est de faire des choses

extra-professionnelles, avec ma fille, avec ma

femme, avec mes amis, des chalets des choses

comme ça, des choses plus terre-à-terre que le

multimédia ou autre. » (Samuel)

N = 7 ; (23,5%)

Sexe : 6-H / 1-F

Situat conj. : 3-cél /

4 en couple

Le « tout au travail » : centralité dans la vie et nécessité psychologique

Dans ce premier cas de figure du « tout au travail », la sphère professionnelle est

centrale dans la vie et le travail comble essentiellement des besoins psychologiques et

identitaires. Par rapport aux autres sphères de vie, le travail occupe une place

affective centrale, où la vie professionnelle est au premier plan. Si certains justifient

cette première place du travail au regard d’une vie personnelle peu développée

(« étant donné que je n'ai pas de famille et tout » (Jérôme)), d’autres affirment que,

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198

malgré la présence de sphères de vie extra-professionnelles qui comptent beaucoup

pour eux, seule la vie professionnelle permet de leur procurer un tel sentiment

d’accomplissement et de réalisation de soi.

La sphère professionnelle est centrale au point qu’elle joue un rôle décisif dans

l’articulation de l’ensemble des sphères de vie. Elle est notamment déterminante dans

l’organisation de son modèle de vie et de ses activités, alors que les décisions les plus

importantes sont presque toujours prises par rapport au travail. Il faut ensuite gérer les

répercussions qu’ont ces décisions dans les sphères hors-travail (par exemple

déménagement et éloignement de sa famille et de son cercle d’amis) :

«Tu sais, je suis déménagé à Québec pour ça, à cause de la job que

j'aimais, j'ai pas mal pris beaucoup de décisions par rapport à ça. (…) I :

est-ce que tu dirais que ça occupe la première place? R : oui, en tout cas

surtout présentement. » (Jérôme)

Le travail est signifié par rapport aux besoins psychologiques et identitaires qu’il

comble. Il sert au développement de la personne, à son épanouissement personnel et

contribue à son estime de soi : « Pour moi c'est du développement personnel. Je suis

quelqu'un qui a une soif d'apprendre continuellement » (Anne-Marie). Ces salariés et

salariées affirment aimer ce qu’ils font au travail, évoluer au travers la réalisation de

leurs activités professionnelles. D’ailleurs, pour illustrer à quel point le travail joue un

rôle psychologique essentiel pour eux et dont ils ne pourraient pas se passer, certains

n’hésitent pas à le comparer à un besoin physique « vital » : « moi travailler c’est

comme respirer » (Thierry). Vis-à-vis des autres, il sert également à se valoriser, à se

démarquer et à obtenir de la reconnaissance de sa valeur comme personne. Le travail

est ainsi pourvoyeur d’une image sociale, de la valeur de soi : « c’est être

travaillant » (Florence). Il contribue ainsi beaucoup à se définir au plan identitaire,

dans l’espace public et vis-à-vis de ses proches : « si tu travailles, tu es quelqu’un »

(Raphaël). Enfin, la performance au travail et la réussite professionnelle sont

intimement liées à l’image qu’ils ont d’eux-mêmes, qu’ils souhaitent préserver et

qu’ils souhaitent se voir reconnaître :

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199

« Pour moi c'est un levier pour me réaliser. Pour moi c'est une façon

aussi de me démarquer. Je vais chercher une forme de reconnaissance,

ou une forme d'attention, ou je ne sais pas comment on pourrait appeler

ça là. Pour moi, quelqu'un – très jeune, je lisais les revues Affaires et tout

ça, et pour moi mes idoles-là, c'étaient vraiment les gens qui avaient

réussi professionnellement parlant là. » (Jean)

Le travail comme un des piliers de vie : relative importance dans la vie et

nécessité psychologique

Dans ce deuxième cas de figure, si le travail est également signifié en rapport avec les

besoins psychologiques et sociaux qu’il nourrit, il n’occupe pas exclusivement la

première place dans la vie. Ici encore, le travail procure un fort sentiment

d’accomplissement personnel et une grande satisfaction individuelle, de même que

cette sphère offre une forte possibilité de réalisation personnelle, de réussite sociale et

de reconnaissance. Être avec les autres et participer à un projet commun comptent

également parmi les besoins évoqués et comblés par le travail. Enfin, le travail

procure une discipline qui non seulement facilite l’organisation des activités des

différentes sphères de vie, mais en plus, soutient la gestion du temps efficace.

«Je dois ressentir l'accomplissement, je veux sentir que j'accomplis

quelque chose. Je ne veux pas me sentir comme un robot. Je veux avoir le

sentiment de participer à quelque chose et avoir le sentiment de ne pas

perdre mon temps. Je ne suis pas carriériste pour 5 cents, pour moi ce qui

compte c'est d'être heureux de faire le mandat qu'on m'a attribué. »

(Pascal)

Pour ces travailleurs et travailleuses, la sphère professionnelle est importante mais

elle ne règne pas seule au premier rang. Elle est présentée à égalité en importance –

ou un peu deçà – avec d’autres sphères de vie significatives. De ce point de vue, la

sphère professionnelle représente un des piliers de la vie de ces personnes. D’autres

sphères de vie occupent une place tout aussi importante. C’est notamment le cas de

Gabriel (voir le tableau 7, p. 206), pour qui le travail est important au même titre que

la famille et que certains projets personnels qu’il poursuit. En fait, c’est l’imbrication

de ces trois sphères de vie – travail, famille (inclut vie de couple et vie familiale) et

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200

projets personnels de musique – qui est, selon lui, garant de son bonheur. Et c’est cet

équilibre qui est important.

Le travail « une job » : important mais utilitaire

Adopter des conduites d’hypertravail n’est pas systématiquement tributaire d’un

rapport très positif au travail. On peut s’investir intensément, plutôt volontairement et

« gratuitement » dans la sphère professionnelle sans pour autant y accorder une des

places les plus importantes dans la vie ni même une fonction du travail expérientielle,

c’est-à-dire une finalité essentiellement axée sur l’expérience vécue (ex. sentiment de

se réaliser) (Mercure et Vultur, 2010). C’est le cas d’une partie des salariés et

salariées interrogés qui, dans ce troisième cas de figure, ont une vision plus matérielle

et utilitaire du travail, rapporté à « l’emploi ». La fonction du travail est ainsi d’abord

et avant tout économique. Le travail sert à « gagner sa vie », pour payer les comptes

et nourrir sa famille, mais aussi et surtout à bâtir une situation économique sécuritaire

et atteindre un niveau de vie souhaité.

Le travail, par les revenus qu’on en retire, contribue à réaliser des projets et des

activités hors-travail et même à s’accomplir dans les autres sphères de vie. Sur le plan

affectif, le travail n’est pas si important alors même qu’il puisse l’être par rapport au

temps investi dans cette sphère comparativement aux autres. Il est plutôt présenté

comme un « moyen » favorisant l’accomplissement des projets et des objectifs fixés

dans les autres sphères de vie, comme un moyen pour faire en sorte que tout le reste

se produise (dans la vie hors-travail) » (Daphnée). Mais si la vie professionnelle est

plutôt reléguée au second plan et ne compte pas parmi les sphères de vie les plus

importantes sur le plan affectif, ce moyen est tout de même important car, comme le

laisse sous-entendre Daphnée, c’est par la sphère du travail que peuvent se concrétiser

les autres aspirations de la vie personnelle.

Pour conclure à propos de ce facteur, il importe de mentionner que le rapport au

travail n’est pas un facteur statique mais bien dynamique. Autrement dit, ce rapport a

pu se transformer au cours de la vie de la personne, sous le poids d’un événement

marquant ayant modifié la signification ou la centralité du travail. Nous avons

Page 222: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

201

observé un tel phénomène pour quelques sujets, par exemple un rapport au travail

« pilier de vie » devenu « utilitaire ».

5.1.3 Satisfaction professionnelle par rapport aux autres sphères de

vie

Ce troisième facteur s’attarde à la satisfaction professionnelle relative, c’est-à-dire à

la satisfaction professionnelle par rapport avec la satisfaction dans les autres sphères

de vie. L’analyse de ce facteur a été rendue possible par la mise en commun de deux

éléments ; à savoir, l’identification de la sphère de vie qui procure le plus de

satisfaction et la satisfaction ou l’insatisfaction ressentie dans les sphères de vie hors-

travail. Tout compte fait, trois catégories, ou cas de figure, ressortent de l’analyse : la

sphère professionnelle est la plus satisfaisante et les autres sphères de vie le sont

aussi ; la sphère professionnelle est la plus satisfaisante mais avec une insatisfaction

vécue dans les autres sphères de vie et à l’égard du déséquilibre ressenti ; d’autres

sphères de vie sont plus satisfaisantes que la sphère de vie professionnelle.

Page 223: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

202

Tableau 8 : Satisfaction professionnelle relative et conduites d’hypertravail

TYPES DE

SATISFACTION

RELATIVE

EXEMPLE-TYPE EFFECTIFS SELON LE

GENRE ET LA

SITUATION

CONJUGALE

Satisfaction

centrée sur la vie

professionnelle

conjuguée à une

grande satisfaction

dans les autres

sphères de vie

« Aujourd'hui, je suis très satisfait. Très

satisfait. Dans le sens que, aussi

financièrement, ma situation a évoluée, ce qui

fait que les fins de semaine, comme cette fin

de semaine-là j'ai pu partir un week-end avec

ma conjointe et mon petit, j'ai même pas pris

mon laptop, rien, on est allé s'amuser, on a

passé du temps ensemble. Le temps que j'ai au

niveau personnel, parce que j'ai les moyens

financiers que j'ai maintenant, bien je peux les

exploiter à 100%, sortir de notre cocon et

avoir du fun ensemble. » (Frédéric)

N = 15 ; (44,1%)

Sexe : 9-H / 6-F

Situat conj. : 3-cél /

12 en couple

Satisfaction

centrée sur la vie

professionnelle

mais sentiment de

déséquilibre

« Moi le travail c'est quelque chose qui doit

faire partie de ma vie et je pense qu'il y a eu

une évolution certaine, dans le sens que je

pense qu'aujourd'hui une des difficultés que je

rencontre, (…) c’est que ça a des

conséquences sur ma vie personnelle et puis

relationnelle. » (Sandrine)

N = 13 ; (38,2%)

Sexe : 11-H / 2-F

Situat conj. : 2-cél /

11 en couple

D’autres sphères

de vie sont plus

satisfaisantes que

la vie

professionnelle

« Zéro, je n'étais pas satisfait. Parce que tu

rentres chez vous, déjà t'es fatigué, tu fais une

coupure, une pseudo-coupure en t'occupant de

2-3 cossins dans ta maison et puis le soir tu te

retournes dans ton lit et à quoi tu penses, tu

repenses encore à ton travail, la fin de

semaine tu penses à ton travail. » (Samuel)

N = 6 ; (17,6%)

Sexe : 6-H / 0-F

Situat conj. : 4-cél /

2 en couple

Satisfaction centrée sur la vie professionnelle conjuguée à une grande

satisfaction dans les autres sphères de vie

Le premier cas de figure rassemble des travailleurs et travailleuses qui affirment

éprouver une très forte satisfaction envers leur vie professionnelle, la plus

satisfaisante selon eux, tout en étant satisfaits de ce qu’ils vivent dans les autres

sphères de vie. Ils se perçoivent par ailleurs en situation d’équilibre relatif entre leurs

sphères de vie. Pour expliquer la satisfaction ressentie envers la vie professionnelle,

certains n’hésitent pas à mettre en relation les longues heures de travail avec la

Page 224: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

203

passion au travail : « Voilà, après ce qui fait que je fais de longues heures, c’est que

je suis très passionné par ce que je fais » (Romain).

Dans certains cas, la satisfaction que procure la vie professionnelle est d’autant plus

grande qu’ils ont le sentiment de le faire par choix et de ne pas renoncer à des sources

de satisfaction importante dans les autres sphères de vie :

« I : Hormis le travail, laquelle de tes autres sphères de vie te procure le

plus de satisfaction? R : Aucune en particulier. (…) Moi j'en suis satisfait,

je n'ai pas de problème à vivre comme je vis présentement, je le fais

vraiment par choix, si ça ne me plaisait pas en bout de ligne je ne le

ferais pas. » (Édouard)

Pour d’autres, la satisfaction éprouvée dans la vie hors-travail demeure grande. Elle

est renforcée par le fait qu’ils continuent à s’y épanouir et à s’y investir comme ils le

souhaitent, par exemple en parvenant à maintenir leurs activités extra-

professionnelles :

« Ben alors au niveau du sport, j'ai finalement toujours mon entrainement

le lundi soir, et mes matchs le samedi matin. Donc ça c'est pareil, c'est

très régulier, donc ça niveau sport, je suis contente. Il n'y a pas de

problème, je fais ce que je veux. J'arrive à me tenir. » (Alexia)

Satisfaction centrée sur la vie professionnelle mais sentiment de déséquilibre

Se regroupent ici des salariés et salariées qui, s’ils éprouvent une satisfaction dans

leur vie professionnelle, ils se disent un peu insatisfaits du déséquilibre entre leurs

différentes sphères de vie. Contrairement au cas précédent, ils doivent parfois

renoncer à des activités hors-travail significatives pour eux, comme le soulève

Jérôme :

« Comme l'année 2011, j'ai mis beaucoup d'efforts dans le travail, j'ai mis

toutes mes affaires pas mal de côté, je n'ai pas beaucoup fait de vélo, je

n'ai pas fait de sports, j'ai comme tout tassé pour pouvoir travailler plus,

mais là, j'aimerais revenir un peu. » (Jérôme)

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204

Dans ce cas-ci, la satisfaction de la vie professionnelle a un arrière-goût plutôt amer

puisque le fort investissement au travail s’accompagne de sources d’insatisfaction

dans les autres sphères de vie. Par ailleurs, le sentiment de souffrir du manque de

temps est évoqué : « c’est sûr que je trouve que je manque de temps avec ma famille

et avec ma blonde, et j’en souffre un peu. J'aimerais pouvoir passer plus de temps

(avec eux) » (Louis).

D’autres sphères de vie sont plus satisfaisantes que la vie professionnelle mais les

sujets ne parviennent pas à s’y accomplir comme ils le souhaiteraient

Certains sujets trouvent des sources de satisfaction plus grandes dans certaines

sphères de vie hors-travail que dans la sphère professionnelle. C’est notamment le cas

de Samuel (exemple cité dans le tableau 8, p. 211), dont les sources de satisfaction

principales sont rattachées à la réalisation de projets de voyage et de plein-air avec sa

femme et ses amis. Ainsi, en raison de leur fort investissement temporel au travail, ils

ont le sentiment de devoir sacrifier leur satisfaction dans la vie personnelle, pourtant

prioritaire à leurs yeux. Ils ont dû restreindre leurs activités dans ces sphères de vie et

ont vu leur satisfaction diminuer. Car, ici aussi, ces personnes épurent peu à peu les

activités hors-travail pour permettre la réalisation des activités du travail : « Alors j'ai

diminué ma quantité de sport, avant je faisais beaucoup de sport par exemple, mais

beaucoup de sports différents, beaucoup de disciplines, là j'ai concentré que sur

une ». (Samuel).

5.1.4 Rapport à l’avenir professionnel : nature des projets

professionnels

Les projets professionnels et de carrière anticipés nous renseignent sur les valeurs et

les priorités établies par les personnes et peuvent nous aider à comprendre, en partie

du moins, leurs conduites actuelles en matière d’investissement intensif au travail. À

ce propos, nos données mettent en évidence des variations dans la manière dont les

sujets de notre étude se projettent vis-à-vis de leur avenir professionnel à court et

moyen termes. Ces projections prennent surtout en compte leur désir et leur

motivation à poursuivre ou non des projets dans la même entreprise et dans le même

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205

domaine professionnel. De façon plus secondaire, l’importance variable qu’ils

accordent à la carrière a été observée. Au final, trois types de rapports à l’avenir

professionnel ont pu être dégagés.

Tableau 9: Rapport à l’avenir professionnel et conduites d’hypertravail

TYPES DE RAPPORT

A L’AVENIR

PROFESSIONNEL

EXEMPLE-TYPE EFFECTIFS SELON LE

GENRE ET LA

SITUATION

CONJUGALE

Faire carrière dans

l’entreprise

« Alors sur le court terme, c'est vraiment

d'apprendre une gestion de compte client, une

bonne gestion. De me professionnaliser dans

ce sens-là. Et puis d'avoir des clients. C'est ma

principale préoccupation en ce moment.

Après, à mon retour, va se poser la question

du responsable de service commercial. (…). Il

me voit bien manager. Donc voilà. Je pense

que je peux mettre ça dans du projet à moyen

terme. Parce que finalement c'est quelque

chose qui me plaît, la fonction manager. »

(Alexia)

N = 18 ; (52,9%)

Sexe : 14-H / 4-F

Situat conj. : 3-cél /

15 en couple

Faire carrière dans

son domaine

professionnel

« Ce que j'aime beaucoup ici, c'est que c'est

moi qui est en charge du développement des

affaires donc je les vois mes résultats. Puis

c'est des résultats aussi qui sont marqués sur

le papier. Donc j'ai déjà eu deux offres

d'emploi dernièrement. Je suis persuadé que

dans un an ou deux, les chasseurs de tête vont

courir après moi. Donc c'est vraiment dans

cette optique-là que je le fais. Dans l'optique

de devenir une denrée rare– recherché

finalement sur le marché. » (Christian).

N = 8 ; (23,5%)

Sexe : 5-H / 3-F

Situat conj. : 2-cél /

6 en couple

Une possible

réorientation de la

carrière

«Fait que dans six mois, tu restes là. Puis

comment tu te vois dans deux ans, dans ta vie

professionnelle? R : Bonne question. Je

pensais peut-être recommencer l'école. Ça va

être soit ça écoute, ou sinon, je m'enligne pour

(…) faire du développement de téléphones

mobiles. » (Olivier)

N = 8 ; (23,5%)

Sexe : 7-H / 1-F

Situat conj. : 4-cél /

4 en couple

Faire carrière dans l’entreprise

Certaines personnes entrevoient clairement leur avenir, à moyen terme du moins, au

sein de l’entreprise qui les emploie actuellement. Lorsqu’on les interroge sur leurs

projets professionnels dans les prochaines années, ce sont la réalisation de projets

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206

dans l’organisation ou encore des postes à l’interne qu’elles aimeraient

éventuellement obtenir qui sont évoqués :

« J'ai l'intention de continuer de faire ce que je fais mais dans deux

autres projets. Pour me bâtir une bonne réputation en tant qu’artiste

marketing. Et ensuite j'aimerais ça faire autre chose, toujours chez X,

mais qui touche un peu plus le domaine que j'ai étudié. J'aimerais

probablement refaire du modeling, du level art, des textures, de

l'éclairage. Ça je pourrais faire toutes ces choses-là, jusqu'à… toute ma

carrière (…). » (Martin)

Mobilisé sur un projet important qui aboutira dans environ trois ans, il n’est pas

question pour Frédéric de le laisser tomber. Au contraire, il compte bien mettre tous

les efforts nécessaires au travail pour en faire un succès et maintenir, par le fait

même, sa renommée :

« Un plus gros défi c'est ce projet-là confidentiel, qu'on a démarré au

début de l'année, qui va être livré fin 2016. Qui est un projet stratégique

au niveau de la compagnie et sans fausse modestie, qui va faire l'effet

d'une grosse bombe dans l'industrie à Montréal et dans l'international.

Ça j'ai hâte. Ça c'est ma plus grosse motivation. » (Frédéric)

Autrement dit, ces travailleurs et travailleuses souhaitent poursuivre des projets au

sein de l’entreprise, pour continuer leurs mandats ou en obtenir de nouveaux. Certains

accordent par ailleurs une grande importance à la progression de leur carrière au sein

de l’organisation et espèrent prochainement des promotions.

Faire carrière dans son domaine professionnel

D’autres travailleurs et travailleuses se représentent un avenir professionnel à court et

moyen termes dans le domaine professionnel dans lequel ils évoluent actuellement

mais pas nécessairement dans la même organisation. Ils formulent des objectifs

professionnels, principalement en termes de compétences à acquérir ou de

certifications à obtenir. Diversifier et élargir leurs compétences, apprendre de

nouveaux logiciels, obtenir de nouvelles certifications et, ultimement, maîtriser

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207

davantage leur profession sont ce qui compte le plus pour ces travailleurs et

travailleuses, pour les prochaines années : « Il y a des objectifs de certification. Il y a

des niveaux de certification que je veux atteindre. (…) C'est ça qui me fait évoluer »

(Émile).

Selon ces personnes et comme le laisse entendre Christian dans l’extrait cité dans le

tableau 9 (p. 214), ces nouveaux atouts leur permettront d’établir et de défendre leur

réputation et leur expertise ainsi que de continuer à progresser dans leur vie

professionnelle. Les attentes vis-à-vis de la carrière et de leur évolution

professionnelle apparaissent donc élevées et déterminantes dans les choix qu’ils

feront pour la suite de leur parcours. Au point où, comme l’exprime Richard, cette

progression de leurs compétences et de leur carrière s’avère beaucoup plus

significative et importante que leur lien avec une entreprise :

« Et dans les 2 ans, moi j'ai l'impression que dans 2 ans je vais m'ennuyer

dans mon travail, parce que ça va faire 5 ans que j'y serai. Je pense que

d'ici 2 et 3 ans, moi je pense que j'aurai envie d'un changement. (…) Si

l'organisation n'est pas capable d'ici 2-3 ans de m'apporter de la

nouveauté ou d'apporter des nouveaux défis ou quelque chose

d'enrichissant, je n'hésiterai pas à changer. » (Richard)

La mobilité inter-entreprises est donc perçue comme un aspect positif pour le

développement de leur carrière, favorable à la réalisation de nouveaux défis.

Une possible réorientation de la carrière

Une partie des travailleurs et travailleuses de notre échantillon laisse entendre que

l’avenir professionnel en continuité avec ce qu’ils font actuellement n’est plus une

voie tout à fait satisfaisante pour eux. Ils émettent des doutes quant à leurs projets

d’avenir et évaluent la possibilité de rompre avec le domaine professionnel dans

lequel ils ont développé leurs compétences depuis les dernières années. Si un

changement radical n’est pas une option souhaitable à court terme, pour diverses

raisons professionnelles et familiales, l’avenir professionnel est source de

questionnements au moment de l’entretien :

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208

« En faisant l'abstraction d'une réorientation complète à court terme,

dans les 6 prochains mois, c'est de changer de compagnie. Ça c'est sûr,

parce que les conditions ne changeront pas et il n'y a rien qui va être mis

sur la table. (…). À plus long terme, 5 ans et plus, éventuellement une

réorientation. Pas à court terme parce que je ne sais pas encore ce que je

veux vraiment faire. Si je fais une réorientation, quitte à reprendre des

études, c'est vraiment pour faire autre chose. » (Samuel)

Ainsi, des projets professionnels qui se trouvent éloignés de leur emploi actuel sont

présentement évalués, de même que la possibilité de partir à leur compte. La plupart

ont d’ailleurs entrepris des démarches en ce sens, telle que terminer une formation ou

établir un réseau de contacts professionnels pour un démarrage en affaires. Pour une

personne cependant, l’avenir professionnel est particulièrement difficile à entrevoir

en raison d’une décision prise par le conjoint, qui a accepté un mandat dans son pays

d’origine. Elle en profitera peut-être alors pour réviser légèrement son plan de

carrière.

Clairement, le « rythme effréné » du travail est parfois à la source même du

questionnement. Fatigué de ce rythme, Louis songe à se réorienter vers un type de

travail plus manuel, qui lui permettrait de prendre davantage son temps, de se sentir

moins dans l’urgence :

« Présentement, je pense que ni un ni l'autre on voit le bout de l'espèce de

rythme effréné qu'on vit présentement (…) et je pense que nos remises en

questions, bien surtout moi, dans mon travail, c'est de tendre plus vers un

travail qui me permettrait de prendre mon temps un peu et de… tu sais

j'ai commencé en lutherie et je suis en train de me demander si ce n'est

pas ce qui m'intéresserait le plus. Travailler avec mes mains et travailler

le bois, des choses comme ça. » (Louis)

Ce désir de changement s’enracine donc au regard des conditions de travail difficiles

observées dans l’emploi actuel et, plus largement, dans le domaine professionnel. Les

longues heures de travail, mais aussi le manque de reconnaissance et les relations de

travail difficiles comptent également parmi les aspects les plus souvent évoqués.

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209

5.1.5 Rapport à l’avenir personnel : l’articulation des projets

personnels avec les projets professionnels

Le cinquième et dernier facteur du niveau intra-individuel concerne les projets

personnels. Il ressort de notre analyse que c’est la capacité à formuler ou non des

projets personnels à moyen terme et à les articuler au regard du fort investissement au

travail qui est mis de l’avant par les salariés et salariées que nous avons interrogés.

Parmi les trois cas de figure observés, on compte environ le tiers des sujets qui ont du

mal à entrevoir ou à anticiper la réalisation de projets personnels importants en raison

du temps qu’ils consacrent au travail. Pour ceux et celles qui y parviennent, une partie

d’entre eux conçoit qu’ils devront toutefois réduire leur temps de travail.

Page 231: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

210

Tableau 10 : Rapport à l’avenir personnel et conduites d’hypertravail

TYPES DE

RAPPORT A

L’AVENIR

PERSONNEL

EXEMPLE-TYPE EFFECTIFS SELON

LE GENRE ET LA

SITUATION

CONJUGALE

L’anticipation

possible des

projets

personnels

malgré les

longues heures

de travail

« Dans deux ans il va y avoir un enfant chez moi !

I : Comment entrevoyez-vous la conciliation de vos projets

professionnels avec vos projets personnels ? R : Aucun

problème. I : Aucun problème? R : Ça se fait assez bien, je

le vois, je suis témoin de ça au travail. Les gens ont des

maisons, des bébés, puis ça va super bien. Il y a même des

garderies chez X. » (Martin)

N = 14 (41,2%)

Sexe : 11-H / 3-F

Enfants : 5-Oui / 9-

Non

L’anticipation

difficile des

projets

personnels en

raison des

heures de

travail

« En fait j'ai pas de projet parce que j'ai pas de place pour

les projets. Parce que les conditions actuelles font que j'ai

de la difficulté à trouver le temps. Mais oui, j'ai des projets

personnels que je reporte, que je reporte depuis

longtemps. » (Jean)

N = 13 (38,2%)

Sexe : 9-H / 4-F

Enfants : 7-Oui / 6-

Non

L’anticipation

possible des

projets

personnels en

réduisant les

heures de

travail

« Fonder une vie de famille, ça c'est sûr. Des enfants ça

c'est sûr. I : Comment entrevoyez-vous la conciliation de

vos projets professionnels avec vos projets personnels »?

R : Ça c'est une question… c'est sûr faut être très réaliste..

(…) avec une vie de famille, je vais naturellement sacrifier

certaines satisfactions au travail, certaines envies pour ma

vie de famille. (…) donc si à un moment donné le travail

prend trop de place, la vie de famille va devoir

rééquilibrer. » (Richard)

N = 7 (20,6%)

Sexe : 6-H / 1-F

Enfants : 4-Oui / 3-

Non

Page 232: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

211

L’anticipation possible des projets personnels malgré les longues heures de

travail

Près de la moitié des sujets parvient aisément à anticiper et à planifier la réalisation de

projets personnels malgré les longues heures de travail. Le plus souvent, il s’agit de

projets qui ont peu d’impacts sur le temps de travail hebdomadaire, qu’il s’agisse par

exemple d’intégrer dans sa vie des projets de plein-air, de faire des voyages de

quelques semaines pendant les vacances, ou encore de faire un achat immobilier ou

de démarrer un projet de rénovations de la maison ou du condo : « avec mon père

puis mon frère (…) on veut faire un voyage toute la famille ensemble » (Émile).

Quelques-uns ont des projets plus ambitieux qui forcent, selon Gabriel, à couper sur

les heures de sommeil pour parvenir à les concilier. Entre des projets professionnels

exigeants, le projet familial d’avoir un autre enfant et le projet personnel de produire

un album de musique, Gabriel se perçoit comme un hyperactif. Il sait à quel point

c’est exigeant de « partir tout ça en même temps », de mener de front autant de

projets, que « c’est de la folie » (selon ses propos). Mais, en même temps, ce rythme

de vie et cette adrénaline qui met en scène toutes les sphères de vie qui lui sont

chères, lui procurent une importante source de motivation : « Je me trouve fou, mais

en même temps je trouve ça motivant. Fait que oui on va shipper un mini album à

l'automne. Fait que tous ces projets-là mélangés ensemble… » (Gabriel).

L’on peut conclure en soulevant le plaisir manifeste que ces personnes ont à se

retrouver constamment dans l’action, à toujours réaliser des projets : « À chaque fois

que j'entame un projet, il n'est pas encore fini que j'en entame un autre » (Romain).

Loin d’en souffrir, ils s’en valorisent et en parlent comme d’un mode de vie attrayant.

L’anticipation difficile des projets personnels en raison des heures de travail

Pour le tiers des sujets, le temps actuellement consacré au travail rend difficile la

formulation ou la réalisation de projets hors-travail, du moins pour les prochaines

années. Plusieurs d’entre eux constatent qu’un tel mode de temps de travail est un

frein important à la réalisation de projets « relationnels », c’est-à-dire qui nécessitent

un engagement dans une relation à long terme, comme avoir des enfants ou

Page 233: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

212

développer une relation amoureuse : « D'ici 2 ans, j'espère être en couple même si je

suis sûr que je vais me planter et que ça ne va pas fonctionner. (…) Avec le temps que

je consacre au travail, je n'ai pas le temps de faire des rencontres et de me trouver

quelqu'un » (Pascal). Pour eux, de tels projets demandent de la disponibilité

temporelle dans leur vie hors-travail, ce qu’ils n’ont pas et n’anticipent avoir pas à

court et moyen termes.

Un peu différemment, d’autres choisissent plutôt délibérément de repousser la

réalisation de certains projets personnels en raison des projets de carrière qui sont

prioritaires pour eux. Ils souhaitent continuer à s’investir intensément dans la sphère

professionnelle pour les prochaines années et, pour cette raison, ils préfèrent mettre

en veilleuse ou carrément abandonner les projets personnels qu’ils jugent

difficilement conciliables avec leur investissement au travail et l’atteinte de leurs

objectifs professionnels. C’est d’ailleurs ce que nous explique Jean dans l’extrait cité

dans le tableau 10 (p. 218), qui repousse constamment les projets personnels faute de

temps.

Au final, ces salariés et salariées sont d’avis qu’il est ardu de conjuguer projets

professionnels et projets personnels dans un contexte d’investissement intensif au

travail : « il est difficile d'avoir un travail qui est quand même assez exigeant côté

nombre d'heures, et après d'avoir des projets pour soi à côté » (Raphaël).

L’anticipation possible des projets personnels en réduisant les heures de travail

Il est difficile pour certains de concevoir la conciliation des projets professionnels et

personnels tout en maintenant le temps actuellement investi au travail. Assurément,

ces personnes ont des projets et des objectifs de vie qu’elles souhaitent concrétiser

mais reconnaissent l’impossibilité de les accomplir sans modifier la répartition du

temps alloué entre chacune de leurs sphères de vie.

Pour Richard, intégrer de nouveaux projets personnels dans ce contexte de surtemps

l’amène à confronter la « réalité » : il faudra redistribuer le temps. Non seulement

admettre qu’il faudra repartager le temps entre la vie au travail et la vie hors-travail,

Page 234: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

213

mais aussi et surtout entrevoir qu’il faudra faire des « sacrifices » dans la vie

professionnelle, abandonner des projets et des sources de satisfactions au travail, pour

pouvoir accomplir les nouveaux projets personnels espérés : « c'est sûr, faut être très

réaliste… (…) peut-être qu'à un moment donné je me dirais qu’avec une vie de

famille, je vais naturellement sacrifier certaines satisfactions au travail, certaines

envies pour ma vie de famille » (Richard).

Si, pour Richard, réduire les heures de travail en raison des projets personnels

anticipés apparaît presque négatif compte tenu des renoncements qu’il devra faire

dans sa vie professionnelle, c’est tout le contraire pour Jacques, dont les projets

personnels futurs lui permettront de se délester – du moins temporairement – du poids

des longues heures de travail et même du poids du travail : « C'est sûr que nous on

pense à faire un 2ème bébé. Le deuxième bébé, ça va être une porte de sortie, un

congé parental » (Jacques). Autrement dit, les projets personnels peuvent être utilisés

pour se sortir temporairement du travail ou justifier valablement la réduction de son

investissement temporel au travail.

5.2 Examen des facteurs du niveau interindividuel

Les relations interpersonnelles significatives, dans la vie professionnelle comme dans

la vie personnelle, se retrouvent au cœur de l’analyse à ce niveau. Car c’est aussi au

regard des relations entretenues avec des collègues, des superviseurs, un conjoint, des

amis, etc., que peuvent aussi prendre source les conduites d’hypertravail.

Pour appréhender ce niveau d’explication dans le processus de construction des

conduites d’hypertravail, trois facteurs ont été appréhendés. Le premier concerne la

qualité et la nature des relations développées dans la sphère professionnelle. Le

deuxième porte sur la nature, la qualité et l’importance des relations développées dans

les autres sphères de vie. Enfin, le troisième a trait au soutien interindividuel reçu,

c’est-à-dire sur la sollicitation ou non d’une certaine forme de soutien d’autrui et, si

nécessaire, de la provenance et de la forme de ce soutien.

Page 235: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

214

5.2.1 Qualité, nature et importance des relations développées dans la

sphère professionnelle

La nature, la qualité et l’importance des relations développées dans la sphère

professionnelle ne sont pas homogènes chez les travailleurs et les travailleuses que

nous avons interviewés. Quelques-uns développent des relations très significatives

dans la sphère professionnelle, que ce soit avec des collègues et/ou avec le

superviseur. D’autres entretiennent de bonnes relations avec les personnes de leur

milieu de travail mais celles-ci n’apparaissent pas particulièrement significatives en

ce sens que si les relations sont cordiales et fondées sur la bonne entente, elles ne sont

pas non plus centrales dans leur vie, mais plutôt reléguées à la seule sphère

professionnelle. Enfin, quelques-uns voient leurs relations interpersonnelles au travail

marquées par la tension, la compétition et l’affrontement. Par la force des choses, ces

relations de nature difficile s’imposent dans leur vie et prennent une grande

importance, souvent bien plus qu’ils ne le souhaiteraient réellement.

Page 236: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

215

Tableau 11 Qualité, nature et importance des relations professionnelles et conduites

d’hypertravail

TYPES DE

RELATIONS

DEVELOPPEES

DANS LA SPHERE

PROFESSIONNELLE

EXEMPLE-TYPE EFFECTIFS SELON LE

GENRE ET LA SITUATION

CONJUGALE

Des relations au

travail de clan et

de mentorat

« C'est pour ça aussi que tu viens travailler je

pense. Pour moi, c'était beaucoup ça. Tu te lèves le

matin pour ta gang. Pour moi, si tu n'as pas

l'équipe, la cohésion d'équipe (…), donc finalement,

on s'est fait une bonne gang ensemble. Et ça, ça m'a

vraiment motivé aussi. » (Hubert)

N = 13 (38,2%)

Sexe : 7-H / 6-F

Sect : 9-M / 3-SI / 1-A

Des relations au

travail cordiales

et agréables

« Elles sont très très bonnes. Je m'entends bien

avec tout le monde mais je ne suis pas du genre très

sociable. » (Martin)

N = 15 (44,1%)

Sexe : 14-H / 1-F

Sect : 4-M / 7-SI / 4-A

Des relations au

travail distantes

ou tendues

« Pas très bonnes [petit rire]. Non avec mes

collègues, vraiment, c'est… En fait je n'aime pas

vraiment leur personne. Déjà bon il y a ce côté où

ils ne s'investissent pas donc ça, c'est leur choix.

Mais c'est surtout leur personne. (…). Donc je me

suis très vite dégagée de ce groupe, parce que

j'avais aucun attachement. » (Alexia)

N = 6 (17,6%)

Sexe : 5-H / 1-F

Sect : 1-M / 5-SI

Des relations au travail de clan et de mentorat

Une partie des salariés et salariées de l’échantillon ont développé des relations

significatives tant avec des collègues de travail (relations au travail « de clan »,

fortement soudée), qu’avec leur superviseur (une relation d’échanges et

d’apprentissage s’apparentant au mentorat). Il est intéressant de relever que près de la

moitié de ces salariés sont des femmes (alors que l’échantillon compte environ 25%

de femmes), et que la plupart des femmes que nous avons interrogées disent avoir

développé de profondes relations d’amitié avec plusieurs de leurs collègues.

Ces liens forts révèlent des relations interpersonnelles positives qui vont bien au-delà

des simples relations de travail, pour être de véritables relations amicales. Les sorties

en dehors du lieu de travail sont nombreuses et variées et la fréquence des rencontres

Page 237: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

216

est élevée: soupers dans les restaurants, spectacles, activités sportives les fins de

semaine, etc. Ils assurent que ces multiples rencontres ne sont pas motivées par des

considérations professionnelles (ex. promotion) mais bien par une réelle amitié :

« Je ne vais pas prendre des bières avec eux par soucis de promotion ou

de – c'est vraiment juste parce que c'est du monde avec qui je m'entends

très bien. On se voit les fins de semaine, on fait des trucs ensemble, on va

diner presque tous les midis ensemble. Et c'est l'affaire la plus

précieuse. » (Vincent)

Pour ces participants et participantes, ces relations jouent un rôle important dans leur

vie et dépassent largement le cadre professionnel. Vincent n’hésite d’ailleurs pas à

faire un rapprochement entre les liens qui l’unissent à son équipe de travail et les liens

qui l’unissent à sa famille : « On dit tout le temps que c'est comme une famille chez

telle entreprise : pour moi c'est vraiment ça ». Daphnée, quant à elle, compare ses

relations au travail avec celles qu’elle avait développées alors qu’elle était étudiante :

« Je le décrirais comme le même genre de camaraderie qu'il y avait au Cégep, c'est

vraiment une ambiance qui est décontractée et il y a une grande solidarité entre les

gens au bureau ». Elles sont importantes au point où la fin de la relation

professionnelle ne met pas fin pour autant à la relation amicale : « Les gens sont amis,

ça fait quétaine mais les gens sont vraiment amis. Et quand les gens partent bien les

liens restent…» (Daphnée).

Ces amitiés émergentes dans la sphère professionnelle viennent parfois porter

ombrage aux amitiés plus anciennes. Ainsi, certains recentrent peu à peu la sphère

amicale autour des relations significatives développées avec les amis-collègues. Ils en

viennent alors à mettre progressivement de côté la plupart des amitiés hors-travail, en

les fréquentant de moins en moins. Ce transfert relationnel, où les amitiés plus

anciennes de la vie hors-travail sont remplacées par des amitiés nouvelles issues du

milieu de travail, contribue à renforcer l’importance des personnes qui gravitent dans

l’univers professionnel de ces individus. Il ne fait pas de doute que le plaisir des

rencontres et des échanges avec les collègues-amis constitue une importante source

Page 238: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

217

de motivation à se rendre sur le lieu de travail, voire même à augmenter la part

d’heures consacrées au travail.

La relation semble également très significative avec le superviseur. Ils en parlent

comme d’une relation de mentorat, de confiance ou de maître et ils s’en disent

inspirés. Au final, ces relations positives rattachées d’abord la sphère professionnelle

débordent sur la sphère amicale et parviennent à combler des besoins amicaux au

point où certaines personnes referment leur cercle amical autour du cercle

professionnel.

Des relations au travail cordiales et agréables

On trouve ici des salariés et salariées qui entretiennent des relations positives mais

plus traditionnelles avec les personnes de leur milieu de travail (collègues et

superviseur), dans le sens qu’il s’agit davantage de relations axées sur les aspects

professionnels d’abord et avant tout. Tant avec les collègues que le superviseur, les

relations sont en général très bonnes et on peut les qualifier de cordiales et agréables :

« Elles sont très très bonnes. Je m'entends bien avec tout le monde mais je ne suis pas

du genre très sociable » (Martin).

S’ils ont pu développer des liens d’amitié avec une ou deux personnes de leur milieu

de travail au point de se rencontrer en dehors du travail (soupers, voyages ou

rencontres sportives), contrairement au groupe précédent, la majorité des relations

restent ici cordiales et n’apparaissent pas centrales dans leur vie. Ce n’est donc pas,

comme précédemment, une affaire de gang ou de clan, teintée du sentiment de faire

partie d’un groupe. De plus, les rencontres en dehors du travail sont beaucoup moins

fréquentes et importantes dans leur vie. Plutôt qu’hebdomadaires, voire journalières,

elles apparaissent occasionnelles : « Disons qu’à Noël, on se rencontre toute la gang

ensemble, chez nous ou chez quelqu'un d'autre, on se fait nos partys nous autres,

dans nos maisons, donc c'est plutôt amical. Avec les conjoints, les enfants » (Thierry).

Enfin, plusieurs expriment d’ailleurs leur désir de vouloir, à travers leurs relations,

maintenir une certaine distance entre leur vie professionnelle et leur vie personnelle.

Page 239: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

218

Des relations au travail distantes ou tendues

Ce ne sont pas uniquement des relations au travail positives qui teintent les rapports

professionnels des personnes qui adoptent des conduites d’hypertravail. Un certain

nombre de salariés et salariées de notre échantillon affirment avoir peu d’intérêt en

commun ou d’affinité avec les personnes de leur milieu de travail, où la plupart des

relations interindividuelles avec les collègues et/ou le superviseur demeurent distantes

voire, pour certains, difficiles. Ceux-ci font part du faible attachement qui les lie à la

plupart de leurs collègues, et ce, malgré quelques tentatives de rapprochement: « (…)

j'ai fait des efforts pour parler aux gens et pour entrer dans des cercles d'amis. Ce

n'est vraiment pas tout le monde qui est gentil par contre et qui est ouvert »

(Raphaël). Devant les différences de personnalité ou la difficile conciliation des

intérêts, ces personnes opèrent une mise à distance du groupe de travail : « je me suis

très vite dégagée de ce groupe, parce que j'avais aucun attachement » (Alexia).

D’autres observent une dégradation de leurs relations professionnelles, le plus

souvent avec le superviseur. Cette situation est d’autant plus pénible qu’elle est

précédée bien souvent d’une période satisfaisante sur le plan relationnel. Ainsi, des

relations plutôt bonnes au départ peuvent parfois devenir houleuses et tendues, au

point d’aboutir à un conflit ouvert :

« La personne qui a récupéré la charge du département, depuis qu'il est

en charge de ce département-là, les choses se sont dégradées. Et je suis

en opposition souvent avec lui. (Avant) on s'entendait bien, on parlait des

mêmes choses mais des fois c'est devenu un conflit et ça l'est encore. »

(Samuel)

Cette situation force alors à une mise à distance des relations professionnelles et à une

contraction autour des relations personnelles, principalement dans les sphères

familiales ou amicales. Ces relations difficiles peuvent contribuer à une relative

insatisfaction au travail dans la mesure où elles font ressentir, pour reprendre les mots

de Samuel, « une écoeurite aiguë » envers le milieu de travail. Certaines personnes se

raccrochent toutefois à une relation importante, par exemple à une personne qui les

Page 240: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

219

inspire dans leur milieu de travail, et parvienne à conserver un lien professionnel

significatif malgré tout.

5.2.2 Qualité et importance des relations développées dans les

sphères de vie hors-travail

La qualité et l’importance des relations hors-travail est un facteur susceptible de nous

aider à comprendre le développement de conduites d’hypertravail selon quelques

écrits scientifiques repérés. Par exemple, certaines études ont identifié les relations

conjugales et familiales difficiles comme étant un des facteurs explicatifs du

« passage » à un tel investissement dans la sphère du travail (voir par ex. Hochschild,

1997). Un peu différemment, nos données montrent que ce sont la place et

l’importance accordées aux relations interpersonnelles significatives de leur vie hors-

travail (conjoint, enfants, membres de la famille, amis) qui doivent être examinées

pour comprendre l’impact de ce facteur sur le développement et le maintien de la

conduite d’hypertravail. Ainsi, trois types de situations sont mises en évidence par

nos données : celle où, malgré la conduite d’hypertravail, les relations hors-travail

sont développées de manière satisfaisante et demeurent très importantes dans leur

vie ; celle où les relations significatives hors-travail apparaissent se détériorer, en

raison principalement des heures allouées au travail ; enfin celle où les relations

significatives extra-professionnelles apparaissent peu développées, ce qui pourrait

expliquer, partiellement du moins, le fort investissement temporel au travail.

Page 241: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

220

Tableau 12 : Qualité et importance des relations hors-travail et conduites

d’hypertravail

TYPES DE RAPPORT A

L’AVENIR

EXEMPLE-TYPE EFFECTIFS SELON LE

GENRE ET LA

SITUATION

CONJUGALE

Le maintien des

relations significatives

hors-travail

« Je pense que c'est la disponibilité que

j'ai envers les autres. Quand ma sœur a

besoin de moi, je veux être là. (…) Puis

après je vais être disponible pour mon

sport, pour mes amis, puis finalement

j'arrive à me rendre disponible malgré les

engagements que j'ai aussi au niveau du

travail. » (Alexia)

N = 12 ; 35,3%

Sexe : 8-H / 4-F

Situation conj. : 1-

célibats / 11-couples

Des relations

significatives hors-

travail atrophiées, de

moins en moins

développées

« Des fois je trouve que je manque de

temps pour voir mes amis par exemple.

Oui! Quelques remords, des fois! [En

riant un peu] Je dis «oui oui, je vais te

rappeler, oui oui oui, je vais t'appeler.»

Je ne le fais pas parce que je n'ai pas le

temps. » (Anne-Marie)

N = 14 ; 41,2%

Sexe : 12-H / 2-F

Situation conj. : 4-

célibats / 10-couples

Des relations hors-

travail peu

significatives : un

investissement accru

au travail

« Bien je ne suis pas très famille, je vois

ma mère à peu près au 6 mois, j'ai vu mon

père la dernière fois je devais avoir 18

ans. Je vois mon frère à l'occasion mais

c'est à peu près tout, j'ai pas vraiment

beaucoup d'implications à ce niveau-là.

Je vois ma fille à l'occasion aussi, c'est

vraiment tout. Pour ce qui est des amis,

j'en ai pas vraiment. » (Édouard)

N = 8 ; 23,5%

Sexe : 6-H / 2-F

Situation conj. : 4-

célibats / 4-couples

Le maintien des relations significatives hors-travail

Malgré la conduite d’hypertravail et l’accumulation des heures supplémentaires,

certaines personnes n’observent pas (ou peu) d’effets négatifs sur la qualité et

l’importance des relations significatives qu’elles ont développées en dehors du

travail. Ainsi, elles continuent d’entretenir des liens solides et structurants avec leurs

proches et leurs amis. Loin d’avoir le sentiment de devoir négliger, voire même de

Page 242: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

221

renoncer aux relations qui comptent pour elles en raison du temps de travail, elles

continuent à s’investir dans ces relations significatives et parviennent même parfois à

en développer de nouvelles. Elles ont, par exemple, le sentiment de pouvoir être

auprès de leurs proches quand ça compte, de pouvoir les soutenir lorsqu’ils

rencontrent des difficultés. Bref, de parvenir à être réellement investies dans ces

relations même si ça implique parfois de trouver des stratégies pour parvenir à

concilier l’investissement dans ces relations avec le fort investissement temporel au

travail :

« (…) il s'est passé beaucoup de choses, des gens qui ont eu besoin de

moi, mon frère, mon père entre autres dans les dernière années, puis

malgré le fait que je travaille beaucoup, au pire, je vais prendre du temps

pour les appeler sur les heures de travail, je vais trouver le moyen de tout

arranger ça pour que ça rentre. Au pire, je dormirai un petit peu moins

(rire). » (Florence)

Loin de diminuer en importance, le temps plus restreint pour le réseau personnel

anime ce désir de garder bien vivantes ces relations interpersonnelles satisfaisantes

avec les amis, le conjoint, la famille, le groupe de sport, etc.

Tout compte fait, en ayant le sentiment de pouvoir conserver des relations hors-travail

significatives et satisfaisantes malgré les longues heures de travail, il semble clair

pour eux que la conduite d’hypertravail est plus facile « à tenir ».

Des relations significatives hors-travail atrophiées, de moins en moins

développées

D’autres constatent plutôt avoir eu tendance à diminuer considérablement le temps et

l’importance accordés aux relations significatives dans leur vie hors-travail, ainsi qu’à

diminuer le nombre de relations significatives, en raison du fort investissement

temporel au travail. Ainsi, on observe souvent que le cercle de personnes

significatives dans leur vie hors-travail tend à se recentrer principalement autour du

noyau familial, parfois aussi de quelques amis que l’on fréquente sporadiquement :

Page 243: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

222

« Ouin, je suis comme dans une espèce de phase transitoire. Puis j'ai

travaillé beaucoup ces temps-ci. Donc à part voir des amis une fois de

temps en temps, je me suis consacré beaucoup au travail. » (Olivier)

Certains admettent s’être peu investis dans leurs relations familiales, comme le décrit

Alain vis-à-vis de la relation qu’il a développée avec ses enfants : « Il est évident

comme père que j'aurais dû être plus présent. C'est une question que je me pose

encore aujourd'hui, mais nous avons fait ce choix ma conjointe et moi ». En raison ici

du transfert de la responsabilité principale des enfants à l’autre conjoint, Alain ne

peut que constater la faiblesse des liens avec certaines de ses relations les plus

importantes.

Enfin, d’autres soulèvent que les relations amoureuses sont difficiles à établir et à

conserver en raison des longues heures de travail :

« Bien il y a des amies au féminin qui n’ont pas supporté. J'ai peut-être

mal dealé aussi le travail avec l'autre personne mais c'est sûr que cela a

eu une influence (sur la fin de ma relation). I : Toi tu parles dans les

relations engageantes ? R : Bien c'était un peu : « le travail passe avant

moi » puis, elle a un peu raison. » (Isaac)

Ici encore, ce cas illustre un des effets possibles du fort investissement au travail,

c’est-à-dire l’effritement des relations significatives en dehors du travail, alors que les

relations amicales, familiales et conjuguales sont souvent touchées par l’adoption

d’une telle conduite.

Des relations hors-travail peu significatives : un investissement accru au travail

Quelques sujets mettent de l’avant le fait qu’ils entretiennent bien peu de relations

significatives hors-travail et qu’ils n’ont jamais vraiment ressenti la nécessité de

s’investir beaucoup dans ce type de relations. Le témoignage d’Édouard (voir le

tableau 12, p. 227) est d’ailleurs très éloquent à cet égard : toutes les relations

susceptibles d’être importantes pour lui (sa relation avec son enfant, avec ses parents,

avec ses amis) sont reléguées au second plan et sont très peu investies. Jacques, quant

à lui, présente un contexte familial dénué de possibilités d’investissements

Page 244: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

223

significatifs pour expliquer pourquoi il a bien peu développé ses relations hors-

travail : « même si j'avais la famille, moi je suis fils unique, je regarde les cousins et

cousines, c'est tout éclaté ça » (Jacques).

Certains participants admettent que cette relative absence de liens structurants et de

relations significatives en dehors du travail ont pu favoriser le développement de la

conduite d’hypertravail : parce qu’ils étaient peu engagés auprès de personnes

significatives dans leur vie hors-travail, ils avaient tout le temps nécessaire pour

investir leur vie professionnelle. Pour les autres, ils mettent volontairement plusieurs

relations de côté qui leur apparaissent peu significatives pour se consacrer au travail.

5.2.3 Le soutien social professionnel et extra-professionnel

Notre analyse a fait ressortir que le soutien interindividuel, pour les personnes qui

adoptent des conduites d’hypertravail, se définit à partir de trois indicateurs. Le

premier concerne la sollicitation et la réception d’une forme de soutien pour faire face

à la situation d’hypertravail, selon les symptômes et problèmes qui y sont associés

(ex. stress, problèmes de sommeil, difficultés à concilier le travail et les autres

sphères de vie). Le deuxième indicateur a trait à la provenance principale du soutien

reçu, par exemple des proches ou des personnes du milieu de travail. Le troisième

indicateur porte sur la nature ou le type de soutien reçu. Il peut s’agir ici d’un soutien

logistique, d’un soutien moral et psychologique ou encore d’un soutien de mentorat

ou d’entraide face aux tâches à réaliser. Tout compte fait, un soutien social semble

souvent occasionnellement nécessaire pour tenir la conduite d’hypertravail, et ce, peu

importe la provenance ou la forme du soutien attendu, reçu ou non. Au regard des

extraits d’entretiens repérés, cinq situations ont pu être distinguées.

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224

Tableau 13 : Formes de soutien et conduites d’hypertravail

TYPES DE SOUTIEN EXEMPLE-TYPE EFFECTIFS

SELON LE GENRE

ET LA

SITUATION

CONJUGALE

Un soutien logistique

et moral des proches

pour appuyer les

sujets dans leur

gestion du temps,

dans leur choix de

vie

« Tsé par exemple, souvent je vais essayer, trois

soirs par semaine, de donner un boost. De faire

un quatre cinq heures là, après que le petit soit

couché, puis donner un coup. Pour pas en faire

à tous les soirs. Puis ben, ces soir-là, ma blonde

elle va faire mon lunch, elle va sortir mon linge,

elle va m'aider. Fait que c'est beaucoup de

soutien comme ça. » (Émile)

N = 12 (35,3%)

Sexe : 8-H / 4-F

Un soutien

d’entraide

professionnelle des

collègues/superviseur

pour soutenir les

sujets face à la

charge de travail

« Si tu es dans le jus, si tu en as par-dessus la

tête, on va t'aider, les autres vont venir te

prendre des tâches. Fait que les gens sont

toujours en train de s'échanger des tâches, puis

de balancer la charge de travail dans toute

l'équipe. » (Gabriel)

N = 8 (23,5%)

Sexe : 6-H / 2-F

Un soutien

psychologique

externe ou

institutionnel pour

tenter de retrouver

l’équilibre

« En fait j'ai commencé à voir un coach. Pour

justement faire un peu plus d'équilibre entre tout

ça. Ça me dérange pas de continuer à travailler

beaucoup, je veux juste travailler plus

efficacement. » (Christian)

N = 3 (8,8%)

Sexe : 2-H / 1-F

Un soutien défaillant

des proches et/ou du

milieu de travail

I : « Tu disais t'être rendu aux limites, est-ce que

tu as eu du soutien? R : Zéro. I : Ni des

collègues, ni de la direction? R : Zéro. La vérité

au bureau, on a des lignes d'aide et tout ça mais

à un moment donné moi… je me suis développé

des façons de m'en sortir et j'ai été capable de

dealer avec ça, c'est correct. Je n'ai pas

demandé de l'aide, je n'ai pas demandé de

soutien. (…) Je n'ai pas senti de soutien (non

plus). Auraient-ils dû l’offrir? Ça je leur en ai

voulu pendant un moment. » (Jean-Thomas)

N = 4 (11,8%)

Sexe : 4-H / 0-F

Pas besoin de soutien « Considérant vos longues heures de travail,

qu'est-ce que vous pourriez-nous dire à propos

du soutien de vos proches? R : Jamais demandé!

I : Ni des proches et ni du réseau professionnel?

R : Oui (…).» (Nathan)

N = 7 (20,6%)

Sexe : 6-H / 1-F

Page 246: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

225

Un soutien logistique et moral des proches pour appuyer les sujets dans leur

gestion du temps et dans leur choix

Travailler de longues heures de travail chaque semaine peut exiger le recours au

soutien des proches, principalement du conjoint. Quelques personnes mentionnent

d’ailleurs qu’il s’agit du principal soutien dont elles ont eu besoin et qu’elles ont

sollicité : « Sans ça, le soutien de ma conjointe, je ne pourrais pas. Ça serait

impossible » (Émile). Deux types de soutien sont généralement observés. Le premier

peut être décrit comme un soutien logistique. Ici, le soutien du conjoint permet de

dégager du temps supplémentaire pour le travail, temps qui serait autrement consacré

à des activités liées à la vie personnelle ou à des tâches domestiques. Ce type de

soutien apporte une aide concrète, en facilitant la conciliation des horaires de travail

atypiques avec les horaires de la famille et en facilitant la réalisation de tâches et de

corvées personnelles : « C'est un grand romantique, fait que quand j'arrive tard, tout

ça, il va me faire couler un bain, il va s'organiser pour que le souper soit prêt, il va

avoir fait du ménage » (Anne-Marie).

Le second type de soutien en est un psychologique ou moral, « d’acceptation » ou

d’approbation du conjoint ou de la conjointe. Ce soutien se traduit notamment par la

compréhension du choix de s’investir fortement au travail, et du respect des valeurs

qui sous-tendent ce choix. Malgré parfois la divergence des valeurs et des choix, le ou

la conjointe se montre compréhensif : « Jamais je vais l'entendre dire «tu travailles

trop, tu en fais trop», des choses comme ça fait que ça, tant qu'à moi, c'est une sorte

de soutien. » (Émile).

Un soutien moral est quelquefois aussi recherché auprès des amis, principalement

pour discuter des difficultés vécues sur le plan professionnel (ex. surcharge) ou sur le

plan personnel (ex. incompréhension du conjoint). Puisqu’ils partagent des réalités

similaires, les amis qui travaillent au sein de la même profession (mais pas dans la

même organisation) sont ceux qui peuvent le mieux comprendre les difficultés

rencontrées, même si parfois celles-ci peuvent être « banalisées » :

Au niveau des amis, c'est sûr que le soutien est là sans l'être parce que

c'est tellement jugé comme étant normal que quand quelqu'un est en mode

Page 247: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

226

un peu en crise, « là je suis écoeuré », c'est pris un peu à la légère. « Ah

regarde c'est cute, c'est son tour. » (Daphnée)

Un soutien d’entraide professionnelle des collègues/superviseur pour soutenir la

charge de travail

Pour d’autres, c’est principalement dans leur milieu de travail qu’ils ont sollicité et

trouvé du soutien pour faire face aux moments difficiles vécus au regard de la

situation d’hypertravail. Ce soutien peut provenir tant de la direction, des

superviseurs que des collègues de travail. Jérôme, par exemple, considère avoir été

bien soutenu par sa direction qui, au regard de sa surcharge de travail, a consenti à

embaucher une personne supplémentaire pour l’appuyer dans ses tâches.

Pour d’autres, c’est le soutien des collègues qui est prépondérant et crucial pour faire

face à la situation des longues heures de travail. Il s’agit le plus souvent d’un soutien

de mentorat ou d’entraide professionnelle lorsque la surcharge et la complexité du

travail s’intensifient, ou encore lorsque les délais sont trop serrés. Dans ces cas, les

collègues sont sollicités pour les éclairer dans la résolution de problèmes ou encore

pour assurer une partie de la charge du travail. Il peut également s’agir d’un soutien

moral et psychologique. En effet, les collègues sont souvent les personnes les mieux

placées pour échanger et discuter des obstacles rencontrés et des difficultés vécues

« de l’intérieur »:

« Je pense que le vrai soutien par rapport à ça, les longues heures de

travail, ce sont les amis du travail. Les autres gens ne savent pas ce que

ça représente. Je compare ça à un voyage; tu contes ton voyage à ton

amie qui n'est pas allé, elle trippe et c'est le fun, mais tu sais qu'elle a

hâte que les photos finissent, qu'il y a trop de détails et elle n'a jamais

vécu ce que tu as vécu, donc tu n'es pas capable d'avoir une conversation

égalitaire ou qui va venir te chercher par rapport à ça. (…) Les

collègues, ils peuvent te comprendre parce qu'ils vivent dans le même

environnement, ils le savent. » (Hubert)

Page 248: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

227

Un soutien psychologique institutionnel (interne ou externe) pour tenter de

retrouver l’équilibre

Certains salariés et salariées ont sollicité des ressources institutionnelles en place dans

leur organisation (programme d’aide, direction des ressources humaines) ou externe à

leur organisation (psychologue) pour les aider à faire face à la situation des longues

heures de travail, lorsque celle-ci est devenue trop difficile à supporter, notamment

parce qu’ils étaient trop épuisés.

Par exemple, face à une fatigue immense et le désir récurrent de démissionner de son

emploi, Olivier témoigne de l’écoute et du soutien qu’il a reçu d’un haut responsable

des ressources humaines : « je me rappelle que j'avais été voir le directeur des

ressources humaines à Québec puis j'avais dit que je n'étais plus capable. Que je

voulais prendre un break. Puis j'avais pris quatre semaines à ce moment-là ».

Florence et Christian ont quant à eux recherché le soutien d’une ressource externe,

respectivement un psychologue et un coach de vie, pour les aider à mieux gérer leur

temps et leur stress au travail :

« Au travail bien veux veux pas, ça se répercutait en dehors, difficulté à

dormir, me réveiller la nuit pour me laisser des messages au bureau,

prendre des notes la nuit pour être sur je n'oublie pas des trucs … (…)

j’ai consulté une psychologue à ce moment-là pour essayer de voir un peu

justement comment gérer ce stress-là. » (Florence)

Ultimement, cette ressource les accompagne dans la révision de leurs balises

temporelles entre le temps alloué au travail et à la vie hors-travail de façon à opérer

une coupure plus nette entre les différents temps de la vie.

Un soutien défaillant du milieu de travail ou des proches

Se regroupent ici ceux et celles qui affirment avoir souffert d’un manque de soutien

de la part de leurs proches ou du milieu de travail, et ce, bien souvent malgré la

manifestation explicite des difficultés vécues en lien avec la situation des longues

heures de travail et la sollicitation d’un soutien pour y faire face. Certains

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228

mentionnent que la réaction des proches peut même aller à l’encontre du soutien

attendu et exacerber les tensions :

« Ce n'est pas évident parce que le soutien, il n'en a pas tant que ça. La

plupart des gens qui sont dans ces situations, leurs proches vont leur dire

de lâcher prise et de passer à autre chose. (…). Souvent, la réaction des

proches va être d'adopter un comportement de frustration en disant de

quitte l'entreprise parce qu'elle fait beaucoup trop travailler ses

employés. » (Mathieu)

Comme le souligne Jean-Thomas, la présence d’un soutien institutionnel (programme

d’aide aux employés) dans l’entreprise n’est pas nécessairement garant d’un soutien

utile de la part du milieu de travail. Bernard abonde un peu dans le même sens : il ne

faut pas seulement qu’il y ait des ressources, encore faut-il qu’elles soient appropriées

aux besoins des salariés et salariées : « Ça c'est quelque chose depuis trois ans : on

n'a plus ça, on n'a plus de RH locales. (…). On a une ligne d'appel pour les

ressources humaines qui est aux États-Unis. Ce n'est pas ce qui est le plus adapté »

(Bernard).

Pas besoin de soutien

Enfin, mentionnons que quelques personnes affirment ne jamais avoir eu besoin ni

sollicité de soutien pour faire face à la situation des longues heures de travail :

« I : On sait que faire beaucoup d'heures de travail peut, à certains

moments, être plus difficile à vivre. Considérant vos longues heures de

travail, qu'est-ce que vous pourriez-nous dire à propos du soutien de vos

proches? » R : Je n'ai pas besoin de soutien. Non, je suis tout à fait

confortable avec ça. (…) I : Au niveau du soutien des collègues, est-ce

que c'est nécessaire? R : Non. Encore une fois, avec la maturité on est

plus ouvert à soi, on s'écoute un peu plus. » (Frédéric)

Même s’il n’a pas sollicité de soutien, Frédéric a tout de même été confronté à des

symptômes d’épuisement, tant physiques que psychologiques :

Page 250: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

229

R : Bien c'est ça j'étais closer et que je faisais des 90 heures par semaine

pendant quelques mois, ça ça été très très dur. Mais je n'ai pas eu de

soutien spécialement, puis j'étais à l'étranger. I : ça se ressent comment

ces difficultés-là ? R : On le vit après coup. C'est après coup que je me

suis aperçu que j'étais passé par différents stades qui n'étaient vraiment

pas sains du tout, physiquement et mentalement. À tel point que quand j'ai

livré le jeu, je suis rentré à mon hôtel, je pense qu'il était 2 heures du

matin, j'ai vomi, je me suis couché et j'ai dormi 24 heures, j'avais atteint

ma limite, je ne pouvais pas en faire plus. » (Frédéric)

Ainsi, le fait de ne pas avoir eu « besoin » de soutien ne signifie pas pour autant ne

pas avoir vécu de difficultés en raison des longues heures de travail. Ces travailleurs

disent toutefois être parvenus à gérer seuls les difficultés qui peuvent y être associées

(ex. stress) en trouvant par eux-mêmes des stratégies pour y faire face, comme la

méditation ou le yoga.

5.3 Examen des facteurs du niveau positionnel

Les rôles et les positions occupés dans la vie professionnelle et extra-professionnelle

– et les attentes qui en découlent – se trouvent au cœur de l’analyse à ce niveau.

Dépassant les relations spécifiques entre individus, on s’intéresse davantage ici aux

relations intra et intergroupes, c’est-à-dire aux relations au sein d’un même collectif

ou entre groupes distincts (hiérarchique ou non). Ces relations sont teintées de

diverses attentes (formelles et informelles, énoncées/négociées ou perçues) qui

incombent aux individus selon les rôles et les positions sociales qu’ils occupent au

travail comme en dehors. On cherche alors à comprendre comment la position sociale

occupée peut avoir une influence sur l’adoption de conduites d’hypertravail.

Le premier facteur concerne la sphère du travail. Notre attention est alors portée sur

les attentes du milieu organisationnel à l’égard du rôle professionnel. La dynamique

groupale, par exemple les comportements adoptés par les travailleurs et travailleuses

qui occupent une position similaire dans l’organisation ou encore les attentes

provenant d’un rapport hiérarchique entre groupes ou entre personnes, comptent

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230

parmi les éléments importants à considérer à ce niveau. Le second facteur examine

quant à lui les attentes provenant des groupes d’appartenance de la sphère de vie

hors-travail. Intéressées par les attentes que les sujets perçoivent de la part de leurs

proches par rapport à leurs rôles professionnels et extra-professionnels, ce sont alors

surtout les dynamiques familiales et amicales susceptibles d’influencer le vécu, voire

l’adoption des comportements d’investissement intensif au travail, qui seront ici

éclairées.

5.3.1 Les attentes du milieu professionnel à l’égard du rôle

professionnel

Certaines attentes spécifiques provenant du milieu organisationnel, qu’elles soient

formellement énoncées ou subjectivement perçues, ont pu favoriser l’allongement des

heures de travail. L’analyse a permis de mettre en évidence que ce n’est pas tant le

fait d’avoir le sentiment de parvenir ou non à répondre à ces attentes qui est important

dans le développement des conduites d’hypertravail, mais plutôt la nature même de

ces attentes et ses liens avec le poste occupé dans l’organisation. Ainsi, au regard de

leur position dans l’organisation et de la nature des attentes émises par les

superviseurs, la direction et, dans quelques cas, les collègues sous leur autorité, nous

avons pu dégager trois cas de figure: les attentes d’optimisation constante des

ressources (en faire « toujours plus ») ciblant tous les salariés et salariées ; les attentes

de rendement élevé jumelées à une importante autonomie professionnelle dictée par

la hiérarchie ; les attentes de fort leadership et d’engagement.

Page 252: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

231

Tableau 14 : Attentes du milieu professionnel et conduites d’hypertravail

TYPES D’ATTENTES

DU MILIEU

PROFESSIONNEL

EXEMPLE-TYPE EFFECTIFS SELON

LE GENRE ET LA

SITUATION

CONJUGALE

Des attentes

d’optimisation

constante des

ressources : en faire

« toujours plus »

« (…). Fait que c'est sûr que les attentes

d'excellence, parce qu'on attend l'excellence

de chacun des membres de l'équipe, et ce n'est

pas un sideline, on s'attend vraiment à ce que

chaque personne de l'équipe fasse Google

avec 2.25$ de budget. (…) On s'attend à des

résultats qui ne sont pas à la hauteur des

investissements et des investissements

salariaux aussi. » (Daphnée)

N = 7 ; 20,6%

Sexe : 5-H / 2-F

Situation conj. : 1-

célibats / 6-couples

Des attentes de

rendement élevé

jumelées à une forte

autonomie

professionnelle

« Que je livre la marchandise dans le temps

donné, avoir un produit parfait ou presque,

pas de problèmes ou le moins possible, et

beaucoup d'autonomie. Ils s'attendent à ce que

je m'organise pas mal. Ou en tout cas, que je

trouve les ressources si j'ai besoin d'aide,

mais ce n'est pas eux qui vont m'aider à…,

c'est moi qui connait mon domaine, de

l'autonomie (…).» (Jérôme)

N = 15 ; 44,1%

Sexe : 11-H / 4-F

Situation conj. : 6-

célibats / 9-couples

Des attentes doubles

de fort leadership et

d’engagement

« En tant que manager, il faut que tu saches

où tu t'en vas. Donc vraiment on s'attend ça

de toi. Et même si tu ne le sais pas, on ne veut

pas le savoir. C'est vraiment, il faut que tu

sois là et que tu sois en contrôle donc, être là,

être présent, ça c'est hyper important (I :

pourquoi c'est si important?). Parce que tu

fais partie de l'équipe. Donc c'est ça l'idée.

C'est d'être là pour supporter les gens. Donc il

y a vraiment l'aspect communautaire, d'équipe

ou de collaboration qui fait que si tu n'es pas

là, tu es un «lâcheux». Il y a vraiment cet

aspect : tu perds de la crédibilité si tu n'es pas

là. » (Hubert)

N = 10 ; 29,4%

Sexe : 9-H / 1-F

Situation conj. : 2-

célibats / 8-couples

Non codé Deux sujets n’ont pas pu être codés pour ce

facteur en raison de données insuffisantes. N = 2 ; 5,9%

Page 253: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

232

Des attentes d’optimisation constante des ressources : en faire « toujours plus »

Ce premier cas de figure regroupe des travailleurs et travailleuses qui perçoivent des

attentes très élevées, parfois irréalistes, de la part de la direction et du superviseur en

vue d’optimiser constamment l’utilisation des ressources. À la différence des deux

autres cas de figure, ces attentes ne sont pas précisément liées à leur rôle et à leur

position dans l’organisation. Elles s’adressent à l’ensemble des salariés et salariées de

l’organisation.

Ainsi, au regard des résultats toujours plus élevés qu’ils doivent atteindre, c’est la

spirale du « toujours plus » qui est ici mise de l’avant. Elle se justifie bien souvent par

le contexte économique et la forte concurrence internationale. En effet, dans les

domaines du jeu vidéo et des services informatiques, comme le dit si bien Olivier,

« si tu veux avoir le mandat, il faut que tu charges le moins cher possible, il faut que

tu le fasses en le moins de temps possible ». Ces salariés et salariées évoquent souvent

le déséquilibre entre les résultats attendus par l’organisation et les moyens alloués

pour les atteindre (l’extrait de Daphnée dans le tableau 14, p. 238, est évocateur à ce

propos). Puisque le temps et l’argent sont « le nerf de la guerre » économique,

pressuriser les délais et favoriser les heures de travail gratuites est favorable à la

dynamique concurrentielle :

« Et ils font des beaux plans de projets dans Microsoft project ou autre, et

ça n'a pas de sens. Je dois tout faire en 3 mois, quand c'est un projet qui

devrait en prendre 6. Donc qu'est-ce qu'on fait, on met les bouchées

doubles. Et ça, c'est monnaie courante. » (Thierry)

De façon très insidieuse, les stratégies managériales consistent d’ailleurs parfois à

amener les salariés et salariées à soumettre eux-mêmes des délais de temps et de

productivité, qu’ils doivent ensuite respecter même si cela implique de déborder

largement du plan de travail prévu :

« Ils nous responsabilisaient en nous faisant évaluer le projet. Fait qu’on

évaluait une tâche à 20 heures, on s’arrangeait pour la faire en

regardant le plan de projet, on s’arrangeait pour arriver dans le temps et

Page 254: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

233

le délai qu’on avait escompté. Puis si c’était 20 heures et que ça me

prenait 30 heures, bien c’était 30 heures, on fonctionnait comme ça. »

(Bernard)

Cependant, comme ces attentes s’inscrivent dans des dynamiques de pouvoir

instaurées entre les employés et la direction, le déséquilibre des heures planifiées

versus les heures réalisées apparaît difficilement critiquable. Les salariés et salariées

tentent alors d’y répondre du « mieux possible » même si ces attentes paraissent a

priori irréalistes et même s’ils doivent parfois « cacher » le surtemps qu’ils font. En

effet, faire des heures supplémentaires pour le projet, « à tout moment (…) c'est très

apprécié » (Martin). Généralement dévolues à des rôles-clés dans l’organisation,

comme les cadres et les chefs d’équipe imputables, ce n’est plus le cas ici où les

attentes en termes de résultats sont transférées à tous les membres de l’équipe, que

l’on soit professionnel ou technicien. Tous les salariés et salariées se sentent

imputables de livrer toujours plus de résultats et de dépasser les objectifs. En somme,

de faire plus avec moins.

Ces attentes de la hiérarchie du « toujours plus » les amènent également à repousser

continuellement leurs limites au travail en acceptant régulièrement de nouveaux

mandats toujours plus difficiles. Invités par leurs superviseurs et la haute direction à

se sortir de leur « zone de confort », ces salariés et salariées constatent que

l’augmentation rapide et constante de leurs responsabilités, de même que l’évolution

de leur rôle au sein de l’organisation, sont fortement attendues :

« Moi ce qu'on m'avait dit quand je suis rentré, c'est que c'est ça. C'est

qu'on n'a pas de zone de confort. I : Ça veut dire quoi? R : Dans le sens

qu'on va toujours t'en donner un peu plus. Ce n'est pas nécessairement

une plus grosse charge de travail, mais plus de responsabilités peut-être.

Voir jusqu'où tu es capable d'aller. Puis le but ce n'est pas de te faire

craquer, mais c'est de voir bon qu'est-ce que tu es capable de faire. »

(Olivier)

Page 255: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

234

Des attentes de rendement élevé jumelées à une forte autonomie professionnelle

Ce sont surtout des professionnels et quelques cadres de premier niveau que l’on

repère dans ce deuxième cas de figure. Les attentes perçues de la hiérarchie (haute

direction et superviseur) concernent l’atteinte d’objectifs de rendement élevés et

précis ainsi que la démonstration d’une forte autonomie professionnelle pour y

parvenir.

Est ainsi fortement attendue la capacité à mener à terme les projets selon les délais

prescrits et les critères de qualité établis par le poste et selon les responsabilités

occupés dans l’organisation. En outre, cette attente s’associe à l’attente d’une très

forte autonomie professionnelle, ce qui accroît la pression sur ces travailleurs et

travailleuses. Le statut de professionnel ou de cadre de premier niveau de ces

personnes les oblige constamment à devoir faire la démonstration de leur capacité à

« s’autogérer », à remplir les exigences du poste sans « déranger la direction ». On

s’attend à ce qu’elles parviennent à résoudre les problèmes, à trouver par elles-mêmes

les solutions, et à ce qu’elles évitent que les problèmes « rebondissent » sur le bureau

du superviseur :

Il (mon gestionnaire) a besoin de déléguer, de faire confiance et d'avoir

des gens très autonomes. Même si je suis jeune, peu importe l'âge, il veut

des gens seniors, capables de se trouver des réponses eux-mêmes et s'ils

n'ont pas les réponses bien capables d'aller les chercher et de faire

affaire à lui librement dans un cas très particulier de décision. (Richard)

Cette situation n’est pas toujours facile à vivre, surtout pour ceux et celles qui ont peu

d’années d’ancienneté dans le poste ou dans l’organisation, comme c’est le cas pour

Raphaël : « Donc c'est un peu indéfini et ça c'est très difficile pour moi à gérer ».

Répondre à cette attente est susceptible d’allonger le temps de travail (par ex. le soir à

la maison) pour se former de manière autodidacte et résoudre les problèmes

imprévus.

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235

Des attentes doubles de fort leadership et d’engagement

Le dernier cas de figure se caractérise par des attentes fortes, tant des employés que

de la haute direction, en matière de leadership et d’engagement.

Dans le rôle de cadre intermédiaire, de responsable ou de chef d’équipe qu’ils

occupent pour la plupart, les attentes sont fortes en matière de mobilisation et de

gestion. Du côté des employés, il y a l’attente très claire d’être le « capitaine qui va

conduire le bateau » (Pierre). Quand on occupe un tel rôle, Pierre rappelle qu’il faut

souvent faire « beaucoup de coaching, d'accompagnement, d'encadrement ». Aux

yeux des employés, il faut être capable de répondre à toutes les interrogations, d’en

découdre avec toutes les contrariétés susceptibles de venir contrecarrer le projet ou le

mandat en cours. Les employés transfèrent leur confiance à ce chef et ils s’attendent à

ce que ce dernier soit en mesure de les mener au succès, et par le fait même à la

protection, voire au renforcement, de leur réputation professionnelle :

« Je pense qu'ils ne veulent pas seulement faire un projet, ils veulent

avoir un chef, quelqu'un qui les amène au bon port et pour ne pas avoir

l'air fou, dans le sens qu'ils veulent avoir un succès et non pas avoir un

échec. Ils veulent s'assurer que la personne qui est là va les amener vers

le succès, donc qui va mettre nécessairement les efforts, qui va être

appliqué pour eux autres, qui va les considérer, qui va les amener à se

dépasser. » (Jean-Thomas)

Par ailleurs, au-delà des attentes de leadership, est attendue vis-à-vis de ce rôle une

très forte disponibilité envers l’équipe. Les membres d’une équipe de travail

s’attendent à ce que tous les collègues – du chef d’équipe au technicien –

s’investissent autant qu’eux dans la réalisation d’un projet.

Cette très forte disponibilité vis-à-vis du travail et des responsabilités qui leur sont

dévolues est aussi fortement attendue par l’entreprise. En raison de leur position dans

l’organisation, ils ont le sentiment d’être constamment redevables à la hiérarchie,

d’être sur la « première ligne » et d’ainsi porter le poids des échecs et des succès de

l’entreprise :

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236

« (…) mais si c'est toi qui coordonnes et qui est responsable et répond

présent, c'est toi le général qui a dit de commencer la guerre, donc c'est

toi qui va être coupable. Tu as beaucoup de responsabilités, tu as

beaucoup d'attentes reliées à ça, envers toi-même aussi parce que souvent

tu t'attends à avoir toutes les réponses, tu te mets beaucoup de pression,

donc je trouve que c'est une culture qui est toujours là, que les

producteurs doivent avoir toutes les réponses. » (Hubert)

Au final, les attentes des employés et celles de la hiérarchie font que plusieurs sujets

se sentent souvent pris dans un étau. Répondre à ces doubles attentes de leadership et

d’engagement, être capable de soutenir et de manager une équipe tout en ayant

l’obligation professionnelle et morale d’assurer le succès du projet vis-à-vis de ses

collègues et de la direction, exige d’être fortement engagé dans la réalisation du

travail et de déborder ainsi régulièrement de l’horaire normal de travail.

5.3.2 Les attentes des milieux extra-professionnels à l’égard des rôles

professionnels et extra-professionnels

Qu’en est-il des attentes des milieux hors-travail à l’égard des rôles professionnels et

extra-professionnels? Comment ces attentes sont-elles liées (ou non) aux conduites

d’hypertravail? Force nous est de constater que plusieurs sujets ont éprouvé des

difficultés à exprimer la nature des attentes des milieux extra-professionnels et à les

mettre en parallèle avec le sentiment de pouvoir y répondre ou non. Tout de même,

on discerne au moins deux catégories d’attentes provenant de ces milieux : l’attente

liée au fait d’avoir le rôle de principal pourvoyeur au sein du couple; et l’attente d’un

investissement accru dans les engagements pris dans la vie hors-travail, vis-à-vis

desquels les sujets ne sont pas toujours capables de répondre. Pour les autres, ils se

divisent entre ceux et celles qui ne perçoivent pas d’attentes particulières des milieux

extra-professionnels ou, faute de réponse satisfaisante à cette question, n’ont pas pu

être codés.

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237

Tableau 15 : Attentes du milieu personnel et conduites d’hypertravail

TYPES D’ATTENTES

DU MILIEU

PERSONNEL

EXEMPLE-TYPE EFFECTIFS SELON

LE GENRE ET LA

SITUATION

CONJUGALE

Des attentes à

l’égard du rôle de

principal

pourvoyeur: Le

renforcement du

rôle professionnel en

regard des choix

conjugaux et

familiaux

« Si tu m'avais demandé, il y a 4 ou 5 ans,

jamais que je t'aurais dit que je voulais

devenir directeur (…). J'en reparle avec ma

conjointe et on en vient au fait que nous avons

tous les deux misés sur ma carrière parce

qu'elle est restée à l'emploi qu'elle occupait

pour compenser. Ce n'est pas nécessairement

ça qu'elle voulait faire (…). Par ailleurs, si

nous avions pris une décision différente au

moment que nous avons pris notre décision,

peut-être que je ne ferais pas ça aujourd'hui.

(…) Nous avons fait un choix pour que moi je

me concentre sur ma carrière et non les deux.

» (Pierre)

N = 4 ; 11,8%

Sexe : 4-H / 0-F

Situation conj. : 0-

célibats / 4-couples

Des attentes

d’engagements

significatifs dans les

rôles de la vie hors-

travail mais

incapables d’y

répondre

« Mais c'est sûr que moi je ne ressens pas que

je corresponds à, que je réponds aux attentes

(de mes amis, de ma conjointe). (…) Je pense

qu'ils apprécieraient qu'on se voie plus

souvent, que j'ai plus de temps à leur

consacrer ». (Louis)

N = 8 ; 23,5%

Sexe : 6-H / 2-F

Situation conj. : 2-

célibats / 6-couples

Des attentes

d’engagements

significatifs dans les

rôles de la vie hors-

travail et capables

d’y répondre (ou

pas d’attentes

spécifiques)

« Je parviens à bien répondre à mes

engagements en dehors du travail, je ne perds

pas le contrôle (…) » (Pascal)

N = 18 ; 52,9%

Sexe : 12-H / 6-F

Situation conj. : 5-

célibats / 13-

couples

Non codé Quatre sujets n’ont pas pu être codés pour ce

facteur en raison de données insuffisantes. N = 4 ; 11,8%

Page 259: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

238

Des attentes à l’égard du rôle de principal pourvoyeur: Le renforcement du rôle

professionnel en regard des choix conjugaux et familiaux

Quelques-uns évoquent les fortes attentes du milieu extra-professionnel

(principalement le ou la conjointe et la famille) vis-à-vis du rôle professionnel. C’est

le cas des salariés et salariées dont les choix conjugaux et familiaux ont contribué à

renforcer les attentes du conjoint vis-à-vis de leur rôle professionnel, alors qu’au sein

du couple, ils se retrouvent dans la position de pourvoyeur principal (voir, à ce

propos, l’extrait d’entretien de Pierre présenté dans le tableau 15 p. 244).

Pierre laisse alors entendre que, sans ces fortes attentes associées au fait « d’avoir

tous les deux misé sur ma carrière », il n’est pas certain qu’il aurait consacré autant

d’énergie et de temps à sa vie professionnelle : « ce n'était pas ça que je visais ». Car

Pierre ne se « considère pas comme quelqu'un de carriériste ». Selon lui, il est

devenu carriériste un peu malgré lui, en raison de ce choix de couple fait plusieurs

années plus tôt qui renforce l’importance de son rôle professionnel au sein de la

cellule familiale et conjugale, surtout que sa conjointe a mis les freins sur sa propre

carrière.

Ce rôle de pourvoyeur principal dans la famille amène bien souvent à délaisser les

autres rôles extra-professionnels, principalement en ce qui a trait aux soins et à

l’éducation des enfants : « Il est évident comme père que je me dis que j'aurais dû

être plus présent. C'est une question que je pose encore aujourd'hui, mais nous avons

fait ce choix ma conjointe et moi » (Alain). C’est ainsi à partir d’une répartition plutôt

nette des rôles à l’intérieur du couple, l’un axé sur le rôle professionnel et l’autre sur

les rôles extra-professionnels rattachés à la vie domestique et familiale, que sont

définies les principales attentes du milieu extra-professionnel pour ces personnes.

Des attentes d’engagements significatifs dans les rôles de la vie hors-travail mais

incapables d’y répondre

La deuxième attente est celle d’un investissement accru dans certains rôles et face à

certains engagements dans les milieux extra-professionnels. Plutôt que de renforcer le

Page 260: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

239

développement des conduites d’hypertravail, cette attente peut, au contraire,

compromettre son maintien à moyen et long termes.

En effet, ces personnes sentent souvent qu’elles ne sont pas à la hauteur de plusieurs

des attentes de leurs milieux de vie hors-travail. Il s’agit le plus souvent du milieu

familial et des rôles qui y sont associés (ex. conjoint, aidant naturel pour ses parents).

Comme le dit Florence, ces difficultés à répondre de façon satisfaisante aux attentes

de ses milieux hors-travail trouvent clairement leur source dans le fait de consacrer de

longues heures au travail et d’être fortement investie dans le rôle professionnel. Si

elle parvient à répondre aux attentes liées à un rôle en particulier, ici celui de

conjointe, elle constate cependant devoir en délaisser d’autres, pourtant importants à

ses yeux. De fait, en raison du nombre d’heures élevé consacrées au travail, il lui est

difficile de s’engager comme elle le souhaiterait dans son rôle de soutien à ses parents

vieillissants :

« Je voudrais toujours… en fait par rapport à mon conjoint, je pense que

c'est bien, que c'est équilibré, par rapport à ma famille, je voudrais des

fois en faire plus, mais c'est émotivement, à cause du travail où autre

chose que je ne peux juste pas » (Florence).

Pour éviter d’être pris en défaut, Jean préfère limiter ses engagements extra-

professionnels : « Parce que ça pour moi c'est sacré, si j'ai pris un engagement, je

vais être là. Par contre des fois il y a un petit peu de retard, mais je vais être là. Par

contre, c'est sûr que je limite, je dirais, mes engagements ». Mais, en parlant de son

rôle de père, on comprend qu’il ne les as pas réalisés à la pleine mesure de ce que ils

auraient souhaité. Il a fait ce qui lui paraît être le minimum de l’acceptable : « j'ai été

présent correctement là, mais pas nécessairement…. dans le sens de minimalement

correctement » (Jean).

Bref, ces personnes ont le sentiment de répondre plus ou moins bien aux attentes

provenant de leurs milieux hors-travail. Ils ont l’impression de ne pas être

suffisamment adéquats dans leurs rôles de père/mère, de fils/fille ou de

conjoint/conjointe en raison du temps et de l’énergie qu’ils consacrent au travail.

Page 261: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

240

Des attentes d’engagements significatifs dans les rôles de la vie hors-travail et

capables d’y répondre (ou pas d’attentes spécifiques)

Enfin, certains affirment ne pas déceler d’attentes particulières de leurs milieux extra-

professionnels. D’autres mentionnent être en mesure d’y répondre sans difficulté.

Ainsi, certains salariés et salariées rapportent qu’ils ont peu d’engagements en dehors

du travail : « Je vois quelques amis à Montréal, mais je n’ai pas d'autres

engagements formels à part le travail » (Olivier). Certains n’hésitent pas à rajouter

que cet équilibre réside dans le peu d’investissement et d’engagement pris dans la vie

hors-travail (ex. célibataire, sans enfant). L’absence de contraintes familiales explique

sans doute partiellement pourquoi on retrouve autant de femmes dans cette catégorie

(elles sont 6) :

« Mais je n'ai pas non plus... je n'ai pas d'enfant, j'ai juste moi-même à

m'occuper fait que si j'arrive à 21 heures chez nous, je n'ai pas soupé, je

me fais des toasts, c'est rien que moi, il n'y a pas un bébé à nourrir où je

suis obligé d'appeler ma belle-mère pour qu'elle vienne s'en occuper. »

(Évelyne)

Dans d’autres cas, comme pour Pascal dans l’extrait cité dans le tableau 15 (p. 244),

ils perçoivent être aisément en mesure de répondre aux attentes que leurs milieux

extra-professionnels ont à leur égard.

5.4 Examen des facteurs du niveau idéologique

Rappelons que le niveau idéologique concerne les conceptions qu’entretiennent les

individus à propos des rapports sociaux considérés comme normaux (Doise, 1982).

Ces conceptions et représentations individuelles prennent naissance dans la culture et

les valeurs promulguées et elles peuvent diverger ou converger selon les normes de

groupe et les modèles sociaux existants. Selon nos présupposés théoriques, dont

notamment celui de la résonance psycho-organisationnelle et des mécanismes

d’aliénation à l’organisation susceptibles de favoriser l’adoption de conduites

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241

d’hypertravail, une attention particulière a été portée à l’univers idéologique implanté

dans les organisations, selon le récit qu’en font les salariés et salariées interrogés. À

ce niveau, notre attention a également portée sur le processus collectif d’instauration

des normes de temps de travail (Sirota, 2006) puisque ces normes collectives

viennent en partie illustrer la culture du temps de travail et du temps supplémentaire

qui prévaut dans l’organisation.

Trois facteurs, à ce niveau, sont importants à la compréhension des processus de

construction des conduites d’hypertravail, tels qu’identifiés à l’étape de la recension

des écrits et de la construction de la grille d’analyse. Les deux premiers sont rattachés

à l’univers organisationnel. L’un s’intéresse à la culture du temps de travail dans

l’organisation, en accordant une attention aux valeurs, aux normes et aux règles

organisationnelles en lien avec le temps de travail. L’autre concerne plus globalement

la culture et les valeurs prônées par l’organisation. Dans les deux cas, nous voulons

analyser si ces facteurs liés à l’organisation participent ou non à la construction d’une

« idéologie » favorable au développement de la conduite d’hypertravail et de quelles

manières. Le troisième facteur renvoie plus largement à l’environnement social de la

personne. Il s’agit des normes sociales d’implication au travail au regard de

l’entourage immédiat, soit le noyau familial, le conjoint ou le réseau d’amis.

5.4.1 La culture organisationnelle du temps de travail : valeurs,

normes et règles

La culture organisationnelle relative au temps de travail et à la gestion du temps

supplémentaire est analysée à partir des valeurs, des normes et des règles mises de

l’avant par les organisations, telles que rapportées par les travailleurs et travailleuses

interrogés. L’analyse de leurs témoignages fait ressortir que ces valeurs, normes et

règles ne sont pas homogènes dans les organisations où sont observées des conduites

d’hypertravail. Celles-ci se distinguent selon trois catégories : celles centrées autour

d’un fort investissement temporel au travail, où les règles et pratiques de temps de

travail sont plutôt informelles, voire insidieuses, et contribuent à développer une

idéologie du « surtemps» ; celles axées sur une culture paradoxale par rapport au

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242

temps supplémentaire, où il est à la fois mal vu de ne pas en faire et mal vu de trop en

faire; et enfin celles centrées sur une culture du laisser-faire, où les pratiques sont

plutôt formelles et axées sur un investissement temporel plus « standard » de 35-40

heures par semaine. Cette dernière catégorie est a priori peu favorable aux heures

supplémentaires mais elle offre des marges de manœuvre individuelles adéquates à

une autogestion du temps de travail. Cette catégorisation tient également compte du

caractère répandu et habituel (ou non) du temps supplémentaire dans l’organisation.

Page 264: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

243

Tableau 16 : Culture du temps de travail et conduites d’hypertravail

TYPES DE CULTURE

DU TEMPS DE

TRAVAIL

EXEMPLE-TYPE EFFECTIFS SELON LE

GENRE ET LE

SECTEUR

D’ACTIVITES

Une culture des

longues heures de

travail soutenue

par des pratiques

informelles

« Nous on fonctionne avec du temps

compensatoire. Donc on reconnait l'effort

supplémentaire que tu as fait sur un projet en

te donnant des heures de vacances. Mais c'est

ce n'est jamais du 1 pour 1. Si tu penses que tu

vas retrouver tes heures, - toutes les

personnes qui ont pensé ça (…) ont tout le

temps été déçues. Ce n'est pas comme ça. Ça

c'est la politique, c'est comme ça que

l'entreprise fonctionne. I : c'est assez informel,

est-ce que ça dépend des gestionnaires? R :

oui, c'est entièrement à la discrétion du patron

du jeu, entièrement à la discrétion du

producteur. Il n'y a pas de politique. »

(Vincent)

N = 13 ; (38,2%)

Sexe : 9-H / 4-F

Secteurs : 6-Multi /

6-TI / 1-Autre

Le temps

supplémentaire

exigé mais sous

surveillance : Une

culture paradoxale

du temps de travail

« (Comment ça fonctionne le temps

supplémentaire) on reçoit tout le temps un

mail à chaque jour, à une heure, qui dit «bon

la bouffe ce soir ce sont ces trois restaurants-

là» puis on fait notre choix puis c'est ça. On

fait notre choix puis on reste jusqu'à l'heure

qu'on veut. Comme cette semaine, je suis resté

jusqu'à onze heures une journée.

Étonnamment, la production pour le

marketing, ils n’encouragent pas beaucoup

l'overtime. Ils n’aiment pas ça nous faire faire

de l'overtime je sais pas pourquoi. Moi je leur

dis que ça me dérange pas, j'ai été testeur, je

suis capable d'en prendre, d'en faire. Puis j'en

fais, c'est très apprécié. » (Martin)

N = 8 ; (23,6%)

Sexe : 6-H / 2-F

Secteurs : 6-Multi /

2-TI

Une culture du

laisser-faire, a

priori centrée sur

des heures

« normales » de

travail

« Non, moi dans ma feuille de temps il est

écrit 40 heures et faut pas que j'en mette plus,

faut pas que j'en mette moins. Quand je suis

arrivé ici, c'était clair, il me l'avait expliqué,

on ne me payait pas mon overtime et que

c'était libre à moi d'en faire. C'est correct, j'ai

accepté. (…) je pourrais en faire moins et ça

ne dérangerait pas la compagnie. Je pourrais

être moins perfectionniste. » (Pascal)

N = 13 ; (38,2%)

Sexe : 11-H / 2-F

Secteurs : 2-Multi /

7-TI / 4-Autre

Page 265: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

244

Une culture des longues heures de travail soutenue par des pratiques informelles

De nombreux travailleurs et travailleuses ont évoqué la culture des longues heures de

travail qui prévaut dans leurs entreprises. Différentes règles et pratiques de temps de

travail, le plus souvent informelles, soutiennent cette culture. La première est celle où

l’on ne comptabilise pas les heures de travail réellement travaillées ou, encore, celle

où les balises entourant la comptabilisation du temps de travail sont floues. Voici ce

que rapporte Samuel: « Ce n'est pas comptabilisé parce que de toute façon on est

payé, quoiqu'il arrive, aux 15 jours, et sur une base forfaitaire de 40 heures par

semaine ».

Un autre exemple de cette culture favorable aux longues heures de travail est celui où

certaines activités sont exclues du temps de travail à proprement dit, principalement

la formation sur le tas et la participation à des événements qui se déroulent en dehors

du lieu et des heures régulières de travail. Le chevauchement perçu entre plaisir et

travail y contribue certainement : « Puis il y a souvent des événements dans le

domaine du jeu, des 5 à 7, des présentations, des soirées démo avec des étudiants,

donc tu pars du bureau à 5h puis tu vas là et souvent tu es là jusqu'à 8-9 heures le

soir, ça ce n'est pas comptabilisé » (Florence).

En outre, les pratiques et les règles entourant la gestion du temps supplémentaire

semblent le plus souvent discrétionnaires, parfois inexistantes. En effet, il revient au

superviseur de décréter quand et comment ce temps supplémentaire pourra (ou non)

être repris/récompensé. Sans règles formelles et universelles, c’est au superviseur de

choisir d’accorder ou non des bonus ou des congés compensatoires, ce qu’il fera

selon – et en comparaison – des heures supplémentaires réalisées par le salarié. À ce

propos, même s’ils ne le contestent pas, plusieurs salariés et salariées soulignent le

décalage entre le temps réellement investi et le temps compensé : « ce n’est jamais du

1 pour 1 ». Bien que le temps supplémentaire ne soit pas totalement compensé, il est

fortement attendu d’en faire dans ce type de culture du temps de travail. C’est ce

qu’indique Florence dans l’organisation de laquelle, parce qu’il n’est pas découragé,

le temps supplémentaire est subtilement encouragé : « on ne t'oblige pas à le faire,

Page 266: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

245

mais en même temps, effectivement, les gens qui font de « l'over », c'est très rare

qu'on va leur dire : voyons, va-t'en, ça n'a pas d'allure ».

Des pratiques informelles favorables à l’allongement des heures de travail, comme

« sauter l’heure du lunch », viennent dicter les comportements souhaitables : « (…)

donc ça s'est installé rapidement puis c'est surtout qu'il n'y a pas, on n'a pas de

culture d'heure de dîner donc… moi je dîne à mon bureau puis l'heure du midi, je la

travaille (…) » (Florence). Dans cet exemple, on observe que l’ensemble du temps

passé sur le lieu de travail devient alors exclusivement consacré à travailler : même

les traditionnelles pauses-repas sont amputées.

Le fait que paraisse « normalisé » l’étirement des heures de travail est aussi un

élément propice au développement d’une culture organisationnelle des longues heures

de travail. Par exemple, être au bureau très tôt ou très tard le soir est loin d’être une

exception pour Jean, qui constate que sa présence prolongée au travail n’a rien de

curieux dans son milieu, plusieurs étant toujours sur les lieux du travail en dehors des

heures « standards » :

«Je ne suis pas un extra-terrestre, non. C'est ce que je dis souvent à ma

conjointe, elle me dit – parce que dans son entreprise, elle elle dit

«écoute Jean, si supposons que je pars à six heures un soir

exceptionnellement là, le stationnement est vide. Même pas le VP, le PDG

tout ça là. Ils ont quitté à cette heure-là.» Puis moi je dis « Regarde, je

suis parti ce soir à huit heures, il restait au moins une douzaine de

voitures à X ». Je suis arrivé à matin– Comme ce matin je suis arrivé à

sept heures moins dix, il y avait déjà une dizaine de voitures. Fait que

c'est dans la culture de l'entreprise. » (Jean)

Bref, dans cette culture des longues heures de travail, favorable au temps

supplémentaire et au surtemps chronique, faire de longues heures est érigé comme

une valeur en soi. C’est la présence simultanée de ces éléments dans une organisation

(balises floues, comparaison des heures avec les collègues) qui contribuent à façonner

la norme du surtemps, alors que l’allongement de la semaine normale apparaît

subtilement mais fortement encouragé.

Page 267: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

246

Le temps supplémentaire exigé mais sous surveillance : une culture paradoxale

du temps de travail

Dans d’autres organisations, les valeurs, normes et pratiques en matière de temps de

travail et de gestion du temps supplémentaire sont différentes. Dans ce que nous

avons appelé la « culture du paradoxe du temps de travail », les valeurs et les règles

mises de l’avant tendent à baliser le temps supplémentaire et à décourager le surtemps

chronique. En témoigne notamment l’existence de règles claires et suffisamment bien

balisées en vue de maîtriser et de réguler le temps supplémentaire des salariés et

salariées. Les heures supplémentaires sont généralement réalisées à la demande du

superviseur et elles doivent être approuvées par celui-ci. A priori, la politique de

l’organisation exige que ces salariés et salariées soient éventuellement remboursés –

en temps ou en salaire – pour les heures supplémentaires effectuées, qu’ils peuvent

aussi conserver dans une banque. Autrement dit, ne fait pas du temps supplémentaire

qui veut, quand il veut, et un protocole de normes et de règles doit être respecté pour

rester au travail les soirs et les fins de semaine.

Cependant, malgré la présence de ces règles de gestion du temps de travail, les

salariés et salariées relèvent un discours contradictoire en matière de temps

supplémentaire. D’un côté, un discours officiel qui décourage le temps

supplémentaire, « où on veut que vous fassiez juste 40 heures », et, de l’autre, un

discours implicite favorable aux heures supplémentaires puisqu’il faut bien rendre les

livrables selon les délais prescrits, même si « on n'a pas les délais pour que ça

rentre » dans le temps imparti (Louis). C’est le cas plus particulièrement des

entreprises de jeux vidéo qui, face aux nombreux projets à rendre et aux livrables très

serrés, doivent souvent bousculer les horaires de travail de leurs salariés et salariées :

« C'est déjà arrivé des fois qu’on a fait des 24 heures de travail de suite.

I : Hein? 24 heures de suite? R : Ouais. I : Pourquoi on fait 24 heures de

suite? R : Il faut délivrer, il y a un deadline, fait qu’ils prennent les

Warriors qu'on appelle, les guerriers [en riant]. Fait que là on reste toute

la nuit. » (Martin)

Page 268: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

247

En outre, l’analyse des entretiens révèle que ces « guerriers », capables de rester plus

longtemps que la journée normale et « tenir » au travail de très longues heures, sont

perçus très positivement par l’organisation et ses membres, au point de voir

augmenter leurs chances d’avancement de leur carrière. Dans la même veine, décliner

les propositions du superviseur à rester tard le soir et à faire des heures en extra à la

semaine de travail, lorsque la situation d’urgence ou les délais l’exigent, est très mal

perçu :

I : pendant ces rush-là, est-ce que tu pourrais leur dire «moi je m'en tiens

à mon horaire, à mon 40 heures, puis c'est tout ?» R : Tu vas te faire

détester [en riant] si tu fais ça. Ouais ouais ouais ouais. Ça va avoir une

très mauvaise répercussion dans ton dossier. » (Martin)

En fait, si d’un côté il n’est pas encouragé de prendre des initiatives individuelles

pour faire des heures supplémentaires – vaut mieux attendre que la demande

provienne du superviseur – de l’autre côté, il est très mal vu d’être non disponible aux

débordements de l’horaire « normal ». Par ailleurs, les comportements de fort

investissement temporel au travail se trouvent valorisés : les membres « élites » de

l’organisation, c’est-à-dire gestionnaires, producteurs et autres chefs d’équipe, sont

eux-mêmes fortement investis au travail. Dans un contexte où les horaires sont

flexibles (ex. heures d’entrée et de sortie variables), cette culture paradoxale du temps

de travail peut amener certains salariés et salariées à faire régulièrement de longues

heures – pour maintenir une forte performance au travail – mais aussi à le cacher. En

effet, les heures en extra et le surtemps peuvent parfois être perçus comme le reflet

d’un problème individuel, par exemple un manque de compétences. De plus,

« cacher » du temps de travail permet aussi d’éviter de justifier sa productivité ou

d’attirer l’attention sur son rendement, comme en témoigne Jean-Thomas ci-contre :

« À un moment donné, si je facture trop de temps supplémentaire, je vais

diminuer ma rentabilité, bien ça va allumer des lumières à mes

supérieurs et si ça allume des lumières à mes supérieurs bien il va falloir

que je réponde aux questions. Donc ça veut dire quoi, bien ça veut dire

que je ne mettrai pas tout mon temps, je ne facturerai pas tout mon temps

Page 269: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

248

(supplémentaire) parce qu'il y a certaines lumières que je ne voudrais pas

allumer. » (Jean-Thomas)

Cette pratique « clandestine », celle de « cacher » à la vue du superviseur certaines

heures travaillées, illustre ici un cas où une pratique favorable au surtemps est mise

en place par une initiative individuelle (et, du même coup, n’apparaît pas directement

prescrite par l’organisation). Au final, ce type de culture soutient de manière

insidieuse les conduites d’hypertravail malgré un discours officiel souvent favorable à

la conciliation travail-vie personnelle.

Une culture du laisser-faire, a priori centrée sur des heures « normales » de

travail

La culture du laisser-faire se distingue des deux autres essentiellement par le fait que

les longues heures de travail apparaissent plutôt hors normes dans l’organisation et

qu’elles ne sont pas généralisées. Non seulement les règles organisationnelles de

temps de travail ne favorisent pas les longues heures de travail mais, en plus, les cas

de fort investissement temporel au travail sont rares. Ici, la comptabilisation du temps

de travail est fortement encouragée, tout comme la reprise du temps supplémentaire.

Les travailleurs et travailleuses sont invités à inscrire les heures travaillées dans un

dossier et le très fort investissement au travail est plutôt découragé : « Je me fais

même chicaner par mes boss parce que je travaille trop des fois » (Émile).

De plus, dans ce type de culture, la conduite d’hypertravail est perçue comme non

conformiste en comparaison avec leurs collègues et les autres travailleurs de

l’organisation, y compris le superviseur. Ceux qui l’adoptent sont en quelque sorte à

contre-courant de la culture organisationnelle par rapport au temps de travail. Par

ailleurs, cette conduite semble d’autant plus leur plaire qu’ils dévalorisent, voire

rejettent, la norme du « 35-40 heures » :

« Ben par rapport à mes collègues, donc c'est vraiment, ah je ne dirais

pas du simple au double, mais [rires], mais c'est très différent. Eux ils

préfèrent arriver un peu en retard le matin, mais partir bien à l'heure le

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249

soir. Et puis prendre une grosse pause pour le lunch. Aussi des pauses

cigarettes et tout ça. Donc c'est complètement différent » (Alexia).

Les longues heures de travail n’apparaissent ainsi pas comme une pratique usuelle,

courante ou normale dans l’organisation (« Mon chef d'entreprise, j'imagine qu'il fait

plus de 35 heures, mais je ne suis même pas sûre. Je pense qu'il fait moins d'heures

que moi » (Sandrine)). Toutefois, on observe beaucoup de flexibilité quant aux

arrangements temporels demandés et cette culture met de l’avant une position de

« laisser-faire » en fonction des préférences des salariés. Ainsi, même s’il se trouve à

contre-courant, faire des longues heures de travail pour Richard est possible :

« Je pense qu'on est dans une organisation qui est très ouverte sur

l'aménagement du temps de travail. Très très très ouverte en fait, on nous

donne l'impression qu'il n’y a rien qui ne se fait pas. Tu veux financer du

congé sans solde, tu veux faire une semaine compressée ou réduite, tu

veux faire 70 heures, il n'y a pas de problème, tout est ouvert ». (Richard)

On retrouve aussi dans cette catégorie quelques cadres pour lesquels les politiques

des « heures normales » sont respectées à la lettre par leurs employés et de façon plus

générale dans l’organisation. Puisque la loi les exempte des règles se rapportant au

temps supplémentaire, ils gèrent ainsi individuellement leur horaire de travail selon

leurs contraintes temporelles (ex. réunion de soir) et leurs fonctions, sans devoir

rendre de compte à l’organisation.

5.4.2 Philosophie, culture et valeurs de l’organisation

La mission, la philosophie et les valeurs promulguées par une organisation nous

renseignent sur la culture et sur « l’idéologie » organisationnelles mises de l’avant par

ces entreprises. Celles-ci peuvent être liées à l’adoption de conduites d’hypertravail

selon la manière dont elles entrent en interaction avec les propres aspirations, craintes

et désirs des personnes.

Les travailleurs et travailleuses sont les témoins privilégiés de cet environnement

idéologique et nous les avons invités à présenter brièvement, dans leurs mots, la

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250

philosophie, la mission et les valeurs de leur entreprise. À la lumière des réponses

obtenues, trois types de cultures spécifiques se dégagent du discours des travailleurs

et travailleuses. La première en est une compétitive, axée sur la performance au

travail. La mission est orientée sur le principe de compétitivité internationale et les

valeurs prônées reposent surtout sur le surpassement de soi. La deuxième s’apparente

à une culture « familiale ». La mission est axée sur la qualité des produits et des

services et les valeurs les plus importantes de l’entreprise sont celles du

développement des personnes au travail et de la mise en valeur de leur potentiel. La

troisième est une culture dite coopérative, qui se donne pour principale mission de

servir les autres, une communauté ou des clients, et dont les valeurs principales sont

dirigées vers l’humanisme et le respect des individus.

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251

Tableau 17 : Culture organisationnelle et conduites d’hypertravail

TYPES DE CULTURE

ORGANISATIONNELLE

EXEMPLE-TYPE EFFECTIFS SELON LE

GENRE ET LE

SECTEUR

D’ACTIVITES

Une culture

«compétitive» :

l’idéal du

surpassement au

service de la mission

de succès de

l’entreprise

«Chez X, c'est cet esprit d'être motivé tout le

temps, de se dépasser, c'est nos valeurs

d'ailleurs le dépassement de soi. Et puis je

trouve qu'il faut coller aux valeurs de

l'entreprise. Sinon on ne se sent pas bien.

C'est donner du temps pour l'entreprise. (…)

Plusieurs fois notre directeur rappelle qu'on

est une start-up, qu'il faut s'investir, qu'on a

besoin de s'investir vraiment pour que ça

fonctionne.» (Alexia)

N = 12 ; (35,3%)

Sexe : 10-H / 2-F

Secteurs : 3-Mul / 7-

TI / 2-A

Une culture

« familiale » axée

sur la mise en

valeur de chaque

personne pour le

développement de

l’organisation

«On se donne des outils et des moyens pour

garder cet esprit familial, pour ne pas qu'on

devienne des numéros : C'est qui lui, je ne le

connais pas, c'est quoi ton numéro

d'employé. Non, tout le monde doit se

connaître, au moins visuellement, être dans

un contexte de confort dans le sens que je

travaille avec des gens que je connais, que ça

bouge pas trop. Et ensuite de ça c'est la

responsabilisation. On veut que les gens

prennent à cœur ce qu'ils font. (Frédéric)

N = 11 ; (32,4%)

Sexe : 7-H / 4-F

Secteurs : 10-Mul /

1-TI / 0-A

Une culture

« communautaire »

axée sur le caractère

altruiste de la

mission

« Là, s'il y avait une mission presque au

niveau politique je dirais, c'est vraiment

d'amener une alternative plus humaine (à

telle industrie) et plus durable. C'est vrai que

peut-être maintenant je suis complètement

déformé par les valeurs, ce qui est possible,

mais je trouve que c'est pas mal le cas.»

(Richard)

N = 7 ; (20,6%)

Sexe : 5-H / 2-F

Secteurs : 1-Mul / 4-

TI / 2-A

Une culture non

précisée « Justement, ils commencent à développer un

code de vie, pour l'entreprise, des belles

valeurs, des missions, on n'en sait pas encore

plus à l'interne. » (Édouard)

N = 4 ; (11,8%)

Sexe : 4-H / 0-F

Secteurs : 0-Mul / 3-

TI / 1-A

Page 273: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

252

Une culture « compétitive » : l’idéal du surpassement au service de la mission de

succès de l’entreprise

Une partie des travailleurs et travailleuses de notre échantillon rapporte baigner dans

un environnement idéologique qui met à l’avant-plan une culture fortement

compétitive, une culture de « gagnants ». Dans ce type de culture, sont très fortement

valorisées la compétitivité de l’entreprise et sa puissance sur la scène internationale.

Est aussi proposée une vision plutôt idéalisée de l’objectif poursuivi, puisque celle-ci

renvoie à la quête ultime à laquelle peut prétendre une entreprise : « dominer le

monde », « être les meilleurs au monde » « être présent partout dans le monde »,

« être le numéro 1 ». Ces quelques phrases traduisent la perception qu’ont les salariés

et salariées de la mission de leur entreprise. Plusieurs d’entre eux ont d’ailleurs

témoigné du durcissement du discours idéologique depuis quelques années dans

lequel la pression envers les salariés et salariées pour atteindre la mission apparaît de

plus en plus forte. Dans certains cas, le rachat par des compagnies internationales ou

les difficultés de l’entreprise sur les marchés boursiers ne sont pas étrangers à ce

phénomène.

Les entreprises dans lesquelles on retrouve ce type de culture mettent de l’avant des

valeurs qui sollicitent un fort dévouement à l’organisation et à sa mission. Parmi

celles-ci, la valeur de surpassement de soi est très forte. L’analogie avec l’élite

sportive (champion olympique, club de hockey professionnel) est souvent utilisée

comme image du surpassement attendu. Celle-ci vient également soutenir la vision du

travailleur idéal : en proposant des images fortes de personnes qui ont réussi des

épreuves difficiles et courageuses, nul doute que l’entreprise cherche à stimuler ce

type de comportements auprès de ces travailleurs :

« On a un gars l'année dernière, c'est le champion olympique de 100

mètres qui est venu nous faire une conférence, l'année d'avant c'est un

gars qui avait monté l'Himalaya le Kilimandjaro, le K2 lui il vient

raconter son expérience pour qu'on se recentre (…) et qu’on sorte de

notre zone de confort. » (Samuel)

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253

Pour promouvoir sa culture et sa vision du travailleur idéal, l’entreprise n’hésite pas à

marteler ses messages à plusieurs reprises, en utilisant souvent des phrases chocs :

« Chaque année on a une phrase magique, cette année c'est « beat the clock », battre

le temps. (…) Quand je suis entré c'était « à 200 à l'heure », fallait qu'on roule à 200

à l'heure, fallait qu'on travaille à 200 à l'heure, fallait passer à la sixième vitesse »

(Samuel). D’une certaine façon, ces entreprises mettent les travailleurs et

travailleuses en compétition avec le temps. Elles les invitent à être toujours plus

rapides, toujours plus efficaces, à « gagner du temps ». Elles les mettent aussi en

compétition vis-à-vis des autres, sur le fil du temps : être les plus rapides en terme

d’innovations technologiques / d’applications multimédias, devancer les concurrents.

Au sein de cette culture, si les valeurs de coopération et d’entraide sont souvent

fortement valorisées entre les collègues, elles apparaissent toutefois « détournées » au

profit de la mission de l’organisation. Sous le couvert de venir en aide à ses

collègues, Jérôme fait valoir que les périodes moins intenses au travail ne sont pas

pour autant des périodes où l’employé peut récupérer du temps supplémentaire : il

doit être profitable à l’équipe et tous doivent contribuer du mieux qu’ils peuvent pour

atteindre la mission de l’organisation :

« Le travail d'équipe, ça c'est important, et que chacun donne le meilleur

de lui-même. Et ouverture : si tu tombes dans un moment plus mort, va

aider comme tu peux les autres. De ne pas s'asseoir sur…I : ne pas faire

du présentéisme ? R : c'est ça. Le moins possible. Je vois ça géré comme

une équipe de hockey qui veut gagner la coupe Stanley. Tu aides comme

tu peux. » (Jérôme)

En bref, cette culture compétitive rend compte d’un environnement idéologique qui

est propice à favoriser un fort investissement au travail.

Une culture « familiale » axée sur la mise en valeur de chaque personne pour le

développement de l’organisation

D’autres travailleurs et travailleuses rendent compte d’un environnement qui fait état

d’une culture dite « familiale ». Ce type de culture allie une mission centrée sur la

Page 275: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

254

qualité des services aux clients à une très grande valorisation des ressources

humaines.

Interrogés sur la mission de l’entreprise, les travailleurs et travailleuses affirment que

c’est la qualité des produits et des services offerts qui unit et oriente l’ensemble de

leurs actions. Livrer des jeux de qualité ou encore offrir un service personnalisé aux

clients sont quelques-unes des missions avancées par les salariés et salariées qui se

retrouvent dans cette catégorie. Contrairement au type de culture précédente, où la

mission est accolée à l’exigence du succès pour l’entreprise, elle est ici plutôt

rapportée à sa raison d’être, c’est-à-dire aux principaux destinataires de ses activités,

soient les utilisateurs et les clients. Les actions communes sont orientées et prennent

sens en référence à ces destinataires, envers qui il importe de répondre aux attentes et

aux demandes les plus exigeantes.

Par rapport à la philosophie et aux valeurs organisationnelles, ces travailleurs et

travailleuses évoquent la place centrale accordée à la mise en valeur des personnes et

de leur potentiel pour le développement de l’organisation et l’atteinte de la mission.

De fait, ils sont nombreux à percevoir et à évoquer la très grande considération

accordée envers les ressources humaines, qui « sont au cœur de l'entreprise »

(Florence). L’entreprise démontre la valeur qu’elle accorde au bien-être de ses

employés et à leur qualité de vie par divers moyens, notamment par l’accès à une

garderie et à un médecin sur les lieux de travail, ou encore par l’accès gratuit à un

gymnase d’entraînement. Mentionnons également que les valeurs de réalisation de soi

par le travail, de créativité et d’innovation apparaissent importantes selon les

travailleurs et travailleuses interrogés. Pour y parvenir, le développement

professionnel et personnel constitue une valeur forte promulguée au sein de ces

entreprises. Ces valeurs soutiennent la mise à profit des compétences des travailleurs,

la reconnaissance de leur plus-value et leur contribution à l’organisation. Ceux-ci

sentent avoir du pouvoir sur leur travail et dans l’entreprise, ce qui est favorable à un

engagement accru envers l’entreprise : « moi, c'est une des raisons qui a fait que cette

entreprise-là était intéressante à la base. Je sentais que j'avais un peu plus, au

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255

quotidien, de poids dans la balance et de liberté d'action que dans d'autres

compagnies » (Louis).

Plus globalement, c’est le sentiment de faire partie d’une grande famille, au sein de

laquelle chacun a un rôle important à jouer, qui est mis à l’avant-plan. Ce sentiment

d’être important aux yeux de l’entreprise est cependant propice à entrer dans un

cercle vicieux/vertueux favorable à un fort investissement temporel au travail : « ceux

qui se sentent responsables et qui pensent qu’ils sont super importants vont travailler

sans compter » (Hubert). Si des avantages indéniables s’associent à une telle

perception et font résonance avec le besoin de faire partie intégrante d’un groupe et

d’une organisation, la pression est toutefois forte pour maintenir leur place au sein de

la « famille ». Et, dans ces organisations comme dans les familles, la puissance et la

permanence des liens et de la relation ont été évoquées par quelques travailleurs et

travailleuses, dont Vincent :

« Il y a vraiment cet esprit-là, familial. Pour le meilleur et pour le pire.

Quand tu déçois la famille, tu la déçois, et ça, à tous les paliers. Même à

un point que si tu quittes l'entreprise, c'est presque comme si tu les

trahissais.» (Vincent)

Une culture « communautaire » axée sur le caractère altruiste de la mission

Quelques travailleurs et travailleuses s’inscrivent au sein d’une culture

organisationnelle que l’on peut qualifier de « communautaire ». Dans ce type de

culture, la mission est définie par rapport à une cause humaine et sociale, qui s’ancre

autour de l’utilité sociale et communautaire de l’entreprise et de la « noblesse » des

objectifs qu’elle poursuit. Il peut s’agir par exemple d’une mission axée sur le fait

d’offrir une alternative plus durable et plus humaine que les compétiteurs dans l’offre

de services, comme en fait part Richard dans l’extrait du tableau ci-haut (tableau 17),

ou encore d’une mission centrée sur l’éducation des jeunes, tel que le développement

de logiciels conçus pour les aider dans leurs apprentissages. Ainsi, poursuivre la

mission de l’entreprise procure le sentiment de travailler à une cause très importante,

Page 277: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

256

à une mission noble et peu banale, comme l’évoque Daphnée dans l’extrait ci-

dessous :

« (…) ce qu'on fait permet d'atteindre des objectifs qui, dans la vraie vie,

sont vraiment importants. Transmettre un sentiment de puissance (aux

jeunes), c'est quelque chose qu'on essaie d'amener dans toutes nos

productions. » (Daphnée)

Parmi les valeurs importantes mises de l’avant dans ces organisations, on retrouve

notamment l’intégrité, le respect, la rigueur au travail et la cohésion d’équipe. Selon

les différents témoignages, il semble ainsi que ces entreprises misent beaucoup sur

l’importance de développer une très bonne dynamique à l’interne, entre les employés

mais aussi avec la hiérarchie. Certains en parlent comme des entreprises «très

très humaines » (Émile), respectueuses et collaboratives, ce qui fait résonance avec

leurs valeurs personnelles. À ce propos, puisque la mission et les valeurs de ces

entreprises traduisent un engagement social et un engagement envers l’équipe assez

marqués, il serait très mal perçu de la part de ses membres de ne pas adhérer à la

mission et aux valeurs de l’organisation: « quelqu'un qui n'adhère pas aux valeurs se

fait mettre de côté rapidement dans l'équipe » (Daphnée).

Bref, ce troisième type de culture organisationnelle peut avoir un effet sur l’adoption

de conduites d’hypertravail, surtout si les valeurs et la mission organisationnelles font

résonance avec les valeurs personnelles et le besoin vocationnel.

Une culture non précisée

Enfin, quatre salariés et salariées n’ont pas été en mesure de présenter ou de préciser

de manière suffisamment claire la culture de leur organisation. Celle-ci demeure

plutôt floue, principalement en raison du fait que, selon eux, la mission, la

philosophie et les valeurs sont plus ou moins clairement mises en valeur dans leur

organisation. Bien sûr, ce n’est pas parce que certains salariés et salariées peinent à

rendre compte d’éléments illustrant la culture organisationnelle que cette culture est

inexistante. Mais on peut certainement avancer que, dans ces cas, le discours

Page 278: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

257

idéologique de l’organisation, que ce soit à travers l’orientation des actions de

l’entreprise ou de ses valeurs, est moins bien intériorisé par les salariés et salariées.

En raison du manque de communication de l’entreprise ou tout simplement en raison

de la faible intégration des messages organisationnels par les salariés et salariées, il

n’empêche que ce facteur semble avoir eu peu d’impacts sur le développement de

leurs conduites d’hypertravail.

5.4.3 Normes sociales d’implication au travail chez les proches

Nous nous sommes finalement intéressée à la manière dont les travailleurs et

travailleuses perçoivent les représentations de leurs proches (famille, conjoint, amis)

quant à leur conduite d’hypertravail. Nous voulions mieux comprendre si la conduite

d’hypertravail est une idéologie endossée ou avalisée en dehors du travail, au sein de

la famille et du réseau d’amis. Au final, faire de longues heures de travail apparaît

plutôt « normal » dans l’entourage personnel pour environ la moitié des personnes

interrogées, tandis que pour l’autre moitié, cette conduite s’avère plutôt marginale et

même critiquée.

Page 279: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

258

Tableau 18 : Normes sociales d’implication au travail et conduites d’hypertravail

IMPLICATION AU

TRAVAIL ET

NORMES SOCIALES

DES PROCHES

EXEMPLE-TYPE EFFECTIFS SELON LE

GENRE ET LA

SITUATION

CONJUGALE

L’hypertravail est

la norme auprès

des proches

« Comme je te disais c'est dans mon ADN. Je

suis comme ça. C'est probablement génétique.

Je dis génétique mais mon père est comme ça,

mes frères et sœurs sont comme ça aussi. C'est

ce que j'ai connu, j'ai vécu là-dedans, j'ai

grandi là-dedans, je suis comme ça. » (Jean-

Thomas)

N = 16 ; (47,1%)

Sexe : 13-H / 3-F

Situation conjugale :

2-cél / 14 en couple

L’hypertravail

n’est pas la norme

selon les proches

« Ma mère elle trouve que c'est fou. Ma sœur

elle en fait plus que moi, elle travaille dans le

milieu de la santé. Mon chum trouve que ça

n'a pas de bon sens, qu'on est exploité, mais

en général, les gens qui trouvent que ça n’a

pas d'allure, ce sont des gens qui ont travaillé

dans des domaines genre électricien,

professeur, machin comme ça, à la SAQ. Du

monde qui sont soit fonctionnaire ou ont des

jobs sur horaire et qui laisse la job au

boulot. » (Évelyne).

N = 18 ; (52,9%)

Sexe : 13-H / 5-F

Situation conjugale :

7-cél / 11 en couple

L’hypertravail est la norme auprès des proches: la norme des longues heures de

travail « tout azimut » et jamais contestée

Dans ce premier cas de figure, le surinvestissement au travail apparaît la norme parmi

les proches. Pour la plupart, les sujets ont été très jeunes exposés à la culture des

longues heures de travail. Dans le cercle familial, un ou les deux parents ont connu

l’hypertravail et, le plus souvent mais pas seulement, c’est le père qui est présenté

comme un modèle de surinvestissement au travail : « chez nous, la culture c'est le

travail. La culture du travail est très importante. Mon père ne comprenait pas

pourquoi je prenais une semaine en congé de temps en temps » (Jean-Thomas); « On

est tous comme ça. Mon père aussi a fait ça, ma sœur elle fait ça » (Émile). Pour

Émile comme pour d’autres, le « modèle » d’investissement du père a été reproduit

par les frères et sœurs ce qui fait qu’au final, la norme des longues heures de travail

est véhiculée « tous azimuts ».

Page 280: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

259

Ainsi, loin d’être critiqué ou découragé, ce fort investissement temporel au travail est

plutôt valorisé par les proches :

« Je sais que mon père est content! Il me dit souvent «ah là là dis donc,

je vois que tu réponds à des mails, il est sept heures du matin, je te

croyais pas capable de faire ça». C'est assez marrant, donc ça fait plaisir

de le satisfaire, de voir qu'il est content. Ma mère aussi c'est pareil

finalement. Et puis après, au niveau de mes amis, souvent ils disent qu'il

faut que j'arrête de travailler, mais bon sur le ton de l'humour parfois.

Parce que je sais qu'ils en ont du travail, tout autant. » (Alexia)

En cas de voix discordantes (s’il y en a), ils peuvent chercher à éviter toute

contestation possible en recentrant leurs relations auprès des personnes qui partagent

les mêmes représentations qu’eux en matière d’implication au travail. C’est ce que

nous explique Vincent, qui s’est éloigné de certains amis qui ont choisi un mode

d’implication temporelle au travail différent du sien :

« Dans ma vie, j'avais des amitiés avec des gens qui, avec le temps, sont

devenus différents de moi, que je ne vois plus. (…) Donc, oui, je me tiens

avec des gens qui valorisent le travail, mes parents eux-mêmes, ma

blonde valorisent le travail, les gens comprennent. » (Vincent)

Plus que le fort investissement temporel au travail, c’est l’hyperactivité dans tous les

domaines de vie qui est parfois représentée positivement et soutenue comme modèle

parmi les proches. Être très actif, très investi dans les principales sphères de la vie fait

résonance avec le mode de vie partagé par les amis et les membres de la famille qui

se trouvent dans des situations professionnelles et familiales comparables, où mener

« des vies de fou » est signe d’une vie engagée et bien remplie :

Quand je regarde ma famille, ils font tout ça ce genre de rythme de vie.

Ils ont tous des vies professionnelles avec des enfants et des vies de fou si

on peut dire. Ils s'impliquent pour leurs enfants. J'ai connu mes meilleurs

amis de couples au hockey, les trois pères ont coachait nos enfants et les

mères elles s'impliquaient dans les activités de nos enfants. Donc, pour

nous c'était normal ce rythme de vie tout le monde vivait de cette

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260

manière. Personne ne faisait la remarque que je travaillais beaucoup

trop. (Pierre)

Il ne fait nul doute que pour les personnes regroupées ici, la conduite d’hypertravail

apparaît normative et s’inscrit en concordance avec une idéologie également

propagée dans leur entourage personnel.

L’hypertravail n’est pas la norme selon les proches: les longues heures de

travail critiquées, une conduite « marginale »

Pour le deuxième cas de figure, les personnes se retrouvent entourées de proches pour

qui la conduite d’hypertravail n’apparaît pas comme la représentation d’une conduite

normalisée ou idéale. Elles n’ont pas non plus baigné dans une culture familiale

favorable au surinvestissement au travail depuis leur enfance. Au contraire, dans leur

vie personnelle, cette conduite est généralement dénoncée par leurs proches. Qu’il

s’agisse des parents, du conjoint ou des amis, le message véhiculé à l’égard du fort

investissement au travail fait état d’une représentation négative, par exemple en

regard des effets potentiellement nuisibles sur la santé et sur la qualité de vie :

« Ma famille, ma mère, ça l'inquiète toujours, c'est plus une question

d'inquiétude; tu vas être fatiguée, tu dois être fatiguée! … mon père, il ne

parle pas vraiment de ça… mes amis trouvent que ça n'a juste pas de bon

sens. » (Florence)

Daphnée met l’accent sur le fait que ses proches ont une représentation de

l’implication au travail teintée par la culture syndicale, une culture issue du modèle

fordiste fondée sur le principe « heure travaillée / heure payée », et dont

l’investissement temporel est d’environ 35 heures par semaine. Cette culture semble

s’opposer à celle qui prévaut dans l’industrie non syndiquée des travailleurs et

travailleuses interrogés, ce qui crée un écart de points de vue très important où, d’un

côté, les proches dénoncent l’exploitation des entreprises qui font travailler les

salariés et salariées gratuitement et, de l’autre côté, le travailleur s’insurge face aux

« jobs de 9 à 5 », sous-entendant une vie au travail peu stimulante et peu

passionnante :

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261

« Au niveau de la famille il y a une perception qu'on est exploité dans le

multimédia, puis on me dit : tu devrais partir un syndicat (…). Eux la

perception c'est que ça n'a pas d'allure de faire des jobs de même, puis

dans ma belle-famille, encore là ma belle-sœur, son mari, ce sont des

gens qui sont dans la fonction publique, ils ne comprennent pas que des

gens intelligents soient payés si peu à travailler autant (rires). »

(Daphnée)

La conduite d’hypertravail apparaît donc non seulement marginale au sein de

l’entourage personnel, mais elle est souvent critiquée. Lorsque le mode d’implication

au travail est discuté et comparé au sein du réseau personnel, on perçoit aisément la

« guerre de clans » entre deux positions extrêmes, difficilement conciliables. Dans ce

contexte, les personnes qui investissent de longues heures au travail se retrouvent

isolées par rapport à leur choix d’un mode de vie axé sur les longues heures de

travail, qu’elles doivent souvent défendre et justifier.

5.5 Examen des facteurs du niveau de la tâche et de

l’organisation du travail

L’étude des processus de construction des conduites d’hypertravail suppose de

s’attarder à l’analyse des situations de travail, de la tâche et de l’organisation du

travail. À ce niveau, rappelons que les facteurs identifiés dans les écrits scientifiques

comme pouvant avoir un lien avec le développement de ces conduites sont : les

fonctions et la charge de travail, la flexibilité d’horaire et d’organisation du travail et

l’autonomie décisionnelle, et le système de reconnaissance organisationnelle. Notre

analyse a permis de révéler des distinctions souvent importantes entre les sujets pour

chacun de ces facteurs et confirme l’importance de les prendre en compte dans notre

étude. Le facteur de l’autonomie décisionnelle a cependant été regroupé avec celui de

la flexibilité de l’organisation du travail pour aborder de manière plus globale les

marges de manœuvre des individus dans la détermination de leurs objectifs de travail

et dans l’organisation de leur travail.

Page 283: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

262

5.5.1 Charge de travail et fonctions

Est-ce que les personnes qui adoptent des conduites d’hypertravail ont généralement

le sentiment d’être surchargées ? Quel est le poids qu’elles accordent à leur charge de

travail dans le développement de ces conduites ? Si les travailleurs et travailleuses

que nous avons rencontrés sont très occupés, ils ne se disent pas pour autant tous dans

une situation de très forte surcharge de travail. Il y a en fait deux cas de figure. Une

part de ces travailleurs et travailleuses se sentent constamment en surcharge du travail

et doivent concilier plusieurs rôles (« débordement professionnel »), ce qui les amène

à multiplier les responsabilités au sein de l’organisation et à travailler constamment

dans l’urgence. Une autre part de travailleurs et travailleuses affirment avoir une

charge de travail soutenable, réaliste par rapport à leurs fonctions et qu’ils

parviennent relativement bien à contrôler.

Tableau 19 : Charge de travail perçue et conduites d’hypertravail

CHARGE DE

TRAVAIL PERÇUE

EXEMPLE-TYPE EFFECTIFS SELON LE

GENRE ET LE

SECTEUR

D’ACTIVITES

En surcharge de

travail : urgence et

« débordement

professionnel »

« Les gens ne durent pas, ne toffent pas dans

leur rôle. Il y a des gens qui tentent de faire le

travail, ou une partie du travail, et ils tombent

en burnout après 6 mois. Ma charge de

travail… peu importe comment la pile va être

haute, c'est seulement la gestion de la priorité

qui va fonctionner.» (Jacques)

N = 17 ; (50,0%)

Sexe : 13-H / 4-F

Secteurs : 7-MU / 7-

TI / 3-Autre

Une forte charge

de travail mais

soutenable

« Et en fait mon directeur m'a soulevé un

point, il m'a dit «je n'arrive pas à trouver ta

limite de charge de travail. J'ai l'impression

que je t'en donne tout le temps et que, déjà tu

l'acceptes. Il n'y a aucun souci, et puis en plus

tu le fais.» Et puis visiblement il semblait

étonné et puis c'est vrai, je m'en rends compte

que j'ai plein de projets, j'ai des deadlines et

je m'organise pour les rendre à temps. »

(Alexia)

N = 17 ; (50,0%)

Sexe : 13-H / 4-F

Secteurs : 7-MU / 8-

TI / 2-Autre

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263

En surcharge de travail : urgence et « débordement professionnel »

La moitié des personnes en hypertravail que nous avons rencontrées affirment se

retrouver dans une situation de surcharge de travail et même de « débordement

professionnel » eu égard à leurs tâches et responsabilités. De fait, certaines de ces

personnes cumulent un double rôle dans l’organisation, ce qui les amène à y occuper

des responsabilités assez distinctes : « je fais une double tâche dans le sens que je

suis chef de projet, donc j’ai toute la gestion de projet, mais j’ai aussi la tâche de

programmeur technique encore. Je fais les deux » (Gabriel) ; « C'est une job à deux

chapeaux. Je fais de la coordination de production (…). L’autre volet est très

diffusion (…) et marketing » (Daphnée). Ces rôles sont d’autant plus exigeants à

remplir qu’ils s’accompagnent parfois d’une double supervision, avec tous les

irritants que peut comporter le cumul des attentes et des exigences spécifiques de

deux superviseurs, que ce soit à propos de la gestion des délais ou des priorités au

travail, par exemple.

Les personnes en surcharge de travail abordent également les fortes contraintes de

temps et la très grande difficulté à respecter les délais. Elles se sentent constamment

dans l’urgence, doivent souvent repousser des tâches ou des mandats : « moi, je me

fais toujours une liste de «to do» pour la semaine, puis j'ai l'impression que j'en

rajoute toujours plus que j'en coche de terminé » (Florence). Les défis sont énormes

pour réaliser le mandat prévu et le travail se réalise presque toujours sous une forte

pression temporelle : « on dirait que c’est tout le temps sur le point de sauter »

(Olivier). « Des fois j'appelais D : « D ! c'est parce que là, je peux même plus

dormir! J'ai plus le temps!» Il y a un problème là! J'en ai trop » (Anne-Marie).

Certains affirment clairement avoir une charge de travail beaucoup trop grande pour

une seule personne, et l’apport de ressources humaines en renfort serait nécessaire

pour réaliser leurs tâches :

« Probablement que ma charge est peut-être trop pour une personne (…).

Donc il y a un processus de sélection pour m’aider parce que je pense

que c'est trop. Quand ça va bien, ça pourrait peut-être être correct, mais

Page 285: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

264

quand il y a des problèmes qui «pop» à travers, là tu n'as plus le temps

(…). » (Jérôme)

Cette lourde charge est souvent combinée avec le sentiment d’avoir peu de contrôle

sur le flux des demandes et des tâches à réaliser. Ces personnes doivent constamment

gérer les urgences et sont continuellement en réaction face au travail à faire.

D’ailleurs, les nombreux imprévus du travail peuvent rapidement faire basculer la

planification établie et accroître considérablement la charge de travail :

« Et quand on planifie, (…) tout est beau et tout est pour le mieux dans le

meilleur des mondes pour faire 40 heures. Et là, la semaine déborde. Là

je reçois un courriel d'un utilisateur qui a un bug et là tout part en l'air

car je dois faire le suivi de ça et si on a un problème avec un produit et

j'ai un lancement média, donc il faut que ça se règle maintenant, donc je

réorganise mon équipe pour qu'il s'attaque à ça en premier, ce qui prend

du temps, ce qui m'empêche de faire les autres choses, ce qui fais qu'au

bout de ma semaine je fais 50 heures (rires). » (Daphnée)

Mais le plus difficile, présenté par Louis comme un « point de rupture », c’est

« quand tu te rends compte que tu ne réussiras pas, peu importe les efforts que tu

mets, tu ne réussiras pas à atteindre tes objectifs » (Louis). La menace continuelle de

ne pas réussir à « rentrer dans les délais » malgré le fait que ces travailleurs et

travailleuses s’investissent au-delà de 48 heures et plus par semaine, fait état de la

pression temporelle constante vis-à-vis de laquelle ils sont confrontés dans la

réalisation de leur travail.

Une forte charge de travail mais « soutenable »

D’autres personnes détiennent une forte charge de travail mais reconnaissent que

c’est « réaliste » pour remplir leur mandat professionnel, que « c’est assez exigeant

(mais) ça se prend bien » (Martin). Les responsabilités sont adéquates selon leurs

compétences et les tâches allouées sont relativement bien cernées autour de leur

fonction professionnelle. Ainsi, malgré un fort volume de projets et leur complexité,

elles affirment pouvoir composer avec des balises temporelles « raisonnables » pour

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265

mettre à exécution les tâches et responsabilités liées à leur poste. Une partie de leur

temps de travail est d’ailleurs allouée à la formation continue.

De leur point de vue, bien qu’elles travaillent régulièrement 48 heures et plus par

semaine, la charge de travail apparaît surtout constante, parfois avec des moments

forts mais toujours relativement bien répartie. Elles considèrent, à l’instar de ce

qu’affirme Martin, avoir une emprise sur le flux du travail et être en mesure de « très

bien gérer » les demandes liées à leur fonction dans l’organisation. C’est le cas pour

Alexia qui, comme on peut le voir dans l’extrait présenté dans le tableau 19 (p. 266),

remarque que même si elle a une charge de travail qui ne cesse d’augmenter, elle ne

se sent pas pour autant débordée par le travail.

Le maintien d’une charge de travail vécue comme acceptable (relativement saine) par

les travailleurs exige cependant d’eux une très bonne gestion de leur temps. Le défi

consiste alors à parvenir à accorder du temps à chacune de leurs responsabilités sans

pour autant devoir repousser constamment leurs autres échéances. L’instauration de

méthodes de gestion du temps et le recours à des technologies pour les aider à y

parvenir sont souvent nécessaires. Pour eux, l’apprentissage de la gestion de leurs

priorités, entre les demandes vraiment importantes et urgentes et celles qui peuvent

être reportées, est vraiment essentiel. Malgré les longues heures de travail, cette

stratégie les aide à mieux contrôler les débordements du temps de travail :

« En plus de ma journée-type, moi je planifiais mon projet majeur mais je

planifiais aussi le reste, donc les licences, le soutien technique quand

quelqu'un m'écrivait, fallait que je me dise est-ce que c'est quelque chose

d'important, est-ce que je peux le mettre de côté ? (…) je me suis aperçu

(…) que je manquais cruellement d'organisation de mon temps, fallait

que j'apprenne à gérer mon temps, à gérer mes priorités. » (Samuel)

Au final, on peut dire que la charge de travail est certainement un facteur

incontournable dans le processus de construction des conduites d’hypertravail.

D’ailleurs, la définition proposée par Rhéaume (2006) met en relief le rôle central de

cette surcharge de travail, parfois acceptée avec enthousiasme, dans le développement

Page 287: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

266

de ces conduites. Alexia, qui semble éprouver un réel plaisir à concilier échéanciers

courts et charge de travail de plus en plus forte, tout en maintenant un rythme de

productivité satisfaisant, en est un bon exemple. Notre analyse met l’accent sur le fait

que nos sujets ne sont pas tous des travailleurs débordés, aux prises avec des

surcharges chroniques et faisant face à un accroissement exponentiel de leurs tâches

de travail qui développent ce type de conduites. Mais s’il est certain que la moitié

d’entre eux parvient à répondre relativement bien aux défis liés à la charge de travail,

il est probable que le fait de travailler régulièrement 48 heures et plus par semaine

contribue au sentiment d’être dans une situation que ces travailleurs et travailleuses

qualifient de « soutenable » par rapport à leur charge de travail.

5.5.2 Flexibilité de l’organisation du travail et autonomie

décisionnelle

Un peu différemment de notre grille d’analyse, nous avons étudié la flexibilité de

l’organisation du travail et l’autonomie décisionnelle sous un seul et même facteur,

plus englobant. En conjuguant la flexibilité et le degré d’autonomie dont disposent les

travailleurs et travailleuses pour organiser leur travail et participer à la détermination

des objectifs à atteindre, trois cas de figure ont pu être dégagés pour comprendre le

développement des conduites d’hypertravail : 1) une organisation du travail fortement

sous contrôle de l’entreprise et/ou du superviseur ; 2) une organisation du travail

plutôt flexible mais piégée par les objectifs prédéterminés; 3) une organisation du

travail libre, transférée aux salariés et salariées. Cette catégorisation est le reflet du

croisement de deux indicateurs. Le premier examine la latitude qu’ont les travailleurs

et travailleuses dans l’organisation de leur travail au quotidien, tandis que le second

s’attarde à l’autonomie dont ils disposent pour définir les objectifs de leur travail.

Page 288: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

267

Tableau 20 : Flexibilité de l’organisation et autonomie décisionnelle et conduites

d’hypertravail

FLEXIBILITE ET

AUTONOMIE

EXEMPLE-TYPE EFFECTIFS SELON LE

GENRE ET LA

SITUATION

CONJUGALE

Une organisation

du travail

fortement sous

contrainte

« En fait, c'est pas mal la personne qui me dit

quoi faire qui organise mon travail. Mais moi,

vu que je suis l'artiste, je sais combien de

temps va prendre telle et telle chose à faire.

Puis j'ai quand même un bon rythme de travail

rapide. Fait que normalement, je ne me stresse

pas vraiment avec ça. » (Martin)

N = 6 ; (17,6%)

Sexe : 5-H / 1-F

Secteurs : 3-MU / 3-

TI / 0-Autre

Une organisation

du travail flexible

mais piégée

« Il est certain que j'ai un niveau de contrôle,

mais peut-être moins sur les livrables, en

termes de quantité. (…) On me donne la

responsabilité et la corde pour me pendre. On

me donne un objectif pour livrer certaines

choses.» (Mathieu)

N = 11 ; (32,4%)

Sexe : 10-H / 1-F

Secteurs : 5-MU / 4-

TI / 2-Autre

Une organisation

du travail libre,

transférée aux

salariés et salariées

« Moi je suis autonome à 100%. Ça veut dire

que je n'ai pas de compte à rendre. En fait j'ai

un compte à rendre, c'est qu'il faut que je livre

mon projet. À partir de là, je mets les heures

que je veux, je décide ce que je veux. » (Jean-

Thomas)

N = 14 ; (41,2%)

Sexe : 8-H / 6-F

Secteurs : 4-MU / 8-

TI / 2-Autre

Non codé Trois sujets n’ont pas pu être codés pour ce

facteur en raison de données insuffisantes. N = 3 ; (8,8%)

Une organisation du travail peu flexible et fortement sous contrainte

Le premier cas de figure est révélateur d’une situation où l’employé a peu d’emprise

sur le rythme de son travail et bien peu d’autonomie et de marges de manœuvre dans

l’atteinte des objectifs qui y sont liés. Le travail est organisé par d’autres et, même

dans la gestion des activités quotidiennes et du temps alloué pour chacune d’entre

elles, le point de vue des employés n’est pas toujours sollicité. C’est le cas de Jean,

salarié au sein d’une entreprise multinationale du secteur des services informatiques,

pour qui l’organisation du travail est fortement prescrite et contrôlée par les

technologies. Les processus mis en place dans la réalisation du travail sont préétablis

et il apparaît difficile d’y déroger :

Page 289: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

268

« Les processus sont hyper contrôlés, hyper maitrisés. Bien on est une

firme dans le domaine de l'informatique, puis dans l'informatique c'est

binaire hein. C'est là ou ce n'est pas là. Il n’y a pas de gris là-dedans.

Fait qu'on a mis en place un paquet d'outils qui sont «go, no go», fait, pas

fait. Fait que tsé, il n'y a pas de place à justification tout ça. C'est pèse

« oui ou non ». Puis ça, ça fait qu'on a de moins en moins– en fait on ne

peut pas négocier avec une machine là on s'entend, fait qu'on a de moins

en moins de marge de manœuvre. On a de moins en moins de capacités,

ou de moins en moins de possibilités de gérer notre temps. Parce qu'on

est conditionnés par une machine. » (Jean)

Jean se sent coincé dans ce type d’organisation du travail, dont le rendement est

incessamment contrôlé par les technologies. Il critique, avec d’autres employés, le

fait que ce système d’organisation du travail ne laisse aucune place à la discussion et

à la négociation, ni des objectifs à atteindre ni du temps alloué pour les atteindre.

Ainsi, peu importe les contextes, par exemple des événements perturbateurs dans la

vie personnelle ou des imprévus professionnels, ils se trouvent systématiquement mis

en échec s’ils ne parviennent pas à « nourrir la machine ». Face à un « superviseur »

déshumanisé, ils se retrouvent totalement impuissants à intervenir sur l’organisation

du travail, contraints à répondre à ce qui est attendu d’eux, à ce qui a été

préprogrammé pour eux :

« (…) la machine, elle, tu as beau avoir les yeux fermés, tu as beau être

de toute évidence en détresse, la machine elle ne réagit pas à ça. (…) on

doit prendre du détachement par rapport à notre organisation, parce que

la machine, tu ne peux pas essayer de la sensibiliser. Tu ne peux pas

essayer de la ramener à la réalité. C'est blanc ou noir. Fait que tu n'as

pas le choix, tu nourris la machine, tu nourris la machine (…). Puis là

évidemment, les deadline, c'est la machine qui les gère. Fait que là à un

moment donné, tu l'as pas fait, même si tu avais mille et une bonnes

raisons, la machine elle ne le sais pas.» (Jean)

Dans d’autres cas, la planification et l’organisation du travail sont déterminées par le

superviseur : « en fait c'est pas mal la personne qui me dit quoi faire qui organise

mon travail » (Martin). Dans un tel cadre de travail, il apparaît difficile de contrôler la

charge de travail et de gérer individuellement son temps. L’entreprise dans laquelle

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269

travaille Daphnée est un bon exemple de cette réalité. Le travail est planifié pour tous

les jours de la semaine de façon à ce que toute l’équipe puisse exactement savoir ce

sur quoi chacun travaille à un moment précis :

« On fait pour chaque membre de l'équipe une planification assez serrée

parce qu'on veut se donner la flexibilité de pouvoir interrompre les gens

dans leur travail lorsque c'est moins pertinent ou important. Je suis en

mesure de savoir le mercredi matin le programmeur de base de données

sur quoi il travaille parce que dans son horaire ça déjà été appliqué.

Donc on n’est pas très libre là-dessus. » (Daphnée)

Ce type d’organisation du travail contraignante, qui touche environ un salarié sur six

de notre échantillon, met beaucoup de pression sur les travailleurs et travailleuses

pour qu’ils respectent les délais fixés et se conforment à la planification qui a été

établie pour eux. Dans ce cas, l’allongement du temps de travail est parfois la seule

réponse possible qu’ils trouvent pour éviter d’être mis en échec.

Une organisation du travail flexible mais piégée

D’autres disposent d’une plus grande flexibilité pour gérer leur temps et organiser

leur travail mais doivent composer avec de fortes contraintes et des objectifs de

travail prédéterminés, sur lesquels ils n’ont pas eu d’emprise. Ainsi, d’un côté, ils

sont très autonomes dans la gestion individuelle de leur temps de travail et dans les

moyens qu’ils mettent en œuvre pour atteindre les résultats. Ils profitent d’une

relative latitude pour gérer leur travail au quotidien, pour établir l’ordre des priorités

des tâches journalières et même pour gérer leur horaire de travail, assez flexible.

Toutefois, de l’autre côté, ils constatent avoir peu de marges de manœuvre sur les

délais de livraison des projets ou sur les services rattachés à leur profession. Ils ne

participent pas à la détermination des objectifs et ils sont souvent confrontés à des

dates butoir immuables, ce qui les oblige à terminer le projet ou à livrer le service

dans les temps prescrits par l’employeur, et ce, « peu importe le nombre d’heures que

ça va prendre » (Louis). Comme le dit Mathieu, une fois l’objectif transmis par le

superviseur, il faut se débrouiller soi-même : « On me donne la responsabilité et la

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270

corde pour me pendre avec. On me donne un objectif pour livrer certaines choses

(…). Et ils me laissent responsable de gérer tout ça » (Mathieu).

« Gérer tout ça », ça veut dire qu’il faut se débrouiller, organiser son travail et son

horaire au quotidien pour atteindre les objectifs déterminés. Ça veut aussi dire vivre

avec les débordements de l’horaire de travail, accepter les longues heures et les

horaires atypiques bref, réorganiser son horaire de vie pour éviter de mettre en péril

les objectifs organisationnels : « Quand faut livrer telle date, faut livrer telle date. Ça

implique qu'il faut travailler les fins de semaine, puis jusqu'à une heure du matin s’il

le faut » (Olivier).

Ainsi, ces travailleurs et travailleuses se retrouvent dans une position paradoxale de

liberté et de contrainte. Libres à prime abord de gérer leur agenda et d’organiser leur

travail quotidien, mais contraints de le faire sous pression, dans l’urgence, en raison

des décisions importantes prises en aval et pour lesquelles ils ont peu de contrôle :

« on est beaucoup dans l’urgence puis dans la réaction » (Florence). On voit bien ici

comment l’autonomie peut être contrôlée en raison des conditions d’exercice du

travail et des règles du marché (Appay, 2005 ; Pagès et al., 2009).

Ce sentiment de pseudo-autonomie est renforcé par la transformation rapide du travail

et sa réorganisation constante : il faut constamment revoir les processus, revoir

l’organisation du travail, intégrer de nouvelles technologies. Ce sentiment est aussi

renforcé par la flexibilisation du lieu de travail où, grâce aux innovations

technologiques, il est possible de recréer son environnement de travail peu importe où

l’on se trouve, comme en témoigne ici Richard :

« Et puis la 2ème chose c'est que les outils de travail sont quasiment….

omniprésents. Aujourd'hui je peux prendre n'importe quel ordinateur,

n'importe quelle tablette, n'importe quel téléphone et je peux me refaire

mon environnement de travail. Au moment où on se parle, je peux très

bien sortir mon téléphone, activer ma connexion, sortir mon ordinateur,

j'ai un accès à mon environnement de travail sécurisé et là je redirige ma

boîte vocale, je prends mes messages à distance. Regarde, je suis comme

au bureau, il n'y a aucune différence pour les gens. » (Richard)

Page 292: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

271

Derrière ces avantages apparents, ils ont peu de pouvoir réel sur ce qui pourrait leur

permettre de moduler différemment leur temps de travail, piégés sans qu’ils s’en

rendent compte par l’organisation et par le fait d’avoir au final peu de contrôle sur

l’organisation de leur travail et même parfois sur le temps qu’ils doivent investir au

travail.

Une organisation du travail libre, transférée aux salariés et salariées

Le dernier cas de figure regroupe des salariés et salariées qui sont très autonomes

dans la planification et l’orientation donnée à leur travail ainsi que dans le choix des

moyens à utiliser en vue d’atteindre leurs objectifs. Contrairement au cas de figure

précédent, ces salariés et salariées participent aux décisions importantes, c’est-à-dire

à la détermination des objectifs de travail à atteindre et collaborent même, parfois, à

l’établissement des critères d’évaluation et de rendement.

Cette autonomie dans l’organisation du travail s’inscrit en complémentarité avec le

fait de se sentir « 100% autonome » dans la gestion de leur temps de travail et de

leurs activités. Ils peuvent, par exemple, choisir d’investir telle activité plutôt qu’une

autre, choisir leurs clients, les contrats qu’il faut mettre de l’avant, etc. :

« Une fois par semaine, peut-être que mon patron va m'envoyer un

courriel pour me dire «ah lui veux-tu t'en occuper, je n'ai pas le temps.»

Il m'a demandé pour aller à un cinq à sept une fois, ça arrive une fois par

trois mois. C'est moi qui organise mon temps donc je me sens à cent pour

cent libre de mon horaire effectivement. » (Christian)

De fait, ils ont beaucoup de latitude dans l’organisation de leur travail et de leur

horaire de travail et n’ont pas de comptes à rendre à leur superviseur sur la

planification établie, si ce n’est que de répondre à des demandes ponctuelles de temps

à autre et, bien sûr, de réaliser leur mandat (fonctions) pour lequel ils sont embauchés.

Cette grande latitude au travail et cette autonomie est également observable par le fait

qu’ils parviennent à modifier leur poste en fonction de leurs aptitudes et de leurs

objectifs. Évelyne explique d’ailleurs comment elle est parvenue, progressivement, à

développer son emploi : « Ce qui est le fun ici, c'est une boîte que tu peux innover.

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272

Dans le sens que « ah, je pourrais faire ça », tu commences à le faire, c'est accepté,

c'est cool, les gens approuvent » (Évelyne).

5.5.3 Dispositif d’évaluation du rendement et de reconnaissance

Un autre facteur important à considérer dans la compréhension des conduites

d’hypertravail est le dispositif d’évaluation du rendement et de reconnaissance des

salariés et salariées mis en place par l’organisation. Selon les témoignages recueillis,

sa définition repose sur deux indicateurs. Le premier renvoie à la reconnaissance

organisationnelle ou non du fort investissement au travail. Le deuxième concerne

l’importance et la nature des récompenses allouées. Elles peuvent être généreuses et

diversifiées, tel que l’octroi de bonis et d’augmentations salariales substantielles ou

de promotions régulières ; plutôt modestes, axées sur des augmentations de salaire

« correctes » et des marques d’encouragement et de reconnaissance psychologique ;

ou encore en régression, voire pratiquement inexistantes. Nos analyses ont permis de

distinguer trois dispositifs d’évaluation du rendement et de reconnaissance : le

« cercle vertueux », le « dispositif de récompenses sobres et surtout psychologiques »

et la « carence de récompenses ».

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273

Tableau 21 : Dispositif d’évaluation du rendement et de reconnaissance et conduites

d’hypertravail

TYPES

D’EVALUATION DU

RENDEMENT ET DE

RECONNAISSANCE

EXEMPLE-TYPE EFFECTIFS SELON LE

GENRE ET LE

SECTEUR

D’ACTIVITES

Le cercle vertueux:

fort investissement

contre

récompenses

généreuses

« Oui, j'ai eu plein de promotions, ça m'a

vraiment aidé. J'ai eu des actions, des bonus,

des augmentations de salaire. En quelques

mois, j'ai eu un contrat permanent (…). À

toutes les années j'ai eu de grosses

augmentations de salaire, des bonus. »

(Hubert)

N = 12 ; (35,3%)

Sexe : 10-H / 2-F

Secteurs : 5-MU / 6-

TI / 1-Autre

Un dispositif de

récompenses sobre,

axé sur des

marques de

reconnaissance

psychologiques

«Bien déjà je trouve que ma rémunération est

très correcte, par rapport à mon âge et à mon

parcours je trouve que c'est très satisfaisant.

(…) Et 2ème chose, les récompenses sont

bonnes parce que j'ai de bons retours, les

gens n'hésitent pas à dire qu'ils sont contents,

en me disant « depuis que tu es arrivé

regarde, l'équipe s'est beaucoup améliorée, tu

amènes beaucoup d'énergie », des petits

commentaires, donc moi je suis très satisfait.»

(Richard)

N = 10 ; (29,4%)

Sexe : 7-H / 3-F

Secteurs : 5-MU / 2-

TI / 3-Autre

La carence de

récompenses : un

investissement en

mal de

reconnaissance

«« La reconnaissance est de moins en moins

présente. (…). Au niveau des bonis, ben il n'y

en a plus depuis quelques années. Fait que ça,

on n’oublie ça. (I : Pourquoi ils ont été

abolis?) Ah, parce qu'on se fixe des objectifs

corporatifs assez élevés, puis on n'atteint pas

nos objectifs. » (Jean)

N = 11 ; (32,4%)

Sexe : 9-H / 2-F

Secteurs : 3-MU / 7-

TI / 1-Autre

Non codé Un sujet n’a pas pu être codé pour ce facteur

en raison de données insuffisantes. N = 1 ; (2,9%)

Le cercle vertueux : fort investissement contre récompenses généreuses

Cette catégorie regroupe des travailleurs et travailleuses qui ont profité d’un dispositif

de reconnaissance organisationnelle fondé sur l’évaluation de l’investissement au

travail. Selon ce dispositif, la reconnaissance organisationnelle apparaît très

généreuse en fonction de la performance et de l’implication au travail de chaque

salarié. Ainsi, il importe de souligner que c’est la performance individuelle, en

Page 295: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

274

comparaison avec celle des autres travailleurs, qui est ici reconnue et récompensée. Il

s’agit donc d’un système individualiste et axé sur le mérite individuel, « en fonction

des personnes qui ont le mieux performé » (Hubert) et « des bons coups faits dans

l'année ». Dans un tel contexte, la mise en visibilité de son investissement temporel et

de ses performances au travail est importante :

« Si tu ne te démarques pas, tu n'es pas capable d'avoir des

augmentations au-dessus de la moyenne. C'est presque un système

capitaliste de classes : c'est que si tu es vraiment dans les «happy few»

des personnes-clé de la compagnie, tu vas avoir des méga bonus, tu vas

avoir aussi des bonus de rentabilité si ton jeu est rentable. (…) donc oui,

plus tu en fais, plus tu te fais voir en faire, plus tu as des bonus. Ils ne

sont pas hésitants là-dessus.» (Hubert)

Les récompenses sont individualisées, diversifiées et généreuses. L’entreprise

privilégie un ensemble de récompenses financières, psychologiques (ex. des

félicitations) et axées sur la carrière pour encourager ses travailleurs les plus

performants et les plus investis. Parmi les récompenses les plus fréquemment

allouées, on retrouve les bonis au rendement, les primes ponctuelles, les fortes

augmentations salariales, les promotions rapides ou les cartes-cadeaux.

« J'ai eu une bonne progression, une bonne révision salariale, des

promotions, j'ai eu l'équivalent, ça fait 4 ans et j'ai eu peut-être comme

généralement une promotion par année à date. Avec des augmentations

salariales. On a des bonus de reconnaissance aussi, ça j'en ai eu. J'ai eu

des billets de hockey par exemple, des petits trucs comme ça, «on the

side» pour dire : bon travail, va voir la game de hockey ou bon travail,

paye toi un souper au resto, ça j'en ai eu…. » (Vincent)

Les travailleurs et travailleuses insérés dans ce système se sentent « privilégiés »

(Anne-Marie) et remarquent les avantages particuliers qu’ils reçoivent par rapport

aux autres. Par exemple, et c’est le cas pour Jean-Thomas, certains obtiennent des

augmentations salariales qui vont au-delà des barèmes établis dans la politique de

rémunération de l’entreprise : « (…) qu’est-ce que j'ai fait d'aussi

extraordinaire ? Cette année, j'ai eu 10% ou 9.5% d'augmentation salariale, sachant

Page 296: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

275

que la politique de l'entreprise c'est 5.5%.». D’autres, comme Vincent, bénéficient de

nouveaux privilèges au fur et à mesure qu’ils sont associés à l’élite de l’entreprise et

au « cercle vertueux » (selon ses propres mots) des travailleurs les plus investis : « il

vient un temps où tu veux quelque chose, tu as des demandes, bien tu les obtiens plus

facilement, (comme par exemple) avoir accès à un portable » (Vincent).

Un dispositif sobre, axé sur des marques de reconnaissance psychologiques

Le deuxième dispositif d’évaluation du rendement et de reconnaissance

organisationnelle observé est plus sobre et moins flamboyant que le premier. Ce

dispositif s’aligne davantage sur les principes traditionnels d’évaluation du rendement

et de reconnaissance, c’est-à-dire des augmentations de salaires annuelles modestes

en fonction des résultats de l’évaluation, selon une marge préétablie. Dans ce

système, les salariés et salariées qui font de longues heures de travail ne profitent

ainsi pas de récompenses financières généreuses mais affirment tout de même se

sentir traités justement par l’entreprise. Si leur salaire n’est pas toujours très élevé, ils

sont satisfaits dans l’ensemble de leur rétribution financière et considèrent que,

malgré tout, leur fort investissement temporel au travail est reconnu.

Les marques de reconnaissance les plus importantes sont pour eux surtout de nature

psychologique. Ils affirment, par exemple, retirer beaucoup de reconnaissance de la

confiance témoignée par leur superviseur et par l’organisation. Cette reconnaissance

prend par exemple la forme d’encouragements en raison de leur performance au

travail : « Les gens me le faisaient sentir aussi. J'ai eu de belles évaluations. C'était

extrêmement gratifiant » (Raphaël). Une telle reconnaissance comporte des effets

psychologiques positifs et accroît la confiance. Cela est d’autant plus significatif pour

certains que cette reconnaissance est un événement isolé au regard de leur parcours

professionnel : « Puis je me rappelle, quand j'avais eu ce nouvel emploi-là, j'avais

tellement été surpris quand mon boss m'avait dit «bonne job» avec une tape dans le

dos, j'étais resté impressionné » (Martin).

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276

Bref, l’ensemble des témoignages reçus d’appréciation et de confiance, de même que

l’obtention d’un salaire intéressant et bonifié chaque année, participent à l’expression

d’un sentiment de reconnaissance que ces travailleurs et travailleuses trouvent

convenable.

« C'est la première compagnie pour laquelle je travaille personnellement,

où ils sont capables de te donner une tape dans le dos et te dire «good

job». Et ça c'est important. Ce n'est pas le salaire, c'est plus la

reconnaissance. Le salaire va toujours être là. Aussitôt que tu as une

spécialité, le salaire va avec. Mais la tape dans le dos, elle est rare. »

(Thierry)

La carence de récompenses : un investissement en mal de reconnaissance

Le dernier dispositif de reconnaissance organisationnelle en est un qui tient ses

employés en « mal de reconnaissance ». Plus spécifiquement, on ne reconnaît pas

particulièrement le fort investissement au travail ni les performances associées et on

ne le récompense pas outre mesure. Plusieurs salariés et salariées rapportent même

avoir reçu des signes négatifs vis-à-vis de leur performance au travail, et ce, malgré

leur surinvestissement. De fait, certains de ces travailleurs et travailleuses ont émis

avoir eu parfois des doutes quant à l’appréciation de leur travail dans l’organisation :

« La première année, (…) je me disais «ils vont me mettre dehors» » (Olivier). Dans

ce système, les erreurs sont davantage mises en évidence que les bons coups. On

souligne les mauvais coups, on abrège les compliments et on peut même faire surgir

un sentiment d’incompétence : « j’ai l’impression que je suis en situation d’échec

perpétuel » (Daphnée).

L’allocation de récompenses financières est en perte de vitesse quand elle n’est pas

totalement abolie. La compétition internationale, les compressions économiques et la

non atteinte des objectifs de l’entreprise justifient bien souvent la réduction voire

l’abolition des récompenses financières, telles que les bonis au rendement ou les

augmentations de salaire significatives :

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277

Il n'y en a plus de récompenses. Il y a un bonus annuel si on rencontre ses

objectifs… je les ai défoncés mes objectifs l'année dernière, j'étais dans

les tops 5 %, les meilleurs, ça va me donner quoi ça? Un petit bonus de

5% pour le mois prochain et une meilleure position pour une

augmentation de salaire? C'est toujours des carottes ça là…. » (Jacques)

Ainsi, hormis le salaire jugé plutôt « correct » par quelques-uns des travailleurs et

travailleuses, les récompenses financières sont perçues comme étant minimes et

certainement pas à la hauteur de leur investissement au travail, ni de l’importance de

la complexité des mandats qu’ils ont eus à relever :

« Ils m'envoient un petit biscuit pour chien de temps en temps, ils

appellent ça des récompenses. Il y a deux semaines, mon travail a fait les

médias, il y a deux banques qui sont tombées (système informatique),

j'étais tout seul et j'ai remonté une des deux. » (Jacques)

Du point de vue de ces travailleurs et travailleuses, l’organisation offre également peu

de marques de reconnaissance psychologique, telles que des encouragements ou des

félicitations. Dans certains cas, comme le souligne Jacques, « la récompense vient du

client et non de l'interne ».

Bref, le dispositif organisationnel d’évaluation du rendement et de reconnaissance est

peu généreux et tend à s’effriter selon ces salariés et salariées. Cette situation

contribue à créer une spirale négative de l’investissement au travail, où,

si l’allongement du temps de travail est nécessaire pour satisfaire aux exigences

élevées en termes de rendement, le travailleur n’en retire pas pour autant de bénéfices

à la hauteur de cet investissement. Le déséquilibre est ainsi très grand entre ce qu’ils

estiment « donner » à l’organisation (ex. faire toujours plus d’heures de travail) et ce

que cette dernière leur donne en retour (ex. une reconnaissance jugée minimale).

Page 299: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

278

******

Ce chapitre a permis de dresser un portait détaillé des résultats pour chacun des

facteurs mis sous examen dans la compréhension du développement et du maintien

des conduites d’hypertravail. Nous avons exposé les différentes manières dont ces

facteurs sont associés ou non aux conduites d’hypertravail, où nous avons pu élaborer

des catégories exclusives. Celles-ci mettent en relief la diversité des contextes et des

situations et, partant, celle des motifs sous-jacents à un fort investissement temporel

dans ses activités professionnelles.

Cette analyse met en évidence que, pris séparément, aucun des facteurs retenus n’a le

pouvoir à lui seul d’expliquer de telles conduites d’hypertravail et récuse l’idée selon

laquelle un seul motif ou une seule raison universelle favorise le développement de

ces conduites. Nous avons pu constater, par exemple, que le dispositif de

reconnaissance et de récompenses peut dans certains cas favoriser le maintien de la

conduite d’hypertravail, mais tout comme les règles et pratiques de temps de travail

mises de l’avant dans l’organisation, ou encore le rapport au travail. Elle dévoile

cependant les rôles diversifiés de chacun des facteurs à l’étude dans l’entrée et le

maintien de l’hypertravail : si, par exemple, un cercle vertueux de reconnaissance et

de récompenses très généreuses peut très certainement favoriser la mise en place de

ces conduites par les salariés et salariées, cette catégorie ne concerne toutefois que

35% de nos sujets, alors que presque autant se disent en « mal de reconnaissance ».

Face à ces constats, le prochain chapitre permettra d’aller plus loin puisqu’il a pour

principal objectif de reconstituer les processus de construction des conduites

d’hypertravail à partir des liens dynamiques observés entre ces niveaux d’analyse et

les différents facteurs étudiés à la lumière des événements qui ont mené à l’adoption

de ces conduites d’hypertravail, et à travers la prise en compte de leur imbrication

avec les conduites développées dans d’autres sphères de vie. Au total, il s’agira de

dégager les significations que ces conduites revêtent pour les salariés et salariées qui

les adoptent.

Page 300: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

279

Chapitre 6 : Construction d'une typologie des modes

d'engagement dans les conduites d'hypertravail:

résonance entre les niveaux et identification de cas-

types

Les processus de construction des conduites d’hypertravail chez les salariés et

salariées des secteurs du multimédia et des services informatiques se trouvent au

cœur de ce chapitre. Par le regroupement de cas similaires, celui-ci met en évidence

les résonances particulières entre les niveaux et les facteurs de la grille d’analyse

(Doise, 1982), qui ont permis l’élaboration d’une typologie des dynamiques engagées

dans la construction de ces conduites.

La modélisation fait ressortir trois dynamiques d’entrée et de développement de

l’hypertravail, dévoilant ainsi toute la complexité des processus sous-jacents à

l’adoption de telles conduites. Ces trois cas-types se distinguent assez nettement. Le

premier illustre un processus de renforcement par la réussite d’une identité

professionnelle de « grand travailleur », ancrée dans la culture familiale. Impulsés

par l’évolution satisfaisante de leur parcours professionnel et la forte valorisation

accordée au travail et au mode de vie axé sur l’hypertravail, ces salariés et salariées se

saisissent de la flexibilité organisationnelle pour s’investir davantage dans cette

sphère. Le deuxième témoigne de dynamiques conflictuelles de l’assujettissement de

la vie hors-travail à une suraffiliation organisationnelle. Nous verrons alors

comment certaines entreprises, surtout celles des jeux vidéo, usent de différentes

tactiques pour assujettir la vie hors-travail de leurs salariés et salariées à leurs besoins

en termes de disponibilité temporelle et d’investissement subjectif au travail. Pour

terminer, le troisième cas-type met en relief une conduite d’hypertravail de plus en

plus défensive, dans un contexte de mise à l’épreuve organisationnelle. Cherchant

d’abord à répondre aux attentes organisationnelles pour garder leur emploi et être

appréciés en travaillant de longues heures, ces salariés et salariées se retrouvent

finalement piégés par le durcissement des contraintes organisationnelles, où la

reconnaissance de leur contribution comme travailleur est mise à mal.

Page 301: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

280

Avant de décrire plus en profondeur chacun de ces cas-types, nous exposerons

certaines réflexions sur la façon dont nous avons conceptualisé et mis en résonance

les différents facteurs et niveaux pour proposer ces trois cas-types.

6.1 Analyse des processus de construction des conduites

d’hypertravail : identification de trois cas-types

L’approche privilégiée dans cette thèse repose, nous l’avons dit, sur une perspective

qui conjugue l’histoire du sujet, l’interdépendance de ses sphères de vie et la mise en

résonance subjective du sujet avec l’organisation et le collectif de travail. À la fois

biographique et systémique, cette approche a pour but de saisir dans toute leur

complexité les processus par lesquels se développent les conduites de fort

investissement temporel au travail. À partir d’une grille de lecture

multidimensionnelle composée de cinq niveaux d’explication, nous avons pris en

compte de nombreux facteurs dans l’étude du développement de ces conduites. Il

convient, à ce stade-ci, de présenter ce travail d’intégration et de mise en relation des

différents facteurs et niveaux de la grille d’analyse, selon une démarche qui permet

d’enraciner les conduites d’hypertravail dans des dimensions processuelle, intégrative

et dynamique.

Dans cette section, nous présenterons les trois cas-types qui ont été distingués,

illustrant autant de processus de construction des conduites d’hypertravail. Pour

chacun, seront d’abord présentés les grandes lignes du cas-type en question ainsi que

les principales caractéristiques des sujets qui y sont regroupés. Une figure synthèse au

début de la description permettra par ailleurs d’entrevoir les liens entre les principaux

facteurs à l’œuvre dans le développement de ces conduites. Seront ensuite décrites

puis analysées les résonances entre les facteurs et les niveaux de notre grille

d’analyse, de façon à faire ressortir comment ceux-ci interagissent les uns par rapport

aux autres et sont interreliés.

Page 302: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

281

6.1.1 Premier cas-type : Renforcement d’une identité professionnelle

de « grand travailleur », ancrée dans la culture familiale

Le premier cas-type rend compte d’une dynamique où le développement des

conduites d’hypertravail est fortement impulsé par les facteurs relevant des niveaux

intra-individuel et idéologique. Sur le plan intra-individuel, des événements difficiles

vécus au début du parcours professionnel semblent avoir contribué à développer ou à

renforcer un rapport très fort et très affectif envers le travail, le plus souvent central

dans la vie. Ayant développé une satisfaction de plus en plus grande à l’égard de la

vie professionnelle et, surtout, une identité professionnelle fondée sur la réussite

malgré les obstacles rencontrés au début de leur parcours, les sujets renforcent leurs

conduite d’hypertravail. Ces derniers accordent désormais beaucoup de place à leurs

activités professionnelles, et envisagent de faire de même pour l’avenir. Sur le plan

idéologique, la norme sociale de l’hypertravail, dominante dans leur entourage

personnel, apparaît également très influente. Dans cette dynamique, les niveaux

interpersonnel, positionnel et de la tâche et de l’organisation du travail jouent un rôle

plus complémentaire, participant surtout à offrir à ces personnes des possibilités

d’action et des stratégies favorables au maintien de cette conduite dans leur vie,

comme nous le verrons.

Ce cas-type regroupe douze sujets (N=12 ; 35,3%) de notre échantillon, dont neuf

hommes et trois femmes. Ils œuvrent pour la plupart dans le secteur des services

informatiques (ou au sein de larges départements d’informatique : quatre des cinq

sujets regroupés dans la section « autre » se retrouvant ici) et regroupent

majoritairement des diplômés du collégial (N=8). À ce propos, il s’agit du cas-type

qui, en proportion, compte le plus grande nombre de sujets qui ne détiennent pas de

diplôme universitaire. Ce sont aussi ces salariés et salariées qui travaillent le plus.

Sept d’entre eux travaillent 55 heures ou plus par semaine.

Page 303: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

282

Figure 5: Processus de renforcement de l’identité de "grand travailleur"

6.1.1.1 Des événements de vie déterminants à l’origine des conduites d’hypertravail

Des événements difficiles jusqu’à une bifurcation professionnelle satisfaisante

Nombreux sont les sujets, dans ce cas-type, à soulever l’importance de la

« bifurcation heureuse », à la suite d’expériences professionnelles difficiles ou

insatisfaisantes vécues au début de leur parcours. Ils sont d’ailleurs nombreux à ne

pas avoir obtenu d’emplois satisfaisants dans leur premier domaine de formation,

bifurquant ainsi vers le domaine de l’informatique et du multimédia, qui s’avère un

deuxième choix professionnel positif, que cette bifurcation ait été accompagnée d’un

retour en formation ou non : « j’ai commencé par débuter un DEC en électronique,

quand je suis sorti du secondaire. Je n'ai pas vraiment aimé ça, j'ai fait presque deux

ans là-dedans. J'ai lâché et j'ai fait une attestation d'études collégiales en

informatique » (Émile). Analysons maintenant plus en détails l’importance de ces

premières années dans l’orientation du parcours.

Les premières années d’insertion professionnelle sont le plus souvent marquées par

des événements de vie difficiles sur le plan professionnel. Certains sujets ont fait face

à des congédiements, d’autres ont connu une série d’emplois précaires et un maintien

Événements prof. difficiles jusqu’à

une bifurcation satisfaisante

Le travail : entre « pilier de vie » et

« tout au travail »

Forte valorisation et satisfaction prof.

Projets professionnels prioritaires

pour l’avenir

Soutien moral et logistique des

proches

Mise à distance des autres

relations hors travail

Norme sociale de

l’hypertravail (proches)

Une culture du temps de

travail axée sur le « laisser

faire »

La souplesse de l’org. du

travail au service de

l’hypertravail : org. et

charge de travail flexible

Reconnaissance de l’invest.

au travail (cercle vertueux)

Attentes professionnelles

liées à l’autonomie

Peu d’attentes dans les

rôles hors travail :

renforcement de la

position prof.

Conduite

hypertravail

Niveau idéologique

Niveau intraindividuel

Niveau positionnel Niveau inter-individuel Niveau org. travail

Page 304: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

283

instable sur le marché du travail, un autre a connu une faillite, tandis qu’un autre a

démissionné compte tenu de son insatisfaction au travail. Au regard de

l’enchaînement des événements qui ont marqué les débuts sur le marché du travail,

c’est parfois l’incohérence du parcours qui est la plus frappante. De fait, l’occupation

d’emplois aussi variés que précaires peuvent se cumuler pendant ces premières

années. Par ailleurs, plusieurs évoquent ne pas avoir finalement trouvé d’emplois

dans leur domaine de formation : « je n'ai jamais rien trouvé, je n'ai jamais travaillé

dans ce que j'avais étudié. Tout ce que j'ai fait, je l'ai appris sur le «tas» » (Thierry).

Ces expériences difficiles produisent deux effets principaux pour ces travailleurs et

travailleuses. Le premier effet consiste à les conduire vers un domaine de

compétences et des emplois un peu plus éloignés de leur formation initiale. Peinant

pendant quelques années à trouver un emploi intéressant, en lien avec leur domaine

de compétences, certains ont accepté de faire des petits boulots et de commencer au

bas de l’échelle. C’est le cas de Sandrine, qui détient un diplôme en technique de

commercialisation (ventes et marketing) lorsqu’elle tente de s’insérer sur le marché

du travail. En raison du contexte d’emploi difficile au moment de son insertion

(« Quand j'ai fini mes études, on était en 97, le marché de l'emploi était très difficile,

beaucoup de chômage, etc. »), elle ne travaillera finalement pas dans ce domaine

pour lequel elle était pourtant qualifiée. Sandrine, ainsi que les autres sujets de notre

échantillon concernés par cet effet, occupent alors un emploi pour lequel ils n’ont pas

les qualifications. Ils cherchent à compenser ce « déficit de qualifications » par la

formation continue et la mise à jour continuelle et presque quotidienne de leurs

connaissances professionnelles (par exemple sur les réseaux et les forums

informatiques). Cet effet se fait ainsi sentir sur l’allongement du temps de travail. Les

activités de formation – réalisées pour la plupart en dehors des heures de travail –

favorisent le maintien de leur performance au travail mais augmentent aussi les

heures de travail. Elles permettent par ailleurs de maintenir leur place et leur ancrage

dans un domaine où elles ont eu du mal parfois à se faire reconnaître et pour bâtir leur

réputation :

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284

« Dans le sens que je vais consolider ce que j'ai bâti, je vais me

développer comme individu à travers ça … tsé, je suis parti d'un gars qui

a un AEC à quelque chose qui est… je n’avais pas d'éducation et c'était

doublement plus difficile de me rendre là où est-ce que je me suis rendu,

j'aurais pu passer par le chemin le plus facile mais j'ai pris le chemin le

plus difficile. » (Jean-Thomas)

Le deuxième effet de ces expériences difficiles vécues en début de parcours consiste à

façonner de nouvelles attentes et de nouvelles représentations à l’égard du travail et

de la vie professionnelle. D’abord insatisfaits en emploi et de leur position sur le

marché du travail, plusieurs se saisissent de ces événements difficiles pour modifier

l’orientation donnée à leur vie professionnelle et, plus globalement, pour revoir leurs

priorités de vie. Par exemple, Thierry a vécu un « événement-choc » en début de

parcours. Cet événement l’a suffisamment ébranlé pour l’amener à intensifier

l’importance accordée au travail dans sa vie. Après avoir été mis à la porte de son

école et congédié lors de sa toute première expérience professionnelle, Thierry a

décidé de prendre sa vie en main et de recentrer ses efforts et son investissement dans

la sphère de vie professionnelle :

« J'ai toujours été «workaholic». J'ai toujours été comme ça. (…) Depuis

que je me suis réveillé… quand je me suis fait mettre en dehors de yyy, je

me suis demandé si j'avais le goût de passer le reste de mes jours assis

sur la galerie avec une grosse Bud chaude, ou si j'avais le goût de faire

quelque chose? C’est là que ça a «décliqué». (Thierry)

Sandrine aussi a modifié ses attentes et ses représentations à l’égard du travail. Après

une longue période d’absence du marché du travail pour s’occuper de sa famille et du

commerce de son conjoint (« mon fils est né, et là je me suis retrouvée à la fois

maman, conjointe d'entrepreneur, sans statut (…) ») et une suite d’événements

difficiles (harcèlement au travail, un divorce), elle a vécu ce retrait comme une

privation. Cette privation a exacerbé son désir de s’investir dans la sphère

professionnelle : « Je dirais qu'à titre personnel, (m’investir au travail), c'est ce que

j'attendais depuis tout le temps » (Sandrine). Les questionnements que ces

événements lui ont imposé se sont avérés au final être à l’origine de points tournants

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285

de son parcours professionnel, en renouvelant l’importance accordée au désir de faire

sa place sur le marché du travail et d’accorder une plus grande importance au travail

dans sa vie. Au terme de cette remise en question, elle s’offre alors un nouveau départ

et choisit d’investir le monde des technologies de l’information, un domaine

professionnel qui la passionne et qui se trouve à mille lieux de ses emplois

précédents, dont quelques-uns en secrétariat.

Bref, les conduites d’hypertravail de ce premier cas-type s’enracinent bien souvent au

cœur d’une histoire professionnelle marquée par des difficultés et des insatisfactions

diverses, qui entraînent une révision à la hausse de l’engagement et de

l’investissement dans la sphère professionnelle, et ce, dès les premières années

d’insertion. Le parcours antérieur, parce qu’il met en relief ce qu’ils ont construit

comme vie professionnelle et ce à quoi ils ont heureusement échappé, joue un rôle

déterminant dans le « passage » à l’hypertravail.

6.1.1.2 Renforcement de sa « valeur » professionnelle et renouvellement de ses

engagements et de ses priorités vis-à-vis du travail

Ces événements difficiles vécus en début de parcours ont rendu les sujets concernés

« conscients » de la fragilité de leur place sur le marché du travail et les ont

imprégnés de l’obligation de valoriser et de démontrer en tout temps leur « valeur »

professionnelle. La sphère du travail en vient ainsi à occuper une grande place dans

leur vie : développement et mise à jour des compétences, formation continue, qualité

rehaussée du travail et élargissement des mandats sont autant de préoccupations et

d’activités professionnelles jugées importantes, omniprésentes au quotidien. Leur

rapport au travail est teinté de cette centralité du travail, et l’organisation de leur

système des activités met au premier plan les activités professionnelles dans leur vie.

Le travail comme pilier de vie : la forte valorisation du travail et la préférence

envers les activités liées au travail

Pour les travailleurs et travailleuses associés à ce cas-type, le travail constitue

aujourd’hui un important pilier de vie. Par rapport à l’ensemble des sphères de vie, il

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286

« occupe la première place » (Mathieu) ou se trouve presque à égalité, en importance,

avec la famille. Pour ces sujets, le travail est une importante source de réalisation et

d’accomplissement personnel, qui leur permet d’être reconnus. D’ailleurs, ce qu’ils

retirent de leur engagement au travail, sur le plan de la réalisation personnelle, est

prioritaire pour eux :

« Je suis quelqu'un qui a le besoin de créer des choses et également de

faire avancer des choses. Si j'ai l'impression que je travaille sur quelque

chose qui avance et que ça me permet d'avancer en tant qu'individu, je

crois que c'est ça qui est important. » (Mathieu)

Cette sphère occupe une place affective et temporelle très importante dans leur vie, au

point que les changements et les événements importants de la vie hors-travail, par

exemple la venue d’un enfant ou la rencontre d’un nouveau conjoint, ne modifient

pas l’importance accordée au travail ni la fonction auquel il répond, pour se réaliser

personnellement mais aussi pour se définir. Tout au plus, ces événements exigent des

« ajustements » ou des réaménagements, principalement par rapport aux horaires de

travail, pour parvenir à mieux concilier les exigences liées à leurs autres sphères de

vie, tout en maintenant leur fort investissement temporel au travail. C’est ce que nous

dit Émile qui, depuis qu’il a eu un enfant, a transféré certaines de ses heures de travail

en soirée pour pouvoir être auprès de son enfant à la fin de la journée :

« Très important, ça c'est sûr. Sans négliger le reste. Il y a toujours

moyen de s'arranger, puis de réorganiser l'horaire, un peu comme j'ai fait

(depuis que j’ai un enfant). Par exemple, je travaille plus tard le soir.

Mais ça reste que c'est très important. » (Émile)

Le travail représente une activité hautement valorisée comparativement aux activités

de loisir et de divertissement (ex. sport, télévision), amicales (ex. soupers et

rencontres) ou de la vie familiale quotidienne (ex. faire les devoirs avec les enfants).

Ces sujets ont pour la plupart peu ou pas développé de hobbys ou de passions en

dehors du travail. L’activité de travail occupe leurs temps libres, comme l’explique

ici Thierry :

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287

« C'est au point que, je vais être chez nous le soir…. J'écoute pas

beaucoup la télé… moi je ne me suis jamais intéressé au sport, au sport

comme le hockey, je n'écoute pas ça. Ma conjointe elle, elle va s'asseoir…

elle aime le hockey, elle aime toutes les affaires de télé-réalité bien plate,

elle aime ça regarder ça, c'est son choix, ça lui change les idées c'est

correct. Moi qu'est-ce que je fais pendant ce temps-là, bien je tourne en

rond…alors je travaille, c'est comme ça. » (Thierry)

Ainsi, « tant qu’à écouter la télé… », ils préfèrent s’engager dans les activités du

travail, beaucoup plus signifiantes pour eux. Au point où l’on observe dans bien des

cas un repli autour des sphères de vie professionnelle et familiale :

« Moi c'est comme si je n'avais pas de projet personnel, mon seul projet

personnel c'est professionnel, et je me dis que quitte à mettre de l'énergie,

plutôt que d'avoir des déceptions au niveau amical, je préfère focuser sur

ce qui est important pour moi. » (Sandrine)

Pour sa part, Sandrine choisit de renoncer (pas totalement mais presque) à plusieurs

sphères de sa vie (loisirs, amis, bénévolat) pour se consacrer au travail. Ce choix n’est

pas douloureux. Au contraire, elle estime que le temps investi dans la vie amicale

peut même nuire à l’atteinte de ses objectifs dans la sphère professionnelle qui sont,

et de loin, prioritaires pour elle (avec le maintien d’une vie de couple et de famille

satisfaisante).

Dans quelques cas, l’absence d’activités significatives en dehors du travail fait en

sorte que l’investissement au travail devient une façon « payante et rentable »

d’occuper le temps qui, autrement, serait gaspillé. Ils reconnaissent toutefois que dans

un tel mode d’investissement au travail, l’équilibre entre leurs différentes sphères de

vie est plutôt fragile : « Je me suis sorti de l'hypertravail dans le sens destructif du

terme, mais par contre je suis satisfait maintenant (de mon équilibre) mais c'est

fragile. Ça peut facilement se faire déborder et sacrifier beaucoup de chose à côté »

(Richard).

Au final, il ressort que le travail est devenu une valeur très importante dans la vie de

ce groupe de sujets et que leurs activités sont essentiellement centrées autour du

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288

travail. Le sentiment d’accomplissement que procure aujourd’hui l’activité

professionnelle est également important pour comprendre l’engagement des sujets

dans cette sphère et le développement de conduites d’hypertravail. Ces sujets relatent

le réel plaisir qu’ils éprouvent à accomplir leurs différentes tâches – à « faire » leur

travail – et le fort sentiment d’épanouissement qui en découle. Les activités

professionnelles sont jugées passionnantes et satisfaisantes, suffisamment pour y

consacrer une bonne part de l’ensemble de leurs activités de vie. Ils perçoivent, à

travers l’activité de travail, non seulement la possibilité de développer leurs

compétences professionnelles mais, plus largement, la possibilité de se développer

comme individu. Pour ces personnes, la vie professionnelle est source

d’apprentissage, de réalisation personnelle et de forte estime de soi.

Les objectifs et projets professionnels prioritaires pour l’avenir

Le rapport à l’avenir professionnel de ces travailleurs et travailleuses se situe dans le

prolongement de leur investissement au travail. Très engagés dans ce qu’ils font, ils

veulent renforcer leur expertise dans leur domaine professionnel, continuer à y

évoluer, acquérir de nouvelles compétences et qualifications par le biais de

certifications, par exemple. Des stratégies sont d’ailleurs déjà utilisées pour mettre en

œuvre les objectifs et les projets évoqués : « Il y a des objectifs de certification. Il y a

des niveaux de certification que je veux atteindre. (…) Fait que je veux monter d'un

niveau encore, ça c'est à moyen court terme » (Émile). Pour y parvenir et continuer à

bâtir leur carrière professionnelle, ils croient que la mobilité inter-entreprises sera

nécessaire.

Après avoir trouvé et construit difficilement leur place sur le marché du travail, ces

sujets cherchent maintenant à protéger leurs « acquis » ; ces conduites d’hypertravail

s’inscrivent aussi au regard de l’avenir meilleur qu’il promet, professionnellement et

personnellement. L’avancement rapide dans la carrière est de fait une des principales

attentes « matérielles » formulées à l’égard des longues heures de travail effectuées :

« Ça a toujours été un investissement pour l'avenir. Je veux des choses, je veux

avancer, je veux être reconnue pour ce que je fais » (Anne-Marie). Pour Anne-Marie,

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289

s’investir fortement au travail apparaît ainsi indissociable de cette finalité puisqu’on

la reconnaît déjà comme une « travaillante », une image professionnelle à laquelle il

lui semble dorénavant difficile de renoncer sans en subir des contrecoups négatifs :

« j'ai probablement créé des attentes qui font que je suis un peu prise là-dedans. (…)

Travailler moins d’heures, ce serait perdre en crédibilité, ce serait perçu comme un

signe de faiblesse ». Alexia mentionne quant à elle, en parlant de sa situation de

longues heures de travail, que « l'investissement, c'est inévitable » pour tout

travailleur qui veut faire une belle carrière et progresser rapidement sur le marché du

travail. Réussir sa carrière réfère alors à une ambition personnelle qui se trouve, à ce

moment-ci de leur parcours, au centre de leur vie. Pour ceux et celles qui sont en

début de parcours professionnel, travailler plus d’heures que les autres les montre

désirables aux yeux de leur superviseur et de la direction, susceptibles d’obtenir des

promotions. Pour les autres qui sont plus avancés, ils souhaitent consolider leur

réputation. Enfin, l’obtention de promotions et le succès des projets dans lesquels ils

s’investissent peuvent apporter pour l’avenir une plus grande sécurisation de leur

parcours et un futur emploi conforme à leurs désirs et à leurs attentes : « Je n'en ai

pas parlé tantôt, mais il y a le côté sécurité. Si ça ferme, plus j'en sais, plus je fais ce

que je veux après, j'ai plus de chance de retravailler rapidement, où je veux et aux

conditions que je veux » (Jérôme).

En ce qui concerne la réalisation de projets personnels à court et moyen termes, la

moitié juge qu’il est difficile, compte tenu du fort investissement temporel au travail,

d’entrevoir la réalisation de projets personnels, par exemple, développer des

nouveaux loisirs. Même pour les projets plus modestes, ils doivent les planifier dans

l’agenda au regard des exigences du travail et des contraintes temporelles qui y sont

liées : « J'ai tellement de travail que j'ai mettons que j'ai une rénovation à faire dans

la maison, il faut que je planifie quand je vais la faire. Je ne peux pas dire je vais

faire ça à soir. Faut que je le planifie, parce que si je suis sur appel et que je

commence ça…. » (Thierry). Pour les autres qui anticipent pouvoir réaliser leurs

projets personnels, il s’agit essentiellement de projets de voyage ou de plein-air,

réalisables lors des périodes de vacances annuelles ou de longs week-ends.

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290

6.1.1.3 Le culte de l’hypertravail : intériorisation du modèle familial et rejet des

« 35 heures »

La norme sociale du fort investissement temporel au travail est par ailleurs largement

intériorisée par les personnes qui font partie ce cas-type. Celles-ci ont développé une

représentation positive du « grand travailleur » et une certaine forme d’idéalisation du

mode de vie axé sur l’hypertravail. Elles n’hésitent d’ailleurs pas à exposer leur

grande capacité de travail : « Pour ma part, j'ai déjà fait 66 jours consécutifs à faire

plus de 12 heures par jour au bureau, à la maison et les fins de semaine incluses »

(Mathieu).

Ces salariés et salariées rejettent ainsi le modèle des « 35 heures » et, par le fait

même, la culture des loisirs et du temps libre qui y est souvent associée, assimilée

pour plusieurs à une perte de temps. Cela est loin d’être un idéal pour eux. Par

exemple, après avoir travaillé environ 80 heures par semaine pendant des années,

Jean-Thomas juge maintenant avoir atteint la situation idéale au regard du nombre

d’heures investies au travail, en ayant pu réduire la plupart de ses semaines à 50

heures : « Comme je te dis un « 50 heures » de base, puis après ça, ça peut être 80

pendant 2 mois, après ça tu descends » (Jean-Thomas). Il ne tient donc pas mordicus

à ce 50 heures. En somme, le calcul des heures de travail, assimilé péjorativement à la

classe des fonctionnaires (les « 9 à 5 »), est perçu comme symptomatique de

l’absence de passion dans le travail par les sujets qui s’inscrivent dans ce cas-type et

est fortement décrié.

En outre, s’investir fortement au travail est loin d’être une pratique marginale dans

l’entourage familial et dans le réseau personnel (ex. amis, conjoint) des travailleurs et

travailleuses ici concernés. La plupart d’entre eux a été exposée à cette culture de

l’hypertravail très tôt dans leur vie. La situation des longues heures de travail apparaît

ainsi normale auprès des proches : « Je n’ai pas vraiment de commentaires négatifs

(à propos de mes heures de travail), c'est comme normal » (Christian). Dans quelques

cas plus extrêmes, ils ne conçoivent même pas comment il pourrait en être autrement

puisqu’ils ont toujours baigné dans un environnement où le modèle idéologique fondé

sur l’hypertravail est dominant et puissant.

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291

Enfin, parmi les représentations partagées par ces travailleurs et ces travailleuses, loin

de partager le sentiment d'être en train de « passer à côté de leur vie » en raison du

fort investissement temporel au travail, ils affirment plutôt le contraire : « c’est ça la

vie ». Anne-Marie, en constatant que ses relations significatives hors-travail se sont

atrophiées et sont de moins en moins développées, laisse sous-entendre qu’elle n’en

éprouve ni remords, ni regrets :

« Des fois je trouve que je manque de temps pour voir mes amis par

exemple. (…) I : Et vous n’avez pas le sentiment d'être en train de passer

à côté de la vie? R : Pas du tout. Je me sens vraiment dedans. » (Anne-

Marie)

Bref, la représentation d’un certain « idéaltype » du travailleur fortement investi au

travail (Malenfant et Côté, 2013) apparaît ainsi fortement propagée dans l’entourage

social des personnes qui correspondent à ce cas-type et apparaît intériorisée.

6.1.1.4 Les relations et les positions hors-travail utiles pour favoriser l’ancrage

dans l’hypertravail

Peu d’attentes à l’égard des rôles hors-travail

En ce qui concerne les attentes de leur entourage hors-travail vis-à-vis des rôles extra-

professionnels, l’analyse permet d’observer une répartition des rôles fortement

divisée dans le couple (s’il y a lieu). Selon la dynamique conjugale ou familiale

établie, le ou la conjointe se trouve davantage investi dans les tâches domestiques ou

familiales. Ce partage clair entre les rôles joués par chacun des conjoints dans la

sphère familiale renforce l’importance de la position professionnelle de la personne

en hypertravail par rapport à son conjoint. Ce partage clair contribue par ailleurs à

maintenir de façon relativement sereine cette situation de longues heures de travail :

les rôles de chacun sont négociés.

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292

Même s’il a bataillé fort pour progresser dans sa vie professionnelle et qu’il juge ne

plus avoir à « faire ses preuves », Jean-Thomas a le sentiment de devoir continuer à

mettre des efforts pour consolider sa place sur le marché du travail et dans

l’organisation: « Là je me dis OK je peux consolider, d'abord mon statut social me le

donne, mon salaire aussi, je sais ce que je vaux sur le marché, je n'ai pas besoin de

me le prouver plus que ça ». Ainsi, au fur et à mesure du renforcement de sa

réputation professionnelle, il est parvenu à réduire son temps de travail. Ce temps

investi au travail est absolument nécessaire, selon lui, pour remplir adéquatement les

responsabilités et les mandats liés à son emploi.

Les relations hors-travail : entre mise à distance et recherche de soutien aux

conduites d’hypertravail

Si le travail est fortement investi et valorisé, les relations interpersonnelles de la vie

hors-travail contribuent d’au moins deux manières à soutenir les conduites

d’hypertravail dans ce cas-type. D’abord, par une opération de mise à distance de

certaines relations devenues moins significatives ; ensuite, par la sollicitation d’un

soutien moral et logistique des proches en appui aux conduites d’hypertravail et à la

gestion des conflits temporels qui peuvent en découler.

On constate que leurs relations hors-travail sont aujourd’hui relativement peu

nombreuses tout en étant satisfaisantes. Sur le plan des relations interpersonnelles

significatives développées à l’extérieur de la sphère professionnelle, ces salariés et

salariées ont généralement mis de côté plusieurs relations et n’ont pas hésité à mettre

fin à des amitiés de longue date. En fait, celles-ci sont concentrées autour du cercle

familial (enfants, parents, frères, sœurs) et du conjoint (s’il y a lieu).

Ces relations constituent un moyen qui permet à ces salariés et salariées d’adapter

leur mode de vie à leur fort investissement au travail.

La sollicitation d’un soutien moral et logistique auprès des proches est le deuxième

élément qui, à ce niveau, est propice au maintien des conduites d’hypertravail.

Presque tous les sujets ont pu profiter du soutien de personnes significatives dans leur

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293

vie. Ce soutien est parfois négocié, pour la planification et la réalisation des tâches

familiales par exemple, mais il est aussi parfois réclamé, voire imposé. C’est le cas de

Thierry qui, au regard de ses valeurs et de ses aspirations à l’égard de la vie

professionnelle, a en quelque sorte exigé l’approbation et le soutien moral de sa

conjointe en lui imposant son rythme d’investissement au travail, et ce, dès le début

de leur relation :

« I : Est-ce que ça cause parfois des tensions avec votre conjointe

actuelle les heures de travail? R : Quand je l'ai rencontrée, c'est une

affaire que j'ai mise tout de suite sur la table. Regarde, je fais des heures

de fou, je ne couraille pas, je travaille. I : Qu'est-ce qu'elle a répondu?

R : Ça fait pas loin de 10 ans qu'on est ensemble. Fait qu'elle l'a accepté,

c'était comme ça, je ne me suis pas caché. J'ai appris à ne pas me cacher.

Je suis workaholic, bonjour mon nom est Thierry. C'était pas mal ça. »

(Thierry)

Émile agira un peu de la même manière lorsque sera prise la décision d’avoir un

enfant avec sa conjointe. En prévenant celle-ci du maintien de son rythme

d’investissement au travail et de l’importance du travail dans sa vie malgré le

bouleversement anticipé par cette nouvelle vie de famille, Émile impose ses choix de

vie. Il vient aussi établir clairement les rôles de chacun à travers la poursuite de ce

projet commun :

« Quand on a décidé d'avoir un enfant moi puis ma blonde, c'était dit que

ma vie professionnelle c'est très important. (…) C'est important pour moi.

J'essaie quand même d'avoir un bon équilibre. Mais c'était déjà dit que

j'allais travailler beaucoup, que ça allait arriver. » (Émile)

Ces conduites d’hypertravail apparaissent ainsi bien souvent non négociables avec les

personnes significatives de la vie hors-travail. Non seulement ces dernières ne

compromettent pas un tel investissement à l’égard de la vie professionnelle, mais

elles aideraient la plupart du temps à soutenir le fort investissement.

Mentionnons enfin que la qualité des relations au travail semble avoir peu d’impact

sur le fort investissement au travail. Les relations entretenues avec les collègues et le

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294

superviseur apparaissent agréables et cordiales et s’apparentent à des relations de

travail plutôt standardisées. Certes, ces sujets apprécient leurs collègues et participent

à quelques activités hors-travail, voire développent quelques amitiés avec certains

d’entre eux, mais pas au point de mener à un investissement plus intensif au travail en

raison de ces liens relationnels. D’ailleurs, ils préfèrent généralement maintenir une

séparation assez nette entre les relations de la sphère professionnelle et leur vie

privée.

6.1.1.5 La souplesse de l’organisation du travail au service de la construction de la

conduite d’hypertravail

En ce qui concerne l’environnement organisationnel et l’organisation du travail, il

semble y avoir a priori peu d’incitatifs formels ou informels, par exemple dans les

méthodes de gestion ou dans les valeurs et la culture mises de l’avant par

l’organisation, pour encourager de tels comportements d’investissement intensif au

travail. Ces travailleurs et travailleuses se saisissent surtout de la flexibilité

organisationnelle pour organiser et gérer leur temps de travail et ainsi investir autant

d’heures au travail qu’ils le souhaitent dans leur vie professionnelle.

Qu’il s’agisse des attentes du milieu professionnel, des pratiques organisationnelles

de temps de travail ou des normes et valeurs liées à la culture organisationnelle,

l’analyse met en évidence l’impact plutôt faible de l’organisation dans le

développement de ces conduites. En fait, seul le dispositif d’évaluation et de

reconnaissance, développé selon le modèle du cercle vertueux, traduit la valorisation

accordée par l’organisation au fort investissement temporel au travail.

Des attentes « raisonnables » du milieu de travail, axées sur l’autonomie dans

l’emploi

Il importe d’abord de souligner que les travailleurs et travailleuses regroupés ici ne

perçoivent pas d’attentes déraisonnables ou trop élevées à l’égard de leur rôle et de

leur implication au travail. Au contraire, ils ont plutôt le sentiment de parvenir à

répondre adéquatement aux attentes de leur superviseur et/ou de leurs collègues : « Je

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295

crois que je le remplis (mon rôle), que je réponds à ses attentes » (Christian). De fait,

on ne retrouve généralement pas de sujets qui font part d’attentes élevées des

collègues en terme de forte disponibilité au travail et de leadership, ou encore

d’attentes trop élevées de la direction au regard des résultats attendus qui devraient

être « toujours plus ». Les attentes perçues sont plutôt exprimées en rapport avec le

rendement et l’autonomie professionnelle attendus : « Donc j'ai des objectifs en terme

de chiffre d'affaires à rapporter à la boîte... » (Alexia).

Si le fait d’atteindre, voire de dépasser les attentes les encourage à poursuivre leur

fort investissement temporel au travail en raison notamment de la forte valorisation

qu’ils en retirent, ils ne croient pas pour autant que le fait de diminuer leurs heures de

travail entraînerait des représailles – formelles ou informelles – de la part de leur

superviseur. Autrement dit, leur fort investissement au travail n’est pas motivé par la

crainte d’un châtiment :

« Je pense que je dépasse les attentes. Il me le rappelle souvent d'ailleurs

qu'il est content de ce que je réalise. Ça c'est quelque chose qu'il me dit

souvent que (je travaille trop), mais en même temps il me dit continue ton

bon travail. Donc en même temps ça veut dire continue ton bon travail.

Mais si demain je fais 35 heures, bien c'est correct. Enfin, si je me

désengageais de tout ça serait correct, j'ai certains de mes collègues qui

le font et c'est correct. Mais je n'aurais pas la même place dans

l'entreprise par contre. » (Sandrine)

Une culture organisationnelle généralement peu favorable à susciter le

développement de conduites d’hypertravail

Un peu de la même façon, il n’y a pas de dynamique des longues heures de travail

instaurée dans l’équipe de travail ni même, pour quelques cas, dans les groupes

comparables ou hiérarchiquement plus élevés. Les normes et les pratiques

organisationnelles instaurées en matière de temps de travail sont centrées autour d’un

investissement plutôt standard au travail. Par exemple, les pratiques de temps de

travail sont claires et bien balisées et favorisent la mise en visibilité des heures

réalisées en temps supplémentaire. L’organisation privilégie la reprise ou le paiement

Page 317: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

296

des heures supplémentaires et elle n’en contraint pas la réalisation pour ceux et celles

qui souhaitent en faire davantage. De plus, selon le point de vue des travailleurs et

travailleuses qui se rattachent à ce cas-type, faire de longues heures de travail apparaît

surtout inhabituel, du moins en comparaison avec les collègues. Par rapport au temps

de travail, c’est la culture du « laisser-faire » qui est dominante dans ces

organisations.

En ce qui concerne la philosophie, la mission et les valeurs mises de l’avant par

l’organisation, deux types de culture organisationnelle sont dominantes. D’abord, la

culture « communautaire » est fortement représentée dans ce cas-type, où le message

porté par l’organisation pour regrouper les actions des salariés et salariées s’articule

principalement autour d’une cause humaine et sociale altruiste. Rappelons que dans

une telle culture, nous avons observé que la priorité est souvent allouée au

développement d’une dynamique de travail qui valorise l’engagement social. Ce type

de culture n’est pas particulièrement enclin à « l’hypertravail ». Mais quelques

travailleurs et travailleuses se retrouvent aussi dans une organisation qui met de

l’avant une culture « compétitive », favorable alors au fort investissement au travail.

Attachés à la quête d’un « idéal » organisationnel, l’organisation propose un

« idéaltype » du travailleur qui repose essentiellement sur la rapidité d’exécution et la

capacité d’en faire toujours plus.

Une organisation du travail et une charge de travail flexibles

Pour ce cas-type, ce ne sont pas tant les contraintes de la tâche et de l’organisation du

travail qui conduisent à une extension des heures de travail que la nature même du

travail à réaliser, la flexibilité qu’il exige mais aussi l’autonomie qu’il permet. Ainsi,

ces facteurs de « charge de travail » et de « flexibilité de l’organisation du travail »

n’agissent pas comme des contraintes directes ayant pour effet l’augmentation du

temps de travail. Cependant, la flexibilité organisationnelle paraît importante à

prendre en compte dans ce cas-type. Au regard de la liberté et de la flexibilité

d’organisation du travail, ces sujets s’en saisissent pour investir le temps qu’ils jugent

nécessaire pour construire leur carrière. Également, l’organisation du travail est

Page 318: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

297

tributaire des projets et des responsabilités dans lesquelles les travailleurs et les

travailleuses se sont engagés.

Sans être en situation constante de forte surcharge de travail et où ils doivent

conjuguer différents rôles professionnels, ils doivent tout de même concilier leurs

exigences de rendement avec des délais relativement courts et un travail assez

complexe. Par ailleurs, les tâches et les responsabilités nécessitent souvent une grande

disponibilité temporelle pour répondre aux impondérables du travail à réaliser. C’est

le cas, par exemple, des programmeurs et des consultants en informatique, amenés à

résoudre des problèmes qui peuvent surgir à tout moment du jour ou de la nuit et pour

lesquels il est presque toujours urgent d’intervenir (dans le cas d’une panne

informatique par exemple). Nécessairement, cette situation peut participer à allonger

les heures de travail. Mais c’est aussi toute la formation continue, la veille

informationnelle stratégique, le réseautage et la mise à jour des connaissances et des

compétences qui sont importants pour mener leur travail de façon satisfaisante. Par

exemple, la participation à des conférences et à différents réseaux sociaux

professionnels (ex. forums informatiques, réseau Linked In) en dehors de

l’organisation font partie de leur travail.

Finalement, la flexibilité de l’organisation du travail, des horaires et des lieux de

travail permet à ces salariés et salariées d’aménager leur temps en fonction de leurs

préférences. Ils profitent d’une assez grande latitude non seulement dans la gestion de

leurs horaires de travail, mais aussi dans l’allocation du temps entre leur vie au travail

et hors-travail :

« Il y a une grande capacité à aménager son temps de travail, en tout cas

c'est le cas de mon service, de ma direction, c'est pas mal le cas partout,

donc il n'y a pas grand-chose qui ne se ferait pas. » (Richard)

Des marques de reconnaissance et de récompenses très hétérogènes

Nos résultats montrent que, pour les sujets de ce cas-type, les dispositifs d’évaluation

et de reconnaissance privilégiés par les organisations présentent un portrait très

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298

diversifié. Quelques-uns jouissent de larges mesures de reconnaissance de leur

investissement soutenu au travail, tandis que d’autres ont peu de reconnaissance

particulière de cet investissement au travail. Toutefois, même s’ils ne profitent pas de

récompenses financières généreuses, plusieurs soulignent l’importance que revêtent

pour eux les marques de reconnaissance psychologique obtenues, comme les

félicitations de leur superviseur lorsqu’ils et elles parviennent à résoudre des

situations complexes rapidement. Ils et elles affirment également se sentir traités

justement en obtenant des augmentations salariales annuelles modestes mais qui

tiennent compte de la situation financière de l’entreprise (pour celles, par exemple,

qui sont en développement de marché et en attente d’une plus grande

« profitabilité »). Le poids de ce facteur apparaît ainsi très mitigé quant à son impact

sur le développement des conduites d’hypertravail.

Somme toute, ce cas-type est relativement bien vécu par les sujets et l’ancrage dans

l’hypertravail apparaît surtout volontaire, bien que l’organisation – par exemple au

regard des normes de temps de travail et de la charge de travail flexible – puisse en

faciliter l’adoption par les individus. Il met de l’avant le rôle des autrui significatifs

hors-travail et l’importance de la transmission des valeurs intergénérationnelles et/ou

des valeurs partagées par les amis, susceptibles d’influencer le développement de

telles conduites. Il met en lumière le fait que l’hypertravail peut se construire en

dehors de l’organisation, à travers des relations interpersonnelles significatives.

Page 320: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

299

6.1.2 Deuxième cas-type : Dynamiques conflictuelles de

l’assujettissement de la vie hors-travail à une suraffiliation

organisationnelle

Pour ce deuxième cas-type, les cinq niveaux sont fortement interreliés les uns aux

autres pour influencer le développement des conduites d’hypertravail. Est observé un

effet de renforcement réciproque et de résonance entre tous les niveaux dans le

développement de la conduite d’hypertravail, où il apparaît ainsi difficile de dénouer

la place et l’importance du « je » et de celle de l’organisation. Cette dynamique

« psycho-organisationnelle » très forte illustre aussi le fait que le développement de

ces conduites dépend ici fortement de l’articulation entre l’individu, le collectif de

travail et l’organisation.

Ce cas-type regroupe quatorze sujets de l’échantillon (N= 14 ; 41,2 %), dont 11

hommes et 3 femmes, avec une proéminence assez marquée de salariés et salariées

provenant du secteur du multimédia. De fait, 71% de l’ensemble des sujets provenant

de ce secteur y sont ici regroupés. On retrouve également une forte proportion de

diplômés universitaires, largement majoritaires avec 11 sujets sur 14. Avec près de

80%, contre 56% pour l’ensemble de l’échantillon, on peut affirmer que ce cas-type

est principalement le lot de travailleurs et travailleuses très qualifiés.

Page 321: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

300

Figure 6: Processus de suraffiliation organisationnelle et d’assujettissement de la

vie hors-travail

6.1.2.1 Événements et étapes charnières : le moment critique de la « rencontre »

avec l’organisation

Parcours aisé et carrière ascendante : un début de vie professionnelle marqué

par le succès

Au regard des événements professionnels et des moments importants vécus depuis

l’entrée sur le marché du travail, les travailleurs et les travailleuses qui se regroupent

dans ce cas-type ont pour particularité d’avoir connu un début de vie professionnelle

sans échec, sans difficulté, sans événement perturbateur. Au contraire, presque tous

connaissent une insertion aisée dans le domaine professionnel choisi et une ascension

professionnelle rapide en termes de postes occupés et/ou de responsabilités.

Ils sont nombreux dans ce cas-type à avoir choisi, conformément à leurs passions, le

domaine professionnel du multimédia et de l’informatique pour faire carrière. Ce

choix « passionnel » s’inscrit souvent très tôt dans leur parcours :

Carrière ascendante : la

« rencontre » avec l’entreprise

Rapport au travail très positif :

un pilier de vie / tout au travail

Projets prof. de carrière dans

l’entreprise

Projets personnels reportés

Norme de l’hypertravail dans

l’organisation et idéologie du

surtemps

Culture « familiale » et affiliation

à l’organisation

Importance des relations prof.

(amicales, de clan).

Mise à distance des relations hors

travail

Soutien du milieu de travail

Travail organisé en équipe

Charge de travail selon équipe

Dispositif de reconnaissance

généreux : le cercle vertueux

De fortes attentes en termes de

disponibilité et de leadership

Engagements hors travail

repoussés

Niveau idéologique Niveau intraindividuel

Niveau positionnel

Niveau interindividuel

Conduite

hypertravail

Niveau org. du travail

Page 322: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

301

« En fait ce qui m'a porté à ces études-là, c'est cette passion-là, c'est le

film « Histoire de jouets I ». Je suis allé voir ça au cinéma puis tout de

suite j'ai su que c'est ça que je voulais faire dans la vie, de l'image de

synthèse. […] Puis oui, c'est vraiment ça. Depuis que j'ai cet âge-là que

je sais c'est quoi que je veux faire dans la vie. » (Martin)

De plus, leur vie professionnelle s’apparente beaucoup à la carrière dite traditionnelle,

si ce n’est que la progression y est beaucoup plus rapide (parfois une promotion par

année). Relativement peu mobiles sur le marché du travail, plusieurs travaillent

encore dans leur entreprise d’insertion au moment de l’entretien, tandis que quelques-

uns ont vécu une mobilité inter-entreprises, qui les a menés graduellement vers une

situation professionnelle et une relation d’emploi de plus en plus satisfaisantes. Le

parcours professionnel des travailleurs et travailleuses de ce cas-type est imprégné du

succès professionnel. L’obtention régulière et rapide de promotions fait que ces

travailleurs et travailleuses ont connu très rapidement dans leur carrière un parcours

professionnel vertical, soit en grimpant les échelons hiérarchiques de l’entreprise ou

encore en étant affectés à des projets plus importants et valorisants en termes de

responsabilités.

« Rencontre » avec l’entreprise et conduite d’hypertravail

Ils sont nombreux à affirmer que la conduite d’hypertravail s’installe relativement tôt

dans leur vie professionnelle, parfois même dès l’entrée sur le marché du travail pour

ceux et celles qui sont encore à l’emploi de leur entreprise d’insertion. C’est le cas de

Raphaël, dont la carrière a débuté par un emploi de testeur de jeux vidéo, souvent une

porte d’entrée pour plusieurs jeunes dans ce domaine, qu’ils aient des qualifications

ou non : « il y a eu des opportunités chez Y, tout d'abord à titre de testeur. Ça, c'est

important de mentionner que pour être testeur, ça ne prend pas de scolarité du tout ».

La compétition entre de nombreux candidats (« j'ai été choisi parmi une grosse

cohorte ») est perçue comme une occasion de faire ses preuves dans son champ

professionnel et de faire la démonstration de son engagement vis-à-vis de l’entreprise.

Parfois, l’incertitude de la relation d’emploi à long terme, en raison du statut d’emploi

Page 323: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

302

à contrat renouvelable, les pousse également à faire très rapidement de longues heures

au travail :

« Il y avait ce prétexte là et aussi le travail de testeur, malgré le fait que

moi je me débrouillais très bien, il était très contractuel. Et moi j'ai eu ma

permanence récemment, mais pendant un bon bout de temps, mon contrat

était renouvelé, toujours un peu : on ne sait pas si on va vous garder.

Donc tout le monde capotait, tout le monde se donnait 2 fois plus. Et on

signait des renouvellements de contrats parfois qui n'avaient pas de bon

sens et ça ne se voyait pas dans d'autres entreprises. I : C'est quoi un

contrat qui n'a pas de bon sens? R :C'est de se faire dire on te renouvelle

pour 1 semaine. » (Raphaël)

Les autres, qui ont connu une mobilité inter-entreprises, affirment que la conduite

d’hypertravail coïncide avec l’entrée chez l’employeur actuel. S’il leur est arrivé

auparavant de travailler un peu plus d’heures en réponse à des besoins ponctuels

spécifiques, jamais ce rythme de travail ne s’était prolongé au point d’en développer

une conduite « permanente », un mode de vie spécifique. Cette « rencontre » entre

une personne et une organisation semble d’autant plus importante dans le

développement de cette conduite que pour environ la moitié des sujets qui

s’inscrivent dans ce cas-type, faire de longues heures de travail n’apparaît pas comme

un mode de vie enviable, ni même souhaitable, avant le début de cette relation :

« En fait, je me souviens de ma première job, j'étais presque monsieur 40

heures. Dans le sens que, il faut dire que j'étais jeune idéaliste, je sortais

de l'université et un peu revendicateur, mais on dirait que je faisais mon

40 heures et c'était ça. » (Vincent)

6.1.2.2 Vers une emprise organisationnelle de plus en plus forte

Cette « rencontre » déterminante avec une organisation est la porte d’entrée dans

l’hypertravail. Cette organisation joue ainsi un rôle central dans le développement de

ces conduites. L’interinfluence de plusieurs niveaux, tant positionnel, idéologique que

de la tâche et de l’organisation du travail, ressort clairement du discours des

travailleurs et travailleuses.

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303

Un univers idéologique organisationnel favorable à l’hypertravail

Dans ce cas-type, l’organisation met en place un univers idéologique dans lequel les

conduites d’hypertravail sont hautement attendues et où la culture organisationnelle

« familiale » très développée, qui incarne l’idée d’une affiliation inconditionnelle et à

long terme à l’organisation, soutient un système de valeurs qui repose sur le

développement de soi par le travail.

Plus précisément, la culture organisationnelle du temps de travail met de l’avant une

idéologie du « surtemps », principalement favorisée par la prédominance de normes

et de règles informelles et d’une quasi absence de limites de temps de travail. En

témoigne, par exemple, le fait que les horaires établis sont peu contrôlés ou respectés

et les règles entourant le temps supplémentaire sont floues, informelles ou

inexistantes : « Sur nos feuilles de temps c'est 40 heures. Peu importe combien on fait

d'heures » (Gabriel). Cet écart entre le temps « inscrit » sur la feuille de temps,

formel, et le temps réellement travaillé fait en sorte que le temps de travail n’a pas

besoin d’être comptabilisé, ce qui peut amener un certain « lâcher prise » vis-à-vis le

nombre d’heures travaillées. On n’y porte pas plus attention qu’on n’y accorde

d’importance. Parce qu’au fond, ce qui compte, c’est de faire beaucoup d’heures de

travail, en dehors des horaires habituels et de façon à ce que les collègues et

superviseur puissent le remarquer : « Il y en a qui font beaucoup d'overtime mais qui

ne sont pas aussi efficaces, ceux-là sont presque mieux placés que ceux qui sont

hyper efficaces mais qui ne font pas d'overtime » (Hubert). Ce qui compte également,

bien sûr, c’est de terminer les projets et d’atteindre les résultats selon les délais

prévus : « donc le but ce n'est pas de travailler tant d'heures, c'est de livrer ce qu'on a

à livrer » (Gabriel).

L’horaire de travail se trouve en quelque sorte dénaturé de sa mission première. D’un

outil de comptabilisation des heures de travail en contrepartie d’un salaire, il sert

dorénavant à désigner les périodes où la présence des travailleurs et travailleuses est

requise dans l’organisation, surtout pour favoriser le travail en équipe :

« Évidemment, pourquoi on a un horaire, c'est parce qu'on travaille en équipe, puis

c'est plus facile si les gens sont là » (Gabriel).

Page 325: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

304

La comptabilisation très approximative du temps de travail, combinée à la

flexibilisation du lieu de travail (ex. dans les transports, à la maison), font en sorte

qu’il apparaît également difficile de connaître et d’évaluer le temps de travail des

autres, des collègues comme des superviseurs :

« Il y a aussi le fait que, je ne sais pas si ma boss voyait tout le temps

jusqu'à quel point je travaillais. Parce que elle, elle travaillait souvent de

la maison. Mais moi, je voyais les e-mails qu'elle envoyait à 10 heures le

soir. » (Florence)

C’est ainsi à partir d’indices (« des e-mails à 10 heures le soir »), plutôt que

d’indicateurs précis, que ces salariés et salariées décèlent le caractère « normal » des

longues heures de travail dans l’organisation. Par comparaison, ces travailleurs et

travailleuses perçoivent bien que dans leur poste, dans leur équipe ou en comparaison

avec les collègues qui occupent des responsabilités similaires, les longues heures de

travail sont habituelles et normalisées.

« Chez X, je ne sais pas, c'est juste … ça n'a pas pris de temps que j'avais

l'impression justement que je ne pouvais pas arriver à 8h puis partir à 5h.

C'est peut-être une mauvaise perception de ma part mais je voyais les

gens autour de moi qui travaillaient beaucoup. » (Florence)

Et, malgré que les salariés et salariées de ce cas-type travaillent un nombre d’heures

plutôt élevé, ils situent généralement (et paradoxalement) leur investissement

temporel un peu au-dessus de la moyenne, en comparaison avec les collègues et le

superviseur :

« I : Si vous nous parliez du nombre d'heures que vous travaillez, en

comparaison avec celui de vos collègues et de votre superviseur, qu'est-ce

que vous pourriez-nous dire? J'en fais quand même beaucoup. Un peu

plus. I : au-dessus de la moyenne mais pas dans le top? R : non, pas dans

le top, il y en a qui en font plus. » (Hubert)

L’univers idéologique organisationnel favorable à l’hypertravail s’observe également

au regard de la philosophie, de la culture et des valeurs prônées par l’organisation. On

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305

observe de fait que la culture dite « familiale » est dominante. Rappelons que celle-ci

met l’accent sur la qualité du travail offerte aux clients ou aux utilisateurs des

services (ex. les joueurs de jeux vidéo), sur la contribution spécifique de la personne à

l’entreprise et sur l’importance de son développement personnel par le travail. On

distingue par ailleurs une culture solidement ancrée et cristallisée autour des origines

de l’entreprise et de ses fondateurs charismatiques, souvent rapportée à son caractère

familial ou à son histoire « partie de rien », quand bien même ces organisations soient

devenues au fil du temps de grandes entreprises, voire des multinationales.

Dans cette culture, la mise en valeur de l’apport individuel de chaque personne à

l’organisation, où « tout le monde a sa place », est souvent évoquée par les

travailleurs et travailleuses. Néanmoins, au-delà de la contribution personnelle, c’est

la synergie qui résulte de l’interdépendance des efforts et des compétences de chacun

qui favorise le plus l’atteinte de la mission selon le message qui est véhiculé.

L’importance accordée à la mise en commun des savoir-faire des salariés et salariées

implique de développer une culture axée sur la communication, l’esprit d’équipe, la

solidarité et l’égalité :

« On veut énormément de transparence, à travers la communication, on

veut que tout le monde soit informé au même niveau, on veut que les gens

se sentent libres d'exprimer ce qu'ils ont sur le cœur, positivement ou

négativement. On veut vraiment cet état d'esprit ici que tout le monde a sa

place, qu'on dépend tous les uns des autres et que c'est important de

communiquer ensemble. On veut créer un esprit de famille, que l'esprit de

famille soit une des valeurs du studio, c'est pour ça qu'on a des tailles

d'équipe qui sont relativement petites. » (Frédéric)

Tout comme dans la famille, la relation de confiance avec les membres, ici, les

employés, est aussi une valeur importante : « il y a une valeur vraiment de laisser de

la latitude aux gens » (Hubert). Il faut ainsi permettre aux individus de s’épanouir

personnellement, leur procurer les ressources nécessaires pour les aider en ce sens et

leur offrir une liberté d’action et de pensée. En contrepartie cependant, ces derniers

doivent demeurer unis et dévoués. En effet, « faire partie de la famille » renvoie aussi

à l’idée d’y être lié « à tout jamais ».

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306

C’est donc presque une affiliation inconditionnelle qui est subtilement requise par ces

entreprises. Celles-ci en viennent à exercer une emprise relativement forte sur les

travailleurs et travailleuses qui ont le sentiment d’être redevables à une organisation

qui leur a beaucoup offert sur les plans professionnel et personnel. Et, s’ils

développent une relation presque amoureuse avec l’entreprise, relation qui les pousse

à s’y investir sans compter, ils ont le sentiment que celle-ci, en retour, leur apporte

leur juste part : « j'assume complètement que j'aime beaucoup l'entreprise. Par

contre, je demande aussi beaucoup ». Une telle dynamique – demander beaucoup et

donner beaucoup – renforce le sentiment d’être redevable à l’organisation, de devoir

constamment faire la démonstration de leur « amour » envers celle-ci en

s’investissant toujours plus fortement dans l’atteinte de sa mission et de ses objectifs.

De plus, cette relation individu-organisation assimilée à « l’unité familiale », loin des

relations classiques opposant employeur et employé, renforce la perception d’une

relation « gagnant-gagnant », où le fort investissement au travail est nécessairement

positif et garant de bons rapports à long terme. Bref, une belle famille dont on se sent

fier de faire partie : « les gens qui travaillent chez X sont fiers d'être chez X »

(Évelyne).

L’adhésion des travailleurs et travailleuses à la mission illustre aussi la forte

affiliation à l’organisation. Qu’il s’agisse d’un message axé sur la qualité des produits

et services ou, pour quatre cas, d’un message porteur d’un idéal tel « dominer le

monde » (e.g. culture « compétitive »), celui-ci oriente les travailleurs et travailleuses

vers un objectif commun et influence les actions qu’ils mènent en ce sens. Prônant

une idéologie de l’excellence par rapport aux produits et services offerts, ou de

conquérant dans un contexte de forte concurrence internationale, la mission fait valoir

l’importance, voire la nécessité, de l’effort supplémentaire au travail. Être les

meilleurs, offrir le meilleur service, développer les produits les plus relevés exigent

nécessairement de rechercher continuellement à dépasser les objectifs et à se dépasser

soi-même au travail. Il est enfin peu surprenant de constater que les personnes qui

s’inscrivent dans ce cas-type adhèrent et endossent largement les messages portés par

l’organisation et qu’ils ont fortement intériorisé le discours de l’impératif économique

pour justifier les actions de l’entreprise :

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307

« Leur leitmotiv à cette entreprise-là, c'est : on veut dominer le monde.

C'est semi humoristique, mais ils ont fait une espèce de campagne de

recrutement avec ça qu'ils mettaient de l'avant, et c'est écrit en grosses

lettres quand on arrive au Xè étage. Et moi, ce que j'en pense, c'est qu'ils

n'ont pas le choix d'avoir cette ambition-là et de faire preuve de… de

prévoir les coups, de prévoir ce qui va s'en venir et d'être requin un peu

sur le marché parce que ça se bat quand même beaucoup. » (Raphaël)

L’importance de « l’effet groupe » : attentes perçues et renforcement de

l’hypertravail

En ce qui concerne les attentes du milieu organisationnel relatives à la position

professionnelle occupée dans l’organisation (niveau positionnel), deux éléments

apparaissent particulièrement importants. D’abord, ils sont nombreux dans ce cas-

type à concilier les attentes doubles de leadership et de forte disponibilité vis-à-vis

des collègues de travail et du superviseur. Comme leader, ils doivent non seulement

bien maîtriser leur travail mais ils doivent aussi bien connaître le travail de chacun

des membres de l’équipe : « (…) pour moi, comment je suis arrivé à ça, ça été de

travailler sans arrêt. De toujours être là (pour l’équipe), d'essayer de tout

comprendre et de tout maîtriser » (Hubert).

Les attentes sont donc élevées au regard des exigences et des responsabilités

inhérentes au poste qu’ils occupent. Ils perçoivent d’ailleurs difficilement comment

ils pourraient travailler moins tout en continuant à répondre aux exigences de leur

emploi : « j’aurais le sentiment de faire mon travail à moitié » (Hubert). Dans la

foulée de leur parcours ascendant dans l’entreprise, certains sont aussi inquiets de la

spirale du surtemps qui s’est mise en place au regard de l’occupation de postes

toujours plus exigeants, non seulement en termes de responsabilités mais aussi en

termes de disponibilité.

Ensuite, la pression du groupe est forte pour maintenir des standards élevés de

qualité, l’atteinte de ces standards étant tributaire des efforts constants investis au

travail par tous les membres de l’équipe. La dynamique groupale instaurée fait en

sorte que les travailleurs et travailleuses qui adoptent les comportements requis

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308

s’attendent à ce que les autres membres du groupe les adoptent eux aussi. Autrement

dit, en acceptant d’être fortement disponibles pour leur travail et de répondre aux

besoins de l’organisation, les travailleurs et travailleuses de ce cas-type renforcent

cette dynamique de fort investissement au travail à l’intérieur du groupe :

« Et si moi, je ne rentre pas, je ne peux pas demander à mes gestionnaires

de rentrer. Quand je parlais tantôt de mener par l'exemple, c'est un peu

ça, donc si moi je ne rentre pas et que mes gestionnaires ne rentrent pas,

là c'est sûr qu'on n'aurait pas fait notre «review» qui était planifié, et il y

a peut-être des choses qu'on n’aurait pas attrapé (…). » (Vincent)

Solidaires mais aussi redevables face à l’employeur devant l’échec ou la réussite du

projet mené par l’équipe, le groupe peut utiliser des moyens coercitifs contre les

membres récalcitrants à étirer la semaine de travail. Ces moyens peuvent être directs,

en menaçant de partager le bonus par exemple (« On oblige quasiment les gens des

fois à venir travailler les weekends. (…) tu sors l'aspect du bonus, du temps

compensatoire » (Hubert)), ou indirects, en mettant à l’écart le travailleur lors des

activités informelles du groupe. Dans un contexte où les relations interpersonnelles

avec les collègues sont très significatives et amicales, voire nécessaire pour survivre

dans le groupe, les pressions faites par l’équipe à travailler davantage apparaissent

difficiles à contester. Réciproquement, les règles de forte disponibilité au travail

mises en place par l’équipe viennent resserrer les liens d’amitiés entre les personnes

amenées à se côtoyer continuellement, de jour, de soir, comme de fin de semaine.

Un travail organisé en équipe, un investissement au travail fortement

récompensé

Dans la foulée de ce qui précède, nous avons constaté que, plus que les

caractéristiques de la tâche ou la charge de travail, c’est l’organisation du travail en

équipe, soutenue par l’atteinte de résultats selon des délais serrés (flexibilité piégée)

et les dispositifs d’évaluation du rendement et de reconnaissance, qui favorisent et

soutiennent l’hypertravail dans ce cas-type. Pour les producteurs, les professionnels et

les techniciens de l’industrie du jeu vidéo, nombreux à se regrouper dans ce cas-type,

les activités de travail sont ramenées essentiellement à une sphère de création en

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309

équipe, dont la productivité hebdomadaire apparaît difficile à planifier : « on n'offre

pas un service, on fait des projets » nous rappelle Gabriel. Leurs tâches quotidiennes

s’inscrivent ainsi dans une série d’actes et d’actions qui, interdépendantes avec celles

des autres membres de l’équipe de travail, convergent vers la réalisation d’un projet

commun. Leur travail, « par souci de solidarité » affirment certains, consiste aussi

parfois à être présent avec les autres et à soutenir l’équipe à toutes les étapes du

projet, peu importe si le travail qu’il reste à faire les concerne directement ou non :

« (…) même par souci de solidarité, parce que tu ne peux pas t'en aller

pendant que les gens font de l'overtime jusqu'à 22 heures, tu ne peux pas

rentrer chez vous à 18 heures. Ce n'est juste pas possible en fait. Il faut

que tu sois avec ton équipe. » (Hubert)

Malgré les délais serrés, l’organisation du travail est plutôt flexible, c’est-à-dire que

ces travailleurs et travailleuses peuvent se saisir des moyens et des outils qui leurs

conviennent pour réaliser le travail :

« Moi ce que je demande, c'est de la flexibilité. Et aussi de pouvoir

justement organiser mon travail comme je veux. Je fais ce que je veux,

comme je le veux. Dis-moi les résultats que je dois te livrer, quelles sont

tes attentes en terme de résultats mais comment je vais y parvenir, ça, je

choisis. » (Gabriel)

Toutefois, pour la plupart, cette flexibilité est piégée par les échéances et les objectifs

prédéterminés qui paraissent parfois presque irréalisables. Autrement dit, flexibles sur

les moyens mais piégés par les délais. Ainsi, plus ils se rapprochent de la fin du projet

et moins ils ont de marges de manœuvre réelles sur l’organisation de leur temps de

travail et, conséquemment, sur leur travail. Les dates sont inflexibles et le projet doit

être rendu coûte que coûte : « Le problème de cette industrie-là, il y a des équipes de

marketing qui nous disent qu'il faut que le jeu soit sorti pour le 17 mars. Et le 17

mars, il faut que le jeu soit sorti » (Raphaël). Face à l’échéance, leur principal

« pouvoir » réside alors dans la possibilité d’augmenter les heures de travail. C’est

aussi en augmentant le nombre d’heures de travail qu’ils peuvent atteindre des

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résultats vraiment satisfaisants : « j'ai l'impression que la quantité d'effort que je mets

est quand même directement proportionnelle aux résultats » (Vincent).

Dans les entreprises des technologies de l’information et du multimédia, la culture du

changement est forte. Les outils de travail et les processus de production sont

perpétuellement révisés et, du même souffle, l’organisation du travail est

constamment à redéfinir. Confrontés régulièrement à la révision de leurs pratiques et

de leurs méthodes, les travailleurs et travailleuses de ces secteurs doivent, de fait,

souvent réorganiser le travail dans l’urgence et trouver des solutions créatrices qui

leur permettent tout à la fois de répondre aux objectifs et d’intégrer ces changements

dans leur routine de travail. Or, comme le dit Florence, cette redéfinition et cette

réappropriation de nouvelles méthodes a des impacts non seulement sur

l’allongement de leur temps de travail mais aussi sur la pression temporelle qu’ils

vivent quotidiennement :

« On est beaucoup dans l'urgence puis dans la réaction. On est toujours

en réaction… parce qu'il n'y a rien qui a le temps de se préparer qu’il y a

un changement qui arrive. (…) C'est ok, ça, ça ne marche pas, on change

tout de suite. Ce que j'aimais au début parce que c'était réactif et tout ça,

mais je me rends bien compte que pour certains dossiers, ça n'a juste pas

de bon sens qu'on change à chaque année, on refait la roue tout le temps.

En même temps, en implantant des mini changements à chaque année,

ben on crée d'autres problèmes. C'est vraiment ça. On est dans l'urgence

et dans la réaction. Malheureusement on ne peut pas être super pro-

actif. » (Florence)

Le dispositif d’évaluation du rendement et de reconnaissance est un autre facteur qui,

au niveau de la tâche et de l’organisation du travail, est susceptible d’influencer

l’adoption et le maintien de conduites d’hypertravail selon ce processus de

suraffiliation organisationnelle. Car, dans ce cas-type, le dispositif du « cercle

vertueux », qui allie un fort investissement au travail en contrepartie d’une

reconnaissance certaine et de récompenses généreuses, est mis à l’avant-plan. Fondé

principalement sur l’atteinte de résultats élevés et d’une forte présence au travail, il

nous a semblé, en analysant les témoignages de nos participants, qu’un tel dispositif

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concourt à l’adoption de conduites d’hypertravail. Difficile, en effet, de résister aux

importantes primes financières qui peuvent être allouées sous forme de bonus dans le

cas où un jeu développé par une équipe connaît un grand succès commercial. Même

s’ils sont presque impossibles à obtenir, les bonus potentiels offrent des récompenses

substantielles et font rêver :

« (…) quand tu as des postes importants, tes poches viennent avec… tu

avais des gros bonus, dans les 6 chiffres des fois. C'est fou. Tu pourrais

t'acheter une maison avec un bonus de jeu, ça pourrait arriver, mais c'est

quand même exceptionnel. Ça ne m'est pas arrivé (rire), mais ça se

peut. » (Hubert)

En outre, ce système ou dispositif de reconnaissance souligne aussi, de façon plus

ponctuelle et plus modeste que les primes financières élevées, les bons coups par

l’octroi de divers privilèges. C’est ce que Vincent appelle des « bonus de

reconnaissance », c’est-à-dire des certificats-cadeaux divers, tels que des soupers au

restaurant, des billets de hockey ou des billets de spectacles.

Ce système reconnaît aussi le fort investissement au travail, mesuré en nombre

d’heures, d’où l’importance de mettre en visibilité le temps passé à travailler.

Autrement dit, au-delà de l’atteinte de résultats spécifiques, il importe de rendre

visible l’ensemble des heures effectuées, preuve explicite de l’engagement de la

personne à son travail et à son organisation. C’est souvent sur la base de cet

investissement temporel et de cet engagement que les travailleurs et travailleuses

obtiennent des promotions. Bref, par diverses tactiques, l’organisation assure la mise

en place d’un environnement propice à l’hypertravail tout en cherchant à consolider

son emprise sur l’individu.

6.1.2.3 Une sphère du travail « auto-suffisante » : la mise à distance de relations

hors-travail, d’activités et d’engagements dans les autres sphères de vie

Ce type d’environnement de travail – et les multiples possibilités qu’il offre pour

l’individu – semble avoir des répercussions importantes sur la vie hors-travail des

personnes qui s’inscrivent dans ce cas-type. De fait, on observe pour plusieurs d’entre

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eux une mise à distance des activités et des engagements pris dans les sphères de vie

hors-travail : recentrage des relations interpersonnelles autour des relations au travail,

activités ludiques et de loisir soutenues par l’organisation, renforcement des

engagements professionnels au détriment des engagements extra-professionnels, etc..

Bref, autant d’indications qui donnent à croire à une sphère du travail « auto-

suffisante », capable de répondre à la plupart des besoins de l’individu, du

divertissement au développement de relations significatives, au point où la vie hors-

travail (disons plutôt hors de l’organisation) semble de plus en plus délaissée.

Le niveau interindividuel marqué par le développement de relations amicales au

travail

Au niveau interindividuel, les forts liens interpersonnels développés avec les

personnes au travail participent à la mise en place et à la consolidation des conduites

d’hypertravail. L’hypertravail, pour les personnes qui connaissent ce processus, ça se

vit en groupe, en communauté, au travers de relations interpersonnelles très

significatives et passionnantes au travail : « tu trouves d'autres passionnés avec toi, tu

en parles le midi, et il y a Facebook maintenant, donc c'est une espèce de tourbillon.

Et honnêtement, je trouve ça le fun d'être dedans » (Vincent). Ces milieux de travail

sont ainsi propices à des rencontres marquantes, avec des personnes qui partagent des

affinités et des intérêts similaires. Elles s’apparentent alors bien plus à des relations

amicales qu’à des relations entre collègues :

« Je rencontre des gens avec qui j'ai beaucoup d'affinités, il y a un genre

d'esprit de famille (…). Et il y a des gens, on parle beaucoup de musique,

toutes les passions qui peuvent être connectées à ça… j'ai presque

l'impression d'être revenu à l'école en fait. » (Vincent)

Les liens avec les membres de l’équipe de travail sont souvent très forts et très

solides. Plus que la somme de relations individuelles très satisfaisantes avec chacun

des membres de l’équipe, c’est l’esprit de groupe, de clan, qui existe au sein de

l’équipe de travail qui renforce la dynamique interrelationnelle entre les personnes.

L’importance que revêtent ces relations de « gang » est telle qu’elles contribuent

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significativement à leur bonheur au travail et à leur investissement dans cette sphère

de vie, comme en fait part Vincent : « J'ai la chance d'être tombé sur une gang, ça

fait longtemps qu'ils se tiennent ensemble, on se tient et c'est une super belle relation.

Et ça, c'est principalement la raison qui fait que je suis là » (Vincent).

Un peu de la même façon, les relations avec le superviseur sont très satisfaisantes et

ne se limitent pas exclusivement à des enjeux professionnels. Perçue comme une

personne-ressource de confiance, voire un mentor, la relation avec la ou le

superviseur déborde du cadre professionnel : « mais ma mentor, justement avec qui

on parlait de plein de choses, de sa vie personnelle, de la mienne aussi, on est devenu

hyper proche en fait (…) » (Hubert). Cette relation s’inscrit alors davantage dans une

relation de « maître-élève », marquée par l’admiration de l’élève pour son maître :

« Ma boss travaillait énormément et c'était quelqu'un que j'admirais au plus haut

point » (Florence).

Le développement de relations amicales avec les personnes du milieu de travail (ou,

dans le cas de Gabriel, des amis qui deviennent des collègues) n’est pas sans effet sur

la vie hors-travail. En raison de la proximité des liens qui les unissent à leurs « amis-

collègues », l’empiètement du travail sur les temps prévus pour la vie extra-

professionnelle est fréquent. De façon anodine, même en vacances, on en vient à

discuter du boulot, des buts et des objectifs poursuivis en commun, ainsi que de

l’avancement des projets :

« Parce qu'à un moment donné, j'avais comme tendance à tout mêler, tsé

mes amis, ma job. J'ai plein d'amis qui travaillent chez YYY avec moi. J'ai

des amis que j'ai fait rentrer là aussi fait qu’à un moment donné, ça

devient tout entremêlé fait que des fois je suis en vacances mais j'appelais

«ouin pis? Ça vas-tu bien telle affaire?» (Gabriel)

Il devient alors de plus en plus difficile de départager les différents temps de vie et de

maintenir séparée la vie professionnelle de la vie personnelle. Les frontières

deviennent de plus en plus poreuses au point où les distinctions entre vie personnelle

et vie professionnelle s’estompent: les sorties entre « amis » sont saisies pour discuter

du travail et, inversement, les rencontres de travail peuvent être propices aux

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discussions amicales et plus personnelles. De toute façon, d’un point de vue

individuel, cette vie sans temps départagé répond généralement assez bien à leurs

attentes et propose un mode de vie qui leur convient :

« Bien en fait ma vie personnelle s'est longtemps mélangée avec mon

travail (…) et, dans le milieu du divertissement (jeux vidéo), les party, les

5 à 7 et tout ça c'est très fréquent. Les invitations à plein de choses on en

a. Donc, pour une fille célibataire c'est génial, c'est jetset, il y a plein

d'affaires excitantes, on fait la fête, on ne paye même pas, donc c'était une

bonne chose. » (Évelyne)

La relation qui s’établit avec les « amis-collègues » et le « mentor-superviseur » en

est aussi une de soutien. Pour faire face aux moments critiques qu’ils rencontrent

dans la mise en œuvre de leurs projets professionnels et dans l’atteinte de leurs

objectifs de travail, rien n’apparaît plus précieux que le soutien des personnes

significatives du milieu de travail. Il permet de solliciter un « reflet » sur le vécu au

travail, de se sentir compris, d’échanger sur les difficultés professionnelles

rencontrées et d’obtenir une plus grande confiance en soi :

« Mais je pense que les coéquipiers, l'équipe ça fait beaucoup ça. Je la

vois encore ma mentor, des gens avec qui j'ai été proche au niveau du

travail et je pense qu’on fait sortir la pression en jasant avec les gens. Je

pense que c'est là où j'ai eu le soutien. Parce que je pense que tout le

monde en a besoin à certaines périodes critiques. C'est sûr, il y a des

moments où tu es hyper stressé, où tu doutes vraiment de toi-même. »

(Hubert)

Ce vécu relationnel très positif avec les collègues de travail a toutefois des effets

pervers. Par le jeu d’une révision de la place et de l’importance accordées à leurs

diverses relations, certaines personnes en viennent progressivement à mettre un peu à

distance les relations développées dans les sphères extra-professionnelles. En

recentrant leurs relations interpersonnelles significatives autour des « amis-

collègues », elles opèrent ainsi ce qu’on pourrait appeler un transfert relationnel de la

vie personnelle vers la vie professionnelle qui, ultimement, est propice à maintenir la

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conduite de fort investissement temporel au travail. Car au final, c’est toute la vie qui

en vient à être centrée autour du travail :

« J'aime ça être pas loin du travail, tu n'es pas loin de tes affaires. Tu ne

perds pas trop de temps à perdre, à ne rien faire. Tes amis sont au travail

ou pas loin du travail, tes amis n'habitent pas loin non plus, on dirait que

ça… c'est comme un genre de petit écosystème qui…. » (Vincent)

Des rôles et des engagements hors-travail repoussés

C’est aussi, au niveau positionnel, au regard des rôles et des engagements hors-travail

que s’observe un tel transfert vers la vie professionnelle, où les positions occupées

dans la vie personnelle et les attentes des milieux extra-professionnels qui en

découlent sont modulées de façon à favoriser le maintien de la conduite

d’hypertravail. Deux exemples particulièrement éclairants sont ici relevés.

Le premier exemple est celui d’Évelyne, dont la vie professionnelle est tellement

exigeante et épanouissante qu’elle en vient à repousser constamment son désir de

s’investir dans d’autres rôles de la vie hors-travail, comme celui de devenir mère et

d’avoir un enfant. Mentionnons d’emblée que ce projet n’est pas récent. Il y a environ

cinq ans, Évelyne avait dû le reporter en raison du surtravail. Son conjoint avait alors

mis en doute sa capacité à pouvoir répondre aux attentes qui découlent de ce rôle de

nouveau parent tout en poursuivant sa carrière professionnelle :

« Puis avec mon chum, quand la question du bébé était revenue, on

essayait quand même, malgré tout on essayait puis, à un moment donné,

une journée, il a dit : je n'en veux pas, tu travailles trop, puis c'est moi qui

va être pogné pour gérer le bébé, puis moi je n'en veux pas, je ne veux

pas me retrouver à être toujours en train de manquer du boulot : ta job,

t'as une job trop folle, comment tu vas faire pour avoir un enfant là-

dedans. » (Évelyne)

Ainsi, par les réserves qu’il émet, son conjoint fait reposer la décision finale d’avoir

ou non des enfants (ou d’autres enfants dans le cas du conjoint de Florence) sur la

personne en situation d’hypertravail, qui doit d’abord accepter de réduire son

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investissement au travail et l’importance du rôle professionnel dans sa vie.

Aujourd’hui, à presque 39 ans, Évelyne est toujours partagée entre ces différents rôles

et pourrait envisager de renoncer à s’investir dans de tels engagements significatifs

hors-travail, dont la parentalité. Alors que sa carrière est encore très prometteuse, elle

n’est plus du tout certaine de vouloir des enfants compte tenu de son engagement

affectif et temporel très fort dans la sphère professionnelle :

« Donc je suis vraiment partagée en ce moment. Il y a un côté de moi qui

est carriériste, qui arrive à un niveau où ça pourrait débloquer encore

plus, mais si j'ai un bébé ça va tout bloquer, ça va… puis je suis partagée

mais en même temps je vais avoir 39 ans. Faut que je me déniaise. (…)

fait que c'est vraiment une année difficile où il y a des choix qui doivent

se faire. » (Évelyne)

L’exemple de Vincent est un peu différent mais tout aussi éclairant pour comprendre

la mise à distance des rôles extra-professionnels (et, par le fait même, la réduction des

attentes des milieux extra-professionnels vis-à-vis de ces rôles) en raison du fort

engagement dans le rôle professionnel. Vincent a aussi le projet d’avoir un enfant et

de fonder une famille. Il est conscient que son mode de vie actuel, en raison du

nombre d’heures alloué au travail, n’est pas propice à la concrétisation d’un tel

projet : « Ce que je sais, c'est que j'aimerais avoir des enfants et qu'il faut que tu

fasses la place à ça à un moment donné » (Vincent). Toutefois, il souhaite y jouer un

rôle plus en retrait, plus secondaire, où il n’y aurait pas de sacrifices pour sa carrière.

Or, puisque sa conjointe est tout autant investie que lui dans sa vie professionnelle,

les discussions relatives à la venue d’un enfant et les négociations entourant les

attentes envers chacun des membres du couple « est un sujet de friction en ce

moment » dans son couple :

En fait, ce qui est difficile, c'est de conjuguer les ambitions et les horaires

de deux personnes à forte tendance de travail. (…) Et la question : est-ce

que je serais prêt à dire je prends un an pour que la femme travaille et

que j'élève un enfant, je ne pense pas. Je sais que c'est un gros sacrifice

(pour elle), mais je ne me vois pas père à la maison. Je ne me vois pas

comme ça (rire). Disons les choses franchement. » (Vincent)

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Dans les couples où les deux conjoints travaillent de longues heures, la répartition des

rôles occupés par chacun d’eux dans la concrétisation des projets conjugaux et

familiaux peut ainsi être source de fortes tensions ou de conflits. Et si Vincent affirme

que la qualité de sa vie repose sur plusieurs sphères et non uniquement sur le travail,

cela est vrai en autant que ses engagements hors-travail ne viennent pas bouleverser

son engagement au travail. Malgré le projet de fonder une famille, Vincent souhaite

maintenir de façon assez intégrale son modèle de vie actuel et la manière dont il

alloue ses ressources temporelles entre ses différentes sphères de vie. Au point où

celui-ci se dit prêt à réviser son engagement amoureux, si besoin est, pour pouvoir

accomplir ses ambitions professionnelles et maintenir son projet de fonder une

famille :

« Oui, je valorise mon travail, et pas qu'un enfant ce n’est pas important

mais, pour moi, c'est une méchante commande de renoncer à ça (à mon

travail). C'est pour ça que la discussion qu'on a présentement, à savoir si

c'est compatible pour nous deux, m’amène à m’interroger si je serais

mieux d'être en couple avec quelqu'un qui elle, ça ne lui dérange pas de

mettre sa carrière en veilleuse un peu. » (Vincent)

La vie familiale (enfants) est ainsi clairement perçue ici comme un empêchement de

l’accomplissement de la vie professionnelle.

Au final, on peut dire que cette relation d’emploi est bien plus qu’une relation

d’emploi aux yeux des personnes qui la vivent. Très englobante, elle permet de

combler des besoins individuels qui ne concernent pas uniquement le travail ou la vie

dans l’organisation mais des besoins liés à l’ensemble de la vie. En mettant en place

une culture et des conditions de travail qui incluent des mesures liées aux autres

sphères de vie (ex. sport), ces organisations viennent empiéter sur les domaines de vie

personnelle. C’est ce qui amène Vincent à dire que le travail, pour lui, c’est bien plus

que le travail :

« Je n'ai pas juste l'impression qu'au travail, je fais juste remplir la petite

barre «travail» et juste avoir un petit signe de piastre à la fin de la

journée. J'ai eu du fun, j'ai rencontré des gens, j'ai eu l'occasion de

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discuter, de – on a même un gym donc je peux même faire du sport.

Aujourd'hui à 2h30, je me suis entraîné avec l'entraineur, on a fait une

demi-heure, j'ai décroché. Et je reviens ce soir, là on se rencontre, mais si

je quitte le bureau, j'ai travaillé oui, mais j'étais avec des gens que j'aime,

j'ai discuté de mes passions, j'ai fait du sport et je me suis gardé en forme.

Donc j'arrive à la maison et j'ai eu une bonne journée. » (Vincent)

Dans un tel contexte, il est peu surprenant de constater que le travail occupe une place

centrale dans leur vie, comme nous le verrons maintenant.

6.1.2.4 L’importance du travail et de l’organisation renforcées sur le plan

individuel

Un rapport au travail très positif, à la recherche d’une reconnaissance absolue

Le rapport au travail développé par les personnes concernées par ce cas-type renvoie

le plus souvent (mais pas seulement) au « tout au travail », au point où de l’aveu de

certains, l’importance et la place qu’occupe le travail dans leur vie tombent dans le

registre du « trop » : « je pense quand même que le travail prend beaucoup de place.

Peut-être même un petit peu trop » (Hubert) ; « Ça prend trop de place » (Gabriel).

Cependant, paradoxalement, ils ne s’en plaignent pas. Selon l’évolution de leurs

passions dans la vie et au travail, ils pourraient même en accroître l’importance : « Je

n'ai pas peur du travail et ce n'est pas ça qui me dérange, quand je suis passionné du

truc, je vais y aller à fond et je pense que je passerais la nuit à programmer un truc si

je savais programmer parce que j'aime ça » (Hubert). Dans ce dernier extrait, est

aussi exprimé le caractère courageux qui est accolé aux travailleurs et travailleuses

fortement investis au travail. « Être » en hypertravail, c’est aussi montrer sa force de

caractère, c’est montrer son courage et qu’on n’a pas peur des défis, qu’on domine le

travail bien plus qu’on est dominé par lui. C’est un rapport au travail qui est très

émotif et l’importance qu’il revêt sur le plan psychologique apparaît indéniable.

Pour ces travailleurs et travailleuses, le travail contribue de façon importante à leur

valorisation personnelle et est structurant de leur identité. Il remplit des fonctions

psychologiques essentielles telles que l’épanouissement et le dépassement de soi, de

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même qu’il permet de renforcer l’estime de soi et le regard positif des autres vis-à-vis

de soi :

« Je pense que c'est vraiment de l'accomplissement, du dépassement de

soi, pour moi c'est vraiment ça. Pourquoi tu fais tant d'heures… c'est de

te prouver que tu es capable de le faire, que tu es bon. Pour moi c'est

vraiment de l'estime de soi. » (Hubert)

La reconnaissance personnelle qu’il est possible de tirer d’un tel investissement au

travail fait en sorte que le regard des autres – des personnes significatives au travail

et, aussi, de l’organisation (hiérarchie) – apparaît très important pour ces personnes.

Ils évoquent par ailleurs à quel point les compétences et habiletés développées au

travail leur permet d’être reconnu comme individu. Travailler de longues heures, c’est

montrer son ardeur au travail, c’est montrer son courage : « On le fait parce qu'on a

le projet à cœur. Parce qu'on a le projet à cœur puis on veut aussi montrer ce qu'on a

dans le ventre » (Martin). À travers cette démonstration de courage s’exposent des

qualités personnelles qu’ils souhaitent justement mettre en visibilité dans leur milieu

de travail, comme celle par exemple d’être des « travaillants », et d’être reconnus

comme tels auprès des personnes significatives dans leur vie professionnelle :

« Pour moi, c'est vraiment rattaché à la performance, à.... au sérieux que

je mets là-dedans. De dire : pour moi, ce n’est pas une joke mon travail,

je prends ça au sérieux et je veux que les gens autour de moi perçoivent

ça aussi. En fait, c’est très important ce que les autres vont penser de

moi. » (Florence)

La vie professionnelle est au cœur de leur existence, au cœur même du sens qu’ils

donnent à leur vie. Ils en ont un besoin presque vital pour sentir qu’ils existent aux

yeux des autres et pour se sentir exister. Pour tenter de combler ce besoin, ils

n’hésitent pas à investir de longues heures au travail, souhaitant ainsi obtenir une

reconnaissance certaine de leur investissement au travail :

« Peut-être que j'ai l'impression qu'on va m'oublier, ou peut-être que j'ai

l'impression que, c'est ça. J'ai l'impression que je ne pourrai pas me faire

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320

valoir (…). Puis j'ai l'impression que je ne peux pas envisager la vie sans

avoir toute cette reconnaissance-là, ou cette visibilité-là, ou… Fait que

c'est ça. » (Jean)

Manifestement, ces sujets donnent le meilleur d’eux-mêmes dans cette sphère :

« Parce que je crois que je suis investie à 200% » (Évelyne). Il s’agit d’un rapport

strictement positif au travail, où le plaisir apparaît tellement fort qu’il en occulte son

caractère pourtant contraignant : « demain matin, je me lève pour aller au travail, je

m'en vais là pour avoir du fun puis «tripper» et faire ce que j'aime dans la vie »

(Louis). S’ils sont moins investis dans les autres sphères de vie, cela ne les rend pas

insatisfaits. Ces travailleurs et travailleuses n’ont pas le sentiment de renoncer à des

aspects de la vie personnelle importants pour eux malgré le fort investissement

temporel au travail.

Un avenir souhaité au sein de l’entreprise, des projets personnels reportés

Cette vie au travail vécue avec autant d’engagement et de satisfaction mène peu à peu

les personnes à entrevoir une carrière intéressante dans l’entreprise et à accorder une

plus grande importance à leurs ambitions professionnelles. Les nouveaux défis et

opportunités proposés, susceptibles de favoriser leur progression de carrière à

l’interne, sont jugés favorablement :

« Ma patronne s'en va en congé de maternité et m'a offert de la remplacer

durant son congé. Donc là, j'ai une décision à prendre par rapport à ça.

Donc il y a une possibilité dans le fond, d'évolution vers de la gestion

d'équipe puis de la direction, ce qui est très bien, ce qui est super

valorisant, définitivement. » (Florence)

Ce rapport optimiste à l’avenir est renforcé par les événements positifs vécus depuis

l’entrée dans l’organisation et par son mode de fonctionnement, notamment en ce qui

a trait à l’organisation du travail par projets. Cependant, dans un milieu très

compétitif où les places sont fortement recherchées, ils doivent continuer à travailler

fort pour maintenir leur place dans l’organisation.

Page 342: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

321

Si l’avenir professionnel est prioritaire et apparaît relativement positif, l’incertitude

plane quant à la possibilité de mettre en œuvre et de réaliser les projets personnels. Ce

sont surtout les projets personnels majeurs et susceptibles d’avoir un impact sur le

mode de vie, comme celui d’avoir un enfant, qui apparaissent difficiles à articuler

avec ceux poursuivis dans la vie professionnelle, comme nous l’avons vu

précédemment. Plusieurs d’entre eux entrevoient ainsi difficilement la réalisation de

leurs projets personnels en raison des heures consacrées au travail. Pour ceux et celles

que ça concerne, cela implique des réflexions profondes et intimes qui portent sur des

choix de vie difficiles.

Somme toute, ce processus de suraffiliation organisationnelle repose sur une

dynamique intersubjective forte entre l’individu – selon ses projets et ses désirs

formulés dans la sphère professionnelle – et l’organisation. L’inscription dans ce cas-

type paraît relativement bien vécue par les sujets mais soulève tout de même des

préoccupations relativement à l’effritement observé des relations et des projets

poursuivis dans la vie hors-travail au profit des relations et des projets poursuivis

dans la vie de travail.

Page 343: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

322

6.1.3 Troisième cas-type : Des conduites d’hypertravail défensives

dans un contexte de mise à l’épreuve organisationnelle

Le troisième cas-type reflète un processus de construction de conduites d’hypertravail

plus défensives, dans un contexte de mise à l’épreuve organisationnelle. Tout comme

pour le cas-type précédent, les niveaux positionnel, idéologique et de la tâche et de

l’organisation du travail sont fortement en cause mais, comme nous le verrons, pas

exactement pour les mêmes raisons. Si le processus de suraffiliation organisationnelle

fait état d’une proximité certaine entre le « système » de l’individu et celui de

l’organisation, le processus de mise à l’épreuve organisationnelle montre, quant à lui,

un écart de plus en plus marqué entre les valeurs et attentes de l’individu et le

système social organisationnel dans lequel il s’insère. Cette confrontation mène peu à

peu l’individu à opérer une transaction intra-individuelle vers un renforcement des

priorités hors-travail et des objectifs extra-professionnels, de même que vers un

éloignement « affectif » du travail dans sa vie, malgré les longues heures de travail. Il

est somme toute le plus contraignant et le moins « heureux » des trois cas-types

observés.

Huit salariés et salariées de notre échantillon sont associés à ce cas-type (N=8 ;

23,5%), dont six hommes et deux femmes. Provenant majoritairement du secteur des

services informatiques (6 sujets sur 8 ; 75% contre 41,2% pour l’ensemble de

l’échantillon), ces salariés et salariées ont pour la plupart moins de cinq années

d’ancienneté chez leur employeur actuel. En ce qui concerne leur niveau de

qualification, on retrouve autant de diplômés universitaires (4) que de diplômés du

collégial et du secondaire (4).

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323

Figure 7: Processus de mise à l'épreuve professionnelle et hypertravail défensif

6.1.3.1 Événements et étapes charnières : un départ difficile à l’origine d’un plus

fort investissement au travail

Emplois précaires et pertes d’emploi : un début de parcours chaotique menant

vers un maintien correct en emploi

L’analyse des événements depuis l’entrée sur le marché du travail fait ressortir que

plusieurs ont vécu des difficultés dans les premières années de leur parcours

professionnel. Pour bon nombre d’entre eux, ces premières années tracent une ligne

un peu chaotique de la vie professionnelle ; entre les choix d’études qui n’aboutissent

pas à la carrière espérée (Daphnée va abandonner sa maîtrise en sociologie ; Olivier

va renoncer à sa carrière en musique) et les petits boulots qui se cumulent en début de

parcours, l’incertitude et l’insatisfaction plombent l’enthousiasme lié à l’entrée sur le

marché du travail. Surtout que leur premier emploi en lien avec leur domaine

d’activités actuel (qui n’est pas toujours celui du premier emploi) s’avère le plus

souvent précaire, déqualifié et insatisfaisant : « j'ai pris une job à temps partiel qui

était de vendre des ordinateurs. Alors j'ai dit je ne peux pas moisir ici toute ma vie

Conduite

hypertravail

Culture compétitive

Hypertravail comme

norme dans l’organisation

Forte surcharge

Org. du travail peu flexible,

très contraignante

Carence de reconnaissance

Forte attentes du milieu

de travail d’en faire

toujours plus

Niveau idéologique Niveau org. travail Niveau positionnel

Parcours chaotique vers maintien

correct en emploi

Le travail, « une job »

Plus grande importance envers

vie hors travail

Projets personnels importants

Carrière hors de l’organisation

Niveau intra-individuel

Soutien psychologique des

proches

Importance des relations et des

rôles hors travail

Niveau interindividuel

(et positionnel hors travail)

Page 345: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

324

(…) » (Daphnée). Ainsi, contrairement aux sujets regroupés dans le cas-type

précédent, ces sujets n’ont pas fait le choix des services informatiques et du

multimédia en raison de leur passion à l’égard de ces domaines. Il s’agit davantage

d’un choix rationnel, et même dans quelques cas au regard de l’échec de leur premier

choix de carrière, plus proche de leurs aspirations personnelles.

Cette période d’intégration plutôt chaotique sur le marché du travail, qui exige de

cumuler des petits boulots précaires et/ou peu qualifiés avant de trouver un premier

« vrai » emploi dans leur domaine de formation, s’étire entre un an et demi à cinq ans

environ. Une fois insérés dans leur domaine de qualification, d’autres événements

perturbateurs imprévisibles, tels que des fins prématurés de contrat, des mises à pied

soudaines ou encore des réaffectations non souhaitées, peuvent venir ternir les

premières années de leur parcours professionnel :

« On m'a enlevé de l'équipe dans laquelle j'étais pour me mettre dans une

autre équipe de travail, j'étais en R & D et on m'a mis en secteur

production, puis le lendemain matin je me présente au travail, je vais voir

mes collègues et là je vois une personne à ma place. Une autre personne

de l’entreprise à ma place, alors qu'on m'avait dit que mon mandat était

terminé parce qu'on avait plus besoin de mes services. Donc là tu te

poses… c'est un peu ambigu. » (Samuel)

Des événements perturbateurs externes qui précipitent l’entrée dans

l’hypertravail

Pour les salariés et salariées de ce cas-type, des événements perturbateurs externes,

par exemple des changements organisationnels ou des bouleversements économiques,

contribuent au développement des conduites d’hypertravail.

Pour Samuel, la crise économique de 2008 s’est avérée être l’élément déclencheur qui

l’a mené à un plus fort investissement temporel au travail. Quand certains travailleurs

de son entreprise se sont retrouvés chômeurs en raison des congédiements

économiques, il entreprend alors de nombreuses démarches à l’interne, auprès des

superviseurs et de la haute direction, pour tenter de conserver son emploi. Cette

Page 346: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

325

stratégie pour maintenir sa place dans l’organisation fonctionne et lorsqu’un nouveau

mandat très exigeant lui est proposé, il lui apparaît impossible de refuser : « Ils en ont

mis cinq à pied et ensuite, ils m'ont appelé moi en disant, ça te tentes-tu le projet x?

Si j'avais refusé, je pense qu'ils m'auraient mis à pied » (Samuel). Percevant l’épée de

Damoclès au-dessus de sa tête et se disant prêt à faire n’importe quelles tâches pour

conserver son emploi, il acceptera ce mandat difficile, qui le précipitera dans

l’hypertravail :

« Et le deuxième vraiment changement de vision professionnelle ça été il

y a deux ans juste après la crise où ils ont mis toutes ces personnes-là au

chômage où, dans les semaines, je courais de département en

département, « as-tu quelque chose à faire, veux-tu que je passe le balai,

est-ce qu’il faut mettre des pastilles dans les boîtes, faut-tu identifier des

boîtes. » (Samuel)

Pour d’autres comme Alain et Katherine, le temps supplémentaire non rémunéré et

régulier coïncide avec l’entrée dans une industrie, un nouveau domaine d’activités :

« Je dirais que dans le domaine de la consultation, ça a toujours été présent »

(Alain). Ils exposent les mécanismes concurrentiels et économiques qui justifient les

longues heures de travail gratuites, de la surfacturation des clients au système de

profitabilité et de redevances des entreprises multinationales :

« Quand tu es dans une entreprise internationale, il y a des profits que tu

dois retourner à la maison-mère. Dans le cas de YY, ça c'est de l'argent

que tu n'as pas pour investir sur les personnes qui travaillent pour toi

(pour payer les heures supplémentaires). C'est le jeu des compagnies

internationales. Tu dois retourner une partie des profits au siège social. »

(Alain)

S’ils acceptent cette situation plutôt volontairement et sereinement au départ, entre

autres pour faire leur place dans ce domaine professionnel et au sein de

l’organisation, la détérioration de l’environnement de travail et le poids des

contraintes organisationnelles, de plus en plus lourdes, vont progressivement mener à

des conduites d’hypertravail « défensives », en réaction à une situation

Page 347: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

326

potentiellement menaçante pour eux. Ce sont justement ces contraintes

organisationnelles que nous allons décrire dans les prochaines pages.

6.1.3.2 La détérioration de l’environnement de travail et le poids des contraintes

organisationnelles

Le poids des contraintes organisationnelles est important, pour ce cas-type, dans le

développement et le maintien des conduites d’hypertravail. Si au départ l’adoption de

telles conduites était a priori plutôt volontairement consentie par les salariés et

salariées, la plupart du temps pour assurer le maintien en emploi, la détérioration de

l’environnement de travail en force le maintien à plus long terme, bon gré mal gré.

Resserrement du contrôle financier, ressources organisationnelles élimées, attentes de

la hiérarchie d’en faire « toujours plus », pression au rendement et surcharge de

travail sont autant d’éléments rapportés par nos sujets qui illustrent la détérioration de

leur environnement de travail, propice au maintien des longues heures de travail non

rémunérées.

Une idéologie organisationnelle fondée sur la compétitivité, la disponibilité et le

surtemps

Nous constatons d’emblée que l’environnement idéologique organisationnel est

favorable à la normalisation de l’hypertravail. Les règles et les pratiques

organisationnelles relatives au temps de travail incitent à faire des heures

supplémentaires non rémunérées et la culture compétitive, développée principalement

autour d’un discours de « conquérant », repose sur les valeurs du surpassement de soi

et de l’exigence d’une très grande disponibilité envers son travail et son organisation.

Dans le domaine des services informatiques et des technologies de l’information,

plusieurs normes et pratiques informelles favorisent l’allongement des heures de

travail. L’une de ces pratiques consiste à laisser le salarié prendre lui-même en charge

sa formation continue. Constamment en évolution, alors que les outils de travail sont

continuellement déclassés et remplacés, travailler dans ce secteur oblige bien souvent

les personnes à se former rapidement sur le tas, à comprendre de nouveaux logiciels

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327

et à apprendre de nouveaux codes et langages informatiques. Pour Olivier, pourtant

embauché par le même employeur depuis 3 ans et demi, il apparaît normal et habituel

de ne pas comptabiliser le temps où il considère être en formation (ce qui veut dire,

dans son cas, où il ne se sent pas complètement compétent avec un outil de travail ou

avec un logiciel). Il préfère ainsi ne pas « facturer » les heures « non productives »

pour l’employeur ou le client : « Normalement je le fais, parce que bon. Je considère

que je donne un peu de temps personnel car je considère que je suis en formation »

(Olivier).

N’est certainement pas étranger à cette pratique le fait que, dans plusieurs entreprises

du domaine des services informatiques, le temps de travail requis pour réaliser un

mandat est négocié directement entre l’employé et le client. Cette situation pose alors

un problème comportant une double facette pour les salariés et salariées : ils doivent

justifier leur temps de travail vis-à-vis d’un client qui exige non seulement obtenir le

meilleur prix possible mais qui, de plus, n’est pas en mesure d’évaluer le nombre

d’heures de travail nécessaire pour réaliser le mandat ou le service demandé.

Comptabiliser moins d’heures évite alors bien des discussions non désirées :

« Des fois c'est un peu touchy28 aussi comme je te disais. C'est parce que

c'est du temps qui est chargé au client. (.. .) Fait que moi des fois je

préfère… ça me tente pas de m'obstiner, de voir le client qui dit «oui mais

pourquoi tu as mis tant d'heures là-dessus?» Puis ce n'est pas toujours

aussi évident d’expliquer à quelqu'un qui ne connaît pas l'informatique

que des fois ça a l'air de quelque chose de vraiment simple, mais ce n'est

pas tout le temps si simple que ça. Des fois, je préfère mettre moins de

temps (sur ma feuille de temps). » (Olivier)

Un autre indice de cette idéologie organisationnelle fondée sur le surtemps repose sur

la comparaison avec les autres groupes de travailleurs. Les longues heures de travail

sont non seulement normalisées dans l’organisation mais des comportements encore

plus extrêmes sont observés : « Regarde, les superviseurs ce sont des exécutifs, des

vice-présidents, ces gars-là sont branchés sur leur Black Berry 7 jours sur 7, 24

28 Délicat, épineux.

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328

heures sur 24, c'est greffé après eux-autres » (Jacques). Tout compte fait, malgré les

longues heures de travail, ces salariés et salariées en viennnent à juger leur

situation « pas trop mal » :

« (…) les chargés de projets travaillent énormément. (…) des fois je

partais à sept ou huit heures le soir, puis souvent ils étaient encore là.

Puis j'ai remarqué que c'est toute du monde divorcé. Puis, sans blague

[rire], la majorité ce sont des workaholics. » (Olivier)

La culture compétitive dans laquelle s’inscrit la plupart des salariés et salariées

contribue aussi à créer un environnement idéologique favorable au surtravail.

Poursuivant une mission qui reflète la performance et l’excellence, le discours des

entreprises oriente les actions des personnes vers l’atteinte d’un objectif

organisationnel idéalisé, entendu ici comme étant presque inatteignable : « la mission

de l'entreprise, c'est d'être présent partout dans le monde et dans tous les secteurs

d'activités, c'est de mettre sa technologie en place » (Samuel). À la fois fiers d’être

identifiés à une compagnie qui se positionne comme un leader national ou mondial

dans leur domaine d’expertise (« on est très fier de dire qu’on a vendu notre énième

produit à la Nxxx »), ils se sentent par ailleurs aussi manipulés et dupés par

l’organisation (« c’est du brainwashing ») et dénoncent ouvertement la culture

organisationnelle et les stratégies managériales utilisées pour favoriser le

surinvestissement des travailleurs. Ils dénoncent parfois plus spécifiquement la mise

en avant de valeurs liées au dépassement continuel de soi, ou

« d’hyperfonctionnement de soi » (Aubert, 2006), qui met au premier plan

l’hyperefficacité avant la qualité.

Surcharge, contraintes organisationnelles et faible reconnaissance

Au niveau de la tâche et de l’organisation du travail, ce cas-type a pour particularité

de présenter un déséquilibre entre la charge de travail perçue et la reconnaissance

organisationnelle obtenue.

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329

D’un côté, la charge de travail est importante et tient, selon les salariés et salariées

concernés, dans des temps souvent trop courts, parfois même improbables. Plusieurs

parviennent difficilement à réaliser le travail à faire dans les délais prescrits et vivent

régulièrement un sentiment d’urgence, n’ayant pas suffisamment de temps pour

accomplir toutes les tâches qu’elles ont à faire compte tenu des délais imposés. C’est

bien ce dont témoigne Olivier ci-contre :

On me donnait quatre jours pour faire telle affaire, puis j'en prenais sept,

huit. [Petit rire] Puis là ben câlic, je trouvais ça…, je capotais. J'arrivais

chez nous, je me disais «câlic, ils vont me mettre à la porte. Ça ne marche

pas. » (Olivier)

Considérant les délais restreints, ils doivent alors agir vite, plus vite. Quitte à rendre

un travail de moins bonne qualité (« Je n'aime pas faire les choses à moitié mais je

fais les choses à moitié » (Daphnée)) ou à dépasser les délais prescrits. Or, la mise en

situation d’urgence, où le travailleur se trouve vis-à-vis de délais difficiles à atteindre,

semble faire partie des façons de faire habituelles de certaines entreprises, tel que va

le constater Olivier. Car dans son cas, même s’il lui arrive de prendre deux fois plus

de temps que prévu pour réaliser son mandat ou sa tâche, cela ne menace ni son

emploi ni ses compétences dans le domaine informatique : « (…) je me suis rendu

compte qu'à un moment donné, après un certain temps, je me suis rendu compte que

ma job était assurée là. Je n'avais pas à m'en faire. Ça allait super bien » (Olivier).

On comprend alors que le sentiment d’urgence est créé volontairement et indûment

par l’employeur et est « utilisé » pour accélérer la cadence de production bien plus

que pour punir les retardataires et répondre à une réelle urgence.

Face à un tel débordement et devant l’impossibilité à remplir toutes les exigences du

travail malgré les heures supplémentaires, une des stratégies individuelles souvent

mises en place par les travailleurs et travailleuses consistent à apprendre à gérer leur

temps et leurs priorités : « Mettez-moi une grosse pile sur le dos, je vais juste pouvoir

en faire « tant ». Je gère des priorités » (Jacques). Si le mandat apparaît difficile à

remplir, ce sont aussi tous les « à-côtés », ces tâches non prévues qui s’ajoutent à la

planification bien serrée de la semaine de travail ou en extra au mandat pour lequel ils

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330

sont embauchés, qui contribuent à créer une importante surcharge de travail : « (Ma

charge de travail) est élevée pour ce projet-là. Maintenant très élevée pour tous les

autres petits projets qui gravitent autour de ce projet-là » (Samuel).

De l’autre côté, le dispositif de reconnaissance et de récompenses mis en place par

l’organisation est également propice au surinvestissement au travail, non pas parce

qu’il repose sur un système de récompenses généreux et attrayant pour les travailleurs

et travailleuses, comme dans le deuxième cas-type identifié, mais plutôt parce qu’il

les place dans une situation où ils se trouvent en mal de reconnaissance. Au regard de

l’évaluation de leur rendement depuis leur entrée dans l’entreprise, plusieurs ne se

sont pas toujours sentis à la hauteur et ont exprimé des inquiétudes par rapport à leur

avenir. Inquiets, ils ont craint ou reçu, à un moment ou à un autre, une évaluation

négative de leur rendement. Ces évaluations négatives contribuent à nourrir un

sentiment d’échec.

« Sauf que j'ai tellement travaillé en 2006 qu'il y a eu une décision à

quelque part, ils ont dit « il coûte trop cher on va lui donner une

mauvaise cote » et puis ça je l'ai encore sur le cœur après toutes ces

années-là, je leur ai coûté tellement cher que là ils ont dû se dire que je

n’étais pas efficace. Il y a quelqu’un quelque part qui a dit on lui donnera

pas trop d'augmentation cette année-là. » (Jacques)

Les évaluations et récompenses qu’ils reçoivent ne répondent pas aux attentes de

certains d’entre eux et elles sont souvent perçues comme injustes ou inappropriées au

regard de leur dévouement au travail et de la complexité des mandats qu’ils doivent

souvent, dans l’urgence, réaliser. Bien souvent, ce ressenti négatif force à augmenter

les efforts au travail pour tenter d’en diminuer la portée. Se dégage ainsi une spirale

du surtemps où les travailleurs et travailleuses tâchent de répondre à une demande de

travail toujours plus élevée et, en s’investissant davantage, tentent par ailleurs

d’obtenir une meilleure reconnaissance de leurs efforts et de leur rendement. Ne

voyant pas leurs efforts reconnus, ils redoublent d’ardeur au travail, espérant que ces

efforts seront remarqués la prochaine fois. Et, si d’autres vivent un peu mieux un tel

dispositif d’évaluation (et affirment obtenir une certaine reconnaissance malgré tout),

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331

les récompenses de diverses natures, financières, liées à la carrière ou

psychologiques, comme les félicitations, demeurent le plus souvent assez minimes :

« je n'ai pas eu d'augmentations de salaire fulgurantes ni de promotions mais ça me

convient. Je n'ai pas eu de bonus dans mon équipe non plus » (Katherine).

Des attentes très élevées du milieu organisationnel à l’égard du rôle

professionnel

Les attentes élevées provenant du milieu organisationnel (niveau positionnel)

contribuent aussi au développement et au maintien de la conduite d’hypertravail pour

ce cas-type. C’est plus précisément la pression hiérarchique du « toujours plus » qui

est le plus fortement mise de l’avant, alors que les attentes de la direction et des

superviseurs sont élevées en termes d’optimisation des ressources et de résultats

attendus.

Rappelons que cette attente organisationnelle du « toujours plus » renvoie

généralement au contexte économique difficile et à la dynamique de la concurrence

internationale. Face à la « guerre économique » que se livrent les entreprises de ces

secteurs (et tout particulièrement celui du secteur des services informatiques qui

fonctionne sous l’octroi d’appel d’offres au plus bas soumissionnaire), les salariés et

salariées sont invités à fournir d’excellents résultats mais sans toujours détenir les

ressources suffisantes pour accomplir le mandat : « On s'attend à des résultats qui ne

sont pas à la hauteur des investissements, et des investissements salariaux aussi »

(Daphnée). Comme les gestionnaires considèrent que les employés profitent de

« bonnes conditions de travail », il est attendu que ceux-ci « fournissent le maximum

d'efforts au travail » (Katherine). Bref, ils sont nombreux à rapporter le caractère

presque irréaliste des attentes des superviseurs et de la haute direction.

Un peu dans la même veine, « l’immobilisme professionnel », qui consiste

essentiellement à conserver, dans la durée, le même poste et/ou les mêmes tâches et

responsabilités, est dévalorisé par les gestionnaires : « il fallait que l'on se fixe des

objectifs pour qu'on sorte de notre zone de confort » (Samuel). Ainsi, les salariés et

salariées sont invités par leurs superviseurs à repousser continuellement leurs limites

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332

au travail en acceptant, voire en multipliant, les nouvelles responsabilités et les

nouveaux mandats. Ainsi, « sortir de sa zone de confort » et, par le fait même, de

« l’immobilisme professionnel », devient une certaine forme de prescription

hiérarchique pour « voir jusqu'où tu es capable d'aller » et pour « voir ce que tu es

capable de faire » (Olivier). Suivant cette logique, il peut arriver que le nouveau rôle

professionnel occupé vienne solliciter des compétences que ces travailleurs et

travailleuses n’ont pas, les obligeant à s’autoformer constamment et à travailler le soir

et les fins de semaine pour parvenir à répondre le plus possible aux attentes et aux

responsabilités liées à ces rôles.

Les relations interpersonnelles au travail : mise à distance et éloignement

La qualité et l’importance des relations interpersonnelles au travail ont généralement

évolué au cours des dernières années. Le plus souvent, les sujets ont opéré un

éloignement vis-à-vis des relations développées avec les collègues et le superviseur.

De fait, si les relations avec les collègues ont pu être très amicales et structurantes à

une période de vie pour certains d’entre eux, ceux-ci préfèrent dorénavant revoir la

place et l’importance de ces relations afin de les recadrer dans un rapport plus

professionnel, qui suppose notamment une séparation plus nette entre la vie

professionnelle et la vie personnelle :

« (…) tout le monde se connaissait, le vendredi je pouvais aller faire un 5

à 7 avec mes collègues de travail, j'allais jouer au basket avec des

collègues de travail, il y avait vraiment cette dynamique-là : tu

commences ta semaine le lundi à 8h00 et tu termines le dimanche à 5

heures, en ayant vu tout le temps les mêmes personnes. (…) Depuis cet

été non, j'ai décidé de tirer un trait sur ces choses-là parce que je veux

aussi me concentrer sur mes nouvelles responsabilités de père et surtout

que j'ai une écoeurite aiguë de l’entreprise. » (Samuel)

Les relations deviennent parfois plus tendues pour d’autres. Certains ont pu traverser

des moments difficiles sur le plan relationnel, le plus souvent avec le superviseur :

« À l'époque, les relations avec mon superviseur étaient difficiles, il me faisait perdre

confiance en moi. Face à lui, je me sentais nulle, c'est pour ça que je mettais autant

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333

d'efforts » (Katherine). Ces relations s’inscrivent ici dans une dynamique

d’affrontement susceptible de dégénérer en conflit. Devant constamment chercher à

prouver sa valeur à son superviseur, Katherine croit nécessaire d’allonger un peu le

temps de travail pour prouver à ce dernier qu’il a tort et qu’elle est en mesure

d’exécuter adéquatement et efficacement son travail. En raison de ces relations

difficiles, elle préfèrera mettre à mise à distance les relations développées dans le

cadre professionnel.

6.1.3.3 Redéfinition de ses valeurs et priorités de vie et revalorisation des

engagements extra-professionnels et des sphères de vie hors-travail

Les contraintes organisationnelles ainsi que les déceptions et difficultés vécues au

travail semblent renforcer l’importance de la vie hors-travail, comme le démontrent la

valorisation des rôles extra-professionnels et le désir de s’investir plus fortement dans

des projets hors-travail pour l’avenir. De fait, la vie hors-travail demeure importante

malgré le fort investissement temporel au travail et les sujets de ce cas-type tentent

souvent tant bien que mal de préserver leurs activités extra-professionnelles et de

protéger la qualité de leur vie hors-travail. Ce dilemme douloureux, entre la vie

professionnelle et la vie personnelle, les confronte suffisamment dans leurs valeurs au

point d’ébranler leur modèle de vie et de susciter des réflexions profondes sur leur

avenir et sur leurs priorités de vie. D’un côté, ils veulent bien faire sur le plan

professionnel, au sein d’une profession qualifiée et à plusieurs égards stimulantes. Ils

veulent préserver leur réputation dans l’organisation et sur le marché du travail, être

reconnus pour ce qu’ils font et surtout être en mesure de remplir honorablement les

mandats qui leurs sont confiés. De l’autre côté, ils ne veulent pas renoncer à leurs

projets hors-travail, ni renoncer à leurs activités et à leurs engagements extra-

professionnels. Pour tenir cette conduite de fort investissement temporel au travail,

c’est alors tout un processus de redéfinition de leurs valeurs (surtout leur rapport au

travail) et de révision de leurs priorités de vie pour l’avenir qui, sur le plan intra-

individuel, est amorcé.

Page 355: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

334

Conflits dans la conciliation travail/vie personnelle et satisfaction à l’égard de la

vie hors-travail

Lorsque l’on s’attarde à la conciliation et à la satisfaction des différents domaines de

vie, l’analyse met en évidence deux éléments importants. Premièrement, l’articulation

des différentes sphères de vie n’a pas toujours été facile et ces personnes n’ont pas le

sentiment de s’investir autant qu’elles le voudraient dans la vie hors-travail. En raison

des longues heures de travail, elles doivent délaisser des projets, des activités et

parfois même des sphères de vie entières, comme par exemple la sphère amicale ou la

sphère des loisirs. Elles vivent de l’insatisfaction à l’égard du déséquilibre ressenti,

où le fort investissement temporel au travail apparaît fortement en cause :

« Moi personnellement pour être satisfait dans ce que [inaudible] je

voudrais monter un projet de musique, de cinéma avec mes amis.

Idéalement, je travaillerais quatre jours par semaine. Puis j'ai

l'impression que ça me laisserait le temps de faire autre chose. D'être

plus créatif. Tandis que là, c'est peut-être moins évident. Parce que la

semaine souvent je suis claqué. Fait que, non! Je préférerais avoir plus

de temps. » (Olivier)

Même si ce n’est pas toujours mal vécu, comme dans le cas de Katherine, la vie de

travail et la vie hors-travail se trouvent constamment en conflit. Les activités et

objectifs poursuivis au travail viennent empêcher les activités et les objectifs

poursuivis dans les autres sphères de vie : « Il y a quand même trop de choses que je

voudrais faire en dehors du travail mais si je fais ça, je ne pourrai pas faire ce que je

souhaite au travail (par rapport à mes objectifs) » (Katherine).

Deuxièmement, les activités réalisées dans les sphères de vie hors-travail apparaissent

fortement significatives pour les personnes de ce cas-type et procurent parfois même

plus de satisfaction que les activités de travail : « Ce qui me donne vraiment

satisfaction, je pense, c'est de faire des concerts de musique, des trucs comme ça.

Ouin. Plus que le travail » (Olivier). Ces salariés et salariées tiennent beaucoup à ce

qu’elles ont développé dans leur vie hors-travail, que ce soit des activités de loisir,

des sports ou des activités familiales, et ils cherchent à les maintenir dans leur vie

malgré que cela soit difficile à concilier avec leur horaire de travail. Et si travailler 48

Page 356: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

335

heures ou plus par semaine exige souvent de réduire le temps consacré à leurs

activités personnelles, ce n’est cependant pas parce que ces activités ont pris moins

d’importance dans leur vie.

Tout compte fait, ce déséquilibre entre la vie au travail et la vie hors-travail se fait de

plus en plus ressentir. Loin d’être temporaire – un an ou deux pour se tailler une place

reconnue dans l’organisation – le fort investissement temporel au travail doit

impérativement être maintenu sous peine de perdre son emploi, voire sa réputation

professionnelle. Mais, alors que le degré d’investissement dans les activités

professionnelles est soutenu à plus long terme, l’ampleur des activités hors-travail

mises à distance durablement en raison de ce surinvestissement au travail devient

préoccupant et, surtout, insatisfaisant. Cela contribue alors à rendre encore plus

attirante et plus satisfaisante la vie hors-travail, du moins les petites périodes qu’ils

parviennent encore à y consacrer.

Le travail important mais utilitaire : « une job »

Ils sont nombreux à entretenir un rapport plus utilitaire avec le travail même si leur

vie professionnelle les stimule encore. Pour ceux-là, le travail est devenu d’abord et

avant tout une source de revenus, qui offre de bonnes possibilités monétaires pour

réaliser et accomplir les activités de la vie hors-travail. Pour ces participants, le travail

permet de « gagner sa vie », d’assurer les besoins financiers de leur famille (ex. payer

les études des enfants), de participer à des activités personnelles et sociales (comme

faire des voyages) et de « faire en sorte que tout le reste se produise » (Daphnée). Si

le travail demeure important, c’est principalement parce qu’on y consacre beaucoup

d’heures par rapport aux autres sphères de vie : « Ben veux veux pas, ça occupe

quand même une place importante dans ma vie parce qu’on passe quand même

beaucoup de temps au travail » (Olivier). Cependant, sur le plan affectif, le travail est

davantage relégué au second plan dans la vie, rattaché à la fonction de « job »

(d’emploi) bien plus qu’à une passion ou une vocation : « je dis «OK, c'est une job, je

l'aime bien, ça fait l'affaire, puis…» Mais c'est une job tsé je veux dire. C'est pas le

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336

centre de ma vie le travail » (Olivier). Autrement dit, le travail est important

temporellement mais beaucoup moins affectivement.

Katherine et Daphnée font partie de ceux et celles qui, en parlant de leur rapport au

travail, mettent en interrelations le travail et l’ensemble de leurs sphères de vie. Elles

rendent compte de l’importance du travail pour l’accomplissement de l’ensemble de

la vie :

« Pour moi le travail est important, c'est la sphère la plus importante car

c'est elle qui rend tout possible. Le travail, c'est pas mal le centre et tout

se construit autour ensuite. Avoir des revenus d'emploi me permet de

faire d'autres activités. » (Katherine)

Samuel a sensiblement le même discours, alors que la sphère professionnelle est

importante pour soutenir les autres sphères de vie : « je ne vis pas pour travailler, je

travaille pour vivre, pour payer les choses comme ça. (…) ». Le travail a donc une

valeur importante, mais pas pour les mêmes raisons que dans les deux autres cas-

types identifiés, où la fonction expérientielle et psychologique du travail est

clairement mise de l’avant. Plus instrumentalisé, le travail fait sens ici principalement

au regard de sa fonction économique et de l’accomplissement des sphères de vie hors-

travail qu’il permet. Cette instrumentalisation du travail est renforcée, dans le cas

d’Alain, par le fait qu’il doit assumer le rôle de pourvoyeur auprès de sa famille et

répondre aux attentes liées à ce rôle :

« À l'époque, comme je disais, ça prenait beaucoup de place, mais c'était

toujours un moyen et non une fin en soi. Je le faisais parce que cette

situation me permettait de faire des heures supplémentaires payées, alors

qu'aujourd'hui elles ne sont pas payées. J'étais à ce moment-là en

progression de carrière, donc une amélioration des conditions de vie de

ma famille. Étant donné que ma conjointe avait un emploi à temps partiel,

c'était mon rôle de ramener l'eau au moulin comme on dit. » (Alain)

Quelques-uns pourraient même très bien se passer du travail s’ils avaient les moyens

financiers pour le faire : « Le travail ce n'est pas important du tout, ça ne m'intéresse

Page 358: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

337

pas de travailler. Faut juste que je gagne ma vie par exemple. C'est ça le problème.»

(Jacques).

L’importance renouvelée de leur engagement vis-à-vis les rôles extra-

professionnels et les projets personnels

Si le rôle professionnel se trouve fortement en concurrence avec les rôles occupés

dans les autres sphères de vie, au regard du temps alloué du moins, ces personnes

souhaitent maintenir ces rôles significatifs qu’elles jugent importants dans leur vie

hors-travail. Elles souhaitent même accorder une plus grande place à ces rôles extra-

professionnels, voire s’engager dans de nouveaux rôles pour l’avenir. C’est le cas de

Daphnée, qui formule le projet d’avoir un enfant, mais aussi pour Samuel et Jacques,

qui veulent s’impliquer davantage dans leur rôle de père :

Mon rôle de papa, c’est important. (…) mon objectif c'est d'essayer d'être

le plus présent dans les moments les plus importants, par exemple de se

mettre sur ses deux petites jambes et de la voir faire, pour moi c'est

important. » (Samuel)

La vie personnelle apparaît ainsi importante pour l’avenir. C’est le cas de Bernard

qui, à la recherche d’un nouvel emploi, accorde une grande importance aux

conditions de travail qui lui permettront de réaliser ses projets de voyage :

« Je suis à la recherche d'un emploi qui va me permettre d'avoir des

vacances, donc un nombre de jours de vacances qui vont me permettre

d'atteindre mes aspirations de voyage, pour moi ça va être très

important. » (Bernard)

La réalisation des projets personnels apparaît donc prioritaire. Mais cette révision de

leurs objectifs et de leurs priorités pour l’avenir, liée à une nécessaire modification de

leur situation professionnelle pour les atteindre, apparaît sans conteste une opération

aussi délicate qu’incertaine.

Page 359: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

338

Un avenir professionnel à distance de la situation actuelle et une carrière hors de

l’organisation

L’avenir anticipé fait aussi l’objet d’une profonde réflexion des participants de ce

cas-type. Clairement, le statu quo est inacceptable et ils se projettent dans un avenir

plus conforme à leurs valeurs et aux objectifs qu’ils poursuivent, c’est-à-dire dans un

rapport plus équilibré entre leur vie au travail et leur vie hors-travail.

Pour atteindre un plus grand équilibre, leur avenir professionnel au sein de

l’entreprise actuelle est exclu. Les projets formulés et les attentes exprimées vis-à-vis

de la carrière se concrétiseront en dehors de l’entreprise. Excepté pour Jacques, dont

la carrière s’est développée dans la même organisation depuis près de vingt ans et à

laquelle il semble difficile de renoncer malgré la liste de récriminations envers son

employeur, tous font part d’un fort probable changement d’employeur d’ici les

prochaines années, quand ce n’est pas pour les prochains mois : « En faisant

l'abstraction d'une réorientation complète à court terme, dans les 6 prochains mois,

c'est de changer de compagnie » (Samuel). L’objectif étant bien sûr d’avoir un

emploi qui leur permette de diminuer les heures de travail :

« Mes objectifs, j'aimerais ça diminuer mes heures au travail et modifier

un peu mon rôle dans l'entreprise. Selon ce qui est possible, ça se peut

que je change d'emploi. Mais je cherche un emploi qui va toujours être

lié… je suis dans une période où je ne sais pas si je vais retourner en

consultation technique ou en gestion. Ce sont des questions que je me

pose présentement. » (Bernard)

Certains d’entre eux remettent plutôt en cause leur participation au marché du travail

à titre de salarié. Daphnée a commencé des démarches sérieuses en vue de concrétiser

son nouveau projet professionnel comme micro-entrepreneure : « je suis en train de

sonder le terrain des gens autour de moi pour partir quelque chose de manière

indépendante, à mon compte, en jeu ». Si Olivier a sensiblement le même projet, il

parvient cependant plus difficilement à en établir clairement les balises et les délais

de réalisation de même que les stratégies à mettre en œuvre pour y parvenir : « Puis

pour éventuellement peut-être plus partir à mon compte, partir une petite PME.

Page 360: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

339

L'idée ça serait de… deux ans c'est un peu court là, mais me préparer peut-être là »

(Olivier).

Si la suite anticipée de leur vie professionnelle demeure relativement floue pour ceux

et celles qui entrevoient une possible mais légère réorientation de leur parcours

professionnel, il apparaît clair qu’elle se déroulera en dehors de l’organisation. Ce

désir peut être exacerbé par des relations de travail plus difficiles, une insatisfaction

envers les conditions de travail ou d’organisation du travail ou tout simplement par

l’intérêt que suscite un nouveau domaine professionnel : « À plus long terme, je

souhaite travailler en cinéma mais je dois tout d'abord continuer à développer des

compétences dans l'entreprise pour laquelle je travaille actuellement » (Katherine).

6.1.3.4 Le soutien psychologique des proches et/ou institutionnel nécessaire

Les personnes qui vivent ce processus de mise à l’épreuve professionnelle et de

révision de leurs valeurs et de leurs priorités de vie connaissent parfois des moments

difficiles sur le plan psychologique. Pression au rendement, perte de confiance en soi

et atteinte à l’estime de soi peuvent faire surgir des symptômes d’épuisement et de

difficultés sur le plan psychologique :

« Pendant un moment j'ai trouvé ça rough, oui. C'est vrai. Il y a des

moments où j'étais vraiment, vraiment, vraiment fatigué. Il y a des

moments où c'est arrivé que je pensais démissionner. C'est arrivé plus

d'une fois. Mais bon, je ne l'ai pas fait. » (Olivier)

Ils peuvent alors surtout compter sur le soutien de leurs proches ou un soutien

institutionnel dans leur milieu professionnel (ex. direction des ressources humaines).

Par ailleurs, elles estiment ne pas être suffisamment bien soutenues par leurs

collègues et/ou leur superviseur (« Je n'ai pas reçu de soutien de mon superviseur

pour m'aider à m'intégrer, ce sont mes collègues qui m'ont aidée », Katherine). À la

différence du processus de renforcement du grand travailleur, caractérisé par l’appui

moral à la conduite d’hypertravail et par le soutien logistique du conjoint dans

l’articulation de leurs différents temps de vie (ex. tâches quotidiennes) pour parvenir

Page 361: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

340

à affronter la situation de longues heures de travail, le soutien demandé et reçu est ici

principalement de nature psychologique. Il vise surtout à soutenir la personne à

traverser les différentes épreuves et difficultés qu’elle vit au travail, pour la plupart

reliées à la situation des longues heures de travail, du problème de reconnaissance et

du déséquilibre ressenti. Par exemple, lorsque son leadership et sa capacité à mener à

terme un projet ont été ébranlés, Samuel a pu trouver du réconfort auprès de sa

conjointe, qui l’a aussi aidé à développer ses compétences en gestion et sa confiance

en soi pour faire face à la situation difficile vécue. Daphnée trouve toujours aussi une

écoute attentive auprès de son conjoint, et c’est la forme de soutien qui est la plus

précieuse pour elle :

« Dans mon couple, bien on se relate les moins bons coups du bureau en

grands détails, quand il arrive quelque chose bien, au niveau de mon

couple, c'est là le soutien parce que on se comprend bien dans ce qu'on

vit et on s'écoute bien. » (Daphnée)

Somme toute, même si elles sont a priori adoptées plutôt volontairement, du moins

comme stratégie d’intégration et de maintien au marché du travail, les conduites

d’hypertravails, pour les travailleurs et travailleuses de ce cas-type, deviennent de

plus en plus difficile à soutenir au fil des années. Il apparaît toutefois difficile de s’en

dégager (du moins face à leur employeur actuel) :

« Ce qu'on perd (si on ne fait pas toutes ces heures), c'est l'assurance

d'avoir fait complètement tout ce qu'on pouvait pour arriver à un résultat

(…) J'aurais l'impression que si demain matin je faisais une semaine de 4

jours dans cet emploi-là, j'aurais l'impression de manquer le bateau. »

(Daphnée).

6.2 Éléments de synthèse à propos des trois cas-types

Pour conclure ce chapitre, quelques éléments de synthèse sur la manière dont les

dimensions individuelles et organisationnelles suscitent et renforcent les différentes

conduites d’hypertravail seront exposés.

Page 362: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

341

6.2.1 Éléments de synthèse à propos du processus de renforcement

de l’identité de « grand travailleur » : le fonctionnement individuel

sous la loupe

Le premier cas-type a mis en relief une dynamique individuelle fortement empreinte

de l’histoire familiale et personnelle pour expliquer l’entrée dans l’hypertravail et le

développement de ce type de conduites.

Ce sont d’abord les événements vécus au début du parcours professionnel qui ont

contribué le plus à renforcer un schème de valeurs propices au fort investissement au

travail et à favoriser l’entrée dans l’hypertravail. Des événements-chocs, souvent

insatisfaisants et parfois confrontants sur le plan identitaire, ont entraîné une révision

du système des activités qui a renforcé la prédominance de la sphère du travail sur

l’ensemble des sphères de vie. Maintenant qu’ils ont trouvé une place sur le marché

du travail qu’ils souhaitent conserver, ils redoublent d’efforts pour la maintenir et

continuer leur progression dans leur domaine de spécialisation.

Ce mode de fonctionnement individuel s’enracine également dans les valeurs et les

représentations véhiculées par l’entourage familial et amical. Le fort investissement

au travail est fortement valorisé par des personnes significatives de leur vie hors-

travail et vis-à-vis desquelles les sujets sont susceptibles de s’identifier (ex. amis du

même domaine professionnel) ou d’être influencés (figure du père ou de la mère).

Enfin, si le mode de fonctionnement de l’organisation n’apparaît pas directement lié à

l’entrée dans l’hypertravail, il contribue indirectement au maintien de cette conduite.

Le fait d’œuvrer au sein d’une organisation qui offre beaucoup de flexibilité dans

l’organisation du travail, dans la gestion des horaires et des lieux de travail et qui

exige parfois de travailler selon des horaires non standards (ex. représentations lors de

déjeuners, sollicitations pour résoudre des problèmes informatiques) admet des écarts

à l’horaire normal. Ces personnes vont se saisir de la flexibilité de l’organisation du

travail pour aménager leur temps de travail et leur niveau d’implication dans cette

sphère en fonction bien évidemment des demandes et des exigences du travail (dont

Page 363: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

342

la charge de travail et les objectifs de rendement établis), mais aussi en fonction de

leurs objectifs personnels et professionnels.

6.2.2 Éléments de synthèse à propos du processus de suraffiliation

organisationnelle : un assujettissement consenti?

Le deuxième cas-type a permis de rendre compte de dynamiques conflictuelles entre

la vie hors-travail et les attentes organisationnelles qui, progressivement, ont mené à

un assujettissement « consenti » de la vie hors-travail à une suraffiliation

organisationnelle. Un des éléments importants dans ce type de processus de

construction de conduites d’hypertravail est sans contredit le développement d’une

vie hors-travail qui n’est pas hors de l’organisation. L’analyse a de fait montré à quel

point les relations interpersonnelles amicales développées dans la sphère

professionnelle et les activités personnelles encouragées et dirigées par l’organisation

(ex. gym dans l’entreprise, sorties avec les collègues, billets de spectacles offerts par

l’employeur) tendent à occuper une place de plus en plus grande : ces personnes ont

ainsi le sentiment d’avoir une vie hors-travail bien remplie alors que, paradoxalement,

cette vie hors-travail est progressivement « saisie » par l’organisation.

De la même façon, plusieurs d’entre eux ont accordé une importance de plus en plus

grande à leur rôle professionnel, au détriment des engagements et des rôles occupés

dans les milieux extra-professionnels. Ultimement, ce sont les positions occupées en

dehors du travail (positionnel) et les projets hors-travail (intra-individuel) qui sont

révisés, reportés ou annulés.

Le fonctionnement de l’organisation repose ainsi sur des mécanismes favorables à

impulser et à soutenir les conduites d’hypertravail chez l’individu. Par exemple,

l’organisation cherche à solliciter la subjectivité de l’individu notamment par la mise

en place d’une idéologie organisationnelle favorable à ce dévouement à l’organisation

et au collectif de travail. La culture du temps de travail fondée sur des pratiques

informelles est également propice aux longues heures de travail non rémunérées. Ce

système social organisationnel est ainsi renforcé par tous les acteurs de l’organisation,

Page 364: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

343

même par les salariés et salariées. Ceux-ci concourent eux aussi à la mise sur pied de

projets et de pratiques qui les engagent à consacrer plus de temps au travail, par

exemple en raison de leur passion au travail. C’est donc bien le caractère

multidirectionnel des pressions favorables à l’augmentation du temps de travail que

nous observons ici. Le fait qu’ils bénéficient d’une certaine autonomie dans

l’aménagement du temps de travail (ex. heures d’entrée et de sortie flexibles et ne

sont pas « obligés » de faire du temps supplémentaire) et qu’ils ne semblent pas

éprouver de difficultés majeures à articuler les débordements du temps de travail avec

les autres temps sociaux, contribuent par ailleurs à ce sentiment de conduites

totalement volontaires.

Dans ce contexte, la vie personnelle semble aspirée par la vie professionnelle. Non

seulement celle-ci apparaît fortement malléable, pouvant s’adapter en tout temps aux

demandes organisationnelles et à l’hyperdisponibilité temporelle attendue, mais elle

est mise au service de l’organisation. C’est le cas, par exemple, des activités

personnelles fortement développées avec les amis-collègues. Sous le couvert de

rencontres diverses, de 5 à 7 et d’événements spéciaux, ces activités hors-travail sont

propices à discuter des projets qui relèvent du travail, et à résoudre des problèmes. Il

apparaît alors de plus en plus difficile de revoir la répartition des rôles entre vie

professionnelle et vie personnelle, où la dynamique observée entre le fonctionnement

individuel et le fonctionnement organisationnel sous-tend un processus de

renforcement du travail et de l’importance de l’organisation dans la vie de ces

personnes, au point d’observer une « suraffiliation » organisationnelle.

6.2.3 Éléments de synthèse à propos des conduites d’hypertravail

défensives dans un contexte de mise à l’épreuve professionnelle : un

écart qui se creuse entre les valeurs et les objectifs de vie et le temps

alloué pour chacune des sphères de vie

Ce troisième et dernier cas-type, qui illustre le développement de conduites

d’hypertravail plus défensives dans un contexte de mise à l’épreuve professionnelle,

Page 365: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

344

est sans contredit le plus négatif selon les travailleurs et travailleuses. Trois

principaux éléments méritent plus particulièrement une attention.

Premièrement, il importe de relever la double mise à l’épreuve vécue par les salariés

et salariées. Une première, au moment de l’insertion, alors que le début du parcours

impose des transitions et des événements difficiles qui invitent à des réflexions, voire

à des remises en question importantes. Des choix d’études insatisfaisants, le cumul

d’emplois précaires lors des premières années d’insertion au marché du travail ou des

expériences professionnelles teintées par l’échec en début de parcours, peuvent

occasionner des remises en question susceptibles d’accroître le temps alloué au travail

pour tenter de faire leur place sur le marché du travail et de la maintenir durablement.

La deuxième mise à l’épreuve survient lors de l’effritement de la relation avec

l’employeur actuel, alors qu’ils ont pourtant trouvé un emploi qualifié, stimulant et

intéressant au sein d’une organisation pour laquelle ils ont accepté de relever des

défis et de participer activement à la mission proposée. Si, au départ, l’investissement

au travail était souligné et reconnu dans le cadre d’une relation plutôt harmonieuse, le

développement de la relation – en raison principalement du durcissement du discours

et des pratiques mettant à l’avant-plan la « guerre économique » dans laquelle est

engagée l’entreprise – a mené à une situation de plus en plus difficile, marquée par la

non reconnaissance de « l’effort supplémentaire » au travail et la confrontation entre

le salarié et l’organisation. On retiendra donc ici la prédominance des éléments de

contexte et des aspects plus sociaux (organisation) que psychologiques (individu)

dans l’entrée – et le maintien – de l’hypertravail. Fortement en interaction, les

différents facteurs rattachés au milieu organisationnel, tels que les attentes de la

direction, le cadre idéologique, le dispositif d’évaluation et de reconnaissance, la

charge de travail et l’organisation du travail, se renforcent mutuellement pour mettre

en place une spirale de surtemps chronique et généralisé.

Deuxièmement, les conduites d’hypertravail (appréhendées, rappelons-le, comme des

conduites volontaires) peuvent se développer et se maintenir malgré le caractère

conflictuel de la relation individu-organisation et du conflit personnel interne posé, en

termes de valeurs et d’objectifs de vie (que nous développerons au troisième point).

Page 366: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

345

En ce qui concerne l’évolution de la relation entre l’individu et l’organisation – de

plus en plus dysfonctionnelle et confrontante pour l’individu – elle reflète une

dynamique bien différente de celle « en symbiose » qui caractérise le processus de

suraffiliation organisationnelle. De part et d’autre, la relation est ambivalente et

ambiguë. Pour l’individu, l’organisation représente à la fois un des meilleurs partis

possibles et la pire des organisations. D’un côté, il se sent d’abord fortement attaché à

l’entreprise et ne souhaite pas la quitter, du moins au départ; il s’investit même

davantage dans la relation malgré les défis exigés. Il maintient ses efforts pour bien se

faire voir et se faire valoir et espère ainsi obtenir une reconnaissance de son

engagement. De l’autre côté, il dénonce peu à peu les pratiques et les actions que

l’organisation met en œuvre pour soutirer un engagement subjectif plus important et

anticipe de quitter l’entreprise. La relation qu’entretient l’organisation envers

l’individu apparaît tout aussi ambiguë et complexe. Elle laisse paraître à la fois une

glorification de la personne et son importance pour l’organisation, par exemple à

travers le discours idéologique du « conquérant ». Ce type de discours « glorifie » à la

fois les meilleurs employés et « dénigre » presque systématiquement les

performances au travail, à travers un dispositif de reconnaissance déficient.

Troisièmement, la conduite d’hypertravail semble se consolider malgré le conflit

personnel interne de plus en plus marqué, en termes de valeurs et d’objectifs

poursuivis. Si l’organisation pousse au dépassement de soi et au fort investissement

temporel au travail, paradoxalement, cela apparaît de plus en plus en contradiction

avec les valeurs de ces personnes, de même qu’avec leurs attentes et leurs objectifs de

vie. On peut présumer que la situation difficile vécue dans la sphère professionnelle

vient réaffirmer l’importance de la vie hors-travail. Elles procèdent alors à des

échanges entre leurs différentes sphères de vie : celles-ci offrent notamment des

ressources pour soutenir la vie professionnelle et ses contraintes, mais elles

fournissent aussi des lieux où le réinvestissement de la vie personnelle, plus

satisfaisante, est de plus en plus recherché en réponse aux insatisfactions et difficultés

vécues dans la vie professionnelle.

Page 367: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

346

Au final, l’analyse des éléments importants, tant sur les plans personnel que

professionnel, a montré que les motifs sous-jacents à l’hypertravail se transforment au

fil du temps et que différentes phases caractérisent ce processus lié à cette mise à

l’épreuve professionnelle. Aujourd’hui, c’est la relation prometteuse avec

l’organisation, mais aussi la pression ressentie à travailler plus, qui concourent le plus

au maintien de la conduite d’hypertravail.

Enfin, pour terminer ce chapitre qui distingue trois modes d’entrée et d’ancrage dans

l’hypertravail, nous présenterons un tableau synthèse qui permet de comparer les trois

cas-type pour chacun des facteurs et des niveaux étudiés.

Tableau 22: Regard sur les facteurs et niveaux à l’étude et comparaison des trois cas-

types

Niveaux

Facteurs

Cas-type 1 Cas-type 2 Cas-type 3 Renforcement du

grand travailleur

Suraffiliation

organisationnelle

Mise à l’épreuve

professionnelle

INT

RA

IND

IVID

UE

L

Parcours et

événements

Entre bifurcation

satisfaisante et

maintien correct

Insertion aisée et

progression dans

l’entreprise

Insertion

décevante ou

difficile

Rapport au travail

Entre « tout au

travail » et « pilier

de vie »

Entre « tout au

travail »

et « pilier de vie »

Travail important

mais utilitaire

(« c’est une job »)

Satisfaction

professionnelle relative

Forte satisfaction

professionnelle /

sentiment

d’équilibre de vie

Forte satisfaction

professionnelle /

sentiment de

déséquilibre mais

assez bien vécu

Insatisfaction

professionnelle et

sentiment de

déséquilibre entre

sphères de vie

Projets professionnels /

Clairs, en lien

avec le domaine et

les compétences

Clairs, en lien

avec une carrière

dans l’entreprise

Flous,

changement

d’employeur

souhaité

Projets personnels Peu nombreux,

mais réalisés

Peu nombreux,

repoussés

Importants, mis

en priorité

INT

ER

IN

DIV

IDU

EL

Soutien interpersonnel Soutien logistique

des proches

Pas besoin de

soutien au travail

Soutien du milieu

de travail

Soutien

psychologique des

proches

Soutien

institutionnel

Qualité des relations

professionnelles

Bonnes relations /

cordiales

Très amicales /

« fusionnelles »

Entre bonnes et

relations

conflictuelles

Page 368: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

347

Niveaux

Facteurs

Cas-type 1 Cas-type 2 Cas-type 3 Renforcement du

grand travailleur

Suraffiliation

organisationnelle

Mise à l’épreuve

professionnelle

Attentes à l’égard du

rôle professionnel

Attentes du milieu

org, surtout

autonomie prof.

Fortes attentes de

disponibilité des

collègues et

superviseur

Fortes attentes de

la direction en

termes de

résultats,

« toujours plus »

Attentes à l’égard des

rôles extra-

professionnels

Attentes de

pourvoyeur /

attentes

d’engagement,

capables d’y

répondre

Incapables de

répondre aux

attentes,

engagements

reportés

Peu d’attentes

spécifiques

IDÉ

OL

OG

IQU

E

Culture et valeurs

organisationnelles

Culture familiale /

« communau-

taire »

Culture

« familiale » : la

mise en valeur de

chaque personne

pour

l’organisation

Culture

« compétitive » :

l’idéal du

surpassement

Normes et règles

d’implication dans

l’org.

Centrées autour

d’un

investissement

« normal »

Centrées autour

du

surinvestissement

Centrées autour

du

surinvestissement

Normes et règles

d’implication selon

environnement social

Norme sociale de

l’hypertravail dans

l’entourage

L’hypertravail est

« anormal »

L’hypertravail est

« anormal »

CH

E

ET

OR

GA

NIS

AT

ION

D

U

TR

AV

AIL

Charge de travail Charge normale à

élevée

Surchage et

débordement

professionnel

Surchage et

débordement

professionnel

Flexibilité organisation

du travail et autonomie

OT très flexible OT flexible mais

« piégée », très

court délai

OT peu flexible,

très contraignante

Dispositif d’évaluation

et de récompenses

Entre dispositif

sobre et cercle

vertueux

Le cercle

vertueux

La carence de

reconnaissance et

de récompenses

******

Ce chapitre s’est attardé à distinguer et à présenter différentes dynamiques

psychosociales susceptibles de mener les salariés et salariées des secteurs des services

informatiques et du multimédia à l’hypertravail. En regard des événements charnières

vécus depuis l’entrée sur le marché du travail, du poids et des interactions de chacun

des facteurs mis sous examen ainsi que des rapports et des échanges entretenus entre

les différentes sphères de vie, ce sont trois configurations dynamiques, représentant

des idéal-types dont les sujets se rapprochent plus ou moins, qui ont été mises en

Page 369: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

348

évidence. Ainsi, l’analyse fine des processus psychosociaux qui ont mené à un tel

investissement au travail a montré qu’il existe bel et bien des résonances particulières

entre les différents niveaux d’explication en psychologie sociale. Elle a aussi montré,

sous la loupe d’une approche biographique et systémique, que le développement de

ces conduites relève bien d’un phénomène évolutif, dont les transformations

graduelles des contextes de vie professionnelle et personnelle doivent être

considérées pour en saisir toute la complexité, de même que les significations

allouées par les salariés et salariées à leur conduite.

Ces considérations d’ordre général constituent le point de départ de notre réflexion.

Au regard des éléments théoriques mis de l’avant dans la présente thèse pour

comprendre les processus de construction des conduites d’hypertravail, il convient, à

la lumière de ces résultats, d’en discuter plus abondamment certains aspects et les

nouvelles avancées théoriques qu’ils suggèrent. Le prochain et dernier chapitre

s’attèle à ce travail de réflexion et de discussion.

Page 370: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

349

Chapitre 7 : Déterminants et significations multiples:

discussion sur les formes de l’hypertravail

La compréhension que nous avons des conduites d’hypertravail au terme de cette

recherche laisse entrevoir un phénomène complexe. L’analyse à la fois diachronique,

synchronique et multidimensionnelle amène à nuancer les connaissances que nous

détenons de l’hypertravail et rend bien compte de l’originalité de l’approche que nous

avons privilégiée. À l’instar de quelques études récentes (Burke et Fiksenbaum, 2009

; Dujarier, 2006), elle montre que les conduites d’hypertravail ne constituent pas une

figure homogène. Plus précisément, il importe de saisir le développement de ces

conduites en tenant compte du poids et des interactions en jeu entre divers facteurs

psychosociaux et organisationnels et des significations données par les personnes à

leurs conduites d’hypertravail, à partir d’une perspective diachronique et

synchronique.

Les résultats obtenus nous amènent à centrer notre discussion et nos réflexions autour

de cinq apports plus spécifiques : 1- l’importance de la perspective diachronique dans

la compréhension du développement des conduites d’hypertravail et des significations

qui y sont allouées ; 2- le rôle essentiel du décloisonnement de la sphère

professionnelle et des autres sphères de vie pour développer et/ou maintenir de telles

conduites ; 3- le rôle différencié des organisations et des collectifs de travail

concernant l’entrée et le maintien dans l’hypertravail ; 4- les difficultés nouvelles

dans l’articulation des temporalités individuelles et collectives, dans un contexte

organisationnel souvent flou en matière de délimitation du temps de travail ; 5- les

implications et les effets différenciés de l’hypertravail selon le genre.

Page 371: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

350

7.1 Regard diachronique sur le développement des

conduites d’hypertravail: une compréhension renouvelée

Chercher à appréhender le « moment de passage », ou d’entrée dans l’hypertravail, a

fourni des éléments pour comprendre comment cette conduite se développe dans la

temporalité biographique et s’inscrit dans l’histoire particulière des sujets. Nous

verrons également comment les significations de ces conduites se différencient en

fonction des temporalités – passé/présent/futur – mobilisées et comment ces

significations peuvent parfois évoluer au fil du temps.

7.1.1 Des conduites d’hypertravail signifiées différemment selon les

événements professionnels vécus et les projets anticipés :

l’importance de la perspective diachronique

L’une des originalités de la thèse a consisté à appréhender le développement des

conduites d’hypertravail à l’aune des événements vécus depuis l’entrée sur le marché

du travail. Alors que les travaux de nombreux chercheurs sont fondés sur une analyse

de la situation actuelle pour comprendre le fort investissement au travail (ex. Douglas

et Morris, 2006; Feldman, 2002; Ng et Feldman, 2008), notre recherche se fonde sur

l’idée selon laquelle les conduites d’hypertravail s’inscrivent dans des dynamiques

biographiques et temporelles particulières. Ainsi, nos résultats permettent

effectivement de montrer que ces conduites prennent sources et sens au regard de

l’enchaînement des événements marquants du parcours professionnel et des objectifs

et projets professionnels et personnels poursuivis.

En ce qui a trait aux événements marquants du parcours professionnel (passé), nos

résultats dévoilent qu’une pluralité d’événements vient colorer distinctement les

parcours professionnels pouvant mener à ces conduites. Pour certains, les conduites

d’hypertravail sont adoptées dès l’entrée sur le marché du travail et s’inscrivent au

début d’une carrière fortement ascendante, le plus souvent dans une seule entreprise.

Pour d’autres, de telles conduites se développent plus tardivement et s’inscrivent à la

suite d’un début de parcours plus difficile et marqué par des ruptures. En effet, 47%

Page 372: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

351

des sujets interviewés dans cette thèse relatent que certains événements difficiles ont

été rencontrés au début de leur parcours. À la lumière des événements vécus, nous

avons observé qu’une partie des sujets peut s’investir davantage pour préserver leur

place et leur réputation dans leur entreprise (cas-type 3), tandis qu’une autre partie de

sujets le fait pour pallier une carence en termes de formation et/ou de qualifications

(cas-type 1). D’autres sujets connaîssent quant à eux un parcours professionnel

marqué par le succès (cas-type 2). Ainsi, le fait d’avoir vécu une insertion

professionnelle et un début de parcours relativement aisés ou, au contraire, plutôt

chaotiques peut, dans les deux cas, mener à l’hypertravail.

Ce résultat a deux implications, nous semble-t-il, au regard de l’état des

connaissances actuelles. Premièrement, il va à l’encontre de l’idée selon laquelle

l’engagement et le fort investissement dans la sphère professionnelle seraient

unilatéralement la résultante d’un parcours professionnel élitiste. De fait,

contrairement aux études qui affirment que les conduites de fort investissement au

travail sont associées aux carrières ascendantes (Blair-Loy, 2004; Devetter, 2008 ;

Ishiyama et Kitayama, 1994), nos résultats indiquent que la précarisation des

premières années du parcours professionnel peut aussi amener les individus à

développer de telles conduites. Deuxièmement, ce résultat indique que l’explication

des conduites d’hypertravail par la socialisation organisationnelle dans le milieu

spécifique où elles sont mises en œuvre ne permet pas de rendre compte de toutes ces

conduites. Ce résultat soutient plutôt l’idée que ce sont les changements de milieux

organisationnels, et même parfois de catégories professionnelles, qui participent

fortement à la construction des significations permettant de justifier de telles

conduites, aux yeux mêmes des sujets. Autrement dit, ce résultat étaye la thèse selon

laquelle certaines personnes structurent leurs conduites d’investissement au travail

non pas uniquement en fonction du milieu dans lequel elles sont présentement

investies et des logiques de fonctionnement propres à ce milieu, mais aussi par

rapport aux apprentissages et réflexions développés dans le cadre des expériences et

transitions qui ont ponctué leur parcours professionnel (Baubion-Broye, Dupuy et

Prêteur, 2013; Curie, 1998).

Page 373: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

352

La perspective diachronique prend également en compte les objectifs visés et les

projets anticipés (futur). Nos résultats ont montré que les objectifs ainsi que les

projets professionnels et personnels anticipés pour l’avenir servent également à

façonner, pour plusieurs sujets, leurs conduites actuelles de fort investissement au

travail. Tandis que les attentes par rapport à la carrière et les objectifs professionnels

planifiés sont souvent mis en délibération et en concurrence avec les projets et les

objectifs dans la vie personnelle, nous constatons que les objectifs professionnels,

formulés en termes de progression de carrière, apparaissent prioritaires pour l’avenir

pour plusieurs sujets (cas-types 1 et 2). Ils ont ainsi le sentiment de pouvoir choisir

leurs priorités de vie et le temps qu’il convient d’investir à la vie professionnelle et

personnelle pour atteindre les objectifs qu’ils se sont fixés.

Au final, l’intérêt d’aborder l’hypertravail à partir d’une perspective diachronique,

c’est-à-dire au regard de l’enchaînement des événements passés, présents et des

projets et objectifs futurs, est confirmé. À l’instar de Tremblay et Alberio (2013), nos

résultats indiquent que ce regard diachronique porté sur l’ensemble du parcours vécu

et des représentations d’avenir permet de mieux comprendre, sur le plan

synchronique, la conduite d’hypertravail analysée à un moment précis. Ainsi, au

regard des diverses temporalités biographiques, la conduite d’hypertravail prend des

significations variables pour les travailleurs et travailleuses. Pour le premier cas-type

que nous avons mis en lumière, l’hypertravail prend sens dans le présent. Pour ces

sujets, investir de longues heures dans leur vie professionnelle constitue le reflet de

leurs valeurs et de leurs préférences actuelles en matière d’investissement travail-

hors-travail. Cet investissement est en cohérence avec le choix d’un mode de vie qui

rend compte de la valeur centrale que prend le travail dans leur vie et du désintérêt

manifeste envers, notamment, les loisirs et le divertissement. Pour le deuxième cas-

type, l’hypertravail prend sens au regard de l’avenir et de la carrière projetée dans

l’organisation. Imbriqués dans une relation presque « fusionnelle » avec

l’organisation, ces sujets cherchent à continuer la progression de leur carrière qui

traduit le renforcement de cette relation avec l’organisation. Enfin, pour le troisième

cas-type, l’hypertravail est signifié au regard des événements passés, en regard de

Page 374: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

353

l’insertion professionnelle plus difficile vécue – afin de consolider leur place sur le

marché du travail – et est en voie d’être re-signifié.

7.1.2 De l’entrée au maintien dans les conduites d’hypertravail : une

dynamique évolutive, des conduites difficiles à « déconstruire »

Une autre constatation importante que nous permet la perspective diachronique

adoptée dans la recherche est celle de l’existence d’une dynamique évolutive entre les

facteurs contributifs à l’entrée dans l’hypertravail et ceux qui contribuent à son

maintien. Autrement dit, les résultats obtenus à partir de nos analyses des processus

de construction des conduites d’hypertravail suggèrent qu’il est important d’établir

une distinction entre les éléments impliqués dans le passage à l’hypertravail (au début

du processus) et les éléments qui soutiennent son maintien prolongé. Ces éléments

peuvent évoluer et se transformer dans le temps, selon les événements vécus et

l’évolution de la situation professionnelle et personnelle, amenant au final les sujets à

transformer les significations accordées à leurs conduites d’hypertravail.

Cette constatation est particulièrement saillante dans le cas-type 3 de mise à l’épreuve

professionnelle et d’hypertravail défensif. L’analyse diachronique montre bien que,

pour ce cas-type, le maintien d’un tel investissement temporel envers le travail

devient de plus en plus difficile à soutenir alors que l’organisation reconnaît de moins

en moins l’effort individuel dans l’atteinte des objectifs qu’elle a elle-même fixés.

Ainsi, d’une entrée relativement souhaitée et volontaire dans l’hypertravail, ces

travailleurs et travailleuses passent finalement à un sentiment de s’être fait piéger par

l’organisation. Dans ces circonstances, on aurait pu s’attendre à un certain

désengagement du travail de la part des sujets et, conséquemment, à une réduction

des heures supplémentaires gratuites. Cependant, la révision de la répartition de leurs

investissements temporels entre le travail et le hors-travail apparaît difficile pour ces

sujets. Ces derniers opèreront plutôt une re-signification de leur conduite

d’investissement intensif envers le travail, c’est-à-dire qu’ils transformeront le sens

qu’ils donnent à cette conduite. Ainsi et plus précisément pour ce cas-type, entre une

vie professionnelle très investie temporellement mais moins valorisante et une vie

Page 375: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

354

personnelle insuffisamment investie mais plus satisfaisante, la conduite

d’hypertravail devient progressivement dé-signifiée par rapport à la consolidation de

la sphère professionnelle qui la soutenait au départ, pour être re-signifiée par ce que

cet investissement au travail permet d’accomplir dans les autres sphères de vie. Nous

observons donc ici une forme d’hypertravail défensif, c’est-à-dire qui vise surtout à

préserver sa place dans le groupe de travail et au sein de l’organisation pour éviter,

par exemple, de se trouver à confronter un sentiment d’échec ou l’exclusion du

groupe ou de l’organisation, permettant ainsi de se protéger de la souffrance qui peut

découler d’un tel sentiment. Un peu différemment pour le cas-type 1, les événements

du parcours – marqué par une progression professionnelle qui tend vers l’occupation

d’emplois de plus en plus satisfaisants – ont pu également mener ces salariés et

salariées à investir davantage de temps dans leur vie professionnelle au cours du

processus. En accord avec les normes sociales de quelques autrui significatifs de leur

vie hors-travail, ils en viennent finalement à y accorder une valeur de plus en plus

centrale dans leur vie, ce qui n’était pas toujours le cas au début de leur vie

professionnelle et leur maintien en emploi.

Pourquoi les personnes du cas-type 3 ont-elles « préféré » re-signifier leur conduite et

maintenir un hypertravail « défensif » plutôt que de modifier la répartition de leur

investissement temporel entre le travail et le hors-travail? Nos résultats nous amènent

à faire l’hypothèse qu’il leur est apparu difficile de réduire leur engagement dans la

sphère professionnelle sans risquer de mettre en péril le peu de reconnaissance

organisationnelle et institutionnelle obtenue (comprise ici comme une reconnaissance

élargie : sa réputation à bien faire son travail). Pour ce troisième cas-type, un des

facteurs propice au maintien de la conduite est le désir de conserver une certaine

reconnaissance organisationnelle.

Nos résultats viennent ainsi confirmer l’importance de prendre en compte

l’interstructuration du sujet et de l’organisation pour comprendre le développement

des conduites d’hypertravail. Des modifications de l’environnement organisationnel,

un durcissement des valeurs de performance attendue dans l’organisation, par

exemple, peuvent amener le sujet à réviser ses valeurs et ses priorités de vie pour

Page 376: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

355

accorder plus d’importance à sa vie professionnelle. Du même souffle, cela vient

contredire, partiellement du moins, les thèses déterministes, telles que celles

soutenues par les modèles à hypothèses spécifiques, qui soutiennent que la présence

simultanée de certains facteurs augmente significativement le risque d’observer de

telles conduites. La thèse de Snir et Harpaz (2012), selon laquelle le fort

investissement au travail dépend soit d’un prédicteur externe (ex. demandes de

l’employeur) ou d’un prédicteur interne (ex. passion au travail), ou encore celle de

Douglas et Morris (2006), fondée sur le type de préférence individuelle à l’origine

d’un fort investissement au travail (ex. préférences pour des revenus élevés, faible

préférence pour les activités de loisir), apparaissent réductrices. De fait, celles-ci ne

prennent pas suffisamment en compte l’interaction entre les facteurs individuels et

organisationnels susceptibles de générer un tel investissement au travail, ni le rôle des

autrui significatifs pour rendre compte de l’adoption de ce type de conduites.

7.2 Saisir l’hypertravail à la lumière des échanges entre les

sphères de vie : un décloisonnement nécessaire

Un des objectifs de la thèse consistait à mieux comprendre les relations entre les

conduites d’hypertravail et les activités, engagements et priorités poursuivis dans les

autres sphères de vie. Nous nous sommes ainsi attardée dans cette étude à la manière

dont la personne développe son « système d’activités » pour appréhender les

processus de construction des conduites d’hypertravail. Les résultats que nous avons

obtenus soutiennent la position selon laquelle l’hypertravail est une conduite qui non

seulement s’élabore dans le temps, mais s’articule également de façon dynamique et

systémique avec un ensemble de sphères de vie. Ces résultats illustrent également que

des mouvements sont opérés par les sujets entre la vie professionnelle et les autres

sphères de vie, et que ces mouvements sont nécessaires pour maintenir un tel

investissement temporel au travail, comme le nous verrons maintenant.

Page 377: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

356

7.2.1 Conduites d’hypertravail et sphères de vie: décloisonnement et

perméabilité des « frontières »

L’importance de l’interdépendance entre sphères de vie pour développer ou soutenir

l’adoption et le maintien des conduites d’hypertravail est apparue indéniable dans

tous les cas-types observés : les sujets ont activé des échanges entre leurs sphères de

vie et ont opéré un décloisonnement des frontières entre le sous-système

professionnel et les sous-systèmes extra-professionnels. Nos résultats mettent ainsi de

l’avant la quasi impossibilité de maintenir un tel investissement temporel au travail

sans venir bouleverser le système des activités érigé par les sujets. Ces derniers

doivent parvenir à « dénouer » les incompatibilités, contradictions ou conflits sous-

jacents à l’occupation de rôles multiples, dans une situation de fort investissement

temporel au travail. Des sujets des cas-types 1 et 2 ont ainsi rapporté avoir écarté de

leur vie un certain nombre de leurs relations amicales afin de parvenir à maintenir

leur très fort investissement temporel actuel au travail. Ils ont également repoussé

certains de leurs engagements hors-travail pour les mêmes raisons. D’autres sujets du

cas-type 3 rapportent quant à eux avoir mis à distance leurs relations de travail pour

recentrer leur engagement relationnel dans des lieux plus positifs pour eux, où ils se

sentent davantage soutenus face aux difficultés rencontrées dans la vie

professionnelle.

Nos résultats mettent également en lumière que ce décloisonnement entre les sphères

de vie (ou sous-systèmes) opéré par les sujets obéit à une logique bien différente

selon le cas-type considéré. Pour les cas-types 1 et 3, ce décloisonnement est ordonné

et hiérarchisé, mais de manière inverse pour chacun. Pour le cas-type 1 (35% de nos

sujets), on observe une instrumentalisation de la vie hors-travail « mise au service »

de la vie au travail. L’atteinte des objectifs professionnels est prioritaire dans leur

modèle de vie et les sphères de vie hors-travail offrent des ressources pour favoriser

le maintien de leur investissement dans la sphère professionnelle et soutenir ces

objectifs. Par exemple, la sphère familiale a notamment constitué une ressource

déterminante pour aider ces personnes à maintenir leur fort investissement dans la

sphère professionnelle. Ils ont ainsi bénéficié d’un soutien moral et logistique de leurs

Page 378: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

357

proches et ont eu la marge de manœuvre nécessaire pour pouvoir renoncer à des

objectifs ou des engagements rattachés à la vie hors-travail. Pour le cas-type 3 (24%),

on observe le phénomène inverse; à savoir, une hiérarchisation qui revalorise la vie

hors-travail par rapport à la vie de travail. Autrement dit, l’individu redonne de la

valeur et de l’importance à ses engagements et à ses objectifs dans ses sphères de vie

hors-travail (par ex. accorder plus de temps à la vie familiale, faire des voyages)

malgré qu’il maintienne un fort investissement temporel au travail. Les difficultés

rencontrées pour atteindre les exigences et les attentes très élevées de leur

organisation expliquent en partie un tel décloisonnement. Ce dernier agirait ainsi

comme un mécanisme de compensation face aux contraintes professionnelles. Notre

recherche permet ainsi de constater que, lorsque l’hypertravail devient souffrant, les

sujets ne sont pas passifs et peuvent établir des échanges avec la vie personnelle en

vue de re-signifier leurs conduites d’hypertravail.

Pour le cas-type 2 (41%), le décloisonnement n’est pas la condition d’une

modification dans la hiérarchisation des sphères de vie (vie hors-travail

instrumentalisée ou revalorisée), mais plutôt celle d’une dilution ou fusion de la vie

personnelle dans la vie professionnelle. Cette dilution s’observe, d’une part, lorsqu’il

y a un transfert marqué des activités et des relations significatives hors-travail au

profit d’activités collectives et de relations significatives au travail. Cela s’observe

plus précisément par la centration des relations amicales sur le groupe des collègues.

Cette dilution s’observe, d’autre part, lorsque des engagements déterminants dans la

vie (ex. avoir des enfants) sont reportés ou abandonnés en raison de la relation

engagée avec l’organisation que les sujets ne veulent pas perdre. Les raisons du

décloisonnement apparaissent différentes; elles sont liées à la difficulté grandissante à

établir les frontières entre la vie au travail et la vie hors-travail, dans un

environnement organisationnel où les frontières en travail et hors-travail sont floues.

Ainsi, la prise en compte de la pluralité des inscriptions des sujets dans différentes

sphères de vie pour appréhender la construction et la signification des conduites

d’hypertravail a permis de mettre en lumière les diverses possibilités de participation

active de la personne à sa socialisation professionnelle et organisationnelle en termes

Page 379: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

358

d’investissement temporel au travail et dans la construction des balises temporelles

qui en découlent. Les sujets qui adoptent et maintiennent des conduites d’hypertravail

ne sont donc pas passifs face à leur socialisation : à travers les échanges et les liens

instaurés entre la sphère professionnelle et leurs autres sphères de vie, ils construisent

des significations « personnalisées » et en résonance avec leurs valeurs et les objectifs

qu’ils ont identifiés (Almudever et al. 1999).

7.2.2 Empiètement de « l’organisation-providence » sur l’ensemble

des sphères de vie : incertitudes et risques

Pour le cas-type 2, nous l’avons dit, les échanges instaurés n’amènent pas simplement

à former un système des activités où domine le sous-système professionnel : il met

plutôt de l’avant un système où la vie personnelle semble avoir été absorbée, pour ne

pas dire avalée, par la vie professionnelle. Assurément, cette dilution des sphères de

vie hors-travail dans la vie professionnelle comporte des risques et soulève des

préoccupations. Une telle dilution rend particulièrement difficile le maintien d’un

équilibre de vie satisfaisant et soutenable à long terme, alors que plusieurs salariés et

salariées du cas-type 2 déconstruisent les bases de leur vie hors-travail « hors de

l’organisation ». Nous proposons que cette dilution ou fusion de la vie personnelle et

professionnelle relève, en partie du moins, d’un empiètement « délibéré » de

l’organisation sur le terrain de la vie hors-travail. En témoigne notamment

« l’accaparement » des activités de divertissement et des services offerts aux

employés. Si de plus en plus d’organisations valorisent et encouragent le

développement personnel par le travail, nos entretiens nous ont permis d’observer que

les entreprises du multimédia ont fortement innové sur ce chapitre : instauration de

divertissements et d’activités ludiques sur le lieu de travail, organisation de sorties, de

soirées et d’activités sportives, incitation au développement de relations significatives

avec les collègues, etc. Il s’agit certainement d’une forme très poussée de prise en

charge par l’organisation d’un « développement de la personne » par le travail

(Brunel, 2008). En couvrant un très large éventail de besoins habituellement comblés

par les sphères de la vie personnelle (besoins de loisirs, de participation et

Page 380: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

359

d’appartenance) ou généralement dévolus à d’autres institutions sociales (besoins en

matière de santé, de services de garde des jeunes enfants), les organisations

développent une emprise préoccupante sur leurs salariés et salariées, et ce, bien que

ces derniers (e.g. les sujets du cas-type 2) perçoivent surtout les avantages d’une telle

offre de service de la part de l’organisation.

Quels sont les risques associés à cet empiètement d’une « organisation-providence »

sur le terrain de la vie personnelle? Qu’arrivera-t-il quand l’organisation

« pourvoyeuse » ne sera plus, alors qu’une grande majorité des activités de la

personne (ex. loisirs, sport, sorties amicales, services de garde) repose sur un système

qui ne tient qu’avec le concours de celle-ci? Comment cette personne parviendra-t-

elle à faire face à une telle transition (i.e. rupture avec l’organisation) si elle peut

difficilement compter sur les ressources d’une vie personnelle relativement

« autonome »?

Si, a priori, on peut se réjouir d’un tel engagement de l’organisation envers la

personne, en contrepartie, on peut redouter qu’elle s’ingère à ce point dans des

activités qui ne relèvent justement pas de sa responsabilité. Car pour les personnes

inscrites dans ce processus de suraffiliation professionnelle, si elles ont le sentiment

d’avoir une vie « hors-travail » plutôt bien remplie malgré les longues heures de

travail, elles sont confrontées au paradoxe que cette vie « hors-travail » repose

essentiellement sur des éléments mis en place par l’organisation et le milieu de

travail. Une telle situation menace les possibilités de déplacement subjectif et

intersubjectif du sujet, une condition pourtant essentielle pour développer des

conduites de personnalisation :

« Reconnaître et soutenir l’investissement des individus dans des

domaines de vie variés, délibérément choisis, constitue l’une des

conditions du processus de personnalisation qui suppose, notamment, la

possibilité de déplacement subjectif et intersubjectif, entre des possibles

temporels et spatiaux multiples » (Mègemont et Dupuy, 2013, p. 157).

Si presque toute la vie est encadrée par l’organisation, l’inquiétude est susceptible de

grandir devant la menace de perdre cette relation, que ce soit en raison d’un problème

Page 381: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

360

personnel ou de difficultés économiques. Face aux impacts importants pouvant

découler d’une telle perte pour les salariés et salariées sur l’imbrication de leurs

différentes sphères de vie, l’emprise des organisations apparaît renforcée.

L’empiètement aussi important sur le terrain de la vie personnelle pourrait s’avérer

d’autant plus inquiétant que ces organisations et ces milieux de travail sont très

valorisés socialement et dans le monde de la gestion (par ex. Fridenson, 2006 ;

Girard, 2008). De nombreux articles de journaux et revues ont d’ailleurs exposé les «

privilèges » caractéristiques de cette industrie qui rendent ces milieux de travail si

attrayants, surtout auprès des jeunes29. Souvent présentées comme l’avant-garde du

« new management» en raison notamment des pratiques innovatrices de gestion qui

unissent travail et vie personnelle (Girard, 2008), ces organisations – même en dehors

du secteur – sont peu critiquées. Au contraire, les sujets du cas-type 2 évoquent se

sentir, dans un tel environnement organisationnel, en parfaite harmonie entre ce qu’ils

sont comme personne et ce qu’ils sont comme travailleur. Ils considèrent ne pas avoir

besoin de mettre « leur habit » de travailleur en entrant dans l’organisation. Ils

estiment être constamment encouragés à montrer qui ils sont réellement, au travail

comme en dehors, par exemple en partageant leurs goûts musicaux avec les collègues

du bureau, ou encore en participant à des activités de loisir pendant les heures au

bureau.

7.2.3 Entre forte identification au travail et clivage identitaire

Dans un autre ordre d’idées, la construction identitaire des personnes qui

s’investissent fortement au travail apparaît importante dans le développement et le

maintien des conduites d’hypertravail et notre analyse fait ressortir l’importance de

mieux comprendre celle-ci à la lumière des contextes de vie au travail et hors-travail.

Clairement, pour les travailleurs et travailleuses du cas-type 1, l’engagement

29 Dont l’article de Gilbert Leduc paru dans Le Soleil, 31 mai 2014 : « Frima : le champion des

ressources humaines », qui relate essentiellement comment trois jeunes entrepreneurs ont entrepris de

créer « l’endroit où il serait le plus amusant de travailler au monde » : toboggan pour se rendre à la

cafétéria, tournois de volley-ball et de jeux vidéo, etc.

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361

volontaire dans la vie professionnelle et l’identité par le travail, par effet réciproque,

se renforcent. Plus ils s’engagent dans leur vie professionnelle, plus celle-ci contribue

à définir leur identité, et plus leur identité trouve écho dans ce qu’ils font de leur vie

professionnelle, plus ils sont susceptibles de s’y engager. Ce renforcement mène bien

souvent à la mise à distance – réelle ou affective – des rôles et des engagements

poursuivis dans les sphères de vie hors-travail et, progressivement, à la réduction de

la valeur accordée aux engagements significatifs hors-travail. En faisant « acte de

présence » au sein de la sphère familiale, comme l’ont rapporté certains sujets, ou en

déléguant la plupart des responsabilités parentales et domestiques à l’autre conjoint,

ces salariés et salariées fondent au final leur identité personnelle presque

exclusivement sur leur vie professionnelle.

Également, la dilution de la vie personnelle dans la vie professionnelle,

particulièrement saillante dans le cas-type 2, est aussi liée au piège d’une définition

identitaire strictement fondée sur le travail. Martuccelli (2013) suggère d’ailleurs à ce

sujet des liens entre identité et exploitation au travail. Il soutient que cette

exploitation prend une forme invisible ou déniée par le salarié qui accepte le

surtravail, et qui, partant, alloue des avantages importants à l’entreprise à son

détriment. Martuccelli définit l’exploitation de la manière suivante :

« Pour que l’on puisse parler d’exploitation, il faut qu’au sein d’un

rapport social, la part d’exploitation soit déniée ou invisible, que

l’avantage qu’en retirent les uns provienne effectivement d’un dommage,

ou d’une non rétribution, subis par les autres, et que, au moins

implicitement, nous jugions cette circonstance injuste » (2013, p. 41).

Selon lui, le salarié qui accepte volontairement le surtravail et les longues heures non

rémunérées « a vraisemblablement le sentiment de « faire » ce qu’il « est » » : inscrit

dans une quête identitaire qui le pousse à être lui-même au travail, le travail en vient

peu à peu à être associé à lui-même et l’enferme dans une définition identitaire pour

laquelle le travail est l’unique source (Martuccelli, 2013, p.42).

Le cas-type 3 se distingue des deux premiers mais n’en demeure pas moins risqué sur

le plan identitaire. C’est en effet sur le risque de clivage de la personne entre le travail

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(« faux-self ») et le hors-travail (« vrai self ») que nos résultats nous amènent à

aborder cet aspect. À partir de cette distinction opérée par Winnicott (1970), on

pourrait dire que les sujets de ce cas-type présentent une identité d’eux-mêmes qui

donne à croire que le fort investissement au travail est normal, voulu. Ils sont

d’emblée très investis dans l’organisation, participent aux événements prévus en

dehors des heures de travail, se déclarent passionnés par leur travail. Or, il s’agit d’un

« faux-self » : ces sujets cherchent surtout à s’adapter à leur environnement, à la vie

sociale, sans toujours en avoir tout à fait conscience. Ils parviennent à camoufler à

eux-mêmes comme aux personnes de leurs milieux un « vrai-self » qui, au regard des

récents événements difficiles vécus dans la sphère professionnelle (ex. critiques de

leurs performances au travail, sentiment d’échec) tend à se frayer une plus grande

place. Ils affirment finalement que le travail est moins important, une « job », et que

cela a toujours été même si leurs proches ne l’ont pas perçu comme tel. Ils cherchent

à se défaire de l’étiquette de « carriériste », valorisent les projets hors-travail au

détriment de la carrière. Si le « vrai-self » tend à émerger de plus en plus dans la vie

hors-travail, ils maintiennent en apparence leur « faux-self » dans la vie de travail. Le

risque le plus manifeste de cette « distorsion du moi » défensive est sans contredit

une grande souffrance psychologique susceptible de mener à la dépression.

7.3 Le rôle différencié des organisations et des collectifs de

travail dans la construction des conduites d’hypertravail

Fondamentalement, notre travail d’analyse s’est attaché à saisir les liens entre

l’individu et le social pour comprendre les « mouvements dialectiques » entre les

déterminismes sociaux et l’initiative des sujets dans la construction des conduites

d’hypertravail, dans le contexte actuel de la flexibilité des balises temporelles du

travail (Bouffartigue et Bouteiller, 2003 ; Bouffartigue, 2012; Martinez, 2010). Ces

conduites relèvent-elles essentiellement d’un assujettissement à l’organisation ou

révèlent-t-elles plutôt un effort de personnalisation du sujet, enfin libéré des entraves

normatives formelles du temps pour réguler ses activités et ses engagements

travail/hors-travail selon ses préférences?

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Cette question est complexe et nos résultats amènent à nuancer notre réponse. Cette

thèse montre, de fait, le rôle différencié des organisations dans l’entrée et le maintien

dans l’hypertravail, au regard de l’environnement organisationnel et des pratiques

managériales rapportés par nos sujets. Ce rôle est distinct dans chacun des cas-types

considéré, de même qu’il est rattaché différemment à la notion « d’idéal de soi » et

d’idéal au travail.

7.3.1 Environnement organisationnel et pratiques managériales :

une dimension souvent déterminante de l’hypertravail, mais de façon

hétérogène

Au terme de cette recherche, nous constatons que le rôle et le poids de l’organisation

dans le développement des conduites d’hypertravail n’est pas homogène, il s’avère

même plutôt variable.

Selon nos résultats, pour les participants regroupés dans le premier cas-type,

l’organisation n’est pas directement impliquée dans leur passage à l’hypertravail

même si elle n’empêche pas non plus son développement. Le poids des facteurs du

niveau intra-individuel (ex. un rapport du « tout au travail » et les événements du

parcours qui ont renforcé l’identité professionnelle qu’ils sont parvenus à développer)

et le rôle des autrui significatifs (valeurs et comparaison avec la famille) apparaissent

beaucoup plus déterminants du développement de ces conduites. En ce qui concerne

le rôle joué par l’organisation, nous constatons que ce sont surtout la nature de

l’emploi et la flexibilité de l’organisation du travail et d’aménagement du temps de

travail qui en ont facilité le maintien. Le fait d’occuper des emplois de professionnels,

comportant une grande autonomie dans l’organisation du travail (ex. possibilité de

déterminer les tâches) et d’avoir beaucoup de latitude dans le nombre d’heures

réalisées au travail et en dehors, permet à ces salariés et salariées de s’investir

davantage dans leur vie professionnelle.

Pour les travailleurs et travailleuses des cas-types 2 et 3 (2/3 de nos participants), le

rôle de l’organisation a été important, voire déterminant dans le passage à

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l’hypertravail. Ce rôle apparaît insidieux et illustre une forme de domination plutôt

« implicite » des salariés et salariées au regard du « système organisationnel » en

place et des dynamiques de contrôle observées. Nos résultats illustrent de fait de

nouvelles formes de contrôle repérées dans les écrits scientifiques recensés,

susceptibles de renforcer la domination psychologique et le pouvoir des organisations

sur les salariés et salariées (Berrebi-Hoffmann, 2012; Legault et Chasserio, 2010;

Malenfant et Bellemare, 2009). Par exemple, nous avons observé que le recours

systématique à des figures charismatiques – en invitant des modèles sportifs de haut

niveau à exhiber leurs exploits et à les mettre en lien avec leur caractère – pour

augmenter la motivation et justifier le dépassement de soi au travail est bien présent

dans différentes entreprises des secteurs de l’informatique et du multimédia. Un peu

différemment, nous avons également observé d’autres formes de mobilisation et de

contrôle qui s’appuient les liens interpersonnels significatifs développés au sein des

organisations (Berrebi-Hoffmann, 2012; Bichon, 2005; Mercure, 2013). En faisant

appel aux normes, aux valeurs et à des codes de comportement adoptés par les

travailleurs dans l’entreprise, les membres de l’équipe de travail se retrouvent au

cœur des pratiques de mobilisation privilégiées par les organisations. Nous avons

constaté que plusieurs des salariés et salariées, qui ont développé des liens

interpersonnels significatifs très importants avec certains de leurs collègues, vont

chercher à se conformer aux normes temporelles adoptées par le groupe. Ces

participants et participantes ont évoqué les représailles possibles – la mise à l’écart du

groupe – advenant leur non participation aux « crunch time », ces périodes cruciales

qui précèdent la sortie d’un jeu vidéo, et où les semaines de travail sont

particulièrement intenses en termes de nombre d’heures supplémentaires.

L’engagement attendu par les autres salariés et salariées dans les activités hors-

travail, par exemple dans les activités de réseautage en « 5 à 7 » (qui sont souvent

propices à discuter du travail) ou les sorties entre collègues (sur la base, par exemple,

de billets de spectacles offerts par l’organisation aux employés les plus « méritants »),

illustre également bien ce fait.

On retrouve donc bien ici des organisations de la nouvelle économie du savoir qui

attendent de leurs salariés et salariées un investissement subjectif et important au

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travail (du Tertre, 2006; Périlleux, 2001, 2003). Cet investissement subjectif, sollicité

de différentes manières tel que nous l’avons exposé ci-haut, est susceptible de cacher

une nouvelle forme d’emprise organisationnelle dont il est d’autant plus difficile de

se dégager qu’elle n’apparaît pas comme une possible domination du point de vue du

sujet (Linhart, 2011). Le discours de nos participants est particulièrement éloquent à

ce propos; la plupart d’entre eux affirment que leur fort investissement temporel au

travail est strictement volontaire (« personne ne m’y oblige »), et ce, même s’ils

reconnaissent que c’est souvent la norme dans leur milieu. Ils rapportent s’investir

dans leur vie professionnelle parce qu’ils sont passionnés par leur travail et qu’ils

souhaitent continuer de se développer personnellement et professionnellement,

soutenant du même souffle que « l’hypertravail » est la seule façon possible d’y

parvenir. Cependant, derrière ce « choix volontaire » de l’hypertravail, l’analyse

montre bien à quel point leurs possibilités réelles de choix sont extrêmement réduites,

en raison notamment des difficultés de conciliation de rôles entre la vie

professionnelle et la vie personnelle qu’ils évoquent. L’analyse montre bien

également dans quelle mesure, au sein d’un environnement organisationnel à la fois

flexible (aménagements d’horaires diversifiés, charge de travail floue) et contraignant

(une culture organisationnelle qui valorise la compétitivité, normes de temps de

travail), le poids des facteurs organisationnels influence ce « choix volontaire ».

En outre, les pratiques managériales axées sur l’excellence et sur la guerre

économique mises de l’avant par ces organisations peuvent mener les sujets très

performants et qui endossent ces critères d’excellence à une certaine dépendance

subjective vis-à-vis de l’organisation. Parce qu’ils s’y investissent affectivement (et

même « libidinalement », avec « amour »), ils dépendent fortement du regard que

porte l’organisation sur eux et sur leurs performances (Aubert et de Gaulejac, 1991).

Ils cherchent intensément à bien se faire voir et se faire valoir auprès de la haute

direction, espérant surtout une reconnaissance tacite de leur affiliation à l’entreprise –

bien plus que de leurs efforts – affiliation démonstrative de la profonde relation qu’ils

ont développée avec l’organisation.

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Ainsi, renforcés par des tactiques d’affiliation subjective à l’organisation et de

«mobilisation collective » des salariés et salariées par l’équipe de travail (Bichon,

2005), ces entreprises soutiennent un fort engagement subjectif au travail qui

s’apparente au processus d’aliénation au travail tel que soutenu par les cliniques du

travail (par ex. Dejours, 2006). Comme nous l’avons montré tout particulièrement

dans le cas-type 2 et à l’instar de d’autres auteurs (par ex. Aubert, 2003; Rhéaume,

2006), les entreprises sollicitent un dévouement « sans compter » des salariés et

salariées à leur mission. En retour, elles tentent de les « séduire » en leur promettant

des récompenses généreuses et une « existence » particulière dans l’organisation

comme en dehors, en valorisant un mode de vie « unique » et narcissique, axé sur

l’hyperactivité dans toutes les sphères de vie. Ainsi, l’organisation met tout en œuvre

pour stimuler une vie axée sur le plaisir et la jouissance, au travail comme en dehors,

avec des projets stimulants et des « à côté » hors-travail qui rendent l’existence

particulièrement effervescente. Dans ce processus de suraffiliation organisationnelle,

les idéologies d’entreprises, et particulièrement l’idéal de la grande famille et des

valeurs de développement personnel et d’affiliation à l’organisation qu’elles

soutiennent, participent ainsi directement au processus de construction des conduites

d’hypertravail. Il faut s’engager subjectivement vis-à-vis de l’organisation et de sa

mission et « démontrer » notre engagement à la « famille » de toutes sortes de

manières : être présents lors des activités importantes et être investis dans les activités

de réseautage ou de consolidation des membres, offrir un soutien aux autres

travailleurs et travailleuses de l’organisation qui font face à des échéances serrés, être

présents lors des moments plus difficiles, etc.

Si cette forme de domination des entreprises, en « faisant appel aux valeurs et aux

sentiments » des sujets, n’est ainsi pas disparue selon ce que nous ont rapporté

plusieurs participants et participantes, elle semble cependant en perte de vitesse selon

Aubert (2008). Ainsi, différemment, d’autres entreprises ne se cachent plus derrière

des valeurs et une mission porteuse de sens pour soutirer un fort investissement

temporel des salariés et salariées qu’elles emploient. De fait, nos analyses du niveau

idéologique ont aussi mis en lumière des idéologies d’entreprises « laminées, laissant

paraître à nu le caractère effréné de la logique concurrentielle qui focalise désormais

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toutes les énergies sur une exigence de performance et de rentabilité à tous crins »

(Aubert, 2008, p. 32). Sous-évaluation des coûts en réponse à des appels d’offre,

menace de pertes d’emploi en raison d’une délocalisation, réduction constante des

ressources disponibles pour effectuer le travail et appréhensions face à la valeur de

l’action en bourses de l’entreprise, comptent parmi les éléments rapportés par certains

de nos participants et participantes.

Les travailleurs et travailleuses regroupés dans le cas-type 3 du processus de mise à

l’épreuve professionnelle baignent dans un univers organisationnel qui est marqué par

une idéologie compétitive et une culture qui cherchent moins à favoriser

l’attachement à l’entreprise qu’à exacerber un « hyperfonctionnement de soi »

(Aubert, 2004). Valorisant l’adoption d’un rythme de travail effréné – à « 200 à

l’heure » – dans un contexte de pure rationalisation économique, même les

investissements temporels significatifs et gratuits des salariés et salariées ne sont plus

reconnus ni récompensés, alors qu’une partie de nos sujets se trouvent en mal de

reconnaissance malgré un investissement temporel toujours plus grand au travail.

Domine alors l’impératif d’être « hyperperformant » et de répondre aux demandes

organisationnelles avec une réactivité presque instantanée (Aubert, 2003, 2004;

Ughetto, 2007). Où l’on voit bien d’ailleurs que, malgré la souffrance occasionnée

par le maintien de cette conduite et la re-signification opérée par les sujets pour en

réduire les effets négatifs, ces derniers ne parviennent pas pour autant à se détacher de

cette exigence de forte performance et de disponibilité temporelle attendues d’eux.

Installés dans un climat d’urgence et menaçant sur le plan économique, au sein d’une

culture compétitive où il est exigé de faire toujours plus et mieux avec moins, il

apparaît ainsi impossible de réduire leur temps de travail sans menacer

significativement l’atteinte de leurs objectifs professionnels, la qualité de leur travail

et, plus globalement, leur estime de soi professionnelle. En outre, les balises floues

des horaires et de la durée du travail, conjuguées à un discours élogieux vis-à-vis des

longues heures de travail et à la mise en visibilité des « hyper-travaillants » créent un

contexte où il semble préférable d’adhérer à l’attente d’hyperdisponibilité temporelle,

même si cela occasionne des conflits internes. L’idéal-type du travailleur sans

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contraintes de temps, tel que mis de l’avant par Malenfant et Côté (2013), apparaît

donc fortement propagé dans ces organisations.

Enfin, nous avons vu à quel point certains salariés et salariées du cas-type 3 se

trouvent dans la position de plus en plus inconfortable du surtravail par « nécessité »

professionnelle tandis que se renforcent leurs valeurs et leurs priorités à l’égard d’une

vie hors-travail qu’ils souhaitent plus fortement investie (en termes de loisirs et

sports, ou sur le plan relationnel, avec leurs proches). Dans ce contexte, la flexibilité

temporelle et d’aménagement du temps de travail ne permet non seulement pas de

répondre aux aspirations individuelles et aux préférences des travailleurs, mais elle

peut par ailleurs occasionner de la souffrance et porter atteinte à leur santé

psychologique. Ce risque est d’autant plus grand que ces salariés et salariées doivent

souvent taire cette souffrance, synonyme de faiblesse dans un environnement de

travail qui glorifie les « warriors », ces « guerriers » capables de travailler de très

longues heures pendant une longue période tel que l’a évoqué un de nos sujets. Une

telle situation de « pression à l’engagement », sans égard aux désirs des salariés et

salariées, illustre ainsi une nouvelle forme de violence organisationnelle « ordinaire »

faites aux travailleurs.

7.3.2 Idéologies et idéaux organisationnels: une nouvelle conception

de l’idéal de soi ?

La poursuite d’un idéal de soi à travers l’idéal organisationnel s’est avérée importante

dans nos réflexions théoriques pour appréhender et comprendre le développement des

conduites d’hypertravail et saisir le poids des facteurs impliqués dans l’adoption

d’une telle conduite. Selon cette position, le fort investissement volontaire au travail,

vécu de manière positive et même avec une certaine forme de plaisir, peut s’expliquer

par le détournement, par l’organisation, de l’idéal de soi désormais calqué sur l’idéal

organisationnel (Aubert et de Gaulejac, 1991). Dans notre démarche empirique, nous

avons ainsi cherché à saisir si nos sujets poursuivent un idéal organisationnel / un

idéal au travail qui soutient un engagement total de soi dans le travail et, si oui,

comment l’organisation a contribué à façonner cet « idéal ».

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369

À la lumière de nos résultats, la poursuite d’un « idéal au travail » n’est pas toujours

liée à l’adoption de conduites d’hypertravail (cf. cas-type 1). Selon les sujets inscrits

dans ce cas-type, l’organisation ne tient pas un discours de « l’idéal ». Les objectifs

transmis par l’organisation aux employés apparaissent réalistes, tout comme la

mission semble concordante avec les ressources et les moyens offerts par

l’organisation pour les atteindre.

Néanmoins, il semble que la poursuite d’un tel idéal, affirmé par un discours de

l’excellence, puisse participer dans plusieurs cas au développement et au maintien des

conduites d’hypertravail, tel que l’ont observé certains auteurs (Aubert et de

Gaulejac, 1991; Dujarier, 2006; Rhéaume, 2006; Maranda et al., 2009). Toutefois, ce

phénomène ne se manifeste pas de façon homogène. Nos résultats ont montré que la

culture organisationnelle, telle que rapportée et analysée dans le discours de nos

sujets des cas-types 2 et 3, traduit bien un « déni de limites » des visées recherchées

par les entreprises des services informatiques et du multimédia. Tel qu’en ont

témoigné certains sujets, celles-ci cherchent à « dominer le monde », à « être les

meilleurs au monde », à « être présent partout dans le monde ». Pour atteindre ces

visées et pour encourager l’atteinte de cet idéal, les moyens mis en place par les

entreprises sont très variables. Dans le cas-type 2, les efforts exceptionnels seront

récompensés par des marques de reconnaissance exceptionnelles. En cas de succès

commercial et international du jeu vidéo, les bonus peuvent atteindre des centaines de

milliers de dollars, généralement répartis en fonction de l’investissement temporel de

chaque salarié. Difficiles à obtenir, les méga-bonus apparaissent toutefois, aux yeux

des salariés et salariées, à la hauteur de ce qui est attendu d’eux. De telles marques de

reconnaissance renforcent leur sentiment d’être importants, voire indispensables pour

l’entreprise, consolidant leur engagement envers l’organisation. Ils ont confiance de

pouvoir parvenir à cet idéal s’ils poursuivent leurs efforts au travail. On retrouve bien

ici des sujets « héroïques » (Dujarier, 2006; Rhéaume, 2006) qui cherchent, en

travaillant de longues heures, à atteindre cet idéal mis de l’avant par l’organisation,

envers laquelle ils ont le sentiment d’avoir développé une relation privilégiée.

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Pour les sujets du cas-type 3 cependant, l’idéal du travail proposé par l’organisation

n’est pas soutenu par des marques visant à reconnaître les efforts individuels et

collectifs déployés. Cette quête de l’idéal est plutôt soutenue par un discours

organisationnel axé sur la guerre économique (« on n’a pas le choix », « on n’aura

plus d’investissement », etc.) et donc associée à la survie de l’organisation. À la

différence du cas-type précédent, les sujets ne croient pas que cet idéal puisse être

atteint ni, surtout, qu’il dépend de leurs efforts soutenus au travail. Ils ne se sentent

pas singulièrement importants aux yeux de l’organisation. Au contraire, ils constatent

que la mission qui leur a été confiée est impossible et ils ont plutôt le sentiment

d’avoir été « utilisés », « abusés ». Face au désenchantement et à la désillusion (car

ils ont pu y croire au début), les sujets de ce cas-type s’apparentent ainsi à la catégorie

des « Pratiques » distinguée par Dujarier (2006) : s’ils ne critiquent pas les exigences

attendues d’eux et la norme dominante dans l’organisation, ils ont tout de même

« décroché » psychologiquement de ce rapport à l’idéal. Ils continuent toutefois de

« faire comme si », comme si l’idéal du travail était possible et comme s’ils

détenaient les ressources et les compétences pour l’atteindre, en réfléchissant pendant

ce temps à la manière dont ils vont se sortir de cette relation, en changeant

d’employeur ou peut-être même de profession. Le fort investissement au travail est

alors moins la démonstration d’un engagement subjectif au travail et envers

l’organisation que l’acte d’un acteur social qui a pleinement conscience des règles du

jeu, inséré dans un univers où seul l’idéal-type du travailleur fortement investi au

travail et sans contrainte de temps parvient à tirer son épingle du jeu.

7.4 Entre pratiques formelles et informelles et normes de

temps de travail : une co-construction individu-collectif-

organisation

Chercher à appréhender les processus de construction des conduites d’hypertravail

dans un contexte où les règles et les pratiques organisationnelles du temps de travail

sont très flexibles, voire même floues et paradoxales, implique de cerner plus en

profondeur le rôle que ces nouvelles règles et pratiques ont pu jouer dans le

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développement de ces conduites par les sujets. Notre analyse multidimensionnelle a

permis de jeter un regard plus approfondi sur ces « règles » et pratiques et rend

compte de nouveaux défis liés à l’articulation des temps individuel et collectif au

regard de la construction des conduites d’hypertravail et plus largement, du rapport au

temps.

7.4.1 La flexibilité du temps de travail : une arme à double

tranchants pour les sujets

Selon les informations rapportées par nos participants et nos participantes, il existe

actuellement, dans les entreprises des secteurs informatiques et du multimédia, une

diversité de pratiques et de politiques de gestion du temps de travail et de

rémunération du temps supplémentaire. À la dé-standardisation des normes de temps

de travail (Bouffartigue, 2012 ; Devetter, 2002), se couple ainsi une déstructuration

des règles et des pratiques cherchant à l’encadrer. Dans tous les cas, ces pratiques et

politiques offrent une plus grande flexibilité aux travailleurs et travailleuses, de même

qu’aux organisations. Or, les résultats de notre recherche nous amènent à constater

que la flexibilité du temps de travail est une arme à double tranchants pour les sujets.

D’un côté, cette flexibilité donne le sentiment à certains sujets d’avoir plus de

pouvoir sur leur temps individuel au quotidien. Les travailleurs et travailleuses des

cas-types 1 et 2 ont témoigné de cette maîtrise du temps malgré les longues heures de

travail. Au jour le jour, ils détiennent des marges de manœuvre pour aménager leurs

horaires et le nombre d’heures travaillées. Dans leurs organisations, le temps de

travail relève d’une gestion autonome et flexible en fonction de la charge de travail et

des impondérables liés à la tâche. Le temps supplémentaire n’est pas comptabilisé, les

règles sont floues et les politiques liées au surtemps sont peu élaborées. Ils peuvent

commencer leur journée de travail plus tard, prendre deux heures au milieu de la

journée pour se rendre à des rendez-vous personnels, etc. N’étant pas assignés à un

horaire fixe, certains soutiennent avoir la capacité de mieux répartir leur temps entre

les exigences de la vie personnelle et professionnelle et, ainsi, avoir une influence

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tangible et concrète sur l’organisation et la répartition de leur temps entre le travail et

la vie hors-travail.

Cependant, une telle flexibilité a aussi clairement contribué à allonger la journée de

travail et l’emprise du travail sur l’ensemble de la vie. En échange de cette flexibilité,

les travailleurs et travailleuses acceptent eux-aussi d’être plus flexibles, de travailler

régulièrement le soir et/ou la fin de semaine en fonction des imprévus du travail, ou

tout simplement parce qu’ils souhaitent avancer leurs dossiers et que ce moment est

pour eux bien choisi (bonne concentration, moment tranquille, etc.). Nos résultats de

recherche soutiennent ainsi l’idée selon laquelle il y aurait une tendance à «

l’individualisation » ou à la décentralisation des pratiques de temps de travail, entre

un individu, un collectif et un supérieur dans les entreprises des TIC et du

multimédia, tel que l’ont observé Chasserio et Legault (2005). Derrière cette

flexibilité, se camouffle une gestion du temps de travail fortement individualisée et

pressurisée, le plus souvent définie à partir des demandes organisationnelles. Ces

résultats vont également dans le sens de ce que suggère Thoemmes (2012) lorsqu’il

traite du changement du « temps décrété au temps négocié » dans les milieux de

travail, alors que la prise de congés et du « temps repris » fait l’objet de négociations

entre le travailleur et son superviseur. Dans le contexte productif contemporain, où

l’urgence est souvent décrétée, les travailleurs et travailleuses doivent cependant

concilier cette flexibilité avec une charge de travail de plus en plus forte, des

demandes urgentes des clients ou du superviseur, ou encore des technologies de

l’information et de la communication envahissantes.

De l’autre côté, il semble de plus en plus difficile pour plusieurs de ces salariés et

salariées de revoir la répartition du temps consacré entre la vie au travail et la vie

hors-travail à plus long terme. Confrontés à une perspective de quelques mois ou de

quelques années, les travailleurs et travailleuses des cas-types 2 et 3 ont

particulièrement témoigné de la difficulté à planifier des projets personnels en raison

du temps accordé au travail. Une fois « installé », ce modèle de vie axé sur

l’hypertravail paraît difficile à déconstruire et à « renégocier » vis-à-vis de soi-même

et vis-à-vis du milieu de travail. L’illusion du temps maîtrisé au quotidien occulte le

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373

fait que les temporalités sont à plus long terme peu maîtrisées et qu’ils pourraient

difficilement, même s’ils le souhaitaient, modifier leur investissement temporel au

travail. En cela, nos résultats rejoignent ceux de Tremblay et Arborio (2014) pour qui

« le temps de travail continue de dominer les temporalités sociales ».

7.4.2 Co-construction des normes temporelles et groupe de référence

Face à ces changements des pratiques et à cette flexibilité, la compréhension fine de

la manière dont les sujets, les collectifs et les organisations co-construisent leurs

normes de temps de travail trouve toute sa pertinence. Elle permet d’éclairer

comment les sujets signifient l’hypertravail et la façon plus ou moins volontaire dont

ils s’y maintiennent. Si certaines études défendent la thèse selon laquelle le contexte

actuel est propice à la construction de normes de temps de travail qui respectent les

préférences des travailleurs et travailleuses (par ex. Messenger, 2007 ; Peper, Den

Dulk et Van Doorne-Huiske, 2005), nos résultats, illustrant divers processus de

construction des conduites d’hypertravail, viennent nuancer cette position.

Notre analyse des normes organisationnelles et sociales de temps de travail a permis

de mettre en exergue le fait que tous nos sujets en hypertravail se retrouvent dans un

environnement organisationnel ou un environnement social dans lequel les longues

heures de travail apparaissent « normales ». Le poids de ce facteur semble donc lui

aussi particulièrement influent dans l’adoption de ces conduites, mais pas de façon

univoque. Pour les sujets du cas-type 1, ce sont les normes de temps de travail

adoptées et véhiculées par les autrui significatifs hors-travail (les proches, parents,

conjoints-es ou amis-es) qui sont apparues importantes pour le développement des

conduites d’hypertravail. Ayant pour modèles leurs parents, leurs frères, leurs sœurs,

qui connaissent pour la plupart une brillante carrière et qui sont fortement investis au

travail, la transmission générationnelle des valeurs semble clairement ici avoir

influencé le développement de ces conduites. Ces sujets adhèrent aux valeurs

familiales (ou amicales), teintées de l’effort au travail et de l’importance de cette

sphère dans la vie. Cependant, si, d’un côté, les sujets du cas-type 1 semblent avoir

intériorisé les normes propagées par leurs proches et par ces « modèles » dans leur

Page 395: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

374

vie, de l’autre côté, ils transgressent les normes organisationnelles, plutôt axées sur

un investissement au travail standard. À l’inverse, pour les sujets des cas-types 2 et 3,

les normes observées dans le milieu organisationnel semblent avoir davantage de

poids sur le développement de leurs conduites d’hypertravail. Si ces sujets tentent de

s’y conformer, leur fort investissement au travail est décrié par leurs proches et

n’apparaît ni comme une valeur ni même comme un modèle de vie souhaitable selon

eux. Le décalage entre les valeurs promulguées dans le réseau travail et le réseau

hors-travail par rapport aux longues heures de travail peut forcer l’attachement à la

norme propagée par un groupe plutôt qu’un autre, notamment au regard des

représentations, des perceptions, des objectifs et des valeurs des sujets, mais aussi des

pressions et des « coûts » qui peuvent être perçus par ceux-ci s’ils choisissent de ne

pas s’y conformer.

Un tel résultat nous amène à insister sur deux points, en plus de souligner à nouveau

l’attention particulière qui doit être accordée au point de vue des salariés et salariées

dans la signification et la construction des conduites d’hypertravail. Premièrement, la

compréhension du poids des normes dans l’adoption des conduites d’hypertravail doit

prendre en compte le groupe de référence significatif auquel s’identifie le plus le

salarié, au regard de l’ensemble des sphères de vie. Dans le cas-type 2, il s’agit

clairement des superviseurs et des « amis-collègues », avec qui ils et elles ont

développé une profonde relation, tandis que dans le cas-type 1, les proches, surtout

les parents, représentent le groupe de référence principal en matière d’investissement

au travail. Deuxièmement, l’adhésion ou la conformité à une norme n’est pas

nécessairement le reflet d’une intériorisation de ces normes. Pour les sujets du cas-

type 3, les conduites temporelles apparaissent moins comme une intériorisation des

normes de temps de travail qu’une manière de se « conformer » à celles-ci pour ne

pas être isolés ou mis à part dans le milieu organisationnel ou encore pour ne pas

attirer l’attention sur soi et sur un investissement au travail qui pourrait être perçu

comme une « faiblesse » (travailler 35-40 heures) dans un environnement où

l’hypertravail est fortement valorisé.

Page 396: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

375

Finalement, selon la signification qu’ils accordent à leurs conduites d’hypertravail,

les sujets peuvent contribuer à transformer les normes de temps de travail dans leur

organisation. Nous avons vu que la flexibilité de la gestion du temps de travail est

saisie par les sujets du cas-type 1 pour délimiter un investissement au travail

davantage conforme à leurs valeurs et à leurs désirs. En raison de la valeur qu’ils

accordent à la vie professionnelle et à leurs projets dans cette sphère de vie, ils ne se

conforment pas à la norme habituelle du milieu de travail, plus proche d’un

investissement « standard ». Ces salariés et salariées peuvent ainsi instaurer des

pressions à la flexibilisation et à l’augmentation du temps de travail dans

l’organisation.

7.5 À propos de la construction de l’hypertravail et du

genre dans deux secteurs à forte prédominance masculine

Les résultats qui sont rapportés dans la thèse nous amènent plus globalement à

réfléchir à la place du travail à l’ère des TIC, dans des secteurs à forte prédominance

masculine, de même qu’aux effets différenciés de l’hypertravail selon le genre.

D’emblée, si la taille restreinte de l’échantillon permet difficilement de faire une

généralisation, les résultats que nous avons observés ne nous permettent pas de

conclure à la présence d’un processus menant à l’hypertravail qui serait plus

particulièrement féminin ou masculin. Les huit femmes de notre échantillon sont

équitablement réparties entre les trois cas-types observés (3-3-2) et elles peuvent être

amenées à vivre l’un ou l’autre des processus identifiés.

Au-delà de ce constat général, une analyse plus fine indique toutefois que les

répercussions de l’hypertravail sur le « modèle de vie » ne semblent pas avoir les

mêmes implications pour les hommes que pour les femmes. Essentiellement, ce sont

surtout les dilemmes et les conflits internes que pose l’engagement dans d’autres

rôles de vie qui sont vécus différemment pour les hommes et pour les femmes qui

adoptent des conduites d’hypertravail et qui n’ont pas les mêmes impacts sur leur vie.

Page 397: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

376

Pour certaines femmes, la conduite d’hypertravail peut sous-entendre une forme de

contestation du rôle social assigné de la mère dévouée à ses enfants ou de la femme

chef du foyer. Pour Sandrine, affiliée au processus de développement d’une identité

professionnelle de grand travailleur, nous avons vu que la conduite d’hypertravail

s’inscrit clairement dans son parcours en réponse à son retrait prolongé du marché du

travail pour s’occuper de son mari et de son enfant – difficilement vécu – et peut en

partie s’expliquer comme une affirmation de sa place comme travailleuse dans la

société. Pour défendre cette place et continuer à construire cette identité de « grande

travailleuse », elle n’hésite pas à travailler plus et, conséquemment, à délaisser et à

transférer à son conjoint une plus grande part des tâches familiales et domestiques. Il

s’agit alors d’une façon claire de s’imposer comme sujet, d’affirmer ses désirs et ses

ambitions personnelles. Une façon aussi, plus globalement, de mener une lutte sociale

visant à préserver cette place, où l’engagement des hommes apparaît essentiel pour la

gagner. En effet, pour les femmes qui ont des enfants, il apparaît difficile de

maintenir un tel investissement temporel au travail sans obtenir un fort soutien de leur

conjoint. Un soutien qui dépend beaucoup de la situation de travail et du degré

d’investissement temporel de ces derniers : la répartition des rôles au sein du couple

et de la famille, lorsqu’un des deux conjoints travaille de longues heures

(généralement les hommes), entraîne bien souvent une baisse des activités de travail

pour l’autre conjoint (généralement les femmes) (Cha, 2010 ; 2013).

On a aussi observé que les femmes, comme les hommes, peuvent se trouver

suraffiliées à l’organisation. L’image du « travailleur idéal » fortement investi au

travail et entièrement disponible pour son travail (car libre de toutes responsabilités

extra-professionnelles) n’est pas non plus qu’une affaire d’hommes : ce cas-type

regroupe justement des femmes sans enfant30 et qui envisagent sérieusement de ne

pas en avoir. Ici encore, le fait de s’engager dans des rôles extra-professionnels aussi

importants et aussi exigeants en termes de temps que celui d’être parent – et les

conséquences anticipées de cet engagement sur la vie professionnelle – diffèrent pour

les hommes et pour les femmes. Pour les femmes, un tel choix implique

30 Puisque Florence partage sa vie avec les enfants de son conjoint.

Page 398: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

377

nécessairement une sortie relativement longue du marché du travail et est difficile à

concevoir : cela pourrait être perçu comme une forme de démission, un

désengagement susceptible d’arrêter nette la progression de leur carrière et de détruire

la relation privilégiée qu’elles entretiennent avec l’organisation. Alors qu’elles ont

travaillé tellement fort pour obtenir cette place et développer cette relation, la

question de vouloir ou non des enfants est posée et signifiée par rapport aux effets

perçus sur la vie professionnelle à un moment où cette sphère est au centre de leur

vie. Or, répondre à cette question existentielle exige de faire un travail réflexif sur ses

projections d’avenir, sur ses valeurs et sur ses objectifs de vie, un travail de

personnalisation qui peut être difficile dans un contexte de forte pression temporelle,

où l’urgence force constamment ces travailleuses à vivre l’instant présent et à se

projeter pas beaucoup plus loin que le prochain délai de livraison (Mègement et

Dupuy, 2013). Si ce choix de ne pas vouloir d’enfants est tout à fait personnel et

légitime, on peut toutefois soulever le problème que pose le contexte dans lequel ces

décisions sont prises pour les travailleuses en situation d’hypertravail. Cela nous

amène à soulever l’importance de mettre en place des conditions de travail qui

favorisent un plus grand équilibre entre la vie professionnelle et les autres sphères de

vie.

Enfin, deux femmes maintiennent des conduites d’hypertravail défensives en raison

du contexte organisationnel et des pressions au travail. Si elles ne parviennent pas

pour l’instant à se « déprendre » de l’hypertravail et s’engagent toujours vis-à-vis de

leur employeur à faire des longues heures, l’engagement anticipé dans un rôle de

parent pourra leur permettre de réviser durablement ce mode de vie, qui répond de

moins en moins à leurs attentes et à leurs objectifs. L’engagement dans ce nouveau

rôle constituera un motif suffisamment sérieux pour réduire « dignement » leur

investissement au travail sans que cela puisse être perçu comme une « faiblesse ». On

peut aussi supposer qu’elles soient nombreuses à quitter l’industrie après quelques

années ou lorsqu’elles s’engagent dans des rôles familiaux. En effet, les longues

heures de travail et la forte disponibilité temporelle que ces métiers exigent – peu

favorable à la conciliation travail-famille – pourraient en partie expliquer la

décroissance observée des femmes dans les métiers des TIC (Chartier, 2013).

Page 399: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

378

******

Cette recherche a permis de répondre à l’ambition formulée dans la thèse

d’appréhender les processus de construction des conduites d’hypertravail à partir

d’une perspective multidimensionnelle et systémique. Cette recherche vient nuancer

les définitions que nous avions du phénomène de l’hypertravail et permet ainsi de

l’enrichir au regard de l’articulation d’un point de vue diachronique et synchronique.

Nos résultats ont montré que tant les événements vécus au cours du parcours

professionnel que l’investissement des sujets dans leurs autres sphères de vie peuvent

intervenir de manière contrastée dans le développement des conduites d’hypertravail

et de leur maintien. Notre analyse montre que la signification qu’attribuent les sujets

à leurs conduites d’hypertravail est essentielle pour appréhender la construction de

l’hypertravail et que cette signification dépend notamment des événements, des

valeurs, des représentations de soi et des interactions avec les autrui significatifs de la

vie au travail et hors-travail. Ces résultats ont également montré que le rôle des

organisations et des collectifs de travail, dans l’adoption de ces conduites, se

différencie selon les caractéristiques de l’environnement organisationnel et des

pratiques managériales rapportées par les salariés et salariées. Le poids des facteurs

organisationnels est par conséquent variable selon les trois cas-types observés. Le

premier illustre davantage un processus de personnalisation (Malrieu, 2003), tandis

que les deuxième et troisième cas-types traduisent la force du processus de

socialisation, voire d’aliénation (Aubert et de Gaulejac, 1991 ; Dejours, 2004). Ces

résultats viennent nuancer certaines études qui affirment que l’organisation a toujours

un impact sur le développement des conduites d’hypertravail et que cet impact serait

uniforme (ex. Dejours, 2004). Au final, notre étude montre qu’aucun facteur ni

aucune dimension n’est à lui seul déterminant dans le développement des conduites

d’hypertravail et qu’il importe de les saisir en interaction dynamique, en tenant

compte de la manière dont ceux-ci sont signifiés par les sujets, au regard de

l’ensemble de leurs sphères de vie.

Page 400: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

379

Conclusion

Le questionnement de départ de cette thèse a émergé du constat étonnant d’une

augmentation du nombre de travailleurs et de travailleuses qui font régulièrement de

longues heures de travail, constat particulièrement saillant chez ceux et celles qui sont

rattachés aux secteurs de l’économie du savoir (De Peuter et Dyer-Witheford, 2005;

Lapointe, 2005 ; Legault et Ouellet, 2012). Aujourd’hui, entre 10 et 20% de la main-

d’œuvre travaille 48 heures ou plus par semaine (Annuaire québécois des statistiques

du travail, 2010 ; Devetter, 2008; Lee, 2007; Usalcas, 2008). Au regard de l’évolution

historique du temps de travail dans les sociétés occidentales depuis plus de 150 ans,

marquée par la diminution progressive mais constante de la durée du travail au fur et

à mesure de la croissance de la productivité, cette situation surprend (Fridenson et

Reynaud, 2004; Lallement, 2003; Thoemmes, 2000). La tendance a déjà été à ce point

lourde qu’en 1931, John Maynard Keynes, économiste américain, avait prédit que le

temps libre serait dominant, avançant même qu’en 2030, la semaine de 15 heures

serait la norme pour les travailleurs (Fridenson et Reynaud, 2004). Ajouté au fait que,

depuis une trentaine d’années, la conciliation travail-vie personnelle est devenue une

préoccupation sociale fortement mise de l’avant, la situation inverse, c’est-à-dire une

réduction du temps consacré au travail, était plutôt attendue.

Les nouveaux emplois de l’économie du savoir, plus autonomes et plus qualifiés, ont

certainement pu accroître l’intérêt des personnes à s’investir dans la vie

professionnelle (Linhart, 2008; Mercure et Vultur, 2010). Cependant, les

transformations majeures des organisations depuis plus de 40 ans – sous le poids de la

forte concurrence internationale et d’une économie mondiale capitalisée – jumelées à

des pratiques managériales ainsi qu’à des formes de contrôle des salariés et salariées

plus insidieuses, ont aussi pu inciter ces derniers à travailler plus (Berrebi-Hoffmann,

2012 ; Chasserio et Legault, 2005 ; Cingolani, 2012 a; 2012 b ; Malenfant et

Bellemare, 2009; Mercure, 2013). Or, c’est justement ce dilemme relatif aux tensions

en jeu entre les contextes sociaux et organisationnels et la volonté individuelle dans

Page 401: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

380

l’adoption de conduites d’hypertravail – c’est-à-dire un fort investissement a priori «

volontaire » au travail – qui a constitué le questionnement central de cette thèse.

Les réponses apportées par les études recensées (cf. Chapitre 2) – qui mettent en

relief différentes approches et modèles pour comprendre l’adoption de ce type de

conduites – se sont avérées insatisfaisantes à certains égards. Par exemple, celles-ci

n’ont pas permis de mettre en lumière les mécanismes favorisant l’entrée dans

l’hypertravail ni, non plus, de saisir les interactions dynamiques entre la vie

professionnelle et la vie personnelle au regard des tensions et des échanges que

suppose un tel investissement dans la sphère professionnelle.

C’est notamment pour éclairer ces angles d’études spécifiques que nous avons réalisé

cette recherche. Celle-ci a visé à mieux comprendre les processus de construction des

conduites d’hypertravail des salariés et salariées des secteurs du multimédia et des

services informatiques, deux secteurs associés à la nouvelle économie du savoir et

aux évolutions récentes des organisations (Lesemann et Goyette, 2003). Pour y

parvenir, quatre objectifs spécifiques de recherche ont été formulés. Le premier

objectif visait à analyser les événements critiques et les étapes charnières qui, au

cours du parcours professionnel, ont contribué à l’adoption de ces conduites. Le

deuxième objectif visait à appréhender le poids des facteurs psychosociaux et

organisationnels en jeu dans l’adoption de conduites d’hypertravail et à observer la

manière dont ils s’articulent entre eux pour éclairer l’entrée et le maintien en

hypertravail. Le troisième objectif cherchait à mieux comprendre les relations entre

les conduites d’hypertravail et les activités, engagements et priorités poursuivis dans

les autres sphères de vie. Enfin, le quatrième et dernier objectif consistait à examiner

les différentes significations attribuées par les sujets à leurs conduites d’hypertravail.

Pour atteindre ces objectifs et répondre à nos questions, nous avons choisi une

approche qui permet de penser l’articulation de l’individuel et du social à partir d’une

grille d’analyse multidimensionnelle (Doise, 1982) et d’une analyse systémique

étayée sur les deux modèles du système psycho-organisationnel « encadrant » la

relation employé-employeur (Aubert et de Gaulejac, 1991) et du Système des

Activités développé par les sujets (Baubion-Broye et Hajjar, 1998; Malrieu, 2003).

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381

Cet ancrage de la recherche en psychologie sociale nous a ainsi permis d’appréhender

la manière dont les individus construisent leurs conduites d’hypertravail à la croisée

d’une articulation diachronique et synchronique et à partir de cinq niveaux d’analyse.

L’approche que nous avons retenue a mis en dialogue un modèle systémique du

développement des activités (Almudever et al., 1999 ; Baubion-Broye et Hajjar, 1998

; Baubion-Broye et al., 2013 ; Curie, 2000), avec un modèle psycho-organisationnel

dit managinaire, fondé sur l’imaginaire de l’excellence (Aubert et de Gaulejac, 1991 ;

2007) pour expliquer le développement de ces conduites.

Nous avons privilégié une méthode qualitative, fortement adaptée à l’étude des

processus (Savoie-Zajc, 2002; Blanchet et Gotman, 2007; Bouchard et Cyr, 2010).

L’enquête, par entretiens biographiques, a été menée auprès d’un échantillon de 34

salariés et salariées (n=34) des secteurs des services informatiques et du multimédia

travaillant régulièrement 48 heures et plus par semaine depuis au moins une année.

La méthode d’analyse des entretiens s’est appuyée sur une démarche structurée en 6

étapes (L’Écuyer, 1990) et tous les extraits repérés ont été codifiés dans un logiciel

d’analyse.

Les résultats obtenus sont présentés dans deux chapitres distincts (cf. Chapitres 5 et

6). À partir des données brutes, le cinquième chapitre décrit la catégorisation établie à

la suite de l’analyse de contenu pour chacun des facteurs identifiés. Au regard de la

diversité des catégories observées pour chacun des facteurs, ce chapitre a permis de

montrer que les conduites d’hypertravail prennent formes dans des contextes

organisationnels et des situations de vie personnelle bien différents. Par exemple, de

telles conduites peuvent se développer qu’il existe ou non une culture des longues

heures de travail dans l’entreprise ou, encore, qu’il y ait de fortes ou faibles mesures

de reconnaissance et de récompenses. Il montre également qu’aucun facteur de la

grille d’analyse n’a, à lui seul, un poids suffisamment important pour expliquer le

développement de ces conduites.

Le sixième chapitre, à partir de cette catégorisation, distingue et reconstruit trois cas-

types menant à l’adoption de conduites d’hypertravail. Il s’agit du renforcement de

l’identité professionnelle de grand travailleur, qui rend compte d’un processus qui,

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382

au fur et à mesure de la consolidation de leur ancrage dans une position

professionnelle difficilement acquise sur le marché du travail, renforcent leur identité

par rapport au travail; d’un assujettissement progressif de la vie hors-travail à une

suraffiliation organisationnelle, favorisée par les stratégies managériales de

reconnaissance et par la cohésion groupale; et de conduites d’hypertravail défensives

dans un contexte de mise à l’épreuve professionnelle, où les sujets, confrontés à une

dégradation de leurs conditions de travail et de leur environnement organisationnel,

entreprennent un processus de révision de leur fort investissement au travail au regard

des autres domaines de vie.

Ces trois cas-types reconstruits sur la base des événements, des significations et des

facteurs déterminants dans le développement et le maintien des conduites

d’hypertravail constituent en soi une contribution importante à la compréhension de

ces conduites et justifient l’intérêt de distinguer l’hypertravail du fort investissement

au travail. Nos résultats mettent notamment en évidence la diversité des rapports entre

individu, collectif et organisation susceptibles de soutenir les conduites d’hypertravail

et de participer à leur mise en œuvre. Ils exposent également, selon une perspective à

la fois diachronique (par ex. événements du parcours professionnel) et synchronique

(entre vie au travail et vie hors-travail), les différentes significations qui peuvent être

attribuées à un tel investissement temporel au travail. Nous avons vu, par exemple,

que tant des événements positifs que négatifs vécus au cours du parcours peuvent

initier ou consolider le développement d’un « modèle de vie » fondé sur

l’hypertravail. Par ailleurs, le fait de parvenir à donner du sens à ces conduites

n’exclut pas d’être durablement confrontés à des conflits internes et des

questionnements persistants sur l’allocation de ses ressources temporelles entre

diverses sphères de vie, comme on a pu l’observer dans le cas-type 3. Les choix

théoriques et méthodologique que nous avons adoptés – visant notamment à saisir les

événements marquants du parcours professionnel (et plus largement du parcours de

vie) et la manière dont ils sont marquants pour la personne au regard de son histoire

et de l’articulation singulière de ses sphères de vie – nous ont ainsi permis d’affiner

notre compréhension des processus de construction des conduites d’hypertravail.

Page 404: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

383

On retiendra également de cette recherche le rôle important de l’entourage proximal

professionnel et extra-professionnel (collègues et équipe de travail, amis, parents)

dans le développement de l’hypertravail, réaffirmant le recul du pouvoir représenté

par un chef emblématique au profit d’un éparpillement et d’une décentralisation des

formes de pouvoir et d’influences à travailler plus. Les pressions pour allonger le

temps de travail proviennent dorénavant de ceux qui défendaient jadis, à leurs côtés,

la réduction du temps de travail. Derrière un travail « en équipe » qui laisse croire à

une forte solidarité entre les collègues, se cache une érosion des coopérations et des

forces « ouvrières » qui ont traditionnement permis aux travailleurs de se rebeller et

de lutter, ensemble, contre les demandes excessives des employeurs (Sennett, 2012).

Un peu différemment, le fait que les sources d’influence à travailler plus ne viennent

pas toujours du milieu organisationnel (l’entourage familial, bien plus que

l’entourage organisationnel, interfère dans le développement de l’hypertravail dans le

cas-type 1) soutient l’idée d’une forte intériorisation des normes managériales dans

l’ensemble de la population, parmi lesquelles l’exigence d’une plus grande

disponibilité temporelle envers l’employeur (Mercure et Vultur, 2010).

Ces résultats ont ainsi permis d’éclairer davantage de quelles manières et sous quelles

conditions un fort investissement au travail peut contribuer à la santé au travail et au

développement des personnes et des organisations ou, à l’inverse, y faire obstacle.

L’enquête empirique a aussi permis de montrer la complexité et la diversité des

processus qui sous-tendent l’adoption des conduites d’hypertravail, dans un contexte

où la nécessité de revoir les balises servant à délimiter les frontières temporelles du

travail et du hors-travail ainsi que de redéfinir en profondeur les normes et les règles

de temps de travail apparaissent indéniables. Confrontés à des libertés et à des

pressions temporelles nouvelles, les travailleurs et travailleuses des domaines des

services informatiques et du multimédia naviguent en zone floue pour établir leurs

repères temporels et décider du temps qu’il convient d’investir au travail. Pour ces

travailleurs, le temps de travail est moins prévisible, plus souple et bien souvent

enchevêtré avec les autres temps de vie. Si ces travailleurs détiennent davantage de

marges de manœuvre pour choisir les heures d’entrée et de sortie du bureau, ils le

paient souvent par un envahissement du travail sur l’ensemble de leurs sphères de vie

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384

et par un allongement parfois insidieux des heures consacrées à leurs activités

professionnelles (Cingolani, 2012; Chasserio et Legault, 2005). Peu à peu, ils en

viennent à « travailler tant qu’il le faudra » (Thoemmes, 2000), toujours disponibles

pour répondre aux demandes du travail et pour faire avancer les objectifs de

l’organisation. Loin d’en être malheureux, ils s’investissent sans compter, portés par

l’urgence et par l’adrénaline, satisfaits d’être en mouvement et constamment dans

l’action, signes de leur valeur indéniable pour l’organisation et dans le monde du

travail.

******

Pour terminer, nous nous attarderons à quelques-unes des retombées possibles de la

thèse pour les organisations et pour les individus, de même que nous identifierons de

nouvelles avenues de recherche.

Les retombées et les implications pratiques de la recherche pour les organisations : des

politiques de temps de travail efficaces pour des milieux de vie sains

Cette recherche a des implications pratiques pour les organisations. Elle invite

d’abord à une réflexion en profondeur en ce qui concerne les politiques relatives au

temps de travail à mettre en place pour assurer des conditions favorables au maintien

d’une bonne santé psychologique des travailleurs et travailleuses et à la rétention du

personnel. Premièrement, la recherche indique que, pour qu’elles soient efficaces, les

politiques de conciliation travail-vie personnelle ou de conciliation travail-famille

devraient être soutenues par une culture organisationnelle favorable à une telle

conciliation. Plus précisément, nous avons vu que les pratiques et les normes

informelles observées dans le milieu de travail influencent bien souvent les conduites

adoptées par les salariés et salariées, et ce, même si les politiques officielles

soutiennent un modèle d’investissement « standard ». Cette observation nous amène à

affirmer, à l’instar de Chrétien et Létourneau (2010), que les mesures favorisant la

conciliation du travail et de la vie personnelle, telles que la flexibilité des horaires de

travail ou la possibilité de travailler à distance, seront peu efficaces si elles ne sont

pas soutenues par une culture d’entreprise favorable à un réel équilibre entre le travail

et la vie personnelle. Pour mener aux effets attendus, ces pratiques doivent être plus

Page 406: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

385

largement soutenues par une culture et des valeurs organisationnelles qui valorisent et

respectent explicitement l’investissement structurant dans d’autres sphères de vie.

Ainsi, la présente recherche invite les professionnels de la gestion des ressources

humaines et les cadres supérieurs confrontés à la propagation des conduites

d’hypertravail au sein de leur organisation, à réviser les politiques et les règles

organisationnelles de temps de travail à la lumière des normes et des pratiques

informelles développées dans leur organisation.

Notre recherche suggère ensuite de réviser ou de développer des outils de gestion du

temps de travail plus efficaces et mieux adaptés aux nouvelles réalités du travail. En

raison de la délimitation plus difficile des balises temporelles dans les emplois de

l’économie du savoir et de la complexité des facteurs en jeu dans l’établissement des

conduites d’investissement au travail, de tels outils seraient très utiles. Ils

permettraient aux gestionnaires de planifier et de gérer plus efficacement le temps de

travail des employés sous leur supervision, pour éviter ainsi des problèmes de

surtemps chronique. Par ailleurs, la mise en place de tels outils devrait

impérativement être accompagnée de formations adéquates afin que les gestionnaires

et les cadres puissent parvenir à mieux cerner les enjeux liés à l’importance du

maintien de pratiques saines et respectueuses de l’équilibre de vie des salariés et

salariées et, également, puissent intervenir efficacement auprès de leurs employés qui

adoptent de telles conduites d’hypertravail.

Les retombées de la recherche pour les pratiques d’accompagnement individuel :

déséquilibre entre vie professionnelle et vie personnelle et nouvelles perspectives

d’intervention en psychologie et en counseling

Nos résultats suggèrent également des pistes de réflexion sur les pratiques

d’accompagnement individuel auprès de personnes qui souffrent d’un déséquilibre lié

à leur investissement entre leurs différentes sphères de vie. Ils invitent d’abors les

conseillers et conseillères d’orientation, psychologues et autres psychothérapeutes à

accorder une importance au récit des personnes afin de retracer les événements et les

contextes personnel et organisationnel à l’origine d’une telle conduite, de même que

de leur évolution jusqu’à la situation actuelle, source de souffrance.

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386

Ils suggèrent ensuite des pistes de réflexion pour aider les personnes à

« décristalliser » certaines normes intériorisées, par exemple à travers des groupes de

discussion, et à les outiller pour définir, conformément à leurs valeurs et à leurs

objectifs, un investissement conforme à leurs aspirations entre la vie au travail et la

vie hors-travail.

De nouvelles avenues de recherche

Si l’intérêt de mieux comprendre les conduites d’hypertravail à partir de l’approche

retenue est confirmé, notre recherche soulève des questions additionnelles qui ouvrent

à de nouvelles perspectives de recherche. Trois avenues nous apparaissent

particulièrement prometteuses.

La première avenue propose de confronter et d’enrichir notre modèle de construction

des conduites d’hypertravail. Notre étude, bien qu’intéressante, présente toutefois

quelques limites qui pourraient être dépassées d’au moins deux manières. D’abord, le

modèle pourrait être enrichi en réalisant une étude qualitative auprès d’une plus large

population de salariés et salariées de l’économie du savoir. Une telle étude, davantage

étendue et plus représentative des diverses catégories professionnelles et des divers

secteurs de l’économie du savoir, permettrait d’examiner dans quelle mesure ces

processus psychosociaux sont repérés chez d’autres salariés et salariées ou,

différemment, s’ils s’en distinguent et sur la base de quels facteurs. Par ailleurs, celle-

ci permettrait d’enrichir les descriptions de la grille d’analyse et, sans doute, de

bonifier les catégorisations actuelles, par exemple en ce qui concerne les règles et les

pratiques relatives au temps de travail. Ensuite, une étude quantitative réalisée auprès

d’un échantillon plus grand permettrait de confronter le modèle sur le plan statistique.

Si la méthodologie qualitative de recherche s’est avérée un choix judicieux pour

explorer en profondeur les mécanismes individuels et organisationnels susceptibles

de concourir à l’hypertravail et nous a permis de répondre à nos objectifs de

recherche, cette méthodologie ne permet pas de vérifier la force des liens mis en

évidence ni la validité du modèle au plan statistique. Un échantillon plus grand

permettrait par ailleurs des analyses statistiques complémentaires pour vérifier, par

exemple, le rôle des facteurs de soutien dans le maintien d’une bonne santé

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387

psychologique au travail malgré l’hypertravail. Enfin, une telle étude permettrait de

vérifier dans quelle mesure des variables objectives telles que l’âge, la catégorie

d’emploi ainsi que la taille de l’entreprise peuvent être associées à ces conduites.

La deuxième avenue s’adresse plus largement aux chercheurs qui s’inscrivent dans le

champ de la psychologie sociale du travail et des organisations. Sur le plan

méthodologique, l’approche du Parcours de Vie s’est avérée fructueuse pour aborder

les processus psychosociaux conduisant à l’hypertravail. Elle s’est avérée utile pour

retracer les principales délibérations, interférences ou pertes vécues depuis l’entrée

sur le marché du travail, de même qu’elle a permis de rendre compte des principaux

échanges établis par la personne entre la sphère du travail et les autres sphères de vie.

Ces éléments ont permis de mieux comprendre la manière dont ces interférences et

ces échanges viennent influencer ou soutenir le développement des conduites

d’hypertravail. La réalisation d’une étude longitudinale permettrait de détailler plus

finement les changements de contextes organisationnels et individuels dans lesquels

se développent l’hypertravail, par exemple pour approfondir la manière dont le

système des activités est progressivement reconstruit et re-signifié, à la lumière des

réinvestissements opérés entre travail et hors-travail.

Par ailleurs, les constats posés amènent à considérer que l’hypertravail est un objet

d’étude intéressant pour la psychologie sociale. En analysant les processus

psychosociaux menant à ces conduites selon les différents niveaux d’analyse

distingués par Doise (1982), la recherche met non seulement l’accent sur le rôle de

chacun des niveaux dans le développement de l’hypertravail, mais, au regard de

l’articulation de ces niveaux, elle confirme aussi le pouvoir explicatif de la

psychologie sociale pour notre objet d’étude.

En outre, il pourrait être utile de développer les travaux sur l’hypertravail au regard

de chacun de ces niveaux. Au niveau intra-individuel, il serait intéressant de

s’attarder davantage à comprendre le développement de l’identité personnelle des

individus qui adoptent des conduites d’hypertravail. Il serait également important de

cerner plus finement les représentations de soi et les processus internes qui sous-

tendent les conflits, les questionnements et les choix de s’investir fortement au travail

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388

au détriment des autres sphères de vie. Au niveau interindividuel, les témoignages des

proches et des collègues soutenant les personnes qui adoptent des conduites

d’hypertravail pourraient nous permettre d’affiner notre compréhension des

interactions sociales susceptibles de jouer un rôle de « catalyseur » (Perret-Clermont,

2004) dans le développement et le maintien de ces conduites. Le niveau positionnel

pourrait être approfondi par des travaux sur l’identité professionnelle des salariés et

salariées dont les catégories d’emploi sont les plus touchées par les longues heures de

travail, ou des travaux sur les effets des comparaisons sociales entre groupes d’une

même entreprise. Enfin, au niveau idéologique, il serait intéressant de mieux

comprendre l’effet des croyances et des idéologies propagées dans les organisations

et la société sur l’adoption de conduites d’hypertravail en comparant à plus grande

échelle des entreprises des jeux vidéo et des services informatiques avec d’autres

entreprises de l’économie du savoir, voire, établir une comparaison internationale.

Enfin, la troisième avenue porte sur la question de la mobilisation des salariés et

salariées et met en dialogue la psychologie sociale du travail et des organisations avec

les sciences du management. Cette thèse renforce les ponts établis depuis deux

décennies entre les sciences du management et les sciences cognitives et

développementales de la psychologie sociale du travail et des organisations (Bouvier,

2009 ; Chanlat, 1998). De fait, les approches qui s’intéressent aux modes de

fonctionnement des systèmes enrichissent le management, défini globalement

« comme la manière de conduire, diriger, structurer et développer une organisation »

(Thietart, 2014 p.1). Notre approche systémique des conduites d’hypertravail,

comprise à partir des modes de fonctionnement individuel et organisationnel, a pour

prétention de contribuer à certaines réflexions propres à ce champ scientifique pour

lequel « l’animation de groupes d’hommes et de femmes qui doivent travailler

ensemble dans le but d’une action collective finalisée » est centrale (Thietart, 2014

p.1).

Il serait par exemple intéressant de confronter nos résultats empiriques, obtenus à

partir du récit des salariés et salariées, avec les directives, politiques, valeurs et

missions officielles de l’organisation. Cette confrontation entre le mode de

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389

fonctionnement organisationnel « objectif » et le récit qu’en font les salariés et

salariées en hypertravail nous permettrait de saisir plus finement le développement

des représentations que ces derniers forgent à la lumière des politiques formelles. Par

ailleurs, une telle étude réalisée à partir de techniques de recueil de données variées

(ex. documents de l’organisation, entrevues individuelles et de groupe auprès des

superviseurs) permettrait de décrire plus avant les pratiques managériales impliquées

dans la délimitation du temps de travail et d’affiner notre compréhension du rôle

organisationnel joué dans l’adoption des conduites d’hypertravail. Il serait par ailleurs

important de continuer à investiguer les effets liés à la déstandardisation des pratiques

de gestion du temps de travail et à l’individualisation de la relation d’emploi pour

établir dans quelle mesure ces pratiques actuelles de gestion du temps de travail

contribuent ou nuisent au management des organisations.

La mise en dialogue de notre recherche avec les sciences du management soulève

aussi de nouvelles interrogations. Mobiliser les salariés et salariées autour d’un

investissement temporel au travail presque sans limites permet-il au management de

réussir son pari vis-à-vis de l’organisation? Chercher à centrer les existences

humaines autour du travail permet-il ou non de « mieux » travailler ensemble dans le

but d’une action collective finalisée ? Ces questions pourront faire l’objet de travaux

futurs.

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of Family Issues, 27(3), 415-436.

Winnicott, D. W. (1970). Processus de maturation chez l'enfant : développement

affectif et environnement. Paris : Payot.

Page 436: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

415

Annexe 1 : Guide d’entretien

Le guide d’entretien31

Le guide d’entretien est composé de cinq parties. Il regroupe diverses questions

générales, à partir desquelles ont été formulées des questions de relance. Ces

dernières ont été rédigées pour proposer des pistes de relance à l’interviewer et elles

ne seront pas systématiquement posées lors de l’entrevue.

PARTIE 1 : INFORMATIONS SOCIOBIOGRAPHIQUES ET OBJECTIVES (5 minutes)

Il s’agira ici de recueillir les informations objectives les plus pertinentes de façon à

distinguer les sujets de l’échantillon à partir de certaines caractéristiques

sociobiographiques et de mieux connaître leur situation professionnelle actuelle. Ces

informations permettront également de vérifier les résultats obtenus avec ceux qui ont

été rapportés dans les études quantitatives qui se sont intéressées à ce phénomène.

Caractéristiques sociobiographiques

1.1. Sexe :

Féminin □

Masculin □

1.2. « Quel est votre âge » : _________

25-29 ans □

30-34 ans □

35-39 ans □

40-45 ans □

1.3.a. « Quelle est votre situation conjugale actuelle »?

31 Guide d’entrevue inspiré de Fournier, Bujold, Croteau et Pelletier (2000) et Fournier et Gauthier

(2004).

-Fournier, G., Bujold, C., Croteau, L. et Pelletier, R. (2000). Protocole d’entrevue sur la

précarité d’emploi. Université Laval, Centre de recherche et d’intervention sur l’éducation et

la vie au travail.

-Fournier, G. et Gauthier C. (2004). Protocole d’entrevue sur le travail atypique et les

travailleurs et travailleuses de 45 ans et plus. Université Laval, Centre de recherche et

d’intervention sur l’éducation et la vie au travail.

Page 437: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

416

Célibataire □

En couple □

1.3.b. « Est-ce que votre conjoint/e travaille? » (s’il y a lieu)

Oui, à temps plein □

Oui, à temps partiel □

Non □

1.3.c. « Quel est votre état civil? »

Marié-e □

Conjoint-e de fait □

Divorcé-e / séparé-e / veuf □

Célibataire □

1.4. a « Avez-vous des enfants à charge? »

Oui □

Non □

1.4. b « Si oui, combien d’enfants? » ___________

1.4. c « Quel est l’âge de chacun de vos enfants? »

___________________________________

1.4. d « Est-ce que vos enfants habitent avec vous? »

Oui, à temps plein □

Oui, mais en garde partagée □

Non □

1.5. « Quel est le plus haut niveau de qualification atteint » :

secondaire □

collégial général □

collégial professionnel □

universitaire 1er cycle □

universitaire 2e cycle □

Page 438: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

417

universitaire 3e cycle □

1.6. « Dans quel domaine de formation avez-vous obtenu ce diplôme? »

_________________________________

Informations objectives liées à la situation d’emploi actuelle

1.7. « Depuis combien d’années êtes-vous salarié de l’entreprise qui vous emploi

actuellement? »

______________________________

1.8. « Quel est votre statut d’emploi au sein de cette entreprise? »

(Permanent, contractuel renouvelable, contractuel non renouvelable)

______________________________

1.9. « Dans votre emploi actuel, quel est votre salaire annuel brut? »

Moins de 20 000$ □

20 000 à 39 999$ □

40 000 à 59 999$ □

60 000 à 79 999$ □

80 000$ et plus □

1.10. « Quel est le titre exact de l’emploi que vous occupez présentement? »

_______________________________

1.11. « Quel est votre statut professionnel? »

(Professionnel, technicien)

_______________________________

1.12. « Combien d’heures travaillez-vous en moyenne chaque semaine, incluant les

heures réalisées en dehors du lieu de travail »?

__________________

1.13. « Depuis combien de mois ou d’années travaillez-vous plus de 48 heures par

semaine?

__________________

Page 439: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

418

Informations objectives liées à l’entreprise

1.14. « Quel est le secteur d’activités de l’entreprise pour laquelle vous travaillez? »

Multimédia □

Services informatiques □

1.15. « Il y a combien de travailleurs dans cette entreprise ? »

___________________________

50 et moins □

Entre 51 et 100 □

Entre 101 et 500 □

Entre 501 et 1000 □

Plus de 1000 □

Page 440: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

419

PARTIE 2 : LE PARCOURS PROFESSIONNEL DEPUIS LES ÉTUDES ET L’ENTRÉE SUR LE

MARCHÉ DU TRAVAIL : REGARD RÉTROSPECTIF (25-30 minutes)

Cette partie du guide d’entretien a pour objectifs de connaître les principaux

événements qui ont ponctué le parcours professionnel des sujets depuis leur entrée sur

le marché du travail, de comprendre leurs enchaînements et de saisir la manière dont

ils ont été vécus et signifiés par les personnes (choix, décisions, questionnements). Il

s’agit ici de comprendre le « fil conducteur » qui relie l’ensemble des événements du

parcours, à partir d’informations objectives (par ex. durée des événements) mais

surtout subjectives (par ex. perceptions du contexte et décisions). Cette partie

permettra aussi d’identifier le moment de passage à l’hypertravail et d’approfondir

cette situation, en regard des contextes individuel et organisationnel.

Parcours professionnel et principaux événements de vie

2.1. « Racontez-moi votre parcours professionnel, depuis le début de vos études

jusqu’à aujourd’hui ».

- Comment avez-vous choisi votre programme d’études? Qu’est-ce qui vous a mené à

ce choix? Qu’est-ce qui vous a attiré? Pendant la formation, avez-vous eu des

hésitations ou des doutes par rapport à ce choix? Pourquoi?

- Parlez-moi de votre insertion sur le marché du travail : comment ça s’est passé?

Qu’est-ce que vous retenez de cette période de votre vie professionnelle?

-Parlez-moi du déroulement et de l’enchaînement des événements marquants qui sont

survenus dans votre vie professionnelle depuis votre entrée sur le marché du travail.

-Y a-t-il des événements de votre vie hors-travail qui ont pu avoir une incidence sur

votre parcours professionnel?

-Y a-t-il des événements de votre vie professionnelle qui ont pu avoir eu une

incidence sur votre vie hors-travail?

-Plus précisément par rapport à cet emploi ou à cet événement, comment avez-vous

vécu cette situation? Pourquoi avez-vous pris cette décision? Qu’est-ce que ça

changé pour vous dans votre vie? Pourquoi cet emploi a pris fin? Qu’est-ce qui s’est

passé ensuite? Par rapport aux heures de travail que vous faisiez à ce moment-là,

qu’est-ce que vous pourriez-nous dire?

Niveau 1 (parcours et

événements,

choix de vie et

transitions)

Infos objectives

Entrée MT

Durée de l’évén.

Nb d’heures $

Titre du poste

Statut

Page 441: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

420

Regard rétrospectif sur le parcours professionnel : évolution du rapport au travail

2.2. « Si vous regardez l’ensemble de votre parcours professionnel, est-ce que

l’importance que vous accordez au travail s’est modifiée depuis votre entrée sur le

marché du travail jusqu’à aujourd’hui? »

-Est-ce que le travail a déjà été moins important pour vous dans votre vie? Plus

important? Pourquoi selon vous cela a changé?

-Si c’est le cas, à quel moment de votre parcours avez-vous eu le sentiment

d’accroître (de réduire) votre investissement au travail? Quel a été l’élément

déclencheur? Pourquoi à ce moment-là et comment ça s’est passé?

Niveau 1

(évolution

du rapport

au travail,

centralité) Affectif

Temporel

Approfondissement du moment de passage à l’hypertravail et des contextes

individuel et organisationnel (si autre organisation que la situation actuelle)

Transition : J’aimerais maintenant que l’on prenne une dizaine de minutes pour

approfondir votre situation professionnelle et personnelle au moment où vous avez

commencé à travailler de longues heures par semaine (plus de 48 heures par

semaine).

2.3. « J’aimerais que vous me parliez de votre situation professionnelle à ce moment-

là et de votre situation personnelle ».

-Quelle était votre fonction? Combien d’heures faisiez-vous à ce moment-là?

- Qu’est-ce qui vous a motivé? Aviez-vous l’impression que c’était choisi?

- Qu’est-ce que vous retenez de ce moment de passage à l’augmentation de vos

heures de travail? Est-ce que ce fût une belle période ou une période difficile dans

votre vie? Est-ce que ça occasionné des impacts sur vos autres sphères de vie?

- Y a-t-il des rôles ou des engagements qui étaient importants pour vous et qui sont

devenus moins importants au fil du temps?

-Pouvez-vous nous parler du contexte de travail à ce moment-là?

-Jusqu’à quel point vous sentiez-vous apprécié et reconnu par votre superviseur? Par

vos collègues?

- Est-ce que vous diriez que vous étiez plutôt satisfait ou insatisfait de votre vie

professionnelle à ce moment-là?

- Est-ce que cette augmentation du nombre d’heures consacrées au travail vous a

amené à réduire vos implications et vos engagements en dehors du travail (par ex.

engagement communautaire, relations amicales)?

Page 442: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

421

- Si vous nous parliez du soutien que vous avez mobilisé ou reçu à ce moment-là? De

qui provenait le soutien reçu? Étiez-vous en couple à ce moment-là? Aviez-vous des

enfants?

Niveaux 1 à 5

Obtenir des

informations à

tous les

niveaux.

PARTIE 3 : APPROFONDISSEMENT DE LA SITUATION PROFESSIONNELLE ACTUELLE ET DU

VÉCU DE L’HYPERTRAVAIL (25-30 minutes)

Cette partie de l’entretien porte sur la situation professionnelle et personnelle actuelle

et le vécu de l’hypertravail. Elle vise à mieux comprendre le processus qui, entre le

sujet et l’organisation, favorise le maintien (ou le développement) de cette conduite,

en prenant en compte également les autres sphères de vie.

A- Approfondissement de la situation professionnelle actuelle

Transition (ex.) : J’aimerais que l’on approfondisse maintenant votre situation

professionnelle actuelle, en commençant par les attentes que vous percevez de votre

milieu professionnel à l’égard de vos fonctions. Ces attentes peuvent provenir de

différents groupes, par exemple des collègues ou de votre superviseur.

Attentes du milieu professionnel à l’égard du rôle et du statut professionnel

3.1. a. « En quoi consiste votre fonction actuelle ?

- Parlez-moi un peu plus de votre travail… tâches, responsabilités, charge réel de

travail

- Jusqu’à quel point êtes-vous satisfait ou insatisfait de votre travail? D’occuper cette

fonction-là?

Niveau 3 (attentes du

milieu prof face au rôle prof)

3.1. b. « Selon vous, qu’est-ce que vos collègues de travail attendent de vous? »

-Par rapport à ces attentes, dans quelle mesure avez-vous le sentiment de pouvoir y

répondre? Pourquoi? Comment percevez-vous ces attentes-là?

Niveau 3 (attentes du milieu prof face

au rôle prof)

Page 443: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

422

3.1. c. « Qu’est-ce que votre superviseur attends de vous au travail ? »

-Par rapport à ces attentes, dans quelle mesure avez-vous le sentiment de pouvoir y

répondre? Pourquoi? Comment percevez-vous ces attentes-là?

Niveau 3 (attentes du

milieu prof face

au rôle prof)

3.1.d. « Et la direction? »

-Par rapport à ces attentes, dans quelle mesure avez-vous le sentiment de pouvoir y

répondre? Pourquoi? Comment percevez-vous ces attentes-là?

Niveau 3 (attentes du milieu prof face

au rôle prof)

Charge de travail, flexibilité et latitude décisionnelle

3.2. « En ce qui concerne le travail que vous faites et la façon dont il est organisé (par

ex. charge de travail, horaire, lieu de travail, degré de liberté pour organiser le

travail), qu’est-ce que vous pourriez-nous dire? »

- Par rapport aux lieux de travail et aux horaires de travail, diriez-vous que c’est

plutôt flexible ou plutôt inflexible?

- Qu’est-ce que vous diriez à propos de votre charge de travail? (charge prescrite VS

réelle) Avez-vous la possibilité d’augmenter ou de réduire cette charge de travail?

- Si vous le souhaitiez, dans quelle mesure vous serait-il possible de réduire vos

heures de travail? Pourquoi?

- Par rapport à l’autonomie dont vous disposez pour organiser vos tâches et votre

travail, qu’est-ce que vous pourriez-nous dire?

Niveau 5 (charge,

flexibilité,

latitude déc)

Dispositif organisationnel d’évaluation du rendement et de récompenses

3.3. « Si l’on parlait de la façon dont votre travail est évalué et récompensé depuis

que vous êtes salarié dans cette entreprise, qu’est-ce que vous pourriez-nous dire ? »

- Qu’est-ce que vous retenez de votre première et de votre dernière évaluation?

Comment ça s’est passé?

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423

- Jusqu’à quel point avez-vous le sentiment d’être apprécié et reconnu par votre

superviseur?

-Quelles sont les principales marques de reconnaissance que vous avez reçues depuis

que vous êtes dans cette organisation? Reconnaissance financière? Liée à la

carrière?

- Selon vous, par rapport à votre performance au travail, qu’est-ce que

l’organisation attend de vous ?

Niveau 5 (mécanismes

d’évaluation et

reconnaissance)

Qualité des relations interpersonnelles dans le domaine professionnel

3.4. a. « Comment décririez-vous les relations que vous entretenez avec vos

collègues? »

3.4. b. « Comment décririez-vous les relations que vous entretenez avec votre

superviseur? »

- Relations cordiales, amicales, compétitives?

-Si vous nous parliez de l’ambiance de travail…

Niveau 2 (qualité des

relations

prof.)

Normes et règles relatives à l’implication au travail dans l’organisation

3.5. « Si vous nous parliez du nombre d’heures que vous travaillez, en comparaison

avec celui de vos collègues et de votre superviseur, qu’est-ce que vous pourriez-nous

dire? »

-Faites-vous plus ou moins d’heures que vos collègues? Qu’est-ce qui explique cette

différence selon vous?

-Qu’est-ce que vous pourriez-nous dire à propos des pratiques et des normes

relatives au temps de travail dans cette entreprise, i.e. à propos de ce qui se fait et de

ce qui ne se fait pas? Et à propos du temps supplémentaire?

-Selon vous, quelles sont les attentes de l’organisation vis-à-vis de votre implication

travail?

-Au sein de cette entreprise, avez-vous toujours travaillé autant?

Page 445: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

424

Niveau 4 (normes et

règles pour

implication

organisation)

Philosophie, culture et valeurs de l’organisation

3.6. « Si l’on parlait maintenant plus globalement de l’entreprise pour laquelle vous

travaillez, qu’est-ce qui, d’après vous, caractérise le mieux la mission poursuivie par

cette entreprise ?»

-Jusqu’à quel point avez-vous le sentiment que cette mission est réalisable? De

pouvoir y contribuer? Comment percevez-vous cette mission? S’agit-il de la mission

officielle ou officieuse?

-Quelles sont selon vous les principales valeurs prônées par l’organisation? En

existe-t-il des plus importantes pour vous? Diriez-vous que vous partagez ces

valeurs? Pourquoi?

-Comment avez-vous pris connaissance de ces valeurs?

Niveau 4 (philosophie,

culture et

valeurs de

l’entreprise)

B- Approfondissement de la situation professionnelle actuelle en relation avec les

autres domaines de vie

Transition (ex.) : Les prochaines questions vont porter sur votre vie professionnelle

actuelle en lien avec vos autres sphères de vie. Elles visent à approfondir les liens

entre votre fort investissement temporel au travail et votre vie personnelle, familiale

et sociale.

Centralité absolue et relative du travail

3.7. a. « Si l’on parlait de l’importance du travail pour vous, qu’est-ce que vous

pourriez-nous dire? »

-Jusqu’à quel point considérez-vous le travail comme important? Pourquoi?

-Qu’est-ce que vous diriez à propos du sens que prend le travail dans votre vie?

-Que diriez-vous à propos de l’importance que vous accordez ou non au

développement de votre carrière?

Niveau 1 (centralité

absolue du

Page 446: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

425

travail)

3.7. b. « Si l’on parlait de la place qu’occupe le travail dans votre vie, qu’est-ce que

vous pourriez-nous dire? »

- Jusqu’à quel point le travail occupe une place importante dans votre vie par

rapport à vos autres sphères de vie? Occupe-t-il trop de place, une juste place, pas

assez de place?

- Quelle sphère de vie occupe pour vous la première place? La deuxième?

Niveau 1 (centralité

relative du

travail)

Satisfaction dans les différents domaines de vie (satisfaction professionnelle relative)

3.8. « Si l’on parlait de votre satisfaction dans vos différents domaines de vie, qu’est-

ce que vous pourriez-nous dire? »

- Jusqu’à quel point êtes-vous satisfait de l’équilibre entre vos sphères de vie?

Reflète-t-il bien vos objectifs et priorités de vie?

-Par rapport à votre vie hors-travail et à vos engagements en dehors du travail,

jusqu’à quel point êtes-vous satisfait?

- Avez-vous le sentiment de pouvoir vous investir comme vous le souhaitez dans vos

différents domaines de vie?

- Si vous comparez l’ensemble de vos sphères de vie, laquelle (lesquelles) vous donne

le plus de satisfaction? Pourquoi?

Niveau 1 (satisfaction

de l’équilibre

entre les

sphères de

vie)

Attentes à l’égard des rôles et des engagements extra-professionnels et qualité des

relations extra-professionnelles

3.9. a. « Plus précisément dans votre vie hors-travail, si l’on s’intéressait maintenant

aux différents rôles et engagements que vous avez en dehors du travail, quel serait

pour vous les rôles ou les engagements les plus significatifs? »

Page 447: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

426

- Est-ce que ces engagements ont pu avoir des impacts sur la façon dont votre modèle

de vie est organisé?

Niveau 2 (attentes à

l’égard des rôles

extra-prof)

3.9. b. « Par rapport à ces rôles et à ces engagements, jusqu’à quel point avez-vous le

sentiment de pouvoir répondre à ce que l’on attend de vous? »

-Comment percevez-vous ces attentes? Jusqu’à quel point avez-vous le sentiment de

pouvoir y faire face? Par rapport à cette situation, jusqu’à quel point êtes-vous

satisfait?

Niveau 2 (attentes à

l’égard des rôles

extra-prof)

Soutien social extra-professionnel

3.10. « On sait que faire beaucoup d’heures de travail peut, à certains moments, être

plus difficile à vivre. Considérant vos longues heures de travail, qu’est-ce que vous

pourriez-nous dire à propos du soutien de vos proches? »

- Dans quelle mesure avez-vous eu besoin du soutien de vos proches et jusqu’à quel

point l’avez-vous reçu?

- Comment réagissent vos proches par rapport au nombre d’heures que vous

consacrez au travail?

- Depuis que vous faites plus d’heures de travail, est-ce ça causé des tensions avec

votre conjoint-e?

- Considérant ces longues heures de travail, comment vous arrangez-vous avec votre

conjoint/e? Avec votre vie de famille?

Niveau 2-3 (soutien

social extra-

prof., qualité

des relations)

Soutien social professionnel

Page 448: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

427

3.11. « Considérant vos longues heures de travail, qu’est-ce que vous pourriez-nous

dire à propos du soutien au travail? »

- Dans quelle mesure avez-vous eu besoin du soutien de vos collègues ou de votre

superviseur considérant la situation des longues heures de travail? Jusqu’à quel

point l’avez-vous reçu?

- Avez-vous le sentiment d’obtenir du soutien de votre organisation? Quel type de

soutien avez-vous demandé, reçu?

Niveau 2 (soutien social

professionnel)

PARTIE 4 : REGARD PROSPECTIF SUR L’AVENIR PROFESSIONNEL ET PERSONNEL (5-10

minutes)

Cette partie est très courte. Elle vise à cerner le regard que jettent les sujets sur leur

avenir professionnel à court et moyen terme et, plus brièvement, sur les projets

personnels les plus importants. Il s’agira globalement de cerner les projets

professionnels des travailleurs en situation d’hypertravail et de la manière dont ces

projets s’articulent à ceux poursuivis dans les sphères de vie hors-travail.

Transition (par ex.) : Avant d’aborder la dernière partie de l’entretien, nous allons

prendre ici quelques minutes pour mieux comprendre les objectifs que vous

poursuivez et les projets professionnels que vous avez élaborés pour l’avenir, à court

et moyen terme.

Projets professionnels et objectifs poursuivis

4.1. a. « Parlez-moi de vos projets professionnels les plus importants à court terme (à

peu près 6 mois), et à moyen terme (à peu près deux ans) »?

- Quels sont les objectifs que vous poursuivez dans votre vie professionnelle?

- Avez-vous des projets professionnels pour les six prochains mois? Si oui, quels sont-

ils?

- D’ici deux ans, qu’est-ce que vous entrevoyez dans votre vie professionnelle, pour

votre carrière? Qu’est-ce qui répond le mieux à vos attentes : rester dans votre

emploi actuel, obtenir une promotion, trouver un emploi dans une autre entreprise,

changer de domaine professionnel, …

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428

-Jusqu’à quel point l’organisation qui vous emploie peut vous aider à atteindre vos

objectifs? À réaliser vos projets professionnels? Comment entrevoyez-vous votre

avenir dans cette organisation?

- En ce qui concerne votre maintien sur le marché du travail, qu’est-ce que vous

pourriez-nous dire? Comment l’envisagez-vous?

4.1. b. « Dans votre vie personnelle et d’ici les deux prochaines années, quel est le

projet le plus important (ou les deux projets les plus importants) que vous

poursuivez? »

Niveau 1 (projets

professionnels

et objectifs)

L’articulation des projets professionnels avec les projets en dehors du travail

4.2. « Comment entrevoyez-vous la conciliation de vos projets professionnels avec

vos projets personnels »?

- Est-ce que ça vous apparaît plutôt difficile ou facile de réaliser vos projets

professionnels, en regard des projets que vous poursuivez en dehors du travail?

-Dans quelle mesure ces projets professionnels vous amèneront à modifier, à retarder

ou à renoncer à d’autres projets en dehors du travail? Et à l’inverse, est-ce que vos

projets personnels vous amèneront à renoncer ou à revoir certains projets

professionnels?

Niveau 1 (projets

professionnels

et objectifs)

PARTIE 5 : APPROFONDISSEMENT DE LA CONDUITE ET DU VÉCU DE L’HYPERTRAVAIL ET

QUELQUES REPRÉSENTATIONS (15 minutes)

Il s’agira dans cette partie de faire un retour sur les éléments qui apparaissent les plus

importants de l’entretien pour comprendre ce qui a pu mener le sujet à l’hypertravail.

Il s’agira plus particulièrement de revenir et d’expliciter certains aspects de l’entretien

qui apparaissent importants pour mieux comprendre la conduite d’hypertravail et la

manière dont elle est vécue.

Sur la base d’un échange aller-retour, l’interviewer cherchera à rendre plus explicite

certains de ces éléments, que le sujet pourra valider ou infirmer, bonifier ou réviser.

Transition (ex.) : Nous allons maintenant revenir sur quelques éléments de

l’entretien que j’aimerais expliciter avec vous, pour mieux comprendre cette conduite

Page 450: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

429

de fort investissement temporel au travail et la manière dont vous vivez cette situation

dans votre vie.

(Pour l’interviewer : S’assurer de bien comprendre les choix- les non choix de vie, les

renoncements, le pourquoi on accepte de se lancer dans une telle aventure, qu’est-ce

qu’on y cherche, qu’est-ce qu’on y trouve qu’on ne trouve pas nécessairement

ailleurs… comprendre le contexte mais surtout pour saisir ce qui contribue ou qui

facilite le passage à l’hypertravail)

5.1. « J’aimerais revenir un peu sur l’entretien pour mieux comprendre la

signification pour vous de cet investissement au travail, vous diriez quoi à propos du

sens que ça prend pour vous de faire ces longues heures de travail? »

Quelques exemples de questions de relance :

-Qu’est-ce que vous diriez à propos de cette conduite de votre fort investissement

temporel dans votre vie?

- Qu’est-ce que vous attendez en retour de ces heures de travail? Qu’est-ce que ça

vous rapporte de faire ces heures supplémentaires? Qu’est-ce qu’on perd si on ne le

fait pas?

- Qu’est-ce que vous diriez à propos du caractère volontaire et choisi de ces longues

heures de travail?

- Si l’on parlait de la manière dont vous vivez le fait de travailler de longues heures

de travail, qu’est-ce que vous pourriez-nous dire? Espérez-vous maintenir ce rythme

de travail? Avez-vous hâte que ça prenne fin?

Objectif D (significations

de

l’hypertravail)

Trois courtes questions pour terminer…. (5-10 minutes)

Représentation d’un mode d’implication idéal au travail

5.1. a. « C’est quoi pour vous un mode d’implication idéal au travail » ?

Page 451: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

430

(Quel est l’idéal pour toi du temps qu’on doit consacrer au travail? Y a-t-il une ou

des personnes dans votre entourage qui incarnent cet idéal?)

5.1. b. « Sur une échelle de 1 à 5, jusqu’à quel point êtes-vous dans ce mode

d’implication au travail? Pourquoi? »

1________________2________________3_______________4________________5

Niveau 4 (normes et

règles de

l’implication

idéale-société)

Représentation du travailleur idéal

5.2. a. « Comment définiriez-vous le travailleur idéal? »

(Y a-t-il une ou des personnes dans votre entourage qui incarnent cet idéal?)

5.2. b. « Sur une échelle de 1 à 5, jusqu’à quel point considérez-vous être un

travailleur idéal selon votre définition? Pourquoi? »

1________________2________________3_______________4________________5

Niveau 4 (normes et

règles de

l’implication

idéale-société)

Représentation de l’hypertravail

5.3. « Pour terminer, comment définiriez-vous un travailleur en hypertravail ? »

(Y a-t-il une ou des personnes dans votre entourage qui correspond à cette

définition?)

5.3. b. « Sur une échelle de 1 à 5, jusqu’à point vous considérez-vous comme un

travailleur en hypertravail ? Pourquoi ? »

Page 452: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

431

1________________2________________3_______________4________________5

Objectif D

Significations

de

l’hypertravail

Page 453: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

432

Annexe 2 : Appel à participer à une recherche

APPEL A PARTICIPER A UNE RECHERCHE

CRIEVAT

Centre de recherche et

d’intervention

sur l'éducation et la vie au

travail

UNIVERSITÉ

LAVAL

LAVAL LA

Travailleurs du multimédia et des services informatiques RECHERCHÉS

qui travaillent régulièrement 48 heures ou plus par semaine

Je suis étudiante au doctorat en sciences de l’orientation et je m’intéresse aux personnes qui s’investissent

fortement au travail. Je suis présentement à la recherche de 30 à 40 volontaires, hommes et femmes, qui

souhaitent partager leur expérience.

Je m’intéresse plus particulièrement aux événements marquants de votre parcours professionnel depuis vos

études, à vos principaux objectifs au travail et hors-travail, de même qu’à votre situation professionnelle et

personnelle actuelle (ex. fonctions dans l’organisation, rapport au travail, projets en dehors du travail). Je

m’intéresse aussi à la façon dont vous vivez cette situation. Plus globalement, je cherche à mieux comprendre

les raisons qui vous amènent à investir fortement la sphère professionnelle et à saisir quel sens cet

investissement prend pour vous.

Pour participer vous devez :

Travailler régulièrement 48 heures ou plus par semaine (incluant, par exemple, le travail apporté à la

maison et les activités informelles avec les collègues de travail) ;

Être âgé entre 25 et 45 ans ;

Être un salarié.

La participation à cette recherche consiste à réaliser un seul entretien, à un moment qui vous convient, d’une

durée approximative de 90 minutes. Il s'agit d'un entretien individuel et totalement confidentiel qui, je crois,

peut être un moment d'échange très stimulant et réflexif, notamment sur vos priorités de vie et sur votre

rapport au travail.

Un montant de 25$ vous sera remis à titre de dédommagement pour les frais encourus

Vous courez également la chance de gagner un certificat-cadeau d’une valeur de 100$ dans

un restaurant de votre choix (1 chance sur 40 environ de gagner)

Si ce projet vous intéresse ou si vous avez des questions, contactez Christine Gauthier

-par téléphone au xxx-xxxx

-par courriel à xxxxxx@xxxxx

Titre de la recherche

Significations et déterminants des conduites d’hypertravail : une approche psychosociale et systémique. Le

cas de travailleurs du secteur du multimédia et du secteur des services informatiques.

Ce projet de recherche de doctorat est réalisé par Christine Gauthier, doctorante en sciences de l’orientation,

sous la direction de Mme Geneviève Fournier, professeure au département des fondements et pratiques en

Page 454: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

433

éducation de la Faculté des sciences de l’éducation à l’Université Laval, et sous la codirection de Mme

Brigitte Almudever, professeure au département de psychologie sociale du travail et des organisations de

l’Université de Toulouse II-Le Mirail.

Christine Gauthier, doctorante en sciences de l’orientation

N. B. Si vous acceptez de le faire, je vous serais très reconnaissante de bien vouloir faire parvenir cette

annonce aux personnes que vous connaissez et qui pourraient être intéressées par cette recherche.

Ce projet a été approuvé par le Comité d’éthique de la recherche de l’Université Laval : No d’approbation

2011-118 A-2 / 21-11-2011.

Page 455: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

434

Annexe 3 : Feuillet d’informations destiné aux responsables

des ressources humaines

FEUILLET D’INFORMATIONS DESTINE AUX RESPONSABLES DES RESSOURCES

HUMAINES

CRIEVAT

Centre de recherche et d’intervention sur l'éducation et la vie au travail

_______________________________

Pavillon des sciences de

l'éducation

2320, rue des Bibliothèques

Local 658, Université Laval

Québec (Québec) G1V 0A6

UNIVERSITÉ

LAVAL

LAVAL LA

Faculté des sciences de

l’éducation

Dép. des fondements et

pratiques en éducation

Cité universitaire

Québec, Canada G1V 0A6

Projet de recherche intitulé : Significations et déterminants des conduites

d’hypertravail : une approche psychosociale et systémique. Le cas de

travailleurs du secteur du multimédia et du secteur des services informatiques

*Ce projet a été approuvé par le Comité d’éthique de la recherche avec des êtres

humains de l’Université Laval : No d’approbation 2011-118 / 06/06/2011

Cette recherche est réalisée par une étudiante au doctorat en sciences de l’orientation

de l’Université Laval. Elle est dirigée par Madame Geneviève Fournier, professeure

au département des fondements et pratiques en éducation de l’Université Laval, et co-

dirigée par Madame Brigitte Almudever, professeure en psychologie sociale du

travail et des organisations de l’Université de Toulouse-II Le Mirail.

Contexte de l’étude

Dans la plupart des pays occidentaux, on constate depuis plusieurs années une

augmentation du nombre de travailleurs qui font de longues heures de travail (Lee,

2007). Au Canada, 1 travailleur à temps plein sur 4 travaillerait 48 heures ou plus par

semaine (Duxbury et Higgins, 2003). Ainsi, plusieurs spécialistes du marché du

travail observent l’effet de polarisation de la main-d’œuvre divisée entre, d’une part,

ceux qui travaillent en deçà de la semaine normale de travail et, d’autre part, ceux qui

travaillent au-delà de la semaine normale de travail (Hall, 1999; Jacobs et Gerson,

2004; Lapointe, 2005; Usalcas, 2008). Les travailleurs qualifiés des secteurs liés à

l’économie du savoir se situent le plus souvent à l’extrémité de ce dernier pôle. Au

Québec, ce sont les professions rattachées à ces secteurs qui ont connu la plus forte

Page 456: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

435

croissance au cours des dernières années alors qu’elles regroupaient, en 2002, 35%

des emplois du marché du travail (Lapointe, 2005). Si le fait de travailler de longues

heures était autrefois associé à certaines professions libérales (ex. médecin, avocat),

force nous est de constater que le phénomène s’est aujourd’hui propagé à une

multitude de professions et de métiers.

Plus qu’une réponse à une surcharge de travail temporaire, de plus en plus d’auteurs

parlent d’hypertravail ou d’hyperactivité professionnelle pour désigner ce phénomène

(Gaulejac, 2008; Maranda et al., 2006; Rhéaume, 2006). Impulsé à la fois par le

contexte de travail et à la fois par un fort investissement subjectif envers son travail,

l’hypertravail résulte d’un processus complexe où interagit une multitude de facteurs

psychosociaux et organisationnels, dont il est difficile de cerner les apports réels.

Ainsi, quels sont les facteurs à l’œuvre dans l’adoption, par les salariés et salariées, de

ce type de conduite ? Par quels processus les individus en viennent-ils à investir de

longues heures au travail ? Quel est le sens, du point de vue des personnes, de cette

forte implication au travail ?

Objectifs de la recherche

L’objectif général de la recherche consiste à comprendre les processus psychosociaux

qui mènent les travailleurs et les travailleuses des secteurs du multimédia et des

services informatiques à investir de longues heures au travail (48 heures ou plus par

semaine). Plus spécifiquement, nous voulons :

Saisir l’importance et le poids relatifs de facteurs psychosociaux et de facteurs

organisationnels dans l’adoption de la conduite d’hypertravail ;

Analyser les relations entre ces facteurs ;

Identifier les événements critiques et les étapes charnières qui ont mené les

travailleurs à faire de longues heures de travail au cours de leur parcours

professionnel ;

Dégager les différentes significations que ces travailleurs attribuent à leur

conduite.

Retombées anticipées de la recherche

Plusieurs retombées sont anticipées de cette recherche, dont celle par exemple

d’identifier les situations dans lesquelles le fait de faire de longues heures de travail

est favorable au développement de l’individu et par le fait même de l’organisation ou,

à l’inverse, leur est nuisible. Dans cette foulée, nous souhaitons identifier quelles sont

les pratiques organisationnelles qui permettent de répondre, conjointement et

équitablement, aux besoins des individus et des organisations.

Au plan social, les retombées anticipées de cette recherche touchent au moins deux

aspects. Dans un contexte où les pratiques organisationnelles et individuelles en

termes de temps de travail sont de plus en plus variées, les résultats de cette recherche

pourront aider les conseillers-ères en gestion des ressources humaines et les

gestionnaires d’entreprises à orienter leurs décisions en ce qui concerne

l’aménagement du temps de travail. Par ailleurs, cette recherche permettra d’identifier

Page 457: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

436

les situations où les longues heures de travail sont les plus à risque pour les

travailleurs et créent de la souffrance ou, à l’inverse, les situations où cette conduite

est relativement bien vécue.

Les implications de la participation

Votre participation consiste uniquement à transmettre le document « Appel à

participer à une recherche » aux salariés et salariées de votre organisation qui se

trouve en pièce jointe.

La participation des travailleurs concernés et intéressés par ce projet consiste à

réaliser un entretien individuel et confidentiel d’une durée approximative de 90 à 120

minutes. Cet entretien sera réalisé en dehors du lieu de travail et en dehors des heures

de travail du salarié. Il s’agit d’une participation individuelle et volontaire et qui

n’engage en aucun cas l’organisation.

Autres informations disponibles sur demande

Pour obtenir davantage d’informations à propos de cette recherche, n’hésitez pas à

contacter Christine Gauthier au numéro de téléphone suivant : xxx-xxxx.

Merci de votre collaboration !

____________________________________________________

Christine Gauthier, doctorante en sciences de l’orientation à l’Université Laval

____________________________________________________

Geneviève Fournier, directrice de thèse et professeure au département des fondements

et pratiques en éducation de l’Université Laval

Page 458: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

437

Annexe 4 : Appel (révisé) à participer à une recherche

APPEL A PARTICIPER A UNE RECHERCHE

CRIEVAT

Centre de

recherche et

d’intervention

sur l'éducation et la

vie au travail

UNIVERSITÉ

LAVAL

LAVAL LA

Travailleurs du multimédia et des services informatiques RECHERCHÉS

qui travaillent régulièrement 48 heures ou plus par semaine

Je suis étudiante au doctorat en sciences de l’orientation et je m’intéresse aux personnes qui

s’investissent fortement au travail. Je suis présentement à la recherche de 30 à 40 volontaires, hommes

et femmes, qui souhaitent partager leur expérience.

Je m’intéresse plus particulièrement aux événements marquants de votre parcours professionnel depuis

vos études, à vos principaux objectifs au travail et hors-travail, de même qu’à votre situation

professionnelle et personnelle actuelle (ex. fonctions dans l’organisation, rapport au travail, projets en

dehors du travail). Je m’intéresse aussi à la façon dont vous vivez cette situation. Plus globalement, je

cherche à mieux comprendre les raisons qui vous amènent à investir fortement la sphère

professionnelle et à saisir quel sens cet investissement prend pour vous.

Pour participer vous devez :

Travailler régulièrement 48 heures ou plus par semaine (incluant, par exemple, le travail

apporté à la maison et les activités informelles avec les collègues de travail) ;

Être âgé entre 25 et 45 ans ;

Être un salarié.

La participation à cette recherche consiste à réaliser un seul entretien, à un moment qui vous convient,

d’une durée approximative de 90 minutes. Il s'agit d'un entretien individuel et totalement confidentiel

qui, je crois, peut être un moment d'échange très stimulant et réflexif, notamment sur vos priorités de

vie et sur votre rapport au travail.

Un montant de 25$ vous sera remis à titre de dédommagement pour les frais

encourus

Vous courez également la chance de gagner un certificat-cadeau d’une valeur de

100$ dans un restaurant de votre choix (1 chance sur 40 environ de gagner)

Si ce projet vous intéresse ou si vous avez des questions, contactez Christine

Gauthier

-par téléphone au xxx-xxxx

-par courriel à xxxx@xxxxxxxx

Titre de la recherche

Significations et déterminants des conduites d’hypertravail : une approche psychosociale et

systémique. Le cas de travailleurs du secteur du multimédia et du secteur des services informatiques.

Ce projet de recherche de doctorat est réalisé par Christine Gauthier, doctorante en sciences de

l’orientation, sous la direction de Mme Geneviève Fournier, professeure au département des

Page 459: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

438

fondements et pratiques en éducation de la Faculté des sciences de l’éducation à l’Université Laval, et

sous la codirection de Mme Brigitte Almudever, professeure au département de psychologie sociale du

travail et des organisations de l’Université de Toulouse II-Le Mirail.

Christine Gauthier, doctorante en sciences de l’orientation

N. B. Si vous acceptez de le faire, je vous serais très reconnaissante de bien vouloir faire parvenir cette

annonce aux personnes que vous connaissez et qui pourraient être intéressées par cette recherche.

Ce projet a été approuvé par le Comité d’éthique de la recherche de l’Université Laval :

No d’approbation 2011-118 A-2 / 21-11-2011.

Page 460: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

439

Annexe 5 : Message diffusé sur les réseaux sociaux

MESSAGE QUI SERA DIFFUSE POUR INVITER LES PERSONNES INTERESSEES A

CONSULTER LA PAGE PUBLIQUE DU PROJET

Bonjour,

Je suis étudiante au doctorat en sciences de l’orientation et je m’intéresse aux

travailleurs des secteurs du multimédia et des services informatiques (TIC) qui

s’investissent fortement au travail (48 h et + par semaine de façon régulière). Je suis

présentement à la recherche de 30 à 40 volontaires, hommes et femmes, qui

souhaitent partager leur expérience.

Si cette situation vous concerne et que vous êtes intéressé à y participer, vous pouvez

me contacter à : xxxxxxxx. Pour avoir plus d'informations à propos de ma recherche,

vous pouvez consulter l'adresse suivante: http://hypertravail.blogspot.ca/

La participation à cette recherche consiste à réaliser un seul entretien, à un moment

qui vous convient, d’une durée approximative de 90 minutes. Il s'agit d'un entretien

individuel et totalement confidentiel qui, je crois, peut être un moment d'échange très

stimulant et réflexif, notamment sur vos priorités de vie et sur votre rapport au travail.

Si ce projet vous intéresse ou si vous avez des questions, contactez Christine

Gauthier

-par téléphone au (xxx) xxx-xxxx -par courriel à xxxxxx@xxxx

Page 461: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

440

Annexe 6 : Formulaire de consentement

FORMULAIRE DE CONSENTEMENT

CRIEVAT

Centre de

recherche et

d’intervention

sur

l'éducation et

la vie au

travail

UNIVERSITÉ

LAVAL

LAVAL LA

Présentation du chercheur

Cette recherche est réalisée dans le cadre du projet de doctorat de Christine Gauthier, dirigée

par madame Geneviève Fournier, du département des fondements et pratiques en éducation

de la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval, et codirigée par madame

Brigitte Almudever, professeure de psychologie sociale du travail et des organisations de

l’Université de Toulouse II-Le Mirail.

Introduction

Avant d’accepter de participer à ce projet de recherche, veuillez prendre le temps de lire et de

comprendre les renseignements qui suivent. Ce document vous explique le but de ce projet de

recherche, ses procédures, avantages, risques et inconvénients. Nous vous invitons à poser

toutes les questions que vous jugerez utiles à la chercheure-étudiante.

Nature de l’étude

La recherche a pour but de mieux comprendre les processus psychosociaux qui conduisent les

travailleurs et travailleuses des secteurs du multimédia et de l’informatique à l’hypertravail.

Il s’agira plus spécifiquement de connaître les facteurs qui contribuent le plus au fait de

travailler de longues heures de manière régulière et de comprendre le sens que prend ce fort

investissement au travail.

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441

Déroulement de la participation

Votre participation à cette recherche consiste à participer à une entrevue d’une durée

d’environ 90 minutes et qui portera sur les éléments suivants :

o Description de votre trajectoire professionnelle depuis le début de vos études post-

secondaires

o Éléments descriptifs de votre situation professionnelle actuelle (ex. vos fonctions, la

qualité de vos relations de travail, la charge de travail)

o Description de votre situation professionnelle actuelle en relation avec vos autres

domaines de vie (ex. satisfaction professionnelle et satisfaction à l’égard de la vie

familiale et la vie amicale, importance du travail)

o Vos anticipations de l’avenir (ex. projets professionnels)

Avantages, risques ou inconvénients possibles liés à votre participation, compensation

Le fait de participer à cette recherche vous offre une occasion de réfléchir et de discuter, en

toute confidentialité, à votre conduite envers la vie professionnelle et plus particulièrement à

votre fort investissement temporel au travail.

Il est possible que le fait de parler de ce que vous vivez par rapport à votre fort

investissement au travail vous amène à éprouver des émotions difficiles. Ainsi, si vous êtes

indisposé par certaines questions, vous pouvez refuser d’y répondre sans avoir à fournir

d’explication.

Un montant de 25$ vous sera remis afin de compenser les frais encourus par votre

participation à cette recherche. De plus, vous courez la chance de gagner un certificat cadeau

d’une valeur de 100$, dans un restaurant de votre choix, qui sera tiré entre tous les

participants. Ce tirage aura lieu à la fin du recrutement qui est prévue approximativement à

l’automne 2012.

Participation volontaire et droit de retrait

Vous êtes libre de participer à ce projet de recherche. Vous pouvez aussi mettre fin à votre

participation sans conséquence négative ou préjudice et sans avoir à justifier votre décision.

Si vous décidez de mettre fin à votre participation, il est important d’en prévenir le chercheur

dont les coordonnées sont incluses dans ce document. Tous les renseignements personnels

vous concernant seront alors détruits.

Confidentialité et gestion des données

Les mesures suivantes seront appliquées pour assurer la confidentialité des renseignements

fournis par les participants :

Page 463: Déterminants et significations des conduites …...Déterminants et significations des conduites d’hypertravail: une approche psychosociale et systémique Le cas des travailleurs

442

o les noms des participants ne paraîtront dans aucun rapport ;

o les divers documents de la recherche seront codifiés et seuls le chercheur et un

assistant de recherche auront accès à la liste des noms et des codes ;

o les résultats individuels des participants de seront jamais communiqués ;

o les matériaux de la recherche, incluant les données et les enregistrements, seront

conservés dans deux classeurs fermés à clé et dans deux ordinateurs protégés par un

mot de passe, au domicile de la chercheure et à l’Université Laval, au local 630 du

Pavillon des sciences de l’éducation (laboratoire de recherche sur les trajectoires

professionnelles atypiques dirigé par G. Fournier). Ils seront détruits au plus tard à

l’automne 2017 ;

o la recherche fera l’objet de publications dans des revues scientifiques, et aucun

participant ne pourra y être identifié ou reconnu ;

o un court résumé des résultats de la recherche sera expédié aux participants qui en

feront la demande en indiquant l’adresse où ils aimeraient recevoir le document, juste

après l’espace prévu pour les signatures.

Retombées anticipées de la recherche

Plusieurs retombées sont anticipées de cette recherche, dont celle par exemple d’identifier les

situations dans lesquelles le fait de faire de longues heures de travail est favorable au

développement de l’individu et par le fait même de l’organisation ou, à l’inverse, leur est

nuisible. Dans cette foulée, nous souhaitons identifier quelles sont les pratiques

organisationnelles qui permettent de répondre, conjointement et équitablement, aux besoins

des individus et des organisations.

Au plan social, les retombées anticipées de cette recherche touchent au moins deux aspects.

Dans un contexte où les pratiques organisationnelles et individuelles en termes de temps de

travail sont de plus en plus variées, les résultats de cette recherche pourront aider les

conseillers-ères en gestion des ressources humaines et les gestionnaires d’entreprises à

orienter leurs décisions en ce qui concerne l’aménagement du temps de travail. Par ailleurs,

cette recherche permettra d’identifier les situations où les longues heures de travail sont les

plus à risque pour les travailleurs et créent de la souffrance ou, à l’inverse, les situations où

cette conduite est relativement bien vécue.

Renseignements supplémentaires

Si vous avez des questions sur la recherche ou sur les implications de votre participation,

veuillez communiquer avec Christine Gauthier, étudiante au doctorat, au numéro de

téléphone suivant : xxx-xxxx, ou à l’adresse courriel suivante : xxxxx@xxxx

Remerciements

Votre collaboration est précieuse pour nous permettre de réaliser cette étude et nous vous

remercions d’y participer.

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443

Signatures

Je soussigné(e) ____________________________ consens librement à participer à la

recherche intitulée : « Significations et déterminants des conduites d’hypertravail : une

approche psychosociale et systémique. Le cas de travailleurs et travailleuses du secteur du

multimédia et du secteur des services informatiques ». J’ai pris connaissance du formulaire et

j’ai compris le but, la nature, les avantages, les risques et les inconvénients du projet de

recherche. Je suis satisfait(e) des explications, précisions et réponses que le chercheur m’a

fournies, le cas échéant, quant à ma participation à ce projet.

__________________________________________ __________________

Signature du participant, de la participante Date

Un court résumé des résultats de la recherche sera expédié aux participants qui en feront la

demande en indiquant l’adresse où ils aimeraient recevoir le document. Les résultats ne

seront pas disponibles avant le __________. Si cette adresse changeait d’ici cette date, vous

êtes invité(e) à informer la chercheure de la nouvelle adresse où vous souhaitez recevoir ce

document.

L’adresse (électronique ou postale) à laquelle je souhaite recevoir un court résumé des

résultats de la recherche est la suivante :

__________________________________________

__________________________________________

__________________________________________

J’ai expliqué le but, la nature, les avantages, les risques et les inconvénients du projet de

recherche au participant. J’ai répondu au meilleur de ma connaissance aux questions posées

et j’ai vérifié la compréhension du participant.

___________________________________________ __________________

Signature de la chercheure Date

Plaintes ou critiques

Toute plainte ou critique sur ce projet de recherche pourra être adressée au Bureau de

l’Ombudsman de l’Université Laval :

Pavillon Alphonse-Desjardins, bureau 3320

2325, rue de l’Université

Université Laval

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444

Québec (Québec) G1V 0A6

Renseignements – Secrétariat : (418) 656-3081

Ligne sans frais : 1-866-323-2271

Courriel : [email protected]

Ce projet a été approuvé par le Comité d’éthique de la recherche de l’Université Laval :

No d’approbation 2011-118 A-2 / 21-11-2011 Initiales : _________