Drôme de Dames

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Sylvia Teste Quand on est une fille, il faut se dépasser plus qu’un garçon, il faut prouver qu’on est capable Roxanne Gaucherand Je pense qu’on est tous au fond un peu sexistes Josette Fournié Il faut qu’il y ait un partage des tâches entre l’homme et la femme Edith Cerf Une femme n’est pas une variété d’hommes Annie Mazuray Il faut que les femmes s’engagent Denise Deronzier A mon époque, on arrêtait les études quand on se mariait Viviane Margerie Tout ce que les femmes ont obtenu, elles ont bien souvent l’imposer Paulette Barret Pour moi, c’est aussi un plaisir d’aider Josiane Berruyer Ce n’est pas parce que les hommes ne seront plus dominants que les femmes le deviendront Lydia Zali J’ai un métier assez prestigieux, mais si j’y suis arrivée, tout le monde peut y arriver Alexandra Isvarine J’avais une 205 qui avait au moins 15 ans, j’y ai mis l’essentiel (…) et je suis partie vers l’inconnu Meriem Fradj Ce qui m’afflige, c’est qu’on doute encore des compétences des femmes qui doivent en faire dix fois plus Françoise Bourdon Le féminisme ne doit pas être un prétexte pour créer une nouvelle inégalité Marie-Noëlle Babel Il faut oser rester femme, avec nos différences de femme Marie Roblès Nous préférions nous jeter dans le ravin plutôt que d’être pris, parce que nous savions que dans ce cas nous serions fusillés Claudine Mukezangango Dans la réalité, une femme a souvent trois journées de travail : avant de partir le matin elle doit s’occuper des enfants, puis partir au travail et le soir rentrer et s’occuper de la vie de famille. Dames Drôme de

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Drôme de dames : 18 protraits de Drômoises, 18 parcours de femmes

Transcript of Drôme de Dames

Page 1: Drôme de Dames

Sylvia Teste Quand on est une fille, il faut se dépasser plus qu’un garçon,

il faut prouver qu’on est capable Roxanne Gaucherand Je pense qu’on est tous au fond un peu sexistes Josette Fournié Il faut qu’il y ait un partage des tâches entre l’homme et la femme Edith Cerf Une femme n’est pas une variété d’hommes Annie Mazuray Il faut que les femmes s’engagent Denise Deronzier A mon

époque, on arrêtait les études quand on se mariait Viviane Margerie Tout ce que

les femmes ont obtenu, elles ont bien souvent

dû l’imposer Paulette Barret Pour moi, c’est

aussi un plaisir d’aider Josiane Berruyer

Ce n’est pas parce que les hommes ne seront

plus dominants que les femmes le deviendront

Lydia Zali J’ai un métier assez prestigieux, mais si j’y suis arrivée, tout le monde peut y arriver Alexandra Isvarine J’avais

une 205 qui avait au moins 15 ans, j’y ai mis

l’essentiel (…) et je suis partie vers l’inconnu

Meriem Fradj Ce qui m’afflige, c’est qu’on doute encore des compétences des femmes qui doivent en faire dix fois

plus Françoise Bourdon Le féminisme ne doit pas être un prétexte pour créer une

nouvelle inégalité Marie-Noëlle Babel Il faut oser rester femme, avec nos différences de

femme Marie Roblès Nous préférions nous jeter dans le ravin plutôt que d’être pris, parce que

nous savions que dans ce cas nous serions fusillés Claudine Mukezangango Dans la réalité,

une femme a souvent trois journées de travail : avant de partir le matin elle doit

s’occuper des enfants, puis partir au travail et le soir rentrer et s’occuper de la vie de famille.

Dames Drôme “de

Page 2: Drôme de Dames

Ouvrage réalisé dans le cadre d’un emploi civique accompagné par le Département de la Drôme

Rédaction : Nora Cherrati - Photos : Nora Cherrati - Lucie BarrièreImpression : Département de la Drôme - Mai 2014

M’engager en service civique n’a pas été un choix simple, qui allait de soi. Dire que beaucoup

d’opportunités s’offraient à moi, fraîchement diplômée d’un master d’édition et de rédaction

professionnelle serait trahir la vérité. Mais cette mission n’a pas été un choix par défaut, dicté par le

hasard. Au contraire, le projet présentait pour moi beaucoup d’intérêt. Il me permettait de m’investir

dans une mission d’intérêt public, de m’intéresser à une problématique, l’égalité des sexes, qui

demeure actuelle à laquelle je n’avais jamais vraiment pris le temps de réfléchir, tout en mettant

en œuvre des compétences de mon domaine : interroger, recueillir des propos, synthétiser, écrire

et participer à l’édition de ce livret.

Le projet était ambitieux. Il s’agissait d’abord de partir à la rencontre de femmes vivant dans la Drôme,

les interroger, écouter leur histoire, apprendre de leur parcours et dresser leur portrait en vue d’une

exposition photographique et de l’édition d’un livret.

Nous étions au début deux jeunes femmes engagées dans ce projet. Lucie Barrière a décidé à

mi-chemin de ne pas poursuivre cet engagement. Une décision qui lui appartient. Cela n’occulte en

rien le travail qu’elle a effectué durant des mois et, sans lequel le projet n’aurait pas pu voir le jour.

Tout n’a pas été simple. Il a d’abord fallu contacter et gagner la confiance des femmes qui avaient

été choisies. Certaines étaient sceptiques, d’autres n’ont pas été convaincues et n’ont pas souhaité

participer (heureusement, elles se comptent sur les doigts de la main). Mais la grande majorité a

accepté et les portraits qui figurent dans ce livret témoignent de ces rencontres qui ont pu se faire

et toutes, dans de bonnes conditions : partout nous avons été bien accueillies, chaque femme s’est

livrée avec bienveillance et beaucoup de sympathie et pour cela, je tiens à les remercier toutes.

Rencontrer toutes ces femmes m’a principalement rappelé qu’il y a derrière les statistiques et les

lois générales, des parcours particuliers et qu’être une femme, reconnue professionnellement et

accomplie reste encore une difficulté à surmonter. Dans ces portraits, j’ai essayé de retranscrire avec

fidélité ce qui nous a été confié, j’espère avoir réussi et fait en sorte que ces portraits soient aussi

instructifs pour les lecteurs qu’ils l’ont été pour moi.

Nora Cherrati

Page 3: Drôme de Dames

L’égalité hommes-femmes reste à conquérir, d’où le choix d’associer le Département de la

Drôme à la démarche nationale « Le 8 mars, c’est toute l’année » afin de placer cet objectif

au centre des préoccupations de la société.

Aussi deux jeunes femmes en service civique ont été recrutées pour relater des parcours

de femmes, drômoises. Vigneronne, apicultrice, retraitée, officier de gendarmerie, coach,

agricultrice, réalisatrice, sage-femme, présidente d’association, ancienne résistante ou

simple militante, ces « Drôme de dames » luttent contre la maladie, l’intolérance, les

inégalités… et incarnent toutes un engagement collectif, parfois du simple fait d’être

femmes dans un milieu d’hommes.

Ce livret vous donne l’occasion de découvrir leurs parcours, dont certains sont faits de

ruptures, de rebondissements, de réorientations. Tous révèlent une détermination et

une direction, qui parfois trouve son sens a posteriori, formidable message d’espoir pour

toutes les femmes qui doutent encore de leurs capacités.

Ces 18 portraits constituent une exposition itinérante qui circulera dans les collèges et

les médiathèques du Département. Elle sera l’occasion, tout au long de l’année scolaire

2014-2015, d’échanges, de rencontres, de manifestations, autour du droit des femmes

et plus largement autour de l’engagement citoyen.

A un an de l’élection d’une Assemblée départementale totalement paritaire, cette

présentation met en exergue la formidable évolution de la condition féminine au cours

des 50 dernières années et constitue une invitation, pour toutes les femmes, à cultiver

leur différence.

DIDIER GUILLAUME ANNE-MARIE RÈME-PICPrésident du Conseil général Vice-présidente, chargée de la cultureSénateur de la Drôme

Page 4: Drôme de Dames

oute sa vie, Annie Mazuray a été une femme militante

parce qu’elle est et a toujours été selon ses mots

« profondément heurtée par les injustices ». Et cela a

commencé sur les bancs de la fac : « Je voulais faire de

l’ethnographie, mais on m’a répondu que je ne pouvais pas,

parce que j’étais une fille et que je ne pouvais pas partir

comme ça, seule dans la nature. » Parisienne d’origine, c’est

à la Sorbonne qu’Annie étudie l’histoire et la géographie et

devient agrégée à 24 ans. Pendant deux ans, elle enseigne

à Verdun, « un pays très froid et humide » qu’elle quitte

sans regrets pour Grenoble, au sein des Alpes, là où elle a

toujours souhaité vivre puisqu’elle est skieuse et alpiniste.

C’est après son mariage qu’elle s’installe à Valence qu’elle

ne quittera plus. Parce qu’elle n’est pas « du genre à se

tourner les pouces » Annie a multiplié les engagements et les

activités associatives. A Grenoble, elle est déjà militante du

planning familial. Tout ce qui touche aux droits de l’homme

la concerne. Elle est tour à tour et parfois parallèlement,

présidente de la section départementale de la Ligue des

Droits de l’Homme à Valence, occupe plusieurs fonction

au sein d’associations féministes, et promeut la culture et

l’art qui la passionne. C’est tout aussi naturellement qu’elle

devient adjointe au maire de Valence en 1977 en charge de

la culture, durant trois mandats, puis vice-présidente du

Conseil général de la Drôme, toujours chargée de la culture :

« C’était une époque passionnante. On a créé, par exemple, tout

un réseau de bibliothèques dans le département : la première

médiathèque a été celle de Die, ensuite il y a eu Nyons, puis

Saint-Vallier et Crest. »

La femme politique, une espèce rare

Annie Mazuray s’estime chanceuse d’avoir eu des parents

féministes, un mari qui l’était aussi, très engagé également

et avec lequel, les tâches à la maison étaient partagées. Mais

quand elle s’engage en politique, elle pénètre dans un milieu

où la mixité est quasiment inexistante et où les préjugés

sont très nombreux. Car pendant longtemps, on a considéré

qu’une femme ne devait pas faire de la politique : « Quand

on regardait des photos de la Chambres des députés depuis la

Annie MazurayC’est bien volontiers qu’Annie Mazuray,

ancienne conseillère générale de la Drôme

a accepté de participer à notre projet,

elle qui s’est très tôt engagée en faveur des droits

des femmes. Et c’est aussi de bonne grâce

qu’elle nous retrace son parcours. (T

(4

Page 5: Drôme de Dames

3e République, note l’ancienne Conseillère générale, on ne

voyait que des hommes, et qui faisait les lois ? Les hommes ».

A son époque, la femme politique est une espèce rare dont

les hommes mais aussi beaucoup de femmes ont du mal à

accepter l’existence. Ainsi, lors de sa première campagne

pour le Conseil général en 1979, alors qu’elle demande aux

femmes qu’elle rencontre sur le marché si elles trouvent

normal qu’une femme s’engage en politique, les réponses

diffèrent. Tandis que les femmes de classe moyenne y sont

plutôt favorables, celles de classes plus modestes y sont

plus hostiles : « Certaines m’injuriaient, se souvient Annie.

Elles me disaient ‘vous feriez mieux de vous occuper de votre

maison et de vos gosses !’ » Elle ajoute : « Aujourd’hui encore

on essaie de nous culpabiliser et je me suis sentie longtemps

coupable. Jusqu’à ce que je voie les résultats sur ma fille et mon

fils qui sont devenus aussi militants, sans qu’on leur ait imposé

quoi que ce soit. »

Égalité et mixité

Des anecdotes de ce type et dont elle plaisante aujourd’hui,

Annie en a énormément : « Quand Rodolphe Pesce, le futur

maire de Valence a présenté son équipe, en 1977, il ajoutait

pour chaque femme, le nom et le métier du mari, comme si

nous n’avions pas de métier propre, comme si nous n’existions

pas, et il l’a fait tout naturellement, il ne se rendait pas compte

que nous voulions exister en tant que femme. Mais, quand nous

sommes descendus de l’estrade il s’est fait ‘harponner’ et il n’a

pas recommencé pour le 2nd mandat ! » Malgré ce faux pas, la

liste de Rodolphe Pesce sur laquelle Annie Mazuray figure

présente plus de 30% de femmes, un record à l’époque qui

lui vaut d’être citée en exemple au niveau national. Autre

anecdote, lors d’un évènement important autour de la

Résistance à Vassieux, Annie, pourtant conseillère générale

mais ayant oublié son invitation, se voit refuser l’entrée par

un responsable de gendarmerie sceptique devant

la jeune femme : « J’ai pu entrer grâce à un couple

qui m’a reconnue, mais ça a été long et difficile. » Plus

tard, lors du repas, assise à la droite du président du

conseil général, le fameux gendarme s’assoit en face

d’elle. « Il est devenu rouge ! Je n’ai rien dit mais j’ai rigolé. »

D’abord contre, Annie estime qu’une loi sur la parité est

nécessaire : « Je me suis aperçue, explique-t-elle, que si

on ne mettait pas un quota, l’inégalité pouvait durer

indéfiniment ». Elle ajoute : « L’idéal c’est qu’un jour on puisse

la supprimer et qu’on puisse dire que telle femme n’est pas

compétente sans être taxé de machisme ». Dans certains

pays du nord, notamment au Danemark et aux Pays-Bas la

mixité est beaucoup plus commune. C’est donc en priorité

la mentalité des gens qu’il faut changer pour l’ancienne

conseillère générale si l’on veut faire avancer les choses,

tout en faisant appliquer la loi afin que les salaires soient

plus équitables. Dans la fonction publique, le problème

reste la hiérarchie toujours très masculine : « Plus on monte,

constate Annie, plus ce sont des hommes. » Face à cela, les

femmes doivent s’engager « Il faut qu’au niveau national,

elles aient plus d’influence, qu’elles prennent plus de

responsabilités. » Et surtout insiste Annie, il ne faut rien

considérer comme acquis : « La situation des femmes est

fragile, c’est vite fait de détruire une loi pour laquelle on s’est

battues, comme celle du droit à l’avortement. »

“ Il faut que les femmes

s’engagent ”

5)

Page 6: Drôme de Dames

uand il s’agit de parler des femmes, l’écrivain

s’enthousiasme et répond consciencieusement à

chaque question. C’est que le sujet est central dans

ses romans, au travers desquels, dit-elle, elle ne cesse de

« faire vivre son féminisme. » Ainsi, les livres de Françoise

Bourdon sont pleins d’héroïnes remarquables, des person-

nages féminins forts et combatifs qui ne se laissent jamais

décourager. « Je suis très attachée aux parcours des femmes et

à leurs combats » explique-t-elle. Voilà une prise de position

que Françoise Bourdon n’a aucun problème à revendiquer.

« Le féminisme est en moi » affirme-t-elle et l’étiquette de

« féministe » parfois dépréciée ne la gêne pas le moins du

monde : « On me taxe de féministe, j’assume totalement. » Avec

une réserve toutefois : « Seulement dans le sens où je défends

les femmes. En revanche je ne le suis pas dans le sens de

certains excès » et elle cite l’exemple de ces femmes militantes

des années 60/70 à la limite de la négation de l’homme.

« Asservir l’homme, ça non ! » dit-elle avec force. « Car je suis

très égalitariste et farouchement pour la tolérance, le féminisme

ne doit pas être un prétexte pour créer une nouvelle inégalité. »

L’Histoire, qui la passionne, lui montre que les femmes

ont longtemps souffert et souffrent encore de l’injustice.

« La situation des femmes a toujours été difficile » constate

l’auteur de la Combes aux Oliviers et Françoise Bourdon va

même jusqu’à affirmer qu’ « on paye encore pour Joséphine de

Beauharnais » dépensière et frivole. « Napoléon, en établissant

le code civil a fait de la femme une éternelle mineure. On en sent

encore le poids en 2013. Rappelons que la femme n’a obtenu le

droit d’avoir un compte en banque qu’en 1965. On a encore à

faire beaucoup de progrès tant au niveau des mentalités que

des représentations ».

Un féminisme assumé

En ce sens, l’écrivain affirme être pour une politique de

quotas, par défaut : « Ça devient nécessaire, vu la situation

d’injustice de certaines femmes et leur sous-représentation

dans certains domaines. » Enfin, elle se dit particulièrement

attachée à la Journée de la Femme, qui permet « au moins

une fois dans l’année » de parler de la femme. « Ça reste une

Françoise BourdonNée dans les Ardennes et juriste de formation,

Françoise Bourdon s’est peu à peu imposée comme

une figure incontournable de ce qu’on appelle

le roman « de terroir » : ses livres sont teintés

pour la plupart des couleurs de sa région d’adoption,

la Drôme provençale. ((6

Q

Page 7: Drôme de Dames

journée symbolique » tempère-t-elle, « mais on a besoin de

s’attacher à certains symboles. »

L’écrivain des origines

Née dans les Ardennes Françoise Bourdon est aujourd’hui

associée à la Drôme, un paradoxe. A Nyons où elle vit

depuis 2001, elle a d’abord trouvé un air qui apaise ses

problèmes de santé. « Ici je respire mieux » se réjouit-elle. Bien

qu’elle reste très attachée à ses racines, elle a découvert dans

la Drôme une terre gorgée d’histoire(s) souvent dramatique(s).

« Je m’attache beaucoup aux exilés, aux personnes qui ont dû

fuir et ici on s’est battus pour la liberté. » Dans ses livres, elle

s’efforce de raconter ces histoires et de rendre hommage

aux ancêtres et aux métiers disparus. « Nous sommes à une

époque où beaucoup d’entreprises ferment, il y a des économies

sinistrées » déplore-t-elle, et c’est l’une des raisons pour

lesquelles elle veut faire connaître ces savoir-faire, ces

compétences, avant que tout ça ne sombre dans l’oubli. « J’ai

voulu remonter le fil et connaître les circonstances d’origine. »

L’origine, il en est encore question quand elle évoque sa

famille et ses racines auxquelles elle reste très attachée

malgré leur caractère incertain « C’est difficile pour moi de

faire des recherches généalogiques, parce que je viens d’une

région d’invasion. Il y a un trou dans les registres en 1870 et

1914 par exemple. » La guerre est un thème qui revient

souvent sous sa plume. Notamment celle de 14-18 qui a été

un vrai bouleversement pour les femmes. « Ça a permis aux

femmes de prendre beaucoup plus de liberté, elles devaient

tout prendre en charge parce que les hommes étaient au front.

Les cheveux et les robes se sont raccourcis. La femme a dû

s’atteler aux charrues, faire marcher les exploitations… »

Parmi ses modèles littéraires, Françoise Bourdon cite la

comtesse de Ségur « qui savait raconter des histoires » et

d’autres écrivains femmes (elle n’aime pas le terme écrivaine :

« On a les mêmes droits donc les mêmes titres »

clame-t-elle) : Daphné Du Maurier, les sœurs Brontë

ou Françoise Sagan ; toutes des femmes de lettres

d’époques relativement récentes et pour cause « les

femmes écrivains, plus on recule dans le temps, moins

il y en a. » Comment expliquer cela ? Simplement en

constatant que les femmes qui ont pu écrire étaient

les quelques femmes privilégiées et éduquées. « J’aime

beaucoup George Sand, continue-t-elle, on ne peut imaginer

le scandale que c’était au début du 19e siècle de s’habiller

en homme, de fumer le cigare et de prendre un pseudonyme

masculin. » Et quand on lui demande quelles femmes pour-

raient prétendre à entrer au Panthéon, le nom de George

Sand revient, en compagnie de Louise Michel ou Germaine

Tillion. Mais en attendant, que la femme soit complètement

reconnue pour ce qu’elle est, « il ne faut pas lâcher prise »

pour Françoise Bourdon qui craint que la jeune génération

ne se mette à penser que tout est acquis en matière de

droits des femmes.

“ On paye encore pour

Joséphine de Beauharnais ”

7)

Page 8: Drôme de Dames

usqu’au études supérieures, le parcours de Claudine

est plutôt classique : elle obtient un bac littéraire puis

un BTS tourisme. Le tourisme est pourtant un domaine

qui ne l’intéresse pas. Mais à 18 ans, son souhait est de

voyager beaucoup et « utile ». Pour concilier cette envie et ses

études, elle intègre l’institut Bioforce Développement à Lyon

qui forme dans le domaine de la solidarité internationale,

une formation qui lui permet de partir en mission 21 mois

à l’étranger. « Ce que je souhaitais, c’était travailler dans

l’interculturel, rencontrer des gens, explique-t-elle. J’ai toujours

eu cet intérêt pour les gens, tout simplement. » A 25 ans, elle

choisit le Rwanda où elle œuvre pour l’ONG « Accueil sans

frontières » qui collecte des fonds pour la construction de

centres d’accueil pour orphelins. La jeune femme tombe

immédiatement sous le charme de ce continent : « L’Afrique,

soit on accroche tout de suite, soit on ne supporte pas ». C’est

aussi au Rwanda qu’elle rencontre son mari. De retour en

France, elle travaille à Lyon pour Handicap International.

Mais le couple souhaite repartir. C’est presque par hasard

qu’elle s’engage dans sa seconde mission en Volontariat

des Nations Unies (VNU), un poste sur le programme d’aide

aux réfugiés du Libéria, un pays en pleine guerre, en Côté

d’Ivoire, en Guinée et en Sierra Léone.

Second départ en Afrique

On lui propose un contrat de deux ans. « J’ai hésité, parce que

c’était quand même rude là-bas. » Elle finit tout de même

par s’engager en Côte d’Ivoire en pensant n’y rester qu’un

an. Elle quittera le pays 7 ans plus tard. Quand son premier

fils naît à Abidjan en 1994, elle arrête de travailler, une

situation difficile pour elle : « Ce n’est pas simple de rester sans

rien faire, pendant un an et demi, surtout en brousse ! » Elle

trouve alors une nouvelle mission dans une ONG américaine,

« International Rescue Comittee », toujours dans le cadre

du programme des réfugiés du Libéria, mais axée sur la

prévention des MST, du Sida et la mise en place de micros

projets pour les femmes qui doivent se débrouiller seules

pendant que les hommes font la guerre. Là, elle est face à

des croyances tenaces : « En Côte d’Ivoire, un pays ouvert et

Claudine MukezangangoClaudine a passé une grande partie de sa vie en Afrique

où elle s’est engagée dans des missions humanitaires.

Un parcours au service des autres qu’elle poursuit

en France en s’impliquant dans la Plateforme d’insertion

par l’humanitaire et la coopération à Romans, dont elle est

la co-directrice. ((8

J

Page 9: Drôme de Dames

développé, on croit encore parfois qu’on attrape le Sida parce

qu’on nous a jeté un sort. »

En Afrique, Claudine n’a pas souffert d’être une femme. « Je

pense que c’est parce que j’étais étrangère, une Française. » Elle

ajoute : « Les relations entre hommes et femmes au Rwanda ou

en Côte d’Ivoire ne sont pas aussi terribles que dans d’autre

pays. » Cependant, elle estime qu’il faut se rendre compte

de la chance que cela représente de naître femme en France.

« C’est plus simple de naître femme ici, que de naître femme au

Rwanda, en Côte d’Ivoire ou ailleurs » insiste Claudine. En

Afrique, elle a vu des villages entiers où les femmes sont

excisées, une pratique courante. En ce sens, pour Claudine, il

n’y a pas vraiment d’égalité : « Quand j’entends dire qu’on naît

tous égaux, ce n’est pas vrai. Dans l’absolu peut-être, mais ça

dépend vraiment de l’endroit où l’on vit. » De même, elle estime

qu’il ne faut pas parler d’égalité des sexes : « Il y a l’homme et

la femme et on n’a pas à rivaliser sur certaines choses Nous

sommes différents. » Dans l’humanitaire Claudine travaille

surtout avec des hommes et même dans ce milieu, il y a des

enjeux de pouvoir, mais paradoxalement, nous dit Claudine

« beaucoup entre nanas. » Côté famille, « ce sont les femmes

qui gèrent en grande majorité » nous dit-elle « Dans la réalité,

une femme a souvent trois journées de travail : avant de partir

le matin elle doit s’occuper des enfants, puis partir au travail, et

le soir rentrer et s’occuper de la vie de famille. » Que ce soit en

Afrique ou en France, c’est souvent le même schéma qui est

reproduit. Mais Claudine estime qu’elle a eu de la chance :

« C’est un privilège d’être une maman en Afrique. Il y a des

nounous qui prennent quasiment le rôle de mère, si on le

souhaite, elles peuvent habiter à la maison. Même si parfois

c’est trop, concède Claudine, la nounou prend une place trop

importante. »

C’est en 1998 que Claudine, son mari et son fils rentrent

définitivement en France. Le retour est pour le moins délicat :

« C’est le risque quand on est expatrié de devoir se réadapter à

la vie dans son propre pays. » Elle et son mari n’ont

pas droit au chômage, car leurs années de travail

dans des ONG ne sont pas comptabilisées. Finan-

cièrement, la situation est difficile pour la famille. A

ce moment-là, la Plateforme Humanitaire est en pleine

restructuration, quasiment en chômage technique.

Une reconnaissance professionnelle

Le directeur a besoin d’une personne pour coordonner

des ateliers qui se chargent d’envoyer des kits alimentaires

au Kosovo. « C’était un truc assez fou, se souvient Claudine, je

rentrais de 7 ans d’Afrique, la lutte contre l’exclusion, l’insertion,

je n’en avais pas vraiment entendu parler. » L’ancien directeur

de la Plateforme, dépose ensuite un dossier pour monter

une pré-qualification aux métiers de l’humanitaire et lui

demande si elle veut s’impliquer davantage, ce qu’elle fait

« Nous sommes les seuls aujourd’hui au niveau national à

proposer cette pré qualification qui est une mise à niveau en

amont d’une école humanitaire. » Aujourd’hui, Claudine est

co-directrice de la Plateforme. A l’origine elles étaient trois à

la tête de l’association, l’une d’elle s’est retirée. « Les gens

nous ont souvent demandé comment ça se passait, parce que

trois femmes, c’est interrogateur. » Mais ça fonctionne. Ainsi,

ce qui manque aujourd’hui à la femme selon Claudine,

c’est une vraie reconnaissance professionnelle, dans une

société qui doit « imposer » la parité pour inclure les

femmes à part entière.

“ L’égalité… ça dépend

vraiment de l’endroit

où l’on vit ”9)

Page 10: Drôme de Dames

e suis issue de l’immigration allemande des années trente

puis j’ai été formée à l’école de la République et j’y tiens

beaucoup ». C’est ainsi qu’Edith Cerf commence à se

présenter quand on l’interroge sur son parcours. Quand on

lui demande naïvement son origine, elle répond non sans

humour : « Vous devez être au courant que les juifs étaient mal

perçus en Allemagne dans les années trente. » Dans sa biblio-

thèque où sur les étagères sont alignés plusieurs milliers

de livres, certains en allemand nous rappellent qu’elle a

longtemps enseigné la langue de Goethe, « une demi-

carrière » de professeur qu’elle a accompli tout en devenant

à plein-temps secrétaire de son mari médecin cardiologue.

C’est encore ensemble qu’ils s’engagent à la Licra, dans un

combat qui fait sens pour cette femme que la question des

discriminations et du racisme a accompagnée sa vie durant,

elle qu’enfant on trouvait « trop brune » et « trop typée ».

« On m’a souvent demandé si j’étais Indienne ou si je venais

d’Afrique du Nord. Ce n’est pas toujours malveillant, mais chez

certains ça éveille systématiquement le soupçon ». A l’inverse,

son mari, jouit d’impressions plus favorables. « On prend

toujours mon mari pour un Anglais » plaisante-t-elle. Alors,

elle se souvient de leur voyage en Bavière lors duquel, le

couple avait été regardé d’une manière suspicieuse « l’air

de dire, ‘ Comment un homme aussi convenable peut-il être

accompagné d’une personne comme ça ? ’ »

Accepter la différence

Des anecdotes, la touchant de près ou non, donnant corps à

ce racisme ordinaire, Edith en a à foison. Comme celle de

cette femme noire, la seule dans ce village près de Romans,

que les enfants fuyaient quand ils la croisaient dans la rue,

ayant trop entendu parler de cette « négresse » à qui leurs

parents les menaçaient d’être livrés s’ils n’étaient pas sages ;

ou encore, ces réfugiés Espagnols Républicains à Manthes

qu’on disait sales parce qu’ils étaient pauvres et parlaient

mal le français. « Dans les villages, où il y a rarement des

groupes qui dérangent, tous ces sentiments existent de façon

très enracinée. On se méfie des gens qui n’ont pas les mêmes

habitudes. » Ainsi pour elle, le racisme résulte en partie de

Edith Cerf Edith Cerf n’est pas militante dans l’âme,

encore moins « une féministe hargneuse »,

mais il y a des choses contre lesquelles

elle s’est résolue à lutter ; le racisme en particulier

et le refus de la différence en général. ((10

«J

Page 11: Drôme de Dames

profondément marquée » nous dit Edith « Une

femme est confrontée au problème d’exister à la fois

comme femme, comme personne, dans sa famille

autant que dans la société. Le fait de choisir d’avoir une

vie familiale et des enfants implique de renoncer à

d’autres parcours. » Ou alors d’adopter un mode de vie

qui peut se solder par du surmenage.

Un petit coin de paradis

Edith Cerf n’est pourtant pas une féministe hargneuse. « Je

n’ai jamais accepté de jeter mon soutien-gorge sur un tas de

fumier ! » dit-elle en riant. Elle doute d’ailleurs qu’un groupe

comme les Femen fasse vraiment avancer la cause des

femmes, tout en jugeant scandaleux que certaines d’entre

elles soient emprisonnées. Et tout en revendiquant le fait

d’être une femme et en refusant de se voir marginalisée

pour cette raison, Edith a conscience que les femmes sont

en Europe bien mieux loties qu’ailleurs. « Etre féministe ici,

c’est autre chose qu’en Arabie Saoudite, où les femmes sont

arrêtées parce qu’elles conduisent ou qu’en Inde où certaines

femmes sont des esclaves. » Alors, certes, il faut aller dans le

sens de l’acceptation des femmes, mais également savourer

les progrès dont on bénéficie déjà ici : « On ne se rend pas

assez compte que les pays d’Europe occidentale sont des

petits coins de paradis dans le monde, on a la sécurité

physique, même si beaucoup de gens sont en difficulté. »

“ Ne pas voter,

c’est criminel ”

l’angoisse que l’autre, si différent de soi, puisse offrir un

modèle viable et qui pousse à s’interroger soi-même. « Le

racisme, c’est le refus de la différence. La moindre différence fait

peur. Mais beaucoup de gens oublient qu’ils peuvent être

l’étranger des autres. »

En s’engageant à la Licra, Edith Cerf découvre une association

très dynamique avec beaucoup de jeunes. Avec son mari, elle

assiste aux réunions et donne quelques conférences. Même

si elle a aujourd’hui pris du recul par rapport à cet engage-

ment, elle n’a pas cessé de s’indigner. Les insultes faites à la

Ministre Christine Taubira n’ont d’ailleurs pas manqué de la

faire réagir. « Si le 30 novembre il y a une marche contre le

racisme, j’irai, car je trouve absolument ignoble qu’on diffuse

ce qui a été diffusé sur Madame Taubira. Que des enfants de

12 ans injurient une femme qui de plus est digne, respectable,

intelligente, c’est ignoble et intolérable. »

Alors, comment améliorer l’acceptation de l’autre, homme

ou femme, et de toutes ses différences ? Par l’éducation

évidemment. Et cela doit commencer très tôt. « Je pense que

quand on se développe, on créé un équilibre entre ce qu’on a

appris dans le milieu familial et ce que l’école nous a enseigné »

explique l’ancien professeur d’allemand. Or son expérience

n’a pas toujours révélé un système éducatif irréprochable.

« Je trouvais que les jeunes n’étaient pas assez informés, plus

grave encore, ils ne votaient pas. Et ne pas voter, c’est criminel.

C’est accepter que les institutions se détériorent » regrette-t-elle.

Lorsqu’il s’agit d’évoquer la condition des femmes, Edith Cerf,

déplore que leur reconnaissance semble devoir passer par le

gommage de leurs spécificités. « Une femme n’est pas une

variété d’homme ! » insiste-elle. Une femme est susceptible

d’avoir des enfants, une chose qui n’est pas assez valorisée

pour cette mère de deux enfants, qui s’étonne qu’une

femme employée pour garder les enfants des autres

effectue un travail tandis qu’une femme qui s’occupe des

siens soit considérée comme inactive. « Ça m’a toujours

11)

Page 12: Drôme de Dames

osette s’estime chanceuse d’être née dans cette famille

de petits paysans du sud-ouest, dans laquelle les études

sont encouragées et où sont prônées des valeurs

féministes. « Je ne peux pas me plaindre, confie Josette, j’ai

été protégée d’une certaine forme d’éducation sexiste. » Alors

qu’à l’époque de son adolescence, beaucoup de parents

rechignent à laisser sortir leurs filles de peur qu’elle ne

tombent enceintes avant le mariage, le père de Josette lui

laisse plus de liberté : « Pour lui, c’était normal que les filles

puissent sortir comme les garçons. A l’époque ce n’était pas

toujours le cas. » De son père, elle hérite encore du goût pour

les responsabilités et l’engagement. A 15 ans elle milite

déjà dans un mouvement de jeunes ruraux qui s’occupe de

problèmes mondiaux telle que l’écologie, puis à 16 ans

Josette devient responsable départementale. « Je ne savais

même pas comment parler dans un micro, se souvient-elle,

mais c’est comme ça qu’on apprend ! »

Dans l’école d’ingénieurs qu’elle intègre pour 5 ans, les

femmes ne sont que 15 sur 400. Sa réussite dans les études la

conduit haut et elle obtient rapidement un stage d’un an à la

commission des communautés européennes. Le chemin au

bout duquel l’attend un poste important est tout tracé, elle

choisit pourtant de ne pas l’emprunter. Elle s’en explique :

« J’avais des compétences pour cette carrière, mais ce n’était

pas mon univers. Parce que pendant que je travaillais à la CCE,

je travaillais dans des bidonvilles à Bruxelles. Je fréquentais

donc les plus riches et les plus pauvres en même temps et je

ne me voyais pas vivre dans cet univers feutré avec des gens

qui évoluent dans le luxe et l’ignorance de ce qu’il se passe

autour d’eux. »

Une battante

Elle quitte sans regrets le monde des cadres internationaux

pour revenir vers la paysannerie. Un choix qu’elle explique

simplement : « Mon éthique n’était pas conciliable avec ma

pratique salariale. J’ai donc décidé d’être paysanne pour avoir

du pouvoir sur le monde, et pour ça il fallait que je démarre

au bas de l’échelle, car là seulement je pourrais dire ce que

je voudrais librement. » Mais pour sa famille, cette décision

Josette FourniéJosette est une femme qui sait ce qu’elle veut.

Ancienne maire d’Eygalayes, un petit village

dans le sud de la Drôme, fait partie des quelques

femmes qui ont accédé à la fonction municipale

dans le département. ((12

J

Page 13: Drôme de Dames

est difficilement compréhensible : « c’était la déchéance

d’avoir un diplôme d’ingénieur et de revenir à la campagne.

Pour mes parents, ça a été un choc parce que pour eux j’étais

vouée à devenir une bourgeoise et vivre dans les hautes sphères

du pouvoir. »

De retour dans le monde paysan, Josette fait ce qu’elle aime,

prendre des responsabilités « Quand on a cette formation,

justifie-t-elle, on ne fait pas que traire les vaches, on se retrouve

dans des associations, on met ses compétences au service de la

société civile. » En devenant plus tard maire d’Eygalayes, elle

accède à une fonction dans laquelle les femmes sont peu

représentées « Je suis allée au congrès des maires, nous dit-elle

à ce propos j’ai halluciné, il n’y avait presque que des hommes ! »

Dans son conseil municipal en revanche, il y a longtemps

que la parité est respectée. Elle ajoute néanmoins qu’il faut

avoir une certaine autorité pour s’imposer quand on est une

femme : « Il faut être ‘plus’. » Mais Josette sûre de ses compé-

tences n’a aucun mal à se faire respecter : « Là-dessus, nous

dit-elle, les gens n’ont rien à me reprocher. »

Une militante féministe

Josette est une féministe militante. Étudiante, elle a manifesté

lors du premier procès pour viol à Toulouse devant le tribunal.

« Des hommes nous traitaient de salopes, ils disaient que si la

jeune fille avait été violée c’était parce que sa jupe était trop

courte. » Dans le milieu paysan, elle a aussi des choses à re-

dire : « Les femmes font 20 % de travail en plus de leur métier et

malheureusement, ce travail-là n’est pas valorisé » estime-t-elle.

« Quand on commence une vie de couple on ne se rend pas

compte que peu à peu on ne lit plus, on se couche deux heures

plus tard, c’est très insidieux. » Josette qui se définit comme

« une femme libre, avec de la culture et du talent » se rend

compte aujourd’hui de la difficulté de ne pas céder à une

certaine répartition arbitraire des tâches. « On nous a habituées

à ne pas dire non, à ne pas nous écouter. Pourquoi j’ai

accepté pendant 30 ans que mon ex-mari ne nettoie

jamais la salle de bain ? On travaillait pourtant autant

tous les deux » se demande-t-elle encore. Son autre

revendication est la féminisation des termes, car pour

elle, la domination du masculin dans la langue n’est pas

anodine : « On a toujours parlé au masculin, la place de la

femme a tout simplement été occultée. Moi, j’ai eu un mal

fou à ce qu’on m’appelle madame la maire. Un jour un

homme a demandé monsieur le maire, j’ai répondu qu’il n’y

en avait pas. Il a répété sa question deux fois, parce qu’il ne

voulait pas admettre que le maire était une femme. »

Le conflit entre maternité et embauche est une question

qui préoccupe aussi Josette. « Une fois, à une commission

d’embauche, j’ai été scandalisée, il était question qu’on dégage

les femmes pour ne prendre que des hommes à cause du risque

de maternité. » Celles qui souffrent, nous dit Josette, ce sont

les femmes seules « Je vois des femmes qui sont clouées

financièrement. J’ai une amie qui n’obtient rien de ses ex-

compagnons. » Mais Josette constate dans le même temps

que les pères commencent à apprendre à s’occuper des

enfants, parce qu’ils se retrouvent de plus en plus seuls. Et

c’est une nécessité : « Imaginez un homme qui ne s’occupe

pas du tout du bébé, si au bout de 3 ans le couple se sépare, le

père ne saura pas comment prendre en charge son enfant. »

Ainsi, selon Josette, la vie quotidienne est bien le principal

combat à mener aussi bien pour les femmes que pour les

hommes : « Il me semble qu’ils doivent se bouger, mais vite

fait, sinon ils resteront d’éternels ados. »

“ Il faut qu’il y ait un partage

des tâches entre l’homme

et la femme ”13)

Page 14: Drôme de Dames

est à la FOL (Fédération des œuvres laïques), que

Josiane Berruyer initie son engagement citoyen.

L’association, dont elle a été secrétaire générale se

charge de mettre en place diverses activités pour les enfants

et les jeunes dans les domaines de la culture, des loisirs et

du sport « J’étais engagée dans un mouvement d’éducation

populaire, d’éducation à la citoyenneté qui me convenait tout à

fait. » C’est à l’occasion d’un événement autour de la journée

du 8 mars organisé par un collectif d’associations (dont le

CIDFF) et auquel elle est invitée à participer, que son combat

contre les discriminations faites aux femmes s’est concrète-

ment amorcé. Elle accepte pendant 5 ans de coordonner ce

projet supervisé par la mission départementale aux droits

des femmes et à l’égalité qui consiste à mettre en place des

ateliers d’écriture pour les femmes, d’éditer et de faire lire

leurs textes par des comédiens ou les femmes elles-mêmes.

Puis en 2005, la directrice du CIDFF lui propose d’entrer dans

le conseil d’administration de l’association, elle en devient la

co-présidente en 2007, puis la présidente jusqu’à ce jour.

L’engagement de Josiane pour les droits des femmes remonte

à l’enfance et à l’adolescence et présider le CIDFF a été une

chance pour elle : « Ça m’a permis de réaliser un engagement

qui me tient encore plus à cœur que l’engagement pour la

citoyenneté. » Ayant grandi dans un milieu rural très tradi-

tionnel et entourée de femmes à forte personnalité, Josiane

se rend compte rapidement que quelque chose cloche :

« J’ai très tôt pris conscience des inégalités qui existaient entre

les hommes et les femmes, même si elles n’étaient pas dites,

ni même pensées. » Au collège, quand on lui demande la

profession de sa mère, elle répond « sans profession », bien

que celle-ci travaille énormément dans l’exploitation agricole

familiale. « C’est quelque chose qui m’était très difficile », se

souvient Josiane, « Je le vivais comme quelque chose de très

injuste pour elle, une non reconnaissance. J’ai pris conscience

que beaucoup de femmes n’avaient aucun statut. » A la fac

en 1968, beaucoup de conversations tournent autour de la

contraception et de l’avortement. « La situation était infiniment

plus difficile qu’aujourd’hui, même si tout n’est toujours pas réglé.

Car l’avortement était illégal, ça pouvait être la prison voire un

risque de mort. » Mais il y a eu Lucien Neuwirth, initiateur de

Josiane BerruyerL’engagement citoyen de Josiane a pris tout au long

de sa vie des formes multiples, autrefois secrétaire

générale de la Fédération des Œuvres Laïques

(FOL), elle est aujourd’hui présidente du Centre

d’Informations sur les Droits des Femmes

et des Familles (CIDFF).(C’

(14

Page 15: Drôme de Dames

la loi sur la contraception « Et pour cela, nous devons lui être

très reconnaissantes. »

Difficulté de prendre la parole

Dans sa vie de femme, les difficultés ont été moins nom-

breuses. Le milieu de l’enseignement où elle a exercé est

plutôt féminin, même si la hiérarchie reste masculine. Mais le

problème est ailleurs : « M’étant tout de suite engagée dans

la vie associative, j’ai bien vu ce que c’était de concilier travail

et vie de famille, jongler avec les deux ». De plus, à la FOL, elle

acquiert des responsabilités qui lui font prendre conscience

de la difficulté pour une femme d’imposer son autorité…

surtout auprès des femmes. « C’est un poids culturel qui se fait

ressentir. Ensuite dans les instances régionales et nationales, je

me suis retrouvée dans des milieux essentiellement masculins

et j’ai vu à quel point c’était difficile d’avoir la parole. On lève le

doigt, mais on parle après les autres. »

Au CIDFF, les salariés reçoivent des femmes en quête de tous

types d’informations sur leurs droits, pour se former, pour

trouver un travail ou se loger. « On ne reçoit pas forcement des

femmes qui sont dans une situation dramatique, mais parfois

on peut déceler des détresses. » Pour cela, il y a le bureau d’aide

aux victimes spécialisé. Elles y trouvent une écoute spécifique,

un accompagnement, ou une orientation si elles ont besoin

de soins ou d’entreprendre des démarches. On estime qu’une

femme sur 10 est victime de violences, quelque soit le milieu

social dont elle est issue. Et c’est dans le milieu familial que

les femmes sont le plus en danger. Pour lutter contre cette

violence, « Il est important selon la présidente du CIDFF que

juridiquement, on ne laisse rien passer. Il faut que les hommes

sachent que quand une femme porte plainte, il y aura une suite »

insiste-t-elle. Il y a également un gros travail de sensibilisation

à faire. « Il y a des hommes qui sont surpris d’apprendre qu’ils

n’ont pas le droit d’exercer des violences sur leur femme ».

De même, « quand les jeunes filles harcelées me

répondent ‘si on se plaint, ce sera encore pire’ ça me

fait énormément mal. »

Une société mixte riche de tous les individus qui la composent

Pour Josiane, il ne s’agit pas non plus d’écraser l’homme

« On pense toujours en termes de domination. Ce n’est pas

parce que les hommes ne seront plus dominants que les

femmes le deviendront. » Elle, souhaite seulement que la

société actuelle dans laquelle « une partie de la population

n’est pas traitée comme l’autre » devienne égalitaire. C’est à

contre-cœur qu’elle s’est résolue à approuver une politique

de quotas : « J’ai longtemps été contre, explique-t-elle, mais

sans eux le France serait encore dans les derniers rangs au

niveau européen, car notre situation n’était pas enviable. » Les

hommes, loin d’être mis de côté, ont eux aussi un grand rôle

à jouer. « Il faut dire aux hommes que l’égalité, c’est un combat

des femmes et des hommes et que les hommes ont aussi tout

à y gagner. » Selon elle, dans une telle société, les hommes

seraient moins obligés de répondre à des modèles virils

parfois pesants. « Je crois, affirme Josiane, qu’une société

mixte sera encore plus riche grâce à la potentialité de tous les

individus qui la composent. »

“Il y a des hommes

qui sont surpris d’apprendre

qu’ils n’ont pas le droit

d’exercer des violences

sur leur femme ”

15)

Page 16: Drôme de Dames

ongtemps, Laurence Cottet a évolué dans un milieu

professionnel masculin qu’elle considère comme trop

souvent machiste. Dans ce cadre nous dit-elle « en tant

que femme, je parlais deux fois moins, et je travaillais deux

fois plus... ». La trentaine à peine dépassée, elle gravit les

échelons en quelques années pour se retrouver à plusieurs

postes de hautes responsabilités. Son ascension est rapide,

autant que le déploiement de son mal-être qui la fait

sombrer insidieusement dans l’alcool. « J’ai eu l’impression à

tort, confie l’ancienne Secrétaire générale, que si je ne buvais

pas, j’étais exclue. » Il ne lui faut qu’une année pour devenir

complètement dépendante à l’alcool. Une addiction qu’elle

garde pour elle, jusqu’à ce que le pire arrive en janvier 2009,

lors de la cérémonie des vœux de son entreprise. 650 hauts

cadres sont présents, 35 seulement sont des femmes. A ce

moment-là, elle décide de s’entretenir avec le Directeur

Général pour l’interpeller sur le peu de place qu’occupent

les femmes dans ce Groupe. Mais ce midi-là, elle boit

plus qu’il ne faut et s’effondre ivre devant ses collègues.

Elle sera licenciée quelques jours plus tard. Une rencontre

décisive la décide enfin à se soigner. Elle est depuis 5 années

« alcoolique abstinente. »

La femme est une ivrogne, l’homme a une bonne descente

Laurence Cottet s’intéresse depuis particulièrement à l’alcoo-

lisme chez la femme. Et selon elle il existe des différences

entre les sexes. « C’est d’abord une question d’image » a-t-elle

observé, « la femme est une ivrogne, tandis que l’homme a une

bonne descente. » Cela explique pourquoi selon Laurence,

une femme tarde plus souvent à se faire soigner. Elle a non

seulement tendance à en avoir davantage honte, mais aussi

à se sentir plus coupable et à vouloir cacher son addiction.

Laurence a fait le choix de « casser l’anonymat pour briser

un tabou. » dit-elle. Dans son roman « Le Livre à écrire », elle

raconte comment une série de drames personnels et son mal-

être l’ont entraînée dans l’alcool et la consommation d’autres

drogues, et comment elle s’en est sortie « C’était nécessaire

pour moi d’écrire ce livre ; c’est un livre thérapeutique... »

Laurence CottetAncienne Secrétaire générale, Directeur des risques

d’un grand groupe de BTP d’Ile-de-France,

Laurence Cottet s’est aujourd’hui reconvertie

en coach en alcoologie et relations humaines,

après avoir été elle-même confrontée à ce problème.(L

(16

Page 17: Drôme de Dames

Celle qui a également été avocate, veut aujourd’hui aider les

personnes alcooliques et proposera dans quelques mois du

coaching, grâce à une méthode (La méthode H3D) qu’elle a

elle-même expérimentée. Elle réaffirme que « Les femmes ont

dû mal à se faire soigner, tant elles ont honte. » De plus, pour

maîtriser sa consommation d’alcool, il faut pour être aidé,

en avoir réellement le désir, un pas qui reste très difficile à

franchir. Très active, dans la lutte contre l’alcoolisme, Laurence

Cottet se bat depuis quelques mois pour l’instauration d’une

journée sans alcool. « Pour qu’au moins une fois par an, chacun

s’interroge sur sa consommation d’alcool. » Pour cela, elle a

lancé en ligne une pétition le 1er octobre dernier, et qui a déjà

récolté 16 000 signatures à ce jour.

Construire l’égalité

Concernant les injustices subies par les femmes au quotidien,

Laurence pense que dans beaucoup de domaines ces dernières

ont des choses à rattraper. « C’est la femme qui doit faire ce

chemin et construire elle-même une égalité par ses actions et

ses compétences. Elle doit le mériter. » Pour autant, Laurence

Cottet ne veut pas être qualifiée de féministe et précise

aimer travailler avec les hommes : « Je n’aime pas ce terme,

parce qu’il est injuste, homme et femme sont complémentaires. »

D’ailleurs, Laurence confesse n’être pas pour « une parité

parfaite, théorique. » En effet, selon elle : « la femme doit

mériter d’être l’égale de l’homme, et c’est en travaillant et

s’exprimant qu’elle y arrivera. »

Il n’empêche que pour Laurence, la femme doit jongler avec

plusieurs rôles et qu’il est parfois dur de tous les endosser :

« La femme doit assumer son corps, son esprit, sa vie personnelle

et professionnelle, ses enfants… ». Certains milieux profession-

nels se féminisent, note quand même l’ancienne avocate,

mais il n’en reste pas moins que certains métiers sont toujours

éprouvants et que les déplacements professionnels, loin du

domicile, peuvent être une vraie difficulté pour

certaines femmes, encore nombreuses, « qui ont

une deuxième journée de travail qui les attend à la

maison ». Laurence, elle, n’a pas réussi à résister à la

pression, celle d’être toujours performante, toujours

plus productive et surtout celle de se battre pour ne

pas être considérée comme inférieure à l’homme. « Le

fait de boire seule est aussi une sorte de catharsis contre les

angoisses » confesse-t-elle. « La vie est parfois compliquée et

la femme qui vit seule, peut être tentée par ce « pansement »

simple et à portée de main, qu’est l’alcool. Un vrai signe

d’alerte est celui d’ouvrir une bouteille pour soi, toute seule... »

Aujourd’hui, Laurence Cottet fourmille de projets. Après un

premier livre remarqué, elle a publié un second ouvrage qui

propose une méthode personnelle pour vaincre l’addiction

à l’alcool, sorti en janvier 2014. Après une rapide ascension,

puis une tout aussi rapide descente aux enfers, l’ex-avocate

est désormais plus apaisée et tient à porter un message

d’espoir : « On peut tout perdre quand on est devenu drogué à

l’alcool. Mais avec de la modestie et une certaine honnêteté

avec soi-même, on peut aller vers son Désir, en se faisant

soigner. » Désormais, elle vit à Crest dans la Drôme, loin des

soirées mondaines et pailletées de la capitale. « La Drôme,

c’est l’endroit où je peux me recueillir, c’est comme une thérapie

naturelle. » Et Laurence conclut en souriant « Elle est belle,

la vie ! même sans alcool… »

“ Elle est belle la vie ! ”

17)

Page 18: Drôme de Dames

e déclic, Marie-Noëlle, l’a eu au cours de sa première

grossesse. A ce moment-là, elle subit un profond

bouleversement dans son esprit et dans son corps, un

« choc » qui « ne va pas de soi » et auquel elle n’a pas été

préparée. Les cours de préparation à l’accouchement

qu’elle suit l’ennuient et ne la satisfont pas. « Mon premier

accouchement a été une baffe psychologique ! » se souvient

la sage-femme. C’est après son deuxième accouchement

qu’elle décide de s’orienter vers le métier de sage-femme

pour aider les femmes à mieux vivre leur accouchement.

Elle intègre alors une école puis trouve, en assistant à une

conférence de Bernard This sur l’haptonomie à Strasbourg,

une voie sur laquelle elle peut s’engager.

Pas d’égalité mais une complémentarité

L’haptonomie est la science de l’affectivité selon les mots

du médecin pédiatre Catherine Dolto. Marie-Noëlle nous

explique la méthode : « On apprend aux parents à percevoir

la présence de l’enfant, afin qu’ils puissent être tous les trois

présents ensemble, que l’enfant trouve sa place dans le giron

de la mère, que ce soit pour lui un lieu bon à vivre. » Et cela

passe par le toucher : « le contact haptonomique permet

une adaptation des tissus du corps à la tendresse. Grâce à ce

contact pendant la grossesse, le corps de la mère trouve plus

facilement ce ‘modus vivendi’ avec le bébé. » Le père a un

grand rôle à jouer tout le long de cet apprentissage : « c’est

lui qui par sa façon d’être là, par ses gestes, donne envie à

sa femme de lui faire rencontrer leur bébé. C’est ainsi qu’il

exerce sa compétence de père et qu’il se sent reconnu père

par le bébé. » L’homme a pourtant l’habitude d’être mis de

côté dans les questions qui touchent les femmes de plus

près, à tort pour Marie-Noëlle, et même quand il s’agit

de féminisme. Pour elle, l’homme et la femme sont très

complémentaires au point qu’elle affirme ne pas vouloir

que « la femme soit l’égale de l’homme. » Elle ajoute que

« Les différences entre l’homme et la femme sont trop

fondamentales. Il n’y a pas d’égalité, ça ne se joue pas sur ce

terrain là ; on est complémentaires. » En somme, l’homme et

la femme, c’est un peu « le yin et le yang. »

Marie-NoëlleMarie-Noëlle, fait partie de ces quelques sages-femmes

qui se sont orienté(e)s vers l’haptonomie. Théorisée

par Frans Veldman, cette pratique facilité la relaxation

et la compréhension par le toucher. Selon elle,

la maternité, qui est au centre de son métier,

est l’affaire de la femme et de l’homme. (L

(18

Page 19: Drôme de Dames

Cependant, cette différence physique ne doit pas instaurer

une inégalité de traitement tant au niveau social que

professionnel. Et de nombreux problèmes demeurent note

Marie-Noëlle : les violences conjugales, la difficulté pour les

femmes d’accéder à certains postes, l’inégalité des salaires

etc. « Mon mari m’a juré que ce n’était pas le cas dans son

entreprise », plaisante-elle à ce propos. « L’égalité existe, mais

il faut aller la chercher. Et en ce sens, il y a des choses qui

progressent. » Coïncidence ou pas, le métier de sage-femme,

centré sur la femme, peine à être reconnu. Et longtemps les

tarifs des consultations sont restés largement inférieurs à celle

d’une consultation chez un médecin généraliste « Comme si

ce n’était pas une vraie médecine » se moque Marie-Noëlle

Dorénavant les études de médecin généraliste comportent un

stage obligatoire dans une unité de gynécologie-obstétrique,

ce qui n’a pas toujours été le cas. « Maintenant on est plus

reconnu, même si ce n’est pas gagné . »

La question de la maternité est également un sujet qui

apparaît souvent problématique dans le cadre du travail.

Marie-Noëlle regrette qu’il n’y ait pas de lois sociales qui

protègent les femmes enceintes. « Même pas enceinte, ajoute-

t-elle, une femme reste potentiellement dangereuse pour un

employeur. » Dans cette recherche d’égalité, Marie-Noëlle

remarque que beaucoup de femmes cherchent à réduire

leur rôle de mère : ne pas allaiter, vite reprendre le travail…

C’est un choix légitime selon la sage-femme. Mais des lieux

sont aussi là pour aider les jeunes mères, comme l’Association

Relais Naissance, qui accueille parents et enfants avec la

compétence d’accompagner les femmes qui allaitent.

La journée de la femme, Marie-Noëlle y est favorable.

« C’est symbolique et c’est nécessaire malheureusement. »

Mais l’intitulé la dérange : « La femme avec un grand F, ça

n’existe pas, il y a DES femmes. » En ce sens, elle regrette que

la femme enceinte soit trop souvent perçue comme une

sainte qu’il faut « cocooner. » « Dans notre société, la grossesse

est toujours un émerveillement, c’est le monde des

bisounours. Ça devient commercial, il faut acheter

tout l’équipement qui va avec, c’est du marketing. »

Mais dans les faits, c’est dur pour les femmes et pour

les hommes : « Il arrive que certains prennent peur et

s’enfuient à l’annonce de la grossesse. En même temps, la

femme devient mère, une idole avec laquelle on ne peut

plus faire l’amour. »

Oser rester femme

On constate que l’âge de la première grossesse recule de

plus en plus. En cause évidemment, la volonté des femmes

de d’abord s’installer professionnellement. « C’est plus im-

portant d’avoir une carrière déjà confirmée, assise, sinon, on

prend plus de risques. » Marie-Noëlle, elle a fait le choix de se

marier très tôt, à 21 ans, et de d’abord privilégier sa vie de

famille, sans pour autant sacrifier sa carrière professionnelle.

« Chaque femme doit pouvoir mener sa vie et prendre ses

propres décisions. Qu’une femme soit pilote de ligne ou pompier,

elle reste une femme jusqu’à preuve du contraire. » Ce qu’elle

regrette cependant, c’est qu’il y ait ce qu’elle décrit comme

une uniformisation des sexes. « On tend vers quelque chose

d’identique que je trouve dommage. On est différents, il faut

oser rester femmes avec nos différences de femme. »

“ La femme, c’est emmerdant

parce que ça tombe

enceinte ”19)

Page 20: Drôme de Dames

arce qu’elle s’est investie dans des chantiers d’insertion

de jeunes et des mouvements d’éducation populaire,

Meriem Fradj a pu constater sur le terrain quels étaient

les problèmes de formation et d’éducation qui constituent

encore des obstacles à l’épanouissement des jeunes et notam-

ment des jeunes filles. « Ce que j’ai perçu, explique-t-elle, c’est

qu’il y a un poids culturel inhérent qui fait que quand tu es

une nana, tu ne fais pas de maçonnerie par exemple. » Sur ces

chantiers, elle raconte comment elle s’est amusée à « hous-

piller les conventions » selon ses propres mots, à pousser

les jeunes à sortir de certaines schémas traditionnels. « Les

femmes laissent la place de manière automatique sur les

travaux techniques. » a-t-elle encore constaté. Pour Meriem,

il faut pousser les jeunes à se défaire de représentations

bien ancrées dans leur esprit, sans pour autant aller vers une

uniformisation des genres : « Je pense que la différence est à

cultiver, et que la parité peut s’exercer dans la reconnaissance des

différences ». Elle dit noter « des progrès dans l’appréhension

de la personnalité féminine et de la personnalité masculine »

qui se font petit à petit, même si parfois certaines choses

l’étonnent encore. Ainsi : « j’ai halluciné, le jour où j’ai revu

pour les fêtes de Noël, les couloirs de jouets, rose et bleu. Ça

avait totalement disparu, mais c’est réapparu, s’exclame-t-elle.

Mais là je vous parle de détails. »

Une entreprise rurale en ville

Meriem dit avoir une admiration pour « Les femmes qui ont

pris des risques par rapport à leur supposée condition. » Elle,

s’est inscrite en droit à la Sorbonne, mais n’y mettra jamais

les pieds. Elle quitte la capitale pour s’installer en Ardèche et

y trouver, dit-elle « des alternatives », « un autre rapport au

travail ». Elle intègre là, l’association le MAT chantier de jeunes

qui se donne pour objectif de développer une activité en

milieu rural sur les axes de l’éducation et de l’environnement.

Il s’agit explique Meriem de « créer une activité agricole sur

place, repenser la pédagogie de l’école, miser sur la confiance

placée dans les jeunes plutôt que la compétitivité. » Une partie

de l’équipe du Mat Ardèche crée en parallèle une entreprise

en SCOP (Sociétés coopératives et participatives) qui va

Meriem Fradj Quand elle quitte la capitale d’où elle est originaire,

Meriem Fradj entend s’investir dans un projet

professionnel qui propose un autre rapport au travail.

Depuis elle s’est engagée dans le développement

de la SCOP ARDELAINE et cultive des jardins

dans des quartiers populaires de Valence.(P

(20

Page 21: Drôme de Dames

restructurer la filière laine en Ardèche. Cela se passe dans les

années 1980. « Avec « Ardelaine » (le nom de l’entreprise) on

a inventé le métier, de la tonte des brebis, jusqu’à la création des

produits explique-t-elle. Moi je me suis spécialisée dans la

maille. » Ensuite l’opportunité de s’installer dans un quartier

populaire de Valence s’est présentée : « On n’avait aucun a

priori, au contraire, on trouvait intéressant d’avoir un pied en

ville, même si on était une entreprise rurale, pour ne pas être

déconnectés des trois quarts des gens qui y vivent. Nous avons

alors créé l’association le MAT Drôme qui favorise la création

de réseaux entre les personnes. »

Un manque de solidarité

Quand on l’interroge sur la situation des femmes dans son

quartier ou ailleurs, elle pointe du doigt le manque d’esprit

solidaire. « Il y a des solidarités qui ne sont pas encore assez mises

en valeur et en place, notamment pour pas mal de dames qui

sont seules. » Il y en a qui s’en sortent très bien, nuance Meriem,

« Moi je parle de celles, de plus en plus nombreuses, dans les

quartiers par exemple, qui sont seules à élever des enfants, qui

sont en difficulté financière et qui n’ont pas forcément de projet

de vie pour s’en sortir. » Toute la question est dès lors de savoir

comme créer des ponts de solidarité. « C’est grave pour demain,

parce qu’il y a beaucoup d’enfants qui en souffrent », déplore

Meriem qui en profite pour fustiger le manque de confiance

accordée aux femmes dans le milieu social et professionnel.

« Ce qui m’afflige, c’est qu’on doute encore des compétences

des femmes qui doivent en faire dix fois plus. C’est en tout cas,

ce que j’ai observé au cours de réunions professionnelles, asso-

ciatives ou politiques. » En ce sens, les journées thématiques

comme celle consacrée à la femme, sont « des coups de

projecteur nécessaires, même si ce sont parfois des outils de

communication. »

Depuis 25 ans, le MAT crée des activités sociales autour du

jardin. « On s’est dit, explique Meriem, que les l’ap-

propriation de l’espace pouvait passer par les jardins,

et que ça pouvait ainsi redonner une utilité au terri-

toire, le rendre fertile. Et on s’est amusés. » L’un des buts

du projet baptisé « Jardins dans la cité » pour lequel

Meriem a obtenu en 2010 le 2e prix Terre de Femme de

la Fondation Yves Rocher, est d’améliorer l’image de ces

quartiers souvent perçus de manière négative. « Le plus

grave, ajoute Meriem, c’est que les personnes qui y habitent

ont intégré cette image négative et finissent par cultiver

leur échec. » Il a fallu quatre ans pour monter le premier

projet, les jardins de l’« Oasis Rigaud » finalisé en 2003. Et

le pari à l’origine audacieux a été gagné : « Ça a créé une

dynamique et les habitants sont redevenus acteurs de leur

secteur. Comme ça marche, ajoute Meriem, on a réussi à être

crédibles. » Depuis l’association a été récompensé plusieurs

fois pour son action, notamment le Grand prix 2012 du

concours « s’engager pour les quartiers » avec la Fondation

FACE et l’ANRU. En reconstruisant leur espace, les habitants

jardiniers participent à la revalorisation de leur quartier.

“ Ce qui m’afflige,

c’est qu’on doute encore

des compétences des femmes

qui doivent en faire

dix fois plus ”

21)

Page 22: Drôme de Dames

nfant déjà, le souhait de Paulette était de devenir

infirmière. Et de fait, elle a passé une grande partie de sa

vie à prendre soin des autres. Après avoir été auxiliaire

puéricultrice et aide-maternelle, Paulette devient infirmière

libérale pendant 17 ans, puis exerce 9 années dans un centre

de convalescence. Mais le parcours professionnel de Paulette

ne rend pas compte de la richesse de ses activités. Car en

dehors de son métier, elle s’engage et continue aujourd’hui

de s’engager dans diverses associations, et ce, dans un premier

temps grâce à l’influence de son mari très sportif et lui-même

très investi : « Mon mari, explique Paulette, a toujours fait partie

d’associations et pour moi, c’était aussi un plaisir d’aider. » Avec

son mari, Paulette s’investit à l’UGAP, l’association de sports

de Bourg de Péage pendant 30 ans. On fait ensuite appelle à

elle afin qu’elle s’investisse à la mairie. Elle se présente et est

élue adjointe au maire, une fonction qu’elle occupe pendant

12 ans et 6 ans conseillère municipale. Toujours désireuse

de se mettre au service des personnes souffrantes, Paulette

devient par ailleurs membre du conseil d’administration, puis

vice-présidente des « Minimes », une association qui s’occupe

des personnes âgées. « Notre objectif dans cette association

est de rendre la vie des pensionnaires souvent très âgés plus

confortable. » Enfin, elle s’engage pendant environ 8 ans dans

la Ligue contre le Cancer où elle accompagne les personnes

en fin de vie.

Au service des autres

Malgré cette expérience auprès des personnes malades,

Paulette connaît peu la mucoviscidose, cette maladie géné-

tique qui affecte les voies respiratoires et le système digestif,

quand elle apprend avec son mari en 1997 que leur petit-fils

en est atteint. Leur réflexe à tous les deux est de livrer bataille

à la maladie. « On s’est engagés tout de suite, raconte Paulette,

car on a estimé que c’était notre rôle de grands-parents. » De

1997 à 2000, le couple s’investit dans la Virade de l’espoir

de Font d’Urle, cette journée de mobilisation contre la muco-

viscidose qui a lieu partout en France. Puis à partir de 2000,

ils deviennent organisateurs de la Virade De Mours-Saint-

Euzèbe, un gros travail qui nécessite du temps et de l’argent

Paulette Barret Infirmière de formation, Paulette a passé sa vie

à soigner les autres. Engagée dans la Ligue

contre le Cancer, elle lutte depuis 1997 contre

la mucoviscidose dont est atteint son petit-fils.(E

(22

Page 23: Drôme de Dames

et qui consiste principalement à mettre en place des ani-

mations, trouver des partenaires, et surtout tout faire pour

attirer le maximum de gens le jour de la Virade. Pas moins de

50 bénévoles sont mobilisés, ce souvent des amis, et des amis

d’amis, peu de parents de malades. La marche organisée

pour cette évènement peut réunir jusqu’à 400 personnes.

En tout, cette journée attire près de mille visiteurs chaque

année dans le petit village de Mours, une bonne chose pour

Paulette qui estime que les Virades de l’Espoir permettent de

mieux faire connaître cette maladie et contribuent à réunir

des fonds pour faire avancer la recherche. Pourtant, malgré le

succès de la journée, Paulette pense qu’on ne parle pas assez

de cette maladie qui serait sans doute encore plus méconnue

s’il n’y avait eu la médiatisation du cas Grégory Lemarchal,

vainqueur de la Star Académie décédé des suites de la muco-

viscidose à 23 ans.

La recherche avance Sa force, Paulette, qui s’est battue contre les maladies toute

sa vie, la puise dans l’espoir que l’on guérisse enfin de la

mucoviscidose. Et surtout, elle s’inspire des nombreux en-

fants malades qu’elle a côtoyés tout au long de ces années.

« Les enfants ont une force énorme. Il faut savoir que leur

traitement est très lourd. La majorité a quotidiennement des

séances de kinésithérapie avec le médecin, des perfusions

d’antibiotiques et d’aérosols. » Des enfants qui ont très tôt

conscience de la gravité de leur maladie, puisqu’ils doivent

être pris en charge très tôt. « Ils ont beaucoup de courage,

je les admire ces gamins », insiste Paulette. Quand il s’agit de

son petit-fils, Tom, Paulette décrit un garçon enthousiaste et

plein de vie : « On a un enfant qui va bien, il a 17 ans, il fait du

sport, il ne fait ‘que’ de la kinésithérapie. Pour lui, le jour de la

Virade est une fête à laquelle il participe et il aide beaucoup. »

Aujourd’hui, Paulette et son mari continuent de s’informer sur

les avancées de la recherche sur la mucoviscidose.

« On a l’explication des chercheurs et ça progresse.

Un chercheur nous a même dit qu’on avançait à grands

pas. » Déjà, l’espérance de vie des jeunes malades

a beaucoup augmenté depuis une décennie et les

enfants peuvent aujourd’hui avoir des enfants et les voir

grandir. Le dépistage de la maladie est aussi beaucoup

plus efficace. « C’est une maladie qu’on découvrait quand ça

arrivait. Alors que maintenant, le test obligatoire se fait à

la naissance depuis 2002. » En attendant, Paulette est très

optimiste : « Je pense qu’en dix ans, on ne guérira peut-être

pas la maladie, mais au niveau des médicaments, on progresse.

La recherche avance et il faut garder l’espoir et combattre. »

“ Ils ont beaucoup de courage,

je les admire ces gamins ”

23)

Page 24: Drôme de Dames

lexandra ne mâche pas ses mots et retrace son parcours

avec beaucoup de franchise. Elle nous raconte qu’enfant

déjà elle se passionnait pour la recherche… et le grec

classique. « J’ai toujours collectionné les cailloux. J’allais herbo-

riser dans les monts du Lyonnais. J’étais du genre à faire des

crises parce que je voulais un nénuphar au Parc de la Tête d’or et

qu’il en était évidemment hors de question » se souvient-elle.

Elle s’inscrit en fac de biologie par vocation et passe sa thèse

pour devenir chercheur. Mais ce milieu la déçoit. Elle complète

sa formation en obtenant le MBA du CESMA à l’EM Lyon. Son

diplôme en poche, elle alterne les emplois dans l’industrie

pharmaceutique et les périodes de chômage. « Parce que

quand on est une femme, explique Alexandra, c’est plus difficile

que quand on est un homme » Elle construit sa carrière grâce

à un travail acharné : « J’ai été basée à Marseille, à Montpellier,

à Paris. Je rentrais à Lyon seulement le week-end retrouver ma

famille. J’avais de hautes responsabilités, je dormais souvent le

week-end pour récupérer. Ça nous a coûté beaucoup » dit-elle

en évoquant son couple. De son expérience dans la branche

pharmaceutique d’un grand groupe américain, elle garde

un souvenir amer : « C’est un monde particulier, très formateur,

même si on est clairement là pour faire du profit, sans prise en

compte de l’humain. » Cet emploi, Alexandra le conserve deux

ans jusqu’aux débuts de la suppression totale de la branche

pharmacie « Je me suis retrouvée sans boulot, surdimension-

née ou trop chère d’après les cabinets de recrutement. » Alors

qu’elle cherche activement un emploi, c’est déjà le leitmotiv

sur la nécessité de se construire un réseau. « Diplômée, ayant

travaillé dur, dotée d’une solide expérience professionnelle et

pourtant sans emploi, je ne comprenais pas le principe du

réseau ni comment il aurait pu me procurer un poste ».

Un parcours atypique

Durant cette période, Alexandra dit avoir beaucoup réfléchi et

remis ses choix en question « J’ai travaillé pour des entreprises

avec lesquelles je n’étais pas toujours en accord. » explique-t-

elle. Elle vit très mal ces dernières années de chômage. Elle

commence à sortir de cette période difficile lorsqu’elle décide

de s’installer en Crète, le rêve de sa vie : « J’avais une 205 qui

Alexandra IsvarineAlexandra est une personne étonnante et

son parcours l’est tout autant. Après avoir exercé

les métiers de chercheur, de top manager

dans l’industrie pharmaceutique elle est aujourd’hui

apicultrice et a reçu à la fin de l’année 2013

le prix de la Créatrice force femme pour son projet. ((24

A

Page 25: Drôme de Dames

avait au moins 15 ans, j’y ai mis l’essentiel. J’ai roulé mon futon

dans une bâche, la voiture traînait par terre. Je suis partie vers

l’inconnu, ma première étape a été Athènes. » Son aventure

dans l’apiculture nait en Crète où elle rencontre un apiculteur

grec avec lequel elle partage sa vie. Elle devient elle-même

apicultrice après avoir fait ses preuves dans un milieu qu’elle

décrit comme très machiste : « Un jour, suite à une rupture des

ligaments du genou de mon compagnon, j’ai dû prendre en

charge le cheptel toute seule. » En reculant le camion, elle ren-

verse une ruche. « Je n’étais pas habillée j’ai eu quarante cinq

piqûres sur le visage. J’ai tout de même terminé mon travail

sur le rucher. C’est ainsi que j’ai gagné le respect des apiculteurs

crétois. Quand j’ai obtenu mes premières récoltes de gelée

royale mon compagnon m’a avoué qu’il n’aurait jamais pensé

cela soit possible ».

Quand elle revient en France, en septembre 2011, Alexandra

repart à zéro. Tout ce qu’elle possède tient sur quatre

palettes. Le 1er mars de l’année suivante, elle crée déjà sa

structure agricole. « Je voulais faire de la gelée royale et rien

d’autre » affirme-t-elle. Le réseau qui n’avait pas de sens pour

elle dans le passé, se constitue cette fois naturellement :

« Parce que j’avais des choses précises à demander, je savais

où je voulais aller. » Son parcours professionnel prend tout

son sens, de la biologie au business, l’apiculture lui permet

d’innover en valorisant ses compétences. « J’ai développé

mon activité pour ne pas vendre ma gelée comme les autres,

j’ai fait une étude de marché pour sortir des sentiers battus et

c’est pour ça que j’ai eu le prix de la Créatrice Force femme. »

En produisant et en vendant de la gelée royale, Alexandra

sait qu’elle vend un produit de qualité, ce dont elle est

fière : « Ma gelée s’appelle ‘Goutte de soleil’, j’ai l’habitude de

dire que c’est comme si on mangeait du soleil. C’est un coup

de tonnerre dans la bouche » dit-elle l’œil qui brille. Aussitôt

elle tient à nous rappeler la gelée royale consommée en

France est importée à 98 % de Chine, où elle est faite dans

des conditions incompatibles avec un produit

de qualité.

Prix de la Créatrice Force femme

Aujourd’hui, Alexandra est reconnaissante du soutien

dont elle a bénéficié depuis le début de sa réorientation.

Deux de ses amis, l’ont financée sans limite et sans condi-

tion depuis deux ans. Des apiculteurs amis l’ont épaulée

dans l’apprentissage du métier, lui ont prêté du matériel.

L’association Force Femme, qui soutient les femmes de

plus de quarante cinq ans pour leur retour à l’emploi, lui

a permis de formaliser son projet dans une ambiance

bienveillante. Elle a obtenu l’aide du dispositif ELI(1), le label

innovation du Bio-cluster Organics in Rhône-Alpes et enfin

le prix de la Créatrice Force Femme 2013 qu’elle considère

comme une récompense de sa prise de risque. « Cette année

a tout de même été difficile » confesse Alexandra, mais elle

peut encore compter à Loriol, « son berceau familial », sur

l’aide de nombreuses personnes. « Et puis ce n’est pas très

loin de Lyon où se trouve maman. »

(1) E.L.I. : aide aux entreprises localement innovantes, financée à 50 % par le Conseil régional Rhône-Alpes et à 50 % par le dispositif européen FEADER.

“ Ma gelée Royale c’est un coup

de tonnerre dans la bouche ”

25)

Page 26: Drôme de Dames

ydia est une jeune femme qui n’a jamais manqué

d’ambition. « Déjà au collège, je voulais travailler dans un

consulat, une ambassade » se souvient-elle amusée. Attirée

par le droit et férue de polars et d’enquêtes, elle s’imagine

déjà dans la magistrature, Procureur de la République. « Je

voulais être du côté de la Justice » clame-t-elle. Une ambition

précoce qui étonne à un âge où on pense rarement à ce qui

nous attend après le bac. « Souvent j’agis, explique la jeune

femme, pour prouver que même si je suis basanée, j’ai ma place.

Mais aussi parce que j’en ai les capacités. » Après une licence

de droit à la Faculté de Valence puis à Aix en Provence, elle se

dirige naturellement vers un Master 2 Carrière de la Justice,

une année dont elle conserve un bon souvenir : « On était

entraînés à faire des plaidoiries, c’était sympa. »

La suite de son parcours est moins linéaire. Elle s’inscrit en

année de prépa IEP pour entrer dans la magistrature et

décide de passer les concours de commissaire de police, de

lieutenant de police et de magistrat : « Ça n’a pas fonctionné

et ça a été de bonnes claques ! » En 2e année de prépa aux

concours, elle trouve un travail d’assistante de justice auprès

de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, un métier qui ne lui

convient pas. Elle décide alors de se concentrer sur les métiers

de la sécurité, attirée par la perspective « de se lever le matin

sans savoir ce qui va arriver dans la journée » et présente son

dossier en classe prépa intégrée sur critères sociaux. « Ce qui

m’intéressait, c’était le concours de lieutenant de police. J’ai

également passé le concours des douanes, lieutenant de police

et officier de gendarmerie, le plus difficile parce qu’il fallait un

bac +5. Je l’ai eu et je me suis arrêtée là. » Elle enchaîne ensuite

deux années de scolarité, dont une militaire, à l’Ecole des

officiers de Melun : « Ça a été dur » confesse Lydia, « On rampe

dans la boue. On prend conscience de nos limites et les cadres

nous aident à les dépasser. »

1983 : première femme gendarme

C’est en 1983 que pour la première fois une femme a pu

devenir gendarme. 30 ans plus tard, une femme est nom-

mée Général. « Aujourd’hui, explique Lydia, il n’y a aucune

difficulté pour une femme à intégrer la gendarmerie. » C’est

Lydia ZaliLydia Zali a grandi à Curnier, un petit village

près de Nyons où elle effectue ses études secondaires.

Aujourd’hui, seule femme commandant de communauté

de brigades de sa compagnie, elle est lieutenant

de gendarmerie à Vouvray près de Tours.((26

L

Page 27: Drôme de Dames

aussi l’avantage du recrutement universitaire dont la moitié

des promus sont des femmes. « La gendarmerie ne m’a pas

cantonnée à mon image de femme et a su tenir compte de mes

qualités. Je faisais partie des trois meilleurs universitaires, les

trois premières de notre recrutement étaient des femmes. On a

pu choisir en premier nos postes. » A son arrivée, son sexe ne

pose pas de problème, le fait qu’elle soit une universitaire,

peut-être un peu plus. « Je découvrais mon nouveau métier,

j’ignorais beaucoup de choses, tout ce qui est administratif,

ressources humaines… j’ai beaucoup appris sur le tas. Surtout

en RH, où j’ai le plus progressé » Lydia, est la seule femme

commandant de brigades de sa compagnie et s’amuse

des « allez, les gars, entrez » qui fusent avant les réunions

d’officiers. « J’y ai été habituée dès l’école. De toute façon, il n’y

a pas de femme chez les gendarmes, mais des militaires comme

les autres. Ça ne m’a jamais choquée. »

Ne pas avoir honte de poser des questions

Après deux années à l’école, il a été temps d’occuper ses

fonctions et Lydia n’a eu aucun mal à imposer son autorité

« Ce qui est bien, c’est que le grade est important. Quand on est

lieutenant, on est lieutenant. Aucun de mes militaires ne me

manque de respect. Le fait que je sois grande m’a aussi aidée »

Pour autant, nul besoin d’être masculine pour imposer son

autorité. Au sein de la Compagnie d’Ambroise dans le 37 où

elle a pris son commandement en août 2013 et où elle dirige

30 personnes dont 10 femmes, Lydia découvre. un métier

qu’elle s’était encore imaginé différemment. « Je me voyais

avoir le temps de prendre un dossier de recevoir les personnes,

d’enquêter, mais ce n’est pas du tout ça ! » La jeune femme qui

sait qu’elle apprend, n’a pas peur de poser des questions

« de but en blanc. » au risque de faire sourire. « Je n’ai pas

honte de poser une question à un de mes subordonnés, parce

qu’il sait des choses que je ne sais pas. » Enfin, son métier,

comme elle s’y attendait, ne lui laisse que très peu

de temps pour elle. « On ne dort que d’une oreille et

on ne voit pas passer les journées. »

Si Lydia en est là, c’est grâce à sa grande détermina-

tion. « Il faut se blinder, se dire qu’on est autant capable

qu’une autre, confie-t-elle, je sais ce que je vaux. » Face

aux regards des autres elle estime qu’il faut être plus in-

telligent. A l’école primaire, la cruauté de certains enfants

lui forge son caractère. Cependant, Lydia n’est pas une

victime et elle saisit les opportunités qui s’offrent à elle. « Je

ne suis pas contre la discrimination positive, j’en ai bénéficié

par le biais de la Classe préparatoire intégrée. Mais je sais que

si je suis ici ce n’est pas seulement grâce à cela. L’anonymat

des écrits du concours permet de se rassurer de ce côté là. » Et

malgré sa réussite, Lydia relativise son parcours : « J’ai un

métier assez prestigieux, si j’y suis arrivée, tout le monde peut y

arriver. Je n’ai pas de prédispositions particulières, je viens d’un

milieu plutôt modeste au fin fond de ma campagne. »

A la fin de son premier commandement qui doit durer

4 années, Lydia envisage de devenir mère. « En dernière

année, en général, les gens pensent à leur prochaine affec-

tation. » De ce point de vue-là, Lydia admet qu’il est plus

simple d’être un homme. « Une femme qui a un enfant

impacte beaucoup plus la vie d’une brigade qu’un homme

qui va devenir papa. » Parfois, elle reçoit des femmes mili-

taires qui lui confient leur souhait d’enfanter : « Moi, je

les encourage. »

“ Il n’y a pas de femme

chez les gendarmes,

mais des militaires

comme les autres ”27)

Page 28: Drôme de Dames

lors du coup, c’est quand la journée de la Femme, je ne

suis pas au courant ? » nous demande d’emblée Sylvia

tout sourire. Celle qui gère le domaine qui porte son

nom, « le Mas Sylvia » se sent peu concernée par une telle

journée, d’ailleurs elle estime qu’elle n’a pas vraiment matière

à se plaindre. « Dans mon cas, je n’en vois pas l’utilité. Je pense

que c’est peut-être plus pour compatir avec des femmes qui ont

un quotidien difficile, pour les femmes battues. Pas pour les

femmes qui font des professions d’hommes. » Ce n’est pourtant

pas facile d’évoluer dans un milieu majoritairement masculin

quand on est une jeune femme chef d’entreprise viticole. Et

à voir Sylvia, toute fluette, on peine à l’imaginer mener seule

son exploitation. Elle l’admet : « Le milieu viticole est très phy-

sique, c’est pour ça qu’on dit que c’est réservé aux hommes.

A la fin de la journée, on dort bien ! » Mais c’est en toute

connaissance de cause, et très tôt, que Sylvia s’est engagée

dans cette voie, sans regret. Pour se former, elle passe un

bac scientifique option territoire environnement en lycée

agricole, puis obtient un diplôme d’œnologue, poursuit en

master commerce spécialisé dans le vin où elle apprend la

technique, la production et le commerce du vin, et enfin,

part deux années de suite en Australie pendant 5 mois pour

revenir en septembre en France, ce qui lui permet d’effectuer

deux vendanges par an. Peut-être Sylvia n’aurait-elle pas eu

la possibilité ni même l’idée de créer un domaine sans l’in-

fluence et l’exemple de son père, viticulteur. Quand elle s’est

installée elle a pu compter sur son aide ainsi que sur celle de

son oncle maternel qui lui a permis d’occuper une partie de

ses vignes. « Si je n’avais pas eu de père viticulteur, je me serais

sans doute orientée vers le conseil en vin » confesse Sylvia : « Je

l’ai déjà fait pendant deux mois, tu te balades dans les caves, tu

dis bonjour, tu fais goûter les vins, ce n’est pas physique. Le soir

tu n’es pas sale et tu n’as pas les mains sèches coupées par les

tuyaux. C’est enrichissant, mais pas toute une vie. »

Une passion et des préjugés

En Australie, Sylvia n’a pas vu de domaine de femme.

En France, elle déplore que le vin soit trop souvent une

passion d’hommes où les femmes sont assignées à des

Sylvia TesteSylvia est une jeune chef d’entreprise qui gère

« le Mas Sylvia » un domaine qu’elle a créé en 2010

avec l’aide de son père lui-même viticulteur. Pour elle,

être une femme dans un milieu d’hommes n’a jamais

été un problème majeur, mais elle confesse devoir

composer avec certains préjugés persistants.((28

« A

Page 29: Drôme de Dames

tâches spécifiques, moins physiques, comme la vente ou la

communication. « Les gens sont souvent intrigués, ils ont du

respect, mais le fait que je sois une femme, les surprend parfois,

nous dit Sylvia. J’ai même entendu : ‘t’es une femme, mais en plus

ton vin est bon !’ » Les remarques de ce genre sont banales :

« Il y a un truc qui ne me parle pas du tout, c’est le vin de femme.

C’est agaçant, quand on s’installe, on est déjà casée dans une

catégorie. Ça ne veut rien dire, je le vois au quotidien : il y a des

femmes qui aiment les vins très tanniques et puissants et des

hommes qui aiment les vins légers. » Ces préjugés, Sylvia sait

qu’elle peut les surmonter en faisant ses preuves. En BTS,

pendant la recherche de stage, elle se rappelle qu’on spécifiait

le sexe de l’employé que la structure accueillante souhaitait.

« On te met à l’épreuve, on ne te ménage pas. Quand je suis

arrivée dans ma structure du Beaujolais, le maître de stage m’a

dit : ‘J’avais demandé un mec, mais vu que je suis sympa on m’a

encore refilé une nana !’ » Parfois encore, sur les salons de vente,

les acheteurs pensent qu’ils n’ont à faire qu’à la vendeuse :

« Pendant une animation en supermarché, les gens se disent

que je suis la commerciale de la cave, s’amuse Sylvia. Si tu n’a

pas une allure de paysanne, les gens pensent que ce n’est pas toi

qui fais le vin. Alors qu’un homme est crédible dès le début. » La

crédibilité insiste Sylvia, c’est ce qui compte avant tout.

« Quand on est une fille, il faut se dépasser plus qu’un garçon, il

faut prouver qu’on est capable. »

Le supposé charme féminin

Pour autant, elle ne pense pas qu’être un homme lui aurait

facilité la tâche, et qu’il y a même des inconvénients à en être

un. « Il y a un conflit intergénérationnel sur les exploitations.

Les vignerons se confrontent à leur père ou à leur grand-père

qui ont toujours leur manière de faire. » Sa féminité est aussi

un atout marketing ; elle la met en valeur, sans en abuser,

pour vendre son produit. Ainsi tous ses noms de cuvées sont

des noms de femmes, du blanc au rouge : « Cela

permet d’avoir une gamme cohérente avec un fil

conducteur. Puis je veux que le fait que ce soit un vin

produit par une femme se voie. » Sylvia récuse pourtant

ce côté charmeur qu’on attribue à la femme surtout

dans ce milieu d’hommes où certains peuvent avoir des

idées derrière la tête. « J’entends parfois de sales blagues,

des trucs très lourds. Au bout d’un moment, tu es obligée de

rigoler, c’est nul, mais c’est comme ça. »

Au fond, Sylvia nous confie que son métier lui demande

de faire beaucoup de sacrifices, principalement celui de

devoir mettre de côté sa vie personnelle. « C’est un choix, mon

métier est une passion. Sans ça, on ne le fait pas. » La maternité

est aussi une question qui la préoccupe. « C’est biologique,

la femme porte l’enfant neuf mois et durant tout ce temps-là,

elle ne peut pas goûter ses vins. Ça n’a l’air de rien mais c’est

un problème quand on est vigneronne et œnologue. » Pour

elle, c’est une question d’organisation, il faut cibler le bon

moment. Elle avoue y penser de plus en plus surtout depuis

que son domaine commence à gagner en indépendance

financière « La prochaine dizaine d’années sera décisive. Entre

30 et 40 ans, soit je le fais, soit j’ai raté le coche. C’est l’horloge

biologique, une pression féminine. »

“ Si tu n’a pas une allure

de paysanne, les gens

pensent que ce n’est pas toi

qui fais le vin ”

29)

Page 30: Drôme de Dames

enise se souvient que quand elle s’est mariée, c’était

son mari qui avait le carnet de chèques. Elle, a longtemps

été privée du droit de posséder un compte en banque.

« Quand la loi est passée, j’en ai immédiatement ouvert un » se

souvient-elle encore. C’était en 1965. Aujourd’hui âgée de

88 ans, Denise a pu constater que la situation de la femme

s’est nettement améliorée au cours du 20 siècle. « Je suis de la

génération des féministes après-guerre, beaucoup de mouve-

ment sont nés à ce moment-là. » Pour elle, c’est réellement,

le contrôle des naissances qui a changé le sort des femmes :

« Il y a un avant et un après » souligne-t-elle. Denise s’est mariée

tôt et a d’abord sacrifié une carrière professionnelle pour sa

vie de famille avant d’exercer le métier d’institutrice « J’ai fait

deux ans de médecine et je me suis mariée comme une imbécile.

A mon époque on arrêtait les études quand on se mariait, puis

j’ai eu des enfants. »

Le jazz a occupé et continue d’occuper une grande place

dans la vie de cette femme aujourd’hui retraitée. « Pendant

la guerre, le jazz a été un symbole de liberté pour beaucoup de

musicien français, comme Django Reinhardt. Puis après la

guerre il y a eu beaucoup de manifestations consacrés à ce

genre musical. En 1948, j’ai assisté au premier festival de Jazz à

Nice. J’étais passionnée de Jazz, c’est ce que j’aime. » Denise se

met à pratiquer le violoncelle et se forme en allant aux

concerts. Plus tard elle s’engage au sein de Crest Jazz Vocal

presque par hasard. Elle se rend d’abord en spectatrice à une

manifestation de musique consacrée au Jazz, à la Folk et à la

chanson, lancée par la Maison des Jeunes de Crest. Deux ans

plus tard, alors que cette manifestation est menacée de dis-

paraître une association créée pour maintenir l’événement

la contacte. Elle décide de s’impliquer et devient rapidement

la présidente de ce qui est devenu Crest Jazz Vocal. « C’était

beaucoup boulot qui consistait surtout à trouver des sous ! » Si

elle a accepté ce rôle, ce n’est pas par goût du pouvoir, mais

parce qu’elle avait « l’impression de pouvoir faire quelque

chose. » Là, elle découvre, un milieu « où on est libre, pas

sexiste et où il y a très peu de préjugés. »

Peu à peu, le festival s’est construit une vraie notoriété, et

a pu attirer des musiciens prestigieux. Denise se souvient

notamment de deux rencontres extraordinaires : Ray Charles

Denise DeronzierDenise Deronzier a été pendant 30 ans

la présidente du Crest Jazz Vocal, le prestigieux

festival consacré au jazz au cœur de la Drôme.

Aujourd’hui retraitée de l’enseignement,

elle raconte son parcours.((30

D

Page 31: Drôme de Dames

et Nina Simone. « Ray Charles est la plus grande vedette qu’on

ait eue » se rappelle Denise. Quant à Nina Simone, elle en

garde un souvenir plus contrasté mais amusé. « Nina Simone

était une emmerdeuse, c’était une Diva. Elle exigeait qu’on loue

une voiture neuve et parfaite pour la ramener de l’aéroport.

A peine sortie de l’aéroport, la voiture est tombée en panne.

Elle est entrée dans une colère noire. » Denise raconte aussi

comment la chanteuse américaine plaçait un réveil sur son

piano pour contrôler son temps de scène : « Elle jouait

60 minutes, pas une de plus. » Aujourd’hui, attirer des musi-

ciens de ce calibre apparaît impossible. « Les célébrités coûtent

cher, et le prix à payer pour des musiciens qui commencent à

peine à être reconnus devient exorbitant » regrette-t-elle. Une

évolution qu’elle explique par la crise du disque. Selon elle

« les artistes compensent avec les cachets des concerts. » la

baisse des ventes de disques. Tandis que le public, lui, est

évidemment davantage sensible aux têtes d’affiche. « Ce

qu’on essaie de faire, c’est de ramener chaque soir un artiste

inconnu, émergeant, et un groupe plus connu pour donner

de la visibilité au premier. » Le festival attire en moyenne

10 000 personnes pendant les 6 jours de concerts, de stages

et de concours de jazz vocal, de quoi effectivement mettre

en avant des artistes peu connus.

Parité impossible

Bien que le milieu associatif et culturel autour du festival

soit plus paritaire, les musiciens de Jazz eux sont souvent

des hommes « parfois macho » selon Denise. Il y a très

peu de femmes et ce sont surtout des pianistes. « Elles ont

peut-être moins de souffle » se demande Denise, puis se

reprenant « si ma fille m’entendait, elle me tuerait ! ». Sa fille,

nous dit-elle, est beaucoup plus féministe qu’elle et ne

laisserait sans doute pas passer une telle remarque. « Il n’y

a pas de raisons que les femmes jouent moins bien. De toute

façon, c’est impossible de faire la parité ». Malgré

tout, le prestigieux festival Jazz à Vienne a eu l’idée

de proposer des soirées à dominante féminine, fait

remarquer Denise.

Rester soi-même

Aujourd’hui, Denise a pris plus de recul par rapport au

festival, et il a fallu forcer les choses. « J’ai travaillé au

moins 30 ans pour ce festival et c’est beaucoup de charges.

Alors on n’est pas pressé de vous remplacer ! ». Elle continue

néanmoins à se tenir au courant des nouveautés et à

conseiller des groupes pour la programmation. Ayant

conservé beaucoup de contacts dans le milieu avec des

musiciens et des techniciens, elle se charge aussi, quand

elle en a l’occasion de faire des liens. Parfois encore elle s’offre

le plaisir d’assister à des concerts de jazz. Mais au-delà de

cette passion à laquelle elle a consacré beaucoup de son

temps, Denise continue de s’impliquer dans son village

comme elle l’a toujours fait (elle est notamment présidente

des amis du Temple de Eurre) et de s’intéresser aux débats

sociétaux qui ne manquent pas de la faire réagir, comme le

mariage entre personnes de même sexe ou les réformes

de l’Education nationale. Quant aux jeunes filles, elle les

encourage à « rester elles-mêmes. »

“ J’ai fait deux ans de médecine

et je me suis mariée

comme une imbécile ”31)

Page 32: Drôme de Dames

oxanne ne sait pas exactement quand lui est venue

l’envie de faire des films, mais plus jeune, elle dit avoir

beaucoup admiré Tim Burton, son « réalisateur fétiche à

l’époque ». Aujourd’hui, elle apprécie davantage le travail

d’un réalisateur comme Chris Marker « qui parvient à faire

des choses politiques avec finesse et sans côté moralisateur. »

Jusqu’au bac, Roxanne effectue sa scolarité à Montélimar

où elle passe une jeunesse qu’elle décrit comme « hyper

agréable » et part étudier à Chabrillan, puis à Villefontaine où

elle effectue un BTS audiovisuel en image. Enfin, elle s’inscrit

aux Beaux-Arts de Lyon pour « compléter sa formation avec

des connaissances artistiques ». Mais l’expérience est brève

car décevante : « Je n’ai pas trop aimé, je suis partie assez tôt,

puis j’ai présenté une école de cinéma, l’INSAS en Belgique, et

j’ai été acceptée. » Actuellement, en 3e année, la montilienne

essaie de multiplier les projets en dehors des travaux de

l’école. En 2e année, elle avait déjà réalisé un court-métrage

« Perruche », une histoire d’amour, tourné avec des copains

et sans argent : « C’était un tout premier qui était forcément

maladroit » précise-t-elle. Dans ses films, Roxanne essaie

de traiter des choses dont elle se sent proche, sans excès

d’ambition : « Je ne me sens pas encore les épaules de traiter un

sujet complexe » confie-t-elle. La représentation de la femme

au cinéma et l’homosexualité féminine sont des thèmes qui

reviennent souvent. Non pas en tant que sujets, « mais comme

quelque chose qui traverse un film » explique Roxanne « parce

que ça m’a manqué quand j’étais plus jeune ». Il lui arrive

d’ailleurs souvent d’éprouver de la « frustration devant les

modèles féminins proposés. »

Un cinéma personnel

De manière générale, Roxanne est attachée à la question des

minorités, du féminisme et à la théorie « queer ». Elles estime

aussi que le cinéma est un milieu assez inégalitaire, centré

sur les hommes et où les femmes sont cantonnées à des

rôles de séductrices, comme a tenté de le démontrer le test

de Bechdel-Wallace : « Cette étude comptabilise, entre autre,

le nombre de personnages féminins dans un film dont le but

n’est pas de séduire un homme. Ça englobe une proportion

Roxanne GaucherandDepuis trois années Roxanne étudie le cinéma

et les techniques de réalisation à l’INSAS de Bruxelles.

Mais c’est à Montélimar qu’elle a grandi, une ville

à laquelle elle rend hommage dans le court-métrage

qu’elle réalise, « Adhémar ».((32

R

Page 33: Drôme de Dames

très faible du cinéma. » Mais cela, observe Roxanne, tend

nettement à s’améliorer et « il y a eu une prise de conscience. »

Elle ajoute : « En France, il y a pas mal de jeunes réalisatrices

qui marchent et en école je constate que les réalisatrices sont

prises au sérieux autant que les réalisateurs. » En tout cas,

Roxanne est convaincue que le cinéma a vraiment une

grande influence sur la manière dont on perçoit les deux

sexes et dans cette perspective, elle a apprécié le personnage

que joue Sandra Bulock dans le blockbuster « Gravity » sorti

en 2013 : « C’est un gros film mais l’héroïne, Sandra Bulock, est

un personnage féminin intéressant. Elle n’est pas macho. On a

tendance à croire que pour faire un personnage féminin fort,

il faut qu’il soit masculin. C’est faux. » Malgré tout, Roxanne

avoue qu’elle a elle-même parfois certains mauvais réflexes :

« Il y a certains rôles, tu vas les donner à une fille, et tu te

demandes : ‘Pourquoi une fille ?’ Je pense qu’on est tous au

fond un peu sexistes. »

Adhémar : hommage à Montélimar

Il y a deux ans, Roxanne a entrepris un projet de film sur

Montélimar où elle a grandi, « Adhémar. » A l’origine de ce film,

il y a la désir de rendre hommage à sa ville mais également

le constat nostalgique que tout finit par se disloquer : « Ici, on

était un groupe d’amis et chacun est parti dans sa direction. »

Roxanne dit aussi vouloir montrer ce qu’il y a de particulier à

grandir dans une petite ville de province quand la majorité

des films de jeunes évoque Paris. « Quand on parle de notre

expérience de jeunesse à des gens qui ont grandi dans des

grandes villes, ça n’a rien à voir. Ils ne savent pas par exemple

la galère que c’est de rejoindre la ville quand on n’a pas de

voiture. » Mais ce sont aussi des avantages : « Ici, on se forge

plus sa propre culture, alors que dans les grandes villes, on suit

un peu plus les bonnes tendances au moment où il faut. » Ses

courts-métrages, Roxanne les réalise avec peu de moyens.

« C’est du cinéma artisanal, et personne n’est payé.

Mes amis étaient tous contents et emballés. Tout

le monde met la main à la pâte, pour s’occuper des

costumes, de la musique, de la régie. » Pour financer

« Adhémar », elle a ouvert un compte sur Ulule, un site

de financement participatif, et a obtenu des aides finan-

cières de quelques entreprises. Les journaux locaux lui

ont aussi permis d’obtenir un peu de visibilité et d’obtenir

des levées d’argent.

En attendant, il reste à Roxanne deux années de master à

effectuer à l’INSAS et comme tout étudiant en art, quelque

soit la discipline, l’avenir est un peu incertain. « En réalisation,

il n’y pas vraiment de harnais de sécurité. Personne ne t’attend

à la sortie et il y a surtout tout plein de gens qui veulent faire

des films. Puis, on a besoin de matériel technique et tout coûte

cher. On ne peut pas s’entraîner à faire un film, comme on fait

un croquis. Il faut faire le film. » Bien que cette perspective

l’effraie un peu, Roxanne a déjà réfléchi à la suite : « J’ai

décidé que j’allais me pencher vers la production, enchaîner les

stages dès l’année prochaine. » En parallèle, elle continue

d’élaborer son projet de film, un court-métrage qu’elle a

commencé à tourner en janvier : « Puis, je commence à écrire

en même temps un long-métrage qui sera une extension de ce

film, pour avoir un peu d’avance d’ici la fin de mes études et

pouvoir démarcher des boîtes de production et de gens qui

peuvent aider. »

“ Je pense qu’on est tous

au fond un peu sexistes ”

33)

Page 34: Drôme de Dames

a vie a voulu que je tombe constamment dans des

milieux plutôt masculins » nous dit Viviane Margerie,

présidente de Bioconvergence, l’association qui

regroupe les artisans transformateurs et distributeurs du

bio dans la région Rhône-Alpes. Au sortir de ses études

supérieures, et après quelques voyages à l’étranger, Viviane

trouve un premier emploi dans une entreprise de transports

routiers internationaux où on ne compte sur 200 employés

qu’une seule femme, elle ! « Les chauffeurs n’étaient pas parti-

culièrement tendres. J’ai tout de même apprécié parce que

c’était un défi. » Le mariage avec un homme de la terre change

son orientation professionnelle. « Le domaine agricole n’est

pas particulièrement féminin non plus, mais il y a des valeurs

qui sont les miennes, comme le travail. » Elle retrouve égale-

ment dans ce milieu deux thèmes qui lui tiennent à cœur :

l’environnement et le contact humain, et c’est par logique

qu’elle s’engage en faveur de l’agriculture bio. Elle crée une

première structure, un regroupement de producteurs bio de

la région, puis crée une deuxième société, au sein de l’exploi-

tation agricole, la ferme Bio Margerie à un moment où ce

type d’agriculture n’intéresse pas encore beaucoup de gens.

Enfin, elle contribue à fonder Biocoop, un réseau national de

magasins bio.

Une passion pour l’environnement

L’environnement et sa préservation occupent une grande

place dans le parcours professionnel de Viviane. « La passion

de l’environnement est innée chez moi. Se battre pour avoir une

planète plus saine, c’est une bonne raison de vivre, je trouve. »

A l’origine de son choix et celui de son mari de pratiquer

une agriculture biologique il y a la volonté de « respecter les

consommateurs. » Elle s’explique : « Ça me paraissait logique

de ne pas empoisonner les gens, car je leur vendais directement

les fruits. » Avec la création de l’association BioConvergence,

Viviane réunit plusieurs acteurs de développement agricole

et écologique. Cette association conseille les entreprises

qui fabrique ou veulent fabriquer des produits bio : « On

s’occupe de petites et moyennes entreprises, transformateurs et

distributeurs, on les conseille sur la marche à suivre, on les guide

Viviane MargerieViviane s’est retrouvée un peu par hasard

dans le monde de l’agriculture. Aujourd’hui elle s’est

complètement investie dans l’agriculture bio

dont elle défend les intérêts en tant que présidente

de l’association Bioconvergence((34

« M

Page 35: Drôme de Dames

dans leur développement, on défend leur métier. » L’association

est aussi un vrai interlocuteur pour la Région au niveau

politique. Ce qui tombe bien, car Viviane a des choses à dire.

Pour elle, les financements européens, bien que des efforts

aient été faits, devraient être beaucoup plus important pour

l’agriculture bio « C’est difficile de faire bouger les choses au

niveau de l’Europe » déplore Viviane.

Ils sont toujours devant pour les photos

Viviane n’a eu aucun mal à s’affirmer dans des milieux

masculins. Cette force, elle la tient en partie de la famille dans

laquelle elle a grandi. « Ma mère qui était très revendicative

m’a inculquée la plupart de ses idées. Puis j’avais deux frères

et l’habitude de me battre pour m’imposer. » Si elle se définit

elle-même comme féministe, c’est surtout d’un point de vue

social, notamment dans sa volonté d’être indépendante

financièrement. « Je ne suis pas militante, je fais partie des

gens qui démontrent que la femme a une grande place dans la

société. » De plus, Viviane estime que la place réservée aux

hommes est trop dominatrice en politique notamment : « Ils

sont toujours là quand il s’agit de se mettre en avant, pour les

photos, dans les journaux. » Selon elle, il y a encore beaucoup

de combats à mener pour accéder à un respect mutuel entre

les deux sexes. En ce sens, l’image que l’on donne de la femme

est fondamentale et elle est déplorable : « Actuellement, dans

la communication, dans la publicité, il n’y a que des femmes

dénudées, prises pour des objets, c’est très insidieux dans la

durée et à force de matraquage » regrette Viviane. De même

une femme qui a (suivant l’expression de ces messieurs)

« un physique », aura moins de difficultés à s’imposer. « On

continue de nous prendre pour des pots de fleurs ! »

Le sujet de la maternité est un sujet qui revient souvent

dans le cadre du travail. Viviane pense que malgré toutes

les commodités et réformes sociales c’est souvent un frein

pour toutes les femmes et particulièrement

pour celles qui sont chefs d’entreprise ; Viviane a

elle-même dû faire le choix de ne prendre qu’une

semaine après avoir accouché. Parfois les employeurs

craignent d’embaucher des femmes qui sont suscep-

tibles de procréer : « La loi, c’est une chose, mais il y a

surtout ce que l’on subit et les non-dits » note Viviane. Face

à ces obstacles, la présidente de Bioconvergence dit son

admiration pour les femmes qui accèdent à de hautes

responsabilités : « Il faut avoir la niaque pour pouvoir s’im-

poser. Tout ce que les femmes ont obtenu, elles l’ont souvent

imposé. » Dans son association, il y a des femmes au Conseil

d’administration et de manière générale, elle en emploie

assez facilement car, les femmes restent évidemment plus

intéressées par l’alimentation.

Si la situation des femmes en France peut être acceptable

malgré tout, c’est loin d’être le cas partout : « Dans le monde,

la condition de la femme est inacceptable, c’est une catastrophe.

On recule à grand pas » s’inquiète Viviane. Mais il reste des

militantes qui défendent leurs idées à n’importe quel prix :

« Les femmes sont beaucoup plus courageuses », affirme

Viviane et pour elle c’est justement une des raisons pour

lesquelles les hommes utilisent la religion pour les rabaisser.

« Ils ont peur tout simplement de « La femme » car dans nos

sociétés modernes elle est beaucoup plus présente dans

tous les domaines. » C’est aussi pour cela qu’elle souhaite

mettre en garde les femmes : « Faites attention à l’image

de la femme, n’acceptez pas tout. Et attention également

aux mots prononcés ! »

“ On continue

de nous prendre pour

des pots de fleurs ! ”35)

Page 36: Drôme de Dames

n 1943, Marie est aide-soignante à l’hôpital de Romans

où elle travaille en tant qu’interne depuis 6 ans avec son

mari, brancardier. Ils s’étaient mariés juste avant la guerre,

en 1938. « Je suis entrée en Résistance en 1943 à l’hôpital de

Romans, où exerçait le docteur Fernand Ganimède qui était

chirurgien. C’est moi qui faisais les pansements aux maquisards,

le docteur m’envoyait là où il y avait des blessés, et je faisais ça en

dehors de mes heures de travail. » En état d’alerte permanent,

le couple est sollicité, comme tout le personnel soignant,

de jour comme de nuit et « si on avait besoin de nous, se

emémore Marie, on venait nous réveiller. »

Le 9 juin 1944, le maquis monte un hôpital militaire à Saint-

Martin-en-Vercors dans une colonie de vacances. Plusieurs

femmes sont engagées dans la Résistance, comme Odette

Malossane, une jeune infirmière qui vient tout juste d’arriver.

« En tout il y avait deux docteurs et six autres infirmières »

précise Marie. Dans la nuit du 21 au 22 juillet, sous la menace

des Allemands qui arrivent à Saint-Martin, l’hôpital doit se

replier vers le sud et se dirige d’abord vers Die : « Un médecin

de Valence devait nous attendre là pour nous diriger d’un autre

côté avec les blessés, mais lorsque nous y sommes arrivés, les

Allemands étaient là » se souvient Marie. Le docteur Ganimède

prend alors la décision de cacher tout le monde dans la grotte

de la Luire dans le massif du Vercors. « Les sentiers étaient

petits et caillouteux, c’était très difficile de monter les blessés.

Seul le personnel strictement nécessaire devait y rester, les

autres et les blessés qui pouvaient se suffire à eux-mêmes sont

allés dans les bois autour de la grotte. » Marie se souvient

encore que dans la grotte, les gouttes de pluie qui filtraient

à travers les parois sonnaient comme des bruits de pas.

La fuite par les bois

Parmi les aide-soignantes, Marie est la seule femme mariée.

C’est la raison pour laquelle le docteur Ganimède estime

qu’elle ne doit pas se séparer de son mari qui fait partie du

personnel désigné pour aller se cacher à l’extérieur de la

grotte, dans les bois. « C’est pour ça, que nous n’avons pas

été pris » explique Marie. Dans les bois, le terrain pentu est

glissant à cause de la pluie ; les maquisards doivent donc

Marie RoblèsRésistante et centenaire en 2013,

Marie Roblès est la dernière survivante

des évènements tragiques qui se sont déroulés

dans la grotte de la Luire en 1944. ((36

E

Page 37: Drôme de Dames

se cramponner aux arbres et enrouler leurs jambes autour

des troncs penchés. Pour boire, ils ouvrent la bouche. Enfin,

les rondes incessantes des Allemandes les obligent à ne

parler qu’à voix basse. « Un mouchard nous surveillait d’en

haut et en bas, on voyait les Allemands circuler. » Dans la forêt

une équipe de l’hôpital de Saint-Jean-en Royans se trouve là

aussi. Avec cet autre groupe, Marie et les autres résistants

redescendent par la forêt de Lente : « Nous marchions la nuit

et le jour nous étions camouflés dans les bois. » Par dessus tout,

et quel qu’en soit le prix, il n’est pas question de se faire

prendre : « Nous préférions nous jeter dans le ravin plutôt que

d’être pris, parce que nous savions que dans ce cas nous serions

battus et fusillés. »

La nuit dans la grotte de la Luire

Ainsi, Marie et son mari se trouvent dans les bois quand le

27 juillet, les Allemands montent finalement vers la grotte de

la Luire. Ces derniers se manifestent par des tirs de grenades

et des coups de feu en l’air ; il s’agit vraisemblablement de

SS et ils se livrent à un véritable massacre, sans la moindre

pitié : « Nous avions quatre blessés allemands qui étaient nos

prisonniers. Il ont dit aux SS qu’ils avaient été très bien soignés

par les Français et qu’il s’agissait bien d’un hôpital, mais ils n’en

ont pas tenu compte. » La plupart des blessés sont tués sur

leur lit de fortune lors de cette attaque : « Quand on est partis

de Saint-Martin, on avait 87 blessés et quand la grotte de la

Luire a été évacuée, il n’en restait plus que 25. Ils ont tous été

fusillés. » Les blessés sont emmenés par les Allemands au col

du Rousset et, dès le lendemain, ces derniers leur font creuser

leur propre tombe avant de les exécuter : « Et ceux qui ne

pouvaient pas marcher ont été descendu sur le terre plain, ils

les ont jetés au bas de la grotte après les avoir fusillés. » Le

28 juillet, les Allemands emmènent les infirmières et les

médecins à Grenoble. Certains sont fusillés à leur tour, d’autres,

comme le docteur Ganimède, trouvent le moyen

de s’échapper, et d’autres enfin sont déportés,

comme Odette, morte à Ravensbrück en 1945.

Ayant échappée au massacre, Marie repart avec son

époux à Romans. Le couple arrive dans la commune

le 11 août. Le 22 août 1944, Romans est délivré une

première fois. « Le 24 on a enterré nos morts, ceux qui ont

péri pendant la première prise de Romans. » Le même jour,

tous les deux suivent le docteur Ganimède qui entreprend

de monter un nouvel hôpital non loin de Valence. Nouvelle

alerte : les Allemands arrivent de leur côté : « On a repris les

bois pendant un jour et une nuit, mais ils ne sont pas venus. »

Le 11 septembre 1944, Marie « arrête ». Son mari toujours

dans le bataillon de sécurité à Valence est démobilisé le

30 août 1945 et depuis la fin de la guerre, celle qui est

aujourd’hui centenaire reste hantée par ces évènements

dont elle est la dernière rescapée : « La grotte de la Luire,

je l’aurais toujours dans la tête. C’est une chose que jusqu’à la

fin, je ne peux pas oublier » confie-t-elle. Il lui est arrivé d’y

retourner depuis, mais à chaque fois nous dit-elle la main

sur la poitrine, « le cœur serré». Aujourd’hui, il est de plus en

plus difficile à Marie, toujours très lucide, de se rendre à toutes

les commémorations : « Je participais à toutes les cérémonies,

mais maintenant je ne peux plus rester tellement droite. »

Mais pour ses 100 ans, elle s’est tout de même déplacée à

la mairie de Romans où elle a été reçue par le maire : « J’ai

reçu beaucoup de fleurs, j’ai été très gâtée. »

“Jusqu’à la fin,

je ne peux pas

oublier ”37)

Page 38: Drôme de Dames

n 2007, quand elle est embauchée par son père,

Clémentine se dit qu’elle est là pour dépanner, le

temps de la saison. A l’époque, la toute jeune femme

est fraîchement diplômée d’un BTS agricole en production

animalière et d’une licence en tourisme, deux formations

qu’elle a entreprises dans l’idée de développer l’agrotourisme,

créer des chambres d’hôtes et aussi un peu assurer ses

arrières. Son projet nous dit-elle était « à la base recentré sur

l’élevage. » Il faut dire que c’est un domaine qu’elle connaît

bien et dont elle a appris les rouages en observant son père,

chef d’une exploitation agricole. Aujourd’hui pourtant, par

manque de temps, Clémentine a laissé tomber la production

animalière pour se consacrer entièrement à l’actuel domaine

viticole de son père racheté en 1999. « C’est un job que je ne

connaissais pas, confie-t-elle. Quand le domaine a été racheté,

ça ne m’intéressait pas, maintenant je ne veux pas faire autre

chose. » Clémentine avoue aussi que l’élevage aurait sans

doute été beaucoup trop difficile à assumer pour une femme

comme elle. « C’est très contraignant, c’est tous les jours. Il

faudrait avoir son compagnon là-dedans. C’est difficile d’avoir

une vie de famille ou de partir en vacances ». Au contraire,

dans le domaine viticole elle dit avoir un confort de travail et

une vie sociale.

Ma cave, mon bébé

Dans l’exploitation, ils sont trois : son père, le cousin de

son père et elle, qui est la seule salariée. Mais tacitement,

c’est bien elle qui tient les rennes de l’affaire. D’ailleurs elle

n’a qu’une hâte, c’est de pouvoir rapidement reprendre la

gérance du domaine. « J’espère mettre mon père à la retraite ! »

dit-elle avec un mélange de bienveillance pour le chef et de

détermination. Son père qui l’aide dans le domaine viticole

est de toute façon davantage investi dans l’exploitation

agricole. « Je me suis débrouillée toute seule, je m’y suis investie,

j’aimerais qu’il me laisse le projet. » Après sept ans de travail

dans le domaine, elle estime avoir en effet toutes les capacités

pour gérer l’entreprise en autonomie, sans l’aide de son père.

Cette cave, c’est son « bébé » : « J’ai su y insuffler un regard

nouveau », ajoute-elle.

Clémentine BompardC’est dans le domaine viticole, « Le Dôme d’Elyssas »

situé dans les Granges-Gontardes près de Montélimar

que Clémentine nous accueille. Seule salariée de l’exploitation

de son père, cette jeune femme entreprenante et ambitieuse

attend la retraite de son père pour reprendre

complètement la gérance du domaine. ((38

E

Page 39: Drôme de Dames

Clémentine n’a jamais souffert d’être une femme dans un

milieu plein de « bonhommes » (le terme revient inlassable-

ment dans sa bouche) et cela, elle le doit en grande partie

à son fort caractère. « Les mentalités évoluent et les femmes

sont de mieux en mieux perçues. Oui, c’est en train de changer »

nous dit-elle convaincue que ce n’est qu’une question

d’adaptation. Pourtant, elle reconnaît que la femme souffre

d’un vrai handicap : celui de devoir porter un enfant pendant

9 mois, « un problème de base » selon ses propres mots que

les hommes ne « connaissent évidemment pas ». Elle ajoute

que la maternité est la principale barrière d’un point de vue

pratique à l’émancipation professionnelle de la femme. Pour

autant, elle compte bien fonder sa propre famille et quand le

jour viendra, elle assure qu’elle mettra les choses au clair

dans son entourage professionnel et qu’elle se donnera pour

priorité de bien s’occuper de sa progéniture.

Clémentine a peu de relations féminines et ça ne lui manque

pas : « On n’a pas les mêmes centres d’intérêt », précise-t-elle.

D’ailleurs, elle a pris l’habitude depuis ses études de ne

fréquenter presque que des milieux d’hommes. Parmi ses

multiples occupations, elle également est pompier volontaire,

la seule fille de son équipe et cela ne lui pose pas de problèmes.

« Il n’y a pas de sexe chez les pompiers. Il n’existe pas de féminin

à ce nom de métier, on est tous au même niveau. » Elle apprécie

l’esprit de solidarité de ce milieu ; les autres pompiers l’aident

et la soutiennent, et les garçons se montrent plus attentifs

avec elle, même si elle affirme n’avoir pas besoin de traitement

spécial. En ce sens pour Clémentine la journée de la femme

est un concept pour le moins abstrait, mais dont elle garde

un souvenir amusant : « En BTS agricole, j’étais la seule nénette,

pour la journée de la femme, on me faisait à manger, des pâtes

infectes ! » Malgré tout, elle sait que tout n’est pas toujours

tout rose : « La femme doit prouver deux fois plus de choses

pour être appréciée comme un bonhomme » concède-t-elle « Il

faut avoir du caractère, surtout si on est une femme ». Clémentine

a déjà subi des réflexions de la part de collègues

masculins : « T’es qu’une gonzesse, t’y arriveras pas »,

sans compter les jeunes agriculteurs célibataires qui

se montrent un peu trop entreprenants avec elle.

Mais peu à peu, elle a su s’imposer et se faire respecter.

La part féminine du métier

Toujours désireuse de s’investir franchement dans tout ce

qu’elle entreprend, Clémentine est depuis 2009, secrétaire

générale au syndicat des Jeunes Agriculteurs de la Drôme.

« Ils sont venus me chercher » explique la jeune femme, qui

occupe ainsi une fonction déjà occupée par son père dans

sa jeunesse. « Je suis la seule fille du Conseil d’administration.

Je représente un peu la part féminine du métier », plaisante-elle.

Aujourd’hui elle aspire au poste de présidente de l’association

mais avoue que s’engager plus profondément dans le syndicat

des Jeunes Agriculteurs n’est pas son projet : à long terme,

son rêve reste de fonder une famille et d’avoir les moyens et

le temps de le faire.

“ T’est qu’une gonzesse

t’y arriveras pas ”

39)

Page 40: Drôme de Dames

Sylvia Teste Quand on est une fille, il faut se dépasser plus qu’un garçon, il faut prouver

qu’on est capable Roxanne Gaucherand Je pense qu’on est tous au fond un peu

sexistes Josette Fournié Il faut qu’il y ait un partage des tâches entre l’homme et la

femme Edith Cerf Une femme n’est pas une variété d’hommes Annie Mazuray Il

faut que les femmes s’engagent Denise Deronzier A mon époque, on arrêtait les

études quand on se mariait Viviane Margerie Tout ce que les femmes ont obtenu,

elles ont bien souvent dû l’imposer Meriem Fradj Ce qui m’afflige, c’est qu’on doute

encore des compétences des femmes qui doivent en faire dix fois plus Paulette Barret

Pour moi, c’est aussi un plaisir d’aider Françoise Bourdon Le féminisme ne doit pas

être un prétexte pour créer une nouvelle inégalité Josiane Berruyer Ce n’est pas

parce que les hommes ne seront plus dominants que les femmes le deviendront Lydia Zali J’ai un métier assez prestigieux, mais si j’y suis arrivée, tout le monde peut y arriver

Alexandra Isvarine J’avais une 205 qui avait au moins 15 ans, j’y ai mis l’essentiel (…)

et je suis partie vers l’inconnu Marie-Noëlle Babel Il faut oser rester femme, avec nos

différences de femme Marie Roblès Nous préférions nous jeter dans le ravin plutôt

que d’être pris, parce que nous savions que dans ce cas nous serions fusillés Claudine Mukezangango Dans la réalité, une femme a souvent trois journées de travail : avant

de partir le matin elle doit s’occuper des enfants, puis partir au travail et le soir rentrer et

s’occuper de la vie de famille.