Droit pénal général au Maroc
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Mme Turki.A -Droit pénal général
1
Introduction Générale
* Droit pénal, Droit criminel. Un premier problème d’ordre terminologique se ـــ
pose à l’étude de cette branche du droit. Certains systèmes juridiques et certains
auteurs préfèrent le vocable « Droit pénal » alors que d’autres optent pour le « Droit
criminel ». Au fait, il s’agit de faire entre ces deux appellations parce qu’aucune
d’elles n’est parfaite ni complète. En effet, « Droit pénal » met l’accent sur la peine
qui est l’une des réactions de la société face au phénomène criminel. Quant au terme
« Droit criminel », il désigne la catégorie d’infraction la plus grave à savoir le crime.
Ainsi, dans ces deux appellations, « la partie devient le symbole du tout 1».
Notons qu’en droit tunisien, le décret du 1er octobre 1913 a utilisé le terme « Code
criminel المجلة الجنائية » alors que la traduction française du même décret utilisait
l’expression « Code pénal ». La loi n° 2005-46 du 6 juin 2005 portant approbation de
la réorganisation de quelques dispositions du code pénal et leur rédaction est venu
corriger quelque peu cette erreur en optant dans la version originale en arabe pour le
«Code des sanctions المجلة الجزائية » qui s’approche un peu de la signification du mot
« Code pénal ».
* Définition du Droit pénal. Le droit pénal est l’ensemble des règles juridiques qui ـــ
déterminent les actes et les omissions que le législateur considère comme des
infractions ainsi que les sanctions qui leurs sont attribuées. MM. MERLE et VITU
considèrent que « le droit criminel est constitué par l’ensemble des règles juridiques
qui organisent la réaction de l’Etat vis-à-vis des infractions et des délinquants et qui
traduisent en normes obligatoires les solutions positives appliquées par chaque nation
au problème criminel 2».
Ces deux définitions concernent plus les disciplines juridiques, voire techniques du
droit pénal (A). D’un autre côté, certaines disciplines scientifiques ont accordé un
intérêt particulier au phénomène criminel ce qui est de nature à apporter une aide
importante au droit pénal proprement dit (B).
-A- Les disciplines juridiques du droit pénal :
1- Le droit pénal spécial : C’est « le droit des infractions3».Le législateur
dresse une liste d’actes incriminés et l’objet du droit pénal spécial est l’étude du
régime particulier de chaque infraction : ces éléments constitutifs ainsi que la peine
qui lui est attribuée. C’est la partie la plus concrète du droit pénal puisque le juge est
amené à décider si les faits dont il est saisi constituent ou non une infraction prévue
1 R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel, 6
ème édition, CUJAS, Paris, 1984, p.214.
2 op. cit., p.213, n°146.
3 Jacques LEROY, Droit pénal général, L.G.D.J., Paris, 2003, p.53, n°71.
Mme Turki.A -Droit pénal général
2
par le législateur dans le catalogue des incriminations : cette opération intellectuelle
s’appelle la qualification des faits.
La liste des infractions est produite en majeure partie dans le livre II du Code pénal
intitulé « Infractions diverses et peines encourues ». Ce livre est constitué d’un titre
premier consacré aux « Attentats contre l’ordre public » et d’un second relatif aux
« Attentats contre les particuliers ». Le troisième livre du Code pénal est consacré aux
« Contraventions ».
En dehors du Code pénal, il existe plusieurs textes d’incrimination qui ne sont pas
codifiés telle que la loi 91-64 du 29/07/1991 relative à la concurrence et au prix ou
qui sont insérés dans d’autres codes tels que le Code de la protection de l’enfant (les
articles 118 à 123) le Code du statut personnel (article 18 relatif à l’interdiction de la
polygamie, article 53 bis relatif à la peine encourue en cas de non-versement de la
pension alimentaire ou de la rente de divorce )…
De cette branche ancienne du droit pénal sont nées plusieurs disciplines particulières
qui se rapportent à certaines infractions ayant un objet commun. On peut citer,
notamment, le droit international pénal qui traite de la répression des infractions
imputables aux Etats ou à leurs dirigeants et agents tels que les crimes de guerre et les
crimes contre l’humanité…
Il y a également le droit pénal des affaires ou le droit pénal économique qui
réprime l’infraction d’affaire. Celle-ci est caractérisée par le fait qu’elle porte atteinte
à des droits collectifs et qui est commise dans le cadre d’une entreprise économique4.
Ainsi, le droit pénal des affaires comprend lui-même plusieurs disciplines telle que le
droit pénal économique ou du marché (qui traite de la concurrence et de la
consommation), le droit pénal financier (fisc, douane, banque, bourse), droit pénal
des sociétés, droit pénal social (infractions relatives au droit du travail et de la
sécurité sociale), droit pénal de l’environnement (urbanisme, pollution).
2- Le droit pénal général : C’est « le droit de l’infraction5 ». Il ne
s’intéresse pas à celle-ci in concreto, mais par une analyse abstraite « réalise la
synthèse du droit pénal spécial 6». Le droit pénal général énonce les principes
communs à toutes les infractions et au régime général des sanctions qui leurs sont
afférentes.
Le droit pénal général est contenu dans le livre I du Code pénal intitulé « Dispositions
générales » et qui est constitué de six chapitres :
- Etendue des effets de la loi pénale.
- Des peines et de leur exécution.
- Des personnes punissables.
- De la responsabilité pénale.
- Du concours d’infractions et des peines.
- De la tentative.
4 J. PRADEL, Droit pénal général, CUJAS, Paris, 2003, p.58, n°51.
5 Jacques LEROY, op. cit., p.53, n°70.
6 Op. cit., loc. cit.
Mme Turki.A -Droit pénal général
3
A côté du droit pénal, qui est un droit purement interne, il existe un droit pénal
international, plus proche du droit pénal général que du droit pénal spécial et qui
s’occupe des problèmes de conflits d’autorités telle que la compétence internationale,
l’extradition, les effets internationaux des jugements répressifs et aux conflits des lois
pénales.
Toutefois, il ne faut pas confondre entre le droit pénal international et les règles
internes propre à un Etat particulier et qui sont édictées pour résoudre les conflits des
lois et des juridictions. Les règles du droit pénal international sont issues des
conventions internationales qui traitent des questions d’intérêts communs entre les
Etats telle que l’entraide judiciaire.
3- La procédure pénale : Si l’objet du droit pénal de fond (pénal spécial
et pénal général) est de déterminer les faits incriminés et leurs sanctions, sa mise en
œuvre n’est pas du ressort de la victime de l’infraction mais de la puissance publique
à travers un procès équitable. L’article 12 de la constitution dispose que « tout
prévenu est présumé innocent jusqu’à l’établissement de sa culpabilité à la suite
d’une procédure lui offrant les garanties indispensables à sa défense ».
Ainsi, l’exercice de l’action publique et l’instruction, la détermination des juridictions
de jugement et les voies de recours et les procédures d’exécution sont l’objet du droit
de la procédure pénale.
4- Le droit pénitentiaire, la science pénitentiaire ou pénologie :
Ce sont là trois appellation de la discipline qui « étudie le régime juridique ou
administratif des sanctions prescrites par la loi positive7». Cette discipline est à
cheval entre le droit pénal général et la procédure pénale.
Il est à noter que par la loi n° 2000-77 du 31 juillet 2000, l’intitulé du chapitre Ier du
livre V du Code de procédure pénale a été modifié pour devenir «De l’exécution des
sentences pénales et du juge d’exécution des peines ». Cette même loi a ajouté un
article 342 bis/1 qui dispose que « le juge d’exécution des peines contrôle les
conditions d’exécution des peines privatives de liberté purgées dans les
établissements pénitentiaires sis dans le ressort de sa juridiction». Suivent cet article
trois autres articles ajoutés par la même loi pour préciser les fonctions et compétence
du juge d’exécution des peines ce qui démontre l’importance de cette nouvelle
fonction dans la politique pénale du législateur.
Le droit pénitentiaire ou pénologie est d’une nature hybride. En effet, c’est une
discipline juridique qui fixe le régime d’exécution des peines en milieu carcéral et
une discipline scientifique qui expérimente les différents systèmes sanctionnateurs en
usage. « Par ce côté pratique et spéculatif, « la pénologie » est plus directement
influencée par les sciences complémentaires du droit criminel 8».
7 R. MERLE et A. VITU, Op. cit., p.215.
8 Op. cit., Loc. cit.
Mme Turki.A -Droit pénal général
4
-B- Les sciences criminelles : Le droit pénal ne peut se contenter d’une étude purement technique du phénomène
criminel en appliquant purement et simplement les règles juridiques qui déterminent
les actes incriminés et leur assènent les peines prévues par la loi. Le recours à la
science est nécessaire pour mieux « traquer » le délinquant d’une part et mieux le
comprendre et comprendre les raisons qui le poussent à commettre l’infraction.
Comme disaient MM. MERLE et VITU, « le « criminaliste » (juriste pénaliste) ne
peut négliger le secours que lui apporte le « criminologiste » (technicien de la
criminalistique) et le « criminologue » (spécialiste de la criminologie) 9».
1- La criminalistique : Egalement dite science du procès, concourt à la
constatation matérielle des infractions et à la recherche des coupables. Elle comprend
un certain nombre de disciplines scientifiques dont on peut citer notamment :
- La médecine légale : par un examen du corps humain, elle permet de
renseigner le juge sur les causes d’un décès, l’heure de la mort, les
circonstances d’une blessure…
- La toxicologie ou science des poisons qui permet de savoir si un produit
administré à une personne était de nature à donner la mort.
- La police scientifique et la police technique s’occupent des circonstances de
l’infraction en étudiant les traces laissées par le délinquant (tache de sang,
arme du crime…).
2- La criminologie : On peut présenter trois définitions de la criminologie.
Une définition large selon laquelle la criminologie est la science qui étudie
l’infraction en tant que phénomène social. Cette conception englobe ainsi la
sociologie pénale, la politique criminelle et la pénologie. Selon une conception
étroite, la criminologie serait la seule étude des causes du crime. Enfin, et d’après une
conception médiane, la criminologie est l’étude des causes du crime et du traitement
du délinquant et de la prévention de la récidive.
La criminologie peut être utile lors des trois phases de la réaction de la société face au
phénomène criminel :
- Lors de l’incrimination, la criminologie peut orienter la politique criminelle du
législateur.
- Lors du procès, le juge peut tenir compte, au moment du choix de la sanction,
de la personnalité du condamné.
- Enfin, l’exécution des sanctions doit être faite en fonction des connaissances
criminologiques qu’on a du sujet particulier.
Il est clair de tout ce qui précède que si les sciences criminelles s’occupent de
l’infraction et de la peine avec un œil analytique pour tenter d’améliorer la réaction
de la société face au phénomène criminel, les disciplines juridiques du droit pénal
9 Op. cit., p.215, n°148.
Mme Turki.A -Droit pénal général
5
sont normatives et sanctionnateurs. Elles déterminent les actes qui sont considérés
comme des infractions et sanctionnent les personnes qui les commettent.
Le droit pénal général s’occupe précisément de déterminer dans quels cas et sous
quelles conditions un acte déterminé peut être considéré comme une infraction
(Première Partie) et comment sera mise en œuvre la peine qui lui est assortie
(Seconde Partie).
PREMIERE PARTIE
L’infraction
* Définition de l’infraction. La doctrine a proposé plusieurs définitions de ـــ
l’infraction. Le courant allemand a opté pour une définition objective en considérant
l’infraction comme étant « la violation matérielle de la loi pénale » ou « l’état de fait
puni par la loi » ou encore « l’endommagement ou la mise en péril d’un bien que le
législateur pénal doit protéger, au nom de l’intérêt public, par l’efficacité de la
peine ».
La conception française classique tend à ressemble dans la définition de l’infraction
toutes les conditions objectives et subjectives de la responsabilité pénale. Ainsi,
l’infraction serait « la manifestation fautive d’une volonté agissant contre le droit et
sanctionné par la loi au moyen d’une peine ». D’autres auteurs décrivent l’infraction
comme « la violation d’une loi de l’Etat promulguée pour protéger la sécurité des
citoyens, résultant d’un acte externe de l’homme, positif ou négatif, socialement
imputable, ne se justifiant pas par l’accomplissement d’un devoir ou l’exercice d’un
droit et punie d’une peine par la loi »10
.
Ces multiples définitions varient selon l’aspect de l’infraction qu’on veut accentuer
dans la définition. Mais, d’une manière générale on peut présenter l’infraction comme
l’acte ou l’omission que la société interdit sous la menace d’une sanction pénale.
* Infraction et notions voisines. L’infraction ainsi définie constitue un fait ـــ
juridique qu’il convient de distinguer du délit civil et de la faute disciplinaire.
- Le délit civil est prévu par l’article 82 du Code des obligations et des contrats qui
considère que « tout fait quelconque de l’homme qui, sans l’autorité de la loi, cause
sciemment et volontairement à autrui un dommage matériel ou moral, oblige son
auteur à réparer le dommage résultant de son fait, lorsqu’il est établi que ce fait en
est la cause directe ». Etant tout fait illégal causant un dommage à autrui, les délits
sont illimités en nombre à l’inverse de l’infraction qui ne concerne que les faits
incriminés expressément par le législateur. Ensuite, la sanction civile consiste en la
réparation du préjudice subi ce qui veut dire qu’en l’absence de préjudice pas de
réparation. La commission d’une infraction appelle une sanction pénale ayant pour
but de punir et aussi de rééduquer le délinquant du simple fait d’avoir violé
10
Définitions citées par MERLE et VITU, op. cit., pp.471-473, n°357.
Mme Turki.A -Droit pénal général
6
l’interdiction de la loi ce qui explique que la seule tentative d’infraction est
sanctionnée même en l’absence de préjudice subi par la victime.
- La faute disciplinaire consiste en la violation de règles propres à un groupement
professionnel11
. Parfois, on peut commettre une faute disciplinaire sans que l’acte
commis ne soit inscrit dans un texte, tel que le manquement à l’honneur
professionnel, ce qui ne peut être le cas pour l’infraction comme précédemment
indiqué. En ce qui concerne la sanction des fautes disciplinaires, il faut indiquer
d’abord qu’elles sont prononcées par un organisme professionnel et qu’elles ne
touchent que la relation de la personne avec la profession en question, telle que le
blâme, la retenue de salaire ou la radiation. Les infractions sont par contre punies par
des juridictions répressives avec des sanctions pénales.
* Classification des infractions. Plusieurs classifications des infractions ont été ـــ
envisagées par la doctrine. Ainsi, de par leur nature, on peut distinguer entre les
infractions de droit commun, les infractions politiques et les infractions militaires. Est
une infraction politique l’atteinte portée à l’organisation et au fonctionnement de
l’Etat ainsi que les attentats contre la sûreté intérieure (art.63 à 80 C.P.) et extérieure
de l’Etat (art.60 à 62 bis C.P.). L’infraction militaire concerne les violations du
devoir ou de la discipline militaire. Le Code de justice militaire promulgué par le
Décret du 10 janvier 1957 énonce un certain nombre d’infractions « dites militaires »
telle que l’insoumission (art.66 C.J.M.), la désertion (art.67 à 77 C.J.M.), le
détournement et recel d’effets militaires (art.99 à 102 C.J.M.), la capitulation
(art.115-116 C.J.M.)…
Le législateur a également défini l’infraction terroriste dans la loi n°2003-75 du 10
décembre 2003, relative au soutien des efforts internationaux de lutte contre le
terrorisme et la répression du blanchiment d’argent. Selon l’article 4 de cette loi « est
qualifiée de terroriste, toute infraction quels qu’en soient les mobiles, en relation
avec une entreprise individuelle ou collective susceptible de terroriser une personne
ou un groupe de personnes, de semer la terreur parmi la population, dans le dessein
d’influencer la politique de l’Etat et de le contraindre à faire ce qu’il n’est pas tenu
de faire ou à s’abstenir de faire ce qu’il est tenu de faire, de troubler l’ordre public,
la paix ou la sécurité internationale, de porter atteinte aux personnes ou aux biens,
de causer un dommage aux édifices abritant des missions diplomatiques, consulaires
ou des organisations internationales, de causer un préjudice grave à
l’environnement, de nature à mettre en danger la vie des habitants ou leur santé, ou
de porter préjudice aux ressources vitales, aux infrastructures, aux moyens de
transport et de communication, aux systèmes informatiques ou aux services publics ».
Selon l’article 6 de cette même loi, « sont soumis au même régime que l’infraction
11
J. PRADEL, op. cit., p.238.
Mme Turki.A -Droit pénal général
7
qualifiée de terroriste, les actes d’incitation à la haine ou au fanatisme racial ou
religieux quels qu’en soient les moyens utilisés »12
.
D’autres classifications relatives aux éléments matériel et moral de l’infraction ont
été proposées et qui seront étudiées lors de l’examen de ces deux éléments. Mais il
est important de noter que le législateur a adopté ce que la doctrine appelle la
classification tripartite des infractions en crimes, délits et contraventions. Ainsi, selon
l’article 122 du Code de procédure pénale «sont qualifiés crimes, aux effets du
présent Code, les infractions que les lois punissent de mort, ou de l’emprisonnement
pendant plus de cinq ans13
.
Sont qualifiées délits, les infractions que les lois punissent de l’emprisonnement
d’une durée supérieure à quinze jours et ne dépassant pas cinq années ou d’une
amende de plus de soixante dinars14
.
Sont qualifiées de contraventions, les infractions que les lois punissent d’une peine ne
dépassant pas quinze jours d’emprisonnement ou soixante dinars d’amende15
».
Cette classification, qui était prévue en droit français dans le Code pénal de 1810, a
été critiquée. Selon Jean PRADEL, « déduire la gravité d’une infraction de la rigueur
de la peine encourue avait quelque chose d’illogique puisque, en raison, c’est de la
gravité de l’infraction que doit se déduire la rigueur de la peine 16
». Cette critique a
été entendue par les rédacteurs du nouveau Code pénal français en disposant dans son
article 111-1 que « les infractions pénales sont classées, suivant leur gravité, en
crimes, délits et contraventions ». Il reste que cette « polémique » est sans grand
intérêt puisque le législateur prévoit la peine la plus lourde en fonction de la gravité
du comportement incriminé.
L’étude de la théorie générale de l’infraction nécessite l’examen de ces éléments
constitutifs. Là aussi, la doctrine est partagée : certains considèrent que l’infraction
est constituée de trois éléments, l’élément légal, l’élément matériel et l’élément
moral. D’autres estiment que l’infraction, étant un fait tangible et extérieur se réalise
par le « fameux élément matériel de la doctrine française classique » et qui est
constituée d’un comportement et d’un résultat17
. « L’élément légal » ne fait pas partie
des éléments de l’infraction puisque le texte juridique d’incrimination précède
l’infraction. Quant à « l’élément moral », il est souvent traité par la majorité de la
doctrine moderne d’une manière séparée à l’occasion de l’étude du délinquant. Ainsi,
12
La loi n°2003-75 du 10 décembre 2003, relative au soutien des efforts internationaux de lutte contre le
terrorisme et la répression du blanchiment d’argent a abrogé l’article 52 bis du Code pénal ajouté par la loi n°93-112 du
22 novembre 1993 qui prévoyait dans ses deuxième et troisième alinéas : « Est qualifiée de terroriste, toute infraction
en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de porter atteinte aux personnes ou aux biens,
par l’intimidation ou la terreur.
Sont traités de la même manière, les actes d’incitation à la haine ou au fanatisme racial ou religieux quels que
soient les moyens utilisés ». 13
Parmi les crimes prévus par le Code pénal on peut citer l’homicide intentionnel (art.201 à 205 Code pénal). 14
Le vol simple (art.264 C.P.) l’escroquerie (art.291 C.P.). 15
L’état d’ivresse évidente sur la voie publique (art.317 C.P.). 16
J. PRADEL, op. cit., p.240, n°260. 17
J. PRADEL, op. cit., p.325, n°361.
Mme Turki.A -Droit pénal général
8
par exemple, M. Jacques LEROY dans son ouvrage Droit pénal général considère
l’infraction comme un comportement incriminé (où sera traité l’incrimination et
l’acte infractionnel) et un comportement imputable (par lequel sera étudié
l’identification du responsable et l’imputabilité de l’acte)18
.
Nous considérons, pour notre part, que l’étude de l’infraction nécessite en premier
lieu l’étude du préalable légal, à savoir le texte d’incrimination (Titre premier).
Ensuite, et dans un souci de clarté, nous traiterons des éléments de cette infraction, à
savoir l’élément matériel et l’élément moral (Titre second).
Titre Premier
Le préalable légal
Le rôle de tout juge pénal est de savoir si les faits reprochés à une personne sont
incriminés par le législateur. Cette recherche s’opère par la qualification juridique des
faits. « Cette opération intellectuelle permet donc d’appliquer la règle (abstraite et
générale) de droit au cas (concret et particulier) de l’espèce 19
». Qualifier, « c’est dire
quel délit constitue le fait incriminé et par quel texte il est prévu et puni 20
».
L’incrimination consiste, donc, en l’existence d’un texte juridique qui détermine
l’acte ou l’omission que le législateur considère comme une infraction ainsi que la
peine encourue suite à la commission de cette infraction. Le texte d’incrimination ne
peut pas être considéré comme un élément de l’infraction mais la condition de son
existence. En effet, sans ce préalable légal pas d’infraction : c’est le principe de la
légalité des crimes et des peines (chapitre premier). Toutefois, dans certains cas, le
législateur dépouille le fait incriminé de son caractère délictueux et lui retire la
qualification d’infraction : la commission d’un tel fait dans certaine circonstances
serait alors justifié (chapitre second).
18
Jacques LEROY, op. cit., p.85, n°124.
19
J. PRADEL, op. cit., p.273, n°295. , nullum poena sine lege » a été repris déjà par la
déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dans son article 7 qui
prévoyait que « nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas
déterminés par la loi et selon les formes qu’elle a prescrites ». 20
R. GARRAUD, Traité d’instruction criminelle, cité par J. PRADEL, op. cit., loc. cit.
Mme Turki.A -Droit pénal général
9
CHAPITRE PREMIER
LE PRINCIPE DE LA LEGALITE DES
CRIMES ET DES PEINES
Le principe de la légalité des crimes et des peines est la mise en pratique, en droit
pénal, du principe de la séparation des pouvoirs législatif et judiciaire. En effet, le
juge ne peut condamner une personne à une peine particulière si cette dernière n’était
pas précédemment prévue par le législateur comme sanction à une infraction donnée.
BECCCARIA, en 1764, disait que « les lois seules peuvent fixer les peines de chaque
délit, et le droit de faire des lois pénales ne peut résider que dans la personne du
législateur qui représente la société unie par un contrat social 21
». Ce principe connu
sous l’adage « Nullum crimenL’article 11, §2 de la déclaration universelle des droits
de l’homme de 1948 affirme que « nul ne sera condamné pour des actions ou
omissions qui, au moment où elles ont été commises, ne constituaient pas un acte
délictueux d’après le droit national ou international. De même il ne sera infligé
aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’acte délictueux
a été commis ».
En droit tunisien, le principe de la légalité des crimes et des peines a été affirmé dans
l’article 90 de la constitution de 186122
selon lequel les citoyens tunisiens, quelle
que soit leur religion, ne peuvent être condamnés pour une infraction, qu’elle soit
lourde ou légère, que devant les tribunaux compétents et selon les dispositions de la
présente loi. L’article 1er du Code pénal promulgué en 1913 dans son premier alinéa
dispose que « nul ne peut être puni qu’en vertu d’une disposition d’une loi
antérieure ». Enfin, l’article 13 de < la constitution > de 1959 affirme que « la peine
est personnelle et ne peut être prononcée qu’en vertu d’une loi antérieure au fait
punissable ».
La justification de ce principe est largement aisée. D’après le principe général de
droit cité par l’article 559 du C.O.C., « tout rapport de droit est présumé valable et
conforme à la loi, jusqu’à preuve du contraire ». Cette preuve contraire ne peut venir
que par un texte qui interdit la commission de tel ou tel autre fait. Ainsi, on ne peut
punir une personne pour la commission d’un acte non interdit par la loi. Et cette
interdiction doit intervenir avant la commission de cet acte. C’est pour cette raison
qu’on a comparé « la loi pénale à un fouet muni d’un sifflet ; Avant de frapper, la loi
doit prévenir 23
». En effet, l’objectif ultime du droit pénal ne consiste pas d’affliger
des peines mais d’assurer l’ordre, la sécurité et la paix dans la société. Lorsque
chacun est informé au préalable de l’interdiction de commettre tel ou tel acte et
surtout des peines encourues dans ces cas, la fonction d’intimidation de la loi
répressive joue son rôle pour diminuer la commission des infractions.
21
BECCARIA, Traité des délits et des peines, cité par J. LEROY, op. cit., p.91, n°129. 22
ديان ال يحكم على أحد منهم في جناية ثقيلة أو خفيفة، شديدة أو ضعيفة إالّ في مجالس الحكم على مقتضى هذا سائر رعايانا على اختالف األ"
". القانون و ال بكون الحكم إالّ بما في هذا القانون23
STEFANI – LEVASSEUR et BOULOC, Droit pénal général, Dalloz, 2000, p.147.
Mme Turki.A -Droit pénal général
10
De même, le principe de la légalité des crimes et des peines permet d’éviter
l’arbitraire du juge en assurant par-là l’égalité entre les personnes ainsi que la sécurité
dans l’usage de la répression. L’Etat joue cartes sur table 24
».
L’admission du principe de la légalité entraîne certaines conséquences importantes
relatives à l’application du droit pénal dans le temps et dans l’espace (Section 3),
ainsi qu’au fait que seule la loi peut être la source du droit pénal (Section 1), et que
l’interprétation de celle-ci ne peut être que stricte (Section 2).
Section 1 Les sources du droit pénal
L’article 13 précité de la constitution a déterminé la forme du texte d’incrimination
lorsqu’il a exigé que toute peine ne peut être prononcée que suite à une loi antérieure
au fait punissable. Le terme « loi » doit ici être entendu dans le sens large désignant
tout texte juridique émanant des autorités compétentes de l’Etat.
Ainsi, l’article 34 de « la constitution » prévoit que sont pris sous forme de lois les
textes relatifs à la détermination des crimes et délits et les peines qui leur sont
applicables, ainsi que les contraventions pénales sanctionnées par une peine privative
de liberté. L’élaboration de ces textes est de la compétence du pouvoir législatif, en
dehors des cas ou il est permis au Président de la République de prendre des décrets-
lois dans le domaine législatif.
D’après l’article 35 de « la constitution », « les matières autres que celles qui sont du
domaine de la loi, relèvent du pouvoir réglementaire général ». Ainsi, les
contraventions pénales non sanctionnées par une peine privative de liberté est de la
compétence du pouvoir réglementaire, donc, du Président de la République.
Le législateur doit, donc, dresser la liste des faits considérés comme des infractions.
Ces dernières ne peuvent être présumées ni déduites mais prononcées par des textes
juridiques assez précis afin de ne pas permettre aux juges d’élargir leur champ
d’application.
Les textes d’incrimination doivent également contenir les peines encourues en
commission de ces infractions. Mais il arrive que le législateur assigne à une
infraction, la même peine prévue pour une autre infraction, mais sans la décrire ; c’est
le procédé de fixation de la pénalité par référence25
. « Ce procédé est fort critiquable
car il peut conduire à une impunité regrettable en cas de modification ou de
suppression de la peine à laquelle il a été fait référence 26
».
Il ressort de tout ce qui précède que la coutume ne peut avoir aucun rôle dans la
détermination des infractions et de leurs peines. Mais, il arrive parfois que la coutume
soit considérée, exceptionnellement, comme une source du droit pénal. M. Jean
PRADEL considère qu’il s’agit d’une « source « négative » en ce qu’elle exclut la
répression. C’est grâce à la permission de la coutume que les parents sont justifiés
24
Jacques LEROY, op. cit., p.93, n°132. 25
Voir les articles 3116, 317 et 319 faisant référence aux peines prévues dans l’article 315 du Code pénal. 26
STEFANI – LEVASSEUR et BOULOC, op. cit., pp. 137-138.
Mme Turki.A -Droit pénal général
11
pour les violences légères qu’ils occasionnent à leurs enfants dans l’intérêts de leur
éducation 27
». Notons qu’en droit tunisien, la justification de cette violence légère est
prévue directement par la loi dans l’article 319/2 du Code pénal qui dispose que « …,
la correction infligée à un enfant par les personnes ayant autorité sur lui n’est pas
punissable28
». Toutefois, le rôle de la coutume est primordial pour déterminer et
définir quand est-ce qu’il s’agit de « correction » tolérée et même justifiée par le
législateur. C’est également le cas lorsqu’il faut définir le sens d’outrage public à la
pudeur prévu dans l’article 226 du Code pénal. Ainsi, la coutume n’est pas une
source formelle de la loi répressive en vertu du principe de la légalité, mais son rôle
dans l’interprétation de cette même loi est incontestable.
Section 2 l’interprétation du droit pénal
L’interprétation de la loi signifie la recherche de son, vrai sens lorsqu’elle est
obscure, ambiguë ou encore vague. C’est le juge qui est tenu, en premier lieu,
d’interpréter la loi sinon il commettrait un délit de déni de justice. En effet, d’après
l’article 108 du C.P., « est puni de deux cent quarante dinars d’amende, tout juge qui,
sous quelque prétexte que ce soit, même du silence ou de l’obscurité de la loi, refuse
de rendre justice aux parties, après avoir été requis, et qui persévère dans son refus,
après avertissement ou injonction de ses supérieurs ».
Toutefois, en matière pénale, l’interprétation de la loi ne peut être que stricte en
raison du principe de la légalité29
. PORTALIS disait déjà qu’ « en matière criminelle
où il n’y a qu’un texte formel et préexistant qui puisse fonder l’action du juge, il faut
des lois précises et point de jurisprudence 30
». L’interprétation ne peut être une
raison pour élargir le champ d’application du texte d’incrimination ou créer de
nouvelles infractions.
Selon l’article 532 du C.O.C., « en appliquant la loi, on ne doit lui donner d’autre
sens que celui qui résulte de ses expressions, d’après leur ordre grammatical, leur
signification usuelle et l’intention du législateur ». L’interprétation de la loi doit
d’abord être littérale. Selon BECCARIA, « avec des lois exécutées à la lettre, chaque
citoyen peut calculer exactement les inconvénients d’une mauvaise action ; ce qui est
utile, puisque cette connaissance pourra le détourner du crime. Il jouira avec sécurité
de sa liberté et de ses biens ; ce qui est juste, puisque c’est le but de la réunion des
hommes en société 31
». L’interprétation doit aussi être téléologique qui consiste à
rechercher le but poursuivi par le législateur. « Le juge recherchera le sens du texte
en se référant à l’intention, à l’esprit de la loi, à son contexte historique et socio-
économique. Les travaux préparatoires fournissent des matériaux très utiles à
27
J. PRADEL, op. cit., p.233, n°257. 28
Il est clair, cependant, que la source matérielle de cette disposition ne peut être autre que la coutume. 29
Ce principe, consacré par la jurisprudence française, a été retenu par les rédacteur du Nouveau Code pénal
français dans son article 111-4 qui dispose que « la loi pénale est d’interprétation stricte ». 30
Cité par J. PRADEL, op. cit., p.172, n°179. 31
BECCARIA, Traité des délits et des peines, cité par J. LEROY, op. cit., pp.125-126, n°188.
Mme Turki.A -Droit pénal général
12
l’interprète 32
». C’est ce qui ressort de l’arrêt de la Cour de cassation lorsqu’elle a
décidé que « la règle de légalité des crimes et des peines suppose que le juge ne se
contente pas, dans l’interprétation du texte, sur son sens littéral mais il doit chercher
l’objectif du législateur à l’occasion de l’incrimination 33
».
L’interprétation stricte du texte pénal conduit à ne l’appliquer qu’aux seuls cas qu’il
prévoit. Le raisonnement par analogie n’est pas accepté en matière pénale34
. Ainsi,
avant la promulgation de la loi 99-89 du 2 août 1999 qui a ajouté l’article 119 ter35
, il
n’était pas possible d’incriminer la falsification des documents électronique et lui
attribuer la peine prévue pour la fabrication et l’usage de faux.
Il faut souligner, enfin, que l’interprétation stricte de la loi pénale ne joue que
lorsqu’elle est en faveur de l’inculpé. Il est donc possible d’admettre une
interprétation large au profit de la personne poursuivie. C’est le cas de l’admission de
certains faits justificatifs non prévus expressément par la loi36
ou encore le cas de
l’article 38/1 du C.P. qui dispose que « l’infraction n’est pas punissable lorsque le
prévenu n’a pas dépassé l’âge de 13 ans révolus au temps de l’action, ou était en état
de démence ». Donc, si l’absence de conscience des faits qu’une personne commet et
de leurs conséquences conduit à sa non responsabilité pénale, cela doit être le cas pas
seulement en cas de minorité ou de démence mais à chaque fois que la conscience et
la liberté de choix est absente au moment de la commission d’une infraction.
32
J. LEROY, op. cit., p.126, n°190. 33
Arrêt de la Cour de cassation n°14077 en date du 27/04/1987, Revue de la jurisprudence et de la législation,
1988, p.91. 34
Le raisonnement par analogie consiste à étendre l’application d’un texte à d’autres comportements similaires
que ceux qu’il décrit. 35
Art. 199 ter C.P. : “Est puni d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de deux mille dinars,
quiconque aura introduit une modification de quelque nature qu’elle soit sur le contenu de documents informatisés ou
électroniques originairement véritable, à condition qu’elle porte un préjudice à autrui ». 36
Voir infra.
Mme Turki.A -Droit pénal général
13
Section 3
La sphère d’application de la loi pénale
On entend par la sphère d’application de la loi pénale ou le domaine d’application de
celle-ci la détermination des faits qui sont soumis à cette loi, ce qui nous amène à
s’interroger sur le moment et le lieu de la commission de l’acte incriminé : en
d’autres termes, quelle est la portée du texte pénal dans le temps et dans l’espace. La
détermination de la sphère d’application de la loi pénale est une conséquence
naturelle du principe de la légalité des crimes et des peines puisqu’on ne peut
sanctionner un acte commis avant son incrimination (Paragraphe 1er) ni un acte
commis dans un pays où il n’est pas incriminé (Paragraphe 2nd).
Paragraphe 1er
Le domaine de la loi pénale dans le temps La loi pénale, comme toute autre loi de l’Etat, entre en vigueur cinq jours francs à
partir du jour du dépôt de la copie du J.O.R.T. où est insérée la loi au gouvernorat de
Tunis, sauf si le législateur n’accélère ou ne retarde expressément son entrée en
vigueur.
Lorsque le législateur procède à la modification ou abrogation de la loi, un problème
de conflit peut surgir entre la loi ancienne et la loi nouvelle qui se réclamant,
chacune, compétente pour régir le même rapport de droit. Pour résoudre ce genre de
problèmes, deux principes ont été proposés, répondant aux deux questions suivantes :
- Quelles sont les situations juridiques qui échappent à l’application de la loi
nouvelle ?
- Quelles sont les situations juridiques qui entrent dans le domaine
d’application de la loi nouvelle ?
La première question trouve sa réponse dans le Principe de la non-rétroactivité
de la loi nouvelle. Celle-ci ne régit pas, en principe, le passé. Ce qui est
valablement acquis selon l’ancienne loi ne peut être remis en cause par une loi
postérieure. Cela implique, en matière pénale, qu’une loi ne peut incriminer des faits
commis avant son entrée en vigueur, ni d’administrer des peines non prévues par la
loi en vigueur au moment des faits. C’est l’essence même du principe de la légalité
des infractions et des peines consacré par la constitution tunisienne et l’article 1er du
Code pénal. Ainsi, le deuxième alinéa de l’article 18 du C.S.P. dispose que
« quiconque, étant engagé dans les liens du mariage, en aura contracté un autre
avant la dissolution du précédent, sera passible d’un emprisonnement d’un an et
d’une amende de< 240.000 francs> 200 TD ou de l’une de ces deux peines
seulement, même si le nouveau mariage n’a pas été contracté conformément à la
Mme Turki.A -Droit pénal général
14
loi ». Ces peines ne peuvent être appliquées à la personne ayant conclu un second
mariage avant le 1er janvier 1957, date d’entrée en vigueur du C.S.P. puisque la
polygamie n’a été interdite en Tunisie que par l’article 18/1 du C.S.P.
Quant à la deuxième question, elle est régie par le principe de l’effet immédiat
de la loi nouvelle. Cette dernière régit, en principe, l’avenir et s’applique
immédiatement après son entrée en vigueur. Ainsi, la personne qui conclu un mariage
avant la dissolution du précédent, à partir du 1er janvier 1957, est passible des peines
prévues à l’article 18/2 du C.S.P.
Le choix entre l’un des deux principes est assez aisé lorsque les lois en conflit
(loi ancienne et loi nouvelle) visent une infraction instantanée. Ce n’est pas le cas
lorsqu’il s’agit d’une infraction continue, une infraction d’habitude ou même encore
lorsqu’il s’agit d’un problème de cumul d’infraction ou de récidive. Donc, toute la
question est de déterminer « avec précision la date à laquelle l’infraction a été
commise, de manière à pouvoir la situer exactement par rapport à la loi ancienne et à
la loi nouvelle 37
».
L’infraction instantanée est celle dont l’élément matériel (le comportement
incriminé) s’exécute en un instant. C’est le cas du vol38
, de l’homicide, de l’usage de
faux39
…Notons que dans certaines de ces infractions instantanées, les effets se
prolongent dans le temps (exemple : la bigamie). Mais, « comme le résultat subsiste
sans réitération de l’activité matérielle, ces infractions dites « permanentes » ne
constituent qu’une variété particulière de la catégorie de l’infraction instantanée 40
».
Il est clair, que pour ces infractions, la loi applicable est la loi en vigueur au moment
de la commission de l’acte incriminé.
L’infraction continue ou successive est caractérisée par un comportement
coupable qui se prolonge dans le temps. « L’exécution s’étend sur une certaine
durée et s’y prolonge par une réitération constante de la volonté coupable 41
». C’est
le cas du port illégal de décoration,( INTIHAL SHAKSSIA ) de la séquestration
arbitraire (art.250 C.P.), le recel de malfaiteur42
(VOL ELTASTER 3ALA
MASROUKAT) ou encore de l’abandon de famille43
. Ainsi, avec l’infraction
37
MERLE et VITU, op. cit., p. 339, n°249. 38
Le vol reste un délit instantané même si son exécution s’étend sur une certaine durée (le cas du cambriolage
qui dure quelques heures). 39
Art. 172 C.P. 40
J. PRADEL, op. cit., p.331, n°366. Voir également dans ce sens MERLE et VITU, op. cit., p. 339, n°250. 41
J. PRADEL, op. cit., p.331, n°366. 42
Art. 149/1 C.P. : «Est puni d’un an d’emprisonnement, quiconque recèle, sciemment, un prisonnier evade ou y
apporte son concours ».
Notons que le recel (qui est une infraction consistant à détenir en connaissance de cause le fruit d’un crime ou
d’un délit) est également une infraction continue. Toutefois, en Droit tunisien elle ne constitue pas une infraction propre
mais un acte de complicité (Voir art. 59 C.P. et comparer avec l’art. 276/1 C.P.). 43
Art.53 bis du C.S.P. : «Quiconque, condamné à payer la pension alimentaire ou à verser la rente de divorce,
sera volontairement demeuré un mois sans s’acquitter de ce qui a été prononcé à son encontre, est puni d’un
emprisonnement de trois mois à un an et d’une amende de cent (100 d.) à mille dinars (1000 d.) ».
Mme Turki.A -Droit pénal général
15
continue, on est en présence d’un nombre indéfini de moments délictueux
juxtaposés. « Il suffit donc que l’état continu se soit poursuivi, fût-ce un instant,
sous l’empire de la loi nouvelle, pour que celle-ci,…, s’applique immédiatement
alors même qu’elle serait plus sévère que l’ancienne 44
».
L’infraction d’habitude suppose la réitération d’actes délictueux semblables. La
commission d’un seul acte n’est pas punissable. C’est l’ensemble, la répétition qui
constitue l’infraction45
. C’est le cas de l’exercice illégal de la médecine46
ou encore
du proxénétisme tel que défini par l’article 232 du C.P. qui dispose que « sera
considéré comme proxénète et puni d’un emprisonnement d’un à trois ans et d’une
amende de cent à cinq cents dinars, celui ou celle :…3) qui, vivant sciemment avec
une personne se livrant habituellement à la prostitution, ne peut justifier de
ressources suffisantes pour lui permettre de subvenir seul à sa propre existence ».
L’infraction d’habitude est naturellement opposée à l’infraction simple (ou encore
d’occasion) qui est constituée par une action ou une omission unique et isolée.
Dans ce cas, aucune difficulté à l’occasion de l’abrogation ou de la modification
d’une loi. Si celle-ci entre en vigueur après la commission de l’acte, c’est la loi
ancienne qui s’applique au nom de la non rétroactivité de la loi nouvelle. Si, par
contre, les faits ont été commis après l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, celle-ci
s’applique avec un effet immédiat.
Lorsqu’il s’agit de l’infraction d’habitude, la loi nouvelle s’applique avec un effet
immédiat même si le premier acte a été commis sous l’empire de l’ancienne loi. Il
ne s’agit nullement ici de rétroactivité de la loi nouvelle puisque l’infraction ne
s’est constituée que sous l’empire de cette nouvelle loi. « La loi nouvelle frappe un
état dangereux, que révèle la dernière infraction, celle par laquelle se constitue
l’état d’habitude ; cet état, fait actuel, doit être puni suivant la loi en vigueur au jour
du dernier acte qui le caractérise 47
».
Cumul ou concours réel d’infractions : Lorsque plusieurs infractions distinctes
ont été commises, non séparées les une des autres par une condamnation, chaque
peine encourue peut être prononcée. Mais, lorsque plusieurs peines de même nature
sont encourues, il ne peut être prononcé qu’une seule peine de cette nature dans la
limite du maximum légal le plus élevé. C’est la position actuelle du Droit français.
Mais, si cette position devait changer pour adopter, par exemple celle du Droit
44
MERLE et VITU, op. cit., p. 339, n°250. 45
J. LEROY, op. cit., p.206, n°325. 46
Art. L.372 du Code de la Santé publique français : « Exerce illégalement la médecine, toute personne qui
prend part habituellement…à l’établissement d’un diagnostic ou au traitement des maladies ou d’affections
chirurgicales, congénitales ou acquises, réelles ou supposées … sans être titulaire du diplôme de « docteur en
médecine ». 47
MERLE et VITU, op. cit., p. 340, n°251.
Mme Turki.A -Droit pénal général
16
tunisien qui ordonne le cumul de toutes les peines48
, quelle loi (ancienne ou
nouvelle) appliquer à cette situation de cumul. La solution n’est pas difficile à
trouver. En fait, il n’y a cumul qu’au jour où le concours d’infraction se réalise,
c’est-à-dire par hypothèse sous la loi nouvelle : c’est donc cette loi qui est
applicable49
.
Le cas de la récidive : Si une nouvelle loi vient aggraver les sanctions attachées à
l’état de récidive, c’est cette dernière loi qui est applicable. En effet, « le
coupable… savait, par la promulgation du texte nouveau quelles conséquences
aggravées entraînerait la commission d’une infraction de plus : il ne tenait qu’à lui
de ne pas encourir les sanctions plus sévères qui le menaçaient 50
».
Ceci étant, la non rétroactivité de la loi pénale, conséquence automatique du
principe de la légalité, est admise pour la protection de la personne qui ne peut être
condamné pour un fait qu’il ne pouvait savoir qu’il était interdit. Mais, si la
rétroactivité de la nouvelle loi est favorable à l’inculpé, elle est admise. Toutefois,
cette exception n’est admise que pour les règles du droit pénal de fond (A) à
l’exclusion des règles de forme (B).
-A- La rétroactivité de la loi pénale de fond :
Lors de l’étude des exceptions de la non rétroactivité de la loi pénale, la
doctrine élargit parfois le champs de ces exceptions. Elle considère que les lois
interprétatives s’appliquent avec un effet rétroactif. Les lois interprétatives sont des
lois qui interviennent pour relever une ambiguïté d’une loi précédente. Mais, en
réalité, la loi interprétative n’est pas en conflit avec la loi interprétée puisque les
deux lois font corps. La loi interprétative précise simplement la signification de la loi
interprétée sans en modifier le contenu. Cette interprétation doit s’appliquer même si
elle est plus sévère que celle admise par la pratique antérieure. Il ne s’agit là
nullement de rétroactive parce que la vision du législateur n’a pas changé depuis la
promulgation de la loi interprétée : elle a seulement était exprimée plus clairement
par la loi interprétative.
Il reste que la vraie exception au principe de la non rétroactivité en matière
pénale concerne la loi la plus douce à l’inculpé. En effet, quand une nouvelle loi
d’incrimination ou de détermination d’une peine est plus douce à l’inculpé, c’est
celle-ci qui s’applique même si le fait incriminé a été commis avant son entrée en
48
Art.56 C.P. : «Tout individu coupable de plusieurs infractions distinctes est puni pour chacune d’elles, les
peines ne se confondent pas, sauf décision contraire du juge ». 49
MERLE et VITU, op. cit., p. 340, n°252. 50
MERLE et VITU, op. cit., pp. 340-343, n°253.
Mme Turki.A -Droit pénal général
17
vigueur. Cette exception est affirmée dans l’article 13/1 de la Constitution qui affirme
que « la peine est personnelle et ne peut être prononcée qu’en vertu d’une loi
antérieure au fait punissable, sauf en cas de texte plus doux ».
La condition d’application de cette exception est précisée dans le second alinéa de
l’article 1er du Code pénal qui dispose que « si, après le fait, mais avant le jugement
définitif, il intervient une loi plus favorable à l’inculpé, cette loi est seule appliquée».
Il est à remarquer, ici, qu’une partie de la doctrine française, lorsqu’elle évoque
l’application de la loi pénale la plus douce ou la moins sévère, parle plus d’effet
immédiat que de rétroactivité. Cette position est critiquable parce que le principe de
l’effet immédiat enseigne que la loi nouvelle s’applique aux situations non encore
créées avant son entrée en vigueur ou aux effets des situations non encore
consommées. Alors que l’infraction est constituée dès que l’acte est commis, même si
le juge ne L’a pas encore constaté : le jugement pénal n’a qu’un caractère déclaratif.
Ce qui renforce cette position est que le point de départ du délai de prescription de
l’action publique est la commission de l’infraction. Lorsqu’on applique une peine à
des faits antérieurs à la loi qui prévoit ces peines, on fait rétroagir cette loi : il s’agit
donc bien de rétroactivité de loi nouvelle. Cette position est appuyée par M. Jacques
LEROY lorsqu’il écrit : « A lire le texte51
, on pourrait y voir un exemple
d’application immédiate, plutôt que de rétroactivité, de la loi nouvelle. Ceux qui
soutenaient la thèse selon laquelle l’infraction n’est constituée qu’au jour du
jugement en étaient convaincus. Cependant, cette thèse est aujourd’hui minoritaire et
peu en accord avec les termes mêmes de l’article 112-1 qui visent « les infractions
commises avant l’entrée en vigueur » des dispositions nouvelles. Celles-ci reviennent
donc sur une situation déjà constituée et ne peuvent qu’être rétroactive 52
».
Cette exception, la rétroactivité de la loi pénale la plus douce, se justifie largement
par un souci de justice à l’égard de l’inculpé. M. MELLOULI considère qu’ « il est
logique,…, qu’une loi nouvelle qui supprime ou adoucit une peine, reçoive
application rétroactive en faveur du délinquant. Si le législateur estime qu’un fait
n’est pas suffisamment grave pour être réprimé, ou que sa gravité ne justifie pas une
peine excessive, l’idéal de justice veut que la personne qui n’a pas été condamnée
pour ce fait, bénéficie de la faveur législative nouvelle 53
». En effet, pourquoi
réprimer des faits antérieurs qui ne constituent plus une infraction selon la vision
actuelle du législateur ? « Il n’y a plus de trouble social54
».
Mais, pour qu’une loi pénale plus douce s’applique rétroactivement, il faut que cette
loi soit entrée en vigueur avant le jugement définitif. L’application littérale de
l’article 1er du Code pénal conduit à une injustice. Comment garder en prison une
51
Art. 112-1/3 N.C.P. français : « Toutefois, les dispositions nouvelles s’appliquent aux infractions commises
avant leur entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu’elles
sont moins sévères que les dispositions anciennes ». 52
J. LEROY, op. cit., p.135, n°207. 53
S. MELLOULI, Droit civil – Introduction à l’étude du droit, p.98. 54
J. LEROY, op. cit., p.136.
Mme Turki.A -Droit pénal général
18
personne condamnée pour des faits que le législateur ne considère plus constitutifs
d’infraction ou qu’il leur attribue une peine moins sévère qu’auparavant ? L’objectif
premier de la loi pénale ne doit pas être simplement la répression de la violation de la
loi, mais la répression de l’acte qui trouble la société. Si un acte n’est plus jugé
comme tel par le législateur lui-même, il n’y a plus de raison de le réprimer. Le
législateur atténue cette injustice en prévoyant dans l’article 112-4/2 du N.C.P. que
« la peine cesse de recevoir exécution quand elle a été prononcée pour un fait qui, en
vertu d’une loi postérieure au jugement, n’a plus le caractère d’une infraction
pénale ». Cette injustice reste cependant lorsque la loi nouvelle, sans supprimer
l’infraction, en atténue la peine.
Qu’est-ce qu’une loi plus douce ?
- Est plus douce une loi qui supprime une incrimination, qui diminue la peine
prévue, qui fait disparaître une circonstance aggravante, qui ajoute une
condition supplémentaire à l’élément matériel de l’infraction, qui prévoit une
nouvelle cause d’atténuation de la peine ou admet une nouvelle cause
d’irresponsabilité. (exp. Mineurs . dément)
- Si une nouvelle loi associe des dispositions sévères et moins sévères, et si ces
dispositions sont divisibles : Exemple : La loi du 23 décembre 1980 en France
élargit la définition du viol et institue de nouvelles circonstances aggravantes,
tout en abaissant la peine encourue. La Cour de cassation a décidé que les
dispositions relatives à la définition et aux circonstances aggravantes, plus
sévères que celles de la loi ancienne, étaient soumises au principe de la non
rétroactivité, tandis que les dispositions relatives à l’abaissement de la peine
encourue rétroagiront.
- Si la loi nouvelle constitue un tout indivisible, parfois c’est en raison de la
disposition principale, parfois c’est en recourant à une appréciation d’ensemble
du texte, que sera fixé le caractère plus sévère ou non de la loi en cause.
- Si la loi nouvelle augmente la limite maximale de la peine prévue et diminue la
limite minimale de cette même peine, la doctrine considère que cette loi est
plus sévère parce qu’elle permet au juge de prononcer la peine maximale.
Mme Turki.A -Droit pénal général
19
-B- L’application immédiate de la loi pénale de
forme :
Lors de la modification d’une loi de forme, il est présumé que la loi nouvelle
assure une meilleure administration de la justice criminelle et est donc dans l’intérêt
de la société ainsi que dans celle de l’individu. Ainsi, cette loi nouvelle doit agir
immédiatement après son entrée en vigueur même aux affaires encore en cours, donc
à des faits commis avant sa promulgation. Il ne s’agit là aucunement de rétroactivité
parce que la rétroactivité conduirait à l’abolition pour le passé des effets déjà produits
par la loi ancienne. L’effet immédiat de la loi nouvelle donne, par contre, aux deux
lois en conflit leurs périodes respectives d’application dans les procédures en cours :
« jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, les instances relèvent uniquement de
la loi ancienne, et les actes procéduraux déjà accomplis ne seront pas ultérieurement
remis en cause, ni leurs effets ; Mais, dès sa mise en vigueur, la loi nouvelle
s’applique à tous les actes procéduraux à venir 55
». Ainsi, la loi n° 200-43 du 17 avril
2000, modifiant et complétant certains articles du Code de procédure pénale et
instituant le principe du double degré de juridiction en matière criminelle, a été
appliquée immédiatement dès son entrée en vigueur à toutes les affaires criminelles
non encore jugées par un jugement définitif même relativement à des faits commis
sous l’empire de l’ancienne loi.
Mais, lorsque la loi nouvelle est de nature à toucher des droits acquis à
l’inculpé par la loi ancienne, c’est cette dernière qui doit être appliquée. C’est le cas
lorsque la loi nouvelle raccourci les délais de recours ; une telle loi nouvelle ne peut
s’appliquer à l’affaire en cours si le jugement a été prononcé avant l’entrée en
vigueur de cette loi parce que le simple prononcé du jugement ouvre le droit au
recours selon la loi applicable et ne peut être remis en cause par la loi nouvelle. Cela
pourrait conduire à la perte même de ce droit de recours. Le même raisonnement est
valable dans le cas où une nouvelle loi éliminerait une voie de recours prévue par la
loi sous l’empire de laquelle a été prononcé le jugement en question.
C’est aussi le cas des lois qui allongent les délais de prescription de l’action
publique ou de la peine56
. Ainsi, par exemple, l’article 37 de la loi n°2003-75 du 10
décembre 2003, relative au soutien des efforts internationaux de lutte contre le
terrorisme et la répression du blanchiment d’argent, qui allonge le délai de la
prescription de l’action publique ne peut être appliquée à l’inculpé qui aura acquis le
55
MERLE et VITU, op. cit., p. 351. 56
Art.5 du Code de procédure pénale : « Sauf dispositions spéciales de la loi, l’action publique qui résulte d’un
crime se prescrit par dix années révolues, celle qui résulte d’un délit se prescrit par trois années révolues et celle qui
résulte d’une contravention par une année révolue et ce, à compter du jour où l’infraction a été commise si, dans cet
intervalle il n’a pas été fait aucun acte d’instruction ni de poursuite ».
Art.349 du Code de procédure pénale : « Les peines prononcées pour crimes se prescrivent par vingt ans
révolus…
Les peines prononcées pour délits se prescrivent par cinq ans révolus.
Les peines prononcées pour contraventions se prescrivent par deux ans révolus
Le délai de prescription court de la date à laquelle la condamnation est devenue définitive… ».
Mme Turki.A -Droit pénal général
20
droit à la prescription de l’action publique selon l’article 5 du Code de procédure
pénale. Mais, si cet inculpé n’avait pas encore acquis ce droit au moment de l’entrée
en vigueur de la loi n°2003-75 du 10 décembre 2003, c’est cette dernière qui doit
s’appliquer avec effet immédiat.
Paragraphe 2nd
Le domaine de la loi pénale dans l’espace
Lorsqu’un tunisien commet une infraction contre un intérêt tunisien sur le
territoire tunisien, il n’y a aucun doute que la loi tunisienne est applicable. Mais,
lorsqu’un élément d’extranéité interfère, un système répressif étranger peut être
intéressé et entrer en conflit avec le système répressif tunisien.
L’article 2 du décret du 13 novembre 1956 modifiant l’article 2 de l’ancien
Code de procédure pénale promulgué par le décret du 30 décembre 1921, dispose que
« les lois tunisiennes s’appliquent à toutes les infractions commises en Tunisie… ».
Ce texte consacre le principe de la territorialité de la loi pénale. Et même si la loi
n° 68-23 promulguant l’actuel « Code de procédure pénale » ne prévoit expressément
un pareil texte, le principe de la territorialité est unanimement admis.
Le principe de la territorialité de la loi pénale enseigne que la loi pénale
tunisienne ne s’applique qu’aux infractions commises sur le territoire tunisien quelle
que soit la nationalité de l’auteur de ces infractions. Cela nécessite forcément la
détermination de la notion de territoire.
Le territoire tunisien est constitué des terres limitées au nord et à l’est par la
mer méditerranée, à l’ouest et au sud par les terres algériennes et libyennes, des eaux
territoriales ainsi que l’espace aérien des terres et eaux territoriales tunisienne.
Les infractions commises sur les navires et les avions tunisiens sont
considérées être commises sur le territoire tunisien. Ainsi, l’article 1er/1 du Code
disciplinaire et pénal maritime dispose que « sont soumises aux dispositions du
présent code toutes personnes quelle qu’en soit la nationalité se trouvant à bord de
tout navire tunisien autre qu’un navire de guerre, muni d’un registre d’équipage soit
qu’elles se trouvent, en fait à bord du navire doit en qualité de passager, soit en vue
d’effectuer le voyage et ce en quelque lieu où se trouve le navire ». De même,
l’article 14/1 du Code de l’aéronautique civile dispose que « les tribunaux tunisiens
sont compétents pour statuer sur les infractions commises à bord des aéronefs
immatriculés en Tunisie».
Il reste que le principe de la territorialité de la loi pénale peut connaître des
exceptions. Ainsi, dans certains cas, la loi lois pénale tunisienne ne trouve pas
applications aux infractions commises sur le territoire tunisien (A). Dans d’autres
cas, certaines infractions commises en dehors du territoire tunisien sont soumises au
droit tunisien (B).
Mme Turki.A -Droit pénal général
21
-A- La non application de la loi pénale tunisienne aux infractions commises en Tunisie :
Parmi les principes internationalement connus en matière pénale figure celui
qui consiste à ne pas poursuivre une personne ni la punir deux fois pour le même fait.
Selon l’article 306 du Code de procédure pénale « aucune personne ne peut être
dirigée contre un étranger pour crime ou délit commis sur le territoire de la
république tunisienne si l’inculpé justifie qu’il a été jugé définitivement à l’étranger
et, en cas de condamnation, qu’il a subi ou prescrit sa peine ou obtenu sa grâce».
Cette solution est également fondée sur l’article 4 du Code de procédure pénale qui
considère que la chose jugée éteint l’action publique.
D’un être côté, les infractions commises sur le territoire tunisien par les agents
diplomatiques étrangers ne peuvent être poursuivies par-devant les tribunaux
tunisiens. Selon Jean PRADEL, « l’immunité diplomatique se fonde sur une règle de
courtoisie internationale, non sur l’idée d’exterritorialité 57
». En effet, le personnel
diplomatique représente son pays et la souveraineté de ce dernier à l’étranger. La
poursuite des membres de ce personnel par la justice pénale d’un pays hôte est
considérée comme une atteinte à cette souveraineté. La seule solution reste de
demander au pays représenté de rappeler les personnes en cause car ils cessent alors
d’être « personne gratae »58
.
-B-
L’application de la loi pénale tunisienne aux infractions commises à l’étranger :
Exceptionnellement, le tunisien ayant commis une infraction à l’étranger peut être
soumis à sa loi personnelle, à savoir la loi pénale tunisienne. C’est ce qui est prévue
par l’article 305 du Code de procédure pénale qui dispose que « tout citoyen tunisien
qui, hors du territoire de la République, s’est rendu coupable d’un crime ou d’un
délit puni par la loi tunisienne, peut être poursuivi et jugé par les juridictions
tunisiennes, à moins qu’il ne soit reconnu que la loi étrangère ne réprime pas ladite
57
J. PRADEL, op. cit., p.210, n°232. 58
J. PRADEL, op. cit., loc. cit.
Mme Turki.A -Droit pénal général
22
infraction ou que l’inculpé justifie qu’il a été jugé définitivement à l’étranger et, en
cas de condamnation, qu’il a subi ou prescrit sa peine ou obtenu sa grâce.
Les dispositions de l’alinéa précédent sont applicables à l’auteur du fait qui n’a
acquis la qualité de citoyen tunisien que postérieurement au fait qui lui est imputé ».
Notons, toutefois, que la condition que la loi étrangère réprime l’infraction a
été supprimée pour élargir le champ de cette exception en ce qui concerne l’infraction
terroriste. En effet, l’article 56 de la loi prévoit que « dans les cas prévus à l’article
55 de la présente loi, l’action publique n’est pas subordonnée à l’incrimination des
faits objet des poursuites en vertu de la législation de l’Etat où ils ont été commis».
Le fondement de cette exception revient au fait de la possibilité d’évasion du
tunisien ayant commis une infraction à l’étranger et rentré en Tunisie. Et devant
l’impossibilité d’extrader les nationaux59
, il convient bien de les poursuivre même
pour les faits commis par eux à l’étranger.
Egalement, l’étranger ayant commis une infraction à l’étranger dont la victime
est tunisienne peut être poursuivi devant les juridictions tunisiennes. C’est le sens de
l’article 307 bis du Code de procédure pénale qui dispose que « quiconque hors du
territoire tunisien, s’est rendu coupable, soit comme auteur principal, soit comme
complice, d’un crime ou d’un délit, peut être poursuivi et jugé lorsque la victime est
de nationalité tunisienne.
Les poursuites ne peuvent être engagées qu’à la requête du Ministère public, sur
plainte de la partie lésée ou de ses héritiers.
Aucune poursuite ne peut être intentée si l’inculpé rapporte la preuve qu’il a été
définitivement jugé à l’étranger, et en cas de condamnation à une peine, que cette
dernière a été exécutée, qu’elle est atteinte par la prescription extinctive, ou qu’il a
bénéficié d’une mesure de grâce ou d’une amnistie ».
Enfin, lorsque la sûreté de l’Etat est en jeu, la loi tunisienne est considérée
compétente pour connaître des infractions commises par des étrangers hors du
territoire tunisien. Selon l’article 307 du Code de procédure pénale, « tout étranger
qui, hors du territoire de la République, s’est rendu coupable soit comme auteur, soit
comme complice, d’un crime ou d’un délit attentatoire à la sûreté de l’Etat ou de
contre-façon du sceau de l’Etat ou de monnaies nationales ayant cours, peut être
poursuivi et jugé d’après les dispositions des lois tunisiennes s’il est arrêté en Tunisie
ou si le gouvernement obtient son extradition ».
59
Article 310/1 du Code de procédure pénale : «Le gouvernement peut livrer, sur leur demande, aux
gouvernements des pays étrangers, toute personne non tunisienne qui, étant l’objet d’une poursuite intentée au nom de
l’Etat requérant ou d’une condamnation prononcée par les juridictions de cet Etat, est trouvée sur le territoire de la
république tunisienne ».
Mme Turki.A -Droit pénal général
23
CHAPITRE SECOND
LES FAITS JUSTIFICATIFS
Il a été précédemment dit que l’incrimination (l’interdiction par le législateur
de commettre certains faits considérés comme infractions) était l’exception et la
permissivité reste le principe. Lorsque le législateur décide d’incriminer certains faits,
c’est en raison du danger que peut engendrer la commission de ces faits pour la
société.
Mais, il arrive qu’une personne commette certains de ces faits incriminés dans
des circonstances qui ne justifient plus l’incrimination. Ainsi, le bourreau qui exécute
la peine de mort sur un condamné commet bien l’acte matériel de l’homicide
volontaire prévu par l’article 201 du Code pénal à savoir de tuer quelqu’un. Celui qui,
en essayant de se défendre contre l’agression de malfaiteurs, leur assène des blessures
et des préjudices corporels commet l’infraction prévue par l’article 218 du Code
pénal60
. Commet également les faits punis par l’article 258 du Code pénal61
celui qui
vole de la nourriture pour assouvir sa faim à cause de sa pauvreté. Toutefois, tous ces
faits ont été commis dans des circonstances qui sortent du cadre de leur
incrimination. Et c’est en raison de ces circonstances que le législateur décide de
justifier la commission de ces faits et leur ôte la qualification d’infraction pour les
réintégrer dans le cadre de la permissivité.
Les articles 39, 40 et 42 du Code pénal prévoient deux faits justificatifs, à
savoir la disposition de la loi ou l’ordre de l’autorité compétente et la légitime
défense. Dans cet ordre d’idée, deux remarques méritent d’être faites :
Premièrement : Les articles relatifs aux faits justificatifs ont été situés par le Code
pénal dans le chapitre IV du premier livre intitulé « De la responsabilité pénale »,
dans la secction première sous le titre « Absence de criminalité ». Cette section
évoque, à part les faits justificatifs, les causes de non-imputabilité (ou causes
d’irresponsabilité pénale) à savoir la démence, la minorité et la contrainte.
Deuxièmement : Les législateurs tunisiens et français n’accordent pas trop
d’importance aux termes utilisés pour évoquer les faits justificatifs et les causes de
60
Art.218/1 Code pénal : « Tout individu qui, volontairement, fait des blessures, porte des coups, ou commet
tout autre violence ou voie de fait ne rentrant pas dans les prévisions de l’article 319, est puni d’un emprisonnement et
d’une amende de mille dinars (1000d.) ». 61
Art. 258/1 Code pénal : « Quiconque soustrait frauduleusement une chose qui ne lui apparient pas est coupable
de vol ».
Mme Turki.A -Droit pénal général
24
non-imputabilité. Ainsi, pour les causes de non-imputabilité, l’article 38 du Code
pénal prévoit que « l’infraction n’est pas punissable… » s’agissant de minorité, alors
qu’il considère qu’« il n’y a pas d’infraction… » lorsqu’il y a contrainte. Concernant
les faits justificatifs, et d’après l’article 40, « il n’y a pas d’infraction … » en cas de
légitime défense, alors que « n’est pas punissable, celui qui a commis un fait en vertu
d’une disposition de la loi ou d’un ordre de l’autorité compétente », d’après l’article
42 du Code pénal.
Législateur français, dans l’ancien Code pénal, disposait que « il n’y a ni crime ni
délit …». Dans le nouveau Code pénal promulgué en 1994, il dispose que « n’est pas
responsable pénalement, la personne … », et ceci pour le cas des faits justificatifs
ainsi que pour les causes de non-imputabilité.
A partir de ces remarques, il convient de procéder à la distinction entre les
faits justificatifs ainsi que pour les causes de non-imputabilité. Dans les deux cas,
l’auteur de l’acte matériel ne sera pas considéré comme responsable et donc ne sera
pas puni. Seulement, cette conséquence est indirecte concernant les faits justificatifs.
En effet, la non responsabilité de l’auteur de l’acte matériel revient à l’absence même
de l’incrimination dans ce cas. Ainsi, il n’y a pas d’infraction lorsqu’une personne
exécute la disposition de la loi ou l’ordre d’une autorité compétente. Il n’y a pas
d’infraction, également, en cas de légitime défense. Cette absence d’incrimination
conduit naturellement à la non poursuite, dans ces cas, des coauteurs ainsi que les
complices ce qui a conduit la doctrine française à considérer les faits justificatifs
comme des causes objectives de non responsabilité.
Quant aux causes de non-imputabilité, elles sont des causes subjectives de non-
responsabilité prévues dans le seul intérêt de l’auteur de l’acte interdit en
considération de sa situation personnelle ce qui explique que les éventuels coauteurs
ou complices de ce dernier ne peuvent pas bénéficier de ces causes. Ainsi, le dément
qui tue une personne ne peut être considéré comme responsable pour l’homicide qu’il
a commis et de ce fait ne peut être puni. Mais, l’acte commis garde la qualification
d’infraction ce qui entraîne la poursuite et donc la sanction des personnes qui ont aidé
ou participé à l’infraction commise par le dément.
Il a été dit que l’interprétation de la loi en matière pénale doit être stricte dans
l’intérêt de l’inculpé ce qui interdit l’incrimination d’un fait par analogie. Mais, le
raisonnement par analogie est admis lorsqu’il sert l’inculpé, ce qui a permis à la
doctrine et à la jurisprudence d’adopter des faits justificatifs autres que ceux prévus
par la loi.
Section 1
Les faits justificatifs prévus part le législateur
Il s’agit, d’une part, de la disposition de la loi et l’ordre de l’autorité compétente
(Paragraphe 1er) et d’autre part de la légitime défense (Paragraphe 2
nd).
Mme Turki.A -Droit pénal général
25
Paragraphe 1er
L’autorité de la loi ou l’ordre de l’autorité
compétente
Selon l’article 42 du Code pénal, « n’est pas punissable, celui qui a commis un
fait en vertu d’une disposition de la loi ou d’un ordre de l’autorité compétente ». Il
s’agit là de ce qu’on peut appeler un fait justificatif général puisqu’il justifie la
commission de tout fait ordonné par la loi ou par l’autorité compétente qu’il s’agisse
de faits portant atteinte aux personnes ou aux biens et qu’ils soient considérés comme
crimes, délit ou même contravention. De même, l’auteur de ces faits ne peut être
considéré comme civilement responsable.
La justification dans ce cas revient naturellement au fait que la personne, même
si elle viole la loi d’incrimination, elle respecte une injonction de la loi ou un ordre de
l’autorité compétente. Il s’agit donc d’un conflit entre deux lois : une disposition
générale de la loi incriminant un fait et une disposition particulière ou spéciale de la
loi qui ordonne la commission de ce même fait dans des situations et conditions
particulières. Et selon les règles qui régissent le conflit des lois, c’est la disposition
particulière qui prend le dessus dans son champ d’application.
D’après l’article 42 du Code pénal, la coexistence de la disposition de la loi et
l’ordre de l’autorité compétente n’est pas exigé62
. Ainsi, la disposition de la loi suffit
pour justifier la commission d’un acte incriminé même en l’absence d’un ordre de
l’autorité compétente l’autorisant. C’est le cas lorsque la disposition de la loi
s’adresse directement à la personne (en déterminant sa qualité) sans avoir à attendre
un ordre d’une autorité supérieure. Le juge d’instruction peut, ainsi, en cas de flagrant
délit, arrêter l’inculpé présent sur un simple ordre verbal63
. En effet, l’article 250 du
Code pénal conditionne l’existence du crime de la séquestration arbitraire avec
l’absence de l’ordre légal64
.
Egalement, lorsqu’un médecin déclare la maladie d’un patient aux autorités
compétente ne commet pas le délit prévu par l’article 254 du Code pénal puisque
62
Cette coexistence était exigée dans l’ancien Code pénal avant qu’elle soit abandonnée par l’article 121-4 du
N.C.P. français. 63
Art. 35 du Code de procédure pénale. 64
Art. 250 C.P. : «Est puni de dix ans d’emprisonnement et de vingt mille dinars d’amende, quiconque, sans
ordre légal, aura capturé, arrêté, détenu ou séquestré une personne ».
Mme Turki.A -Droit pénal général
26
l’article de la loi n° 92-71 du 27 juillet 1992 relative aux maladies transmissibles,
dispose que « la déclaration des maladies prévues à l’article 3 est obligatoire…
Les déclarations faites en vertu des dispositions de la présente loi et des textes
pris pour son application ne constitue pas une violation du secret professionnel ».
C’est aussi le cas prévu par l’article 31 du Code de la protection de l’enfant qui
dispose que « toute personne, y compris celle qui est tenue au secret professionnel,
est soumise au devoir de signaler au délégué à la protection de l’enfance tout ce qui
est de nature à constituer une menace à la santé de l’enfant ou à son intégrité
physique ou morale au sens des paragraphes (d et e) de l’article 20 du présent
code65
».
Quant à la question de l’ordre de l’autorité compétente comme fait justificatif,
elle pose deux problématiques relatives à la nature de l’autorité ayant donné l’ordre
de commettre l’acte incriminé et à la légitimité de cet ordre.
* La nature de l’autorité compétente :
La doctrine est unanime quant à considérer que l’autorité compétente visée par
l’article 42 du Code pénal doit être une autorité publique, civile ou militaire, et ne
peut en aucun cas être une autorité privée. En effet, l’ordre d’un père à son fils ou
d’un employeur à son employé de commettre un crime ne constitue pas un ordre
d’une autorité compétente constitutif d’un fait justificatif au sens de l’article 42 du
Code pénal.
* La légitimité de l’ordre émanant de l’autorité compétente : Avant de trancher cette question, il est utile de rappeler que la loi incrimine
tout abus de pouvoir de la part des fonctionnaires publics à l’occasion de l’exercice
de leur fonction. Ainsi, l’article 101/1 bis du Code pénal dispose que « est puni d’un
emprisonnement de huit ans, le fonctionnaire ou assimilé qui soumet une personne à
la torture, et ce, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ». De
même, selon l’article 102 C.P., « est puni d’un an d’emprisonnement et de soixante
dinars d’amende, tout fonctionnaire public ou assimilé qui sans observer les
formalités requises ou sans nécessité démontrée, aura pénétré dans la demeure d’un
particulier contre le gré de celui-ci ». Enfin, l’article 103 C.P. sanctionne l’auteur de
l’ordre illégal en disposant qu’ « est puni de cinq ans d’emprisonnement et de cent
vingt dinars d’amende, tout fonctionnaire public qui, sans motif légitime, aura porté
atteinte à la liberté individuelle d’autrui ou usé ou fait user de violences ou de
mauvais traitements envers un accusé, un témoin ou un expert, pour en obtenir des
aveux ou déclarations ».
Seulement, tous ces textes n’exigent pas du fonctionnaire de désobéir à un
ordre illégal. En droit français, l’article 122-4 du N.C.P. dispose que « N’est pas
65
Art. 20 Code de protection de l’enfant : « Sont considérés, en particulier, comme des situations difficiles
menaçant la santé de l’enfant ou son intégrité physique ou morale :…
d/ le mauvais traitement habituel de l’enfant.
E/ l’exploitation sexuelle de l’enfant qu’il s’agisse de garçon ou de fille ».
Mme Turki.A -Droit pénal général
27
pénalement responsable la personne qui accomplit un acte commandé par l’autorité
légitime, sauf si cet acte est manifestement illégal ». Il restera au juge d’apprécier
l’illégalité manifeste de l’ordre émanant de l’autorité compétente. Jean PRADEL
écrit à ce sujet qu’ « on peut penser que le point de condamnabilité variera selon la
personnalité du prévenu, son caractère, sa position sociale, sa culture juridique… La
condamnation du militaire supposera une illégalité vraiment considérable alors
qu’une illégalité simplement certaine suffira en général pour condamner le
fonctionnaire civil, plus indépendant pour résister à un ordre légal et souvent plus
expert en droit66
».
Paragraphe 2nd
La légitime défense
La légitime défense est prévue par le législateur tunisien dans les articles 39 et
40 du Code pénal. Et il est admis par la doctrine que l’article 39 constitue le texte
général de base le la légitime défense, alors que l’article 40 crée une présomption de
légitime défense dans certaines conditions.
La légitime défense est généralement définie comme étant la reconnaissance du
droit de riposte, même par la violence, à une attaque injuste. Et si la justification des
actes commis en légitime défense est largement admise, son fondement fait débat.
Ainsi, certains considèrent que la personne injustement attaquée se trouve contrainte
de se défendre en vertu de l’instinct de conservation, ce qui conduit à considérer la
légitime défense comme une cause subjective de non-responsabilité pénale. Cette
théorie est critiquée du fait que la contrainte annihile toute liberté de choix chez la
personne ce qui n’est pas le cas de la légitime défense surtout lorsque l’agressé est un
tiers.
La deuxième théorie considère la légitime défense comme un droit pour celui qui se
défend contre une agression injuste que les pouvoirs publics n’ont pu prévenir. Hegel
considère, en effet, que « l’attaque (injuste) est la négation du Droit ; la défense est la
négation de cette négation, donc l’application du Droit ». Cette théorie considère la
légitime défense comme un véritable fait justificatif qui supprime l’infraction parce
que les actes accomplis pour la défense sont dépourvus de tout caractère délictueux.
Seulement, on ne peut pas considérer la légitime défense comme une exception au
principe selon lequel nul ne peut se faire justice à lui-même, parce qu’il ne s’agit
nullement de se faire justice mais de se défendre contre une agression actuelle.
Notons, tout de même, que l’article 39 du Code pénal dans sa version française use
improprement du terme « contrainte » qui n’est utilisé dans la version arabe.
Selon l’article 39 du Code pénal, « il n’y a pas d’infraction lorsque l’auteur y a
été contraint par une circonstance qui exposait sa vie ou celle de l’un de ses proches
à un danger imminent, et lorsque ce danger ne pouvait être autrement détourné.
Sont considérés comme proches :
66
J. PRADEL, op. cit., pp. 291-292, n°314.
Mme Turki.A -Droit pénal général
28
1- les ascendants et descendants,
2- les frères et sœurs,
3- les époux,
Si la personne menacée n’est pas un proche, le juge appréciera le degré de
responsabilité ».
La légitime défense consiste, donc, en une défense contre un danger. Toutefois,
certaines conditions doivent caractériser l’agression ou l’attaque (Sous-
Paragraphe 1er) ainsi que la réaction ou la défense (Sous-Paragraphe
2ème) pour que cette dernière soit légitime et considérée, par conséquent, comme un
fait justificatif. Il est utile, enfin, de s’intéresser à la question de la preuve de la
légitime défense (Sous-Paragraphe 3ème
).
Sous-Paragraphe 1er
Les conditions de l’agression
* L’objet de l’agression :
Selon l’article 39 du C.P., la défense est considérée légitime si l’agression
visait la vie de celui qui se défend ou un membre de sa famille, à savoir les
ascendants et descendants, les frères et sœurs ainsi que les époux. Si l’agression visait
d’autres personnes, ce sera au juge d’apprécier le degré de responsabilité de l’auteur
de la réaction, en d’autres termes, il pourra bénéficier des circonstances atténuantes.
Cette position du Droit tunisien est en contradiction avec les termes de l’article 143
du C.P. qui incrimine la non assistance d’une personne en danger67
. Le législateur
français a été plus juste en considérant dans l’article 122-5/1 que « n’est pas
responsable pénalement la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-
même ou autrui, accomplit dans le même temps un acte commandé par la nécessité
de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf s’il y a disproportion entre les
moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte ».
Mais, même si l’article vise expressément le danger contre la vie de la
personne ou l’un de ses proches, cela n’exclue en aucun les atteintes contre l’intégrité
physique de ces personnes. Toutefois, la Cour de cassation ne considère pas que
l’atteinte à l’honneur et aux mœurs de la personne justifie la commission d’un acte
incriminé68
. Cette jurisprudence est critiquée par une partie de la doctrine qui la
considère contraire à l’intention du législateur. Selon cette doctrine, le législateur
tunisien, en évoquant dans l’article 39 C.P. la circonstance qui exposait la vie à un
danger imminent, n’excluait en aucun le droit de la personne de se défendre contre
l’agression qui portait atteinte à son honneur ou à celui de sa famille, preuve en est le
67
Art. 143 C.P. : « Est puni d’un mois d’emprisonnement et de quarante huit dinars d’amende, quiconque, le
pouvant, refuse ou néglige de faire les travaux, les services ou de prêter secours dont il est requis, dans les
circonstances d’accident, tumulte, naufrage, inondation, incendie ou autres calamités ainsi que dans les cas de
brigandage, pillage, flagrant délit, clameur publique ou d’exécution judiciaire ». 68
Arrêt de la Cour de cassation n°2454 du 24/05/1978, Bulletin de la Cour de cassation, I, 1978, p.242.
Mme Turki.A -Droit pénal général
29
fait de consacrer toute une section aux infractions qui constituent des attentats aux
mœurs. Il est également utile de rappeler qu’un ancien arrêt de la Cour de cassation
en date du 9 janvier 1945 allait dans ce sens en considérant que la défense de
l’honneur de la personne est similaire à la défense de sa propre vie, justifie de ne pas
sanctionner l’auteur dans un pareil cas69
.
Quant à l’agression visant les biens, elle ne justifie pas la commission de l’acte
incriminé d’après l’article 39 du Code pénal. Cela revient essentiellement à la
disproportion entre la réaction et l’objet de l’agression. Mais, si la responsabilité
pénale de celui qui défend ses biens contre une agression illégitime reste entière, ce
n’est pas le cas concernant sa responsabilité civile. Ainsi, d’après l’article 104 du
C.O.C., «il n’y a pas lieu à responsabilité civile dans le cas de légitime défense…
Le cas de légitime défense est celui où l’on est contraint d’agir afin de repousser une
agression imminente et injuste dirigée contre la personne ou les biens de celui-ci qui
se défend ou d’une autre personne ».
Toutefois, l’article 40 du Code pénal pose une présomption de légitime
défense. En effet, «il n’y a pas d’infraction :
1) si l’homicide a été commis, si les blessures ont été faites ou les coups portés en
repoussant, la nuit, l’escalade ou l’effraction des clôtures, murs ou entrées
d’une habitation ou de ses dépendances.
2) Si le fait a eu lieu en se défendant contre les auteurs de vols ou de pillages
avec violence ».
On peut supposer que de telles agressions visaient les biens de la victime. Mais, la
justification de la défense dans ces cas peut revenir à l’ambiguïté de l’agression :
Face à l’agression produite dans les circonstances décrites dans cet article, la victime
peut légitimement avoir eu peur pour sa vie ce qui a entraîné l’acte de défense.
L’article 122-5/2 N.C.P. français prévoit, pour sa part, que « n'est pas pénalement
responsable la personne qui, pour interrompre l'exécution d'un crime ou d'un délit
contre un bien, accomplit un acte de défense, autre qu'un homicide volontaire,
lorsque cet acte est strictement nécessaire au but poursuivi dès lors que les moyens
employés sont proportionnés à la gravité de l'infraction ».
* L’imminence de l’agression :
Il faut que l’agression soit imminente pour que la défense soit qualifiée de légitime.
Mais si cette agression est déjà achevée, il n’y a plus lieu à aucune défense et il ne
s’agirait alors que de vengeance. C’est également le cas lorsque l’agression n’est que
probable ou future. Dans cette situation, la « future » victime n’avait qu’à prévenir les
autorités compétentes pour empêcher l’agression. La défense contre l’agression doit
être une réaction provoquée par la surprise du danger imminent et non un fait
savamment réfléchi.
* La certitude de l’agression :
69
F. KSAÏER, Droit pénal général (ouvrage en langue arabe), Centre de publication universitaire, Tunis, 2006,
p.64.
Mme Turki.A -Droit pénal général
30
L’agression doit être réelle. « Il faut avant tout que le danger menaçant le prévenu ait
été objectivement indéniable. (Mais) au péril certain, la jurisprudence assimile le péril
vraisemblable. On parle en doctrine d’agression putative, à propos de celle dans
laquelle la victime se croit menacée par suite d’une erreur d’interprétation quant à
l’attitude véritable de l’agresseur 70
».
* L’illégitimité de l’agression de l’agression :
Même si l’article 39 du C.P. ne le prévoit pas expressément, l’agression doit
être illégitime pour justifier la défense. Le législateur français parle, lui, d’atteinte
injustifiée. Ainsi, lorsqu’un voleur tue le propriétaire qui voulait défendre ses biens, il
ne s’agit pas de légitime défense parce que « l’agression » du propriétaire ne peut être
considérée comme illégitime. De même, ne peut être considérée comme une
agression illégitime le fait par un agent de la police judiciaire de pénétrer dans une
maison, muni d’un mandat, pour arrêter une personne recherchée. Mais, qu’en est-il
si l’acte accompli par l’agent de la police judiciaire était illégal.
La jurisprudence française considère qu’il n’y a jamais de légitime défense contre un
acte de l’autorité, même si cet acte était illégal. La doctrine refuse également
d’accorder un droit de résistance absolu parce que cela conduirait à donner le droit à
toute personne d’apprécier la légalité de l’acte de l’autorité compétente ce qui
pourrait engendrer un désordre nuisible à l’autorité que doit avoir la puissance
publique. Une partie de la doctrine autorise la résistance même violente lorsque
l’illégalité est manifeste. C’est le cas, par exemple, lorsqu’un huissier opère une
saisie la nuit. L’acte est aussi manifestement illégal et justifie la défense légitime
lorsqu’il entre dans les faits incriminés pour abus de pouvoir. Une autre partie de la
doctrine présente un système fondé sur la nature de l’objet de l’agression de l’agent :
« si l’agression est dirigée contre les biens, la rébellion n’est pas justifiée, si elle est
dirigée contre la personne, elle l’est. C’est la meilleure solution, même si son
application n’est pas toujours aisée 71
».
Notons enfin, que l’agression illégitime qui émane d’une personne
irresponsable pénalement, comme le dément, justifie également l’acte de défense
parce que les causes de non-imputabilité sont relatives à la personne et n’efface en
aucun cas le caractère délictueux de l’infraction.
Sous-Paragraphe 2ème
Les conditions de la défense
Nous avons déjà observé, à l’occasion de l’imminence de l’agression, que lorsque
cette dernière est achevée, il n’y a plus lieu à aucune défense et il ne s’agirait alors
70
J. PRADEL, op. cit., p. 301, n°326.
71
J. PRADEL, op. cit., p. 302.
Mme Turki.A -Droit pénal général
31
que de vengeance. La défense doit donc être immédiate, quasiment contemporaine de
l’agression. « La légitime défense est un plat qui se mange chaud 72
».
En dehors de cette condition de l’immédiateté de la défense qui est le corollaire
de l’imminence de l’agression, l’article 39 du C.P. n’a pas expressément indiqué des
conditions propres à l’action de défense contre l’agression illégitime. Mais, on peut
déduire de l’expression « lorsque ce danger ne pouvait être autrement détourné » que
la défense doit être nécessaire et proportionnée au danger encouru.
* La nécessité de la défense :
Pour être qualifié de légitime, l’acte de défense doit être nécessaire pour éviter
l’agression. S’il était possible d’éviter le danger autrement qu’en commettant un acte
délictueux, il n’y a point de légitime défense. Ainsi, la Cour de cassation dans un
arrêt en date du 20 avril 1977 a décidé que lorsque la réaction de celui qui est
menacée de mort par l’agresseur est exagérée et qu’il lui était possible de l’éviter par
d’autres moyens tels que la fuite ou une violence légère, il n’y a point de légitime
défense. Notons à ce propos que la doctrine française ne considère pas la fuite comme
une obligation pour la victime d’une agression. La légitime défense étant considérée
comme un droit, voire même un devoir pour remplacer les autorités défaillantes dans
la prévoyance de l’agression, on n’a pas à obliger la victime de prendre la fuite. « Le
droit n’est pas tenu de céder devant l’injustice, et la fuite, souvent honteuse, ne peut
être une obligation légale 73
».
Mais, lorsque la victime de l’agression refuse l’aide d’un tiers pour se défendre
lui-même en commettant un acte interdit ne pourra pas bénéficier d’un fait justificatif
parce qu’il s’agit dans ce cas plus de vengeance ou de justice privée que de défense
légitime.
* La proportionnalité entre l’attaque et les moyens de défense :
La réaction de la victime doit être mesurée. Mais si l’article 39 du C.P. ne
détermine pas l’acte de la défense, dans le premier cas prévu par l’article 40 du C.P. il
est question d’homicide, blessures ou coups portés à l’agresseur. La question de la
proportionnalité entre l’attaque et les moyens de défense est laissée à l’appréciation
des juges du fond. Ainsi, pour prévenir une gifle on ne peut tirer un coup de revolver.
Mais cela ne signifie nullement qu’il faut qu’il y ait une équivalence totale entre
l’acte de défense et le danger de l’agression. La femme qui tue celui qui la menace de
viol imminent est en parfait état de légitime défense.
La question de la proportionnalité de la défense se pose d’une manière plus
évidente lorsque l’agression porte sur les biens de la victime et non sur la vie de la
personne elle-même ou sur son intégrité physique. Il a été dit que le législateur
français justifie la légitime défense des biens sauf en cas d’homicide volontaire.
Quant au droit tunisien, il ne justifie l’homicide, les blessures et les coups qu’en cas
72
J. PRADEL, op. cit., p. 304, n° 330. 73
Emile GARCON, cité par J. PRADEL, op. cit., p. 304, n°330.
Mme Turki.A -Droit pénal général
32
de réunion des conditions de la présomption de légitime défense prévue dans l’article
40 du C.P. ce qui nous amène à la question de la preuve de la légitime défense.
Sous-Paragraphe 3ème
La preuve de la légitime défense
Qui supporte la charge de la preuve de l’état de légitime défense ? L’inculpé ou
le ministère public ?
Une partie de la doctrine française considère que c’est le ministère public qui
doit prouver la culpabilité de l’inculpé et par conséquent l’absence de faits
justificatifs en sa faveur. Selon J. PRADEL, la légitime défense «devrait être
présumée quand, en apparence, les conditions en sont remplies. Ce serait alors à
l’accusation de démontrer l’absence de ces conditions 74
». Les professeurs STEFANI,
LEVASSEUR et BOULOC écrivent que « logiquement, et en raison tant de la
présomption d’innocence que des principes généraux concernant la charge de la
preuve, c’est le ministère public, partie poursuivante, qui devrait rapporter la preuve
que les conditions requises par la loi ne se trouvent pas réunies 75
».
Selon l’article 12 de la Constitution tunisienne, « tout prévenu est présumé
innocent jusqu’à l’établissement de sa culpabilité… ». Ainsi, c’est au ministère
public de prouver que l’inculpé a véritablement commis l’acte dont il est inculpé.
Mais, et en application des règles générales de la charge de la preuve, si l’accusation
(le ministère public) arrive à démontrer la commission de l’infraction par l’inculpé,
ce dernier doit apporter la preuve qu’il est soit pénalement irresponsable soit qu’il est
dans l’une des situations qui justifient la commission de l’infraction. La jurisprudence
française considère pour sa part que les faits justificatifs sont des circonstances
exceptionnelles qui dérogent à la loi pénale. Et celui qui se prétend bénéficier de ces
circonstances exceptionnelles n’a qu’à apporter la preuve qu’elles sont réunies en sa
faveur.
La présomption de légitime défense prévue par l’article 40 du C.P. montre
également le caractère exceptionnel de ce fait justificatif. En effet, en présumant que
celui qui tue, blesse ou porte des coups pour repousser la nuit l’escalade ou
l’effraction des clôtures d’une habitation ou pour se défendre contre les auteurs de
vols ou de pillages exécutés avec violence, est en état de légitime défense, cela
implique qu’en dehors de ces cas cet état de légitime défense doit être prouvé par
celui qui s’en prévaut. Mais, cette présomption est-elle simple ou irréfragable ?
Dire que la présomption de l’article 40 C.P. est irréfragable implique que tout
fait interdit commis dans les circonstances de cet article est nécessairement et
forcément une défense nécessaire et proportionnée à une agression imminente et
74
J. PRADEL, op. cit., p. 309, n°335.
75
Op. cit., p. 335, n°397.
Mme Turki.A -Droit pénal général
33
illégitime. Dire, par contre, que cette présomption est simple, cela permettrait au
ministère public d’apporter la preuve que l’effraction des clôtures d’une habitation
(dans le 1er cas de l’article 40 C.P.) ne constituait pas, en l’espèce, une agression
imminente et illégitime justifiant une défense violente.
La jurisprudence française, dans un arrêt du 19 février 1959, considère que « la
présomption légale de l’article 329 (de l’ancien Code pénal français), loin de
présenter un caractère absolu et irréfragable, est susceptible de céder devant la preuve
contraire ». C’est la même position adoptée, dans un arrêt en date du 13 juillet 1961
de la Cour de cassation tunisienne qui considère que la présomption de l’article 40
C.P. st une présomption simple. Cette position paraît la plus judicieuse en raison du
caractère exceptionnel des faits justificatifs. En effet, considérer la présomption de
l’article 40 C.P. comme irréfragable conduirait à donner un permis de tuer ou de
porter des coups et blessures à chaque fois que les circonstances décrites dans cet
article se trouvent réunies. Il ne s’agirait plus dans ce cas d’une défense légitime,
nécessaire et proportionnée mais un véritable droit de punir donné à la présumée
victime.
Section 2
Les faits justificatifs non prévus par le législateur
Même en l’absence d’un texte législatif, la doctrine est unanime pour
considérer l’état de nécessité, tout comme la légitime défense, une permission de la
loi pour commettre l’acte délictueux fondée sur une situation d’urgence
(Paragraphe 1er). Toutefois, la question du consentement de la victime comme
un fait justificatif reste controversée (Paragraphe 2nd).
Paragraphe 1er
L’état de nécessité
« L’état de nécessité est la situation dans laquelle se trouve une personne qui ne
peut raisonnablement sauver un bien, un intérêt ou un droit que par la commission
d’un acte qui, s’il était détaché des circonstances qui l’entourent, serait délictueux 76
».
Il s’agit donc d’une situation d’urgence en raison d’un danger adressé à une personne,
à un bien ou à un intérêt juridiquement reconnu qui justifie la commission d’un acte
délictueux pour éviter ce danger. « Le droit se doit donc de fléchir. Nécessité fait
76
P. FORIERS, De l’état de nécessité en droit pénal, 1951, cité par J. PRADEL, op. cit., p. 311, n°339.
Mme Turki.A -Droit pénal général
34
loi 77
». Ainsi, se trouve en état de nécessité le médecin qui, pour sauver la mère en
plein accouchement, tue l’enfant.
A l’inverse de l’ancien Code pénal français qui ne prévoyait pas l’état de
nécessité en tant que fait justificatif, l’actuel article 122-7 du N.C.P. français prévoit
que « n’est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou
imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la
sauvegarde de la personne ou du bien sauf s’il y a disproportion entre les moyens
employés et la gravité de la menace ».
Pour déterminer le fondement de l’état de nécessité en tant que fait justificatif,
il est nécessaire de le distinguer des notions voisines. Ainsi, l’état de nécessité
diffère de la légitime défense dans le sens que dans le cas de cette dernière, l’auteur
de l’acte délictueux est la victime de l’agression, alors qu’en état de nécessité, il est
lui-même l’agresseur, ce qui justifie le maintien de la responsabilité civile en cas
d’état de nécessité alors qu’elle est abolie en cas de légitime défense.
L’état de nécessité est différent du cas de la contrainte qui annihile
complètement la liberté de choix de commettre l’acte délictueux ce qui n’est pas le
cas de celui qui se trouve en état de nécessité qui choisi la commission de l’infraction
pour sauver du danger la personne ou le bien menacée.
Quant au fondement de l’acceptation de l’état de nécessité en tant que fait
justificatif, certains l’expliquent par l’absence de l’intention criminelle. C’est là
confondre entre l’intention criminelle et le mobile. L’intention criminelle est
l’existence de la volonté de l’auteur de l’infraction de commettre l’acte en
connaissance de cause des conséquences qui en résultent. Cette intention est
naturellement présente chez celui qui était en état de nécessité de commettre
l’infraction, mais son mobile est naturellement non criminelle. Toutefois, l’absence
de mobile criminel n’a aucun effet sur l’établissement ou non de la responsabilité
pénale.
Malgré l’existence de l’intention criminelle, il est utile de justifier l’acte
délictueux commis en état de nécessité et ce tout d’abord parce que « le bien sacrifié
est de valeur moindre que le bien sauvegardé ou, dans les cas extrêmes, de valeur
égale : l’infraction est donc socialement utile ou au pire indifférente78
». Ensuite, il
n’y a aucun intérêt à sanctionner l’auteur de l’infraction commise en état de nécessité
étant donné qu’il ne témoigne d’aucune anti-socialité. Il n’est pas moralement
blâmable et s’il se retrouvait dans les mêmes circonstances, il réagirait sûrement de la
même manière.
Tout comme la légitime défense, l’état de nécessité doit être
exceptionnellement accepté ce qui justifie qu’il soit soumis à des conditions
restrictives. Ainsi, pour justifier un acte délictueux commis en état de nécessité, il
faut que le danger soit imminent et que l’acte soit nécessaire et proportionné au
danger. Mais, étant donné que l’état de nécessité n’est pas réglementé en droit
77
J. PRADEL, op. cit., p. 311, n°339. 78
J. PRADEL, op. cit., p. 313, n°344.
Mme Turki.A -Droit pénal général
35
tunisien, certaines questions restent posées et ne trouveront de solutions qu’en cas de
reconnaissance législative de ce fait justificatif. Ainsi, que doit menacer le danger
imminent pour que la commission d’une infraction pour écarter ce danger soit
justifiée ? Doit-on se limiter à la liste des proches parents prévue dans l’article 39 du
C.P. pour la légitime défense ? La personne est-elle en état de nécessité de commettre
une infraction lorsque le danger menace les biens, comme c’est le cas en droit
français ? Reste une question non prévue même en droit français, à savoir si une
personne peut être justifiée de commettre l’infraction si elle se trouve dans un état de
nécessité provoqué par sa faute.
Les droits italien et suisse distinguent entre l’absence de faute préalable qui justifie
l’infraction commise en état de nécessité et l’existence d’une faute préalable qui
entraîne un abaissement de la peine. La jurisprudence française adopte cette solution
en condamnant le conducteur d’un camion qui s’était imprudemment engagé sur un
passage à niveau et a été amené à défoncer la barrière de sortie de ce passage, pour
pouvoir éviter le choc avec un train qui arrivait. Selon Jean PRADEL, cette solution
est à proscrire. « L’agent doit certes être puni pour sa faute initiale si celle-ci
constitue une infraction. Mais il ne saurait l’être pour le fait accompli sous l’empire
de la nécessité, laquelle est une donnée objective sans rapport avec la psychologie de
l’auteur 79
».
Paragraphe 2nd
Le consentement de la victime
Y a-t-il délit de coups et de blessures volontaires lorsque la victime en est
consentante ? Peut-on considérer celui qui aide une personne à se suicider comme
complice d’homicide volontaire ? En d’autres termes, le consentement de la victime
constitue-t-il un fait justificatif ?
En principe, la répression en droit pénal a pour but d’assurer la satisfaction de
l’intérêt général et non celle des intérêts particuliers. C’est pour cette raison que
l’action qui a pour but de poursuivre l’inculpé pour l’infraction commise se nomme
l’action publique. Ainsi, l’article 1er du Code de procédure pénale dispose que « toute
infraction donne ouverture à une action publique ayant pour but l’application des
peines et, si un dommage a été causé, à une action civile en réparation de ce
dommage ». Egalement, selon l’article 3 du même code « hors les cas prévus par la
loi, l’action publique n’est pas subordonnée à l’existence d’une plainte et ne peut
être arrêtée ni suspendue par le retrait de la plainte ou la renonciation à l’action
civile ». Par conséquent, on ne peut renoncer à l’action publique, donc à la poursuite
de l’inculpé que dans des infractions expressément prévues par le législateur telle que
79
J. PRADEL, op. cit., p. 315, n°348.
Mme Turki.A -Droit pénal général
36
l’adultère80
ou les coups et blessures dont sont victimes l’ascendant ou le conjoint81
.
Mais, la renonciation à la poursuite n’entraîne pas la justification de l’acte délictueux,
mais simplement d’éviter de sanctionner l’inculpé souvent pour raisons familiales.
Il en résulte de tout ce qui procède qu’on ne peut considérer le consentement de
la victime comme un fait justificatif étant donné que les règles du droit pénal sont des
règles impératives dont on ne peut écarter l’application. Dans certaines infractions, le
législateur a expressément évoqué l’indifférence du consentement de la victime dans
l’existence de l’infraction. Ainsi, selon l’article 214/1 du C.P. « quiconque, par
aliments, breuvages, médicaments ou par tout autre moyen, aura procuré ou tenté de
procurer l’avortement d’une femme enceinte ou supposée enceinte qu’elle y ait
consenti ou non, sera puni d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de dix
mille dinars ou de l’une de ces deux peines seulement ». De même, selon l’article 206
du C.P., « est puni de cinq ans d’emprisonnement, celui qui, sciemment, aide à un
suicide ». Dans d’autres cas, le législateur incrimine même le consentement de la
victime, en disposant dans l’article 411 du Code de commerce qu’ « est puni
d’emprisonnement pour une durée de cinq ans et d’une amende égale au montant du
chèque ou de l’insuffisance de provision…celui qui, en connaissance de cause, a
accepté un chèque émis dans les conditions visées à l’alinéa précédent ».
Mais, même s’il ne peut être considéré comme un fait justificatif, l’étude du
consentement de la victime est importante parce qu’elle exclut, dans certains cas,
l’existence même de l’infraction. C’est notamment le cas de l’article 256 du C.P. qui
dispose que « celui qui, contre le gré du propriétaire, pénètre ou demeure dans un
lieu servant à l’habitation, est puni d’un emprisonnement de 3 mois ». Egalement,
selon l’article 228/1 du C.P., « est puni d’un emprisonnement pendant six ans,
l’attentat à la pudeur, commis sur une personne de l’un ou de l’autre sexe sans son
consentement ».
Dans ce cas, et pour exclure l’existence même de l’infraction, le
consentement doit provenir d’une personne qui a le discernement nécessaire pour en
saisir le sens. Ainsi, selon l’article 227 in fine du C.P., et concernant le crime de viol,
« le consentement est considéré comme inexistant lorsque l’âge de la victime est au-
dessous de treize ans accomplis ». Le consentement doit également être libre et
préalable ou concomitant à l’acte. S’il intervient après « l’infraction », il ne
constituerait qu’un pardon pénalement sans valeur sauf dans les cas où la poursuite
est subordonnée à la demande de la victime.
80
Art. 236 C.P. 81
Art. 218/4 C.P.
Mme Turki.A -Droit pénal général
37
Titre Second
Les éléments de
l’infraction
Tout texte d’incrimination détermine les éléments de l’infraction. Ainsi, quel est
l’acte matériel dont le législateur pénal interdit la commission (chapitre premier), et
est-ce qu’il est nécessaire que cet acte soit intentionnel ou la simple faute justifie la
culpabilité de l’auteur (chapitre second).
CHAPITRE PREMIER
L’ELEMENT MATERIEL DE L’INFRACTION
Pour être considéré comme l’auteur de l’infraction, il faut commettre l’acte
matériel que le législateur interdit. Le Droit pénal ne s’intéresse pas aux seules
intentions qui ne prennent pas un habit matériel, extérieur et apparent pour constituer
un danger certain pour la société. C’est simplement les manières d’agir qui sont
sanctionnées et non les manières de penser82
. Ainsi, la simple tentation criminelle,
tant qu’elle n’est pas extériorisée par un commencement d’exécution, ne trouble pas
l’ordre social. Mais, il est utile de remarquer qu’exceptionnellement le législateur
sanctionne le complot formé dans le but de commettre l’un des attentats contre la
sûreté intérieure de l’Etat prévus aux articles 63, 64 et 72 du Code pénal. En effet,
« la peine est de deux ans d’emprisonnement, si le complot n’a pas été suivi d’un acte
préparatoire tendant à l’exécution de l’attentat 83
». Il y a complot, dès que la
résolution d’agir est concertée et arrêtée entre deux ou plusieurs personnes84
.
* Habituellement, le comportement incriminé consiste en une action interdite
par le législateur : C’est le délit ou l’infraction d’action ou de commission. Il en set
ainsi de celui qui en appuyant sur la détente d’un revolver commet l’acte d’homicide
ou de celui qui en contrefaisant ou altérant la monnaie fiduciaire ayant cours légal en
Tunisie tombe sous le coup des sanctions prévues à l’article 185 du Code pénal.
Mais, l’élément matériel peut consister également en une omission ou une
abstention interdite par la loi, c’est-à-dire que cette dernière impose un comportement
particulier dans certaines situations et la personne qui s’abstient de se comporter
conformément à la loi commet une infraction par omission. Ainsi, l’article 25 de la
loi n° 57-3 du 1er août 1957 réglementant l’état civil dispose que « toute personne
qui, ayant assisté à un accouchement, n’a pas fait la déclaration prescrite par
l’article 22 de la présente loi, sera punie d’un emprisonnement de six mois et d’une
amende de trois mille francs ou de l’une des deux peines seulement ». Aussi, l’article
82
J. PRADEL, op. cit., p. 327, n°362. 83
Art. 68/2 C.P. 84
Art. 69 C.P.
Mme Turki.A -Droit pénal général
38
1er de la loi n° 68-48 du 3 juin 1968 relative à l’abstention délictueuse prévoit que
«sera puni de cinq années d’emprisonnement et dix mille dinars d’amende
quiconque, pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour
les tiers, soit un fait qualifié crime, soit un délit contre l’intégrité corporelle de la
personne, s’abstient volontairement de le faire 85
».
La doctrine française a discuté de la possibilité d’existence de l’infraction de
commission par omission, c’est-à-dire si le résultat de l’action incriminée se réalise
par une omission, y a-t-il infraction ? Y a-t-il homicide de la part qui refuse de
secourir quelqu’un ou de l’alimenter jusqu’à ce que mort s’en suive ? Un délit de
commission peut-il résulter d’une simple abstention ? Notons là qu’il ne s’agit pas de
se demander si on peut sanctionner une personne pour son omission, mais si cette
omission peut constituer l’élément matériel d’une infraction de commission ?
D’après le principe de la légalité et de l’une de ses conséquences, à savoir
l’interprétation stricte de loi pénale, on ne raisonne par analogie et assimiler une
omission à une commission si elles aboutissent au même résultat. Dans ce sens sont
allés les magistrats dans l’affaire de la « Séquestrée de Poitiers » qui ont refusé de
condamner pour violence et voies de fait Monsieur Monier qui avait laissé pendant
plusieurs années sa sœur majeure et aliénée mentale dans une chambre sans air et
sans lumière au point que sa santé » s’en était trouvée compromise. Selon ces
magistrats, « on ne saurait comprendre un délit de violence ou voies de fait sans
violences 86
».
Mais, le législateur peut élargir la notion de commission et considérer qu’elle
peut exister par la simple omission. Ainsi, en matière des infractions relatives aux
attentats contre les personnes, l’article 212 du C.P. dispose qu’«encourt un
emprisonnement de trois ans et une amende de deux cents dinars, celui qui expose ou
fait exposer, délaisse ou fait délaisser, avec l’intention de l’abandonner, dans un lieu
peuplé de gens, un enfant ou un incapable hors d’état de se protéger lui-même ». De
même, selon l’article 213 du même code, « l’auteur est puni de douze ans
d’emprisonnement si par suite de l’abandon prévu à l’article 212 du Code pénal,
l’enfant ou l’incapable est demeuré mutilé, estropié ou s’il s’en est suivi un handicap
physique ou mental.
Il est puni d’emprisonnement à vie si la mort s’en est suivie ». Notons que cet article
est situé dans la sous-section intitulée « De l’homicide intentionnel ».
* En principe, la commission de l’infraction suppose la réalisation d’un
résultat. Ce dernier ne doit pas être apprécié du côté du délinquant mais de celui de
la victime, et il consiste dans le préjudice subi par cette dernière. Toute la question est
85
Art. 2 de la loi n° 68-48 du 3 juin 1968 relative à l’abstention délictueuse : « Sera puni des peines prévues à
l’article premier, quiconque s’abstient volontairement de porter à une personne l’assistance que, sans risque pour lui
ni pour les tiers, il pouvait lui prêter, soit par action personnelle, soit en provoquant un secours, si, faute d’être secourue,
cette personne a perdu la vie, souffert un préjudice corporel ou subi l’aggravation de son état
Encourt les mêmes peines celui qui, d’après les règles de sa profession, doit porter assistance et secours à
autrui et qui, dans les conditions prévues à l’alinéa précédent, s’abstient de le faire… ». 86
Poitiers, 20 novembre 1901, D., 1902, II, 81.
Mme Turki.A -Droit pénal général
39
de savoir si le résultat est indispensable à l’existence de l’infraction ou est-il
indifférent ?
La doctrine française distingue entre les infractions formelles, les infractions
obstacles et les infractions matérielles.
L’infraction formelle est celle « dans laquelle la loi incrimine un procédé sans
s’inquiéter du résultat 87
». Ainsi, en France, l’article 221-5 du C.P. français définit
l’empoisonnement comme « le fait d’attenter à la vie d’autrui par l’administration de
substances de nature à entraîner la mort ». Il y a donc empoisonnement dès que ces
substances ont été absorbées. De même, Il y a corruption de fonctionnaire « que ce
dernier accomplisse ou s’abstienne d’accomplir un acte de sa fonction 88
». En droit
tunisien, l’article 60 ter/2 relatif à l’espionnage dispose : « encourt les mêmes peines
prévues pour les infractions visées aux articles 60 et 60 bis du présent code
quiconque les aura provoqué ou proposé de les commettre ». Dans ce type
d’infraction, la survenance du résultat ne change pas la qualification de l’infraction :
si la victime de l’empoisonnement décède, la qualification reste l’empoisonnement.
L’infraction obstacle, est « l’incrimination d’un comportement dangereux,
mais sans conséquence dommageable immédiate et donc inoffensif en lui-même. On
incrimine un comportement pour éviter la commission d’une infraction éventuelle qui
serait dommageable 89
». C’est le cas du complot (art. 68 C.P.), de la conduite en état
d’ivresse ou encore le fait de porter une arme dans un lieu public90
. La survenance du
résultat en ce qui concerne les infractions obstacle change la situation de l’agent soit
par addition soit par substitution. Dans ce cas, l’infraction obstacle se transforme en
circonstance aggravante (la conduite en état d’ivresse, circonstance aggravante de
l’homicide involontaire) ou sera absorbée par la nouvelle infraction (complot absorbé
par l’attentat).
L’infraction matérielle, par contre, n’existe qu’en présence du résultat visé
par l’auteur de l’acte matériel. On ne peut donc parler d’homicide si la victime n’est
pas morte. Le résultat dans ce type d’infraction constitue bien une composante de
l’élément matériel de l’infraction. La gravité du résultat conditionne, ici, également le
quantum de la peine. On a déjà vu dans l’article 213 du C.P., que l’auteur de
l’abandon d’un enfant encourt 12 ans d’emprisonnement si l’enfant est demeuré
mutilé suite à cet abandon, et l’emprisonnement à vie s’il la victime est morte.
L’article 219 du C.P. aggrave la peine encourue selon le taux d’incapacité de la
victime des violences.
* Enfin, si l’élément matériel de l’infraction comporte une action ou une
omission interdite et un résultat, il est nécessaire que ce résultat soit la conséquence
du comportement incriminé : c’est le lien de causalité. Parfois, le législateur évoque
87
J. PRADEL, op. cit., p. 358, n°401. 88
Art. 433-1 C.P. français. 89
J. PRADEL, op. cit., p. 359, n°402. 90
Art. 316 C.P. : « Encourent les peines prévues à l’article 315 du présent code :
5°) Ceux qui, sans nécessité, seront présentés dans un lieu public porteurs d’une arme chargée ».
Mme Turki.A -Droit pénal général
40
expressément le lien de causalité entre le comportement et le résultat en tant
composante de l’élément matériel de l’infraction. Selon l’article 291 du C.P. relatif à
l’escroquerie, « est puni de cinq ans d’emprisonnement et de deux mille quatre cents
dinars d’amende, quiconque, soit en faisant usage de faux noms ou de fausses
qualités, soit en employant des ruses ou artifices propres à persuader de l’existence
de fausses entreprises, d’un pouvoir ou crédit imaginaire ou à faire naître l’espoir du
succès d’une entreprise ou la crainte de son échec… ».
La question du lieu de causalité se pose avec délicatesse à l’occasion de la
pluralité des causes qui sont intervenu pour l’avènement du résultat. C’est le cas la
victime de violence qui décède lors de l’opération chirurgicale suite à une faute
médicale. Ou encore le piéton légèrement blessé par une automobile dont le
conducteur avait méconnu un panneau de signalisation. L’ambulance le transportant à
l’hôpital entre en collision avec un autre véhicule dont le conducteur a violé la
priorité. Le piéton est tué. Y a-t-il délit d’homicide par imprudence à l’encontre du
conducteur initial ?
La doctrine française a proposé trois théories pour résoudre cette difficulté :
- La théorie de l’équivalence des conditions : Tous les évènements qui ont
conditionné le dommage sont équivalents. Tout fait sans lequel le résultat ne se serait
pas produit est considéré comme la cause de ce résultat.
- La théorie de la proximité de la cause : La responsabilité pénale d’un individu
n’est retenue que si sa faute est une cause prochaine, en relation directe et immédiate
du résultat.
- La théorie de la causalité adéquate : La cause adéquate est celle qui normalement
entraîne le dommage. La question est de savoir ce qu’un homme raisonnable aurait
envisagé comme conséquence naturelle ou probable d’une faute.
Même si cette dernière théorie paraît être la plus logique, la jurisprudence française
suivie par la jurisprudence tunisienne a retenu la théorie de l’équivalence des
conditions. Ainsi, dans l’arrêt de « la baie des singes », la Cour considère qu’il ressort
de l’article 217 du C.P. que la responsabilité pénale dans l’homicide involontaire
découle d’un fait matériel qui peut être le fruit de la concordance de plusieurs actes
ou omissions de plusieurs personnes. Est donc pénalement responsable tout auteur
d’acte ou d’omission ayant conduit, directement ou indirectement, à la réalisation du
résultat tant que le lien de causalité entre ces faits et ce résultat est avéré91
.
L’exigence du résultat dans les infractions matérielles conditionne uniquement
l’existence de l’infraction. Mais, même en l’absence du résultat, il convient de
sanctionner l’auteur de la tentative d’infraction puisque l’intention criminelle de
commettre un acte interdit par le législateur est manifeste (Section 1). Il convient
aussi de remarquer que l’infraction ou la tentative d’infraction peut être commise par
une seule personne ou qu’il y ait eu plusieurs intervenants dans le processus de cette
infraction (Section 2).
91
Arrêt des chambres réunies de la Cour de cassation, 7 janvier 1983.
Mme Turki.A -Droit pénal général
41
Section 1
La tentative
En dehors des infractions involontaires, le processus criminel passe
habituellement par trois étapes : Une première étape psychologique consistant dans
l’idée et la résolution de commettre un crime. Ensuite, la mise en œuvres d’actes
préparatoires, mais sans relation directe avec la consommation du crime. Enfin,
l’exécution, c’est-à-dire la consommation de l’infraction ou encore le passage à
l’acte.
On a déjà vu que le droit pénal ne s’occupe pas des intentions tant qu’elles ne
sont pas extériorisées sauf les exceptions relatives au délit de complot ou du crime
d’association de malfaiteurs tel que défini par l’article 131 du C.P. selon lequel «
toute bande formée, quels que soient sa durée et le nombre de ses membres, toute
entente établie dans le but de préparer ou de commettre un attentat contre les
personnes ou les propriétés, constituent une infraction contre la paix publique ».
Le législateur pénal ne sanctionne pas, non plus, les actes préparatoires d’une
part parce qu’elles sont ambiguës et n’indiquent pas d’une manière incontestable
l’intention criminelle de leur auteur, et d’autre part pour encourager le « futur
délinquant » de se désister avant l’exécution de son projet. Toutefois, il arrive que le
législateur incrimine en elles-mêmes les actes préparatoires tel l’article 185 du C.P.
selon lequel « est puni de l’emprisonnement à vie, celui qui contrefait ou altère la
monnaie fiduciaire ayant cours légal dans la République Tunisienne ou participe à
l’émission ou exposition desdites monnaies contrefaites ou altérées ou à leur
introduction sur le territoire tunisien ». Il arrive, également, que le législateur
considère les actes préparatoires comme circonstances aggravantes tel que prévu par
l’article 257 du C.P. selon lequel « si les infractions prévues aux deux articles
précédents (violation de la propriété et pillage) ont été commises pendant la nuit la
peine est de 6 mois de prison.
Si elles ont été commises à l’aide l’escalade ou d’effraction ou en réunion de
plusieurs personnes ou si un ou plusieurs des coupables étaient porteurs d’armes, la
peine est de deux ans d’emprisonnement ». Nous verrons également que les actes
préparatoires sont considérés comme des actes de complicité selon l’article 32 du
Code pénal.
Si la personne dépasse l’étape des actes préparatoires et commence l’exécution
de son projet criminel, le droit pénal s’interpose pour mettre fin à ce projet et
sanctionner la tentative d’infraction sans attendre la réalisation du résultat criminel.
Ainsi, l’article 59 du C.P. dispose que « toute tentative d’infraction est punissable
Mme Turki.A -Droit pénal général
42
comme l’infraction elle-même si elle n’a été suspendue ou si elle n’a manqué son
effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur. Toutefois,
la tentative n’est pas punissable, sauf disposition contraire de la loi, dans les cas où
l’infraction ne comporte pas plus de 5 ans de prison ». Trois remarques peuvent être
dégagées de cet article : Tout d’abord, le législateur tunisien considère la tentative
d’infraction comme l’infraction elle-même ce qui explique qu’il leur réserve la même
peine. Mais, souvent le juge, grâce à son pouvoir d’appréciation dans la
détermination de la peine, assouplie celle de la tentative. Ensuite, la tentative est
toujours punissable dans les crimes, et seulement en cas spécification par le
législateur en matière de délit. Elle ne l’est jamais en matière de contravention. Enfin,
et pour que la tentative d’infraction soit punissable, il faut que la personne ait
commencé l’exécution de son projet criminel (Paragraphe 1er) et que son
désistement ne soit pas volontaire (Paragraphe 2nd).
Paragraphe 1er
Le commencement d’exécution
Pour considérer la personne en état de tentative de commettre une infraction, il
faut qu’il ait commencé l’exécution de son projet puisque le législateur n’incrimine
pas, comme déjà précisé, les actes préparatoires. Le problème est qu’il est parfois de
distinguer entre l’acte préparatoire et le commencement d’exécution. Ainsi, l’individu
s’apprêtant à commettre un vol qui, avant de forcer la serrure de la porte d’une
maison, sonne pour s’assurer de l’absence des propriétaires est-il entrain d’exécuter
le vol ou simplement d’accomplir les actes préparatoires non sanctionnés ? Pour
résoudre cette difficulté, la doctrine française propose deux tendances :
Une tendance objective qui focalise sur les faits matériels, extérieurs
accomplis par l’individu. S’ils consistent en un acte qui fait partie de l’infraction,
comme élément constitutif ou comme circonstance aggravante, il y a alors
commencement d’exécution. Ainsi, dans un vol, celui qui met la main sur l’objet
convoité ou bien qui force la porte d’une maison est considéré comme ayant
commencé son projet criminel. Cette tendance est critiquée parce qu’elle protège mal
la société et permet la relaxe de certains individus dont l’intention criminelle est
incontestable. Ainsi, celui qui escalade la clôture d’une maison dans le but
d’assassiner le propriétaire et qui est aussitôt interpellé, ne peut, selon cette doctrine,
être poursuivi puisque l’escalade est une circonstance aggravante pour le vol et non
pour l’homicide.
Pour éviter cette critique, un courant doctrinal italien distingue entre les actes
équivoques et les actes univoques. Les actes préparatoires sont des actes équivoques
susceptibles de plusieurs interprétations et le commencement d’exécution a un
caractère univoque qui démontre l’intention criminelle de son auteur. Même si elle
est tentante, cette acception reste assez vague et laisse échapper trop d’actes
dangereux.
Mme Turki.A -Droit pénal général
43
Une deuxième tendance subjective s’attarde plus sur l’état d’esprit de
l’individu qu’à ces actes matériels. Ainsi, il y a commencement d’exécution si sa
volonté est manifestement et incontestablement dirigée vers l’achèvement de son
projet criminel. Selon DONNEDIEU DE VABRES, il y a commencement
d’exécution lorsqu’il « existe entre le mal qu’a commis l’agent et le but qu’il se
proposait une distance morale si faible que, laissé à lui-même, il l’aurait presque
certainement franchie… 92
».
C’est dans cette direction que sont allés bon nombre d’arrêts de la Cour de
cassation dont celui du 29 avril 1968 qui affirme que « l’article 59 du C.P. n’a pas
précisé le sens de la tentative ni ses circonstances constituantes, mais ce qui est
largement admis par jurisprudence est que le commencement d’exécution consiste
dans les faits que le criminel considère qu’ils conduisent directement à la commission
de l’infraction même s’ils ne font pas partie des éléments constitutifs de l’infraction.
La différence entre l’acte d’exécution et l’acte préparatoire est que le premier conduit
directement à la commission de l’infraction au contraire du second qui est
ambiguë… ».
Paragraphe 2nd
L’absence de désistement volontaire
Selon l’article 59 du C.P., la tentative d’infraction est punissable si elle n’a été
suspendue ou si elle n’a manqué son effet que par des circonstances indépendantes
de la volonté de son auteur. On distingue alors entre l’infraction tentée et l’infraction
manquée. L’infraction tentée est celle dans laquelle l’exécution de l’infraction a été
suspendue pour des raisons extérieures à la volonté de l’agent. Dans l’infraction
manquée, l’agent a commis tous les actes conduisant normalement à la commission
de l’infraction, mais le résultat voulu n’est pas atteint pour des causes extérieures à sa
volonté, tel le cas de celui qui tire sur quelqu’un en le manquant parce qu’il mauvais
tireur. Dans ces deux cas, l’agent est puni comme s’il avait commis effectivement
l’infraction et atteint son but criminel.
Mais, lorsque l’agent qui a commencé l’exécution de l’infraction se désiste
volontairement, il n’est pas sanctionné. La raison de l’impunité de la tentative en cas
de désistement volontaire est d’encourager l’agent de ne pas poursuivre son projet. Et
pour qu’il soit qualifié de volontaire, le désistement ne doit pas être déterminé par
une cause étrangère telle que l’intervention d’un tiers ou de la police ou empêché par
la survenance d’un obstacle matériel comme la résistance d’un coffre-fort. Par contre,
lorsque le désistement est déterminé par les remords de l’agent, par pitié pour la
victime ou même par crainte du châtiment, il constitue malgré tout un désistement
volontaire menant à l’impunité du commencement d’exécution.
Pour qu’il conduise à l’impunité, le désistement doit être antérieur à la
consommation de l’infraction. Mais, « une fois l’infraction consommée, il ne peut y
92
Cité par J. PRADEL, op. cit., p. 348.
Mme Turki.A -Droit pénal général
44
avoir que remords tardif, ou « repentir actif »… en principe inopérant 93
». Le repentir
actif peut par contre faire bénéficier le criminel des circonstances atténuantes.
Enfin, il est utile d’évoquer le cas de l’infraction impossible. C’est l’infraction
dans laquelle le résultat est insusceptible de se produire par suite d’une impossibilité
ignorée de l’agent et quelle que soit sa diligence. C’est le cas de l’individu qui,
voulant dérober un portefeuille, plonge sa main dans la poche vide d’une veste ou qui
tire sur cadavre. L’infraction impossible est-elle répréhensible ? La doctrine est
partagée : Certains plaident pour l’impunité absolue pour absence de trouble social
dans ces cas. D’autres, sont pour une répression systématique parce qu’aucune
différence ne peut être faite entre l’auteur d’une tentative interrompue et celui d’une
tentative infructueuse. La défense de la société implique la punition de l’auteur d’un
délit impossible qui présente le même état dangereux qu’une autre infraction. Pour
atténuer ces deux positions extrêmes, une partie de la doctrine a distingué entre
l’impossibilité absolue qui n’est pas punissable et l’impossibilité relative punissable.
L’impossibilité est absolue lorsque l’objet de l’infraction n’existe pas ou lorsque les
moyens utilisés sont inefficaces : La répression dans ce cas est inconcevable.
L’impossibilité est, par contre, relative « lorsque l’objet est momentanément
insusceptible d’être atteint… ou lorsque les moyens, efficaces en eux-mêmes, ne l’ont
pas été par suite de leur utilisation maladroite (coup de feu tiré de trop loin) :
l’infraction ressemble alors à l’infraction manquée et doit être punie dans les mêmes
conditions qu’elles 94
». Toute la question est de savoir si l’impossibilité peut être
absolue ou relative. Il ne peut y avoir de degrés dans l’impossibilité.
Une dernière position doctrinale distingue entre l’impossibilité de droit et
l’impossibilité de fait. L’impossibilité de droit consiste en l’absence d’un élément de
l’infraction comme le décès antérieur de la « victime » : Dans ce cas, il ne peut y
avoir de répression. Par contre, lorsque l’impossibilité est de fait, tel le cas de la
poche vide momentanément ou de l’inefficacité des moyens utilisés, la tentative est
punissable.
On peut supposer la position du législateur tunisien par un retour à l’article 214
du C.P. qui dispose que « quiconque, par aliments, breuvages, médicaments ou par
tout autre moyen, aura procuré ou tenté de procurer l’avortement d’une femme
enceinte ou supposée enceinte qu’elle y ait consenti ou non, sera puni d’un
emprisonnement de cinq ans et d’une amende de dix mille dinars ou de l’une de ces
deux peines seulement ». Ainsi il y délit d’avortement même si la femme n’est pas
enceinte. Ce qui importe donc est l’intention criminelle certaine chez l’agent. C’est
dans ce sens qu’est allée la Cour de cassation, dans un arrêt du 29 janvier 1975 en
décidant qu’il y a responsabilité pénale même si l’inculpé n’a pas atteint son objectif
pour insuffisance de l’instrument utilisé.
93
J. PRADEL, op. cit., p. 351, n°390.
94
J. PRADEL, op. cit., p. 354, n°395.
Mme Turki.A -Droit pénal général
45
Section 2
La pluralité des intervenants dans le processus
criminel
Est considéré comme auteur de l’infraction, la personne qui commet ou
accompli directement et personnellement l’acte matériel constitutif de l’élément
matériel de cette infraction et qui est prévu dans le texte d’incrimination.
La question se pose lorsqu’il y a une pluralité de personnes ayant un lien avec
la commission de l’infraction. Ainsi, plusieurs personnes peuvent accomplir l’acte
matériel incriminé par le texte pénal. Dans ce cas nous sommes en présence de
plusieurs coauteurs. Selon R. MERLE et A. VITU, « Les peines prévues par les lois
applicables à chaque infraction sont en effet établies en considération de l’auteur,
c’est-à-dire de l’individu qui a accompli personnellement les actes matériels
constitutifs du délit. Il importe peu que plusieurs auteurs soient intervenus
concurremment ; chaque coauteur étant par définition un auteur est à lui seul passible
des pénalités prévues pour l’infraction qu’il a commise en même temps que ses
associés 95
». Ainsi, la poursuite du coauteur est relative aux faits matériels commis
par lui personnellement et est donc indépendante de la poursuite des autres coauteurs.
Mais, il arrive que des personnes participent d’une manière accessoire à l’acte
de l’auteur principal de l’infraction. Ces personnes ne commettent pas l’acte matériel
de l’infraction mais des actes secondaires importants pour aider l’auteur principal à
la poursuite ou au succès de son projet criminel. Ces personnes sont considérées
comme complices.
L’intérêt de la distinction entre la coaction et la complicité consiste, d’abord,
dans la détermination du champ de la répression de la complicité. En effet, selon
l’article 35 du C.P., « la complicité n’est pas punissable dans les cas visés au livre III
du présent code ». En d’autres termes, on parle de complicité de crimes ou de délits,
mais pas de complicité de contraventions. Ensuite, la qualification du fait accompli
95
R. MERLE et A. VITU, op. cit., p.649, n°505.
Mme Turki.A -Droit pénal général
46
comme infraction se fait au regard des actes accomplis par l’auteur principal ce qui
justifie la nécessité de la distinction entre le complice et l’auteur de l’infraction.
La complicité est considérée comme une infraction qui suppose la réunion de
certaines conditions (Paragraphe 1er) pour qu’elle soit réprimée (Paragraphe
2nd) .
Paragraphe 1er
Les conditions de la complicité
Pour condamner une personne en tant que complice, il faut qu’une infraction
principale ait été commise (Premièrement), qu’il ait accompli lui-même l’un des
actes de complicité prévus par l’article 32 du Code pénal (Deuxièmement) et une
intention de complicité avérée (Troisièmement).
Premièrement : Une infraction principale
Pas de complicité en l’absence de l’infraction principale. Si l’auteur principal
s’est volontairement désisté, on ne peut condamner son éventuel complice même s’il
avait commis l’un des actes de complicité prévus par l’article 32. Par la complicité
dans la tentative est punissable puisqu’elle comporte un commencement d’exécution
qui est un fait principal punissable.
De même la complicité n’est pas réprimée si l’auteur principal de l’infraction
bénéficie d’un fait justificatif qui ôte le caractère délictueux du fait incriminé. Elle ne
l’est pas également lorsque l’action publique est prescrite.
Mais, la non répression de l’auteur principal de l’infraction ne fait pas obstacle
à la condamnation du complice. Il en est ainsi, d’abord, d’après l’article 266 du C.P.
selon lequel « ne constitue pas un vol, la soustraction commise par les ascendants de
quelque degré qu’ils soient au préjudice de leurs enfants, à moins que l’objet
soustrait n’appartienne pour partie à un tiers ou qu’il n’ait été saisi.
Les dispositions du présent article ne sont pas applicables à d’autres que les
ascendants, auteurs principaux ou complices ». Aussi, le complice est punissable
même si l’auteur principal ne l’a pas été pour une raison de fait (décès, fuite) ou de
droit (démence, minorité). L’essentiel est que le juge ait constaté l’existence
matérielle et légale du fait principal.
Deuxièmement : Un acte de complicité
L’article 32 du C.P. présente une liste limitative des faits considérés comme
des actes de complicité. En l’absence de l’un de ces actes, on ne peut poursuivre une
personne pour complicité.
Ainsi, est considéré complice et puni comme tel :
Mme Turki.A -Droit pénal général
47
1°- Celui qui, par dons, promesses, menaces, abus d’autorité ou de pouvoir,
machinations, artifices coupables a provoqué à l’action ou donné des
instructions pour la commettre : Le législateur exige que l’instruction pour
commettre l’infraction ou sa provocation soit accompagnée d’actes à même de
persuader l’auteur principal d’accomplir l’acte délictueux. Ces actes peuvent être des
dons, des promesses, des menaces… Ainsi, la Cour de cassation dans un arrêt du 25
novembre 1981 considère que la complicité par le fait de donner des instructions doit
être accompagnée par des informations suffisamment claires et précises à même de
permettre à l’auteur de commettre l’infraction telle que l’indication du lieu où se
trouve l’objet volé, et que la simple demande même avec insistance de commettre
l’infraction ne constitue pas un acte de complicité selon l’article 32 du Code pénal.
La jurisprudence française a parfois considéré l’instigateur comme auteur
moral ou intellectuel dans des cas où l’auteur matériel n’a été que l’instrument
passif de sa volonté. C’était le cas du président d’une société qui donne l’ordre à ses
subordonnés d’ouvrir toutes les lettres arrivant à l’entreprise et qui peut ainsi être
déclaré auteur du délit de violation de correspondance96
.
L’auteur moral est celui qui ne commet pas lui-même l’acte matériel constitutif
de l’infraction mais qui la commande à quelqu’un d’autre. Ni le droit français ni le
droit tunisien n’ont évoqué le cas de l’auteur moral, mais celui-ci peut être poursuivi
pour complicité selon le premier acte prévu par l’article 32 du Code pénal. Tout le
problème se pose lorsque l’auteur matériel ne s’est pas exécuté puisque cela rend non
punissable toute complicité. Tel a été le cas dans l’affaire Lacour : l’instigateur d’un
assassinat avait remis une somme importante d’argent à un homme qu’il avait chargé
de tuer une victime désignée ; mais cet agent d’exécution s’étant ravisé, et n’ayant
même pas réalisé une tentative punissable, l’instigateur bénéficia d’une décision de
non-lieu, même si son intention criminelle est largement avérée et que son
comportement (instigation) constitue un réel danger pour la société97
. Il est à noter
que l’article 131 du Code pénal marocain réprime l’auteur moral qui pousse une
personne non punissable pour commettre une infraction. Un tel article n’ajoute rien
au Droit tunisien puisque le complice est sanctionné même si l’auteur principal ne
l’est pas pour des raisons subjectives. La véritable solution serait de condamner
l’instigateur en tant qu’auteur principal pour ne pas échapper à la sanction si l’auteur
matériel se désiste.
2°- Celui qui, en connaissance du but à atteindre, a procuré des armes,
instruments ou tous autres moyens susceptibles de faciliter l’exécution de
l’infraction.
3°- Celui qui, en connaissance du but sus-indiqué, a aidé l’auteur de l’infraction
dans les faits qui l’ont préparée ou facilitée ou dans ceux qui l’ont consommée,
sans préjudice des peines spécialement prévues par le présent code pour les
auteurs de complot ou de provocation touchant la sûreté intérieure ou extérieure
96
Cité par J. PRADEL, op. cit., p. 397. 97
Cité par R. MERLE et A. VITU, op. cit., p.653.
Mme Turki.A -Droit pénal général
48
de l’Etat, même dans le cas où l’infraction qui était l’objet de la conspiration ou
de la provocation n’a pas été commise : Cet article distingue entre les actes
préparatoires en tant qu’acte de complicité et ceux qui sont considérés en eux-mêmes
des infractions propres. Dans ce dernier cas, l’agent sera sanctionné et pour
complicité et aussi en tant qu’auteur principal réprimé en tant que tel.
4°- Celui qui a prêté, sciemment, son concours aux malfaiteurs pour assurer, par
recel ou tous autres moyens, le profit de l’infraction ou l’impunité à ses auteurs.
5°- Celui qui, connaissant la conduite criminelle des malfaiteurs, exerçant des
brigandages ou atteintes contre la sûreté de l’Etat, la paix publique, les
personnes ou les propriétés, leur a fourni habituellement logement, lieu de
retraite ou de réunion : Il est à noter que ces deux derniers cas ne sont pas prévus en
droit français qui ne conçoit l’acte de complicité que s’il était préalable à l’infraction
principale. Il n’en demeure pas moins que le recel de biens et le recel de malfaiteurs
sont réprimés en droit français en tant qu’infractions propres. En droit tunisien, le
recel ne constitue pas une infraction en elle-même, mais un acte de complicité
puisqu’il permet à l’auteur principal de profiter de son crime ou de se soustraire à la
justice. Mais, relevons que l’article 149 du C.P. incrimine le recel de détenus. Ainsi,
« est puni d’un an d’emprisonnement, quiconque recèle, sciemment, un prisonnier
évadé ou y apporte son concours.
Les dispositions du paragraphe précédent ne son pas applicables aux ascendants et
descendants du prisonnier évadé, quel qu’en soit le degré, ainsi qu’au conjoint ».
Remarquons que la dépénalisation du recel en cas où le receleur est un proche parent
du détenu, n’est pas prévue lorsque le recel est considéré un acte de complicité.
Troisièmement : L’élément moral de la complicité
Il ressort des tous les actes de complicité prévus par l’article 32 C.P. qu’une
personne ne peut être considérée comme complice que s’il agissait sciemment, en
connaissance de cause qu’il était en train de commettre un acte incriminé et que cet
acte était destiné à aider une autre personne à commettre une infraction. Cette
connaissance du but de son activité doit être préalable ou concomitante à
l’accomplissement de l’acte principal. Ainsi, la Cour de cassation, dans un arrêt du 3
octobre 1964, a décidé que ne peut être considéré comme complice d’adultère celui
qui ignorait que sa partenaire était mariée.
Y a-t-il complicité dans les infractions d’imprudence ou de négligence ? « La
doctrine française (admet), en principe, la complicité lorsque le délit principal
présente un caractère involontaire, l’entente préalable portant sur l’activité
dangereuse dont le risque est assumé en commun. Mais, elle fait remarquer que
l’appel à l’idée de complicité est inutile puisque la faute du complice réunit les
éléments constitutifs du délit d’imprudence. Tous les participants sont donc, en
réalité, des coauteurs, non des complices 98
». Ainsi, lorsqu’un individu encourage le
98
J. PRADEL, op. cit., p. 399, n°450.
Mme Turki.A -Droit pénal général
49
chauffeur d’un véhicule à commettre un excès de vitesse qui a généré un accident
corporel, il n’est pas considéré comme complice. La jurisprudence tunisienne a
considéré le chauffeur et le passager comme coauteurs. La Cour de cassation a
affirmé, dans un arrêt du 7 janvier 1983, « qu’est pénalement responsable d’homicide
par imprudence toute personne ayant participé à l’acte occasionnant la mort même
s’il ne provenait pas de lui personnellement ».
Paragraphe 2nd
La répression de la complicité
D’après l’article 33 du C.P., « dans tous les cas où la loi n’en dispose pas
autrement, les complices d’une infraction encourent la même peine que celle prévue
pour les auteurs de cette infraction, sauf bénéfice, selon les circonstances, de
l’application des dispositions de l’article 53 du présent code ». Il ressort de ce texte
que le législateur tunisien adopte la théorie de la criminalité d’emprunt, selon laquelle
« les actes accomplis par le complice « empruntent » la criminalité de l’acte réalisé
par l’auteur ou le coauteur 99
». Cela conduit à ce que le complice qui s’est
volontairement associé à l’infraction d’autrui, lie son sort à celui de l’auteur qu’il a
d’avance accepté. Mais, il est concevable que le juge fasse bénéficier l’un d’eux des
circonstances atténuantes de la peine.
Il est à remarquer que le complice subit les circonstances aggravantes réelles
c’est-à-dire relative à l’infraction comme l’effraction ou l’escalade dans le vol, même
s’il les ignorait ou les désapprouvait. Mais, l’article 34 du C.P. apporte quelques
atténuations à ce principe en disposant « la peine de mort, lorsqu’elle est applicable
aux auteurs principaux d’une infraction, est remplacée à l’égard de complices qui se
sont rendus coupables de recel du produit de cette infraction par celle de
l’emprisonnement à vie.
La peine est de dix ans d’emprisonnement s’il n’est pas établi que les receleurs
étaient en connaissance des circonstances qui ont justifié la condamnation des
auteurs principaux à la peine de mort ».
De même, le complice n’encourt pas la peine de l’auteur principal si ce dernier
est allé au-delà des prévisions du complice. Ainsi, un individu remet un pistolet à un
autre afin que celui-ci obtienne par intimidation le remboursement d’un prêt ; si ce
dernier rencontre un tiers, se querelle avec lui et le tue, le premier individu, qui ne
pouvait envisager cette infraction, n’est pas complice de meurtre100
. Selon un arrêt de
la Cour de cassation du 12 mars 1975, « la complicité est une infraction intentionnelle
qui n’est envisagée que pour ce qui a été décidé en dehors des conséquences non
prévues. La complicité d’avortement non autorisé ne peut être appliquée à d’autres
99
R. MERLE et A. VITU, op. cit., p.651, n°507. 100
J. PRADEL, op. cit., p. 397, n°449.
Mme Turki.A -Droit pénal général
50
conséquences telle la mort de la femme qui subi l’intervention parce que ce décès
n’était ni voulu ni raisonnablement envisagé ».
Quant aux circonstances personnelles à l’auteur, telle la récidive, elles
n’influent pas sur le complice.
Mme Turki.A -Droit pénal général
51
CHAPITRE PREMIER
L’ELEMENT MORAL DE L’INFRACTION
L’infraction, quelle que soit sa nature, n’est constituée que si son auteur a eu la
volonté ou la conscience de violer la loi pénale : il s’agit là de l’élément moral de
l’infraction101
. En effet, « la participation matérielle à une infraction ne suffit pas à
engager la responsabilité pénale, et la relation de causalité suffit moins encore, si
l’agent désigné comme coupable par ces signes objectifs n’a pas été le protagoniste
volontaire du fait incriminé 102
».
L’élément moral constitue le lien entre l’infraction en tant qu’acte matériel et l’auteur
de cet acte. C’est l’existence de cet élément moral qui engage la responsabilité pénale
de l’agent (Section 2) ce qui exige de s’attarder sur les formes que peut prendre cet
élément de l’infraction (Section 1).
Section 1
Les formes de l’élément moral
En prenant comme critère l’élément moral, la doctrine prône la distinction entre les
infractions intentionnelles et les infractions non intentionnelles. L’infraction
intentionnelle est celle qui justifie chez son auteur une intention criminelle dénotant
sa volonté de commettre l’acte incriminé et sa volonté d’atteindre les résultats
escomptés. Ainsi, l’article 37 du C.P. dispose que « nul ne peut être puni que pour
un fait accompli intentionnellement, sauf dans les cas spécialement prévus par la
loi ». Dans les infractions non intentionnelles, la volonté de l’auteur n’a pas été
dirigée vers la réalisation des résultats délictueux atteints. Selon l’article 217 du C.P.,
« Est puni de deux ans d’emprisonnement et de sept cent dinars d’amende, l’auteur
de l’homicide involontaire, commis ou causé par maladresse, imprudence,
négligence, inattention ou inobservation des règlements ». Notons que l’expression
involontaire utilisée par le législateur tunisien et également français est malheureuse
parce que l’acte commis est forcément volontaire. En effet, « l’expression « atteinte
involontaire à la vie » par laquelle le Code pénal désigne l’homicide et les blessures
par imprudences ne signifie nullement que ces délits ne sont pas l’œuvre d’une
volonté (l’acte d’imprudence a été voulu) mais seulement que leurs conséquences
n’ont pas été voulues 103
».
L’infraction accomplie avec une conscience infractionnelle, à savoir le fait d’avoir
participé à l’infraction avec connaissance de tous les aspects répréhensibles de la
situation, implique soit une hostilité à l’égard des valeurs sociales protégées par la loi
pénale (intention criminelle), soit une indifférence à l’égard de ces valeurs puisque
l’on néglige de prendre les précautions indispensables pour éviter de les froisser 101
J. LEROY, op. Cit., p. 228, n°360. 102
MERLE et VITU, op. cit., p.693, n°542. 103
STEFANI, LEVASSEUR et BOULOC, op. cit., p.227.
Mme Turki.A -Droit pénal général
52
(faute non intentionnelle, faute contraventionnelle)104
. Ce sont là les deux formes de
l’élément moral.
Paragraphe 1
er
L’intention criminelle
L’intention criminelle, également appelée dol général, est définie comme étant la
volonté de commettre l’infraction telle qu’elle est déterminée par la loi, plus la
conscience chez le coupable d’enfreindre les prohibitions légales. Toute la
question est de savoir si cette intention se déduit de la seule constatation que le fait a
été volontairement commis ou bien le juge doit-il rechercher le mobile, les raisons
qui ont poussé le délinquant à agir ?
En droit pénal, le principe est l’indifférence au mobile. Ce principe est largement
affirmé dans l’article 4 de la loi n°2003-75 du 10 décembre 2003, relative au soutien
des efforts internationaux de lutte contre le terrorisme et la répression du blanchiment
d’argent105
. Il est utile, toutefois, de distinguer entre le mobile et le but. Cette
distinction se rapproche à celle qu’on fait en droit civil concernant la cause
(subjective ) du contrat et la cause (objective) de l’obligation. En effet, le mobile est
la raison personnelle qu’avait l’auteur de commettre l’infraction : on peut tuer par
jalousie, par colère, par amour…
Le but est le résultat recherché par l’infraction, le mobile est la source de l’acte.
Ainsi, il arrive que le législateur exige l’existence d’un but particulier pour qualifier
certains faits incriminés comme une infraction déterminée. Ainsi, selon l’article 72 du
C.P., « est puni de mort, l’auteur de l’attentat ayant pour but de changer la forme du
gouvernement, d’inciter les gens à s’armer les uns contre les autres ou à provoquer
le désordre, le meurtre ou le pillage sur le territoire tunisien ». Egalement, selon
l’article 74 du C.P., « est puni de mort, quiconque rassemble et arme des bandes ou
se met à la tête de bandes dans le but, soit de piller les deniers de l’Etat ou des
particuliers, soit de s’emparer de propriétés mobilières ou immobilières ou de les
détruire, soit d’attaquer la force publique agissant contre les auteurs de ces attentats
ou de lui faire résistance ».
Le principe de l’indifférence du mobile en droit pénal peut être atténué lors du
prononcé de la peine par le juge en faisant parfois bénéficier le coupable de
circonstances atténuantes au vu de son mobile.
A côté du dol général, la doctrine a théorisé certains dols particuliers considérés dans
la durée du dol ou dans sa précision.
104
MERLE et VITU, po. cit., p.695. 105
Selon l’article 4 de cette loi « est qualifiée de terroriste, toute infraction quels qu’en soient les mobiles, en
relation avec une entreprise individuelle ou collective susceptible de terroriser une personne ou un groupe de
personnes… ».
Mme Turki.A -Droit pénal général
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Ainsi, le dol, donc l’intention criminelle, peut s’étirer dans le temps. Il s’agit du dol
aggravé par la préméditation, définie par l’article 2002 du C.P. selon lequel « la
préméditation consiste dans le dessein, formé avant l’action, d’attentat à la personne
d’autrui ». L’existence d’un dol aggravé entraîne naturellement l’augmentation de la
peine encourue. Selon l’article 201 du C.P., « est puni de mort, quiconque aura, par
quelque moyen que ce soit, commis volontairement et avec préméditation un
homicide », alors que l’homicide volontaire mais sans préméditation est puni
d’emprisonnement à vie, d’après l’article 205 du Code pénal.
Le dol général peut être renforcé dans sa précision par le dol spécial : celui-ci serait
la volonté précise de provoquer le résultat déterminé prévu par le texte de
qualification. Par exemple, l’intention de tuer, qui différencie l’homicide des coups
et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner, serait le dol spécial
dans le meurtre.
Enfin, le dol général peut être diminué dans sa précision : c’est le cas du dol
indéterminé et du dol dépassé.
Dans le cas du dol indéterminé, l’agent entendait commettre un délit, mais ne
pouvait imaginer, avant son acte, quel en sera le résultat. « Pour la fixation de la
peine, va-t-on s’attacher à l’intention (dont on connaît mal l’intensité) ou au résultat
(qui n’a pas exactement été voulu 106
». Nous avons précédemment vu que l’article
219 du C.P. relatif à la sanction de la violence, indexe la peine sur la gravité du mal
produit. Le dol indéterminé est puni comme le dol déterminé qui concerne un
résultat tout à la fois voulu et réalisé. Ainsi, l’article 36 du C.P. prévoit que
« quiconque, dans l’accomplissement d’un acte délictueux dirigé contre une personne
déterminée, en lèse involontairement une autre, encourt les peines prévues pour
l’infraction qu’il avait l’intention de commettre ».
Quant au dol dépassé, il pose la question du délit praeterintentionnel107
: c’est le cas
où le résultat de l’acte dépasse les prévisions de l’agent, le but qu’il se proposait
d’atteindre. En droit tunisien, comme en droit français, une sanction intermédiaire est
prévue entre celle résultant de l’intention et celle découlant du résultat. Ainsi, selon
l’article 208 du C.P., « le coupable est puni de vingt ans d’emprisonnement, si les
coups portés ou les blessures faites volontairement, mais sans intention de donner la
mort, l’ont pourtant occasionnée. En cas de préméditation, la peine est celle de
l’emprisonnement à vie ».
Paragraphe 2nd
La faute non intentionnelle
106
J. PRADEL, op. cit., p.446, n°509. 107
Praeterintentionnel vient du latin praeter intentionem qui veut dire au-delà de l’intention.
Mme Turki.A -Droit pénal général
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L’intention criminelle n’est pas nécessaire à l’existence de l’infraction. Celle-ci peut
exister même si l’agent ne recherche aucun résultat. Il commettrait alors soit une
faute pénale soit une faute contraventionnelle.
Le législateur n’a pas défini la faute pénale. Mais on a pu connaître ses principales
caractéristiques à travers l’article 217 du C.P. qui évoque l’homicide involontaire en
parlant de maladresse, imprudence, négligence, inattention ou inobservation des
règlements. De même, et selon l’article 225 du C.P., « est puni d’un an
d’emprisonnement et de quatre cent quatre vingt dinars d’amende, quiconque aura,
par maladresse, impéritie108
, imprudence, inattention, négligence ou inobservation
des règlements, causé des lésions corporelles à autrui ou les aura provoqué
involontairement ».
La faute pénale est une forme d’indiscipline sociale : l’agent n’a pas porté l’attention
nécessaire à l’accomplissement d’un acte. Le délinquant a conscience de commettre
l’acte incriminé mais n’a pas pour autant voulu le résultat généré par cet acte.
La faute pénale peut consister en la mise en danger délibérée de la personne d’autrui :
L’agent a voulu l’acte qui met en péril la personne d’autrui mais n’a pas recherché le
résultat. En revanche, il a eu conscience de son éventualité et en a accepté le risque.
C’est l’exemple de l’automobiliste qui traverse un carrefour alors que le feu est au
rouge et percute un véhicule au croisement. Il voulait brûler le feu rouge pour gagner
du temps mais il ne souhaitait pas percuter l’autre véhicule ; pourtant il savait qu’en
ne respectant pas cette signalisation, il prenait le risque qu’un autre véhicule s’engage
sur la même voie que lui.
La faute pénale peut également émaner de l’imprudence, la négligence ou le
manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les
règlements.
Quant à la faute contraventionnelle, l’article 313 du C.P. prévoit que « les auteurs des
infractions prévues au présent livre (Livre III intitulé « Contraventions ») sont
punissables indépendamment de toute intention de nuire ou de contrevenir à la loi ».
La faute contraventionnelle résulte du seul fait de la violation d’une prescription
légale ou réglementaire. Son auteur est puni dès qu’il a commis le fait réprimé par la
loi, sans que le juge ait à rechercher son intention. L’infraction est constituée dès que
le fait est matériellement constaté.
Mais, si la faute contraventionnelle n’implique aucune intention, elle doit cependant
résulter d’un comportement volontaire. Elle suppose donc une volonté libre et cette
exigence a amené la doctrine à considérer qu’il existe bien un élément moral dans la
faute contraventionnelle, réduit à la volonté. Il ne peut y avoir d’infraction, si légère
soit-elle, qui ne suppose chez celui qui la commet un minimum de volonté.
A la différence de la faute d’imprudence, la faute contraventionnelle n’a pas à être
prouvée par le ministère public. La seule preuve de l’acte matériel de l’infraction
suffit. 108
Incompétence.
Mme Turki.A -Droit pénal général
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Section 2
La responsabilité pénale
En présence de l’élément matériel et de l’élément moral de l’infraction, la
responsabilité pénale de l’agent est engagée (Paragraphe 1er). Mais, il peut arriver
que l’acte matériel ait été commis dans des circonstances subjectives exonérant
l’agent de toute responsabilité pénale (Paragraphe 2nd).
Paragraphe 1er
Les personnes pénalement responsables
Si la responsabilité pénale de la personne physique est unanimement acquise (-A-),
qu’en est-il de la personne morale (-B-).
-A- La responsabilité pénale de la personne physique : Il a été dit que le fondement de la responsabilité pénale est l’élément moral de
l’infraction, quelle soit intentionnelle ou non intentionnelle, à savoir la volonté de
commettre l’acte incriminé. Toute la question est de savoir quand est-ce que la
personne est considérée en âge d’être pénalement responsable.
Selon l’article 43 du C.P., « La loi pénale est applicable aux délinquants âgés de plus
de treize ans révolus et moins de dix huit ans révolus.
Toutefois, lorsque la peine encourue est la peine de mort ou l’emprisonnement à vie,
elle est remplacée par un emprisonnement de dix ans.
Si la peine encourue est celle de l’emprisonnement pour une durée déterminée, cette
durée est réduite de moitié, sans que la peine prononcée ne dépasse cinq ans.
Les peines complémentaires énoncées à l’article 5 du présent code ne sont pas
applicables, il en est de même des règles de récidive ».
L’emplacement de cet article dans le code pénal est éclaire son contenu. En effet, il
est situé dans la section II du quatrième chapitre (De la responsabilité pénale) du livre
premier intitulée « Atténuation de criminalité ». Il en découle que la personne est
concernée par la loi pénale, c’est-à-dire qu’elle est présumée comprendre ses
prescriptions à partir de l’âge de 13 ans. Mais le législateur distingue entre les peines
encourues par la personne âgée de 18 ans révolus et celles que peut encourir la
personne âgée entre 13 et 18 ans révolus. Ainsi, 13 ans est l’âge du discernement
pénal et 18 ans est celui de la majorité pénale. En d’autres termes, au-delà de 18 ans,
l’agent est, en principe, pleinement responsable pénalement. Entre 13 et 18 ans, sa
responsabilité pénale est atténuée.
L’article 68 du Code de la protection de l’enfant (C.P.E.) vient consolider cette
position en disposant que « l’enfant âgé de moins de treize ans est présumé
irréfragablement n’avoir pas la capacité d’enfreindre la loi pénale, cette
Mme Turki.A -Droit pénal général
56
présomption devient réfragable pour les enfants âgés de treize à quinze ans
révolus ». Cela veut dire qu’on peut prouver qu’un enfant âgé entre treize et quinze
ans peut enfreindre la loi pénale. Et lorsque le législateur utilise l’expression « la
capacité d’enfreindre la loi pénale », il ne vise pas la capacité physique ou matérielle
de violer la loi mais la capacité mentale et intellectuelle de le faire, c’est-à-dire d’être
conscient des actes qu’il compte accomplir, de leurs conséquences et du fait qu’ils
sont interdits par la loi. Quant à l’enfant âgé entre 15 et 18 ans, il est considéré
capable de violer la loi pénale. Mais, dans les deux cas, la responsabilité de
l’enfant est atténuée.
En matière de contravention, l’alinéa 2nd
de l’article 73 du C.P.E. dispose que « si la
contravention est établie, le juge des enfants peut soit simplement admonester
l’enfant, soit le condamner à une peine d’amende prévue par la loi s’il est solvable,
soit le placer le cas échéant sous le régime de la liberté surveillée ».
La prise en considération de l’age de l’agent ne s’arrête pas à l’atténuation de la
peine, mais commande également la détermination des tribunaux compétents des
infractions commises par les jeunes délinquants. Ainsi, selon l’article 73 du C.P.E.,
« les enfants âgés de treize à dix huit ans révolus auxquels est imputée une infraction
qualifiée contravention, délit ou crime ne sont pas déférés aux juridictions pénales de
droit commun. Ils ne sont justiciables que du juge des enfants ou du tribunal pour
enfants ».
Notons, enfin, que le C.P.E. a prévu dans les articles 68 à 123, sous le titre « La
protection de l’enfant délinquant », une série de dispositions protectrices que se soit
au cours du jugement qu’en cours d’exécution de la peine. Le Code a également
prévu, dans l’article 113 la possibilité de la médiation qui est « un mécanisme qui vise
à conclure une conciliation entre l’enfant auteur d’une infraction ou de son
représentant légal, avec la victime, son représentant ou ses ayants droit.
Elle a pour objectif d’arrêter les effets des poursuites pénales, du jugement et de
l’exécution ». Toutefois, la médiation n’est pas permise si l’enfant a commis un
crime.