droit pénal des sociétés

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Introduction I. Les composantes de la matière C’est la combinaison de 2 matières. Est-ce que l’une des matières absorbe l’autre? Est-ce qu’elles coexistent? Ou encore, est-ce que du rapprochement du droit pénal avec le droit des affaires naît une autre matière autonome, spécifique, qu’est le droit pénal des affaires? Question du mythe ou de la réalité du droit pénal des affaires. A. Les matières associées 1. Droit des affaires L’expression est juridiquement consacrée. Quelles en sont les frontières? La notion est floue, empirique. Alexandre Dumas disait « Les affaires ? C’est bien simple, c’est l’argent des hommes. » Un autre disait « les affaires sont les affaires ». On s’accorde à reconnaître que le domaine du droit des affaires est plus vaste que celui du droit commercial (actes de commerce). Le droit des affaires englobe d’autres matières. Le terme « affaires » englobe le commerce mais il inclut d’autres branches du droit : fiscal, social, civil, droit de l’environnement… Conclusion : c’est une branche du droit qui a un caractère pluridisciplinaire. Le terme affaires est à la fois polymorphe et imprécis. 2. Droit pénal C’est davantage délimité. C’est une branche du droit constituée par l’ensemble des règles de fond et de forme qui organisent la réaction de l’Etat à l’encontre des infractions et des délinquants. C’est ce que l’on appelle le droit criminel. Le droit criminel qui lui-même se décompose avec d’un côté la procédure pénale (règles de forme) et de l’autre le droit pénal stricto sensu (règles de fond). En n’oubliant que ce droit pénal lui-même se subdivise à son tour en droit pénal général et en droit pénal spécial. Tout est dans la 1

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Introduction

I. Les composantes de la matière

C’est la combinaison de 2 matières. Est-ce que l’une des matières absorbe l’autre? Est-ce qu’elles coexistent? Ou encore, est-ce que du rapprochement du droit pénal avec le droit des affaires naît une autre matière autonome, spécifique, qu’est le droit pénal des affaires? Question du mythe ou de la réalité du droit pénal des affaires.

A. Les matières associées

1. Droit des affaires

L’expression est juridiquement consacrée. Quelles en sont les frontières? La notion est floue, empirique. Alexandre Dumas disait « Les affaires ? C’est bien simple, c’est l’argent des hommes. » Un autre disait « les affaires sont les affaires ». On s’accorde à reconnaître que le domaine du droit des affaires est plus vaste que celui du droit commercial (actes de commerce). Le droit des affaires englobe d’autres matières. Le terme « affaires » englobe le commerce mais il inclut d’autres branches du droit : fiscal, social, civil, droit de l’environnement…

Conclusion : c’est une branche du droit qui a un caractère pluridisciplinaire. Le terme affaires est à la fois polymorphe et imprécis.

2. Droit pénal

C’est davantage délimité. C’est une branche du droit constituée par l’ensemble des règles de fond et de forme qui organisent la réaction de l’Etat à l’encontre des infractions et des délinquants. C’est ce que l’on appelle le droit criminel. Le droit criminel qui lui-même se décompose avec d’un côté la procédure pénale (règles de forme) et de l’autre le droit pénal stricto sensu (règles de fond). En n’oubliant que ce droit pénal lui-même se subdivise à son tour en droit pénal général et en droit pénal spécial. Tout est dans la terminologie : le droit pénal général est une matière à vocation générale qui va traiter de l’ensemble des questions susceptibles de se poser à propos de toute infraction et de toute sanction. Matière à vocation abstraite. Droit pénal spécial : matière à vocation concrète. Il se livre à l’étude des différentes infractions et des règles propres les régissant dans leur constitution et dans leur répression.

Conclusion : on étudie le droit pénal des affaires ; on va donc étudier aussi bien les règles de procédure pénale que les règles de fond régissant les infractions.

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B. La matière générale

2. L’objet de la matière

Que recouvre véritablement cette expression de droit pénal des affaires ? Ce n’est pas droit pénal et droit des affaires. Il y a un rapport de sujet à objet. On va faire d’abord et avant tout du droit pénal. C’est une matière de droit pénal. L’objet de cette étude pénaliste va être les affaires, et plus précisément les infractions d’affaires. Nous n’allons pas étudier le droit pénal dans sa globalité ni le droit des affaires directement mais le droit pénal limité à la vie des affaires et le droit des affaires indirectement à travers le prisme du droit pénal. Voilà toute la spécificité de cette matière.

Concrètement, quel en est l’objet ? Nous allons retrouver les infractions d’affaires, c'est-à-dire tout ce qui relève du droit commercial (actes de commerce) ; mais le droit pénal des affaires n’est pas le droit pénal du commerce. On va aussi y trouver les infractions économiques (infractions qui affectent le circuit de production, de distribution ou de consommation des richesses) et financières (infractions qui affectent les ressources pécuniaires d’autrui, autrui pouvant être une personne physique ou morale, de droit privé ou public). Mais le droit pénal des affaires ne va pas non plus se limiter aux infractions d’ordre économique et financier. Vont s’y ajouter les infractions relatives à la vente, à la bourse, au droit du crédit, d’ordre social (droit du travail, de la sécurité sociale), d’ordre environnemental (santé publique, urbanisme…), etc. Le droit pénal des affaires va aussi englober dans son étude les infractions portant atteinte aux valeurs sociales communes et non pas simplement à une règlementation précise : la confiance publique (délit de faux, banal dans la vie des affaires), les atteintes au patrimoine d’autrui (escroquerie, abus de confiance). On pourrait très bien imaginer aussi les atteintes aux personnes (accidents se produisant dans la vie des affaires). Le droit pénal des affaires englobe ces infractions de droit commun qui relèvent normalement de l’étude du droit pénal spécial.

On ne va pas étudier toutes ces infractions ; on va les étudier sous un angle particulier. Elles ont un cadre commun : elles ont été commises dans la vie des affaires. Elles vont avoir un cadre particulier : celui de l’entreprise au sens juridique et au sens économique (établissement industriel ou commercial participant au processus de production, de circulation, de distribution et de consommation des richesses). Cette expression « dans le cadre de l’entreprise » se comprend non pas dans un sens strictement géographique ; c’est l’entreprise dans l’exercice de son activité qui nous intéresse, dans le respect de la règlementation régissant son activité. Dans l’exercice de son activité, l’entreprise a été auteur ou victime d’une infraction.

D’où définition du droit pénal des affaires : branche du droit pénal qui incrimine et sanctionne les agissements accomplis soit pour le compte d’une entreprise ou de l’Etat soit au détriment de celle-ci ou de celui-ci et cela par une personne qui aura dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont confiés soit méconnu les normes édictées pour régir l’activité professionnelle dont l’entreprise relève soit manqué aux valeurs sociales communes juridiquement protégées.

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3. La question de l’autonomie de la matière

Les spécialistes parlent davantage de criminalité d’affaires que de droit pénal des affaires. Lorsque l’on se centre sur le droit pénal des affaires, c’est plutôt en termes de criminologie. La criminologie a réellement mis en exergue la spécificité de la criminalité d’affaires. Est apparue dès le XIXe siècle dans la littérature criminologique l’expression « criminalité en col blanc » (en gants blancs, pour les Italiens). Pour montrer qu’il y aurait, en termes de criminologie, une originalité propre à ceux qui commettent les infractions d’affaires. Il y a effectivement un particularisme criminologique. Du côté de l’auteur, c’est un citoyen « au-dessus de tout soupçon », un homme qui a des responsabilités, un statut socio-économique respectable (ce n’est pas le délinquant primaire). Du côté de son intention coupable, beaucoup de spécificités ; ce délinquant a pleinement conscience qu’il agit en infraction, mais il y a pour lui un fait justificatif : la vie des affaires. Il y aurait une sorte de code propre à la vie des affaires (et c’est tout le danger). D’un point de vue criminologique, c’est incontestable. Du côté de la réaction sociale, il y a aussi des particularismes ; il y a une ambigüité de la réaction sociale, une certaine tolérance vis-à-vis de ces comportements. Même la société a conscience que ça fait partie de la vie des affaires. Il y a une certaine permissivité, voire même parfois une solidarité. Une certaine admiration aussi ; on est dans la criminalité astucieuse. Donc très réelle spécificité criminologique, même du côté de la réaction judiciaire. Il y a des faits incontournables. S’agissant de la délinquance d’affaires, c’est là où il y a le chiffre noir le plus important (c'est-à-dire la différence entre le nombre des infractions portées à la connaissance des autorités officielles et le nombre réel). Egalement, on est en présence d’une criminalité astucieuse qui va passer par beaucoup de dissimulations ; problèmes en termes de prescription. Voyant cela, on a travaillé sur la prescription. Il a fallu tout un travail jurisprudentiel qui perturbe toute la vie économique ; d’où une série de projets de lois pour casser cette jurisprudence. Enfin, certaine réticence à engager des poursuites, certaine faiblesse dans la réaction judiciaire. On est dans le monde politico-économique. D’où une certaine impunité, pendant des années, concernant les infractions d’affaires. En termes d’enjeux financiers, elles doivent représenter 100 fois plus que les infractions de droit commun. Mais en termes de poursuites, elles ne représentent que 6% des infractions poursuivies.

Dire qu’il existe une criminalité d’affaires (une spécificité au sens criminologique) ne signifie pour autant qu’il existe un droit pénal des affaires. Mythe ou réalité ? Existe-t-il véritablement un droit pénal des affaires ? Pour Hirsoux, c’est un mythe. Il n’y a pas une autonomie de règles régissant les infractions d’affaires qui permette d’ériger cette matière en matière autonome. La plupart des infractions d’affaires peuvent aussi bien être commises par n’importe quel citoyen (abus de confiance, escroquerie…). Il va s’agir de regrouper des infractions qui ont pour trait commun d’avoir été commises dans la vie des affaires et qui vont être marquées, pour certaines, d’une spécificité ; ça ne suffit pas à former une matière autonome.

Appliqué aux infractions d’affaires, le droit pénal remplit ses 2 fonctions classiques sans originalité particulière : sa fonction sanctionnatrice directe et sa fonction normative indirecte. Il prévoit les sanctions applicables aux comportements répréhensibles ; dans cette fonction sanctionnatrice, le droit pénal va faire un double travail : travail de sélection, d’abord, des comportements fautifs (seuls les comportements fautifs les plus graves sont appréhendés) ; travail de classement

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ensuite, qui se surajoute au premier. Il répartit entre contraventions (avec les 5 classes, les juges de proximité étant compétents pour les contraventions des 4 premières classes), délits et crimes. Pas de spécificité dans ce double travail.

La 2ème fonction du droit pénal, normative, est exercée de façon indirecte. En disant ce qu’il ne faut pas faire, indirectement a contrario, le Code pénal dit ce qui doit être fait dans une société donnée à un moment donné (règles de la bonne conduite en société). Toute l’évolution de la société est dans le Code pénal. Cette fonction normative s’applique sans originalité aux infractions d’affaires.

Il reste que, matière véritablement autonome ou pas, le droit pénal des affaires est une matière relativement récente. Cette idée d’une pénalisation de la vie des affaires est relativement neuve. Droit pénal et vie des affaires ne se sont jamais totalement ignorés mais se sont rencontrés assez tardivement. Jusqu’alors, on considérait que ça relevait d’autres sanctions que de la sanction pénale.

Première manifestation dans le droit pénal fiscal, en matière d’impôts, pour les contributions indirectes : XVe siècle, règles de la ferme générale. Vint ensuite la codification par Colbert par la Grande ordonnance de 1680. C’est la 1ère

manifestation de cette idée de sanctionner pénalement les infractions à la réglementation de la vie des affaires.

Deuxième domaine : en matière de consommation, où il s’est agit de protéger la loyauté des transactions, la santé publique. Lutte contre les fraudes en matière de beurre, de lait, d’œufs. Sanction : mise au pilori. Surtout : loi de 1905 sur la répression des fraudes et des falsifications, désormais intégrée dans le Code de la consommation. En matière de vente, pénalisation pour assurer la libre circulation des produits de 1ère nécessité (lutte contre l’accaparement). Toute cette règlementation est peu à peu assortie de sanctions pénales. On assure le libre accès à ces produits et services. Règlementation du prix de vent, prohibition du refus de vente.

Le mouvement de pénalisation est en marche avec la loi de 1905. Il va s’amplifier, notamment sous un double impact : la crise économique de 1929 (souci de protéger certaines activités, assurer la lutte contra la hausse des prix excessive) et l’affaire du canal de Panama. La découverte que la moralité n’est pas forcément là où on l’attend. En 1935, la sanction pénale va pénétrer le droit des sociétés. C’est notamment l’incrimination du délit de faux bilan. Décret-loi du 8 août 1935 : incrimination du délit d’abus de biens sociaux. Le droit pénal financier apparaît aussi (usure, démarchage, répression en matière de chèques). 1945 : le droit pénal économique (ordonnance du 30 juin 1945 sur les prix et la législation économique). 1958 – 1959 : législation de la sécurité sociale. Les sanctions pénales viennent l’assortir.Loi du 6 août 1975 : introduit dans le Code de procédure pénale un titre intitulé « De la poursuite, de l’instruction et du jugement des infractions en matière économique et financière ». C’est la consécration de la pénalisation sous l’angle procédural. Alors, le droit pénal des affaires est-il une réalité ? Pas vraiment. Il ne s’agit pas d’édicter des règles de fond ou de procédure propres mais de créer des juridictions spécialisées pour en connaître. Création des pôles de lutte contre la grande criminalité. Dans le ressort de chaque Cour d’appel, un ou plusieurs TGI sera compétent pour connaître de cette poursuite, instruction ou jugement (art. 704 et 705

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du CPP). C’est donc la reconnaissance de la nécessité d’une compétence particulière. Mais ça n’inverse pas le constat ; le droit pénal des affaires n’est pas une branche autonome.

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II. Les mouvements de la matière

La spécificité de cette matière est qu’elle va être influencée par les matières qui la composent et les mouvements qui affectent cette matière. Sans compter les mouvements qui lui sont propres.

A. Les mouvements par ricochet

1. En droit des affaires

Le droit des affaires évolue. Sous un angle contemporain : loi sur les nouvelles régulations économiques du 25 mai 2001 (loi NRE), qui est la 1ère

illustration d’un mouvement propre aux infractions d’affaires. Elle amorce un mouvement de dépénalisation du droit des affaires mais surtout du droit des sociétés.

Loi du 1er août 2003 sur la sécurité financière. Elle apporte des aménagements importants en matière de transparence et de responsabilité. Elle modifie un peu la loi NRE.

Le même jour, loi sur l’initiative économique. Dispositions intéressantes quant au montant du capital social des SARL.

Loi du 2 juillet 2003 qui habilite le gouvernement à prendre des ordonnances. Le gouvernement a pris des ordonnances, dont celle du 25 mars 2004 portant simplification du droit et des formalités pour les entreprises. On substitue des sanctions civiles aux sanctions pénales (notamment une injonction de faire).

Loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises en difficulté, dans le cadre des procédures collectives.

Loi du 2 août 2005 en faveur des PME. Dispositions en droit des sociétés, notamment en matière de SARL et d’EURL.

2. En droit pénal

Art. L111-1 : classification des infractions selon leur gravité (contraventions, délits, crimes).

Peines applicables aux amendes prévues pour les contraventions des 5 premières classes ; conséquences en termes de procédure, de prescription. Le délai de prescription de l’action publique en matière de contravention est d’1 an (différent du délai de prescription relatif à la peine).

Art. 111-3 : principe de la légalité des délits et des peines. Principe fondamental. Son corollaire et complément indispensable : principe de l’interprétation stricte (art. 111-4) de la loi pénale.

Art. 111-5 : Les juridictions pénales sont compétentes pour interpréter les actes administratifs réglementaires ou individuels et pour en apprécier la légalité lorsque de cet examen dépend la solution du procès pénal.

Art. 112-1 à 112-4 : règles régissant l’application de la loi pénale dans le temps. Principe de la non rétroactivité de la loi pénale. Tempérament : rétroactivité in mitius pour les lois pénales plus douces.

Art. 113-2 et s. : application de la loi pénale dans l’espace. Principe de la territorialité de la loi pénale. Alinéa 2 : est réputé commise sur le territoire de la

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République l’infraction dont l’un des faits constitutifs a eu lieu sur le territoire de la République.

Art. 121-1 : Nul n’est responsable pénalement que de son propre fait. La responsabilité pénale est personnelle. Il n’y a pas en principe de responsabilité pénale du fait d’autrui, contrairement à la responsabilité civile.

Art. 121-1 : responsabilité pénale des personnes morales.Art. 121-3 al. 1er : il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le

commettre (disposition qui ne figurait pas dans l’ancien Code pénal ; d’où disparition des délits matériels sans intention, en matière de pollution, d’urbanisme, etc.). Mais alinéa 3 : Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à l’obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements.Alinéa 2 : réserve l’hypothèse de mise en danger délibérée de la personne d’autrui.

S’agissant des décideurs, cette incrimination pour délit d’imprudence pose énormément de problèmes. On a manifesté contre la mise en cause trop facile de la responsabilité pénale des décideurs publics ou des décideurs privés au titre de leur faute d’imprudence. Pression des élus locaux et des chefs d’entreprise pour aménager le régime de leur responsabilité pénale. On a fait une loi en 1996 pour modifier l’alinéa 3 de l’art. 121-3. Cette réforme, heureusement, n’est pas spécifique aux décideurs. Elle vaut pour l’ensemble des justiciables. On a ajouté à l’alinéa 3 : « sauf si l’auteur des faits a accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions, de ses fonctions ou de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. » C’est du n’importe quoi législatif. Au fond, il s’agissait d’imposer aux magistrats de procéder à une appréciation in concreto. L’idée est de déresponsabiliser pénalement ces décideurs par le biais d’une appréciation in concreto de la faute. C’était le vœu de la loi. Mais ce fut un échec ; ça s’est retourné contre l’esprit de la loi. La Cour de cassation cassait systématiquement les décisions de relaxes au motif que les juges du fond n’avaient pas vérifié si, compte tenu de leur mission et de leurs moyens, les décideurs n’étaient pas véritablement à même d’empêcher la réalisation du dommage. Echec donc il a fallu retravailler l’art. 121-3.

C’est la loi du 10 juillet 2000 (magnifique loi, dite loi Fauchon), 4 ans après avoir réformé le Code pénal, qui a modifié l’art. 121-3 alinéa 3. Elle a ajouté un alinéa 4. Elle a été votée sous la pression des décideurs (élus publics et chefs d’entreprise). Encore une fois et heureusement, elle ne leur est pas réservée. On a modifié l’alinéa 3 : au lieu de « sauf si » on a mis « à condition que l’auteur n’ait pas accompli les diligences normales etc.». Au lieu de « imposée par la loi ou les règlements » on a mis « le règlement ». Mais surtout, on a ajouté un alinéa 4 : « dans le cas prévu à l’alinéa qui précède (fautes d’imprudence), les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter seront pénalement responsables s’il est établi qu’elles ont soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elle ne pouvait ignorer. »

Bilan : la loi est très bonne. Désormais, s’agissant de ces délits d’imprudence, on distingue selon que la faute d’imprudence est à l’origine directe ou indirecte du dommage. Le mécanisme est le suivant : la loi a joué sur 2 terrains ; la faute et la

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causalité. Elle distingue sur le terrain de la cause : la faute d’imprudence a-t-elle été la cause directe du dommage ou la cause indirecte du dommage ? Si cause directe : alinéa 3 ; si cause indirecte : on ne va pas se contenter d’une faute « simple » ; on exige une faute particulière qui consiste soit à avoir violé (…) soit à avoir commis une faute caractérisée (…).

Ca ne veut pas dire pour autant que lorsque la causalité est indirecte il y a irresponsabilité pénale. Lorsque la causalité est indirecte, la responsabilité pénale subsiste mais sous des conditions plus sévères. Il faudra rapporter la preuve d’une faute « particulière » (soit une faute délibérée soit une faute caractérisée…). La réforme est d’importance. Jusqu’alors, s’agissant des fautes d’imprudence, on se contentait de retenir la moindre faute (« des poussières de faute ») sur la base du principe de l’autorité de la chose jugée du criminel sur le civil. Si le juge pénal ne retient pas la responsabilité pénale en l’absence de faute, le juge civil ne pourra pas accorder de réparation du dommage. Donc si le juge pénal voulait préserver le droit à réparation de la victime, il se trouvait enfermé dans cette quasi obligation de retenir la responsabilité pénale. C’est pour casser cette spirale qu’on a un peu modifié cet art. 121-3. Dans l’hypothèse où la faute d’imprudence n’a été que la cause indirecte du dommage, la responsabilité pénale ne pourra être retenue que s’il est établi soit que la personne a violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou le règlement soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elle ne pouvait ignorer.

On a donc 2 hypothèses : la 1ère est une formule propre au délit de mise en danger délibérée de la personne d’autrui (art. 223-1 Code pénal ; délit de risque causé à autrui). Elle trouve assez peu d’applications en jurisprudence. Beaucoup plus intéressante est la 2ème hypothèse : la faute caractérisée. Mais ce n’est pas vrai ; la formule légale est « faute caractérisée et qui exposait autrui ». En réalité, on ne peut surtout pas dire que la faute caractérisée est celle qui expose autrui. Ce sont des conditions cumulatives donc des exigences distinctes. Qu’est-ce que la faute caractérisée ? Nouveau concept. Elle suppose d’autres conditions. 3ème condition : risque qu’elle ne pouvait ignorer. Ce qui va renvoyer à une appréciation in concreto (appréciation de la compétence, des fonctions et des moyens dont disposait l’auteur de la faute).

Impacts de la loi du 10 juillet 2000 : 1er impact : lorsqu’il va s’agir d’apprécier la responsabilité pénale dans

l’hypothèse d’application de l’alinéa 4, le juge pénal ne pourra plus se contenter d’une faute simple. Il faudra établir une faute soit délibérée soit « caractérisée… ». Cette loi fait donc tomber un principe énorme du droit français dégagé par la Cour de cassation en 1912 (crim. 18/12) : le principe de l’identité des fautes civiles et pénales. L’imprudence a disparu dans notre paysage juridique. Ce fameux principe qui interdisait au juge civil d’accorder des dommages et intérêts en réparation d’un préjudice résultant d’une faute d’imprudence non retenue par le juge pénal. Puisqu’il n’y avait pas de faute pénale, il ne pouvait pas y avoir de faute civile d’imprudence. Le législateur le précise désormais : art. 4-1 Code de procédure pénale → l’absence de faute pénale non intentionnelle au sens de l’art. 121-3 ne fait pas obstacle à l’exercice d’une action civile afin d’obtenir réparation du dommage en ayant résulté sur le fondement de l’art. 1383. La même solution est également précisée s’agissant de la faute inexcusable (art. 452-1 Code de la sécurité sociale). Application très remarquée par la Cour de cassation : civ. 2ème, 16/09/2003 qui évoque bien cette

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dissociation de la faute civile et de la faute pénale, notamment pour ce qui a trait à la faute inexcusable de l’employeur.

2ème impact : c’est une différenciation de traitement en termes de responsabilité pénale entre les personnes physiques et les personnes morales car l’art. 121-3 al. 4 ne vise que la personne physique. Autrement dit, cette réforme opérée par l’alinéa 4 ne vaut que pour la responsabilité pénale de la personne physique. Pour la personne morale, il n’y a pas à distinguer selon que la causalité est directe ou indirecte et la responsabilité pénale d’une personne morale peut être engagée par toute faute. Il n’y a pas besoin à son égard qu’il y ait faute délibérée ou caractérisée. Alors même que la responsabilité pénale de la personne physique auteur de l’infraction n’aura pu être retenue en l’absence d’une faute délibérée ou caractérisée. Quand on verra que la responsabilité pénale d’une personne morale est engagée lorsque son dirigeant a commis une infraction pour son compte, on pourra avoir absence de responsabilité pénale du dirigeant parce qu’il n’a pas commis de faute délibérée ou caractérisée mais responsabilité pénale de la personne morale qu’il dirige. On a ce jeu très intéressant de dissociation quant à la responsabilité pénale entre la personne morale et la personne physique. On peut avoir désormais une infraction commise par un dirigeant d’une société qui n’engagera pas sa responsabilité pénale parce qu’il aura commis une faute d’imprudence cause indirecte du dommage mais qui n’est ni délibérée ni caractérisée ; mais ça n’empêchera pas de retenir la responsabilité de la personne morale.

3ème impact : une certaine dépénalisation de la vie des affaires. C’était le vœu de ceux qui ont demandé l’intervention législative. C’était notamment pour les décideurs le souci que leur responsabilité pénale soit moins systématiquement engagée en cas de faute d’imprudence.

Les 1ères applications de cette loi du 10/07/2000. Cette loi pose des conditions plus strictes pour engager la responsabilité pénale d’une personne. Elle est donc plus douce et d’application rétroactive. Les 1ères affaires symboliques d’application : maire d’une commune poursuivi pour homicide involontaire après le décès d’un enfant CA Poitiers 2001. Pas de responsabilité pénale du maire mais responsabilité civile retenue.Affaire du Drac : Cour de cassation crim. 12/12/2000 : application de la loi alors que les faits avaient été commis avant l’entrée en vigueur de la loi.Affaire du sang contaminé.

Par delà ces 1ères applications médiatiques et dans le domaine du droit des affaires : a-t-elle vocation à s’appliquer ? Va-t-elle être effectivement efficace ?

Va-t-on considérer qu’il y a à la charge du chef d’entreprise des fautes d’imprudence causes indirectes du dommage ? La loi aura le plus souvent vocation à s’appliquer notamment dans son domaine privilégié des accidents du travail (homicide involontaire ou atteinte à l’intégrité physique ou psychique involontaire). La faute reprochée est de ne pas avoir fait respecter la règlementation applicable, donc faute indirecte. Il a donc vocation à bénéficier de cette loi en raison le plus souvent du caractère indirect de la faute qui lui est imputée. Même solution pour les élus locaux : le plus souvent, ils ont vocation à bénéficier de l’art. 121-3 al. 4. Notamment : crim. 9/10/2001 : le maire d’une commune de station de ski avait pris un arrêté d’ouverture des pistes sans avoir vérifié le respect des règles de balisage.

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Crim. Juin 2002 : maire qui n’avait pas pris les mesures de sécurité suffisantes lors du défilé d’une fanfare. Une voiture avait percuté la fanfare.

Sont concernés aussi les enseignants. Crim. 6/09/2005 : chute mortelle d’un enfant de 10 ans tombé du rebord de la fenêtre où il était assis. L’instituteur connaissait la dangerosité de la situation résultant de l’ouverture des fenêtres ; il n’avait pas pris les mesures nécessaires et il avait ainsi commis une faute caractérisée (raisonnement inversé de la Cour de cassation). « La Cour d’appel a ainsi justifié sa décision dès lors que le prévenu n’a pas accompli les diligences normales qui lui incombaient compte tenu de sa fonction, de ses compétences et des moyens dont il disposait » (formule de l’alinéa 3 !). Certes, il faut une appréciation in concreto ; mais aller chercher la formule de l’alinéa 3 qui vise l’hypothèse de la cause directe, c’est une erreur sur le concept de faute caractérisée. Surprenant mélange entre les 2 alinéas. Foutage de gueule.

Ca vise aussi les organisateurs d’activités, de loisirs, les techniciens, les agents de surveillance ou de contrôle, médecins, personnel médical, etc.

Application effective : va-t-on considérer le plus souvent que la faute pénale d’imprudence cause indirecte du dommage est caractérisée ou non ? Il y a de toute évidence une différenciation entre décideurs publics et décideurs privés. On aura beaucoup plus souvent tendance à considérer que s’agissant des décideurs publics, la faute qu’on leur impute n’est pas une faute caractérisée. Ce n’est que dans des circonstances particulières qu’on va retenir l’existence d’une faute caractérisée ou délibérée. La loi produit donc un effet réel à leur égard. En revanche, s’agissant des chefs d’entreprise, on ne peut pas dire que le changement soit réel. Le plus souvent, le manquement à la règlementation régissant l’activité professionnelle ou le manquement à leur obligation de veiller au respect des prescriptions (notamment en matière d’hygiène et de sécurité), le plus souvent considéré comme la cause indirecte du dommage, sera considéré comme constitutif d’une faute soit délibérée soit, surtout, caractérisée et qui (…). Applications notamment en matière d’accidents du travail. Crim. 5/12/2000 : Dirigeant d’une société poursuivi pour homicide involontaire ; il avait concédé à une filiale la licence d’exploitation d’un procédé de nettoyage des canalisations d’évacuation d’eau. Il est établi qu’il n’avait pas prévenu le bénéficiaire de cette concession du risque particulier de réaction chimique présenté par le produit. On a considéré qu’il y avait faute caractérisée de sa part.Crim. 05/2002 : un chef d’entreprise n’a pas visité ses installations, n’a donné que des consignes verbales aux salariés pour la réalisation d’une opération dangereuse. Défaut d’aménagement d e la zone. Il s’agissait de nettoyer un pressoir. Accident mortel. Faute caractérisée.

Loi 9 mars 2004 dite Perben II. C’est la plus importante réforme de notre procédure pénale depuis 1959. Elle nous intéressera à propos de la responsabilité pénale des personnes morales. Comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (le fameux plaider coupable qui nous vient, un peu adapté, du système américain). Cette procédure va permettre au procureur de proposer à celui qui reconnaît sa culpabilité d’éviter un véritable procès au sens classique du terme contre une peine d’emprisonnement ou d’amende. Cela n’est possible que s’agissant d’un délit exposant à une peine d’amende ou à une peine d’emprisonnement ne dépassant pas 5 ans. Dans cette hypothèse, il suffit au prévenu d’adresser au

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procureur une lettre recommandée avec AR dans laquelle il reconnaît les faits et demande l’application de cette procédure, le procureur restant libre de refuser ou d’accepter. Si on propose une peine d’emprisonnement, elle ne peut excéder un an ni la moitié de la peine encourue. Si on propose une peine d’amende, celle-ci ne peut être supérieure au maximum légal.

Circulaire de septembre 2004 : présence facultative du procureur de la République à l’audience d’homologation. Problème : la Cour de cassation donne un avis contraire ; présence obligatoire (avis d’avril 2005). Le 19 avril, la chancellerie rend une 2ème circulaire pour maintenir que la présence n’est que facultative. Le syndicat des avocats de France saisit le Conseil d’Etat qui décide de suspendre les 2 circulaires. Une loi du 26 juillet 2005 vient modifier l’article 495-9 du CPP et précise que la procédure se déroule en audience publique et que la présence du procureur de la République à cette audience n’est pas obligatoire.

Autre mouvement du droit pénal : loi de 1975 → création de formations spécialisées dans la poursuite et le jugement des infractions d’ordre économique et financier. Juridictions particulières ayant une compétence territoriale plus vaste que les autres. Ces TGI spécialisés existent désormais dans le ressort de chaque Cour d’appel pour connaître des infractions économiques et financières d’une grande complexité. L’idée était de créer des juridictions spécialisées (≠ d’exception). Art. 704 et 705 CPP : liste des infractions.

Autre mouvement en 1999 : mouvement de pratique judiciaire (et non législatif) avec la création de pôles économiques et financiers où il s’est agi de regrouper dans des lieux géographiques les magistrats spécialisés dans la lutte contre les infractions économiques et financières. La loi Perben II renforce cette politique pénale en créant des juridictions interrégionales spécialisées pour connaître des affaires économiques et financières qui sont ou qui apparaitraient d’une très grande complexité. Leur compétence couvre le ressort de plusieurs Cours d’appel. On en a profité pour allonger la liste des infractions visées à l’article 704.

B. Les mouvements propres de la matière

On peut en relever 2 : un mouvement d’internationalisation et un mouvement de dépénalisation.

1. Mouvement d’internationalisation

Il ne peut pas surprendre ; les affaires s’internationalisent. Les infractions d’affaires prennent de plus en plus un caractère international. Principes de droit commun : application de la loi pénale dans l’espace (art. 113-1 à 113-8). Dire que le droit pénal des affaires s’internationalise est une chose, dire qu’il existe un droit pénal international des affaires en est une autre ; il n’existe pas de droit pénal international des affaires. On pourrait presque être réticent quant à parler d’un droit pénal européen des affaires. Même au moment du traité de Maastricht, on n’a pas du tout appréhendé la dimension européenne des affaires et, partant, des infractions d’affaires. Quelques signes nous viennent de la pratique judiciaire : coopération (mais qui se fait plutôt au niveau de la répression et non pas au niveau de l’appréhension des infractions).

Nuance : on relèvera tout au plus un domaine ou plutôt un champ de lutte où notre droit dépasse la protection des seuls intérêts nationaux et va jusqu’à une

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appréhension européenne et internationale du phénomène : la lutte contre la corruption. Phénomène universel et intemporel. On citera par exemple la convention de Merida des Nations Unies contre la corruption qui fut adoptée par l’assemblée générale des Nations Unies le 31/10/1993. 1er instrument juridique universel de lutte contre une infraction. Convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales (17/10/1997, signée à Paris). Du point de vue européen, convention de Bruxelles, 26/07/1995, relative à la protection des intérêts financiers des communautés européennes. Convention du 26/05/1997 de Bruxelles, relative à la lutte contre la corruption impliquant des fonctionnaires des communautés européennes ou des fonctionnaires des Etats membres de l’Union européenne. Ces 3 derniers textes ont été intégrés dans notre droit national, transposés par une loi du 30 juin 2000 qui a donné lieu aux articles 435-1 et suivants du nouveau Code pénal. Une loi 11/02/2005 autorise la ratification des conventions civiles et pénales sur la corruption telles que signées à Strasbourg en 1999. Cela a donné lieu notamment à une loi du 4/07/2005.

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2. Mouvement de dépénalisation

C’est un mouvement qui participe d’un débat plus général. N’abuse-t-on pas du recours au répressif ? La sanction pénale n’a de valeur répressive que si elle est réservée aux comportements les plus graves. Ce débat prend une importance particulière. On peut noter un mouvement de dépénalisation de la vie des affaires. Lorsqu’on fait disparaître la sanction pénale, c’est pour lui substituer des sanctions d’autre nature (civile, disciplinaire, sociale, etc.). Ex : dépénalisation du refus de vente entre professionnels (ordonnance de 1986), certaine dépénalisation, en deux temps en matière de chèques sans provision (loi de 1975 et loi de 1991). Mais surtout, ce mouvement de dépénalisation est sensible sur un aspect précis : le droit des sociétés. Réel mouvement de dépénalisation du droit des sociétés amorcé par la loi NRE, relayé par deux lois du 1er août 2003 et encore renforcé plus récemment par une ordonnance du 25/03/2004 portant simplification du droit et des formalités pour les entreprises. Attention, ce n’est pas pour autant qu’il n’y a plus de sanction. Dans ce domaine, l’idée a été plutôt de faire disparaître la sanction pénale pour lui substituer des sanctions d’ordre civil, voire même la mise en place de procédures d’injonctions de faire éventuellement sous astreinte.

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1ère partieLe recours au droit pénal commun

Chapitre 1 : Les mécanismes adaptés du droit commun

Section 1   : La personne responsable

§1. La responsabilité pénale des personnes physiques

I. Les chefs de responsabilité

Art. L121-1 : nul n’est pénalement responsable que de son propre fait. Article clé qui évoque le principe de la personnalité de la responsabilité pénale. A ne pas confondre avec la responsabilité individuelle. Sous cet éclairage, quels peuvent être les chefs de responsabilité pénale ? L’auteur, d’abord ; celui qui réunit sur sa tête l’ensemble des éléments constitutifs de l’infraction. On lui assimilera celui qui tend (art. 121-4) ; la tentative est toujours incriminée pour un crime ; pour un délit si la loi le prévoit ; jamais pour les contraventions. Les coauteurs réunissent également sur leur tête les éléments constitutifs de l’infraction. A ne pas confondre avec le complice. La complicité est en principe incriminée pour les crimes et délits ; pour les contraventions si le texte le prévoit. 2 formes de complicité : par instruction et par fourniture de moyens (art. 121-7 Code pénal). Le complice est puni comme auteur (≠ comme l’auteur). Arrêt du 8/01/2003 qui retient la culpabilité d’un complice alors même qu’il y a eu relaxe de l’auteur principal (faute d’intention coupable) ; ms la matérialité du fait était établie. La Cour de cassation a retenu la complicité.

II. La détermination du responsable

S’agissant des infractions d’affaires, le cadre privilégié de la commission de l’infraction est l’entreprise. On a forcément 2 catégories de personnes ; des rapports de force naissent. On a les salariés et les dirigeants.

A. Le salarié pénalement responsable

Le salarié peut commettre une infraction de droit commun dans l’exécution de sa fonction. On peut penser notamment au délit de risque causé à autrui (art. 223-1), le délit d’atteinte à la liberté du travail (liberté fondamentale ; grève, entrave à la liberté du travail vis-à-vis des salariés non grévistes ; Code du travail, art. 431-1). On trouvera aussi des délits plus spécifiques : harcèlement moral ou sexuel. Les pratiques discriminatoires (art. L122-45 du Code du travail ; art. 225-1 Code pénal). Divulgation de secrets de fabrique (Code du travail, art. L152-7). La tentative est incriminée (2 ans, 30000 euros).

Il y a aussi la corruption. Texte qui figurait dans le Code du travail (art. L532-6) puis intervention de la loi du 4 juillet 2005 portant adaptation du droit pénal et qui a créé un nouveau chapitre au sein du Code pénal intitulé « corruption privée active et

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passive » ; cela a donné lieu aux articles 445-1 et 445-2 nouveaux, ces 2 nouveaux articles ayant entraîné l’abrogation de l’article L532-6 du Code du travail.

Il peut s’agir également d’infractions contre les biens : vol, escroquerie, abus de confiance. Ces infractions peuvent être commises par un salarié ou par tout autre citoyen (question de leur impact sur les relations de travail ; le licenciement pour faute lourde suppose l’intention de nuire. L’élément intentionnel du vol ne se confond pas avec l’intention de nuire du droit social). On peut avoir à connaître du vol commis par le salarié lorsqu’il est commis au détriment de l’entreprise. La question s’est surtout posée sous un angle particulier : vol commis par le salarié de documents appartenant à l’entreprise pour assurer sa défense dans un contentieux prudhommal. Problème au niveau de la preuve ; la preuve est-elle recevable lorsqu’elle résulte du vol ? On avait une des plus belles oppositions entre chambre criminelle et chambre sociale. La chambre criminelle était catégorique : le souci de vouloir assurer sa défense dans un contentieux prudhommal ne vaut pas fait justificatif au sens du droit pénal. Elle y voyait bien un vol ; Cour de cassation crim. 8/12/1998. Problème : la chambre sociale (2/12/1998), au nom du droit du salarié à se défendre en justice, déclarait recevable les documents de l’entreprise dont il avait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions. Elle écarte le moyen de la preuve illicite. Problème : le criminel tient le civil en l’état. La CA Paris a considéré en novembre 2000 que la contradiction entre la chambre sociale et la chambre criminelle permettait au salarié poursuivi pénalement pour vol de se prévaloir d’une erreur de droit, fait justificatif en droit pénal. Cette contradiction appartient désormais au passé. Revirement de jurisprudence, un des arrêts les plus importants de l’année dernière. La chambre criminelle s’incline, privilégiant les droits de la défense, dans deus arrêts du 11/05/2004. La Cour de cassation admet désormais qu’un salarié poursuivi au pénal pour avoir soustrait ou photocopié les documents de l’entreprise pour assurer sa défense peut être relaxé dès lors qu’il justifie que les documents en question sont des documents dont il a eu connaissance « à l’occasion de ses fonctions » et qu’il avait appréhendés ou reproduits sans autorisation de son employeur et que ces documents étaient « strictement nécessaires à l’exercice des droits de sa défense dans le litige l’opposant à son employeur ».

Depuis un arrêt Costedoat du 25/02/2000 règne un principe d’irresponsabilité civile du salarié vis-à-vis des tiers pour les dommages qu’il leur aura causés dans l’exercice de ses fonctions sans excéder les limites de la mission impartie par l’employeur. (NB : Vis-à-vis de l’employeur, il ne peut y avoir responsabilité du salarié qu’en cas de faute lourde.)

Suivi d’un arrêt Cousin du 14/12/2001 : le préposé condamné pénalement pour avoir intentionnellement commis, fût-ce sur ordre du commettant, une infraction ayant porté préjudice à un tiers engage sa responsabilité civile à l’égard de celui-ci. Notre principe Costedoat est donc aujourd'hui assorti d’une exception lorsque le fait générateur du préjudice subi par le tiers est constitutif d’une infraction de caractère intentionnel, même si le salarié a agi sur instruction du commettant. Pour la chambre sociale, le fait de commettre une infraction, fût-ce sur l’ordre d’un supérieur hiérarchique, ne fait pas obstacle à un licenciement pour faute grave (théorie des baïonnettes intelligentes).

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B. Le dirigeant pénalement responsable

1. L’identification du dirigeant

Le pénal ne laisse place à aucun flou ; principe d’interprétation stricte de la loi pénale. Dans le cadre d’une entreprise individuelle, la qualité de chef d’entreprise se confond avec celle de dirigeant. Si l’entreprise est exploitée sous forme de personne morale, la personne physique que l’on va désigner comme dirigeant pénalement responsable va varier selon la forme de la société. D’où l’interférence droit des sociétés/droit pénal des affaires. Il peut s’agir de SARL ou d’EURL (le dirigeant est alors le gérant désigné par les statuts), de société en nom collectif ou en commandite simple (gérant ou cogérant), de société anonyme…

Il y a deux types de société anonyme : société de type moniste, dotée d’un conseil d’administration ; le dirigeant sera le président du CA ms aussi les administrateurs, les directeurs généraux qui peuvent désormais exercer la direction effective de la société. Il existe aussi les directeurs généraux délégués (loi NRE). Pour ces derniers, art. L248-1 du Code de commerce qui nous dit que les dispositions applicables aux directeurs généraux d’une société anonyme (y compris les dispositions pénales) sont applicables selon leur attribution respective aux directeurs généraux délégués. La société anonyme peut être également de type dualiste, composée d’un directoire et d’un conseil de surveillance. Les textes (art. L242-30 pour la constitution d’une société, art. L245-17 pour l’émission de valeurs mobilières) disposent que les peines prévues pour ce type d’infractions sont applicables selon leur attribution respective aux membres du directoire et aux membres du conseil de surveillance (art. L247-9 Code de commerce). Appréciation au cas par cas. « Primauté » aux membres du directoire dans la responsabilité pénale par rapport aux membres du conseil de surveillance. On pourra plus facilement poursuivre un membre du conseil de surveillance en qualité de complice, voire même de coauteur. Le directeur a une spécificité par rapport au conseil d’administration. Le président d’un CA, c’est primus inter pares. Le président du directoire est pares inter pares. Normalement, le directoire est un organe collégial où chacun est à égalité. La qualité de président n’a qu’une valeur symbolique. La Cour de cassation a tranché la question et n’a pas suivi cette argumentation ; 21/06/2000 → à défaut de délégation de pouvoir établie, la président du directoire d’une société anonyme est responsable pénalement en tant que chef d’entreprise, auquel il appartient de veiller au respect de la législation.

Il y a aussi les sociétés par actions simplifiées, avec là aussi une spécificité. Liberté contractuelle ; quant aux organes, la seule obligation est d’avoir un président, dont la désignation statutaire est imposée. Mais les statuts peuvent mettre en place d’autres organes de direction qui peuvent exercer conjointement ou seuls certains pouvoirs de direction de la SAS. L’article 227-1 alinéa 2 vise le président de la SAS ou celui ou ceux des dirigeants de la société que ses statuts désignent.

Par delà la diversité de ces situations, on voit que la qualité de dirigeant pénalement responsable va varier selon la forme de la société. Deux précisions, cependant.

1ère précision de sens restrictif : on est au pénal donc principe d’interprétation stricte de la loi pénale. Quand le texte incriminateur vise telle ou telle catégorie de personnes spécifiquement, seules ces personnes peuvent être poursuivies de ce chef. Ex : à propos de l’ABS

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(abus de biens sociaux), le texte vise le président du CA, les administrateurs ou les administrateurs généraux. Seuls ce président, un administrateur, un DG ou un DGD peuvent être poursuivis du chef d’abus de bien social.

2ème précision de sens extensif : ces textes incriminateurs visent les dirigeants tels que désignés par les statuts de la société, c'est-à-dire ceux qui exercent officiellement ces fonctions, c'est-à-dire les dirigeants de droit. Or, particularité du droit pénal des affaires : s’agissant du droit des affaires, le droit pénal va au-delà des apparences pour aller chercher, par delà le dirigeant de droit, le dirigeant de fait : celui qui, sans être désigné officiellement dans les statuts comme dirigeant (soit parce qu’il ne le peut pas soit parce qu’il ne veut pas apparaître), dirigeait en fait la société, par le biais d’une immixtion dans la direction. Le droit pénal va cherche le dirigeant de fait. Les textes le prévoient pour chacune des formes de sociétés en assimilant le dirigeant de droit au dirigeant de fait. Ex : art. 246-2 pour la SA → les dispositions pénales visant les dirigeants seront « applicables à toute personne qui, directement ou par personne interposée, aura en fait exercé la direction, l’administration ou la gestion de la société sous le couvert ou aux lieux et places de leurs représentants légaux ».

S’agissant des décideurs publics, le plus souvent, le texte incriminateur visera une certaine catégorie de personnes. Tel est le cas pour la corruption, la prise illégale d’intérêt… Il n’y a pas de difficulté quand la délibération est prise par un seul organe. La difficulté peut venir du caractère collégial de la délibération ; elle va naître quand l’infraction résulte d’une décision à caractère collégial. Il a pu y avoir en amont un rapporteur qui a proposé la délibération et il a pu y avoir une délibération à caractère collégial. A qui va-t-on imputer ? Au maire ? Mais quid des conseillers municipaux qui ont voté pour cette délibération ? La Cour de cassation a eu à connaître de cette question : crim. 11/05/1999 à propos de la délibération du conseil municipal de la ville de Vitrolles ; délibération qui relevait du délit de discrimination raciale. Relaxe du maire de la commune ainsi que de plusieurs membres du conseil municipal au motif que cette délibération prise par un organe collégial ne peut être imputée spécifiquement à telle ou telle personne. Juridiquement, strictement pénalement parlant, ce n’est pas faux. Nul n’est pénalement responsable que de son propre fait. Le paradoxe est qu’une infraction dont les éléments constitutifs sont incontestables n’a donné lieu à aucune condamnation.

Quelques années plus tard, la Cour de cassation opère plus ou moins un revirement de jurisprudence ; elle a raisonné différemment et a trouvé le moyen de retenir la responsabilité pénale des moteurs de la délibération en question sans pour autant revenir sur sa jurisprudence. Les faits étaient assez voisins : la même commune, présidée, en l’absence du maire, par son 1er adjoint, adopte le principe d’une prime de naissance subordonnée à la nationalité française de l’un des parents au moins. Une publicité accompagnait cette mesure dans la lettre mensuelle du maire sous le titre « Priorité aux familles françaises ». Le maire et le 1er adjoint sont poursuivis. Leur responsabilité pénale a été retenue dans cette affaire parce qu’on a pu leur imputer des faits personnels. Le 1er adjoint avait été le rapporteur du projet et l’avait soumis au vote. Le maire a été condamné à titre de complicité pour fourniture d’instructions ; elle avait en outre publiquement revendiqué l’instauration de la mesure. Ils avaient personnellement participé à l’infraction.

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Les 2 décisions ne sont pas en conflit ; la Cour s’est saisie des données propres de l’espèce.

2. Les hypothèses de responsabilité du dirigeant

a. Hypothèse de droit commun   : le dirigeant, auteur matériel de l’infraction

Pas de spécificité. Le dirigeant a commis une infraction (auteur, coauteur, complice) de droit commun comme pourrait en commettre tout justiciable. Sa qualité de dirigeant n’influe en rien. La seule spécificité réside dans le fait que certaines infractions ne peuvent être commises que par le dirigeant (ex : abus de biens sociaux).

b. Hypothèse dérogatoire   : le dirigeant responsable de par sa qualité de dirigeant

Il y a des hypothèses légalement édictées qui ne soulèvent pas de difficulté parce que le dirigeant est désigné responsable en sa qualité de représentant légal de la personne morale, laquelle est considérée comme auteur de l’infraction. La personne morale est l’auteur de l’infraction et le texte désigne comme pénalement responsable le mandataire, le dirigeant. Code de la consommation à propos du délit de publicité mensongère (art. L121-5), manquement à la règlementation sur le crédit à la consommation (art. L311-4). Si le contrevenant est une personne morale, la responsabilité incombe à son dirigeant. Pénalement responsable en tant que mandataire social.Code de l’environnement : déversement de rejets polluants en mer (art. 212-20) : on vise aussi bien le dirigeant de droit que le dirigeant de fait.

Création prétorienne dite de la « responsabilité pénale du fait d’autrui », qu’on appelle également le risque pénal du dirigeant. Ce thème est à la mode. Sans aucun texte, la jurisprudence a fait peser sur le dirigeant un risque pénal d’une ampleur considérable. Enjeu pratique pour le dirigeant (sa responsabilité pénale) et enjeu théorique (responsabilité pénale du fait d’autrui, or principe de personnalité de la responsabilité pénale). Hypothèse véritablement dérogatoire bâtie en dehors de tout texte. On est dans le dérogatoire parce que dans cette hypothèse, nous sommes loin de nos principes. Une infraction de droit commun ou une infraction de droit spécifique ne doit pouvoir être reprochée qu’à celui qui réunit sur sa tête l’ensemble de ses éléments constitutifs. Or en droit pénal des affaires ce mécanisme de droit commun va se doubler d’un mécanisme propre à la matière. Ici, le dirigeant va être déclaré pénalement responsable du seul fait qu’il est dirigeant alors même qu’il n’a pas commis matériellement le fait infractionnel. Il n’est pas l’auteur de l’infraction.

« Responsabilité pénale du fait d’autrui » ; on préfère parler de responsabilité pénale du dirigeant ès qualité. Enorme spécificité qui se double d’une 2ème

spécificité. Normalement, le droit pénal ne connaît pas d’autre cause d’irresponsabilité que celle que le Code édicte (faits justificatifs). Ici, la jurisprudence a dégagé une autre cause d’irresponsabilité spécifique à cette hypothèse qui est dans la logique de sa construction : la délégation de pouvoir.

- La responsabilité de principe du dirigeant

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27/09/1839, un arrêt de la chambre criminelle semble être le 1er à y faire référence. Dans cette espèce, un boulanger avait été condamné pénalement alors que pendant qu’il était encore en train de faire le pain, sa femme, qui vendait le pain, avait vendu le pain à un prix supérieur au prix légalement autorisé. Le boulanger n’est pas l’auteur de l’infraction et pourtant, il va être puni pénalement en tant que chef d’entreprise au titre d’une infraction qu’il n’a pas lui-même commise. Les actes ont été matériellement accomplis par une autre personne qui était son préposé dans l’entreprise. La chambre criminelle a procédé à une construction jurisprudentielle depuis cette 2ème moitié du XIXe siècle.

Application nombreuses : un employé qui déverse des produits polluants dans une rivière. L’employeur est déclaré responsable, que l’infraction soit intentionnelle ou non. Un employé qui remplit un silo de céréales alors qu’au autre employé est au fond en train de nettoyer ; le chef d’entreprise est déclaré pénalement responsable de l’acte d’homicide involontaire. Cette responsabilité pénale du chef d’entreprise est énorme et elle a un champ d’application considérable : c’est notamment tout le domaine des accidents du travail, des manquements aux règles de sécurité. Jurisprudence ancienne mais aux applications de plus en plus nombreuses. Notamment avec le développement des entreprises, des multinationales et du fait de la règlementation des activités industrielles qui ne cesse de s’accroître.

Attention, hypothèse à différencier de celle où la loi permet au juge de mettre le paiement de l’amende à la charge du commettant. Le chef d’entreprise joue le rôle d’une sorte de garant solvable mais tenu seulement de la condamnation pécuniaire. Il n’est pas pour autant déclaré pénalement responsable, il n’est pas poursuivi en tant qu’auteur de l’infraction. Mais le paiement de l’amende sera mis à sa charge. Ex : Code du Travail : art. 262-2-1 en matière de manquements à la règlementation hygiène et sécurité.

Tout autre est donc notre hypothèse du risque pénal du fait d’autrui. Ici, le chef d’entreprise est déclaré pénalement responsable comme s’il était lui-même l’auteur de l’infraction. Travail jurisprudentiel entamé dès le XIXe siècle, il a été consacré par d’autres arrêts. Notamment arrêt Cauvin du 26/08/1859, arrêt du 28/02/1956 avec un attendu explicatif de la Cour de cassation : « si les deux principes que nul n’est passible de peine qu’en raison de son fait personnel, il en est autrement, dans certains cas, où des prescriptions légales engendrent l’obligation d’exercer une action directe sur le fait d’autrui. » Expression lourde et maladroite. Solution ancienne et prétorienne ; aucune assise légale à cette création qui s’est essentiellement développée dans le domaine des accidents du travail et des manquements aux règles relatives à l’hygiène et la sécurité dans les conditions de travail.

Cette jurisprudence n’a fait qu’accroître son champ d’application. Ainsi, à l’origine étaient spécifiquement visées les activités soumises à une règlementation spécifique en matière de sécurité, de sûreté et de salubrité publiques (les industries règlementées). Ce champ d’application tel qu’originellement réglementé a aujourd'hui disparu ; ce sont toutes les activités industrielles et commerciales. Son domaine d’application ne se limite pas davantage aux manquements à la règlementation d’hygiène et de sécurité ; en matière d’environnement (pollution), de

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législation économique (vente à perte, fausses factures), de droit des transports… Enjeux essentiellement sur le terrain des accidents du travail.

Autre extension quant à son champ d’application : l’infraction commise par le préposé peut être une contravention. Il s’agira le plus souvent d’une faute d’imprudence. Normalement, il ne devrait pas s’agir de faute intentionnelle. Mais cette jurisprudence s’applique aux délits matériels (qui sont constitués par le seul fait de la réalisation du dommage). Les anciens délits matériels ont été rhabillés en délits intentionnels mais la Cour de cassation a une définition très souple de l’intention coupable au sens de l’art. 121-3. Il y a intention coupable au sens de l’art. 121-3 dès qu’il y a violation en pleine connaissance de cause d’une prescription légale ou règlementaire (Cour de cassation 12/07/1994). Cette responsabilité pénale du fait d’autrui a été ainsi appliquée à des délits de fraude et falsification (1996), au travail dissimulé.

Imputation de la responsabilité pénale au dirigeant du seul fait de sa qualité. On parle donc de responsabilité pénale du fait d’autrui. On en a cherché le fondement. La Cour de cassation (chambre criminelle) a peu à peu donné son explication. On la retrouve notamment dans des arrêts de 1956 et 1957 : « il lui appartient [au dirigeant] de veiller personnellement à la stricte et constante exécution des dispositions édictées par le Code du travail en vue d’assurer l’hygiène et la sécurité des travailleurs ». Cette formule est devenue une véritable formule de style. Notamment dans un arrêt du 10/02/1976 (que le prof aime beaucoup) : « le chef d’entreprise commet une faute en ne veillant pas lui-même au strict et constant respect des dispositions édictées par le Code du travail en vue d’assurer l’hygiène et la sécurité ». Ca s’éclaire un peu. Idée que le chef d’entreprise a commis une faute : il n’a pas veillé au strict et constant respect des dispositions légales et règlementaires. Il a commis une faute. Ne serait-on pas alors tombé plutôt dans le domaine d’une sorte de présomption du fait de l’homme ? Si une infraction fut commise, si un manquement fut commis à la règlementation en matière d’hygiène et de sécurité, c’est que le chef d’entreprise n’a pas veillé au strict et constant respect (…). C’est donc qu’il a commis une faute. On n’est donc pas dans une hypothèse de responsabilité pénale sans faute ; on est dans une hypothèse de responsabilité pénale pour faute. Là où il y a spécificité, c’est que cette faute serait présumée du fait de la survenance de l’accident.

Cette analyse nous ramène un peu dans le moins dérogatoire. Cette présomption de faute est devenue une véritable règle de fond puisque la jurisprudence en fait une présomption irréfragable. Elle n’autorise pas le chef d’entreprise à s’exonérer en prouvant son absence de faute. Ce n’est que très rarement que la Cour de cassation a admis que le dirigeant puisse s’exonérer en prouvant son absence de faute. Seule application de cette preuve contraire : arrêt du 14/10/1987 où elle a retenu la faute exclusive de l’ouvrier.

C’est cette présomption irréfragable que la loi a tenté de briser : loi du 6/12/1976. Le législateur modifie l’alinéa 1er de l’art. L263-3 du Code du travail en insérant dans le texte l’expression « faute personnelle ». Sont punissables les chefs d’établissement, les dirigeants ou les gérants qui, par leur faute personnelle, ont enfreint les dispositions relatives à l’hygiène et à la sécurité. Le législateur a voulu imposer au juge la preuve à rapporter d’une faute personnelle du dirigeant. Vœu pieu mais échec de cette intervention législative qui ne concernait que le domaine des accidents du travail et des maladies professionnelles ; surtout, la jurisprudence n’a

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pas modifié sa position. Elle continue de présumer que si l’accident ou le manquement à la règlementation s’est produit, c’est que le dirigeant n’a pas veillé au strict et constant respect des prescriptions légales et règlementaires applicables.

S’agit-il vraiment d’une responsabilité pénale du fait d’autrui ? Le débat est ouvert. La jurisprudence réintroduit l’idée d’une faute du dirigeant. Or si la jurisprudence déclare le dirigeant responsable, c’est parce qu’il a lui-même commis une faute. De deux choses l’une. Présumer cette faute, c’est choquant (souvent, le dirigeant n’est même pas sur les lieux ; il ne pouvait pas matériellement empêcher la survenance de l’accident). Oui mais il lui incombait de désigner sur place quelqu’un qui exerçait ses pouvoirs ; donc on lui reproche de ne pas avoir mise en place une délégation de pouvoir. Bilan : la faute est soit de n’avoir pas veillé au strict respect de la règlementation (si le dirigeant était sur les lieux) soit de n’avoir pas organisé une délégation de pouvoir.

Donc est-ce vraiment une responsabilité pénale du fait d’autrui ? On lui reproche une faute d’abstention. Or principe de non équivalence entre le faute d’action et la faute d’omission. Si la loi dit qu’il faut un acte positif, ce n’est pas l’abstention qui va permettre de caractériser la commission de l’infraction. Explication aussi et surtout sur le terrain de la causalité car on est en droit pénal et la faute n’a pas besoin d’être la cause exclusive du dommage. A côté, il y a une autre faute qui est une faute de droit commun d’imprudence du salarié et qui a participé à la réalisation du dommage (théorie de l’équivalence des conditions). On peut expliquer cette jurisprudence sur le terrain de la causalité indirecte sans basculer pour autant dans cette hérésie pénale qu’est la responsabilité pénale du fait d’autrui.

- Le mécanisme exonératoire de la délégation de pouvoir

C’est la 2ème spécificité. C’est un instrument clé au sein de l’entreprise, il faut bien le connaître. L’enjeu est considérable. Notamment dans le domaine des accidents du travail. Elle va jouer dans les discriminations à l’embauche. Dans toutes ces hypothèses où la responsabilité pénale du dirigeant peut être engagée, la délégation de pouvoir est susceptible de constituer un mécanisme exonératoire. Là aussi, construction prétorienne, encore une fois en matière d’hygiène et de sécurité, en matière d’accidents du travail. La délégation de pouvoir est un mécanisme exonératoire pour le dirigeant mais qui va désigner comme pénalement responsable le délégataire. Ca ne débouche pas sur une immunité, sur une absence de responsable. C’est un mécanisme qui va opérer transfert de responsabilité pénale. C’est un transfert de pouvoir qui va entraîner transfert de responsabilité pénale attachée à l’exercice de ces pouvoirs délégués. Ce fameux « bénéficiaire » de la délégation de pouvoir n’est pas si bénéficiaire que ça ; c’est un peu un cadeau empoisonné. C’est aussi ça la délégation de pouvoir. C’est une construction prétorienne. Cette délégation de pouvoir est un enjeu considérable dans la vie de l’entreprise. Soit elle et existante et efficace et le chef d’entreprise est exonéré pénalement (il renvoie la responsabilité à quelqu’un d’autre). Pas un mot sur ce mécanisme dans la loi. Mécanisme qui est dans la logique de la construction.

C’est dans cette même logique que la jurisprudence a elle-même posé les conditions d’efficacité de cette construction. Du côté du délégant d’abord : il doit être le chef d’entreprise. Nuance : la jurisprudence accepte la possibilité d’une subdélégation, qui consiste pour le bénéficiaire d’une délégation de pouvoir à avoir à

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son tour délégué. Le délégant est alors ici le 1er délégataire et non le chef d’entreprise. La Cour de cassation l’accepte depuis un arrêt du 11/12/1996 ; elle n’exige plus que cette subdélégation ait donné lieu à la rédaction d’un écrit. Attention, ne pas confondre subdélégation et pluridélégation. Subdélégation : le dirigeant donne une délégation, le délégataire donne à son tour délégation des pouvoirs délégués. Pluridélégation : pour l’exercice des mêmes pouvoirs, on délègue plusieurs personnes. Il y a plusieurs bénéficiaires de délégations alors qu’il s’agit des mêmes pouvoirs. La pluridélégation n’est pas admise parce que ça aboutit à une dilution des responsabilités dans l’exercice des pouvoirs. Cour de cassation 23/11/2004 (exemple).

2ème condition : le délégant doit être le chef d’une entreprise d’une taille ou d’une complexité structurelle, fonctionnelle ou géographique telle que la délégation de pouvoir se justifie. La délégation de pouvoir ne doit pas être une fuite des responsabilités. Tout cela relèvera d’une appréciation au cas par cas. Ces délégations de pouvoirs sont souvent utilisées dans les groupes de sociétés à raison de la complexité de leur structure. Souvent utilisées aussi dans des entreprises ou des magasins dont la complexité justifie ce mécanisme (ex : dans un hypermarché, délégation à des chefs de rayon). De même, le délégant doit être l’employeur du délégataire. Il faut y faire attention car c’est un piège. Le délégataire doit être le salarié du délégant ; il doit y avoir un lien de subordination juridique. C’est la condition essentielle et première. Le chef d’entreprise ne saurait déléguer ses pouvoirs à un tiers étranger au personnel de l’entreprise. Ex : ch. crim. 1989 (pas possible de donner délégation de pouvoir à un bureau d’études chargé de réaliser des travaux pour le compte de l’entreprise).

Reste qu’il faut faire une part à la réalité économique ; la chambre criminelle a su faire preuve de pragmatisme et de réalisme face au marché. Notamment à propos des groupes de société : arrêt du 26/05/1994 dans lequel la Cour s’est contentée d’une autorité hiérarchique. Ici, c’était une délégation de pouvoir donnée par le dirigeant de la société dominante (holding) au dirigeant d’une société filiale. Filiale : entité juridique autonome. Pas de contrat de travail entre la mère et la filiale, l’un n’est pas le préposé de l’autre, juridiquement. Mais en réalité, il y a bien une autorité hiérarchique. Cet arrêt montre l’assouplissement. 2ème arrêt important : 14/12/1999. Cinq sociétés avaient constitué entre elles une société en participation en vue de la réalisation d’un chantier. Société qui n’a pas la personnalité morale. Or ces 5 sociétés étaient convenues de déléguer à un directeur de chantier unique salarié de l’une des sociétés leurs pouvoirs en matière d’hygiène et de sécurité. Il y a donc 5 délégations de pouvoir (normalement, seule est valable celle donnée par la société qui avait pour salarié le délégataire). La chambre criminelle a admis la validité d’une telle délégation dans cette hypothèse là. Importance pratique : permet à des sociétés qui ont des chantiers en commun de désigner un seul responsable pour réunir sur sa tête l’ensemble des pouvoirs en matière d’hygiène et de sécurité.

En revanche, dans un domaine un peu plus restreint et après une jurisprudence chaotique, la Cour de cassation a pris position dans un arrêt du 17/10/2000 pour décider que le président du conseil d’administration d’une SA ne saurait s’exonérer de sa responsabilité pénale en invoquant la délégation de pouvoir consentie au directeur général par le conseil d’administration, de par sa seule désignation. C’est la délégation de pouvoir de l’art. 117 de la loi défunte de 1966 (art. 225-56 du Code de commerce aujourd'hui). La Cour de cassation rejette ce moyen ;

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« il aurait fallu que le président du conseil d’administration ait délégué lui-même ses pouvoirs au directeur général. »

Conditions de la délégation

Conditions quant au délégataire, l’heureux bénéficiaire d’une délégation de pouvoir. Il doit être le préposé du délégant. Mais surtout, il faut qu’il ait la compétence, l’autorité et les moyens nécessaires (genre si c’est un préposé aux cuisines, ça va pas le faire). C’est la formule consacrée par la Cour de cassation dans 5 arrêts du 11 mars 1993. En réalité, ces arrêts n’ont fait qu’ajouter l’exigence des moyens nécessaires.

Compétence : surtout à comprendre comme une compétence technique. C’est la capacité à appréhender les textes qu’il s’agit de faire respecter. Cela ne doit pas être pris comme une compétence générale mais une compétence appréciée au regard des pouvoirs dévolus. Elle peut être présumée en fonction du rang hiérarchique et des attributions du délégataire.

Autorité : ça implique le pouvoir de donner des ordres. Autorité vis-à-vis de ceux à qui il s’agit de faire respecter les prescriptions. Pouvoir de donner des ordres et des instructions au personnel, voire même la possibilité de sanctionner le refus. On retrouvera cette condition d’autorité vis-à-vis du personnel ; elle postule également une certaine autonomie vis-à-vis du dirigeant. Le délégataire doit bénéficier d’un minimum d’indépendance dans l’exécution de sa mission. Conseil d’ordre pratique : cela peut par exemple inciter à doubler cette désignation spécifique d’une information collective, une note de service informant l’ensemble du personnel que le délégataire est doté d’une certaine autorité lui permettant de donner des ordres.

Moyens nécessaires : l’entreprise doit mettre à la disposition du délégataire les moyens nécessaires à l’accomplissement de sa mission. Moyens matériels et / ou humains. Question des moyens financiers aussi ; il faut donner les moyens financiers nécessaires pour faire respecter la sécurité. Possibilité de faire tomber l’efficacité de la délégation.

Conditions quant à l’acte de délégation : la rédaction d’un écrit n’est pas requise ad validitatem (c’était seulement pour la subdélégation jusqu’en 1996). Il est bien évident que ad probationem, elle est fortement conseillée. De plus, la délégation de pouvoir doit avoir été établie antérieurement à la réalisation de l’infraction. Quant à son contenu, la délégation de pouvoir doit être limitée. Elle doit porter sur des pouvoirs bien délimités. Jurisprudence très classique. Tout simplement parce que la délégation de pouvoir ne doit pas être un abandon de l’ensemble de ses responsabilités par le dirigeant. Le dirigeant ne saurait déléguer l’ensemble de ses pouvoirs. Le délégataire ne devient pas dirigeant par substitution. La délégation ne saurait donc être globale ni indéterminée. Elle ne doit pas être rédigée en des termes vagues ni généraux.

Champ d’application de la délégation 

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Infractions en matière d’hygiène et de sécurité dans les conditions de travail, en matière d’environnement, etc. Jusqu’alors, une catégorie échappait au jeu de la délégation de pouvoir. Ce n’est plus le cas aujourd'hui. Les 5 arrêts du 11 mars 1993 admettent que la délégation de pouvoir peut jouer en matière d’infractions d’ordre économique (en l’espèce, ventes à perte, contrefaçon, fausse publicité). Ce sont des arrêts de principe qui font de la délégation un mode normal de gestion de l’entreprise. Attendu de principe : « sauf si la loi en dispose autrement, le chef d’entreprise qui n’a pas personnellement pris part à la réalisation de l’infraction (comment peut-on encore parler de responsabilité pénale du fait d’autrui dans les manuels de référence ????) peut s’exonérer de sa responsabilité s’il rapporte la preuve qu’il a délégué ses pouvoirs à une personne pourvue de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires. »

Effets de la délégation de pouvoir

Transfert de la responsabilité pénale que le dirigeant encourt en raison de sa qualité, c'est-à-dire au titre d’une infraction qu’il n’a pas pourtant lui-même commise, par un de ses préposé dans l’exercice de son activité professionnelle. Effet de principe, pur et simple, avec quand même une nuance. La délégation de pouvoir peut être valable et se révéler être en l’espèce inefficace. Cet effet de principe peut être écarté dans 2 hypothèses :

Le dirigeant délégant s’est immiscé dans l’accomplissement de la mission dévolue. La délégation est valable mais en fait, le délégant a continué à interférer dans les pouvoirs confiés. En fait, il a continué d’exercer ses pouvoirs. En fait, par delà le transfert officiel, il a continué d’exercer les pouvoirs qu’il est censé avoir délégué. Le délégataire, dans ce cas là, cessera d’être pénalement responsable. La délégation de pouvoir sera déclarée totalement inefficace. Le délégataire ne peut même pas voir sa responsabilité pénale engagée puisqu’en réalité, il n’a pas eu l’autonomie et l’autorité nécessaires pour accomplir sa mission. Ce n’est pas une condition de validité de la délégation, c’est une condition d’efficacité.

Le délégant aura personnellement participé à la réalisation de l’infraction. Autrement dit, chaque fois qu’on pourra lui reprocher une faute pénale propre d’imprudence, d’abstention commise par lui-même, il restera pénalement responsable malgré la délégation de pouvoir. Ex : il était sur les lieux au moment de l’accident. Il était informé du danger et a laissé perduré. Ou n’a pas donné suite aux mises en garde faites par le délégué. On considèrera alors qu’il a personnellement pris part à la réalisation de l’infraction. Il ne s’est pas immiscé dans les pouvoirs, mais on lui impute une faute personnelle dans la réalisation de l’infraction. Dans cette hypothèse, on va pouvoir retenir la responsabilité pénale du délégant mais celle du délégataire n’est pas forcément écartée. On aura des coauteurs, des coresponsables pénalement.

Très perceptible à propos du délit d’entrave aux institutions représentatives du personnel. Bien souvent, on a une délégation donnée pour représenter le chef d’entreprise aux séances du comité d’entreprise. Mais la non consultation du comité d’entreprise sur une question relevant de sa compétence n’exonère as le délégant de sa responsabilité pénale. C’est à lui qu’il appartient de vérifier que la consultation s’imposait. Cour de cassation 15/03/1994. Jurisprudence classique. Application très intéressante : 20/05/2003 à propos du comité d’entreprise de la société Vivendi. Le dirigeant faisait valoir une délégation de pouvoir. On n’en a pas nié l’existence mais

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on a considéré qu’il avait continué d’exercer ses fonctions de président et que la non consultation du comité d’entreprise relevait de son propre fait. S’agissant du délit d’entrave, prudence ; les délégations de pouvoir ne sont pas toujours efficaces. Et la non consultation du comité d’entreprise relève du dirigeant alors même qu’il a donné une délégation de pouvoir.

A ne pas confondre avec un arrêt du 16/09/2003 : un DRH bénéficiaire d’une délégation de pouvoir pour présider le comité d’entreprise. C’est lui qui a été personnellement condamné pour non consultation du comité d’entreprise (il s’agissait de passer à un horaire individualisé). Dans cette affaire, il y avait eu un fait personnel de ce DRH qui avait refusé d’organiser une consultation. Seul le délégataire a été condamné pénalement.

§2. La responsabilité pénale des personnes morales

C’est une nouveauté dans notre paysage français. En 1870, on retenait la responsabilité des communautés. Peines d’amendes, confiscations, représailles. Passé la Révolution de 1789 qui supprime les corporations, ce n’est plus d’actualité. Individualisme ; le Code pénal de l810 ne retenait pas la responsabilité pénale de personnes morales. Le débat est revenu à la fin du XIXe siècle. Une partie de la doctrine a relancé le débat.

Les objections à la responsabilité pénale des personnes morales : societas delicere non potest (une société ne peut commettre d’infraction). En droit civil, s’il y a responsabilité civile, c’est en considération de l’objet social de la société. On reconnaît la personnalité juridique à un groupement en raison de son objet social, or cet objet social ne peut tendre à la commission d’une infraction. De plus, le groupement est une fiction juridique. Notamment, il est dénué de volonté personnelle, condition de la responsabilité pénale. En outre, la responsabilité pénale des personnes morales (RPPM) porterait atteinte au principe de la responsabilité individuelle puisqu’elle revient à punir indistinctement tous ses membres, y compris ceux qui n’ont pas voulu l’infraction. Enfin, un groupement ne peut pas faire l’objet d’une peine. Les sanctions pénales ne peuvent s’appliquer qu’à des personnes physiques.

Réponses : la théorie de la fiction juridique a été abandonnée (26/01/1954 qui consacre la théorie de la réalité). La commission d’une infraction n’entre certes pas dans l’objet social ; mais ça n’empêche pas qu’une infraction soit commise à l’occasion de l’activité entrant dans l’objet social. Certes, on atteint indirectement les membres d’une collectivité ; c’est classique, on l’admet pour la responsabilité civile. Pourquoi ne l’admettrait-on pas pour la responsabilité pénale ? Enfin, qu’on ne puisse pas emprisonner une personne morale, soit ; mais à partir du moment où on reconnaît qu’une personne morale est dotée d’un patrimoine propre, des peines peuvent être prononcées qui soient adaptées. Aucune des objections n’était totalement dirimante.

Arguments en faveur de la reconnaissance de la responsabilité pénale des personnes morales : une personne morale peut mettre en mouvement l’action publique ; pourquoi l’action publique ne pourrait-elle pas être mise en mouvement à leur encontre ? Cette responsabilité serait la contrepartie à la liberté d’association. De plus, en pratique, les sociétés paient le plus souvent les amendes infligées à leurs dirigeants. Donc on a déjà une responsabilité pénale indirecte en pratique. Le

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débat était sur la place publique. Les projets ont été nombreux. On pourrait considérer que ce sont plutôt des faits divers qui ont montré qu’il fallait basculer dans cette reconnaissance de la responsabilité pénale des personnes morales.

Ex : accident ferroviaire en 1988 dans la gare de Lyon. Il fut établi qu’il y avait eu défaillance du système de freins. Le dirigeant a reconnu la responsabilité de la société. Seul le conducteur du train a été poursuivi, la personne morale ne pouvant l’être. S’il n’avait pas survécu, on ne pouvait même pas mettre en mouvement l’action publique. Affaire du sang contaminé ; Impossible de poursuivre le CNTS.

Aujourd'hui, on a consacré le principe de la responsabilité pénale des personnes morales.

I. Champ d’application de la responsabilité pénale des personnes morales

A. Quant aux personnes morales

Article clé du Code pénal : art. 121-2.sont concernées aussi bien les personnes morales de droit privé, sans restriction, que les personnes morales de droit public, avec quelques réserves.

1. Les personnes morales de droit privé

Le projet originel visait tous les « groupements volontaires de droit privé ». Ce terme est différent parce que cela incluait les groupements non dotés de la personnalité juridique. A cette expression on a substitué celle de « personnes morales ». Seuls aujourd'hui sont concernés les groupements dotés de la personnalité morale. S’agissant des personnes morales de droit privé, on retrouve toutes les sociétés commerciales, sous toutes les formes imaginables, les sociétés civiles, les associations, les GIE, les fondations… Tous les groupements dotés de la personnalité morale sont concernés, qu’ils soient d’origine légale ou non. Syndicats de copropriétaires, partis politiques, institutions représentatives du personnel, syndicats professionnels. Le débat n’est pas sur le principe de la responsabilité pénale d’un parti politique ; il va être sur les peines applicables (dissolution d’un parti politique → de la séparation des pouvoirs). Certaines peines ne peuvent être prononcées à leur encontre.

Inversement, la société en participation ne peut être poursuivie. Une association non déclarée à la préfecture non plus (sportive, religieuse). Les groupes de société non plus. Les sociétés créées de fait non plus.

Problème des limites chronologiques de cette responsabilité pénale : s’agissant des sociétés en formation, c’est une période où des actes vont être accomplis par les fondateurs pour le compte de la société avant son immatriculation. Ces actes sont le plus souvent repris par la société. Problème : que se passe-t-il lorsqu’un des fondateurs accomplit un acte illicite pour le compte de la société en formation alors qu’elle n’a pas encore la personnalité juridique ? Réponse de principe : négative puisqu’on doit apprécier si la société est dotée de la personnalité juridique au moment de l’accomplissement de l’acte. A ce moment, elle n’existait pas juridiquement. De plus, à ce moment, le fondateur n’est pas vraiment l’organe représentant la société. Tempéraments : si, une fois immatriculée, la reprise des actes illicites accomplis par les fondateurs constitue en elle-même une nouvelle

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infraction. Si par exemple il est évident que les locaux de la société ont été obtenus d’une façon illicite, qu’il y a reprise de cet acte en pleine connaissance de cause, on poursuivra la société pour recel.

S’agissant de la mort des personnes morales : elles ne meurent pas de façon immédiate. Il y a souvent une période de liquidation pendant laquelle la personnalité juridique du groupe va survivre pour les besoins de la liquidation. Quid des actes accomplis pendant cette période ? Situation envisagée par l’art. 133-3 du nouveau Code pénal : « la dissolution de la personne morale empêche ou arrête l’exécution de la peine. Toutefois, il peut être procédé au recouvrement de l’amende et des frais de justice ainsi qu’à l’exécution de la confiscation après la dissolution de la personne morale et ce jusqu’à la clôture des opérations de liquidation. »

Autre spécificité : les personnes morales peuvent se réincarner. Ex : opérations d’absorption, de fusion, de scission. Elle peut se réincarner dans une ou plusieurs autres personnes morales. Question : quid si, avant cette opération, la société absorbée se voit imputer un fait engageant sa responsabilité pénale avant l’absorption ? Réponses différenciées : s’il y a déjà eu condamnation passée en force de chose jugée, on a une condamnation pécuniaire. Or l’absorption va entraîner transmission universelle du patrimoine. Donc la dette va peser sur la société absorbante. La question est beaucoup plus délicate lorsqu’on n’a pas eu encore une décision passée en force de chose jugée. Si la procédure est en cours, voire pas encore entamée, peut-on poursuivre et peut-on condamner la société absorbante ? Obstacle : le principe de la personnalité de la responsabilité pénale. Ce principe a primé dans ce débat. Crim., deux arrêts du 20/06/2000 confirmés dans un arrêt de principe du 14/10/2003. Arrêts de cassation. En droit pénal, nul n’est responsable pénalement que de son propre fait. L’absorption d’une société fait perdre son existence juridique à la société absorbée donc la société ayant absorbé la société qui était poursuivie du chef d’homicide involontaire à raison d’un accident du travail ne peut être déclarée pénalement responsable ».

Solution adoptée aussi par la chambre commerciale, 15/06/1999. Mais sa position est peut-être un peu moins nette, notamment au regard d’un arrêt du 28/01/2003. Dans cette affaire, la chambre commerciale avait considéré que la société absorbante avait assuré la continuité juridique et économique de la société absorbée.

Le Conseil d’Etat est encore un peu plus flou : 22/11/2000. Il consacre le principe de la responsabilité pénale personnelle et suit donc la chambre criminelle mais s’agissant de la sanction professionnelle (un blâme), il admet qu’elle puisse être transférée à la société absorbante.

2. Les personnes morales de droit public

La responsabilité pénale des personnes morales de droit public fut la question la plus âprement discutée lors de la réforme du Code pénal. A l’occasion de la loi Fauchon, la question fut à nouveau discutée. C’est le principe de l’égalité devant la loi qui l’a emporté. Avec une exception et une limite.

L’exception, c’est l’Etat. L’Etat ne peut être déclaré pénalement responsable.Les limites (art. 121-2 alinéa 2) concernent les collectivités territoriales ou

leurs groupements (communes, communautés urbaines, etc.). Elles ne peuvent voir leur responsabilité pénale engagée qu’au titre d’infractions commises dans l’exercice d’activités susceptibles de faire l’objet de conventions de délégation de service public. A contrario, les communes ou leurs groupements ne peuvent être poursuivies

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pénalement dans l’exercice d’activités relevant de la puissance publique (police, gendarmerie, service d’état civil). Ces activités ne sont pas susceptibles de faire l’objet de délégation de service public. Si on est dans le cadre d’activités susceptibles de faire l’objet de délégation de service public : principe d’égalité devant la loi. Ex : transport scolaire. Si on peut poursuivre la société de transport privé à qui a été déléguée la mission de transport pour une faute qui lui est imputable, on doit pouvoir poursuivre, pour la même activité, une collectivité n’ayant pas délégué la mission de service public et ayant commis une faute dans l’exercice de cette mission.

Ex : chambre criminelle, 3/04/2002. Exploitation d’un théâtre par une municipalité. La Cour de cassation considère qu’il s’agit bien d’une activité susceptible de faire l’objet d’une délégation de service public. De même pour la gestion d’un domaine de ski (14/03/2000).

La définition qu’en donne la Cour de cassation est assez proche de celle donnée par une loi du 11/12/2001 (MURCEF) : constitue une délégation de service public un contrat par lequel une personne morale de droit public confie la gestion d’un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public ou privé dont la rémunération est substantiellement liée au résultat de l’exploitation du service.

Ex : Cour de cassation, crim. 12/12/2001 : accident survenu à un élève d’un lycée technique. Responsabilité pénale de la région. La Cour estime que l’obligation de mettre des machines en conformité avec les prescriptions légales participe du service public de l’enseignement. Donc ce n’est pas une activité susceptible de délégation de service public. Donc irresponsabilité pénale de la région.

B. Quant aux infractions

Jusqu’alors, la responsabilité pénale des personnes morales est régie par le principe de spécialité. Il n’y a de responsabilité pénale des personnes morales que dans l’hypothèse où le texte incriminateur le prévoit. Il faut systématiquement vérifier si cette responsabilité pénale des personnes morales a été prévue par le législateur. Il y a un danger à ce point de vue là. La Cour de cassation a toujours veillé avec beaucoup de soin à ce que ce principe soit respecté. Ainsi, un arrêt du 18/04/2000 : le texte incriminateur visait toute personne qui (…). Est-ce que « toute personne » vise aussi bien les personnes physiques que les personnes morales ? La Cour de cassation a décidé que l’expression ne permettait pas de retenir la responsabilité pénale des personnes morales, faute de mention plus précise. Un arrêt d’avril 2003 était venu un peu jeter le trouble. Dans l’article incriminateur étaient visés « tous ceux qui ». La Cour de cassation avait considéré que cela incluait les personnes morales.

C’était l’essentiel des incriminations qui était susceptible d’être appliquée aux personnes morales : quasi-totalité des infractions contre les personnes, contre les biens et un bon nombre d’infractions du livre 4, notamment la banqueroute. La loi du 16/12/1992, d’adaptation, avait étendu la responsabilité pénale des personnes morales à de nombreuses infractions situées en dehors du Code pénal. Toutes les nouvelles incriminations étaient prévues aussi pour les personnes morales.

Puis loi du 12/06/2001 destinée à lutter contre la pratique des sectes qui contenait un chapitre 2 spécifiquement consacré à l’extension de la responsabilité pénale des personnes morales. L’extension était considérable. Notamment, les personnes morales pouvaient se voir désormais reprocher des délits comme l’exercice illégal de la médecine, les délits de fraude, de publicité mensongère, de

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violence volontaire, d’agression sexuelle ou d’abandon de famille. Explication : des personnes morales peuvent être poursuivies en qualité de complices (or les sectes poussent à commettre de telles infractions). Si elles provoquent l’abandon de famille des parents qu’elles ont endoctriné, elles pourront être poursuivies comme auteurs.

La loi Perben II est passée par là. On en venait à discuter de la réalité du principe de spécialité, puisque tous les textes finissaient par prévoir cette responsabilité. De façon très discrète, la loi Perben II a supprimé ce principe de spécialité. La responsabilité pénale des personnes morales devient systématiquement encourue, à l’image des personnes physiques. Il n’est plus besoin de mention expresse dans le texte incriminateur. Seule réserve est faite pour les infractions de presse et les infractions commises par un moyen de communication audiovisuelle.

Impacts considérables par ricochet. Par prudence, la loi Perben II (mars 2004) a prévu que cet abandon du principe de spécialité n’entrera en vigueur qu’à compter du 31/12/2005. Pour le moment, nous sommes toujours régis par ce principe de spécialité. On va donc pouvoir imputer à une personne morale un homicide volontaire. De même le fait de faire des offres, des promesses afin qu’une personne commette un meurtre ou un assassinat, y compris si l’acte ne fut ni tenté ni consommé.

II. Mise en jeu de la responsabilité pénale

A. Les conditions de mise en jeu

Ce sont des règles fondamentales. Conditions de fond. On est au cœur des conditions pour qu’une personne morale puisse voir sa responsabilité pénale engagée. Art. 121-2 : il faut qu’une infraction ait été commise pour son compte par un de ses organes ou représentants.

1. Une infraction commise pour le compte de la personne morale

L’avant-projet de 1978 utilisait l’expression d’une infraction commise « dans l’intérêt collectif ». Il y aurait eu énormément de débats sur ce qu’est l’intérêt collectif d’un groupement. D’où l’expression « pour son compte » retenue par la loi de 1992. Cette formule est plus claire quant à ce qu’elle exclut que quant à ce qu’elle inclut. Elle exclut l’infraction commise par un organe ou un représentant dans son intérêt personnel. Cela inclura sans difficulté les hypothèses où le dirigeant a agi dans l’intérêt notamment financier de la société, de lui procurer un profit. Pas de difficulté. Ex : article de presse qui porte atteinte à l’intimité de la vie privée. De même pour les actes de corruption qui auront été accomplis pour permettre à la société de bénéficier d’un marché. Ce qu’il faut surtout retenir, c’est qu’on s’accorde à retenir une conception large de la formule. L’expression « pour son compte » inclut toutes les infractions commises dans l’exercice de l’activité relevant de la fonction d’organe ou de représentant, c'est-à-dire dans l’exercice d’activités ayant pour objet d’assurer l’organisation, le fonctionnement ou les objectifs de la personne morale alors même qu’il n’en serait résulté aucun profit d’ordre financier. Pas de difficulté sur cette condition.

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2. Une infraction commise par un organe ou un représentant de la personne morale

La formule, là aussi, est riche par ce qu’elle exclut. Elle exclut le simple salarié. Un salarié n’engage pas la responsabilité pénale de la société qui l’emploie. Si un directeur des ventes salarié non mandataire social pratique la corruption pour permettre à la société d’obtenir un marché, il n’engagera pas la responsabilité pénale de la société.

Les organes sont les personnes chargées par la loi ou les statuts d’administrer ou de gérer la personne morale. Ce sont les personnes qui vont participer au processus d’élaboration de la « volonté » de la personne morale et ensuite qui vont présider à l’exécution de la décision ainsi prise.

Les représentants sont plutôt les personnes chargées des rapports de la personne morale avec les tiers. Il y a un aspect de rapports vis-à-vis de l’extérieur alors que l’organe est plutôt centré sur l’interne. Le plus souvent, organes et représentants se confondent. Mais tel n’est pas toujours le cas.

La Cour de cassation a une conception large du mandat de représentation puisqu’elle inclut le mandataire ad litem (l’avocat de la société) : Cour de cassation, 21/03/2000. Elle a considéré que le représentant en justice de la société est un représentant au sens de l’article L121-2 et peut donc engager la responsabilité pénale de la personne morale. La Cour de cassation n’exige pas que l’organe ou le représentant auteur matériel du fait de l’infraction soit nommément identifié. Il est nécessaire qu’il soit établi qu’une infraction a bien été commise pour le compte de la personne morale par un organe ou un représentant. Position large adoptée d’abord pour les infractions non intentionnelles puis étendue aux infractions intentionnelles (21/06/2000).

Les questions se sont posées : lorsque la loi vise l’organe ou le représentant, est-ce que cela inclut l’organe ou le représentant de fait ? Enorme débat doctrinal. Aucune distinction n’est faite dans l’article L121-2. De plus, c’est conforme à l’assimilation faite par le droit pénal entre le dirigeant de droit et le dirigeant de fait. Dans le cas contraire, ce serait une façon facile d’éluder le dispositif légal. On peut le nuancer l’objection : on irait chercher le dirigeant de droit comme complice. Pas de réponse claire et précise en jurisprudence. La doctrine majoritaire est en faveur d’une réponse positive. Peut-être le débat a-t-il tourné court depuis que la Cour de cassation a considéré, dans un arrêt remarqué du 9/11/1999 qu’une personne morale pouvait voir sa responsabilité retenue au titre des agissements commis par un représentant apparent aux yeux du public, c'est-à-dire celui qui, aux yeux du public, a pu être considéré comme ayant le pouvoir de décision au nom de la personne morale. Des salariés d’une société exploitant des remontées mécaniques avaient décidé d’ouvrir les pistes alors que l’état de celles-ci ne le permettait pas. La Cour de cassation est donc allée chercher la notion de « représentant apparent ».

Dernière question : quid du salarié bénéficiaire d’une délégation de pouvoir ? La doctrine s’est divisée, la Cour de cassation a tranché dans un arrêt très important : Société Carrefour France du 26 juin 2001. Ont la qualité de représentants au sens de l’article L121-2 les personnes pourvues de l’autorité, de la compétence et des moyens nécessaires ayant reçu une délégation de pouvoir de la part des organes de la personne morale. Il s’agissait d’une vente au déballage non autorisée sur les parkings de l’hypermarché. Arrêt bigrement intéressant parce qu’il tranche le débat. Qui plus est, dans cette affaire, il y avait eu subdélégation. Cour de

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cassation : le titulaire d’une subdélégation est un représentant au sens de l’article 121-2. Impacts pratiques considérables notamment en matière d’accidents du travail.

La responsabilité pénale des personnes morales suppose que soient réunies sur la personne de l’organe ou du représentant toutes les conditions de la responsabilité personnelle de celui-ci : non seulement l’élément matériel de l’infraction mais également l’élément intentionnel. C’est une précision importante donnée dans un arrêt du 2/12/1997. La Cour de cassation censure une décision de Cour d’appel qui avait condamné une société pour avoir produit devant le conseil des prud’hommes une fausse attestation établie par un membre du personnel. Décision de la Cour d’appel cassée au motif qu’elle aurait dû rechercher si ce membre du personnel avait réellement connaissance de l’inexactitude des faits attestés. La Cour de cassation l’avait également dit pour un délit d’imprudence (janvier 2000).

C’est une condition nécessaire. Infraction pour le compte de la personne morale, commise par un organe ou un représentant. C’est une condition nécessaire mais suffisante. Il suffira de vérifier qu’il y a eu infraction commise par un organe ou un représentant pour le compte de la personne morale. Un débat énorme était né entre commercialistes et pénalistes. L’idée fut développée qu’il faudrait également prouver une faute personnelle de la personne morale qui répondrait ainsi de sa propre politique : compression des coûts, pratique systématique du travail clandestin, choix des procédés d’exploitation, des procédés de recrutement, décision générale de dissimulation des revenus… Il fallait en plus que l’on puisse imputer une faute personnelle relevant de la politique de la société. Cette politique n’aurait été simplement que mise en œuvre par les organes ou les représentants. Mais cela n’a rien à voir avec l’esprit de la loi (dont le but est d’alléger la responsabilité pénale des personnes physiques pour retenir plus systématiquement celle des personnes morales). Surtout, c’est rajouter une condition au texte de la loi qui ne la prévoit pas.

Le débat a été tranché ; arrêt Société Carrefour France du 26 juin 2001. La Cour de cassation énonce sans ambigüité la règle selon laquelle la personne morale peut être condamnée même si elle n’a pas commis une faute pénale distincte de celle de son représentant. On est sur le terrain de la criminalité d’emprunt, criminalité par ricochet.

Une dernière difficulté est née avec la loi du 10 juillet 2000. Qu’est-ce qui se passe lorsque l’organe ou le représentant s’est rendu coupable d’un délit d’imprudence, cause indirecte du dommage ? S’il est établi qu’il n’a pas commis cette faute qualifiée mais qu’il a commis une faute simple, il n’engage pas sa responsabilité ; peut-on poursuivre quand même la responsabilité pénale de la personne morale ? La loi du 10 juillet 2000 ne visait que les personnes physiques et non pas les personnes morales. La responsabilité pénale de la personne morale peut être engagée pour une faute simple. Oui mais on n’exige pas une faute personnelle de la personne morale. Donc il faut simplement reconnaître qu’il y a un aménagement s’agissant des délits d’imprudence causes indirectes du dommage commis par l’organe ou le représentant. La responsabilité pénale de la personne morale pourra être engagée et retenue alors même que celle de la personne physique ne pourra pas l’être faute de remplir les conditions de l’art. 121-3 alinéa 4. C’est une véritable exception.

C’est ce que dit aujourd'hui l’article 121-3 alinéa 3 : la responsabilité pénale des personnes morales n’exclut pas celle des personnes physiques auteurs des

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mêmes faits, sous réserve des dispositions du 4ème alinéa de l’article 121-3. C’est très très mal écrit. Art. 121-2 : la responsabilité pénale des personnes morales est engagée quand un organe ou un représentant a commis une infraction pour le compte de celles-ci. Or ici, il n’a pas commis d’infraction puisque c’est une faute d’imprudence.

B. Les modalités de mise en jeu

1. Les différents chefs de responsabilité

Une personne morale peut être déclarée pénalement responsable aussi bien en tant qu’auteur qu’en tant que complice. Simplement, elle ne pourra être déclarée complice que si le texte prévoit qu’elle peut être déclarée auteur (cette précision ne vaut que jusqu’au 31/12/2005). Elle sera déclarée complice chaque fois que l’organe ou le représentant aura été lui-même complice de l’infraction. Quand le dirigeant pourra être poursuivi comme complice, la personne morale sera poursuivie comme complice. Elle peut être poursuivie comme coauteur avec d’autres personnes morales. Tous les cas de figure sont concevables.

2. Les modalités procédurales

Le principe est celui d’une transposition des règles applicables aux personnes physiques avec les limites inhérentes à l’anthropomorphisme. Art. 706-41 à 706-46 du Code de procédure pénale. Quelques adaptations : pour la compétence territoriale, est également compétent le procureur de la République ou les juridictions où se trouve le siège social. L’action publique est exercée contre la personne morale prise en la personne de son représentant légal à l’époque des poursuites. Une même personne peut être poursuivie en tant que personne physique auteur des faits et personne physique représentant la personne morale. Dans cette hypothèse, art. 706-43, on prévoit des possibilités d’adaptation : possibilité de désignation d’un mandataire ad hoc par voie de justice pour représenter la personne morale. Demande faite par le représentant de la personne morale. Cette désignation peut être demandée (ce n’est plus une obligation ; loi 10/07/2000). C’est une faculté pour le représentant lui même poursuivi en tant que personnes physique.

Les citations sont délivrées à la personne morale. Si le siège est inconnu, une copie de l’exploit sera remise au parquet. Art. 706-44 : le représentant de la personne morale poursuivi en tant que tel ne peut faire l’objet d’aucune mesure de coercition. En particulier, il ne peut pas être mis en détention ou être placé sous contrôle judiciaire. C’est la preuve parfaite qu’il n’est poursuivi qu’en tant que représentant de la personne morale. Quant à la personne morale, elle peut être placée sous contrôle judiciaire. Art. 706-45. Avec notamment dépôt d’un cautionnement, constitution de sûreté, voire interdiction d’émettre des chèques ou d’exercer certaines activités professionnelles. Ces dernières peines ne peuvent être édictées que si elles sont prévues à titre de peines principales pour l’infraction encourue.

Il existe également un casier judiciaire pour les personnes morales. Il ne comporte que les bulletins n° 1 et 2. Il ne comporte pas de volet n° 3.

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Section 2   : Les sanctions encourues

§1. Constatation et poursuite des infractions

I. La constatation des infractions

Rôle central de la police judiciaire dans la constatation des infractions. Compétence de droit commun de la police nationale et de la gendarmerie. La spécificité est dans le fait que dans cette tâche de constatation des infractions interviennent également pour certaines infractions d’affaires des fonctionnaires et agents d’administrations et de services publics auxquels des lois spéciales vont attribuer certains pouvoirs de police judiciaire, notamment celui de constater les infractions relevant de leur champ de compétence. Cette spécificité est notamment évoquée à l’article 28 du Code de procédure pénale.

La police nationale et la gendarmerie disposent d’une compétence de droit commun, les fonctionnaires et agents disposent d’une compétence d’exception. Ils n’ont ce pouvoir qu’en vertu d’un texte spécifique. Leurs pouvoirs sont adaptés et limités à la mission qui leur est dévolue, qui se limite le plus souvent à la simple constatation de l’infraction. Ces fonctionnaires et agents spécialement habilités sont relativement nombreux. Ainsi notamment, dans le domaine fiscal, (art. L213-13 et suivants du LPF qui va habiliter les agents de l’administration fiscale à constater certaines infractions), le domaine douanier (art. 60 à 67 du Code des douanes : d’importants pouvoirs pour rechercher et constater des infractions en matière douanière). L’air du temps est d’accroître considérablement les pouvoirs de ces agents. Le domaine des fraudes aussi (art. L215-1 Code de la consommation : DGCCRS direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes), domaine des prix et de la concurrence (art. L450-1 Code de la concurrence).

La poursuite des infractions

A. L’exercice de l’action publique

1. Action publique déclenchée par le ministère public

Le ministère public est composé de magistrats amovibles et irrévocables qui représentent la société lésée par l’infraction. Ils poursuivent dans l’intérêt général. Ils requièrent l’application de la loi pénale et des principes fondamentaux de la procédure. Ils disposent d’une compétence de droit commun dans l’initiation de l’action publique (art. 1er alinéa 1er du CPP). Il existe au moins un magistrat du ministère public auprès de chaque juridiction. Ils interviennent également auprès du tribunal de police. Ils relèvent du ministre de la justice (art. 30 CPP : le ministre de la justice conduit la politique d’action publique déterminée par le gouvernement, en conséquence de quoi il adresse aux magistrats du ministère public des instructions générales d’action publique). Principe fondamental de l’opportunité des poursuites, sauf pour la partie civile à porter plainte en se constituant partie civile devant le doyen des juges d’instruction.

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Spécificités à propos de la criminalité d’affaires : il existe des magistrats du parquet spécialisés en matière économique et financière (dans le sillage de la création des juridictions spécialisées en matière économique et financière : art. 704 et 705 du CPP). Spécialisés pour la poursuite, l’instruction et le jugement des affaires d’une grande complexité. Cela couvre le ressort de plusieurs TGI. On a également crée au-delà des juridictions à champ territorial étendu qui peuvent couvrir le ressort de plusieurs Cours d’appel pour les affaires d’une très grande complexité.

2ème spécificité : des textes spécifiques vont permettre à titre exceptionnel à certaines administrations de jouer le rôle de ministères publics et de déclencher l’action publique. Ce sont des administrations qui vont avoir le pouvoir de déclencher l’action publique pour des infractions qui concernent leur domaine de compétences. Cela suppose une disposition spéciale. A titre principal, les administrations concernées sont notamment les eaux et forêts, les ponts et chaussées, l’administration des contributions indirectes et l’administration des douanes. Dans ces domaines, les administrations peuvent se substituer au ministère public pour déclencher l’action publique. Distinction selon la nature de la peine dont on poursuit le prononcé.

2. L’action publique déclenchée par la victime

Hypothèse où la commission d’une infraction a généré un préjudice. La victime peut porter son action civile en réparation devant la juridiction civile (principe). Mais cette action civile peut également être exercée devant le juge répressif. On va à la fois demander la sanction pénale et la réparation du préjudice. On se constitue partie civile, ce que l’on peut faire ab initio (ce qui provoque et impose le déclenchement de l’action publique si c’est fait devant le doyen des juges d’instruction), ou par voie d’intervention une fois que l’action publique a déjà été lancée.

Mais cela doit se faire aux conditions de l’article 2 alinéa 2 du CPP. Pour aller demander réparation devant la juridiction répressive, encore faut-il que la victime justifie d’un préjudice personnel et surtout directement causé par l’infraction. Cela peut soulever des difficultés s’agissant des infractions d’affaires. La victime peut être non seulement une personne physique mais aussi une personne morale. Les infractions d’affaires sont également le terrain d’élection des infractions d’intérêt général (manquements à la règlementation économique : ordre public de direction, protection de l’intérêt général). Peut-on se constituer partie civile. Arrêts de 1959 : il ne pouvait y avoir lieu à action civile s’agissant des infractions en matière économique et financière car elles ne tendent qu’à la protection de l’intérêt général. Position de la Cour de cassation discutée, critiquée. En raisonnant comme ça, toutes les incriminations défendent quand même peu ou prou un intérêt général. Ce n’est pas parce qu’une infraction défend un intérêt général que l’infraction ne porte pas atteinte à un intérêt particulier. Revirement : 22/01/1970 : si certaines incriminations ont pour but la protection de l’intérêt général, elles tendent également à la protection des intérêts individuels ou collectifs.

3ème spécificité : l’action civile est également parfois ouverte non pas seulement à la personne physique atteinte dans son patrimoine personnel mais également à des groupements. C’est donc un peu cette possibilité en droit français d’action collective. Loi Royer de 1973 qui a créé dans le paysage français ces actions collectives et qui va permettre aux associations de consommateurs agréées

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de se constituer parties civiles devant toute juridiction pour solliciter réparation du préjudice subi par les consommateurs. Les fonds perçus dans le cadre de ces procédures reviennent exclusivement à l’association qui a introduit la procédure.

C’est le début d’un long processus et cette action est aujourd'hui ouverte à bon nombre d’associations. Lorsqu’on a à se confronter aux infractions d’affaires, d’autres entités sont susceptibles d’agir : action des syndicats (art. L 411-1 du Code du travail), action du comité d’entreprise… Les associations de consommateurs agréées peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile relativement aux faits portant préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif des consommateurs. Arrêt Carignon du 27/10/1997 : une société française avait « bien aidé » M. Carignon lorsqu’il voulait se représenter comme maire de Grenoble en contrepartie de l’attribution de la concession du service des eaux de la ville de Grenoble. Est-ce que les habitants de la ville de Grenoble pouvaient se prévaloir d’un préjudice personnel et direct du fait de la hausse des tarifs ? La Cour de cassation a accepté que l’association de consommateurs agréée puisse exercer une telle action alors qu’il s’agissait de délit de corruption active et passive. La CA avait refusé cette action, donc arrêt de cassation. La Cour de cassation rappelle qu’aucune infraction ayant porté un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif des consommateurs n’est exclu des textes (en l’occurrence, art. L 421-1 du Code de la consommation). Ici, ça peut être une atteinte indirecte. Action également admise en 1997 dans l’affaire de la catastrophe de Furiani.

B. L’extinction de l’action publique

1. La transaction

En principe, une transaction entre la victime et l’auteur de l’infraction est sans incidence sur l’action publique, quand elle est déclenchée. Par dérogation, cette possibilité de conclure une transaction est ouverte dans certaines hypothèses, notamment au profit de certaines administrations (hypothèses où l’administration est en droit de mettre en mouvement l’action publique). Ce seront principalement les administrations fiscales et douanières. Si tel est le cas, l’action publique est éteinte. Elles ont le monopole d’éteindre l’action publique par le biais de cette transaction.

2. La prescription

S’agissant des infractions d’affaires, on a parfois des règles particulières en matière de prescription parce que les infractions d’affaires sont le terrain privilégié d’une nouvelle catégorie d’infractions : les infractions clandestines ou occultes pour lesquelles on ne modifie pas la durée du délai de prescription (1 an pour les contraventions, 3 ans pour les délits et 10 ans pour les crimes, à titre de principe) mais on diffère le point de départ du délai de prescription. C’est un mouvement qui est né à partir du délit d’abus de confiance et qui a été prolongé avec le délit d’abus de biens sociaux. Par la suite, on l’a appliqué à d’autres délits : délit d’altération de preuves en vue de faire obstacle à la manifestation de la vérité. Ici, comme pour l’abus de confiance, le point de départ de ce délai de prescription est retardé au jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique. Elle fut également appliquée dans un arrêt de 1997 à propos du délit d’atteinte à l’intimité de la vie privée : affaire des écoutes clandestines de l’Elysées. « Infractions par nature clandestines », dit la Cour de cassation. Elle fut

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également appliquée en 2004 pour le délit de favoritisme. La Cour de cassation l’a aussi appliqué en 2005 à propos du délit de malversation. Elle vient encore de l’appliquer à propos du délit de tromperie (mise sur le marché d’hormones de croissance). On a donc là un mouvement purement jurisprudentiel de création d’une nouvelle catégorie particulière d’infractions qui se singularise en termes de prescription.

Il ne faut pas confondre une infraction ignorée de la victime et une infraction dissimulée par l’auteur. La prescription peut courir contre quelqu'un qui ne savait même pas qu’elle courait. On a un peu de bricolage jurisprudentiel parce qu’on a beaucoup de problèmes de prescription en ce moment en droit pénal.

§2. La typologie des sanctions

I. Les sanctions pénales

A. Les sanctions applicables aux personnes physiques

Classification : peines criminelles. La peine de mort a été abolie. Peine maximale : réclusion criminelle à perpétuité. A suivre : le débat sur la récidive.

Sous les peines criminelles : peines correctionnelles (art. 131-3). La peine d’emprisonnement correctionnelle est de 10 ans maximum. L’amende correctionnelle n’a pas de montant maximum.

D’autres peines sont prévues : Le jour-amende, qui ne peut pas se cumuler avec l’amende ni

avec une peine d’emprisonnement. Idée : pendant un certain nombre de jours, on verse le montant d’une certaine amende. Le nombre de jours ne peut excéder 360, et 180 pour un mineur. Le montant par jour ne peut aujourd'hui excéder 1000 euros.

Le travail d’intérêt général, applicable à tous. Cela suppose que la peine encourue soit passible de peine d’emprisonnement. Durée maximale fixée par le juge entre 40 heures et 210 heures. Le travail n’est pas rémunéré. Au profit d’une personne morale de droit public ou d’une association habilitée. Cette peine ne peut pas être prononcée si le prévenu la refuse ni s’il n’est pas présent à l’audience.

Le stage de citoyenneté, ajouté par la loi Perben II. Il doit avoir pour objet de rappeler en cours d’année les valeurs républicaines de tolérance et de respect de la dignité humaine. Cette peine ne peut être prononcée contre le prévenu qui la refuse. Ce stage de citoyenneté peut être prononcé à titre de peine principale ou à titre de peine complémentaire. Elle ne peut être prononcée que pour certaines infractions (atteinte volontaire à l’intégrité physique, discrimination…)

Peines privatives ou restrictives de droits (art. 131-6) : suppose qu’un emprisonnement soit encouru, voire même une simple amende. Peine qui peut s’ajouter ou se substituer à la peine principale. Ex : mesures qui affectent le permis de conduire (suspension pour 5 ans ou plus), confiscation du véhicule… Ce qui vaut pour le véhicule vaut également pour les armes, notamment en matière de chasse. Egalement, interdiction d’émettre des chèques pour 5 ans ou plus, autres que des chèques de retrait ou des chèques certifiés. Ca vaut aussi pour les cartes de paiement. Confiscation de la chose qui a servi ou été destinée à commettre l’infraction ou de la chose qui

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en est le produit (pas applicable aux infractions de presse). Peut être prononcé à titre de peine principale ou de façon complémentaire. La loi Perben II a complété la liste : interdiction provisoire de paraître en certains lieux ou de fréquenter certaines personnes.

Peines complémentaires (art. 131-10 C. pénal) : peines d’interdiction, de déchéance ou de privation de certains droits (notamment privation des droits civiques, civils et de famille), confiscation ou immobilisation d’un objet, fermeture d’un établissement, affichage de la décision ou la diffusion de celle-ci ou communication audiovisuelle. Ces peines complémentaires accompagnent normalement une peine principale. Mais depuis 1975, elles peuvent être prononcées à titre de peines principales.

Peines contraventionnelles : il y a 5 classes de contravention. Amendes : 38 euros (1ère classe), 150 (2ème classe), 450 (3ème classe), 750 (4ème classe) et 1500 (5ème classe), doublées en cas de récidive.

B. Les sanctions applicables aux personnes morales

Pas de peine d’emprisonnement. Peines d’amende. Ici, s’agissant des peines applicables à une personne

morale, il n’y a pas de différence entre peine principale et peine complémentaire ni entre peine correctionnelle et peine criminelle. Liste donnée à l’art. 131-39. Le maximum de l’amende encourue par une personne morale est égal au quintuple de la peine d’amende encourue pour les mêmes faits par les personnes physiques. Pour un abus de biens sociaux, ça peut aller jusqu’à 12,5 millions d’euros. Il n’y a aucune distinction selon la forme de la société, donc la peine de mort existe ! Le juge bénéficie du pouvoir d’individualisation de la sanction. Problème : aucune peine d’amende n’était prévue pour certains crimes. Loi Perben II : dans cette hypothèse, la peine d’amende encourue sera égale à 1 million d’euros.La peine d’amende est systématiquement encourue par les personnes morales.

La dissolution : sanction suprême. La peine n’est encourue que lorsque le texte le prévoit. Elle n’est prévue que pour les infractions les plus graves. D’autres conditions ont été posées : la dissolution (art. 131-39) ne peut être prononcée que dans l’hypothèse où la personne morale a été créée pour commettre l’infraction ou, s’il s’agit d’un crime ou d’un délit puni de plus de 3 ans, a été détournée de son objet pour commettre l’infraction. Ainsi, alors même qu’elle est prévue par le texte, ça ne suffira pas pour que le juge la prononce. Dernière exigence (condition négative) : c’est parfois une sanction inconcevable ou trop grave pour certaines personnes morales. Cette sanction ne peut être prononcée à l’encontre des personnes morales de droit public, des partis ou groupements politiques, des syndicats professionnels ou encore à l’encontre des institutions représentatives du personnel.

Interdiction d’exercer directement ou indirectement une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction fut commise. Placement sous surveillance judiciaire (propre aux personnes morales). Ne peut pas être appliquée aux partis politiques ni aux syndicats professionnels mais applicables aux institutions représentatives du personnel. Fermeture d’établissement (notamment les établissements ayant servi à commettre l’infraction), exclusion des marchés publics. Elle peut être prononcée à

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titre définitif ou temporaire, pour une durée de 5 ans au plus. Pareil pour l’interdiction de faire appel public à l’épargne. Interdiction d’émettre des chèques (autres que certifiés ou de retrait) ou d’utiliser les cartes de paiement. Confiscation de la chose qui a permis de commettre l’infraction. Affichage ou diffusion de la décision.

Puis peines contraventionnelles.

II. Les sanctions administratives

A. Panorama des hypothèses

La spécificité de notre système est le suivant : à côté des sanctions, des peines prononcées par les juridictions répressives, il existe également des sanctions prononcées soit par des autorités administratives indépendantes soit par certaines administrations elles-mêmes. La sanction administrative est une mesure que les autorités administratives ont le pouvoir d’infliger elles-mêmes à des particuliers pour sanctionner leur comportement fautif. Il s’agit de sanctionner un manquement à une obligation particulière. Hétérogénéité de la répression en droit des affaires ; le droit pénal stricto sensu ne suffit plus à la tâche. Les juridictions répressives n’ont pas le monopole de la sanction.

Quelques exemples : la commission bancaire, chargée de sanctionner les manquements commis par les établissements de crédit ou par les prestataires de services d’investissement ou encore par les membres des marchés règlementés ; manquements aux règles propres régissant leur activité spécifique. Cette commission bancaire peut prononcer des sanctions de radiation de la liste des établissements agréés et des sanctions pécuniaires.

De même, on évoquera l’autorité de marchés financiers (qui a succédé à la COB, au conseil des marchés financiers et au conseil de discipline). C’est une autorité publique indépendante dotée de la personnalité juridique. L’AMF peut donc se constituer partie civile en cas de délit. Art. L621-1 du Code monétaire et financier. Sa mission est forcément calquée sur celle de la COB : elle veille à la protection de l’épargne investie dans les instruments financiers et tous autres placements donnant lieu à l’appel public à l’épargne. Elle veille aussi à l’information des investisseurs et au bon fonctionnement des marchés financiers. Pour mener à bien cette mission, l’AMF est dotée d’un pouvoir règlementaire, un pouvoir de décision individuel, mais aussi un pouvoir d’enquête et surtout un pouvoir de sanction administrative comme disciplinaire (art. 621-14 et 15 du CMF).

Autre exemple : le conseil supérieur de l’audiovisuel qui a un pouvoir de mise en demeure et un pouvoir de sanction en cas de manquement à la règlementation dont il est chargé de veiller au respect. Ces sanctions pécuniaires peuvent aller jusqu’à 1,5 million d’euros, voire au-delà si des profits ont été réalisé (peut aller jusqu’au décuple des profits réalisés).

Le conseil de la concurrence, dont la compétence est née de la dépénalisation des ententes et abus de position dominante, qui a un pouvoir d’injonction mais surtout de sanction. Seule limite au montant de l’amende : peut aller jusqu’à 10% du chiffre d’affaires.

Bilan : ce sont des amendes qui sont prononcées. C’est un véritable pouvoir sanctionnateur qui est conféré à ces autorités administratives. Ce qui ne va quand même pas de soi ; il n’y a aucune référence dans la Constitution à un tel pouvoir.

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C’est un peu mettre à mal le principe de séparation des pouvoirs. Le conseil constitutionnel (30/12/1982) a cependant accepté l’idée que ce pouvoir sanctionnateur soit laissé par le législateur à une autorité de nature non juridictionnelle. Il marque toute sa réticence en utilisant l’expression « le législateur a cru devoir laisser… ». 7 ans plus tard, il affirme qu’il est « loisible au législateur de confier à une autorité administrative indépendante des pouvoirs de sanction dans la limite nécessaire à l’accomplissement de sa mission » (17/01/1989). La CEDH s’en accommode également ; Engel, 1976. On s’en accommodera aussi. Mais l’importance des sanctions prononcées leur donne un caractère quasi pénal.

B. Le caractère quasi pénal des sanctions

Ces sanctions sont prononcées non pas par des autorités juridictionnelles mais par des autorités administratives indépendantes, voire même des administrations. Ces sanctions sont très importantes ; n’est exclue que la peine d’emprisonnement. Quid de leur coexistence avec des sanctions pénales prononcées par les juridictions répressives si le même fait est constitutif d’une infraction pénale ? Non bis in idem ; on ne peut être puni 2 fois pour le même fait. Alors comment accepter cette coexistence ? Cet adage est consacré par le CEDH (art. 4 du protocole n°7 additionnel). Peut-on cumuler à propos d’un même fait des sanctions pénales prononcées par une autorité juridictionnel et des sanctions administratives prononcées par des autorités administratives indépendantes mais qui ont un caractère quasi pénal ? La réponse est aujourd'hui claire : Conseil constitutionnel, 28/07/1989 : le principe selon lequel une même personne ne peut être poursuivie et punie deux fois pour le même fait ne reçoit pas application en cas de cumul entre des sanctions pénales et administratives. On peut donc parfaitement cumuler pour un même fait le prononcé de sanctions pénales et administratives ; elles ne sont pas de même nature.

N’empêche que les sanctions à caractère administratif ne sont pas loin, de par leur gravité, d’être des sanctions pénales. Dans cette même décision, après avoir accepté le principe d’un cumul, il pose quand même une limite : la règle de la proportionnalité. Le cumul de ces sanctions pécuniaires prononcées ne peut dépasser le montant le plus élevé de l’un des 2 sanctions encourues. Donc principe de mise à l’écart de l’adage non bis in idem mais dans la limite d’une sanction qui reste proportionnée.

En ce sens : Cour de cassation, crim., 7/09/2004, à propos de sanctions disciplinaires. Arrêt qui avait été prononcé à l’encontre d’un vétérinaire qui avait signé de faux documents officiels relatifs à la certification de bovins par tromperie sur l’identité de ces bovins. Un arrêté préfectoral le suspend de ses fonctions à titre de sanction disciplinaire. Ce à quoi s’ajoute, prononcée par le tribunal correctionnel, une interdiction de l’exercice des fonctions pendant 2 ans. La Cour de cassation confirme qu’il peut y avoir cumul. La France a assorti l’article 4 du protocole n°7 de réserves. Justement, ces réserves concernaient l’hypothèse d’un cumul de sanctions disciplinaires et pénales. De même, la chambre criminelle l’avait déjà dit auparavant : arrêt de 1996 à propos de sanctions fiscales. Idem pour le Conseil d’Etat, dans un avis du 4/04/1997 à propos des sanctions fiscales (avis Jamet).

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D’autres questions se posent en raison de la gravité des sanctions. On arrive à des sanctions de caractère quasi pénal. Quid de nos principes fondamentaux ? De la présomption d’innocence, du droit à un procès équitable, du principe du contradictoire… Tout ce qui fait les garanties fondamentales dans un procès pénal. Est-ce qu’à ces procédures s’impose le respect de l’article 6 de la CEDH ? « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue publiquement, équitablement et dans un délai raisonnable par un tribunal impartial et indépendant établi par loi qui décidera soit des contestations sur ces droits et obligations de caractère civil soit du bien fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. » Un arrêt de la CEDH du 24/02/1994 a considéré que cet article 6 était applicable au prononcé de sanctions fiscales. Un contribuable doit être regardé comme pénalement accusé s’il encourt des sanctions administratives qui ne visent pas la réparation d’un préjudice mais vise pour l’essentiel à punir afin d’empêcher la réitération. Hypothèse de majoration d’impôt.

Les juridictions nationales ont pris cette position également à propos des sanctions fiscales (Cour de cassation, 29/04/1997, Ferara, à propos de la vignette automobile). La Cour de cassation avait considéré que l’amende forfaitaire ne laissait pas de place au pouvoir modérateur du juge (donc pas d’individualisation possible de la peine) ; devait être écartée au regard des dispositions de l’article 6 de la CEDH. Solution différente s’agissant des intérêts de retard en matière fiscale ; ici, il y a un certain pouvoir d’appréciation et puis la modération a déjà été faite par le législateur.

Bilan : position dominante aujourd'hui : soumettre le prononcé de ces sanctions administratives aux principes directeurs du procès pénal.

Application également à propos du respect de la présomption d’innocence : Cour de cassation, 1/12/1998 : le président de la COB avait fait une déclaration publique dans des journaux avant l’ouverture de la procédure pour évoquer des acrobaties comptables imputées à une personne. Rappel au principe de la présomption d’innocence.

Application générale de l’article 6 de la CEDH. Considération du caractère d’intérêt général de la norme enfreinte et de la sévérité de la sanction encourue.

Très grandes conséquences, notamment à propos de la défunte COB : à propos de la procédure interne de la COB. Ass. Plén. 5/02/1999, Oury : on a considéré que la procédure (mise en place par le législateur depuis des années) méconnaissait le droit à un procès équitable. Le rapporteur participait au délibéré, à la formation du jugement. C’est comme si le juge d’instruction, après avoir rendu son ordonnance de renvoi, faisait partie de la juridiction de jugement.

CA Paris, 7/03/2000, KPMG : dénonce les pouvoirs du collège de la COB. Ce collège a la pouvoir de décider de la mise en accusation sur la base des faits constatés, de formuler les griefs, de statuer sur la culpabilité et de prononcer les sanctions. Il a fallu revoir tout le fonctionnement interne de la COB. Décrets pour la réorganiser (2 août 2002). Toute l’organisation de l’AMF a été faite en tenant compte de cela.

Cour de cassation 1999 : droit à un procès équitable opposable au conseil de la concurrence. C’était une des affaires les plus emblématiques du conseil de la concurrence (toute l’affaire des ententes illicites dans le secteur du bâtiment).

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Chapitre 2 : Les infractions empruntées au droit commun

Section 1   : Les infractions contre les biens

§1. Les appropriations frauduleuses

I. L’escroquerie

Le droit romain ignorait la notion d’escroquerie. Les faits frauduleux étaient plutôt qualifiés de faux ou de vol. Ce n’est que sous l’empereur Hadrien qu’est apparu le crime stellionat qui couvrait tout acte déloyal commis au préjudice d’autrui. Ces divers apports se sont trouvés dans l’ancien droit français où l’escroquerie se confondait avec le vol et le faux. Ce n’est qu’en 1791 que l’escroquerie est devenue, avec le Code pénal, un délit distinct et indépendant. Nuance : sa définition était alors très large et vague. Tout dol constituait une escroquerie. On assimilait dol civil et dol criminel. A tel point que pendant longtemps, la répression de l’escroquerie était confiée à des tribunaux civils. Le travail de dissociation fut alors un travail jurisprudentiel. Distinction du dol civil (simple abus de la crédulité d’autrui qui peut prendre la forme d’une abstention) du dol criminel (qui suppose un acte positif visant à provoquer l’erreur chez la victime). Art. 405 de l’ancien Code pénal dont le successeur est aujourd'hui l’article 313-1 du nouveau Code pénal.

L e délit d’escroquerie est en bonne santé, en constante progression sous l’impact de 2 facteurs : les délinquants deviennent de plus en plus imaginatifs, les victimes ont de plus en plus besoin de croire. Le chiffre noir est très très important. C’est un délit d’action, de commission (et non d’abstention). L’escroquerie doit comporter l’accomplissement d’actes positifs. Une abstention, une omission, aussi coupable soit-elle, ne saurait suffire. Une jurisprudence centenaire (1914) juge qu’il ne saurait y avoir escroquerie quand le prévenu s’est contenté de garder le silence, quand bien même on garde le silence sur un fait qui, s’il avait été connu de la victime, l’aurait déterminée à ne pas remettre la chose convoitée. Arrêt de 1978 à propos d’un assuré social bénéficiaire d’une rente d’invalidité à 100% pour cécité totale. D’un seul coup, il voit beaucoup mieux. Mais il ne fait aucune déclaration. Aucun acte positif ne lui est imputable. Abstention de déclarer l’amélioration de son état. Mais en 1994, décision qui paraît contraire : escroquerie aux ASSEDIC. Le bénéficiaire d’allocations chômage remplit des formulaires qu’il envoie aux ASSEDIC sans, à l’occasion de cette déclaration, préciser qu’il a retrouvé une activité partielle. Escroquerie. La différence est simple : abstention pure et simple (1978) / Abstention dans l’action (1994). Cette position de 1994 n’est donc pas un revirement. Le délit reste bien un délit de commission mais on accepte d’y inclure l’abstention dans l’action.

C’est un délit complexe qui suppose la réunion de plusieurs éléments. L’enjeu de ce caractère complexe est notamment l’application de la loi pénale dans l’espace. C’est un délit instantané, qui se commet en un trait de temps qui est la remise de la chose convoitée. Aspect criminologique : diversité criminologique, caractère polymorphe. On a du mal à cerner la personnalité de l’escroc. Il y a l’escroc de circonstances, l’escroc multirécidiviste professionnel. La proportion des hommes mariés est plus élevée chez les escrocs que chez les voleurs. Plus de 50% des

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escrocs appartiennent au monde des affaires. Le niveau intellectuel est un peu plus élevé chez les escrocs que chez les autres délinquants. Etc.

A. Les éléments constitutifs de l’infraction

Article incriminateur : 313-1 du Code pénal. Le délit est une infraction complète qui suppose la réunion de 4 éléments : l’emploi de moyens frauduleux, la remise ou la fourniture de la chose convoité, un préjudice et une intention de nuire.

1. L’emploi de moyens frauduleux

Par l’emploi de certains moyens frauduleux, une personne va provoquer la remise d’une chose ou la fourniture d’un service au détriment de la victime. L’article 313-1 vise un certain nombre de moyens frauduleux (interprétation stricte).

a. Usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité

Ici, l’usage suffit. Le mensonge suffit. Il n’y a pas besoin d’élément extérieur venant conforter le mensonge. Sous cet éclairage très important, reste à savoir ce que cela recouvre. Usage d’un faux nom (on parle du nom de famille et non plus de nom patronymique). Il faut ici un mensonge mais le mensonge suffit. Ce peut être sous forme verbale ou écrite. Peu importe que le titulaire du nom ait donné son accord. Affaire du docteur Duval de 1938 : un médecin avait une certaine notoriété et a ouvert partout en France des cabinets au nom du docteur Duval. Peu importe que cela soit fait avec son accord, il y a escroquerie et complicité d’escroquerie. Il peut s’agir également d’une particule, d’un pseudonyme. Il ne suffit pas d’utiliser une homonymie.

Usage d’une fausse qualité : deux conceptions : une conception restreinte où il ne s’agirait que des éléments de l’état civil, notamment l’âge, la nationalité… et puis une conception plus large qui engloberait tous les éléments relevant de la situation sociale de la personne, tout ce qui serait de nature à donner crédit aux allégations mensongères. Aujourd'hui, c’est une conception extensive de la qualité qui prédomine. Suppose un acte positif, verbal ou écrit. On peut mentir sur sa situation matrimoniale, son âge, ses liens de famille, sa situation professionnelle (notaire, avocat, médecin…), ses titres (fonction ecclésiastique, titres nobiliaires, légion d’honneur, titres universitaires, juridiques). Fausse qualité de commerçant, de salarié, de représentant commercial…

Question : qu’en est-il de la qualité consistant à s’affirmer titulaire d’un droit ? Qu’en est-il de celui qui se prétend faussement propriétaire ou faussement créancier ? La jurisprudence est bien assise sur cette question : il n’y a pas usage de fausse qualité à s’affirmer faussement titulaire d’un droit de créance ou de propriété (crim., 6/10/1980 ; 23/02/2005).

Attention toutefois, la solution est différente lorsque l’on se prétend faussement mandataire. Jurisprudence classique. Pourquoi cette différence ? Parce qu’on fait intervenir un tiers : le faux mandant. Il y a des manœuvres frauduleuses sous la forme de l’intervention d’un tiers, fût-il purement imaginaire.

b. L’abus de qualité vraie  

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C’est un apport de la réforme du Code pénal. Sous l’empire de l’ancien Code pénal, la jurisprudence réprimait l’escroquerie par abus de qualité vraie au titre de l’escroquerie par manœuvres frauduleuses. On ne pouvait pas y voir l’usage de fausse qualité. La notion s’est d’abord développée à propos de l’usage abusif fait par des professionnels d’une qualité comprise comme une profession à laquelle la confiance est inhérente (confidents nécessaires). Peu à peu, la jurisprudence l’a élargie pour atteindre toute relation particulière de confiance préexistante. La relation de confiance n’est pas attachée aux professions elles-mêmes. Ex : 23/03/1978 à propos du directeur comptable d’une entreprise qui avait abusé de sa qualité dans ses relations avec le banquier de l’entreprise pour obtenir à titre personnel des prêts avantageux. Cour de cassation, crim, 1986 à propos d’un délégué syndical qui avait abusé de sa qualité pour l’utilisation de ses heures de délégation. Mais à l’époque, on était sanctionné au titre de manœuvres frauduleuses et non au titre d’abus de qualité vraie.

Réforme du Code pénal qui vise désormais expressément et spécifiquement l’abus de qualité vraie comme moyen frauduleux. Conséquence : l’abus de qualité vraie se suffit à lui-même. Il n’est pas besoin d’un élément extérieur venant conforter cet abus. C’est un moyen autonome. Ex : Cour de cassation, crim., 6/04/1993 : Un avocat fait usage abusif de sa qualité afin d’obtenir frauduleusement un désistement d’instance. CA Pau : professeur d’université qui s’était fait verser des sommes d’argent en paiement de frais de mission imaginaires.

c. Les manœuvres frauduleuses

C’est la forme la plus répandue d’escroquerie. Ici, tout de suite, l’éclairage le plus important s’agissant des manœuvres frauduleuses : un simple mensonge ne saurait suffire. Jurisprudence constante de la Cour de cassation : le mensonge écrit ou verbal émanant de l’escroc ne suffit pas à réaliser une manœuvre frauduleuse même si ce mensonge est déterminant de la remise. Il n’y a manœuvre que si le mensonge est conforté, corroboré, étayé par des éléments matériels extérieurs qui viennent lui donner force et crédit. « Subtil hein, faut mentir mais faut savoir s’arrêter à temps ». Ces manœuvres frauduleuses peuvent revêtir diverses formes.

La production de pièces ou documents qui peuvent émaner de l’autorité de tiers. Ce tiers peut être de mauvaise foi, auquel cas c’est un complice, ou un tiers de bonne foi qui aura également été trompé. Ex. de tiers de mauvaise foi : une entreprise tierce fictive (société taxi) émet des factures fictives laissant croire à la fourniture de marchandises à l’escroc qui va lui permettre de se constituer une créance sur le trésor public (escroquerie à la TVA). Ou bien cabinet spécialisé dans les fausses attestations de sinistres, très utile pour l’escroquerie aux assurances.Ex. de tiers de mauvaise foi : certificat médical.

Les documents peuvent aussi émaner d’autorités publiques (production de faux documents officiels).

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En revanche, ces documents ne peuvent émaner de l’agent lui-même. Sinon, il n’est que l’expression écrite du mensonge. Or il faut un élément extérieur qui conforte le mensonge. Exception : l’escroquerie au bilan, la publicité mensongère (on a égard ici à l’ampleur de la diffusion inhérente à la publicité). Mais ce ne sont que des exceptions au principe.

Cour de cassation, 1er juin 2005 : le fait d’émettre en connaissance de cause 23 chèques sans provision ne constitue que de simples allégations mensongères de l’escroc et cela ne constituer les manœuvres frauduleuses, peu importe que cela soit fait par écrit et de manière réitérée. En revanche, le fait d’accompagner une déclaration maladie de certificats médicaux émanant de tiers est susceptible de constituer une manœuvre frauduleuse.

Cour de cassation 30/01/1992 : les juges du fond avaient condamné un chef d’entrepris qui avait fait une demande d’indemnisation au titre du chômage partiel à propos de salariés qu’il savait ne pas avoir droit au bénéfice de ces indemnités. Condamné pour escroquerie. La Cour de cassation casse la décision car la liste nominative de salariés ne constituait qu’un écrit émanant du prévenu. Il n’y avait pas d’élément extérieur.

L’intervention d’un tiers : ce tiers va conforter le mensonge de l’escroc, lui donner force et crédit. Ce tiers peut être de bonne foi (il n’est lui-même qu’un jouet entre les mains de l’escroc) ou de mauvaise foi (il est alors complice). Cette intervention d’un tiers peut se faire par écrit : fausses factures établies par les sociétés taxis (escroquerie à la TVA), faux états estimatifs d’un bien sinistré, la traite de complaisance (le tireur n’est pas créancier du tiré mais celui-ci, par complaisance, va signer l’acceptation qui permettra au tireur de faire escompter l’effet de commerce). Pendant un certain temps, la Cour a considéré que cette traite de complaisance n’était que l’expression écrite du mensonge. Elle n’y voyait pas une modalité d’escroquerie. Revirement dans les années 1932 : l’acceptation par un tiré de complaisance et insolvable constitue l’intervention d’un tiers établissant les manœuvres frauduleuses.

L’intervention d’un tiers peut se faire par voie orale, par gestes, par attitude. Ce tiers peut être fictif : on a fait croire à l’existence ou à l’intervention d’un tiers. Ex : en matière de faux bilan, attestation soussignée d’un expert comptable qui n’existe pas. Document qui émane de l’escroc. Mais il a fait croire à l’intervention d’un tiers donc ça marche.

La mise en scène : l’imagination et la crédulité au pouvoir. Ça peut être un décor, un pseudo matériel scientifique, etc. L’expression se suffit à elle-même. On le trouve dans l’escroquerie à l’assurance : trucage, falsification, manipulations frauduleuses…

L’ancien article 405 de l’ancien Code pénal mentionnait le but poursuivi à travers ces moyens frauduleux ; le nouveau code ne le mentionne plus. Il disait les moyens frauduleux utilisés pour persuader de l’existence d’une fausse entreprise. L’entreprise peut être totalement ou partiellement fictive. La loi visait aussi l’emploi de moyens frauduleux pour persuader d’un pouvoir ou d’un crédit imaginaire. Pouvoir auprès de l’autorité hiérarchique. Faire naître l’espérance ou la crainte d’un succès, d’un accident ou de tout autre événement chimérique.

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2. La remise de la fourniture convoitée

Tout est dans l’article 313-1 : il va sanctionner celui qui, par un des moyens frauduleux, aura trompé une personne physique ou une personne morale et l’aura déterminée ainsi à opérer cette remise ou cette fourniture. On est bien dans le dol criminel (trompé ; erreur provoquée). La victime de l’escroquerie peut être une personne morale.

« Déterminée » : c’est la condition fondamentale. Il faudra prouver systématiquement un lien de causalité entre le moyen frauduleux et la remise de la fourniture. C’est bien ce moyen frauduleux qui aura été déterminant. C’est une exigence de causalité très forte.

Remettre ou fournir. L’ancien article 405 : l’erreur provoquée consistait à avoir remise des fonds, des meubles, obligations, dispositions, billets, promesses, quittances ou décharges. Liste assez lourde. A travers le terme « décharge », la chambre criminelle avait atteint des hypothèses intéressantes, notamment celles où le créancier avait cru recevoir paiement des sommes qui lui étaient dues. On est dans l’immatériel. On a abouti à la dématérialisation des infractions contre les biens (illustration). Ex : escroquerie au parcmètre, aux communications téléphoniques. Le créancier croit avoir reçu son dû. La victime de l’escroquerie ne m’a rien remis mais j’ai obtenu un bien immatériel. Jurisprudence de 1970.

Aujourd'hui, la formule est beaucoup plus condensée. Ce qui est visé : la remise de fonds, de valeurs ou d’un bien quelconque. Consentir un acte opérant obligation ou décharge. Ce sont tous les titres qui créent, constatent, transmettent ou étayent un droit. Reconnaissance de dette, contrat de prêt, de bail, quitus….

Dernière forme d’erreur provoquée : fournir un service. Un service est une prestation immatérielle. Il y a ici consécration indirecte de la jurisprudence sur le parcmètre. Il y a également escroquerie à la prestation de service.

3. Le préjudice (Cours 19.10.07)

La rédaction antérieure du texte avait pu générer des discussions sur cet élément constitutif. Est-ce que le délit d’escroquerie requiert ou pas l’existence d’un préjudice ? La Cour de cassation avait pris des positions qui ont varié dans le temps.

CA de Paris 1954 quelqu'un se présente comme étant envoyé par le propriétaire pour ramoner une cheminée. Le ramoneur ramone. Je paye le ramoneur puisqu’il a ramoné. Mais j’apprends que le propriétaire n’a jamais fait appel à un ramoneur. Pas de préjudice dans cette affaire puisque ma cheminée a été ramonée. La Cour de cassation considère d’abord que le délit d’escroquerie existe indépendamment de tout préjudice.

Escroquerie existe sans préjudice   !! 1954

Ainsi, dans un arrêt de 1949 : quelqu'un qui achète à la croix rouge 15 colis pour les prisonniers d’une commune. Problème : la commune n’avait que 13 prisonniers. Mais la Croix rouge a bien été payée pour 15 colis. Donc pas de préjudice. Mais le délit existe quand même. La Cour ajoutait : « dès lors que la remise a été extorquée par des moyens frauduleux ». Or c’est con parce que sinon, il n’y aurait pas d’escroquerie. Forcément, la question se pose si on a d’abord établi que la remise a été provoquée par des moyens frauduleux.

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Arrêt du 3/04/1991 chb. crim : quelqu'un est victime du bris d’un pare-brise. Il demande réparation à son assurance. Le garagiste lui remet un pare-brise d’occasion. L’assurance porte plainte. Or l’assurance n’était tenue que de remplir son engagement contractuel : versement des sommes. Elle n’a pas à savoir ce que l’assuré en fait. La Cour de cassation relève qu’elle n’a versé que ce qu’elle était tenue de verser. Elle n’a pas subi de préjudice. Donc il n’y a pas d’escroquerie. A contrario, le préjudice est donc bien un élément constitutif de l’escroquerie. Donc revirement en 1991.

Si pas de préjudice il n’y a pas d’escroquerie   !! 1991

Position confirmée 15/06/1992 : escroquerie au ASSEDIC : le préjudice est un élément constitutif de l’escroquerie. Il est établi dès lors que les versements n’ont pas été librement consentis mais obtenus par des manœuvres frauduleuses. Si le préjudice est le préjudice moral, la condition est systématiquement remplie ; il équivaut aux vices du consentement. C’est une fausse condition ; elle sera forcément remplie sinon il n’y aurait pas d’action. Il faut comprendre le préjudice au sens de préjudice d’ordre patrimonial. Se réduit aux vices du consentement.

26 octobre 1994 : une escroquerie au titre de séjour (mariage simulé). C.cass. dit pas de délit d’escroquerie car il n’est pas justifié que cela ait porté atteinte à la fortune d’autrui. L’idée plaît plus à Hirsoux, même si la formule de C.cass est désuet (fortune d’autrui : caractère patrimonial). Là il comprend mieux.

L’article 313-1 clôt le débat puisqu’il vise expressément le préjudice. Problème : la condition de préjudice est requise par la loi mais qu’entend la Cour de cassation ? Préjudice patrimonial (vraie condition) ou préjudice moral (fausse condition) ?On ne sait tjs pas si c’est une vraie condition ou pas.

4. L’intention coupable

Il est évident que l’escroquerie est un délit intentionnel qui suppose d’avoir une pleine conscience des moyens frauduleux usés. Il faut que cette volonté se dédouble, Deux conditions : il faut non seulement avoir usé de ces moyens frauduleux mais dans le but d’avoir provoqué la remise de la chose. Pas de difficulté sur l’exigence d’une intention coupable. Parfois un peu plus de difficulté sur la preuve. Hypothèse où des personnes font croire à un pouvoir. On peut avoir une difficulté au pénal à faire cette part des choses entres celui qui trompe sciemment et celui qui de bonne foi croit avoir un véritable pouvoir.

B. La répression de l’infraction

1. Les degrés de la répression

L’escroquerie simple : 5 ans d’emprisonnement (plafond), 375.000 euros.. Circonstances aggravantes :

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- du côté de l’auteur, c’est une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargé d’une mission de service public dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission. De même pour une personne qui prend indûment cette qualité d’une personne dépositaire, etc. C’est l’escroquerie au vieillard. Du côté de l’auteur elle est réalisée par une personne qui fait appel au public en vue de l’émission de titres ou en vue de la collecte de fonds à des fins d’entraide humanitaire ou sociale.

- Du côté de la victime : c’est une personne particulièrement vulnérable. Personne dont la particulière vulnérabilité due à son âge, sa maladie, son infirmité, à une déficience physique ou psychique ou un état de grossesse apparente ou connu de son auteur.Peine encourue : 7 ans de prison et 750.000 euros

- En cas d’infraction commise en bande organisée : depuis Perben II, c’est 10 ans de prison et 1 million d’euros d’amende.De nombreuses peines complémentaires sont prévues.Responsabilité pénale des personnes morales : maximum 1.875.000 euros d’amende.

2. Les particularités de la répression

a. Complicité et tentative

La complicité est punissable. Elle atteindra le tiers dès lors qu’il était de mauvaise foi.

Arrêt 25/02/2004 : considère comme complice un commissaire aux comptes qui avait certifié des comptes tout en ayant connaissance des infractions commises. Complicité aussi de l’expert comptable de la société, qui avait attesté de la sincérité des comptes. La CA avait relevé que le commissaire au compte n’avait pas révélé au procureur les infractions constatées alors qu’il aurait du le faire. La Cour de Cassation a considéré qu’en en dénonçant pas il s’est rendu complice. Le même arrêt a retenu la complicité de l’expert comptable que la CA avait relaxé, alors qu’il était établi qu’il avait lui-même établi des comptes annuels et des déclarations mensuelles attestant de la sincérité de ce même compte. Formule intéressante : « la fictivité des comptes ne pouvait échapper à un professionnel de la comptabilité ». cette décision est une illustration d’une Jurisprudence constante qui est très sévère vis-à-vis des professionnels pour infractions commises ds le cadre de profession. Pour certaines professions de la vie des affaires, il y a une sorte de renversement de la charge de la preuve. De par leur qualité présupposée de bons professionnels, ils ne pouvaient ignorer la fictivité. On présume la connaissance.→ « Vous ne pouviez pas ne pas savoir ». Il n’y a pas de complicité postérieure, alors que le comptable intervient après.

La tentative est incriminée : art. 313-3 (définition générale : art. 121-5)

Toute la difficulté de la tentative punissable se situe dans l’iter criminel : faire la part entre les actes simplement préparatoires et le commencement d’exécution. Conception souple du concept, donc on l’applique parfois avec sévérité.

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Ex : escroquerie à l’assurance. Décision C.Cass : Il y a tentative dès qu’il y a sollicitation de la remise.

Cour de cassation 6/04/1994. Il y a commencement d’exécution dès qu’il y a déclaration de sinistre faite à l’assureur et accompagnée de faits extérieurs destinés à lui donner force et crédit. Ici, récépissé du dépôt de plainte et demande de renseignement sur les modalités de remboursement. Donc jurisprudence assez souple.

b. La prescription

L’escroquerie est un délit instantané réalisé par la remise ou la fourniture convoitée. Il n’y a pas de dérogation ; le point de départ du délai de 3 ans n’est pas reporté au jour de la découverte de l’emploi de manœuvres. Particularités : hypothèses où la tromperie initiale va déterminer des remises successives ou la délivrance d’un titre permettant des revenus répétés dans le temps. Si on applique le droit commun, le point de départ de la prescription court à compter du jour de la 1ère

remise. On avait ici un risque d’irresponsabilité pénale par le jeu de la prescription. Contourné par la Cour de cassation qui applique la théorie du tout indivisible : dans cette hypothèse, la point de départ du délai de prescription doit être reporté au jour du dernier versement si l’ensemble des manœuvres et des remises forme un tout indivisible. Jurisprudence bien assise (1968). Pour une application récente : 6/10/2004. Il s’agissait de 383 qui avaient été effectués par la suite.

CONCLUSION   : des formes d’escroquerie dans la vie des affaires.

Escroquerie et facturation : une entreprise adresse une facture pour réclamer le paiement d’une somme non due. S’il n’y a que ça, c'est seulement l’expression écrite du mensonge ; il n’y a pas escroquerie. Solution différente lorsque cette facture mensongère est confortée par des éléments extérieurs et notamment l’intervention d’un tiers.

Escroquerie et obtention de crédit : les documents produits à l’appui de bordereaux Dailly peuvent servir de base à des poursuites de chefs d’escroquerie, notamment lorsque ces documents affirment l’existence de créances fictives ou devenues sans valeur. Cour de cassation, 6/04/1994, lorsque des factures fictives sont jointes à l’appui de bordereaux Dailly donc leur utilisation en connaissance de cause pour obtenir par leur escompte une ouverture de crédit constitue une escroquerie. Aussi avec les factures pro-format quand une entreprise cherche à obtenir un crédit c’est pas véritable facture, mais attestation de vendeur de conditions et prix. Donc si l’entreprise l’a majoré, alors c’est une escroquerie (C.Cass novembre 1997).

L’escroquerie à la TVA (pouvoir expliquer à l’exam) : elle consiste à manœuvrer de façon telle que, par le mécanisme des déductions et crédits de TVA, une entreprise va disposer vis-à-vis de l’administration fiscale d’un crédit de TVA ou d’un droit à remboursement qui n’a pas lieu d’exister.

Il y a tout d’abord l’escroquerie dans les ventes à exportation (exemption de la taxe donc il est tentant de simuler des exportations soit pour obtenir le remboursement de la TVA réglée à l’achat soit pour la déduire du montant dû sur les ventes intérieures).

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Il y a aussi l’escroquerie dans les ventes internes : la TVA est due à l’Etat si le commerçant vend un produit. Logiquement, lorsqu’il achète, le montant de la TVA qu’il paye à son fournisseur va être reporté à son crédit. Donc l’escroquerie va consister en la falsification de factures d’achats réels ou, le plus souvent, l’établissement de factures d’achats fictifs. Cela va constituer un montant de crédit de TVA récupérable.

Le plus souvent, cela se fera à une ampleur telle que ça passera par la complicité d’une société de façade qualifiée de société taxi (parce qu’elle fabrique de la taxe). Concrètement, un commerçant va procéder à des achats simulés auprès d’une société taxi en réglant par chèque. Le taxi encaisse le chèque et en restitue le montant à l’acheteur fictif, déduction faite de sa commission. Et il ne reste plus alors qu’à l’acheteur fictif à se faire rembourser le montant de la TVA au moyen de la facture délivrée par le taxi. Cour de cassation 19/10/1987 : dans un tel procédé, on a tout à la fois des faux (délit de faux), le délit d’abus de biens sociaux et l’escroquerie.

Escroquerie au bilan : c'est un peu dérogatoire. Le simple mensonge ne suffit pas donc en principe, la présentation d’un faux bilan ne s’analyse que comme l’expression écrite d’un mensonge. En droit pénal des sociétés, le Code de commerce réprime spécifiquement (art. 242-6, 2°) réprime le délit de présentation ou publication de faux bilan. En réalité, cette présentation relève d’une incrimination spécifique. Il n’empêche que la jurisprudence, depuis 1933, décide que la production d’un bilan volontairement falsifié s’analyse également en escroquerie, notamment le plus souvent parce qu’il y a l’intervention d’un tiers (comptable, de bonne ou mauvaise foi). C'est un document auquel s’attache un crédit particulier.

Escroquerie au jugement : manœuvre qui consiste à tromper les juges pour en obtenir une décision favorable, notamment par la production de faux documents (crim. sept. 1996). Sur ce terrain, la chambre criminelle se montre très stricte. Elle estime qu’il y a escroquerie au jugement par la simple production de documents alors même qu’il incombait au juge d’en apprécier la portée et la valeur (donc alors même qu’on produit une pièce soumise au contradictoire, qui ne fait pas foi par elle-même).

Cour de cassation crim. 19/10/1993. Il s’agissait d’une affaire de concurrence déloyale. Celui qui s’estimait victime d’une concurrence déloyale par un ancien salarié avait considérablement majoré la liste de ses clients visités par son ancien salarié. Est-ce que ça ne fait pas partie un peu du jeu du procès ? La Cour de cassation, souple, y voit une tentative d’escroquerie au jugement. Cour de cassation 30/06/2004 : applique également cette escroquerie au jugement à une sentence arbitrale, ce qui nous fait donc dépasser le cadre de l’activité judiciaire.

Escroquerie par la présentation à l’escompte de traites de complaisance. Ex : un commerçant qui va être confronté à une échéance difficile va demander à un « ami » de l’autoriser à tirer sur lui une lettre de change alors qu’il n’est titulaire d’aucune créance à son égard. Cette opération peut être répétée pour permettre le remboursement de la traite précédente ; c'est une opération infernale. Ça s’appelle la cavalerie. Ici, c'est tout un système de traites de complaisance répétées et pourtant appliquées à une seule livraison fictive.Ex : A va acheter 1000 euros un bien auprès d’un fournisseur A’. Bien non livré (sinon c'est pas drôle). A’ va émettre une traite à 3 mois sur A et se dépêche d’aller

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la présenter à l’escompte auprès d’une banque. La banque va lui accorder 900 (elle prélève sa commission). La traite arrive à échéance, la banque présente la traite à A et en demande le paiement. Bien évidemment, au moment où elle présente la traite à A, A n’existe plus, il a disparu. Mais entre temps, A avait revendu la pseudo-marchandise 1200 euros à B. C'est A qui avait émis une traite payable à 3 mois sur B et avait présenté la traite à l’escompte. La banque avait versé 1080 sur 1200. Et quand la banque se présente à B, B n’est plus là. Et ainsi de suite. Affaire du Sentier.Jurisprudence 1932, l’acceptation par le tiré de complaisance constitue l’intervention d’un tiers. Rappelé par arret du 5 avril 2006.

Escroquerie et fausse publicité : qualification classique d’escroquerie, sans difficulté. Mais là aussi on a un délit spécifique dans le Code de la consommation, à l’art. L121-1. On parle maintenant de publicité trompeuse depuis 1973. Cette incrimination spécifique aurait pu chasser la qualification d’escroquerie, qui était par ailleurs discutable (la publicité n’est que l’expression du mensonge). Mais non ; la Cour de cassation n’hésite pas à continuer d’appliquer la qualification d’escroquerie, notamment lorsque la publicité présente un caractère intensif (1968). Elle l’utilise facilement pour les marchands de listes.

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II. Les infractions voisines de l’escroquerie

Une infraction n’est plus aujourd'hui classée parmi les infractions voisines de l’escroquerie : l’abus de faiblesse. Il y figurait mais il figure désormais parmi les infractions contre les personnes et non plus contre les biens. Art. 223-15-2 à 223-15-4 du Code pénal. Il a été déplacé par la loi du 15/06/2001 contre les sectes. Ce sont les formes agressives de démarchage à domicile. Ce qu’incrimine cet article, c'est l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de faiblesse. Ça peut être soit d’un mineur soit d’une personne particulièrement vulnérable. La loi vise également la personne en état de sujétion psychologique ou physique (idée : atteindre les pratiques de certaines sectes). 375000 euros d’amende, 3 ans de prison. Possibilité de responsabilité pénale de la personne morale

A. Les filouteries

Forme principale : la filouterie d’aliments. Art. 313-5 qui donne une définition générique pour en détailler les différentes formes. On l’appelle également la grivèlerie. Principe de la légalité des délits et des peines. En 1810, ce délit n’était pas incriminé. Principe de l’interprétation stricte de la loi pénale. Poursuite pour vol. Mais il y a remise volontaire de la chose. Escroquerie : mais il n’y a pas de manœuvres frauduleuses, ni usage de qualité vraie. Pas d’abus de confiance non plus (refus de restituer une chose). Donc impunité. Ce qui fait que, devant les limites au pouvoir d’interprétation du juge, il a fallu attendre une loi spécifique de 1873 pour incriminer ce délit.

Le nouveau Code pénal a élargi l’approche de ce délit de filouterie. Jusqu’alors, ce qui était visé était le fait d’avoir bénéficié de certains services tout en sachant qu’on était dans l’impossibilité absolue de ne pas payer. La réforme du Code pénal y a ajouté à l’impossibilité absolue de payer le fait d’être déterminé à ne pas payer. S’agissant des aliments, il s’agit de s’être fait servir des boissons ou des aliments dans un établissement vendant des boissons ou des aliments. Quid si livraison à domicile ?

D’autres formes de filouterie sont visées : filouterie de transport (313-5, 4°) : filouterie de taxi ou de voiture de classe. La Cour de cassation a jugé par exemple que ne relevait pas de cette incrimination le fait pour une personne de se faire transporter en ambulance de Laval à Marseille en se faisant passer par une ambulance. On pourrait avoir ici l’escroquerie. CA Toulouse en octobre 2000 : un car de transport en commun n’est pas une voiture de classe.

Filouterie de carburants ou lubrifiants (1966) : incrimine celui qui se sera fait servir de tels produits dont il aura fait remplir en tout ou partie du réservoirs d’un véhicule par un professionnel de la distribution. Quid dans un libre service ?

Filouterie d’hôtel (1937) : se faire attribuer et occuper effectivement une ou plusieurs chambres dans un établissement louant des chambres quand l’occupation n’a pas excédé 10 jours. Tous ces délits sont des délits intentionnels et désormais, la peine est unifiée : 6 mois, 7500 euros. Pas de responsabilité pénale des personnes morales jusqu’au 31/12/2005.

B. L’entrave à la liberté des enchères

Art. 313-6. C'est à titre principal le fait, dans une adjudication publique, d’écarter un enchérisseur ou de limiter les enchères ou soumissions. Et cela par don,

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promesse, entente ou tout autre moyen frauduleux. On peut avoir des problèmes de voisinage : Cour de cassation, 30/03/2003. A propos de marchands de biens. La Cour de cassation reproche à la CA de ne pas avoir recherché s’il n’y avait pas délit d’escroquerie. Peine encourue : 22500 euros, 6 mois d’emprisonnement. Est puni de la même peine celui qui aura accepté les dons ou promesses.

L’article assimile d’autres comportements qui en réalité ne sont pas des atteintes à la liberté des enchères : fait d’entraver ou de troubler la liberté des enchères ou soumissions par violence, voie de fait ou menaces ; fait de procéder ou participer, après une adjudication publique, à une remise aux enchères sans le concours d’un officier ministériel compétent ou d’une société agréée (atteinte à la réalité des enchères).

Art. 313-6-1 (loi de 2003) : il s’agit ici de lutter contre l’insécurité résultant d’opérations irrégulières de biens immobiliers. Ce qui est incriminé, c'est le fait de mettre à disposition d’un tiers, en vue qu’il y établisse son habitation, moyennant le versement d’une contribution ou la fourniture de tout avantage en nature, un bien immobilier appartenant à autrui sans être en mesure de justifier de l’autorisation du propriétaire ou de celle du titulaire du droit d’usage de ce bien. 1 an d’emprisonnement, 15000 euros d’amende. C'est une sorte d’escroquerie au logement. Il s’agit de protéger le bénéficiaire dupé. Illustration parfaite du répressif pour faire plaisir, du fait divers érigé en loi et surtout de l’incompétence ; on peut très bien réprimer ce droit commun avec les instruments du droit commun.

III. L’abus de confiance

L’abus de confiance rejoint le vol et l’escroquerie au titre de l’appropriation frauduleuse de la chose d’autrui. Ils sont assimilés en termes de récidive. Pour tous ces délits joue le bénéfice de l’immunité familiale (art. 311-12). Reste à les dissocier entre eux. La summa divisio oppose d’une part le vol, d’autre part l’escroquerie et l’abus de confiance.

Le vol suppose une remise involontaire de la chose, par opposition aux deux autres qui supposent une remise volontaire de la chose. Dans l’escroquerie, le comportement frauduleux se situe antérieurement à la remise de la chose. Puisqu’il va y avoir emploi de moyens frauduleux pour déterminer cette remise ou cette fourniture. Le comportement frauduleux se situe antérieurement à la remise à tel point qu’il l’a déterminée. Dans l’abus de confiance, le comportement frauduleux se situe postérieurement à la remise puisqu’il va y avoir détournement du bien remis. Escroquerie : remise viciée (vice du consentement). Dans l’abus de confiance, la remise n’est pas viciée.

A. Les éléments constitutifs

Art. 314-1 du nouveau Code pénal qui a succédé à l’article 408 de l’ancien Code pénal. Ces éléments constitutifs sont nombreux.

1. Une remise préalable

Est-ce vraiment un élément constitutif ou est-ce une condition préalable ? Le débat peut présenter un intérêt sous l’angle de l’application de la loi pénale dans

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l’espace : quid si la remise préalable a lieu en France et que le détournement se situe à l’étranger ?

a. L’objet de la remise

L’article 408 de l’ancien Code pénal utilisait une formule longue et lourde (cf à propos de l’escroquerie). L’article 314-1 est plus condensé : il utilise la « remise de fonds, valeurs ou un bien quelconque ». Sous l’empire de l’ancien Code pénal, la formule de l’article 408 emportait 2 exclusions : l’exclusion des immeubles (fondée sur l’incompatibilité entre l’abus de confiance et le bien immobilier ; comment peut-on détourner un bien immobilier ?) et l’exclusion des biens incorporels, des biens immatériels. Tout au plus avait-on une interprétation extensive du terme « écrits ». Alors même qu’ils n’opéraient pas ou ne contenaient pas opération ou décharge, elle incluait certains écrits ayant une valeur marchande ou commerciale particulière et dont le détournement était préjudiciable. Ex : détournement d’un fichier de clientèle. Cour de cassation 1968. De même pour des documents comptables en 1980.

Au sortir de la réforme du Code pénal, l’immeuble est toujours exclu. L’exclusion de l’immeuble est maintenue. Confirmé par un arrêt du 10/10/2001. Hypothèse d’un prêt d’une chambre pour un week-end. Refus de restituer les clés. La cour d’appel avait condamné la personne au titre d’un abus de confiance portant sur les clés. La Cour de cassation ne s’est pas montrée dupe et elle a cassé car elle a relevé que la CA a en fait réprimé l’utilisation abusive d’un bien immobilier sous couvert de la non-restitution des clés permettant d’y accéder. Confirme donc l’exclusion des immeubles du champ de l’abus de confiance. « Fonds » : argent. « Valeurs » : bijoux, lingots, valeurs mobilières. « Bien quelconque » : tout bien mobilier ; écrits, même s’ils n’ont pas de valeur marchande. Aujourd'hui, il peut y avoir abus de confiance si on refuse de restituer une lettre d’amour.

Quid de l’exclusion des biens immatériels ? Sous l’ancien Code pénal, la Cour de cassation avait une position très claire : 9/03/1987. Coup d’arrêt dans le processus de la dématérialisation des infractions contre les biens. La Cour de cassation refuse d’appliquer l’abus de confiance à une chose immatérielle. Un salarié avait quitté une entreprise pour créer la sienne. Il proposait à ses clients des contrats absolument identiques à ceux qu’il proposait au titre de son ancien emploi. L’ancien employeur porte plainte pour abus de confiance. Oui mais il fallait prouver qu’il avait emporté un contrat, un écrit. La Cour de cassation a refusé. L’abus de confiance ne peut porter que sur l’écrit qui constate le droit (instrumentum), pas sur le droit lui-même (negotium). Il faut que la chose objet du détournement soit un bien matériel, corporel. On a eu un léger infléchissement de la Cour de cassation : arrêt du 30/05/1996 à propos de la dématérialisation des valeurs mobilières, le transfert se faisant désormais simplement par une inscription en compte courant. La Cour de cassation a un peu contourné l’obstacle en considérant que l’inscription en compte de valeurs incorporelles constitue un écrit qui entre dans la prévision tant que 408 que de 314-1. Les registres qui portent le nom des titulaires des valeurs mobilières, ok. Mais le détournement a porté sur l’inscription d’un nom. La Cour de cassation se cherche avec cet arrêt de 1996.

Elle ne se cherche plus ; elle a pris une autre position le 14/11/2002. Une cliente d’une entreprise de vente par correspondance avait donné son numéro de carte bancaire à l’occasion du paiement d’une commande assortie d’une autorisation de prélèvement. La commande avait été annulée. L’entreprise avait gardé le numéro de carte et l’autorisation de prélèvement et elle s’en est servie pour payer un sous-

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traitant lors d’un nouvel envoi refusé par la cliente. Le numéro de carte bancaire n’est pas la carte ; chose immatérielle. C'est une information. L’enjeu est de taille ici. La Cour de cassation a rendu un arrêt de principe : les dispositions de l’article 314-1 s’appliquent à un bien quelconque et non pas seulement à un bien corporel. Revirement ? Point du tout. Il y a juste une toute petite différence avec l’arrêt de 1996 : le texte incriminateur a changé. L’art. 314-1 vise un bien quelconque alors que l’art. 408 visait un écrit.

Jurisprudence bien assise et bien acquise. Cour de cassation 20/10/2004 : un directeur d’une association va employer les salariés de l’association pendant leur temps de travail à des fins personnelles. Ce qui s’analyse comme un détournement de fonds de l’association. Or ici, c'est la force de travail qui a été remise. Ce sont des prestations. Cour de cassation 19/05/2004 : un salarié qui utilise l’ordinateur et la connexion internet mise à sa disposition pour aller visiter des sites à caractère pornographique. Abus de confiance. La Cour de cassation vise qu’il utilise l’ordinateur et la connexion internet. Cour de cassation 22/09/2004 : commet un abus de confiance le salarié qui détourne un projet. C'est un salarié qui avait été embauché par une entreprise en tant que chef de projet et il devait élaborer une borne informatique de gestion de station d’épuration et cela pour une société cliente A. Une fois la borne réalisée, le salarié soumet, au nom de la société qui l’a embauché, une offre préliminaire à la société A. Peu de temps après, il soumet une autre offre sur le même projet à la même société cliente mais au nom d’une autre société avait qui il était entré en contact. Le dirigeant de la société a porté plainte pour abus de confiance. La Cour de cassation a considéré qu’il y avait abus de confiance parce qu’il y a eu détournement au profit d’un tiers d’un projet qui, dès sa réalisation, était propriété de son employeur et dont le salarié n’était que détenteur. Non seulement on applique l’abus de confiance à un projet mais en plus la Cour de cassation dit qu’il fait l’objet d’un droit de propriété. Arrêt très intéressant.

b. Les caractères de la remise

Cette remise doit être volontaire. Elle peut être matérielle mais aussi juridique (c'est la traditio de brève main). Cette remise doit être précaire. C'est le caractère fondamental, essentiel, inhérent à ce délit. Celui à qui la chose a été remise n’en est que le détenteur précaire. Impact de la réforme du Code pénal : sous l’ancien code, figurait à l’article 408 une liste limitative de 6 contrats causes de la remise : louage, dépôt, mandat, nantissement, prêt à usage (commodat), travail salarié ou non salarié sur la chose ou grâce à la chose. Ces contrats devaient avoir été la cause juridique de la remise. D’où exclusions : le prêt de consommation (qui emporte transfert de propriété), la vente, le contrat de société, l’échange, le contrat d’entreprise.

Hésitations aussi : pas d’hésitation pour la vente (qui emporte transfert de propriété ; celui à qui la chose a été remise est non seulement détenteur mais aussi possesseur), mais hésitation pour le crédit-bail. On met en avant le contrat de louage (assorti d’une promesse unilatérale de vente) et qui va se transformer en vente au moment de la levée d’option. On fait prévaloir la bail, donc il peut donner lieu à abus de confiance (crim., 1979). Quid dans la location-vente ? Quel aspect l’emporte ? On a mis en avant le caractère de contrat de louage. Difficulté face à des opérations juridiques plus complexes : la convention de compte courant contient-elle ou non un contrat de mandat ? Réponse de principe négative. Quid pour le contrat obsèques ?

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Peut-on y voir un abus de confiance si les funérailles ne sont pas organisées comme prévu ? Réponse négative. C'est une simple avance sur rémunération du travail à fournir. Ça ne peut donner lieu à poursuites pour abus de confiance.

La réforme du Code pénal est passée par là. Elle a supprimé cette liste limitative de 6 contrats pour lui substituer la formule suivante : elle vise les « biens remis et acceptés à charge de les rendre, représenter ou d’en faire un usage déterminé ». Attention, la formule est plus large donc c'est une loi pénale plus sévère. Elle s’appliquera aux faits commis avant le 1er mars 1994. A propos de l’abus de confiance, la jurisprudence retarde le point de départ du délai de prescription ; il est possible que l’article 408 trouve encore à s’appliquer dans certains dossiers.

C'en est fini du travail de qualification d’un contrat sui generis ou innommé par les juges pour savoir s’il relève ou pas de la liste. Egalement du travail de déqualification. L’office du juge est désormais beaucoup plus simple : indépendamment de la qualification donnée au schéma contractuel, ce travail va être de rechercher les obligations générées par ce contrat pour apprécier si parmi ces obligations générées il y a celle e rendre, représenter ou faire un usage déterminé. Ça va être une analyse non pas de la qualification contractuelle mais des obligations contractuelles. Ça va inclure les anciens contrats qui portent en eux une remise à titre précaire. Mais on peut très bien aujourd'hui trouver une telle obligation dans un contrat d’échange, de société ou d’entreprise.

« Rendre » : restituer la chose. Hypothèse d’une détention précaire.« Représenter » : pouvoir la montrer à 1ère demande (cas du dépositaire).« En faire un usage déterminé » : c'est plus flou.

En tout état de cause, reste l’exigence fondamentale d’une remis qui n’opère pas transfert de propriété ou transfert de possession du bien. Celui qui en bénéficie n’est que détenteur précaire, il n’a pas la libre disposition des biens.Cour de cassation 26/01/2005 à propos des honoraires d’un avocat. Il avait fait signer une note d’honoraires s’agissant de rédiger une plainte. Une certaine somme est versée à titre de provision. Il avait encaissé ses sommes et finalement, son client avait résilié le mandat. Refus de restituer les sommes. Plainte pour abus de confiance contre l’avocat. Le Tribunal correctionnel l’a condamné pour abus de confiance et cet arrêt est cassé parce que cette remise de provision était en quelque sorte le paiement anticipé d’une prestation de travail à fournir. Il y avait bien eu transfert de propriété des sommes. La non exécution du travail convenu renvoie à la responsabilité civile contractuelle (mais pas de responsabilité pénale). Pourtant, la Cour d’appel avait relevé que les sommes avaient été remise afin d’en faire un usage déterminé. Les discussions sont là ; pas d’arrêt très clair.

Bilan : L’accipiens n’est qu’un détenteur précaire.

3 précision finales : la preuve de l’existence du contrat préalable, cause de la remise, peut se faire pas tout moyen. C'est le droit commun de la preuve.

Cour de cassation 18/10/2000 : l’abus de confiance ne suppose pas nécessairement que la chose détournée ait été remise en vertu d’un contrat. Elle comprend qu’il puisse y avoir également abus de confiance alors que la chose a été remise en vertu d’une décision de justice (ex : séquestre). On espère que c'est ça qu’elle veut dire : que c'est de l’existence d’un contrat au sens de formalisation de l’échange des consentements qu’il s’agit, et non pas de tous les échanges de consentement au sens large. Pas de suites sur cet arrêt.

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Question de l’autonomie du droit pénal : indifférence de la nullité ou de l’illicéité du contrat, qui n’empêchent pas des poursuites pénales pour abus de confiance. Celui qui est poursuivi ne peut se prévaloir de la nullité du contrat qui a causé la remise pour justifier le refus de restitution. Est-ce que l’obligation de restitution faisant suite à la résolution du contrat et le refus d’effectuer cette restitution entraîne abus de confiance ? Ce serait aller trop loin ; on n’est plus dans l’exécution du contrat, on est dans les suites de son anéantissement. La majorité de la doctrine répond donc par la négative.

2. Le détournement du bien

L’ancien Code pénal visait « détournement » ou « dissipation ». Le nouveau code ne vise que le détournement. Pas d’impact. La dissipation, c'est faire disparaître l’objet. Mais ce n’est que la forme ultime d’un détournement. Cet élément matériel consomme le délit d’abus de confiance. Il est ultimement et définitivement consommé par le détournement. Les événements postérieurs sont indifférents.

Ex : 17/11/2004. Les parents d’un artiste décédé avaient confié l’exploitation des œuvres de leur fils à une galerie d’art. L’exploitant de la galerie n’avait pas reversé la portion qui revenait aux parents. Poursuite puis transaction. L’exploitant ne verse pas les sommes dues au titre de la transaction. Poursuite. Relaxe au vu de la transaction intervenue, qui a ôté le caractère délictueux. Cassation ; ce qui a consommé le délit, c'est le détournement.

Le détournement peut prendre différentes formes : non-restitution ou usage abusif.

a. Abus de confiance et non-restitution

1ère hypothèse : refus de restituer. Il y a bien entendu détournement. Il y a volonté d’appropriation injuste qui renvoie à une interversion de possession, par opposition au détenteur matériel pour qui c'est une usurpation de possession. C'est toute la différence entre le voleur (détenteur matériel qui usurpe la possession s’il refuse de la restituer) et celui qui commet un abus de confiance (il est détenteur précaire ; il détend en vertu d’un titre mais il refuse de restituer).

Pas de difficulté sauf 2 hypothèses : quand le prévenu va, pour se défendre, invoquer des mécanismes du droit civil. C'est tout d’abord le droit de rétention qui l’autoriserait à conserver la chose entre ses mains. C'est ensuite le mécanisme de la compensation avec une créance qu’il détiendrait sur le solvens. La chambre criminelle se montre très réticente à admettre le jeu de ces deux mécanismes.

2ème hypothèse : l’impossibilité de restituer. Ex : hypothèses de dissipation matérielle. La chose a été perdue ou détruite. Ça peut être aussi une dissipation juridique, à titre onéreux (vente) ou gratuit (donation). Dans ces hypothèses, s’agissant de la dissipation juridique, on y verra le plus souvent un détournement. Les difficultés peuvent naître à propos d’une dissipation matérielle parce que tout simplement, cette perte ou détérioration peut être fortuite. Cause étrangère de force majeure qui fera perdre le caractère intentionnel, élément constitutif du délit. On aura de la responsabilité contractuelle (question des risques) mais pas de responsabilité pénale.

S’agissant de ce délit d’abus de confiance, il y a une très forte imbrication entre l’élément matériel qu’est le détournement et l’élément intentionnel. Il y aura un

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détournement coupable selon les circonstances de l’espèce et selon qu’il y a ou pas intention coupable établie. La Cour de cassation va même assez loin sur ce terrain là puisqu’elle considère que se placer dans l’impossibilité de restituer, voire même prendre le risque de ne pouvoir représenter ou restituer, est constitutif du détournement. Ex : crim. 3/07/1997. La compagnie Air France avait confié à une société le soin de vendre des billets de transport, à charge d’en représenter périodiquement le prix. Cette société avait sous-traité à une agence qui avait finalement défailli (liquidation). Cette défaillance du sous-traitant l’avait donc empêchée de représenter les sommes à Air France. La Cour de cassation considère qu’il y a eu détournement parce que le directeur de l’agence n’avait en quelque sorte pas vérifié la solvabilité du sous-traitant. L’agence a disposé (prérogative du propriétaire) ; elle s’est comportée comme maître de la chose. Donc il y a interversion de possession. « L’agence a disposé des titres de transport comme les siens propres dans des conditions dont elle devait prévoir qu’elles l’empêcheraient de les rendre oud d’en restituer le prix ». La CA a ainsi « caractérisé le délit en ses éléments aussi bien matériels qu’intentionnels ». D’où imbrication de l’élément matériel et de l’élément intentionnel.

b. Abus de confiance et usage abusif

1ère hypothèse : l’usage non conforme. A titre de principe, l’usage du bien non conforme aux stipulations contractuelles ne constitue pas en lui-même un fait de détournement. Le simple fait de faire un usage non conforme à celui prévu ne suffit pas à établir le détournement (énorme solution de principe). Tout usage abusif n’est pas constitutif d’un détournement au sens de l’art. 314-1. Un usage non conforme tout bête relève de la responsabilité contractuelle.

Il faut différencier l’usage simplement différent de celui prévu et l’usage qui porte en lui la méconnaissance des droits du propriétaire. C'est une question d’intensité. Il va falloir étudier au cas par cas l’usage qui en est fait. Est-ce que la personne s’est comportée ou pas en maître de la chose ? Appréciation au cas par cas du civiliste.

Dernière hypothèse : le retard à restituer. Le simple retard à restituer ne suffit pas nécessairement à établir le détournement coupable. L’abus de confiance est un délit intentionnel ; le simple retard peut tenir à une négligence. Donc pas d’abus de confiance. Quid du rôle de la mise en demeure ? La Cour de cassation répète constamment (17/11/2004 notamment) que la mise en demeure n’est ni une condition nécessaire ni une condition suffisante du délit. Ça signifie qu’il peut y avoir détournement coupable par retard même sans mise en demeure. Inversement, un retard dans le paiement peut être punissable alors même qu’il n’y aura pas eu mise en demeure. Précaution élémentaire : faire une mise en demeure parce qu’elle fera plus facilement basculer de la simple négligence au retard volontaire. Mais il faudra encore compter avec l’appréciation des autres éléments de l’espèce.

3. L’intention coupable

L’intention coupable est bien évidemment requise ; l’abus de confiance est un délit intentionnel. Quant à la preuve de l’élément intentionnel, le plus souvent, elle se déduira des circonstances de l’espèce. La Cour de cassation accepte que les juges du fond fassent découler cette preuve de l’intention coupable des éléments de fait.

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Ex : 6/09/2000 à propos du greffe d’un tribunal de commerce. Les sommes qui transitent étaient restituées avec un retard excessif et systématique. La Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir estimé que ce caractère excessif et systématique caractérise un détournement (élément matériel) d’où se déduit l’intention délictueuse.

On a une imbrication élément matériel / élément intentionnel. L’élément intentionnel va être éclairé par les circonstances de fait qui caractérisent le détournement. Or ci-dessus, on caractérise le détournement à parti de l’élément intentionnel. D’où une totale imbrication, spécificité de ce délit.

4. Le préjudice

L’article 314-1 vise spécifiquement le détournement commis au préjudice d’autrui. L’ancienne formule visait plutôt le propriétaire ou le possesseur. Donc cet autrui peut être non seulement le propriétaire ou le possesseur légitime mais aussi (Cour de cassation 6/03/1997) celui qui était simple détenteur. En l’espèce, un employé détournait des chèques établis par des clients du cabinet à l’ordre du Trésor public. Est-ce que l’employeur peut se prévaloir d’un préjudice justifiant son action civile ? La Cour de cassation a répondu par l’affirmative ; l’employeur pouvait se constituer partie civile.

B. La répression

1. Les degrés de la répression

L’abus de confiance simple expose à une peine d’emprisonnement de 3 ans (c'est moins que l’escroquerie ; c'est l’équivalent du vol) et une peine d’amende de 375000 euros. Il y a toute une série de peines complémentaires. La responsabilité pénale des personnes morales est prévue (1,75 million).

L’abus de confiance aggravé. Du côté de l’auteur, les circonstances aggravantes = personne faisant appel au public aux fins d’obtenir la remise de fonds ou de valeurs soit pour son propre compte soit comme dirigeant de droit ou de fait d’une entreprise industrielle ou commerciale. La peine passe à 7 ans d’emprisonnement et 750000 euros d’amende. C'est la même peine pour une autre circonstance aggravante : toute personne qui, de manière habituelle (à partir de 2), se livre ou prête son concours, même à titre accessoire, à des opérations sur les biens des tiers pour le compte desquels elle recouvre des fonds de valeur. C'est l’abus de confiance commis par un agent d’affaires.

Toujours pareil pour 2 nouvelles circonstances aggravantes (loi Perben II), du côté de la victime : elle peut être soit une association qui fait appel au public en vue de collecte de fonds à des fins d’entraide humanitaire soit une personne particulièrement vulnérable…

Dernière circonstance aggravante qui expose à 10 ans d’emprisonnement (maximum de la peine correctionnelle) et 1,5 million d’euros : lorsque l’auteur est un mandataire de justice ou un officier public ou ministériel ; délit commis dans l’exercice de ses fonctions ou en raison de sa qualité. Avant, c'était un crime. Un notaire qui faisait cela relevait de la Cour d’assises. L’infraction a été correctionnalisée.

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2. Les particularités de la répression

Il n’y a pas de tentative d’abus de confiance. C'est normal ; l’élément matériel ne laisse pas de place pour le détournement.

La prescription : c'est à propos de l’abus de confiance qu’est née cette classification purement prétorienne d’infractions occultes, clandestines. Retardement du point de départ du délai de prescription du jour où l’infraction est apparue et a pu être constaté dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique. L’idée est très simple : qui dit abus de confiance dit confiance, qui justifie qu’on ne se préoccupe pas de savoir si la personne avait toujours la chose entre les mains. Adaptation de l’adage « contre ceux qui ne peuvent agir, la prescription ne court pas ».

L’action civile est ouverte non seulement au propriétaire ou au possesseur du bien détourné mais également au détenteur de ce bien, le détournement ayant été commis par un de ses salariés. Arrêt confirmé : Cour de cassation 5/03/2003 : « l’abus de confiance peut porter préjudice tant au détenteur qu’au propriétaire des effets détournés ».

IV. Les infractions voisines de l’abus de confiance

Art. 314-5 : détournement de gage ou d’objet saisi. L’auteur du détournement est le propriétaire de la chose qui est gagée ou qui a été saisie par un tiers. Alors que cet objet est gagé ou a été saisie, le propriétaire va le garder ou le détruire. Pour le reste, pas de grande difficulté. S’agissant du gage, l’infraction jouera que le gage soit avec dépossession ou sans dépossession (ex : gage d’un véhicule automobile). Il peut y avoir abus de confiance alors qu’il est propriétaire est que la chose est entre ses mains, dès lorsque le propriétaire accomplira sur la chose un acte portant négation des droits du créancier gagiste (ex : abandon du véhicule sur la voie publique ou destruction). Peu importe ici la validité ou non du gage (autonomie du pénal).

Et la solution est la même s’agissant du détournement de l’objet saisi. Mais la saisie peut porter sur un bien mobilier comme immobilier, corporel comme incorporel (contrairement au gage, qui ne peut porter que sur un bien corporel). Cour de cassation 24/09/1997 : il y a détournement d’objet sais s’agissant d’une vente de parts sociales rendues indisponibles par une saisie-arrêt effectuées entre les mains de la société. La nullité de la saisie est indifférente. La tentative est incriminée. La peine encourue est de 3 ans et 375000 euros d’amende.

L’organisation frauduleuse de l’insolvabilité : infraction fréquente dans la vie des affaires. Au civil, il y a déjà l’action paulienne ; alors pourquoi ce délit ? Spécificité : la dette à laquelle on va tenter d’échapper est une dette d’origine judicaire. Infraction d’origine assez récente : 1983. C'était une loi destinée à renforcer la protection des victimes d’infractions. Art. 314-7 du Code pénal. Cela suppose une condamnation judiciaire de nature patrimoniale. Fait de se soustraire à l’exécution de certaines condamnations : celles prononcées par une juridiction répressive ou par des juridictions civiles en matière délictuelle, quasi délictuelle ou d’aliments. Et le Code pénal assimile les décisions judiciaires et les conventions homologuées portant obligation de verser des prestations, des subsides ou des contributions aux charges

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du mariage. Ce texte exclut de ses prévisions les condamnations civiles en matière contractuelle.

Quant aux éléments constitutifs proprement dits, c'est l’organisation ou l’aggravation de l’insolvabilité. L’art. 314-7 incrimine dans les mêmes termes tous les actes destinés à se soustraire à cette exécution, qu’ils soient le fait du débiteur lui-même ou le fait d’un dirigeant de droit ou de fait d’un débiteur personne morale. Le texte va plus loin encore : il vise le fait d’organiser ou d’aggraver son insolvabilité mais il précise de quelle manière : soit en augmentant le passif ou en diminuant l’actif de son patrimoine soit en diminuant ou dissimulant tout ou partie de ses revenus. Cela va se réaliser lorsqu’il y aura des actes à titre gratuit mais aussi les actes à titre onéreux (ventes à prix dérisoire, cessions fictives). Là où on va peut-être trop loin : Cour de cassation 1/02/1990 : acte de démission d’un emploi salarié. Il faut espérer que les circonstances de l’espèce le justifiaient, sinon on peut se demander jusqu’où on va aller.

Autre point commun avec l’abus de confiance : imbrication entre l’élément matériel et l’élément intentionnel. C'est un délit intentionnel qui suppose l’intention coupable (frauduleux). Connaissance par le débiteur de la condamnation pécuniaire le frappant et dol spécial : intention de se soustraire à l’exécution de cette condamnation. Logiquement, cette fraude ne devrait concerner que des actes accomplis postérieurement à la décision de condamnation. Mais parfois, il y a des anticipations ; ils n’attendent pas forcément la décision. Le législateur appréhende donc également les actes accomplis antérieurement à la décision de condamnation ; l’exigence sur l’intention coupable devra alors être renforcée : il faudra établir la prévision frauduleuse du débiteur potentiel qui va mettre à profit la procédure pour organiser son insolvabilité.

La répression : que le débiteur soit une personne physique ou le dirigeant d’une personne morale, la peine est la même : 3 ans, 45000 euros d’amende. Toute une série de peines complémentaires, notamment confiscation et affichage. La responsabilité pénale des personnes morales est prévue.

3 précisions à propos de ce délit : Quant à la prescription : elle ne court qu’à compter de la condamnation

à l’exécution de laquelle on a tenté de se soustraire, même si les agissements délictueux lui sont antérieurs. Même idée dans l’alinéa 3 de l’art. 314-8 : la prescription ne court qu’à compter du dernier agissement lorsque celui-ci est postérieur à la condamnation. Om l’on voit également le souci répressif.

Quant au jeu cumulé des peines : quand la condamnation de nature patrimoniale est prononcée par une juridiction répressive, le tribunal statuant sur le délit d’organisation frauduleuse peut décider que la peine qu’il prononce ne se confondra pas avec celle qui a déjà été prononcée. Il y aura cumul des peines. La juridiction peut décider que le complice de l’organisation sera tenu solidairement aux obligations pécuniaires auxquelles l’auteur a voulu se soustraire dans la limite des faux ou valeurs qu’il aura reçus à titre gratuit ou onéreux dans cette organisation.

§2. De quelques autres atteintes aux biens

I. Le recel

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Infraction très intéressante à étudier et important à connaître parce que c'est une incrimination clé dans l’arsenal répressif. Infraction à visages multiples ; on peut être receleur par faiblesse, par sympathie, par hostilité foncière aux institutions, aux autorités publiques, mais aussi par esprit de lutte, par appât du gain. Il y a le recel occasionnel et le professionnel receleur. C'est surtout lui que l’on veut atteindre. Adage : c'est le receleur qui fait le voleur. Idée : frapper en aval. Dans cette idée est intervenue une loi du 30/11/1987 qui est venue frapper plus sévèrement non seulement les receleurs professionnels mais aussi les professionnels receleurs, c'est-à-dire ceux qui, par l’exercice de leurs fonctions, ont des facilités pour receler (écouler, dissimuler des produits d’infractions). Cette loi comporte un volet préventif en matière de vente ou d’échange de certains biens mobiliers, pour ceux qui en font leur activité professionnelle (notamment tenue d’un registre obligatoire).

Le recel est également intéressant par l’évolution de son incrimination. Très longtemps, il ne fut pas un délit autonome. Le receleur était poursuivi et puni comme complice du voleur. Idée : l’associer dans la répression à celui avec qui il était associé dans le délit. Cette solution avait plus d’inconvénients que d’avantages. Le complice intervient antérieurement, voire concomitamment à la réalisation de l’infraction. Le receleur intervient postérieurement, et le plus souvent il ne sait même pas que le vol a été commis. Autres inconvénients pratiques : l’amende était dérisoire par rapport au profit escompté ou réalisé. Puisqu’il était complice du voleur, le receleur ne pouvait plus être puni quand l’infraction d’origine était prescrite (3 ans). Une loi de 1915 est venue donner son autonomie au délit de recel. Incriminé à l’ancien art. 460 ; aujourd'hui, art. 321-1 et suivants du nouveau Code pénal.

Ce délit est donc un instrument clé de l’arsenal répressif, pour 2 raisons : d’abord parce qu’il élargit le champ des personnes susceptibles d’être poursuivies à raison d’une infraction (et non pas pour une infraction). Par delà l’auteur et le complice, il pourrait y avoir un tiers à l’infraction : le receleur. Personne n’est à l’abri. Ensuite, pendant longtemps on n’est pas à l’abri ; la spécificité du recel est que c'est un délit continu. C'est toutes les conséquences de son autonomie.

A. Les éléments constitutifs

1. L’élément matériel

a. Les formes du recel

L’article 460 de l’ancien Code pénal disait qu’est receleur celui qui recèle. Ce qui aidait beaucoup à la compréhension de cet élément matériel.

Art. 321-1, alinéa 1er : conception traditionnelle mais déjà élargie : le recel détention. Conception matérielle du recel. La 1ère forme : fait de détenir (avoir la chose entre les mains), peu importe qu’on la détienne à titre onéreux ou à titre gratuit. Autre forme : fait de dissimuler. La détention peut être secrète, cachée. On ne détient pas au vu et au su. L’alinéa 1er est allé plus loin : il vise également l’hypothèse où la détention est très fugitive et instantanée : fait de transmettre la chose. Ce qui ouvre des perspectives importantes. Un banquier peut ne faire qu’une simple transmission (ou même toute personne physique qui transmet la chose). L’article vise aussi le fait de faire office d’intermédiaire afin de la transmettre. Là aussi, c'est énorme. Personne qui ne fait que mettre en contact, même si elle n’a pas vu la chose. La détention matérielle n’est donc pas toujours requise ; ce n’est qu’une des formes visées par l’alinéa 1er.

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L’agissement en question suffit ; il n’est pas nécessaire qu’il y ait eu recherche d’un profit personnel. Cour de cassation 27/10/1997, affaire Carignon : certaines des sommes dont il avait bénéficié avaient servi à éponger le passif d’une société dont il n’était ni dirigeant de droit ni dirigeant de fait. Il n’était pas intéressé à la société. Ça n’a pas empêché qu’il soit condamné pour avoir fait office d’intermédiaire afin de la transmettre. La Cour de cassation a rappelé que le profit personnel n’était pas nécessaire.

Cour de cassation 16/12/1997, affaire Emmanuelli : même chose : recel de trafic d’influence en sa qualité de trésorier d’un parti politique, alors qu’il n’avait tiré aucun profit personnel.

Sous l’empire de l’ancien Code pénal et au motif que l’article 460 était rédigé en termes généraux (c'est un euphémisme), on a pu assister à une interprétation extensive de ce délit par la Cour de cassation. Là aussi, c'est une illustration parfaite de l’interprétation extensive par dérogation au principe de l’interprétation stricte de la loi pénale. Car la jurisprudence, dans les années 1970, a donné une interprétation large de l’incrimination de recel et consacrant le recel profit. (crim. 9/07/1970) La Chambre criminelle sanctionne tous ceux qui, en connaissance de cause, ont, par un moyen quelconque, bénéficié du produit d’un crime ou d’un délit. Arrêt de référence. On a condamné pour recel une personne qui avait pris place dans une voiture qu’elle savait avoir été volée. On a donc là une interprétation très large. Autres applications, notamment en 1974 à propos du mari qui profite du train de vie luxueux que son épouse lui assure par des détournements frauduleux ou encore en 1979 à propos du mari d’une antiquaire.

Cette forme de recel profit ouvre des perspectives énormes. C'est de l’immatériel. Notamment perspective du recel d’usage ou du recel de consommation (24/10/1979). Contrefaçons, piratages… le recel a des perspectives immenses. Cour de cassation 1987 : celui qui va améliorer un bien grâce à des fonds provenant d’un délit (le beau-fils du maire d’Aix-en-Provence avait amélioré sa résidence secondaire avec les fonds fournis).

Cette jurisprudence a été consacrée à l’occasion de la réforme du Code pénal : art. 321-1, alinéa 2 qui consacre le recel profit : « constitue également un recel le fait, en connaissance de cause, de bénéficier par tout moyen du produit d’un crime ou d’un délit ».

b. La chose objet du recel

Eclairage 1er : la chose est d’origine frauduleuse. Elle provient d’un crime ou d’un délit. Il n’y a pas de précision d’un point de vue positif ; donc tout crime et tout délit. On a l’habitude de parler de recel à propos du vol, mais tout délit (émission de chèque sans provision, contrefaçon, violation du secret de l’instruction, violation du secret des correspondances…). Tous les crimes, tous les délits, mais pas les contraventions.

Sous cet éclairage fondamental, la condition est que cette infraction d’origine soit antérieure à l’agissement constitutif du recel. Ex : recel de filouterie de carburant : un passager savait parfaitement que le véhicule dans lequel il montait allait circuler avec du carburant frauduleusement obtenu.

Quelle doit être la nature de la chose ? Il s’agira le plus souvent d’un bien matériel : argent, bijoux, tableaux… et le plus souvent du bien matériel objet même de l’infraction d’origine. Mais le droit pénal fait ici application d’un mécanisme du droit

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civil : la subrogation réelle : le recel peut porter sur la chose qui a été substituée, qui a remplacé la chose objet même de l’infraction d’origine. Je vole une voiture, le receleur la vend ; il détient les fonds correspondant au prix de vente. Il sera receleur du bien substitué à la chose objet de l’infraction d’origine.

Ça participe du débat récurrent : peut-il s’agir d’un bien immatériel (dématérialisation des infractions contre les biens). Réponse de référence : 3/04/1995, affaire du Canard enchaîné. Les salariés de Peugeot, en grève, réclamaient une augmentation et le dirigeant refusait. Le journal sort le duplicata de sa feuille d’imposition qui révèle qu’il s’est accordé une augmentation de salaire importante. On a poursuivi les journalistes pour recel de violation du secret professionnel (même si on n’a jamais su qui avait violé le secret professionnel). Si recel de photocopie, la photocopie est un document matériel. Si recel d’information, peut-il y avoir recel d’information ? En 2005, à l’ère de l’immatériel, question centrale. La Cour de cassation rend un arrêt de principe en 1995 : « une information, quelle qu’en soit la nature ou l’origine, échappe aux prévisions tant de l’article 460 que de l’article 321-1 du nouveau Code pénal ». On a retenu le recel de photocopie de documents mais pas le recel d’informations.

2. L’élément intentionnel du délit

a. La preuve de l’intention coupable

Le recel est un délit intentionnel. C'est l’élément clé du recel. Le receleur n’ignorait rien de l’origine frauduleuse de la chose. C'est la connaissance de l’origine frauduleuse de la chose. La preuve se déduira la plus souvent des circonstances de l’espèce. Où l’on retrouve l’imbrication entre élément matériel et élément intentionnel. Ex : la dissimulation, l’achat à vil prix supposent souvent l’intention coupable. La Cour de cassation se montre souple sur ce point : il suffit que le prévenu ait eu des doutes sur l’origine frauduleuse ou pas du bien. Pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond.

Mais il n’y a pas de recel par imprudence ou par négligence.

b. L’époque de l’intention coupable

Si je possède un bien matériel et que je suis de bonne foi au moment où j’entre en possession : article 2279. Ultérieurement, j’en apprends l’origine frauduleuse. Je suis propriétaire du point de vue civil. Je suis receleur du point de vue pénal. Je suis receleur de la chose dont je suis propriétaire. Qu’est-ce qui va l’emporter ? Un des plus grandes heurts entre le pénal et le civil. Arrêt de Ch. crim. 1936 : une logeuse accepte un tapis pour paiement et on lui annonce finalement que ce tapis est volé. Dès lors qu’elle connaît l’origine de son propre tapis, c'est du recel. Condamnation pour recel.

24/11/1977 : ne saurait être coupable de recel l’acquéreur d’un bien mobilier lorsque la régularité de la possession et la bonne foi de cet acquéreur impliquent la réunion des conditions d’application de 2279 alinéa 1er. Le civil l’emporte sur le pénal.

Attention, on lira que la Cour de cassation est revenue sur cette position. Notamment 3/12/1984. Mais ici, les conditions d’application de 2279 du Code civil n’étaient pas réunies. Divergence d’analyse.

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B. La répression de l’infraction

1. Les degrés de la répression

Le recel simple est puni de 5 ans d’emprisonnement et de 375000 euros d’amende. NB : le vol simple n’est puni que de 3 ans d’amende et de 45000 euros d’amende. Les profits attachés à un recel peuvent être considérables. D’où la disposition selon laquelle la peine d’amende peut dépasser ce plafond pour atteindre la moitié de la valeur des biens recelés (art. 321-3). Peines complémentaires : privation de droits civils, civiques et de famille, interdiction d’exercer, fermeture des établissements, exclusion des marchés publics, interdiction d’émettre des chèques, confiscation de la chose, interdiction de séjour, affichage, etc. Les personnes morales sont d’ores et déjà visées (avant le 1er janvier 2006).

Recel aggravé : il peut être aggravé par lui-même, en tant que délit autonome. Circonstances propres à lui-même. Il en sera ainsi lorsque le recel a un caractère d’habitude. Quand il est commis en utilisant les facilités que procure l’exercice d’une activité professionnelle. Où l’on retrouve l’impact de la loi de 1987 (professionnel receleur). Recel en bande organisée. 10 ans de prisons, 750000 euros d’amende.

Circonstances aggravantes tenant à l’infraction d’origine : si elle expose à une peine d’emprisonnement supérieure à celle encourue au titre du recel, le receleur encourt cette même peine d’emprisonnement. Si l’infraction d’origine comporte des circonstances aggravantes, le receleur encourt les peines attachées aux circonstances dont il aura eu connaissance. Le receleur est ici mieux traité que le complice. Donc le recel peut parfois être une infraction criminelle, au regard des circonstances d’origine (ex : enlèvement d’enfant avec demande de rançon ; vol avec port d’armes). On parle alors de recel qualifié.

2. Les particularités de la répression

Infraction autonome mais aussi connexe. Le recel est assimilé à l’infraction d’origine en termes de récidive. La complicité de recel est punissable. Le nouveau Code pénal a tranché un point qui faisait controverse : il n’y a pas de bénéfice de l’immunité familiale pour le recel. La tentative n’est pas punissable. Mais elle peut être atteinte au titre des différentes formes de recel.

Caractère de délit connexe qui explique d’autres particularités, parfois défavorables au prévenu. Jonction des procédures (infraction d’origine et recel), paiement de dommages et intérêts. En principe, la solidarité quant au paiement des dommages et intérêts au profit de la victime est réservée aux personnes condamnées pour un même crime ou un même délit. La jurisprudence a étendu cette solidarité en cas d’infractions connexes, donc au recel. Le receleur peut être tenu d’indemniser la victime du vol. Peu importe qu’il n’y ait pas eu d’entente préalable entre l’auteur du vol et le receleur. En cas de recel partiel (le receleur n’a reçu ou ne détient qu’une partie des objets dérobés), la jurisprudence va distinguer selon que l’auteur de l’infraction d’origine a été identifié ou non. Si l’auteur de l’infraction d’origine a été identifié, le receleur est tenu de réparer l’intégralité du dommage. Sinon, le receleur ne doit indemniser qu’à proportion des objets détenus. Cette connexité peut avoir des conséquences plus favorables pour le prévenu, notamment

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si un texte supprime l’infraction d’origine. De même, si l’infraction d’origine bénéficie d’une amnistie de caractère réel et non pas personnel.

Particularités attachées au caractère autonome de ce délit : il importe peu que l’auteur de l’infraction d’origine n’ait pas été poursuivi ou n’ait pas encore été condamné ou ait été relaxé (pour des raisons subjectives). Le recel est punissable même si l’auteur de l’infraction d’origine est inconnu. Problèmes notamment lorsque la personne auteur de l’infraction d’origine est déterminante (ex : recel de violation de secret professionnel). Mais surtout, conséquence quant à la prescription : il importe peu que l’infraction d’origine soit prescrite. Le recel a donc son propre régime de prescription : le recel est l’archétype du délit continu. Le délai de prescription, qui est en principe de 3 ans (10 ans si recel qualifié), court à compter du jour où l’infraction a cessé. Ce sera donc notamment du jour où la détention a cessé. C'est facile pour un fait matériel comme la détention ; c'est plus difficile en cas de recel profit, qui peut être très immatériel.

Attention, dérogation à cette autonomie : la jurisprudence a redonné une certaine place à la connexité sur ce terrain : hypothèse où l’infraction d’origine est un abus de bien social. Cour de cassation, affaire Michel Noir (6/02/1997) et affaire Carignon : le recel du produit d’un abus de bien social ne saurait commencer à se prescrire avant que l’infraction dont il procède soit apparue et ait pu être constatée dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique. La prescription du recel ne peut commencer à courir, dans cette hypothèse, avant que ne commence à courir la prescription de l’infraction d’origine. Peut-être solution limitée au recel profit dont vient l’abus de bien sociaux. Ceci dit, la Cour de cassation a persisté dans un arrêt du 7/05/2002 à propos du produit d’un abus de confiance (mêmes règles de prescriptions).

II. La fraude informatique

Ce sont les atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données (STAD). Intrusion frauduleuse dans un système informatique d’une entreprise, actes de piratage ou de sabotage de données informatiques… de tels agissements sont très fréquents, courants et préjudiciables pour les entreprises. On ne peut les ignorer. La création de délits spécifiques est récente : loi Godfrain de 1988. Elle figure aujourd'hui aux articles 323-1 et suivants. Pas de modification profonde à l’occasion de la réforme du Code pénal.

A. La notion commune de «   système de traitement automatisé de données   »

Pas de définition légale. On a tendance à se référer à une définition sénatoriale (travaux préparatoires) qui évoquait un ensemble automatisé d’éléments de natures diverses (unités de traitement, mémoires, logiciels, données…) dont les relations entre les éléments résulte de la participation à un résultat déterminé. Le résultat en question est le traitement de données. C'est donc un système informatisé composé d’éléments de natures diverses et qui tendent à assurer le traitement de données. C'est ce qu’on appelle couramment un système informatique. Ex : le système de cartes bancaires est un STAD.

Cela réunit des éléments de natures diverses, aussi bien matériels (ordinateur, câbles de communication) qu’immatériels (algorithmes, informations

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codées). A travers la notion de STAD, le législateur a consacré une nouvelle universalité de fait. Conséquence de la relation entre ces différents éléments, qui sont reliés entre eux afin d’obtenir un résultat déterminé : le traitement de données. Dans les universalités de droit, il y a un actif et un passif indissolublement liés (patrimoine), ce qu’on ne retrouve pas dans une universalité de fait (c'est un ensemble). Chacun des éléments qui composent le STAD n’est pas protégé en tant que tel. Il n’est protégé qu’en tant qu’élément de cet ensemble. Le délit pénal n’est donc encouru qu’en cas d’atteinte à un élément intégré au STAD. Pas de protection ut singuli des éléments composant le STAD.

La définition sénatoriale avait été complétée par une autre exigence : que cet ensemble soit protégé par un dispositif de sécurité. La jurisprudence (notamment CA Paris, 1994) a écarté cette condition et il n’est pas nécessaire que l’accès soit limité ou protégé par un dispositif de sécurité. Il suffit que le maître du système informatique ait manifesté l’intention d’en restreindre l’accès à certaines personnes. Cette idée explique un arrêt CA Paris 30/10/2002, affaire Kitekoa. Un journaliste spécialisé dans les technologies de l’information avait décidé de déceler les failles des systèmes informatiques pour qu’elles soient corrigées. Par Netscape, il est parvenu à accéder au site internet de la société Tati et puis il a pu accéder à des données à caractère nominatif conservées par cette société. Il s’est rendu compte que n’importe qui pouvait accéder à des données à caractère personnel sur ce site. Il signale cela à la société et puis le divulgue dans un article. Poursuivi. Condamné en 1ère instance mais la CA de Paris a infirmé la condamnation en constatant qu’il ne peut être reproché à un internaute d’accéder aux données ou de se maintenir dans les parties d’un site qui peuvent être atteintes par la simple utilisation d’un logiciel grand public de navigation, ces parties de sites ne faisant l’objet d’aucune protection et de tout obstacle à l’accès. Arrêt discuté d’un point de vue juridique. Peut-être avons-nous là l’explication sur l’élément intentionnel (présence ou non d’un dispositif de sécurité).

B. Le détail des incriminations

Le délit principal est le délit de l’article 323-1, alinéa 1 qui incrimine l’accès OU le maintien frauduleux dans un STAD. La loi vise l’accès frauduleux. Ce sont tous les modes irréguliers de pénétration dans un système informatique. Dès lors qu’il y a pénétration irrégulière, que l’accédant travaille déjà sur la même machine mais à un autre système ou qu’il procède à distance, la loi s’applique. Elle vise aussi le maintien frauduleux. Le simple fait d’accéder suffit. Il peut y avoir délit par accès sans maintien. Mais surtout, le délit existera en l’absence d’un accès frauduleux mais en présence d’un maintien frauduleux. Ce qui est surtout intéressant, c'est notamment l’hypothèse où il y aura eu accès par négligence, par mauvaise manipulation, à un système auquel je n’ai pas voulu accéder. Cette incrimination du seul maintien frauduleux permet d’atteindre cette hypothèse d’accès involontaire suivi d’un maintien volontaire à une partie du système dans laquelle je sais que je ne dois pas me maintenir.

C'est l’incrimination de base. Peut-il y avoir vol d’information ? Magnifique débat. La question est de savoir si l’information peut faire l’objet d’une propriété. On a peut-être un délit obstacle en pénal. Pour ce délit, peu importe ce que l’on fait après l’accès ou le maintien. Captation d’information, visualisation d’information ; peu importe. Hirsoux y verrait bien un bon délit obstacle à la question du vol d’information.

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La loi sur la confiance dans l’économie numérique (LEN), 21/06/2004 a aggravé les sanctions encourues : 2 ans d’emprisonnement, 30000 euros d’amende. La peine passe à 3 ans et à 45000 euros quand de cet accès ou maintien frauduleux il sera résulté soit la suppression ou la modification des données contenues dans ce système soit une altération du fonctionnement de ce système. Ici, ce n’est pas volontaire. Lorsque c'était volontaire, des délits spécifiques sont prévus. Donc ce n’est pas du piratage ou du sabotage. C'est le curieux maladroit.

Les autres incriminations résultent du sabotage informatique. On retrouve : Art. 323-2 : atteinte volontaire au fonctionnement du système. Incrimine

le fait d’entraver ou de fausse le fonctionnement d’un STAD (virus informatiques). La peine a été aggravée : 5 ans d’emprisonnement, 75000 euros d’amende.

Art. 323-3 : atteinte volontaire aux données contenues dans le système. Fait d’introduire frauduleusement des données dans un STAD, d’en supprimer ou de les modifier. Même peine. Responsabilité pénale des personnes morales.

Art. 323-4 : application particulière du délit d’association de malfaiteurs pour les délits de fraude informatique. Incrimine la participation à un groupement ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’une ou plusieurs des infractions de fraude informatique précédemment étudiées. Délit très important dans la lutte contre le terrorisme, contre le blanchissement d’argent. Condamnation alors qu’on n’a pas commis le délit ; on a seulement participé. Il est indifférent qu’on ait soi-même commis l’acte ou pas. Les peines encourues sont celles applicables au délit en question.

La LEN est passée par là : art. 323-3-1 qui incrimine la fait, sans motif légitime, d’importer, de détenir, d’offrir, de céder ou de mettre à disposition un équipement, un instrument, un programme informatique ou toute donnée conçue ou spécialement adaptée pour commettre une ou plusieurs des infractions prévues aux articles 323-1 à 323-3. Foutage de gueule ; ça existe déjà et ça s’appelle la complicité par fourniture de moyens. On a tout ce qu’il faut dans l’arsenal répressif : en amont, la complicité par fourniture de moyens ; en aval, le recel.

Section 2   : Les atteintes à la confiance publique et à la probité

Livre IV du Code pénal.

Les atteintes à la confiance publique

Le délit de faux : moyen classique de commission d’une autre infraction : l’escroquerie. Sous l’ancien Code pénal, on distinguait les faux en écriture privée et de commerce et les faux dans les écritures publiques. Cette distinction n’est plus reprise dans le nouveau Code pénal.

I. Le faux de droit commun

Il est visé à l’article 441-1 du Code pénal. Héritier des articles 150 et 151 de l’ancien Code pénal, à ceci près qu’on a donné une définition générale du faux dans le nouveau code (ce qui est assez rare).

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A. Les éléments constitutifs

Art. 441-1 : Constitue un faux toute altération frauduleuse de la vérité de nature à cause un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit dans un écrit ou tout autre support d’expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d’établir la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des conséquences juridiques. On voit dans cette définition les éléments constitutifs et l’idée que le faux, au sens pénal du terme, est très lié au régime de la preuve.

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1. Une altération de la vérité

a. Les caractères de l’altération

Cette altération peut-elle résulter d’une simple abstention ? Le faux est normalement un délit d’action. La jurisprudence sanctionne à titre de faux l’omission ou l’abstention, notamment l’omission d’écritures dans la comptabilité d’entreprise (Cour de cassation, 25/01/1982).

Cette altération doit porter sur la substance de l’acte, c'est-à-dire sur des mentions essentielles que le document avait pour objet de constater ou de prouver. Il n’en serait pas ainsi de fausses déclarations qui n’appartiendraient pas à la substance de l’acte. Ex : ce n’est pas le cas pour la déclaration d’un décès qui se prétend faussement époux du défunt (ça n’altère pas la substance de l’acte). De même le fait pour l’un des futurs époux de se présenter comme faussement veuf dans un contrat de mariage.

b. Les formes de l’altération

La loi ne détaille plus les formes de cette altération. Aujourd'hui, on fait une classification d’origine doctrinale et consacrée en jurisprudence. Distinction entre le faux matériel et le faux intellectuel. Le faux matériel est la forme grossière d’altération de la vérité. Cela touche à l’aspect physique du document. L’altération va affecter physiquement le document et cela va donc se faire le plus souvent par intervention postérieure à la rédaction de l’acte. On va en transformer le sens ou rajouter. Dans cette hypothèse d’un faux matériel, le document va souffrir d’un défaut d’authenticité. Ce faux matériel peut être aisément constatable par les techniques d’expertise. Ce sera le fait d’une imitation de la signature d’une personne, existante ou imaginaire .L’infraction existe même si on a utilisé un faux nom, une signature illisible. Autre forme de commission du faux matériel : imitation de l’écriture d’un tiers, altération de cette écriture (raturage, suppression, ajout), plastification d’un document (ce qui va rendre effaçable l’oblitération, par exemple d’un ticket d’autobus), par contrefaçon sur support information d’un tampon du tribunal de commerce par exemple. Fabrication entière d’un document, contrefaçon de documents (fausse reconnaissance de dette, fausse promesse de vente…).

Précision : qu’il s’agisse de rédiger l’acte ou d’ajouter un mot, il y a faux alors même que le document ainsi modifié ou rédigé exprime la vérité. Cour de cassation, 1948, confirmé en 1994 ou encore le 3/06/2000 : un ancien syndic, à l’époque où il représentait un syndicat de copropriétaires, avait signé un contrat de travail rédigé par son successeur. Nul ne peut se constituer de preuve à soi-même. Peu importe que je fabrique une pièce conforme à l’original qu’on ne retrouve plus. Ou que je rectifie une erreur.

Le faux intellectuel est la forme plus subtile du faux. Il s’agit de mentions inexactes qui vont être incluses dans un écrit au moment même de sa rédaction. Il n’y a pas eu d’altération ultérieure. Ce n’est pas l’instrumentum qui est affecté ; c'est le négotium. Défaut de véracité et non plus d’authenticité. Ce qui est dit dans l’acte n’est pas conforme à la vérité. L’expertise ne peut le déceler ; il faudra des déclarations et témoignages extérieurs. Formes : supposition de personne (mention mensongère de la présence d’un individu dans un acte). Ex : notaire qui affirme faussement dans un acte authentique que des créanciers ont comparu devant lui.

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Entre également dans l’hypothèse la personne qui trompe sur son identité en prenant un faux nom dans un acte de déclaration. Autre forme : constatation de faits faux. Ex : Cour de cassation 1966 : un avocat, pour étoffer le dossier d’un de ses clients dans une affaire de divorce, fait écrire par sa secrétaire de fausses attestations. Dans cette affaire, c'est encore plus subtil car l’auteur du faux pourrait être la secrétaire (c'est alors un faux matériel) et on pourrait poursuivre l’avocat comme complice du faux matériel. Mais on peut aussi le poursuivre comme auteur du faux intellectuel. Autre forme : document dont le contenu ne correspond pas à la volonté réelle de son rédacteur ou de son signataire. Ex : hypothèses de testament à main guidée, fausse déclaration de vol.

2. Altération de nature à causer un préjudice

Il a toujours été admis que le faux suppose un préjudice. Mais si l’exigence est classique, la souplesse dans cette exigence l’est tout autant et la formule du nouveau Code pénal le montre très clairement puisqu’elle évoque « un faux de nature à cause un préjudice ». Il n’y a donc pas besoin que le préjudice soit né et actuel. Il n’est pas requis qu’un préjudice en soit effectivement réalisé. Il suffit qu’il ait pu en résulter. Le faux est une atteinte à la confiance que l’on doit avoir dans les documents, notamment les documents à valeur probatoire. C'est un délit-obstacle. Le préjudice éventuel suffit.

La Cour de cassation parle même d’un préjudice virtuel en ce sens qu’il est certaines hypothèses où le préjudice est réellement présumé. La Cour de cassation va dispenser les juges du fond de vérifier l’existence d’un préjudice, fût-il éventuel, dans certaines hypothèses où le préjudice découle nécessairement de la nature de l’écrit falsifié. C'est une sorte de présomption irréfragable de préjudice. On glisse alors vers un délit formel.

Question : dans quelle hypothèse va-t-on considérer que la nature particulière du document porte en elle la présomption d’un préjudice ? Toutes les hypothèses d’un faux en écriture publique ou authentique. Ex : falsification d’un permis de conduire (Cour de cassation nov. 1998). La Cour de cassation s’éloigne peu à peu de ce socle et notamment, elle va élargir le champ d’application de cette jurisprudence souple. Elle applique la même solution à des procès verbaux de conseils d’administration. Faux dans les écritures de commerce, dans les documents administratifs. Pour certains documents des feuilles de présence à des assemblées générales, etc.

Pour tout autre faux (ex : simple lettre missive, constat amiable…), l’exigence de la preuve d’un préjudice subsiste, mais il suffit qu’il soit éventuel.

3. L’intention coupable

Elle ne fait pas de doute ; c'est un délit intentionnel. Même si le texte ne le prévoit pas, c'est imposé indirectement par l’article 121-3. Mais ici, le texte parle d’une altération frauduleuse de la vérité. Pas de faux par imprudence ou par négligence. Notamment, Cour de cassation, crim., à propos d’un notaire qui avait manqué à ses obligations de vérification d’identité des parties. Ce seul manquement à une obligation professionnelle ne saurait constituer l’intention coupable. Le mobile est indifférent (droit commun) ; mais ici, peu importe qu’il se soit agi de rétablir la vérité. L’élaboration d’un faux document (même conforme à l’original qu’on a perdu) est quand même un faux. Nul ne peut se constituer de preuve à soi-même. Cour de

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cassation 6/02/2001 rappelle ce caractère intentionnel, à propos d’un médecin vétérinaire qui a été complice d’un pharmacien spécialisé et qui prescrivait des examens à des animaux qu’il n’avait même pas auscultés, ce qui permettait d’obtenir la délivrance de certaines substances. La Cour de cassation rappel que « constitue un faux l’acte fabriqué par une ou plusieurs personnes à seule fin d’éluder la loi et de créer l’apparence d’une situation juridique de nature à porter préjudice à autrui.

4. Le document falsifié

La nature du document : le nouveau Code pénal vise l’écrit mais aussi tout autre support d’expression de la pensée. Cet écrit peut être manuscrit, dactylographié, sténographié ou imprimé ; peu importe. Sous l’ancien Code pénal, seul l’écrit était visé (d’où les expressions de « faux en écriture ». Aujourd'hui, tout support est accepté. On a même supprimé l’incrimination spécifique de faux informatique.

La portée juridique du document : l’article 441-1 se situe dans le prolongement de l’exigence ancienne, c'est-à-dire un écrit ayant une valeur ou une fonction probatoire. Le lien est étroit entre l’incrimination de faux et le système juridique de la preuve. La formule de l’article 441-1 est un écrit (ou autre support) qui doit avoir pour objet ou pour effet d’établir la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des conséquences juridiques. C'est l’idée que l’on exprime à travers l’expression consacrée qu’il doit s’agir d’un « document valant titre ». Il doit constituer un titre (au sens probatoire du terme) sur la base duquel on fera valoir un droit ou exercer une action en justice. Le document doit faire foi.

Applications : jurisprudence sinueuse. Il ressort de l’étude de la jurisprudence que n’est pas un écrit valant titre le document établi par le déclarant en sa propre faveur (nul ne peut se constituer une preuve à soi-même). De même pour l’altération d’un document n’ayant pas de valeur probatoire, qui ne crée pas d’obligation à la charge de quiconque. Ex : une lettre de change ayant pour débiteur un tiers imaginaire, un télégramme signé d’un faux nom, acceptation d’un effet de commerce non accepté par le tiré (Cour de cassation 5/11/1998). Il a de même été admis en 1988 qu’une reconnaissance mensongère d’un enfant naturel dans un acte de naissance ne constitue pas un faux parce que cette reconnaissance de paternité peut être contestée par certaines personnes, y compris l’auteur lui-même (art. 339 Code civil). Ne tombe pas non plus sous le coup de l’incrimination de faux la production en justice de conclusions contenant des allégations mensongères, ces conclusions étant soumise au principe du contradictoire et à la libre appréciation du juge. Il en va autrement pour l’altération d’un document émanant de l’adversaire.

De façon plus générale, doivent être exclus de la catégorie des titres dont la falsification est punissable les écrits qui ne constituent que des déclarations unilatérales sujettes à vérification ; ces déclarations ne créent pas de droits et n’ont en elles-mêmes aucune valeur probatoire (conclusions, mémoires, décomptes, factures). Une facture que l’on reçoit, même si elle majore le coût horaire, n’est pas un faux au sens de l’article 441-4. La Cour de cassation fait parfois une nuance, notamment entre commerçants (preuve libre) : lorsque le débiteur lui donne suite et après paiement l’inscrit en comptabilité comme justification de la sortie d’argent. La facture devient alors un écrit valant titre. Ce n’est qu’à cette condition que cette

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fausse facture pourra être considérée comme un faux (Cour de cassation, 19/09/1995). Même solution de principe pour la note d’honoraires : ce n’est pas un écrit valant titre. Même nuance aussi ; Cour de cassation 9/03/2005. Dans cette hypothèse, une note d’honoraires présentée par un commissaire priseur était fondée sur l’application des tarifs minimaux prévus par la loi, ce qui la rendait indiscutable (en tous cas en apparence). C'était alors devenu un écrit valant titre.

Cour de cassation, crim. 7/09/2005 : la Cour de cassation érige en écrit valant titre un bulletin de paye. Un employeur avait mentionné sur le bulletin de paye que le salarié se trouvait en congé payé alors qu’il était en congé maladie. Pourvoi : le bulletin de paye n’est pas un écrit qui vaut preuve. La Chambre sociale avait procédé à un revirement en 1999 à propos de la valeur probatoire du bulletin de paye. Avant, il emportait présomption de paiement des sommes y figurant. Depuis 1999, cette présomption a disparu. Valeur probatoire aux yeux de la Chambre criminelle mais pas aux yeux de la Chambre sociale.

S’agissant de cette portée probatoire de cet écrit valant titre, la Cour de cassation se montre beaucoup moins exigeante lorsqu’on est en présence d’un faux matériel : elle écarte (1964, 1968) plus ou moins cette exigence d’un écrit valant titre. 1964 : pour obtenir le droit d’installer une enseigne lumineuse, quelqu'un avait imité la signature du syndic de copropriété sur un document. La solution n’est plus certaine sous l’empire du nouveau Code pénal.

NB : le faux est souvent un moyen de commission d’une autre infraction (infraction but / infraction moyen).

B. La répression

3 ans, 45000 euros. Toute une série de peines complémentaires (article 441-10), notamment privation de droits civiques, civils et de famille, interdiction d’exercer, exclusion des marchés publics. La responsabilité pénale des personnes morales est d’ores et déjà prévue. La tentative est incriminée.

La prescription : le faux est un délit instantané qui se consomme au jour de l’altération de la vérité. Passé le délai de 3 ans, le faussaire ne peut plus être poursuivi. Mais avec le faux, il y a la répression de l’usage de faux. L’usage de faux peut prendre le relais pour poursuivre le faussaire ou celui qui utilise le document. L’enjeu est de taille. Faux et usage de faux sont des délits distincts. Pour le faux, il suffit qu’il y ait eu altération, même si le faussaire n’en a pas fait usage. La faux existe indépendamment de l’usage qu’on en fait. S’agissant du délit d’usage de faux, c'est un délit continu. La prescription ne commencera à courir que du jour où l’usage cessera. Peines identiques pour l’usage de faux.

II. Les faux légalement qualifiés

Ce sont des faux spécifiquement visés par la loi.

A. Les faux documents

1. Le faux commis dans un document administratif

Article 441-2 du Code pénal. Document particulier. La loi vise un faux commis dans un document délivré par une administration publique. L’article 441-2 reprend la

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formule de l’article 441-1 quant à la finalité du document : il a été délivré aux fins de constater un droit, une identité ou une qualité ou accorder une autorisation. Ex : passeports, cartes d’identité, permis de conduire, certificat de naissance, permis de conduire… Cour de cassation décembre 2004.

Ce n’est pas n’importe quel document ; la sanction est plus sévère : 5 ans, 75000 euros. Circonstances aggravantes : commis de manière habituelle ; aux fins de faciliter la commission d’un crime ou de procurer l’impunité à son auteur ; lorsqu’elle aura été commise par un agent public.

A cette incrimination principale se greffent un certain nombre d’incriminations spécifiques : l’art. 441-3 vise spécifiquement la détention frauduleuse d’un tel document. On pourrait se contenter du recel, mais intérêt : lorsque le détenteur est celui qui a falsifié lui-même le document. L’art. 441-5 incrimine spécifiquement vise le fait de procurer frauduleusement un tel document à autrui. Un autre délit complémentaire : l’art. 441-6 incrimine spécifiquement le fait de se faire délivrer un tel document par un moyen frauduleux. Joue notamment dans les hypothèses de mariage fictif (pour obtenir un titre de séjour).

2. Le faux commis dans une écriture publique ou authentique

C'est plus grave encore que le faux délivré par l’administration. Les écritures publiques sont les écritures gouvernementales et judiciaires (jugement, sentence, assignation, actes d’état civil). Art. 441-4. 10 ans, 150000 euros.

Cour de cassation 30/04/2003 : on a appliqué ce délit à une hypothèse de rectification opérée sur les notes destinées à l’établissement du registre des délibérations du conseil municipal (et non pas sur le registre lui-même).

Cour de cassation 28/10/2003 : un policier qui altère la vérité d’un procès verbal commet le délit.

L’article 441-4 vise également les faux commis dans les enregistrements ordonnés par l’autorité publique (notamment écoutes). C'est criminalisé si ça a été commis par une personne exerçant une fonction publique (dépositaire de l’autorité publique).

B. Les faux certificats

Articles 441-7 à 441-9.

1. Etablissement et usage de faux certificats

1 an, 15000 euros. L’art. 441-7 incrimine le fait d’établir une fausse attestation ou un faux certificat faisant état de faits matériellement inexacts. Ex : l’avocat faisait établir de fausses attestations par sa secrétaire pour un contentieux. Est visé le fait d’établir une telle attestation ou un tel certificat, mais également le fait de les falsifier. De même le fait d’user d’un tel certificat ou attestation falsifié.

2. La délivrance de faux certificats par corruption

Art. 441-8 alinéas 1 et 2 : 2 ans d’emprisonnement, 30000 euros d’amende. L’alinéa 3 de l’article vise spécifiquement le faux certificat médical.

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2ème partieLe recours à des incriminations spécifiques

Chapitre 1 : Les infractions commises par des personnes exerçant une fonction publique

Changement de figure radical mais on est toujours dans le Code pénal. Titre III du livre IV, qui vise les crimes et délits contre la nation, l’Etat et la paix publique. Le titre III vise les atteintes à l’autorité de l’Etat. Chapitre 2 : les atteintes à l’administration publique commises par une personne exerçant une fonction publique. Section 3 : Des manquements au devoir de probité. Nous sommes en plein dans la vie des affaires.

Section 1   : Les agents concernés

C'est un passage obligé car ici, les infractions vont toutes avoir un point commun : la qualité particulière de leur auteur. Sous l’empire de l’ancien Code pénal, de multiples appellations étaient utilisées : fonctionnaire public, agents préposés du gouvernement… elles ont disparu. Dans le nouveau Code pénal, on trouve des formules plus claires et condensées.

Cette qualité particulière est ici un élément constitutif de l’infraction ou à tout le moins une condition préalable de celle-ci. On la retrouve dans d’autres articles, y compris des infractions de droit commun, mais elle est alors une circonstance aggravante et non un élément constitutif.

Il y a une trilogie. Trois formules sont utilisées quasi systématiquement dans les articles : les personnes dépositaires de l’autorité publique, les personnes chargées d’une mission de service public et les personnes munies d’un mandat électif (public).

Personne dépositaire de l’autorité publique : personne qui est titulaire d’un pouvoir de décision et de contrainte sur les individus et les choses qu’elle manifeste dans l’exercice de ses fonctions permanentes ou temporaires dont elle est investie par délégation de la puissance publique (définition VITU).

Il s’agit des représentants de l’Etat au plus haut niveau (chef de l’Etat, ministres, secrétaires publics, préfets, représentants de la France à l’étranger : ambassadeurs, consuls), des fonctionnaires de l’Etat. On exige quand même qu’ils disposent d’un certain pouvoir d’autorité (membres de l’administration fiscale, fonctionnaires de la police et de la gendarmerie, des douanes, commissaire de police, enseignants, inspecteurs du permis de conduire, fonctionnaires des collectivités territoriales…).

Personne investie d’un mandat électif public : nos élus (députés nationaux, européens, membres des conseils régionaux), élus de certains établissements publics et administratifs (chambres de commerce et de l’industrie).

Personne chargée d’une mission de service public : personnes qui, de par leur statut légal ou règlementaire, sans disposer de pouvoir d’autorité publique, vont être

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chargées, à titre temporaire ou permanent, d’exercer une fonction ou d’accomplir des actes ayant pour but de satisfaire un intérêt général.

L’ancien article 177 qui visait les préposés et agents des administrations placées sous le contrôle de la puissance publique. On y retrouve les auxiliaires de justice, un syndic de faillite, un administrateur judiciaire (17/12/2003), les membres de certaines commissions instituées pour donner un avis aux autorités publiques dans le cadre d’octroi d’habilitations, d’agrément ou d’autorisations officielles. Ex : membres des commissions départementales d’équipement commercial, agent de la RATP. On a de façon générale une application souple en ce domaine. Ex : 27/02/2002 : la Cour de cassation reconnaît cette qualité à un ingénieur du commissariat à l’énergie atomique qui avait été mis à la disposition d’une agence (EPIC) pour y instruire des dossiers d’aide publique. 19/03/2003 : un rédacteur en chef et deux journalistes pigistes engagés par une chaîne du service public avaient reçu des sommes d’argent en exécution de pactes corrupteurs pour assurer la couverture médiatique d’événements sportifs. Dans cette affaire, ils ont été considérés comme des personnes chargées d’une mission de service public alors que les actes incriminés n’entraient pas dans une mission de service public.

Section 2   : Les manquements au devoir de probité

On emploie parfois le terme de forfaiture ; il n’a pas de signification juridique précise. C'est un manquement grave commis par un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions. La forfaiture était un crime sous l’ancien Code pénal. Aujourd'hui, la forfaiture n’est pas un délit spécifique existant dans le nouveau Code pénal.

On parle aussi de malversations. Idée de faute grave dans l’exercice de fonctions, s’agissant notamment des sommes utilisées ou détournées. Attention, ce terme correspond à un délit spécifique : délit qui figure à l’article 626-12 du Code de commerce et qui est propre aux organes d’une procédure collective, et notamment aux mandataires liquidateurs et administrateurs judiciaires.

On entend également le terme de prévarication. Il n’a pas de sens juridique précis. Actes de mauvaise gestion volontaire. Manquement aux devoirs de sa charge.

§1. La corruption

I. Présentation générale

La corruption est un fléau dramatique, une plaie endémique, un mal social. Elle a un caractère intemporel et universel. Ce sont des affaires complexes ; elles mêlent beaucoup de données politiques, juridiques, économiques et sociales. Procédures complexe qui révèlent l’existence de véritables réseaux de type mafieux dans lesquels s’enchevêtrent des délits de corruption mais aussi d’abus de biens sociaux, faux, escroquerie, sociétés de façade, falsification de comptabilité. On retrouvera la compétence des formations spécialisées (art. 704 CPP avec les formations interrégionales pour les affaires d’une très grande complexité). Au premier rang des pays les plus corrompus : Bengladesh, Tchad, Nigeria, Haïti, Birmanie, Turkménistan, Côte d’Ivoire. Les moins corrompus : Finlande, Islande, Danemark, Nouvelle Zélande. Les Etats-Unis sont 18ème et la France au 23ème rang

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des pays les moins corrompus. Rapport de l’ONG qui fait référence est qui est étudié chaque année.

Face à ce fléau, réaction nationale : arsenal répressif qu’on va étudier, notamment art. 432-11 : corruption des personnes exerçant une fonction publique. Mais il y a d’autres textes spécifiques lorsque le corrompu exerce des fonctions particulières. Ex : art. 434-9 alinéa 1er : hypothèse où le corrompu est un magistrat. Art. 441-8 : professions chargées d’établir des certificats ou attestations (médecin notamment). Loi du 30 juin 2000 qui prévoit également la corruption des fonctionnaires des Etats membres de l’Union Européenne, des membres de la Commission des Communautés Européennes ou du Parlement, de la CJCE, de la Cour des comptes (art. 435-1 du nouveau Code pénal). Création par une loi du 4/07/2005 (d’adaptation au droit communautaire) d’un nouveau chapitre au sein du Code pénal intitulé « De la corruption des personnes n’exerçant pas une fonction publique ». On a donc aujourd'hui un arsenal complet.

Articles 445-1 pour la corruption privée active et 445-2 pour la corruption privée passive. La spécificité de ces nouveaux articles est la qualité de l’auteur. Qui peut être corrompu ou corrupteur ? Est visée une personne qui, sans être dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, exerce, dans le cadre d’une activité professionnelle ou sociale, une fonction de direction ou un travail pour une personne physique ou morale ou un organisme quelconque. 5 ans, 75000 euros. Depuis la loi du 4/07/2005, l’article visant spécifiquement la corruption du salarié dans le Code du travail est abrogé.

Aspect préventif aussi. Vaste programme : prévenir les dévoiements possibles et la conclusion d’opérations suspectes en imposant des contrôles plus stricts et une transparence dans les principaux secteurs de la vie politique, administrative et économique. Cour des comptes, conseil de la concurrence, commission interministérielle d’enquêtes sur les marchés publics. Transparence et moralisation. Loi du 29/01/1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques. C'est une des lois qui est intervenue sur le financement des campagnes et partis politiques. Création du service Tracfin, spécialisé dans la lutte contre le blanchiment des capitaux.

Lutte au niveau internationale : en 1999, la conférence internationale de lutte contre la corruption. 1400 participants, 35 pays ; signal fort. Mais symbolique. En 1996, l’appel de Genève, lancé par les magistrats européens pour une plus grande coopération judiciaire. Renvoi aux textes internationaux, conventions de l’OCDE (Paris, 1997), convention de Bruxelles (1995) qui donnent une dimension communautaire, européenne à la lutte contre la corruption. La loi du 30 juin 2000 en a fait la transposition.

Précision finale : la corruption est une infraction qui suppose 2 intervenants : un corrupteur et un corrompu. Ce qui ne signifie pas forcément qu’on aura deux infractions. Mais il faut à tout le moins deux personnes. Or dans la lutte contre la corruption, il y a toujours deux incriminations : la loi, reprenant une distinction classique, différencie corruption active et corruption passive.

Cette appellation est trompeuse. Corruption passive et corruption active, ces appellations laissent croire que cela correspond au rôle actif ou passif pris dans le

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processus corrupteur, selon que la personne a pris ou n’a pas pris l’initiative. Que nenni ! La corruption passive désigne le corrompu ; la corruption active désigne le corrupteur, indépendamment du rôle actif ou pas, de l’initiative prise ou pas dans le processus corrupteur. S’agissant de l’étude des personnes exerçant une fonction publique, on va surtout étudier la corruption passive.

II. Le délit de corruption passive

A. Les éléments constitutifs

Art. 432-11 du nouveau Code pénal. La qualité de l’auteur : le dépositaire de l’autorité publique, la personne chargée d’une mission de service public, personne investie d’un mandat électif public. On des textes spécifiques pour certaines personnes exerçant des fonctions particulières (ex : magistrats, art. 432-9).

On va reprocher à cette personne d’avoir sollicité ou agréé sans droit à tout moment, directement ou indirectement des offres, dons, promesses, présents ou avantages quelconques pour accomplir ou s’abstenir d’accomplir un acte de sa fonction, de sa mission ou de son mandat ou facilité par sa fonction, sa mission ou son mandat. C'est le délit de corruption passive.

Sollicitation ou agrément : la personne peut avoir eu le rôle actif, elle sollicite ; elle prend l’initiative. C'est quand même de la corruption passive. Les deux verbes renvoient aux 2 attitudes possibles. La sollicitation implique une démarche, une initiative de l’agent public qui va « inviter » à verser de l’argent en contrepartie d’un acte de sa fonction. Le terme est intéressant ; ce qui va constituer l’élément matériel de ce délit de corruption passive, c'est la simple sollicitation. La sollicitation suffit à constituer ce délit de corruption passive, peu importe que la personne ait refusé. Ce qui montre bien que corruption passive et corruption active sont des délits distincts. On va très en amont dans l’incrimination. Peu importe même que le corrupteur ait accepté et n’ait finalement pas versé l’argent.

Agréé : dans le déclanchement du processus corrupteur, le corrompu a eu un rôle passif. Il y a eu rencontre des volontés. On est en présence d’un pacte corrupteur. Là aussi, le terme est intéressant. L’agrément suffit. Ce qui signifie qu’il importe peu qu’au final, rien ne soit versé. On remonte très haut dans le devoir de probité. Peu importe aussi que par la suite, le corrompu renonce à exécuter l’accord. Ce qui va consommer le délit, c’est le moment où les volontés se rencontrent. Le délit existe par ce seul échange des volontés. On est au cœur des difficultés de répression de la corruption. Finalement, est-ce que ce n’est pas dangereux de dire que le délit est consommé dès le jour du pacte corrupteur ? On fait remonter le moment où le délit est consommé très haut dans le temps. D’où problème en termes de prescription. C'est dès ce moment-là que court le délai de prescription. La Cour de cassation a essayé de contourner cet obstacle et elle donne une interprétation extensive au terme agrément. Elle considère que les termes de sollicitation et agrément incluent la réception des dons et sommes d’argents, la perception des commissions, l’encaissement des sommes (ce qui peut se faire plus tard). Elle va considérer qu’au jour de la réception des fonds, le délit est renouvelé, ce qui va faire partir à nouveau le délai de prescription.

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Directement ou indirectement : on va poursuivre toutes les formes de corruption. Indirectement : tous les artifices ou intermédiaires (personnes interposées).

Objet promis : le texte vise les offres, dons, promesses, présents ou avantages quelconques. Choses matérielles ; cela pouvait-il consister en un avantage moral ? La Cour de cassation a pris une position assez restrictive en 1975 : elle a refusé de considérer qu’en relevait l’assouvissement d’une haine. Un fonctionnaire des ponts et chaussées avait menacé un entrepreneur de l’exclure de tous les marchés de travaux publics de cette administration s’il ne procédait pas au licenciement d’un de ses employés envers qui il avait une haine profonde. La Cour de cassation l’a refusé en matière de promesses de faveurs sexuelles. Le nouveau Code pénal utilise l’expression « avantages quelconques ». Sous l’empire du nouveau Code pénal, on peut imaginer que l’avantage non strictement pécuniaire pourrait être visé. Affaire Carignon, 22/10/1997 : maire de la ville de Grenoble qui avait, pour favoriser l’octroi du service des eaux de sa commune à la compagnie lyonnaise des eaux, avait bénéficié de voyages avec d’autres personnes, de croisières en Méditerranée.

Contrepartie promise : accomplissement ou abstention d’accomplir un acte de sa fonction, de sa mission ou de son mandat ou facilité par sa fonction, sa mission ou son mandat. Voisin du trafic d’influence, mais ici on trafique de sa fonction et non de son influence. Ici prévaut une interprétation large ; on ne se contente pas des actes relevant d’une attribution expresse de l’agent public. On y inclut également les obligations inhérentes à sa fonction, mission ou mandat (ex : obligation au secret, obligation de confidentialité). Tout ce qui impose la discipline de sa fonction. Devoir d’obéissance, de probité. Ex : inspecteur du permis de conduire, employés d’une morgue, affaire Carignon, administrateur judiciaire, rédacteur en chef et ses journalistes pigistes qui assuraient la retransmission d’un événement sportif contre rémunération (or ces prestations devaient être gratuites).

Cela peut soulever une difficulté particulière lorsqu’il s’agit d’actes né d’un mandat, donc d’un élu, parce que celui-ci peut avoir simplement participé à un vote collectif, voire même préparé un rapport destiné au vote d’une assemblée ou d’une commission. Ex : faciliter l’obtention de subventions publiques, corruption d’un député pour déposer un rapport favorable.

La loi ne se contente pas de viser l’accomplissement d’un acte de sa fonction ; elle vise également l’abstention d’accomplir un acte de sa fonction. Abstention fautive. Ex : fonctionnaire de police qui ne dressera pas procès verbal. Le texte vise aussi l’acte facilité par la fonction (para-corruption). Ex : un planton dans un ministère plantait à côté de la porte un service où se trouvent les cachets officiels et rentrait dans le bureau pour apposer les cachets officiels auxquels il avait accès grâce à sa fonction de planton. Cour de cassation 16/11/1999 à propos d’un conseiller à la chambre régionale des comptes qui est sollicité par le dirigeant d’une association contrôlée par la chambre régionale des comptes en vue d’obtenir quelques renseignements, notamment sur l’état du dossier contre promesse d’embauche d’un ami. Ce conseiller avait remis les copies du rapport et de l’avis confidentiel du magistrat en charge du dossier. Il n’était pas de ses fonctions de communiquer ces rapports. Acte facilité par la fonction. Arrêt intéressant parce que la Cour d’appel a considéré que c'était un acte facilité par la fonction. Or la spécificité en cette hypothèse est que, s’agissant d’un conseiller à la chambre régionale des comptes

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(magistrats), c'est l’article 434-9 qui s’appliquait. Or cet article ne vise pas l’acte facilité par la fonction. Donc la Cour d’appel avait relaxé. La Cour de cassation casse car elle va considérer que c'est s’abstenir d’un acte de sa fonction : avoir respecté son travail. Il s’est abstenu de respecter le secret professionnel auquel il était tenu.

Question de la chronologie : question de l’antériorité de la sollicitation ou de l’agrément par rapport à l’accomplissement de l’acte. Faut-il avoir sollicité avant d’accomplir pour qu’il y ait corruption ? Réponse classique du droit français : il doit y avoir antériorité du pacte corrupteur ou de la sollicitation par rapport à l’accomplissement ou le non-accomplissement de l’acte de la fonction. Pourquoi cette exigence d’antériorité propre au droit français ? Le texte di solliciter ou agréer « pour accomplir ». Jurisprudence classique : 1966, 1986. Conséquences paradoxales : le fonctionnaire qui sollicite et qui finalement n’accomplit pas est coupable de corruption. Si le fonctionnaire accomplit l’acte puis sollicite, il n’est pas coupable. La jurisprudence a atténué cette solution, notamment chaque fois que la remise postérieure à l’accomplissement de l’acte pouvait être considérée comme l’exécution d’un pacte antérieurement conclu. Le pacte corrupteur aura bien été conclu antérieurement, et le versement postérieur n’est que son exécution tardive. Problème de preuve. Quand l’agent public a accompli plusieurs actes successifs au profit d’un particulier et que chacun était suivi de la remise d’argent, on va considérer qu’on a un véritable circuit frauduleux qui fait que chaque remise postérieure est destinée à provoquer un autre acte de corruption. Les sommes remises pour récompenser les actes passés sont une incitation à l’accomplissement d’actes futurs. Hypothèse où on a une succession entre les mêmes personnes. Cour de cassation 1998.

Le problème semble aujourd'hui tranché par la loi : « à tout moment », ajouté par la loi du 30 juin 2000. Cette adjonction concerne tous les articles incriminant la corruption passive et la corruption active. Mais ce qui justifiait la condition d’antériorité est toujours dans la loi (« pour »). Est-ce que ça supprime l’exigence d’un pacte corrupteur antérieur ? Je peux être corrompu alors que je n’ai rien sollicité ni accepté.

B. La répression

Peine encourue : maximum de la peine correctionnelle (10 ans, 150000 euros). Toute une panoplie de peines complémentaires : interdiction d’exercer une fonction publique, une activité professionnelle ou sociale à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction fut commise, privation des droits civiques, civils et de famille, confiscation des sommes ou objets irrégulièrement reçus par le corrompu, affichage de la diffusion prononcée (art. 432-17 Code pénal).

On retrouve ces mêmes peines à propos de la corruption des fonctionnaires européens. Lorsque l’agent corrompu est un étranger, on peut également prévoir à titre de peine complémentaire l’interdiction du territoire français (à titre définitif ou pour 10 ans au plus.

La complicité : complicité active et complicité passive sont des délits distincts. Le corrupteur n’est pas le complice du corrompu. La complicité est punissable, ce qui va notamment viser ceux qui seront intervenus pour faire écran entre le corrupteur et le corrompu (ex : avocat qui intervient comme intermédiaire dans un processus de corruption, femme d’un gardien de prison qui recevait les sommes versées par la famille du détenu…).

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La tentative n’est pas punissable puisque la corruption passive est consommée dès la sollicitation. Il est difficile de remonter plus haut en amont.

Les juridictions compétentes : juridictions spécialisées (art. 704 et 705 CPP). Affaire d’une grande complexité.

Question de la prescription de l’action publique. Le délit de corruption est un délit instantané qui est consommé soit dès la sollicitation (du côté passif) soit dès l’agrément. Ce qui se conçoit bien mais va poser un problème : on va remonter très haut dans le processus corrupteur et c'est donc très haut que va commencer à courir le délai de prescription, ce qui peut poser des problèmes en termes répressifs. Une jurisprudence consiste à englober la réception des dons, présents, promesses ou avantages quelconques dans les éléments constitutifs.

Problème aussi quand le pacte corrupteur s’accompagne d’une remise pour générer des actes de la fonction qui vont s’échelonner dans le temps. Pour tous les actes de corruption qui dépasseront le délai de 3 ans : prescription. Pour cette hypothèse, la Cour de cassation a également trouvé la parade : jurisprudence bien assise selon laquelle « l’accomplissement par le corrompu d’un acte de sa fonction ou facilité par elle constitue un acte d’exécution du pacte conclu entre le corrupteur et le corrompu qui renouvelle le délit de corruption ». Application de la théorie appliquée aux délits successifs. Nouveau délit pour chaque acte d’exécution, donc nouveau délai de prescription. Souci répressif qui l’emporte sur la rigueur théorique. Ex : Cour de cassation 8/10/2003 qui a retenu que chaque échéance d’un crédit accordé illicitement à un taux avantageux constitue un acte d’exécution du pacte de corruption. Solution rappelée dans un arrêt du 29/06/2005. Une banque corruptrice avait cédé à un mandataire liquidateur, corrompu, une créance qu’elle détenait sur une société à un prix avantageux afin qu’il agisse dans les intérêts de la banque dans deux autres procédures de liquidation judiciaire. La banque avait fait valoir la prescription ; la Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir retenu la date du dernier acte corrupteur. Dans cet arrêt, la Chambre criminelle ajoute qu’il importe peu que le corrompu n’ait pas accompli lui-même ledit acte, dès lors qu’il entrait dans ses fonctions d’en proposer ou préparer la réalisation. L’inscription de la créance de la banque au passif de la liquidation judiciaire d’une des sociétés n’avait pas été faite par le mandataire liquidateur, mais par le juge commissaire.

Autre précision à propos de l’exercice de l’action civile. Ça semble être plutôt un délit « d’intérêt général ». Quel est l’intérêt particulier en jeu ? Une action civile serait-elle recevable ? La Cour de cassation considère qu’un tiers peut demander réparation du préjudice notamment dans un arrêt de mai 1997 à propos d’une corruption en matière d’office public d’HLM. Le directeur de cet office public avait été corrompu et la Cour de cassation a admis l’action civile exercée par l’office lui-même à l’encontre de son directeur. Surtout, arrêt du 27/10/1997 (affaire Carignon, corruption de l’attribution du service des eaux) : recevabilité de la constitution de partie civile par les associations de consommateurs, sur la base de l’article 421-1 du Code de la consommation qui reconnaît ce droit aux associations de consommateurs, et cela, sans exclure aucune infraction.

La question est plus surprenante lorsqu’elle se pose vis-à-vis d’un des participants au pacte de corruption. Ex : le corrupteur qui aurait versé les fonds pour que le corrompu accomplisse un acte de sa fonction et que le corrompu ne l’ai pas fait. Le corrupteur peut-il exercer l’action civile en réparation du préjudice résultant de la méconnaissance d’un pacte corrupteur ? A propos d’une affaire de trafic

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d’influence en vue de l’attribution de logement municipaux et de kiosques à journaux (domaine voisin), la Cour de cassation l’a éclaré irrecevable à se constituer partie civile (7/02/2001). Tempérament : Cour de cassation, 1er décembre 1992, où elle a admis l’action civile qui émanait d’un contribuable qui avait versé à un receveur principal une somme d’argent en contrepartie d’une réduction des majorations de retard dont il était redevable. Dans cette affaire, le contribuable avait été victime de très fortes pressions de la part de l’agent des impôts ; il n’avait pas librement consenti au pacte corrupteur (solution qui tient aux circonstances de l’espèce).

III. Le délit de corruption active

Texte incriminateur : article 433-1 (à propos des personnes exerçant une fonction publique). On parle ici des corrupteurs d’une personne exerçant une fonction publique. S’agissant de la corruption privée, on a désormais un article spécifique : art. 445-1. Termes quasiment identiques, sauf pour les agissements de l’auteur de ce délit. Ce qui va être reproché, c'est de proposer sans droit, directement ou indirectement, des offres (…) pour que la personne exerçant une fonction publique accomplisse un acte de sa fonction, etc. Ou alors on va lui reprocher d’avoir cédé aux sollicitations. Pour le reste, renvoi à la corruption passive.

Pas de place ici pour l’incrimination de la tentative. Expression « à tout moment » ajoutée par la loi du 30/06/2000.

On a l’équivalent à propos des fonctionnaires communautaires ou des fonctionnaires nationaux d’un autre Etat membre ; art. 435-2.

Même chose à propos de la corruption des magistrats, jurée ou membres de l’autorité judiciaire (art. 434-9).

Peines applicables : les mêmes (article 433-2) : 10 ans, 150000 euros. Ici, on a aussi la responsabilité pénale des personnes morales. Conclusion : délit de corruption ≠ délit de concussion. Délit de concussion incriminé à l’article 432-10. Ce qui est ici incriminé est le fait de recevoir, exiger ou ordonner de percevoir, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, à titre de droits, contributions, impôts ou taxes publiques, une somme qu’elle sait ne pas être due ou excéder ce qui est dû. Différence assez simple : dans la corruption, on a deux délinquants qui ne sont pas complices. Je verse en plein connaissance de cause une somme qui n’est pas due pour qu’on fasse quelque chose d’illégitime en contrepartie. Dans la concussion, on a un délinquant et une victime. 5 ans, 75000 euros. Illustrations : arrêts de 1995 à propos d’un fonctionnaire des impôts (contributions indues dans le cadre d’un redressement), du maire d’une commue (indemnités cumulées de maire et de député), d’un directeur d’hôpital public (n’avait exigé aucune somme d’argent mais s’était fait livrer par l’hôpital du fuel domestique et du carburant pour ses besoins personnels et des denrées alimentaires et des boissons) ; la Cour de cassation a estimé que s’il ne s’était fait remettre aucune somme d’argent pour simplement percevoir des prestations en nature, celles-ci étaient illicites parce qu’elles n’avaient pas été déduites de son traitement. Donc la concussion ne consistait pas ici à percevoir une somme d’argent, mais à éviter d’en dépenser. C'est un peu étrange. Quid du principe de l’interprétation stricte ?Arrêt du 24 octobre 2001 : des salaires et traitements sont des droits au sens de l’article 432-10. Texte applicable à une perception indue de salaire (travail fictif), qui constitue un délit de concussion.

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§2. Le trafic d’influence

Délit voisin de la corruption, de création assez tardive (1889). A la suite de quelques scandales politiques (affaire Wilson, député et gendre du Président Grévy ; trafic de décorations). On l’a poursuivi pour corruption, mais il n’est pas de la fonction d’un député d’attribuer des médailles. Donc les poursuites ont échoué. Lacunes donc création d’un nouveau texte. Ici, la personne ne trafique pas de sa fonction ; elle trafique de son influence. C'était un crime, on l’a correctionnalisé en 1943.

Beaucoup de points communs avec la corruption. On a un trafic d’influence passif (article 432-11) qui va consister, pour une personne chargée, dépositaire ou investie (…), de solliciter ou d’agréer des promesses, dons ou avantages quelconques à tout moment, directement ou indirectement, pour abuser de son influence réelle ou supposée auprès d’une autorité ou d’une administration publique, et cela en vue d’obtenir au profit du remettant certaines faveurs.

On a aussi le trafic d’influence actif : celui propose d’abuser de son influence ou accepte d’abuser de son influence.

Trafic d’influence passif : on a toujours conçu qu’il puisse être commis par un particulier, une personne n’exerçant pas une fonction publique. Même chose du côté du trafic d’influence actif.

Le point de divergence entre les deux délits va être le fait qu’ici, l’auteur du trafic d’influence passif (commis par une personne exerçant une fonction publique, dans notre hypothèse ; art. 432-11, comme pour la corruption passive) a pour but un trafic de l’influence (et non de la fonction) que la personne exerçant une fonction publique a ou prétend avoir auprès d’une autorité ou d’une administration publique et dont elle entend abuser moyennant dons, promesses (…) en vue d’obtenir un avantage ou une faveur non pas à son propre profit mais au profit du remettant des dons, promesses, etc.

Ce trafic d’influence peut concerner une influence réelle ou supposée : celle que l’on croit avoir, ou même celle que l’on prétend avoir auprès d’autres fonctionnaires d’autres administrations publiques. On n’est pas loin, ici, de l’escroquerie. Quant à la contrepartie promise, elle consiste à obtenir pour le remettant des distinctions, des emplois, des marchés ou toute autre décision favorable. Il peut s’agir du classement sans suite d’un PV d’infraction, de la délivrance d’un permis de construire, de l’obtention d’un avancement, d’un passeport, d’une naturalisation, l’octroi d’une autorisation d’exploiter des jeux ou l’obtention d’un abandon de poursuites.

Il importe peu que l’acte sollicité soit légitime ou régulier. Peu importe qu’on obtienne ce qu’on devait obtenir. C'est une sorte de délit obstacle ; c'est le procédé utilisé pour l’obtenir qu’on incrimine. Cour de cassation, crim. 20/03/1997 : un particulier qui, croyant à tort avoir commis une infraction à la règlementation des changes, verse à un représentant de l’administration une somme pour qu’il intervienne auprès des autorités judiciaires pour obtenir l’arrêt des poursuites.

Quant aux autorités ou administrations publique auprès desquelles l’agent a ou prétend avoir une influence et en abuser, le texte vise une autorité ou administration publique. Une autorité peut désigner une personne physique. Question : cela pouvait-il être réservé aux autorités et administrations françaises ou

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cela inclue-t-il l’influence qu’on a ou prétend avoir auprès des autorités étrangères ? Seule décision : CA Paris 1941 avait répondu par la négative. Un Français était ancien chef de police à Haïti promettait à des Hongrois contre argent de leur faciliter l’acquisition de la nationalité haïtienne. La CA de Paris a considéré que ce trafic d’influence auprès d’autorités étrangères n’entrait pas dans le champ du texte. Mais référence ancienne, et qui ne provient pas de la Cour de cassation. On peut penser qu’il y aurait une réponse différente aujourd'hui (ubi lex non distinguit…).

Qu’il s’agisse du trafic d’influence actif ou passif, mêmes peines que pour la corruption : 10 ans, 150000 euros. Entre personnes privées, sanction moindre : 5 ans, 75000 euros.

Prescription de l’action publique : même solution, qu’il s’agisse du point de départ (sollicitation ou agrément du côté passif, mais aussi la perception). La Cour de cassation (15/03/2000) considère là aussi que l’infraction se renouvelle à chaque acte d’exécution du pacte illicite antérieurement conclu.

§3. Le délit de prise illégale d’intérêt

Il monte également en puissance, de plus en plus. Il présente deux visages. Il va atteindre les agents publics en activité (art. 432-12) et puis, depuis 1919, lorsque des faits voisins sont commis par un ancien fonctionnaire qui n’est plus en activité (432-13). Le 1er est le délit d’ingérence ; le 2ème est le délit de pantouflage.

Ces deux formes d’incrimination ont un esprit commun : souci de moraliser la vie publique : faire une cloison étanche entre le pouvoir, les affaires et l’argent. Ici, on ne veut pas que des personnes exerçant une fonction publique aient des intérêts dans des entreprises privées ou assignées alors que, dans l’exercice de ses fonctions publiques ou de ses anciennes fonctions publiques, il a pu avoir ou il a à administrer, surveiller ou contrôler cette même entreprise privée. On est allé très en amont dans ce souci. A travers les incriminations, on ne va pas sanctionner le fait d’avoir mélangé les intérêts ou d’avoir manqué à la probité en prenant en compte l’intérêt qu’on a dans l’entreprise privée ; on va prendre le processus très en amont en empêchant qu’il y ait même ce risque, cette tentation. Caricature du délit obstacle. Au fil de la jurisprudence, il est aujourd'hui acquis qu’il n’est pas nécessaire que l’agent en ait tiré un profit personnel. On veut éviter la tentation.la loi va ériger en délit le seul fait de prendre un intérêt ; elle n’exige pas que derrière, il y ait eu confusion entre les intérêts.

I. La prise illégale d’intérêt par un fonctionnaire ou un agent public en activité : article 432-12

C'est un délit que l’on qualifie très souvent de délit d’ingérence. Qui est concerné ? Personnes dépositaires de l’autorité publique (ex : directeur des services techniques d’une commune, inspecteur des impôts), personnes chargées d’une mission de service public (président d’une chambre de commerce et de l’industrie chargée de gérer le service public de gestion d’un corps, directeur général d’un service d’une agence de développement rural, qui a pour fonction d’attribuer des subventions au nom des pouvoirs publics). Application souple (14/06/2000) à propos d’un architecte investi d’une mission de maîtrise d’œuvre par une collectivité : il devait être compris comme une personne chargée d’une mission de service public.

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De même s’agissant d’un mandataire intervenant dans le cadre d’une procédure collective (26/09/2001) ; il dispose d’un pouvoir de décision au nom de la puissance publique.

Surtout, son également visées les personnes investies d’un mandat électif public (maires de communes, leurs adjoints et les élus municipaux ; présidents des conseils régionaux et généraux). Ex : 27/11/2002 à propos d’un président de conseil général qui avait ordonnancé les dépenses de communication de son département au profit d’une société qui avait apporté son soutien financier à deux autres sociétés dont le président du conseil général était actionnaire et administrateur. Autre illustration : un maire qui reçoit, en qualité de mandataire d’une société de construction une rémunération pour son intervention dans la vente à cette société d’un terrain qui était précédemment frappé d’une servitude au profit de la commune (1966). Ca peut être aussi le président d’une commission d’appel d’offre qui intervient dans l’attribution de plusieurs marchés de travaux publics, notamment au profit de sociétés gérées par ses enfants (2000).

Ce que la loi incrimine à l’égard de ces agents concernés, c'est le fait de prendre, recevoir ou conserver un intérêt quelconque. Cela peut se faire directement ou indirectement. La formule est large. Le terme de « conserver » a été ajouté ultérieurement. Or cet ajout n’est pas indifférent ; impact en termes de qualification, notamment au regard de la prescription. Le délit devient un délit continu. Telle est la condition, étant relevé que cette condition est nécessaire mais suffisante ; il n’est pas nécessaire qu’il en soit résulté un gain ou un avantage patrimonial pour l’agent. C'est une position qui éclaire ce délit : on remonte très en amont. Position confirmée récemment par la Cour de cassation, crim. 9/02/2005. il n’est pas nécessaire que l’agent en ait retiré un avantage personnel ou matériel ; il suffit qu’il en ait retiré un intérêt simplement moral (en l’espèce, avantage concédé à une entreprise gérée par les enfants de l’agent public). Ce qui est incriminé, c'est le fait de prendre un intérêt quelconque dans une entreprise ou une opération dont l’agent public a, au moment de l’acte, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement. Ex : un élu municipal qui participe aux délibérations du conseil lorsqu’elles portent sur une affaire, une entreprise ou un marché dans lequel il a un intérêt (24/10/2001). Ca montre que la jurisprudence fait entrer dans la notion de surveillance la participation à l’élaboration d’un projet soumis à l’approbation d’un organe. De même la formulation de propositions adressée à une autorité chargé de prendre des décisions.

C'est un délit intentionnel. Longtemps, on a exigé un dol spécial en plus du dol général, qui aurait été la recherche d’un profit illicite. Mais on se contente aujourd'hui d’un dol général.

Les personnes les plus concernées sont les personnes investies d’un mandat électif public qui vont être exposées à ce genre de délit et ça peut poser un problème de fonctionnement des institutions publiques, notamment pour les petites collectivités territoriales. Ce délit peut paralyser le fonctionnement de certaines de nos institutions (ex : chambres de commerce et de l’industrie). Il y a donc des exonérations légales : le législateur a exclu de ce délit certaines situations qui ont pour but de permettre de conclure certains contrats entre une petite commune (3500 habitants ou moins) et ses élus, concernant le transfert de biens mobilier ou immobiliers ou la fourniture de services dans la limite d’un plafond de 16000 euros par an (qui doit s’entendre du montant global du contrat soumis à la délibération du conseil municipal, ce qui

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interdit à un élu de sous-traiter, même pour une somme inférieure à ce plafond). Ces mêmes élus peuvent acquérir une parcelle ou un lotissement communal pour y construire leur habitation personnelle ou y conclure leurs baux d’habitation. Ces opérations doivent être autorisées par délibération spéciale et motivée du conseil municipal après estimation des biens par le service des domaines. 29/06/2005 : le maire d’une commune a été condamné. Il avait attribué à son beau-frère un contrat de maîtrise d’œuvre d’un montant de 70000 francs payables en 5 échéances et dont il avait assuré lui-même le paiement pour le compte de la commune.

Répression : 5 ans, 75000 euros. Peines complémentaires. Tentative non réprimée. Prescription de l’action publique : c'est un délit instantané lorsqu’il s’agit d’avoir pris ou reçu et un délit continu lorsqu’il s’agit d’avoir conservé. On retrouve des jurisprudences connues lorsqu’il y aura des actes administratifs successifs : la prescription ne commencera à courir qu’à compter de l’accomplissement du dernier de ces actes. Solution réaffirmée le 29/06/2005. Payable en 5 échéances. Action non prescrite.

Action civile : la prise illégale d’intérêt est un délit qui porte atteinte à l’intérêt de la commune, qui est la seule victime directe. Le maire peut se constituer partie civile au nom de la commune (autorisation du conseil municipal). La jurisprudence refuse au contribuable le droit de se constituer partie civile, et elle le refuse aussi aux conseillers municipaux.

Tempéraments : Code général des collectivités territoriales (art. S 2132-5). Un contribuable peut exercer l’action en cas de passivité ou de refus de sa commune, mais pour cela, il faut qu’il obtienne préalablement l’autorisation du tribunal administratif.

II. La prise illégale d’intérêt par un ancien agent public

Le délit 432-13 connu sous le nom de délit de pantouflage. L’idée est la même. La crainte est que, parce qu’il sait qu’il va passer dans une entreprise privée, il se montre moins rigoureux dans l’exercice de sa fonction publique, voire même que, ayant cessé ses fonctions et ayant pris une participation dans une entreprise privée, il fasse jouer son réseau auprès de ses anciens collègues de la fonction publique. Ces délits sont aussi des délits obstacles.

Le CE (assemblée plénière) a donné toute sa portée à la disposition pénale : 6 décembre 1996. Arrêt Beaufret : annulation d’un décret nommant haut-fonctionnaire de la direction du Trésor un fonctionnaire qui a été nommé sous-gouverneur du Crédit foncier de France par le chef de l’Etat lui-même. L’initiative ne venait pas du fonctionnaire lui-même. Mais le texte s’impose également aux plus hautes autorités.

2 ans, 30000 euros. Mêmes peines complémentaires que pour 432-12.Qui est concerné ? Du côté de l’agent concerné, c'est une personne ayant été

chargée, en tant que fonctionnaire public ou agent ou préposé d’une administration publique, à raison même de sa fonction, soit d’assurer la surveillance ou le contrôle d’entreprises privées, soit de conclure des contrats de toute nature avec une entreprise privée, soit d’exprimer son avis sur une opération effectuée par une entreprise privée. Du côté des agents publics, leur sont assimilés les agents des établissements publics de la Poste et des télécommunications, et les agents des établissements publics des entreprises nationalisées et des SEM dans lesquelles

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l’Etat ou les collectivités publiques détiennent directement ou indirectement plus de 50% du capital.

Du côté de l’entreprise privée, est assimilée à une entreprise privée une entreprise qui possèderait au moins 30% de capital commun avec cette entreprise privée ou encore qui aurait conclu un contrat comportant une exclusivité de fait ou de droit avec cette entreprise privée. Est également assimilé à une entreprise privée toute entreprise publique exerçant son activité dans un secteur concurrentiel et conformément au droit privé.

Ici, on parlera plutôt de prise de participation. Ce qui consommera le délit, c'est que cette entreprise privée ou assimilée va prendre ou recevoir une participation par travail, conseil ou capitaux. C'est donc une collaboration qui peut se prolonger un certain temps, étant entendu que si le texte vise prendre ou recevoir une participation, si cette participation s’étale dans le temps, ça confère au délit le caractère d’un délit continu. Conséquences en termes de point de départ du délai de prescription.

Ex : Cour de cassation 1984 : un ancien inspecteur des impôts chargé du contrôle des compagnies d’assurance, après avoir quitté son administration, a conclu un contrat de formation avec un certain nombre de compagnies d’assurance, ce qui a débouché sur une collaboration s’étalant dans le temps.

Délai pendant lequel la prise de participation est interdite : 5 ans à compter de la cessation de ses fonctions d’agent public.

Exception : cette infraction n’est pas constituée en cas de participation au capital d’une société cotée en bourse ou lorsque les capitaux sont reçus par dévolution successorale.

§4. L’atteinte à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics

Art. 432-14, également très connu sous l’appellation du délit de favoritisme ou délit d’octroi d’avantages injustifiés. Pour connaître ce délit, il faut connaître la règlementation des marchés publics. Il se situe en aval d’une règlementation très fluctuante. Il est incriminé depuis la loi du 3 janvier 1991 relative à la transparence et à la régularité des procédures de marché public. Modifiée par une loi du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption (transparence de la vie économique) puis la loi du 8 février 1995 relative à la délégation de service public.

Personnes concernées : dépositaires de l’autorité publique. Ne sont pas concernés les agents ou représentants de l’Etat qui exercent un contrôle a posteriori sur le marché. La loi vise également les personnes chargées (…) et les personnes munies (…). La liste est plus large : sont également concernées certaines personnes exerçant certaines fonctions spécifiques : représentants, administrateurs ou agents de l’Etat, mais aussi des établissements publics et de certaines SEM.

Cour de cassation 20/04/2005 : secrétaire général d’une commune, à propos d’un marché public quant à l’aménagement du stade de football de la ville de Lens pour la coupe du monde de football de 1998. Le maire de la ville voulait confier les travaux au maître d’œuvre qui avait déjà réalisé certains travaux d’aménagement du stade pour le championnat d’Europe des nations en 1984. Travaux présentés comme de simples réhabilitations qui avaient été proposés par une note rédigée par le secrétaire général de la commune. Par la suite, on s’est rendu compte que les travaux nécessaires et les travaux effectués ne pouvaient pas relever de la simple

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qualification de réhabilitation. Secrétaire général poursuivi. Défense : il ne figure pas parmi les personnes visées par le texte (ni dépositaire ni chargé ni investi ni agent représentant la ville). La Cour de cassation écarte l’argument ; le secrétaire général de la commune a agi en tant que représentant de la collectivité territoriale. Elle applique la même conception extensive : peu importe que l’agent n’ai fait que préparer une note en vue d’une décision prise par d’autres. Il a participé à la procédure d’attribution par la préparation ou la proposition de la décision.

Ce qui est incriminé, c'est le fait de procurer ou tenter de procurer à autrui un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou règlementaires ayant pour objet de garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public. C'est l’octroi d’un avantage injustifié qui est incriminé. Cela peut consister dans l’octroi même d’un marché public (le texte vise autrui, donc ça peut dépasser le bénéficiaire même du marché ; ex : parti politique qui recevrait une somme d’argent par l’attributaire du marché) mais aussi dans la fourniture d’informations privilégiées (sur la consistance ou le coût d’une opération projetée ; indications sur le nombre et la qualité des concurrents). L’avantage en question peut ne pas être un avantage pécuniaire. Il peut s’agir d’un renseignement ou d’une information qui va fausser l’égalité entre les candidats.

« Par la méconnaissance d’un texte garantissant la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public ». Le texte ne fait référence à aucune loi particulière. C'est l’ensemble du code des marchés publics qui va servir de référence. Ce sont des atteintes à la concurrence, imposées à partir d’un certain seuil. Ces atteintes peuvent provenir notamment du non-respect du seuil à partir duquel l’Etat ou les collectivités publiques doivent procéder par voie d’un marché. Ce qui condamne par exemple les pratiques de fractionnement ou saucissonnage.

C'est un délit intentionnel. On relèvera simplement que la Cour de cassation se montre très souple quant à l’exigence de cet élément. Elle peut notamment le déduire de la réitération des irrégularités (24/10/2001). On n’est pas loin d’une sorte de présomption, notamment dans l’hypothèse où les prévenus font valoir leur ignorance des règles applicables et se prévalent de fait justificatif de l’erreur de droit ; les juges rejettent quasi systématiquement cette argumentation. Arrêt de référence : Cour de cassation 15/09/1999 à propos d’un maire qui prétendait ignorer la procédure d’appel d’offre. La Cour de cassation relève qu’il était maire depuis plusieurs années après avoir été conseiller municipal.

Répression : 2 ans, 30000 euros. Toute une série de peines complémentaires. La tentative est expressément incriminée. Notamment, par exemple, lorsqu’un marché a ensuite été annulé par l’intervention a posteriori du préfet. Pour le moment, ne sont pas visées les personnes morales. Les complicités sont largement envisageables ; toutes les personnes intervenues en pleine connaissance de cause avant la signature de la convention ou de l’acte méconnaissant les dispositions du Code des marchés publics. En revanche, ce n’est pas le cas d’un comptable public qui paierait l’attributaire d’un marché obtenu régulièrement (car il intervient postérieurement à la consommation du délit).

Prescription : le point de départ est le jour de la signature de la convention ou de l’acte conclu en violation du Code des marchés publics. C'est une infraction instantanée. Là aussi, énorme travail jurisprudentiel : lorsque les actes irréguliers ont été dissimulés, alors le point de départ du délai de prescription est reporté au jour

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où l’infraction est apparue et a pu être découverte dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique (formule de l’abus de confiance). Mais cette solution dérogatoire ne joue que dans l’hypothèse où il y a eu dissimulation. Ce n’est pas un délit continu ; il ne dure pas tant que dure le bénéfice du marché.

Chapitre 2 : Le droit pénal des sociétés commerciales

Section 1   : Présentation générale du droit pénal des sociétés commerciales

§1. Les mouvements de la matière

Les sociétés commerciales sont un terrain fertile pour la délinquance. L’arsenal répressif s’est construit progressivement. 1ère étape : loi du 17/07/1856 : on créa des délits, notamment le délit d’émission ou de négociations illicites d’actions. Entre autres, le délit de distribution de dividendes fictifs.

2ème étape : loi du 24/07/1867 : création des sociétés anonymes. Nouvelles incriminations. Entre autres, les délits concernant les votes frauduleux ou abusifs dans les assemblées générales ordinaires (AGO) ; sanction pénale des règles relatives à l’indication sur les documents sociaux de la forme et du capital de la société. Cette loi marque donc la pénalisation du droit des sociétés commerciales. Se constitue un véritable embryon de Code pénal des sociétés commerciales.

Défilé de petites lois, notam. mars 1919 : délits relatifs à l’immatriculation au RCS ; nov. 1993 : délits relatifs au droit de vote dans las AGO.

7/03/1925 : apparaît, importée d’Allemagne, la SARL. Toute une série d’incriminations : fausse déclaration quant à la répartition des parts sociales, transposition à la SARL de certains délits déjà retenus pour la SA (distribution de dividendes fictifs).

Décret-loi du 8/08/1935 : suite à quelques scandales retentissants, création du délit d’abus de biens sociaux. Délit de présentation, publication de faux bilan. Délits en matière de droits préférentiels de souscription. De même, tout ce qui a trait à la profession de commissaire aux comptes.

31/08/1937 : majoration frauduleuse des apports en nature, pour les SA. Multiplication des délits concernant les commissaires aux comptes : information mensongère, non révélation de faits délictueux et violation du secret professionnel.

Loi du 24/07/1966 : grande loi sur les sociétés commerciales qui va regrouper les dispositions répressives jusqu’alors réparties selon le type de sociétés. C'est un titre entier de la loi nouvelle qui est consacré aux dispositions pénales (art. 423 à 489). Consécration d’un droit pénal des sociétés commerciales. Mini Code pénal des sociétés commerciales. On crée également de nouveaux délits, notamment en matière de liquidation des sociétés. 9 articles relatifs aux SARL, 37 aux sociétés anonymes.

Décret du 23/07/1967 qui contenait de nombreuses incriminations contraventionnelles.

C'est à partir de 1966 que l’on a commencé à s’interroger sur le bien-fondé de cet arsenal répressif. Est-ce la meilleure sanction ? Convenait-il de maintenir un tel arsenal répressif ? On a très vite relevé qu’on avait un nombre important d’incriminations. Or à l’arrivée, nombre très faible de condamnations : 500 à 600

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condamnations par an sur la base de ces textes, dont les ¾ ont trait au seul délit d’abus de biens sociaux. On s’est donc demandé si on ne devait pas alléger cet arsenal répressif et s’il n’y avait pas certaines incriminations inutiles ou obsolètes. Loi de 1966 abrogée par le Code de commerce en 2000. Ainsi s’est amorcé le mouvement de dépénalisation du droit des sociétés. On a constaté que plus d’une centaine d’incriminations n’ont jamais été mises en œuvre.

Loi NRE du 15/05/2001 qui a supprimé une quinzaine d’incriminations. Certains comportements ont cessé de donner lieu à des sanctions, mais d’autres ont été soumis à d’autres sanctions, civiles (ex : nullité des délibérations) ou à une procédure d’injonction de faire, qui va permettre aux personnes intéressées (notamment en cas de non communication de documents) de demander au président du tribunal de commerce statuant en référé soit d’enjoindre sous astreinte au dirigeant de communiquer ces documents, soit de désigner un mandataire chargé de procéder à cette communication. Art. L 238-1 du Code de commerce.

Mouvement relayé en 2003 : lois du 1er août 2003 pour l’initiative économique. Abrogation de 3 infractions : une infraction concernant la SARL (art. 241-1 du Code de commerce, quant à la constitution des SARL). Suppression du fait de faire dans l’acte de société une fausse déclaration concernant la répartition des parts sociales entre associés. NB : L’abrogation d’un tel délit ne signifie par pour autant un vide répressif car reste l’éventualité d’un délit de droit commun (ici, délit de faux ; article 441-1). Jusqu’alors, la peine était de 6 mois dans l’article 241-1. S’agissant du faux, la peine d’emprisonnement est de 3 ans.

Abrogation d’une infraction concernant les SAS. S’agissant des SAS, prédomine le principe de liberté contractuelle. Mais la loi a réservé certaines décisions importantes à la compétence de la collectivité des associés. Ce qui signifie que le président ou le dirigeant d’une SAS doit consulter les associés sur certaines questions à peine de sanctions pénales (6 mois, 7500 euros). C'était l’article 254-2 du Code de commerce. La loi du 1er août 2003 a supprimé certaines hypothèses où ce défaut de consultation est pénalement sanctionné : ce n’est plus un délit pénal lorsqu’il concerne la nomination des commissaires aux comptes, l’approbation des comptes annuels et la répartition des bénéfices. Dans cette hypothèse, le relais est pris par la sanction civile. Les décisions prises en violation de cette obligation de consultation encourent la nullité ; art. L227-9, alinéas 2 et 4 du Code de commerce. Il reste certaines hypothèses où le défaut de consultation est toujours pénalement répréhensible : s’agissant du capital social (augmentation, réduction, amortissement) ou s’agissant des décisions relatives aux évolutions de la société (fusion, scission, dissolution, transformation).

Abrogation d’une infraction concernant diverses formes sociales ; elles concernent à la fois la SARL, les SAS, mais aussi les SA, la SCA. Fait pour le dirigeant de ne pas mentionner sur les documents sociaux (notamment destinés aux tiers) la dénomination sociale, la forme sociale, le montant du capital social (mentions obligatoires). Substitution : le ministère public ou tout intéressé peut agir en référé aux fins d’injonction, sous astreinte, de faire porter ces mentions sur les documents et actes émanant de la société (art. 238-3).

Même jour : 1er août 2003, loi de sécurité financière. Une dizaine d’infractions est supprimée. Ce sont notamment les infractions relatives aux assemblées d’actionnaires. Par exemple : défaut des feuilles de présence aux assemblées (sanction civile : nullité des délibérations). Abrogation de deux délits relatifs à

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l’exercice du droit de vote, notamment la participation au vote en se présentant faussement actionnaire (délit de droit commun : escroquerie). Ce ne sont que des exemples. On a également supprimé les infractions relatives aux droits des titulaires d’actions ou d’obligations en cas d’augmentation de capital. Cela concerne les sociétés par actions (SA, SCA, SAS). Notamment fait de porter atteinte au droit préférentiel de souscription des actions. A la place de ces délits, la loi met en place des nouveaux cas de nullité : article L 225-149-3 → sont nulles les décisions prises en violation de cette règlementation. Ça veut donc dire que la décision d’augmentation de capital va être nulle. Or auparavant, une telle décision n’encourait la nullité que dans 4 cas particuliers. Aujourd'hui, c'est l’ensemble des dispositions dont le manquement expose à la nullité. Elargissement des hypothèses de nullité. Or la nullité d’une décision d’augmentation de capital est très lourde de conséquences (opération complexe et coûteuse). Donc l’abrogation de la sanction pénale n’entraîne pas l’absence de toute sanction. L’insécurité juridique attachée au risque d’une telle nullité va subsister pendant 3 ans car l’action doit être exercée dans les 3 ans à compter du jour où la nullité est encourue.

Ordonnance du 25/03/2004 portant simplification du droit. 3 infractions relatives à l’établissement de procès verbaux ont supprimées au modifiées. Ainsi est supprimé le fait pour le président ou l’administrateur président de séance de ne pas constater les délibérations du conseil d’administration (≠ assemblées) d’une SA par des procès verbaux formant un registre spécial tenu au siège de la société (SA, SCA). Délit supprimé. A la place : sanction civile de nullité des délibérations. Mais en plus, offre d’une procédure d’injonction de faire sous astreinte (art. L238-4 nouveau). Attention, l’action est limitée dans le temps ; elle ne peut être exercée que jusqu’à l’approbation du procès verbal de la 2ème réunion de l’organe qui suit celle dont les délibérations sont susceptibles d’être annulées. Abrogation du délit de défaut de conservation au siège social des décisions des assemblées d’actionnaires. Remplacé par la procédure d’injonction de faire. Ici, ce qui est supprimé, c'est le défaut de conservation au siège social dans un recueil spécial de ces décisions.

2ème volet de l’ordonnance : sont également supprimées les dispositions pénales relatives au défaut de communication des documents en vue de la tenu des assemblées d’actionnaires. Une injonction de faire est substituée.

La dernière étape en date : ordonnance du 24/06/2004 portant réforme du régime des valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales. Pour ce qui nous concerne, disparaît le délit de participation à la négociation illicite de promesse d’actions. Autres délits supprimés : délits concernant les actions à dividende prioritaire au-delà du pourcentage légal.

§2. Les caractéristiques principales de la matière

Quelques traits dominants : on sort du Code pénal. On est dans le Code de commerce. Il en est ainsi y compris du délit d’abus de biens sociaux. L’existence de textes spécifiques ne doit pas masquer le fait que les qualifications de droit commun ont vocation à prendre le relais quand les conditions d’application de l’incrimination spécifique ne sont pas toutes remplies. Notamment, les des sociétés civiles vont relever des incriminations de droit commun. De même, il existe des législations propres à certaines formes de sociétés (notam. pour les SCI, les sociétés faisant

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appel public à l’épargne). La défunte loi de 1966 n’avait pas pris parti sur la question de la responsabilité pénale des personnes morales. Principe de spécialité. Donc si la loi ne dit rien, il n’y a pas de responsabilité pénale des personnes morales. On ne pouvait pas poursuivre une société à raison de la responsabilité pénale des personnes morales des sociétés commerciales. C'était un faux débat. C'est un débat qui appartiendra bientôt au passé, avec le principe de généralité.

Quant aux personnes susceptibles d’être poursuivies au titre des infractions du droit pénal des sociétés commerciales, on a un aspect restrictif et un aspect extensif. Aspect restrictif : la plus souvent, le texte incriminateur vise une personne d’une qualité particulière. Enumération des personnes à raison de leur qualité particulière (présidents, directeurs généraux, directeurs généraux délégués, administrateurs). Seules ces personnes étant visées, seules ces personnes peuvent être poursuivies de ce chef. Aspect extensif : concerne le dirigeant de fait. Possibilité d’aller chercher celui qui s’immisce dans la gestion courante de la société.

Quant à l’imputation de l’infraction, s’agissant des délits intentionnels, il faudra vérifier expressément l’existence d’une intention coupable. Et cela en la personne d’un des auteurs susceptibles d’être poursuivis (personne ayant la qualité visée par le texte incriminateur). La personne qui aura participé à la commission d’une telle infraction sans avoir la qualité requise pourra être poursuivie comme complice.

S’agissant des infractions non intentionnelles : en droit pénal des sociétés commerciales, on a de très nombreux délits matériels, qui ne requièrent pas la preuve d’une faute quelconque, ni intentionnelle, ni d’imprudence (délits matériels établis par la seule constatation du dommage). Question : qui va être responsable ? Va-t-on déboucher sur la responsabilité collective de tous les administrateurs ou va-t-on mettre en exergue le dirigeant principal ? C'est la seconde option qui est retenue en jurisprudence : celui qui exerce la juridiction quotidienne au rang le plus élevé (crim., 1983). Dans cette hypothèse, une délégation de pouvoir est concevable, mais encore faut-il que la délégation de pouvoir soit faite au profit d’une personne ayant la qualité visée par le texte incriminateur puisque seule une telle personne peut commettre ce délit. Donc on ne peut pas faire la délégation de pouvoir à une personne non visée. Ex : ne peut être délégué à un préposé, le plus souvent. Mais par exemple, l’art. L263-2 du Code du travail vise les préposés (non respect des règles en matière d’hygiène et de sécurité), donc on peut lui déléguer le pouvoir.

Le plus souvent, ces délits vont relever de la compétence des juridictions spécialisées (art. 704 et 705 CPP).

Quant à l’exercice de l’action civile, une infraction va porter atteinte à la société (entité juridique autonome, personne morale distincte de celle de ses membres) et au patrimoine des associés. On a des préjudices multiples susceptibles de résulter de ce genre de comportements. Il faudra bien distinguer deux types d’actions : l’action sociale et l’action individuelle. L’action sociale va être exercée au nom et pour le compte de la société. Normalement, c'est le dirigeant social qui exerce les actions au nom et pour le compte de la société. Dans cette hypothèse, on est dans l’action sociale exercée ut universi, par le dirigeant, au nom et pour le compte de la société. Mais si le dirigeant reste passif, on admet qu’un actionnaire isolément ou plusieurs agissant collectivement prennent le relais face à cette passivité. Mais il s’agit toujours d’exercer l’action sociale, au nom et pour le compte de la société. C'est alors l’action sociale ut singuli. A côté de l’action sociale, il y a l’action individuelle. Différence énorme : action exercée par un associé agissant en son nom et pour son compte. Il agit en réparation de son préjudice personnel, lequel

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doit être, et à lui d’en justifier, distinct du préjudice subi par la société en tant qu’entité juridique autonome. Dès que l’on va avoir une infraction au droit pénal des sociétés commerciales, la question va être de savoir quelles sont les actions recevables. L’action civile exercée devant les juridictions civiles ne pose pas de problème. Problème : l’action civile exercée devant les juridictions répressives, qui est une hypothèse exceptionnelle, dérogatoire (art. 2 alinéa 2 CPP) : il faut justifier d’un préjudice personnel directement causé par l’infraction.

Quant aux éléments constitutifs de l’infraction : s’agissant de l’élément matériel, on peut relever qu’il y a de très nombreux délits d’abstention (mais beaucoup de dépénalisation sur ces délits aussi) ; une place originale est faite à des délits d’abstention. Quant à l’élément moral, de nombreux délits étaient des délits matériels (délits dits papiers). Impact : la transformation du nouveau Code pénal. Notamment, la loi d’adaptation (16/12/1992) transforme automatiquement ces délits matériels en délits d’imprudence. Mais attention, lorsque l’infraction est une infraction d’abstention, la Cour de cassation, depuis 1994, va considérer ces délits comme des délits intentionnels avec une particularité : l’intention est présumée de par la qualité de l’auteur.

Section 2   : Les principales incriminations

§1. Les infractions commises lors de la formation de la société.

Ce fut le terrain privilégié de la dépénalisation, notamment avec la loi NRE. S’agissant de la SA, on a supprimé l’incrimination de la déclaration mensongère (art. 242-2). Aujourd'hui, reste seulement, propre aux SARL, l’article 241-1 (lui-même allégé en 2003) : omission, dans l’acte de société, de la déclaration concernant la répartition des parts sociales entre tous les associés, la libération des parts ou le dépôt des fonds. Restent finalement aujourd'hui deux délits principaux.

I. La majoration frauduleuse des apports en nature

Ce délit reste incriminé aussi bien pour les SARL (art. 241-3 1°) que pour les sociétés anonymes (art. 242-2 4°). L’appellation se suffit à elle-même. Fait de faire attribuer frauduleusement à un apport en nature une évaluation supérieure à sa valeur réelle. Sanction : 5 ans, 9000 euros. Existe aussi pour la SAS et la SCA.

La tentative n’est pas incriminée (faire attribuer). Apport en nature : fonds de commerce, immeuble, invention… Evaluation supérieure à sa valeur réelle : pratique du mouillage (watering) des apports en nature. Ce fait peut être commis par toute personne. Qui sera cette personne ? Les apporteurs, les fondateurs, les administrateurs, les gérants. On retrouvera les commissaires aux apports en tant que complices. Un arrêt de la Chambre criminelle (22/01/1990) a appliqué le texte s’agissant de la dissimulation d’une sûreté grevant le fonds de commerce apporté.

En pratique, c'est un délit très complexe à mettre en œuvre. La loi dit « donner une évaluation supérieure à sa valeur réelle ». Mais elle ne dit pas ce qu’est la valeur de référence ou même la méthode d’évaluation de référence. Or chacun a sa méthode d’évaluation ; querelles d’experts. La notion d’évaluation et de surévaluation

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est très floue. D’où pour ce délit un recours quasi systématique à des experts et à des contre-experts. Quelle va être la valeur réelle. Est-ce la valeur marchande (objective) ? Les textes ne le précisent nullement. Comment savoir qu’il y a surévaluation coupable ? Tribunal correctionnel de Paris, 16/05/1974, affaire des frères Willot : il semblerait que le tribunal a retenu une approche un peu plus subjective, plus souple. Ici, c'était la valeur d’actions apportées. Le tribunal a intégré dans cette approche la valeur que sont susceptibles de prendre dans le futur les actions apportées. Donc appréhendées dans une perspective d’avenir.

Survie de l’adverbe « frauduleusement ». Appréciation en fonction des compétences de la personne poursuivie. Encore une fois, cette dissimulation peut prendre la forme d’un mensonge, d’une omission, d’une dissimulation.

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II. Les délits d’émission et de négociation illicites d’actions

A. Le délit d’émission illicite d’actions

Ce délit va concerner les formes de société susceptibles d’émettre des actions : les sociétés par actions (SA, SCA, SAS). Ne sont pas concernées les SARL. Elles ne peuvent émettre des valeurs mobilières. Depuis une ordonnance du 25/03/2004, la SARL peut émettre des obligations nominatives (mais toujours pas des actions), sous certaines conditions. L’article L241-2 a été modifié en conséquence : il sanctionne le gérant d’une SARL qui émettrait directement ou par personne interposée des valeurs mobilières quelconques (6 mois, 9000 euros). L’article réserve l’hypothèse d’une émission d’obligations nominatives dans les conditions légales. S’agissant les SARL, c'est l’émission d’actions qui est incriminée (???).

S’agissant d’une société par actions, qui peuvent émettre des actions, en quoi va consister le délit ? L’article ne va pas sanctionner l’émission d’actions. Ce qu’elle va sanctionner, c'est indirectement un manquement aux règles de constitution de la société qui émet les actions. L’irrégularité n’affecte pas l’émission d’actions. Elle affecte ou a affecté la constitution de la société qui émet des actions. Ici, le droit pénal va prendre le relais du droit commercial. Le droit français des sociétés commerciales n’a pas choisi la voie du contrôle a priori de la régularité de la constitution de la société. Alors le pénal vient en relais. Alors même qu’elle prend la forme d’une société capable d’émettre des actions, la société se voit interdire d’émettre des actions si sa constitution n’est pas conforme. De plus, le droit commercial français a une conception très restrictive de la nullité d’une société (art. L235-1) : ne sont visées que les dispositions expresses de la loi ou celles régissant le droit commun des contrats. La nullité de la société ne peut résulter d’un vice du consentement ou d’une incapacité que si elle a atteint l’ensemble des fondateurs. La nullité ne peut résulter de la seule présence d’une clause léonine. Idée : le droit pénal prend le relais plutôt qu’un contrôle judiciaire, plutôt qu’une nullité trop largement encourue. On va ériger en délit le fait pour une société irrégulièrement constitué d’émettre des actions.

L’article L242-1 vise un certain nombre de situations qui font obstacle à l’émission d’actions : irrégularités relatives à l’immatriculation de la société : émission faite avant l’immatriculation de la société, immatriculation obtenue par fraude (à toute époque), ou émission sans que les formalités de constitution de la société aient été accomplies. Bien entendu, ces formalités seront encore plus lourdes s’agissant de sociétés faisant appel public à l’épargne. Dans cette hypothèse, une simple peine d’amende est encourue : 9000 euros. Sont concernés les dirigeants des différentes formes de sociétés. La sanction est plus sévère : une peine d’emprisonnement d’un an est encourue en plus de la peine d’amende lorsqu’il s’agit d’une violation des conditions de libération des actions, si les actions ou coupures d’actions sont émises sans que les actions de numéraire aient été libérées à la souscription d’¼ au moins de leur valeur ou sans que les actions d’apports aient été intégralement libérées avant l’immatriculation. L’article L225-3 al. 2 du Code de commerce exige la libération d’au moins la moitié de la valeur. On n’a pas transposé dans le texte répressif.

Ces dispositions spécifiques ne jouent pas en cas d’augmentation de capital ; il s’agit simplement de la souscription.

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L’alinéa 3 punit des mêmes peines le fait pour les personnes visées de manquer à une règle relative à la libération des actions, c'est-à-dire le fait de ne pas maintenir les actions de numéraire en la forme nominative jusqu’à leur entière libération. Toutes ces peines sont doublées lorsqu’il s’agit de sociétés faisant appel public à l’épargne.

Pour le reste, s’agissant des éléments constitutif, on relèvera simplement que le terme d’émission a perdu l’acception matérielle qui était la sienne jusqu’en 1981 (loi opérant dématérialisation des titres). L’émission doit donc désormais s’entendre de l’attribution définitive des actions telle que résultant de la prise de possession des fonds déposés et de l’inscription en compte au nom du propriétaire sur les livres de l’intermédiaire ayant réalisé l’opération. C'est un délit intentionnel (principe général de l’article L121-3). Ce n’est pas un simple délit d’imprudence. Mais la Cour de cassation se montre très souple sur cette intention coupable et elle sera le plus souvent déduite de la qualité du prévenu.

B. Les délits relatifs à la négociation des actions

Articles 242-3 et 242-4. L’article 242-3 va sanctionner le fait de négocier des actions de numéraire qui ne sont pas restées sous une forme nominative jusqu’à leur entière libération (on sanctionne ceux qui vont négocier de telles actions, et non plus la société qui émet). De même pour la négociation d’actions de numéraire non libérées de leur valeur du quart au moment de la souscription. 1 an, 9000 euros. Sont concernés les fondateurs et les dirigeants.

Même sanction (art. 242-4) pour le fait, pour toute personne, d’avoir établi ou publié la valeur des actions visées à l’article précédent.

§2. Les infractions commises dans le fonctionnement de la société

I. La participation à la gestion

On raisonne ici en termes de sociétés. Il faut que les associés (SARL), les actionnaires (sociétés par actions) soient informés de ce qui se passe dans la société. Du côté des dirigeants, on va avoir de nombreuses obligations de communiquer, de convoquer ; obligations de faire posées par le droit des sociétés commerciales. Ce sont donc des obligations de faire. Du point de vue du droit pénal, on va sanctionner des abstentions. On va être sur le terrain privilégié de la dépénalisation.

Que nous reste-t-il aujourd'hui sur ces délits ? Article 242-10 : on va dérouler le fil de la vie démocratique. C'est tout d’abord la réunion de l’assemblée. Il faut convoquer les associés aux assemblées, notamment à l’assemblé générale annuelle portant approbation des comptes. Elle doit se tenir dans les 6 mois de la clôture de l’exercice, sauf prolongation du délai par décision de justice. On va tout simplement sanctionner le fait pour les dirigeants de ne pas réunir dans les délais légaux cette AGO d’approbation des comptes. C'est un délit qui subsiste : art. 242-10 (SA), art. 241-5 (SARL). Mais le délit n’existe pas pour la SAS.

Peine encourue : 6 mois, 9000 euros. La Cour de cassation se montre très sévère. 1995 : le dirigeant avait obtenu le report du délai. Il a obtenu le report mais il avait fait cette demande après les mois. Il a été condamné. Arrêt remarqué du

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21/06/2000 qui a condamné de ce chef l’administrateur judiciaire. Confusion ici de l’entreprise et de la société qui exploite. L’administrateur judiciaire gère l’entreprise mais ne se substitue pas aux organes sociaux.

Même peine pour le gérant d’une SARL. L’art. 242-10 vise également le fait de ne pas soumettre à l’approbation de l’assemblée les comptes annuels et le rapport de gestion.

L’assemblée doit donc se tenir. Encore faut-il que les associés soient convoqués. Quant à la convocation aux assemblées, le manquement aux règles en la matière ne donne plus lieu à sanction pénale (abrogation de l’article 242-11) par la loi du 1er août 2003 sur la sécurité financière (substitution de la procédure d’injonction de faire sous astreinte).

Il ne subsiste plus qu’une hypothèse : article 242-29. 6 mois, 4500 euros. Ne pas convoquer une assemblée particulière lorsque les capitaux propres de la société, du fait des pertes constatées dans les documents comptables, deviennent inférieurs à la moitié du capital social. Dans cette hypothèse, le dirigeant doit, dans les 4 mois qui suivent l’approbation des comptes ayant fait apparaître ces pertes, convoquer l’assemblée pour décider s’il y a lieu à dissolution de la société ou pas.

Il ne suffit pas de convoquer. Il faut informer, pour que les associés y participent en connaissance de cause. Il faut leur communiquer les informations nécessaires à un vote éclairé. Droit d’information des associés. Il y a un accès permanent et un accès renforcé dans les 15 jours avant la tenue des assemblées. Sanction abrogée en cas de manquement (loi NRE). S’agissant de la communication d’information, substitution de la procédure d’injonction.

Il faut encore que chacun participe effectivement à l’assemblée. On protège l’accès à l’assemblée et la régularité de sa tenue. Art. 242-9. Les sanctions pénales ont disparu (loi de sécurité financière). Reste une seule hypothèse d’incrimination : art. 242-9 3° → atteinte à la liberté d’exercice du droit de vote. Fait de se faire accorder (idée de corruption), garantir ou promettre des avantages pour voter dans un sens ou ne pas participer au vote. Fait de consentir ces avantages incriminés aussi. 2 ans, 9000 euros. Le fait de ne pas tenir une feuille de présence n’est plus un délit pénal mais la sanction de remplacement est sévère : nullité des délibérations prises. L’article L235-2-1 qui vise cette nullité vise la nullité des délibérations prises en violation des dispositions régissant le droit de vote. Est-ce que la non-tenue d’une feuille de présence a trait aux dispositions régissant le droit de vote ?

Quant à l’établissement d’un procès verbal, n’est plus incriminé (depuis l’ordonnance de mars 2004) le fait de ne pas conserver au siège social un recueil spécial des procès verbaux des délibérations d’assemblées. Mais c'est seulement ce qui est supprimé. Reste sanctionné (3750 euros) le fait pour le président ou l’administrateur de ne pas procéder à la constatation des décisions de l’assemblée par un procès verbal signé par les membres. Donc reste incriminé le défaut d’établissement d’un procès verbal.

Enfin, il faut s’assurer que l’exercice du droit de vote soit conforme aux règles y présidant. Il n’y a plus de sanctions pénales. Sanction civile de nullité des délibérations lorsqu’il n’y a pas eu respect des dispositions régissant le droit de vote attaché aux actions.

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II. Le contrôle de la gestion

Personnage clé dans ce contrôle de la gestion : le commissaire aux comptes, qui est chargé du contrôle de la SA (article 225-218 et suivants). Depuis la loi NRE, on a regroupé les dispositions relatives aux commissaires aux comptes dans les articles L820-1 et suivants du Code de commerce. Le commissaire aux comptes est chargé de contrôler la comptabilité de la société et son bon fonctionnement. Il peut s’agir d’une personne physique ou d’une personne morale. C'est une profession à part, un véritable marché. Ce n’est pas une profession facile. Le commissaire aux comptes contrôle les comptes de la société, il est payé par elle. Contrôler les comptes de celui qui le paye, ce n’est pas évident. Il doit approuver les comptes avec ou sans réserve, ou même les refuser. Situation très délicate. Profession dont l’exercice est strictement règlementé, avec toute une série d’interdictions et d’incompatibilités. Tout manquement à ces incompatibilités ou interdictions légales expose à des sanctions légales : 6 mois, 7500 euros.

A. Le commissaire aux comptes victime de l’infraction

Que peut-on craindre pour lui ? Qu’on l’empêche d’exercer sa mission. C'est l’obstacle à l’exercice de la mission qui est sanctionné par l’article L820-4 : sanctionne le fait pour tout dirigeant d’une personne morale tenue d’avoir un commissaire aux comptes de ne pas en provoquer sa désignation ou de ne pas le convoquer à l’assemblée générale. 2 ans, 30000 euros. Sanctionne aussi (2ème

forme) le fait de faire obstacle aux vérifications ou contrôles ou encore leur refuser la communication sur place de toutes les pièces utiles à l’exercice de leur mission. 5 ans, 75000 euros.

B. Le commissaire aux comptes auteur de l’infraction

Que peut-on craindre de lui ? Qu’il donne des informations mensongères sur la situation de la société (art. 820-7). 5 ans, 75000 euros.sa mission étant de certifier que les comptes annuels sont réguliers, sincères et donnent une image fidèle des résultats des opérations de l’exercice écoulé. Ce qui peut se passer : au cours de sa mission, le commissaire aux comptes peut découvrir des faits délictueux. 1er aspect : en principe, il est tenu au secret professionnel pour les faits et actes dont il peut avoir connaissance à raison de ses fonctions (art. 822-15). Mais 2ème aspect : il est aussi un relais des autorités publiques dans le souci de moralisation et de poursuite des faits délictueux. La loi fait obligation au commissaire aux comptes de révéler au procureur de la république les faits délictueux dont il a connaissance dans l’exercice de sa fonction (art. 820-7). La fameuse obligation de révélation des faits délictueux dont il a connaissance. Par exception, en le faisant, il ne s’expose pas à des poursuites pour violation du secret professionnel. Cette obligation est mise à la charge du commissaire aux comptes. Enorme éclairage sur son statut hybride. En ne dénonçant pas, il commet un délit de non-révélation. 5 ans, 75000 euros. L’obligation ne porte que sur les faits délictueux. Le commissaire ne doit pas se tromper : il ne doit révéler que des faits susceptibles de qualification pénale, sous peine d’être poursuivi pour violation du secret professionnel.

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C. L’exercice de la gestion par les dirigeants

Le délit d’abus de biens sociaux est un délit voisin de l’abus de confiance. Il en est assez proche dans le concept. On retrouve à la base du contrat de société l’affectio societatis : volonté d’œuvrer dans le même sens et de partager les bénéfices. Le dirigeant va être investi d’un mandat : le mandat social. La passerelle est ainsi faite avec le délit de droit commun (abus de confiance). Dans l’abus de confiance, on se préoccupait des détenteurs précaires (y compris choses remises en vertu d’un mandat social). Ceci dit, pourquoi cette incrimination spécifique et pourquoi pas se contenter de l’incrimination de droit commun ? On s’est rendu compte que les conditions d’application de l’abus de confiance n’étaient pas forcément toujours remplies ; limites d’application de l’abus de confiance au comportement délictueux du mandataire social. L’abus de confiance visait les actes de détournement et de dissipation (à l’époque). Or le comportement délictueux d’un mandataire social pouvait prendre la forme d’une abstention ; l’abus de confiance supposait un acte positif. Bien plus, les actes indélicats pouvaient prendre d’autres formes que des détournements ou des dissipations. D’où la nécessité de créer une incrimination spécifique. Le délit d’abus de biens sociaux fut créé par le décret-loi du 8 août 1935, à la suite de scandales financiers retentissants. Textes incriminateurs dans la loi de 1966 ; figurent aujourd'hui dans le Code de commerce. Ensuite, toute une série de textes propres aux différentes formes de sociétés commerciales : art. L242-6 pour les SA et art. L241-3 pour les SARL.

1. Les éléments constitutifs de l’infraction

a. L’élément matériel

Il faut raisonner en termes d’abus. On parle d’abus de biens sociaux mais c'est l’appellation commune ; les termes sont un peu plus précis. Ce qui est incriminé, c'est de faire, et cela dans tous les textes, un usage des biens, du crédit, des pouvoirs ou des voix dont il dispose contraires à l’intérêt de la société. Donc tout se résume en deux composantes : un usage contraire à l’intérêt de la société.

- Le concept d’usage

La forme de l’usage. On ne parle pas ici de détournement ni de dissipation ; on utilise un terme vague qui renvoie à des actes de natures diverses. Cas de figure le plus classique : le détournement de fonds. Mais l’usage ne requiert pas l’appropriation définitive des biens de la société par le dirigeant. Il n’est pas besoin qu’il y ait appropriation définitive des biens de la société ; il peut y avoir usage alors même qu’il y avait intention de restitution. Ce qui permet par exemple d’atteindre le dirigeant qui se fait consentir un prêt à des conditions très avantageuses par la société qu’il dirige et à son propre profit. Ça peut être l’usage à des fins personnelles d’un véhicule de la société. De même l’utilisation d’un logement de la société, du personnel de la société à des fins personnelles. Pas d’intention d’appropriation ; seulement usage. Un simple usage temporaire peut suffire à caractériser l’abus de biens sociaux (si les autres conditions sont remplies). Autre ex : le paiement des honoraires d’un avocat par la société pour un dossier personnel.

Le terme est également flou et entraîne d’autres conséquences. Il peut s’agir d’un acte positif, aussi bien d’administration que de disposition : consentir un bail un

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immeuble de la société dans un intérêt personnel du dirigeant. Mais il peut aussi s’agir d’un acte d’abstention, d’omission : Cour de cassation 1997, fait pour le dirigeant social de ne pas réclamer le paiement d’une créance que la société détient vis-à-vis d’une autre société dans laquelle le dirigeant a également un intérêt. La Cour de cassation l’a rappelé dans un arrêt du 28/01/2004. L’abus de biens sociaux peut résulter d’une abstention volontaire (non réintégration dans l’actif d’une SARL d’une somme qui avait été perçue par erreur par une SCI dont les dirigeants de la SARL étaient également associés.

L’objet de l’usage. On parle tous d’abus de biens sociaux, mais en fait ce n’est qu’une des formes de ce délit car l’usage incriminé peut porter sur les biens de la société mais aussi sur les pouvoirs dont le dirigeant dispose ou encore le crédit de la société ou encore les voix dont le dirigeant dispose. Il vaudrait donc mieux parler de l’usage des pouvoirs sociaux. Tout abus de pouvoir englobe un abus de biens ; mais l’abus de biens n’englobe pas nécessairement l’abus de pouvoir. Abus de pouvoir. Aujourd'hui, l’abus de pouvoir est en train de monter en puissance par rapport à l’abus de biens. La formule d’abus de biens sociaux est donc réductrice ; elle ne donne qu’un des 4 visages de l’incrimination.

Ce qui est incriminé : l’usage abusif des biens de la société (concerne tous les actifs de la société, corporels, incorporels, meubles ou immeubles ; les fonds sociaux, les biens meubles, les biens immeubles ; les baux, les brevets, les créances, le personnel de la société).

L’usage abusif du crédit de la société. Le crédit doit être compris au sens large et économique : capacité d’emprunt, capacité à se faire garantir, à se faire cautionner. Ici sera visé par exemple l’usage de la signature sociale pour l’acceptation d’effets de complaisance. Usage de la garantie de la société (la société se porte caution) pour des dettes personnelles du dirigeant. Conception large de ce crédit de la société : le crédit doit également être compris comme la réputation, la renommée de la société, sa bonne image. Ce qui ouvre des portes immenses.

Les articles visent également l’usage abusif des pouvoirs conférés par le mandat social qui lui a été donné. Encore une fois, cette appellation peut englober les autres. Mais l’abus de pouvoir présente un autre intérêt : il va permettre d’atteindre des tentatives d’abus de biens sociaux qui ne sont pas incriminées. Car la tentative d’abus de biens sociaux (stricto sensu) n’est pas incriminée ; mais on va pouvoir poursuivre au titre de l’abus de pouvoir.

Dernière forme d’usage abusif : usage abusif des voix dont le dirigeant dispose. Usage détourné des procurations de vote qui ont été données au dirigeant dans la perspective d’une assemblée générale. Derrière cette appellation commune, c'est une incrimination à 4 branches qui est visée.

- L’usage abusif

L’abus consiste dans un usage contraire à l’intérêt de la société. C'est l’élément matériel du délit. L’appréciation se fait au regard de l’intérêt social, qui peut être distinct de celui des membres qui la composent. Le dirigeant d’une EURL peut commettre un abus de biens sociaux, peu importe qu’il soit le seul associé. La société a un intérêt social distinct de celui de son seul associé. Les patrimoines et les entités juridiques sont distincts ; les intérêts aussi. Les créanciers de la société sont intéressés parce qu’ils se heurtent à l’écran social de l’EURL. Le dirigeant n’est

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responsabilité des dettes sociales qu’à hauteur de ses apports. C'est l’explication. La Cour de cassation l’a consacré.

L’appréciation se fait par rapport à l’intérêt social et non par rapport à l’objet social. Des dépenses étrangères à l’objet social ne sont pas nécessairement ipso facto contraires à l’intérêt social. La Cour de cassation l’a dit dans un arrêt du 24/10/1996. Une SA dont l’objet était le négoce de dentelle avait participé à la création d’une SCI qui avait acquis un appartement. Cet appartement était destiné au logement personnel du président de la société. Peu de temps après, la SA avait racheté 90% des parts d’une autre société immobilière qui était propriétaire de l’appartement occupé par la maman du président de la société anonyme. Les juges du fond avaient condamné le dirigeant de la SA pour abus de biens sociaux. La décision est cassée au motif que la CA n’avait pas précisé en quoi cette acquisition était contraire à l’intérêt social. Il appartiendra à la Cour de renvoi d’établir que cette acquisition est contraire à l’intérêt de la société. L’assimilation n’est pas systématique.

En quoi peut consister un usage contraire à l’intérêt de la société. Cas non douteux : prélèvement de fonds sociaux dans la caisse pour payer des dépenses personnelles, paiement par la société d’amendes pénales personnelles, bénéfice de la jouissance des biens de la société, rémunérations excessives. Si cette rémunération est excessive ou disproportionnée par rapport aux capacités financières, il importe peu qu’il y ait eu approbation par l’assemblée. Si la rémunération n’est pas excessive mais raisonnable, encore faut-il qu’elle ait été fixée dans des conditions régulières (sinon, peut-être pas abus de biens sociaux mais au moins abus de pouvoirs).

Cas délicats : l’usage abusif suffit. Condition nécessaire et suffisante. 1er cas délicat : prise excessive de risques par le dirigeant. Il n’est pas nécessaire qu’un préjudice en soit effectivement résulté pour la société ou se soit ultérieurement révélé. Que finalement l’acte ne se soit pas révélé contraire à l’intérêt de la société quelques mois plus tard importe peu ; l’appréciation se fait au moment de l’usage et non en fonction du résultat final. Elle va se faire au moment de la prise de risque ; n’était-elle pas excessive par rapport aux capacités financières de la société ? L’appréciation doit se faire au moment de l’usage des biens et des pouvoirs du dirigeant. Ex : le dirigeant joue en bourse tous les fonds sociaux. Pas d’impact au final, mais au moment où il l’a fait, c'était dangereux. Appréciation au moment de l’acte et non en fonction du résultat final. Le fait d’exposer la société à des risques disproportionnés excessifs non justifiés par la rationalité ou la logique économique ou financière constitue un abus de pouvoirs sociaux (même si pas forcément de biens). Inversement, si on fait une opération qui s’avère a posteriori catastrophique pour la société mais qui, au moment où elle a été décidée, relevait d’une certaine logique, d’une certaine normalité, le délit pénal n’est pas constitué. Au moment de l’usage, ce n’était pas forcément contraire à l’intérêt de la société. Eventuellement responsabilité civile pour faute de gestion, mais délit pénal non constitué.

Appréciation parfois très délicate pour le juge. Cour de cassation 12/09/2001 qui va retenir comme constitutif de ce délit l’acte économiquement inutile accompli par le dirigeant. Bien donné à bail à la société par le dirigeant qui en était propriétaire. Acte économiquement inutile, alors même que les conditions de loyer aient été conformes au marché. Délit constitué. Limite : 7/05/2002 : on ne saurait se

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contenter, pour condamner pour abus de biens sociaux, des indices de mauvaise gestion révélés par des contrôles ou des audits financiers, qui n’impliquent pas forcément à eux seuls que les dirigeants ont accompli des actes constitutifs d’abus de biens sociaux. Immixtion du juge dans la gestion de la société.

2ème cas délicat : actes illicites accomplis pour le compte de la société. Acte accompli pour le compte de la société or le délit suppose un acte contraire à l’intérêt de la société. Affaires de corruption pour que la société emporte un marché ; Carignon et compagnie. Affaire Carpaye, 27/04/1992 (on l’aime beaucoup) : les gérants de deux SARL cherchaient à obtenir un marché de transport scolaire et qui corrompent un élu local. Ils sont condamnés pour corruption et abus de biens sociaux. Cour de cassation : « L’usage des biens d’une société est nécessairement abusif quand il est fait dans un but illicite ».

Aujourd'hui, qu’en est-il de l’arrêt Carpaye ? Est-il mort ou ressuscité ? La suite : arrêts de caisse noire. Arrêt Rosemain, 11/01/1996 : il avait été établi qu’une partie des recettes d’un bar restaurant d’une société avait été soustraite de la comptabilité ; il y avait une caisse noire. L’expertise avait pu établir que le quart de ces sommes avait servi à rémunérer du travail dissimulé. L’utilisation des ¾ restants était restée inconnue. Dirigeants condamnés pour abus de biens sociaux par les juges du fond. La Cour de cassation confirme la condamnation. Or cette condamnation n’est confirmée qu’au regard de la partie des fonds dont l’affectation était restée inconnue. Alors on s’est dit abandon de l’arrêt Carpaye !! Pas de condamnation pour la partie des fonds ayant servi à des fins illicites (payer tu travail au noir). Implicitement, la Cour de cassation considère que l’utilisation à des fins illicites n’est pas nécessairement un usage abusif. Cet arrêt du 11/01/1996 fut suivi par un arrêt Parigot du 20/06/1996. Même affaire : caisse noire, une partie à des fins illicite, une autre partie destination inconnue. Condamnation seulement pour la partie correspondant à l’utilisation inconnu. Moult abandon de Carpaye.

Ce dans ces conditions qu’est intervenue l’affaire Noir (ministre du commerce extérieur) Botton (son gendre). Cour de cassation, 6/02/1997. Il y avait eu paiement de facture fictives, sans contrepartie réelle. M. K avait été condamné puisque, dirigeant de la société, il avait accepté de payer des factures fictives. La CA l’avait condamné pour abus de biens sociaux. Mais la même CA avait relevé que les versements en question avaient permis d’obtenir du gendre du ministre qu’il intervienne auprès du ministre pour obtenir une réduction d’une dette fiscale. Affaires de trafic d’influence. La Chambre criminelle de la Cour de cassation va d’abord rappeler que tout jugement ou arrêt doit contenir des motifs propres à justifier la décision. Elle ajoute que l’insuffisance ou la contradiction de motifs équivaut à leur absence. Et sous ce chapeau, la Cour de cassation va constater que la CA n’a pas mis la Cour de cassation en mesure de s’assurer de la légalité de la décision en constatant d’une part que l’acte était contraire à l’intérêt de la société, d’autre part qu’il avait permis une réduction de la dette fiscale. La Cour de cassation admet implicitement mais de façon nette que l’acte, certes implicite, n’est pas nécessairement contraire à l’intérêt de la société. Il fallait prouver que l’acte, alors même qu’il était illicite, était aussi contraire à l’intérêt de la société. La Cour de cassation abandonne l’idée de l’adverbe « nécessairement » ; c'est là la différence avec Carpaye. Pas d’abandon ; atténuation.

Arrêt qui est venu clore le débat. Dans le débat autour de l’arrêt de 1997, on se demandait aussi si cette portée ne pouvait pas être analysée au regard d’une donné nouvelle : accessoirement était intervenu le nouveau Code pénal qui prévoit la responsabilité pénale de la personne morale. Ne retombe-t-on pas dans la 1ère

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hypothèse de prise de risque excessive ? Intervention de l’arrêt Carignon 27/10/1997. Cour de cassation : « Quel que soit l’avantage à court terme qu’elle peut procurer, l’utilisation des fonds sociaux ayant pour seul objet de commettre un délit tel que la corruption est contraire à l’intérêt social en ce qu’elle expose la personne morale au risque anormal de sanctions pénales ou fiscales contre elle-même ou ses dirigeants et porte atteinte à son crédit et à sa réputation ». Avec Carpaye, ce qui est à des fins illicites est nécessairement abusif. L’illicéité est le but poursuivi  ; la contrariété s’apprécie par rapport aux intérêts de la société. On a là la justification du rapport entre l’usage abusif et le but poursuivi  : le lien est le risque anormal, le risque disproportionné de condamnation pénale. C'est bien au moment de l’accomplissement de l’acte que le jugement doit se faire. On fait le lien avec la prise excessive de risque ; risque pénal cette fois-ci, et non économique. On est bien dans la valeur sociale protégée, à savoir l’intérêt de l’entité juridique autonome. On est bien dans l’objet de l’usage visé : « crédit ou réputation ».

Solution réaffirmée depuis : 14/05/2003 : un député européen fait effectuer des travaux de rénovation dans sa maison de campagne. Il fait appel à une société qui ne va pas lui facturer l’intégralité des travaux parce que les dirigeants veulent s’attirer sa bienveillance. Cour de cassation : « l’usage des biens sociaux a eu pour effet d’exposer la personne morale et ses dirigeants à des poursuites pénales et fiscales ». Donc contraire à l’intérêt de la société. Le qualificatif anormal, par rapport à Carignon, n’apparaît plus ici.

Arrêt du 22/09/2004 : le corrompu n’était pas un dépositaire de l’autorité publique. C'était un salarié d’une entreprise cliente de la société. Art. L152-6 du Code du travail, qui ne prévoit pas la responsabilité pénale des personnes morales. La Cour de cassation a quand même retenu le délit d’abus de biens sociaux. Usage contraire à l’intérêt de la société en ce qu’il expose le dirigeant à un risque anormal de sanctions pénales, ce qui porte atteinte au crédit et à la réputation de la société. Contournement subtil : ce qui porte atteinte au crédit et à la réputation de la société.

b. L’élément intentionnel

Elément important. Il paraît essentiel. C'est lui qui doit faire la bascule entre le délit civil de faute de gestion et le délit pénal d’abus de biens sociaux. La faute de gestion va engager la responsabilité civile (art. L225-251 du Code de commerce), elle suppose un préjudice. La loi semble exiger tout à la fois un dol général et un dol spécial.

- Dol général

Exigence d’une mauvaise foi, d’avoir agi en connaissance de cause. La loi va sanctionner « celui qui, de mauvaise foi, a fait un usage qu’il savait contraire à l’intérêt de la société ». Redondance. La loi exige une faute volontaire. Le délit d’abus de biens sociaux est un délit intentionnel, ce n’est pas un délit d’imprudence. L’exigence est donc incontestable. Quant à la preuve de cette intention coupable, une certaine souplesse. Notamment, le caractère intentionnel et la pleine connaissance sont souvent déduites de la qualité professionnelles des dirigeants. On passe de « vous saviez » à « vous ne pouviez pas ne pas savoir ».

- Dol spécial

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L’exigence d’un dol spécial est requise par les textes incriminateurs. L’usage contraire à l’intérêt de la société doit avoir été accompli à des fins personnelles ou pour favoriser une entreprise dans laquelle le dirigeant est directement ou indirectement intéressé. C'est important ; cette exigence est fondamentale. La rigueur de l’exigence sur l’élément intentionnel est le contrepoids de la souplesse sur l’élément matériel. C'est l’équilibre du délit. La loi pose cette exigence et se montre souple dans l’exigence. Elle vise « à des fins personnelles ou de façon indirecte pour favoriser l’entreprise dans laquelle il est intéressé, directement ou indirectement ». Elle vise même l’indirect dans l’indirect.

Jurisprudence : l’exigence est bien requise par la Cour de cassation. 19/02/1973 : à défaut de l’intention frauduleuse, le délit n’est pas constitué. 1er mars 2000 : le dirigeant d’une société avait réglé des factures fictives. Condamné pour abus de biens sociaux. La Cour de cassation casse : le juges du fonds devaient caractériser en quoi le dirigeant avait poursuivi un intérêt personnel en payant ces trois factures fictives. Elle montre bien qu’il faut vérifier l’existence de ce dol spécial. 5 mai 2004 : condamne l’arrêt de la CA Paris. A propos d’un emploi fictif, elle reproche aux juges du fond de n’avoir pas recherché et établi l’intérêt personnel poursuivi.

Nuance : quant à la nature de cet intérêt poursuivi, il peut s’agir d’un intérêt matériel, financier, pécuniaire. Mais il est aujourd'hui acquis en jurisprudence que l’intérêt moral suffit. Condition nécessaire. Mais très facilement remplie puisqu’un intérêt même simplement moral suffit. L’intérêt personnel peut être un simple intérêt moral : préserver sa réputation, sauvegarder la réputation de sa famille (Cour de cassation 1967). Ça peut être aussi l’intérêt électoral (Cour de cassation 1971). En 1978, pour le maintien de relations d’amitié. 1987 : maintien des relations avantageuses avec des personnages influents. La souplesse dans la nature de l’intérêt poursuivi affecte considérablement l’exigence d’un élément intentionnel. La condition sera systématiquement remplie. Confusion du dol spécial avec le mobile ?

2ème assouplissement : quant à la preuve de l’intérêt personnel poursuivi. Il est une hypothèse où ce dol spécial est présumé. On va alors présumer que le dirigeant poursuit un intérêt personnel. Jurisprudence issue des arrêts de caisses noires (1996). Caisses noires : un quart pour payer le travail au noir, ¾ d’affectation inconnue. Or dans ces mêmes arrêts, la Cour de cassation donne un autre attendu de principe : « la poursuite d’un intérêt personnel est présumée dès lors que les fonds sociaux dont l’affectation est restée inconnue ont été prélevés clandestinement ». 2ème arrêt : « à moins qu’il ne soit justifié de leur utilisation dans le seul intérêt de la société, les fonds sociaux prélevés de manière occulte l’ont nécessairement été dans l’intérêt personnel direct ou indirect du dirigeant ». Donc présomption simple. Jurisprudence rappelée régulièrement, notamment 7/03/2002.

Quid de Carpaye : utilisation à des fins illicites. Dans ces hypothèses, il y avait 2 questions : l’élément matériel d’une part, l’élément intentionnel d’autre part. Il est où l’intérêt personnel ? L’intérêt personnel est distinct de l’intérêt de la société. Pas un mot dans l’attendu de principe de l’arrêt Carpaye. C'est un peu embêtant. Problème parce que l’exigence subsiste dans ces affaires d’utilisation illicite dans l’intérêt de la société. Pour ces affaires là, l’élément disparaît-il ? 11 ans d’incertitude, puis Cour de cassation 2003 (le député européen) : il n’est pas exigé, pour qu’il y ait abus de biens sociaux que l’utilisation des fonds sociaux contraire à l’intérêt de la société ait eu lieu à des fins exclusivement personnelles. La condition peut être

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satisfaite alors même que l’acte a également été dans l’intérêt de la société. Certes, mais il faut quand même prouver l’intérêt personnel, même s’il n’est pas exclusif. Etape suivante : 22/07/2004 (corruption du salarié d’une entreprise cliente) : l’utilisation des fonds sociaux a eu pour seul but de maintenir la situation personnelle de son dirigeant au sein de la société. Est-ce que ça veut dire que pour la Cour de cassation, pour ces affaires d’actes illicites accomplis pour le compte de la société, l’exigence d’une intérêt personnel est maintenue mais satisfaite dans la mesure où l’acte a permis au dirigeant de maintenir sa situation au sein de la société ? La condition sera toujours satisfaite ; ce qui veut dire que c'est une fausse condition. En tout état de cause, le principe de l’exigence subsiste : Cour de cassation, 4/11/2004 : affaire concernant le président d’une SEM qui avait procédé à l’embauche fictive d’un chargé de mission pendant 7 ans. Le salarié pendant 7 ans n’avait écrit aucune ligne. Le seul rapport produit en 7 ans n’était même pas de lui. La Cade Grenoble condamne. Cassé faute d’avoir recherché l’intérêt personnel poursuivi par le dirigeant à travers cette embauche fictive. On en est là ; mais il suffira à la Cour de renvoi de constater qu’il s’agissait de préserver des liens d’amitié.

2. La répression

a. Les peines encourues

5 ans, 375000 euros. Délit important du droit pénal des affaires. En principe, le coupable n’encourt pas la peine d’interdiction de gérer, notamment au titre de peines accessoires, par référence au décret de 1935. Mais attention, une ordonnance est intervenue en mai 2005. Elle revoit le régime des incapacités en matière commerciale. Ce texte abroge le décret du 8 août 1935, instituant l’interdiction d’exercer la direction et d’administrer une société. Abroge aussi la loi du 30 août 1947 relative à l’assainissement des professions commerciales et industrielles. Textes remplacés par un chapitre nouveau dans le Code de commerce qui va regrouper l’ensemble interdictions d’exercer une profession commerciale ou industrielle. Art. L128-1 à 6 nouveaux du Code de commerce. Nul ne peut, directement ou indirectement, pour son propre compte ou pour le compte d’autrui, entreprendre l’exercice d’une profession commerciale ou industrielle, diriger, administrer, gérer ou contrôler à un titre quelconque une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale s’il a fait l’objet depuis moins de 10 ans d’une condamnation définitive pour un crime et pour certains délits ayant donné lieu à une peine d’emprisonnement ferme d’au moins 3 ans (vol, escroquerie, abus de confiance, banqueroute, prêt usuraire, blanchiment, corruption, recel, faux ; certaines infractions fiscales, infractions au Code du travail et infractions à la législation sur les sociétés commerciales, y compris le délit d’abus de biens sociaux).

b. Les auteurs punissables

Les dirigeants de droit des sociétés pour lesquelles le délit est édicté (SA, SCA, SARL, EURL, coopératives). En revanche, ne peuvent être poursuivis les dirigeants de droit d’une SNC ou d’une SCS (société en commandite simple) ; seuls pourraient être poursuivis les liquidateurs de cette société. Le délit n’est pas prévu pour les sociétés de personnes. Application stricte de la loi pénale, principe de légalité. Application intéressante à propos d’une société étrangère : la Cour de

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cassation (3/06/2004) a constaté que l’incrimination ne saurait être étendue aux sociétés de droit étranger. Comme pour une SNC, une société civile. Et la Cour de cassation précise : les dirigeants de ces sociétés pour lesquelles l’incrimination spécifique d’abus de biens sociaux n’est pas prévue pourront être poursuivis pour abus de confiance ; « pour lesquels seul l’abus de confiance peut être retenu ».

Seules les personnes ayant la qualité visée par le texte incriminateur pourront être poursuivies. Au dirigeant de droit va s’ajouter le dirigeant de fait. On n’oubliera pas, même si on sort du délit d’abus de biens sociaux, que celui-ci pourra atteindre le recel. Recel d’abus de biens sociaux (on en a parlé sur le terrain de la prescription, où on a porté atteinte à l’autonomie du délit de recel, dont la prescription ne peut courir tant que la prescription de l’abus de biens sociaux n’a pas commencé à courir). Il n’y a pas ici le bénéfice de l’immunité familiale (puisqu’on est dans le domaine des infractions à la législation sur les sociétés commerciales). Quid des personnes morales ? La loi de 1966 n’a pas pris parti. Donc, en application du principe de spécialité, de lege lata, pas de responsabilité pénale des personnes morales (jusqu’en janvier 2006, où on appliquera le principe de généralité). Ce n’est pas forcément inconcevable en matière d’abus de biens sociaux : on pourrait le croire, vu que le dirigeant doit agir pour le compte de la société pour que la responsabilité de la société soit engagée. Mais hypothèse où la société administrateur d’une autre société, l’administrateur pouvant être une personne morale. Ou encore, personne morale complice de l’abus de biens sociaux.

c. La tentative

La tentative n’est pas punissable (pas de texte l’incriminant). Tempérament : on atteindra des tentatives d’abus de biens sociaux par le biais de l’abus de pouvoirs sociaux. Ex : se faire octroyer une rémunération excessive qu’on aura finalement jamais perçue.

La complicité est punissable.

d. La prescription de l’action publique

Quel est l’élément matériel qui consomme l’infraction ? C'est l’usage. C'est un délit instantané puisqu’il est consommé par l’usage. C'est à partir de l’usage que court le délai de prescription de 3 ans.

Travail jurisprudentiel sur le délit d’abus de biens sociaux : c'est le dirigeant qui va commettre le délit et le plus souvent, les faits ne seront découverts qu’à l’occasion d’un changement de dirigeant, à l’occasion d’un dépôt de bilan. Cela peut se produire plus de 3 ans après l’usage abusif, à une époque où normalement le délit serait prescrit. D’où travail jurisprudentiel : la Cour de cassation retarde le point de départ du délai de prescription au jour où l’infraction a pu être découverte dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique (expertise, dénonciation au procureur de la République, notamment). Le délit est-il imprescriptible ? NON !!!!!!! Retarder le point de départ d’un délai ne signifie pas qu’il n’y a pas de délai. Il y a quand même toujours un délai de 3 ans à partir de a découverte. Et pourtant, « moult propositions » (il l’a dit !!!) de lois pour modifier la prescription du délit d’abus de biens sociaux. Dans l’esprit des députés, qui n’en est pas un, il fallait briser une jurisprudence qui existait par ailleurs identiquement, mais ils s’en foutaient, pour un autre délit de droit commun (l’abus de confiance).

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Jurisprudence d’apaisement de la Cour de cassation : arrêt Schmidt du 13/10/1999. Dirigeant d’une société qui avait engagé pendant 5 ans par contrat de travail fictif un élu local et sa secrétaire. Tous les deux avaient versé des reçus assez conséquents. Question de la prescription car un des dirigeants poursuivis pour abus de biens sociaux fait valoir que les dépenses en question figuraient dans les comptes sociaux. Donc la prescription a en réalité commencé à courir dès la présentation des comptes en assemblée. L’arrêt fait droit à cette argumentation. Jurisprudence d’apaisement. Avec une réserve dans son attendu : la prescription de l’action publique du chef d’abus de biens sociaux court, sauf dissimulation, à compter de la date de présentation des comptes annuels par lesquels les dépenses litigieuses sont mises indument à la charge de la société. Jurisprudence de 1999 confirmée systématiquement depuis. Donc réserve l’exception de la dissimulation ; tout dépend de la façon dont les comptes ont été présentés. Si dissimulation il y a, ça nous renvoie à la jurisprudence établissant le point de départ au jour où l’infraction a pu être découverte dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique.

La Cour de cassation s’est montrée stricte sur la conception d’une dissimulation, en exigeant de véritables manœuvres comptables, notamment dans l’arrêt Schmidt. Dans cette affaire, elle a considéré qu’il n’y avait pas dissimulation. De même, le 27/06/2001, elle casse l’arrêt de la CA car elle considère qu’on ne saurait se contenter, pour dire qu’il y a dissimulation et renvoyer à la jurisprudence retardant le point de départ, du fait que les charges indues figurant dans les comptes annuels étaient noyés dans la masse des frais divers ou des charges salariales. Ne suffit pas à établir une dissimulation.

On note aujourd'hui un très perceptible assouplissement quant au concept de dissimulation. Notamment, Cour de cassation 28/01/2004, où la présentation dans les comptes était quasiment identique à celle de 2001. Or en 2004, elle y voit une forme de dissimulation, ce qui renvoie au retard du point de départ. Dans une affaire similaire à celle de 2001, elle prend une position différente. Arrêt du 25/02/2004 : la Cour de cassation considère que cela relève de l’appréciation souveraine des juges du fond (mais c'est un peu factice). C'est un peu comme Carpaye : il y avait une jurisprudence dénoncé et une jurisprudence d’apaisement qui prévoit une exception renvoyant à la jurisprudence dénoncée. L’exception est de plus en plus facilement admise.

Autre travail jurisprudentiel quant à la prescription : quid s’agissant de paiements successifs en vertu d’un acte unique ? Magnifique affaire (il en a rédigé les conclusions). Affaire Lagardère : une convention avait été conclue par laquelle les sociétés Matra Hachette s’étaient engagées à verser à une société tierce, Lagardère, une redevance forfaitaire annuelle correspondant à 0,20% de leur chiffre d’affaires, en contrepartie de prestations d’animations, de relations, d’assistance. La convention fixant cette redevance avaient été approuvées par les assemblées générales des deux sociétés. Elle devait être chaque année soumise à ce vote et donner lieu à un rapport spécial du commissaire au compte. Question de la prescription de l’abus de biens sociaux : quel est le point de départ du délai de prescription ? Le délit est-il constitué à chaque versement ou par la convention qui prévoit l’obligation de verser chaque année ? La CA de Paris, 25/01/2002, a considéré que l’usage abusif était constitué par la convention (champagne pour Hirsoux). L’affaire a donné lieu à un pourvoi. Chambre criminelle, magnifique arrêt du 8/10/2003 : casse (heureusement, Hirsoux ne suivait plus l’affaire). Elle estime que le délit d’abus de biens sociaux étant une infraction instantanée consommée lors de

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chaque usage abusif des biens de la société, l’usage contraire à l’intérêt social qui résulte d’une convention à exécution successive se déduit non pas de l’engagement contractuel mais du paiement des obligations contractuelles. Le délit se renouvelle à chaque acte d’exécution de l’engagement. C'est à chaque exercice que l’exécution de la convention donnait lieu à un usage abusif des biens de la société. Corrélativement, à chaque présentation des comptes annuels dans lesquels figuraient les dépenses courait un nouveau point de départ du délai de prescription. En cas de convention à durée indéterminée, peut-être n’est-on pas loin d’un délit imprescriptible, quand elle est renouvelable par tacite reconduction.

Le délit d’abus de biens sociaux, par cette jurisprudence détournée, fait partie des infractions clandestines. Récemment, la Cour de cassation a allongé la liste des infractions clandestines : 7/07/2005. C'est un revirement. A propos du délit de tromperie (sur les qualités substantielles de la chose). A propos de l’affaire d’hormones de croissance extraites d’hypophyses humains administrées à des enfants depuis 1988. Le traitement a été un des grands scandales de santé publique et avait débouché sur la maladie de Creutzfeld-Jacob. Depuis 1980-1985, certains pays avaient arrêté mais la distribution en France avait continué et il avait fallu écouler des stocks. Poursuite pour délit de tromperie. Cour de cassation : recourt à cette qualification et classe la tromperie dans les délits clandestins, comme le délit de publicité trompeuse. La Cour de cassation précise que ce délit de tromperie est un délit clandestin par nature. La clandestinité est inhérente à ce délit. C'est le cas par exemple de l’abus de confiance. Est-ce le cas de l’abus de biens sociaux ? S’agissant de l’abus de biens sociaux, ce n’est pas un délit clandestin par nature, puisqu’on réserve l’hypothèse de dissimulation. Subtilité doctrinale.

e. La question de l’action civile

Qui peut se prévaloir d’un préjudice personnel qui va pouvoir se prévaloir d’un préjudice personnel directement cause par l’infraction ? La société qui va exercer l’action sociale en son nom et pour son compte. L’indemnisation va aller dans les comptes de la société. Action au bénéfice du patrimoine social. Mais l’abus de biens sociaux a été commis par le dirigeant. On risque de se heurter à son inertie. C'est pourquoi l’action sociale ne lui est pas réservée exclusivement. A côté de l’action sociale ut universi, la loi offre la possibilité d’une action sociale (au nom et pour le compte de la société) qui sera exercée par des actionnaires agissant individuellement ou collectivement. C'est une action sociale exercée ut singuli. Pas de difficulté ; c'est toujours au nom et pour le compte de la société qu’est exercée cette action. Question : qui d’autre que la société peut se constituer partie civile ? De ce point de vue, la jurisprudence se montre très stricte. Cette action est notamment refusée, faute de pouvoir se prévaloir d’un préjudice personnel directement causé par l’infraction, aux créanciers de la société. C'est un préjudice indirect. Cette action est donc refusée aux créanciers de la société (1989, 1995), à celui qui s’est porté caution de la société, au comité d’entreprise, aux salariés (1999). 28/01/2004 : dans cette affaire, les salariés devaient percevoir une prime calculée sur les bénéfices d’une société. Or du fait des abus de biens sociaux, pas de bénéfice donc pas de prime. Le préjudice personnel est incontestable mais il reste indirect. Refusée aussi aux syndicats. Quid des actionnaires ou des associés ? Jurisprudence se montrait plus souple et acceptait cette exception pour les actionnaires et associés qui pouvaient se prévaloir d’un préjudice personnel. Ils étaient admis à exercer non pas

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l’action sociale mais l’action individuelle en réparation de leur propre préjudice, en leur nom et pour leur compte.

Revirement de jurisprudence remarquable et très remarqué : 12 et 13 décembre 2000 : abus de biens et abus de pouvoirs. La Cour de cassation énonce que la dépréciation des titres d’une société ou la dévalorisation du capital social découlant des agissements des dirigeants constitue non pas un préjudice propre à chaque associé mais un préjudice subi par la société elle-même. Une action en réparation du chef de ce préjudice relève de l’action sociale ; les associés peuvent le demander, mais alors c'est une action sociale exercée ut singuli. Le préjudice va dans le patrimoine social. On lira parfois que les actionnaires ne peuvent plus exercer d’action individuelle. On n’est pas d’accord ; le droit d’exercer une action individuelle subsiste. Simplement, il faudra justifier d’un préjudice personnel et distinct de la dépréciation ou de la dévalorisation. Cette jurisprudence de 2000 est aujourd'hui confirmée, à tel point que la Cour de cassation, 8/10/2003, a précisé qu’un appel de l’actionnaire agissant ut singuli est recevable même si les dirigeants de la société victime ne s’associent pas à cet appel. Autant la voie sociale de l’action ut singuli reste ouverte, autant, de facto, l’action individuelle leur est fermée.

f. Les moyens de défense

29/03/2005. [Le capital de la société] constitue non pas un dommage propre à chaque associé mais un préjudice subi par la société elle-même. La rigueur juridique peut s’en féliciter.

A propos de l’abus de biens sociaux, plusieurs moyens de défense sont invoqués :Approbation ou autorisation ou ratification par les organes sociaux des actes constitutifs d’abus de biens sociaux ou d’abus de pouvoirs sociaux. Pour faire échec aux poursuites, il faut respecter toutes les formalités légales. C'est un moyen de défense inopérant. Jurisprudence très classique également. Cour de cassation 22/09/2004 : cette approbation n’empêche pas que l’acte soit constitutif d’un abus de biens sociaux. Quant à la ratification ultérieure, pas davantage. C'est un 1er moyen de défense. Nuance de taille : la question peut se poser vis-à-vis du conseil d’administration. De deux choses l’une : ou leur consentement a été surpris ou il a été donné en pleine connaissance de cause, et reste à se demander s’ils ne sont pas des complices.

2ème moyen de défense spécifique : hypothèse où la société appartient à un groupe de sociétés et on se demande s’il n’y a pas un fait justificatif tiré de l’intérêt de groupe auquel appartient l’entreprise. Est-ce que ce qui, pour une société isolée, est d’évidence un abus de biens sociaux, ne peut pas cesser d’en être un parce que le fait a été accompli dans l’intérêt du groupe auquel appartient l’entreprise ? Sorte de fait justificatif tiré de l’appartenance à un groupe et qui ferait perdre à l’acte son caractère normalement délictueux. C'est la question de l’excuse de groupe. Réponse : oui, c'est un moyen de défense admis. Mais à des conditions extrêmement strictes. La 1ère décision à l’admettre : T Correctionnel Paris 16/05/1974. Sa prise de position a été reprise et précisée dans un arrêt de la Cour de cassation 4/02/1985 Rosenblum. Et là, on a bien le « oui, mais ». Oui, en son principe, un tel fait justificatif est recevable. Mais l’acte contraire à l’intérêt d’une société va cesser d’être constitutif du délit sous réserve qu’il (aide financière à une autre société du groupe) soit dicté par un intérêt financier social commun (1ère

condition), lequel doit être apprécié au regard d’une politique élaborée pour l’ensemble de ce groupe (2ème condition), et que ce concours financier d’une part ne

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soit pas démuni de contrepartie ou encore ne vienne pas rompre l’équilibre entre les engagements respectifs des différentes sociétés concernées (3ème condition), d’autre part, n’excède pas les possibilités financières de celle qui en supporte la charge (4ème

condition). Arrêt confirmé par un autre arrêt du 13/02/1989. Le « mais » affecte considérable le « oui » de principe. Sans compter qu’il y a en outre une condition préalable pour que joue l’excuse de groupe : encore faut-il qu’il existe d’abord un groupe. C'est la condition préalable que les juges répressifs estiment les plus souvent non remplie. Un groupe de sociétés ne se limite pas à l’existence de dirigeants communs. On va vérifier l’existence d’un réel groupe ayant un intérêt commun aux sociétés qui le composent. C'est sur cette condition préalable que le fait justificatif se trouve le plus souvent écarté.

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§3. Les infractions relatives aux comptes de la société

I. La tenue des comptes sociaux

Cela relève d’incriminations anciennes. C'était dans la loi de 1966. Codification à droit constant. C'est désormais dans le Code de commerce. Art. 241-4 et 242-8. C'est une infraction d’omission. Vont être sanctionnés les dirigeants qui, pour chaque exercice, ont manqué à leur obligation d’établir l’inventaire, les comptes annuels et un rapport de gestion. Parmi les comptes annuels, on retrouve à titre principal le bilan. Mais y figure également le compte de résultat. Et également l’annexe. Le rapport de gestion aussi.

Délit d’omission. Il ne se limite pas à l’absence de bilan. Les comptes sociaux dépassent le seul bilan. Selon les juges du fond, le délit est constitué sans qu’il soit nécessaire que l’ensemble des comptes fassent défaut (CA Paris 1988). C'étaient d’anciens délits matériels. Aujourd'hui, la faut du dirigeant sera le plus souvent présumée. De facto, ces délits intentionnels ont été transformés en délits d’imprudence.

Répression : amende 9000 euros. Tentative non incriminée. Sont susceptibles d’être poursuivis les dirigeants de droit et de fait. Prescription : le délit est-il consommé à compter du jour où les documents auraient dû être présentés à l’assemblée générale ou est-ce à compte du jour où les documents comptables auraient dû être tenus à la disposition du commissaire aux comptes (1 mois avant la convocation à l’assemblée générale) ? Avantage de la 1ère analyse : retarde le point de départ du délai de prescription. Querelle non tranchée en jurisprudence pour le moment. Doctrine partagée sur cette question.

Les comptes annuels doivent être déposés au greffe du Tribunal de commerce. Arrêt récent du 1er juin 2005 : une bijoutière n’avait pas rempli son obligation de déposer les comptes sociaux au greffe du tribunal de commerce. SARL exploitant une bijouterie. Elle se défendait en faisant valoir l’état de nécessité dans lequel elle se trouvait du fait que son activité est particulièrement exposée aux vols et agressions, qu’elle en a subis de nombreuses et que le dépôt des comptes informe les malfaiteurs potentiels sur l’intérêt qu’il y avait à la braquer. L’art. 122-7 du Code pénal exige que l’acte présenté comme nécessaire réponde à un danger actuel et imminent. Autre intérêt de l’affaire : la question se posait même de savoir i le délit subsistait. Y a-t-il une obligation pénalement sanctionnée de déposer les comptes sociaux. La question se pose parce que cette obligation, par le jeu de la codification, pose la question de son existence. L’article 44-1 du décret de 1957 qui prévoit cette obligation a été abrogé et replacé dans la partie législative du Code de commerce. Autre problème : la sanction pénale attachée à l’obligation figure à l’article 53 du décret du 3 mars 1957, qui vise l’obligation édictée par l’article 44-1 (abrogé ; remplacé, mais figure dans le Code de commerce). L’arrêt du 1er juin 2005 : la Cour de cassation a repoussé le fait justificatif sans constater que le délit n’existe plus. Implicitement, elle considère donc que le délit existe.

II. La présentation de comptes inexacts

Ce délit existe autant pour les SARL que pour les SA (242-6), les SCA et la SAS. Qui est incriminé pour ce type de délit ? Ce sont les dirigeants de droit ou de

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fait qui auront présenté ou publié (formule propre aux SA), en vue de dissimuler la véritable situation de la société, des comptes annuels ne donnant pas pour chaque exercice une image fidèle du résultat des opérations de l’exercice. Ça renvoie à l’obligation d’établir des comptes annuels fidèles et sincères. Délit de faux bilan.

A. Les éléments constitutifs

L’élément matériel : présentation des comptes ou publication (pour les SA). S’agissant d’une SARL, le texte ne vise que le terme de présentation. La présentation doit être comprise comme celle faite aux associés ou aux actionnaires par renvoi ou par mise à disposition. Quant à la publication : diffusion au BALO.

Arrêt 19/11/2000 : le délit existe pour une SA aussi bien du fait de la présentation que du fait ultérieur de la publication. Quant aux comptes mensongers, ce sont les comptes annuels : bilan, compte de résultat, annexe. Quant au mensonge lui-même, il consiste à dissimuler la véritable situation de la société et ne pas donner une image fidèle etc.

Délit qui va nécessiter le recours à des experts comptables. On peut s’amuser à faire des classifications. Il y a les erreurs matérielles : majoration de l’actif ou minoration du passif. Cela peut résulter d’erreurs matérielles grossières, d’erreurs d’écriture, d’erreurs d’affectation, d’erreurs d’évaluation (relève de la science de la comptabilité et de la difficulté de valoriser ; expertise et contre-expertise).

L’élément intentionnel : il ne fait pas de doute. Exigence d’un dol général et d’un dol spécial. Dol général : avoir agi en connaissance de cause. La personne poursuivie savait que les comptes annuels publiés ou présentés étaient inexacts. Le plus souvent, cette intention coupable sera présumée de fait à partir soit de la gravité des inexactitudes soit du procédé utilisé et notamment quand il y a dissimulation ou artifice.

Dol spécial : « en vue de dissimuler la véritable situation de la société ». C'est un dol spécial et non un mobile car l’exigence est requise pour tout agent.

B. La répression

5 ans, 375000 euros. Dirigeant de droit ou de fait des sociétés visées par les textes. Donc attention, pour les dirigeants des autres tés, pas de poursuite possible de ce chef. Mais le faux bilan, on pourra le retrouver au soutien de la poursuite de l’escroquerie. Il y a des textes spécifiques pour des formes particulières de société : société d’assurance, société coopérative. La complicité est souvent recherchée et notamment la complicité des comptables de la société, des commissaires au comptes. La prescription : on n’a pas de retard du point de départ. On aurait pu imaginer transposer notre jurisprudence en matière d’abus de biens sociaux ou d’abus de confiance mais ce n’est pas le cas. La Cour de cassation continue de rappeler (notamment 20/02/1997) que ce délit est instantané et qu’il est donc consommé au jour du fait matériel de la publication ou de la présentation.

Arrêt du 31/10/2000. Le texte vise à la fois la présentation et la publication pour les SA. La Cour de cassation a considéré que ce sont deux délits distincts. Donc un nouveau délit est réalisé au jour plus tardif de la publication. Nouveau délit consommé au jour de la publication ; nouveau délai qui court.

Quant à l’action civile, exigence d’un préjudice personnel et directement causé par l’infraction. Alors même qu’il y a eu ce revirement sur l’abus de biens sociaux à

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propos des actionnaires et associés, la Cour de cassation (30/01/2002) admet la recevabilité de la constitution de partie civile d’un actionnaire dès lors qu’il a acheté ses titres avant la publication des comptes sociaux. Donc position plus souple de la Cour de cassation pour l’actionnaire mais aussi par exemple pour le commissaire à l’exécution du plan (procédure collective). En revanche, 29/11/2000 : déclare irrecevable la constitution de partie civile d’un syndicat.

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§4. Le délit de répartition de dividendes fictifs

Idée de partager les bénéfices entre les associés. On va incriminer qu’il y ait eu distribution de dividendes alors qu’il n’y avait pas de bénéfice distribuable. Donc l’expression n’est pas parfaite ; les dividendes ne sont pas fictifs. Ce qui est fictif, c'est l’existence d’un bénéfice distribuable. Fait pour les dirigeants d’opérer entre les associés la répartition de dividendes en l’absence d’inventaire ou au moyen d’inventaires frauduleux.

I. Les éléments constitutifs

La loi réprime le fait soit en l’absence d’inventaire soit en présence d’un inventaire frauduleux. Inventaire : relevé des éléments du patrimoine, tableau des différents éléments de l’actif et du passif social. Absence d’inventaire : l’hypothèse est très rare. Plus courante est l’hypothèse d’un inventaire frauduleux. Majoration de l’actif, minoration du passif. Majoration de l’actif : surévaluation des actifs existants (stocks ou titre en portefeuille), simulation d’éléments d’actif en réalité inexistants). Minoration du passif : sous-évaluation de la dette ou dissimulation de celle-ci.

On entendra systématiquement parler du délit de distribution de dividendes fictifs. La loi utilise le terme de répartition. 2 thèses : thèse minimaliste → si on met en exergue la distribution, on suppose que l’actionnaire a effectivement reçu les sommes. On va très loin en aval. Thèse maximaliste → si on remonte très haut en amont, le délit serait constitué au jour du vote de l’assemblée générale. La 1ère thèse n’est pas conforme à l’appellation du texte, qui parle de répartition et non de distribution. La 2ème thèse pose problème : il y aura incrimination ; le délit sera constitué alors que l’actionnaire ne jouit à ce moment là d’aucun droit privatif. Jurisprudence et doctrine s’accordent pour la thèse intermédiaire conforme à la lettre et à l’esprit de la loi : l’idée de répartition. Le fait sera réalisé dès que les actionnaires auront acquis un droit privatif présentant un caractère ferme et non précaire qui leur confère un droit de créance vis-à-vis de la société. Cour de cassation 28/03/1936. Le droit privatif doit être entré dans leur patrimoine, c'est-à-dire au moment de la décision de l’assemblée générale, dans l’hypothèse où elle vote elle-même non seulement le principe mais aussi les modalités de mise en paiement des dividendes, ce qui se fait assez rarement. Si elle se contente de voter le principe, le droit privatif naîtra au jour de la décision du conseil d’administration de mettre en distribution les dividendes tels que votés par l’AG.

Reste à préciser ce qu’on entend par dividendes. Répartition de dividendes fictifs. Dividendes : partage des bénéfices attribué à chaque action. Il est payé à la date fixée par l’assemblée, dans un délai maximum de 9 mois après clôture de l’exercice. En cas d’acompte sur dividende avant approbation des comptes de l’exercice (cela suppose qu’un bilan ait été établi au cours de l’exercice et certifié par un commissaire aux comptes). L’art. 232-12 décide des règles de calcul à observer pour la détermination du bénéfice.

Sous cette précision, il y aura dividende fictif lorsqu’il s’avère qu’il n’y avait pas de bénéfice distribuable, ce qui signifie que les dividendes qui ont été effectivement versés ont été prélevés soit sur le capital soit sur les réserves. Il y a les réserves légales, les réserves statutaires et les réserves libres. Un prélèvement sur la réserve légale et sur les réserves statutaires constituent le délit de répartition des dividendes fictifs. Ne reste plus que l’hypothèse de la distribution d’un prélèvement sur les

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réserves libres. Qui veut-on protéger ? La société, mais aussi les tiers on trompe les tiers sur la bonne santé financière de la société. Mais la Cour de cassation a précisé que dans cette hypothèse (prélèvement sur la réserve libre), une telle distribution suppose une information selon laquelle ce prélèvement sur les réserves libres de la société. L’AG doit l’indiquer expressément lors de sa décision.

L’élément intentionnel : on parle de dividendes fictifs, d’inventaires frauduleux. Ce sont des délits intentionnels (1962).

II. La répression

5 ans, 375000 euros. Souvent recherche de complice (comptable et commissaire aux comptes).

Chapitre 3 : Le droit pénal des entreprises en difficulté

Section 1   : Le délit de banqueroute

Loi du 13/07/1967 et du 25/01/1985 relativement au redressement à la liquidation judiciaire des entreprises. Modifiée par une loi de juin 1994. Aujourd'hui, tout est regroupé dans le Code de commerce. Loi du 26/07/2005 relative à la sauvegarde des entreprises en difficulté (idée : prendre les difficultés de l’entreprise le plus tôt possible pour éviter la liquidation judiciaire ou même la procédure de redressement judiciaire ; on essaie que dès qu’il y a des clignotants de difficultés économiques, on puisse prendre des mesures de prévention). Ces dispositions entrent en vigueur au 1er janvier 2006. L’ensemble des dispositions pénales ont été déplacées dans le Code de commerce. La banqueroute et autres infractions donnent lieu à un chapitre IV spécifique dans le Code de commerce. Articles L654 et suivants.

§1. Les conditions de l’infraction

I. Les conditions préalables

Qui peut commettre le délit ? Sont visés le commerçant, l’agriculteur, les personnes immatriculées au registre des métiers. Est également visée toute personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante, y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou règlementaire ou dont le titre est protégé. Ajout important qui va permettre d’atteindre tous ceux qui auront ce genre d’activité, toute activité quelconque exercée dans un but lucratif. Ex : un conseil d’entreprise peut désormais être banqueroutier. D’autre part, est désormais également exposée à la banqueroute toute personne qui a directement ou indirectement, en droit ou en fait, dirigé ou liquidé une personne morale de droit privé. Avec cette nouvelle loi a disparu l’exigence traditionnelle la personne aie eu une activité économique. Sont également visées les personnes physiques, représentants permanents de personnes morales dirigeantes des personnes morales définies au cas précédent. Loi pénale plus sévère, donc applicable seulement aux délits commis à compter du 1er janvier 2006.

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2ème condition : ouverture d’une procédure collective, d’une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire. Ce délit de banqueroute suppose une personne morale ou physique qui soit en état de cessation de paiement, situation constatée par un jugement d’ouverture d’une procédure collective. N’est pas concernée la nouvelle procédure de sauvegarde (la personne n’est pas encore en état de cessation des paiements). Selon la formule légale, dans cette hypothèse, le débiteur justifie de difficultés qu’il n’est pas en mesure de surmonter et de nature à le conduire à la cessation des paiements. Pour qu’il y ait banqueroute, il faut un état de cessation des paiements constaté ayant donné lieu à ouverture d’une procédure de redressement ou liquidation judiciaire. Sur cette notion de cessation des paiements, on avait une sorte de manifestation d’autonomie du droit pénal : on parlait de faillite virtuelle. On pénal, on se contentait d’une faillite virtuelle. Le juge pénal avait une conception de l’état de cessation des paiements distincte de celle du juge consulaire. Conception conservée jusqu’en 1985 par le juge répressif. Aujourd'hui, conception légale unique, mais la Chambre criminelle conserve une certaine liberté d’appréciation : elle reconnaît au juge pénal le pouvoir de retenir au regard des éléments soumis à son appréciation une date de cessation des paiements autre que celle déjà fixée par la juridiction consulaire. Il va pouvoir retenir au titre du délit de banqueroute des faits commis antérieurement à la date de cessation des paiements retenue par le juge consulaire.

Certaines formes de banqueroute, notamment par détournement d’actifs, sont très proches du délit d’abus de biens sociaux. C'est aujourd'hui clair : la qualification d’abus de biens sociaux ne peut être appliquée au détournement commis après la date de cessation des paiements par le dirigeant d’une société en redressement judiciaire.

II. Les éléments constitutifs proprement dits

Art. L654-2. La banqueroute peut revêtir plusieurs formes : le maintien artificiel d’une entreprise défaillante (déficitaire). Le texte vise plus précisément le fait d’avoir, dans l’intention de retarder l’ouverture de la procédure, soit fait des achats en vue d’une revente au-dessous du cours, soit employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds. Parmi ces moyens ruineux pour se procurer des fonds, on trouve souvent le recours au prêt bancaire, soit à des taux excessifs, soit à des taux normaux mais qui, au final, entraînent des frais financiers dépassant les capacités de la société. Nous sommes en plein cœur du problème ; derrière, se pose l’énorme problème de la complicité ou pas des établissements bancaires. Contentieux à profusion. C'est énorme ! Entre la rupture abusive de soutien et le maintien artificiel de soutien, la frontière n’est pas évidente.

2ème forme : le détournement ou la dissimulation d’actifs. Avoir détourné ou dissimulé tout à ou partie de l’actif du débiteur. Le détournement renvoie à un élément matériel déjà étudié spécifiquement à propos de l’abus de confiance ; renvoie à des comportements très proches du délit d’abus de biens sociaux, notamment versement de rémunérations excessives, cession d’actifs. Depuis un arrêt de 1998 confirmé en 1999, dans les rapports entre banqueroute et abus de biens sociaux, les deux délits sont exclusifs l’un de l’autre. On ne peut être poursuivi à la fois pour abus de biens sociaux et banqueroute, et on distingue selon que les

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faits sont antérieurs ou postérieurs à la date de cessation des paiements. On relèvera que, s’agissant du délit de banqueroute, il n’y a pas l’exigence d’un intérêt personnel poursuivi par le dirigeant. Et la Cour de cassation (12/01/2005) a précisé que la banqueroute par dissimulation ou détournement ne peut pas résulter d’une abstention. Elle suppose l’accomplissement d’un acte positif (différence avec l’abus de pouvoirs sociaux).

3ème forme de banqueroute : augmentation frauduleuse du passif. Fait de se reconnaître faussement débitrice au profit de créanciers fictifs au détriment des véritables créanciers.

4ème forme de banqueroute : comportements liés à la comptabilité. Sont visées l’hypothèse d’une comptabilité fictive (comptes non sincères avec un élément intentionnel), la disparition de la comptabilité. Cour de cassation, 25/02/2004 : le refus de remettre au liquidateur une comptabilité conservée dans des lieux difficilement accessibles constitue une banqueroute par disparition. Est également visée l’absence de toute comptabilité lorsque les textes applicables font obligation d’en tenir une. Impact de la loi de juillet 2005 sur ce point : on parle des textes applicables (avant, on parlait de la loi applicables). Donc sont applicables les règlements fiscaux, sociaux ou de police. Impact sur des professions non commerciales ou règlementées.

Dernière hypothèse : comptabilité irrégulière, c'est-à-dire manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions légales.

L’élément intentionnel : sous toutes ses formes, la banqueroute est un délit intentionnel (CA Paris février 2000). L’intention sera le plus souvent déduite de l’élément matériel (dissimulation, disparition…). S’agissant du délit de banqueroute, le fait justificatif de groupe est refusé. La Cour de cassation n’admet pas que l’intérêt du groupe puisse justifier des faits constitutifs de banqueroute (Cour de cassation, 27/04/2001).

II. La répression

5 ans, 75000 euros. Peine portée à 7 ans et 100000 euros quand l’auteur est le dirigeant d’une entreprise prestataire de service d’investissement. Art. 654-5 : privation des droits civiques, interdiction, pour 5 ans ou plus, d’exercer une fonction publique ou l’activité professionnelle dans l’exercice de laquelle l’infraction fut commise, l’interdiction d’émettre des chèques, l’exclusion des marchés publics. Il est possible de prononcer la faillite personnelle du dirigeant, de même que l’interdiction de gérer ou d’administrer une société. Ces peines peuvent être prononcées soit à titre définitif soit, si ce n’est pas le cas, pour 5 ans au plus. La responsabilité pénale des personnes morales est prévue. La prescription commence à courir du jour prononçant l’ouverture s’agissant des agissements commis antérieurement à cette ouverture. Si les faits ont été accomplis après l’ouverture, c'est à compter du jour de leur accomplissement que court le délai. La tentative n’est pas incriminée. La complicité est souvent recherchée, notamment du côté des banquiers. Quant à l’action civile, on a une liste limitative des personnes susceptibles de l’exercer (sont exclus les créanciers, puisqu’ils sont fondus dans la masse) à l’article 654-17.

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