Droit des obligations dissertation : « La faute de l’enfant » corrigé examen

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Dissertation : « La faute de l’enfant » Eléments de correction Remarques générales : - Les copies qui ont eu de mauvaises notes n’étaient pas des dissertations. Il ne s’agissait absolument pas d’une question de cours, à laquelle il fallait répondre de manière « statique », pour montrer ses connaissances. Toute dissertation suppose de développer une problématique, en vous demandant d’abord quel est l’intérêt du sujet, puis en construisant votre devoir autour de cette problématique. - Tombant dans le travers d’un simple exposé des connaissances, de très nombreuses copies ont consacré des développements qui étaient hors sujet : exposer de manière détaillée le régime de la responsabilité des parents, des associations, voire des instituteurs, conduisait à sortir du sujet. La dissertation n’était pas « les dommages causés par l’enfant », ce qui vous aurait en effet conduit à exposer les différents régimes d’indemnisation. Le sujet portait sur « la faute de l’enfant » : Comment définir la faute de l’enfant ? Comment apprécier la faute de l’enfant ? Dans ce cadre, la responsabilité des tiers répondant des dommages causés par l’enfant pouvait simplement être évoquée dans une sous-partie pour illustrer le recul de la faute, qui n’est plus exigée pour engager la responsabilité des parents, voire des associations à qui l’enfant est confié à titre permanent. Cela rend plus critiquable encore la disparition de l’élément moral de la faute à propos de l’enfant : c’est inutile pour indemniser les victimes, qui s’adresseront aux parents de l’enfant pour obtenir réparation, sans avoir à démontrer une faute de l’enfant. Voici le plan qui pouvait être proposé. Introduction – exposé de la problématique :

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Dissertation   : «   La faute de l’enfant   » Eléments de correction

Remarques générales   :

- Les copies qui ont eu de mauvaises notes n’étaient pas des dissertations. Il ne s’agissait absolument pas d’une question de cours, à laquelle il fallait répondre de manière « statique », pour montrer ses connaissances. Toute dissertation suppose de développer une problématique, en vous demandant d’abord quel est l’intérêt du sujet, puis en construisant votre devoir autour de cette problématique.

- Tombant dans le travers d’un simple exposé des connaissances, de très nombreuses copies ont consacré des développements qui étaient hors sujet : exposer de manière détaillée le régime de la responsabilité des parents, des associations, voire des instituteurs, conduisait à sortir du sujet. La dissertation n’était pas « les dommages causés par l’enfant », ce qui vous aurait en effet conduit à exposer les différents régimes d’indemnisation. Le sujet portait sur « la faute de l’enfant » : Comment définir la faute de l’enfant ? Comment apprécier la faute de l’enfant ? Dans ce cadre, la responsabilité des tiers répondant des dommages causés par l’enfant pouvait simplement être évoquée dans une sous-partie pour illustrer le recul de la faute, qui n’est plus exigée pour engager la responsabilité des parents, voire des associations à qui l’enfant est confié à titre permanent. Cela rend plus critiquable encore la disparition de l’élément moral de la faute à propos de l’enfant : c’est inutile pour indemniser les victimes, qui s’adresseront aux parents de l’enfant pour obtenir réparation, sans avoir à démontrer une faute de l’enfant.

Voici le plan qui pouvait être proposé.

Introduction – exposé de la problématique :

« L’enfance a des manières de voir, de penser, de sentir, qui lui sont propres ; rien n’est moins sensé que de vouloir y substituer les nôtres, et j’aimerais autant exiger qu’un enfant eût cinq pieds de haut que du jugement à dix ans »1. A lecture du constat que formulait Rousseau, on devine que l’application des règles du droit de la responsabilité civile à l’égard d’un enfant n’est pas chose aisée, tant il est vrai que l’on ne peut attendre de lui le comportement d’un adulte. Le juge, confronté à la difficulté dans le silence du code civil, a toutefois dû la résoudre, non sans hésitations. L’enfant peut-il commettre une faute, au sens des articles 1382 et 1383 du code civil ? La question suppose de se demander si le discernement de l’auteur est requis pour retenir sa faute. A cet égard, le mouvement d’objectivisation de la responsabilité civile a eu une portée sur les éléments constitutifs de la faute de l’enfant (I). Si seul l’élément matériel est aujourd’hui requis, il reste à s’interroger sur l’appréciation du comportement de l’enfant (II).

1 J.J. Rousseau, Emile ou De l’éducation, livre II, 1762.

I – L’objectivisation de la faute de l’enfant

Si traditionnellement, l’enfant en bas âge, appelé l’infans, ne pouvait commettre de faute civile faute de discernement (A), cette solution n’a pas résisté à l’objectivisation de la responsabilité civile, l’infans pouvant aujourd’hui commettre une faute sans même mesurer la portée de ses actes (B).

A. L’irresponsabilité traditionnelle de l’infans

- La responsabilité civile, qui a pu être perçue comme un instrument de moralisation des conduites individuelles, se rapprochait de la responsabilité pénale, par une sorte de parenté historique. De même que l’auteur d’une infraction n’encourt aucune sanction s’il était dépourvu de discernement au moment des faits, l’auteur d’un fait personnel dommageable n’engageait pas sa responsabilité civile s’il n’avait pas l’aptitude psychologique à comprendre la portée de ses actes, ce qui était précisément le cas de l’enfant en bas âge. Cette solution pouvait alors donner lieu à des discussions pour déterminer, dans chaque circonstance, si l’enfant avait ou non atteint l’âge de raison, aucun seuil n’étant naturellement fixé.Voir : A. TUNC, « L’enfant et la balle », JCP 1966 I 1983, cité en cours

- Cette conception n’a toutefois pas résisté à l’évolution de la responsabilité civile, qui vise à indemniser une victime plus qu’à sanctionner l’auteur d’une faute. La loi du 3 janvier 1968, insérant un article 489-2 au sein du code civil, a ainsi apporté un élément décisif à la discussion, en disposant que : « celui qui cause un dommage à autrui alors qu’il était sous l’empire d’un trouble mental n’en est pas moins obligé à réparation »2. C’est en somme une conception objective de la faute civile qui était ici consacrée, la condition d’imputabilité ayant été abandonnée à l’égard des personnes atteintes d’un trouble mental. En toute rigueur, il fallait donc s’attendre à une évolution de la jurisprudence quant à l’élément moral de la faute à l’égard de l’enfant. La solution n’était pourtant pas évidente, car elle n’est guère favorable aux enfants victimes, dont la faute peut être opposée pour limiter voire exclure l’indemnisation.

B. La responsabilité actuelle de l’infans

- Après avoir maintenu quelque temps sa jurisprudence, un revirement fut réalisé par les arrêts Lemaire et Derguini, rendus par l’Assemblée plénière, qui énoncent que les juges du fond ne sont pas tenus de vérifier si l’enfant était capable de discerner les conséquences de ses actes pour retenir sa faute. Dans l’affaire Lemaire, un enfant de treize ans avait été électrocuté alors qu’il vissait une ampoule, sans avoir préalablement fermé le disjoncteur. L’électricien, qui avait commis une erreur dans le montage de la douille, a ainsi pu se prévaloir de la faute de l’enfant pour limiter l’indemnisation. De la même manière, la faute de la jeune Fatiha Derguini, âgé de cinq ans, qui s’était élancée sur la chaussée avant de faire demi-tour, a pu être opposée pour limiter l’indemnisation due par le conducteur du véhicule, qui l’avait heurtée et mortellement blessée. Notons que la solution ne serait plus identique par application de la loi du 5 juillet 1985, bien plus favorable aux victimes, en particulier lorsqu’elles n’ont pas la qualité de conducteur et qu’elles ont moins de 16 ans.

- La solution, si elle est d’une logique apparente, n’est donc guère satisfaisante lorsque l’enfant est victime. En outre, elle n’est guère utile lorsque l’enfant est l’auteur du dommage,

2 Cette disposition figure aujourd’hui à l’article 414-3 du code civil.

dès lors que sa faute n’est plus requise pour engager la responsabilité de ses parents, voire de l’association à qui est confié à titre permanent l’enfant. En dépit des critiques, la Cour de cassation a toutefois maintenu ce cap3.

A défaut de pouvoir invoquer le défaut de discernement, l’étude de l’élément objectif de la faute prend alors toute son importance.

II – L’appréciation de la faute de l’enfant

Comment apprécier la faute de l’enfant ? Si la Cour de cassation semble prôner une appréciation abstraite de la faute (A), la solution est toutefois souvent tempérée par les juges du fond prenant en compte l’âge de l’enfant, pour retenir une appréciation plus concrète de la faute (B).

A. L’appréciation abstraite de la faute

A s’en tenir à une approche abstraite, en comparant le comportement de l’agent à celui d’un homme prudent et avisé, on devine que la faute de l’enfant sera facilement retenue. C’est qu’un enfant n’est précisément pas un être parfaitement raisonnable faute d’avoir souvent atteint l’âge de raison, et l’on ne peut attendre de lui qu’il adopte l’attitude du bon père de famille. La jurisprudence se révèle ainsi étonnamment sévère à l’égard des enfants, la simple désobéissance ou la turbulence à l’occasion d’un jeu ayant pu, par exemple, caractériser la faute d’un jeune enfant.

NB : Vous disposiez ici d’un exemple cité en cours : Cass, 2ème civ, 28 février 1996, Bull. II n° 54 et D. 1996, p. 602 note Duquesne.En l’espèce, une enfant jouait visiblement à cache-cache. La petite Sonia, âgée de 8 ans, était cachée sous la table. Elle en sortit brusquement, et bouscula un certain David, mineur, qui tenait une casserole d’eau bouillante. Sonia est brûlée. Les juges du fond ont considéré qu’il n’y avait pas de faute de la victime, qui devait donc être totalement indemnisée. Ils précisent que « le comportement de l'enfant, compte tenu de son jeune âge, ne peut être considéré comme constituant une faute ayant concouru à la réalisation de son dommage puisqu'il était parfaitement prévisible et naturel dans le contexte au cours duquel il s'est produit ».La Cour de cassation censure cette analyse, en considérant « qu'un tel comportement constituait une faute ayant concouru à la réalisation du dommage ».

Cette prise en compte de la faute de l’infans, si elle est en phase avec la faveur dont témoigne notre droit envers les victimes lorsque l’enfant est l’auteur d’un dommage, n’est guère acceptable lorsqu’il en est victime. Aussi les juges du fond tempèrent souvent la solution en retenant une appréciation plus concrète de la faute de l’enfant

B. Vers une appréciation plus concrète de la faute de l’enfant ?

3 Voir, notamment, cité dans le code : Cass, 2ème civ, 28 février 1996, Bull. civ. II n° 54, D. 1996, p. 602 note F. Duquesne ; RTDCiv. 1996, p. 628, obs. P. Jourdain ; D. 1997, Somm. p 28 obs. D. Mazeaud ; JCP 1996, I 3985 n° 14, obs. G. Viney ; Cass, 2ème civ, 19 février 1997, Bull. civ. II n° 54. Les juges du fond semblent cependant se départir parfois de cette analyse. Voir notamment, affirmant qu’il ne peut être reproché une quelconque faute à un enfant de deux ans et demi: CA Chambéry, 12 avril 2005, Resp. civ. et assur. 2005, comm. 314.D. 1996, p. 602, note F. Duquesne ; D. 1997, Somm. p. 28 obs. D. Mazeaud.

Pour tempérer l’appréciation abstraite de la faute, les juges ont tendance à prendre en compte l’âge de l’enfant pour retenir ou non la faute, en comparant son attitude à celle d’un enfant du même âge. On se rapproche alors d’une appréciation in concreto.

NB : Vous disposiez là encore d’un exemple cité en cours : Cass, 2ème civ, 7 mai 2002, Bull. n° 94. En l’espèce, un petit Christophe, âgé de sept ans, joue avec son camarade Franck à la course poursuite pendant une récréation. Il court dans les toilettes, alors que leur accès était interdit sans autorisation. Dans le chahut, Franck ferme la porte des sanitaires et sectionne le doigt de son camarade. Y a-t-il eu faute de la victime ?Si l’on se réfère au comportement du bon père de famille envisagé abstraitement, il y a sans doute faute. Mais les juges du fond considèrent ici que l’enfant n’a pas commis de faute, au regard de l’âge de l’enfant, qu’ils ont relevé. Et cette fois, la Cour de cassation approuve leur décision.

Voilà qui permet aux juges du fond, lorsque l’enfant a été victime de l’imprudence qui caractérise son jeune âge, d’éviter une exonération qui paraît bien cruelle. Il reste que le procédé n’est pas toujours à l’abri de la censure de la Cour de cassation. Comparer le comportement d’un enfant avec celui d’un autre du même âge revient, en effet, à prendre en compte des particularités mentales, et donc un défaut de discernement, qui ne saurait pourtant être invoqué pour exclure la faute. La solution ne pourra donc venir que du législateur, en excluant des causes d’exonération la faute de la victime lorsqu’elle était privée de discernement.