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Droit Civil Successions & Libéralités Comme le droit des régimes matrimoniaux, le droit des successions est une branche du droit patrimonial de la famille: il prend donc ses sources dans le droit de la famille & dans le droit du patrimoine. Le droit des successions reste étroitement dépendant de la conception quon a de la famille: ainsi, en 1804 la famille sentendait de la famille souche unit par un même sang constituant le lignage. Sur le plan successoral, les conséquences étaient les suivantes: les parents succédaient jusquau 12 ème degré, ce qui est assez éloigné. Le conjoint étranger à la famille par le sang nhéritait qu’à défaut de parent au 12 ème degré . Quant à la famille naturelle non fondée sur le mariage, le Code prévoyait de lignorer. La parenté naturelle ne comprenait quun seul degré: elle était toujours inférieure à la parenté légitime. Ainsi lenfant naturel, dont les auteurs n’étaient pas unis par les liens du mariage, nhéritait que de ses père et mère et toujours dans une proportion moindre que l enfant légitime. Quant aux enfants adultérins, ils nexistaient pas du tout. On ne pouvait pas établir leur filiation . Lorsque par exception, parce que certains enfants adultérins sont plus visibles que dautres, la filiation était établie, elle nouvrait droit qu’à des aliments et nemportait aucun droit de nature héréditaire. Depuis les lois du 13 juillet 65 et du 3 janvier 72, le principe d’égalité prédomine tant dans notre droit de la filiation que dans les rapports entre époux. Notre conception de la famille a profondément évolué: la famille souche sest resserrée, on lui préfère désormais la famille foyer ou ménage , i.e celle qui partage le même toît (conjoint et enfants) car les logements ont rétréci. Cela a des conséquences sur le plan successoral: les droits successoraux dans la famille par le sang ont été limités au 6 ème degré et la famille nest plus nécessairement fondée sur le mariage. Désormais la vocation héréditaire est indifférente à la qualité de la parenté, que celle-ci soit légitime, naturelle ou adoptive . Le conjoint a cessé d’être considéré comme un étranger par rapport au groupe familial: sa situation successorale sen est ainsi grandement améliorée. Il a fallu du temps pour cela: ce nest que la loi du 3 décembre 2001 qui a eu pour principal objectif lamélioration de la situation successorale du conjoint. Le droit nest pas resté inchangé entre 1804 et 2001, mais les réformes intermédiaires restaient peu satisfaisantes. Concernant le droit du patrimoine, ce droit nest pas non plus un droit statique: comme le droit des successions reste sous la dépendance du droit du patrimoine, il a nécessairement suivi son évolution. Ainsi, le Code de 1804 nattachait pas dimportance à la valeur fonctionnelle des choses. Les biens étaient essentiellement envisagés en fonction de leur expression monétaire. Ce qui importait, cest-ce qui coûtait cher et en 1804, c’était le cas des terres et des propriétés immobilières. Actuellement il existe de grandes fortunes mobilières et nous attachons davantage dimportance à la destination des choses, à leur importance économique comme à leur affectation humaine . La destination dun bien peut justifier sa soumission à des règles spécifiques. Il en va ainsi notamment des immeubles à usage dhabitation ou bien encore des exploitations commerciales, agricoles ou artisanales. En droit des successions, la prise en compte de la destination dun bien sest traduite notamment par un développement considérable de la technique de lattribution préférentielle. Lattribution préférentielle est un mécanisme qui, dans le partage successoral, permet dattribuer un bien à une personne, de préférence aux autres copartageants, en raison de la destination du bien, du lien qui unit la personne à ce bien . Si on attribue un immeuble à usage dhabitation, ce sera à celui qui occupe le logement au moment du décès comme le conjoint par exemple. Dans le même ordre didée, on attribue lexploitation de préférence à lhéritier qui y a travaillé. Lattribution préférentielle ne créé par dinégalité en valeur entre les cohéritiers, car celui qui demande à en bénéficier prendra dautant moins sur les autres biens héréditaires. Si le bien qui lui est attribué préférentiellement est dune valeur supérieure à sa part

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Droit Civil

Successions & Libéralités

Comme le droit des régimes matrimoniaux, le droit des successions est une branche du droit patrimonial de la famille: il prend donc ses sources dans le droit de la famille & dans le droit du patrimoine. Le droit des successions reste étroitement dépendant de la conception qu’on a de la famille: ainsi, en 1804 la famille s’entendait de la famille souche unit par un même sang constituant le lignage. Sur le plan successoral, les conséquences étaient les suivantes: les parents succédaient jusqu’au 12

ème degré, ce qui est assez éloigné. Le conjoint étranger à la

famille par le sang n’héritait qu’à défaut de parent au 12ème

degré. Quant à la famille naturelle non fondée sur le mariage, le Code prévoyait de l’ignorer. La parenté naturelle ne comprenait qu’un seul degré: elle était toujours inférieure à la parenté légitime. Ainsi l’enfant naturel, dont les auteurs n’étaient pas unis par les liens du mariage, n’héritait que de ses père et mère et toujours dans une proportion moindre que l’enfant légitime. Quant aux enfants adultérins, ils n’existaient pas du tout. On ne pouvait pas établir leur filiation. Lorsque par exception, parce que certains enfants adultérins sont plus visibles que d’autres, la filiation était établie, elle n’ouvrait droit qu’à des aliments et n’emportait aucun droit de nature héréditaire. Depuis les lois du 13 juillet 65 et du 3 janvier 72, le principe d’égalité prédomine tant dans notre droit de la filiation que dans les rapports entre époux. Notre conception de la famille a profondément évolué: la famille souche s’est resserrée, on lui préfère désormais la famille foyer ou ménage, i.e celle qui partage le même toît (conjoint et enfants) car les logements ont rétréci. Cela a des conséquences sur le plan successoral: les droits successoraux dans la famille par le sang ont été limités au 6

ème degré et la famille n’est plus nécessairement

fondée sur le mariage. Désormais la vocation héréditaire est indifférente à la qualité de la parenté, que celle-ci soit légitime, naturelle ou adoptive. Le conjoint a cessé d’être considéré comme un étranger par rapport au groupe familial: sa situation successorale s’en est ainsi grandement améliorée. Il a fallu du temps pour cela: ce n’est que la loi du 3 décembre 2001 qui a eu pour principal objectif l’amélioration de la situation successorale du conjoint. Le droit n’est pas resté inchangé entre 1804 et 2001, mais les réformes intermédiaires restaient peu satisfaisantes. Concernant le droit du patrimoine, ce droit n’est pas non plus un droit statique: comme le droit des successions reste sous la dépendance du droit du patrimoine, il a nécessairement suivi son évolution. Ainsi, le Code de 1804 n’attachait pas d’importance à la valeur fonctionnelle des choses. Les biens étaient essentiellement envisagés en fonction de leur expression monétaire. Ce qui importait, c’est-ce qui coûtait cher et en 1804, c’était le cas des terres et des propriétés immobilières. Actuellement il existe de grandes fortunes mobilières et nous attachons davantage d’importance à la destination des choses, à leur importance économique comme à leur affectation humaine. La destination d’un bien peut justifier sa soumission à des règles spécifiques. Il en va ainsi notamment des immeubles à usage d’habitation ou bien encore des exploitations commerciales, agricoles ou artisanales. En droit des successions, la prise en compte de la destination d’un bien s’est traduite notamment par un développement considérable de la technique de l’attribution préférentielle. L’attribution préférentielle est un mécanisme qui, dans le partage successoral, permet d’attribuer un bien à une personne, de préférence aux autres copartageants, en raison de la destination du bien, du lien qui unit la personne à ce bien. Si on attribue un immeuble à usage d’habitation, ce sera à celui qui occupe le logement au moment du décès comme le conjoint par exemple. Dans le même ordre d’idée, on attribue l’exploitation de préférence à l’héritier qui y a travaillé. L’attribution préférentielle ne créé par d’inégalité en valeur entre les cohéritiers, car celui qui demande à en bénéficier prendra d’autant moins sur les autres biens héréditaires. Si le bien qui lui est attribué préférentiellement est d’une valeur supérieure à sa part

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héréditaire, l’attributaire devra verser une soulte à ses cohéritiers pour compenser. Ce qui fait la spécificité du droit des successions par rapport au droit de la famille ou du patrimoine, c’est la mort. Le droit des successions détermine les conséquences de la mort sur le patrimoine du défunt, sur l’actif tout d’abord: que vont devenir les biens du défunt? Qui sera appelé à les recueillir? Comment les partagera-t-on? Ensuite, sur la mort a des conséquences sur le passif: qu’advient-il des dettes du défunt? Ses dettes s’éteignent-elles au décès? Survivent-elles au défunt, se transmettent-elles alors à ses héritiers? Dans ce dernier cas, concrètement, à qui le créancier peut-il s’adresser pour obtenir paiement? Le de cujus est celui de la succession duquel il s’agit, toute personne dont la succession est en cause, que la succession soit ouverte à cause du décès ou qu’elle ne le soit pas. Le droit des successions et plus encore le droit des libéralités invitent en effet à anticiper sur le décès. On peut donc se préoccuper d’une succession avant le décès du de cujus. Le terme de succession n’évoque pas tant une fin qu’un commencement ou tout au moins une suite: c’est en effet de transmission qu’il s’agit ici. Parfois le terme succession est utilisé pour désigner les biens faisant l’objet de cette transmission. En ce sens on peut également parler d’hérédité, i.e l’ensemble des biens qui composent la succession. Parfois encore, il désigne la transmission elle-même, i.e le mode de transmission. On dit qu’on a acquis un bien par succession. La succession n’est rien d’autre alors qu’un mode d’acquisition de la propriété. C’est ainsi que les rédacteurs du Code civil l’ont envisagée, car les successions sont traitées dans le livre III du Code civil intitulé « Des différentes manières dont on acquiert la propriété ». Cette conception semble étroite car elle semble se désintéresser de la transmission des droits extrapatrimoniaux et des conséquences extrapatrimoniales du décès. A cette conception du droit des successions se rattache également un grand principe ancien que l’on exprime sous la forme d’un adage: on dit que le mort saisit le vif. Cet adage traduit l’idée emprunte d’un certain mysticisme selon laquelle il y a solidarité, continuité entre les vivants et les morts. Cela implique une continuité entre les générations. Techniquement, cet adage aboutit à un principe important en droit français et autour duquel est organisé le droit des successions français: le principe de la continuation de la personne du défunt. Dans notre droit, l’héritier est en vertu d’une fiction juridique censé continuer la personne du défunt. On dit aussi qu’en France, on succède à la personne, et non aux biens. Certains droits étrangers retiennent au contraire un principe de successions aux biens, comme le droit anglais. En France, c’est le patrimoine du défunt qui passe à ses héritiers, actif comme passif. À la vocation universelle de l’héritier est attachée en principe une obligation indéfinie aux dettes. La différence entre succession à la personne et succession aux biens n’est jamais si marquée car toutes les législations connaissent des tempéraments. Ainsi en France, la succession ne s’impose jamais à l’héritier. Il peut l’accepter ou y renoncer, ou ne l’accepter qu’à concurrence de l’actif net. Le système de la succession à la personne est ainsi tempéré par le jeu de l’option successorale. Au principe de continuation de la personne s’associe un autre grand principe de notre droit: le principe d’unité de la succession. Tout ce qui constitue le patrimoine du défunt est dévolu par la transmission successorale: l’actif comme le passif, les droits comme les obligations. Les rédacteurs du Cciv ont posé pour principe que l’ensemble de la succession serait dévolu selon un principe unique. On ne fait aucune distinction entre meubles et immeubles, entre biens d’origine paternelle ou maternelle: la loi ne considère en principe ni la nature, ni l’origine des biens pour en régler la succession. On aurait pu imaginer une dévolution tenant compte de la nature des biens, opérant une distinction entre meubles et immeubles comme c’est le cas en droit international privé. Autrefois ce principe était énoncé à l’ancien art 732 Cciv, mais il a disparu à la suite de la loi du 3 décembre 2001: il n’est donc plus clairement énoncé au sein du Cciv. Néanmoins, il n’en persiste pas moins. Il est intimement lié à notre conception du droit des successions. C’est sur la base de cet ancien article qu’Aubry et Rau ont construit la

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théorie du patrimoine, i.e le lien existant entre le patrimoine et la personne. Ce principe toutefois a perdu de sa vigueur avec les réformes récentes, d’autant qu’il supporte des exceptions en constante augmentation. De façon traditionnelle, notre droit a toujours admis l’existence de droits de retour d’origine légale ou conventionnelle. Ces droits entraînent le retour de certains biens à la personne dont-ils proviennent ou à l’un de ses parents. Par exemple, des biens qui avaient été donnés au défunt vont retourner, à son décès, au donateur ou à la famille du donateur. Lorsque ces droits de retour sont d’origine légale, i.e lorsque la loi ordonne le retour de certains biens à la personne dont-ils proviennent ou à sa famille, on parle de succession anomale. Par exemple, c’est le cas de la succession de l’adopté simple. La loi du 3 décembre 2001 & celle du 23 juin 2006 ont remis au goût du jour les droits de retour légaux. Lorsqu’il y a un droit de retour, on tient ainsi compte de la nature du bien: certains biens sont séparés des autres biens de la succession pour faire l’objet d’une succession particulière. D’autres hypothèses s’apparentent à des successions anomales: certains biens sont soumis à une transmission particulière en raison de leur origine, de leur nature ou de leur destination particulière. Par exemple, les souvenirs de famille, i.e des biens dont l’origine familiale est très marquée. À défaut d’accord amiable entre les héritiers, les tribunaux se reconnaissent le droit de déterminer qui est la personne la plus apte à être le dépositaire de ces souvenirs de famille, et cela indépendamment des règles de la dévolution légale. Les funérailles et les tombeaux posent la question de savoir qui décide du déroulement des funérailles et du lieu de la sépulture. Le principe ici est de privilégier les dernières volontés exprimées par le défunt. Si rien n’a été exprimé à ce sujet, ce qui est souvent le cas, en cas de contestations, les tribunaux désignent le ou les membres de la famille au sens large les plus aptes à prendre ces décisions et cela, sans respecter nécessairement la hiérarchie successorale légale. Ainsi, une place privilégiée a toujours été accordée au conjoint, alors même que sa situation successorale n’était guère enviable. De même, le concubin ou la concubine peuvent être préférés à un membre de la famille alors même que le concubin ou la concubine n’a pas encore de droit de succession. Ce ne sont pas des héritiers légaux. En outre, le droit réel résultant d’une concession dans un cimetière, i.e le tombeau, est dévolu selon des règles particulières qui constituent une succession anomale. Dans le même ordre d’idée, on prend en compte la destination d’un bien dans le cas du logement familial: il est soumis à un ensemble de règles particulières et la loi du 3 décembre 2001 a consacré des droits au logement au profit du conjoint survivant. Enfin, on tient également compte du caractère intellectuel de certaines propriétés: en matière de propriété littéraire et artistique, il y a un système spécifique de dévolution, là encore, une sorte de succession anomale. La prise en compte de la destination des biens est à l’origine du développement considérable de l’attribution préférentielle depuis une cinquantaine d’années. Ces exemples ne sont cependant que des cas particuliers dans lesquels par exception, on prend en compte la nature, l’origine ou la destination d’un bien pour décider de sa transmission. Cependant, le principe reste aujourd’hui comme hier celui de l’unité de la succession, i.e l’ensemble de la succession est transmission selon un principe unique, sans opérer de distinction. Pour appliquer ce principe, il reste une question à aborder: à qui appartient-il de désigner les successeurs, et comment? Est-ce à la loi, ou bien est-ce au de cujus lui-même? Bien entendu, de la réponse à cette question dépend la place que le droit des successions fait au pouvoir de la volonté. Deux systèmes sont concevables à cet égard. Premièrement, la succession peut être légale et dans ce cas, le législateur détermine qui a vocation à recueillir la succession en fonction des principes qu’il estime convenables. Par exemple, ce peut être en fonction de la proximité du lien de parenté. Dans ce système, il appartient à la loi de déterminer le cercle des personnes pouvant être éventuellement appelées à recueillir la succession, ce que l’on appelle le groupe des successibles. À l’intérieur de ce groupe, la loi doit encore opérer un classement pour

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désigner celui ou ceux qui hériteront effectivement. Ce classement peut se faire selon différents systèmes: en France, on respecte la hiérarchie des ordres et des degrés. Dans un premier temps, les héritiers sont répartis entre divers ordres: ainsi, il y a l’ordre des descendants, puis l’ordre des ascendants, etc. Ces ordres sont appelés à la succession les uns après les autres. Ainsi, l’ordre des descendants prime l’ordre des ascendants: ainsi, dès qu’on a un représentant de l’ordre des descendants, aucun ascendant ne sera appelé à la succession. Un ordre préférable prime un ordre subséquent. À l’intérieur de chaque ordre, on respect la règle du degré: l’héritier le plus proche en degré évince l’héritier d’un degré plus éloigné. Par exemple, le fils, qui est un descendant au 1

er degré,

évince le petit-fils, descendant au 2ème

degré. Deuxièmement, la succession peut être volontaire: on abandonne alors la désignation des successeurs au de cujus. Le de cujus désignera lui-même ses successeurs. On peut imaginer que cette désignation se fasse par contrat: le de cujus désigne ses successeurs présomptifs dans un contrat et ceux-ci acceptent leur désignation. Un tel accord de volonté correspond à une institution contractuelle: on institue un ou plusieurs héritier(s) par contrat et ce contrat ne produit effet qu’au décès. Le droit français, cependant, n’aime guère les institutions contractuelles parce que le contrat, fruit d’un accord de volonté, lie en principe irrévocablement les parties et le contrat ne peut être révoqué qu’avec le consentement mutuel des parties en principe, les causes légales de révocation étant exceptionnelles. Pour cette raison, le droit français prohibe en général ce type de contrat successoral, bien que la prohibition s’accompagne de tempéraments importants, notamment entre époux: dans ce domaine, les institutions contractuelles sont parfaitement valables et même très fréquentes en pratique sous la forme de donation au dernier vivant. Le principe est tout de même la prohibition du contrat successoral. Le droit français préfère pour la désignation des successeurs un acte juridique unilatéral: le testament. Le testament est en effet fruit d’une seule volonté et c’est l’acte par lequel une personne en appelle d’autres à sa succession. Le grand avantage du testament est que c’est un acte librement révocable. Ainsi, il peut être modifié jusqu’à l’instant ultime. Le droit français est très protecteur de la liberté testamentaire. Dans ce système, ce n’est plus de la loi mais du testament, que va dépendre la désignation des héritiers. La succession est alors dite testamentaire. Il ne faut cependant pas oublier non plus le rôle que peuvent jouer en la matière les donations. Une donation peut aussi être un acte d’anticipation successorale. Quel est en droit français le rôle respectif de la loi & de la volonté? Dans ce domaine, notre droit a décidé de rechercher un point d’équilibre en ces deux systèmes. Le pouvoir de la volonté est largement reconnu, c’est en principe au de cujus qu’il appartient de désigner ses successeurs, mais s’il ne le fait pas, la loi s’en charge et la succession est légale. On dit aussi qu’elle est ab intestat. Or, l’ordre des successeurs ab intestat est censé reposer sur la volonté présumée du défunt en fonction de la proximité des liens de parenté ou d’alliance. Très souvent aussi, la succession légale peut venir compléter une succession testamentaire. Il est en effet fréquent que les dispositions testamentaires ne règlent pas le sort de la totalité de la succession. Dans ce cas, la succession légale a naturellement vocation à compléter les dispositions testamentaires. Enfin, il faut aussi savoir que le pouvoir de la volonté n’est pas absolu: une fraction de la succession est dévolue impérativement par la loi selon les principes de la dévolution légale au profit de certains héritiers. Ces héritiers sont les héritiers réservataires: ce sont les descendants et à défaut, mais seulement à défaut de descendants, le conjoint survivant. La fraction de la succession impérativement dévolue à ces héritiers réservataires s’appelle la réserve héréditaire. Cette réserve héréditaire est impérativement dévolue selon les principes de la dévolution légale. Cette réserve représente la limite que notre droit des successions pose au pouvoir de la volonté. Ainsi, dès qu’il existe des héritiers réservataires, la succession va être découpée en deux masses: d’un côté, la réserve héréditaire, toujours répartie selon les règles de la dévolution légale, et de l’autre, ce qu’on appelle le disponible, ou la quotité disponible, qui représente la fraction du patrimoine dont le de cujus est libre de disposer à sa guise. Il existe toujours une quotité disponible, la réserve n’absorbe pas l’intégralité de la succession. L’importance

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respective de ces masses varie en fonction du nombre et de la qualité des héritiers réservataires.

Plan du cours: règles selon lesquelles s’organise la dévolution légale; place du pouvoir de la volonté (ordre public successoral, prohibition des pactes de succession future, libéralités); mécanismes du règlement successoral proprement dit. Notre droit des successions a été réformé par la loi du 3 décembre 2001 puis par la loi du 23 juin 2006. La loi de décembre 2001 a eu pour objectif essentiel une amélioration substantielle de la condition successorale du conjoint. Elle a également supprimé les dernières traces de discrimination qui subsistaient à l’encontre de certains enfants adultérins. Cette loi est entrée en vigueur pour l’essentiel de ses dispositions le 1

er

juillet 2002. Le droit nouveau a été déclaré applicable à toutes les successions ouvertes à compter du 1

er juillet 2002, les successions ouvertes antérieurement restant en principe

soumises au droit antérieur sous réserve de certaines dispositions applicables aux successions ouvertes mais non encore partagées. Cette loi de décembre 2001 a emporté d’importantes modifications par rapport aux règles de la dévolution légale. Dès l’origine cette loi devait être complétée car elle avait laissé de côté ce qui concernait le droit des libéralités et le règlement successoral proprement dit. Tel a été l’objet de la réforme du 23 juin 2006: cette loi a plus spécialement réformé le droit des libéralités ainsi que les dispositions relatives au règlement successoral, au partage successoral. Elle a également introduit dans notre droit de nouvelles formes de libéralités. Cette réforme a également donné au législateur la possibilité de régler certaines difficultés apparues suite à la loi de 2001. Certaines dispositions sont en effet interprétatives par rapport à des articles adoptés en 2001. La loi du 23 juin 2006 a été présentée comme reposant sur trois grands objectifs: libérer, accélérer et simplifier. Premièrement, il s’agit de donner à chacun plus de liberté pour organiser la transmission de son patrimoine. Cela s’est traduit concrètement par une nette régression de l’ordre public successoral ainsi que par un aménagement du droit des libéralités. Deuxièmement et troisièmement, il s’agit pour le législateur de faire davantage appel à la collaboration des notaires. Ainsi par exemple le partage amiable a fait son entrée au sein du Cciv alors que celui-ci ne connaissait quasiment que le partage judiciaire. Le partage amiable est désormais présenté comme étant le principe. Quant à la simplification, il s’agit ici davantage de prolongement d’une évolution antérieure datant de 1971. La simplification a entraîné la substitution d’égalité en valeur au principe d’égalité en nature dans le partage. La simplification résulte également d’un aménagement de la terminologie: on parle de donation en avancement de part ou de donation hors part. on parle de prédécédé, plus de prémourant. La loi du 23 juin 2006 s’est terminée par des dispositions diverses concernant le droit des régimes matrimoniaux. Cette loi est une loi très importante qui a modifié plus de 250 articles du Cciv. Cette loi est entrée en vigueur le 1

er janvier

2007: la loi nouvelle a été déclarée immédiatement applicable aux indivisions existantes et aux successions ouvertes mais non encore partagées au 1

er janvier 2007.

Bibliographie: Defrénois, Malaurie « Successions ». LDGJ « Successions & libéralités ».

TITRE 1er LA DEVOLUTION LEGALE

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Les règles de la dévolution légale régissent la succession de toute personne n’ayant pas rédigé de testament ou dont le testament est nul. Ces règles ont également vocation à compléter les dispositions testamentaires incomplètes et enfin, elles s’appliquent impérativement à la réserve héréditaire lorsqu’il y a parmi les héritiers, des héritiers réservataires. Les règles de la dévolution légale, dite également succession ab intestat, permettent de déterminer quelles seront les personnes appelées à recueillir la succession et dans quelles proportions dans toutes les hypothèses précitées.

CHAPITRE 1er LA RELATION SUCCESSORALE

La relation successorale s’ouvre à partir d’un fait juridique: le décès. Au décès, celui qui était un héritier présomptif devient un héritier effectif. La relation successorale peut être envisagée du côté du défunt ou de celui de l’héritier. Du côté du défunt, on envisage l’ouverture de la succession. Du côté de l’héritier, cela amène à évoquer l’aptitude à hériter. On envisagera enfin la preuve de la qualité d’héritier. SECTION 1: L’Ouverture de la succession. §.1. Les Causes d’ouverture de la succession. Depuis l’abolition de la mort civile en 1854, il reste trois causes d’ouverture de succession. La mort civile était une peine accessoire qui frappait les condamnés à une peine criminelle perpétuelle et qui consistait à les priver de la personnalité juridique de leur vivant. La première cause d’ouverture de la succession est le décès. La deuxième cause est la disparition: un jugement déclaratif de décès, suite à la disparition d’une personne semblant attester de sa mort, viendra alors fixer une date de décès. Enfin, l’absence déclarée est une autre cause d‘ouverture de successions: dans cette hypothèse, une personne s’absente sans qu’on aie de ses nouvelles pendant un certain temps. L’absence comporte deux phases: l’absence et la déclaration d’absence qui va consister à parier sur la mort de la personne absente et qui va emporter tous les effets d’un décès établi. La succession de l’absent est alors ouverte. §.2. La Date d’ouverture de la succession. Les intérêts en jeu sont nombreux et conséquents: de la date d’ouverture de la succession dépend en effet la date de dissolution de la communauté lorsque le défunt était marié sous un régime communautaire. À partir de cette date, prend effet l’indivision post-communautaire. La date d’ouverture de la succession est aussi la date de naissance de l’indivision successorale lorsqu’il y a une pluralité d’héritiers. De plus, lorsque le partage de la succession sera achevé, on remontera rétroactivement à cette date pour fixer le moment à partir duquel chaque héritier sera censé être propriétaire des biens qui lui auront été attribués dans le partage. En effet, le partage a un effet déclaratif, de sorte que l’acquisition de la propriété des biens partagés remonte rétroactivement au jour de l’ouverture de la succession, de la naissance de l’indivision s’il n’y a pas de partage successoral. Enfin et surtout, c’est à la date d’ouverture de la succession qu’il faut se placer pour déterminer quelles sont les personnes aptes à recueillir la succession. Seules les personnes vivantes ou conçues à ce moment-là pourront hériter. Dans la majorité des cas, la date d’ouverture de la succession ne soulève pas de problèmes et elle se rattache à la cause d’ouverture: en cas de décès, la date d’ouverture de la succession correspond à la date du décès telle que mentionnée dans l’acte de décès. En cas de disparition, on retient la date probable du décès telle que fixée par le

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jugement déclaratif de décès. Enfin, en matière d’absence, il n’y a pas de certitude: la date d’ouverture de la succession correspond à la date à laquelle le jugement déclaratif d’absence est retranscrit sur les registres de l’état civil. Parfois la détermination de la date d’ouverture de la succession est plus complexe parce que plusieurs personnes peuvent décéder en même temps. Lorsque des personnes décèdent au cours d’un même événement et sont réciproquement héritières l’une de l’autre, par exemple. Il faut savoir qui a hérité de qui, donc qui a survécu à qui. Comment régler ce problème? Pour régler ce type de problème, les rédacteurs du Cciv ont prévu un ensemble de présomptions auxquelles on donnait le temps de théories des comourants. Ces présomptions avaient sans doute mal vieilli et la jurisprudence s’efforçait d’en écarter l’application dès que possible, donc dès qu’elle ne se trouvait pas dans leur champ d’application. Toutes les situations n’étaient pas envisagées et les présomptions ont été jugées obsolètes: le législateur a donc décidé de les abroger en 2001. Le système qui a été consacré par la loi du 3 décembre 2001 est le suivant: ces nouvelles dispositions de l’art 725-1 Cciv sont applicables à toute succession ouverte à compter du 1

er juillet 2002. Le texte prévoit que « lorsque deux personnes dont l’une avait

vocation à succéder à l’autre périssent dans un même événement, l’ordre des décès est établi par tout moyen. Si cet ordre ne peut être déterminé, la succession de chacune est dévolue sans que l’autre y soit appelé. Toutefois, si l’un des codécédés laisse des descendants, ceux-ci peuvent représenter leur auteur dans la succession de l’autre lorsque la représentation est admise ». Premièrement, l’ordre des décédés doit être établi par tout moyen, donc à l’aide de n’importe quelle preuve matérielle. Deuxièmement, quand on ne peut pas établir l’ordre des décès, on fait comme si chacun des comourants n’avait pas survécu à l’autre, on va opérer la dévolution de la succession de chacun, sans que les autres y soient appelés. Troisièmement et cependant, il existe un correctif qui est le jeu de la représentation successorale en faveur des descendants de l’un des codécédés. Les descendants de l’un des codécédés peuvent être appelés à la succession d’un autre codécédé par le jeu de la représentation successorale. Cette technique de la représentation successorale joue en faveur des descendants et leur permet de représenter leur auteur dans la succession d’un ascendant. §.3. Le Lieu d’ouverture de la succession. Il y a des intérêts en jeu s’agissant de la détermination du lieu, notamment la compétence territoriale des juridictions. On s’efforce de regrouper les contestations relatives à une même succession: l’art 45 du CPC nous précise qu’ « en matière de succession, les demandes entre héritiers, les demandes formées par les créanciers du défunt et les demandes relatives à l’exécution des dispositions à cause de mort (i.e testamentaires) sont portées devant la juridiction dans le ressort de laquelle la succession est ouverte. » Traditionnellement, le lieu d’ouverture de la succession est fixé d’après le dernier domicile du défunt, solution qui a été reprise à l’art 720 cciv qui prévoit que « les successions s’ouvrent par la mort au dernier domicile du défunt ». Il faut ici noter que le dernier domicile du défunt n’est pas nécessairement le lieu du décès. SECTION 2: L’Aptitude à hériter. Pour être en mesure de recueillir une succession, il faut exister et ne pas être indigne. §.1. La Condition d’existence. L’art 725 Cciv nous précise, en reprenant des solutions traditionnelles, que « pour

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succéder il faut exister à l’instant de l’ouverture de la succession ou ayant déjà été conçu, naître viable ». Le texte rappelle que celui dont l’absence est seulement présumée peut hériter. Pour succéder il n’est pas nécessaire d’être né, il suffit d’être conçu: c’est une illustration classique de l’adage infans conceptus. À partir de quand peut-on être considéré comme conçu? Pour déterminer la date de conception, on applique les présomptions légales relatives à la période de conception et à la date précise de la conception telles qu’énoncées à l’art 311 Cciv. Cette période de conception est comprise entre le 300ème jour et le 180ème jour inclusivement précédant la naissance. À l’intérieur de cette période, la date précise de la conception est fixée à un instant quelconque en fonction de l’intérêt de l’enfant selon la présomption omni meliore momento. Enfin, ces présomptions depuis 1972 n’ont plus qu’un caractère simple et sont donc susceptibles d’être combattus par la preuve contraire. Deuxièmement, pour succéder il faut encore naître vivant et viable. La personnalité juridique ne peut remonter à la conception que sous réserve de vérifier ultérieurement la viabilité de l’enfant: celle-ci s’apprécie à la naissance selon des critères médicaux. Il faut être encore en vie à la date du décès de la personne. Encore faut-il ne pas être indigne du défunt. §.2. L’Absence d’indignité. L’indignité est une déchéance prévue dans certains cas par la loi. Toutefois, bien que l’indignité repose sur une déchéance légale, ses effets ne profitent pas à la collectivité en principe, mais éventuellement à d’autres héritiers. L’indignité est donc une peine privée dont l’existence repose sur des conditions précises. A. Les Conditions de l’indignité. Quels sont les cas d’indignité? La réforme du 3 décembre 2001 a été l’occasion d’un profond remaniement de l’indignité. L’indignité est désormais régie par les art 726 à 729-1 Cciv. Sous l’empire du droit antérieur on ne connaissait que des cas d’indignité de droit, i.e des hypothèses dans lesquelles l’indignité opérait automatiquement lorsque les conditions en étaient réunies: le juge ne pouvait que constater l’indignité et ne la prononçait pas. L’indignité opérait automatiquement, le juge ne la déclarait pas. Depuis la réforme du 3 décembre 2001, il existe deux sortes de cas d’indignité: des cas de droit et des cas facultatifs pour le juge. On remarque que l’indignité vise désormais celui qui a été condamné comme auteur ou complice, alors que sous l’empire du droit antérieur, le complice n’était pas envisagé. Les cas d’indignité de droit sont prévus à l’art 726 Cciv et sont au nombre de deux. En vertu de cet article, sont indignes de succéder et comme tels exclus de la successions: premièrement, celui qui est condamné comme auteur ou complice à une peine criminelle pour avoir volontairement ou tenté de donner la mort au défunt. Deuxièmement, est indigne celui qui est condamné comme auteur ou complice à une peine criminelle pour avoir volontairement porté des coups ou commis des violences ou voies de fait ayant entraîné la mort du défunt sans intention de la donner. Ce second cas comble une lacune par rapport au droit antérieure où dans une telle hypothèse, il n’y avait pas d’indignité faute d’une intention homicide, en application d’une interprétation stricte des textes sur l’indignité. La loi du 3 décembre 2001 a également créé de nouveaux cas d’indignité qui sont facultatifs pour le juge: ces cas facultatifs sont au nombre de 5 et sont envisagés à l’art 727 1° à 5° cciv. Premièrement, celui qui a été condamné à une peine correctionnelle pour avoir volontairement donné ou tenté de donner la mort au défunt. Deuxièmement, celui qui a été condamné comme auteur ou complice à une peine

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correctionnelle pour avoir volontairement commis des violences ayant entraîné la mort du défunt sans intention de la donner. Troisièmement, celui qui est condamné pour témoignage mensonger porté contre le défunt dans une procédure criminelle. Quatrièmement, celui qui est condamné pour s’être volontairement abstenu d’empêcher soit un crime soit un délit contre l’intégrité corporelle du défunt d’où il est résulté la mort, alors qu’il pouvait le faire sans risque pour lui ou pour les tiers. Cinquièmement, celui qui est condamné pour dénonciation calomnieuse contre le défunt lorsque pour les faits dénoncés, une peine criminelle était encourue. Ce dernier cas remplace un cas d’indignité de droit que connaissait le droit antérieur et qui était devenu obsolète parce qu’il visait celui qui avait porté contre le défunt une accusation pouvant entraîner une condamnation à la peine capitale. Ces cas d’indignité facultatifs sont une innovation de la loi de 2006. Il appartient au juge de les prononcer. La réforme a créé une action en déclaration d’indignité qui relève de la compétence du TGI. En vertu de l’art 727-1 Cciv, « la déclaration d’indignité peut être prononcée après l’ouverture de la succession à la demande d’un autre héritier ou même en l’absence d’autre héritier, à la demande du Ministère Public. Le délai pour agir est de 6 mois à compter du décès ou bien encore de 6 mois à compter de la déclaration de culpabilité lorsque celle-ci intervient postérieurement au décès. » Quelles sont les successions concernées par les cas d’indignité? Il s’agit uniquement des successions ab intestat: la révocation des dispositions testamentaires, celle des donations obéit à des règles spécifiques. Ainsi, l’art 955 cciv nous explique dans quelles circonstances une donation peut être révoquée pour ingratitude de la part du donataire. Trois cas sont prévus. Premièrement, il y a l’hypothèse dans laquelle le donataire a attenté à la vie du donateur. Deuxièmement, il y a l’hypothèse dans laquelle le donataire s’est rendu coupable envers le donateur de sévices, délits ou injures graves. Enfin, l’article précité envisage l’hypothèse dans laquelle le donataire aurait refusé des aliments au donateur. La révocation des dispositions testamentaires est envisagée à l’art 1046 cciv, qui renvoie à l’art 955 cciv lorsque le légataire est un ingrat. Une révocation des dispositions testamentaires pour ingratitude est envisageable: bien entendu, s’agissant de dispositions testamentaires, on élimine l’hypothèse du refus d’aliments. S’agissant de l’indignité successorale, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que l’indignité ne pouvait avoir d’incidence sur le maintien d’un avantage matrimonial. Cet arrêt fut rendu le 7 avril 98 par la chambre civile 1. En l’espèce, il s’agissait de deux époux qui avaient adopté par contrat de mariage une communauté universelle avec attribution intégrale de cette communauté en faveur du dernier vivant. Le mari a pris l’initiative d’assassiner son épouse. L’avantage matrimonial a été maintenu au profit de cet époux meurtrier et successoralement indigne. L’indignité ne peut pas concerner un avantage matrimonial, l’avantage n’ayant aucun rapport avec l’aptitude à hériter. Cette solution a cependant beaucoup choqué. En réalité, Mme Tisserand pense que ce n’est pas la bonne question qui avait été posée à la Cour de cassation: demander la révocation de l’avantage en invoquant les textes relatifs à l’indignité successorale n’était pas la bonne démarche et la solution ne pouvait être autrement dans ce cas. Cependant, le contrat de mariage est un contrat et à partir du moment où le bénéfice de l’attribution intégrale de la communauté est placé sous une condition de survie, alors il importe simplement en application du droit commun des obligations que cette condition de survie reste aléatoire. Il n’appartient donc pas à l’une des parties, i.e l’un des époux, de forcer le destin pour que la condition s’accomplisse en sa faveur. Dans ce cas-là, s’il se comporte ainsi, la condition doit être réputée accomplie en faveur de l’autre partie. Il faut noter enfin que seule la succession du de cujus est affectée par l’indignité: la succession d’un ascendant du de cujus n’est pas concernée. L’indigne pourra parfaitement venir à la succession d’un ascendant du de cujus. On admet même qu’il puisse représenter le de cujus dans cette succession. L’indignité successorale se définit toujours par rapport au de cujus.

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B. Les Effets de l’indignité successorale. Avant la réforme du 3 décembre 2001, nous ne connaissions que des cas d’indignité de droit. De plus, l’indignité successorale était totalement indépendante de la volonté du de cujus et celui-ci ne pouvait ni la déclencher, ni en écarter les effets. Depuis la réforme de 2001, l’indignité opère toujours automatiquement en présence d’un cas de droit, i.e un cas prévu à l’art 726 cciv. Cela signifie qu’il n’est pas besoin en théorie d’un jugement pour prononcer l’indignité. En pratique, il faut néanmoins qu’une personne invoque l’indignité à son profit, que quelqu’un s’en prévale. Cela peut être un cohéritier de l’indigne, un héritier de rang subséquent, i.e inférieur, qui sera appelé à la succession à la place de l’indigne. Cela peut aussi être un légataire par exemple. Dans ces cas où l’indignité est de droit, le juge ne la prononce pas: il se contente de la constater à la demande d’une des personnes précitées. Il constate que les conditions prévues à l’art 726 cciv sont réunies, l’indignité en découle automatiquement. L’indignité existe donc indépendamment du juge. Dans les cas où l’indignité est facultative, il appartient au juge de la prononcer à la demande d’un héritier ou du Ministère Public agissant en déclaration d’indignité. Le juge ne la prononcera que s’il estime au vu des circonstances que le comportement de l’héritier est assez grave pour qu’on le déclare indigne. Que l’indignité soit de droit ou facultative, elle produit TOUJOURS les mêmes effets. Dans les deux situations, l’indignité opère rétroactivement, i.e l’indigne est censé n’avoir jamais été héritier: il perd rétroactivement la qualité d’héritier. S’il a déjà touché une part successorale à la suite d’un partage, il devra en restituer l’intégralité. Enfin, le nouvel art 728 cciv correspond à une autre innovation de la loi du 3 décembre 2001: ce texte offre désormais au de cujus une faculté de pardon. Il peut pardonner à l’indigne. En vertu de ce texte, « n’est pas exclu de la succession le successible frappé d’une cause d’indignité prévue aux art 726 et 727 cciv, lorsque le défunt postérieurement aux faits et à la connaissance qu’il en a eue, a précisé par une déclaration expresse de volonté en la forme testamentaire, qu’il entend le maintenir dans ses droits héréditaires ou bien encore lorsqu’il lui a fait une libéralité universelle ou à titre universel. » Le pardon de l’indigne peut intervenir sous deux formes: s‘agissant des conditions de fond, il ne peut intervenir que postérieurement aux faits, et même à la connaissance qu’en a eue le défunt. On ne peut pardonner que ce que l’on connaît. Quant à la forme du pardon, deux formalismes sont envisagés: le pardon peut prendre la forme d’une déclaration expresse en la forme testamentaire, i.e une déclaration expresse respectant le formalisme testamentaire, ou de façon plus implicite, le pardon consiste à désigner l’indigne comme légataire universel ou à titre universel. Le défunt prend alors l’initiative de faire une libéralité universelle ou à titre universel à l’indigne en toute connaissance de cause. SECTION 3: La Preuve de la qualité d’héritier. L’héritier légal, ab intestat, est un successeur saisi: cela signifie qu’il dispose de ce qu’on appelle la saisine héréditaire. Cette saisine héréditaire lui donne la faculté de se mettre effectivement en possession de l’hérédité et d’exercer les actions que le défunt aurait pu exercer sans aucune autre formalité. Grâce à la saisine, l’héritier est autorisé à accomplir, dès le décès, sans formalité aucune, tous les actes de possession dont les biens héréditaires sont susceptibles. En pratique, les choses sont plus complexes: il est en effet parfaitement imaginable que l’héritier se heurte à la résistance d’un tiers détenteur d’un bien héréditaire. Par exemple, un banquier est dépositaire de fonds appartenant au défunt. L’héritier doit donc être en mesure de façon très pratique de prouver sa qualité d’héritier saisi dans ses rapports avec les tiers. Parfois, il s’agit simplement pour l’héritier de justifier de sa qualité, d’apporter un minimum de justification de celle-ci. Une preuve non contentieuse suffit. Parfois, les choses se compliquent et l’héritier se heurte à une véritable contestation: le problème de la preuve

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devient alors contentieux. §.1. La Preuve non contentieuse. Avant la loi du 3 décembre 2001, le Code civil ne prévoyait aucun mode officiel de preuve de la qualité d’héritier, contrairement au droit alsacien-mosellan qui connaissait déjà l’institution du certificat d’héritier. Ce vide juridique n’était pas pratique, de sorte que depuis fort longtemps, la pratique notariale s’était efforcée de remédier à cette carence: elle avait ainsi imaginé l’acte de notoriété. Cette pratique a été consacrée par la loi du 3 décembre 2001: désormais, la preuve non contentieuse de la qualité d’héritier est envisagée aux art 730 à 735 cciv. L’art 730 cciv prend soin de préciser que la preuve de la qualité d’héritier s’établit par tout moyen. De cette façon, grâce à cette précision, les usages ou pratiques antérieures concernant la délivrance de certificat d’héritier ou de propriété ne sont pas remises en cause par la réforme. L’art 730-1 cciv vient préciser que la qualité d’héritier peut résulter d’un acte de notoriété dressé par un notaire à la demande d’un ou plusieurs ayant-droit. L’acte de notoriété doit viser l’acte de décès, de même que les pièces justificatives produites par le ou les ayant-droit. Par exemple, si les héritiers sont légaux, ils doivent produire les actes d’état civil établissant le lien de parenté. L’acte de notoriété contient l’affirmation signée du ou des ayant-droit demandeur(s) qu’ils ont vocation seuls ou avec d’autres qu’ils désignent à recueillir tout ou partie de la succession. Cette affirmation n’emporte pas en elle-même acceptation de la succession. L’acte est donc dressé par le notaire, mais sous la responsabilité des ayant-droit qui le demandent. L’acte de notoriété n’a que la force probante d’un acte sous seing privé: il ne fait foi que jusqu’à preuve contraire. Cependant, tant que l’acte n’a pas été contesté, les héritiers désignés dans cet acte ou leur mandataire commun (le plus souvent, c’est le notaire en charge de la succession), sont réputés à l’égard des tiers détenteurs de biens successoraux avoir la libre disposition des biens ou fonds héréditaires dans les proportions indiquées. Une présomption de pouvoir s’attache donc à la notoriété, présomption qui a pour but de protéger les tiers, de les rassurer par conséquent. Enfin, l’art 730 5° Cciv précise que celui qui sciemment et de mauvaise foi se prévaut d’un acte de notoriété inexact encourt les pénalités de recel prévues à l’art 778 cciv sans préjudice de dommages et intérêts. L’héritier qui œuvrerait pour que soit rédigée une notoriété inexacte en dissimulant par exemple l’existence d’un frère, se rendrait coupable de recel successoral. La sanction civile du recel successoral est extrêmement efficace: elle consiste à priver l’héritier receleur de toute part dans les biens qu’il a tentés de faire échapper au partage. Par exemple, si le receleur a dissimulé l’existence d’un frère afin de ne pas avoir à partager avec lui, il a tenté de faire échapper l’intégralité de la succession au partage et sera donc privé de l’intégralité de la succession. Néanmoins il sera considéré comme acceptant pur et simple et n’échappera pas à sa contribution au passif, laquelle n’est pas réduite: elle reste la même que s’il n’y avait pas eu recel. §.2. La Preuve contentieuse. Elle devient utile lorsque les éléments du patrimoine héréditaire sont détenus par un tiers qui refuse de les remettre à l’héritier sur la seule preuve de sa qualité d’héritier saisi. Par exemple, le tiers se déclare seule titulaire de ces biens. Il peut soutenir cela tout simplement parce qu’il estime que ces biens ne font pas partie de l’hérédité. Dans ce cas, la restitution de ses biens dépend du droit commun et il suffit de savoir que l’héritier saisi dispose de toutes les actions qui appartenaient au défunt. Par exemple, ce serait le cas d’une action en revendication. Il arrive aussi que le tiers détenteur admette que les biens fassent partie de

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l’hérédité mais qu’il conteste le titre héréditaire de l’héritier. Il peut par exemple soutenir que lui aussi est appelé à la succession et que par conséquence, il a le droit de retenir les biens héréditaires, ou encore il conteste un testament. Il conteste alors directement le titre héréditaire de l’héritier; seule une action contentieuse, dite action en pétition d’hérédité, peut permettre d’établir qui est vraiment héritier et dans quelle proportion. Cette action relève de la compétence exclusive du TGI du lieu d’ouverture de la succession. Elle appartient aux seuls successeurs universels ou à titre universel et cela, qu’ils tiennent leur titre de la loi, comme les héritiers ab intestat, ou d’un testament, comme le légataire universel ou à titre universel. Dans le cadre de cette action, le demandeur doit prouver la qualité qu’il invoque: si elle dépend d’un testament, il devra produire ce testament et éventuellement en défendre la validité en cas de contestation. Si le demandeur est un héritier ab intestat, il lui appartiendra de prouver le lien de parenté ou de mariage qui le lie au défunt. La preuve du mariage se fait en principe par production de l’acte de mariage et la preuve de la parenté repose sur les règles de preuve propres au droit de la filiation. Il existe une particularité en cas de parenté très éloignée, spécialement en ligne collatérale: la JP permet au demandeur de prouver son lien de parenté avec le défunt par tout moyen, car on estime qu’il s’agit là d’une question de généalogie, non plus d’une question d’état. Si le demandeur de l’action en pétition d’hérédité obtient gain de cause, cela lui permet d’obtenir la reconnaissance de son titre successoral et en outre, en vertu de ce titre, il pourra prétendre à une part de la succession, voire à la totalité de l’hérédité: il faudra l’associer au partage successoral. Si on a déjà partagé sans lui, tout doit être restitué avant d’opérer la succession valable.

CHAPITRE 2: LE PRINCIPE DE DESIGNATION DES HERITIERS Dans notre droit, la désignation des héritiers repose sur les liens de famille et selon une hiérarchie: on ne peut pas admettre tous les parents du défunt à la succession. En droit des successions, l’exigence d’égalité coexiste avec la hiérarchie successorale. SECTION 1: Le Lien de famille. Les liens familiaux peuvent reposer sur la parenté, sur le mariage, plus largement sur l’alliance. Le lien d’alliance est le lien qui unit chacun des conjoints à la famille de l’autre. Par exemple, le gendre est lié à la belle-mère par lien d’alliance. Ce lien créé parfois des obligations alimentaires mais il reste à l’écart du droit des successions. La vocation successorale repose exclusivement sur un rapport de parenté ou de mariage. §.1. Le Rapport de parenté. L’expression de « rapport de parenté » désigne tous les rapports de famille autres que les rapports de mariage et d’alliance. A. Les Structures de la parenté. On distingue tout d’abord la parenté en ligne directe et la parenté en ligne collatérale. Le lien de parenté en ligne directe est le lien qui unit des personnes qui au sein du groupe familial descendent les unes des autres. C’est le lien existant entre descendants et ascendants. Les parents en ligne directe sont donc d’une part les descendants, i.e enfants, petits enfants etc, mais encore les ascendants, i.e père et mère, grand-père et grand-mère etc. Le lien de parenté en ligne directe peut être plus ou moins proche: pour le calculer, on mesure la distance séparant deux parents et on dit alors qu’on cherche le lien de parenté. En ligne directe, le degré de parenté se calcule en comptant le nombre de

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générations séparant le de cujus du parent concerné. Par exemple: le fils est un parent en ligne directe au 1

er degré. Il n’y a qu’une génération de

l’un à l’autre. Le petit-fils est un parents en ligne directe au 2ème

degré. En ligne directe, la vocation successorale joue à l’infini, i.e elle persiste quel que soit le degré de parenté. En ligne directe, il existe un frein naturel à la successibilité qui est la mort. En ligne collatérale, le lien de parenté est le lien qui unit des personnes qui descendent d’un auteur commun. Par exemple, le frère et la sœur, l’oncle et le neveu, les cousins. En ligne collatérale, le degré de parenté se mesure en remontant à cet auteur commun. On part d’un parent et on remonte à l’auteur commun, puis on redescend vers l’autre parent. Par exemple: si le de cujus est le frère, l’auteur commun est le père ou la mère. Il y a donc un degré entre le de cujus et l’auteur commun, puis un degré entre l’auteur commun et la sœur du de cujus. Entre neveu et oncle, si le de cujus est l’oncle, l’auteur commun est le grand-père, on redescend au frère de l’oncle, puis au neveu: entre oncle et neveu, il y a donc trois degrés en ligne collatérale. Entre cousins germains, l’auteur commun est le grand-père. On monte du cousin germain à son père, de l’oncle au grand-père, on redescend au frère de l’oncle, puis à l’autre cousin: on a donc 4 degrés en ligne collatérale. Les ramifications de la parenté peuvent aller très loin: on ne trouve plus le même frein naturel à la successibilité. Faut-il admettre la vocation successorale sans aucune limite? À partir d’un certain degré en ligne collatérale on estime qu’on sort du cercle familial, celui-ci perd son sens sociologique. Il faudra alors prendre des dispositions testamentaires si l’on souhaite qu’un collatéral lointain hérite. Le Code civil admettait la vocation successorale jusqu’au 12ème degré: désormais, la vocation successorale en ligne collatérale disparaît au-delà du 6

ème degré. Les parents collatéraux ne succèdent

pas au-delà du 6ème

degré. Il existe également des subdivisions de la parenté qui sont les lignes ou branches et les souches. La ligne ou branche correspond à une séparation qu’on établit au sein de la parenté d’une personne entre parents du côté du père et parents du côté de la père. La ligne ou branche maternelle se sépare donc de la ligne ou branche paternelle. Les parents de la ligne paternelle sont appelés les consanguins. Les parents de la ligne maternelle sont appelés les utérins. Enfin à l’égard de certains parents, le lien de parenté existe dans les deux branches: c’est le cas pour les frères et sœurs s’ils sont issus du même père et de la même mère. Ils ont alors deux auteurs en commun. On dit qu’il s’agit de parents germains. Un frère consanguin est ainsi un demi-frère par le père. La ligne ou branche est prise en compte par le droit des succession par le procédé de la forme successorale. La souche constitue une autre subdivision de la parenté: c’est un sous-groupe à l’intérieur de l’ordre des descendants ou des collatéraux privilégiés. Les collatéraux privilégiés sont les frères et sœurs ainsi que les descendants de frères et sœurs. Chaque fois qu’un descendant a lui-même des descendants, il donne naissance à une souche. Les descendants de ce descendant sont tous issus de la même souche. De même lorsqu’un frère ou une sœur a des descendants, une souche apparaît dans l’ordre des collatéraux privilégiés. L’existence de souches est prise en compte par le droit des successions à travers la représentation successorale. B. La Qualité de la parenté. La qualité de la parenté a-t-elle une influence sur la vocation successorale? Des enfants nés hors mariage et les enfants nés dans le mariage ou bien encore les enfants adoptifs bénéficient-ils des mêmes droits? Autrefois, la qualité était déterminante dans la vocation successorale: ainsi, la parenté naturelle n’existait pas au-delà du 1

er degré en ligne directe et quand elle existait, la vocation

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successorale qui s’y attachait était toujours inférieure à celle accordée à une parenté légitime. La loi du 3 janvier 72 a posé le principe d’égalité entre les parentés légitime et naturelle et depuis la loi du 3 janvier 72, l’enfant naturel entre dans la famille de son auteur, ce qui a pour conséquence des vocations successorales réciproques. La loi de 72 avait cependant laissé subsister certaines discriminations à l’encontre des enfants adultérins lorsqu’ils se trouvaient en concours avec des personnes que le législateur désignait comme les victimes de l’adultère. Ces victimes de l’adultère étaient les descendants issus du mariage bafoué et à défaut le conjoint victime de l’adultère. Lorsque l’enfant adultérin se trouvait en concours avec ces personne, il subissait des discriminations. Par exemple, s’il était en concours avec des enfants légitimes issus du mariage bafoué, il ne pouvait prétendre qu’à la moitié de la part qu’il aurait eue s’il avait été légitime. Ce dont sa part était amputé venait augmenter la part successorale de l’enfant victime de l’adultère. La législation discriminatoire a été critiquée parce qu’elle n’était progressivement plus en accord avec l’état de nos mœurs et qu’elle aboutissait à des absurdités. Elle a valu une condamnation de la France par la CEDH dans l’arrêt « Mazurek » du 1

er fév 2000. La France a été condamnée pour violation combinée du

protocole additionnel N°1 concernant le droit au respect de ses biens & de l’art 8 de la CEDH qui pose le principe de non discrimination. Ce principe ne doit jamais être invoqué seul, il doit être couplé avec un droit reconnu par la convention. Le droit souvent n’est pas seulement une question de propriété en droit français, il a souvent rapport avec la parenté et donc la vie privée. Pour ces raisons, la loi du 3 décembre 2001, en a profité pour raccrocher ces dernières traces de discrimination à l’encontre des enfants adultérins. Cette loi a donc parachevé l’égalité des filiations en abrogeant ces dernières traces de discrimination successorale. Il subsiste encore aujourd’hui une discrimination dans le cas des enfants incestueux: dans les cas d’inceste les plus graves, dits absolus, la filiation ne peut être établie que de façon unilatérale, à l’égard d’un seul des parents. Il n’y a donc pas de double vocation successorale mais une vocation successorale unilatérale. S’agissant de l’enfant adoptif, les qualités successorales sont admises depuis la loi de 1966: elle est clairement énoncées par l’art 368 cciv qui prévoit que « l’adopté et ses descendants ont dans la famille de l’adopté les droits successoraux prévus au chapitre 3 du titre 1

er du Livre III », i.e les droits successoraux qui découlent d’une filiation en mariage

ou hors mariage. Il existe néanmoins une restriction qui est la même que l’adoption soit simple ou plénière: l’art 368 cciv et l’art 358 prévoient que l’adopté a les mêmes droits et obligations dans la famille de l’adoptant qu’un enfant légitime. En matière d’adoption simple il y a encore une petite restriction: s’agissant de la qualité d’héritier de l’adopté simple, l’adopté simple n’a pas la qualité d’héritier réservataire à l’égard des ascendants de l’adoptant. Cette restriction ne concerne que la réserve héréditaire, pas la succession ab intestat en général: il ne peut donc pas attaquer une libéralité faite par un ascendant de l’adoptant à son détriment pour reconstituer une part réservataire. En outre, s’agissant de l’adoption simple, elle laisse subsister la dualité des liens familiaux: l’adopté simple entre dans la famille de l’adoptant tout en conservant ses liens avec sa famille par le sang. Il a donc à ce titre une double vocation successorale: il a une vocation successorale complète sous réserve de la discrimination dans la famille adoptive, et il conserve une vocation successorale complète à l’égard de ses parents par le sang. Ceci n’est jamais le cas dans l’adoption plénière. Dans l’hypothèse dans laquelle l’adopté simple est le de cujus, il y a une particularité: l’art 368-1 cciv prévoit que « lorsque le de cujus est l’adopté simple, si celui-ci ne laisse ni descendants ni conjoint survivant, la dévolution de la succession obéit à des règles particulières qui correspondent à une sorte de succession anomale ». On va tout d’abord faire jouer deux droits de retour légaux, l’un au profit de la famille adoptive et l’autre, au profit de la famille par le sang. Ainsi les biens donnés par l’adoptant ou recueillis dans la succession de l’adoptant vont retourner à l’adoptant ou à ses descendants s’ils existent encore en nature dans la succession de l’adopté simple. Les biens que l’adopté simple a reçus de ses père et mère retournent pareillement à ces derniers ou à leurs descendants. La succession est partagée par moitié entre la famille

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d’origine et la famille de l’adoptant s’il reste des biens après exercice du retour légal. §.2. Le Rapport de mariage. Le mariage procure une vocation successorale à condition d’y survivre: le conjoint survivant est bénéficiaire de cette succession. Il faut pour cela un mariage antérieur au décès. Il faut aussi que le mariage soit valable, puisque s’il est nul il n’y a pas de conjoint survivant: la nullité du mariage entraîne donc en principe la disparition des vocations successorales réciproques pour l’avenir. Que fait-on du passé? Que se passe-t-il si l’un des conjoints est décédé avant la prononciation de l’annulation du mariage? La logique voudrait que le conjoint restitue la part successorale perçue à tort. C’est effectivement ce qui se passe, mais sous une réserve importante: cette réserve tient à la théorie du mariage putatif. Si le conjoint obtient qu’à son égard le mariage soit déclaré putatif en dépit de l’annulation, il pourra conserver la part successorale reçue antérieurement à l‘annulation si le conjoint est de bonne foi, i.e qu’il ignorait légitimement la cause de nullité. La nullité n’opèrera que pour l’avenir. Le mariage est putatif de plein droit pour les enfants. Le divorce entraîne disparition des vocations successorales réciproques à compter de son prononcé définitif. Que se passe-t-il si un époux décède au cours de la procédure mais avant le prononcé définitif du divorce? Le décès sera alors à l’origine de la rupture du mariage, non pas le divorce. En cas de séparation de corps, entre 2001 et 2006, les solutions ont varié. Le droit positif actuel pour la séparation de corps prévoit que les époux séparés de corps conservent leurs vocations successorales réciproques, sous une seule réserve énoncée à l’art 301 cciv: cette réserve concerne la séparation de corps prononcée par consentement mutuel. En cas de séparation de corps par consentement mutuel, les époux ont la possibilité de renoncer à leurs vocations successorales réciproques dans leur convention réglant les conséquences de la séparation de corps. Il s’agit là d’un pacte sur succession future, expressément autorisé par la loi à l’art 301 cciv, puisqu’en principe les pactes sur succession future sont prohibés (on en peut par avance renoncer à une succession). Entre 2001 et 2006 il y a eu des modifications. La loi de 2001 avait envisagé de faire disparaître la vocation successorale du conjoint, plus exactement sa vocation réservataire dès l’introduction de l’instance en divorce. Cependant, il y avait un décalage entre la vocation ab intestat qui subsistait jusqu’au prononcé du divorce et la vocation testamentaire qui disparaissait avant. En 2006, on a décidé de ne plus faire de distinction entre les deux: désormais il n’y a plus de distinction entre vocation légale ab intestat et vocation testamentaire et l’une comme l’autre persistent jusqu’au prononcé définitif du divorce. Ensuite s’est posé un problème s’agissant des textes sur la séparation de corps: la loi de 2001 prévoyait que lorsque la séparation de corps était prononcée aux torts exclusifs d’un conjoint pour rupture de la vie commune, le conjoint exclusivement coupable ou le conjoint demandeur perdait sa vocation successorale à l’égard de l’autre, alors qu’elle était maintenue en faveur du conjoint innocent ou défendeur. La loi du 26 mai 2004 a réformé le divorce et la séparation de corps: cette loi a eu pour principal objectif de dissocier le règlement du divorce de ses conséquences, de sorte qu’elle a supprimé la plupart des mesures ayant un aspect sanctionnateur qui étaient liées au divorce prononcé aux torts exclusifs et au divorce pour altération définitive du lien conjugal. Cette loi a donc supprimé ce qui apparaissait comme sanction attachée au prononcé d’une séparation de corps aux torts exclusifs: ainsi, cela laisse subsister la vocation successorale. Cependant, en 2004, on ne s’était pas intéressé à la définition du conjoint successible. Le conjoint séparé de corps à ses torts exclusifs perdait donc encore sa vocation successorale. La loi du 23 juin 2006 prévoit désormais qu’ « est conjoint successible le conjoint non divorcé. » Ainsi le conjoint séparé de corps, quelle qu’en soit la cause, conserve sa vocation successorale. Le partenaire du pacs n’a pas de vocation légale, il est donc possible de tester en sa faveur dans des conditions fiscalement avantageuses: on a aligné la situation du

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partenaire sur celle du conjoint depuis 2007. En revanche, il n’y a pas de vocation légale entre partenaire donc sans testament, le partenaire n’a rien. Le seul droit de nature quasi successorale est le droit de se maintenir dans le logement, droit consacré en 2006. SECTION 2: La Hiérarchie successorale. La hiérarchie successorale opère un classement entre différents membres de la famille, classement qui respecte à la fois l’ordre et le degré. §.1. L’Ordre. Les différents héritiers sont répartis en différents ordres appelés à la succession les uns après les autres, ce qui signifie que les héritiers d’un ordre préférable passent toujours avant les héritiers d’un ordre subséquent, et cela de la même si les héritiers de l’ordre préférable sont plus éloignés en degrés. Exemple: un descendant au 4

ème degré, i.e un arrière-arrière petit-fils, prime et évince

un collatéral privilégié au 2ème

degré, i.e un frère ou une sœur du défunt. Dès qu’il y a un descendant, il prime sur un collatéral privilégié qui ne peut être appelé à la succession et est évincé. A. La Hiérarchie successorale en l’absence de conjoint successible. En l‘absence de conjoint successible, le classement des héritiers s’opère de la façon suivante: le premier ordre, celui qui prime tous les autres, est l’ordre des descendants. Dès qu’il existe un descendant, aucun autre héritier ne peut être appelé à la succession, si ce n’est le conjoint ce qui n’est pas ici notre hypothèse. Le deuxième ordre est un ordre un peu particulier car c’est un ordre mixte: on parle d’ordre mixte car il réunit à la fois les ascendants privilégiés et les collatéraux privilégiés. Ils ne peuvent être appelés à la succession qu’en l’absence de descendants. Ce sont respectivement les père & mère et les frères et sœurs du défunt ainsi que les descendants de frères et sœurs, i.e neveux et nièces. Les collatéraux et ascendants privilégiés sont appelés à la succession ensemble en l’absence de descendants. Le troisième ordre est celui des ascendants ordinaires: ce sont les ascendants autres que les père et mère comme les grand-père, grand-mère etc. Enfin le quatrième ordre est celui des collatéraux ordinaires: ce sont tous les collatéraux autres que les frères et sœurs et les descendants de frères et sœurs, i.e les oncles, tantes, cousins etc. Après les collatéraux ordinaires, il n’y a plus que l’Etat pour hériter du de cujus. Il nous faut encore savoir où placer le conjoint survivant. B. La Hiérarchie successorale en présence d’un conjoint successible. Depuis la loi de 2003, le conjoint successible a bénéficié d’une promotion au sein de la hiérarchie successorale: sous l’empire du droit antérieur, le seul ordre que le conjoint survivant primait en pleine propriété était l’ordre des collatéraux ordinaires. Le conjoint ne venait jamais à la succession en propriété qu’à défaut de descendants, de collatéraux privilégiés et d’ascendants dans les deux lignes. On prend donc conscience de la remontée: en vertu de l’art 756 cciv, désormais le conjoint successible est appelé à la succession soit seul, soit en concours avec les parents du défunt. L’art 757 cciv fixe les droits du conjoint en propriété lorsqu’il vient à la succession avec des descendants: dans ce cas, s’il y a des descendants qui sont héritiers du premier ordre, il peut prétendre à ¼ en propriété. De plus, si les descendants sont tous communs aux deux époux, le conjoint a la possibilité d’opter pour un usufruit universel, ce qui réduira les droits des descendants à de la nue-propriété. L’art 757-1 cciv fixe les droits du conjoint en présence d’ascendants privilégiés,

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i.e père et mère: en vertu de cet article, lorsque le conjoint successible se trouve en présence d’ascendants privilégiés, il faut réserver 1/4 en propriété par ascendant privilégié toujours en vie et le reste revient au conjoint. Ainsi s’il y a en face du conjoint le père et la mère qui ont survécu au défunt, la succession se répartit de la façon suivante: un quart en propriété pour le père, un quart en propriété pour la mère & le reste pour le conjoint, soit la moitié. Si l’un des ascendants privilégiés est décédé, l’autre ascendant privilégié toujours en vie obtiendra un quart en propriété et le conjoint recevra les trois quarts de la succession en propriété. L’art 757-2 cciv, enfin, précise qu’en l’absence de descendants du défunt et en l’absence s’ascendants privilégiés, le conjoint recueille toute la succession. Premièrement, on observe d’emblée que désormais, le conjoint prime les collatéraux privilégiés. Les frère et sœur sont évincés en présence du conjoint. En 2001, les parlementaires se sont presque émus de cette remontée spectaculaire du conjoint face aux frère et sœur et pour cette raison ils ont trouvé bon de consacrer un curieux droit de retour légal figurant à l’art 757-3 cciv: en l’absence de descendant, selon ce texte, et en cas de prédécès des père et mère, les biens que le défunt a reçus de ses ascendants par succession ou donation et qui se retrouvent en nature dans la succession font l’objet d’une dévolution particulière. Ces biens sont partagés par moitié entre les collatéraux privilégiés issus de l’ascendant prédécédé à l’origine de la transmission & le conjoint survivant. Exemple: il y a dans la succession du défunt une maison que celui-ci a reçue par donation de son père, ainsi que divers autres biens. Le défunt laisse à sa survivance d’une part son conjoint, d’autre par un frère consanguin (demi-frère du côté de son père) et enfin une sœur utérine (demi-sœur du côté de sa mère). La succession se répartit de la façon suivante: s’agissant de la maison que le défunt a reçue par donation de son père, elle va faire l’objet du droit de retour prévu à l’art 757-3 cciv. Elle va donc se partager de la façon suivante: la moitié pour le conjoint, l’autre moitié pour le frère consanguin. En revanche la sœur utérine n’est pas concernée parce qu’elle n’est pas issue de l’ascendant à l’origine de la transmission à titre gratuit. Quant aux autres biens, on applique les principes ordinaires, à savoir l’art 757-2 cciv: en l’absence de descendant et d’ascendant privilégié, le conjoint les recueille. Ce droit de retour légal semble curieux car il pose diverses difficultés d’interprétation. On a justifié ce droit comme permettant d’assurer une conservation des biens au sein des familles et on peut douter de cet objectif: il n’est pas vraiment de nature à favoriser cet objectif dans la mesure où dans ce cas de demi-mesure précité, la maison se retrouve en indivision entre le frère et le conjoint car le droit de retour n’est qu’à hauteur de la moitié du bien, pas du bien entier. L’indivision est une source de difficultés et on peut donc penser que ce qui risque de se produire, c’est qu’aucun des deux ne peut indemniser l’autre indivisaire, ce qui engendre une vente du bien. Si ni le conjoint ni le frère ne peut indemniser le coindivisaire à hauteur de la moitié, pour sortir de l’indivision, la seule solution est la vente, ce qui ne favorise pas la préservation des biens de famille. Il n’est pas dit non plus que cet objectif soit la préoccupation d’une majorité de français. S’il y a vraiment des biens de famille qu’on souhaite préserver, cela ne concerne pas la dévolution légale: il faut lors de la donation du bien insérer un droit de retour conventionnel en droit de prédécès du donataire. Le retour conventionnel opère comme une condition résolutoire, on annule la transmission à titre gratuit et le bien retourne donc en entier. On assure donc la conservation du bien dans la famille. Ce droit de retour légal fait plutôt penser à la succession anomale: le bien fait l’objet d’une dévolution particulière, ce n’est pas le bien lui-même mais sa moitié qui en fait l’objet. Ceci est donc facteur d’une certaine septicité. En 2006 on a cependant étendu le champ d’application du droit de retour légal. En 2001 il ne s’appliquait qu’aux biens reçus à titre gratuit des père et mère. En 2006 et désormais, il porte sur les biens reçus à titre gratuit des ascendants, non seulement des père et mère. Le point positif est que ce droit ne semble pas être d’ordre public: ainsi il peut être écarté par une disposition de volonté contraire prise par le défunt. Par exemple: la volonté de léguer la maison précitée suffirait à tenir ce droit de retour légal en échec. Autre

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exemple: le droit de retour conventionnel pourrait jouer à la place du droit de retour légal. De deux réponses ministérielles contradictoires, on a conclu que ce droit n’était pas d’ordre public. Désormais le conjoint survivant prime les collatéraux privilégiés, ce qui est remarquable par rapport au droit antérieur. À l’exception du droit de retour légal, les frère et sœur ne viennent donc pas à la succession en de cujus en présence d’un conjoint survivant. Deuxièmement, désormais, le conjoint successible prime les ascendants ordinaires, i.e tous les ascendants autres que les père et mère. On s’est demandé si la mesure n’était pas trop radicale: sous l’empire du droit antérieur une créance d’aliment profitait au conjoint survivant dans le besoin mais le législateur en 2001 a cru bon de consacré une créance d’aliment au profit des ascendants du défunt autres que les père et mère. Ceci est prévu à l’art 758 cciv: « lorsque le conjoint survivant recueille la totalité ou les trois-quarts des biens, les ascendants du défunt autres que les père et mère qui sont dans le besoin bénéficient d’une créance d’aliments contre la succession du prédécédé. » Le délai pour réclamer cette créance est d’un an à partir du décès ou bien encore d’un an à partir du moment où les héritiers cessent d’acquitter les prestations qu’ils acquittaient jusque-là spontanément au profit des ascendants. Le délai se prolonge en cas d’indivision jusqu’à l’achèvement du partage. Cette pension alimentaire est prélevée sur la succession. Enfin le conjoint survivant prime également les collatéraux ordinaires, mais ceci n’est pas une nouveauté. §.2. Le Degré. À l’intérieur de chaque ordre d’héritiers, le classement s’opère selon la règle du degré. En principe, l’héritier d’un degré plus proche exclut l’héritier d’un degré plus éloigné. Exemple: dans l’ordre des descendants, le fils exclut le petit-fils. Dans l’ordre des ascendants ordinaires, le grand-père exclut l’arrière-grand-père. ATTENTION: la règle du degré est toujours subsidiaire par rapport à la règle de l’ordre. Le parent au degré le plus proche l’emporte sur un parent au degré plus éloigné, MAIS seulement à l’intérieur d’un même ordre. Un héritier d’un ordre préférable l’emporte toujours sur un héritier d’un ordre subséquent quel que soit le degré respectif de la parenté. La règle du degré, de même que le classement par ordre, restent les principes directeurs. Ces principes directeurs peuvent être infléchis par des principes correcteurs qui tiennent à notre conception de l’égalité successorale. SECTION 3: L’Egalité successorale. L’égalité de principe est également corrigée en prenant en compte d’autres notions d’égalité comme celle des souches et celle des lignes. §.1. L’Egalité des individus. À l’intérieur d’un même ordre, s’il existe plusieurs héritiers au même degré, l’égalité s’impose entre ces héritiers. On dit aussi que la succession se partage par tête, i.e par parts égales, ils succèdent par tête. Ce principe d’égalité imprègne toutes les règles de la dévolution légale: il est clairement énoncé à l’art 735 cciv pour les descendants. Cet article dispose en effet que « les enfants ou leurs descendants succèdent à leurs père et mère ou autres ascendants sans distinction de sexe ni de primogéniture, même s’ils sont issus d’unions différentes. » Cette égalité a été consacrée sous la Révolution Française par le Code civil. On a supprimé le droit d’ainesse auquel l’aristocratie était très attachée et qui favorisait le morcellement des héritages. On a aussi supprimé les privilèges favorables aux enfants issus d’un premier

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mariage. La loi de 1819 a supprimé le droit d’aubaine qui empêchait les étrangers de recueillir de la même façon que les français. Il a fallut attendre 1972 puis 2001 pour supprimer les dernières discriminations concernant les enfants adultérins. En 2001 on a abrogé l’ancien art 752 cciv qui consacrait une curieuse forme successorale qui se manifestait dans l’ordre des collatéraux privilégiés: cet art préconisait de diviser la succession en deux parts égales, une pour la ligne maternelle et une pour la ligne ou branche paternelle. Les frères consanguins ne prenaient part que dans la ligne paternelle, de même que les frères utérins ne prenaient part que dans la ligne maternelle. Cependant, les frères germains, qui avaient deux parents en commun avec le défunt, prenaient part dans les deux lignes. Exemple: si le défunt laissait un demi-frère consanguin, une demi-sœur utérine et un frère germain, la succession se répartissait ainsi. On divisait la succession en deux: la part afférant à la ligne paternelle revenait au frère consanguin ainsi qu’au frère germain. Ils obtenaient chacun un quart de la succession. Quant à la part afférant à la ligne maternelle, elle se répartissait entre la sœur utérine et le frère germain. La sœur utérine obtenait un quart et le frère germain, l’autre quart. Au total, le frère consanguin obtenait un quart de la succession, la sœur obtenait un quart, & le frère germain pouvait prétendre à la moitié. La loi du 3 décembre 2001 a considéré que cette ancienne forme consacrait un privilège du double lien en faveur des frère et sœur germain, ceci étant contraire au principe d’égalité: on a donc supprimé cette forme spéciale. Désormais, dans la même configuration, à égalité de degré entre les trois collatéraux privilégiés, la succession se partagera par tête, i.e un tiers pour chacun. Il y a tout de même un ordre dans lequel la division par tête est écartée, mais il ne s’agit pas ici d’une atteinte à l’égalité des individus proprement dite: si elle est ici écartée, cela tient à la composition même de l’ordre, parce que cet ordre est un ordre mixte qui réunit des collatéraux privilégiés et des ascendants privilégiés. Entre collatéraux privilégiés et ascendants privilégiés, la répartition de la succession se fait de la façon suivante: on attribuera un quart pour chaque ascendant privilégié toujours en vie et le reste reviendra aux collatéraux privilégiés. Exemple: si le défunt laisse son père et ses trois sœurs, à l’exclusion de toute autre personne, un quart reviendra au père, et les trois quarts restant reviendront aux sœurs. Ensuite, à égalité de degrés, les trois sœurs se partageront par tête ces trois quarts restant. Favoriser une succession ascendante, i.e remontante, par rapport à une succession collatérale, i.e à égalité de générations, n’était pas réjouissant, d’où l’idée d’un compromis entre ces deux ordres. Cette égalité des individus est parfois corrigée au profit de l’égalité des souches ou des lignes. §.2. L’Egalité des souches. Dans certaines successions, l’égalité des individus est refoulée au profit de l’égalité des souches grâce à la technique de la représentation successorale. La représentation successorale assure une double fonction. Premièrement, elle permet de déjouer les aléas liés à la chronologie des décès en refoulant la règle de la priorité des degrés. Exemple: le de cujus a deux fils, Aristide et Barnabé. Aristide est lui-même père d’un petit Aristote, Barnabé n’a pas d’enfants. Aristide décède prématurément avant le de cujus. Quand s’ouvre la succession du de cujus, nous avons donc Barnabé et Aristote. Si l’on faisait jouer de façon inhumaine la règle du degré, on devrait dans cette configuration familiale raisonner ainsi et considérer que Barnabé est un descendant au 1

er degré tandis qu’Aristote est un

descendant au 2nd

degré. Une application stricte nous laisse ainsi penser que Barnabé étant d’un degré supérieur dans le même ordre, il prime sur Aristote. Grâce à la représentation successorale, Aristote va venir à la succession par représentation de son père dont il va emprunter le degré: ainsi, Aristote vient à la succession en tant que descendant au 1

er degré.

Ce sont donc deux descendants au 1er

degré: on partage donc en deux la succession. On déjoue ainsi les aléas liés à la chronologie des décès.

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Deuxièmement, la représentation successorale a une autre fonction au moins aussi importante: elle permet de respecter l’égalité des souches. On refoule alors l’égalité des individus au profit de l’égalité des souches. Exemple: le de cujus a deux enfants, Aristide et Barnabé. Aristide a un fils, Aristote. Barnabé a deux enfants, Bernard et Bernadette. Aristide et Barnabé montent dans l’avion qui n’atterrira jamais et décèdent prématurément. Lorsque s’ouvre la succession, on n’a donc comme héritiers qu’Aristote, Bernard et Bernadette. Si on applique sans nuance la règle d’égalité des individus, cela amène à dire que ces trois enfants étant trois descendants au 2

nd

degré, chacun peut prétendre à un tiers de la succession. À cette égalité des individus le droit des succession préfère l’égalité des souches: dans cet exemple, Aristote va venir à la succession par représentation d’Aristide et pourra prétendre à la part qu’aurait eu Aristide s’il avait survécu au défunt. Bernard et Bernadette vont venir à la succession par représentation de Barnabé, de sorte qu’ils obtiendront la part qu’aurait eu Barnabé s’il avait survécu au défunt. Ainsi, nous avons deux souches, celle d’Aristide et celle de Barnabé. On divise la succession en deux, une par souche, la moitié afférant à la souche d’Aristide sera attribuée à son unique représentant, i.e Aristote, tandis que la moitié afférant à la souche de Barnabé va se partager à égalité de degrés entre Bernard et Bernadette, i.e un quart pour chacun. Au total, Aristote obtient la moitié, Bernard un quart et Bernadette un quart. Ce qu’on a respecté ici ce n’est pas l’égalité des individus mais celle des souches. La représentation successorale a également une incidence en cas de renonciation: la renonciation profite aux membres de la souche, et non pas à tous les héritiers. Dans notre exemple, si Bernard renonce à la succession, la part d’Aristote reste de moitié, mais la part de Bernadette augmente et passe à la moitié parce que Bernard et Bernadette appartiennent à la même souche. La représentation successorale est définie à l’art 751 cciv qui prévoit que « la représentation est une fiction juridique qui a pour effet d’appeler à la succession les représentants aux droits du représenté ». A. Domaine de la représentation. La représentation joue uniquement dans les successions descendantes, on dit aussi qu’il n’y a jamais de représentation remontante, et dans l’ordre des descendants et des collatéraux privilégiés, i.e en faveur des descendants de frères et sœurs et des descendants du de cujus. Dans les autres ordres d’héritiers (ascendants ordinaires, collatéraux ordinaires), la préoccupation n’est plus celle de l’égalité des souches, mais celle de l’égalité des branches ou lignes. Dans l’ordre des descendants ou bien encore en faveur des descendants de frères et sœurs, la représentation joue à l’infini, i.e quel que soit le degré de parenté avec le défunt. Cet infini est très limité compte tenu de la limite qui est la mort: il est rare qu’on aille au-delà de 5 générations. La loi dit encore qu’ « en ligne directe la représentation est admise dans tous les cas, soit que les enfants du défunt concourent avec les descendants d’un enfant prédécédé (exemple 1), soit encore que tous les enfants du défunt étant morts avant lui, lesdits enfants se trouvent entre eux en degrés égaux ou inégaux (exemple 2). » Exemple: le de cujus a deux enfants, A et B. A a un fils, C et ce fils est père de D. Barnabé a deux enfants, E et F. A, B et C meurent. Lorsque s’ouvre la succession du de cujus, on a donc D, E et F. la représentation joue à l’infini et on a deux souches. La part afférant à la souche de A revient à F qui vient à la succession par représentation, ce qui lui fait gagner deux degrés. Elle devient donc descendante au premier degré. De l’autre côté on a deux enfants. La succession se répartit ainsi: une moitié pour F, un quart pour B, un quart pour C. À cela il faut encore ajouter que la représentation joue également lorsqu’au même degré, il existe le même nombre d’enfants par souche. Exemple: le de cujus a deux enfants, Aristide et Barnabé. Aristide a un fils, Aristote, et Barnabé a un fils, Bernard. Aristide et Barnabé meurent. Lorsque la succession s’ouvre, il ne reste plus qu’Aristote et Bernard. Aristote et Bernard viennent à la succession par

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représentation: chacun obtiendra la moitié de la succession. À ce stade, la seule chose qui vient limiter le jeu de la représentation est l’exigence d’une pluralité de souches: par exemple, si le de cujus n’a qu’un fils unique prédécédé, les enfants de ce fils unique viendront à la succession de leur propre chef, et non par représentation. En revanche, si le de cujus a un fils unique Aristide, qui a lui-même deux descendants, Aristote & Attila. Attila est père d’Aline. Aristide et Attila meurent. Aline va pouvoir représenter Attila et la succession se partagera par moitié entre Aristote et Aline. Pour que la représentation successorale s’applique, il existe des conditions. Pendant longtemps on a considéré une condition comme étant fondamentale: il fallait que le représenté soit prédécédé. On disait aussi qu’on ne représentait pas une personne vivante. Cependant, désormais, l’art 754 cciv nous dit qu’on ne représente les renonçants que dans les successions dévolues en ligne directe ou collatérale (la représentation ne joue de toute façon pas dans les autres cas) et que la représentation est admise en faveur des enfants ou descendants de l’indigne, encore que celui-ci soit vivant à l’ouverture de la succession. Depuis la loi du 23 juin 2006, on peut désormais représenter les personnes vivantes si elles sont renonçantes ou indignes: la loi du 3 décembre 2001 a admis la représentation de l’indigne, encore que celui-ci soit vivant à l’ouverture de la succession selon l’art 755 cciv, et la loi du 23 juin 2006 a admis la représentation du renonçant. Pourquoi ces deux dernières innovations? Tout d’abord, la représentation de l’indigne a été admise en 2001 parce qu’on a considéré que la solution adverse était inique, celle-ci ayant d’ailleurs été critiquée en doctrine. Par exemple: si le de cujus a deux enfants et qu’un des enfants a lui-même un enfant. Si un des enfants assassine son père, faut-il empêcher le petit-fils d’hériter de son grand-père? Sans le secours de la représentation, le père privait son fils d’héritage. Ensuite, concernant la représentation du renonçant, ce sont d’autres considérations qui l’ont emporté: on l’a admise dans le but de favoriser les transmissions transgénérationnelles, l’idée étant qu’avec l’allongement de l’espérance de vie, la population vieillit, on hérite de plus en plus tard. Or, les transmission de patrimoine tardives sont nocives pour la société car on ne l’utilise pas de la même façon selon qu’on hérite à 30 ou à 60 ans. Favoriser les transmissions à des personnes plus jeunes est donc un facteur d’investissement. Il est en outre vrai que lorsqu’on hérite tardivement, on souhaite souvent en faire profiter ses propres héritiers à sa place, en tout cas si on ne compte pas sur l’héritage pour ses vieux jours. On a donc admis la représentation des renonçants pour favoriser ces transmissions transgénérationnelles. Exemple: si un père est appelé à la succession et qu‘il a un fils, il peut renoncer à la succession pour que son propre fils hérite à sa place. Sous l’empire du droit antérieur, il suffisait que le fils ait un frère pour se retrouver sans rien: le frère avait tout. Le problème est que l’indigne et le renonçant ne peuvent être encore en vie quand s’ouvre la succession du de cujus et avoir des enfants. Ces enfants non encore conçus lors de l’ouverture de la succession du de cujus n’ont pas pu représenter leur auteur dans cette succession. Dans ce cas, le législateur a donc prévu une sorte de rapport successoral qui s’effectuera lorsque s’ouvrira la succession de l’indigne ou du renonçant. Ce rapport successoral est mentionné à l’art 754 al2 cciv. Ce texte s’applique également en cas de renonciation de l’indigne. En vertu de ce texte, « les enfants du renonçant/de l’indigne conçus avant l’ouverture de la succession dont le renonçant/l’indigne a été exclu, rapportent à la succession de ce dernier les biens dont-ils ont hérités en son lieu et place s’ils viennent en concours avec d’autres enfants conçus après l’ouverture de la succession ». Exemple: le de cujus 1 a deux fils, Aristide et Barnabé. Aristide est lui-même le père d’Aristote. Lorsque s’ouvre la succession du de cujus 1, Aristide renonce à cette succession afin de permettre à Aristote d’y venir par représentation. La succession du de cujus 1 se partage donc à raison d’une moitié pour Aristote et d’une moitié pour Barnabé. Quelques temps après l’ouverture, Aristide rencontre a new love in his life et conçoit Attila. Attila n’était pas encore conçus lors de l’ouverture du de cujus 1 donc il n’a pas pu en hériter. Quand s’ouvrira la succession d’Aristide, Aristote, qui sera appelé à cette succession avec Attila,

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devra rapporter à la succession d’Aristide ce qu’il a reçu dans la succession du de cujus 1. Enfin pour pouvoir bénéficier de la représentation, il y a encore deux autres conditions à respecter: il faut d’une part une aptitude à succéder vis-à-vis du défunt, i.e ne pas être indigne ni renonçant par rapport au de cujus, & il faut qu’il y ait un lien de descendance familiale entre le représentant et le représenté. Le représentant doit être le descendant le plus proche en degré du représenté. ATTENTION: un lien de descendance familiale ne signifie pas une aptitude successorale, il n’est pas nécessaire de vérifier l’aptitude successorale du représentant par rapport au représenté. Le lien de descendance familiale suffit. Ainsi, le représentant peut parfaitement avoir renoncé à la succession du représenté ou bien encore en avoir été indigne. Cela ne l’empêche pas de bénéficier de la représentation successorale pour recueillir la succession d’un ascendant du représenté. L’aptitude successorale du renonçant se vérifie par rapport au de cujus, pas entre représentant et représenté. Exemple: le de cujus a deux enfants, A et B et A a un fils, C. C assassine A. Lorsque s’ouvre la succession du de cujus, C va pouvoir venir à la succession par représentation de A, alors même qu’il a été exclu de la succession de A pour indignité. C va venir par représentation de A à la succession du de cujus. En revanche, si C avait trucidé le de cujus et avait été indigne par rapport à lui, il n’aurait pas l’aptitude successorale requise. B. Les Effets de la représentation. La représentation successorale substitue l’égalité des souches à l’égalité des individus et d’autre part, la représentation déroge à la règle de la priorité du degré (cf supra). La représentation ne joue pas chez les collatéraux ordinaires et ascendants ordinaires. Celle-ci est assurée par la fente successorale. §.3. L’Egalité des lignes: la fente successorale. L’existence de la fente successorale correspond au souci de maintenir l’égalité entre lignes maternelles et paternelles. D’un point de vue technique ce procédé a pu être parfois détourné à d’autres fins et il existe des fentes particulières mentionnées précédemment. La première fente particulière concerne la succession de l’adopté simple. En l’absence de conjoint et de descendants, se manifestent deux droits de retours légaux, l’un au profit de la famille adoptive et l’autre au profit de la famille par le sang. Ainsi, les biens recueillis dans la succession de l’adoptant ou donnés par l’adoptant à l’adopté retournent à l’adoptant ou à ses descendants. Corrélativement, les biens reçus par ses père et mère par le sang à titre gratuit retournent aux père et mère par le sang ou à leurs descendants, cela sous réserve qu’ils se retrouvent encore en nature dans la succession de l’adopté simple. Une fois qu’on a fait jouer ces deux droits de retours légaux, se manifeste une fente spéciale: ce qui reste de la succession de l’adopté simple est divisé en deux, une moitié pour la famille adoptive, une moitié pour la famille d’origine. A l’intérieur de chaque famille on fait jouer les principes habituels de l’ordre et du degré. L’idée est ici d’instaurer une égalité entre les deux familles de l’adopté simple. L’autre fente est l’ancienne fente de l’art 752 cciv: le procédé était ici utilisé pour assurer une sorte de privilège du double lien entre frères et sœurs germains. Ce procédé se manifeste dans l’ordre des ascendants et dans l’ordre des collatéraux ordinaires. La fente est toujours exclue dans l’ordre des descendants, de même dans l’ordre des collatéraux privilégiés. Dans ces ordres, on rencontre en effet la représentation successorale. La fente permet d’écarter la règle de la priorité du degré au profit de l’égalité des lignes paternelles et maternelles. La fente conduit dans un 1

er temps à diviser la succession

en deux parts égales: une moitié est réservée aux parents de la ligne maternelle, tandis que l’autre est attribuée aux parents de la ligne paternelle. À l’intérieur de chaque ligne, le parent le plus proche en degré exclue les autres. On retrouve ici la règle de la priorité de degré mais dans une ligne et à égalité de degré, on procède à un partage par tête.

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Exemple: le de cujus laisse son grand-père maternel, son grand-père paternel et sa grand-mère paternelle. On divise la succession en deux parts égales, une part par ligne. La part afférant à la ligne paternelle est attribuée à égalité de degrés au grand-père paternel et à la grand-mère paternelle, ils auront chacun un quart. La part afférant à la ligne maternelle revient au grand-père maternel. S’il y avait une grand-mère maternelle, cela ne changerait rien car elle est à un degré supérieur. Historiquement, le procédé de la forme successorale a été détourné au profit du conjoint survivant pour améliorer sa vocation en pleine propriété avant la loi de 2001 lorsqu’il avait droit à très peu de l’hérédité du de cujus. Ceci permettait au conjoint d’hériter en propriété lorsqu’il n’y avait d’ascendants que dans une ligne, la part afférant aux ascendants de l’autre ligne étant vacante, elle était attribuée au conjoint. Désormais cela n’a plus lieu d’être, le conjoint primant les ascendants ordinaires. Lorsqu’une ligne est vacante, on dit que la fente se referme et la totalité de la succession est attribuée aux parents de l’autre ligne. Si le de cujus laisse son grand-père et sa grand-mère paternels, la totalité de la succession leur sera attribuée s’il n’a plus d’ascendants maternels. La fente ne profite JAMAIS à un ordre subséquent, elle ne permet jamais à des collatéraux ordinaires de venir à la succession en concours avec des ascendants ordinaires. La fente joue dans un ordre, mais elle ne profite pas à un ordre subséquent: si la ligne est vacante, la fente se referme. De même quand on est dans l’ordre des collatéraux ordinaires, si une ligne est vacante, la fente se referme et la totalité de la succession est attribuée aux parents de l’autre ligne. On dit aussi que la fente ne profite jamais à l’Etat.

CHAPITRE III : LES DIFFERENTS SUCCESSIBLES

SECTION 1 : La Hiérarchie successorale en l’absence de conjoint survivant. §1. Les Descendants. Les descendants excluent tous les autres héritiers, à l’exception du conjoint. En outre, la vocation successorale des descendants se prolonge pas l’octroi d’une réserve héréditaire. Les descendants sont des héritiers réservataires donc une part de la succession doit impérativement leur être attribuée. Cette part varie en fonction du nombre de descendants. En vertu de l’article 913 du Cciv, la réserve est disponible de moitié lorsqu’il y a un seul descendant. En présence de 2 descendants, la réserve passe aux 2/3 et corrélativement, le disponible se réduit au 1/3. Enfin lorsqu’il y a 3 descendants et plus, la réserve est des 3/4 et le disponible de 1/4. Le quart en propriété représente le plus petit disponible quel que soit le nombre de descendants à partir du moment où il est supérieur ou égal à 3. Le principe d’égalité des filiations joue désormais pleinement en matière successorale: ce principe interdit toute discrimination fondée sur l’origine de l’enfant ou la qualité de sa filiation. Nous avons vu que ce principe jouait entre enfants issus de lits différents: la loi du 3 décembre 2001 a en effet supprimé la fente spéciale qui créé un privilège du double lien dans l’ordre des collatéraux privilégiés. Ce principe joue pareillement entre enfants nés du mariage et enfants nés hors mariage. La loi de 2001 a également aboli les dernières discriminations existant à l’encontre des enfants adultérins lorsqu’ils venaient à la succession en concours avec des victimes de l’adultère. De ce point de vue, le pas a été franchi bien avant la loi du 3 décembre 2001 avec la loi du 3 janvier 1972: l’égalité des filiations était acquise dès cette loi. Quant à la filiation adoptive, le principe joue pareillement, sans aucune dérogation pour l’adoption plénière, avec une petite réserve pour l’adoption simple: dans le cas de l’adoption simple, l’adopté simple n’a pas la qualité d’héritier réservataire vis-à-vis des ascendants de l’adoptant, selon l’art 368 cciv. Enfin s’agissant de l’adoption il faut préciser encore que celle-ci produit ses effets en matière

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successorale à compter du jour du dépôt de la requête en adoption, selon l’art 355 cciv. Cependant il ne faut pas oublier qu’une filiation ne peut produire d’effets successoraux que lorsqu’elle est légalement établie. Il est un cas dans lequel la filiation n’est établie qu’unilatéralement sans que l’on puisse parler de discrimination: en cas d’enfant né d’un inceste absolu, i.e qui ne peut être levé par une dispense. Dans ce cas, lorsque la filiation de l’enfant a été établie à l’égard de l’un de ses auteurs, elle ne peut pas être établie à l’égard de l’autre. Ceci a nécessairement des répercutions sur l’aptitude successorale. Cependant patrimonialement parlant l’impact n’est pas tel car la mère de l’enfant peut hériter du père de l’enfant. Dans l’ordre des descendants on respecte la règle de priorité du degré: un descendant d’un degré plus proche va primer un descendant d’un degré plus éloigné, mais cette règle est tempérée par le jeu de la représentation successorale dès qu’il existe plusieurs souches. §.2. Les Ascendants privilégiés et les collatéraux privilégiés. Les ascendants privilégiés et collatéraux privilégiés constituent le deuxième ordre d’héritiers. Ils ne sont donc appelés à la succession qu’en l’absence de descendants. Dès qu’il existe un descendant, ils sont évincés. Les ascendants privilégiés sont les père et mère. Les collatéraux privilégiés sont les frère et sœurs et les descendants de frère et sœur. Ce deuxième ordre est intéressant car il est mixte, ce qui correspond à une volonté de compromis entre une dévolution respectueuse des sentiments d’affection et une dévolution respectueuse des intérêts économiques. Trois cas de figure peuvent se présenter au décès du fait de la mixité de l’ordre. Premièrement il se peut qu’il n’y ait que des collatéraux privilégiés. Le défunt ne laisse ni descendants, ni père ni mère, ni conjoint survivant. La succession est alors dévolue en totalité aux frères et sœurs ou à leurs descendants, selon l’art 737 cciv. Ainsi, les collatéraux privilégiés excluent les ascendants ordinaires, de même que les collatéraux ordinaires. Les collatéraux privilégiés succèdent ou de leur chef, ou par représentation et sans que l’on n’opère aucune distinction selon qu’ils ont un ou deux parents en commun avec le de cujus. La représentation successorale joue ainsi au profit des descendants de frère et sœur et joue à l’infini. Deuxièmement, le défunt peut laisser à la fois des collatéraux privilégiés et des ascendants privilégiés. Il n’y a ni descendant ni conjoint. Dans ce cas, l’art 738 cciv nous précise que « si les père et mère ont survécu au défunt, et que celui-ci n’a pas eu de descendant mais des frères et sœurs ou des descendants de ces derniers, alors la succession est dévolue pour un quart à chacun des père et mère et pour la moitié restante aux frères et sœurs ou à leurs descendants. » On tient compte le cas échéant de la représentation successorale en répartissant la moitié restante. L’art 738 al2 précise que « lorsqu’un seul des père et mère survit, la succession est dévolue pour un quart à celui-ci et pour trois quarts aux frères et sœurs ou à leurs descendants. » Les trois quarts restant se répartissent en tenant compte de la représentation successorale jouant en faveur d’un descendant de frère et sœur renonçant, indigne ou prédécédé. Enfin, si le défunt ne laisse que des ascendants privilégiés, deux cas de figure sont envisagés: premièrement, le défunt peut laisser son père et sa mère, soit deux ascendants privilégiés. Dans ce cas la succession se répartit entre le père et la mère à raison d’une moitié pour chacun. Le deuxième cas de figure a été au cœur d’une controverse après la loi de déc 2001, controverse résolue par la loi de juin 2006. Dans ce second cas de figure, le de cujus ne laisse qu’un seul ascendant privilégié mais également des ascendants autres appartenant à l’autre ligne. Par exemple: le défunt laisse sa mère et sa grand-mère paternelle. La mère est un ascendant privilégié tandis que la grand-mère paternelle est un ascendant ordinaire. Dans une telle

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configuration, sous l’empire du droit antérieur à la loi de déc 2001, on admettait que l’absence de collatéraux privilégiés faisait glisser le père ou la mère dans l’ordre des ascendants ordinaires. On ne distinguait alors pas entre ascendants privilégiés et ordinaires, de sorte que par le jeu de la fente successorale, l’ascendant privilégié pouvait être concurrencé par des ascendants ordinaires appartenant à l’autre ligne. Ainsi dans notre exemple précité, on faisait jouer la fente successorale et on attribuait donc une moitié à la mère et l’autre à la grand-mère paternelle, seule représentante de la ligne paternelle. Au lendemain de la loi du 3 décembre 2001, certains auteurs se sont demandés si cette solution n’avait pas été condamnée par le législateur et s’il n’y avait pas lieu désormais de privilégier une relation d’ordre. Si l’on privilégie la relation d’ordre, on est amené à dire que la mère (2

ème ordre) prime nécessairement sur les ascendants ordinaires (3

ème ordre). On

attribue alors toute la succession à la mère et rien à la grand-mère paternelle. Cette thèse était soutenue par certains auteurs. La loi du 23 juin 2006 a tranché et la solution est désormais clairement énoncée à l’art 738-1 cciv qui prévoit que « lorsque seul le père ou la mère survit, et que le défunt n’a ni postérité, ni frère ni sœur ni descendant de ces derniers, mais qu’il laisse un ou des ascendants de l’autre branche que celle de son père ou de sa mère survivant, la succession est dévolue pour moitié au père ou à la mère et pour moitié aux ascendants de l’autre branche. » Ceci revient à maintenir la solution traditionnelle. Un ascendant privilégié est donc en concurrence avec un/des ascendant(s) ordinaire(s) de l’autre branche par le jeu de la fente successorale. On fait donc glisser les ascendants privilégiés dans la catégorie des ascendants ordinaires en l’absence de collatéraux privilégiés. La loi du 23 juin 2006 a expressément conféré une valeur interprétative à l’art 738-2 cciv, de sorte que ce texte est entré en vigueur de façon rétroactive au jour de l’entrée en vigueur de la loi du 3 décembre 2001. S’agissant des ascendants privilégiés, avant la loi du 23 juin 2006, les ascendants étaient eux aussi des héritiers réservataires. La hiérarchie des héritiers réservataires s’établissait ainsi suite à la loi du 3 décembre 2001: on avait les descendants, puis à défaut de descendants on avait les ascendants privilégiés, puis à défaut de descendants et d’ascendants privilégiés on avait le conjoint survivant, et enfin à défaut de descendants, d’ascendants privilégiés et de conjoint survivant on avait les ascendants ordinaires. La loi du 23 juin 2006 a souhaité supprimer la réserves des ascendants privilégiés comme ordinaires. Pourquoi cela? Parce que l’un des objectifs de la loi de 2006 a été d’accroître le pouvoir de la volonté dans l’organisation de la dévolution successorale, or la réserve héréditaire est de ce point de vue un obstacle à la volonté. On a donc décidé de la conserver pour les descendants et pour le conjoint survivant, mais qu’on la supprimait pour les ascendants. Depuis l’entrée en vigueur de cette loi, les ascendants privilégiés comme ordinaires ne sont plus des héritiers réservataires: ils peuvent donc être privés de tout droit dans la succession si le de cujus a pris des dispositions en ce sens. S’agissant des ascendants privilégiés, les parlementaires ont décidé de tempérer cette suppression de la réserve héréditaire des ascendants en créant un droit de retour légal au profit des père et mère. Ce droit de retour figure à l’art 738-2 cciv. D’après cet article, « lorsque les père et mère ou l’un d’eux survivent au défunt et que celui-ci n’a pas de postérité, ils peuvent dans tous les cas exercer un droit de retour à concurrence des quote-part fixées à l’art 738 cciv sur les biens que le défunt avait reçus d’eux par donation. La valeur de la portion des biens soumis au droit de retour s’impute en priorité sur les droits successoraux des père et mère. Lorsque le droit de retour ne peut s’exercer en nature, il s’exécute en valeur dans la limite de l’actif successoral. » Chacun des alinéas du texte suscite des interrogations. Quand le texte peut-il jouer? Il faut qu’il n’y ait pas de descendants et que les père et mère aient survécu au défunt. Cependant, ce texte peut-il jouer en présence d’un conjoint? Les ascendants privilégiés peuvent-ils invoquer cet article en présence d’un conjoint survivant? Les hésitations sont permises. D’abord on peut observer que le texte se trouve dans une section du Cciv intitulée « des droits des parents en l’absence de conjoint ». Il semblerait que ce texte ne puisse donc être

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invoqué que s’il n’y a pas de conjoint. Cependant certains auteurs ont fait observer que dans cette section, il y avait également des dispositions d’ordre général qui avaient vocation à s’appliquer, y compris en présence d’un conjoint. Ainsi par exemple, on trouve le §4 relatif à la représentation successorale, laquelle peut jouer en présence d’un conjoint. D’autres auteurs privilégient la raison d’être sur son emplacement, or ce texte est venu de la volonté du législateur de compenser la perte de la qualité de réservataire chez les ascendants privilégiés, car ce droit de retour légal est avant tout perçu comme une compensation à la perte de la réserve pour les ascendants. C’est précisément lorsqu’il y a un conjoint survivant que la perte peut être le plus douloureusement ressentie en pratique. On peut donc se demander si le texte a vocation à s’appliquer en présence d’un conjoint survivant. Il n’y a pas de JP sur ce point à l’heure actuelle. C’est un droit d’ordre public, le de cujus ne pourrait pas l’écarter par une disposition contraire, mais il n’est qu’une faculté pour les ascendants privilégiés qui peuvent demander à en bénéficier ou pas. Le bénéfice du droit est donc d’ordre public, mais son exercice est facultatif. Le premier alinéa du texte prévoit que ce droit peut s’exercer sur les biens reçus du père ou de la mère du de cujus par donation. Ici il n’est pas nécessaire que les biens se retrouvent en nature dans la succession, c‘est une originalité du texte: en effet l’alinéa 3 de l’art 738-2 prévoit que ce droit peut s’exercer en valeur dans la limite de l’actif successoral. En d’autres termes, si le de cujus a aliéné le bien de son vivant, le droit de retour ne disparaît pas et il a vocation à s’exercer sur la valeur d’aliénation, mais seulement dans la limite de l’actif successoral. Ensuite, ce même alinéa prévoit que « le droit s’exerce à concurrence des quote-part prévues par l’art 738 al1

er. » L’art 738 cciv accorde un quart au père et un quart

à la mère. Le droit s’exerce donc à concurrence du quart, mais le quart de quoi? Sur les biens que le défunt a reçus par donation de ses père et mère? Deux interprétations sont possibles. Premièrement, on peut considérer que ce droit s’exerce à concurrence du quart de l’actif successoral mais qu’il porte sur l’entier bien. Le bien lui-même va retourner à l’ascendant donateur, mais dans la limite du quart de l’actif successoral. Deuxièmement, le droit de retour peut s’exercer à concurrence du quart du bien lui-même. Ce n’est donc pas le bien donné lui-même qui retourne à l’ascendant donateur, mais une part indivise de ce bien correspondant au quart. On ne sait pas quelle interprétation retenir: aucune des solutions ne permet d’obtenir une solution satisfaisante et cohérente dans les cas de figure susceptibles de se présenter. Selon que le retour s’exerce en nature ou en valeur, on a du mal à comprendre ce que signifie la notion de « quart ». Ce curieux droit de retour n’a pas vocation à améliorer les droits successoraux de l’ascendant privilégié qui demande à en bénéficier, il doit s’imputer sur les droits successoraux des père et mère. Cela n’augmente pas les droits dans la succession, on réduit d’autant la part successorale par la technique de l’imputation. On soustrait la valeur des biens soumis au droit de retour de la part successorale de l’ascendant qui demande à en bénéficier. En pratique, lorsqu’un ascendant fait une donation au profit d’un de ses descendants, on va systématiquement lui proposer d’insérer dans la donation une clause de retour conventionnel. Cette clause va préciser que si le donataire décède avant le donateur sans postérité, le bien va retourner au donateur. Cela repose sur une technique juridique qui est celle de la condition résolutoire: en cas de prédécès du donataire par rapport au donateur, la donation est résolue et opère rétroactivement comme si la transmission à titre gratuit n’avait jamais eu lieu. Le bien réintègre donc le patrimoine dont il est issu de manière indolore. On peut espérer que chaque fois qu’on aura une clause conventionnelle, le retour légal ne s’appliquera pas. Si l’ascendant a bien été conseillé cela ne devrait pas poser de problème et on devrait peu souvent faire jouer le droit de retour de l’art 738-2 cciv. §.3. Les Ascendants ordinaires.

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Ce sont les ascendants autres que les père et mère. Dans ce troisième ordre d’héritiers, on ne rencontre JAMAIS la représentation successorale. En revanche, c’est la fente successorale qui s’applique. Ceci est rappelé par l’art 747 cciv qui prévoit que « lorsque la succession est dévolue à des ascendants, elle se divise par moitié entre ceux de la branche paternelle et ceux de la branche maternelle. » Ainsi, s’il n’y a ni descendants, ni conjoint survivant, ni frère et sœur ni descendants de frère et sœur, la succession va se diviser par moitié entre les ascendants de la ligne paternelle et les ascendants de la ligne maternelle. L’art 748 cciv poursuit en disant que « dans chaque branche, succède à l’exclusion de tout autre, l’ascendant qui se trouve au degré le plus proche. De plus, les ascendants au même degré succèdent par tête, i.e ils se partagent la part afférant à la branche par parts égales.» Exemple: un ascendant au 2

ème degré dans la ligne maternelle et deux ascendants au 3

ème

degré en ligne paternelle: on fait jouer la fente, une moitié pour chaque branche. L’ascendant au 2

ème degré de la ligne maternelle prend la part afférant à la ligne maternelle, les deux

ascendants de la ligne paternelle se partagent par parts égales la part afférant à la ligne paternelle. Enfin, en l’absence d’ascendants dans une ligne, ce sont les ascendants de l’autre ligne qui recueillent toute la succession. La fente se referme: elle ne profite en aucun cas aux collatéraux ordinaires. Les ascendants priment TOUJOURS les collatéraux ordinaires. §.4. Les Collatéraux ordinaires. Les collatéraux ordinaires sont les derniers héritiers, après eux il n’y a plus que l’Etat. Les collatéraux ordinaires sont tous les collatéraux autres que les collatéraux privilégiés, i.e autres que les frère et sœurs et les descendants de frère et sœur. Ils ne sont appelés à la succession qu’à défaut de descendants, de conjoint, d’ascendants privilégiés et de collatéraux privilégiés, et même d’ascendants ordinaires. Dans cet ordre, on retrouve le mécanisme de la fente successorale: les collatéraux ordinaires ne connaissent pas la représentation. La succession se partage donc par moitié entre la ligne paternelle et la ligne maternelle. Dans chaque ligne, c’est le collatéral le plus proche en degré qui exclue tous les autres. À égalité de degré à l’intérieur d’une ligne, la succession se partage par tête, i.e par parts égales. Enfin, lorsqu’une ligne est vacante, i.e qu’elle n’est pas représentée, ce sont les collatéraux de l’autre ligne qui recueillent toute la succession. On dit aussi que la fente se referme et ne profite pas à l’Etat. Il faut préciser que dans cet ordre d’héritiers, il faut être vigilant: la vocation successorale ab intestat n’existe que jusqu’au 6

ème degré. Au-delà du 6

ème degré de parenté avec le défunt, le

collatéral ordinaire n’est plus un héritier ab intestat, i.e un héritier légal. SECTION 2: Les Droits du conjoint successible. Les droits du conjoint successible ont été réorganisés par la loi du 3 décembre 2001: ils ont été regroupés au sein d’une section 2

ème intitulée « Des droits du conjoint

successible ». Avant la réforme du 3 décembre 2001, la vocation successorale ab intestat du conjoint survivant était médiocre. Le conjoint n’héritait que rarement en pleine propriété: en principe il ne primait que les collatéraux ordinaires en propriété. Au gré des réformes on avait toutefois admis un détournement de la fente successorale en sa faveur et lorsque le conjoint était en présence d’ascendants, si une ligner ascendante était vacante, alors il récupérait la part afférente à cette ligne, mais le conjoint n’avait jamais de vocation en présence de descendants, ni en présence de collatéraux privilégiés, ni en présence d’ascendants dans les deux lignes. Cette médiocre vocation en propriété était compensée par une non moins médiocre vocation en usufruit qui se manifestait dans les hypothèses où le conjoint n’avait aucun droit en propriété. La condition du conjoint avait été améliorée sous forme de droit en usufruit: la quotité d’usufruit dont le conjoint pouvait se prévaloir en présence du descendant était du quart et en présence de collatéraux privilégiés ou d’ascendants dans les deux lignes,

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le conjoint avait droit à une moitié en usufruit. L’usufruit permettait de donner quelque chose au conjoint sans détourner le patrimoine de la famille. Cet usufruit légal, en outre, obéissait à une technique liquidative complexe qui obligeait dans un 1

er temps à calculer un usufruit théorique et dans

un 2ème

temps, on réduisait cet usufruit théorique car il ne pouvait pas être exercé au détriment de la réserve héréditaire et des libéralités faites par le de cujus. Enfin, dans un 3

ème temps, cet usufruit légal ne pouvait être cumulé par le conjoint avec les libéralités

qui lui avaient été adressées par le défunt: la loi préconisait d’imputer sur l’usufruit légal les libéralités que le conjoint avait reçues du défunt. Le conjoint devait donc déduire de son usufruit légal les libéralités reçues du de cujus. Si les libéralités reçues étaient supérieures à l’usufruit légal, ce qui était généralement le cas, l’usufruit était absorbé par les libéralité et disparaissait. En pratique ce mode de liquidation n’était pas respecté, les notaires attendaient le décès du conjoint. La loi du 3 déc 2001 a cru bon de reprendre ce droit, mais s’agissant d’un droit en pleine propriété dont bénéficie désormais le conjoint en présence de descendants ou d’ascendants privilégiés. Cette piètre vocation légale était compensée par la possibilité de gratifier généreusement son conjoint: en effet la loi a toujours favorisé la dévolution volontaire entre conjoints. Il existe ainsi une quotité disponible spéciale au profit du conjoint dont le de cujus peut user pour gratifier son conjoint. À l’aube de la réforme du 3 déc 2001 il était donc très fréquent de recourir aux donations entre époux ou aux donations au dernier vivant que se faisaient réciproquement les époux et qui avaient pour objet le plus fort disponible entre époux. Le disposait décidait de laisser à son conjoint le maximum dont la loi l’autorisait à disposer en faveur de son conjoint. On parle alors de donations de biens à venir, exceptionnellement autorisées entre époux, ou encore d’institutions contractuelles. Une donation de bien à venir est une donation qui a pour objet des biens qu’on laissera à son décès, une donation à cause de mort. Par ailleurs, la loi prévoyait également la possibilité d’octroyer au conjoint survivant, s’il se retrouvait dans le besoin, une pension alimentaire prélevée sur la succession. Bien évidemment, le conjoint n’avait pas la qualité d’héritier réservataire, ce qui faisait que celui-ci pouvait être exhérédé, i.e privé de tous droits successoraux. Le premier paragraphe envisage les droits reconnus au conjoint ainsi que leurs montants et exercice, et ceci des art 756 à 758-5 cciv. Ce paragraphe concerne la vocation du conjoint, sa place au sein de la hiérarchie des successible, la quotité et la nature des droits auxquels il peut prétendre en cas de concours avec les héritiers du de cujus. Le paragraphe 2 concerne la conversion du droit d’usufruit du conjoint en rente viagère: ceci est nécessaire pour éviter les situations de blocage. L’usufruit est en effet un excellent moyen de laisser au conjoint la possibilité de jouir d’un maximum de biens sans compromettre la transmission de ces biens en faveur d’autres personnes. Cependant, les biens faisant l’objet d’une propriété démembrée, cela ne facilite pas les partage. Il y a donc des règles de conversion de l’usufruit en rente viagère dans le but de simplifier le partage le cas échéant. Le paragraphe 3

ème est aussi très important: il correspond à de véritables innovations,

notamment de la réforme de 2001. On a voulu consacrer un véritable droit au logement pour le conjoint, ce qui n’existait pas du tout par le passé. Enfin, le paragraphe 4

ème évoque la pension alimentaire à laquelle le conjoint peut prétendre

quand il est dans le besoin, situation qui devrait être nettement moins fréquente dans le passé compte tenu de la promotion dont a bénéficiée le conjoint. §.1. La Vocation ab intestat du conjoint. A. La Nature des droits. Dans l’ordre des successibles, le conjoint prime désormais tous les collatéraux, y compris les privilégiés, ainsi que les ascendants ordinaires. Le conjoint vient à la succession en concours avec les descendants et les ascendants privilégiés. En l’absence de descendants et d’ascendants privilégiés, le principe sous certaines réserves est que le conjoint a vocation à recueillir toute la succession en pleine propriété, principe

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clairement énoncé à l’art 757-2 cciv. En outre, la vocation ab intestat du conjoint successible est renforcée par l’octroi d’une réserve héréditaire. Cette réserve est toutefois subsidiaire: elle ne se manifeste qu’en l’absence de descendants. En l’absence de descendants, l’art 914-1 cciv octroie au conjoint successible une réserve du ¼. La réserve permet de protéger le conjoint contre des libéralités faites par le de cujus. 1. Les Droits du conjoint successible en concours avec des descendants. A l’ouverture de la succession, le conjoint successible peut tout d’abord se trouver en présence de descendants. Dans cette hypothèse, il faut immédiatement introduire une nouvelle distinction voulue par le législateur selon que tous les descendants en présence du conjoint survivant sont des descendants communs aux deux époux, ou qu’il existe parmi eux un ou plusieurs descendant(s) non commun(s) aux époux, i.e qui ne sont pas issus du conjoint successible. Les descendants communs aux deux époux ont vocation à hériter du de cujus et du conjoint successible, tandis que les descendants non commun n’auront pas vocation à hériter du conjoint successible parce qu’ils n’ont pas de lien de parenté avec lui. Premièrement, si le conjoint successible est en concours avec des descendants tous communs aux deux époux, i.e issus des deux époux, et qui ont donc une double vocation successorale, l’art 757 cciv accorde au conjoint successible le bénéfice d’une option: le conjoint recueille à son choix soit l’usufruit de la totalité des biens existant au décès (i.e usufruit universel), soit un droit en propriété du quart des biens. Comment le conjoint doit-il exercer son option? L’art 758-2 cciv précise que « l’exercice de l’option se prouve par tous moyens ». De plus, « tout héritier peut inviter le conjoint à exercer son option et à compter de cette invitation, faute d’avoir pris parti par écrit dans les trois mois, le conjoint sera réputé avoir opté pour l’usufruit ». Enfin, si le conjoint décède avant d’avoir opté, il est réputé avoir pris parti pour l’usufruit, selon l’art 758-4 cciv: par là même, l’usufruit va s’éteindre à son décès. L’option est donc strictement personnelle au conjoint et ne se transmet pas à ses héritiers. Quoi qu’il en soit, lorsque le conjoint opte pour l’usufruit, ou bien encore lorsqu’il est réputé avoir opté pour l’usufruit, cet usufruit, selon l’art 757 cciv, « a pour assiette tous les biens existant au décès ». Qu’entend-t-on par là? Les travaux préparatoire de la loi du 3 déc 2001 et notamment le rapport de la commission mixte paritaire indiquent clairement qu’il s’agit là des biens non grevés de libéralités: dans l’esprit du législateur et contrairement à la pratique notariale, les biens existant ne comprennent pas les biens légués par le de cujus. L’usufruit du conjoint ne s’applique qu’aux biens existant au décès, à l’exception des biens légués par le de cujus. En revanche, l’usufruit du conjoint peut porter sur des biens ayant vocation à composer la réserve des descendants, peu importe que les biens existant au décès aient vocation à composer la réserve des descendants. Dans ce cas, la réserve héréditaire des descendants communs sera servie en toute ou en nue-propriété seulement. Deuxièmement, le conjoint peut être en concours avec un ou plusieurs descendant(s) qui ne sont pas issus des deux époux, i.e un descendant ou des descendants qui n’a/ont pas vocation à hériter du conjoint successible. Dans cette hypothèse, le conjoint perd le bénéfice de l’option et il recueille un quart en propriété. Pourquoi cette distinction selon qu‘il existe des enfants communs ou non? Parce que le législateur a du penser que le démembrement en propriété était facile à mettre en œuvre et allait dans le sens de la volonté des gens si les descendants étaient issus du conjoint survivant et du de cujus, le partage pouvant alors attendre le décès du conjoint. En revanche en cas de descendants non communs, la possibilité du démembrement de propriété a été écartée par le législateur. Dans certaines situations il y a peu d’écart d’âge et en outre, cela peut obliger les descendants issus du mariage à attendre trop longtemps pour retrouver la jouissance des biens successoraux. Si on veut que le conjoint bénéficie d’un usufruit universel sur les biens de la succession en présence de descendants non communs, cela reste possible par le biais d’une donation entre époux.

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2. Les Droits du conjoint successible en concours avec des ascendants privilégiés. a. Le Montant des droits du conjoint successible en concours avec des ascendants privilégiés. La deuxième hypothèse de concours est celle dans laquelle le conjoint successible est en concours avec des ascendants privilégiés. Cette situation est réglée par l’art 757-1 cciv: ce texte prévoit que « si à défaut de descendants le défunt laisse ses père et mère, le conjoint survivant recueille la moitié des biens, l’autre moitié est dévolue pour un quart au père et pour un quart à la mère. Quand le père ou la mère est prédécédée, la part qui lui serait revenue échoit au conjoint survivant. » En présence d’ascendants privilégiés on réserve donc 1/4 par ascendant privilégié en vie et le reste va au conjoint. Si un seul ascendant privilégié survit au de cujus, on lui octroie un quart et le reste va au conjoint. Dans ces hypothèses où le conjoint a des droits en propriété en vertu de l’art 757 ou 757-1 cciv, le calcul du droit en toute propriété du conjoint se fait selon les principes établis par l’art 758-5 cciv. En vertu de ce texte, « le calcul du droit en toute propriété du conjoint doit être opéré sur une masse faite de tous les biens existant au décès, auxquels sont réunis fictivement ceux dont le défunt aurait disposés à titre gratuit au profit de successibles sans dispense de rapport ». Ensuite, ce texte précise également que « le conjoint ne peut exercer ses droits que sur les biens dont le prédécédé n’a pas disposé à titre gratuit et ans préjudicier aux droit de réserve ni au droit de retour ». La liquidation des droits du conjoint en propriété se fait donc sur des bases comparables à celles dont dépendait autrefois la liquidation de l’ancien usufruit légal du conjoint. La première étape consiste à former une masse de calcul afin de connaître le montant théorique des droits du conjoint. Ce montant théorique constitue un premier maximum qu’on ne pourra pas dépasser. Il n’est pas sûr que le conjoint soit en mesure d’exercer la totalité de ses droits théoriques, car la loi lui interdit de les exercer au préjudice des libéralités faites par le défunt et de la réserve héréditaire. Dans un deuxième temps, on va former une masse d’exercice qui correspondra à la masse des biens sur lesquels le conjoint peut effectivement exercer ses droits et qui constituera elle-même un deuxième maximum à ne pas dépasser. Enfin on procèdera par comparaison: si les droits théoriques du conjoint sont inférieurs ou égaux au montant de la masse d’exercice, cela signifie que le conjoint va pouvoir exercer la totalité de ses droits théoriques. Si les droits théoriques du conjoint sont supérieurs à la masse d’exercice, alors le conjoint ne pourra pas exercer la totalité de ses droits théoriques et il devra se contenter de recevoir le montant de la masse d’exercice. Ses droits effectifs correspondront à la masse d’exercice. Pour rechercher le montant des droits théoriques du conjoint, selon l’art 758-5 cciv, on forme une masse de calcul, i.e une addition qui n‘existe que pour les besoins d‘un calcul. Cette masse comprend les biens existant au décès, à l’exception des biens légués. On met ces biens pour leur valeur au décès. Ensuite, on réunit fictivement à ces biens les libéralités rapportables faites à des successibles (i.e des héritiers qui viennent effectivement à la succession). La réunion fictive consiste à additionner la valeur des libéralités aux biens existant. Enfin, on applique à cette masse la quotité prévue par la loi. On peut en effet faire deux sortes de libéralités: on peut faire des libéralités rapportables, i.e en avancement de part successorale, ou des libéralités hors part successorale. Tout dépend de la volonté que l’on a lorsqu’on fait la libéralité. Exemple: un père veut faire une donation à l’un de ses fils parce qu’il a immédiatement besoin de cette donation par exemple pour acheter un bien professionnel pour s’établir dans la vie. Le père lorsqu’il fait la donation peut soit considérer qu’il fait juste une avance sur succession à ce fils-là, il lui donne plus tôt ce que les autres vont recevoir dans la succession, mais il ne veut pas le préférer par rapport aux autres et ce qu’il donne maintenant sera précompté dans la succession afin de ne pas rompre l’égalité entre les trois enfants.

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C’est alors un acte d’anticipation successorale, i.e il donne quelque chose qu’il aurait retenu dans sa succession et il entend qu’il en soit tenu compte lorsque sera ouverte la succession. Ce précompte se fait sous la forme d’un rapport à succession, il fait alors une donation rapportable à la succession, comme si le fils devait restituer ce qui avait été donné dans la masse successorale avant de partager avec ses frères. La restitution se fera en non en nature, mais en valeur. À l’inverse, on peut également imaginer que le père préfère un de ses fils. Cela est disponible dans les limites de la quotité disponible. Il va alors lui faire la donation hors part successorale et entend que ce qu’il lui donne ne soit pas pris en compte et qu’il obtienne ainsi plus que les deux autres. Il fait alors une donation qui n’est pas rapportable. Le mécanisme du rapport est donc un mécanisme d’égalité successorale entre les cohéritiers et le disposant décide de la nature de la donation. La loi, simplement, pose des présomptions: les donations sont présumées rapportables, mais on peut faire des donations hors part et cela doit être précisé dans la donation par une stipulation expresse en ce sens. On présume qu’une donation faite à un de ses successibles est une avance sur part successorale. À l’inverse, les legs sont présumés faits hors part successorale, afin d’avantager le successible. Le montant théorique des droits est un montant au-delà duquel on ne pourra pas aller. . b. L’Exercice des droits du conjoint successible. Ensuite l’art 758-5 prévoit que le conjoint ne peut exercer ses droits ni au détriment de la réserve héréditaire, ni au détriment des libéralités effectuées par le défunt et tout en respectant le cas échéant les droits de retour. Les biens faisant l’objet du droit de retour sont déjà exclus de la masse de calcul. La masse d’exercice va nous permettre de savoir si le conjoint peut ou non exercer la totalité de ses droits théoriques. La masse d’exercice correspond à la masse des biens sur lesquels le conjoint peut effectivement faire valoir ses droits en propriété. Pour obtenir cette masse d’exercice, on part de la masse de calcul précédemment calculée, et on soustrait de cette masse de calcul le montant de la réserve héréditaire, puis la valeur des libéralités rapportables effectuées par le défunt, mais seulement dans la mesure où ces libéralités excèdent la part individuelle de réserve du gratifié. On retire la réserve héréditaire puisque le conjoint ne peut pas exercer ses droits en propriété au détriment. En outre on gonfle premièrement le montant de la masse de calcul avec les libéralités rapportables, mais par la suite on considère que les droits du conjoint ne peuvent pas s’exercer au détriment de ces libéralités. Il y a deux sortes de libéralités: pour avantager un héritier légal par rapport aux autres, et ce uniquement dans la limite de la quotité disponible, ou dans le but d’anticiper sur un futur règlement successoral et ceci est alors une libéralité rapportable. Grâce au rapport successoral, la libéralité rapportable sera prise en compte lors du règlement successoral: elle sera rapportée en valeur à la masse successorale et ainsi le gratifié n’est pas avantagé par rapport aux héritiers légaux. On précompte ce qui a été reçu par anticipation. Ces libéralités rapportables par conséquent ont vocation à composer la part de réserve héréditaire du gratifié. Ainsi lors des opérations de contrôle de la réserve héréditaire, cette libéralité rapportable va être imputée en priorité sur la part de réserve du gratifié. C’est seulement lorsqu’elle excède la part de réserve qu’elle vient s’imputer subsidiairement sur la quotité disponible. Sa première fonction est de remplir en effet l’héritier de ses droits réservataires car c’est une avance sur part. S’agissant des libéralités rapportables, on ne déduit que ce qui est supérieur à la part individuelle de réserve du gratifié. En d’autres termes, on déduit les libéralités rapportables dans la mesure de leur imputation sur la quotité disponible.

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On obtient alors le montant de la masse d’exercice, montant qui va constituer un deuxième maximum que les droits du conjoint en propriété ne pourront pas dépasser. En conséquence, deux conclusions sont possibles. Premièrement, si la masse d’exercice est supérieure ou égale au montant théorique des droits en propriété du conjoint, alors il y a assez de biens pour que le conjoint puisse exercer la totalité de ses droits théoriques en propriété. Les droits effectifs du conjoint seront égaux à ses droits théoriques. Deuxièmement, si la masse d’exercice est inférieure au montant des droits théoriques du conjoint en propriété, alors il n’y a pas assez de biens sur lesquels le conjoint peut exercer ses droits en propriété: il ne pourra pas exercer la totalité de ses droits théoriques et ses droits effectifs seront égaux à la masse d’exercice. Exemple: le de cujus laisse à son décès un conjoint et trois enfants, A, B et C. il y a des biens existant pour un montant de 400 et le de cujus a également consenti des libéralités rapportables, une donation rapportable à A pour un montant de 100. Il a également fait un legs à B pour un montant de 100. C est issu d’un premier mariage. La donation à A a été faite avant de mourir, il y a longtemps. Le legs est une libéralité en principe hors part successoral. Le conjoint est en concours avec les descendants dont l’un n’est pas commun aux deux époux. Dans ce cas, l’art 757 cciv précise que le conjoint a droit à ¼ en propriété, il n’a pas d’option pour un usufruit universel car tous les descendants ne sont pas communs. Comme les trois descendants sont réservataires et que le DC a consenti des libéralités susceptible de porter atteintes à leur réserve héréditaire, notamment le legs consenti à B qui est une libéralité hors part successorale et qui en principe ne doit pas excéder la quotité disponible. D’abord, on vérifie qu’il n’y a pas d’atteinte à la réserve héréditaire. Pour ce faire, il faut connaître le taux de la réserve globale: en présence de 3 enfants, le taux de la réserve est des ¾ en propriété. La quotité disponible est donc de ¼. Ces ¾ sont ¾ de la masse de calcul de la réserve héréditaire. Pour contrôler le respect de la réserve, on s’efforce de reconstituer le patrimoine du défunt tel qu’il serait s’il n’avait effectué aucune libéralité, selon l’art 922 cciv qui nous amène à former la masse de calcul de la réserve héréditaire. La masse de calcul de la réserve comprend les biens existant au décès, y compris les biens légués, dont on déduit le passif s’il y en a un, et auxquels on réunit fictivement toutes les donations quelles que soient leur forme et leur nature. On met donc les 400 de biens existant hors bien légué, ainsi que le bien légué de 100 s’ajoute. Il n’y a pas de passif. Ensuite on réunit fictivement la donation faite à A pour un montant de 100. On a un total pour la masse de calcul de la réserve de 600. On divise cela en 4 et on a donc 150. On sait que la quotité disponible est de 150 et que la réserve héréditaire globale est de 450. La réserve globale se répartit entre les 3 descendants, chaque part de réserve individuelle est de 150. Pour vérifier qu’aucune libéralité ne porte atteinte à la réserve, on doit procéder à l’imputation des libéralités en respectant la nature de chacune des libéralités. Les libéralités hors part ne s’imputent que sur la quotité disponible et si elles l’excèdent, elles portent atteinte à la réserve. Les libéralités rapportables s’imputent prioritairement sur la part de réserve individuelle du gratifié. S’il y a lieu, on impute sur la quotité disponible. On impute la donation faite à A: c’est une donation faite à un héritier ab intestat, elle est présumée rapportable. On l’impute donc prioritairement sur la part de réserve individuelle de A: la donation est de 100, la réserve individuelle est de 150, donc on peut sans difficulté imputer la donation sur la part de réserve individuelle, elle ne l’excède pas. Ensuite on doit imputer le legs: pour les legs la présomption est inverse, les legs sont présumés faits hors part successorale. Si on décide de gratifier quelqu’un à son décès c’est pour l’avantager, ce n’est plus une anticipation. On ne peut donc imputer le legs que sur la quotité disponible. La quotité disponible est de 150 et le legs fait à B est de 100, donc on impute sans difficulté le legs, il n’excède pas la quotité disponible, il n’y a pas d’atteinte à la réserve héréditaire. Il reste 50 dans la quotité disponible. On doit ensuite liquider les droits du conjoint survivant en propriété selon l’art 758-5 cciv. Le taux des droits en propriété du conjoint est du quart et on liquide ces droits

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conformément à l’art 758-5. On forme donc une masse de calcul: on y met les biens existant au décès, à l’exclusion des biens légués. On a donc 400 de biens existant. Il n’y a pas de passif à retirer. Ensuite, on réunit fictivement les libéralités rapportables faites par le de cujus. Ici il y en a une: la donation faite à A et qui vaut 100. On a donc une masse de calcul d’un total de 500 pour le conjoint. On divise ceci en 4 pour obtenir le montant des droits théoriques du conjoint survivant, soit 125. Cela correspond aux droits théoriques du conjoint survivant en propriété. En théorie, le conjoint a droit à 125 dans cette succession. Le conjoint en aucun cas ne peut avoir plus que 125. Ensuite on doit former une masse d’exercice car il n’est pas certain qu’il y ait assez de biens pour que le conjoint puisse exercer ses droits théoriques à hauteur de 125: en effet le conjoint ne peut exercer ses droit en propriété ni au détriment de la réserve, ni au détriment des libéralités rapportables faites par le de cujus. Pour former la masse d’exercice des droits du conjoint, on part de la masse de calcul des droits théoriques du conjoint, soit 500 et on en retire d’abord la réserve globale, i.e 450, puis on retire aussi les libéralités rapportables, mais seulement dans la mesure où elles excèdent la part individuelle de réserve du gratifié et donnent ainsi lieu à une imputation sur la quotité disponible. On avait une seule donation rapportable de 100 et cette donation pouvait être intégralement imputée sur la part de réserve individuelle de A. Ainsi il n’y a rien à retirer au-dessus de la réserve globale. Au total la masse d’exercice correspond à la masse de calcul - la réserve globale = 500 - 450 = 50. Ainsi, les droits théoriques du conjoint survivant sont supérieurs à la masse d’exercice de sorte que le conjoint ne pourra pas exercer la totalité de ses droits théoriques. La masse d’exercice étant inférieure aux droits théoriques du conjoint, les droits effectifs du conjoint en propriété s’élèveront au montant de la masse d’exercice, i.e 50. Le conjoint aura 50 en propriété à prélever sur les biens existant. Ainsi avec ce mode de calcul, en fonction des libéralités effectuées par le défunt, le quart en propriété accordé au conjoint ne correspond pas à un quart des biens existant au décès. On constate aussi que si le de cujus a été trop généreux par rapport à la totalité de son patrimoine, le conjoint a peu de droits en propriété, voire pas du tout. Cela peut paraître normal dans le mesure où le conjoint n’est pas un héritier réservataire en présence de descendants. Ce qui est critiquable en revanche c’est qu’en raison de la complexité du mode de calcul, cette exhérédation indirecte du conjoint ne se fait pas forcément consciemment de la part du de cujus. On doute qu’une personne est consciente, même si elle n’est pas juriste, qu’elle puisse ainsi déshériter son conjoint en faisant des libéralités du fait de ce mode de calcul. C’est donc la volonté du législateur qui prime sur l’intérêt du de cujus. Dans notre exemple, le montant des droits effectif du conjoint correspond exactement au reliquat de disponible après imputation des libéralités. Par là même, si après avoir contrôlé le respect de la réserve héréditaire on s’aperçoit qu’il n’y a plus rien dans la quotité disponible après imputation des libéralités, le conjoint n’aura droit à rien. La totalité des biens existant au décès ont en effet alors vocation à composer la réserve et donc il ne reste rien pour le conjoint. Enfin, on peut se demande pourquoi le législateur nous invite dans un premier temps à gonfler la masse de calcul en réunissant fictivement aux biens existant les libéralités rapportables si dans un deuxième temps il interdit au conjoint d’exercer ses droits en propriété au détriment de ces libéralités rapportables. Le rapport des libéralités est une institution d’égalité entre cohéritiers, c’est un mécanisme égalitaire puisqu’on reconstitue le patrimoine du défunt par le biais du rapport, de façon à neutraliser l’impact des donations antérieurement faites et afin que tous aient la même chose. Le conjoint bénéficie-t-il du rapport? Oui parce que cela augmente ses droits théoriques, mais non parce qu’en aucun cas il ne peut exercer ses droits en propriété au détriment des libéralités rapportables. Il ne profit pas réellement du rapport donc aujourd’hui encore, on n’arrive pas à considérer le conjoint survivant comme un héritier comme un autre. Corrélativement, lorsqu’il a été gratifié, doit-il le rapport aux autres héritiers? S’agissant du conjoint survivant, on voit qu’il ne profite pas vraiment du rapport en raison de l’art 758-5 cciv.

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Dès lors, il ne doit pas non plus le rapport: il doit pouvoir cumuler ce qui est attribué par donation en plus des droits légaux. En réalité, les choses ne sont pas si simples: s’agissant du conjoint survivant, on ne parle pas de rapport, mais on se demande si le conjoint doit imputer ce dont il a bénéficié sur ses droits légaux. Cela a soulevé une délicate controverse au lendemain de la loi du 3 décembre 2001: en effet la loi n’avait rien prévu à cet égard, de sorte qu’on ne savait pas si le conjoint pouvait cumuler ses droits légaux avec les libéralités consenties par le de cujus, ou s’il devait comme sous l’empire du droit antérieur imputer les libéralités dont il avait bénéficié sur ses droit légaux, ses droits légaux présentant alors un caractère subsidiaire visant seulement à compléter ce qu’il avait reçu par le biais de libéralités le cas échéant. Or, cette question était extrêmement pratique et se posait avec une acuité toute particulière compte tenu du fait que sous l’empire du droit antérieur à la loi du 3 déc 2001, il était de pratique courante de faire une donation au dernier vivant en faveur de son conjoint pour pallier la médiocrité des droits du conjoint. La plupart des conjoints survivants bénéficiaient de donation au dernier vivant, devait-on y ajouter les droits légaux prévus par l’art 757 cciv? La réponse de la doctrine, dans un premier temps, fut que dans la mesure où rien dans la loi n’obligeait à procéder à l’imputation des libéralités sur les droits légaux du conjoint, le conjoint pouvait nécessairement cumuler ses droits légaux avec les libéralités qui lui avaient été consenties. Dans un deuxième temps, d’autres auteurs se sont offusqués de cette solution car la part devenait importante et un tel cumul permettait de donner au conjoint survivant au-delà de la quotité disponible spéciale entre conjoints prévue par l’art 1094-1 cciv. Il en résultait ainsi une nouvelle atteinte à la réserve des descendants: il existe en effet une quotité disponible spéciale entre époux. On peut gratifier son conjoint plus largement qu’un étranger. On peut donner à son conjoint, soit la quotité disponible ordinaire, soit ¼ en propriété et ¾ en usufruit, soit la totalité en usufruit. Au lendemain de la loi de 2001, certains auteurs font alors remarquer sur si on autorise le conjoint à cumuler sans limite les droits légaux avec une donation au dernier vivant qui lui aurait été faite, le conjoint, en présence d’un descendant commun, pourra: au titre de la donation au dernier vivant, pourrait réclamer la quotité disponible ordinaire en propriété (½ s’il y a un descendant) et au titre de l’art 757, il pourrait obtenir un usufruit universel. Au total le conjoint obtient alors la moitié en propriété et la moitié en usufruit, ce qui est plus qu’aucune des branches de l’art 1094-1 cciv. Selon ces auteurs, il faut limiter le cumul à l’une des quotités prévues par l’art 1094-1 cciv. Le cumul doit être plafonné, en aucun cas le conjoint ne peut recevoir plus que ce qui est prévu à l’art 1094-1 cciv au titre du disponible spécial entre époux, sans quoi il en résulterait nécessairement une nouvelle atteinte à la réserve des descendants. Finalement le législateur a réglé la question par la loi du 23 juin 2006: cette réponse figure désormais à l’art 758-6 cciv qui rétablit l’obligation pour le conjoint d’imputer les libéralités qu’il a reçues du défunt sur ses droits successoraux légaux. En vertu de l’art 758-6 cciv, « les libéralités reçues du défunt par le conjoint survivant s’imputent sur les droits légaux de celui-ci. Lorsque ces libéralités sont inférieures aux droits légaux du conjoint, le conjoint peut réclamer le complément sans jamais recevoir une portion de biens supérieure à la quotité disponible définie à l’art 1094-1 cciv ». Ainsi, si les libéralités faites au conjoint sont supérieures ou égales aux droits légaux prévus par l’art 757 cciv, alors dans ce cas le conjoint n’a droit à rien au titre de ses droits légaux mais il peut conserver les libéralités qui lui ont été faites, et ce dans la limite du disponible spécial entre époux. En revanche, si les libéralités faites au conjoint sont inférieures à ses droits légaux tels que prévus par l’art 757 cciv, le conjoint peut prétendre à un complément au titre de ses droits légaux, de façon à obtenir ce que lui attribue l’art 757 cciv. Il peut donc compléter les libéralités jusqu’au montant que lui attribue l’art 757 cciv. L’art 758-6 cciv est issu de la loi du 23 juin 2006, entrée en vigueur au 1

er janvier

2007. Sur ce point, l’art 758-6 cciv n’a fait l’objet d’aucune dispositions transitoires. Aucune valeur interprétative n’a été expressément conférée au texte. Cependant, entre la date d’entrée en vigueur de la loi de 2002 et celle de 2006, i.e le 1

er janvier 2007, il y a eu des

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décès. Que fait-on de ces cas? La Cour de cassation a du régler le problème dans un avis rendu le 7 novembre 2006. La demande a été formulée de la façon suivante: « Depuis la loi de 2001 le conjoint survivant peut-il cumuler sa vocation successorale ab intestat avec le bénéfice d’une libéralité lui octroyant un droit plus étendu? Dans l’affirmative, ce cumul est-il absolu ou limité, notamment par les droits à réserve des héritiers et dans ce cas la réserve peut-elle être atteinte par les droits du conjoint survivant? » La Cour de cassation a répondu en faisant une distinction selon la date d’ouverture de la succession. S’agissant des successions ouvertes depuis le 1

er juillet 2002, et jusqu’au 1

er

janvier 2007, la loi du 3 déc 2001 ayant abrogé la règle de l’imputation, le conjoint survivant peut cumuler les droits successoraux prévus aux art 757, 757-1 et -2 cciv avec des libéralités qui lui auraient été consenties, sans toutefois porter atteinte à la nue-propriété de la réserve héréditaire ni dépasser l’une des quotités disponibles spéciales permises entre époux. Pour les successions ouvertes avant l’entrée en vigueur de la loi de 2006, le cumul des droits avec les libéralités est permis, mais sans jamais excéder le disponible spécial tel que prévu à l’art 1094-1 cciv. C’est donc la thèse du cumul plafonné par le montant de la quotité disponible entre époux qui s’applique. S’agissant des successions ouvertes à compter du 1

er janvier 2007, la loi du 23 juin 2006 ayant réintroduit la règle de l’imputation à l’art

758-6 cciv, le conjoint ne peut plus bénéficier d’un tel cumul. Lorsque le conjoint est en concours avec des ascendants privilégiés, on peut s’interroger sur le droit de retour prévu à l’art 738-2 cciv. Ses droits sont fixés par l’art 757-1 cciv: 1/4 en propriété va à chaque ascendant privilégié en vie et le reste va au conjoint. En principe le calcul des droits en propriété du conjoint se fait conformément à l’art 758-5 cciv, ce qui convient à interdire le conjoint à exercer ses droits en propriété au détriment de sa propre réserve. Il faut s’interroger sur la possibilité de faire bénéficier les ascendants privilégiés du droit de retour prévu à l’art 738-2 cciv. 3. Les Droits du conjoint successible en concours avec des collatéraux privilégiés. Troisièmement, le conjoint peut être en concours avec des collatéraux

privilégiés. Ceci ne se produit qu’en cas de prédécès des père et mère. Le principe est

simple: il est énoncé à l’art 757-2 cciv: « en l’absence d’enfants ou de descendants du défunt et de ses père et mère, le conjoint survivant recueille toute la succession. » Le conjoint survivant évince donc les collatéraux privilégiés de la succession. L’art 757-2 cciv, cependant, est suivi par l’art 757-3 cciv qui prévoit que « par dérogation à l’art 757-2 cciv, en cas de prédécès des père et mère, les biens que le défunt avait reçus de ses ascendants par succession ou donation et qui se retrouvent en nature dans la succession sont, en l’absence de descendants, dévolus pour moitié aux frères et sœurs du défunt ou à leurs descendants, eux-mêmes descendants du ou des parents prédécédés à l’origine de la transmission ». Ce droit de retour apparaît en cas de concours entre le conjoint survivant et des collatéraux privilégiés et s’il n’y a pas de descendants et que les père et mère sont prédécédés, lorsqu’il existe dans la succession des biens reçus par le défunt à titre gratuit (par donation ou succession) de l’un de ses ascendants. Les biens doivent encore exister en nature dans la succession. Ce droit de retour ne peut être invoqué que par les collatéraux privilégiés qui sont eux-mêmes issus de l’ascendant à l’origine de la transmission à titre gratuit. Ainsi, des frères et sœurs utérins pourront s’en prévaloir sur des biens que le défunt aura reçus à titre gratuit de ses ascendants du côté maternel. Les frères et sœurs consanguins ou leurs descendants pourront s’en prévaloir sur des biens reçus à titre gratuit des ascendants du côté paternel. Les germains pourront se prévaloir du droit de retour sur tous les biens reçus par un des ascendants à titre gratuit. Ce droit de retour est curieux car il ne porte que sur la moitié du bien, l’autre moitié restant attribuée au conjoint. Ce droit de retour va donc créer une indivision entre les collatéraux privilégiés concerné et le conjoint, entre les biens qui en sont l’objet. Entre les collatéraux privilégiés, on répartit la moitié selon les règles de la dévolution ab intestat. Ce droit n’est pas d’ordre public.

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4. Les Droits du conjoint successible en concours avec des ascendants ordinaires. Quatrièmement, le conjoint peut se retrouver en présence d’ascendants

ordinaires à l’exclusion de tout autre héritier. Le conjoint évince les ascendants ordinaire

et recueille toute la succession. S’il existe un ascendant privilégié dans une ligne et des ascendants ordinaires dans l’autre ligne, ainsi qu’un conjoint, on élimine les ascendant ordinaires primés par le conjoint, on a donc un concours entre conjoint et ascendant privilégié qui se règle en application de l’art 757-1 cciv de la façon suivante: ¼ pour l’ascendant privilégié et le reste pour le conjoint. Le législateur a éprouvé le besoin de consacrer une créance d’aliments en faveur des ascendants ordinaires à l’art 758 cciv. En vertu de ce texte, « lorsque le conjoint survivant recueille la totalité ou les ¾ des biens, les ascendants du défunt autres que les père et mère qui sont dans le besoin bénéficient d’une créance d’aliments contre la succession du prédécédé. Le délai pour réclamer cette créance est d‘un an à compter du décès ou bien encore d‘un an à compter du moment où les héritiers cessent d‘acquitter les prestations qu‘ils fournissaient auparavant aux ascendants. Ce délai se prolonge, en cas d‘indivision, jusqu‘au partage. La pension alimentaire est prélevée sur l’hérédité. » §.2. La Conversion des droits en usufruit dont bénéficie le conjoint. Le conjoint peut bénéficier d’un usufruit. Le conjoint s’il est en concours avec des descendants communs aux deux époux, peut obtenir un usufruit universel sur la totalité des biens existant au décès. Parallèlement, on a vu qu’il existait une quotité disponible spéciale entre époux prévue à l’art 1094-1 cciv et qui permet de gratifier généreusement son conjoint en usufruit, trois options étant possibles (¼ en propriété et le reste en usufruit, tout en usufruit, etc). Il est donc fréquent que le conjoint obtienne des droits en usufruit, spécialement s’il est en concours avec des descendants. Cet usufruit permet au conjoint de conserver la jouissance des biens toute en préservant une transmission en propriété en faveur des descendants puisqu’à l’extinction de l’usufruit, la propriété se reconstitue sur la tête des nus-propriétaires. Simplement, l’existence d’un usufruit peut parfois être gênante, un facteur de blocage du partage. Il n’est pas facile de partager une propriété démembrée. D’autre part si on est obligé d’aliéner certains biens pour réaliser concrètement le partage ou pour régler le passif par exemple, il est évident que le démembrement de propriété peut être gênant, la vente de la nue-propriété étant difficile car le démembrement n’est pas valorisant s’agissant du bien objet de la vente . Pour ces raisons il est apparu nécessaire de prévoir des règles organisant la conversion de l’usufruit dont bénéficie le conjoint en rentre viagère, de façon à libérer les biens grevés d’usufruit. Autrefois ces règles étaient dispersées au sein du Code civil et quelques incohérences en résultaient selon l’origine légale ou conventionnelle de l’usufruit. La loi du 3 décembre 2001 a rationnalisé et regroupé l’ensemble de ces règles qui furent codifiées aux art 759 à 762 cciv. Désormais, tout usufruit appartenant au conjoint sur les biens du prédécédé, qu’il résulte de la loi, d’un testament ou d’une donation de biens à venir, donne ouverture à une faculté de conversion en rentre viagère. Cette faculté de conversion peut être mise en œuvre à la demande de l’un des héritiers nus-propriétaires OU du conjoint successible. Cette faculté n’est pas susceptible de renonciation et les cohéritiers ne peuvent en être privés par la volonté du défunt. À défaut d’accord entre les parties, la demande sera soumise au juge. Elle peut être introduite jusqu’au partage définitif et en l’absence d’accord des parties, le juge dispose d’un pouvoir d’appréciation. Si le juge fait droit à la demande, il va fixer le montant de la rente viagère, de même que les sûretés que devront fournir les cohéritiers débiteur de cette rente. L’usufruit est un droit réel, donc substituer une rente à un usufruit conduit à remplacer

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un droit réel par un droit personnel, or les droits personnels sont moins sûres et donc on assorti ceci d’une sûreté. Si l’on veut que l’équivalence initialement établie perdure, il importe d’indexer la rente. Il y a une restriction au pouvoir du juge: le juge ne peut ordonner la conversion de l’usufruit portant sur le logement occupé par le conjoint à titre de résidence principale, ainsi que sur le mobilier garnissant ce logement, sans l’accord du conjoint. L’art 761 cciv précise également que « par accord entre les héritiers et le conjoint, il peut être procédé à la conversion de l’usufruit du conjoint hors capital ». On peut donc également imaginer une capitalisation de l’usufruit du conjoint, mais une telle conversion suppose obligatoirement un accord entre les héritiers et le conjoint. Cette capitalisation est très courante en cas de vente d’un bien qui fait l’objet d’une propriété démembrée. Le prix de vente sera réparti entre usufruitier et nu-propriétaire, ce qui revient à capitaliser l’usufruit. Si on laisse perdurer l’usufruit, le conjoint recueille tout le prix, à charge de rendre le reste lors de l’extinction de l’usufruit, qui se produit à son décès. Comment capitalise-t-on l’usufruit? En pratique on se réfère aux barèmes de l’administration fiscale dont l’âge de l’usufruit est fonction. Pendant longtemps ce barème était obsolète car il ne tenait pas compte de l’allongement de l’espérance de vie et donc il sous-évaluait largement la valeur de l’usufruit. On utilise désormais bien plus facilement ce barème dans des transactions commerciales, pas uniquement à des fins purement fiscales. §.3. Le Droit au logement du conjoint survivant. S’agissant de ces droits, il faut savoir que c’est une innovation importante de la loi du 3 décembre 2001 dont l’objectif était l’amélioration du conjoint. Ce droit au logement à titre principal se subdivise en deux droits distincts: il y a un droit temporaire au logement et ce droit temporaire peut se prolonger par un droit viager. A. Le Droit temporaire au logement. Il est envisagé à l’art 763 cciv. Ce droit concerne le logement occupé par le conjoint successible à titre de résidence principale à l’époque du décès. Cependant, ce logement occupé par le conjoint successible peut être occupé en vertu d’un droit au bail ou d’un droit de propriété. 1. L’Occupation du logement en vertu d’un droit de propriété. Dans ce premier cas, l’alinéa 1

er de l’art 763 cciv prévoit que « si à l’époque du décès

le conjoint successible occupe effectivement à titre d’habitation principale un logement appartenant aux époux, ou dépendant totalement de la succession, il a de plein droit pendant une année la jouissance gratuite de ce logement ainsi que du mobilier compris dans la succession qui le garnit ». Il faut donc que le logement dépende totalement de la succession ou bien encore qu’il s’agisse d’un logement appartenant aux époux. Le logement dépend totalement de la succession si c’est un logement dont le prédécédé était propriétaire exclusivement, par exemple si c’était un bien propre ou personnel du prédécédé. Le logement appartenant aux époux vise l’hypothèse dans laquelle le logement était la propriété des deux époux, i.e un bien commun alors qu’ils étaient sous régime de communauté, ou un bien indivis entre époux séparés de biens. Dans ce cas, le droit temporaire au logement joue de pleine droit en faveur du conjoint survivant: il n’est pas besoin d’en faire la demande, le conjoint survivant conserve la jouissance gratuite du logement pendant l’année qui suit le décès et personne ne peut le déloger dans ce temps. Le droit de jouissance s’étend au mobilier qui garnit le logement dans la mesure où une partie du mobilier dépend de la succession du prémourant. Ce droit temporaire au logement est un droit d’ordre public et il est réputé effet direct du mariage. Par conséquent il ne s’agit pas d’un droit de nature successorale mais

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d’un effet du mariage au même titre que par exemple les dispositions du régime primaire impératif qui sont en droit des régimes matrimoniaux applicables à tous les époux. 2. L’Occupation du logement au moyen d’un bail. Dans ce cas de figure, l’alinéa 2 de l’art 763 cciv précise que « lorsque l’habitation du conjoint était assuré au moyen d’un bail à loyers, les loyers lui en seront remboursés par la succession pendant l’année au fur et à mesure de leur acquittement. » La succession prend donc en charge les loyers pendant une année à compter du décès et cela constitue un passif de succession. 3. L’Occupation du logement appartenant pour part indivise au défunt et à un tiers. Enfin le texte a été complété en 2006 par la loi du 23 juin 2006 pour y inclure l’hypothèse dans laquelle le conjoint occuperait un logement qui appartiendrait pour partie indivise au défunt et à un tiers. Par exemple, le conjoint survivant occupe à titre de résidence principale au moment du décès une maison dont le défunt était propriétaire en indivision avec son frère. Lorsqu’un indivisaire bénéficie de la jouissance privative, exclusive d’un bien indivis, il doit en principe verser une indemnité à l’indivision. L’indivisaire est redevable d’une indemnité envers l’indivision: depuis la loi du 23 juin 2006 il est prévu que dans ce cas, l’indemnité d’occupation soit remboursée par la succession pendant l’année suivant le décès au fur et à mesure de son acquittement. La loi du 23 juin 2006 a envisagé l’extension de ce droit au partenaire survivant d’un PACS. Cette extension est prévue à l’art 515-6 cciv. L’alinéa 3 précise que « lorsque le PACS prend fin par le décès d’un des partenaires, le survivant peut se prévaloir des dispositions des deux premiers alinéas de l’art 763 cciv ». Les deux premiers alinéas visent les hypothèses dans lesquelles le logement est occupé en vertu d’un droit de propriété, d’un droit au bail, ou d’une indivision entre le défunt et un tiers. Le renvoi opéré à l’art ne s’opère pas concernant les alinéas 3 et 4 de l’art 763: en effet l’alinéa 3 nous dit que « le droit temporaire au logement est réputé effet direct du mariage ». Il n’est donc pas transposable aux partenaires d’un pacs. En revanche, il est sans doute moins opportun de ne pas avoir étendu au partenaire d’un PACS l’alinéa 4 de l’art 763 cciv qui précise que « le droit temporaire au logement est d’ordre public ». Certains en tirent la conclusion que s’agissant des partenaires d’un PACS, le droit temporaire au logement ne serait pas d’ordre public. On pourrait donc l’écarter par exemple en cas de legs du logement à quelqu’un d’autre: le légataire n’aurait pas à supporter le droit temporaire au logement. Mme Tisserand estime que c’est ici une question d’humanisme que de laisser au partenaire le temps de s’organiser pour changer de logement et donc ce droit relève de l’ordre public pour le conjoint comme pour le partenaire. B. Le Droit viager au logement. Le droit viager au logement est envisagé par l’art 764 cciv et en vertu de ce texte, « le conjoint successible qui occupait effectivement à l’époque du décès à titre d’habitation principale un logement appartenant aux époux ou dépendant totalement de la succession a sur ce logement jusqu’à son décès un droit d’habitation ainsi qu’un droit d’usage sur le mobilier compris dans la succession le garnissant ». Ce droit concerne l’hypothèse dans laquelle les époux ou le défunt étaient propriétaires du logement. Le logement devait être un bien commun, indivis ou dépendant totalement de la succession, bien propre ou personnel du défunt. Ce droit viager ne se manifeste que dans cette hypothèse. Ce droit viager prend la forme d’un droit réel, un droit d’habitation et il se double d’un droit d’usage sur le mobilier.

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Toutefois, ce droit viager n’est pas d’ordre public: il ne se manifeste que SAUF volonté contraire du défunt mais cette volonté pour être efficace doit être exprimée dans les conditions de l’art 971 cciv, i.e en respectant le formalisme propre au testament authentique. Le conjoint survivant peut donc être privé du droit viager mais il faut que le défunt ait exprimé sa volonté en ce sens selon le formalisme lourd du testament authentique requérant la présence de deux notaires ou d’un notaire et de deux témoins. Ceci vise à faire prendre conscience au conjoint de la gravité de son acte. Dans le cas où le de cujus aurait usé de cette faculté et aurait privé son conjoint du droit viager au logement par un testament authentique ou par déclaration en la forme du testament authentique, la loi précise que la privation des droits d’usage et d’habitation reste sans incidence sur les droits en usufruit que le conjoint peut recueillir par ailleurs en vertu de la loi ou d’une libéralité. Les droits en usufruit vont obéir à leur régime juridique propre: le fait de priver le conjoint de droits viager ne signifie pas qu’on souhaite retirer les droits en usufruit, il faut le faire en fonction. Le droit d’usage et d’habitation est régi par les règles habituelles prévues par la loi en matière de droit d’usage et d’habitation. Le droit d’usage et le droit d’habitation sont des diminutifs de l’usufruit, ils confèrent la jouissance d’un bien pour un usager. Par rapport à l’usufruit, cependant, ces droits se caractérisent par un caractère personnel très marqué, plus fort que celui qui existe pour l’usufruit. Ainsi en matière d’usufruit, l’usufruitier peut jouir de la chose par lui-même mais il peut également confier la jouissance du bien à un autre qui lui versera un loyer. L’usufruitier peut donner son bien à bail et en percevoir les loyers. L’usager en principe doit jouir par lui-même du bien et son droit se limite à ce qui est nécessaire à ses besoins et à ceux de sa famille. S’il cesse de jouir par lui-même, s’il quitte le bien, le droit d’usage s’éteint. En consacrant un droit d’usage et d’habitation et non pas un usufruit, le législateur a été sensible à ce côté personnel du droit d’usage: le but est de permettre au conjoint de rester dans le logement qu’il occupe au logement du décès jusqu’à son propre décès, et non pas de permettre au conjoint d’obtenir des revenus supplémentaires alors que par ailleurs ses droits dans la succession ab intestat ont été augmentés. Lors des débats parlementaires on s’est aperçu que la solution pouvait être parfois trop rigide et qu’on pouvait être obligé de déménager pour diverses raisons. Pour cette raison, par dérogation aux art 631 et 634 cciv, « lorsque la situation du conjoint fait que le logement grevé du droit d’habitation n’est plus adapté à ses besoins, le conjoint ou son représentant peut le louer à un usage autre que commercial ou agricole afin d’en dégager les ressources nécessaires à de nouvelles conditions d’hébergement ». Si le logement se révèle inadapté aux besoins du conjoint il sera donc possible de le louer à un usage non commercial ni agricole et dans ce cas, on pourra utiliser les loyers obtenus pour faire face aux dépenses engendrées par les nouvelles conditions d’hébergement du conjoint. S’agissant de la nature juridique de ce droit d’usage et d’habitation, il s’agit de droits de nature successorale et le conjoint n’a pas vocation à bénéficier de ces droits en plus de ses droits successoraux: la loi prévoit qu’il y a lieu d’imputer la valeur des droits d’usage et d’habitation sur la valeur des droits successoraux recueillis par le conjoint. Le principe est qu’on va donc soustraire la valeur des droits d’usage et d’habitation, si le conjoint demande à en bénéficier, de ses droits dans la succession. En effet, pour en bénéficier, le conjoint doit manifester sa volonté en ce sens dans l’année à compter du décès. Dans l’année du décès le conjoint bénéficie donc de plein droit du droit temporaire au logement et s’il le souhaite il peut bénéficier du droit viager au logement. Ce droit a vocation à s’imputer sur sa part dans la succession et ceci est prévu à l’art 765 cciv. Cet article précise que « si la valeur des droits d’habitation et d’usage est inférieure à la valeur des droits successoraux du conjoint, celui-ci pourra prendre le complément sur les biens existant. En revanche si la valeur des droits d’habitation et d’usage est supérieure à celle des droits successoraux, le conjoint successible ne sera pas tenu de récompenser la succession à raison de l’excédent. Dans ce cas, les droits successoraux du conjoint correspondront aux droits d’usage et d’habitation ». Cette disposition vise à compenser la solution sévère consistant à supprimer la possibilité pour le conjoint d’opter pour un usufruit universel en présence de descendants non communs, à moins que le de cujus ne l’en ait privé par testament authentique.

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On évalue ces droits à proportion de l’usufruit: les droits ont comme valeur 60% de la valeur de l’usufruit. L’évaluation fiscale de l’usufruit dépend de l’art 669 du CGI: elle est fixée en fonction de l’âge de l’usufruitier: plus il est jeune, plus la valeur de l’usufruit est élevée. Le conjoint successible et les héritiers peuvent par convention convertir les droits d’habitation et d’usage en rente viagère ou en capital. Seule un conversion par convention est ici envisagée: cette convention permettra de libérer le bien du droit d’habitation et d’usage ce qui sera utile si on souhaite le céder. Une telle conversion ne peut être en aucun cas imposée au conjoint. S’il existe parmi les successibles parties à la convention des mineurs ou un majeur protégé, cette conversion doit être autorisée par le juge des tutelles. Lorsque le logement occupé par le conjoint survivant à titre de résidence principale est occupé en vertu d’un droit au bail, seul subsiste éventuellement si le conjoint le demande un droit d’usage sur le mobilier garnissant le logement et compris dans la succession. Le droit viager ne s’ajoute pas aux droits successoraux du conjoint, en principe il vient remplir le conjoint de ses droits. Les prérogatives accordées par la réforme au conjoint survivant sur le logement sont les plus importantes, mais ce ne sont pas les seules: la réforme a également consacré différentes mesures qu’on peut rattacher à la volonté du législateur de consacrer un véritable droit au logement au profit du conjoint. On peut citer à ce titre le renforcement de l’attribution préférentielle au profit du conjoint: le conjoint avait déjà la possibilité de demander l’attribution préférentielle du logement occupé à titre de résidence principale lors du décès mais l’art 832 cciv a été modifié pour que cette attribution préférentielle au profit du conjoint survivant soit désormais de droit. Dès que les conditions en sont remplies, le juge n’a pas de pouvoir d’appréciation et doit faire droit à la demande présentée. Avant, elle était facultative: le juge décidait s’il était opportun ou non de faire droit à la demande. En outre, on ne peut opposer au conjoint aucune demande concurrente. Souvent l’attribution préférentielle d’un bien suppose le versement d’une soulte aux cohéritiers: si la valeur du bien dont on demande l’attribution préférentielle est supérieure à la part successorale de l’attributaire, le conjoint doit verser une soulte aux cohéritiers. Exemple: la valeur du bien est de 150, la part est de 100. Si l’attribution est accordée, l’attributaire devra verser une soulte de 50 aux cohéritiers. En principe la soulte est payable au comptant mais la loi a consacré la possibilité pour le conjoint d’obtenir des délais de paiement ne pouvait excéder 10 ans. §.3. Le Droit à une pension alimentaire. En vertu de l’art 767 cciv, « la succession doit une pension alimentaire au conjoint successible qui est dans le besoin. » Cette pension alimentaire suppose un état de besoin: elle ne se manifeste qu’en cas de besoin du conjoint successible. Le conjoint doit la réclamer dans un délai d’un an à compter du décès ou d’un an à compter du moment où les héritiers cessent d’acquitter les prestations jusque-là acquittées spontanément. En cas d’indivision le délai se prolonge jusqu’à l’achèvement du partage. La pension est prélevée sur l’hérédité et de ce point de vue il n’y a pas grande innovation. Sous l’empire du droit antérieur, une pension semblable était prévue par l’ancien art 207-1 cciv, texte abrogé en 2001. Sous l’empire du droit antérieur cette pension se manifestait plus souvent dans la mesure où la vocation successorale du conjoint était médiocre. Désormais dès lors que la succession est solvable, le conjoint devrait avoir suffisamment de droits pour ne pas avoir besoin de cette pension. Si la succession est insolvable la pension est prélevée sur l’hérédité et son bénéfice est donc mineur. À l’occasion des débats parlementaires s’est posée la question d’une hypothèse de déchéance du droit à la pension alimentaire dans le cas où le conjoint aura manqué gravement à ses devoirs. On savait cependant qu’une réforme du divorce (26 mai 2004)

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viendrait plus tard et quels en seraient les aspects: on a voulu supprimer les déchéances pécuniaires existant sous l’empire du droit antérieur pour régler les effets du divorce indépendamment de la conduite des époux. Cette hypothèse de déchéance n’a donc pas été consacrée. SECTION 3: L’Etat. Pendant longtemps, le conjoint survivant était comme l’Etat, i.e classé dans la catégorie des successeurs irréguliers, i.e des successeurs dépourvus de la saisine héréditaire. La saisine héréditaire permet aux héritiers légaux d’appréhender immédiatement les biens du défunt dès le décès sans autre faculté: c’est la faculté de se mettre en possession des biens successoraux. Le conjoint survivant est entré dans le cercle des héritiers saisis depuis 1958. Aujourd’hui il n’existe plus qu’un seul successeur irrégulier, qui est l’Etat. Ceci est normal: on ne peut permettre à l’Etat d’entrer en possession immédiate, car il faut vérifier d’abord la carence familiale avant de permettre à l’Etat d’entrer en possession des biens. Quel est le fondement de la vocation successorale de l’Etat? L’Etat n’exerce pas un simple droit de succession, l’Etat ne vient pas à la succession: l’Etat est titulaire d’un droit de souveraineté et s’il vient à la succession, c’est en tant que souverain afin de prévenir les désordres qui ne manqueraient pas de résulter de la présence de biens n’appartenant à personne. En conséquence, puisque l’Etat ne vient pas à la succession en tant qu’héritier mais en tant que souverain, l’Etat ne peut jamais être exhérédé: le de cujus ne peut jamais exclure directement l’Etat de sa succession. Une telle clause dans un testament serait nulle parce qu’une volonté privée ne peut tenir en échec un droit de souveraineté. De la même façon, pour les mêmes raisons, une clause d’exhérédation générale est toujours sans effet à l’égard de l’Etat. Une telle clause est celle par laquelle le de cujus exclut tous les ayant-droits. Dans ce cas, à défaut d’héritiers réservataires, la succession sera acquise à l’Etat. Si on ne veut rien laisser à l’Etat, exception faite des droits de mutation, cela est possible: il suffit soit de laisser des héritiers, soit encore de désigner des légataires. Si on désigne un légataire universel, il recueillera toute la succession. Il faut donc anticiper sur le règlement de la succession en faisant des libéralités. S’agissant de la vocation successorale de l’Etat, elle est nécessairement subordonnée à la carence familiale: l’Etat hérite si le de cujus ne laisse aucun héritiers aux degrés successibles et n’a désigné aucun légataire. La carence familiale est elle-même susceptible de degrés. Pour cette raison, on distingue deux cas de figure. Premièrement, il existe des successions vacantes: la vacance est la situation d’une succession qui n’est actuellement réclamée par personne mais dont on n’est pas encore certain qu’elle ne le sera pas un jour. On doit donc administrer la succession vacante dans l’attente d’une situation plus claire. Il va falloir également liquider la succession dans le but de régler le passif. L’art 809 cciv prévoit trois cas de vacances de la succession. La succession est vacante lorsqu’il n’y a pas d’héritier connu, lorsque tous les héritiers connus ont renoncé à la succession ou encore lorsque, dans un délai de 6 mois depuis l’ouverture de la succession, les héritiers connus n’ont pas opté. Une requête doit être adressée au juge par un créancier ou bien encore une personne qui du vivant du de cujus assurait l’administration de tout ou partie de son patrimoine, ou bien enfin par tout autre intéressé, notamment le Ministère Public. Suite au dépôt de cette requête, le juge va rendre une ordonnance pour prendre la curatelle à la succession: le curateur est toujours l’Administration des Domaines. Cette ordonnance a vocation à être publiée. Comment fonctionne la curatelle? L’Administration des Domaines, en sa qualité de curateur, va d’abord faire dresser un inventaire estimatif de la succession par un

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commissaire-priseur, un huissier, un notaire ou encore un de ses fonctionnaires assermentés. Cela dépend de la consistance de la succession. Ensuite le tribunal sera avisé de cet inventaire, l’inventaire sera publié et les créanciers et éventuels légataires de sommes d’argent pourront demander une copie de cet inventaire. Il entre également dans la mission du curateur d’administrer la succession vacante: il va procéder au recouvrement des sommes dues par des tiers au de cujus. Depuis la loi du 23 juin 2006, il a également la possibilité de poursuivre l’exploitation de l’entreprise individuelle dépendant de la succession. Les sommes recouvrées par le curateur auprès de tiers, de même que l’éventuel revenu d’une exploitation ou des biens successoraux, ont vocation à être consignés. Dans les 6 premiers mois suivant l’ouverture de la succession, les pouvoirs du curateur sont limités et il ne peut faire que des actes conservatoires. À compter de 6 mois après l’ouverture de la succession, le curateur peut faire procéder à la vente des biens successoraux dans la mesure nécessaire au règlement du passif. Le but est de permettre de payer les créanciers qui attendent. En principe la vente des biens successoraux doit se faire selon un formalisme particulier: elle doit avoir lieu par l’intermédiaire d’un commissaire-priseur, d’un huissier, d’un notaire ou bien elle peut être organisée par le tribunal dans le cadre d’une vente judiciaire, ce qui est plus rare. Enfin, la vente peut se faire dans les formes prévues pour l’aliénation des biens du domaine de l’Etat. La loi de 2006 a assoupli ceci: il est possible depuis lors, et ceci est prévu à l’art 810-3 cciv, d’envisager une vente amiable. dans ce cas une publicité est organisée, tout créancier a le droit d’exiger que la vente soit faite par adjudication MAIS si le produit de l’adjudication s’avère inférieur au prix initialement convenu, alors le créancier qui a exigé l’adjudication doit supporter la différence de prix. S’agissant du règlement du passif, les créanciers doivent déclarer leurs créances au curateur: le curateur a le droit de régler immédiatement les créances les plus urgentes comme les frais d’obsèques, les impôts.. Pour le reste du passif, le curateur va établir un projet de règlement du passif respectueux du classement des créances. Ce projet de règlement du passif est publié et les créanciers ont un mois à compter de cette publication pour émettre des contestations. Une fois le délai d’un mois d’expiré, le projet de règlement devient définitif et le curateur le met en œuvre, i.e il règle les créances dans l’ordre et le prorata prévus, i.e en fonction de l’actif. S’il y a des contestations, elles sont tranchées par le juge. Enfin, la curatelle se termine selon différents cas de figure. Lorsqu’il a exécuté sa mission il rend compte au juge des opérations effectuées: là encore ce compte est soumis à publication et tout créancier ou héritier éventuel se manifestant tardivement peut demander à se le faire communiquer. S’il y a des créanciers qui se manifestent tardivement et qui ne déclarent leur créance que postérieurement à la remise du compte, ils ne pourront obtenir paiement que sur l’actif subsistant sans que soient remis en compte les paiement déjà effectués. Si le compte du curateur fait apparaître que l’actif est épuisé, la curatelle s’éteint. En revanche s’il subsiste des éléments d’actif après paiement du passif, le juge va autoriser le curateur à procéder à leur réalisation et ce projet de réalisation doit être notifié aux héritiers connus qui peuvent s’y opposer en réclamant la succession. À tout moment si un héritier connu réclame, i.e accepte la succession, la curatelle prend fin. S’il y a un reliquat d’actif une fois les biens vendus mais qu’aucun héritier ne se manifeste, le produit des ventes doit être consigné et cette consignation met fin à la mission du curateur et à la curatelle. L’Etat va alors demander à se faire envoyer en possession afin d’obtenir la possession des biens héréditaires. C’est une procédure particulière qui a pour but de s’assurer de la carence familiale, procédure qu’on retrouve dans le cas de la succession en déshérence. Deuxièmement il existe des succession en déshérence. La succession est dite en déshérence lorsqu’une personne décède sans héritier ou que la succession est abandonnée. La déshérence de la succession prend fin en cas d’acceptation de la succession par un héritier. Pour prétendre à une telle succession, l’Etat doit demander l’envoi en possession au tribunal. L’envoi est accordé à l’Etat par le tribunal si la carence familiale est établie de façon définitive avec suffisamment de certitude. Le tribunal vérifie qu’il n’y a pas d’héritiers aux

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degrés successibles ni aucun légataire universel institué, ou encore que les héritiers réservataires ont été exhérédés. L’Etat n’est jamais tenu du passif successoral que dans la limite de l’actif successoral. La succession en déshérence ne peut donc donner lieu qu’à des droits, pas des charges. Ceci est injuste pour les créanciers mais il serait pareillement injuste de mettre une dette à la charge de la collectivité.

TITRE 2nd LE POUVOIR DE LA VOLONTE

La désignation des héritiers ne s’impose pas au de cujus: le de cujus est libre de l’aménager, de l’écarter par dispositions contraires. Il peut s’agir d’un testament mais aussi d’une donation car toute libéralité, tout acte à titre gratuit à l’exception des contrats de service gratuit, est susceptible d’entrer dans la catégorie des libéralités a une incidence sur la succession. En matière successorale le pouvoir de la volonté n’est cependant pas infini, il existe des limites importantes qui constituent l’ordre public successoral.

CHAPITRE 1ER: L’ORDRE PUBLIC SUCCESSORAL

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Le pouvoir de la volonté n’est pas sans limite: il n’est pas possible de substituer une dévolution volontaire à la dévolution légale. Il y a donc trois limites. La première tient au souci de protéger la famille du disposant et correspond à l’existence d’une réserve héréditaire. La seconde est inspirée par des considérations morale et tend à d’éviter qu’on ne spécule sur la mort d’une autre personne, ce qui correspond à la prohibition des pactes sur successions futures. Enfin, notre ordre public successoral traditionnel s’accompagnait d’une troisième limite qui s’expliquait par des considérations historiques et politiques et qui correspondait à la prohibition des substitutions fidéicommissaires. SECTION 1: La Réserve héréditaire. Le droit français, à la différence du droit anglo-saxon, ne consacre pas une entière liberté de disposer à titre gratuit. Il existe un devoir social de transmettre ses biens à ses parents les plus proches qui ont la qualité d’héritier réservataire, qualité qui leur assure un minimum successoral intangible. Les héritiers réservataires sont actuellement les descendants et, seulement à défaut de descendants, le conjoint survivant. Quel que soit le nombre et la qualité des réservataires, il faut savoir que la réserve n’absorbe jamais la totalité de la succession: le de cujus a toujours la possibilité de disposer à titre gratuit d’une fraction de son patrimoine et cette fraction dont il peut disposer librement est la quotité disponible ou bien encore le disponible. Techniquement, la réserve correspond à l’hérédité à laquelle on ôte le disponible. La réserve est donc une part de l’hérédité, on dit aussi qu’elle est pars heritatis. Par conséquent, pour bénéficier de la réserve, il faut non seulement être réservataire, mais aussi être héritier aux degrés successibles, apte à succéder et accepter la succession. Les parents qui sont exclus de la succession car primés par un héritier d’un degré plus favorable, de même que ceux qui renoncent à la succession ou qui en sont indignes n’ont aucun droit à réserve. Cette analyse traditionnelle de la réserve fut reprise suite à la loi du 23 juin 2006 à l’art 912 cciv qui définit la réserve: « la réserve héréditaire est la part des droits et biens successoraux dont la loi assure la dévolution libre de charge à certains héritiers dits réservataires s’ils sont appelés à la succession et s’ils l’acceptent. » Corrélativement le second alinéa ajoute que « la quotité disponible est la part des biens et droits successoraux qui n’est pas réservée par la loi et dont le défunt peut disposer librement par des libéralités ». La réserve protège les réservataires contre les dispositions à titre gratuit, donations comme legs. Lorsqu’une libéralité porte atteinte à la réserve, elle doit être réduite, i.e elle doit être neutralisée dans la mesure de l’excès, dans la mesure où elle porte atteinte à la réserve. La libéralité n’est pas nulle, on va simplement neutraliser la part excessive portant atteinte à la réserve. En principe toutes les règles concernant la réserve héréditaire sont d’ordre public et on ne peut y déroger, mais la loi du 23 juin 2006 prévoit quelques assouplissements. §.1. Le Taux de la réserve et du disponible. Le droit français fixe la réserve à une quote-part de l’ensemble des biens du de cujus. On dit aussi que la réserve est globale. Ensuite, il faut encore savoir comment répartir cette quote-part entre les réservataires de façon à déterminer les parts de réserve individuelle de chacun des réservataires. Le Cciv ne détermine pas la réserve, il détermine positivement le disponible et à partir du taux du disponible, on déduit le taux de la réserve. Le taux du disponible est lui-même variable en fonction de trois paramètres: la qualité des réservataires (descendants ou conjoint), le nombre des réservataires, la qualité du gratifié. La loi consacre en effet l’existence d’un disponible spécial entre époux qui permet de gratifier son conjoint plus ou différemment de toute autre personne. En fonction de ce

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dernier paramètre, on a donc deux disponibles différents: d’une part on a un disponible ordinaire et dont le de cujus peut user pour gratifier qui bon lui semble, et d’autre part on a un disponible entre époux dont le de cujus ne peut user qu’au profit de son conjoint. Très fréquemment, en pratique, le de cujus décide de gratifier à la fois son conjoint et une autre personne. Dans ce cas, on ne peut ajouter le disponible ordinaire et le disponible spécial, il faut les combiner: on rencontre alors un problème de combinaison des disponibles. A. Le Disponible ordinaire. Le disponible ordinaire varie selon la qualité des réservataires, selon qu’ils soient des descendants ou qu’il s’agisse du conjoint. 1. La Réserve des descendants. Tous les descendants ont la qualité de réservataire, quel que soit le degré de la parenté ou la nature de la parenté. Il existe une exception à ce principe à l’art 368 cciv: l’adopté simple n’a pas la qualité de réservataire dans la succession d’un ascendant de l’adoptant. a. La Réserve globale des descendants. La réserve globale des descendants est fixée par l’art 913 cciv en fonction du nombre d’enfants laissés par le de cujus. Si le de cujus ne laisse qu’un enfant, le disponible est 1/2. Corrélativement, la réserve est également de 1/2. Si le de cujus laisse deux enfants, le disponible est d’un tiers et corrélativement, la réserve est des 2/3. Enfin, si le de cujus laisse 3 enfants ou plus, le disponible est du ¼ et corrélativement, la réserve est des 3/4. N.B: La réserve est fixée en fonction du nombre d’enfants du de cujus, non pas en fonction du nombre de descendants appelés à la succession. Ainsi si les descendants appelés à la succession sont des descendants au-delà du 1

er degré, qu’ils viennent par

représentation ou de leur propre chef, on fixe la réserve globale en fonction du nombre d’enfants. La réserve est fixée en fonction du nombre de souches, sans distinguer selon que les descendants au premier degré viennent à la succession de leur propre chef ou par représentation. Exemple: le de cujus a deux enfants, Aristide et Barnabé. Aristide est prédécédé et laisse pour le représenter dans la succession de son père Aristote et Astrid. Le taux de la réserve globale sera des deux-tiers, car on a deux souches: celle d’Aristide et celle de Barnabé. Exemple: le de cujus a un fils prédécédé, Aristide, et Aristide a laissé deux enfants, Aristote et Astrid. Aristide étant prédécédé, ici Aristote et Astrid viendront à la succession de leur propre chef. Néanmoins la réserve sera d’½ puisqu’au départ le de cujus n’a eu qu’un fils. Quelle est l’incidence de la renonciation d’un réservataire sur la réserve globale? Avant la loi du 23 juin 2006, un ancien arrêt de la Cour de cassation du début du XIXème siècle avait posé comme solution de principe que la renonciation d’un réservataire n’avait aucune incidence sur le montant de la réserve globale. La réserve dépendait uniquement du nombre d’enfants du de cujus, non pas du nombre d’enfants venant effectivement à la succession. Si le de cujus avait eu deux enfants et que l’un des deux avait renoncé à la succession, avec cet arrêt, il aurait fallu décidé que la réserve globale était des 2/3. Il n’en allait différemment que dans l’hypothèse où tous les réservataires renonçaient. La réserve prévue pour ces réservataires-là disparaissait. Dans le souci d’accroître le pouvoir de la volonté, la loi du 23 juin 2006 a modifié cette solution. Désormais l’art 913 al2 précise que l’enfant qui renonce à la succession n’est compris dans le nombre d’enfants laissés par le défunt que s’il est représenté ou s’il est expressément tenu au rapport d’une libéralité. Le principe actuel est donc le suivant: on ne tient pas compte du renonçant pour fixer le taux de la réserve globale, SAUF si les descendants du renonçant viennent à la succession en représentation de leur auteur ou si le renonçant a reçu une donation expressément rapportable à la succession, y compris en cas de renonciation. Exemple: le de cujus a deux enfants, Aristide et Barnabé. Barnabé renonce à la succession.

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En application de la loi de 2006 on considère que la réserve globale est de ½. On ne prend pas en compte le renonçant pour fixer la réserve globale. Si le principe est simple, il appelle des précisions. Il existe en effet deux exceptions à ce principe. La première exception est le cas dans lequel le renonçant est représenté par ses descendants. Exemple: Barnabé a renoncé mais il a deux enfants. Ses enfants viennent à la succession en représentation de Barnabé qui a renoncé. On prend alors en compte Barnabé pour fixer la réserve globale, on a donc deux enfants et la réserve est des 2/3. Le deuxième cas est une nouvelle innovation de la loi du 23 juin 2006: il s’agit de la situation dans laquelle le renonçant a bénéficié d’une libéralité rapportable y compris dans l’hypothèse où il renoncerait à la succession. Une libéralité rapportable est une avance sur part successorale donc on en tient compte lors du règlement successoral en précomptant ce que le gratifié à reçu pour déterminer sa part dans la succession. En principe celui qui ne vient pas à la succession n’est pas tenu au rapport, le rapport n’est du qu’entre cohéritiers. Cependant, cette règle pouvait être utilisée par certains pour augmenter leur part au détriment de leurs cohéritiers. En renonçant à la succession le gratifié échappait au rapport et pouvait ainsi garder ce dont il avait été gratifié pour lui seul, à condition de ne pas porter atteinte à la réserve. La loi du 23 juin 2006 a donc imaginé un rapport spécial qu’on peut par stipulation spéciale exiger du renonçant: lorsqu’on fait la donation rapportable on peut insérer une clause précisant que la donation sera rapportable à la succession, y compris si le gratifié renonce à la succession. C’est une sorte de pacte sur succession future expressément prévu par la loi. On peut donc imposer un rapport à un héritier qui renonce à la succession. Il est important de maintenir la réserve du gratifié car ce rapport du par un renonçant est un rapport fictif. Pour calculer le montant du rapport fictif il est essentiel de tenir compte de la part de réserve fictive du renonçant. Les cas de figure dans lesquels le renonçant est pris en compte pour fixer le taux de la réserve globale correspondent donc aux cas dans lesquels il aura été gratifié d’une libéralité rapportable ou dans le cas où il aura des descendants le représentant. La doctrine assimile généralement le cas de l’indignité à celui de la renonciation, les solutions dégagées pour le renonçant doivent s’appliquer en principe en matière d’indignité. L’indigne peut également être représenté aujourd’hui donc les solutions devraient pouvoir s’appliquer pareillement. N.B. On a vu avec la dévolution ab intestat que lorsque le conjoint est en concours avec des descendants tous communs aux deux époux, il avait la possibilité d’opter pour un usufruit universel portant sur tous les biens existant au décès, à l’exception des biens légués. Dans ce cas de figure, si le conjoint opte pour l’usufruit universel, il est parfaitement envisageable que la réserve des descendants ne leur soit servi en tout ou en partie qu’en nue-propriété. b. La Répartition de la réserve. Il s’agit simplement pour connaître les parts individuelles de réserve de respecter les principes de la dévolution ab intestat. La réserve se répartir selon les principes de la dévolution ab intestat. On respecte donc l’égalité des souches et employer le cas échéant la technique de la représentation successorale. On ne procède à un partage par tête que si tous les réservataires sont des enfants, i.e descendants au 1

er degré, ou bien encore s’il n’y a pas de

pluralité de souches, par exemple, si tous les réservataires sont issus de la même souche et qu’ils sont donc tous issus d’un fils unique prédécédé. On respecte également l’égalité des personnes comme dans la dévolution ab intestat: depuis la loi du 3 déc 2001, cette égalité ne souffre plus aucune exception. Avant la loi, il subsistait certaines discriminations à l’encontre des enfants adultérins lorsqu’ils venaient à

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la succession en concours avec des descendants légitimes issus du mariage bafoué. Leur part au sein de la réserve globale était réduite dans la même proportion que leur part ab intestat, i.e l’enfant adultérin ne pouvait avoir que la moitié de la part de réserve à laquelle il aurait pu prétendre s’il avait lui-même été légitime. Ce dont sa part était amoindrie venait à croître la part des descendants légitimes protégés. Ces dernières discriminations ont été abolies par la loi du 3 déc 2001 comme elles l’ont été également dans la dévolution ab intestat. Avant la loi du décembre 2001, les ascendants du défunt avaient également la qualité de réservataires. À défaut de descendants, ils avaient cette qualité de réservataires. La loi du 23 juin 2006 en organisant la promotion du conjoint survivant avait déjà entraîné une certaine régression de la réserve des ascendants. En effet, les ascendants ordinaires étant primés par le conjoint survivant, ils ne pouvaient avoir la qualité d’héritier réservataire en présence d’un conjoint. Ainsi, avec la loi du 3 décembre 2001, à défaut de descendants, mais en présence d’un conjoint survivant, seuls les ascendants privilégiés avaient la qualité de réservataires. En outre la loi du 3 décembre 2001 a également conféré cette qualité au conjoint survivant en l’absence de descendants et d’ascendants privilégiés. Un pas supplémentaire a été franchi par la loi du 23 juin 2006: cette loi a définitivement mis fin à la réserve des ascendants, y compris des ascendants privilégiés. Désormais, dans le nouvel ordre public successoral, en l’absence de descendants, le seul qui peut avoir la qualité de réservataire est le conjoint survivant. 2. La Réserve du conjoint survivant. La réforme du 3 déc 2001 a introduit au sein du Code civil un nouvel art 914-1 cciv qui prévoit que « les libéralités par actes entre vif ou par testaments ne pourront excéder les trois quarts des biens si, à défaut de descendants, le défunt laisse un conjoint survivant non divorcé ». Ce texte a été consacré en 2001 puis fut modifié en 2006. Premièrement, en 2006 on a supprimé la réserve des ascendants: le conjoint a donc progressé dans l’ordre des réservataires en venant directement après les descendants. Il faut noter que la réserve du conjoint n’a qu’un caractère subsidiaire par rapport à celle des descendants: la réserve du conjoint n’apparaît en effet qu’à défaut de descendants. Par conséquent, la réserve du conjoint ne vient jamais s’ajouter à celle des descendants: le législateur a estimé qu’il en résulterait une trop grande atteinte à la liberté de disposer à titre gratuit. Deuxièmement, désormais le conjoint conserve sa réserve héréditaire jusqu’au prononcé définitif du divorce. Le conjoint réservataire est un conjoint simplement non divorcé. La loi de 2001 avait imaginé un système plus complexe qui consistait à faire disparaître la qualité de réservataire du conjoint dès l’introduction d’une instance en divorce ou en séparation de corps. On s’est aperçu que cette solution n’était pas bonne: l’idée était de permettre à un époux d’exhéréder son conjoint dès l’introduction de l’instance en divorce en guise de garantie en cas de décès en cours de procédure. Ce projet est sans doute du à la présence de nombreux avocats à l’Assemblée Nationale. Cette solution par rapport à l’intérêt pratique qu’elle présentait entraînait trop d’inconvénients: que faire dans le cas où le divorce n’était pas prononcé? On avait également un décalage entre la réserve et la dévolution ab intestat. En outre était née une controverse s’agissant de la séparation de corps donnant lieu à des textes inconciliables. En 2006 on a décidé que la vocation ab intestat, comme la vocation réservataire, subsistaient donc jusqu’au prononcé définitif du divorce. En cas de séparation de corps, le conjoint séparé de corps conserve sa vocation successorale et sa qualité d’héritier réservataire: le seul tempérament existant résulte de l’art 301 cciv qui permet en cas de séparation de corps par consentement mutuel à chaque époux de renoncer à sa vocation successorale vis-à-vis de l’autre. Ceci est très rare en pratique car une séparation de corps par consentement mutuel est elle-même très rare car déconseillée en outre par les praticiens. Troisièmement, s’agissant de la nature et de la quotité de la réserve du

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conjoint, il faut noter que la réserve du conjoint est d’un quart en propriété. Le législateur a fait le choix d’une réserve en propriété. On aurait pu imaginer une réserve plus étendue mais en usufruit seulement. Cette réserve est donc limitée et il faut noter que cette réserve a vocation à se combiner avec d’autres droits dont le conjoint dispose dans la succession, notamment le droit temporaire au logement qui est d’ordre public et avec le droit viager qui sans être d’ordre public, ne peut être écarté par une déclaration faite en la forme du testament authentique. On peut priver le conjoint du droit viager, mais cela requiert de lourdes formalités. A quoi sert la réserve? La réserve est simplement ce qui permet d’attaquer des libéralités excessives. C’est la part de la succession dont on ne peut être privé et c’est-ce qui donne le droit d’attaquer des libéralités excessives consenties par le défunt. On peut donc encore si on le souhaite, et à condition de ne pas avoir de descendants, disposer des ¾ de sa succession en faveur d’un amant ou d’une maîtresse, à condition de laisser ¼ à son conjoint. Dans une majorité de successions, l’attitude du de cujus vis-à-vis du conjoint est tout à fait inverse: le conjoint est souvent la première personne à laquelle le de cujus pense lorsqu’il organise la transmission de ses biens. La loi l’y encourage en prévoyant un disponible spécial entre époux. B. Le Disponible spécial entre époux. Le conjoint survivant bénéficie d’un régime de faveur: il peut être gratifié autrement que toute autre personne. Si le de cujus souhaite faire des libéralités à son conjoint, il dispose pour cela d’une quotité disponible spéciale élargie par rapport à la quotité disponible ordinaire que nous avons envisagée. Quand on élargit le disponible, cela signifie automatiquement qu’on réduit la réserve. La réserve est la succession à laquelle on ôte le disponible. Par conséquent, la faveur ainsi faite au conjoint intervient nécessairement au détriment des descendants réservataires. Pour cette raison, en contrepoids du disponible spécial entre époux, la loi prévoit aussi des mesures protectrices des descendants réservataires lorsque des libéralités ont été consenties au conjoint. 1. Le Taux du disponible entre époux. Le taux du disponible entre époux dépend de l’art 1094-1 cciv. Avant la loi du 23 juin 2006, comme les ascendants privilégiés pouvaient être réservataires en présence du conjoint, il y avait également un disponible spéciale entre époux en présence d’ascendants. Désormais, seul nous intéresse le disponible spécial entre époux de l’art 1094-1 cciv et qui s’applique lorsque le conjoint gratifié est en concours avec des descendants réservataires. Ce disponible spécial entre époux est exprimé de façon curieuse sous forme d’option à trois branches. Selon l’art 1094-1 cciv, pour le cas où l’époux laisserait des enfants ou descendants, il pourra disposer en faveur de l’autre époux soit de la propriété de ce dont il pourrait disposer en faveur d’un étranger, soit d’un quart de ses biens en propriété et trois-quarts en usufruit, soit encore de la totalité en usufruit. La quotité disponible spéciale entre époux correspond donc à une option à trois branches: premièrement on peut disposer en propriété au profit de son conjoint de la quotité disponible ordinaire telle que précédemment envisagée. Deuxièmement, on peut disposer au profit de son conjoint d’un quart en propriété et de ¾ en usufruit. Enfin, on peut disposer au profit du conjoint de la totalité des biens en usufruit seulement. On s’aperçoit que la faveur ainsi faite au conjoint, puisqu’il peut être gratifié plus qu’un autre, correspond à une disponibilité spéciale en usufruit: en effet, en propriété, le maximum que peut recevoir le conjoint par l’intermédiaire d’une libéralité est le disponible ordinaire. Ainsi s’il n’y a qu’un descendant, le maximum que le conjoint pourra recevoir en propriété sera la moitié. Quant au deuxième terme de l’option, il n’ajoute rien en propriété car un quart

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correspond au plus petit disponible ordinaire en présence de descendants: il ne fait qu’ajouter des droits en usufruit pour le conjoint. Le troisième terme de l’option n’a pas grand intérêt pratique car sa valeur est moindre que la deuxième option. On peut gratifier son conjoint plus qu’un étranger, il y a un disponible de faveur prévu par la loi pour le conjoint, mais il s’agit surtout d’assurer une disponibilité au conjoint en usufruit car cela ne compromet pas la transmission des biens aux descendants, cela ne compromet pas le flux patrimonial en leur faveur. En outre, puisque ce disponible spécial s’exprime sous forme d’une option à trois branches, se pose la question de savoir à qui revient le choix entre l’une ou l’autre de ces branches. En principe, c’est au disposant qu’il appartient de choisir entre l’une de ces quotités en fonction du contexte familiale et patrimonial. Il peut faire ce choix expressément ou implicitement selon la nature de la libéralité faite à son conjoint. Par exemple, il lègue toute sa succession à son conjoint en usufruit et choisit donc la troisième option. S’il lègue un bien en propriété à son conjoint et que ce bien représente le tiers de la succession, s’il y a un ou deux enfants, c’est le disponible ordinaire qui permet de faire produire le maximum d’effets à la libéralité, il permettra de l’exécuter sans la réduire s’il n’y a pas d’autre libéralité. Il faut savoir qu’il y a des hypothèses beaucoup plus ambigües. En pratique, s’est développée l’habitude de laisser le choix au conjoint. Le disposant peut en effet parfaitement déléguer à son conjoint la faculté de choisir, le moment venu, en fonction de ses intérêts. C’est généralement ce que conseillent les notaires. On interprète en ce sens la clause d’une donation entre époux ou d’en legs par laquelle le disposant précise que la libéralité a pour objet le plus fort disponible entre époux. Cela signifie qu’on souhaite lui donner le maximum qu’on peut lui donner et qu’on lui donne la possibilité d’opter comme cela lui paraît le plus avantageux. En général on choisit ¼ en propriété et ¾ en usufruit car cela assurer un minimum en propriété et une jouissance assez large des biens. Si rien n’est précisé, il faudra interpréter la volonté du disposant en fonction de la nature de la libéralité effectuée, le but étant de lui faire produire le plus d’effets possible. S’il est impossible de déceler la volonté du disposant, on considère que celui-ci a entendu laisser l’option à son conjoint. Chaque fois que l’option a été déléguée au conjoint, il s’agit d’une option personnelle au conjoint qui ne saurait être exercée par ses créanciers agissant par la voie oblique. Néanmoins, les créanciers peuvent contraindre le conjoint à opter afin d’éviter de se heurter à un comportement dilatoire. Enfin, si le conjoint décède sans avoir opté, l’option est en principe transmissible à ses héritiers, à moins que le disposant n’ait écarté cette possibilité. Il y a donc une différence entre les droits légaux du conjoint dans la succession ab intestat et les droits conventionnels issus d’une libéralité entre époux: dans les droits légaux, le conjoint a une option et si le conjoint décède sans avoir opté, la loi considère qu’il a opté pour l’usufruit et celui-ci s‘éteint. Si le conjoint a été gratifié et qu’il décède sans avoir opté, en principe l’option se transmet aux descendants. Il faut noter une innovation. L’alinéa 2 de l’art 1094-1, depuis l’entrée en vigueur de la loi de 2006, prévoit que « le conjoint gratifié a la possibilité de cantonner son émolument. Sauf stipulation contraire du disposant, le conjoint survivant peut ainsi cantonner son émolument sur une partie des biens dont il a été disposés en sa faveur. Cette limitation, selon le texte, ne peut être considérée comme une libéralité faite aux autres successibles. » C’est une innovation parce que jusque-là, on considérait que le caractère indivisible de l’option s’opposait à ce que celle-ci soit exercée partiellement. À l’ouverture de la succession, lorsque le conjoint avait été gratifié par un legs ou une institution contractuelle telle qu’une donation entre époux à cause de mort, le conjoint ne pouvait qu’accepter la totalité de ce dont il avait été gratifié ou bien encore renoncer à la totalité des droits que lui conférait la libéralité. Le législateur a estimé que le caractère indivisible de l’option était trop rigide et désormais, s’il le souhaite et que le disposant ne l’a pas privé de cette possibilité, le conjoint peut ne recevoir qu’une partie des biens dont il a été disposés en sa faveur.

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Par exemple, alors même qu’il a été gratifié du plus fort disponible entre époux, le conjoint peut très bien en fonction de son âge ou de ses besoins, se contenter d’un usufruit sur un bien immobilier qui ne représentera que la moitié de la succession, alors que le plus fort disponible entre époux permettait un usufruit sur la totalité des biens. Quant à l’intérêt de cette possibilité, il est avant tout fiscal: cela permet d’éviter une double mutation d’un point de vue fiscal puisque le cciv précise que ce qui est abandonné par le conjoint ne peut en aucun cas être considéré comme une libéralité faite aux descendants. Les descendants seront donc censés recevoir directement du de cujus ce qu’ils obtiendront. La loi d’août 2007 a supprimé les droits de mutation à cause de mort pour le conjoint survivant. Ce qu’on avait imaginé en 2006 a donc un peu perdu de son intérêt car la transmission à cause de mort au conjoint est désormais neutre fiscalement. Avant la loi du 3 déc 2001 il existait un autre disponible spécial entre époux, appelé disponible exceptionnel, et qui se manifestait au profit du conjoint victime de l’adultère lorsque les seuls descendants réservataires se trouvant en concours avec lui étaient des enfants adultérins. Évidemment parce qu’il constituait une mesure discriminatoire, ce disponible exceptionnel a disparu en 2001 suite à l’abrogation des dernières discriminations à l’encontre des enfants adultérins. Enfin, lors des travaux préparatoires de la réforme du 23 juin 2006 il a été beaucoup discuté de la possibilité d’instaurer un disponible entre époux qui aurait reposé sur des quotités différentes selon que le conjoint était en concours avec des descendants communs ou que le conjoint gratifié se trouvait en concours avec des descendants non communs. Ceci était sur le mode de la dévolution ab intestat s’agissant des droits du conjoint en fonction que les descendants en concours avec le conjoint étaient communs ou non. Finalement le législateur a renoncé à ce projet et ceci est satisfaisant car cela aurait été source d’une grande complexité pour les liquidations successorales. Il n’y a donc qu’un seul disponible spécial entre époux. Il n’empêche que nous avons un disponible ordinaire et un disponible spécial entre époux. Pour cette raison, il faudra envisager la combinaison des disponibles. 2. La Protection des descendants réservataires face à un conjoint gratifié. La situation des descendants réservataires par rapport aux libéralités faites au conjoint est différente selon la nature de la libéralité et selon la qualité des réservataires, descendants communs ou non communs. S’agissant des libéralités en usufruit faites au conjoint, les risques sont identiques pour tous les descendants nus-propriétaires. Il y a un problème immédiat, tout d’abord, qui est d’entraîner un blocage du partage: il est difficile de partager une propriété démembrée. Parfois, pour partager, on est obligé de vendre, mais vendre un objet dont on n’a que la propriété est difficile, on peut difficilement trouver preneur. L’existence d’une propriété démembrée complique le partage et peut entraîner un blocage du partage subséquemment. Comment endiguer ce risque? Cela est possible par l’ouverture d’une conversion de l’usufruit en rentre viagère. De ce point de vue, nous avons vu que la loi du 3 déc 2001 avait choisi de regrouper toutes les règles applicables à une telle conversion dans un paragraphe unique concernant aussi bien un usufruit que le conjoint recueillerait au titre de ses droits ab intestat que celui qu’il recevrait par l’intermédiaire d’une libéralité. Le second risque que fait peser une libéralité au conjoint sur les descendants réservataires, c’est un risque de disparition de l’assiette de cet usufruit. Évidemment, à la mort de l’usufruitier, l’usufruit s’éteint et la pleine propriété se reconstitue sur la tête des réservataires qui n’étaient jusque-là que nus-propriétaires. Cela suppose cependant que les biens grevés d’usufruit n’aient pas disparu, qu’ils n’aient pas été dégradé, qu’ils n’aient pas dépéri. Par rapport à ce risque, des mesures conservatoires pourront être prises. En vertu de l’art 1094-3 cciv, « les enfants ou descendants pourront nonobstant toute stipulation contraire du disposant, exiger quant aux biens soumis à l’usufruit qu’il soit dressé un inventaire des meubles ainsi qu’un état des immeubles et qu’il soit fait emploi des sommes et que les titres

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au porteur soient au choix de l’usufruitier convertis en titres nominatifs ou déposés chez un dépositaire agréé ». Ces mesures conservatoires sont d’ordre public, elles ne peuvent pas être écartées par une manifestation de volonté contraire du disposant. Les descendants nus-propriétaires peuvent toujours exiger la mise en œuvre de ces mesures de protection, mais l’impact sera minime étant donné que l’usufruit ne s’éteint qu’à la mort de l’usufruitier. Lorsque les libéralités faites au conjoint sont faites en pleine propriété, la situation des descendants n’est pas tout à fait la même selon qu’il s’agit de descendants communs au disposant et au conjoint ou de descendants non communs, i.e qui n’ont pas de lien de parenté avec le conjoint survivant. En effet, les descendants communs seront en principe appelés un jour ou succéder au conjoint survivant: ainsi, ce que le conjoint survivant reçoit dans la succession de leu auteur, ils ont en principe l’assurance de le retrouver lorsque s’ouvrira la succession du conjoint qui est également leur auteur. On leur demande simplement de patienter. En revanche, les descendants non communs, qui n’ont aucun lien de parenté avec le conjoint survivant, ne seront évidemment pas appelés à la succession de ce conjoint à son décès. Tout ce qui est donné au conjoint en propriété leur échappe donc définitivement. Bien que les descendants soient réservataires, la loi a ressenti le besoin d’offrir à ces descendants non communs une protection spécifique contre les libéralités en propriété faites au conjoint à l’art 1098 cciv. En vertu de ce texte, « si un époux a fait à son conjoint, dans les limites de la quotité disponible spéciale entre époux, une libéralité en propriété, chacun des enfants non communs aura en ce qui le concerne la faculté de substituer à l’exécution de cette libéralité l’abandon de l’usufruit de la part de succession qu’il aurait recueilli en l’absence de conjoint survivant ». Ce texte reconnaît à chaque descendant non commun la faculté de substituer à l’exécution de la libéralité en propriété faite au conjoint, l’abandon de l’usufruit de la part de succession qu’il aurait recueillie en l’absence de conjoint. Concrètement l’enfant non commun a une option: soit il veut immédiatement sa part successorale en pleine propriété mais alors il perd définitivement ce dont le conjoint a été gratifié en pleine propriété, soit l’enfant non commun accepte de patienter et se contente dans l’immédiat d’une part en nue-propriété, mais il obtient à terme l’assurance d’obtenir une part ab intestat plus importante sans souffrir de la libéralité faite au conjoint. Exemple: le de cujus laisse son conjoint Anaïs et un descendant non commun, Barnabé. Le DC a légué la moitié de la succession en pleine propriété à Anaïs. Que peut- faire Barnabé? Dans ce cas, Barnabé peut se contenter de l’autre moitié de la succession en propriété, qui correspond à sa part de réserve, mais c’est tout ce qu’il aura car l’autre moitié léguée au conjoint partira dans la famille du conjoint. L’autre option: Barnabé use de la faculté offerte par l’art 1098 cciv et substitue l’abandon de l’usufruit de la part de succession qu’il aurait recueilli en l’absence de conjoint à l’exécution de la libéralité. Ici la part de succession que Barnabé aurait recueilli en l’absence de conjoint est la totalité de la succession. Donc Barnabé va substituer un usufruit sur la totalité de la succession à l’exécution de la libéralité du legs en propriété fait en faveur du conjoint. Ainsi le conjoint n’aura pas la moitié de la succession en propriété, mais un usufruit sur la totalité de la succession. Dans l’immédiat Barnabé n’aura que de la nue-propriété. Quand le conjoint décèdera, la pleine propriété se reconstituera sur la tête de Barnabé qui aura en définitive obtenu la totalité de la succession. Cela pose problème dans la mesure où il y a un risque de disparition de l’assiette de l’usufruit. En pratique, cela ne joue jamais. Pourquoi n’est-il jamais fait usage de l’art 1098 cciv? Parce que ce texte n’est pas d’OP, de sorte que la faculté prévue peut être écartée par une manifestation de volonté contraire du disposant non équivoque. Cette clause est quasi-systématiquement insérée dans les testaments en pratique. Dans les rares cas où la clause n’est pas insérée, la JP estime que la faculté est exclue ou a été implicitement exclue par le disposant dès que le conjoint survivant a été gratifié à la fois en propriété et en usufruit. Pourquoi? Parce que la Cour considère qu’à

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partir du moment où le conjoint a été ainsi gratifié, qu’il reçoit ¼ en pleine propriété et ¾ en usufruit, l’enfant non commun n’a plus rien à échanger, à abandonner car il n‘a plus rien en usufruit. Il percevra seulement et de toute façon sa réserve en nue-propriété. On a ainsi implicitement écarté la faculté de l’art 1098 cciv. Il en va ainsi chaque fois que le conjoint a été gratifié du plus fort disponible entre époux: chaque fois qu’on a laissé au conjoint le soin d’opter, le conjoint peut opter pour les ¼ en propriété et les ¾ en usufruit. Il faut donc que l’enfant non commun ait des droits en usufruit à abandonner, à échanger pour que cette faculté puisse jouer. La solution est constante depuis un arrêt du 3 juin 1986. C. La Combinaison des disponibles. C’est un problème inévitablement lié à la coexistence de deux disponibles: dès lors, il se peut que le de cujus consente des libéralités à la fois à son conjoint et à d’autres personnes. Si en outre il décède en laissant des héritiers réservataires, se pose un problème de combinaison des disponibles. En effet, dans un tel cas de figure, il est hors de question d’ajouter les deux disponibles. On ne saurait ajouter le disponible ordinaire au disponible spécial, les deux ne peuvent pas se cumuler. Il faut donc s’efforcer de les combiner. Le problème venait de la nature différente des disponibles: le disponible ordinaire est en propriété et le disponible spécial, à la fois en propriété et en usufruit. Pendant longtemps, on s’efforcer de convertir l’un en l’autre. Désormais la solution repose sur un arrêt rendu par la Chambre civile 1 le 26 avril 1984 et jamais démenti depuis et nommé Arrêt Dreuil. Depuis cet arrêt, la combinaison des disponibles repose sur trois règles. La première règle assigne un maximum à chaque libéralité prise isolément. La deuxième règle vise à assigner un maximum à l’ensemble des libéralités faites par le de cujus. La troisième règle, enfin, concerne l’imputation des libéralités en général. Premièrement, un maximum est assigné à chaque libéralité. Chacun des gratifiés ne peut recevoir que dans la limite du disponible qui le concerne. On doit respecter à la fois la quotité et la nature des droits de chacun. Ainsi, une personne autre que le conjoint ne peut recevoir que dans la limite du disponible ordinaire tel qu’il est fixé en propriété en présence de descendants par l’art 913 cciv. Exemple: un légataire universel autre que le conjoint ne pourrait pas, en présence de 3 descendants, avec un disponible ordinaire du quart en propriété, dire qu’il préfère prendre deux-tiers en usufruit qu’un quart en propriété. Il doit rester dans la limite du quart en propriété fixé par l’art 913 cciv. Ils peuvent demander la réduction même s’il souhaite seulement empiéter en usufruit. Corrélativement, le conjoint ne peut prétendre qu’au disponible spécial entre époux, i.e une des trois branches prévues par l’art 1094-1 cciv. Exemple: en présence de deux descendants, il ne peut jamais recevoir la moitié en propriété. Deuxièmement, un maximum est assigné à l’ensemble des libéralités. Ce maximum, depuis l’arrêt Dreuil, est évalué de la façon suivante: le total des libéralités ne doit pas dépasser le disponible ordinaire majoré de ce que lui ajoute le disponible spécial. Or, qu’ajoute le disponible spécial, par rapport au disponible ordinaire? Ce qui est ajouté par le disponible spécial, c’est l’usufruit. Exemple: en présence de trois descendants, le disponible ordinaire est du quart en propriété et le disponible spécial est de ¾ en usufruit et ¼ en propriété. Ce que le DS ajoute, c’est donc l’usufruit de la réserve héréditaire. Le disponible spécial n’offre jamais de surcroît de droits en propriété, en revanche il offre un surcroît de droits en usufruit qui sera pris sur la réserve héréditaire. S’il y a deux enfants, le maximum ne pourra pas excéder un tiers en propriété et deux-tiers en usufruit. À partir de trois enfants ou plus, on a un quart en propriété au titre du DO et trois-quarts en usufruit au titre du DS. Avant l’arrêt Dreuil, pour fixer le maximum assigné à l’ensemble des libéralités, on procédait à des conversions de l’usufruit en propriété et la doctrine était opposée à cette façon de procéder qui n’était pas respectueuse du disponible spécial. Le disponible spécial est un

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excédent de disponible en usufruit pour que le conjoint bénéficie de la jouissance d’un maximum de biens. Cet arrêt a également conduit à l’inutilité de la conversion, cela n’est plus nécessaire. Ensuite, cela a entraîné un élargissement sensible du pouvoir de disposer à titre gratuit: depuis lors, même si on imagine que le défunt a disposé de la totalité du disponible ordinaire en faisant des donations de son vivant, son conjoint peut avoir l’assurance de bénéficier de l’usufruit de tous les biens existants au décès, si telle a été la volonté du défunt. Même si le de cujus a épuisé le disponible ordinaire par ses donations, de son vivant, les biens laissés à son décès ont vocation à composer la réserve des descendants et au titre de l’excédent du disponible spécial, le conjoint survivant disposerait encore d’un usufruit sur tous les biens existants au décès. Cette combinaison des disponibles conduit parfois à ne servir la réserve qu’en nue-propriété. Troisièmement, l’imputation des libéralités est soumise à des règles spécifiques. Avant l’arrêt Dreuil, on passait les libéralités en usufruit ou en nue-propriété. Désormais plus aucune conversion n’est nécessaire. Une libéralité faite à une personne autre que le conjoint ne peut s’imputer que sur le disponible ordinaire et est réductible dès qu’elle l’excède. Il faut que ce soient des libéralités hors part, et non pas des libéralités rapportables ayant vocation à remplir les gratifiés de leur part successorale. S’agissant des libéralités faites au conjoint, on opère une distinction selon que ces libéralités ont été consenties en propriété ou en usufruit. Les libéralités en propriété faites au conjoint s’imputent en priorité sur le disponible ordinaire et subsidiairement s’il y a lieu sur l’usufruit de la réserve héréditaire où elles sont alors réduites par retranchement de la nue-propriété. Enfin, quant aux libéralités en usufruit faites au conjoint, elles s’imputent au contraire prioritairement sur l’excédent résultant du disponible spécial, i.e sur l’usufruit de la réserve. Elles s’imputeront subsidiairement s’il y a lieu sur l’usufruit du disponible ordinaire mais dans ce cas, cela permettra au de cujus de disposer le cas échéant de disposer de la nue-propriété du disponible ordinaire en faveur d’un tiers. Exemple: le de cujus a décidé de laisser à son conjoint l’usufruit de la totalité de la succession. On est en présence de trois enfants. Le de cujus laisse l’usufruit de la totalité de la succession à son conjoint et à sa maîtresse, il laisse la nue-propriété du disponible ordinaire, i.e ¼ en nue-propriété. 1

ère règle: un maximum est assigné à chaque libéralité. La règle est respectée: le conjoint

reçoit la totalité en usufruit, or l’art 1094-1 cciv permet de le faire. La maîtresse est un tiers, elle ne peut prétendre qu’au disponible ordinaire i.e ¼ en propriété. Or, ¼ en nue-propriété est inférieur à ¼ en propriété. La règle est donc respectée. 2

ème règle: un maximum est assigné à l’ensemble des libéralités. Ce maximum est fixé au

disponible ordinaire: ¼ en propriété, majoré de l’excédent résultant du disponible spécial, i.e l’usufruit de la réserve héréditaire. On a trois enfants donc le maximum est d’¼ en propriété et de ¾ en usufruit. Le de cujus aura disposé à hauteur du disponible ordinaire d’¼ en usufruit pour sa femme, ¼ en nue-propriété pour sa maîtresse: la combinaison des deux est égale à ¼ en pleine propriété. On respecte donc bien la 2

ème règle.

N.B. Si on a en face des descendants réservataires une personne autre que le conjoint, les héritiers réservataires peuvent exiger que la réserve leur soit servie en pleine propriété. C’est le disponible spécial qui permet de ne servir la réserve qu’en nue-propriété, jamais un tiers ne peut imposer une réserve en nue-propriété seulement. §.2. La Sanction de la réserve: la réduction des libéralités excessives. La réduction sanctionne les libéralités portant atteinte à la réserve: il s’agit de neutraliser ces libéralités dans la mesure de l’excès. Les libéralités ne sont pas nulles, simplement neutralisées dans la mesure de l’excès. Seule la part excessive de la libéralité est neutralisée. Pour contrôle le respect de la réserve héréditaire, il faut détecter les libéralités réductibles et une fois qu’on le sait et dans quelle proportion ces libéralités sont réductibles, on peut envisager les modalités de la réduction et le régime de l’action en réduction.

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A. La Détection des libéralités réductibles. Pour détecter les libéralités réductibles, il faut connaître le taux de la réserve héréditaire. Pour ce faire, il suffit d’appliquer les développements précédents, en fonction du nombre de descendants venant à la succession. Ensuite, quand on connaît le taux de la réserve, pour détecter les libéralités réductibles, il faut liquider la réserve et la quotité disponible puis procéder à l’imputation des libéralités. La liquidation de la réserve et de la quotité disponible implique qu’on va assigner une valeur à l’une et à l’autre. On sera alors en mesure de dire que la réserve vaut tant, que la quotité disponible vaut tant. On transforme donc ces fractions en valeur chiffrée. Pour ce faire, il faut respecter l’art 922 cciv qui explique quelle est la masse de calcul de la réserve héréditaire et selon quel principe on évalue les biens qui figurent dans cette masse de calcul. S’agissant de la composition de la masse de calcul de la réserve, elle comprend tous les biens existant au décès, y compris les biens légués par le de cujus. Les biens existants sont évalués au jour du décès, ils figurent dans la masse de calcul au jour du décès. Ici, les biens existants comprennent tous les biens que le de cujus laisse à son décès, y compris les biens qu’il aurait légués. On en déduit le passif existant au décès, i.e toutes les dettes dont le de cujus était tenu au jour de sa mort qui n’ont pas encore été réglées. À ces dettes, on ajoute certaines charges de la succession apparues après le décès mais ayant un rapport extrêmement étroit avec lui de sorte qu‘on les déduit des biens existants: il en va ainsi des frais funéraires. On obtient alors un actif net décès. À cet actif net décès, on réunit fictivement tous les biens qui ont été donnés par le de cujus. Tous les biens donnés sont soumis à réunion fictive, quelle que soit la forme de la donation (indirecte, manuelle, déguisée, etc) et quelle que soit la nature de la donation (en avancement de part successorale ou hors part successorale). Pourquoi? On s’efforce pour contrôler le respect de la réserve, de reconstituer le patrimoine du défunt tel qu’il serait si le défunt n’avait jamais consenti aucune libéralité. Quand les donations n’ont pas été faites de façon ostensibles, on se heurte parfois à des problèmes de preuve pour opérer cette réunion fictive. Lorsque les héritiers réservataires demandent une réunion fictive, ils agissent en vertu d’un droit qui leur est propre, non en vertu d’un droit transmis par le défunt: ils disposent donc de la liberté de preuve en tant que tiers par rapport à la donation effectuée. Parfois la loi créé des présomptions en leur faveur: c’est le cas de l’art 918 cciv qui concerne les ventes avec réserve d’usufruit ou moyennant rente viagère au profit d’un successible en ligne directe. Cet article créé une présomption irréfragable de donation déguisée et hors part. Par exemple, si un père vend sa maison à un de ses trois enfants en s’en réservant l’usufruit dans des conditions avantageuses au détriment des deux frères réservataires. Ainsi quand bien même la vente serait réelle et le prix payé juste, un traitera la vente comme une donation déguisée et hors part successorale. Les biens existants sont évalués selon leur valeur décès, le passif est évalué selon sa valeur au décès, mais se pose une difficulté s’agissant de la réunion fictive des biens donnés. Les biens donnés sont fictivement réunis pour leur valeur au décès compte tenu de leur état au jour de la donation. En cas d’aliénation, il convient de retenir la valeur du bien au jour de l’aliénation compte tenu de son état au jour de la donation, à moins que cette aliénation n’ait été suivie de subrogation, auquel cas on retient la valeur du nouveau bien subrogé au bien aliéné au jour du décès, compte tenu de son état au jour de son acquisition. La réunion fictive n’oblige pas à restituer matériellement le bien donné mais

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pour éviter les effets de la dépréciation monétaire, on restitue la valeur du bien au jour du décès. Cela implique que le bien soit resté dans le patrimoine du donataire jusqu’au décès, mais ce n’est pas toujours le cas, il faut donc s’adapter aux circonstances. Ainsi si le bien a été aliéné, il faut se contenter de sa valeur d’aliénation car il ne figure plus dans le patrimoine au jour du décès, à moins qu’avec cette valeur d’aliénation, un nouveau bien ait été acquis, ce qui permettra alors grâce à la subrogation réelle de prendre en considération la valeur du nouveau bien au jour du décès. Enfin par cette technique de la dette de valeur, la référence à l’état du bien au jour de la donation ou de l’acquisition permet de neutraliser les plus ou moins-values imputables au gratifié. Il est normal que la succession profite ou souffre des plus ou moins-values conjoncturelles. Par exemple, le fait qu’un terrain prenne de la valeur au fil du temps. Au contraire il serait anormal que la succession souffre ou profite des moins-values ou plus-values imputables au gratifié. Ainsi si le gratifié a reçu un terrain nu et qu’avec ses propres deniers il fait construire un immeuble sur ce terrain nu, il serait anormal que la succession bénéficie de la plus-value qu’apporte l’immeuble au terrain. Enfin, en cas d’aliénation, lorsque l’aliénation est suivie d’une nouvelle acquisition, le mécanisme de la subrogation réelle permet de continuer à faire évoluer la valeur en fonction de la valeur que va prendre le bien acquis. Évidemment cela n’est pas sans poser de difficultés qui obligent à recourir à la règle de 3. La subrogation est en effet rarement totale, le plus souvent en pratique elle n’est que partielle: la valeur du bien donné ne permet pas de financer entièrement le prix d’acquisition du nouveau bien, la valeur d’aliénation du bien donné permet de financer seulement une partie du prix d’acquisition du nouveau bien. La valeur à réunir fictivement dans ce cas correspondra à une fraction identique de la valeur du bien acquis au jour du décès. La loi du 23 juin 2006 est intervenue pour exclure la subrogation dans l’hypothèse des biens de consommation: un bien de consommation est un bien dont la valeur ne peut que décroître au fil du temps, comme par exemple une voiture. Dans un tel cas de figure, si on faisait jouer la subrogation, au jour du décès, cette valeur ne pourrait que décroître jusqu’à devenir nulle. On estime donc dans ce cas qu’il vaut mieux éliminer la subrogation et considérer que la réunion fictive se fait pour la valeur d’aliénation du bien donné, lorsque ce sont des deniers qui ont été donnés. En cas de donation de deniers, en effet, comme pour un don manuel par exemple, la subrogation réelle joue aussi en principe. On ne l’appliquera pas en cas d’acquisition d’un bien de consommation. Exemple: le de cujus a trois fils, A, B et C. A chacun il donne 100. Avec ces 100, A achète un terrain qui vaut 100. Puis A finance une construction sur ce terrain pour un coût de 20. Au décès du de cujus, le terrain construit vaut 400. Sans la construction édifiée par A, il ne vaudrait que 300. Quelle valeur vais-je fictivement réunir? Le de cujus a donné 100 avec lesquels A a acheté un terrain: on fait jouer la subrogation, on réunit fictivement la valeur du terrain au décès. Cependant A a financé une construction avec ses propres deniers. On réunit alors fictivement la valeur du terrain nu au décès du de cujus, car on prend en compte la valeur qu’aurait eu ce terrain s’il était resté dans le même état au jour du décès. La référence à l’état du bien permet de neutraliser la plus-value imputable à A. on réunit donc fictivement pour une valeur de 300. B achète une villa qui vaut 300. Au décès du de cujus, la villa vaut 400. La donation a permis de financer 1/3, donc B doit réunir fictivement 1/3 * valeur de la villa au décès, i.e 400/3 = 133, 333. C’est une hypothèse de subrogation partielle. C achète une voiture qui vaut 100. Au jour du décès, la voiture vaut 10. Si on faisait jouer la subrogation on dirait qu’il doit réunir fictivement 10. Cependant cela n’est pas juste par rapport aux cohéritiers qui ont acquis des biens qui ont pris de la valeur. Par conséquent on écarte le jeu de la subrogation, on fait comme s’il avait payé une dette avec les 100 et C devra donc réunir fictivement 100. On ne revalorise pas artificiellement le dons, mais on écarte la subrogation pour qu’il réunisse fictivement au moins ce qu’il a reçu. Une fois qu’on a calculé la masse de calcul de la réserve héréditaire, on y applique la fraction prévue par la loi pour obtenir le taux global de la réserve. On connaît alors le montant de la réserve et corrélativement, le montant du disponible. Exemple: le de cujus a 4 enfants. La masse de calcul correspond à un total de 400. Dans un teln cas de figure en application de l’art 913 cciv, la réserve est des ¾ et la quotité disponible est du quart. On prend donc la masse de calcul de 400, on cherche ¼ de 400 et on obtient

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100 et le disponible est donc de 100. Corrélativement, la réserve vaut 300. Pour obtenir les parts individuelles de réserve, on divise les 300 par 4 et on obtient 75. N.B: La part de réserve ne correspond pas nécessairement à la part successorale. La part de réserve correspond à la fraction dont un héritier réservataire ne peut être privé, ce n’est pas nécessairement la part successorale à laquelle il est réduit. Exemple: si les 400 correspondent à l’actif net décès, on aura une réserve de 300 et un disponible de 100 mais sans aucune donation effectuée, la part de chacun sera de 100. La part successorale n’est pas nécessairement égale à la part réservataire. B. L’Imputation des libéralités. Le but de l’imputation est de savoir s’il y a des libéralités attentatoires de la réserve et le cas échéant de mesure l’excès éventuel. Ce n’est qu’après avoir imputé les libéralités consenties par le défunt qu’on sera en mesure de savoir s’il y a des libéralités réductibles et si c’est le cas, à hauteur de quelle fractions elles seront excessives. Pour procéder à l’imputation, il faut respecter l’ordre et le secteur d’imputation. 1. L’Ordre d’imputation. L’ordre d’imputation correspond à l’ordre de réduction inversé. Plus on impute tôt, moins on a de chances de réduire, car plus on a de quotité disponible. Les règles en la matière sont prévues par l’art 923 cciv. Premièrement, l’imputation des donations est prioritaire sur celle des legs: l’art 923 cciv prévoit qu‘« il n’y aura jamais lieu à réduire les donations entre vifs qu’après avoir épuisé la valeur de tous les biens compris dans les dispositions testamentaires ». Cela signifie qu’on réduit les legs avant les donations, corrélativement on impute d’abord les donations avant les legs. Pour quelle raison? Cette règle a une raison d’être qui tient à la valeur même des différentes libéralités. Les donations sont irrévocables, tandis que les dispositions testamentaires comme les legs sont librement révocables jusqu’au décès. Ainsi, un legs, disposition révocable, ne saurait fragiliser une donation qui est irrévocable, et cela quand bien même la donation serait postérieure à la confection du testament. Le legs ne prend effet qu’au décès, la donation prend immédiatement effet. On impute donc prioritairement les donations par rapport aux legs. Cela peut poser problèmes par rapport à certains types de libéralités particulières mais courantes en pratique. On peut citer à ce titre les donations de biens à venir entre époux, les institutions contractuelles. Les institutions contractuelles sont des donations de biens à venir dont la loi admet exceptionnellement la validité, notamment lorsqu’elles sont consenties entre époux au cours du mariage. Il s’agit de donations, mais elles ont pour objet des biens à venir, i.e que le disposant laissera à son décès. En outre, ces institutions sont librement révocables, comme les legs. En raison de ces caractéristiques, il y a lieu de les traiter comme des legs lors des opérations de contrôle de la réserve: on les imputera alors comme les legs, quand bien même le formalisme des donations aurait été employé. En conséquence, lorsque les donations ont entièrement épuisé la quotité disponible, on en déduisait autrefois que par là même, les legs étaient caducs et ne pouvaient pas être délivrés. La loi du 23 juin 2006 cependant a généralisé la réduction en valeur, de sorte qu’il faut adapter cette solution. Même lorsque les donations auront épuisé la totalité du disponible, ainsi, les legs seront délivrés. Simplement, le légataire devra une indemnité de réduction qui correspondra à la valeur du bien légué. C’est au légataire de savoir s’il accepte ou non le legs. Deuxièmement, l’imputation des donations est successive en commençant par la plus ancienne. Quelle que soit sa forme, on dit que la donation prend rang à sa date. Pour quelle raison? La raison d’être de cette règle est la même que précédemment, elle tient à l’irrévocabilité des donations. Une donation étant irrévocable, elle ne saurait fragiliser une donation antérieure. En cas de contentieux, encore faut-il que la donation ait une date certaine opposable aux tiers, i.e les gratifiés postérieurs. Cela va de soi pour les donations ostensibles qui sont faites par actes authentiques et qui ont toujours une date certaine en conséquence.

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Cependant, pour les donations indirectes ou déguisées ou pour les dons manuels, cela est moins simple: il faut se souvenir des conditions dans lesquelles un acte juridique a date certaine opposable aux tiers. Trois procédés permettent de considérer qu’un acte juridique a date certaine. Le premier est l’authenticité. Il faut qu’il y ait la mention de l’existence dans l’acte authentique. Le deuxième procédé est l’enregistrement, qui est souvent utilisé pour les dons manuels. Cet enregistrement se fait auprès de l’administration fiscale. Le troisième procédé est le décès de l’une des parties à l’acte: au jour du décès du donateur on peut être sûr que la donation existe. Cela n’est pas avantageux car cela fait régresser fortement dans l’ordre d’imputation. Les règles de preuve ne sont nécessaires qu’en cas de contentieux. Que faire lorsque deux donations ont la même date? On procède alors à une imputation concurrente des deux donations sur le disponible qui conduira, le cas échéant, à une réduction proportionnelle. Par exemple: lorsqu’on doit imputer les deux dernières donations effectuées à la même date, une faite à A pour un montant de 100 et une faite à B pour un montant de 200, il reste seulement 150 de disponible. On impute les deux donations en même temps: ensemble, elles représentent un montant de 300. On devra donc les réduire. On répartit le disponible entre les deux donations à hauteur de ce que chaque donation représente par rapport au total de ce qui a été donné à la même date. Ainsi la donation faite à A représente 1/3 de ce qui a été donné à cette date. A pourra donc bénéficier du tiers du disponible qui est de 150, i.e 50. On peut donc imputer la donation faite à A à hauteur de 50, et on a un excès de 50. Même raisonnement pour la donation faite à B: elle représente 2/3 de ce qu’on doit imputer à cette date. B bénéficie donc des deux tiers du reste de disponible, soit 100: on peut imputer la donation faite à B à hauteur de 100, elle est donc excessive à hauteur de 100. Que faire si un donataire est insolvable ou inconnu? Dans ce cas, la réduction est supportée par le donataire antérieurement gratifié, elle ne pèse pas sur les héritiers réservataires. Troisièmement, l’imputation des legs se fait concurremment. La raison d’être de cette règle s’explique en raison de la nature des dispositions testamentaires qui sont révocables jusqu’au décès et par conséquent elles ne prennent effet qu’au décès. On les impute donc concurremment i.e ensemble sur le reliquat de disponible après imputation des donations. Il n’en va différemment que dans l’hypothèse où le testateur a stipulé qu’un legs devrait s’exécuter de préférence aux autres legs. Il est possible en effet que le testateur fasse cette précision dans son testament. Dans ce cas on respecte la volonté du testateur et on imputera ce legs avant de procéder à l’imputation concurrente des autres legs. On parle alors de legs à exécution préférentielle. Lorsqu’on n’est pas dans ce cas de figure, à défaut de précision du testateur, on ne peut pas arbitrairement établir un ordre de préférence entre les legs et on doit les imputer concurremment. Il n’y a aucune hiérarchie entre les legs et chacun doit supporter, s’il n’y a pas assez de disponible pour les exécuter tous, une réduction proportionnelle. Cela oblige donc à se livrer à un calcul proportionnel: chaque legs sera réduit d’une quote-part du trop légué égale à la fraction qu’il représente par rapport à l’ensemble des legs. En principe, on répartit plutôt le disponible restant entre les legs pour connaître l’excès éventuel de chacun. Chaque legs pourra être exécuté sans réduction à hauteur de la fraction qu’il représente par rapport au total des legs et on obtiendra alors l’excès de chaque legs. Cette réduction proportionnelle est une réduction dite au marc le franc. Il faut encore ajouter que cette réduction se fait sans distinguer entre les legs universels et les legs particuliers. S’il y a à la fois un legs universel et un legs particulier, il faut procéder à une réduction proportionnelle, mais le problème est que le legs universel n’est pas chiffré. Le legs particulier peut se voir assigner une valeur qui est la valeur du bien légué. Pour chiffrer le legs universel, il faut passer par la valeur de l’émolument fictif du légataire universel. Cela correspond au maximum de ce qu’aurait pu obtenir le légataire universel en l’absence d’héritiers réservataires. C’est la vocation maximale du

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légataire universel, i.e ce qu’il aurait eu s’il n’y avait pas eu d’héritiers réservataires. Ce qu’il aurait eu, c’est la totalité de l’actif net décès auquel on aurait ôté le legs particulier, car il aurait du supporter en tant que légataire universel la délivrance du legs particulier. Une fois le legs universel chiffré, on procède proportionnellement. Une donation de biens à venir entre époux se réduit comme un legs. 2. Le Secteur d’imputation. Il s’agit ici de savoir si la libéralité doit être imputée sur la réserve héréditaire ou sur le disponible. Il faut ici distinguer selon que la libéralité a été adressée à un héritier réservataire ou à une personne dépourvue de droits dans la réserve héréditaire. Lorsque la libéralité est adressé à un gratifié dépourvu de droits dans la réserve, on ne peut imputer la libéralité que sur la quotité disponible et la libéralité est réductible dès qu’elle excède la quotité disponible. Elle peut donc être partiellement ou totalement réductible. Un gratifié dépourvu de droits dans la réserve peut être un non successible, un héritier de second rang qui n’est pas appelé à la succession par représentation, un successeur non réservataire. Lorsque la libéralité est adressée à un réservataire acceptant, qui a droit à une part de réserve, une nouvelle distinction s’impose selon la nature de cette libéralité. Cette libéralité a-t-elle été consentie en avancement de part successorale, est-elle rapportable, ou a-t-elle été consentie hors part successorale, dans le but d’avantager le réservataire par rapport aux cohéritiers? Si la libéralité est rapportable, i.e si elle a été consentie en avancement de part successorale, alors il faut l’imputer prioritairement sur la part de réserve du gratifié et subsidiairement s’il y a lieu sur le disponible. La libéralité a vocation à remplir le gratifié de ses droits dans la succession donc on impute prioritairement sur la part de réserve du gratifié. Il ne faut pas négliger l’imputation subsidiaire sur le disponible, car cela peut avoir une incidence sur le sort d’autres libéralités consenties par le défunt. Si la libéralité consentie à un héritier réservataire acceptant est une libéralité hors part successorale, qu’elle a donc pour but de l’avantager, alors on ne peut l’imputer que sur la quotité disponible. Le problème est de savoir quelles sont les libéralités qui ont été consenties en avancement de part et quelles sont celles qui ont été consenties hors part. Parfois le disposant est très clair, parfois ce n’est pas le cas et rien n’a été précisé. La loi contient à cet égard des présomptions: les donations sont présumées faites en avancement de parts successorales tandis qu’à l’inverse, les legs sont présumés faits hors part successorale. Ces présomptions sont édictées à l’art 843 cciv. Pourquoi de telles présomptions? Cela est évident si l’on a une vision concrète de ces libéralités: quand on fait une donation à un héritier réservataire, généralement des descendants, on peut présumer qu’on aime pareillement ses enfants et donc que les donations sont faites en avancement de part. Si au contraire une libéralité a été faite au décès, comme le legs, il est plus logique de présumer qu’on a voulu avantager le réservataire, car il est trop tard pour faire une avance. Ces présomptions sont des présomptions simples auxquelles le disposant peut parfaitement déroger. Il est tout à fait possible de faire une donation hors part successorale à un héritier réservataire: il faudra pour cela stipuler dans la donation une dispense de rapport. Inversement, il est possible de stipuler une clause de rapport dans un legs. Le but d’un legs stipulé rapportable c’est d’être certain que c’est telle personne qui obtiendra tel bien, sans rompre pour autant l’égalité entre les cohéritiers. Depuis la loi de 2006, il faut envisager la libéralité adressée à un réservataire présomptif qui renonce à la succession: le principe dans ce cas est que l’héritier renonçant est censé être totalement étranger à la succession. Ainsi la libéralité adressée à un héritier renonçant est comme la libéralité adressée à un étranger: en principe elle s’impute exclusivement sur le disponible et est réductible dès qu’elle l’excède. Cependant, la loi de 2006 a consacré la possibilité d’imposer un rapport au réservataire gratifié et renonçant. Il peut être tentant de renoncer à la succession pour échapper au

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rapport et conserver la libéralité pour soi au moins dans la limite de la QD. Pour déjouer ces calculs, la loi a prévu la possibilité d’imposer le rapport à un héritier renonçant. Dans ce cas-là, qui suppose une clause spécifique dans la libéralité imposant le rapport y compris en cas de renonciation, le rapport qui est du par cet héritier est en fait un rapport fictif: il n’a d’autre but que de déjouer les calculs. Dans ce cas, pour déterminer le taux de la réserve globale, on prend alors en compte le renonçant et calculer sa part de réserve fictive. Ainsi il y aura lieu d’imputer la libéralité qui lui aura été consentie prioritairement sur cette part de réserve fictive puis subsidiairement sur la quotité disponible. On fait donc comme si la libéralité avait été adressée à un héritier réservataire acceptant, sauf qu’on impute sur une part de réserve fictive. En matière de chiffres, cela ne change rien. Outre cette possibilité d’imposer le rapport, l’art 846 cciv prévoit désormais que la donation faite à une personne qui n’est pas héritier présomptif au jour de la donation et qui se trouve successible à l’ouverture de la succession n’est pas présumée rapportable. Lorsque le donataire n’a pas la qualité d’héritier présomptif lors de la donation mais qu’il est successible lors de l’ouverture de la succession, alors on présume que la donation reçue a été faite hors part. Le secteur se détermine donc selon la nature de la libéralité, selon qu’elle est hors part ou en avancement de part. Ensuite, pour savoir si la libéralité est faite hors part ou en avancement de part successorale, ce sont les textes relatifs aux rapports et notamment les présomptions qu’il convient d’appliquer. Cela ne s’applique pas cependant dans la donation partage, qui est à la fois une donation et un partage: le contenu de la donation partage n’est pas rapportable à la succession, parce que ce contenu est déjà partagé. Néanmoins, la donation partage a vocation à remplir les copartageants de leurs parts successorales. B. Les Modalités de la réduction. Avant la loi du 23 juin 2006, pour savoir si une libéralité était réductible en nature ou en valeur il fallait introduire de nombreuses distinction selon qu’elle avait été adressée à un successible ou à un non successible, selon qu’il s’agissant d’une donation ou d’un legs. Depuis la loi du 23 juin 2006, la réduction en valeur a été généralisée et c’est une des innovations les plus importantes. C’est aussi un signe de régression de la réserve héréditaire. Ainsi l’art 924 cciv ne fait plus aucune distinction selon que la libéralité a été adressée à un successible ou à un non successible, ni même qu’il s’agisse d’une donation ou d’un legs. On réduit tout en valeur, c’est le principe. Ce principe est exprimé à l’art 924 cciv: « Lorsque la libéralité excède la quotité disponible, le gratifié successible ou non successible doit indemniser les héritiers réservataires à concurrence de la portion excessive de la libéralité ». Quels sont les effets de la réduction en valeur? La réduction en valeur permet de maintenir le transfert de propriété opéré au profit du gratifié, on ne remet pas en cause ce transfert de propriété. Corrélativement, le gratifié est obligé de verser aux héritiers réservataires une indemnité correspondant à la valeur de la fraction excessive de la libéralité. Ainsi, concrètement, s’il s’agit d’une donation, le donataire pourra conserver le bien donné, même si la donation est réductible: simplement, il sera redevable d’une indemnité de réduction vis-à-vis des cohéritiers. S’il s’agit d’un legs, il sera intégralement délivré au légataire, mais le légataire sera tenu de verser une indemnité de réduction aux réservataires. Cette généralisation de la réduction en valeur est une raison pour laquelle on s’est demandé si la loi de 2006 n’avait pas transformé la réserve héréditaire en un simple droit de créance. La réduction en valeur a donc l’avantage de ne pas remettre en cause le transfert de propriété. On maintient le transfert de propriété et la réduction se fait par le versement d’une indemnité. La principale difficulté que pose la réduction en valeur, c’est le calcul du montant de l’indemnité de réduction. On retrouve ici le principe du valorisme, i.e il s’agit de faire en sorte d’arriver au résultat le plus proche de si on avait maintenu la réduction en nature. Se

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pose le problème du chiffrage de l’indemnité. Le débiteur de l’indemnité de réduction doit à la succession une valeur équivalente à la fraction réductible de la libéralité telle que déterminée au jour du décès, mais réévaluée en fonction de la valeur de la libéralité au jour du partage. On se place donc au jour du décès pour déterminer quelle est la fraction excessive de la libéralité, mais la valeur de l’indemnité de réduction va continuer de croître en fonction de la valeur du bien donné ou légué jusqu’au jour du partage. Si la réduction est totale, la libéralité est intégralement réductible. Par exemple, une donation hors part s’impute exclusivement sur le disponible mais il n’y a plus de disponible lorsqu’on doit imputer cette donation. Dans ce cas, si la réduction est totale, la libéralité est entièrement réductible: l’indemnité de réduction correspond à la valeur du bien donné ou légué au jour du partage, compte tenu de son état au jour de la donation ou au jour du décès. La référence à l’état du bien est là pour nous permettre de neutraliser les plus ou moins-values qui sont le fait du gratifié. Par exemple, si le donataire reçoit un terrain nu et qu’à l’aide de ses deniers, il construit un immeuble sur le terrain, l’indemnité de réduction sera équivalente à la valeur du terrain nu au jour du partage. La référence à l’état du bien permet ici de neutraliser la construction, qui est le fait du donataire. En cas d’aliénation du bien donné ou légué, il faut retenir la valeur de ce bien au jour de l’aliénation, à moins que cette aliénation n’ait été suivie de subrogation, auquel cas on retiendra la valeur du bien subrogé au jour du partage, compte tenu de son état au jour de son acquisition. On retrouve les mêmes difficultés que précédemment: il est probable qu’il n’y ait pas de subrogation totale mais partielle, i.e que la valeur d’aliénation du bien ne permette de financer le nouveau bien que pour partie. Dans ce cas, c’est une fraction identique de la valeur du bien subrogé au partage qu’il faudra retenir. Lorsque la réduction est seulement partielle, qu’une seule fraction de la libéralité est excessive, alors il faut procéder à un calcul proportionnel: il faut établir la portion excessive de la libéralité au jour du décès, exprimée sous forme d’une fraction, puis on la reporte à la valeur du bien donné ou légué au jour du partage. On a donc la formule suivante: l’indemnité de réduction est égale à l’excédent décès rapportée à la valeur du bien donné ou légué au décès et revalorisé en fonction de la valeur du bien donné ou légué au partage. Exemple: A a reçu par donation un terrain qui vaut 100 au décès. Il n’est pas héritier réservataire et on doit donc imputer sa donation sur la QD qui est de 50 au décès. La donation est excessive à hauteur de 50, i.e à hauteur de la moitié. Le terrain donné à A vaut 400 au jour du partage. L’indemnité de réduction due par A est donc de 50/100 x 400 = 200. Comment procède-t-on au règlement de cette indemnité de réduction? Il faut distinguer selon que cette indemnité est due par un héritier qui a des droits dans la masse partageable ou par une personne dépourvue de droits dans la masse partageable. Lorsque l’indemnité de réduction est due par un gratifié qui a des droits dans la masse partageable, on s’efforce d’intégrer le règlement de cette indemnité au partage successoral, parce que cela est plus simple et moins douloureux, cela protège mieux les cohéritiers. On dit alors que le règlement se fait en moins-prenant, ce que recommande l’art 924 cciv. Le règlement en moins-prenant est une sorte de sûreté pour les cohéritiers. Le règlement en moins-prenant consiste à allotir l’héritier à l’aide de la créance qu’a sur lui la succession et qui, par là même, va s’éteindre par confusion. C’est un règlement en moins-prenant par voie d’imputation. Exemple: on a un actif net partage de 200. On a trois héritiers réservataires, A, B et C. parmi ces trois héritiers, A a reçu une donation excessive de sorte qu’on sait qu’il doit verser une indemnité de réduction de 100 à ses cohéritiers. Dans un premier temps, pour composer la masse partageable, on prend l’actif net partage, et on ajoute l’indemnité de réduction à cet actif net partage. On a un total de masse partageable de 300. Comme on a trois héritiers, cela fait une part de 100 dans la MP pour chacun. On va ensuite calculer les droits de chacun dans la MP: C a droit à 100, B a droit à 100, mais A a droit à sa part de 100, MAIS sous déduction de l’indemnité de réduction qu’il doit à ses cohéritiers. Comme il doit 100 à ses cohéritiers, il n’a plus droit à rien dans la MP. On a donc imputé sur sa part dans la MP la créance qu’avait contre lui la succession. Il se peut que la part successorale ne soit pas suffisante, donc on ne pourra pas tout régler et

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si la part de A avait été de 50, on n’aurait pas pu régler la totalité de l’indemnité. Dans ce cas, une fraction de l’indemnité est payable.

Lorsque l’indemnité de réduction est due par un gratifié qui n’a pas de droits dans la masse partageable, l’indemnité de réduction est payable au comptant lors du partage, sauf accord entre les héritiers. La loi de 2006 a assoupli les conditions de paiement de l’indemnité de réduction. Cette loi a précisé que lorsque la libéralité a pour objet un bien pouvant faire l’objet d’une attribution préférentielle, comme par exemple le logement occupé à titre d’habitation principale ou une exploitation rurale, le tribunal peut accorder des délais au gratifié, compte tenu des intérêts en présence, si le disposant n’a pas lui-même prévu de tels délais. En aucun cas, le paiement de l’indemnité de réduction ne peut être différé plus de dix ans à compter de l’ouverture de la succession. Les sommes restant dues sont productives d’intérêts au taux légal à compter de la date à laquelle le montant de l’indemnité de réduction a été arrêté. En cas de vente du bien donné ou légué, les sommes restant dues deviennent immédiatement exigibles. Chaque fois qu’il y a un assouplissement, ce sont les réservataires qui en pâtissent: ainsi, ici, les réservataires vont en quelque sorte faire crédit au gratifié, alors qu’en principe ce ne sont pas des organismes de crédit. Se pose la question de l’insolvabilité du gratifié, d’autant qu’on a généralisé la réduction en valeur: la réduction en valeur met en exergue le risque d’insolvabilité du gratifié. En cas d’insolvabilité du gratifié, l’art 924-4 cciv permet aux réservataires d’exercer l’action en réduction contre le tiers acquéreur du bien donné ou légué. Le gratifié étant insolvable, il ne possède plus le bien donné ou légué. Dans le cas contraire, une vente aurait permis de se faire payer sur le prix de vente. Ici, les réservataires peuvent agir contre le tiers acquéreur du bien donné ou légué: ce n’est donc pas un droit de créance comme un autre. En matière mobilière cette action est rare car elle suppose que le tiers acquéreur ne soit pas protégé par la protection possessoire de l’art 2276 cciv. En matière immobilière, avant que la prescription acquisitive ne protège le tiers acquéreur, les risques sont plus importants. La situation peut donc être très dangereuse pour l’acquéreur d’un bien donné ou légué qui risque de supporter l’insolvabilité de son auteur. Il n’y aurait alors pas de nombreux candidats à l’acquisition d’un bien donné ou légué. Pour cette raison, l’alinéa 2 de l’art 924-4 cciv précise que « si le donateur et tous les héritiers réservataires présomptifs nés au jour de l’aliénation du bien donné ont consenti à cette aliénation, alors les réservataires ne peuvent plus agir en réduction contre le tiers acquéreur. » C’est un pacte fréquent dans la pratique notariale. C’est un pacte sur succession future autorisé par la loi. Depuis 2006, le consentement des héritiers réservataires présomptifs à l’aliénation peut être recueilli au jour de la donation, avant même l’aliénation. Pour les biens légués, il faut que les héritiers réservataires consentent alors à l’aliénation et qu’ils renoncent à l’action en réduction contre le tiers acquéreur. Il est des cas exceptionnels dans lesquels la réduction peut être demandée en nature. La réduction en nature correspond à une résolution totale ou partielle de la libéralité. Si la restitution est totale, le bien doit être restitué. Si la résolution est partielle, c’est une fraction indivise du bien donné qui réintègre la succession. Ce procédé étant barbare, la réduction en valeur lui est préférée. La réduction en valeur depuis la loi de 2006 n’existe plus que dans une seule hypothèse: c’est lorsque le gratifié le demande. Il est possible d’opter pour la réduction en nature à trois conditions. Premièrement, il faut que le bien donné ou légué lui appartienne encore. Deuxièmement, ce bien doit être resté libre de toute charge dont il n’aurait pas été grevé au jour de la libéralité. Enfin, le gratifié peut opter pour la réduction en nature dans les trois mois à compter de la mise en demeure que lui adresse un héritier réservataire. C. Le Régime de l’action en réduction.

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S’agissant des titulaires de l’action en réduction, il s’agit des héritiers réservataires et leurs héritiers. Les autres héritiers réservataires ou créanciers du défunt ne

peuvent donc pas demander la réduction d‘une libéralité excessive. En revanche, le créancier d’un héritier réservataire a la possibilité d’agir en réduction par la voie oblique. La JP estime que l’action n’a pas un caractère personnel suffisamment marqué pour faire partie des actions qu’on ne peut pas exercer par la voie oblique. Cette JP peut être contestable selon Mme Tisserand car un réservataire peut, par respect pour la volonté du défunt qui est nécessairement un ascendant, ne pas agir en réduction. Permettre à un créancier de le faire est donc contestable. Quant au délai d’exercice de l’action, la loi du 23 juin 2006 l’a considérablement réduit: en effet, avant cette loi, l’action en réduction répondait à la prescription trentenaire. On avait 30 ans à compter du décès pour l’exercer. Depuis la loi de 2006, l’art 921 cciv précise que « le délai de prescription de l’action est de cinq ans à compter de l’ouverture de la succession ou de deux ans à compter du jour où l’héritier réservataire a eu connaissance de l’atteinte à sa réserve, mais sans jamais pouvoir excéder dix ans à compter du décès ». Par exemple si un réservataire prend conscience de l’atteinte d’une libéralité après le décès, il dispose d’un délai de deux ans. Cette réduction du délai est drastique, mais cela va dans le sens de la législation contemporaine visant à réduire les délais de prescription pour stabiliser les situations juridiques le plus rapidement. Avant la loi de 2006, on enseignait que l’action en réduction, comme la réserve héréditaire elle-même, était d’OP, de sorte qu’on ne pouvait y renoncer avant le décès. On ne pouvait renoncer à agir en réduction du vivant du disposant. En revanche il était possible de renoncer à agir en réduction après le décès du disposant, car d’une façon générale, il est possible de renoncer à un droit d’OP une fois qu’il est déjà né. Dès qu’on avait connaissance du caractère lésionnaire du partage, on pouvait donc renoncer à agir. De plus, l’action en réduction aurait sans nul doute été analysé comme un pacte sur succession future prohibé par la loi, donc l’impossibilité de pouvoir renoncer à agir en réduction avait pour fondement la prohibition des pactes sur succession future et le caractère d’OP. La loi de 2006 a consacré la possibilité de renoncer par anticipation à l’action en réduction: il est donc désormais possible de renoncer à agir en réduction du vivant du disposant. Cette renonciation se fait selon un formalisme complexe et ce faisant la loi de 2006 a consacré une nouvelle variété de pactes sur succession future autorisés par la loi. SECTION 2: La Prohibition des pactes sur succession future. On ne peut en principe, en droit français, organiser la transmission d’une succession au moyen d’un contrat entre le de cujus et un héritier présomptif ou un héritier conventionnellement choisi. Ce principe correspond à la prohibition des pactes sur succession future, laquelle a toujours connu des exceptions. Il existe des pactes sur succession future autorisés par la loi, parmi lesquels on peut citer l’institution contractuelle lorsqu’elle est admise (par donation de biens à venir par exemple). L’institution contractuelle est prohibée, mais elle est exceptionnellement valable si elle intervient par contrat de mariage au profit d’un futur époux ou lorsqu’elle intervient au cours du mariage entre époux. On peut également citer au titre des exceptions traditionnellement admises la donation-partage classique, qui permet à une personne de réaliser une donation et un partage dans un même acte. On a alors dans un même acte une donation qui prend effet immédiatement mais aussi un partage anticipé de la succession du disposant. Cette prohibition s’est toujours accompagnées d’exceptions de pratiques remarquables. A cet égard, la loi du 23 juin 2006 a de son côté consacré de nouveaux pactes sur succession future. §.1. La Définition du pacte sur succession future prohibé.

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A. La Définition du pacte sur succession future. Quelles sont les raisons d’être d’une telle prohibition? Il s’agit évidemment de raisons d’ordre moral. On redoute et on veut éviter toute tentative de spéculation sur la mort d’une personne. Il y a pourtant d’autres contrats correspondant plus ou moins à de telles tentatives de spéculation sur la mort et qu’on accepte, comme la vente en viager par exemple. Il y a également des raisons d’ordre technique: cette prohibition intervient pour préserver la liberté de tester et la libre révocabilité du testament. En effet si l’on ne peut désigner ses héritiers par contrat, on peut le faire par testament i.e un acte unilatéral librement révocable par le disposant. Quant à la définition des pactes sur succession future, traditionnellement, le fondement textuel était énoncé à l’art 1130 cciv. L’art 1130 cciv a laissé subsisté cette interdiction. Cet article est loin de la partie du Cciv relative aux successions, il se situe dans la partie du Cciv relative à la vente. L’alinéa 1

er dispose que: « les choses futures peuvent faire l’objet d’une obligation. » L’alinéa

2 ajoute: « on ne peut renoncer à une succession non ouverte ni faire aucune stipulation sur pareille succession, même avec le consentement de celui de la succession duquel il s’agit ». La loi du 3 déc 2001 a laissé subsisté ce texte et on y trouve la JP concernant la prohibition des pactes sur succession future. Cependant en 2001 on a également ressenti le besoin de rappeler cette prohibition dans la partie du Cciv relative aux successions. Ainsi, l’art 722 cciv prévoit également la prohibition des pactes sur succession future: la présentation de la prohibition qui y est faite correspond en réalité à une consécration législative de solutions consacrées par la JP antérieurement sur le seul fondement de l’art 1130 al 2 cciv. L’art 722 cciv dispose que « les conventions qui ont pour objet de créer des droits ou de renoncer à des droits sur tout ou partie d’une succession non encore ouverte ou d’un bien en dépendant ne produisent effet que dans les cas où elles sont autorisées par la loi ». A la lecture de la dernière partie de l’article, on prend conscience de la volonté du législateur contemporain de faire reculer cette prohibition. Cet art 722 cciv a consacré en réalité une interprétation large du pacte admise antérieurement par la JP sur la base de l’art 1130 cciv. En effet, depuis l’arrêt Crémieux rendu par la Cour en 1933, on savait déjà que la prohibition repose sur la réunion de 3 éléments: les magistrats n’annulaient une convention ou un acte juridique comme portant atteinte à la prohibition qu’à condition de la cumulation de trois éléments. La formule de cet arrêt était la suivante: « la prohibition concerne toute stipulation ayant pour objet d’attribuer un droit privatif sur tout ou partie d’une succession non ouverte. » La doctrine en a conclu qu’étaient requis un pacte, un pacte ayant pour objet une succession non ouverte, et le fait que le pacte confère à son bénéficiaire un droit éventuel. Premièrement, est requise l’existence d’un pacte. Les magistrats ont eu ici une interprétation large de la notion de pacte prohibé, susceptible de s’appliquer à tout acte juridique, qu’il s’agisse d’un acte unilatéral comme par exemple la renonciation à une succession non ouverte, ou encore une convention comme par exemple une cession de biens à provenir d’une succession non encore ouverte. Deuxièmement, le pacte doit avoir pour objet une succession non encore ouverte, i.e la succession d’une personne non encore décédée. Peu importe qu’il s’agisse de la succession d’une des parties à l’acte ou de la succession d’un tiers. Enfin peu importe également qu’il porte sur l’universalité de la succession envisagée ou seulement sur un bien déterminé qui dépendra de cette succession. Le troisième élément a donné lieu aux discussions les plus vives: pour que la prohibition s’applique, il faut que le pacte confère un droit éventuel. Dès que le pacte a pour objet l’ensemble de la succession, ce troisième élément passe inaperçu, il y a évidemment pacte sur succession future.

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Là où les questions sont plus délicates, c’est lorsque le pacte a pour objet un bien déterminé. Il y a des difficultés parce qu’il n’est pas toujours simple de distinguer dans ce cas la promesse de vente post mortem, parfaitement valable, du pacte sur succession future, qui est prohibé. La promesse de vente post-mortem correspond tout simplement à une promesse unilatérale de vente dont l’option ne peut être levée qu’après le décès du promettant. Une telle promesse est valable car dans ce cas, le promettant est engagé dès la promesse: les obligations du bénéficiaire sont aléatoires, mais le promettant est engagé dès la signature de la promesse et par conséquent, l’obligation naît à la charge du promettant de son vivant. Seule l’exécution de l’obligation est retardée: elle est différée au décès du promettant. Ainsi, le droit du bénéficiaire de la promesse est un droit né et actuel et non un simple droit éventuel. Au contraire, les pactes sur succession future prohibés sont ceux qui n’engagent pas le de cujus et qui n’obligent que sa succession. Il y a pacte sur succession future prohibé lorsque seule la succession est engagée ou le sera: c’est la naissance du droit qui est alors retardée, reculée au jour où s’ouvre la succession. B. Applications jurisprudentielles de la prohibition des pactes sur succession future. La renonciation à un droit compris dans une succession encore non ouverte a toujours été considérée comme un pacte sur succession future prohibé. On ne peut donc pas renoncer à un droit compris dans une succession non ouverte. Il est donc impossible de renoncer par avance à l’action en réduction avant la loi du 23 juin 2006. La clause commerciale a posé quelques difficultés: c’est une clause qu’on insérait dans un contrat de mariage qui avait pour but de permettre au survivant des deux époux de conserver le fonds de commerce exploités généralement par les deux époux et qui assurait les revenus de la famille. Une telle clause ne posait pas de problème lorsque les époux étaient unis sous un régime communautaire et que le fonds de commerce était un bien commun. Il suffisait alors de prévoit une clause dérogeant au partage normal de la communauté, ce qui ne posait pas de problèmes de validité. En revanche, la question était plus délicate lorsque les époux étaient séparés de biens. Or, les commerçants sont rarement unis sous régime communautaire. Lorsque le fonds de commerce appartenait à l’un des époux séparés de bien, comment faire pour qu’il revienne à l’autre en cas de décès prématuré de l’époux commerçant? Il n’était pas difficile d’organiser une attribution à titre gratuit: on pouvait faire une donation de biens à venir en époux ou léguer le fonds de commerce, par exemple. Cependant, souvent, on souhaitait au contraire une attribution à titre onéreux, on voulait que le fonds revienne au survivant mais sans porter atteinte à la réserve des descendants réservataires. Une attribution à titre gratuit était donc gênante car elle pouvait être attaquée par une action en réduction si le fonds était l’élément le plus important du patrimoine des époux. Le problème est que si l’attribution à titre onéreux était prévue, la Cour pendant longtemps a considérait qu’il s’agissait d’un pacte sur succession future prohibée, considérant qu’on disposant par avance d’un bien déterminé figurant dans une succession non ouverte. Finalement, la loi du 13 juil. 65 est intervenue pour valider cette clause. Depuis lors, la validité de la clause commerciale, qui est une clause de prélèvement à titre onéreux, est parfaitement admise. La question a été extrêmement débattue avant la loi de 1965. S’agissant de la tontine, elle implique le montage suivant: plusieurs personnes, deux par exemple, souhaitent acheter un bien en commun et décident qu’elles en auront la jouissance ensemble leur vie durant mais que seul le survivant des acquéreurs en sera le propriétaire. Les concubins étaient autrefois considérés comme étrangers l’un vis-à-vis de l’autre et ce montage permettait de voir le bien immobilier attribué au conjoint survivant, la fiscalité de la donation étant en outre dissuasive. Désormais, avec le PACS, le partenaire survivant est exonéré de droits de mutation par décès et il suffit donc de léguer le bien au partenaire survivant pour éviter les soucis fiscaux. Fiscalement on peut donc organiser une transmission à cause de mort indolore entre partenaires d’un PACS. Pendant longtemps, d’un point de vue civil, l’obstacle auquel on se heurtait était la prohibition des pactes sur succession future. La Cour considérait en effet qu’à partir du moment où l’acte

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d’acquisition précisait que les parts du prédécédé reviendraient au survivant, on avait un pacte sur succession futur prohibé par la loi et donc nul. Cependant, la Cour estimait que le pacte tontinier était valable si l’on recourrait habilement à la condition dans l’acte d’acquisition. Il y avait donc une acquisition conditionnelle dans l’acte, ce qui était parfaitement valable: il fallait préciser que serait considéré comme seul acquéreur du bien celui qui survivrait et cela, rétroactivement dès le jour de l’acquisition. On avait alors un contrat aléatoire et valable, mais il fallait que chacun achète la propriété de l’immeuble tout entier car chacun était censé l’avoir dès le jour de l’acquisition, sous une double condition, résolutoire et suspensive, de son propre décès ou de sa survie. La rétroactivité attachée à la notion de condition permettait de considérait au premier décès que le survivant avait été le seul et unique propriétaire du bien dès l’acquisition. Le Fisc a cependant fini par réagir et par prévoir une loi spéciale prévoyant qu’il acceptait l’analyse de la Cour, mais uniquement au-delà d’un certain montant. On continue de proposer des pactes tontiniers aux concubins lorsqu’ils opèrent une acquisition immobilière, même si le PACS est préférable. L’inconvénient est que le contrat étant aléatoire, tant que l’aléa n’est pas levé, on est condamné à agir ensemble pour gérer le bien, sinon on ne peut vendre que des droits conditionnels dans un contrat aléatoire, ce qui n’est pas attractif pour les acquéreurs…

§.2. Les Nouveaux pactes sur succession future autorisés par la loi. Il y a toujours eu des pactes autorisés par la loi. Au titre des nouveaux pactes sur succession future autorisés par la loi, on peut noter certaines innovations remarquables issues de la loi de 2006. Il existe ainsi des pactes de famille: le premier est la renonciation anticipée à l’action en réduction, qui représente à la fois un pacte sur succession future et une régression de l’OP réservataire. Le second est la donation-partage transgénérationnelle, qui est une forme originale de donation-partage. A. La Renonciation anticipée à l’action en réduction. La renonciation anticipée à l’action en réduction a été présentée comme une innovation fondamentale de la loi du 23 juin 2006 et constitue à la fois une exception à la prohibition des pactes sur succession future et une atteinte à la réserve héréditaire. La réserve d’OP devient ainsi en quelque sorte disponible. On s’est interrogé dans les années précédant l’adoption de la loi de 2006 sur la nécessité de conserver ou non la réserve héréditaire: les droits anglo-saxons impressionnent beaucoup et par imitation de ces modèles, on s’est interrogés sur l’opportunité de conserver ces atteintes à la liberté individuelle. On a finalement décidé de la conserver parce qu’elle est spontanément respectée par le plus grand nombre. En revanche, on a supprimé la réserve des ascendants, qui paraissait moins justifiée. La réserve correspond à un devoir familial mais aussi social, i.e faire en sorte qu’un décès perturbe le moins possible de l’organisation sociale. Il y a une pérennité sociale au-delà du caractère mortel de l’individu. L’absence de réserve peut ainsi être un facteur de trouble social. Désormais, tout héritier réservataire présomptif peut renoncer à exercer une action en réduction dans une succession non ouverte. Lors des débats parlementaires, cette renonciation a été présentée comme un pacte de famille destiné à répondre à certaines situations familiales complexes dans lesquelles la réserve héréditaire apparaît comme un frein à la transmission d’entreprises ou à l’allotissement d’un enfant handicapé. Le premier de ces arguments peut sembler pertinent: dès l’origine, à la Révolution, on a accusé la réserve d’être un facteur de morcellement des biens immobiliers. Le problème ne s’est pourtant pas aggravé depuis. En droit des affaires, on peut assurer une égalité en opérant un partage entre capital et pouvoir pour assurer la pérennité des entreprises. Quant au second argument, en pratique, ce serait effectivement le cas, ce qui serait en outre immoral.. La renonciation suppose l’existence de trois personnes: premièrement, elle suppose le renonçant ou ses représentants auxquels la renonciation est opposable. Ensuite, elle suppose le ou les bénéficiaire(s) de la renonciation: ils doivent être

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déterminés, mais ils n’ont pas la qualité de partie dans la mesure où leur acceptation ne semble pas nécessaire. Enfin, elle suppose celui dont le renonçant a vocation à hériter et qui doit accepter la renonciation. Quant à son objet, la renonciation peut viser trois choses. Premièrement, elle peut viser une atteinte portant sur la totalité de la réserve. Le renonçant renonce à agir en réduction à la hauteur de la totalité de sa part réservataire. Deuxièmement, elle peut viser une atteinte portant sur une fraction de la réserve: le renonçant ne renonce à agir en réduction qu’à hauteur d’une fraction de sa réserve. Enfin, elle peut viser la réduction d’une libéralité portant sur un bien déterminé. L’ampleur de la renonciation dépend alors du bien qui fait l’objet de la libéralité. La loi précise que cette renonciation, en aucun cas, ne peut être considérée comme une libéralité. Pour être valable, la renonciation anticipée à l’action en réduction doit supporter ad validitatem un formalisme lourd. La renonciation doit être reçue par acte authentique dressé par deux notaires dont l’un est désigné par la Chambre des notaires. On a vu dans cette exigence un gage d’indépendance de l’un des notaires, qui est censé être plus objectif que l’autre notaire. Il est possible de prévoir plusieurs renonciations dans un seul acte, mais chaque renonçant doit signer séparément l’acte en présence des seuls notaires. Il appartiendra alors aux notaires d’informer le renonçant de la portée précise de sa renonciation et les notaires devront également mentionner dans l’acte les conséquences juridiques futures pour chaque renonçant. Quant aux conditions de fonds, on retrouve les conditions habituelles en droit des obligations, notamment l’absence de vice du consentement & les conditions relatives à la capacité. La capacité requise du renonçant est la capacité exigée pour consentir une donation entre vifs. Par dérogation à ce principe, toutefois, un mineur émancipé ne peut valablement signer une renonciation à agir en réduction. Enfin, la renonciation ne saurait mettre aucune obligation à la charge de celui à la succession duquel on renonce. Il ne doit y avoir aucune obligation à la charge du de cujus. L’idée est que celui-ci ne fait que ratifier l’acte de renonciation lorsqu’il accepte et il ne saurait prendre aucun engagement vis-à-vis du renonçant. On ne souhaite pas qu’une renonciation soit signée à titre onéreux, que le de cujus soit tenté de monnayer la renonciation d’un héritier présomptif. En pratique le de cujus va souvent prendre l’initiative de l’acte par rapport à l’organisation de la transmission de son patrimoine. Quant à ses effets, tout dépend de la situation au décès. S’il n’y a aucune atteinte à la réserve du renonçant au décès, la renonciation ne produira aucun effet particulier. Si on s’aperçoit au décès qu’il y a une atteinte partielle à la réserve du renonçant, la renonciation produira effet à hauteur de cette atteinte, mais tout en respectant la volonté du renonçant. Ainsi, si l’atteinte à la réserve est supérieure à la fraction prévue dans l’acte de renonciation, l’excédent sera sujet à réduction. Par exemple, s’il a renoncé à la moitié de sa réserve mais que l’atteinte porte sur les trois quarts, une réduction sera envisageable à hauteur du quart supplémentaire afin de respecter les prévisions du renonçant. La renonciation est caduque si la libéralité qui porte atteinte à la réserve du renonçant ne respecte pas les prévisions de celui-ci. Par exemple, le renonçant a renoncé à agir en réduction contre une libéralité qui porte sur un objet X déterminé et en réalité, un objet Y a été donné. Autre exemple: il a renoncé à agir à l’encontre d’une libéralité effectuée en faveur de X bénéficiaire déterminé, mais au décès le gratifié est quelqu’un d’autre. La renonciation ne produit alors aucun effet. Il existe des difficultés pour savoir comment gérer une succession impliquant

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une renonciation à agir en réduction: comment mesurer la portée exacte de la renonciation: est-ce que le renonçant renonce simplement à agir en réduction, ou est-ce qu’il renonce à une part de sa réserve? Est-ce que la renonciation a pour conséquence une augmentation du disponible, ce qui aurait une conséquence bien plus tôt dans la liquidation sur la détection des libéralités réductibles? La première solution serait plus conforme au texte. La seconde amplifierait les effets de la renonciation à agir en réduction. L’interprétation dépend donc de l’effet qu’on souhaite donner au mécanisme de l’action en réduction. La loi a également prévu des causes légales de révocation de la renonciation à l’action en réduction: en principe la renonciation est définitive, sauf causes légales de révocation. Le premier cas est celui dont le renonçant a vocation à héritier ne remplit pas ses obligations alimentaires envers lui. Le de cujus ne remplit pas ses obligations alimentaires envers le renonçant. Le deuxième est celui dans lequel au jour de l’ouverture de la succession, le renonçant se trouve dans un état de besoin qui n’existerait pas s’il n’avait pas renoncé à ses droits de réservataire. Le troisième cas est celui dans lequel le bénéficiaire de la renonciation s’est rendu coupable d’un crime ou délit contre la personne du renonçant. C’est en quelque sorte un cas d’ingratitude. Dans chacun de ces trois cas, la révocation n’a jamais lieu de plein droit: elle doit être demandée en justice. Si elle est fondée sur un état de besoin du renonçant à l’ouverture de la succession, la demande de révocation doit être formée dans l’année de l’ouverture de la succession et la révocation ne sera prononcée qu’à concurrence des besoins du renonçant. Dans les deux autres cas, i.e lorsque le de cujus ne remplit pas ses obligations alimentaires ou lorsque le bénéficiaire est un ingrat, la demande de révocation doit être formée dans l’année à compter du jour du fait imputé par le renonçant ou à compter du jour où ce fait a été connu de lui ou de ses héritiers. Les dispositions relatives au régime juridique de la renonciation figurent aux art 929 à 930-5 cciv. Dans le même esprit, la loi du 23 juin 2006 a également consacré la possibilité de renoncer à l’exercice de l’action en retranchement ouverte aux descendants non communs lorsque le conjoint survivant bénéficie d’un avantage matrimonial excessif en ce qu’il porte atteinte à leur réserve. En principe les avantages matrimoniaux ne sont pas considérés comme des libéralités: néanmoins, s’agissant des descendants non communs, la loi leur permet d’agir en retranchement pour reconstituer leur part réservataire au décès de leur auteur. Exemple: une succession dans laquelle les époux auraient opté pour une communauté universelle avec attribution au dernier vivant. Est donc possible le retranchement de l’avantage matrimonial octroyé à celui qui n’est pas l’auteur des descendants non communs. La loi a également consacré à l’art 1527 cciv la possibilité de renoncer par anticipation à l’action en retranchement: le formalisme est le même que celui qui s’applique à la renonciation à l’action en réduction. Cependant, dans ses effets, la renonciation anticipée n’a pas les mêmes effets: la renonciation est ici temporaire, et non définitive. Les descendants non communs renoncent à agir au décès de leur auteur, mais ils retrouveront la possibilité d’agir au décès du conjoint bénéficiaire de l’avantage matrimonial afin de reconstituer leur part de réserve héréditaire. Le cours de l’action est donc suspendu tant que le conjoint bénéficiaire de l’avantage matrimonial est en vie. En cas de remariage, on aurait ainsi une superposition d’indivisions qui s’avèrerait défavorable... B. La Donation-partage trans-générationnelle. La validité de la donation-partage a été consacrée de longue date: c’est un acte qui relevait autrefois de la catégorie des partages d’ascendants. On comptait à ce titre la donation-partage et le testament-partage. La donation-partage est désormais une libéralité-partage consacrée par les art 1075 et suiv. cciv. Comment s’explique le changement de terminologie? La loi du 23 juin 2006 a voulu largement ouvrir la possibilité de faire ces

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actes. On parlait autrefois de partage d’ascendant parce que pour justifier le régime de faveur fait à la donation-partage, on disait que celle-ci était possible que si elle venait d’un ascendant, à son initiative, en faveur de ses descendants. Elle ne pouvait être effectuée en outre que par un père ou une mère en faveur de ses héritiers réservataires présomptifs, i.e descendants réservataires présomptifs. On ne pouvait donc pas associer à une donation-partage des enfants et des petits-enfants, du moins lorsque les petits-enfants n’avaient pas la qualité d’héritiers réservataires présomptifs, i.e que leur auteur direct était encore en vie. Le régime dérogatoire de la donation-partage vient de ce que l’acte est à la fois une donation et un partage successoral anticipé. C’est une donation parce que le disposant se dépouille immédiatement et irrévocablement des biens qu’il décide de distribuer, et un partage successoral anticipé parce que ce qui est distribué à l’occasion d’une donation-partage a vocation à remplir les copartagés de leur part dans la succession. Le régime dérogatoire de la donation-partage tenait et tient toujours à une règle très importante qui est la règle de fixité des évaluations: cette règle s’applique à certaines conditions, notamment si tous les réservataires présomptifs ont été allotis à l’occasion de la donation-partage et si tous ont accepté le lot composé à leur attention. Ainsi, lorsque la succession du disposant s’ouvrira, pour les opérations de contrôle du respect de la réserve héréditaire, les biens distribués à l’occasion de la donation-partage seront évalués pour leur valeur au jour de la donation-partage, et non pas pour leur valeur au jour du décès comme c’est le cas des autres donations qu’on réunit fictivement. Cette règle de fixité des évaluations donne une grande stabilité à l’acte dans la mesure où il suffit que la donation-partage soit équilibrée au jour où elle est faite pour qu’elle soit à l’abris d’une action en réduction. Si elle respecte la réserve héréditaire, ainsi, comme on évaluera au jour de la donation-partage, il n’y aura pas d’inégalités lors des opérations de contrôle de la réserve héréditaire et le risque de réduction de l’acte est donc moindre. En effet ce qui fait qu’une donation est réductible, c’est le valorisme. Chacun des gratifiés fait siennes les plus ou moins-values attribuées aux biens, c’est à chacun de gérer ce qui lui a été remis. L’acte est ainsi extrêmement sûr du fait de la fixité des évaluations. En outre, dans le cas de la donation-partage, c’est le disposant qui compose les lots. Dans le cadre d’un partage successoral normal, les héritiers se mettent d’accord pour décider qui aura quoi. Le partage successoral normal repose donc sur les cohéritiers, tandis que dans le cadre d’une donation-partage, le partage est effectué par le disposant. Il compose les lots à l’attention de ses réservataires présomptifs et ceux-ci ne peuvent qu’accepter ou refuser le lot composé par le disposant à leur attention. Si un des héritiers n’accepte pas, le principe de fixité des évaluations ne jouera pas. Avant la loi de 2006, on y voyait un acte d’autorité effectué par un père ou une mère pour maintenir la sérénité après sa mort. C’est cette raison qui justifiait le régime dérogatoire de la donation-partage. La loi du 23 juin 2006 a choisi d’ouvrir considérablement la donation-partage: désormais elle peut être effectuée par toute personne au profit de ses héritiers présomptifs, non plus seulement un ascendants vis-à-vis de ses descendants réservataires. Un oncle peut donc effectuer une donation-partage au profit de ses nièces. La loi du 23 juin 2006 a voulu consacrer la donation-partage transgénérationnelle. La donation-partage transgénérationnelle est prévue à l’art 1078-4 et suiv. cciv. Elle permet à un ascendant d’associer à une même donation des descendants de degrés différents. On peut donc associer à une même donation-partage des enfants et des petits-enfants. Cela n’était pas possible lorsque l’auteur direct n’était pas prédécédé. Cela permet également de faire une donation-partage alors même qu’on a un enfant unique: avant 2006 il fallait avoir au moins deux enfants pour effectuer une donation partage. Désormais on peut faire une donation partage entre cet enfant unique et les descendants de cet enfant unique. La condition essentielle est la suivante: l’enfant ou un des enfants du disposant doit consentir à ce que ses propres descendants soient allotis à sa place en

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tout ou en partie. La donation-partage transgénérationnelle se présente donc comme un pacte de famille: il faut le consentement dans l’acte du disposant, mais aussi du descendant au premier degré qui renonce à tout ou partie de ses droits au profit de ses propres descendants. Bien entendu, il faut aussi le consentement des descendants de degrés plus éloignés qui bénéficient de la renonciation. Il y a ici une double intention libérale: chez le disposant d’une part, car il décide de se dépouiller immédiatement d’une partie de ses biens au profit de ses descendants, mais aussi chez le descendant au 1

er degré qui renonce à être alloti pour que ses enfants le

soient à sa place. On a, par là même, une double anticipation successorale. On anticipe par rapport à la succession du disposant, mais également par rapport à la succession du renonçant. Cet acte était une demande du notariat par rapport à l’allongement de l’espérance de vie qui fait que comme on meurt de plus en plus tard, on hérite de plus en plus tard: ainsi, le descendant au 1

er degré appelé à hériter a un âge certain qui fait qu’il n’a pas besoin

d’un patrimoine dans l’immédiat et ainsi, il préfère que ce patrimoine revienne à ses enfants, généralement trentenaires, et qui sont donc d’une génération plus dans le besoin. Du point de vue de la fiscalité, se posait un problème: il y avait une double mutation lors de la transmission du renonçant au fils le représentant. Enfin on se heurtait à la réserve héréditaire: la réserve du fils s’avérait gênante pour gratifier le petit-fils, par exemple. Le renonçant renonce ici à sa réserve héréditaire, mais au profit de ses propres descendants: il renonce dans le but de transmettre de façon anticipée à ses propres descendants. On peut noter par comparaison qu’en revanche dans la renonciation à l’action en réduction, il n’y a pas de projet subséquent à la renonciation. Dans un tel cas de figure, la répartition à laquelle doit procéder le disposant, si on veut qu’elle soit équilibrée et qu’elle ne porte pas atteinte à la réserve, doit respecter l’égalité des souches, non l’égalité des individus. On détermine donc la part à attribuer à chaque souche puis on la répartit selon l’attitude des uns et autres. Exemple: le de cujus a trois enfants, A, B et C. il veut réaliser une donation-partage. A est le père de A‘, B est père de B1 et B2, C est père de C‘. À l’occasion de cette D-P, A veut être alloti directement. B ne veut rien pour lui, il veut que B1 et B2 aient sa part. quant à C, il veut laisser seulement la moitié de sa part à C’. On va procéder à une répartition par souche: on prend l’ensemble de ce que veut distribuer le disposant et on attribue à A un lot qui représentera le 1/3 de la valeur de ces biens. B ne voulait rien, il renonce au profit de B1 et B2: le 1/3 dont B aurait du bénéficier s’attribue à B1 et B2, on compose des lots représentant chacun 1/6 du total de la masse des biens. C renonce à la moitié seulement de la part qu’il aurait du recevoir: on coupe en deux son 1/3 et on donne 1/6 à C et 1/6 à C’. Il est possible de s’affranchir de l’égalité des souches à l’occasion de la donation-partage transgénérationnelle, mais TOUJOURS dans la limite du disponible et de la réserve héréditaire. Dans le cas contraire, une action en réduction est possible. En outre, cela est défavorable à la paix des familles. Lorsque s’ouvrira la succession de l’ascendant donateur, les biens reçus par les enfants ou par leurs descendants auront vocation à composer la part de réserve afférant à la souche. En outre, dans la succession de l’enfant ayant consenti à ce que ses propres descendants soient allotis à sa place, on traitera les biens attribués suite à la donation-partage transgénérationelle comme si les descendants du renonçant les avaient directement reçus de celui-ci. Exemple: quand s’ouvrira la succession de B, on traitera les biens reçus par B1 et B2 à l’occasion de la donation-partage comme si B leur avait donné à l’occasion d’une donation rapportable. Il est enfin possible de faire deux donations-partages. Exemple: si B1 et B2 sont les seuls descendants de B, comme dans notre exemple, comme B1 et B2 ont été allotis de façon identique et ont accepté le lot composé à leur attention, lorsque s’ouvrira la succession de B, on pourra traiter les biens reçus par B1 et B2 à l’occasion de la donation-partage transgénérationnelle comme s’ils les avaient directement

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reçus par donation-partage de B. L’intérêt est qu’une nouvelle fois on pourra faire jouer la règle de fixité des évaluations. SECTION 3: La Prohibition des substitutions fidéicommissaires. Il ne faut pas les substitutions fidéicommissaires avec les substitutions ordinaires, qui sont valables. À partir d’une prohibition traditionnelle, il y a une nette évolution avec la loi du 23 juin 2006, car il y a eu un recul de cette prohibition qui correspond à la volonté du législateur de consacrer les libéralités graduelles et résiduelles. §.1. Définition de la Prohibition des substitutions fidéicommissaires. Une substitution fidéicommissaire est une libéralité grevée d’une charge comportant l’obligation pour le donataire ou le légataire de conserver les biens ou droits transmis afin de les transmettre à son décès à un 2nd gratifié désigné dans l’acte. On a une double charge qui grève la libéralité: une charge de conserver et une charge de transmettre. Dans la terminologie traditionnelle, le 1er gratifié, i.e le 1er donataire ou légataire est appelé « le grevé ». Le 2nd gratifié, celui au profit duquel est stipulé la charge de transmettre, est nommé « l’appelé ». De telles libéralités ont été prohibées pour différentes raisons. Premièrement, cette prohibition s’explique par le fait que les biens qui font l’objet d’une telle libéralité deviennent nécessairement inaliénables. La charge de conserver s’oppose à toute aliénation du bien, tant à titre onéreux qu’à titre gratuit. En réalité, au lendemain du Cciv, ce qui a justifié ce troisième pilier de l’ordre successoral, ce sont avant-gout des raisons politiques: on craignait que les substitutions furent établies pour rétablir des privilèges de primogéniture et de masculinité. On croyait qu’une succession de SFC ne le permette. Il aurait suffit que la charge de conserver et transmettre fut systématiquement stipulée au profit de l’ainé. Or les rédacteurs du cciv, soucieux de respecter l’ordre nouveau voulus par les Révolutionnaires, ne voulaient pas courir ce risque. N.B. Il ne faut pas confondre la SFC prohibée avec la substitution vulgaire: la substitution vulgaire est valable et n’a jamais soulevé de difficultés. Elle correspond simplement à la possibilité pour le testateur de désigner dans son testament un légataire de second rang en cas de prédécès du premier légataire. Cela évite d’avoir à refaire son testament: on anticipe dans le cas où le premier légataire décèderait avant le de cujus. On prévoit ainsi un remplaçant pour l’hypothèse de prédécès du légataire par rapport au testateur. Autrefois, la prohibition des SFC avait son siège à l’ancien art 896 cciv. Ce texte prévoyait que « toute disposition par laquelle le donataire, l’héritier institué ou le légataire sera chargé de conserver ou de rendre à un tiers sera nulle, même à l’égard du donataire, de l’héritier institué ou du légataire ». Ce qu’il faut en retenir, c’est que la prohibition est une prohibition d’ordre public. La nullité ainsi édictée visait à protéger l’ordre public de direction, non pas de protection. C’était donc une nullité absolue. Toutefois, dès avant la loi du 23 juin 2006, le Cciv admettait les SFC dans deux cas bien précis énoncés à l’ancien art 1048 cciv. Premièrement, la SFC était valable lorsque la libéralité était consentie par les père et mère au profit de leurs enfants avec charge de rendre les biens aux enfants, nés et à naître, au 1

er

degré seulement du gratifié. Il fallait que la charge fut stipulée au profit de tous les enfants nés et à naître du gratifié, sans préférence d’âge ni de sexe. Deuxièmement, les SFC étaient admises lorsque la libéralité était consentie au profit des frères et sœurs du disposant, à condition que ce dernier n’ait pas lui-même d’enfants et que la charge fut stipulée au profit de tous les enfants nés et à naître du gratifié, sans préférence d’âge ni de sexe et au 1

er degré seulement.

Ces libéralités étaient enfermées dans un strict cadre familial afin d’éviter qu’on puisse s’appuyer sur celles-ci pour rétablir des privilèges de primogéniture ou de masculinité.

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L’esprit de la loi du 23 juin 2006 est bien différent: elle a voulu généraliser la possibilité de recourir à des libéralités graduelles: ceci témoigne d’un recul de la prohibition, même si elle est encore énoncée à l’art 896 cciv. §.2. Les Nouvelles formes de libéralités: les libéralités graduelles et résiduelles. Désormais, il faut combiner cette prohibition toujours édictée à l’art 896 cciv avec les dispositions du nouvel art 1048 cciv. En effet, l’art 1048 cciv, dans la teneur que lui a donnée la loi du 23 juin 2006, dispose que: « Une libéralité peut être grevée d’une charge comportant l’obligation pour le donataire ou le légataire de conserver les biens ou droits qui en sont l’objet et de les transmettre à son décès à un second gratifié désigné dans l’acte. » La lettre même de l’art 896 a été reprise et ce texte continue de rappeler la prohibition des SFC, mais de manière moins sévère: dans sa teneur issue de la loi du 23 juin 2006, l’art 896 cciv prévoit en effet que « la disposition.. Ne produit d’effets que dans le cas où elle est autorisée par la loi ». Il n’y a donc plus de définition basée sur la nullité. L’art 1048 cciv prévoit qu’en générale, elle est autorisée par la loi. Les libéralités graduelles et résiduelles sont soumises à des conditions précises et si celles-ci ne sont pas respectées, on retombera sous le coup de la prohibition et la sanction sera la nullité absolue. A. Les Libéralités graduelles. Selon l’art 1048 cciv, une libéralité peut être grevée d’une charge de conserver et transmettre à un 2

nd gratifié nommé dans l’acte. Ces libéralités, dites graduelles, reposent

sur des conditions précises. 1. L’Objet de la libéralité graduelle. La libéralité graduelle ne peut avoir pour objet que des biens ou droits identifiables à la date où la libéralité est consentie et subsistant en nature au décès du grevé. Cela paraît évident: la charge de conserver implique des biens qui se conservent. Cela a posé des problèmes selon la notion de conservation et d’actes conservatoires qu’on retient. Cette discussion a eu lieu notamment s’agissant de portefeuilles de valeurs mobilières: on est obligé de les aliéner régulièrement, au moins pour partie, pour les gérer, i.e en acquérir d’autres. La JP a admis que la libéralités pouvait avoir pour objet un portefeuille de valeurs mobilières et qu’en cas d’aliénation, la libéralité prenait effet sur les valeurs mobilières subrogées aux valeurs mobilières aliénées. Cette JP désormais ancienne (cass civ.1, 2 juin 1993) est antérieure à la loi du 23 juin 2006 et s’est prononcée à propos d’un legs de residuo, i.e un legs résiduel, qui avait pour objet un portefeuille de valeurs mobilières. Cet arrêt a raisonné en considérant que la charge de conserver s’appliquait aux valeurs acquises à l’aide du prix d’aliénation des valeurs cédées. Dans cet arrêt, la Cour de cassation estime donc que la subrogation réelle peut jouer à l’intérieur d’un portefeuille de valeurs mobilières. C’est un arrêt précurseur dont on pouvait déjà tirer la conclusion sur le portefeuille de valeurs mobilières constituait une universalité de fait. L’arrêt érigeant véritablement le portefeuille de valeurs mobilières en une universalité de fait, l’usufruitier pouvant céder des titres alors qu’en principe, l’usufruitier n’a pas le droit de disposer, il n’a pas l’abusus est l’arrêt Bellay (cass civ 1, 12 nov 1998). On peut ainsi imaginer une libéralité graduelle ou résiduelles qui ait pour objet un portefeuille de valeurs mobilières dans la mesure où celui-ci constitue une universalité de fait: il est alors possible d’aliéner le titre, à condition d’en acquérir d’autres avec le prix d’aliénation, de sorte que la charge de conserver se reportera sur les titres nouvellement acquis. Lorsque la libéralité porte sur un immeuble, la charge de conserver et de transmettre doit être publiée.

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Il y a une limite toutefois à la validité de ces libéralités: si le premier gratifié, i.e le grevé, est un héritier réservataire du disposant, la charge de conserver et de transmettre ne peut porter que sur la quotité disponible, à moins que le grevé n’accepte une charge portant atteinte à sa part réservataire. En effet, en principe, la réserve doit être reçue par l’héritier réservataire en étant libre de toute charge. L’acceptation du grevé ne pourra avoir lieu que dans l’acte de donation ou dans un acte postérieur répondant aux conditions, et notamment au formalisme, de la renonciation anticipée à l’action en réduction. Enfin, dans la mesure où la charge porte sur la part réservataire du grevé avec son consentement, cette charge bénéficie de plein droit à l’ensemble de ses enfants nés et à naître. Les libéralités graduelles ont ainsi été largement ouvertes mais elles restent enfermées dans certaines conditions. 2. Les Effets de la libéralité graduelle. Que se passe-t-il à la mort du grevé, i.e le 1

er gratifié?

A la mort du 1er

gratifié, s’ouvrent les droits de l’appelé, le 2nd

gratifié. Cependant, il est également possible au grevé d’abandonner antérieurement la jouissance du bien ou droit objet de la libéralité, à condition cependant que cet abandon anticipé ne porte pas préjudice aux droits du grevé dont la créance est née antérieurement à cet abandon. En cas d’abandon, l’appelé pourra donc recueillir les biens plus tôt, mais l’abandon ne doit pas préjudicier aux droits des créanciers du grevé. Quant au 2

nd gratifié, il est réputé tenir ses droits directement de l’auteur de la

libéralité, et non pas du grevé. Ce 2nd

gratifié doit accepter la donation graduelle, mais alors qu’en droit commun des donations l’acceptation du donataire doit intervenir du vivant du disposant, ici par dérogation à l’art 932 cciv, l’acceptation du 2

nd gratifié peut intervenir

après le décès du disposant. La charge ne peut donc jamais jouer que sur une seule génération, contrairement à la situation sous l’Ancien Régime: le 2

nd gratifié ne peut jamais être soumis à son tour à

l’obligation de conserver et transmettre. Il reçoit le bien, libre de toute charge de conserver et de transmettre. Enfin, pour faciliter l’exécution de la charge, il est possible de prévoit des garanties et des sûretés. On peut même anticiper et prévoir l’hypothèse d’un éventuel prédécès du 2

nd gratifié par rapport au grevé: dans cette hypothèse, en principe, les biens compris dans

la libéralité graduelle vont dépendre définitivement de la succession du grevé, mais on peut aussi désigner un 2

nd gratifié de remplacement. Dans la libéralité, on peut stipuler une clause

désignant un 2nd

gratifié prenant la place du 2nd

gratifié prévu en cas de prédécès. Tant que le 2

nd gratifié n’a pas accepté la libéralité graduelle, le disposant a la

faculté de révoquer la libéralité à son égard. 3. L’Intérêt des libéralités graduelles. Quelle est l’utilité des libéralités graduelles? Elles sont utiles en matière de gestion de patrimoine, pour certains montages. Le fait que le 2

nd gratifié soit réputé tenir ses

droits du disposant est avantageux car cela éviter les droits de mutations. On peut également prévoir de faire ce type de libéralité à son second conjoint et au décès du 2

nd

conjoint, on désigne comme 2nds

gratifiés les descendants du 1er

mariage, par exemple. On peut aussi les utiliser en stipulant des charges au profit d’un enfant handicapé ou inversement, faire en sorte qu’au décès de l’enfant, l’objet de la libéralité revienne à ses frères et sœurs. Il existe une variante des libéralités graduelles, variante correspondant aux libéralités résiduelles. B. Les Libéralités résiduelles. Dès avant la loi du 23 juin 2006, la JP avait admis la validité des libéralités résiduelles en admettant la validité du legs de residuo. Cela constituait une importante

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dérogation à la prohibition des SFC. Le legs de residuo, ou legs résiduel, est une disposition par laquelle le testateur lègue ses biens à une personne en stipulant que ce qui restera à la mort de cette personne, le residuum, sera attribué à un 2

nd gratifié que le disposant désigne. La JP avait admis la

validité de ce legs de residuo parce que certes il impliquait une obligation de transmettre, mais pas de charge de conserver. Le bien n’était donc pas inaliénable et le gratifié de 1

er rang avait la faculté de l’aliéner. Simplement, la charge de transmettre

l’empêchait de disposer du bien légué par testament puisqu’à son décès, le bien devait revenir à un 2

nd gratifié déjà désigné. La JP a fini par admettre la possibilité de prévoit

une clause qui interdisait au 1er

gratifié de disposer du bien légué à titre gratuit. Lorsqu’il y avait une telle clause, le bénéficiaire du legs de residuo pouvait seulement aliéner le bien à titre onéreux. La Cour s’est donc montrée de plus en plus compréhensive. Pour la JP, le legs de residuo était en fait un legs conditionnel: elle considérait que le testateur avait effectué deux legs distincts et valables: simplement, le 2

nd legs était

effectué sous la condition que son bénéficiaire survive au 1er

légataire. Quelles sont les innovations de la loi du 23 juin 2006? Premièrement, mais ce n’est pas une innovation, cette loi a consacré expressément la pratique du legs de residuo à l‘art 1057 cciv. Jusque-là, la validité avait été admise par la Cour, aucune disposition législative n’y était consacrée. En outre, la loi du 23 juin 2006 étend ces pratiques aux donations et l’art 1057 cciv précise « [qu’]une libéralité peut prévoir qu’une personne sera appelée à recueillir ce qui subsistera du don ou du legs fait à un 1

er gratifié à la mort de celui-ci ».

La libéralité résiduelle, legs ou donation, est une libéralité qui oblige à transmettre le bien donné ou légué, ou tout du moins ce qu’il en subsiste à la mort du 1

er gratifié, car

cette forme de libéralité n’oblige pas à conserver. En cas d’aliénation à titre onéreux des biens ou droits donnés ou légués, le 2

nd bénéficiaire perd tout simplement ses droits. Ses

droits ne se reportent donc pas sur le prix de vente ou sur de nouveaux biens acquis à l’aide de celui-ci. Le seul tempérament existant, consacré par la JP dans l’arrêt de 1993, est le cas du portefeuille de valeurs mobilières, et ce dans la mesure où il constitue une universalité de fait: l’aliénation de certains titres ainsi n’entraîne pas la disparition du portefeuille. La notion d’universalité de fait permet ici de considérer que le biens subsiste en dépit d’une aliénation. Il en va de même pour le fonds de commerce, et ce toujours dans cette hypothèse où l’aliénation n’est pas substantielle. Par exemple, la vente du stock n’aliène pas le fonds de commerce. En cas de libéralité résiduelle, le 2

nd gratifié ne peut pas disposer par testament des

biens donnés ou légués à titre résiduel. Il ne peut pas décider de leur sort à son décès. Ainsi que l’avait admis la JP antérieurement, il est également possible et courant en pratique d’insérer dans la libéralité une clause qui interdit au 1

er gratifié de disposer des biens à titre

gratuit, par donation comme par testament. Si le 1

er gratifié est un héritier réservataire, la charge de transmettre ne peut

pas porter atteinte à sa réserve et il conserve la possibilité de disposer entre vifs ou à cause de mort des biens qui lui ont été donnés en avancement de part successorale. Pour le surplus, les règles sont les mêmes pour les libéralités résiduelles que pour les libéralités graduelles. Elles doivent porter sur un objet susceptible d’être transmis au décès du 1

er gratifié.

Les droits du 2nd

gratifié ne s’ouvrent en principe qu’au décès du 1er

gratifié, mais un abandon anticipé de la part du 1

er gratifié est concevable.

Tant que le 2nd

gratifié n’a pas accepté, il peut être révoqué par le disposant. Enfin on peut également anticiper sur un éventuel prédécès du 2

nd gratifié par rapport au 1

er

gratifié. En cas de prédécès du 2nd

gratifié désigné, on peut prévoir qu’une autre personne sera appelée à recueillir le residuum. Compte tenu du fait que la loi du 23 juin 2006 a ouvert les libéralités graduelles, les libéralités résiduelles seront sans doute moins utilisées. Elles étaient utilisées auparavant parce qu’elles représentaient un maximum qu’on pouvait faire. L’intérêt n’est donc

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plus d’actualité, elles vont sans doute perdre une partie de leur intérêt dans la mesure où on a la possibilité de faire une libéralité graduelle, plus efficace si on souhaite que le bien revienne à une personne précise. Elle lui assure davantage de chance de voir sa volonté respectée alors que la liberté résiduelle est très aléatoire pour le 2

nd gratifié.

Autrefois ce type de libéralité était perçu comme permettant la conservation de certains biens dans des familles, notamment les biens immobiliers. Désormais ce sont plutôt à d’autres types de montages patrimoniaux qu’on songe, surtout en cas de configuration familiale plus complexe impliquant des remariages, des familles recomposées, etc. C’est donc en considération de ces configurations nouvelles, plutôt que dans le souci de conserver des biens de famille, qu’on y recoure. En conclusion, on constate qu’il ne reste plus grand-chose de la prohibition des SFC. Les libéralités graduelles sont quant à elles sorties du cadre strictement familial. Désormais, ces libéralités sont permises au-delà d’un cadre familial, de sorte qu’il ne semble pas pertinent de présenter la donation partage ou les libéralités graduelles comme une libéralité à caractère familial.

CHAPITRE 2ND

LES LIBERALITES

L’ordre public successoral nous renseigne sur la place faite au pouvoir de la volonté dans notre droit. Il convient donc d’envisager les actes par lesquels cette volonté va pouvoir s’exprimer. SECTION 1: Les Dispositions testamentaires. Les dispositions testamentaires, en droit français, relèvent en principe d’un acte juridique unilatéral spécifique qui est le testament. C’est en effet dans un testament que l’on va rencontrer différentes formes de legs. Le testament est un acte juridique unilatéral à cause de mort par lequel le testateur exprime ses dernières volontés. Par conséquent, c’est un acte unilatéral, i.e qui est le fruit d’une seule volonté, celle du testateur. Il ne faudrait pas pour autant croire que cette seule volonté s’impose au bénéficiaire du testament: après le décès du testateur, le légataire est appelé à opter et il peut accepter ou renoncer à son legs. Le fait que ce soit un acte unilatéral permet au testateur de révoquer son testament jusqu’au décès: le testament est révocable par le testateur jusqu’au décès. Seul le décès du testateur rend irrévocable le testament. §.1. Les Conditions de validité du testament. A. Les Conditions de fond. On retrouve bien évidemment les conditions relatives à la validité de toute libéralité et plus généralement de tout acte juridique: le consentement, la capacité, la cause et l’objet. Il y a des règles de capacité spécifiques en matières de libéralités: on retrouve les problèmes liées à la protection des personnes majeurs, le testament étant un acte grave et éminemment personnel, qui n’accepte donc pas la représentation. Concernant son objet, le testament exprime les dernières volontés du testateur: cependant, toutes les dispositions d’une testament n’ont pas la même force contraignante. Certaines dispositions sont de simples souhaits, de simples vœux par lesquels le testateur ne va pas jusqu’à imposer une obligation à ses héritiers. D’autres dispositions révèlent au contraire la volonté du testateur de disposer pour le temps où il ne

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sera plus. Ces dispositions peuvent être d’ordre patrimonial ou extrapatrimonial. Les dispositions d’ordre extrapatrimonial sont susceptibles d’avoir des conséquences juridiques. Ce sera par exemple le cas de la reconnaissance d’un enfant naturel dont on ignorait l’existence. On peut faire une reconnaissance d’enfant par testament, mais une seule forme testamentaire peut servir de support à une reconnaissance valable: c’est le testament authentique, car une reconnaissance se fait en principe par acte authentique. Le testateur peut aussi choisir, selon l’art 397 cciv, de procéder à la désignation d’un tuteur. Cette désignation s’imposera au juge dans un premier temps mais bien évidemment, il pourra le révoquer par la suite. On peut également y trouver des dispositions visant à régler les funérailles du testateur: ces dispositions ont une certaine force juridique car en principe elles doivent être respectées. Ce n’est que subsidiairement qu’on cherche qui, parmi les proches, est le plus apte à représenter la volonté du défunt sur ce point. Le testament peut aussi comporter la désignation d’un exécuteur testamentaire, auquel le testateur donne mission de veiller à l’exécution de ses dernières volontés. Il n’a pas nécessairement vocation à recueillir la succession, sa mission est seulement d’exécuter la volonté du défunt. Il peut l’accepter ou la refuser et ses fonctions sont en principe gratuites. En principe, l’exécuteur testamentaire a des pouvoirs limités: il doit veiller à l’exécution du testament, peut prendre des mesures conservatoires et défendre en justice la validité du testament. Le testateur peut lui accorder une saisine spéciale afin d’appréhender les droits successoraux. La loi du 23 juin 2006 a augmenté les pouvoirs de l’exécuteur testamentaire. À l’expiration de sa mission, celui-ci doit rendre en rendre compte aux héritiers. Il peut ainsi gérer les biens successoraux, disposer de certains biens pour éviter qu’ils ne périssent, etc. Ces dispositions sont prévues aux art 1025 & suiv. cciv. Ces dispositions peuvent également et surtout être d’ordre patrimonial: elles correspondent principalement au legs. Le legs est une disposition testamentaire comportant transmission de bien à un bénéficiaire. Le testament peut comporter un ou plusieurs legs. Il n’est pas indispensable qu’il porte sur la totalité du patrimoine du testateur. Il existe dans le Cciv trois catégories de legs expressément visée à l’art 1002 cciv. En vertu de l’art 1002 cciv, les dispositions testamentaires sont soit universelles, soit à titre universel, soit à titre particulier. Le Cciv opère donc un classement des différents legs par rapport à leur objet. Premièrement, est prévu le legs universel à l’art 1003 et suiv. cciv. Le legs universel est la disposition par laquelle le testateur donne à une ou plusieurs personnes l’universalité des biens qu’il laissera à son décès. En dépit de ce que cette terminologie pourrait laisser entendre, il se peut qu’au décès du testateur, le légataire universel ne reçoive pas l’intégralité de l’hérédité: ainsi, par exemple, s’il existe des héritiers réservataires au décès, le légataire universel ne peut en principe prétendre qu’au disponible. Les réservataires auront droit à leur réserve, en nature ou en valeur. Une controverse existe sur ce point depuis l’entrée en vigueur de la loi de 2006: certains estiment que du fait de la généralisation de la réduction en valeur, celle-ci devrait concerner les legs universels, de fait que même en présence d’héritiers réservataires, le légataire pourrait recueillir l’intégralité de l’hérédité, sous réserve de leur verser une indemnité correspondant à la valeur de leur part réservataire. D’autres, notamment Mme Tisserand, estiment que c’est ici accorder une trop grande importance au principe de réduction en valeur et qu’il convient, en présence de réservataires, aujourd’hui comme par le passé, de réduire le legs universel en nature, i.e de ne donner au légataire universel qu’une fraction de la succession correspondant à sa part, i.e le disponible. Pour Mme Tisserand, le légataire prend sa place au sein de la cohérie en tant qu’héritier choisi par le testateur, mais sans pour autant que les héritiers réservataires en soient ainsi réduits à une indemnité. Cette question n’est pas tranchée et reste très discutée. En outre, s’il y a plusieurs légataires universels, chacun n’a droit qu’à une fraction des biens laissés au décès. S’il y en a deux, chacun aura droit à la moitié.

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Pour savoir si on est en présence d’un legs universel, il faut se demander si le légataire a une vocation éventuelle au tout. C’est cette vocation qui caractérise le légataire universelle. Par exemple, un légataire universel, en présence de réservataires n’a droit qu’au disponible. Il a néanmoins une vocation éventuelle au tout car les réservataires étaient décédés avant le disposant, le légataire universel aurait vocation à recueillir l’intégralité de la succession. De même, lorsqu’il y a deux légataires universels, si l’un des deux prédécède au disposant, l’autre a une vocation au tout. Cela peut soulever des difficultés d’interprétation. Il y a des hypothèses simples. Par exemple, X lègue tous ses biens meubles et immeubles à Y. Un tel legs est interprété comme universel car dans la classification des biens, les biens sont nécessairement meubles ou immeubles. C’est également le cas du legs de la quotité disponible: c’est un legs universel parce que s’il n’y a pas de réservataires ou que les réservataires renoncent à la succession, ce legs donne vocation à l’intégralité de la succession. C’est encore le cas du legs de la nue-propriété de tous les biens à X: ce type de legs est universel, car la pleine propriété a vocation à se reconstituer sur la tête du nu-propriétaire. En revanche, le legs de l’usufruit de tous ses biens n’est pas universel, mais un legs à titre universel. Le legs à titre universel est à une place intermédiaire entre legs universel et à titre particulier. Le légataire à titre universel n’a pas vocation à l’intégralité de la succession: le légataire à titre universel n’a vocation qu’à une quote-part des biens laissés au décès. Il est défini à l’art 1010 cciv. C’est donc l’étendue des droits conférés au légataire qui importe ici. Le legs d’une moitié ou d’un tiers des biens laissés au décès, le legs de la moitié en nue-propriété, ou le legs de la totalité en usufruit sont des legs à titre universel. De même, constitue un legs à titre universel le legs de tous les biens immeubles. Le legs de tous les biens meubles en est également un. Le légataire à titre universel n’aura jamais vocation au tout: si on nomme deux légataires à titre universel et que l’un prédécède, l’autre n’a vocation qu’à sa quote-part. Le légataire à titre universel est celui qui n’a droit qu’à une fraction de la succession. Le legs à titre particulier, selon l’art 1010 cciv, est « tout autre legs », i.e qu’on ne peut qualifier d’universel ou à titre universel. C’est une catégorie résiduelle. Constitue un legs particulier le legs d’un bien déterminé, quand bien même ce bien représente l’intégralité de la succession. Constituent des legs particuliers les legs de tous les droits du testateur dans une communauté non encore liquidée. Le critère ici est que le legs particulier ne donne vocation qu’à un ou plusieurs biens déterminé(s). Il ne donne pas droit à une fraction de l’hérédité, seulement à un ou plusieurs biens déterminés. Parfois, la distinction est délicate: par exemple, si je lègue mes biens situés en France, ils sont déterminés donc c’est un legs particulier. Le legs particulier implique une détermination du bien légué, mais on applique également la règle selon laquelle l’accessoire suit le principal. Quelle que soit le type de legs, pour que le legs soit valable, il importe que le bénéficiaire du legs soit déterminé. Il n’est pas nécessaire que le gratifié soit nommément désigné. On peut admettre la validité du legs dans lequel le gratifié n’est pas nommément désigné, mais encore faut-il qu’il soit identifiable. Si la désignation du légataire est incomplète, insuffisante, les tribunaux vont s’efforcer de compléter cette désignation. Par hypothèse, le testateur n’étant plus présent, les tribunaux essaient de sauver le legs quand ils le peuvent. Cette hypothèse de désignation incomplète est très courante. Par exemple, un legs universel adressé à la Ligue et recherche contre le cancer: les tribunaux considèrent que ce legs s’analysent en deux legs universels, l’un à l’Association pour la recherche sur le cancer et l’autre à la Ligue contre le cancer. En principe, le legs avec faculté d’élire est prohibé: il s’agit d’un legs dans lequel le disposant confie à un tiers le soin de désigner le légataire après sa mort. Cela poserait en effet de problèmes déontologiques certains pour le cas, par exemple, dans lequel le soin de désigner le légataire serait confié à un notaire. Pour éviter de nombreuses annulations, la JP admet la validité du legs fait à une personne déterminée, à charge pour la personne

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d’en transmettre intégralement le bénéfice à une personne incertaine de son choix. Il est donc possible de gratifier une personne déterminée d’un legs, le gratifié ayant alors la charge de transmettre à son tour le legs à une personne de son choix. Un testament peut également contenir des dispositions d’ordre patrimonial négatives. Il s’agit ici de l’exhérédation: c’est une disposition par laquelle le testateur entend écarter ses héritiers légaux de sa succession. L’exhérédation de peut produire d’effets que dans la limite de la réserve héréditaire et les héritiers légaux non réservataires peuvent donc en faire l’objet. L’exhérédation peut être expresse, ce qui revient implicitement à instituer d’autres héritiers, mais elle peut également être indirecte. Elle n’est alors pas la principale motivation du testateur, elle n’est que la conséquence de sa volonté de transmettre à d’autres qu’à ses héritiers légaux. Ainsi, lorsque le testateur institue un légataire universel, il réduit les réservataires à leur part de réserve et exhérède les héritiers non réservataires. Le seul héritier qu’on ne peut exhéréder est l’Etat. B. Les Conditions de formes. 1. Le Testament olographe. C’est la forme la plus simple. C’est un testament qui est écrit en entier, daté et signé de la main du testateur. Ces exigences de forme sont requises pour la validité même du testament. En revanche, aucune autre forme n’est requise. L’avantage de ce formalisme est qu’il est extrêmement simple et ne requiert pas de recourir à un notaire, on peut le faire seul. Le coût est dérisoire et la discrétion assurée. L’inconvénient est que la perte et la destruction sont aisés. La personne qui trouve un testament olographe est tenue de le déposer chez le notaire en charge de la succession, mais cette obligation n‘est pas forcément respectée en pratique. Il y a donc un certain aléa. Le remède à ce problème de conservation est de remettre le testament olographe en dépôt au notaire. Il le conservera en le prenant en dépôt au coffre. Le notaire ne manquera pas de proposer une inscription au fichier centralisant les dispositions de dernière volonté. On peut alors être sûr de la publicité que recevra le testament au décès. Se pose également un problème en cas de rédaction maladroite, car il n’est pas toujours aisé d’exprimer clairement ses dernières volontés. Se posent alors des problèmes d’interprétation si le testament est ambigu, ce qui requiert une interprétation judiciaire, l’interprétation à l’amiable étant difficile. Est donc ici conseillé de consulter un notaire afin de connaître les formules à employer. Le troisième inconvénient est la force probante réduite du testament olographe: dans le mesure ou c’est un ASSP, il n’en a que la force probante. Les héritiers auxquels on l’oppose peuvent donc le contester par le biais de la vérification d’écriture s’agissant de l’auteur du testament. Le testament dactylographié n’est pas admis. Il y a des hypothèses dans lesquelles le testateur fait son testament sur son lit de mort: le testament ne peut pas être l’œuvre d’un tiers écrit sur sa dictée. On admet cependant le testament à main guidée à partir du moment où on a la certitude que le testateur était suffisamment lucide et conscient et qu’on peut rattacher le contenu intellectuel de l’acte à son auteur. On se dit en effet que ce qu’une personne écrit à la main, elle s’en attribue le contenu intellectuel. En cas de date incertaines, les juges sont compréhensifs s’ils peuvent dater le testament par rapport à des éléments intrinsèques. La signature doit être clairement détachée du texte et lui être antérieure, elle doit témoigner de la volonté du testateur de s’approprier le contenu du texte. 2. Le Testament authentique. Le testament vise plus généralement le testament par acte publique. Parmi ces testaments par acte publique, le plus important est le testament authentique.

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C’est le testament reçu par un notaire selon un formalisme lourd: cette forme testamentaire suppose la présence du testateur et de deux notaires en titre, ou bien d’un seul notaire mais de deux témoins. Le testateur dicte ses dernières volontés et le notaire écrit en français sous la dictée puis il relit en français. Les notaires vont ensuite signer l’acte. Le testament authentique est écrit par le notaire sous la dictée du testateur. L’avantage est que c’est la seule forme utilisable lorsqu’on ne peut plus écrire. La rédaction sera soignée et correcte et en cas d’incertitude, le notaire pourra attirer l’attention du testateur sur les ambiguïtés éventuelles. L’autre avantage est la force probante du testament authentique, qui est celle des actes authentiques: si un héritier conteste l’auteur du testament, il doit s’inscrire en faux. Tout ce que le notaire a pu constater lui-même dans l’exercice de ses fonctions relève de l’inscription de faux. Cependant, cette force probante ne vaut que pour les points que le notaire, compte tenu de sa compétence professionnelle, a été en mesure de contrôler. L’identité, la capacité jusqu’à un certain point en relèvent: le notaire n’est pas un médecin donc ce qui relève d’une expertise médicale ne relève pas de la compétence du notaire et n’a pas la force probante d’un acte authentique. Ainsi dans ce cas, si on conteste la validité du testament pour insanité d’esprit, le notaire n’étant pas professionnellement apte à en juger, on appliquera les règles de preuves applicables au testament olographe. Un autre avantage est que depuis la loi du 3 déc 2001, c’est la seule forme testamentaire à employer si l’on désire priver le conjoint survivant de son droit viager au logement. En outre, la conservation et la publicité de l’acte sont d’autres avantages: le notaire a une obligation de conservation du testament et l’inscription au fichier central des dispositions de dernière volonté est obligatoire. Les inconvénients consistent surtout dans la lourdeur de la procédure: le formalisme est lourd parce qu’il requiert des notaires et la rédaction implique des mentions précises. Le formalisme étant ad validitatem, l’oubli d’une formule se sanctionne par la nullité du testament, il ne vaudra pas comme testament olographe. Ce n’est donc pas la forme testamentaire recommandée en priorité par les notaires car leur responsabilité est plus importante en la matière. En outre, on peut relever le manque de confidentialité évident, car on doit s’exprimer en présence de deux notaires ou d’un notaire et de deux témoins. Enfin, un autre inconvénient réside dans le fait que le coût sera plus élevé que pour un testament olographe. 3. Le Testament mystique. Mystique signifie ici secret: le testament mystique est fait par le testateur, ou sous sa direction, puis le testament est présenté clôt et scellé à un notaire qui en dresse acte. L’avantage est le secret: comme pour le testament olographe, la personne peut rédiger son testament seul donc la confidentialité est respectée. L’autre avantage concerne la force probante: le testament mystique a la force probante d’un acte authentique. Les inconvénients sont ceux du testament olographe et du testament authentique. Le contenu est rédigé de façon privée donc il y a un risque de dispositions ambigües, peu claires. Comme pour le testament authentique, il obéit à un formalisme rigoureux car un acte notarié est rédigé pour le constater. Le formalisme est sanctionné par des cas d’annulation. Cette forme de testament a disparu car elle n’a pas de réel intérêt dans la mesure où on peut faire un testament olographe et le déposer chez un notaire, qui mentionnera le dépôt.

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C’est cette hypothèse que le notaire va proposer en priorité. Le testament mystique et le testament authentique sont obligatoirement mentionnés au fichier des dernières volontés. Actuellement il existe une forme simplifiée de testament mystique, qui est le testament international issu de la Convention de Washington de 1993, entrée en vigueur en France en 1994. Il est rédigé par le testateur ou un tiers s’il ne peut plus écrire, et qui est suivi d’une déclaration faite en présence d’une personne habilitée et de deux témoins. On a donc une écriture privée et une remise solennelle. Quelle que soit la forme du testament, il y a toujours nécessité d’un écrit: l’absence d’écrit est un obstacle radical à l’existence d’un testament. Il ne peut pas y avoir un legs manuel. En pratique, il y a certainement des remises post mortem spontanément exécutées par les héritiers et qui échappent à l’emprise du droit. Le testament est un acte strictement personnel et l’article 968 Cciv prohibe les testaments conjonctifs: « un testament ne pourra être fait dans le même acte par deux ou plusieurs personnes soit au profit d’un tiers, soit à titre de disposition réciproque et mutuelle ». Un tel testament serait nul d’une nullité absolue. C’est une prohibition générale qui s’applique également au ascendants: deux parents ne peuvent pas dans un même acte faire un testament au profit de leurs enfants. La JP essaie néanmoins d’interpréter strictement la prohibition pour sauver ce qui peut être sauvé. Ainsi, la JP a jugé qu’un testament au recto et l’autre au verso est valable. La sanction de l’inobservation des conditions de forme est la nullité de l’acte irrégulier et c’est toujours une nullité absolue. Il n’y a aucune possibilité de confirmation. Il appartient au testateur de refaire son testament lorsqu’il est vivant. La JP décide que l’exécution volontaire d’un testament irrégulier par les héritiers du testateur après le décès empêche ceux-ci de se prévaloir d’un vice de forme. Les dispositions d’ordre extrapatrimonial ne sont pas nécessairement atteintes par la nullité: tout dépend des cas de figure. SECTION 2: les Donations. La donation est un contrat particulier dans lequel le rôle de la volonté du donataire, i.e du gratifié, est assez discret. Ce qui compte, bien entendu, c’est la volonté du donateur. En effet, la donation est un contrat unilatéral: il est le fruit de deux volontés mais ne créé d’obligations qu’à la charge d’une des parties. En outre la donation est un contrat solennel, i.e elle est soumise à peine de validité à un formalisme spécifique. Autrefois, la donation était un contrat réel: elle supposait la tradition réelle et irrévocable pour être valablement formée. Le donateur devait remettre la chose au donataire de façon irrévocable. Cette exigence s’est progressivement atténuée, la donation est sortie de la catégorie des contrats réels mais cet ancien formalisme s’est traduit par des exigences de formes, i.e l’exigence d’un acte notarié en principe. Ce formalisme particulier est accompagné d’une règle de fond: la donation entraîne un dessaisissement irrévocable du donateur. §.1. Les Différentes formes de donations. Le principe en la matière est que la donation exige la forme notariée, comme le cciv le laisse entendre à l’art 931. Toutefois, ce principe a été assoupli par la JP, qui n’a pas hésité à consacrer la validité d’autres formes de donations, des donations non notariées. Et cela dans le souci d’adapter notre droit à des pratiques très répandues. A. La Donation notariée.

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Selon l’art 931 cciv, « tous actes portant donation entre vifs seront passés devant notaire sous peine de nullité. » La donation est donc un contrat solennel et cette solennité se remarque tant du point de vue de l’acte du donateur que du point de vue de l’acceptation du donataire. Le contrat de donation se forme en effet par étapes. Tout d’abord, il y a un acte du donateur, qui prend l’initiative de l’opération. Cet acte est soumis à une double formalité: la loi exige un acte notarié, qui peut être dressé par un seul notaire mais en minute, i.e le notaire conserve l’original de l’acte et en délivre des expéditions, i.e des copies. Le donateur doit être présent ou représenté. En cas de représentation du donateur, la procuration de son représentant devra elle-même être notariée. S’il s’agit d’une donation mobilière, il faut annexer à l’acte un état estimatif qui énumère les biens donnés et leur évaluation. La JP sait cependant être souple sur ce point et accepte parfois que l’état estimatif soit dressé par simple ASSP. En pratique, cela est rare car dès lors que la donation est ostensible, le notaire ne manquera pas de le faire. Si ces exigences de forme ne sont pas satisfaites, la sanction est une nullité obéissant à un régime particulier. Du vivant du donateur, il s’agit sans conteste d’une nullité absolue qui n’est pas susceptible de confirmation. En revanche, au décès du donateur, la Cour de cassation estime que les héritiers du donateurs peuvent confirmer la donation en l’exécutant. Deuxièmement, s’agissant de l’acceptation du donataire, la donation est un contrat donc cette acceptation est indispensable à la formation de ce contrat. L’acceptation doit elle aussi intervenir de façon solennelle: elle suppose une déclaration spéciale faite par acte notarié. Le plus simple en pratique est de faire intervenir le donataire à l’acte afin de ne faire qu’un seul acte authentique, mais il est possible même si cela est rare que l’acceptation intervienne par acte séparé et l’acte devrait alors être authentique et notifié au donateur. Dans ce dernier cas, il est fondamental que cette notification intervienne avant le décès du donateur. Tant que le donateur n’a pas reçu l’acceptation du donataire, il peut révoquer l’offre de donation qu’il a faite et s’il décède, son offre devient caduque. C’est ainsi la théorie de la réception, comme pour les contrats entre absents, qui va ici s’appliquer. B. Les Donations non notariées. En dépit des exigences de l’art 931 cciv, la JP n’a pas hésité à valider des formes de donations qui ne sont pas faites en la forme notariée. Néanmoins, on verra que ces donations non notariées se coulent dans une sorte de formalisme de substitution et correspondent à des pratiques très courantes. Ainsi la JP a admis la validité des dons manuels, des donations déguisées et des donations indirectes. 1. Le Don manuel. Le don manuel se réalise par la remise matérielle de la chose, i.e par la tradition, de la main à la main, du donateur au donataire. Il faut donc qu’il y ait une tradition du donateur au donataire. Cela est très courant en pratique. Quant à ses conditions de fond, le don manuel, pour être valable, doit répondre aux conditions de validité des actes juridiques en général ainsi qu’aux exigences propres aux libéralités. De ce point de vue il faut insister par exemple sur l’intention libérale: l’intention libérale est ce qui permet de distinguer le don manuel d’autres hypothèses dans lesquelles l’objet remis peut faire l’objet d’une tradition mais à charge de restitution, comme les contrats de dépôt et de prêt qui entraînent une remise de l’objet à charge de restitution. Peuvent ainsi se poser des problèmes de qualification en pratique. De plus, pour sa validité le don manuel est soumis à une condition spécifique,

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qui est la tradition, i.e la remise matérielle de la chose donnée au donataire. C’est cette tradition qui assure dans le don manuel la dépossession du donateur et l’irrévocabilité de la donation. Sans tradition, il n’y a pas de don manuel: la JP considère qu’une simple promesse de don manuel, même acceptée par le donataire, reste sans effet. Cette exigence conduit à écarter du don manuel certains biens pour lesquels la tradition n’est pas envisageable: le don manuel ne concerne en principe que des meubles corporels non immatriculés. Pour les voitures, la JP est plus incertaine. Certaines décisions admettent que la remise de la facture d’achat et de la carte grise ainsi que des clés du véhicule caractérisent la remise de la voiture elle-même et valent don manuel, tandis que d’autres se montrent plus exigeantes et rejettent la qualification de don manuel sur la simple base de la remise de la carte grise. S’agissant des valeurs mobilières, qui sont des meubles incorporels, on distinguait traditionnellement les titres nominatifs et les titres au porteur. On considérait que les titres nominatifs n’étaient pas compatibles avec le don manuel parce qu’ils obligeaient à une immatriculation sur les registres de la société. On concluait par préférence à la donation indirecte mais pas au don manuel car la société devait procéder au changement de titulaire.

En revanche la JP acceptait le don manuel pour les titres au porteur, considérant que le droit était incorporé dans le titre. C’est une fameuse théorie du droit commercial, i.e la théorie de l‘incorporation du droit dans le titre. Depuis 1981, les titres au porteur sont dématérialisés et la possession de ceux-ci résultent d’une simple inscription en compte. Toutefois, la Cour a souhaité adapter sa JP à la dématérialisation: elle admet toujours la validité du don manuel de titre au porteur, considérant que la tradition s’opère par virement de compte à compte. Il faut ici que le banquier soit diligent, car la tradition doit avoir lieu avant le décès du donateur. Le manque de diligence peut engager la responsabilité du banquier, cette responsabilité étant le seul recours du donataire. Les dons manuels de somme d’argent sont très fréquents en pratique: là aussi, en général, ils se font plutôt par le biais de comptes bancaires que par don d‘espèces. Il a donc fallu adapter la validité du don manuel aux nouveaux procédés: on peut faire un don manuel par virement de compte à compte. La JP considère qu’il y a un don manuel valable lorsque le virement de compte à compte correspond à une remise effective qui entraîne un dessaisissement irrévocable du donateur. Ainsi, par exemple, il n’y a pas de don manuel valable si la somme est virée du compte personnel du donateur sur un compte joint ouvert au nom du donateur et du donataire, car tant que la somme figure sur le compte joint, le donateur peut la reprendre. Il n’y a donc pas l’irrévocabilité nécessaire à la validité du don manuel. Il faudrait un virement du compte personnel du donateur au compte personnel du donataire, compte sur lequel le donateur n’a pas accès, pour assurer à la remise un caractère irrévocable. La remise du chèque opère la tradition par le dessaisissement irrévocable du tireur au profit du bénéficiaire qui acquiert immédiatement la provision. Il n’est donc pas nécessaire d’encaisser le chèque pour que s‘opère la tradition. Se pose un problème: que se passe-t-il s’il n’y a pas de provision? S’il n’y a pas de provision, il n’y a pas de don manuel: pour qu’un don manuel soit valable, il doit exister une provision afin que le bénéficiaire en acquière la propriété. 2. Les Donations déguisées. Il y a donation déguisée lorsqu’on a recours au procédé de la simulation. C’est une illustration classique de la simulation. Selon la théorie de la simulation, il y a simulation lorsque les parties concluent un acte apparent qui présente un caractère onéreux mais l’acte apparemment conclu par les parties ne reflète pas leur véritable intention. Celles-ci conviennent également d’un acte secret qui transforme l’acte en un acte à titre gratuit et leur intention dépend de l’acte secret. Exemple: l’acte apparent conclu par les parties est une vente, mais dans un acte secret, les parties conviennent que le prix ne sera jamais versé par l‘acheteur au vendeur. Cette vente apparente est ainsi une donation, l’intention réelle des parties est de réaliser une donation. Dans ce cas, la donation n’est pas faite en la forme notariée: la JP admet néanmoins sa validité par application de la théorie générale de la simulation. Or, il est

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admis que la simulation n’est pas en elle-même une cause de nullité: elle ne le devient que lorsqu’elle tend à dissimuler une fraude. L’annulation est alors la sanction de la fraude qu’on a voulu orchestrer. Exemple: Je fais une donation déguisée en faveur du médecin qui m’a soignée lors de mes derniers instants de vie, alors qu’il est frappé d’une incapacité de recevoir à titre gratuit en tant que tel pour des raisons d‘ordre déontologique. On peut prétendre faire une vente en sa faveur, mais qui ne serait qu’une donation déguisée: elle serait alors nulle non du fait de la simulation, mais parce que l’objectif poursuivi serait frauduleux. On ne peut pas faire de façon déguisée ce qu’on ne peut pas faire de façon ostensible. S’il n’y a ni incapacité, ni fraude ni obstacle, le principe est donc que la donation déguisée est valable, et cela bien qu’elle échappe à l’exigence de forme notariée posée par l’art 931 cciv. Il importe cependant de « bien mentir », car il faut que la donation déguisée présente en apparence les caractères juridiques de l’acte utilisé pour la dissimuler. La JP exige qu’on ait menti avec un minimum de sérieux. Exemple: Pour dissimuler une donation derrière une vente, il faut mentionner un prix et que la vente paraisse sérieuse. Exemple: Une donation déguisée sous forme de reconnaissance de dette requiert que soient satisfaites les exigences de forme propres aux reconnaissances de dette: celle-ci devra notamment comporter la mention manuscrite de la somme due en chiffres et en lettres. Enfin, pour la donation déguisée comme pour toute donation, il faut également respecter l’exigence d’un dessaisissement irrévocable. Sans dessaisissement irrévocable, on peut en effet douter de l’intention véritable du donateur. Exemple: Une donation déguisée sous forme de reconnaissance de dette. Il faut que la reconnaissance de dette soit remise au donataire. Si le donateur la conserve en sa possession et peut la détruire à tout moment, il n’y a pas de dessaisissement irrévocable. Il existe un cas de donation déguisée particulière, qui est la donation par interposition de personnes: on veut donner quelque chose à quelqu’un mais comme cela n’est pas possible, on le donne à sa femme ou à son fils, sachant qu’il est convenu que la deuxième personne remettre la chose à la première. C’est une forme de déguisement particulier. Là encore, la donation est donc valable en principe, à moins qu’elle ne serve à masquer une fraude. S’agissant de la preuve de la donation déguisée, qui pose le plus de problèmes en pratiques, les héritiers réservataires qui veulent établir l’existence d’une donation déguisée en soutenant qu’elle porte atteinte à leur réserve par exemple, sont considérés comme des tiers. Ils n’agissent pas en tant qu’ayant-cause du donateur, mais en vertu d’un droit qui leur est propre. Ils sont donc considérés comme des tiers, ce qui leur permet de bénéficier de la liberté de preuve. Parfois, la loi intervient pour poser des présomptions de déguisement pour faciliter la preuve: c’est le cas en matière d’interposition de personnes. Il existe ainsi des présomptions d’interposition de personne. C’est également le cas pour certaines opérations: en vertu de l’art 918 cciv, « la vente consentie par un ascendant au profit d’un descendant moyennant rente viagère est irréfragablement présumée être une donation hors part. » Il vaut donc mieux, dans ce cas de figure, faire une donation avec charge. 3. Les Donations indirectes. La JP en a également admis la validité, et ce toujours en dépit des exigences de l’art 931 cciv. C’est un exemple de coutume contra legem qui fut ici validée par la JP. Elles sont peu nombreuses dans notre droit: il existe peu de coutume contra legem directement consacrées par la JP. On peut le discuter du fait du formalisme de substitution mais le fait est que dans ce cas, la JP admis un cas de validité en l’absence d’acte notarié, formalisme requis ad validitatem par la loi. La donation indirecte se distingue de la donation déguisée en ce sens qu’il n’y a pas de mensonge dans la donation indirecte: elle est réalisée par l’intermédiaire d’un acte à titre onéreux qui n’est réel, non pas simulé. Simplement, cet acte à titre onéreux

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comporte un avantage pour une des parties ou pour un tiers, et cet avantage est concédé dans une intention libérale vis-à-vis de son bénéficiaire. Le support peut aussi être un acte neutre, i.e qui en lui-même convient aussi bien à une opération à titre onéreux qu’à titre gratuit. L’acte n’est alors pas très parlant s’agissant de l’intention qui se cache derrière. Il existe également des cas d’opérations à trois personnes permettant de réaliser des donations indirectes. a. La Donation indirecte réalisée par l’intermédiaire d’un acte à titre onéreux. Dans cette hypothèse, on a un acte à titre onéreux, mais cet acte est déséquilibré au profit d’une partie et ce déséquilibre est voulu dans une intention libérale. C’est un acte partiellement à titre onéreux, mais qui comprend également un avantage. Par exemple: X décide de vendre sa maison à son frère Y. la maison vaut 100 mais comme X vend à son frère, il décide de la vendre pour 60. Il sait très bien que la maison vaut plus mais il accepte le déséquilibre dans une intention libérale vis-à-vis de son frère. On a alors une donation indirecte par intermédiaire d’un acte à titre onéreux: il y a réellement une vente immobilière avec un prix sérieux, mais il y a un déséquilibre entre le prix payé et la valeur réelle du bien et il est voulu dans une intention libérale. À hauteur de 40, on a une donation indirecte. b. La Donation indirecte réalisée au moyen d’actes neutres. Dans cette hypothèse, on réalise une donation indirecte par l’intermédiaire d’un procédé qui ne permet pas de savoir si l’opération est à titre onéreux ou gratuit. Par exemple, le transfert de titres nominatifs opéré sans contrepartie est préférentiellement qualifié de donation indirecte, contrairement à la donation de titre au porteur. Il en va de même concernant l’endossement d’effets de commerce: il correspond à une donation indirecte s’il est effectué sans contrepartie dans une intention libérale. On pourrait aussi parfois hésiter car parfois, certains avancent la théorie de l’incorporation du droit dans le titre et on pourrait alors parler de don manuel, cela dépend de la JP. c. La Donation indirecte par voie de renonciation. Dans ce cas, une personne renonce à un droit sans contrepartie et dans une intention libérale: cela peut caractériser une donation indirecte. La question s’est souvent posée en matière successorale: le fait de renoncer à une succession pour qu’une autre y soit appelée ou obtienne une part plus importante, i.e renonciation in favorem, est considérée comme une donation indirecte. Le renonçant est censé accepter la succession puis transmettre sa part à celui qui bénéficie de la renonciation. Cela pouvait poser problème si le renonçant était fils unique et qu’il renonçait pour que son propre fils soit gratifié. Les agents du Fisc pouvaient penser qu’il y avait ici donation indirecte entraînant une double perception des droits de mutation. Désormais, cette situation n’est plus problématique et ce depuis la loi du 23 juin 2006: en effet, la loi elle-même prévoit la représentation du renonçant. d. Les Donations indirectes résultant d’opérations à trois personnes. Il s’agit ici pour deux personnes contractant ensemble de permettre qu’une troisième personne en recueille le bénéfice. L’exemple le plus fréquent est le cas des achats et des paiements pour autrui, très fréquents entre époux séparés de bien notamment. Un bien est acquis par une personne mais le prix est payé par une autre personne. Dans les rapports entre le vendeur et l’acquéreur, on a un acte à titre onéreux classique i.e une vente, et le vendeur obtient bien le prix du bien. Dans les rapports entre celui qui fournit l’argent et celui qui acquiert le bien, en revanche, on a un acte à titre gratuit motivé par une intention libérale. Pour analyser exactement cet acte à titre gratuit, il faut affiner le raisonnement: si celui qui fournit le prix remet la somme à l’acquéreur, puis l’acquéreur la remet au vendeur, la qualification la plus adéquate est celle de don manuel de somme d’argent. En revanche, si

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celui qui fournit le prix remet directement ce prix au vendeur, ce qui est très fréquent en pratique, alors la qualification la plus adéquate est celle de donation indirecte. Entre époux séparés de biens, cette situation correspond à l’hypothèse fréquente dans laquelle les époux vont acheter un immeuble en indivision. Chacun acquiert pour moitié mais en réalité, c’est par exemple l’épouse qui paie la totalité du prix d’acquisition. Avant la loi du 3 déc 2001, la qualification de donation entre époux ne gênait pas l’époux lorsqu’il divorçait, car les donations entre époux étaient librement révocables. Lors du divorce, l’époux disait que l’épouse avait reçu une donation de sa part et qu’il pouvait ainsi la révoquer librement. Pour s’opposer à sa prétention, l’épouse soutenait qu’il n’y avait pas donation, mais rémunération de sa participation à l’éducation des enfants et aux tâches domestiques. C’était donc un cas de donation rémunératoire qu’on pouvait analyser comme acte à titre onéreux, échappant au régime des donations entre époux. Depuis la loi de 2001, on est, dans cette hypothèse, dans un cas de donation indirecte entre époux qui porte sur des biens présents. Depuis la loi de 2004, en outre, le divorce est sans effet sur la donation de biens présents. L’époux ne peut donc pas révoquer la donation. L’épouse peut alors soutenir que l’époux était animé d’une intention libérale à son égard et que c’était donc une donation indirecte, tandis que l’époux soutient qu’il a juste avancé les fonds et que ce n’est qu’un prêt, qu’il a une créance contre son épouse. Les termes du débat ont donc totalement changé. Les prétentions peuvent également porter sur une contribution aux charges du mariage. Lorsque l’épouse n’a pas de revenus, la qualification de prêt sera difficilement admise. On admettra difficilement l’existence d’une intention libérale à l’égard de l’épouse. Si les deux travaillent, la situation est différente. Il existe un autre type de donation indirecte à trois personnes qui repose sur le mécanisme de la stipulation pour autrui. A ce titre, on peut notamment citer le cas de l’assurance-vie. L’assurance-vie obéit sur certains points à un régime dérogatoire en raison de certains textes figurant dans le Code des assurances. Par exemple, on considère que certaines conditions considérant les primes et le capital ne donnent pas lieu à rapport à la succession et ne peuvent être réduits, à moins que les primes n’aient été manifestement exagérées par rapport aux facultés du souscripteur. Ainsi, par exemple, la personne qui transforme la totalité de son patrimoine en assurance-vie au profit de son amant ou de sa maîtresse alors qu’il a des descendants réservataires se trouvera sans doute dans le cas de l’exception précitée. Dès lors qu’on se trouve hors du champ d’application de ces textes, souvent, c’est un cas de donation indirecte qui va expliquer le rapport existant entre le souscripteur et le bénéficiaire. On réalise une donation indirecte par l’intermédiaire de la compagnie d’assurance, i.e par le biais du rapport fondamental. §.2. L’Irrévocabilité spéciale des donations. C’est une règle de fond caractérisant les donations et leur régime juridique. La donation est un contrat et d’une façon générale, les contrats sont irrévocables. L’art 1134 cciv leur donne force obligatoire, de sorte qu’une révocation unilatérale est impossible, sauf s’il existe une cause légale de révocation. On retrouve aussi ces exigences en droit des donations: une seule des parties ne peut unilatéralement remettre en cause la donation, sauf cause légale de révocation. Au titre de ces causes de révocation, en matière de donation comme de testament, on trouve l’ingratitude et l’inexécution des charges lorsque la donation a été effectuée assortie d’une charge. Simplement, en droit des contrats, l’irrévocabilité du contrat est assortie d’une certaine souplesse, elle est susceptible d’aménagements conventionnels: un des contractants peut se réserver le droit de mettre fin au contrat unilatéralement, la seule limite étant la prohibition des conditions purement potestatives. Une des parties ne peut pas insérer une condition qui dépend de sa seule volonté: cela fait douter de la sincérité de son engagement. En droit des libéralités, il existe de surcroît un principe d’irrévocabilité spéciale des donations issu de l’adage « donner et retenir ne vaut ». Cet adage est repris à l’art

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894 cciv qui définit la donation comme étant « l’acte par lequel le donateur se dépouille irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire ». Cette règle interdit d’insérer dans un contrat de donation toute clause permettant au donateur de reprendre directement ou indirectement ce qu’il a donné. À ce titre, on retrouve la prohibition des conditions potestatives. Autrefois, la JP appréciait cette prohibition avec plus de sévérité pour les donations que pour les actes à titre onéreux. Désormais le raisonnement est quasiment le même. De plus, sont interdites ou inefficaces différentes sortes de donation, comme la donation avec réserve du droit de disposer. Dans cette hypothèse, le donateur donne un bien tout en se réservant le droit d’en disposer ultérieurement: dans ce cas, la donation serait inefficace pour tous les biens affectés par la réserve du droit de disposer. Sont également inefficaces ou interdites les donations à charge de payer les dettes futures du donateur. On peut faire une donation à charge de payer une dette présente, i.e qui existe au jour de la donation, i.e dont on connaît le montant, mais il n’est pas possible de s’engager par donation à payer des dettes futures du donateur. Pourquoi? Parce que si les dettes futures sont inconnues et que le donateur va contracter à l’avenir, il pourrait rendre tout ce qu’il a donné en contractant des dettes, le montant des dettes pourrait totalement annuler la donation. Enfin, est interdite la donation de biens à venir. On peut expliquer cette prohibition en raison de l’irrévocabilité des donations: les biens à venir seront les biens laissés par le de cujus à son décès. La donation de biens à venir est nulle et prohibée, d’une part en raison de la liberté testamentaire, et d’autre part parce qu’elles seraient contraires au principe d’irrévocabilité spéciale parce qu’il suffirait au donateur d’aliéner tous ses biens pour qu’il ne reste rien à son décès. Ces donations de biens à venir sont exceptionnellement valables et même fréquentes en pratique lorsqu’elles sont faites entre époux au cours du mariage. Elles restent alors librement et unilatéralement révocables. Si elles ont pour objet une universalité, elles s’apparentent d’avantage à des dispositions testamentaires qu’à des donations, et ce même si elles respectent le formalisme des donations. Quelles sont les clauses compatibles avec le principe d’irrévocabilité spéciale des donations? Premièrement, est compatible avec l’irrévocabilité spéciale, et sont courantes en pratique, par exemple la clause de réserve d’usufruit. Une personne peut donner un bien mais se réserver un usufruit dessus: la donation est irrévocable en ce qu’elle porte sur la nue-propriété, la pleine propriété se reconstituant par la suite sur la tête du nu-propriétaire au décès de l’usufruitier. La réserve d’usufruit peut également être constituée au profit d’un tiers: il y a alors deux donations distinctes, i.e une donation de la nue-propriété et une donation de l’usufruit. Deuxièmement, est également valable la clause d’inaliénabilité, à condition d’être limitée dans le temps et justifiée par un intérêt sérieux et légitime. La clause d’inaliénabilité interdit au donataire d’aliéner le bien pendant une période considérée. Enfin, la troisième clause également très usuelle est la clause de retour conventionnel: c’est une clause de la donation au terme de laquelle la donation sera résolue en cas de prédécès du donataire ou en cas de prédécès du donataire et de ses descendants. Si le donataire prédécède par rapport au donateur, s’exerce un droit de retour. Cette clause repose sur le mécanisme de la condition résolutoire et opère donc rétroactivement: si le donataire prédécède, le bien donné retourne dans le patrimoine du donateur de façon rétroactive, i.e comme s’il n’avait jamais été donné. Le but de la clause est de conserver le bien dans la famille, plus spécialement d’éviter qu’il ne tombe entre les mains du conjoint. Le prédécès du donataire doit totalement échapper à la volonté du donateur, et ce en application du droit des obligations.

EXAMEN: L’épreuve de 3h portera sur une liquidation. La calculatrice n’est pas autorisée car les calculs à effectuer seront simples. Le Code civil est en revanche autorisé. L’épreuve de rattrapage portera sur une dissertation ou un commentaire d’arrêt.